Lettre d’Information – n°77 – Janvier 2014



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

 

 

12/ 01

 

Les Dimanches d'Offenbach

 


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Paraphrasant les « Vendredis d'Offenbach », animés par le maestro dans son appartement parisien de la rue Lafitte, la Péniche Opéra lance, à compter du 12 janvier prochain, les Dimanches d'Offenbach. L'occasion de présenter les pièces en un acte, pas très connues, mais recélant un « génial répertoire, pure alchimie entre tendresse et folie dont Offenbach a le secret », selon Jean-Christophe Keck, spécialiste du compositeur, et responsable du projet. Lors de chaque concert, une de ces courtes opérettes sera lue «  à la table », dans son intégralité, dialogues et musique, par des artistes rompus à ce répertoire, et accompagnée au piano. Chaque séance, parrainée par un musicien renommé, sera l'occasion de replacer l'ouvrage choisi dans son contexte historique et musical. En guise de mise en bouche, on donnera deux ou trois extraits d'autres œuvres rares ou célèbres. De quoi encore pimenter la chose ! On commencera, le 12 janvier, par Ba-Ta-Clan, parrainé par Jean-Claude Pennetier, puis viendront Le 66 (2/2), Bagatelle (2/3), Le financier et le savetier (6/4), La Bonne d'enfant (4/5) et Croquefer ou le dernier de Paladins (1er/6). Une fort alléchante initiative, annonciatrice de belles surprises !   

 

Le 12 Janvier 2014, à 18H, puis les 2 février, 2 mars, 6 avril, 4 mai et 1er juin.

Renseignements et Location : Péniche Opéra, 46 Quai de la Loire 75019 Paris ; par tel. : 01 53 35 07 77 ; en ligne : penicheopera@hotmail.com ou www.penicheopera.com.

 

 

17 & 19 / 01

 

Rossini à l'honneur

 


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Les prochains concerts de la saison musicale du Chœur du campus d’Orsay présenteront La Petite messe solennelle de Rossini, dans sa version première (1864), pour solistes, chœurs, harmonium et piano. Figurant au nombre des « Péchés de vieillesse », ce fut le testament musical de son auteur, qui n'hésitera pas à écrire cette dédicace en forme de boutade : « Est-ce bien de la musique sacrée ou de la sacrée musique ? ». Ses effectifs restreints laissent peu présager de la grande puissance dramatique de ses 14 numéros. Elle sera interprétée par le chœur du campus d’Orsay, sous la direction d’Adam Vidović, avec en solistes, Léa Sarfati, soprano, Johanna Giraud, mezzo-soprano, Pablo Ramos Monroy , ténor,  et Florian Hille, baryton. Vital Chauve sera à l'harmonium et Yu-Fei Sun au piano.

 

Campus d'Orsay (91), Amphithéâtre Henri Cartan (bât 427), Rue de Chevreuse, (RER B / « Le Guichet »; et Parking à proximité), le 17 janvier 2014, à 20H45

Oratoire du Louvre, Paris 1er, le 19 janvier 2014, à 17H30.

Réservations : au CESFO, campus d’Orsay bâtiment 304, à l’Office de Tourisme de la Vallée de Chevreuse, à Orsay (01 69 28 59 72), sur Billetreduc.com, et sur place avant le concert ; http://www.scm.espci.fr

 

 

 

1, 4, 7, 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28 / 2

 

Un Western à l'opéra : La Fanciulla del West

 


© Cl. & M. Baus/Nederlandse Opera

 

Commande du Met De New York, La Fanciulla del West décline la lutte triangulaire entre une femme et deux hommes : une histoire d'amour entre un bandit, Dick Johnson, et Minnie, la tenancière d'un ranch californien au pays des chercheurs d'or, arbitrée par le shérif Jack Rance dont la morgue n'est pas sans rappeler celle de son cousin Scarpia de Tosca. Mais il est question, ici, de code d'honneur et de rédemption par les écritures. Et à la différence de cette autre pièce, l'opéra se solde par un happy end, la liberté étant laissée au bandit qui peut s'en aller avec sa belle. Puccini dessine trois personnages au caractère entier, très théâtraux, évoluant au milieu d'une foule bigarrée, celle des mineurs. Sa musique est très élaborée, audacieuse même, bardée de leitmotive, et d'une modernité annonçant Turandot. Pour à la fois dépeindre l'exotisme, saisir les rebondissements épiques de l'action, dont une mémorable chasse à l'homme, et brosser le cadre spectaculaire ambiant. La Belle Minnie sera incarnée par la grande soprano suédoise Nina Stemme, et la régie confiée à Nikolaus Lehnhoff, dans une production « modernisée » qui vient du Nederlandse Opera d'Amsterdam. Rarement donné, ce western puccinien vaut assurément le détour.

 

Opéra Bastille, les 1, 4, 7, 10, 13, 19, 22, 25, 28 février 2014, à 19 H30, et le 16/2 à 14 H30.

Location : Billetterie, 130 rue de Lyon, 75012 Paris ; par tel.: 08 92 89 90 90  ; en ligne :  operadeparis.fr. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

 La Folle Journée de Nantes 2014 : “le Nouveau Monde ou l’Amérique”.

 


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La Folle journée nantaise a 20 ans ! Pour cette édition 2014, Le thème choisi, « Des Canyons aux étoiles », présente un large panorama de la musique américaine de 1860 à nos jours, décliné en quatre axes principaux. D'abord, Les racines du nouveau continent, l’histoire de la musique savante aux États-Unis étant profondément liée à la culture populaire, particulièrement à la chanson traditionnelle. Ainsi, au XIXe siècle, Louis Gottschalk et Stephen Foster ont-ils bâti les fondements de l’école nationale américaine tout en conservant l’héritage européen. Au XXe siècle, Charles Ives, Virgil Thomson, Henry Cowellet George Gershwin réalisent la synthèse entre tradition et modernité. La musique classique d’outre-Atlantique s’impose ensuite  avec des compositeurs comme Aaron Copland, Samuel Barber, Leonard Bernstein, Colon Nancarrow, John Cage, Steve Reich, Philip Glass ou John Adams. Le 2ème axe focalise sur Les États-Unis, terre d’accueil, qui ouvrent leurs portes à des compositeurs comme Antonin Dvořák, ou deviennent terre d’exil pour beaucoup de ceux victimes des régimes totalitaires. Serge Rachmaninov, Serge Prokofiev, Paul Hindemith, Erich-Wolfgang Korngold, Igor Stravinsky, Béla Bartók, Edgard Varèse, Arnold Schoenberg, ont composé certaines de leurs plus belles œuvres sur le territoire américain. Le 3ème axe : Les institutions américaines comme maître d’ouvrage, avec Les fondations, comme la Fondation Koussevitsky (Concerto pour orchestre de Bartók, Ramifications de Ligeti) ou la Fondation Fromm (Circles de Berio, Les travaux et les jours de Tristan Murail). D’autres, comme la Fondation Guggenheim, ont soutenu des compositeurs, parmi lesquels Samuel Barber, Luciano Berio et John Cage. De grands orchestres américains ont aussi été commanditaires d'œuvres majeures du XXe siècle : l’Orchestre Symphonique de Boston (Symphonie de Psaumes de Stravinsky, Turangalîla-Symphonied’Olivier Messiaen, The Shadows of Time d’Henri Dutilleux). Le 4ème axe est Le cinéma : certains artistes ont travaillé pour Hollywood, comme Kurt Weill et Hanns Eisler, qui ont notamment collaboré avec Fritz Lang, ou Jean Renoir et Erich-Wolfgang Korngold composant pour les studios Warner Bros. Dans la lignée de ces premières associations entre compositeurs et réalisateurs, Hans Zimmer (« Rain Man », « Gladiator »), John Williams (« Star Wars », « Les dents de la mer »), John Barry (« Danse avec les loups », « Out of Africa »), ou encore Bernard Herrmann (« Citizen Kane » d’Orson Welles, « Psychose » d’Alfred Hitchcock) ont perpétué la tradition des grandes partitions symphoniques écrites pour le septième art. Pour amplifier ces quatre axes, une grande place sera également accordée à la musique populaire américaine avec la présence du jazz, du blues, du negro-spiritual et des comédies musicales de Broadway.

 

Tout cela se dégustera au fil d'innombrables concerts, formatés selon le schéma, éprouvé à la Folle journée, d'une durée de 45 ', réunissant ensembles et solistes prestigieux, dont un imposant bataillon de pianistes. L'embarras des choix n'a d'égal, ici, que la qualité de la proposition. On pourra entendre encore pas moins de 14 conférenciers traiter de quelques 34 thèmes. Le volet actions de sensibilisation sera comme toujours aussi développé, grâce aux divers partenariats noués avec l'Administration Pénitentiaire, l'Éducation Nationale, le conservatoire de Nantes, et cette fois également, un cinéma d'art et d'essai.

 

La Folle Journée de Nantes, du 29 janvier au 2 février 2014.

Programme détaillé et Location : guichets de la Cité, le centre des congrès de Nantes à partir du 11 janvier, 8H. Le 12 janvier, à 13H. Et à compter du 13 janvier, tous les jours, de 13 à 19H, sauf samedi et dimanche, puis les 27 et 28 janvier, de 12 à 17 H, les 29 et 30 janvier, à partir de 13 H, et les 31 janvier, 1er et 2 février, à partir de 8 H ; sur Internet : www.follejournee.fr, à partir du 12 janvier, 10 H ; par tél.: 0 892 23 09 07,  du 13 au 26 janvier.

Pour les scolaires accompagnés, réservations uniquement par téléphone, à partir du 14 janvier, au 02 51 88 21 38, de 10 à 17 H, du lundi au vendredi.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Festival de Salzbourg 2014

 

« L'art, en particulier le théâtre, est parvenu non seulement à survivre aux tempêtes de cette guerre, mais à s'affirmer comme une nécessité pour ainsi dire vitale » (Max Reinhardt, 1917).

 


© Jens Rassmus

 

Lors de l'habituelle conférence de presse de fin novembre à l'Ambassade d'Autriche, était présenté le programme du prochain Festival de Salzbourg, à Pentecôte et en Été. Cecilia Bartoli, qui en est la directrice artistique, a dévoilé le thème « Rossinissimo ! » qui forme l'ossature du festival de printemps (5 au 9 juin 2014). Deux opéras seront à l'affiche, La Cenerentolaet Otello, ce dernier pour une première à Salzbourg. Autrement dit le buffa et le seria, ou les deux facettes du génial italien. Bartoli se produira dans l'un et l'autre, aussi bien Angelina que Desdemona, sous la baguette de Jean-Christophe Spinozzi conduisant son Ensemble Matheus. Les mises en scène sont signées de Damiano Michieletto, et Patrice Caurier & Moshe Leiser. On donnera aussi le Stabat Mater et la Petite Messe solennelle (Antonio Pappano), des pièces de chambre, tirées des « Péchés de vieillesse », par le pianiste David Fray, et des mélodies, chantées par Joyce di Donato, ou encore des extraits de l'opéra Aureliano in Palmira, par le contre-ténor Franco Fagioli, en hommage au castrat Gianbattista Velluti. Un concert de gala et de bienfaisance réunira le Gotha passé, présent et futur des voix rossiniennes, de Berganza et Carreras à Camerana et Schrott, en passant par Corbelli et Pertusi.

 


© SF / Kolarik

 

Si la voilure est quelque peu réduite par rapport aux deux précédents millésimes mis au point par Alexander Pereira, le programme de festival d'été (18/7-31/8) reste fastueux, comme il se doit céans. Deux fils conducteurs se le partagent : la commémoration de la Grande guerre et le 150 ème anniversaire de la naissance de Richard Strauss, un des pères fondateurs du festival. Si l'on en juge par le monologue quelque peu amer de La Maréchale, Der Rosenkavaliersigne peut-être le fin d'une époque. La nouvelle production de cette œuvre, emblématique à Salzbourg, fêtera en tout cas son auteur. Elle sera dirigée par Zubin Metha, mise en scène par Harry Kupfer, et affichera l'Octavian de la cantatrice française Sophie Koch. Un bouquet de grands poèmes symphoniques émaillera les concerts, de même que de Lieder. Marc-André Dalbavie (*1961) dirigera la création, dans une régie de Luc Bondy, de son nouvel opéra, Charlotte Salomon. Cette peintre et poétesse, née à Berlin, qui émigra en France, fut déportée à Auschwitz où elle trouvera la mort, comme son mari. La trilogie Da Ponte, amorcée en 2013 avec Cosi fan tutte, se poursuivra par un nouveau Don Giovanni, confié au même team, Christoph Eschenbach à la direction et Sven-Eric Bechtolf à la régie. Outre la reprise de La Cenerentoladu festival de Pentecôte, la fête des grandes voix et stars, comme aime la concocter l'intendant Pereira, distinguera un nouveau Il Trovatore, avec pas moins que Anna Netrebko, Placido Domingo (en Comte de Luna), Francesco Meli et Marie-Nicole Lemieux, dirigés par Daniele Gatti. La mise en scène sera due à Alvis Hermanis, un incontournable désormais des étés salzbourgeois depuis ses mémorables Die Soldaten, en 2012. Sera-ce le fameux carré d'As vocal voulu par Verdi ? En tout cas, un « Hottest ticket » au Box Office. Mais l'originalité vient de la production de Fierrabras, un des rares opéras de Schubert, naguère ressuscité par Claudio Abbado, et donné depuis à l'Opernhaus de Zürich. Il sera dévolu à la baguette de Ingo Metzmacher et à la régie, nul doute perspicace, de Peter Stein. La Favorite de Donizetti, en langue française et en version de concert, réunira Juan Diego Flórez et Elina Garanča, comme le vétéran Nello Santi à la direction. Enfin Daniel Barenboim et son West-Eastern Divan Orchestra défendront un projet autour d'extraits de Tristan et Isolde de Wagner, avec Waltraud Meier et René Pape.

 


© Luigi Caputo

 

Sur la scène de concerts, on note une intégrale des neuf symphonies d'Anton Bruckner par les grands chefs et formations du moment : les Wiener Philharmoniker, avec Barenboim, Muti, Chailly, Gatti et Philippe Jordan, le Philharmonia et von Dohnanyi, le Gustav Mahler Jugendorchester et Eschenbach. Les Berliner Philharmoniker et Sir Simon Rattle se produiront, pour une seule soirée, dans un programme Rachmaninov-Stravinsky, tout comme le Concertgebouworkest et son chef Mariss Jansons, qui joueront notamment Une vie de héros de Strauss. Côté musique de chambre, plusieurs soirées thématiques sont proposées, sur le mode « un interprète convie ses amis », tels Steven Isserlis, Lisa Batiashvili, Anne Sophie Mutter, le Quatuor Hagen. Les récitals de piano auront pour solistes Pollini, Kissin, Aimard, Sokolov, et Buchbinder qui donnera l'intégrale des sonates de Beethoven en 7 séances. Les Liederabend verront se produire la crème du chant : Hampson, Harteros, Gerhaher, Beczala, Damrau (avec le harpiste Xavier de Maistre), Garanča, Prohaska ; outre une Schubertiade d'envergure menée par Cecilia Bartoli, sous la direction de Diego Fasolis. L'« Ouverture spirituelle », en juillet, verra le retour de John Eliott Gardiner et de Bernard Haitink, et sans doute l'ultime concert, ici, de Nikolaus Harnoncourt avec son Concentus Musicus Wein (les trois dernières symphonies de Mozart). Sans compter les Mozart Matinées, les concerts de musique contemporaine, il faut, bien sûr, évoquer aussi le volet théâtre, qui occupe une place de choix au festival. On pourra écouter, outre l'indispensable Jedermann de Hugo von Hofmannsthal, entre autres, Les derniers jours de l'humanité, de Karl Kraus, Don Juan revient de la guerre de Ödön von Horváth. Comme toujours, ce sera l'embarras de richesse, avec quelques 270 manifestations en 16 lieux différents ! 

 

Renseignements et Location : Salzburger Festspiele, Kartenbüro, Herbert-von-Karajan Platz 11, Postfach 140, 5010 Salzburg, Autriche ; Fax : 00 43 662 8045 555 ; par tel.: 00 43 662 8045 500 ; en ligne : info@salzburgfestival.at  ou  www.salzburgfestival.at 

 

Jean-Pierre Robert.

 

   

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L’ARTICLE DU MOIS

 

Haut

 

La Femme sans ombre, dernier opéra romantique

 

 

Indifférent aux modes, mais connaissant toute la musique de son temps, Richard Strauss apparaît comme l’ultime héritier du grand génie lyrique allemand, au même titre que Puccini l’avait été de son pendant italien. Ayant fait sensation en 1905 avec Salomé, d’après la pièce d’Oscar Wilde, puis avec Elektra en 1908, le grand compositeur s’est tôt attaché à transposer sur scène les désordres et les délires millénaires de l’homme et de la femme, sans craindre de se tourner vers une esthétique apparemment anachronique avec Le Chevalier à la rose de 1910, prélude à de nombreuses partitions lyriques (La Femme sans ombre, Intermezzo, Hélène d'Égypte, Arabella, la Femme silencieuse, Jour de paix, Daphné, L'Amour de Danaé, Capriccio) où la mélodie affirme ses droits sans que l’harmonie en soit affadie, la splendeur instrumentale restant à une hauteur inégalée - il n’est pas indifférent que Strauss ait salué plus que tout autre compositeur allemand le Traité d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz - et la prosodie d’un étincelant naturel.

 

 

Une position ambiguë

 

Formellement et stylistiquement, La Femme sans ombre, op. 65, se signale par une fausse ambiguïté. À mi-chemin entre les fureurs de Salomé ou d’Elektra et des enchantements policés du Chevalier à la rose ou d’Ariane à Naxos, cet opéra de la maturité allie curieusement force et délicatesse, emportement et réserve, fracas et chuchotements. Les problèmes purement matériels posés par sa représentation sont considérables, mais le plus difficile est encore de trouver une troupe vocale à sa hauteur. Car le compositeur n’a pas épargné ses interprètes, exigeant d’eux une telle somme de qualités et une telle quantité d’efforts qu’il est rare de parvenir à réunir une distribution satisfaisante. Au temps de Strauss, l’Opéra de Vienne (dont il assura la direction artistique de 1918 à 1924) ne manquait pas de chanteurs d’exception, la première (10 octobre 1919) offrant un ensemble de rêve : Maria Jeritza (l’Impératrice), Lotte Lehmann (la Femme), Karl Aagard Oestvig (l’Empereur), Lucie Weidt (la Nourrice) et Richard Mayr (Barak), tous interprètes aussi valeureux que prestigieux, placés sous la direction d’un grand chef, Franz Schalk. Il s’en faut de beaucoup que les difficultés soient réservées aux seuls protagonistes. Tous les chefs de chœur savent la difficulté de mettre au point les ensembles de La Femme sans ombre, surtout lorsque le compositeur cherche un effet de confusion sonore délibéré, à l’image de ce qu’il avait déjà demandé dans Salomé ou dans Le Chevalier à la rose. Il suffit d’une seule audition de la dernière scène de l’acte II pour mesurer l’ampleur de la tâche, l’Impératrice, la Nourrice et Barak y donnant la réplique aux trois frères au prix d’une virtuosité d’écriture que le moindre dérèglement peut ruiner. Et pourtant le public ne mesure jamais à quel point la réussite musicale de l’opéra est directement liée à la réussite de son exécution. C’est là une marque distinctive de l’art de Richard Strauss, mais elle ne joue jamais avec autant de force que dans La Femme sans ombre. Peut-être, d’ailleurs, cette particularité explique-t-elle la lente affirmation d’un ouvrage dont le succès international exigea plus d’une décennie, ne se vérifiant qu’à partir du Festival de Salzbourg en 1932. Encore le compositeur ne connut-il jamais la triomphale reprise de l’œuvre, à l’occasion de la réouverture du Nationaltheater de Munich, le 21 novembre 1963. Quant au public parisien, il dut patienter jusqu’à l’automne 1972 pour en découvrir, sous la baguette magistrale de Karl Böhm, le féerique accomplissement à Garnier. Pénétrant pour la première fois de sa vie dans ce temple ancien du génie lyrique, l’auteur de ces lignes a quelques raisons de s’en rappeler les fastes ! C’est à l’opéra de Strasbourg qu’avait eu lieu, en 1965, la première française.

 


Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal / DR

 

Pour comprendre la singularité de La Femme sans ombre, il faut se souvenir qu’au moment même où le librettiste attitré de Strauss, Hugo von Hofmannsthal, en nourrissait l’idée, il livrait au compositeur la trame d’Ariane à Naxos. Dans cette partition qui ne se reconnaissait pour modèle antérieur que La Flûte enchantée, le style était avant tout fondé sur la fluidité, la simplicité et l’originalité mélodique. Tous caractères qui ne pouvaient convenir pour La Femme sans ombre, œuvre fondamentalement romantique et riche de symboles d’une profonde humanité. Une œuvre, par ailleurs, difficile à définir, les catégories lyriques étant à peu près impuissantes à offrir un cadre satisfaisant à cette immense parabole teintée des nuances de la féerie, à cet hymne à l’amour, à la fécondité, au mariage, au foyer familial. Très attaché à son nouveau projet, Hofmannsthal ne songeait pas à cacher la portée universelle qu’il espérait lui conférer, d’où une évidente mise en retrait des données temporelles et spatiales. C’était là terra incognita pour Strauss, si l’on excepte la curieuse partition d’Also sprach Zarathustra, poème symphonique exigeant du compositeur quelques échappées d’ordre métaphysique, fondamentalement étrangères à sa nature et à son caractère. Rien n’éclaire mieux ce qui sépare alors les deux hommes que la lettre envoyée par le librettiste au compositeur, le 15 mai 1911 : « Avec un sujet aussi beau que La Femme sans ombre, qui est le riche présent d’une heure sans ombre, avec un sujet si capable de soutenir une poésie et une musique sublimes, ce serait un sacrilège de vouloir se hâter pour l’achever, de vouloir se forcer. Chaque détail doit trouver la place qui lui demeurera, se présenter à l’imagination dans toute sa justesse, sa précision, sa vérité ; c’est dans le silence, sous le seuil de la conscience, que doivent se former les rapports des personnages les uns envers les autres et que, sans contrainte aucune, ils s’élèveront pour donner une action colorée d’une symbolique naturelle ; la profondeur doit parvenir à la surface, rien ne doit rester vide, abstrait, chaque intention doit être menée à terme : alors, la musique aura un cours par avance si défini qu’il lui faudra simplement se déverser comme dans le lit d’une rivière et réfléchir et la terre et le ciel. Mais tout dépend ici de la richesse et de la densité de l’inspiration et là… le temps ne fait rien à l’affaire [en français dans le texte]. »

 

 

Entre féerie exotique et conte initiatique

 

La trame dramatique de La Femme sans ombre décourage souvent les commentateurs chargés de la résumer pour leurs lecteurs ou auditeurs. Par souci de clarté, il est probablement utile de rappeler que, des cinq protagonistes qui se disputent l’essentiel de l’action, seul le teinturier Barak est nommé. Les quatre autres, l’Impératrice, l’Empereur, la Femme et la Nourrice n’ont d’autre détermination nominale que celles de leur fonction. Autant dire que, dans toutes les acceptions du terme, Barak sera le seul personnage humain du drame, sa propre épouse (la Femme) disparaissant elle-même en tant qu’être sensible derrière les subtils rouages que lui imposent les didascalies de l’œuvre.

 

Un deuxième point capital pour la compréhension du livret n’est autre que l’étagement des trois espaces qui suppléent la carence spatiale d’un univers « trop humain ». Il faut lire cet étagement comme un accord, de bas en haut. Tout en bas, donc, le monde des hommes : le modeste héros n’en est autre que le teinturier Barak, qui oppose aux cruautés et aux désordres le menaçant la force inaltérable de sa bonté. Au-dessus, l’Empereur et l’Impératrice, flanquée par la Nourrice. Fille du roi des esprits, Keikobad, la souveraine est interdite de maternité, malédiction dont rend symboliquement compte l’inexistence de l’ombre que devrait projeter sa silhouette. Tout en haut, enfin, le Monde des Esprits, dont le maître suprême n’est autre que Keikobad lequel, circonstance significative, n’apparaîtra jamais sur scène.

 

Une fois opérée la mise en place des personnages et des espaces qui leur sont impartis, le jeu constant des allers et retours entre ces inconciliables univers peut exercer ses effets. Ainsi de la Nourrice qui, viscéralement hostile à tout ce qui relève de l’humain, témoigne d’un réel attachement à l’endroit de l’Impératrice et d’un dévouement sans limites tout en se réjouissant de ce qui accable sa maîtresse, la stérilité lui interdisant d’être mère. Curieux personnage à l’inhumaine humanité ! Quant à l’Impératrice, sa quête désespérée d’une maternité impossible  l’amènera à découvrir la misère du monde d’en bas. Découverte qui éveillera en elle un sentiment aussi imprévu qu’insolite, la compassion. La révélation en a pour cadre la rencontre avec le couple formé par Barak et par sa femme. Obnubilée par  la possibilité d’acquérir une ombre lui offrant enfin la capacité de procréer, elle obtient certes la signature du pacte lui livrant l’ombre de la femme de Barak. Mais, circonstance imprévue, c’est au contact de ces créatures inférieures qu’elle mesure, bouleversée, l’importance capitale de la chaleur familiale. Comment, dans ces conditions, priver les deux malheureux des joies d’une descendance dont elle comprend enfin la nécessité vitale ? Coupable de tromperie, elle en est d’autant plus accablée que la bonté de l’innocent Barak, étranger au marché que sa femme a passé secrètement, apparaît comme le miroir inversé de sa propre perversité. D’où cet élan magnifique, et précisément tellement humain, qui la conduit à refuser de s’emparer de l’ombre.

 


Richard Strauss à sa table de travail / DR

 

Ce qui, alors, aurait versé dans la fable complaisante se transforme soudain en tragédie domestique. Agité d’une colère homicide, bouleversé par l’aveu de sa femme, Barak tente de la tuer à l’instant où la terre s’entrouvre, engloutissant le couple déchiré. Cependant, le drame rebondit au troisième acte, lorsqu’une voix céleste exige de l’Impératrice qu’elle boive le breuvage d’or, « eau de la vie ». Toujours mue par ces sentiments d’humanité auxquels le destin l’a confrontée, elle refuse à nouveau de s’emparer de l’ombre de l’épouse de Barak (« Je ne veux pas ») et supplie son père Keikobad, roi des Esprits, de lui offrir la paix du tombeau. Mais c’est sur son époux, l’Empereur, que tombe la punition suprême ; pétrifié, transformé en statue inanimée, il aiguise les remords de la malheureuse (« Ah ! Malheur à moi ! Mon bien-aimé, pétrifié ! Enterré vivant dans son propre corps ! La malédiction est accomplie ! De la faute innocente de mon être il subit la punition, pour avoir trop aimé mon secret et pour m’avoir choisie, sans pitié, il a sacrifié à mon secret son cœur aimant ! Il n’a pu être défait, le nœud de mon âme, par une main humaine. Désormais elle est raidie, la main qui ne pouvait le dénouer, son cœur, par ma propre dureté ! Ma destinée, sa faute ! Ma faute, sa destinée ! »). C’est après cette explosion de douleur qu’intervient enfin l’heureux dénouement que laissait prévoir de si belles dispositions : touché à son tour, Keikobad offre lui-même une ombre à sa fille tout en redonnant vie à l’Empereur, lequel ne laisse à personne d’autre le soin de chanter la gloire de sa bien-aimée (« Tu as réussi à surmonter l’épreuve. Alors, les messagers célestes te donnent le père et les enfants ! Ceux qui ne sont pas nés, libres ! Ils nous ont trouvés, ils se hâtent à notre rencontre ! »). Heureux moment, encore rehaussé par la beauté céleste des voix d’enfants venues du monde des Esprits. Nulle autre morale donc, à cette féerie, que celle des contes exotiques si fort à la mode au tournant des XIXe et XXe siècles : accepter les limites de sa condition terrestre, telle est la vraie grandeur de l’homme précaire, qui ne peut connaître d’autre rédemption que celle de l’amour.

 

 

Dans la lointaine lignée de Wagner

 

Il peut sembler difficile d’inscrire La Femme sans ombre dans l’héritage direct des grands drames wagnériens. Les passions y sont bien plus humaines, la psychologie bien plus fouillée, la prééminence symphonique bien moins affirmée. Pourtant, deux traits au moins rappellent la dévotion de Richard Strauss à l’endroit de son illustre aîné : l’usage du leitmotiv et la symbolique des intervalles. C’est par dizaines que se comptent les leitmotive dans La Femme sans ombre. S’ils ajoutent beaucoup à la clarté dramatique de cette féerie initiatique, ils ont également pour tâche de souligner les rapports multiples et complexes existant entre les divers personnages et situations du drame. Qu’ils s’appliquent à un personnage (Barak), à un état (l’infertilité) ou à un sentiment (la culpabilité), qu’ils se réduisent à une brève cellule (Keikobad) ou qu’ils se signalent par leur épanchement lyrique (l’Impératrice, le Bonheur Familial, le Couple), les leitmotive participent de façon considérable à l’unité organique d’une partition qui peut parfois dérouter par sa richesse. C’est dans un esprit assez proche et mû par de semblables considérations que le compositeur spécule aussi sur la couleur particulière des intervalles : sans surprise, le triton sonnera pour le malheur (en l’occurrence, la pétrification de l’Empereur), l’octave pour le surnaturel (le monde des Esprits). Une heureuse mixtion harmonique a été relevée par Christian Goubault dans son excellent « Richard Strauss » (Paris, Bleu Nuit, 2008, p. 118) : la quarte ayant été choisie pour l’absence d’ombre et l’usage des tierces majeures pour le défaut d’incarnation chez les humains, Goubault relève que, donné par les tubas de l’orchestre au tout début, le nom de Keikobad (la bémol, fa bémol, mi bémol) sollicite tout à la fois la quarte juste descendante (la bémol, mi bémol) en rythme pointé pour marquer sa qualité de roi des Esprits et la tierce majeure (la bémol, fa bémol) pour évoquer son règne sans partage sur les humains.

 


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Symbolique et symbolisme

 

La Femme sans ombre reste avant tout l’occurrence théâtrale d’une rencontre impossible, celle du monde spirituel et de l’univers matériel. D’un côté, le royaume des Esprits, privés d’ombres, transparents. De l’autre, celui des humains, violent, contingent, dynamique. En quelque sorte, l’histoire du mythe qui fonde l’histoire de toutes les religions, de toutes les civilisations, celui du passage de l’idéel au matériel, du Verbe à l’Être. Dans La Femme sans ombre, aucun personnage n’est plus conscient de la douloureuse nécessité de ce passage obligé que la Nourrice, la protagoniste qui en refuse le plus obstinément la fatalité. Abhorrant le monde des humains (« La poussière soulevée par les humains est pour nous air mortel. […] À nos narines leur pureté est métal rouillé, sans figé, cadavres pourris depuis longtemps ! »), elle sera pourtant la seule à en subir, contre son gré, la malédiction. Condamnée à l’errance sans fin sur la terre de ces hommes qu’elle abomine, elle symbolise la victoire négative de la matière sur la transparence. En regard, l’Impératrice est en quête de l’ombre qui, symbole de l’incarnation, se présente comme la visualisation d’une fécondité idéale. Principe universel de la reproduction des espèces vivantes, puissant symbole de création, l’ombre ne peut être acquise sans amour.

 

Le plus remarquable peut-être, dans La Femme sans ombre, reste la mise à l’épreuve des principaux acteurs du drame. D’un côté, le couple des hommes, Barak et sa femme, de l’autre, le couple impérial. Mais, si loin qu’ils apparaissent dans leurs espaces respectifs, les quatre héros sont profondément liés dans cette quête d’un nouveau Graal. Car ici, l’accession à l’enfantement prend valeur de signal démiurge. Pour le simple teinturier comme pour le souverain, pour la femme du peuple comme pour l’Impératrice, aucune échappatoire : il revient à chacun de prendre conscience d’une nécessité supérieure, la fusion du spirituel et du charnel. Là réside d’ailleurs l’une des principales ambiguïtés de l’action : où se situera l’Empereur, entre le royaume des hommes qu’il domine et cette transparence à laquelle aspire tout son être ? De la même façon, sous quel signe l’Impératrice place-t-elle la quête d’une ombre dont il lui faut faire l’acquisition sans contrainte et sans artifices, c’est-à-dire avec humanité (« Je ne veux pas de l’ombre, il y a du sang dessus ») ? Il faudra qu’elle ait rencontré l’humanité souffrante, qu’elle ait mesuré sa propre souffrance à l’aune de la détresse des autres, pour enfin accepter la rédemption de l’amour charnel, au détriment de l’univers fantasmatique dans les arcanes duquel elle avait jusque-là, et non sans une certaine complaisance, déambulé.

