Lettre d’Information – n°78 – Février 2014



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

 

 

14/2

 

Le mystère Georges Bizet à la Salle Gaveau

 


Nicolas Stavy / © Guy Vivien

 

Le pianiste Nicolas Stavy, lauréat du Prix Spécial au Concours Chopin en 2000, qui s’impose par son jeu profond, alliant délicatesse, puissance et sensibilité, sera en concert à la Salle Gaveau avec le comédien Eric-Emmanuel Schmitt dans un spectacle dont celui-ci est l'auteur, Le mystère Georges Bizet. Après sa collaboration réussie et remarquée avec le comédien Robin Renucci dans Le Pianiste en 2010, Nicolas Stavy renoue ainsi  avec le spectacle liant musique, théâtre et chant d'opéra. Écrivain passionné, Eric-Emmanuel Schmitt prolonge la vie par l'écriture et esquisse ce qu'aurait pu être l'œuvre de celui dont il tient la disparition, à 36 ans, trois mois après la création de Carmen, comme l'une des grandes catastrophes de l'histoire de la musique occidentale. Dans cette biographie mise en scène par Steve Suissa, il convoque pianiste, hautboïste et chanteurs (Karine Deshayes et Philippe Do) pour interpréter ses plus belles pages musicales : Nocturne n°1, L’Aurore, Le Docteur Miracle, Variations Chromatiques, Les Adieux de l'hôtesse arabe, Le Retour, La Jolie Fille de Perth, Djamileh, et bien sûr Carmen.

 

Salle Gaveau, le 14 février 2014, à 20H30.

Location : 45-47, rue La Boétie, 75008 Paris ; par téléphone : 01 49 53 05 07 ; en ligne : www.sallegaveau.com

 

 

16 / 2

 

Schubertiade au Méjan

 


Alain Planès/DR

 

Autour du grand pianiste Alain Planès, l'association du Méjan, qui fête ses 30 ans,  organise une Schubertiade. Elle se déclinera en trois concerts le même dimanche et présentera quelques unes des plus profondes pages du grand musicien. Elle s'ouvrira, à 11 H, par la 19 ème Sonate pour piano D 958, suivie du Grand duo en la majeur pour violon et piano, avec la violoniste Tai Murray. Pour se poursuivre, à 15 H, par la Sonate pour Arpeggione D 821, exécutée par le celliste Gary Hoffman, suivie du Trio N° 2 pour piano, violon et violoncelle, D 929. Et s'achever, à 17H30, par le Quartettsatz et le grandiose Quintette à deux violoncelles en ut majeur, joués par le jeune et talentueux Quatuor Girard. La quintessence de la musique de chambre de Schubert, qui devrait combler ses auditeurs par la rigueur des interprétations.  

 

Chapelle du Méjan à Arles, le 16 février 2014 à 11H, 15H et 17H30.

Location: Association du Méjan, Place Nina-Berberova, BP 90038, 13633 Arles cedex ; par tel : 04 90 49 56 78 ; en ligne : www.lemejan.com

 

21 / 2

 

Musica Aeterna et Teodor Currentzis à La cité

 


Teodor Currentzis/ ©Anton Zavjyalov 

 

Le jeune chef grec Teodor Currentzis dont le perfectionnisme impose à ses exécutions une densité rare, s'en vient à Paris l'instant d'un concert à la Cité de la musique. Il dirigera l'ensemble Musica Aeterna dont il est le directeur musical. Au programme le Dixit Dominus de Haendel et Didon et Énée de Purcell. Ce dernier sera interprété, entre autres, par la soprano allemande Simone Kermes. L'occasion de mesurer le charisme d'un chef d'exception et l'aura d'une chanteuse que sa passion pour le bel canto ne détourne pas du répertoire baroque. Et bien sûr d'écouter un mini opéra d'une portée considérable. Un concert à ne pas manquer.

 

Salle de concerts, Cité de la musique, le 21 février 2014, à 20H.

Location : 221, Boulevard Jean-Jaurès, 75019 Paris ; par tel : 01 44 84 44 84  ; en ligne : www.citedelamusique.fr

 

 

28 / 2, 2 & 4 / 3

 

L'Orchestre National de Bordeaux Aquitaine joue La Turangalîla-Symphonie

 


DR

 

Créée à Boston en décembre 1949, par Leonard Bernstein, la Turangalîla-Symphonie d'Olivier Messiaen est un monument de la musique du XX ème siècle. On n'en compte pas les particularités : sa formation pour grand orchestre de plus de cent musiciens, ses dix mouvements, l'évocation des chants d'oiseaux, les combinaisons de timbres inouïes et la présence de deux claviers solistes, le piano et les ondes Martenot. « Une œuvre débordant de littérature, un torrent charriant cailloux et pépites » dira Jacques Longchamp. L'exécution qu'en donneront Paul Daniel, à la tête de l'Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, Bertrand Chamayou et Cynthia Millar devrait constituer un des moments phares de la saison bordelaise. Un concerto de piano de Maurice Ravel ouvrira chacun des deux concerts, sous les doigts de Chamayou (le concerto en sol, le 28/2, et celui « pour la main gauche », le 2/3). La symphonie sera donnée en tournée à la Halle aux Grains de Toulouse, peu après.

 

Auditorium Henri Dutilleux, 9,Cours Gorges Clemenceau, 33000 Bordeaux, les 28 février 2014 à 19H et le 2 mars à 15H.

Location : Grand Théâtre, Place de la Comédie, 33000 Bordeaux ; par tel : 05 56 00 85 95 ; en ligne : www.opera-bordeaux.com

Halles aux Grains, 1, Place Dupuy, 31000 Toulouse, le 4/3 à 20H.

Location : Théâtre du Capitole, Place du Capitle, & Halle aux Grains, 31000 Toulouse ; par tel : 05 61 63 13 13 ; en ligne : www.theatreducapitole.fr

 

 

14, 16, 18, 21, 25 / 3 & 11, 13 / 4

 

Le Roi Arthus à l'Opéra du Rhin 

 


DR

 

Unique opéra d'Ernest Chausson, Le Roi Arthus est sans doute la clé de voûte de toute son œuvre. Puisant à la légende bretonne du Roi Arthur, Chausson en a écrit lui-même le livret, d'une haute qualité littéraire, et l'a pourvu d'une musique généreuse, richement instrumentée. On a dit que Chausson, fasciné par la création à Bayreuth du Parsifal de Wagner, avait écrit une pièce proche de Tristan et Isolde. Mais la découverte du langage du maître allemand n'a pas altéré sa propre inspiration. Au chapitre des influences, on les recherchera aussi bien du côté de Berlioz. Et c'est finalement d'« une esthétique à la fois moderne, française et intensément originale » qu'il faut parler, selon la belle formule de Jean Gallois (Ernest Chausson, Fayard, 1994). Créé en 1903, à La Monnaie de Bruxelles, quelques quatre ans après la mort de son auteur, l'opéra a rarement été joué depuis. Aussi l'occasion est-elle bienvenue de le découvrir dans la nouvelle production donnée à l'opéra du Rhin et confiée au metteur en scène Kieth Warner. La direction d'orchestre sera assurée par Jacques Lacombe.  

 

Opéra du Rhin à Strasbourg, les 14, 18, 21, 25 mars 2014 à 20 H et le 16 mars à 15H ; à Mulhouse/La Filature, les 11 avril à 20H, et 13 avril à 15H. 

Location : Strasbourg/Opéra, 19, Place de Broglie, BP 80320,  67008 Strasbourg cedex ; par tel : 0825 84 14 84 ; en ligne : caisse@onr.fr.

Mulhouse/La Filature, 20 Allée Nathan-Katz, 69090 Mulhouse cedex ; par tel : 03 89 36 28 29.

 

 

Le festival Présences de Radio France

 


DR

 

L'édition 2014 du festival Présences organisé par Radio France est titrée « Paris/Berlin ». L'opportunité de mesurer la vivacité des deux capitales en matière de création musicale. Au fil des concerts se croiseront créations et hommages. Ainsi, le 14 février, à la Salle Pleyel, deux premières françaises de compositeurs actuels fort actifs de part et d'autre du Rhin, Wolfgang Rihm, avec Nähe Fern, et Philippe Manoury et ses Zones de turbulences pour deux pianos et orchestre. En complément, on jouera la Suite de Die Soldaten de Bernd Alois Zimmermann, esquisses pour l'opéra éponyme. L'Orchestre Philharmonique de Radio France sera dirigé par Peter Hirsch. Le 15 février, à la maison de Radio France, l'Ensemble 2e2m et le Neue Vokal Solisten assureront la création française de Après Tout de Fabien Lévy (Berlin, 2013), une pièce destinée à commémorer le cinquantenaire du Traité de l'Élysée,  construite à partir d'un échange de correspondance entre un jeune intellectuel allemand et le philosophe français Vladimir Jankélévitch. Le 22 février, à la Maison de Radio France, l'accordéoniste Pascal Contet, considéré comme l'un des principaux acteurs du renouveau de l'instrument et fortement engagé dans le répertoire contemporain et le jazz, interprétera, en création, la nouvelle version pour ensemble de Karlkoop Konsert de Bernard Cavanna. Enfin, le 25 février, à la Cité de la musique, un hommage sera rendu à Pierre Boulez, chef d'orchestre et compositeur. On donnera en création française deux œuvres créées sous la direction du chef français : Armonica de Jörg Widmann (Wien, 2007), pièce pour harmonica de verre, et Change de Johannes Boris Borowski (Lucerne, 2008). Le visage nuptial de Boulez complètera le programme. Le Philar sera conduit par Pascal Rophé. Comme de coutume, les meilleurs interprètes prêteront leur concours à ces manifestations, dont la soprano Laura Aikin, le baryton Georg Nigl, la contralto Hilary Summers, le duo de pianos Grauschumacher, et bien sûr les diverses formations de Radio France.  

 

Du 14 au 25 févier 2014, Salle Pleyel, Maison de Radio France, Cité de la musique.

Renseignements et location (tarif unique/placement libre à 15 €) : Salle Pleyel, 252, rue du Fbg Saint-Honoré, 75008 Paris ; Maison de Radio France, 117, avenue du Président Kennedy, 75016 Paris ; Cité de la musique, 221, Avenue Jean-Jaures, 75019 Paris.

 

Jean-Pierre Robert.

   

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HOMMAGE

 

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Un immense chef s'en va... Claudio Abbado (1933-2014)

 


© Peter Fischli

 

Le monde de la musique perd un de ses plus éminents serviteurs. Claudio Abbado connut un parcours riche qui le mena au plus près de la vérité musicale. Il fut, entre autres, directeur des plus illustres maisons d'opéra, la Scala de Milan (1968-1986), l'Opéra de Vienne (1986-1991), comme des phalanges prestigieuses, Le LSO ( 1979-1987), le Philharmonique de Berlin (1989-2002), et en dernier lieu l'Orchestre du Festival de Lucerne, depuis 2003. Personnalité hors du lot, Abbado restera un homme discret, presque timide, fort d'une grande spiritualité, travailleur acharné. « ''Grand chef'' ne veut rien dire pour moi, c'est le compositeur qui est grand » soulignait-il. Une telle humilité devant la musique, qu'il transfigurait, n'est pas un vain mot. Ses interprétations, dans les dernières années, atteignaient une limpidité et une spontanéité exceptionnelles. Il sera toujours viscéralement attaché à la propagation du geste musical à travers la jeune génération. En témoignent les diverses formations dont il a été l'initiateur, et la cheville ouvrière : depuis l'Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne en 1978, ce seront le Gustav Mahler Jugendorchestra, le Chamber Orchestra of Europe, le Mahler Chamber Orchestra et enfin l'Orchestra Mozart, en 2004. Son héritage est immense, tant dans le domaine symphonique que sur le terrain de l'opéra, car Abbado était la figure même du musicien complet.

 

On citera ici les mots émus du directeur du festival de Lucerne, Michael Haefliger, une institution à laquelle il était tant attaché :

 

« C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Claudio Abbado. Pour le LUCERNE FESTIVAL, la disparition de ce grand musicien marque la fin d’une longue et riche collaboration artistique qui a été jalonnée de succès depuis ses débuts avec l’Orchestre Suisse du Festival, à l’été 1966, et a atteint un sommet à l’été 2003, lorsqu’il a fondé le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA. Cet « orchestre des amis », comme il l’avait lui-même baptisé, a élevé aux nues notre manifestation – peu de festivals ont la chance de connaître un tel destin : rapidement, la brillante phalange s’est hissée au premier plan dans le paysage éclectique des orchestres symphoniques, marquée du sceau artistique de son fondateur et de son esthétique ancrée au plus profond de la culture. Loin de toute bureaucratie, Abbado a réussi dès le départ à réaliser avec son orchestre une parfaite symbiose entre dévouement artistique et excellence de l’interprétation, faisant de chaque concert un moment unique détaché des contingences temporelles. Chaque fois, l’événement musical semblait devenir éternel, grâce notamment à l’amitié profonde et naturelle qui régnait entre le chef et les musiciens.

Abbado mettait au premier plan son talent pour faire de la musique de chambre, sa passion de la « musique ensemble ». Un orchestre n’est pas un grand échafaudage ou une masse musicale, mais une réunion de formations de tailles variées qui se retrouvent dans leur diversité sous la houlette d’un primus inter pares pour arpenter ensemble un chemin musical. De cela, Abbado était intimement convaincu, lui qui avait commencé sa carrière musicale dans l’univers de la musique de chambre.

 

Et si le credo musical d’Abbado trouvait ses origines dans la musique de chambre, donc dans ce que la musique a de plus intime, ce credo était profondément ancré dans son « école de l’écoute ». Ce n’était pas un adepte des grandes phrases, un homme à faire de longs discours en répétition. Son travail avec l’orchestre se caractérisait au contraire par une écoute mutuelle dans le calme, et par la certitude que l’on atteindrait en concert le sommet absolu de l’interprétation qu’il façonnait. Nous n’avons pas oublié les grands moments de sérénité musicale que nous avons vécus à Lucerne avec ses superbes interprétations des symphonies de Mahler et de Bruckner. »

 


© Peter Fischli

C’est avec un concert magnifique et profondément émouvant que Claudio Abbado a mis un point final à sa carrière artistique le 26 août 2013, à Lucerne, en dirigeant la Neuvième Symphonie de Bruckner, une œuvre inachevée. On était si loin de penser, à cette soirée inoubliable, que ce serait peut-être son dernier concert, tant il nous paraissait comme transfiguré dans ce moment de sérénité ineffable. Malheureusement, ce qui était alors impensable est devenu réalité.

 

'' Voyageurs, il n’y a pas de chemin, mais il faut marcher.'' Cette phrase, découverte sur le mur d’un monastère de Tolède par le compositeur Luigi Nono, qui fut des années durant le compagnon de route d’Abbado, pourrait renvoyer symboliquement à la vie de celui-ci. Une vie qui ne fut pas déterminée par des chemins tout tracés, mais s’est réalisée en avançant et en faisant ouvertement l’expérience du nouveau. Voyager, explorer sans chemins apparents, chercher sans cesse le nouveau et l’inconnu, c’est précisément ce qu’a fait Abbado, et il l’a fait jusqu’au dernier instant de sa vie fascinante et si bien remplie. »

 

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L'ARTICLE DU MOIS

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 JEAN-JACQUES ROUSSEAU ET LA MUSIQUE

LE DEVIN DU VILLAGE

 

 

Alors qu'on vient de célébrer en 2012 le tricentenaire de Jean-Jacques Rousseau né à Genève le 16 juin 1712, nous ne saurions oublier que l’auteur du Contrat Social, de l’Émile, de La Nouvelle Héloïse était aussi musicien. Son apport dans ce domaine où il s'estimait très compétent – même si la postérité voire certains de ses contemporains n'en étaient pas toujours tellement convaincus ! –  est relativement important, aussi bien en ce qui concerne les écrits théoriques ou littéraires que la composition proprement dite.

 

Autodidacte, il étudie seul les règles de l'harmonie dans le Traité de Rameau et il avouera lui-même avoir eu longtemps quelque peine à lire et à déchiffrer la musique.

 

 

L’adolescence, la Jeunesse

 

Nous savons que le jeune Jean-Jacques, après avoir quitté sa Suisse natale à l'âge de seize ans, fut recueilli par Madame de Warrens, d'abord chez elle à Annecy, puis aux Charmettes, près de Chambéry. Sa bienfaitrice (qu'il appelait "Maman", lui qui avait perdu la sienne à la naissance) veille à son éducation pendant plusieurs années, ce qui lui permit de parfaire ses connaissances générales et musicales.

 


DR

 

Mais, ayant en tête un système de notation musicale chiffrée conçu par lui, il part pour Paris en 1741. Il espère y rencontrer Diderot et l'intéresser à son invention. Présenté le 22 Août 1742 à l'Académie des Sciences par Réaumur, il y lut son projet. Ce système de notation, assez astucieux, mais surtout utile pour l'étude des premiers rudiments de la lecture musicale, ne fut pas retenu, après l'avis défavorable de Rameau, consulté à ce sujet(1). Rousseau écrira pourtant, en 1743, une Dissertation sur la Musique moderne, suivie plus tard de plusieurs articles qui parurent dans l’Encyclopédie(2).

 

Sa vie matérielle à Paris (bien qu'il ait pu assister à certains spectacles de l'Opéra et fréquenté quelques salons) semble bien précaire ; sans doute est-elle en partie assurée par des travaux de copiste, de secrétariat, ou par des leçons de musique. Il raconte lui-même à ce sujet cette amusante anecdote : après avoir quitté Paris pour l’Italie où l’attendaient d’autres fonctions, il se dirigeait à pied vers Lyon, couchant à la belle étoile. Un beau matin, charmé par la nature environnante, longeant les rives de la Saône, il se mit à chanter à tue-tête un air d'une cantate française Les Bains de Thomery de J.B. Stuck, qui sous le pseudonyme de Batistin, devenu parisien, avait introduit et francisé cette forme venue d'Italie(3). La jolie voix du jeune randonneur, le charme de son chant, attirèrent alors l’attention d'un promeneur, amateur de musique, qui, sur le champ, l'engagea à séjourner chez lui pour y copier quelques partitions, le gratifiant pour finir d'un bel écu, ce qui lui fit s'écrier : « Que béni soit le bon Batistin et sa bonne cantate ! »

 

Mais parvenu en Italie, après un séjour d'un an à Venise comme secrétaire de l'Ambassadeur, Monsieur de Montaigu (1743-1744), séjour qui permit à Rousseau de se familiariser avec les opéras italiens, il est de retour à Paris en 1745. Il s’y fait alors connaître comme compositeur avec son Opéra-ballet Les Muses Galantes, dont seules la première entrée, Hésiode, restée manuscrite, et une Musette en rondeau, éditée, nous sont parvenues.

 

Répété, puis auditionné à l'Opéra, l'ouvrage ne fut pas retenu pour une représentation publique. Rousseau avoue d'ailleurs qu'il avait eu recours à Philidor pour certains travaux de « remplissage » (en l'occurrence d'harmonisation et d'orchestration), « ce travail de manœuvre l'ennuyant fort ». Rameau qui accepta d'assez mauvaise grâce d'écouter chez La Pouplinière cet ouvrage d'un autodidacte amateur, déclara sans ménagement et même avec colère que, par son aspect disparate, l'œuvre ne pouvait être d'un seul et même auteur, l'un musicien confirmé (Philidor ?), l'autre apprenti ignorant (Rousseau ?). Comment s'étonner de l’animosité qui s'établit ensuite entre Rameau et Rousseau, qui ne fit d'ailleurs que s'exacerber avec les années ?

 

 

La maturité : Le Devin du Village et sa création à Fontainebleau

 

Mais, tandis qu'il est couronné par l'Académie de Dijon pour son Discours sur les Arts et les Sciences en 1749, Rousseau songe déjà, nullement découragé par l'échec des Muses Galantes, à une autre œuvre lyrique. Alors qu'il « prenait les eaux » à Passy, chez son ami Mussard, il ébauche, au début de l'été 1752, quelques airs, dialogues, note quelques thèmes. Rentré à Paris, en trois semaines, ce petit essai lyrique fut orchestré et mis au net : Le Devin du Village avait ainsi vu le jour.

 

Présentée anonymement aux Directeurs de l'Académie Royale de Musique, l'œuvre connut en première lecture un succès unanime ; si elle ne fut pas alors retenue pour l'Opéra, elle fut acceptée pour les spectacles de la Cour, grâce à l’intervention de l’académicien Duclos, dédicataire de l’œuvre. Mis en répétition, Le Devin du Village fut créé, représenté deux fois, les 18 et 24 octobre 1752, devant leurs Majestés, dans la salle de l’Ancienne Comédie du Château de Fontainebleau.

 

Dans ses Confessions, Rousseau fait le récit de cette première soirée mémorable où, placé bien en vue dans la loge faisant face à celle du Roi, au milieu d'une splendide assemblée où brillent à côté de la Reine, de Madame de Pompadour, les plus belles dames de la Cour, il apparaît lui-même dans son costume négligé de tous les jours, mal rasé et mal peigné. D'abord un peu embarrassé, il se convainc bientôt qu'il est bien à sa place, tel qu'il est, puisqu'on est là pour applaudir son œuvre et que « ce défaut de décence » n'est en réalité qu’ « un acte de courage ».(!!!)

 

Le Devin du Village connut à Fontainebleau un très grand succès. Le Roi, charmé, chantait lui-même « de la voix la plus fausse de son royaume » (d'après le chanteur Jelyotte, créateur du rôle de Colin) l'air de Colette J’ai perdu mon serviteur. Il offrit à Rousseau de lui allouer une pension qu'il refusa pour garder son indépendance et sa liberté. Madame de Pompadour, puis plus tard Marie-Antoinette, prirent part à des représentations privées. Enfin, Le Devin du Village fut représenté à l'Académie Royale de Musique dès le 1er mars 1753 et y tint l'affiche pendant près de quatre-vingts ans, jusqu’à ce qu’un « Jeune France » n’en signât le déclin définitif en 1829, en expédiant une perruque sur la scène, en pleine représentation(4).

 

 

La Querelle des Bouffons – La Lettre sur la Musique française 

 

Mais, au moment où Le Devin du Village connaissait le succès et les faveurs de la Cour et du public, ce même public parisien, amateur d'opéra, n'allait pas tarder à se partager en deux clans: les partisans de l'opéra italien s'opposant à ceux de l'opéra français. Les amateurs de l'opéra français (admirateurs de Rameau, en premier lieu) se groupaient alors au théâtre devant la loge du Roi (« le coin du Roi »), tandis que les tenants de la Musique italienne, passant pour plus moderne, plus légère et charmante, occupaient le devant de la loge de la Reine (« le coin de la Reine »), d'où le nom de « Guerre des Coins » qui fut donné à ce qui allait devenir « la Querelle des Bouffons ».

 

Le véritable élément déclencheur de cette célèbre querelle fut l'exécution à l'Opéra, le 1er Août 1752, par la troupe des « Bouffons italiens », d'un petit intermède de Pergolèse, La Serva Padrona(5). Le succès fut éclatant, cette fois, car La Serva Padrona avait déjà été représentée au Théâtre Italien en 1746, dans l'indifférence générale. Le public prit littéralement feu et flammes, les uns pour, les autres contre ce style nouveau, venu d'Italie.

 

Les pamphlets, les libelles se multiplient, parfois signés de noms illustres (Grimm, Diderot), mais c'est Jean-Jacques Rousseau qui met le feu aux poudres avec sa célèbre Lettre sur la Musique française parue en janvier 1753(6).

 

Nous ne pouvons entrer dans les détails de ce pamphlet où il accumule doctement (!), à côté de quelques remarques pertinentes, les sottises et les jugements que la postérité et bon nombre de ses contemporains plus compétents et indignés ont jugé stupides, voire scandaleux.

 

Voulant prouver l'inanité de la musique française, Rousseau, après avoir condamné sans appel l'écriture fuguée « que l'oreille ne peut souffrir » comme « des restes de barbarie », entreprend une étude (bien superficielle d'ailleurs) du grand monologue d'Armide, extrait de la célèbre tragédie lyrique de Lully. Après cet examen (ce survol bien peu concluant), il termine ainsi :

 

« Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure, ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue, que l’harmonie en est brute, sans expression, et, surtout un remplissage d’écolier ; que les airs français ne sont pas des airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »

 

On reste confondu devant une telle accumulation d'âneries, qui souleva un tollé général de protestations. Rousseau lui-même écrit : « La Lettre sur la Musique française souleva contre moi toute la nation qui se crut offensée dans sa Musique ». Les contemporains confirment : « On est indigné à la Cour » déclare la Gazette Les Nouvelles, qui poursuit : « Il pourrait bien arriver que ce grand Rousseau fût chassé de France ». A l'Opéra l'acharnement contre lui prend une telle ampleur qu'on lui en interdit l'entrée, même pour les représentations du Devin du Village (qui tient toujours l'affiche). Rousseau déclare qu'on veut l'assassiner, mais on se borna à le brûler en effigie.

