Si vous n'arrivez pas à lire correctement cette newsletter, cliquez ici.
 

www.leducation-musicale.com



Mars-Avril 2011 - n° 570



Janvier-Février 2011
n° 569



novembre-décembre 2010
n° 568



Supplément Bac 2011

Facebook


Sommaire :

1. Editorial : "Forces de joie..."
2. Sommaire du n° 570
3. Informations générales
4. Varia
5. Manifestations et concerts
6. Le marathon musical nantais
7. La semaine Mozart à Salzbourg
8. Echos de Liszt, Mahler et de la légende des siècles...
9. Recensions de spectacles et concerts
10. L'édition musicale
11. Bibliographie
12. CDs et DVDs
13. La vie de L’éducation musicale


Abonnez-vous à L'éducation musicale
et recevez 3 dossiers gratuits

 

 

Forces de joie…

« La joie d’un esprit en marque la force. »
(Ninon de Lenclos)

 

Est-il musique - serait-elle la plus funèbre - qui ne soit, de par son essence même, force de joie ?  Comme en témoigne l’extrême rareté du suicide chez les compositeurs – cependant que les gestes désespérés ne sont, hélas ! que trop fréquents chez les écrivains ou les tenants des arts visuels.

Joie, mais joie égotiste le plus souvent – et non point accordée d’amour ou de fraternité, comme certain angélisme bon-apôtre voudrait nous en convaincre…

Il est cependant des musiciens pour lesquels altruisme et générosité ne furent pas de vains mots, et Franz Liszt en est un lumineux exemple !  Aussi cette année de célébration nous permettra-t-elle de (re)découvrir bien des facettes d’un artiste hors du commun, trop longtemps occultées par l’image de l’extraordinaire virtuose qu’il fut.

Certes, sa vie ne fut pas sans nuages : n’aura-t-il pas connu des périodes de solitude et de doute ?  Mais le grand âge n’amoindrira pas - sinon sa prodigieuse vitalité - du moins, dépouillées de tous les oripeaux de la gloire, ses facultés visionnaires.

 

Francis B. Cousté.

 


Haut

Liszt et Faust : constructivisme et négativité

Bruno Moysan

 

Les piliers de la musique religieuse de l’avenir selon Liszt :

le chant grégorien et la polyphonie romaine

Nicolas Dufetel

 

Franz Liszt et le poème symphonique Mazeppa

Francine Maillard

 

Franz Liszt et Emilie Genast

Serge Gut

 

Les fréquentations maçonniques de Liszt à Pianopolis (1823-1833)

Pierre-François Pinaud

 

Quel son pour quel piano, ou quel piano pour quel son ?

Parcours à la suite de Nicolas Stavy

Sylviane Falcinelli

 

La Troisième Symphonie de Górecki :

organisation formelle et techniques d’écriture du premier mouvement

Karol Beffa

 

***

 


 

BOEN n°7 du 17 février 2011.  Programmes limitatifs en classe terminale pour l'année scolaire 2011-2012 & pour la session 2012 du baccalauréat.  Musique : Enseignement de spécialité (série L) et Option facultative (toutes séries).  Consulter :

www.education.gouv.fr/cid55013/mene1101397n.html

 

 

Ircam…  L’expérimentation musicale et pédagogique sur le geste (par l’Atelier des Feuillantines & l’équipe « Interaction musicale/Temps réel » de l’Ircam).  Cet article est librement accessible sur notre site : www.leducation-musicale.com (rubrique « Les plus de la revue »).

 

Ircam ©Myr Muratet

 

Prix de l’Académie des Beaux-Arts, 2010.  Prix de composition musicale de la Fondation del Duca : Thierry Pécou.  Prix Liliane Bettencourt pour le Chant choral : Chœur Britten, dir. Nicole Corti.  Prix Pierre Cardin de composition musicale : Ondrej Adamek.  Prix Paul-Louis Weiller de composition musicale : Christophe Bertrand.  Prix Nadia et Lili Boulanger : Philippe Leroux & Jean-Frédéric Neuburger.  Prix d’orgue Jean-Louis Florenz : Maïko Kato.  Prix Long-Thibaud : Solenne Païdassi (violoniste).  Prix d’encouragement en Composition musicale : Nicolas Mondon & Vincent Trollet.  Prix Catenacci : L’histoire du quatuor à cordes (Bernard Fournier).  Prix René Dumesnil : Lénine, Staline et la musique (Pascal Huynh).

 

Thierry Pécou ©DR

 

Aribert Reimann (°1936), l’un des compositeurs allemands les plus joués dans le monde, vient de se voir décerner le « 2011 Ernst von Siemens Music Prize », d’un montant de 200 000 euros.  Aussi prestigieux que le Nobel pour d’autres disciplines, ce Prix est attribué à des compositeurs, interprètes ou musicologues de renom.  Précédents lauréats : Olivier Messiaen, Mstislav Rostropovich, Luciano Berio, Wolfgang Rihm, Daniel Barenboim.  Renseignements : www.evs-musikstiftung.ch

 

Aribert Reimann

Aribert Reimann ©P. Andersen

 

Musique en ligne.  Les 13 engagements de la « médiation Emmanuel Hoog » (source : ministère de la Culture et de la Communication) :

1 - Publication des conditions générales de vente

2 - Pérennité et stabilité des contrats

3 - Justification des avances

4 - Transparence des minima garantis

5 - Prise en compte des parts de marché

6 - Définition d'une classification des modes d’exploitation

7 - Simplification des obligations de compte rendu (reporting)

8 - Partage des données relatives à l’économie du secteur et état actuel du partage de la valeur

9 - Transparence au bénéfice des artistes interprètes

10 - Délai de versement des rémunérations

11 - Rémunérations au bénéfice des artistes interprètes

12 – Œuvres d'expression originale française

13 - Gestion collective en matière d'écoute linéaire en ligne (webcasting et webcasting semi-interactif)

 

MCC / Farida Bréchemier

Autour de Frédéric Mitterrand ©Farida Bréchemier

 

L’Ircam à l’Opéra.  Cinq compositeurs sont, cette année, en résidence de recherche & création à l’Ircam.  Dans le but d’élaborer de nouvelles productions lyriques en studio, avant leur présentation dans de grandes maisons d’opéra.  Ce sont :

  • Michaël Levinas : La Métamorphose (Opéra de Lille, mars 2011)
  • Luca Francesconi : Quartett (Scala de Milan, avril et mai 2011)
  • Georges Aperghis : Luna Park (Ircam, juin 2011, dans le cadre du festival Agora)
  • Philippe Manoury : La Nuit de Gutenberg (Opéra de Strasbourg, septembre 2011, dans le cadre du festival Musica)
  • Marco Stroppa : Re Orso (Opéra Comique, mai 2012 & La Monnaie de Bruxelles, septembre 2012)

 

©Teatro alla Scala

 

« Regards et perspective des sciences sociales sur le rock et le métal ».  Au cours de cette Journée d’étude seront présentés les divers travaux menés au sein du GREMES [Groupe de recherche et d’études sur la musique & la socialité].  Le 10 mai 2011, au Centre d’étude sur l’actuel et le quotidien (dir. Michel Maffesoli).  Renseignements : CeaQ - 45, rue des Saints-Pères, Paris VIe.  Tél. : 01 42 86 46 34.  www.ceaq-sorbonne.org

 

Michel Maffesoli à l’amphi Durkheim ©M.W. Dandrieux

 

***

 

 


Haut

Les Jeunesses musicales du Nord/Pas-de-Calais proposent à tout groupe de jeunes, de 11 à 21 ans, de participer au Festival Music’Ado 2011.  Pré-sélections :

  • à l’ARA de Roubaix, le 19 mars
  • au Poche de Béthune, le 26 mars

Renseignements : 30, rue des Fossés, 59000 Lille.  Tél. : 03 20 57 20 00.  www.jmf-npdc.org

 

 

« Musiques appliquées aux arts visuels ».  Le Master/Pro MAAAV de l’Université de Lyon 2, organise la première édition du CIMFA, Concours international de composition de musique pour films d'animation.  Son but est de soutenir et d’encourager les compositeurs à développer leur personnalité artistique, à s’épanouir dans l’écriture d’une musique originale sur des courts métrages d’animation.  Les finalistes seront produits publiquement le samedi 11 juin 2011, à Annecy dans le cadre de son Festival international du film d’animation.  Renseignements : www.cimfa.maaav.fr

 

 

« Musiques classiques en Bretagne ».  Pas moins de 30 festivals seront dédiés à ces musiques, d’avril à octobre 2011.  Renseignements : www.festivals-musiques-classiques-bretagne.com

 

 

53e Grammy Awards : Neil Young vient d’obtenir la première récompense musicale de sa carrière pour la « meilleure chanson rock » avec Angry WorldRenseignements : www.neilyoung.com

 

Neil Young ©Matt Sayles/AP

 

in Lydie Decobert, On n’y entend rien (« Ouverture philosophique », L’Harmattan, 2010) :

-          Bonjour Mademoiselle.

-          Bonjour Monsieur.

-          Vous aimez la musique ?

-          Oui Monsieur.

-          Alors on baise ?

 

 

***

 

 

 

 


Haut

 

Maison de la culture du Japon à Paris : Jazz in Japan, du jeudi 3 au samedi 5 mars 2011, à 20h00.  Jeudi 3 mars : Naoko Terai (violon), Richard Galliano (accordéon), Naoki Kitajima (piano).  Vendredi 4 mars : Kei Akagi (piano), Tomokazu Sugimoto (contrebasse), Tamay Honda (percussions).  Samedi 5 mars : Erena Terakubo (saxophone), Takeshi Ohbayashi (piano), Noam Wiesenberg (contrebasse), Mark Whitfield Jr. (batterie).  Renseignements : 101bis, quai Branly, Paris XVe.  Tél. : 01 44 37 95 95. www.mcjp.fr

 

©DR

 

« Grands formats », fédération de 29 orchestres de jazz & de musiques à improviser, propose quelque 90 concerts, de mars à août 2011.  Renseignements : 3, rue Henri-Martin, 92100 Boulogne-Billancourt.  www.grandsformats.com

 

 

« Viva la Musica ! » présente : Orphée aux enfers d’après Jacques Offenbach, les vendredi 4 et samedi 5 mars (20h30) et le dimanche 6 mars (16h00).  Auditorium du lycée La Fontaine (75, rue du Général Sarrail, Paris XVIe).  Renseignements : 01 42 24 59 87.  www.vivalamusica.fr

 

 

Fabrice Loyal and Friends au festival « Les Musicales de Saint-Martin » de Sartrouville (Yvelines).  Renseignements : 06 62 70 17 64.  www.infoconcert.com/artiste/fabrice-loyal-80730/concerts.html

 

 

LES MUSICALES DE SAINT MARTIN

 

Théâtre des Bouffes du Nord.  Le lundi 7 mars 2011, à 20h30 : Vita… œuvres de Claudio Monteverdi et Giacinto Scelsi.  Arrangements, conception & mise en scène : Sonia Wieder-Atherton.  Trois violoncellistes : Sarah Iancu, Mathieu Lejeune, Sonia Wieder-Atherton.  Créations lumineuses : François Thouret.  Renseignements : 37bis, bd de la Chapelle, Paris Xe.  Tél. : 01 46 07 34 50.  www.bouffesdunord.com

 

Sonia Wieder-Atherton

 

Concert-lecture : « Naissance des Préludes de Chopin à Majorque ».  L’Atelier du Verbe (17, rue Gassendi, Paris XIVe).  Avec Ziad Kreidy (piano-forte), Claire Prévost (récitante), Philippe Joly (adaptation).  Programme : Préludes op. 28 de Chopin.  Textes de George Sand, Chopin et Nietzsche.  Renseignements : 01 73 70 38 41.  www.ziadkreidy.com

 

Ziad Kreidy ©DR

 

« Concert des lycées ».  Créé en 1999, le Concert des lycées devint européen en 2004, avec la participation de la cité de Völklingen.  Il regroupe désormais quelque 50 musiciens et 200 choristes français & allemands.  En 2011, il se consacrera à la redécouverte de deux cantates du grand compositeur russe Nicolaï Miaskovsky (1881-1950) : Kirov avec nous, cantate-poème op. 61, et Le Kremlin la nuit, nocturne op.75.  Mercredi 16 mars (19h30) : Wölklinger Hütte, Völklingen.  Vendredi 18 mars (20h00) : Le Carreau, Forbach.  Mercredi 23 mars (20h00) : Arsenal de Metz.  Renseignements : 01 53 80 12 30.  www.chantdumonde.com

 

compositeur

Nicolaï Miaskovsky ©DR

 

Orchestre philharmonique de Strasbourg.  Le jeudi 17 mars 2011, à 20h00, en la salle Érasme du Palais de la Musique & des Congrès, seront donnés, sous la direction de Marc Albrecht, avec le concours de Gidon Kremer : In Tempus Praesens, concerto pour violon de Sofia Gubaidulina et la VIe Symphonie de Gustav Mahler.  Renseignements : 03 69 06 37 06.  www.philharmonique.strasbourg.eu

 

Sofia Gubaidulina ©D. Smirnov

 

Le festival « Voix du printemps » se déroulera du 15 au 24 mars 2011.  Compositeur invité : Thierry Escaich.  Renseignements : 01 42 62 71 71.  www.musiqueensorbonne.fr/festival

 

 

« Archipel 2011 », festival des musiques d’aujourd’hui, se déroulera à Genève, du 17 au 27 mars.  Renseignements : 8, rue de la Coulouvrenière, CH-1204 Genève.  www.archipel.org

 

Archipel 2011

 

Opéra Comique :  Le Freischütz, de Carl Maria von Weber, sera donné du 7 au 17 avril 2011.  Version française d’Émilien Pacini & Hector Berlioz, avec les récitatifs d’Hector Berlioz.  The Monteverdi Choir, Orchestre révolutionnaire et romantique, dir. Sir John Eliot Gardiner.  Mise en scène : Dan Jemmett.  Renseignements : 0825 01 01 23.  www.opera-comique.com

 

Opéra Comique à Paris

 

« Les Détours de Babel », festival des musiques du monde contemporain (Grenoble /Isère) propose sa 1re édition du 8 au 23 avril 2011.  Renseignements : 17, rue Bayard, 38000 Grenoble.  Tél. : 04 76 89 07 16.  www.detoursdebabel.fr

 

entrer dans le site du Festival Les Détours de Babel

 

« Extension », festival de création musicale (Paris / Val-de-Marne), sera consacré, du 24 avril au 24 mai 2011, à la création musicale en rapport avec l’image & la narration (opéra-remake, cinéma pour l’oreille, ciné-concerts, vidéo & musique, création musicale & chorégraphique…).  Renseignements : La Muse en circuit.  Tél. : 01 43 78 80 80.  www.alamuse.com

 

 

Festival off d’Avignon, 2011.  Du 8 au 31 juillet 2011 (22h30), sera repris Le Financier et le Savetier, opérette-bouffe en un acte, de Jacques Offenbach.  Théâtre du Bourg Neuf (7, rue du Bourg-Neuf, 84000 Avignon).  Mise en scène : Frédéric Veys.  Direction musicale : Diane Gonié.  Renseignements : 04 90 85 17 90.  www.colorature.fr

 

               

Francis Cousté.

 

***

 

 


Haut

La Folle Journée de Nantes tient du marathon musical et sa vitalité ne se dément pas - à en juger par le nombre faramineux de concerts offerts au choix du public durant un long week-end dans les diverses salles de la Cité des Congrès.  Pour sa 17e édition, elle n'aura cessé d'attirer une foule réceptive n'hésitant pas à se presser en rangs serrés dès 9 heures du matin pour glaner une belle manne sonore, sans trop succomber au barnum médiatique ambiant - gigantisme oblige.  On y a vu aussi beaucoup de jeunes publics tout au long de la journée du vendredi, voire de très jeunes, venus avec leurs professeurs, témoignant ainsi du formidable effort consenti en direction de cet auditoire.  Le thème de l'année, « Les Titans, de Brahms à Strauss », couvrait certes, un vaste territoire, quelque cent ans de musique.  Mais, une fois encore, quantité aura rimé avec qualité.  On reste frappé par le vent de jeunesse qui souffle aussi parmi les interprètes.  Aux côtés des habitués, dépositaires d'une certaine pérennité de la manifestation, les Brigitte Engerer ou autres Trio Wanderer, que de talents plus que prometteurs, tels les quatuors à cordes Modigliani ou Diotima ou cette pléiade de pianistes aussi brillants que racés, les Pérez, Laloum ou Neuburger, annonçant une sûre relève.

 

©Marc Roger

 

Parmi une cohorte de « Titans » ayant pour nom Mahler, Bruckner, mais aussi Liszt, Berg ou Schönberg, Brahms se taillait une place prépondérante dans la programmation - tout comme dans notre propre choix.  Le répertoire pianistique d'abord, comme toujours dignement représenté à Nantes, aura ainsi permis d'entendre Anne Queffélec dont le concert présentait cette originalité de juxtaposer deux pièces de Haendel et les Variations et fugue sur un thème de Haendel op. 24, composition austère où l'harmonie du thème prend le pas sur la mélodie, mais combien passionnante dans sa diversité.  La merveilleuse Zhu Xiao-Mei avait choisi les Seize Variations sur un thème de Robert Schumann op. 9, qui regorgent d'allusions à des pièces du grand romantique mais aussi de Clara Schumann.  Elle en confie le climat éminemment poétique, comme d'ailleurs dans les Scènes d'enfants op. 15 du même Schumann, avec cette délicatesse du phrasé et cette simplicité sereine qui la caractérisent.  Fascinante comparaison s'agissant des Trois Intermezzi op. 117, joués tant par la pianiste chinoise que par Michel Dalberto : là où la première mise sur une grande retenue et un climat apaisé, le Français met l'emphase sur la construction et les écarts de dynamique qu'amplifie l'acoustique un peu sèche de la salle.  Boris Berezovsky et Brigitte Engerer font leur miel de pièces à quatre mains : les Liebeslieder-Walser op. 52a, d'une inépuisable inventivité, ou comment renouveler la séduction qu'exerce le rythme à trois temps de la valse, puis un choix de Danses hongroises qui, dans cette version pianistique, prennent un cachet particulier.  Les deux complices nous font une fête de couleurs et de rythmes exacerbés.  Côté musique de chambre, l'occasion était belle de savourer quelques morceaux choisis qu'on redécouvre avec bonheur lorsqu'entre de bonnes mains, et de se rendre à cette évidence selon laquelle tous ces jeunes interprètes, fins musiciens, privilégient une approche définitivement débarrassée d'une gangue romantique appuyée au profit de la limpidité du geste.  Ainsi du Quatuor à cordes n°2 joué par les Zemlinsky, quatuor tchèque d'une belle tenue, ou du Quatuor avec piano op. 25, mené au faîte par quatre vétérans, immenses musiciens, Régis et Bruno Pasquier, Roland Pidoux, Alain Planés.  Le quatuor Modigliani faisait équipe avec Jean-Frédéric Neuburger pour le Quintette avec piano op. 34, puis avec Paul Meyer dans le Quintette avec clarinette.  Les prestations sont frappées au coin de l'intelligence et du raffinement sonore dans l'un et l'autre cas, même si un souci d'approfondissement dans la seconde pièce confine par endroit à la sollicitation du texte (développement alangui du premier mouvement, adagio d’une lenteur à la limite de la rupture).  Au chapitre des Trios pour piano & cordes, le 1er est scruté du tréfonds par le brillant Trio Chausson, et le 2e choyé par le Trio Wanderer qui, outre une patine instrumentale moirée, sait y prodiguer un réel esprit.  Le Trio pour cor, violon & piano, curieux assemblage de sonorités, bénéficie de la présence de trois vedettes : David Guerrier, Renaud Capuçon et Nicholas Angelich.  L'archet solaire de Capuçon et le pianisme lumineux d’Angelich donneront une version d'un classicisme souverain de la Deuxième Sonate pour violon & piano, assurément l’un des moments-phares de ce parcours brahmsien.

 

Renaud Capuçon ©Marc Roger

 

Parmi les pièces des nombreux autres musiciens affichés, plusieurs raretés étaient propres à exciter la curiosité. Telle cette courte Sonate pour violon & piano op. 18 de Richard Strauss, œuvre de jeunesse, sorte d'adieu au classicisme.  Richement mélodique, elle reçoit une interprétation inspirée de la part de Renaud Capuçon qui, cette fois, a choisi Frank Braley pour partenaire.  Ceux-ci abordent ensuite la Sonate pour violon & piano de Paul Hindemith, écrite en 1939, dans laquelle l'auteur de Mathis le peintre revient à un mode compositionnel moins aventureux que dans ses pièces chambristes des années vingt.  Les deux instruments y sont traités sur un pied d'égalité et la ligne mélodique se fait ample, comme au deuxième mouvement paré d'une mélodie confortable au violon sur un jeu arpégé du clavier.  Autre pièce méconnue, la Sonate pour piano de Korngold dont on a peine à croire qu'elle a été couchée sur le papier par un musicien de 12 ans, comme l'indique en exorde le pianiste Michel Dalberto : sans être un chef-d'œuvre, elle n'en possède pas moins des qualités, athlétiques en tout cas, tant le clavier y fait étalage de puissance.  De Zemlinsky, le Quatuor se situe encore dans la tradition brahmsienne.  Enfin l'École de Vienne aura été défendue avec brio par le Quatuor Diotima.  En une bonne heure de musique pure, ces quatre jeunes gens bourrés de talent auront successivement joué les Cinq mouvements pour quatuor à cordes op. 5 de Webern, où l'infinitésimal rencontre l'elliptique, comme ses Six Bagatelles op. 9, tenant là aussi de l'aphorisme en musique, avant de se lancer dans une exécution fulgurante de la Suite lyrique de Berg.  Ces « Six pièces pour quatuor à cordes », que Theodor Adorno considère comme « un opéra latent », offrent une texture formelle très ouvragée et emplie d'allusions - qui à Zemlinsky, qui à Wagner.  Le recours au dodécaphonisme tend vers un son orchestral.  Le challenge technique est ici encore immense, frottis sur le chevalet à l'allegro misterioso, âpres arrachements lors du presto delirando, etc.  L'ultime pièce, largo desolato, laisse l'intensité peu à peu se désintégrer et les instruments se taire l'un après l'autre, seul subsistant l'alto.  En bis, la Langsamer Satz pour quatuor à cordes de Webern sonne comme un génial hommage à un glorieux passé, ce XIXe siècle qui a offert au monde musical tous ces titans.

 

©Marc Roger

Jean-Pierre Robert.

 

***

 

 



Le festival d'hiver salzbourgeois que constitue la Mozartwoche dans une ville tapie sous son manteau neigeux, loin de l'agitation touristique de la période estivale, est une expérience qui ne manque pas de charme.  Mozart, bien sûr, en est le centre de gravité ; mais aussi ses contemporains, tel Joseph Haydn.  Et pas seulement…  Depuis quelques années déjà, la manifestation s'est ouverte à la musique d'aujourd'hui, l'occasion d'intéressantes mises en perspective avec des compositeurs comme Heinz Holliger ou Jörg Widmann pour cette édition.  Ces concerts auront été l'occasion aussi de mesurer combien l'interprétation des œuvres du génie du lieu connaît de vitalité dans ses différentes approches.

 

©ISM/Wolfgang Lienbacher

 

Ainsi de La Flûte enchantée donnée en version concertante par René Jacobs et l'Akademie für Alte Musik Berlin.  Comme son récent disque le montre, on a rarement assisté à une réévaluation aussi radicale.  La juxtaposition de musique et de dialogues parlés a souvent conduit à mutiler l'exécution de cet « opéra allemand » d'un genre nouveau, au risque d'en accentuer l'hétérogénéité.  Pour René Jacobs, une interprétation de concert, comme l'écoute d'un disque, privées du support de la mise en scène, nécessitent d'en reconsidérer la mise en œuvre.  Elle procèdera d'abord d'une réhabilitation du texte de Schikaneder, selon cette idée que le dialogue, pensé en musique, forme une entité avec elle.  « Je veux interpréter les dialogues comme des récitatifs » souligne le chef.  Ce qui n'est pas sans conséquence sur les numéros musicaux.  Aussi les dialogues sont-ils donnés dans leur quasi-intégralité.  Surtout, la transition entre parlé et chant est réduite ; ce qui conduit à ce qu'à certains moments, deux personnages parlent simultanément, ou à faire s'imbriquer la fin d'une scène parlée et le texte musical qui la suit.  Les dialogues connaissent eux-mêmes une mise en scène sonore, par l'accompagnement d'un Hammerklavier (qui par exemple, durant la scène où Papageno détaille les traits de Pamina, égrène le thème de l'aria au portrait de Tamino), mais aussi grâce à l'adjonction de légers effets sonores, sorte de bruitages, dans les registres menaçant, neutre ou rassurant.  Le traitement du volet musical n'est pas moins profondément revisité : un orchestre de proportions réduites, jouant sur instruments d'époque, à la sonorité allégée, un travail perspicace sur la sonorité (telle la recherche d'une tonalité éthérée de la flûte, lors des épreuves du feu et de l'eau),comme sur les tempos, là aussi réévalués sur un mode plus vif (l'aria « Ah, ich fülh's » est pris dans un tempo soutenu, apte à traduire les sentiments qui agitent alors Pamina).  Au final, toute une richesse d'accents se fait jour, comme la clarté de l'expression dramatique. On peut, certes, ne pas adhérer à tous les présupposés de Jacobs, mais force est de constater la justesse de ses choix, leur évidence souvent.  Plus d'un personnage (Monostatos) ou d'une scène (celle des Hommes armés) retrouve sa vraie signification au sein de cette « œuvre mystérieuse, optimiste et utopique » (René Jacobs).  L'exécution bénéficie d'une mise en espace judicieuse sur deux aires de jeu, devant l'orchestre et au milieu de celui-ci.  Le résultat est là encore si vrai qu'il fait oublier la contingence du concert ; tout comme l'on se passe d'une régie scénique dont le propre est désormais souvent d'imposer une ligne dramaturgique. La distribution est jeune et d'une sincérité admirable : le franc bagout du Papageno, Daniel Schmutzhard - non sans rappeler Christian Boech dans l'inoubliable production salzbourgeoise de Jean-Pierre Ponnelle - qui n'a jamais aussi bien caractérisé le Naturmensch conçu par ses auteurs ; la vulnérabilité mêlée d'assurance de la Pamina de Lydia Teuscher ; la présence fière et le ténor accompli du Tamino de Daniel Behle ; la fausse droiture du Monostatos de Kurt Azesberger ; ou encore la sobre grandeur du Sarastro de Marcos Fink.  Tout cela est d'une vérité criante.

 

Marc Minkowski ©DR

 

Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre-Grenoble interprétaient le masque Acis et Galathée de Haendel dans la version ré-instrumentée par Mozart, en 1788.  C'est au baron van Swieten, important mécène, qu'on doit cette demande curieuse faite au compositeur ; tout comme de réorchestrer d'autres pièces du maître saxon dont Le Messie.  L'intéressé se réservera, pour sa part, le droit de traduire en allemand le texte anglais mis au point par John Gay, Alexander Pope et John Hughes.  L'intangibilité de l'œuvre d'art était alors un principe loin d'être acquis.  L'idée était en l'occurrence de se passer de la partie d'orgue en la confiant aux vents, et surtout de mettre la pièce au goût de l'époque, ce à quoi procèdera Mozart avec son génie et la maîtrise d'écriture qui est devenue la sienne à cette époque (ce « travail » est contemporain du merveilleux divertimento KV 563 pour violon, alto et violoncelle), sans plus avant se préoccuper de savoir si cette adjonction pouvait altérer la sobriété de la composition haendélienne.  La sonorité en ressort plus vigoureuse, sans pour autant abandonner sa transparence et la sensualité de son imagerie pastorale : l'adjonction aux cordes d'une partie d'altos, comme le fait que les vents se voient démultiplier, flûte, hautbois, clarinette et basson, permettent de renforcer certaines lignes et de conférer à l'original plus de profondeur et une rondeur sonore qui le rend plus séduisant.  Ainsi en est-il, par exemple, de l'air de déploration de Galathée introduit par la mélopée de la clarinette.  La flexibilité des tempos adoptés par Marc Minkowski fait le reste, qui confère à cette délicieuse pastorale, de style un peu hybride, une extrême fluidité dans son invention mélodique, comme il en est du prélude de la seconde partie, un adagio habité qu'enlumine le chant du hautbois.  Le Salzburger Bachchor fait merveille dans les interventions chorales qui tiennent tour à tour de l'austérité de la tragédie grecque et du lyrisme poignant.  Les solistes aussi : la voix de ténor forte et large de Toby Spence, Acis, éclate de joie, notamment dans le duo qui conclut le Ier acte ou son air héroïque au IIe.  Le soprano épanoui de Julia Kleiter pare la partie de Galathée d'une beauté hédoniste.  La basse Mika Kares incarne avec brio le cyclope Polyphème, ce monstre plus vrai que nature, un brin théâtral dans sa menace de l'idylle des deux jeunes amoureux, lors de son aria accompagné de la petite flûte - que Minkowski a choisi de conserver contrairement à la flûte utilisée par Mozart.  À propos : le chef français a ici gagné les cœurs et ses galons, puisque lui est confiée la direction artistique de la Mozartwoche à compter de l'édition 2013.

 

©ISM/Wolfgang Lienbacher

 

Un changement d'équipe, chef et soliste, aura privé l'auditoire de la vision engagée de Nikolaus Harnoncourt dans Berg et Mozart à la tête des Wiener Philharmoniker.  L'annulation de celui-ci aura en effet entraîné celle du violoniste Gidon Kremer justifiant ne pas vouloir jouer le concerto de Berg autrement qu'avec le chef autrichien.  On devait faire appel à Herbert Blomstedt et à Christian Tetzlaff, artiste en résidence.  Le concerto de Berg « À la mémoire d'un ange » est hanté par la tragédie de la mort, celle de la jeune Manon, fille de l'architecte Walter Gropius et d’Alma, la veuve de Gustav Mahler ; de la sienne peut-être aussi, au point que d'aucuns y voient une sorte de requiem pro domo.  Pour sa dernière œuvre, contemporaine de Lulu, Berg revient à un langage fluide qui se nourrit d'une thématique recherchée et se rapproche de la tonalité.  Faisant corps avec son instrument, Tetzlaff en livre une exécution d'une formidable concentration qui, sous son aspect d'improvisation, révèle combien est travaillée la construction formelle.  L'œuvre se révèle d'une extrême lisibilité et libère son étrange séduction.  Les premières mesures de l'andante initial sont prises très lentement introduisant une section méditative où la flûte solo rejoindra un instant le soliste.  Les péripéties de cette partie qui se poursuit allegretto ont une superbe aisance dans l'appropriation des brusques changements de rythmes.  La seconde partie, qui s'ouvre par une vision de chaos, restera plus agitée, côtoyant le grotesque mahlérien, jusqu'à cette citation d'un choral luthérien funèbre qui marque un moment d'apaisement.  Lors du développement, le soliste se fond parmi les premiers violons, avant de revenir à son statut de primus inter pares pour une fin extatique en forme de transfiguration.  Le dialogue orchestral est adroitement ménagé par le chef Blomstedt et on ne peut imaginer écrin plus esthétique que celui procuré par les musiciens viennois.  La 40e Symphonie de Mozart bénéficie ensuite d'une interprétation sans surprise, non exempte d'une certaine raideur.  Certes, l'effectif est peu nombreux et la transparence certaine, mais une énergique battue laisse peu de place à l'imagination dans le phrasé, lors des reprises notamment.  Voilà un style d'interprétation objective, pour ne pas dire froide, qui paraît dater maintenant.  Et l'on se prend à imaginer ce qu'un Harnoncourt en aurait fait.  La suprême finesse des Viennois préserve heureusement de la déconvenue, que ce soit les cordes menées par la Konzertmeister Albena Danailova ou la section des bois dont se distingue la flûte sublime de Wolfgang Schulz.