 

Dans cet univers symboliste, miroir de son siècle tourmenté, les symboles passent comme autant de signaux, parfois indéchiffrables. À la frontière incertaine du réel et de l’irréel, le teinturier Barak, expression animée de la matière terrienne, gagne sa liberté de conscience en rêvant un destin qui n’est plus dicté par la seule fatalité. Le jeu constant des interactions entre les deux mondes de la matière et de l’idée lui ouvre d’insoupçonnés horizons et lui confère peu à peu cette grandeur presque solennelle qui marque ses toutes dernières interventions. À l’autre extrémité du spectre, Keikobad est resté invisible, mais, actif à l’image du Verbe qui se passe de la perception sensorielle, il a mené tout le drame. C’est d’en haut que viennent les sons destinés à animer le monde des humains, mais une fois cette animation provoquée, c’est aux rêves des hommes qu’il reviendra de « rimer au milieu des ombres fantastiques » pour redonner vie au monde des esprits. Vêtir l’idée d’une forme sensible, c’est tout ce à quoi s’est attaché le grand compositeur, mettant au service de l’entreprise son incomparable science orchestrale, son génie mélodique et son invention harmonique. Une entreprise suffisamment hardie pour l’autoriser à rôder aux limites de la tonalité, à user des formes les plus inattendues (du menuet à la chacone), à proposer des combinaisons de timbres à proprement parler inouïes, en un mot à inventer le style de son ouvrage au fur et à mesure de son écriture. Avec pour résultat final l’une des plus belles partitions de toute l’histoire du théâtre lyrique.

 

Gérard Denizeau.

 

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FOCUS SUR LA MUSIQUE NOUVELLE

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Le compositeur Fabian Müller

 

Le compositeur et violoncelliste suisse alémanique Fabian Müller, né à Zurich en 1964, est une personnalité très attachante que j’ai eu le plaisir de rencontrer très récemment à Berne. Sa pensée et sa création en font l’une des figures emblématiques de sa génération dans son pays. J’avais été très intéressé par ses travaux en ethnomusicologie. Mes recherches le concernant ont abouti à son œuvre de musique dite « savante » profondément marquée par l’environnement qui a été le sien depuis son enfance. Le paysage mystérieux, imposant, parfois menaçant, des Alpes bernoises féconde son imagination de compositeur libéré de tout dogme esthétique en la matière.

 

Fabian Müller a d’abord pratiqué le violoncelle au Conservatoire de Zurich auprès de l’éminent professeur Claude Starck. Il s’est ensuite consacré à l’apprentissage théorique, dans la même institution, chez le Saint-Gallois Josef Haselbach (1936-2002), un ancien élève de Klaus Huber (*1924) très intéressé par la relation entre le langage musical, la philosophie et la psychologie. Après cette période initiale, Fabian Müller a poursuivi son parcours aux États-Unis avec les compositeurs George Tsontakis (*1951), Jacob Druckman (1928-1996) et Bernard Rands (*1934).

 

Entre 1991 et 2002, il s’est consacré à la publication, chez Mülirad à Zurich, de la collection de la folkloriste et ethnomusicologue bâloise Hanny Christen (1899-1976), Schweizer Volksmusik Sammlung. Il s’agit d’un corpus de « musique populaire » contenant plus de dix mille mélodies du XIXe siècle, témoignage émouvant d’une pratique qui met en perspective la spécificité de chaque canton de la Confédération helvétique. Par ses recherches, Hanny Christen s’est inscrite dans un mouvement auquel un Leoš Janáček (1854-1928), un Jean Sibelius (1865-1957) ou encore un Ralph Vaughan Williams (1872-1958) ont contribué dans leurs pays respectifs. Le travail éditorial de Fabian Müller se situe aussi dans ce courant. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il a fondé puis dirigé (1990/2006) les Éditions Mülirad de même qu’il a participé à la création de la Maison de la musique populaire à Altdorf dans le Canton historique d’Uri.

 


Fabian Müller/ © Marco Borggreve

 

Zurich n’est pas seulement la capitale économique de la Suisse. Elle a derrière elle un passé musical remarquable. Le Réformateur Huldrych Zwingli (1484-1531), peu favorable à la musique destinée au culte, était néanmoins un musicien fin et cultivé qui préconisait la pratique de cet art dans la sphère séculière. Une riche tradition de compositeurs tels que Johannes Schmidlin (1722-1772), Johann Heinrich Egli (1742-1810), Hans Georg Nägeli (1773-1836), Friedrich Hegar (1841-1927), Volkmar Andreae (1879-1962), Othmar Schoeck (1886-1957) et Willy Burkhard (1900-1955) a évolué au cours des siècles dans cette étonnante cité.

 

Au cours de notre entretien, Fabian Müller a évoqué son attachement à ses éminents prédécesseurs, le grand symphoniste soleurois Hans Huber (1852-1921), le romantique Paul Juon (1872-1940) et le pianiste et compositeur d’origine grisonne Raffaele d’Alessandro (1911-1959). Ce faisant, il revendique sa complète appartenance à un langage suisse qui, malgré les influences naturelles germaniques et latines, s’est lentement forgé tout au long des siècles depuis la fondation historique du pays, en 1291, avec le fameux pacte du Grütli. Fabian Müller remonte aux sources des formes les plus primitives de l’Alpenmusik, le Betruf (appel en forme de prière), l’Alpsegen (la bénédiction de l’Alpe). Ce répertoire conséquent, issu de l’oralité, nous fait remonter à la nuit des temps. Il fait désormais partie du folklore, au sens le plus noble du terme, tout en conservant sa dimension originelle. C’est dans cet esprit, à partir de ce patrimoine, que Fabian Müller m’a confié ces paroles : « Je crois que ces éléments – les montagnes, le paysage – sont très intéressants. Un compositeur de notre temps peut les utiliser. C’est ce que j’ai fait à de nombreuses reprises. C’est une grande source d’inspiration. En ce qui me concerne, depuis que j’ai commencé à composer, j’ai pris l’habitude d’aller dans la montagne quand je commence une nouvelle œuvre, très souvent à Grindelwald, dans une petite maison et je compose là-bas. Pour moi, ces paysages de montagne sont très importants. Ils nourrissent mon inspiration. » Il poursuivait en insistant particulièrement sur l’importance de l’intuition : «  Ma façon de composer est très intuitive. Mon opinion est que, peut-être, est-ce encore la façon romantique de composer. Je crois que l’intuition peut apporter quelque chose que l’intellect ne peut atteindre. Pour moi, l’intellect est tout juste compétent pour organiser des motifs que l’on reçoit. Je suis convaincu qu’une musique qui n’a pas cette dimension relative au mystère est, en réalité, inutile. Je pense aussi qu’en musique contemporaine, il est très important d’avoir cette dimension de, je dirais, la transcendance. Ceci remet en cause certaines règles ; ainsi, si vous analysez ultérieurement ce que vous avez écrit sans conscience, vous concevez spontanément puis vous suivez les motifs et vous essayez d’enrichir et compléter dans la direction où la musique vous conduit. Ce n’est qu’à la fin de ce processus que vous discernez une organisation mathématique à l’intérieur. En revanche, cela ne se produit pas dans l’autre sens. Autrement dit, ce n’est pas premièrement les mathématiques puis la musique. C’est immédiatement la musique et ensuite les mathématiques. C’est ainsi que je pense et que je compose. Cela procède de l’intuition. »

 

J’ai, en effet, été très touché par son approche mythologique et psychologique de la mélodie quand il atteste que « lorsque chaque mère, dans le monde entier, que ce soit en Afrique ou à Taïwan, par exemple, chante pour son bébé, c’est toujours la même sorte de mélodie. Cette dernière n’a aucun lien avec la musique d’avant-garde, mais avec des motifs simples, très simples. Elle procède, le plus souvent, par tierces, et possède une sorte particulière d’expression, caractéristique. Dans des milliers d’années, si les humains existent encore, ces mélodies seront toujours les mêmes. Je pense qu’il y a des valeurs éternelles, nous sommes humains, nous avons une certaine possibilité de voix, de chant, et nous avons une façon particulière de nous exprimer en musique. C’est pourquoi je pense que les jeunes compositeurs, aujourd’hui, mes cadets, dans la mesure où ils souhaitent valoriser cette dimension de la transcendance et de la beauté en musique, devront inéluctablement revenir vers la mélodie. Mais, évidemment, les compositeurs dits d’avant-garde se diront : “oh, ils veulent revenir à la mélodie, ils veulent raccommoder”. Mais ce n’est pas la raison, ce n’est pas le cas. Nous voulons néanmoins aller de l’avant. »

 

Ces propos aussi remarquables que non conformistes remettent en cause nombre de lieux communs. Ils m’ont conduit à lui demander s’il comptait, parmi les compositeurs de sa génération, d’autres âmes sœurs : « Oui, j’ai quelques amis qui pensent de façon très similaire. Par exemple, Martin Wettstein [né en 1970]. Son cheminement est très proche. Sa musique est très originale, mais toujours nourrie par cette dimension inexplicable, sans objectif purement intellectuel. Je pense que c’est un bon exemple. » Précisément, après avoir entendu sur Internet quelques extraits de l’œuvre de Wettstein, je confirme la belle qualité de sa musique.                                                                             

 


Fabian Müller & Pi-Chin Chien / DR

 

Dès la première écoute, j’avais été très impressionné par l’œuvre orchestrale de Fabian Müller intitulée Eiger, eine symphonische Skizze(« Eiger, une esquisse symphonique »). Elle a été composée en 2004. L’Eiger, « le grand épieu »,  imposante forteresse de calcaire, est un sommet situé dans le massif des Alpes bernoises. Müller connaît cette montagne dangereuse depuis sa prime enfance lorsqu’il séjournait dans le village de Grindelwald. Elle l’a toujours fasciné. Il entretient avec elle une relation imaginative mystique. Son langage orchestral est spécifiquement expansif. Bien que la musique revête une dimension organique, il ne s’agit pas d’une description pittoresque de ce paysage magistral mais d’une émotion mélodique dont la source se trouve dans le pur mode de Fa, ancestral. Les tensions doivent se résoudre dans la tonalité d’Ut Majeur recouverte, en quelque sorte, par de multiples énigmes sonores d’une grande puissance mélodique. Cette partition entraîne l’auditeur dans une quête, un voyage symbolique parfois menaçant mais dont les éclaircies sont singulièrement touchantes. L’ascension se révèle le reflet d’une authentique introspection, vitale, émotive. Müller s’occupe essentiellement de l’intériorité humaine. « À l’époque où j’ai composé cette partition, je lisais ce livre célèbre de Heinrich Harrer [1912-2006 – alpiniste et géographe autrichien] au sujet de ces tragédies à propos des alpinistes qui escaladaient puis chutaient. Il y a une histoire, en particulier, réellement dramatique lors de la première tentative pour l’ascension. Ces hommes ne purent pas atteindre le sommet. Ce fut terrible pour cette équipe austro-allemande. En réalité, un tel événement a constitué la référence inspirante pour cette œuvre. Le paysage alpin est certes d’une très grande beauté, mais c’est aussi quelque chose que l’on peut craindre par son énormité et sa puissance. » Un très bel enregistrement de Eiger est disponible chez Ars Produktion. Le Royal Philharmonic Orchestra, de Londres, est dirigé par le chef suisse Claude Villaret. Deux autres œuvres, conséquentes, de Fabian Müller figurent sur ce CD : son Konzert für Orchester (2007/2008) et ses Dialogues cellestes, un double concerto pour deux violoncelles et orchestre (2009).

 

Fabian Müller consacre l’essentiel de son temps à la composition. Il voyage aussi en compagnie de son épouse la violoncelliste taïwanaise Pi-Chin Chien. Il a de même noué de riches relations avec d’autres compositeurs étrangers parmi lesquels le Britannique Oliver Knussen (*1952). Son vif intérêt pour la Suède et ses paysages l’ont singulièrement inspiré. En définitive, le Finlandais Einojuhani Rautavaara (*1928) est, de toute évidence, le compositeur dont il se sent le plus proche. Il apprécie sa « liberté de penser, sa capacité à réaliser uniquement ce qui est en lui, de ne pas faire quelque chose dont d’autres pensent que c’est cela qu’il faut faire de nos jours, en matière d’art dit contemporain. J’apprécie qu’il recherche l’authenticité en toute simplicité. C’est la chose la plus importante. Et je crois que, de cette manière, il a une grande influence sur moi. Rautavaara est véritablement le successeur de [Jean] Sibelius [1865-1957] ». Ce faisant, Fabian Müller insiste sur l’importance de créer son « propre monde » pour ne pas sacrifier aux idéologies esthétiques en cours. Autrement dit, être capable d’une identification immédiate par l’auditeur.

 

Dans l’un de ses essais, Die Suche nachSchönheit (« La recherche de la beauté »), Fabian Müller s’est exprimé sur le concept de «  beauté » relatif à un cheminement mystérieux. Je rapprocherais sans hésiter sa conception de la beauté du sublime tel que le Dr William Crotch (1775-1847), compositeur et peintre anglais, l’a expliqué dans ses conférences à Oxford au tout début du XIXe siècle. Müller associe la beauté à la notion de transcendance. Il témoigne ainsi de sa profonde confiance en de multiples possibilités du langage tonal conçu naturellement et non point académiquement. Fabian Müller est également sensible à la relation qui se tisse entre la musique et la peinture. À ce sujet, le chef d’orchestre zurichois Armin Brunner a lui-même mis en perspective Taranis pour orchestre (2006) avec la personnalité du grand peintre bernois Ferdinand Hodler (1853-1918).

 

Le catalogue de Fabian Müller est conséquent. On y découvre des œuvres pour orchestre symphonique et de chambre, des concertos, des chœurs, deux opéras et de nombreuses transcriptions du Norvégien Johan Severin Svendsen (1840-1911), de Mendelssohn (1809-1847), de Grieg (1843-1907) ou de son compatriote déjà cité Schoeck, notamment. Les interprètes les plus remarquables s’intéressent à sa musique tels que les chefs d’orchestre David Zinman, Christopher Hogwood à la tête de nombreux ensembles aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.

 

Très récemment, son œuvre orchestrale Labyrinth (2005) a été exécutée au Théâtre des Arts de Rouen et à l’église de Gisay La Coudre par l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie conduit par le chef d’orchestre bernois Kaspar Zehnder. La dense deuxième sonate pour violoncelle et piano (2011), imprégnée par la musique des Alpes, est une commande du violoncelliste brésilien Antonio Meneses. Le troisième mouvement évoque, selon le compositeur lui-même, l’état d’esprit du répertoire populaire autrichien tel qu’un Alban Berg (1885-1935) l’a cité dans son Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange » (1935). Fabian Müller travaille actuellement à la mise en musique d’un conte de l’écrivain allemand établi à Zurich, Tim Krohn, intitulé Der Geist am Berg (« L’Esprit auprès de la montagne »), un thème éminemment mythologique, cher à notre compositeur.

 


Fabian Müller & Andris Nelsons lors de la création de «  Eiger »  / DR

 

En tant qu’excellent violoncelliste, Fabian Müller a enregistré un répertoire qui sort des sentiers battus. Je viens d’avoir l’occasion d’entendre un disque(1) consacré à la musique populaire suisse, joué en duo violon/violoncelle avec Andreas Gabriel auquel s’adjoint, parfois, le contrebassiste Andy Schaub (les Helvetic Fiddlers (« Les violonistes helvétiques »). Il est justement très intéressant et assez rare d’entendre à l’instrument un compositeur de musique dite « savante » également folkloriste. Ces interprètes sont conscients de leur responsabilité quant à un retour équilibré aux sources qui retrouve un ton spécifique, fort éloigné d’un académisme pseudo-classique. D’ailleurs, les émouvantes quatre dernières plages sont des enregistrements d’archive réalisés en 1958 et 1960 dans la vallée de Conches (Valais) et dans le Canton des Grisons. Dans l’excellent livret de présentation, les musiciens précisent : « notre duo essaie de retrouver la pratique originelle des enregistrements in situ, tandis que nos arrangements veulent donner une forme moderne à cette musique populaire. En élaborant notre répertoire, travail qui nous a pris à peu près un an, nous avons veillé particulièrement à trouver un accent suisse, autrement dit, à ne pas copier servilement d’autres traditions violonistiques, mais à créer un ton proprement helvétique et alpestre en nous basant sur les enregistrements de Hanny Christen ». Incontestablement, ces musiciens sont touchés par l’intonation de la gamme naturelle, une « merveille de la nature ». C’est précisément dans cet esprit que devrait s’entendre l’art de Fabian Müller, chercheur, compositeur et instrumentiste.

 

La consultation de son site Internet (www.swisscomposer.ch) est passionnante. Elle permet, notamment, de découvrir par l’écoute quelques extraits caractéristiques de sa musique et de lire quelques-uns de ses textes particulièrement pertinents et inspirés.

 

L'année 2013 a été véritablement féconde pour le musicologue que je suis, particulièrement honoré de connaître deux grandes figures européennes de la musique de notre temps, David Owen Norris et Fabian Müller.

 

 

James Lyon.

 

 

(1) Collection « Musiques suisses » (Migros – MGB-NV 9).

 

 

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

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L’orgue en France au XVIe siècle

Arsène Bedois, organiste émérite de Saint-Thomas d’Aquin (Paris), a convié ses fidèles auditeurs à un Récital historique exceptionnel, le dimanche 24 novembre 2013.

Sur le plan historique : son programme a résumé un siècle de transcriptions anonymes de (13) Motets vocaux, publiés à Paris en 1531 par Pierre Attaingnant ou encore des pièces éditées à Paris en 1610 par Ballard. Sur le plan artistique : l’excellent organiste a, une fois de plus, fait preuve de sa parfaite maîtrise du jeu legato et de la technique du cantus firmus, ainsi que de son sens de l’ornementation discrète à la manière des luthistes, sans oublier la véritable prouesse consistant à changer minutieusement de registration et d’atmosphère après chaque pièce si brève. Sur le plan esthétique : ce Récital a illustré l’exploitation du contrepoint (phrase contre phrase) devenant de plus en plus serré et complexe pendant plus d’un siècle, et l’évolution de l’écriture, notamment à propos de l’accord conclusif : octave, puis quinte à vide et, enfin, accord parfait à l’époque de son intégration définitive au langage musical. Parmi les musiciens les moins connus, les mélomanes ont pu découvrir Mathieu Gascongne, Pierre Moulu, Loyset Compère… ; parmi les plus célèbres : Eustache du Caurroy, Claudin de Sermisy et Claude Le Jeune qui, dans leurs Motets et Fantaisies, ont exploité des mélodies reposant sur des sources grégoriennes : Salve Regina (antienne) ; Ave maris stella…, Conditor alme siderum… (hymnes) ; O vos omnes qui transitis per viam (répons) ; Ein Lämmlein geht… (choral luthérien) ou encore des sources populaires : C’est une dure departie, Fortuna desperata, Hors envyeux… (chansons profanes). Le programme, admirablement conçu, comprenait également des formes liturgiques : Benedictus, Requiem-Introitus puis des formes plus développées : Fantaisies à l’imitation de mélodies connues ou une Fantaisie libre. À côté de ces miniatures si dépouillées et intériorisées, Arsène Bedois a magistralement interprété une sélection de Fantaisies (à l’imitation…) par exemple d’Eustache du Caurroy. Il a brillamment terminé  son Récital par la Fantaisie première (« libre » et non « à l’imitation »), extraite du Second Livre des Meslanges de Claude Le Jeune, cette œuvre, très bien enlevée, a posé un remarquable point d’orgue sur cette magnifique leçon d’interprétation et d’histoire de l’orgue.

Édith Weber.

 

 

Hommage à Alexandre CELLIER

 

Dans le cadre de ses « Dimanches musicaux », le Concert du 1er décembre 2013 -organisé par l’Association des Amis des Grandes Orgues de l’Étoile- a rendu un vibrant hommage à Alexandre Cellier (1883-1968), organiste, compositeur et hymnologue qui, comme l’a rappelé le Pasteur Louis Pernot, y a laissé un souvenir marquant. 

Ce fut un témoignage de reconnaissance, en présence de membres du Groupe Protestant des Artistes, dont Jacqueline Cellier fait partie, de paroissiens et d’amis fidèles qui ont intensément vécu ce concert spirituel. Ce fut aussi un témoignage de fidélité : quel privilège d’entendre tant d’œuvres interprétées à l’Orgue pour lequel elles ont été pensées par la remarquable organiste titulaire, Liesbeth Schlumberger qui a scrupuleusement tenu compte des possibilités de registration précisées par le compositeur, donc marquées d’un cachet d’authenticité. Elle a interprété son Prélude et Fugue (1957), un peu sombre, nostalgique, puis massif et percutant, s’élevant des profondeurs pour privilégier l’aigu, avec quelques vagues impressionnistes. Elle a illustré toute la diversité de l’inspiration du maître dans Pèlerinages (1924) : 10 pièces hautes en couleurs, assez descriptives dans la mouvance de l’école d’orgue française fin XIXe-début XXe siècles, avec des dissonances à bon escient. Après l’Étude à Charles Tournemire (1920), elle a posé un inoubliable point d’orgue sur le Choral-Paraphrase sur la mélodie du Psaume 138, page de virtuosité avec des accents modernes et rappel du cantus firmus (mélodie de Loys Bourgeois) : belle affirmation de la mémoire de la Réforme, également réalisée avec le Thème et Variations sur le Psaume 149 « Chantez à Dieu chanson nouvelle » (1964), jadis créé par Maurice André et Marie-Louise Girod à Villefavard, qu’Alexandre Cellier a traité pour trompette et orgue à partir de l’harmonisation de Claude Goudimel (1565), donnant lieu à des Variations et à un Final époustouflant alla bravura. Toutefois, pour ce concert, les auditeurs ont découvert une version pour flûte et orgue, conférant à l’œuvre moins d’éclat que la trompette, mais un caractère plus pastoral et plus discret ; Claudia Bonnet, accompagnée à l’orgue avec une grande précision, a triomphé de tous les traquenards techniques notamment dans le redoutable Final.

Alexandre Cellier, musicologue et hymnologue, a participé au Recueil Louange et Prière édité en 1939, et c’est le mérite de l’Ensemble vocal de l’Étoile d’avoir, sous la direction de Marie-Hélène Brunet-Lhoste, interprété avec musicalité et sensibilité ses Cantiques n°241 : Tu parais, ô Jésus !, de caractère méditatif ; n°340 : Ô Dieu ! toi dont l’amour, particulièrement expressif, et n°408 : Apporte sur le Calvaire, empreint de gravité. Beau témoignage de fidélité et d’émotion, tout à l’honneur de l’engagement de plus d’un demi-siècle d’Alexandre Cellier à l’Église Réformée de l’Étoile.

Édith Weber.

 

 

L'extrême brillance du Cleveland Orchestra

 


Franz Welser-Möst et l'Orchestre de Cleveland / DR

 

L'Orchestre de Cleveland figure au nombre des grands orchestres nord américains,  qui illustrent le top niveau outre Atlantique. La liste de ses chefs titulaires en dit long sur sa réputation, Artur Rodzinski, Georges Szell, Lorin Maazel, Christoph von Dohnányi, et depuis 2002, Franz Welser-Möst. Sans oublier Pierre Boulez, qui deux ans durant, en 1970/1972, fut conseiller musical, pour y revenir régulièrement ensuite, et avec lequel il enregistrera son 3ème Sacre du printemps, pour DG. Leur tournée européenne devait les conduire Salle Pleyel pour deux concerts, unissant Beethoven et Chostakovitch, en une thématique intitulée « Destin et Liberté », ainsi qu'indiqué dans la programmation des concerts in loco précédant le voyage. A l'affiche du second concert, la 4 ème symphonie de Beethoven offre une lecture mêlant transparence viennoise et brillance américaine, alerte, un brin abrupte à l'heure du Menuetto, mais parfaitement dosée et dotée d'un esprit enjoué, voire détendu. On apprécie la plastique de la formation et en particulier la clarinette solo, d'une douceur d'émission éblouissante. Entre les mains de Welser-Möst, la Huitième symphonie de Chostakovitch découvre une visage bien différent de celui buriné par un Valery Gergiev. Là où le chef russe, dans son récent CD (cf. NL de 12/2013) nous plonge dans un drame angoissant, son confrère autrichien et ses forces américaines immergent l'auditeur dans un magma incandescent, d'une furia sonore assez irrésistible. Les lames de fond qui enflamment la partie médiane du long mouvement initial, sont amenées dans un crescendo fracassant, dont les formidables batteries de percussions ajoutent à l'impact. A plus d'un endroit, on se sent comme grisé par des fortissimos assourdissants, quoique à la limite du potentiel acoustique de la Salle Pleyel, qui n'est pas Severance Hall à Cleveland. Le chef n'hésite pas à bâtir des climats titanesques, et la magnificence de son orchestre triomphe de cette démesure sonore. La mosaïque du premier mouvement, qui débute comme la 4 ème de Beethoven, par une séquence adagio, peut y trouver son compte. Le second scherzo libère un caustique mordant. Le largo atteint une force tranquille que le chef distille tel un morceau de musique de chambre. Mais est-ce là tout ? L'allegretto final semble manquer son ultime accomplissement, et partant, son message : cette troublante contradiction entre espoir et désespérance, qui vous serre la gorge, ambivalence entre sérénité d'une réalité avec laquelle il faut bien vivre et résignation devant l'horreur à tout jamais inscrite dans la mémoire. Ce que le chef Kurt Sanderling, dans son analyse de la symphonie, qualifie de « pénible descente dans l'éternité du néant ». Encore une fois, on ne boude pas son plaisir devant l'admirable rutilance d'un orchestre qui fonctionne telle une Rolls royce, la consistance des cordes, d'une rare splendeur, la quasi infaillibilité qui préside à l'exécution par bois et cuivres de leurs parties respectives, ce qui n'est nullement synonyme de froideur, tel l'émouvant solo de cor anglais et les fines arabesques de la clarinette ou de la flûte. Mais on mesure combien l'interprétation peut modifier la vision de l'œuvre. Elle se signale, ici, plus par sa performance que par sa charge émotionnelle.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Quatuor Diotima crée le 3 ème Quatuor de Gérard Pesson

 


Gérard Pesson /DR

 

Gérard Pesson (*1958), est déjà l'auteur d'un corpus impressionnant, dans le domaine vocal notamment, mais aussi dans le secteur chambriste. Tout juste créé à Munich, début novembre, son Troisième quatuor à cordes « Farrago », vient d'être donné en Première française, au Théâtre des Bouffes du Nord, par le Quatuor Diotima, spécialiste reconnu des chemins arides de la musique actuelle. S'il ne l'est pas en termes de longueur, dans ce nouvel opus, du moins Pesson est-il avare des effets de puissance. Ses sonorités sont on ne peut plus ténues, furtives a-t-on fait remarquer, frottements imperceptibles des cordes, pianissimos à la limite du silence, que seul un public averti peut apprécier, comme il en est de celui de cette salle. Un « silence adhésif » tisse sa musique, aime-t-il à dire. Le sous-titre de « Farrago » puise à des origines littéraires, de Juvénal et de Proust. Structurellement, il s'agit, selon l'auteur, d'« un ensemble de micro-ondes pris dans une incessante circulation, chaque sonorité glissant vers la suivante ». De fait, l'impression est d'une multitude de brèves séquences elliptiques - « trente trois éléments qui forment comme un set... dont la musique est entièrement déduite d'harmonies très serrées » - dans un continuum ininterrompu très assagi et un geste presque détaché, que traversent quelques traits plus fébriles. L'exécution des Diotima est captivante, tant le challenge est techniquement considérable. Reste qu'il faudra d'autres auditions pour se faire une idée plus précise de la pièce et faire sien un langage à la frontière de l'ésotérique. Le Quatuor op. 3 d'Alban Berg (1910), qui précédait, est tout le contraire de cette ténuité sonore : une puissance presque élémentaire, non dépourvue d'agressivité, une vision charpentée, que permet une architecture affirmée, à travers une coupe en deux parties, qui, l'une comme l'autre, signent une exacerbation de la forme, sonate dans le premier cas, rondo dans le second. L'exécution de Diotima est intense, suite de pleins et de déliés, de brusques impulsions et de plages de détente. En seconde partie, retour en terre promise avec le Quintette à deux violoncelles de Schubert, curieusement boudé par une partie des professionnels, venus sans doute que pour se rassasier du nec plus ultra de la modernité vue par Pesson... Et pourtant, elle ne sera pas si « romantique » qu'attendue, l'interprétation des Diotima et de la celliste Anne Gastinel ! Peut-être plus encore que dans leur récent CD (cf. infra), ressent-on, dans l'acoustique idéalement présente des Bouffes du Nord, une ampleur orchestrale et un spectre tragique assumés. Le Schubert tardif des Diotima se veut résolument clair et solidement architecturé, aux contours sûrement dessinés. Plénitude sonore et contrastes dynamiques marqués distinguent les mouvements extrêmes. La suprême respiration de l'adagio s'accommode d'une belle lumière, parant ce chant de l'âme d'une poésie rassérénée où affleure l'angoisse. Et le scherzo affirme un volontarisme conquérant, ardent dans l'accentuation, audacieux dans sa rapidité frôlant la rudesse, alors que le trio installe une méditation inquiète, menée par l'alto et le second violoncelle. On ne résiste guère à pareille ivresse sonore souverainement dosée, à une telle exécution techniquement hors pair et musicalement très aboutie.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le monde symphonique de Chostakovitch révélé par Valery Gergiev

 

Valery Gergiev poursuit son cycle des symphonies et concertos de Dimitri Chostakovitch à la Salle Pleyel, devant un public nombreux et enthousiaste. Le chef russe, à la tête de sa phalange du Théâtre Mariinsky, qu'il a désormais hissé au nombre des orchestres de premier plan, révèle sans doute mieux que quiconque aujourd'hui, les vrais contours d'un univers tourmenté. Les programmes, fort généreux, sont conçus de manière à rapprocher œuvres du début et pièces tardives. La conviction qui habite Gergiev établit d'emblée l'adhésion de la salle, nonobstant l'austérité du propos et une mouvance sonore fuyant toute logique cartésienne. Et on comprend vite que, pour lui, il s'agit moins de rechercher la brillance d'une leçon d'orchestre que d'élucider la pensée sous-jacente. Dirigeant sans baguette, Gergiev sculpte le matériau, dans une gestuelle souple, non exempte de brusques accentuations, allant de pair avec un souci de tracer de larges contrastes dynamiques, aux fins d'expressivité. Et à le suivre à fond, s'aplanissent les difficultés de compréhension de la mosaïque thématique de Chostakovitch : l'intuition de l'enchaînement des thèmes ou motifs, la subtilité avec laquelle sont abordées les transitions forcent l'admiration. Ces concerts étaient l'occasion aussi de mettre en avant de jeunes talents concertistes, le pianiste Daniil Trifonov, le celliste Gautier Capuçon.

 


Daniil Trifonov / DR

 

Le premier des trois concerts proposait les symphonies N° 9 et N° 4, et le premier concerto pour piano. La singularité de la Neuvième symphonie dérouta plus d'un commentateur. Annoncée comme devant être un hymne à la victoire soviétique, celle-ci est en fait tout sauf cela. Sa création en 1945 par Mavrinsky déchaîna l'ire de Staline qui pestait contre l'absence des voix et surtout d'un grand chœur final. Au lieu de quoi, un premier mouvement d'une brièveté incroyable, maniant légèreté et humour, dans la manière des classiques. Y font suite un moderato subtil qui développe une mélodie de la clarinette sur des pizzicatos des violoncelles, et un original dernier mouvement, en fait une succession de trois séquences : un presto, sorte de scherzo empli de bravoure, un largo inattendu avec son solo de basson, et un allegretto des plus satiriques. Mavrinsky dira que Chostakovitch avait écrit là  une musique « contre les philistins, avec leur complaisance et leur enflure, leur souci de se reposer sur leurs lauriers ». Gergiev et ses forces petersbourgeoises y font montre d'esprit. Dans le droit fil de cette partition étrange, suit l'énigmatique Concerto N° 1 pour piano, trompette et orchestre à cordes op. 35 (1933), mêlant ironie hyper virtuose et lyrisme élégiaque. Sans parler de sa conception, là encore révolutionnaire, proche du double concerto. Le jeune prodige russe Daniil Trifonov, né en 1991, vainqueur à 20 ans du Concours Tchaïkovski, l'aborde comme une digression fantasque. Une ébouriffante technique lui fait tout aussi bien comme effleurer le clavier, d'un doigté immatériel, que modeler le trait avec rondeur, en particulier au moderato central, pris, ici, très lent et immensément élégiaque. Il se jouera avec une rare intuition de effets de quasi pitrerie de l'allegretto con brio final, qualifié par d'aucuns de musique Dada. Le trompettiste Timur Martynov, premier soliste de l'Orchestre du Mariinsky, lui donne une réplique acérée et, là aussi, finement pensée. Le succès leur fera bisser le dernier mouvement.

 


Orchestre du Théâtre Mariinsky / DR

 

La Quatrième symphonie concluait le concert. Complété en 1936, elle ne sera créée que bien plus tard, en 1961, par Kyrill Kondrachine. Son gigantisme n'a d'égal que son étrangeté. Cette dernière, Gergiev l'explicite, offrant même une interprétation plus quintessenciée que celle donnée naguère au Châtelet. La manière est plus affirmée dans les contrastes : un tranchant presque agressif, dans les sforzandos des percussions par exemple, un lyrisme vraiment exacerbé. L'organisation labyrinthique des diverses épisodes de l'immense premier mouvement est décryptée, rendant accessible l'étourdissante profusion des séquences où désolation se conjugue avec humour. Le scherzo ne relâche pas la tension, mais la déplace dans le domaine de l'excentrique. Le finale nous immerge dans un pessimisme viscéral, à l'aune d'une marche funèbre digne de Mahler, d'harmonies grotesques rappelant l'opéra Le Nez, et surtout d'une coda proprement inouïe, conduisant peu à peu à la désintégration de la matière sonore et au néant. Une bonne minute de silence suivra cet achèvement, avant l'ovation de l'auditoire.