 

Mais ici une parenthèse s’impose : il parait évident, en effet, que la Musique, pour Rousseau, se borne à l'Opéra. Il semble tout ignorer de la littérature de clavecin et d'orgue de ses contemporains, ainsi que de leurs œuvres de musique instrumentale : François Couperin n'avait pas opposé le « goût » italien au « goût » français : il les avait « Réunis ». Enfin, pourquoi Rousseau a-t-il écrit Le Devin du Village et ses autres essais dramatiques en langue française ? N'avait- il pas peur des « aboiements » de ses interprètes ?(7)

 

 

Le Devin du Village : La partition

 

Le Devin du Village est la seule œuvre de Rousseau gravée de son vivant. Précédée d’un avertissement de l’auteur, cette édition ne correspond pas à la version primitive, exécutée à Fontainebleau, qui ne comportait pas d’ouverture. De plus, les danses qui terminaient alors la représentation ne figurent pas dans cette version gravée de 1753.

 

Pour les exécutions à l’Opéra, Rousseau composa donc une ouverture. En réalité, il remania à cet effet une Symphonie à cors de chasse exécutée au Concert Spirituel le 23 mai 1751, perdue depuis, mais dont les parties de cors et de flûte sont conservées dans le matériel d’orchestre de la Bibliothèque de l’Opéra.

 

D’autre part, nous dit Jean Maillard dans une Discographie de l'Éducation Musicale de 1972, « les récitatifs, quoique bien prosodiés, présentaient une telle faiblesse vis-à-vis de la basse continue qu’il fallut que Francoeur, chef d’orchestre de l’Opéra et de la Cour, les remaniât à toute hâte avec l’aide de Jelyotte ».

 

La forme

 

Conçu à la manière des « Intermèdes » italiens que nous avons définis plus haut  - dont la Serva Padrona de Pergolèse servit de modèle à Rousseau - le Devin du Village ne doit pas être confondu avec les opéras-comiques français apparus à la même époque, où les dialogues sont parlés et non chantés comme dans l’Opéra traditionnel. Dans l’une et l’autre forme - intermède et opéra-comique -, les sujets sont plus proches de la Nature, si chère à Rousseau ; des personnages simples, populaires voire campagnards, très éloignés des héros mythologiques et cérémonieux des opéras y interviennent.

 

Les personnages

 

Ils sont au nombre de trois : la bergère Colette (soprano, rôle créé par Mlle Fel), le berger Colin (ténor, rôle créé par Jelyotte) et le Devin (basse chantante, rôle créé par Cuvillier). Il faut noter que les trois interprètes choisis passaient pour être les meilleurs de l’époque.

 

Le livret – le sujet

 

Le livret, rédigé par Rousseau, est en vers en ce qui concerne les airs, les ensembles vocaux, les chœurs et cer­tains dialogues en récitatifs, alors que la plupart des récitatifs sont en prose. Ce livret fut traduit en néerlandais, sué­dois, allemand, anglais et russe ; c'est dire l'impact de cette œuvre dans toute l'Europe musicale. Les jeux de scènes y sont décrits de façon très détaillée.

 

Le sujet est très simple : c'est celui d'une « bergerie » sentimentale et naïve où la fine psychologie du Devin (et non ses simulacres de « magie ») résoudra les malheurs de la gentille bergère, Colette. En effet, elle se croit abandonnée par son berger, Colin, qui semble lui préférer, pour l’heure, la « Dame de ces lieux » qui l'attire par ses avances et ses cadeaux. Le Devin, simulant des passes magiques, lui indique le moyen fort simple de le reconquérir : la coquetterie !(8)

 

Éléments de la partition

 

Les récitatifs : Rousseau sait y tirer profit des qualités de la langue française – lui qui avait pourtant proclamé qu'elle était inapte à être chantée (!). Dans la Lettre sur la Musique française dont nous avons cité l'ahurissante conclusion, il écrivait aussi : « Il est évident que le meilleur récitatif, dans quelque langue que ce soit... est celui qui approche le plus de la parole », et plus loin, il précise : « Il est de toute évidence que le meilleur récitatif qui peut convenir à la langue française doit être opposé, presqu'en tout, à celui qui est en usage ; qu'il doit rouler entre de fort petits intervalles, n'élever ni n'abaisser beaucoup la voix ; peu de sons soutenus, jamais d'éclats, encore moins de cris... peu d'inégalités dans la durée ou valeurs des notes, ainsi que dans leurs degrés »(9). Les récitatifs ont beaucoup d'importance dans l’ensemble de l’œuvre, tantôt comme une conversation en prose, tantôt sous forme de réparties, en vers ; ils ont toujours un rôle expressif et sont accompagnés soit par l’orchestre, soit par la basse continue.

 

Les airs : très mélodiques, ils sont simples, ayant souvent l’aspect de chansons populaires. Ici peu ou pas de virtuosité vocale ni de grands éclats chantés. Ils sont, ainsi que le souhaitait Rousseau, le reflet de « l'accent de la nature ». Dans un but expressif, ils sont parfois entrecoupés de passages instrumentaux ou de récitatifs. Leur forme adopte parfois la coupe à da capo, plus souvent celle d'un rondeau ou même la forme-suite, en deux parties reprises.

 

Les ensembles vocaux : ils ont le plus souvent l’aspect d'un dialogue. Pour sceller leur réconciliation, Colette et Colin chantent seulement deux fois en duo, ensemble, dans la scène V.

 

 Les chœurs : Un très beau chœur développé et solidement construit auquel se joindront les trois protagonistes : (« Colin revient à sa bergère ») ouvre la scène VIII. Il se poursuit, après le départ du Devin : « Du Devin de notre Village, chantons le pouvoir éclatant" ; il intervient ensuite, à la fin du dernier air du Devin «l'Art à l'Amour est favorable » en ponctuant la conclusion des huit couplets par la phrase « C'est un enfant! ». Enfin, le chœur et les solistes mettent le point final au Devin du Village avec, le dernier rondeau « Allons danser sous les ormeaux ».

 

L'orchestre : Il est représenté par les principales familles d'instruments (l’Orchestre et les Chœurs de l'Opéra participèrent aux diverses représentations). L'orchestre apparait seul dans l’Ouverture, puis pour accompagner les danses, et enfin pendant toute la Pantomime ; de plus, de longues introductions d'orchestre précèdent souvent certains airs où parfois il s'intercale, ainsi que dans certains récitatifs. C’est lui qui commentera le jeu des acteurs, comme dans la scène muette de l'incantation du Devin et dans la Pantomime. Bien souvent, il souligne des intentions dramatiques diverses. Son rôle expressif est donc aussi très important. La partition porte des indications précises sur le rôle des divers instruments: dialogues entre les flûtes ou les hautbois avec les cordes, suivis de « tous » pour la reprise du tutti, ou, « les quintes – altos – avec les basses », ou « avec les violons »). De nombreuses indications concernant les nuances ou les mouvements émaillent aussi la partition.

 

Les Danses : Outre le fait que de nombreux airs sont construits sur des rythmes de danse, l'orchestre soutient aussi quelquefois diverses évolutions chorégraphiques, comme à la fin du grand chœur de la Scène VIII où une Pastorelle et une Forlane accompagnent des dons de bouquets à Colette et à Colin. Enfin, plus loin, après la dernière Ariette de Colette, deux Menuets et une Allemande en rondeau précèdent le chœur final « Allons danser »...

 

La Pantomime : Les scènes « à la muette », donc mimées, dès l'antiquité, en passant par les spectacles italiens du XVIème siècle, les tragédies lyriques du XVIIème, les spectacles de la Foire, des Funambules et de l'Opéra du XVIIIème, sans oublier, plus tard Berlioz et ses Troyens, connurent de tous temps les faveurs du public(10). La Pantomime eut donc aussi sa place dans Le Devin du Village. Ici, l'argument n'est pas original ; il met trois personnages en scène, La Villageoise, le Villageois, le Courtisan. Il évoque, après un épisode d'infidélité, la réconciliation des amoureux. C'est à l’orchestre, bien sûr, qu'il incombe ici de diriger et de commenter les mimiques des danseurs.

 

 

Étude sommaire de la partition

 

L’ouverture

Sans doute, avons-nous dit, c’est le remaniement pour l'Opéra d'une Symphonie à cors de chasse de 1751. Il s'agit ici, bien sûr, d'une Ouverture à l'Italienne, en trois parties :

1)  « Gay » – Vif en majeur à 2/4 : Thème joyeux et rythmé où les hautbois donnent à trois reprises la réplique au tutti et où s'intercale un court épisode « doux » en mineur.

2)  « Lent »en mineur à 6/8 : C'est une charmante mélodie sur un rythme de sicilienne, de caractère populaire et où une modulation centrale au relatif amène le retour du début.

3)  « Gay» et rapide à 3/8 en majeur. Très court épisode de seize mesures dont les joyeuses notes répétées entraînent l'auditeur vers

 

L'ouverture du rideau.

 

Le théâtre représente la maison du Devin. De l'autre côté, des arbres et dans le fond, un hameau.

 

Scène I

Air de Colette  - fa majeur – 2/2 – Doux, lent et marqué

Colette, « pleurant et s'essuyant les yeux de son tablier » : Une introduction de l’orchestre précède et annonce l'air célèbre « J'ai perdu tout mon bonheur, J'ai perdu mon serviteur ».

Cette sorte de refrain, (l'air se présentant comme un rondeau) a une forme à da capo, où, dans la partie centrale, Colette gémit (Hélas !) sur son abandon. Des traits des cordes alternent avec la voix pendant tout cet épisode.

Un récitatif « il m'aimait autrefois », forme le premier couplet, avant le retour du refrain. Colette y évoque sa rivale « avec ironie et dépit », la « menace » avant d’exprimer sa « douleur tendre ».

Un second récitatif, comme un second couplet, « Je devrais le haïr » reflète les sentiments contraires qui animent la bergère, qui, finalement met tous ses espoirs dans la personne du « Devin du Canton » qu'elle décide de consulter.

 

Scène II

Le Devin, Colette.

Prélude : Grave et marqué - mineur, 2/4 -

« Elle compte dans sa main, dans l'autre main ; elle hésite en approchant du Devin ; elle lui présente de l'argent qu'elle a compté et plié dans un papier durant le Prélude ».

1) Dialogue en récitatifif. Colette interroge le Devin qui lui répond qu'ayant lu dans leurs cœurs à tous deux, Colin l'aime toujours, malgré son infidélité; le dialogue se termine sur la promesse du Devin de ramener Colin à sa bergère.

2) Air de Colette - mineur- 2/2 - Doux - Flûtes et violons - de forme a-b-a-c-a.

« Si des galants de la ville... » (Elle aurait pu, elle aussi, se laisser tenter par d'autres soupirants !)

3) Récitatif du Devin (« avec emphase ») qui promet le retour de Colin et conseille à Colette :   « Feigne d'aimer un peu moins ».

4) Air du Devin : Modéré - ré majeur - 2/4 - de forme a-b-a-b. Dialogue avec l’orchestre.

« L'amour croît s'il inquiète.. » (a)

 « La bergère un peu coquette... » (b)

 

5) Dialogue en récitatif : Colette suivra le conseil du Devin. Trois notes graves précèdent la scène suivante.

 

Scène III

Court récitatif en a parte du Devin qui, en attendant 1'arrivée de Colin, se dit qu'en rendant leurs amours aux deux bergers, il se vengera des mépris de la « Dame du Lieu ».

 

Scène IV

Le Devin, Colin.

1) Dialogue en récitatif - ut mineur - 2/2 –

Colin exprime son souhait de retrouver Colette. Le Devin lui révèle qu’elle l'a oublié ; Colin ne peut y croire.

2) Air de Colin - ut majeur – 6/8 - Forme a-b-a-

 « Non, non, Colette n'est pas trompeuse » (a)

 « Peut-elle être l’amoureuse d'un autre berger? »  (b)

3) Dialogue en récitatif. Le Devin révèle à Colin que son rival est un « Monsieur de la Ville ». Colin lui demande aide et conseil.

4)  « Le Devin tire de sa poche un livre de Grimoire et un petit bâton de Jacob avec lesquels il fait son charme. De jeunes paysannes qui venaient consulter le Devin lai­sent tomber leurs présents et se sauvent tout effrayées en apercevant ses contorsions ».    

Court passage d'orchestre (cordes et cors – mi b majeur-3/8 - ) soutenant les évolutions du Devin, qui « doit rester en attitude d’une manière comique » sur la dernière note.

5) Dialogue en récitatif (si b majeur). Le Devin annonce que le charme opère et que Colette va venir. Colin espère l’apaiser. (Le Devin, en a parte, se propose de conseiller Colette sur son attitude à tenir).

 

Scène V

Air de Colin - sol mineur - 3/4 – en deux parties.

Introduction d'orchestre rythmant les temps de l'air, plein de douceur et de charme.

1ère partie (sol mineur) : « Je vais revoir ma charmante maîtresse »

2ème partie (sol majeur )– Andante - Introduite par l'orchestre - Oppositions de nuances (fort, doux). Mélodie pleine de charme :"Quand on sait aimer et plaire".

Transition d'orchestre, avec oppositions de nuances, tandis qu'au retour de la voix « Que de seigneurs d'importance », les indications d'interprétation se précisent (« ferme», « avec emphase ») avant le retour de l'élément « Quand on sait aimer... »

 

Scène VI

Colin, Colette

1) Dialogue en récitatif entre Colin et Colette ( majeur-2/2) Colin, puis Colette en a parte, dialoguant avec l'orchestre, expriment l'un et l'autre leur trouble, ne sachant comment s’aborder.

2) Dialogue en récitatif. Colin veut fuir, puis se décide « d'un ton doux et embarrassé ». Colette le repousse. Le dialogue se poursuit en récitatif sec ; Colette reste intraitable : « Non, Colin, je ne t'aime plus! »

3) Air de Colin - la majeur - 3/8 -

Forme-suite dont les deux parties sont reprises. « Ta foi ne m'est point reprise. »

4) Reprise du dialogue en récitatif sec. Colette paraissant toujours intraitable, Colin désespéré, après un trait des basses entrecoupé et hésitant et une modulation en sol mineur décide de « s'éloigner du hameau ».

5) Duo - sol mineur - 2/2 - Mesuré, andante        -

Après quelques réparties en dialogue, les deux voix s'uniront bientôt en véritable duo, à la tierce : « Je  me dégage à mon tour ». Sur une modulation en sol majeur, « plus lent », le dialogue reprend et c'est la réconciliation ! Colin proclame qu'il ne peut aimer que Colette et celle-ci renchérit (en sol mineur) : Colin lui semble préférable à tout autre et conclut : « Ah! Berger volage, faut-il t'aimer malgré toi ! »

6) Prélude d'orchestre où hautbois et cordes se donnent la réplique – sol majeur – 3/8 – « Durant le prélude qui suit, Colin se jette aux pieds de Colette. Elle lui fait remarquer à son chapeau un ruban fort riche qu'il a reçu de la Dame. Colin le jette avec dédain. Colette en donne un plus simple dont elle était parée et qu'il reçoit avec transport. »

7) Duo Colin, Colette, accompagné par l'orchestre : «  A jamais Colin t’engage son cœur » Tous deux, ensemble, se promettent amour et fidélité réalisés dans un « doux mariage ». Ce charmant duo où les indications d'interprétation sont fréquentes (doux, à pleine voix, fort) se termine dans l'affirmation de leur amour retrouvé, et de leur union prochaine.

 

Scène VII

Colin, Colette, le Devinut majeur, - 4/4

1)           Court passage récitatif.

Le Devin déclare : « Je vous ai délivrés d'un cruel maléfice ». « En retour, Colin et Colette lui offrent chacun un présent que le Devin reçoit des deux mains », et enchaîne sur un

2)     Air du Devin (sol majeur - 2/2) gai et doux, accompagné à l'orchestre « Venez jeunes garçons, venez aimables filles », en deux parties, reprises.

 

Scène VIII

Le Devin, Colette, Colin, groupe de jeunes villageois et villageoises, - sol majeur - 2/2 –

Entrée de la jeunesse du Village.

1)     Une longue introduction d'orchestre, gaie et solidement rythmée précède le Chœur auquel se joint le Devin : « Colin revient à sa bergère »

2)     Le chœurpoursuit (sol majeur - 2/4), sans le Devin, « Du Devin de notre Village, chantons le pouvoir éclatant ».

Dialogue entre les voix féminines « Il ramène un amant volage » et le chœur au complet « Et le rend heureux et constant ».

3)  Diverses Danses à l'orchestre suivent ce très beau chœur :

a)   Pastorelle pour les Villageoises (sol majeur, 2/4)  au cours de laquelle elles « donnent un bouquet à Colin qui le présente aussitôt à Colette ».

b)  Forlane pour les Villageois (sol majeur - 6/8 - Gai) « Les Villageois donnent un bouquet à Colette qui le donne à son tour à Colin ».

4)  Romance de Colin ( majeur- 3/4 – Lent - Très doux) « Dans ma cabane obscure » de forme binaire, avec reprises, sur une mélodie pleine de charme.

 

Pantomime

Ce long passage d'orchestre commente toute la scène muette dont les épisodes sont notés sur la partition.

1)  Posément et détaché - Sol majeur - 2/2 –

Entrée de la Villageoise sur un thème élégant et dansant. Elle danse.

2) Gai, sans vitesse - si majeur - 6/8 -

Entrée du courtisan. Opposition de nuances : « Doux, Fort ».

« Il aperçoit la Villageoise qui danse tandis qu'il la regarde » (retour du motif 1 en sol majeur).

3) Nouveau motif – si b majeur - 6/8 -

« Il lui offre une bourse qu'elle refuse avec dédain » (dialogue entre flûtes et cordes).

4) Gracieusement - sol majeur - 3/4 - (Episode de forme binaire) « II lui propose un collier fort orné » (Arrêt à la dominante)

Deuxième partie en mineur : « elle essaye le collier et, ainsi parée, se regarde avec complaisance dans l'eau d'une fontaine. »

5) Piqué - majeur - 2/2 -

 Entrée du Villageois (motif franc et carré s'achevant sur quelques notes désolées.) « La Villageoise voyant sa douleur rend le collier. Le Courtisan l'aperçoit et le menace. »

6) « La Villageoise veut l'apaiser et fait signe au Villageois de s'en aller ; il n'en veut rien faire ; le Courtisan menace de le tuer » : (tout ce passage mimé est commenté par une musique très expressive).

7) Lent - sol mineur - 3/4 -

« Ils se jettent tous deux aux pieds du Courtisan » (longue phrase descendante suppliante). « Il se laisse toucher et les unit. »

8) Très gai - sol majeur –

« Ils se réjouissent tous trois, les Villageois de leur union et le Courtisan de la bonne action qu’il a faite. »

 

Une longue conclusion sur le dernier motif de danse joyeux et enlevé termine la Pantomime, avec tout le « Chœur de Danse ».

 

 

Conclusion

1)  Récitatif du Devin - Sol majeur - 3/4 -

« Il faut tous à l’envi nous signaler ici » ; pour ce faire, il propose une chanson « qu’il tire de sa poche ».

2)  Air du Devin et Chœur - sol majeur - 2/2 -

« L’Art à l’Amour est favorable » : chanson joyeuse, au rythme entraînant : « Au village, on sait mieux aimer », « L'Amour ne sait pas ce qu’il permet, ce qu’il défend ; C’est un enfant ! »

Colin, puis Colette, puis le chœur renchérissent sur cette affirmation... ceci pendant huit couplets !

3)  Ariette de Colette - Tempo guisto - sol mineur - 2/2 -

Après une assez longue introduction d’orchestre, Colette entonne cette charmante ariette, « Quand on sait mieux aimer », évoquant un doux ruisseau qui coule et serpente au milieu des fleurs ; « Avec l’objet      de mes amours » concluant en sol majeur « Que la vie est charmante ».

4)  Danses : Premier Menuet en sol majeur.

Deuxième Menuet en sol mineur.

Allemande en rondeau en sol majeur (Quatre couplets dont le dernier en mineur).

 

Rondeau final

Colette et le chœur - sol majeur - 6/8 -

« Allons danser sous les ormeaux. » et c’est sur ce joyeux vaudeville que se termine dans l'allégresse générale l'intermède Le Devin du Village.

 

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Tel est donc Le Devin du Village dont Rousseau disait que cet intermède était pour lui « Un chef-d’œuvre de Musique italienne, c’est-à-dire simple, spontanée, allant droit au cœur, s'opposant aux « monstruosités gothiques » de la Musique française » (!!). Le succès en fut unanime, aussi bien à la Cour qu'à la ville. Rousseau écrit : « On représente actuellement à la Cour le petit opéra que j'achevais... Le succès en est prodigieux et m'étonne moi-même ». La presse ne tarit pas d'éloge. Le Mercure de France parle d'un « succès aussi brillant que complet » et plus tard, lors de la reprise à l’Opéra « d'un succès presqu'inouï » ajoutant que « les gens d'esprit ont remarqué dans sa musique une finesse, une vérité, une naïveté d’expression fort rares ». En 1759, ce même Mercure de France définit Le Devin du Village comme le modèle d’un genre de « pastorale française ». Par ailleurs, les représentations à l’Opéra, depuis mars 1753, se poursuivirent pendant plus de soixante-dix ans, atteignant 540 représentations, jusqu’à leur pittoresque disparition de 1829 relatée plus haut.

 

Les reprises furent nombreuses. La première eut lieu dès 1753 au Château de Bellevue, avec Madame de Pompadour dans le rôle travesti de Colin. Les représentations se succédèrent alors dans les lieux les plus variés. Citons au hasard : en 1780, à Trianon où la reine Marie-Antoinette tenait le rôle de Colette ; à Lyon (en 1770 et en 1782), à New York (en 1790), à Québec (en 1846). Plus près de nous, nous citerons avec plaisir les représentations des élèves du collège de Dole, les 7  et 8 avril 1955, sous la conduite de leurs professeurs d'Éducation Musicale et de danse ; puis la reprise, plus professionnelle, en juin 1969 au château de Fontainebleau, sous la direction de Roger Cotte.

 

Le Devin du Village se promène ensuite en province et à l’étranger : à Nantes (1978), à Grenoble (1983), à Avignon (1989, avec Hervé Niquet), au Château de Fontainebleau (2000, 2004, 2012, avec Hugo Reyne), à Zürich (2001), à Metz et à Waldbegg (2006), à Poissy (2007), à Graz (2009).

 

Les enregistrements se succèdent également depuis celui de Louis de Froment en 1958, réédité en 1998 et 2002 (EMI), celui de Roger Cotte de 1972 (Arion), celui de René Clemencic (1991 et 2001, Nuova Era), et celui d’Andreas Reize en 2007 (CPO).

 

Comment comprendre et expliquer un tel engouement, à l’époque de la création, comme au cours des années qui suivirent, pour une œuvre, certes charmante et agréable, mais qui semble bien « pâlotte » comparée aux chefs-d’œuvre des compositeurs français et étrangers contemporains de Rousseau ? La raison en est sans doute sa fraîcheur, sa simplicité, sa sentimentalité un peu fade et naïve, son cadre, au sein d’une campagne idéalisée et habitée de bergers enrubannés, rapprochant d’une Nature de convention une société très raffinée que la décadence et la chute menaçaient déjà.

 

Quoi qu’il en soit, et puisque la musique du Devin du Village a toujours nos faveurs, goûtons avec plaisir les grâces de ses ariettes et l’élégance de ses danses ; compatissons aux déboires sentimentaux des gentils bergers, réjouissons-nous avec eux de leur bonheur retrouvé « magiquement », en rêvant à cette lointaine époque, ici bien idéalisée, dont l’intermède de Jean-Jacques Rousseau paraît le reflet.

 

Francine Maillard.

 

 

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Une liste de ses principaux ouvrages musicaux complètera utilement cette évocation de Jean-Jacques Rousseau et la Musique.

 

Œuvres dramatiques :

 

-   Les Muses Galantes : opéra-ballet en trois entrées (1743-1745), dont seuls le poème et la musique de la première entrée (Hésiode) nous sont parvenus.

-   Les Fêtes de Ramire (1745) : remaniement de La Princesse de Navarre de Voltaire et Rameau.

-   Le Devin du Village : intermède en un acte (1752), gravé en 1753.

-   Pygmalion : scène lyrique (1770) dont Rousseau a écrit deux morceaux manuscrits.

-   Daphnis et Chloé : inachevé (1774-1776). Publication posthume.