 

©ISM/Wolfgang Lienbacher

 

Le programme offrait aussi, dans la grande salle du Mozarteum, une soirée de musique de chambre juxtaposant les Quintettes KV 515 et 516 de Mozart et des compositions récentes de Jörg Widmann et Heinz Holliger.  Les deux quintettes pour cordes figurent, selon Saint-Foix, « parmi les véritables merveilles créées par l'esprit humain ».  L'ensemble formé par Christian Tetzlaff, Antje Weithaas, violons, Tabea Zimmermann et Hanna Weinmeister, altos, et Marie Luise Hecker, cello, en livre des exécutions empreintes d'une irrépressible pulsation de vie, ménageant aussi bien légèreté ineffable que troublante mélancolie, à l'aune de ces transitions où Mozart fait passer des larmes au rire.  On ne saurait imaginer contraste plus saisissant avec les Duos pour violon & violoncelle de Jörg Widmann, dont le second livre, joué ici, a été créé en 2008 par les frères Capuçon : pièces hyper-virtuoses inspirées, entre autres, par le Ballet mécanique de George Antheil, et que Tetzlaff et Hecker habitent d'une belle virtuosité.  Dans ses Trois Esquisses pour violon & alto (2006), Heinz Holliger spécifie que pour porter l'emphase sur la brillance du timbre de l'alto, le violon doit être réaccordé un demi-ton plus haut. À noter aussi que, dans la dernière pièce, la sonorité des deux cordes est élargie à une mélopée vocale requise des deux solistes.  Un autre concert donné dans ce même Mozarteum, programmait le Freiburger Barockorchester, un ensemble qui a peu d'équivalents en termes de vivacité instrumentale, dirigé de son pupitre par son premier violon Gottfried von der Goltz.  Il était centré sur des compositions de Joseph Haydn.

La partie proprement symphonique présentait l'ouverture de l'opéra Armida, brillant résumé d'un drame mêlant esprit chevaleresque et lyrisme intense ; puis la Symphonie Hob. 80 dont une formation instrumentale réduite, comme réunie en l'espèce, préserve la saveur des traits saillants : un mélange de véhément et de désinvolte, du turbulent et de l'interrogateur dans les silences ; sans oublier l'humour qui s'empare de plus d'une page dont un finale scintillant de facéties rythmiques.  Le principal attrait de ce concert matinal résidait cependant dans le bouquet d'arias du musicien d'Esterházy chanté par le baryton-basse Thomas Quasthoff, et empruntées aux opéras Armida, Orlando Paladino et L'Anima del filosofo : voix magnifique, idéalement conduite sur toute son étendue, tout à tour héroïque, emplie de morgue ou portée par le lyrisme de la romance.  Largement ovationné, il donnera en bis une aria de La Création.  Deux pièces de petits maîtres complétaient l'affiche.  Ainsi de Ditters von Dittersdorf, dont la 3e Symphonie, tirée de ses Métamorphoses d'Ovide, se complaît dans le descriptif, proche de l'esprit de Gluck.  Tout aussi intéressante est l'Ouverture La Mort d'Orphée de Franz Ignaz Beck qui termina sa carrière à Bordeaux pour le Grand théâtre où il composera plusieurs œuvres, dont cette pièce un brin théâtrale pour servir d'introduction au ballet homonyme.

 

©ISM/Wolfgang Lienbacher

Jean-Pierre Robert.

 

***

 

 



Nouveaux épisodes lisztiens…

 

…par le concert

En 1999, Denis Pascal avait créé l’événement en gravant une intégrale des Rhapsodies hongroises de Liszt (chez Polymnie) : lui, l’explorateur d’œuvres rares (on connaît ses enregistrements d’œuvres de Joseph Marx ou de Jacque-Dupont), le cerveau épris de réflexion sur des pans méconnus de répertoire, il s’attaquait à un monument comptant parmi les chevaux de bataille des pianistes !  Autant dire qu’il l’abordait avec l’intention d’en ramener au jour les trésors enfouis sous les paillettes et la poudre aux yeux. De fait, il nous conduisait à un réexamen radical de tout un pan du grand œuvre lisztien… et tout d’abord en lisant scrupuleusement le texte (nouveauté salutaire, s’agissant de pièces rebattues !).  Tout ébahis, nous redécouvrions que les nuances p et pp occupent une grande place dans ces partitions, dévoilant chez Liszt une pensée intime que les effets de cavalcade si recherchés par tant de virtuoses avaient occultée.  À suivre avec cette profondeur de jeu la chronologie des 19 Rhapsodies hongroises, on réalisait à quel point les germes des audacieuses pièces ultimes du compositeur se développaient déjà, précisément au long de ce cycle étalé sur quarante années (dès les si tragiques n°3 et n°5, notamment).  On imagine quel investissement physique et mental représente l’audace de donner en un seul concert 13 des 19 Rhapsodies (en évitant soigneusement les n°2, 6, 9 !), comme il le fit le 7 février 2011 à la Salle Gaveau.  Par une pédalisation très “rythmée”, ciblant juste ce qu’il s’agit de laisser vibrer, ascétique parfois, complice des résonances harmoniques à d’autres moments, Denis Pascal dessine à la pointe sèche l’exactitude d’un langage musical sans digressions ni concessions à l’épate-bourgeois, et ce langage est un voyage au fond des drames et nostalgies de l’âme lisztienne.  Son toucher pèse du poids des ombres les graves qui, dans maintes pages, résonnent d’arrière-pensées funèbres – ou d’ « amertume du cœur », disait Liszt à propos des plus tardives.  Ce qui apparaît brillant dans ces Rhapsodies est un vertige où s’étourdit, par le truchement de la danse, le souvenir inlassablement poursuivi du pays natal.  Voyage de l’âme, disions-nous ?  Voyage de la transmutation d’un horizon chimérique (pardon, Jean de La Ville de Mirmont) en recréation rêvée.

 

Denis Pascal ©DR

 

…par l’édition

Que cette commémoration encourage des publications éclairant d’un juste regard humain une figure aussi belle que Liszt, voilà un avantage non négligeable !  Il y a d’ailleurs bien des parallèles entre deux livres paraissant simultanément.  Le cheminement spirituel du musicien-abbé est au cœur de l’ouvrage d’Alain Galliari : Franz Liszt et l’espérance du Bon Larron (Fayard, 300 p., 22 €).  On connaissait Alain Galliari, directeur de la Médiathèque Gustav Mahler, comme biographe d’Anton von Webern et musicologue pétri de musique contemporaine (toutes choses qui ne sont pas incompatibles avec l’élection d’un Liszt comme génie tutélaire, bien au contraire !).  Écrivant sur la quête religieuse de Liszt, qui s’étendit du berceau jusqu’à la tombe, l’auteur dévoile aussi sa propre foi par ce biais, et engage une réflexion teintée de méditation personnelle sur la relation entre religion catholique et cheminement intérieur d’un artiste.  On rit cependant à plus d’un trait, tant l’auteur, doté d’une plume brillantissime, sait décocher ses épigrammes avec un esprit plein d’à-propos, et c’est en habile écrivain qu’il évite ainsi à sa démonstration de sombrer dans un esprit confit en « bondieuserie », ce qui aurait ravagé la fermeté gouvernant sa vision.  Il n’élude pas une fine touche d’esprit polémique lorsqu’il examine avec perspicacité la dissonance à laquelle nos sociétés du “paraître” (au XIXe comme aux XXe et XXIe siècles) exposent des vies enracinées “dans le monde“ alors que l’âme voudrait retourner ses racines en direction de l’aspiration vers le Très-Haut.  Il montre bien que, même au cours des années l’entraînant au rythme des plus éblouissants succès, Liszt ne perdit jamais de vue son Idéal et souffrit de cette dissonance qu’il analysait avec une lucidité parfois teintée de désespoir.  Il se réfère à de nombreuses citations du musicien, dont certaines bien moins diffusées que d’autres, et replace des phrases connues dans leur contexte complet, ce qui lui permet de concentrer sur les épisodes incontournables de la biographie le rapprochement de confidences intimes livrées par la correspondance.  Fort de sa propre connaissance des textes bibliques et pontificaux, Alain Galliari endosse le mouvement spontané et les convictions qui conduisirent un homme, apparemment si libre de mœurs et si sensible aux idées sociales, à s’en remettre sans réticence à la suprématie de l’Église romaine.  Il trace au passage un tableau des débats philosophiques et sociaux du temps, en évoquant le bref intérêt qui attira Liszt vers le saint-simonisme et la franc-maçonnerie (guère plus de quatre ans).  L’observation de quelques œuvres emblématiques jalonne les développements sur « la folie et l’exaltation de la Croix » (selon les mots gravés par Liszt dans son testament de 1860), sur la présence insistante de la mort, du diable, sur la disparition de deux de ses enfants…  Un livre singulier, beau, ouvrant sur de vastes méditations.

 

 

Il n’est pas indifférent que l’émotion, la profondeur psychologique et la haute tenue littéraire constituent les points communs se dégageant des nouveaux livres écrits sur le musicien qui œuvra, avec tant d’amour – humain et mystique – comme un pur chantre de toutes les émotions.  Car on est emporté par la prose superbement romantique de Jean-Yves Clément charriant dans ses flots la totalité de l’œuvre lisztienne au bénéfice d’une vision profondément unificatrice de ce cheminement inaltérablement voué à l’élévation de l’âme.  Quel exploit, en effet, contraint par le bref format de la collection « Actes Sud/Classica », de ne laisser aucune œuvre significative de Liszt sur le bord de la route, d’en profiter pour réhabiliter des pans négligés de sa production (que ce soit la musique religieuse ou les lieder) ; combien d’auteurs n’auraient pas même su décrire, en si peu de lignes, le De profundis pour piano et orchestre, l’Ode funèbre Les Morts”, Apparitions, etc. !  L’inestimable mérite de ce livre centré, rivé sur l’idéal (humain, mystique, artistique, le tout uniment confondu) de Liszt, est de dégager un portrait psychologique très intense du personnage.  Il n’y a pas de zigzags, ou de “périodes”, dans l’évolution ascensionnelle de cet homme, il y a une ligne directrice intangible, guidée par sa générosité humaine, son empathie même, et sa foi chrétienne : l’écrivain réussit à ne jamais se départir d’une vision pénétrante de ce qui anime le cœur du compositeur, au-delà de l’événementiel, s’appuyant lui aussi sur les nombreuses et bouleversantes citations de Liszt dont il émaille son propos.

Que l’on nous permette cependant d’ouvrir un amical débat avec Jean-Yves Clément : il s’avoue désemparé face à ce que nous appellerons la montée au désert dans certaines pages extrêmes ; c’est par une retraite au désert que tous les grands prophètes sont revenus, nourris de la force d’âme leur permettant de conduire les peuples vers des horizons nouveaux, relisons la Bible !  Que le Via Crucis lui laisse une désarmante impression de « pauvreté » (franciscaine ?), cela peut se concevoir tant cet opus dépend si vulnérablement de la capacité de ses interprètes à en “habiter” les interstices : mais au fond, il est oblation, dépouillement assumé de ce qui deviendrait inutile décoration face au mystère de la Croix ; c’est le produit, au sens strict essentiel, de qui s’abstrait par humilité, et nous partageons l’avis d’Alain Galliari l’évaluant comme « l’une des partitions assurément les plus impressionnantes » de Liszt (il faudrait ici parler des pièces religieuses pour orgue de la dernière période, toutes méditations dénudées atteignant l’indicible).  Quant aux pièces ultimes pour piano, non, cher Jean-Yves Clément, elles ne « ferment » pas « des horizons plutôt qu’elle n’en ouvrent » : elles ouvrent au contraire sur tout le XXe siècle, et ne commencent à voir leur prophétisme compris qu’au XXIe !  Non, elles ne sont pas « davantage une arrivée qu’un départ » : cultivant dans le secret d’une sorte de journal intime (en notes plutôt qu’en mots) quelques obsédantes tournures qui dynamitent l’édifice tonal et discursif sur lequel avait reposé toute la musique occidentale des derniers siècles, elles sont le point de départ des radicalismes qui transformeront le cours de l’histoire musicale quelques décennies plus tard !  Pourtant, pris dans une ambivalence perceptible, l’auteur n’en est pas moins fasciné par ces pièces et sait les décrire en phrases où perce irrépressiblement un saint effroi devant le gouffre de l’incernable.

 

 

…par le disque

Franz LISZT : Funérailles, Bénédiction de Dieu dans la solitude, Sonnet 104 de Pétrarque, Deux Légendes, Au bord d’une source, Fantaisie et fugue sur B.A.C.H., Après une lecture du Dante, Les Jeux d’eau à la Villa d’Este, Variations sur “Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen”, Rêves d’amour n°3, Sonate en si mineur.  Dominique Merlet.  2CDs Bayard Musique : S 447992.

Quelque avalanche de nouveautés que nous vaille cette année commémorative, on réécoute comme des références les aînés du piano français.  Le mois dernier, nous saluions la réédition d’un programme de Bruno Rigutto ; cette fois, la réédition de deux disques (1986 et 1992) de Dominique Merlet nous procure d’autres bonheurs, non moins appréciables.  Dans la Sonate, le pianiste, rompu à Prokofiev et Bartók, montre une domination souveraine du sujet : point d’alanguissement inutile, chaque élément est projeté selon une juste visée vers le suivant, le souffle qui ramasse la forme dessine avec un relief admirable chaque incrustation thématique ou chaque développement dans le plan génialement synthétisé.  Le même pianiste, qui porte un regard d’une acuité si moderniste sur la Sonate, s’épanche avec un chaleureux romantisme dans les pages fameuses de Rêves d’amour.  On mesure l’envergure de l’instrumentiste à le suivre sur les houles déchaînées de Saint-François de Paule marchant sur les flots, sur les crêtes grandioses de l’exaltation dans Bénédiction de Dieu dans la solitude (Rêveries-Passions, dirait Hector).  Quant à Funérailles – décidément inévitables cette saison !-, elles partent d’un travail d’accentuation et de pédalisation très recherché sur le glas initial, puis le crescendo s’élève à un paroxysme halluciné, annonçant un déferlement de grandeur visionnaire.

À une émouvante et fiévreuse interprétation de Après une lecture du Dante, il manque juste, pour nous combler, une densité de palette orchestrale dans les profondeurs du clavier.  D’autant que ces couleurs, on les trouvait six ans auparavant dans un Sonnet 104 noblement déclamé.  Organiste lui-même, Dominique Merlet a voulu intégrer dans ses programmes les versions pour piano (très rarement jouées) de deux œuvres plus connues dans leur majesté organistique (laquelle prima probablement dans le processus de naissance parallèle dont accoucha Liszt) : sa double culture – de la conduite polyphonique des plans sonores d’une part, des traits pianistiques qui, d’autre part, tracent de notables différences entre les solutions instrumentales adoptées par le compositeur – le rend apte à donner une interprétation idéale des Variations sur “Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen”.  Quant à la Fantaisie et fugue sur B.A.C.H., il y déploie un panache et un emportement qui éperonnent les transitions de virtuosité pianistique évidemment absentes de l’écriture pour orgue car moins utiles (rappelons que cet instrument tient les sons).  La connaissance des deux versions révèle par certains “trous” dans les octaves descendantes combien manque au piano un prolongement du grave pour équivaloir aux 16 et 32 pieds de l’orgue ; c’est d’ailleurs pour jouer ses propres transcriptions d’œuvres d’orgue de Bach, et traduire les graves du pédalier, que Ferruccio Busoni requit de la firme Bösendorfer des notes graves supplémentaires : ainsi naquit le fameux modèle “Impérial”.  En revanche, on s’étonne que Les Jeux d’eau à la Villa d’Este ou Au bord d’une source sonnent si peu “impressionnistes” sous les doigts d’un éminent ravélien, alors qu’il se montre superbement évocateur dans la Légende de saint François d’Assise, la Prédication aux oiseaux, tout le bruissement de la nature résonnant d’une manière qui n’est pas sans faire penser au jardin des Grimaldi à l’Acte I du Simon Boccanegra de Verdi, autre ouvrage teinté de pré-impressionnisme.

On regrettera seulement qu’à partir d’un jeu aussi précis, le responsable technique de l’enregistrement de 1992 ait éprouvé le besoin de rajouter une réverbération artificielle qui frise l’absurde : écoutez la vague improbable qui prolonge chaque son une fois les mains du pianiste relevées, on croirait entendre l’illusion d’un piano enregistré dans le vaisseau gothique de Notre-Dame !  La restitution de 1986 sonnait plus naturelle.  Notons l’excellent livret rédigé par Sabine Bérard, qui constitue une introduction rêvée à l’écoute de chaque pièce.  Engagez-vous à la suite de Dominique Merlet dans un parcours où il vous guidera en maître musicien, à la flamme étayée par une expérience puissamment pensée.

 

 

Franz LISZT : Après une lecture de Dante.  Sonate en si mineur.  Ballade n°2 en si mineurClaire-Marie Le Guay.  Accord : 476 4244.

Après Dominique Merlet, les ralentissements, épaississements, afféteries de Claire-Marie Le Guay sonnent insupportablement artificiels (de la réverbération du même nom, on a, là encore, abusé !).  La Sonate dure quatre minutes et demie de plus que chez Dominique Merlet (ce que l’on sent inéluctable dès la première exposition), Après une lecture de Dante deux minutes de plus, et en fait de sentiments, la pianiste déclame faux.  On se lasse vite de cette recherche du “paraître”, qui semble aussi décalée par rapport à l’essence de ces chefs-d’œuvre monumentaux que le rose bonbon (!) du disque. C’est encore dans la Ballade n°2, de la même année et de la même tonalité que la Sonate, que les effets de timbre ressortent le mieux (Levez-vous vite, orages désirés..., semble dire cette musique, comme empruntant à Chateaubriand).

On trouvera très pernicieuse la formule « Opendisc » qui, en mettant ce CD dans l’ordinateur, permet – paraît-il – d’accéder à des bonus et autres offres alléchantes… mais sous condition d’entrer des données personnelles qui livreront à la firme de quoi vous identifier et vous intégrer à ses “captures” publicitaires !

 

 

Franz LISZT : Transcription de la “Symphonie fantastique” de Berlioz.  Chapelle de Guillaume Tell, Au bord d’une source, Vallée d’Obermann.  Roger Muraro.  Decca/Universal : 476 4176.

On joue régulièrement les transcriptions de Symphonies de Beethoven par Liszt, mais la mise en ondes pianistiques – oserait-on écrire – de la Fantastique demeure… une fantastique rareté !  Il est vrai qu’elle soulève nombre de problématiques : l’orchestre berliozien, par le fait même que le compositeur ne s’aidait jamais du piano (dont il ne savait pas jouer) pour écrire, est le seul qui demeure aussi réfractaire, irréductible, au rendu pianistique.  Même Stravinsky, dont l’orchestration développe une stratégie de timbres si puissamment originale, composait au piano, et a prévu lui-même des réductions à un ou deux pianos de certaines de ses partitions orchestrales les plus célèbres.  À écouter la tentative héroïque que Liszt entreprit afin d’aider à faire connaître une œuvre dont le génie l’avait frappé – et à sa suite, l’héroïsme du pianiste qui, aujourd’hui, lui emboîte le pas –, force est de constater que la mission était impossible et que l’on entend “autre chose” que la palette timbrique voulue par Berlioz.  Il faut accepter d’écouter cette réalisation d’anthologie comme une recréation pianistique originale, à partir du canevas berliozien ; car les solutions trouvées par Liszt sont une œuvre en soi, et une œuvre en maints endroits à la limite de l’injouable, ou plus exactement au-delà des limites du jouable !  Liszt n’a que vingt-trois ans quand, apôtre déjà de la musique la plus futuriste qu’il entend, il commet l’effort de concrétiser ce moyen de diffusion qu’il offre à Berlioz : à cette date, il est à mi-chemin entre les deux premiers stades de ce qui ne s’appelle pas encore Études d’exécution transcendante, et il faut bien cela pour parvenir à vaincre les défis qu’il se pose à lui-même.  Surgit alors un autre problème pour l’édition ou l’exécution de cette transcription de la Symphonie fantastique : probablement conscient d’être le seul à pouvoir jouer ce qu’il était en train de jeter sur le papier, Liszt laissa inachevées quelques pages de la transcription, ici et là, se réservant peut-être de trouver ultérieurement des solutions et se disant que, de toute manière, en concert, il improviserait ce qu’il n’avait pas encore réalisé.  De fait, écoutez bien le fourmillement de textures intermédiaires entre l’espace des extrêmes aux deux mains : le pianiste aurait-il six mains qu’il les occuperait toutes !  Il y a dans Un Bal, plus encore dans la Marche au supplice et le Songe d’une nuit de Sabbat, des inventions de timbres pianistiques qui, en 1834 (et sur les pianos de 1834 !), durent semer la stupeur, voire l’épouvante.  En revanche, reconnaissons que l’écriture plus désertique des effets d’orchestre de Rêveries-Passions ou de la Scène aux champs, s’avère impossible à rendre au piano.

Le monument berliozien est encadré par trois extraits de l’Année de pèlerinage suisse : en portique du programme, la Chapelle de Guillaume Tell impose sa noblesse, mais avec un art de l’émotion contenue qui nous capte d’emblée.  Car Roger Muraro ne s’abandonne jamais à la facilité de l’effet pianistique, la vibration humaine l’intéresse plus que l’exhibition virtuose.

Au contraire de ce que nous reprochions un tantinet à Dominique Merlet, Au bord d’une source, sous les doigts de Roger Muraro, sonne idéalement aquatique, tout en gouttelettes d’éclaboussures poétiques.  Quant à la Vallée d’Obermann, rarement l’entendîmes-nous aussi rêveuse, absorbée dans une méditation reliant l’âme de Liszt à ses souvenirs élégiaques, empreinte d’une intériorité qui nous fait presque nous sentir indiscrets d’être admis au partage de ces confidences; et quand le ton s’exaspère sous une poussée de fièvre, c’est comme sous la pression de pensées menaçantes que vaincront finalement les forces spirituelles.  Ce disque, au-delà de la performance purement pianistique, représente un apport particulièrement original et prenant à l’Année Liszt.

 

 

Robert SCHUMANN : Introduction et allegro appassionato op.92.  Concerto op.54.  Franz LISZT : Concerto n°2 en la majeur.  Etsuko Hirose, piano.  Orchestre de Pau-Pays de Béarn, dir. Fayçal Karoui.  Mirare : MIR 135.

Il nous fut donné, pour des raisons géographiques, de suivre le prodigieux travail de résurrection que Fayçal Karoui, au sortir de son poste d’assistant auprès de Michel Plasson, accomplit depuis 2002 sur l’Orchestre de Pau qui végétait alors.  Il est donc intéressant de mesurer si celui-ci peut maintenant concourir par l’enregistrement (terrible comparatif à échelle mondiale) dans la cour des grands : après écoute, nous dirons qu’il faut encore persévérer dans le travail, mais on est sur la bonne voie.  Le disque s’ouvre magnifiquement, par une grande interprétation de l’Introduction et allegro appassionato op.92 de Schumann.  La pianiste japonaise, dotée d’un son charnu, déroule sa partie avec une merveilleuse fluidité, enlacée par des vents palois qui se montrent ici en grande forme (les cors, notamment).  On aime les couleurs à la fois diaprées et mélancoliques de l’Introduction, puis l’énergie déployée par le chef dans l’Allegro appassionato.  En revanche, le Concerto de Schumann représente le maillon faible du disque : il n’est guère travaillé dans le raffinement, et l’on souffre d’un manque de netteté dans l’articulation, tant des musiciens d’orchestre que de la pianiste.  Tous procèdent à traits épais, l’orchestre manque de grâce dans la respiration des phrasés de l’Intermezzo, et de virtuosité pour réussir les “coups de fouet” qui lancent le finale.  Or il est inutile d’ajouter une nième version à la pléthorique discographie de cette œuvre si l’on n’y apporte pas une nouvelle finesse d’éclairage : nous évoquions le mois dernier l’infinie délicatesse de Bruno Rigutto (qui fut le maître d’Etsuko Hirose au Conservatoire de Paris) dans les mêmes œuvres, et l’on repensait très fortement à lui en écoutant le présent disque !  Par bonheur, le sourire nous revient en passant au Concerto n°2 de Liszt : l’ample souffle expressif des interprètes séduit, même si les bois ne jouent pas très ensemble dans l’introduction et si on déplore encore trop d’approximations dans le jeu orchestral.  Mais l’excellent violoncelle solo aurait mérité d’être nommé (s’agit-il de Juliane Trémoulet, bien connue pour sa pratique de la musique contemporaine et sa pédagogie ?), au motif de son vibrant modelé dans le dialogue qui lui échoit avec le piano.  Sur un beau Steinway, Etsuko Hirose donne beaucoup de poids à la virtuosité de ce Concerto mal aimé, souvent éclipsé par le premier, et elle le sauve ainsi de la condescendance dont les commentateurs l’accablèrent parfois.  Au total, Etsuko Hirose et Fayçal Karoui nous proposent en “live” une version assez spectaculaire du Concerto n°2 de Liszt, traversé d’effluves berlioziens et wagnériens, de charges héroïques, mais aussi de fulgurances si caractéristiques du langage novateur en constante évolution chez le maître hongrois.

La prise de son, très pleine et présente, rencontre bien les choix expressifs des interprètes, même si on la sent un peu artificiellement “gonflée” vers les graves.

Dans le livret, Brigitte François-Sappey, éminente biographe de Schumann, trace une brillante démonstration sur l’histoire des formes concertantes au XIXe siècle.

 

 

D’un anniversaire l’autre

 

2011, certes, commémore le bicentenaire de la naissance de Liszt (comme nous le rappellent tant de Funérailles enchaînées par nos bien-aimés pianistes…), mais en fait de convoi mortuaire, il nous faut penser à la disparition prématurée, en 1911, d’un autre génie : Gustav Mahler.  Eliahu Inbal, que l’on avait entendu au tout début de cette saison dans une straussienne Alpensinfonie d’anthologie, nous revenait le 29 janvier 2011 avec un programme Mahler, autant dire dans un de ses univers de prédilection, lui qui, dès ses jeunes années, donna une intégrale marquante des Symphonies.  Cette fois, et pour ses 75 ans, le maestro dirigeait l’orchestre dont il est depuis peu le titulaire, l’Orchestre philharmonique tchèque, une phalange aux qualités légendaires qui se montra à la hauteur des complexes exigences requises par les orchestrations mahleriennes… même quand elles ne sont qu’incomplètement de Mahler !  En effet, Eliahu Inbal, fidèle à ses opinions, dirigeait la reconstitution intégrale de la 10e Symphonie selon le deuxième stade des travaux de Deryck Cooke ; nos lecteurs liront prochainement dans les pages de L’Éducation musicale les explications du maestro quant à ses choix en la matière.  De fait, il atteint une telle familiarité avec ces matériaux et le style de Mahler, que – malgré nos réticences face à tout travail post-mortem qui court-circuite ipso facto les audaces imprévisibles dans lesquelles le créateur “vivant” se serait engagé au gré de son processus de composition anthume (pour reprendre le mot d’Alphonse Allais) – on doit reconnaître n’avoir jamais entendu ladite reconstitution Cooke sonner de manière si homogène.  Certes, dans le premier Scherzo, par exemple, certains enchaînements harmoniques nous laissent perplexes car maladroitement conventionnels et fort étrangers à l’insolite mahlerien, mais l’habile circulation entre les blocs de couleurs et les lignes ductiles gouvernée par la vigoureuse direction d’Eliahu Inbal réussit à unifier la logique orchestrale des cinq immenses mouvements.

 

Eliahu Inbal ©K. Miura

 

Donnée en première partie, et précédant le désespoir terriblement violent de l’œuvre ultime, la vision, pourtant aussi funèbre, des Kindertotenlieder revêtait le triste et tendre abandon d’une sensibilité alors moins éprouvée (la composition s’étagea de 1901 à 1904).  Thomas Hampson chante en son idiome, tant il est pénétré de l’œuvre de Mahler, et son impériale projection, remplissant d’un souffle la Salle Pleyel, lui permet de moduler à son gré chaque nuance sans que l’on perde une syllabe.

À la répétition, on voyait Thomas Hampson y aller de ses suggestions aux musiciens de l’orchestre : c’est qu’il connaît par une expérience plurielle les moindres détails de ces partitions et sait ce qu’il veut y communiquer.  Ce qui nous amène au disque très innovant qu’il sort parallèlement.

 

Gustav MAHLER : Des Knaben Wunderhorn.  Thomas Hampson (baryton), Wiener Virtuosen.  DGG : 477 9289.

Cet enregistrement constitue un document musicologique autant qu’une magistrale réussite musicale.  Y sont réunis les 14 lieder que Mahler puisa dans un recueil de chants populaires collectés par Achim von Arnim et Clemens Brentano, pour les mettre en musique de 1892 à 1901 (on reconnaît au passage les formes originales des deux lieder qu’il développa parallèlement dans ses Deuxième et Quatrième Symphonies), mais joués ici tels que Mahler les donna dans la petite salle Brahms du Musikverein de Vienne, avec un effectif réduit reconstitué selon les documents, matériels d’orchestre et critiques d’époque, étayés d’une lettre où Mahler explique son objectif caméristique à Richard Strauss en 1905.  On a l’impression de redécouvrir, avec une transparence inouïe, des musiques que l’on croyait connaître.  On pouvait craindre de perdre quelque chose de la somptuosité qu’autorise un grand orchestre symphonique : au contraire, on découvre que les équilibres entre vents, percussions et cordes obéissent à un tracé que seule la clarté de l’épure fait ressortir dans tout son pertinent relief.  Il est vrai que les Wiener Virtuosen, qui ne sont autres que les chefs de pupitres de l’Orchestre philharmonique de Vienne, jouent comme des dieux une musique dont ils connaissent tous les secrets.  Cette initiative est due à la personnalité protéiforme et originale de Thomas Hampson, qui, loin d’être un exhibitionniste du gosier comme tant de chanteurs, est aussi une tête pensante, impliquée dans la recherche musicologique comme dans le travail orchestral avec ses partenaires.  Cet enregistrement repose sur la nouvelle édition critique parue chez Universal (Vienne), dont Thomas Hampson est un des artisans actifs en ce qui concerne les volumes consacrés aux lieder.  Sa collaboration avec la musicologue Dr. Renate Stark-Voit apparaît ici au grand jour, que ce soit dans le texte qu’ils co-signent, ou dans la répartition des tâches (Direction artistique : Thomas Hampson, Direction musicologique : Dr. Renate Stark-Voit, affiche le générique).  De surcroît, la réalisation en a été financée par la Fondation créée par le chanteur : The Hampsong Foundation (www.hampsongfoundation.org).

Toute la destinée humaine traverse ces chants, qu’il s’agisse de comptines satiriques, de fables populaires, de chansons dramatiques sur le sort de soldats (un sujet qui semblait obséder Mahler, à entendre la vigueur de trait, le sens du drame tout particulier qu’il y déploie).  On est bouleversé par l’expression poignante de la tragédie du petit tambour que l’on va exécuter (Der Tamboursg’sell) ou de la misère qui tue l’enfant affamé (Das irdische Leben).  On sourit à la fraîcheur de Rheinlegendchen ou de Verlorne Müh’ !, à l’humour de l’âne invité (parce qu’il a de grandes oreilles) à désigner le vainqueur d’un concours de chant entre le rossignol et le coucou (Lob des hohen Verstands ; on ne vous dévoilera pas le choix du juge !).  Doit-on ajouter qu’avec une si longue pratique du répertoire mahlerien, un voix si “plastique” à toutes ces intentions dramaturgiques, une diction si attentive à la poésie germanophone, Thomas Hampson incarne idéalement ces lieder ?  La prise de son épouse parfaitement l’équilibre restitué par les interprètes.  Voilà probablement le disque le plus original de l’année Mahler.

 

 

D’un siècle l’autre…

 

…dans l’aire austro-allemande

Le bouillonnement de mutations, de conséquences prolongeant ce qui avait précédé, ou au contraire de ruptures esthétiques (voire les deux à la fois, chez certains), qui se joua autour des années enjambant les XIXe et XXe siècles, rend les programmes centrés sur cette époque passionnants et révélateurs de perspectives infinies.  En quelques jours, les concerts parisiens nous offraient de parcourir les mêmes décennies à Vienne, en France et en Italie.

Sous la direction de Marc Albrecht, l’Orchestre national de France nous donnait un de ses concerts les plus exaltants (27 janvier 2011), en couplant Schoenberg à Brahms, et Brahms vu par Schoenberg.  La joie de diriger irradie du chef allemand, et elle rejaillit, non seulement sur les musiciens d’orchestre, mais aussi sur la manière de communiquer la musique.  Peut-on encore dire, après la Musique d’accompagnement pour une scène de film (expérience de création autour d’une scène imaginaire, qui fut tentée par d’autres également), que Schoenberg est difficile d’accès, voire rébarbatif ?  Une page aussi expressive sur un synopsis qui, en quatre mots, fait penser à Erwartung – « Danger menaçant, peur, catastrophe » – suscite immédiatement l’adhésion émotionnelle du public.  Rapprocher cet expressionnisme de l’abstraction plus policée de Brahms n’est pas incongru, comme en témoigne la défense et illustration de « Brahms le progressiste » (titre d’un article célèbre) par le maître viennois.

Schoenberg a treize ans lorsque naît le Double Concerto pour violon & violoncelle de Brahms, composé lors de l’été 1887, donc un an après la mort de Liszt.  Ce concerto bénéficia le 27 janvier d’une interprétation inoubliable de chaleureuse grandeur, d’unité dans la perfection collective : nous y découvrions deux jeunes artistes allemandes, dont c’était la première apparition à Paris (gageons que ce ne sera pas la dernière !), la violoniste Carolin Widmann et la violoncelliste Marie-Elisabeth Hecker.  Elles accomplissaient un merveilleux travail de symbiose chambriste entre leurs deux parties, mais avec l’ampleur de souffle que réclamait l’orchestre emporté d’un élan généreux par Marc Albrecht.  Brahms et Schoenberg rapprochés, disions-nous : mieux encore, fusionnés.  Nous réécoutions récemment au disque – sous la baguette de Sir Simon Rattle – l’orchestration par Schoenberg du Quatuor pour piano & cordes op.25 de Brahms.  Autant le chef anglais tirait cette étrange exercice vers la découpe des jeux de timbres révélant les couleurs éclatées chères au novateur viennois, autant Marc Albrecht (pour le plus grand bonheur des auditeurs, convenons-en !) orientait la même orchestration vers un symphonisme brahmsien en sollicitant un riche travail des cordes pour restituer le substrat appuyé sur des fondations profondes comme les aimait Brahms, quelque effectif qu’il adoptât.  Chauffant jusqu’à l’incandescence la conclusion de son concert, il conduisait le Rondo final alla zingarese à un paroxysme électrisant.

L’Orchestre national demeure fidèle à la disposition “en entonnoir” (contrebasses divisées à droite et à gauche, violons I à gauche, violons II à droite, “barre” des violoncelles de face, etc.) que nous avons déjà commentée, et l’on ne dira jamais assez le fondu, l’homogénéité acoustique que cela confère à une orchestration dense.

Le 25 juin, Marc Albrecht nous reviendra à la Salle Pleyel avec “son” orchestre (le Philharmonique de Strasbourg) pour donner les Gurre-Lieder du même Schoenberg : un événement à ne manquer sous aucun prétexte.

 

Marc Albrecht ©Marco Borggreve

 

Mahler et Brahms encore pour la « Dernière escale de la Folle Journée » à Tours le 12 février 2011 : le Quartettsatz d’un Gustav de seize ans (encore sous influence brahmsienne) ouvrant le concert, il incombait à Jean-Frédéric Neuburger d’installer un climat enveloppant l’auditoire dès le mystère surgi des premières notes au pianissimo profondément timbré.  Une arche, unifiant les rebondissements conflictuels de la pièce, s’élevait alors de la passion commune au pianiste et à trois membres du Quatuor Modigliani.  Un engagement de feu propulsait les jeunes artistes au long du vaste Quintette en fa mineur de Brahms, déchaînant l’enthousiasme du public.  Ce feu ne s’en nourrissait pas moins d’une grande maturité de pensée, Jean-Frédéric Neuburger pesant le devenir de chaque dessin ou élément dans ces architectures immenses ; lui répondait la plénitude du jeu des quartettistes.  Neuburger sait contrôler une gradation admirable de ses pianissimi toujours densément habités, et l’on aurait juste souhaité que les instrumentistes du Quatuor Modigliani sachent par moments tamiser leurs interventions, malgré le lyrisme qu’on ne saurait leur reprocher, afin de mieux accompagner la savante dynamique du pianiste.

Les mêmes artistes viennent de sortir l’enregistrement dudit Quintette op.34 chez Mirare (MIR 130), et l’on est ému par ce disque de référence où de jeunes musiciens terrassent incontestablement tant de prestigieux aînés : dès le premier mouvement nous frappent la beauté du modelé des phrasés (avec de légers portamenti des cordes qui romantisent, mais sans mauvais goût, le discours), la générosité du son des quartettistes comme du pianiste, la force intérieure de l’élan qui projette haut les voûtes d’une grandiose architecture, la vivacité des contrastes de climats, la fougue impérieuse dont on sent néanmoins qu’elle est intelligemment contrôlée.  Écoutez comme chante avec spontanéité le thème, quasi Volkslied, du deuxième mouvement, avant un Scherzo incroyablement cravachant, trépidant, mais où ne faiblit jamais une impressionnante exactitude de jeu.  L’entrée, désarmante de mise à nu du cœur humain, dans le dernier mouvement, s’achemine vers une autorité aussi souveraine que tempêtueuse.  La deuxième œuvre présente sur le disque associe deux altos, celui, instrumental de Laurent Marfaing, et celui, vocal, de la Canadienne Andrea Hill, épaulés par le piano de Jean-Frédéric Neuburger : il s’agit des Deux Chants op.91.  Les trois interprètes parviennent à une fusion pleinement convaincante ; ajoutons cependant que l’atmosphère ocrée, ombrée, typiquement brahmsienne, doit beaucoup au son si émouvant de Laurent Marfaing.

Un disque magistral, que l’on recommande chaudement, d’autant que la prise de son est à la hauteur de la réussite artistique.  Un beau texte de Brigitte François-Sappey introduit aux œuvres avec force notations très documentées.

 

 

On nous permettra juste une petite remarque : alors que l’on peut remplir un disque compact jusqu’au-delà de 75 minutes, celui-ci n’offre que 53 minutes de musique (quelles minutes, quelle musique, j’en conviens, mais tout de même !).  Que Jean-Frédéric Neuburger soit précocément un grand brahmsien, on en avait reçu la preuve dès ses premiers disques à Auvers-sur-Oise (les trois Sonates et le Scherzo op.4), et l’on eût aimé qu’il apportât une touche pianistique supplémentaire à cet édifice, la place libre permettant un opus d’assez vastes proportions.

 

…en France

Aujourd’hui, on tend à diversifier les programmations de mélodies françaises, ce qui rappelle fort heureusement qu’il y eut une vie, dans cette expression vocale, avant Fauré.  Ainsi s’effectuent des réévaluations favorables au répertoire du XIXe siècle finissant.  Accompagnant le lancement de son disque par un récital au programme jumeau (Théâtre des Champs-Élysées, 28 janvier 2011), Stéphane Degout se distinguait par son intelligence des textes, sa capacité à jouer en comédien des poèmes souvent pittoresques.  Sa voix de baryton sonne au mieux vers le registre aigu, même si elle n’est pas de “baryton-Martin” (dont les derniers à transmettre la couleur exacte furent Jacques Jansen et Camille Maurane ; rappelons que cette dénomination emprunte à Jean-Blaise Martin, qui était à la fin du XVIIIe siècle un ténor grave, une “basse-taille”) ; descendant vers le registre inférieur, elle perd de la projection, ce qui l’expose à être couverte par le piano, surtout lorsque celui-ci est magnifié par le jeu riche et si chaud, quasiment symphonique, d’Hélène Lucas.  En compagnie de Stéphane Degout, on glissait des climats mélancoliques de Debussy (Trois poèmes de Paul Verlaine) au dramatisme de Duparc (la fresque épique du Galop, les deux tombes évoquées dans Lamento puis Élégie), puis on entrait dans Saint-Saëns par une tombe aussi (Le cimetière), avant de le montrer sous un visage enjoué (Tournoiement, songe d’opium) : ces Mélodies persanes op.26, outre l’intérêt du compositeur pour les charmes moyens-orientaux, peignent bien l’esprit à double facette de celui qui ne fut jamais réductible à l’académisme corseté dans lequel on l’a (il s’est) enfermé.  L’insouciance de Chabrier culminait dans les savoureux jeux de rimes inspirés par Rosemonde Gérard (Les Cigales, où l’on professe que « les cigalons/Chantent mieux que les violons ! »).  La réévaluation la plus notable, ces dernières années, concerne peut-être Reynaldo Hahn : les deux mélodies extraites du Premier Recueil de 1896, Trois jours de vendanges et Cimetière de campagne, montrent un compositeur capable de climats sensibles et profonds ; il en va de même de bien d’autres œuvres de ce musicien, par ailleurs éminent critique dans la presse de son temps, que l’on a trop souvent limité à quelques clichés le rendant suspect aux yeux des commentateurs d’art “sérieux” : compositeur d’opérettes, visiteur assidu des salons mondains, ami de Marcel Proust.  On ne saurait trop encourager Stéphane Degout à poursuivre dans ce filon, par exemple avec les Études latines du même Reynaldo, et naturellement avec les somptueux cycles de mélodies de Massenet – maître d’icelui – où sa partenaire pianiste excellerait aussi.

Revenant à des cycles célèbres, Stéphane Degout, avant les Trois ballades de François Villon de Debussy, se délectait (et nous régalait) des Histoires naturelles de Ravel, auxquelles il faisait répondre, à l’heure des bis, les six premières mélodies du Bestiaire de Francis Poulenc. Il nous quitta sur Hôtel du même Poulenc (d’après Apollinaire), chanté avec une nostalgie douce-amère teintée d’intentions ironiques.

 

Stéphane Degout ©Cédric Roulliat

 

Archange de l’enjambement XIXe/XXe, Gabriel Fauré ne sortit pas tout armé de la cuisse… de sainte Cécile : le programme composé par l’Orchestre de Paris nous conviait à suivre la progression de l’étudiant gravissant les marches du savoir à l’École Niedermeyer (Psaume “Super flumina Babylonis” à 18 ans, puis Cantique de Jean Racine à 20 ans), avant d’épanouir sa création religieuse dans le Requiem à l’âge mûr.  Était-ce bien opportun, et si la grâce mélodique n’a jamais fait défaut à Fauré, une succession de partitions somme toute assez impersonnelles ne risquait-elle pas de mal préparer à la réception du chef-d’œuvre ?  En diversions laïques, on nous donna la Pavane pour orchestre avec chœur postérieurement ajouté sur un poème de Robert de Montesquiou que notre penchant pour l’univers proustien aimerait ne pas avoir à dénoncer comme d’effroyables vers de mirliton.  Puis l’Élégie pour laquelle ne fut guère requis le meilleur des violoncelles solo de l’Orchestre : nous dûmes osciller au bord d’une justesse pas immédiatement assurée au début de la pièce, et nous souvenir d’illustres artistes ayant donné toute la chaleur lyrique à l’expression de cette page fameuse.  Sympathique hommage, donc, mais peut-être imprudent de par sa volonté monographique où manquaient les contrastes stylistiques.  Quoi qu’il en soit, Paavo Järvi se distingue toujours par la grande souplesse avec laquelle il modèle le cheminement et les réactions de ses troupes, et le Chœur de l’Orchestre de Paris se montra à la hauteur d’un programme qui reposait largement sur ses épaules… ou plutôt sur ses gosiers.  Dans le Requiem intervenaient la soprano Chen Reiss, d’une fragile innocence, et le Liedersänger  Matthias Goerne, qui n’est peut-être pas la voix idéale requise pour les interventions réduites du baryton.  Et puis, quelque bonne âme serait bien inspirée de suggérer à M. Goerne qu’un minimum d’élégance, tant dans la tenue vestimentaire que dans le maintien en scène, n’est pas interdit à qui s’expose aux feux de la rampe.  Un élément, instrumental cette fois, a désagréablement chatouillé nos oreilles : à force d’aménager des salles de concert sans orgue dans Paris, on récolte ce que l’on a semé !  L’orgue joue un rôle important dans le Requiem de Fauré (lui-même organiste), il apparaît même à découvert ; la grande misère de nos salles fait que l’on nous a infligé un orgue électronique au son “moche”, ne permettant pas la moindre coloration susceptible de répondre à la beauté des chœurs et de l’orchestre.  Quand on cessera de considérer en France l’orgue comme un bahut encombrant tout juste bon à prendre la poussière au fond des églises, alors qu’on inaugure sans cesse des orgues nouvellement construits dans toutes les salles du monde, un progrès aura été accompli !

 

Paavo Järvi ©Sasha Gusov

 

…en Italie

Comme à l’accoutumée, la programmation de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille enrichissait la connaissance du répertoire gravitant autour de l’œuvre lyrique donnée sur scène : en ce mois de février, Francesca da Rimini de Riccardo Zandonai.  Ainsi envisagions-nous le même passage d’un siècle à l’autre sous l’angle italien.  Ce qu’on appelle la generazione dell’Ottanta désigne les compositeurs, nés autour de 1880, qui ressuscitèrent la musique instrumentale dans la péninsule toute entière vouée à l’art lyrique : Respighi (né en 1879), Pizzetti (1880), Malipiero (1882), Zandonai (1883), Casella (1883).  Tous n’étaient pas représentés dans ce cycle de concerts, mais veillait sur eux l’ombre du précurseur, Giuseppe Martucci (1856-1909), plus réputé comme chef d’orchestre ayant dirigé la première italienne de Tristan et Isolde que comme compositeur (mineur) décalquant les canons de la musique orchestrale et chambriste allemande.  On avait fait venir de Vienne le Quatuor Aron : n’eût été la difficulté de trouver un ensemble ayant de rares partitions italiennes à son répertoire, la dépense des billets d’avion se serait-elle justifiée ?  Justesse approximative, hétérogénéité subsistant entre les sonorités et l’engagement des quatre partenaires, les Viennois renvoyaient par antidote notre pensée à la formidable richesse dont la France peut actuellement s’enorgueillir en matière de quartettistes (citons les Modigliani, Diotima, Ébène, et la liste n’est pas close : generazione dell’Ottanta du XXe siècle, dans un autre genre !).  Le pâle reflet de  romantisme attardé dégagé par les (respectivement) quatuor et quintette de Zandonai et Martucci ne pouvait s’en trouver magnifié, tandis que Crisantemi de Puccini souffrait de la comparaison avec nombre de grandes interprétations.  Aujourd’hui âgé de 75 ans, le pianiste Bruno Canino prêtait son originalité à ces exhumations, d’abord dans le susdit quintette, puis en récital : lui qui fut acteur de tant d’épisodes de la musique contemporaine en Italie, il proposait un panorama débordant largement le cadre strict de la démonstration.

 

Bruno Canino ©DR

 

Dallapiccola, Petrassi, Scelsi s’invitaient au partage du clavier, même si les pages choisies ne comptaient guère parmi les sommets de leur catalogue.  À dire vrai, la découverte la plus originale émanait… d’un peintre-décorateur-écrivain-musicien : Alberto Savinio (1891-1952), frère de Giorgio di Chirico, personnage inclassable et imprévisible, porté à taquiner plusieurs muses à la fois.  En écoutant ce soir-là Bruno Canino, tant de fois entendu dans des pages d’aujourd’hui, d’hier, mais plus rarement d’avant-hier, on éprouvait un sentiment mitigé : s’attaquant à la Toccata de Busoni ou s’infiltrant dans ce que l’on nomme en italien le tardo-romanticismo (expression stylistiquement plus juste que son équivalent français, post-romantisme, qui ne veut pas dire grand-chose), il laissait ressortir un travers qui parfois nous perturbe chez les interprètes trop uniment voués à la musique contemporaine, à savoir un traitement du son déconnecté de la substance qui modèle l’expression ; une pédalisation désarmante de maigreur, un toucher certes élastique mais jamais en profondeur, nous laissaient sur notre faim.  La remise à l’honneur de ces pans trop négligés de la musique italienne aurait nécessité plus de discernement pour lui donner une portée significative.

Sylviane Falcinelli.

 

***

 

 



Si, à l'Opernhaus Zürich, Le Comte Ory laisse perplexe...

Gioacchino Rossini : Le Comte Ory.  Opéra en deux actes.  Livret d’Eugène Scribe et Charles-Gaspard Delestre-Poirson, d'après leur vaudeville (1816) et la romance « Le Comte Ory et les nonnes de Formoutiers » tirée de la collection « Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l'histoire et à la littérature » (1785) de Pierre-Antoine de La PlaceCecilia Bartoli, Javier Camarena, Carlos Chausson, Rebeca Olvera, Liliana Nikiteanu, Oliver Widmer, Teresa Sedimair.  Orchestra La Scintilla der Oper Zürich, dir. Muhai Tang.  Mise en scène : Moshe Leiser & Patrice Caurier.

 

©Suzanne Schwiertz/Opernhaus Zürich

 

Rarement joué aujourd'hui, contrairement au succès retentissant qui le garda à l'affiche longtemps après sa création en 1828, Le Comte Ory occupe une place particulière dans la production de Rossini : cet avant-dernier opéra est écrit en français ; appartenant au genre comique, il fait figure de troisième voie entre l'opéra bouffe italien, dont il n'a pas les récitatifs secco, et l'opéra-comique à la française, eu égard à l'absence des dialogues parlés ; enfin, l'auteur y a « recyclé » une large partie des numéros musicaux de son précédent ouvrage, Le Voyage à Reims.  Ainsi y retrouve-t-on, pour tenir lieu de finale du premier acte, une forme abrégée en nombre de voix solistes du gran pezzo concertato de cette dernière œuvre ; de même que l'air en forme de catalogue de la basse Don Profundo est repris dans celui narrant les exploits de Rambaud, le fidèle écuyer du comte. L'intrigue propose en fait deux fois le même scénario : afin de séduire la belle comtesse Adèle, le jeune comte Ory usera de la ruse du déguisement, successivement en ermite puis en nonne.  Malgré une trame dramatique relativement réduite, Rossini dispense une musique toute en finesse et forge les situations comiques à l'aune d'un humour raffiné.

 

©Suzanne Schwiertz/Opernhaus Zürich

 

Le comique appuyé que favorise la production zurichoise en est bien loin.  Le tandem Patrice Caurier et Moshe Leiser, qu'on a vu ailleurs manier avec brio une subtile vis comica - on pense à leurs productions de L'Italienne à Alger ou du Barbier de Séville au Royal Opera de Londres -, verse ici dans le plus débridé esprit gaulois, empilant les gags parfois à la limite du mauvais goût.  Le comte Ory, joyeux drille certes, libertin sûrement, est un obsédé sexuel dont les mimiques confinent souvent à la pantomime grotesque.  Ainsi au Ier acte, le prétendu ermite apparaît-il sous les traits d'un faux aveugle, mi-curé mi-gourou, attirant ses jeunes proies dans une caravane de luxure.  La cavatine de la comtesse y sera gâchée par une extravagante pitrerie dont le résultat est de déclencher une bruyante hilarité au détriment du perlé des vocalises de madame Bartoli.  L'histoire, explique-t-on, a été mise au goût de l'époque « soixante huitarde » de libération des mœurs.  Elle devient en fait une parodie « franchouillarde » ; ce que souligne la décoration de Christian Fenouillat qui, abandonnant sa manière suggestive habituelle, donne libre cours à un naturalisme de premier degré où rien ne manque ni du détail répétitif (une théorie de drapeaux tricolores brandis par les choristes), ni du recours aux véhicules - décidément fort prisé à l'Opernhaus : outre la caravane XXL, une jeep, puis la deux CV au volant de laquelle la comtesse fait son entrée en scène.  Est-ce volonté de satisfaire au goût local, car l'auditoire s'amuse beaucoup ?  Les choses fonctionnent mieux au IIe acte qui calque plus les jeux de scène sur le rythme musical.  Mais, là encore, le délicat trio « À la faveur de cette nuit obscure », l’une des pages les mieux venues de la partition, sera vite noyé sous la déferlante de rires que déchaîne une scène de séduction-quiproquo virant à la pantalonnade.  Ne maîtrise pas qui veut l'art de transformer en or des situations invraisemblables basées sur le changement d'identité.  De la direction musicale du Chinois Muhai Tang, peu habitué de la scène lyrique, on dira qu'elle est correcte à défaut d'être inspirée.  Mais la sonorité de l'Orchestre La Scintilla, jouant sur instruments d'époque, ne manque pas de saveur ni d'intéressantes couleurs dont s'accommode la riche instrumentation rossinienne.  Trois voix se détachent du lot : le vétéran Carlos Chausson, qui se tire d'affaire avec un sûr métier et offre la vocalité d'une vraie basse bouffe ; Javier Camarena, à l'aise dans une partie délicate de tenor di grazia parsemée de contre-ut aussi périlleux que savoureux dans leur caractère inattendu ; Cecilia Bartoli surtout, qui par sa formidable présence donne quelque poids à l'affaire, même si le rôle de la comtesse Adèle, malgré ses prestiges, offre peu matière à démonstration vocale.

 

…la production de Tannhäuser possède de sérieux atouts.

Richard Wagner : Tannhäuser und der Sängerkrieg auf WartburgAction musicale en trois actes. Livret du compositeur.  Peter Seiffert, Nina Stemme, Vesselina Kasarova, Michael Volle, Alfred Muff, Christoph Strehl, Valeriy Murga, Patrick Vogel, Andreas Hörl, Camille Butcher.  Chor und Orchester der Oper Zürich, dir. Ingo Metzmacher.  Mise en scène : Harry Kupfer.

 

©Suzanne Schwiertz/Opernhaus Zürich

 

La nouvelle production de Tannhäuser est une autre affaire.  Dans cette « action musicale » tirée de la littérature du haut Moyen Âge, Richard Wagner traite de l'homme partagé entre des aspirations contradictoires.  L'interprétation contemporaine y voit, à juste titre, le thème du drame de l'artiste confronté, dans son ego profond et ses aspirations vers la modernité, à une société ancrée dans le conformiste de la tradition et la volonté de ne rien changer aux normes établies.  Aussi, pour exister, le chevalier Tannhäuser provoque-t-il. Sa protestation a, en soi, presque quelque chose d'anarchiste. S'il échoue finalement, c'est plus par incapacité à se faire comprendre que par faiblesse.  Dans cette œuvre Wagner rompt avec les canons de l'opéra romantique pour élever le propos à la hauteur d'une pensée philosophique dont Liszt saluera d'emblée la profondeur.  Il offre aussi un premier exemple de ce procédé du leitmotiv qui fera florès dans ses drames ultérieurs.  Écrite en 1845, elle sera retouchée pour la reprise parisienne de 1861.  La version de l'actuelle production zurichoise opte pour un mélange des deux manières, celle dite de Paris pour le Ier acte, comportant en particulier un élargissement de la scène entre Vénus et Tannhäuser, et celle dite de Dresde pour les deux autres ; ce qui n'est pas sans comporter une légère rupture dans la mesure où, seize ans après la création de l'opéra, le style du compositeur a largement évolué.

 

©Suzanne Schwiertz/Opernhaus Zürich

 

La mise en scène de Harry Kupfer actualise le parcours d'un héros tiraillé entre deux mondes antagoniques.  Il sera ballotté entre un Venusberg qui tient du bordel de luxe aux couleurs rougeoyantes, où se retrouve parmi les bacchantes et autres ménades la crème d'une société dépravée, hauts dignitaires militaires et ecclésiastiques, puis une salle d'hôpital où il échoue après avoir fui les attraits de la déesse de l'amour, enfin le green d'un golf où aiment à se divertir le Landgrave Hermann et ses amis.  S'il rejoint, au deuxième acte, la vaste salle impersonnelle de la Wartburg, pour une joute chantée autour d'un piano à queue, son retour de Rome le transporte, au dernier acte, dans un vaste et froid hall de gare, tout comme ses coreligionnaires revenus du pèlerinage au lieu saint.  Sur ces visions paroxystiques dans leur modernité, Kupfer laisse place au théâtre.  Son héros emporte quelque chose de négatif dans ses diverses tentatives pour exister, en butte au rejet d'une société réactionnaire, religieuse en particulier.  La figure d'Élisabeth est au centre de la magistrale composition du deuxième acte : une femme jeune que sa pureté oppose à l'envoûtante Vénus, certes, mais qui trouve les accents vrais pour sauver l'être chéri de la réprobation, animée de pitié et profondément aimante, plus que vierge intouchable au sens de l'imagerie moyenâgeuse.  Élisabeth vit un déchirement qui, après une sublime prière d'agonie, deviendra renoncement.  Au final, Tannhäuser est comme canonisé, tandis que quelque cataclysme dispersant l'assistance semble lui donner raison quant à l'avènement d'un ordre nouveau : une fin faisant fi du triomphe de l'ordre rétabli.  À cette vision chargée de sens, dérangeante parfois, répond une interprétation musicale qui prend le temps de scruter tous les méandres de la partition.  La direction de Ingo Metzmacher favorise en effet des tempos mesurés, voire très lents.  L'orchestre de l'Opernhaus résonne de couleurs resplendissantes ; tout comme est valeureuse la prestation des chœurs.  La distribution convoque un panel de grandes voix.  Nina Stemme, qui s'affirme comme la grande soprano wagnérienne du moment, est une immense Elisabeth : timbre lumineux enrichi d'un legato parfait, composition ultra-sensible.  Michael Volle propose un émouvant Wolfram, modelant son chant avec goût (n'était le tempo étiré affectant la Romance à l'étoile).  Pour sa prise de rôle, Vesselina Kasarova triomphe de la partie redoutablement tendue de Vénus et séduit par une composition tout en nuances.  Le Tannhäuser de Peter Seiffert tonne à la façon d'un heldentenor là où il faudrait une flexibilité toute italienne ; mais la vision ne manque pas de panache et la réserve vocale lui permet d'assurer de tout son impact le poignant récit de Rome.

 

Le Jules César de Haendel fait peau neuve à l'Opéra Garnier.

George Frideric Handel : Giulio CesareOpéra en trois actes.  Livret de Nicola Francesco Haym, d'après Giacomo Francesco Busani.  Lawrence Zazzo, Christophe Dumaux, Natalie Dessay, Varduhi Abrahamyan, Isabel Leonard, Nathan Berg, Dominique Visse, Aimery Lefèvre.  Chœurs de l'Opéra national de Paris.  Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm.  Mise en scène : Laurent Pelly.

 

©Agathe Poupeney/Opéra national de Paris

 

Est-il plus suprême chef-d'œuvre dans l'immense production de Haendel que son opéra Giulio Cesare ?  Il y fait montre d'une fécondité prodigieuse aussi bien par le nombre des personnages façonnant l'action que par la diversité des morceaux musicaux qui leur sont dédiés.  Pour être souvent épique et comporter son lot de rebondissements, l'action n'en reste pas moins basée sur la peinture de caractères et de leurs affects, l'angoisse, le désespoir, la déploration tragique, la passion amoureuse.  De l'épopée égyptienne de César, Laurent Pelly, pour cette nouvelle production au Palais Garnier, joue le second degré, pour le moins.  Dans l'espace à la fois vaste et confiné de ce qui tient de la réserve du Musée du Caire, encombrée de vestiges, statuaire et autres colosses nubiens, l'action est conçue comme une pièce qu'improvisent des personnages sortis d'on ne sait où, sous l'œil indifférent d'une escouade de manutentionnaires affairés à classer, répertorier, déplacer tels objets ou charrier d'imposantes caisses.  Parfois se joindront-ils à l'action, comme piqués par la curiosité de ce qu'on prenne pour théâtre leur lieu de travail.  L'agitation en arrière-plan est de rigueur durant le da capo des arias.  Reste que cette démarche d'animation a quelque chose de factice. Il est dommage aussi qu'on n'ait pas cherché à mieux différencier cet entourage strict qui appartient aux figures des Romains et l'univers plus libéré et fastueux qui est celui des Égyptiens. Certes, des images originales, telle Cléopâtre délivrant sa première aria juchée sur le gisant d'un grandiose colosse du Nil, ne manque pas d'impact.  On sait que Pelly se plaît malicieusement à montrer ce que les situations ont de dérisoire et se fait un malin plaisir à démythifier ce qui, à l'opéra, participe du convenu. On le sent pourtant moins inspiré cette fois ou désarmé devant la dimension quasi shakespearienne de la pièce, et prisonnier d'une décoration qui n'a vite plus grand chose à démontrer.  Même la direction d'acteurs laisse perplexe : la gestuelle est souvent banale. Ainsi du personnage de Cornelia dont la discrétion peut confiner à la froideur, et plus encore de celui de Sesto, bien peu habité de l'ardeur et du feu de la vengeance ; leur bouleversant duo au final de Ier acte laisse sur une impression de drame trop contenu.  Les personnages égyptiens sont mieux traités, l'irrésistible Cléopâtre surtout.  La personnalité de l'interprète, Natalie Dessay, rompue au style libéré du metteur en scène, est là déterminante.  Et l'on sent bien que c'est autour d'elle qu'il a organisé sa dramaturgie.

 

©Agathe Poupeney/Opéra national de Paris

 

Le volet musical réserve plus de bonheur, eu égard aux prestations vocales en particulier.  Bien sûr, les regards se tournent au premier chef vers Cléopâtre.  Pour son retour à la scène baroque, dans une forme vocale éblouissante, Natalie Dessay montre combien ce style est loin de lui être étranger : la beauté du chant rejoint une prestation scénique irrésistible de naturel persifleur ou de tragique assumé.  Sa frêle apparence ajoute à la résolution d'un personnage qui se met en scène, ne semble céder devant aucun obstacle, ne doutant pas un instant de son charme, tour à tour frivole, coquette, sensuelle, stratège, vraiment désespérée, reprenant le dessus pour retrouver ce goût du pouvoir qui n'a jamais cessé de l'habiter.  Le prestige de ses collègues n'est pas moindre.  Le César du contre-ténor Lawrence Zazzo, après un début mesuré, fait montre d'une belle faconde vocale, comme dans l'air « Ah brises, de grâce, emplissez ma poitrine », développant un sublime chant lié.  On saisit, ne serait-ce que pour une question de vraisemblance, combien il est plus satisfaisant de confier le rôle à un contre-ténor plutôt qu'à un contralto féminin.  La Cornelia de Varduhi Abrahamyan, n'était le peu de noblesse tragique qui lui est autorisé, offre une fervente déclamation lyrique.  Isabel Leonard, Sesto, déploie elle aussi un timbre de mezzo chaud et bien conduit.  Dans le camp des Égyptiens, Christophe Dumaux, Ptolémée, pur exemple de la vitalité de l'école des contre-ténors français, campe un adolescent irascible et sûr de lui.  Le vétéran Dominique Visse, Nireno, truffe son jeu d'une verve savoureuse, même si canalisée par Pelly.  La direction d’Emmanuelle Haïm, inscrite dans le beau galbe sonore de son concert d'Astrée, se veut chambriste.  Elle ne cherche pas l'éclat, et certains tempos paraissent à la limite lymphatiques (premier air de Sesto), voire un brin pondéreux (aria de César au Ier acte avec cors obligés).  Mais la pâte sonore ne manque pas d'atours, surtout lorsqu'il s'agit de peindre les diverses facettes du personnage de Cléopâtre.  La complicité avec l'interprète est alors perceptible.

 

©Agathe Poupeney/Opéra national de Paris

 

Francesca da Rimini à l'Opéra Bastille : une rutilante fête sonore.

Riccardo ZANDONAI : Francesca da Rimini.  Tragédie lyrique en quatre actes.  Livret de Tito Ricordi d'après la tragédie homonyme de Gabriele D'Annunzio.  Svetla Vassileva, Roberto Alagna, George Gagnidze, Wojtek Smilek, William Joyner, Louise Callinan, Grazia Lee, Manuela Bisceglie, Carol Garcia, Andrea Hill, Cornelia Onciou.  Violoncelle solo : Cyrille Lacrouts.  Orchestre & Chœurs de l'Opéra national de Paris, dir. Daniel Oren.  Mise en scène : Giancarlo del Monaco.

 

©Mirco Magliocca/Opéra national de Paris

 

Rarement représentée, la tragédie lyrique Francesca da Rimini fait son entrée à l'Opéra national de Paris.  Son auteur, Riccardo Zandonai (1883-1944), qui voit sa carrière éclore en plein mouvement vériste, a cherché à s'en émanciper, tout comme il se fraiera une voie personnelle à côté de Puccini.  Grand admirateur de Richard Strauss et de Debussy, ce fin lettré fréquentera aussi les poètes de son temps, Pierre Louÿs, Maurice Maeterlinck ou Gabriele D'Annunzio.  Il sera l’un des chantres de l'Art nouveau musical de l'Italie à l'aube du XXe siècle.  L'opéra est une adaptation, moyennant de larges coupures, de la tragédie homonyme de D'Annunzio, écrite en 1901 pour une célèbre tragédienne de l'époque, la Duse, et elle-même inspirée d'un épisode de la Divine Comédie de Dante Alighieri.  Le compositeur le concevra à son tour à l'attention de celle qui devait devenir son épouse, Tarquinia Tarquini, une cantatrice aux vastes moyens puisqu'interprète aussi bien de Salomé que de Carmen, qui finalement renoncera peu avant la Première.  Influencé par le langage flamboyant mais aussi quelque peu emphatique du grand poète italien, Zandonai fait voisiner, en un curieux mélange, romantisme exacerbé et impressionnisme diaphane, déchaînements tragiques et lyrisme grandiose.  Le souffle dramatique est indéniable, même si la concision d'un Puccini n'est ici pas de saison.  D'audacieuses harmonies côtoient des pages d'un grand raffinement dans un sens peu commun du contraste (une musique de scène, par exemple, en surimpression de l'orchestre de fosse) et la splendeur sonore peut enfler jusqu'à la limite de la fièvre.

 

©Mirco Magliocca/Opéra national de Paris

 

La mise en scène de l'Opéra Bastille, signée Giancarlo del Monaco - et empruntée à l'Opernhaus de Zurich - affiche délibérément sa fidélité à Gabriele D'Annunzio dont l'image du masque mortuaire s'inscrit d'ailleurs sur le rideau de scène.  Elle tire son originalité d'une décoration décalquant le style ampoulé de la villa du poète au bord du lac de Garde, le « Vittoriale degli Italiani », laquelle tient du musée, voire du mausolée artistique.  Un univers visuel résolument naturaliste fait se succéder, entre autres, un parc luxuriant bardé de bosquets à la flore envahissante ou une chambre encombrée d'objets hétéroclites, statues, peintures, bibelots - le style Renaissance le disputant à l'Antique romain.  La dramaturgie reste dans l'orbite de la convention pour ce qui relève des scènes d'ensemble et du traitement des personnages.  L'épine dorsale de l'intrigue est un triangle amoureux : un impossible amour qui conduira au trépas deux amants surpris en flagrant délit, sous le coup fatal donné par le mari trompé et le frère de celui-ci, son factotum des basses besognes.  Une trame qui n'est pas sans rappeler le tragique destin de Tristan et Yseult, expressément évoqué dans le texte.  Une galerie de portraits en tout cas aux passions exacerbées, sur fond de querelles familiales et de guerres fratricides.  Zandonai a conçu sa tragédie pour des voix de fort gabarit et surtout des acteurs possédant une vraie aura théâtrale.  Ainsi le personnage-titre est-il très exigeant, requérant une tension soutenue.  Svetla Vassileva donne beaucoup et garde même une fraîcheur vocale étonnante au fil d'une longue soirée, lui permettant de soutenir avec brio les assauts finaux et le duo d'amour ultime.  Encore que la grande figure lyrique de Francesca eût mérité galbe vocal plus étoffé et présence plus assurée.  Roberto Alagna, en belle condition vocale, défend le rôle de Paolo Il Bello avec panache, mêlant habilement héroïsme et lyrisme exalté.  On lui sait gré d'avoir inscrit ce personnage à son répertoire, même si, là encore, un régisseur plus imaginatif aurait pu l'aider à façonner d'une dimension plus pénétrante le destin de l'amant malheureux.  Giovanni, le mari disgracieux et trompé, George Gagnidze en possède la morgue vocale, mais reste trop attaché au cliché du traître de comédie ; tout comme le Malatestino de William Joyner.  Le brelan de rôles féminins entourant Francesca est d'une belle tenue.  Le plus grand mérite revient cependant à l'Orchestre de l'Opéra qui sous la conduite fébrile de Daniel Oren, déploie des trésors de sonorités brillantes ou en demi-teintes.  Ils ne sont sans doute pas nombreux les chefs qui possèdent comme lui cet idiome particulier qui, souvent en quelques phrases, fait basculer le discours de l'extrême faconde sonore au raffinement d'une orchestration opalescente.

 

La glorieuse sonorité de l'Orchestre du Concertgebouw, à Pleyel.

La venue à Paris de l'Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam devait faire salle comble, Salle Pleyel, dans un programme pourtant sans surprise.  Cet orchestre est célébré pour sa sonorité unique qui le place dans le peloton de tête des phalanges européennes, forgée par les grands chefs principaux que furent, depuis sa création en 1888, Mengelberg, van Beinum, Haitink, Chailly.  Ce qui frappe, c'est nul doute l'homogénéité de la sonorité d'ensemble qui se nourrit d'une extrême perfection instrumentale quels que soient les pupitres, alliant profondeur et flexibilité.  Le programme, dirigé par leur chef permanent actuel, Mariss Jansons, relevait de l'affiche la plus classique, Rossini-Mozart-Beethoven, et du canon rabâché qu'est le triptyque ouverture-concerto-symphonie.  En guise de mise en bouche, l'ouverture de L'Italienne à Alger, jouée par une formation très fournie, offre au maestro Rossini une verve mesurée dont émerge un rutilant solo de hautbois.  Le 24e Concerto pour piano de Mozart, là encore donné par un effectif tout sauf chambriste, est autrement plus sombre.  Le norvégien Leif Ove Andsnes en propose une exécution d'un sûr fini, au toucher délicat, quoique d'une certaine modestie quant à la conception générale, plus objective que pathétique.  La vraie imagination viendra dans les variations de l'allegretto final. Autant que le soliste, on admire un fabuleux travail d'orchestre, la section des bois en particulier dont le « concertino » qui se fait jour à plusieurs reprises et le dialogue savant avec le piano confèrent à la pièce une saveur qui n'est pas la moindre de ses originalités.  Un bis de Chopin montrera la belle ductilité du jeu du pianiste.  La Septième de Beethoven se voit offrir une exécution irréprochable qui n'échappe toutefois pas à quelque monotonie dans le long premier mouvement, donné avec ses reprises, et se complaît dans une lenteur trop calculée à l'allegretto suivant, même si le climat est ici proche de celui d'une marche funèbre.  La rythmique assurée caractérisant les deux derniers mouvements, qui ont valu à la symphonie de se voir décrite par Wagner comme « l'apothéose de la danse », Jansons la voit plus martiale que dionysiaque.  Certes, cela sonne de manière racée, propre à laisser l'auditeur conquis par l'opulence du flot orchestral.  Mais, est-ce là tout ?  En bis, l'ouverture des Noces de Figaro que Jansons pare - enfin - d'une subtile scansion, est emplie de cet esprit qui annonce l'étourdissant tourbillon de la Folle journée.  Au final, voilà le type de l'excellente prestation façon concert d'abonnement - une leçon d'orchestre à méditer pour nos ensembles parisiens - plus que la soirée événement à laquelle l'orchestre néerlandais nous a habitués.

 

©Julien Mignot/Salle Pleyel

Jean-Pierre Robert.

 

Magnifique Petite Sirène, Salle Pleyel.  Concert « Jeune Public ».  Orchestre philharmonique de Radio France, dir. Andrey Boreyko.  Irène Jacob (récitante).

Heureuse initiative que cette collaboration entre le « Philhar » et France Culture, à l’occasion de ce concert « Jeune public » consacré à La Petite Sirène, à partir du conte d’Andersen, sur une musique d’Alexander von Zemlinski (1871-1942) avec, en filigrane, le drame de la rupture du compositeur avec Alma qui devait lui préférer Gustav Mahler.  Force est d’avouer que les allées de la Salle Pleyel, envahies par les enfants, étaient le siège d’une agitation inhabituelle, bien sympathique, ce matin-là…  Mais le silence se fit dès l’arrivée sur scène d’Irène Jacob et d’Andrey Boreyko, fixant alors tous les regards et mobilisant toutes les attentions.

 

Irène Jacob ©Brice Cauvin

 

Après un didactique rappel sur les leitmotive et les différents instruments, l’histoire pouvait commencer, racontée par la talentueuse Irène Jacob, à la voix d’une sensuelle gravité, donnant au récit tout son potentiel émotionnel et sa profusion d’images, parfaitement relayées par la formidable interprétation du « Philhar », sous la direction précise, souple et inspirée du fougueux chef russe.  Une magnifique symbiose entre texte et musique, emplie de poésie, de sonorités orchestrales faites, tantôt de scintillements tantôt d’abyssales profondeurs, de joie, de douleur, de tristesse, remarquablement rendues par la très fine orchestration de Zemlinski.  Une ovation méritée concluait cette matinée.  Un concert entrant dans le cadre d’un programme pédagogique, mené depuis dix ans, par l’Orchestre philharmonique et son directeur Myung-Whun Chung.  Une belle réussite, un spectacle familial, pour parents et enfants, à renouveler, sans aucun doute.  Renseignements : www.zikphil.fr

 

Andrey Boreyko ©Marcel Grubenmann

 

Festival Présences 2011. 21e édition.  Théâtre du Châtelet.

Il paraît, bien sûr, difficile de retracer dans ces colonnes l’ensemble des concerts d’un festival consacré, cette année, au compositeur et chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen.  Parmi les nombreux beaux moments, quelques-uns furent particulièrement significatifs de l’évolution et de l’esthétique du compositeur finlandais.  En ce qui concerne la musique de chambre, la série Yta qui signifie surface, une surface particulièrement mouvante dans Yta II, création française, composée en 1985, surface qui vous enveloppe, vous envoûte pour mieux vous conduire à la limite de la transe et de la brisure, une musique formidable au sens étymologique du terme, presque effrayante comme un écoulement qui vous entraîne, avant de se tarir en s’élargissant dans le silence.  Une autre très belle composition, Second Meeting, création française, pour hautbois & piano, composée en 1992, un duo virtuose entre les deux instruments, comprenant deux lignes mélodiques qui s’écartent l’une de l’autre avant de se retrouver, de s’enlacer, de se répondre avec des variations rythmiques saisissantes donnant un sentiment d’urgence.

 

Esa-Pekka Salonen ©Clive Barda

 

Occasion de souligner la remarquable interprétation d’Hélène Villeneuve au hautbois.  Dimitri Vassilakis, également remarquable au piano, laissera libre cours à son talent dans Dichotomie, composée en 2000, où le piano se fera tour à tour symphonique, orchestral ou intimiste tout au long des deux mouvements, Mécanisme et Organisme.  Une mise en miroir, particulièrement intéressante, avec le Gaspard de la nuit de Ravel, concluait ce concert, mettant en évidence l’étonnante modernité de la musique de Ravel ainsi que le chemin de l’Autre à Soi qui caractérise, du moins en partie, les compositions de Salonen.  Pour ce qui concerne la musique symphonique, il convient de signaler la vertigineuse Helix, composée en 2005, dédiée à Valery Gergiev, sorte de spirale musicale qui conduit d’une introduction idyllique à une conclusion frénétique, évoluant d’un seul tenant où toute ressemblance avec le dédicataire serait évidemment fortuite, un phénoménal Concerto pour violon, composé en 2009, magnifiquement interprété par Leila Josefowicz, poussant le violon aux limites de ses possibilités, en quatre mouvements où le ton se fait, tour à tour, virtuose, tapageur, agressif, méditatif, statique ou nostalgique, une composition intitulée Wing on Wing pour deux sopranos et orchestre (Anu Komsi, Piia Komsi et le remarquable Orchestre philharmonique de Radio France), métaphore musicale du vent, dédiée à Frank Gehry, architecte du Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, où, coïncidence ou non, l’accent est mis sur la spatialisation du son, avec des chanteuses d’abord associées à des instruments graves, contrebasson et clarinette basse, de part et d’autre de la scène, qui se déplacent ensuite dans différentes parties de la salle, occupant ainsi la totalité de l’espace sonore, enfin le Concerto pour piano & orchestre, composé en 2007, interprété par Bertrand Chamayou, alternant lyrisme, virtuosité, méditation, magnifique trait d’union entre tradition et modernité.  Si nous connaissions déjà le chef d’orchestre, voilà un festival qui aura permis au plus grand nombre de faire connaissance avec le compositeur.

 

Orchestre philharmonique tchèque, dir. Eliahu Inbal.  Thomas Hampson (baryton). Salle Pleyel.

Un concert tout entier consacré à Gustav Mahler (1860-1911) comprenant, en première partie, les Kindertotenlieder et, en seconde partie, la Symphonie n°10, dans sa reconstitution de Deryck Cooke.  Les chants des enfants morts confirmaient la supériorité incontestable de la version orchestrale par rapport à la version pour piano seul, témoignant, ainsi, de la richesse de l’orchestration mahlérienne, indispensable au climat si particulier des ces lieder : « J’ai de la peine pour le monde qui devra un jour entendre ces lieder, tant leur contenu est terriblement triste ». Parfaitement chantés par le baryton Thomas Hampson, on retiendra, toutefois, un manque de précision, assez net, dans l’accompagnement de l’orchestre et notamment des vents.  La Symphonie n°10, composée en 1910, demeurée inachevée, recomposée par Cooke et créée dans sa version définitive, en cinq parties, en 1964 par le London Symphony Orchestra, sous la direction de Bertholdt Goldschmidt, fut excellemment dirigée par Eliahu Inbal, qui, retrouvant l’inspiration mahlérienne, avec précision et clarté, en variant les tempi, en accentuant la profondeur du son et les nuances, sut maintenir un climat de tension permanente, une atmosphère d’accablement, de mystère et d’ironie traduisant bien le ton et l’univers mahlériens, expliquant, de ce fait, l’adhésion d’Alma à l’écoute de cette version.  Le final, récapitulatif, concluait l’œuvre sur des accents d’une sublime beauté, majestueuse et intériorisée comme un adieu. « Pour toi vivre, pour toi mourir, Almschi ! ».

 

Eliahu Inbal ©Jirka Jansch

 

Émouvant Fidelio (version de concert), au Théâtre des Champs-Élysées.  Opéra en deux actes (1814) de Ludwig van Beethoven (1770-1827).  Orchestre national de France, Chœur de Radio France, dir. Kurt Masur.  Mélanie Diener (Leonore), Burckhard Fritz (Florestan), Mathias Goerne (Pizzaro), Kurt Rydll (Rocco), Sophie Karthäuser (Marzelline), Werner Güra (Jaquino).

Beaucoup d’émotion autour de ce Fidelio, dirigé par Kurt Masur dont on connaît les liens étroits qui le lient au « National » puisqu’il en fut, de nombreuses années, le directeur musical et qu’il en est, à vie, chef honoraire.

 

Kurt Masur

 

Une amitié et une complicité évidentes, expliquant une gestique dépouillée mais précise où un regard ou un doigt tendu suffisent à cette remarquable interprétation tant musicale que vocale.  Une exécution marquée par une homogénéité sans faille quant à la qualité de l’orchestre, des chœurs et des chanteurs qui se retrouve, évidemment, dans la qualité des ensembles vocaux particulièrement nombreux dans l’ouvrage.  Une interprétation qui par le jeu des nuances et des sonorités parviendra à rendre parfaitement les différents climats de l’œuvre et la dramaturgie, sans le secours d’une quelconque mise en situation.  En ce qui concerne les chanteurs, il convient de signaler la magnifique prestation de Mathias Goerne, puissant sans agressivité, tout en rondeur et expressivité, la très convaincante Leonore de Mélanie Diener au timbre chaud et à la tessiture étendue tout à fait adaptée à ce rôle androgyne, la belle basse de Kurt Rydll, presque trop imposante dans certains ensembles et notamment, dans le célèbre quatuor du Ier Acte, enfin la jolie Marzelline de Sophie Karthäuser au timbre clair, un peu acidulé.

 

Mathias Goerne ©DR

 

Remplaçant Jorma Silvasti au pied levé, Burckhard Fritz campa un Florestan sûr de lui et de sa voix.  Une très belle soirée et une longue ovation du public, des musiciens et des chanteurs pour Kurt Masur.

 

Mahler for ever !  Berliner Philharmoniker, dir. Simon Rattle.  Christine Schäfer, soprano.

La grande salle de la Philharmonie était comble et le hall tapissé de photographies de Gustav Mahler pour ce concert associant Apollon musagète d’Igor Stravinski (1882-1971) et surtout la Quatrième Symphonie de Mahler (1860-1911) dont on fête cette année le centenaire de la mort, avec Christine Schäfer chantant le quatrième mouvement, Das himmische Leben (La Vie céleste), lied tiré du Wunderhorn.  Deux occasions d’apprécier la remarquable sonorité de cette phalange légendaire, tant au niveau des cordes, dans la pièce de Stravinski, qu’au niveau des vents et du « tutti » dans l’œuvre de Mahler.  Musique de ballet en deux tableaux, quasiment néoclassique, Apollon musagète (1927-1928) est une partition pour orchestre à cordes, pour « le plaisir de se retremper dans l’euphorie multi-sonore des cordes ». 

 

Sir Simon Rattle ©Fred Toulet

 

La Quatrième Symphonie de Mahler est la dernière des symphonies se référant au Wunderhorn, elle se démarque des symphonies précédentes par la réduction de l’effectif orchestral (disparition des trombones), l’absence de chœur, l’absence de programme explicite mais elle s’inscrit toutefois (rien n’est clos chez Mahler, tout se tient…) dans la continuité par la présence du lied autour duquel elle se construit.  Elle comprend quatre mouvements : le premier réfléchi, à l’aise, innocent mais ambigu, interprété, à l’époque, comme un retour à Haydn ; le deuxième, inquiétant, comme si la mort conduisait le bal, danse satanique au son du violon accordé un ton trop haut, aux allures de crincrin ; l’adagio à la fois divinement gai et infiniment triste confirme la figure de Janus de cette symphonie : « une paix sacrée, solennelle, une gaîté sérieuse et tendre… mais aussi tristesse profonde… comme des réminiscences de la vie terrestre » dont Mahler parlera plus tard en évoquant sa mère qui savait racheter toutes les souffrances par l’amour ; enfin la « Vie céleste » nous rappelant aussi le monde de l’enfance : « lorsque l’homme émerveillé mais dérouté demande ce que tout cela signifie, l’enfant répond : telle est la vie céleste ».  Mahler confirme par ce lied que l’accès au Royaume est possible, même s’il existe plusieurs chemins pour la maison du Père.  Les joies du Paradis sont ici d’essence bien terrestre mais « aucune musique sur terre ne peut se comparer à celle des hautes sphères ».  La Quatrième Symphonie a posé bien des problèmes d’interprétation lors de sa création (1901) ; elle correspond à la fin d’une première étape dans la construction mahlérienne, le compositeur se retourne pour apprécier l’ampleur du travail accompli ; comme l’affirme Max Graf, cette symphonie doit être lue à l’envers, son programme caché se révèle : un voyage dont le but est l’innocence.  « La fin est l’endroit d’où nous partons » (T.S Eliot).  Une interprétation en tous points remarquable, sous la direction claire, juste, complice et dépouillée de Simon Rattle.  Une réserve, toutefois, concernant la prestation de Christine Schäfer dont la voix avait, malgré la beauté de son timbre, bien du mal à remplir l’énorme salle de la Philharmonie.

 

Un surprenant Beethoven au Théâtre des Champs-Élysées.  Ensemble orchestral de Paris, dir. Sir Roger Norrington.  Patricia Kopatchinskaja (violon), Élodie Méchain (contralto).

La surprise survint d’emblée, dès l’arrivée de Roger Norrington sur scène, l’air nonchalant dans un costume rappelant plus un dompteur de cirque qu’un chef d’orchestre, accompagné de Patricia Kopatchinskaja vêtue d’une robe rouge trop longue (on en comprendra plus tard la cause, car elle joue pieds nus, de façon à maintenir parfaitement son équilibre en jouant), portant son violon (Pressenda, de 1834) enroulé dans un chiffon, qu’elle jettera à plusieurs reprises par terre, lors du concert.  Mais bien vite, dès les premières notes du Concerto pour violon (1806) de Beethoven (1770-1827), la surprise se changea en stupéfaction lorsque la magie et l’originalité de son interprétation opérèrent.  Une sonorité hors du commun, des variations de tempi impressionnantes, des nuances poussées à l’extrême, un toucher et une technique sans faille, des cadences somptueuses, personnelles, originales, notamment celle du premier mouvement construite à partir de la transcription pour piano que Beethoven fit, deux ans plus tard (1808), pour la sœur de son ami Stephan von Breuning, un plaisir de jouer communicatif appelant une complicité sans réserve de tout l’orchestre et de son chef.  Un triomphe mérité, une ovation de la salle et de l’orchestre, remerciée par un « bis » époustouflant, moitié chanté, dansé et joué avec une virtuosité à couper le souffle.  Une violoniste d’exception qu’on aime ou qu’on déteste, dont il faudra suivre attentivement les prochaines apparitions sur les scènes françaises, rendez-vous à ne pas manquer.

 

Patricia Kopatchinskaja ©Pia Zanetti

 

En deuxième partie, Élodie Méchain nous gratifia d’une remarquable interprétation de la Cantate n°4 pour mezzo-soprano & orchestre à cordes (cinq violoncelles) de Nicolas Bacri, d’après le Sonnet LXVI de Shakespeare, œuvre composée en 1994-1995, d’inspiration romantique et d’une poignante beauté.  Pour conclure, l’orchestre dynamisé sous la direction atypique mais efficace de Roger Norrington donna une vision en tous points convaincante de la Deuxième Symphonie (1845) de Robert Schumann (1810-1856), hommage à Beethoven et plus encore à l’amour de Clara.  Un concert exceptionnel.

 

Die Entführung aus dem Serail.  Staatsoper (Berlin) im Schiller Theater.  Singspiel en trois actes (1782) de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) sur un livret de Gottlieb Stephanie Le Jeune.  Staatskapelle & Staatsopernchor de Berlin, dir. Friedrich Haider.  Mise en scène : Michael Thalheimer.  Sven Lehmann (Selim), Susan Gritton (Konstanze), Anna Prohaska (Blonde), Kenneth Tarver (Belmonte), Florian Hoffmann (Pedrillo), Reinhard Dorn (Osmin).

Une production qui, outre sa qualité musicale et vocale, vaut par l’intelligence de sa mise en scène, laquelle malgré une scénographie extrêmement dépouillée, réduite à de très beaux éclairages, met parfaitement en valeur les deux aspects de cette œuvre composite : opera seria et opera buffa.  Représentée pour la première fois à Vienne, le 16 juillet 1782, on lui reprocha de manquer d’unité, mélange des genres dû aux aléas de sa composition, plusieurs fois reprise et enrichie de nouveaux airs.  Si le livret paraît assez faible, toute l’attention  du spectateur est retenue par la qualité de la musique et de la mise en scène.  Musicalement, la Staatskapelle dirigée par Friedrich Haider sait parfaitement, par les nuances et les sonorités orchestrales, rendre compte de la niaiserie ou de la fureur d’Osmin, de la passion de Belmonte à laquelle répond Konstanze par de périlleuses vocalises, de la féminité et de l’espièglerie de Blonde brillante dans le suraigu, de la bonne humeur de Pedrillo.

 

Susan Gritton ©Sarah Connoly

 

Des aspects comiques, d’autres sérieux, voire tragiques, retrouvés dans la musique, vocalement exigeante, voire virtuose, et reproduits dans la mise en scène, séparant la scène en deux étages, faisant évoluer les chanteurs dans la salle, usant de costumes adaptés, smoking et robe du soir blancs pour Belmonte et Konstanze, costumes de marionnettes pour Blanche et Pedrillo, dans un souci constant de clarifier un ouvrage qui, malgré les critiques qu’il engendra, reproduit à chaque représentation la magie et le génie de la musique de Mozart.

Patrice Imbaud.

 

***

 

 



CHANSONS

Douce France30 chansons des provinces françaises.  40 p.  Le Chant du Monde (pianco@chantdumonde.com) : VF1801.  14 €.

Sont représentées : Alsace, Angoumois, Aunis, Béarn, Franche-Comté, Languedoc, Limousin, Saintonge… Ces chansons concernent les thèmes de toujours : conscrit, soldat libéré ; des personnages : roi d’Angleterre, prince d’Orange, roi de Sardaigne… ; des métiers : papetiers, ramoneurs…, sans oublier les chansons à succès : Ô Magali… (avec ses 8 strophes) ; Trimousset, c’est le mai (repris par A. Honegger dans Jeanne au Bûcher) ou encore Margot, labourez les vignes… (chœur), avec En passant par la Lorraine (solo) Cette anthologie rendra service aux enseignants et animateurs : il est indispensable de se souvenir de ce patrimoine.

 

 

Les plus belles chansons russes, pour chant & piano.  32 p.  Le Chant du Monde : VO4673.  17 €.

Ce recueil comprend deux parties : Chansons du XXe siècle / Folklore (russe), avec adaptations françaises de divers auteurs.  Elles sont écrites à une voix avec accompagnement de piano de moyenne difficulté.  Outre les compositions de Krassev (Ne me réveillez pas, Ô bucheron, Pauvre champ, Le Tilleul), figurent de nombreux arrangements de Julien Porret.  Les thèmes sont d’essence lyrique, patriotique…  Ces chansons monodiques, généralement assez rythmées, sont très bien gravées.

 

 

CHŒURS

Dimitri Chostakovitch : Dix chœurs sur des textes de poètes révolutionnaires, op. 88.  Le Chant du Monde : VO 4672.  22,50 €.

Cette œuvre a été créée le 11 octobre 1951 à Moscou, dans la Grande Salle du Conservatoire, par le chœur d’État et un chœur d’enfants sous la direction d’A. Svechnikov.  Les titres sont en français, mais les chœurs en langue russe.  Les poèmes reposent, entre autres, sur des textes de L. Radine, E. Tarasov, A.Gmirev, A. Kotz, et comprennent également une adaptation de Vl. Tan-Bogoraz d’un chant du poète américain Walt Whitman (1819-1892), auteur des célèbres Leaves of grass.   Écrits a cappella, généralement à 4 voix, ils sont souvent harmonisés note contre note.  D. Chostakovitch fait aussi appel à des tierces parallèles et à des passages en vocalises. Ce recueil reflète les tendances de la musique vocale russe pendant la période soviétique.

 

 

PIANO

Dimitri Chostakovitch : Carrousel de danses pour piano.  Le Chant du Monde : AJ23.  24,50 €.

Cette sélection de danses, arrangée par Lev Atovmyan, comprend des Valses (lyrique, souvenir, joyeuse, des fleurs, de printemps, sentimentale, d’adieu), Gavottes, Polkas... Le volume commence par Chanson de bienvenue et se termine par Valse d’adieu.  Il comporte aussi des danses (paysanne, espagnole), une berceuse et des nocturnes.  Les mesures ne sont pas numérotées, les doigtés non suggérés, mais les indications de pédale sont très précises. Pages, tour à tour, calmes, expressives, puis bien enlevées, rythmées et syncopées, joyeuses… Leur interprétation nécessite une bonne technique pianistique.

 

 

ORGUE

Jean-Dominique PASQUET : Six Pièces pour orgue.  Europart Music (www.europart-diffusion.com).  31 p.

Après l’édition du Notturno et de Mosaïque de J.-D. Pasquet, ses Six Pièces pour orgue retiendront l’attention à plus d’un titre.  Ses affinités avec l’œuvre de M. Dupré sont bien connues, et ce volume s’ouvre aux accents du Lamento in memoriam du maître décédé en 1971, avec traduction musicale de son nom.  D’une manière générale, les registrations, alternances de claviers, indications techniques (nuances, agogique, tempi, jeu legato/non legato, avec/sans pédale) sont indiquées avec une grande précision.  Son Lamento est dédié à S. Chaisemartin, et son Choral varié, à M.-L. Girod-Parrot, avec un thème bien rythmé et 5 variations.  Pour le Temps de l’Avent, dédié à O. Goulon, repose sur la mélodie du Veni Redemptor gentium/Nun komm, der Heiden Heiland, avec une judicieuse exploitation de la technique du canon (octave, quarte), l’ensemble se terminant par une brillante Toccata.  La mémoire d’A. Cellier est honorée par la Rhapsodie de Noël.  Cette publication comprend encore Supplication, Prélude au Kyrie IV.  Ces 6 Pièces pour orgue prouvent la parfaite maîtrise technique et compositionnelle de l’organiste titulaire de l’Oratoire du Louvre.  Œuvres à entendre grâce au CD : Œuvres pour orgue (J.-D. Pasquet, 2001) et, pour le Lamento, grâce au CD : Élégie in memoriam Marcel Dupré (C. Shuster-Fournier), et à interpréter impérativement.

 

Édith Weber.

 

FORMATION MUSICALE

Michel MOLLARD : Le Voyage à Leipzig.  De fugue en fugue, à la découverte du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach.  Préface : Zhu Xiao-Mei.  Présentation des textes musicaux : Marcel Bitsch.  Van de Velde : VV 399.

Fallait-il classer dans les livres ou dans l’édition musicale cet objet bizarre et passionnant ?  Sans doute cette recension mériterait de paraître sous les deux rubriques.  L’ensemble comprend un petit volume et une partition : celle des œuvres analysées dans le volume.  Le propos de l’auteur, polytechnicien, directeur d’un grand groupe financier et président de l'Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM), est de rendre accessible à l’amateur éclairé (et ce peut être tout simplement les grands élèves de nos conservatoires) le Clavier bien tempéré grâce à l’analyse de quatorze fugues et du fameux prélude en ut majeur.  Cela se fait sous forme d’un récit qui permet à un élève du Cantor d’expliquer le cœur de ces œuvres à de jeunes admirateurs de Bach venus de France pour le rencontrer.  Cette analyse est on ne peut plus sérieuse, car ce volume a été écrit en collaboration avec Marcel Bitsch qui a réalisé le fascicule de partitions. Mais, en même temps, le côté « roman » permet d’être constamment tenu en haleine dans ces analyses, rendues encore plus lumineuses par les partitions intégrales des œuvres dans une présentation typographique qui est déjà par elle-même une analyse.  Bref, il s’agit d’un ouvrage passionnant et à recommander chaudement tant à nos grands élèves qu’à tout amateur éclairé.

 

   

 

PIANO

Henri SAUGUET : Quatre pièces inédites.« Musique & Patrimoine », Delatour : DLT 1794.

Les éditions Delatour nous permettent de redécouvrir Henri Sauguet dont il serait temps de ne pas faire que l’auteur des Forains… Ces quatre pièces, qui ont pour titre Carte postale, Miss Dior, Pour lire Georges Perros et La concierge n’ont pas vraiment de lien entre elles, sinon le style varié et personnel de leur auteur. Souhaitons que nombre de pianistes les inscrivent à leur répertoire !

 

 

CLAVECIN-ORGUE

FROBERGER : Œuvres complètes, vol. VI-2.  Bärenreiter : BA 9269.

La monumentale édition que Bärenreiter nous propose permet de rendre justice à ce compositeur que Blandine Verlet contribua, il y a plus de trente ans, à faire redécouvrir.  Ce volume contient essentiellement douze partitas.  Parmi lesquelles se trouvent notamment la si poignante Méditation faite sur ma mort future.  Le recueil contient également des préludes anonymes. Il s’agit de versions nouvelles.  On lira avec beaucoup d’intérêt la préface qui explique d’où proviennent les différentes sources.  Il s’agit d’un compositeur à (re)découvrir absolument.

 

 

Max MÉREAUX : Jeu d’ombre et de lumièrepour orgue.  Armiane : EAL 488.

Cette œuvre suppose un instrument à trois claviers, mais peut évidemment s’adapter à d’autres instruments.  À un récitatif monodique très expressif succède une partie fuguée et contrastée qui illustre bien le titre.  Peut fort bien trouver sa place dans un contexte liturgique.

 

 

Ludwig van BEETHOVEN : Allegretto de la 7e Symphonie. Transcription pour orgue par Yves Lafarge.  Delatour : DLT1831.

Après une période de purisme outrancier, ces transcriptions retrouvent leur heure de gloire. Les organistes n’hésitent plus à reprendre une tradition de transcriptions d’œuvres symphoniques. Celle-ci est particulièrement réussie.  Inutile de dire l’importance de la registration pour ne pas trahir la remarquable mise en valeur des différents plans musicaux et être fidèle tant à l’auteur qu’au transcripteur.

 

 

GUITARE

Celso MACHADO : Chorata brasileira.  Lemoine : 28 511 H.L.

Ce recueil comporte six pièces variées illustrant les différents styles de la musique brésilienne : Chorata, Pequena flor, Pastoril a la Barroca, Gargalhada do Arlequim, Frevo Barroco et trois pièces regroupées sous le titre : Suite Inspiração Barroca.  Celso Machado a d’ailleurs sous-titré ces pièces : « Musique brésilienne d’inspiration baroque ».  Aussi variées qu’intéressantes, ces œuvres sont assez difficiles mais fort belles.

 

 

Jean-Félix LALANNE : La fille du soleil.  Supérieur.  Lafitan : P.L.2042.

Composée par Jean-Félix Lalanne, en 2007 en Guadeloupe, pour sa femme, « fille du soleil », cette pièce délicate (en toutes acceptions du terme) demande un sens affiné des timbres : « le jeu des timbres et donc le choix des cordes font partie inhérente de la nature même du morceau », précise l’auteur.  Un travail tout en finesse donc, pour un résultat qui récompensera grandement l’interprète.

 

 

Yves CARLIN : Accords à cordes.  Préparatoire.  Lafitan : P.L.2086.

Le style gracieux et léger de cette pièce s’exprime dans un 3/8 conçu à un temps.  L’auteur suggère une interprétation de style « boîte à musique ».  On retiendra son sage conseil : « Pour terminer, n’oubliez pas ceci : quoi que vous fassiez, faites-le bien ! »

 

 

Yves CARLIN : Agathe the blues.  Élémentaire.  Lafitan : P.L.2087.

L’auteur nous propose un blues en mi mineur écrit dans la plus pure tradition.  Les improvisations (écrites) se font sur les gammes pentatoniques mineures, mais - pour tirer tout le profit de cette pièce - il faudra aussi suivre le conseil de l’auteur : « Soyez créatif et n’hésitez pas à chercher d’autres improvisations pour cette pièce ! »

 

 

Jacques FÉRAL : Jasmin.  Préparatoire.  Lafitan : P.L.2089.

Voici une jolie pièce un peu mélancolique par ses harmonies, qui évoque une mélodie des années trente. Tout cela est plein de charme et de grâce.

 

 

Patrice JANIA : Comme en vacances.  Élémentaire.  Lafitan : P.L.2091.

Croyons en l’auteur : cette pièce évoque le bruit de l’océan.  Flânerie, rêverie, course sur la plage : l’interprète pourra laisser libre cours à son imagination en oubliant qu’il n’est pas… en vacances !

 

 

Jean-Félix LALANNE : Berceuse pour un dodo.Préparatoire. Lafitan : P.L.2041.

C’est bien d’une berceuse « en situation » dont il s’agit puisqu’elle a été composé pour endormir la fille du compositeur. Cette pièce délicate, avec des imitations de harpe, demande évidemment beaucoup d’attention. Suivez les conseils du compositeur : « Bonne berceuse, mais ne vous endormez pas en la jouant ! ».

 

 

ALTO

Claude-Henry JOUBERT : Passemezzo anticode Francisco Torrentera (1630-1682) retrouvé dans la bibliothèque d’Antonio Brocoli (1648-1743) par Claude-Henry Joubert. Arrangement pour toute une classe d’alto amicalement dédié à Michel Michalakakos. Lafitan : P.L.1979.

On ne peut résister au plaisir de citer intégralement ce titre qui ne peut que mettre de bonne humeur les futurs exécutants surtout si on complète son instruction par la lecture de l’à propos !  Les instrumentistes seront évidemment de différents niveaux : il y en a pour tous. Ceci dit, ce très agréable pastiche pourra être l’occasion rêvée de faire découvrir aux élèves la musique de la Renaissance.

 

 

VIOLONCELLE

Christine JEANDROZ : Vision d’un autre monde dans un nouvel universpour violoncelle seul.  Armiane : EAL 406.

C’est dans un nouvel univers « douloureux et expressif » que nous entraine l’auteur. Mais il faut ajouter que c’est bien beau : il s’agit d’une page lyrique et sensible qui se termine dans une sorte d’évanouissement vaporeux débouchant sur le silence et le rêve.

 

 

FLÛTE À BEC

Étienne ROLIN : Tall Orderpour flûte à bec basse en do ou flûte à bec ténor. « La flûte à bec contemporaine », Combre : C0 6682.

Laissons parler l’auteur : « En tant qu’œuvre contemporaine, Tall Order implique de garder à l’esprit un phrasé très physique qui rappelle la musique improvisée, avec des accents de cultures africaines et orientales. » La seule lecture de la partition ne peut permettre d’en saisir toutes les richesses. Toutes les indications d’interprétation sont présentes ou disponibles « en ligne ». Et de plus, cette pièce figure sur un CD monographique avec improvisations.

 

 

HAUTBOIS

Vincent FRIBERG : Sonate pour hautbois & piano. Armiane : EAL 435.

On lira avec fruit le texte de Vincent Friberg en exergue de sa Sonate et intitulé « Instants magiques ». Les quatre mouvements de cette sonate devraient, pour ses exécutants, leur faire vivre ces instants magiques que représente l’interprétation d’une musique agréable et délicate qui passe par une romance et se termine par un Allegro furioso mais d’une furie qui reste bon enfant.

 

 

 

CLARINETTE

Pascal PROUST : Faits d’hiverpour clarinette & piano.  Combre : C0 6717.

De niveau 2e cycle, cette pièce conduira les interprètes de la grande plaine « blanche, immobile et sans voix » aux glissades acrobatiques et autres occupations hivernales. Tout cela ne figure pas sur la partition, mais la musique de Pascal Proust se prête, par sa variété, à toutes les interprétations. Voici une musique pleine de très agréables et mélodieuses surprises

 

 

André TELMAN : Sur des couleurs contrastéespour clarinette & piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.1967.

Le titre indique bien ce qui est en priorité demandé au clarinettiste (et au pianiste, par la même occasion) : une attention particulière aux timbres dans cette pièce qui se déroule comme un chant lyrique plein de charme et de contrastes…

 

 

André TELMAN : La magie des boispour quatuor de clarinettes.  Premier cycle. Lafitan : P.L.1937.

Promenons-nous dans les bois… Souhaitons que les clarinettes magiques des élèves soient inspirées par cette pièce qui explore de façon bien agréable les notions de phrasé, d’équilibre entre les parties, à travers des tempi variés et des couleurs changeantes.

 

 

BASSON

Pascal PROUST : Le basson de Gustavopour basson & piano. Combre : C06718.

S’agit-il d’une allusion au célèbre bassoniste Gustavo Núñez ? Peu importe : cette jolie pièce de niveau fin de premier cycle fait appel à la musicalité autant qu’à la vélocité de l’instrumentiste. Une cadence lui permet de faire preuve de son sens de l’interprétation. Bref, il s’agit d’un morceau original et intéressant.

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

Christina AZUMA : Trois pièces brésiliennespour violon & guitare. Lemoine : 28 772 H.L.

Destinées à initier le fils de l’auteur, jeune violoniste, aux charmes de la musique brésilienne, ces trois pièces, Valseane, O vizinho et Meu irmão Jacques, sont plus faciles pour le violon que pour la guitare mais sont pleines de vie et répondent tout à fait au souhait de leur auteur. Souhaitons que beaucoup d’instrumentistes s’essayent à ces duos typiques et variés.

 

 

Jean-Maurice MOURAT & Guy COTTIN : Les classiques pour flûte & guitare.  Vol. C.  Combre : C06732.

Les trente pièces qui composent ce troisième recueil parcourent allègrement les siècles pour offrir aux duettistes un répertoire à la fois éclectique et adapté aux deux instruments. Les transcriptions sont faites avec beaucoup de soin et dans un souci pédagogique évident. Les interprètes en tireront donc autant de plaisir que de profit. De Vivaldi à Satie, voici un riche parcours à conseiller vivement. Et pour ceux qui ne les connaissent pas, qu’ils découvrent aussi les deux premiers volumes, tout aussi intéressants.

 

 

Jean CASSIGNOL & Michel DEMAREZ : Dialogue flûte-guitare.  Six œuvres du répertoire classique (Bach, Haëndel, Gossec, Schubert, Saint-Saëns, Tarrega) revisitées.  Lafitan : P.L.1943.

Voici un bien intéressant recueil, fidèle tant à l’esprit qu’à la lettre des œuvres originales, coécrit par deux orfèvres en la matière. Ajoutons que le recueil est précédé de notices sur les auteurs et sur chacune des œuvres proposées, le tout illustré de photographies, qui permettront aux professeurs une présentation plus aisée des différentes pièces. Souhaitons que ce dialogue se poursuive longtemps…

 

 

César FRANCK : Quatuor pour deux violons, alto & violoncelle, édité par Christiane Strucken-Paland.  Bärenreiter Urtext.  Partition de poche : TP 421.  Parties séparées : BA 9421.

Comme toujours lorsqu’il s’agit de musique française, cette remarquable édition, en plus des préfaces et notes en allemand et en anglais nous gratifie d’une traduction française de Vincent Giroud, remarquable de précision et d’élégance, de la passionnante introduction de Christiane Strucken-Paland.  Pour bénéficier pleinement du matériel, on aura tout intérêt à acquérir également la partition de poche qui, seule, comporte préface, notes et commentaire critique.

On ne commente pas ce sommet de la musique de Franck si ce n’est pour dire que, contrairement aux autres œuvres, on dispose de brouillons qui permettent de saisir la genèse du premier mouvement. Il est inutile de s’étendre sur la qualité graphique, bien connue, de cette édition.

 

 

 

Véronique DUFOUR : Choral et variations « Vers la lumière »pour deux hautbois & deux bassons.  Armiane : EAL 440.

Un thème, quatre variations et un final nous conduisent à travers les saisons vers la lumière d’été, du ton de sol Majeur au ton éclatant de mi Majeur. Cette œuvre, sans grande difficulté technique, devrait ravir les élèves qui auront la chance de l’aborder.

 

 

Maurice JOURNEAU : Dialogues pour flûte & basson. Armiane : EAL 485.

Les trois courtes pièces de ce recueil illustrent bien agréablement trois aspects possibles d’un dialogue : bavardage, aimables propos et discussion animée. Le langage, très moderne, est fort mélodieux. Il existe différentes versions de ces Dialogues, mais celle-ci est la version originale de 1958. Ces pièces correspondent à la veine humoristique du compositeur.  

 

 

Henri SAUGUET : Max Jacob de Quimper pour hautbois, clarinette & basson. « Musique & Patrimoine », Delatour : DLT 1368.

Cette pièce en six courts mouvements est un hommage au poète mort au camp de Drancy en 1944 et dont on connait les liens avec les musiciens de son époque. Cette œuvre fut écrite pour le film TV de Camille Amiel et A. de Beaumont qui porte ce titre.

 

 

Henri SAUGUET : Fanfare pour flûte, clarinette, alto & basson.  « Musique & Patrimoine », Delatour : DLT 1367.

Cette fanfare porte bien son nom, portée par ce mélange insolite de l’alto et des vents.  Une pièce courte certes, mais d’une tonicité et d’une jeunesse éclatantes !

 

 

Henri SAUGUET : Septembre.  Nocturne symphonique.  « Musique & Patrimoine », Delatour.  Conducteur : DLT 0229.  Matériel d’orchestre : DLT 0229E.

Composé deux ans avant la mort de l’auteur, cette pièce a été écrite pour le Collegium Musicum d’Aquitaine, orchestre symphonique de jeunes de haut niveau et pour son chef, Michel Moureau, élève et ami d’Henri Sauguet.  Page d’un grand lyrisme, ce nocturne n’en est pas moins fort animé. Quel orchestre nous fera la joie de l’inscrire à son répertoire ?

 

 

Henri SAUGUET : Pour le vingtième anniversaire de la mort de Jean Cocteau.  Pour quatuor à cordes.  « Musique & Patrimoine », Delatour : DLT 1370.

On connaît les liens étroits unissant musiciens et poètes autour de Jean Cocteau.  Rien d’étonnant donc à cet hommage.  Il s’agit d’une pièce courte mais d’une grande intensité lyrique et poétique, dans le langage si personnel de l’auteur. On en remarquera notamment la souplesse rythmique et les trois mesures de style choral qui concluent l’œuvre dans un pianissimo qui va se perdant dans la dernière mesure.

 

 

Davide PERRONE : Dolce Natal in flautopour piccolo, quatre flûtes & piano.  Delatour : DLT 1845.

«  Douce nuit, sainte nuit… » : ces variations sur ce noël si souvent adapté sont bien jolies et laissent libre cours à la musicalité et la virtuosité des exécutants. Après une introduction au piano, les flûtes traitent en canon l’exposition suivie de divers développements et un tutti final triomphal.

 

 

CHANT

Philippe SAGNIER : Véli Vole, Élodie, Les yeux de ma bien-aimée, Féerie blanche, Ballade.  Armiane : EAL 412.

Voici un bien joli recueil de mélodies pour baryton & piano sur des poèmes de René Coursault. Cette musique délicate, écrite dans un langage bien personnel mais toujours lumineux, épouse les rythmes de la langue du poète. Souhaitons à ce recueil le succès qu’il mérite, dans la grande tradition de la mélodie française.

 

 

Henri SAUGUET : Deux pièces inédites.Pour voix & orgue (ou piano). « Musique & Patrimoine », Delatour : DLT 1713.

Voilà deux pièces très simples et d’une grande beauté. La première, intitulée Requiem, est dédiée au poète « René Laporte, in memoriam ! »  La deuxième est un Pie Jesu « à la mémoire de Christian Dior, mon ami », d’une grande densité, d’une émotion contenue et paisible.

 

 

CHANT CHORAL

Olivier d’ORMESSON : Tenebrae factae suntpour chœur mixte a cappella.  Delatour : DLT 1812.

Voilà une très belle œuvre pour chœur à huit voix du jeune compositeur Olivier d’Ormesson. C’est une belle réussite dans l’esprit à la fois du répons grégorien et de Victoria et Poulenc, pour ne citer que ceux-là. Certes il faudra, pour l’interpréter, un chœur aguerri et soucieux de justesse autant que d’expression. Mais cette œuvre le mérite !

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

Gréco CASADESUS : Le passeur de brumespour saxophone alto & quatuor à cordes.  Armiane : EAL441.

Créée en août 2009 aux Rencontres musicales de Louvesc, cette œuvre curieuse raconte une l’histoire de la rencontre improbable entre le « passeur » et un quatuor à cordes.  Pièce attachante dont il est ici impossible de résumer le propos mais qu’on ne peut qu’encourager à découvrir.  Ce compositeur, bien connu pour ses musiques de film, mérite de l’être également pour toutes ses œuvres.

 

 

Jacques VEYRIER : Pastorales pour violon & alto.  Delatour : DLT0618.

De niveau moyen, ces Pastorales forment un triptyque (vif, lent, vif).  La première partie enchaîne une mosaïque de thèmes qu’on peut qualifier d’agrestes pour justifier le titre de l’ensemble.  L’écriture est à la fois classique, parfois atonale et pleine de charme… pastoral.

 

 

Claire VAZART : En forme de tangopour piano, bandonéon/accordéon, alto, guitare & contrebasse.  Delatour : DLT0545.

Née de la collaboration entre la compositrice et le quintette Hora Cero de Toulouse, cette pièce, tout en étant écrite dans un langage original, ne renie rien de l’esprit du tango et de son balancement un peu nostalgique.  Malgré un niveau assez difficile, elle devrait séduire par son orchestration originale.

 

 

Jean-Michel FERRAN : Saïjiki.  Concerto pour basson & orchestre à cordes.  Delatour : DLT1435.  Matériel d’orchestre : DLT1856.

Le Saïjiki est, pour faire bref, un agenda poétique japonais à l’usage des haïkistes.  La quatrième pièce, par exemple, évoque l’embrasement du soleil couchant de printemps.  Ce concerto très difficile exploite, pour ces différentes évocations, toutes les possibilités techniques de l’instrument et de l’écriture contemporaine (sons multiphoniques, diversité des attaques), au service de l’expressivité.

 

 

MUSIQUE CHORALE

Thomas MORLEY : Agnus Dei.  W. A. MOZART : Luci care.  Jean ABSIL : Le dromadaire.  Œuvres commentées par Hervé Magnan.  Vol. 2.  CD inclus.  Billaudot : G 8645 B.

Voilà une fort originale réalisation : outre la partie de chœur, le recueil contient, pour chaque morceau, un guide complet de mise en œuvre : présentation, texte (et traduction lorsqu’il y a lieu), travail sur le texte, guide de prononciation, forme, chemins d’apprentissage, interprétation… Un glossaire complète le recueil.  Bref, nous trouvons tous les éléments nécessaires au chef de chœur pour mener à bien son travail.  Le CD est également un très utile outil : outre l’exécution intégrale des œuvres, il offre pour chacune les voix séparées seules ou en combinaisons avec d’autres.  Il ne comporte pas moins de 25 plages.  Rappelons que deux pièces sur trois sont pour quatre voix mixtes, celle de Mozart étant écrite pour deux sopranos et basse.

 

 

ORATORIO

HAENDEL : Jephta HWV 70.  Réduction piano & chant. D’après l’Urtext de la Hallishen Händel-Ausgabe par Martin Focke.  Bärenreiter Urtext : BA 4014a.

Voici une magnifique édition de ce dernier oratorio de Haendel.  On en lira l’histoire dans la préface, comme toujours claire et documentée, de Kenneth Nott. Contrairement au texte biblique, l’histoire finit bien… Que dire, sinon que cet oratorio n’a rien à envier aux précédents.  Cette édition comporte les différents changements intervenus depuis la création.  Une réalisation passionnante.

 

 

BALLET

Francis COITEUX : Gaston et les enfants.  Argument de Jean-Noël Genest.  Ballet en 30 numéros (réduction de piano pour répétitions).  Delatour : DLT1802.

Gaston et les enfants est un ballet pour enfants ou adolescents qui associe danse classique et danse moderne.  L’argument met en scène deux bandes rivales et un brave clochard.  La partition donne également, en introduction, des indications pour l’interprétation et la mise en scène, ainsi que l’argument du ballet.  Tout cela est plein de bonne humeur et devrait connaître un franc succès.  Conçu pour un orchestre à composition un peu spéciale, ce ballet peut aussi être joué à deux pianos et même à un piano, si on ne peut faire mieux.

 

Daniel Blackstone.

 

***

 

 



Martin BARNIER : Bruits, cris, musiques de films.  Les projections avant 1914.  Préface de Rick Altman.  2010, « Le Spectaculaire », Presses universitaires de Rennes (www.pur-editions.fr).

Voilà un ouvrage qui intéressera autant les spécialistes et amateurs de cinéma que de musique, sans oublier les historiens du théâtre retrouvant à l’écran des acteurs qui doivent repenser leur art alors que la parole leur est ôtée : « des images qui bougent ! » s’étonnait le grand tragédien Mounet-Sully qui, comme son frère Paul Mounet, tourna pour le Film d’Art et réintroduisit par ailleurs le cri dans la tradition de déclamation compassée de la Comédie Française.  Avec Martin Barnier nous partons à la découverte de l’accompagnement et de l’environnement sonores des films projetés dans toute la France au début du siècle dernier.  Ce panorama très riche est le fruit de longues recherches, notamment dans les archives parisiennes & provinciales et les périodiques de l’époque ; il révèle une impressionnante ampleur de connaissances.  Mais la documentation très vaste et diversifiée est mise au service d’une reconstitution particulièrement vivante d’un panorama sonore (sur lequel nous ne possédions jusqu’à maintenant que des notions lacunaires) et qui nous transporte à cette époque, nous fait remonter le temps, nous donnant l’illusion d’entrer nous-mêmes dans ces salles obscures ou de profiter de l’opportunité de la présence d’un théâtre ambulant.  Nous nous évadons dans le monde du divertissement, reconstitué sous toutes ses facettes, notamment artistiques et sociologiques.  Avec plaisir et gourmandise, nous nous mettons à l’écoute, non seulement de ce que l’on appelle la musique de film (souvent minimisée par les musicologues dans leurs monographies de compositeurs) mais aussi de tout un univers bruissant de mille sons - sons musicaux ou bruits.  L’on pense aux recherches des futuristes italiens, à L’Art des bruits de Russolo qui invite auditeurs et compositeurs à prendre en compte toutes les sonorités qui les entourent, dans la rue et la nature ; à une nouvelle esthétique française qui intègre aux instruments de l’orchestre, comme Parade de Satie, rengaines de fête foraine, coups de revolver, machine à écrire ou roue de loterie ; à l’expérience de « musique d’ameublement » menée par le même Satie avec la complicité de Darius Milhaud.  Il n’y a plus seulement la musique « qui s’écoute la tête dans les mains » - dénoncée par Jean Cocteau en 1918 dans son pamphlet Le Coq et l’Arlequin - mais une multitude de phénomènes acoustiques qui se mêlent, dans lesquels le spectateur se trouve immergé et auxquels il participe lui-même.  Fondé sur une érudition véritable, le livre de Martin Barnier nous offre un foisonnement de détails tous plus pittoresques et passionnants les uns que les autres et nous incite à remettre en question nos idées fausses et réductrices sur un spectacle purement visuel ou une partition que l’on aurait écoutée sagement dans un silence « religieux ».

 

Anne Penesco.

 

Association Maurice & Marie-Madeleine DURUFLÉ (durufle@free.fr).  Hommage à Henriette Puig-Roget + Dossier Requiem op.9 de Maurice Duruflé.  CD encarté (concert du 25 avril 1980).  Bulletin n°10/2010.  368 p.  28 €.

Hommage à Henriette Puig-Roget

Cet excellent Bulletin doit attirer l’attention des organistes, chefs de chœur et musicologues, en raison de son contenu. Les lecteurs y trouveront d’abord un remarquable hommage à Henriette Puig-Roget (1910-1992), personnalité exceptionnelle, organiste (Oratoire du Louvre) et professeur ayant enseigné aussi bien au CNSM qu’au Japon, après sa retraite.  Cet article, ayant bénéficié des archives familiales conservées par sa fille Pauline, présente plusieurs facettes de sa longue carrière, avec des témoignages de ses élèves : le professeur, le critique musical aux Lettres françaises, la compositrice (à partir d’interviews), avec le catalogue de ses œuvres, la concertiste (piano, orgue dont des œuvres de M. Duruflé) et une discographie.

Dossier Requiem op.9 de Maurice Duruflé

Ce Dossier comprend le rappel des paroles du Requiem, une analyse de M. Duruflé, des interviews diverses, puis l’analyse musicale par Gilles Cagnard et différents points de vue.  Le CD du concert du 25 avril 1980 à St-Étienne-du-Mont est joint à cet article avec, au programme : le Choral varié sur le « Veni Creator » et le Prélude et fugue sur le nom d’Alain (interprétés par Marie-Madeleine Duruflé-Chevalier), 3 motets (interprétés par la chorale Colbert dirigée par Éliane Chevalier).  Ce Bulletin de l’Association éponyme met ainsi en valeur l’apport de Maurice Duruflé à la musique religieuse contemporaine.

 

 

Isabelle WERCK : Franz Liszt.  « Horizons », Bleu nuit (info@bne.fr).  2011.  176 p.  20 €.

Ce livre - sélectionné pour « La Folle Journée de Nantes » - inaugure la série de publications commémoratives à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Liszt, mettant l’accent  sur la carrière mouvementée du pianiste, chef d’orchestre, compositeur et abbé, « mi-tzigane, mi-franciscain », « créateur bohême et faustien ».  I. Werck ne cède pas à la « lisztomania » - selon l’expression de H. Heine -, et révèle, entre autres, des œuvres moins connues.  Elle retrace rapidement sa vie : enfance à Raiding, puis Vienne, adolescence à Paris (jusqu’en 1830), histoire sentimentale, affirmation de sa personnalité grâce aux rencontres (Berlioz, Paganini, Marie d’Agoult) et aux séjours (Suisse, Italie…), puis la période brillante (1840-1849), jalonnée par compositions et concerts.  Les chapitres suivants abordent sa musique pour piano, sa technique éblouissante, avec des analyses succinctes, citations musicales et documents iconographiques très évocateurs à l’appui. (Cependant, son œuvre vocale : 2 messes, 2 oratorios, Via Crucis… n’est abordée qu’au chapitre 8, soit après son décès…).  À Weimar (1848-1861), « haut-lieu de la musique moderne » (p.77), il participe en tant que chef d’orchestre à des festivals dans l’entourage de la princesse de Sayn-Wittgenstein, compose des poèmes symphoniques, concertos, les Faust- et Dante- Symphonies(objets d’analyses allant droit à l’essentiel, avec thèmes notés).  La vieillesse de l’abbé (1861-1886), en Italie où il est « prêtre à part entière » (p.119), époque à laquelle il se déplacera souvent, entre Paris, Rome (1866-1867) - au couvent Santa Francesca Romana -, Triebschen où il retrouve R. Wagner et Cosima, Weimar où, par ses cours, le virtuose transmettra son héritage.  Budapest (1885-1886) lui fait bon accueil, lui décerne une « gratification en tant que compositeur » (p.131).  Il meurt en mai 1886.  Une bibliographie commentée, une discographie, des tableaux synoptiques (vie de Liszt/vie culturelle), un « index » (en fait catalogue) thématique de ses œuvres, seront très utiles.  Cet ouvrage, destiné à un public curieux, présente un Liszt qui « éblouit et éveille », inspirant sympathie, gratitude et admiration : c’est ce que l’auteur fait partager à ses lecteurs.

 

 

Alexis GALPÉRINE : Le dernier Cantor de Moravie, Otto Albert Tichy (1890-1973).  « Organ Prestige », Delatour France (infos@editions-delatour.com), 2011, 169 p.  17€.

Personnalité bi-nationale, O. A. Tichy, né à Martinkov (Moravie), a vécu entre Prague, Paris et Lausanne, entre l’Est et l’Ouest, entre deux guerres mondiales, entre l’Empire des Habsbourg et l’écrasement du « printemps de Prague ».  Initié à la musique par les chants catholiques, les danses populaires et la pratique musicale en famille, il dirige ensuite, à Brno, le chœur du séminaire de l’école de musique allemande.  Installé en France en 1919, il y rencontre, entre autres, la famille Bloy, V. d’Indy, Ed. Souberbielle - qu’il remplace souvent à l’orgue.  En 1920, il épouse Véronique Bloy, passe l’entre-deux-guerres en France et en Suisse où sa vocation de Cantor se réalise pleinement.  Toutefois, en 1935, il obtient le poste de maître de chapelle à la cathédrale Saint-Guy de Prague ; il y sera également professeur au Conservatoire à partir de 1946.  Le rideau de fer le séparera de la France, et les artistes sont mis sous tutelle communiste.  Il meurt à Prague en 1973.  Marie Tichy a fait bénéficier l’auteur d’un carnet de souvenirs du musicien dont l’œuvre prolifique comprend 316 numéros d’opus : musique de chambre, sacrée (messes, motets…), d’orgue... et même un arrangement de La Marseillaise pour quintette à vents et des Chansons de soldats tchécoslovaques, adaptées en français par le poète suisse Edmond Pidoux.  L’élève de V. Novak et V. d’Indy « fustige le goût sulpicien et milite aussi bien en faveur du chant grégorien que de la polyphonie vocale classique ».  Ce livre est tout indiqué pour la collection « Organ Prestige ».  A. Galpérine a le mérite d’avoir montré le destin tragique de cet organiste, « dernier Cantor de Moravie ».

 

 

Nicole SIMONNOT-GUEYE : L’orgue, un singulier pluriel.  Approches de l’orgue à travers ses représentations dans la littérature et le cinéma européens depuis la fin du XIXe siècle.  Delatour France (infos@editions-delatour.com) : DLT 1829.  486 p.  29 €.

L’orgue des architectes, des facteurs et organiers, des organistes, des institutions, des historiens est présenté non pas à travers sa facture, ses registres ou les critères d’interprétation mais, dans une optique transdisciplinaire, à partir de sources littéraires (françaises et étrangères) : romans, nouvelles, poésies, essais et correspondances (A. Camus, A. Gide, M. Proust, É. Zola, V. Kandinsky, P. Valéry) ; filmographiques (J.-L. Godard) et théoriques (de Dom Bedos à P. Vidal).  Il comporte également une bibliographie thématique (p.475-486), structurée en fonction des différentes disciplines représentées, et très instructive.  Toutefois, les traités d’Alexandre Cellier : L’orgue moderne (1913) ; L’orgue, ses éléments, son histoire, son esthétique (avec H. Bachelin, 1933) ; Traité de la registration à l’orgue (1957) auraient pu être cités (ces lacunes n’enlèvent rien à la valeur de l’ouvrage).  Fruit d’une large expérience et d’approches neuves, par le biais de la littérature, du cinéma, de l’histoire des idées en Europe, N. Simonnot-Gueye met pertinemment en relation l’architecture, la musique, la religion, les cultures, les métiers d’organiste, de facteur et de « musicien des cultes ».  Elle tient compte de l’histoire des sensibilités religieuses (« reconfessionalisation » catholique de l’orgue) et des tendances (redécouverte des œuvres de J.-S. Bach ; rationalisation [cf. structure de la fugue]).  Cette approche originale, complémentaire et pluridisciplinaire, honore l’excellente collection « Organ Prestige ».

 

 

Marie-Agnes DITTRICH : Grundwordtschatz Musik.  55 Begriffe, die man kennen sollte, Kassel, Bâle…  2008, « Basiswissen », Bärenreiter (www.baerenreiter.com).  120 p.  12,95 €.

La collection « Bärenreiter Basis Wissen » est l’équivalent de nos « Que sais-je ? »  Le premier volume est, en fait, un condensé de vocabulaire concernant la musique avec 55 notions indispensables.  Dans ce Navigator, les mélomanes trouveront - dans l’ordre alphabétique - des définitions en allemand étayées d’exemples musicaux (par exemple : l’accord de Tristan, le thème du Beau Danube bleu…), les différentes acceptions de la forme récitatif (secco, arioso), une typologie du rythme (syncopé, accentuel, quantitatif…).  L’impression noire et rouge attire immédiatement l’attention des lecteurs sur un point important ; ils se familiariseront ainsi avec la terminologie musicale allemande.  Excellente orientation théorique, claire et succincte, allant droite à l’essentiel.

 

 

Thomas SCHIPPERGES : Musik und Bibel.  Vol. 1 : Altes Testament.  Vol. 2 : Neues Testament.  111 Figuren und Motive, Themen und Texte.  Kassel, Bâle… 2009, « Basiswissen » (éditée par Silke Leopold & Jutta Schmoll-Barthel), Bärenreiter (www.baerenreiter.com).  289 p.  12,95 € le volume.

La Bible peut poser des problèmes aux enseignants, commentateurs et aux étudiants peu familiarisés avec ces textes qui ont inspiré de nombreux musiciens.

• Le premier fascicule présente 111 éléments vétérotestamentaires avec motifs, thèmes, textes et faits historiques mis en relation avec les œuvres musicales (Haydn), des personnages (Moïse et Aaron de Schönberg), le Cantique des Cantiques (Hohelied), les prophètes… autant d’arrière-plans indispensables à la compréhension d’une œuvre musicale.

• Le second fascicule aborde le Nouveau Testament.  Des personnes : le Christ, le Messie (Haendel), Judas, Pierre, les Évangélistes, les 7 dernières paroles du Christ (Haydn) ; des faits : la Passion, la Résurrection, et également des œuvres liées à la liturgie : Noël, Magnificat… L’index, très bien fourni avec de nombreux renvois (œuvres et compositeurs), témoignerait à lui seul de la richesse de ces volumes dus à Th. Schipperges, aux compétences pluridisciplinaires en musicologie, théologie, philosophie, littérature.

 

Édith Weber.

 

Henry BARRAUD : Un compositeur aux commandes de la radio.  Essai autobiographique.  Fayard/ BnF/ France Musique.  1 129 p.  40 €.

Henry Barraud a joué un rôle déterminant dans la vie musicale de la France d’après-guerre, époque où musique et radio faisaient encore bon ménage.  Figure emblématique de la radio française pendant quarante ans, il fut l’homme de la musique à la radio et l’un des fondateurs de France Culture.  Exercice d’introspection, roman d’apprentissage, chronique historique, témoignage sur la radiodiffusion, journal de voyage dans le monde des années 1950-1960, telles sont les différentes facettes de cet ouvrage, regroupées autour de la musique.  Violoncelliste, compositeur, homme de radio, Henry Barraud embrasse également l’ensemble de la création artistique, notamment littérature, peinture et architecture, dont les acteurs défileront au micro de la chaîne nationale, portant l’intime conviction qu’il ne doit pas exister de distance entre créateurs et public.  Un très beau et très gros livre, comprenant un catalogue et une discographie des œuvres d’Henry Barraud, parfaitement documenté, remarquablement écrit, un document indispensable.

 

 

Maxime KAPRIELIAN & Pierre-Jean TRIBOT : Guide des DVD de musique classique 2011.  200 références.  Symétrie.  237 p.  19,50 €.

Le DVD est devenu un acteur incontournable du marché du disque, notamment dans le domaine de l’opéra. On dénombre, en moyenne, une dizaine de parutions mensuelles et on peut estimer à 3 000 le nombre de programmes régulièrement disponibles à l’achat.  Dans ces conditions, un guide des DVDs semblait devoir s’imposer.  L’opéra étant le genre musical qui tire le maximum de bénéfice des possibilités techniques du DVD, il paraît logique qu’il occupe une place de choix dans ce guide, du Baroque à la période contemporaine ; mais y figurent aussi, avec un pareil bonheur, le ballet, le concert et le documentaire. Un guide remarquablement fait, clair et pratique, bien sûr contestable sur certains de ses choix, mais indispensable.

 

 

Jules STOCKHAUSEN : Itinéraire d’un chanteur à travers vingt années de correspondance, 1844-1864.  Lettres réunies & annotées par Geneviève Honegger.  Symétrie, « Perpetuum mobile ».  433 p.  45 €.

Un livre-document qui retrace, à travers vingt années de correspondance, l’itinéraire de Jules Stockhausen (1826-1906), célèbre baryton et pédagogue allemand, un peu oublié de nos jours.  Un remarquable travail de Geneviève Honegger qui permet d’apprécier le long et difficile cheminement qui conduira Jules Stockhausen du Conservatoire de Paris à l’Opéra Comique, en passant par l’Angleterre et l’Allemagne, hésitant sur sa carrière, avant de se consacrer définitivement au lied et à l’oratorio, ainsi qu’à la direction de la Société philharmonique et de l’Académie de chant de Hambourg.  Un témoignage sur le monde musical de l’époque, sur les rencontres du musicien avec de nombreux artistes (Pauline Viardot, Jenny Lind, Clara Schumann, Brahms, Liszt, Saint-Saëns, Gounod, Rubinstein) mais également un regard sur la vie politique (Révolution de 1848) sur la vie culturelle (Exposition universelle de 1851, à Londres) et quelques confessions plus intimes.  Clair, parfaitement réalisé et documenté : un beau livre.

 

Patrice Imbaud.

 

Michel MOLLARD : Le Voyage à Leipzig.  De fugue en fugue, à la découverte du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien BachPréface : Zhu Xiao-Mei (15,5 x 24 cm, 126 p.).  Volume annexe : textes musicaux présentés par Marcel Bitsch (23 x 16 cm, 48 p.).  Éditions Van de Velde (info@henry-lemoine.com).  28 € (les deux volumes).

Destiné à un public non spécialisé souhaitant accéder à une écoute plus approfondie de la musique, ce passionnant ouvrage - composé de 24 plaisants épisodes mettant en regard personnages historiques et imaginaires - n’en sera pas moins fort éclairant pour de plus érudits lecteurs.  Avec notamment le concours - pour l’analyse musicale de 14 fugues appartenant aux deux Livres du Clavier bien tempéré - de l’éminent musicologue Marcel Bitsch.  Préface de la pianiste Zhu Xiao-Mei, inoubliable interprète des Variations Goldberg et de cette « matrice de la musique occidentale » qu’est le Clavier bien tempéré.

 

   

 

Gilles BOUDINET (éd.) : Enseigner l’Histoire des arts : enjeux et perspectives (1).  La question de l’histoire.  L’Harmattan, « Arts, transversalité, éducation ».  13,5 x 21,5 cm, 190 p., ex. mus.  18 €.

Alors que l’enseignement de l’Histoire des arts s’inscrit désormais dans le cursus des enseignements primaire & secondaire mais que - le plus souvent, hélas ! - les enseignants non spécialisés ne se hasardent à traiter que du théâtre ou des arts visuels (domaines ô combien propices à papotages), voilà qu’un groupe de chercheurs affronte le problème sous l’angle, notamment, de la musique.  « En quoi les œuvres recèlent-elles un sens de l’histoire sur lequel cet enseignement pourrait prendre appui ? »  Trois parties : Des textes au terrain (Pascal Terrien, Catherine Dosso, Frédéric Maizieres), L’art comme lieu de l’histoire (Philippe Filliot, Gérard Bougert, Ruth Uscalovsky), Critique du temps & mise en récit (Claudia Reinhardt, Serge Bonnevie, Gbaklia Elvis Koffi).  En annexe : Synthèse commentée des textes officiels.

 

 

Lydie DECOBERT : On n’y entend rien.  Répétitions.  Essai sur la musicalité dans la peinture.  « Ouverture philosophique », L’Harmattan.  13,5 x 21,5 cm, 215 p., cahier de 26 reproductions n&b de tableaux.  23 €.

« Si entendre c’est comprendre le sens, écouter c’est être tendu vers un sens possible » nous assure Jean-Luc Nancy.  Et « L’œil écoute » disait Claudel.  Domaines privilégiés de l’inouï, du sous-entendu…  La première partie de l’ouvrage est consacrée aux « fonctionnements de la perspective dans les représentations de scènes musicales » (peinture de genre hollandaise autour de Vermeer), puis aux dispositifs mis en œuvre dans la peinture italienne.  La seconde partie s’ouvre aux figures antagonistes et/ou complémentaires de l’Ange et d’Éros dans les peintures habitées par la musique.  Pour, en définitive, découvrir la configuration musicale qui réside dans la géométrie de toute peinture.  En prélude de ce remarquable essai : « Lettre à Daniel Arasse (La Leçon de musique de Vermeer) ».

 

 

Frédéric MARTINEZ : Franz Liszt Texte inédit.  « Folio biographies » n°76, Gallimard.  11 x 18 cm, 380 p., cahier d’illustrations n&b et couleurs. 

Au cœur de la présente avalanche d’ouvrages consacrés à Franz Liszt, voilà un utile compendium.  En cinq « mouvements » : Presto, Appassionato, A capriccio, Ostinato, A cappella.

 

 

Franck FERRATY : Francis Poulenc à son piano.  « Univers musical », L’Harmattan.  15,5 x 24 cm, 380 p., 34 €.

Dans le droit fil de son précédent ouvrage, La musique pour piano de Francis Poulenc ou le temps de l’ambivalence (L’Harmattan, 2009), Franck Ferraty approfondit ici son propos dans le domaine technique, tout en sondant les correspondances esthétiques et explorant les voix régressives de la mémoire.  Poulenc, comme incarnation musicale des idéaux romantique, surréaliste, androgyne…  Cinq parties : Une mosaïque de voix / Ronde des styles, mode d’emploi / Un art des correspondances, l’appel des résonances / Enfermement et échappatoire / Clés pour un accord psycho-phénoménologique du piano poulencquien.

 

 

Ramon LAZKANO : La ligne de craie.  « À la ligne », éditions 2E2M (www.ensemble2e2m.fr).  11,5 x 19 cm, 150 p., photos n&b, ex. mus.  10€.

À Ramon Lazkano (compositeur basque, né à San Sebastián en 1968), Pierre Roullier, directeur de l’ensemble 2E2M, consacre la huitième brochure de sa collection bilingue (français/anglais) « À la ligne ».  Outre les indispensables biographie, catalogue des œuvres & discographie, ont été réunies cinq contributions : « In vivo, in vitro » (Pierre Roullier), « Lazkano, la musique de l’indissociable » (Lionel Esparza), « Matière et mémoire : Lazkano et l’orchestre » (Martin Kaltenecker), Ortzi Isilak, dialogue de l’océan et de la craie (Denis Laborde) « Danse des formes et des volumes sonores : Ramon Lazkano et son Igeltsoen Laborategia [Laboratoire des craies] » (Germán Gan-Quesada).

 

 

Jean-Yves BOSSEUR : Le collage, d’un art à l’autre.  Minerve (www.editionsminerve.com).  16 x 23 cm, 238 p., cahier d’ill. n&b et couleurs.  25 €.

Assurément non réductible à un simple procédé technique (fixation, sur un support, de matériaux hétérogènes), la pratique du collage s’est progressivement étendue des arts plastiques aux autres arts.  Qu’il soit critique, voire ironiquement subversif, « l’esprit du collage » pose des questions fondamentales sur les fonctions de l’art, aux plans notamment poïétique et esthétique.  Éminent musicologue et compositeur, mais non moins spécialiste des relations entre disciplines artistiques, Jean-Yves Bosseur a divisé son essai en 5 parties : Le collage & les arts plastiques / Le collage & la création sonore / Le collage & l’écriture littéraire / Le collage & l’image cinématographique / Le collage & l’architecture.  Une éclairante mise en abyme d’un phénomène désormais profondément ancré dans nos pratiques et mentalités.

 

 

Alain SAVOURET : Introduction à un solfège de l’audible.  L’improvisation libre comme outil pratique.  « Pédagogie », Symétrie (www.symetrie.com).  15 x 21 cm, 186 p.  25 €.

S’il est un domaine peu « pensé », jusqu’à présent, par musiciens et théoriciens de la musique, c’est bien celui de « l’improvisation libre ».  Depuis longtemps praticien de la chose, Alain Savouret nous fait ici part de son expérience au sein, notamment, de sa classe au CNSMD de Paris.  Prônant une « triple écoute analytique » (fondée sur le temps, l’espace et la mémoire), il nous propose : Récits de cours / L’expérience réfléchie / Échos de classe / La pratique du solfège : l’improvisation libre / Hypothèse de la triple écoute & son lexique provisoire.  De riches annexes comportent descriptions d’exercices, textes complémentaires (signés d’anciens élèves ou collaborateurs) et fiches pédagogiques.

 

 

Muriel PLANA & Frédéric SOUNAC (Textes rassemblés et présentés par) : Les relations musique-théâtre : du désir au modèle.  L’Harmattan.  15,5 x 24 cm, ill. n&b, 27,50 €.

Il s’agit là des actes du Colloque international organisé, en octobre 2007, par l’Institut de recherche pluridisciplinaire en arts, lettres et langues (IRPALL) de l’Université de Toulouse II–Le Mirail.  Pourquoi, autour de l’attirance réciproque entre théâtre & musique, parle-t-on de « musicalité » de la mise en scène et de « théâtralité » de la musique ou de son interprétation.  Associant artistes & chercheurs en littérature, études théâtrales et musicologie, l’ouvrage s’attache à identifier, décrire, explorer l’ensemble de ces relations, à en esquisser la généalogie.

 

 

« Volume » : What you see is what you hear, revue d’art contemporain sur le son (n°2, décembre 2010-juin 2011)  Les Presses du réel (www.lespressesdureel.com).  21 x 27 cm, 130 p., ill. n&b et couleurs.  18 €.

Cette 2e livraison de la revue Volume (publication bilingue, anglais/français) vise à mettre en lumière combien oralité & écriture entretiennent une réelle correspondance dans leur rapport au langage – domaines notamment esthétiques, poétiques, voire politiques.  Et ce, nonobstant les ambivalences de la voix, langage aussi bien normé que bruitiste (cris, rires, onomatopées)…  Contributions de : Christian Alandete, Kathy Alliou, Daniele Balit, Manuel Cirauqui, Vanessa Desclaux, Audrey Illouz, Daniel Kurjakovic, Franck Leibovici, Elfi Turpin.

 

 

Mehdi NABTI : Les Aïssawa.  Soufisme, musique et rituels de transe au Maroc.  « Histoire et perspectives méditerranéennes », L’Harmattan.  15,5 x 24 cm, ill. n&b, ex. mus., ill. n&b.  27,50 €.

La confrérie des Aïssawa est un ordre mystico-religieux fondé, à Meknès, par Muhammad ben Aïssa (1465-1526), dit le « Maître parfait ».  Phénomène social à la charnière du sacré & du profane, des domaines public & privé, des cultures savantes & populaires, leurs chants sont ordinairement soutenus par un hautbois et des percussions polyrythmiques.  Danses visant à conduire à la transe…  Dans un Maroc aujourd’hui traversé par une modernité conservatrice et une grave crise économique, les Aïssawa cristallisent tensions et contradictions de l’Empire chérifien.

 

 

Jean-Jacques GROLEAU, Thomas MAHLER & Patrick TCHIAKPÉ (Contributions de) : Music Game Book.  Préface : Béatrice Ardisson.  Éditions Assouline (www.assouline.com).  Relié couverture souple, 15 x 21,5 cm, 380 p., ill. couleurs.

Sous-titré « Histoire mondiale de la musique du XXe siècle », ce fort et beau volume ne s’intéresse guère qu’aux musiques populaires, malgré quelques incursions/alibis dans l’œuvre de Bizet (sic !), Satie, Debussy, Richard Strauss, Prokofiev, Stravinsky…  Cela dit, voilà un très ludique & instructif ouvrage qui ne laisse pas de surprendre : brèves synthèses, questions/réponses, jeux, anecdotes inédites, liens entre genres musicaux, le tout illustré de quelque 400 photos couleurs.  À lire en… piqué !

 

Music Game Book

Francis Cousté.

 

***

 

 



Rolande FALCINELLI (1920-2006) : Quatre grandes improvisations en concert.  Rolande Falcinelli à l’orgue Beuchet-Debierre de la Cathédrale aux Armées (Saint-Louis des Invalides), Paris.  IFO : ORG 7220.2 (distr. Codaex).  TT : 79'32.

« Improviser, si l'on est sincère et si l'on ne se contente pas de formules et de clichés, est toujours une aventure, passionnante et inquiétante » disait Rolande Falcinelli lors d'une conférence sur l'art de l'improvisation.  C'est précisément dans une aventure stupéfiante que l'on est emmené tout au long de ce disque du label allemand IFO, proposant dans son intégralité le mémorable récital d'improvisation, donné le 20 octobre 1983 à Saint-Louis des Invalides à Paris.  Quatre formes se succèdent : Prélude et Double Fugue, Variations, Suite symphonique (Récit incantatoire, Scherzo, Mélopée, Final), et les Sept Sceaux, poème symphonique sur le texte biblique « L'ouverture des sept sceaux » de l’Apocalypse selon saint Jean.

Les œuvres que Rolande Falcinelli improvisa sur des thèmes d'Antoine Tisné démontrent le niveau transcendant auquel était parvenue sa maîtrise de cet art périlleux : le contrôle intellectuel de la construction du discours et l'aisance de sa traduction dans l'immédiat sont absolus.  Rigueur et souplesse, lucidité et imagination visionnaire : tout se fond dans un équilibre parfait, animé par un souffle dramatique époustouflant.  Une grande aventure, donc, marquée ce soir-là par un vertigineux crescendo d'intensité et par une de ces rares et mystérieuses visitations de l'Esprit, qui se serait évanouie à jamais si le récital n'eût été enregistré et heureusement préservé pour la postérité.

 

Andrea Borin.

 

Claude Le JEUNE : Dix Pseaumes de David.  Ramée (stephanie@outhere.com) : RAM 1005.  TT : 75’28.

Cl. Le Jeune (ca 1530-1600) - musicien de la Réforme au même titre que Cl. Goudimel - a, en 1564, « nouvellement composez à quatre parties en forme de motets » Dix Pseaumes de David, que révèle l’ensemble Ludus Modalis (7 voix, ainsi que clavecin & orgue) dirigé par son fondateur, Bruno Boterf, musicologue spécialiste aussi bien de musique médiévale que de musique baroque, et ténor.  Gagné à la Réforme et marqué par l’humanisme, Cl. Le Jeune s’est lancé dans la musique mesurée à l’Antique dont des Prières avant et après le repas ou encore ses Pseaumes en vers mesurés édités en 1606 (donc après sa mort).  Les Dix Pseaumes reposent sur les paraphrases de Théodore deBèze, mais ne reprennent pas les mélodies récemment attribuées à Pierre Davantès.  Son style est personnel et son projet s’inscrit dans le contexte historique, c’est-à-dire la paix retrouvée.  Le dénominateur commun est l’action de grâce et l’invitation au chant : Chantez...  Les amateurs de psaumes calvinistes seront curieux de connaître les nouvelles versions de ces 10 Psaumes que Bruno Boterf et Ludus Modalis interprètent en connaissance de cause, avec autant de force de persuasion que de ferveur et d’intériorité.

 

 

Les chants du Pèlerin russeJade (jade@milanmusic.fr) : 699728-2.  TT : 60’.

Les sœurs du monastère Sainte-Élisabeth de Minsk - l’un des centres orthodoxes les plus actifs en Biélorussie, dont la patronne est la grande-duchesse Élisabeth (petite-fille de la reine Victoria), convertie à l’orthodoxie - ont enregistré 16 pièces.  Selon le livret : « ces magnifiques chants de pèlerins ou Versets spirituels relatent des histoires sacrées à partir de la musique populaire.  Il existe dans le patrimoine de la tradition religieuse russe de vieux chants d’origine populaire, sorte de pieuses poésies à caractère légendaire qui expriment de façon spécifique l’âme du peuple russe ».  Ces complaintes, en marge de l’usage liturgique, reprennent des thèmes bibliques : louange de Dieu ; Consolation de mes tristesses devant l’icône.  Elles évoquent également avec lyrisme le père Séraphin, le vénérable père Serge, la bienheureuse Xénia…, Un moine, et se termine avec Calme nuit, où « le moine dort doucement, et l’ange de Dieu le protège… » : un concentré de calme, de plénitude, d’intériorité, de douceur émanent de ces voix si fondues, justes et homogènes.

 

 

Printemps.  VDE Gallo (info@vdegallo.ch) : CD-1326.  TT : 57’.

Toujours à la recherche d’originalité et de sonorités inattendues, les disques Gallo présentent, sous le titre : Printemps, des pages très connues arrangées pour flûte de Pan (M. Tirabosco), accordéon (D. Fedorov) et un ensemble instrumental (l’ensemble Concordia Discors).  Les discophiles reconnaîtront aisément les accents de J. S. Bach émanant du Double Concerto en ut mineur, de la Sonate pour flûte & clavecin, en sol mineur, des Suites orchestrales n°2 en si mineur et n°3 en majeur, mais dans un paysage sonore différent.  A. Vivaldi est présent avec Le Printemps et L’Hiver extraits des Quatre Saisons.  Paradoxalement : à la fois déroutant et ressemblant.

 

 

Joseph HAYDN : Deux Symphonies parisiennes.  Ludwig August LEBRUN : Concerto pour hautbois.  Ricercar (stephanie@outhere.com).  TT : 66’06.

Au XVIIIe siècle, Paris est un passage obligé pour les artistes grâce à l’organisation « Le Concert Spirituel » (1725-1791).  Cette collection éponyme a retenu des œuvres qui, à l’époque, ont rencontré un grand succès : 2 symphonies de Joseph Haydn (1732-1809) et le Concerto en do majeur de Ludwig-August Lebrun (1752-1790), hautboïste du célèbre orchestre de la cour de Mannheim, dans l’entourage de C. et H. Stamitz.  Son Concerto pour hautbois & orchestre, à découvrir, comporte trois mouvements contrastés : Allegro, Adagio, Rondeau (Allegretto), de facture classique et agréables à entendre.  Le timbre du hautbois (soliste : B. Laurent) plane sur l’ensemble.  Il est accompagné avec infiniment de musicalité par l’ensemble Les Agrémens dirigé par Guy Van Waas.  Le cycle des symphonies de Haydn, édité à Paris en 1788, est doté du titre : « Du répertoire de la Loge Olympique, six sinfonies à divers instruments… ».  Désignées « Symphonies parisiennes » à cause de leur commanditaire, le comte d’Ogny, les Symphonies en do majeur et ré majeur, loin d’être galvaudées, bénéficient d’une interprétation conforme aux critères de l’époque.  À retenir entre autres : le caractère monumental de Symphonie en do majeur, grâce aux trompettes et timbales, l’Adagio particulièrement chantant de la Symphonie en  majeur, et les deux Finale bien enlevés.

 

 

Récital de piano Élizabeth Herbin.  VDE-Gallo (Rue de l’Ale, 31.  CH-1003 Lausanne, info@vdegallo.ch) : CD 1312.  TT : 54’01.

Olivier Buttex et les disques Gallo ont, entre autres, le mérite de promouvoir de jeunes pianistes.  Élève de Vl. Perlemuter au CNSM de Paris, où elle est entrée à 11 ans, Élizabeth Herbin est aussi, entre autres, disciple de N. Magaloff et d’A. Ciccolini.  Elle enseigne au conservatoire J.-Ph. Rameau (Paris) et donne des masterclasses au Canada, au Japon, en Pologne et en Chine.  Elle a sélectionné la Sonate en sib majeur, D.960 (1928) de Fr. Schubert (1797-1828).  Aucun traquenard technique ne lui résiste (accords répétés, mise en valeur de la ligne mélodique, indépendance totale des mains).  Elle recrée à merveille l’atmosphère méditative et le caractère fervent de l’Andante sostenuto, contrastant avec la limpidité du Scherzo (Allegro vivace con delicatezza), suivi du seul mouvement forte : Allegro ma non troppo, se faisant plus discret vers la fin.  Quant à l’œuvre de Fr. Liszt (1811-1886) : Après une lecture du Dante (d’après V. Hugo), É. Herbin rend cette œuvre à la fois mystique et sublime.  Wilhelm Kempf n’avait-il pas raison en affirmant : « Élisabeth Herbin est un talent musical exceptionnel, son jeu est d’une grande et personnelle puissance d’expression » ?  Disque très attachant, bénéficiant aussi d’un livret quadrilingue très bien conçu.

 

 

CHOPIN : Nocturnes.  GRANADOS : Œuvres choisies.  Ester Pineda.  VDE-Gallo (info@vdegallo.ch) : CD 1325.  TT : 69’49.

Pour cette jeune pianiste espagnole de réputation internationale, la virtuosité n’est qu’un moyen, et non une fin, au profit de la sensibilité et de la profondeur.  Le volet consacré à Fr. Chopin (1810-1849) est marqué par une sonorité exceptionnelle, doublée d’une rare finesse.  Elle interprète avec infiniment de musicalité et de goût six de ses Nocturnes.  D’entrée de jeu, elle révèle l’esthétique hispanisante d’Enrique Granados (1867-1916) dont elle a retenu les Valses poétiques, des extraits des Goyescas (1911)…  Les mélomanes n’oublieront pas le charme et la discrétion se dégageant de Plaintes ou la Maja et le rossignol.  Enfin, dans l’Allegro de concert, plus développé, son jeu perlé et ses attaques précises contribuent au dynamisme de cette marche en avant.

 

 

Théodore DUBOIS : Concerto pour violon & orchestre.  Édouard LALO : Symphonie espagnole.  BNL : 112964.  Distr. Codaex. TT : 60’.

Th. Dubois (1837-1924) n’est pas que l’auteur d’un célèbre Traité d’Harmonie…  En tant que compositeur, il bénéficie actuellement d’un regain d’intérêt (cf. ses œuvres d’orgue interprétées par Helga Schauerte).  Son Concerto pour violon & orchestre (1897) a été enregistré, en première mondiale, par l’excellent violoniste Frédéric Pélassy en Slovaquie.  Encore de facture romantique, avec un plan classique en trois parties, cette œuvre réserve la part belle au violon qui, dans l’Allegro, s’impose par la virtuosité et la bravoure, dans l’Adagio, cède la place à la mélancolie et au pathos, contrastant avec l’Allegro giocoso aux rythmes martelés, incisifs, les passages staccato au violon.  Décidément, Fr. Pélassy se joue de toutes les difficultés dans les tessitures scabreuses sur tempo rapide.  La proximité avec la Symphonie espagnole (1875) d’É. Lalo (1823-1892), structurée en 5 mouvements, proche du post-romantisme, est évidente.  Ce CD, résultat de la remarquable entente entre l’éminent violoniste français et l’Orchestre national philharmonique de Kosice, dirigé par Zbynek Müller, est incontournable dans toute discothèque de mélomane curieux.

 

 

Jérôme BERNEY : 3 + 3.  Jazz autour de Frank Martin.  VDE-Gallo (info@vdegallo.ch) : CD 1330.  TT : 46’32.

3 + 3.  Jazz autour de Frank Martin : titre aussi énigmatique qu’inattendu ?  Il est présenté comme une charade : « Mon premier est une œuvre du compositeur suisse Frank Martin : Trio sur des mélodies populaires irlandaises (1925).  Mon deuxième est un trio classique, piano-violon-violoncelle, qui l’interprète.  Mon troisième est un trio jazz, piano-contrebasse-batterie, faisant « effraction » à partir de compositions de Jérôme Berney.  Mon tout est une création inédite mêlant genres et ensembles, musique écrite et improvisée, dans un esprit festif !  Soit.  Pourquoi pas ?  Réussite du genre…

 

Édith Weber.

 

Umberto GIORDANO : Fedora.  Plácido Domingo (Loris), Angela Gheorghiu (Fedora), Fabio Maria Capitanucci (De Siriex), Nino Machaidze (Olga).  Orchestre symphonique et chœur de la Monnaie, dir. Alberto Veronesi.  2CDs : DGG 477 8367.

Dès les premiers stades de sa carrière, Plácido Domingo, travailleur acharné, se montrait volontiers disponible pour participer à l’exhumation discographique d’ouvrages méconnus, notamment du répertoire improprement appelé “vériste”.  Il a repris son bâton de pèlerin depuis quelques années afin de compléter ce pan de la discographie chez DGG, en compagnie du chef Alberto Veronesi.  Cinquième volet de leur commune exploration, Fedora sort trois ans (!) après l’enregistrement effectué en janvier 2008.  Dans le catalogue d’Umberto Giordano voisinent un chef-d’œuvre, Andrea Chénier, et divers ouvrages non dénués d’originalité (Siberia, Mese mariano, Il Re, pour n’en citer que quelques-uns).  Fedora, inspiré – comme Tosca, mais le parallèle s’arrête là ! –, d’un drame de Victorien Sardou, souffre d’un livret inintéressant. Il est difficile de s’intéresser à quelque personnage que ce soit, tant la psychologie sommaire, concentrée en une heure et demie (vérisme oblige : la violence des destinées tragiques se traite en formes ramassées), prête souvent à sourire ! L’inspiration peine à relever une écriture musicale, certes irréprochable et par moments émaillée de trouvailles orchestrales séduisantes.  Mais, pour en tirer la substantifique moelle, il eût fallu un chef plus imaginatif que Veronesi (et l’orchestre bruxellois ne fournit guère un velours au discours orchestral).  Quoi qu’il en soit, Plácido Domingo, dans le rôle du ténor (il devient nécessaire de le préciser, lire ci-dessous !), déploie une vaillance intacte et un art du phrasé sur lequel l’âge n’a pas de prise : écoutez comme il infléchit des syllabes en cours de mot pour faire vibrer une tension expressive ; la maîtrise enrichie de l’expérience que l’on sent ici force l’admiration.  Face à lui, Angela Gheorghiu se veut une sensibilité à vif, mais la justesse bat parfois la campagne.  Nino Machaidze n’a pas les moyens de soprano léger requis par le rôle superficiel d’Olga, et son timbre de serinette devient étriqué dans l’aigu. Un telle nouveauté discographique ravira donc au premier chef les collectionneurs domingophiles.

 

 

Frédéric CHOPIN : Polonaise-Fantaisie op.61, Nocturnes op.62 n°1 et 2, Andante spianato et Grande Polonaise op.22, 12 Études op.10.  En bis, Rachmaninov : Prélude op.32 n°5.  Chopin : Prélude op.28 n°24.  Nelson Goerner, piano.  Wigmore Hall Live : WHLive0039.

Parution en postlude à l’année Chopin d’un récital donné à Londres… en prélude à ladite année, le 1er octobre 2009.  Nelson Goerner est un pianiste parfois sous-estimé : doté d’une belle sonorité, d’une virtuosité dont témoignent ici les Études op.10 (et spécialement celles “à grande vitesse”, pour adopter un vocabulaire ferroviaire), on le qualifierait par la notion d’énergie positive.  Point de mystère dans ses interprétations du romantisme, mais une mâle assurance diffusant une certaine lumière, que l’on aurait tort de mépriser.  On peut certes lui reprocher d’être un peu court dans les contrastes de dynamique (de beaux p, mais un manque de réserve dans la puissance), ce qui gomme le dramatisme et les ténèbres de l’âme.  Un esprit positif, vous dis-je !  Il n’est pas dénué de sens poétique, comme le prouve en bis le Prélude en sol majeur de Rachmaninov, au ruissellement si évocateur.  Mais, aussitôt après, en ultime bis, le 24e Prélude de Chopin nous remet sur les rails de sa virile approche du Polonais.

 

 

Petr EBEN : Symphonia Gregoriana.  Gunther Rost, orgue.  Bamberger Symphoniker, dir. Gabriel Feltz.  SACD Oehms : OC643.

Le compositeur tchèque Petr Eben (1929-2007) apporta une contribution des plus importantes au répertoire d’orgue du XXe siècle. Sa musique fort belle, noblement pensée, mue par des motivations humanistes, mériterait d’être mieux connue sous nos cieux.  Sa foi religieuse s’éleva comme un moyen de contestation dans la Tchécoslovaquie communiste, et il se donna l’apparence d’entériner le cliché de l’orgue/instrument liturgique pour avancer une forme de résistance dans l’idéologie matérialiste qui étouffait son pays. La Symphonie concertante ici gravée en est l’illustration, puisqu’elle s’appuie sur des thèmes grégoriens, dont le cheminement (exemples musicaux à l’appui) est fort bien expliqué dans le copieux livret.  Il faut tout de même avertir le public qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse, écrite alors que Petr Eben achevait ses études (en 1954), et que le style n’a pas encore atteint sa pleine identité.   Malheureusement, nous entendons là un organiste qui registre fort maladroitement (la composition de l’orgue, fournie dans le livret, prouve que l’on pourrait donner plus de présence à la partie d’orgue, mieux la dessiner), privilégiant des anches au son enrhumé ; de plus, il joue son rôle avec une inconsistance déplorable.  La prise de son achève de noyer le tout dans une soupe confuse, notamment lorsque l’orgue et les percussions interviennent conjointement.  Au bout d’un moment, l’attention décroche, alors même que la partition recèle des potentialités aisées à deviner.  Quel dommage de subir ici une réalisation inaboutie, handicapant la réception d’une œuvre qui appellerait de plus dignes efforts !

 

 

Felix MENDELSSOHN : Concerto pour violon, piano & orchestreQuintette à cordes n°2 (arr. pour orch. à cordes).  Alexander Lonquich (piano) Antje Weithaas (violon), Camerata Bern.  Claves : 50-1102.

À quatorze ans, le jeune prodige composait un joyau de vitalité magistralement écrit : le Concerto pour violon, piano & cordes. On l’entend ici dans une version élargie aux vents et timbales reposant sur un matériel d’orchestre retrouvé dans les archives de Mendelssohn.  La qualité de jeu et la vivacité de la Camerata de Berne y font merveille.  Le premier mouvement est teinté d’une verve italienne (il sonne par moments rossinien, presque jamais beethovenien), le deuxième mouvement échappe à l’influence mozartienne par un chromatisme qui s’infiltre passagèrement au piano, et le finale déborde d’une exubérance débridée.  Alexandre Lonquich s’y montre pétillant, rebondissant.  On déplore en revanche le timbre peu gracieux d’Antje Weithaas, là où conviendrait le son translucide d’un Gidon Kremer, malgré la musicalité virtuose de l’actuelle directrice artistique de la Camerata de Berne.  La prise de son a tendance à isoler les deux solistes au premier plan, ce qui affecte le naturel de la restitution.  Le Quintette à cordes op.87 de 1845 supporte – je dirai même plus : appelle – l’extension à l’effectif d’un petit orchestre à cordes.  Là encore, la perfection de jeu de la Camerata de Berne est garante du résultat.  Écoutez le tissu volubile des parties intermédiaires dans le premier mouvement, puis l’élégance, toute en légèreté, de l’Andante scherzando.  Cet effectif amplifie encore le dramatisme funèbre du poignant Adagio où résonnent comme des appels de la scène théâtrale (les fantômes de Don Giovanni et du Commandeur semblent s’y tenir dans l’ombre).  Quant au finale, on le croirait issu de quelque symphonie post-mozartienne, et les instrumentistes s’y lancent avec une fougue de haute virtuosité.  Au final, un disque qui sème le bonheur.

 

 

Felix MENDELSSOHN : Elias (chanté en allemand).  Claudia Barainsky (soprano), Franziska Gottwald (contralto), Rainer Trost (ténor), Thomas E. Bauer (baryton). Chorus Musicus Köln, Das Neue Orchester, dir. Christoph Spering.  2CDs MDG Live : 602 1656.2.

Nos lecteurs savent que l’auteur de ces lignes a une oreille très critique envers l’historicisme instrumental mis à toutes les sauces, spécialement quand cette sauce consiste à transvaser sans discernement des ingrédients “baroqueux” vers des ragoûts mijotés à une autre époque, dans un tout autre état d’esprit, au point d’entrer effrontément en contradiction avec les idéaux des créateurs concernés.  Il y a pourtant d’heureuses exceptions, et Christoph Spering est de celles-ci : en 1995, nous avions été très impressionnés par l’oratorio Paulus, qu’il avait gravé pour le défunt label “Opus 111”, de même que la Symphonie “Lobgesang” et la version arrangée par le même Mendelssohn de la Passion selon saint-Matthieu de Bach.  En effet – et ces particularités sont rappelées dans le livret d’Elias – Spering ne considère pas que réduire les œuvres à des effectifs “rikiki” soit une preuve de culture historique (au contraire, on sait les masses considérables dont ont pu disposer Haendel, Mozart, Mendelssohn, etc.), et si, depuis ce mémorable Paulus, les membres de son chœur (Chorus Musicus) et de son orchestre (Das Neue Orchester) se sont renouvelés, la philosophie du travail qu’il leur insuffle demeure la même, et vise à faire qu’une musique romantique sonne avec une expression romantique, et non selon des postulats “fourre-tout” aveuglément “baladés” d’un siècle à l’autre, d’une esthétique à l’autre, comme on l’entend si souvent (le dogmatisme sans culture des sensibilités particulières peut faire des ravages !).  Son attention à des détails négligés fait que, pour le coup, sa lecture des partitions redonne une vérité historique au son et à la structure dynamique ainsi reconstitués : dans Paulus, par exemple, Spering avait mis en application les registrations notées de la main de Mendelssohn sur la partie d’orgue d’une exécution qu’il avait dirigée au Gewandhaus de Leipzig (le compositeur était autant chef d’orchestre qu’organiste et pianiste, d’où son attention à ces détails d’interprétation), or l’alliage entre ces registrations et l’ophicléide révèlait des intentions insoupçonnées dans le traitement des basses.  Dans l’un et l’autre oratorios, Spering suit avec un soin scrupuleux les indications métronomiques portées par Mendelssohn sur les partitions, et redonne vie à des progressions dramaturgiques que le compositeur étagea très soigneusement.  Le présent Elias rejoindra donc Paulus dans les rangs des versions chaudement recommandables pour découvrir le “vrai” Mendelssohn, et l’on apprécie la capacité des choristes à “jouer” leur rôle dans les moments de tension dramatique (la joute avec les prêtres de Baal, ou le déchaînement des forces divines “Der Herr ging vorüber” dans la seconde partie), ainsi que l’homogénéité avec laquelle les chanteurs solistes se fondent dans la couleur vocale collective ou en émergent à bon escient.  Tout ici respire l’exigence qui donne aux réalisations de Spering une démarche cohérente, une riche beauté sonore, un relief dramatique qui n’a pas besoin des soufflets d’accordéon ou des brusques à-coups tenant lieu de dynamique à tant de “baroqueux”.

 

 

DEBUSSY : Fantaisie pour piano et orchestre.  RAVEL : les 2 Concertos.  MASSENET : Eau dormante, Eau courante, Toccata, Papillons noirs, Papillons blancs, Valse folle.  Jean-Efflam Bavouzet.  BBC Symphony Orchestra, dir. Yan Pascal Tortelier.  SACD Chandos : CHSA 5084.

Quelle joie de découvrir un couplage original, qui tire les conséquences historiques d’admirations non dissimulées des célèbres cadets pour leur aîné si fameux dans le domaine de l’opéra !  Mais avant d’en venir à l’inattendu de ce programme, saluons la rencontre entre deux “intégralistes” de Debussy et Ravel : le formidable virtuose Jean-Efflam Bavouzet, et Yan Pascal Tortelier qui est l’un des meilleurs chefs français, ce que l’on semble délibérément ignorer ici alors que les cinq continents se l’arrachent !  Les mouvements extrêmes du Concerto en sol de Ravel crépitent, emportés à toute allure par notre pianiste survolté mais ne se départissant jamais d’un jeu extrêmement précis ; le mouvement central commence tout en retenue du son afin que le lyrisme ne s’en élève que mieux au fil de la progression.  Beau travail du son également de la part du chef dans le Concerto pour la main gauche, auxquels répondent au clavier les brouillards denses d’où va sourdre la cadenza.  Dans l’ensemble de ce Concerto, les deux interprètes semblent néanmoins s’en tenir à une vision abstraite de l’œuvre et ne point vouloir verser dans la lecture sombrement dramatique, tourmentée, que d’autres privilégient.  Quant à la Fantaisie de Debussy, qui connut un sort avorté en ne rencontrant jamais le public du vivant de l’auteur, elle est le témoignage d’un esprit qui se cherche, qui se trouve en maintes pages, mais ne résout pas encore ses contradictions en une forme ramassée.  Les interprètes avancent avec beaucoup de caractère dans ces chemins tortueux, et le Lent, très expressif du deuxième mouvement est un moment sublime de poésie éthérée.  Mais que viennent faire des pièces pour piano seul de Massenet après ces trois œuvres concertantes ?  On l’a dit, Debussy et Ravel ne cachaient pas leur admiration pour Massenet, et avaient fort bien pénétré les arcanes de son (de ses) style(s), au point que des traces d’influence sont aisément repérables.  Pourtant, Massenet qui, toute sa vie, se renouvela avec un bonheur d’imagination jamais tari, apporte de l’inattendu jusque sur les touches aussi noires et blanches que ses Papillons : écoutez les étrangetés de Papillons noirs, avec leurs rythmes contrariés, puis les élégants envols de Papillons blancs, se terminant fort inopinément.  En sens contraire, l’assurance virtuose de la Toccata s’achève par un clin d’œil : l’accord final est posé f comme le veut l’usage d’une telle pièce… puis repris aussitôt pp.  Les sonorités rêveuses d’Eau dormante et le jeu perlé d’Eau courante achèvent de nous montrer Jean-Efflam Bavouzet déroulant en un seul disque un extraordinaire panorama de son talent.  Mais le plus surprenant vient à la fin : le côté complètement déjanté de la Valse folle qui, de l’atonalisme au bastringue, semble parcourir en deux minutes et demie, au gré de vertigineux tournoiements, des salles diverses d’où émaneraient des probabilités de valses se juxtaposant jusqu’à une fin qui semble adresser au dédicataire Raoul Pugno une caricature de pianiste en majesté.  Eh oui, l’auteur de Werther cachait sous sa moustache un humour fort piquant !  Mais – malédiction ! – cette Valse folle est l’ultime pièce du disque, et c’est la plage 13 !  Imprudents producteurs qui ignoraient que Massenet était viscéralement superstitieux et avait une peur panique du chiffre 13 (ses manuscrits ne comportent pas de page 13 !)… au point de mourir un 13 août (1912, ce qui nous amènera au centenaire l’année prochaine) !  Quoi qu’il en soit, grâce soit rendue à Jean-Efflam Bavouzet d’avoir eu l’idée d’un programme si kaléidoscopique, qui met en valeur toutes les facettes de son art.

 

 

Gabriel PIERNÉ : Concerto pour piano en ut mineur (*), Marche des petits soldats de plomb, Divertissements sur un thème pastoral, Suites n°1 et 2 de “Ramuntcho”.  Jean-Efflam Bavouzet (*).  BBC Philharmonic Orchestra, Juanjo Mena.  Chandos : CHAN 10633.

Il fut un temps où l’on parlait avec condescendance de « musique de chef d’orchestre » ; cette appellation censément dédaigneuse (on se demande bien pourquoi !) englobant Gustav Mahler, Richard Strauss, Gabriel Pierné (excusez du peu !), tous valeureux chefs d’orchestre au long de brillantes carrières pluri-décennales, on en réclame notre content !  En effet, dans les orchestrations de tels maîtres, il y a un savoir-faire qui force l’admiration, tant il donne son exact relief à la moindre intention exprimée par chaque voix instrumentale.  Au lieu de nous assommer en donnant quinze fois le même concerto ou la même symphonie par saison, que n’inscrit-on pas le Concerto en ut mineur ou les Divertissements de Pierné aux programmes de nos orchestres, pour renouveler le panorama !  D’autant qu’il s’agit de pièces “grand public” au bon sens du terme, et qu’elles enthousiasmeraient les mélomanes… enfin, dans la mesure où elles seraient jouées par des artistes du niveau de ceux-ci !  Car nous entendons là (dans une prise de son spectaculaire) des interprétations étincelantes, qui apportent une contribution inestimable à la remise à l’honneur d’un compositeur injustement éclipsé depuis quelques temps.  On entre dans le Concerto (1887) par un Maestoso auquel Jean-Efflam Bavouzet confère un poids grandiose, avant de déchaîner l’impact nerveux d’une trempe peu commune dans l’Allegro.  On sait que le pianiste est un rythmicien intrépide, d’où l’empreinte laissée par ses interprétations des Concertos de Bartók et de Prokofiev ; il porte littéralement toute l’œuvre par cette faculté électrisante.  Au détour du premier mouvement surgit inopinément quelque préfiguration de Rachmaninov. L’Allegro scherzando central avoue l’influence de Saint-Saëns, et d’un toucher rebondissant, Jean-Efflam Bavouzet en donne le ton plein d’esprit.  Le thème agitato du finale est en effet agité d’une virtuosité ébouriffante qui alterne avec un lyrisme respirant à pleins poumons.  Pas une minute de répit pour le pianiste dans ce Concerto, pas une minute d’ennui pour l’auditeur.  Et – phénomène que l’on a déjà vu se produire lors de concerts d’orchestre associant le pianiste breton – les musiciens du BBC Philharmonic de Manchester sont transcendés par un partenaire de si haut vol, ils “mouillent leur chemise”, emportés par la contagion d’un tel dynamisme.  Le chef espagnol Juanjo Mena, qui va prendre ses fonctions à leur tête à partir de la saison prochaine, montre ses propres qualités de virevoltante élégance tout au long de Divertissements sur un thème pastoral (1931), pièce en forme de variations écrite pour l’Orchestre des Concerts Colonne que Pierné dirigea pendant trente ans : partition délectable où passent des traces de Ravel, de Puccini, et où – plus étonnant – on découvre, par le jeu de la modalité des thèmes employés de part et d’autre, une anticipation du deuxième mouvement des Métamorphoses symphoniques sur un thème de Weber de Paul Hindemith (qui ne naîtront que douze ans plus tard !), spécialement lorsque l’un et l’autre compositeurs traitent leur thème en un choral dansant de cuivres ; rappelons que dans ce mouvement, Hindemith reprend le thème de la “chinoiserie” écrite par Weber pour la musique de scène de Turandot, d’où une parenté avec le mode lydien du thème soi-disant pastoral de Pierné.

Au temps de nos grands-mères, les suites de Ramuntcho comptaient parmi les pages les plus populaires de Pierné, peut-être à l’instar du roman de Pierre Loti dont l’adaptation théâtrale donna lieu à la commande de cette musique de scène : aujourd’hui, elles semblent plus datées que les œuvres précédemment évoquées, en raison d’un pittoresque régionaliste un peu désuet.  Néanmoins, on y trouvera un plaisir d’écoute que l’on ne saurait bouder.  Voilà un disque revigorant, à consommer sans modération les jours de morosité pour ramener le soleil dans vos existences !

 

 

Francis POULENC : Mélodies sur des poèmes d’Apollinaire.  Holger Falk (baryton), Alessandro Zuppardo (piano).  MDG : 603 1658.2.

Les interprètes allemands s’intéressent décidément de plus en plus à la musique française et y apportent une touche très appréciable.  Baryton, annonce-t-on pour Holger Falk : mais baryton fort léger, fort aigu (pour le coup, plutôt dans la catégorie du “baryton-Martin” ou “baryténor”), qui chante souvent en voix de tête et manie son organe avec agilité.  Il a choisi de regrouper toutes les mélodies composées par Poulenc sur son poète favori, et cela donne un programme d’une qualité littéraire et d’une diversité musicale exceptionnelles.  On reste admiratif devant la ciselure de détail que le compositeur apporta à chaque vers, à chaque intention d’Apollinaire ; il en ressort, non un climat général, “globalisant”, s’étendant à toute la mélodie, mais une infinité d’éclairages, de subtilités harmoniques ou vocales sertissant un mot, colorant un trait d’esprit, ce qui complique évidemment la tâche des interprètes, invités à prendre de concert des virages ou des bifurcations parfois impromptues.

Le chanteur a travaillé une excellente diction française ; il ne lui reste comme seul défaut que de prononcer les “ai” (terminaisons d’imparfait, par exemple) un peu trop “é”, mais il est vrai qu’il n’y a pas si longtemps, le modèle erroné venait d’en haut, puisque ce défaut entachait les discours de Chirac, qui nous abreuva pendant deux mandats présidentiels de ses vœux de “pé” adressés aux “Francés” !

L’osmose entre le chanteur allemand et le pianiste italien est parfaite, leur interprétation passe par tout le spectre de la tendresse, de la nostalgie, de l’ironie, du burlesque surréaliste.  Les producteurs de MDG enregistrent toujours sur leur Steinway modèle D de 1901 qui, pour le coup, donne une couleur “d’époque”.  La prise de son et le livret complètent par leur excellence cette réalisation à conserver précieusement.

 

Sylviane Falcinelli.

 

César FRANCK : Pièces pour orgue.  Lionel Avot.  Hortus 083.  TT : 59’09.

Une belle interprétation de Lionel Avot, sur l’orgue Puget de Notre-Dame de la Dalbade à Toulouse, de différentes pièces pour orgue, composées par César Franck (1822-1890), alliant avec bonheur écriture & improvisation.  Trois Pièces datant de 1878 (Fantaisie en la majeur, Cantabile, Pièce héroïque), Prélude, Fugue et Variations, extraits de Six pièces (1859-1863) et le Premier Choral en mi majeur (1890).  Un disque indispensable à tout amateur d’orgue.

 

Pièces pour orgue

Patrice Imbaud.

 

Charles-Marie WIDOR (1844-1937) : 8e Symphonie en si majeur op. 42 n°4.  Trois nouvelles pièces op. 87.  Scherzo (Allegro).  Frédéric Ledroit aux grandes orgues Cavaillé-Coll de l’église St-Étienne de Mulhouse.  Skarbo (www.skarbo.fr) : DSK 1102.  Distr. France Intégral.  TT : 72’20.

Grâce aux améliorations apportés aux orgues romantiques, Charles-Marie Widor put créer la « symphonie pour orgue », élevant cet instrument au rang de grand orchestre.  Parmi ses dix symphonies, la Huitième (version de 1887) en constitue assurément l’un des sommets, tant par son inspiration que son ampleur et les moyens mis en œuvre (7 mouvements : Allegro risoluto / Moderato cantabile / Allegro / Prélude / Variations / Adagio / Finale).  Brillant organiste, internationalement reconnu, Frédéric Ledroit restitue admirablement cette œuvre grandiose, non moins que les Trois nouvelles pièces (Classique d’hier, Mystique, Classique d’aujourd’hui) et le Scherzo (version de 1872-1887).

 

 

Vincent COURTOIS : L’imprévu.  Vincent Courtois, violoncelle.  La Buissonne (www.labuissonne.com) : RJAL 397010.  Distr. Harmonia Mundi.  TT :

Gageure relevée - non sans panache - de consacrer tout un disque au seul violoncelle.  En douze titres, dont onze de sa plume (La Visite étant signé Louis Sclavis), le réputé violoncelliste & compositeur Vincent Courtois (http://violoncelle.free.fr) nous fait ici une éblouissante démonstration de son talent protéiforme.  Pour cellistes, mais point seulement !

 

 

Fabien WALLERAND : Art of the TubaAvec le concours de Maréva Bécu (piano), David Defiez (cor), Nicolas Valade (trombone), Michel Godard & Stéphane Labeyrie (tubas).  Indésens ! (www.indesens.fr) : INDE027.  TT : 61’09.

Mille grâces soient rendues à Benoît d’Hau qui, à la tête du label Indésens, publie des répertoires pour le moins méconnus !  Ainsi du présent CD qui - dans l’interprétation de l’extraordinaire tubiste Fabien Wallerand, entouré de quelques brillants partenaires - réunit des œuvres de : Paul Hindemith (Sonate fur Basstuba & piano), Erich Korngold (I wish you bliss, transcription pour tuba & piano par F. Wallerand), David Popper (Begegnung, transcription pour tuba & piano par F. Wallerand), John Stevens (Triangles, pour cor, trombone & tuba / Autumn pour tuba & piano), Roland Szentpali (Allegro fuoco, pour tuba & piano), Aron Romhanyi (Parallels, pour tuba & piano), Michel Godard (Deep Memories, pour trio de tubas) et Fabien Wallerand (Viñales, pour trio de tubas).  Font ici merveille la puissance et le velouté d’un instrument par trop rarement soliste.

 

 

Jean-Marc FOLTZ (clarinette), Matt TURNER (violoncelle), Bill CARROTHERS (piano) : To the MoonAyler Records (www.ayler.com) : AYLCD-112.  TT : 50’07.

Il s’agit là d’improvisations autour de dix poèmes extraits de ce Pierrot lunaire d’Albert Giraud qui inspira naguère Arnold Schönberg…  Sans cependant rien de comparable avec le propos du Viennois…  Libres méditations poétiques de trois merveilleux musiciens, quelque peu oublieux ici de leur formation de jazzmen…

 

 

Threefold.  Cesarius Alvim (piano), Eddie Gomez (contrebasse), Éric Le Lann (trompette).  Frémeaux (www.fremeaux.com) : LLL 329.

Il s’agit là de la réédition d’un enregistrement légendaire (La Lichère, 1988).  Avec la complicité de l’excellent trompettiste français Éric Le Lann, il réunissait, pour la première fois, le pianiste Cesarius Alvim et le contrebassiste Eddie Gomez.  Parmi les standards interprétés : ‘Round about midnight, Time remembered, All of you, My funny Valentine, Ladies’ Blues, Lover Man

 

CESARIUS ALVIM - EDDIE GOMEZ - ERIC LE LANN

 

Jours de vent.  Pierre DIAZ (saxophones & voix) + Trio ZEPHYR : Delphine Chomel (violon & voix), Marion Diaques (alto & voix), Claire Menguy (violoncelle).  La Buissonne (www.labuissonne.com) : RJAL 397009.  Distr. Harmonia Mundi.  TT : 54’45.

Poignantes musiques, inspirées aussi bien du free jazz que du flamenco, émaillées d’enregistrements du premier discours du roi d’Espagne Juan Carlos, d’Eva Perón, de Francisco Franco, de « la Pasionaria » Dolores Ibárruri…  Un disque d’anthologie, à écouter et écouter encore !

 

             

 

Pour Jacques Tati.  Michel Glasko, accordéon.  Corélia (www.corelia-musique.com) : CC874729.  Distr. Socadisc.  TT : 39’16.

Nostalgie, nostalgie… C’est, en effet, à l’accordéon que ces mélodies de Jean Yatove, Alain Romans, Franck Barcellini et Francis Lemarque trouvent leurs plus émouvantes résonances.  Sous les doigts d’un fin musicien, 15 titres sont ici empruntés à, notamment, Jour de fête, Les vacances de Monsieur Hulot, Mon Oncle, Playtime

 

Francis Gérimont.

 

Lettere Amorose.  Airs baroques italiens de Filipo VITALI, Sigismondo D'INDIA, Claudio MONTEVERDI, Giulio CACCINI, Tarquinio MERULA, Biagio MARINI, Girolamo KAPSBERGER, Barbara STROZZI.  Magdalena Kožená, mezzo-soprano.  Private Musicke, dir. Pierre Pitzl.  Universal/DG : 477 8764. TT : 61'34.

C'est à un intéressant récital que nous convie Magdalena Kožená, regroupant des airs anciens italiens sous le thème du chant d'amour du XVIIe siècle.  Si Monteverdi en est un réputé illustrateur, bien d'autres de ses contemporains s'y seront aussi essayé, dont les noms nous sont moins familiers, tels Kapsberger, Marini, Merula ou Strozzi.  Tous dépeignent une variété d'émotions, la sensualité, la désespérance amoureuse, la passion, l'agréable douleur de l'amour, mais aussi sa morbidité voluptueuse.  La composition musicale est variée, apportant parfois des sonorités hardies dans leurs dissonances, d'un « modernisme » étonnant pour l'époque.  Comment ne pas être séduit par la beauté opalescente de la Canzonetta spirituale sopra alla nanna de Tarquinio Merula, qui tient de la berceuse et de la lamentation, où la Vierge Marie sur un rythme lancinant qui va s'amplifiant et s'animant, décrit les tourments que subira l'Enfant Jésus.  Le traitement instrumental qui fait usage des cordes pincées ne le cède en rien à la déploration sereine de la voix.  Ou encore par cette mini-cantate de Barbara Strozzi, compositrice issue d'une grande famille vénitienne, qui évoque une passion qui peu à peu s'enferme dans la douleur presque avec volupté.  Partout dans ces pièces l'accompagnement musical impose sa simplicité tout comme éclate la liberté de l'expression quant à l'ornementation, laissée à la discrétion de l'interprète.  Magdalena Kožená dit se faire plaisir à l'exécution de ces pièces qu'elle possède de longue date et a maturées lors de tournées en concert.  Ses partenaires de Private Musicke, ensemble composé de huit musiciens experts dans ce répertoire, lui procurent un élégant écrin.  Tout comme ils excellent dans un choix de pièces instrumentales qui complètent harmonieusement le programme vocal.

 

 

Domenico SCARLATTI : 18 Sonates.  Alexandre Tharaud, piano.  Virgin Classics : 5099964201603.  TT : 68'05.

Lorsqu'on évoque les sonates de Domenico Scarlatti, jouées autrement qu'au clavecin, on pense aux pièces hyper-virtuoses d'une légèreté primesautière immortalisées au disque par Vladimir Horowitz.  Certes.  Mais tout n'est peut-être pas dit… On découvre qu'il y a autre chose que des morceaux proches de l'exercice, aptes à mettre en valeur la vélocité de l'interprète et un implacable doigté, parmi les quelque 550 pièces écrites par ce maître italien qui passa une large partie de son existence au Portugal puis en Espagne, à la Cour de Philippe V et de Ferdinand VI.  Ces courts morceaux faits d'un seul mouvement, avec un voire deux thèmes, révèlent souvent une vraie profondeur de ton, proche de l'air chanté.  Quel instrument choisir : clavecin ou piano ?  Pour Alexandre Tharaud, il n'est pas douteux que cette musique « sonne de manière évidente sur un piano moderne ».  On peut même penser sans exagérer qu'avec la sonorité claire et chaude de cet instrument, ces pièces libèrent une certaine modernité.  Le pianiste a sélectionné 18 sonates, réunies autour de plusieurs thèmes : l'inspiration espagnole bien sûr, les sonates de cour, les pièces virtuoses, les sonates au climat plus intérieur.  Aussi le programme, justement contrasté, évite-t-il l'écueil de la monotonie.  L'interprétation est un chef-d'œuvre d'intelligence et de goût : imagination dans le phrasé, art de ménager les silences ou de modifier imperceptiblement le débit, variation subtile de l'intensité.  D'esprit aussi : Tharaud y distille un humour discret dans l'attaque des notes pointées ou l'exécution d'appogiatures finement dessinées, dans la façon de ménager les gruppettos de notes délicieusement martelées.  Un sentiment de joie envahit l'auditeur à l'heure des prestes cavalcades des doigts parcourant comme affolés le clavier.  L'instrument, un Yamaha, sonne glorieusement.  Une prise de son large et d'une parfaite clarté, effectuée dans la mythique salle de l'Heure Bleue de La Chaux-de-Fonds, complète le bonheur de ces exécutions de référence.

 

 

Cleopatra.  George Frideric HANDEL : Arias tirés de Giulio CesareNatalie Dessay, soprano.  Avec Sonia Prina, contralto & Stephen Wallace, contre-ténor.  Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm.  Virgin Classics : 907872 2 5. TT : 65'32.

En conjonction avec les représentations de Giulio Cesare au Palais Garnier, paraît une anthologie des airs et récitatifs qui composent le rôle de Cléopâtre, chantés par Natalie Dessay.  Si elle est incomplète puisque, nonobstant le duo final (où César est ici incarné par la contralto Sonia Prina), elle ne compte que six des huit airs dévolus à la reine d'Égypte (deux de ses airs du Ier acte n'y figurent pas curieusement), elle offre en revanche deux airs alternatifs, ou plutôt originaux, tels que Haendel les avait imaginés pour des situations cruciales dans l'opéra.  Le rapprochement de ces pièces permet de tracer le portrait d'un personnage royal hors du commun comme d'illustrer les diverses facettes d'un rôle qui a peu d'équivalent sur la scène lyrique.  C'est tour à tour la femme ambitieuse, vouée à l'amour, qui met toute son énergie au service de sa stratégie de conquête méthodique de l'empereur romain.  Il n’y faudra pas moins de trois airs, aussi tendres et lascifs que diversifiés dans l'expression du désir amoureux (« Tutto può donna vezzosa », « V'adoro pupille », « Venere bella »).  L'amante qui se prend à son propre piège, celui de l'amour, résolue à défendre celui qu'elle aime dont la vie est menacée (« Se pietà di me ») ; un être désespéré qui pleure César qu'elle croit mort et laisse sa douleur s'exhaler (« Piangerò », une des inspirations les plus envoûtantes du musicien qui oppose une section centrale très agitée à une première partie et au da capo conçus en forme de déchirant lamento) ; enfin la gagnante, savourant son triomphe dans l'air acrobatique final où les colorature embrasent une âme enivrée de joie (« Da tempeste »).  Natalie Dessay est vraiment à l'aise dans ces habits baroques, presque plus dans la veine de déploration tragique que dans la brillance stellaire ; ce que confirme la représentation - même si, lors de l'enregistrement, le travail avec le metteur en scène Laurent Pelly n'avait pas encore porté ses fruits.  La ligne de chant est immaculée, l'ornementation d'un goût sûr et la réserve vocale sans limite.  Emmanuelle Haïm la soutient généreusement, chacune des deux complices aimant à dire que le travail avec l'autre relève du vrai bonheur musical.

 

 

Robert SCHUMANN : Humoreske op. 20.  Studien für den Pedalflügel op. 56.  Gesänge der Frühe, op. 133.  Piotr Anderszewski, piano.  Virgin Classics : 94 8625 2 2.  TT : 63'35.

C'est à des compositions pianistiques peu fréquentées que Piotr Anderszewski consacre ce nouveau CD.  Les six parties contrastées qui composent Humoreske op. 20 (1839) alternent vigueur et tendresse, oscillant entre énergie et rêverie ; quoique des indications telles que « rasch » (vif), « hastig » (hâtif), « lebhaft » (animé) ne laissent pas de doute quant aux intentions du musicien d'aller jusqu'à l'extrême du jeu pianistique pour décrire ces états d'humeur indéfinissables pourtant aussi évidents à l'âme allemande que le sont les affeti au cœur italien.  Cette voix intérieure qui se nourrit de l'amour pour Clara, livre en tout cas, une œuvre complexe autant pour l'exécutant que pour l'auditeur.  Schumann a écrit ses Études op. 56 pour le piano-pédalier, curieux instrument qui fit son apparition dans les années 1840 et dont il devait faire l'acquisition.  Dotant le piano d'un pédalier situé sous les pédales de l'instrument, le système permettait d'actionner les notes les plus graves afin de tenter de retrouver les sonorités profondes de l'orgue.  Sous-titrées « Six études en forme de canon », elles sont un hommage au vénéré Jean-Sébastien Bach dont il cherche à illustrer le style contrapuntique.  Derrière ce qui peut sembler des exercices, s'exhale une réflexion spirituelle. On y admire, là aussi, la variété des climats : la douceur, la rigueur ascétique, voire l'esprit.  Anderszewski en a assuré l'arrangement pour un piano moderne. Enfin, les Gesänge der Frühe - Chants de l'aube - op. 133, ultimes confidences livrées par Schumann au piano, ont été composés en 1853, alors qu'il venait de rencontrer le jeune Brahms, et peu avant son internement.  Il dira lui-même de ces pièces que « plus qu'une description pittoresque, elles sont l'expression d'un sentiment ».  Cette approche de l'aube a quelque chose de métaphysique, au-delà du réel.  D'où l'extrême sobriété d'expression qui les caractérise, leur extraordinaire lucidité depuis les accords recueillis de la première pièce jusqu'à la sérénité de la dernière, en passant par divers climats d'un lyrisme débordant.  Piotr Anderszewski livre de ces œuvres des exécutions intenses, au spectre sonore très large, jouant un large écart de dynamique avec un usage généreux de la pédale forte ; ce qu'accentue une prise de son de concert mettant en exergue la résonance de l'instrument dans le grave.

 

 

Charles GOUNOD : Messe de Requiem en ut majeur, pour quatre solistes, chœur mixte & orchestre.  Messe chorale sur l'intonation de la liturgie catholique en sol mineur, avec orgue d'accompagnement & grand orgue.  Charlotte Miller-Perrier, soprano.  Valérie Bonnard, alto.  Christophe Einhorn, ténor.  Christian Inmler, basse.  Ensemble vocal et instrumental de Lausanne, dir. Michel Corboz.  Mirare : MIR 129.  TT : 63'03.

Charles Gounod ne s'est pas seulement illustré à l'opéra.  Cet artiste profondément croyant se sera également consacré à la musique religieuse, production qui mérite à être connue car elle est aussi abondante que riche : une vingtaine de messes, dont quatre de Requiem.  Le Requiem en ut majeur est l'ultime témoignage d'un musicien au faîte de la gloire qui rassembla encore une fois ses forces pour s'épancher devant la disparition d'un petit fils chéri.  Écrite entre 1889 et 1891, il la remaniera jusqu'à son dernier souffle, en 1893, et ne verra pas sa première exécution.  Elle devait connaître, à côté de sa version d'origine pour grand orchestre, diverses transcriptions confiées par le vieux maître à l'ami fidèle Henri Busser, dont celle intimiste, objet de la présente exécution, pour quintette à cordes, harpe, chœur, solistes & orgue.  De ces pages souvent sublimes s'exhale une ferveur certaine, plus près du chant d'espérance que de la déploration douloureuse, emplie d'humilité, de sérénité aussi devant la mort.  Le soutien de l'orgue qu'enrichissent quelques cordes, la transparence de la harpe apportent au discours une simplicité qui ne faillit pas un instant, empreinte de douceur résignée.  Même les pages plus grandioses du Dies Irae se gardent de toute emphase. Dans sa quête consolatrice et chargée d'espérance, la pièce annonce les climats apaisés des Requiem de Fauré et, plus près de nous, de Duruflé.  En contraste, la Messe chorale sur l'intonation de la liturgie catholique qui appartient au style des messes dites solennelles, marque la rencontre de Gounod avec le chant grégorien.  C'est Charles Bordes, alors directeur des Chœurs de Saint-Gervais, qui le lui fit découvrir. D'inspiration, certes plus convenue que le Requiem en ut majeur, elle n'en possède pas moins une forte religiosité.  La qualité légendaire de l'Ensemble vocal et instrumental de Lausanne, sous la houlette de l'infatigable Michel Corboz, leur confère une vraie dignité d'accents.

 

 

Hector BERLIOZ / Franz LISZT : Symphonie fantastique op. 14, « Partition de piano par Franz Liszt ».  Franz LISZT : Trois extraits des Années de Pèlerinage : Chapelle de Guillaume Tell ; Au bord d'une source ; Vallée d'Obermann.  Roger Muraro, piano.  Universal/Decca : 476 4176.  TT : 63'03.

On ne pouvait imaginer pour le lancement de l'année Liszt disque plus original.  Enfin nous est offerte une version digne de ce nom de la célèbre transcription par Liszt de la Symphonie fantastique de Berlioz qui arrachera ce mot à Robert Schumann : « De quelle main hardie tout cela est exécuté ».  En fait, le virtuose a transcrit la symphonie de son illustre collègue et ami français, créée en 1830, à partir d'une révision opérée par celui-ci en 1832.  Transcription, réinterprétation ou arrangement ?  De tout cela un peu sans doute.  Le titre porte clairement la mention « Partition de piano par Franz Liszt ».  Il y multiplie à l'envi les traits les plus hardis, osés et ardus, allant jusqu'aux limites des capacités de l'instrument pour retrouver le grain, la richesse, la fulgurance d'une pièce déjà en soi pourvue d'une orchestration des plus complexes.  Le résultat est confondant de justesse, non seulement par la restitution de l'esprit de fantaisie qui parcourt les cinq parties de l'œuvre, mais encore quant au respect de la lettre d'un texte musical si chargé d'atmosphères contrastées.  La vision qu'en donne Roger Muraro laisse sans voix.  On sait la rigueur de cet interprète, formé auprès d’Yvonne Loriod, tôt plongé dans l'univers épuré de Messiaen, mais aussi habitué des couleurs ravéliennes.  Outre la maîtrise des difficultés techniques proprement affolantes que Liszt a accumulées, dont les brusques changements de tempo ne sont pas la moindre caractéristique, on est frappé par la générosité d'un pianisme qui, confronté à un flot musical luxuriant et à toute la passion que cèle cet « Épisode de la vie d'un artiste », rassemble tous les sortilèges de son art pour en dessiner les vastes climats et en recréer les ambiances (ultimes pages de Scène aux champs où transpire tout le pressentiment d'un drame proche ; phénoménal emballement du discours dans le développement de Songe d'une nuit de Sabbat).  Trois pièces de Liszt ouvrent et concluent ce programme peu ordinaire, tirées des Années de Pèlerinage – Suisse.  Là encore, on est conquis par la manière de Muraro dispensant les sonorités de fanfare de la Chapelle de Guillaume Tell, le caractère quasi liquide de Au bord d'une source, ou encore le petit drame que constitue la Vallée d'Obermann, où comme dans la grande Sonate, les diverses séquences s'organisent comme en une arche sonore.

 

 

Johannes BRAHMS : Quintette pour piano & cordes en fa majeur, op. 34.  Zwei Gesänge pour mezzo-soprano, alto & piano, op. 91.  Andrea Hill, mezzo-soprano.  Jean-Frédéric Neuburger, piano.  Quatuor Modigliani.  Mirare : MIR 130.  TT : 53'.

Ce qui passe pour l'une des plus belles pages de la musique de chambre du XIXe siècle a connu une genèse étonnante : conçue à l'origine pour le quintette à cordes, puis remaniée en sonate pour deux pianos, il fallut les douces exhortations de Clara Schumann et les conseils avisés de Hermann Levi pour que le compositeur se laisse convaincre d'en livrer une forme nouvelle combinant le quatuor à cordes et le piano.  L'interprétation qu'en livrent les Modigliani et Jean-Frédéric Neuburger est nette, loin des brumes romantiques nordiques qui, après un début mesuré, offrent un premier mouvement décidé, bien articulé, puis un andante d'une vraie profondeur.  Le scherzo est fiévreux, la rythmique résolue emportant les vagues successives des cordes en une progression irrésistible.  Après une ample introduction, le finale propulse le discours crescendo jusqu'à l'ultime presto fugué, délivré presque fiévreusement.  Paramètre délicat en ce type de formation, l'équilibre piano-cordes est parfaitement assuré ; impression que devait confirmer leur concert à la Folle journée de Nantes.  Le disque est complété par les Deux Chants op. 91 pour voix de mezzo accompagnée de l'alto et du piano.  Cette alliance de timbres, aux couleurs automnales, épouse idéalement le dire brahmsien.  Il s'agit en fait d'un duo entre la voix et l'alto que le piano se contente de soutenir discrètement.  Dans le premier, Désir apaisé, s'épanche la mélancolie familière au musicien, l'alto enveloppant la voix.  Le second, Berceuse sacrée, évoque une nostalgie poignante, emplie de recueillement et nantie de ce balancement caractéristique typique de bien des œuvres de Brahms.  L'interprétation doucement émue de la jeune Andrea Hill ne le cède en rien à ses illustres collègues et l'alto de Laurent Marfaing est un modèle de délicatesse.

 

 

Jennifer HIGDON : Concerto pour violon (dédié à Hilary Hahn).  Piotr Ilitch TCHAIKOVSKY : Concerto pour violon op. 35.  Hilary Hahn, violon.  Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, dir. Vasily Petrenko.  Universal/DG : 477 877.  TT : 68'16.

Couplage original pour ce nouveau disque de la violoniste Hilary Hahn. La compositrice américaine Jennifer Higdon (née en 1962) a écrit à son intention, en 2008, un concerto qui ne manque pas d'audace.  D'une modernité qu'on dira tempérée, il ne cherche pas à faire étalage de virtuosité ostentatoire.  Le soliste y est au contraire traité de manière intimiste.  Le premier mouvement, sous-titré « 1726 », introduit par une simple ligne de violon solo, développe des atmosphères variées avec usage modéré des percussions, dans lesquelles la partie de violon évolue entre fébrilité (glissandi) et lyrisme.  Le second, « Chaconni », d'ordre méditatif, en une lente progression, se signale par son écriture mélodieuse, en particulier pour la section des bois (Higdon est elle-même flûtiste) et l'intérêt porté au registre grave de l'instrument soliste.  Le finale, « Fly forward », progresse comme une sorte de mouvement perpétuel sur un rythme jazzy dans lequel s'inscrit la broderie du violon.  La dédicataire en livre une exécution qui semble en déjouer la complexité.  Sa vision du concerto de Tchaïkovski, par contre, ne laisse pas d'intriguer, qui se signale par une approche feutrée, là aussi très chambriste ; ce qui, à force de recherche de raffinement, en vient à faire perdre de sa vigueur au dialogue avec l'orchestre.  Dès son entrée, le violon est comme retenu, et la cadence du premier mouvement bridée.  Le phénomène s'accentue au suivant : la fameuse « Canzonetta », marquée andante, devient un adagio, ralentissement allant de pair avec l'emphase portée sur le ppp.  Les choses semblent (re)prendre un cours plus habituel au finale.  Mais de nouveau le ralentissement impose sa prégnance dès le deuxième thème.  Dommage, car la sonorité de Hilary Hahn est profonde et s'accompagne d'une réelle finesse du trait dans le registre aigu.  On ne sait qui du chef russe ou de la soliste a imposé une telle lecture hypnotique ; impression renforcée par l'acoustique sèche de la salle dans laquelle a été effectué l'enregistrement.  La direction de Vasily Petrenko est au demeurant plus méticuleuse qu'inspirée.

 

Higdon / Tchaikovsky: Violin Concertos

 

Gustav MAHLER : Des Knaben Wunderhorn.  Thomas Hampson, baryton.  Wiener Virtuosen.  Universal/DG : 477 9289.  TT : 67'04.

Bien des années après ses interprétations des cycles de lieder avec orchestre de Mahler, en compagnie de Leonard Bernstein, Thomas Hampson revient à cet univers qui le hante.  Il aborde cette fois Le Cor merveilleux de l'enfant, ensemble de lieder dont la composition s'est étalée sur plusieurs années, et non un cycle à proprement parler.  Plusieurs thématiques s'y côtoient, le monde des fables et paraboles, les destins guerriers, les images de la nature, l'humour sarcastique.  Fruit de méticuleuses recherches et de mûres réflexions, Thomas Hampson en propose une version inédite, puisque confiée à une formation de chambre.  Mahler n'avait-il pas laissé entendre à Richard Strauss sa volonté de faire jouer ces pièces avec un orchestre allégé ?  Le dire du monde de l'enfance mais aussi l'univers satirique s'y prêtent tout naturellement.  Mais ce que souligne cette approche, c'est l'extraordinaire orchestration que le compositeur a conçue pour ces pièces dont les climats divers ressortent de  combinaisons instrumentales originales, de la finesse du discours comme de sa transparence.  Ainsi en est-il des premières mesures du Prêche de Saint Antoine aux poissons, mystérieux et envoûtant, ou des bois préludant le lied Où sonnent les belles trompettes.  La vision de Hampson est on ne peut plus attachante : un timbre immédiatement séduisant qui, au fil des ans, n'a rien perdu de ses belles harmoniques, un legato infaillible, un art suprême d'épouser l'idiome fantastique, d'insuffler une émotion à fleur de peau ; et ce malgré quelques sollicitations çà et là qu'on oublie vite tant le propos est sincère et profondément musical.  Il favorise aussi des tempos plutôt retenus, par exemple dans Revelge dont la marche se veut plus soutenue.  Solistes de l'Orchestre philharmonique de Vienne, les Wiener Virtuosen portent fièrement leur appellation, et leur jeu est un régal, magnifié par un enregistrement d'une étonnante présence.

 

Jean-Pierre Robert.

 

POUR LES PLUS JEUNES

L’enfant-porte.  D’après un conte de Yannick Jaulin (www.lenfantporte.fr).  Direction artistique : Francis Cabrel & Michel Françoise.  Chandelle Productions : 953652.  Distr. Sony Music.

Fruit de la session Jeune public des Rencontres d’Astaffort (initiées par Francis Cabrel & organisées par l’association Voix du Sud), ce délicieux conte - dont les musiques ont été composées par divers participants – met en scène, au pays des Feuns, le jeune Mute, enfant joyeux et rêveur, mais parfaitement inadapté à la société de consommation gouvernée par les diaboliques époux Luh, qui ont pris le pouvoir et… aboli l’école.  Mais Mute - refusant d’acquérir suppositoires à hélice, aspirateur à papillons ou autres scaphandres pour poissons rouges – sauvera le monde.  Aux côtés de Francis Cabrel - qui interprète notamment la chanson On est tous des Feuns -, Henri Dès & Yannick Jaulin proposent chacun une fin différente…

 

Francis Gérimont.

 

DVDs

Giuseppe VERDI : Simone Boccanegra.  Opéra en trois actes et un prologue.  Livret de Francesco Maria Piave (version de 1881).  Plácido Domingo, Marina Poplavskaya, Ferruccio Furlanetto, Joseph Calleja, Jonathan Summers, Lukas Jakobski.  Royal Opera Chorus.  Orchestra of the Royal Opera House, dir. Antonio Pappano.  Mise en scène : Elijah Moshinsky.  2DVDs EMI Classics : 9 17825 9 5.  TT : 171'.

Ce DVD capte l'assomption du ténor Plácido Domingo dans le rôle de Simon Boccanegra, dévolu au baryton, et ce sur la scène du Royal Opera de Londres, lieu de tant de ses succès verdiens.  Si la production bien connue de Elijah Moshinsky date quelque peu maintenant, par son parti pris de focalisation sur quelques tics conventionnels (le personnage de Paolo érigé en Iago avant la lettre), elle a du moins l'avantage de dessiner des personnages bien réels et de présenter une version lisible d'une intrigue où le politique rencontre le drame humain.  La prise de vues, quoique peu imaginative dans l'échantillonnage des plans, capte des atmosphères dont la force dramatique se nourrit d'une direction d'acteurs juste, alors que l'œil se satisfait de la simplicité d'une décoration que la somptuosité des costumes situe historiquement. Antonio Pappano livre une exécution intense d'une des pièces les plus inspirées de Verdi, toute d'éclats épiques, de chaud lyrisme aussi.  Ainsi que l'est cette évocation palpable de la brise marine qui introduit des passages débordants de poésie tels le premier air d'Amelia Grimaldi ou le début de la scène finale.  Les climax des scènes d'ensemble ont un formidable impact.  Plácido Domingo se coule dans le personnage du doge de Gênes avec une aisance confondante et une voix quasi intacte.  Son timbre mordoré confère au personnage une dimension héroïque et lui arrache au finale des accents déchirants dignes d'Othello.  La sublime phrase verdienne est distillée avec un art consommé de la nuance et cette générosité du geste musical qui distingue toutes ses incarnations théâtrales.  Il a en Ferruccio Furlanetto, Fiesco, un adversaire à sa mesure.  Les plus belles images resteront celles qui les réunissent, où l'on côtoie vraiment le tragique.  Les autres membres du cast sont à la hauteur de l'événement, n'était la pâle Amelia de Marina Poplavskaya, bien modeste lorsqu'on se souvient de l'aura de ses devancières dans cette même production.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Ida Haendel & Misha Dacić live in Miami International Festival 2009.  Robert SCHUMANN : Sonate n°2 en  mineur op.121 pour piano & violon.  George ENESCU : Sonate n°3 en la mineur op.25 pour piano & violon.  Pablo de SARASATE : Airs gypsys op.20 n°1.  VAI (www.vaimusic.com) : 4529.  TT : 66’ + 59’ (bonus).

Née en Pologne en 1928, mais britannique de nationalité, la violoniste Ida Haendel fut une enfant prodige.  Magnifique vieille dame aujourd’hui, avec plus de 70 ans de concerts derrière elle, elle interprète ici – technique intacte & splendeur de la sonorité – Schumann, Enesco (dont elle fut notamment l’élève) et Sarasate.  Interprétations respectueuses des textes, non exemptes toutefois de sécheresse, aux accents parfois inaboutis.  Le pianiste serbe Misha Dacić est ici en parfaite synergie avec la célèbre violoniste.  En bonus : fort émouvante conversation de Mrs Haendel avec Giselle Brodsky, directrice-fondatrice du Festival de Miami.

 

Francis Gérimont.

 

Giuseppe VERDI : Simon Boccanegra.  Plácido Domingo (Simon Boccanegra), Marina Poplavskaya (Amelia), Ferruccio Furlanetto (Fiesco), Joseph Calleja (Gabriele Adorno), Jonathan Summers (Paolo), Lukas Jakobski (Pietro), Orchestre et Chœur du Royal Opera House, Covent Garden, dir. Antonio Pappano. Mise en scène : Elijah Moshinsky. Réalisation filmée : Sue Judd.  2DVDs EMI : 9 178 5 9 5.

Ayant eu l’immense privilège d’être associée à la résurrection de cet opéra sous la conduite inspirée de Claudio Abbado et Giorgio Strehler, production aujourd’hui inscrite dans le patrimoine légendaire de l’interprétation verdienne, on s’avoue encline à ne rien supporter d’autre que de voguer sur les sommets, dès lors qu’il s’agit de Simon Boccanegra, ouvrage qui connut tant de vicissitudes.  Louons d’emblée les contributions projetant le présent spectacle au rang des réussites : le travail orchestral d’Antonio Pappano, sa gestion des phrasés et de l’agogique, tout ce qui gouverne la puissance évocatrice et psychologique de cette partition admirablement orchestrée, l’excellence des musiciens de Covent Garden, n’appellent que des éloges.  Et puis, et puis… non, non, vous n’avez pas lu d’erreur dans la distribution recopiée ci-dessus : l’homme aux 130 rôles de ténor, le grand Plácido Domingo, a voulu réaliser une de ses dernières prises de rôle scéniques (mais pas la dernière, car il semble infatigable !) avec le personnage du Doge de Gênes, typique du “baryton-Verdi”.  On éprouvait une certaine appréhension, tant ce rôle exige d’autorité, donc de couleur dramatique favorisée par une puissante assise grave.  Il s’y est attelé à Berlin puis New York, et – ô stupeur – notre ex-ténor s’impose avec une maîtrise vocale, une fermeté d’intonation intactes à 69 ans et demi (l’enregistrement a été réalisé à partir des représentations londoniennes des 2, 5, 13 juillet 2010) !  Il est vrai qu’à 18 ans, il se présentait comme baryton : on le convainquit alors de se convertir au registre de ténor (ce qui n’était pas idiot, à voir la carrière qui s’ensuivit !), il se mesura plus tard avec succès au répertoire de Heldentenor wagnérien, accompagnant sagement l’évolution de son organe avec l’âge, et il s’avère aujourd’hui parfaitement crédible, imposant même, dans l’un des rôles les plus emblématiques de baryton.  Certes, on reconnaît la couleur solaire de son timbre, mais il se pare d’une si riche expérience humaine que toute la psychologie du protagoniste est portée à des sommets de présence émotionnelle, étayée par le jeu scénique très chaleureux de l’artiste.  Le contraste de couleur n’en ressort que plus fortement avec l’autre baryton de l’opéra, le noir Paolo, qui bénéficie de l’admirable caractérisation vocale de Jonathan Summers ; scéniquement, on reprochera à celui-ci d’en faire des tonnes dans le genre “traître de tréteaux” ; son sbire, Pietro, se comporte plus sobrement sous les traits et la voix (excellente, elle aussi) de Lukas Jakobski.  La ravissante moscovite Marina Poplavskaya et le ténor Joseph Calleja enrichissent cette distribution de leur technique vocale parfaitement posée ; d’un point de vue visuel, ce dernier se meut… comme un ténor, c’est tout dire, mais, bah, on en a vu d’autres…  La surprise moins gratifiante vient de Ferruccio Furlanetto en Fiesco : ce n’est pas qu’à 61 ans, il semble plus fatigué que Domingo – encore qu’il détonne un instant dans l’acte III -, mais, à jouer d’“intentions” accumulées en mosaïque faisant perdre la ligne directrice de son personnage, il ne rend pas la grandeur de cet altier patricien ; on garde un souvenir inoubliable de l’impassibilité avec laquelle Nicolaï Ghiaurov imposait le respect par la noblesse de son comportement scénique, autant que par sa voix au ton irréfragable.

Venons-en à la mise en scène d’Elijah Moshinsky : on apprécie franchement que soit respecté le cadre d’époque d’un drame historique inspiré de personnages réels, au lieu de se voir infliger quelque “transposition” dans (au choix) une clinique psychiatrique, un bouge pour marlous, une caserne nazie, ou tout autre élucubration au gré des aberrantes fantaisies de metteurs en scène en mal de créativité.  On souffre, en revanche, de la géométrie très angulaire, carrée, rigide, des décors, qui entre en contradiction avec le souffle marin et la vibration de la nature que communique si éloquemment l’orchestre de Verdi ; notre horizon bute ici contre des murs, alors que la musique ouvre vers un espace ondoyant.  La mise en scène de Strehler est restée dans les mémoires, non seulement par sa beauté, sa direction d’acteurs, mais parce que la présence de la mer et de la brise y était “palpable”, donc en harmonie avec la musique.  Quant à la Salle du Conseil, elle manque de strates scéniques permettant d’étager les divers plans de cette action complexe et spectaculaire ; elle condamne de ce fait le Doge à jouer au même niveau que ses adversaires et que les masses populaires, le privant d’un atout visuel pour imposer son autorité tour à tour désabusée, souveraine, généreuse, menaçante.  Et puis, pourquoi, à l’acte final, faire entrer Simon comme un malade parkinsonien appuyé sur deux cannes, alors qu’il y a des moyens moins risibles de suggérer la fièvre du poison qui le ronge ?  Mais, cela dit, l’ensemble constitue visuellement un spectacle très honorable.  Au chapitre des bonus, quelques (trop) brèves minutes d’interviews et de répétitions nous introduisent dans les coulisses de la production.

Un dernier détail anecdotique à verser au chapitre de la perception culturelle : si le librettiste Boïto a repris quelques mots de la missive de Pétrarque, il n’en a désigné l’auteur que par la périphrase « Ecco un messaggio del romito di Sorga » (l’ermite de Sorgue), allusion au fait que Pétrarque, après ses imprécations contre l’Avignon papale, se réfugia à partir de 1338 sur les berges de la Sorgue, menant une vie solitaire à Fontaine-de-Vaucluse, d’où il écrivit de fameuses Épîtres.  « Francesco Petrarca » comptant le même nombre de pieds que « romito di Sorga », les responsables de la production ont jugé plus sage de rendre l’allusion directement compréhensible au public moderne.  Inversement, ils ont laissé le mot « Duce » (qui, tout comme « Führer », ne veut rien dire d’autre que « chef » dans les langues respectives) lors d’une réplique de Paolo s’adressant à Simon, alors que Strehler et Abbado avaient préféré le remplacer par « Doge » (même prosodie, là encore), ce titre ayant, postérieurement à Verdi, pris la connotation mussolinienne que l’on sait.

 

Sylviane Falcinelli.

 

***

 

 

 

 


Haut


S’ouvrant sur un éditorial de l’Inspecteur général de l’Éducation nationale, M. Vincent Maestracci, orientant de façon concise l’élève dans son travail, le supplément Baccalauréat 2011 de L’éducation musicale est d’une rare densité : pas moins de 148 pages d’analyses et références.

Indispensable aux professeurs d’Éducation musicale et aux élèves de Terminale qui préparent l’épreuve de spécialité « série L » ou l’épreuve facultative « Toutes séries générales et technologiques du baccalauréat », cette publication réunit les connaissances culturelles et techniques nécessaires à une préparation réussie.

À commander aux Éditions Beauchesne : 7, cité du Cardinal-Lemoine, 75005 Paris. Tél : 01 53 10 08 18.  Fax : 01 53 10 85 19.  s.desmoulins@leducation-musicale.com

 

 

***

Les dossiers de l'Education Musicale déjà parus































 

Dossiers à paraître :

* Le cerveau musicien
* Francis Poulenc et le groupe des Six

 

Ma boîte à histoires.  Coffret de 5 CDs Wagram Music.  Boîtier de luxe.  TT : 4h30.  18 €.

Il s’agit là d’un véritable coffre à merveilles où contes, comptines, fables, poèmes et belles histoires sont racontés par des comédiens plébiscités pour leur talent de narrateur.  Des contes de Grimm, à 20 000 lieues sous les mers, des fables de La Fontaine aux plus jolis poèmes et comptines, nos chers bambins navigueront avec plaisir au gré de ces histoires qui forment l’imaginaire.  À noter qu’un CD est exclusivement réservé aux comptines de Bernard Clavel.  Conçue pour tous enfants dès 3 ans, Ma boîte à histoires ravira petits et grands.

 

Laëtitia Girard.

 

Passer une publicité.
Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.