 

Le troisième concert offrait les symphonies N° 6 et N° 10, entourant le Premier concerto pour violoncelle. Là encore, les contrastes sont saisissants entre les œuvres, et quant à l'interprétation. La Sixième symphonie (1939) n'échappe pas à la passion irrépressible qu'éprouve Chostakovitch pour le tragique. Illustrée, ici, au fil de trois mouvements, d'inégale durée, du plus lent au plus rapide. Du vaste largo, Gergiev peaufine les incessantes modulations et l'envoûtant solo de la flûte, sur une pédale des cordes graves ou un bruissement des violons. Les deux séquences suivantes dévoilent des visions fantastiques et une vivacité incisive, empreinte d'une légèreté presque opératique. Première pièce écrite à l'intention de Mtislav Rostropovitch, qui en rêvait, le Concerto pour violoncelle op. 107, de 1959, devait se ressentir des talents hors nomes de son dédicataire, tout comme de l'admiration que Chostakovitch portait à la Symphonie concertante pour violoncelle de Serge Prokofiev. L'interprétation qu'en propose Gautier Capuçon est intéressante en ce qu'elle asservit la faconde virtuose spectaculaire inhérente aux traits rapides et installe dans les moments élégiaques un ton chambriste, de quasi confidence. C'est immédiatement perceptible dans l'allegretto, en forme de scherzo, qui débute l'œuvre, sur la signature musicale du compositeur, les quatre notes DSCH, avec ses traits rapides sollicitant le registre aigu du violoncelle. Le soliste dialogue aussi avec le cor, un des instruments favoris du musicien. La souveraine mélodie qui orne le moderato, Gautier Capuçon l'installe dans un fascinant climat assagi, que le dialogue avec le célesta rend peu à peu plus dramatique. La cadence qui suit, parée de pianissimos envoûtants, conduit directement au finale, aux nombreux rebondissements spectaculaires. Voilà sans doute une autre manière, que celle de l'interprète créateur, d'aborder cette pièce, mais totalement convaincante. L'accompagnement attentionné de Gergiev y est aussi pour beaucoup, qui enveloppe son soliste des sonorités diaprées.

 


Gautier Capuçon / DR

 

Avec la Dixième symphonie (1953), Chostakovitch rompait un silence de quelque huit années dans ce genre musical. Peut-être attendue avec trop d'impatience, elle valut à son auteur autant de louanges dithyrambiques que de critiques acerbes et devint objet de polémique. Et pourtant, elle paraît l'une des plus directement abordables. Pour l'anecdote, c'est la seule qu'ait jamais dirigée Herbert von Karajan. Gergiev la voit comme une longue coulée tragique, n'éludant pas le sentiment d'accablement, voire d'oppression qui suinte partout : climat de désolation du moderato initial, que les traits acérés de la petite flûte rendent plus amers encore, allure motorique de l'allegro suivant qui s'emballe telle une machine infernale, matériaux glissants au troisième mouvement, vrai écrasement sonore, où le solo du cor renchérit en pessimisme. Le finale, Gergiev en accentue on ne peut plus les oppositions entre ses deux parties : un andante déchirant qui, soudain, libère des forces énergiques très heurtées, mais traversées de quelque lueur d'espoir. En effet, c'est le personnage de Staline que le compositeur a voulu saisir. Mais la résolution des conflits que signe la coda, est-elle si claire ? Gergiev nous laisse en douter, tout comme le sphinx Chostakovitch.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Beethoven du Quatuor Hagen ou comment tutoyer la perfection

 


Hagen Quartett / DR

 

Peu de Quatuors peuvent aujourd'hui s'honorer de la célébrité des Hagen. Depuis plus trente ans, ils tissent avec le grand répertoire des liens indissociables. Avec Beethoven en particulier dont ils auront, tout au long de l'année 2013, remis sur le métier l'intégrale des quatuors, dans les grandes capitales musicales. A Pleyel, ils donnaient, en décembre, le second volet de cette somme. A l'évocation de ces moments privilégiés, les superlatifs se bousculent sous la plume : un fini instrumental alliant une sonorité quasi immatérielle et un modelé exemplaire, car chacun est un instrumentiste hors pair, une cohésion fervente, une absolue rigueur teintée de souplesse, le sens infaillible des proportions, dans les crescendos par exemple, des couleurs inouïes, notamment les pianissimos, d'une douceur impalpable. Et par dessus tout, un jeu qui ne se satisfait pas d'une froide perfection, mais respire la spontanéité qui guide par la main l'auditeur à la redécouverte de ces chefs d'œuvre. Leur apparente impassibilité traduit à peine l'agitation intérieure qui parcourt chaque exécutant confronté au vertigineux, au génie effrayant qu'est Beethoven. Les Hagen sont parvenus à ce stade de leur déjà longue carrière, cette trentaine où certains se posent la question de s'arrêter, à un niveau d'épanouissement qui les place au rang de primus inter pares. Le « découpage » par concert, aussi arbitraire soit-il, réserve parfois des surprises. Ainsi la première séance de cette série présentait-elle le premier et l'ultime quatuor du maître de Bonn.

 

Avec les six pièces de l'opus 18, Beethoven se satisfait encore des cadres anciens, mais on perçoit déjà ce qui le différencie de ses illustres prédécesseurs : un élargissement de la forme, une objectivité qui annonce par moment cet aspect elliptique qui caractérisera les œuvres plus tardives, une formidable virtuosité d'écriture et une suprême maîtrise du rythme. L'opus 18, N° 1 se distingue par son adagio, douce plainte exhalée par le premier violon, et un énergique finale. Le N°3, en fait le premier composé, brille par l'équilibre des parties et la prédominance laissée au premier violon, ici l'archet souverain de Lukas Hagen enluminant la poésie rêveuse de l'allegro initial. Le presto final sera empreint de furia. C'est aussi, et plus qu'ailleurs, à l'auteur de Don Giovanni que Beethoven rend hommage dans l'opus 18 N°5. La dette est ici le quatuor K 464, l'un des quatuors « dédiés à Haydn ». La boucle est bouclée ! La belle mélodie méditative du premier mouvement, la tendresse du menuetto et son adorable trio, le thème et variations de l'andante cantabile, le finale nonchalant et pourtant rafraichissant, tout cela, avec les Hagen, coule de source. Mais la perfection sait encore se hisser plus haut : l'un des sommets de ces concerts restera, sans conteste, l'exécution de l'opus 59 N° 1, premier des trois Quatuors dédiés au comte Razoumovski. On a parlé à son propos d'ampleur quasi symphonique, mais aussi de longueur et de difficulté. L'interprétation des Hagen en aura révélé l'absolue magnificence, au-delà de toute espérance. Le vaste allegro initial introduit, selon Romain Rolland, « d'étranges failles de la pensée », bousculant la logique, de par la fragmentation du discours et ces mutations inattendues qui traversent une réflexion se construisant peu à peu. Le violoncelle tient un rôle éminent, inédit, et Clemens Hagen y est merveilleux. Ce même instrument est encore mis à rude épreuve dans l'allegretto qui suit. L'adagio acquiert une densité inouïe dans sa transparence, et ouvre la voie au chant à l'état pur. Le finale se vit tourbillonnant, emportant dans son impressionnante faconde le fameux « thème russe ». Une exécution proprement miraculeuse.

 


DR

 

Des cinq derniers quatuors, l'op. 127, le 12  ème, est peut-être le plus serein de la série qu'il inaugure. En tout cas le plus aisé à pénétrer. Le « récitatif musical continu » dont parle Romain Rolland, est là. Et cette modernité qui dérouta tant ses premiers auditeurs. On les comprend, car elle a franchi les âges, et au-delà du romantisme, aura pour lointains mais naturels successeurs les compositeurs de XX  ème siècle. La présente exécution, au-delà de sa perfection technique, démontre combien Beethoven s'est affranchi des cadres anciens et inaugure une succession de moments psychologiques et une vraie dramatisation du discours : pas tant l'abstraction, dont on parle souvent, mais une vie intérieure que l'aspect visionnaire ne doit pas masquer. Ainsi de l'adagio, vaste épanchement au fil de variations à partir d'un thème ample. Le lyrisme est porté haut ici. Comme est distillée l'extrême vivacité du scherzo, haletant, voire fougueux lors du trio presto. Dans le finale, bardé d'imprévus, les quatre musiciens se lâchent, nous étourdissant d'un geste comme cravaché. On ne les sent nullement atteints, en apparence, par la fatigue et le choc émotionnel consistant à avoir enchaîné, en deux séances consécutives, six compositions aussi exigeantes.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Les Puritains s'en reviennent sur la scène parisienne

 

Vincenzo BELLINI : I Puritani. Opéra en trois actes. Livret de Carlo Pepoli, d'après la pièce Têtes rondes et Cavaliers de François Ancelot et Xavier Boniface Saintine. Maria Agresta, Dmitri Korchak, Mariusz Kwiecien, Michele Pertusi, Luca Mombardo, Andrea Soare, Wojtek Smilek. Orchestre et Chœur de l'Opéra National de Paris, dir. Michele Mariotti. Mise en scène : Laurent Pelly.

 


© ONP / Andrea Messana

 

Dernier opéra de Bellini, Les Puritains ont été écrits pour la scène parisienne et créés en 1835, au Théâtre-Italien, avec un fameux quatuor vocal, la soprano Giulia Grisi, le ténor Rubuni, le baryton Tamburini et la basse Lablache, le nec plus ultra du moment. S'il s'est maintenu au répertoire, c'est assurément au rôle de la soprano qu'il le doit : ressuscité par Maria Callas en 1949, la postérité le verra défendu, entre autres, par Joan Sutherland, Montserrat Caballé, June Anderson, Edita Gruberova, et plus récemment, Anna Netrebko, en 2007, au MET. Pour cet ultime opus, et morceau de l'histoire anglaise du XVII ème siècle, Bellini et son librettiste s'inspirent directement d'une pièce française « Têtes rondes et Cavaliers », de la paire Ancelot et Saintine, et indirectement du roman de Walter Scott, « Old Morality ». Où sur fond de guerre civile entre républicains, les Puritains de Cromwell, et royalistes, les Cavaliers, fidèles aux Stuart, Elvira, la fille d'un partisan des révoltés, va vivre le calvaire d'un amour impossible pour Arturo, un Cavalier, lequel est favorisé par un oncle bienveillant qui déjoue les plans paternels d'union avec le puritain Riccardo. Mais la présence d'une autre femme, l'épouse et veuve du roi, qu'Arturo veut loyalement protéger, contrecarre ces perspectives. Se croyant trahie, elle en perd la raison, comme bien de ses consœurs bel cantistes, avant de reprendre ses esprits à l'annonce de l'amnistie suite à la défaite de Stuarts. Contrairement à ce qu'on attendrait d'une telle intrigue, l'opéra s'achève ainsi par un lieto fine, rien ne s'opposant à la réunion des deux amants. Reste que la vis dramatica n'est pas toujours aisée à suivre : plus d'une situation ne brille pas par sa clarté, pour ne pas dire frôle l'invraisemblance, à tout le moins le convenu. Laurent Pelly ne l'élude pas. Il prend même le parti du clin d'œil à la convention, croquant des personnages qui volontairement ne sortent pas du cadre stéréotypé, telle cette héroïne qui devient un peu vite folle lorsqu'elle voit ses désirs amoureux ruinés. Il traite le chœur de façon fort originale : escouade de hallebardiers galopant au pas cadencé, femmes tournant sur elles-même comme des toupies, bonshommes ne se départissant pas d'un flegme tout britannique avec gestuelle comptée. Pelly les anime imperceptiblement, qui d'un geste minuscule, qui d'un tournoiement de tête, qui d'une posture légèrement empruntée. Ce qui créé une agréable impression de mouvance. Celle-ci est générée également par la décoration, fort épurée, qui fait le choix de l'allusion : le château fort écossais ne sera pas construit, mais stylisé telle une maquette géante toute de fer forgé, qui tournant sur elle-même, dégage de multiples perspectives. Pelly osera même le plateau entièrement vide, lors du deuxième acte, qui voit les deux amis Riccardo et Giorgio renchérir en matière d'honneur patriotique. L'esthétisme est au premier plan : couleurs de camaïeux gris avec de discrètes touches violines dans les costumes, d'une époque à peine suggérée, et traitement de la lumière, pareillement très travaillée, avec basculement d'intensité lors de certaines scènes intimistes. Une vision plus subtile qu'il n'y paraît, même s'il lui manque cette ultime touche de vie qui émeut.

 


© ONP / Andrea Messana

 

Le jeune chef Michele Mariotti, actuellement en poste à Bologne, ne cherche ni l'éclat, ni le fracas sonore. Son souci est plutôt et avant tout la mélodie, ce cantabile lent et doux, nimbé de mélancolie, qui distingue la musique de Bellini. On le sent concerné moins par le pathos que par la richesse des harmonies qui voit l'introduction de cors, trompettes, et de tambours, en particulier dans les passages chorals. Une richesse dans l'orchestration bellinienne qui va encore plus loin que dans Norma ou La Sonnambula. Et surtout, par l'originalité de l'instrumentation qui fait la part belle aux bois, dans plus d'une page. Son orchestre fuit le grandiloquent et refoule l'anguleux, au profit d'une coulée lyrique opalescente. Reste qu'un supplément de chaleur, à l'occasion, eût sans doute renforcé le dynamisme du discours, dans les ensembles notamment, et affirmé la crédibilité dramatique musicale par-delà l'empreinte scénique. Mais le soutien aux chanteurs est indéniable. Deux voix graves dominent une distribution homogène : Mariusz Kwiecien, Riccardo Forth, beau timbre de baryton doté d'une quinte héroïque remarquable, et Michele Pertusi, Sir Giorgio, basse claire et ductile dans la ligne de chant. Le long échange et la cabalette qui marquent la fin du II ème acte, est un moment de vocalité expressive revigorante. Confronté à la partie ingrate d'Arturo, déséquilibrée, car le personnage est absent de la scène tout le deuxième acte, et terriblement exigeant, puisque taxé au finale de contre Ut percutants, lors d'une romance difficile, le ténor russe Dmitri Korchak assume. Reste que le style demeure effleuré et que le registre aigu est traité plus en force qu'en grâce. Maria Agresta, si elle n'a pas (encore) l'aura des grandes titulaires du rôle d'Elvira, n'en possède pas moins la ressource vocale : après un début précautionneux, sa prestation augmente en intensité et ne manquera pas de panache dans les acrobaties des deux airs « de folie ». On admire le legato, l'ampleur du trait, et un engagement certain. Reste à souhaiter que cette artiste, encore à l'orée de la carrière, ne cède pas trop vite aux sirènes des engagements empilés en tous sens.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Un inédit : Manfred en version scénique

 

Robert SCHUMANN : Manfred. Poème dramatique en trois parties de Lord Byron, op. 115. Pascal Rénéric, récitant. Astrid Bas. Anneke Luyten, Sarah Jouffray, Olivier Dumait, Norman Patzke, Luc Bertin-Hugault, Geoffroy Buffière, Cyrille Gautreau. Les Eléments. La Chambre Philharmonique, dir. Emmanuel, Krivine. Mise en scène : Georges Lavaudant.

 


© Julien Etienne

 

Manfred est assurément une œuvre singulière. Ni oratorio, ni musique de scène, encore moins opéra. A partir du texte de Lord Byron, qui abhorrait l'idée même de théâtre, Schumann qui n'aspirait qu'à l'opéra, imagine un « poème dramatique avec musique », en forme de mélodrame, mêlant donc texte parlé et musique. Il sera créé à Weimar, en 1852, grâce aux bons offices de l'ami Liszt. Tout comme Faust, Manfred s'élève au niveau du mythe, quasi prométhéen, véhiculant le thème du remords, de la volonté de se punir soi-même. Acteur de ses propres souffrances, inconsolé de la disparition d'une bien aimée, Astarté, Manfred ne songe qu'à la mort : « rien ne peut bannir d'un esprit libre l'envie de se châtier soi-même », dit-il. Un théâtre intérieur donc, à l'aune de la propre personnalité de Schumann, être angoissé et en proie au sentiment de culpabilité. Astarté n'est-elle pas cette sœur aînée disparue par suicide ? Schumann a pourvu le texte de Byron d'une atmosphère fertilisant l'imagination : une Ouverture, fort développée, suivie de quinze numéros dont la partie déclamée est nettement plus développée que celle dévolue à la musique. Cette dernière intervient seule, en entracte symphonique, ou accompagnant le mélodrame. Présenter scéniquement cette composition inclassable semble tenir de l'impossible. Relevant le défi, Georges Lavaudant et Emmanuel Krivine se sont tournés vers la version conçue par Carmelo Bene à La Scala en 1978, consistant à intriquer adroitement texte et musique. L'Ouverture est ainsi habilement placée après une première tirade de Manfred. L'acteur incarnant celui-ci se voit confier les autres rôles masculins, dont celui de l'abbé de Saint-Maurice, venu exhorter, en vain, le héros au pardon et à la pénitence et lui promettre l'absolution. Et qui se voit répondre, crânement « j'ai moi-même causé ma perte et je veux être mon propre bourreau ». Car Manfred entend rester libre et maître de son destin. Il refusera de se soumettre : « Il n'est pas si difficile de mourir » lâche-t-il dans un dernier sursaut. Un bref chant de requiem viendra proposer une conclusion rédemptrice, ajoutée par Schumann au texte de Byron.

 


© Julien Etienne

 

 

La réalisation est sobre, suggérant plus qu'elle ne souligne, telle cette évocation minimaliste du tableau fameux du « Voyageur au-dessus des nuages » de Friedrich Caspar David. Le climat est sombre, à l'image du héros dont le pessimisme lui laisse si peu entrevoir la lumière, celle des beautés de la nature. L'espace scénique est abstrait, quelques projections offrant un essai de visualisation tandis que des éclairages blafards tentent de réchauffer des images magiques, comme celle fugace, en noir et blanc, de l'aimée. La régie sévère s'autorise des effets de symétrie. De bout en bout est-on plongé dans l'enfer irrémédiable que s'impose le héros. Celui-ci, Pascal Rénéric le vit intensément. Il tient à lui seul le spectacle qu'il élève au rang de vraie tragédie, fier, orgueilleux, beau solitaire. Sa collègue Astrid Bas paraît plus détachée. La contribution vocale est des plus adéquates, dont il faut distinguer les brèves interventions du chœur Les Éléments. Unissant des parties disparates, la musique, hélas fragmentaire de Schumann trouve en Emmanuel Krivine un excellent avocat : truffée de motifs conducteurs et d'idées fixes, mais aussi de trouvailles étonnantes, tel le solo de cor anglais, figurant un ranz alpin. Les instruments anciens de La Chambre Philharmonique sonnent un peu fort par endroit. Belle initiative en tout cas d'avoir exhumé cet improbable chef d'œuvre. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Laurent Pelly revisite Les contes d'Hoffmann à l'Opéra de Lyon

 

Jacques OFFENBACH : Les Contes d'Hoffmann. Opéra-comique fantastique en cinq actes. Livret de Jules Barbier. John Osborn, Patrizia Ciofi, Laurent Alvaro, Angélique Noldus, Cyrille Dubois, Peter Sidhom, Christophe Gay, Carl Ghazarossian, Marie Gautrot. Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon, dir.  Kazushi Ono. Mise en scène : Laurent Pelly.

 


©Jean-Pierre Maurin

 

Les Contes d'Hoffmann sont au nombre des pièces fétiches de l'Opéra de Lyon. C'est en effet avec l'ultime opéra-comique d'Offenbach que sera inaugurée la nouvelle salle due à Jean Nouvel en 1993, dans une mise en scène, et une version édulcorée, de Louis Erlo, De nouveau à l'affiche, quelque dix ans plus tard, la régie en était confiée à Laurent Pelly. C'est cette production qui est maintenant reprise. Dans le maquis des éditions existantes, on a fait choix de la version en cinq actes, et avec les dialogues parlés. Celle quasi complète - du moins en l'état actuel de la question, moult fois remise sur le métier - élaborée par Jean-Christophe Keck, et « crée » par Marc Minkowski, en 2003, donnée par celui-ci en dernier lieu Salle Pleyel, l'année passée (cf. NL de janvier 2013). Ces contes drolatiques fertilisent l'imagination. Laurent Pelly décline un monde de l'étrange, crépusculaire, à l'aune du cauchemar que vit le héros, emporté par la passion de son récit, tout droit sortie de la plume du poète Hoffmann, démiurge du drame qu'il écrit, acteur de sa propre histoire : ses amours malheureuses pour la cantatrice Stella, dont les trois héroïnes, Olympia, Antonia et Giulietta ne sont que les métamorphoses. Il l'explicite par un savant jeu de construction, des panneaux mobiles dessinant des lieux divers et improbables, la taverne du Prologue et du finale, les recoins d'un palais vénitien pour l'acte de Giulietta. La décoration se fait plus structurée aux deux autres actes. Celui d'Olympia figure l'intérieur d'un cabinet tenant de l'antre de Jules Verne plus que de la grotesque officine, souvent représentée, du physicien Spalanzani. L'objet des recherches de celui-ci, une poupée automate, est visualisé de manière spectaculaire : juchée sur une sorte de catapulte qui la propulse en tous sens, elle va souffrir des sauts vertigineux durant le fameux air « Les oiseaux dans la charmille ». Ingénieuse idée, suffisamment extraordinaire pour capter l'attention des invités de la fête et retenir celle des spectateurs, assurés d'assister là à un des clous de la soirée ! Mais on frémit de crainte à l'endroit de la pauvre chanteuse, baladée de la sorte, alors qu'occupée à d'autres périlleuses pyrotechnies vocales ! L'acte d'Antonia, emprunté au récit « Le violon de Crémone », est sans doute le plus élaboré : une chambre minuscule, claquemurée, puis un escalier desservant les divers étages de la demeure du riche Conseiller Crespel. Les tribulations du Dr Miracle donnent lieu à un étonnant effet de tourbillon. Les références abondent, notamment au romantisme allemand, mais revisité à l'aune d'un certain réalisme germanique. Les péripéties vénitiennes du héros sont adroitement décryptées, en particulier celle de la perte du reflet, éprouvée sur un immense miroir. Le regard incisif de Pelly ménage des effets de symétrie, d'allers et retours d'un personnage à l'autre, ou de correspondance entre situations. Pour résoudre magistralement ces équations originales qui font, du rôle titre un personnage doté du don d'ubiquité sous une même apparence, de la soprano quatre personnifications d'une même femme, et de la basse une figure maléfique au quadruple visage.

 


© Jean-Pierre Maurin

 

L'orchestre de Kazushi Ono sonne avantageusement, en particulier dans les solos instrumentaux, mais pas toujours subtil, en première partie notamment, menée tambour battant. L'acte d'Antonia est plus pacifié. Peu de ténors aujourd'hui peuvent s'enorgueillir de la maestria avec laquelle John Osborn s'empare du rôle titre. Voix de tête agréable, quinte héroïque puissante, nuances piano, diction impeccable, même dans les passages déclamés, il n'est pas de domaine où le ténor américain ne triomphe avec aise. Sa silhouette jeune et romantique apporte un relief sans pathos au personnage poursuivant sans cesse la même chimère, la même âme féminine, de l'étudiant naïf, au jeune homme sensible, puis à l'homme mûr et peu scrupuleux.  Patrizia Ciofi se tire avec adresse du tour de force consistant à interpréter les quatre rôles féminins, qui requièrent plusieurs voix de couleur différente. Son Olympia est amusante, quoique un peu maniérée, nul doute du fait du parti adopté par Pelly, et sans déchaîner le clin d'œil gourmand comme le font d'autres interprètes. Elle est plus à l'aise dans le registre tragique d'Antonia et dresse de Giulietta une composition impressionnante. De sa voix de stentor, Laurent Alvaro se déjoue de la tétralogique incarnation des « vilains », autre challenge de la pièce. L'air dit du diamant, donné dans sa version alternative, bien plus intéressante que le traditionnel « Scintille, ô diamant », restera un des moments forts de la soirée. Sous un apparent détachement, la peinture est on ne peut mieux sardonique. Passé un début précautionneux, Angélique Noldus révèle un talent sûr et intense dans la double incarnation de La Muse et de Nicklausse, qui dans cette version, se voient attribuer un rôle très développé. A noter aussi la performance de Cyrille Dubois dans les quatre rôles comiques, qu'il ne charge pas, et des Chœurs de l'Opéra de Lyon, fort mis en avant par Pelly.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Intégrale Chostakovitch à Pleyel : A la manière russe !

 


Valery Gergiev / DR

 

Deuxième épisode de l’Intégrale Chostakovitch menée par Valery Gergiev à la tête de ses troupes du Mariinsky de Saint Pétersbourg, avec pour cette soirée deux œuvres majeures, bien différentes dans la forme, mais très semblables dans l’esprit, par leur pessimisme absolu et la désolation qui les habitent. La Symphonie n° 5, contemporaine des grandes purges staliniennes, composée en 1937 dans la hâte, mais surtout dans la crainte causée par les mises en garde du  pouvoir et l’accusation de formalisme parues dans la Pravda. Après le scandale de Lady Macbeth de Mtsensk, suivi du retrait  par le compositeur lui-même  de la quatrième symphonie (1936) car « la peur était partout, j’ai repris ma partition »,  la création de la cinquième symphonie par Mvravinsky prenait des allures de renoncement ambigu où se mêlaient  soumission et ironie sarcastique. Une œuvre  en quatre mouvements, pour grand orchestre, tonale, classique dans sa forme dont la signification profonde de défi et d’interrogation douloureuse est constamment masquée par un faux optimisme. Bien différente, la Symphonie n° 14, créée en 1969 par Rudolf Barchaï, est une œuvre atypique dans sa forme en 11 mouvements, symphonie vocale pour soprano, basse et orchestre de chambre, échappant souvent à la tonalité au profit du dodécaphonisme, élaborée sur des textes de Garcia Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke, tout un cycle poétique autour de l’idée obsessionnelle de la mort. Deux compositions dissemblables utilisant toutes les ressources de l’orchestre en terme de sonorité, de cohésion, tout en fournissant au chef d’orchestre une grande liberté d’interprétation. Valery Gergiev ne s’en priva pas pour notre plus grand bonheur !

 

En matière d’interprétation des œuvres de Chostakovitch, deux grandes visions semblent faire autorité : une lecture plus policée, moins historique, moins engagée favorisant « le beau son » sans référence aux circonstances de création, plus apollinienne qui est celle des orchestres occidentaux et de chefs comme Haitink, Jansons et autres Welser-Möst…A l’inverse, une lecture plus âpre, plus noire, plus désespérante et engagée, plus ambiguë et sarcastique, plus dionysiaque, qui est celle des Russes, dans la lignée de Kondrashin et Mvravinski, et aujourd’hui de Gergiev. Ces deux monuments symphoniques bénéficièrent de la part du chef ossète d’une interprétation d’anthologie, digne des plus grands, tant par la sonorité orchestrale obtenue, que par la lecture emplie de finesse et d’intelligence. La Quatorzième, en ouverture de concert, fut menée dans un climat de désolation suffocante, parfaitement servie par Mikhail Petrenko et Veronika Djoeva. Petrenko, probablement la basse la mieux en mesure, actuellement, de chanter cette œuvre difficile par son émission aisée, sa diction claire, sa présence scénique donnant au De profundis inaugural une profondeur d’outre tombe. Pour chacune de ses parties comme pour le duo de la Loreley, Veronika Djoeva fut également totalement convaincante, associant un timbre d’une très belle rondeur, sans aucun vibrato, une puissance adéquate et un engagement généreux, tour à tour douloureux ou halluciné. Les cordes et les percussions du Mariinsky furent rarement à une pareille fête, qu’il s’agisse du violon solo grinçant à souhait, du violoncelle solo merveilleusement lugubre ou du tutti développant une danse macabre suivant une progression implacable, animée par un sentiment d’urgence et rythmée par le glas des percussions. Après la pause, la Cinquième, dirigée par Gergiev sans partition (fait suffisamment rare pour être signalé !) fut, là encore, l’occasion d’apprécier l’importance du travail de mise en place, la précision de la direction utilisant une gestuelle très réduite, dans une vision d’une réelle pertinente, où le chef préféra l’expressivité à une vaine rugosité, choisissant des tempi relativement soutenus, favorisant les contrastes, travaillant les timbres, contrôlant toutes les entrées, pour un discours juste et d’une rare clarté. Du très beau travail, un Chostakovitch parfaitement rendu dans la note comme dans l’esprit. Suite et fin de cette intégrale les 16, 17 et 18 février 2014. Un rendez vous à ne pas manquer !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Musique sacrée à Notre-Dame de Paris : Les Vêpres de la Vierge Marie de Philippe Hersant.

 

Philippe HERSANT : Les Vêpres de la Vierge Marie. Robert Getchell, ténor, Alain Buet, basse. Olivier Latry, grand orgue, Yves Castagnet, orgue de chœur. Ensemble Les Sacqueboutiers. Maîtrise de Notre-Dame de Paris, dir. Lionel Sow.

 


DR

 

Ce concert de clôture de la saison 2012-2013, célébrant le 850e anniversaire de Notre-Dame de Paris, était consacré à la création, en première mondiale, de la dernière œuvre sacrée du compositeur contemporain Philippe Hersant (*1948) dont l’œuvre chorale est déjà connue et appréciée, ce dont témoigne son dernier disque Clair Obscur, pour viole de gambe et chœur a capella. Cette création contemporaine répondant, en miroir, aux Vêpres de Claudio Monteverdi, qui avaient ouvert cette saison anniversaire. Deux œuvres incontournables désormais, celle de Monteverdi, indiscutable tournant de l’histoire de la musique, particulièrement indiquée en cette année de jubilé, et celle de Philippe Hersant, comme un point d’orgue de ces célébrations, ancrant la cathédrale parisienne dans le XXIe siècle. Une œuvre sacrée contemporaine comprenant trois grandes parties, introduite chacune par une toccata instrumentale. La première partie correspondant à l’Invitatoire, l’Ave Maris Stella et au Psaume 121, la seconde partie au Psaume 126 et au Cantique de Saint Paul aux Éphésiens, la troisième au Magnificat. Une composition nécessitant un grand effectif vocal avec chœur d’enfants, auquel s’associent cloches, cuivres anciens, deux solistes et deux orgues, dans une architecture mouvante capable de spatialiser le son, donnant par cela un rôle important à l’espace, et favorisant comme le souhaitait Saint Bernardin de Sienne, « la venue de l'Éternité dans le temps, l’Impalpable dans le tangible, l’Immensité dans la mesure… ». Une belle œuvre en demi-teinte, correspondant à l’office du soir, d’où peut-être cette coloration crépusculaire, en clair obscur, témoignant d’une ferveur toute intériorisée, se concluant sur l’Amen du Magnificat où resplendit enfin toute la lumière de la foi et du culte marial, auréolant l’image de la Vierge Marie.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Lionel Bringuier : Par la grande porte !

 


Lionel Bringuier / DR

 

Lionel Bringuier, futur directeur musical du Tonhalle Orchester de Zürich, à la tête du « Philhar », voilà une habitude qui se perpétue, toujours avec le même bonheur, tant est grande l’empathie existant depuis des années entre le jeune chef français et l’orchestre parisien. Devant la promesse d’une soirée musicale réussie, le public s’était déplacé nombreux pour ce concert de musique française : Dukas, Saint-Saëns et Ravel. Trois œuvres aux orchestrations très abouties, L’Apprenti sorcier, le Concerto n° 3 pour violon et Les Tableaux d’une exposition, capables de faire briller le « Philhar » de tous ses feux, par le foisonnement des timbres et la sollicitation importante des vents. L’Apprenti sorcier (1897), poème symphonique célébrissime de Paul Dukas (1865-1935), tiré d’une ballade de Goethe et immortalisé par Fantasia de Walt Disney, dont Bringuier sut rendre  tout le brillant orchestral, la rigueur de construction  et la clarté par une direction précise et pleine d’allant, entraînant l’orchestre dans un vertige musical n’ayant rien à envier aux tourbillons d’eau cauchemardesques du dessin animé. Vint ensuite le non moins célèbre Concerto n° 3 pour violon (1880) de Saint-Saëns (1835-1921). Ce concerto, dédié à Pablo de Sarasate, qui en assura la création, est une œuvre virtuose nécessitant une grande pureté d’émission de la part de l’instrument soliste. Renaud Capuçon en donna une lecture un peu grossière, toute dans l’apparence, peu dans le ressenti, favorisant avec une certaine complaisance le beau son un peu ostentatoire aux dépens de la précision du toucher. Ces réserves mises à part, le mouvement lent fut l’occasion d’un sublime dialogue entre violon et bois. Après la pause, ce furent les Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1839-1881), orchestrés en 1922 par Ravel, grande pièce orchestrale témoignant d’une science raffinée de l’orchestration, utilisant tous les timbres  de l’orchestre : trompette claironnante inaugurale, reprise par la douceur du cor auquel répondent les aigus successifs des bois et le mystère du saxophone, sans oublier cordes, harpes et percussions. Le « Philhar » répondit avec brio à chacune des sollicitations du chef, avec un évident plaisir de jouer ! Un très beau concert qui permit au jeune chef français se sortir triomphant par la grande porte ! De Kiev, évidemment ! Qui fut « bissée ».

 

Patrice Imbaud.

 

 

Boris Berezovsky et Henri Demarquette : L’accord parfait !