 

Autres œuvres musicales :

 

-   Symphonie à cors de chasse (1751)

-   Air à deux clarinettes

-   Salve Regina (motet) (1752) : manuscrit.

-   Ecce sedes hic tonantis (motet) (1757) : manuscrit.

-   Quam dilecta tabernacula(motet) (1757) : publié.

-   Leçon de Ténèbres (1772) : manuscrit.

-   Les consolations des misères de ma vie (airs, romances et duos) (publication posthume)

 

Œuvres théoriques :

 

-   Projet concernant de nouveaux signes pour la musique (1742). (système de notation chiffrée, non retenue par l’Académie des Sciences, mais subsistant encore sous le nom de « notation Galin »).

-   Dissertation sur la Musique Moderne (1743)

-   Lettre sur la Musique Française (1753)

-   Examen de deux principes avancés par M. Rameau dans sa brochure intitulée Erreurs sur la Musique dans l’Encyclopédie (1755)

-   Essai sur l’origine des Langues, où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale (1760)

-   Dictionnaire de Musique (1757 – 1767) (publié)

-   Lettre à Monsieur Burney sur la Musique, avec fragments d’observations sur l’Alceste italienne de M. le Chevalier Gluck.

-   Extrait d’une réponse du « petit faiseur » à son prête- nom sur un morceau de l’Orphée de M. le Chevalier Gluck.

-   Lettres sur la Musique Militaire et sur l’Air de Cloches (parues dans l’Edition des œuvres complètes).

 

 

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(1) Ce système est pourtant encore utilisé de nos jours sous le nom de « notation Galin », du nom d’un disciple de Rousseau.

(2) Bien plus tard, il rédigera, de 1757 à 1767, un Dictionnaire de Musique dont bien des définitions sont devenues classiques, et même reprises ultérieurement par certains auteurs.

(3) Signalons que le charmant village de Thomery, baigné par la Seine, proche de Fontainebleau, était fréquenté par la Cour, dont les principaux personnages aimaient y « prendre les bains ».

(4) Berlioz relate ainsi plaisamment cet épisode dans ses Mémoires : « Pauvre Rousseau ! Qu’eût-il dit de nos blasphèmes et pouvait-il prévoir que son cher opéra, qui excita tant d’applaudissements, tomberait un jour pour ne plus se relever sous le coup d’une énorme perruque poudrée à blanc, jetée aux pieds de Colette par un insolent railleur ! ».

(5) Il était devenu habituel alors en Italie d’intercaler entre les actes des Operia Seria des « intermèdes », œuvrettes plus simples et vivantes, de courte durée.

(6) Remarquons ici que Le Devin du village fut composé avant la venue des Bouffons (printemps 1752) ; bien que représenté après (octobre 1752), il n’a pas été directement concerné dans le déclenchement de la Querelle des bouffons.

(7) Mais, comme nous le verrons plus loin, les remarques de Rousseau sur la langue française et la façon de la chanter, en particulier en récitatif, sont judicieuses. On peut se demander alors pourquoi il a poussé à ce point la provocation dans la conclusion de sa fameuse Lettre…

(8) Ce sujet qui reflète une situation assez banale, suscita à l'époque de Rousseau, une parodie qui, sous le titre de Bastien et Bastienne, inspira au tout jeune Mozart sa première œuvre lyrique.

(9) C'est une telle analyse qui fit qualifier Rousseau de « debussyste avant la lettre » par Romain Rolland dans ses Musiciens d'autrefois.

(10) Devons-nous y voir un aspect de la pantomime hypocritique chère à Berlioz ?

 

 

 

 

***

L'ENSEIGNEMENT MUSICAL

Haut

   

Écriture et spontanéité de l’accompagnement des chansons au piano

 

 

            La pratique de l’improvisation est souvent confondue avec celle du jazz. Ce raccourci a le double inconvénient de réduire le jazz à l’improvisation et d’oublier que la spontanéité existe dans beaucoup d’autres musiques. Bien avant que l’écriture fige partiellement la musique occidentale, l’oralité permettait la diffusion de l’art musical. Les premiers essais d’écriture musicale étaient avant tout des aides mémoires et n’étaient guère utilisables sans l’accompagnement d’une tradition orale. Tout comme les premières tentatives d’écriture, les supports utilisés pour codifier les accords des chansons de variétés laissent une grande part de liberté à l’interprète. De cette écriture empirique naît un état d’improvisation constant.

 

         L’objet de notre étude étant l’accompagnement des chansons au piano, nous nous attacherons plus particulièrement aux éléments qui précèdent la performance musicale. L’oralité absolue n’existant pas dans ce genre musical, de nombreux choix et indications préétablies précèdent l’interprétation d’une chanson. Même si une grande marge de liberté est accordée aux musiciens, un souci de permanence, inhérent à l’art occidental, oblige à fixer les idées musicales et plus particulièrement l’harmonie.

 

        Plus qu’une fixation de la musique, le pianiste accompagnateur de chansons de variété a besoin d’un outil lui permettant de mémoriser la structure harmonique des morceaux qu’il joue. Il n’évolue pas dans une énonciation musicale spontanée mais dans le cadre précis et mesuré d’une trame harmonique et d’un texte littéraire mis en musique. La cohérence s’appuie sur un ensemble de règles qui, à défaut de figurer dans de grands traités, existe de fait dans la pratique. Nous proposons au lecteur de s’immiscer dans cet art où la liberté côtoie une certaine rigueur.

 

 

1.   Entre l’écrit et l’oral

      L’accompagnement de chansons de variété au piano fascine un grand nombre de musiciens. Chose peu banale, la virtuosité instrumentale ne constitue pas le centre d’intérêt de cette admiration. La magie vient plutôt du caractère semi improvisé de cette pratique. Beaucoup de pianistes amateurs ou autodidactes accompagnent « à l’oreille » des chansons qui leur sont familières. Certains musiciens plus aguerris ou meilleurs lecteurs semblent désarmés devant un tel exercice : sans partition, ils se sentent incapables de produire le moindre son.

          L’absence de support écrit n’est pas l’unique barrage à cette pratique. Un autre cas de figure existe : l’utilisation de grilles(1) ou de partitions chiffrées. Cette solution, la plus fréquemment utilisée, paraît également étrangère aux « musiciens classiques ». Cette fois, ils se trouvent confrontés à des codes, des graphismes et des symboles ne relevant pas du solfège traditionnel. Pourtant, ce type de notation a toujours existé sous diverses formes dans l’histoire de l’écriture musicale. Sans remonter aux premières ébauches d’écritures musicales, il suffit de se pencher sur les partitions de la période dite baroque : les parties de basse continue constituaient les grilles de cette époque. Hormis cette pratique, ces chiffrages, issus de la basse continue, sont utilisés de nos jours en classes de formation musicale, d’analyse et d’écriture afin de d’identifier la morphologie des accords.

 

        Nous voyons, à travers cet exemple, que l’accompagnement semi improvisé est une technique à part entière qui n’est pas nouvelle. Une succession d’accords se réalise selon des exigences qui varient en fonction des périodes et des moyens mis en œuvre. L’oralité pure, en cas d’absence de documents écrits ou sonores(2), existe mais elle n’est pas l’unique possibilité. Des éléments préparatoires sous diverses formes sont utilisés.

 

 

2.   Multiplicité des supports

          Dans le cas qui nous intéresse, l’accompagnement des chansons de variété, ces éléments préparatoires peuvent revêtir plusieurs apparences. Dans le cadre d’une pratique professionnelle, il s’agit de séquences harmoniques décidées par les compositeurs, instrumentistes et arrangeurs. Nous réunissons volontairement ces trois catégories de musiciens car, dans le monde de la variété, les frontières les séparant sont très poreuses. En effet, un auteur compositeur interprète n’apporte pas systématiquement un « objet fini ». Lors des répétitions ou des séances d’enregistrement, les musiciens s’« accaparent » d’une proposition musicale qui se modèle et varie selon les goûts et les compétences de chacun. Même si la version enregistrée semble être définitive pour le public, des variations sont toujours possibles lors des performances scéniques.

 

              La pratique que nous venons d’évoquer s’apparente à la création - au sens de naissance - d’une chanson. Dans d’autres cas, il s’agit de reprendre un titre existant. Comme pour le jazz, la reprise d’une chanson ne se fait pas textuellement, sauf dans des cas bien précis où l’interprète cherche à imiter le modèle.

 

               Le support employé pour matérialiser une succession d’accords (grille) peut avoir plusieurs formes :

-          un document sonore (enregistrement traditionnel, téléchargement ou streaming) fait l’objet d’un relevé. La plupart du temps, le musicien écrit les accords sous forme de chiffrages ou les mémorise. Parfois, la qualité de l’enregistrement(3) ne permet pas d’entendre l’harmonie. Dans ce cas, les accords sont déduits d’après la mélodie ;

-          l’accompagnateur utilise parfois un support préexistant. Il peut s’agir d’un relevé effectué par un autre musicien, d’une grille figurant sur un site Internet (accords souvent très approximatifs accompagnant les textes des chansons) ou sur un recueil de chansons ;

-          les accords peuvent « passer » oralement d’un musicien à un autre. Dans ce cas, un guitariste ou un pianiste joue lentement une séquence harmonique afin qu’un de ses confrères la mémorise ou la note ;

-          le musicien peut également utiliser les accords chiffrés accompagnant une partition (écrite) piano/chant. Dans ce cas, le pianiste fait, théoriquement, abstraction de la notation solfégique de la chanson et suit uniquement les chiffrages ;

-          enfin, une partition non accompagnée de chiffrages peut faire l’objet d’une transcription sous forme de grille. Cette déduction est possible si le pianiste est à la fois capable de lire la musique et de synthétiser l’harmonie.

 

Cette typologie est bien sûr très souple ; il est possible de jongler entre les différentes techniques évoquées. Par exemple, des accords « douteux » provenant d’un site Internet peuvent être corrigés par l’écoute de la chanson préparée.

 

 

3.   Diversité des chiffrages

            Le résultat obtenu par cette préparation harmonique est une succession d’accords notés, plus communément appelée grille. Les accords se présentent sous forme de chiffrages mais cette écriture n’est pas standardisée. De nombreuses variantes existent pour exprimer un même accord mais la pratique des grilles démontre que ces petites différences ne constituent pas une grande difficulté de lecture.

 

       Malgré cette diversité, une règle fondamentale demeure. On peut caractériser le principe général de la manière suivante :

-le chiffrage prend pour base la construction de l’accord par superposition   de tierces ;

- il est implicite ;

- il est cumulatif(4).

 

          À partir de cette règle, il est tout à fait compréhensible qu’une unique lettre capitale puisse désigner un accord parfait majeur. Ces lettres désignent le nom des notes selon le principe anglo-saxon(5) :

 

A

B

C

D

E

F

G

la

si

do

mi

fa

sol

 

         Ainsi C désigne l’accord parfait de do majeur : do, mi, sol. La présence d’une tierce majeure et d’une quinte juste est sous entendue. Si l’accord doit contenir une tierce mineure, celle-ci est exprimée par « m » ou « - ». Par exemple, Cm indique do, mib, sol. La quinte demeure bien sûr juste dans ces exemples car nous sommes en présence d’accords parfaits. Dans le cas d’autres types d’accords où elle n’est pas juste, celle-ci est identifiée et caractérisée de la façon suivante :

 

-          quinte diminuée, « b5 », « 5b », « -5 », « 5- », « 5 » « alt. » ;

-          quinte augmentée, « #5 », « 5#, « +5 », « 5+ » « + ».

 

Ainsi, do, mi, sol# peut se chiffrer C5+ ; do, mi, solb C5b.

L’accord de septième de dominante est considéré comme un accord parfait majeur auquel est ajouté une septième mineure : do, mi, sol, sib se voit donc chiffré C7. Nous voyons, à travers cet exemple, que la septième est considérée naturellement mineure ; un simple 7 indique l’ajout d’une septième mineure. L’ajout d’une septième majeure à un accord se voit symbolisé par un grand nombre de chiffrages : « Maj7 », « M7 », « 7M », « ∆ ». 

L’accord de septième diminuée est généralement indiqué par « dim. » ou 0. Ainsi, do, mib, solb, sibb(6) se voit chiffré Cdim. ou C0.

La neuvième, quant à elle, est considérée comme naturellement majeure. Un simple 9 l’indique. De part le caractère cumulatif des chiffrages, un accord indiqué C9 est un accord de 9ème de dominante (do, mi, sol, sib, ) : un accord parfait majeur auquel on ajoute une septième mineure et une neuvième majeure. Les autres types de neuvièmes sont indiqués ainsi :

-          neuvième mineure : « b9 », « 9b », « -9 », « 9- », « 9 » ;

-          neuvième augmentée : « #9 », « 9# », « +9 », « 9+ ».

 

        Cette dernière catégorie d’accords ainsi que les accords de onzième et de treizième(7) appartiennent davantage au jazz. Par conséquent, leur présence sur des grilles de chansons reste anecdotique. Cela ne signifie pas que les musiciens ne les utilisent pas. Tout comme dans le jazz, la réalisation d’un accompagnement est laissée à l’appréciation de l’interprète. Selon ses compétences, ses envies et les attentes des autres musiciens, il emploiera ou non les superstructures des accords.

 

 

4.   Réalisation

            Une idée d’appropriation et de recréation accompagne souvent la reprise d’un titre. Le support de base (grille d’accords ou partition) témoigne d’une version mais n’est pas forcément suivi à la lettre. La structure harmonique relevée ou mémorisée, selon les cas, sera donc restituée telle quelle ou fera l’objet de modifications plus ou moins nombreuses. Même dans le cas d’une chanson extrêmement simple du point de vue de l’harmonie (2 ou 3 accords sans modulations ni emprunts), l’accompagnateur apporte des éléments personnels s’apparentant à une forme d’improvisation. Improvisation limitée par le cadre harmonique, certes, mais inhérente à une pratique où la notation stricte n’existe pas.

 

          L’examen des différentes notations d’accords de chansons révèle que les renversements sont rarement indiqués(8). Cela ne signifie pas que les accords sont tous joués à l’état fondamental. Selon les interprètes, des renversements apparaîtront ou non. De plus, le caractère répétitif des structures utilisées dans ce type de répertoire (couplets/refrain, forme strophique le plus souvent) permet éventuellement de renouveler la façon de jouer la grille.

 

       Il faut cependant différencier renversement et réalisation. En effet, la fondamentale d’un accord peut systématiquement apparaître à la basse (en général jouée à la main gauche) mais la réalisation des accords (en principe à la main droite) peut plus ou moins varier lorsque des occurrences musicales réapparaissent dans un même morceau.

 

           Même si la conduite des voix ne semble pas un élément majeur dans ce répertoire, il est tout à fait possible de remarquer une grande cohérence harmonique et esthétique chez certains accompagnateurs. De grandes similitudes avec les exigences de l’harmonie classique apparaissent parfois. Ces ressemblances avec l’art savant ont diverses origines :

 

-          un musicien ayant le sens de l’harmonie et de l’esthétique va instinctivement trouver les bonnes formules et évitera facilement les doublures inappropriées (septième et note sensible par exemple) ;

-          la bonne conduite des voix s’accommode souvent avec la facilité digitale. Les positions d’accords « rapprochées » permettent un enchaînement facile et évitent de nombreuses « fautes » d’harmonies ;

-          certains pianistes de variétés ont une formation dite classique. Leur sens de l’harmonie a été développé inconsciemment par la pratique du « grand répertoire » et/ou consciemment par l’apprentissage des règles d’écriture.

 

        Cette idée d’harmonie « bien conduite » touche un élément essentiel : l’esthétique. Dans le cas de chansons de variété, le terme « style » paraît beaucoup plus approprié pour désigner cette cohérence devant accompagner une performance. Selon les directions musicales entreprises, la « façon » d’accompagner varie. Une chanson s’appuyant fortement sur un rythme de danse se voit assortie d’un accompagnement extrêmement « carré » et précis. Dans ce cas, l’accompagnateur portera toute son attention sur l’efficacité de son jeu ainsi qu’à la précision rythmique. Il ne développera pas forcément l’aspect harmonique (superstructure des accords) ou mélodique (contrechants) de son jeu.

 

            Dans le cas d’une chanson plus lyrique, le pianiste peut utiliser toutes les ressources mélodiques et timbriques de son instrument. Les accords peuvent, par exemples, donner naissance à des arpèges ou des figures mélodiques plus complexes. Ces dernières devenant des contrechants. L’harmonie peut également être développée grâce à l’enrichissement des accords ou à l’ajout d’harmonies secondaires.

 

           Le texte mis en musique dirige la mise en œuvre de l’accompagnement. La chanson est un genre où paroles et musiques sont étroitement liées. Le caractère général d’un texte influencera l’accompagnement et dans certains cas un mot pourra être mis en exergue par un phénomène musical (figuralisme). Cette élaboration n’est pas forcément « écrite » ou pensée au préalable. Elle résulte d’un ensemble d’essais ou de tentatives plus ou moins empiriques de la part du musicien. La pratique finit par fixer un « arrangement type » pouvant être écrit (partition ou enregistrement) et donc réutilisé par d’autres musiciens.

 

    Afin d’utiliser les ressources orchestrales du piano, le musicien accompagnateur s’inspire parfois des versions orchestrées des chansons qu’il joue. Comme dans le cas des relevés d’accords évoqué plus haut, il utilise un support sonore afin de mémoriser ou de prendre en dictée l’arrangement. Il réalise une réduction piano, qui à son tour se modifie au fil du temps et des usages.

 

 

5.   Transposition à partir des degrés

            Le pianiste accompagnateur est fréquemment confronté au problème de la transposition. Il arrive parfois qu’un chanteur ne sache pas dans quelle tonalité il interprètera une nouvelle chanson. Après quelques essais, la tonalité est, en général, très rapidement déterminée et l’accompagnateur doit transposer « à vue » le morceau. Selon la difficulté harmonique de la chanson, ainsi que l’éloignement entre l’ancienne et la nouvelle tonalité, cette tâche est plus ou moins complexe. Cette difficulté est liée au fait qu’une grille d’accords, chiffrée avec le système anglo-saxon, n’indique pas les fonctions tonales des harmonies. Elle indique la morphologie de chaque accord mais pas sa position dans une tonalité donnée. Pour cette raison, il est intéressant d’indiquer les degrés des accords, voire de réécrire la grille sous forme de degrés.

 

         À titre d’exemple, voici la grille (en chiffrages anglo-saxons) d’une célèbre chanson de Serge Gainsbourg, Les Petits papiers :

 

B7

 

Em

 

B7

 

Em

 

Am

 

Em

 

B7

 

Em

 

 Voici maintenant la même succession d’accords sous forme de degrés :

V7

 

I

 

V7

 

I

 

IV

 

I

 

V7

 

I

 

 

           Cette nouvelle grille, plus universelle, permet de jouer de façon immédiate dans n’importe quelle tonalité (mineure bien sûr !). Elle sous-entend une connaissance théorique du principe de la tonalité et de la morphologie de chaque degré. C’est pour cette raison que les degrés I et IV ne sont pas indiqués « mineur ». En effet, le mode mineure (gamme harmonique dans notre exemple) implique forcément des tierces mineures pour les accords construits sur ces deux degrés. Il en est de même pour le degré V. L’accord de dominante, dans la musique tonale européenne, est constitué d’une tierce majeure (la note sensible) et d’une quinte juste. Par contre, la présence d’une septième n’est pas obligatoire. C’est pour cette raison que nous avons ajouté un 7 après ce degré.

 

           Dans l’hypothèse de la présence d’un accord « non conforme » à la tonalité principale, il est tout à fait possible de qualifier le degré. Si Serge Gainsbourg avait souhaité un accord mineure septième sur le cinquième degré, nous l’aurions chiffré par Vm7. Si la dominante de la dominante avait été utilisée (F#7), elle aurait été indiquée par II7. La présence du chiffre 7 indique que le degré devient une septième de dominante. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’indiquer la tierce majeure.

 

            Ce type de chiffrage, bien utile pour transposer, est uniquement utilisable avec une bonne connaissance de l’harmonie. Il s’appuie sur la fonction tonale des degrés. Sans une parfaite assimilation du système tonal, il est incompréhensible. Cette relative complexité explique son absence dans les recueils de chansons usuels. Le succès des partitions chiffrées avec le système anglo-saxon et autres tablatures pour guitare est dû en partie à la possibilité de les réaliser par automatisme sans trop se poser de questions. Dès que quelques accords de base sont assimilés, un pianiste débutant peut facilement accompagner un grand nombre de chansons. 

 

     Nous voyons, grâce à ce dernier exemple, que la pratique de l’accompagnement de chansons requiert une certaine rigueur et une culture théorique assez avancée. Une semi improvisation quasi permanente s’inscrit dans un ensemble de règles inhérentes à la cohérence musicale. Finalement, rien n’est « magique » dans cette spontanéité musicale…

 

 

Dominique Arbey.

 

 

(1) Succession d’accords, sur laquelle est construit un morceau, se présentant sous forme de tableau ; chaque case correspond à une mesure. Les mesures sont en général regroupées par 4 ou 8 et respectent la carrure du morceau.

(2) L’enregistrement sonore étant une production définitive et figée, nous l’opposons à la tradition orale qui permet aux œuvres d’évoluer et de changer lors de nombreux « passages de main ». Laurent Cugny défend également cette idée de « régime phonographique » à propos du jazz : « Ce régime se caractériserait sommairement par le fait qu’il ne connaît pas la partition comme support de l’œuvre et première phase de sa réalisation. Mais il est différent d’une oralité “pure” en cela que l’enregistrement produit une trace fixée et (en principe) invariable, exprimant l’intention des auteurs, autorisant la répétabilité et par là le retour sur l’œuvre, ouvrant la possibilité de sa conservation, de sa transmission et de son analyse ». Laurent Cugny, Analyser le jazz, Paris, Outre Mesure, 2009, p. 69.

(3) Ceci peut arriver lorsqu’un musicien doit mettre en place un répertoire de chansons anciennes et qu’il ne dispose que d’enregistrements d’ « époque ».

(4) Ibid., p. 175.

(5) Il existe cependant de nombreux recueils de chansons françaises indiquant les accords par le nom latin des notes. Ainsi, do exprime l’accord parfait de do majeur.

(6) Si double bémol.

(7) Pour plus de précision concernant l’harmonie jazz, le lecteur pourra consulter l’ouvrage de Laurent Cugny (op.cit) ainsi que BAUDOIN, Philippe, Jazz mode d’emploi volumes 1 et 2, Paris, Outre Mesure, 1990, 138 + 167 p. et HAERLE, Dan, Accords jazz/rock pour le pianiste contemporain, Miami,  Alain Pierson, 1974, 42 p.

(8) Il est possible de les préciser grâce au signe « / ». Ainsi, mi, sol, do, le premier renversement de l’accord de do majeur, se chiffre C/E.

 

 

 

 

 

 

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

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Au-delà de la musique sacrée française des XXe et XXIe siècles

 

L’ensemble Temperamens Variations

(photo Elisabeth Rothmund)

 

Courant décembre dernier, en l’Église luthérienne des Billettes, autour du thème « Au-delà », Thibault Lam Quang a mis la musique française moderne et contemporaine à l’honneur, et inscrit à ce premier programme de la neuvième Saison du Chœur de chambre Les Temperamens Variations des œuvres de Francis Poulenc, Jehan Alain et Ivan Bellocq. Comme il l’a précisé : « Ce concert est dédié à la mémoire de Martine Praquin, amie du chœur, et de mon maître Alain Boulfroy récemment décédés. Que notre musique les rejoigne dans ce mystérieux Au-Delà. » Cette prestation avait déjà été très remarquée en novembre 2013 à Lubeck, Hambourg et Hanovre. Elle l'est maintenant à Paris, grâce au précieux concours de l’organiste de l’Église Allemande de Paris et musicologue, Helga Schauerte, spécialiste de l’œuvre de Jehan Alain, qui domine parfaitement toutes les possibilités de l’Orgue Mühleisen (1983) de l’Église des Billettes, comme elle l’a prouvé avec les Litanies (1937) interprétées en fin connaisseur, avec une grande sensibilité, mettant l’accent sur l’insistante invocation. Après Le Jardin suspendu (1934), page remplie de charme et bénéficiant d’une registration en douceur, elle a joué le Choral (1934). Enfin, sa Messe modale pour chœur de femmes, flûte et orgue (1938), si expressive et implorante, a été marquée par une forte émotion (notamment dans l’Agnus Dei). Les Quatre Petites Prières de Saint-François d’Assise (1948) de Francis Poulenc (1899-1963), si lumineuses, pour chœur d’hommes a cappella, ont été suivies des Litanies à la Vierge noire (1936) pour chœur de femmes qui ont notamment maîtrisé les intonations délicates, soutenues à l’orgue.

Après la pause, Helga Schauerte a mis tout son talent au service de son musicien préféré, avec deux Préludes profanes (1933) et le Postlude pour l’office de Complies (1930). Plus proches de nous : Au-delà (2007) d’Ivan Bellocq (* 1958), pour chœur mixte a cappella, est une œuvre de commande pour Les Temperamens Variations. L’œuvre s’apparente à un Requiem par les paroles traditionnelles, Requiem aeternam, Te decet hymnus, mais avec interpolation d’éléments profanes, faisant appel à de nombreuses techniques vocales : bouche fermée, vocalises, bruits, onomatopées, écholalies, dissonances, danse, valse, parfois déroutant et aspirant quelque peu à l’étrange… Selon le compositeur qui a assisté au concert, « la sixième partie, Au-Delà II, plutôt que d’achever la synthèse sacré-profane, esquissée par la cinquième, en tente un dépassement : un chant libre naît, qui dit — sans paroles — le poignant de la destinée humaine. » Le Chœur s’en est tiré avec brio et virtuosité. En revanche, le Requiem de Jehan Alain (partition restée inachevée — sauf le Kyrie — et reconstituée par Marie-Claire Alain à partir de brouillons) pour chœur mixte et orgue (1938) est construit autour d’antiennes grégoriennes et comprend les trois parties : Kyrie ; Sanctus/Benedictus/Osanna ; Agnus. Cette page sobre, dépouillée, avec, pour le Sanctus, un traitement homophonique comportant deux seules valeurs pour une meilleure compréhension des paroles, a posé un point d’orgue calme et confiant sur Dona eis requiem sempiternam, conclusion apaisante à cette évocation musicale des mystères de l’Au-delà.

Édith Weber.

 

Hamlet revisité à La Monnaie

 

Ambroise THOMAS : Hamlet. Opéra en cinq actes. Livret de Michel Carré et Jules Barbier. Stéphane Degout, Vincent Le Texier, Jennifer Larmore, Lenneke Ruiten, Tell Fechner, Rémy Mathieu, Henk Neven, Gijs Van der Linden, Jérôme Varnier. Orchestre symphonique et Chœurs de la Monnaie, dir. Marc Minkowski. Mise en scène : Olivier Py.

 


© Hermann & Clärchen Baus

 

Ambroise Thomas pâtirait-il de la comparaison avec Gounod ou Massenet ? Sa musique, souvent rabaissée au rang d'agréable, est pourtant inventive et parée d'un lyrisme puissant, empruntant souvent au chant orné à l'italienne. Comme pour un précédent ouvrage, Le songe d'une nuit d'été, et pour ce qui sera un ballet, La Tempête, Thomas a, s'agissant d'Hamlet, puisé à Shakespeare. Cette grande page historique lui assurera, tout comme Mignon, la célébrité. Ses librettistes ont bien sûr arrangé l'original, sans trop se préoccuper du sous-bassement politique, voire philosophique de la pièce, et ont mis en avant l'intrigue amoureuse entre Hamlet et Ophélie. C'est d'ailleurs la tragique destinée de cette dernière qui a laissé à l'œuvre sa plus fameuse empreinte, avec son grand air de la folie qui occupe la majeure partie de l'acte IV. Mais il serait injuste de réduire sa portée à cette séquence démonstrative, comme de s'attarder sur quelques scènes chorales un peu convenues, selon la manière en vigueur à l'époque de la création de l'opéra (1868). L'intérêt de l'œuvre repose sur le rôle titre que Thomas a façonné pour un interprète bien particulier, le baryton-basse Jean-Baptiste Faure, au demeurant créateur du rôle du marquis de Posa dans le Don Carlos de Verdi, présenté à l'Opéra de Paris l'année précédente. Si l'on se concentre sur le personnage titre, remarquablement conçu, la dramaturgie s'avère plus consistante qu'il n'y paraît : une tragédie de la trahison, celle d'un fils meurtri par le remariage de sa mère, et qui devra venger la mort d'un père, conformément à l'intimation du Spectre du feu Roi. Dans sa mise en scène à La Monnaie, Olivier Py dit avoir cherché à « reshakespeariser » l'opéra, autrement dit à lui redonner sa vraie tension théâtrale. L'apparente frivolité des premières scènes d'ensemble, festivités du remariage de la reine Gertude et autres airs à boire, est plutôt mise sur le compte d'une sorte de dérision, qui ne fait que mieux ressortir la gravité des situations. L'ambivalence entre gravité et dérision se réduit d'ailleurs à mesure que se resserre l'intrigue. Car Py confère à ses personnages une vraie épaisseur dramatique, autour de la figure centrale du héros solitaire et angoissé. En particulier celui de la reine Gertrude est-il fortement buriné. Une atmosphère oppressante est créée à travers la décoration, claustrophobe, qui visualise une sorte de souterrain pavé de briques noires, enserrant l'action et les caractères. Ses transformations successives ne sont pas sans rappeler ces plans et escaliers mobiles qu'affectionnait Georges Wakhévitch. L'aspect volontairement sombre est pourtant différencié par des éclairages suggestifs  qui créent des effets de pénombre comme sculptant l'angoisse. La folie d'Hamlet est-elle réelle ou simulée ? Py accentue le dilemme. Sa régie s'avère spectrale, à l'aune de l'échange entre le jeune homme et sa mère, d'une densité exceptionnelle. De même, procède-t-il par une mise en abîme lors de la pièce de théâtre, dont chaque personnage est l'exacte réplique d'un des caractères de l'intrigue. Ce dédoublement, d'une vérité troublante, génère une tension extrême.      

 


© Hermann & Clärchen Baus

 

Marc Minkowski joue le jeu de la coulée mélodique de la musique, mais aussi de sa veine mélancolique qui transparaît à travers quelques motifs récurrents. N'éludant pas ce qui ressortit à la convention, notamment dans les marches cérémonielles ou chœurs de circonstance, sa direction mise sur l'originalité de l'orchestration et l'éventail des coloris, cors, bois, sans oublier le saxophone, une nouveauté alors. Celle-ci se mesure encore dans l'alliance de la flûte et de la harpe lors de la scène de la folie d'Ophélie, une ballade suédoise écrite pour la créatrice, Christine Nilsson. Et l'on savoure l'effet spatial qui s'empare alors de la musique. La prestation exceptionnelle de Stéphane Degout dans le rôle titre domine le spectacle. De ce rôle de baryton, l'un des plus complets du répertoire français du XIX ème siècle, Degout rend toute la dimension torturée. Son timbre clair, enrichi d'envolées presque ténorisantes, son sens inné de la déclamation, la justesse de ton, l'inépuisable réserve de puissance distinguent une interprétation de référence. Sa calvitie naturelle accentue encore l'étrangeté du personnage solitaire. Jennifer Larmore incarne une reine Gertude, elle aussi d'un fort impact dramatique, partagée entre instinct maternel aigu et pression des événements l'emportant vers la tragédie. Son timbre corsé, qui frôle le soprano dramatique, fait merveille. Lenneke Ruiten est une Ophélie plus discrète qu'attendu, conforme peut-être au caractère unidimensionnel du personnage, relevé par Minkowski ; autrement dit sans l'aura électrique d'une Natalie Dessay dans la production toulousaine naguère vue au Châlelet. Non que le chant ne soit pas immaculé et que ne soit restituée cette bizarrerie du personnage au caractère lunaire et hors du temps. Cette apparente réserve a le mérite d'éviter de concentrer sur le personnage l'attrait de l'œuvre, et l'air de la folie, justement replacé dans son contexte, devient un épisode de la tragédie d'Hamlet. Les rôles secondaires sont fort bien tenus, dont il faut citer le Claudius torturé de Vincent Le Texier et le Spectre bien sonore de la basse Jérôme Varnier.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un Orfeo de Monteverdi actualisé

 

Claudio MONTEVERDI : L'Orfeo. Fable en musique en cinq actes et un prologue. Livret d'Alessandro Striggio. Gyula Orendt, Emöke Baráth, Carol Garcia, Gianluca Buratto, Elena Galitskaya, Damian Thantrey, Reinoud Van Mechelen, Alexander Sprague, Nicholas Spanos, Daniel Grice. Chœurs de l'Opéra national de Lorraine. Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset. Mise en scène : Claus Guth.

 


© Opéra national de Lorraine

 

Fidèle à sa réputation d'éclectisme dans la programmation, du répertoire baroque en particulier, l'Opéra de Nancy Lorraine renouvelle le partenariat avec le Theater an der Wien (Le Messie de Haendel, 2009) et la collaboration avec Christophe Rousset et ses Talens lyriques (Venus et Adonis de Desmarest, 2006). Cette fois, on a mis sur le métier L'Orfeo de Monteverdi. Un œuvre finalement pas si facile à présenter eu égard à sa signification. Cette « fable en musique », à laquelle on fait plus ou moins remonter l'origine de l'opéra, inaugure un genre, le parler en musique ou recitar cantando, qui enveloppe en un seul jet drame et mélodie, par une déclamation monodique extrêmement mobile et une riche vocalité. Elle illustre aussi un thème, l'amour conjugal, immortalisé par le chanteur Orphée. Ce qui est traité par Monteverdi et son librettiste Striggio de manière singulière. La clé de lecture manichéenne fondée sur le clivage morts/vivants, ombre/lumière, est en réalité transcendée : dès le départ, le bonheur de l'union d'Orfeo et d'Euridice n'est-il pas moribond ? Ainsi suite à la perte par deux fois de l'aimée, et bien qu'il soit élevé par son père Apollon sur les hauteurs de l'Olympe, pour y jouir des «  honneurs célestes », Orfeo n'en est-il pas moins confronté au néant de son existence ici bas. C'est la dimension humaine du mythe qu'explore Claus Guth dans une mise en scène réaliste où la trame est vécue à travers le regard d'Orphée et l'attitude de celui-ci face à la certitude de la perte de l'être aimé et de la mort. Au fil d'un parcours cyclique aussi : les réjouissances franches et colorées des noces d'Orfeo, qui occupent la première partie, vont revivre un court instant aux ultimes pages du V ème acte, en forme de réminiscence d'un bonheur sans tache. La vivace danse moresca nous ramène ainsi au point de départ. Encore que le héros, ivre d'un bonheur inaccessible, s'effondre au baisser de rideau, lui qui, finalement, a sans doute toujours voulu confondre réalité et fiction. La direction d'acteurs expressive, voire exacerbée, contraste avec la simplicité, presque minimaliste, de la musique, et mêle réalité et fiction dans une manière proche du langage cinématographique. Il en va notamment du personnage titre dont les attitudes et les sentiments extrêmes participent d'un étonnant naturel. Quelques traits originaux émaillent une régie extrêmement précise, comme toujours avec Guth. Ainsi Charon, ivre, barre-t-il le passage à Orfeo dans sa tentative de fuite éperdue vers les Enfers ; en fait, le voyage d'un solitaire dans l'irrationnel, estime le metteur en scène. Comme, plus tôt, lors des noces, est accentué le contraste d'atmosphère à l'annonce par la Messagère de la mort d'Eurydice :  l'assistance, saisie de stupeur, se fige soudain et passe sans transition du sourire aux larmes. Des projections démultiplient l'espace scénique. Celui-ci, unique, visualise un intérieur bourgeois plutôt moderne, bardé d'un escalier distribuant diverses pièces à l'étage ; dispositif avantageusement utilisé durant les deux premiers actes, peut-être moins pertinent ensuite.

 


© Opéra national de Lorraine

 

Christophe Rousset offre de la riche musique de Monteverdi une exécution de coloriste, en appui à une ligne de chant très travaillée qui, fondée sur le récitatif monodique, n'en fait pas moins appel à la manière madrigalesque, dans le traitement du chœur en particulier. Son orchestre, quoique peu nombreux, différencie habilement la partie continuo et la formation élargie chargée des sinfonie et ritournelles, très ornementées. L'ensemble sonne avantageusement dans l'acoustique très présente de l'Opéra de Nancy. Les chœurs maison font belle figure, n'étaient quelques menues imperfections dans les attaques. Ils sont renforcés de figurants dans les deux premiers actes. L'Orfeo de Gyula Orendt imprime sa marque à la représentation : une caractérisation très physique dans le ressenti des sentiments, de joie puis de douleur, largement souligné par Guth, celle d'un jeune homme extériorisant ses émotions avec fébrilité, passant d'un extrême à l'autre, n'hésitant pas à se projeter à terre, à ramper au sol, à monter ou dévaler les escaliers de la demeure. Le chant est dense et expressif, ductile malgré quelque relâchement dans les vocalises ; péché de jeunesse chez un interprète qu'on sent se dépenser sans compter. Des autres membres de la distribution on distinguera la Messagère/la Musique/l'Espérance de Carol Garcia, beau métal de mezzo, qu'on a déjà pu apprécier dans divers rôles à l'Opéra Bastille, Gianluca Buratto, sonore Charon/Pluton, et dans l'un des bergers/esprits, Reinoud Van Mechelen, révélé par le Jardin des voix de William Christie.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Et ce fut la 1606 ème de Lakmé à l'Opéra Comique...

 

Léo DELIBES : Lakmé. Opéra en trois actes. Livet d'Edmond Gondinet et Philippe Gille. Sabine Devieilhe, Frédéric Antoun, Élodie Méchain, Paul Gay, Jean-Sébastien Bou, Marion Tassou, Roxanne Chalard, Hanna Schaer, Antoine Normand, Laurent Deleuil, David Lefort, Jean-Christophe Jacques. Accentus. Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. Mise en scène : Lilo Baur.

 


© Pierre Grosbois

                                              

Le chef d'œuvre dramatique de Léo Delibes, Lakmé, est enfin de retour sur la scène de l'Opéra Comique, où il fut créé en 1883. Ce qui était alors un opéra-comique devait être reformaté, l'année suivante, en « opéra », pour en assurer une meilleure diffusion, les récitatifs remplaçant les scènes parlées. C'est cette dernière version qui est donnée pour cette nouvelle production. Ce qu'on a un peu vite rangé au catalogue des opéras bourgeois fin de siècle, retrouve son lustre grâce à la scrupuleuse présente interprétation. Il faut dissiper un malentendu : Lakmé vaut plus que son orientalisme de façade, dicté par une histoire de cœur entre une fille de Brahmane et un officier anglais, idylle vouée à l'échec en ce qu'elle met en présence deux cultures que tout oppose. Et autre chose que l'expression d'une thématique rabâchée dans le répertoire lyrique français du XIX ème. En fait, l'exotisme, selon Delibes, n'a pour dessein que de dépayser l'auditeur et procède par invention et non par imitation. En cela sa musique est ingénieuse et sans doute pas si facile qu'on le croit. Certes, des pages comme l'intermède ouvrant le II ème acte ou les danses des bayadères ne relèvent pas d'une inspiration frappée au coin du génie. Mais pour ces faiblesses passagères combien d'inventions bien venues : les mélismes enchanteurs du duo des fleurs du Ier acte, dont le motif revient discrètement au fil de l'action, des airs bien ficelés, comme ceux attribués au personnage éponyme ou au ténor, le duo final, et plus généralement la poésie raffinée qui nimbe le dernier acte. L'orchestre de Delibes a quelque chose de fascinant, car celui-ci instrumente en utilisant une palette sophistiquée, aux bois surtout, le hautbois, en particulier, mais aussi aux percussions avec tout un arsenal d'instruments rares, tels que crotales ou petites timbales, réminiscence de la musique orientale. Il utilise des rythmes peu communs, d'une absolue liberté, des combinaisons harmoniques inédites où la dramaturgie orchestrale se détache de la ligne de chant. Celui-ci offre un sens mélodique abouti, tout en demi-teintes, par le recours à des tonalités inusuelles. Tant d'originalité musicale se veut au service d'une intrigue dont l'ambivalence entre réalisme, celui des personnages européens, qui plus est croqués d'époque, et merveilleux, symbolisé par les personnages orientaux, surprit à la création par sa modernité. Plus que réalité servile, cette romance amoureuse qui finit tragiquement par le sacrifice de la jeune femme offrant sa vie à celui qui ne sut pas choisir, ne se nourrit-elle pas de fantasme : « Fantaisie aux divins mensonges...Va retourne au pays des songes » dit Lakmé, qui aura ce dernier mot révélateur « Tu m'as donné le plus doux rêve ». Fruit d'un travail minutieux de retour aux sources, pour effacer des années d'approximation, pour ne pas dire de déviation du texte par souci de facilité, l'exécution de François-Xavier Roth nous fait percevoir les qualités intrinsèques de cette pièce. A travers une recherche approfondie sur les timbres instrumentaux et de la plus exacte restitution possible de ces consonances incertaines que favorise Delibes, si évocatrices des horizons lointains. Ne sont pas non plus ménagés les contrastes abrupts, dictés par ceux de la dramaturgie. La sonorité de son ensemble Les Siècles, jouant des instruments du XIX ème, est particulièrement raffinée et se pare de couleurs choisies dans le registre des vents et attirantes pour ce qui est des percussions.

 


© Pierre Grosbois

 

Si la qualité d'une représentation de l'œuvre se mesure à l'aune de la prestation de l'interprète principale, l'Opéra Comique a trouvé la perle rare. Car Sabine Devieihle assume haut la main le challenge d'un rôle typique de ce bel canto à la française, auquel se réfère aussi Ambroise Thomas dans Hamlet, et qui a à voir avec son modèle italien, Bellini en particulier. Elle relève le gant de ses illustres devancières, Mado Robin, Mady Mesplé, ou plus près de nous, Natalie Dessay, lors de la dernière reprise, il y a près de vingt ans, en ce même lieu. Son interprétation est rien moins qu'enthousiasmante : une facilité innée à la vocalise haut de gamme, d'une fluidité et de nuances inouïes, une pureté de timbre qui a pourtant quelque chose de charnel et ne verse jamais dans le convenu. L'air dit « des clochettes », embrumé de mystère, est à mille lieux du pur morceau de bravoure que ses aigus caracolant offrent à la faveur du public. Ajoutez à cela un naturel, une clarté dans la diction qui ne sonne à aucun moment convenue. Elle est entourée d'une distribution experte où triomphe la jeunesse. Frédéric Antoun campe un Gérald tout sauf fade, volontairement un peu gauche, mais sincère dans son soudain attachement comme dans son indécision. Le ténor est d'une parfaite aisance dans l'intonation, et la quinte aiguë aisée. Paul Gay, Nilakantha, basse solide, quoique un brin contrite dans la partie haute du registre, est convaincant dans le rôle ingrat du père possessif et du religieux vengeur. A noter la performance de plusieurs membres de l'Académie maison dans les rôles des anglais. La prestation du chœur Accentus, dont l'acuité de l'intonation apporte aux nombreuses interventions chorales une aura musicale, distingue aussi cette exécution. La mise en scène de l'actrice Lilo Baur est attentive à la compréhension des situations et ne cherche pas à emmener le spectateur dans une redéfinition interprétative. Quoique n'évitant pas quelques attitudes empruntées, en particulier au deuxième acte, dont la couleur locale est à vrai dire un peu appuyée, elle rend à la trame sa vérité première, l'opposition entre deux manières de vivre à l'époque de la colonisation britannique de l'Inde.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Rencontre au sommet : Matthias Goerne et Leif Ove Andsnes

 


© John A. Lacko  courtesy of the Gilmore Keyboard Festival

 

Une tournée européenne, inaugurée au Wigmore Hall de Londres, devait conduire le baryton Matthias Goerne et le pianiste Leif Ove Andsnes au Théâtre des Champs-Elysées. Pour un programme sans concession autour du thème de la mort, rapprochant des Lieder de Mahler et des Mélodies de Chostakovitch. Composée en 1974 par un musicien atteint par la maladie et attristé par la perte d'amis chers, comme David Oistrach, la Suite pour basse et piano sur des poèmes de Michel-Ange op. 145 est une œuvre quasi autobiographique, pour ne pas dire testamentaire : prenant prétexte de la célébration du cinq centième anniversaire de la disparition du grand artiste italien, Chostakovitch, à l'instar de celui-ci devant la situation politique à la Cour des Médicis, étale son amertume face aux avanies infligées par le régime soviétique. Une autre source d'inspiration est à rechercher dans les Seven sonnets of Michelangelo de Benjamin Britten, de 1967. Constituée de onze mélodies, l'œuvre est d'un effrayant pessimisme. Goerne et Andsnes ont choisi six d'entre elles, parmi les plus sombres, dont les trois dernières, « Nuit », « Mort », et « Immortalité », inversant d'ailleurs les deux ultimes. Dans ses Lieder, Gustav Mahler fait parler l'âme, que ce soit dans le chant populaire du Wunderhorn ou dans les arcanes des mélodies plus tardives sur des poèmes de Rückert. De manière inédite, mais combien clairvoyante, le concert va croiser  les deux ensembles, au fil d'enchaînements parfois d'une étonnante évidence, malgré la différence d'écriture et le passage d'une langue à l'autre. Le cheminement poétique va connaître une progression d'intensité depuis la douce évocation de « Ich atmet' einen linden Duft », jusqu'au tragique « Der Tambourg'sell », en passant par d'autres extraits du recueil du Knaben Wunderhorn et des Kindertotenlieder, et surtout le lied « Urlicht », d'une bouleversante désespérance, que Mahler utilisera dans un des solos vocaux de sa Deuxième symphonie. Partout affleure l'idée de mort : sous-jacente, même dans les pièces traitant de l'enfance, ou directement dans les lieder guerriers, comme « Wo die schönen Trompeten blasen » ou « Revelge ». Les pièces de Chostakovitch s'intercalent avec à propos, car le ton n'en est pas si éloigné. Mieux, le pianisme haché, sur un thème naïf, de la mélodie « Immortalité » apporte une touche surréaliste, qui ne messied pas face au climat introspectif favorisé par le compositeur autrichien. Matthias Goerne nous immerge dans des instants d'émotion rares, avec ce mélange de réserve et d'engagement qui le caractérise, prêtant aux musiques des reflets ténorisants ou n'hésitant pas à bouster la voix dans le registre grave. L'éventail de nuances est large, du ppp évanescent, caressé, au forte projeté avec vivacité, comme asséné. L'accompagnement pianistique est de la même eau, car la manière de Andsnes est transparente, poétique, ou rude et quasi orchestrale. Et l'on oublie vite la diaprure de l'instrumentarium mahlérien devant cette approche épurée, perçant au plus intime. Alors que le programme s'achève par « Le petit tambour », et son « Gute Nacht » lancé, comme suspendu dans l'infini, le bis, « An die Hoffnung », de Beethoven, semble apporter un sagace épilogue à ce voyage tragique : dans cette mélodie, « A l'espérance », ne lit-on pas «  L'Homme doit espérer, il ne doit pas poser de question ».      

 

Jean-Pierre Robert.

 

Le LSO et le maestro Gardiner en territoires romantiques

 


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Le schéma traditionnel ouverture-concerto-symphonie a du bon dès lors que les trois morceaux ont un lien, au moins implicite, entre eux. Pour leur concert de tournée, à la salle Pleyel, le LSO et John Eliot Gardiner ont choisi d'encadrer le concerto de piano de Schumann de deux pièces symphoniques de Mendelssohn. L'Ouverture op. 26, Les Hébrides, est évocatrice de ces îles proches de la côte ouest de l'Écosse, qui fascinèrent le jeune musicien lors d'un voyage en 1829. Admirée tant par Berlioz que par Wagner, elle offre une étonnante synthèse des sensations ressenties devant les divers aspects d'un paysage marin, qu'on ne retrouvera guère aussi aboutie que chez Debussy et La Mer. Ainsi de l'ondoiement des cordes, qui berce les premières pages, évoquant le ressac des vagues, ou plus avant, de l'effet spatial décrivant la voûte d'une grotte au raz de l'eau, celle dite de Fingal, du nom du guerrier, père du barde Ossian. La Symphonie op. 56,  « Écossaise », longtemps remise sur le métier, finalement créée en 1842 au Gewandhaus de Leipzig, sous la direction de l'auteur, est tout aussi suggestive des paysages des Highlands, quoique fruit plus de l'imagination que de la pure description. Le maître Gardiner en souligne la souplesse des lignes : un premier mouvement, bâti en trois parties, d'abord lent et expressif, un brin mélancolique, débouchant sur une séquence agitée, évoquant quelque tempête, avant une conclusion apaisée. Marqué « vivace non troppo », le scherzo est boulé par le chef. Mais ce qu'on perd en légèreté, on le gagne en étrangeté, à travers le babillage des bois merveilleux du LSO. De l'adagio, Gardiner déploie la mélodie expansive, avant que le climat ne se transforme en un ton plus lugubre, sorte de marche funèbre, sollicitant le registre sombre de l'orchestre. Le finale, directement enchaîné, se meut énergiquement à travers de multiples épisodes dansants et fougueux, laissant place soudain au répit que procure la mélopée de la clarinette puis du basson. Une  étonnante péroraison maestoso en forme d'hymne mène la symphonie à son terme. A noter que le chef fait jouer le quatuor à cordes debout (cellos exceptés), selon la coutume de l'époque. La perspicacité en matière de disposition des pupitres ne s'arrête pas là puisque les contrebasses sont placées à gauche et les timbales à droite, laissant tout le fond d'orchestre, au centre, à la ligne des bois, si essentielle dans l'instrumentation de Mendelssohn. L'orchestre londonien offre une exécution enthousiasmante de raffinement. Donné en bis, le scherzo du Songe d'une nuit d'été prolonge l'enchantement. Au centre du concert, le Concerto de piano de Schumann apporte un savant contraste. Maria João Pires le joue avec une délicatesse et une intériorité qui plonge l'auditeur dans le ravissement esthétique. Point virtuose ni démonstrative, la manière se veut chambriste, le discours profond, confident, au cœur du chant intime de l'affetuoso initial, d'une extrême intensité dans l'intermezzo médian, distingué, entre autres, par la cantilène des violoncelles, et d'un pianisme jubilatoire au finale vivace, dont l'impétuosité ne cède jamais à une brillance de circonstance. Encore une fois, la pianiste portugaise nous aura donné une leçon de musique. L'accompagnement attentif de Gardiner et la beauté de l'orchestre ajoutent encore à cette interprétation souveraine, qu'un bis fantasque et secret du même Schumann complète délicieusement.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

Vladimir Ashkenazy au Théâtre des Champs-Elysées : par le petit bout de la lorgnette !

 


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Éminent musicien, un des plus fameux pianistes du siècle, Vladimir Ashkenazy n’est cependant pas un grand maitre de la baguette, comme ce concert de rentrée au Théâtre des Champs-Élysées l’a, hélas, démontré ! Et pourtant…Une prestigieuse phalange londonienne, le Philharmonia Orchestra, un programme grand public, composé d’œuvres célèbres toutes empruntées à Tchaïkovski, un violoniste parmi les plus doués de sa génération, Vadim Repin, mais un résultat décevant dont la faute incombe assurément à la direction confuse du maestro russe. Une gestuelle pour le moins atypique, étriquée, difficilement compréhensible par les musiciens expliquant quelques imprécisions dans les attaques de l’orchestre. Une direction qui semble parfois se perdre, basée uniquement sur l’empathie, faite de murmures, de clins d’œil et de sourires entendus…mais des musiciens qui peinent à trouver leurs marques dans ces œuvres pourtant maintes fois jouées, voire rabâchées, donc difficiles, car ne souffrant pas l’approximation. Mais surtout, ce qui est très étonnant, une absence de vision d’ensemble, une interprétation décousue, comme vue par le petit bout de la lorgnette !  L’Ouverture-fantaisie Roméo et Juliette (1880), en lever de rideau, offrit des contrastes paraissant un peu outranciers, passant du romantisme débordant et sirupeux des cordes, à la violence la plus crue des cuivres et percussions, sans véritable continuité dans le discours. La Symphonie n° 4 (1878), en seconde partie, pâtira des mêmes critiques, souffrant de la même absence de vision d’ensemble. Apparaissant plutôt comme un patchwork des différents plans musicaux, accolés, sans lien entre eux, elle ne parviendra jamais à nous intéresser vraiment, du fait d'un manque de tension et de liant dans cette œuvre qui constitue pourtant le premier volet de la trilogie du destin, si chère au compositeur russe. Une impression de malaise qui ne se démentira pas lors de l’exécution du Concerto pour violon et orchestre (1881) du même Tchaïkovski, mené de façon très académique par Vadim Repin, engagé, virtuose, sans faute aucune, mais dépourvu de ce grain de génie susceptible de nous transporter…Le violoniste regagnera rapidement les coulisses, après un cours salut, sans offrir au public, venu nombreux, le moindre « bis » ! Une soirée qui ne restera pas dans les mémoires, mais un coup de chapeau à ce très bel orchestre !

 

Patrice Imbaud.

 

Magic Zinman à la tête de l'Orchestre National de France !

 

David Zinman et Martin Fröst / DR

 

David Zinman est à l’évidence un grand chef par sa capacité à transcender l’orchestre. Son long mandat à la tête de la Tonhalle de Zürich et ses nombreux enregistrements de référence (Beethoven, Schumann, Mahler) en témoignent. Sa dernière prestation à la tête de l'Orchestre National qu’il est invité à diriger régulièrement, le confirme. Un programme original et pertinent comme un voyage entre l’Europe centrale et le Nouveau Monde, en compagnie du jeune et talentueux clarinettiste suédois, Martin Fröst. Une première étape hongroise avec les Images hongroises pour orchestre de Béla Bartók (1881-1945). Inlassable collectionneur de thèmes populaires et folkloriques ancestraux, Bartók orchestra ces courtes pièces en 1931, à partir de cinq pièces pour piano, composées elles-mêmes quelques années plus tôt, entre 1908 et 1911. D’inspiration populaire, ces Images pleines de poésie laissent une large place aux bois et notamment à la clarinette ; ici celle de Bruno  Bonansea, qui fait une entrée remarquée dans les rangs du National. Deuxième étape, polonaise cette fois, avec les Préludes de danse pour clarinette solo, harpe, piano, percussions et orchestre à cordes de Witold Lutoslawski (1913-1994). Orchestration d’une version pour clarinette et piano datant de 1954, ces Préludes marquent pour le compositeur polonais les adieux au folklore. Partition hybride associant le chant simple de la clarinette à l’écriture quasi atonale pour l’orchestre, cette œuvre surprenante située entre tradition et modernité, fut l’occasion d’une époustouflante interprétation de Martin Fröst. Certes un peu maniérée dans l’attitude (encore que l’œuvre s’y prête, car ne s’agit il pas de danse ?) mais d’une remarquable justesse dans l’émission, d’une belle rondeur dans la sonorité, en parfaite adéquation avec l’orchestre, mené avec sobriété et brio par le chef américain. Troisième étape, transatlantique, avec le Concerto pour clarinette et orchestre à cordes, avec harpe et piano d’Aaron Copland (1900-1990). Une œuvre magnifique, trop méconnue, composée en 1948, dédiée à Benny Goodman. Monument incontournable du répertoire de la clarinette, s’exécutant d’un seul tenant, elle mêle avec le plus grand bonheur accents jazzy et classiques, fournissant au soliste la possibilité de faire entendre la clarinette dans tous ses états : chant élégiaque introductif, cadence virtuose et syncopes jazziques du final. Martin Fröst fut une fois de plus à la fête avec cette œuvre abordant les registres les plus extrêmes de l’instrument, nécessitant inspiration et toucher. Après la pause, en guise de dernière étape, illustration des grands espaces, marquée de l’empreinte tchèque et des musiques des « peaux rouges ou noires » d’Amérique, ce fut  la célèbre Symphonie n° 9 de Dvořák (1841-1904) dite du « Nouveau monde » que le chef américain mena comme une ballade entre l’ancien et le nouveau monde, avec retenue, sans précipitation ni excès, faisant ressortir toutes les couleurs et nuances de ce long voyage, chargé d’émotion. Le National, au mieux de sa forme, fit valoir toute la magnificence de ses vents en même temps que la douceur et le fondu de ses cordes, sous la direction claire et avisée de David Zinman. Une bien belle soirée !

 

  Patrice Imbaud.

  

Fantasmagories russes salle Pleyel

 


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Il fallait à l’évidence toute la science et le talent de Jukka-Pekka Saraste pour mener à bien un magnifique programme établi à partir des rêves et fantasmagories russes, comme un voyage onirique nous menant, après un brumeux voyage en barque vers l’Ile des morts  jusqu’au bucher cataclysmique et  démoniaque de L’Ange de feu… Au fil d'œuvres difficiles, rarement données, d’une ténébreuse et inquiétante beauté, nécessitant engagement, précision et lisibilité de la part du chef, complicité, compliance et réactivité de la part de l’orchestre. Rarement L'Ile des morts de Serge Rachmaninov (1873-1943) ne fut interprétée de façon aussi expressive, rendant la mort palpable et l’angoisse prégnante dans le lourd et lugubre balancement, sans cesse répété, de la barque se dirigeant dans le brouillard vers l’ile funeste, au rythme lancinant des rames, mouvement obstiné des cordes sur lequel émergent les cris stridents des bois, unique trait de lumière, avant de disparaitre de nouveau dans les exhalaisons obscures…Une œuvre admirable, composée en 1909 et inspirée par le tableau éponyme du peintre suisse Arnold Böcklin, représentant une embarcation transportant un défunt, figure fantomatique debout devant son propre cercueil…Puis vint le Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre de Chostakovitch (1906-1975) interprété par Natalia Gutman, immense violoncelliste, élève de Slava Rostropovitch, aujourd’hui âgée de 72 ans, qui en donna une vision émouvante quelque peu entamée par la patine des ans. Pour conclure, la Symphonie n° 3 de Serge Prokofiev (1891-1953), dite « l’Ange de feu », composée en 1928, dédiée à Miaskovski, où se dessinent en filigrane les différents épisodes de l’opéra L'Ange de feu (atmosphère envoûtante, obsessions, passion, séduction, climat fantastique et hystérique…) et apparaissent les multiples influences nées, à la fois de la période d’utopie révolutionnaire (machinisme, futurisme) et du séjour du compositeur en occident (expressionnisme et symbolisme). Une œuvre complexe, déroutante, angoissante, conclue par un déchaînement orchestral ponctué de sons de cloches, parfaitement servie par la direction pertinente, infaillible et subtile du chef finlandais, en osmose parfaite avec le « Philhar », qui fit preuve, une fois encore, d’une remarquable cohésion. Une rencontre qui tint toutes ses promesses ! 

 

Patrice Imbaud.

                                                    

Gatti appliqué et l'Orchestre National de France

 


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Le public était venu nombreux au Théâtre des Champs-Elysées pour ce concert du « National » conduit par son directeur musical Daniele Gatti. Une affluence expliquée, bien sûr, par la qualité musicale, mais aussi par la motivation de l’orchestre et de son chef, qui n’a cessé de s’affirmer de façon croissante depuis ce début de saison. Cette nouvelle prestation, dans un programme purement symphonique associant Wagner, Strauss et Bruckner, ne fit que confirmer cette impression favorable. Le Prélude de l’acte III des Maïtres chanteurs de Nuremberg (1868) fut mené avec solennité, dans des tempi dont la lenteur renforçait avec justesse toute la majesté méditative de l’œuvre. Immédiatement suivi par Mort et Transfiguration, poème symphonique de Richard Strauss, composé en 1888, qui fut conduit avec une remarquable maestria, véritablement habité d’émotion, d’angoisse et de ferveur, parcouru de bout en bout d’une tension intense et permanente donnant sens aux notes comme aux silences, dans un titanesque et passionné combat entre bois et cordes, avant que n’apparaisse la délivrance, dans un grand mouvement ascensionnel annoncé par les cuivres, conduisant sur les arpèges des harpes, à la lumière d’une éternité enfin apaisée. Après la pause, la Symphonie n° 4, dite Romantique (1880), d’Anton Bruckner constituait le moment crucial, tant attendu de la soirée. Œuvre majeure, considérée comme la plus claire et la moins tourmentée, parmi les plus connues aussi du compositeur viennois. Le chef italien en proposa une interprétation d’une belle facture, parfaitement mise en place et exécutée, faisant valoir tous les pupitres, notamment cuivres et cordes, sans que l’on ne ressente, toutefois, cette note de génie qui fait le propre des grandes interprétations de référence, comme celle notamment de Jochum avec la Staatskapelle de Dresde. Un manque de tension probablement dû à la difficulté pour Gatti, dans des tempi assez lents, à concilier vision analytique et vision d’ensemble, d’où cette impression, parfois gênante, de discontinuité dans le discours.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Jeunesse et originalité : Fabien Gabel et l'Orchestre Philharmonique de Radio France.

 


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Jeunesse et originalité, tels sont les qualificatifs qu'inspire ce concert du « Philhar », salle Pleyel : Fabien Gabel, figure montante de la direction d’orchestre, actuellement directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Québec, faisait ses débuts avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dans un programme comportant des œuvres de jeunesse, peu connues, de Richard Strauss, Ernest Bloch et Erich Wolfgang Korngold. Beau programme et belle interprétation pour ce concert, hélas, un peu boudé par le public ! Qu’importe, les absents ont eu tort, une fois de plus ! Pour commencer, Scène d’amour de Feuersnot, courte pièce orchestrale, extraite de la scène finale de l’opéra Feuersnot (1901) dont Strauss supprima les parties vocales. Le compositeur dirigea cette œuvre à Paris en 1903 dans un concert auquel assistait Claude Debussy, comme critique musical. Ce qui fera dire au musicien français : « Il y a du soleil dans cette musique… » Du soleil, certes, de la lumière, de l’énergie, voilà ce qui fait effectivement tout le charme de cette œuvre étincelante que Fabien Gabel dirigea d’une main infaillible, recueillant d’emblée la totale adhésion de l’orchestre. Puis vint Schelomo d’Ernest Bloch. Rhapsodie hébraïque pour violoncelle solo et grand orchestre, composée en 1916, dédiée au violoncelliste Alexandre Barjanski, Schelomo est l’œuvre la plus connue de Bloch, s’inspirant du roi Salomon tel qu’il est évoqué dans l’Ecclésiaste. Peu jouée, cette pièce constitue pourtant un élément important du répertoire pour violoncelle. Après un dialogue orientalisant avec l’orchestre, le violoncelle prête dans le finale sa voix grave à une méditation philosophique sur la vanité des choses… et sur la sagesse qui découle de leur abandon. Xavier Philips en donna une interprétation des plus convaincantes, toute en nuances et intériorité, magnifiquement servi par la somptueuse sonorité de son Matteo Gofriller de 1710. Après la pause, ce fut la Sinfonietta (1911) de Korngold. Une œuvre d’une étonnante maturité, composée à l’âge de 14 ans par ce musicien prodige dont la carrière fut partiellement éclipsée par la barbarie nazie. Condamné à l’exil en Amérique, comme bien d’autres « voix étouffées », il consacrera l’essentiel de son activité ultérieure à la composition de musiques de films hollywoodiens, pour lesquels il sera reconnu comme un maître. Très viennoise, d’une orchestration opulente, la Sinfonietta fait se succéder de grandes vagues orchestrales tout au long de ses quatre mouvements où pointe l’influence de maîtres comme Bruckner, Mahler ou Zemlinsky. Occasion rêvée pour le « Philhar » de faire montre de toute la rutilance de ses pupitres, conduits par les bras immenses et la gestuelle élégante de Fabien Gabel qui parvint à convaincre le temps d’une soirée, public et musiciens. Bravo !

                                                                                                                 Patrice Imbaud.

 

Week-end symphonique au sommet au Théâtre des Champs-Elysées.

 

Le Théâtre des Champs-Elysées accueillait le temps d’un week end musical, et de façon assez exceptionnelle, deux des plus prestigieux orchestres européens, l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise et l'Orchestre Philharmonique de Vienne, conduits par deux des plus fameux chefs actuellement en activité, Mariss Jansons et Riccardo Chailly, associés pour l’occasion à deux maitres incontestés du violon, Gil Shaham et Christian Tetzlaff. Dans un programme Berg et Tchaïkovski pour le premier concert, Sibelius et Bruckner pour le second. Deux mondes différents, certes, mais un même talent. Mariss Jansons, letton d’origine, actuellement à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise et du Royal Concertgebouw d’Amsterdam, est râblé, peu mobile, penché en avant, la tête rentrée dans les épaules, donnant à ses bras immenses le maximum d'expressivité pour malaxer la musique et la faire sienne. Riccardo Chailly est italien, dirige le légendaire orchestre du Gewandhaus de Leipzig et prochainement celui de la Scala de Milan. Plus jeune, plus mobile, le visage volontiers grimaçant, dansant de tout son corps. Sa direction, plus extravertie, donne à ses interprétations une lumineuse clarté.

 

L’Excellence selon Mariss Jansons !

 


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Un concert qui fera date, assurément ! Rarement le Concerto pour violon « A la mémoire d’un ange » d’Alban Berg ne fut interprété de façon aussi émouvante et subtile. Gil Shaham nous gratifia d’une interprétation d’anthologie, pleine de poésie et d’humilité, sans vaine virtuosité, dans une lecture délicate presque post romantique, pleine de lyrisme, loin de toute agressivité dodécaphonique, laissant le chant de son violon magique, tantôt se perdre, tantôt émerger de la masse orchestrale, dans un dialogue merveilleux et symbiotique qui devint par instant de la musique de chambre. Ce concerto, comme une vallée de larmes, composé en 1935 à la mémoire de Manon Gropius, fille d’Alma Mahler, morte à dix huit ans, sera à la fois le requiem pour Manon et celui du compositeur qui décèdera quelques mois plus tard. Dans la même veine inspiratrice, mais tonale cette fois, la Symphonie n° 6 de Tchaïkovski, dite « Pathétique » fut composée en 1893, quelques mois avant la mort du compositeur, constituant le troisième et dernier volet de la trilogie du fatum. Une sorte de chant du cygne, interprétée avec une élégance, une retenue, une dignité, une lisibilité et une tension hors du commun par le chef letton. Cette œuvre inspirée par une altérité prémonitoire de la mort prochaine comprend quatre mouvements : le premier, d’emblée lugubre dès les premières notes du basson, un second faussement insouciant sur un rythme de danse, un troisième comme un sursaut acharné de vitalité, chargé d’un sentiment d’urgence, avant que ne s’installe une incommensurable désolation au finale. Un long silence de la salle se poursuivra longtemps après la dernière note…Mariss Jansons restant immobile, bras tendu, la baguette en main. Une communion entre orchestre, chef et public qui marque les interprétations d’exception… En « bis », comme un clin d’œil au concert des Viennois qui joueront le lendemain Sibelius, la Valse triste, sur un tempo d’une incroyable lenteur, à vous tirer les larmes ! Du grand art ! Une soirée inoubliable ! Un orchestre fabuleux !

 

Incandescents : Les Viennois et Riccardo Chailly !  

 


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Que dire devant tant de bonheur et de beauté. Riccardo Chailly enflamma le Philharmonique de Vienne le temps d’une soirée. Orchestre et chef, à l’évidence, réunis dans un même et communicatif plaisir de jouer. Finlandia (1899), poème symphonique de Jean Sibelius, ouvrait le concert sur un rythme guerrier effrayant. Hymne célébrant l’indépendance de la Finlande, chargé de solennité et de révolte, plein de relief et de nuances. Formidable marche martiale, scandée par les appels des cuivres, le martèlement des timbales et l’ostinato des cordes. Vint ensuite le Concerto pour violon du même Sibelius, dont le violoniste allemand Christian Tetzlaff donna, hélas, une triste interprétation par son toucher d’une incroyable dureté, âpre, sec et grinçant, confisquant du même coup toute poésie, tout élan lyrique à ce concerto pourtant éminemment romantique. Une interprétation qu’on s’efforcera de rapidement oublier. Après l’entracte, ce fut la très belle et pourtant peu jouée, Symphonie n° 6 (1881) d’Anton Bruckner. Une œuvre en quatre mouvements, tour à tour, majestueux, pathétique, fantastique et rythmé, avant de se conclure sur un finale tout imprégné d’un saisissant sentiment d’urgence. Du Bruckner comme on l’aime, tendu mais sans lourdeur, habité, véhément, sans boursouflure excessive, romantique ou spirituelle. Riccardo Chailly trouva dès la première note la juste mesure, nous passionnant de bout en bout par l’éclat incomparable des timbres, la virtuosité et l’expressivité du discours orchestral et de sa direction, la plénitude et le moelleux des cordes graves, l’irisation et le velouté des cordes aiguës, la rutilance des vents, la justesse et l’à propos des cuivres, la fureur des timbales, rencontrant la cohésion, la spontanéité, l’enthousiasme, la ferveur et la réactivité foudroyante de cette prestigieuse phalange. Parfait, tout simplement !

                         

Patrice Imbaud.

 

 

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L'EDITION MUSICALE

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FORMATION MUSICALE

 

Beth WHEELER : Music Quilt Squares. A patchwork of music activities aud games for classroom and studio fun ! 1 vol. 1 CD de données.Alfred : 41970.

Bien que ces jeux soient difficilement utilisables tels quels à moins d’avoir une classe anglophone, on nous permettra d’en signaler tout l’intérêt. Il n’est pas impossible, pour la plupart d’entre eux, d’en faire une version française en utilisant le CD d’origine : s’il s’agit bien d’un CD de données, il permet d’imprimer facilement des grilles musicales qui sont dans un langage, fort heureusement, universel !

 

 

Lynn KLEINER : My tripto the Mountains. 1 vol. 1 CD. Alfred : 40840.

Traduisons la présentation de ce volume qui en décrit excellemment le contenu : « Une délicieuse combinaison de musique, d’humour, d’enseignements et d’amusement pour les professeurs de musique, les instituteurs, les animateurs auprès des enfants… et les enfants eux-mêmes ! » Tout s’y trouve : les chansons, la découverte des instruments, la fabrication d’instruments, les renseignements sur les mélodies, les montagnes et leurs habitants… bref un condensé de culture américaine bien séduisant. Là encore, il faudra adapter, mais l’ensemble est tellement riche !

 

 

 

Arnould MASSART : Pratiquer l’harmonie Jazz. Exercices créatifs d’harmonie jazz assortis des réalisations sonores de l’auteur. 1 vol. 1 CD-ROM. Billaudot : G9181B.

Ce copieux volume entièrement bilingue (français – anglais) est une véritable somme d’harmonie jazz, qui peut être utilisé aussi bien par des amateurs avertis désirant se perfectionner que par des professeurs. Essentiellement pratique, cet ouvrage part des bases les plus simples pour parvenir aux enchainements les plus complexes, toujours de façon pratique grâce au CD-ROM qui contient pas moins de 232 fichiers mp3 permettant d’entendre tous les thèmes du volume ainsi que toutes les harmonisations de l’auteur. C’est vraiment un ouvrage tout à fait remarquable.

 

 

CHANT

 

Michel VERSCHAEVE : Airs d’opéras baroques pour ténor ou haute-contre à la française. Lemoine : 29089 HL.

Mêlant volontairement répertoire connu et pièces moins connues mais à découvrir, ce florilège fera le bonheur des chanteurs. A côté de Lully, Rameau ou Charpentier, on y trouve des airs de Boismortier, Mondonville, Collasse… qui soutiennent la comparaison avec leurs célèbres contemporains. En raison du diapason ancien, les pièces ont été souvent transposées mais la tonalité d’origine est toujours indiquée. A chacun de voir ce qui est préférable.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Konzertarien pour mezzo-soprano et contralto. Bärenreiter : BA9183. Konzertarien pour soprano : BA3182. Konzertarien pour soprano léger. BA9181. Version chant et piano. Tous ces airs sont également disponibles dans leur intrumentation originale.

Ces trois premiers volumes contiennent tous les airs pour soprano et orchestre classés par tessiture et placés chronologiquement à l’intérieur de chaque volume. Chacun des volumes contient une brochure donnant toutes les indications concernant l’interprétation de ces airs ainsi que tout ce qui concerne l’ornementation et les cadences. Il s’agit donc d’une véritable édition de travail. Les volumes pour ténor et basse seront disponibles en 2014.Il faut donc saluer ici le remarquable travail effectué par Thomas Seedorf.

 

 

 

Anton DVOŘÁK : Zypressen für Tenor und Klavier. Edité par Andreas Frese. B 11. Bärenreiter : BA9569.

C’est un évènement que cette première édition « urtext » du cycle de mélodies de Dvorak intitulé « Cyprès ». Ecrit en 1865, on en connait surtout son arrangement pour quatuor à cordes. Rarement enregistré, jamais édité, ce cycle demeuré jusqu’à ce jour sous forme de manuscrit mériterait pourtant d’être plus connu. Espérons que ce sera chose faite grâce à cette remarquable édition, établie et abondamment préfacée par Andreas Frese.

 

 

 

CHANT CHORAL

Sally K. ALBRECHT : Broadway Partners ! 10 terrific partner songs for young singers arranged with new words and music. 1 vol. 1 CD.

Il est souvent difficile de trouver du répertoire pour une chorale de jeunes : voici dix pièces pour deux voix égales qui devraient plaire. Nous sommes dans une ambiance de comédie musicale. Chaque pièce est vraiment entrainante et pleine de dynamisme et de joie. Le CD contient à la fois les enregistrements des pièces avec la première voix, puis la deuxième, enfin les deux voix ensemble et le playback de chaque morceau. Mais il contient également, sous forme de fichier PDF les parties des élèves, qui se trouvent aussi dans le volume. Bref, il est difficile d’avoir un matériel pédagogique plus complet !

 

 

 

ORGUE

 

Thierry PALLESCO : Fantaisie pour orgue. Delatour : DLT2186.

Ecrite pour grand orgue, cette pièce met à contribution grands crescendos, tutti flamboyants mais également un fort beau et poétique récit de cornet. Flamboyante mais également méditative, l’oeuvre exploite toutes les couleurs de l’instrument. Le site de l’éditeur nous permet d’entendre intégralement cette pièce.

 

 

 

Thierry PALLESCO : 2 préludes pour orgue. Delatour : DLT2195.

Cette fois, même un petit instrument suffira pour ces deux préludes à condition de posséder deux claviers, un cromorne et si possible un joli salicional. On ne peut s’empêcher de penser à certaines pièces de Franck même si le langage est évidemment au-delà du tonal. Quoi qu’il en soit, l’ensemble est fort agréable à entendre. On peut d’ailleurs écouter l’intégralité sur le site de l’éditeur (ou sur YouTube).

 

 

 

PIANO

 

Craig CURRY : A Jazz-Inspired Wedding. 8 sophisticated solo piano arrangements. 1 vol. 1 CD.Collection « sacred performer ». Alfred : 40852.

Voici des arrangements bien réjouissants des grands « tubes » des mariages : de l’Aria de la suite en ré à la Marche Nuptiale et la Marche des fiançailles en passant par l’Ave Maria de Schubert, ils sont tous là, réinterprétés dans le style de Jacques Loussier ou des Swingle Singers… Les arrangements ne sont pas faciles mais très bien faits. Certains gagneront à être accompagnés d’une basse (acoustique ou électrique) et d’une batterie légère. Les partitions correspondantes se trouvent sur le CD qui contient également l’ensemble des sept arrangements. C’est à découvrir, même si ce n’est pas pour un mariage !

 

 

 

Dennis ALEXANDER, Gayle KOWALCHYK, E.L. LANCASTER, Victoria McARTHUR, Martha MIER : Premier Piano Course. Technique 5. Alfred : 35261. Jazz, Rags & Blues 1 A. Alfred : 41038. 1 B. Alfred : 41039.

Voici trois volumes faisant partie du « Premier cours de Piano » des éditions Alfred. Chacun de ces volumes est très intéressant par la manière dont l’apprentissage de l’instrument est abordé, liant technique, interprétation, connaissances théoriques tirées de l’expérience. On ne peut qu’encourager les professeurs de piano à aller voir ces différents volumes et à en transposer l’esprit dans leur propre enseignement même si la barrière de la langue les arrête pour utiliser ces recueils. On remarquera en particulier que l’initiation au jazz intervient dès les premières leçons par l’intermédiaire de l’accompagnement du professeur. On ne peut que se réjouir de cette pédagogie qui ouvre immédiatement sur toutes les musiques.

 

 

 

Carstein GERLITZ : Best of Bar Piano. 30 wonderfull melodies from the piano lounge.Schott : ED 21647.

Le choix est éclectique puisqu’il va d’arrangements de la Première Gymnopédie à Oh Danny Boy en passant par le Clair de lune de Debussy, Greensleeves et From me to you… Les arrangements sont « jazzy », « lounge » comme l’indique le sous-titre, bien faits, sans grande difficulté technique. Ils pourront servir de base à tous les enrichissements que voudront bien leur apporter les interprètes. C’est un recueil plein de charme à déguster avec un bon verre et en bonne compagnie.

 

 

John KEMBER : More Piano Sight-Reading 2. Déchiffrage pour le piano 2. Pièce pour piano solo et duo. Schott : ED 13490.

Précisons tout de suite ce que ne dit pas le titre français : ce recueil est un complément à un volume 2 déjà paru. Il s’agit en fait d’une méthode de déchiffrage très systématique s’adressant à des pianistes de premier cycle. Entièrement trilingue (anglais – français – allemand), ce volume bénéficie de très nombreuses présentations et explications qui permet d’en tirer un réel profit même si on l’utilise seul pour se perfectionner. Les conseils à l’élève, en particulier ceux qui expliquent qu’il faut avant tout privilégier l’audition intérieure, sont tout à fait précieux.

 

 

GUITARE

 

Laurent MÉNERET : Suite mélodique. 7 pièces progressives pour guitare. Schott : SF 1008.

De niveau fin de premier cycle et plus, cette suite permet de parcourir fort agréablement styles et régions : musique romantique et créole, en passant par la valse et le mambo. Laurent Méneret nous propose autant de petits tableaux tous plus charmants les uns que les autres.

 

 

Máximo Diego PUJOL : 4 Preludios y un Postludiopour guitare. Lemoine : 29035 H.L.

De niveau moyen, ces cinq pièces forment un véritable ensemble, varié et lyrique, qu’on aura intérêt à jouer dans son intégralité. Chaque pièce possède son caractère, lié à son titre, mais fait vraiment partie d’un ensemble.

 

 

 

Máximo Diego PUJOL : Homenaje a Aníbal Troilo pour guitare. Lemoine : 29036 H.L.

Egalement de niveau moyen, cette œuvre rend hommage à Anibal Troilo, un bandonéoniste, compositeur et chef d'orchestre de tango argentin. Elle est composée de deux pièces très typées : El último telónet La malandra. Il s’agit d’une musique pleine de fougue et de passion.

 

 

VIOLON

 

Nicoló PAGANINI : 24 capricciper violino solo op. 1. 24 Contradanze Inglesiper violino solo. Première édition. Bärenreiter : BA 9424.

C’est à la fois une édition d’étude et une édition critique de ce monument de la littérature violonistique qui nous est proposée ici. On lira avec grand intérêt la copieuse préface qui introduit le volume. Quant aux « contredanses anglaises », c’est un évènement éditorial car c’est la première fois que sont éditées ces courtes pièces pour violon seul dont on verra également la genèse et l’histoire dans la présentation de Daniela Macchione.

 

 

 

Jean LEGOUPIL : Violonneries. 12 duos pour violons. Moyen avancé. Delatour : DLT1567.

Ces douze duos, assez difficiles, font parcourir de nombreux aspects de la musique. Chacun comporte un titre évocateur : les interprètes devront s’en inspirer pour que la musique naisse de ces « violonneries » op. 42 d’un compositeur éclectique et passionnant.

 

 

ALTO

 

Jean-Sébastien BACH : Passion selon Saint Jean : chorals pour 4 altos. Arrangement : Jacques Borsarello. Fin de premier cycle, début de second cycle. Sempre più : SP0079.

Comment ne pas applaudir à cette production mettant à la disposition des ensembles d’altos les onze chorals de la Passion selon Saint Jean ? La transcription est d’une probité exemplaire et permettra un fructueux travail de comparaison avec les originaux. Les conseils d’interprétation de l’arrangeur sont tout à fait pertinents. Bref, il s’agit d’un travail de grande qualité à mettre en œuvre d’urgence.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Variations sur un thème du Berry pour alto et piano. Début de cycle II. Fertile-plaine : FP 1540. http://www.fertile-plaine.com/

Voici un joli thème et huit variations fort bienvenues… surtout la huitième, qui est à composer par les interprètes. On sait que c’est l’intérêt de cette collection : faire des élèves non plus seulement des exécutants ou des interprètes mais des musiciens. Souhaitons que ce pari n’intimide ni les élèves ni les professeurs, d’autant que les ingrédients sont fournis par l’auteur. Les titres des variations rappellent ceux que les compositeurs du XVIII° siècle aimaient donner à leurs compositions. Ce sera aussi une occasion de faire découvrir des musiques que nos élèves ignorent.

 

 

VIOLONCELLE

 

Claude-Henry JOUBERT : La Habana. Cha-cha-cha pour violoncelle avec accompagnement de piano. Niveau 2ème cycle. Fertile-plaine : FP 1619. http://www.fertile-plaine.com/

Outre son intérêt musical évident, cette partition, qui a, entre autres, le mérite d’obliger les élèves à sortir des rythmes trop classiques, a aussi celui d’inviter à l’improvisation et à la composition. On fera bien attention aux conseils de l’auteur : « On peut écrire soi-même un cha-cha-cha en employant le procédé utilisé pour l’écriture de La Habana[…] La partition de piano est livrée en « kit » ! Le pianiste peut l’aménager et l’enrichir à son gré (mais toujours en songeant à mettre en valeur la partie de violoncelle…) ». Souhaitons que ces conseils soient suivis d’effet !

 

 

 

CONTREBASSE

 

Claude-Henry JOUBERT : Valse du corbeau pour contrebasse et piano. Cycle 1. Fertile-plaine : FP 1545.

C.-H. Joubert nous propose ici une partition à jouer au second degré, comme d’habitude. Elle pourra paraître un peu « téléphonée » mais il ne faut pas oublier que ces œuvres sont faites pour susciter chez les élèves l’envie de composer à leur tour sur le modèle qui leur est fourni. Avec un minimum de compréhension de la structure (qui leur est d’ailleurs donné par l’auteur), ils pourront à leur tour composer ou improviser une valse volatile… Souhaitons que les professeurs les encouragent à cet exercice hautement profitable. Bien sûr, faut-il qu’ils en soient eux-mêmes capables. Mais qui oserait en douter ?

 

 

 

 

FLÛTE

 

Gérard LENOIR : Le lièvre et la tortue : « Rien ne sert de courir… » pour flûte en ut et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2583.

Le titre est explicite : c’est de la musique « à programme », un programme soigneusement détaillé pour une musique bien réjouissante mais qui donnera certainement du fil à retordre aux interprètes. Il leur faudra faire preuve d’un sens du rythme particulièrement affuté. Mais le résultat en vaut la peine !

 

 

 

CLARINETTE

 

Jean-Michel TROTOUX : L’étoile cachée pour clarinette en sib et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2663.

Jean-Michel Trotoux nous offre une jolie pièce très poétique dans laquelle piano et clarinette s’expriment quasiment à part égale dans un dialogue parfois contrapuntique. C’est une gageure pour une pièce qui reste très simple pour les deux instruments.

 

 

 

André TELMAN : Ma première mélodie pour clarinette en sib et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2599.

Cette jolie pièce met d’emblée les jeunes interprètes au contact d’une musique délicatement modulante, notamment dans le passage médian. Bien loin des « pièces pour débutants », c’est de la vraie musique !

 

 

 

Michel NIERENBERGER : Promenade enchantée pour clarinette en sib et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2564.

Cette promenade enchantée brille par la variété de ses différents paysages qui se succèdent à grande vitesse. On pourrait l’appeler aussi « promenade surprise » mais c’est, en tous les cas une charmante promenade.

 

 

 

Max MÉREAUX : Badinerie pour clarinette en sib et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2621.

Ce badinage, sous le faux air d’un classique 4/4, cache des recherches rythmiques et de phrasé qui mettront à l’épreuve le sens musical des interprètes. Encadrée par ces deux parties endiablées, une partie médiane, résolument mélodique, déploie ses charmes chromatiques. Bref, cette jolie pièce se mérite.

 

 

 

Serge LENOIR : Sous le kiosque pour clarinette en sib et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2584.

Comment ne pas penser, quand on lit ce titre, au kiosque du Luxembourg, où se produisirent tant d’harmonies et de fanfares… Serge Lenoir nous met effectivement dans l’ambiance de ces morceaux de bravoure où l’instrumentiste se devait d’éblouir son public dans des « Fantaisies sur… ». Tout en évoquant cette époque, Serge Lenoir sait pasticher ce style avec élégance et bon goût. Et les interprètes pourront y montrer leur talent sous des formes diverses.

 

 

 

TROMPETTE

 

Pascal PROUST : Sans paroles pour trompette (ou cornet) et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0077.

On pourra imaginer ce qu’on voudra au fil de cette histoire que l’auteur nous raconte. Un départ martial se transforme en promenade nonchalante pour déboucher sur un allégro bien rythmé que suivent d’autres péripéties pour revenir à une fin plus tranquille.  Le tout est plein de charme et de fantaisie.

 

 

 

Claude PASCAL : Marche sans tambour mais avec trompette pour trompette et piano. Premier cycle. Sempre più : SP0076.

Cette marche un peu déjantée – si nous osons employer cette expression – ne manque pas de charme et réserve d’agréables surprises. Ecrite en mineur, ce qui la rend un peu tragique, elle comporte un mini-passage lyrique en majeur qui éclaire le paysage.

 

 

TROMBONE

 

Pascal PROUST : Air loufoque pour trombone et piano. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0075.

Loufoque, cet air l’est dans la mesure où il nous promène dans les ambiances les plus excentriques, depuis la marche d’entrée, au caractère inquiétant en passant par une valse lente et d’autres tableautins tout aussi… loufoques ! L’ensemble est tout à fait varié et séduisant. Les interprètes ne s’y ennuieront certainement pas, pas plus que leurs auditeurs.

 

 

 

COR

 

Pascal PROUST : La colère de Glykospour cor en fa solo. 3ème cycle. Sempre più : SP0078.

Que voilà, effectivement, une grosse colère ! Tantôt rentrée, tantôt explosive, elle met à rude épreuve les possibilités du corniste, mais pour un résultat aussi intéressant qu’expressif.

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Marius MONNIKENDAM : Air pour violon et orgue. Assez difficile. Delatour : DLT2081.

Marius Monnikendam ( Haarlem , le 28 mai 1896 - Heerlen , 22 mai 1977 ) après avoir été élève du Conservatoire d’Amsterdam, se rendit à la Schola Cantorum où il fut élève de Vincent d’Indy et de Louis Aubert. Le duo violon et orgue se rencontre rarement. L’œuvre est en constante tension tant par ses chromatismes que par ses mouvements mélodiques et harmoniques qui ne sont pas sans faire penser aux grandes pièces de Franck. L’orgue n’est pas seulement accompagnement mais partenaire à part entière.

 

 

 

Marius MONNIKENDAM : Elégie pour flûte et orgue. Delatour : DLT1739.

A la fois modale et chromatique, cette Elégie déroule un dialogue dense entre la flûte et l’orgue. De structure tripartite, elle offre un lyrisme parfois haletant avec des harmonies tendues. C’est une très belle pièce à découvrir : comme la précédente, il s’agit d’inédits que nous révèle la collection « Musique et patrimoine ».

 

 

Charles BALAYER : Funky Pipes pour quintette à vent. Assez difficile. DLT2216.

Si le quintette est classique dans sa formation (Flûte, hautbois, clarinette, cor et basson), on ne peut en dire autant de cette réjouissante pièce de style funk qui demande un solide sens du rythme pour un résultat tout à fait convaincant. Il n’est, pour s’en persuader, que d’écouter l’intégrale de l’œuvre sur le site de l’éditeur.

 

 

Daniel Blackstone.

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CDs et DVDs

 

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Johann Sebastian BACH : Das Wohltemperierte KlavierTeil II. Sébastien Guillot, clavecin. 2CDs SAPHIR Productions : LVC 1136 (maxence@saphirproductions.net). TT : 156’ 33.

Sébastien Guillot, élève des clavecinistes Huguette Dreyfus et Christophe Rousset, au Conservatoire de La Haye, de Bob Van Asperen et des frères Kuijken, et encore de plusieurs professeurs renommés à Cologne, ainsi que de René Jacobs, est aussi un musicologue particulièrement averti. Pour cette version du Clavier bien tempéré dont le manuscrit original a été perdu, il a utilisé le Londoner Originalhandschrift (ou Fassung A), copie de la main de Bach et Magdalena,  et réalisé ainsi le premier enregistrement mondial de ce manuscrit autographe des 24 Préludes et Fugues (BWV 870b-893). Dans sa présentation, Gilles Cantagrel répond à la question : « Bien tempéré ? », évoque le rôle pédagogique de Bach et son exploitation des registres affectifs des tonalités. Pour sa part, Sébastien Guillot résume judicieusement les caractéristiques formelles et stylistiques de ce second Livre avec, entre autres, des Préludes plus complexes, mais aussi le rappel des formes de danses, l’influence du style du concerto, du style italien… Certaines Fugues annoncent déjà les contrepoints de L’art de la fugue. Il conclut que cette version atteint « un degré rare d’introspection, jusqu’à pénétrer les espaces profonds de la spéculation, de la musica artificialis et de l’ars combinatoria » (A. Basso). Cette entrée en matière permet de mieux saisir l’importance historique, stylistique de cette redoutable entreprise totalisant plus de 2 heures et 36 minutes de concentration extrême pour mettre en valeur les moindres intentions compositionnelles. Sébastien Guillot adopte des tempi raisonnables, s’impose par son sens de la construction, ses entrées précises, sa virtuosité, sa musicalité à toute épreuve et son jeu égal contribuant à la sonorité exceptionnelle du clavecin reconstitué par O. Fadini (Milan, 1993), d’après l’instrument F. Blanchet (Paris, 1733). Il maîtrise tous les traquenards techniques et redonne ainsi vie à cette version originale de Londres que les mélomanes les plus exigeants apprécieront à sa juste valeur et réentendront souvent. Un CD exceptionnel par son intérêt à la fois historique, pédagogique et artistique.

Édith Weber.

 

« Je n’ai rien qu’aujourd’hui ». Poésies de Sainte Thérèse de Lisieux chantées par Sœur Anne-Élisabeth. 1CD JADE (www.jade-music.net) : 699 813-2. TT : 56’ 57.

Poursuivant leur série autour des écrits de Sainte Thérèse de Lisieux, les Éditions JADE, sous le titre général, Je n’ai rien qu’aujourd’hui, publient ce CD, résultat d’un projet de longue date : « La rencontre d’Hélène Goussebayle en 2010 puis celle de Philippe Guével l’année suivante ont permis sa réalisation. Leurs talents conjugués, leurs conseils avisés et désintéressés, leur humilité, leur humour (très important, l’humour !) m’ont aidée à donner le meilleur de moi-même. Je comprends aujourd’hui qu’il faudrait enregistrer chaque album comme si c’était le dernier : ou tout donner ou renoncer. Choisir parmi ces poésies n’a pas été chose simple… », relève la religieuse. L’Abandon a été mis en musique par Philippe Guével ; il s’agit de la poésie préférée de Sœur Anne-Élisabeth, souvent chantée lors de baptêmes, mariages et funérailles… Elle dit avoir été très touchée par le sens des paroles, par exemple, dans Mon chant aujourd’hui (22 décembre 2012), chacune des 14 strophes se terminant par le mot « aujourd’hui » et, la dernière, sur une note de louange : « Je chanterai sur la lyre des Anges l’Éternel Aujourd’hui !... ». Soit un total de 13 chants, 11 sur la musique de Sœur Anne-Élisabeth dont la voix agréable est soutenue par de nombreux instruments : guitare, piano, violon, au gré des arrangements.

Édith Weber.

 

Alessandro SCARLATTI : Carlo Re d'Alemagna. Opéra en trois actes. Livret de Giuseppe Papis, d'après Francesco Silvani. Romina Basso, Roberta Invernizzi, Marina de Liso, Marianne Beate Kielland, Carlo Allemano, Josè Maria Lo Monaco, Damiana Pinti, Roberto Abbondanza. Stavanger Symphony Orchestra, dir. Fabio Biondi. 3CDs AgOgique : AGO015. TT.: 66'54+62'17+40'03.

Tout comme Vivaldi, Alessandro Scarlatti ne saurait être cantonné à la seule musique instrumentale. Sa production opératique est fort abondante, avec quelques 65 titres connus. Elle lui assure même une position déterminante dans l'histoire de l'opéra, et en tout cas un rôle fondateur dans ce qui sera une nette distinction entre récitatif et aria. Va-t-on vers une exhumation de ce répertoire, comme ce fut le cas de celui du Prete rosso ? La présente interprétation apporte peut-être un début de réponse. Créé à Naples, en 1716, avec dans la distribution le célèbre castrat Senesino, Carlo Re d'Alemagnaest un exemple intéressant de l'opéra baroque napolitain. Scarlatti, dans cette pièce tardive, élargit l'orchestre aux bois et aux vents, et fait montre d'un style musical varié, avec des traits d'orchestration originaux dans l'accompagnement vocal, tels des passages concertants a due. Le chant est extrêmement orné et d'une très grande virtuosité. Le thème de l'opéra est celui de la conquête et de l'exercice du pouvoir au prix d'intrigues et de sévères querelles familiales, pour évincer le jeune roi carolingien Charles II, dit le Chauve, rôle muet au demeurant. Les récitatifs, souvent accompagnés, et vrai moteur de l'action, débouchent sur des arias décrivant les conflits intérieurs des protagonistes, lesquels s'extériorisent encore au fil de quelques duettos et même d'un trio vocal. La pièce se signale aussi par un curieux mélange de seria et de buffa. Cette dernière veine, dévolue à un couple de serviteurs, apporte un ton enjoué, voire acide, à la fin des actes I et II, et une agréable diversion aux méandres de l'intrigue principale. Ainsi l'exigeait le public napolitain de l'époque, friand de chassé-croisé entre drame et comédie. L'opéra se termine d'ailleurs par un lieto fine, préfiguration de la vraie histoire qui veut que chacun des deux conspirateurs, Lotario (Lothaire Ier), puis Adalgiso (Louis II), endosse successivement le manteau royal avant de le restituer à Carlo (Charles II). La présente exécution s'enorgueillit de la direction inspirée et engagée de Fabio Biondi, un des maîtres de la jeune génération des découvreurs des trésors enfouis de l'opéra baroque. Il dirige, non pas son ensemble Europa Galante, mais l'Orchestre symphonique de Stavanger, qui s'avère une phalange fort performante. Comme souvent, les voix graves dominent. Et d'abord, dans le rôle de Lotario, créé par Senesino, celle de Romina Basso, timbre de contralto, d'une maîtrise souveraine à travers des vocalises d'un formidable impact. Il en est aussi de Marianne Beate Kielland, un nom nouveau, superbe métal de mezzo, ou encore de Marina de Liso. La soprano Roberta Invernizzi apporte au rôle de Guiditta, l'impératrice, mère de Charles, une sûre vocalité et une royale présence, atteignant la réelle grandeur lors de la scène de déploration et de vengeance.  Les voix masculines ne sont pas moins bien achalandées : un ténor sensible, Carlo Allemano, et une basse rompue au style bouffe, Roberto Abbondanza. A découvrir.  

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Carl Philipp Emanuel BACH : Testament et promesses. Fantaisie pour clavier et accompagnement de violon, Wq. 80. 12 Variations sur les « Folies d'Espagne », Wq. 118/9. Fantaisie pour clavier en do mineur, Wq. 63/6. Sonate pour violon et clavier en do mineur Wq. 78. Sonate pour clavier en la majeur, Wq. 55/4. Arioso pour clavecin et violon, Wq. 79. Aline Zylberajch, piano à tangentes, Alice Piérot, violon. 1CD L'Encelade : ECL1201. TT.: 70'45.

Ce disque présente un intérêt musicologique puisqu'il permet de découvrir un instrument à clavier singulier qui connut la faveur des musiciens du XVIII ème, le Tangentenflügel ou piano à tangentes. Sa mécanique en est spécifique : de petites languettes de bois dont l'extrémité, sans habillage, est simplement arrondie, sont propulsées en l'air verticalement, sans système d'échappement, pour venir frapper la corde et produire un son clair et limpide. Fruit d'une recherche de combinaisons de sons produits et modulés par un système de registres variés, il offre à l'interprète une grande variété de timbres, du plus brillant au plus suave, comme de vastes possibilités en termes d'impact sur la dynamique. La sonorité de l'instrument joué ici, une copie d'un original conservé au Landesmuseum de Stuttgart, est proche du clavecin. Comment mieux le savourer qu'à l'écoute de pièces de CPE Bach. Durant sa carrière, partagée entre Berlin et Hambourg, ce fils de JS Bach composa de nombreuses pièces pour le clavier, soit solo soit avec violon. Elles sont au cœur de sa production. Le choix opéré emprunte un chemin original puisqu'à partir de la dernière œuvre conçue pour le clavier, les interprètes remontent le temps. La Grande Fantaisie pour clavier et accompagnement de violon, Wq. 80, de 1787, offre un kaléidoscope de séquences variées et un vaste pathos, succession de sentiments intenses et agités, ou calmes et introspectifs. Le clavier mène les débats, le violon ne faisant que ponctuer ou souligner. Habituée du clavier à tangentes, Aline Zylberajch en fait ressortir toute la magique beauté. Il en va de même dans les 12 Variations pour clavier tirées des « Folies d'Espagne »,  de 1778, qui déroulent une série de métamorphoses d'un thème, aux effets variés. Elles appartiennent à la période dite de Hambourg, tout comme l'Arioso de 1782, pour clavier et violon, où là encore le premier conduit le discours, mais ici dans un mode serein. Plusieurs pièces de la période berlinoise, alors que CPE Bach était au service de Frédéric le Grand, distinguent le programme : la Sonate pour violon et clavier Wq. 78, de 1763, dont les deux mouvements extrêmes, enjoués, encadrent un adagio d'une souveraine poésie, bercé par le soliloque du clavier, ou la Sonate pour clavier seul Wq. 55/4, de 1765, écrite à Postdam, très rythmée (allegro assai), profondément expressive (poco adagio) et d'une grande fluidité à l'allegro final. Spécialistes du baroque tardif, la pianiste Aline Zylberajch et la violoniste Alice Piérot maîtrisent en complices ces musiques inspirées, empreintes de mélancolie et de tendresse, de sérénité et parfois même d'humour.  

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Henri DUPARC : Mélodies. Nora Gubisch, mezzo, Alain Altinoglu, piano. 1 CD Cascavelle : VEL 3150. TT.: 57'41.

Au sein du répertoire de la mélodie française, Henri Duparc (1848-1933) occupe une place de choix. Non pas tant par l'importance de sa production que par sa qualité et  une finesse de touche proche de Fauré. On a parlé d'une « union parfaite de la mélodie et des paroles » (Lucien Rebatet). Le musicien, fin lettré, a puisé à des sources littéraires choisies, aux symbolistes (Baudelaire), aux Parnassiens (Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme) comme aux poètes romantiques (Théophile Gautier ou Thomas Moore). Ses mélodies, bien qu'ancrées dans le XIX ème, annoncent déjà la  modernité. La partie de piano se libère du rôle d'accompagnement servile pour acquérir une liberté de mouvement dans un flux presque orchestral. De forme majoritairement strophique, ces mélodies empruntent souvent à un schéma tripartite : un calme solennel ou hypnotique qui s'anime peu à peu dans une courbe ascensionnelle, avant une péroraison grandiose. Et comment résister à ces expressions fameuses, en forme de triptyque : « luxe, calme et volupté » (L'Invitation au voyage) ou « t'aimer...te le dire...et pleurer! » (Sérénade)! La présente intégrale, quasi complète (il n'y manque que La Fuite, qui est d'ailleurs un duo), se singularise sur deux points : par l'ordre dans lequel sont abordées les pièces, destiné à créer « un voyage musical varié », précisent les interprètes. Le déroulement est intéressant en ce qu'il alterne phases élégiaques et moments dramatiques. Par son unicité d'interprète aussi, féminine, et le choix d'un timbre sombre. La voix charnue de Nora Gubisch, présentée comme celle de mezzo, parfaitement domestiquée, assure une belle consistance aux textes. D'un parfait naturel, loin de tout maniérisme, son impeccable diction est au service d'un sens rare de la modulation, si consubstantiellement gallique (Élégie, Phydilé) ; de l'art de bâtir un climat alchimique aussi, pour décrire les abysses de l'âme et l'infinie douleur (Au pays où se fait la guerre), comme une secrète langueur (La Vie antérieure). Le frémissement extatique comme le dramatique proche de la violence sont ici ménagés à la perfection. Le phrasé net et clair d'Alain Altinoglu fuit le brouillard sonore dont bien des pianiste croient devoir entourer ces pièces, et leur restitue leur fluidité, dans le rythme haletant ou le doux balancement des couplets. Les deux partenaires sont mis en valeur par une prise de son très présente qui, elle aussi, évite tout effet « impressionniste ». 

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Neujahrskonzert/Concert du Nouvel An 2014. Eduard STRAUSS, Josef STRAUSS, Johann STRAUSS I, Johann STRAUSS II, Joseph HELLMESBERGER II : valses, polkas schnell, polkas françaises, polka mazur, quadrille, galop, marches. Richard STRAUSS : Mondscheinmusik tirée de Capriccio. Léo DELIBES : Pizzicati extraits de Sylvia. Wiener Philharmoniker, dir. Daniel Barenboim. 2CDs Sony Classical : 88883792272. TT.: 58'10+54'13. 1DVD : 88883792289 ou 1 Blu-Ray : 88883792299.

Daniel Barenboim a donc été choisi - pour la seconde fois - pour diriger le concert du Nouvel an 2014 des Wiener Philharmoniker, sa 74 ème édition ! Son engagement en faveur de la paix y est pour beaucoup, en cette année anniversaire du début de la Première guerre mondiale, un des fils conducteurs de ce généreux programme. Comme de coutume, les « nouveautés » côtoient les pièces connues ; encore qu'au chapitre de ces dernières, et à l'exception de « Légendes de la forêt viennoise » et des deux bis obligés, « Le beau Danube bleu » et la « Marche de Radetzsky », on ait volontairement délaissé la facilité pour offrir des morceaux peu joués. Par ailleurs, Barenboim privilégie des pièces plutôt longues, et comme on l'a constaté lors de la retransmission télévisée, les enchaîne, contribuant à densifier le programme. La première partie du concert s'ouvre par le « Quadrille d'Hélène », pot-pourri concocté par Édouard Strauss sur des thèmes de la Belle Hélène d'Offenbach, joué ici en hommage à l'épouse du chef d'orchestre. Elle propose ensuite plusieurs œuvres liées au thème de la paix, telle la valse « Embrassez-vous, millions d'êtres » que Johann Strauss II a dédiée à Johannes Brahms. La seconde partie, festive, débute par l'Ouverture de Waldmeister, du même roi de la valse, habile composition enchaînant les idées comme des perles, dont une séquence centrale presto aussi ambitieuse qu'irrésistible. Puis vient une suite de rythmes de valses, de polkas, schnell, française ou mazur, et autre marche, permettant de varier les contrastes, que Barenboim accentue, dans les tempos ou la dynamique. Sans parler des péroraisons portées à l'incandescence, tirant les applaudissements de l'auditoire, et notre délectation bien sûr. On y savoure, entre autres, ce curieux « Galop de Caroline » de Johann Strauss I, et son amusant appel de trompette, ou la valse « Les Romantiques » de Josef Lanner, autre maître du genre, développant une belle sensibilité mélodique. Et même une pièce de Léo Delibes, « Pizzicati », tirée du ballet Sylvia, hommage du français à ses collègues autrichiens. Commémoration oblige, on se souvient de l'autre Strauss, Richard, qui a si bien décrit Vienne. La « Musique du clair de lune » qui précède la dernière scène de Capriccio, se voit offrir une exécution opulente. Cette conclusion d'une folle journée signe la fin d'une époque aussi, à l'aune du solo de cor et de la fameuse modulation emplie d'indicible nostalgie. Un autre rappel, furtif, du musicien, on le trouve dans la valse de Josef Strauss, « Dynamides », qui livre le thème dont sera confectionnée la fameuse valse du Chevalier à la rose ! La tonalité de cette édition est plus mélancolique que joyeuse. L'irrésistible manière des Viennois n'en souffre pas le moins du monde : raffinement, cohésion, panache, tout est là, bien compté. Et les bis prolongent le plaisir : l'endiablée «  Carrière-Polka », la valse du « beau Danube bleu » dont on ne se lasse pas des digressions, et bien sûr la « Marche de Radetsky », martelée avec claquements de mains obligés. L'occasion pour le maestro de délaisser le podium pour s'en aller serrer la main de chaque musicien.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

René de CASTÉRA : Musique de chambre vol 2. Concert pour piano, violoncelle, flûte et clarinette. Sicilienne pour violoncelle et piano. Trio en ré op. 5 pour piano, violon et violoncelle. Lucian Rinando, flûte, Dean LeBlanc, clarinette, Elmira Darvarova, violon, Samuel Magill, violoncelle, Linda Hall, piano. 1 CD Azur classical : AZC 109. TT.: 77'03.

Élève de Louis Diémer, puis d'Isaac Albeniz auquel le liera une solide amitié, disciple de Vincent d'Indy, ami du peintre Maurice Denis (qui le fait figurer dans un des médaillons, La Sonate, du plafond du Théâtre des Champs-Elysées), René de Castéra (1873-1955) sort de l'oubli. Cet homme discret, fin pianiste, sera membre, aux côtés de Déodat de Séverac, de la première promotion de la Schola Cantorum, dont il deviendra le Secrétaire général. Au fil d'une production relativement restreinte, il a peint son Pays basque natal et les contrées landaises. Tout comme celle de Canteloube, d'Indy ou Magnard, sa musique fleure bon le terroir, Le présent CD présente trois de ses pièces chambristes, parées d'une sûre inspiration et d'une belle originalité. Le Trio en ré pour piano, violon et violoncelle, dédié à son maître d'Indy, est sa première partition d'envergure (1904). Elle est en effet d'impressionnantes dimensions avec ses quelques 38' et ses quatre mouvements contrastés : un premier, « Lent, aminé, lent », franc de rythme, exubérant, fluide dans la mélodie, empruntant à l'élément marin, typique de la musique française de l'époque ; un « Divertissement », sorte de scherzo aux trouvailles presque cocasses, dont un trio bercé par le piano ; un « Assez lent » ménageant un lyrisme expansif avec son lot de nostalgie, aux harmonies subtiles ; enfin un finale « Très animé », d'une grande vitalité, débordant d'énergie, mais aussi d'un geste ample et mélodieux. Voilà une pièce qui ne pâlit nullement auprès de ses contemporaines par sa liberté d'inspiration. Le Concert pour piano, violoncelle, flûte et clarinette, de 1922, se signale par sa distribution instrumentale peu commune, mais aussi par la manière toute personnelle dont de Castéra utilise les quatre solistes pour créer une atmosphère champêtre et célébrer les Landes. « Paysage » est une évocation de la terre landaise. Puis vient un court « Intermède » bondissant, basé sur le rythme de zortzico, danse folklorique basque à 5 temps, suivi d'une séquence marquée « Lent et grave », épanchement mélancolique du violoncelle, accompagné du seul piano, avant que les deux bois ne les rejoignent. Le Rondeau final aux climats variés, est bâti sur un refrain mêlant les quatre protagonistes de manière très différenciée, offrant tour à tour charme et discrète nostalgie, caractère affirmé ou langoureux, climat joyeux ou pensif. La succession des diverses séquences se révèle des plus imaginatives. Enfin la Sicilienne pour violoncelle et piano, de 1930, dédiée à la celliste Edwige Bergeron qui la créera l'année suivante avec l'auteur au clavier, est une courte pièce aussi délicate qu'inspirée, de sa ligne claire, empreinte, là encore, d'une douce nostalgie, quoique fort rythmée. Inédite, la version en a été établie par Damien Top. Les présentes exécutions, enregistrées sous les auspices du Centre International Albert-Roussel (CIAR), par des musiciens, membres de l'orchestre du MET Opera de New York, se signalent par leur finesse.   

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Alone ». Pièces pour flûte solo de Jean Sébastien BACH, Francis POULENC, Claude DEBUSSY, Paul HINDEMITH, Arthur HONEGGER, Eugène BOZZA, Sigfrid KARG-ELERT. Vincent Lucas, flûte traversière. 1CD Label IndéSENS : INDE057. TT : 71’56.

Le label IndéSENS poursuit, avec ce disque, son inlassable promotion des vents français. Aujourd’hui, Vincent Lucas, première flûte solo de l’Orchestre de Paris, se produit dans un programme copieux et original répondant aux deux âges d’or de l’instrument, le XVIIIe et XXe siècle. On est d’emblée surpris par l’étonnante présence de la flûte solo dans la Sonate pour flûte solo BVW 1023 (1722) de Jean-Sébastien Bach, affirmant, pour la première fois en Allemagne, la prééminence de la flûte traversière sur la flûte à bec, l'instrument  apparaissant, alors, comme l’équivalent du clavecin ou du violon ; ce dont se souviendra son fils, Carl Philip Emanuel, dans sa Sonate pour flûte traversière seule (1747), destinée à Frédéric le Grand. Entre ces deux œuvres majeures et incontournables du répertoire, Vincent Lucas nous propose des compositions, peut-être moins connues, mais tout aussi séduisantes. La bucolique Danse de la chèvre d’Arthur Honegger (1922), la rêveuse Syrinx de Claude Debussy (1913), Images d’Eugène Bozza (1939), Un joueur de flûte berce les ruines de Francis Poulenc (1942), la visionnaire Pièce de Jacques Ibert (1936), les éclectiques et orientalisantes Trois Pièces de Pierre-Octave Ferroud (1921), Pan blessé de Roger Bourdin (1970), Acht Stücke de Paul Hindemith (1927), miniatures expressionnistes, s’opposant à la lyrique et envoûtante Sonate appassionata de Sigfrid Karg-Elert (1917). Toutes œuvres capables de faire valoir le puissant pouvoir d’évocation et d’émotion de la flûte solo, à l’origine d’autant d’images et de climats, tour à tour ironiques ou poétiques, virtuoses ou méditatifs. Un jeu subtil, délicat et infaillible, sans artificialité superflue, au service de la seule musique. Superbe !

 

Patrice Imbaud.

 

Franz LISZT.  Récital. Yves Henry, piano. 1CD Soupir Editions : S219. TT : 63’56.

Un disque qui réunit un certain nombre de pièces appartenant à la période dite médiane de Franz Liszt, entre 1848 et 1854, où Liszt compositeur prend le temps de revenir sur certaines de ses compositions pour les faire aboutir, et où l’expression de ses aspirations se conjugue avec une maîtrise parfaite de ses moyens pianistiques. Des œuvres pour l’essentiel tirées des Années de pèlerinage, à l’exception de la Ballade n°2, qui est une pièce isolée. Après une lecture de Dante nous plonge d’emblée dans un monde d’espérance désenchantée, de passion calme et de quiétude frénétique, autant d’oxymores traduisant l’exceptionnelle densité émotionnelle de cette œuvre. Les Tre Sonetti del Petrarca, pièces contemplatives et lyriques, se rapprochent de Chopin par leur chant. La Vallée d’Oberman, élégiaque et pastorale, dresse un tableau parfois tourmenté de la nature, avant de retrouver la paix finale dans l’affirmation de soi. Enfin la Ballade n° 2, affirme pianistiquement la difficile diérèse entre lumière et ténèbres, avant que le dernier thème rayonnant n’apporte une sérénité apaisante. Une musique magnifique empreinte d’un lourd contenu spirituel et philosophique où Liszt se retrouve tout entier. Une interprétation superlative à la hauteur des plus hautes aspirations de cette musique d’exception.

Patrice Imbaud.

 

« The London Flute ». European chamber music in the city 1700-1725. Bart Coen, flûte. Ensemble Per Flauto. 1CD Deutsche Harmonia Mundi (distribution, Sony Music) : 88691966552. TT : 79’43.

Un disque comme le miroir de la Londres du début du XVIIIe siècle, capitale culturelle et musicale où s’exileront nombre de compositeurs européens, venus du vieux continent tenter leur chance, dont le plus fameux demeure Georg Friedrich Haendel. Ce disque présente un florilège des différentes œuvres de ces compositeurs migrants comme Francesco Mancini,  Francis Forcer, Ancangelo Corelli, Robert Carr, Haendel, Jacques « James » Paisible, Andrew Parcham, Henry Purcell, Charles Dieupart, Jean-Baptiste « John » Loeillet of London. Toutes compositions faisant appel en majorité à la flûte à bec de Bart Coen, expert s’il en est de ce type de répertoire, associé à la viole de gambe de Nicholas Milne et au clavecin de Herman Stinders. Une qualité musicale indiscutable, d’une justesse sans faille où la flûte apparait dans différentes tessitures. Voilà  aussi un document quasiment historique qui ne manquera pas de ravir tous les amateurs de musique baroque.

 

Patrice Imbaud.

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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IL FAUT Y ALLER

 

Ennio Morricone au Palais Omnisports de Paris Bercy

 


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Le compositeur italien Ennio Morricone se produit en concert à Paris dans l'immense salle de Bercy telle une pop-star, le 4 février prochain. Cette date unique en France est un évènement puisque le compositeur n'était pas venu se produire en personne dans la capitale depuis 11 ans. 

 

Palais Omnisports de Bercy, 4 février 2014, à 20 H

 

Expo : Pixar, 25 ans d'animation


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Le nouveau Musée de l'Art Ludique, ouvert depuis novembre dernier, consacre sa première exposition aux activités des studios Pixar. « Toy Story, Monstres & Cie, Le Monde de Nemo, Les Indestructibles, Ratatouille, Wall-E, Là-haut, Rebelle… », les studios Pixar ont réalisé des chefs-d’œuvre d’animation et révolutionné cette industrie. Il n'est pas innocent que Walt Disney s’en soit accaparé et qu’une guerre sourde s’en soit suivie entre ceux qui ont eu l’idée géniale, le flair, le talent, de monter cette compagnie, et la grosse compagnie WD qui voyait d’un mauvais œil ce bouleversement dans le monde du dessin animé. L’exposition proposée par le Musée d’Art Ludique, et qui tourne un peu partout dans le monde, n’a d’intérêt que pour ceux qui ont vu les films, les nostalgiques de leur enfance ou de leur adolescence. Cette succession de dessins simples, de maquettes, n’apporte pas grand-chose aux visiteurs lambda, juste quelques bribes de souvenirs. Ce qu’on apprécie, c’est l’animation de ces dessins, et ce n’est pas une ou deux vidéos qui allaient nous contenter. Le seul moment passionnant de l’expo est la vidéo sur grand écran où en un seul plan séquence est résumé l'essentiel des films produits par Pixar. C’est un vrai tour de force d’animation et d’imagination. Ce qui manque le plus dans cette exposition, dont le prix d’entrée est excessif, est la musique. Celle-ci a quand même une part aussi importante que le dessin dans ce genre de film. Beaucoup des BO des films de Pixar ont reçu des prix (Golden Globe, Oscar…) et méritaient d’être entendues au cours de la visite.

 

Nous allons réparer cette absence en proposant quelques BO et rappeler quelques brillants musiciens qui les ont composées. Les Newman sont très présents. Dans la famille Newman on a Thomas, un des fils du très célèbre Alfred, l’homme aux sept oscars et le compositeur de la fameuse fanfare de 20th Century Fox, et on a aussi un cousin, Randy. Thomas a commencé en 1985 avec « Recherche Suzanne Désespérément » et on lui doit la dernière musique de James Bond « Skyfall ». Pour Pixar, il a écrit « Le Monde de Nemo » et « Wall-E », musiques qui ont eu un énorme succès. La musique et la chanson de « Wall-E » ont reçu un Grammy Award. Son cousin Randy a une carrière plus éclectique et collectionne plus de succès (16 nominations aux Oscar !). Chanteur, auteur-compositeur de chansons, puis chanteur c’est avec « Ragtime » de Milos Foreman qu’il est passé à la composition de BO. Pour Pixar il a collaboré sur la musique de sept films, dont les « Toy Story » et « Les Monstres ». Deux ont reçu un Oscar pour la chanson (« Monstres et Cie » et « Toy Story n°3 »). D’autres compositeurs se sont fait connaître du grand public grâce à Pixar. Ainsi de Michael Giacchino, avec « The Indestructibles ». Il a reçu de nombreux prix, dont un Oscar avec « Ratatouille », et a composé la BO de « La-Haut » et de « Cars n°2 ». Il est actuellement le compositeur régulier de JJ; Abrams (« Lost », « Star Treck », « Mission Impossible »…). C’est un excellent compositeur, dans la lignée d’un Goldsmith. Une des plus belles musiques de dessins animés produit par Pixar est celle de l’étonnant film « Rebelle ». On la doit à Patrick Doyle, le compositeur anglais des films de Kenneth Branagh et de Régis Warnier.

 

Art Ludique Le Musée, 34, quai d’Austerlitz, 75013 Paris. Jusqu’au 2 Mars 2014, du lundi au vendredi, de 11 à 19H (nocturne le vendredi : 22H ), et les samedi et dimanche, de 10 à 20H.

 

Toutes les musiques de ces dessins animés peuvent être écoutées sur CD. Une compilation des chansons des films est sortie chez Walt Disney Records. Les BO marquent souvent plus qu’un simple dessin et celles de chez Pixar sont, comme leurs films, de grande qualité.

 


 

 

      

http://www.youtube.com/watch?v=MRhnWA84qwc

 

 

 

LE BO CONCERT

 

 

Pour le dixième anniversaire de l’Union des Compositeurs de Musiques de Films (UCMF), une soirée de musiques de films en présence de compositeurs a été organisée, le 10 janvier dernier, au Grand Rex. La salle était pleine à craquer et le public allait de 7 à 77 ans. L’orchestre  était celui de l’association des Chœurs et Orchestres des Grandes Écoles (lCOGE). Cet orchestre a vu le jour il y a plus trente ans, en 1982. Il est à l’origine de créations françaises (le Concerto pour cor et orchestre d’Ivan Jevtic, Le Miserere Nobis de Jean-Philippe Calvin…). La Philharmonie du COGE, créée en 1988, est formée par des musiciens amateurs, plus motivés et plus confirmés. Le COGE a joué 25 compositions de jeunes compositeurs ainsi que des plus expérimentés, sous la baguette d’Aurélien Azan Zielenski et de la chef de chœur Béatrice Warcollier. Pour certaines compositions, le pianiste Julien Le Pape, le violoniste Jean-Marc Phillips-Varjabedian, membre du Trio Wanderer et le violoncelliste Xavier Phillips, sont intervenus brillamment.

Le programme était chargé et un peu inégal dans la sélection des compositions. Cela a dû être très compliqué de choisir seulement 25 compositeurs français. On a pu entendre, entre autres, un extrait de « Ridicule » de Patrice Lecomte, composition d’Antoine Duhamel , de « La Jeune Fille à la Perle » de Peter Weber, musique d’Alexandre Desplat, de « Samsara » de Paul Nalin, sur une composition par Cyril Morin. Le court extrait de la partition jazzy de Robert Fienga pour « La Maison Démontable » de Buster Keaton a enthousiasmé le public. Ce qui était intéressant dans cette fête de la BO était de faire connaître de récents artistes. Le prix « 10 ans de l’UCMF » a été remis à Mathieu Vilbert, 25 ans, choisi parmi 103 candidats. La musique qu’il a écrite sur des images de Julie Bertuccelli promet de belles compositions à venir. La grande découverte de la soirée fut celle d’ Olivier Calmel. Il a été le directeur artistique du COGE pour ce concert et a écrit un arrangement époustouflant du générique de « Docteur Petiot », film de Christian de Chalonge, musique de Michel Portal. Ce jeune compositeur a surtout écrit pour des courts-métrages d’animation et des documentaires. Un étonnant extrait de sa musique avec chœur pour le court-métrage d’animation « L’Art des Thanatier » a été interprété par l’orchestre avec sa présence au piano. Dans la salle immense du Grand Rex il y avait des jeunes collégiens venus de Soisy-sous-Montmonrency. Pour la plupart c’était la première fois qu’ils voyaient un orchestre et un soliste. C’est la municipalité qui leur a offert cette soirée. Quelques jeunes adolescentes étaient émues, surtout en entendant l’Hymne des Fraternisés de Philippe Rombi extrait du film « Joyeux Noël » de Christian Carion. Philippe Rombi, sans prévenir, est venu au piano accompagner l’orchestre, un beau moment musical. Cosma a dirigé son concerto de Berlin extrait de la BO de « La 7ème Cible » réalisé par Claude Pinoteau, et Jean-Claude Petit, un extrait de sa composition pour « Cyrano de Bergerac » de Jean-Paul Rappeneau. Le concert s’est terminé très tard avec le tube de Claude Bolling « Borsalino », le film de Jacques Deray. Mais celui qui eut le plus de succès à la fin de cette fête fut Francis Lai. Les « fous » de musiques de films lui ont fait signer leurs pochettes de disques et se sont fait prendre en photo avec le compositeur de Lelouch, adulé comme une pop star. Ce concert organisé entre autres par le président de l’UCMF Bernard Grimaldi était un pari fou, risqué, mais fut une réussite complète. La musique de film a un public très large et ce concert a prouvé qu’il y avait de vrais amateurs. Le seul bémol fut l’absence des images qui auraient été un support essentiel à ces musiques. C’est un problème de coût que l’UCMF n’a pu assumer. La diffusion du concert sur TV5 Monde posait aussi des problèmes de droit. Tous les compositeurs avaient pour cette fête de la BO offert leur droit d’auteur. Un beau geste de cette profession. Le seul compositeur étranger qui a tenu à venir et participer à cette soirée était Patrick Doyle. Au cours de son immense carrière (2 Oscar, 2 Golden Globe, 2 nominations au César…), il a écrit pour Régis Warnier, dont la célèbre musique de « Indochine » . Un extrait de cette BO a été joué avec élégance par le COGE. Espérons que cette expérience ne restera pas unique et que l’on n’attendra pas dix ans pour retrouver une telle ambiance et un tel hommage à la musique de film et aux compositeurs français si demandés dans le monde.

Stéphane Loison.

 

BO en CDS

 

 

PHILOMENA Réalisateur Stephen Frears. Musique d’Alexandre Desplat. 1 CD Decca.

 

Stephen Frears, Judi Dench, Steve Coogan, voilà le trio gagnant de ce début d’année. Une histoire poignante. Une Judi Dench qui montre toutes les facettes de son talent, et il y en a de nombreuses, un Steve Coogan dans un rôle de composition qui le change de ses interprétations de comique, un Stephen Frears qui dirige, met en scène, de manière magistrale, tout cela fait de Philomena un petit bijou de cinéma qu’il ne faut pas manquer. On peut y ajouter la musique de Desplat, qui lorsqu’il travaille avec Frears, concocte des BO superbes. Philomena un régal pour les yeux et les oreilles. Mais n’oubliez pas d’emporter vos mouchoirs !

 

On peut se souvenir de cette musique romantique à souhait et de cette valse ritournelle, le thème de Philomena, grâce au CD paru chez Decca. Rarement Desplat a-t-il composé une musique avec autant de thèmes. Une musique simple comme l’histoire que nous raconte Frears, une musique qui nous émeut. 

 

http://www.youtube.com/watch?v=ik1eeCASO2w&list=PL186rLlc-ZF6QLXbTEJXl7BXcHjPccRDm

 

YVES SAINT LAURENT. Réalisation : Jalil Lespert. Compositeur : Ibrahim Maaloufi. 1CD Sony / Idol  849A016020.

 

Pour ce biopic très académique, mais agréable à regarder sur la vie du  couturier, réalisé par Jalil Lespert, Ibrahim Maalouf n’a pas cherché à révolutionner la musique de film, ni à apporter une quelconque originalité. On est dans une musique agréable, easy listening, dans un style rétro à la Michel Legrand. Un thème, un piano très présent, un orchestre de temps en temps et la trompette d’Ibrahim Maalouf pour un jazz trop cool, plus année cinquante que soixante, dégoulinant de mièvrerie.  Bref, une musique qui ne dérange pas. C’est peut-être ce qu’a demandé le réalisateur. Dommage que Maalouf, qui est un compositeur inventif, soit resté si timide dans sa musique. Son côté pléonasmique ne fait qu’accentuer les scènes filmées, comme une musique fonctionnelle. Le CD est agréable à écouter, il est sans surprise. On a bien sûr les éternels extraits de Callas dans La Traviata, La Wally et Tosca. Pour faire années soixante dix, quelques groupes pop, et pour faire jazz style Saint-Germain-des-Prés des années cinquante, la chanteuse Brisa Roché. Des notes, des notes, des notes, pour ne rien dire en somme.

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=eD6Euya5hcY

 

LA VOLEUSE DE LIVRES. Réalisateur  Brian Percival. Compositeur John Williams. 1 CD Sony Classical.

 

Adapté du best seller de l’australien Markus Zusak, le film de Brian Percival est un ratage complet alors qu’il avait tout pour réussir. Une bonne histoire, des acteurs excellents dont la jeune actrice Sophie Nelisse, l’héroïne du film, le tout jeune Nico Liersch, Geoffrey Rush, Emily Watson, une photo superbe, des décors à la hauteur de l’histoire, et John Williams pour la musique !  Malgré tous ces talents réunis on s’ennuie ferme. Une mauvaise adaptation du livre et une réalisation d’une platitude affligeante donnent à ce film une lourdeur exaspérante. Brian Percival est un réalisateur de télévision ; peut-être y a-t-il pris de mauvaises habitudes ? L’histoire de « La Voleuse de livre » est pourtant passionnante sur une certaine résistance en Allemagne contre le régime nazi entre 1938 et 1942. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la jeune Liesel est envoyée dans une famille d’adoption allemande. Là, elle apprend à lire, avec le soutien de son nouveau père. La lecture devient une telle passion qu’elle va voler des livres. Son quotidien va être bouleversé lorsqu'un jeune Juif se réfugie sous l'escalier de la cave. Pour ces deux êtres broyés par la violence de l’époque, la lecture va devenir le plus beau des liens, et le plus puissant des moyens d’évasion… C’est la musique de John Williams qui porte le film. Il offre une partition où l’on reconnaît sa patte pour les scènes d’émotions. Quelques envolées lyriques arrivent à donner du talent à la mise en scène. John Williams est de nouveau nommé pour les Oscar pour cette composition. C’est la 49ème fois ! Inutile de dire la qualité du CD de cette musique.

http://www.youtube.com/watch?v=yeIczLYsII4

 

INSIDE LLEWYN DAVIS. Réalisateurs Joe et Ethan Coen. BO : T-Bone Burnett. 1CD Nonesuch.

Ce film sur un looser, chanteur de folk, est une magnifique description d’une certaine Amérique des années soixante. Les frères Coen ont un tel talent qu’ils arrivent à nous intéresser avec un film qui s’adresse plus au public américain qu’européen. Il y a de nombreuses allusions sur cette époque aux USA qu’il faut bien connaître leur histoire pour tout apprécier. En ce qui concerne la musique du film et le CD ce sont des reprises de chansons folk,  la plupart chantées par le comédien principal Oscar Isaac.  Il est impressionnant de justesse dans son jeu et dans sa manière d’interpréter les chansons. Il est accompagné par Justin Timberlake qui est aussi bon acteur que chanteur. Il suffit d’écouter « Hang Me Hang Me » par cet acteur extraordinaire qu’est Oscar Isaac pour entrevoir ce chef d’œuvre dépressif qu’est « Inside Llewyn Davis». Un CD a écouter en boucle…un voyage d’hiver…

 

LA VENUS A LA FOURRURE. Réalisateur Roman Polanski. Compositeur Alexandre Desplat.  La musique du film ainsi que le livret sont seulement téléchargeables sur le site quobuz en qualité CD

 

La musique d’Alexandre Desplat colle au film comme le décor, les costumes et la lumière. Musique grinçante, vulgaire, ironique, grave, tous les registres y passent comme les renversements de situations de cette pièce de théâtre de boulevard. Dès les premières notes de musique, à l’ouverture du film on sait où la caméra, et donc le réalisateur, va nous conduire. Desplat avec Polanski est inspiré et sera cette année encore nommé pour le César.

Stéphane Loison.

 

 

Entretien

 

 

Alexandre Desplat au sujet de la musique de « La Vénus à la Fourrure »

 


DR

 

La Vénus à la fourrure est votre troisième collaboration avec Roman Polanski. Comment avez-vous travaillé avec lui sur ce film très dialogué où la musique est pourtant extrêmement présente ?

 

Comme d'habitude, sauf que là, encore plus que pour « Carnage », j'ai eu la chance d'aller sur le plateau, dans ce décor improbable et hallucinant de vérité. D'ailleurs, c'est amusant parce que je connaissais ce théâtre Récamier pour y avoir suivi les répétitions de « Papa doit manger », mis en scène par André Engel pour la Comédie Française. Pourtant, lorsque je suis arrivé sur le plateau de La Vénus..., tout était tellement beau, tout était tellement bien fait, des portes battantes de l'entrée jusqu'à la scène et aux dorures, que j'ai cru qu'il n'avait pas changé. J'avais tout simplement oublié que c'était en fait un lieu vide ! Le plus surprenant sur La Vénus... c'est que, autant pour « Carnage », nous nous étions rendu compte que la musique serait forcément intrusive. Autant là, depuis le début, Roman sentait que la musique serait au cœur du film - un peu comme si le film était recouvert d'un voile qui l'opacifiait et que la musique allait permettre de lever ce voile. Lorsqu'il m'en a parlé, je n'en étais pas encore certain, mais très vite, j'ai été convaincu. Son instinct est infaillible. Et c'est cela qui m'a entraîné à tenter de mettre de la musique à de nombreux endroits. En fait, nous nous sommes effectivement très vite aperçus que la musique relevait ce voile qui semblait posé sur le film. C'était comme si, d'un seul coup, elle poussait le mur du fond, ouvrait une nouvelle perspective, révélant une découverte infinie. On pouvait ainsi selon les moments alimenter une rêverie sur un passé possible et à la fois renforcer la singularité de ce rapport de séduction entre elle et lui.

 

La musique en effet souligne le ton du film, entre ironie et gravité, et en même temps elle l'emmène presque vers autre chose, elle vient presque en contrepoint, en contraste. Il y a même, notamment dans les premières scènes, quelque chose de primesautier.

 

Oui, c'est vrai. Cette actrice et ce metteur en scène sont dans le jeu et la séduction, donc la musique est dans le jeu également... En fait, tout découle de la musique d'ouverture - que l'on retrouve dans la danse finale. Ce morceau annonce toutes les musiques qui vont suivre. C'est le même thème que l'on va inexorablement répéter, explorer. Roman est comme beaucoup de ces metteurs en scène, sinon de la Nouvelle Vague, en tout cas de l'époque de la Nouvelle Vague, qui, avec des compositeurs comme Georges Delerue, Maurice Jarre et d'autres, avaient ce sens de la dramaturgie : dès le début du film, la musique annonçait ce que serait le film. «  La Peau douce » en est le plus bel exemple : alors que la scène du début est tout à fait quotidienne, la musique est extrêmement dramatique et dit bien ce que va être réellement le film. Ici, c'est la même chose, ce long mouvement de caméra subjectif qui, sous la pluie, nous emmène jusqu'au théâtre, est accompagné d'une étrange musique, qui a un rythme impair - elle est en 9/4. C'est en fait un rythme grec, que les initiés peuvent connaître, et pour cette musique d'inspiration grecque, j'utilise des instruments grecs. Dès le début donc, j'injecte une dose de « grécité » - qui est d'ailleurs en moi puisque je suis à moitié grec.

 

Et pourquoi cette note de « grécité » particulièrement sur ce film-là ?

 

Eh bien parce que Aphrodite apparaît à la fin ! (rires) Il y a beaucoup de tiroirs dans le cinéma de Roman et il m'invite à jouer avec tous ces tiroirs. C'est comme de s'amuser avec les matriochkas, ces poupées russes où il y en a d'abord une, puis une autre à l'intérieur, puis une autre encore, puis une autre... C'est très excitant. Mais évidemment il faut quelqu'un du talent et de la folie de Roman pour vous laisser - et c'est vrai avec tous ses collaborateurs - vous amuser à chercher, à creuser encore et encore à la découverte de pépites. C'est vraiment grâce à son instinct et à son énergie que j'en suis arrivé là.

 

Avez-vous trouvé facilement cette musique d'ouverture ?

 

Roman dégage une énergie et un désir tellement incroyables que lorsque je travaille avec lui, cela va très, très vite. Pour « The Ghost Writer », c'est venu très vite, pour « Carnage » aussi. Il y a entre nous quelque chose de fusionnel qui fonctionne vraiment très bien. Ce n'est pas toujours le cas malheureusement avec tous les metteurs en scène, pas toujours aussi rapides et pas toujours aussi flamboyants mais Roman aime la musique. Il aime la musique au cinéma et il aime la musique dans ses films ; donc, évidemment, pour moi, il est un interlocuteur magique. Je sens que tout est possible avec lui. Il n'y a qu'à écouter les musiques de ses films, en particulier ceux du début avec Krzysztof Komeda, ou celle du « Locataire », de Philippe Sarde, qui sont des merveilles, pour réaliser à quel point il est inspirant. Il offre au compositeur un espace, une terra incognita, et il lui dit simplement : « Vas-y ! »

 

Est-ce qu'il se décide rapidement ?

 

Oui. Pour  « The Ghost Writer », par exemple, il a entendu une seule fois un morceau que je lui proposais et a décidé immédiatement que ce serait la musique du générique du début. Une fois, et c'était fait ! Pareil pour La Vénus... lorsque je lui ai envoyé le morceau d'ouverture, il m'a juste dit : « Eh bien voilà, c'est ça ! »

 

Vous avait-il auparavant défini le type de musique, le ton qu'il souhaitait ?

 

Non, il n'y avait pas vraiment une définition en termes musicaux... Je crois que la danse archaïque de la fin a aussi été un déclencheur. Le fait que je puisse créer sur un rythme grec, qu'il y ait finalement cette apothéose du film qui part complètement ailleurs d'une manière totalement inattendue, cela aussi m'a donné des ailes. Des ailes... d'Hermès !

 

De quelle manière diriez-vous que vos rapports ont évolué depuis The Ghost Writer ?

 

Déjà, on a retravaillé ensemble et... je m'en réjouis ! Je l'admire tellement que la première fois où je l'ai vu, il y a cinq ou six ans, à un dîner chez des amis, je n'ai pas osé lui parler. Ma passion de son cinéma était telle que je ne savais pas comment m'approcher de lui ! Aujourd'hui, nos rapports sont plus simples. Quand on travaille, nous sommes à égalité, nous sommes assis l'un à côté de l'autre au piano et nous cherchons. Je lui propose des choses et il donne son sentiment. En fait, nous nous amusons. Il y a une grande part de jeu et de plaisir à travailler ensemble. Je crois que ce qui nous réunit à chaque fois que nous commençons une collaboration, c'est que nous savons que nous allons nous surprendre l'un l'autre. On est toujours dans cette même fascination de ce que la musique peut apporter à la dramaturgie dans un film. Les possibilités sont tellement infinies.

 

Surtout sur ce film-là qui est une sorte de jeu de miroirs à l'infini...

 

C'est vrai... Il arrive que je travaille sur des films où, lorsque je les revois plusieurs fois, aux séances de travail, aux projections, à la première, je n'ai plus forcément la même sensation de nouveauté qu'a la toute première projection. La Vénus..., je suis allé sur le tournage, je l'ai vu et revu, je le vois et le revois, et à chaque fois j'ai une sensation de fraîcheur, je remarque quelque chose de différent, je décèle de nouvelles choses. Il y a un tourbillon d'énergie dans ce film qui n'est vraiment pas commun. Comme je l'ai dit, Roman pensait dès le début qu'il fallait beaucoup de musique parce qu'il savait que le voile serait levé et que les mystères du film et de l'histoire seraient amplifiés. Cette amplification, d'ailleurs, est flagrante la première fois où Emmanuelle entre dans le personnage de Wanda et que Mathieu se retourne vers elle : la musique démarre et là, grâce à elle, on est en fait projeté dans la fiction. Et la musique joue de ces jeux de miroirs dont vous parlez : elle ne s'interrompt pas forcément quand ils s'interrompent de jouer, et parfois en revanche elle s'interrompt et ne reprend pas tout de suite lorsqu'ils redémarrent dans le jeu. Tout cet équilibre subtil est fait en sorte que cela ne devienne pas didactique mais crée une fluidité dans la narration musicale, et participe ainsi à cette confusion qui, peu à peu, s'installe dans leurs rapports et dans le film.

 

Roman Polanski suit-il le processus de création de la musique à chaque étape, jusqu'aux séances d'enregistrement ?

 

Bien sûr, il adore ça. Nous avons enregistré à Paris, il est venu avec nous au studio, il donne encore des indications. Et il continue ensuite, au calage des musiques, aux premières projections où les musiques sont mixées... Il ne lâche rien, mais, de manière générale, les grands cinéastes ne lâchent rien.

 

On est surpris en regardant La Vénus... de voir à quel point ce film, qui est venu jusqu'à lui, renvoie pourtant à son œuvre. Cela vous a-t-il frappé aussi en travaillant dessus et en avez-vous tenu compte ?

 

Évidemment, cela m'a frappé - mais je n'en ai pas tenu compte, non, chaque film est différent. Déjà, à la lecture, tous ces échos avec son œuvre étaient évidents. Et en plus, lorsqu'on voit la manière dont Mathieu Amalric joue ce personnage, cela ne fait que renforcer cette impression. Non seulement il lui ressemble physiquement mais il évoque Roman jusque dans sa manière de se comporter, de marcher dans la scène où elle lui a mis du rouge à lèvres et qu'il a des talons hauts... Comment alors ne pas penser au  « Locataire » ? Il a trouvé là un univers singulièrement très proche du sien.

 

Qu'est-ce qui vous a le plus frappé en allant sur le tournage ?

 

Sa direction d'acteurs. Sa précision infaillible et l'énergie qu'il dépense, sautillant partout. Sa concentration impressionnante et son exigence de chaque mouvement, de chaque détail, de chaque point de lumière, de chaque mouvement de la main d'un acteur ou d'une actrice... C'est très impressionnant de voir Polanski travailler, vraiment.

 

Si vous ne deviez garder qu'un moment de toute cette aventure de La Vénus à la fourrure.

 

Je crois que c'est lorsqu'il a entendu la musique du générique, de la danse finale. Je n'étais absolument pas sûr de sa réaction. Et de le sentir à la fois tellement heureux et tellement surpris, tellement excité par cette musique qu'il trouvait juste, c'était forcément stimulant. C'est toujours cela que l'on recherche et cette justesse est tellement difficile à trouver que lorsqu'on la trouve et que c'est Roman Polanski qui vous dit que c'est juste, le moment ne peut être que magique.

 

Entretien extrait du dossier de presse du film.

 

Hommage à Wojciech Kilar


DR

 

Le 29 décembre 2013, à 81 ans, disparaissait Wojciech Kilar. On lui doit la partition monumentale du « Dracula » de Coppola, le thème si délicat au piano du dessin animé « Le Roi et l'oiseau » de Grimault. En 2002, il obtint le César de la meilleure musique écrite pour un film pour « Le Pianiste » de Polanski. Wojciech Kilar est né le 17 juillet 1932 à Lwow, à l’époque en Pologne, aujourd’hui en Ukraine. Il a suivi ses études à l’Académie de Musique de Katowice puis a été l’élève de Nadia Boulanger à Paris.Compositeur de musique classique (Concerto pour piano, Misa pro Pace, Magnificat, Requiem, September Symphony…), il compose, dès les années soixante, pour l’écran, surtout pour des réalisateurs polonais tels que Krzysztof Zanussi et plus tardivement pour  Andrzej Wajda. A Hollywood, il s’est fait connaître dans les années 90 et a travaillé avec Roman Polanski, Francis Ford Coppola, James Gray, James Campion. Plus récemment, il a composé la musique du film de Philippe Lioret « Welcome ». « Il fut l'une des figures les plus importantes de la culture polonaise » a déclaré Waldemar Dabrowski, directeur de l'Opéra de Varsovie.

 

On trouve, bien sûr, en CD « Dracula», « Le Roi et l'oiseau », « Welcome », « Le Pianiste », mais aussi « Chronique des évènements amoureux » de Wajda, « Death and the maiden » et « La neuvième porte  » de Polanski. Une compilation de quelques musiques pour le cinéma est sortie chez Naxos, interprétée par l’Orchestre de la Radio Polonaise sous la direction du célèbre chef d’orchestre Antoni Vit.

 

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=j3_ew_pvPXE

Stéphane Loison.

 

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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Le CASCA

Comité d'Aide et de Soutien aux Chœurs Amateurs

Qui sommes-nous ?

 

Le CASCA est un Fonds de Dotation créé, en 2010, par une chef de chœur, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, elle-même à la tête de trois chœurs amateurs. Il est géré par un Conseil d’Administration actuellement formé de quatre membres, eux-mêmes choristes et chanteurs, auxquels d’autres chefs ou présidents de chœurs sont conviés à se joindre. Jean-Claude Casadesus en est le Président d’honneur. Le CASCA souhaite apporter un soutien financier à des chœurs amateurs, en privilégiant les chœurs de jeunes et d’enfants.

 

Qu’entendons-nous par « chant choral amateur ? » : il s’agit d’une pratique artistique de groupe exercée par des personnes qui ne sont pas rémunérés et qui chantent donc pour leur plaisir. Les chœurs amateurs sont tous régis par la loi de 1901, et les CA qui les dirigent toujours formés de bénévoles.

 

Pourquoi aider cette activité (qui semble autosuffisante) ? Parce que ces chœurs sont aujourd’hui de plus en plus souvent encadrés (chef de chœur et pianiste durant les répétitions) et accompagnés (instrumentistes et chanteurs solistes pendant les concerts) par des professionnels compétents, eux-même rémunérés. Le chant choral amateur est devenu, depuis quelques années, un véritable gisement d’emplois non délocalisables, qui permet de vivre à de jeunes chefs, de jeunes instrumentistes et de jeunes chanteurs professionnels, pour la plupart intermittents du spectacle. L'aspect « humaniste » du chant choral amateur se double donc d’un intérêt économique certain.

 

Le CASCA est convaincu que le chant choral amateur fait partie du panorama musical de notre pays et qu’il est un vecteur essentiel d’intégration et de citoyenneté. Il anime le territoire, en proposant des concerts de qualité, et à des prix abordables, à une population qui, sans cela, n’aurait jamais accès à la culture  -  particulièrement en milieu rural. C’est grâce au chant choral amateur, et à lui seul, que le public peut, en effet, entendre un vaste et riche répertoire chœur/orchestre, que les chœurs professionnels en activité ne mettent que peu à leur programme, pour cause d’effectifs insuffisants. Le CASCA agit donc dans une démarche culturelle d'intérêt général.

 

L'action du CASCA participera au maintien sur le long terme de ce chant choral amateur à qui la conjoncture économique actuelle n'est pas favorable et qui concerne pourtant des centaines de milliers de personnes dans notre pays : des réductions drastiques de subventions publiques sont, en effet, programmées, alors que jamais le niveau musical de ces chœurs n’a jamais été aussi élevé.

De surcroit, la pratique régulière et sérieuse du chant choral est, pour les jeunes, la meilleure école qui soit et la meilleure formation à la citoyenneté : elle exige en effet un engagement réel sur le long terme, la faculté d’écouter les autres et de suivre des consignes extrêmement précises, le tout dans une atmosphère conviviale et chaleureuse dont toute compétition est bannie, puisque ce sont les progrès de l’ensemble des participants qui importent.

 

Modalités de fonctionnement du CASCA

 

Montant de l’aide apportée par le CASCA : l’aide ponctuelle pour chaque dossier déposé ne pourra dépasser un montant plafond qui sera fixé chaque année par le Conseil d’Administration, en fonction des rentrées d’argent dans le Fonds de Dotation. L’aide ne sera attribuée qu’après délibération du Conseil d’Administration et sera conditionnée à la transparence comptable des groupes demandeurs.

 

Origine des fonds : Le CASCA ne peut pas demander de subventions publiques car il ne pourrait pas, légalement, les redistribuer. Les financements ne pourront donc provenir que du mécénat privé - sachant que les dons, qu'ils proviennent d'une société ou d'une personne, seront partiellement déductibles des impôts, le CASCA étant un Fonds de Dotation d’intérêt général et à visées culturelles.

Les actions du CASCA seront menées avec discernement et les fonds attribués à la suite d’un vote, après évaluation des chorales demanderesses selon une grille  précise et suivant les mêmes critères que les évaluations faites pour les demandes d'agrément (défiscalisation). Tous les Fonds de Dotation sont par ailleurs sous la tutelle du CNCC (Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes), organisme officiel, national et indépendant.

 

Le CASCA accompagnera de son mieux les chœurs de jeunes et d’enfants, seuls capables de faire vivre sur le long terme le chant choral amateur : en leur permettant de louer un local, de payer une assurance, d’acheter des partitions, d’affréter un autobus pour se rendre à telle ou telle semaine chantante,  voire d’offrir une formation vocale à ses membres. Des jeunes qui, répétons-le, ne pourront que tirer le plus grand profit du sérieux, de l’engagement et de la rigueur que requiert la pratique du chant choral de qualité.

 

Les DONS sont reçus sous forme de chèques libellés à l’ordre du CASCA et envoyés à l’adresse suivante :

CASCA,

S/C de Michèle Lhopiteau

Le Bourg

24140 Maurens

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·       La librairie de L’éducation musicale

   

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.
Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).
Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

 

En préparation

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus   Gérard Denizeau

Toccata ré mineur                      Jean Maillard

Cantate BWV 4                          Isabelle Rouard

Passacaille et fugue                    Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu                Janine Delahaye

Phœbus et Pan                          Marianne Massin

Concerto 4 clavecins                  Jean-Marie Thil

La Grand Messe                         Philippe A. Autexier

Les Magnificat                           Jean Sichler

Variations Goldberg                    Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale                Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses         Gérard Denizeau

Apothéose Corelli                        Francine Maillard

Apothéose de Lully                      Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus                             Sabine Bérard
Water Music                              Pierrette Mari

Israël en Egypte                         Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile                     Jacques Michon

L’alleluia du Messie                      René Kopff

Musique feu d’artifice                  Jean-Marie Thill

 

 
 

 

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Paru en juillet

 

 

·       Où trouver le numéro du Bac ?

 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale