Lettre d’Information – n°88 – Janvier 2015



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

21 / 1

 

Rival Queens

 

Simone Kermes & Vivica Genaux DR

 

Deux divas d'aujourd'hui ressuscitent deux des plus grandes cantatrices du XVIII ème siècle, Francesca Cuzzoni (1696-1778) et Faustina Bordoni (1697-1781), qui firent les beaux soirs de la scène anglaise. La première fut l'une des interprètes privilégiées de George Friedrich Haendel, créant la plupart de ses opéras londoniens, à partir d'Ottone en 1726, la seconde se fera le chantre du compositeur Johann Adolph Hasse, qu'elle épousera après son départ d'Angleterre. Elles possédaient l'une et l'autre un beau timbre de soprano d'agilitá, plus corsée pour ce qui est de la Bordoni, dit-on. Elles devinrent rivales lorsqu'elles furent engagées au King's Theater. Cette rivalité connut un pic mémorable lors d'une représentation de l'Astianatte de Bononcini, le 6 juin 1727, puisqu'elles en vinrent aux mains sur scène, devant leurs supporters respectifs, rangés en deux clans et déchaînant un indescriptible chahut. Sifflets et bronca d'aujourd'hui, lors des soirées houleuses de Bastille, semblent peu de chose à côté de cette débauche d'enthousiasme et de vindicte ! Simone Kermes et Vivica Genaux les feront revivre à travers leur répertoire : de Haendel (Scipione, Alessandro, Giulio Cesare) à Porpora (Adelaïde, Orfeo), de Hasse (Cleofide, Artaserse, Issipile) à Vinci, ou encore les moins connus Bononcini, Ariosti ou Torri. Elles seront accompagnées par la Cappella Gabetta, dirigée par Andrés Gabetta. De la pyrotechnie vocale en perspective !

 

Théâtre des Champs-Elysées, le 21 janvier 2015, à 20H

Réservations : 15, Avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : www.theatrechampselysees.fr

 

 

21, 25, 31 / 1

 

Deux oratorios de Michelangelo Falvetti en tournée

 


Leonardo García Alarcón DR

 

Le Chœur de Chambre de Namur & La Cappella Mediterranea sous la direction de Leonardo García Alarcón présenteront lors d'une tournée européenne deux œuvres majeures de Michelangelo Falvetti (1642-1692) : l'oratorio Il Diluvio Universale et Nabucco, créés respectivement en 1682 & 1683 à Messine. Cette tournée européenne s'arrêtera à Paris, Metz (Il Diluvio universale) et à Versailles (Nabucco). Véritable explorateur des temps modernes, Leonardo García Alarcón, féru de recherches musicologiques, n'a de cesse d'arpenter les idéaux esthétiques propres aux musiques baroques et de les faire rayonner. Inspiré par l'un des épisodes les plus célèbres de l'Ancien Testament, Il Diluvio universale (le Déluge universel) relate le Déluge et la dérive de Noé sur son arche. Ce « dialogue à cinq voix et cinq instruments » destiné à l'église, a pourtant tout d'une œuvre théâtrale tant les passions violentes et les effets cataclysmiques sont nombreux. Grâce à Leonardo García Alarcón, ce n'est plus un simple concert qui est proposé mais un véritable panorama d'émotions humaines dans lequel les trombes d'eaux ne réussissent pas à éteindre la flamme animant les solistes. Encouragé par le succès remporté avec la réhabilitation, en 2010, de cet oratorio, au Festival d'Ambronay, Leonardo García Alarcón s'est attelé à la création d'une autre œuvre inédite, composée en 1683 par Michelangelo Falvetti pour la cathédrale de Messine : Nabucco. Préfiguration de l'opéra de Giuseppe Verdi, écrit 130 ans plus tard, cette œuvre est à mi-chemin entre l'oratorio historique et le dramma per musica. L'une de ses grandes figures est Nabuchodonosor, Roi de Babylone qui envahit Jérusalem et en déporta la population. On peut d'ailleurs voir dans ce Nabucco un outil politique de résistance des siciliens à l'oppression espagnole.

 

Théâtre du Châtelet, Paris, le 21 janvier 2015 à 20 H

Arsenal de Metz, le 25 janvier 2015 à 16 H

Chapelle royale du Château de Versailles, le 31 janvier 2015 à 20 H.

Réservations : Châtelet : Caisses, 17 Avenue Victoria, 75001 Paris; par tel : 01 40 28 28 40; en ligne : www.chatelet-theatre.com.

Arsenal de Metz : Caisses, 3 avenue Ney, 57000 Metz ; par tel.: 03 87 74 16 16 ; en ligne : bill@metzenscenes.fr

Château de Versailles : par tel. : 01 30 83 78 89 ; en ligne : www.chateauversailles-spectacles.fr

 

 

26, 27, 29, 30 / 1 & 1, 2 / 2

 

Les fêtes vénitiennes de Campra

 

 

L'opéra-ballet, genre si typiquement français, a trouvé son modèle avec André Campra (1660-1744), et tout particulièrement ses Fêtes vénitiennes, dont la création eut lieu en 1710 à l'Académie Royale de musique. L'œuvre connut un succès immédiat, car elle répondait à un mouvement d'intérêt en réaction à la tragédie lyrique et à son caractère empesé, en faveur d'un spectacle plus vivant et somptueux dans sa présentation. D'autant que sa construction en diverses « entrées », pourvues chacune d'une intrigue autonome, autorisait la diversité et la plus grande fantaisie. Campra et son librettiste Antoine Danchet devaient d'ailleurs imaginer plusieurs types d'entrées, au goût du jour, le seul lien entre elles étant de dérouler quelque intrigue ayant pour unique lieu la Sérénissime. Ces Fêtes vénitiennes seront données à l'Opéra Comique dans  une version en un prologue et trois entrées, « Les Sérénades », « Le Bal » et « L'Opéra ». Qui mieux que William Christie pour faire revivre ce génial mélange de danse, de comédie, d'intrigues galantes sur fond de carnaval vénitien ! Et il ne faudra pas moins que l'imagination débordante de Robert Carsen pour en assurer la mise en scène. Un spectacle très attendu.

 

Opéra Comique, les 25, 27, 29, 30 janvier, 1er février 2015, à 20 H, et le 2/2 à 15H.

Réservations : Billetterie, 1 place Boieldieu, 75002 Paris ; par tel.: 0825 01 01 23 ; en ligne : www.opera-comique.com

 

 

31 / 1 – 8 / 2

 

Les 40 ans de l'auditorium de Lyon

 


DR

 

L'auditorium de Lyon fête ses quarante printemps. Le bâtiment à l'architecture moderniste, du moins en extérieur, typique des années 1970, fit beaucoup jaser lors de son inauguration ; car Guignol n'est pas tendre, même à la Part-Dieu ! Les diatribes se sont éteintes depuis longtemps et cet événement anniversaire sera célébré par une semaine de festivités, concerts, conférences, exposition, visite des coulisses, et même jeu de piste dans la quartier... Côté concerts, l'Orchestre national de Lyon donnera trois programmes : d'une part, une soirée, sous la direction de Leonard Slatkin, réunissant le Premier concerto pour piano et orchestre de Brahms, sous les doigts d'Hélène Grimaud, son cheval de bataille, Ma mère l'Oye de Ravel, et Posludium de Bruno Mantovani (30 janvier à 20H, et 31/1, à 18H), d'autre part, la 7 ème symphonie de Beethoven, Taras Bulba de Janacek et une création de Mantovani, « In and Out, pour timbales et orchestre », commande de l'orchestre de Lyon (5 février à 20H). Sylvain Cambreling dirigera son frère Benoît, aux percussions. Et enfin la Symphonie Fantastique de Berlioz, sous la baguette de Serge Baudo qui, le 14 février 1975, inaugurait les lieux avec cette même œuvre (le 8/2, à 16H). Un soirée de jazz cubain sera offerte par le pianiste icône Chucho Valdés (le 2/2 à 20H). Vincent Warnier donnera un récital d'orgue, de Bach à Vierne, de Fanck à Duruflé, de Liszt à Dupré (le 7/2 à 18H). A noter encore une matinée associant le Pierrot lunaire de Schoenberg et une création à Lyon de Mantovani, son Trio pour clarinette, piano et violon (8/2 à 11H), et le festival « Aire de jeu de Subsistances » qui honorera le compositeur finlandais Kalevi Aho, avec des extraits de sa Sinfonia per organo et son Quintette à vents, associés à diverses pièces d'orgue de Marcel Dupré et à deux pièces de Poulenc, le Trio pour hautbois, basson et piano, et le Sextuor, interprétés par des musiciens de l'Orchestre de Lyon (1er/2, à 16H). 

 

Auditorium de Lyon, du 31 janvier au 8 février 2015.

Réservations : Billetterie, 149 rue Garibaldi, 69003 Lyon ; par tel.: 04 78 95 95 95 ; en ligne : www.auditorium-lyon.com

 

 

5, 6 / 2

 

La lueur visionnaire du Requiem de Berlioz

 


Portrait de Berlioz par Gustave Courbet, Paris, Musée d'Orsay

 

S'il est une œuvre frappée au coin du gigantisme c'est bien celle-là. Hector Berlioz a mis dans sa Grande Messe des morts, créée en 1837 aux Invalides à Paris, un souffle à la mesure de l'idée qu'il s'en faisait. Les qualificatifs se bousculent à l'audition : grandiose, monumentale, emplie d'un souffle inouï. On pense au déluge cataclysmique du Dies Irae ou du Tuba mirum avec leurs batteries d'accords de timbales et leurs fanfares de cuivres. Cette glorification du Jugement dernier hantait Berlioz. Par son dramatisme sans doute, quoique peut-être pas aussi théâtral qu'il n'y paraît : terrifiant, certes, mais d'abord empreint de grandeur et d'austérité. En un mot une « lueur visionnaire »  qui est aussi humanité et espoir. Dans le cadre de leur résidence parisienne, l'Orchestre national du Capitole de Toulouse et Tugan Sokhiev seront à la manœuvre. On sait l'empathie du chef ossète pour le répertoire français. Le chœur Orfeón Donostiarra les rejoindront, comme, à l'heure du Sanctus, le ténor Bryan Hymel qui s'est déjà taillé une belle réputation dans le rôle d'Enée des Troyens au Royal Opera de Londres. Une belle occasion de tester les voûtes de la toute nouvelle Philharmonie de Paris. Le concert du 6 janvier sera précédé la veille d'une exécution à la Halle aux grains de Toulouse dans le cadre de la saison symphonique de l'orchestre.

 

Philharmonie de Paris I Grande salle, le 6 février 2015 à 20H30,

Halle aux grains, Toulouse, le 5 février 2015 à 20H

Réservations : A Paris, par tel : 01 44 84 44 84 ; en ligne : www.philharmoniedeparis.fr

A Toulouse, par tel.: 05 61 63 13 13 ; en ligne : service.location@capitole.toulouse.fr ou  www.onct.toulouse.fr

 

 

5/ 2 & 20, 21 /3

 

Prades au Champs-Elysées

 


Pablo Casals / DR

 

Le festival Pablo Casals de Prades est un des rares événements en Europe initié dès son origine selon les valeurs humanistes et philosophiques d'un homme, célèbre musicien, engagé contre toutes formes de totalitarisme. Cet homme, Pablo Casals, a quitté l'Espagne en 1939 pour s'installer à Prades et y créer en 1950 son propre événement, seul endroit au monde où l'on pouvait entendre le Maître en compagnie de ses amis musiciens, Isaac Stern, Dietrich Fischer-Dieskau, Yehudi Menuhin, Rudolf Serkin et tant d'autres. Depuis 1983, Michel Lethiec, directeur artistique de cette manifestation, n'a cessé de la développer d'un point de vue artistique (création en 2009 d'un concours international de composition), mais aussi géographique, Prades à Tokyo, à New-York, à Jérusalem, à San Paolo, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, et depuis 22 ans à Paris, au Théâtre des Champs- Elysées. Prades aux Champs-Elysées reconstitue l'expérience unique du festival d'été dont l'une des signatures est de constituer de grands groupes de musique de chambre. On y mêle les générations et découvre de jeunes talents internationaux déjà bien affirmés. Cette saison, les trois concerts permettront de les entendre dans des répertoires emblématiques.

 

Le 5 février, le Quatuor Talich, Nobuko Imai, Michel Lethiec, Jean-Philippe Collard

joueront Mozart, Brahms et Dvořák.

 

Le 20 mars, Fumiaki Miura, Boris Brovtsyn, Vladimir Mendelssohn, Hartmut Rohde, Arto Noras, Jurek Dybal, Michel Lethiec, André Cazalet, Giorgio Mandolesi, Itamar Golan joueront Haydn, Mendelssohn et Schubert.

 

Le 21 mars, Fumiaki Miura, Boris Brovtsyn, Vladimir Mendelssohn, Hartmut Rohde, Arto Noras, Jurek Dybal, Michel Lethiec, André Cazalet, Giorgio Mandolesi, Itamar Golan et la mezzo-soprano Allison Cook joueront Richard Strauss, Mahler et Brahms.

 

Théâtre des Champs-Elysées, les 5 février, 20 et 21 mars 2015, à 20H

Réservations : 15 avenue Montaigne. 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50  ; en ligne : www.theatrechampselysees.fr  

 

 

6, 8, 10, 12, 15 / 2

 

Double bill russe à l'Opéra de Nancy

 


Serge Rachmaninov  / DR

 

Serguei Rachmaninov a composé trois courts opéras, Aleko, Le Chevalier misérable, et Francesca da Rimini. L'Opéra de Nancy Lorraine présente en un même spectacle  le premier et le troisième ;  laissant de côté la pièce médiane, sur le thème de l'Avare de Molière. Aleko, est une œuvre de jeunesse puisque Rachmaninov la compose en 1892, alors qu'il est encore au conservatoire, et pour le concours final, sur un livret inspiré du poème « Les Tziganes » de Pouchkine. En un acte, l'opéra est resté célèbre par la fameuse cavatine de la basse, immortalisée par Chaliapine. Sa musique est souvent flamboyante et traduit l'influence de Tchaikovski. Francesca da Rimini (1904/1905) décrit les amours maudits de Paolo Malatesta et de Francesca, sur un texte s'inspirant directement de « l'Enfer » de La Divine Comédie de Dante. La pièce comporte deux parties, un prologue et un épilogue, mais sa durée excède de peu l'heure. La partie purement symphonique la distingue, en particulier durant le long prologue purement instrumental, seulement agrémenté de chœurs à bouche fermée, qui se seraient imposés au musicien du fait de l'incapacité de son librettiste, Modest Tchaikovski, frère du compositeur de « La Pathétique », à écrire un texte digne de ce nom. La production nancéenne est confiée à Silviu Purcǎrete, dont la mise en scène de Artaserse de Vinci fit sensation il y a deux ans en ce même lieu, et à Rani Calderon, 1er chef invité à l'Opéra de Lorraine.            

 

Opéra de Nancy Lorraine, les 6, 10, 12, février 2015, à 20H et les 8, 15/2 à 15H.

Réservations : billetterie, 1 rue Sainte Catherine, 54000 Nancy ; par tel : 03 83 85 33 11 ; en ligne : www,opera-national-lorraine.fr

 

 

La Folle Journée 2015 : Passions de l'âme et du cœur

 

 

La Folle Journée de Nantes se lance dans un nouveau concept thématique. Après les éditions consacrées à un compositeur ou à un groupe de compositeurs, voire à un mouvement musical, le programme de l'édition 2015 est articulé autour d'un thème largement transversal : la passion en musique. On se propose d'explorer la contagion émotive qui très tôt a gagné l'Europe, pour traverser toutes les époques, baroque, classique, romantique et moderne. Vaste sujet ! Qui permet d'embrasser plusieurs siècles d'un coup comme les genres les plus divers, et en ratissant large, de multiplier l'offre de concerts à l'envi, comme l'aime son fondateur René Martin. Qui souligne le caractère fédérateur de la chose, permettant même de faire se rencontrer les passionnés de classique, de jazz, de musique de film ou de musique électronique ! Qui dit « passion », dit affects et sentiments, joies de l'intellect et préférences du cœur, au centre même de l'acte créateur. Musiques sacrées et profanes seront au rendez vous comme le seront à peu près tous les genres musicaux, du symphonique au récital, de la musique de chambre au lyrique. Aussi la liste des compositeurs convoqués est-elle pratiquement sans fin, puisque cela va de Gesualdo à Monteverdi, de Mozart à Beethoven, de Schubert à Brahms, en passant par Schumann, de Berlioz à Chopin ou à Liszt, sans oublier les représentants des écoles nationales, russe, Borodine, Tchaïkovski, ou tchèque, Dvořák et Janacek, ou encore de Mahler à Schoenberg en passant par Berg, et plus près de nous, Chostakovitch et l'incontournable Gorecki... Gageons que l'inédit sera osé et que l'élan de curiosité, consubstantiel à la manifestation nantaise, et à son « preview » en région les jours précédents, sera là bien présent.

 

Les innombrables concerts présentant des interprètes jeunes ou confirmés, en tous cas renommés, selon le schéma désormais institutionnalisé à Nantes de séances de ¾ d'heure à une heure, ouvriront l'offre à l'infini, permettant un choix sans équivalent ailleurs. Le volet didactique sera tout aussi attractif, illustré par un brelan de conférenciers émérites, férus d'analyse musicale. C'est que rien n'est ici négligé pour attirer de nouveaux mélomanes et fidéliser les habitués, de plus en plus nombreux, de ce grand événement populaire à haute exigence artistique. Enfin, la dimension pédagogique sera de nouveau en exergue. Ainsi en partenariat avec le rectorat et la Délégation Académique de l'Action Culturelle seront organisés des ateliers et parcours pédagogiques pour les jeunes des établissements scolaires, permettant de croiser les disciplines artistiques, ainsi que mis en place des projets spécifiques à destination de l'enseignement supérieur. Alors, tous à Nantes pour de longues journées pas comme les autres, encore plus enivrantes que délirantes !  

 

Centre des congrès, Nantes, du 28 janvier au 1er févier 2015.

Locations : aux guichets de la Cité, à partir du 10 janvier 2015, à 8H, le 11 janvier à partir de 14H, et à compter du 12/1, tous les jours de 13H à 19H, sauf samedi et dimanche ; par tel. : 0892 705 205, à partir du 10 janvier 2015 à 10H ;

en ligne : www.follejournee.fr  à partir du 10 janvier 2015, à 10H

 

Région des Pays de la Loire, du 23 au 25 janvier 2015 : à Saint-Nazaire, Cholet, Saumur, Fontevraud, Laval, La Flèche, Sablé-sur-Sarthe, La Roche-sur-Yon, Challans, Fontenay-le-Comte et l'Ile d'Yeu. .

 

Jean-Pierre Robert.

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L'ARTICLE DU MOIS

 

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Tous les professeurs de chant devraient connaître  l'anatomie de la voix

 

L'experte en anatomie du mouvement Blandine Calais-Germain propose des formations sur l'anatomie vocale, depuis de nombreuses années. Son dernier livre était très attendu : il  est consacré lui aussi à ce sujet. Cette spécialiste atypique témoigne ici de son parcours, de sa méthode et de son credo, en la matière…

 

Blandine Calais-Germain, votre dernier livre a pour titre « Anatomie pour la voix », et vous animez  de longue date des stages sur cette thématique. Est-ce le fruit d'un cheminement « médical » ?

Blandine Calais-Germain : Non, plutôt celui d'un itinéraire atypique, dont le médical fait partie. Au départ, j'étais danseuse et professeure de danse. Puis je suis devenue kinésithérapeute, ce qui m'a amenée à me lancer, il y a 33 ans, dans des formations axées sur l'anatomie. La première avait pour thématique l'anatomie du mouvement et est toujours à l'ordre du jour. Elle voulait combler un manque de connaissance que j'avais moi-même ressenti, en tant que danseuse, et que les professionnels qui bougent, dans le cadre de leur métier, vivent souvent douloureusement « dans leur chair ». Je veux parler ici aussi bien des musiciens, des danseurs ou des artistes de cirque, que des sportifs exerçant dans le domaine des arts martiaux ou du Yoga, par exemple. Avoir cette connaissance conduit au contraire à répéter un acte physique précis, jusqu'à ce qu'il devienne virtuose, tout en évitant les conséquences pathologiques qui peuvent en résulter… Bref, à effectuer un geste à la fois performant et sain !  D'ailleurs, Mon premier stage a résulté d'une demande dans ce sens, formulée par des danseurs. Ces personnes avaient déjà suivi des cours d'anatomie, mais hélas sans lien avec leurs besoins. La plupart des kinésithérapeutes ignorent, dans leur propre corps, la succession des actions qui pose problème aux professionnels du mouvement. Ils n'en ont qu'une connaissance théorique. Mon expérience hors norme m'a permis, en quelque sorte, de créer une passerelle entre les deux types de métiers, pour  prévenir plutôt que guérir, et optimiser les gestes.



Blandine Calais-Germain en phase d'intervention. Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine Calais-Germain. Tous droits réservés

Alors comment en êtes-vous arrivée à l'anatomie de la voix ?

J'ai très vite développé mon activité d'enseignante d'anatomie pour le mouvement, car cette proposition répondait - et répond toujours - à un grand besoin. Du coup, j'ai rapidement dû travailler et présenter ma démarche, de façon nomade, loin de chez moi. Je cumulais les heures de voyage en avion et les temps d'intervention, sans tenir compte de ma fatigue… et ma voix ne suivait pas. Elle se « cassait » en plein milieu d'un stage. C'était très angoissant. Alors j'ai mené une enquête auprès d'une trentaine de professionnels de cet instrument. Je voulais tout savoir. A quoi servent le diaphragme et le larynx ? Pourquoi la voix résonne-t-elle ? Comment faire pour qu'elle porte davantage sans épuiser les cordes vocales ? Comment éviter ces angines à répétition qui, à l'époque, me sautaient à sans arrêt à la gorge ? J'étais et suis encore une marathonienne de la voix. Il fallait donc que j'apprenne à fortifier, à rendre « endurant »  l'endroit où se situent les cordes vocales. J'ai fait cette investigation notamment en prenant des séances d'orthophonie, durant lesquelles je posais toutes les questions nécessaires pour comprendre « l'envers du décor ». Je vous parle de cela en particulier, mais chacun de mes interlocuteurs m'a fait cadeau d'une pépite, et tout cela a débouché sur mon premier stage d'anatomie de la voix, en 1995.  Depuis, mes connaissances en la matière se sont tellement étoffées que cette formation se compose dorénavant de trois volets.

 

Comment  ces stages d'anatomie de la voix se déroulent-ils, aujourd'hui ?

 

Tout d'abord,  pour ceux qui veulent les suivre tous, je préconise de le faire, si possible, dans un ordre précis : en premier le volet sur la respiration, ensuite celui qui zoome sur le larynx, et enfin la session consacrée à la « boîte à résonner » formée par le pharynx et la bouche. Ces trois formations sont chacune faites de parties théoriques, consacrées à l'anatomie, et d'exercices pratiques, pour intégrer et « incorporer », au sens fort du terme, les connaissances à son profit. Comme je ne suis pas chanteuse de métier, j'anime ces sessions en m'entourant systématiquement de deux autres spécialistes, aux profils très différents du mien. Ce sont, d'une part, le médecin phoniatre Guy Cornut, qui est également chef de chœur de longue date et, d'autre part, le professeur de voix et d'art dramatique hors du commun Vicente Fuentès. Le premier donne accès à des vidéos passionnantes, grâce auxquelles on peut voir les mouvements qui se déploient à l'intérieur du corps, lorsque l'on chante. Il a pu réaliser ces documents auprès de patients en difficulté, mais aussi de chanteurs performants, du point de vue de l'instrument. Leur visionnage et les commentaires de Guy Cornut sont très instructifs. Ce chef de chœur propose également des exercices aux stagiaires, de quoi faire un point sur leur état vocal et, le cas échéant, leur faire dépasser certains de leurs blocages. Quant à Vicente, il met tout simplement « en corps et en voix », de la tête aux pieds, à raison d'au moins 4 h par jour, les connaissances théoriques que je déploie auparavant, durant les plages ou j'interviens en personne. Les progrès vocaux qu'il obtient sont carrément saisissants ! Enfin, pour ce qui me concerne, j'assure bien entendu l'enseignement théorique de l'anatomie, et des phases d'incorporation pratique de ces connaissances.



Blandine Calais-Germain présente un moulage relatif au cou.

Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine Calais-Germain.

Tous droits réservés

 

En quoi consistent vos interventions, plus précisément?

 

Pendant les  séances théoriques sur l'anatomie, je fais découvrir les os, les muscles et les autres tissus ou organes concernés par la voix, essentiellement à l'aide de moulages destinés aux étudiants en médecine, et de grands dessins que  j'ai faits  moi-même. J'explique toutes les façons dont ces éléments peuvent bouger et interagir, en fonction des gestes respiratoires et vocaux que l'on veut mettre en route. J'invite également les participants à colorier des illustrations anatomiques de grand  format, dont des  reproductions de mes dessins, en associant « définitivement » des couleurs précises à chaque type d'organe concerné. Cette étape me permet de valider que les stagiaires ont compris, et d'installer une mémorisation visuelle. Durant ces séances, je réponds aux nombreuses questions des participants. Le fait que ces stages rassemblent aussi bien des professeurs de yoga, que des acteurs, des formateurs en management, des chanteurs, des orthophonistes ou des boulangères en reconversion, engendre une palette de demandes d'une richesse extraordinaire. C'est éclairant pour tous.

 

Durant mes interventions « pratiques »,  je fais faire, en conscience de ce qui se passe sur le plan anatomique, des mouvements abordés précédemment, de façon théorique. Je recours pour cela à des gestes inhabituels, effectués lentement, avec parfois quelques accessoires, tels des coussins parallélépipédiques en mousse. Ces éléments externes s'avèrent utiles pour appréhender, au niveau physique, des muscles dont les gens n'ont généralement aucune idée, parce qu'ils les sollicitent au quotidien sans faire appel à leur volonté.

 

 

Tous ceux qui apprennent à chanter devraient-ils suivre vos stages d'anatomie vocale?

 

Non. Il y en a que cela pourrait perturber, comme certaines femmes peuvent l'être par la quantité d'informations reçues sur leur accouchement à venir, au lieu de pouvoir y puiser la confiance dont elles ont besoin. En revanche, tous les professeurs de chant devraient connaître l'anatomie de la voix. Ils seraient ainsi en capacité de repérer, lorsqu'ils observent un élève en train de chanter, la ou les parties de la structure vocale qui pourraient être améliorée chez lui. Ces enseignants pourraient alors proposer des exercices pointus pour enlever ou ajouter de la pression sous la glotte, mobiliser les côtes ou  libérer les tensions du cou… Et je ne cite là que quelques uns des facteurs qui entrent en ligne de compte.

 

Cette connaissance les amènerait à sortir du système habituel, qui est limitant. Faute de formation suffisante, ces pédagogues ont bien du mal à mettre en œuvre des techniques différentes de celles qu'ils ont adoptées pour résoudre leurs propres problèmes. Or non seulement ces solutions ne sont pas toujours transposables, mais elles n'ont généralement aucune prise sur les autres types de difficultés rencontrées par les élèves. Dans ce contexte, les maîtres ne sont pas en situation d'imaginer les obstacles qui n'ont pas barré leur route, quand ils étaient en période d'apprentissage. Diagnostiquer ces entraves et amener ceux qu'ils sont censés guider à s'en libérer est donc hors de leur portée. Quel dommage !

 


Blandine Calais-Germain (à gauche) durant un stage d'anatomie.

Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine Calais-Germain.

Tous droits réservés.

 

Qu'est-ce que votre livre sur l'anatomie de la voix, publié fin 2013, apporte de plus?

 

Mon ouvrage est le seul à présenter la structure vocale dans son ensemble, de façon très illustrée, détaillée, simple et exhaustive. Par exemple, pour rendre mes dessins significatifs des mouvements qu'ils évoquent, je les ai multipliés en changeant d'angle. Lorsque cela a un intérêt, on peut ainsi observer un même os vu de dessus, de dessous, de trois-quarts, en perspective… Et tous ces dessins se renvoient les uns aux autres, pour former un immense puzzle. J'ai par ailleurs réussi à mettre les explications au plus près des schémas concernés, avec des fléchages courbes, au besoin,  pour un maximum d'efficacité. Je rends grâce à la graphiste avec laquelle j'ai pu mettre cela au point ! Le côté « bande dessinée », ainsi obtenu, évite des kilomètres de textes indigestes. Il rend le sujet accessible au béotien, sans pour autant tomber dans la vulgarisation imprécise. J'ai du reste pris soin de faire valider toutes les pages comportant des notions de physique par l'ingénieur en biomécanique (et cosignataire de la publication) qu'est mon fils. De la sorte, ces passages sont à la fois irréprochables, sur le plan scientifique, et compréhensibles par « Monsieur et madame tout le monde ». Pour les personnes qui suivent mes stages, ce recueil est un précieux support de mémorisation et d'approfondissement. De plus, il renvoie à des exercices décrits dans d'autres de mes livres, à faire ou à faire faire, et pour certains testés durant le stage… Il peut donc constituer, soit une sorte d'entrée en matière, soit le socle d'une connaissance solide, étayée à partir des stages.

 

Avez-vous encore d'autres projets concernant la voix ?


Dessin de Blandine Calais-Germain : personne chantant, les bras levés.

Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine Calais-Germain.

Tous droits réservés.

 

Oui… l'écriture d'un livre pratique sur « l'appogio du souffle ». Ce terme traduit une façon particulière d'engager le souffle et la pression vocale. Cette technique a été mise au point, de manière progressive et totalement empirique par les chanteurs classiques, et j'ai eu l'opportunité d'acquérir ce savoir. Il  m'intéresse, en tant que kinésithérapeute, car l'intégrer, y compris pour les non-chanteurs, a des effets bénéfiques sur l'ensemble du corps, relativement à la position debout.

 

Aujourd'hui, je ne veux pas m'avancer plus sur ce sujet : je ne sais pas du tout quand je vais pouvoir concrétiser cette intention, car je suis actuellement en plein développement d'autre chose. Je suis en fin de carrière, et j'ai l'immense bonheur de pouvoir transmettre mes contenus et ma méthode, dans le domaine du mouvement, à une équipe d'enseignants que je suis en train de former. Depuis 5 ans, j'ai créé une  méthode : j'ai écrit des « partitions de mouvements », toutes rassemblées sous le nom de «  Geste anatomique® ». J'ai appelé l'une d'elles « Périnée et mouvement® ». Je vous en parle, parce que dans ce cycle de 10 h de formation, je consacre l'une de ces heures au lien – considérable - qui existe entre la voix et le périnée… Et je constate que cela donne fort envie à mes « apprentis » de se former également à l'anatomie de la voix. La boucle est bouclée !

 

Propos recueillis par Françoise Nowak *

 

 

* Françoise Nowak est accoucheuse de voix et journaliste (http://www.francoisenowak.com)

 

 

Pour en savoir plus

 

 

http://www.calais-germain.com/

 

Anatomie pour la voix, Blandine Calais-Germain et François Germain, Éditions désIris.

 

La voix, Guy Cornut, PUF, collection Que sais-je. 

 

Moyens d'investigation et pédagogie de la voix chantée, coordination Guy Cornut, Éditions Symétrie.

 

Atlas video-stroboscopique  des principales pathologies  laryngées et bénignes, Guy Cornut, De Boeck.

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L'ENSEIGNEMENT MUSICAL

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Synthèse harmonique… Une nouvelle façon de voir l'analyse musicale !

 

 

Synthèse N° 1 :

Qui a dit que les octaves parallèles étaient interdites en harmonie?

Tenez : en voici une série prise dans une grande œuvre…

Écoutez le fichier midi synthèse 1

Debussy ? Ravel ?

Répartissons la sur trois portées, et allongeons le premier accord :

Écoutez le  fichier midi synthèse 2

 

Ajoutons une pédale de do#

Écoutez le fichier midi synthèse 3

Avez-vous reconnu ?

Oui ? Vous avez une bonne oreille harmonique!

Non ? pas de souci, tout va  bientôt s'éclairer !

 

X

X    X

 

Synthèse n°2

Puisque nous avons laissé la pâte reposer.. Il est temps de laisser dans notre descente les échappées faire leur apparition !

Écoutez le fichier midi synthèse 4

La voix du bas s'arpège,

Écoutez le fichier midi synthèse 5

Puis celle du milieu

 

Ecoutez le fichier midi synthèse 6

Ça y est ? Vous avez reconnu ? Oui, il s'agit bien des premières mesures de la Barcarolle de Chopin !

Laissons simplement les échappées apparaitre également dans la voix du haut !

 

Écoutez le fichier midi synthèse 7

Enfin quelques notes de passage appoggiaturées..

Écoutez le fichier midi synthèse 8

 

Et le tour est joué : ce Chopin ! Quel magicien… Dissimuler à ce point une simple descente conjointe d'accords parfaits ! On savait déjà que le polonais utilisait ses ornements de manière très judicieuse ! Pour ceux qui ne voyaient pas en lui un vrai précurseur de Debussy !

Philippe Morant.

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    SPECTACLES ET CONCERTS

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Hommage au Professeur Serge Gut

 

Le mardi 9 décembre 2014, un vibrant hommage a été rendu au regretté Professeur Serge Gut dans les Salons de la Présidence de l'Université Paris-Sorbonne, à l'initiative de Jean-Jacques Velly  qui, en présence de Madame Inge Gut, a accueilli les collègues, amis et admirateurs de la carrière et de l'œuvre de Serge Gut, « figure éminente de la Musicologie française » ayant publié une dizaine de livres et participé à de nombreux Colloques en France, Allemagne et Hongrie, également compositeur et collaborateur de L'Éducation musicale pendant de nombreuses années. D'autres interventions de son collègue Jean-Pierre Bartoli, de son ancien étudiant si fidèle Vincent Arlettaz, de sa nièce Catherine Grevelinck ont brossé un émouvant portrait de l'homme, de son enthousiasme et de son engagement.

 

 

Cette réception a été suivie d'un Concert-Hommage à l'Amphithéâtre Richelieu où Jean-Jacques Velly, pour « connaître Serge Gut », a évoqué la place de la musique et de la poésie dans son œuvre, et proposé en quelque sorte son testament musicologique. Des projections de diapositives : le Professeur au travail (en Amphi, dans son bureau ou encore lors de la remise de sa Légion d'Honneur), en vacances… le rendaient encore plus « présent ». Avant l'audition, les œuvres ont été commentées par la lecture des analyses de l'auteur. Le programme comprenait des pièces de Serge Gut, mais aussi de ses musiciens préférés Claude Debussy, Franz Liszt et Richard Wagner. Comme de juste, l'audition a débuté par des extraits de Trois Préludes fluides pour piano (1960) de Serge Gut, interprétés par François Henry, soliste et accompagnateur avisé, suivis de deux Mélodies sur des textes de Théophile Gautier : Les Papillons et Plaintive tourterelle composées en 1955, chantées par Marie Soubestre (Soprano) mettant en valeur l'intérêt de Serge Gut pour la poésie française. Ce fut aussi le cas de ses Trois Mélodies : Barcarolle (Théophile Gautier), Le Songe d'une nuit d'été (Paul Fort) et Un baiser (Paul Andreu) interprétées avec sensibilité par Annabelle Cardron. Claude Debussy était représenté par Canope (extrait de ses Préludes pour piano) dans l'interprétation de François Henry ; et Franz Liszt, par Chapelle de Guillaume Tell (extrait des Années de Pèlerinage) bénéficiant de la technique éblouissante de Fumiko Sonegawa, pianiste et également accompagnatrice hors pair des Wesendonk-Lieder. Deux points culminants ont marqué ce concert. L'intervention très remarquée de Marion Gomar, Soprano si bien formée à la Hochschule für Musik und Theater de Leipzig, chanteuse typiquement wagnérienne qui, avec émotion et grande musicalité, a su traduire chaque nuance de la partition et, en particulier, La mort d'Isolde (Isoldes Liebestod). Enfin, Trois Mélodies de la revue Sensations de Paris de Serge Gut, dans l'arrangement de Jean-Jacques Velly pour soprano, violon, piano et contrebasse : Viens tout contre moi, Pour être star et Sensations de Paris interprétées avec décontraction et bonhomie par Annabelle Cardron (Soprano), Viviane Waschbusch (violon) et Régis Prudhomme (Contrebasse), accompagnées au piano avec assurance par Jean-Jacques Velly. Composées en 1954, ces œuvres de jeunesse — tour à tour mélancoliques ou très animées, jazzifiantes avec des rythmes syncopés et percutants — tiennent un peu du music-hall des années 1950, à la fois sentimentales, enjouées et d'une très belle envolée. Elles reflètent le caractère enthousiaste et l'humour du compositeur et ont posé un point d'orgue en feux d'artifice sur ce remarquable hommage rendu par l'Université Paris-Sorbonne et l'UFR de Musique et Musicologie au très regretté Serge Gut.

 

Édith Weber.

 

Rameau, maître à danser

 

Jean-Philippe RAMEAU : Daphnis et Églé. Pastorale héroïque en un acte sur un livret de Charles Collé. La Naissance d'Osiris. Acte de ballet sur un livret de Louis de Cahusac. Élodie Fonnard, Magalie Léger, Reinoud Van Mechelen, Sean Clayton, Arnaud Richard, Pierre Bessière. Chœur et Orchestre des Arts Florissants, dir. William Christie. Mise en scène : Sophie Daneman.

 


© Philippe Delva

 

Rafraîchissante soirée que celle à laquelle nous conviait William Christie, dans le cadre d'une tournée célébrant Rameau, qui après Caen et Dijon, en passant par Luxembourg et même Moscou, se concluait à la Cité de la musique. Prétexte à l'exhumation de deux pièces tardives, empruntées au genre de l'acte de ballet. Au faîte de la gloire, mais affecté par les rivalités artistiques et politiques, Rameau compose de moins en moins, se consacrant essentiellement à ces actes de ballet à l'occasion d'évènements officiels. La pastorale héroïque Daphnis et Églé a été créée en octobre 1753 à Fontainebleau pour fêter la naissance de Xavier Pierre Joseph, duc d'Aquitaine. L'auteur du livret est Charles Collé, qui ne passait pas pour un admirateur du musicien, quoiqu'il ait pris le parti de celui-ci contre les lullistes dans la querelle des Bouffons. L'œuvre compose un divertissement sans autre prétention que celle de célébrer le passage de l'amitié à l'amour chez deux jeunes bergers. L'influence de la manière italienne est forte dans cette succession de morceaux dont plusieurs sont de forme concertante et où la danse occupe une place de choix. Les deux héros, rejoints par l'Amour, un grand Prêtre et Jupiter, endossent une partie vocale pas moins intéressante au fil de duos de plus en plus développés à mesure que l'amitié fait place à l'amour. La Naissance d'Osiris, ou la fête de Pamille, sur un livret du fidèle Louis de Cahusac, a été créée le 12 octobre 1754, pareillement à Fontainebleau, dans le cadre des célébrations de la naissance du duc de Berry, futur Louis XVI. L'atmosphère y est plus bucolique que dans la pièce précédente et les figures dansées plus développées. C'est que Cahusac y met en pratique ses théories sur la danse, développées dans son tout récent traité « La Danse ancienne et moderne », et ce qu'on appelle ballet figuré ou danse d'action. Une des plus topiques est celle décrivant l'épouvante des bergers surpris par l'orage déchaîné par Jupiter. On y trouve aussi plusieurs musettes, tambourins, rondeau et une longue contredanse qui clôt l'opéra avec le chœur. Le chant n'est pas pour autant négligé, dont la partie du dieu Jupiter qui bien que second rôle, se voit gratifié d'une longue séquence introduite de manière grandiose par un orage effrayant avec tonnerre et éclairs.

 

 


© Philippe Delva

 

William Christie donne de ces pièces une lecture suprêmement équilibrée, et les musiciens des Arts Florissants distillent des sonorités envoûtantes, d'une infinie douceur aux cordes, et d'une fine couleur dans les bois, basson et hautbois en particulier. Sans parler de la note agréablement archaïsante qu'apportent des instruments originaux comme la musette ou le tambour de basque. La sonorité reste chambriste, car Christie choisit une formation réduite. Si la disposition en fond de plateau, derrière les solistes, chœurs et danseurs, ne favorise pas le déploiement sonore, du clavecin et de la basse continue notamment, du moins l'effet de proximité entre toutes ces forces est-il un avantage indéniable. Ses jeunes chanteurs, Christie les couve du regard. Au premier chef les deux rôles titres dans Daphnis et Églé, la soprano Élodie Fonnard et le haute-contre Reinoud Van Mechelen, tous deux lauréats du Jardin des Voix en 2011 : voix d'une aérienne fraicheur et d'une expressivité étonnante dans l'exigeante déclamation ramiste et ses appogiatures. Magali Léger, qui campe un Amour espiègle à souhait auprès des deux héros, puis Pamille dans la seconde pièce, déploie un chant vif argent. Le Jupiter de Pierre Bessière est bien sonore. La mise en scène à été confiée à Sophie Daneman. Elle dépasse la simple mise en espace dictée par une exécution en salle de concert : façon théâtre de tréteaux, elle parvient avec une belle économie de moyens mais une riche inventivité, à donner vie à ces deux pochades. L'idée, fort lumineuse, étant de les unir en une seule et même histoire : le rejeton Osiris dont on fête la naissance dans la seconde, étant le fruit des amours de Daphnis et Églé, révélées au fil de la première ! Autrement dit une variation en deux séquences sur le triomphe de l'Amour, thème emblématique de l'opéra baroque s'il en est. La chorégraphie de Françoise Denieau est agréable, sans modernisme inutile, épousant rythmes et volutes musicales.

 

 

Le Brahms lumineux de Bernard Haitink

 


Bernard Haitink, Emanuel Ax & le COE à Lucerne en 2010 © Priska Ketterer/Lucerne festival

 

A l'automne d'une carrière bien remplie, Bernard Haitink sait nous faire toucher du doigt le pouvoir revigorant de la musique. De celle de Brahms en l'occurrence. Pour son second concert parisien, il proposait le Deuxième concerto pour piano et la Quatrième symphonie. Le concerto op. 83 trouve ici une interprétation d'un grand classicisme et fort nuancée, plus que romantique et virtuose. A la différence de la manière opulente de Christian Thielemann accompagnant Maurizio Pollini dans leur récent CD (cf. NL de 5/2014), Haitink affiche d'emblée une approche éprise de clarté. La formation orchestrale est réduite, avec des cordes pas trop nombreuses, dont seulement six violoncelles et quatre contrebasses, les premiers et seconds violons étant divisés, ce qui libère un spectre sonore d'où l'effet de masse est résolument   absent. Dans cet écrin de choix, le soliste Emanuel Ax n'a pas de difficulté à se faire entendre et n'a nul besoin de lutter au fil de ce qui reste une œuvre proche de la symphonie concertante. Le choix des tempos révèle un souci de vérité, de transparence aussi. L'allegro initial, qui voit le piano entrer immédiatement et s'investir dans une brillante cadence et un dialogue avec les cors, ne cherche à  être imposant, mais vrai. Et Emanuel Ax déploie ainsi une belle fluidité. L'appassionato suivant offre un scherzo, certes passionné et fantastique, mais qui sait raison garder dans sa vigueur, le piano et l'orchestre y étant intimement mêlés dans l'épisode central, un trio sur le mode d'une danse populaire. Le refus de toute sollicitation se confirme avec l'andante dont le tempo est pris assez allant dans le solo du violoncelle, ce qui ne nuit en rien à son caractère de confidence, mais déplace simplement la charge expressive : le duo qui s'instaure entre piano et cello s'écarte de l'épanchement, pour favoriser un lyrisme plus contrôlé et empreint de naturel. Haitink contraste la partie centrale du mouvement par un ralentissement du tempo et un abaissement du volume sonore, créant un moment de poésie magique duquel le soliste tire amplement profit. On mesure là, et plus qu'ailleurs, combien Emanuel Ax s'en tient à une approche objective, sans affèterie déplacée ni virtuosité affirmée ; ce qui peut déconcerter les tenants d'une vision hyper romantique de l'exécution du concerto. Le finale progresse avec un naturel enviable, à la fois joyeux et nostalgique. La Quatrième symphonie, op. 98, la dernière confiée par Brahms à l'orchestre, n'était le Double concerto pour violon et violoncelle à venir, affirme le même souci de rigueur des plans, d'aération de la structure, de luminosité sonore. Haitink et ses merveilleux musiciens en donnent une lecture suprêmement équilibrée, ce que, là encore, le recours à une formation moins nombreuse que souvent achève de distinguer. Les couleurs automnales de cette œuvre, son aspect méditatif, ses moments élégiaques en ressortent avivés. L'allegro moderato, conçu dans l'esprit de la chaconne, est tout de clarté dans ses diverses et si nombreuses composantes. L'andante établit une atmosphère proprement magique, d'une profonde gravité, quoique non excessivement mélancolique, pleine de tendresse plutôt. L'allegro giocoso est, soudain, d'une belle effervescence, presque tumultueux. La battue du chef, si simple, dévoilera ici des trésors d'énergie. Quant à l' « energico e passionato » final, il séduit par son architecture aérée, celle de sa vaste Passacaille et de ses variations multiples, menant l'œuvre à une glorieuse péroraison, là encore non imposante. L'osmose entre le chef  et ses jeunes musiciens fait plaisir à voir, comme la qualité des solistes de la petite harmonie, flûte, hautbois et clarinette.

 

 

Patricia Petibon est La Belle excentrique

 


Patricia Petibon entourée de Nemanja Radulovic, David Levi,

Susan Manoff, Olivier Py, Christian-Pierre La Marca, David Venitucci / DR

 

Avec Patricia Petibon le récital prend une autre dimension, voire acquiert une signification différente, loin du dialogue formel, voire un peu compassé souvent, entre chanteur et pianiste. Plutôt que de donner quelques mélodies d'un même compositeur, elle en invite plusieurs, mêle leurs pièces à des chansons et s'entoure d'amis musiciens, pianiste, violoncelliste, accordéoniste, percussionniste... Elle choisit d'illustrer une manière, la fantaisie sérieuse, sous la bannière de La Belle Excentrique d'Erik Satie, et ne se contente pas de chanter mais théâtralise chaque pièce. La référence à ce musicien original, pour ne pas dire en marge, donne le ton d'une soirée qui se veut hors des sentiers battus. Le besoin de rire, souligne-t-elle, est inhérent à chacun de nous, le besoin d'absurde aussi, ce jeu avec les décalages et la surprise d'associations improbables, mais appelant le sous entendu. Aussi le programme va-t-il osciller entre comique et sérieux, fantaisie et gravité, même si pour une large part porté sur le versant nostalgique. La grande ritournelle de La Belle Excentrique, jouée à quatre mains par Susan Manoff et David Levi, ouvre le bal et donne le ton. Un ton d'abord plus retenu que fantaisiste avec Poulenc, Manuel Rosenthal ou Fauré. Ce dernier, Patricia Petibon le sent naturellement. Puis vient, sans crier gare, Satie et ses extravagances (« La Statue de bronze », « Daphénéo » ou son désopilant « Allons-y, Chochotte »). Des intermèdes purement instrumentaux auront rythmé le discours. La seconde partie s'ouvre par « On s'aimerait » de Léo Ferré, Petibon faisant duo avec Olivier Py, façon caf' conc', avec une belle efficacité : un morceau d'anthologie. Vont ensuite alterner des pages lyriques de Fauré ou de Francine Cockenpot (« Colchiques dans les prés ») et des scénettes au ton badin de Reynaldo Hahn (« Pholoé » et « A Chloris »), ou de Manuel Rosenthal, celui des Chansons de Monsieur Bleu, dont elle donne trois mini caricatures loufoques, « Fido, Fido », « L'Éléphant du Jardin des Plantes » et « Le Vieux chameau du Zoo », avec force déhanchement démonstratif. Car ces mélodies sans-gêne furent créées dans les années 1930 par Marie Dubas, illustre figure du music-hall. Elles ouvrent ici la voie à Fernandel et à ses deux pièces impayables, « C'est un dur » et « Le Tango corse » : le duo avec Py, où chacun en remet dans le genre grivois ou lascif, est délirant. Le programme s'achève par une incursion en territoire espagnol, avec « Granada » de Agustin Lara, plus ibérique que nature. Patricia Petibon mène gentiment, mais sûrement, les auditeurs par la main durant ce parcours inhabituel, aux associations osées. Elle prend des risques, mais les assume avec aplomb et grâce. Car Petibon donne tout, et va très loin dans l'expression, mais jamais ne frôle la faute de goût. Le chant est souverain avec un medium désormais plus développé qui confère au timbre un supplément de chaleur, sans parler de ces notes tenues sans vibrato qui n'appartiennent qu'à elle. Elle gratifiera le public conquis de deux bis, dont un « Jolie môme » de belle gouaille, entourée de ses compères musiciens, qu'elle fera justement un à un acclamer.   

 

On retrouve l'essentiel de ce programme, quoique dans un ordre différent, dans la CD que vient de publier le label Universal DG ( 479 2465 ).

 

 

Les musiciens de la Grande Guerre

 


Nicolas Stavy / DR

 

Dans le cadre de la saison musicale du Musée des Armées aux Invalides, en parallèle à l'exposition « Vu du Front Représenter la Grande Guerre » et avec le soutien du label discographique Hortus, était proposé un concert au programme aussi inédit qu'enrichissant. Inédit par son architecture, tour à tour récital et partie symphonique, comme par les compositeurs à l'affiche. Enrichissant, car permettant d'entendre des pièces presque jamais jouées. Le pianiste Nicolas Stavy donnait d'abord deux extraits du cycle Les Heures dolentes de Gabriel Dupont (1878-1914), composition décrivant les réflexions d'un malade alité observant la situation alentour. « Épigraphe », qui ouvre le cycle, décrit une atmosphère sombre, et « La mort rôde », la onzième, oppose deux thèmes, l'un violent et sombre, l'autre plus calme, rare moment de répit, encore que ce soit le premier qui l'emporte finalement. La Cathédrale blessée de la compositrice Mélanie Bonis (1858-1937) offre un pianisme agité, bardé de grands accords plaqués et répétés qu'entrecoupe une section médiane d'un calme relatif. L'écriture est magistrale, ce que Nicolas Stavy restitue avec tact. Le triptyque dramatique Les Croix de Bois d'Alex de Taye (1898-1952), inspiré du roman éponyme de Roland Dorgelès, se joue de manière enchaînée. La partie centrale « Bataille » explose littéralement comme s'il pleuvait des éclats d'obus : un passage d'une puissance rare auquel l'excellent Orchestre Symphonique de la Garde Républicaine, dirigé par Sébastien Billard, apporte tout son éclat. Débuté dans un calme précaire (« Veillée d'armes »), l'œuvre se termine dans un apaisement trompeur (« Morne plaine »). Edward Elgar a écrit Polonia, pour orchestre, en 1915, en hommage au sacrifice des soldats polonais, et dédia l'œuvre à Ignaz Paderewski. Requérant des forces immenses, elle sonne curieusement équivoque, à la fois hymnique et apaisée, sa partie centrale avec solo de violon apparaissant presque suave, ce qui ne laisse pas d'étonner dans un tel contexte. Diversions for piano and orchestra, op. 21, de Benjamin Britten est le fruit d'une commande du pianiste autrichien Paul Wittgenstein qui ayant perdu le bras droit durant la Première Guerre, avait demandé à plusieurs compositeurs d'écrire pour lui. Ravel composera ainsi son Concerto pour la main gauche, comme Prokofiev son Quatrième concerto pour piano. Paul Hindemith, Erich Korngold, Richard Strauss et Franz Schmidt en feront de même. La pièce (1940) est construite sur le schéma : thème (exposé par l'orchestre) et variations, au nombre de dix extrêmement contrastées. Si l'écriture orchestrale reste relativement sage, encore qu'annonçant les audaces à venir, la capacité virtuose pour la seule main gauche n'a rien à envier à Ravel en termes de vélocité. Britten déploie un arsenal de techniques pianistiques des plus ingénieuses, tout en préservant l'unité thématique. Les courts morceaux varient les climats : sarcastique (« Marche »), lyrique (« Nocturne »), ludique (« Badinerie »), voire humoristique (« Burlesque » dont le solo de saxophone parmi un étalage des vents est digne de Stravinski). L'œuvre culmine dans deux Toccatas successives, la première pour un vrai feu d'artifice de l'orchestre, la seconde en forme de cadence du piano, presque improvisée. Nicolas Stavy empoigne ce maelström sonore avec aplomb et triomphe de tous ses traits saisissants. L'orchestre lui peaufine le plus brillant des écrins. Une prouesse, qui vaudra au soliste une juste ovation. Il remerciera le public de la cathédrale Saint-Louis des Invalides par une longue pièce de Schumann.

 

 

Les Caprices de Marianne font salle comble à l'Opéra de Massy

 

Henri SAUGUET : Les Caprices de Marianne. Opéra-comique en deux actes. Livret de Jean-Pierre Grédy, d'après la pièce d'Alfred de Musset. Aurélie Fargues, Cyrille Dubois, Marc Scoffoni, Thomas Dear, Julie Robard-Gendre, Carl Ghazarossian, Xin Wang, Tiago Matos, Jean-Vincent Blot. Orchestre de l'Opéra de Massy, dir. Gwennolé Rufet. Mise en scène : Oriol Tomas.

 


© Alain Julien

 

Deuxième étape d'une vaste tournée qui, sur deux ans et dans 15 maisons d'Opéra à travers l'hexagone, va proclamer haut et fort le travail magistral accompli par le Centre Français de Promotion Lyrique, le spectacle des Caprices de Marianne s'est arrêté à l'Opéra de Massy devant une salle comble. Inspiré directement de la pièce d'Alfred de Musset, l'opéra-comique d'Henri Sauguet (1901-1989), créé au Festival d'Aix en 1954, était à peu près tombé dans l'oubli depuis lors, n'étaient un disque, en 1959, dirigé par Manuel Rosenthal avec Michel Sénéchal, Andrée Esposito et Camille Mauranne (chez Solstice), et des productions, plus récemment, à Dijon et à Compiègne. Il y a là pourtant bien des trésors à (re)découvrir. A commencer par une adaptation finement pensée de la comédie douce amère de Musset par un librettiste avisé : Jean-Pierre Grédy épouse à merveille l'ambivalence de la poétique de Musset, le jeu apparemment badin des sentiments amoureux, cruel en réalité, entre comique et tragique, fantaisie et émotion, et ce côté déconcertant oscillant entre rêve et réalité, lyrisme et réalisme. Chez quatre personnages, une femme et un triangle amoureux, le mari, l'amant, et l'ami de ce dernier désigné comme porte-voix, dont la belle finit par s'éprendre, sans écho de la part de celui-ci. Une musique fort inventive et attachante traduit ces volte faces, par un débit qui fuit les schémas convenus, au fil d'une suite ininterrompue de courtes scénettes incluant à l'occasion un petit air plus développé. De ses maîtres, Satie et Koechlin, Sauguet a retenu les leçons : faire simple, voire ascétique, et ne jamais renoncer au souci de garder le texte compréhensible. D'où une orchestration originale à la polytonalité raffinée, utilisant un panel de timbres extrêmement variés, à la rythmique complexe, emplie de trouvailles inattendues. Aussi la symphonie est-elle chatoyante dans sa franche diversité, jamais épaisse. Et le chant reste celui d'une conversation musicale, déclamation lyrique claire, de style arioso, toujours intelligible. On pense à la prosodie debussyste, dont Sauguet avait découvert la lumineuse beauté, à Pelléas et Mélisande bien sûr.

 


© Alain Julien

 

Tout cela, la production de l'OFPL l'intègre avec doigté. La mise en scène du  québécois Oriol Tomas est fluide et portraiture des personnages spontanés, sans jamais souligner, encore moins appuyer : un marivaudage qui tourne au jeu cruel et vire au drame, presque sans qu'on le sente venir. Le mari un brin sérieux, un peu raide aussi, obsédé par ces amants qui rôdent alentour, qui va user de l'appui d'hommes de l'ombre pour tailler en pièce un amant encombrant ; un jeune amoureux romantique, au spleen gros comme çà, dont l'authenticité vous fait fondre de compassion ; un ami fantasque, à l'abord clownesque, qui le masque tombant, endosse vite l'habit tragique  ; enfin une jolie femme esseulée, un peu détachée, qui peu à peu va se découvrir de vrais sentiments et se prêter au jeu de l'amour. Mais badine-t-on avec l'amour ? Ils côtoient une poignée de personnages burlesques qui plus que de jouer les utilités, les font se révéler en creux. La pièce s'inscrit dans une décoration sobre, celle d'une grande galerie napolitaine, lieu d'échanges mais aussi d'oppression, cette unité picturale étant agréablement colorée par des éclairages changeants, et agrémentée de quelques fumées fugaces émanant subtilement du Vésuve voisin. La petite troupe évolue avec aisance dans cette ambiance de frivolité sérieuse. On admire la parfaite diction de chacun. Une mention particulière au beau ténor clair de Cyrille Dubois, Coelio, prototype du jeune et sombre romantique, prêt à braver la mort par amour, et à Marc Scoffoni, Octave, qui dans le rôle ingrat de l'ami porte-flamme, précipite la chute d'Icare, et délaisse l'indécise Marianne. La direction avisée et fort attentive pour ses chanteurs de Gwennolé Rufet fait un sort enviable à cette partition délicieusement mélancolique, qui n'a rien perdu de son pouvoir d'attraction. Comme il en est de ces autres pochades opératiques bien françaises que sont L'Heure espagnole de Ravel, Les Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc ou les mini opéras de Germaine Tailleferre.      

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un américain à Paris : le souffle de Broadway

 

George & Ira GERSHWIN : Un Américain à Paris. Musical d'après le film éponyme de Vincente Minnelli (1951). Livret de Craig Lucas. Arrangements musicaux : Rob Fischer. Orchestration : Christopher Austin. Robert Fairchild, Leanne Cope, Brandon Uranowitz, Jill Paice, Max von Essen, Veanne Cox. Ensemble instrumental du Châtelet, dir. Brad Haak. Mise en scène et chorégraphie : Christopher Wheeldon.

 


© Angela Sterling

 

Parmi les nombreuses comédies musicales de George Gershwin on ne trouve pas trace de « Un américain à Paris ». Ce titre est celui d'une pièce pour orchestre de 1928 et aussi d'un film culte réalisé en 1951 par Vincente Minnelli, avec Gene Kelly, et Leslie Caron. Aussi était-il inédit d'adapter le film à la scène et ainsi d'imaginer le musical que l'auteur aurait pu écrire. Pari lancé par l'équipe du Châtelet en coproduction avec Broadway. Et nul doute gagné, en tout cas de ce côté-ci de l'Atlantique ! Un travail considérable a été fait pour recréer une trame accrocheuse, tout en se détachant du film. A commencer par la décision de la situer, non plus en 1949, mais au sortir même de la guerre. Ensuite et surtout, en concevant un spectacle qui mêle chansons et morceaux orchestraux, installant un florilège des grands tubes des frères Gershwin. Le choix s'est porté bien évidemment d'abord sur le poème symphonique An American in Paris. Mais ont aussi été retenus le Concerto pour piano en fa et la Seconde Rhapsodie pour piano et orchestre de 1931. Tous extraits symphoniques entrelardés d'un certains nombre de chansons telles que « I Got Rhytm », « 's Wonderful » ou « But Not For Me ». Le spectacle s'articule autour de l'histoire de la mystérieuse et séduisante française Lise Dassin, courtisée par trois hommes : l'américain Jerry, ex GI, le français de bonne famille Henri Baurel, mais aussi le compositeur Adam Hochberg. Ce dernier prend les traits de Gershwin lui-même composant un musical qui doit être donné au Théâtre du Châtelet à Paris... Car en fait ce qui réunit tout ce petit monde, c'est la création du nouveau show. On croise encore une riche américaine sur le retour, Milo Davenport, dotée de cette énergie débordante qui n'appartient qu'à cette caste. Elle va jouer les mécènes de l'entreprise qui voit Lise être la prima bellerina, Jerry le décorateur, et Adam l'auteur de la musique. On passe des rues d'un Paris fraichement libéré, aux Galeries Lafayettes, des quais de Seine au foyer de la danse du théâtre parisien. Pour corser l'intrigue, on a imaginé que Lise était juive, cachée durant l'Occupation, ce qui rend encore plus crédible l'attirance éprouvée par le musicien juif Adam pour la jeune fille. Dans cette atmosphère de liberté retrouvée, les personnages s'affranchissent des tabous et conventions des années de guerre, pour célébrer la joie reconquise, le retour à la vie, dans une débauche de rythmes de danses.

 


Robert Fairchid & Leanne Cope ©Angela Sterling

 

Le spectacle est huilé au millimètre près comme savent le concocter les américains dans leurs musicals, toujours habités du plus grand professionnalisme. Aucun temps mort, même si entre les numéros dansés, le cheminement de l'histoire exige des pauses d'explication parlées. Heureusement pas trop longues, elles sont habilement ménagées. Les courtes scènes se succèdent sans solution de continuité dans une décoration suggestive aux tons pastels, qui associe projections en fond de scène et accessoires rapidement installés, tels que colonnes Morris, bribes d'intérieurs bourgeois, jeux de miroirs. Cela va du figuratif à l'abstraction (comme une toile cubiste lors de la scène du Pas de deux opposant Lise et Jerry), de la revue de music hall balayée par des éclairages extravagants, au climat tamisé d'un cabaret parisien. L'entertainment laisse constamment sur le qui vive, en particulier dans les ensembles menés à train d'enfer et les duos à l'allure aérienne. Un souci d'esthétisme domine le spectacle, encore mis en exergue dans les costumes, et il s'en dégage une impression de légèreté, celle d'une chorégraphie où cohabitent avec bonheur plusieurs styles, classique et moderne. C'est que tous les protagonistes se dépensent sans compter. On a confié les deux rôles principaux à des danseurs chevronnés, gage d'aisance et de fluidité. Car tant Robert Fairchid, premier danseur du New York City Ballet, athlétique et romantique à souhait, que Lanne Cope, danseuse étoile au Royal Ballet de Londres, joli cœur à saisir et d'une impressionnante présence, font plus qu'assurer le show : ils chantent comme ils dansent ! L'Adam de Brando Uranowitz est fort sympathique, mélange de fonceur et de timide, en butte aux incertitudes de la création, et la Milo de Jill Paice est plus vraie que nature dans le genre « j'ai encore quelques atours, j'ai de l'argent pour faire le bonheur des jeunes ». Musicalement, la soirée offre les sonorités bariolées de la musique combien attachante de Gershwin, grâce à un orchestre peu nombreux rehaussé de piano, percussions et d'une once d'accordéon et de claquettes. On savoure un mélange de musique noire américaine, de jazz et de musique savante européenne, de thèmes mémorables et de rythmes endiablés, subtile alliance entre « french touch » et « american tunes ». Et une orchestration habile, même si insistant un peu trop sur la répétition de thèmes connus.

 

 

Et l'on découvrit Christophe Colomb...

 

Félicien DAVID : Christophe Colomb ou la découverte du nouveau monde. Ode-symphonie en quatre parties. Poème de Méry, Chaubet et Sylvain Saint-Étienne. Chantal Santon-Jeffery, Julien Behr, Josef Wagner. Jean-Marie Winling, récitant. Chœur de la Radio Flamande. Les Siècles, dir. François-Xavier Roth.

 


François-Xavier Roth & Les Siècles  / DR

 

Félicien David (1810-1876) sort peu à peu de l'ombre, grâce à la perspicacité de la Fondation Bru Zane Centre de musique romantique française. Après des exécutions de concert de son Ode-symphonie Le Désert et de ses opéras Herculanum, et Le Saphir, voici qu'est présenté Christophe Colomb ou la découverte du nouveau monde, dans le superbe écrin de l'Opéra Royal du château de Versailles. Écrite en 1847, l'œuvre marque l'aboutissement chez le musicien du genre de l'Ode-symphonie, mêlant oratorio et mélodrame. Le récitant y occupe en effet un rôle déterminant, plus qu'un simple narrateur, mais intervenant pour commenter l'action à des moments clés et renforcer l'aspect descriptif de l'environnement. Ses quatre parties composent  une succession de tableaux indépendants : « Le départ » marque l'adieu et la prière, « La nuit des tropiques », les mystères de la mer, « La révolte », les affres du découragement de marins s'enfonçant dans la mutinerie, enfin « Le nouveau monde » l'arrivée en rive féconde, destination tant attendue. L'œuvre s'inscrit aussi dans l'héritage du mouvement Saint Simonien dont Félicien David fut le compositeur officiel en 1831, avant que celui-ci ne soit dissout l'année suivante. Au confluent des idéaux de philanthropie, de fraternité et d'universalisme, la composante religieuse n'est pas absente : le départ pour les Amériques, c'est l'idée d'évangélisation prônée par le Père Barthélémy Prosper Enfantin, dont Colomb est le porte parole et les marins ses disciples. La pièce décrit ainsi le voyage et les épreuves initiatiques auxquelles ils sont soumis, et au-delà de l'idée de conquête, celle de la rencontre avec les indigènes. Elle s'achève d'ailleurs dans une harangue du héros, dont la portée humaniste est en avance sur son temps : « Respectons tous leurs droits, rendons leurs jours prospères, et n'oublions pas qu'ils sont aussi nos frères ». L'écriture orchestrale est raffinée, convoquant un effectif fort vaste et un instrumentum original, avec cuivres renforcés, ophicléide et brelan de percussions dont se détachent la grosse caisse et le tambour de basque. La partie vocale exige un chœur mixte et trois solistes. Plusieurs pages font montre de trouvailles ingénieuses incluant en particulier la donnée fantastique chère au XIX ème siècle. Comme la deuxième section dont le prélude décrit le calme presque hypnotique de la mer, moment de pure contemplation, voire d'extase romantique. Ou la « Chanson du mousse », belle rêverie du ténor, qui n'est pas sans anticiper l'air du jeune marin phrygien Hylas, au dernier acte des Troyens de Berlioz. La tempête qui surgit, déchaine les éléments dans la meilleure veine des cataclysmes baroques, par un orchestre fortissimo ponctué de coups secs de grosse caisse. L'introduction de la troisième partie décrit le calme quelque peu effrayant d'une mer d'huile sous un ciel dardant de tous ses feux, «  Grand désert de saphir qu'aucun souffle ne ride », et installant parmi les matelots un sentiment de perte d'espoir et de désolation. Ce lourd climat va en précipiter la révolte, savamment reprise en main par Colomb. La dernière partie couvre en fait plusieurs épisodes : un prélude symphonique très élaboré décrit la découverte de la terre nouvelle, suivi d'une danse des sauvages animée, qui offre par anticipation la vision naïve des indigènes telle que les arrivants vont l'éprouver. François-Xavier Roth, infatigable découvreur de musiques méconnues, insuffle à cette fresque épique une vie de tous les instants et les Siècles déploient des sonorités riches et diaprées. Le Chœur de la Radio Flamande et les solistes enrichissent cette exécution de leurs talents, dont le ténor Julien Behr et la baryton Josef Wagner. Une enrichissante expérience !

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

La Clémence de Titus au Théâtre des Champs-Elysées : Une première bien classique.

 

Wolfgang Amadé MOZART : La Clemenza di Tito. Opera seria en deux actes. Livret de Caterino Mazzola d'après Pietro Metastasio. Kurt Streit, Karina Gauvin, Julie Fuchs, Kate Lindsey, Jule Boulianne, Robert Gleadow. Ensemeble vocal Aedes. Le Cercle de l'Harmonie, dir. Jérémie Rohrer. Mise en scène : Denis Podalydès.

 

© Vincent Pontet

 

Pour cette première production en version scénique de La Clémence de Titus, depuis l'ouverture du TCE en 1913, Michel Franck avait bien fait les choses, confiant la direction musicale à son complice habituel, mozartien reconnu, Jérémie Rohrer et la mise en scène au comédien, metteur en scène, sociétaire de la Comédie Française, Denis Poladylès, tous deux associés à une distribution vocale de tout premier ordre. La mauvaise réputation de cet opéra de Mozart, composé l'année de sa mort en 1791, explique sans doute ce long silence de plus d'un siècle. Un opéra, qualifié par l'impératrice Marie Louise, sœur de Leopold II, de « grosse cochonnerie allemande » qui aurait été écrit d'après la légende en quelques jours par un compositeur pressé, travaillant parallèlement sur la Flûte enchantée. Un opéra pâtissant d'une intrigue assez pauvre et d'une césure qui va croissante entre la noblesse voulue du propos émanant des Lumières et la faiblesse de la dramaturgie, mettant à jour la mollesse du personnage  principal, Titus, dont on a l'impression que la clémence résulte plus de la fuite en avant que d'une attitude résolue politique ou spirituelle. Et pourtant, il semble bien que Mozart dans cette œuvre ait voulu laisser un message qui lui tenait à cœur puisque s'inscrivant dans un testament maçonnique en trois points : Devoirs envers soi (La Clémence de Titus), envers l'humanité (La Flûte enchantée), envers Dieu (Requiem). Peut-être moins évidente que dans la Flûte enchantée, la trame maçonnique est cependant incontestable valorisant le pardon, la tolérance et la sérénité face à la mort. Dès l'ouverture les trois roulements en témoignent, comme l'utilisation du cor de basset et de la clarinette, instruments fétiches des Colonnes d'Harmonie. Il semble également que la commande de la Clémence de Titus ait été favorisée par différents membres de la Loge « Vérité et Unité aux trois colonnes couronnées » que Mozart fréquentait à Prague, ville où eut lieu la création le 6 septembre 1791.

 


© Vincent Pontet

 

Denis Poladylès a choisi de faire commencer l'action à partir de la scène des Adieux de la Bérénice de Racine :

 

« Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus.

Adieu, Seigneur, régnez, je ne vous verrai plus. »

 

Idée pertinente, vers admirables déclamés dans le silence et la pénombre, précédant les premières notes de l'ouverture. Un fantôme de Bérénice qui hantera sans cesse l'esprit de Titus, lui rappelant le sacrifice d'un amour à la raison d'état et les nécessités du devoir de monarque, une apparition que Denis Poladylès fera déambuler régulièrement sur le plateau, aperçue du seul Titus, comme un souvenir qui vous hante, comme un regret, peut-être un remord.

 


© Vincent Pontet

 

L'action romaine est ici transposée dans un hôtel cossu des années trente où semble réuni tout le gouvernement exilé de Titus. Les décors en bois sombre  d'Eric Ruf ajoutent à cette atmosphère confinée. Une mise en scène finalement assez sage, peu dérangeante, sobre, mais sans génie, se limitant à un jeu d'acteurs, qui ne délivre pas de message nouveau, ni d'éclairage particulier, qui se contente de suivre l'action comme si son auteur, dont on connait pourtant l'acuité de la vision théâtrale, était constamment comme empêché par la musique, par l'atmosphère particulière de l'opéra. Une certaine réserve déjà remarquée lors de ses prestations précédentes sur cette même scène. Au plan musical en revanche, pas de réserves. Jérémie Rohrer dirigeant son Cercle de l'Harmonie assume avec brio sa réputation de chef mozartien. Le discours est fluide, la lecture dynamique, mais on regrettera que les instruments anciens, notamment les vents (cor de basset et clarinette), n'aient pas le brio nécessaire pour l'accompagnement concertant des célèbres airs de Sesto et Vitellia avec clarinette ou cor de basset obligés. Quant à la distribution vocale, si l'on excepte le Titus vieillissant de Kurt Streit, elle parait globalement homogène dans sa qualité, dominée par le beau Sextus de Kate Lindsey, androgyne  au timbre un peu métallique. Karina Gauvin campe une Vitellia de belle facture assumant crânement les difficultés de sa partition s'étendant du sol grave au contre-ré. Julie Boulianne (Annius) et Julie Fuchs (Servilia) sont également très convaincantes vocalement et scéniquement, tout comme Robert Gleadow, parfait dans le rôle de Publius. Bref, une belle production, très attendue, classique dans sa facture, qui  a su répondre à nos attentes, surtout par sa qualité musicale superlative qui lui valut l'ovation sans réserves de la salle.

 

 

Nul n'est prophète en son pays !

 


© Su Rosner

 

Stéphane Denève fait indiscutablement partie de ces musiciens français mal aimés dans leur pays, peu présents sur les scènes françaises, alors que leur intelligence et leur talent sont unanimement reconnus ailleurs ! Actuellement directeur musical de l'Orchestre de la Radio de Stuttgart, premier chef invité du Philadelphia Orchestra, dirigeant régulièrement les phalanges mondiales les plus prestigieuses, Stéphane Denève semble un peu boudé par les organisateurs de concerts parisiens. C'est dire si son passage à Paris, à la tête du « National », dans le nouveau Grand Auditorium de la Maison de la Radio, avait valeur d'évènement. Un public nombreux, probablement plus curieux de la nouvelle salle que mélomane averti, attiré par le superbe programme proposé ce soir. La Symphonie n° 5 dite « Réformation » de Felix Mendelssohn (1809-1847), créée à Berlin en 1832, mal aimée du compositeur, où les successeurs de Mendelssohn firent de nombreux emprunts comme Wagner, Bruckner ou Mahler. Une composition se concluant sur le Choral luthérien « Ein feste Burg ist unser Gott », déjà utilisé par J.S. Bach un siècle auparavant, un finale qui couronne avec éclat cet hymne instrumental à la gloire de la Réforme. Stéphane Denève en donna une narration solennelle, claire et pleine d'allant qui fit valoir l'orchestration riche et les très belles sonorités du « National » au mieux de sa forme, lequel trouvait là, dans cette superbe salle, un écrin à la hauteur de ses ambitions. Une deuxième partie de concert consacrée à la musique française avec le Concerto pour deux pianos (1932) de Francis Poulenc que Frank Bradley et Eric Le Sage interprétèrent de manière fusionnelle et aboutie rendant à cette œuvre toute sa poésie, sa pétulance et son humour ; du « pur Poulenc» donc, comme aimait à le souligner le compositeur. Pour conclure, la Symphonie n° 3 (1930) d'Albert Roussel, probablement la plus réussie de ses quatre symphonies, un des jalons essentiels de la musique française du XXe siècle, à la fois dynamique et sereine, une musique pure affranchie de tout pittoresque et de toute velléité descriptive, où l'art du phrasé, l'intelligence de direction et la complicité de Stéphane Denève avec les musiciens firent encore une fois merveille. Une très belle soirée où devant les applaudissements soutenus du public et des musiciens, Stéphane Denève exprima avec pudeur et émotion, tout le plaisir qu'il éprouvait à se trouver là, sur cette scène, avec ce bel orchestre….Une déclaration comme une prière…Puisse-t-elle être entendue ! En attendant, revenez quand vous voudrez Monsieur Denève !

 

 

Le succès d'Adrien Perruchon

 


DR

 

Les viroses hivernales auront fait le malheur des uns, mais le bonheur des autres… Lionel Bringuier, puis Mikko Franck ayant déclaré forfait pour cause de maladie, c'est en définitive au percussionniste, timbalier solo de l'orchestre, Adrien Perruchon qu'échut la baguette pour ce concert associant Brahms et Dvořák, dans le nouvel auditorium de la Maison de la Radio. Un début de carrière impromptu pour ce jeune chef en formation, sous la haute surveillance de Mathieu Gallet, président de Radio France, devant une salle pleine comme un œuf, le concert faisant l'objet d'une retransmission en direct…. Voilà pour le contexte ! C'est parfois comme cela que commencent les grandes aventures ! On ne s'attardera pas plus avant sur le Concerto pour piano et orchestre n° 2 de Brahms dont l'interprétation du pianiste François-Frédéric Guy ne restera pas dans les mémoires. Un soliste un peu fantasque difficile à suivre qui mit  souvent le jeune chef en difficulté, des décalages nombreux, des attaques floues, un piano dur, un discours haché qui entacha gravement l'exécution de cette symphonie concertante. Un début de concert assez calamiteux dont la responsabilité est directement imputable au pianiste comme la suite le prouvera ! Car c'est bien lors de la deuxième partie de concert consacrée à la Symphonie n° 8 d'Anton Dvořák que le jeune Adrien Perruchon prit son envol… Libéré, soutenu par une complicité inaltérable de ses condisciples du « Philhar », le jeune chef nous en livra une lecture d'une belle maturité, parfaitement en place, dynamique faisant magnifiquement sonner tous les pupitres et notamment les vents particulièrement sollicités dans cette œuvre, conçue comme un hymne à la Nature. Une composition qui enthousiasma le public par sa richesse mélodique, ses aspects dansants, une partition qui semble s'éloigner de Brahms pour regarder du coté de Tchaïkovski. Une soirée au début hésitant et incertain qui se conclut sur le  triomphe d'Adrien Perruchon. Ovation de la salle et de l'orchestre saluant talent et courage. Bravo Monsieur Perruchon! A suivre…

 

Patrice Imbaud.

 

Back to Bach au Musée d'Orsay

 


Maurizio Baglini © Grazia Lissi

 

Immense virtuose du piano en même temps que compositeur Ferrucio Busoni avait une passion débordante pour JS. Bach auquel il aimait s'identifier. Dans ce concert que nous offre le magnifique pianiste Maurizio Baglini, on peut s'imaginer, à travers les œuvres jouées, l'éventail des interventions de Busoni dans les œuvres de Bach. Avec les œuvres pour orgue, l'enjeu consiste avec un seul clavier à faire entendre une pièce pour deux claviers ! La fameuse Toccata en ré mineur BWV 565, dans sa transcription pour piano de 1920, est traitée comme une grande œuvre de concert exigeant une technique de haut vol et de larges mains. Baglini s'en joua des difficultés avec panache. On n'oublie le violon dans la transcription de la Partita BWV 1004, effectuée par Busoni en 1897, et on est plus près d'une œuvre pour clavier. A l'écoute, on peut se demander si ce ne sont pas des œuvres de Busoni que l'on entend plutôt que des œuvres de Bach. C'est une pièce originale que nous offre le pianiste en interprétant avec fougue la Sonatina super Carmen, composée par Ferrucio Busoni en 1920. Ici point de transcription mais plutôt une paraphrase comme savait le faire Liszt. C'est d'ailleurs une paraphrase de la fameuse « Campanella » de Paganini, par Liszt, que Maurizio Baglini a joué en bis ainsi que très belle sonate de Scarlatti. Mais tant de brio, de technicité ahurissante nous entraînèrent dans un maelström sonore où la sensibilité de Maurizio Baglini, qui est un pianiste époustouflant dans ce répertoire, n'avait pas droit de cité. Seule l'interprétation de la sonate nous a fait entendre un artiste sensible. Reste que le programme était intelligent et tout à fait dans l'axe du programme fixé par Orsay. Bach/Busoni is Back !

 

 

Alain Laloum, entre Bach et Schumann

 


Alain Laloum © Carole Bellaiche

 

 

Ce jeune pianiste de 27 ans a déjà une belle carrière  derrière lui. Entre récital et concerto, son répertoire est assez large. Beethoven, Brahms, Mozart, Schumann sont les compositeurs qu'il interpréta et interprétera en 2014 et 2015. Pourquoi avoir associé Bach et Schumann dans cette série de concert « Back to Bach » ? Parce que pour Schumann Bach était « son pain quotidien ». Chacune de ses compositions porte de manière plus ou moins affirmée la marque du Cantor. Donc c'est avec Bach et la Partita n°6 BWV 830 qu'Adam Laloum commença son récital dans l'auditorium du Musée d'Orsay. Les Partitas pour clavier, au nombre de six, occupent une place importante dans l'œuvre pour clavecin de JS. Bach, non seulement parce qu'il s'agit de l'opus I mais aussi parce que ce recueil est le fondement de l'édifice de la « Clavier Übung » qui constitue, avec le « Clavier bien Tempéré » et « l'Art de la Fugue », la synthèse de l'œuvre pour clavecin de Bach. L'ordre des tonalités des Partitas n'a pas été choisi au hasard. Il apparaît que chaque Partita s'éloigne de la précédente, par intervalle croissant, tantôt de façon ascendante, tantôt de façon descendante. L'ordre, comme souvent chez Bach, a été savamment pensé. Ainsi la première étant en si bémol majeur, la sixième sera en mi mineur ! Ces partitas se composent de mouvements traditionnels de la suite pour clavier qu'on trouve au XVIIème siècle : Allemande, Courante, Sarabande, Gigue. Chacune possède un Prélude ainsi que « d'autres galanteries ». La sixième commence par une Toccata, une pièce dans le style fantasticus. Ces pièces « galantes » ne cachent pas la complexité polyphonique qui atteint son point culminant dans la gigue fuguée. Les Partitas sont une démonstration de la virtuosité de Bach au clavier. D'après le biographe Forkel, les Partitas ont fait grand bruit dans le monde musical car on n'avait rarement entendu d'aussi excellentes compositions pour le clavecin. La problématique aujourd'hui est de savoir comment jouer Bach au piano et de plus sur un Steinway Grand, l'instrument qui a réussi aujourd'hui à normer le son des claviers internationaux. Comment faire sonner sur un piano cette musique écrite pour le clavecin et qui est si souvent interprétée magnifiquement par des clavecinistes. La discussion est toujours ouverte. Musique intemporelle, elle peut être jouée sur un piano parce que cet instrument est plus moderne diront certains. Alors pourquoi refuser les synthés et autres instruments électroniques à clavier ? La querelle est sans fin. L'interprétation est, dirons-nous, question de mode. Glenn Gould a ouvert la voie. Commercialement il a réussi à devenir une sorte de référence, mais qui aujourd'hui est souvent battue en brèche. Alors quand on a 27 ans et qu'on se trouve face à un tel monument comment fait-on ? On se lance et on verra bien. Ce qu'on peut dire de l'interprétation d'Adam Laloum c'est que son jeu était propre : il a joué les notes avec toute la dextérité qu'ont tous les jeunes pianistes actuels. Tout cela sonnait juste, impeccable, souvent avec trop de pédale, le péché mignon de toute une génération. Il faut que ça sonne, pour paraphraser Boris Vian. Gould est passé par là. A vrai dire, à l'écoute de cette Partita on s'ennuyait un peu. Il faut peut-être vieillir pour jouer cette œuvre ? La concurrence est rude dans les interprétations de cette pièce importante pour clavier. Ce répertoire n'est pas dans sa sensibilité actuellement. Mais avec Schumann Laloum a montré toute la palette de son talent. Cette œuvre brillante que sont les « Études Symphoniques » op.13, permet une interprétation très colorée, très expressive qui mêle rêverie, mélancolie et fougue. Elle commence avec un thème en do dièse mineur puis suivent onze variations sur un thème appelé « études », chacune faisant appel à des difficultés techniques complexes. Le finale est un « allegro brillante », une sorte de feu d'artifice pianistique. C'est une œuvre dont raffolent les pianistes. Adam Laloum a réussi à exprimer toute la poésie et l'expressivité que requiert cette œuvre et qui exige une grande dextérité. Il était avec Schumann dans son élément ce matin-là à Orsay. Un jeune artiste à suivre et à écouter grandement.

 

 

Le Bach de Café Zimmermann

 


DR

 

L'ensemble Café Zimmermann réunit des solistes de haut niveau s'attachant à faire revivre l'émulation artistique portée par l'établissement de Gottfried Zimmermann dans le Leipzig du XVIIIème siècle. Le projet est né en 1999 sous l'impulsion de la claveciniste Céline Frisch et du violoniste Pablo Valetti. Le concert était placé sous la splendeur des voix, la beauté de l'interprétation de cantates de JS Bach où Emmanuel Laporte au hautbois et Hannes Rux à la trompette ont apporté leur soutien talentueux. La soprano Sophie Karthaüser se jouait des difficultés à chanter la Cantate BWV 51 si célèbre avec ce magnifique Choral « Sei Lob und Preis mit ». La BWV 82 pour basse était de toute beauté grâce au timbre chaleureux de Christian Immler.  Le concert se termina avec la Cantate BWV 32 où les deux chanteurs nous ont une deuxième fois séduit. On peut retrouver cet excellent ensemble chaleureusement conseillé les 3 et 10 février prochains à 12h30 dans un programme Mozart et Bach, toujours à l'Auditorium du musée d'Orsay où la programmation est d'un haut niveau.

 

Stéphane Loison.

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L'EDITION MUSICALE

Haut

 

FORMATION MUSICALE

 

Salvatore GIOVENI : Précis d'harmonie tonale.  Delatour : DLT2450.

Il faudrait bien plus que quelques lignes pour dire tout le bien qu'on peut penser de cet ouvrage. Outre que la présentation en rend la lecture et l'étude fort agréables, le contenu répond pleinement à ce qu'on peut attendre d'un tel traité : une visée d'abord musicale de l'harmonie… Les exemples sont extrêmement bien choisis, bien expliqués et compréhensibles immédiatement, la progression à la fois logique et historique, bref, nous ne pouvons que conseiller à chacun d'utiliser ce volume et de s'en pénétrer sans modération. C'est un régal !

 

 

 

OPERA / FORMATION MUSICALE

 

Claire VAZART : Le Tour du Monde en 80 jours. Opéra pour 3 voix égales ou 3 voix mixtes. Livret adapté du roman de Jules Verne. Delatour : DLT2166.

Que voilà une réalisation passionnante ! D'une durée d'une heure environ et entièrement chantée, l'œuvre est constituée de 19 numéros de 1'30 à 7' comportant une ouverture, un intermède et 17 parties chantées (la première et la dernière étant identiques).

Destinée à des Classes à Horaires Aménagés Musique de collège ou à des chorales d'Ecoles de Musique, il est composé :

- d'un chœur à 1, 2, ou 3 voix intervenant dans chaque numéro à la façon d'un chœur antique (narrateur, commentateur, foule)

- de 13 parties solistes qui interviennent sur 1 ou 2 scènes afin qu'un nombre important d'enfants ait un moment de mise en valeur et de responsabilité individuelle.

- de 4 parties solistes plus importantes éventuellement destinées aux élèves chanteurs ou comédiens.

- L'intermède peut facilement être joué par un élève de cycle II, piano solo.

- Certains numéros, pour chœur uniquement, peuvent être exécutés seuls dans un autre contexte que celui de l'opéra.

On voit l'ambition du projet. Le langage est tonal ou modal, tenant compte des différents pays traversés et de l'ambiance XIX° siècle que l'auteur a voulu très explicitement préserver également dans le texte. En plus de l'intérêt musical et pédagogique évident, cette œuvre permettra peut-être de redonner le goût d'une certaine littérature pour la jeunesse qui n'avait rien d'enfantine.

 

 

 

CHANT

 

Anthony GIRARD : Paysages de l'âme  sur des poèmes de Heather Dohollau. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0745-5.

Il y a une concordance parfaite entre la musique poétique d'Anthony Girard et la poésie si musicale de Heather Dohollau, cette poétesse anglaise qui s'est si bien approprié la langue française la plus poétique. On ne manquera pas de savourer ces cinq délicats paysages brossés par l'auteur dans son langage si personnel. C'est une très belle œuvre !

 

 

 

CHANT CHORAL

 

Graham BUCKLAND : 33 spirituals for upper voices. Accompagnement de piano.Bärenreiter : BA 7572.

Tous les plus célèbres « spirituals », de Go down Moses à O happy day en passant par Johua, Little David et tous les autres, figurent dans ce recueil destiné aux chœurs de femmes avec ou non une soliste. Ils peuvent être utilisés à l'unisson avec accompagnement de piano et conviennent également aux chœurs d'enfants. Ils sont sans grande difficulté, mais tout résidera dans le style de l'interprétation… Ces spirituals sont en tout cas remarquablement harmonisés, avec une simplicité qui est tout le contraire de pauvreté.

 

 

 

ORGUE et PIANO

 

Frédéric LEDROIT : Oppositions  op.48 pour piano et orgue. Delatour : DLT2141.

Exploitant à l'extrême les possibilités de puissance et de timbres des deux instruments, l'auteur les oppose dans un duel qui les pousse aux limites de leurs possibilités. Trois mouvements dans ces oppositions : « Fusion », « Volcanique » et « Cristal ». Inutile de dire que les interprètes doivent, eux aussi se donner à fond et que ni le piano ni l'orgue ne peuvent être de petite dimension !

 

 

PIANO

 

Davide PERRONE : Improvisation pour piano. Assez difficile. Delatour : DLT2368.

Voici une très jolie pièce pleine de poésie. Après une première partie tout en arpèges soutenant un chant très lyrique dans un « tempo rubato », une deuxième partie plus rythmique aux accents sud-américains anime le discours. La troisième partie revient au premier thème et à ses arpèges en amplifiant encore le propos. Il y a donc beaucoup de facettes diverses dans cette pièce colorée.

 

 

 

Henri-Jean SCHUBNEL : Première  Sonate opus 10 pour piano. Delatour : DLT2446.

Les éditions Delatour publient en même temps les trois sonates pour piano de ce compositeur, élève de Tony Aubin à qui cette première sonate est dédiée. Datée de 1965, cette oeuvre est en quatre mouvements, le mouvement lent étant le troisième. L'écriture, sans concession, est à la fois lyrique et contrastée. Souhaitons que les pianistes s'emparent de ces trois œuvres pour nous les faire découvrir en concert.

 

 

 

Henri-Jean SCHUBNEL : Deuxième Sonate opus 20 pour piano. Delatour : DLT2447.

C'est en 1999 que l'auteur écrit, plus de trente ans après la, première, cette deuxième sonate. Le premier mouvement bien que « Modéré », déroule un discours en doubles croches qui soutient un thème récurrent. Le deuxième mouvement est constitué par un choral qui encadre deux variations. Le Final allegro met en valeur un thème rythmique et interrogateur développé tout au long du mouvement sous des formes diverses, le tout se terminant par une sorte de feu d'artifice fortissimo.

 

 

 

Henri-Jean SCHUBNEL : Troisième Sonate opus 30 pour piano. Delatour : DLT2448.

Ce compositeur, à la fois grand scientifique et grand musicien, organiste, élève de Tony Aubin, nous offre ici, quatre ans seulement après la deuxième, sa troisième sonate pour piano. Elle comporte trois mouvements. Le premier est un moderato expressivo, plein de contraste, à la fois lyrique et passionné. Le deuxième est une Cantilène qui fait penser à certains thèmes de Ravel. Quant au troisième mouvement, un allegro marcato, il déroule des aspects très variés et se termine par un Allegro Appassionato aussi fougueux que passionné. C'est une belle œuvre à découvrir, mais qui demande un excellent niveau d'instrument. A quand un récital regroupant ces trois sonates ?

 

 

 

Gilles MARTIN : 10 petits amusements  pour piano. Fin de premier cycle. Sempre più : SP0136.

On aurait pu appeler cela : « 10 petites études », mais le titre n'a pas bonne presse… Et pourtant, il n'y a pas que celles de Chopin qui sont de la vraie musique ! Gilles Martin nous en donne ici la preuve avec ces pièces explorant sans en avoir l'air et, précisément, comme s'en amusant, les différentes difficultés et les différents styles de la musique de clavier. Ce sont des pièces d'audition ou de concours, certes, mais elles sont d'abord de la musique, tout simplement.

 

 

 

Gilles MARTIN : 10 amusements  pour piano. Fin de second cycle. Sempre più : SP0137.

Après les « petits » amusements, voici les amusements tout court ! On pourra se reporter à la recension ci-dessus qui est tout à fait valable pour ce recueil. On y trouvera autant de variété et de musique que dans le précédent. Souhaitons-lui donc beaucoup de succès !

 

 

 

Alexandre DESPLAT : Argo. Extraits de la bande originale du film. Alfred : 40966.

Très fidèles à l'original, et en même temps d'une grande simplicité, ces trois extraits de la musique du film Argo devraient plaire aux pianistes qui ont vu le film.

 

 

 

Edgar KNECHT : Dance on deep waters. Bärenreiter : BA 8772.

 

Voilà une œuvre tout à fait intéressante. Certes, la partition est explicitement pour piano, mais à la fois par les indications portées sur la partition (chiffrage détaillé des accords) et par l'écoute des enregistrements disponibles (deux vidéos sur YouTube en lien avec l'éditeur, et l'ensemble de l'album sur Deezer), on se rend vite compte qu'elle gagnera à être enrichie par un petit ensemble de jazz. Car c'est bien de vrai jazz qu'il s'agit, très attachant, très prenant. On ne peut qu'être séduit par ces pages très poétiques mais dont l'apparente simplicité demande cependant un « métier » et une sensibilité d'interprètes ayant une longue fréquentation de ce style de musique. Mais après tout, ce peut très légitimement être l'occasion de commencer ! Bien sûr, les interprètes allemands y reconnaissent des thèmes familiers, mais cette culture n'est pas indispensable pour goûter ces ballades délicatement jazz.

 

 

 

Ludwig van BEETHOVEN : Concerto n° 4 en sol majeur pour piano et orchestre op. 58. Bärenreiter : Conducteur : BA 9024, Réduction pour piano (deux pianos) : BA 9024-90.

Les éditions Bärenreiter continuent de publier l'intégrale des concertos pour piano de Beethoven. On retrouve dans ce quatrième concerto toutes les qualités que nous avions signalées pour les trois premiers : intérêt de la préface de Jonathan Del Mar qui réalise cette édition, et de la réduction pour piano de Martin Schelhaas. Il s'agit d'une future intégrale en tous points remarquable.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Sophie LACAZE : Variations sur quatre haïkus  pour violoncelle. Moyen avancé. Delatour : DLT2408.

Composées en 2009 pour Florian Lauridon, ces quatre petites pièces furent créées en 2010 au cours d'un concert de l'Itinéraire. Il s'agit de quatre haïkus de Buson, le grand poète japonais du XVIII° siècle Pluie de printemps… », « Après avoir contemplé la lune... », « Ondulante serpentante… » et « Au milieu de la plaine... ». L'écriture, contemporaine, traduis les ambiances de ces quatre poèmes.

 

 

 

Charles-Marie WIDOR : Moderato cantabile  extrait de la 6ème symphonie pour orgue. Transcription pour violoncelle et orgue de Jean-Paul IMBERT. Delatour : DLT2326.

 Le transcripteur, lui-même organiste, est donc orfèvre en la matière. On pourra craindre simplement que le violoncelliste n'interprète de façon trop romantique ce thème qui parcours l'œuvre et ne donne quelques malencontreux « coups de boîte » (expressive, bien entendu !) Mais faisons confiance aux interprètes. Après tout, pourquoi pas ?

 

 

FLÛTE TRAVERSIERE

 

Pascal PROUST : Piccolo divertimento  pour piccolo et piano. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0140.

Ce petit divertissement comporte trois petites pièces : I – Classico, II – Romantico, III – Giocoso. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces pièces pleines de fraicheur n'engendrent pas la mélancolie. Ne boudons pas notre plaisir, qui devrait être celui des jeunes interprètes.

 

 

 

Leonello CAPODAGLIO : Élégie  pour flûte et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0127.

Comme celle de Fauré, si elle commence de façon… élégiaque, cette pièce s'anime en son milieu et termine même de façon « épique ». C'est dire combien son lyrisme possède de multiples facettes. Elle met donc en valeur aussi bien les capacités musicales que techniques des interprètes, car le pianiste n'est pas en reste pour les difficultés et constitue un véritable partenaire.

 

 

Max MÉREAUX : Madrigal  pour flûte seule. 3ème cycle. Sempre più : SP0103.

Il y a beaucoup de poésie et de charme dans cette pièce où le flûtiste devra faire oublier la difficulté technique pour en exprimer toute la substance musicale, tout le lyrisme, en un mot toute la beauté.

 

 

 

Francis COITEUX : Petit clown  pour flûte ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2891.

On trouvera bien du plaisir à découvrir ce petit clown sautillant, virevoltant puis un peu mélancolique dans un « cantabile » débouchant sur une cadence qui ramène aux pirouettes du début. Les interprètes devraient y trouver beaucoup de plaisir. Signalons que l'éditeur regroupe maintenant toutes ses productions pour instrument et piano dans une rubrique « musique de chambre » pour indiquer qu'il s'agit bien de partitions écrites pour deux élèves.

 

 

Alain FLAMME : Babyl One  pour flûte en ut et piano. Supérieur. Lafitan : P.L.2886.

Nous n'épiloguerons pas sur les différentes interprétations dont ce titre est susceptible. Le compositeur et flûtiste belge nous offre ici une œuvre peine de lyrisme et de dynamisme. Après une longue introduction mettant en valeur l'aspect poétique de la flûte, un allegro sautillant et charmeur donne une vie intense avant que ne revienne une fin poétique dans l'esprit du début de l'œuvre. Le pianiste est un acteur à part entière de l'œuvre et sa partition, fort intéressante, est à la hauteur des difficultés rencontrées par son partenaire…

 

 

 

CLARINETTE

 

Marc-Antoine DELATTRE : Chante et danse  pour clarinette et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2941.

Le titre est un reflet fidèle du contenu de cette pièce qui d'un « andante espressivo » à un « allegro moderato » plus dansant revient à la fin au « tempo primo », qui se termine sur un feu d'artifice de deux mesures. Le langage, classique, a beaucoup de charme et de finesse.

 

 

Sylvain KASSAP : Silver eye  pour ensemble de clarinettes. Commande de la communauté d'aglomération Argenteuil-Bezons. Dhalmann : FD0463.

Saluons cette œuvre, née d'une résidence du musicien et compositeur Sylvain Kassap, œuvre qui permet à un ensemble de clarinettes de niveaux distincts, allant du premier au troisième cycle, d'interpréter une œuvre destinée à une classe de clarinettes et d'une durée d'environ un quart d'heure. L'objectif était ambitieux, mais il est pleinement rempli car l'œuvre a remporté le Prix de l'enseignement musical 2014, Prix de la résidence d'un compositeur. Pour la mise en œuvre, on fera spécialement attention à la spatialisation, particulièrement importante pour un bon « rendu » de l'œuvre. Souhaitons beaucoup de succès à cette œuvre passionnante.

 

 

 

 

Max MÉREAUX : Badinerie  pour saxophone alto et piano. Moyen. Lafitan : P.L.2741.

Commençant par une partie plus rythmique dont le côté syncopé devrait causer quelques difficultés aux interprètes, la pièce se poursuit par un solo en « tempo libre » qui s'enchaine avec une partie plus lyrique avant que la rythmique et les chromatismes du début ne reviennent pour conclure ce très agréable morceau. Les pianistes apprécieront que, pour une fois, le saxophone, sur leur partie, soit noté en « effet réel »… Ce serait un bon exemple à suivre pour tous les instruments dits transpositeurs (car en fait, eux ne « transposent » pas, ce sont les malheureux accompagnateurs qui transposent… !).

 

 

TROMPETTE

 

Max MÉREAUX : Cantabile  pour trompette ou cornet ou bugle. Moyen. Lafitan : P.L.2625.

Une très jolie mélodie se déroule sur un accompagnement très doux et très harmonieux du piano, mélodie qui débouche sur une cadence plus rythmée pour revenir au thème du début, mais dans le ton homonyme mineur, ce qui confère un côté mélancolique à la fin de ce cantabile fort bien venu.

 

 

 

SAXHORN BASSE/EUPHONIUM/TUBA

 

Jean-Jacques FLAMENT : Leçon de danse  pour saxhorn basse, euphonium ou tuba et piano. Lafitan : P.L.2704.

Du galop à la valse, cette « leçon de danse » destinée à la fin du premier cycle sera à la fois réjouissante et excitante pour ses interprètes en même temps qu'elle pourra parfois leur donner du fil à retordre. Mais au final, le plaisir sera au rendez-vous !

 

 

Rémi MAUPETIT : Bernard le canard  pour saxhorn basse ou euphonium ou tuba et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2769.

Canard, vous avez dit canard ? C'est certainement ce que cherchera à éviter l'interprète de cette pièce réjouissante qui a un petit air de fanfare campagnarde, de promenade bonhomme, bref, qui justifie son titre par son allure champêtre. Quoi qu'il en soit, l'ensemble est bien agréable à entendre et certainement à jouer.

 

 

 

René POTRAT : Un monde à toi  pour saxhorn basse ou euphonium ou tuba et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2765.

Il faudra que les interprètes s'approprient ce monde très chromatique et souvent heurté. L'ambiance semble parfois être plutôt celle d'une fin du monde (ou d'un monde ?). Bref, il s'agit d'une pièce attachante mais exigeante pour les élèves.

 

 

PERCUSSIONS

 

Thierry DELERUYELLE : Bingo star.  Pièce en 4 mouvements pour percussions et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2861.

Chaque mouvement est interprété par un type de percussion. Le premier est un joyeux allegro dévolu au xylophone, le deuxième est une valse pour caisse claire, le troisième un mouvement chantant destiné au vibraphone et le dernier, un allegro martial pour timbales. Le tout forme un bien réjouissant ensemble pour une audition !

 

 

 

David LEFEBVRE : Xylotude n0° 4  pour xylophone et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2928.

Cette petite pièce nous laisse longtemps dans une incertitude tonale qui lui confère un côté un peu exotique, mais qui ne manque pas de charme. Le rythme, également, contribue à ce climat un peu étrange. Mais c'est pour notre plus grand plaisir.

 

 

Christian HAMOUNY : Tokatotung.  Ensemble pour 6 percussionnistes. Facile-moyen. Dhalmann FD 0249.

Précisons tout de suite la nomenclature : 4 bongos, 4 congas, cinq cloches à vaches, 4 timbales, 6 toms, marimba, wood block, cabassa, guiro, vibraslap, claves, 1 crotale, 5 cymbales. L'œuvre, qui comporte une part d'improvisation (avec modération, demande l'auteur), peut également servir pour une chorégraphie et donner lieu à des reprises, indiquées par l'auteur, et, selon son conseil, à ne pas trop multiplier.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Timothy HAYWARD : Quatuor à cordes n° 1.  Delatour : DLT 2165.

On s'accorde en général pour dire que l'écriture d'un quatuor à cordes est une entreprise à la fois exaltante et périlleuse, réservée à la maturité. Timothy Hayward, dont l'activité de compositeur, classique et jazz, n'a cessé de s'accroître, possède cette maturité. Ces trois mouvements ont été accueillis avec un grand succès lors de leur création en 2010. Souhaitons que nous puissions bientôt, par le disque et le concert, connaître mieux cette œuvre.

 

 

ORCHESTRE

 

Claude DEBUSSY : La Mer. Trois esquisses symphoniques. Edité par Douglass Woodfull-Harris. Esition de « poche ». Bärenreiter Urtext : TP 780. Conducteur (BA 7880) et matériel d'orchestre sont également disponibles à la vente.

Que dire de cette excellente édition sinon qu'elle tient compte de toutes les recherches faites jusqu'à ce jour. Et qu'il est agréable d'avoir une édition trilingue… La préface est tout simplement passionnante et touche à tous les aspects de l'œuvre.

 

 

 

CANTATE

 

Anthony GIRARD : Chemins couleur du temps.  Cantate pour double chœur à deux voix égales, harpe et quatuor à cordes. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0735-6.

Cette œuvre est composée sur des poèmes français et anglais de Heather Dohollau. Sur les sept poèmes proposés, un seul est en français. Cette poétesse née au pays de Galles avait trouvé en France et avec le français, et par confrontation des deux langues, « le chemin de l'indicible », comme le dit Anthony Girard. On connait la qualité poétique et mystique des œuvres d'Anthony Girard. Celle-ci, par la délicatesse et l'originalité des moyens sonores mis en œuvre, ne déroge pas. Poèmes et musiques semblent indissociables. Il s'agit d'une œuvre qui mérite d'être connue et aimée…

 

 

 

Daniel Blackstone.

 

VOIX

Graham BUCKLAND : 33 Spirituals for upper Voices, Kassel, Baerenreiter (www.baerenreiter.com ), 2014. BA 7572, 79 p. - 17, 95 €.

Ce recueil regroupe 33 Spirituals (pour tessitures aigües), c'est-à-dire pour 3 voix de femmes. Ces chants, bien adaptés aux voix féminines, peuvent être interprétés avec ou sans accompagnement au piano. Graham Buckland (né en 1951 à Weymouth, en Angleterre) — à la fois compositeur, chef d'orchestre, musicologue et pianiste — a réalisé ces 33 versions en conformité avec l'esthétique spécifique des Negro Spirituals : mélodie planant à la partie supérieure, fréquentes syncopes, quelques dissonances... Le piano assure des introductions, un support rythmique souvent en accords plaqués ; les paroles sont entrecoupées d'interjections (O), de répétitions (Amen, Hallelujah) ; la structure est proche de celle de l'hymn. Les arrangements sont fidèles à l'esprit de cette forme musicale depuis leur genèse au XIXe siècle. Ils comprennent des chants très connus, tels que : Were You There When They crucified my Lord (n°11), Nobody Knows the Trouble I've seen (n°17) si poignant ; Go Tell it on the Mountain (n°9), Mary Had a Baby (n°8) (pour Noël), ou encore des pages historiques avec des personnages bibliques : Go Down, Moses (n°3), Joshua Fought the Battle of Jericho (n°6), énergique et animé ; Little David, Play on your Harp (n°7), répétitif et scandé par Hallelujah ; Jacob's Ladder (L'échelle de Jacob, n°1) et les incontournables O When the Saints Go Marchin' in (n°15), bien scandé, Amazing Grace (n°24) — l'une des hymnes chrétiennes les plus célèbres dans le monde anglophone sur les paroles du prêtre anglican John Newton écrites vers 1760 — ou encore O Happy Day (n°33). À côté de ces pages à succès depuis plusieurs décennies, figurent des Spirituals à découvrir : O Sinner Man, Where you gonna run to ? (n°21), de caractère interrogatif ; affirmatif : He is King of Kings (n°14) ; au conditionnel : If I could, I surrely would (n°5)… Ces 33 Spirituals avec Préface bilingue (allemande, anglaise — une Préface française eût été bienvenue… —), sont destinés aux chorales d'enfants, aux ensembles d'adultes comme aux chœurs d'Églises ; ils peuvent être chantés à l'unisson, la mélodie étant soutenue au piano (ou à l'orgue). À  coup sûr, ils seront appréciés par les chefs, les chanteurs et les publics de tous âges.

Édith Weber

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Jean-François ALIZON : Aborder le répertoire baroque sur la flûte. 1 vol. Paris, L'HARMATTAN (www.harmattan.fr), 2014, BDT0002, 316 p. - 33 €.

Après ses études — notamment de flûte à bec — au Conservatoire de Strasbourg, ensuite auprès de Hans-Martin Linde à la Schola Cantorum de Bâle, et après avoir participé à des stages de Bartold Kuijken, Jean-François Alizon propose un remarquable bilan de sa vaste expérience tant artistique que pédagogique. Ses propos si judicieux concernent les flûtes traversières modernes et baroques, la flûte à bec et d'autres instruments à vent. Il souligne tout particulièrement le travail technique et stylistique, les problèmes d'interprétation tels que l'ornementation ; les sources et éditions, sans oublier l'entretien et l'accord des instruments. Fait rare : il prend largement en considération « la personnalité de chaque musicien face aux difficultés qu'il peut rencontrer », selon la Préface de Marie-Claude Ségard, Directrice du Conservatoire de Strasbourg. En 11 chapitres, il évoque la technique, les problèmes qui peuvent surgir pour l'interprète (par exemple la justesse et le trac). Il pose la question cruciale : comment « aborder la musique baroque » (passé, présent, rhétorique, rythme, esthétique) ; s'interroge sur les sources constituées par les partitions et les traités (sans oublier leur « lecture intelligente »), les ouvrages modernes de référence et les monographies. Le Chapitre IV : « Écriture baroque et interprétation » est d'une importance capitale ; elle est traitée notamment sous l'angle mélodique, harmonique, en insistant également sur l'ornementation improvisée et sur l'ornementation française, ainsi que sur les formes. Il met aussi l'accent sur « le cadre rythmique et la danse », la nécessité du travail avec le corps, mais aussi les problèmes d'inspiration et de respiration. D'autres chapitres traitent l'embouchure sous ses divers aspects ; l'articulation et les liaisons en tant que nécessité et travail technique. Le Chapitre X, très instructif, concerne les diverses techniques de sonorité. L'excellent interprète et remarquable pédagogue accorde une large part à la virtuosité et, par ailleurs, n'oublie pas d'expliquer les soins et précautions à apporter aux instruments. Sa conclusion résume l'origine des données de son livre : rencontres avec d'éminents musiciens et maîtres, connaissance du passé, y compris son travail personnel « de recherche sur les instruments, dans la tradition des flûtistes qui tournaient et perçaient le bois ». Il a aussi récolté des éléments « sur le terrain, avec les élèves » et dans sa pratique et de la flûte et de la danse. Il définit ainsi la finalité de sa publication faisant état d'une si vaste expérience : « Pour que le langage baroque retrouve sa mission initiale, être au plus près de l'émotion pour la représenter, mais aussi la faire partager, et magnifier l'instant ». Contrat bien rempli.

 

Édith Weber.

 

 

Michaël ANDRIEU : Le Conservatoire de musique : l'art et la manière…, 1vol. Rennes, HISTOIRES ORDINAIRES ÉDITIONS (www.histoiresordinaires.fr), 2014, 138 p. - 10 €.

Après, entre autres, les travaux bien connus de Pierre Constant au tout début du XXe siècle, dès le sous-titre, Michaël Andrieu révèle ainsi sa démarche et son propos : Réflexions sur l'évolution des établissements d'enseignement spécialisé de la musique. Il s'interroge sur l'avenir de cette institution, car ce problème est aussi ressenti par les directeurs, collègues, élèves et élus. Il rappelle que la danse et l'art dramatique y sont aussi enseignés, et que le Conservatoire National (Paris) existe à côté des CNR ou encore des institutions municipales ou autres associations. Le livre concerne « ceux qui vivent le Conservatoire au quotidien » (p. 13). Le « Conservatoire » peut être un « lieu d'élitisme », un « lieu d'excellence » ou « le meilleur instrument pour dégoûter à tout jamais de la musique », ou encore un « lieu de concert ». Après ces préalables, Michaël Andrieu s'intéresse aux rapports entre musique et société. Il est à la fois Docteur en Musicologie et professeur de culture musicale, formateur, chef d'orchestre, compositeur et chercheur : cette diversité d'activités artistiques et administrative (directeur de Conservatoire) lui a donc permis de projeter un regard neuf (après avoir été élève). Ses réflexions partent de son vécu. Après un bref rappel historique insistant aussi sur la dimension politique, l'auteur traite les composantes du Conservatoire : directeurs, professeurs, élèves, mais aussi parents, élus et, en général, responsables de la culture. À la suite de Marcel Landowski et de Maurice Fleuret, il s'agit donc de redéfinir les politiques culturelles et les nouvelles filières spécialisées : DEM, CFMI, musiciens intervenants en milieu scolaire ou ceux actifs dans les Conservatoires (CEFEDEM). L'auteur décrit, non sans humour, les acteurs, leurs fonctions respectives et l'évolution de leurs métiers d'artiste et de pédagogue, le lancement de nouvelles méthodes, tout en évoquant leurs nombreuses difficultés pédagogiques. Le titre du Chapitre III est truculent : « Au secours, mon fils veut faire de la musique… ». M. Andrieu observe que, dans l'optique de la  démocratisation de la musique, le Conservatoire doit rester « pleinement en phase avec cette société qui évolue ». La seconde partie survole « des pratiques controversées : le cours de formation musicale et l'évaluation » (contrôle continu, évaluation continue, auto-évalution et même celle des enseignants). Elle soulève la question : quelle pratique, Musique ou Musiques avec rock, jazz, slam, chansons de Brassens… ? pouvant aller jusqu'à l'oubli de Jean Sébastien Bach. C'est une gageure de concilier musique classique et improvisation, informatique musicale et nouvelles pratiques. Heureusement, les cours rébarbatifs de solfège ont été relayés par la formation musicale (FM). À cet égard, deux conceptions peuvent se dégager : cours en tant que préparation à la pratique instrumentale ou enseignement en tant que façon de comprendre la musique dans sa complexité et sa richesse. À propos de la musique, le Chapitre VIII pose les questions : Un « loisir amateur » ? La musique doit-elle rester un loisir ? La pratique doit-elle « être libératoire, gratuite » ? Par ailleurs, le Conservatoire ne doit pas être vécu comme un « temps de contrainte ».

La Coda est intitulée : « Et demain ? ». Michaël Andrieu constate l'accumulation (sans sélection) de nouveaux cours, départements, publics, lieux… et conclut que « le renouveau du Conservatoire passe par l'implication de tous… Tous travaillent pour faire vivre la réalité de l'art et de la culture dans la cité… Tous travaillent à l'invention, la construction  et la réalisation de l'avenir de la société dont ils partagent les visions. » (p. 124). Conscient que certaines de ses réflexions pourront choquer, Michaël Andrieu a le mérite de brosser un tableau réaliste à partir du vécu, de soulever des problèmes voire des polémiques et d'ouvrir des voies vers l'avenir.

Édith Weber.

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CDs et DVDs

 

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Jean-Philippe RAMEAU. Nouvelles Suites de Pièces pour clavecin Troisième Livre : Suite en la - Suite en sol. Alexandre Paley, clavecin. 1CD LAMUSICA(www.lamusica.fr), Distribution Harmonia Mundi : LMU002. TT : 79’ 18.

Le pianiste Alexander Paley, fanatique de l’œuvre de Rameau, est né à Kishniev, en Moldavie ; il a commencé le piano à l’âge de six ans, donné son premier récital à treize ans, et effectué ses études au Conservatoire de Moscou. En 1988, il émigre aux États-Unis, vit entre New York et Paris, et voyage beaucoup pour ses tournées de récitals et de concerts avec orchestre. Comme il le précise : « lors de ma première rencontre avec Rameau, j’avais sept ans » et il ajoute : « Grâce à lui, je suis à mon tour tombé amoureux de la France, et de Rameau en particulier, Rameau qui ne m’a plus jamais quitté par la suite. » Dans le cadre du 250e anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau,  Alexander Paley a enregistré deux Suites extraites du Nouvelles Suites de Pièces pour Clavecin, 1728 (Troisième Livre) comprenant, d’une part, des Danses et d’autre part, des œuvres aux titres particulièrement évocateurs. Influencé par Glenn Gould, il recherche dans son interprétation les couleurs compatibles avec Rameau, soigne particulièrement le tempo qui « doit être la vitesse d’exécution qui permet à l’interprète de tout énoncer musicalement ». Il se réclame aussi de Wanda Landowska à propos des ornements qui, à ses yeux, sont « comme un vaste champ qui permet d’introduire ce qui existait autour de Rameau en son temps ». Dans sa Suite en la, le pianiste applique les principes de tempi différenciés, par exemple pour les danses traditionnelles : Allemande, Courante, Sarabande, Gavotte, avec ses six doubles. Le titre : Les trois mains concerne leur croisement et les sauts de la main gauche par-dessus la main droite, innovation technique lancée notamment par Rameau. Dans la Suite en sol, il restitue l’aspect descriptif, voire pittoresque des pièces intitulées Les Tricotets (dans laquelle Rameau superpose des rythmes à 3/4 et 6/8), La Poule (page descriptive entre toutes, avec ses 5 croches répétées pour figurer le cri de la poule : Co co co co codaï avec, pour finir, de puissants accords et des arpèges déchaînés), Les Sauvages ou encore L’Égyptienne (qui n’est pas sans rappeler l’écriture de Scarlatti et conclut dans l’agitation et avec des traits de virtuosité cette Suite). Alexander Paley, par sa remarquable technique pianistique, son toucher délicat, son sens de la construction, ses recherches concernant les tempi, les couleurs et l’exploitation des ornements, a signé une authentique Défense et illustration de la musique de clavecin de Jean-Philippe Rameau. Selon ses propres termes, il tente « simplement de partager cette immense beauté qui naît devant moi et devant l’auditeur ». Objectif atteint.

 

 

Édith Weber.

 

« La boutique fantasque ». Maria Graf, harpe. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6093. TT : 60’ 22.

Maria Graf a entrepris des études de harpe à Munich, sa ville natale, puis a été l’élève de Pierre Jamet, entre autres. Elle a acquis son expérience de l’orchestre avec les Münchner Philharmoniker dirigés par Sergiu Celibidache, puis comme harpe solo à la Philharmonie de Berlin sous la baguette de Herbert von Karajan. Elle fréquente les salles de concert du monde entier. Son vaste programme souligne la diversité de son répertoire pour la harpe, l’un des plus anciens instruments dans l’histoire, à la fois instrument, mais aussi orchestre permettant de combiner la mélodie et l’harmonie, de rendre des sons doux et mystérieux au grave, et cristallins et fulgurants à l’aigu. Le titre de ce disque n’est autre que celui du Ballet d’Ottorino Respighi (1879-1936), dont il permet d’entendre des Valses. Il comprend, en outre, la Fantaisie en do mineur pour harpe seule (op. 35) de Louis Spohr (1784-1859), des Variations en Mi b Majeur sur un thème de La flûte enchantée de W. A. Mozart, par Michail Glinka (1804-1857), ainsi que de nombreux arrangements : Introduction et Variations sur des thèmes extraits de l’Opéra Norma de V. Bellini composées par Elias Parish Alvars (1808-1849) ; la Fantaisie sur un thème extrait de l’Opéra Eugène Onéguine (Piotr Tchaikovski) réalisée par Ekaterina Adolfovna Walter-Kühne (1870-1931) ; la Sérénade du Ballet Roméo et Juliette de Sergei Prokoviev (1890-1953). Parmi les thèmes plus connus, figurent, entre autres, des adaptations de la Danse espagnole n°1 extraite de La vida breve de Manuel de Falla (1876-1946) ; Vltava (La Moldau) — extrait du Cycle Ma Vlast (Ma Patrie) — de Bedrich Smetana (1824-1884) et, plus proche de nous, la Pavane pour une Infante défunte de Maurice Ravel (arrangement de Maria Graf. Au cours des 9 œuvres enregistrées, l’excellente harpiste fait preuve d’une grande finesse, d’une adaptabilité à des musiques et esthétiques si variées, nécessitant des sonorités spécifiques et une parfaite maîtrise des possibilités de l’instrument. Son interprétation est fidèle aux intentions des compositeurs venant d’horizons divers : Allemagne, Russie, Italie, Angleterre, République tchèque et France. Elle s’impose par sons sens dans les réparties aux deux mains, par sa précision dans le maniement des pédales. Elle brille par son tempérament, mais aussi son calme. Elle a signé une belle démonstration de la polyvalence expressive de la harpe.

 

 

Édith Weber.

 

« Vocalise Ave Maria ». Ellen Giacone, soprano, Pierre Quéval, orgue, Daphné Lallemand de Driesen, harpe, Fabien Roussel, violon, Paul Ben soussan , violoncelle. 1CD MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com) : S552276. TT : 46’ 48.

La soprano italo-néerlandaise Ellen Giacone a commencé le chant lyrique à l’âge de 17 ans. Elle est spécialiste du répertoire baroque, du Lied, mais aussi de la musique du XXe siècle. Depuis 2012, elle est membre du Monteverdi Choir placé sous la direction de Sir John Eliott Gardiner et entreprend de nombreuses tournées en Europe. Sa première production discographique gravite autour de l’exploitation du thème de l’Ave Maria et est réalisée avec le concours de Pierre Quéval (à l’orgue), Daphné Lallemand de Driesen (à la harpe), Fabien Roussel (au violon) et Paul Ben soussan (au violoncelle). Le titre générique « Vocalise Ave Maria » regroupe judicieusement 13 versions reposant sur la mélodie de l’hymne bien connue Ave Maria ; 2 versions du Pie Jesu (selon les derniers vers de la prose du XIIIe siècle, souvent intégrés à la Messe de Requiem). L’audition sera particulièrement instructive pour la comparaison des versions de Franz Schubert, César Franck, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet, et, plus proches de nous, Pietro Mascagni (1863-1945), Jehan Alain (1911-1940), Henri Potiron (1882-1972), Vladimir Vavilov (1925-1973) — avec son pastiche « Ave Maria de Caccini » (publié en 1972) — et Éric Lebrun (né en 1967). Cette réalisation thématique et mélodique commence par la Vocalise op. 34 n°14 Ave Maria de Sergeï Rachmaninov (1873-1943). À noter, sortant des sentiers battus : la découverte de l’Ave Maria de Henri Potiron (publié en 1947), discrètement soutenu à l’orgue ; le motet éponyme d’Éric Lebrun, extrait des Quatre motets à la Vierge (parus aux Éditions Delatour France en 2009), véritable prière mariale. Ellen Giacone —tout en étant titulaire d’un Master en Biologie et d’un Master of Business Administration, absolument polyglotte — se consacre à la musique. Elle s’impose d’ores et déjà par sa voix claire et cristalline, son extrême justesse dans l’aigu, convenant parfaitement à ce répertoire qu’avec le concours des quatre instrumentistes, elle restitue à merveille.

 

 

Édith Weber.

 

« 28 Juillet 2014 à Saint Thomas ».Daniel Leininger, orgue, Leandro Marziotte, conte-ténor, Clémence Schaming, violon.  www.saint-thomas-strasbourg.fr. 1CD VOC 5315. TT : 53’ 08.

Comme le démontre ce disque, enregistré les 27, 28 (live) et 29 juillet 2014, la tradition lancée par Albert Schweitzer, le 28 juillet 1909, à Strasbourg, en l’Église luthérienne Saint Thomas, pour commémorer la mort de Jean Sébastien Bach à Leipzig, 28 juillet 1750, vers 21 h., véritable institution locale, est toujours cultivée avec ferveur. Pour le concert du 28 juillet 2014, Daniel Leininger — organiste titulaire de l’Orgue historique Jean André Silbermann (1741) —, a fait appel au concours de Leandro Marziotte (contre-ténor) et de Clémence Schaming (violon baroque). Comme il nous l’a écrit : il avait « envie de graver et de publier ce moment unique », et c’est pour cette raison que trois Chorals soulignent l’atmosphère réelle de ce récital (enregistrement live). Le programme de circonstance commence par la confession de foi : Wir glauben all… (Nous croyons tous en un seul Dieu) et se termine par une invocation à la grâce divine et une préparation à l’au-delà (Vor deinem Thron tretich hiermit). En parfait connaisseur, Daniel Leininger exploite les nombreuses possibilités de registration de cet instrument prestigieux (1741), dont il détient tous les secrets. L’Orgue a été restauré en l’état d’origine par Alfred Kern  en 1979, et relevé par la Manufacture d’orgues Quentin Blumenroeder de Haguenau, en 2008/9. Il comprend 3 claviers : Positif de dos (49 notes), Grand Orgue (49 notes), Écho (49 notes + 24 ajoutées par A. Kern en 1979) et Pédale (27 notes + 2), et est accordé en tempérament égal.

Pour le Prélude de choral in Organo con pedale (BWV 680) :  Wir glauben all an einen Gott (Leipzig, 1739), page massive et affirmative, l’excellent organiste a retenu un tempo tenant bien compte des possibilités acoustiques de l’Église. Il est suivi du Choral Herr Jesu Christ, dich zu uns wend (BWV 709, Weimar, autour de 1710), assez lumineux, avec des commentaires décoratifs. Il interprète la célèbre Toccata et Fugue en Fa majeur (BWV 540, Cöthen, autour de 1720) avec notamment une grande maîtrise de la pédale (en solo) et un solide sens de la structure, avec une exposition précise du thème de la double fugue comprenant un premier sujet grave, puis un second vigoureux, symbolisant la mort puis la résurrection. Le Choral Von Gott will ich nicht lassen est d’abord chanté par le contre-ténor Leandro Marziotte qui, avec une grande sensibilité, en restitue le caractère mystérieux ; il est suivi par le Prélude de choral éponyme pour orgue (BWV 658), avec cantus firmus à la pédale, de caractère plus sombre, mais éclairé par le rythme dactylique d’habitude utilisé par J. S. Bach pour exprimer la joie. Pour conclure, Leandro Marziotte, avec une diction et une musicalité parfaites, expose la mélodie si prenante du choral traduisant l’attitude de l’homme face à son Créateur : Vor deinem Thron tretich hiermit (BWV 668) précédant le Prélude de Choral pour orgue, très intériorisé et méditatif, avec des entrées successives ; comme le précise judicieusement Daniel Leininger, il s’agit d’un « Chant du matin de l’éternité, danse mystique, où chaque partenaire est parfaitement complémentaire de l’autre, comme la nuit et le jour, la terre et le ciel… », et de son œuvre ultime dictée à son gendre, Johann Christoph Altnickol. Ce concert a été encore rehaussé par un arrangement de l’Air Agnus Dei, extrait de la Messe en si mineur (BWV 242), dont Leandro Marziotte, soutenu à l’orgue par la basse continue et accompagné par Clémence Schaming au violon baroque, traduit l’atmosphère si prenante. Ce disque propose encore le Concerto en ré mineur (BWV 596), transcrit à l’époque de Weimar (vers 1715) — où Bach découvre la musique italienne dont il apprécie la construction claire, l’élégance des lignes mélodiques et l’harmonie simple — d’après L’Estro armonico d’Antonio Vivaldi, op. 3/11 (Venise 1711), en cinq mouvements très contrastés : Allegro initial brillant ; Grave introduisant la Fuga à 4 voix, influencée par le style italien ; Largo e spiccato de caractère plus poétique, à 12/8 ; Allegro conclusif baignant dans la jubilation. Ce chef d’œuvre est magistralement servi par Daniel Leininger avec un enthousiasme communicatif. Bref : un programme autour du Cantor de Saint Thomas (à Leipzig), remplissant parfaitement les objectifs d’un Concert commémoratif en l’Église Saint Thomas (à Strasbourg) qui, depuis plus d’un siècle, pérennise la tradition instaurée en 1909. Réalisation discographique exceptionnelle.

 

Édith Weber.

 

 

«  Christmas at Downton Abbey ». 2CDs WARNER MUSIC TV (www.warnermusic.fr) : CAT NO. WMTV241 LC14666.  TT : 74’10+ 64’ 48.

À partir de la série télévisuelle Downton Abbey, accompagnée d’un livret illustré par une vue de l’Abbaye de Downton sous la neige et l’ensemble des protagonistes, le Label WARNER MUSIC TV a réalisé un florilège de 45 pièces représentant la tradition de Noël en Angleterre, où la fête est célébrée avec tant de ferveur. L’atmosphère festive est créée d’emblée par la Downton Christmas Suite (première partie) interprétée par le Budapest City Orchestra et l’ensemble Budapest Choral Voices. Parmi des arrangement de Christmas Carols très connus, figurent : O Holy Night (J. Ovenden, Ch. Blake), Silent Night (J. Ovenden), In dulci jubilo bilingue — latin/anglais— (chanté par le Chœur de Kings College Cambridge), le Kyrie eleison de la Messe de Minuit pour Noël de Marc-Antoine Charpentier (dir. W. Christie)… sans oublier le 1er mouvement du Concerto de Noël d’Antonio Vivaldi, tout à fait de circonstance. Le second CD commence par la seconde partie de la Downton Christmas Suite, et contient, entre autres, évidemment le célèbre Hallelujah extrait du Messie de G. Fr. Haendel (Nikolaus Harnoncourt) et le Gospel song :  Go, Tell It On The Mountain (Thomas Hampson) annonçant la Bonne Nouvelle ; Tannenbaum évoquant le traditionnel sapin de Noël. Il se termine avec le 3e mouvement du Concerto de Noël d’Arcangelo Corelli. L’ensemble contient encore de nombreux Noëls, interprétés, entre autres, par le remarquable Chœur de Kings College de Cambridge, par exemple : le Carol O Come, All Ye Faithful arrangé vers 1700 par John Reading d’après l’hymne pour le temps de Noël Adeste fideles, attribuée à Saint Bonaventure ; While Shepherds Watched ; Angels, From The Realms Of Glory (Noël français : Les anges dans nos campagnes), avec de souples vocalises sur Gloria in excelsis Deo. À noter également, parmi d’autres, The Three Kings, intéressante composition dans laquelle le baryton solo relate l’événement, tandis que le chœur énonce en contrepoint la mélodie de Philipp Nicolaï (1599) Wie schön leuchtet der Morgenstern (Brillante étoile du matin). Cette remarquable compilation discographique s’impose comme une authentique Anthologie de Christmas Carols, avec un clin d’œil mélodique international. Elle illustre à la fois la célébration de la fête de Noël Outre-Manche, tout en formulant (CD 1, plage 8) le souhait traditionnel : We Wish You A Merry Christmas.

 

 

Édith Weber.

 

« ADVENT ». Junger Kammerchor Rhein-Neckar, dir. Mathias Rickert. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6098. TT : 62’ 32.

Mathias Rickert, chef du Junger Kammerchor Rhein-Neckar (Jeune Chœur de Chambre), a placé son disque pour le temps de l’Avent sous le signe : Une lumière dans l’obscurité. Cette réalisation regroupe au total 19 antiennes, chorals, chants et motets allant du XVIe siècle à notre époque. Parmi les mélodies bien connues, figurent : l’antienne latine Alma Redemptoris Mater dans la version de Tomas Luis de Victoria (1548-1611) ; Rorate Caeli de William Byrd (1543-1623),  le choral allemand Es kommt ein Schiff geladensur le texte (v. 1626) de Daniel Sudermann, d’après un chant marial strasbourgeois du XVe siècle et publié à Cologne en 1608 — interprété dans la version de Jan Wilke (né en 1980), de même que Macht hoch die Tür, die Tor’ macht weit d’après Georg Weissel (1590-1635), annonçant la venue du Sauveur. Plus proches de nous, le choral Der du die Zeit in Händen hast d’Erhard Mauersberger (1903-1982) — quatorzième Cantor de Saint Thomas (à Leipzig) après J. S. Bach — sur le texte de Jochen Klepper ; O Rex gentium (chanté la semaine avant Noël, lors des Vêpres), dans l’arrangement de Bob Chilcott (né en 1955), invocation au Roi des nations et Pierre d’angle, afin qu’il libère les hommes qu’il a formés ; O Emmanuel, Rex et legifer noster (B. Chilcott), invocation à Emmanuel (« Dieu avec nous ») afin qu’il nous sauve ; ou encore O Heiland reiss die Himmel auf (Cologne, 1623) dans l’arrangement d’Ole Schützler (né en 1976), invocation au Sauveur, « Étoile du matin » et chant de reconnaissance. Les voix jeunes, claires et lumineuses du Chœur de chambre chantent a cappella avec une remarquable justesse d’intonation et un fondu exceptionnel. Elles sont dirigées avec autorité et musicalité par Mathias Rickert, professeur au Sankt Raphael Gymnasium et professeur de direction chorale à la Staatliche Hochschule für Musik de Mannheim. Grâce à l’heureuse initiative de Ruprecht Langer, ce disque, enregistré en avril 2014 sous le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION, est très représentatif des liturgies célébrées en Allemagne pendant les quatre Dimanches de l’Avent et — loin de l’agitation de nos villes — de leur atmosphère bienfaisante et si lumineuse.

Édith Weber.

 

« Flûte de Pan et Orgue. Airs. Grandes œuvres classiques ». Philipe Husser, flûte de Pan, Pierre Cambourian, orgue. 1CD (http//philippehusser.weebly.com ) : PH&PC1. TT : 71’ 02.

 

Comme le précise Philippe Husser à propos de la sortie de son nouvel album : il « est né suite à la demande insistante de bon nombre d’auditeurs, témoins de nos concerts flûte de pan et orgue ces dernières années, toujours déçus de ne pouvoir rentrer chez eux, après un concert en notre compagnie, avec un souvenir sonore correspondant au programme. » Voilà chose faite… Philipe Husser (Flûte de Pan) et Pierre Cambourian (Orgue Cavaillé-Coll de l’Église Saint-Vincent-de-Paul, Paris) ont prévu un programme adapté aux deux instruments dont les sonorités se marient  à merveille. Il comprend un arrangement du Concerto pour hautbois en la mineur d’Alessandro Marcello (1673-1747), composé vers 1708 ; le Concerto pour orgue en ré mineur (J. S. Bach/A. Vivaldi). Les deux interprètes proposent également deux Airs de J. S. Bach (de Phoebus et de Pan), ainsi que l’Air de Papageno de La Flûte enchantée de Wolfgang Amadé Mozart. La deuxième partie de cette réalisation concerne particulièrement des œuvres d’Edward Elgar (1857-1934) dont Chanson du matin, Chanson de nuit et Pump and Circumstance. La Roumanie — où la flûte de Pan, très prisée, est enseignée de longue date — est représentée par une Suite. Plus proche de nous, le thème du film The Mission (Roland Joffé, 1986) sur la musique d’Ennio Morricone : Gabriel’s Oboe sert de conclusion. Ce parcours historique interprété en parfaite connivence — avec les qualités d’équilibre, de sonorités spécifiques, déjà soulignées dans nos deux dernières recensions (cf. L’EM, 10/2014) — constitue une convaincante réponse à la demande non seulement des auditeurs de leurs concerts, mais aussi des discophiles : tous seront ravis.

 

 

Édith Weber.

 

Hans Leo HASSLER : Geistliche Chormusik aus dem Hohen Dom zu Mainz.  Mainzer Domchor, Domkantorei St. Martin, dir. Karsten Storck. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6097. TT : 58’ 32.

Le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION a voulu commémorer en 2014 le 450e anniversaire de la naissance de Hans Leo Hassler (1564-1612). À la charnière entre la polyphonie de la Renaissance tardive et le début du baroque vénitien, Hassler (né à Nuremberg en 1564 et mort à Francfort-sur-le-Main en 1612) s’est rendu pour ses études à Venise auprès d’Andrea Gabrieli. Vers 1586, il est organiste de la Chambre d’Octavian II Fugger puis, en 1600, directeur de la musique municipale d’Augsbourg. Puis il s’installe à Ulm et, après 1608, il est organiste de la Chambre du Prince-Électeur Christian II de Saxe, à Dresde. Si Hassler est surtout connu par ses Madrigaux, il a aussi composé des Messes, Psaumes et Chorals généralement à 4 voix sur des mélodies traitées en fugue, ainsi que des Chansons spirituelles sur des mélodies traditionnelles « simpliciter gesetzet », c’est-à-dire en contrepoint simple à 4 voix et homorythmiques pour faciliter l’intelligibilité du texte. Après une Intrada interprétée par les Mainzer Dombläser (cuivres), page solennelle avec des effets d’échos selon l’usage italien, le Mainzer Domchor (Chœur de la Cathédrale de Mayence) interprète le bref choral pour le temps de Pâques : Christ ist erstanden von der Marter alle affirmant la Résurrection ; les remarquables chanteurs sont bien soutenus par les cuivres. Quatre Messes sont interprétées : la Missa Ecce quam bonum, la Missa Octo vocum,  la Missa super Dixit Maria, chacune avec Kyrie, Gloria, Agnus Dei ; la Missa Come Fuggir, plus développée, comprenant Kyrie, Gloria, Sanctus, Benedictus et Agnus Dei. Les interprètes en sont le Mainzer Domchor, la Domkantorei St. Martin, tous placés sous la direction avisée de Karsten Storck. Ils donnent un aperçu de la pratique musicale dans cette Cathédrale millénaire avec alternance d’un chœur de garçons, d’un ensemble vocal mixte et des cuivres. Dans l’ensemble, la musique de Hassler revêt un caractère énergique, festif, assez proche du madrigal et soucieux de la compréhension des paroles. Au centre de cette production discographique, figure une Suite pour Cuivres en 5 parties, privilégiant les mouvements lents, proche de l’esprit madrigalesque, transcrite par K. Storck et B. Fitzgerald d’après le recueil Neüe teütsche Gesäng nach Art der welschen Madrigalien und Canzonetten (Nouveaux chants allemands à la manière des madrigaux et canzonettes italiens, 1596) ; elle est interprétée avec élan par les Mainzer Dombläser. Ce disque comprend également le Motet Dixit Maria ad Angelum et le Choral œcuménique, intense invocation à la paix : Verleih uns Frieden gnädiglich (sur  le texte allemand et la mélodie de Martin Luther, 1529, d’après l’antienne Da pacem, Domine, in diebus nostris). Comme de juste, ce bel hommage à Hans Leo Hassler, retentissant à la Cathédrale de Mayence, se termine aux accents jubilatoires du Psaume 100/99 : Jubilate Deo omnis terra interprété par les Cuivres de la Cathédrale de Mayence. Il projette un éclairage neuf sur sa musique religieuse. Voici encore une remarquable réalisation qui, plus de quatre siècles après la mort du compositeur, rend sa musique vivante et si présente.

 

 

Édith Weber.

 

« Sound in Search of a Past ». Ambra & Fiona Albek. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1415. TT : 66’ 54.

Les jumelles : Ambra (violon et alto) et Fiona Albek (piano), « à la recherche du passé », rendent hommage à la musique norvégienne, tchèque, hongroise, suisse et anglaise. Elles se produisent en duo ou en solistes, non seulement en Suisse, mais également en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Australie et en Chine. À part la forme classique de la sonate, les autres œuvres se réclament, entre autres, du folkore d’Europe de l’Est, de la musique suisse d’inspiration juive... Edvard Grieg (1843-1907) a composé sa Sonate pour violon n°2 en Sol Majeur, op. 13, en 1867, alors âgé de 24 ans. Il puise son inspiration dans le patrimoine national ; son esthétique est placée sous le signe des grands maîtres du XIXe siècle, Schubert en particulier. Fiona s’impose d’emblée par son accompagnement précis créant l’atmosphère douloureuse (Lento doloroso) et ses accords énergiques, et Ambra, par ses coups d’archets précis, puis son  envolée mélodique dans l’Allegro vivace. Le deuxième mouvement : Allegretto tranquillo est suivi d’un Allegro animato conclusif bien enlevé. Bedrich Smetana (1824-1884) est représenté par From my Homeland (Ma Patrie) (1874-79) , aux accents lyriques ; Leos Janacek (1854-1884), par sa Sonate pour violon et piano composée entre 1921 et 1931 ; Bela Bartok (1881-1945), par ses Danses populaires roumaines dans l’arrangement pour alto et piano d’Alan Arnold. Ces œuvres sont solidement marquées par le folklore, alors qu’Ernest Bloch (1880-1959), Suisse naturalisé américain, de formation française, s’est particulièrement intéressé au répertoire juif : c’est le cas de la prière Abodah pour la grande Fête de Yom Kippur (fête de la repentance). Le programme se termine par une œuvre composée en 2010 — à l’attention de l’Albek Duo — par William Perry (né en 1930) : The Nightingale in the Park, évoquant le chant d’un rossignol dans un parc, en présence d’un vieux couple, d’un poète plongé dans ses pensées, alors que des enfants jouent et que des amoureux s’y promènent. Comme le souligne Stefano Bazzi, cette page descriptive,  exempte de religiosité ou de résonance patriotique, est un hommage discret au style pastoral de Ralph Vaughan Williams, précurseur de l’école nationale anglaise. L’Albek Duo, sensible à tant de nuances et de styles si divers, propose ainsi un éloquent panorama du répertoire pour violon (respectivement alto) et piano à la fois cosmopolite, attachant et très original.

 

 

Édith Weber.

 

Hermann SUTER : Sämtliche Streichquartette (intégrale de quatuors à cordes). Beethoven Quartett. 1 CD MUSIQUES SUISSES (www.musiques-suisses.ch ) : MGB CD 6279. TT : 77’ 05.

Hermann Suter est né à Kaiserstuhl (Allemagne) en 1870 et mort en 1926 à Bâle. Issu d’une famille de musiciens, il a étudié, entre autres, avec Hans Huber et Carl Reinecke. Installé à Zurich en 1892, il a été organiste et chef de chœur ; puis en 1902, professeur à la Schola Cantorum  de Bâle. À la fois interprète et compositeur d’œuvres vocales (Oratorio, Cantates, Chorlieder) et de musique de chambre (3 Quatuors et 2 Sextuors), son esthétique se rattache dans l’ensemble au postromantisme. Comme le rappelle Georg-Albrecht Eckle dans son judicieux texte de présentation, Hermann Suter s’est imposé sur la scène internationale  avec son Premier Quatuor à cordes en Ré Majeur, op. 1 (1901), structuré en « quatre mouvements très différents les uns des autres : deux mouvements rapides et expansifs… [qui] encadrent deux morceaux qui pourraient être décrits comme des pièces de caractère. » Il commence par l’Allegro brioso permettant immédiatement à l’excellent Beethoven Quartett  de s’imposer à la fois par la précision de son jeu et sa sonorité si prenante. Hermann Suter a intitulé le deuxième mouvement Moderato con svogliatezza, quelque peu « morose », les interprètes en recréent l’atmosphère voulue. Il est suivi d’un Larghetto cantabile particulièrement expressif, avec un Fugato très décidé. L’Allegro conclusif se veut très agité. On y sent la proximité de Wagner et de Brahms.

Dans son Quatuor à cordes n°2 en Do# mineur, op. 10 (1910), Hermann Suter s’est inspiré de Beethoven. Ce deuxième Quatuor commence par un Moderato malinconico servant quelque peu de fil conducteur et contrastant avec l’Allegro impetuoso et le Molto moderato ma con grazia avec Variations. Les interprètes y privilégient absolument le facteur émotionnel, les sonorités chantantes et, comme le fait observer Georg-Albrecht Eckle, la polyphonie qui accorde une « indépendance maximale aux voix individuelles ». Le Quatuor à cordes n°3 en Sol Majeur « Amselrufe », op. 20, a été composé en 1918, vers la fin de sa vie. Merian fait allusion à un « style décontracté auquel Hermann Suter s’était déjà essayé en 1916… Le compositeur se détourne ici de toute expérimentation formelle à grande échelle pour retourner à la joyeuse liberté des formes classiques… » La démarche est intéressante, car le premier thème n’est autre que le chant d’un merle (Amselrufe), faisant l’objet d’un travail thématique solide. Suter spécule sur les oppositions de mouvements : Comodo – Allegro ; Allegretto vivace e grazioso (Reigen ­­— c’est-à-dire : Ronde) ; Adagio-Presto. Matyas Bartha et Laurentius Bonitz (violons), Vahagn Aristakesyan (alto) et Carlos Conrad (violoncelle) traduisent excellemment les nombreuses intentions du compositeur. Cette remarquable formation se distingue par son équilibre et sa cohésion. Elle a signé une belle Défense et illustration de l’intégrale des Quatuors de Hermann Suter : c’est tout à l’honneur de la Collection « Musiques Suisses ».

Édith Weber.

 

« Jewish Songs ». Pierre-Luc Bensoussan, batterie, Pierre Diaz, saxophones, Patrice Soletti, guitare électrique et objets sonores. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org ) : IEMJ CDD 001. TT : 49’ 26.

L’Institut Européen des Musiques Juives (IEMJ), créé en 2006 par la Fondation du Judaïsme Français, en partenariat avec l’Association Yuval, a pour mission de recenser, préserver et diffuser le patrimoine musical juif en France par des enregistrements audio et vidéo, des partitions, monographies… La Collection « Découvertes » invite les discophiles à un « Voyage instrumental et poétique sur les traces des musiques juives ». Hervé Roten, Docteur en Musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, Directeur de l’IEMJ, a regroupé 7 pièces de Chants juifs typiques, évoquant l’histoire et les vicissitudes du Peuple d’Israël, par le biais de la musique et du chant qui, grâce à la mélodie, suscitent « l’émotion de l’exil, mais aussi celle des jours heureux ». Cette réalisation est accompagnée d’un bref commentaire français et anglais. La première pièce : Bith Aneth plonge immédiatement l’auditeur dans l’atmosphère nostalgique et langoureuse si caractéristique de l’âme juive. La célèbre chanson : Dona Dona, selon le texte d’accompagnement écrite en yiddish par Aaron Zeitlin sur la musique de Sholom Secunda, décrit la condition d’un petit veau ligoté mené à l’abattoir, parallèle avec la situation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La Fête de Hannouka commémore la réinauguration de l'autel des offrandes dans le second Temple de Jérusalem, lors de son retour au culte judaïque, après son interdiction, elle est associée à l’allumage des chandeliers à neuf branches, et le chant Ochos kandelikas fait allusion aux huit bougies ; malgré son atmosphère judéo-espagnole, cette composition moderne (1983) est due à Flory Jagoda. La poésie religieuse Tsur Michelo est chantée avant la bénédiction de la fin du repas ; d’origine vraisemblablement française, remontant à la seconde moitié du XIVe siècle, elle s’est répandue dans la diaspora. Cet enregistrement reprend aussi une chanson d’amour du folklore judéo-espagnol. Il en sera de même du traditionnel : Dos Amantes. Le folklore ashkénaze russe est représenté par Tumbalalaïka (habituellement chanté en yiddish). Le chant traditionnel  judéo-espagnol : Cuando el rey Nimrod évoque l’histoire de la naissance d’Abraham. Ce CD —  entièrement instrumental, interprété par Pierre-Luc Bensoussan (batterie), Pierre Diaz (saxophones) et Patrice Soletti (guitare électrique, objets sonores) —  réussit à rendre sensible et à recréer l’atmosphère mélancolique typique des chants juifs. Il contribue à la diffusion et à la mémoire du patrimoine musical juif.

 


 

Édith Weber.

 

« AZAFEA. Une odyssée espagnole ». Lev-Yulzari Duo. Frank London, trompette, John Hadfield, percussions. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Découvertes : CDD-0002. TT :  63’ 45.

Le Lev-Yulzari Duo se compose du contrebassiste Rémy Yulzari (diplômé du Conservatoire de Lyon et du CNSM de Paris, spécialiste d'improvisation et de créativité) et du guitariste Nadav Lev (né au kibboutz Nachshon, titulaire de nombreux Prix de Concours internationaux, compositeur à mi-chemin entre classique, rock, jazz et improvisation). Ils se sont assuré la participation de Frank London, trompette, John Hadfield, percussions.Cette réalisation intitulée : Une odyssée espagnole comprend 14 pièces, dont des œuvres de musiciens connus, tels que Manuel de Falla (1876-1946) avec Jota ; Homenaje ; Nana et Polo (des Siete canciones populares espanolas) ; d’Érik Satie (1866-1925) : arrangement de Gnossienne « à la sauce marocaine mâtinée de klezmer et de jazz ». Comme le relève Hervé Roten, producteur exécutif, la musique séfarade s’est enrichie au contact des différents pays dans lesquels les Juifs d’Espagne se sont installés. Elle est illustrée par 4 Canciones sefardies Joaquin Rodrigo (1901-1999) : Respondemos ; Una Pastora Yo Ami ; Nani, Nani et Morena me llaman. Elle a aussi emprunté à la Turquie des modes et thèmes musicaux pour Avinu Malkenu/Terk in Amerika, plus développé. La pièce : Besame Mucho de Consuelo Velazquez (1924-2005), pianiste et compositrice mexicaine, est de caractère langoureux. La dernière œuvre : Ma Omrot Einayich de Mordechai Zeira (1905-1968), compositeur israélien d’origine ukrainienne, servant de conclusion, est très connue en Israël. Au fil des plages, ces interprètes — qui s’investissent parfaitement dans l’âme de la musique juive, à la fois énigmatique, mélancolique, envoûtante, secrète, nécessitant une grande maîtrise vocale — convient les discophiles à un périple dans le temps et dans l’espace. Grâce à l’initiative de Hervé Roten : dépaysement garanti.