 


DR

 

L’accord était parfait entre le jeu sobre et solide du pianiste russe, Boris Berezovsky et le toucher brillant, parfois même un peu maniéré, du violoncelliste français Henri Demarquette. Un programme copieux et varié pour ce concert au Théâtre des Champs-Elysées, associant Mendelssohn, Britten, Rachmaninov et Grieg, toutes occasions de faire montre de la qualité superlative de ce duo, déjà habitué à se produire depuis plusieurs années. En ouverture, la Sonate n° 2 pour violoncelle et piano de Mendelssohn (1809-1847), romantique à souhait, hardie et sensuelle, composée en 1842-1843, fut menée avec allant, de façon à la fois claire, juste et inspirée. La Sonate op. 65 de Britten (1913-1976), composée en 1961, dédiée à Mtislav Rostropovitch lui succéda. D’un climat bien différent, il s’agit d'une œuvre follement virtuose, où les deux instrumentistes purent s’installer tout au long des cinq mouvements qui la composent, dans un véritable dialogue équilibré, explorant toutes les possibilités techniques et acoustiques du violoncelle (Goffredo Cappa de 1697). Après la pause, la célèbre Vocalise de Rachmaninov (1873-1943), composée en 1912, dernière des 14 Romances écrites pour piano & soprano ou ténor, maintes fois transcrite pour de nombreux instruments et notamment le violoncelle, qui trouva là l’opportunité de réaffirmer toutes ses analogies avec la voix humaine. Enfin pour terminer ce beau programme, magistralement interprété, la Sonate op. 36 de Grieg (1843-1907), composée en 1883 et dédiée au frère du compositeur, chargée de tension et d’urgence dans un difficile équilibre entre la sobriété du piano et la véhémence du violoncelle dont la magnifique sonorité s’éleva dans une complainte passionnée et élégiaque vers le public conquis ! Trois bis généreux : Rachmaninov, Massenet et Piazzolla pour conclure cette belle soirée.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Dialogues de Carmélites au Théâtre des Champs-Elysées : Bouleversant !

 

Francis POULENC : Dialogues des Carmélites. Opéra en trois actes.  Livret de Francis Poulenc d’après la pièce éponyme de Georges Bernanos. Patricia Petibon, Sophie Koch, Véronique Gens, Sabine Devieilhe, Rosalind Plowright, Topi Lehtipuu, Philippe Rouillon, François Piolino. Chœur du Théâtre des Champs-Elysées. Philharmonia Orchestra, dir. Jérémie Rohrer. Mise en scène : Olivier Py

 


© Vincent Pontet/Wikispectacle

 

Après les mises en scène contestées, sinon contestables, d’Alceste de Gluck à l’Opéra Garnier et d’Aïda de Verdi à l’Opéra Bastille, il est absolument certain qu’Olivier Py fera l’unanimité avec cette nouvelle production, magistrale et bouleversante, des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc. Une mise en scène en effet impressionnante et intelligente, loin de toute grandiloquence mystique ou de tout prosélytisme militant, pour une œuvre d’exception, tant par sa qualité musicale, que par sa diversité stylistique, ou par la parfaite adéquation entre prosodie et musique voulue par Poulenc. Olivier Py a choisi pour ce douloureux parcours de Sœur Blanche, une mise en scène dépouillée, sobre comme il convient à ce long chemin de croix qui ne trouve pas sa voie. Ce long et difficile cheminement, terriblement humain, qui passera par le renoncement et la peur, avant de trouver sa route par l’acceptation du don et du martyr.  Guidée par ce besoin de Dieu prégnant qui caractérise la foi, Blanche de la Force franchira toutes les étapes de ce parcours initiatique qui la conduira à la rédemption libératrice, liberté et égalité en Dieu et par Dieu. Pour ce beau sujet, le Théâtre des Champs-Elysées a mobilisé toutes ses forces : plateau vocal de haut niveau, orchestre londonien comptant parmi les meilleures phalanges européennes, chef reconnu dont la notoriété ne cesse de croître, et metteur en scène dont on ne compte plus, depuis une quinzaine d’années, les triomphes opératiques. Le résultat fut, on en conviendra, à la hauteur de nos plus hautes espérances pour cette œuvre composée en 1953-1956, créée à la Scala en 1957 dans une version italienne, reprise à l’Opéra de Paris en juin de la même année, avec une distribution associant Denise Duval, Régine Crespin,  Rita Gorr, Denise Charley et Liliane Berton.

 


© Vincent Pontet / Wikispectacle

 

Une mise en scène convaincante de bout en bout tant sur le plan esthétique que sur celui de la direction d’acteur. Une scénographie qui évoluera avec le temps, depuis le jardin du carmel peuplé d’arbres dépouillés comme autant d’axes du monde, vers une simple boîte de bois figurant la clôture transpercée par une croix lumineuse du plus bel effet, sur laquelle se détache la silhouette de Blanche ; une boîte qui deviendra par la suite prison…De sublimes moments, de tension dramatique extrême, comme l’agonie de la Première Prieure qui clôt le premier acte, qu’Olivier Py nous présente comme vue du dessus, mais surtout dans une position rappelant le Christ en croix… Sans oublier ces mains tendues qui jamais ne se touchent dans une impossible transmission de la grâce, ni les tableaux humains comme l’Annonciation, la Nativité, la Cène ou la Crucifixion, qui ne sont pas sans rappeler Fra Angelico, ou encore la scène finale toute occupée par une nuit étoilée dans laquelle disparaîtront une à une les carmélites, au rythme du couperet de la guillotine. Devant un tel spectacle, peu importe telle ou telle imperfection du chant... Bien sûr que la voix de Rosalind Plowright (La Première Prieure) est en partie ruinée avec des « passages » pour le moins houleux et difficiles, mais quelle présence scénique, quel drame, quelle émotion à couper le souffle ! En matière de beau chant Véronique Gens (Madame Lidoine) Sabine Devieilhe (Constance) Sophie Koch (Mère Marie) et Patricia Petibon (Blanche) demeureront sans reproches, parfaitement typées, vocalement et scéniquement, comme le souhaitait Poulenc. Du côté des voix masculines, Philippe Rouillon (Le Marquis) et François Piolino (Le Père confesseur) soutiendront largement la comparaison avec la distribution féminine. En revanche, le Chevalier de Topi Lehtipuu fut un cran en dessous par son timbre vacillant et sa diction imparfaite malgré, à l’évidence, de puissants efforts ! Jérémie Rohrer, à la tête du Philharmonia Orchestra, donna sans compter, comme le souhaitait Bernanos, rendant à la musique de Poulenc toutes ses couleurs, alliant profondeur et légèreté. Le Salve Regina final chanté par le chœur des carmélites, se réduisant peu à peu à la seule voix de Blanche montant sur l’échafaud, laissa la salle sur une émotion palpable… avant que les applaudissements n’éclatent et se prolongent. Une production qui restera dans les mémoires !

 

Patrice Imbaud.

 

 


© Vincent Pontet / Wikispectacle

 

Olivier Py a brossé une épure. En homme de théâtre, c'est  vers Bernanos que son regard nous porte. Sa régie joue la simplicité et ne cherche pas à souligner ce qui dans le texte et la musique étreint d'émotion. Une unité décorative la renforce, quelques éléments suggérant les lieux, dont ce lustre grandiose pour la demeure du Marquis de la Force, quelques chaises sobres pour les salles du carmel. Un continuum dramatique s'installe qui l'amène à visualiser les interludes de manière évocatrice (la crèche, la crucifixion, la Cène même), le personnage de Constance étant mis à chaque fois en exergue. Le cheminement des sœurs vers le martyre, Py le détache de son environnement séculier : échos révolutionnaires lointains, foule évacuée en dehors du plateau, quelque part côté salle ;  là où, devant la fosse d'orchestre, Mère Marie assistera à la montée de ses filles à l'échafaud. Le personnage de Blanche est extrêmement travaillé, pétrie de force sous une apparente fragilité, égarée dans la vie, mais mue par un désir intérieur sublime. L'émotion vous empoigne dès les premières répliques entre une fille résolue et un père qui ne voit pas, ou refuse de voir, la fin d'une époque. Combien pathétique sera l'ultime rencontre avec un frère, tant désorienté par une si farouche résolution qu'il quitte les lieux avant même que l'entretien ne soit terminé, accentuant chez Blanche l'ébranlement intérieur. La scène où se retrouvant servante, en proie aux avanies du monde, et du serviteur familial, qui prenant sa revanche, ira jusqu'à la souffleter, frappe par son insondable douleur, l'échange avec Mère Marie atteignant un paroxysme presque insoutenable. Par contraste, du personnage de Constance émane la vulnérabilité d'une jeune âme, pourtant en proie aux vraies certitudes. N'est-elle pas dégagée, plus que Blanche, de cette peur qui fait peur ? La dernière scène parachèvera une approche refusant tout pathos, la musique de Poulenc disant l'essentiel : les sœurs, vêtues de bure blanche, s'en vont lentement vers la mort, seule délivrance, défaisant peu à peu le demi cercle qui les réunissait. Blanche apparaît soudain, furtivement, et rejoint Constance : réalisation de cette phrase naguère lâchée par celle-ci en forme de prédiction : « J'ai compris que Dieu me ferait la grâce de ne pas me laisser vieillir, et que nous mourrions ensemble, le même jour ». Mise à part la première Prieure, dont Rosalind Plowright laboure le texte lors de la scène de l'agonie, alors que la narration vocale doit rester parfaitement audible, la distribution tient ses promesses. S'en détache Patricia Petibon, Blanche, de la veine inspirée d'une Denise Duval, sublimant les contraintes vocales et dramatiques d'un rôle exigeant tout. Anne-Catherine Gillet est une Constance attachante dans sa vraie-fausse ingénuité, et le soprano plus acidulé se différencie agréablement de celui de sa collègue. Jérémie Rhorer mise sur une approche musicale vivement contrastée, âpre, voire tranchante parfois. Mais la sincérité ne souffre pas question. Le Philharmonia est rien moins que somptueux, vérifiant ce constat que plus que tous autres, les orchestres britanniques portent la fibre française au plus haut degré de raffinement.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone…. »

 


Andriss Poga / DR

 

Ces premier vers de Chanson d’automne de Paul Verlaine, parue dans Poèmes saturniens, résument, à eux seuls, cette malheureuse soirée gagnée par une langueur croissante confinant rapidement à l’ennui. Une soirée marquée tout d’abord  par le malaise de Mikko Franck, survenu quelques minutes avant son entrée en scène… remplacé au pied levé, conjointement, par Andriss Poga, chef assistant de Paavo Järvi, et Philippe Aïche, premier violon de l’Orchestre de Paris ! Après l’émoi faisant suite à la défaillance subite du chef finlandais, les remplaçants trouvés, Phippe Aïche dirigeant  le Concerto pour piano n° 3 de Prokofiev et Andriss Poga la mythique Symphonie n° 7 dite Leningrad de Chostakovitch, le concert pouvait alors commencer… rapidement gagné par une langueur et un ennui grandissants dus, aux tempi d’une incroyable lenteur menés par le chef letton, dans les deux mouvements centraux de la symphonie, malgré la qualité incontestable de l’Orchestre de Paris (les cordes superlatives et les bois excellents) réagissant a à la moindre sollicitation d’Andriis Poga qui, quant à lui, dirigea de façon on ne peut plus claire et précise ! Seulement voilà… pas de tension, pas de drame ni de désolation dans cette interprétation une fois de plus dans la note, mais non dans l’esprit ! Rien qui puisse faire penser à une symphonie de guerre composée en 1941, en partie lors du siège de Leningrad, sous les bombes, dans l’angoisse et la douleur. Chostakovitch, dans son entretien accordé à Volkov, jeune musicologue passé à l’Ouest, insiste sur le caractère éminemment ambigu de cette œuvre célébrée par le pouvoir stalinien, qui valut au compositeur de remporter le prix Staline. Loin d’une œuvre de propagande, c’est au contraire une pièce profondément subversive dénonçant l’idéologie gouvernementale, les enlèvements policiers, les procès, le goulag, la mort ! On est à l’évidence à distance de tout cela dans cette lecture au premier degré. « Je regrette que les gens ne comprennent pas toujours de quoi il est question. Les symphonies n° 7 et n° 8 sont mon Requiem… », dira le compositeur. Le Troisième Concerto de Prokofiev ne fut pas mieux loti, avec de nombreuses chutes de tension dans une œuvre qui associe charme et brutalité, et malgré une interprétation satisfaisante du pianiste Alexander Toradze, spécialiste de Prokofiev. Bref, une soirée pour le moins perturbée ! Ne tirons pas sur l’ambulance et remercions sincèrement Philippe Aïche et Andriss Poga, sans qui ce concert eut été annulé. Pour le reste, c’est une autre affaire !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Noël russe au Théâtre des Champs-Elysées.

 


Vladimir Jurowski / DR

 

Un très beau cadeau de Noël que nous a offert le TCE pour ce dernier concert de l’année, à l’occasion du passage à Paris du LPO dirigé par son actuel directeur musical, Vladimir Jurowski, accompagné pour cette tournée européenne par la très atypique violoniste moldave, Patricia Kopatchinskaya. Un programme exclusivement russe, associant Rimski-Korsakov, Prokofiev et Rachmaninov. En ouverture de soirée, la très rare Suite d’orchestre extraite  de l’opéra La Nuit de Noël de Rimski-Korsakov. Une œuvre où se combinent féérie et tradition slave, composée en 1895, reprenant cinq épisodes de l’œuvre lyrique initiale, toute en couleurs et légèreté, mêlant lyrisme et fantasmagorie dans de superbes dialogues entre bois et cordes (clarinette, violon solo et flûte). Lui fit suite le Concerto n° 2 pour violon et orchestre de Prokofiev, créé en 1935 à Madrid par Robert Soetens. Occasion d’assister à une interprétation surprenante de la violoniste aux pieds nus, Patricia Kopatchinskaya. Prestation pour le moins originale, extravertie, un peu maniérée, mais d’un charme fou ! Virtuosité sans faille, parfois à la limite de la justesse : un jeu plein de contrastes et de nuances, une complicité évidente avec l’orchestre, des tempi hallucinants de langueur dans le mouvement lent, véritable moment d’éternité où le temps suspend son cours, à l’inverse d’une ahurissante rapidité dans le diabolique finale. Un triomphe mérité et deux « bis » très originaux (cela n’étonnera pas !) empruntés à Prokofiev et Bartók, joués en duo avec le premier violon pour le premier, et la clarinette solo pour le deuxième. Après la pause, les Danses symphoniques de Rachmaninov, crées en 1941. Formidable fresque orchestrale en trois mouvements, à la fois grotesque, lyrique et mélancolique, que Vladimir Jurowski, de sa gestique raide et péremptoire, mena avec son talent habituel : rigueur des tempi, justesse des attaques, contrastes, expressivité, émotion et tension pour une lecture très aboutie et convaincante. En « bis », la célébrissime vocalise du même Rachmaninov concluait une soirée mémorable.

 

Patrice Imbaud.

 

 

L'Ensemble Musica Nigella au Musée d'Orsay

 


© Thierry Bertou

 

Le nom de Nigella fait penser à une petite fleur dont la délicate couleur bleue apparait sur le logo de l’Ensemble Musica Nigella. Mais il exprime le lieu de naissance de l’ensemble : Tigny-Noyelle, un village de la Côte d’Opale. A une origine lointaine, celui-ci se dénommait Nigella ! Le festival Musica Nigella existe depuis 2006. Le corniste, Takénori Némoto, son directeur artistique, a eu la bonne idée de créer, en 2010, le premier ensemble orchestral professionnel du Pas-de-Calais. Ses membres sont issus de différents horizons, l’ONF, Les Musiciens du Louvre, l’ONB, l’Orchestre Symphonique de Lucerne, l’Orchestre de Chambre d’Europe. C’est une sorte d’ambassadeur de la région Nord/Pas-de-Calais. Le Musée d’Orsay a eu la bonne idée de le programmer dans son cycle « Allegro Barbaro », après l’avoir entendu dans son dernier concert-spectacle, « Le Voyage d’Hiver » de Schubert, mis en scène par le grand acteur, metteur en scène Yoshi Oïda, au Théâtre de l’Athénée. Il y a peu d’œuvres contemporaines pour cor, et Takénori Nemoto aime faire des transcriptions pour le sextuor. Ernö Donányi a écrit son Sextuor pour cor en 1935, empreint de l’esprit de Brahms, romantique à souhait. Cette tendance existait encore dans les années trente à Budapest. Malgré quelques longueurs, c’est une œuvre agréable, et le cor de Takénori Nemoto a sonné brillamment. Le premier mouvement, allegro, a permis de découvrir la belle sonorité de tous les musiciens de l’ensemble. L’intermezzo-adagio, une sorte de marche funèbre, nous conforta dans la qualité d’interprétation de Musica Nigella. L’Intermezzo pour trio à cordes, œuvre courte de Zoltán Kodály, permit aux cordes de montrer que nous étions face à des musiciens hors pair. Pablo Schatzman, le violoniste, a un son d’une chaleur exceptionnelle qui se confirma dans les œuvres de Bartók qui suivirent. Le trio pour clarinette, piano et violon, intitulé « Contrastes », a été écrit en 1938 pour Benny Goodman, le célèbre clarinettiste de jazz. Nicolas Ducloux au piano, François Miquel à la clarinette et Pablo Schatzman au violon ont donné de cette célèbre rhapsodie une interprétation très convaincante. Le sextuor, en fin de concert, s’est reformé pour jouer les fameuses danses populaires roumaines écrites pour piano et dont Nemoto a tiré un arrangement pour l’Ensemble. Toutes les qualités d’interprétation de Musica Nigella se sont retrouvées dans cet arrangement : brillance des timbres des cordes, (Laurent Camatte, alto, Annabelle Brey, violoncelle), sûreté du jeu du pianiste et du clarinettiste, précision dans les attaques. Takénori Némoto, plus en retrait, soulignait par moments les harmonies délicates de cette œuvre si connue. L’énergie, la beauté du son que dégagea cet ensemble a touché le public silencieux et attentif. Il faut absolument aller écouter l’Ensemble Musica Nigella dans leur prochain concert, à la Folle journée de Nantes, le 2 février 2014, dans des œuvres de Copland, Prokofiev et Bartók. Le « voyages d’hiver » reviendra lui aussi en 2014.  

Stéphane Loison.

   

Dutilleux et Bartók par le Quatuor Psophos  


© Marie Julliard

 

Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ont du talent ! C’est ce qu’on peut dire à l’écoute de ce concert. Créé au sein du Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse de Lyon en 1997, le Quatuor Psophos a été nommé en 2005 « meilleur ensemble de l’année » aux Victoires de la Musiques. Il a été le premier ensemble français sélectionné par la prestigieuse « New Generation Artist » de la BBC, à Londres. Il s’est spécialisé dans le répertoire contemporain. Il est le partenaire privilégié de compositeurs tels que Nicolas Bacri ou Marc Monnet. A l'amphithéâtre du Musée d’Orsay, dans le cadre de l’exposition « Allegro Barbaro », ils ont interprété Henri Dutilleux et Béla Bartók. Cette association n’est pas innocente : comme dans le 5 ème quatuor de Bartók, le discours de Dutilleux se déploie à partir d’un noyau générateur et les mouvements, au nombre de sept, sont agencés à partir de cette simple thématique. Composé entre 1971 et 1977, sur une commande de la Fondation Koussevitzky, et destiné au Quatuor Julliard, « Ainsi la nuit » a été créé à Paris par le Quatuor Parrenin le 6 janvier 1977, et donné en première audition américaine par le Quatuor Julliard le 13 avril 1978, à Washington. Dédié à la mémoire d’Ernest Sussman, amateur d’art américain et ami du compositeur, le quatuor est écrit en hommage à Olga Koussevitzky. Ainsi que l’a expliqué Dutilleux : « Je n’avais jamais écrit jusque-là pour le quatuor. J’ai commencé par ébaucher des pièces qui se présentaient un peu comme des études pour m’exercer à cette tâche nouvelle pour moi. Il s’agissait de fragments isolés sans véritables liens entre eux, mais que je fis parvenir au Quatuor Julliard pour qu’ils se familiarisent avec mon écriture. » À partir de ces « études », Dutilleux a tenté d’établir un lien entre les sept sections du quatuor en intercalant irrégulièrement des Parenthèses : « Tout se transforme insensiblement en une sorte de vision nocturne, d’où le titre 'Ainsi la nuit'. Cela se présente, en somme, comme une suite d’états avec un côté quelque peu impressionniste ». Le Quatuor constitue une illustration supplémentaire du concept de mémoire cher à Dutilleux au travers des notions de variation et de préfiguration. L’écriture instrumentale se situe de façon avouée dans le sillage des quatuors de Beethoven et de ceux de l’École de Vienne. Guillaume Martigne, exceptionnel violoncelliste de l’ensemble, n’a pas caché que jouer « Ainsi la nuit » était aussi un hommage au compositeur qui vient de disparaître cette année et auquel peu d’événements ont été dédiés. Martigne avait eu la chance de rencontrer Dutilleux lorsqu’il avait treize ans. Quel plaisir d’entendre cette pièce et quelle belle interprétation en ont fait ces jeunes. Ayant moi-même fait un film avec Henri Dutilleux sur sa musique de chambre, j’étais encore plus ému d’entendre ce quatuor. Cette œuvre, pas simple d’accès, difficile à interpréter, est devenu classique comme toute l’œuvre de cet immense compositeur. Le 5 ème Quatuor de Bartók était joué en seconde partie. L’association de ces deux œuvres, et dans cet ordre,  était intéressante car nous pouvions mieux comprendre l’influence de Bartók  sur la conception du quatuor de Dutilleux. Se dénommer « événement sonore » (Psophos en grec) ne manque pas de panache. Les membres ont changé au cours du temps, ils ont tous de fortes personnalités qui s’accordent parfaitement. Guillaume Martigne, le violoncelliste, a une très belle sonorité, Cécile Grassi, l’alto, n’était pas mise en valeur du fait de l’acoustique de la salle et malgré toute l’énergie qu’elle déployait. Il faut dire que jouer ce genre de musique à midi est un exploit. Mais ces jeunes gens prennent des risques et vu leur parcours et les artistes qui aiment jouer avec eux, ils ne peuvent qu’être que gagnants. Oui, ce concert avait bien l’air d’un événement sonore !

 

Stéphane Loison.

 

Floriliège hongrois par le Quatuor Keller

 


© Andreas Felgevi

 

Fondé en 1987 au Conservatoire Liszt à Budapest, le Quatuor Keller a su s'imposer sur la scène internationale dès 1990 en remportant, la même année, tous les prix réguliers et exceptionnels à la fois au Concours d'Evian et au Concours Borciani. Il a enregistré de nombreux quatuors dont récemment ceux de Kurtàg et les derniers de Chostakovitch. La formation d’origine a évolué mais il est toujours 100% hongrois. Le programme offert l’était aussi. Zoltán Kodály (1882-1967) est originaire de Kecskemét, dans l'Empire austro-hongrois. Il entrera à l'Université de Budapest tout en étudiant la composition à l'Académie de musique de la ville, où il y rencontra Béla Bartók qui restera son plus fidèle ami jusqu'à sa mort. Avec Bartók, il va recueillir, mettre en forme et publier une quantité considérable de chants traditionnels populaires. Pendant la seconde guerre mondiale, Kodály restera à Budapest, se retirant de l'enseignement. En 1945, il fut nommé président de l'Académie Hongroise des Arts, et assurera également la présidence de l'Académie Internationale de Musique Populaire ainsi que la Présidence d'Honneur de la Société Internationale pour l'Éducation Musicale. Il est l'un des artistes hongrois les plus connus et les plus respectés. Les quatuors, au début du XX ème siècle, en Hongrie, étaient affaire de musiciens amateurs. Le premier Quatuor Hongrois professionnel s’intéressa plus à la musique contemporaine. Le coup d’envoi fut avec celui de Kodály en 1909, puis ceux de Bartók. Ce quatuor ouvrait une voix nouvelle en matière de composition, par ses couleurs modales inusitées, ses mouvements construits autour de thèmes inspirés du folklore. Inutile de dire que les Keller le possèdent parfaitement et l'interprètent avec beaucoup de tenue. C’est dans la magnifique interprétation du Premier Quatuor de Gyorgy Ligeti que les quatre musiciens, grands solistes, ont fait la démonstration qu’ils jouaient d’une seule voix. Rarement une telle connivence, un tel raffinement s’est fait entendre dans ce quatuor si particulier. La partition ne comprend qu’un seul mouvement, organisé en courtes sections contrastant par la conception du jeu à quatre. Le début est une sorte de mise en abime, puis peu à peu le tissu canonique mène à un point culminant, si reconnaissable du style de Ligeti. C’est une œuvre qui demande une attention particulière et le public a été totalement subjugué par cette œuvre. En deuxième partie, Andras Keller et Zsófia Kömyei ont joué quelques duos pour violons de Bartók, avant que le quatuor interprète le N°4 du musicien. Cette œuvre, Ligeti ne la connut que très tard car elle ne passait pas à la radio dans les années cinquante. Seules les œuvres les plus simples étaient retransmises, les autres étaient interdites d‘antenne. Ce quatuor est d’une conception audacieuse, le mouvement lent constituant le noyau de l’œuvre autour duquel les autres mouvements se stratifient. Les Keller étaient, là aussi, dans leur élément. En bis, ils offrirent un extrait du quatuor N°16 op.135, le « Lento assai cantante e tranquillo » de Beethoven, de toute beauté.

 

Stéphane Loison.

 

 

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L’EDITION MUSICALE

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CHANT

 

Vicki TUCKER COURTNEY : 10 poetic settings for male voices. Présentés en deux clés et deux tonalités. 1 vol. 1 CD. Alfred : 39852.

On peut aussi se procurer ce volume sans CD. Il s’agit d’un recueil pour ténor ou baryton/basse, le baryton étant écrit en clé de fa et le ténor en clé de sol. Ces mélodies ont été écrites sur des poèmes de la fin du 19° siècle ou du début du 20° siècle. On trouvera à la fin du volume une notice concernant ces poètes. On appréciera la fraicheur de ces compositions. Le CD contient les accompagnements en play-back dans les deux tonalités.

 

Sally K. ALBRECHT : A World of Christmas. Holiday songs, Carols and customs from 15 countries. 1 vol. 1 CD. Alfred : 39964.

Voici un volume tout à fait original. Loin d’être un simple recueil de Noëls du monde, il comporte pour chacun des quinze pays visités un texte de liaison à faire dire par deux récitants. Les chants sont à une et deux voix. Les arrangements sont très frais et très respectueux des styles divers, tout en ayant également leur originalité. L’accompagnement est écrit pour le piano, mais le CD donne une version intégrale (textes et musique) et une version play-back orchestrées avec beaucoup de goût. Le CD contient également en PDF la couverture, le « livret » (le texte intégral) et les parties séparées des chansons, ce qui permet une mise en œuvre facile dans les écoles ou conservatoires. Bien sûr, l’ensemble est en anglais, mais à l’heure du bilinguisme, ce n’est pas forcément un obstacle !

 

 

Stephen SCHWARTZ : Pippin. Extraits de la comédie musicale de Broadway. Chant et piano. Edition révisée. Alfred : 41090.

Cette comédie musicale, créée en 1972 à Broadway où elle a connu un immense succès, a été reprise à Los Angeles et en 2013 de nouveau à Broadway. Théâtre dans le théâtre, la pièce s’inspire très librement des aventures de Charlemagne et de Pépin dans un Moyen-Âge d’opérette. L’ensemble est très plaisant. Gageons que si cette production était montée à Paris, elle y aurait beaucoup de succès. On peut la voir intégralement sur un site bien connu.

 

 

Andy BECK : Vocalize ! 45 échauffements vocaux accompagnés pour la technique vocale. 1 vol. 1 CD. Alfred : 40024.

Que voilà une excellente initiative que ce recueil qui sera certainement apprécié des chefs de chœurs désireux de renouveler la « mise en voix » de leur chœur. Bien sûr, c’est en anglais, mais on peut toujours adapter. Le CD comporte à la fois l’accompagnement de chaque vocalise et leur PDF, ce qui permet d’imprimer le recueil pour choriste. Bien sûr, l’accompagnement du volume est prévu pour piano, mais l’orchestration du CD est bien agréable ! Bref, il s’agit d’une manière originale et efficace de faire faire (ou de faire soi-même) de la mise en voix.

 

 

Francesca LICCIARDA : Airs d’opéras italiens. Soprano et piano. Schott : ED 21421.

On trouvera dans ce recueil pas moins de 18 airs de Pergolèse, Mozart, Donizetti, Bellini, Verdi, Catalani, Leoncavallo et Puccini. On appréciera tout particulièrement la clarté de cette édition et la pertinence du choix des airs.

 

 

ORGUE

 

Alexandre Pierre François BOËLY : Douze pièces pour l’orgue avec pédale obligée op. 18. Fac-similé de l’édition originale. Chanteloup-Musique : CMP004.

Éric Lebrun, qui présente ce recueil, pose d’emblée la question de savoir si ces pièces ont été écrites pour orgue ou pour piano pédalier. Il semble que ce soit prioritairement pour l’orgue. Mais pour bien les interpréter, il est indispensable de savoir de quels instruments Boëly a disposé. C’est à quoi s’attache Éric Lebrun avec la compétence qu’on lui connait.  D’autre part, la reproduction de l’édition originale, disponible nulle part ailleurs, rend encore plus précieuse cette publication.

 

 

Eric LEBRUN : Contes de la rue Traversière pour orgue. Quinze poèmes musicaux pour les petites mains. Chanteloup musique : CMP001.

Ces quinze pièces de difficultés diverses, mais dont la plupart sont très facilement abordables par les « petites mains » (et petite jambes) auxquelles elles sont destinées sont autant de petits portraits ou de petits tableaux associés à des historiettes bien savoureuses. Au fil des pages, on trouvera des allusions qui pourront être exploitées par le professeur… Citons entre autres la pièce intitulée « Des pays lointains et mystérieux… » qui fait instinctivement penser à Schumann… et qui commence par le nom de Bach (sib la do si bécarre) ! En résumé, voici des pièces à la fois pleines d’esprit, de charme et de musique. Et qui prouvent si besoin en était, que les organistes ne sont pas forcément (malgré l’un des titres) des dinosaures… Au fait, cette « rue Traversière » est aussi l’adresse de l’église où Éric Lebrun est titulaire…

 

 

PIANO

 

Cindy BERRY : What Can I Play for Christmas ? 10 arrangements faciles pour piano. Vol. 2. Alfred : 41469.

Ces dix Noëls traditionnels plutôt anglo-saxons sont arrangés avec goût et sans « facilités ». Ils égaieront volontiers une soirée familiale et peuvent aussi contribuer à faire découvrir les originaux.

 

 

Isaac ALBÉNIZ : Suite espagnole op. 47 pour piano. Edité par Olga Llano Kuehl-White. Alfred : 40571.

Cette édition, très claire, soigneusement revue et doigtée, vaut beaucoup par la copieuse présentation de l’éditrice. Notice sur le compositeur et sur le genre musical, conseils d’interprétation de chacune des pièces, considérations éditoriales, glossaire des termes espagnols, rien ne manque pour aider les interprètes à pénétrer ce répertoire si caractéristique.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Sonatas K. 381, 358, 497, 521 pour piano à quatre mains. Editées par Charles Timbrell. Alfred : 39487.

En plus d’une édition claire et soignée, Charles Timbrell nous propose une introduction très intéressante comprenant notamment l’analyse de chacune de ces sonates ainsi, bien sûr, que de judicieux conseils d’interprétation.

 

 

 

Franz LISZT : Sonate en si mineur pour piano. Urtext. Editée par Michaël Kube. Bärenreiter : BA 9650.

Cette nouvelle édition de ce monument de la littérature pianistique se veut être à la fois une édition critique et une édition d’étude. Disons que le but est pleinement atteint. La copieuse préface de Michaël Kube replace l’œuvre dans son contexte et rappelle en particulier qu’il lui fallut du temps pour être acceptée comme une œuvre profondément novatrice.

 

 

GUITARE

 

Serge DI MOSOLE : Laurencia pour guitare. Assez facile. DLT2262.

Construite à la manière d’un prélude de Bach, cette très jolie pièce est, nous dit l’auteur, « une déclaration d’amour [à sa femme] qui s’est enrichie au fil des jours et des années. » Voici une bien jolie preuve d’amour à faire résonner sans modération !

 

 

 

 

VIOLON

 

Olivier KASPAR : Sonate brève pour violon seul. Chanteloup musique : CMP003.

Cette courte pièce comporte trois mouvements de structure classique. Le troisième est un scherzando molto vivace aux structures rythmiques changeantes avec les alternances de mesures à 6/8, 7/8, 5/8, 3/8 etc. On en appréciera le langage original en même temps qu’accessible. C’est de la bien belle musique.

 

 

 

Edward HUWS JONES : The Latin-American Fiddler. 1 vol. 1 CD. Boosey & Hawkes : BH12400.

Si le volume est écrit pour un violon soliste, un violon d’accompagnement et piano, il peut être également utilisé en solo, en duo, avec des petites percussions, avec une guitare (les accords sont indiqués)…  Quant au contenu, on y trouve douze des plus fameux standards latino-américains. Citons entre autres La cucaracha, El condor pasa, Quizas, quizas, quizas… Bref, tout cela est de difficulté moyenne et permettra d’enrichir le répertoire d’une classe de violon ou surtout d’un cours de musique d’ensemble, sans oublier celui des amateurs… Le CD, fort bien réalisé, contient l’ensemble des morceaux exécutés intégralement et la version play-back. On appréciera également les indications précises (coups d’archet des violons) et la traduction en français de la préface…

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Quatre notes s’amusent pour violon et piano. Débutant. Delatour : DLT2228.

Cette jolie et poétique pièce sur les cordes à vide est un véritable petit morceau et permettra au jeune violoniste d’exprimer immédiatement son sens musical. C’était une gageure, elle est magnifiquement tenue. Nous avons recensé la version pour violoncelle dans notre lettre de décembre. On verra ci-dessous la version pour alto. La pièce peut être écoutée sur le site de l’éditeur.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Tourbillons pour violon et piano. Niveau Moyen. Delatour : DLT2231.

Ces charmants tourbillons sont une sorte de mouvement perpétuel ; on peut penser aussi au « Vol du bourdon ». Ils sont en tout cas bien agréables à entendre même s’ils risquent de donner du fil à retordre au violoniste. On peut entendre la pièce sur le site de l’éditeur.

 

 

 

ALTO

 

Rose-Marie JOUGLA : Quatre notes s’amusent pour alto et piano. Débutant. Delatour : DLT2235.

On se reportera à la version pour violon pour voir tout le bien qu’on peut penser de ce morceau.

 

 

 

CONTREBASSE

 

W.A. MOZART : Air de Leporello, extrait de Don Giovanni. Transcription pour la contrebasse d’Emilie Postel-Vinay. Chanteloup musique : CMP006.

Il n’est pas évident de faire des transcriptions pour contrebasse. Emilie Postel-Vinay, auteur d’une méthode pour contrebasse et musicienne aux multiples facettes y parvient avec beaucoup de classe. On appréciera donc cette transcription qui met à la portée du contrebassiste un des grands airs du répertoire mozartien.

 

 

 

J. Peter CLOSE, Holger SASSMANNSHAUS : Konzetstücke für kontrabass ond klavier. Bärenreiter : BA 9696.

De Bach à Boguslaw Furtok (contebassiste polonais contemporain), les auteurs nous proposent une série de pièces de concert arrangées pour la contrebasse. Au fil des pages, on peut trouver le fameux largo du concerto en fa de Bach, la Marche des prêtres de la Flûte enchantée, le Cygne de Saint-Saëns, plusieurs Fauré, bref toute une série de « tubes » très bien transcrits qui enrichiront le répertoire de l’instrument et feront la joie des amateurs de contrebasse.

 

 

 

FLÛTE TRAVERSIERE

 

Francis COITEUX : Au bord du ruisseau pour flûte et piano. Niveau 2ème cycle. Sempre più : SP0073.

Cette œuvre se présente comme une petite sonate en trois mouvements enchainés : un andantino plein de charme, un cantabile en forme de romance à 6/8 et un allegretto brillant pour terminer. Il y a là de quoi mettre en valeur toutes les qualités aussi bien techniques que musicales de l’interprète. Ajoutons que le piano, loin d’être un simple accompagnateur, dialogue à part entière avec le flûtiste.

 

 

 

Claude DEBUSSY : L’Isle joyeuse pour flûte et piano. Arrangement : Alexandre Gasparov. 3ème cycle. Sempre più : SP0066.

Voici un arrangement tout à fait convaincant. Certes, il est toujours permis de préférer les originaux aux arrangements, mais nous ne prendrons pas parti ! On connaît l’art d’Alexandre Gasparov comme compositeur. L’arrangement qu’il nous propose est à la hauteur de ses habituelles productions.

 

 

 

Alexandre CARLIN : Armorique pour flûte en ut et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2648.

Trois parties pour ce voyage en Bretagne qui s’ouvre par une délicate mélodie en ré mineur, un peu mélancolique, exposée puis ornée. Le piano assure la transition avec un più mosso à 12/8 résolument majeur puis une cadence débouche sur une sorte de coda qui se termine, après hésitation, en majeur. Le tout est bien agréable et devrait charmer les futurs interprètes.

 

 

André GUIGOU : Bords de mer – Deux impressions pour flûte et piano. Elémentaire.  Lafitan : P.L. 2576.

Après une première impression très chantée qui peut évoquer une flânerie sur la plage ou dans les rochers, un allegretto subito évoque plutôt les jeux de plages, les courses poursuites, ou un vent tempétueux. Bref, toutes les imaginations sont permises pour mettre en œuvre et interpréter cette pièce délicate et fort musicale.

 

 

 

CLARINETTE

 

Olivier DARTEVELLE : Silent moviepour clarinette et piano. 3ème cycle. Sempre più : SP0064.

Le programme de ce film muet est donné par l’auteur… Les séquences traditionnelles d’un « standard » des années vingt se déroulent dans le style jazzy de l’époque. Cette pièce très plaisante fera certainement le bonheur de ses jeunes ou moins jeunes interprètes.

 

 

Alexandre CARLIN : Au pied de la muraille pour clarinette en sib et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L. 2642.

De quelle muraille s’agit-il ? C’est certainement à la Grande Muraille de Chine que fait d’abord penser l’allure pentatonique du thème. Mais on peut aussi trouver d’autres murailles et laisser libre cours à son imagination. Quoi qu’il en soit, cette pièce à l’allure extrême-orientale se déroule dans une atmosphère un peu nostalgique mais bien agréable. L’accompagnement de piano peut être sans difficulté confié à un élève, occasion ou jamais de sortir les pianistes de leur superbe isolement…

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Concerto « Les kangourous » pour clarinette en sib avec accompagnement de piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L. 2547.

L’auteur profite de ce concerto pour nous raconter une très jolie histoire, avec son élément perturbateur (les chasseurs) et sa fin romantique à souhait : les deux jeunes héros de l’histoire, Adélaïde et Sydney, nos deux kangourous, valsent pour sceller leurs retrouvailles. Comme le fait remarquer l’auteur, quand les chasseurs arrivent, « C’est la panique (pour les kangourous, pas pour le clarinettiste !) ». Pianiste et clarinettiste sautent cependant de concert (mais symboliquement, cela va sans dire… Bref C.-H. Joubert nous propose là une pièce qui mettra en valeur les talents divers des jeunes interprètes.

 

 

SAXOPHONE

 

Yves BOUILLOT : Triptyque élégiaque pour saxophone alto et piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L.2632.

Légende, Chanson et Danse forment les trois volets de ce triptyque qui fait évidemment penser aux poètes grecs ou latins. Si seulement ce pouvait être l’occasion de faire découvrir aux élèves cette forme de littérature (en traduction, bien entendu… !). Il y a beaucoup de charme et de poésie dans ces trois courtes pièces qui demanderont à l’interprète de montrer sa sensibilité…

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Concerto « Les papillons » pour saxophone alto avec accompagnement de piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L.2548.

C’est l’histoire de deux papillons polonais (d’où le style de leur thème), d’une certaine Rose Dujardin (allez savoir pourquoi…) et, bien sûr, d’un affreux chasseur de papillons. Ce sera l’occasion pour les deux interprètes de montrer toutes les facettes de leur talent : bonheur, angoisse, triomphe se succèdent en effet, demandant autant d’expressivité que de souplesse technique… Mais toujours, comme avec C.-H. Joubert, au service d’une bien plaisante musique.

 

 

 

BASSON

 

Pascal PROUST : Les souris dansent pour basson et piano. Fin premier cycle. Sempre più : SP0072.

Voici un plaisant bal où des danses variées s’enchaînent pour le plus grand plaisir des jeunes interprètes. La musique est gaie et très plaisante.

 

 

 

TROMPETTE

 

Peter WASTALL : Learn as you play. 1 vol. 1 CD. Boosey & Hawkes : BH12470.

Il s’agit d’une méthode pour débuter trompette, cornet et bugle. Destinée en particulier aux fanfares, harmonies et autres ensembles de vents, elle suit pas à pas l’apprentissage des élèves par des exercices simples et de nombreuses mélodies qui donnent lieu à des playbacks jazzy tout à fait séduisants.

 

 

 

COR

 

Pascal PROUST : Pauvre Argos ! pour cor et piano. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0074.

Illustrant la poignante histoire du chien d’Ulysse qui mourut lorsqu’il eut reconnu son maître après vingt ans d’absence, cette pièce s’ouvre par un long récitatif de cor avant de se déployer dans une belle mélodie aux tempos variés.

 

 

 

MUSIQUE D’ENSEMBLE

 

John O’REILLY et Mark WILLIAMS : Holiday Collection. 22 arrangements pour grand orchestre à vent (et piano conducteur). Alfred : 41312 et suivants.

Le numéro donné ici est celui du conducteur, et les numéros suivants sont ceux des parties séparées. Ces vingt-deux arrangement, publiés primitivement à l’intérieur d’une méthode des mêmes auteurs sont donc ici disponibles séparément. Les thèmes sont des « timbres » bien connus, y compris dans notre pays, de Noël ou de la Fête des lumières. Les arrangements sont écrits pour orchestre à vent, piano et percussions. Ils sont susceptibles d’être adaptés à des formations variables et devraient être particulièrement appréciés par les orchestres d’écoles de musique. Il ne serait d’ailleurs pas hérétique de leur adjoindre des cordes… Bref, il s’agit d’un recueil qui devrait être beaucoup apprécié.

 

 

 

OPERA

 

Isabelle ABOULKER : Petit opéra thérapeutique. Fantaisie Lyrique pour 3 chanteurs et piano. Delatour : DLT2133.

Ce petit opéra de poche pour trois chanteurs et un piano est vraiment plein d’humour et de charme, même s’il traite de sujets graves tirés d’un traité médical du XVIII° siècle. Ce texte de Monsieur Félix Vicq d’Azyr (1748-1794), fondateur en 1776 de la Société royale de médecine de Paris sert donc de livret et a des aspects surréalistes qui donnent à cette œuvre un aspect tragi-comique, ou d’humour noir, comme on voudra. Le tout est exprimé dans un langage musical très « classique » et très léger en même temps… On pourrait penser parfois à du Chabrier. Bref, il s’agit d’une pièce à découvrir (on peut l’entendre intégralement sur le site de l’éditeur) et à mettre en œuvre pour le plus grand plaisir des auditeurs comme des interprètes.

 

 

 

Antonio SALIERI : Prima la musica e poi le parole. Divertimento teatrale in un atto. Operetta a quattro voci. Partition chant et piano. Bärenreiter : BA 8811-90.

Ce très plaisant ouvrage du trop méconnu et trop calomnié Antonio Saliéri est un exemple parmi tant d’autres de « théâtre dans le théâtre » qui permet à l’auteur de se livrer à la parodie d’un opéra de Giuseppe Sarti. C’est une œuvre qui mérite d’être découverte. On lira comme toujours avec intérêt et profit la préface très documentée de Thomas Betzwieser.

 

 

G F. HÄNDEL : Arminio Opera in tre atti. HW 36. Chant et piano. Bärenreiter : 4100-90.

L’histoire d’Arminius, qui apparait à un certain moment comme le « libérateur de la Germanie » a été abondamment reprise au cours des âges et spécialement au 18ème siècle comme livret d’opéras. L’opéra d’Haendel s’inscrit dans cette abondante production. Mais on lira tout cela dans la préface tout à fait intéressante de Stephan Blaut. L’édition critique qui nous est offerte ici nous donne le texte et les variantes, ainsi que des versions ornementées des arias 10 et 18, ce qui est particulièrement intéressant.

 

 

Daniel Blackstone.

 

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Gilles CANTAGREL : Carl Philipp Emanuel Bach et l’âge de la sensibilité, Genève/Drize, Éditions Papillon (www.editionspapillon.ch ), 2013, Collection Mélophile, 224 p.

La dynastie Bach ne présente guère de secrets pour Gilles Cantagrel, l’éminent spécialiste français. Il situe le célèbre fils cadet de Jean Sébastien Bach et de Maria Barbara, né à Weimar en 1714 et mort à Hambourg en 1788, dans l’histoire des sensibilités et des mentalités et, plus particulièrement, dans la mouvance de l’Empfindsamkeit. L’auteur s’appuie sur des sources authentique telles que l’autobiographie dans laquelle Carl Philipp Emanuel précise ses origines, mentionne ses années d’études (École Saint-Thomas de Leipzig –où il n’a « jamais eu d’autre maître que son père »-, Droit à Leipzig et Francfort-sur-l’Oder). Il s’installe à Berlin au service de la Cour de Prusse, puis, en 1767, succède à Telemann à Hambourg comme Directeur de la musique et est ensuite nommé Capellmeister de la Princesse Amalia de Prusse ; ses fonctions ne lui ont pas permis de voyager à l’étranger. Il est d’ailleurs surnommé le « Bach de Berlin ». En 6 chapitres clairement structurés, l’auteur décrit d’abord la période allant de Weimar à Berlin (1714-1740), placée sous le signe de « la grandeur inimitable de mon père », et évoque les premières compositions. Deux chapitres relatent son service à la Cour de Frédéric II de Prusse (à noter les remarquables illustrations concernant cet environnement), flûtiste et élève de J. J. Quantz, « qui n’aime que la flûte »…, puis ses activités de Directeur à Hambourg, associées à « de lourdes fonctions du Cantor ». Il y rencontrera Charles Burney et le Baron von Swieten, entre autres. Deux autres chapitres sont consacrés à sa musique vocale : Odes (forme en vogue à cette époque), Lieder, œuvres profanes et religieuses. Sa musique instrumentale pour clavier seul comporte des Sonates, pièces variées et portraits, seulement six Sonates pour orgue (sans partie de pédalier obligé pouvant être interprétées au pianoforte), cinq Préludes de choral et, selon des recherches récentes (2008), le Recueil Pedal Exercitium(BWV 598 -attribué par erreur à J. S. Bach) ainsi que des œuvres de musique de chambre, des Concertos et Symphonies marqués par l’Empfindsamkeit. Il est aussi l’auteur du Traité Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen(publié à Berlin en 1753, second volume plus important en 1762), avec des Sonates en trois mouvements. Le dernier chapitre, le plus significatif, concerne l’homme et montre comment, à travers de nombreux états d’âme, il est à l’origine d’une « musique nouvelle » ayant, selon ses propres termes, pour finalité de « s’emparer des cœurs. » Le remarquable Tableau synoptique (p. 208-213) permettrait à lui seul de réaliser le rôle considérable de Carl Philipp Emanuel Bach. Gilles Cantagrel s’est fixé de « proposer un portrait de cet homme si attachant, et d’inciter à découvrir et à écouter la musique de cet immense musicien » : contrat rempli.

Édith Weber.

 

Danièle PISTONE : Répertoire des Thèses françaises relatives à la musique (1810-2011), Paris, Librairie Honoré Champion, Collection « Musique et Musicologie » n°44, 2013, 515 p. 

Ce Répertoire des Thèses, déjà un incontournable, rendra de multiples services aux musicologues, historiens, esthéticiens, chercheurs, directeurs de recherche, bibliothécaires et documentalistes. Il complète notamment le répertoire des Thèses françaises sur le site du SUDOC (Système universitaire de documentation), dont le Catalogue commence en 1972, alors que le présent volume englobe les Thèses françaises relatives à la musique depuis plus de deux siècles.  La recherche musicologique a pris un essor considérable surtout à partir de la création des Écoles doctorales. Les types de Thèses recensées sont : le Doctorat d’État (1808-1984) avec deux Thèses, le Doctorat d’Université (1897-1984), le Doctorat de 3e Cycle (1958-1984) et, à partir de cette date, la Thèse unique, avec mention de l’établissement et de la spécialité (cf. p. 8-9). Ce volume signale la liste des directeurs, des établissements de soutenance ainsi que la chronologie des Thèses citées (y compris celles de l’École des Chartes et du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris). L’Index des Matières (p. 427-514) renvoyant aux auteurs, particulièrement éloquent et instructif, souligne toute la diversité inattendue et inouïe des matières traitées pendant quelque deux siècles de recherche française relative à la musique et à la musicologie, à titre indicatif : histoire musicale ; analyse et théories ; esthétique (formes et genres) ; acoustique et organologie ; psychologie et psychopédagogie, perception, neurosciences et musicothérapie ; ethnomusicologie et régionalisme ; sociologie et politique, sans oublier les problèmes de réception et l’aspect juridique… Cet imposant bilan -résultat d’une prospection de longue haleine- est tout à l’honneur de la recherche menée dans les Universités françaises.

 

Édith Weber.

 

 

Nicolas Donin & Laurent Feneyrou (dir.) : Théories de la composition musicale au XXe siècle. Éditions Symétrie, collection Symétrie Recherche, série 20-21. 2013, 2 vol. 17x24 cm, 1840 p.

 

Les Éditions Symétrie nous offrent deux volumes de haute érudition confiés, pour ce qui concerne leur direction scientifique, à Nicolas Donin et Laurent Feneyrou, du C.N.R.S. Leur riche introduction nous aide à aborder assez sereinement un sujet aussi vaste que complexe, souvent nourri par de vaines polémiques. Il s’agit assurément d’une première en matière d’édition musicale de langue française. Traitant du dernier état de la question, cette publication ouvre, par conséquent, de passionnantes perspectives à l’aube de ce XXIe siècle en matière de réflexion sur le langage musical. Ce faisant, les cinquante-sept contributeurs posent des problèmes essentiels qui ont rarement été résolus de façon complètement satisfaisante. Ainsi, le concept de théorie, en tant que scientia ou expression des lois, ne saurait bien évidemment s’envisager sans son pôle complémentaire, l’expérience. En effet, il n’y pas de théorie valable sans une expérimentation qui la valide de même qu’il ne saurait y avoir d’expérience sans une théorie qui la régisse. En l’occurrence, il est principalement question de ne pas confondre une théorie sur la musique avec une théorie de la composition musicale. De surcroît, elles ne se déclinent certainement pas au singulier. Tous les compositeurs traités dans cet ouvrage ont, peu ou prou, créé des concepts. La question est de savoir si ceux-ci constituent véritablement le point de départ d’une théorie de la connaissance telle que, par exemple, le scepticisme du philosophe écossais David Hume (1711-1776) l’a stimulée et fécondée en son temps. Autrement dit, une pensée favorable à l’idéalisme perceptif et non à l’empirisme perceptif uniquement préoccupé par la matière. Dans son intéressante préface, le pianiste Pierre-Laurent Aimard a raison de préciser que, le plus souvent, les « créateurs explicitent peu leur musique ». D’où une collaboration parfois périlleuse entre les compositeurs et leurs interprètes. Depuis la révolution schoenbergienne, les langages se sont multipliés à foison sans que la réflexion herméneutique ait finalement progressé en conséquence. Ces Théories de la composition musicale au XXe siècle ont donc le mérite de circonscrire, temporairement, un large état des lieux en ce domaine.

 

Huit grandes parties – Musiques de l’avenir et relectures du passé, Entre pratique et théorie, Collectifs, Le nœud sériel, Trajectoires, Notions et genres, Conquêtes du son, Nouveaux concepts – réparties sur près de deux mille pages, introduisent à des problématiques caractéristiques de l’évolution du langage musical. D’entrée de jeu, N. Donin et L. Feneyrou précisent que « dans ce contexte, [ils s’intéresseront] essentiellement, sinon exclusivement, aux théories de la composition produites par des compositeurs – soit qu’ils aient inventé des théories, soit qu’ils en aient infléchies à travers un usage personnalisé » (p. 11). Il n’est certes pas possible, dans cette recension, de rendre compte de chacune des nombreuses contributions. Il y faudrait un ouvrage en soi. Certaines ont néanmoins retenu plus particulièrement mon attention. Ludwig Holtmeier, professeur de théorie musicale à la Hochschule für Musik de Freiburg im Breisgau, signe l’article Arnold Schoenberg : généalogie d’une théorie musicale (I, p. 23-66). En effet, il semble difficile de ne pas évoquer la figure parfois énigmatique, sinon paradoxale, de ce compositeur révolutionnaire dont la théorie apparaît comme « conservatrice ». Son Traité d’harmonie (Harmonielehre) de 1910/11, « livre étonnamment brouillon et déroutant », en témoigne grâce à une solide technique héritée aussi bien du fameux professeur autrichien Simon Sechter (1788-1867) que du musicologue positiviste Hugo Riemann (1849-1919). Pourtant, L. Holtmeier écrit que « Schoenberg a tout trouvé par lui-même » (p. 27). Rémy Campos, professeur d’histoire de la musique au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, a intitulé sa contribution : Le Cours de composition de Vincent d’Indy (I, p. 67-92). Avec ce professeur (1851-1931) de la Schola Cantorum parisienne, nous voyageons à destination d’une autre planète. Mais il est vrai que d’Indy appartient à une génération et à une culture foncièrement différentes. Ce disciple de César Franck (1822-1890) a été, il est vrai, l’un des rares compositeurs français à révéler une pensée théorique et pédagogique à l’égal de ses confrères germaniques et anglo-saxons. R. Campos précise que, pour V. d’Indy, « la création musicale est un acte de tradition » (p. 72). C’est en ce sens, certainement, qu’il a forgé la synthèse entre une « théorie ramiste et un fonctionnalisme inspiré des thèses de Riemann » (p. 77). Mais, alors, peut-on, en cela, lui attribuer fondamentalement « une compétence herméneutique » (p. 92) au sens où l’entendait, par exemple un Wilhelm Dilthey (1833-1911) ? Giselher Schubert, musicologue allemand, traite de Système et poétique chez Paul Hindemith (I, p. 255-268). L’auteur de l’opéra Mathis der Maler (1932/34) s’est opposé au système de Schoenberg tout en consacrant initialement son langage à l’expressionnisme parfois le plus virulent. Contrairement à ce que croyait le musicologue germano-américain Alfred Einstein (1880-1952), Hindemith était aussi un intellectuel de grande valeur. Sa contribution à la théorie s’est incarnée dans la surprenante Unterweisung im Tonsatz (« Initiation à la composition musicale »). De plus, en véritable artisan, il s’est intéressé de près à la pratique des musiciens amateurs. Mais peut-on pour autant en faire un systématicien ? La question restera ouverte.

 

 Le musicologue américain Michael Beckerman est l’auteur de Leoš Janáček, une pensée harmonique et rythmique, premier article de la partie intitulée Entre pratique et théorie (I, p. 319-346). Naguère, il avait consacré un travail important à ce compositeur que cette nouvelle recherche semble remettre plus ou moins en question. En ce qui me concerne, j’avais compris que Janáček était certainement l’un des compositeurs-théoriciens et collecteur de chants populaires les plus avertis en matière de psychologie musicale. De fait, il a été l’un des rares à évoquer « les mystères des enchaînements d’accords » (p. 321). Son approche se révèle unique donc difficilement transmissible. Un tel enseignement, souvent déstabilisant et en apparence contradictoire, ne pouvait pas forcément féconder des esprits aussi intelligents que le sien. L’étonnant compositeur français Charles Kœchlin (1867-1950) fait l’objet d’un texte conçu par Michel Duchesnau, professeur à la faculté de musique de l’université de Montréal. Il est titré : Raisonner l’orchestration ? Introduction au Traité de Charles Kœchlin (I, p. 429-451). L’auteur estime que « le Traité de l’orchestration de Kœchlin peut être considéré comme l’une des principales réalisations didactiques de son auteur » (p. 430) outre, entre autres, un Traité de l’harmonie (1927/30). L’auteur du poème symphonique Les Bandar-Log (1939/40), d’après Rudyard Kipling (1865-1936), était très attaché à l’expérience, génératrice de la musicalité. Il ne concevait pas ses ouvrages en pur théoricien mais en tant que compositeur inspiré. Le renouveau de l’intonation juste est traité de manière particulièrement savante par le compositeur et théoricien canadien Robert Hasegawa (II, p. 1479-1510). C’est un sujet d’envergure dont l’angle d’approche apparaît au fur et à mesure de la lecture comme, finalement, assez peu satisfaisant pour la dimension émotive. Pourquoi donc opposer objectivité et subjectivité en préférant délibérément l’objectivation plutôt réfrigérante si l’on se réfère à l’intéressante définition du philosophe russe Nicolas Berdiaev (1874-1948). Et qu’en est-il véritablement de l’héritage pythagoricien ? Faut-il absolument ignorer sa qualité mystique, sa dimension philosophique, pour n’y déceler, en définitive, que des ratios ? D’autres thèmes développés se présentent comme fort intéressants, d’autres laissent perplexes tant leur densité intellectuelle laisse peu de place, selon moi, à l’imagination. Néanmoins, force est de constater qu’il est plus difficile d’aborder des sujets relatifs aux compositeurs parmi les plus récents. Le recul nous manque tant l’évolution diverse du langage musical peut poser des difficultés herméneutiques assez compliquées à résoudre ici et maintenant.

 

L’impression générale que laisse la lecture de cet immense corpus, nonobstant une haute érudition, apparaît comme fondamentalement axée sur l’aspect acoustique du langage musical peut-être au détriment de sa dimension psychologique. J’entends par là non point une psychologie cognitive, quantitative, mais une psychologie des motifs, qualitative, qui considère, en l’occurrence, que la musique est une production de la psyché humaine et de son fonctionnement qu’il serait certainement intéressant d’étudier pour encore mieux comprendre le processus créateur dans le domaine musical. Ainsi, la terminologie pourrait-elle s’amplifier et s’épanouir à partir de ce constat. Le ton-esprit et le son-matière deviendraient complémentaires en tenant compte de lois psychologiques qui fécondent des concepts aussi stimulants qu’« excitabilité-réactivité » ou encore « intégration-différenciation ». Je pense ici au compositeur américain Roger Reynolds (1934), auteur, en 1975, d’un article titré Thoughts on Sound Movement and Meaning (« Pensées sur la signification et le mouvement du son ») dans lequel le concept de psychoacoustique prédomine probablement aux dépens, c’est à craindre, de valorisations psychologiques (p. 1344). En l’occurrence, l’objectif premier du créateur consiste à maîtriser le son qui ne saurait être un absolu. Il ne me semble pas indécent de regretter, par ailleurs, qu’un index des concepts n’ait pas été élaboré en relation à l’immense diversité qui est décrite à travers ces soixante-sept articles. Non seulement fort utile, il aurait, de surcroît, facilité singulièrement la consultation de l’ouvrage. Quoi qu’il en soit, tous musiciens et autres chercheurs, toutes personnes curieuses pourraient trouver, sans aucun doute, à s’enrichir à la lecture de cette étonnante Encyclopédie de référence.

 

James Lyon.

 

Jean THIELLAY & Jean-Philippe THIELLAY : Bellini. Actes Sud/Classica, 2013, 201p, 18,80 €.

 

Une biographie courte qui va à l’essentiel, claire, bien documentée, assortie d’une discographie et vidéographie spécifiques, bien sûr subjectives, et d’une bibliographie sélective, voilà un ouvrage qui ne manquera pas d’intéresser tous les amateurs de « bel canto » et plus particulièrement ceux attirés par le chant et la personnalité de Vincenzo Bellini (1801-1835). Né à Catane en Sicile où il fait ses premières armes musicales auprès de son grand-père, puis un apprentissage au Conservatoire de Naples et un premier succès au San Carlo, avec Bianca et Gernando, il gagne Milan où il triomphe avec Il Pirata à la Scala. A Venise, I Capulet e i Montecchi sont un demi succès à la Fenice. Il compose successivement La Sonnambula  et Norma, puis s’installe à Paris où la première d’I Puritani, avec le célèbre quatuor vocal associant Grisi, Rubini, Lablache et Tamburini, obtient un succès sans précédent qui marque, toutefois, le crépuscule de cette courte vie, s’achèvant à Puteaux à l’âge de 34 ans. Un physique attrayant, grand, blond, le cheveu bouclé, les yeux d’un bleu perçant, une attitude de dandy, décrite par Heinrich Heine, mais une personnalité énigmatique  plus contestable qui saura profiter de nombreuses rencontres pour faciliter sa carrière : Zingarelli, son premier maître, Florimo, l’ami dévoué qui n’hésitera pas à quelques arrangements avec la réalité pour donner l’image la plus valorisante possible du compositeur, Barbaja l’imprésario influent, Romani le célèbre librettiste, sans oublier les chanteurs, poètes, écrivains fréquentés dans les salons, et les compositeurs comme Chopin avec qui il partage une grande amitié…Tout cela alimente une fulgurante carrière comprenant une dizaine d’opéras qui feront le lien entre le bel canto rossinien finissant et l’aube du chant romantique. Un livre à recommander comme une première approche de Bellini et des particularités de son chant.

 

Patrice Imbaud.

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CDs et DVDs

 

Haut

« Orgue et Hautbois ». 1CD JADE (www.jade-music.net ): 699 814-2. TT : 59’ 25.

Ce disque rassemble des œuvres presque contemporaines pour hautbois et orgue - dont l’association sonore est très prenante - et des pièces pour orgue seul. Il accroche immédiatement l’attention des mélomanes avec la Fantaisie en fa mineur très expressive et méditative de J. L. Krebs (1713-1780), seule œuvre écrite pour ces deux instruments ; elle est interprétée par Jérôme Simonpoli (hautbois), soutenu avec précision par Daniel Matrone à l’Orgue de la Cathédrale d’Agde. Georg Muffat (baptisé en 1653 à Megève et mort à Passau en 1704) est représenté par sa Toccata undecima pour orgue et sa Passacaille à découvrir ; G. Fr. Haendel, par sa Sonate en Si b Majeur. Le Prélude et Fugue en sol mineur pour orgue de Vincent Lübeck (1654-1740, organiste de St-Nicolas à Hambourg) est particulièrement développé : après un bref énoncé à l’unisson, la polyphonie se dégage ; le parcours mélodique quelque peu grandiloquent est jalonné par quelques petites fusées. La Fugue commence sur un thème dans l’aigu donnant lieu à des développements contrapuntiques. Suivent des arrangements (pour ces deux instruments) de plusieurs Sinfoniae de Cantates, par exemple BWV 21 : Ich hatte viel Bekümmernis et BWV 12 : Weinen, Klagen, Sorgen, Zagende J. S. Bach ; elles bénéficient de registrations bien diversifiées, ainsi que de la sonorité si chaude du hautbois. Ces versions, de caractère plus discret, constituent une autre manière de percevoir ces introductions aux Cantates bien connues. « 5 Diapasons » bien mérités.

 

Édith Weber.

 

Antonio VIVALDI : Les Quatre Saisons. Frédéric Pélassy, violon. Orchestre de chambre du Marais, dir. Pascal Vigneron. 1CD QUANTUM /AEM C2 (62, rue Dulong, 75017 Paris) : QM7070. TT : 37’10.

Frédéric Pélassy -violoniste français dont la réputation internationale a été attestée aussi bien aux États-Unis, au Canada et en Amérique Latine qu’en Inde et en Europe Centrale- n’est plus à présenter aux mélomanes français. Il n’est donc point surprenant que Pascal Vigneron, à la tête de l’Orchestre de Chambre du Marais, ait fait appel à lui pour cet enregistrement (2013) des Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Il s’agit en fait de quatre Concertos pour violon, instrument à l’apogée de sa facture en Italie. Un texte italien (avec sa traduction française) joint au disque sert de support à chaque Saison évoquée musicalement : La Primavera (le Printemps), avec allusion aux oiseaux, zéphyrs, chevrier, chien, musette, nymphes, bergers faisant l’objet de traduction musicale figuraliste des images et des idées du texte. Il en est de même de L’Estate (l’Été) : soleil, oiseaux, zéphyr, pâtre, tonnerre et grêle… ; de L’Autumno (l’Automne) : récoltes, air léger, chasseur, fusil et chiens, et mort de la bête…  et de L’Inverno (l’Hiver) : neige, froid, glace, vents, mais aussi joie… Chaque Concerto est structuré en trois mouvements bien contrastés, avec un mouvement central lent très méditatif (Largo, Adagio) encadré par deux mouvements rapides bien enlevés (Allegro ou Presto). Cet enregistrement s’impose par de nombreuses qualités : tempo judicieux, oppositions de nuances, grande précision du continuo, équilibre entre orchestre et soliste. Frédéric Pélassy fait preuve d’une maîtrise technique dans les traits de virtuosité et d’une rare musicalité dans l’évocation des atmosphères (calme, agitation…). Quant à l’orchestre, il brille par sa transparence et sa précision. Alors que l’œuvre est si souvent galvaudée, cette réalisation, résultant d’une parfaite entente entre tous les interprètes, est agréable à entendre. À réécouter avec plaisir.

Édith Weber.

 

« Christmas with Johann Sebastian Bach ». Cantates BWV 61, 63 & 248 I. Chœur de garçons de Hanovre, dir. Jörg Breidling. 1DVD  RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP 5003. TT : 74’ (+15’ de bonus).

Sous le titre : Noël avec Jean Sébastien Bach, Jörg Breiding, directeur du célèbre Chœur de Garçons de Hanovre, a regroupé deux Cantates traditionnelles pour le temps de l’Avent et de Noël : Nun komm, der Heiden Heiland(BWV 61), datant de 1714, et Christen, ätzet diesen Tag (BWV 63) composée entre 1713 et 1715 pour le premier jour de Noël et, également pour cette circonstance, la Cantate : Jauchzet, frohlocket, auf, preiset die Tage (BWV 248 I), extraite de l’Oratorio de Noël, avec le concours du Barock Orchester L’Arco. L’ensemble est placé sous le signe de l’exultation et de la solennité émanant de ces voix de garçons à la fois naturelles et stylées. Ils s’en donnent à cœur joie pour rendre la jubilation inhérente au message de la Nativité. La Cantate Nun komm, der Heiden Heiland(BWV 61) fait appel aux solos de Ténor (Markus Schäfer), Basse (Michael Jäckel) et Soprano (Antonia Bourvé), et se présente comme une fervente prière d’après le Veni Redemptor gentium. La Cantate Christen, ätzet diesen Tag (BWV 63) a pour objectif de graver dans les mémoires ces jours si lourds de sens. Elle fait appel aux quatre solistes (avec, en plus, l’Alto Claudia Erdmann). L’introduction orchestrale triomphale, avec instruments à vent et timbales, prépare l’entrée lumineuse du chœur très développé. Les numéros suivants célèbrent ce jour béni et invitent à l’invocation du ciel et à la méditation ; le chœur conclusif en style fugué sollicite la bénédiction divine, et l’orchestre renforce l’atmosphère solennelle. La Cantate : Jauchzet, frohlocket, auf, preiset die Tage (BWV 248 I), extraite de l’Oratorio de Noël, -bien scandée et ponctuée par les timbales-, par sa puissance et son élan, pose un point d’orgue sur ce thème : Noël avec J. S. Bach. Cet enregistrement en direct de la célèbre Église du Marché de Hanovre est accompagné d’une vidéo permettant de visualiser le cadre somptueux. Une vraie réussite tout à l’honneur du Label RONDEAU PRODUCTION, grâce à l’autorité de Jörg Breiding qui, avec un enthousiasme communicatif, a le don d’impulser l’élan et d’obtenir ce qu’il veut de ses choristes et instrumentistes.

 

Édith Weber.

 

« La muse et le poète ». Camille SAINT-SAËNS : Concerto pour violon et orchestre N° 3, en si mineur, op. 61. Concerto N° 1 pour violoncelle et orchestre, en la mineur, op. 33. Duo pour violon, violoncelle et orchestre, en mi mineur, op. 132. Renaud Capuçon, violon, Gautier Capuçon, violoncelle. Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Lionel Bringuier. 1CD Erato Warner Classics : 50999 934134 2 8. TT : 65’ 48.

Le violoniste Renaud Capuçon -élève de Gérard Poulet au CNSM, ainsi que de Thomas Brandis et Isaac Stern- a été sélectionné dès 1998 par Claudio Abbado comme Konzertmeister ; il se produira sous la direction de chefs prestigieux. Son frère, le violoncelliste Gautier Capuçon -élève de Philippe Muller et, à Vienne, de Heinrich Schiff, également titulaire de nombreux Premiers Prix- est tout aussi connu du grand public. Sous le titre : La Muse et le Poète, sont regroupées trois œuvres de Camille Saint-Saëns : le Duo pour violon, violoncelle et orchestre en mi mineur, op. 132, et deux Concertos. Le compositeur a précisé la genèse de son Duo (fin 1909), en ces termes : « Je travaille comme un nègre à mon Duo ; je ne sais si cela ajoutera grand-chose à ma gloire, en tout cas il n’existe rien d’analogue ». Dès les premières mesures, l’auditeur - subjugué par les tendres effusions, par la riche sonorité des cordes, par la plénitude, l’expressivité et l’excellente entente entre les deux interprètes- ressent une constante émotion. D’ailleurs, ils réalisent parfaitement l’objectif du compositeur : « au lieu d’un concours entre deux virtuoses, c’est une conversation entre deux personnes. » Le Concerto pour violon n°3 en si mineur, op. 61, permet à Renaud Capuçon de donner toute sa mesure : ardeur musicale dans l’Allegro non troppo, où il dialogue avec l’orchestre ; caractère chantant avec une certaine retenue dans l’Andantino ; virtuosité dans le Molto moderato et maestoso assez dramatique, avec le thème gravé dans toutes les mémoires. Le Concerto pour violoncelle n°1 en la mineur, op. 33, composé en 1872, créé le 19 janvier 1873, également structuré en trois mouvements, permet à Gautier Capuçon de s’imposer par la chaude sonorité de son instrument et la précision des répliques. Il forme, lui aussi, une merveilleuse équipe avec l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Lionel Bringuier avec infiniment de musicalité et d’équilibre. Tous mettent en valeur toute la veine lyrique et la puissance expressive voulues par Saint-Saëns. Ils ont signé « la » version de référence.

 

Édith Weber.

 

« Fulgurances ». Yejin Gil joue CHIN, BOULEZ, LIGETI, MESSIAEN. 1 CD DISQUE FY & DU SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : SOCD 300. TT : 71’ 14.

Depuis quelques décennies, les musiciens coréens se sont imposés sur le plan international. C’est le cas de Yejin Gil (née en 1980), pianiste de réputation mondiale qui signe son premier CD avec un programme dense, complexe et redoutable. Après ses études à l’Université Nationale de Séoul, elle s’est installée en Allemagne où elle a notamment étudié auprès de B. Wambach, à la célèbre Folkwang Hochschule d’Essen. Elle s’est spécialisée dans la musique moderne et contemporaine, et a déjà obtenu quatre Prix internationaux. Elle diffuse les Six Études pour piano de sa compatriote Unsuk Chin (née en 1961), fascinée par la virtuosité, et dont elle est une des toutes premières interprètes. Au fil des pièces, le caractère subtil et délicat (petits traits, fusées, toujours en marche dans l’extrême aigu), mais aussi la transparence, la précision dans les attaques mettant, tour à tour, en valeur l’aspect énigmatique, discret ou encore furtif se dégagent ; virtuosité et haute voltige n’ont point de secret pour l’incomparable pianiste. Elle joue aussi quatre Études pour piano extraites du Troisième Livre (1995-2001) de Györgi Ligeti (1923-2006) dont elle souligne la facture mélodique et la clarté harmonique baignant dans un certain statisme. Elle rend également hommage à la musique française avec Incises (version 2001) de Pierre Boulez (né en 1925) – dont l’écriture et la technique sont plus pianistiques que celles des Études d’Unsuk Chin. Quatre Études de rythme (1949-50) d’Olivier Messiaen (1908-1992) illustrent ses recherches et spéculations rythmiques dont les « modes de valeur et d’intensité » ; ces Études austères et abruptes n’ont pas rebuté la jeune virtuose. Sa pièce cosmologique, Par Lui tout a été fait (extrait des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus), clôt magnifiquement ce CD à raison sous-titré Fulgurances.

 

Édith Weber.

 

« Motets à la Cour du Roy ». Les Chantres de Saint-Hilaire, dr. François-Xavier Lacroux; 1CD TRITON (www.disques-triton.com): TRI 331185. TT : 73’ 13.

À mi-chemin entre le Petit et le Grand Motet versaillais, ce programme -à l’initiative de François-Xavier Lacroux- montre combien la musique est étroitement associée à la vie quotidienne des Rois de France (événements royaux : naissances, baptêmes, mariages, obsèques, couronnements, solennités et divertissements). Il souligne le rôle des compositeurs français de la seconde moitié du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Eustache du Caurroy (né à Beauvais en 1549, mort à Paris en 1609) a, entre autres, composé une cinquantaine de motets et de psaumes. Son successeur, Nicolas Formé (né à Paris en 1567, mort dans cette ville en 1638), protégé de Louis XIII, pratique le style concertant. Thomas Gobert (né au début du XVIIe siècle, mort en 1672), sous-maître de la Chapelle royale, a mis en musique des Paraphrases de Psaumes de David mis en vers français par Antoine Godeau, dans l’optique de la Contre-Réforme en réaction contre le succès grandissant du Psautier huguenot. Jehan Veillot (mort en 1662) allie style concertant et polyphonie plus austère se rattachant déjà au Grand Motet versaillais. Pierre Robert (né vers 1620 et mort à Paris en 1699) a été sous-maître à la Chapelle Royale ; son Recueil pour la Chapelle du Roi (Ballard, 1684) contient 24 Grands Motets à 5 et 6 voix pour grand chœur avec de nombreux instruments. À ces œuvres religieuses : Psaumes, Hymnes, Motets, Messe (Musica simplex de N. Formé) se terminant par la prière pour le Roi : Domine salvum fac regem, est associée une Suite instrumentale de 8 pièces -dont des danses en vogue : Pavane, Allemande, Courante, Sarabande, Gaillarde…- regroupées par André Danican Philidor l’Aîné (v.1652-1730). Enregistrée au Diapason la 415 Hz, cette nouvelle réalisation des Chantres de Saint-Hilaire s’impose par son authenticité sonore (copies d’instruments d’époque) ; par sa spiritualité et son intériorité. Elle confirme, si besoin était, leurs exceptionnelles qualités déjà signalées à propos du disque Musique en la Chapelle d’Henri IV (avec les Preces ecclesiasticae d’Eustache du Caurroy) paru aussi sous le Label TRITON. Les discophiles bénéficiaient déjà d’une petite Anthologie regroupant : « Un siècle de Motets allemands » (Les Tempermaens Variations, dir. Thibault Lam Quang) et, grâce à François-Xavier Lacroux, le répertoire versaillais est désormais mis à leur disposition.

Édith Weber.

 

Johann Georg REUTTER : Portus Felicitatis. Motets & Arias for the Pantaleon. Monika Mauch, soprano, Stanislava Jirkü, alto, Margit Übellacher, dulcimer. La Gioia Armonica, dur. Jürgen Banholzer. 1CD RAMÉE (www.outhere-music.com) : RAM 1302. TT : 69’ 36.

Johann Georg Reutter le Jeune, né le 6 avril 1708 à Vienne et mort dans sa ville natale, le 11 mars 1772. Il a d’abord été formé par son père, Johann Georg Reutter et par le vice-maître de chapelle Antonio Caldara. Il a été premier maître de chapelle de la Cathédrale Saint-Étienne en 1738 et, en 1740, il assume les mêmes fonctions à la Cour des Habsbourg. Il est à la fois compositeur d’opéras viennois et de musique religieuse (Messe et Motets). Très reconnu de son temps et très apprécié par Charles VI et Marie-Thérèse, il est ensuite tombé dans l’oubli, et c’est le mérite de Jürgen Banholzer, avec le concours de Monika Mauch (Soprano), Stanislava Jirkü (alto), Margit Übellacher (dulcimer) et La Gioia Armonica, d’avoir restitué un choix de Motets et d’Airs pour le Pantaléon (instrument vraisemblablement désigné ainsi par Louis XIV d’après le prénom de son inventeur, Pantaleon Hebenstreit, à la suite d’un concert). Le programme pour soprano, alto et dulcimer comprend des pièces en latin, italien et allemand. Comme le précise J. Banholzer : ces Motets « furent donnés aux services religieux de la Cour probablement au moment du Graduel ou de l’Offertoire ». Le premier volet regroupe des motets religieux dans lesquels la Gioia Armonica soutient les voix en souplesse, par exemple : Justorum animae  in manu Dei sunt (plage 2) agréable à entendre, ou encore Hodie in ecclesia sanctorum (pl. 6) glorifiant Sainte Madeleine. Le motet Wenceslaum sanctissimum (pl. 7), dans une atmosphère calme, célèbre Saint Wenceslas, « modèle des princes », protecteur et martyr. Le motet Surrexit pastor bonus (pl. 9), à propos de la Résurrection, affirme que la mort est vaincue. Le motet Deus Pater paraclytus (pl. 10) évoque la Trinité que les anges, les archanges et tous les saints adorent. Le deuxième volet concerne les Arie italiennes sur des sujets profanes : âge vénérable, fleurs, rive de la rivière, amour... Enfin, le dernier volet est instrumental : Pizzicato (pl. 3) pour dulcimer (aux sonorités particulières), quelque peu rêveur et Allegro (pl. 5), enlevé avec virtuosité. Ce disque avec essentiellement une finalité liturgique permettra aux discophiles avisés de redécouvrir Johann Georg Reutter le Jeune.

 

Édith Weber.

 

« Ombre et Lumière ». Nathalie Colas, soprano, Daniel Leininger, orgue. 1CD VOCATION RECORDS (www.vocation-records.com ). VOC 4570. TT : 69’ 40.

Cette réalisation a la particularité de faire entendre les deux Orgues de l’Église Saint-Thomas à Strasbourg : le Grand-Orgue historique de Jean-André Silbermann (1741)/Alfred Kern (1979) et l’Orgue de chœur Dalstein-Haerpfer (1905), ainsi que les deux interprètes : Daniel Leininger (titulaire des Grandes Orgues et théologien) et Nathalie Colas (Soprano) dans un répertoire franco-allemand « reflétant trois siècles de pratique musicale strasbourgeoise », comme le rappelle l’organiste dans son texte de présentation comprenant également la composition des deux instruments. Le disque, entrecoupé de pièces vocales, s’ouvre magistralement et énergiquement sur la Fantaisie et Fugue en Si b Majeur (op. 18 n°6) d’Alexandre Pierre François Boëly (1785-1858), en plein classicisme, à mi-chemin entre le style de l’École française (pour le choix des jeux) et le style allemand (pour son langage harmonique). Le volet à l’Orgue historique se termine avec le Prélude et Fugue en ré mineur de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), page d’extrême virtuosité, bien structurée et parfaitement maîtrisée par Daniel Leininger. Pour sa part, Nathalie Colas interprète notamment le Benedictus de la Messe en Ut et le Psaume 84 : Quam dilecta tabernacula tua du compositeur morave Franz Xaver Richter (1709-1789) et le Choral pour le temps de la Passion : Kommet her, ihr frechen Sünder(KV 146) de W. A. Mozart ; elle fait preuve de lyrisme dans le grand Air de la Création de Fr. J. Haydn : Nun beugt die Flur das frische Grün, bénéficiant d’une registration tout à fait appropriée à l’atmosphère. Les discophiles découvriront les Sanctus et Benedictus (Missa puerorum) de Josef Gabriel Rheinberger (né à Vaduz (Liechtenstein), en 1839, mort à Munich, en 1901) chantés avec infiniment de sensibilité et de musicalité et accompagnés à l’orgue de chœur se prêtant aussi à l’interprétation de l’Allegro cantabile extrait de la 5e Symphonie (op. 42 n°1) de Charles-Marie Widor (1844-1937), de caractère méditatif. Le Scherzando de Concert (Trois Pièces, op. 29) de Gabriel Pierné (1863-1937) est d’une autre veine  associant élégance et divertissement, bien rendu à l’orgue de chœur. À noter également le Pie Jesu d’André Caplet (1878-1925), particulièrement expressif, et le Pater Noster d’Ernest Chausson (1855-1899), avec quelques accents impressionnistes ; il pose un point d’orgue calme, lumineux et bienfaisant sur ce CD Ombre et Lumière. Nathalie Colas, par sa voix magnifique, et Daniel Leininger, le talentueux titulaire de ces Orgues, ont signé un disque incontournable : une réussite Made in Strasbourg.

Édith Weber.

 

Lucien GUÉRINEL : Le Quintette à vent de Marseille joue Lucien Guérinel 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI 331 197. TT : 45’ 15.

Voici un hommage bien mérité à Lucien Guérinel (*1930) qui a tant contribué au rayonnement culturel de Marseille où il s’est installé depuis 1962. À la fois scientifique, critique musical (dans les journaux Le Méridional et La Provence) et compositeur, il se veut autodidacte, mais aussi poète privilégiant la relation poésie-musique. Il a déjà composé plus de 70 opus. En introduction de ce CD : ses Six Bagatelles (1971) brèves avec des annotations fugitives particulièrement vivaces, sont réalisées par les instruments à vent faisant preuve de virtuosité entre autres dans la 5e. Le baiser de la mésange (2007) fait appel à un récitant (Jean-François Héron) et à une pianiste (Clara Kastler). En voici l’idée : « À la fourche d’un hêtre, la mésange avait posé son nid. Quatre oiselets y étaient éclos et commençaient à pépier… » (d’après le Roman de Renard). Il s’agit d’un dialogue mordant et malicieux entre la Mésange et le Renard dans lequel le Récitant se taille la part du lion. Un des membres du Quintette à vent de Marseille a suggéré au compositeur la poésie de Boris Vian : Autre chose que le jour (2002). La voix  de Jean Vendassi (baryton-basse), très prenante, est mise à rude épreuve pour la facture mélodique, tout comme les instrumentistes. En conclusion, Médiatissées (2008) – œuvre de commande de l’Institut Français des Instruments à Vent (pour le Concours international de quintette à vent Henri Tomasi) – comporte des intentions cachées, par exemple, selon Alain Goudard : « (une) victoire nationale [qui] est un déhanchement de notre hymne national, nullement par dédain de son corps musical, mais contre son emploi superlatif ». D’une manière générale, le compositeur s’en prend aux problèmes actuels, les présentateurs de radio, flashs publicitaires, messages indésirables... À noter (plage 17) : (une) extase dodécaféinée « calembour à califourchon sur le dodécaphonisme et les extases notoires de la caféine. » La dernière pièce : « (une) petite litanie spécule sur la « surcharge répétitive actuelle de tant d’expressions ». Inattendu et pour le moins décoiffant.

 

Édith Weber.

 

 

Johann Adolf HASSE : Marc'Antonio e Cleopatra. Serenata à deux voix sur un livret de Francesco Ricciardi. Vivica Genaux, Francesca Lombrdi Mazzulli. Le Musiche Nove, dir. Claudio Osele. 2CDs Deutsche Harmonia Mundi : 88883721872. TT.: 45'21+43'35.

Johann Adolf Hasse (1699-1784), célèbre maître de chapelle à la Cour de Dresde, a connu un début de carrière italienne, et cette Serenata marquait ses débuts sur la scène napolitaine (1725), avec le castrat Carlo Broschi, dit Farinelli, lui-même à l'orée d'un parcours de succès. La serenata est un genre proche de l'opera seria, mais en plus réduit quant au nombre d'interprètes vocaux. Ils sont dans le cas présent seulement deux, pour un face à face intimiste, au fil d'une suite d'arias introduites par un récitatif, et de deux duettos concluant chacune des deux demi-parties de la pièce. Ces arias, relativement longues, empruntent une forme très libre, différente du strict da capo. C'est aussi un opéra de chef, tant la partie instrumentale est développée. Marc'Antonio e Cleopatra narre un épisode particulier de la vie de la séduisante reine d'Égypte : ses amours malheureux avec le général Marc Antoine, après la défaite de celui-ci par Octave, lors de la bataille navale d'Actium, en 31 avant JC, et leur perspective de suicide, qu'ils parent, en un ultime duo, d'un chant de louanges. Les deux protagonistes sont dépeints avec minutie comme des caractères affirmés : Marc Antoine, anxieux, mélancolique, affecté par sa défaite, ayant renoncé à ses ambitions, Cléopâtre, ambitieuse, véhémente, voire ironique et, bien sûr, toujours séductrice. La musique qui lui est offerte est mouvante, souvent agitée, ornée de colorature, là où celle dévolue au romain est plus sévère. Les harmonies demeurent originales, alliant la rythmique italienne et la solidité de construction germanique. L'interprétation est dominée par Vivica Genaux en Marc Antoine, timbre attrayant, voix idéalement placée. Francesca Lombardi Mazzulli, dans le rôle exposé de la reine, fait certes, montre d'engagement, mais ne se dégage pas de quelque pression dans le registre aigu ; ce qui fait regretter, ici, un contre-ténor, qui eût été sans doute plus à sa place dans une partie créée par Boschi. La direction de Claudio Osele, à la tête d'un orchestre restreint d'une quinzaine de musiciens, dégage expressivité et panache.  

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Anniversaire Rameau

« Le grand théâtre de l'amour ».  Jean-Philippe RAMEAU : extraits de Pygmalion, Les Indes Galantes, Les Paladins, Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, Naïs, Les Boréades, Hippolyte et Aricie, Anacréon, Zoroastre, Zaïs, Dardanus, Castor et Pollux, Les Fêtes d'Hébé, Platée. Sabine Devieilhe, soprano. Avec Samuel Boden, ténor. Aimery Lefèvre, baryton. Le Jeune Chœur de Paris. Les Ambassadeurs, dir. Alexis Kossenko. 1CD Erato : 509999341492. TT.: 80'06.

Ce disque, bâti autour de la soprano Sabine Devieilhe, est conçu comme un opéra imaginaire sorti de la plume improbable de Rameau. On l'appellera « Le grand théâtre de l'amour » et tous ses opéras, ou peu s'en faut, s'y trouvent réunis, l'espace d'un air ou d'un morceau instrumental. Ingénieuse idée, d'autant que le programme, bousculant allègrement la chronologie, compose une dramaturgie pertinente. Les divers états amoureux sont passés en revue, vus du côté de la dame : de l'innocente à la mutine, de la douce rêveuse à l'amoureuse éplorée, de la timide à la conquérante. Les transitions sont fort habilement ménagées, souvent sans solution de continuité, autre que le jeu de la complémentarité ou des contrastes. Ainsi le tremblement des éléments du « Ballet figuré », emprunté à Zoroastre, annonce-t-il le cataclysme de la scène finale des Incas des Indes Galantes. Cet opéra forme d'ailleurs l'alpha et l'oméga du présent opus : les festivités débutent par le tube qu'est l'« Air pour les Sauvages » et prennent fin en apothéose par « Régnez, plaisirs et jeux ». Entre deux on se sera laissé charmer par de délicieux airs tirés des Paladins, « Est-il beau ? », de Naïs, «  Je ne sais quel ennui me presse », d'Anacréon, « Tendre amour », avant d'atteindre la langueur, à moins que ce ne soit la folie, dans l'air fameux tiré de Platée. Sabine Devieilhe, notre héroïne, conquiert par la fraîcheur de son timbre, la plénitude de son chant, la perfection du style. La déclamation est juste, nullement affectée, dans des parties réclamant aussi bien l'élégiaque (« Tristes apprêts » de Castor et Pollux) que le fantasque. Dans ce dernier registre, la « folie », de Platée, est menée avec aplomb dans ses changements d'humeur, dont les « cocottes » imitatives. La souplesse de la trille aiguë parachève un spectre vocal assurément peu ordinaire, comme l'esprit assure à ces interprétations une vraie justesse de ton. Dans la lignée des Dessay et Petibon. On admire aussi la direction alerte et racée d'Alexis Kossenko qui, avec ses musiciens des Ambassadeurs, achève un parcours sans faute, d'un goût assuré, ôtant la froideur souvent accolée à la musique ramiste. Il faut écouter, pour s'en convaincre, la délicate Contredanse des Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, les engageants Tambourins des Fêtes d'Hébé, ou la magistrale Chaconne des Indes . On ne pouvait imaginer meilleure introduction à l'année Rameau !    

                                                                                                       

Jean-Pierre Robert.

 

Franz SCHUBERT : Quintette à cordes en ut majeur « à deux violoncelles », D. 956. Anne Gastinel, violoncelle. Quatuor Diotima. 1 CD Naïve : V 5331. TT.: 56'53.

Avec le Quintette D 956, on pénètre les ultimes pensées de Schubert comme les contrées le plus secrètes de la musique de chambre. S'inspirant plus du modèle de Luigi Boccherini et de Georges Onslow que de celui de Mozart ou de Beethoven, Schubert double, non pas l'alto, mais le violoncelle. S'il autorise une meilleure assise grave, l'élargissement à un second cello rencontre au plus près le registre du chant intime. Il participe encore de la volonté d'enrichissement orchestral, comme en témoigne également la Grande symphonie en Ut, contemporaine. L'interprétation des Diotima et d'Anne Gastinel se signale par la clarté de la texture, aidée par une prise de son d'une étonnante immédiateté. La somptuosité instrumentale en ressort conquérante. La superposition des divers plans dans le premier mouvement est éloquente. Voilà un Schubert loin d'être lénifiant, d'une lumineuse sérénité, même dans les moments les plus poignants. Ainsi de l'adagio, indication rare chez le musicien, et dont le premier thème n'est pas paresseux, conservant au discours sa fermeté. Ce que le deuxième thème confirme  par sa tonalité tempétueuse, offrant quelque chose de passionné. Le scherzo démarre en fanfare, assénant un nouveau et formidable changement d'atmosphère. Les Diotima lui insufflent un entrain vivifiant. Le discours prend, ici comme ailleurs, une ampleur orchestrale et les interprètes n'éludent pas la véhémence. Le trio marque encore une rupture dans le registre de la gravité, sur le ton de la déploration, avec ses phrases descendantes de l'alto et du second violoncelle. L'allegretto final offre une danse hongroise bien rythmée. La troisième séquence, mystérieuse, débouche sur une coda pleine de jubilation, et les ultimes phrases sont jouées extrêmement vite, peut-être un soupçon trop précipitées.   

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johannes BRAHMS : Sérénade N° 1, en ré majeur, op. 11. Ludwig van BEETHOVEN : Romances pour violon et orchestre N° 1, en  sol majeur, op. 40 & N° 2, en fa majeur, op. 50. Kansai Philharmonic Orchestra. Augustin Dumay, violon et direction. 1CD Onyx : 4101. TT.: 67'28.

Bien avant de composer ses quatre symphonies, Brahms s'est essayé à deux sérénades. Longtemps négligées, elles reviennent sur le devant de la scène et des chefs comme Abbado ou Haitink ne dédaignent pas de les inscrire à leurs programmes. La première sérénade, op. 11, est le fuit d'un long travail de  maturation, puisqu'à l'origine conçue comme une pièce de chambre, un nonette pour cinq vents et quatre cordes, que Clara Schumann trouva si beau qu'elle convainquit le maître de l'orchestrer. Œuvre d'agrément, elle ne prétend pas à la rigueur symphonique. Comme les divertissements du XVIII ème, notamment de Mozart, elle est constituée d'un assortiment de mouvements, six en l'occurrence, partagés entre rapides et lents. Mais à la différence de ces modèles, Brahms adopte une grande liberté de ton. Le premier mouvement, allegro molto, et plus tard l'adagio, sont les plus développés, là enjoué et rustique, ici richement mélodique, voire expansif avec la belle intervention du cor, un instrument appelé à prendre une singulière importance dans la production subséquente du musicien. Les deux scherzos évoquent quelque climat pastoral. Les deux menuettos combinés, dans le goût ancien, trahissent à peine leur origine chambriste. Le preste rondo final conclut avec force rythme une pièce assurément séduisante. La vision qu'en donne Augustin Dumay est assez retenue, voire quelque peu appliquée par endroit, feutrée dans le premier scherzo, sévère à l'adagio, très sombre. Le second scherzo et le finale sont plus animés. Dumay s'avère plus inspiré dans les deux Romances pour violon de Beethoven, retrouvant son cher archet pour des interprétations pensées et d'une sonorité épanouie. La seconde, en particulier,  adagio cantabile, progresse comme un vrai mouvement de concerto. Dumay évite toute virtuosité, même dans le passage le plus passionné, et la conclusion, toute en douceur, est sereine.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Robert SCHUMANN : Grande Humoresque en si bémol majeur, op. 20. Sonate pour piano N° 1 en fa dièse mineur, op. 11. Adam Laloum, piano. 1CD Mirare : MIR194. TT.: 62'26.

Pour son second album sous label Mirare, Adam Laloum fait encore un coup de maître. Après Brahms, voici donc Schumann et deux pièces importantes où se livrent les réflexions d'un poète qu'on sait tourmenté. La mélancolie appert de la Grande Humoresque op 20, de 1839, « pleine de douleurs », celles d'un amour éperdu pour Clara Wieck, qui ne peut encore se réaliser. C'est une immense fantaisie dont la structuration est parfois peu définie, en une apparente improvisation, avec ses ruptures vers des passages tendres et simples, de l'ordre du rêve éveillé, mais aussi, parfois, quelque chose de tortueux jusqu'à l'angoisse, comme dans l'ultime section, « Zum Beschluss » (En guise de conclusion). Schumann se plait à disserter en musique sur l'Humor (humeur) allemande, cet état d'âme associant la contemplation de la nature et l'ironie de soi, qui peut aller jusqu'au jusqu'au burlesque. De ces cinq morceaux dont les secrets ne se livrent pas aisément, Laloum déroule l'atmosphère indéfinissable, souvent ineffable, quintessence des humeurs fantasques qui la traversent. La Sonate opus 11, de 1836, dans son premier jet, « dédiée à Clara par Florestan et Eusebius », est sans doute si ancrée dans la démesure que peu de pianistes se risquent à l'aborder. Maurizio Pollini, naguère, en donna une exécution inouïe. Laloum maintenant s'y mesure et fait fi de l'audace nécessaire pour bousculer l'élan de l'allegro vivace introductif, vrai jaillissement créateur, parsemé de modulations heurtées, entremêlant course haletante et phases réfléchies. Le souci de l'architecture est impressionnant. Le chant d'amour de l'« Aria » s'épanche tel un Lied,  mais n'est nullement affecté. Et le Scherzo, marqué « allegrissimo », sautille de joie, l'intermezzo, qui fait office de second trio, et que le pianiste enchaîne, offrant un côté presque ironique. Lors de la reprise, Laloum précipite l'allure, ajoutant à la charge émotionnelle. Quant à la mosaïque du finale, où les thèmes se télescopent, tournoient sur eux-mêmes et s'enveloppent, Laloum en offre une vision on ne peut plus cohérente, dont l'ultime achèvement sera une coda flamboyante. Voilà un piano impérieux et poète, passionné et réfléchi, d'un brio asservi à une intériorité habitée, et ne lésinant pas sur le poids des contrastes. L'instrument, magnifiquement capté Salle Gaveau, est d'un formidable impact. Une réussite ! 

 

Jean-Pierre Robert.

 

« The Verdi album ». Giuseppe VERDI : Arias pour ténor, extraits de Rigoletto, Aïda, Un Ballo in maschera, Il trovatore, Luisa Miller, Simone Boccanegra, Don Carlo, La Forza del destino, I masnadieri, Otello. Jonas Kaufmann, ténor. Avec Franco Vassallo, baryton, Erika Grimaldi, soprano. Coro del Teatro Municipale di Piacenza. Orchestra dell'Opera di Parma, dir. Pier Giorgio Morandi. 1 CD Sony Classical : 88765492042. TT.: 69'16.

Après un passionnant récital Wagner (cf. NL de 5/2013), Jonas Kaufmann s'attaque à une florilège d'arias verdiennes, et ce faisant, entame une collaboration avec un nouvel éditeur discographique. Ainsi vont les choses par ces temps de marketing endiablé. Plusieurs premières pour le ténor marquent ce projet. Le résultat, somptueux, est pourtant moins enthousiasmant qu'espéré. Verdi a écrit pour le ténor des pages sublimes, bien sûr ; mais pour plusieurs types de voix bien distinctes. Si le ténor munichois a eu la sagesse de ne plus donner Alfredo de La traviata, par lequel il enflamma naguère l'Opernhaus de Zurich, il offre pourtant encore Rigoletto. Or, « la donna è mobile », apparaît, ici, plus comme un morceau de bravoure qu'une cavatine enjouée. De même son Gabriele de Simone Boccanegra, quoique parfaitement jaugé, doit-il être légèrement passé en force. C'est que la voix a gagné en puissance et en expression, ses longues incursions chez Wagner n'y étant pas étrangères. Et ce sont naturellement des rôles tels que Radames, paré de fines nuances et d'une étonnante tenue finale « pianissimo e morando », comme écrit, ou Rodolfo de Luisa Miller qui conviennent désormais à son timbre mordoré, aux moirures barytonnantes. L'air du II ème acte, «  Quando le sere al placido », un des plus ciselés de Verdi, est, ici, d'une force peu commune, sur le ton de la déploration. Don Carlo occupe une place de choix dans sa programmation du moment, comme on le constata à Salzbourg, l'été dernier. La scena du II ème acte est d'une belle envolée, malgré un partenaire, Rodrigo, un peu neutre, Franco Vassallo, et une direction d'orchestre bien peu engagée. Son Manrico du Trouvère, lui aussi abordé en juillet 2013, déploie un agilità et une vaillance à toute épreuve. Mais ce sont, nul doute, Alvaro de La Forza del destino, et Otello qui captent l'attention. Du premier, Kaufmann offre une scena de l'acte II d'une éblouissante beauté et d'une réelle gravité, se jouant de l'ambitus exceptionnel requis, du ton de la confidence à l'éclat passionné. Du Maure, il livre, l'espace de deux extraits, avec un total engagement, puissance et intériorité, dont les quelques répliques bouleversantes de la scène finale. Le ténor dit, sagement, ne pas vouloir approcher le rôle à la scène avant deux ou trois ans. Mais on perçoit déjà la personnalité qu'il faut pour reprendre le flambeau des Vickers et autre Domingo. Laissons donc du temps au temps et gageons que plus d'un directeur d'Opéra peaufine déjà ses arguments pour s'en assurer la primeur.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Piotr Iliych TCHAIKOVSKY : Trio op. 50, en la mineur. Anton ARENSKY : Trio N° 1, op. 32, en ré mineur. Trio Wanderer. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902161. TT.: 71'42.

Réunir le trio de Tchaïkovski et l'opus 32 d'Arensky tombe presque sous le sens. Les deux pièces ont, en effet, une même origine commémorative. Dans le cas de Tchaïkovski, il s'agissait d'honorer un cher disparu, un ami très intime, Nicolaï Rubinstein, le frère cadet du compositeur Anton Rubinstein, et pour Arensky, de saluer la mémoire du celliste Karl Davidov. L'opus 50 du premier, de 1882, présente une dimension quasi symphonique dans son premier mouvement, marqué « Pezzo elegiaco », introduit par les cordes, avant que le piano ne prenne le contrôle des opérations et n'entraîne ses collègues dans sa course. Vincent Coq s'y montre péremptoire, ajoutant une pointe de dramatisation au discours, au fil de digressions agitées entrecoupées de plages de répit, celui de la déploration enfouie. Deux thèmes se combinent, l'un affirmatif, l'autre lyrique, presque affectueux. Le « Tema con variazioni » introduit au clavier une idée simple et courte, suivie de douze variations dont la dernière tient lieu de finale. Le thème subit d'incroyables métamorphoses, témoignant de l'extrême inventivité de Tchaïkovski, en termes de climats, du plus simple à l'exubérant, du nonchalant à l'héroïque, ou de forme, de la fugue au nocturne, de la valse à la mazurka. L'ultime variation porte le discours à l'incandescence, dans une ardeur dévastatrice avec cette emphase qu'on connaît au musicien dans ses dernières symphonies. Ces morceaux sont terriblement exigeants en terme d'équilibre piano-cordes, ce qui effrayait tant le musicien, qui se refusa longtemps à composer pour cette formation. Mais les Wanderer, qui n'en sont pas à leur première rencontre avec cette pièce, en offrent une interprétation souveraine. Le premier trio qu'Anton Arensky (1861-1906) compose en 1894, n'a pas la même envergure, mais ne pâlit pas de la comparaison. Sa facture classique, en quatre mouvements, n'empêche pas une sûre maîtrise. Un allegro exalté et fervent, un scherzo sautillant mêlant traits pirouettant du violon et cascades de notes du piano, avec un trio plus sage, et surtout une « Elegia », proche du chant funèbre, ornée dans sa partie médiane d'un chant  mystérieux. Par effet de contraste, le finale, sur un rythme de polonaise, libère le brio, quoique, là encore, portant un regard rétrospectif sur le passé, dans le ton romantique. Les Wanderer le jouent avec tact et, comme toujours, une immense musicalité.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

«  Quintettes pour Piano et Cordes ». Camille SAINT-SAËNS : quintette op 14. César FRANCK : quintette en fa mineur. Charles Marie WIDOR : quintettes  op. 7 & op 68. Louis VIERNE : quintette en ut mineur, op. 42. Jean-Pierre Wallez, Yoé Miyazaki, violons, Bruno Pasquier, alto, Henri Demarquette, violoncelle, Bruno Rigutto (Franck, Vierne), François-Joël Thiollier (Widor, Saint-Saëns), piano. 3 CDs  P & Y Productions : 2PYM 01.TT. : 67'01+ 54'57+ 28'59.

Excellente initiative que de réunir quelques grands quintettes pour piano et cordes français. Elle est due à la violoniste Yoé Miyazaki qui dit vouloir s'attacher à faire revivre les pages méconnues de ce répertoire. Le genre du quintette pour piano et quatuor à cordes a attiré plusieurs musiciens, et par coïncidence, ici, trois organistes. A commencer par César Franck. Son Quintette en fa mineur (1879) reste le plus connu et est justement célébré pour son architecture grandiose que parcourt un thème cyclique. La présente interprétation en livre la puissance presque orchestrale et l'élan passionné de ses mouvements extrêmes, dont un finale nerveux et emporté, mais aussi la veine élégiaque et les plages introspectives. Mais le plaisir de la découverte est ailleurs. Ce qui tend à démontrer, s'il en était besoin, que la pièce de Franck n'est pas la première à avoir vu le jour. Saint-Saëns, dans son opus 14, de 1855, s'y confronte déjà, et l'audace n'y manque pas : ouvert par les accords graves du piano, le premier mouvement combine deux thèmes, l'un bien rythmé, l'autre lyrique, produisant une alchimie rare. L'andante est pure sérénité, d'une atmosphère paisible. Le scherzo tranche par son allure presque affolée, course effrénée, et le finale offre une construction serrée. Charles Marie Widor (1844-1937), titulaire des orgues de Saint-Sulpice, a donné deux quintettes. Son opus 7 (1867) est une pièce de jeunesse, tour à tour martiale, sautillante et enjouée, tandis que l'opus 68, de 1894, distingue un style plus affirmé, plus raffiné aussi, mais avec des traits originaux : digressions coulantes du clavier enveloppé par la voilure des cordes à l'unisson (moderato), mélancolie de l'andante, d'une fière audace formelle, modernité et vigueur du scherzo con fuoco, et retour au calme au finale, empli de visions toutes de plénitude et de transparence gallique. Avec son opus 42, de 1920, Louis Vierne (1870-1937), organiste à Notre-Dame de Paris, livre un cri de douleur devant la perte d'un fils, fusillé pour avoir été objecteur de conscience. Une œuvre « menée à bout avec une énergie aussi farouche et furieuse que ma douleur est terrible », écrira-t-il. Composition déchirante, traversée de traits pathétiques d'une tendresse indicible, comme de fureur à peine contenue et de traits rageurs. Toutes ces pièces sont interprétées par un ensemble réunissant talents d'aujourd'hui, Yoé Miyazaki, Henri Demarquette, et vétérans solides, Jean-Pierre Wallez, Bruno Pasquier, comme les deux pianistes Bruno Rigutto et François-Joël Thiollier. Leur musicalité est immense, leur engagement de tous les instants. Aussi ne faut-il pas s'arrêter en si bon chemin. Car il reste bien d'autres trésors à explorer : outre les deux opus de Fauré, que dire de ceux de Charles Koechlin, de Vincent d'Indy, d'Alberic Magnard, de Gabriel Pierné ou de Florent Schmitt !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Serge PROKOFIEV : Concerto pour piano et orchestre N° 3. Bela BARTÓK : Concerto pour piano N° 2. Lang Lang, piano. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 1 CD Sony : G010002977549C. TT.: 60'35.

L'hyper virtuose et très médiatique Lang Lang attrait chez son éditeur, Sony, pas moins que les Berliner Philharmoniker et leur chef Sir Simon Rattle, l'instant d'un projet autour de deux concertos de piano on ne peut plus brillants du répertoire du XX ème siècle. Mais l'exécution pose question : la rutilance digitale, poussée à un tel degré, ne frôle-t-elle pas la caricature ? Voilà un piano, non plus virtuose, mais délibérément dominateur, agressif même. Un tel parti peut, certes, en concert, procurer l'ivresse de l'excitation. Mais qu'en est-il à l'audition domestique ? Le Troisième concerto de Serge Prokofiev (1921) passe certainement pour brillant. Au prestissimo initial et motorique, Lang Lang frappe fort, très fort, confondant forte et écrasement sonore, puis s'engouffre dans le maniérisme à la partie centrale, plus calme, certes, mais frappée de ralentissements tout autant excessifs. La coda, prise à une vitesse incroyable, confine au bruit percussif. Si l'andantino con variazioni est abordé avec plus de tact, la gimmick reprend vite ses droits et les écarts dynamiques redeviennent exorbitants. Le dernier mouvement reçoit le même traitement, avec ses traits lancés comme des fusées. L'impact est certain, mais lasse à force d'être autant asséné. Reste un orchestre incandescent et incisif, même si Rattle frôle, lui aussi, l'hyperbole et même un sentimentalisme proche de Rachmaninov dans les passages lyriques. Il faut écouter ce qu'en font Yuja Wang et Claudio Abbado pour retrouver la scintillance et la vraie dynamique d'une pièce dont Francis Poulenc louait les « harmonies bariolées ». Les choses sont moins exacerbées dans le Concerto N° 2 de Bartók (1931). Est-ce dû à la rigueur de Rattle qui retient, ou contient, son jeune collègue, dans ce concerto écrit «  pour le piano et l'orchestre, comme pour des parties égales en importance » dira  l'auteur ? L'approche percussive, qui marque le premier mouvement, est mieux dosée et l'équilibre est parfaitement ménagé entre piano et vents, les percussions étant placées en position d'arbitre, souligne Claire Delamarche. L'emballement digital sait laisser place au mystère. Dans le mouvement central, le piano se fait interrogateur sur un orchestre frémissant, marqué par le pppp des cordes  et le discours menaçant des percussions. Cela débouche sur une étrange section presto, course poursuite effrénée entre le clavier et un orchestre spectral, avec trilles évanescentes du piano ou traits impérieux sur un aplat de cordes graves. Impressionnant ! Le finale est brillant, alors que le piano ferraille avec la grosse caisse. L'impact est, ici, puissant et la manière bien moins extravertie que dans le Prokofiev. Pour les fans du pianiste chinois, cependant !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Émile GOUÉ : Musique de chambre, volume 2. Quintette pour quatuor à cordes et piano, op. 42. Petite suite facile pour quatuor à cordes, op. 28. Trio pour violon, violoncelle et piano, op.6. Olivier Chauzu, piano, Quatuor Joachim. 1CD Azur Classical : AZC100. TT.: 62'16.

Issu d'une famille d'enseignants, lui-même professeur de math, mais aussi philosophe, Émile Goué (1904-1946) vouait à la musique sa première passion. Sa production comprend aussi bien des pièces symphoniques, que vocales ou chambristes. Dans ce dernier domaine, le présent disque offre un panorama de ses diverses manières. Le Trio pour piano, violon et violoncelle op.6, de 1933, procède du principe franckiste et offre, à travers ses quatre mouvements, une sonorité pleine dans une structure ferme, chevauchée animée, chant monotone marqué par une progression exacerbée, course effrénée, évocatrice, dans la lignée des scherzos romantiques, et finale animé, offrant une étonnante variété de climats. La Petite suite facile, op. 28 (1940), est la première œuvre que Goué écrira en captivité, ayant été fait prisonnier dans un Stalag du nord de l'Allemagne, dont il ne sera libéré qu'en 1945. Si la manière est plus avenante, le ton n'en est pas moins intense. «  Ce n'est pas un amuseur. Ce n'est pas, même, un adroit charmeur » dira de lui, Charles Koechlin (in Contrepoints, 1946) qui fut un de ses maîtres. Enfin, le Quintette pour piano et cordes, complété en 1944, dans des conditions plus que difficiles, signe une des plus fascinantes partitions de ce musicien atypique. Plus que toute autre, il met en avant le monothématisme, au cœur de la manière d'Émile Goué, qui s'attache à construire l'œuvre à partir d'un seul thème dont procèdent tous ses dérivés, au fil de multiples combinaisons : « soit horizontalement, par extrapolation ou déformation du thème générateur, ou soit verticalement, les thèmes secondaires étant obtenus en tant que contre-sujets », précise le musicologue Damien Top. Il émane de cette pièce d'envergure un souffle quasi architectural s'imposant dès le premier mouvement, « très modéré », lequel s'ouvre par un thème d'allure atonale, curieusement chez un maitre épris de tonalité. Le geste se fait ample et serré, progression haletante, sans cesse recommencée. Le mouvement « lent » figure une grande et intense digression des cordes, dans laquelle le piano inscrit sa cantilène affirmée. Les climax sont rythmés par celui-ci. Le rondo final, directement enchaîné, propose un jeu de rythmes, là encore arbitré par un piano quelque peu déjanté. L'interprétation du Quatuor Joachim et du pianiste Olivier Chauzu est empreinte d'une belle maîtrise étreignant la vie intérieure qui irise une pièce d'une force rare.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Frédéric CHOPIN (Vol 2 : Ballades) : Ballades, 4 Mazurkas op.24, Barcarolle op. 60, Nocturne op. 9, N°3, Polonaise-Fantaisie op 61. Hélène Tysman, piano. 2CDs OEHMS Classics : OC 894. TT.: 41’44+41’55.

Deuxième opus de la jeune pianiste Hélène Tysman consacré à Frédéric Chopin, un double album en forme de voyage intérieur : une errance intemporelle, occasion d’une réflexion approfondie sur ce qui caractérise l’interprétation et les rapports que celle-ci peut entretenir avec la composition, dans une perpétuelle re-création. Hélène Tysman s’est d’ailleurs longuement entretenue à ce sujet avec Chopin lui-même, avant de nous proposer cet enregistrement ! Après les 24 Préludes et la Sonate n° 2 en 2010 (cf. NL de 5/2010), ce sont aujourd’hui les quatre Ballades s’intégrant dans une flânerie harmonique plus large, comprenant un choix de Mazurkas, Barcarolle, Nocturne et la Polonaise-Fantaisie, qui nous sont proposés dans un déroulement continu, témoignant d’une familiarité déjà ancienne et profonde avec ce compositeur. Une interprétation caractérisée par sa  sombre clarté, sa  fougueuse délicatesse, sa douceur mélancolique, entre exaltation et douleur, entre passion et abandon. Du bel ouvrage, la confirmation d’un talent certain. Admirable disque.

 

Patrice Imbaud.

 

Charles IVES : Sonates pour piano N° 1 & N°2 « Concord ».Philippe Keler, piano. 1CD Label Soupir Editions : S220. TT : 79’25.

Les deux sonates pour piano de Charles Ives (1874-1954), interprétées ici par le spécialiste du genre, Philippe Keler, voilà qui fait tout l’intérêt de cet enregistrement. Rarement données, il s’agit d’œuvres atypiques, originales et déroutantes comme leur auteur Charles Ives. Formé par son père, chef de fanfare, qui, dès son plus jeune âge, l’initia au monde de la théorie musicale (tonalité, acoustique, rythmique) et aux chansons populaires de Stephen Foster, il devint à 14 ans organiste de sa paroisse, puis poursuivit des études musicales à Yale, composa un volumineux corpus (symphonies, musique de chambre, œuvres vocales) en menant parallèlement une carrière d’assureur ! Il arrêta de composer en 1927, sans que l’on en connaisse véritablement la cause, et mourut à New York en 1954. La Sonate n° 1, composée entre 1901 et 1909, est une œuvre à programme : « la vie à la campagne dans le Connecticut, entre 1880 et 1890, les impressions, souvenirs et reflets de la vie des fermiers ». Constituée de cinq mouvements, avec un grand mouvement lent central comprenant lui-même trois parties, encadré de deux ragtimes, cette sonate annonce la monumentale Sonate n° 2, dite « Concord  Massachussets 1840-1860 », composée entre 1911 et 1915. Là encore une composition très atypique comme un hommage rendu à Beethoven et aux écrivains américains de l’école « transcendantaliste ». Chacun des quatre mouvements qui la compose porte le nom d’un des quatre plus importants membres du groupe : Emerson, Hawthorne, Alcott et Thoreau. De  nouveau une musique à programme : Emerson illustre « la force et la beauté de la bonté innée dans l’homme, la nature et dieu », Hawthorne raconte le fantastique et l’enfance, The Alcott narre la vie tranquille du philosophe éponyme, enfin Thoreau conclut sur le charme de la nature, avec accompagnement facultatif de flûte et alto. Une formidable musique, hypnotique ou rageuse, pour une formidable interprétation où Philippe Keler fait preuve d’une maîtrise absolue du piano, sachant laisser place au silence et à la méditation, avant d’enchaîner avec des déferlements torrentiels d’une rare virtuosité. Un disque à ne manquer sous aucun prétexte !

 

Patrice Imbaud.

 

Charles IVES : The Side Show. Songs of Charles Ives. Rayanne Dupuis, soprano. Antoine Palloc, piano. 1CD Label Soupir Editions : S221. TT : 60’35.

Charles Ives (1874-1954) est décidément à l’honneur chez Soupir Editions. Après un disque consacré aux deux sonates pour piano, voici un  nouvel enregistrement dévolu, cette fois, aux mélodies du compositeur américain : 36 chansons pour l’essentiel extraites du recueil de 114 songs qu’Ives publia en 1922. Un corpus correspondant à environ 35 années d’activité créatrice, comprenant au total 151 mélodies. Des compositions à l’image de leur auteur, variées, déroutantes, charmantes, réalisant un véritable patchwork haut en couleurs, mêlant les différents influences subies par le compositeur, métaphysique, sentimentale, populaire, dans le style allemand ou français… Une diversité stylistique impressionnante, une grande richesse d’expression, un éclectisme caractérisé, paradoxalement, par la recherche évidente d’une unité entre l’art et les différentes facettes de la vie. Un superbe album, comme un très bel hommage à cette belle musique, si rarement jouée. Ici, magnifiquement interprétée par la soprano canadienne Rayanne Dupuis dont la vocalité facile transcende textes et musique, servis par une diction sans faille et soutenus par l’accompagnement sans reproches d’Antoine Palloc. Un bémol cependant, l’absence dans le livret de traduction française des textes allemands ou anglais, ce qui nuit grandement à l’adhésion de l’auditeur et à l’appréciation fine de la performance vocale. Un très beau disque toutefois !

 

Patrice Imbaud.

 

« Octuorissimo. Le Maître & l'Élève »: Osvaldo Golijov : Last Round pour deux quatuors et contrebasse. Dimitri Chostakovitch : Elégie et Polka, Deux pièces pour octuor à cordes op.11. Astor Piazzolla : Tango Ballet. Marc Mellits : Octet. Quatuor Debussy & Quatuor Arranoa. 1CD Label 1001 Notes : 04.TT : 57’10.

Originalité, qualité d’interprétation, prise de son d’une rare présence, telles sont les raisons qui font de ce disque un véritable événement. Un disque étonnant, enthousiasmant et bouleversant qui vous prend à la gorge dès la première note et maintient la tension de bout en bout, jusqu’à l’accord final. Octuorissimo, cinquième opus de la collection « Maître & Élève », associe les quatre hommes du Quatuor Debussy et les quatre femmes du Quatuor Arranoa, le premier confirmé, le deuxième en devenir… Parité stricte, mais surtout très belle manière de transmettre le savoir du maître à l’élève dans une évidente complicité où se mêlent virtuosité et plaisir de jouer. Un programme réunissant Osvaldo Golijov (*1960), avec Last Round pour deux quatuors et contrebasse, Chostakovitch, et Elégie et Polka, Deux pièces pour octuor à cordes op.11, Astor Piazzolla, pour Tango Ballet, et Marc Mellits (*1966) et son Octuor. Des compositions peu connues mêlant grâce, fougue et hardiesse. De la musique magnifique rare, portée ici au plus haut, du plaisir pur, un charme fou, un disque « coup de cœur » ! Indispensable à tous les amateurs de  musique de chambre et  même aux autres !

 

Patrice Imbaud.

 

« Rhapsody in blue ». Alexander ARUTIUNIAN. George GERSHWIN. Nicolas RIMSKY-KORSAKOV. Éric Aubier, trompette. Orchestre d’harmonie de la Garde Républicaine, dir. François Boulanger. 1CD Label Indésens : INDE058. TT : 72’20.

Nouvel épisode de la collaboration, désormais ancienne, entre le maître incontesté de la trompette actuelle, Éric Aubier, et le très inventif label Indésens. Un disque superbe par le choix des œuvres et par la qualité musicale de leur réalisation. Rhapsody in blue (1924) de Georges Gershwin (1898-1937), véritable kaléidoscope de l’Amérique, mêlant avec bonheur jazz et musique classique, où la trompette remplace avantageusement piano et clarinette par son chant langoureux et sensuel, annoncé par son célèbre glissando inaugural. Le Concerto pour trompette & orchestre (1950) d’Alexander Arutiunian (1920-2012), pièce incontournable du répertoire de la trompette, probablement le plus beau concerto jamais écrit pour cet instrument, en quatre mouvements, au climat tantôt folklorique arménien, légèrement orientalisant, tantôt méditatif ou à l’inverse enlevé, presque sarcastique, rappelant Chostakovitch par certains accents de la cadence finale. Enfin, Shéhérazade de Nicolas Rimsky-Korsakov (1844-1908) merveilleusement transcrite pour orchestre d’harmonie par François Boulanger. Un programme aussi expressif que virtuose, qui nous mène de Broadway aux steppes d’Asie centrale, où la trompette apparaît dans tous ses états, sachant se faire caressante ou véhémente, lyrique ou sarcastique, toujours juste et magnifiquement musicale sous les doigts experts d'Éric Aubier.

 

Patrice Imbaud.

 

« Ave Maria ». Vittorio Grigolo, ténor. Chœur de la Chapelle Sixtine.  Orchestra Roma Sinfonietta, dir. Fabio Cerroni. 1CD Sony Classical:   88725456832. TT : 60’47.

Voici un disque de musique sacrée comme le souvenir poignant, mais déjà lointain, du temps où Vittorio Grigolo faisait partie du prestigieux Chœur de la Chapelle Sixtine de Rome (de 11 à 14 ans). Mais voila… Depuis les temps ont changé, la voix mua, murit avec les ans, prit du poids et de la consistance, pour atteindre actuellement à une véritable maturité reconnue sans discussion dans le domaine de l’opéra ou de la chanson populaire napolitaine. Mais cette évolution, qu’on peut qualifier de physiologique, autorise t-elle aujourd’hui à chanter le répertoire d’hier ? Telle est la question posée, auquel cet enregistrement tente de répondre. Aussi peut-on se demander, à juste droit, si la voix de Vittorio Grigolo convient encore à ce type de répertoire sacré, lui dont la carrière s’est orientée, avec bonheur, vers le domaine profane. Force est de constater que certains airs, à la spiritualité très marquée, enregistrés sur ce disque manquent d’élévation, la voix y paraissant lourde, trop maniérée, là où l’on aurait souhaité la sobre humilité de la prière. La ligne de chant manque de legato, parasitée par un vibrato gênant. D’autres airs à l’inverse, comme l’Ingemisco, extrait du Requiem de Verdi semblent mieux servis par le ténor italien. Un disque, on l’aura compris qui interroge quant à l’adéquation entre voix et répertoire. Une voix probablement mieux adaptée aux passions humaines qu’aux louanges de Dieu ! Dommage ! Un disque à réserver aux inconditionnels de Vittorio Grigolo.

 

Patrice Imbaud.

 

« Bel canto from Monteverdi to Verdi ». Simone Kermes, soprano. Concerto Köln, dir. Christoph-M. Mueller. 1CD Sony Classical : 88765455042.TT : 63’27.

Riche de son expérience du chant baroque, Simone Kermes, dans ce nouvel opus, hisse au plus haut les limites de la vocalité : l’émission est juste et aisée, la diction claire, le timbre limpide, le legato sublime, l’ornementation parfaitement maîtrisée, le souffle tendu sans aucun vibrato, la ligne de chant soignée, élégante et expressive. Telles sont les raisons de la réussite indiscutable de ce nouvel album de la chanteuse allemande dont la tessiture se prête aussi bien aux œuvres virtuoses baroques qu’aux arias de Mozart ou de « bel canto ». Simone Kermes explore, ici, le domaine du « beau chant » au sens large du terme : Monteverdi (Si dolce è tormento), Mercadante (Virginia), Rossini (Maometto II, Semiramide), Donizetti (Betly, o campanna svizzera, Linda di Chamounix), Bellini bien sûr (Norma, Adelson e Salvini), mais également Mozart (Die Zauberflöte) et Verdi (I masnadieri, Attila)… Des œuvres très variées, depuis les deux airs de la Reine de la Nuit, parfaitement maîtrisés, teintés d’un sentiment d’urgence et d’un ressentiment palpable, jusqu’au non moins célèbre « Casta diva », chanté dans un tempo d’une étonnante lenteur, ainsi que d’autres œuvres, peut-être  moins connues…Toutes compositions nécessitant quintessence mélodique, d’une part, et virtuosité vocale, d’autre part, toujours au service de l’expressivité dramatique, menées ici avec un indéniable talent. A écouter sans modération !

 

Patrice Imbaud

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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LE FILM

 

GOLTZIUS AND THE PELICAN COMPANY. Réalisateur Peter Greenaway. Compositeur Marco Robino

 

 

Voyeurisme, inceste, adultère, pédophilie, prostitution, nécrophilie sont les thèmes explicitement abordés dans le dernier film de Peter Greenaway. C’est un voyage imaginaire à travers les yeux du célèbre peintre baroque hollandais Hendrick Goltzius (1558-1617). Pour obtenir des sous pour une presse  à imprimer, le peintre se présente devant le Margrave d’Alsace avec la troupe théâtrale la Compagnie du Pélican. Pour séduire ce puissant monarque il va présenter six scènes extraites de l’ancien et du nouveau testament dont il tirera des dessins qu’il offrira par la suite au Margrave. C’est ainsi que Greenaway va mettre en scène Adam et Ève (le voyeurisme), Loth et ses enfants (l’inceste), David et Bethsabée (l’adultère), Joseph et la femme de Putifare (pédophilie), Samson et Dalila (prostitution) et Salomé et Saint Jean Baptiste (nécrophilie). Petit à petit la fiction et la réalité vont interférer pour terminer dans un bain de sang. Pour accompagner ces images et cette mise en scène délirante, rococo, obscène, magnifique, comme sait le faire Greenaway, la musique est du compositeur italien Marco Robino et son quintette Architorti. Habillés de tenues du XVIème siècle, les musiciens participent à l’action en jouant des compositions minimalistes de Robino. Aux recherches picturales de Greenaway, font écho les expériences musicales tentées par ce musicien violoncelliste, qui travaille pour le réalisateur depuis 2004. Marco Robino est né à Turin et a été l'élève du célèbre Adriano Vendramelli. Après une intense activité comme chambriste dans diverses formations, et comme premier violoncelle à l’orchestre de la RAI, il fonde en 1994 le Quintette Architorti pour lequel il fait de nombreuses adaptations et des compositions. Il collabore avec le musée du cinéma de Turin sur plusieurs projets cinématographiques. Du punk à la techno en passant par le répertoire de la musique ancienne, il fait des transcriptions, des arrangements. En 2004, il rencontre Peter Greenaway pour qui il composera  « The Tulse Suitcases », « A Life in Suitcase », « La Ronde de Nuit », « Visions of Europe ». Architorti participera à la 61ème Mostra de Venise. La musique de Robino est très expérimentale, mélange de sources diverses classiques et pop music. Elle irradie le film comme l’image. Comme le dit Peter Greenaway : « Je désire une bande son très riche, aussi riche que l’image. Dans mes films la musique est toujours répétitive, comme mes scénarios. Il est toujours question de la récurrence des faits, des humeurs ou des sentiments. Mes goûts musicaux sont liés à la musique minimaliste des années 60 : Michael Nyman, avec qui j’ai travaillé de nombreuses fois, Philip Glass avec qui je monterai un opéra l’an prochain. Le compositeur de Goltzius et la Compagnie du Pélican, Marco Robino et le groupe turinois Architorti appartiennent à une nouvelle génération de musiciens minimalistes ». A voir et à écouter. Il et elle ne peuvent laisser indifférents.

 

http://www.youtube.com/watch?v=32_oYNaM7xY

 

 

En rappel, quelques musiques de Michael Nyman pour Peter Greenaway et autres réalisateurs figurent sur ce CD :

 


Virgin records CDVE957

Stéphane Loison.

 

 

BO en CDs

 

 

LOVELACE : Réalisateur Rob Epstein, Jeffrey Friedman Compositeur Stephen Task1 CD Sony 88883768522

C’est la véridique et triste histoire de la célèbre actrice Linda Susan Boreman de « Deep Throat ». Ce fût le premier film pornographique avec un scénario et projeté dans les circuits commerciaux. Il a rapporté une fortune, mais pas à cette femme qui a été battue, prostituée par son mari. La musique de Task est celle de l’époque, les années 70, c’est à dire le funk, le Rhytm and Blues et le rock. Stephen Task s’est surtout fait connaître en écrivant la musique d’un musical off Broadway (1998) et d’un film « Hedwig and the Angry Inch » sur Hedwig, un rockeur transsexuel allemand de l’Est. Angry Inch ayant un rapport à ses organes sexuels mutilés. La pièce et le film sont devenus cultes. Le CD « Lovelace » ne comporte qu’un morceau original de Task. Le reste, ce sont des morceaux superbes de R&B où l’on retrouve Gladys Knight, Eddie Kendricks…KC & the Sunshine Band. Un film qui aurait dû sortir le 25 novembre 2013, la journée internationale contre les violences faites aux femmes.

 

http://www.youtube.com/watch?v=cTqVV-Q1UyQ

http://www.youtube.com/watch?v=cuk39tu10tc&list

 

 

QUAI D’ORSAY. Réalisateur Bertrand Tavernier. Compositeur Alain Sarde. 1CD Quartet Records

C’est la neuvième collaboration de Sarde avec Tavernier. On se souvient du « Juge et l’Assassin », « Coup de Torchon » et plus récemment, « La Princesse de Montpensier ». Basée sur une BD de Abel Lanzac et Chistophe Blain, c’est une comédie satyrique qui met en scène l’ex ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, joué par Thierry Lhermitte, pendant la crise irakienne. Bertrand Tavernier a donc réalisé sa première comédie et Philippe Sarde a écrit une musique empreinte d’ironie et de rythme. C’est Dominique Spagnolo qui a fait les arrangements et qui conduit l’orchestre. Philippe Sarde n’a jamais écrit les arrangements de ses musiques et a toujours su employer des musiciens de talents pour les écrire (Hubert Rostaing par exemple). Parmi les musiciens qui ont participé à la BO, on trouve Ricardo Del Fra à la basse, Jean Pierlot aux percussions, Frédéric Couderc au saxo et Raphaël Didjaman au didgeridoo (instrument à vent de la famille des cuivres d’origine australienne). Les trois chansons que Bertrand Burgalat a écrites pour le film sont incluses sur le disque. Il y avait longtemps que Philippe Sarde nous avait donné une aussi belle musique de film. Le sujet de Quai D’Orsay l’a peut être inspiré.

 

 

 http://www.youtube.com/watch?v=jmwE8aSojrs

 

 

THE BUTLER (LE MAJORDOME). Réalisateur Lee Daniels. Musique de Rodrigo Leão. 1CD Decca 5345511

Le jeune Cecil Gaines, en quête d'un avenir meilleur, fuit, en 1926, le Sud des États-Unis, en proie à la tyrannie ségrégationniste. Tout en devenant un homme, il acquiert les compétences inestimables qui lui permettent d’atteindre une fonction très convoitée : majordome de la Maison-Blanche. C'est là que Cecil devient, durant sept présidences, un témoin privilégié de son temps et des tractations qui ont lieu au sein du Bureau Ovale. À travers le regard de Cecil Gaines, le film retrace l'évolution de la vie politique américaine et des relations entre communautés. De l'assassinat du président Kennedy et de Martin Luther King au mouvement des "Black Panthers", de la guerre du Vietnam au scandale du Watergate, Cecil vit ces événements de l'intérieur, mais aussi en père de famille…Le film, qui nous fait revivre l’histoire américaine, est fait pour que Forest Whitaker ait un nouvel Oscar. C’est long, long, long et terriblement américain. La musique est signée de Rodrigo Leão, compositeur portugais, qui n’a pas fait de musique de films. Il a composé et participé au fameux groupe Madradeus qui a travaillé pour Wim Wenders. Sur le CD on trouve de superbes morceaux de funk (Gladys Knight, Dinah Washington, James Brown….) et deux thèmes du film. Tout cela est bien agréable mais pas nécessaire.

 

 

GEORGES LAUTNER / EDOUARD MOLINARO

 

Deux réalisateurs de films populaires des années 60/70 viennent d’écrire le mot Fin sur l’écran noir. Georges Lautner a été associé dans ses derniers films à Philippe Sarde qui était le compositeur à la mode du cinéma français dans les années 70/80. Mais sa BO la plus célèbre, comme son film, est celle des « Tontons Flingueurs » qui date de 1963. Comme Georges Delerue, son premier compositeur, n’était pas libre, on lui a suggéré Michel Magne. A l’époque c’était le compositeur le plus fécond. Magne lui propose un concept : bâtir la partition sur les quatre notes du bourdon de Notre Dame ! Comme le dit Lautner, : « j’avais trouvé plus cossard que moi » ! Le film fonctionnant au second degré, la musique de Magne ne dépareillait pas. A l’époque, Lautner a eu l’impression de s’être fait avoir. Un thème simple, mis à toutes les sauces, du Twist au Rock en passant par le Baroque ??? « Une musique de feignant ! ». Aujourd’hui, l’effet de répétition du thème piano-banjo, lorsque Blier se prend un « bourre-pif » est devenu un must. Le travail de Michel Magne sur les « Tontons Flingueurs » est un gros gag et ça marche. Lautner, quarante ans après, l’appréciait ! La collection « Ecoutez le Cinéma » propose un CD avec la BO des « Tontons Flingueurs » et celle de « Ne Nous fâchons pas » écrite par Bernard Gérard. En bonus extraits de « Le Monocle Rit Jaune », « Galia », « Les Barbouzes » composées par Magne et « La Grande Sauterelle » de Gérard.

 

Le premier CD de la collection « Ecoutez le Cinéma » est un album Lautner/Sarde avec « Flic et Voyou » et « Le Guignolo ». Edouard Molinaro, lui, a été plus éclectique dans ses choix pour ses musiques : Georges Delerue, Claude Bolling, Georges van Parys, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Jean-Claude Petit…Ses films les plus célèbres sont « L’Emmerdeur » et « La Cage aux Folles ». Pour le premier, c’est Jacques Brel et François Raubert qui ont composé la musique, Brel était aussi acteur. Pour le second, c’est une musique devenue célèbre d’Ennio Morricone. Pour ses premiers films, fin des années cinquante, comme tous les jeunes réalisateurs de l’époque, il a fait appel à des jazzmen. Ainsi Art Blakey a composé la musique de « Des femmes Disparaissent » et Barney Wilen celle de « Un Témoin dans la Ville ». Polar rimait avec jazz. Ces musiques sont encore éditées, ce sont de belles compositions de jazz à écouter. En bonus on trouve la musique de jazz de « Les Tricheurs » de Marcel Carné. Carné s’était mis lui aussi au goût du jour.

 


Universal 017182-2  


Universal 159 899-2

 


Fontana 8347522

 

Stéphane Loison.

 

 

Séries françaises

 

Les feuilletons, les séries, les unitaires emploient de nombreux compositeurs souvent moins connus du grand public que leurs confrères des longs-métrages. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont moins de talent.  Dans ce genre d’exercice les américains sont devenus plus célèbres aujourd’hui grâce au succès des séries : Ramin Djawadi  pour « Game of Throne », Michael Giacchino pour « Alias » et « Lost », Trevor Morris avec « Les Tudor », « Les Borgias » (la série anglaise), Danny Elfman pour « Desperate Wives », Bear McCreary avec « Battlestar Galactica », Murray Gold et « Dr Who », Daniel Licht  et « Dexter », Joel Goldsmith et « Stargate », David Carbonara pour « Mad Men »… En France, certains compositeurs sont surtout célèbres auprès des producteurs, des réalisateurs, mais le public apprécie leur travail sans connaître leur nom. Ainsi on peut citer Stéphane Moucha qui a écrit plus d’une cinquantaine de téléfilms et séries. C’est avec « Nicolas Le Floch » qu’il a reçu le prix de la meilleure musique au festival de La Rochelle en 2008. Il a écrit la musique du documentaire « Tous au Larzac », qui a reçu un César en 2012. On peut aussi citer son travail sur la série « La Cour des Grands » ou « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie », qui ont été des succès pendant cinq ans.  Sur Canal Plus « Braquo » est très apprécié. Le musicien est Erwann Kermovant qui fait les musiques du réalisateur Olivier Marchal. On peut citer Cyril Morin qui écrit pour la télévision et pour le cinéma « Samsara », « Zaina » mais aussi « Mafiosa » et la première saison de « Borgia ». Un des plus prolixes est sûrement Frédéric Porte dont les créations approchent plus de six cents. C’est Takis Candilis ancien patron de la fiction à TF1 qui lui a fait faire un nombre incalculable de musiques pour le petit écran.

 


Milan 399 067-2

 

Stéphane Loison.

 

Entretien avec TAKIS CANDILIS


DR

 

Réalisateur de cinéma, Takis Candilis devient en 1984 producteur dans différentes sociétés audiovisuelles (Prony, Tara Productions, Caméras Continentales, Ellipse, Hamster Productions). En 1999 il entre à TF1 comme directeur de la fiction, devient directeur général adjoint chargé de la fiction et des flux, puis président de TF1 production. En 2008 il rejoint le groupe Lagardère. En 2010 il est nommé Président Directeur Général de Lagardère Entertainment qui regroupe les activités de productions et de distributions audiovisuelles de Lagardère Active, soit plus de 18 sociétés. Lagardère Entertainment est la première société de production audiovisuelle française par son chiffre d'affaires. La musique classique ou celle pour la fiction a toujours accompagné ses diverses activités

 

Dès le début de votre carrière vous baignez dans la musique

« J’ai fait effectivement beaucoup de productions autour de la musique. J’ai commencé dans le documentaire puis dans la captation de spectacles vivants et notamment d’opéras. C'était il y a longtemps et pour les premières expériences qui se sont faites de captations et de recréations de spectacles en haute définition. Je me souviens qu’on a tourné au Mariinsky à Saint Saint-Pétersbourg, pour faire d’affilé deux opéras et deux ballets. On amenait les caméras, tout le matériel technique et souvent on travaillait en coproduction avec les compagnies de disques, Deutsche Gramophone, EMI, Sony Classical… J’avais fait toute la série des Mozart avec John Eliot Gardiner. Pour Philips, on a tourné avec Valery Gergiev, et fait des recréations avec Kent Nagano. A l’époque, on créait pour le laser Disc, l’ancêtre du DVD, ainsi que pour la télévision. Grâce à des obligations de productions, ces programmes se trouvaient être diffusés souvent à des heures impossibles. Par exemple, j’avais produit la captation de Pélléas et Mélisande, mise en scène de Peter Stein, dirigé par Boulez et tourné à Cardiff dans des conditions homériques. Le seul coproducteur que j’avais trouvé à l’époque c’était TF1. Pour faire ses quotas de diffusion, elle avait passé cet opéra en trois fois une heure, la nuit entre deux heures et trois heures du matin ! On produisait aussi, bien sûr, pour le disque. Chaque artiste que l’on filmait était affilié à une maison de disques. On côtoyait pour le son les plus grands ingénieurs du son de ces compagnies. C’était une époque bénie où l’on faisait des réunions à l’un ou l’autre bout de la terre avec les chefs d’orchestre concernés par les projets, soit à New York soit à Tokyo. Les réunions techniques se passaient ainsi selon l’emploi du temps de ces chefs. Il y avait de l’argent à l’époque. Aujourd’hui, via une filiale du groupe qui s’appelle Telmondis, nous sommes le plus gros producteur de ce type de spectacle. Nous avons un accord d’exclusivité avec Valery Gergiev. Je suis allé à l’inauguration du nouveau théâtre Mariinsky qui jouait la Khovantchina et j’ai rappelé à Valery qu’il y a vingt ans j’avais produit déjà sa Khovantchina au disque. 20 ans après je la reproduisais. On s’est congratulé en souvenir de cette époque, et bien sûr la vodka et le caviar ont été de la fête. C'était donc une de mes activités. L’autre c’était de faire des films autour de la musique mais pas en captation, en documentaire. Quand enfin j’ai commencé à produire de la fiction, j’ai utilisé de la musique pour être un élément dramatique du récit.

Vous aviez des relations avec des compositeurs ?

Je connaissais évidemment quelques compositeurs de musique, mais en tant que producteur je laissais plutôt le réalisateur choisir sa musique : ça tenait souvent à des relations assez intimes qu’il entretenait avec un musicien. J’écoutais, je donnais mon avis, je regardais, mais disons que j’étais plutôt un go-between entre le point de vue de la chaîne et le point de vue des talents. J’étais le liant. Le diffuseur ne me faisait pas de remarque au sujet de la musique. En tant que producteur, face au diffuseur, je n’avais pas  ou peu de dialogue sur les éléments techniques de la dramaturgie, que cela soit de la précision d’un scénario, de telles ou telles directions artistiques prises ou de tel ou tel découpage, et encore moins sur la musique. Le résultat pouvait être quelquefois « Oh, il y a trop de musique » ou bien « y’en a pas assez ».

Quand vous vous êtes retrouvé à TF1 y a-t-il eu un changement d’attitude ?

Lorsque je suis arrivé à TF1, j’ai convoqué tous mes collaborateurs et je leur ai dit : j’ai été producteur, je sais qu’il y a une chose qu’on fait. Une fois qu’on a signé un contrat avec la chaîne pour nous le travail est terminé, après on se débrouille, tout le boulot a été fait en amont. Moi je leur ai dit que je voulais qu’on fasse l’inverse. Le jour où ont a signé avec nous, c’est à ce moment là que le boulot va commencer. Je veux que vous regardiez tous les rushes, tous les castings, tous les costumes, qu’on parle de la lumière, comment on va éclairer, quel va être le son, comment va-t-on utiliser la musique. J’ai organisé mes équipes pour être plus présent. Cela était très décrié. Je l’assume totalement, mais c’était un moyen de créer. Dans les émissions de flux il y avait une couleur TF1, il y avait une lumière, une brillance. Généralement il y avait du bleu. Si vous regardez la 2 c’est plutôt du rouge, c’est chaud. La Une c’est plutôt du blanc, du bleu, c’est brillant, un peu froid mais clinquant. Je voulais retrouver au niveau de la fiction cette couleur TF1, des nuits qui n’en étaient pas, des sons qui étaient plutôt claquants, des rires plutôt scintillants. Et au niveau de la musique c’était la même chose. Je voulais un vrai accompagnement musical. Et quand on a commencé le dialogue avec les producteurs qui étaient nos premiers interlocuteurs, on s’est aperçu malheureusement que quelquefois ils démissionnaient ou qu’ils n’avaient pas le temps. Alors on a été obligé d’entrer en direct. Plus vous demandez, plus vous exigez. Donc on s’est retrouvé à faire les castings, je voyais les costumes…. On m’accusait d’avoir dit à des gens qu’un sac de cette couleur, ça ne marchait pas ! Certes, mais dans un film tous les éléments concourent à donner des informations sur le caractère des personnages. A l’époque, j’ai côtoyé un certains nombres de musiciens qui venaient me faire écouter leur musique. Je leur demandais de me faire une maquette, de me donner la couleur, la thématique, le thème. Là on rentrait dans une logique avec un thème principal, des thèmes par rôle avec des tendances plus ou moins dramatisées selon tel ou tel personnage.

Il y a une différence de conception musicale entre un unitaire, une série, un feuilleton ?

La série ou l’unitaire c’est le même problème. La musique d’un unitaire peut rester dans la tête toute la vie ou va ruiner tout le film. Morricone n’a pas fait de séries et pourtant toutes ses musiques sont emblématiques de ses films. On les écoute ad libitum sans jamais s'en lasser.

J’ai rencontré des compositeurs très intelligents. Notamment un avec qui j’ai fait faire 60% des musiques de TF1, c’était Frédéric Porte. Entre la série, récurrente, et l’unitaire il y a le feuilleton, et c’est vraiment là le lieu où on peut décliner intelligemment et sans overdose la musique. Le générique est hyper important comme la couleur qu’on va donner aux épisodes, avec évidemment là une capacité de développer une partition musicale sur cinq ou six fois 90 minutes. Au début, selon les moyens qu’on donnait au compositeur, c’était avec un orchestre français, puis les coûts nous ont obligé à aller à Sofia ou à Prague. Puis, la technique évoluant, les compositeurs travaillaient avec leur matériel, puis on a mélangé les cordes et les samplers. Avec un unitaire on réduisait le coût de la musique, dans les séries il y avait une réutilisation de la musique. Dans le feuilleton c’est là où il y avait les budgets les plus intéressants qui permettaient de mélanger l’orchestre, la création musicale. Un feuilleton c’est la compilation de six unitaires. Pour tenir, il faut inventer des personnages et c’est tous ces personnages qui vont permettre de créer les rebondissements, les croisements. Autour de tous ces personnages il faut créer un univers musical. Il y a un côté épique dans le feuilleton, qui permet d’exprimer des envolées lyriques, dramatiques, etc…C’est là où j’ai pris le plus grand plaisir : permettre à des gens de s’exprimer sur ces durées là. Des durées qu’on n’a nulle part ailleurs.

Exemple ?

Je me souviens très bien de « Le Bleu de l’Océan », une mini série en 5 épisodes de 100 minutes, réalisée par Didier Albert il y a juste 10 ans. C’était un feuilleton à cheval sur deux genres. On sortait des feuilletons classiques initiés par De Givray. Moi j’ai voulu renouveler le genre. Je faisais référence au best seller de l’été où l’on voyait sur la plage des gens qui lisaient Barbara Cartland ou du polar. Je me suis dit mélangeons les genres, mélangeons la saga et le polar. On a fait un essai qui était « L’Eté Rouge ». On a eu un énorme succès. Sauf  qu’un feuilleton ça se prépare un an à l’avance. On avait donc lancé le deuxième feuilleton suivant. On m’avait dit on tente le polar et si ça ne marche pas on revient au feuilleton plus classique. Sauf que le succès du premier nous a fait changer d’idée, et qu’il fallait remettre du polar. Comme on avait déjà tourné une partie, on a crée la dimension polar par du montage en retriturant l’histoire et beaucoup par la musique. Je réécoute la musique des compositeurs qui avaient fait Navarro, Serge Perathoner et Jannick Top, et je leur demander de « repolariser » la musique. Cela a fait un feuilleton hybride qui a été un assez gros succès. La fois d’après on est parti dans « Zodiac », « Le Maître du Zodiac »…et  là on est entré dans la grande musique lyrico-policière. Au fur et à mesure de rencontres avec des musiciens je me suis aperçu qu’il y avait des compositeurs qui pigeaient plus que d’autres. Moi je ne sais pas lire la moindre partition, mais ce que j’essayais de faire c’était de renforcer les situations dramatiques et les sentiments des personnages et comment ils les expriment. Je disais au compositeur : voilà, il faut que tu me fasses pleurer, là je veux quelque chose de plus en longueur, là quelque chose de plus rapide. J’ai trouvé des musiciens qui comprenaient ce que je leur disais et rapidement, indépendamment de leur qualité, et d’autres qui étaient plus lents. Les grands moments musicaux pour moi sont plus dans les feuilletons que dans les unitaires ou dans les séries. Il y a plus la place de développer de longues thématiques musicales.

Vous avez eu les résultats que vous escomptiez ?

Je suis assez fier de la musique de « Zodiac », de « Mystère ». Claude Michel Rome, le réalisateur avec qui j’ai beaucoup travaillé, a des rapports privilégiés avec les musiciens qui réagissent aussi vite que lui, dont Frédéric Porte. En télévision il faut être très réactif, on n'a pas le temps. La musique hélas arrive souvent au dernier moment, elle est rarement utilisée au moment du tournage. Nous imposions dans notre découpage une surutilisation des plans. Je vois souvent sur le service public qu’il y a des plans larges avec toute une situation qui se fait : c’est une chose qu’on n'aurait jamais faite. On aurait demandé au metteur en scène de la découper pour pouvoir redonner du rythme à la scène, probablement par peur d’un zappage éventuel.

Il y a eu des chansons ?

Il y avait toujours une chanson de générique final pour tous les feuilletons.

Quels sont les feuilletons qui vous laissent de bons souvenirs ?

Beaucoup : « Méditerranée », « L’Eté Rouge », les «  Zodiac », « Dolmen ». C’étaient des évènements que les gens attendaient. On pouvait faire du marketing.  Aujourd’hui à la place du feuilleton il y a la série en huit ou dix épisodes. On voit bien que la transposition du feuilleton d’été est devenue la série à l’américaine qui est reprise par Canal, par Arte et par d’autres.

Aujourd’hui que vous êtes redevenu producteur, cette expérience vous permet de produire de manière différente ?

Chez Lagardère il y a une vingtaine de sociétés qui ont leur propre identité.  Je laisse quand même tous les producteurs s’exprimer. Il y a des moments où je m’investis plus, sur des séries importantes comme « Borgia ». Pour le choix du musicien j’ai demandé qu’on contacte Cyril Morin avec qui j’ai beaucoup travaillé sur TF1. Il a fait la musique pour la première saison. J’aime beaucoup ce qu’il fait au cinéma. Dans  « Samasara », par exemple, il a une capacité à trouver des couleurs musicales assez exceptionnelles. La difficulté de « Borgia » c’était de ne pas tomber dans le cliché. L’autre difficulté c’est que la main est celle du show runner. Sur « Borgia » il y a quatre ou cinq réalisateurs, les auteurs sont six ou sept, et le choix final est donné par le show runner. C’est une organisation à l’américaine. Il y a des patrons pour tous les services.

Je suis désolé, mais à l’inverse des grandes séries, le générique dans « Borgia » est pratiquement inexistant, on ne s’en souvient pas.

Oui, il y a beaucoup de musique dans « Borgia » mais il n’y a pas de thèmes, et moi j’ai un vrai problème. Le générique est important et il fallait trouver cette couleur qui est aussi essentielle que les dialogues. La thématique est importante, c’est un signal sonore. Or dans le cas présent il n’est pas reconnaissable, mémorisable. Pour Cyril ça été compliqué. Pour la saison deux ils ont fait un casting, ils ont changé de compositeur, et ont demandé à Éric Neveux. Il a fait aussi un bon travail, mais je trouve de la même manière qu’il n’y a pas de thématique qui prenne de l’importance. Ce n’est pas dû au musicien, la musique d'Éric est très jolie, mais elle est noyée par l’image, par la dramaturgie, et ça ce n’est pas normal parce qu’elle doit être un des éléments dramatiques et non un accompagnement. La saison trois est en tournage. Pour la saison deux on a changé de générique. Ce qui fait que pour certains la musique n’est qu’un support, quelquefois un cache misère, et pour d’autres un élément plus indispensable. C’est très compliqué de faire comprendre la musique qu’on désire. Sur tous les autres aspects techniques on peut mieux se faire comprendre. Avec la musique c’est compliqué. On peut dire j’aime, j’aime pas. C’est tout l’art du metteur en scène de pouvoir être en phase avec son musicien. Peut-être est-ce un problème de culture.

Depuis trente ans vous faites ce métier avec passion, vous êtes aussi un amateur de musique dans le sens premier du terme : quelles réflexions avez-vous sur ce métier ?

Lorsque j’ai commencé comme producteur de fiction, je travaillais avec un monsieur à TF1 qui s’appelait Claude de Givray. C’était l’école Truffaut, une personne qui avait une énorme culture cinématographique. Quand j’allais le voir, on parlait trois heures de cinéma avec des références qui étaient assez simples, des films des années 50, 60,70. J’avais des collaborateurs qui étaient de cette génération là.  Aujourd’hui, il y a des gens qui ne sont pas nés avec le cinéma comme média, mais avec la télévision. Allez leur parler de la nouvelle vague, du cinéma américain, de la beat génération, même du cinéma des années 70, Monty Hellman par exemple ! Ce sont des gens qui n’ont pas cette culture. Le cinéma tel qu’il est produit aujourd'hui est dans sa très grande majorité un cinéma de marketing. Ce n’est pas un jugement de valeur : il a simplement une autre fonction. Cette perte d’analyse et de culture fait que le dialogue est encore plus difficile à obtenir et que souvent on a quelqu’un dans une chaîne qui va vous dire j’aime ou j’aime pas, sans aucune analyse critique. Et qui au sujet de la musique va vous regarder comme s’il n’avait pas entendu celle qui était sur une scène qu’il venait de regarder, et vous dira oui, oui c’était bien. Est-ce un bien, un mal je ne sais pas…mais il existe un manque

Citez-moi les compositeurs de musique pour la télévision que vous aimez

Frédéric Porte, Cyril Morin, Didier Vasseur, le compositeur de « Julie Lescaut », et aussi les deux de « Navarro » Serge Perathoner et Jannick Top. Serge avait fait le superbe générique d’Ushuaïa.

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

Entretien avec FREDERIC PORTE

Frédéric Porte, la quarantaine passée, compositeur prolixe pour la télévision, s’est fait connaître à travers les feuilletons de l’été de TF1, tels que « Zodiac »,  « Dolmen », « Mystère », et des séries comme « Le Juge est une Femme », « Avocat & Associés », « Les Cordier », « Femme de Loi », et plus récemment « Camping Paradis »…Il a à son actif plus de 700 partitions. Curieusement, ses musiques ne peuvent être écoutées indépendamment de l’image. Il est donc impossible d’apprécier sa musique dans sa plénitude.

Quel est votre parcours initial ?

Tout simple, le bac puis le conservatoire de Versailles, en classe d’écriture, avec la compositrice, ancienne élève de Messiaen, Solange Ancona.

Votre père vous a-t-il influencé ?

Non. Bien sûr, j’ai baigné dans la musique mais c’est le dessin, l’huile, le fusain qui m’intéressaient. Après j’ai fait de la musique. Jeune, je voulais faire de la musique de séries télé, je ne sais pas pourquoi, je devais être visionnaire. Mon père était musicien mais pas dans la musique de films, bien qu’il en a fait quelques unes.

Que regardiez-vous pour avoir eu cette envie ?

Je ne pourrais répondre mais j’aimais bien cette idée de suivre pendant des années les mêmes comédiens. Après j’ai eu la chance de le vivre.

Quelles séries regardiez-vous ?

Les séries américaines style « Manix, » « Les Mystères de l’Ouest », « Cosmos 1999 »,

Quelle fut votre première musique ?

J’ai fait quelques courts-métrages pour les gens de l’HIDEC, j’ai fait des musiques pour les répondeurs. Mon premier truc important c’était un pilote pour un soap opéra, une série australienne qui s’appelait « Un héritage », mais qui n’a jamais été acheté en France. Après, j’ai composé la musique d’un film «  Entraînement du champion avant la course » de Bernard Fabre, qui a été présenté à Cannes en 91, et puis j’ai rencontré une productrice qui a voulu renouveler ses équipes. J’ai fait des maquettes et j’ai démarré avec elle. Contente de mon boulot elle m’a présenté à des producteurs, des réalisateurs. J’ai ainsi débuté dans les années 93/94 et par eux j’ai fait des coproductions internationales avec Warner Télévision, sur deux séries américaines. Parallèlement, je suis entré dans la série télé française avec les « Cordiers »…

On ne sort pas les musiques des séries françaises en CD ou en téléchargement : comment l'expliquez-vous ?

Je pense qu’en France on n’écoute pas autant la musique que dans les autres pays. Le easy listening a débuté très tard en France alors qu’à l’étranger il était partout et même avec des compositeurs français. Paul Mauriat par exemple. Vladimir Cosma vend aussi beaucoup à l’étranger. Je pense que c’est culturel. En France les gens ne chantent pas dans les bars comme en Irlande par exemple. J’ai travaillé avec des producteurs français qui me disaient que la musique ce n’était pas trop leur truc, ils étaient plus littéraires. J’ai eu la chance de bosser avec des producteurs américains pendant plusieurs années, ils savaient tous jouer d’un instrument. La culture musicale, ça commence à l’école, à l’université. Les écoles, à l’étranger, ont souvent leur orchestre. Donc si le public est limité, les maisons de disques ne vont pas faire l’effort de sortir un CD, même si le feuilleton a cartonné.

On ne trouve nulle part vos musiques ?

Exact, le seul truc qui était sorti c’est « Dolmen » parce que le producteur de Marathon aime la musique.

http://www.dailymotion.com/video/x5i4q1_dolmen-generique_shortfilms

Vous avez beaucoup travaillé pour Takis Candilis ?

J’ai rencontré chez Dune production le réalisateur Claude Michel Rome pour une série qui s’appelle « Le Grand Patron ». J’avais fait un thème irlandais qui n’a rien à voir avec « Dolmen », un thème anodin qui a plu au bras droit de Takis et c’est ainsi que j’ai fait sa connaissance. Takis Candilis est assez famille, il est sensible à la musique, on s’est bien entendu et on a pas mal travaillé ensemble. Il a une vraie culture musicale. Pascal Breton chez Marathon lui aussi avait de l’oreille. C’est avec lui que j’ai fait « Dolmen ». Ils sont assez rares les producteurs qui sont sensibles ainsi à la musique.

Aujourd’hui sur quelles séries travaillez-vous ?

Je continue « Camping Paradis », « Commissaire Magellan » sur F3, « Mes Amis Mes Amours Mes Emmerdes » sur TF1. J’aime retrouver les séries où on a mis son empreinte, j’y reviens avec plaisir. Changer d’univers ça me plaît. J’avoue que j’ai un grand faible pour les comédies. J’ai fait beaucoup de polar mais la comédie c’est ce que je préfère. Quand j’étais plus jeune j’étais un fan de Cosma.

Vous écoutez ce que font les compositeurs des séries américaines aujourd’hui ?

J’écoute beaucoup de musiques pour m’informer, mais ce n’est pas là que je vais trouver des idées. J’écoute pour une approche professionnelle plus que pour le plaisir. Pour le plaisir je préfère écouter de la musique classique comme Elgar, Brahms, les post romantiques. Ce sont des compositeurs qui me nourrissent énormément. Ce qu’on entend à l’heure actuelle par rapport à une trentaine d’année c’est une musique totalement uniformisée. Ce n’est pas la faute des compositeurs, c’est ce qu’on leur demande. Je vous mets au défi de reconnaître Desplat et un musicien américain sur un film concurrent. Moi je ne le reconnais pas. Entre Cosma et Legrand, oui je peux le faire. On pouvait faire la différence entre Delerue et Roubaix. Même Sarde qui a été décrié, a fait dans les années soixante dix de très belles musiques. J’espère que cette uniformisation va s’arrêter. On a besoin de diversité. Dans les séries américaines ou françaises on a beaucoup de nappes, une musique très discrète. Le problème des chaînes c’est qu’elles sont devenues schizophrènes, elles croient connaître leur public. Or personne connaît son public. Elles ont peur, c’est le symptôme des chaînes en déclin. Je le vois dans l’élaboration de certaines comédies, c’est tellement édulcoré que le scénario n’est plus drôle. Même moi je suis contraint de faire de la musique un peu tiède. En ce moment je termine un épisode pour la série « Meurtre A », pour FR3. Le concept est assez génial, crée par Anne Holmes qui dirige la fiction sur FR3. Avec Claude Michel Rome on a démarré un film de la collection de manière assez violente et FR3 nous a dit attention c’est peut être trop violent pour notre public ; ce qui n’est pas critiquable de leur part. Mais nous on tente des choses. Moi je me souviens d’avoir travaillé avec un réalisateur très bien, Philippe Triboit, qui m’a dit sur « Avocat et Associés »  : « tentons de faire un peu de contrebande et allons plus loin que ce que les chaînes nous demandent. On aura amené un peu quelque chose de plus, quitte à reculer ensuite ». Moi je continue de faire ça toujours. Si on écoute les conseillers de programmes, ils ont trop peur pour changer quoique ce soit.

Ils manquent de culture ?

Quand j’ai débuté chez TF1 j’étais jeune, j’ai commencé sur les « Cordier ». J’allais aux réunions, c’était convivial avec des pots quand un film faisait une bonne audience, tout le monde était invité, là on avait de vraies discussions artistiques, les gens avaient une vraie culture du métier. Celui qui a succédé à Takis, c’était un DRH de chez Bouygues, un monsieur très bien. Mais on aurait aimé que la télévision soit produite par des gens du métier. Je ne porte pas de jugement sur les personnes, ce sont des gens très intelligents mais qui ne font pas le même métier. Un jour Takis me dit : va voir Lombardini, un type superbement intelligent qui est maintenant directeur général de Free. C’était assez surprenant de discuter de la nature du générique, de savoir si on écrivait ou pas une chanson avec un type qui sortait de Centrale ou de Polytechnique, c’était assez étonnant quoi ! Cela change l’approche du métier

Maintenant que vous approchez la cinquantaine, avez-vous de bons souvenirs ?

Je me suis beaucoup amusé sur les séries d’été, beaucoup sur « Zodiac », « Dolmen », c’était avec un réalisateur avec qui je travaille depuis plus de vingt ans, Claude Michel Rome. TF1 a essayé de lui faire changer de compositeur. Il n’avait rien à me reprocher mais il voulait du changement. Claude Michel ne voyait pas pourquoi il allait changer pour changer. On forme un couple, on se comprend sans avoir besoin de se parler. Travailler ainsi permet de ne pas faire d’erreur.

Après 750 œuvres déposées, trouve-t-on encore l’énergie pour se renouveler ?

Moins de plaisir peut-être, mais quand vous avez la chance qu’on continue à vous appeler, on ne va pas refuser. C’est une chance énorme, moi je suis boulimique de boulot. Tant que j’ai plus de plaisir que de contrainte je continue. Mais c’est vrai qu’il y a plus de contraintes que de plaisir aujourd’hui. Je ne me voyais pas faire quand même le 250ème « Cordier ».

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

LE DOCUMENTAIRE

Le Chant des Ondes – sur la piste de Maurice Martenot


DR

L'automne a été té marqué par la projection à deux reprises, à Paris, du remarquable film documentaire de Caroline Martel, Le chant des Ondes - sur la piste de Maurice Martenot (Canada, 2012, 1H36), une première fois au Forum des images, au Forum des Halles, le 28 novembre, dans le cadre de la Semaine du Cinéma du Québec, et une deuxième fois le 13 décembre 2013 à l’Université Pierre et Marie Curie, Campus Jussieu, dans le cadre d’une résidence à l’UPMC, de Michel Risse et de la compagnie Décor Sonore, où trois journées étaient consacrées à la  « Genèse du Son Électronique ».

Le Chant des Ondes - sur la piste de Maurice Martenot  (grand prix Golden Athena Music & Film – Athens International Music & Film Festival) nous plonge dans l’univers musical et humain d’un instrument électronique de musique aussi fragile que magique : les ondes Martenot. Intrigue au présent sur fond d’histoire, ce long-métrage documentaire poursuit le rêve inachevé de cet instrument qui nous mène au cœur-même du mystère de la musique. Intégrant cinéma direct, archives inédites et répertoire musical extrêmement varié, ce film retrace l’histoire et explore les mystères de cet instrument dont le répertoire va de Messiaen et certains musiciens contemporains à Radiohead mais qui a aussi été plébiscité par Maurice Ravel pour l’interprétation de certaines de ses œuvres, sans oublier son utilisation dans bon nombre des chansons de Jacques Brel... Si ce film est de nouveau présenté en France, nous ne manquerons pas d’en faire part à nos lecteurs.

Daniel Blackstone.

 

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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Le CASCA

Comité d'Aide et de Soutien aux Chœurs Amateurs

Qui sommes-nous ?

 

Le CASCA est un Fonds de Dotation créé, en 2010, par une chef de chœur, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, elle-même à la tête de trois chœurs amateurs. Il est géré par un Conseil d’Administration actuellement formé de quatre membres, eux-mêmes choristes et chanteurs, auxquels d’autres chefs ou présidents de chœurs sont conviés à se joindre. Jean-Claude Casadesus en est le Président d’honneur. Le CASCA souhaite apporter un soutien financier à des chœurs amateurs, en privilégiant les chœurs de jeunes et d’enfants.

 

Qu’entendons-nous par « chant choral amateur ? » : il s’agit d’une pratique artistique de groupe exercée par des personnes qui ne sont pas rémunérés et qui chantent donc pour leur plaisir. Les chœurs amateurs sont tous régis par la loi de 1901, et les CA qui les dirigent toujours formés de bénévoles.

 

Pourquoi aider cette activité (qui semble autosuffisante) ? Parce que ces chœurs sont aujourd’hui de plus en plus souvent encadrés (chef de chœur et pianiste durant les répétitions) et accompagnés (instrumentistes et chanteurs solistes pendant les concerts) par des professionnels compétents, eux-même rémunérés. Le chant choral amateur est devenu, depuis quelques années, un véritable gisement d’emplois non délocalisables, qui permet de vivre à de jeunes chefs, de jeunes instrumentistes et de jeunes chanteurs professionnels, pour la plupart intermittents du spectacle. L'aspect « humaniste » du chant choral amateur se double donc d’un intérêt économique certain.

 

Le CASCA est convaincu que le chant choral amateur fait partie du panorama musical de notre pays et qu’il est un vecteur essentiel d’intégration et de citoyenneté. Il anime le territoire, en proposant des concerts de qualité, et à des prix abordables, à une population qui, sans cela, n’aurait jamais accès à la culture  -  particulièrement en milieu rural. C’est grâce au chant choral amateur, et à lui seul, que le public peut, en effet, entendre un vaste et riche répertoire chœur/orchestre, que les chœurs professionnels en activité ne mettent que peu à leur programme, pour cause d’effectifs insuffisants. Le CASCA agit donc dans une démarche culturelle d'intérêt général.

 

L'action du CASCA participera au maintien sur le long terme de ce chant choral amateur à qui la conjoncture économique actuelle n'est pas favorable et qui concerne pourtant des centaines de milliers de personnes dans notre pays : des réductions drastiques de subventions publiques sont, en effet, programmées, alors que jamais le niveau musical de ces chœurs n’a jamais été aussi élevé.

De surcroit, la pratique régulière et sérieuse du chant choral est, pour les jeunes, la meilleure école qui soit et la meilleure formation à la citoyenneté : elle exige en effet un engagement réel sur le long terme, la faculté d’écouter les autres et de suivre des consignes extrêmement précises, le tout dans une atmosphère conviviale et chaleureuse dont toute compétition est bannie, puisque ce sont les progrès de l’ensemble des participants qui importent.

 

Modalités de fonctionnement du CASCA

 

Montant de l’aide apportée par le CASCA : l’aide ponctuelle pour chaque dossier déposé ne pourra dépasser un montant plafond qui sera fixé chaque année par le Conseil d’Administration, en fonction des rentrées d’argent dans le Fonds de Dotation. L’aide ne sera attribuée qu’après délibération du Conseil d’Administration et sera conditionnée à la transparence comptable des groupes demandeurs.

 

Origine des fonds : Le CASCA ne peut pas demander de subventions publiques car il ne pourrait pas, légalement, les redistribuer. Les financements ne pourront donc provenir que du mécénat privé - sachant que les dons, qu'ils proviennent d'une société ou d'une personne, seront partiellement déductibles des impôts, le CASCA étant un Fonds de Dotation d’intérêt général et à visées culturelles.

Les actions du CASCA seront menées avec discernement et les fonds attribués à la suite d’un vote, après évaluation des chorales demanderesses selon une grille  précise et suivant les mêmes critères que les évaluations faites pour les demandes d'agrément (défiscalisation). Tous les Fonds de Dotation sont par ailleurs sous la tutelle du CNCC (Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes), organisme officiel, national et indépendant.

 

Le CASCA accompagnera de son mieux les chœurs de jeunes et d’enfants, seuls capables de faire vivre sur le long terme le chant choral amateur : en leur permettant de louer un local, de payer une assurance, d’acheter des partitions, d’affréter un autobus pour se rendre à telle ou telle semaine chantante,  voire d’offrir une formation vocale à ses membres. Des jeunes qui, répétons-le, ne pourront que tirer le plus grand profit du sérieux, de l’engagement et de la rigueur que requiert la pratique du chant choral de qualité.

 

Les DONS sont reçus sous forme de chèques libellés à l’ordre du CASCA et envoyés à l’adresse suivante :

CASCA,

S/C de Michèle Lhopiteau

Le Bourg

24140 Maurens

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Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.
Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).
Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

 

En préparation

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus   Gérard Denizeau

Toccata ré mineur                      Jean Maillard

Cantate BWV 4                          Isabelle Rouard

Passacaille et fugue                    Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu                Janine Delahaye

Phœbus et Pan                          Marianne Massin

Concerto 4 clavecins                  Jean-Marie Thil

La Grand Messe                         Philippe A. Autexier

Les Magnificat                           Jean Sichler

Variations Goldberg                    Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale                Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses         Gérard Denizeau

Apothéose Corelli                        Francine Maillard

Apothéose de Lully                      Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus                             Sabine Bérard
Water Music                              Pierrette Mari

Israël en Egypte                         Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile                     Jacques Michon

L’alleluia du Messie                      René Kopff

Musique feu d’artifice                  Jean-Marie Thill

 

 
 

 

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Paru en juillet

 

 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale