Lettre d’Information – n°106 Septembre 2016

Lettre de Juillet 2016. Tirage : 61.231 exemplaires

 

L'AGENDA

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4 / 9 – 16 / 10

 

Le Festival de Laon : « Variations symphoniques »

 

 

Le thème choisi pour la 28 ème édition du festival de Laon « Variations Symphoniques » veut focaliser sur la diversité des répertoires proposés autour de 6 grands concerts d'orchestre et d'un large panorama de la pratique symphonique, mais aussi sur une pluralité de formations : Orchestre Philharmonique de Radio France, Orchestre National de Lille, Orchestre de Picardie, Orchestre Français des Jeunes, et bien sûr, Les Siècles. Une orientation essentielle du festival est aussi de l'ancrer dans une action territoriale visant la jeunesse. Ainsi pour la première fois, la Symphonie des Siècles, atelier départemental d'orchestre symphonique proposé aux élèves des conservatoires et écoles de musique de l'Aisne, se produira-t-elle au festival sous la direction de François-Xavier Roth, en conclusion de son second stage de travail annuel. Le festival de Laon est en effet un acteur régulier des initiatives pédagogiques initiées par l'ADAMA (Association pour le développement des activités musicales dans l'Aisne) en direction du secteur scolaire, des pratiques amateurs et de la formation, notamment à travers le Schéma départemental de développement des enseignements artistiques. Un partenariat est désormais mis en place aussi avec l'Association « les Concerts de Poche », permettant de proposer à des publics de quartiers en difficulté des ateliers préparatoires au concert. Au-delà d'une simple série de concerts, le festival représente donc un outil nécessaire du projet de développement musical et culturel du département de l'Aisne.

 

Au nombre des concerts, qui seront donnés pour la plupart à la Cathédrale de Laon, on peut citer, outre la Symphonie des Siècles (4/9,17H) et l'Orchestre Français des jeunes (9/9, 16H30), L' Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck avec le celliste Edgar Moreau (24/9, 20H 30), Les Siècles et François-Xavier Roth (29/9, 20H30) ou l'orchestre National de Lille dirigé du piano par Christian Zacharias (7/10, 20H30 , Soissons, cité de la musique et de la danse). Deux autres évènements non symphoniques complètent le programme : un récital du pianiste Kit Amstrong (16/9, 20H30 Laon, Grand Théâtre) et un concert du quatuor Voce (2/10, 16H, Maison des Arts et Loisirs de Laon).

 

Renseignements et réservations : Office du tourisme du Pays de Laon, Place du Parvis, 02000 Laon ; par tel. : 03 23 20 87 50 ; en ligne :  www.festival-laon.fr

 

 

17 / 9 – 16 / 10

 

Paysages anglais et italiens au Festival Terpsichore

 

 

Pour sa troisième édition, le Festival Terpsichore qui se propose à la fois de valoriser un patrimoine musical peu connu et de jouer dans des lieux historiques de la capitale, revisitera des répertoires majoritairement anglais et italiens, en passant par un Grand Tour musical à travers l'Europe du XVIII ème siècle. A l'occasion du 30 ème anniversaire du Capriccio Stravagante, des concerts de l'Ensemble seront présentés conjointement avec le Collegium Vocale Gent ainsi qu'avec l'ensemble vocal belge Vox Luminis et Lionel Meunier. Deux festivals sont partenaires de la manifestation : celui de Saintes et celui d' Utrecht.

 

Ainsi le concert intitulé « The Grand Tour », associera-t-il masques et musiques (Marais, Rameau, Vivaldi, Bach ou Telemann) pour savourer des correspondances musico-littéraires à travers un récit de voyage dans les grandes villes de France d'Italie ou d'Allemagne (17 et 18/9, 16H Salle Erard). L'Ensemble Masques et la violoniste Cécilia Bernardini illustreront le théâtre musical de Telemann (17/9, 20H30 Salle Erard). De même que les Anthémes et les Fantaisies de Purcell le seront par le Capriccio Stravagante et le Collegium Vocale Gent dirigés par Skip Sempé (26/9, 20H30, Église Saint-Louis-en-l'Île). L'Huelgas Ensemble de Paul Van Nevel présentera le recueil « The Eton Choirbook », livre de chœur de la période des Tudor (6/10, 20H30, Temple de Pentemont). Le concert « Venezia Stravagantissima » sera prétexte à entendre les œuvres de Monteverdi, Gabrielli, Vecchi et leurs contemporains pour une soirée musicale offrant canzone, musiques de danse, madrigaux et transcriptions instrumentales de ces derniers (10/10, 20H30, Église Saint-Louis-en-L'Île). Le festival se conclura avec l'Ensemble Résonances pour un programme de musique de la dynastie des Tudor, « The Teares of Muses » (15/10, 16H, Salle Erard), Les Voix Humaines et le ténor Charles Daniels pour un récital d'œuvres de frères Henry et William Lawes (15/10, 20H30, salle Erard) et enfin le Capriccio Stravagante Viols et le luthiste Thomas Dunford qui découvriront le recueil des « Lachrimae » de John Dowland (16/10, 16H. Salle Erard).

 

Renseignements et billetterie : par tel. : 01 86 95 24 72 ; en ligne :  www.terpsichoreparis.com  ou  info@terpsichoreparis.com.

 

 

21, 23, 25, 27, 30 / 9 & 7, 9 / 10

 

The Turn of the Screw à l'Opéra du Rhin

 

 

Le saisissant opéra de Benjamin Britten, The Turn of the Screw (1954, Venise), si peu joué, revient à l'affiche grâce à l'Opéra du Rhin. Inspiré de la nouvelle d'Henry James, cet opéra de chambre narre l'histoire trouble de deux enfants, Miles et Flora, en apparence ''normaux'', adoptant peu à peu un comportement étrange, envoûtés qu'ils sont par le fantôme de deux anciens domestiques. La jeune gouvernante fraichement installée pour en surveiller l'éducation va connaître un chemin d'enfer : l'écrou dramatique se referme sur elle. Par une musique d'une fabuleuse précision due à un effectif instrumental restreint, Britten installe un terrible suspense où l'implicite est érigé au rang de principe dramaturgique pour traiter de l'innocence de l'enfance, pervertie, de l'ambiguïté des rapports entre adultes et enfants, de l'enfermement de six personnages s'enfonçant dans la détresse. On attend beaucoup de la mise en scène de Robert Carsen dans un opéra proche du huis clos, et de la direction  musicale de Patrick Davin à la tête de son Orchestre symphonique de Mulhouse.

 

Opéra du Rhin à Strasbourg les 21, 23, 27 et 30 septembre 1016 à 20H et le 25/9 à 15H, puis Mulhouse/La Filature, les 7 (20H) et  9/10 (15H)

Réservations : Opéra de Strasbourg : 19, Place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel. : 03 68 98 51 80.

La Filature/Mulhouse, 20, Allée Nathan- Katz, 68090 Mulhouse cedex ; par tel.: 03 89 36 28 29 .

En ligne : caisse@onr.fr 



22 - 25 / 9

 

Quatre x Quatre : un festival de quatuors à Rouen

 

 

Quintessence de la musique classique, le quatuor à cordes est l'objet d'un nouveau festival à Rouen fin septembre ! Dans l'écrin acoustique que constitue désormais la Chapelle Corneille, les meilleurs ensembles du moment, toutes générations confondues, se succéderont sans relâche. De Haydn à Bartók, de Mozart à Webern, en passant par Ravel ou Debussy, c'est à un panorama général du genre chambriste que le public est convié. On y entendra successivement les Diotima (Webern, Schubert ''Rosamunde'' et Bartók N°5 ; 22/9), les Cambini (N°1 de Gounod, Mozart et Haydn ; 23/9). Une première journée nonstop, le 24, réunira les Van Kuijk (Kurtag, Debussy et Ravel, 14H), les Zaide (Beethoven op. 18/3, Bruckner Intermezzo, Franck,17H), et une soirée de luth donnée par Thomas Dunford, 20H). Une seconde journée, le 25, présentera le Quatuor de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen (Haydn op. 77/2,  Brahms op. 51/1 et Webern, 11H), les Arod (Mozart 14 ème, Bartok N°3 et Beethoven op. 132, 14H30), enfin les Danel (Mendelssohn op. 80, Schubert ''La jeune fille et la mort'', Weinberg N°16, 17H30). Quatre jours pour les quatuors, le Festival Quatre x Quatre, co-réalisé avec l'Opéra de Rouen Normandie, devrait ravir les amateurs et les autres en ce début d'automne normand.

 

Chapelle Corneille, Rouen, du 22 au 25 septembre 2016, horaires variables.

Réservations : Billetterie de l'Opéra de Rouen, 7 rue du Docteur Rambert, 76000 Rouen ; par tel. : 02 35 98 74 78 ; en ligne : billetterie@operaderouen.fr

 

 

28 / 9, 11 & 12 / 10

 

Les Surprises créent Les Éléments

 


©Amélie Pialoux

 

L'Ensemble Les Surprises entame une tournée au cours de laquelle sera présentée leur dernière création : Les Eléments, vaste opéra-ballet composé à quatre mains par André Cardinal Destouches et Michel Richard Delalande.

 

« Après le travail sur les opéras de Rebel et Francœur, je souhaitais poursuivre la démarche d'adaptation d'ouvrages lyriques en versions « d'opéras de salon ». En effet, cette pratique qui peut aujourd'hui nous surprendre était très courante aux XVII et XVIII siècles. Cela permettait de déplacer les opéras dans des lieux plus petits, et l'on pouvait ainsi jouir des dernières œuvres à la mode dans un cadre plus familier que celui de l'Académie royale de musique de Paris.

Les Éléments fut un des opéras les plus prisés durant le XVIII siècle, repris et arrangé à de nombreuses occasions. À partir des diverses sources qui nous sont parvenues aujourd'hui, j'ai souhaité reconstituer une version de salon de cette œuvre ; les trois chanteurs passant tour à tour des rôles principaux aux chœurs. L'effectif choisi ici permet de représenter les couleurs instrumentales de l'orchestre français, tout en restant dans une dimension soliste. On ne s'étonnera pas non plus de la présence d'instruments tels que la viole de gambe ou le théorbe, qui disparurent de l'orchestre de l'opéra probablement autour de 1730, mais continuèrent à être grandement appréciés dans les cours royales et les milieux bourgeois », souligne le chef Louis-Noël Bestion de Camboulas.

L'œuvre, qui sera donnée trois fois, sera interprétée par l'Ensemble Les Surprises (Hasnaa Bennani, soprano, Eugénie Lefebvre, soprano, Étienne Bazola, baryton, Joan Vercoutere, danse) dirigé du clavecin par Louis-Noël Bestion de Camboulas, et mise en scène par Édouard Signolet.

 

Festival d'Ambronay, le 28 septembre 2016 à 19H  (toutes les infos sur ce lien), puis au Festival de Pontoise, le 11 octobre à 20H30 (toutes les infos sur ce lien) et enfin à l'Auditorium du Louvre, le 12/10 à 20H.

 

 
29 / 9 - 6, 8, 9 / 10

 

Pré rentrée à l'Opéra Comique

 


DR

 

L'Opéra Comique et le Musée d'Orsay s'associent dans un spectacle commun autour de l'exposition « Spectaculaire Second Empire. 1852 -1870 » (du 27 septembre 2016 au 16 janvier 2017 au Musée d'Orsay). Une façon d'illustrer leur parenté : inaugurées à quelques mois d'intervalle à la fin du XIXe siècle, la salle Favart et la Gare d'Orsay présentaient la même heureuse conjonction entre modernité technique et raffinement décoratif. Les patrimoines présentés aujourd'hui dans leurs murs respectifs déploient les richesses du siècle romantique, animé de courants artistiques divers, de tensions entre art officiel et modernité et de rencontres inédites entre les arts. Invité à coproduire un spectacle musical à l'auditorium, l'Opéra Comique a imaginé une soirée éclectique qui rend justice au foisonnement théâtral que favorisa le régime de Napoléon III. Ainsi le spectacle est-il construit autour d'Offenbach, le chantre et le compositeur favori du Second Empire, dont la redécouverte de son chef-d'œuvre oublié Fantasio marquera l'ouverture de la saison 2017 de l'Opéra Comique. Un dîner avec Jacques, opéra bouffe d'après Jacques Offenbach  :  au cours d'un souper dans un salon de la haute société du Second Empire, où tout n'est que paraître, des convives exaltés par la sensualité de la bonne chair abandonnent progressivement leurs masques pour laisser libre cours à leurs fantasmes, au rythme jubilatoire de la musique d'Offenbach. Au menu : Geneviève de Brabant, Madame l'Archiduc, La Rose de Saint-Flour, La Princesse de Trébizonde et autres morceaux choisis du grand Jacques. La direction musicale sera assurée par Julien Leroy qui dirigera Les Frivolités Parisiennes, et la mise en scène par Gilles Rico. A noter que le programme sera repris au Théâtre de Bastia le 7 janvier 2017 et à au Théâtre Impérial de Compiègne, le 20 janvier, dans le cadre des Folies Favart.

 

Auditorium du Musée d'Orsay, les 29 septembre et les 6, 8 octobre 2016  à 20H et le 9/10 à 16H.

Renseignements et réservations : au musée d'Orsay ; par tel.: 01 53 63 04 63 : en ligne : www.musee-orsay.fr/fr/info/contact/demande-concernant-lauditorium.html


30 / 9, 2, 4, 7, 9, 11 / 10

 

Béatrice et Bénédict à Toulouse

 

 

Berlioz, Shakespeare... une conjonction qui ne saurait être que fructueuse. Et qui l'est encore en ces années 1860 où le vieux maitre s'amuse à écrire un opéra-comique sur Beaucoup de bruit pour rien, un projet caressé de longue date. L'œuvre sera créée au théâtre de Baden-Baden en 1862. C'est une comédie douce amère mais pleine de vie à l'aune de son ouverture emplie de verve, qui la résume. Si elle frise à certains moments l'exubérance, la musique nourrit quelque tendresse à l'image des deux héros qui se chamaillent mais ne peuvent vivre l'un sans l'autre. Librement adapté par Berlioz lui-même, non sans conservatisme, le texte du grand Will n'en livre pas moins une amusante digression réaliste sur l'amour et ses illusions. La nouvelle production du Capitole est confiée à Richard Brunel et sera dirigée par Tito Ceccherini. La distribution est prometteuse. 

 
Théâtre du Capitole, les 30 septembre, 4, 7, 11 octobre 2016 à 20H et les 2 et 9/10 à 15H.

Réservations : billetterie : place du Capitole, BP 41408 Toulouse Cedex 6 ; par tel.: 05 61 63 13 13  ; en ligne : service.location@capitole.toulouse.fr

 

 

4 / 10

 

Musiques anglaises à Notre-Dame de Paris

 


Benjamin Britten / DR

 

La nouvelle saison musicale des concerts de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris s'ouvrira sur des œuvres de Benjamin Britten et Ralph Vaughan Williams et plongera l'auditeur dans l'univers grandiose et solennel de l'Angleterre du XXe siècle. La Maîtrise Notre-Dame de Paris au grand complet, accompagné d'Yves Castagnet au grand orgue, jouera sous la direction d'Henri Chalet. Benjamin Britten, personnalité marquante et incontournable du XX ème siècle, et grand représentant d'un nouvel élan musical, a fortement marqué la culture britannique. Il sait, comme peu de compositeurs, sublimer ce talent anglais de l'adéquation entre la ligne mélodique idéalement écrite pour la voix et la force du texte. Seront joués : Hymn to the Virgin, Jubilate Deo en Do, Rejoice in the lamb, Jubilate Deo en Mi bémol. Autre grande œuvre de la musique pour chœur à (re)découvrir, la Grande messe à double chœur, a cappella de Ralph Vaughan Williams (1872-1958), éblouira de sa pureté harmonique et du sentiment sincère et jubilatoire de ce compositeur dans une musique so british ! On entendra aussi Lux Aerterna d'Edward Elgar (1857-1934) et The Lamb de John Taverner (1944-2013).

 

 

Notre-Dame de Paris, le 4 octobre 2016 à 20H30.

Réservations : Accueil de la Cathédrale Notre-Dame de Paris ; par tel. : 01 44 41 49 99. www.musique-sacree-notredamedeparis.fr

 

 

6, 7 / 10

 

Les musiques du baroque méridional

 

 

A l'occasion des 30 ans de l'Orchestre Les Passions, une manifestation d'envergure aura lieu à Toulouse et à Montauban autour des Musiques du Baroque méridional, comportant trois volets : deux concerts d'œuvres de Jean Gilles (1868-1705) et d'Antoine-Esprit Blanchard (1696-1770), un colloque universitaire organisé par le laboratoire LLA-Créatis de  l'Université Jean-Jaurès de Toulouse et enfin des rendez- vous publics dans les deux villes autour d'une exposition « Les Maitres du Baroque méridional » à la Bibliothèque municipale de Toulouse (15 septembre-15 octobre) et d'une autre sur la musique baroque au Conservatoire de Montauban (aux mêmes dates).

 

Le colloque universitaire sur « Musique, Culture et Identités dans les provinces du Sud Ouest de la France, XII ème-XVIII ème siècles » dont les travaux se concentreront sur les pratiques musicales dans la vie culturelle publique et privée des provinces de Languedoc et de Guyenne d'alors, réunira plusieurs grands experts de Musique baroque française, sous la présidence d'honneur de Gilles Cantagrel (6 & 7 octobre). Les deux concerts des 5 et 6 octobre, respectivement, au Temple des Carmes à Montauban (20H) et à la Cathédrale Saint Étienne de Toulouse (20H30), seront l'occasion d'entendre l'emblématique Requiem de Jean Gilles et les deux motets Magnificat et In excitu Israël d'Antoine-Esprit Blanchard, objet des récentes recherches musicologiques du chef de l'Orchestre Les Passions, Jean-Marc Andrieu. Ces œuvres seront également interprétées par le chœur Les Éléments dont le directeur est Joël Suhubiette.


Réservations : festival international TLO/Odyssud, 22 bis rue des fleurs, 31000 Toulouse ; par tel : 05 61 33 76 80 ; en ligne : www.toulouse-les-orgues.org

Temple des Carmes et Conservatoire de Montauban: Grand'Rue Sapiac, 82000 Montauban ; par tel : 05 63 22 19 78.

Autres liens : De l'orchestre : www.les-passions.fr De l'Université Jean Jaurès laboratoire LLA-Créatis, 5 Allée Antonio Machado, Toulouse : http://lla-creatis.univ-tlse2.fr

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

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PAROLES D'AUTEUR

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Bohuslav Martinů (1890-1959) ou l'exil permanent(1)

 

 

Si l'homme naissait cinquantenaire, dans l'épanouissement de l'âge, il n'y aurait pas de poésie. Et comme ils seraient rares ceux qui atteindraient l'enfance !

Vítězslav Nezval (1900-1958)

 

 

Au terme d'une longue filiation dont l'origine remonte à Bedřich Smetana (1824-1884), Martinů (1890-1959) apparaît telle une figure fort surprenante. Pour la première fois dans l'histoire de la musique tchèque, un compositeur vivra la plus grande partie de son existence à l'extérieur de sa patrie. Certes, Antonín Dvořák (1841-1904) a passé quelques années à New York (1892/95) mais cela n'est en rien comparable avec l'existence que son cadet a été obligé de subir. Une question, peut-être iconoclaste, se pose dès l'abord : Martinů, être d'une extrême sensibilité, est-il encore Tchèque dans son langage ; autrement dit, est-il le successeur naturel de la triade Smetana-Dvořák-Janáček(2) ? D'aucuns attestent qu'il a été le compositeur tchèque le plus important au XXe siècle. Il est certain que, s'il a quitté son pays qu'il aimait profondément, c'est à cause des dramatiques événements qui ont secoué son siècle.

 

Dès l'abord, l'étude de son parcours, de même que l'écoute de son œuvre, s'avèrent complexes. De ce fait et eu égard à l'important catalogue de sa musique ainsi qu'à la multitude enchevêtrée d'épisodes qui concernent le cours de sa vie, je me limiterai à quelques faits et partitions que j'estime caractéristiques.

 

 


Bohuslav Martinů en 1943 © Bohuslav Martinů Centrum Polička

 

 

1890/1923 – Enfance et apprentissages

 

Bohuslav – fils du cordonnier Ferdinand Martinů (1853-1923) et de Karolina Klimešová (1855-1944) – est né à Polička, en Bohême, au cœur de la paradisiaque Vysočina, le 8 décembre 1890, l'année au cours de laquelle Dvořák a commencé la composition de son Dumky-Trio. Pietro Mascagni (1863-1945) avait composé son fameux Cavalleria Rusticana (1889) qui connaîtra, d'ailleurs, un immense succès en Bohême. Dans le même temps, le chancelier Otto von Bismarck (1815-1898) était renvoyé par l'Empereur, départ qui allait marquer le début de la « paix armée » en Europe. Sur une autre planète de l'esprit, le grand psychologue William James (1842-1910) publiait The Principles of Psychology établissant, de la sorte, sa discipline telle une science autonome.

 

Polička était alors une charmante bourgade, témoin d'une riche culture historique hussite(3) et dotée d'un théâtre permanent, l'un des plus importants de Bohême. Les artisans, verriers et drapiers, y vivaient heureux. Polička n'était distante que de seize kilomètres de Litomyšl, la ville natale de Smetana et de la mère de Bohuslav. Ce lieu, empreint par la poésie, allait frapper la fervente imagination de cet enfant doté d'une grande fragilité psychologique. La musique fera très vite partie de sa vie. Dès l'âge de sept ans, il prenait des cours de violon chez un certain Josef Černovsky avant d'étudier auprès du premier violon de l'orchestre local, Antonín Růzha.

 

Le 21 janvier 1904, Jenůfa (1894/1903) de Janáček était créé au Deutsches Nationaltheater de Brünn [Brno]. Dvořák s'éteignait à Prague le 1er mai suivant, à l'âge de soixante-trois ans. Avec ce merveilleux compositeur, la tradition tchèque qu'il avait sublimée et forgée après Smetana allait connaître une autre forme de destinée. Janáček, indéniablement, suivait son propre cheminement pour le moins largement incompris.

 

Le 19 août 1905, Bohuslav jouait pour la première fois en tant que soliste. C'était à Borová, un village tout proche. Il fut même cité par le journal local Jitřenka. Il fallait absolument faire fructifier ses dons. Pour cela, Prague et son Conservatoire devaient constituer un objectif malgré les frais importants que cela occasionnerait. Au cours de l'été, le jeune garçon fut présenté au professeur Jan Mařák (1870-1932). Les dons instrumentaux de Bohuslav étaient si évidents que quelques personnalités locales entreprenaient aussitôt de solliciter les autorités en ces termes :

 

Un soir, dans la salle du Conseil municipal de Polička, parmi les jeunes musiciens de quinze ans, il y avait Bohuslav Martinů […] qui joua plusieurs pièces de violon. Sa première apparition en public stupéfia, dans le vrai sens du terme, tous les connaisseurs. Dans sa chétive et modeste silhouette, nous rencontrâmes le rare talent d'un futur artiste, un futur maître du violon. Dieu lui fit don d'un talent qui pourra le mener loin vers le but qu'il désire atteindre, ou le conduire au pire s'il veut […] déjouer les attaques de l'indifférence publique vis-à-vis de sa situation sociale et financière. […] Il est indéniable que le devoir du public est de garantir à ce pauvre garçon ce que son père, si méritant, est incapable, dans sa pauvreté, de faire pour lui. Ceci n'est pas le fait de quelques individus qui voudraient imposer leur point de vue aux autres, mais surtout celui du professeur Mařák qui, ayant entendu l'enfant jouer, découvrit son immense talent et lui promit pleine assistance pour ses études dans sa classe du Conservatoire de Prague. […] Il promit de le préparer lui-même pour le concours. L'enfant n'a pas suivi, jusqu'ici, d'enseignement à proprement parler, mais simplement quelques rudiments, et ce qu'il sait jaillit de lui-même comme un art de pur cristal. Il est entièrement autodidacte. […] Pour ces raisons, nous faisons appel à votre honorable assemblée pour mesurer toutes ces circonstances et accorder une assistance charitable au talent du jeune garçon …(4).

 

Quelle touchante pétition. Une bourse de 100 florins était généreusement accordée. En septembre 1906, Bohuslav, « petit visage chétif et modeste », ayant réussi brillamment le concours d'entrée, commençait ainsi ses études de violon au Conservatoire de Prague. Pourtant, le compositeur était déjà très présent en lui. Le passé praguois, contre toute attente, allait le désespérer. C'est en cela qu'il se détachera progressivement de la tradition suscitée par le fondateur Smetana. En d'autres termes, pour le jeune Martinů, Libuše – l'ancêtre mythique de la dynastie des Přemyslides et du peuple tchèque en général – ne revêtait pas de signification particulière. Les règles imposées dans la capitale vont étouffer cet esprit épris de liberté. Pour commencer, il décide qu'il ne sera pas violoniste, au grand dam de ses protecteurs. Il préfère vivre sa vie et faire partie d'un orchestre d'amateurs. Dans le même temps, la rupture avec Polička était consommée. Les siens ne comprenaient pas. En réalité, ils ne pouvaient pas admettre une telle attitude qu'ils jugeaient pour le moins arrogante après tous les sacrifices consentis.

 

Bohuslav s'était lié d'amitié avec le violoniste Stanislav Novák (1890-1945) avec lequel il mena une vie assez désorganisée au regard de ses professeurs et de ses parents. Ils lisaient ensemble les textes du dramaturge suédois Johan August Strindberg (1849-1912) et du romancier polonais Kazimierz Przerwa-Tetmajer (1865-1940) tout en rêvassant sur les bords de la Vltava.

 

En 1908, Bohuslav assiste à la première, en allemand, de Pelléas et Mélisande (1893/1902) de Claude Debussy (1862-1918), « la plus grande révélation de sa vie ». Bien des commentateurs ont pensé que cette musique allait véritablement déterminer son esthétique. Qu'il soit permis d'en douter.

 

Après un début catastrophique au Conservatoire, il décide de s'inscrire dans la classe d'orgue où il entre le 15 septembre 1909. Pourquoi ce revirement et le choix d'un instrument qui ne comptera guère pour lui en tant que compositeur ? Parce que son enseignement était aussi dédié à la composition. Mais cela fut encore un échec qui aboutit à son exclusion du Conservatoire, pour « négligence incorrigible », le 4 juin 1910. Ses parents obtempérèrent néanmoins et l'autorisèrent à demeurer à Prague où il vivra libre et heureux mais pauvre. Sa création est, en dépit de tout, singulièrement stimulée en cette année 1910 à tel point qu'il juge bon de commencer déjà à numéroter ses œuvres, l'opus 1 étant Smrt Tintagilova (« La Mort de Tintagile ») H. 15, d'après l'écrivain belge Maurice Maeterlinck (1862-1949). Cette partition lui avait été inspirée par une adaptation du texte pour le Théâtre de marionnettes de l'association Mánes, du nom du peintre Josef Mánes (1820-1871). En effet, la tradition des marionnettes était et reste très vivante en Bohême. Elle fascinait, à juste titre, le jeune Martinů. L'attitude envers le patrimoine tendait cependant à changer d'où la dualité, parfois antithétique, qui va se tisser dans l'esprit de Bohuslav entre le folklore et l'attirance pour un monde plus large. La fin d'une époque était encore marquée par la disparition de personnalités aussi emblématiques que l'écrivain, poète et journaliste Svatopluk Čech (1846-1908) et de l'éminent professeur de littérature Jaroslav Vrchlický (1853-1912). Et, en 1912, paraissait l'étonnant et drolatique Brave soldat Švejk de Jaroslav Hašek (1883-1923). La même année, le compositeur académique Vítězslav Novák (1870-1949), alors président du jury de l'examen d'État, accordait enfin, après le lui avoir refusé, son diplôme d'aptitude à l'enseignement du violon à Bohuslav. Après 1913, il est nommé second violon de la Philharmonie Tchèque dont les rangs seront clairsemés par la mobilisation.

 

Martinů passera la terrible période de la Grande Guerre (1914/18) à Polička sans produire autant que les années précédentes. Il avait réussi à se faire réformer de manière un peu douteuse. De plus, sa réputation était entachée. Ses proches ne l'estimaient plus après l'avoir porté aux nues. Finalement, à leurs yeux, il n'était qu'un petit professeur de violon de l'école de garçons locale. Toutefois, sa Česká rapsódie H. 118 (mai-juin 1918), pour orchestre, chœur et orgue, fortement influencée par le discours de l'auteur dramatique Alois Jirásek (1851-1930), lui apportera une consécration officielle. Le 24 janvier 1919, elle sera même donnée pour la seconde fois en présence du Président Tomáš Garrigue Masaryk (1850-1937). Pendant cette sombre époque, il a heureusement fait la connaissance de gens tout à fait remarquables, le pasteur Vladimír Čech et son épouse, dans le proche village de Borová. Il prit alors conscience, à leurs côtés, de la culture hussite à l'origine de la Réforme luthérienne. Sa Česká rapsódie pour baryton, chœur, orchestre et orgue en est l'expression musicale la plus accomplie avec le cantique Svatý Václave qui en constitue la trame principale.

 

Le 28 octobre 1918, la République de Tchécoslovaquie était proclamée. Martinů organise à Polička un « Concert solennel pour célébrer la déclaration de l'État tchèque et honorer ses légionnaires » avec des partitions de Dvořák et Tchaïkovski (1840-1893).

 

L'année 1919 se présente sous de meilleurs auspices grâce à une tournée de l'Orchestre du Théâtre national, alors dirigé par l'intransigeant Karel Kovařovic (1862-1920), avec le chœur d'hommes de Prague, celui, fameux, des Instituteurs moraves auxquels s'ajoutaient le Quatuor de Bohême. Ce voyage les conduisait à Londres, Paris et Genève. Et, Bohuslav allait enfin être titularisé en tant que second violon de la Philharmonie Tchèque menée de façon extraordinaire par le grand Václav Talich (1883-1961). Au cours des trois années passées au sein de cette prestigieuse phalange, Martinů eut la révélation, le 5 janvier 1922, de l'étonnant répertoire des madrigalistes anglais par les English Singers. L'art de William Byrd (ca 1540-1623), Thomas Morley (1557-1602), Thomas Weelkes (ca 1576-1623) et Orlando Gibbons (1583-1625) l'enchanta.

 

La liberté de leur polyphonie me causa un réel plaisir. C'était très différent de la polyphonie de Bach. Quelque chose d'entièrement neuf pour moi. En même temps ces madrigaux avaient des caractéristiques qui me rappelaient le folklore tchèque(5).

 

Quelle intéressante révélation de la part de ce compositeur dont les attirances étaient multiples sinon contradictoires. Pour l'heure, il n'avait qu'un seul désir en tête, quitter son pays tout neuf pour rejoindre Paris.

 

 

1923/36 – Paris

 

C'est par un jour de novembre 1923 que Bohuslav descendait du train, gare de l'Est. Le 15, il sonnait chez Albert Roussel (1869-1937), au 57 de l'avenue de Wagram. Mais il allait bientôt découvrir que ce qui se passait à Paris ne convenait pas à son état d'esprit. En effet, entre Prague et la capitale française que de différences de fond malgré certaines attirances esthétisantes. En définitive, que venait-il chercher chez Roussel dont il ne connaissait alors probablement que Le Festin de l'araignée (1912) et Le Poème de la forêt (1904/06). Il y répondra par la suite en ces termes :

 

Je suis arrivé avec mes partitions, avec mes plans, mes projets, avec une multitude, un chaos d'idées et c'est lui qui m'a indiqué, toujours avec justesse et avec une précision qui lui était propre, le chemin qu'il faut suivre, tout ce qu'il fallait garder et ce qu'il fallait rejeter. Il a réussi à mettre de l'ordre dans mes pensées, mais je n'ai jamais su comment il y est arrivé. […] Tout ce que je suis venu chercher à Paris, je l'ai trouvé chez lui, et de plus, son amitié a toujours été le plus précieux réconfort(6).

 

 


A Paris, en 1938 ©Památnik Bohuslav Martinů

 

Dans le même temps, Martinů découvrait Igor Fyodorovich Stravinsky (1882-1971) et plus spécialement ses archaïques et barbares Noces (1914/17), « scènes chorégraphiques russes avec chant et musique ». En dehors de la musique, son existence parisienne était limitée du fait de son peu de ressources. Il s'imposait une certaine discipline ce qui n'était pourtant guère dans son caractère. Généralement, il travaillait le matin, consacrant l'après-midi à des promenades. Sa quête féminine, si essentielle pour lui, finit par se concrétiser un beau jour qu'il assistait à un spectacle du cirque Medrano, à Pigalle. C'était un dimanche après-midi, le 10 novembre 1926. Elle se nommait Charlotte Quennehen (1894-1978), issue d'une famille modeste et ne connaissant rien à la musique. Cette rencontre allait radicalement changer leurs vies respectives. Il l'épousera le 21 mars 1931 à la mairie du IIe arrondissement de Paris nonobstant les réticences de sa mère. En effet, cette relation sera assez compliquée pour toutes sortes de raisons plus sentimentales qu'artistiques. Par ailleurs, de solides et curieuses amitiés s'étaient nouées avec d'autres étrangers de Paris, le Roumain Marcel Mihalovici (1898-1985), le Hongrois Tibor Harsanyi (1898-1954) et le Suisse Conrad Beck (1901-1990) (7). Ils constituaient de la sorte la future « École de Paris » si peu homogène et cohérente.

 

La mort de Leoš Janáček, à Ostrava, le 12 août 1928, mettait un terme à un long itinéraire que Smetana avait inauguré à sa façon. Janáček est non seulement unique dans l'histoire de la musique tchèque et morave mais il l'est également pour toute l'histoire de la musique. Son farouche besoin d'indépendance, sa capacité à créer un langage si spécifique tout en s'enracinant dans un folklore aussi juste que compris font de lui un génie et une personnalité singulièrement attachante(8). Je ne pense pas que Martinů, bien plus inconstant, puisse bénéficier a posteriori du même traitement malgré ses immenses qualités humaines et esthétiques.

 

Les années suivantes – malgré un contexte difficile personnel et général – seront consacrées à de nombreuses nouvelles partitions, à des voyages, à une soif de découvertes jamais démentie. Toutefois, l'argent manquait selon ses dires contradictoires, il fallait manger, se loger. En dépit de ces problèmes, il refusera le poste de directeur du Théâtre national de Prague à la suite du décès d'Otakar Ostrčil (1879-1935). Il aurait certes préféré enseigner la composition au Conservatoire à la succession de Josef Suk (1874-1935). C'est dans cet esprit qu'il écrivait à un fonctionnaire du ministère de l'Instruction publique, Josef Schieszl (1876-1970) :

 

      Vous m'avez promis de m'aider […] J'espère que votre opinion sur moi n'a pas changé et que vous avez toujours confiance dans mon travail. […] J'ai le droit de demander en raison du bilan de mon travail et des succès obtenus dans des conditions très difficiles …(9).

    

       La réponse à cette requête manifestait, de toute évidence, l'expression sous-jacente d'une grande hostilité de l'élite musicale praguoise à l'endroit de Martinů jugé tel un rebelle. Il sera davantage apprécié à Brno, la ville de Janáček. Cette déception n'empêchera pas l'élaboration d'un projet important dès le printemps 1936 : son opéra lyrique en trois actes et cinq tableaux, Juliette.

 

 

1936/41 – Incertitudes et drames

 

En réalité, Bohuslav est tiraillé entre Prague et Paris, deux villes au demeurant si différentes sinon opposées. La première est un décor de théâtre qui, malheureusement, sera saccagé au cours du XXe siècle jusqu'à sa tardive renaissance vers la fin du même siècle ; la seconde a toujours entretenu un rapport ambigu avec l'imagination. La difficulté intérieure du compositeur est étrangement relative à ce type de dilemme. Il est intéressant de lire un peu ce qu'a écrit Pierre-Octave Ferroud (1900-1936) à son sujet :

 

On le croit à Paris, il est à Prague. On le croit à Prague, il est à la campagne. […] Cet homme qui composa sous la dictée de quelque génie impérieux et pressé et qui a à son actif tellement d'œuvres de musique de chambre, d'orchestre, de théâtre et de ballet, ce fantaisiste qui à l'égard de la vie, semble avoir adopté le jeu désinvolte d'un personnage de Musset, et néanmoins, se tient en contact avec l'actualité la plus immédiate, tout comme s'il faisait profession de bel esprit, vous pourriez croire qu'il ne cède qu'à son propre caprice. Point du tout, car le monde qu'il ignore, l'entoure de prévenances et d'attention, et l'accable de commandes sans qu'il parvienne à comprendre, dans son ingénuité, comment sa notoriété s'est étendue à ce point(10).

 

En 1930, Martinů avait assisté, au Théâtre de l'Avenue(11), à une représentation de Juliette, ou la Clé des songes du jeune dramaturge Georges Neveux (1900-1982). Ce fut un authentique scandale, invraisemblable à ce point de nos jours. Martinů a été touché. Et Neveux de raconter :

 

Un jour, je reçus de lui un pneumatique dans lequel il faisait semblant de me demander l'autorisation de mettre Juliette en musique(12).

 

Une telle attitude a, au début, fortement déplu à Neveux qui avait déjà été sollicité par Kurt Weill (1900-1950). Mais une rencontre entre les deux hommes acheva de convaincre l'auteur dramatique tant la musique de Bohuslav l'a ému.

 

Bohuslav a parfaitement compris et sa musique apportait une dimension nouvelle que je n'avais pas entrevue(13).

 

L'action, étrange, se déroule dans un rêve où Michel Lepic (ténor) cherche à retrouver Juliette (soprano) qu'il avait jadis rencontré. L'influence du Surréalisme semble évidente. L'opéra sera dédié au très estimé Václav Talich qui le créera au Théâtre national de Prague le 16 mars 1938 dans un contexte mondial extrêmement tendu. C'était une période détestable pour les Tchèques. Adolf Hitler (1889-1945) venait d'annexer l'Autriche cinq jours auparavant après la démission du chancelier Kurt Alois Josef Johann Schuschnigg (1897-1977) et son remplacement par le nazi Arthur Seyß-Inquart (1892-1946). L'annexion sera plébiscitée le 10 avril suivant. Dès son retour à Paris, Bohuslav écrira une belle lettre à Talich si révélatrice de sa psychologie et dont voici quelques extraits :

 

Très cher Ami,

Mon habitude est plutôt de taire mes sentiments mais, cette fois-ci, je crois que je ne t'ai pas assez remercié pour Juliette. Et je ne sais même pas si jamais je pourrai te dire combien je te suis reconnaissant de tout ton travail, de ta compréhension et de la joie avec laquelle tu as porté cette œuvre à la scène. Je suis tellement heureux d'être parvenu avec ton aide, à ce que j'ai toujours cherché, c'est-à-dire toucher l'âme de l'œuvre qui est tellement cachée que seul un vrai artiste arrive à la deviner. […] exprimer cette chose fragile et secrète dissimulée dans l'art et dans la poésie, qui se dérobe à tout contact sauf de la part de ceux qui la cherchent, en ont besoin pour vivre et la considèrent comme le don le plus précieux de leur existence …(14).

 


Juliette ou la Clé des songes à l'Opéra national de Paris, acte III

Mise en scène de  Richard Jones ©OnP

 

    Dans l'intervalle, en 1937, Paul Hindemith (1895-1963) s'était opposé au dodécaphonisme d'Arnold Schönberg (1874-1951) et avait proposé une autre voie dans son Unterweisung im Tonsatz (« Traité de composition »). Il semble bien que Martinů n'ait pas eu de contact direct avec le premier. Quant au second, il a laissé son compatriote Alois Hába (1893-1973) s'en enticher. Son cher maître, Albert Roussel, s'était éteint, à Royan, le 23 août, âgé de soixante-huit ans.

 

En juin 1938, Bohuslav est à Londres pour le Festival de musique contemporaine de la SIMC puis il passera son dernier été en Tchécoslovaquie. En septembre, il se trouve à Schönenberg en Suisse. Le contexte historique est loin d'être favorable avec les désastreux accords de Munich du 29 septembre, générateurs des futurs drames. Le 15 mars 1939, les troupes allemandes entrent en Bohême et occupent Prague. Le 3 septembre suivant, l'Angleterre, puis la France, déclarent la guerre à l'Allemagne. Et, le 30 novembre, l'Armée rouge attaque la Finlande.

 

La création, à Bâle, le 9 février 1940, par Paul Sacher (1906-1999), de son magistral Double Concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales H. 271 (1938), lui apportera, au milieu de cette tourmente, un certain réconfort. Il l'avait d'ailleurs composé dans le très reposant Schönenberg, à l'orée de la forêt, celle des contes à la manière des frères Grimm. De même que la création parisienne, le 19 mai, par le remarquable Pierre Fournier (1906-1986) et Rudolf Firkušný (1912-1994) de son énergique Première Sonate pour violoncelle et piano H. 277 (1939). Mais, au cours du printemps, les Allemands s'approchent de Paris. Sur le conseil de Firkušný, Martinů et son épouse prendront le parti de fuir vers le sud de la France. Ils seront à Aix-en-Provence au début du mois de septembre. Leur objectif était néanmoins d'atteindre Marseille. Cependant, la cité phocéenne était interdite à certains étrangers dont Bohuslav faisait précisément partie. Il figurait même sur la liste noire. Après de nombreuses péripéties, il finit par obtenir son visa pour l'Amérique. En attendant, il trouva une distraction à Noël en se rendant au cinéma pour y voir La Fille du puisatier (1940) de Marcel Pagnol (1895-1974) avec Fernandel (1903-1971). La même année, un film plus engagé – The Great Dictator (« Le Dictateur ») – de Charlie Chaplin (1889-1977) était produit aux États-Unis. Enfin, le 8 janvier 1941, le couple Martinů quittait Marseille, à trois heures du matin, non sans une certaine tristesse voilée d'inquiétude. Le voyage serait encore très fastidieux : Cerbère, Barcelone, Madrid et Lisbonne où l'attente sera interminable. Le 21 mars, ils embarquaient à bord du SS Exeter. Une nouvelle aventure commençait.

 

 

1941/46 – L'exil

 

Les Martinů arrivaient à New York le 31 mars 1941, dans cette ville où, à la fin du siècle précédent, Dvořák avait dirigé le Conservatoire. Bohuslav allait y rencontrer de nombreux compatriotes. Lui et sa musique y étaient déjà bien connus grâce aux chefs d'orchestre Serge Koussevitzki (1874-1951) et George Széll (1897-1970).

 

J'étais accueilli ici comme un grand compositeur ; j'étais vraiment surpris, on m'a photographié de tous les côtés, on a fait une réception pour moi, enfin c'était gentil. […] Ici, il y a vraiment un Nouveau Monde, des choses surprenantes pour qui sait regarder et j'en ai plein les yeux. […] Les orchestres sont d'une perfection qu'on ne peut même pas imaginer, la musique en abondance aussi mais pas la musique moderne …(15).

 


Bohuslav Martinů avec Serge Koussevitzki à New York en 1941 / DR

 

Il fait tout de même la connaissance de compositeurs « modernes » tels que Bernard Wagenaar (1894-1971) et Leopold Mannes (1899-1964). À cette époque, il lit aussi Der Untergang des Abendlandes (« Le Déclin de l'Occident ») (1916) du philosophe allemand Oswald Spengler (1880-1936) qui l'impressionne. Le 7 décembre 1941, l'attaque japonaise surprise de la base navale américaine Pearl Harbor contraint les États-Unis à entrer dans le conflit. Le 11 décembre, l'Allemagne et l'Italie leur déclarent la guerre. Martinů encaisse le choc.

 

L'année 1942 est notamment marquée par la composition de la Première Symphonie, H. 289(16) (mai/septembre), vaste musique d'une grande densité mélodique et rythmique. Le poignant Largo, chant funèbre, est d'une grande beauté. En cela, Martinů a véritablement été stimulé par la haute qualité de l'Orchestre de Boston qu'il valorise singulièrement dans son discours. Il s'installait ensuite à Middlebury, dans le Vermont, une « région belle comme nos Vosges ». C'est aussi à cette époque qu'il fréquenta quelque peu Aaron Copland (1900-1990). Il allait aussi séjourner au bord de la mer, à Manomet, Massachusetts, là même où les pèlerins du Mayflower avaient débarqué en 1620. Cet environnement si favorable lui permet de terminer en paix sa Symphonie particulièrement tchèque. Créée le 13 novembre, à Boston, elle est dédiée à Natalie Koussevitzky (1880-1942), la seconde épouse du chef d'orchestre. Serge avait écrit lors de la découverte de cette partition :

 

Après la première répétition de votre symphonie, je ne peux m'empêcher de vous dire ma profonde admiration, de ma part et de celle de tout l'orchestre, pour votre œuvre incomparable qui revêt une beauté particulière et, pour moi, une signification spéciale(17).

 

La merveilleuse rencontre avec Albert Einstein (1879-1955) a indéniablement constitué l'un des événements humains et intellectuels les plus importants dans la vie du compositeur. Le pianiste français Robert Casadesus (1899-1972) le lui avait présenté. Bohuslav était convaincu que le savant n'avait pas seulement apporté une nouvelle physique mais aussi et surtout « certaines manières de penser ».

 

Pour autant, Martinů ne se plaisait pas à New York. Il regrettait Paris. En 1942, il enseigne la composition à Tanglewood, dans le Massachusetts, ce qui allège un peu son état dépressif. Il a véritablement le mal du pays. Mais lequel ? De surcroît, son couple a tendance à battre de l'aile eu égard à une certaine inconstance de sa part. Heureusement, Koussevitzky est toujours présent à ses côtés tant il est convaincu par son génie. À la fin de la guerre, au sommet de sa gloire, il commence par accepter un poste de professeur de composition au Conservatoire de Prague. Finalement, il passera encore les sept années suivantes aux États-Unis. En août 1945, il avait écrit à Polička :

 

J'étais décidé de rentrer et de mettre à disposition tout ce que je sais, bien qu'ici je pourrais avoir des postes de premier ordre, mais j'ai toujours composé pour mon pays. Je n'ai pas beaucoup de vos nouvelles, mais d'après ce que je sais, j'ai l'impression qu'on ne compte pas trop sur moi et je ne vois pas assez clairement la situation pour décider de ce que je pourrais faire. Je pense que ceux qui sont restés et ont souffert, doivent être préférés, mais d'un autre côté, j'ai fait un grand travail pour la République [tchécoslovaque]. D'ailleurs, vous me comprenez et plus tard je vous donnerai des détails. En aucun car je n'ai l'intention de revendiquer quoi que ce soit mais je veux rentrer et joindre mes forces à l'œuvre commune(18).

 

 

1946/53 – Tensions et doutes

 

En janvier 1946, Bohuslav change encore d'avis en acceptant un poste de professeur de composition à l'école de musique de Berkshire. Koussevitzky le lui avait proposé. Il finira par laisser partir Charlotte toute seule pour l'Europe pendant un certain temps. L'ambiance émanant de son étrange et instable Cinquième Symphonie H. 310 (1946), dédiée à la Philharmonie Tchèque(19), traduit effectivement tous les scrupules plus ou moins amers qui l'animaient alors. Un grave accident finit par se produire dans la nuit du 25 juillet. Il emprunta une terrasse dépourvue de balustrade et fit une chute de trois mètres. Il finira heureusement par s'en sortir évitant le pire, c'est-à-dire une paralysie totale. Son état d'esprit, en revanche, sera loin de s'améliorer. Sans cesse, il différera le retour au pays. Une lettre au pianiste Josef Páleníček (1914-1991) atteste de son agacement :

 

J'ai l'impression que vous avez de mauvaises informations et que vos conclusions ne sont pas tout à fait justes. Pourquoi je ne veux pas rentrer chez moi ? Ici, je peux vous assurer que j'étais un des premiers à préparer mes valises pour le départ. J'attendais seulement qu'on m'appelle et qu'on m'offre quelque chose et quand, après longtemps, la question est venue du consulat demandant si j'étais prêt à accepter ma nomination au Conservatoire [de Prague], j'ai dit oui. J'étais prêt immédiatement mais jusqu'à maintenant, je ne sais rien du statut de cette invitation sauf que j'étais nommé professeur provisoire …(20).

 

En réalité, Martinů ne sait plus où il en est professionnellement et sentimentalement et il tergiverse. Seul son travail de compositeur semble le satisfaire puisqu'il ne cesse de produire. Quoi qu'il en soit, il n'occupera jamais la chaire de composition du Conservatoire de Prague. Elle sera finalement attribuée à Václav Dobiáš (1909-1978). Le couple Martinů, entre-temps « reconstitué », finira par quitter l'Amérique le 22 juin 1948 alors que les grèves communistes perturbent la France depuis 1947. De son côté, Richard Strauss (1864-1949) composait ses émouvants Vier letzte Lieder. Impossible de rentrer en Tchécoslovaquie car ainsi que le lui répétaient ses amis, il ne pourrait pas « ressortir ». Les Communistes avaient pris le pouvoir le 24 février 1948 par un coup de force qui aggravait considérablement la « guerre froide ». Envers et contre tout, la solution professionnelle ne se trouvait qu'à New York où il allait bien falloir rentrer après avoir passé l'été en France et en Suisse, à Pratteln, dans le Canton de Bâle-Campagne, chez les Sacher. Il était effectivement nommé professeur à l'Université de Princeton. Pendant ces turbulences, il ne composait plus vraiment. Le retour dans sa terre natale n'a pas pu se produire pour de multiples raisons, à la fois musicales et idéologiques. Tout d'abord, sa forte personnalité et son talent ont empêché sa nomination pour de mesquins motifs de pure jalousie. Par ailleurs, l'idéologie soviétisante s'est employée à en faire un « ennemi » par définition sans trop savoir ce que cela pouvait recouvrir en l'occurrence.

 

En 1950, Bohuslav écrivait au musicologue autrichien David Ewen (1907-1985), établi aux États-Unis, ses pensées fort intéressantes sur la musique dite « contemporaine » :

 

Je crois que la musique contemporaine est plus menacée par ses efforts pour se justifier elle-même par des analyses et des explications ; comme si elle craignait de ne pas sembler assez « actuelle » ou « moderne ». Tout cela peut engendrer une disposition d'esprit ne favorisant aucunement le compositeur dans le développement libre de ses idées, et ne peut que le limiter dans la possibilité de s'exprimer pleinement, entièrement et honnêtement. Jouant toujours sur les mots « moderne » et « actuel », nous entravons nous-mêmes le processus créateur, qui dans sa substance, est assez mystérieux et compliqué. Courir à tout prix après la nouveauté, ce n'est sans doute pas un bon système. Cela n'a absolument rien de commun avec le désir de chercher une nouvelle expression musicale. Cette nouvelle expression musicale devrait se fonder sur le sujet, devrait résulter de la personnalité et de l'expérience du compositeur et non pas des moyens techniques peu habituels. Les moyens techniques sont l'affaire privée de l'artiste. La technique découle de l'œuvre et non le contraire. La musique n'est pas une affaire de calculs. L'impulsion créatrice est comme la volonté de vivre, de se sentir vivant. Dans le monde complexe de changements sociaux et de chaos politique, il est plus important que jamais de ne pas obscurcir notre intention artistique. Nous devrions maintenir nos idéaux purs et nos convictions fermes, maintenir la foi artistique qui représente notre vie, notre travail et parle en leur nom. C'est de quoi le compositeur devrait s'occuper, et non du jeu inutile des mots(21).

 

Sages paroles à méditer, en effet. Elles restent valables.

 

L'idée de s'établir à nouveau en Europe, et cette fois définitivement, ne cessait de le travailler. La vie aux États-Unis lui pesait. En mai 1953, il quittait provisoirement sa terre d'exil.

 

 

1953/59 – Difficile coda

 

Il lui reste six années à vivre. Sa Sixième Symphonie, « Fantaisies symphoniques » H. 343 (1951/53), plus inquiète, dédiée au chef d'orchestre strasbourgeois Charles Münch (1891-1968) pour le soixante-quinzième anniversaire de l'Orchestre de Boston, marque le début d'une autre époque. Il la pensait à l'origine comme une « Nouvelle Symphonie Fantastique ». Nice fut sa retraite suivante. Son épouse raconte :

 

Après le repas, il allait en ville avec le trolley-bus […] il s'installait à la terrasse de son bistrot favori et demandait son café …(22).

 

C'est dans cette atmosphère d'étrange quiétude qu'il a passé deux années, de septembre 1953 à la fin juillet 1955. Au printemps 1954, Martinů admire, à Arezzo, en Toscane, les huit fresques de Piero della Francesca (ca 1416-1492). Elles ont été une magnifique source d'inspiration pour sa partition orchestrale conçue à Nice entre le 20 février et le 13 avril 1955. Il s'agit d'un véritable itinéraire spirituel qui, des ténèbres, aboutit à un hymne empreint de lumière et de paix. Rafael Kubelik (1914-1996) dirigera la création à Salzbourg, le 26 août 1956, à la tête de la Philharmonie de Vienne.

 

L'Oratorio Gilgameš H. 351 (1954/55) date en partie de ce séjour niçois. Cette musique si évocatrice requiert un récitant, soprano, ténor, baryton et basse, un chœur mixte, 2 flûtes, 2 clarinettes, 3 trompettes, 2 trombones, timbales, 3 percussionnistes, piano, harpe et cordes. L'Épopée de Gilgamesh, issu de la culture sumérienne, est l'un des plus anciens textes conservés. La partition est en trois parties : Gilgamesh, La Mort d'Enkidu et Invocation. Gilgamesh (baryton) règne sur la cité d'Erech. Le ténor Enkidu lui est opposé en tant que héros innocent. Il va mourir. Bouleversé, Gilgamesh n'aura de cesse de chercher le secret qui, en réalité, est le Mystère. Dans la troisième partie, le dieu Enlil, l'un des principaux de la mythologie sumérienne, exaucera le vœu de Gilgamesh en redonnant vie à l'esprit d'Enkidu (basse). La question essentielle est posée mais restera finalement sans réponse. C'est un sommet dans l'histoire de la musique et de la pensée.

 


La maison natale de Bohuslav Martinů à Polička / DR

 

Martinů rencontre à Antibes l'écrivain crétois Nikos Kazantzákis (1883-1957), l'auteur d'Alexis Zorba (1946), à l'origine de Řecké Pašije (« La Passion grecque ») H. 372 (1954/57) (23), une partition complexe laborieusement élaborée. Puis, toujours lors de son séjour à Nice, il reçoit les beaux vers du poète Miloslav Bureš (1909-1968) de son cher Polička. Ils ont été à l'origine de sa cantate Otvírání studánek (« L'Éveil des sources ») H. 354 (1955) terminée en seulement dix jours tant cette poésie l'a autant stimulé que profondément touché. Tout le folklore de sa terre natale s'y exprimait de manière très simple. Le 27 novembre 1955, Arthur Honegger s'éteignait, à Paris, à l'âge de soixante-trois ans. Il était le seul membre du « Groupe des Six » qui avait vraiment trouvé grâce à ses yeux.

 

C'est contre toute attente que, en octobre 1955, le couple Martinů rentrait à New York, Bohuslav ayant accepté un poste au Curtis Institute of Music de Philadelphie. Il vivra très mal cette époque bien que sa musique y fut largement appréciée. Sa Sixième Symphonie – déclarée la meilleure symphonie de l'année – sera jouée vingt-huit fois au cours de la saison 1955/56. N'y tenant plus, Bohuslav et Charlotte reviennent à Paris en mai 1956. Le mois suivant, ils sont chez leurs amis et protecteurs Sacher à Schönenberg. Et, en septembre, Bohuslav rejoint l'American Academy of Music de Rome en tant que professeur. Charlotte, qui l'irrite toujours autant, est encore, patiente, à ses côtés. Le fidèle George Széll, alors à la tête de l'Orchestre de Cleveland, allait le solliciter. Martinů s'intéressa donc à l'arrivée des pèlerins en Nouvelle-Angleterre telle qu'elle a été racontée par le premier gouverneur, William Bradford (1590-1657). Skála (« The Rock ») H. 363 (1957) exprime ses émotions, en souvenir de ce grand évènement, avec une force particulière.

 

Entre juin 1957 et février 1958, ses Paraboles H. 367, en forme de triptyque, attestent d'une volonté d'approfondissement philosophique indéniable. Elles sont influencées par l'aviateur Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) et Georges Neveux. En cela, Martinů se situait dans la lignée de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) qui ne voyait pas le primat de l'esthétique comme le fondement de l'imagination. Par ailleurs, Martinů était singulièrement intéressé par la pensée du Morave Edmund Husserl (1859-1938), fondateur de la phénoménologie. Le 12 novembre 1957, Bohuslav s'installe définitivement en Suisse. Il y reçoit de nombreux visiteurs dont l'immense pianiste Clara Haskil (1895-1960), très proche de sa sensibilité. Le 24, Paul Sacher crée Gilgameš à Bâle.

 

La santé de Bohuslav commençait à se dégrader à la fin de 1958. Il sera opéré à l'hôpital de Liestal, dans le Canton de Bâle-Campagne, le 14 novembre. Le 15 janvier suivant, il met un point final à La Passion grecque. Dix jours plus tard, l'Opéra de Wiesbaden représentera Juliette telle une tragédie. Bohuslav, bien que surpris par la mise en scène, assista en toute joie à cette reprise. Son état ne lui permettra plus d'entreprendre tous les voyages qu'il aurait aimé faire. En revanche, son ardeur de compositeur ne se tarissait point. Il travaillait, entre autres, à ses énergiques Variations sur un thème populaire slovaque pour violoncelle et piano, H. 378 (1959). Et, l'œuvre émouvante des toutes dernières semaines, en juin, sera La Prophétie d'Isaïe, H. 383 (1959), cantate pour soprano, contralto, baryton, chœur d'hommes à quatre voix, alto, trompette, piano et timbales. Il s'agit de la mise en musique de terribles fragments des chapitres 24(24) et 21(25) du Livre d'Isaïe dans sa traduction anglaise. Le musicologue israélien, le Docteur Peter Gradenwitz (1910-2001), directeur des Éditions musicales israéliennes à Tel-Aviv, lui avait commandé cette partition. Le compositeur suisse Willy Burkhard (1900-1955) avait, lui aussi, composé un oratorio (1936) (26) d'après les textes du plus grand prophète biblique. L'effroi qui se dégage de cette Prophétie est peut-être à mettre en perspective avec la disparition, à Polička, le 17 mai, de sa sœur Marie, tant aimée, et qui l'avait profondément affecté. L'un de ses derniers visiteurs, bouleversé, a été Josef Páleníček qui l'incita à revenir au pays. Bohuslav en fit la promesse avec la plus grande sincérité pensant pouvoir se remettre.

 

Par ailleurs, l'année 1959 fut marquée par Die Blechtrommel (« Le Tambour ») de Günter Grass (1927-2015) dans lequel l'auteur revenait sur les sombres années du nazisme. Le 3 avril, le dalaï-lama fuyait en Inde tandis que Mao Zedong (1893-1976) devenait président du Parti en Chine. En France, le 8 janvier, le général de Gaulle (1890-1970) prenait ses fonctions de président de la République. De son côté, le 30 juin, souffrant d'un cancer de l'estomac, Bohuslav Martinů entrait une fois de plus à l'hôpital de Liestal. Le 2 juillet, il était autorisé à revenir dans son cher Schönenberg. Le 8 août, il retrouvait sa chambre de l'hôpital où il s'est éteint le 28, à 19 h 30. Il fut inhumé dans la propriété de Maja (1896-1989) et Paul Sacher. Il avait demandé à Charlotte de reposer auprès de ses parents. Son corps sera enterré une seconde fois, le 27 août 1979, au cimetière familial de Polička.

 

Au terme de cet itinéraire volontairement concis, quelques réflexions s'imposent tant la personnalité de ce compositeur apparaît complexe. Bien que resté toute sa vie profondément Tchèque, il a été un exilé permanent y compris dans son propre pays qui n'a pas voulu de lui. Sa musique y a toutefois été abondamment jouée malgré les atteintes inqualifiables des obscurs apparatchiks du régime.

 

Il composait avec une grande facilité, révisant rarement. Il était indifférent à l'exécution de sa musique. Sa réception l'intéressait encore moins. Il était un esprit tout à fait indépendant, unique en son genre. Il aimait la solitude et se plaisait donc à s'isoler volontairement afin de se concentrer essentiellement sur son travail de créateur.

 

Martinů n'a jamais perdu son accent. Malheureux en Amérique, il a résisté à toute influence dans ce pays qu'il n'a jamais aimé. Sa valorisation spécifique du concerto grosso n'a pas fait de lui ce que d'aucuns nommeraient inconsidérément un « néo-classique » mais, tout au contraire, l'a aidé à se libérer des totalitarismes esthétisants du XXe siècle. Le fait qu'il ait été un réfugié a aussi forgé son caractère tout en préservant en lui ses racines, ses propres sources qu'il a toujours tenues en éveil comme l'a si bien défini le regretté Guy Erismann (1923-2007).

 

James Lyon.

 

(1) Guy ERISMANN, Martinů un musicien à l'éveil des sources, Arles, Actes Sud, 1990 – Id., La musique dans les pays tchèques, Paris, Fayard, 2001 – Brian LARGE, « Martinů, Bohuslav », in The New Grove, London, Macmillan Publishers Limited, 1980, t. 11, p. 731-735 – Jan SMACZNY, « Martinů, Bohuslav », in The New Grove, Oxford, Oxford University Press, 2001, t. 15, p. 939-945.

(2) Leoš Janáček (1854-1928).

(3) Relative au Réformateur Jan Hus (1369-1415).

(4) Cité par Guy ERISMANN, p. 30-31.

(5) Cité par Guy ERISMANN, p. 62-63. À partir d'une interview donne en 1942 à la Radio américaine.

(6) Cité par Guy ERISMANN, p. 72.

(7) Natif du Canton de Schaffhouse, il a vécu à Paris entre 1923 et 1932. Puis, il a été le Directeur musical de Radio-Bâle (1938/66).

(8) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les sources, Paris, Beauchesne, 2011.

(9) Cité par Guy ERISMANN, p. 137.

(10) Cité par Guy ERISMANN, p. 146.

(11) Ancienne salle de théâtre parisienne située 5 rue du Colisée dans le VIIIe arrondissement.

(12) Ibid., p. 150.

(13) Ibid., p. 151.

(14) Cité par Guy ERISMANN, p. 170.

(15) Ibid., p. 209-210.

(16) Selon le catalogue établi par Harry Halbreich.

(17) Cité par Guy ERISMANN, p. 221-222.

(18) Ibid., p. 237.

(19) Initialement dédiée à la Croix Rouge.

(20) Cité par Guy ERISMANN, p. 258.

(21) Cité par Guy ERISMANN, p. 297-298.

(22) Cité par Guy ERISMANN, p. 285.

(23) Révisée entre 1957 et 1959 (H. 372b).

(24) Maux que Dieu a résolu d'envoyer à la terre pour punir les péchés. Le jour des vengeances du Seigneur sera terrible.

(25) Babylone ruinée par les Mèdes et les Perses. Prophétie contre l'Idumée et l'Arabie.

(26) Das Gesicht Jesajahs.

 

***

PROPOS PARTAGÉS

 

Haut

 

 

Bertrand Chamayou, un pianiste dans son temps !

 

 

C'est dans un café bruyant à deux pas de chez lui dans le Paris du Faubourg Montmartre qu'il m'a donné rendez-vous deux jours à peine après lui avoir adressé un courriel ! Chaleureux, décontracté, un habitué du café ; mais où personne ne sait exactement qu'il est un artiste demandé dans le monde entier, qu'il a gagné des victoires de la musique à la télévision et qu'il est « booké » jusqu'en 2021 !

 


©Marco Borggreve

 

Vous acceptez beaucoup d'interviews, pourquoi encore une nouvelle : rien de nouveau dans votre actualité ?

La vérité c'est que je refuse très rarement une interview sauf si ce sont des hurluberlus qui en demandent. Mais, j'ai lu votre mail, l'Éducation Musicale, c'est très bien, et je me suis dit trouvons un moment, c'est tout ! Je ne suis pas du genre à rechigner à faire des interviews, ou qu'on me filme, qu'on m'enregistre. Autant pour les concerts je suis très sélectif, autant là j'ai plaisir à échanger. En général, je commence à m'entretenir avec la personne pour savoir à qui j'ai affaire : si vous ne m'étiez pas sympathique peut-être vous auriez une interview plus succincte ; mais apparemment nous avons pas mal de choses en commun. Elle s'annonce donc de bonne augure…

 

Il suffit d'aller sur internet pour connaître votre vie : vous avez fait une superbe interview pour France Culture. Mais il y a une question qu'on ne vous a jamais posée, je crois : jouez-vous pour être aimé ou simplement pour jouer de la musique ?

Effectivement on ne me l'a jamais posée ! Je ne sais pas si je peux répondre définitivement. Si j'étais consensuel je dirais : pour jouer de la musique. Mais à la vérité, je pense qu'on a envie d'être aimé. Évidemment, le fait de monter sur scène c'est quelque chose d'antinaturel. Être regardé par deux mille personnes, moi ça me fout un trac pas possible, je suis dans tous mes états et souvent je me dis : pourquoi je fais ce métier ? la musique me procure une énorme jouissance à la maison, tout seul, je n'ai besoin de personne. Monter sur scène, on peut se poser la question du pourquoi ? Et il y a une évidence : c'est d'être aimé ; donc je dirais oui aux deux ! C'est très curieux, car lorsque j'étais petit, je ne me destinais pas à une carrière de pianiste, je ne me projetais pas tellement dans la musique. J'ai fait de la musique par accident. Personne dans ma famille n'était musicien, je n'avais pas un désir particulier. C'est vraiment par hasard que j'ai pris des cours de piano ; parce qu'il y avait une dame qui donnait des cours non loin de chez moi ; j'avais des copains qui y allaient, et j'ai suivi le mouvement. Je me suis pris au jeu. Et quand j'ai envisagé de commencer à rêver à une éventuelle carrière professionnelle, ce qui m'attirait c'était la composition. J'étais passionné par les musiques contemporaines les plus ardues, Boulez, Stockhausen. Elles me plaisaient. Quand j'avais onze, douze ans, j'avais envie de faire ce genre de musique. Là je ne sais pas si c'était un vrai désir d'être aimé, parce qu'il y a des manières plus simples de toucher un large public. Si on joue du Chopin on touche plus facilement une partie de l'auditoire ! Curieusement, j'ai un peu fui ça : je n'ai pas pris l'autoroute, j'ai plutôt pris les chemins de traverse. Je ne suis pas non plus dans un désir absolu de me vendre. Il y a en tout cas une autre manière du désir d'être aimé.

 

Dans de nombreuses interviews vous parlez souvent du rapport au public, qu'il soit près de vous, le besoin de le sentir.

Oui c'est une relation un peu maso parce que j'ai très peur de la présence du public. Je pense que cela vient de mon enfance quand je m'imaginais compositeur derrière une feuille de papier et ne pas être directement en action ; ''performer'' finalement. Nous parlions de cinéma avant de commencer cette interview. Spontanément je me serais bien vu derrière une caméra plutôt que devant. Je me retrouve comme une personne actrice en quelque sorte. C'est antinaturel pour moi, je le répète : cette relation avec le public est très curieuse. Je ne peux pas en faire abstraction, je ne joue absolument pas pareil avec le public que tout seul chez moi. Et en même temps - c'est pourquoi je dis que c'est terriblement maso, parce qu'il me terrifie - j'ai envie d'être aimé de lui et je suis assez galvanisé par ça ! Il faut que je brave cette peur, cette angoisse et j'essaye en même temps de captiver cet auditoire.

 

Aimez-vous faire des enregistrements en direct ?

Mon premier disque a été fait en public, cela ne m'a pas posé de problème. J'ai fini par faire des disques en studio parce que j'aime travailler le côté laboratoire. Mais un fois fini, je me dis que j'aurais dû le faire en direct ! Sans la présence du public je manque un peu d'énergie. C'est ce côté funambulesque qui me donne des ailes quand même. Il faut créer un vrai discours, ne pas se perdre dedans, trouver une unité, un sens dramatique. Vous êtes tellement obligé de le faire en direct. C'est comme si quelqu'un vous prenait à la gorge et vous disait : tu n'as pas le choix ; on n'a qu'une fois, on brûle toute son énergie. C'est impossible d'atteindre cet état là en studio, même s'il y a un public invité.

 

Vous parlez de récital. Comment faites-vous avec orchestre ?

Si, si, c'est pareil !

 

Vous parliez de ne pas faire carrière dans la musique...

Pas du tout !

 

N'y-a-t-il pas une œuvre ou un musicien qui vous ont déclenché cette envie de jouer devant un public ?

J'étais fasciné par les pianistes. Je suis de Toulouse [*1981]. Il y avait un très beau festival de piano, « Piano aux Jacobins, ». C'est là que j'ai entendu du piano pour la première fois, avant même d'en jouer. C'est là où j'ai joué pour la première fois plus tard quand j'avais quinze ans. C'est un lieu très important pour moi et quand j'étais petit, j'ai pu entendre des pianistes de la génération précédente, Arrau, Kempff, Richter, Magaloff, Cziffra. J'étais très admiratif et sans doute je me suis pris à rêver d'être à leur place ; mais je n'y croyais pas du tout.

 

La plupart des comédiens en voyant un acteur se disent : c'est ça que j'ai envie de faire !

Moi ce n'était pas aussi clair. D'abord pour moi c'était la composition. Je ne me disais pas forcément que j'allais être musicien, j'étais à Toulouse, c'est une grande ville,  j'étais un très bon élève du Conservatoire. Mais être adulé dans mon conservatoire ne prouvait pas que j'avais l'aptitude à faire quelque chose. Je savais que j'étais doué, d'après mes professeurs ; mais bon, ce qui a été un déclic, c'est justement un pianiste qui s'appelle Jean-François Heisser que j'avais entendu en récital. Il m'avait impressionné. Je l'avais vu par hasard en Provence où je passais mes vacances avec mes parents. C'était les débuts du festival de la Roque D'Anthéron dans les années 80. C'était une sonate de Beethoven ; et il est venu en tant que membre du jury pour mon examen de sortie à Toulouse. J'étais très impressionné de jouer devant lui et j'ai été surpris le lendemain quand le Conservatoire a appelé ma maman pour lui dire que ce monsieur voulait me rencontrer. Je suis allé avec elle le voir et il m'a dit qu'il fallait que je fasse quelque chose avec le piano et que j'aille travailler au Conservatoire de Paris ! J'étais très flatté et en même temps c'était une espèce de douche froide parce que, tout d'un coup, moi qui étais dans mon petit cocon avec ma famille, qui allait à l'école, etc... il fallait que je prenne une décision parce qu'on me disait : tu as quelque chose à faire là-dedans, et qu'on me parlait d'aller à Paris…J'avais 13 ans, c'était un peu tôt. A l'époque, c'était Air Inter : une à deux fois par mois je prenais mes billets avec ma mère, puis progressivement tout seul. J'allais rendre visite à Heisser, prendre des cours.

 

A 16 ans j'ai déménagé à Paris et j'ai intégré le Conservatoire dans sa classe. C'est ce qui m'a mis sur les rails. J'ai suivi une bonne fée. Ensuite il m'a conseillé de travailler avec Maria Curcio qui avait été sa professeure à Londres, grand professeur de grands pianistes comme Martha Argerich, Radu Lupu ou Pierre Laurent Aimard. Je n'ai fait que suivre des signes. A chaque fois tout s'est bien emboîté. Vers 18, 19 ans, au Conservatoire, je donnais quelques petits concerts, mais je n'étais pas du tout, comme les autres, à me dire : je vais faire de grands concours internationaux et je vais être un grand pianiste ! Je voyais des gens très forts. Pourquoi moi ? Donc je me bougeais pour faire des tonnes de trucs. Je suis allé voir des compositeurs, certains que j'ai aimé, d'autres moins. J'ai fait des premières de jeunes compositeurs. J'ai rencontré des jeunes de mon âge, comme Gautier Capuçon. On était au Conservatoire tous ensemble et on faisait de la musique de chambre. Je me suis mis à jouer des duos, des trios, des quatuors. C'est ainsi que je suis arrivé dans des festivals, à Deauville par exemple. Et j'ai commencé ma carrière comme ça, comme accompagnateur de chanteurs, comme musicien de chambre. Je faisais un peu de solo, beaucoup de musiques contemporaines. J'ai même fait la classe de pianoforte. J'ai essayé de faire un max de trucs quoi !

 

Et comment ont réagi vos parents face à cette aventure ?

J'ai des parents formidables : mon père aime beaucoup le piano, ma mère était artiste dans l'âme, très fan d'art plastique contemporain en particulier. Cette sensibilité de création d'aujourd'hui me vient un peu d'elle. On allait souvent dans des musées d'art contemporain. Mon père, lui, venait d'une famille plus bourgeoise, il était plus attiré par le piano ; il avait des disques d'Horowitz et d'autres pianistes de cette époque ; donc il a une certaine fierté évidemment à cet accomplissement dans le piano. Quand petit je suis allé au Conservatoire, ils ne m'ont jamais entravé, ils n'ont jamais eu le côté singe savant. Ils venaient aux auditions et restaient poliment dans un coin. De temps en temps, ils faisaient un petit film : j'ai une sonate de Berg quand j'avais 12 ans, c'est rigolo ! S'il y a un jour un doc sur moi, je publierai cet extrait pour rigoler ! Ils ne m'ont jamais poussé et lorsque je suis monté à Paris, ils ne m'ont pas fait de misère en disant : il faudrait mieux que tu sois médecin ! J'ai un très bon équilibre. Ils ont eu un peu peur évidemment, ils ont parlé avec Jean François Heisser qui leur a dit que leur enfant pourrait faire quelque chose dans la musique.  

 

Et la composition ?

A mon grand regret, je l'ai mise de côté. J'y pense très très régulièrement. Je me dis que ce n'est pas trop tard, qu'un jour il faudra que je me remette là-dedans. Mais il faudrait que je dégage du temps, que j'arrête quelques mois pour remettre un processus en route.

 

Combien de concerts faites-vous par an ?

Un peu trop, il y a des moments où je fatigue, j'en fais 120 par an !

 

C'est énorme !

C'est trop ! Je refuse. Je pourrais jouer tous les jours ! Actuellement il y a beaucoup de demandes. C'est peut-être une phase. Dans dix ans plus personne ne voudra de moi !

 

Vous êtes à la mode !

C'est ça ! J'en profite, mais je fais attention. J'ai eu plusieurs phases. J'ai eu une phase avec un problème à la main droite…

 

C'était comme Béroff ?

Cela s'est enclenché comme lui mais j'ai réussi à guérir le problème dans l'œuf, et ça m'a ennuyé pendant quatre ans ! Il y a une année où je n'ai pas joué du tout ! Cela était une étape très très bonne pour ma tête ! Là, je joue beaucoup, je sais, c'est une façon aussi de me prouver que j'en suis capable. C'est une phase. Je sais que je ne continuerai pas à ce rythme-là, à jouer toujours la même chose jusqu'à la fin de mes jours.

 


©Festivalberlioz.com

 

On parle beaucoup de vous en ce moment et de vos enregistrements, et en bien. Vous aimez la musique contemporaine, Boulez par exemple, mais que pensez-vous de la musique d'aujourd'hui, plus tonale ?

Il y a des compositeurs que j'aime beaucoup dans cette mouvance, Thomas Adés par exemple. Je ne fais pas de distinguo sur tonal/pas tonal. J'ai pris la décision de passer des commandes. J'ai un projet avec Radio France de trois commandes de concertos. J'espère qu'il va se mettre en place. Et puis des pièces en solo que je vais essayer d'insérer dans des récitals. Il faut que les interprètes soient courageux aujourd'hui, moi le premier. Je ne l'ai pas été assez. Je fais des choses plus consensuelles assez originales, Les Années de Pèlerinage en entier par exemple. Mais j'aimerais travailler sur la musique d'aujourd'hui comme vous dites car le terme de musique contemporaine ne me plait pas beaucoup ; comme le terme de musiques actuelles me déplait aussi. Je ne comprends pas très bien ces classifications. Il est évident que quand on entend du heavy metal,  ce n'est pas la même chose ; mais je ne vois pas l'intérêt de faire des cases pop, rock. Dans la peinture ils ne le font pas.

 

A propos de pop, on a un compositeur en commun qu'on aime tous les deux, c'est Frank Zappa !

J'adore Zappa ! C'est marrant !

 

C'est à cause de Boulez que vous l'auriez découvert ?

Comment savez-vous ça ? Parce que j'en ai rarement parlé !

 

Désolé, je prépare un peu mes interviews, et connaître Zappa ce n'est pas courant chez un jeune pianiste classique !

Il existe un ouvrage d'analyse des œuvres de Zappa qui va bientôt être publié et j'ai fait une préface parce que c'est un musicien que j'aime énormément ! Il est à cheval entre plusieurs styles : c'est une légende plus connue dans le rock mais qui a écrit des choses symphoniques aussi !

 

C'est assez hard comme musique ?

Souvent complétement barrée ! Quand j'étais gamin, c'était Prince et Jackson qui tenaient le haut du pavé, mais j'étais plus attiré par Prince. Je suis allé écouter son dernier concert à Paris ! Je ne connaissais pas encore Zappa et je raconte dans la petite préface que j'ai faite, comment je l'ai connu. Lorsque j'avais 12, 13 ans, j'étais assez fan de rock et mon coiffeur jouait de la guitare électrique. Il avait un groupe et on parlait des musiques qu'on connaissait : moi des compositeurs contemporains comme Berio ; j'essayais de lui expliquer à quoi ça ressemblait, et lui de son groupe de rock. A un moment donné je lui parle de Boulez et il me dit : est-ce que tu connais Zappa ! Cela me disait vaguement quelque chose et il me dit que Boulez a commandé une œuvre à Zappa et que Zappa est un compositeur impressionnant ! Je me dis qu'il doit confondre : Boulez-Zappa, il a dû prendre ses rêves pour des réalités ! A l'époque on n'avait pas internet pour chercher. Je ne suis pas vieux, mais j'ai passé toute mon adolescence sans internet !  Je n'avais donc pas d'information. J'ai demandé autour de moi : soit Zappa, personne ne le connaissait, soit Zappa-Boulez, il y avait un problème. C'était sûrement une ânerie ! Et petit à petit je me suis mis à écouter du Zappa. Mais cette histoire n'était pas résolue et c'est bien plus tard, quand j'ai eu internet, et que j'ai tapé Zappa-Boulez, que j'ai vu qu'ils avaient fait un projet ensemble et que j'ai connu l'historique de ce projet ! C'est donc grâce à mon coiffeur que j'ai connu Zappa !

 

Vous avez entendu le disque. J'ai eu la chance d'entendre l'œuvre interprétée !

Ce n'est pas ce que je préfère ! J'ai rencontré Esa-Pekka Salonen qui a monté « 200 Motels » et il m'a dit que c'était le projet le plus dingue qu'il ait réalisé !

 

https://www.youtube.com/watch?v=W7eUWh9sI7k

 

C'est la musique d'un film complétement délirant !

Il est mort quand j'avais 15 ans et je n'ai pas eu la chance de le voir en concert ! Les « Mothers Of Invention » c'est génial ! Même les musiques un peu plus consensuelles comme « Apostrophe », j'adore ça ! Il se fout des Beatles. Il avait un projet avec John Lenon. C'est un type génial. J'aime énormément ce genre de musicien !

 

https://www.youtube.com/watch?v=zXP_pr7np-o

 

On ne va pas parler de Liszt, de Schubertiades, de Fauré. Vous vous êtes pas mal exprimé autour de ces musiques et de vos disques. J'aimerais revenir sur ces musiques d'aujourd'hui.

Oui ce n'est pas une posture : ces mots tonal, atonal, c'est réducteur ; c'est vraiment noir blanc. C'est plus compliqué que cela dans certains cas. Moi je m'en fous et ce n'est pas histoire de dire que j'aime tout le monde ; pas du tout. Il y a des trucs que je déteste, et dans le classique et dans la musique contemporaine. Ce n'est pas si c'est tonal ou pas, ou si c'est quelqu'un qui a fait l'IRCAM. Il y a des gens qui m'intéressent, des œuvres que je n'aime pas, de même que des œuvres classiques. Parfois on ressort des opéras baroques que je trouve plus qu'ennuyeux. A côte de ça, il y a des merveilles. Et c'est valable dans tous les domaines, en l'occurrence dans la musique contemporaine. Je n'ai aucune posture boulézienne ou anti. Je trouve que Boulez est un type très intéressant avec des choses que je conteste…

 

Quand j'étais tout petit, j'ai commencé à composer de la musique tout de suite : j'avais six mois de piano, je composais des petites mélodies, toutes simples au début, puis très vite au bout de deux, trois ans, j'ai eu un certain niveau de compréhension des partitions, je me suis intéressé aux musiques modernes. D'abord ça été Ravel, Debussy, Prokofiev, Bartók, Stravinski, et je me souviens d'une des premières révélations : c'était un copain qui était plus avancé que moi et qui avait une partition de Messiaen. Quand j'ai vu tous ces accords ultra compliqués, j'ai été attiré par ça. J'étais attiré par l'inouï, en fait, et dans tous les domaines. C'était un petit côté mégalo, démiurge, je ne sais pas ; mais je sais que j'étais fasciné par les tours les plus hautes, par toutes les innovations technologiques, etc... J'étais très fasciné par la notion d'évolution. J'ai vu ensuite des partitions pour orchestre de Messiaen, avec des percussions extra européennes, je trouvais cela génial. Après j'ai connu les élèves de Messiaen, Boulez, Stockhausen, et la musique électronique. Tout ce côté exploration, cela m'a fait rêver toute mon enfance. Aujourd'hui quand j'entends ce genre de musique, il y a des choses plus ou moins bien, mais je ne suis pas dans une posture snob, du style vous ne comprenez rien. Il y a des œuvres qui me secouent. Je suis allé écouter deux fois « Prometheus » de Nono à la Philharmonie. Je suis sorti transporté ! « Le Requiem pour un jeune poète » de Zimmermann, ça me bouleverse. C'étaient mes héros quand j'étais gamin. Je suis très ouvert à la musique en général, à la pop, par exemple. J'ai découvert, quand j'étais adolescent, la musique américaine aussi.

 

Vous êtes de votre temps !

Oui, je pense et je déplore que dans la musique classique on ne soit pas assez de notre temps ; c'est mon grand problème ! Il y a un phénomène, avec lequel j'ai joué aussi : en interprétant du Liszt, j'ai joué sur les deux tableaux.

 

Avec Liszt vous faites un tabac !

Oui bien sûr, mais je n'ai jamais voulu orienter le programme vers des pièces acrobatiques. J'ai fait des grands cycles qui se terminent par la Troisième Année de Pèlerinage. C'est le Liszt méditatif, de la fin. Cela fait un tabac parce que c'est le côté marathon ; mais je n'aurais joué que la Troisième année, les gens auraient dit : qu'est-ce que c'est que ce truc, quoi ! Alors que c'est à mon avis la plus belle. J'essaye en jouant tout le cycle d'être explicatif : cela commence par le côté romantique, brillant, et puis petit à petit on va vers le désincarné, le métaphysique, le voyage intérieur. C'est ce qui me plaît de communiquer au public. J'estime ne pas avoir été assez courageux dans la programmation, mais ce n'est pas facile avec des producteurs qui mettent de l'argent sur vous de dire : Scriabine ; ils ont peur. Ils pensent que vous allez vider la salle. C'est compliqué, c'est un cercle vicieux parce qu'on n'habitue pas les gens à s'intéresser à la nouveauté. Et moi j'aime les choses nouvelles ! Beaucoup de musiciens se mettent en empathie avec le public en disant qu'il faut qu'il entende ce qu'il connait ! Jouer de la musique du passé au prisme d'aujourd'hui, on a beaucoup souffert d'une certaine évolution. La musique a d'abord été à la cour, puis l'apanage des salons aristocratiques, et le phénomène nouveau au XXème siècle c'est le concert public qui s'élargit de plus en plus. Mais c'est un public très choisi. On voit tout le tollé qu'il y a eu du fait de déménager la Philharmonie à la Porte de Pantin. C'est quand même incroyable !

 

Avez-vous fait des récitals dans cette salle immense ?

Non, j'ai fait des concerts avec orchestre. La programmation est très chouette, je suis très content que cela existe, c'est un premier pas. Quand on voit que des gens envoient des lettres d'insultes en disant qu'ils ne mettront jamais les pieds dans ce quartier, etc.. Il est évident qu'on a un public conservateur qui ne veut entendre que de la musique du XIXème siècle ou éventuellement du XVIII ème ! Même Debussy, ça commence à être chaud ! Si on reste là-dedans, on est mort ! Je vais continuer à jouer ce répertoire, mais on a besoin d'être créatif. Jouer ce qui se fait, même avec des ratés qui tombent à côté. Je suis entré dans quelque chose qui me plaît beaucoup : faire des récitals, des concertos, de droite à gauche. Mais par rapport à votre première question, faire cela pour plaire, oui un peu ; mais jouer le Premier Nocturne de Chopin, ça non, ça me fatigue! Plaire oui, mais en apportant ce qui m'excite. Faire un récital entièrement Ravel au Théâtre des Champs-Elysées, c'était un peu ambitieux ; mais c'était archi plein ! L'année prochaine, je fais de la musique un peu plus contemporaine. J'ai un copain, Jean Frédéric Neuburger, qui a écrit une œuvre pour moi. Je vais jouer un compositeur anglais qui est décédé il y a peu de temps qui s'appelle Jonathan Harvey. Je vais essayer de m'impliquer là-dedans. On me pose toujours des questions sur Liszt et Schubert, et je suis très content de parler avec vous de ce qui m'excite le plus !

 

Alors à quand une composition pour Neuburger ?

Je vous tiendrai au courant !

 

https://www.youtube.com/watch?v=cwL4nSb9am8

 

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

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LE FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE

 

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DR

 

« L'Art peut sembler dérisoire au regard de la violence qui frappe notre monde », écrivait Bernard Foccroulle, directeur général du Festival d'Aix dans sa préface à la programmation de l'édition 2016. Parole éminemment responsable au vu des évènements récents. « Il nous offre la matière mémorielle, la créativité et la force d'utopie dont nous nous avons besoin pour survivre aux déflagrations et inventer un futur différent », poursuit-il.  Pour peu qu'un spectacle, d'opéra, de concert, soit conçu comme autre chose qu'un simple divertissement. Le programme croisait des destins de femmes singuliers, de Mélisande, sans doute le personnage central du drame lyrique de Debussy, Bellezza, figure essentielle de l'oratorio Il Trionfo de Haendel, Fiordiligi encore qui tente de préserver un espace de constance dans le dramma giacoso Così Fan tutte de  Mozart. Le festival présentait aussi le deuxième volet de l'œuvre dramatique de Stravinski avec le couplage révélateur d'Oedipus Rex et la Symphonie de Psaumes. Un grand parmi les grands, Esa-Pekka Salonen dirigeait ce spectacle comme Pelléas et Mélisande à la tête de l'Orchestre Philharmonia de Londres, un choc sonore rare. Car entre Stravinski et Debussy, son cœur ne balance pas : il les chérit tous les deux. Comme toujours, les mises en scènes (Krysztof Warlikowski, Peter Sellars, Katie Mitchell) revisitent les œuvres de fond en comble, nous appelant à la réflexion. A ce compte, celle du Mozart reste problématique : la lecture de Così fan tutte due à Christophe Honoré laisse plus que perplexe.  

 

 

Un anéantissement programmé de La Beauté

 

Georg Friedrich HAENDEL : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. Oratorio en deux parties. Livret du cardinal Benedetto Pamphili. Sabine Devielhe, Franco Fagioli, Sara Mingardo, Michael Spyres. Christine Angot. Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Krysztof Warlikowki. Théâtre de l'Archevêché.

 


©Pascal Victor/ArtcomArt

 

Premier oratorio d'un jeune Haendel de 22 ans, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (Le triomphe du Temps et de la Désillusion), écrit à Rome en 1707, montre une patte musicale d'envergure, au point qu'il réutilisera plus d'une aria dans ses compositions ultérieures (« Lascia la spina » en particulier) et n'hésitera pas à le remanier par deux fois. Quoique dans le droit fil des oratorios romains en deux parties de musiciens comme Carissimi, Scarlatti ou Caldara, sur des sujets religieux tirés des Écritures ou de sujets allégoriques, Haendel en renouvelle la facture. Pour contourner l'édit papal d'interdiction de jouer de l'opéra, on s'en tiendra à l oratorio volgare », qui chanté par des castrats, permet de représenter un schéma dramatique. Car la pièce contient bel et bien une action, même si resserrée : la tentation en règle à laquelle Bellezza (La Beauté), occupée aux éphémères bienfaits dispensés par Piacere (Plaisir), est soumise par Tempo (Le Temps) et Disinganno (La Désillusion) qui lui font comprendre la fragilité de son apparence et la finitude de sa destinée. Convaincue, elle décide de se consacrer à Dieu et renonce à une existence vaine et éphémère. C'est à un jeu cruel que le librettiste, le cardinal Benedetto Pamphili, esthète et musicien à ses heures, convie le spectateur, que la musique de Haendel embellit grandiosement. Fidèle à sa manière allusive, le metteur en scène Krysztof Warlikowski réserve à La Beauté un véritable parcours d'enfer. Dans l'environnement formel et froid d'une sorte de salle de cinéma parée de quantité de fauteuils moelleux, traversée d'une galerie en verre dans laquelle opèrent tour à tour un danseur éphèbe se trémoussant en mesure et une théorie de pin up aux figures ravageuses, il inscrit le cheminement tumultueux de son héroïne, déjà fortement empreinte de pessimisme dès les premières répliques : une jeune femme droguée, que rien ne semble tenter autant que la satisfaction de distractions immédiates et futiles. Car Plaisir, sorte de hippie bon chic bon genre à lunettes noires, semble s'ennuyer ferme malgré son statut d'agitateur patenté. En face d'eux, deux vieux sorciers, Le Temps et La Désillusion, sont affairés à compiler des archives et rédiger des missives pour on ne sait quels destinataires. Le jeu entre les deux barbons et la belle, d'abord sur le mode badin, sera vite sans merci, les ''vieux'' ringards n'hésitant pas à la malmener et à se montrer plus qu'insistant dans le langage. Bien sûr, Bellezza ne résiste pas longtemps à pareil pilonnage, malgré les tentatives, un peu vaines, de Piacere, et se réfugie dans une manière de Mater dolorosa pour se consacrer à la sainte cause : « J'espérais trouver le bonheur dans le vérité » avait-elle lancé en début de seconde partie devant le corps inanimé du jeune éphèbe. Warlikowski, qui au passage semble régler ses comptes avec la puritaine Église de sa Pologne natale, assume que cette pièce dogmatique conduit à « la destruction d'une jeune femme, à un anéantissement dans la mâchoire du Temps et du Désenchantement ». Et balaie d'un revers de main la fraîcheur et l'insouciance de la jeune personne. Tout semble joué d'avance : une terrible mélancolie poussant à l'abolition programmée de l'être. C'est là une vision on ne peut plus désespérée, ne laissant que peu de place à la joie, dont la froideur de la présentation imagée concourt à renforcer le caractère inéluctable ; à la différence de la version plus haute en couleurs de Jürgen Flimm donnée à Zürich et à Berlin (cf. NL de 3/2012).

 


Bellezza (Sabine Devielhe) & Piacere (Franco Fagioli)

©Pascal Victor/ArtcomArt

 

Ses interprètes le suivent sans barguigner car la direction est millimétrée et, comme toujours chez ce régisseur, réserve un résultat hautement théâtral. Les arias da capo sont vécues jusqu'à l'extrême substance, les ensembles pareillement travaillés tel le duo Bellezza-Piacere en première partie, dune beauté spectrale. Il faut dire que distribuer Sabine Devieilhe et Franco Fagioli tient du génie, et en une telle forme vocale, du miracle musical. Elle, soprano jaillissant, émaillé de notes aiguës d'une déconcertante aisance, pas éthéré cependant comme le montre le premier air de le seconde partie avec hautbois obligé, émouvante à force de désespérante vraie fausse humilité ; lui, méconnaissable dans son costume ajusté, nimbant de son timbre si riche moult arias glorieuses, dont un « Lascia la spina » d'anthologie parce que pensé de l'intérieur. Les deux autres ne le cèdent en rien : Michael Spyres, Tempo, déploie un ténor large, sur le versant  héroïque, et personnifie parfaitement le regard terre à terre du personnage, costume noir austère en deuxième partie ; Sarah Mingardo, Disinganno, mezzo taquinant le contralto, souvent dans des tempos lents et habités, vielle fille revêche et enjôleuse tout à la fois. Un quatuor sans doute idéal aujourd'hui. Emmanuelle Haïm connait sa partition pour l'avoir déjà dirigée en concert et enregistrée (Warner classics) : sa direction respire ce vrai bonheur qui n'est pas toujours dispensé sur scène : si le débit est lent, au début notamment, l'effluve est toujours irrésistible. Car comme elle le souligne, il règne « une extraordinaire vitalité » dans cette musique du jeune Haendel, qui transparait à chaque aria ou ensemble. Le concert d'Astrée offre des cordes chatoyantes et des bois étincelants. Et on admire les solos concertants de violon, de hautbois et surtout d'orgue lors de la fameuse sonate préludant l'aria de Plaisir, d'une poétique extrêmement raffinée.

 

 

Quand la violence malmène la musique de Mozart

 

Wolfgang Amadé MOZART : Così fan tutte. Dramma giocoso en deux actes. Livret de Lorenzo da Ponte. Lenneke Ruiten, Kate Lindsey, Sandrine Piau, Joel Prieto, Nahuel di Pierro, Rod Gilfry. Cape Town Opera Chorus. Freiburger Barockorchester, dir. Louis Langrée. Mise en scène : Christophe Honoré. Théâtre de l'Archevêché.

 


Quintette des adieux (Ier Acte) ©Pascal Victor/ArtcomArt

 

Les relectures de opéras de Mozart sont toujours périlleuses. Celle de L'Enlèvement au sérail à Aix, l'an dernier, s'avéra problématique. Celle de Così fan tutte, cette fois, l'est tout autant. Le procédé de la transposition n'est pas nécessairement à rejeter. Et il en est de fort réussies qui ajoutent quelque chose à la perception qu'on peut avoir d'une œuvre qui n'a sans doute jamais livré tous ses secrets. Ainsi en fut-il, dans Così précisément, du regard porté par Michael Haneke à La Monnaie de Bruxelles. Christophe Honoré se veut tout aussi radical, et ne l'est peut-être pas tant que cela. L'action est transportée dans une colonie italienne sous l'ère mussolinienne, dans la lointaine Érythrée. Les colons mâles qui s'ennuient ferme, même avec leurs payses, imagent un pari stupide pour passer le temps, et peut-être en remontrer aux autochtones question audace. Pour illustrer cette vacuité, un prologue, avant l'Ouverture, fait entendre le son éraillé d'une vieille rengaine au phonographe à pavillon, et voir quelque débauche d'un des européens avec une jeune noire. La compagne de cette dernière, qui cherche à s'interposer, est jetée à terre. On a saisi le message : sexe et violence seront les maitres mots du spectacle. Une violence étalée ou rentrée, toujours présente dans les attitudes et postures : de la part des deux colons bien sûr, mais pas seulement. Car la réciprocité vaut pour les locaux qui s'ils sont malmenés chez leurs femmes par les italiens, ne se privent pas non plus de tarabuster une Despina qui ne demande peut-être que cela. Le tour gratuit que prend le fameux pari de l'épreuve de la fidélité des deux filles n'est pas sans questionner les locaux qui contemplent d'abord, mais n'entendent pas en rester là. Car un des traits de cette présentation est de ne pas limiter le jeu à six personnages, mais de l'inscrire, au-delà même des deux scènes de chœurs du départ des amants-soldats et de la noce finale, dans un mouvement plus général, celui de la foule des autochtones. Cela ne serait pas gênant si ce n'est que la chose alimente un propos connoté, racial bien sûr. Honoré crânement affirme qu avec ce Così rejouant une histoire coloniale comme tragédie et comme farce », il a « l'intuition » de pouvoir « apporter au livret de Da Ponte une attention nouvelle, inconfortable et stimulante ». Inconfortable, certes : quelque chose qui n'est pas éloigné de Sade et de son Histoire de Juliette ou la prospérité du vice. Stimulante, on en doute : le mode sadique, bien distinct du parodique, conduit à un sentiment de malaise plutôt, à un phénomène de trop plein, pire de longueur. Et ajouter que la pièce « peut s'écouter comme un flux ténébreux qui prospère avec plaisirs, avec tous les plaisirs », c'est prêter au librettiste comme au compositeur de savantes intentions. Qu'il y ait dans Così autre chose qu'une farce au premier degré, mais une vraie tentation des cœurs, dont on sait les intermittences, cela va de soi. De là à en conclure à une apologie du vice, il y a un pas. Le plus piquant est qu'Honoré se cale dans les didascalies, ne renonçant ni à la pantalonnade charlatanesque de Despina – en infirmière ici – ni à son travestissement en grand Mamamouchi, en guise de notaire. Et que la place de celle-ci reste peu exploitée, en tout cas pas  jusqu'au bout de l'idée ; car à part ses parties de jambes en l'air avec un jeune noir, ladite reste peu délurée. A la différence d'Alfonso qui perdant sa caquette de philosophe, traduit l'ardente soif du vicieux obsédé. La transformation des jeunes gens en albanais les voit apparaître en guerriers Dubats, sévère métamorphose qui en ajoute à la violence ambiante. Qui appert dans les attitudes et gagne jusqu'au chant : chaque air se voit bardé de témoins plus ou moins voyeurs, en rendant la dramaturgie parfois indigeste tant elle est soulignée. Ainsi du « Per pietà » de Fiordiligi, gagné par la fantasque attitude de Ferrando après qu'il eut été jeté dans ses bras par une femme noire qui s'est donc pris à ce jeu sadique. L'environnement décoratif ne rachète rien, misérabiliste comme souvent. Non, Così fan tutte n'est pas une saga de sexe, mais un théâtre d'amour.     

 


Acte II : Ferrando (Joel Prieto) et Dorabella (Kate Lindsey)

©Pascal Victor/ArtcomArt

 

La musique dans tout cela ? Même si prise à contre pied de ce qui est vu, son pouvoir est heureusement préservé. Car Louis Langrée déploie un raffinement exemplaire tant dans la symphonie que dans l'accompagnement des airs et ensembles. Les sonorités du Freiburger Barockorchester, souvent chambristes, ne sont nullement sèches et la petite harmonie sonne d'une belle fraicheur, comme les cordes d'une fragilité, d'une sensibilité à fleur de peau. Septième personnage de l'opéra, l'orchestre ne traduit pas l'infidélité, encore moins la hargne du sexe, mais une effusion constante de tendresse, une nostalgie du bonheur, la douceur du sentiment même s'il est illusoire, et le sentiment si juste des faiblesses du cœur et des sens, qui peut aller jusqu'au pathétique. Cela, la direction le traduit, en divorce total avec la mise en scène, dans bien des situations ou ensembles. Ainsi du « quintette des adieux », miracle d'équilibre, ou du trio « soave sia il vento », débuté ici en coulisses pour prospérer visuellement de manière empesée. Le sextuor vocal est de qualité sans être exceptionnel. Seule Sandrine Piau répond au qualificatif de chanteuse mozartienne accomplie. Les deux jeunes gens sont bien contrastés. Joel Prieto est un Ferrando un peu juste de gabarit et Nahuel di Pierro un Guglielmo typé et vocalement assuré. Rod Gilfry campe un Alfonso de stature, cynique au second degré. La Dorabella de Kate Lindsey, après un début peu assuré, prend son envol dès le premier air, l'agité « Smanie implacabili », et sa pèche de fille libérée, un brin perverse, relève les autres airs et ensembles. Plus affirmée ici est sa conversion au nouveau statut de femme libérée. Lenneke Ruiten donne de Fiordiligi, qui occupe  une place essentielle, au point de demeurer seule en scène à la fin de la pièce, un portrait savamment buriné. Les deux airs sortent du lot, dont « Per pietà», mené par Langrée à un tempo étonnamment lent, laissant à l'interprète tout loisir d'en détailler les arabesques et les sauts d'intervalles vertigineux ;  sans parler de la gestique qu'on lui impose. ''Mixed bag'' donc, comme bien souvent chez Mozart ces temps...

 

 

Sous le regard d'Antigone : Oedipus Rex & La Symphonie de Psaumes

 

Igor STRAVINSKY; Oedipus Rex. Opéra-Oratorio d'après Sophocle. Livret de Jean Cocteau traduit en latin par le cardinal Jean Danielou. Texte parlé : adaptation d'après Sophocle par Peter Sellars, traduite en français par Alain Perroux et Vincent Huguet. Symphonie de Psaumes. Joseph Kaiser, Violeta Urmana, sir Willard White, Joshua Stewart. Pauline Cheviller, récitante. Laurel Jenkins, danseuse. Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir, Sofia Vokalensemble. Philharmonia Orchestra, dir. Esa-Pekka Salonen. Mise en scène : Peter Sellars. Grand Théâtre de Provence.

 

            

 


Créon (Willard White) harangue la foule de Thèbes ©Vincent Beaume

 

Poursuivant le cycle des œuvres scéniques de Stravinski, Peter Sellars présentait Oedipus Rex suivi de la Symphonie de Psaumes. Il imagine de narrer l'histoire d'Oedipe du point de vue de  sa fille Antigone qui en pressentant le cours, commente les événements ou les mime jusqu'à leur tragique issue, suite à l'errance du roi vers Colone après qu'il eut été chassé de Thèbes. Le rapprochement des deux pièces devient alors une évidence, la symphonie décrivant les derniers instants du roi déchu : « un mendiant aveugle errant de pays en pays, mené par ses deux filles Antigone et Ismène » (Peter Sellars). A priori improbable, le couplage fait dès lors sens. Pour ce faire, Sellars a imaginé un texte parlé à partir de Sophocle. On est loin du rôle du récitant de la création parisienne de 1927, conçu par Jean Cocteau - que Stravinski devait plus ou moins rejeter sur le tard. En tout cas l'aspect pompeux, pour ne pas dire pompier, du récit de liaison annonçant au spectateur les événements est évacué au profit d'une prose fluide et théâtrale. Et les divers épisodes d'une pièce fragmentée s'articulent en un tout cohérent. Oedipus rex ne passe pas pour la plus abordable des partitions de l'auteur du Sacre : une succession de monologues s'inscrivant dans un continuum choral incantatoire. On a souvent fustigé sa froideur, pourtant recherchée par les auteurs, son caractère hybride qui mêle plusieurs modes (parlé et chanté) et la référence à divers styles, sans parler de son expression en latin, « une matière non pas morte, mais pétrifiée, devenue monumentale et immunisée contre toute civilisation » (''Chroniques de ma vie'') ; tous procédés aptes à provoquer sinon un malaise, du moins une incompréhension chez l'auditeur.

 


Oedipe (Joseph Kaiser) entouré d'Antigone et d'Ismène ©Vincent Beaume

 

Rien de tel ici. La lisibilité de l'approche saute aux yeux dès les premières répliques. Celles du chœur d'hommes que Sellars place à juste titre au centre de son propos, non comme une masse informe et figée, mais telle une assemblée d'individus soudés par une même idée, au cœur de la pièce, tour à tour acclamant ou exigeant, glorifiant ou vociférant. Une ensemble qui à l'inverse des personnages épisodiques (à l'exception d'Oedipe), n'est en aucun cas statique. Sellars les a imaginés en personnages de tous les jours, vêtus majoritairement de bleu, travaillant leurs réactions en utilisant un langage des signes si familier chez lui. Cela se vit comme une chorégraphie d'un esthétisme peu commun : attitudes, mouvements lents ou vifs, épousent les péripéties du drame, surtout par l'expression des mains et des bras, liés ou déliés, debout ou assis, par exemple en tailleur autour du roi, tels ses fervents disciples, ou criant leur rage bras tendus lors de la harangue de Créon. Ils sont le décor même de la pièce. Qui est vécue dans un espace immaculé d'un blanc aveuglant ou légèrement tamisé, avec pour seuls accessoires sept sièges totémiques au premier plan. Les personnages du drame s'inscrivent sans hiatus dans cet environnement : Oedipe d'abord qui assure les entendre, tente de les rassurer et peu à peu est vécu comme le responsable du malheur qui s'abat sur Thèbes, dévorée par cette histoire mortifère de prophétie d'enfant tuant son père et épousant sa mère, de meurtrier qui n'est autre que le roi lui-même. Les interventions de Créon, de Tiresias ou du Messager prennent un relief étonnant, faisant démentir leur caractère habituellement limité, leur participation devenant plus essentielle. Même celle de Jocaste, d'ordinaire si empesée et forcée, prend sa naturelle place au sein de ce fort ordonnancement théâtral. A la fin, le chœur se referme sur Oedipe comme pour mieux signifier qu'il est désormais rejeté, chassé de la ville. La Symphonie de Psaumes prend alors le relai (après un entracte dont on aurait pu se passer, pour rendre le continuum encore plus évident) : « Qui a pitié d'Oedipe ce soir ? » s'interroge Antigone. Oedipe muet et ingambe parcourt le fond du plateau, soutenu par ses deux filles dont l'une se livre à une danse évanescente au milieu du chœur avant une sorte de mise au tombeau, symbolisant les derniers instants du roi déchu, et une fin chorégraphiée, objet du troisième mouvement, conçue par Stravinski comme « une danse extatique de joie autour de la tombe ». Outre qu'il rencontre l'idée même du compositeur, l'effet est médusant. Les trois ensembles choraux réunis, dont deux finlandais et un bulgare, sont d'une formidable précision et agissent comme des solistes. Ceux-ci sont plus qu'irréprochables, Joseph Kaiser au premier chef, Oedipe alliant force et résolution, de sa voix de ténor ductile se jouant de aspérités d'un rôle ingrat, Willard White, sous les traits fort différentiés, même vocalement, de Créon, Tirésias et du Messager, parangon de force, et Violeta Urmana qui prête sa grande voix à Jocaste et une allure royale. La réussite musicale doit pourtant l'essentiel à Esa-Pekka Salonen qui ne cache pas son empathie pour ces pièces. Et tire du Philharmonia Orchestra des sonorités proprement envoûtantes, dans le registre des bois tout particulièrement, pour un rendu clair et engagé.  

 

 

Mélisande, l'inimaginable rêve

 

Claude DEBUSSY : Pelléas et Mélisande. Drame lyrique en cinq actes et 12 tableaux. Livret d'après la pièce éponyme de Maurice Maeterlinck. Stéphane Degout, Barbara Hannigan, Laurent Naouri, Franz-Josef Selig, Sylvie Brunet-Grupposo, Chloé Briot, Thomas Dear. Cape Town Opera Chorus. Philharmonia Orchestra, dir. Esa-Pekka Salonen. Mise en scène : Katie Mitchell. Grand Théâtre de Provence.

 


Acte I Première scène ©Patrick Berger/ArtcomArt

 

Attention chef d'œuvre ! On a vu beaucoup de productions de Pelléas et Mélisande, et des plus accomplies, que ce soit en adoptant la clé de lecture symboliste (Ponnelle, Braunschweig) ou en se plaçant sur le terrain plus naturaliste (Vick, Nordey, Martinoty), voire une manière suggestive, comme impressionniste (Wilson). Mais, cette fois, le drame lyrique de Debussy connait une autre dimension car nous est ouvert le livre de l'imagination. La régisseuse Katie Mitchell, à qui l'on doit déjà à Aix Written on Skin (2012) et Alcina (2015), nous immerge dans un univers onirique, perçant peut-être le secret de cette œuvre unique. Elle souligne combien la pièce de Maeterlinck, à l'origine du drame musical de Debussy, doit au théâtre de Tchékov, et comme « son étrange atmosphère provient de forces inconnaissables qui créent un étrange malaise, une légère anxiété Car on a affaire, selon elle, à un symbolisme ''surréaliste'' qui dépasse et transcende tout réalisme. Cette histoire d'échange triangulaire entre une femme et deux hommes n'est-elle pas en fait celle de la première, objet des attentes, des projections que font sur elle les deux autres ? D'où l'idée de la concevoir à travers le regard de Mélisande, personnage omniprésent, vivant lui-même, ou racontant par son double, les événements qui se passent ou vont se produire. Formidable pari qui unit la construction dramaturgique depuis le prélude où on découvre Mélisande en robe de mariée blanche affalée sur le lit de sa chambre, jusqu'à l'épilogue qui la retrouve dans la même position comme se relevant d'un rêve sans doute cauchemardesque. A cette première idée, Mitchell en ajoute une autre, tout aussi osée : celle de jouer les interludes entre scènes, dont on sait que Debussy les a ajoutés à la demande du directeur de l'Opéra Comique pour pallier la difficulté de mettre en place les décors. Une extrême fluidité s'installe alors dans une œuvre « constamment en mutation », dépourvue de tout cloisonnement entre tableaux, voire entre actes eux-mêmes. Il se passe des choses peut-être essentielles durant ces moments d'apparent répit qui, si on y regarde de près, ne sont pas neutres musicalement car concluant un tableau et annonçant le suivant. C'est donc par l'appréhension qu'en a Mélisande que le drame s'inscrit, ici dans la vaste demeure d'Arkel où cinq personnages sont retenus dans leur vie quotidienne : la salle à manger, la chambre, la piscine désaffectée et défraichie - qui tient lieu de fontaine des aveugles -, une galerie miteuse en sous sol - en guise de grotte en bord de mer-, un attique, un antichambre exigu, lieu de tous les apartés, et un escalier en colimaçon vertigineux qui recueille bien des échanges furtifs ou ce baiser de remerciements donné sur le front du petit Yniod par un Golaud satisfait de la manigance de voyeurisme qu'il lui a imposée. Tous lieux qui se font et se défont par un habile mouvement de translation latéral. Pas d'extérieur donc mais une série d'instantanés ou de longs échanges dedans, comme pour mieux signifier combien les personnages sont enfermés, emprisonnés même, dans ce château d'où « l'on ne voit jamais le ciel ».

 


Golaud (Laurent Naouri), Yniod (Chloé Briot) et le spectre de Mélisande

©Patrick Berger/ArtcomArt

 

D'une fabuleuse cohérence, cette lecture découvre d'étonnantes perceptions : la première rencontre entre Pelléas et Mélisande, dans la piscine délabrée, transmet une insondable tristesse, à l'aune de la gaucherie du garçon face aux entreprises de la jeune femme. Le tableau de la tour et de la chevelure se jouera dans la chambre et sur le lit même dans des positions bien évocatrices. Des scènes cardinales sont complétement revisitées ; dont on donnera trois exemples : le tableau de la lecture de la lettre par Geneviève (acte I, scène 2), dans la salle à manger regroupant alors Arkel à qui on lit la missive, mais aussi une Mélisande qui voit ce qui se dit et se prépare ; l'arrivée de Pelléas donne lieu à un jeu de scène d'une étonnante liberté : le double de Mélisande ne s'attache-t-elle pas à son cou ! Le tableau durant lequel Golaud fait épier par Yniold les deux supposés amants restera un moment d'anthologie. On sait cette scène peu aisée tant la ficelle est grosse et la réalisation musicale délicate : l'antichambre dont une lucarne donne sur la chambre à coucher où « Petite mère a allumé sa lampe », découvre un grand escabeau sur lequel Golaud hisse l'enfant terrorisé - comme retenu par le spectre de Mélisande -, tandis que de l'autre côté de la cloison les deux protagonistes d'abord interdits, se dévêtent pour apparaître complètement nus. Vu du dedans, ce tableau prend un tour encore plus insoutenable. Le premier tableau de l'acte IV encore : où sont réunis à table autour d'Arkel l'ensemble des cinq protagonistes pour un repas plutôt frais, dont un Golaud effondré de douleur. Qui lors des terribles invocations « Absalon, Absalon... » devient fou furieux, d'une violence incontrôlée, sous les yeux terrifiés de l'enfant et la compassion de Geneviève qui tente de consoler un Pelléas désorienté. Les transitions entre scènes sont tout aussi révélées, souvent par le prisme des interludes : Mélisande à qui des servantes passent l'anneau au doigt pour se parer (Inter. entre les scène 1 & 2, acte I), la rencontre furtive entre Pelléas et Mélisande pour convenir du dernier rendez-vous à la fontaine des aveugles, le baiser de Golaud à l'enfant dans l'escalier, alors que le double de Mélisande est bien présent. La continuité peut s'entendre entre actes aussi : entre les Ier et II ème, où la chanson médiévale de Mélisande sera délivrée dans l'antichambre où s'est clôt l'acte précédent. D'autres scènes sont réévaluées comme celle d'Yniold et de « la pierre lourde », peut-être pas aussi banale qu'il n'y paraît : le gamin voit défiler les ''petits moutons'' qui ne sont autres que les membres de sa famille yeux bandés ; tout comme les trois mendiants de la scène de la grotte avaient pour nom Geneviève, Golaud et Arkel - idée déjà retenue naguère par Jean-Pierre Ponnelle. Bien sûr, tout cela va très loin et prend ses aises avec les didascalies, comme l'attitude de Mélisande qui n'est pas aussi énigmatique que souvent ; fruit d'une approche là aussi réévaluée du personnage : la jeune femme qui a déjà un passé, propulsée dans la nébuleuse opaque d'Allemonde, n'est sans doute pas aussi ''innocente'' qu'on le pense. « Une personne très manipulatrice, qui précipite les événements », selon Salonen. Mais la vision fait tant cohésion qu'on reste subjugué par le tour de force consistant à donner vie à ce qui est si fragile dans les destinées humaines, sans tomber dans la facilité ou frôler le naturalisme.

 


Stéphane Degout & Barbara Hannigan (Acte IV) ©Patrick Berger/ArtcomArt

 

D'autant que l'interprétation atteint le sublime grâce au naturel des attitudes et gestes comme de la déclamation qui n'a jamais parue si proche du langage parlé, sans parler d'une attention musicale pénétrante. A commencer par Barbara Hannigan, superbe actrice et voix inextinguible. L'identification au personnage de Mélisande est totale chez une musicienne qu'on sait rompue à la modernité. Pas de physique souffreteux, mais jeune belle femme en possession de tous ses moyens de séduction. Une interprète à laquelle sont demandées des prouesses physiques peu ordinaires. Une approche toute en nuances dans une diction irréprochable. Enfin une musicalité que bien de ses consœurs peuvent dès lors lui envier. Quelle remarquable prise de rôle ! Stéphane Degout renouvelle sa perception de Pelléas à travers la lecture de Mitchell : un jeune homme coincé, peu à peu déniaisé par Mélisande, qui reste cependant d'une parfaite élégance ; une voix claire de baryton Martin au mâles couleurs, considérée comme idéale pour le rôle. Laurent Naouri lui aussi approfondit son interprétation, déjà légendaire, de Golaud avec des accents encore plus vrais (le dialogue avec l'enfant, les échanges froids avec Pelléas lors de la scène des souterrains et de celle qui suit, d'un détachement qui fait froid dans le dos ; comme plus tard à l'endroit de Mélisande sur le « parce que c'est l'usage », délivré dans un mezza voce effrayant). Franz-Josef Selig donne d'Arkel un portrait tout aussi sincère, sans affectation ni nonchalance, et la basse sait sonner dans le forte. La Geneviève de Sylvie Brunet-Grupposo est un modèle de style et de voix puissante, alors que la régie confère à cette partie une place déterminante puisque le personnage est présent durant bien des scènes. Enfin, grâce au parti de renoncer à faire jouer Yniold par un jeune garçon, ce qui est musicalement peu tenable, Chloé Briot donne de celui-ci une interprétation d'une vérité étonnante, tant scénique que vocale. Un quintette frôlant l'idéal. Grâce à la main plus qu'aidante d'Esa-Pekka Salonen. Sa lecture s'avère d'une rare clarté et le Philharmonia n'y est pas pour rien ! Rarement a-t-on entendu une telle fraîcheur inonder cette musique, une telle sonorité magique s'emparer de l'espace, un tel équilibre interne s'instaurer entre phrasé soutenant les chanteurs et continuum symphonique ; au point de laisser primer à l'occasion l'orchestre ; mais s'en plaindra-t-on ? Car il est des passages où l'orchestration debussyste reste si chargée qu'elle laisse peu d'espace au chant. Une mémorable expérience !

 

Jean-Pierre Robert.

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FESTIVALS! : NOHANT, BEAUNE ET LES AUTRES...

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Quatre jours de bonheur à NOHANT

 

 

Nohant, lieu charmant à l'étymologie limpide si je puis dire (nohant, comme noue ou noe, trahit un rapport avec l'eau : il qualifie un pré assez bas pour être régulièrement inondé). Mais surtout lieu-culte puisque c'est dans ce petit village (réuni à partir de 1822 à la commune de Vic sur St-Chartier) que Marie Aurore de Saxe - fille naturelle de Maurice de Saxe - acheta, à la Révolution, au gouverneur de Vierzon, un petit domaine. Là où grandit sa petite fille, Aurore, qui deviendrait un jour George Sand ! Là enfin que la grande romancière recevrait ses nombreux amants, dont Frédéric Chopin, qui y restera sept longs étés, et y composera une grande partie de son œuvre (notez le caractère prémonitoire du nom du hameau à l'est de Nohant sur la carte Cassini - vers 1740 - La Chopinerie » !).

 

L'authenticité du lieu (la maison, restée dans la famille jusqu'à la mort de la petite fille de George Sand, Aurore Dudevant en 1961, a subi peu de modification) inspira la création en 1966 d'un festival, qui fêtait donc cette année son cinquantenaire.

 

Durant quatre jours, j'ai pu assister avec bonheur aux divers concerts, conférences, lectures et masterclasses programmés avec soin par le président du festival, Yves Henry, et son directeur artistique Jean-Yves Clément. Depuis une vingtaine d'années, les manifestations s'étalent sur deux périodes : Les week-ends de juin, et une semaine entière en juillet (du 21 au 27 cette année). Vantons tout de suite le caractère familial de cette semaine, dû à la variété des manifestations proposées, et à la sympathie des intervenants.

 

 


DR

 

Conférences

 

La dernière des trois conférences auxquelles j'ai pu assister, proposée par Jean-Yves Clément, portait sur une association en apparence antinomique : Glenn Gould et le romantisme. A l'occasion de la sortie de son livre Glenn Gould ou le Piano de l'Esprit, le docteur en philosophie tentait de montrer, en élargissant la signification de l'adjectif « romantique », en quoi l'engagement intellectuel et affectif du grand pianiste canadien, ses interprétations très inspirées de Beethoven et Brahms pouvaient permettre de lui attribuer une telle étiquette. L'occasion pour le public de voir ou entendre plusieurs extraits significatifs de ses interprétations.

 

La première des deux conférences proposées par le grand chercheur chopiniste Jean-Jacques Eigeldinger m'a particulièrement intéressé. J'ai toujours défendu l'idée que deux des œuvres (de publication tardive) qu'on attribuait à Chopin (la Valse en la mineur et le Nocturne en ut mineur) étaient beaucoup trop simples structurellement et harmoniquement pour être de la plume du maître polonais. Voilà que Jean-Jacques nous livre sa découverte : ces deux pièces avaient été publiées, dès 1847, sous le nom de Charlotte de Rothschild - au milieu de deux autres, de facture et thématique fort similaires ! Ainsi le professeur Chopin avait dû simplement « aider » sa belle élève à formuler ses idées mélodiques (puisqu'on reconnaît dans le manuscrit son écriture) !

 

La seconde intervention de Jean-Jacques Eigeldinger portait sur la découverte de quatre dessins de main de Maurice Sand (qui, comme on le sait, était un élève d'Eugène Delacroix), qui semblent représenter la sinistre du compositeur polonais !

 

Lectures

 

A trois reprises, durant ces quatre jours, furent proposées, en parallèle aux œuvres pianistiques, des lectures de textes d'auteurs divers (George Sand ou ses proches). Inutile de dire combien magique était - comme à son habitude - l'intervention de Marie-Christine Barrault, attendant le public « aux quatre coins » du jardin, lors d'une ballade nocturne à la lumière des bougies et au son du groupe folklorique « les Gâs du Berry ». Non moins émouvante la lecture partagée de la correspondance entre George et Flaubert, par deux acteurs (anciens élèves du créateur du festival, Jean Darnel), Gabriel le Doze et Anne Plumet, entrecoupée de pièces de Chopin jouées par Yves Henry sur le pianino Pleyel ayant appartenu à l'auteur de la Mare au diable. Enfin, le couple - devenu célèbre - François-René Duchâble et Alain Carré alternèrent également missives et œuvres de compositeurs divers. La déclamation très théâtrale (trop à mon goût) du directeur du festival des Lumières y était avantageusement contrebalancée par la  « justesse de ton » du grand pianiste. 

 

Masterclasses

 

On pourrait imaginer que les masterclasses soient suivies, comme de coutume, surtout par des étudiants pianistes et professeurs. Or ce qui est remarquable ici, c'est que toute la petite ville de La Châtre (puisque c'est dans le magnifique petit théâtre de cette commune qu'il se déroule) semble assister à ce rendez-vous quotidien ! Il faut dire qu'Yves Henry mène « piano-battant » ces trois heures matinales : muni d'une caméra qui permet de projeter la partition, il sait habilement prodiguer ses conseils à la fois en direction des pianistes en herbe sélectionnés pour l'exercice, et du public, qui paraît avoir suivi, au cours des années successives, une formation digne d'un critique avisé. Doit-on présenter Yves ? Titulaire d'un nombre impressionnant de prix du CNSM de Paris, j'ai eu la chance de le connaître alors qu'il achevait, à 17 ans, sa formation de pianiste dans l'établissement. Quel claque pour le jeune homme que j'étais (nous avons le même âge) qui rêvait, après son Bac, de devenir concertiste, de voir qu'un garçon achevait sa formation alors que j'allais, moi, la débuter ! On ne dira jamais assez combien les études musicales doivent être entreprises tôt pour qui se destine à la profession de musicien ! Non, je ne connais aucun grand concertiste, des Duchâble aux Capuçon et autres Luisada, qui n'ait débuté l'instrument à l'âge où d'autres jouent à la poupée et aux petits soldats. Il y a une grande hypocrisie dans les discours qui pourraient laisser à penser qu'on peut mener une grande carrière en débutant tardivement.

 

Il m'a fallu personnellement toute l'amitié et les encouragements des Cziffra, Trouard, Loriod et Badura-Skoda pour que je n'abandonne pas l'idée de faire du piano mon métier. Mais auparavant, j'avais trouvé en Jacqueline Dussol un professeur lucide et merveilleux. Et c'est précisément dans son petit studio de la rue de Moscou, où elle enseignait, que j'ai rencontré Yves ! Je pense sincèrement que l'immense talent de cette grande dame du piano (dont elle possédait une connaissance très très intuitive), disparue trop tôt, avait créé chez lui ce terrain favorable qui lui permettrait ensuite de progresser sous la houlette de Pierre Sancan ou Aldo Ciccolini ! Elle nous a inculqué à tous deux le caractère primordial de l'enfoncement dans le clavier dont j'ai encore entendu parler l'autre matin ! A la lecture de l'Art du piano de Sviatoslav Richter, que Jacqueline recommandait absolument, elle avait conçu l'idée d'une identité de vue parfaite avec Neuhaus, le pédagogue qui forma tous les grands de l'École russe. Quant au grand Badura-Skoda, j'ignore si Yves l'a côtoyé autant que moi, mais c'est à croire, vu l'importance que ce dernier accorde au travail sur instrument ancien.

 

Sur la scène du théâtre de la Châtre trône en effet un Pleyel de 1847, sur lequel les apprentis pianistes peuvent jouer, comprenant mieux, à travers l'enfoncement et les sonorités très particulières de l'instrument, comment il convient d'aborder les œuvres de Chopin. Car c'est bien en connaissant parfaitement le toucher d'un piano de l'époque de Mozart, de Schubert, de Beethoven, que Paul Badura-Skoda arrive à rendre cette authenticité du discours musical sur un piano moderne. Qu'on ne s'y trompe pas : les compositeurs cités auraient éprouvé une joie sans concession s'ils avaient pu entendre le son étincelant et charpenté d'un Steinway ou d'un Yamaha ! Et il faut un certain « courage » pour écouter de nos jours les versions sur Hammerklavier des sonates de Beethoven par le pianiste viennois. Mais quelle science des tempi, du legato, de la pédale, de l'harmonie ! Cette dernière est évidemment aussi le point fort d'Yves, puisqu'il est actuellement professeur en la matière au CNSMP ! Et c'est toujours, comme devraient le faire tous les concertistes ( !), à partir de constatations d'ordre harmonique, qu'Yves explicite l'interprétation de chaque passage d'une œuvre. Pour ceux qui souhaitent avoir une idée de l'importance de l'harmonie dans l'interprétation,  je recommande la collection L'Initiation à l'harmonie et à l'interprétation à partir des Polonaises de Chopin dont les deux premiers volumes sont parus aux Éditions Beauchesne.

 

Les concerts

 

Le nombre élevé d'artistes invités, lié à cette diversité des manifestations culturelles dont je parlais, donne, me semble-t-il, à ce « Nohant Festival Chopin » la légitimité d'un miroir de l'évolution de l'interprétation et de la réception de Chopin dans le temps. Non pas, bien sûr, en écoutant des artistes reconnus comme François-René Duchâble, dont le style intemporel ne prête pas à discussion ! Mais après avoir entendu de nombreux jeunes (dont pas mal de lauréats des derniers concours Chopin), j'ai cru nettement apercevoir les horizons vers lesquels se tournait l'interprétation des œuvres du polonais en ce moment.

 

A chaque époque ses marottes, ses obsessions : cela a déjà été établi en ce qui concerne Frédéric, par exemple dans un livre, auquel j'ai eu l'honneur de participer : L'interprétation de Chopin en France (sous la direction de Daniel Pistone, Paris, Honoré Champion, 1990). A chaque nouvelle étude, on peut faire le constat - au-delà de l'empreinte personnelle de chaque individualité marquée - d'un consensus qui comporte ses qualités et ses défauts. 

 

Ce que je retiens de l'orientation actuelle ?

 

-          une recherche extrême dans la sonorité, particulièrement dans la volonté d'atteindre des pianissimi inouïs ;

-          un parti pris de rendre apparente la moindre modulation ou le moindre détail harmonique ;

-          une jouissance de la puissance des pianos actuels ;

-          une connaissance et une mémorisation des œuvres remarquables (sauf pour l'un des pianistes,  Julien Brocal, qui n'atteindra la concentration que lorsque ses gestes incontrôlés et perturbants le lui permettront)

-          une manière de timbrer la mélodie qui ne laisse aucun doute quant à la préséance de la main droite.

Voici pour les qualités.

 

Les défauts, qui, à mon goût, forment le revers de la médaille :

 

-          une palette sonore assez déficiente, qui oublie d'exploiter, entre les extrêmes, la diversité dynamique très importante des instruments actuels. Heureusement que la qualité des pianos rend la tonitruance de ces fortissimi audible ! Pourtant les quadruples forte d'un Dang Thai Son résonnent encore dans ma trompe d'Eustache !! Cela dit j'ai largement préféré son interprétation de Chopin à celle de Ravel : l'esprit de la musique française est-il si différent de celui du romantique mazovien pour qu'un grand pianiste comme Dang se fourvoie à ce point dans la compréhension de l'auteur des Jeux d'eau ?

 

-          le refus de mener une phrase à son climax (combien d'incises merveilleusement mises en relief chez Charles Richard-Hamelin, qui avortent avant « d'atteindre l'étoile », choisissant pour les notes ultimes une préciosité qui nous renvoie directement à la fin du XIXe siècle).

 

-          la faiblesse de certaines basses et contrechants, trahissant une main gauche qui semble avoir opté pour le destin du Masque de fer (chez Ronald Noerjadi par exemple) !

 

Bref, comment comprendre ce paradoxe : dans le contexte inégalé de la présence de grands spécialistes comme Jean-Jacques Eigeldinger, ou Irène Poniatowska (que je regrette beaucoup de n'avoir pu entendre), comment accepter que les meilleurs artistes du moment oublient à ce point les paroles du maître, telles qu'elles furent rapportées par ses élèves, et qu'on peut résumer en quelques concepts :

 

-          varier sa palette sonore entre le quadruple piano et le mezzo-forte, mais ne jamais taper.

« Dans l'exécution, il faut déployer un son ample, plein et rond ; se servir de gradations infinies dans l'échelle des nuances, qui vont du pianissimo au fortissimo, mais en évitant absolument de tomber dans un murmure indistinct pour le pianissimo, tout comme dans le fortissimo d'asséner des coups qui blesseraient un oreille sensible »

 

-          Confier à la main gauche le rôle du chef d'orchestre d'opéra : un déroulement  imperturbable dans son agogique, et qui laisse « le chanteur » - la main droite en général, mais n'oublions pas qu'il existe aussi des barytons et des basses ! - s'exprimer librement, avec un rubato qui proscrit la contagion !

« Dans le maintien du tempo Chopin était inflexible, et beaucoup seront surpris d'apprendre que le métronome ne quittait pas son piano. Même dans son tempo rubato tant décrié, une main – celle qui a la partie accompagnante – continuait à jouer strictement en mesure, tandis que l'autre – celle qui chante la mélodie – libérait de tout le carcan métrique la vérité de l'expression musicale ; soit qu'elle retarde indécise, soit qu'animée d'une sorte de véhémence fiévreuse, elle anticipe, comme quelqu'un qui s'enflamme en parlant. »

 

-          Et par-dessus tout cela, le plus difficile à conserver : la SIMPLICITÉ, que Chopin considérait comme le but ultime de l'étude pianistique.

« La dernière chose, c'est la simplicité. Après avoir épuisé toutes les difficultés, après avoir joué une immense quantité de notes et de notes, c'est la simplicité qui sort avec tout son charme, comme le dernier sceau de l'art. Quiconque veut arriver de suite à cela n'y parviendra jamais ; on ne peut commencer par la fin. Il faut avoir étudié beaucoup, même immensément pour attendre ce but ; ce n'est pas une chose facile. »

 

Comment ne pas être, par exemple, surpris par la frilosité des interprètes qui nous donnent encore, en 2016, des Mazurkas comme s'ils n'avaient jamais lu le livre d'Eigeldinger :

« Ce doit être en 1845 ou 1846 que je m'aventurai un jour à lui faire la remarque que, jouées par lui, la plupart de ses Mazurkas semblaient notées non à 3/4 mais à 4/4 du fait qu'il s'attardait avec insistance sur la première note de la mesure. Il le nia énergiquement, jusqu'à ce que je lui aie fait jouer une Mazurka tandis que je comptais tout haut à quatre temps, ce qui jouait parfaitement. Il expliqua alors en riant que c'était le caractère national de la danse qui se trouvait à l'origine de cette particularité. A entendre jouer Chopin, le plus remarquable était qu'on avait l'impression d'un rythme à 3/4 tout en entendant une mesure binaire. Naturellement tel n'était pas le cas de chaque Mazurka, mais de beaucoup pourtant. »  (lire aussi l'anecdote de la venue de Meyerbeer).

 

Un peu comme si le concert du Nouvel an à Vienne continuait à nous donner les valses de Strauss dans le style d'André Verschueren !

 

Conclusion

 

Non,  je n'ai pas complètement rencontré, lors de ces quatre merveilleuses journées à Nohant, le Chopin qui hante mes heures depuis ma prime jeunesse, ce Chopin adversaire absolu de l'afféterie, de la brutalité, celui sous les doigts duquel chaque pièce paraissait improvisée, susurrée. Et pourtant, il se montre dans chaque recoin de cette bâtisse illustre et de son jardin, ce génie pour lequel mon imagination d'adolescent traça un jour ces lignes acrostiches :

 

Formidable génie au cœur pur et fragile

Rien ne m'émeut plus que les accents fébriles

Et la féroce amertume qui animait ton style.

Doux héros de mes rêves juvéniles

En qui j'ai découvert le bonheur facile,

Rien n'est plus beau que ces pages graciles,

Inimitables chefs-d'œuvre nés de sombres idylles.

Chaque fois que mes mains, jamais assez agiles,

 

Cherchent ton cœur dans cet ingrat morphil ;

Hallucinations cruelles : je crois voir ton profil.

O ! Beau génie, beau génie qu'on mutile !

Pourquoi fallait-il donc que cette maladie vile,

Immonde vautour, des ténèbres servile,

Nous privent à jamais de ton âme infantile !

 

Il faudra donc revenir à Nohant ; et guetter l'âme de « Chip Chip » dans les bosquets et dans la persévérance des interprètes ! Merci Yves Henry, de nous offrir ce cadeau, chaque été renouvelé !

 

Philippe Morant.

 

 

A BEAUNE : La fine tragédie de Didon et Enée

 

Henry PURCELL: Dido and Eneas. Opéra en trois actes. Livret de Nahum Tate. Marc-Antoine CHARPENTIER : Actéon. Pastorale en musique ou opéra de chasse. Vivica Genaux, Yaïr Polishook, Daniela Skorka, Anat Edri, pauline sikirjji, Jean-François Novelli, Mark Milhofer, Etienne Bazola, Mathieu Montagne, Paul Crémazy. Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset. Version de concert.

 


©Festivaldebeaune

 

Ouvrant sa saison dans la magnifique cour des Hospices, sous une nuit étoilée, le Festival de Beaune présentait Didon et Enée de Purcell. Christophe Rousset, un habitué des lieux, en était l'artisan, à la tête de ses Talens Lyriques. L'unique opéra de Purcell conserve une part de mystère quant à ses origines : créé pour un pensionnat de jeunes filles de Chelsea ou imaginé pour le pur divertissement du roi Charles II ? Les plus récentes études tendent à privilégier cette seconde explication. Autre élément intéressant : le rapprochement avec la musique française. Le futur Charles II d'Angleterre vécut longtemps en exil en France où il se prit de passion pour les œuvres des musiciens de l'époque, qu'il introduit dès son retour outre Manche, comme Marc-Antoine Charpentier. Quoi qu'il en soit, Didon et Enée reste une pièce à part et offre bien  d'autre singularités. Son extrême concision d'abord : trois actes enchaînés, d'une durée totale de moins d'une heure ; un effectif instrumental réduit tout comme sa distribution vocale ; une trame mêlant tragique et comique, héritée du masque de cour anglais, pour conter l'histoire bien connue du désamour de la reine de Carthage et de son ingrat héros appelé à fonder Troie. L'interprétation de Rousset est intéressante en ce qu'elle est empreinte d'une sobriété qui tend à gommer les excès de bien des lectures britanniques : dans les passages dits comiques par exemple, telles les interventions de la Sorcière ou Magicienne, dont le rôle est confié ici à un baryton, et non à une mezzo comme souvent. Le caractère sarcastique d'un passage comme « Appear, Appear at my call » sera volontairement peu souligné : foin des imprécations nasillardes de la dame. De même que celles des deux autres sorcières. Il en résulte un continuum tragique plus cohérent. L'orchestre est très clair, ce que favorise l'acoustique feutrée de la cour des Hospices. Ouverture, ritournelles et danses sont pensées avec goût et les musiciens de Talens Lyriques jouent raffiné. Et on admire le continuo évocateur comme le beau clavecin de Francesco Corti. Tout comme l'idée de composer le chœur de l'ensemble des solistes, ce qui gagne en intensité. Vivica Genaux, qu'on n'associait pas forcément à la partie de Didon, en donne un portrait de classe : noblesse d'accents, déclamation elle aussi nantie de sobriété, ornementations vocales irréprochables. Le premier air « Ah! Belinda, I am prest » (Ah! Belinda, je suis oppressée), comme le célèbre lamento final culminant sur « Remenber me » impressionnent par leur juste émotion. L'Enée du baryton israélien Yaïr Polishook, un nom nouveau, est tout aussi frappé au coin de la mesure, voire de la retenue dans l'arioso purcellien. Leur duo est frappé au coin de la retenue. Des autres protagonistes, on retiendra la Belinda de Daniela Skorka, d'une grande fraicheur, le Spirit du ténor Jean-François Novelli, la sorcière d'Etienne Bazola et le marin de Mark Milhofer.

 

Ce dernier est la figure centrale de la Pastorale Actéon de Marc-Antoine Charpentier, qui ouvrait la soirée. Choix judicieux, car outre la simultanéité chronologique, l'année 1684, les deux œuvres partagent une même idée de raffinement orchestral et de subtilité dramatique. Actéon a été écrit pour Mlle de Guise, protectrice du musicien, et cette mini tragédie, tirée du livre III des Métamorphoses d'Ovide, sur la destinée infortunée d'un jeune homme insouciant qui surpris à épier Diane et ses compagnes se baigner dans une source, se vit transformer en cerf, annonce déjà en ses six scènes la profondeur de David et Jonathas. La musique en est élégante, comme le Prélude et le chœur des chasseurs et, plus tard, l'interlude avant la scène 5, d'une grande affliction. La fin chorale sonne comme un requiem. Superbe interprétation de Rousset et de ses forces instrumentales et vocales, dont le haute-contre Mark Milhofer, fort émouvant dans sa fervente déclamation.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Bertrand Chamayou à l'ombre des platanes de la ROQUE D'ANTHÉRON

 

 


©Marco Borggreve

 

René Martin, l'infatigable initiateur du Festival de la Roque d'Anthéron a choisi d'ouvrir la 36 ème édition par un concert de musique française. Avec Bertrand Chamayou en soliste et l'orchestre national de Lyon dirigé par Andris Poga. Debussy, Ravel, Fauré et Saint Saens : la palette des couleurs est irréprochable. La Petite Suite de Debussy nous met en bouche, quatre mouvements qui nous mènent successivement « en bateau », « en cortège » pour s'accomplir dans un menuet puis un ballet. Musique composée en 1889, soit six ans avant l'invention du cinéma, elle préfigure ce que seront les musiques de film trente ans plus tard. Des glissandos de cordes légers et des thèmes imagés qui s'enchaînent comme Les fêtes galantes de Verlaine qui les auraient inspirés.

 

Puis arrive Bertrand Chamayou et sa frêle silhouette. Jouer le Concerto en sol de Ravel, un des morceaux « monuments » du XX ème siècle relève du défi. Il a été joué maintes et maintes fois, on l'a entendu si souvent. Mais Bertrand Chamayou nous entraîne immédiatement dans son sillage. Il faut un toucher aérien pour reproduire les envolées arachnéennes du premier mouvement, qui démarre pourtant sur un coup de fouet, mais aussi un sens acéré du rythme pour faire « swinguer » les clins d'œil au jazz cher à Ravel. Le pianiste réussit à faire sonner son piano entre fougue et langueur et le faire briller avec la  prestance imposée par une telle partition, comme le notait Prokoviev à propos de ce concerto. Dans la cadence et avec une rare élégance, Bertrand Chamayou ne se prive pas de balayer le clavier d'amples arpèges ponctués de trilles ; des trilles raffinés, véritables mélodies croisées par la main gauche avec de petites notes malicieuses et piquées comme des sauts de moineaux avant que ce premier mouvement noté Allegremente se termine majestueusement sur une gamme tonitruante. Pour l'adagio Assai, deuxième mouvement du concerto, le plus connu, le pianiste doit se glisser dans un habit familier qui sied au public, il exige la perfection. D'abord, la mélodie s'étire sur de longues et lentes mesures, c'est un pur hommage à Mozart  (à Haydn aussi). De la main droite, Bertrand Chamayou fait chanter avec délicatesse le thème de cette fausse valse mélancolique pendant que la main gauche marque le temps sans fioritures jusqu'à ce qu'un long trille, de ces trilles parfaitement maîtrisés où le pianiste excelle, introduise l'entrée de l'orchestre qui reprend le thème pianissimo comme une longue complainte, en même temps que le pianiste l'illustre avec un subtil équilibre entre orchestre et solo par des montées et des descentes de triples croches virtuoses..

 

Lorsqu'on questionnait Ravel sur cette longue phrase qui coule et semblait avoir été écrite d'un seul jet, le compositeur s'exclamait : « qui coule, qui coule !  mais ce mouvement je l'ai écrit deux mesures après deux mesures, j'ai failli en crever ! » Le dernier mouvement presto  porte bien son nom, il se joue comme une véritable course poursuite entre le piano et l'orchestre. S'y entrelacent des échos de rag-time, de Gershwin, des bruits mécaniques, des bribes de musique de corrida où Bertrand Chamayou réussit à dompter les glissandos des cuivres et parvient, grâce à ses accords puissamment plaqués, ses gammes et ses arpèges galopants, à magnifier la partie du piano en donnant à ce concerto tout le brillant et le faste qu'il exige pour être plus qu'une œuvre divertissante. Ravel avait raison de préciser, par opposition avec le Concerto pour la main gauche, que le Concerto en sol n'est pas qu'un concerto pour la main droite. Bertrand Chamayou nous l'a prouvé

 

Avant le deuxième concerto, petite incursion orchestrale chez Gabriel Fauré avec Masques et Bergamasques, une musique de scène sur un livret de René Fauchois. Beaucoup de charme dans la direction d'orchestre d'Andris Poga de cette polyphonie élégante ; et si Fauré se défendait d'être du côté des impressionnistes – « je n'aime pas le flou », disait-il -, l'image est omniprésente dans cette musique puisque l'œuvre fut inspirée par un décor de Watteau. Ravel reconnaissait avoir subi fortement l'influence de Saint-Saëns dans l'écriture de ses concertos. Bertrand Chamayou enchaîne justement Ravel avec le Cinquième Concerto de Saint-Saëns dit « l'Égyptien », une des dernières œuvres du compositeur. Le premier mouvement tout en contrastes, passe d'un thème très calme et chantant à des variations qui vont crescendo. Le pianiste y déploie progressivement toute son énergie avec une belle économie de gestes et une aisance naturelle sous laquelle se cache une vraie sensibilité! Si le premier mouvement n'est pas très égyptien, le second, Saint-Saëns l'aurait écrit à Louxor en entendant un chanteur nubien sur une felouque, un chant qu'il aurait noté sur sa manchette ; ce qui donne lieu à quelques mesures orientales et un thème pentatonique si caractéristique des mélodies du moyen Orient. Encore une fois après ce thème paisible, l'Orient devient virtuose et très figuratif avec des larges touches naturalistes, impressionnistes et impressionnantes où se coule sans effort Bertrand Chamayou avant que les images s'estompent au milieu des grillons et des grenouilles du Nil qu'évoquera Saint-Saëns. Dans le final aussi, le compositeur nous assène le bruit des hélices du navire, qui se traduisent en roulements où les arpèges du  piano se mêlent aux tutti de l'orchestre avant de se convertir en un second thème qui s'achève sur une belle chevauchée montante du piano où Bertrand Chamayou se complaît avec délices jusqu'aux deux accords de la fin. Quel dommage que, presque tout au long de ce concerto, la belle énergie du piano ait quelque peu été étouffée par la mainmise des quatre cors et des deux trombones dont les tutti ont couvert trop souvent la virtuosité et les nuances du piano. Mais quel plaisir d'entendre cette musique, un soir d'été, parmi les platanes centenaires de la Roque d'Anthéron, loin des bruits de la ville et de la fureur.

 

Jean-François Robin.

 

 

Les MUSICALES DE NORMANDIE : Un festival pas comme les autres

 


Antony Hermus©Marco Borgreeve

 

Pour sa onzième édition, Les Musicales de Normandie affichaient crânement les différences qui en font un festival pas comme les autres… Une manifestation musicale qui a choisi délibérément l'excellence artistique, à la fois dans le choix des programmes comme dans celui des interprètes de renommée internationale, ainsi que la mise en valeur du patrimoine normand, souvent exceptionnel  comme les abbayes romanes de Jumièges ou Saint Georges de Boscherville, pour n'en citer quelques unes…..Des spécificités qui en perpétuent tout le charme et l'intérêt. Pas moins de 25 concerts dans des lieux patrimoniaux les plus remarquables de Normandie, une programmation extrêmement variée, étalée sur les mois de juillet et d'août, se développant autour de trois axes, la musique vocale, le répertoire romantique français et les musiques du monde, dans un constant souci de s'ouvrir au plus large public, en collaboration cette année avec les Promenades Musicales en Pays d'Auge, préludant ainsi dans le domaine musical à la naissance de la grande région Normandie.

 

Le concert d'ouverture, dans l'église d'Ourville en Caux datant du XVIe siècle, convoquait Beethoven (Symphonie n° 1 & n° 2) et Saint-Saëns (Mélodies inédites) dans une curieuse succession voyant se succéder un mouvement symphonique exécuté par l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie sous la direction d'Antony Hermus et une mélodie du compositeur français chantée par le ténor Mathias Vidal… Bien qu'on sache qu'une telle organisation de concert était fréquente à l'époque romantique, on ne peut s'empêcher de penser qu'une telle fragmentation nuit à l'unité des deux œuvres et au ressenti de l'auditeur ! Le témoignage historique frise ici le non sens musicologique quand on connait l'importance de la liaison entre les différents mouvements, notamment dans la Deuxième symphonie. Ces deux symphonies de Beethoven marquent clairement la transition entre époque classique et époque romantique. Si l'on y ressent de façon patente l'influence de Haydn et de Mozart, elles portent indiscutablement les prémisses du souffle beethovénien qui se confirmera dans la Troisième symphonie (Symphonie héroïque). La première symphonie composée en 1799-1800, à l'âge de trente ans, marque la stabilisation de l'effectif orchestral (bois et cuivres) et surtout l'apparition du scherzo remplaçant le menuet mozartien. La Deuxième, composée en 1801-1802, frappe par sa gaieté, son énergie et son optimisme d'autant plus étonnants que le compositeur commence à ressentir les premiers signes de sa surdité invalidante. Au plan de l'interprétation, on notera la direction très engagée et très dynamique du chef néerlandais parfois au détriment des nuances manquant de subtilité ; une lecture de la partition assez convaincante toutefois avec un phrasé très cantabile, voire galant et une belle cohésion de l'orchestre avec une mention spéciale pour la flûte et le hautbois solo. Les « mélodies inédites » de Saint-Saëns (Désir d'amour, Plainte, Papillons, Enlèvement, Rêverie, L'attente) retrouvées grâce au remarquable travail du Palazzetto Bru Zane appartiennent à un corpus plus important de 19 mélodies et participent par le biais de l'élégante mélodie française au combat contre le « vacarme wagnérien », lutte qui agitera la musique française pendant le XIXe siècle par l'intermédiaire de la Société nationale de musique dont Saint-Saëns fut le directeur, en compagnie de Franck, Massenet ou Fauré. Mathias Vidal donna de ces mélodies une interprétation digne d'éloges par la qualité de sa diction, la clarté de son timbre et la sincérité de sa narration, remarquablement soutenu par l'Orchestre de l'Opéra de Rouen ayant à cœur de faire valoir toute la beauté et la richesse de l'orchestration.

 


Marie-Josèphe Jude ©Thierry Cohen

 

Le deuxième concert, quant à lui, se déroulait dans la très belle et très intime salle du Baillage à Cany-Barville. Un programme conçu de façon particulièrement intelligentesoulignant l'étroit syncrétisme entre musique et littérature au XIXe siècle, toutes deux réunies dans un même projet esthétique, ainsi que les relations ténues existant entre musique et mémoire. Quoi de plus pertinent alors, pour illustrer cette collaboration, que la Sonate de Vinteuil qui parcourt les différents tomes de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Il est désormais bien établi que cette  fameuse sonate fictive dont Swann entend le thème dans le salon des Verdurin est la Sonate pour violon et piano de César Franck dont Proust s'inspira pour en faire le support emblématique de la mémoire. Elle représente pour Proust un idéal esthétique qui libère les différentes formes de la mémoire. Dans le roman elle évoque, pour Charles Swann, son amour tumultueux  pour Odette de Crécy, elle constitue un lien avec le passé, prise de conscience d'une réalité oubliée. A l'inverse de sa relation amoureuse et bien après la rupture, elle exprime la stabilité de la mémoire, elle lui offre un asile et lui donne l'occasion de revivre  le passé oublié.

 

Pour Proust, la musique nous ouvre à un univers éternel, inaccessible à l'intelligence, échappant au temps, qui permet d'exprimer ce que  le langage ne peut exprimer. Les rapports entre mémoire, amnésie et musique remontent à la préhistoire de l'homme puisqu'avant d'accéder au langage, puis à l'écriture, l'homme a commencé par chanter, cette oralité  ne pouvant perdurer que grâce à la mémoire qui en assure la transmission. L'histoire personnelle, et son écho dans le souvenir, est l'une des bases de l'image que la psychanalyse freudienne se donne de la psyché. Une représentation dynamique du temps, distinguant le temps naturel de l'instant, celui du désir et le temps formel des horloges, celui de la durée,  permet de rendre compte d'un grand nombre de procédés  observés dans le domaine de la mémoire, sans oublier le destin, l'éternité, le temps hors du temps. Le temps de l'instant nous est aussi nécessaire que le temps formel, le premier est le temps du désir, à son acmé il est le temps hors du temps, le second est le temps de la mise en séquence, de la pondération des rapports de durée, du contrôle et de la critique de l'affect. Ces traces mnésiques, nées de l'affect, peuvent être réactivées par des expériences ultérieures, souvenirs conscients ou inconscients, mais également remises en place par le « moi » qui est une instance liée en grande partie à la conscience et qui vise à maintenir un état d'équilibre, tant il est vrai que notre passé influence la manière dont nous vivons notre présent. Cette petite phrase de la sonate de Vinteuil confirme que l'art est plus puissant que l'amour, fugace et à jamais perdu. Par la petite phrase de la Sonate de Vinteuil Proust explicite la pensée de Schopenhauer, exprimé dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation, selon laquelle la musique est un vecteur préférentiel nous permettant d'accéder au monde des Idées, faisant correspondre Volonté et Représentation dans une abstraction qui nous fait échapper au temps.

 

Pour ce concert centré autour de la Sonate de Vinteuil, Jean Michel Verneiges reprend de façon exhaustive dans les différents tomes de la Recherche, les autres sources d'inspiration proustiennes possibles comme la Sonate n° 1 de Saint-Saëns ou encore la Sonate n° 1 de Fauré. C'est à un parcours entre ces différentes sources, en résonance avec des passages judicieusement choisis de la Recherche que se construit ce concert magnifiquement interprété par Marie-Josèphe Jude au piano, François-Marie Drieux au violon et la captivante Karine Texier comme récitante. Une soirée magnifique dont on se souviendra, c'est le moins qu'on puisse faire ! Un très beau programme. A suivre (musicales.normandie@gmail.com).  

 

Patrice Imbaud.

 

 

D'enrichissantes expériences à CLASSIQUE AU VERT 

 

 


SR9 Trio / DR

 

Comme chaque année le Festival Classique au Vert offre tous les week-ends du mois d'août de belles surprises ! Samedi 13, c'était le Trio SR9, trois jeunes percussionnistes auréolés de prix, - Alexandre Esperet, Nicolas Cousin, Paul Changarnier - qui ont eu le culot de monter un trio de marimbas ! Le problème est qu'il n'existe pas de réelles compositions pour ce genre de formation. Qu'à cela ne tienne, ils ont fait des transcriptions intelligentes du répertoire classique. Entouré d'une végétation luxuriante et ensoleillée, on a pu entendre ces timbres si exceptionnels de cet impressionnant instrument qui se monte et se démonte comme des legos. Face à leurs trois marimbas, ils ont interprété à leur manière un extrait de la Suite anglaise BWV 811, la Sonate en trio BWV 525 et l'Ouverture Française BWV 8113a de JS. Bach, trois Romances sans parole op. 67 de Mendelssohn, et Scherzo, Tango, Valse des Fleurs, Ragtime de Stravinsky. Le Trio SR9 a fait entendre des sonorités étonnantes, tantôt suaves, tantôt abruptes, inconnues, des couleurs inédites et envoûtantes. Dans le parc deVincennes, cette musique, pourtant européenne, nous transportait ailleurs dans les Amériques du sud, l'Afrique, où cet instrument est né ! Était-ce du Bach, du Mendelssohn ? La Valse, le Ragtime, était-ce du Stravinsky ? Ces compositeurs se sont inspirés d'autres compositeurs, d'autres musiques en leur temps pour créer la leur. Le Trio SR9 n'a-t-il pas conçu sa propre musique en s'inspirant eux-aussi de ces compositions ? Le bis d'ailleurs nous a ramené vers le jazz, la musique de la transposition, de l'improvisation par excellence, comme était celle du baroque en son temps ! Le trio a interprété à sa manière une musique dont s'est inspiré Gershwin pour écrire Porgy And Bess. « I Got Plenty O' Nuttin' ».  « Je n'ai plein de rien » dit cet extrait; Alexandre, Nicolas, Paul, eux, sont pleins de tout. Ils sont jeunes, courageux, magnifiques, ont du talent à revendre. Vivement que des compositeurs leur écrivent des œuvres à part entière. Ils ont enregistré un disque d'après Bach, riche en inventions, chez Naïve. Pour mieux les connaître : sr9trio.com.

 

https://www.youtube.com/watch?v=Io2752yA0Ko

 


DR

 

Le lendemain, une autre surprise nous attendait : un orchestre d'amateurs, réunion de plusieurs instrumentistes d'orchestres amateurs sous la baguette du jeune et talentueux chef d'orchestre Marc Hajjar. Au programme : La Simple Symphony de Benjamin Britten, la Première symphonie de Sergei Prokofiev et la Première suite du Tricorne de Manuel de Falla. La Simple Symphony a été composée à partir de bribes de thèmes qu'avait écrits Britten ; elle fut jouée la première fois par un orchestre d'amateurs, belle coïncidence ! De nombreux extraits de cette symphonie ont été utilisés pour des génériques de télévision, pour la musique du film « Mauvais Sang » de Léos Carax et le fameux mouvement pizzicato pour le film « Moonrise Kingdom » de Wes Anderson.  L'interprétation était de bonne tenue. La Symphonie n°1 de Prokofiev, osons le dire, est mal foutue, on la nomme classique par sa structure, on est plus proche de Haydn ou même par moment de Beethoven. On n'est pas loin d'une pochade mais le second degré est si éloigné qu'on a plutôt l'impression d'une œuvre ratée! Alors comment interpréter cette partition ? On sentait l'orchestre pas très à son aise ; quand on ne part pas sur le bon pied, il est compliqué de se rattraper. Avec  Le Tricorne, l'orchestre était plus dans ses cordes et Marc Hajjar a su le faire sonner juste. Le public en redemandait ! C'est une belle aventure de mélanger ainsi, et pour un jour, des gens qui n'ont pas l'habitude de jouer ensemble mais qui aiment la musique. C'est bien le sens du mot ''amateur''. Dommage qu'en Province il n'y ait pratiquement pas de ce genre d'orchestre. Mais les problèmes de la culture en France et de la musique en particulier, ne sont plus à l'ordre du jour de nos politiques !

 

Stéphane Loison.

 

 

 Une Schubertiade au FESTIVAL DE LA VÉZÈRE

 


Amaury Viduvier, Denis Pascal & Camille Poul / DR

 

Un peu avant Brive, vous quittez l'autoroute, vous traversez Alassac, vous continuez la route sur quelques kilomètres, vous traversez un joli pont ancien qui enjambe la Vézère et vous arrivez au Saillant. Là dans les anciens communs de ce charmant château a été aménagée une salle de concert : c'est l'un des sanctuaires du Festival de la Vézère qui chaque été, irradie de musique cette Corrèze profonde. La salle est comble de spectateurs locaux et de vacanciers, venus écouter une Schubertiade en cette fin de mois d'août. Le lieu se prête bien à ce genre de réunion, telle que les voulait Schubert, on se sent plus entre amis qu'au spectacle. Et la musique que nous sommes venus entendre, celle de Schubert évidemment, a le pouvoir étonnant de faire planer sur l'auditoire comme une espèce de fraternité, un mystère qui ne se résoudra que dans le plaisir absolu d'avoir écouté quelques œuvres inoubliables.

 

Si l'Arpeggione, cet  instrument entre violoncelle et  guitare a disparu, car très difficile à jouer, la Sonate Arpeggione est restée un classique de Schubert. Un classique de l'émotion devrait-on ajouter tellement les attaques, les reprises de thème et les variations sont d'une pureté et d'une subtilité qui pénètrent le cœur et l'âme. Autant dire que les interprètes doivent plus vivre cette musique qu'en restituer simplement la partition. Le duo Denis Pascal – Marie-Paule Milone prend du plaisir à jouer, l'émotion est immédiate, elle dure jusqu'à la fin et rien ne la gâche, pas même ce papier de bonbon qu'une spectatrice s'obstine à déplier. Malgré son titre bucolique, « Le Pâtre sur le rocher » est une pièce de salon qui trouve parfaitement sa place dans cette Schubertiade. Lied pour soprano, clarinette et piano, il fut commandé à Schubert par une amie cantatrice pour exprimer un large éventail de sentiments. Voilà qui convient exactement à Camille Poul, une jeune soprano qui nous révèle avec quatre Lieder, une voix splendide et une belle élégance, puissante au timbre chaleureux et varié qu'on aura certainement l'occasion de réentendre dans des grandes œuvres et de grands rôles, de Mozart à Poulenc. Avec Le Lied « Le Pâtre  sur le rocher », entre la clarinette et la voix un jeu virtuose s'établit avec une rare délicatesse et la clarinette double le chant quand elle ne le précède pas. Les pianissimos et la belle sonorité d'Amaury Viduvier sont à l'image des petits vertiges de l'escalade du berger dans les rochers, des aigus parfaits de la voix de Camille Poul aux graves de la clarinette. Beaux sursauts d'un vrai romantisme. 

 

Dans le Troisième Impromptu, on ne reprochera pas à Denis Pascal cette tendance à l'épanchement romantique si fréquent dans cette œuvre. Il la joue simplement, fidèlement et les incursions de ses graves parmi les arpèges sont riches et font de cette pièce l'invitation à la rêverie telle que la voulait Schubert. Avec le Notturno pour violon, violoncelle et piano et le Trio en mi bémol majeur Schubert atteint les sommets de sa musique de chambre. D'ailleurs les cinéastes, de Stanley Kubrik à Michael  Haneke ne se sont pas privés de puiser dans ces morceaux pour illustrer leurs films. Le violon d'Alexandre Pascal vient planer sur le trio, l'ensemble est homogène, l'alternance entre le mineur sombre, le majeur rayonnant et l'éternelle relance entre les instruments fait chanter la poésie avant de mourir dans un souffle proche de la détresse. Il s'agit des dernières œuvres de Schubert déjà très malade. A propos de cette soirée, parlons de convivialité : le lieu est beau, il fait parfaitement sonner la musique. Il faut espérer qu'un festival comme celui-ci, au programme mêlant concerts et opéras, ait les moyens de perdurer longtemps encore. La musique a besoin de s'ancrer partout dans la terre de France. 

 

Jean-François Robin.

                          

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LE FESTIVAL DE VERBIER : EXCELLENCE ET PEDAGOGIE AU SOMMET

 

Haut

 

 


DR

 

Dans les montagnes valaisannes, à quelques 1500 mètres, se niche un festival qui cultive décidément sa différence : le Verbier Festival se permet d'afficher les plus grands noms de la galaxie classique - de Yuja Wang à Gregory Sokolov, de Leonidas Kavakos à Gautier Capuçon, des Ebène à Michael Tilson Thomas, de Bryn Terfel à Nina Stemme, ...- et de réunir trois orchestres de jeunes. Pour conjuguer d'une part, l'excellence, et d'autre part, une expérience pédagogique unique. A moins que celle-ci ne conduise naturellement à celle-là. Il règne dans la station une atmosphère de travail, non pas fébrile, mais décontractée : la petite station au pied de sommets impressionnants et encore enneigés bruisse telle une ruche. Verbier, c'est d'abord une Academy. Dès le début, il y a 23 ans, l'idée a été de faire du festival un lieu d'échange entre grands maîtres et jeunes talents. D'où la création d'une académie pour violonistes, altistes, cellistes, pianistes mais aussi chambristes et chanteurs d'opéra, formés par leur ainés, solistes de renom. La '' génération Verbier '' était née et des personnalités telles Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou, Yuja Wang ou le Quatuor Ebène en sont quelques fleurons. Les professeurs ont pour nom cette année, entre autres, Tabea Zimmermann, Pamela Frank ou András Schiff. Le dialogue des générations est au cœur de la démarche en vue de partager une passion commune. Verbier c'est aussi, et naturellement dans le droit fil de cette démarche pédagogique, trois orchestres de jeunes qui en quelque sorte procèdent les uns des autres : le Junior Orchestra, Le Verbier Festival Orchestra et le Verbier Festival Chamber Orchestra. Au centre de la constellation, le Verbier Festival Orchestra (une centaine d'instrumentistes âgés de 18 à 29 ans, issus des meilleurs conservatoires, formés par leurs ainés, notamment des musiciens du MET Opéra de New York) et qui a pour directeur musical Charles Dutoit ; lequel secrète le Chamber Orchestra, formation marquant une sorte d'aboutissement du processus. En amont, le Junior Festival Orchestra, sous la houlette de Daniel Harding, recrute des musiciens entre 15 et 18 ans. Ces jeunes pousses (57 cette année de 18 nationalités dont 2 Français) reçoivent une formation professionnelle leur permettant d'aborder un répertoire exigeant, souvent pour la première fois. La recherche d'un modèle d'excellence dans le domaine de l'éducation musicale, voilà la spécificité le Verbier ! Un creuset où l'on cherche même à dépasser la seule qualité musicale pour préparer à la carrière : repérer, former et lancer les professionnels de demain, la boucle est bouclée!

 


Masterclasse de violoncelle par Gautier Capuçon ©Nicolas Brodard

 

Côté spectateur, c'est chaque jour toute une journée en musique qui lui est offerte, de 9H à 23H, rythmée au son des concerts bien sûr, à 11H et à 14 H à l'Église, puis à 19H et 20H, respectivement à la grande salle des Combins et à l'Église ; mais aussi des masterclasses publiques, des rencontres avec des artistes, des répétitions publiques et des conférences introductives. Une petite brochure quotidienne en énumère les diverses étapes ainsi qu'un journal hebdomadaire les évènements saillants. Car on sait, à Verbier, assurer une bonne et efficace communication.

      

 

Musique de chambre sur les cimes

 


Daniel Hope et Torleif Thedéen ©Nicolas Brodard

 

L'intimisme du concert chambriste est à Verbier plus qu'une évidence. Dans le cadre feutré de l'église, moderne, qu'on atteint après une petite marche, car elle est située tout en haut de la station. Chaque matin, grâce à la formule dite à géométrie variable, l'émotion artistique est au rendez vous. Ainsi du concert « Rencontres inédites II » réunissant Daniel Hope, Torleif Thedéen, Marc-André Hamelin et le Quatuor Ebène. Pour jouer Mendelssohn et Chausson. Le Trio pour piano et cordes N°1 op. 49 date de 1839 et offre une partie de piano très élaborée, surtout dans sa seconde rédaction, suggérée par le compositeur Ferdinand Hiller. C'est assurément un des joyaux de cette littérature qui faisait flores à l'époque avec les trios de Beethoven, Schubert, Hummel ou Moscheles, sans parler de ceux de Chopin, d'Alkan, de Clara et de Robert Schumann. Il s'ouvre par un molto allegro agitato que les présents interprètes prennent à bras le corps, le pianiste Hamelin en particulier dont la vision est d'une fièvre emportée après l'introduction cantabile du cello. C'est celui-ci qui initie le second thème. La belle mélodie de l'andante « con moto tranquillo » contraste, chantée comme un Lied, d'abord au piano, reprise par les cordes en de savantes arabesques. Au scherzo, marqué « leggiero vivace », s'exprime la féérie si typique de Mendelssohn, les cordes prenant le dessus alors que l'un des thèmes n'est pas sans évoquer la fameuse pièce de piano titrée « La fileuse ». C'est légèrement fantasque et bien sûr nocturne. Le piano reprend ses droits au finale « allegro assai appassionnato » qui mêlera trois thèmes. Hamelin dont la main n'est pas toujours des plus légères, en dessine les contours brillants, les cordes assumant un fin cantabile, jusqu'à la coda brillantissmime. Une version engagée et d'un enthousiasme communicatif.

 


©Nicolas Brodard

 

Celui-ci sera encore plus porté à blanc par l'interprétation du Concert pour piano, violon, et quatuor à cordes en Ré majeur op. 21 d'Ernest Chausson. On sait que le musicien a peu composé, fauché dans sa 44 ème année par un accident de bicyclette. De ses 34 numéros, une seule symphonie, un seul opéra (Arthus), et des pièces hors normes comme le Poème pour violon et orchestre, ou le Poème de l'amour et de la mer, et surtout ce Concert op. 21. Écrit entre 1889 et 1891, dédié à Eugène Ysaÿe, qui le créera en 1892 à Bruxelles, fleurant bon le mélodisme de la musique française, même si quelques relents wagnériens s'y font jour çà et là. Ce que tempère Pierre Colombet, le 1er violon du Quatuor Ebène, qui ne manque pas de rappeler le mot de Chausson « Il faut se déwagnériser ». Six instruments pour ce « Concert », ce qui le distingue aussi bien du sextuor, car ceux-ci ne sont pas placés sur un pied d'égalité, que du concerto, même si le violon occupe une place de choix, de leader à certains endroits. Comme le souligne Jean Gallois dans sa monographie sur le compositeur (Fayard), il faut rattacher l'ouvrage « à la tradition de la ''conversation en musique'', du ''concert'' tel que pratiqué au XVIII ème siècle ». Voilà une œuvre à la fois généreuse et ascétique : généreuse par le flot mélodique continu qui submerge l'auditeur au fil des quatre mouvements, ascétique par la science du dessin raffiné qui ne laisse place à aucune redite. La grande liberté du propos laisse une impression de bonheur. L'interprétation le démontre à l'envi : dès l'attaca du piano du premier volet « Décidé », repris par les deux cordes graves, on perçoit le sens de l'évènement qui sera tour à tour passionné et détendu. Le violon de Hope dessine le thème qui reviendra en boucle au fur et à mesure des trois autres mouvements. La « Sicilienne » apporte charme, fraicheur et transparence après ces pages lourdes de sens, balancement exquis, d'une courbe élégante. Le « Grave », centre névralgique du morceau, débuté par un duo violon-piano extrêmement expressif, relayé par le quatuor à cordes, déploie le tragique d'une plainte d'une rare sombritude, que traversent des pages plus élégiaques. Colombet soulignera combien leur interprétation veut donner au quatuor à cordes sa place réelle, au-delà d'un pur accompagnement des deux parties plus solistes, de violon et de piano. A juste raison. Et cela se perçoit dans l'interaction entre les diverses composantes, dans le retenu des pages lyriques ou à travers les vagues irrésistibles dont Chausson habite sa composition. Vision intense, où la complicité entre les participants est palpable : le plaisir de faire de la musique entre amis est on ne peut plus tangible, d'une belle éloquence, d'une luminosité toute gallique, due sans doute à la patte de nos quatre jeunes français communiquant à leurs deux collègues un élan et une limpidité essentielles ici. Une version de référence assurément, qui leur vaudra une ovation sans fin et leur fera bisser la Sicilienne.  

 


Gautier Capuçon & Daniil Trifonov ©Nicoals Brodard

 

Le lendemain, l'Église remplie à ras bord, accueillait une trilogie improbable puisque réunissant Leonidas Kavakos, Gautier Capuçon et Daniil Trifonov. Combien de scènes peuvent-elles s'offrir un tel luxe de stars ! Et pourtant, le mot paraît presque déplacé devant la simplicité dont font preuve nos trois artistes. Encore un concert maniant le principe de géométrie variable, si délicat à assurer en d'autres circonstances. Il débutait par les Fantasiestücke op. 73 de Schumann, dans la version pour violoncelle et piano. Car l'œuvre, écrite en 1849, était originellement conçue pour clarinette et piano. Ces « morceaux de fantaisie », un terme utilisé à plusieurs reprises par Schumann, même dans sa production pianistique, prennent ici un tour particulier : ces trois courtes pièces, apparemment distinctes, forment un tout et offrent un caractère d'improvisation de par leurs constants changements d'humeur. La première « Zart und mit Ausdruck » (tendre et avec expression) se coule telle une rêverie, avec mélancolie ; la deuxième, « Lebhaft, leicht » (vif et léger ) se vit comme un intermezzo, petit scherzo plein d'énergie, presque ludique ; enfin la dernière «  Rasch und mit Feuer » (rapide et avec feu), pousse à la frénésie jusqu'à la fin marquée ''de plus en plus vite'', conduisant les deux interprètes à se dépasser. Ce que Trifonov et Capuçon mènent haut la main, dans un engagement certain : le premier magistral au clavier, le second de sa chaude sonorité. Suivait la Sonate pour violoncelle et piano op. 19 de Serge  Rachmaninov. Composée en 1901, juste après le Deuxième Concerto pour piano, et donc au sortir de la longue période dépressive qui suivit l'échec de la Première Symphonie, l'œuvre appartient au corpus étroit de musique de chambre de son auteur, hélas peu joué aujourd'hui. Elle est pourtant profondément originale, magistralement écrite pour les deux partenaires, même si le piano se voit souvent réserver la part du lion : Rachmaninov était en effet un fameux pianiste. Mais au fil de ses quatre mouvements, c'est tout l'univers émotionnel du musicien qui est révélé avec ses contradictions et ses luttes. Ainsi du premier qui débuté lento, construit un allegro moderato en arche ; un parcours somptueux qui révèle un violoncelle tendu et un piano tourmenté mais aussi des pages plus calmes, comme des éclaircies obtenues au prix d'un dialogue serré entre les deux voix. Capuçon et Trifonov rivalisent de virtuosité transcendée d'un chant profond. L'allegro scherzando est un scherzo agité, lutte acharnée entre tragique et lyrique, d'une force de vie inouïe sous les doigts de deux interprètes qui réservent au trio médian des traits fantasques à couper le souffle. Ils vont nous faire atteindre le Nirvana dans le long andante : rarement a-t-on rencontré une telle douceur dans l'expression chez le compositeur, une telle tristesse sublimée par le chant du cello et la partie pianistique qui se fait non pas discrète mais complémentaire. Le finale sera on ne peut plus énergique, voire trépidant, mais la lutte entre les deux protagonistes laisse au cello le dernier mot dans une douce péroraison élégiaque ; avant que les deux voix ne concluent avec brio. Du vrai bonheur.

 


Leonidas Kavakos, Daniil Trifonov, Gautier Capuçon ©Nicolas Brodard

 

Le concert se terminait par le Trio pour piano et cordes op.15 de Bedřich Smetana. Là encore une pièce rare (1855), que Kavakos, Capuçon et Trifonov vont porter à l'incandescence. Relatant un épisode autobiographique tragique - la disparition de sa fille aînée Bedriska – la pièce est sombre quoique traversée d'une opposition obscurité-lumière intéressante. Le moderato assai initial est intense, d'une tension presque insoutenable, miroir de désespoir, telle la phrase du cello qui l'ouvre. On note d'étonnants solos de piano puis de violon, un développement serré et une coda tragique. L'interprétation des trois mousquetaires vise plus un classicisme intemporel qu'une slavité marquée. L'allegro ''ma non agitato'' trace un scherzo déclamatoire presque schumannien par endroits, entrecoupé de deux trios, l'un sombre, l'autre lumineux. Quant au finale presto, il sera bouillonnant d'énergie, sorte de danse effrénée, tel un furiant, cette fois bien slave. Gautier Capuçon nimbe la grande montée lyrique de sa sonorité royale. La rythmique se fera implacable. Mais on perçoit combien Smetana s'est souvenu du Lied Erlkönig (Le roi de aulnes) de Schubert et de ses terribles paroles du père envers son enfant. De la belle ouvrage, saluée par une standing ovation.  

         


Daniel Lozakovich ©Nicolas Brodard

 

Autre matinée, celle donnée par le jeune prodige Daniel Lozakovich. Ce violoniste de 15 ans tout juste, qui fut présenté à Paris lors de la conférence de presse de lancement du Verbier Festival 2016 à l'Ambassade de Suisse, en juin dernier (cf. NL de 6/2016), est assurément un cas. Natif de Stockholm, il est lauréat à 11 ans de plusieurs concours, dont le Solna de Stockholm, et reçoit les trois prix « Classiques Viennois » en 2014. Il s'était produit à l'âge de 9 ans avec les Virtuoses de Moscou sous la direction de Vladimir Spivakov et a déjà à son actif des prestations concertantes avec les orchestres de La Scala, de Lyon ou de la Suisse Romande. Après être passé comme beaucoup de ses confrères par L'Academy, les deux années précédentes, il donnait son premier récital solo et avec piano. Pour ouvrir le bal, la Partita pour violon seul N° 2 en ré mineur BWV 1004 de JS. Bach ; autrement dit un chalenge. Au fil des quatre premières danses, le garçon fait montre d'une autorité étonnante quant au dosage de la sonorité, au phrasé et à la tenue de la ligne mélodique. L'Allemande et la Sarabande montrent une profondeur remarquable, tandis que la Courante et la Gigue, loin d'être mécaniques, déploient une réelle fluidité. Partout le clarté du trait est mise en valeur par une approche sans fard, naturelle et hautement pensée. Quant à la Chaconne elle sera tout aussi magistrale, livrant dans son ampleur une maturité incroyable chez un si jeune interprète. Avec le pianiste Franck Dupree (*1991), également boursier de la Verbier Academy, il jouera la Sonate K. 301 de Mozart puis la troisième sonate de Brahms. La sonate K. 301 en sol majeur, de 1778, que comme ses trois œuvres sœurs, les sonates K. 302, 303 et 305, Mozart appelle « duetto pour piano et violon », est en deux mouvements. On admire chez Lozakovich et Dupree le beau classicisme du dessin associant à l'allegro con spirito la mélodie du violon et la rythmique du piano, légers comme l'air, et à l'allegro qui suit, un rondeau dansant et joyeux, le jeu racé dont émerge au violon une sicilienne. La Sonate N° 3 pour violon et piano op. 108 de Brahms (1888) les trouve tout autant magistraux. L'inspiration mélodique de cette ultime sonate pour la formation, Lozakovich la fait sienne avec une autorité qui défie là encore les préjugés. Qui s'empare de la liberté de propos brahmsien avec aplomb : un allegro breve expressif mené dans ses divers sujets avec une rare maestria ; un adagio rendant compte de la généreuse inspiration du vieux musicien, au violon en particulier si chantant ; un scherzo « un poco presto e con sentimento », capricieux et fantasque ; un finale « presto agitato » passionné à partir du premier thème exposé par le violon. La musicalité et le souffle du jeune violoniste font merveille, magistralement soutenus par le pianiste. En bis, ils donneront deux pièces d'Edward Elgar, tour à tour lyrique et virtuose. Un nom à retenir. Qui vient au demeurant de rejoindre l'écurie Deutsche Grammophon, en faisant la plus jeune signature de la firme (Anne Sophie Mutter avait déjà seize ans lors de son premier contrat!).        

 

 

L'expérience fascinante d'un récital de Grigory Sokolov

 


Grigory Sokolov ©Nicolas Brodard

 

« Verbier n'agirait-il pas comme un irrésistible aimant auprès des plus grands musiciens internationaux » s'interroge le chroniqueur du journal ''Le Festival au quotidien'' ? De fait - et le carnet d'adresse de son directeur général Martin T:son Engstroem n'y est pas pour rien – on peut s'enorgueillir ici de faire venir les big stars. Grigory Sokolov, une icône du piano aujourd'hui, est de cette eau-là. Alors que se produisant dans les plus vastes auditorium, dont on s'arrache les places en un tournemain, il joue à Verbier dans la modeste Église, devant quelques 600  auditeurs  dont plusieurs collègues. Avantage en termes de proximité, d'intimisme, léger inconvénient côté acoustique car la vaste palette - pour dire le moins – du russe se trouve parfois à l'étroit dans pareil vaisseau. Schumann et Chopin se partageaient le récital. De Schumman, l'Ararbesque op.18 et la Phantasie op.17, donnés sans interruption. L'Arabesque en do majeur (1838) est un  rondo en deux parties ouvert par un refrain, l'une légère et tendre, l'autre plus calme dans un rythme de marche, qui se conclut dans une péroraison d'une belle poétique. Sokolov en restitue le fantasque. Autrement plus spectaculaire, la Fantaisie sonate op. 17, qui d'abord conçue en un seul mouvement - l'actuel premier volet - en 1836, se voit adjoindre deux autres (1838) pour connaître la forme définitive que nous lui connaissons. Œuvre titanesque, dédiée à Liszt qui impressionné, répondra plus tard par sa propre Sonate en si mineur, conçue pour Clara Wieck, la bien-aimée, et imaginée comme un tribut pour l'érection à Bonn du futur monument à Beethoven. Pareilles intentions ne pouvaient conduire qu'à un travail hors norme. Dont toute exécution doit se ressentir. Il y a quelque chose de prométhéen dans l'interprétation de Grigory Sokolov qui selon son habitude scrute le tréfonds, décortique chaque phrase, interroge chaque intention, voire met à plat la pensée du maitre pour en représenter une vison renouvelée. La manière transcende toute virtuosité pour atteindre quelque stade supérieur de l'idée : des contrastes dynamiques extrêmes, allant de forte assourdissants, mais jamais bruyants, révélant toute la résonance harmonique de l'instrument dans le grave comme dans l'aigu percussif, aux pianissimos non pas évanescents, mais translucides. Ainsi du premier mouvement « Durchhaus phantastisch und leidenschaftlich vorzutragen » (A jouer d'un bout à l'autre d'une manière fantastique et passionnée) : Sokolov l'attaque par un vibrionnant accord. Les tourbillons de la main gauche vous empoignent et une extrême tension s'installe, les phrases sonnant comme des cris de passion. L'entrelacs des thèmes principaux et secondaires, si décalés par Schumann, hors des canons classiques, comme les transitions si éphémères sont analysées pas à pas. La remarque de Brigitte François-Sappey (« Schumann », Fayard) parlant de « déconstruction d'allegro de sonate et de reconstruction de fantaisie » prend ici tout son sens. Et puis, éclair de bonheur dans un océan de véhémence, survient le passage médian « Im Legendenton » (Dans le ton d'une légende) apportant un bienfaisant répit, d'une musique sans âge, grâce à des traits d'une infinie douceur et un toucher qui effleure, caresse  le clavier. Le  volet suivant «  Mässig, durchhaus energisch » (Modéré, avec une constante énergie), prolonge guère ce répit. Car ce qui s'apparente à un intermezzo, sonne de nouveau quasi orchestral dans son rythme de marche où l'on perçoit une allusion au Fidelio de Beethoven, traversé d'un trio plus élégiaque aux allures fantastiques, et terminé par une triomphale coda d'une virtuosité proprement inouïe. Le dernier mouvement « Langsam getragen, durchweg leise zu halten » (Lent et soutenu, dans une sonorité constamment douce) apporte ce bonheur si longtemps entrevu : musique nocturne d'une fluidité digne de Schubert s'épanchant tel un Lied que le toucher ineffable de Sokolov ennoblit. On reste subjugué devant pareil pianisme, alliant dépouillement et total investissement de l'instrument.

 


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Chopin, en seconde partie, réserve d'autres félicités. Là encore deux courtes pièces, les Nocturnes op. 32, préludent sans interruption la Sonate N° 2. Les Deux Nocturnes op. 32, qui ne passent pas pour les plus adulés de la série, réservent pourtant un intéressant binôme : calme romance pour le premier, mode plus dramatique dans le second. Sokolov leur accorde justement leur caractère d'improvisation et de suggestion du chant. L'ondulation de la basse laisse à la mélodie sa vertu introspective. Avec la Sonate N°2 en si bémol mineur op.35 (Nohant, 1839), changement de braquet : Sokolov en empoigne à bras le corps la trame dramatique et va scruter, disséquer, construire un cheminement très personnel de ce que Schumann se refusait à considérer comme un tout ; pourtant un récit émotionnel cohérent en trois volets suivi d'un bref épilogue. Le premier mouvement, passé sa séquence initiale « Grave », s'avance fiévreux, lutte tragique, vraiment « agitato », tel un halètement sonore dont l'interprète souligne tel accord ou détache tel trait de contrepoint. La virtuosité du scherzo est là aussi transcendée en une vision d'une puissante vitalité, mais le trio se défend de toute affectation, de volonté de ''phraser'', pour au contraire faire sourdre une clarté nocturne par un jeu presque secret que n'empêchent pas certaines stridences d'accords. La « Marche funèbre » est prise très lentement, lamento endeuillé, glas irrémédiable, auquel fait suite un passage médian consolateur. La force de cet épisode est prodigieuse. Quant au finale presto, incroyable unisson des deux mains, Sokolov en déroule le ruban apparemment imperturbable frôlant l'atonalisme, halluciné, à une folle allure formidablement maitrisée jusqu'à l'accord final asséné comme un coup de poing. On ne sort pas indemne d'une telle interprétation, là encore si hautement pensée, parfois inconfortable, où l'on se prend à découvrir des traits insoupçonnés. Suit un cortège de bis comme aime à en distiller le maitre russe : cinq des six Moments musicaux D 780 de Schubert, alliant poésie diaphane et beauté sonore à couper le souffle, et une Mazurka de Chopin d'une délicate mélancolie. Du très grand piano ! Assurément la patte d'un génie de l'instrument !     

 

 

Yuja Wang, hyper virtuose

 


Yuja Wang ©Nicolas Brodard

 

Autre pianiste très en vue, autre manière : le récital de Yuja Wang, cette fois à la salle des Combins, avait attiré une foule nombreuse. Son programme reprenait quasi à l'identique celui donné à la Philharmonie de Paris en juin dernier, Schumann et Beethoven ; un morceau de Ravel substituant les Ballades de Brahms. Si le concert parisien avait convaincu, l'impression est différente ici. Bien sûr, la virtuosité époustouflante est là, la formidable maitrise digitale, le toucher de force comme de douceur. Mais le cœur pour autant ? Problème de concentration ou plus prosaïquement d'acoustique d'un auditorium très vaste dont la disposition fait que les spectateurs sont éloignés du podium, ce qui ne favorise pas l'intimité propice au partage, la complicité indispensable à une exécution soliste, si exigeante en termes de communion entre celui-ci et le public. On avait le sentiment que le son se perdait quelque peu et surtout que le déclic de l'échange ne se produisait pas toujours. La réaction publique peu enthousiaste à l'issue de la première œuvre le montrait. C'étaient donc les Kreisleriana op. 16 de Schumann, autre grande fantaisie conçue en 1838 par le jeune maitre ; une série de huit pièces que caractérise une alternance vif-lent, sauf les deux dernières, sur le mode rapide. Cet emboitement, Yuja Wang le maitrise bien sûr de sa technique rutilante que porte un ambitus extrêmement large - quoique bien différent de celui d'un Sokolov la veille. Les sections vives nous immergent dans un univers effrayant, les passages lents dans un fantastique pareillement étonnant. Reste qu'à certains moments, l'impact se fait mesuré en termes de choc émotionnel. Ainsi le « Sehr innig und nicht zu rasch » (n°2 : Très intime et pas trop vite) est-il presque désincarné, et le quatrième morceau, « Sehr langsam » (très lent) plutôt distancié. Froideur soudaine de l'émotion artistique - ce qui parait peu vraisemblable chez une artiste engagée, qui au surplus n'en est pas à sa première apparition à Verbier - ou, encore une fois, difficile appréhension des caractéristiques de la salle de concert ? Il n'en demeure pas moins que la manière souveraine force l'admiration, l'art de creuser le fossé dynamique, de bâtir des crescendos d'une force incoercible, de créer et maintenir la pression. Elle donne ensuite, après une courte pause, « Scarbo », troisième volet de Gaspard de la nuit, une pièce hantée de fantastique. Car Ravel s'inscrit ici dans l'univers démoniaque des poèmes d'Aloysius Bertrand, pas si éloigné finalement de celui des poèmes de ETA. Hoffmann, à l'origine de l'œuvre précédente de Schumann - les « Fantaisies dans la manière de Callot », dont se sont inspirés les deux écrivains. Le choix est fort judicieux. Là encore, on est séduit pas la virtuosité de la pianiste chinoise qui entraine l'auditeur dans une frénésie rythmique qui aurait ravi l'auteur.

 


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La Sonate op. 106 « Hammerklavier » de Beethoven apporte pareille sensation d'impérieux dynamisme. Une sonate qui en fait éclater les cadres, les dépassent, nantie d'une « abondance symphonique », dira Romain Rolland. Là encore un challenge, qu'on dit réservé aux interprètes chevronnés. Mais ''la valeur n'attend pas …'', semble répondre Yuja Wang qui s'empare de cette composition avec une vigueur peu ordinaire, contrastant avec sa frêle apparence. L'allegro initial est phénoménal par l'explosion fortissimo qui l'ouvre et l'élan qu'imprime l'interprète au sein de son morcellement thématique dans le colossal développement. Sans parler du travail sur l'harmonie. Le scherzo impose une nervosité rythmique se déjouant de l'instabilité de l'écriture, qui sait aussi se métamorphoser en atmosphère spectrale. Le trio sera étrange, fantomatique, et la coda libèrera un presto plus déterminé encore, tel un cauchemar. Vient alors l'adagio sostenuto, « puissante méditation passionnée » (ibid.) que Wang distille entièrement mezza voce, mains collées au clavier ; ce qui peut, là encore dans pareil environnement, révéler moins de poids que dans l'exécution parisienne, d'une plus grande gravité habitée. Du finale, la pianiste maitrise les climats antagoniques successifs : une section largo mystérieuse jouée comme improvisée ; un allegro risoluto hallucinant dans son labyrinthe rythmique débouchant sur une fugue proprement irrésistible dans ses forte impérieux. Là où Beethoven conduit l'auditeur à la limite du dissonant. Deux bis, en complète rupture stylistique, concluent le récital : la paraphrase de la Marche turque de Mozart, truffée d'insertions jazzy, et celle de Carmen dans l'arrangement de Vladimir Horowitz, majoritairement inspirée des thèmes du début du 2 ème acte, d'une ébouriffante digitalité, qui ne fait pas démentir le surnom de « Flying fingers » (Les doigts volants) que donnent à Yuja Wang la presse et le public anglo saxon. Mais le temps semble pressé car un autre événement doit s'enchainer : l'anniversaire des 10 ans de la plateforme de streaming Medici.tv. Dommage car on eût aimé savourer, comme à Paris, d'autres propositions de la pianiste.

 

On la retrouvera, entre autres invités surprise du concert anniversaire, un peu plus tard, jouant, aux côtés de Gautier Capuçon, la courte Sonate pour cello et piano, de son collègue Evgueni Kissin, compositeur à ses heures. Passés des discours de remerciements obligés, mais un peu empruntés, ledit concert pot pourri permettait d'entendre divers morceaux intéressants : une improvisation sur une musique Klezmer par le clarinettiste suédois Martin Fröst et des membres du VFCO, le finale endiablé du Trio de Smetana par Kavakos, Trifonov et Capuçon, deux airs gallois par Bryn Terfel, accompagnés à la harpe, et enfin deux libres adaptations de leur cru par les Ebène de musique sud américaine et d'un air des Beatles...

 

 

Le Falstaff hors norme de Bryn Terfel

 

Giuseppe VERDI : Falstaff. Comédie lyrique en trois actes. Livret : Arrigo Boito d'après The merry Wives of Windsor et Henri IV de William Shakespeare. Bryn Terfel, Lucas Salsi, Erika Grimaldi, Yvonne Naef, Roxana Constantinescu, Ying Fang, Atalia Ayan, David Shipley, Carlo Bosi, Luca Casalin. Oberwalliser Vokalensemble. Verbier Festival Orchestra, dir. Jesús López Cobos. Mise en espace: Claudio Desderi. Salle des Combins.

 


Bryn Terfel ©Nicolas Brodard

 

Chaque saison, un ou deux opéras sont donnés en version de concert à Verbier. Cette année, après Carmen, voici donc Falstaff, l'ultime chef d'œuvre de Verdi. Une œuvre pas facile à monter, surtout lors que privée de représentation scénique. Les grincheux s'en satisferont peut-être, pour n'avoir pas à en supporter une vision énervante ou décalée. En tout cas la mise en espace imaginée par Claudio Desderi, un fameux Falstaff naguère, apportait une touche de vie indispensable : une direction d'acteurs minimaliste, sur le versant conventionnel, certes, mais bien vue, assurant à l'exécution musicale un agréable complément visuel. Au centre de l'affaire, Bryn Terfel, un Falstaff d'envergure. Le gallois mène une carrière sagement maitrisée, même si confrontée à des rôles exigeants (Sir John, chez Verdi, Le Hollandais, Hans Sachs ou Wotan dans Wagner, sans omettre Scarpia de Puccini, voir Méphisto de Berlioz ; mais plus guère de Strauss qui vit pourtant ses premiers succès, comme Jochanaan de Salomé en 1992 à Salzbourg). C'est que le chanteur aime aussi le crossover et ses chères mélodies du Pays de Galles dont il cultive le secret. Le personnage de Falstaff, il le connait bien, depuis sa prise de rôle en 1999 et ses interprétations à la scène et au disque (DG) avec Claudio Abbado, deux ans plus tard. Il lui insuffle une verve intarissable mais aussi une fine refléxion. Car le bonhomme bourru et fat est loin d'être d'un seul tenant : moins bouffon qu'il en a l'air, moins dupe qu'il n'y paraît. Sa capacité à rebondir fait de lui, chez Verdi et Boito, sans doute la figure la plus intéressante d'une comédie lyrique finalement douce-amère. Il est le héros de la farce, dans un premier degré de lecture, mais aussi et peut-être surtout celui qui la dénoue habilement : « Ma subtilité crée la subtilité des autres », car «  c'est moi qui vous rends rusés », proclame-t-il. Et la morale « Tout dans le monde est farce », il la porte haut. Berné, il est vrai, par la manigance des femmes, elles qui maitrisent si bien l'illusion que les hommes vivent naïvement, mais habile, lui, à flouer ces hommes si bêtas dans leur réaction d'honneur virile froissé. Ford au premier chef. Cette exécution le fait ressentir, bâtie autour d'une star de l'opéra qui pourtant ne cherche pas à tirer la couverture à lui. Le personnage sera grandiose, même physiquement, et la truculence certaine mais pas appuyée, transcendé plutôt par une fine compréhension des tenants et aboutissements, et surtout animé du vrai plaisir de jouer, de camper cette figure que leurs auteurs, après Shakespeare, ont élevé au rang d'archétype de comédie. La stamina du gallois est un régal, sa diction un plaisir gourmand, au fil de trois monologues dont celui tragi comique du dernier acte « Mondo ladro, mondo rubaldo, reo mondo » (monde ladre, monde scélérat, méchant monde), lors que rescapé des eaux froides de la Tamise. Aucune affectation ni sollicitation, excepté quelques œillades affriolantes. Du grand art !

 


Atalla Ayan (Fenton) & Ying Fang (Nannetta ) ©Nicolas Brodard

 

 

Si le gentilhomme séducteur est le phare de l'intrigue, aucun des neuf autres personnages n'est un faire valoir. La distribution réunie, de belle facture, le démontre. Qui révèle de belles individualités. Au premier rang desquelles la Nannetta de Ying Fang : joli minois et chant extatique culminant dans l'air de la reine des fées, « Erriam sotto la luna » (nous errons sous la lune), un des rares morceaux répondant au schéma classique, que Verdi détourne vite de son cheminement habituel. Les autres commères sont bien achalandées, Erika Grimaldi, en Alice, Roxana Constantinescu, Meg, et la parodique et avantageuse Mrs Quickly d'Yvonne Naef. Côté masculin, on remarque le cantabile généreux de Atalla Ayan, Fenton, et le vindicatif Ford de Luca Salsi, un peu monochrome cependant. Tous favorisent un chant fort coulant, presque proche du parlé. C'est que Jesús López Cobos veille au grain d'une exécution idiomatique rendant justice au raffinement de l'orchestration et à la formidable concision du dernier Verdi. L'opéra, il le connait comme sa poche. C'est peu dire que ses nombreux musiciens sont galvanisés. Leur sonorité est d'une réelle italianitá. Pour avoir assisté à une répétition de travail, on mesure la minutie avec laquelle le maestro demande à ses jeunes pousses tel détail, telle intonation particulière qui soit en accord avec la ligne de chant. Et les ensembles si complexes sont sûrement ménagés.    

 

 

András Schiff et le Verbier Festival Chamber Orchestra : le miracle !

 


András Schiff, chef... ©Nicolas Brodard

 

On ne mesure pas assez en France combien András Schiff est une personnalité au-dessus du lot, une sorte de sage de la musique. Sa venue à Verbier est donc dans l'ordre des choses. Il donnait cette année, entre autres, un concert d'orchestre à la tête du Verbier Festival Chamber Orchestra, se produisant en tant que pianiste et chef, comme il le fait souvent, à la Mozarwoche de Salzburg par exemple. Trois compositeurs de la première école de Vienne au programme : Bach, Haydn et Beethoven. Le Concerto pour clavier et orchestre en ré mineur BWV 1052 de JS. Bach, premier d'une série de six, est un arrangement par Bach lui-même d'un concerto de violon semble-t-il perdu. La forme concertante occupe chez Bach une place prépondérante. Tout comme Bach est pour Schiff la boussole : une musique qui « tombe naturellement sous les doigts », souligne-t-il, « une musique très spirituelle ». Cela transparait dans son interprétation, à la fois d'une transparence et d'une force d'élévation étonnantes. Il règne une allégresse, une joie de vivre dans l'allegro initial et le finale paré en outre d'une vigueur non pesante ; tandis que l'adagio offre une plénitude qui respire le bonheur de jouer. L'écriture si fluide du Cantor devient dentelle et les cadences absolument naturelles chez le pianiste hongrois. L'accompagnement des seules cordes, six Ier, six seconds violons, deux altos, deux cellos et une contrebasse, est discret mais pas neutre et c'est plaisir de voir comme le pianiste-chef stimule ses jeunes musiciens. La Symphonie N° 88 de Joseph Haydn en sol majeur (1787), qui vient juste après la série des « Parisiennes » (82-87) et peu avant celle des « Londoniennes » (93-104), mérite une attention particulière : maniant le monothématisme au fil de ses quatre mouvements, elle est emplie d'une inventivité et d'un humour que Schiff se plait à souligner : « n'hésitez pas à sourire, voire à rire si vous le pouvez », dira-t-il dans un mot d'introduction. Un seul thème pare le 1er allegro, mais traité avec une inventivité de tous les instants qui dépasse les notions formelles d'exposition, développement et récapitulation. Le rôle des bois (flûte, hautbois et basson par deux) est rien moins qu'éblouissant, que Schiff nurse de sa souple battue. Le Largo, entamé sur une cantilène du hautbois doublé par le cello, d'une beauté spectrale, la module à satiété dans diverses combinaisons, alternant piano et forte. L'extrême douceur de la vision du chef  magnifie le vrai classicisme de cette musique. Dire que le Menuetto est un moment de grâce est faible devant pareil sentiment de fluidité. Le trio, sur une base de musette, fait diversion d'une délicate ironie. Le finale ''allegro con spirito'' est vif au fil du son refrain et de ses amusantes ritournelles puis d'un canon fortissimo, où là encore affleure l'humour chez les deux bassons et les deux cors. Une interprétation à mi-chemin entre une vision baroqueuse et une manière plus moderne, que l'effectif instrumental utilisé (6,6,4,2,2) rend parfaitement transparent. 

 


...et pianiste ©Nicolas Brodard 

 

La seconde partie était consacrée au Concerto pour piano et orchestre N° 5 op. 73 de Beethoven, dit « Empereur ». Un monument s'il en est. Une œuvre mythique que Schiff s'attache à sortir de clichés aussi tenaces qu'usurpés. Fustigeant le sentiment de complaisance et la notion d'emphase, à ses yeux hors de propos. La composition de la formation des cordes d'abord : 8, 6, 4, 4, 2, assurant une assise d'une clarté exemplaire, évitant tout effet de masse, même dans les tutti les plus chargés ;  l'équilibre piano-orchestre ensuite : rarement le mot de ''symphonie avec piano'' n'a paru aussi en situation, fuyant la manière virtuose du grand concerto dont Beethoven rejetait l'apparat ; même si cet ultime opus marque un progrès en brio par rapport aux quatre précédents. Le sous-titre d Empereur » est apocryphe. Certes, la composition l'a été dans un moment de difficultés politiques, de luttes - la préparation de la guerre d'Autriche contre Napoléon en 1808/1809 - mais Beethoven vise sans doute plus haut et plus large. C'est nul doute la leçon qu'en retient András Schiff et qui fonde sa lecture. Qui évite l'éclat martial, du moins le limite à l'essentiel, comme il infuse un naturel au discours et l'habite de l'univers de la danse au dernier mouvement. Le gigantesque allegro progresse avec naturel après l'entrée en scène du piano et les divers séquences sont contrastées tel le passage en pizzicatos au soutien du soliste. Le chant souverain de l'adagio « un pocco messo » s'épanche comme une méditation de l'âme sur un orchestre assagi : un moment d'absolue beauté de par la simplicité du geste. La transition vers le dernier mouvement est proprement magique, un pianissimo d'une infinie quiétude avec le solo de deux cors. L'attaca n'en est que plus formidable, quoique sans inutile brio pour créer l'effet de surprise ; une des autres caractéristiques de la manière de Schiff : jouer comme à la première fois. Le fougueux allegro final bondit et la remarque de l'interprète d apothéose de la danse », prend tout son sens. On est plus dans l'élan spirituel que sur la chevauchée martiale. Et le combat épique cède le pas à un dialogue soliste-orchestre serré. Le triomphe final ne sonnera pas ''militaire'' mais jubilatoire. Une exécution pétrie d'humanité, qui transcende la qualité pianistique et orchestrale car Schiff dont le jeu est souvent immatériel, tire là encore des musiciens VFCO des couleurs envoûtantes.  

 


Devant la salle des Combins ©Nicolas Brodard

 

Deux remarques finales. D'une part, quant à la concentration du public : rarement a-t-on constaté une telle qualité d'écoute, un tel calme durant les exécutions, quel que soit le lieu ou le type de concert. La convivialité d'autre part, de rigueur partout, qui vous permet de rencontrer les artistes dans la rue ou au concert, les uns assistant à ceux des autres - lors du récital de Grigory Sokolov, le nombre de collègues pianistes, Schiff, Hamelin, Trifonov, sans parler du celliste Maisky et du chef López Cobos, était impressionnant. C'est là encore une marque de fabrique de l'esprit Verbier !

 

Jean-Pierre Robert.

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LE FESTIVAL DE BAYREUTH

 

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Il y eut le temps où l'on se plaisait à écraser le chapeau des vieux conservateurs : Wieland Wagner dans les années 60, Patrice Chéreau une bonne décade plus tard. Est désormais venu celui de l'interrogation en règle des volontés du maitre de céans. On fait appel aux iconoclastes de la scène allemande : Christoph Schlingensief, Jan Philipp Gloger, Frank Castorf... Quelques fois cela fait mouche (Hans Neuenfels pour Lohengrin, Stefan Herheim dans Parsifal). Dans d'autres, cela tombe à plat ou franchement à côté (Tannhäuser revu et corrigé par Sebastian Baumgarten). Signe des temps, c'est sans doute à Bayreuth qu'on peut voir ce qui se fait de plus avant gardiste, moderniste ou osé en matière de dramaturgie wagnérienne. Son statut de laboratoire reste plus vrai que jamais. Au point qu'on en vient à se demander : jusqu'où peut aller la volonté d'innover, de relecture au scalpel en détricotage, de relecture radicale en sévère déconstruction. Et c'est peut-être hors de la cité de Franconie élue par Wagner qu'il faut désormais chercher fortune, à Berlin par exemple, autre ville wagnérienne s'il en est. C'est qu'aussi sur la Verte colline les grandes voix s'en sont allées : les calibres dits wagnériens – synonymes non de force mais d'endurance et d'intelligence textuelle – et les autres. Temps de répétitions conséquents, moindre cachets qu'ailleurs ? Quelques unes, comme le ténor Klaus Florian Vogt, résistent à la surenchère du bling bling qui ont conduit leurs collègues à préférer se produire ailleurs. D'autres émergent heureusement; telle la basse Georg Zeppenfeld, et Bayreuth ne dément pas alors son label de découvreur et de lanceur de carrières. On se souvient du jeune René Kollo dans le rôle du pilote du Fliegende Holländer. Reste que l'ambiance est bien là et perdure avec ses traditions fort sympathiques (les fanfares de cuivres avant chaque acte, le cérémonial de la préparation de la salle avant la représentation, etc.. ) à laquelle souscrit un public enthousiaste, très mélangé question langues (même si en majorité allemand) et âges (quoique avec un bon quarteron de jeunes). Un engouement frisant l'exaltation, qui semble se satisfaire de toutes propositions, scéniques, voire même musicales, ce qui est plus curieux, excepté quelques huées. L'expérience particulière ressentie dans la fameuse salle en éventail du Festspielhaus de Bayreuth, inspirée de l'amphithéâtre d'Epidaure, à l'acoustique d'une clarté unique du fait de sa fosse d'orchestre recouverte, « l'abyme mystique », n'y est pas pour rien. Bayreuth a de beaux jours devant lui pour remettre en permanence sur le métier les dix grands drames de son mentor. Ce seront Die Meistersinger von Nürnberg, l'an prochain, dirigés par Philippe Jordan.

 

 

Trsistan et Isolde déconstruit

 

Richard WAGNER : Tristan und Isolde.  Action musicale en trois actes. Livret du compositeur. Stephen Gould, Petra Lang, Georg Zeppenfeld, Ian Peterson, Claudia Mahnke, Raimund Nolte, Tansel Akzeybek, Kay Siefermann. Der Festspielchor. Das Festspielorchester, dir. Christian Thielemann. Mise en scène : Katharina Wagner.

 


Acte I : Brangäne, Tristan, Isolde ©Enrico Nawrath

 

Que dire de cette production (initiée en 2015) si ce n'est qu'elle irrite et soulève bien des interrogations. Comme déjà dans Les Maitres Chanteurs de Nuremberg, Katharina Wagner relit à sa façon le théâtre de son bi aïeul. Et surtout ne veut rien faire comme les autres. Ses idées forces : anticiper l'événement, le démythifier et plus prosaïquement faire perdre le sens de l'importance à tout passage essentiel, surcharger enfin ce qui est parfaitement lisible par la mise en exergue d'un contrepoint dramaturgique aussi gênant qu'inutile. Pour elle, l'histoire est celle d'un banal triangle amoureux : Marke, Isolde, Tristan ; le premier auquel la seconde doit être mariée contre son gré, et le troisième vécu comme un substitut plus que souhaité. C'est peu dire qu'ici le personnage du roi Marke prend une importance singulière : un homme jeune, et non pas dans la force de l'âge, qui bien que n'apparaissant pas à la fin du premier acte, va s'ingénier à faire épier les deux amants au deuxième, rabrouer vertement son épousée à l'issue du flagrant délit et, au dernier acte, l'emmener par la main sans ménagement une fois les ultimes mots de la Liebestod prononcés. On n'est certes pas très éloigné du substrat textuel, mais le parti pris est franchement asséné, au point d'opposer deux clans, façon bons et méchants ; dans le dernier cas les sbires agissants du roi autoritaire : Melot et quelques vils suppôts, vêtus jaune moutarde. Tous les traits sont appuyés : ainsi de ce voile de mariée qu'on tord et déchire rageusement avant même la scène du philtre. A propos, qu'en est-il de ce passage ? Isolde agite plusieurs fioles tandis que Brangäne reste tapie dans un coin, de dos : point de substitution du breuvage d'amour à celui de mort. Les jeux sont faits d'avance : la dame n'a nul besoin d'adjuvant chimique pour clamer sa passion. La fiole choisie passe de main en main pourtant, et on en laissera couler le liquide abondamment - qu'on ne boit pas -, avant une nouvelle embrassade. Car Isolde avait étreint son Tristan bien avant malgré les efforts vains de Kurwenal et de Brangäne pour les séparer et partant, de les laisser commettre l'irréparable. C'est peu dire que l'émotion est évacuée lors de ce passage crucial. Comme il en va de tout le premier acte qui voit les protagonistes se déplacer tels des pions au milieu d'un dédale d'escaliers et de passerelles, pour nous signifier sans doute l'inanité de ce voyage chaotique mêlé de haine et de passion exacerbées. On est empêtré dans ce capharnaüm dont les issues se bloquent les unes après les autres. Cette idée d'enfermement, on la retrouve à l'acte suivant, pour atteindre un étonnant paroxysme : l'attente fiévreuse d'Isolde, qui a été trainée là de force, et le duo d'amour prennent place dans un lieu clos, façon salle de torture plongée dans l'ombre, tandis que sur une galerie en hauteur, Marke et ses hommes observent, espionnent les tourtereaux. Le duo se déroulera d'abord de dos dans un parfait immobilisme avant que l'un et l'autre ne cherchent à se lover dans un carcan de métal, piège de leur éphémère - et sans doute indue - destinée, pour ne pas se toucher. Surpris, Tristan se voit bander les yeux et Isolde jeter à terre sans égards. Ravalé au rang de fait divers trivial, tout cela n'est au surplus pas d'un esthétisme renversant. Comme le troisième acte : plongé dans les ténèbres, sur un plateau désormais dépouillé, le délire de Tristan lui fait évoquer le spectre de la bien aimée incrusté dans des triangles surgissant çà et là. Kurwenal et ses compagnons, blottis sur la droite, resteront interdits, comme navrés des élucubrations du maitre. L'arrivée d'Isolde ne procure que bien peu de frisson émotionnel. La fin de l'acte : Marke avec sa horde peu amène débarque, non pour pardonner, mais bien décidé à faire rentrer les choses dans l'ordre, savoir la fin annoncée d'un amant usurpateur. Loin de quelque transfiguration, la mort d'amour est vécue comme un cliché de lubie (durant laquelle Brangäne s'impatiente devant le catafalque du héros). On est bien loin du hiératisme, de la proximité textuelle et de la vraie concision visuelle d'un Wieland Wagner, pour risquer une comparaison familiale. Alors que la direction d'acteurs reste souvent simpliste, en tout cas moins  travaillée que les idées qu'elle est censée transmettre. 

 


Acte II : Marke, Tristan ©Enrico Nawrath

 

Côté voix, le bât blesse aussi. Malgré un timbre a priori intéressant, Petra Lang n'est aucunement une Isolde : sa couleur grave - celle d'une Ortrude plutôt - la contraint à délivrer le texte le plus souvent en voix de poitrine, n'atteignant l'aigu que grâce à l'artifice. Ce chant qui se complait naturellement dans le medium pour ne pas dire le grave, laisse une curieuse impression de monotonie, ce qui est frustrant à la longue, privé que l'on est de la brillance du rôle. Les intonations ne sont pas non plus toujours idoines. Le Tristan de Stephen Gould est héroïque à souhait, presque trop car la voix est souvent projetée d'un bloc, en force. La diction est cependant impeccable comme le soin pour le texte. Quant à l'endurance, elle ne fait pas défaut qui autorise un troisième acte sans faute. Le bonheur vient des autres rôles dont on sait qu'ils connaissent eux aussi leur propre drame, Brangäne au Ier, Marke au II ème, et Kurwenal au dernier. Ian Peterson est un compagnon de route attentif et dévoué ; mais est-ce bien utile d'en surligner la réalité par les contorsions que lui impose la régie ? La voix de baryton, sans être exceptionnelle, est bien en place. La Brangäne de Claudia Mahnke est une découverte : mezzo-soprano claire, magistralement projetée et atteignant sans mal les hautes contrées réservées à cette partie, au point qu'elle y semble plus à l'aise que sa maitresse Isolde. Belle caractérisation aussi, malgré une mise en scène qui ne la favorise pas toujours. Enfin Le Marke de Georg Zeppenfeld apporte le vrai ''echt'' wagnérien de la soirée, en particulier lors du monologue du II, un morceau d'anthologie, et une aura que pourtant la régie cherche à lui disputer en en faisant un personnage peu sympathique. La direction de Christian Thielemann assez prudente au début, s'améliore au fil des actes pour atteindre une transparence remarquable au II ème, chambriste lors du duo d'amour, et un vrai impact émotionnel au troisième. Les tempos plutôt lents savent laisser passer un feu tragique que la mise en scène nous refuse bien souvent, en particulier au dernier acte. Et l'orchestre qu'on sent fourni comme toujours à Bayreuth, mais non chargé, répond avec brio au directeur musical du festival.

 

 

L'absolue magie musicale de Parsifal

 

Richard WAGNER : Parsifal. Festival scénique sacré en trois actes. Livret du compositeur. Andrea Schager, Ryan McKinny, Georg Zeppenfezld, Gerd Grochowski, Karl-Heinz Lehner, Elena Pankratova, Tansel Akzeybek, Timo Riihonen, Alexandra Steiner, Mareike Morr, Charles Kim, Stefan Heibach, Anna Siminska, Katharina Persicke, Bele Kumberger, Ingeborg Gillebo, Wiebke Lehmkuhl. Das Festspielchor. Das Festspielorchester, dir. Harmut Haenchen. Mise en scène : Uwe Eric Laufenberg.     

 


Acte I ©Enrico Nawrath

 

Le nouvelle production de Parsifal aura été celle de tous les changements : de metteur en scène (Uwe Eric Laufenberg ayant substitué le régisseur annoncé de longue date, le très controversé Jonathan Meese), de chef (Harmut Haenchen, en lieu et place d'Andris Nelsons qui, suite à une friction avec le directeur musical, avait renoncé), et enfin de titulaire du rôle titre (Klaus Florian Vogt, pour cette troisième représentation, ayant cédé la place à Andreas Schager ; cette fois en toute amitié, car celui-ci doit le remplacer dès l'année prochaine dans cette production). Cette dixième mise en scène (depuis la création du Festival en 1882) est finalement assez sage malgré ses quelques audaces, nettement moins fouillée que la précédente céans, due à Stefan Herheim, et surtout que celle de Dmitri Tcherniakov récemment au Staatsoper de Berlin. Une lecture qui se veut proche du texte, quoique non sans quelques interprétations personnelles pour le moins discutables. Elle s'inscrit dans un contexte religieux : une communauté monacale quelque part dans un monastère au Moyen Orient, qui accueille des pèlerins du dehors et même des frères d'autres religions, comme on le verra à la fin de l'œuvre où bouddhistes, musulmans, juifs et chrétiens cohabitent dans un unanimisme qu'on souhaiterait être évident dans la réalité. La croix latine est là bien présente et Amfortas prend la figure du Christ à couronne d'épines. De beaux traits dans le personnage de Gurnemanz émeuvent : lors par exemple qu'étreignant la croix à la fin de son monologue, tandis qu'un tout jeune enfant surgit annonçant l'arrivée du fol Parsifal. Ce début de premier découvre une large vasque où l'on baignera Amfortas, et qui lors du second tableau, se transforme en un autel où sera représentée la cérémonie du Graal, telle une réplique de la Cène, après qu'on eut recueilli le sang coulant abondamment du flanc d'Amfortas dont on a ravivé la blessure. Si un certain ''classicisme'' règne donc dans le Ier acte, les choses évoluent sérieusement au suivant qui découvre l'antre de Klingsor affairé à collectionner les croix latines arrachées à ses adversaires de Montsalvat, tandis que le premier d'entre eux, Amfortas, est présent muselé et que se pressent un essaim de femmes voilées. A part ce dernier trait, un peu gratuit, la scène tombe dans un convenu assumé mais peu convaincant. Les filles fleurs évolueront comme dans un harem coloré, kitsch, flanqué d'une piscine où l'on immergera Parsifal. Réapparition d'Amfortas lors de la proclamation plus enflammée que douloureuse du héros, « Amfortas, die Wunde ». Récupérant plus tard la lance des mains de Klingsor, il la brisera net pour confectionner de ses deux morceaux une croix latine. Le troisième acte réinvestit la chapelle du Ier, désormais envahie de verdures, signe d'abandon, tandis que Gurnemanz et Kundry vieillis en sont réduits à la chaise roulante, cliché bien usé. L'épisode de l'Enchantement du Vendredi Saint laisse place à une vision de paradis terrestre perdu : rideau de pluie en fond de scène découvrant des naïades nues...  Et la fin de l'œuvre, qui évacue totalement le personnage de Kundry, donne à voir la communauté, enrichie de ses confrères étrangers, se disperser pour laisser un plateau complètement vide éclairé de manière de plus en plus insistante, luminosité qui s'étend à la salle même du Festspielhaus. Dernier mot laissé à la musique ? On reste sur l'impression d'une succession d'idées dont certaines fort originales, mais sans réelle cohérence, et au final d'une approche non aboutie. Les explications alambiquées du metteur en scène, dans le programme de salle, laissent d'ailleurs perplexes sur ses intentions, qui se pose plus de questions qu'il n'en résout. Reste que la conception des personnages ne laisse pas place à la transposition hasardeuse.

 


Acte I : Amfortas et les Chevaliers ©Enrico Nawrath

 

L'interprétation musicale réserve d'autres sujets de satisfaction. Par une distribution de qualité. Au premier rang de laquelle le Gurnemanz de Georg Zeppenfeld. Que de chemin parcouru depuis son interprétation, déjà remarquable, du rôle à l'Opéra de Lyon (cf. NL 4/2012) : noblesse du chant, rondeur de l'émission, beauté de l'intonation en font une pointure du chant wagnérien. La simplicité de l'approche qu'exige la régie n'est pas sans conséquence sur une déclamation dont on apprécie le naturel : comme lors de ce merveilleux passage au Ier acte : « Der reiner Tor », délivré pianissimo. Le dernier acte est vécu avec une émotion contenue. L'américain Ryan McKinny, lauréat du concours Operalia, prête à Amfortas de accents de sincérité et un chant assuré qui lui permet de triompher des périls accumulés dans les monologues exposés du Ier et surtout du dernier acte. Si le Klingsor de Gerd Grochowski déçoit par une émission pas assez projetée, le Titutel de Karl-Heinz Lehner, présent sur scène comme chez Tcherniakov, offre un beau métal grave et aucunement dur. Le personnage de Kundry est un de plus délicats à distribuer et ne l'a pas toujours été à la hauteur à Bayreuth, là où plane le souvenir inoubliable de Waltraud Meier. La russe Elena Pankratova en défend le territoire avec brio : présence scénique hors du commun dans ses interventions proches de l'interjection au Ier acte, vocalité accomplie au second, dans la grande tirade « Ich sah dass Kind », bien amenée dans le registre grave, et assumée dans les quintes aiguës redoutables de la fin de l'acte. Andreas Schager, qui débutait donc ce soir-là dans le rôle titre à Bayreuth, a visiblement convaincu les auditeurs qui lui ont réservé un triomphe aux rideaux finaux. On admire, comme déjà observé à Berlin, une assomption de stature : des forte bien négociés, une clarté d'émission et une projection aisée. Comme une intéressante progression dans la psyché du personnage dont le destin bascule à partir du baiser de Kundry. On tient là un grand interprète allemand du rôle avec lequel il faudra compter. Bel ensemble de filles fleurs. Et surtout fabuleux chœurs sous la houlette de Eberhard Friedrich, maintenant un niveau d'excellence qui distingue le Festival de Bayreuth depuis des lustres : cette belle clameur mâle qui pare la fin du Ier et du III ème acte, cela ne s'oublie pas en termes d'absolue beauté sonore. Tout aussi admirable la transformation des registres que procure les fameux trois niveaux de couleurs vocales. Harmut Haenchen est le type même du Kappelmeister sûr qui connait son Wagner du dedans  : il l'a déjà démontré à l'Opéra Bastille. Le sens de l'architecture d'ensemble comme le soin apporté au soutien du chant, dépourvu d'emphase, confèrent à cette partition des miracles de sonorités fusionnelles. Sa direction, sur le versant lent, mais non trainante ni appuyée, aux Ier et III ème actes, est justement plus nerveuse et dramatique au II ème. Partout la coulée sonore et la finesse du trait emplissent d'une vraie émotion. Quels que soient les aléas visuels du spectacle, entendre ici cette œuvre, conçue pour ce théâtre, est décidément une expérience unique.  

 

Jean-Pierre Robert.

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    L'ŒIL ÉCOUTE

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Concert de gala au Théâtre des Champs-Elysées

 


Jonas Kaufmann ©Julian Hargreaves

 

Il existait au moins trois excellentes raisons d'assister à ce concert de gala clôturant la saison au Théâtre des Champs-Elysées, un concert très attendu expliquant l'affluence du public parisien avenue Montaigne. La première de ces raisons étant le passage à Paris de l'Orchestre Philharmonique de Vienne, d'ailleurs habitué du lieu puisqu'il s'y produit deux fois l'an depuis de nombreuses années, la deuxième, la présence sur scène de la star des ténors du moment, Jonas Kaufmann, et enfin la troisième, un superbe programme viennois associant Beethoven, Richard Strauss et Gustav Mahler, taillé sur mesure pour la prestigieuse phalange. A la baguette le chef britannique Jonathan Nott, ancien directeur de l'Orchestre de Bamberg, prochainement attendu à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande, remplaçant Daniele Gatti initialement prévu, mais indisponible du fait d'une blessure récidivante à l'épaule. L'Ouverture symphonique de Coriolan de Beethoven débutait la soirée, une pièce composée en 1807 qui dresse la figure du héros face à la foule, à l'histoire et au destin, tout un monde et une lutte emblématiques chers à Beethoven. Une composition concise, reconnue comme un des premiers poèmes symphoniques, qui ouvrira la voie à nombre de compositeurs ultérieurs comme Liszt ou Richard Strauss notamment qui préfèreront cette forme de musique à programme, refusant de se mesurer avec le maître de Bonn dans le domaine purement symphonique…Une partition qui démarre fortissimo sur des accords de trompette, laissant une large place aux vents et aux cordes graves saisissant l'auditeur à bras le corps pour ne plus le lâcher jusqu'au renoncement du héros. Une tragédie courte mais intense dont Jonathan Nott donna une vision très contrastée à la fois lyrique et épique, héroïque et dynamique, de très belle tenue. Suivaient deux œuvres du répertoire post romantique, Mort et Transfiguration (Tod und Verklärung) de Richard Strauss et Le Chant de la Terre (Das Lied von der Erde) de Gustav Mahler. L'œuvre de Strauss, composée en 1888,  narre les souvenirs d'un homme alité se souvenant de sa jeunesse. Réconforté par l'espérance d'un au-delà radieux, le héros retrouve enfin la sérénité avant de s'éteindre. Sujet morbide, avouons-le, dans lequel certains ont voulu voir une sorte de rédemption et d'accès à l'éternité par l'idéal artistique…Une occasion plutôt pour le compositeur viennois de coucher sur le papier une partition très contrastée, pleine d'énergie, magnifiquement orchestrée dont, là encore, le chef britannique donna une lecture toute empreinte d'urgence et de dramatisme conduisant à une sérénité sonnant un peu faux car entachée d'une certaine grandiloquence. Une interprétation très narrative, engagée, parfaitement en place.

 

Pour conclure : Le Chant de la Terre de Mahler interprété par Jonas Kaufmann dont l'étendue de la tessiture permet au ténor allemand de chanter les deux rôles, le plus souvent dévolus à un ténor et une alto. Une partition très originale, datant de 1907, où Mahler parvient à accomplir ce qui restera pour lui une obsession constante pendant toute sa vie de compositeur dans le désir de réaliser la fusion entre le Lied et la symphonie. Avec le Chant de la Terre et la Neuvième Symphonie, nous retournons au Moi profond de Mahler. Composé dans une période de créativité difficile, après la crise de 1907 qui verra son départ de l'Opéra de Vienne, la mort de sa fille aînée  Putzi et la découverte de sa cardiopathie, Mahler a conscience de la nécessité de poursuivre son œuvre  malgré la solitude, la menace de mort, quasiment acceptée. Le travail semble son seul dérivatif, conçu comme un réconfort. Par le Chant de la Terre, Mahler retrouve le chemin de lui-même en reprenant son inlassable quête de construction, réalisant l'apogée de l'esprit romantique en reliant subjectivité de l'expression et raffinement de la technique. Conçu pour échapper à la malédiction des Neuvièmes symphonies (Beethoven, Schubert, Bruckner), construit à partir de sept poèmes chinois du VII ème  au IX ème siècle de notre ère, découverts dans le recueil La Flûte Chinoise de Hans Bethge, il s'agit d'une véritable symphonie de Lieder pour ténor, alto (ou baryton) et orchestre. Mahler y évoque la condition humaine : l'ivresse et le désespoir, la solitude et la nature, la jeunesse, la beauté, le printemps et enfin l'adieu à l'ami se terminant dans un murmure sur le mot « ewig » (éternellement) répété sept fois comme un rite sacré qui laisse entrevoir le passage de l'intime à l'universel, transition qui se confirmera dans la Neuvième Symphonie. On regrettera peut-être une trop pesante lenteur dans l'interprétation de cette superbe partition avec parfois un problème d'équilibre entre chanteur et orchestre. Par ailleurs, le fait de chanter les deux parties, s'il constitue assurément un exploit vocal technique, retire à l'œuvre beaucoup d'émotion et de couleurs, ne serait-ce que par une certaine monotonie de timbre. Si cette façon d'envisager cette œuvre ne nous séduisit qu'à moitié, on ne saurait toutefois mettre en doute la qualité vocale superlative du ténor allemand Kaufmann ni la qualité musicale de la phalange viennoise qui sembla pour l'occasion retrouver un lustre quelque peu terni lors de ses dernières prestations, notamment au niveau des cuivres. Un beau concert et un triomphe bien mérité !

Patrice Imbaud.

 

Chopin côté Jardin  


François Dumont ©Jean-Baptiste Millot

Au festival Chopin de l'Orangerie de Bagatelle, François Dumont a donc joué Chopin. On sait que Chopin excella dans les pièces brèves, François Dumont a donc concocté un programme de pièces brèves. Pas d'intégrales ni de longs morceaux. Et c'est une gageure de jouer devant un public averti un répertoire entendu et réentendu mille fois. Le pianiste a d'abord précisé qu'il enchaînerait les œuvres sans interruption ni évidemment applaudissements qui viendraient rompre le cours de ce concert qu'il considère comme une longue invitation à la rêverie. François Dumont est français et on peut affirmer qu'il joue Chopin à la française, en privilégiant le côté raffiné et élégant de cette musique tout en préservant ses solides racines slaves. Dans ce récital, les Nocturnes ont une place de choix. Le Nocturne en ut dièse mineur est le plus sombre de tous et le pianiste dont une des très grandes qualités est de faire sonner clairement des basses puissantes, en use judicieusement pour rythmer ce morceau qui exalte la passion et gronde avant de se laisser mourir dans une caresse. Les autres Nocturnes sont faits de désolation et de poésie mais François Dumont, grâce à la fluidité de son jeu et à l'économie de ses gestes, échappe au sentimentalisme et fait mentir Field, lui qui regrettait que les Nocturnes ne soient rien de plus que de « la musique de chambre de malade ».

 

La Première Ballade, ce chant d'un amour brisé entre Chopin et Marie Wodzinska, tout en nuances entre la fougue et le désespoir, entre arpèges et petites notes, François Dumont l'interprète en épurant le romantisme et, comme le voulait Chopin, il ne joue ni les forte ni les piano avec la pédale mais avec les doigts. Dans la Deuxième Ballade, véritable flot d'harmonies dissonantes et d'appogiatures, François Dumont charge chaque note d'émotion et respecte la règle du compositeur qui voulait que « la main gauche soit le maître de chapelle » et que la main droite joue sa partie en la suivant ad libitum. Un des plus beaux morceaux du concert. Dans la Valse en ut dièse mineur, on retrouve la manière  délicate et feutrée d'un Dinu Lipatti,  dont on écoutait jadis le microsillon dans les salons des notaires et des médecins de province. Musique intemporelle, interprétation intemporelle. Avec les deux impromptus (n° 1 et n°3), musique de salon par excellence, on se croirait invité chez Chopin, place Vendôme. Ici le rubato cher au compositeur est roi et François Dumont le maîtrise parfaitement, ce rubato si subtil qui étire la mesure comme si le morceau était une improvisation sans cesse recommencée, de ces improvisations dont raffolait Chopin. Avec son  toucher délicat, François Dumont, termine par La Berceuse, à la basse obstinée, en jetant un voile "d'ingénuité pur comme le souffle d'un enfant". Puis il revient combler un public enthousiaste avec trois bis :  une Étude et deux Valses Brillantes. Ah ! J'oubliais, à la fin d'une des Ballades, le cri strident d'un des fameux paons du parc de Bagatelle était exactement dans le ton.

Jean-François Robin.

 

Coup de génie / coup de cœur

 

La huitième édition du Concours International de Piano de Lyon s'est déroulée du 2 au 5 juillet dernier. L'événement musical dépasse le simple cadre de la compétition. Svetlana Eganian, sa fondatrice, déborde d'enthousiasme. En quelques années, cette véritable fête du piano a pris une envergure comparable à celles des concours Reine Élisabeth de Belgique ou Frédéric Chopin de Varsovie.


Dmitri Bashkirov entouré des lauréats de la session 2016 / DR

Coup de génie

La capitale des Gaules est dotée d'un concours de piano à sa mesure ! Présidé par des personnalités musicales telles que Jacques Rouvier, Christian Ivaldi, Marie-Catherine Girod, Michel Dalberto, Alexandre Paley ou Dmitri Bashkirov, cette manifestation vise à : « Révéler des artistes et enrichir la société ». La double devise traduit une volonté de promouvoir de jeunes talents et de créer un carrefour musical, un lieu d'échange privilégié où artistes et public communient dans un même amour de l'Art.

Depuis la création du concours en 2009 ce sont des centaines de spectateurs qui sont venus écouter la cinquantaine de jeunes candidats sélectionnés chaque année. Le service de communication de la ville de Lyon donne une splendeur particulière à l'événement. Le Conservatoire à Rayonnement Régional ainsi que le Conservatoire Supérieur de Musique de Lyon ouvrent les portes de leurs salles de répétitions et de concerts. Des sponsors privés et des entreprises partenaires apportent leur soutien. Enfin, les nombreux bénévoles et les familles d'accueil contribuent à optimiser ce cadre d'exception.

 

Coup de cœur

Le concert de gala clôt le concours. Yolande Kouznetsov, co-directrice artistique, évoque ces moments musicaux :

« Ce sont toujours des concerts exceptionnels et je suis souvent émue lorsque j'entends des pièces sublimes du répertoire jouées à la perfection ».

 

Au terme de la session 2016, cinq prix ont été remis

Le premier prix, d'un montant de 5000 euros offert par la société BDO, revient à Leonel  Morales-Herrero. Le jeune virtuose espagnol a également suscité le coup de cœur des Festivals Les Pianissimes et Les Virtuoses du piano de l'association Fréderic Chopin de Lyon. Il est, de plus, invité par le Festival Gwadloupgroove et par celui de Barbizon.

Le second prix, d'un montant de 2500 euros, offert par la société Eiffage, est attribué à l'allemande Caterina Grewe. La pianiste germano-japonaise est aussi coup de cœur du Festival Musica Formosa "Voyage d'Hiver". Elle est invitée par le festival de Pompignan.

Bruno Vlahek, originaire de Croatie, emporte le 3ème Prix de 1500 euros offert par la Fondation Berdjouhi et Kevork Karagueuzian, ainsi que le Prix du Public de 1000 euros offert par la société Leximpact.

L'arménien Artavazd Hambaryan est récompensé par le Prix spécial pour l'interprétation de l'œuvre d'Alexandre Scriabine offert par un mécène privé, Monsieur Jean-Marie Monnier, et d'un montant de 300 euros.

Enfin, les finalistes Aysylu Salyakhova de Russie-Bashkortostan et Youngsun Choi de Corée ont obtenu le Diplôme de Mérite et des partitions en cadeau.

 


Yolande Kouznetsov et Svetlana Eganian en concert  /DR

 

La ville de Lyon peut donc s'enorgueillir de la généreuse initiative de Svetlana Eganian. Rappelons que le concours est ouvert aux candidats âgés de seize à trente-trois ans. La sélection est effectuée par DVD, CD ou Youtube. Nous souhaitons bonne chance aux futurs candidats et croyons savoir que la session 2017 devrait proposer une finale avec orchestre.

Pour en savoir plus : www.gpipl.fr

Par ailleurs, voici le lien pour écouter l'interview de Svetlana Eganian (sa fondatrice), diffusée sur RCF Lyon : https://rcf.fr/culture/les-jeunes-virtuoses-du-piano-sinvitent-lyon

 

Laurent Hurpeau*.

 

 

*Laurent Hurpeau est PRAG Université de Bourgogne, Docteur en musicologie, Diplômé du CNSM de Lyon.

 

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L'ÉDITION MUSICALE

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FORMATION MUSICALE

 

Marie-Hélène SICILIANO/Florent SICILIANO : Faisons de la musique en F.M.  vol.3 1vol. 1 CD. Lemoine : HC51

Nous avons rendu compte en juillet 2014 et novembre 2015 des deux premiers volumes de cette méthode. Nous nous permettons de renvoyer à ces deux articles pour de plus amples détails. Disons que ce troisième volume est tout à fait fidèle à son titre et présente effectivement une manière nouvelle d'enseigner la FM même si, bien sûr, les données « traditionnelles » sont données avec le plus grand soin. Il y a toujours trois parties : lecture, rythme et écoute, mais ces trois parties sont en interconnexion constante, et toujours axées sur la musique à écouter ou à jouer ensemble. La variété des styles présents se fait toujours dans un souci de culture musicale. Bref, cette méthode mérite d'être découverte. Nous ne reviendrons pas sur la qualité du CD, inséparable de la méthode.

 

 

 

Claude PIPON : Les chansons de Charlotte. 5 chants pour chorale d'enfants et premier cycle de Formation Musicale. Delatour : DLT2649.

Ces cinq charmantes chansons feront le bonheur des chefs de chœurs et professeurs de FM. Si elles ne présentent aucune difficulté, ce n'est pas au détriment de la qualité de la musique. Les mélodies sont variées, les accompagnements de piano très bien écrits. Une partie de percussion (facultative) est également indiquée, destinée à être jouée par les chanteurs en battant des mains ou sur de petites percussions. Les deux premières chansons possèdent même deux versions, l'une avec un accompagnement qui double le chant, l'autre avec un accompagnement qui a sa vie propre… On peut dire également qu'il y a une progression de chanson en chanson. Il s'agit donc d'un recueil de qualité, tant au point de vue musical que pédagogique.

 

 

ORGUE

 

Théodore DUBOIS : L'œuvre d'Orgue. Vol. III. Bärenreiter : BA 8470.

Poursuivant la publication des œuvres complètes pour l'orgue de Théodore Dubois, les éditions Bärenreiter nous offrent les Trois pièces pour Grand Orgue de 1890 et la Messe de Mariage, cinq pièces pour orgue de 1891. Rappelons que Théodore Dubois (1837-1924), Prix de Rome, directeur du Conservatoire de Paris et éminent organiste, est redécouvert aujourd'hui dans le cadre du regain d'intérêt porté à la musique romantique de la fin du XIX° siècle. C'est pendant qu'il était organiste à la Madeleine qu'il composa un grand nombre de pièces d'orgue dont font partie celles qui se trouvent dans ce volume qui contient beaucoup de pages en fac-similé, un commentaire critique en français, un catalogue des sources et une préface détaillée retraçant les grandes lignes de la vie du compositeur, ainsi que des indications d'interprétation et un examen critique très intéressant des éditions précédentes.

 

 

 

PIANO

 

Sébastien TROENDLÉ : Méthode de Boogie-Woogie. Lemoine : 29 240 H.L.

L'auteur s'adresse au pianiste autodidacte débutant qui souhaite s'initier au Boogie-Woogie. Bien sûr, les notions de bases en solfège sont quand même requises, mais la méthode est d'une grande clarté et procède acquis par acquis avec un grand sens pédagogique. Chaque étape est expliquée en détail et la progression est remarquablement graduée. Très prochainement des vidéos de travail seront présentées sur le site de l'auteur :

http://www.sebastientroendle.com/methode/

 

 

 

Natalia FLAMENT : Les exercices à la barre sur ½ pointes. Collection « L'accompagnement de danse au piano ». Lemoine : 29 227 H.L.

La postface de Yannick Stéphant, Première danseuse de l'Opéra de Paris, Danseuse Étoile aux Ballets de Monte Carlo., est un gage de la qualité de ce travail. La présentation qu'en fait l'auteur explicite le propos de cet ouvrage qui aidera les nombreux pianistes accompagnateurs de cours de danse à enrichir leur répertoire. Ceux qui ont pratiqué ce métier savent bien qu'il leur faut improviser sans répit et qu'il est bon parfois, de pouvoir se nourrir de l'invention des autres… Ces trente et une pièces sont de qualité et le sommaire en donne à la fois l'esprit, par des titres suggestifs, et l'utilisation technique par des indications précises. C'est un excellent travail qui devrait rendre service à beaucoup !

 

 

 

VIOLON

 

Gioacchino ROSSINI : Le Barbier de Séville vol.1 pour piano et violon. Arrangement : Régis Boulier. 3ème cycle. Sempre più : SP0196.

Il s'agit en fait d'une de ces « paraphrases » sur des airs d'opéra comme on les aimait au XIX° siècle. Mais la mode revient, et qui s'en plaindrait ? C'est une manière bien agréable de pénétrer dans le monde de l'auteur. Pourquoi volume 1 ? C'est que Régis Boulier traite son arrangement par personnage. Et dans ce premier volume figurent seulement Rosine, Bartolo et Figaro. L'ensemble, bien réjouissant, respecte tout à la fois la lettre et l'esprit de l'original en même temps qu'il est tout à fait adapté au duo piano violon. On peut attendre le deuxième volume avec confiance !

 

 

 

Jean-Paul HOLSTEIN : Rêve d'étoiles pour violon solo ou violon et piano. Moyen. Delatour : DLT2620.

Le fait qu'on puisse se passer de la partie de piano pourrait laisser croire que celle-ci n'est qu'un faire-valoir plus ou moins facultatif. Il n'en est rien. Si l'œuvre possède sa plénitude avec le violon seul, le piano n'est pas un rajout mais concourt à donner à l'œuvre un autre visage tout aussi intéressant. Le langage est libre, mais le système tonal n'est jamais loin. L'interprétation demande à la fois beaucoup de lyrisme et beaucoup de retenue… Il faut faire preuve de bon goût, tout simplement !

 

 

 

ALTO

 

Paul COLLIN : Six esquisses pour alto seul. 3ème cycle. Sempre più : SP0233.

Ces six courtes pièces possèdent chacune leur caractère propre. On peut parler de six petits tableaux très variés, pleins de vigueur autant rythmique que mélodique. Elles sont faites pour être enchainées.

 

 

 

Jacques BORSQARELLO – Laurent VERNEY : Le spiccato dans les traits d'orchestre pour alto. Troisième cycle. Sempre più : SP0193.

Dans leur préface, les auteurs expliquent comment cette technique spécifique de coup d'archet s'est perfectionnée à partir du célèbre altiste et pédagogue français Maurice Vieux en se transmettant notamment par Serge Collot. Ce volume regroupe donc dix-neuf traits d'orchestre, de Mozart à Prokofiev, qui permettent aux altistes de travailler et d'améliorer ce coup d'archet indispensable pour l'interprétation des œuvres du répertoire.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Josiane DIEFFERDING : Carrousel pour violoncelle et piano. Fin de 1er cycle. Sempre più : SP0232.

Le titre correspond parfaitement au caractère de la pièce : vrais chevaux ou chevaux de bois, tout tourne avec grâce. Mais ce n'est pas pour autant que l'œuvre manque de variété, et le piano n'y a pas un simple rôle d'accompagnateur. Il y a dans cette pièce beaucoup de charme mais aussi de fantaisie.

 

 

Pascal PROUST : Sirènes pour violoncelle et piano. Premier cycle. Sempre più : SP0245.

Voici de bien attirantes sirènes ! Pascal Proust nous déroule un discours à la fois simple et ondoyant tandis que le piano le soutient en délicates harmonies. Si la technique est évidemment sollicitée, c'est d'abord de sens musical que devront faire preuve les jeunes interprètes.

 

 

 

CONTREBASSE

 

Daniel MASSARD : La contrebasse dans l'orchestre. Cycles 2/3 et concours. Combre : CO 6795.

Nous écrivions en juillet 2014 : « Contrebassiste au sein de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse ainsi que professeur au CRD de Montauban, l'auteur fait profiter les jeunes contrebassistes à la fois de son expérience de musicien d'orchestre et de pédagogue. Bien loin des exercices arides, cette méthode ne contient, même pour les études techniques préparatoires, que des textes tirés des meilleurs auteurs. Chacun est présenté et mis en situation. Il ne reste plus à l'élève qu'à aller écouter l'œuvre mais c'est si facile à l'heure actuelle ! Bref, on ne saurait trop recommander cette approche profondément musicale de l'instrument. » Nous n'avons rien à changer à cette recension, sinon à dire que l'on retrouve dans ce volume qui s'adresse aux plus hauts niveaux toutes les qualités de pédagogie et de souci à la fois technique et de culture musicale qui présidaient au premier recueil. De l'époque baroque au XX° siècle, tous les styles sont présents, expliqués et commentés avec beaucoup de soin et de pertinence.

 

 

FLÛTE

 

Pascal PROUST : Passatempo pour 3 flûtes et piano. 2ème-3ème cycle. Sempre più : SP0210.

Construite sur un rythme obstiné, cette pièce haletante devrait connaître un franc succès auprès des flûtistes un peu avancés. Le pianiste n'est pas en reste : bien loin d'être seulement un accompagnateur, il prend une part active au concert. L'ensemble est varié, coloré, même si s'en dégage un brin de nostalgie. C'est de la très bonne musique !

 

 

 

Ivan BOUMANS : Két Tánc pour flûte et piano. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0207.

Il s'agit d'une commande de l'Union Grand-Duc Adolphe, fédération nationale de musique du Luxembourg pour le Concours Luxembourgeois et Européen pour Jeunes Solistes 2008. Une première pièce, Elégie, se déroule dans des mesures diverses qui donnent une impression de liberté du rythme et du discours. La deuxième pièce, intitulée Néptáne, est un Allegro molto endiablé et très rythmé dans un dialogue constant avec le piano.

 

 

Marc LYS : Anecdotes pour hautbois et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0212.

Ces charmantes anecdotes sont au nombre de deux : la première possède une nonchalance un peu mélancolique avec, au centre, un passage plus impétueux. La deuxième est une valse d'abord assez sage puis de plus en plus tourmentée. L'ensemble est fort agréable et dans un discours harmonique plein de délicatesse.

 

 

 

Michel CHEBROU : Chanson pour Suzon pour flûte et piano. Débutant. Lafitan : P.L.3053.

Cette jolie petite chanson se déroule selon le schéma refrain – couplet – refrain, le couplet étant au ton de la dominante. Si la partie de piano n'est pas écrite pour un débutant, elle n'est cependant pas très difficile. Il faudra que le jeune pianiste maîtrise à la main droite les arpèges continus de l'accompagnement. Le tout est fort agréable à entendre.

 

 

 

HAUTBOIS

 

Jean-François PAULÉAT : Jaïza pour hautbois et piano. Facile. Delatour : DLT2629.

Cette très agréable pièce dans le style « jazz » demande un pianiste aguerri mais est destinée à un hautboïste sinon débutant, en tout cas de petit niveau… du moins en instrument, car il vaudra mieux qu'il ait le sens du rythme ! On peut écouter l'intégralité de la pièce sur le site de l'éditeur.

 

 

 

CLARINETTE

 

Bruno CAMPORELLI : Clarinette concertino pour clarinette et piano. 1er cycle.   Sempre più : SP0227.

Ecrit, comme il se doit, en trois mouvements, ce concerto miniature s'ouvre par un Allegro moderato en forme de marche triomphale. Il se poursuit par un Andante – Cantabile qui a une allure de barcarolle très poétique. Le Maestoso martiale qui clôt le tout correspond évidemment à son titre. C'est une musique plaisante qui doit permettre au jeune clarinettiste de découvrir les joies de la musique d'ensemble.

 

 

 

Alain FLAMME : En quelques mots pour clarinette et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.3064.

Cette pièce aux harmonies délicates déroule un discours lyrique et pudique à la fois. Piano et clarinette dialoguent de façon fluide et un peu mélancolique. L'ensemble est très intéressant et peu constituer sans déparer une courte pièce de concert.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Benjamin ATTAHIR : Etudes obstinées pour saxophone. Difficile. Lemoine : 29 249 H.L.

Chacune de ces cinq études constitue l'exploration d'une difficulté, d'une exploration musicale, d'une tessiture et d'une couleur sonore particulière. L'ensemble vise à la virtuosité la plus grande possible.

 

 

 

Olivier DEVIENNE : Sur le sable pour saxophone alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2966.

Lorsqu'on lit le titre, on pense d'abord à la plage… Mais le rythme obstiné et la tonalité de do mineur, avec de temps en temps la fameuse seconde augmentée entre cinquième et sixième degré fait plutôt penser à la caravane dans le désert. Qu'importe ? Le tout, c'est de se faire une image mentale qui permette d'interpréter cette pièce fort intéressante. Le pianiste est ici un partenaire à part entière : c'est de la vraie musique de chambre. Bref, les jeunes interprètes devraient trouver à jouer cette œuvre beaucoup de plaisir et de profit.

 

 

 

TROMPETTE

 

Marc LYS : Anecdotes pour trompette et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0213.

Il s'agit d'une version pour trompette de la pièce pour hautbois et piano recensée plus haut.

 

 

André GUIGOU : Juan pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Débutant. P.L.2985.

Voici une œuvre pleine d'optimisme et de vie, ce qui n'empêche pas la mélodie de se dérouler paisiblement. Piano et trompette dialoguent à égalité et l'ensemble se termine dans une joyeuse fanfare.

 

 

 

TROMBONE

 

Rose-Marie JOUGLA : L'elfe de cristal pour trombone et piano. Assez facile. Delatour : DLT2626.

Il est bien joli cet elfe qui nous parle par des phrases très expressives soutenues par un accompagnement délicat dans des harmonies qu'on pourrait qualifier de debussystes. Si cette pièce possède une visée pédagogique, c'est au service de la musique. Et c'est là où on pourra juger du sens musical des jeunes interprètes.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Chat flâneur. Assez facile. Delatour : DLT2625.

Ce bon gros chat se promène tranquillement. A peine a-t-il l'idée de se lancer après une proie qu'il renonce aussi vite… L'ensemble est facile et ne fait pas appel à la clé d'ut 4°. La partie de piano accompagne non moins placidement le félin dans sa marche un peu nonchalante.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Prince Nénuphar pour trombone et piano. Moyen. DLT2627.

Bien que le mouvement métronomique soit donné à la croche, il faut évidemment « penser » cette pièce à la noire pointée. Notre nénuphar princier ondule avec grâce dans un 6/8 à la fois lyrique et épanoui. Les modulations délicates ne font jamais oublier le ré majeur finalement triomphant. L'ensemble est très joli et devrait plaire tant aux interprètes qu'au public.

 

 

 

EUPHONIUM

 

Marc LYS : Anecdotes pour euphonium et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0214.

Il s'agit d'une version pour euphonium de la pièce pour hautbois et piano recensée plus haut.

 

 

PERCUSSIONS

 

Dimitri GLADKOV : Timb – All pour timbales et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3070.

Trois timbales sont nécessaires pour interpréter cette pièce au titre évocateur…D'un bout à l'autre de la pièce, un ostinato rythmique d'accords de la main gauche du piano crée une atmosphère obsédante accentuée encore par la tonalité de ré mineur. Le tout se termine par trois accords paroxystiques. Il s'agit donc d'une œuvre qui ne manque pas de caractère !

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Alireza MASHAYEKHI : Points. Opus 173. 3 trios avec contrebasse. Assez facile. Delatour : DLT2638.

Ecrites la première pour alto, contrebasse et piano, les deux autres pour violon, contrebasse et piano, ces trois courtes pièces pédagogiques sont destinées à initier les jeunes musiciens à la musique de chambre tout en leur permettant de jouer en public. Ces pièces comportent également une initiation méthodique à l'écriture contemporaine.

 

 

 

Johannes BRAHMS : Les sonates pour clarinette de Johannes Brahms pour Violon et Alto. Bärenreiter : BA 10907 et 10911.

La publication de ces œuvres tardives de Brahms est tout à fait intéressante. En effet, on connait le perfectionnisme de Brahms et ces œuvres sont autant des transcriptions que des réécritures en fonction du nouvel instrument auxquelles elles sont destinées. Il faut lire absolument les très longues introductions rédigées par les éditeurs, Clive Brown et Neal Peres Da Costa, qui font le tour de ces œuvres, décrivant leur origine, leur élaboration, l'histoire complexe de leur publication. Et bien sûr, on appréciera à sa juste valeur la clarté de cette édition. Le premier volume contient les versions pour alto et piano, le second, les versions pour violon et piano qui constituent l'opus 120.

 

 

 

ORCHESTRE

 

Sophie LACAZE : Immobilité sérieuse I pour piano et orchestre à cordes. Delatour : DLT2654.

« Immobilité sérieuse I », écrite en 2013, est la première d'une série de pièces pour instrument solo et orchestre à cordes de Sophie Lacaze. Hommage à Erik Satie, « Immobilité sérieuse I » est basée sur un motif tiré des « Vexations » que Satie avait composées pour le piano, et qui avaient été créées à New York par John Cage et plusieurs de ses amis pianistes le jour de la naissance de la compositrice.

« Pour se jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses », Erik Satie. »

Que dire de plus que cette présentation, sinon que la pièce est d'une écriture résolument contemporaine. En exergue de cette première « immobilité », Sophie Lacaze nous livre cette constatation de Satie : « Ici il fait très chaud. Je comprends maintenant pourquoi Diogène avait un tonneau. Il le remplissait d'eau & se mettait froidement dedans. »

 

 

 

Gérard HILPIPRE : Résonances nocturnes. Trois esquisses pour orchestre à cordes. Difficile. Delatour : DLT2548.

Ecrites dans un langage atonal, ces esquisses s'opposent par leur caractère. Un « Vivacissimo impalpabile » est encadré par un « Lento, misterioso » et un « Molto tranquillo ». Tout se trouve dans la recherche des couleurs et une atmosphère mystérieuse traversée de fulgurances. Très courtes, elles ont aussi un objet pédagogique puis qu'elles ont été composées pour un orchestre d'élèves de Conservatoire. Elles peuvent ainsi constituer une excellente initiation à la musique contemporaine.

 

 

 

ORATORIO

 

G.F. HAENDEL : Te Deum for the Victory of the Battle of Dettingen. HWV 283. Urtext. Bärenreiter : BA 10706. Chant et piano : BA 10706-90.

Le 27 Juin 1743 l'armée britannique et ses alliés, sous le commandement du roi George II et de Lord Stair, ont vaincu l'armée française à la bataille de Dettingen. Au retour du roi, un jour d'action de grâces est proclamé et Haendel, à cette époque "Compositeur de Musique de la chapelle royale," a été chargé d'écrire un Te Deum et un hymne (« Le roi se réjouira ») pour cette occasion. Composé entre les 17 et 29 Juillet 1743, le Te Deum est exécuté pour la première fois le 27 Novembre de la même année à la chapelle royale du palais de Saint-James, à Londres, en présence de George II. Cette œuvre tout à fait intéressante pour chœur, solistes et orchestre, et qui dure environ quarante minutes est remarquablement éditée tant pour la partition d'orchestre que pour la version voix et piano. On lira avec profit la copieuse préface d'Amanda Babington.

 

 

 

Georg Philipp TELEMANN : Der Tod Jesu. TVWV 5:6. Urtext. Bärenreiter : Piano et chant : BA5853-90.

Bien que cette œuvre soit très imprégnée de la liturgie luthérienne, nous sommes loin des passions de Bach. C'est plus à une méditation sur la mort de Jésus que nous sommes invités dans cette œuvre monumentale qui ne dure pas moins d'une heure et quart. Chœurs, orchestre et solistes font succéder chorals, chœurs, récitatifs et arias da capo.

 

 

Daniel Blackstone.

 

ORGUE & INSTRUMENT AD LIBITUM

 

Carsten KLOMP : Organ plus one. Loben und Danken. Taufe und Trauung, Kassel, Baerenreiter (www.baerenreiter.com ), 2016, Réf. BA 8505. VI - 64 p. (+ 4 cahiers séparés  pour les instruments (16 p. chacun) - 18, 50 €.

La mention « plus one » se réfère aux 4 cahiers joints destinés à des instruments divers (en ut) et transpositeurs (en si b, mi b et fa), par exemple violon, flûte, hautbois ; cor, trompette… dont la ligne mélodique plane au-dessus de l'orgue : ce qui représente  « un plus » exploitable pour des concerts ou pour rehausser un service dominical avec des objectifs liturgiques précis: louange et reconnaissance ; baptêmes et mariages.

Le premier volet propose des œuvres non liées à un cantus firmus de choral, notamment : le Prélude et Fugue en Fa majeur jadis attribué à J. S. Bach (d'après BWV 556), le Concerto en La majeur de Max Philipp Zeyhold, la Fugue en Do majeur de John Alcock, le Prélude en Fa majeur de Christlieb Siegmund Binder et la Fanfare en Ré majeur de Jacques-Nicolas Lemmens (1823-1881), entre autres. Le second volet présente des pièces associées à des chorals luthériens (cf. Index, p. 64), reposant sur des mélodies bien connues : Allein Gott in der Höh' sei Ehr' (Gloria ; Nikolaus Decius, 1523) ; Ich bin getauft in deinem Namen (baptême ; sur la mélodie de O dass ich tausend Zungen hätte) ; Was Gott tut das ist wohlgetan (sur la mélodie de Severus Gastorius, 1675)...

Les organistes découvriront des chorals exploités par Georg Friedrich Kaufmann (1679-1735), arrangés par C. Klomp et — plus proches de nous — Carl Piutti (1846-1903), Karl Hoyer (1891-1936) et les accompagnements fonctionnels (Begleitsatz) de l'éditeur, également auteur du Prélude à la française sur le Choral Lobet den Herren alle die ihn ehren (sur le texte de Paul Gerhardt, 1653, et la mélodie de Johann Crüger, de la même année). Dans une perspective comparative, les interprètes seront intéressés par certains chorals traités par deux compositeurs différents ou en deux versions émanant du même auteur.

Les fidèles retrouveront avec plaisir ces 27 mélodies familières chantées au culte dominical. Les organistes seront ravis d'interpréter — le dimanche ou lors de concerts — ces chorals, encore rehaussés par les sonorités d'un instrument ad libitum. D'ores et déjà, cette précieuse publication organistique, thématique et fonctionnelle sera hautement appréciée.

 

Édith Weber.

 

CHOEUR MIXTE A CAPPELLA

 

Philippe MAZÉ : Livre de Prières. Fleurier (Suisse), Éditions Musicales de la Schola Cantorum (www.schola-editions.com ), SC 8754, 2014, 21 p.

Philippe Mazé, chef de chœur très remarqué, ayant entre autres été maître de chapelle à l'Église de la Madeleine (Paris), est un prolifique compositeur de musique religieuse : Messes — dont celles pour le Centenaire de la Cathédrale de Monaco et pour le Jubilé de l'An 2000…—, Hymnes, Requiem, Psaumes, Prières et, d'une manière générale, pour les divers temps liturgiques. Il ne se réclame d'aucune école et sa vaste expérience est à l'origine de ses œuvres destinées à des chœurs mixtes (voix de femmes et d'enfants) accompagnés à l'orgue ou au piano : ce qui multiplie les possibilités d'interprétation. Elles restent accessibles aux jeunes chanteurs, aux fidèles et aux mélomanes lors d'offices ou de concerts, et s'imposent par leur intériorité.

Son Livre de Prières pour chœur mixte à quatre voix a cappella en comportent sept sur des textes latins bien connus, dont certains d'origine biblique (Psaume 102, 10 ; Cantique de Siméon…). Il s'agit de prières d'intercession, d'invocation mariale, de supplication, d'action de grâce, d'allégresse et de louange comportant la Doxologie trinitaire. Ces brèves Prières sont vraiment traitées pour les voix avec un remarquable sens de l'adéquation entre prosodie verbale et prosodie musicale, d'une belle facture mélodique et une harmonisation assez classique, comprenant quelques dissonances à finalité expressive et de très précises oppositions de nuances.

À noter, entre autres : l'Alleluia à 5 voix, avec Soprano soliste dialoguant avec les 4 voix du chœur, tout en souplesse, puis une seconde voix d'Alto pour aboutir à l'Amen à 6 voix posant un point d'orgue ppp sur l'Alleluia vocalisé, suivi de la Doxologie à 4 voix mp, puis piu lento pp pour l'Amen.

 

Édith Weber.

 

CHOEUR A TROIS VOIX EGALES (FEMMES OU ENFANTS) ET PIANO OU ORGUE

Philippe MAZÉ : Deux Hymnes Ambrosiennes. 1. Hymne du matin 2.  Hymne du soir. Fleurier (Suisse), Éditions Musicales de la Schola Cantorum (www.schola-editions.com), SC 8767, 2016, 13 p.

Philippe Mazé possède le sens de la musique religieuse liturgique respectueuse de la tradition et de son exploitation fonctionnelle au service des célébrations. Fidèle à la tradition multiséculaire, il traite des textes latins bien connus, par exemple de Saint Ambroise (né vers 340, mort en 397), Évêque de Milan, considéré comme l'un des quatre Pères de l'Église.

L'Hymne du matin (pour l'Office de Prime) : Jam lucis orto sidere pour 3 voix égales de femmes ou d'enfants accompagnées à l'orgue ou au piano est parfaitement réalisable pour cette formation sur le plan pratique. Après une introduction (Poco Andante) bercée par des triolets de croches omniprésents, les voix procèdent par entrées successives sur une basse (pédale) avec des passages en style note contre note homorythmique et homosyllabique pour une meilleure compréhension des paroles conclusives.

L'Hymne du soir (pour l'Office des Complies) : Te lucis ante terminum, moins développée, nécessite, pour son accompagnement, une bonne coordination entre les deux mains. L'ensemble de cette prière s'élance vers l'aigu et aboutit à l'Amen en valeurs longues.

 

 

Philippe MAZÉ : Deux Hymnes pour tous les jours. 1. Hymne de Grégoire de Naziance 2. Lucis Creator optime. Fleurier (Suisse), Éditions Musicales de la Schola Cantorum (www.schola-editions.com ), SC 8768, 2016, 20 p.

Soucieux des tendances actuelles relatives à la langue vernaculaire, Philippe Mazé traite aussi des textes en français accessibles à tous, sans pour autant renier la tradition avec une adaptation française du texte attribué à Grégoire de Naziance, Père de l'Église mort en 390.

La proclamation : O toi, l'au-delà de tout, hymne très développée, se présente comme une prière d'intercession. L'accompagnement au piano ou à l'orgue (« On laissera l'interprète libre pour le pédalier et la registration ») contient des octaves parallèles syncopées ; la facture vocale mélodique est dotée de nombreuses altérations. La dernière partie Andante — avec traits de doubles croches au clavier et allègement des voix d'abord à découvert, puis en style note contre note — aboutit à une longue pédale aux voix et au rappel des octaves syncopées dans l'accompagnement. L'ensemble se déroule dans un mouvement lent et méditatif.

La partition comprend encore l'Hymne bien connue Lucis Creator optime commençant dans la douceur, sous-tendue par des traits de croches (par 3) avec entrées successives des voix, changements de mesures, accords parallèles pour terminer en force cette page qui s'inscrit dans la liturgie catholique de Pentecôte, sur un texte traditionnel traité avec une dynamique très subtile et dans l'idiome musical de notre temps.

 

Édith Weber.

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

Haut

 

Hervé LACOMBE et Nicolas SOUTHON (dir.) : Fortune de Francis POULENC. Diffusion, interprétation, réception. Rennes, Presses Universitaires de Rennes (www.pur-editions.fr ), 2016, 301 p. – 22 €.

Grâce aux efforts inlassables de Simon Basinger, rédacteur-en-chef des Cahiers Francis Poulenc et aux recherches musicologiques spécialisées, l'œuvre de Francis Poulenc (1899-1963) et plus particulièrement ses sources, son esthétique et son langage sont mieux connus des mélomanes et de ses admirateurs. En revanche, comme le soulignent Hervé Lacombe et Nicolas Southon, il manquait encore une réflexion sur le succès de son œuvre très appréciée au XXe siècle et « son devenir » actuel.

La première partie concerne la réception ; la deuxième, les problèmes d'interprétation ; la troisième, plus ciblée, son chef-d'œuvre : Le dialogue des Carmélites ; la quatrième  dégage ses affinités littéraires et musicales ; la cinquième replace Poulenc dans l'histoire de la musique, à partir des Années Vingt. La conclusion situe son œuvre par rapport à la musique savante, mais aussi au jazz et à la chanson entre 1922 et 2012 et, finalement, évoque son influence sur les compositeurs de tous horizons et leur réappropriation de son langage.

Les 17 auteurs cosmopolites (Angleterre, Japon, Italie, France) qui sont des universitaires de formation (musicologie, histoire, littérature, philosophie, mise en scène, bibliothéconomie…) ont réussi à cerner le succès de Francis Poulenc : de l'Espagne au Japon, d'Outre-Rhin à Strasbourg et même au Met… ou encore sous l'Occupation. Ils ont ainsi signé une large contribution à l'histoire de la réception et au destin jusqu'au XXIe siècle de l'œuvre de cet éminent compositeur français.

 

Édith Weber.

 

 

Pascal GRESSET (éd.) : Tempo Flûte. Paris, Revue de l'Association d'Histoire de la Flûte française (www.tempoflute.com ; tempo@live.fr ; 7, rue Louis Pasteur 95777 Saint-Clair-sur-Epte), numéro 14, second semestre 2016 (parution juin 2016), 68 p.

11, 80 € (+ frais de port).

Fidèle à ses rubriques habituelles, cette revue axée sur la flûte privilégie l'aspect technique, les expériences pédagogiques actuelles, les œuvres conçues pour cet instrument, mais aussi sa facture à propos des « Flûtes Parmenon », et des témoignages par le biais d'un entretien réalisé par Pascal Gresset, directeur de cette publication.

Au fil des pages de ce numéro très bien présenté et judicieusement illustré, les lecteurs découvriront l'activité (depuis 2014) de Philippe Bernold au poste de professeur de flûte au CNSMDP, ses partis pris dans la mouvance de John Eliot Gardiner, son approche personnelle de la musique baroque, ses choix discographiques mais aussi didactiques et même administratifs (organisation des Conservatoires). Les lecteurs auront l'impression d'assister à « une classe de maître » au Conservatoire de Genève, de mieux comprendre les thèmes abordés (son, legato, coup de langue, intervalles, qualités et palette sonore, problème d'accord…).

L'attention est aussi attirée sur l'apport pédagogique et artistique de Marie Corselis dont l'ouvrage : Enseigner la musique comme un art (Lyon, Symétrie, 2012) est particulièrement instructif, et l'auteur, très appréciée au Conservatoire de Genève. L'article plus technique est dévolu aux « Flûtes Parmenon », instruments haut de gamme, par le biais d'un très ponctuel entretien avec les facteurs, à l'initiative de Pascal Gresset (fabrication, modèles différents, sertissage, entretien des instruments, y compris les étuis, et même « la flûte à gauche »), assorti de nombreuses illustrations et de témoignages de flûtistes connus et du restaurateur Guy Colin, ainsi que de souvenirs concernant Aurèle Nicolet, Marcel Moyse, Michel Debost, René Le Roy, entre autres…

Cette Revue spécialisée est complétée par de précieuses informations relatives aux disques et partitions récentes qui seront très utiles aux enseignants, interprètes, mélomanes et discophiles. Ils apprécieront à plus d'un titre cette publication tout à l'honneur de l'Association d'histoire de la flûte française.

Édith Weber.

 

Pierre GERVASONI : Henri Dutilleux.  Actes Sud/Philharmonie de Paris. 1 vol. 2016, 1768 p. 49€.

 

Disons-le d'emblée, au delà de toute critique,  il faut d'abord s'incliner devant ce qui constitue une somme impressionnante. Aucun détail relatif à Henri Dutilleux n'a échappé à l'auteur, Pierre Gervasoni, et ce sous le regard bienveillant du compositeur et après sa disparition grâce à l'accès de ses archives autorisé par la famille. Mais à trop détailler, on perd peut-être l'essentiel : avoir des clés pour appréhender la musique du maître dans toutes ses dimensions. Sans doute l'entreprise de Gervasoni permet-elle d'entrer dans l'intimité du compositeur ; parfois on a l'impression de feuilleter l'agenda du maître dans lequel auraient été consignés tous les faits et gestes de la vie quotidienne. Il s'ensuit certains détails n'apportant guère d'éclairage particulier sur sa  personnalité, tel cet exemple loin d'être isolé: « Le lendemain la Fiat 124 récemment vidangée, graissée et lavée prend la direction de la Suisse ; à 13 heures 30, elle fait une halte à Dole, dans le Jura, pour que son conducteur assoiffé, affamé et fatigué recharge ses batteries » (p.1069). Ce qui alourdit l'ouvrage aussi, c'est l'abondance de citations dans le corps même du texte. Certes, ce sont souvent des extraits importants de courriers ou de critiques des auditions des œuvres de Dutilleux, mais on les aurait plutôt lues en note soit de bas de pages soit de fin de volume. Un autre regret que l'on peut avoir c'est l'absence totale d'iconographie avec à la place - ce qui est frustrant - de longues descriptions de photographies! On aurait par ailleurs apprécié avoir une liste des compositions du maître, non par ordre alphabétique mais par ordre chronologique de présentation au public en première audition. En revanche, au cours des longs développements on a une vision très intéressante de la vie musicale en France, mais aussi dans un certain nombre de pays comme les États-Unis, l'URSS. Bien évidemment de nombreux passages de ce livre aident à mieux cerner la personnalité d'Henri Dutilleux et à corriger quelques appréciations erronées ; il en est ainsi d'une prétendue attitude critiquable de sa part  pendant l'Occupation, ainsi que d'une prétendue grande lenteur dans l'écriture de ses compositions.

 

A propos de l'attitude de Dutilleux pendant la guerre, on se souvient qu'après son décès il a été question de placer une plaque sur la façade de l'immeuble de l'Ile Saint Louis où il vécut avec son épouse Geneviève Joy. Durant des semaines la ville de Paris a reculé l'échéance de la cérémonie sous prétexte d'un supposé « fait de collaboration » pointé par le Comité d'Histoire de la Ville de Paris. Il s'agissait de la composition d'une musique accompagnant un film dit de propagande ; en fait un documentaire à la gloire du sport, « Forces sur le Stade » (p 284). C'était oublier son attitude exemplaire pendant la guerre comme en témoigne le mot « LA HONTE » écrit de sa main sur la déclaration sur l'honneur dont le modèle fourni par la Sacem attestait de son aryanité et qu'il avait été contraint de signer (p.249). Et Gervasoni de rappeler que le jeune compositeur était inscrit au Front National depuis le 1er novembre 1943 (p.349). Front National qui, faut-il le redire, était un mouvement de résistance fondé par le Parti Communiste dans un esprit d'ouverture.

 

Quant à  la « lenteur » d'écriture elle serait illustrée par un catalogue assez mince. En fait il faut en rendre responsable les charges extrêmement nombreuses que le musicien a assumées : depuis le poste très prenant de chef du service des illustrations musicales à la radio nationale en passant par des commissions chargées de redéfinir la politique musicale en France ainsi que de nombreux jurys de concours, preuve de son engagement citoyen, de son ouverture d'esprit exceptionnelle. Gervasoni expose très bien cette caractéristique de la personnalité de Dutilleux. Ainsi souligne-t-il l'extrême curiosité du maître aussi bien en matière littéraire - le choix des poètes mis en musique le prouve -, en peinture et bien sûr en musique ; ainsi est-il de ces compositeurs soucieux d'assister aux concerts de ses confrères même éloignés de son esthétique : ne fait-il pas une incursion d'une journée à Rouen au printemps 1971 pour assister à une représentation du rare Ulysse de Luigi Dallapicolla (p.920)! On le voit aussi au Palais des Congrès de la Porte Maillot assister en 1974 à l'audition de Inori de Karlheinz Stockhausen (p.1004). Ainsi grâce à ce que nous en rapporte Gervasoni, a-t-on une description très complète de la richesse de la vie musicale en France sur plusieurs décennies.

 

DR

 

Ce livre est aussi l'occasion de portraits émouvants comme celui du directeur de l'école de musique de Douai, Victor Gallois, de Henri Büsser, des chefs d'orchestre Roger Désormière, Charles Münch..... Sont évoquées les profondes amitiés avec Irène Joachim, André Jolivet, Edison Denisov lequel vouait à Dutilleux une admiration totale. Les relations étroites avec Mtislav Rostropovitch sont aussi longuement décrites. Très étonnante est la description du cheminement sur près de 10 ans des Métaboles, avec l'infinie patience de Georg Szell. Ce livre est aussi l'occasion de s'arrêter sur des noms que l'histoire de la musique ne devrait pas oublier comme celui du chef hongrois Ferencs Fricsay, de la pianiste Monique de la Bruchollerie, des compositeurs - disciples de Dutilleux-  Francis Bayer et Jean Louis Florentz. Bien évidemment Geneviève Joy est omniprésente dans cette biographie : sa carrière est abondamment évoquée, ce qui n'est que justice. Deux découvertes pour le signataire de ces lignes. Tout d'abord le nom et par voie de conséquence l'œuvre puissante d'un compositeur soviétique, Andreï Eshpaï, évoqué par Dutilleux dans une correspondance adressée à Denisov (p.1204). Ensuite la relation avec Pierre Boulez très loin d'être fondée sur l'ignorance réciproque. Voici ce que celui-ci lui écrit en 1999 « Je voulais vous redire ce que nous avons évoqué dans notre conversation : si vous désirez écrire pour l'Ensemble Intercontemporain, vous serez le bienvenu. La formation que vous désirez sera votre décision.... » (p.1475).

 

Malgré ses défauts, cette biographie trop foisonnante permet d'avoir l'image d'une vie culturelle servie par un grand humaniste, compositeur essentiel du siècle passé et du début de l'actuel, admiré par les plus grands interprètes que la disparition du maître a pu profondément bouleverser comme ce fut le cas pour Barbara Hannigan : lisons ce qu'écrit Gervasoni en évoquant - avec grande pudeur - les derniers jours du compositeur : « Barbara Hannigan se rend à l'hopital Broca... Elle est accompagnée d'Anssi Kartunen et de Simon Rattle. Henri Dutilleux n'aura pas entendu la voix de ses Correspondances enflammer le public mais c'est tout comme... Ce que lui dit Barbara suffit à lui réchauffer le cœur. » (p.1590). Voici un ouvrage utile qui mérite d'être consulté tant les informations de première main sont abondantes.

 

Gilles Ribardière.

 

 

Jérôme ROSSI (dir. scientifique) : LA MUSIQUE DE FILM EN FRANCE Courants, spécificités, évolutions. 1 vol. 17x24 cm. Édition Symétrie, collection Recherche, Série 20-21, 2016, 470 pages, 45€.

 

Voilà un ouvrage « somme », écrit à plusieurs voix, et lisible ! Quel plaisir de voir que de nombreux mémoires ou thèses paraissent aujourd'hui sur la musique à l'image. Découpé en trois gros chapitres : « Les Pionniers » (1930-1960), « Nouvelles Vagues » (1960-1970), « Tendances Contemporaines » (1970 à aujourd'hui) et agrémenté de quelques entretiens avec des compositeurs, une vingtaine de chercheurs se sont penchés sur cet art mal aimé qu'est la composition pour le cinéma. Après une préface de Gilles Mouëllic - interviewé pour le site sur Jazz et musique de film – et une introduction fort bien documentée de Jérôme Rossi, les textes traitent soit de courants soit de compositeurs. Bien rédigés, précis, ils remettent à l'honneur les musiques des pionniers si souvent décriées - Honegger, Ibert, Auric, Manuel, Milhaud, et un bel entretien d'Henri Dutilleux de Stéphane Chanudeau -,  analysent la musique des cinéastes de la nouvelle vague (pas plus innovante que leurs prédécesseurs) ainsi que les musiques d'aujourd'hui avec les difficultés qui existent à composer dans ce genre spécifique. Quelques films sont étudiés plus concrètement musicalement – ces mémoires sont plus difficiles à suivre sans la présence de la musique, des scènes citées ou si l'on n'a pas une culture musicale plus poussée – : Kosma et la « Grande Illusion », Delerue et « Vivement Dimanche », Rombi et « Swimming Pool », Rivette et l'emploi de la musique contemporaine. Les nombreux entretiens sont passionnants à lire (Duhamel, Demarsan, Colombier, Cosma). Il faudrait citer tous les talentueux chercheurs qui ont participé à cet ouvrage. Un index des personnes et un index des œuvres le complètent. C'est un livre que l'on peut feuilleter selon ses humeurs et selon ce qu'on veut découvrir. Depuis ceux de François Porcile et d'Alain Lacombe on  n'avait pas eu entre les mains un ouvrage aussi intéressant. Tous les amateurs de musique de film, ou de musique tout court, devraient se le procurer.

 

Stéphane Loison.

 

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

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Heinrich ISAAC : Missa Virgo prudentissima. Ensemble Gilles Binchois, dir. Dominique Vellard.  1CD ÉVIDENCE (www.evidenceclassics.com): EVD023 : TT :  64' 50.

 

Heinrich Isaac, vraisemblablement originaire des Flandres, est né vers 1450 et mort en 1517 à Florence. Sa production se situe entre le XVe et le XVIe siècle ; elle comprend des Messes, dont certaines reposent sur des cantus firmus de mélodies grégoriennes ou profanes. Ses œuvres se rattachent en principe à l'esthétique franco-flamande. Il est l'auteur du recueil Choralis Constantinus destinée à la Cathédrale de Constance, terminé en 1529, regroupant des pièces pour l'Office et les grandes Fêtes. Il préconise l'écriture de 4 à 6 voix et un contrepoint élaboré. Il est aussi célèbre par ses Chansons (Tenorlied),  par exemple : Innsbruck, ich muss dich lassen (Innsbruck, je dois te quitter). Il a été chanteur, compositeur, maître de chapelle, et — selon l'usage de l'époque — a séjourné en Italie. Au cours de son voyage, il s'est arrêté à Innsbruck et, en 1497, est nommé Compositeur de la Cour de l'Empereur Maximilien Ier. Ensuite, il sera au service de Laurent le Magnifique et, avec le retour des Médicis au pouvoir, devient Presidente della Cappella et séjourne alors en Italie, avec l'accord de Maximilien Ier. Il meurt à Florence, le 26 mars 1517. Le disque s'ouvre sur le Motet à 6 voix : Gaudeamus omnes in Domino (dédié précisément à l'Empereur), associé au plain-chant Virgo Prudentissima (antienne de l'Assomption) qui, dans la Messe éponyme, servira d'ailleurs de fondement au Kyrie et au Gloria. L'Ensemble Gilles Binchois est dirigé depuis 1979 avec autorité par Dominique Vellard, remarquable chef, compositeur, musicologue et professeur. Ils ont à leur actif une quarantaine de disques qui s'imposent par leur somptueux paysage vocal, leur justesse extrême et la profondeur de l'expression très intériorisée.

 

Édith Weber.

 

Johannes BRAHMS : Symphonies 3 & 4. Orchestre d'État de Francfort, dir. Howard Griffiths. 1CD KLANGLOGO (RONDEAU PRODUCTION www.rondeau.de): KL 1514 . TT : 71'47.

Un chef anglais, Howard Griffiths, formé au Royal College of Music, à la tête d'un Orchestre allemand, le Bradenburgisches Staatsorchester (à Francfort et enregistré dans cette ville en 2015) et une farouche volonté de faire re-découvrir deux Symphonies de Johannes Brahms (1833-1897) selon les critères de la pratique musicale historique : telle pourrait être la carte d'identité de cette réalisation discographique et actuelle, et résumer les particularités de cet enregistrement. Ces deux Symphonies sont dirigées et restituées par ce chef de réputation internationale.

Le compositeur a élaboré ses 4 Symphonies entre 1876 et 1885. Il a souhaité émanciper le concept de symphonie après Beethoven, mais pas au sens de Franz Liszt, elles se situent dans le sillage de la forme sonate et nécessitent un orchestre puissant. Il a placé les instruments comme à l'époque de Brahms, tenu compte des préoccupations du chef d'alors, Fritz Steinbach et de la dernière édition de l'Urtext.

La Symphonie n°3 (op. 90), en fa Majeur, créée en décembre 1883, a immédiatement connu un grand succès aussi bien en Europe qu'aux États-Unis. Elle est structurée en 4 mouvements : 1. Allegro con brio de caractère héroïque et majestueux, faisant appel à des modulations inattendues ; 2. Andante plus serein, avec discrets rappels du premier thème de l'Allegro ; 3. Poco Allegretto plus langoureux et douloureux, avec reprise du thème principal, et un grand souci de diversification des coloris et timbres de l'orchestre ; 4. Allegro, d'abord inquiet, aboutissant à un fortissimo mais, vers la fin, l'indication poco sostenuto débouche sur une conclusion pianissimo, calme, majestueuse et méditative.

La Symphonie n°4 (op. 98), en mi mineur, composée en 1884 et 1885, a été créée par le compositeur en 1885. Le premier mouvement : Allegro non troppo avec un thème aux violons et un signal d'appel réitéré caractéristique, de construction symétrique, se termine par une coda assez sombre contrastant avec l'Andante moderato avec un thème confié aux cors aboutissant à une coda avec quelques roulements de timbales et le rappel du premier thème. L'Allegro giocoso s'apparente à un scherzo avec un thème énergique, un rythme caractéristique de fanfare contrastant avec le second thème plus lyrique aux accents populaires, puis enrichi des sonorités complémentaires des contrebasson, triangle et piccolo. L'Allegro energico e passionato se rattache à l'esthétique préclassique avec chaconne et variations. Cette Symphonie est certainement la plus appréciée des quatre.

L'Orchestre d'État de Francfort et son chef, Howard Griffiths, se distinguent par leurs efforts d'authenticité, de fidélité aux critères d'époque, par leur expressivité —sentimentale mais non ampoulée — dans les mouvements lents, par les nuances minutieusement étudiées. Tout en s'appuyant sur la tradition symphonique, Brahms fait preuve d'un souci d'innovation. Les interprètes proposent un « Brahms autrement », conformément à une recherche de la pratique musicale historique.

Édith Weber.

 

Louis VIERNE (1870-1937) : Cycle Spleens et Détresses op. 38 - Piano Quintet op. 42. Anaïk Morel, mezzo-soprano, Muza Rubackyté, piano. Terpsycordes Quartet. 1CD FAZIOLI : CD 95367. TT : 66'56.

Le nom de Louis Vierne évoque immédiatement l'organiste de Notre-Dame, son esthétique et l'orgue symphonique ou, par exemple, sa célèbre Toccata (1912). Ses goûts littéraires semblent moins connus du grand public, pourtant, il a mis en musique en 1917 le Cycle Spleens et Détresses (op. 38) sur des poèmes de Paul Verlaine (1844-1896). Le compositeur a sélectionné des titres évocateurs (Ennui, Sommeil, Spleen) ou descriptifs et des atmosphères particulières (Le son du cor, si cher aux romantiques). Les mélodies sont interprétées par Anaïk Morel (Mezzo-Soprano) — née à Lyon, diplômée du Conservatoire National Supérieur de Musique de cette ville et titulaire de nombreuses distinctions, soliste internationale —, elle est accompagnée au piano (Fazioli) par la pianiste lituano-française Muza Rubackyté. Dès les premières mesures, la voix lyrique, bénéficiant d'une large tessiture, traduit le vague à l'âme et l'ennui (1), évoque le Grand sommeil noir (2) ou encore le spleen (3) conformément au titre du disque. D'autres brefs poèmes cèdent la place au sentiment amoureux (4), puis aux effusions lyriques (5), animées (6), quelque peu énigmatiques (9) et, enfin, le poème Marine (10), plus mouvementé et plein d'élan, fait appel à la virtuosité des deux interprètes. Quant à la pianiste, elle soutient la voix, assure des transitions, crée le climat requis par chaque poème ; avec Anaïk Morel, elles forment un duo équilibré qui s'impose par sa musicalité.

Composé également en 1917, le Piano Quintet (op. 42) est structuré en trois mouvements contrastés : Poco lento-Moderato ; Larghetto sostenuto ; Maestoso-Allegro molto risoluto. Ils sont interprétés par le Terpsycordes Quartet, fondé en 1997, résidant à Genève. Composé de Girolamo Bottiglieri (premier violon), Raya Raytcheva (second violon), Caroline Cohen-Adad (alto), François Grin (violoncelle), il se produit lors de Festivals dans le monde entier et est ici associé à la pianiste Muza Rubackyté. L'enregistrement effectué au Fazioli Concert Hall à Sacile (Italie) restitue avec finesse une riche palette émotionnelle admirablement renforcée par les protagonistes.

Sortant des sentiers battus, cette production discographique projette un éclairage peu connu sur la production de Louis Vierne certes sensible à la musique liturgique pour orgue, mais aussi à des chefs d'œuvre de la poésie française et à la musique de chambre. Incontestablement : une découverte.

 

 

Édith Weber.

 

Léonce de SAINT-MARTIN : Œuvres pour orgue, Vol. 1. Anthony Hammond, orgue. 1CD IFO Classics  (www.ifo-classics.com) : ORG 7258.2. TT : 74' 35.

Le Label IFO Classics inaugure une Série d'enregistrements consacrée aux œuvres pour orgue de Léonce de Saint-Martin (1888-1954), organiste talentueux et compositeur prolifique de musique religieuse, dont les récitals à Notre-Dame de Paris ont, chaque dimanche en fin d'après-midi, attiré tant d'auditeurs fidèles. Toutefois, pour ce premier volume, Anthony Hammond a retenu, non pas l'Orgue Aristide Cavaillé-Coll pour lequel Léonce de Saint-Martin a pensé ses œuvres, mais l'instrument du même facteur (1845-1846) à l'Église de La Madeleine, revu successivement par Mutin (1927), Roethinger-Boisseau (1956), Danion-Gonzalès (1971) et Bernard Dargassies (2001). Il possède 4 claviers : Grand Orgue, Positif, Bombarde, Récit expressif et Pédale et, en outre, des pédales de combinaison. L'excellent organiste, élève de Roger Fisher, David Briggs et Naji Hakim, est aussi l'auteur d'une Thèse de Doctorat consacrée à Pierre Cochereau dont il a d'ailleurs reconstitué des Improvisations. Spécialiste de l'Orgue symphonique (fin XIXe-début XXe siècle), il a élaboré un programme typique mettant en valeur les différents aspects de l'inspiration de Léonce de Saint-Martin, également sensible aux faits d'actualité. C'est le cas de sa majestueuse et triomphante Toccata de la Libération (op. 37), œuvre de circonstance réalisée à Paris en août 1944. Ce disque comprend aussi la Pastorale (op. 35), écrite pendant la Seconde Guerre mondiale ; la Suite cyclique en quatre parties : Prélude, Fugue, Cantilène, Carillon et son intéressante Paraphrase du Psaume 136, « Super flumina Babylonis » (op. 15), datant de 1932, en quatre parties avec des titres conformes au contenu du Psaume, quelque peu à la manière d'une « musique à programme » : Tristesse des Hébreux captifs de Babylone (1) traduisant leur situation dramatique ; Lamentation au souvenir de Jérusalem (2) exprimant leurs regrets et contrastant avec Babylone la Superbe (3) et, enfin, leur ressentiment : Les Hébreux maudissent leurs vainqueurs (4). L'enregistrement s'achève par sa Symphonie Dominicale (op. 39) : Prélude, Aria, Fantaisie-Choral, Prière et Postlude, composée après la Guerre entre 1946 et 1948 et avant la réforme liturgique de Vatican II, car Léonce de Saint-Martin souhaitait compléter la messe basse (missa lecta) par un concert : d'où cette symphonie dont le Prélude correspond au Kyrie ; la Fantaisie-Choral, au Benedictus et le Postlude, à la Sortie animée.

Ce premier Volume, à l'heureuse initiative de l'Association Les Amis de Léonce de Saint-Martin, est très prometteur. Il illustre les différentes facettes de son esthétique se situant, en fait, dans la mouvance du Postromantisme et de César Franck très admiré par Léonce de Saint-Martin. Dans l'attente du second Volume…

Édith Weber.

 

Erik FELLER : Gregorian Orchestra. Chœur grégorien de Paris, dir. Xavier Chancerelle. 1CD DOM (www.disquesdom.com) : DOM 1254. TT : 52'48.

Erik Feller, pianiste, organiste et compositeur, ayant effectué ses études notamment auprès de Francis Chapelet, André Isoir, Pierre Cochereau…, collabore avec de nombreuses chaînes de télévision en France et à l'étranger. Depuis 1994, il a composé environ une centaine d'œuvres : musiques symphoniques, musiques symphoniques avec chœur, musiques de ballet et électroacoustiques. Il est aussi orchestrateur et, d'une manière générale, spécialisé dans la musique de film et la musique contemporaine.

Le titre si original de son nouvel album : Gregorian Orchestra pourrait surprendre. En fait, Erik Feller précise qu'il a « utilisé le chant grégorien comme une source sonore d'esthétique forte, qui vient dialoguer et se fondre avec l'orchestre, ce dernier portant à lui seul cette cargaison visuelle, cinématographique. Chacun peut y voir ce qu'il veut, c'est le but, la musique est ici volonté d'un voyage fantastique, seul a prédominé un souci d'esthétique et d'imaginaire ».

Le compositeur fait appel à un orchestre symphonique, à 5 membres du Chœur Grégorien (de Paris) et à un support informatique. Les différentes parties sont dotées de titres familiers : Kyrie (IV, XVII), Pange lingua, Ave Maris Stella, Ubi caritas, entre autres.  Suivent le répons pour la Semaine Sainte : Potum Meum et la Messe de Requiem selon la structure habituelle : Requiem, Kyrie, Dies Irae, Sanctus, Agnus. Les mélomanes retrouveront donc des références liturgiques et constateront la préoccupation de grandeur, mais aussi l'effet de surprise.

Certains puristes s'étonneront peut-être de cette juxtaposition d'un orchestre puissant et coloré estompant quelque peu des voix d'hommes. Selon le regretté Marc Honegger, Erik Feller privilégie « le sens des vastes espaces, des architectures monumentales ». Ces pièces brèves font preuve d'une grande curiosité artistique et de l'exploitation du langage de notre temps, pourtant associé au chant grégorien multiséculaire mais décontextualisé. La Messe de Requiem (plages 10-14) est plus recueillie, intériorisée ; elle contraste ainsi avec le tumulte des œuvres précédentes. Véritable prouesse : Erik Feller non seulement dirige le chœur et l'orchestre, mais encore assure la partie informatique.

À écouter certes avec une indispensable curiosité, à réécouter pour mieux cerner les multiples objectifs esthétiques et émotionnels du compositeur et apprécier sa musique délibérément du XXIe siècle, pour, finalement, constater que c'est bien le « chant grégorien dans un univers cinématographique ». Pari soutenu par un compositeur et chef d'une incontestable profusion et générosité.

 

Édith Weber.

 

Frédéric CHOPIN : Polonia. Polonaises op. 26, 40, 44, 53. Polonaise-Fantaisie op. 61. Pascal Amoyel, piano. 1CD LA DOLCE VOLTA (www.ladolcevolta.com): LDV 25. TT : 63'32.

Pascal Amoyel rappelle : « Lorsque j'étais enfant, vers 6, 7 ans, j'essayais de reproduire d'oreille les musiques que j'entendais et Chopin y figurait en bonne place… lorsque j'ai commencé mes vraies études de piano à 10 ans, c'est naturellement vers Chopin, mais aussi vers Liszt que je me suis tourné ». Après son Baccalauréat scientifique, il étudie à l'École Normale de Musique de Paris, puis au CNSM où il obtient en 1992 les Premiers Prix de Piano et de Musique de chambre ; il est aussi Lauréat des Fondations Menuhin et Cziffra, titulaire du Premier Prix du Concours international des Jeunes Pianistes de Paris et remporte une « Victoire de la Musique » dans la catégorie « Révélation soliste instrumental de l'année ». Il se perfectionne également auprès d'Aldo Ciccolini, Pierre Sankan. Son rayonnement national et international est considérable.

La Polonaise est une danse lente et solennelle à trois temps très populaire depuis le XVIIe siècle, employée lors de processions et de festivités,  parfois chantée et provenant de la musique populaire polonaise rurale, forme empruntée par Jean Sébastien Bach dans sa Suite française n°6 (BWV 817), puis par son fils Carl Philipp Emanuel dans la musique de clavecin, également traitée par Telemann, Haydn et Beethoven (Rondo alla Pollaca). Les nombreuses Polonaises de Frédéric Chopin (1810-1849) marquent l'apogée du genre et le renouvellement de la forme. La présentation particulièrement somptueuse, bien illustrée, comporte des introductions multilingues… Après son inoubliable enregistrement des Nocturnes en 2014, Pascal Amoyel s'attaque aux redoutables Polonaises (op. 26, 40, 44, 53) ainsi qu'à la Polonaise-Fantaisie (op. 61). L'éminent pianiste résume ainsi sa démarche : « Dans mon imaginaire, les Polonaises de Chopin avec leur ton si affirmatif, leur dimension narrative, et surtout cet élan qui se marie naturellement à celui qu'on éprouve en découvrant puis en maîtrisant le piano, devinrent très tôt des buts à atteindre ». Pour ce disque — réalisé en août 2015 à l'Église luthérienne du Bon Secours (Paris) —, Pascal Amoyel a judicieusement sélectionné un Piano Steinway (D 357) qui s'impose par sa palette sonore exceptionnelle que le musicien exploite, tour à tour, avec élan, brio, envolées lyriques bien enlevées, énergie ou encore émotion, rêverie… grâce à sa technique hors pair, son jeu perlé, son toucher délicat, son sens du phrasé et du rythme, et son intellection de ces pages de Chopin. Pour conclure, la Polonaise-Fantaisie (op. 61), en La b, composée en 1845-1846, œuvre plus libre en 3 parties : vif-lent-vif, avec une grande variété mélodique, représente en quelque sorte la synthèse des autres Polonaises. Le compositeur fait appel au lyrisme et au caractère exubérant, contrastant avec la mélodie plus tendre dans le mouvement central Lento, puis à un grand déploiement de force en conclusion. Incontestablement, les mélomanes se laisseront entraîner et envoûter par ces Polonaises.

 

Édith Weber.

 

 

Antonin DVOŘÁK : Trios pour piano op. 65 & op. 90, « Dumky ».  Busch Trio. 1CD Alpha : Alpha 238. TT. : 76'.

 

Le jeune Trio Busch, formé en 2012, s'est vu rapidement proposer une résidence à la Chapelle Musicale Reine Élisabeth, un haut lieu de la musique de chambre en Belgique. Ses trois membres anglais ont travaillé avec l'altiste Miguel Da Silva et le pianiste András Schiff. C'est déjà une formation recherchée. Ils projettent d'enregistrer l'intégrale des trios de Dvořák. Le premier disque propose les trios N° 3 & 4. L'allegro ma non troppo du Trio N°3 op. 65 (1883) offre un ton puissant et tragique évoquant quelque solidité brahmsienne même dans la deuxième section plus fougueuse. Un sentiment d'urgence parcourt tout le mouvement qui cache à peine une riche mélodie chez un compositeur ayant déjà à son actif des Danses moraves et des Danses slaves. L'allegretto grazioso est plus un intermezzo qu'un scherzo, doucement balancé, un brin mélancolique, mais aussi affirmé dans son obsédante énergie. Le trio  apporte quelque lyrisme voilé. Le pocco adagio, qui s'ouvre par une mélodie inspirée du violoncelle, déploie un climat apaisé. Le discours se fait plus éloquent sans perdre son lyrisme choisi dans la partie de violon sinueuse. C'est là une réflexion poétique sans épanchement inutile que les Busch traduisent avec bonheur. Comme naguère leurs ainés, les Beaux Arts Trio. Au finale con brio, on pense à quelque danse tchèque, un furiant par exemple. Mais est-ce bien cela ? Une formulation plus abstraite plutôt, qui si elle puise dans la veine populaire, le fait par allusion. L'agencement du mouvement retrouve l'urgence du premier mouvement avec la belle scansion du piano et des plages de lyrisme comme peu avant la fin rapide.

 

Le Trio N° 4 op 90 dit '' Dumky trio'' (1890-91) est tout à fait original dans la production de Dvořák. Ses six mouvements sont une suite de dumka, une danse d'origine ukrainienne qui se serait slavisée : une sorte de spleen traversée d'accès de fièvre, alternance de chants méditatifs et de danses joyeuses, de brillance et d'intimité. Chaque mouvement alterne ainsi lent et vif. Le lento maestoso de la première impose un climat déclamatoire avant que la dumka rompe soudainement le discours. La deuxième débute par une jolie mélopée du cello sur de doux accords du piano. Le mystère s'installe qui débouche sur une section vivace. Les Busch sont d'une remarquable profondeur jouant à fond les contrastes. La troisième se signale par son début poétique presque vocal et la section vivace permet de dénicher quelque inspiration populaire. A la quatrième s'installe une manière de marche. C'est la plus typique du style syncopé de la Dumka  - et un bis favori du Beaux Arts Trio naguère! -, tour à tour retenu et enjoué. Quelque éloquence distingue la cinquième dont la phase méditative est encore plus raréfiée qu'ailleurs et la partie rapide plus engagée. La dernière est dramatique dans son lento initial, extrêmement expressif, tranchant sur un vivace presque boulé. Les jeunes artistes du Trio Busch signent là un bien beau disque, au surplus magnifiquement enregistré. Leur vision, justement, ne cherche pas à solliciter quelque lyrisme facile. On est frappé au contraire par une retenue de bon aloi et un sens du rythme slave idoine.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« France Espagne ». Emmanuel CHABRIER : España. Jules MASSENET : Suite de Ballet du Cid. Maurice RAVEL : Alborada del gracioso. Claude DEBUSSY : Iberia. Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. 1 CD Musicales Actes Sud : ASM 17.TT.: 51'04.

 

L'attrait exercé par L'Espagne sur les musiciens français au tournant des XIX ème et XX ème siècle est fascinant. François-Xavier Roth a voulu en porter témoignage dans ce disque réunissant Chabrier, Massenet, Ravel et Debussy. Comment mieux commencer que par la rhapsodie pour orchestre España que Chabrier compose en 1883 : brillante orchestration, effets d rythmes assurés, enfiévrés dans l'exécution de Roth et de ses musiciens des Siècles. On connait moins la Suite de ballet tiré de l'opéra Le Cid. Massenet et l'Espagne, voilà une longue histoire d'amour, depuis l'opéra Don César de Bazan (1872 ) jusqu'à Don Quichotte (1910), en passant par La Navarraise (1894) et Le Cid (1884). Il s'inspire ici du folklore espagnol pour former les sept sections du ballet inscrit au cœur de son opéra, comme exigé alors par les pratiques de l'Opéra parisien. Des divers provinces de la péninsule : la Castille avec une « Castillane » endiablée au son de ses castagnettes, l'Andalousie et une « Andalouse » dotée d'un rythme de habanera, l'Aragon et une « Aragonaise » bâtie sur une danse de Jota à trois temps avec tambour de basque. Après une séquence « Aubade », intermède signalant un joli morceau de petite flûte, les danses reprennent avec la « Catalane », sorte de sardane plus grave, obsédante, la « Madrilène », autre morceau lent au parfum gitan dont se détachent les arabesques de la flûte et du cor anglais, et enfin la « Navarraise » qui s'embrase en une ébouriffante farandole. Ce que Roth transmet là aussi avec passion et moult couleurs. Conçu d'abord pour piano, en 1906, Alborada del garcioso sera orchestré par Ravel en 1918. C'est un bref conte fantastique, le ''gracioso'' étant un bouffon, le polichinelle de la littérature espagnole des comédies de Calderón et de Lope de Vega. L'exécution offre ici mystère et retenue (coda), et les vents des instruments dits d'époque apportent une coloration particulière. Le florilège se conclut par Iberia, volet central des Images pour orchestre (1905-1908), pièce elle-même tripartite. Debussy y peint une Espagne rêvée, « imaginée avec une exactitude incroyable » dira Isaac Albéniz. « Par les rues, par les chemins » évoque une journée ensoleillée, voilée d'une certaine mélancolie chez Roth. « Les parfums de la nuit » libèrent les effluves d'une nuit étouffante,   quelque chose de trouble, de presque inquiétant, que la présente interprétation traduit à la perfection en retenant le tempo et à travers le soliloque de la flûte. Laissant  entrevoir un lever du jour souhaité mais qui ne vient pas. « Le matin d'un jour de fête » n'offre cette félicité d'abord que par à coups, avant que l'atmosphère s'embrase après un amusant crin crin de violoneux. On admire l'extrême lisibilité du discours et la coloration là encore singulière qu'apportent les instruments d'époque des Siècles.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

Piotr Ilyich TCHAIKOVSKI : Quatuor à cordes N° 2 op. 22. Dimitri CHOSTAKOVITCH : Quatuor à cordes N° 8 op. 110. Deux mouvements de Quatuors. Quatuor David Oistrakh. 1CD Muso : MU-011. TT.: 65'21.

 

Il est réconfortant et symptomatique que de jeunes interprètes chambristes s'approprient le nom de leurs grands maîtres : le Trio Busch... le Quatuor Oistrakh. Ces quatre russes fort talentueux associent ici Tchaikovski et Chostakovitch. Le Deuxième Quatuor op. 22 de Tchaikovski est écrit en 1874, par un musicien de 34 ans très confiant. L'œuvre possède une grande charge de tension à l'aune de l'adagio initial puissant, libérant vite un moderato quasi andantino où perce quelque thématique populaire. Les quatre voix sont très fondues ou développent un savant contrepoint entre violons I & II et cordes graves. Toute la tension accumulée se relâche à l'extrême fin. Le scherzo introduit un climat mélodieux qu'on rencontrera si souvent chez le compositeur, notamment dans ses opéras. La valse du trio, d'une belle clarté, offre une agréable diversion. Le mouvement lent est un andante d'un chant profond. La délicatesse d'accent lyrique ne verse pas dans le démonstratif cependant. Une deuxième section libère quelque tension sous-jacente comme on le trouvera dans les symphonies, la Quatrième bientôt. Pour complexe qu'elle soit, la construction est d'une cohérence remarquable. Le mouvement s'achève dans une fusion des deux tendances. Le finale est engagé, par un procédé de répétition cher à  l'auteur d'Eugène Onéguine. L'exubérance gagne peu à peu jusqu'à une fugue savante et une péroraison en apothéose. Les Oistrakh offrent une interprétation extrêmement équilibrée et techniquement accomplie. Il en va de même de leur vision du Huitième Quatuor de Chostakovitch. De cette confession unique, ils proposent une exécution puissante, sans concession, mue par une force intérieure et un extrême ton tragique, outre une plastique instrumentale remarquable. Le largo est plus sombre que sombre, effrayant, sorte de requiem intime. L'allegro est anguleux (peut-être plus encore que chez les Danel - cf. NL de 7/2016), le motif DSCH comme lacéré. Cela ne connait pas de rémission dans un tempo proche du presto jusqu'à des cris éperdus dans la partie ultime. Le contraste avec l'allegretto est intéressant, la valse déconstruite sardonique à l'envi. Le jeu est acéré sur le motif signature et ne le cède en rien à une manière ironique. Un travail exceptionnel des Oistrakh sur la sonorité et la rythmique. Le premier largo libère une énergie effrayante, celle d'une tragédie effroyable (accords répétés, assénés lourdement). La méditation est poignante. Le second largo ouvre quelque perspective optimiste peut-être. Le disque se conclut par Deux Pièces pour quatuor à cordes – qui ne figurent pas dans l'intégrale des Danel. Datant de 1931, mais publiées en 1983, elles associent une ''Elegy'', d'après l'opéra Lady Macbeth de Mzensk, alors en cours de composition (un adagio lyrique traversé de convulsions) et une ''Polka'' tirée du ballet L'Âge d'Or de 1928 (en forme de pizzicattos et à l'humour grinçant... déjà!). Une formation à suivre de près.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Isaac ALBÉNIZ : Concerto pour piano N° 1, op. 78. Rapsodia espaňola, op. 70. Suite extraite de « L'Opale magique ». Suite Espanola. Martin Rescoe, piano. BBC Philharmonic, dir. Juanjo Mena. 1CD Chandos : CHAN 10987. TT.: 79'42.

 

Certes moins connue que ses œuvres pour piano, la musique d'orchestre d'Isaac Albéniz (1860-1909) n'en mérite pas moins le détour. Le présent disque en propose une intéressante anthologie. A commencer par deux pièces concertantes. La Rapsodia espaňola op. 70 date de 1887 et comme son nom l'indique célèbre l'Espagne! Elle est proposée ici dans l'orchestration réalisée par Georges Enesco. Elle est conçue sur le modèle que Liszt utilise pour ses rapsodies hongroises, avec une introduction lente suivie de divers épisodes rapides en forme de danses : de la petenera (flamenco), de la jota ou de la malaguena (encore flamenca mais plus langoureuse). La pièce déploie de séduisants climats, brillamment mis en valeur dans l'instrumentation inventive  d'Enesco. L'interprétation de Martin Rescoe et de Juanjo Mena est on ne peut plus idiomatique. Le Concerto pour piano N°1 (mais il restera le seul!) op.78 date de la même année 1887. Il est sous-titré ''Concierto fantástico''... Ses trois mouvements flirtent avec le schéma classique, largement revisité par Albéniz qui semble lui refuser tout côté ibérique. Le premier mouvement allegro vire très vite sur un andante rêveur, en particulier dans le soliloque du piano. Le discours est aisé, plus chopinien qu'espagnol (malgré une répétition de notes qui tend à le faire croire). Un tempo plus prestissimo s'installe ensuite. « Rêverie et Scherzo » fait se succéder deux épisodes, calme, puis agité, ce dernier introduisant une mélodie enjouée. Le finale apporte de multiples changements de rythmes dont un mouvement de valse. Cela module toujours aussi agréablement, sans prétention autre que décorative. Magistrale exécution des deux partenaires.

 

Orchestre pur avec la Suite tirée de l'''Opale magique'', un opéra comique créé en 1883 à Londres ; ladite pierre magique sertie dans un anneau étant supposée rendre amoureuse toute personne qui s'aventure avec le porteur. L'action se passe en Grèce, mais cela sonne plus espagnol que grec. Au fil d'une Ouverture un peu grandiloquente et d'un prélude du II ème acte encore plus typé, introduit par la harpe qui elle-même installe une danse  énergique. Quant au ballet de ce même II ème acte, il est entrainant avec son léger déhanchement. Le morceau le plus espagnol est nul doute la Suite espanola. Elle connut pourtant des vicissitudes et réorchestrations diverses dont celle, donnée ici, due au chef Rafael Frühbeck de Burgos. On y trouve à bien des égards la préfiguration du fameux livre de piano Iberia. C'est une succession de danses typiques. « Castilla » est une séguedille avec castagnettes, au rythme vigoureux et coloré. « Granada » une sérénade andalouse dont se détache la mélodie de la flûte relayée par un orchestre gorgé de senteurs. Le rythme de « Sevilla » est difficilement résistible, chaloupé et ostinato de tout un orchestre ensoleillé, et une sorte d'improvisation flamenca au milieu. « Asturias » doit beaucoup à la guitare et la rythmique insistante a quelque chose de vocal, en particulier dans l'improvisation médiane. Enfin avec « Aragon », c'est la joie aragonaise de sa fameuse Jota si animée et pleine de couleurs, une danse de copla plus méditative faisant contraste. Cela brille de mille feux dans l'interprétation de Juanjo Mena. Le BBC Philharmonic s'identifie à ces tunes grâce à l'empathie éprouvée par leur chef espagnol. Magnifique prise de son d'un bel impact.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Alexandre SCRIABINE : Symphonies N°1 op. 26 et N°2 op. 29. Ekaterina Sergeeva, Alexander Timchenko. London Symphony Chorus. London Symphony Orchestra, dir. Valery Gergiev. 2CDs : LSO0770. TT. :  50'08+41'01.

 

Aux antipodes des œuvres de la dernière manière comme le Poème de l'Extase, les deux premières symphonies présentent d'Alexandre Scriabine une veine bien différente. La Première symphonie op. 26, de 1899-1900, est en six mouvements dont le dernier est vocal. Elle débute en forme d'ouverture par un lento très lyrique dominé par les cordes créant un climat bucolique. L'allegro dramatico introduit quelques remous avec des vagues successives et des interventions des cuivres où pointe déjà la dernière manière du musicien. Une section médiane encore plus animée bouscule un ordonnancement qui reste profondément lyrique avec de jolis traits des bois. Gergiev qui répartit ses violons de part et d'autre, achève une fine balance. Un curieux point d'orgue conclut le mouvement. Un nouveau lento poursuit une trajectoire cherchant à illustrer une forme de beauté apollinienne à travers, par exemple, un court solo de clarinette. Le discours se fait plus prégnant mais le lyrisme reprend aussitôt ses droits. Un court vivace fait office de scherzo agréablement articulé aux premiers violons, avec de curieuses associations (petite flûte et xylophone). L'allegro qui suit reprend le mode du deuxième mouvement, quoique hésitant entre lyrisme et drame jusqu'à un accord final abrupt. Le finale andante est donc vocal (mezzo, ténor et chœurs) introduit par un climat de nouveau bucolique aux bois. Le texte célèbre la merveilleuse image divine, l'exaltation de la vie et la louange de l'art, par chacune des deux voix ou les deux réunies. Enfin le chœur entonne un hymne de gloire à l'art et la symphonie s'achève dans une vision idéalisée, un peu grandiloquente. La Deuxième symphonie op.  29 (1901) offre cinq mouvements alternant deux paires (lent-vif et vif-lent) s'articulant autour d'un noyau central andante. Scriabine y affirme un style plus personnel. Dans la première partie, l'andante sombre, marqué par la clarinette dans le registre grave, se développe en vagues agitées. C'est une lutte entre deux types de principes, les thèmes '' actifs'', dramatiques, et les thèmes ''passifs'', plus fluides et souvent sensuels. Dont l'allegro vigoureux impose la dialectique. Un dramatisme insistant annonce les convulsions des dernières œuvres, ce que Gergiev ne se prive pas de souligner. La partie médiane est un andante d'un lyrisme proche de la féerie, décrivant quelque jardin des délices (flûte imitant les chants d'oiseaux, grandes vagues des cordes mezza voce ou s'enflant démesurément ). Y a-t-ildéjà  la manifestation musicale de ces idées occultes surréalistes qui fleuriront dans les dernières œuvres ? La deuxième partie s'ouvre par un ''allegro tempetuoso'', grondant, régi par des thèmes ''actifs'' véhéments avec cuivres et percussions, annonçant le maestoso final qui développe une marche boursoufflée que Scriabine reniera par la suite comme « trop militaire », là où il voulait « un triomphe radieux ». Valery Gergiev et ses forces du LSO donnent de ces deux symphonies des exécutions de haute tenue. La captation live est un peu compacte, dans la première pièce en particulier.   

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Richard STRAUSS : Der Rosenkavalier. Comédie pour musique en trois actes. Livret de Hugo von Hofmannsthal. Krassimira Stoyanova, Sophie Koch, Günther Groissböck, Mojca Erdmann, Adrian Eröd, Silvana Dussmann, Rudolf Schasching, Wiebke Lehmkuhl, Tobias Kehrer, Franz Supper, Martin Piskorski, Dirk Aleschus, Roman Sadnik, Stefan Pop, Andreja Zidaric, Phoebe Haines, Idunnu Münch, Alexandra Flood, Rupert Grössinger. Salzburger Festspiele und Theaterchor. Konzertvereinigung Wiener Staatsoper. Members of the Angelika-Prokopp-Sommerakademie der Wiener Philharmoniker. Wiener Philharmoniker, dir. Franz Welser-Möst. Mise en cène : Harry Kupfer. Salzburger Festspiele 2014.

 

Voici la restitution filmique de la représentation du Chevalier à la rose  du Festival de Salzbourg 2014, qui faisait dire à sa Présidente qu'elle était « l'une des plus réussies des nombreuses productions données au festival de cet opéra de Richard Strauss » (in ''Propos partagés'', NL de 3/2016). De fait, sans en éclipser d'autres, celle-ci, due à Harry Kupfer, possède de sérieux atouts. Elle surprend agréablement par sa fidélité au texte tout en offrant une vision renouvelée de ce grand classique straussien. Elle situe l'action au début du XX ème siècle, à l'époque même de la création de l'opéra, dans cette ville de Vienne que le musicien et son poète, Hugo von Hofmannsthal rêvaient de célébrer à travers le propos d'une histoire amoureuse à quatre personnages. Quelques éléments topiques signent cette datation : un phonographe à pavillon, des meubles début de siècle, des costumes pareillement achalandés ; ces objets et personnages qui imperceptiblement changent de place au sein de différentes pièces dans la riche demeure de la Maréchale au Ier acte. Où l'on passe de l'intimité de la chambre d'amours au tableau du grand Lever et de ses invités bigarrés, quoique fort élégamment vêtus. Le ''Stadt Palais'' plus que cossu au IIème sera le signe de la réussite sociale de la famille von Faninal. Et le Heuriger ou guinguette viennoise au III ème est le lieu idéal pour jouer une mascarade à dessein de berner un baron Ochs, bien digne alors de son cousin Pourceaugnac chez Molière. Tout cela est serti dans un ensemble plus vaste, générique en fait, de la cité viennoise, apparaissant en fond obligatoire, nécessaire : les alentours de la Hoffburg, l'enfilade d'une rue bien connue, la façade du Musée d'État, la grande roue du Prater, et surtout ces allées de parcs embrumées. Une impression de grandeur nullement compassée s'impose à l'œil et les images sont d'une beauté à couper le souffle : un camaïeux de gris rehaussé de quelques touches de couleur pour éviter toute monotonie. La régie est pareillement léchée, qui respecte les didascalies à la lettre tout en leur donnant du poids (telle réplique amusante « Es ist ein Besuch » - Voilà une visite -, lancée par la Maréchale à son jeune hôte, en claquant des mains de joie amusée) ; et leur restituant leur sel : ainsi de l'entrée fracassante de Ochs chez la Maréchale au I, qui défonce littéralement la porte monumentale de la chambre, ou de la vraie-fausse comédie de l'homme blessé - au sens propre et nul doute figuré - par l'intrépide Octavian, qui conclut l'acte II sur une note moins appuyée que d'ordinaire ; ou encore de la gaudriole du III, si souvent traitée grotesque, alors que l'échange entre le baron et Mariandl/Ovtavian se vit et se solde par un échec cuisant des manœuvres du bonhomme.

 

La captation filmique restitue à l'envi ces moments essentiels et des plans rapprochés soignés en magnifient la beauté spectrale. Comme pour ce qui est des longues conversations émaillant la pièce (entre Ochs et la Maréchale au I par exemple) ou des scènes d'ensemble (toute une maisonnée attendant fébrilement la venue du Chevalier et de la rose). La caméra saisit des figures fort habilement portraiturées : un Baron Ochs jeune, pas rustaud, carnassier plutôt pour satisfaire un appétit sexuel fort développé, qui reconnait quelque chose d'effrayant dans l'inéluctabilité de la situation finale, comme la gorge sèche ; un Faninal dépassé par sa déconvenue devant un si gros scandale dans sa propre demeure ; une Maréchale nullement ''femme sur le retour'', très féminine, qui sait passer la main à plus jeune encore, sans affectation ni mélancolie outrancière lors des premiers ''adieux'' au Ier acte ; un Octavian conquérant, toujours racé, hésitant à l'heure du choix offert, et joliment comique lors du travestissement au deuxième degré en femme de chambre et en égérie de cabaret.   

 

On a dit ici (Cf.  NL de 10/14 et de 9/15) combien le volet musical de cette représentation était mémorable. De par une direction en réelle empathie avec l'idiome straussien : Franz Welser-Möst et les Wiener Philharmoniker à leur meilleur, et même plus, ce qui n'est pas peu dire ! De la beauté du flux ininterrompu d'une musique déjà extrêmement séduisante, qui ne souffre aucune sollicitation ici. Et grâce à une distribution de haut vol, dominée par un Ochs d'une rare pointure, Günther Groissböck, voix d'airain d'une fluidité remarquable, pourvue de notes graves impressionnantes, et prestation décomplexée, jamais caricaturale, même si la caméra scrute avec facétie un visage parfois presque déformé par une inextinguible soif de jupons. La Maréchale de Krassimira Stoyanova est pareillement de la plus pure eau : diction souveraine, art consommé de l'inflexion straussienne, pour un portrait sans affèterie, que ce soit dans le monologue sur le passage du temps au Ier acte ou à l'heure des choix décisifs au dernier. Un Octavian, Sophie Koch, d'une force de conviction et d'une spontanéité peu communes, se jouant des prouesses vocales du rôle, qu'elle traite comme une seconde nature. Une multitude d'autres rôles parfaitement assurés enfin, où seule la Sophie de Mojca Erdmann parait à l'étroit, quoique cela soit moins sensible qu'à la représentation. Un version DVD à chérir.  

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Igor STRAVINSKI : Threni. Requiem Canticles. The Dove Descending Breaks the Air. Da pacem Domine. Collegium Vocale Gent. Royal Flemish Philharmonic, dir. Philippe Herreweghe. 1CD Phi : LPH 020. TT. : 47'22.

 

Ce disque focalise sur la musique religieuse écrite par Stravinski dans sa dernière période créatrice, et plus précisément de veine liturgique. Impressionné par l'Ars  Nova des XIV et XV ème siècle, tout comme par les théories du musicologue Robert Craft qui passait pour le chantre de la musique sérielle de Schönberg et de Webern, il s'attèlera dans les années 50 à plusieurs pièces mêlant les deux influences. Threni, achevé et créé à Venise en 1958, est une mise en musique des Lamentations de Jérémie. Son écriture est totalement sérielle. Fragmentée, elle annonce la dernière manière du maitre russe. Stravinski a retenu des extraits des Lamentations, intitulées ''Élégies'', choisies parmi les première, troisième et cinquième. L'effectif instrumental est conséquent quoique les instruments soient traités par petits groupes, ce qui confère à l'ensemble un sentiment de transparence au fil d'une belle psalmodie chorale et de l'intervention des solistes dans un plain-chant polyphonique. On remarque en particulier le dialogue basse-ténor ou celui des deux ténors. L'œuvre fut donnée en première française au Domaine Musical en 1959 et provoqua l'ire de l'auteur du fait d'une mauvaise exécution, mais les éloges de l'écrivain Michel Butor. Son interprétation par Philippe Herreweghe est ici grandiose, au premier chef de par la qualité des chœurs de Gand. Les Requiem Canticles, dernière œuvre de Stravinski, a été créée en 1966 par Craft. Elle est constituée de six parties vocales précédées d'un prélude instrumental et suivie d'un postlude, un interlude en occupant la partie centrale. Est utilisée une sélection de fragments de l'Ordinaire de la Messe de Requiem, dont quelques versets du « Dies Irae », le couplet final « Pie Jesu » et la totalité du « Libera me ». Cela créé une succession de courtes séquences autonomes. Le langage est sériel, mais cela sonne  typiquement stravinskien ! Comme le Praeludium sur un rythme de marche avec violons âprement dissonants. L'Interludium propose une stance chambriste dotée d'un original concertino des bois. Le Postludium évoque une volée de cloches, rappelant Noces, et offre des accords cérémonieux. Des interventions vocales, on notera le « Tuba mirum » pour basse, introduit par une fanfare qui éclate littéralement, le « Rex tremendae » pour chœurs, ou le « Lacrimosa » pour alto, un peu opératique ici, forcé comme s'il s'agissait des imprécations d'Oedipus Rex. Au « Libera me », quatre solistes du chœur se détachent de la masse de celui-ci, cette superposition créant une impression de mi parlé mi chanté dans un climat effrayant. L'évocation d'œuvres précédentes confère aux Requiem Canticles un statut de remémoration : on pense aussi au Sacre (Prélude), à la Symphonie de psaumes (Exaudi), à Renard (Dies Irae)... Herreweghe et ses forces en donnent une exécution techniquement accomplie et en bien des points incandescente. On a ajouté deux autres courtes pièces dont le Da pacem Domine de 1957  pour chœur a capella, sur l'un des trois motets de Gesualdo, reconstruit par Stravinski pour ce qui est de ses parties manquantes. Le Collegium Vocale Gent y est éblouissant comme dans l'anthème The Dove Descending Breaks the Air, de 1962, sur un texte de T.S. Eliot.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Serge PROKOFIEV : Concertos pour piano No 4, op. 53  & N° 5, op. 55. Symphonies N° 4, op. 112, N° 6, op. 111 & N° 7, op. 131. Alexei Volodin, Sergei Babayan, piano. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 2CDs Mariinsky : MAR0577. TT.: 81'02+77'22.

 

Valery Gergiev revient à Prokofiev pour lequel il avait déjà laissé quelques disques mémorables avec le LSO (Philips) puis son orchestre du Mariinsky. Cette anthologie, captée au fil de concerts à Saint-Pétersbourg et à Moscou, présente trois des sept symphonies et deux des cinq concertos du maitre russe. Le Concerto n° 4 op. 53 pour la main gauche (1930) est le fruit d'une commande du pianiste Paul Wittgenstein amputé du bras droit, tout comme il en avait passé à Ravel, Hindemith et Richard Strauss. Dans le sillage de la nouvelle esthétique moderniste qu'il avait inauguré avec Le Fils prodigue, Prokofiev écrit une partition dont l'orchestration est volontairement allégée, apte à ne jamais couvrir le soliste. Il n'empêche, elle est extrêmement virtuose et pas seulement pour ce dernier. Comme chez Ravel, l'impression est celle d'un jeu des deux mains. Ainsi en est-il du ''vivace'' qui, après une attaque tranchée du piano, se vit comme un grand éclat de rire avec force ostinatos. D'abord retenu, l'andante déploie une grande expressivité et de belles couleurs. Suit un moderato, sorte d'intermezzo alerte secoué de thèmes aussi variés que pétillants. Le mouvement est traversé dans sa seconde partie d'une courte cadence acrobatique du soliste dans le registre grave. L'œuvre se termine par un très bref ''vivace'' reprenant la légèreté du premier mouvement et ses principaux thèmes. Alexei Volodin y est proprement magistral. Le Concerto N° 5 op. 55, de 1932, en cinq mouvements, est d'une extrême complexité. C'est sans doute celui requérant la plus redoutable technique pianistique de l'ensemble des concertos. Comme le montre l'allegro con brio frappé de pugnacité, de vigueur dans le traitement martelé de la partie soliste favorisant des accords plaqués et percussifs. Avec le « moderato ben accentuato », Prokofiev installe le style de marche qui fera flores dans le ballet Roméo et Juliette quelques années plus tard, et un jeu chaloupé du piano. La partie de celui-ci est diablement virtuose : glissandos rageurs, changement de rythmes fréquent. Le bref  ''allegro con fuoco'', renchérit en éclat et dynamisme avec cascades d'accords frappés. Le répit viendra du larghetto, d'un calme tout pastoral quoique la virtuosité reprenne vite ses droits dans une section plus animée. L'œuvre se conclut par un ''vivo'' agité où perce un thème souriant qui revient en boucle : l'allure s'emballe, traversée de plages de réflexion jusqu'à une coda démonstrative. L'arménien Sergei Babayan offre un jeu athlétique que Gergiev relaie par un accompagnement tout aussi engagé.


La Symphonie N° 4, écrite en 1929/1930 à partir des thèmes du ballet Le Fils prodigue, avait été commandée à Prokofiev par Serge Koussevitzki pour le 50 ème anniversaire du Boston Symphonie Orchestra. Elle sera remaniée plusieurs années plus trad, en 1947. On est frappé par son abondance thématique, installée dès  l''allegro eroico'' motorique quoique traversé de traits élégiaques dans une manière typique de son auteur. C'est tout un orchestre chauffé à blanc, cuivré, surligné de percussions que lance ici Gergiev. Après ce déluge sonore, le contraste est grand avec l' ''andante tranquillo'', vaste pastorale bâtie sur un thème de flûte qui se développe agréablement, ponctué d'un tic-tac rythmique, très habituel chez Prokofiev. Le ''moderato quasi allegretto'' offre un divertissement dansant, typique des grands ballets de son auteur, au fil de diverses variations pleines d'esprit et magistralement orchestrées. Le finale ''risoluto'' revient au schéma volubile du début de la symphonie avec de belles parties solistes (trompette, hautbois) jusqu'à une apothéose incandescente. L'Orchestre du Mariinsky est fastueux sous l'énergique conduite du maestro Gergiev. La Sixième Symphonie op. 111 est l'une des plus élaborées. Après une introduction lente, le discours se fait agité, énergique en scansions marquées dont émerge une mélodie intensément lyrique. Le développement porte son lot de motorisme avec effets cuivrés. Mais la coda sera assagie. Un sentiment de sérénité émane du largo par son geste ample, que Gergiev conçoit expansif, soutenu par des vents ronflants. Le développement cède le pas à  une manière plus animée, comme s'il s'agissait d'un scherzo, et la coda respire de nouveau la quiétude. Le vivace final offre l'effervescence d'une fête brillante dans un thème enjoué et preste que ponctuent quelques coups assénés de grosse caisse et des aplats de cuivres. Celle belle harmonie semble peu à peu se distordre dans une course haletante alternant fortissimos et pianissimos, avant de grands climax finaux abrupts.

 

La Septième Symphonie op. 131 (1951/52) est dédiée à la jeunesse. Le vent avait tourné pour le musicien en 1948, lorsque dénoncé par la Nomenklatura soviétique. Pour faire amende honorable, il décide de revenir à un style plus ''idiomatique''. L'œuvre, en quatre mouvements, est lumineuse, dans l'esprit des souvenirs heureux, mais aussi empreinte de nostalgie. L'allegro moderato, qu'ouvre un ample thème lyrique, est bercé par le rythme de tic-tac au glockenspiel. S'en dégage un sentiment de plénitude. L'allegretto apporte quelque divertissement valsé au charme peu résistible décuplé par l'animation qui s'empare de tout l'orchestre, aux bois en particulier. Le tempo s'envole, marque le pas, puis reprend son essor véhément. L'andante espressivo renoue avec le lyrisme du Ier mouvement, tout en légèreté. Et le ''vivace'' final éclate de sa rythmique tourbillonnante et sur un thème populaire. Une course poursuite s'installe, brillante, mais aussi ironique ; allusion à Rimski-Korsakov et à son Coq d'Or dont le personnage de L'Astrologue tire son épingle du jeu à la cour du roi Dodon. Joli pied de nez ! Gergiev restitue toute la limpidité de cette partition chatoyante qui fit l'admiration de Chostakovitch. Celui-ci, au lendemain de la création, le 11 octobre 1952, souligne dans une lettre à son confrère : « Écouter des œuvres comme votre Septième Symphonie rend la vie plus facile à vivre et plus joyeuse ». 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Dimitri CHOSTAKOVITCH : Symphonies No 5, op. 47 , N° 8 , op. 65 & N° 9, op, 70. Musique de scène pour Hamlet, op. 32a (extraits). Boston Symphony Orchestra, dir. Andris Nelsons. 2CDs DG : 479 5201.TT. : 76'44+80'54.

 

Voici le deuxième volet d'une trilogie consacrée à la musique orchestrale de Chostakovitch conçue « Dans l'ombre de Staline », savoir les symphonies 5 à 10. Sont ici jouées les symphonies Nos 5, 8 & 9. La Cinquième Symphonie, op. 47, créée en 1937 par Evgeny Mavrinsky, faisait suite au fameux article paru en 1936 dans la Pravda, sur la nécessité de se conformer aux ukases officiels quant à la manière de composer pour le peuple soviétique. Elle est tragique et pathétique. A l'exemple du moderato initial qui propose une sombre exorde débouchant sur un rythme curieusement allant et très consonant, lourd de sens pourtant. Ce que souligne Andris Nelsons qui lorsque le tempo soudain s'accélère, ménage plusieurs strates jusqu'au grand climax sur un rythme martelé avec feu roulant des tambours. Lors de la reprise du premier thème, le solo de flûte est magistralement délivré et la coda pacifiée. Le scherzo allegretto est empli de sarcasme : Nelsons pense ici à Mahler, triturant les traits des bois et adoptant des rallentendos propres à installer le suspense. Les bois du Boston Symphony sont superlatifs, comme les percussions. Le refrain de marche triomphale est juste retenu, créant une vive tension. Avec le largo, centre expressif de la symphonie, la méditation s'installe, l'interrogation plutôt. L'interprétation de Nelsons en trace toute la fabuleuse intensité dans un crescendo magistralement monté. L'atmosphère se fait raréfiée au développement, lors du thème énoncé par le hautbois, presque étouffant. Comme la progression exacerbée qui suit. Le finale attaca est très articulé, introduisant une dose d'optimisme forcé. Nelsons pousse peu à peu l'ensemble dans un magma incandescent jusqu'aux ultimes pages, d'un impact grandiose. On mesure les qualités du chef qui montre une vraie empathie avec cet idiome, favorise de larges contrastes dynamiques, avec un sens avisé des transitions comme une absence de théâtralité, même dans les moments les plus démonstratifs ; enfin s'attache à la recherche de la couleur, ici prodiguée par un orchestre fastueux, en particulier dans la petite harmonie.

 

La Huitième Symphonie op. 65, de 1943, est elle aussi sombre, troublante, monumentale. C'est l'une des plus complexes. On a dit que ses cinq mouvements faisaient penser à un opéra imaginaire. Peut-être celui que Chostakovitch caressait alors le projet d'écrire d'après Le Joueur de Gogol ? Le vaste adagio qui l'ouvre est introspectif et Nelsons le joue douloureux (chant des violons) lors du thème répétant à l'unisson une même note. Est exploité le registre le plus pathétique ppp dans une sorte d'abyssale résignation. Un climax est vite atteint après une montée en puissance que Nelsons amène sans concession : cordes désespérées et bois stridents, avec des effets d'écrasements gigantesques, les uns roulant sur les autres. Le contraste du solo de cor anglais sur une pédale de l'orchestre est angoissant. Suivent deux courts mouvements : un allegretto d'un humour grinçant sur une marche grotesque, sarcastique ; un allegro non troppo, scherzo en forme de chevauchée des cordes  ponctuée de crins crins éperdus des bois puis de cuivres rageurs. La tension conduit à un déferlement sonore comme il en est peu dans la littérature symphonique. En forme de Passacaille, le largo installe une marche funèbre au-delà d'un climat d'affliction, dans une fausse douceur tragique. Le finale allegretto amène plus de sérénité par le thème introduit par les bois, repris par les cordes. Plus tard, celles-ci et la flûte solo se partagent le discours. Les divers épisodes, Nelsons les ménage avec un rare flair  pour cette marqueterie d'impressions. Et on atteint aux dernières pages quelque Nirvana, apaisement après tant de désespérante monumentalité. Une grande interprétation !

 

La Symphonie N° 9, op. 70 ( 1945), crée à Leningrad par Mavrinski, se signale par son climat détendu, joueur, mais sardonique. Ce qui se manifeste dès l'allegro : une étrange entrée en matière, d'une légèreté inattendue chez l'auteur et en cette époque de sortie de la guerre. Nelsons drive avec élégance les phrases claires et les interventions d'accords grotesques au vague ton militaire. Cela parait brillant surtout avec un tel orchestre, mais les sous-entendus sont bien là. Le moderato est aussi introverti que le précédent mouvement était extériorisé, bâti sur le chant des bois, dont la flûte, débouchant sur une large phrase des cordes progressant comme laborieuse. Le presto, le chef le prend soutenu et sarcastique. Le largo se distingue par ses accords assénés des cuivres et le solo de basson qui emplit l'atmosphère d'angoisse. Nouvelle transition avec l'allegretto faisant encore la part belle au basson tandis que les cordes entament un nouveau thème allant, pas si optimiste que cela toutefois. La parodie de marche militaire en dit long sur ce qui est derrière les notes. Mavrinski voyait là une musique conçue « contre les Philistins, avec leur complaisance et leur enflure, leur souci de se reposer sur leurs lauriers ». Staline réagira d'ailleurs. Le disque est complété par une rareté : la Suite tirée de la musique de scène pour ''Hamlet'', op 32a. Sont joués ici 7 des 15 mouvements écrits par Chostakovitch en 1932 (remaniés par la suite) : une partition au feeling cinématographique avec une belle dose d'humour pour contrebalancer les sombres pages qui peuplent la pièce de Shakespeare. Aussi les transitions sont-elles des plus inattendues, passant du cocasse au grotesque. Ainsi de « Fanfare et musique à danser »,  ou de « La chasse » dégageant une énergie toute excessive. La « Chanson d'Ophélie » est si parodique qu'elle semble en perdre son sujet, comme la « Berceuse », un chef d'œuvre de sarcasme. « Requiem », sur le thème grégorien du Dies Irae, joué par les vents, conclut ici en apothéose. Au fil de ces pièces et symphonies on aura aussi remarqué une qualité d'enregistrement live très « atmosphérique », capté dans le Boston Symphony Hall à l'acoustique claire et ouverte. Le spectre sonore est large et l'équilibre cordes-vents frôle l'idéal.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Patchwork ». George ENESCU: Cantabile & Presto. Erwin SCHULHOFF : Sonate pour flûte et piano. Serge PROKOFIEV : Sonate pour flûte et piano, op. 94. Robert MUCZYNSKI : sonate pour flûte et piano, op. 14. Raquele Magalhães, flûte. Sanja Bizjak, piano. 1CD Evidence : EVCD025. TT. : 52'.

 

Voici une invitation à la découverte d'œuvres pour flûte et piano de compositeurs qu'unissaient deux mêmes idées : l'hommage à la culture slave (ou peu s'en faut) et à  un instrument emblématique et si consubstantiel d'un pays alors phare, la France. Georges Enesco a vécu longtemps à Paris, y fréquentant l'élite intellectuelle. La pièce intitulée Cantabile et Presto, morceau de concours pour le conservatoire, de 1904, sonne étonnamment gallique, d'un grand raffinement mélodique. La Sonate pour flûte et piano d'Erwin Schulhoff (1894-1942) a été créée en 1927 par le flûtiste français René le Roy. Elle s'ouvre par un allegro moderato d'une écriture aisée pour l'instrument, sautillante, et s'éteint dans un souffle. Suit un scherzo humoristique et une Aria au ton rêveur dans la mélopée de la flûte sur l'accompagnement gambadant du piano. Le rondo final déborde de joie, avec dans la partie centrale, un échange entre les deux partenaires aussi savant qu'original ; et cela se finit par une pirouette comme tous les mouvements de cette délicieuse pièce. La Sonate pour flûte et piano de Serge Prokofiev, op. 94, a été créée  en 1943 à Moscou ; puis à Paris en 1949, à la salle Gaveau, par le jeune Jean-Pierre Rampal. C'est un sommet d'expressivité, magiquement conçu pour la flûte. Le moderato installe un thème lyrique mémorable, moult fois repris. Raquel Magalhães le joue délicat et pas virtuose, ce qui lui confère tout son poids distinctif. Ce sont en fait des variations finalement fort différentes les unes des autres, avec cette pointe d'ostinato que l'on retrouve souvent sous la plume du compositeur. Le scherzo est volatile, pris par les présents interprètes dans un ton enjoué. La manière dansante fait penser à Roméo et Juliette. Le trio apporte une note de tendresse et une pointe d'humour passager qui permet d'enchaîner la reprise, d'un babil encore plus marqué. L'andante trace une délicate borderie de la flûte dans son balancement et ses répétitions de notes identiques. Le finale, allegro con brio, décidé, conduit à une apothéose après divers mini épisodes très contrastés et techniquement ardus. Mais Raquel Magalhães et Sanja Bizjak en font leur délice. L'américain Robert Muczynski (1929-2010) a écrit sa Sonate pour flûte op.14 en 1961. Cette courte pièce offre un langage fragmenté, voire haché, qui n'en montre pas moins une légèreté et une fluidité dignes de Prokofiev : sur un accompagnement un peu motorique du piano (allegro deciso), un sens du rythme jazzy (scherzo), un beau cantabile expressif (andante) et une manière spirituelle (allegro con moto). Une découverte que la perspicace exécution des deux dames rend encore plus agréable.

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Jean-Pierre Robert.

 

« Europe 1920. Sonates pour violon & piano ». Ottorino RESPIGHI. Eos JANACEK. Boris LYATOSHYNSKY. Maurice RAVEL. Dania  Tchalik, piano, Gabriel Tchalik, violon. 1 CD Evidence classics : EVCD024. TT : 82'09.

 

Belle réussite musicale et programme original pour ce dernier enregistrement des frères Tchalik. Quatre sonates bien connues, en dehors de celle de Boris Lyatoshynsky (1895-1968) en même temps qu'un instantané de la révolution esthétique qui caractérisa les années 1920. Panorama représentatif des avant-gardes de l'Europe musicale avec quatre compositeurs bien différents, quatre esthétiques parfois opposées oscillant entre Romantisme finissant, musique populaire et avant garde assumée. Un dialogue des styles porté au plus haut niveau et des réponses très personnelles apportées à la modernité. La Sonate d'Ottorino Respighi (1879-1936) post romantique et virtuose, témoigne du cosmopolitisme et du désir de synthèse de son compositeur soumis aux influences italiennes, germaniques, russes et françaises. A l'inverse, moins savante d'aspect, celle de Leos Janacek (1854-1922), par une certaine aridité se tourne plutôt vers un expressionnisme concis, un vérisme se nourrissant des chants populaires tchèques. La Sonate de Lyatoshynsky constituera sans doute pour beaucoup une découverte. Tenant de l'avant-garde russe, Boris Lyatoshynsky  appartient à cette génération sacrifiée au nom du réalisme soviétique. Totalement ignorée en Occident, sa sonate porte en elle les influences de Scriabine, de Bartók et de la Seconde École de Vienne, résolues dans un syncrétisme d'une surprenante modernité rythmique et harmonique. Tortueuse, grimaçante et ambiguë, Chostakovitch saura s'en  souvenir quelques années plus tard. Enfin la célèbre Sonate de Ravel frappante par sa modernité, ses accents jazzy bien connus, tente de se libérer du médium instrumental pour atteindre à une abstraction décuplant sa force expressive. Une très belle interprétation des frères Tchalik où la sonorité envoûtante du violon combinée au jeu complice du piano réussit à nous passionner de bout en bout. Un disque qui vient poursuivre avec talent et pertinence un parcours comptant déjà deux enregistrements  remarqués (Locatelli et Tishchenko) pour le même label. Un disque à ne pas manquer.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Ludwig van BEETHOVEN : Symphonies nos 2, 3, 4, 5, 7, 8. Concerto pour violon et orchestre. Wolfgang Amadé MOZART : Serenade « Gran Partita » K. 361. Concerto pour hautbois K. 314. Franz SCHUBERT : Symphonie N°8 « Inachevée ». LD 007. David Grimal, violon. Les Dissonances. 5CDs : Dissonances records : LD 007. TT.: 345'63.

 

Béla BARTÓK : Divertimento pour cordes. Leonard BERNSTEIN : Sérénade d'après Le Banquet de Platon. Dimitri CHOSTAKOVITCH : Symphonie de chambre op. 110a . Alfred SCHNITTKE : Concerto grosso N°1 Moz-Art à la Haydn. Arnold SCHOENBERG : Kammersinfonies N°1, op. 9 & N°2 op. 38. Les Dissonances. 3CDs : Dissonances records : LD 008 (www.les-dissonances.eu). TT.: 166'.

 

Alors que depuis le milieu du XIXème siècle la musique symphonique est donnée à entendre par le truchement de chefs qui marquent l'histoire de l'interprétation, il peut paraître audacieux aujourd'hui de la proposer au public sans chef. Quelques ensembles pourtant fondent leur notoriété sur des interprétations qui ne doivent rien à un chef et sont cependant marquantes. Citons l'ensemble nord américain Orpheus et les deux ensembles européens Spira Mirabilis et Les Dissonances. C'est ce dernier qui nous occupe ici. Il vient de célébrer ses 10 ans sous forme d'un bilan gravé sur 8 CD répartis sur 2 coffrets, le premier réunissant Beethoven, Mozart et Schubert et le second Bartók, Bernstein, Chostakovich, Schnittke et Schoenberg. Les enregistrements s'échelonnent de 2010 à 2014 et sont exclusivement des prises effectuées lors de concerts publics à Dijon où Les Dissonances sont en résidence depuis 2008, et à Paris à la Cité de la Musique ; sachant qu'on imagine mal des enregistrements en studio pour ce type de formation. En effet malgré une mise au point préalable très exigeante entre les musiciens pour éviter tout incident majeur lors des interprétations, il y a une fragilité naturelle qu'il convient de prendre sur le vif, et qui est soumise à de multiples facteurs : intensité de la concentration des musiciens qui se doivent de communiquer entre eux par une écoute réciproque de chaque instant, communication qui se nourrit de la présence du public dont il faut s'assurer l'attention. Ce phénomène se vérifie pleinement dans les interprétations données par les formations sans chef.

 


©Gilles Abbeg

 

La réussite des enregistrements des Dissonances repose donc bien pour une part essentielle sur la spontanéité captée sur le vif, même si parfois  il a pu y avoir une tendance de la part des ingénieurs du son à effacer tout indice de présence humaine. L'autre facteur de réussite de ces deux coffrets réside dans l'incontestable qualité instrumentale de l'orchestre. Elle se vérifie pour toutes les œuvres gravées pour les vents, avec une mention particulière pour la Serenade Gran Partita K. 361 de Mozart et, s'agissant des cordes, le Concerto Grosso n°1 d'Alfred Schnittke. Un regret cependant s'agissant des textes accompagnant les CD : si la présentation des œuvres est bien faite –  informations essentielles avec un vocabulaire qui sait éviter le jargon – on a peu de précisions sur la façon de travailler de l'orchestre, et il aurait été intéressant de connaître le point de vue des musiciens sur l'expérience qu'ils vivent avec Les Dissonances, alors qu'ils appartiennent souvent à des phalanges symphoniques avec des chefs qui entendent leur transmettre leur conception. Cela aurait pu être éclairant et rappeler que même si la qualité de l'ensemble doit beaucoup à David Grimal, ils sont aussi les acteurs de sa réussite. Critique toutefois marginale au regard de ce que l'on peut entendre. Avec les Dissonances on a des moments de musique collective qui viennent toucher au cœur, même s'il peut y en avoir de moindre intensité.

 

Les lectures des grands classiques - Beethoven, Mozart, Schubert - se caractérisent par une approche au plus près des textes, ce qui se traduit par un vibrato discret des cordes, par exemple dans le premier mouvement de la Deuxième Symphonie de Beethoven (CD1). On note, de façon générale, la netteté dans les attaques et souvent une énergie contagieuse facilitée par la virtuosité des musiciens. La Huitième  Symphonie bénéficie de ce traitement ce qui a pour effet une très grande finesse dans le second mouvement.  Le second CD est une réussite totale. Grâce à leur style d'interprétation, Les Dissonances confirment que la Quatrième Symphonie peut certes sonner comme une œuvre de Haydn, mais qu'elle ouvre aussi des perspectives d'une extrême audace à l'instar de l'Héroïque. L'urgence du dernier mouvement en est à cet égard la preuve. Les instrumentistes virtuoses de l'ensemble sont à la hauteur du défi que propose Beethoven à ses interprètes. La seconde œuvre de ce CD n'est rien moins que le Concerto pour violon de Beethoven. On retiendra la pureté du son du violon de David Grimal dans le second mouvement ainsi que le scherzo final à la fois homogène et flamboyant.

 

On sera peut-être plus interrogatif quant au troisième CD. Mais rappelons la loi de prises de concerts : l'alchimie entre public et musiciens peut ne pas prendre totalement et influer sur l'engagement de ces derniers. C'est peut-être ce qui a pu se passer le 9 décembre 2010 à Dijon pour une Cinquième Symphonie manquant semble-t-il de cohérence : un premier mouvement parfois trop précipité - se rapprocher des indications métronomiques de Beethoven peut avoir pour effet une certaine sécheresse ! Un second mouvement, par contraste, semblant manquer de ligne directrice. En revanche le dernier mouvement est à juste titre déterminé, surtout à son début. La Septième Symphonie apporte plus de satisfaction. Dans le premier mouvement les musiciens mettent en valeur leur instrument au service d'une énergie sans lourdeur, avec des contrebasses d'une superbe profondeur. L'allegretto est sans doute languissant dans ses premières mesures pour évoluer vers une marche que Jérémy Pérez, auteur des notices de présentation, n'hésite pas à caractériser comme étant « lente aux accents funèbres ». Le quatrième mouvement est irrésistible, justifiant le surnom donné par Richard Wagner d Apothéose de la danse », avec une finesse exceptionnelle des violons et une intervention magnifique de la flûte de Julia Gallego Ronda.

 

Le quatrième CD réunit deux chefs d'œuvres incontournables : l'Héroïque de Beethoven et l'Inachevée de Franz Schubert, « augmentée de l'esquisse du scherzo » (1 minutes de musique!). Même si dans les deux cas on ne peut que s'incliner devant la qualité instrumentale et l'homogénéité du groupe, il faut admettre que la profondeur du propos des deux compositeurs n'est que partiellement atteinte. Certes la modernité du premier mouvement de l'Héroïque est totalement assumée, avec de superbes sonorités, mais la « Marcia Funebre » évolue trop prosaïquement. En revanche dans le Scherzo, Les Dissonances sont à leur affaire ; de même que pour le dernier mouvement malgré une entrée en matière un peu légère. Il n'en reste pas moins que l'ensemble est convainquant. Ce qui est moins le cas avec la Huitième Symphonie de Schubert : ainsi peut-on être surpris par le parti pris par les musiciens de conduire un discours un peu haché, ce qui nuit à l'unité du premier mouvement. Quant au second engagé, quasi allegro moderato, il perd par voie de conséquence en émotion. Dommage, car nous ne le dirons jamais assez : le travail instrumental uni dans un ensemble homogène est impressionnant.

 


David Grimal ©Jean-Louis Atlan

 

Le cinquième et dernier CD « classique » est consacré à Mozart. Le hautbois d'Alexandre Gattet, soliste du concerto K. 314, est virtuose à souhait et donne de l'œuvre son caractère galant à bon escient. La Sérénade « Gran Partita » K. 361 est une belle réussite. Est mise en évidence l'excellence des vents des Dissonances ainsi que celle de la contrebasse de Yann Dubost. Rappelons que cet instrument est parfois remplacé par un basson dans d'autres interprétations. L'absence de chef pour cette sérénade dont l'effectif n'est que de 13 instrumentistes est plus facilement envisageable que pour une œuvre symphonique. Ce serait même la façon la plus naturelle de l'interpréter. Toutefois il existe des enregistrements marquants laissés par de grands chefs, de Wilhelm Furtwängler à Pierre Boulez en passant par Otto Klemperer ou Franz Brüggen. Mais avec les Dissonances nous avons une fraîcheur, un enthousiasme communicatif auquel l'auditeur ne peut qu'adhérer.

 

Ce premier coffret, au-delà de quelques réserves de détail, confirme qu'un travail sur les partitions de maîtres du passé même en absence d'un chef, quoique ici avec un rôle à coup sûr non négligeable du premier violon David Grimal, offre des interprétations de toute façon intéressantes et parfois même marquantes. Le coffret est donc à marquer d'une pierre blanche. Comme il en est de celui consacré à des œuvres du XXème siècle. Le programme est d'une grande richesse : Chostakovich et sa Symphonie de Chambre op.110a, Bartók et son Divertimento pour cordes, les deux Symphonies de Chambre de Schoenberg, la Sérénade pour violon, orchestre à cordes, harpe et percussion de Leonard Bernstein et enfin d'Alfred Schnittke le Concerto Grosso n°1 et Moz-Art à la Haydn.

 

Le premier CD offre un Chostakovich de qualité supérieure. Si l'introduction de l'op. 110a– largo - semble manquer d'âpreté, le très court (2'47) Allegro molto se caractérise par une urgence à couper le souffle que les musiciens rendent parfaitement grâce à leur virtuosité, et le largo qui conclut cette symphonie de chambre - en fait transcription par Rudolph Barchaï du quatuor op. 110 - répand un flot tragique qui bouleverse. Le Divertimento de Bartók ne trouve pas en revanche chez les Dissonances le mordant qu'on souhaite trouver dans une musique qui a sa source dans la culture traditonnelle hongroise. Cela aurait dû être le cas pour le dernier mouvement en particulier. Bref, interprétation plutôt sage. Ce ne sera pas le cas pour la Symphonie de Chambre n°1 de Schoenberg, qui ouvre le CD suivant. Celui-ci est du reste sans doute le plus passionnant de tout l'ensemble car il montre le chemin parcouru par le compositeur entre l'opus 9 qui date de 1905/1906 et l'opus 38 qui date de 1938, bien qu'esquissé dans la foulée de l'opus 9. Pour la Première Symphonie de Chambre, la révolution que va conduire Schoenberg s'amorce, et les interprètes le savent qui, grâce à la maîtrise de leur instrument, projettent des éclats sonores parfois stridents d'une grande violence ainsi que des timbres d'une très grande diversité. Il s'ensuit qu'avec la Seconde Symphonie le contraste est saisissant. Cet opus 38 s'écoule presque avec sagesse, ce qui ne doit en aucun cas être compris comme un reniement des audaces inventées pas Schoenberg. Celles-ci sont toujours présentes avec l'utilisation rigoureuse des règles qu'il a élaborées quelques années auparavant. L'homogénéité de l'ensemble, la qualité des instrumentistes rendent pleinement justice aux deux symphonies si justement placées en regard.

 

Le dernier CD offre à écouter trois œuvres plutôt rares. D'abord de Leonard Bernstein, la Sérénade pour violon solo, orchestre à cordes, harpe et percussions. Elle est une occasion d'admirer le violon expressif de David Grimal, même si on peut regretter une trop grande réverbération dans l'enregistrement. L'œuvre est vraiment représentative du « style » de Bernstein, plutôt hétérogène mais qui témoigne d'un savoir faire évident aussi bien pour proposer des rythmes entraînants que des mélodies que l'on retient. Il sait aussi, aidé en cela par ses interprètes, susciter l'émotion comme dans le superbe adagio « Agaton ». Il y aussi hétérogénéité chez Schnittke, mais elle est d'un autre ordre et en fait cache une cohérence. Cette apparente hétérogénéité est liée aux emprunts que le compositeur russe fait aux maîtres du passé. Ce qui unifie l'ensemble, c'est le détournement qu'il en fait en altérant les mélodies et les rythmes, apportant une couleur qui précisément donne du liant au tout. Les Dissonances réussissent cette gageure, sachant mettre de l'humour dans la première citation pour ensuite s'engager progressivement dans un discours rageur, avec un superbe travail sur les sonorités. On remarquera, dans le « Recitativo », des pizzicatos qui ont du corps, preuve s'il en était besoin de l'excellence des cordes des Dissonances ! Le Rondo Agitato est l'occasion d'un étonnant rythme de tango et se conclut par une agitation faussement anarchique. Quant au Postlude, qui fait écho au « Preludo », les Dissonances savent le rendre particulièrement mystérieux. Le dernier morceau – Moz-art – est brillant et peu paraître assez vain... Est-ce du fait que David Grimal et ses complices ne permettent pas  de débusquer le côté étrange de l'œuvre ; au contraire d'un Gidon Kremer avec les musiciens du Chamber Orchestra of Europe, dans un enregistrement publié chez Deutsche Grammophon en 1990 ? Réserve qui n'enlève rien à la qualité réelle du coffret dont on ne soulignera jamais assez l'originalité. Deux coffrets marquants qui s'inscrivent dans l'histoire naissante de l'interprétation du XXIème siècle!

 

 

Gilles Ribardière.

 

 

Olivier PENARD : Chroniques. Dana Ciocarlie, piano, Philippe Bourlois, accordéon, Jean-Marc Fessard, clarinette, Jonas Vitaud, piano. Quatuor Debussy. 1 CD DUX (www.dux.pl) : DUX 1112. TT.: 75'29.

 

Le catalogue du label DUX est extrêmement varié. Il permet d'entendre des œuvres du grand répertoire mais aussi des œuvres de compositeurs peu enregistrés, notamment français du XXème siècle comme Henri Busser, Jacques Ibert, Jean Français, Philippe Gaubert, Reynaldo Hahn, Henri Tomasi ou les grands maîtres de l'orgue tel que Charles Tournemire, Louis Vierne ou Charles Marie Widor. Deux compositeurs qui s'expriment aujourd'hui ont même droit à un CD qui leur est intégralement consacré : Renaud Gabriel Pion et Olivier Penard. Ce dernier, né en 1974, est autodidacte tout en ayant reçu les conseils  de Philippe Capdenat et de Guy Reibel. Le présent enregistrement offre un panorama de sa production entre 2001 et 2012. Si les quatre œuvres enregistrées peuvent s'écouter séparément, une audition en continu se justifie tout à fait, car le CD est conçu comme une seule œuvre : les pièces à quatre ou deux instrumentistes sont encadrées par l'opus 30 – Chroniques – pour piano, à entendre comme des interludes. Leur interprète, Dana Ciocarlie, est remarquable : jeu franc, dense et varié. On remarquera l'atmosphère très debussyste du début de « stupeur » qui débute l'œuvre et le romantisme discret de la dernière partie de ce cycle, « Romances » qui clôt l'enregistrement. Le quatuor à cordes Opus 28 Polyptique dit « du diamant » est très subtilement introduit par les Debussy qui ensuite se jouent de la variété des rythmes comme cette valse en seconde partie de l'œuvre. Dans le quatrième mouvement, « Fruit des étoiles », on peut entendre des accents proches de ceux qu'avait créés Janacek ; dans le cinquième et dernier, on évoquerait plutôt Stravinsky, soit autant de références subjectives qui peuvent être contredites par d'autres auditeurs. Ainsi dans sa présentation du CD, Dominique Hayer évoque pour le quatrième mouvement de cet opus 28 successivement Mahler et les minimalistes ! Artefact, composition la plus ancienne (2001), associe piano, violon, violoncelle et la clarinette virtuose de Jean-Marc Fessard. Avec lui et ses partenaires, la parenté, en particulier du dernier mouvement – « Rhapsodie jazz »-  avec les Contrastes de Béla Bartók est évidente.

 

Mais la composition la plus intéressante est sans doute Charade sur un thème d'Henri Dutilleux (en l'occurrence la première symphonie). Il n'y a pas de tendance au pastiche mais au contraire une réelle originalité, à commencer par l'alliage sonore entre un violoncelle et un accordéon, parfaitement réussi. Voilà bien une œuvre certes de dimension modeste mais vers laquelle on a plaisir à revenir. Cette « Charade » échappe au reproche que l'on peut émettre à propos des autres œuvres ; que ce soit Chroniques, Polyptique ou Artefact, l'auditeur est trop sollicité à identifier les influences ce qui est un obstacle pour débusquer l'originalité des compositions d'Olivier Penard qui, cela étant, ont l'avantage de se laisser écouter. Tous les interprètes sont dignes d'éloge et la qualité de l'enregistrement excellente, mis à part une perspective sonore trop large pour Artefact. Le livret, en français, anglais et polonais, donne des œuvres un éclairage précis et dans un langage évitant le jargon. Disque intéressant consacré à un compositeur sans doute trop prisonnier de ses influences mais dont les œuvres restent séduisantes à l'écoute.

 

Gilles Ribardière.

 

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

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ENTRETIEN

 

Philippe Le  Guay : « un film secrète un imaginaire musical »

 

 


DR

 

Réalisateur éclectique d'une dizaine de films – Les Deux Fragonard, Le Coût de la Vie, Les Femmes du Sixième étage, Alceste à Bicyclette, Floride.. -, il nous a reçu à la Maison des Auteurs SACD, pour que l'on parle de ses rapports à la musique de film.

 

 

Comment avez-vous trouvé, pour votre premier film, Jorge Arriagada avec qui vous avez fait quatre films par la suite ?

C'était le compositeur attitré de Raoul Ruiz. J'avais un rapport assez proche avec son  cinéma, et surtout j'avais remarqué qu'il y avait une forme qui frisait l'abstraction avec des motifs quasi algébriques de narration, des jeux de renversements, de miroir, des choses très sophistiquées, et en même temps il y avait un lyrisme ; toutes les dimensions émotionnelles étaient amenées par la musique. C'est probablement cette tension qui existe entre la musique, d'un côté, et cette écriture tellement distanciée, de l'autre, qui est une grande composante du style de Raoul Ruiz. J'en serais resté là si ce n'est que j'ai rencontré Jorge Arriagada au cours de la projection d'un film d'un ami réalisateur, Laurent Perrin, aujourd'hui décédé. et je lui ai proposé d'écrire la musique de mon premier film « Les deux Fragonard ».

 

(Jean-Honoré Fragonard, peintre très célèbre du XVIIIe siècle, prend un jour pour modèle une jeune lavandière dont il tombe amoureux, Marianne. Mais le sinistre Comte Salmon D'anglas projette d'assassiner la jeune femme et de la livrer à Cyprien Fragonard, anatomiste, afin que ce dernier dissèque le modèle... )

 

Ce n'était pas mon premier choix. J'avais voulu Stanley Myers que j'avais rencontré à Londres, mais j'ai pris confiance en Jorge et je pense que c'est une des plus belles partitions qu'il a écrites.

 

Vous avez commencé avec un film assez gonflé !

Oui, un film à costumes avec un thème qui est la rencontre du modèle et de la momie. Je viens de récupérer les droits et j'ai un DCP flambant neuf aujourd'hui !

 

On aurait pu penser que vous auriez cherché des musiques Dix-huitième. Avec Arriagada vous êtes parti dans une autre direction...

Je savais qu'il fallait une musique de film étant donné qu'il y avait l'univers Dix-huitième traditionnel de Fragonard, et que l'autre aspect du film était un conte gothique. Il fallait une musique quasiment à la Bernard Herrmann, une musique à suspens, avec un romantisme noir, quelque chose qui n'était pas Dix-huitième. L'idée de faire des emprunts, à la « Barry Lyndon », d'aller chercher du Vivaldi, je l'ai écartée d'emblée. Il y a quarante minutes de musique dans le film et cela a été un vrai bonheur de travailler avec Jorge. « Sur Les Années Juliette », je lui avais évidemment proposé de composer la musique ; mais là il y a eu un hiatus entre la musique et le film. C'était assez violent. Il avait composé une musique qu'il avait même enregistrée, et finalement on y a renoncé.

 

Il l'a écrite d'après scénario ?

Non, c'est d'après le montage. Jorge, il lui faut les images. Je sais qu'il y a des compositeurs qui travaillent sur scénario. C'est le cas de Morricone : il préfère ne rien voir et aime que les images soient montées sur sa musique.

 

Vous parlez de Morricone. On dit souvent que les réalisateurs n'ont pas de culture musicale : est-ce votre cas ?

J'avais une culture de musique de film et c'est par cette musique que je suis venu à la musique tout court. Disons que mes deux divinités sont Delerue et Herrmann : ce sont deux grands inspirateurs.

 

Vous avez fait l'IHDEC : on ne vous parlait pas de musique à l'époque ?

A l'IHDEC on ne vous parlait que de très peu de choses. Mais j'ai eu la chance de rencontrer un type merveilleux qui a écrit un livre consacré à la musique de film. C'est Henri Colpi - Défense et illustration de la musique dans le film -. Colpi avait travaillé avec Delerue, notamment sur son film « Une Aussi Longue Absence », avec la fameuse chanson « Trois Petites Notes de Musique » qui l'a fait vivre pendant 20 ans ! C'était un grand monteur – « Hiroshima Mon Amour », « L'Année Dernière à Marienbad », et d'autres films. Je l'ai vu caler de la musique sur l'image, il avait une intuition qui était extraordinaire. Ce n'est pas parce qu'on a écrit de la musique pour une image que ça va marcher. Alors pourquoi une musique marche ou pas ? Là on entre dans quelque chose d'absolument mystérieux. Souvent les musiques qui ont été écrites pour une séquence, on découvre, en fait, qu'elles fonctionnent mieux ailleurs et vice versa. Je pense qu'un film sécrète un imaginaire musical mais qu'après, les correspondances entre les images et les sons sont de l'ordre de l'accident, du mystère. Mais en tout cas jamais de la raison.

 

Lorsque vous montez, mettez-vous des musiques temporaires ?

J'essaye d'en mettre le moins possible, même si j'en ai la tentation parce que je risque de m'y habituer et ne pas accepter la musique d'un compositeur. Mais lorsqu'il y a des projections de travail avec la production, on est obligé d'en mettre.

 

Qu'écoutiez-vous lorsque vous étiez jeune ?

J'ai découvert la musique classique par le cinéma. Je me souviens d'un film avec Charlton Heston, je devais avoir dix ou onze ans. Je crois que le film s'appelait « La Symphonie des Héros ». Je suis bien incapable de me souvenir du metteur en scène, [Ralph Nelson] - ça se passait pendant la guerre de 40, il était le chef d'un orchestre qui se faisait prisonnier des nazis et il y avait Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski. C'était une grande découverte musicale originelle. Après j'ai acheté le disque et pendant très longtemps j'ai adoré Tchaïkovski. Tous les mélomanes hurlent quand on dit qu'on aime ce compositeur ! Je pense que ce compositeur est le précurseur de la musique de film ; le deuxième étant Ravel !

 

Après le fiasco musical de « L'Année Juliette » vous avez changé de compositeur !

Le personnage du film est flûtiste, donc il reste des thèmes de musique classique : Mozart, Debussy, Khatchaturian. Mais pas ceux composés par Jorge. Il y a eu un conflit avec le producteur. Après j'ai fait un film, « Trois Huit », avec Yann Tiersen, à peine connu, qui habitait dans un petit deux pièces. Il n'avait pas encore fait « Amélie Poulain » ; il avait écrit une chanson que j'aimais bien. Le premier qui avait utilisé Tiersen c'était Zonca dans « La Vie Rêvée des Anges » : c'est « Rue des Cascades », une chanson pour le générique de fin. Pour « Trois Huit » (Pierre est ouvrier dans une usine de verre. Tout va basculer lorsqu'il décide de travailler en nocturne. Là, il rencontre l'équipe de nuit, dont Fred qui va faire de lui son souffre-douleur), je voulais quelque chose d'assez sec. Il y a la chanson « L'Homme aux bras ballants », très mélancolique, que j'ai mise et puis j'ai eu besoin d'une dizaine de minutes de musique dans le film et il les a composées d'une manière très instinctive en regardant à peine l'image.

 

www.youtube.com/watch?v=YXvznEXRTB8&index=1&list=RDYXvznEXRTB8

 

Pour « Le Coût de la Vie » (Une héritière qui n'arrive pas à hériter, un radin qui ne peut rien dépenser, un petit garçon qui trouve un billet dans la rue, un restaurateur prodigue qui ne fait que donner... Tels sont, entre autres, les personnages de ce film "choral".), je voulais retravailler avec lui. Mais entretemps il y a eu « Amélie Poulain » et là ça était un  désastre. Il avait un manager, il ne m'a rien donné, il est arrivé un beau jour avec une heure et demie de musique et il n'y avait pas un morceau qui collait ! Le sauveur, ce fût Philippe Rombi. J'étais à Cannes : je vois « Swiming Pool » de François Ozon, j'entends la musique et je me suis dit : pourquoi je n'ai pas cette musique dans mon film ! On l'a appelé, et en un mois il a écrit la musique.

 

www.youtube.com/watch?v=WWi4nsfupqU

 

J'ai continué avec lui sur « Du Jour au Lendemain » (La vie est bien ingrate pour François Berthier : un chien hurle toute la nuit et l'empêche de dormir, la machine à café lui explose au visage, il pleut, le chef de bureau à la banque l'humilie et le menace de renvoi. Et puis, du jour au lendemain, tout ce qui était violent ou pénible pour François se transforme comme par miracle. Que se passe-t-il ? Pourquoi le monde devient-il si brusquement doux et enchanteur ? C'est l'énigme que va essayer de résoudre François.)

 

C'est formidable ce qu'il a fait : il y avait une sorte de petit morceau de comédie musicale. Puisque c'est l'histoire d'un type qui est angoissé par le bonheur, je voulais qu'il soit prisonnier d'une comédie musicale. Benoît Poelvoorde est extraordinaire.

 

J'ai retrouvé Jorge pour « Les Femmes du Sixième Étage » (Paris, années 60 : Jean-Louis Joubert, agent de change rigoureux et père de famille « coincé », découvre qu'une joyeuse cohorte de bonnes espagnoles vit... au sixième étage de son immeuble bourgeois. Maria, la jeune femme qui travaille sous son toit, lui fait découvrir un univers exubérant et folklorique à l'opposé des manières et de l'austérité de son milieu. Touché par ces femmes pleines de vie, il se laisse aller et goûte avec émotion aux plaisirs simples pour la première fois. Mais peut-on vraiment changer de vie à 45 ans ?).  La raison pour laquelle j'ai retravaillé avec lui, c'est que je voulais que les femmes chantent des chansons espagnoles : il y a de la guitare, des coplas. Et puis il m'a beaucoup rassuré, il y avait de la musique sur le plateau, il a réadapté un tube espagnol. Il a surtout la dimension émotionnelle. Une émotion se dégage de sa musique qui est tendre, proche des personnages, qui allait parfaitement avec le film.

 

www.youtube.com/watch?v=6cynRV3a67A

 

C'est toujours difficile d'écrire pour des comédies ?

Il ne faut pas attendre de la musique qu'elle soit drôle, qui même souligne les effets comiques.

 

Cela devient du Tex Avery, du Mickey Mousing !

Voilà. La musique en réalité est d'abord un élément de rythme, et pour une comédie ça aide. Ensuite, l'usage qu'on en a fait est un usage émotionnel : elle souligne l'émotion des personnages, et notamment le trouble, car pour ce qui est des femmes, il s'agit de l'histoire d'un grand bourgeois qui est troublé par la présence de ces espagnoles. On m'a même proposé d'en faire une comédie musicale. C'est un producteur de Broadway qui en avait l'idée. J'ai dit oui tout de suite, mais ça s'est perdu dans les sables… Je pense que les chansons espagnoles et la variété des années soixante peuvent servir de base pour une confrontation avec un côté « West Side Story » avec la chanson America  - « Life is all right in America/If you're all white in America » - Il y avait la confrontation de deux univers musicaux. Je m'aperçois que l'usage de la musique pour moi est question de personnages : quel est le personnage et quel est le parcours émotionnel du personnage ? La musique est là, bien sûr, pour être en accord avec les images mais fondamentalement la musique est le prolongement des personnages ; c'est cela l'accord souterrain…

 

Surtout par rapport à l'usage que vous en faites dans vos films, cela doit être très complexe d'écrire des musiques pour vous ?

Ce n'est pas facile, d'autant qu'en réalité il n'y en a pas tant que cela. J'adore les grandes plages musicales : la fin de « L'Impasse » de Brian de Palma avec la musique de Patrick Doyle, ou la grande scène, toujours chez De Palma, de filature dans le musée de « Dress To Kill ». Brusquement la musique de Pino Donaggio devient un support narratif : plus qu'un support, elle devient le récit. J'adorerais faire ça un jour. C'est dans la conception de l'écriture : on sait qu'on va avoir quinze minutes en silence et c'est la musique qui va créer la construction dramatique. Ce n'est pas innocent que De Palma ou même Hitchcock  soient les champions toute catégorie de ce genre de séquence avec ce mélange de saccades et de lyrisme…

 

Ensuite vous avez continué avec Jorge Arriagada...

Dans « Alceste à Bicyclette » (Au sommet de sa carrière d'acteur, Serge Tanneur a quitté une fois pour toutes le monde du spectacle. Trop de colère, trop de lassitude. La fatigue d'un métier où tout le monde trahit tout le monde. Désormais, Serge vit en ermite dans une maison délabrée sur l'Île de Ré… Trois ans plus tard, Gauthier Valence, un acteur de télévision adulé des foules, abonné aux rôles de héros au grand cœur, débarque sur l'île. Il vient retrouver Serge pour lui proposer de jouer «Le Misanthrope» de Molière), Il y a quinze minutes de musique, générique compris.

 

www.youtube.com/watch?v=sPOAGC4BkiE

 

Là aussi ce n'était pas évident d'écrire de la musique, il aurait pu ne pas y en avoir...

On a beaucoup cherché sur le thème du générique début. Soit c'était trop joyeux et c'était une fausse note, soit c'était trop sombre et on croyait que cela allait être un film noir. Le film commençait avec huit minutes dans un théâtre. Je l'ai enlevée ! Maintenant le film débute avec Lambert Wilson dans un train et le générique est sur les images, entre le départ du train et l'arrivée dans la maison de Fabrice Lucchini. Il y a un thème tout du long, avec des reprises, des arrêts mais très souterrains, même sous les dialogues. Jorge a dû s'y reprendre à plusieurs fois pour trouver une tonalité à la fois sombre et lumineuse. Sombre dans le sens où il y a un mystère avec des basses qui créent une interrogation : Qui est ce personnage ? Où va-t-il ? Avant il y avait les explications, j'ai tout enlevé ; donc la musique est là un élément de la narration. Si on a un personnage dont on ne sait qui il est et où il va, la musique peut s'accorder à son sentiment. Par contre, si on ne sait pas, la musique doit entretenir ce mystère.

 

Comment travaillez-vous avec lui ?

Comme c'est un gros travailleur, il vient avec sa musique. On essaye, ça marche ou pas. On s'est trompé, il recommence, on réessaye, on écoute. Mes indications sont très concrètes. Il compose à l'image près et s'il demande six images de plus, on lui met six images de plus…

 

Et pour « Floride »?

Il y avait une volonté d'éclaircir un sujet grave, c'était la première commande de la musique, la deuxième commande était l'intériorité du personnage, on entre dans sa tête. Il y a des choses qui s'insinuent, qui sont à mi-chemin entre la musique et le montage son, des bruits qui deviennent musicaux, des musiques avec des étirements, un travail qui s'est fait beaucoup au mixage. Il y a quand même une émotion à la fin lorsque la fille met son père dans la maison de santé : on doit sentir que la vie continue. La commande était très précise. Il y a toujours un mystère pour moi entre la commande et l'inspiration du musicien : d'où vient que telle musique appartient à ce film et pas à un autre ? C'est la question qu'on peut se poser sur tous les films. Lorsqu'on écoute les grandes collaborations de Delerue - Truffaut, on se dit toujours : mais il aurait pu composer la musique de « Les Deux anglaises et le Continent » pour « La Peau Douce » ou vice versa. Et bien non ! La musique de « La Femme d'à Côté » c'est la musique de « La Femme d'à Côté » !

 

www.youtube.com/watch?v=745p0KnFcBY

 

Et on reconnaît que c'est du Delerue

Et on reconnaît que c'est du Delerue. Dans « La Femme d'à Côté », au début, il y a cette tension de l'hélicoptère, il y a quelque chose de tendu, presque de messe funèbre, et puis il y a une note suspendue, et là il y a du pur Delerue, une sorte de relâchement de cette tension, un mouvement de cordes très langoureux, paisible, qui fait que la musique de ce compositeur réussit ce paradoxe d'être joyeuse et mélancolique. C'est cela le mystère Delerue. J'avais vu un entretien avec lui où il s'amusait à son piano, et il était comme un enfant très joyeux. Il disait : on me propose toujours des musiques tristes, mais je suis quelqu'un de joyeux. Récemment j'ai vu « Diamant Noir » de Harari. J'ai trouvé la musique d'Olivier Marguerit superbe.

 

Et le prochain film ?

J'ai un sujet sur lequel je travaille depuis deux ans et demi ; c'est beaucoup mais pas tant que cela. Il y a des films qui s'écrivent et se montent très facilement et avec d'autres on galère. Mon prochain se passe en Normandie, avec des agriculteurs : ce sont des taiseux un peu déprimés. C'est un univers à la Depardon, mais il y a quand même une forme d'humour.

 

Avez-vous pensé à la musique ?

Je ne vois pas quel univers musical peut correspondre à mes personnages, de ce qui leur arrive, de leurs excès, de la connivence que j'ai avec eux. J'aimerais mettre des tubes, des chansons, mais je n'ai pas du tout cette culture-là ; la variété n'est pas ma culture. Je suis toujours épaté par les metteurs en scène qui arrivent à mettre des musiques rock, des chansons dans leurs films. Dans « Pretty Woman » par exemple, Marshall met le tube Pretty Woman et c'est parti, et il y en a 15 comme ça dans le film. C'est ce que j'aimerais faire, mettre des chansons connues. Regardez ce qu'a fait Jonathan Demme avec « Something Wild », c'est formidable ! Il y a des tubes qu'il a puisés dans sa discothèque et des chansons qui ont été composées pour le film ! C'est ce que j'aimerais faire : un tube avec des tracteurs !

 

Vous avez des jeunes compositeurs qui sont capables de vous proposer ce genre de composition… Bon courage pour votre tournage de « Normandie Nue » en mars !

 

        

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

BO en CDs

 

 

CUTTHROAT ISLAND (L'île aux Pirates 1995). Réalisateur: Renny Harlin. Compositeur: John Debney. 1CD La-La Land - LLLCD1387

 

 

Le plus cuisant échec commercial, ce film de pirates est pourtant plein d'actions, d'abordages et Geena Davis est formidable dans ce rôle à la Yvonne de Carlo des années 50. La musique de John Debney (The jungle Book, Iron Mann 2, The Passion of The Christ) est très énergique à la manière d'antan, à l'opposé de celle de Zimmer pour les films de pirates. Un vrai régal pour les yeux et les oreilles !

 

www.youtube.com/watch?v=1Nni777i0HU

 

 

ADIEU BONAPARTE – THE FIRST CIRCLE. Réalisateur : Youssef Chahine - Sheldon Larry. Compositeur : Gabriel Yared. 1CD Music Box Records - MBR-095

 

 « Adieu Bonaparte » est une fresque romanesque réalisée par Youssef Chahine avec Michel Piccoli et Patrice Chéreau. En 1798, Bonaparte envahit l'Égypte et se pose en libérateur face à l'oppression turque. Il est accompagné du général Caffarelli, scientifique et humaniste, qui se lie d'un attachement profond pour deux jeunes frères Égyptiens. Gabriel Yared a composé un très beau thème mystérieux, écrit pour orchestre symphonique et des chœurs ténébreux. Le reste de sa partition navigue entre ambiances orientales et climats mystérieux.

« The First Circle » est un film adapté du roman de l'écrivain soviétique Alexandre Soljenitsyne, réalisé par Sheldon Larry, avec F. Murray Abraham, Robert Powell et Christopher Plummer. D'anciens scientifiques, prisonniers politiques en URSS, sont envoyés dans une prison spéciale, située près de Moscou, où ils se retrouvent forcés de travailler pour le gouvernement. Gabriel Yared a signé une partition intimiste mettant en valeur les ambiances feutrées aux rythmiques électroniques, avec l'utilisation de voix bulgares.

 

www.youtube.com/watch?v=3fwQkLBtkWQ

 

 

UNE FEMME FIDELE. Réalisateur : Roger Vadim. Compositeur : Mort Shuman, Pierre Porte. 1CD Music Box Records - MBR-094

 

Librement inspiré du roman épistolaire Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos, « Une femme fidèle » met en scène le Comte Charles de Lapalmmes (Jon Finch) et Mathilde Leroy (Sylvia Kristel), deux « doubles » du Vicomte de Valmont et de La Présidente de Tourvel. Roger Vadim s'était déjà penché sur « Les Liaisons dangereuses », en signant en 1959 une adaptation contemporaine du roman de Laclos, sur une musique du jazzman Thelonious Monk. Pour « Une femme fidèle », Roger Vadim (Et Dieu… créa la femme, Barbarella) fait un nouveau choix atypique, en demandant au chanteur/songwriter Mort Shuman de composer la musique du film, en collaboration avec son complice Pierre Porte. Pour le thème principal, les deux compères composent un concertino pour piano, au lyrisme exacerbé, et destiné à traduire l'aspect pur et sincère de la liaison entre Charles et Mathilde. Il sera décliné sous différentes formes tout le long du film. Ainsi, dans La déclaration d'amour, c'est le violon alto qui interprète cette délicieuse mélodie, conférant ainsi une certaine gravité non seulement au thème, mais aussi à la scène du film. D'autres plages font davantage preuve de délicatesse au niveau de l'orchestration. C'est le cas de La Mort de Mathilde, où la harpe traduit littéralement le dernier souffle de la femme abandonnée.

 

 

QUI ÊTES-VOUS POLLY MAGGOO ? / MISTER FREEDOM / LE COUPLE TÉMOIN. Réalisateur : William Klein. Compositeurs : Michel Legrand, Serge Gainsbourg, Michel Colombier; 1CD Rambling Records - JAP-RBCP-2994 (Import Japon)

 

L'intrigue de « Polly Maggoo » se partage entre le monde de la publicité, de la mode et de l'ORTF, et un royaume d'opérette, dont le prince héritier Sami Frey s'éprend du mannequin Polly Maggoo alors que la jeune femme fait l'objet d'un reportage télévisé. Celle de « Mister Freedom » est une satire sur l'impérialisme des E.U. Mister Freedom, un superhéros américain, vient sauver la France de Red China Man et de Moujik Man ! « Le Couple témoin » est une expérience organisée par le Ministère de l'Avenir. Expérience filmée dans l'appartement de demain, censée déterminer les mœurs et les attentes du couple pour l'an 2000. Sur ce CD on retrouve des compositions écrites pour les trois fictions réalisé par William Klein, plus connu par ses photos et ses documentaires. La chanson de Polly Magoo est écrite dans le pur style Michel Legrand avec un humour assez réjouissant. Pour « Mister Freedom », musique de Michel Colombier et Serge Gainsbourg, on retrouve rock, funk et l'humour corrosif qui colle parfaitement à ce film déjanté avec une Delphine Seyrig hallucinante. Le Funk est aussi présent pour « La Couple Témoin » composé par Michel Colombier. Une belle compilation pour des films qui sont devenu rares !

 

 

www.youtube.com/watch?v=Is5IuN2Yoxo

www.youtube.com/watch?v=q42QHrJKYFM

www.youtube.com/watch?v=myJfal01OeM

 

 

INDEPENDANCE DAY. Réalisateur : Roland Emerich. Compositeurs : Harald Kloser et Thomas Wander. 1CD Sony Classical 8898529312

 

Au secours ils reviennent, ils détruisent tout mais le fils de Will Smith (au cinéma) va sauver le monde, et les américains bien sûr ! Et puis il faut, l'indépendance n'étant plus à l'ordre du jour, l'aide des chinois ! Rassurez-vous, les jeunes pilotes vont la supprimer la vilaine bébête. Tout n'est que trucages impressionnants mais avec une musique en décalage et c'est peut-être là la surprise. Écouter chez soi cette musique de ces deux compositeurs d'origine australienne est quand même agréable ; mais dommage que cette résurgence après vingt ans d'oubli ! Oublions le film et écoutons la musique. On a droit sur le CD à la énième version de Bang Bang : celle-ci par Annie Trousseau. Après celle de Cher et surtout celle de Lady Gaga, on peut oublier. C'était David Arnold qui avait composé en 1996 la BO du premier ! Le compositeur des James Bond après Barry avait quand même une sacrée patte !

 

 

HIBOU. Réalisateur : Ramzy Bedia. Compositeur : Arthur Simonini, Ulysse Cottin, Louis Sommer. 1CD Milan 399 847-2

 

Rocky est un homme discret. Il est heureux mais n'existe dans le regard de personne. Un soir, en rentrant chez lui, il découvre un hibou "Grand Duc" sur son canapé qui le fixe intensément. Il comprend qu'il doit agir. Le lendemain, arrivé à son bureau, il revêt un déguisement de hibou sans que personne n'y prête la moindre attention. Jusqu'au jour où il rencontre une panda... Premier film de Ramzy Bedia, voilà une fable pleine de poésie et d'humour absurde sur ce personnage qui est invisible aux yeux des autres. Un film plein de maladresses mais touchant. La musique est extrêmement sympathique, joyeuse, avec un thème joué par des instruments à vent, ou en rockabilly qui ajoute à la candeur et à la naïveté des personnages. Arthur Simonini est violoniste, compositeur surtout connu pour ses arrangements, Louis Sommer est acteur et clarinettiste (joli valse de Father's Theme), Ulysse Cottin joue du piano et de la guitare. Ils ont participé tous les trois à la création de cette musique a-typique qui colle bien au film. C'est une musique avec de jolis moments de tendresse. Un film et une musique à apprécier sans chercher un quelconque second degré.

 

 

 

GENIUS. Réalisateur : Michael Grandage .Compositeur : Adam Cork 1CD Milanmusic 399 839-2

 

Écrit par John Logan (Spectre, Skyfall, Hugo Cabret…), « Génius »  est l'histoire de Thomas Wolfe, écrivain à la personnalité hors du commun, et révélé par le grand éditeur Maxwell Perkins, qui a découvert F. Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway. Thomas Wolfe ne tarde pas à connaître la célébrité, séduisant les critiques grâce à son talent littéraire fulgurant. Malgré leurs différences, l'auteur et son éditeur nouent une amitié profonde, complexe et tendre, qui marquera leur vie à jamais. Ce film magnifique est accompagné par des musiques discrètes, de mélodies des années 20! Dans un club de jazz à Harlem où Thomas Wolfe fait le parallèle entre jazz et littérature, un grand moment de Jude Law, le swing du trompettiste Chris Storr et de son orchestre est exemplaire, on y est ! Comme la lumière, le décor, la musique est tout à fait juste pour recréer cette ambiance new yorkaise du début du XXème siècle. On sent qu'Adam Cork  connaît bien son sujet et surtout qu'il a une vraie relation avec le réalisateur avec qui il travaille de longue date. « Genius » est un film fascinant et la BO sur CD est tout à fait agréable à écouter.

 

 

GHOSTBUSTERS. Réalisateur : Paul Feig. Compositeur : Theodore Shapiro

S.O.S. FANTÔMES est de retour, revisité et dynamisé avec ce coup-ci un casting féminin et de tous nouveaux personnages plus hilarants les uns que les autres. Paul Feig offre sa vision super vitaminée de la comédie surnaturelle, et les fantômes n'ont qu'à bien se tenir ! La musique de Shapiro reprend le célèbre thème du précédent Ghosbusters qui est arrangé assez astucieusement. C'est de la musique « énergisante » bien ficelée. Théodore Shapiro a composé de nombreuses BO, efficaces, solides, mais qui n'ont pas laissé de grand souvenir. Il avait fait celle de « La Vie Rêvée de Walter Mitty » et « Tonnerre sous les Tropiques », deux films de Ben Stiller (il vient de faire le dernier de ce réalisateur, « Zoolander 2 ») . Son heure de gloire fut avec « Le Diable s'Habille en Prada » en 2005. Ce disque est agréable à écouter, c'est du travail de pro, peut-être la meilleure composition de Shapiro !

https://www.youtube.com/watch?v=dIeA6TRI4I8&list=PLDSdIQfEoZflARFTkpRkJxDZASKntvDYB&index=3

 

 

JUILLET AOUT. Réalisateur : Diastème. Compositeur : Frédéric Lo. BOriginal Cristal Records 80029

 

Diastème est à la mode (il écrit pour Christophe Honoré…). La presse va trouver de nombreuses qualités à ce film qui est à cent coudées en dessous des films sur le même sujet de Pascal Thomas ou même de « L'Hôtel de la Plage » ou d'autres films de la petite bourgeoisie en vacances. Cette comédie cucu, niaise, avec tous les poncifs du film « charmant », « de l'été », a trouvé son chantre avec Frédéric Lo et Alex Beaupain, et chanté ( ?) par Jérémie Kisling ! « Juillet Août » va vous faire aimer « Camping 3 », le vrai film de l'été ! A lire les textes inénarrables de Diastème et  Lo ! Les chansons dans le film sont « comme un chœur grec qui traverse le film » ! Et Platon a dû écrire le scénario !

 

 

 

STAR TREK (Beyond) (sans limite). Réalisateur: Justin Lin. Compositeur: Michael Giacchino. 1CD Varèse Sarabande VSD-067397

 

Star Trek est de retour! C'est le 13ème long métrage de cette franchise !

Il est produit par J.J.Abram - réalisateur des deux derniers et excellents Star Trek et qui a commis le dernier Star Wars ! – « Beyond » est réalisé par le réalisateur de « Fast and Furious » ! Il y a donc de l'énergie et dans le scénario et dans la mise en scène. Il y a aussi de l'émotion ; les rapports aux pères qui sont morts sont présents dans l'histoire, mais aussi face à la réalité car en 2015 Léonard Nimoy alias Mr.Spock s'est éteint et c'est un élément du scénario – la fiction rejoint la réalité – Anton Yelchin qui interprète Pavel Chekov vient de se tuer en voiture au mois de juin, il avait 27 ans ! Depuis le 11 septembre 2001, dans tous les films catastrophe il y a destruction du symbole de la liberté, ici l'Enterprise, avant la riposte victorieuse ! On retrouve bien sûr toujours la marque de fabrique de Star Trek avec les symboles de fraternité, de paix, de tolérance entre les peuples de l'univers. Les trucages sont impressionnants – il faut voir le film en Imax, il donne le vertige !– et la planète Yortown n'a jamais était aussi surprenante ! La musique est signée par Michael Giacchino. Il avait écrit pour les deux précédents. Ce compositeur a toujours autant de talent et il sait reprendre le fameux thème et l'arranger de brillantes façons - Il avait fait ce même travail avec « Mission Impossible »  - Les vents, les cordes et aussi les chœurs sont utilisés à bon escient. Il a écrit un véritable space opéra de 1h30 avec des moments de lyrisme, de tendresse (Night On The Yorktown) et aussi d'action. Il est le digne héritier de Goldsmith. L'humour dans le scénario est présent, avec une chanson des Beastie Boys (allez voir le film pour comprendre). C'est Rihana qui chante le générique de fin, une bien belle chanson. Voilà un blockbuster enthousiasmant par la mise en scène et par la musique, qui fait oublier une autre franchise - une grande déception, même musicale - Star Wars VII !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=OE0PtJLe8IQ

 

 

RIO de JANEIRO (Ville Merveilleuse ?). Réalisateur : Pascal Cuissot,.Compositeur : Renaud Barbier. 1CD BOriginal, Crystal Record

 

Arte a proposé au mois de juillet en commentaire des jeux olympiques un documentaire passionnant sur 450 ans de Rio de Janeiro, son peuplement, son extension et ses différents quartiers, sur l'évolution architecturale de cette ville et sa diversité culturelle. Renaud Barbier a déjà composé pour des documentaires de Pascal Cuissot (Le Colisée, Vauban.) des musiques subtiles. Pour Rio, il n'est pas tombé dans le cliché de la musique brésilienne. Il a cherché de nombreuses textures musicales avec un mélange de chants indiens, religieux, des sons électroniques, du jazz et même du rock. L'ensemble est une nouvelle fois original et colle parfaitement aux discours de ce documentaire captivant. Le CD prouve une nouvelle fois le talent de ce compositeur que le cinéma n'emploie pas assez souvent. Dommage !

 

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

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Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

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COLLECTION VOIR ET ENTENDRE

Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.

W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto

Prix: 9 euros

A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale

Prix: 9 euros

H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement

Prix: 12 euros

J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »

Prix: 10,50 euros

 

   

1.STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)



 

2. ANALYSES MUSICALES VIIIè SIECLE - Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

COUPERIN

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

HAENDEL

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

3. LE NOUVEL OPERA

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

4. LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



 

5. LA RECHERCHE HYMNOLOGIQUE

En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France.
Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline.
Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question.
Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.

6. JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

7. LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

8. LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.




9. CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale