Lettre d’Information – n°87 – Décembre 2014



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

8 / 12

  Mille et une notes à l'Athénée

 

 

Pour la troisième année consécutive, au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, l'association 1001 Notes présente ses projets de soutien aux jeunes artistes en les invitant à se produire dans le cadre des schèmes “L’Envol” et “Le Maitre et l'Élève” et à présenter leurs projets discographiques. Au programme, trois formations musicales pour vivre une soirée placée sous le signe de la jeunesse, de l’ouverture musicale et du talent, avec comme invitée d’honneur la pianiste Vanessa Wagner. La première partie s'ouvrira sur le projet “L’Envol”, avec Hermine Horiot, violoncelle, et Ferenc Vizi, piano. Ils interpréteront des extraits de leur prochain album, « Romances Oubliées » (Collection 1001 Notes, sortie en janvier 2015) : la Sonatine en Sol Mineur op.100 d'Antonin Dvořák et 3 Romances op. 94 de Robert Schumann. La seconde partie, “ Le Maitre et l'Élève”, permettra d'entendre les pianistes Vanessa Wagner, Thibault Lebrun et David Ianni. Ce dernier jouera d'abord deux pièces de sa composition, Obsculta op. 97 et Sept Valses op. 77. Puis Thibault Lebrun et Vanessa Wagner donneront la 2ème Ballade  et Cantique d'Amour de Franz Liszt, et une Danse slave de Dvořák, en prélude à leur disque, « l'Aube », qui doit être enregistré en février prochain.    

Théâtre de Athénée-Louis Jouvet, le 8 décembre 2014, à 20H

Réservations et renseignements : Square de l'Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, 75009 Paris ; par tel : 01 53 05 19 19 ; en ligne : www.athenee-theatre.com

 

14 / 12

Cédric Tiberghien, chambriste à Strasbourg

 


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Artiste en résidence de la présente saison de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Cédric Tiberghien donnera une matinée de musique de chambre à la Cité de la musique de Strasbourg. Ce pianiste est considéré parmi les plus talentueux et originaux de la jeune génération. Lauréat de nombreux concours internationaux,  Premier Prix du Concours Long Thibault en 1998, il mène depuis lors une carrière enviable au concert et au disque (ses interprétations de pièces solo de Karol Szymanowski et des concertos de Théodore Dubois, parues chez Hyperion, ou de musique de chambre avec la violoniste Alina Ibragimova, font référence). Ce dernier domaine reste un des jardins secrets de cet artiste qui cultive le « juste équilibre entre la clarté technique et l'indispensable humanité dans l'interprétation ». Autrement dit l'inspiration ! Il jouera avec les solistes de l'OPL, dont la toute nouvelle premier violon super soliste Charlotte Juillard, fondatrice du Quatuor Zaïde. Au programme : le Quatuor pour piano et cordes K. 478 de Mozart et le Quintette « La truite » D 667 de Schubert, « deux sommets du bonheur musical viennois », remarque-t-il. En effet !        

Auditorium de la cité de la musique et de la danse, 1, place Dauphine, 67076 Strasbourg, le 14 décembre 2014, à 17H

Réservations : par tel : 03 88 43 68 00 ; en ligne : wwww.conservatoire.strasbourg.eu

 

15 / 12

Marie-Josèphe Jude joue Chopin en Arles

 


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La pianiste Marie-Josèphe Jude, formée au CNSMD de Paris, finaliste du Concours  Clara Haskil, et professeure au conservatoire de Lyon, aime les défis. Après avoir, entre autres, joué et enregistré l'intégrale des œuvres pianistiques de Brahms, elle livre sa vision des Nocturnes de Chopin. Ce genre dont on doit l'invention à l'anglais John Field, Chopin lui donne une âme. Au fil de 21 pièces, écrites entre 1827 et 1846,  emplies de tendresse, méditations bercées par la douce mélodie de la phrase. La mélancolie, le « zal » polonais, l'épanchement retenu ou l'effusion passionnée caractérisent les arabesques du piano, qui n'hésite pas à se faire grave, confidence du cœur, rêves et élans infinis. Le concert sera l'occasion de présenter le nouveau CD de ces pièces que la pianiste a enregistrées pour le label Lyrinx.

Chapelle du Méjan, à Arles, le 15 décembre 2014, à 18H30.

Renseignements (entrée libre) : par tel : 04 90 49 56 78 ; en ligne : www.lemejan.com

 

19 / 12 – 1 / 2  

La Belle au bois dormant de... Respighi

 


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Ottorino Respighi (1879-1936), auteur des fameux poèmes symphoniques immortalisant la ville de Rome, a aussi composé pour la scène d'opéra. Le conte musical en trois actes La Bella Dormente nel bosco (La belle au bois dormant) d'après Charles Perrault, a d'abord été conçu (1922) pour un théâtre de marionnettes, avant que Respighi ne l'adapte (1933) un en opéra pour enfants et les autres. L'humour parodique avec lequel le sujet est traité, comprenant des allusions aussi bien à Wagner qu'à Debussy, est soutenu par une orchestration virtuose convoquant un effectif réduit et original de vents, sept cordes, piano et clavecin. La musique est vive et chatoyante. La production de l'opéra studio de l'Opéra national du Rhin sera mise en scène par Valentina Carrasco et dirigée par Vincent Monteil. Elle viendra immédiatement après à Paris, à l'Athénée, l'orchestre y étant l'ensemble Le Balcon. Une découverte à n'en pas douter. 

 

OnR, à Colmar, le 19 décembre 2014, à 20H ; à Strasbourg, les 3, 7, 9 Janvier 2015, à 20 H et le 4/1 à 15H ; à Mulhouse, les 31/ 1, à 20H  et 1er /2 à 15H.

Théâtre de l'Athénée, Paris, les 17 (15H et 20H), 20 (19H), 21 et 22 janvier 2015, à 20 H.

Réservation : A Colmar, Théâtre municipal, 3 rue Unterlinden, 68000 Colmar ; par tel : 03 89 20 29 02 ; en ligne : theatre@ville-colmar.com ;

A Strasbourg/Opéra, 19 place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel. : 825 84 14 84 ; en ligne : caisse@onr.fr

A Mulhouse/La Filature, 20 allée Nathan Katz 68090 Mulhouse cedex ; par tel. : 03 89 36 28 28 ; en ligne : billetterie@lafilature.org

Théâtre de l'Athénée, Voir ci-dessus.

 

 

21, 23, 25, 28, 30 /12 – 1er /1

 

La Chauve-Souris à l'Opéra Comique

 

Die Fledermaus est plus qu'une opérette. C'est un des chefs d'œuvre de la musique viennoise. A Vienne, on la donne depuis toujours au Staatsoper, généralement pour les fêtes de fin d'année. Normal, puisqu'elle est tirée du « Réveillon », un vaudeville irrésistible du tandem Meilhac et Halévy. Cette histoire de bal masqué pour mettre en scène une petite vengeance personnelle à la risée de tous, est aussi française que viennoise, car son origine vient d'une pièce autrichienne, « La prison » (1851), dans laquelle ont puisé les deux français. Et si l'on remarque qu'Offenbach lui-même la créa sur les bords du Danube, en 1874, la boucle est bouclée ! A l'Opéra Comique, en cette fin d'année 2014, on en jouera la version française, donnée pour la première fois à Paris en 1877, mais dans une nouvelle mouture de Pascal Paul-Harang, soigneusement travaillée, annonce-t-on. Aux commandes de ses Musiciens du Louvre Grenoble, Marc Minkowski officiera, qui connaît son affaire pour l'avoir dirigée à Salzbourg lors d'une mémorable production marquant la fin du mandat de Gérard Mortier. Il ne tarit pas de compliments sur une pièce aux « références mozartiennes », qui « sur les plans dramaturgique et vocal, se site dans le sillage des Mozart-Da Ponte ». La régie d'Ivan Alexandre sera sans doute plus sage ici, encore que... Car sous le divertissement et la désinvolture de la valse, se niche une sévère satire de mœurs, peut-être encore d'actualité. En tout cas la plateau vocal se promet d'être explosif, avec Stéphane Degout et Sabine Devieilhe, entre autres. Une manière originale d'inaugurer scéniquement la saison du tricentenaire de la maison Favart et de conclure l'année sur une note optimiste !

Opéra Comique, les 21, 25, 28 décembre 2014  à 15H, les 23 et 30 /12 à 20H, et le 1er janvier 2015 à 15H.

Location : Billetterie, 1 place Boieldieu, 75002 Paris ; par tel. : 0825 01 01 23 ; en ligne : opera-comique.com

 

26 / 12 – 8 / 2

Idomeneo ci, Idomeneo

 

 

L'Opera seria de Mozart Idomeneo, Re di Creta revient décidément en force sur les scènes hexagonales, à Montpellier puis à Lyon et à Lille, et dans des productions différentes ! La production montpelliéraine sera mise en scène par Jean-Yves Courrégelongue et dirigée par Sébastien Rouland. On pourra voir celle de l'Opéra de Lyon, en janvier, dans la régie de Martin Kusej, sûrement surprenante, et sous la direction de Gérard Korsten. Et, quasi simultanément, celle de l'Opéra de Lille, confiée à l'acteur Jean-Yves Ruf pour la régie, avec Emmanuelle Haim au pupitre. Seul point commun : dans les trois cas, le personnage d'Idamante sera chanté par une mezzo, sans doute pour rappeler qu'il le fut, lors de la création munichoise (1781), par un castrat. Mozart imposera un ténor lors de la reprise à Vienne, peu après. Abondance de biens pour une œuvre qui si elle n'est plus à découvrir, mérite d'être approfondie. Le génie dramaturgique de Mozart s'y affirme pour dépasser les archaïsmes du genre de l'opera seria immortalisé par Gluck. Un souffle dramatique parcourt la pièce dans les ensembles, d'une belle audace, les chœurs vibrants, et des arias déjà dégagées de la convention, à l'aune des grands thèmes véhiculés, voire de la dimension politique de l'œuvre.  

 

 

Opéra de Montpellier, les 26 décembre 2014, 2, 6, 8 janvier 2015 à 20H et les 28/12  et 4/1 à 15H.

Opéra de Lyon, les 23, 27, 29, 31 janvier, 2, 4 , 8 février 2015, à 20H, et 25/1 à 16H

Opéra de Lille, les 27, 29 janvier, 3, 6 février 2015 à 20H, et le 1er/2 à 16H 

 

Réservations : A Montpellier, Opéra Comédie, 11, Bd Victor Hugo 34000 Montpellier ;  par tel : 04 67 60 19 99 ; en ligne : www.opera-orchestre-montpellier fr

A Lyon : Place de la Comédie, BP 12 19, 690023 Lyon ; par tel.: 04 69 85 54 54 ; en ligne : www.opera-lyon.com

A Lille, Opéra : 2 rue des Bons-Enfants, 59001 Lille cedex ; par tel. : 03 62 21 21 21 ; en ligne : www.opera-lille.fr

 

 

12 & 23 / 1

 

Poursuite du cycle « Vu du Front » aux Invalides

 


Maurice Maréchal et le violoncelle « Le Poilu »  / DR

 

En parallèle à l'exposition « Vu du Front. Représenter la Grande guerre » au Musée des Invalides, le cycle de concerts dédiés proposera encore, en janvier, deux soirées rares. Le 12, le duo Contraste (Cyrille Dubois, ténor, et Tristan Raës, piano) réhabilitera des auteurs et des répertoires injustement méconnus : le cycle de mélodies de Lili Boulanger « Clairières dans le ciel », les « Sept petites images du Japon » de Georges Migot, les « Odelettes » de Joseph-Guy Ropartz, des pièces de Jean de la Presle, dont « Heureux ceux qui sont morts », enfin des mélodies de Pierre Vellones : « Lettre du Front » et « Aux gonces qui se débinent ». L'ultime séance, le 23 janvier, sera l'occasion d'un hommage au violoncelliste Maurice Maréchal (1892-1964), créateur d'œuvres de Debussy et d'André Caplet. Il a rapporté dans ses carnets de guerre de précieuses informations sur le quotidien des tranchées, transcendé par la musique qu'il jouait sur un instrument de fortune, « le Poilu », confectionné, en juin 1915, dans le bois d'une caisse de munitions, et conservé au Musée de la Cité de la musique à Paris. Le celliste Alain Meunier et la pianiste Anne le Bozec interprèteront l'Élégie de Fauré, la Sonate op. 38 de Brahms, la Sonate N° 1 de Debussy, et d'Arthur Honegger, sa Sonate pour violoncelle composée en 1920.

Grand Salon de l'Hôtel de Invalides, le 12  et le 23 janvier 2015 à 20H.

Réservations : par tel.: 01 44 42 32 72  ; en ligne : culture@musee-armee.fr 

 

13 & 14 / 1

 

Karina Gauvin chante les héroïnes haendéliennes

 


DR

 

Comme sa compatriote Marie- Nicole Lemieux, la canadienne Karina Gauvin montre d'immenses talents vocaux et scéniques dans le répertoire baroque. Dans Haendel en particulier. On a déjà apprécié une Armida (Rinaldo) passionnée et féroce à Glyndebourne, l'été dernier, et Paris l'a découverte dans Ezio et Giulio Cesare au Théâtre de Champs-Elysées. Les héroïnes haendéliennes seront au centre de son premier récital à la Salle Gaveau. Elle y interprétera des extraits de Rodelinda (« Ombre piante, urne funeste »), de Rinaldo (« Furie terribili »), de Jules César, d'Alcina (« o mio cor »), et d'Ariodante («  Doppo notte »). Elle sera accompagnée par le Cercle de l'Harmonie, dirigé par son premier violon Julien Chauvin. Ils donneront encore des pages orchestrales, ouverture d'opéra et extraits de concertos grossos et de la Water music. Ce même programme sera joué, la veille, à la MC2 de Grenoble.   

Auditorium de la MC2 de Grenoble, le 13 janvier 2015, à 20H30, et Salle Gaveau, Paris, le 14/1, à 20H30.

Réservations : MC2, 4 rue Paul Claudel, 38000 Grenoble ; par tel. : 04 76 00 79 00 ; en ligne : billetterie@mc2grenoble.fr

Salle Gaveau, 45-47, rue de la Boétie, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 53 05 07 ; en ligne : www.sallegaveau.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

2, 4, 9, 16, 18 / 12

 

Musique au Musée d'Orsay

 


Pieter Wispelwey© Fritz de Beer

 

Trop souvent on pense Orsay comme le Musée de la peinture des impressionnistes. Ses collections sont plus larges et tous les mouvements du XIX ème siècle en peinture, en sculpture, en design, et même en photo sont représentés. Les expositions temporaires sont intéressantes, quoique il faille oublier celle actuelle sur « Sade, attaquer le Soleil », qui n’est pas si éblouissante qu’on l'aurait pensé ; seuls les textes choisis sont valables, le reste est une vague illustration de ce théâtre de la cruauté. Mais on oublie qu’à l’auditorium du musée sont proposés des concerts magnifiques tout au long de l’année, en parallèle avec les expositions. Du 13 novembre 2014 au 10 février 2015, par exemple, un premier cycle, « Back To Bach », est consacré au retour au XIXème de Jean-Sébastien Bach. De Chopin à Gounod, en passant par Mendelssohn, Saint-Saëns, Franck, les musiciens de ce siècle n’ont eu de cesse de faire aimer la musique du Cantor, en la jouant, la transposant, la paraphrasant. Ils ont fait de Bach un « auteur contemporain ». Des avants concerts, qui correspondent à cet art du pastiche, sont proposés par les conservateurs du Musée. Ainsi on verra des œuvres de la collection du Musée à côté de celles plus anciennes qui ont directement inspirées les artistes. Pas de Manet sans Titien, Pas de Monet sans Turner, Pas de Rodin sans Michel-Ange. Toute l’année, le thème « A la manière de », pastiches, hommages, réinventions, sera le fil rouge des concerts et des expositions. Après « Back To Bach », suivront : « Suites françaises » et le rapport à la musique baroque, puis « Drôles de dames », en hommage aux interprètes qui ont donné leurs lettres de noblesse à la mélodie et au Lied, enfin « Modernités Italiennes », en miroir avec une exposition d’art décoratif italien. Les concerts ont lieu soit à 12h30 soit à 20h et les artistes qui s’y produisent sont d’exception.

 

Au mois de décembre on peut ainsi écouter des œuvres très originales à partir du répertoire de J-S. Bach :

Le 2, le duo de pianistes serbes, Lidija et Sanja Bizjak, dans un programme Bach/Max Reger, en particulier des transcriptions des Concertos Brandebourgeois pour piano à quatre mains.

Le 4, en deux séances consécutives, le célèbre violoncelliste hollandais Pieter Wispelwey dans l’intégrale des Suites pour violoncelle de Bach, son cheval de bataille. Il les a enregistrées plus d’une fois.

Le 9, Le pianiste italien, Maurizio Baglini dans un programme Bach/Busoni dont il a réalisé un CD;

Le 16, le jeune pianiste français, Adam Laloum, lauréat du concours Clara Haskil de Vevey, dans un programme Bach et Schumann.

Le 18, La mezzo allemande Janina Baechle, accompagnée au piano par Marcelo Amaral, dans un récital Mendelssohn et Bach.

Une manière de découvrir des musiciens de talents.

Renseignements et réservations : par tel : 01 40 49 48 14 ; en ligne : www.musée-orsay.fr

Stéphane Loison

 

 

x x

 

La Semaine Mozart à Salzbourg

 

 

Mozart, Schubert, mais aussi Elliott Carter seront au menu de la prochaine Mozartwoche salzbourgeoise. Loin de la presse et du vedettariat du festival d'été, la Semaine Mozart décline tout autant l'excellence. Mais en empruntant des chemins différents. Son directeur artistique Marc Minkowski, depuis trois saisons déjà, a su imprimer sa marque. Comme il le dit lors d'un déjeuner de presse à son domicile parisien, entre deux représentations d'Idomeneo au Royal Opera de Londres : « les nombreuses facettes de Mozart ne peuvent être mises en lumière que sous les éclairages les plus divers ». Par exemple, dans une approche en miroir, avec un classique, Schubert, et un moderne, Carter. Après Lucio Silla, en 2013, et Orfeo ed Euridiceen 2014, la production scénique de cette nouvelle édition sera consacrée à une rareté, pour ne pas dire une première absolue : représenter la cantate Davide penitente K 469 de Mozart (largement inspirée de la Messe en Ut) dans une chorégraphie équestre due à Bartabas et son Académie Équestre de Versailles. Cet « oratorio équestre » sera donné dans la Felsenreitschule, salle mythique à Salzbourg du manège des rochers, lieu prédestiné s'il en est pour donner un lustre particulier à cette entreprise pour le moins originale. Tous ceux qui l'ont pratiqué savent qu'il ouvre l'imagination. C'est une gageure de faire revenir ici ces chevaux qui firent les beaux jours de ce manège, il y a deux siècles, et de leur assigner le premier rôle avec leurs écuyers (22, 25 et 31/1).

Côté concerts, l'intégrale des symphonies de Schubert sera dirigée par sept chefs différents : Nikolaus Harnoncourt et les Viennois (Symphonies Nos 6 et 7, le 24/1), Andras Schiff et sa Cappella Andrea Barca ( N° 5, les 24 & 25/1), Juraj Valcuha et la Camerata Salzburg (N° 3, le 26/1), Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre- Grenoble (N° 8, « La Grande », le 27/1), Andrès Orozso-Estrada et les Viennois (N° 1, le 28/1), Pablo Heras-Casado et la Camerata (N° 2, le 31/1), et Laurence Equilbey et Insula Orchestra (N° 4, le 1/2). Ces divers concerts seront complétés par des pièces de Mozart bien sûr, mais aussi de Beethoven. A noter que celui de Minkowski, le 27 janvier, sera l'occasion d'entendre le violon de Mozart, sous l'archet de Thibault Noally, et son Hammerklavier, joué par Francesco Corti, le continuiste des Musiciens du Louvre. Ces deux fabuleux instruments seront extraits de leur vitrine des musées salzbourgeois, à la grande fierté du maestro ! La violoniste Isabelle Faust jouera les cinq concertos de violon de Mozart en un même concert avec Il Giardino Armonico et Giovanni Antonini (29/1). Une version concertante de l'opéra Alfonso und Estrella D 732 enrichira le panorama schubertien, avec une belle distribution sous la houlette du chef Antonello Manacorda (23/1). Eliott Carter sera honoré par un florilège significatif de ses œuvres, dont sa symphonie N° 1, mais aussi « Sound Fieds », et son concerto pour flûte. Un de ses plus fidèles interprètes, Pierre-Laurent Aimard, dirigera et jouera « Instances » pour orchestre de chambre, et « Epigrams » pour piano, violon et violoncelle (1er/2).

D'autres pièces chambristes de Carter seront jouées par le pianiste français avec les solistes de l'Orchestre de chambre d'Europe (29/1). C'est que la  musique de chambre est également à l'honneur durant ce festival. Ainsi, le Hagen Quartett jouera l'intégrale des Quatuors de Mozart et le Quintette pour clarinette (23,24, 30 et 31/1). L'interprétation des sonates pour piano sera partagée entre Fazil Say, sur instrument moderne, et Kristian Bezuidenhout, sur Hammerklavier (25, 26, 28 et 29/1). Mitsuko Uchida quant à elle, outre une séance solennelle durant laquelle lui sera remise la Médaille d'or de la Fondation Mozarteum (27/1), donnera un récital consacré à trois sonates de Mozart et les Quatre impromptus de Schubert (26/1). Elle participera encore à une matinée avec Veronika Eberle, violon, et Marie-Elisabeth Hecker, autour de trios de Mozart et de Schubert (30/1). Il y aura aussi du chant avec Christiane Karg, Diana Damrau, Christine Schäfer... Enfin, un projet cher au cœur de Marc Minkowski se poursuivra : l'Orchestre des jeunes (Kinderorchester) montrera qu'avec un vrai enthousiasme, et un bon guide, des musiciens en herbe, entre 7 et 12 ans, peuvent faire de l'excellente musique. Un rendez-vous hivernal à marquer d'une pierre blanche !

 


Matthias Schulz & Marc Minkowski / DR

Du 22 janvier au 1er février 2015.

Renseignements et réservations : Kartenbüro der Sitftung Mozarteum Salzburg,

Mozart Wohnhaus, Theatergasse 2, A- 5020 Salzburg ; par tel .: 00 43 662 87 31 54 ; par Fax : 43 662 87 44 54 ; en ligne : tickets@mozarteum.at  ou  www.mozarteum.at

 

Jean-Pierre Robert.

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L'ARTICLE DU MOIS

 

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LA DISCRÈTE GRANDEUR DU VÉRISME

Au XIXe siècle, alors que le scientisme et le positivisme nourrissent la nouvelle objectivité, c’est au théâtre lyrique que la fascination pour le vrai exerce sa plus rude influence. À partir de Macbeth (1847), l’attention portée à la caractérisation des personnages hisse ainsi Giuseppe Verdi au rang de grand dramaturge, cependant qu’à l’extrémité orientale de l’Europe, l’opéra russe se plie dès 1862 aux préceptes du Groupe des Cinq. Loin de faiblir, cette dévotion pour la vérité culminera au crépuscule du siècle avec le naturalisme français et surtout avec le vérisme italien. Tribune littéraire des vaincus de la vie (vinti della vita) sous la plume de Giovanni Verga (1840-1922), le mouvement gagnera les scènes lyriques dès la retentissante création romaine de Cavalleria rusticana, le 17 mai 1890.

Une pièce en quatre actes

L’une des originalités du répertoire lyrique vériste, c’est qu’il est moins caractérisé par ses auteurs que par quatre opéras célèbres, chacun dû à un compositeur dont il demeure, pour la postérité, le seul chef-d’œuvre : Cavalleria rusticana(1890) de Pietro Mascagni (1863-1945), I Pagliacci (1892) de Ruggero Leoncavallo (1858-1919), Andrea Chénier (1896) d’Umberto Giordano (1867-1948) et Adriana Lecouvreur (1902) de Francesco Cilea (1866-1950).

Décourageant toute tentative de synthèse trop schématique, le poids écrasant de ces quatre partitions ne constitue pas la moindre difficulté dans l’étude du vérisme. Un vérisme dont on ne sait trop s’il serait un style ayant créé certaines formes et formules originales, ou un simple moment de l’histoire lyrique, caractérisé par le refus du symbolisme, de l’impressionnisme, et par la volonté d’échapper au modèle verdien, quitte à solliciter l’exemple subversif de Carmen. À y bien regarder, la vraie difficulté de définir le vérisme ne tient-elle pas à ce qu’il ne se soucie nullement d’inventer un vocabulaire d’une réelle originalité ? Ou encore au caractère incertain de son esthétique, à mi-chemin entre expressionnisme et bel canto ? Incertitude qui explique en grande partie les nombreux échos véristes qu’il est possible de discerner, hors d’Italie, dans presque tous les foyers lyriques du temps, de la France à l’Allemagne, de la Russie aux tout jeunes États-Unis ? Autre motif de perplexité, ce même vérisme relève-t-il avant tout, dans son versant théâtral, de la musique ou de la littérature ? Des deux mouvements influant le plus fortement sur le destin opératique du deuxième XIXe siècle, la Scapigliatura (“échevellement”, par extension vie de bohème) des Praga, Tarchetti et Boito, et le vérisme des Capuana, De Roberto et Verga, c’est ce dernier qui, après 1890, impose dans sa version lyrique de nombreux caractères, plus théâtraux que musicaux : syllabisme, discours continu, contrastes violents, refus de la veine comique, simplicité mélodique, transformation ou suppression de l’air isolé, grandiloquence du finale, écriture verticale, cadre quotidien de l’action, intrigue routinière, etc. Puis, ce faisceau d’interrogations ne souligne-t-il pas, en creux, la force des liens qui uniraient le style vériste aux derniers feux du romantisme lyrique ? Enfin, la durée du vérisme dépasse-t-elle la décennie autour de laquelle tournent les XIXe et XXe siècles, de Cavalleria rusticana (1890) à Adriana Lecouvreur (1902), lors même que les quatre musiciens cités plus haut survivront longtemps à leur chef-d’œuvre, un quart de siècle pour Leoncavallo, un demi-siècle pour les trois autres ? En miroir enfin, l’intégration forcée de tous les ouvrages lyriques italiens du temps à la sphère vériste ne relève-t-elle pas d’un abus complaisant ?

Paradoxalement, la tentative de définir le vérisme en tant que style montre avant tout le caractère inopérant d’une analyse qui userait des seuls outils de la stylistique en tant que mode d’appréhension scientifique d’un style donné, de ses procédés comme de ses effets, non de son histoire ou de celle de ses formules. L’univers vériste exige un déchiffrement bien plus large que celui des seules partitions. L’attitude morale du compositeur vériste face au monde et l’engagement artistique de l’interprète vériste sont ainsi à prendre en compte aussi bien que les formants esthétiques et techniques, mais également la réception particulière du public dont la posture change en profondeur selon qu’il assiste à une représentation d’I Pagliacci ou d’Aïda. Voire d’Il Tabarro ou de Madama Butterfly, deux ouvrages pourtant dus à la même plume !

Un vérisme mal entendu

Les ennemis du vérisme musical, au premier rang desquels un Claude Debussy ulcéré par ce “broiement” de la musique, insistent sur sa prédilection pour une violence sanglante qui, au passage, casserait les voix de ses interprètes. De ce point de vue, révélatrice est l’attitude des adversaires de Puccini qui réduisent sa production à la seule Tosca, et Tosca à la seule scène de torture (d’ailleurs invisible) du deuxième acte. Ne voit-on pourtant pas que le répertoire vériste est bien moins sanglant que la tragédie verdienne ? Il est symptomatique, à ce sujet, que le mépris à l’endroit du vérisme s’accompagne d’une dévotion surprenante à l’endroit d’un théâtre russe (Boris Godounov, Eugène Onéguine) qui n’épargne pourtant guère ses protagonistes. Non plus d’ailleurs que la Carmen de Bizet (1875), première héroïne du théâtre lyrique à payer de sa vie son refus du magistère masculin. Faut-il ici rappeler le célèbre mot tenu par le compositeur français : « Je vous déclare que si vous supprimez l’adultère, le fanatisme, le crime, l’erreur, le surnaturel, il n’y a plus moyen d’écrire une note » ? Affirmation que n’eût désavouée aucun compositeur vériste, surtout quand les victimes de ces passions appartiennent à l’univers policé d’une aristocratie décadente plutôt qu’aux bas-fonds sordides d’une paysannerie dégénérée. Si le temps des Lumières avait multiplié les traités du bonheur, le XIXe siècle s’est plutôt attaché à donner au malheur les seuls traits de la malédiction sociale. Aussi, dans les quatre actes de la dramaturgie vériste (Cavalleria rusticana, I Pagliacci, Andrea Chénier, Adriana Lecouvreur), entendrons-nous la vaine protestation de Turiddu ou de Canio contre leur misère morale, avant d’écouter le poète Chénier et la comédienne Lecouvreur élargir cette complainte à l’universel.

Pietro Mascagni en 1903 / DR

L’irruption triomphale de Mascagni

Né le 7 décembre 1863 à Livourne, Pietro Mascagni s’inscrit en 1876, à l’Institut musical de sa ville. Si ses premières œuvres voient le jour dès 1878, c’est avec la cantate In Filanda qu’il fait son entrée dans la carrière, en 1881. Admis au Conservatoire de Milan l’année suivante, il s’y lie avec Puccini ; si ces études lui sont d’un indiscutable profit, le jeune artiste éprouve les plus grandes difficultés à se plier à la discipline scolaire, d’où son départ en 1885, avant la fin de son cursus complet, pour mener la vie aléatoire de directeur d’une petite troupe d’opérette ! Établi avec sa compagne, Argenide, dans la cité de Cerignola, il y est nommé maestro di suono et canto par la municipalité en mars 1887. C’est en juillet 1888 que le destin frappe à sa porte, sous forme de l’annonce du concours lancé par l’éditeur Sonzogno pour l’écriture d’un opéra en un acte. Choisissant pour argument un sombre récit de Verga, Cavalleria rusticana, le jeune homme demande à ses amis Targioni-Tozzetti et Menacci un livret dont la concision se révèlera d’une redoutable efficacité scénique. La musique est écrite en quelques semaines, le manuscrit expédié au jury (qui en a 72 autres à dépouiller !). Élue devant Labilia de Spinelli et Rudello de Ferroni, Cavalleria rusticana triomphe le 17 mai 1890, devant le public en délire du théâtre Costanzi à Rome. Foudroyant à l’échelon local, le succès se propage à une vitesse stupéfiante sur toutes les scènes du monde.

Il eût alors été audacieux de prévoir que ce premier triomphe serait aussi le dernier ! Certes, Mascagni connaîtra une grande carrière de chef d’orchestre, multipliera les partitions lyriques de grande qualité (L’amico Fritz, I Rantzau, Guglielmo Ratcliff, Silvano, Zanetto, Iris). Mais, au contraire d’un Puccini, dont le succès mondial va croissant, il voit faiblir sa faveur à partir des Maschere, dont la création décevante en 1901, précède les faibles succès d’Amica, Isabeau, Parisina, Lodoletta, Si, Il piccolo Marat, Pinotta, Nerone. En 1940, le cinquantenaire de Cavalleria rusticana est célébré avec faste, l’œuvre connaissant son premier enregistrement discographique, sous la direction du compositeur. Le 2 août 1945, c’est dans une mélancolique solitude que s’éteint Pietro Mascagni, à l’hôtel Plaza de Rome. Avec sa disparition s’ouvre l’ère d’un interminable malentendu, la musicologie réduisant désormais sa production à la seule Cavalleria rusticana, de surcroît systématiquement associée aux Pagliacci de Leoncavallo !

Cavalleria Rusticana, la force des passions élémentaires

[Création : 17 mai 1890 au Teatro Costanzi à Rome, avec Roberto Stagno (Turiddu), Guadenzio Salassa (Alfio), Gemma Bellincioni (Santuzza), Leopoldo Mugnoni (direction)]

Rien de plus élémentaire que l’argument de cet acte brutal, plein de bruit et de fureur, mais aussi d’amour et de tendresse, de joies promises et d’espérances perdues. Amours impossibles, jalousies équivoques, vengeances sanglantes, mensonges dégradants… le tout sur fond de misère morale et de pauvreté matérielle, dans un cadre dont la rusticité ne s’encombre d’aucun effet bucolique, en un temps moderne qui est resté celui des Anciens ! De tout cela, l’opéra de Mascagni rend compte de multiples façons, mais toujours en puisant directement au vivier de la nouvelle de Verga, chronique brutale qui développe en quelques pages une trame rudimentaire.

Au début, donc, du récit de Verga, un jeune paysan, Turiddu Macca, fils de Nunzia, aspirant soldat et point de mire de toutes les filles du village. Puis l’attrayante Lola, mariée au rustaud Alfio « par la volonté de Dieu » ! Enfin, la pauvre Santa qui, probablement enceinte, nourrit de faibles illusions quant à la sincérité d’un Turiddu au discours plein de « belles choses ». Mais aussi, ce qui apparaîtra beaucoup moins dans l’opéra, l’obsession de la richesse, le mépris à l’endroit du propriétaire « riche comme un porc » ! Puis le jeu cruel de la jalousie, Turiddu éveillant avec habileté le dépit d’une Lola outrée par ses assiduités auprès de Santa. Sans compter le poids de la religion, avec pour corollaire l’importance de la confession à la veille de Pâques. Ainsi, tout est prêt pour le déroulement de la tragédie quand Santa, ivre d’amertume et de désespoir, apprend à Alfio qu’en son absence, sa belle épouse a ouvert sa porte à l’avenant Turiddu. Défi entre les deux hommes, refus du verre tendu, morsure à l’oreille… c’est tout le rituel paysan du meurtre commandé par l’infortune conjugale qui se déroule alors. Avant l’échéance, Turiddu fait ses adieux à sa mère, lui demandant « un dernier baiser avant son départ du lendemain » (Datemi un bel bacio come allora, perché domattina andrò lontano). Puis la scène finale, le duel dont l’épilogue est placé sous le signe de la traîtrise, Alfio aveuglant son adversaire par projection dans ses yeux d’une poignée de poussière et le frappant de telle façon à l’estomac et à la gorge que l’afflux de sang ne permet même pas au mourant de formuler un ultime Ah, mamma mia !

Lorsque le jeune Mascagni s’empare de cette trame, il sait que tout doit se faire dans l’urgence. Sans appui, sans librettiste attitré, il se retrouve, du fait même de cette pression, en position de concurrencer des candidats mieux armés. Peut-être même pressent-il là l’occasion de libérer cette juvénile énergie que les épreuves n’ont pas encore altérée. La brièveté de l’œuvre et la rudesse de son sujet ne peuvent que servir une invention mélodique encore intacte et une science orchestrale toute fraîche. C’est dans cette dynamique que doit être comprise la genèse de Cavalleria rusticana, son succès mondial, l’adhésion consensuelle de la critique et du public sous toutes les latitudes (sauf en France, où le fanatisme wagnérien frappe de nullité tout ce qui s’inscrit, peu ou prou, sous le signe du bel canto).

Pour les premiers auditeurs de Cavalleria rusticana, la moindre surprise ne fut pas la forme inhabituelle d’une ouverture rhapsodique, singulier triptyque évoquant les heures précoces de la journée dans une campagne incertaine, animé par la voix puissante de Turiddu en coulisses : « O Lola ch’ai di latti la cammisa, si bianca e russa comu la cirasa » (Ô Lola, dont la chemise est couleur de lait, te voilà blanche et rouge comme la cerise…). Paroles dénuées de toute complexité psychologique, chantant les sensuels attraits de la belle Lola, mystérieuses pour des oreilles italiennes habituées à une compréhension parfaite et immédiate du texte depuis la première maturité de Verdi ; quelques mesures suffisent de la sorte à Mascagni pour opérer le choix d’un vérisme en accord avec la tonalité triviale du drame de Verga. Même rusticité pour le décor : une place de village bornée par l’église au fond à droite, par l’auberge et par la maison de Mamma Lucia à gauche. Ainsi est d’emblée fermé l’espace du drame. Et pour mieux marquer la prégnance de cette place aux péripéties catastrophiques, Mascagni commence par la frapper d’un silence d’autant plus significatif que tout ce qui l’entoure bruit de sons destinés à l’envahir, tintements des cloches et chœurs villageois se mêlant progressivement, depuis les coulisses, pour donner une réalité rustique au centre du bourg. Il y a, dans tout cela, une adéquation rare à l’évocation de la campagne. Les femmes chantent les attraits de la nature, les hommes chantent les attraits de la femme…

Comme assombrie par le passage soudain de froides nuées, l’atmosphère change du tout au tout avec le départ des paysans et le thème de la détresse de Santuzza, venue chercher un impossible réconfort auprès de Lucia, mère de l’inconstant Turiddu. Aucun préliminaire ici, l’esthétique vériste sollicitant le plus court chemin, le plus fort aussi. La vie commande. Même l’église reste impuissante à rompre la malédiction des passions humaines. Rien de plus poignant, par exemple, que la prière de Santuzza, isolée au cœur de la liesse indifférente. Sans se préoccuper de complexité psychologique, l’esthétique vériste délivre un message de vérité humaine en sollicitant les seules ressources de la musique. C’est ainsi que, dans la scène confrontant Turridu à Santuzza, héros pitoyables d’une histoire sans grandeur et sans intérêt, la brutalité vériste joue à plein, prélude inéluctable à un épisode sanglant. La querelle monte par degrés jusqu’à l’imprécation, aux insultes hurlées et à la malédiction de Santuzza : « A te la mala Pasqua, spergiuro » (À toi la Mauvaise Pâque, parjure !). L’intensité de ce dialogue à proprement parler délirant sollicite souvent toute  l’attention de l’auditeur et ne lui permet pas, au moins dans un premier temps, de mesurer toute l’ingéniosité de Mascagni, qui reprend nombre de thèmes déjà entendus, comme pour signifier que le cercle de la malédiction se referme et qu’il n’est d’autre issue désormais que fatale. Le tout au sein d’un immense crescendo qui finit par noyer la logique mélodique et le discours stéréotypé, haché, fragment littéraire le plus faible du livret mais support de l’épisode dramatique le plus réussi ! Après le célébrissime intermède instrumental, popularisé par des exécutions sans nombre en concert, par les bandes sonores du cinéma, par l’animation musicale de la publicité, partout bissé, morceau de bravoure de tout chef soucieux d’un succès assuré, on se dirige vers la scène la plus gaie de l’opéra, animée par une chanson à boire. La stupéfiante capacité de Mascagni à transformer le climat d’une scène fait ici encore merveille. Tout se joue en deux répliques. La première marque le refus du verre de vin tendu par Turiddu à Alfio : « Grazie, ma il vostro vino io non lo accetto… » (Merci, mais votre vin je ne l’accepte pas) ; la deuxième, encore plus laconique revient à Turiddu qui prend moins acte du refus de son rival que de tout ce que ce refus sous-entend : « A piacer vostro » (Comme il vous plaira). La fin est foudroyante. Santuzza se jette dans les bras de Lucia cependant qu’une agitation fébrile gagne tous les paysans. Puis le hurlement inhumain qui signe l’arrêt de mort de Turiddu et les ultimes convulsions de l’orchestre qui ferme le drame par trois accords puissants. Cette rapidité de l’épilogue est le plus sûr facteur de sa réussite, lors même qu’il est peut-être simplement le fruit du manque de temps ! Un manque de temps qui ne sera plus jamais le fait d’un Mascagni parvenu à la gloire et n’ayant donc plus jamais – peut-être pour son malheur – à travailler dans l’urgence.

Ruggero Leoncavallo, sur les traces de Mascagni

Né le 23 avril 1857, à Naples, Ruggero Leoncavallo perfectionne son talent de pianiste au conservatoire San Pietro a Majella de Naples, de 1866 à 1874. Connaissant son premier vrai succès avec la création de La Nuit de mai en 1886, il passe contrat avec le grand éditeur italien, Ricordi pour une trilogie, Crepusculum, I Medici, Savonarola et Cesare Borgia. Survient alors le choc de Cavalleria rusticana, en 1890. Certain de ses dispositions pour ce genre et soucieux d’imposer son nom au plus vite, notre compositeur propose le livret d’I Pagliacci à l’éditeur de Cavalleria, Sonzogno, qui lui passe commande de la musique. En 1891, le musicien se retire à Vacallo, en Suisse italienne où il achève, en cinq mois, le livret et la partition.

La création d’I Pagliacci au Teatro dal Verme de Milan sous la direction de Toscanini, le 28 mai 1892, marque ainsi le début, tardif mais triomphal, de la carrière de Leoncavallo. Le succès s’étend à toutes les scènes du monde, mais à l’instar de Mascagni, le compositeur ne retrouvera jamais une telle faveur. Accablé par la chute de sa Bohème à la Fenice de Venise, le 6 mai 1897, conscient de la supériorité de Puccini, Leoncavallo tente encore d’imposer son nom avec Zazà, Der Roland von Berlin, Gli Zingari, Goffredo Mameli, Maia, Edipo Re, dont les succès occasionnels ne l’abusent pas. Plus encore que Mascagni, il restera l’homme d’un seul opéra, ses Pagliacci lui ayant ainsi offert tout à la fois l’immortalité et une fin de vie placée sous le signe d’une mélancolique amertume. Peut-être le plus sûr symptôme de cet échec est-il à découvrir dans la multiplication des opérettes dès 1910 (Malbruck, La Reginetta delle rose, Are you there ?, La Candidata, Prestami tua moglie, A chi la giarrettiera ?, Il primo bacio, La Maschera nuda). Le plus troublant, à la lecture de ces partitions, est leur flagrante absence d'intérêt, le maître d'I Pagliacci ayant renoncé à des hardiesses harmoniques et à ces audaces mélodiques qui lui avaient valu un prestige international. C'est à Montecatini Terme qu'il s'éteint, le 9 août 1919, laissant inachevée la partition d'un drame, Tormenta.

I Pagliacci, le fait divers hissé au rang d’épopée

[Création : 21 mai 1892, Teatro dal Verme, Milan, avec Adelina Stehle (Nedda), Fiorello Giraud (Canio), Victor Maurel (Tonio), Mario Ancona (Silvio), Francesco Daddi (Peppe), Arturo Toscanini (direction)]

 


Frontispice de la partition pour piano seul de «  Paillasse », 1893, Choudens Éditeur

 

L’appariement systématique de Cavalleria rusticana et d’I Pagliacci ne doit pas conduire à considérer les deux œuvres comme les volets d’un diptyque voulu par les compositeurs, par leur éditeur ou par les directeurs de salles. Cependant, plutôt qu’ignorer cette union des deux opéras, n’est-il pas plus gratifiant de vérifier en quoi chacun sert l’esthétique vériste ? D’autant plus que ce qui les rapproche est loin d’être négligeable : reposant tous deux sur un argument tiré d’un fait divers sanglant, ils se signalent par leur brièveté, leur violence psychologique, l’exacerbation des passions, la liaison fusionnelle de l’amour et de la mort, la simplicité de la trame dramatique, la contraignante unité de lieu, de temps et d’action, la concordance des thèmes avec les unités structurelles, la désinvolture de modulations soumises aux seules nécessités expressives, l’omniprésence d’un orchestre rutilant et éloquent, mais aussi le refus d’un exotisme complaisant ou d’un populisme dégradant. Par ailleurs, à énoncer ces caractères du vérisme musical, n’apparaît-il pas, une fois encore, que Carmen en reste le seul véritable aîné ?

Un fait divers de 1865, jugé par son père, a été présenté par Leoncavallo comme le support de l’argument d’I Pagliacci. Pourtant, les commentateurs ne se font jamais faute de relever que la trame de l’opéra ne renvoie en rien à ce drame domestique. En revanche, deux ouvrages dramatiques présentent de troublantes analogies avec le livret du maître italien. Le premier, Un drama nuevo, dû au dramaturge Manuel Tamayo y Baus et créé en 1867 à Madrid, développe une sombre histoire d’adultère tout en introduisant le principe du théâtre dans le théâtre. Deuxième ouvrage précurseur, La Femme de Tabarin, revient à Catulle Mendès et sa création parisienne, en 1887, n’a pu échapper à notre compositeur. Découvrant le livret de Leoncavallo, Catulle Mendès prendra aussitôt feu et flamme, criant au plagiat et ouvrant une procédure judiciaire. Finalement, les choses s’arrangeront entre les deux hommes, l’écrivain français retirant sa plainte et le compositeur arguant de sa bonne foi. Il y reviendra même, sept ans après la création de son chef-d’œuvre, ayant à cœur de se justifier auprès du public français : « La vérité est que j’ignorais complètement l’œuvre de l’écrivain que j’admire tant et que j’avais fait le plan de mon ouvrage d’après un fait réellement arrivé en Calabre et jugé par mon père lorsqu’il siégeait au tribunal de Cosenza. » (Le Figaro, 9 juin 1899). Dont acte.

Le vérisme pose toujours problème lorsqu’il s’agit de tracer, dans son univers, la frontière entre le musical et le verbal. Rien de plus instructif, en ce sens, que l’étude des premières mesures d’I Pagliacci, réservées à l’orchestre. L’atmosphère y est à la foire, plutôt à la parade, cette parade qui était le genre choisi par Catulle Mendès pour caractériser son Tabarin. Le premier thème cherche délibérément à capter l’attention d’un public ambulant ; puis, l’effet d’annonce produit, la musique change du tout au tout, évoluant dans une atmosphère plus mélancolique et enchaînant sans hiatus les trois thèmes qui construiront la trame de la pièce. Le premier n’est autre que le sinistre « Ridi Pagliaccio », climax du grand air « Vesti la giubba » sous forme du rire dément hurlé par un Canio, parvenu au paroxysme de la fureur. Changement radical avec le thème de l’amour unissant Nedda à Silvio. Traditionnellement, c’est aux cordes accompagnées par la harpe qu’il est confié, délicat et lyrique dans cette atmosphère de désordre joyeux et survolté. Complétant cette mosaïque de motifs qui, aisés à mémoriser, formeront un support immédiat à toutes les expressions de la passion, le troisième thème revient à Canio, dont il peint la sombre jalousie, chantée par les violoncelles. Retour de la gaîté bruyante des premières mesures, quelques échappées aux divers pupitres de l’orchestre, et le bossu Tonio peut enfin se glisser devant le rideau pour lancer son adresse au public. Procédé de cabotin ou manifeste esthétique ? Toute l’ambiguïté de ce prologue tient à ce que son concepteur n’a pas été Leoncavallo, mais le ténor Victor Maurel qui, au double titre d’ami et d’admirateur a tenu absolument à assurer la création de l’opéra. C’est donc à Tonio qu’il revient de présenter la pièce, d’abord sur le ton de l’humilité (« Si può ? » - On peut ?), puis avec une assurance croissante pour rappeler que l’œuvre ne recourra pas à l’artifice des fausses larmes, l’auteur ayant cherché au contraire à dépeindre une tranche de vie (« L’autore ha cercato invece pingervi uno squarcio di vita »), à montrer comment s’aiment vraiment les êtres humains (« come s’amano gli esseri umani ») et quels tristes fruits peut produire la haine (« Vedrete de l’odio i tristi frutti »). Car l’auteur est lui-même un homme (« E un uomo ») qui écrit au nom et au profit des autres hommes, à qui il revient donc de peindre les passions sans les idéaliser, de façon à tendre au public un miroir dans lequel il puisse se reconnaître. Aussi ce public devient-il protagoniste de l’opéra, ce qui se passe sur scène et ce qu’il vit dans sa multiple complexité n’étant plus séparé que par une très imprécise frontière. Il y a là un curieux paradoxe, cette « tranche de vie » étant ouverte par le procédé de l’allégorie, hérité de la commedia dell’arte ; la mise en abyme touche ici à son point de perfection.

Musicalement et dramatiquement, la première scène constitue une réussite de l’esthétique vériste. D’une grande simplicité structurelle, elle est divisée en trois volets d’égale importance, qui permettent à l’auteur de fournir toutes les données initiales de son drame au public. Aussi n’est-il pas indifférent que le chœur, c’est-à-dire le peuple, ait la voix prépondérante. La foule est en joie, elle a enfilé ses habits de fête ; pour s’amuser, elle n’a nul besoin d’une musique trop savante et se préoccupe peu des étranges dissonances de la trompette glissant des fa et do bécarres dans la tonalité supposée de si mineur ! Le retour des bateleurs est célébré dans la liesse, au son des cuivres et de la grosse caisse. Les motifs, très brefs, courent à travers les pupitres comme les paysans courent sur la place, pressés de découvrir l’estrade. Pour accentuer l’impression de désordre, le compositeur use du trémolo et des mouvements contraires, étoffant sa phalange au fur et à mesure que la foule grossit. Si le vérisme musical avait à justifier son existence devant l’histoire, cette seule introduction au drame de Leoncavallo constituerait la plus éloquente de ses plaidoiries.

Ce sont ces éléments qui expliquent pourquoi, au long du second acte, l’auditeur éprouve une déroutante impression de déjà entendu, lors même que l’action continue de progresser inexorablement, sans répit, sans retour, sans remède. Au contraire de ce qui est déjà sensible chez Puccini, les motifs musicaux ne relèvent pas de la réminiscence, c’est-à-dire d’une mémoire qui alimenterait le présent, mais attestent la triste permanence, l’irréfutabilité d’une condition humaine dont la réalité ne se découvre que dans l’affrontement tragique de l’absolu. C’est pour mener à bien sa démonstration vériste de l’absurdité existentielle que Leoncavallo évite l’introduction d’éléments nouveaux dans la deuxième partie de son opéra. Les tournures mélodiques sont aisées à reconstituer à partir du matériau thématique du premier acte, les trompettes et la percussion persistent dans leurs désaccords, l’écho des cloches perdure, la foule continue de s’impatienter… Sur les tréteaux, les acteurs développent les principes théoriques énoncés au long du prologue ayant ouvert l’opéra. Contrairement à ce que disait Canio dans sa première adresse la vie est comme le théâtre… et vice-versa ! Il s’agit de donner à la fiction un tel caractère de vérité que sa fusion avec le contingent ne tombe pas dans la confusion des genres : le public de la salle doit conserver jusqu’au bout la conscience de l’artifice scénique, sans que cela nuise à son engagement dans le processus dramatique. Et tant pis s’il est amené, par instants, à s’interroger sur le sens de l’action ; Leoncavallo, excellent connaisseur des Lettres françaises ne peut-il se réclamer de l’illustre et prestigieux précédent de L’illusion comique, gageure insurpassée en matière de mise en abyme ?

Le plus frappant dans le finale d’I Pagliacci reste le principe de divergence qui conduit d’un côté le triste Canio à la folie solitaire du meurtre, de l’autre tous les protagonistes de la scène et leur public à la conscience du drame collectif. C’est le rire, innocent et pour cela même encore plus cruel, de la foule qui met le comble à l’exaspération de Canio, objet d’une farce dont il est seul à comprendre le mécanisme. Lorsque Taddeo atteste la pureté de la jeune femme, l’explosion de rage du jaloux furieux n’est-elle pas dirigée vers la foule ? Et lorsque Nedda tente de le ramener à la raison en lui rappelant son statut de Paillasse, n’est-ce pas à tous les échos qu’il dispense sa plainte hallucinée : « No ! Pagliaccio non son. Se il viso è pallido, è di vergogna, e smania di vendetta ! » (Non, je ne suis pas Paillasse. Si mon visage est blanc, c’est de fureur et de volonté de vengeance) ? Puis, ultime trait vériste, impensable chez Verdi, voire chez Puccini, c’est dans son discours haletant que le public prend connaissance d’un élément décisif, l’infortune de Nedda, orpheline qu’il a recueillie et dont il exige la propriété exclusive. Rien de plus significatif que les réactions de la foule qui passe de l’enthousiasme à la peur tandis que le chant devient cri, soutenu par un orchestre tempétueux distribuant des accords de plus en plus dissonants. Pourtant, à l’image de sa lumineuse aînée Carmen, Nedda ne faiblit pas et l’orchestre chante pour elle le thème de l’amour jusqu’au moment où, orchestre et foule hurlant de concert, elle tombe sous les coups de Canio. Altérée par les ultimes échos du rire de Paillasse, scellée par la fatalité d’un perpétuel recommencement, « la commedia è finita ». Parvenu à ce pic, le vérisme devra se transformer pour survivre, tâche à laquelle s’affronteront victorieusement Umberto Giordano puis Francesco Cilea.

 


Umberto Giordano par Gaetano Esposito / DR

 

La « gentilhommerie citadine » d’Umberto Giordano

Né le 28 août 1867, à Foggia, Umberto Menotti Maria Giordano entre au conservatoire San Pietro a Majella de Naples en 1882 et s’y fait remarquer pour son ouvrage lyrique, Marina, destiné au concours Sonzogno de 1888. Classée en sixième position, la partition de Giordano est remarquée par Sonzogno, qui lui propose le sujet d’un nouvel opéra, Mala vita, histoire d’un ouvrier phtisique s’engageant à sauver une prostituée de la ruine morale, pour peu que la Vierge accepte de le guérir lui-même ! Créé le 21 février 1892, au Teatro Argentina de Rome, l’ouvrage associe d’emblée le nom de Giordano à ceux d’un Mascagni, déjà glorieux, et d’un Leoncavallo, appelé à le devenir dès le 28 mai suivant, avec la création d’I Pagliacci. Pourtant, Giordano semble hésiter à s’engager franchement sur la voie vériste et son deuxième opéra, Regina Diaz, incline résolument du côté bel cantiste et romantique. C’est l’échec. Déconcerté dans un premier temps, Giordano s’enthousiasme alors pour un livret de Luigi Illica, Andrea Chénier, et se rend à Milan, où Sonzogno accepte de lui donner une dernière chance. En janvier 1896, la partition est achevée ; à la suite de plusieurs défections d’interprètes, c’est à l’intervention énergique de Pietro Mascagni auprès de Sonzogno que Giordano doit la création de son chef-d’œuvre, le 28 mars 1896, à la Scala. Création qui reste dans les annales de la maison comme l’un des plus grands triomphes de son histoire.

Conscient de vivre un moment exceptionnel, Giordano met aussitôt en musique une pièce de Victorien Sardou, Fedora. Créée le 17 novembre 1898, l’ouvrage chute en dépit de la présence du tout jeune Caruso. Le reste de la vie du compositeur restera placé sous le signe ambigu d’une réputation fondée sur cet Andrea Chénier qui est à Giordano ce que Cavalleria rusticana est à Mascagni, I Pagliacci à Leoncavallo, ce qu’Adriana Lecouvreur sera à Cilea ! Notre musicien écrira encore sept opéras, accueillis sans hostilité et sans enthousiasme : Siberia, Marcella, Mese mariano, Madame Sans-Gêne, Giove a Pompei, La cena delle beffe, Il re. Vivant une maturité heureuse, jouissant paisiblement du succès jamais démenti d’Andrea Chénier, c’est à Milan qu’il disparaît, le 12 novembre 1948.

Andrea Chénier, le vérisme face à l’histoire

[Création : 28 mars 1896 à la Scala de Milan, avec Giuseppe Borgatti (Chénier), Mario Sammarco (Gérard), Evelina Carrera (Maddalena), Rodolfo Ferrari (direction)]

Pas d’ouverture ici, ni même de prologue, l’entrée dans l’action est immédiate, et le premier intervenant, loin de figurer parmi les protagonistes du drame n’est autre que le pontifiant majordome organisant l’ameublement de la pièce de réception. La musique bondit dans tous les sens, distribuée aux pupitres véloces des cordes. Le contraste n’en est que plus saisissant avec la rupture d’atmosphère provoquée par le soliloque de Gérard, fils d’un vieux serviteur ayant donné toute sa vie à ses maîtres (« Son sessant’anni, O vecchio, che tu servi ! » - Il y a soixante ans, ô vieillard, que tu sers !). Et pourtant l’essentiel est ailleurs ; la vraie plainte de Gérard, c’est en récitatif que Giordano, partisan d’un vérisme qui fuit les atermoiements, la livre au public : « E, quasi non bastasse la tua vita a renderne infinita eternamente l’orrenda sofferenza, hai dato l’esistenza dei figli tuoi. Hai figliato dei servi ! » - Et comme si ta vie ne suffisait pas à en rendre infinie, et à jamais, l’horrible souffrance, tu as aussi donné la vie de tes enfants. Tu as engendré des serviteurs !). Là est donc la vraie souffrance, la marque ineffaçable de l’arbitraire, la plainte immémoriale des vinti della vita. Aussi le spectateur recevra-t-il, un peu plus tard, le discours du poète Chénier, comme le miroir consolant de si sombres perspectives. Cependant, l’action ici n’a plus pour cadre la terrible campagne sicilienne de Cavalleria non plus que les tristes tréteaux d’I Pagliacci. C’est ainsi que l’héroïne de la pièce, Maddalena de Coigny, apparaît au jour finissant, mélancolique et incertaine, accompagnée par les timbres des bois soutenus par la harpe : « Il giorno intorno già s’inserra lentamente ! » - Alentour, le jour décline lentement). Il aura ainsi suffi de quelques pages – mosaïque de fragments contrastés autant qu’expressifs – pour fournir au public toutes les données liminaires du drame à venir. Là est le génie du vérisme, qui chante toutes les passions et sait passer, le temps d’une scène, des troubles intimes de l’amour au tumultes publics de la politique. Des lèvres de l’abbé, les aristocrates apprennent ainsi la faiblesse du roi, la réunion des États généraux, la conciliation avec le Tiers-État, toutes perspectives de nature à les épouvanter. La musique le dit à sa façon, évoluant comme une sorte de lugubre marche à l’échafaud, en sonorités sourdes venues du registre grave des bois sur le tissu neutre des cordes. Seul le vérisme pouvait autoriser une introduction si dramatique du fait social dans une réunion divertissante de personnes de qualité ! Mais seul aussi le vérisme autorise une nouvelle transition, abrupte, vers la désinvolture de la fête qui chasse ces sombres pensées.

 


Enrico Caruso, créateur du rôle de Maurice de Saxe,

photographié en 1910

 

Sommet de la partition, le grand air de Chénier « Un di all’azzurro spazio » (Un jour, dans l’espace céleste…) est l’un des plus célèbres de toute l’histoire lyrique. Jamais Giordano n’avait fait preuve d’une telle inspiration lyrique, jamais il ne la retrouvera. Menant de main de maître un flux mélodique aux inflexions aussi mouvantes mais aussi fermes que celles du papillon dans le soleil, il permet à son héros de chanter la beauté du monde, les immensités du ciel et du firmament, l’amour infini, mais aussi la dureté du clergé, la plainte du peuple, l’indifférence de la classe patricienne. Avant de revenir, pour l’envoi terminal, aux élans de l’amour : « Udite ! Non conoscete amor ! » (Écoutez ! vous ne connaissez pas l’amour !). Tout le reste de l’opéra sera placé sous le signe de la vie, signe qui impose la fuite de Maddalena, les excuses de sa mère, la plainte des miséreux, la rumeur des chants révolutionnaires, l’empire de l’amour, la grâce des Merveilleuses, la pureté de Robespierre… Bien plus loin dans la partition, le duo de Maddalena et Chénier sera de facture étrangement rhapsodique, comme si les tourments intérieurs et extérieurs se télescopaient pour désarticuler le discours et mettre à nu les terreurs secrètes des deux protagonistes. Si le dernier acte d’Andrea Chénier enfin, est considéré comme le plus faible de l’opéra, il faut relever que Giordano s’est habilement extrait du piège mélodramatique dans lequel aurait pu l’enfermer le livret d’Illica. Les précédents de Cavalleria rusticana et d’I Pagliacci avaient prouvé l’efficacité d’un dénouement rapidement mené. Aussi ne trouverons-nous dans ce finale que deux occurrences dignes d’intérêt, la lecture de ses derniers vers par Chénier et le duo amoureux de Maddalena et du poète, parvenus au seuil de l’éternité. Pourtant, le quatrième et dernier grand air du poète, « Come un bel dì di maggio » (Comme un beau jour de mai…), trempé à la meilleure encre du compositeur, s’éloigne du modèle vériste par son refus du pathétique, du cri, du sanglot, de l’outrance, du portando, de la note de tête… Sans doute Giordano a-t-il conscience de l’inadaptation de cette esthétique pour clore la légende historique du poète martyr. C’est au nom de cette même exigence qu’il épure son écriture orchestrale, ôtant toute prérogative aux cordes. Tout étant en place pour le duo terminal, Giordano élargit la palette des expressions vocales, suivant les moindres frémissements ou tressaillements de ses deux héros, usant des ruptures de tempo et d’intensité, des dérèglements contrôlés de la syncope, du retard et du trémolo. La passion atteint un tel point d’exacerbation que plus rien n’en brisera l’élan, ni les lugubres roulements du tambour annonçant l’exécution, ni l’irruption de la charrette des condamnés. La mort n’est qu’un seuil, le prélude à la fusion des amants pour l’éternité, d’où leur ultime invocation à l’instant de monter sur la charrette fatale : « Viva la morte insiem » (Vive la mort ensemble !), en rupture définitive avec un vérisme qui avait pourtant si brillamment coloré les deux premiers actes de l’opéra.

            Francesco Cilea (1866-1950) au crépuscule du vérisme

 

Né le 23 juillet 1866, dans la petite cité de Palmi, Francesco Cilea prend conscience de sa vocation musicale à la suite d’une audition de Norma de Bellini. En 1879, il entre à San Pietro a Majella, y étudie le piano, puis la composition avec Paolo Serrao. En 1889, il quitte le conservatoire, déjà auteur d’un opéra, Gina, qu’il a fait représenter le 9 février précédent. La partition en est d’une qualité suffisante pour inciter l’éditeur Sonzogno à promettre au jeune auteur un contrat pour un opéra. En dépit de son caractère vériste, ce deuxième opéra, La Tilda, créé en 1892 à Florence, rencontre un faible succès. Même résultat pour L’Arlesiana, d’après le drame d’Alphonse Daudet dont Marenco a tiré un livret en quatre actes. Si le jeune Caruso se taille un brillant succès dans le lamento de Federico, l’accueil global de l’ouvrage est négatif. Bon connaisseur de la littérature française, Cilea choisit alors une pièce de Scribe et Legouvé, Adrienne Lecouvreur. Il y travaille avec ardeur, convaincu qu’il s’agit de sa dernière chance pour s’imposer dans le concert vériste où brillent déjà les noms de Mascagni, Leoncavallo et Giordano. Colautti développe en quatre actes une action cohérente et émouvante qui propose un large ambitus d’expressions au compositeur. Pour ce dernier, le triomphe de la création, le 6 novembre 1902 au Teatro Lirico de Milan, constitue une apothéose, mais marque aussi la reconnaissance d’un effort permanent pour allier la spontanéité du grand lyrisme italien aux raffinements d’une harmonie et d’une orchestration puisées aux meilleurs modèles français. Partout acclamé, l’opéra gagne une audience nationale (de 1903 à 1905 : Naples, Bologne, Turin, Gênes), puis internationale (Buenos-Aires en 1903, Londres en 1904, New York en 1907).

Désormais assuré de sa tranquillité matérielle et de sa reconnaissance artistique, Cilea peut se consacrer à l’écriture d’un autre opéra, fondé sur une pièce de Victorien Sardou, Gloria. Créé le 15 avril 1907 à la Scala, sous la direction de Toscanini, l’opéra connaît une chute si brutale que le compositeur renonce à jamais à la carrière lyrique ! Nombre de projets recensés par ses biographes ne seront attestés que par des ébauches de livrets (Il ritorno dell’amore, La Rosa di Pompei, Malena…) ; ainsi l’opéra Il matrimonio selvaggio, mis en chantier en 1909, restera-t-il à un tel état d’inachèvement que Cilea ne le nommera pas dans ses Souvenirs ! Directeur des conservatoires de Palerme et de Naples, il prend sa retraite en 1935, se retire dans la cité de Varazze (Ligurie) qui le nomme citoyen d’honneur, s’y éteint le 20 novembre 1950.

Adriana Lecouvreur ou l’épuisement de la veine vériste

 

[Création : 6 novembre 1902 au Teatro Lirico à Milan, avec Angelica Pandolfini (Adriana), Enrico Caruso (Maurizio), Edvige Ghibaudo (la Principessa), Giuseppe de Luca (Michonnet), Cleofonte Campanini (direction)]

Au moment où Debussy sollicite Maeterlinck pour son Pelléas (créé un peu plus de six mois avant Adriana), où Richard Strauss se tourne vers Oscar Wilde pour sa Salomé, le choix d’un théâtre réaliste, aux effets scéniques bruts, à la clarté structurelle schématique et à la substance littéraire anémique, est révélateur des ambitions de Cilea qui, ne disposant pas d’un recul suffisant, persiste dans la voie qui a si bien assuré le succès de ses compatriotes sans s’aviser que Mascagni, Leoncavallo et Giordano ont échoué à renouveler leur triomphe initial. Pourtant, ce choix n’est pas privé de tout discernement. L’histoire d’Adrienne Lecouvreur, comédienne admirée de Voltaire, adorée du public, aimée de Maurice de Saxe, empoisonnée, privée de sépulture chrétienne, avait déjà inspiré plusieurs auteurs. Et les plus grandes actrices (Sarah Bernhardt, Joan Crawford, Yvonne Printemps, Valentina Cortese) se plairont à faire revivre son personnage sur écran, au XXe siècle. C’est que rien ne semble manquer à ce destin foudroyé, ni le souffle du génie, ni l’exaltation de l’amour, ni le drame de l’assassinat, ni la malédiction de l’excommunication, ni même le goût du péché ! Le comique y côtoie la tragédie, les rivalités amoureuses y sont doublées par de féroces antagonismes professionnels, l’héroïsme et la veulerie s’y affrontent. Surtout, à l’exemple d’I Pagliacci, le théâtre y investit le théâtre, pour une mise en abyme d’une profondeur parfois troublante (monologue de Michonnet au premier acte, récit de Phèdre au troisième). Enfin, si la même passion semble brûler dans le cœur des protagonistes féminines, c’est en revanche un gouffre qui sépare le bon et attentif Michonnet de l’épique et farouche Maurice de Saxe, deux hommes aux destins discordants, mais croisés.

Donc, un argument qui s’inscrira sans hiatus dans l’univers vériste. Mais la musique ? Que lui restera-t-il de l’esthétique ouverte douze ans plus tôt par le chef-d’œuvre de Mascagni ? En premier lieu, un matériau mélodique d’autant plus simple à mémoriser que les motifs en seront systématiquement répétés, sans être nécessairement associés à l’action. Ensuite un strict respect de la carrure qui, gouvernant la segmentation des phrases, gardera le public d’effets propres à le distraire de la marche de l’action. Enfin, une écriture légère mais souvent étincelante, propre à séduire sans embarrasser. De tels critères relèvent cependant plus de la tradition bel cantiste que du vérisme. D’autant plus que tous les autres choix du compositeur restent conventionnels : les deux rôles principaux sont confiés au couple traditionnel soprano/ténor, l’œuvre est divisée en pezzi chiusi qui n’apparaissent pas sur la partition, mais dont la réalité a été maintes fois démontrée par la fortune des grands airs d’Adriana (« Io son l’umile ancella », « Poveri fiori », « L’anima ho stanca », « Acerba voluttà ») au concert. Le ballet, enfin, est conservé, concession d’autant plus regrettable qu’il constitue la page la plus faible de l’opéra. En réalité, s’il reste un seul élément proprement vériste dans l’opéra de Cilea, c’est ce pathos, par instants excessif, qui colore les épisodes les plus dramatiques.

Ni prologue, ni sicilienne pour l’ouverture de l’opéra ! L’orchestre babille, sollicite tous les pupitres en entrées contrastées, bientôt suivi par les joyeux protagonistes de la première scène, galants comédiens et jolies soubrettes assaillant le malheureux Michonnet, qui se plaint de ces assauts répétés dans la pure tradition bouffe : « Michonnet, su ! Michonnet, giù » (Michonnet ci ! Michonnet là !). Que nous sommes loin ici des rusticités du premier vérisme ! Cilea reprend l’esthétique vériste là où Giordano l’a laissée. Et Adriana ? Avant même son apparition, tout le monde parle d’elle, même l’orchestre ! Cette première mise en abyme spécule sur l’ambiguïté d’un rôle double par essence, celui de la cantatrice comédienne. Et pour que l’illusion joue à plein, ce ne sont point des notes, mais des mots qu’elle fait d’abord entendre, ceux de Racine, mirage parfait, en langue italienne, de l’illusion tragique : « Del sultano Amuratte m’arrendo all’imper ! » (Du Sultan Amurat, je reconnais l’empire !). Par un trait de génie, c’est au sortir de cette récitation, d’ailleurs erronée, que la cantatrice prend le pas sur la comédienne, pour entamer son premier air, le plus célèbre de toute la partition : « Io son l’umile ancella del Genio creator » (Je suis l’humble servante du Génie créateur). La question peut se poser de l’héritage vériste dans cet air d’une suprême délicatesse, d’une grande beauté, d’une noblesse d’expression sensible dès les premières notes. Sans doute l’ornementation, toute d’inflexions et broderies, demande-t-elle à l’interprète une large gamme expressive et un arsenal infini de nuances, mais une telle exigence était déjà le fait du dernier Verdi. Du vérisme, la vraie marque resterait donc, subjective, le subtil et perpétuel aller et retour de la sincérité artistique animant équitablement la comédienne et la chanteuse.

Rompant avec l’usage, conservé tout au long du XIXe siècle, Cilea termine son premier acte sans avoir présenté l’une des quatre figures essentielles du drame, la princesse de Bouillon. Puccini ira encore plus loin, dans Turandot, en excluant le rôle-titre de la première moitié de l’œuvre, hors son apparition muette au premier acte. Ce retard dans la présentation d’une impitoyable rivale est d’une rare efficacité théâtrale, Adriana Lecouvreur contant moins l’histoire des amours passionnées de l’héroïne et du comte de Saxe que celle de la jalousie mortelle entre la belle comédienne et la sévère princesse. Par ailleurs, à la sinistre atmosphère fermant le second acte répondra, selon la logique toute vériste de l’aléa réaliste, le climat à nouveau festif de l’acte suivant, ouvert sur le décor d’une salle somptueusement décorée. L’illusion ne durera guère et la plaisante activité mondaine ne cachera qu’un temps les tourments de la princesse, rongée par une jalousie d’une irrationnelle férocité. Fureur extrême, qui va jusqu’au blasphème, mais aussi souffrance atroce, avivée par le souvenir du temps heureux des amours défendues. En ce sens, la princesse quitte le piédestal aristocratique pour redevenir sœur de Santuzza ou de Nedda, un être fragile que ses passions égarent et qui, par là même, se découvre une grandeur inconnue. Dans les dernières pages enfin, la scène finale creusera la mise en abyme, Adriana se dédoublant entre comédienne fictive et cantatrice feinte, spectatrice de sa propre disparition tout en refusant une mort scénique qui devient la sublimation de son rôle, dans l’irréalité d’une musique séraphique. Le quatrième et dernier acte d’Adriana Lecouvreur peut sans inconvénient être considéré comme le véritable épilogue du vérisme. En tant que moteur esthétique et dramaturgique, le vérisme aura ainsi, en une douzaine d’années, de Cavalleria à Adriana, épuisé l’essentiel de son impulsion novatrice. Ce qui n’en réduit ni l’importance historique, ni la fécondité inventive.

En marge du noyau vériste

Si l’attention portée aux quatre grandes partitions lyriques précédentes mène à un certain nombre de conclusions, parentes dans leur énoncé théorique et convergentes dans leur effet dramatique, le vérisme a suscité bien d’autres ouvrages, à l’image d’A Santa Lucia de Tasca ou de La Martire de Samara, qui n’ont quasiment plus d’existence que documentaire ! Par ailleurs, c’est à l’occasion d’enregistrements inédits ou de programmations courageuses que le public a encore l’occasion de découvrir les noms de compositeurs ayant œuvré dans l’orbe vériste, Franco Alfano, Gaetano Coronaro, Pietro Floridia, Spiro Samara, Nicola Spinelli

D’une tout autre dimension est évidemment le problème posé par Giacomo Puccini, peu de compositeurs ayant connu, de leur vivant, une gloire mondiale comparable à la sienne. Le lieu n’est pas ici de retracer cette carrière, mais de chercher ce qui, dans plusieurs de ses partitions, ressortit au génie vériste. Dans la production du maître de Lucques, il est admis que l’influence du vérisme jouera surtout pour Il Tabarro, premier volet du célèbre Triptyque. Mais nous lui devrons aussi la scène de l’embarquement des prostituées dans Manon Lescaut, les tableaux de rue de La Bohème, la partie de poker de La Fanciulla del West, etc. Dans La Bohème, par exemple, la vérité psychologique, la sûreté de l’instinct scénique et la fécondité de l’invention mélodique sont soulignées par l’obstination des motifs attachés aux personnages et aux situations, ce qui confère une cohérence magistrale à la trame dramatique. En quelque sorte, Puccini ne rapatrie du vérisme que ce qui sert directement son propre génie. Ce qui explique que sa musique dépasse le cadre strict de la nouvelle esthétique et que, déroutant le public qui avait acclamé Cavalleria, elle s’inscrive néanmoins au sommet de la tradition lyrique. Pour sa part, Tosca se présente comme l’intéressant point de rencontre de deux genres très divers : le drame vériste et le mélodrame romantique. Le vérisme se découvre surtout dans les touches réalistes qui parsèment l’œuvre : le travail pictural de Cavaradossi, le panier de provisions du sacristain, le repas de Scarpia, les cloches de Rome. Les personnages sont conditionnés par ce parti pris ; Scarpia offre l’eau bénite à Tosca, se joint au chœur du Te Deum, meurt en convulsions sur scène, poignardé par Tosca, laquelle dispose ensuite les candélabres autour de son cadavre, place un crucifix sur sa poitrine. Quant au mélodrame, nous lui devons aussi bien la fuite du prisonnier que les scènes de torture ou l’exécution finale et la poursuite, prélude au suicide de Tosca. Dans les partitions suivantes du grand compositeur, les marques du vérisme persistent. La Fanciulla del West (1910) retrouve ainsi d’évidents accents véristes, notamment à l’occasion du saisissant coup de théâtre de l’acte 2, lorsque Rance accepte de jouer aux cartes la vie du bandit et l’amour de Minnie, même si la noirceur du shérif et la pureté de ses deux victimes assure le triomphe artificiel de la vertu. Puis ce sera le temps du Triptyque (Il Tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi) dont seul le premier volet peut encore être rattaché au vérisme, aucun personnage n’échappant à la puissance de cette “tranche de vie”. Avec ses touches réalistes et sa profonde humanité, la montée de la tension et l’inéluctabilité du drame, Il Tabarro apparaît comme un chef-d’œuvre du courant vériste, mais non comme un manifeste. Ainsi se clôt la connivence de Giacomo Puccini avec un mouvement vériste dont il reste tout à la fois le plus glorieux représentant et le moins zélé sectateur.

 


Affiche originale de la création de La Fanciulla del West

Le vérisme au-delà de l’Italie

Si l’on s’en tient aux éléments permettant de tracer les contours véristes, assez peu de musiciens ou d’œuvres pourront s’en réclamer hors d’Italie. En Allemagne, par exemple, l’opéra d’Eugen d’Albert, Tiefland (1903), figure parmi les rares ouvrages présentant de réelles analogies avec les modèles italiens, tout en penchant bien plus du côté de Catalani que de celui de Mascagni. Une autre pièce germanique, Der Evangelimann du compositeur Wilhelm Kienzl qui connut en son temps un réel succès, est apparentée par plus d’un trait au vérisme italien. Créée en 1895 à Berlin, cette sombre tragédie mêle la vie monastique aux désordres amoureux, l’incendie au meurtre, le péché au pardon final ! Des opéras de Leos Janáček enfin, bien des pans peuvent être placés sous le sceau du vérisme. Dans Jenufa, récit du meurtre d’un enfant en terre paysanne, c’est au prix du sacrifice de toute virtuosité vocale que la sombre atmosphère de l’opéra suinte de tous ses éléments, marquée par l’intérêt le plus sordide, la lâcheté la plus abjecte, la sottise la plus épaisse. Cheminant entre les abîmes du mélodrame et de la caricature, l’œuvre fait chanceler les notions du bien et du mal, piliers indécis de cette fresque dont les échos ont traversé sans rien céder de leur affreuse mélancolie, le siècle le plus tumultueux de l’histoire. Cependant, dans Jenufa, le vérisme n’est qu’une clef parcimonieusement utilisée. Qui colorera aussi, de façon très retenue, nombre de partitions théâtrales du XXe siècle, dues à des auteurs aussi différents que Falla, Berg, Prokofiev, Bartók, Chostakovitch, Britten, etc.

En France, le naturalisme

La confusion entre vérisme italien et naturalisme français est trop répandue pour ne pas être fondée sur de réelles affinités, les deux mouvements cherchant à extraire du réel l’essence de la création poétique. La carrière de Charpentier est marquée par le succès de son premier opéra, Louise (1900), créé la même année que Tosca, avec un succès immédiat à peu près égal, mais une destinée posthume bien différente ; les deux protagonistes, une jeune couturière et un poète désargenté, y viennent du peuple de Paris. Mais nous sommes loin de Mimi, et la belle Louise témoigne d’une rare modernité par sa revendication d’un bonheur et d’un plaisir la contraignant à déserter le foyer familial. La vie de bohème, donc, synonyme de liberté mais aussi de misère matérielle et d’incertitude, le choix de la vraie vie contre l’aliénation d’un quotidien laborieux ! En dépit des sarcasmes dont l’accablera Debussy, la musique évoque avec bonheur toute la palette des sentiments animant les personnages, mais aussi le cadre pittoresque de leur épopée populaire. Alfred Bruneau reste le plus fécond des compositeurs naturalistes ; ayant fait créer son premier opéra, Kérim, dès l’âge de trente ans, il rencontre l’année suivante Zola, l’écrivain lui fournissant plusieurs livrets. C’est de 1891 (entre Cavalleria rusticana et I Pagliacci) que date la première œuvre marquante d’Alfred Bruneau, Le Rêve, dont l’argument est fourni par la trame du livre homonyme de Zola, adapté par Louis Gallet. L’histoire est celle d’une pitoyable enfant, la bien nommée Angélique, trouvée sous la statue d’un porche de cathédrale, enfant qui grandit, qui rêve d’amour, qui touche aux rivages du bonheur mais qui, victime des noirceurs de l’évêque Jean d’Hautecœur, meurt dans les bras de son bien-aimé ! Tout ici n’est que candeur contre noirceur, ferveur contre trivialité, virginité contre dépravation. De telle sorte que cet opéra n’est jamais que l’avant-courrier d’un naturalisme dont il affadit tous les paramètres. Suivront L’Attaque du moulin, Messidor, L’Ouragan, L’Enfant Roi, toutes pièces aujourd’hui bien oubliées. Quant aux Canteloube, Dupont, Erlanger ou Leroux, en dépit de la réussite de quelques pages, Le Mas, La Glu, Le Juif polonais ou Le Chemineau, il faut bien convenir qu’ils n’ont jamais réussi à occuper une place significative dans l’histoire du théâtre musical.

Quelle place pour le vérisme dans l’histoire ?

En conclusion, il n’est pas très difficile de déterminer un certain nombre de traits communs à toutes les partitions véristes ; la vraie difficulté est de découvrir en quoi ces traits communs sont spécifiques du seul vérisme. L’organisation de la matière sonore peut-elle, par exemple, sans trahir le livret, s’en émanciper pour dispenser de pures émotions musicales ne renvoyant qu’à elle-même tout en étant, pour une part, tributaire de l’argument ? Plus précisément, l’émotion esthétique générée par les traits véristes du discours d’un Mascagni ou d’un Leoncavallo provient-elle de leur seul génie musical ou est-elle, au moins en partie, conditionnée par les didascalies des œuvres ? Dans ces conditions, il reste malaisé de faire du seul goût pour le réel, pour l’ordinaire, une dimension décisive du vérisme. Quant à l’ensanglantement des livrets d’opéras véristes, il serait difficile, après Donizetti et Verdi, voire Gounod ou Bizet, de le faire passer pour une grande nouveauté ! Alors la plongée au plus profond des campagnes, au cœur des bourgs reculés, dans les salons révolutionnaires, à l’abri des coulisses ? Quoi de plus simple que d’en trouver de multiples exemples dans le répertoire romantique ? Mieux encore, la langue de Pelléas, désenflée par la volonté de Debussy, n’établira-t-elle pas une indiscutable parenté dans la recherche du vrai chez le musicien français et chez ces véristes qu’il haïssait ? Confrontés au même dilemme que leurs confrères écrivains ou peintres, les compositeurs véristes ont-ils pour volonté d’exploiter la veine dramatique d’une vérité quotidienne ou d’user de la simple évocation du réel comme prétexte à une complaisante escapade lyrique ? C’est à l’évidence le premier terme de cette alternative qui l’emporte, les musiciens cherchant la restitution d’une atmosphère réaliste sans misérabilisme, pittoresque sans exotisme, propre à captiver le spectateur, et non la mise à l’étude d’un matériau musical vaguement folklorique. Force reste de reconnaître qu’il est impossible de distinguer chez les grands compositeurs véristes ce que nous pourrions nommer, à défaut de mieux, les traces d’un principe innovant. Les partitions des quatre grands opéras véristes sont l’œuvre de techniciens avertis, formés dans les meilleurs conservatoires d’Italie, qui ne cherchent pas la rupture avec la tradition lyrique, au rebours d’un Debussy, voire d’un Richard Strauss ou d’un Puccini. Pourtant, indiscutablement, cette langue est neuve, sinon dans les mots, au moins dans l’accent. Destiné au peuple, l’opéra vériste ne ressortit pas à l’art populaire ; c’est, à l’inverse, une pratique savante qui a permis à Mascagni, à Leoncavallo, à Giordano ou à Cilea, de toucher un public universel, un public qui n’a nul besoin d’initiation solfégique pour adhérer à cette esthétique, et qui n’y adhérerait pas si le matériau et sa façon étaient aussi rudimentaires que le prétendent ses adversaires. Dans une Italie asservie depuis si longtemps par les odieux héritiers de Metternich, affamée au point de lancer ses plus vigoureux enfants à l’assaut du Nouveau Monde, majoritairement illettrée, sous-développée, la marque première du vérisme ne serait-elle autre, en dernière analyse, que cette grandeur discrète dont se parent les plus misérables comme les plus aristocratiques de ses protagonistes ?

 

Gérard Denizeau.

 

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L'ENSEIGNEMENT MUSICAL : UNE HISTOIRE DE LUTHERIE

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Une Histoire de Lutherie...

 

Une histoire de lutherie rare, originale, audacieuse, en même temps qu'une belle aventure humaine que l'histoire de « Raphaël », le violoncelle de Giverny. C'est en effet lors du dernier festival de Musique de Chambre de Giverny (2014) que fut initiée, puis réalisée la construction d'un violoncelle dont la particularité fut d'être construit de façon collégiale par une équipe de neuf luthiers confirmés, réunis et dirigés par Frank Ravatin, un des grands noms de la lutherie mondiale actuelle, qui releva le défi de fabriquer en deux semaines de résidence à Giverny, un violoncelle présenté et joué lors du dernier concert du festival par Michel Strauss. Une expérience unique en matière de lutherie mais surtout un moment de solidarité, de partage et d'amitié. Cet Entretien avec Frank Ravatin, luthier réputé, diplômé de Crémone, lauréat de plusieurs concours internationaux, nous en dit plus.

 

Frank Ravatin, comment cet étonnant projet a-t-il pris forme ?

Merci de l'intérêt sincère que vous portez à notre aventure, je suis ravi de vous apporter le maximum de réponses à vos questions et ferai de mon mieux. Rien de plus difficile pour un petit artisan, un Gépetto, que de parler de soi. Quand Michel Strauss et son épouse Masha Belloussova m'ont fait le plaisir d'une visite au printemps 2013, au lendemain de la disparition tragique de leur cher ami Raphaël Drouin, pianiste de leur festival de Giverny, on a commencé à parler... Michel me demanda si je ne connaissais pas un riche Américain, Chinois, Australien, ou autre, prêt à faire un don pour leur beau festival. Je n'en connaissais pas, mais j'ai immédiatement lancé un projet un peu fou. "Je vous réunis une équipe de luthiers, et nous vous faisons un violoncelle en 12 jours, pendant le festival de Giverny, il sera vendu au profit du festival ". L'idée partie, les semaines passant, je me suis demandé comment j'allais faire pour trouver suffisamment de bénévoles, chefs d'entreprises, luthiers compétents pour mener à bien cette construction. J'ai donc fait une petite annonce, discrète, dans le bulletin des luthiers et archetiers d'art de France (une centaine de membres) en Janvier 2014." Cherche luthiers pour produire un violoncelle au festival de Giverny ». A ma grande surprise, j'ai eu huit réponses immédiates et enthousiastes : Jean Seyral, de Bayonne , Nicolas Perrin, Francesco Coquoz, Jean-Michel Desplanches de Paris, Maurice Beaufort de Besançon, Pascal Lavigne de Grenoble, Pascal Douillard du Puy-en Velay, et Frédéric Samzun de Lorient. Du gros calibre, rien que du bon, d'excellents professionnels. Restait à trouver un atelier, c'est Delphine Debord, coordinatrice du festival qui nous l'a dégotté, un magnifique atelier de peintres.  A Giverny, ça ne manque pas !  Et vogue la galère. Nous avons travaillé, durement, sérieusement, certains d'entre nous étaient à l'établi encore le soir à 11 heures ! Nous avons fait du mieux que nous savions. Au delà de faire un violoncelle, ça a été un lieu d'échange, chacun amenant son expérience, sa conception d'un instrument de musique, on n'était pas toujours d'accord, mais les discussions ont toujours été animées et enrichissantes. Giverny fut une histoire de partage. Cela restera, dans la profession, un grand moment. 

 

 

Combien de temps pour construire un violoncelle ? Quel bois utilisez-vous ? Quelles sont les différentes étapes de la fabrication ? Quelle particularité de chaque étape ? Certaines vous paraissent-elles plus importantes ? Plus délicates ?

Un luthier seul, comme moi, a besoin de trois  semaines pour faire un cello en blanc. Uniquement pour le travail du bois. Cela dépend aussi de la rapidité de chacun, cela peut être quatre, cinq semaines. A  Mirecourt, les ouvriers étaient extrêmement rapides, il leur fallait une semaine seulement. Mais faire un instrument, cela n'est pas uniquement technique, ce n'est pas que le geste qui conduit au résultat. Faire un instrument c'est s'arrêter, réfléchir, établir la relation entre la matière, le travail et le son. Beaucoup de réflexion, de doutes, d'interrogations. Sentir un matériau, c'est l'évaluer, dans sa densité, dans son élasticité, dans sa résistance. Tous les sens sont en éveil, le toucher, le nez,  la vision. Je vous explique…

La genèse du cello commence par l'achat du bois. C'est ce que je préfère. La table, en épicéa. Le reste en érable. La raison de ces essences est simple, logique. Tous les instruments de musique, de la guitare, au piano, au clavecin, au violon, ont une table en épicéa. C'est le bois qui conduit le mieux le son, car il est extrêmement rigide dans sa longueur, capable de faire face aux tensions énormes, en même temps que très souple dans sa largeur. L'érable résiste très bien aux efforts, que devront supporter le fond, les éclisses, le manche. Il ne se déforme pas, tout comme le frêne qui est plus poreux, moins adapté pour la lutherie. Donc, je me rends, quand c'est la saison, en avril ou mai, dans des scieries en Italie ou en Autriche. Pourquoi ? Parce qu'il y a une toute petite vallée, qui s'appelle "le valle di Fiemme ", en Italie  où, déjà les Amati, Stradivari, Guarneri, et tutti quanti allaient chercher leurs bois. Et c'est beau, c'est religieux comme endroit. Là, avec un peu de chance, je peux tomber sur des arbres magnifiques. On lit un bois comme un livre, quand il est ouvert, sa croissance, le climat dans lequel il a poussé, hivers plus ou moins froids, étés plus ou moins chauds, tout est clair. Richesse ou pauvreté du terrain, chaque arbre vous offre trois cents ans, parfois cinq cents ans d'histoire. C'est merveilleux, le vivant ! J'achète, je sélectionne du bois frais, à peine coupé, je le laisse à la scierie pendant un an, puis je me le fais transporter à l'atelier. Là, grand moment, car il s'est passé un an, je n'ai pas mémoire de tout, et j'ai des découvertes, des déconvenues, aussi. Je le mets en séchage pour dix ans. Un grenier ouvert, froid l'hiver, chaud l'été. Quel bonheur, ça sent bon, c'est comme pénétrer dans une cave de vigneron.

Revenons à notre cello de Giverny. La première étape consiste à faire la couronne d'éclisses, (les côtés de l'instrument). Ce n'est pas le plus passionnant, il y a en tout 24 pièces de bois, entre les tasseaux (6), les éclisses (6), les contre-éclisses (12), à plier, ajuster et coller. Cela prend deux jours. En même temps, on prépare les joints de table et fond, en deux parties chacun. Le contour des éclisses y sera reporté, les lignes extérieures sciées, et ensuite vient un véritable travail de sculpture. Car le galbe, les voûtes sont taillés dans la masse. C'est l'étape essentielle pour un violoncelle. L'architecture doit être parfaite pour pouvoir supporter les tensions, et une voûte bien faite offrira à l'instrument toutes les chances de bien vieillir et de servir longtemps. Viennent ensuite la finition des bords, la pose des filets. Les filets : ces fines bandes noires et blanches qui entourent l'instrument. Deux brins d'ébène, un brin d'érable au milieu. Ils sont incrustés, collés dans la table et le fond, et font un véritable cerclage, comme un cerclage de tonneau, afin de stopper des cassures en cas de choc donné sur les bords. Ensuite, les épaisseurs, dont les voûtes intérieures sont faites. Chaque bois reçoit des épaisseurs différentes en fonction de sa consistance, son poids, sa flexibilité, et aussi en fonction du musicien qui a commandé. On comprend logiquement qu'un violoncelliste qui joue avec une grosse pression d'archet puisse avoir besoin d'un instrument plus résistant, donc plus épais. Ensuite le coffre est fermé, fond et table sont collés sur les éclisses. Pendant ce temps, la tête et le manche sont sculptés à partir d'une pièce d'érable  et reçoivent la touche en ébène. Le manche sera enclavé sur le coffre. Restent deux ou trois jours de finition correspondant au montage, qui comprennent le chevalet, la pique, la pose de l'âme et le violoncelle est terminé en blanc.


Frank Ravatin, il y a dans vos propos, une technicité certaine, mais aussi une forme de respect pour l'instrument, une poésie au sens étymologique du mot. Qu'est ce que l'âme du violoncelle ?

L'âme, est un cylindre en épicéa qui relie la table et le fond, du côté des aigus. Du côté des basses, il y a un renfort appelé barre d'harmonie. C'est à ce stade qu'il a été joué à Giverny. On fait tout un mystère de cette fameuse âme, un peu trop, à mon goût. Elle porte ce nom car c'est la dernière pièce mise dans l'instrument avant le montage. C'est aussi la seule pièce que l'on peut bouger pour les réglages de sonorité.

 


L'âme du violoncelle / DR

 

Qu'en est-il du rôle du vernis ? Et notamment de la légende de Stradivarius ? Mythe ou réalité ?

J'ai ramené le violoncelle dans mon atelier, l'ai laissé au soleil plusieurs semaines, se reposer, prendre une belle couleur, et je suis actuellement en train de le vernir. C'est un processus long qui fait intervenir, pour ma part, 5 vernis d'essences différentes, de nombreuses couches délicatement passées au pinceau, des heures de séchage, de finitions. Je fabrique mes vernis moi-même, en compagnie de mon ami et confrère Jean Seyral, ainsi que les couleurs qui y seront mêlées. Vous me questionnez sur le vernis, vaste sujet, vaste mythe. D'abord, tous les luthiers de Crémone utilisaient le même vernis, il est probable qu'ils ne le fabriquaient pas eux-mêmes. Faire un vernis demande quelques connaissances scientifiques, maîtriser des réactions chimiques acide-base, qui n'étaient pas à la portée des artisans de l'époque. Cela demande de l'énergie, faire chauffer de l'huile à 250 degrés n'était pas si simple à l'époque. Aucune chance d'y arriver avec quelques bûches de saule, ou de bois de la plaine du Pô. Combien de violons de « Strad » ont encore un peu de vernis ? Très peu. Il était extrêmement fragile, c'est probablement pour ça que « Strad » lui-même l'a abandonné à la fin de sa longue vie. Ce mythe a été établi par des commerçants aux 19 ème et 20 ème siècles, qui ont imaginé un secret disparu, et ont pu surenchérir en argumentant que le passé ne se reproduirait plus, que la tradition était morte. Beaucoup d'études scientifiques ont révélé ce que ces vernis contenaient, on en connaît la recette de base. Il y a juste une chose à rajouter. La technique d'application change tout. Là encore, l'expérience. Quand j'étais à l'école de lutherie de Crémone, nous avions un cours de vernis. Neuf joyeux apprentis luthiers dans la classe, un pot de vernis commun. Chacun y trempait son pinceau, et au bout de deux mois, 9 vernis différents. Pas les mêmes couleurs, pas les mêmes transparences, pas les mêmes épaisseurs. Donc…

 

Qu'est ce qui peut expliquer que deux instruments fabriqués de façon identique sonnent différemment ? Quel est le rôle de l'interprète ? De sa façon de jouer ? Un instrument est il spécifiquement construit pour un interprète particulier ? Quelles sont les variables adaptables ? Quelle est la part de mystère inexplicable ? D'inconnu ?

Un luthier fabricant doit avoir beaucoup de cordes à son arc. C'est avant tout un sculpteur, mais aussi un peintre, et enfin un acousticien. Je ne connais pas de métier qui fasse travailler autant de sens, la vue, la toucher, l'ouïe, l'odorat. Chaque instrument est unique, même s'il m'arrive d'en faire plusieurs tirés des mêmes arbres. Dans un même tronc, les densités peuvent varier incroyablement. A moi de m'adapter. C'est en cela que notre travail rejoint celui du vigneron. Nous avons un terroir bien précis, des plantes, à nous d'exploiter le meilleur de ce que nous offre la nature. Il m'est arrivé et il m'arrivera encore de rater des instruments, pas parce que le matériau est mauvais, mais parce que j'aurai fait des erreurs de jugement successives.

La relation entre la fabrication d'un instrument et le musicien auquel il est destiné est complexe. J'ai la chance de ne travailler que sur commande, donc d'établir une relation étroite avec le musicien. Déjà, s'ils passent commande, c'est qu'ils ont déjà essayé un de mes violoncelles auprès de leurs confrères. Donc, à priori, ça correspond à leur attente. Ensuite, je cherche à m'adapter à leur jeu, à entrer dans les problèmes relatifs à l'anatomie : on peut varier les longueurs de corde vibrante (plus courte), si la main est petite, travailler sur les largeurs, sur les longueurs de modèles. Le mystère qui fait qu'un instrument sera meilleur qu'un autre ? Je ne sais pas. Je cherche, toujours. Je sais que je vais tomber, à chaque fois, dans une moyenne de qualité sonore, en choisissant bien mes bois, les travaillant au mieux, mais je dois dire qu'il y a aussi une part de chance. Et le rôle du musicien est essentiel. On comprend aisément qu'un violoncelliste qui « rentre dans la corde », va chercher le son, va ouvrir le cello plus rapidement qu'un autre qui « savonne », caresse sans pression. Je dis toujours aux musiciens «  j'ai fait 50% du boulot, le reste t'appartient ».

 

Quel est le rôle de l'archet, son importance, est-il indissociable du violoncelle ?

L'archet est aussi important, c'est un instrument de musique à part entière. Le même cello joué par le même musicien, avec deux archets différents pourra être transformé. L'archet, c'est le pneu de la voiture : montez une Ferrari avec des pneus de 2CV, vous allez dans le décor illico. Chaque musicien trouve un mariage à trois entre sa main, son violoncelle et son archet. Lorsque je fais un violon ou un violoncelle, et que l'on me dit, je veux aussi changer d'archet, je conseille un peu de patience. « Apprends à connaitre ton nouvel instrument, ensuite, tu te choisiras un archet. Prends du temps ! »

 

Pourquoi avoir appelé ce violoncelle de Giverny « Raphaël » ?

Le cello de Giverny va s'appeler « Raphaël », en mémoire de Raphaël Drouin, pianiste, et grande figure du festival, comme une pensée, un hommage.

 

Frank, quel avenir voyez-vous pour la lutherie artisanale ?

L'avenir de la lutherie artisanale ? Je ne le connais pas. Il y a évidemment la production de masse chinoise, toujours meilleure, qui a le mérite de proposer des instruments avec d'excellents rapports qualité-prix. Mais je pense, j'espère qu'un bon artisan sera toujours irremplaçable. Une usine à violons ne peut être à l'écoute, au contact d'un grand musicien. Vous pouvez, maintenant, acheter des peintures au super marché. Oh! bien faites, techniquement irréprochables, mais elles n'ont pas d'âme. Je vous parlais d'âme du violon ou du violoncelle, la seule qui compte, le véritable secret c'est la réunion d'un artisan et d'un artiste musicien, c'est la transmission, l'échange, l'âme commune. Offrir, proposer une voix à un instrumentiste restera, j'espère, le plus bel échange, le plus beau cadeau du monde. Exercer le métier de luthier, c'est accepter une bonne dose de solitude. Je ne parle pas de ceux qui ont des boutiques, rue de Rome, qui ont un brassage certain.  Je parle des quelques fabricants, des travailleurs silencieux, les Gépettos, qui donnent un semblant de vie à des bouts de bois. Gépetto attendait le passage de la fée miraculeuse pour animer ses marionnettes, accompagné de son chat et de son poisson rouge. Même attente pour le faiseur de violons, de violoncelles, souvent isolé, qui travaille sur commande. Le dialogue ? Avec des morceaux de bois, peu de réponse, mais quand l'instrument est terminé, quand l'instrumentiste l'attrape et le fait vibrer, quand la voix s'élève, c'est un miracle ! Je suis Gépetto, j'ai un chat, voire deux, malheureusement ils ont bouffé le poisson rouge, un matin...

 


Frank Ravatin, ses amis luthiers et Masha Belloussova / DR

Merci beaucoup Franck. Un mot pour conclure ?

Tout le monde a appris au contact des autres, et j'ai juste une chose à déclarer : le violoncelle est beau, très beau, Michel l'a joué en blanc, non verni, lors du concert de clôture du festival. Il sonne très bien. Nous en sommes tous fiers. Nous avons trouvé dans ce festival beaucoup de chaleur, des musiciens exceptionnels, nous avons eu droit, le soir, à l'atelier, pendant le travail, à des concerts privés d'interprètes uniques. Je suis en train de le vernir, tenter de lui donner un bel habit de sortie, ça devrait aller, il sera fini à la fin du mois d'octobre. Et nous souhaitons tous, les luthiers, Michel et Masha, qu'il atterrisse dans les mains d'un musicien qui saura en apprécier les qualités. Pas de doutes là-dessus…

 

Propos recueillis par Patrice Imbaud.

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    SPECTACLES ET CONCERTS

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Laurence Sterne mis en musique par David Owen Norris : STERNE, was the MAN

 

Après avoir consacré, il y a plusieurs mois, un article au compositeur britannique David Owen Norris, je reviens vers lui aussitôt rentré du Royaume-Uni où j'étais l'auditeur invité et privilégié, le dimanche 19 octobre dernier, d'un concert consacré à son exégèse musicale du dernier sermon(1), fulgurant, de Laurence Sterne (1713-1768), écrivain de l'époque géorgienne, homme d'église anglais et l'un des esprits les plus originaux de son siècle(2). Cet événement musical étonnant, dans sa version révisée du 5 février 2014, se passait en l'intime et chaleureuse St Michael Church de Winchester, dans le Hampshire, la belle cité où s'est éteinte l'émouvante Jane Austen (1775-1817)(3).

 

Le texte de Sterne – The Case of Hezekiah(4) and the Messengers (« Le cas d'Ézéchias et des messagers ») – particulièrement développé, renvoie au Deuxième Livre des Rois 20. Le contexte y est à la fois symbolique et historique. La complexité du personnage d'Ézéchias (« Force de Yahvé ») – atteint d'un mal tenu pour mortel – a inspiré Sterne en profondeur. Cette Voice from the Pulpit a été prononcée à l'ambassade britannique de Paris, le 25 mars 1764, devant Son Excellence le comte de Hertford. Le philosophe David Hume (1711-1776) et Diderot (1713-1784) étaient dans l'assistance. L'esprit de ce sermon a quelque peu choqué d'aucuns malgré le fait que Sterne soutenait l'idée que, en définitive, « l'homme est fondamentalement bon ». Pour autant, il est évident que son discours atteste d'une grande finesse psychologique surmontant les bons sentiments.

 


Laurence Sterne / DR

 

L'œuvre de Norris – commande du Laurence Sterne Trust – a été créée à la Cathédrale d'York le 14 octobre 2013(5) afin de commémorer le trois centième anniversaire de la naissance de Laurence Sterne à Clonmel, County Tipperary, en Irlande du Sud. La partition est d'ailleurs dédiée à Patrick Wildgust, le conservateur de Shandy Hall (Yorkshire), là même où Sterne a vécu entre 1760 et 1768. De nos jours, il est plus essentiellement connu pour The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman (1760/66) (6) – piquante satire des mœurs anglaises – et A Sentimental Journey Through France and Italy, by Mr Yorick (1767/68) (7), chef-d'œuvre d'humour et de mélancolie. Pourtant, en son temps, celui qui était traité de « Rabelais anglais » bénéficiait d'une solide réputation autant pour ses prédications que pour ses romans. Jamais on n'avait ouï prêcher de la sorte tant sa verve était intarissable. Thomas Gray (1716-1771) (8) a dit de lui : « On le voit souvent prêt à jeter sa perruque à la face du public. » Humoriste, il était pourvu d'une « imagination de feu et d'un cœur sensible », toujours selon Gray.

 

En tant que compositeur, pianiste, organiste, professeur, musicologue, homme de radio et de télévision, David Owen Norris – à l'instar de Sterne – est sans aucun doute l'une des personnalités les plus stimulantes et caractéristiques (au sens que lui donnait Parry(9)) de la musique anglaise de tous les temps.

 

Sa partition – intelligente, roborative, unique – est conçue pour un récitant, en l'occurrence, un acteur qui joue le rôle de Sterne. Il s'agissait, à Winchester, de Christopher Benjamin, remarquable interprète, entre autres, de Falstaff(10) au Shakespeare's Globe de Londres. Un grand talent, une simplicité, celle qui convient aux véritables artistes. Le ténor rayonnant de Mark Wilde, un chœur de boys – qui regroupait les Quiristers(11) de Winchester College, les Trebles(12) du St Michael's Choir et ceux de la Pilgrim's School – le grand violiste Richard Boothby(13), le jeune Alexander Toal à la trompette naturelle, un quatuor à cordes formé par les violonistes Jessica Lawless et Hannah Preston, l'altiste John Hinchliffe, la violoncelliste Hatty Goody constituaient un ensemble aussi rare que merveilleux. David Owen Norris était au square piano(14), un Collard & Collard de 1845 au son tellement spécifique. L'ensemble était dirigé avec énergie par Nicholas Wilks, Master of Music de Winchester College. Tous ces interprètes sont excellents. Il était si émouvant d'être auditeur au sein de cette intime église St Michael, dans ce beau et historique quartier de Winchester, témoin d'un dynamisme, d'une joie de vivre et d'une espérance qui font du bien. Les enfants du chœur, en particulier, attestent à la fois d'une haute qualité par la maîtrise d'une partition aussi simple que complexe dans son déroulement, et d'une concentration sans contrainte tout à fait exceptionnelle. Ayant assisté également à la répétition qui a précédé le concert, je garde en moi l'impression d'un rêve.

 


David Owen Norris / DR

 

La partition de Norris est formée de quinze numéros qui s'articulent à partir de la prédication, laissant une large place au texte prononcé. Les diverses mises en perspectives instrumentales attestent du souci exégétique du compositeur, précisément grand connaisseur de la musique de Johann Sebastian Bach. Il adhère à l'esprit si particulier de Sterne, lui-même en relation à un écrit biblique extraordinaire sur le plan symbolique et moral. La musique de Norris est remarquable par son ton, sa diversité, la qualité de ses mélodies soutenues par de beaux et vigoureux rythmes et de splendides verticalités sonores. Il faudrait de nombreuses pages pour analyser une musique et une parole si riches de signification où tension et détente alternent de manière remarquable.

 

Un magnifique Majeur, entonné à la trompette naturelle, introduit l'auditeur dans un monde sonore et poétique étonnant. L'acmé de l'œuvre, selon moi, se situe aux numéros 6 – Prayer – pour ténor et viole de gambe, et 9 – Virtues & Vices – pour le chœur, la viole de gambe, le square piano et le quatuor. La prière témoigne émotivement de la religiosité d'Ézéchias. Le bel Ut Majeur du n°9 met en évidence la viole qui s'exprime par un ostinato typique de la pensée musicale de Norris. Les voix entrent discrètement à la cinquième mesure sur les mots We are a strange compound (« Nous sommes un étrange composé »). L'interpénétration entre la musique et le texte est spécialement valorisée.

 

Introduite par un touchant prélude au quatuor à cordes, la conclusion jubilatoire se réfère à l'épitaphe inscrite sur la tombe de Sterne, actuellement placée à l'intérieur du porche de l'église de Coxwold, dans le Yorkshire. Les chanteurs sont accompagnés par les instruments que Sterne connaissait et aimait : la viole de gambe, le square piano, la cavalry trumpet et le quatuor à cordes. Tel un péan, le chœur, soutenu par les instruments, entonne un hymne à la gloire de Sterne(15).

 

Le public, attentif, a montré son enthousiasme pour cette musique sincère de David Owen Norris, créateur avisé nourri par une pensée et une imagination indispensables à nos esprits.

 

James Lyon.

 

(1) The Sermons of Mr Yorick.

(2) Aux côtés de Samuel Richardson (1689-1761), Henry Fielding (1707-1754) et Tobias George Smollett (1721-1771).

 (3) Auteur, entre autres, de Pride and Prejudice (1813 – « Orgueil et Préjugés »).

 (4) Douzième roi de Juda au temps de l'agression assyrienne ( ? 727-698 av. J.-C.). Réformateur proche du prophète Ésaïe, il a régné pendant vingt-neuf ans, restauré le Temple de Jérusalem et rétabli le culte de Yahvé.

 (5) Avec d'autres interprètes pour la plupart.

 (6) « Vie et opinions de Tristram Shandy ».

 (7) « Voyage sentimental en France et en Italie ».

 (8) Auteur de Elegy Written in a Country Churchyard (1750 – « Élégie écrite dans un cimetière de campagne »).

 (9) Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918), compositeur, professeur et historien de la musique. Il a été le second directeur du Royal College of Music (1895/1918).

(10) Merry Wives of Windsor (« Les Joyeuses Commères de Windsor »).

(11) Choristes.

(12) Soprani.

(13) du consort de violes Fretwork dont l'esprit est certainement, dans les répertoires qu'il pratique, le plus idéal et le plus abouti.

(14) Forme rectangulaire de piano conçue à Londres au XVIIIe siècle.

(15) « STERNE a été L'HOMME qui, à grands pas, a fait tomber de tous côtés les exubérantes folies » (STERNE, was THE MAN, who with gigantic stride Mowed down luxuriant follies, far and wide.)

 

Un maître du Lied

 


Matthias Goerne & Christoph Eschenbach / DR

 

Chaque concert de Matthias Goerne est décidément un moment choisi. On se souvient de ses Schubert à Salzbourg et récemment à Aix, ou encore de cette incursion chez Chostakovitch aux Champs-Elysées. Une apparente bonhomie et une réserve naturelle cachent un rare professionnalisme, une empathie pour l'univers du Lied, digne de son maître Dietrich Fischer-Dieskau. Avec une simplicité désarmante, mais cette autorité du dedans qui impose le silence quasi absolu parmi l'auditoire. Car l'auditeur ne peut s'y tromper : une tel degré de concentration force le respect. Autre signe, qui le rapproche de l'illustre prédécesseur : le choix du partenaire pianiste,  méticuleusement conçu. Avec Christoph Eschenbach l'entente est évidente, et dans Schumann en particulier. Trois grands cycles de l'année 1840, si faste chez le musicien, composaient le programme où planait une atmosphère recueillie. Frauenliebe und -leben (L'Amour et la vie d'une femme) op. 42, de 1843, généralement distribué à une voix féminine, acquiert avec Goerne une épaisseur troublante, que le piano peu disert d'Eschenbach achève de raréfier. Il n'est nullement hors de propos que ces poèmes, conçus pour dessiner les étapes d'une vie de femme aimée et aimante, soient chantés par une voix d'homme, surtout aussi chargée d'émotion que celle du baryton allemand. Les confidences du cœur sont épanchées comme s'il s'agissait d'un récitant. Et Goerne, de son art de sculpter la phrase, et au-delà même, du mot, nous entraîne dans une sorte d'extase intérieure. Eschenbach est tout autant d'une rare discrétion. Donner immédiatement après, quasiment sans interruption, les Dichterliebe (les Amours du poète), op. 48, au demeurant composés avant, montre combien ces deux cycles sont complémentaires. Après Adelbert von Chamisso nous voici transportés dans la poésie de Heinrich Heine, pour une longue variation, seize mélodies, sur le thème de l'amour perdu, magnifiée par une poétique liant inextricablement voix et piano. Le nuancier sonore de Goerne est infini, découvrant rarement la pleine puissance (« Iche grolle nicht » / Je ne gronde pas), distillant des inflexions à vous tirer les larmes (« Ich hab' in Traum geweinet » / J'ai pleuré en rêve), tandis que les postludes pianistiques d'Eschenbach sont magiques de pudeur, comme celui qui conclut le cycle. Si Goerne paraît s'extérioriser par une gestuelle presque scénique, elle ressort presque de l'évidence, menant l'auditeur par la main dans la perfection des images et l'abysse des émotions. Ils poursuivent en seconde partie avec les Zwölf Gedichte von Justinius Kerner (Douze poèmes de Justinius Kerner), op. 35. Cet ensemble, composé aussi en 1840, mais après les deux autres, se situe après le mariage tant désiré, et différé, avec Clara Wieck. Il est aussi sombre pourtant, un « étrange chef d'œuvre de déréliction », selon Brigitte François-Sappey. Cette « suite de chants », comme la définit Schumann, est écrite sur des textes de Kerner, poète et médecin, passionné d'occultisme. Là encore, Goerne éblouit par sa retenue intérieure et cette gestuelle expressive qui le situe à certains moments comme en apesanteur. Pour exprimer une foule de sentiments, voyageur égaré dans une nature agitée (« Lust des Sturmnacht » / Joie d'une nuit de tempête), en proie à la vigueur de rythmes farouches (« Wanderlust »/Chanson de marche), et surtout la bouleversante douleur enfouie (« Stille Tränen »/ Larmes silencieuses) ou les ineffables paroles du souvenir des temps heureux de « Alte Laute » (Vieux airs). Ce dernier Lied se referme sur un fil de voix et un piano qui s'enfonce dans le silence. La salle, hypnotisée, retient son souffle avant de laisser éclater une immense ovation, combien méritée à cette paire qui lui a  livré des moments d'exception.

 

 

Les fabuleuses sonorités du Chicago Symphony Orchestra

 

 


Riccardo Muti dirige le Chicago Symphony Orchestra / DR

 

Avant dernière étape de leur tournée européenne, l'Orchestre Symphonique de Chicago et Riccardo Muti faisaient étape à la salle Pleyel. Leur concert dominical réunissait Tchaïkovski, Stravinsky et Schumann. Un constat s'impose quelle que soit l'œuvre jouée : la fabuleuse sonorité d'une phalange qui passe pour la meilleure outre- atlantique et se compare favorablement aux grands orchestres européens : finesse digne des Viennois, en particulier dans les cordes, homogénéité comparable à Berlin, éloquence des vents, de la classe du Concertgebouw. Et un sens de l'ensemble à couper le souffle. Les trois pièces jouées permettent de juger de ces qualités, même si les interprétations du chef italien restent parfois ancrées dans une certaine tradition. La Fantaisie symphonique La Tempête, op. 18, de Tchaïkovski s'inspire de Shakespeare, comme l'Ouverture-fantaisie Roméo et Juliette. Le morceau, telle une petite symphonie, déroule plusieurs parties. L'élément marin y occupe une place prépondérante dont la première section et l'épilogue, décrivant un milieu ondoyant empli de mystère. La tempête proprement dite, fort cuivrée, n'arrive qu'en troisième position, orage plus fantastique que réellement menaçant. L'histoire du magicien Prospero et de sa fille Miranda sur l'île magique où échoue le navire de Ferrando, trace les autres épisodes, plus lyriques. L'apparition du monstre Caliban donne lieu à un court scherzo agité. Muti nous fait découvrir combien cette musique, finalement peu jouée, a d'attrait. Dans la suite de l'Oiseau de feu, de 1919, il convoque la légende et ses effets de coloris. Cette deuxième Suite, qui se concentre sur les moments clés du ballet, se veut démonstrative, plus tournée vers Rimski-Korsakov qu'annonçant la modernité. Muti joue le jeu à fond, poussant à leur paroxysme les contrastes de dynamique : de l'extrêmement lent (introduction, berceuse) au forte somptueux (danse infernale, finale). La Troisième symphonie de Schumann, dite Rhénane, connaît une vision hyper romantique, très liée, où l'on ne rencontrera pas une once d'anguleux. La flexibilité de l'orchestre et les couleurs des solos sont à leur meilleur, qui ne cherchent pas le brillant flatteur de certains orchestres nord-américains. Muti se délecte des mélodies et rythmes rustiques, dans l'ample premier mouvement, où le beau son s'enivre lui-même. Comment ne pas citer André Tubeuf, à propos du maestro « c'est enivrés de leur propre son que les orchestres se jettent, si l'on peut dire, dans ses bras » (Hommages. Portraits de musiciens. Actes Sud ; voir ci infra). Le scherzo « modéré » n'est pas sans rappeler les harmonies de Mendelssohn. Le Feierlich est résolument grandiose, au fort climat de légende, et le finale allant, sans précipitation, sera plus aristocratique que populaire. Une approche foncièrement différente de la recherche historiquement informée d'un Rattle dans ses récentes exécutions, ou plus encore des aspérités assumées d'un Harnoncourt. Tout ici est superbe et à cet aune, le résultat est séduisant, emportant l'adhésion du public. En bis, l'Ouverture du Nabucco de Verdi nous grise de tinta italienne on ne peut plus démonstrative dans son hyper articulation et sa pulsation inextinguible.

 

 

Symphonies à deux clavecins

 


Skip Sempé & Pierre Hantaï / DR

 

Dans le cadre intime de la salle Érard à Paris, l'espace de deux concerts, le claveciniste Skip Sempé fêtait Rameau. Le premier avait pour invité Pierre Hantaï et présentait un programme, déjà peaufiné en 2011 pour la Cité de la musique et le disque (label Mirare : MIR 164), de pièces jouées à deux clavecins. Le schéma peut surprendre, mais est conforme à une tradition française remontant à Lully, pratiquée par François Couperin. Elle se perpétuera avec Claude Balbastre qui « accommodera » au clavecin des pièces de l'auteur des Indes Galantes. Rameau lui-même en appelait à l'arrangement pour clavecin des pièces symphoniques de ses opéras. Au demeurant, ses Pièces de clavecin en concerts ont été écrites pour clavecin  et violon. Les jouer à deux clavecins n'est donc pas déraisonnable. Les « Symphonies à deux clavecins » imaginées par Sempé et Hantaï ne sont donc pas dépourvues de bases historiques et de parfaite justification. Il s'agit en fait de pièces instrumentales tirées des ouvrages lyriques de Rameau, à partir des Indes Galantes et de ses airs et danses, les deux instruments fonctionnant comme deux voix, l'une de dessus, l'autre de basse, donnant à ces pages tout leur climat orchestral. Les deux dialoguent ou jouent à l'unisson, ou encore chacun en soliste, l'autre assurant l'accompagnement. Le concert donnait à entendre, en quatre parties, une succession de morceaux empruntés majoritairement aux Indes Galantes, renforcée de pièces tirées d'autres tragédies lyriques ou opéras ballets, tels que Les Fêtes d'Hébé, Platée, Les Paladins, Dardanus, et Pygmalion, elles-mêmes entrecoupées de quelques unes des Pièces de clavecin en concert. Leur juxtaposition est aussi originale que savante, les enchaînements agréables du point de vue harmonique, ménageant même des effets de surprise. Au-delà d'une maîtrise phénoménale de leur instrument, l'entente entre les deux interprètes est magique. Ils sont disposés, non face à face, mais l'un à côté de l'autre, et ne se voient pas jouer. L'échange est pourtant sans ombre aucune.  Et on savoure cette enfilade de morceaux où la noblesse le dispute à l'humour, ce que, rappelle Skip Sempé, Rameau cherchait « séparément et conjointement ». Telle cette « Indiscrète »  dont la ligne agitée confine à un babillage infernal. Ou ces « Tambourins » des Fêtes d'Hébé, tourbillonnant allègres. Les grandes pièces, telle la Chaconne des Indes Galantes, sont sous ces doigts de velours pures merveilles. Un bien beau concert, parfaitement en situation dans l'acoustique feutrée mais idéalement claire de cette salle mythique qui mérite d'être redécouverte. 

 

 

Une soirée espagnole bridée dans son élan

 


Miloš / DR

 

L'attrait de cette soirée espagnole au Théâtre des Champs-Elysées, dans le cadre des concerts de l'Orchestre de chambre de Paris, résidait dans la prestation du guitariste Miloš Karadaglić, dit Miloš. De fait, le jeune monténégrain, formé à l'école de Julian Bream, et désormais mascotte d'un major du disque, a de la ressource. Sous ses doigts le Concerto d'Aranjuez de Joaquín Rodrigo (1901-1999) trouve une saveur intime, largement favorisée par l'écrin que lui fait le chef Roberto Forés Veses. Cette pièce, créée en 1940, a vite assuré à son auteur la renommée internationale, masquant peut-être le reste de sa production. Elle est superbement conçue pour l'instrument soliste et ses mélodies se gravent aisément dans la mémoire. Miloš ne cherche pas le brillant dans l'allegro con spirito initial, mais plutôt une coulée naturelle, aidée par la sage battue du chef. L'adagio évite le pathos par une courbe d'une réelle intériorité, agrégeant une douce nostalgie dans le dialogue de la guitare et du cor anglais, une des pages mémorables de la partition. La cadence est tout sauf virtuose, pensée. L'allegro gentile final, sur le rythme d'une danse de cour, évite, là encore, le panache au profit d'une manière sage. Deux bis archi célèbres du répertoire de l'instrument poursuivront cette félicité, dont un avec orchestre. Cette partie concertante était précédée de l'Ouverture Les Esclaves heureux de Juan de Arriaga. Ce musicien, mort à vingt ans (1806-1826), quitta tôt son Bilbao natal pour Paris où il recevra l'enseignement des grands de l'époque, Baillon et Fétis. La pièce, plus italienne qu'espagnole, flattant les bois, se déploie dans un esprit proche de Rossini. Le concert se terminait par Le Magistrat et la Meunière, de Manuel de Falla, dans sa version originale pour formation de chambre (1917). Et bien différente de celle remaniée, et plus colorée, que de Falla concevra pour les Ballets russes de Diaghhilev, où elle sera créée sous le titre du Tricorne, en 1919 par Ernest Ansermet. Est-ce une raison pour faire de ce bijou de verve ibérique, plein d'humour et de fraicheur, à l'image de son schéma de pantomime tirée d'une farce du XIXeme, un morceau longuet et presque ennuyeux. C'est ce à quoi aboutit une exécution bien trop sage pour entraîner, sinon captiver, l'auditoire. A force de retenir son orchestre, le jeune chef Forés Veses le bride dans ses élans et refuse à l'auditeur ce sentiment d'abandon que contiennent tels fandango ou séguedille. Sous le louable prétexte, sans doute, de conférer au mimodrame quelque atmosphère, il étire tel autre passage (« la copla du coucou) au point de le faire sonner curieusement léthargique. La pièce aligne, dès lors, une mosaïque de séquences, certes agréables chacune en elle-même, mais aucunement reliées entre elles par un fil conducteur ; sans parler d'une péroraison tombant comme un anti climax. On aura cependant pu savourer la fine sonorité des bois de l'Orchestre de chambre de Paris.

 

 

Musique des chapelles anglaises à Notre-Dame de Paris

 


Henri Chalet / DR

 

Après avoir assuré les fonctions de chef de chœur assistant à la Maîtrise Notre-Dame de Paris, et de professeur d'écriture et de direction de chœur, Henri Chalet vient d'être nommé chef de chœur principal de la Maîtrise, succédant à Lionel Sow. La formation de ce musicien est éloquente, qui le mena après ses diplômes du CNSMD de Paris et de Lyon, à la direction du Jeune chœur de Paris au département Supérieur pour jeunes chanteurs / CRR de Paris, puis directeur artistique de la Maîtrise de Saint-Christophe de Javel, et assistant du chœur de l'Orchestre de Paris. Il est par ailleurs organiste. Pour son premier concert dans ses nouvelles fonctions à Notre-Dame de Paris, Henri Chalet a choisi d'illustrer la riche tradition chorale anglaise. Le « Beata viscera » de William Byrd, un des grands compositeurs Tudor, chanté a capella au fond du chœur de la cathédrale, constitue une magnifique entrée en matière. Le fil passe ensuite à Henry Purcell avec le bel hymne « O God Thou Art My God », lui aussi a capella. Avec John Stainer (1840-1901), qui fut organiste, notamment à la Cathédrale Saint Paul de Londres à partir de 1872, on franchit une nouvelle étape pour entrer dans cet âge d'or que va connaître le chant choral anglais au XIX ème siècle. Son choral « I saw the Lord », avec le soutien de l'orgue de chœur (Yves Castagnet), exprime une joie éclatante. Un des grands tenants de cette tradition est Ralph Vaughan-Williams (1872-1958) qui professait une grande religiosité. Se situant dans l'héritage polyphonique de Byrd et de Thomas Tallis, l'écriture chorale irrigue beaucoup de ses œuvres dont ses symphonies, comme la Première, A Sea Symphony, sans parler de son grand œuvre opératique A Pilgrim's Progress. De la Messe à double chœur en sol mineur, chantée a cappella, émane un doux mélodisme d'où émergent les voix solistes, le Gloria restant la section la plus agitée. Les Three choral Hymns, de Pâques, de Noël et de Pentecôte, introduisent de souples modulations et une belle sérénité. Benjamin Britten livra aussi pour les chœurs des pages mémorables. Le «  Jubilate Deo » (1962), repris d'un Te Deum de 1934, est glorieux, les voix à pleine puissance proclamant la louange du Créateur jusqu'à un « Amen » brillant d'un éclat solaire. L'« Hymn to Saint Cecilia » op. 27, écrit en 1942, est comme le remarque Xavier de Gaulle, « plus qu'un hymne, en fait une petite cantate d'où ressort un parfum d'éternité naïve comme Britten savait si bien le suggérer ». Trois parties le composent : après une invocation à la sainte, d'une placide simplicité, vient un scherzo plus rapide et joyeux, qui laisse place à une dernière séquence développée, aux harmonies complexes. Le concert s'achevait par le grand hymne « Zadok the priest » de Haendel, qui célèbre les grandes occasions Outre Manche. Au fil de ces pièces, la Maîtrise Notre-Dame démontre ses éminentes qualités, et on admire la précision des attaques, la ferme assise du registre des basses et une diction particulièrement soignée.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Leif Segerstram, un chef très atypique à la tête du « National »

 


DR

 

Tout l'attrait de ce concert du « National » résidait dans la présence au pupitre du chef finlandais Leif Segestram. Personnalité pour le moins atypique, chef d'orchestre, violoniste, pianiste et compositeur, auteur de 285 symphonies, sans parler des concertos pour violon, pour piano, de la musique de chambre et autres œuvres vocales ! Un « look » de Père Noël, ventre rebondi, démarche pesante, cheveux blancs et longs, barbe broussailleuse et sourire aux lèvres…Une véritable apparition ! Une direction également atypique dans la forme, puisqu'il dirige assis, et tout aussi originale dans le fond, comme en témoignent la lecture et le choix des œuvres données ce soir. Francesca da Rimini de Tchaïkovski ouvrait la soirée. Fantaisie symphonique d'après Dante composée en 1876, une œuvre à programme inspirée par la gravure de Gustave Doré représentant l'ouragan infernal illustrant le Chant V de l'Enfer. Une composition âpre aux harmonies grinçantes, chargée de menaces, gémissante et hallucinée, chaotique, aux rythmes abruptes, entourant une partie centrale lyrique, avant de sombrer de nouveau dans la tempête conclusive. Une partition d'aspect lisztien que Segestram interpréta de façon magistrale, parfaitement mise en place, faisant sonner l'orchestre de manière très expressive. Vint ensuite la scène finale de Capriccio (1941) de Richard Strauss, chantée par la soprano irlandaise Orla Boylan, une prestation vocale calamiteuse, rigide, forcée, monolithique, sans rien de la souplesse nécessaire à cette longue mélodie straussienne crépusculaire chargée de nostalgie. Sans parler d'un solo de cor nasillard à la limite de la justesse. Bref, gardons le meilleur pour la fin, la Symphonie n° 2 de Sibelius (1901) que tout le public attendait du fait de sa rareté d'exécution en concert et de l'expertise du chef finlandais qui s'est fait, depuis longtemps, le champion de l'œuvre sibelienne. Là encore, l'atypie fut de mise avec une vision très analytique de la partition, Leif Segestram privilégiant des tempi retenus et une illustration minutieuse des différents plans sonores au détriment de l'unité et de la tension de l'œuvre, d'où un aspect un peu déroutant, discontinu et fragmentaire de l'interprétation qui ne retrouvera toute son unité et sa tension que dans le mouvement final. Une lecture originale, surprenante qui remporta un vif succès auprès du public et de l'orchestre. Quoi demander de plus ?

 

Patrice Imbaud.

 

 

Youri  TEMIRKANOV et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg : Retour aux sources !

 


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Passage annuel, désormais rituel, au Théâtre des Champs-Elysées, de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par son directeur musical, Youri Temirkanov. Un des derniers représentants de la grande tradition russe, à la tête de l'orchestre depuis 1988, date à laquelle il succéda à une autre légende de la direction, le fameux Evgueny Mravinski. Mravinski, figure de légende qui grava dans les années quatre vingts une intégrale des symphonies du fatum de Tchaïkovski, qui fait encore référence de nos jours. Programme russe pour orchestre russe et soliste russe. On oubliera rapidement la mauvaise prestation du violoniste Vadim Repin dans le Concerto pour violon n° 2 de Prokofiev. Une interprétation pour le moins hasardeuse, probablement due à une méforme passagère : un son criard, un phrasé rigide, un jeu dépourvu d'émotion où tout lyrisme était absent, notamment dans le deuxième mouvement, des décalages fréquents avec l'orchestre, et une exécution parfois à la limite de la justesse… Mais, le chef russe avait gardé le meilleur pour la fin, une Symphonie n° 6  dite « Pathétique » de Tchaïkovski, dernier opus du compositeur russe qui devait mourir quelques mois plus tard. Dernier volet de la trilogie du fatum, composée en 1893, œuvre chérie du compositeur, se terminant sur un long adagio, où les commentateurs ont voulu voir comme un adieu prémonitoire…Une symphonie ambiguë, véritable tragédie musicale qui alterne lyrisme et désolation, rythme de danse et lugubres appels des cuivres. Bon sang ne saurait mentir, Temirkanov en donna une vision magnifique, digne de son prédécesseur, comme un retour aux sources, associant qualité du phrasé, choix pertinent des tempi, expressivité, magnificence orchestrale bientôt recouverte par le voile funéraire des dernières mesures. Une splendeur !

 

Patrice Imbaud.

 

Andrès Orozco-Estrada sans emphase.

 


© Werner Kmetitsch

 

Un concert du « National » qui valait par la rareté des œuvres présentées et par la présence au pupitre de la nouvelle étoile sud américaine de la direction, Andrès Orozco-Estrada. Formé en Europe, à Vienne notamment, actuellement directeur musical du Houston Symphony Orchestra et de l'Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort, et très prochainement nommé premier chef invité au London Philharmonic Orchestra. Voilà donc pour le curriculum vitae déjà impressionnant du chef jeune colombien, âgé de 37 ans dont chacune des apparitions au pupitre est vécue comme un évènement. Une direction sobre, précise, efficace, intelligente et une grande complicité avec les musiciens, tout au long des deux œuvres prévues au programme de cette soirée. La Symphonie n° 3 de Schubert, rarement jouée, composée en 1815, œuvre de jeunesse écrite à l'âge de 18 ans, oscillant entre classicisme finissant et romantisme naissant. Elle  est faite toute de gaieté, et Orozco en livra une interprétation brillante, pleine d'allant et de dynamisme.  Puis une superbe Symphonie n° 2, dite « Lobgesang » (Chant de louange) de Felix Mendelssohn. Encore une rareté au concert où l'on privilégie volontiers les symphonies suivantes, Écossaise, Italienne et Réformation. Composée en 1840, il s'agit d'une symphonie-cantate, comprenant une symphonia instrumentale grandiose en trois mouvements, suivie d'une cantate, un chant de louange tiré des Écritures Saintes. Le chef colombien en fit une narration quasi profane évitant tout prosélytisme outrancier et tapageur, d'une foi conquérante, en préférant une lecture sans emphase, parfaitement claire et équilibrée entre les différents pupitres, cordes, bois et cuivres, trouvant en permanence le ton juste dans cet imposant effectif, entre le Chœur de Radio France, excellent, et les chanteurs solistes d'une grande qualité vocale : Christiane Karg et Carolina Ulrich, sopranos, et Maximilian Schmitt, ténor. Une belle soirée !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Daniil Trifonov: brillantissime !

 


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Foule des grands soirs avenue Montaigne pour ce récital du jeune prodige russe du piano, Daniil Trifonov. Vingt trois ans, un physique juvénile, mais un talent qui n'attend pas le nombre des années. Lauréat des plus grands concours internationaux (Concours Scriabine à Moscou en 2008, Chopin en 2010, Rubinstein en 2011 à Tel Aviv et Tchaïkovski en 2011), menant une carrière fulgurante depuis, reconnu par les musiciens les plus réputés dont Martha Argerich ou Valery Gergiev,  sous contrat avec le label à l'étiquette jaune (DG), jouant dans les salles mythiques de New York, Londres, Amsterdam, Berlin, Vienne, Tokyo, Paris, accompagné des plus prestigieuses phalanges et s'annonçant probablement comme LE pianiste du XXIe siècle ! Un récital dans le cadre des « Grands Solistes » attendu du public parisien, dans un programme Bach, Beethoven et Liszt. En ouverture de récital, la Fantaisie et Fugue en sol mineur, BWV 542 pour orgue, transcrite pour piano par Liszt. Un œuvre menée avec une maitrise étonnante, de façon grandiose  mais sans grandiloquence, très articulée, très contrastée entre les deux mouvements où l'énergie lumineuse de la Fugue triomphe finalement de la tentation du désespoir énoncée dans la Fantaisie qui porte en filigrane le deuil de la première épouse de Bach, Maria Barbara, décédée quelques mois auparavant. Vint ensuite la Sonate n° 32, Op 111 de Beethoven, l'adieu de Beethoven à la sonate selon Thomas Mann, composée entre 1820 et 1822. Une sonate visionnaire, très difficile pianistiquement, en deux mouvements, une ambiance dramatique et tumultueuse dans le premier mouvement auquel succède en définitive un sentiment de paix dans l'Arietta conclusive. Daniil Trifonov en fit une narration sobre, magistrale, toute intériorisée, sans aucune théâtralité, toute au service de l'œuvre. En deuxième partie de soirée, un exceptionnel défi physique et musical, les Douze études d'exécution transcendante de Liszt, composées entre 1826 et 1851. Un moment magique, un moment d'exception, un moment d'éternité où le temps suspend son vol, une prestation tout à fait exceptionnelle, le pianiste russe faisant corps avec son instrument, ici le dos droit dans les forte quand le piano se fait véhément, ailleurs la tête couchée sur le clavier pour un intime murmure aux touches. Un jeu puissant, clair dans le toucher et juste dans le ton, un pianisme hors du commun, sobre, efficace où le pianiste tout entier devient musique. Une œuvre qui dépasse de beaucoup toute préoccupation didactique pour réaliser un véritable feu d'artifice de couleurs et de rythmes dans une surprenante synthèse des possibilités expressives du piano. Un œuvre d'exception pour un pianiste d'exception. Un moment rare ! Un triomphe.

 

Patrice Imbaud.

 

 

David Zinman : De l'ombre à la lumière

 


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La venue du chef américain à la tête de l'Orchestre de Paris est toujours un évènement attendu ; preuve en est, une salle Pleyel bondée comme en ses plus belles soirées. Un public très jeune probablement attiré par la personnalité du soliste de ce soir, le violoncelliste Gautier Capuçon. Un programme audacieux se situant loin des sentiers battus, ardu, tout sauf grand public, puisque comprenant la difficile et discutée Symphonie pour violoncelle de Benjamin Britten associée à l'Ouverture de Benvenuto Cellini de Berlioz et à la Symphonie n° 3 dite « Rhénane » de Robert Schumann. Après quelques mesures hasardeuses et une entrée de la flûte solo légèrement contestable, David Zinman prit rapidement la mesure de l'œuvre de Berlioz, l'Ouverture de l'opéra Benvenuto Cellini (1838), seule pièce qui parvint à résister à la déroute de sa création à Paris. Une étincelante pièce d'orchestre qui parut parfois un peu brouillonne dans sa réalisation. Quelque peu brouillon au départ, le concert se poursuivit par la musique chaotique de Benjamin Britten. Une Symphonie pour violoncelle, écrite pour Mtistlav Rostropovitch en 1963, qui ne paraît pas être la meilleure œuvre du compositeur britannique. Contestée sinon contestable, David Zinman en fit une lecture d'une étonnante clarté s'appliquant à mettre en avant tous les timbres de l'orchestre, jardin aride au milieu duquel le chant chaotique du violoncelle tentait de se faire entendre. Un premier mouvement comme une sorte d'aphasie verbale, une impossibilité de dire, où l'on retiendra toutefois le superbe chant de la clarinette de Pascal Moragues associé aux pizzicati du violoncelle. Un deuxième mouvement plus lyrique annonçant la libération finale de l'instrument soliste. Une œuvre contestable mais une réalisation musicale qui ne le fut pas, Gautier Capuçon faisant merveilleusement sonner son Matteo Goffriler de 1701. En deuxième partie de soirée, un classique dont le succès jamais ne se démentit, la Symphonie n° 3 de Schumann, composée en 1850, que le chef américain interpréta de façon magnifiquement lumineuse, pleine de nuances et d'allant. On retiendra un quatrième mouvement d'une solennité exceptionnelle,  presque funèbre, déjà comme une résurgence au milieu de toute cette joie, de la maladie qui l'anéantira dans les années suivantes.

 

Patrice Imbaud.

 

Un banquet vraiment céleste

 


Damien Guillon/Photo CTK

 

Le Banquet Céleste réunit depuis 2009 un ensemble de musiciens solistes autour du contre-ténor Damien Guillon. Ce chanteur a étudié au sein de la Maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles, puis est admis, en 2004, au sein de la Scola Cantorum Basiliensis. Il se produit régulièrement sous la direction de nombreux chefs d'orchestre tels que Christie, Savall, Herreweghe, Rousset… et a pris part à plusieurs productions scéniques d'opéras baroques. Les œuvres inscrites au programme de cette soirée d'ouverture de la saison des concerts à l'Auditorium du Musée d'Orsay, dans le cadre du cycle «  Back to Bach » ont été écrites à des époques différentes de la vie du Cantor. La cantate BWV 4 s'appuie sur un poème du XIème siècle, qui traite du passage de l'obscurité vers la lumière. La tonalité est en mi mineur, la tonalité « triste et désolée ». La cantate BWV 132 est destinée à préparer la venue du Messie. Elle est réduite à quatre voix et cinq instruments, une sorte de cantate de chambre. La cantate BWV 153 est destinée au premier jour de l'an et décrit le massacre des innocents. La cantate BWV 156 est une méditation sur la foi. La présence du hautbois concertant place l'ensemble sous le signe du dialogue. Enfin, la cantate BWV 159 ne comporte ni chœur, ni ouverture, ni même aria da capo. Le point culminant est atteint lors de l'air de la basse avec hautbois. Le texte commente la dernière des sept paroles du Christ en croix. La musique sonne alors comme un adieu au monde. Le quatuor des voix est à la hauteur des œuvres interprétées, avec un petit plus pour la soprano Céline Scheen. Mais il y a une grande homogénéité dans Le Banquet Céleste. Le hautbois de Patrick Beaugiraud a une importance capitale dans plusieurs des pièces, dont l'ouverture magnifique de la cantate BWV 156. Cet hautboïste n'est plus à présenter tant il participe à de nombreux orchestres de musique baroque et accompagne de célèbres chanteurs. On pourrait aussi bien citer Julien Debordes au basson que Kevin Manent à l'orgue et au clavecin, ou encore Baptiste Lopez au violon. On a pu aussi apprécier la belle sonorité du violoncelle de Ageet Zweistra qui souvent accompagne seule les chanteurs. Pour l'ouverture de la saison « Back to Bach », Luc Bouniol-Laffont et la programmatrice musicale Sandra Bernhard ont mis la barre très haute.

 

 

Les Variations Goldberg transcrites pour trio à cordes

 


DR

 

Le Trio Goldberg, constitué de musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, a donné à l'auditorium du musée d'Orsay la transcription pour trio à cordes, due à Dmitry Sitkovetski, des Variations Goldberg BWV 988 de J.S. Bach. Ces variations seraient un soi-disant hommage de Bach à son élève, le claveciniste virtuose Johann Gottfried Goldberg, mort à trente ans. Elles n'ont reçu le nom de Goldberg qu'au XIXème siècle. Le Comte Hermann Carl von Keyserling, qui avait à son service le claveciniste, serait à l'origine de la commande de ces variations. Goldberg les aurait donc interprétées pour distraire son maître. Qu'importe, de par sa construction géométrique, sa sophistication, sa fantaisie inventive, son sens du contraste, cette série de variations est une œuvre majeure, exceptionnelle, du répertoire. La transcription de Dmitry Sitkovetski (1985) est d'abord un hommage au compositeur pour le 300ème anniversaire de sa naissance, mais aussi au pianiste Glenn Gould, mort en 1982, un an après avoir gravé sa seconde version de cette œuvre emblématique. Violoniste, Sitkovetski, par cette transcription, offrait aux autres instrumentistes à cordes la possibilité de jouer cette œuvre inaccessible. Une manière de la faire entendre autrement. Mais, contrairement à une tradition du XIXème siècle, il n'a pas ajouté des voix, ni enrichi l'harmonie. Il a été très respectueux de l'œuvre ajoutant quelques articulations, ornements, doublures et pizzicatos. Tout tient en fait dans la manière dont les interprètes ont envie de les jouer. Le Trio Goldberg a fait sonner cette transcription de manière baroque, comme une œuvre originale de Bach, sans romantisme, en faisant ressortir ce que ces variations ont de métaphysique. Cette interprétation austère, avec ses canons simples, à deux voix, cette construction subtile, jouée par un trio très en place, demandait une attention soutenue que le public a accordée, même si quelques auditeurs s'enfonçaient dans une douce torpeur à l'écoute de certaines variations. Mais la 28ème avec son tempo infernal, juste avant la reprise de l'Aria, éblouissante de tenue, de justesse, réveilla tout l'auditoire. Les trois artistes du Trio Goldberg, Liza Kerob, violon, Cyrille Mercier, alto, et Thierry Amadi, violoncelle, lauréats de CNSMD de Paris font honneur à ce conservatoire. Ils ont enregistré ces variations et il serait intéressant de les entendre dans les trios du répertoire.

 

 

Le récital «  Saint Petersburg » de Cecilia Bartoli

 


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Quand Cecilia Bartoli, « déguisée » en Princesse des Neiges, est entrée sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, avec sa traîne, le public était déjà conquis, criant déjà bravo. Hélas, ce n'était pas Christian Gasc qui l'avait habillée, comme il l'avait magnifiquement fait pour le beau film tourné au Château de Versailles à propos de la sortie de l'album « Mission » et des œuvres de Agostino Steffani. On était au Théâtre des Champs Elysées plutôt chez Walt Disney, avec une robe signée pourtant du célèbre Agostino Cavalca ! Diego Fasolis et l'ensemble I Barocchisti avaient annoncé en fanfare l'arrivée de la chanteuse avec une Marche de Hermann Raupach. Le Programme « Saint Petersburg » pouvait commencer. Mis à part Nicola Porpora, Cecilia Bartoli chanta des œuvres que le public ne connaissait pas. Musicologue avertie, Bartoli était allée chercher des partitions de maîtres italiens à la cour des Tsarines de Russie. Elle donna en première partie quatre airs. La voix était en place, avec plus de grave que d'habitude, et les arias étaient ma non troppo. C'est l'orchestre qui, dans cette première partie - ainsi que dans la deuxième - jouait allegro. De Raupach, elle chanta un air en russe qui séduisit l'assistance. L'entracte arriva très vite après encore une œuvre du même Raupach qu'elle chanta un poco vivace. Osons le dire, on était loin des feux d'artifice auxquels nous avait habitués la diva. Après un long entracte, la deuxième partie commença avec une Sinfonia d'un certain Domenico Dall'Oglio, très entraînante. Cecilia Bartoli arriva dans une nouvelle tenue bleutée tout aussi chamarrée de strass. Est-ce le froid, la deuxième partie fut aussi calme que la première, bien en place, admirablement chantée, impeccable. Les compositeurs avaient noms plus connus, Porpora, Hasse, Manfredini. Diego Fasolis et I Barocchisti avaient la super pêche pour réchauffer l'atmosphère, certains solistes venant au devant de la scène faire le duo avec la diva. En guise de remerciement ils avaient droit à de gros bisous. La deuxième partie terminée, aussi courte que la première, le public était content ; le bouquet de fleurs offert, la promotion pour l'album « St Petersburg » était remplie. Mais Cecilia Bartoli est imprévisible ! Elle revint alors et commença une troisième mi-temps ! Et là, elle se déchaîna pendant une bonne demie heure avec Vivaldi, Haendel… Elle s'amusa même à se mesurer avec le trompettiste pour savoir qui de lui ou d'elle allait le mieux improviser. La Bartoli se réveilla enfin, la neige fondit et le soleil sortit de sa gorge. Délire dans la salle : le public était debout comme celui de Bercy ou du Zénith ! On avait retrouvé La Bartoli qu'on aimait. Ce 7 novembre, c'est à 22h qu'elle a mis le feu à la salle comme elle sait le faire depuis vingt ans. Puis elle est sortie sous les acclamations… L'orchestre a fait son bis et puis…elle est revenue encore sur scène, en chapka, fausse zibeline et manchon – la tenue de la couverture du disque -, qu'elle jeta en direction de Fasolis, et tout en se moquant d'elle-même, partit dans des vocalises dont elle seule a le secret. Divine Cecilia, elle nous surprendra toujours !

 

Stéphane Loison.

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L'EDITION MUSICALE

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ORGUE

 

Johann Jakob FROBERGER : Neue Ausgabe sämtlicher Werke Volume 2. Urtext. Bärenreiter : BA 9212.

Il est bien agréable de pouvoir bénéficier de cette remarquable édition des œuvres complètes de Johann Jakob Froberger. On lira avec beaucoup d'intérêt la préface de Siegbert Rampe, extrêmement complète. Elle comporte un examen très détaillé des sources, dont certaines sont nouvelles, un commentaire sur chacune des œuvres, et des indications d'interprétation. Le texte lui-même est à la fois extrêmement précis et fidèle, en même temps que tout à fait lisible et directement utilisable pour une interprétation commode.

 

 

 

Olivier SCHMITT : Introduction, Variations et Finale sur « La Légende de Saint Nicolas »  pour orgue. Delatour : DLT2323.

Destinée à un important instrument symphonique, cette pièce est un hommage aux grandes improvisations de Pierre Cochereau dont elle reprend certains éléments formels et stylistiques. Le thème en est, bien sûr, celui de la célèbre chanson des trois petits enfants. L'auteur joue sur toutes les possibilités de l'instrument. Il se garde de donner des indications trop précises de registration : à chacun de trouver en fonction de son instrument et du vaisseau dans lequel celui-ci se trouve la juste mesure… Cette œuvre est en tout cas bien exaltante et séduisante.

 

 

PIANO

 

Christine MARTY-LEJON : Fjords pour piano. Cycle 2. Soldano : ES 664.

Ce qui caractérise les œuvres de Christine Marty-Lejon, c'est qu'elles sont d'abord de l'excellente musique. L'auteur, tout en ayant un langage bien à elle, sait rendre les différentes ambiances, se couler dans des styles très divers. Il est toujours très agréable de découvrir ses nouvelles œuvres. Il en est ainsi pour ces Fjords aux atmosphères changeantes qu'on aura également plaisir à écouter intégralement sur le site de l'éditeur.

 

 

 

Christine MARTY-LEJON – Jean-Claude SOLDANO : Sous la pluie  pour piano. Fin de 1er, début de 2nd cycle. Soldano : ES 610.

C'est donc une collaboration qui a donné naissance à cette pièce en forme de valse début de siècle (le XX°, naturellement…). Aux qualités musicales s'ajoute un brin d'humour qu'il sera intéressant de faire sentir aux élèves. Cette pièce se décline par ailleurs en de nombreuses versions : piano à quatre mains, hautbois et piano, clarinette et piano, violon et piano… Elle pourra donc donner lieu à des compétitions ou collaborations parmi les jeunes instrumentistes ! On peut également l'entendre sur le site de l'éditeur.

 

 

Matthieu STEFANELLI : 5 Exordes pour piano. Delatour : DLT2349. Pour piano à 4 mains : DLT2346.

Cette œuvre se décline donc en deux versions : pour piano solo et pour piano à quatre mains. Il s'agit bien de la même œuvre. On lira en quatrième de couverture ou sur le site de l'éditeur la présentation que l'auteur fait lui-même de son œuvre. Si on ajoute que ces cinq pièces sont chacune un hommage à un compositeur (Olivier Messiaen, Philippe Hersant, Alfred Schnittke et Magnus Lindberg) on aura une idée du caractère général de ces œuvres.

 

 

 

Claude DEBUSSY : Prélude à l'après-midi d'un faune. Transcription pour piano à quatre mains par Bruno Rossignol. Delatour : DLT2384.

Saluons une nouvelle production dans cette collection des « Grandes Transcriptions ». Grâce au « métier » de Bruno Rossignol, cette transcription est tout à fait convaincante. Inutile de préciser cependant qu'elle ne s'adresse pas à des débutants ! Aux pianistes d'utiliser au mieux ce travail pour retrouver sur leur instrument toute la palette sonore de l'orchestre de Debussy, et ce ne sera pas une tâche facile…

 

 

Alireza MASHAYEKHI : Avec Debussy  pour piano. Op. 162 n°2. Delatour : DLT2314.

Nous avons rendu compte dans notre lettre de novembre de Avec Chopin du même auteur. Le propos est le même : instaurer un dialogue des cultures et des traditions en reprenant certains extraits d'œuvres de Debussy et en les faisant dialoguer ou en les développant avec la tradition iranienne et son propre langage. L'auteur s'est ainsi fait le champion du multiculturalisme.

 

 

 

Alireza MASHAYEKHI. Op. 162. Franz SCHUBERT. Op 90 n°4 : Impromptu (Une solitude heureuse)  pour piano. Delatour : DLT2316.

De l'évocation à la longue citation en passant par la réécriture, l'impromptu de Schubert est omniprésent dans cette œuvre atypique écrite dans le même esprit que la précédente. On pourra l'écouter intégralement sur le site de l'éditeur.

 

 

Pierre-Richard DESHAYS : Distraction  pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2730.

Cette charmante distraction dédiée à une élève qu'on souhaite aussi charmante comporte deux parties. D'abord se déroule une jolie mélodie en la mineur de style assez classique ; puis une partie plus jazzy en sol mineur lui succède, à interpréter en « ternaire ». L'ensemble est fort agréable et plein d'intérêt.

 

 

Célino BRATTI : Le portrait de Laetitia  pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2788.

Cette Laetitia est pleine de légèreté et de grâce. Deux aspects se succèdent : une partie plus insouciante marquée par de jolies gammes descendantes à laquelle succède un passage plus lyrique et plus mouvementé. Le da capo nous ramène enfin dans l'ambiance primitive. Gageons que les élèves trouveront beaucoup de plaisir à brosser ce joli portrait.

 

 

André TELMAN : Dans l'aire de transit  pour piano. Débutant. Lafitan : P.L.2805.

Voici une pièce bien intéressante. Si le titre est un peu mystérieux, l'œuvre est attachante : la place des résonnances est primordiale, l'emploi de la pédale indispensable ! On pourra faire écouter et goûter les différentes ambiances sonores qui se succèdent de mesure en mesure grâce aux sons qui s'ajoutent et se nourrissent les uns des autres. Cette aire de transit peut être l'occasion d'une vraie découverte de l'essence même de la musique.

 

 

 

Gualtiero DAZZI : Tombeau de Claudio Abbado.  Piano solo. Dhalmann : FD0437.

Cette pièce difficile a été écrite par G. Dazzi quelques jours après la mort de Claudio Abbado qu'il a connu dans sa jeunesse et auquel il voue une grande admiration. Il s'agit d'une « pièce en forme d'étude qui, compte tenu des difficultés techniques qu'elle comporte, peut être inscrite dans un cursus d'apprentissage à un niveau avancé (début 3ème cycle). ». L'auteur présente lui-même sa pièce dans une introduction limpide qui donne en même temps les indications d'exécution et la manière de préparer le piano.

 

 

ACCORDEON

 

Fabrice TOUCHARD : Swing en Aquitaine.  Pièce pour accordéon. Troisième cycle. Lafitan : P.L.2713.

Voici une jolie pièce à la fois parfaitement écrite pour l'instrument – l'auteur est orfèvre en la matière – et d'un charme et d'une fantaisie de bon loi. Le « trio » est particulièrement bienvenu avec comme un parfum de fanfare provinciale. Bref, il y a de quoi réjouir professeur, élève et auditeurs…

 

 

 

Jean-Michel TROTOUX : Le bon itinéraire.  Pièce pour accordéon. Débutant. Lafitan : P.L.2782.

Cette pièce entrainante mettra, n'en doutons pas, les jeunes accordéonistes sur le bon chemin. Et quel meilleur chemin que de leur proposer un thème harmonisé avec les « bons degrés », comportant une petite escapade sur sol mineur et ré mineur pour revenir sagement au Fa Majeur initial. On souhaiterait que les jeunes pianistes reçoivent dès le berceau cette même formation…

 

 

HARPE

 

Michelle VILLAUME : Bleuets. Deux pièces pour harpe. Deuxième cycle. Sempre più : SP0117.

Il y a beaucoup de délicatesse et de charme dans ces Bleuets. La première pièce, « Printemps », est pleine d'allant tout en gardant un caractère un peu mélancolique. Ses nombreuses modulations mettront à contribution l'habileté de la harpiste à manier les pédales. La deuxième, « Recuerdo » comporte un début et une fin à 2/4 également mouvementées tandis qu'une large phrase à trois temps s'épanouit dans la partie médiane. Le tout s'écoute avec grand plaisir.

 

 

 

Michelle VUILLAUME : Vagabondages.  Quatre pièces pour harpe ou harpe celtique. 1er cycle. Sempre più : SP0116.

Chacune des pièces se déroule dans une ambiance bien caractérisée, en particulier la charmante sicilienne qui devrait avoir un grand succès. Les limites imposées par la harpe celtique ne nuisent en rien à la délicatesse des harmonies et l'ensemble permettra aux jeunes harpistes de montrer toute leur sensibilité et toute leur musicalité.

 

 

GUITARE

 

Laurent MÉNERET : Cordes sur ciel pour guitare. 2ème cycle. Sempre più : SP0109.

« Cordes sur ciel est une allusion poétique sous forme de recueil de quatre pièces qui m'a été inspirée lors d'un séjour dans cette charmante ville médiévale (Cordes sur Ciel) située dans le Tarn. Au travers de ces morceaux progressifs aux styles variés, je dépeins musicalement certaines images, ambiances et personnages que j'ai pu rencontrer. » Qu'ajouter à cette présentation de l'auteur sinon que les interprètes gagneront à voir la vidéo d'extraits enregistrés par l'auteur sur YouTube, et à aller voir sur internet toutes les photographies de cette charmante cité.

 

 

 

Alain LENGLET : Cippora  pièce pour guitare. Elémentaire. Lafitan : P.L.2723.

L'auteur dédie cette charmante valse à sa fille dont le nom biblique (petit oiseau) correspond bien au caractère charmant et léger de cette jolie pièce qui porte en exergue cette belle citation de Pablo Casals : « La musique chasse la haine de ceux qui sont sans amour ». C'est un très beau programme auquel contribuera certainement cette œuvre.

 

 

Sébastien LLINARES : Trois bagatelles  pour guitare. 2ème – 3ème cycles. Sempre più : SP0108.

Ces trois bagatelles ne manquent ni d'originalité ni d'intérêt. L'auteur sait fort bien créer des ambiances, suggérer des paysages, des états d'âme. Même si elles sont destinées à des élèves, ces bagatelles peuvent très bien s'intégrer à un récital. Il faudra suivre de près les prochaines œuvres de ce jeune guitariste et compositeur.

 

 

 

VIOLON

 

WERNER / CASTÉRÈDE / MARGONI / CHAYNES : Quatre pièces « In memoriam André David »  pour violon seul. Delatour : DLT2407.

Quatre compositeurs ont décidé d'honorer la mémoire de leur ami André David, mort en 2007. Le recueil comprend une Elégie de Jean-Jacques Werner, Asclépios-Orphée d'Alain Margoni, In memoriam André David de Jacques Castérède et Autour d'une mélopée de Charles Chaynes. Bien que l'ensemble s'apparente à une Suite, chaque pièce peut être interprétée séparément. On y retrouve, bien sûr, la personnalité de chacun des auteurs, mais l'unité reste grande entre ces pièces. Souhaitons une grande diffusion à ces œuvres qui ne comportent pas de difficultés insurmontables.

 

 

Robert WAECHTER : 24 études pour violon. Volume 2. Pour violon seul ou avec accompagnement. Difficile. Dhalmann : FD0395.

Nous avons rendu compte dans la lettre 69 d'avril 2013 du premier volume de ces études. Comme le dit l'auteur, la deuxième voix est à improviser selon certains critères et par n'importe quel instrument. Les indications d'interprétation sont également données. Le rythme en est volontairement difficile et sera à respecter scrupuleusement. Chaque étude porte un titre qui suggère une ambiance, souvent avec une pointe d'ironie ou d'humour…

 

 

 

CONTREBASSE

 

Christophe PICOT : La poule qui barbote dans sa baignoire  pour contrebasse et piano. Fin 1er cycle. Sempre più : SP0084.

Ecrite dans une tonalité flottante et avec des rythmes exprimant bien à la fois la poule qui picore et barbote, cette pièce pittoresque utilise avec humour les différents registres de la contrebasse. Les jeunes interprètes devraient y trouver beaucoup de plaisir.

 

 

FLÛTE

 

Wilhelm POPP (1828 – 1903) : Idylle tzigane pour flûte et piano. Restitution Philippe Lesgourgues. 2ème cycle. Sempre più : SP0124.

L'auteur, grand flûtiste allemand, a surtout écrit pour son instrument. Cette idylle est-elle vraiment tzigane ? Peu importe. C'est une « pièce de genre » qui permettra à son jeune interprète de faire montre de la sûreté de sa technique car, pour amusante qu'elle soit, elle est loin d'être facile.

 

 

 

Bernard de VIENNE : Vignette IX  Duo de flûtes. Moyenne difficulté. Dhalmann : FD0452.

 Cette Vignette est une sorte de miniature mettant en jeu tous les paramètres du son et la manière de les obtenir : la palette de timbres va du son pur au bruit en passant par toutes les recherches acoustiques possibles. La partition est précédée par une explication précise qui permettra de tirer le meilleur parti de cette expérience sonore et de l'affinement de l'audition qu'elle procure.

 

 

CLARINETTE

 

Jacky THEROND : Rédièse 12 pour clarinette sib seule. Elémentaire. Lafitan : P.L.2942.

Pourquoi ce titre sinon pour signaler une présence dominante du ré dièse et un chromatisme affirmé ? Le clarinettiste a la réputation de ne pas aimer les dièses. Ici, les élèves seront servis : aucun bémol en vue ! Mais attention : il ne s'agit pas d'un simple procédé d'écriture. Il n'y a rien de scolaire ou d'ennuyeux dans cette œuvre qui est d'abord de la vraie et bonne musique qui fait appel autant à la virtuosité qu'à la sensibilité de l'instrumentiste. Oublions donc le procédé et laissons-nous charmer par cette pièce aux aspects variés, et pleine de vie.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Frédéric LEDROIT : Chercheurs d'or  opus 46 pour saxophone alto et orgue. Delatour : DLT2161.

De cet assemblage peu conventionnel qu'il a pratiqué, l'auteur tire une œuvre variée, intéressante et qui entretient un véritable dialogue entre les deux instruments. L'orgue sera un « trois claviers pédalier» riche en anches et en mutations. Le titre constitue une allusion au travail du compositeur, véritable découvreur de sonorités nouvelles. On y retrouve le langage si personnel de ce musicien très attachant. 

 

 

BASSON

 

Frédéric LEDROIT : Strate  op.52 pour basson et orgue. Delatour : DLT2149.

On lira avec beaucoup d'intérêt sur le site de l'éditeur la présentation très objective que l'auteur fait de son œuvre. Celle-ci est née d'une double constatation : basson et orgue « sonnent » très bien ensemble et, à part les transcriptions, il n'existe pas de répertoire pour cet assemblage. Ecrite pour un instrument moyen à deux claviers et pédalier, cette pièce ne réduit pas l'orgue, comme le dit avec humour l'auteur, à un simple bourdon de 8' ! Faisant appel à toutes les ressources de couleur des deux instruments, cette œuvre est pleine de charme, de vie, en un mot, de musique.

 

 

 

TROMPETTE

 

André TELMAN : Sur un itinéraire improbable  pour trompette seule en ut (ou sib). Moyen. Lafitan : P.L.2687.

Cette commande du concours international de trompette de Markneukirchen (Allemagne) 2014 ne manque pas effectivement de surprises. Si l'interprète y est invité à faire montre de virtuosité, ce n'est cependant pas aux dépens de l'expression et du lyrisme. Pour être improbable, cet itinéraire ne manque pourtant pas de charme, bien au contraire !

 

 

Yves BOUILLOT : Waltzing  pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2631.

Le titre même de l'œuvre augure d'une valse un peu déjantée. Si le trompettiste peut être débutant, le pianiste devra, lui, être nettement plus aguerri ! Après une entrée en fanfare à quatre temps, le trois temps s'installe pour une valse souvent endiablée. Le tout jeune trompettiste, bien soutenu par son partenaire devrait prendre beaucoup de plaisir à ce morceau entrainant.

 

 

 

TROMBONE

 

Claude-Henry JOUBERT : Les oies du capitaine.  Une enquête du commissaire Léonard avec accompagnement du professeur. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L.2803.

Le « mode d'emploi » de cette partition est indispensable à une bonne mise en œuvre. En effet, élève et professeur sont confrontés à deux improvisations au cours de ce morceau, ou plutôt à deux compositions. C.-H. Joubert nous rappelle que « Composer n'est pas une activité réservée aux adultes savants. Le mot « composer » vient du latin cum-ponere, « poser avec ». On peut composer un menu ou un bouquet. Le compositeur de musique ne « crée » pas, il dispose, à sa façon, les éléments d'un matériau sonore existant. » Outre l'humour de l'histoire et des thèmes proposés, on retiendra le côté « ouvert » de l'œuvre puisque la solution de l'énigme est laissée aux interprètes… On pourra bien sûr mettre en scène ces « Oies du capitaine » !

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Antonin SERVIÈRE : Inconstances  pour hautbois (ou flûte) et clavecin. Delatour : DLT2335.

Même si l'œuvre revendique de s'inspirer des codes et de l'esprit de la musique baroque, la présence du clavecin ne doit pas faire illusion : il s'agit d'une œuvre tout à fait contemporaine, demandant un clavecin à deux claviers et faisant appel à toutes les techniques actuelles tant du clavecin que de la flûte ou du hautbois. Cette œuvre difficile n'en est pas moins fort intéressante.

 

 

 

Antonin SERVIÈRE : D'après « Dans la nuit ».  Quintette pour clarinette, violon, violoncelle, percussions et piano. Delatour : DLT2332.

Il s'agit d'une réécriture d'une pièce pour orchestre intitulée Dans la nuit. Voilà pourquoi l'auteur propose en sous-titre : « ou Dans la nuit d'après ? ». Le tout est inspiré du poème éponyme d'Henri Michaux. L'œuvre, très expressive, passe par des phases d'agitation suivies de moments méditatifs. L'ensemble est dense et comporte de nombreux changements de caractère et de sonorités.

 

 

 

ORATORIO

 

BACH : Himmelfahrts-Oratorium  BWV 11. Bärenreiter Urtext : TP 1011 – BA 1011-90.

Oratorio ou cantate ? On peut se poser la question et la préface aborde ce problème. Composé pour la fête de l'Ascension à Leipzig en 1735, ce court oratorio se caractérise par une orchestration très colorée, tout à fait conforme à l'aspect triomphant de la fête. Les éditions Bärenreiter nous proposent partition de poche, conducteur et matériel d'orchestre et les parties vocales avec réduction au piano, le tout avec la qualité habituelle. L'ensemble est précédé par une courte mais substantielle préface d'Andréas Glöckner.

 

 

Daniel Blackstone.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Jean-Philippe GUYE (textes réunis et introduits par) : L'enseignement de la culture musicale. Pratiques et innovations. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2014, BDT0002, 326 p. - 29 €.

Préfacé par Alain Poirier, directeur de la recherche au CNSMD de Lyon, ce volume regroupe les communications présentées par treize auteurs d'horizons divers, lors des journées professionnelles organisées par l'Association des Professeurs de Culture Musicale (APCM), à Paris en 2012. Dans la conception actuelle, « la culture musicale recouvre l'ensemble des disciplines — histoire, analyse, esthétique… — qui donnent sens aux pratiques des musiciens, amateurs comme professionnels : écoute, interprétation, création ». En tant que discipline, elle a été lancée vers 1980. Complément obligatoire pour le DEM et le CFEM avec pour motif conducteur : entendre, comprendre et pratiquer, elle est donc indissociable de la pratique instrumentale et collective impliquant formation, culture, analyse, création et cadre historique. Ce livre tient compte des nouveaux métiers de la musique faisant appel à l'ouverture, à la recherche, à la créativité et à l'expérimentation. L'accent est mis sur la reformulation des cours fort éloignés de l'enseignement assez rébarbatif du solfège au siècle passé ou de l'analyse desséchante. Il s'agit donc d'associer des approches culturelles émanant de diverses spécialités : histoire, analyse, esthétique, visant à une pédagogie nouvelle plus attrayante et à une démarche globale. Après avoir retracé brièvement l'historique de l'enseignement universitaire et dans les Conservatoires, l'auteur rappelle que, vers 1980, Marcel Landowski a donné une nouvelle impulsion avec le lancement d'écoles de musique (municipales, nationales), de Conservatoires de région et la création du CNSM de Lyon, ainsi que l'introduction de diplômes d'assistants spécialisés et, en 1987, du CA de culture musicale. Jean-Philippe Guye a judicieusement regroupé les textes en trois catégories : expériences pédagogiques : pratique et terrain (par exemple : adolescents tant de Bobigny qu'à l'Université de Mascate (Sultanat d'Oman) ou au Conservatoire de Cergy-Pontoise, sans oublier la pratique avec Jean-Baptiste. Lully et Jean-Marie Leclair, Joseph Haydn ou Franz Liszt…) ; perspectives analytiques : théories et pratiques (problèmes de transcription, de terminologie et d'analyse); pédagogie de l'écriture (style, prosodie allemande, composition…). Ce volume propose donc un bilan des enjeux actuels dans les Conservatoires en France, en vue d'une synthèse de disciplines. Bref : un cursus ambitieux au service de cultures en mouvement.

 

Édith Weber.

 

« Musique, foi et raison. Correspondante inédite Gabriel Renoud/Camille Saint-Saëns 1914-1921 » recueillie, introduite et annotée par Pierre GUILLOT. Paris, L'Harmattan (www.editions-harmattan.fr ), 237 p. -25 €.

Pierre Guillot — Professeur émérite à l'Université Paris-Sorbonne, organiste émérite de la Collégiale Notre-Dame de Bourg (Ain) où la vocation musicale et religieuse du prêtre Gabriel Renoud s'est déclarée — a, avec patience et minutie, regroupé pour la première fois (d'après des autographes conservés dans le Fonds Saint-Saëns du Château-Musée de Dieppe) 116 lettres du prêtre incitant son destinataire à la conversion et 25 réponses de Camille Saint-Saëns. Cet échange épistolaire pendant sept ans couvre la Première Guerre mondiale et l'après-guerre. Il est introduit et annoté avec beaucoup de soin par Pierre Guillot et présenté sous trois rubriques circonstanciées : musique, foi et raison.

L'Abbé Joseph Gabriel Marie Renoud, comme le rappelle l'auteur, est né le 26 septembre 1873 à Bourg-en-Bresse et mort le 9 décembre 1962. Après avoir été élève à la Maîtrise de la Collégiale Notre-Dame de Bourg, il y a appris le piano, l'harmonium et l'orgue. En 1890, il entre au Séminaire de Brou à Bourg, et accompagne de temps en temps les offices à l'harmonium ou à l'orgue. Ordonné prêtre en 1896, il assume l'année suivante les fonctions de maître de chapelle à l'institution Saint-Pierre de Bourg. Il sera successivement vicaire, maître de chapelle, organiste, puis infirmier pendant la Première Guerre mondiale. Nommé curé de Thoissey, il terminera son ministère comme aumônier de l'Office des Incurables de Bourg (cf. p. 9-10). Il a été l'auteur de nombreuses publications, notamment sur la vie religieuse (XVIIe-XIXe siècles), d'un recueil poétique (La croix lumineuse, 1924), des paroles et de la mélodie de nombreux cantiques.

Sa correspondance avec le compositeur, pianiste virtuose et écrivain, Camille Saint-Saëns (1835-1921) illustre leur érudition et reflète leur franchise et leur sincérité marquées par une cordialité réciproque. L'échange épistolaire porte évidemment sur la musique religieuse et la liturgie catholique, bien que Camille Saint-Saëns, organiste pendant 25 ans, fût « relativement prolixe quoique agnostique » et que Gabriel Renoud, combattant les « motets théâtraux », fût adepte du nouveau plain-chant et organiste amateur. Leurs goûts artistiques y sont souvent opposés. Ces lettres font état de leurs divergences, mais il en ressort que, dès sa première missive, le prêtre « aurait tant voulu ramener Saint-Saëns, la brebis égarée, à la foi catholique »… Leur argumentation réciproque est particulièrement instructive.

La première lettre porte le cachet postal : Ars, 7 septembre 1914. Elle est destinée à « M. C. Saint-Saëns Bureau de l'Écho de Paris, 6 place de l'Opéra Paris (IXe) », alors qu'il habitait au 83 bis, rue de Courcelles, à Paris. La 116e (et dernière), adressée au « Cher Maître », porte la mention : « Civrieux, 12 sept. 1921 ». Tous ces documents sont assortis de judicieux commentaires explicatifs permettant au lecteur du XXIe siècle de mieux comprendre les divers contextes historiques, sociologiques et artistiques. Ils renseignent notamment sur les activités des deux correspondants, les personnes du monde artistique et culturel qu'ils ont côtoyées. Dans ce cadre, il est impossible de détailler cette vaste correspondance particulièrement précise, révélatrice d'une forte pénétration psychologique et, bien sûr, religieuse, notamment à propos de l'« âme catholique », truffée de citations bibliques et accompagnées de quelques exemples musicaux autographes ; et de résumer l'intérêt de tous ces débats. La confrontation entre lettre et réponse est des plus significatives, notamment à propos de l'utilité de la religion et l'exposition des doctrines catholiques.

En cette année du Centenaire de la déclaration de la Grande Guerre — à côté des discussions autour des thèmes : Saint-Saëns et Dieu ! ; La foi contre la raison ainsi que la musique, l'orgue et la poésie —, les lecteurs seront aussi sensibles aux lettres concernant les activités de l'Abbé-infirmier/ambulancier au front (cf. lettre n°85 portant pour adresse : « S.l.n.d., aux armées, tampon postal Trésor et Postes, 2 mai 18 » (sic)). D'une manière générale, comme le précise Pierre Guillot : « J'aime à être aimé », confiait Camille Saint-Saëns au poète Pierre Aguétant ( 17 juillet 1918). Eh bien ! les 116 lettres (1914-1921) que ce volume assemble sont sans doute l'un des plus admirables témoignages d'amour que le compositeur a jamais reçus : celui d'un prêtre discret, Gabriel Renoud (1873-1962), alors vicaire et organiste au village d'Ars ».

Ces échanges épistolaires convient un  panthéon de personnalités allant de Confucius, Saint Ambroise de Milan, de Jeanne d'Arc jusqu'à Pierre Curie ; de Henri IV à Bismarck, puis d'Auguste Comte et Nietzsche, et évidemment de musiciens : de Jean Sébastien Bach à Albert Alain, en passant par Mozart, Chopin, Wagner, Franck, Fauré, Déodat de Séverac… Tout le mérite revient à Pierre Guillot qui, avec cette remarquable Correspondance inédite,  a fait preuve d'une parfaite maîtrise du genre.

 

Édith Weber.

 

Marc-Mathieu MÜNCH : La beauté artistique. L'impossible définition indispensable. Prolégomènes pour une « artologie » future. Paris, Honoré Champion (www.honorechampion.com ), 2014, 155 p. 22 €.

Marc-Mathieu Münch, Professeur émérite de littérature générale et comparée à l'Université de Lorraine, et mélomane averti, depuis sa découverte de l'invariant de l'effet de vie, poursuit inlassablement ses recherches. Dans ce nouvel ouvrage, après tant d'auteurs dans le sillage de Baudelaire, il tente de définir la beauté artistique, démarche certes indispensable mais quasi impossible. Il constate que toutes les Sciences humaines sont progressivement issues de la Philosophie et, dans une brève rétrospective, évoque l'apport de la philosophie occidentale (tentatives de Roman Ingarden, Nelson Goodman et Rainer Rochlitz…) en vue d'une Science humaine de l'art, puis l'apport de Claude Lévi Strauss. Il nous a rappelé récemment que, lors de Colloques internationaux,  il a été « encouragé à élargir le débat aux arts plastiques et à la musique, ceci dans le prolongement de ses spéculations sur l'invariant mondial de l'effet de vie, selon lequel une œuvre est réussie lorsqu'elle est capable de créer un effet de vie par le jeu cohérent des formes et des matériaux ».

Au fil du temps, — après sa contribution au livre sur L'Esthétique de l'Effet de vie. Perspectives interdisciplinaires (Paris, L'Harmattan, 2012) —, sa démarche originale s'est affirmée avec ce n°30 de la Collection Essais, au point de pouvoir lancer une nouvelle discipline : l'ARTOLOGIE (de art et logos), « fondée sur la parole des artistes et sur ce qu'ils en disent au sens large », d'après le modèle de toutes les autres sciences se réclamant du logos. Et c'est précisément l'effet de vie qui « permet d'exploiter et de définir la spécificité du phénomène art en tant que tel. » Marc-Matthieu Münch évoque ainsi sa démarche : « J'ai donc passé ma vie à comparer tout ce que les artistes [les écrivains] ont dit de leur art, du moins ce qu'on peut en lire posément en un demi-siècle de travail. Je me suis efforcé de bien distinguer ce qui concerne un style d'époque, ce qui revient à un génie particulier, ce qui caractérise une famille d'esprit ou un goût spécifique,tout en mettant à part ce qui semblait anthropologique » (p. 101-102).

L'auteur a réussi à dégager les corollaires de l'effet de vie sous six aspects : 1. le matériau incitatif, 2. le jeu créateur, 3. la forme vive, 4. la plurivalence, 5. l'ouverture, et 6. la cohérence. Il en arrive à constater que, en art : « le singulier mène au pluriel, et le pluriel ramène au singulier. Sous l'impressionnante diversité des fonctions attribuées à l'art gît la fonction-source de l'effet de vie lui-même ». Quant à l'art, il « est un phénomène humain interactif reliant un créateur, un objet et un récepteur en vue d'un but spécifique ».  Les perspectives de l'« artologie », discipline se rattachant aux Sciences humaines et à l'Art en particulier, sont vastes ; elles permettent de définir la spécificité du phénomène art en tant que tel grâce à la notion d'effet de vie. Dépassant déjà son sous-titre : Prolégomènes pour une artologie future, cette publication ouvre largement la voie à de nouvelles perspectives très prometteuses : de quoi réfléchir et à suivre avec le plus vif intérêt.

 

Édith Weber.

 

 

André TUBEUF : Hommages. Portraits de musiciens. 1 vol. Actes Sud, 2014, 523 p, 25 €.

Mieux que quiconque, André Tubeuf sait communiquer une vraie passion pour les interprètes. Depuis quelques décennies, infatigable, le journaliste livre des analyses perspicaces sur les grands de l'opéra et du Lied, et scrute l'horizon musical à l'affût des talents émergents. Cette passion pour la musique déborde le chant bien sûr. Il dessine leurs portraits amoureusement au fil des mois dans la revue Classica. Ce livre en reprend l'essentiel. Le caractère concis de chaque chronique n'enlève rien à sa complétude, bien au contraire. Plusieurs générations sont passées en revue : les grands anciens (Enrique Caruso, Maria Ivogün, Lauritz Melchior...), ceux qu'il a connus de près (Arthur Rubinstein, Christa Ludwig... ou ces figures emblématiques du fameux « Wiener ensemble » qui, durant les décennies 50 et 60, firent les beaux soirs de l'Opéra de Vienne, à l'exemple des trois chanteuses qui ornent la couverture du livre, Irmgard Seefried, Elisabeth Schwarzkopf et Sena Jurinac), les jeunes talents  devenus valeurs de demain (Matthias Goerne, Jonas Kaufmann, Leif Öve Andsnes...) La chronologie veut que Goerne vienne aussitôt après Fischer- Dieskau : plus qu'une belle coïncidence, lorsqu'on mesure combien l'un a pris le relais de l'autre. L'art de la formule est chez l'auteur comme une seconde nature : « le violoncelle, c'est la grande voix qui nous relie depuis les nuées » (à propos de Jacqueline du Pré); « Victoria (de los Ángeles) était la musique même ; jamais décevante, jamais déplacée ». Bien sûr, la succession des quelques 130 chapitres peut donner le tournis. Mais un tel ouvrage se lit-il dans la continuité ? On y vient plutôt guidé par la curiosité gourmande de voir évoquer ceux qu'on a tant admiré, sur scène ou au disque. Car André Tubeuf n'a pas son pareil pour relever d'un trait de plume ce qui distingue tel ou tel : C'est « du côté des humbles » qu'un Walter Berry tracera une carrière exemplaire, marquée par « un sens de l'enracinement dans un théâtre », loin du système globe trotter de bien d'autres. Génial Figaro, de Mozart comme de Rossini, Hermann Prey restera l'« aristocrate des valets d'opéra ». L'art de la formule, on la connaît, et elle fait mouche : «  L'enfant de plus d'un siècle » à propos de Christoph Eschenbach, ou « ce long météore tranquille » qu'est Georges Prêtre. On guette les absents : ces voix célèbres, qu'on n'aura pas l'outrecuidance de citer ; trop de glamour peut-être pour mériter les égards de l'auteur ? Sûrement pas oubli, choix plutôt, lorsqu'on sait la voracité encyclopédique de l'auteur. A moins qu'il n'y ait matière à quelque suite, car « les absents n'ont jamais tort ». Peu importe, André Tubeuf offre d'abord en partage, outre une immense connaissance et une langue peaufinée, même si fort compacte à l'occasion, ces éléments, parfois peu connus, voire secrets, ces fines observations qui font qu'on se prend de sympathie pour chacun de ces grands musiciens. Dès lors, si le trait se fait plus aiguisé (Christian Ferras ou « la chute d'Icare », « Karajan, Citizen K »), il a le mérite de la franchise, car rien ne serait pire que l'esquive. A un moment où ce type d'ouvrage fait florès (« Les grands pianistes », « Les grands violonistes », etc. ) celui-là s'en démarque par une vertu rare : l'empathie.

 

 

Jean-Pierre Robert.

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CDs et DVDs

 

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« Christmas Carols ». Hannover Knabenchor. London Brass. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP7117. TT : 63'24.

Jörg Breiding, directeur du célèbre Chœur de Garçons de Hanovre — fondé en 1950 par Heinz Hennig —, a sous-titré son programme : Musique festive pour le temps de Noël (Festliche Musik zur Weihnachtszeit). Il propose une sélection de cette forme anglaise par excellence : le Christmas Carol (du mot français « carole »), avec alternance d'un refrain à danser chanté en chœur et de strophes interprétées généralement par un soliste. Il s'agit de chants anglais, mi-religieux, mi-populaire, quelque peu l'équivalent des Weihnachtslieder allemands et des Noëls français. Ce disque a été enregistré sur le vif à la Marktkirche (Église du Marché), à Hanovre, avec la participation du London Brass (orchestre de cuivres : trompettes, trombones, cors et tubas) et du Hannover Knabenchor. Ils interprètent des Xmas Carols de toujours, en versions soit vocales, soit instrumentales ou voix et instruments réunis. La tradition est à l'honneur avec le chant latin anonyme (XIIIe siècle) : Angelus ad virginem ou encore Sing Joyfully unto God our Strength de William Byrd (1543-1623) ; Hosanna to the Son of David de Thomas Weelkes (1576-1623). Le « noël » : Joy to the World de Lowell Mason (1792-1872) figure dans la version instrumentale arrangée en 1960 par Richard Bissill. Plus proches de nous, Benjamin Britten (1913-1976) est représenté par le Cantique à la Vierge : Of one that is so fair and bright Velut maris stella. David Wilcocks (*1919) a réalisé un arrangement de O Come, All Ye Faithful (Adeste fideles), invitation à adorer le Christ, chantée dans le respect des nuances, par les voix masculines soutenues et colorées par les instruments à vent. L'ensemble London Brass interprète une version par Simon Wills (*1957) du Quem pastores laudavere (laudaverunt) provenant de Bohême (XVe siècle), chant traditionnel des enfants allemands par excellence qui se répondaient d'une tribune à l'autre. Il exécute une version instrumentale extraite de l'Oratorio de Noël (BWV 248) de J. S. Bach : Nun seid ihr wohl gerochen. Parmi les mélodies incontournables figurent le vieux noël bilingue : In dulci jubilo, nun singet und seid froh, dans un arrangement du XIXe siècle (Robert Lucas Pearsall (1795-1856) ; Es ist ein Ros' entsprungen de Michael Praetorius (1571-1621), mais traité selon l'idiome du XXe siècle par Donald Cashmore (mort en 2013). Signalons encore l'arrangement par John Rutter (*1945) : Desk the Hall chanté avec élan, légèreté, transparence et virtuosité. Ce disque se termine sur l'annonce Hark ! the Herald Angels Sing (cf. Il est né, le divin Enfant) interprétée par le Knabenchor, L. Hahnheiser (percussion) et le London Brass. Avec ses 22 œuvres pour Noël, il comptera dans les annales du Chœur de Garçons de Hanovre : un « tube » à l'initiative du Label allemand RONDEAU PRODUCTION. Tous : chef, chanteurs, instrumentistes… vous souhaitent a merry Christmas and a happy New Year !

 

Édith Weber.

 

 

« Weihnachten zu Hause ». Martin Petzold, ténor, Jakob Grabenhorst, soprano garçon, Martin Hoepfner, guitare. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP6084.  TT : 58' 34.

Les Éditions RONDEAU PRODUCTION ont fourni un effort particulier en 2014 pour illustrer le temps de l'Avent et les Fêtes de Noël en des lieux divers. Ce disque, consacré à des Noëls traditionnels allemands, propose des versions plus intimes à écouter avec émotion, à la maison (zu Hause), en famille, près du sapin, afin de recréer l'atmosphère et l'ambiance de Noël dans le calme et la sérénité. L'enregistrement comprend des anciennes mélodies (également connues des Catholiques) telles que, pour le temps de l'Avent : Nun komm, der Heiden Heiland (Viens, Rédempteur des païens) d'après l'hymne Veni Redemptor gentium (v. 386) de Saint Ambroise de Milan, adaptée en allemand par Martin Luther en 1524, comme il se doit chanté sur un ton assez mystérieux par le Ténor Martin Petzold ; Es kommt ein Schiff, geladen sur le texte (v. 1626) de Daniel Sudermann, d'après un chant marial strasbourgeois du XVe siècle et publié à Cologne en 1608 ; pour Noël : Ich steh' an deiner Krippen hier (Je me tiens près de ta crèche) sur les paroles (1653) de Paul Gerhardt, ou encore la berceuse Joseph, lieber Joseph mein (Joseph, cher Joseph, aide-moi à bercer mon enfant) remontant à une mélodie salzbourgeoise du XIVe siècle. Les mélomanes écouteront avec plaisir le traditionnel noël bilingue respectant les assonances : In dulci jubilo, Nun singet und seid froh ; Stille Nacht (Voici Noël) sur le texte de Joseph Mohr et la mélodie de Franz Xaver Gruber, et O du fröhliche (Ô nuit bienveillante…) sur le texte de J. G. Herder d'après la mélodie d'une sicilienne (avant 1788). Ils pourront aussi découvrir la mélodie de Peter Cornelius à propos des Rois mages : Drei Kön'ge wandern aus Morgenland et surtout le nouveau chant : Simeon composé par l'actuel Kantor de Saint-Thomas, Georg Christoph Biller (*1955) prouvant que l'esthétique de notre époque peut s'insérer dans le répertoire de chorals. Les interprètes : Martin Petzold (Ténor) et son élève Jakob Grabenhorst (Soprano garçon), avec le concours à la guitare de Martin Hoepfner, n'ont pas ménagé leurs efforts pour agrémenter dans la sérénité et le dépouillement la Fête de Noël à la maison et aux chandelles.

 

Édith Weber.

 

« Weihnachtliche Musik aus der Maktkirche Hannover ». Elisabeth Schwanda, flûte à bec, Ute Engelke, soprano, Ulfert Smidt, orgue. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP6095.  TT : 65' 49.

Après le Noël à la maison, voici le Noël à l'Église du Marché (Marktkirche) à Hanovre, avec le concours de trois interprètes : Elisabeth Schwanda (flûte à bec), Ute Engelke (Soprano) et l'organiste titulaire bien connu, Ulfert Smidt. L'interprétation de ces arrangements met en valeur la voix de Soprano si prenante associée aux les sonorités de la flûte à bec et de l'orgue. Ces musiciens de Hanovre font preuve à la fois de fantaisie, du souci du détail, de virtuosité, illustrant le sous-titre de ce CD « Que de joie, que de plénitude » (Lauter Freude, lauter Wonne), conformément à l'œuvre éponyme de Georg Philipp Telemann. Ce répertoire tout à fait traditionnel regroupe des compositions Claudio Monteverdi : Exulta filia Sion (1629), motet pour soprano et basse continue ; de Michael Altenburg (1584-1640) : Nun komm, der Heiden Heiland ; de Michael Praetorius : Wie schön leuchtet der Morgenstern ; de J. S. Bach : Süsser Trost, mein Jesus kömmt (annonçant la venue de Jésus). À noter surtout, à titre comparatif, les versions du choral Vom Himmel hoch, da komm ich her avec, en introduction, le Prélude de choral pour orgue (BWV 606) de J. S. Bach, suivi des versions d'Adam Gumpelzhaimer (1559-1625) et de Hans Leo Hassler (1554-1612), et, en conclusion, son choral (Choralbearbeitung) (BWV 243aA). Les auditeurs seront également sensibles au Cantabile du Concert pour flûte, op. 10 n°3, d'Antonio Vivaldi et à la Pastorale de César Franck pour orgue op. 19. Voici presque 66 minutes de musique de la Renaissance au XXe siècle et un bel exemple actuel de l'atmosphère de Noël à la Marktkirche de Hanovre.

 

Édith Weber.

 

« Weihnachten mit der Oper Leipzig ». Solistes de l'Opéra de Leipzig. Membres du Gewandhaus Orchester Leipzig. Mendelssohn Quartett, dir. Christian Hornef. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP6096. TT : 71' 48.

Après Noël à la maison et Noël à l'Église, voici « Noël à l'Opéra », petite Anthologie de Chants de Noëls internationaux interprétés avec le concours de grands solistes de l'Opéra de Leipzig qui, toutefois, se produisent dans la modeste Église luthérienne de Gundorf (banlieue de Leipzig). L'initiative en revient à Martin Petzold, chanteur international d'oratorio, qui a regroupé autour du thème de Noël — fête de famille, fête de la musique — un plateau de solistes internationaux et sélectionné des œuvres, entre autres, d'origines allemande (O Tannenbaum du trägst ein' grünen Zweig, d'après une mélodie populaire de Westphalie remontant au XVIe siècle — à ne pas confondre avec l'autre chant traditionnel : O Tannenbaum (bis)… (Mon beau sapin) ; Christnacht de Johann Wolfgang Franck et Wilhelm Osterwald, interprété par Martin Petzold, soutenu discrètement l'orgue), scandinave, coréenne (évocation de la petite ville de Bethléhem), ukrainienne (Noël marial sur le thème de l'espoir et de l'attente : In der Hoffnung Mutter Gottes, chanté a cappella), brésilienne (O Natal Existe, chanté par Sandra Janke avec guitare), totalisant 22 pièces. Ces solistes internationaux (allemand, autrichien, bulgare canadien, finlandais, nord-américains, sud-coréens, suédois…) chantent sous la direction de Christian Hornef qui a été directeur des études à l'Opéra de Leipzig et dirige notamment de nombreux programmes de Lieder avec des membres de cet ensemble.

Les quatorze chanteurs internationaux et un soprano garçon sont associés à des instrumentistes appartenant à l'Orchestre du Gewandhaus, au Quatuor Mendelssohn ou à l'Opéra de Leipzig prêtent leur concours : violons : G. Harms et A. Schuberth-Meister ; guitare : M. Hoepfner ; piano et orgue : Chr. Hornef ; bugle : U. Lehmann ; contrebasses : R. Leuscher et T. Martin ; alto : L. Petersen ; violoncelle : S. Rassbach et flûte : J. Schlag. Ils forment ainsi une belle brochette internationale, et ont réalisé un éloquent digest, commençant par la chanson populaire planant dans la douceur : Maria durch ein Dornwald ging pour 2 voix, quintette à cordes, guitare et flûte, et se terminant par l'incontournable Stille Nacht de Fr. Gruber, mais dans un arrangement de Andreas Pieske (né en 1928), avec le concours d'Eun Yee You, de solistes de l'Opéra et d'un quintette à cordes. Magnifique programme à connotation internationale hors des sentiers battus, loin de la théâtralité inhérente aux chanteurs d'opéra.

Édith Weber.

 

«  Fireworks of music. Festliches Silvesterkonzert aus Hannover ». Ulfert Smidt, orgue, Jackson Crawford, saxophone. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP6089. TT : 58' 36.

Ce disque pour la Saint Sylvestre et la Nouvelle Année offre un panorama très varié de 16 morceaux à succès, enregistrés à l'Église du Marché (Marktkirche) de Hanovre lors du Concert de Nouvel An (2014) et interprétés par l'organiste titulaire Ulfert Smidt (Orgue Goll (2009) : 4 claviers et pédale) et Jackson Crawford (saxophone). Le programme comprend notamment des œuvres de Dimitri Chostakovitch (Valse extraite de sa Suite pour orchestre de variétés), Serguei Rachmaninov, (Vocalises n°14) ; Charles-Marie Widor, (Adagio et la Toccata n°5 de sa Ve Symphonie), Gabriel Fauré, (Après un rève), Pierre-Max Dubois (Cinq Danses) ; Robert Schumann (Abendlied n°12) ; Edward Elgar (Marche militaire n°1), Jackson Crawford (né en 1943), avec son Thème et Variations sur Ah vous dirai-je, maman… Il s'agit de musiques festives, divertissantes ou solennelles. L'atmosphère de Noël est rendue musicalement par l'Allegretto-Allegro extrait des Rumänische Weihnachtslieder (Chants de Noël roumains : Colindas) de Béla Bartók. La dernière pièce enregistrée est l'hymne strophique très connue : The Holy City composée en 1892 par le baryton anglais Michael Maybrink (sous le pseudonyme de Stephen Adam). Cette mélodie largement exploitée au XXe siècle met en valeur les qualités expressives et très chantantes du saxophone.

Édith Weber.

 

« Variations des Cîmes ». FRANCK-BACH-BUSONI-BRAHMS-LISZT. Jacqueline Bourgès-Maunoury, piano. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : GALLO CD 1438. TT : 58' 01.

La pianiste suisse Jacqueline Bourgès-Maunoury, titulaire d'une Licence de Concert de l'École Normale de Musique (Paris) et du Premier Prix de Virtuosité du Conservatoire de Genève, disciple notamment de Louis Hiltbrand, successeur de Dinu Lipati au Conservatoire de cette ville, Karl Engel, Leon Fleisher et Jean Fassina, solistes de réputation internationale, interprète avec musicalité et un grand sens des reliefs sonores : Prélude, Fugue et Variations en si mineur op. 18 de César Franck (transcription pour piano : H. Bauer), ainsi que la Chaconne en ré mineur  de J. S. Bach d'après la Partita n°2 pour violon seul (BWV 1004), avec des accords d'une sonorité exceptionnelle. Dans les Variations sur un thème original en Ré Majeur op. 21, n°1 de Johannes Brahms, celui-ci est énoncé avec une remarquable subtilité et une recherche très précise de nuances bien différenciées. Quant aux Variations sur la Cantate BWV 12 de J. S. Bach « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen » par Franz Liszt, elles bénéficient d'une interprétation énergique avec des accords plaqués cédant la place à la virtuosité, avec également des passages à découvert à la main droite et un toucher très égal : de quoi ravir les mélomanes les plus exigeants. En effet, ces « variations des cîmes » atteignent des sommets techniques et expressifs étincelants confirmant l'assertion de Jean-Bernard Pommier : Jacqueline Bourgès-Maunoury « joue sans artifice, sans influence, avec la seule recherche de la sincérité qui est une des obligations essentielles de l'artiste ».

 

Édith Weber.

 

William BYRD : Infelix ego. Mass for 5 Voices. Motets. Collegium Vocale Gent, dir. Philippe Herreweghe. 1CD PHI. OUTHERE MUSIC (www.outhere-music.com ): LPH 014. TT : 49' 49.

Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale de Gand, fondé il y a plus de quarante ans, se sont distingués dans le monde discographique, notamment par leur qualité sonore et leur souci rhétorique. Leur répertoire va de la Renaissance à l'époque contemporaine. Le présent CD révèle, dans d'excellentes conditions, la Messe Infelix ego à 5 voix, ainsi qu'une sélection de 4 Motets de William Byrd (v.1540-1623), organiste (1563-1572) de la Cathédrale de Lincoln, au début du règne d'Élisabeth Ière. Il a composé des œuvres pour l'Église anglicane et, à partir de 1590, surtout pour la liturgie catholique. Il est l'auteur de 3 Messes. Comme le Motet éponyme, la Messe Infelix ego, à 5 voix, tire son titre du Psaume 50/51, qui a inspiré une méditation à Jérôme Savonarole (1452-1498) évoquant une âme tourmentée et suscitant de fortes émotions. Le très bref Kyrie, avec les trois invocations traditionnelles, s'impose d'emblée par sa plénitude et la transparence ; le Gloria, par l'indépendance des voix et l'excellente diction. Dans le Credo, après l'intonation, les divers plans sonores sont mis en valeur avec élan. Le Sanctus, intense et calme, est suivi du Benedictus avec l'Hosanna, d'une rare élévation. L'Agnus Dei sert de conclusion apaisante à cette messe assez proche de l'esthétique continentale. Quatre Motets complètent le programme : Emendemus in melius, pour le premier Dimanche de Carême, première pièce du recueil publié avec Thomas Tallis en 1575 ; Infelix ego (1591), motet tripartite (éponyme de la Messe à 5 voix), le plus développé des quatre, marquant un sommet dans la production religieuse de Byrd ; Ave Maria baignant dans la plénitude et le calme. Enfin, le motet Christe qui lux es, repose sur le cantus firmus en plain-chant de l'hymne (pour le Carême) circulant à travers l'œuvre, d'une strophe à l'autre, en allant du grave à l'aigu et bénéficiant d'un traitement homophonique et homosyllabique. Le CD comprend encore le motet Peccantem me quotidie d'Alfonso Ferrabosco (1543-1588) et le Miserere mei de Philippe de Monte (1521-1603), contemporains de William Byrd. Le Collegium Vocale Gent, placé sous la direction éclairée de Philippe Herreweghe, a apporté une magnifique contribution au répertoire catholique pratiqué en Angleterre au XVIe siècle. Ce disque, associé à des commentaires explicatifs éclairant le contexte historique et présentant rapidement les œuvres, a sa place attitrée dans toute discothèque de musique sacrée. Indispensable.

Édith Weber.

 

Francesc VALLS : Misa Scala Aretina. La Grande Chapelle, dir. Albert Recasens. 1CD LAUDA. OUTHERE MUSIC (www.outhere-music.com ): LAU 014. TT : 74' 34.

Albert Recasens, directeur de La Grande Chapelle, toujours soucieux de faire découvrir des œuvres rarement entendues, a programmé une sélection d'œuvres  de Francesc Valls (v. 1671-1747). Ce musicien est, selon Alvaro Torrente, « l'un des compositeurs et théoriciens les plus importants du baroque espagnol, actif à Barcelone pendant le premier quart du XVIIIe siècle. Rien n'est connu de sa vie avant 1696, et même s'il a toujours été considéré comme natif de Catalogne, il est probable qu'il naquît ou, au moins, qu'il se formât à Valence. » Il a été maître de chapelle à Barcelone, et composa pour la Chapelle de la Cathédrale : c'est le cas de sa Misa Scala Aretina (1702), à 11 voix. D'une manière générale, Francesc Valls y fait d'abord appel au traitement syllabique des paroles pour une meilleure compréhension, puis aux entrées successives et exploite largement les longues vocalises entrecoupées et soutenues par les sonorités altières et si prenantes des trompettes. La Misa comprend les parties traditionnelles : Kyrie, intense prière très expressive ; Gloria toujours en mouvement, avec traduction figuraliste des images et des idées du texte ; Credo où, après l'intonation traditionnelle, le compositeur insiste sur l'affirmation du verbe credo (je crois) ; Sanctus resplendissant, se terminant sur l'Hosanna ; l'Agnus Dei, de caractère et méditatif. Francesc Valls a signé une Messe très brillante. Ce disque comprend également des œuvres appartenant à des genres différents : Salmo, Responsorio, Tono, Leccion, Motete, Invitatorio et Villancico, forme typiquement espagnole pour le temps de Noël. À noter : le motet Domine vim patior (à 4 voix), homophonique et homosyllabique, avec des chromatismes et modulations subtiles que, comme le signale A. Torrente, Francesc Valls utilise dans son traité à des fins de démonstration. À noter également le villancico (1708) pour la Fête de Saint Thomas d'Aquin : Sombras cobardes (à 12 voix), polychoral et particulièrement rythmé aux instruments, du meilleur effet. Accompagnée d'une somptueuse plaquette, d'illustrations judicieusement sélectionnées et de remarquables commentaires très instructifs, des paroles (en latin, espagnol, anglais et français) de toutes les œuvres, cette réalisation révélée avec tant de fidélité aux intentions compositionnelles permet de découvrir un compositeur exceptionnel du dernier baroque. Albert Recasens a su mener La Grande Chapelle (11 chanteurs et 9 instrumentistes — dont 2 trompettes et 2 orgues positifs) à une maîtrise jubilatoire d'un langage musical dont ils détiennent les secrets : ils méritent les plus vifs éloges.

 

 

Édith Weber.

 

« Ullrich Böhme an der Sauer-Orgel der Thomaskirche zu Leipzig ». 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP6092. TT : 75' 01.

Ullrich Böhme est titulaire du poste prestigieux de Cantor et organiste de l'Orgue Sauer (1908) de l'Église Saint Thomas à Leipzig. Il maîtrise parfaitement les possibilités de cet instrument à 3 claviers (1 : 25 jeux, 2 : 21 jeux, 3 : 19 jeux) et pédale (23 jeux), et — en plus d'une Toccata et Fugue de J. S. Bach — propose des œuvres des XIXe et début XXe siècles. Il ouvre brillamment ce CD par le Praeludium und Fuge über B.A.C.H de Fr. Liszt, avec le thème caractéristique : si bémol la do si bécarre correspondant au nom de l'illustre prédécesseur du cantor actuel. Très bien structuré, il est interprété avec assurance, brio et une registration tout à fait conforme à la conception de Fr. Liszt concernant l'orgue romantique. Il est suivi de la Toccata et Fugue en Fa majeur (BWV 540) de J. S. Bach, bien enlevée avec clarté et dans un tempo raisonnable. La musique d'orgue romantique est encore représentée par le Prélude de choral Herzlich tut mich verlangen (op. 122, n°10) de Johannes Brahms, aspiration à la mort paisible, de caractère méditatif, qui est vivement ressentie par l'interprète. À cette œuvre liturgique, succède la Fantasie-Sonate en La b majeur (op. 65) de Josef Gabriel Rheinberger (1839-1901) datant de 1871, en 3 parties contrastées : Grave & Allegro, Adagio espressivo, Finale (Fuga), baignant dans le romantisme. Ullrich Böhme rend un vibrant hommage à l'un de ses prédécesseurs : Karl Piutti — né en 1846 à Elgersburg en Thuringe, mort en 1902 à Leipzig — en interprétant son Fest-Hymnus (op. 20), œuvre d'une grande virtuosité composée précisément pour la consécration de l'Orgue Sauer. Max Reger (1873-1916) figure en bonne place, avec son Benedictus (op. 59, n°9), son Prélude de choral (op. 135a, n°5) et Ein feste Burg ist unser Gott en deux versions : son Prélude de choral et sa redoutable Fantaisie chorale (Choralfantaisie, op. 27). Cette mélodie Ein feste Burg (d'après le Psaume 46) représente l'identité hymnologique de la musique luthérienne. Ce programme essentiellement leipzicois sera un vrai régal pour les hymnologues et tous les amis de l'orgue. À ne pas manquer.

Édith Weber.

 

« Musica encerrada ». Mara Aranda. Capella de Ministrers, dir. Carles Magraner. 1 CD CdM (www.outhere-music.com ): CdM 1435. TT : 57' 38.

Ce disque intitulé : Musique « enfermée » représente un exemple de transmission orale révélée par la littérature judéo-espagnole et, notamment, par les chansons des Juifs séfarades. Elles traduisent leurs diverses identités, leur évolution, soulignent les influences subies et brossent un tableau de leurs conditions de vie. Les textes tirent leur origine de la littérature espagnole du Moyen-Âge ou de la Renaissance, mais les mélodies ne sont pas médiévales, comme le constate Miguel Angel Nieto qui, à raison, place son commentaire sous l'adage : « Entre l'aventure et la légende ». Cette réalisation (enregistrée en 2013) est structurée en trois parties : Al hogar de la lumbre (À la chaleur du feu), Las carceles del alma (Les prisons de l'âme) et La llavedura del corazon (La serrure du cœur). Elle comprend des œuvres instrumentales et vocales, et commence par une chanson instrumentale : Sadawi, chanson de Tétouan à la fin du XVIe siècle, suivie de kanticas, par exemple : Una ramika de ruda (Une petite branche de rue…), de caractère descriptif et lyrique, adaptation séfarade de la Guirlanda de rosas, romance judéo-espagnole, ainsi qu'une autre romance séfarade d'Orient : Hero y Leandro (Héro et Léandre). Elle présente, en outre, des chants de circonstance sur le thème du mariage, Pour habiller la fiancée, Pour le bain rituel, La remise de la fiancée à Salonique ; des Kanticas amoureuses, sans oublier des Danses klezmer. Ces pièces proviennent notamment de Rodes, Sofia, Istanbul, Izmir et Salonique. La chanteuse, Mara Aranda — rompue aux intonations particulières (notamment secondes augmentées et vocalises), à la voix si prenante — et la Capella de Ministrers dirigée par Carles Magraner groupant, entre autres, des instruments orientaux tels que : zanfona (vièle à roue), kanun, baglama et, bien entendu, des percussions, créent les atmosphères bien orientales et redonnent vie à l'héritage oral de la diaspora séfarade. Un documentaire hors pair qui — à plus d'un titre — intéressera les historiens de la musique, du judaïsme en particulier et les discophiles curieux.

 

 

Édith Weber.

 

« Carmina Carolingiana ». Ensemble Ligeriana. 1CD LIGIA DIGITAL. Distribution HARMONIA MUNDI (www.harmoniamundi.com) : Lidi 0202251-13. TT : 65' 58.

Le rôle politique, éducatif et spirituel de Charlemagne (mort en 814 à Aix-la-Chapelle), Roi des Francs, couronné Empereur en l'an 800, est bien connu. La « Renaissance carolingienne » est marquée, entre autres, par sa création d'écoles, de monastères et la composition de nombreux chants épiques (carmina). Ce disque comprend 4 versus (genre poétique, composition en vers métriques destinée à être chantée au cours de processions) et 2 planctus (ou planh, signifiant plainte, déploration) et un chant de Boèce dans la mouvance du renouveau des lettres latines dès le VIIIe siècle.

 

Grâce à ses minutieuses recherches dans des manuscrits d'époque (en notation neumatique sans portée) et ses restitutions, Katia Caré invite les discophiles et les historiens à redécouvrir des documents relatifs à la Bataille de Fontenoy-en-Puisaye, qui s'est déroulée le 25 juin 841, relatée par Angilbert (mort en 814) dans son Versus de bella quae fuit acta Fontaneto ; ou encore à l'incendie et la destruction du Monastère de Saint-Florent-le-Vieil (près de Saumur), relatés dans les Versiculi de eversione monasterii S. Florentii d'après un cartulaire conservé à la BnF. Comme le rappelle l'historien médiéviste Guy Lobrichon dans sa remarquable présentation, il s'agit d'un poème en dimètres iambiques daté au plus tôt des années 940 ou 960, sinon fin Xe siècle. À signaler également le Versus Godiscalchi concernant Gottschalk d'Orbais (v. 807- vers 867/869) et « l'ami de Reichenau », en fait Walafrid Strabon (808/809-849), évoquant « l'amitié qui réunit les deux hommes séparés jusque dans leurs visions théologiques ». Quant aux planctus, ils concernent l'Abbé Hugues de Saint Quentin (fils naturel de l'Empereur, tombé au combat en 844) et Charlemagne lui-même, d'après le manuscrit provenant de l'Abbaye Saint-Martial de Limoges (cf. Doctorat de Jacques Chailley) conservé à la BnF (lat. 1154) avec ce refrain déplorant la perte de l'Empereur et traduisant la douleur : Heu me dolens, Heu mi misero, en 20 strophes ; selon G. Lobrichon, ce « Planctus Karoli n'est pas une hymne… il se rapproche plutôt du rituel de l'office des morts. » Charlemagne a aussi relancé les lettres latines, comme en témoigne le chant en douze parties de  Boèce : O stelliferi conditor orbis (O créateur de la voûte étoilée), Ode du Premier Livre de sa Consolatio philosophiae, manuscrit conservé à la BnF (Ms lat. 1154, f. 118r-119v.). L'Ensemble Ligeriana – comprenant six chanteurs et les instruments suivants : flûtes de roseau, comes, lyre et lyre à archet, organistrum s'étant adjoint Guy Robert (harpe angulaire, carillon, percussion) – s'est surpassé pour restituer musicalement ces redoutables carmina carolingiana. Il a bénéficié des judicieux conseils linguistiques de Christophe Tellart pour la prononciation du latin carolingien selon l'habitude germanique. Tous les textes figurent en latin et en traduction française. L'excellente acoustique de l'Abbaye Royale de Fontevraud a largement contribué à la qualité de l'enregistrement en mettant en valeur les voix si homogènes de l'Ensemble Ligeriana, avec quelques effets de résonance. Avec Katia Caré, ils ont le mérite de recréer fidèlement ces trésors de la Renaissance carolingienne dont ils ont signé une belle Défense et Illustration.

 

Édith Weber.

 

Marie-Claire ALAIN : « L'Orgue français ». Coffret de 22CDs ERATO (www.erato.com) : 0825646310647. 

Cet imposant coffret paraît en 2014, soit un an après la disparition de la regrettée Marie-Claire Alain. Consacré à ses enregistrements de musique française, il représente aussi un hommage non seulement à l'une de nos meilleurs organistes, mais encore à son père, Albert Alain (1880-1971) (CD 18) et à son frère, Jehan Alain— né en 1911 et mort pour la France, le 20 juin 1940, près de Saumur — (CDs 3, 20, 21, 22), avec des œuvres connues : Litanies, Tantum ergo… ou moins connues : Intermezzo, Trois Danses… enregistrées aux Orgues Ghys/Bossier/Cicchero de l'Église Saint-Ferjeux à Besançon ; Dallery/Frères Basiliens/Haerpfer à l'Abbaye de Valloires (Somme) ; Cavaillé-Coll de l'Église Saint-Germain à Saint-Germain-en-Laye ; Haerpfer-Erman de l'Église Saint-Jean-Baptiste à Château-Salins, entre autres.

L'ensemble reflète l'éclectisme et l'immense talent de Marie-Claire Alain, ainsi que sa capacité d'adaptation à des instruments très variés et à des esthétiques si diverses, allant d'œuvres de Nicolas Lebègue (1631-1702), François  Couperin (1668-1733), Louis Marchand (1669-1732), Nicolas de Grigny (1672-1703), Pierre Dumage (1674-1751), Louis-Claude Daquin (1694-1772), jusqu'à Olivier Messiaen (1908-1992) et Charles Chaynes (né en 1925), sans oublier César Franck (1822-1890), Alexandre Guilmant (1837-1911), Eugène Gigout (1844-1925), Charles-Marie Widor (1844-1937) : c'est dire l'ampleur du répertoire organistique français : du XVIIe au XXIe siècle. La remarquable Anthologie réalisée par la « Grande Dame de l'orgue » offre un éloquent panorama des formes cultivées : Suites, Magnificat, Messes, Hymnes, Noëls, Préludes, Fugues, Variations, Toccata (Théodore Dubois), Fantaisies, Symphonies pour orgue, Concerto (de Charles Chaynes pour orgue, orchestre à cordes, timbales et percussions)... Elle s'est assurée le concours des Chantres de la Chapelle de Versailles (direction : Emmanuel Mandrin), du Bamberg Symphony Orchestra (dir. : Jean-Jacques Kantorow), de la Compagnie musicale Catalane (dir. : Josep Cabré), du Danmarks Radio symfoniorkertret (dir. : Tamas Veto), de l'Orchestre National (dir. : Jean Martinon) et de l'Orchestre Philharmonique de l'ORTF (dir. : Serge Baudo), entre autres.

Chaque CD est illustré par des reproductions des divers instruments enregistrés. Cette version d'anciens disques stéréo et mono bénéficie évidemment de tous les progrès techniques actuels de la remastérisation, mettant encore plus en valeur le résultat sonore. Ce coffret, témoignage particulièrement émouvant, est à l'honneur du Label ERATO et de la famille Alain qui a si largement contribué au rayonnement de l'Orgue français.

 


Édith Weber.

 

Jean Sébastien BACH : Chorals de Leipzig (II). Intégrale de l'œuvre d'orgue, Vol. 9. Helga Schauerte, orgue. 1CD SCAM/SYRIUS. Distribution : Socadisc (www.socadisc.com) : SYR 141458. TT : 70' 36.

Helga Schauerte — concertiste internationale, disciple, entre autres, de Marie-Claire Alain, spécialiste de l'œuvre de Jehan Alain — poursuit, dans le cadre de son Intégrale de l'œuvre d'orgue de J. S. Bach, son enregistrement des Chorals de Leipzig (II). Elle a retenu l'Orgue Johann Berenhard Klausing (1717) de l'Église abbatiale d'Oelinghausen (près d'Arnsberg, en Westphalie) dont la dernière restauration a été réalisée par le facteur Kuhn entre 1999 et 2002. Cet instrument à deux claviers (principal et pectoral) et pédale, accordé en tempérament mésotonique modifié, est restitué sur le plan technique et esthétique dans son état de 1717. Le programme commence par la Fantaisie en sol (BWV 542) et se termine logiquement par la Fugue correspondante, avec un jeu presque staccato et très détaché. Au milieu de ce triptyque, figurent des Préludes de chorals (à 2 claviers et pédale) précédés ou suivis de leurs harmonisations à 4 voix. Ils se réfèrent aux temps liturgiques de l'Avent et de Noël, avec Nun komm, der Heiden Heiland : Choral harmonisé (BWV 62), Prélude de choral (BWV 659) et Trio (BWV 660) ; et de Pentecôte, avec Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist, d'après le choral de Martin Luther (adaptation allemande du Veni Creator) en 2 versions : Prélude de choral (BWV 667) pour grand orgue et pédale obligée, et Choral harmonisé (BWV 370) ; à ne pas confondre avec l'autre invocation au Saint Esprit : Komm, Heiliger Geist, Herre Gott, d'après le choral de Martin Luther (adaptation allemande du Veni Sancte Spiritus) en 2 versions : Choral harmonisé (BWV 226) et Prélude de choral (BWV 652). Parmi les autres œuvres bien connues, figurent notamment le Choral Nun danket alle Gott, d'abord en sa version harmonisée (BWV 386), puis comme Prélude (BWV 657). À noter 3 versions du Choral Allein Gott in der Höh sei Ehr d'abord harmonisé (BWV 104), puis le Prélude (BWV 662) et enfin le Trio super Allein Gott(BWV 664), et également deux versions du Choral Wenn wir in höschsten Nöten sein (Quand nous sommes au plus profond de la détresse) — que, selon Johann Nikolaus Forkel, quelques jours avant sa mort, J. S. Bach, aveugle, dicta à son élève et gendre, Johann Christoph Altnikol — : Choral harmonisé (BWV 432), Prélude de choral (BWV 668a), écrit d'une main anonyme, peut-être sa dernière œuvre, méditative, dépouillée et sereine, qui a été vraisemblablement ajoutée au Recueil autographe de Leipzig. L'excellente organiste de l'Église Évangélique allemande de Paris et Professeure au Conservatoire du IXe arrondissement (Paris) confirme, par ce CD, sa réputation de brillante concertiste ; elle réussit à mettre particulièrement en valeur la structure de chaque choral, avec l'exposition du cantus firmus, soit en valeurs longues (pédalier ou manuel), soit ornée, ou encore avec des entrées successives, et à recréer leur atmosphère spécifique : joie, exubérance ou intériorité. Une réussite de plus à son actif.

 

Édith Weber.

 

« Opus Guitar ». Olivier Pelmoine, guitare. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr) : DSK1144. TT : 60' 07.

Toujours à l'affût de programmes variés à découvrir, sous le titre : Opus Guitar, le Label SKARBO propose des enregistrements d'Olivier Pelmoine qui utilise deux guitares du luthier français Hugo Cuvilliez (montées avec des cordes Savarez « Cantiga »). Ce Professeur au CNR de Dijon, lauréat de plusieurs Concours internationaux et dédicataire de nombreuses œuvres, s'est imposé sur la scène internationale. Son programme, particulièrement éclectique, va de Homenaje : Le Tombeau de Claude Debussy composé par Manuel de Falla (1876-1946) et du Tiento de Maurice Ohana (1913-1992) aux œuvres contemporaines : Derviches tourneurs d'Éric Pénicaud (*1952) — de caractère mélancolique et lancinant, inspiré par la mystique soufie pratiquée par les Derviches qui chantent, dansent inlassablement et privilégient « l'ivresse répétitive comme un exercice spirituel de dépouillement ». La Suite Elfique comporte 3 Danses : incisives, percutantes et très rythmées) et l'Hommage au Bateau ivre (d'Arthur Rimbaud), œuvre de José-Luis Narvaez (*1953), dépouillée, suggestive, avec extraits du texte parlé et traduction musicale figuraliste des images et idées du texte. Pour Bic'inium (sic) — de bicinium : chant à deux voix) — composé par François Rossé (*1945), l'excellent guitariste s'est assuré la participation, au violon, de Sara Chenal qui fait preuve de son sens du dialogue en contrechant avec la guitare, et s'impose notamment par sa remarquable justesse dans l'extrême aigu et ses solides coups d'archet. Ces pages sont d'inspiration classique ou non, avec des thèmes traditionnels, par exemple le Sakura, cerisier-fleurs, faisant l'objet de variations élégiaques, en fait représentant « une méditation de la mort, une poésie du sacrifice… Elles invitent à un voyage dans le temps et dans l'espace : Inde, Balkans (Toryanse Tales d'Atanas Ourkouzonov, où la guitare crée des sonorités proches du carillon), Caucase (extraits de la Suite caucasienne de Laurent Boutros, né en 1964)… Cette réalisation originale bénéficie de remarquables commentaires très circonstanciés d'Étienne Gruillot. Les guitaristes, les discophiles, avides d'originalité, d'inattendu ou encore de fortes sensations et d'émotions multiples, ou les mélomanes curieux admireront à sa juste valeur ce programme révélant des possibilités et sonorités guitaristiques insoupçonnées.

 

Édith Weber.

 

« Syrinx. Musique française pour flûte ». Claude Régimbald, flûte, Olga Kerevel, piano, Nathalie Chatelain, harpe, Gwendoline Quartenoud, alto. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : GALLO CD 1428. TT : 72' 22.

Cet hommage à la musique française pour flûte est réalisé par Claude Régimbald (flûtiste français originaire du Québec, ayant fait ses études à Montréal et au Conservatoire de Genève, actuellement Professeur au Conservatoire de Ferney Voltaire), avec le concours de la pianiste Olga Kerevel (élève de l'Académie estonienne, puis du CNSM de Lyon, chef de chant et répétitrice, pianiste du Chœur de l'Université de Genève et de plusieurs orchestres), la harpiste Nathalie Chatelain (élève du Conservatoire de Lausanne, bien connue notamment en Suisse, au Canada, aux États-Unis et au Brésil) et l'altiste Gwendoline Quartenoud (diplômée de la Haute École de Musique de Genève et du Conservatoire de Cergy-Pontoise). Comme il se doit, il commence symboliquement par Syrinx de Claude Debussy (1862-1918), suivi de sa Sonate pour flûte, alto et harpe (1915), en 3 mouvements : Pastorale, Interlude et Final. Albert Roussel (1869-1937) est représenté par Joueurs de flûte op. 27 (1924) en 4 parties. Le programme se poursuit par des œuvres de compositeurs plus récents : Pierre-Octave Ferroud (1900-1936) avec Trois pièces pour flûte seule (1920-1921) ; Francis Poulenc (1899-1963) avec sa Sonate pour flûte et piano (1957) en 3 mouvements et, pour flûte seule, un titre évocateur : Un joueur de flûte berce les ruines. Plus proche de nous, Charles Chaynes (né en 1925) a beaucoup écrit pour cet instrument dont il connaît parfaitement toutes les possibilités, comme dans son Prélude pour la flûte de Jade. Quant à André Jolivet (1905-1974), dans sa Sonate pour flûte et piano : Fluide, Grave, Violent, selon ses propres termes, il voulait composer « une musique qui retrouve son sens originel antique lorsqu'elle était l'expression magique et incantatoire de la religiosité des groupements humains. » D'ailleurs, la flûte est pour lui : « l'instrument de la Musique ; cela parce que, animée par le souffle, émanation profonde de l'homme, la flûte charge les sons de ce qui est en nous d'à la fois viscéral et cosmique. » Voici une synthèse stylistique originale et convaincante, oscillant entre classicisme, modernisme et avant-gardisme pour l'époque (dodécaphonisme), avec une remarquable palette expressive alliant discrétion, calme, volubilité, puissance magique...  Les interprètes se tirent à merveille de tous les traquenards techniques et restituent avec bonheur tant d'atmosphères diverses tout en mettant en valeur les nombreuses possibilités de l'instrument. Sous le titre générique Syrinx, ils ont le mérite d'illustrer plus d'un siècle de musique française pour flûte.

 

Édith Weber.

 

Frédéric CHOPIN : 14 Waltzes [sic]. 7 Mazurkas. Jean-Marc Luisada, piano. 1CD RCA Red Seal : 888 750 28062. Diffusion Sony Music (www.sonymusic.fr ) : CD 0825646310647. TT : 73' 32.

Selon Franck Ciup — propriétaire du Théâtre Saint-Bonnet à Bourges et concertiste —, le pianiste Jean-Marc Luisada est : « l'enchanteur, l'humaniste à son instrument, l'homme à sa passion, à son amour de l'art, sculptant ses sons dans un marbre blanc imaginaire dressant un véritable Taj Mahal dans les nuages et ce ciel où il vagabonde avec les anges mélomanes ravis de sa présence. » Jean-Marc Luisada a été l'élève, notamment, de Marcel Ciampi et Dominique Merlet au CNSM de Paris, puis de Nikita Magaloff et Paul Badura-Skoda. Sous la direction de très grands chefs parmi lesquels Jehudi Menuhin, Michel Plasson, il s'est produit en France et à l'étranger et lors de nombreux Festivals. Lauréat en 1983 du Concours Chopin de Varsovie, il s'est beaucoup investi dans la musique du musicien franco-polonais. Tenant compte de l'évolution de ses conceptions esthétiques, il vient d'enregistrer en 2014 une nouvelle version de 14 Valses de Frédéric Chopin (1810-1849) — extraites des opus 18, 34, 42, 64, 69, 70 et posthume — ainsi que 7 Mazurkas, des op. 67 et 68. Soutenues par une technique à toute épreuve, jamais ampoulées, ses interprétations des Valses brillent par la transparence, la fluidité, la clarté, la précision et l'élan contenu, et s'imposent aussi par le juste choix des tempi, la fidélité aux intentions du compositeur et l'intelligence de la partition. Les Mazurkas bénéficient d'un solide sens des accents rythmiques ou encore d'un timbre lumineux et d'une grande musicalité. Ce disque ne dément certes pas l'appréciation du pianiste mélomane Fanck Ciup. Les discophiles les plus exigeants seront, eux aussi, comblés.

 

Édith Weber.

 

Aubert LEMELAND : Œuvres pour piano. Jean-Pierre Ferey, Chrystel Marchand, piano. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr) : DSK 1131. TT : 52' 11.

Jean-Pierre Ferey et les Disques SKARBO ont bien raison de continuer à diffuser des œuvres d'Aubert Lemeland (1932-2010). Ce compositeur français est né à La Haye-du-Puits dans la Manche, le 19 décembre 1932, et décédé à Paris, le 15 novembre 2010. Grand Prix du disque de l'Académie Charles-Cros (1995) et Diapason d'Or (1998), il comptabilise plus de 200 numéros d'opus,  dont des Symphonies, Concertos, Cycles pour voix et orchestre. Il privilégie souvent la formation pour piano et récitant : c'est le cas de cette réalisation faisant appel à la voix de Nathalie Bécue, de la Comédie Française — ancienne élève du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris — et de Chrystel Marchand (deuxième piano) — élève de Nadia Boulanger et Lauréate du CNSM de Paris, Docteur en Musicologie.

Ce tryptique s'ouvre sur Sonath (sic)(op. 191, 2004), œuvre de commande dédiée à « Nath », créée par Jean-Pierre Ferey, épousant effectivement la structure de la forme sonate à l'italienne : vif-lent-vif, et interprétée par ce pianiste qui a collaboré pendant trente ans avec le compositeur et assuré la direction artistique de presque tous ses enregistrements. Il se termine par la transcription (pour récitante et deux pianos) du 1er mouvement de la Symphonie n°10 (op. 172) effectuée par Chrystel Marchand, page dans laquelle la voix de Nathalie Bécue plane sur un fond assuré aux pianos réalisant également les transitions. Il s'agit de la reproduction de dernières lettres de soldats allemands encerclés à Stalingrad en 1942, confisquées par les nazis. Elle a été donnée en première audition à Coblence en 1998, puis en première exécution publique en France, en 2011, au Conservatoire Municipal Darius Milhaud (Paris) par les mêmes interprètes. La partie centrale comprend des titres évocateurs tels que : Suite des Ballades du Soldat (op. 171) avec, entre autres : Seagulls (Mouettes), Russian snow, Alaska, Groenland ou encore Impression of the rain (Impression de la pluie), ainsi que 5 pièces de l'op. 121 : Marines d'été. Il comporte également Variations (op. 133). Cette musique, tour à tour pittoresque, mystérieuse, descriptive, bien construite, faisant appel à tout le registre du piano, confirme la parfaite connivence entre compositeur et interprètes.

 

Édith Weber.

 

Isabelle Aboulker : « 1918. L'homme qui titubait dans la guerre ». Oratorio. Thierry Gaches, récitant, A. Dimitrova, soprano, Y. Toussaint, baryton. Chœur Capriccio. Orchestre d'Harmonie de la Police nationale, dir. Jérôme Hilaire et Marie-France Messager. 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI331189. TT : 50' 21.

L'année commémorative de la Grande Guerre a suscité de nombreuses publications (témoignages, lettres, documents historiques…) et les Éditions TRITON apportent à leur tour un beau « plaidoyer pour la paix » par le biais de cet Oratorio sur le livret d'Arielle Augry et la musique d'Isabelle Aboulker (*1938), avec des titres évocateurs  — dont 4 en versions vocale et instrumentale. L'Oratorio a été créé en novembre 1998 par l'Orchestre de Picardie sous la direction d'Edmon Colomer à l'Historial de la Grande Guerre de Péronne  et enregistré à Weimar. Les thèmes traités sont, entre autres l'angoisse, le sang, la douleur, les horreurs de la guerre, la furie, la rage ; les tranchées, la pluie, les blessés…

Comme le précise l'auteur : « La clé de voûte de notre dramaturgie est la mise en situation d'un soldat français lors de ce dernier assaut. Nous assistons, avant qu'il ne meure, à son désespoir, ses souvenirs, ses dernières interrogations et réflexions sur la tourmente qui l'a emporté. » Il s'agit donc d'un soldat imaginaire, ultime victime de la guerre, ayant participé à l'un des derniers combats sur le front, le jour même de l'Armistice du 11 novembre 1918. Certains textes sont extraits de poèmes de Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Romain Rolland… Les protagonistes sont le comédien Thierry Gaches (récitant), A. Dimitrova (soprano) et Y. Toussaint (baryton), le Chœur Capriccio créé par Marie-France Messager, de réputation internationale, et l'Orchestre d'Harmonie de la Police nationale. Ces pièces très brèves sont dirigées avec infiniment de sensibilité par Jérôme Hilaire et Marie-France Messager. Nul ne sera insensible aux accents tour à tour poignants, douloureux, réalistes, lyriques, quasi insoutenables ou encore percutants et énergiques planant sur ce contexte brutal, inexorable et implacable. À remarquer le dialogue entre la femme du soldat et le soldat ; les descriptions (La nuit descend) ; le texte trilingue : Il pleut, the rain, Regen insistant sur la pluie lancinante, intrusive ; les accents debussystes dans J'ai emporté le capitaine (d'après Jean Cocteau), mais aussi la propagande patriotique, l'intégrité du territoire à reconquérir, la répartition des tâches : les infirmières soignent, les soldats exposent leur vie… Chefs et interprètes s'investissent complètement dans l'action et la commémoration : oratorio à écouter et réécouter pour en saisir toutes les subtilités psychologiques et toute l'émotion débouchant sur l'affirmation conclusive : « ceux qui veulent la paix sont dans un éternel combat. Adieu Paul, adieu Lou » (Romain Rolland). Réalisation exceptionnelle. Devoir de mémoire oblige.

 

Édith Weber.

 

« Bel Oiseau ». 1CD Assomandarine (www.monthabor.com). Diffusé par L'Autre Distribution : MANDA 1427. TT : 50' 20.

L'Association Mandarine publie des disques pour enfants « dès la naissance et pour toute la famille » accompagnés d'un livret abondamment illustré reproduisant les textes faisant preuve d'une grande diversité. Cette réalisation sur des thèmes inouïs possède des finalités précises : pour compter (Jusqu'à 5), pour caresser les cheveux : Le peigne, pour se faire des bisous originaux : Des bisous… ; des objectifs pédagogiques : pour dessiner lignes et points : Neige et gribouillis et Dessine-moi, pour marcher et se cacher : Dans la forêt (piano), pour manipuler des balles : Le hérisson, sans oublier des « jeux de doigts, de mots et de maux » (homonymies) : Les doigts malades et encore une chanson de doigts : Gymnastique. Le disque s'ouvre sur un conte chinois : Monsieur Tsingqui avale une mouche, une grenouille, un serpent, une mangouste, un gros tigre, un chasseur… : ça le chatouille ! et appelle le docteur pour un diagnostique — résultant d'une imagination folle et faisant appel à des onomatopées percutantes et à des polyphonies très recherchées. Le n° 17 : Les Sœurs Claquette exploite une voix enfantine en dialogue avec un adulte, des monosyllabes, onomatopées (snap/clac/croc…) et bruits très suggestifs. Parmi les œuvres, signalons encore trois intermèdes : Pâquerette, Aubépine, Pique-fleur et une Valse à Sido (en version instrumentale). Selon les morceaux, l'interprétation est assurée par un soliste, un quatuor vocal et les instruments suivants : piano, percussions, guitare, vibraphone, clarinette, basson,  banjo, violon, conférant une grande variété de sonorités et d'atmosphères. Les enfants seront fascinés par toutes ces descriptions (devinettes avec les cris des animaux : chien, cochon, serpent, lion, poule, chat, vache, signe, chèvre, loup) et récits hauts en couleurs. Les adultes n'en reviendront pas de la capacité imaginative et du remarquable investissement littéraire et sonore de ce disque comportant 26 pièces : « À vous qui les découvrez aujourd'hui de saisir au vol ces mots et ces mélodies ».

 

Édith Weber.

 

 

Antonio CALDARA : La Concordia de' Pianeti. Composition théâtrale en musique. Delphine Galou, Veronica Cangemi, Ruxandra Donose, Franco Fagioli, Carlos Mena, Daniel Behle, Luca Tittolo. Vokalensemble Basel. La Cetra, dir. Andrea Marcon. 2 CDs Universal Archiv Produktion : 479 3356. TT.: 58'14+49'55.

Le très prolixe compositeur Antonio Caldara, né à Venise en 1670 (ou 1671), a été très tôt amené à travailler auprès des grands, appelé par Ferdinand Charles Gonzague, à Mantoue, puis par le prince Ruspoli, à Rome, enfin par l'empereur Charles VI, à Vienne, où il demeurera vingt ans à son service et y mourra, en 1736. La sérénade La Concordia de' Pianeti (La Concorde des planètes) a été composée en 1723 à l'occasion de l'anniversaire de l'impératrice Élisabeth. Destinée à être jouée en plein air, cette pièce de circonstance, sans prétention littéraire, qui vante l'harmonie entre les astres et convoque les dieux pour fêter la souveraine, appelée ici Elisa, renferme une musique ne souffrant pas de temps mort, souvent grandiose (Ouverture, chœurs d'entrée et de fin ), toujours extrêmement variée et magistralement écrite pour la voix. L'inspiration italienne est bien présente, mais asservie au goût allemand, car l'empereur Charles VI d'Autriche aimait les sonorités fastueuses. Le schéma est une succession de courts récitatifs introduisant des arias de haute vocalité. L'interprétation de cette première au disque, captée live en janvier dernier, le démontre amplement.  Au premier chef, Franco Fagioli, dans le rôle d'Apollon, créé par le castrat Carestini,  déploie un timbre charnu, souple comme velours, et tricote des vocalises incandescentes enchaînées sur un rythme soutenu jusqu'à l'ivresse de l'extrême aigu. A ses côtés, et le voisinage n'est pas aisé à assumer, le contre-ténor Carlos Mena, en Mars, offre une manière moins policée, mais engagée. Les dames ont de glorieux accents, dont les voix graves de Delphine Galou, Vénus, et Ruxanda Donose, Jupiter. Le ténor ductile de Daniel Behle, Mercure, et la basse claire de Luca Tittolo, Saturne, découvert à Aix, dans Ariodante de Haendel, complètent une distribution homogène. Andrea Marcon, à qui l'on doit cette redécouverte, imprime à ces pages attachantes des accents marqués et cette légère tendance à accélérer le tempo qui  imprime la vie. Son orchestre de La Cetra n'est pas en reste question flexibilité et finesse de ton.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Saint Petersburg ». Arias de Francesco Domenico ARAIA (La forza dell'amore e dell'odio. Seleuco). Hermann RAUPACH (Altsesta). Domenico DALL'OGIO/ Luigi MADONIS (Prologue pour La Clemenza di Tito de HASSE). Vincenzo MANFREDINI (Carlo Magno). Domenico CIMAROSA (La vergine del sole). Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. I Barocchisti, dir. Diego Fasolis. 1 CD Universal Decca : 478 6767. TT.: 77'57.

Avec ce nouvel album, Cecilia Bartoli nous offre encore une passionnante leçon d'histoire musicale. Après ses recherches pour retrouver la trace des maîtres italiens oubliés, c'est vers les musiciens ayant composé pour la cour de Russie qu'elle se tourne maintenant et nous livre des inédits pleins de surprises et de saveurs, chantés en italien et même en russe ; une première ! Ils ont été dénichés dans les archives de la bibliothèque du Théâtre Mariinsky de Saint Saint-Pétersbourg. On y voit que trois tsarines ont façonné la musique en Russie : Anna Ivanovna (1730-1740), Elisabeth I ère (1741-1761) et bien sûr Catherine II, dite la Grande (1762-1796). Car si l'essor de l'opéra russe remonte à Mikhail Glinka, avec Une vie pour le Tsar (1836), il connut de glorieux prémisses à l'époque baroque, puis à la période classique, lorsque les souveraines appelèrent à leurs côtés des musiciens renommés, italiens pour la plupart. Et les compositeurs de la cour auront pour nom le napolitain Francesco Domenico Araia (1709-1770), puis Hermann Raupach (1728-1778) et enfin Vincenzo Manfredini (1737-1799). Si le premier vrai opéra représenté en Russie, en 1736, semble être La Forza dell'amore e dell'odio de Araia, sous le règne d'Anna Ivanovna, c'est Elisabeth I ére qui le développera, par exemple en faisant venir le célèbre castrat Carestini, ou en confiant à un auteur russe, Alexandre Soumarokov, pour le première fois un livret d'opéra, ou encore en nommant Raupach comme compositeur officiel de la cour. L'épanouissement viendra durant le long règne de Catherine II.

 

Cecilia Bartoli nous convie à un nouveau voyage pas moins passionnant que les précédents, peut-être plus extraordinaire encore. Le choix des morceaux est fascinant, révélant souvent des arias de facture concertante où la voix dialogue avec un instrument soliste, comme la flûte (prologue de La clemenza di Tito de Hasse, composé par Domenico Dall'Oglio) ou la clarinette (extrait de La vergine del sole de Cimarosa). Il défie aussi toute catégorisation vocale, mêlant les tessitures de mezzo et de soprano, couronnées d'aigus percutants. Conformément à une tradition désormais bien établie, vont alterner pièces de bravoure, de haute voltige, enchaînant les vocalises à perdre haleine (air d'Hercule extrait de l'Altsesta de Raupach), et morceaux élégiaques où se déploie un legato fabuleux. C'est là qu'on apprécie par dessus tout la diva, car ces longues vocalises cherchées loin dans le medium, et pianissimo, ces trilles vibrantes coulées sur une phrase, voire sur un mot (le prédestiné « Palpitar », dans l'aria de Seleuco de Araia) ou ces échanges enamourés avec l'instrument soliste, le hautbois dans le même extrait, révèlent un art qui n'appartient qu'à elle et n'a pas d'autre exemple aujourd'hui. Toutes ces musiques, Cecilia Barloli les ennoblit. La complicité avec le chef Diego Fasolis, révélée dans le précédent album « Mission », n'est plus à démontrer : le bouillant italien sait déchaîner les éléments en des tempêtes effrayantes ou des chevauchées inouïes, mais aussi tenir la laisse courte pour tourner une suave cantilène, cravacher ses forces ou les faire chanter en des tenues d'une placidité étonnante. Ses musiciens de I Barocchisti se mesurent formidablement à des pages qu'ils ont dû découvrir avec ravissement avant nous. Sur les ailes du chant. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« The sound of light ». Jean-Philippe RAMEAU : Extraits des Fêtes d'Hébé, Zoroastre, Les Boréades, Les Indes Galantes, Platée, Naïs, Hippolyte et Aricie, Dardanus, Castor et Pollux. « La Poule » (six concerts en sextuor). Nadine Koutcher, soprano, Alexei Svetov, basse. Orchestre et Chœur Musicaeterna, dir. Teodor Currentzis. 1 CD Sony classical : 88843082572. TT.: 66'. 

Ce disque affiche un titre accrocheur comme s'il s'agissait de faire de Rameau un vecteur de marketing. N'en fut-il pas naguère d'un Arvo Pärt ! Avec Teodor Currentzis on est sûr d'un décapage en règle des canons habituels. Mozart a d'ores et déjà été testé par le chef grec. Mais comment se singulariser dans Rameau ? « La musique de Rameau irradie la plus riche lumière apollinienne » dit-il. Dont acte. Il semble que l'orchestration ramiste, certes originale, soit pour Currentzis un terrain d'expérimentation propice. Au mieux, des tempos redondants, passages vifs secoués de frénésie ou au contraire sections lentes étirées jusqu'à l'immobilisme. Au pire, des accents inutilement martelés, des écarts de dynamique incroyablement exagérés. La célèbre « Chaconne » des Indes Galantes en ressort grossie à l'envi. L'Orage du « ballet des fleurs » est une course folle plus que rapide. Pareille furia distingue encore celui de Platée. On est à la limite de la parodie. Même le « tube » que constitue « Forêts paisibles » des Indes Galantes sombre dans une rengaine dépourvue d'esprit. Et ce n'est pas parce que « La Poule » imite les turbulences de la gallinacée qu'il faut en grossir encore les effets par des ralentissements et des sautes d'humeur aussi excentriques qu'inefficaces, et surtout hors de contexte. La litote a ses limites... Faire « moderne » au motif que Rameau l'a été à son époque n'autorise pas toute licence. Dès lors se pose la question : à qui s'adressent ces interprétations ? Sûrement pas aux puristes. A de nouveaux amateurs ? Mais ces derniers ne s'en lasseront-ils pas aussi vite qu'ils les auront découvertes ? La contribution vocale est à l'avenant (acrobaties hystériques de « La folie » de Platée), pour ne pas dire banale. L'enregistrement, saisi de très près, n'arrange rien. Que sauver de ce naufrage ? L'Ouverture de Zoroastre, ou celle de Naïs, encore que cette dernière verse dans la modernisation outrancière. C'est peu. Une contribution bien inutile à l'année Rameau.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Die Zauberflöte. Singspel en deux actes. Livret d'Emanuel Schikaneder. Juia Kleiter, Bernard Richter, Mandy Fredrich, Georg Zippenfeld, Markus Werba, Elisabeth Schwarz, Sandra Trattnigg, Anja Schlosser, Wiebke Lehmkuhl, Rudolf Schasching, Martin Gantner. Tölzer Knaben. Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor. Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt. Mise en scène : Jens-Daniel Herzog. Salzburger Festspiele 2012. 2DVDs Sony Classical : 88843005729. TT.: 186'

Cette version de La Flûte enchantée est une affaire sérieuse, voire grave. La captation de la production du Festival de Salzbourg 2012, qui focalise sur un aspect visuel sans cesse en mouvement, exacerbe l'impression qu'on en avait lors de la représentation. On est loin de la « magic flute », avec ce que cela implique de part de rêve, et ce malgré la profusion de couleurs, dans les costumes et certains accessoires. L'interprétation maçonnique est soigneusement déplacée vers d'autres significations.  La mise en scène de Jens Daniel Herzog donne résolument dans l'interprétation sollicitante : des héros soumis à un parcours d'embuches plus que d'épreuves, une lutte à mort entre la Reine de la nuit et Sarastro, des visées plus que libidineuses de la part de Manostatos et de ses acolytes, sortis tout droit de quelque pensionnat... On ne s'y retrouve pas toujours au milieu de cette approche foisonnante, souvent absconse. Ainsi de Sarastro et de ses adjoints zélés en blouses blanches, chaussant lunettes, proches d'une secte en quête d'expérimentation. La dureté de certains traits, soulignée par le film, procure presque un sentiment de malaise : les trois Knaben transformés en petits vieillards, la Papagena aux tics accentués d'Alzheimer, dont les évolutions gauches sont téléguidées par quelques gourous en mal de nouvelles expériences, ou encore la mise en place de la batterie de tests auxquels vont être soumis les protagonistes masculins, Tamino et Papageno, version interrogatoire plutôt musclé. Le texte parlé, donné ici dans une version assez détaillée, ne facilite pas non plus les choses pour un spectateur français. Reste une direction d'acteurs au cordeau, parfaitement saisie par la prise de vues, qui pousse loin l'investigation, même pour ce qui est de chaque membre du chœur. L'attrait de cette version réside en réalité dans son volet musical, et au premier chef dans l'exécution de Nikolaus Harconcourt à la tête de son Concentus Musicus. Même si, là aussi, la gravité du propos s'impose, en émane une vivante dramaturgie sonore marquée par un souci extrême de l'articulation, du plus alerte au plus posé, qui transcende l'idée même de tempo. Ainsi l'Ouverture, extrêmement vive, préjuge peu de la manière grandiose dont le grand chef autrichien habite cette œuvre immense dans l'accompagnement des arias et des ensembles. Et quelle fascinante beauté sonore, dans les vents en particulier ! Chaque aria est un modèle, ciselée avec un soin infini, idéal écrin pour la voix. La sûreté instrumentale est un constant sujet de bonheur, la flûte notamment. La distribution est de haute tenue, dominée par le Pagageno de Markus Werva, d'une santé vocale et scénique merveilleusement authentique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

César FRANCK : Sonate pour violon et piano en La majeur. Edvard  GRIEG : Sonate pour violon et piano N° 3, en do mineur, op. 45. Antonin DVOŘÁK : Pièces romantiques, op. 75. Renaud Capuçon, violon, Khatia Buniatishvili, piano. 1CD Erato : 0825646250189. TT.: 66'20.

Avec les trois mêmes œuvres que celles de leur récent concert parisien, le voyage auquel nous convient Renaud Capuçon et Khatia Buniatishvili se fait, au disque, dans l'ordre inverse. Il débute par la Sonate de Franck. Ce sommet d'élégance française, où pas une note n'est de trop, les deux interprètes en livrent une vision emplie de contrastes et d'une rare beauté plastique. Le « ben moderato » initial est très retenu voire lent, avant une montée en intensité du violon magistrale. L'allegro suivant est presque emporté en comparaison, contraste fort, alors que le développement élégiaque renoue avec l'extrême mesure. La récapitulation sera haletante. Au « recitativo fantaisie », centre de l'œuvre, dont il forme le mouvement lent, le violon solaire de Renaud Capuçon est à son meilleur, souple, réfléchi, idéalement timbré sur tout le registre, tandis que Khatia Buniatishvili ménage un pianisme magique. L'apparente mélancolie n'est pas tristesse. Le rondo final magnifie l'écriture contrapuntiste de Franck, refrain et ses couplets, sur le mode cyclique. Lorsque le débit s'anime, les deux partenaires prennent des risques calculés pour faire éclore la passion. La péroraison n'est rien moins que glorieuse. Une immense exécution, servie par une prise de son saisissant les deux instruments dans leur vraie dimension, leur idéale fusion, qui laisse loin derrière la vieille séparation stéréo gauche-droite. La Troisième Sonate violon et piano de Grieg (1887) offre une écriture plus compacte que celle du français, et encore ancrée dans le climat romantique. Mais faisant la part belle aux nombreux motifs l'innervant, et servant magistralement le violon. A l'exemple du « molto ed appassionato » qui l'ouvre, contrastant un thème puissamment dramatique et un thème lyrique, aérien, et offrant des climats tour à tour allant et en vagues déferlantes. La partie centrale évolue comme un Lied, d'abord introduite par le piano. Puis l'allure se fait vite plus agitée et scandée avec des pizzicatos rageurs du violon, dans un mode emprunté au folklore norvégien. L'« animato » conclusif prolonge cette impression de musique populaire, mettant la pression sur le violon, ce qui ne va pas sans une note plus nostalgique dans une seconde section plus expansive. Les Pièces romantiques de Dvořák alignent quatre délicats morceaux que Renaud Capuçon qualifie de « perles de poésie et de romantisme ».  A juste titre, à l'écoute de ce qu'il en fait avec sa partenaire inspirée. Un superbe CD.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Prayer ». Ernest BLOCH : Jewish Life. Baal Shem. Méditation Hébraïque. Schelomo. Dimitri CHOSTAKOVITCH : 4 pièces tirées de « Jewish Folk Poetry », op. 79 (arrangement pour violoncelle et orchestre à cordes de Mikhail Bronner). Pablo CASALS : Song of the Birds. Sol Gabetta, violoncelle. Amsterdam Sinfonietta, Cello Ensemble Amsterdam Sinfonietta. Orchestre National de Lyon, dir. Leonard Statkin (Schelomo). 1CD Sony : 88883762172. TT.: 59'03.

Le compositeur Ernest Bloch (1880-1959) d'origine suisse, naturalisé américain en 1924, est un néoclassique. Et un chantre de la musique hébraïque, de par son habileté à exprimer « la grandeur de la souffrance humaine » dira son élève Roger Sessions. Rien d'étonnant dès lors à ce qu'il ait écrit pour le violoncelle, l'instrument de l'âme. La Rhapsodie hébraïque Schelomo (Salomon), de 1916, pour violoncelle et orchestre est en fait un grand et beau poème symphonique composé de trois mouvements enchaînés selon le schéma lent-vif-lent. Ne se voulant pas archéologue, Bloch évoque l'esprit hébreu dans cette évocation de Salomon, inspirée des textes bibliques et de l'Ecclésiaste. La partie soliste est virtuose et celle d'orchestre tout aussi luxuriante. Sol Gabetta en livre une exécution vibrante, pleine d'émotion. Et Leonard Slatkin déploie la large palette de couleurs de cette musique. Jewish Life (1924) est une succession de pièces chambristes, jouées de manière continue : évocatrices de la douleur, aux sombres accents (Prayer), magnifiant la déclamation hébraïque, plus élégiaque dans « Supplication », et de nouveau comme une plainte déchirante dans le morceau éponyme. Sol Gabetta rapproche de ces diverses pièces de Bloch quelques extraits de La poésie populaire juive op.79a de Dimitri Chostakovitch, conçue à l'origine comme un cycle pour chant et piano, puis transcrit par l'auteur pour soprano, alto, ténor et orchestre (1963). Il s'agit ici d'un arrangement pour violoncelle et orchestre à cordes dû à Mikhail Bronner. Sont mis en exergue tour à tout le registre grave de l'instrument sur une pédale des cordes (Berceuse), la douceur du trait (Avertissement), la déploration profonde (Chant de misère), et un rythme allègre, d'inspiration folklorique (Le chant de la jeune fille). Elle conclut par une courte œuvre de Pablo Casals, Le chant des oiseaux, écrite pour un ensemble de violoncelles, arrangement d'un chant catalan de Noël, qui fut l'hymne des exilés lors de la dictature franquiste.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Gabriel FAURE : Quatuor pour piano et cordes N° 1 op. 15. Mel BONIS : Quatuor pour piano et cordes N° 1, op. 69. Quatuor Giardini. 1CD Evidence Classic / Little Tribeca : EVCD004. TT.: 56'43.

Voici un couplage original dans un répertoire exigeant, le quatuor pour piano et cordes. Gabriel Fauré aborde son premier quatuor op. 15 en 1877. La genèse en sera lente, et peu après la création en 1880, il en réécrira le finale. Tout n'est ici que jaillissement thématique. Le jeune Quatuor Giardini en donne une exécution pudique, se gardant de tout excès « romantique » : énergie canalisée au premier mouvement et au scherzo dont la scansion est justement primesautière, refus d'un inutile épanchement à l'adagio, pas moins bien chantant, par un refus de se laisser aller à une trop facile ivresse sonore. Le finale, allant, sait s'animer dans le développement. Cette vision retenue, différente d'autres exécutions plus volontaristes comme l'est celle du Trio Wanderer et d'Antoine Tamestit (Harmonia Mundi), et qu'on n'attendait peut-être pas chez de jeunes musiciens, n'a cependant rien de compassé. L'équilibre piano-cordes est parfait car le piano de David Violi reste magistralement fluide. L'attrait du disque se concentre sur l'autre pièce. La compositrice Mel (pour Malénie) Bonis (1858-1937) appartient à ces musiciens qui au tournant du siècle auront revitalisé la vie musicale. Poussée par Franck pour entrer au Conservatoire, elle y côtoiera Debussy et Pierné. Elle cachera une vie sentimentale difficile - mariée à un grand industriel, elle gardera une tendresse pour un journaliste musical dont elle aura une fille, l'identité en étant tenue secrète - dans la composition. Son corpus important, piano, orgue, voix, musique de chambre et même orchestre, sort peu à peu de l'ombre. Écrit durant sa période créatrice essentielle, son premier Quatuor pour piano op. 69 (1900/1905), montre une grande sensibilité à travers une écriture structurée, au contrepoint rigoureux et d'une belle veine mélodique. Des élans passionnels, dignes de Fauré, distinguent l'Intermezzo, marqué allegretto tranquillo, avec une section médiane d'un beau lyrisme évanescent, comme le finale, habité d'un sûr sens de la modulation. Dans le moderato initial, le piano s'affirme par rapport aux cordes. Mais c'est l'andante, centre névralgique de l'œuvre, qui séduit le plus, méditatif, ample, un brin nostalgique, avec une progression en intensité où le piano marque, là encore, sa prééminence. Comme dans le Fauré, les Giardini démontrent un sens parfait de l'équilibre des voix et un fini instrumental enviable. Une prise de son proche ajoute à la démonstration de chaude musicalité. Une formation à suivre de près.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Gabriel FAURE : Trio pour piano op. 120. Gabriel PIERNE : Trio pour piano op. 45. Trio Wanderer. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902192. TT.: 57'25.

Autre rapprochement saisissant que les trios avec piano de Fauré et de Pierné, dont les dates de composition sont pratiquement contemporaines. Le Trio op 120, qu'il compose à la demande de son éditeur Durand, appartient à la dernière manière de Fauré : dépouillée, quelque peu énigmatique, d'une intériorité presque troublante, d'« une noble et sereine mélancolie », selon Vladimir Jankélévitch (in « Fauré et l'inexprimable », Plon). La deuxième audition sera confiée, en juin 1923, au Trio Cortot, Thibault, Casals. Un flot ininterrompu ouvre l'allegro initial, d'abord feutré, pour progresser en intensité et conclure rayonnant. L'ascétisme du matériau n'empêche pas la limpidité. Le thème, en apparence simple par lequel débute l'Andantino, laisse peu présager ce que Fauré va en faire en termes de développement complexe. Si la conclusion se fait apaisée, elle est gagnée au prix de bien des méandres, typiques chez le musicien. L'allegro vivo final mêle deux thèmes : l'un, pathétique, est inspiré de l'air de Paillasse « Vesti la Giubba » de Ruggero Leoncavallo, l'autre fébrile, bondissant au piano, livre des accents bien tranchés que traverse soudain un geste dramatique, avant une conclusion jubilatoire. Gabriel Pierné (1863-1937) avait composé son Trio op. 45 en 1921. De vastes proportions, car atteignant près de 40', l'œuvre évolue entre tradition, l'héritage franckiste par sa forme discrètement cyclique, et modernité du fait d'une écriture solidement charpentée, pour ne pas dire complexe. L'inventivité harmonique semble y être illimitée comme les audaces rythmiques. Les trois voix sont utilisées de manière très libres, dont une partie de piano extrêmement ouvragée. « Agité, de mouvement et de sentiment », le long premier mouvement offre élan et rythmique affirmée. Celle-ci se poursuit dans l'allegro scherzando suivant, inspiré du zortzico basque, sur un rythme à 5 temps, donnant une agréable impression de sautillement. Cette étrange scansion avait déjà été expérimentée par Saint-Saëns, et surtout par Ravel dans son Trio pour piano précisément. Pierné lui-même y avait recouru dans son Quintette avec piano de 1916. Le « Modérément lent » final, bâti sur le schéma du thème et variations, offre une variété de climats et des trouvailles originales : notes répétées du violon dans l'extrême aigu, succession d'accords du piano, etc. Ces pièces n'ont point de secret pour le Trio Wanderer qui, outre la perfection instrumentale que l'on sait, distille des exécutions hautement chargées de sens.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Reynaldo HAHN : Ciboulette. Opérette en trois actes et quatre tableaux. Livret de Robert de Flers et François de Croisset. Julie Fuchs, Jean-François Lapointe, Julien Behr, Eva Ganizate, Roman Dubois, Cécile Achille, Jean-François Saragosse, Guillemette Laurens, Patrick Kabonga Mubenga. Bernadette Lafont, Michel Fau, Jérôme Deschamps. Accentus. Orchestre symphonique de l'Opéra de Toulon, dir. Laurence Equilbey. Mise en scène : Michel Fau. Opéra Comique, février 2013. 2DVDs Fra Musica/Opéra Comique : FRA 0009. TT.: 145 '.

Saisi live lors des représentation de février 2013, à l'Opéra Comique, ce spectacle réhabilite sûrement Reynaldo Hahn et une certaine forme d'humour facile et de mélodies aisées, tant en vogue à l'époque, 1923, la dite Belle Époque. « Moi, j' m'appelle Ciboulette », le refrain du muguet ou le duo « Nous avons fait un beau voyage » restent des moments de musique simple mais efficace. L'absence de prétention littéraire du livret, remis au goût du jour avec tact ici, ne gêne pas : on sourit à tel bon mot désopilant ou se délecte de telle sentence bien assénée. Car ce type d'opérette n'a pas pour dessein de faire réfléchir, mais avant tout de divertir. Et à cette aune, on ne s'ennuie pas. La mise en scène de Michel Fau a le bon goût de ne pas souligner le convenu de certaines situations, mais créé une habile connivence avec le public. Elle évite en effet la mièvrerie, qui en particulier peut naître du passage du chanter au parler, pierre d'achoppement de ce type d'œuvre. Dans ce qui est un marivaudage amoureux traité sur le ton léger, une pointe de nostalgie appert çà et là, car on ne peut jouer innocemment avec les vrais sentiments. On admire l'ingéniosité de la décoration qui, sur l'aire relativement restreinte de la scène de la salle Favart, parvient à créer l'illusion d'espace, par des toiles peintes évocatrices et un attirail d'objets au délicieux charme rétro. Les mouvements sont vifs, même si le dernier tableau du triomphe de Conchita Ciboulero frôle la revue de Caf' conc'. Tout cela est servi par un plateau vocal qui a du répondant. L'abattage de Julie Fuchs, Ciboulette, fait plaisir à voir et son joli minois ravit tout autant que l'achèvement musical émeut. Le Duparquet de Jean-François Lapointe dépasse le cliché du faiseur de destins heureux et apporte une épaisseur insoupçonnée à un Rodolphe devenu fonctionnaire, lors de l'évocation de la fin de Mimi, l'instant d'un air de haute tenue. Le ténor Julien Behr est attachant à force de franche innocence et de vraie-fausse balourdise, colorant un chant finement ciselé. Alors que le fil dramatique pourrait s'essouffler, le numéro de Castafiore de Michel Fau au dernier acte est irrésistible, quoique un peu longuet, et l'incarnation du Directeur d'opéra par le maître de céans, Jérôme Deschamps, un morceau d'anthologie. Tout comme celle de Bernadette Lafont en poissarde réhabilitée en dame du monde. Le chœur Accentus est plus opératique que nature et Laurence Equilbey sait trouver le ton juste d'une musique dont la qualité première est la sincérité  dans ses tournures légères, ses échanges vifs, ses ensembles bien ficelés.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Claude DELVINCOURT : L'œuvre pour violon et piano. Danceries. Sonate pour violon et piano (1922). Contemplation. Sonate de jeunesse pour violon et piano (1907). Eliot Lawson, violon, Diane Andersen, piano. 1 CD Azur Classical : AZC121. TT.: 73'25. 

Claude Delvincourt (1888-1954), formé auprès d'Henri Büsser et de Charles-Marie Widor, obtient le Prix de Rome en 1913, en même temps que Lili Boulanger , et va dès lors poursuivre une carrière enviable de compositeur, nullement ralentie par ses fonctions administratives : après celui de Versailles, en 1932, il prend la direction du conservatoire de Paris en 1941. Sa production touchera les genres les plus divers, symphonique, vocal, musique de chambre et même opéra. Mais son instrument favori restera le piano. Le présent disque, édité sous l'égide du Centre international Albert-Roussel et de la Fondation Palazzetto Bru Zane, propose l'intégrale des pièces écrites pour violon et piano. Elle débute par une Sonate de jeunesse (1907), manuscrit récemment retrouvé, d'un musicien « affamé de musique » dira Hélène Jourdan-Mohrange dans son livre « Mes Amis Musiciens » (1955). Ses quatre mouvements, joués d'un seul tenant, révèlent une belle générosité mélodique, même si le clavier laisse éclater sa prédominance, alors que la partie de violon est d'inspiration plus banale. Rien de tel dans l'autre sonate, écrite en 1919, qui par son style personnel imaginatif et sa sûre écriture pour les deux instruments, ne pâlit pas auprès des autres chefs d'œuvre d'une époque peu avare dans ce genre musical. Ses quatre mouvements déploient une inspiration qui ne faiblit pas, où alternent des climats changeants, dont un andante mystérieux, comme un songe hors du monde. La pièce se termine de manière méditative par un retour du thème sombre qui ouvrait le premier mouvement. Deux autres œuvres plus tardives montrent combien le style de Delvincourt a évolué. Danceries (1934) s'affiche moderniste, succession de morceaux emplis d'une vitalité débordante, voire facétieux, pas loin du music-hall, mais aussi de l'humour distingué de Chabrier. Elles déclinent un vrai catalogue de bonne humeur sur le mode de la fantaisie souvent débridée (« Ronde », « Farandole »), avec de surprenantes ruptures de ton (« Bourrée ») ou une manière plus apaisée (« Louisiane ») faisant référence à la musique noire américaine. Contemplation (1935), dernière œuvre confiée au violon et au piano, déroule une thématique orientaliste et une ligne violonistique affirmée. Le violoniste belge Eliot Lawson et la pianiste Diane Andersen jouent ces pièces avec une évidente empathie et nous font toucher du doigt un pan oublié de la musique de chambre française.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Carl Philipp Emanuel BACH : Cello Concertos. I Solisti di Pavia, violoncelle et dir. Enrico Dindo. 1 CD Decca : 481 0070. TT : 65'51.

Un enregistrement datant de 2012 qui présente les trois concertos pour violoncelle de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), compositeur dont on fête cette année le bicentenaire de la naissance. Excellente occasion pour réécouter ces trois concertos dont on ne sait s'ils ont été écrits initialement pour le violoncelle ou s'il s'agit de transcriptions de concertos pour clavecin, instrument dont le fils Bach était un maitre reconnu. Des œuvres probablement composés dans les années 1750. Une musique virtuose, très ornementé,e allant au bout des possibilités techniques et acoustiques de l'instrument et du soliste. Une musique pleine d'allant, qui peut parfois sembler manquer un peu d'âme, qui s'éloigne du monde baroque pour aborder aux rives du classicisme naissant, dont Haydn saura s'inspirer pour la composition de ses deux concertos pour violoncelle plus tardifs. Une belle interprétation d'Enrico Dindo à la tête de ses Solistes de Pavie.

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Invitation au voyage ». Mélodies françaises. Stéphanie d'Oustrac, mezzo-soprano. Pascal Jourdan, piano. 1 CD Ambronay : AMY042. TT : 70'59.

Au-delà de toute vaine querelle philosophique sur les rapports de la musique et de la poésie, et de toute considération sociologique, aujourd'hui dépassée, sur la place de la mélodie dans l'univers bourgeois du XIXe siècle, il faut bien avouer que cet enregistrement, dès la première écoute, nous place sous un charme envoûtant, un véritable enchantement. Le charme si particulier de la mélodie française, où prosodie et musique se fondent intimement. Un univers d'une subtile délicatesse où chant et piano se complètent, s'entrelacent dans une étonnante et élégante complicité, une symbiose totale confinant rapidement à l'égrégore. Des compositeurs (Henri Duparc, Jacques de la Presle, Debussy, Lili Boulanger et Reynaldo Hahn) et des auteurs (Baudelaire, Sully Prudhomme, Mallarmé, Francis Jammes) pour un choix avisé d'une vingtaine de mélodies. Un piano chatoyant et attentif, une belle voix ronde et voluptueuse, d'une grande plasticité dont on regrettera parfois le caractère un peu maniéré qui nuit à la diction et à la compréhension des textes… Un très beau voyage à travers la mélodie française.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Ludwig van BEETHOVEN. Piano Concertos 1 & 2. Louis Schwizgebel, piano. London Philharmonic  Orchestra, dir. Thierry Fischer. 1 CD Aparté : AP098. TT : 65'.

Deux concertos pour piano que l'on peut regrouper sous le même corpus, correspondant tous deux à la même période créatrice où le jeune Beethoven, âgé d'une trentaine d'années cherche à faire valoir et reconnaître ses talents de pianiste et d'improvisateur, pour conquérir le public viennois. Deux œuvres qui n'eurent pas les faveurs tardives du compositeur, une musique encore tournée vers le XVIIIe siècle, fortement inspirée par Mozart et Haydn. Des compositions où les caractéristiques beethovéniennes de la musique concertante ne se font pas encore sentir, le piano restant ici largement prédominant. Prenons donc ces concertos pour ce qu'ils sont, de belles pièces pianistiques où Louis Schwizgebel peut laisser libre cours à sa magistrale virtuosité et à son pianisme très abouti. Thierry Fischer, plein de fougue, à la tête du LPO, tisse un superbe écrin à cette belle interprétation. Une musique en devenir qui atteindra par la suite les sommets que l'on sait avec « l'Empereur » notamment. Un bel enregistrement. Un pianiste à suivre…

 

Patrice Imbaud.

 

 

Ludwig van BEETHOVEN. Concerto N° 5 pour piano et orchestre , dit « L' Empereur ». Cyprien Katsaris, piano. Academy of St Martin in the Fieds, dir. Sir Neville Mariner.  1CD Piano 21 : P21 051- N. TT.: 75'35.

Certains esprits frondeurs se diront avec raison, voici une version de plus du célébrissime Concerto n° 5 de Beethoven, dernier de ses concertos pour piano et orchestre, composé en  1809, créé en 1812 à Vienne par Carl Czerny, Beethoven étant incapable d'en assurer la création du fait de sa surdité. L'accueil du public viennois, conservateur, fut pour le moins mitigé devant cette œuvre novatrice qui peut être considérée comme une véritable symphonie concertante avec piano. Force est d'avouer que ce nouvel enregistrement n'apporte rien de plus à l'important corpus d'interprétations de cette œuvre mythique. Une interprétation honnête, un peu fade, qui ne fera pas référence. De ces versions agréables faisant montre d'un beau piano et d'un accompagnement orchestral de qualité, mais sans génie, sans ce petit rien qui accroche l'oreille pour faire les versions de référence. Vient s'y adjoindre une version, en première mondiale, pour piano solo, réalisée par Cyprien Katsaris. Un arrangement qui correspond à un rêve d'enfant…Un rêve bien personnel qu'il convient de respecter mais qu'on n'est pas obligé de partager !

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Erik SATIE. 1912-1925 ». Orchestration de Michel DECOUST de pièces pour piano. Orchestre Régional de Basse-Normandie, dir. Jean-Pierre Wallez. 1 CD Skarbo : DSK3135. TT : 66'38.

Erik Satie (1866-1925) un compositeur pour le moins original et inclassable, une sorte d'électron libre surgi dans la musique, une personnalité hors du commun, ironique, dont l'humour dévastateur se retrouve souvent dans les annotations de ses partitions. Auteur de nombreuses pièces pour piano dont cet enregistrement présente un large aperçu : Trois nouvelles enfantines, Embryons desséchés, Heures séculaires et instantanées, Les chapitres tournés en tous sens, Vieux sequins et vieilles cuirasses, Les trois valses distinguées du précieux dégouté, l'enfance de Ko-Quo, Véritables préludes flasques (pour un chien), Les pantins dansent, Descriptions automatiques, Sports et Divertissements, Les avant dernières pensées et Croquis et agaceries d'un gros bonhomme en bois.  Des œuvres toutes tirées de la période dite humoristique ou satirique, de 1912 à 1915, dans une orchestration magnifique de Michel Decoust. Une orchestration admirable et brillante, utilisant de façon savante et pertinente tous les timbres de l'orchestre, notamment les vents, pour rendre à la musique de Satie tout son génie, son pouvoir de séduction et d'humour, toute sa délicatesse et sa beauté énigmatique, parfois vénéneuse… Un pari audacieux, totalement réussi qui enrichit ces pièces d'un nouvel éclairage particulièrement juste et intelligent. L'Orchestre de Basse-Normandie, sous la baguette de Jean-Pierre Wallez, se montre à la hauteur de la tâche en restituant à ces pièces leur éclat et en exploitant toutes les facettes de cette musique souvent insolite et charmante. Un disque  original à ne pas manquer !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Francis POULENC. Ballet Suites : Les Biches. Les Animaux modèles. Aubade. (Versions pour piano). Jean-Pierre Armengaud, piano. 1 CD Naxos : 8.573170. TT : 77'14.

Qui mieux que le pianiste Jean-Pierre Armengaud, spécialiste de la musique française et notamment de Poulenc, pouvait servir, de manière judicieuse, cette très belle musique de ballet, à la fois légère et désespérée ? Des versions pour piano qui ne sont en rien des réductions, mais qui gardent au contraire toute leur légitimité, car correspondant aux partitions originales secondairement orchestrées pour la scène. Francis Poulenc (1899-1963), membre du groupe des Six, a beaucoup composé pour la danse, collaborant avec Diaghilev et ses Ballets Russes. Ces Suites de ballet, dans leur version initiale pour piano correspondent, en effet, à une sorte d'épure compositionnelle où peut se lire l'évolution de la « manière » du compositeur. Centrées sur le thème de l'amour, elles portent en filigrane le véritable parcours biographique de la vie sentimentale du compositeur.  Les Biches (1923), Aubade (1929) et Les Animaux modèles (1940), trois « ballets pour piano » ou encore « concertos chorégraphiques » ayant toutes trois une double destination, la danse et le concert. Une musique et une interprétation très chorégraphique, pleine de charme et de couleurs, cocasse et poignante. À ne manquer sous aucun prétexte.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Richard STRAUSS. Also sprach Zarathustra, op. 30. Till Eulenspiegels lustige Streiche, op. 28. Don Juan, op. 20. Berliner Philharmoniker, dir. Gustavo Dudamel. 1 CD Universal Deutsche Grammophon : 479 1041. TT; : 69'40.

Il est certain qu'à la Philharmonie de Berlin, on connaît son Richard Strauss sur le bout du doigt. Une expertise reconnue, fruit d'une longue et parfois houleuse collaboration entre la mythique phalange et le compositeur allemand. En revanche il s'agit, ici, du premier enregistrement « live » des Berliner sous la direction du chef vénézuélien Gustavo Dudamel. Un coup d'essai, mais un coup de maître compte tenu de la jeunesse de celui-ci. Trois grands poèmes symphoniques au programme de ce disque, corpus peut-être le plus original de l'œuvre straussienne où le compositeur révèle toute son inspiration créatrice. Ainsi parlait Zarathoustra, d'après Nietzsche, datant de 1896. Une œuvre à programme où le compositeur se propose de retracer l'épopée humaine depuis les origines jusqu'à l'avènement du Surhomme. Ambitieux projet dont Gustavo Dudamel donne une lecture presque chambriste, très pertinente, faisant valoir toute la somptuosité et la transparence de l'orchestration et des couleurs straussiennes. Une interprétation toute en délicatesse, en nuances, respectueuse des équilibres. Till l'Espiègle (1895), figure emblématique de la libération flamande contre la tyrannie de Charles Quint, dont Strauss n'a gardé que le côté facétieux et turbulent, dans une succession d'aventures burlesques mettant à l'épreuve la plasticité et la virtuosité de l'orchestre. Don Juan (1889) enfin, très réussi, à la fois romantique et tragique, lyrique et méditatif, étalant l'évidente beauté de ses thèmes, se développant autour du désir, de la possession et du désespoir. Un disque remarquable, qui au-delà des options d'interprétation de Gustavo Dudamel, montre, une fois de plus, la qualité musicale superlative des Berliner Philharmoniker, sans toutefois remettre en cause les références historiques gravées par Karajan ou Furtwängler.

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Nikolaj KAPUSTIN : Cello Concerto n° 2. Astor PIAZZOLLA : Las Cuatro Estaciones Portenas. Le Grand Tango. Oblivion. Ave Maria. I Solisti di Pavia, violoncelle et dir. Enrico Dindo. 1 CD Decca : 481 0758. TT : 69'58.

Un disque découverte, du moins pour ce qui concerne le compositeur russe Nikolaj Kasputin (*1937). Piazzolla et Kasputin, deux compositeurs inclassables, à la marge de la musique classique, deux compositeurs ayant réussi le difficile syncrétisme du classique et des musiques populaires, Jazz pour l'un, Tango pour l'autre. En cette époque post moderne, les écoles ne font plus recette et la musique s'atomise en de nouveaux courants où chacun créé sa propre voie créative, privilégiant les aspects les plus proches de sa sensibilité. Le Concerto n° 2 pour violoncelle et orchestre à cordes de Kasputin date de 2002. Toutes les structures classiques y sont transformées par les principes du jazz. Même syncrétisme pour Piazzolla, maître du « nouveau tango », un tango peut-être plus policé que celui qu'on dansait dans les bouges des quartiers populaires de Buenos Aires. Le Grand Tango associe contrepoint, chromatismes et éléments jazzistiques. Les Cuatro Estaciones Portenas parviennent à fondre tango et musique savante, échappant à la danse pour devenir musique à écouter. Un disque plein de charme, original, magnifiquement joué. Une belle complicité entre Enrico Dindo et son ensemble des Solistes de Pavie. A découvrir absolument.

 

 

Patrice Imbaud.

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MUSIQUE ET CINEMA

 

Haut

CONCERTS

 

Les AUDI TALENTS AWARD : La BO en cinémascope au Grand Rex à Paris !

 

 

Le 1er et 2 novembre derniers ont eu lieu les Audi Talents Award  pour la troisième édition. A La Gaité Lyrique et au Grand Rex c'était la fête de la musique à l'image. Chaque année, entre autres prix,  - pour designers, urbanistes, plasticiens, architectes – le mécénat Audi récompense un jeune compositeur et un réalisateur de court-métrage. Cette année, le musicien Laurent Graziani a été nommé et le prix du court-métrage a été attribué à Coralie Fargeat pour son film magnifique de SF «  Reality Plus ». Parallèlement, des master classes ont eu lieu avec Jean-Michel Bernard, le compositeur attitré de Michel Gondry, Michael Giacchino - en direct depuis Los Angeles -, le musicien des films de J.J.Abrams, et la découverte pour la plupart des personnes présentes - la salle était bondée à la Gaité Lyrique – de Fernando Velázquez. Brillant jeune compositeur, ce dernier a écrit, entre autres, la musique de « Mama » de Muschietti (grand prix à Gérardmer) avec la splendide Jessica Chastain, d'« Orphelinat », de Bayona, auréolé de prix internationaux, de « Impossible » du même réalisateur, la musique terrifiante de « Devil », et plus récemment d'« Hercule », une daube, mais avec un score étonnant. Aujourd'hui Hollywood se l'arrache. Il compose la musique du prochain Guillermo Del Toro, « Crimson Peak », mais il ne veut pas le dire… Fernando Velázquez tient pour l'instant à garder ses attaches espagnoles.  L'apothéose fut l'énorme messe au Grand Rex où la salle archi comble a vibré au son du grand orchestre à géométrie variable de 90 musiciens, Le Paris Symphonic Orchestra. Il a interprété des musiques de ces trois compositeurs sur des extraits de films : « Love Punch, La Science des Rêves, Star Treck, Lost, Là Haut, Indestructible, Ratatouille »…Un grand moment d'émotion a submergé le public lorsque Velázquez a conduit l'orchestre sur des images de « Impossible » et le dramatique sauvetage de Noami Watts du tsunami en Thaïlande. C'est avec bien sûr l'arrangement ahurissant du thème de « Mission Impossible » de Lalo Schifrin, réécrit par Michael Giacchino, que l'orchestre, sous la baguette de Diego Navarro, a terminé sa prestation. Énorme ovation du public ! La soirée s'est achevée avec le groupe britannique Archiv et l'interprétation de son album BO « Axion ». Succès assuré.

De nombreux concerts de musique de film sont programmés pour 2015 au Grand Rex ou au Palais des Congrès  : « West Side Story », « Le Parrain », « Titanic »… La musique à l'image a enfin trouvé son public en France. Merci à Audi et à son mécénat. 

 https://www.youtube.com/watch?v=hMjKgvsQN70

https://www.youtube.com/watch?v=3K1c6kcH70o

https://www.youtube.com/watch?v=n5-glrcmP-M

 

FILMS

 

CASANOVA VARIATIONS

Réalisation de Mickael Sturmiger avec John Malkovitch, Veronica Ferres, Victoria Guerra, Fanny Ardant, et avec les chanteurs Jonas Kaufmann, Kerstin Avemo, Florian Boesch, Miah Persson, Kate Lindsey, Anna Prohaska, Barbara Hannigan, Topi Lehtipuu.

 

 

L'histoire : « Viva la libertà ! » s'écrie Casanova, seul dans sa demeure, avant de s'évanouir. Lorsque la belle et mystérieuse écrivaine Elisa von der Recke vient lui rendre visite, elle insuffle à nouveau un peu de vie chez le vieil homme. « Casanova Variations » est un film qui capture le mythe du plus grand séducteur de tous les temps, Giacomo Casanova. Son histoire est racontée à la fois de sa dernière demeure et sur scène, à travers des extraits d'opéra livrant ainsi ses aventures, ses passions et sa peur de la mort.

Notre Avis : Michael Sturminger est un metteur en scène qui cherche constamment à créer de nouveaux ponts entre la musique classique et le théâtre contemporain. En 2006, ses expérimentations l'ont conduit à créer un opéra original I Hate Mozart («Je hais Mozart»). Par la suite, il a créé deux opéras avec le concours de John Malkovitch: The Infernal Comedy et The Giacomo Variations. Son premier film Whore's son, avec l'actrice russe Chulpan Khamatova, avait reçu de nombreux prix, et, en 2008, le documentaire Malibran Rediscovered, avec Cecilia Bartoli, fut diffusé sur Arte. C'est l'adaptation de sa pièce qu'il a mise en scène pour le cinéma. Ce projet est un mélange de cinéma, de musique, de théâtre, de littérature. C'est une histoire qui « pille » les grands chefs-d'œuvre de Mozart, savoir Le Nozze di Figaro, Don Giovanni et Così fan tutte. Elle s'inspire aussi des pages du manuscrit autobiographique de Casanova, qui contient 5000 pages ! Le scénario fait de la liberté un véritable leitmotiv. En tant que réalisateur, Michael Sturminger s'amuse à changer sans cesse de genre et à transposer des œuvres célèbres dans un autre contexte, à les réemployer sous une nouvelle forme. On est dans le théâtre total et qu'importe d'où viennent les extraits qu'emprunte le réalisateur pour créer son film. L'œuvre d'opéra devient du théâtre, les scènes réalistes de l'opéra etc, etc… Il faut avouer que l'on se perd un peu si on n'a pas une connaissance des opéras et de Casanova lui-même. Mais ce serait une erreur de ne pas se laisser emporter par ce mélange des genres et d'essayer de décortiquer chaque scène. C'est, comme le dit le titre du film, des variations autour de Casanova. Un acteur étonnant, John Malkovitch, joue à être Casanova et devient Casanova à son tour. C'est la magie du masque. Tout le film est un effet miroir sur les dernières années de Casanova et celle d'un acteur qui joue Casanova et qui porte le nom de Malkovitch. « Casanova Variations » est un film pour mélomane, pour ceux qui aiment Mozart, le théâtre, le théâtre dans le théâtre à la Pirandello, et pour ceux qui aiment John Malkovitch. Cela fait de bonnes raisons pour se laisser entraîner dans ces Variations où l'on se perd avec délice.

 

https://www.youtube.com/watch?v=9bjhjJsi7eE