 

 

Édith Weber.

 

« Yiddishe Fantazye ». Amit Weisberger, violon, chant, Gaëlle-Sara Branthomme, violoncelle et chant, Mihaï Trestian, cymbalum et cymbal, Simon Nicolas, percussions. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Découvertes : CDD-0003. TT :  54’ 19.

Sous le titre : Yiddishe Fantazye, l’Institut Européen des Musiques Juives a regroupé 17 pièces chantées en yiddish : langue dérivée du haut-allemand (parlée entre autres par les Juifs alsaciens) avec un apport de vocabulaire hébreu et slave. Les interprètes sont Amit Weisberger (violon, chant) — également comédien et danseur israélien installé en France —, Gaëlle-Sara Branthomme (violoncelle et chant) — auteur et compositrice, spécialiste de musique khmer et de chanson française — et Mihaï Trestian (cymbalum et cymbal, petit cymbalum) — Prix de Concours internationaux, en France depuis quelques années —,  associés pour la percussion au musicien invité Simon Nicolas (pour les 3 morceaux Sholem Aleikhem/Karahod ; Lemish sher ; Fun der Khupe). Le Prologue extrait d’archives historiques propose, chantée par Roza-Leya Kiselgof à Leningrad en 1920, une ronde intitulée : Redele sur laquelle se superpose la mélodie d’une prière turque (Terkish gebet) d’influence orientale (quarts de ton), comme le précise le texte joint au CD. La deuxième pièce provient du Recueil Yiddishe folks-lieder de Moyshe Beregovski, ethnomusicologue russe, avec les paroles émouvantes invitant « mes bien-aimés petits musiciens, si gentils et si doux, jouez pour moi encore un peu avant que je ne meure ». La Romanian Fantaisie n°2 évoque les Carpates et le « violon d’un trait fin dessine les silhouettes délicates des sommets. Les sons du cymbal (petit cymbalum) sont comme des clochettes au cou des brebis alors que le violoncelle évoque les profondeurs de la forêt. » Vers 1970, le revival de la musique klezmer se manifeste aux États-Unis : c’est le cas de Sirba de Leon Schwartz. Parmi d’autres pièces, figurent la Prière pour Mendel Beilis, Juif ukrainien ; une autre Fantaisie roumaine, au rythme très précis ; la chanson Sholem Aleikhem et deux danses biélorusses Karahod ; une berceuse : Der bobes mayse reposant sur l’histoire truculente d’une grand-mère ; un Taksim (longue introduction instrumentale), ainsi qu’une danse de mariage du XIXe siècle (quadrille où les couples se croisent et s’entrecroisent), intitulée : Sher (ciseaux), se rattachant à la musique klezmer de tradition orale. Une mélodie hassidique (Khsidishe Hopke) est suivie d’une valse Der Farzorgter Yid… (Le Juif anxieux). L’ensemble se termine par la berceuse chantée : Shlof Mayn Sheyne Feygale (Dors, mon bel oiseau) extraite des Archives de M. Beregovski, enregistrée en 1938. Ces Yiddishe Fantazye illustrent la variété des thèmes traités, les diverses influences, entre autres turque et klezmer, ainsi que la fantaisie et la diversité des atmosphère si typiques de la musique juive cultivée en Israël et restituée grâce à des interprétations d’époque. Documents sonores authentiques.

 

 

Édith Weber.

 

«  Juifs et Trouvères. Chansons juives du XIIIe siècle en ancien français et hébreu ». Ensemble Alla Francesca, dir. Brigitte Lesne, Pierre Hamon. Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Patrimoines musicaux des Juifs de France. 1CD BUDA MUSIQUE (www.budamusique.com ) : CD 860261. TT :  60’ 12.

Coproduit par le Centre de Musique Médiévale de Paris et l’Institut Européen des Musiques Juives, ce disque permet de découvrir des chansons juives pour diverses circonstances (liturgie, Nouvel An, Pâque, mariage), ainsi qu’une complainte et une chanson de Jacob, chantées en ancien français et en hébreu. Brigitte Lesne résume ainsi son « projet passionnant » : « restituer un corpus de huit chansons relevées par la paléographe Colette Sirat dans des manuscrits hébraïques, copiés à la fin du XIIIe dans le nord de la France. Le défi : pas d’écriture musicale dans ces manuscrits… ». « Spécificité exceptionnelle de ces chansons : elles ont toutes été copiées en caractères héraïques ; cependant quatre d’entre elles sont une transcription phonétique de la langue d’oïl…, et deux autres présentent une alternance de l’hébreu et de la langue d’oïl, parfaite illustration de l’intégration de cette communauté ». En guise d’introduction : un poème liturgique anonyme noté sur les marges droite et inférieure d’un folio d’un manuscrit hébraïque (conservé à la British Library) copié à Troyes vers 1280, « le copiste a ajouté à la fin du poème une note indiquant que l’on doit chanter le texte sur la mélodie d’une vadurie — chanson d’amour… identifiée avec un poème du trouvère Moniot de Paris (actif en Île-de-France probablement après 1250) Lonc tens ai mon tens usé : il s’agit donc de compilations de versets évoquant l’oppression des Juifs par Louis IX (1214-1270) et leur appel à la vengeance divine  — : Shalfu tzarim. » Belle prouesse de restitution d’une pièce liturgique juive avec refrain.

Brigitte Lesne signale son objectif : « pour élargir l’évocation du répertoire musical de cette communauté à la fois imprégnée des chants de la synagogue et de ceux qu’elle pouvait entendre — et partager — en côtoyant au quotidien ses voisins chrétiens, j’ai choisi de compléter le programme de ce disque avec quatre autres chansons de trouvères, et de le ponctuer de pièces instrumentales », c’est-à-dire les deux motets polytextuels : L’autrier par un matinet/Au nouveau tens et A une ajornee/Quant je oie chanter l’aloete, ainsi que le Lai des Puceles. La fête de Roch hachana (Nouvel An) est représentée par Roi de poer — roi puissant qui reçoit ma louange au son du shofar — de Joseph Tov Elem (XIIe siècle), consigné dans un livre de prières de rite français copié au XIVe siècle, et par Les anfanz des avot. La chanson de mariage anonyme : El-givat ha-levona (À la colline d’encens, notre hattan est arrivé…) provient d’un des plus anciens recueil de prières juives connus : le Mahzor Vitry (XIe siècle) concernant des règles de pratique religieuse. L’emploi de l’hébreu et de la langue vulgaire est pratiqué par les Juifs dans de nombreux pays. Deux pièces sont consacrées à une complainte et à une chanson de Jacob : Las, las, las, que ferai et Ne puis ma grant joie celer. Le chabbat fait l’objet de la chanson Deror yiqra, page à succès. Enfin, la fête de Pesah (Pâque) conclut cette Anthologie avec La nuit de Pesah (Leil Shimurim), d’un auteur inconnu. Selon les commentaires joints au disque, elle commémore en hébreu la sortie d’Égypte, se trouve dans les livres de prières en ashkénaze dans le Nord de la France ; elle est lue en hébreu, puis transcrite en langue d’oïl, enfin chantée en hébreu sur le contrafactum : En mai la rousee. L’Ensemble Alla Francesca comprend les pupitres suivants : chant, harpes, flûtes, vielle et luths, et est dirigé soit par Brigitte Lesne, soit par Pierre Hamon. Spécialistes de la lyrique médiévale, tous se sont surpassés pour révéler également ces pièces typiques du répertoire vocal juif. La réception et l’originalité de ce programme en ancien français et en hébreu sont incontestables.

Édith Weber.

 

 

Carl Philipp Emanuel BACH : Concertos pour violoncelle et cordes Wq 170, 171 & 172. Konstantin Manaev, violoncelle. Camerata Berlin, Dir. Olga Pak. 1CD CLASSICClips : CLCL 129. TT.: 74'48.

Le celliste Konstantin Manaev (*1983), formé à la fois dans sa Russie natale, en Allemagne et en Suisse, compte déjà à son actif un palmarès enviable côté concours et apparitions publiques à travers le monde. Mais sa carrière de soliste ne l'empêche pas de se livrer à sa vraie passion, la musique de chambre. Il s'attaque dans ce CD aux concertos pour violoncelle et cordes de CPE Bach (1714-1788) ), avec cette double particularité de les jouer au sein d'un ensemble de six musiciens, et d'enrichir les cadences de compositions modernistes. Composés entre 1750 et 1753, alors que CPE Bach est à Berlin au service de Frédéric le Grand, grand amateur de musique et excellent flûtiste, les trois concertos pour violoncelle s'inscrivent dans la grande tradition du concerto italien, de Vivaldi et des ses contemporains, mais affirment un style tout personnel au musicien. Ils ouvrent la voie au renouveau, annonçant les compostions de Joseph Haydn. Ainsi en est-il de l'exubérance des mouvements extrêmes, empreints d'un dynamisme qu'on ne sent pas bridé, comme au finale du concerto Wq 170, entraînant, presque piquant, ou à celui du concerto Wq 172, très enjoué. Les séquences lentes médianes livrent des trésors d'expressivité, tel le largo du concerto Wq172, vérifiant ce mot du compositeur selon lequel « la musique doit avant tout toucher le cœur » : d'un profonde émotion, le soliste déployant sa douce cantilène sur un accompagnement de cordes jouant en sourdine. Les exécutions de Konstantin Manaev sont profondément pensées et ses six partenaires, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et clavecin, apportent cette touche d'intimité qui confère à cette vision toute sa signification. On est moins enthousiaste quant à la manière d'élargir les cadences de traits modernistes, fort dissonants par moment, comme celle du deuxième mouvement du concerto Wq 172, où la variation en perd de sa cohérence, malgré les efforts de l'auteure, la compositrice ouzbèque Aziza Salikova. Ailleurs, comme dans le concerto Wq 171, les choses sont moins perturbantes et s'inscrivent mieux dans la continuité du morceau, et dans l'esprit de CPE Bach. Quoi qu'il en soit, voilà d'excellentes lectures solistes, et fort bien managées par les musiciens émérites de la Camerata Berlin.    

 


Jean-Pierre Robert.

 

Antonio VIVALDI : « Pietà ». Pièces sacrées pour voix d'alto, dont Stabat Mater, RV 621, Gloria, RV 589, Salve Regina, RV 618. Concerto pour cordes et continuo, RV 120. Philippe Jaroussky, contre-ténor. Ensemble Artaserse. 1CD Erato : 0825646257508. TT.: 78'30.

Philippe Jaroussky revient à la musique sacrée de Vivaldi. Pour des motets écrits pour la voix d'alto. L'une des premières compositions de ce type conçues par le Prêtre roux est le Stabat Mater, écrit en 1812 pour  la congrégation des Oratoriens de Brescia. Pour sa seconde interprétation au disque, Philippe Jaroussky, qui dirige son propre orchestre, Artaserse, en livre une exécution recueillie, méditation bouleversante et intimiste, comme dans le verset «  cuius animam gementem » où le temps semble s'arrêter, ou le « Eia Mater », lors qu'après une courte mais sensible introduction instrumentale, la voix du falsettiste semble émerger du néant, le chant progressant ensuite dans une atmosphère raréfiée. Partout la voix et l'orchestre s'enlacent délicatement car outre la maîtrise suprême de la ligne de chant, Jaroussky mise sur des tempos habités dans le lent et le ppp, et d'une ampleur mesurée dans le plus allant, tel l'Amen final radieux qui après cette belle déploration, ouvre les portes du ciel. Le CD présente encore des pièces écrites alors que Vivaldi s'était vu proposer les fonctions, outre de maestro di violini, de maestro di coro, à partir de 1713 à l'Ospedale della Pietà de Venise : le Gloria, dont est donné ici le « Domine deus », moment de douce réflexion, où Jaroussky déploie son angélique timbre sur un simple accompagnement du hautbois et de la basse continue. Puis deux motets, bâtis sur un même schéma de deux airs séparés par un récitatif, couronnés par un Alleluia brillant, ces morceaux développant une virtuosité vocale qui n'a rien à envier à celle d'une aria d'opéra. Ainsi de « Clarae stellae, scintillate » (1715), d'une lumineuse beauté, s'achevant dans un tempo digne des morceaux les plus vifs des Quatre saisons ; ou du fascinant « Longe mala, umbrae, terrores », de 1720, enchaînant des vocalises qui ne laissent pas d'étonner dans un tel contexte religieux. Enfin, le motet «  Filiae maestea Jerusalem », conçu comme une introduction au Miserere, d'une inspiration puissante, contraste une section centrale développée sur un rythme pointé des cordes pianissimo, avec deux mouvements extrêmes plus expansifs. Le programme se conclut par le Salve Regina, pièce plus tardive (après 1720), d'une étonnante richesse mélodique, construite sur un orchestre « a due cori », savoir deux petites formations jouant en répons. Ses six versets alternent le contemplatif et le déclamatoire, pour finir dans un souffle. Philippe Jaroussky dont le timbre a pris des teintes mordorées , insuffle à toutes ces pages une foi ardente.         

 


Jean-Pierre Robert.

 

Georg Friedrich HAENDEL. « Music for Queen Caroline » : « The King rejoice », HWV 260. Te Deum, HWV 280. « The ways of Zion do mourn », HWV 264. Tim Mead, contre-ténor, Sean Clayton, ténor, Lisandro Abadie, baryton-basse. Les Arts Florissants, dir. William Christie. 1CD Arts Florissants Editions : AF.004. TT.: 72'17.

Caroline von Brandenburg-Ansbach (1683-1737) épouse en 1705 le prince Georg August de Hanovre, puis devient princesse de Galles lors de l'accession de son beau-père, Georges Ier, au trône d'Angleterre, et enfin reine de Grande Bretagne à celle de son époux, le roi Georges II, en 1727. Grande intellectuelle, lectrice de Voltaire, amie de Newton, elle a toujours favorisé les arts et les lettres. Rencontrant Georg Friedrich Haendel, elle en deviendra rapidement la protectrice. Celui-ci lui dédiera, entre autres, son Giulio Cesare, et composera plusieurs pièces chorales à son intention dont les trois pièces réunies sur ce disque, qui ponctuèrent son règne. Le Te Deum est écrit en 1714 pour marquer l'arrivée en Angleterre de celui qui devient le roi Georges Ier. Mais il sera aussitôt rejoué pour celle de Caroline quelques jours plus tard, d'où son nom de « Te Deum pour la reine Caroline ». Il est distribué à un chœur mixte et à trois voix solistes, contre-ténor, ténor et basse. On y admire le climat intimiste dans les solos du contre-ténor, en particulier au cours du verset « Quand tu as pris sur toi de sauver l'homme ». L'hymne « The King shall rejoice » a été créé pour le couronnement de George II. Son ouverture flamboyante donne le ton, qui ne se démentit pas au cours des diverses séquences, dont un passage fugué, et jusqu'à  l'Alleluia final non moins grandiose, illustrant la maîtrise contrapuntique du musicien. Enfin, pour les funérailles de la reine, en 1737, à l'abbaye de Westminster, Haendel présente avec l'antienne « The ways of Zion do mourn » un vibrant mémorial à la défunte souveraine. Loin de la tristesse d'un requiem, la pièce évoque plutôt la reconnaissance des traits de caractère de la souveraine combien aimée et honorée. La présence de chorals luthériens n'est pas sans évoquer les origines germaniques aussi bien de la reine que du musicien. Une courte Ouverture symphonique introduit un ton recueilli. Puis s'enchaînent divers morceaux choraux évoquant tour à tour la déploration du décès et l'évocation des récompenses accordées aux âmes vertueuses, et partant, les nombreuses vertus de la reine Caroline, sa bonté, sa mansuétude, sa générosité. Les chœurs sont, là aussi, traités dans une grandiose ampleur, quoique de manière différenciée. Mais l'œuvre se conclut dans l'apaisement. William Christie et ses forces, chœurs et orchestre, livrent de ces trois pièces des exécutions d'une absolue beauté plastique et d'une grande profondeur de ton. Ses solistes dans le Te Deum sont de classe. Un disque qui par son ingénieux programme enrichit la discographie haendélienne.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Franz SCHUBERT : Winterreise, D. 911. Poèmes de Wilhelm Müller. Matthias Goerne, baryton, Christoph Eschenbach, piano. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902107. TT.: 74'54 .

Les versions du Voyage d'hiver se font nombreuses au disque ces temps. Mais celle-ci, nul doute, est au dessus du lot. Est-il poétique plus prégnante que celle que Schubert a portée dans ce cycle sur les poèmes de Wilhelm Müller ? Cette délectation du pessimisme, à travers la solitude et l'errance, cette glorification de la désespérance, par le truchement de métaphores simples mais si parlantes, cette succession de paysages désolés, que rien ne semble chercher à embellir ! Est-il actuellement interprète plus inspiré pour le chanter que le baryton Matthias Goerne ? Depuis Dietrich Fischer Dieskau on n'avait plus été empoigné par pareille épure, pareille force. Lied après Lied, au fil de cette double série de douze, de « Gute Nacht » à « Der Leiermann », et avec la complicité du pianisme incandescent de Christoph Eschenbach, le chanteur va nous guider dans un voyage envoûtant. Celui d'un héros au cœur meurtri, se racontant son désespoir, qui ne renonce à aucune voie pour forger son mal, sans répit, et sceller ce destin : un cheminement inéluctable vers la mort. Qu'admirer le plus ? La science du mot, comme chez l'illustre aîné, mais aussi une simplicité toute naturelle qui place le texte à notre portée, sans abandonner la moindre parcelle de profondeur, comme naguère aussi il en fut de l'approche de cet autre géant qu'était Hans Hotter. Un timbre envoûtant, tour à tour caressant le mot ou projetant de véhéments accents, effrayants (« Auf dem Flusse/ Sur la rivière » et son rythme de marche) ou haletants (« Rückblick/Regard en arrière »). C'est que Goerne recourt à un spectre très large, du murmure à l'éclat, de la touche ténorisante à la faconde du registre de basse. Qu'il ménage dans de formidables crescendos. Dès lors, la poésie schubertienne est restituée à vif : déchirante (« Einsamkeit/Solitude »), vibrante (« Der greise Kopf/La tête blanche »), d'une insondable nostalgie (« Der Wegweiser/Le Poteau indicateur»), ou d'une tristesse résignée (« DasWirtshaus/L'auberge » et ses sinistres lieux, puisque le voyageur visite un cimetière). Même les pages de climats pittoresques prennent une tonalité sinistre. Comme « Die Wetterfahne/La girouette » et son  ironique message, ou « Die Krähe/ La corneille » et ses étranges pressentiments. Le piano de Christoph Eschenbach est à l'unisson : un jeu lié et perlé, comme il en est du balancement de «  Sur le fleuve » ou du flux faussement gambadant de « Die Post/La poste ». Les contrastes et les ruptures de rythmes sont ménagés avec flair. Ainsi des passages syncopés inquiétants de « Im Dorfe/Au village ». Avec les quatre dernières pièces, on atteint une émotion d'une force indicible, s'achevant par un « Der Leiermann/Le Joueur de vielle » d'un bouleversant statisme, comme si les mots et les notes s'envolaient vers l'infini. Les deux interprètes sont captés dans une acoustique de concert, apportant au dialogue voix-piano toute sa substance et une admirable présence. Un rare achèvement qui semble conclure en apothéose une série schubertienne d'exception commise par Matthias Goerne au fil d'une douzaine de disques mémorables.       

 

Jean-Pierre Robert.

 

Felix MENDELSSOHN : Ouverture « les Hébrides ». Symphonie N° 3, « Écossaise » op. 56. Robert SCHUMANN : Concerto pour piano et orchestre op. 54. Maria João Pires, piano. LSO, dir. John Eliot Gardiner. 1CD LSOlive : LSO0765. TT.: 79'17.

Ce généreux CD présente un vrai programme de concert, en l'occurrence celui donné à Paris en janvier dernier (cf. NL de 2/2014), puis au Barbican de Londres, où l'évènement fut capté à la fois en version audio et pour la vidéo (le présent CD s'accompagne d'un DVD Blu-ray). Ce programme a du sens car il rapproche deux compositeurs amis et chantres de l'imagination musicale, Mendelssohn et Schumann. Les paysages écossais, Felix Mendelsshon les découvrit lors de son séjour de 1842 et les idéalisa en deux compositions remarquables, l'Ouverture « Les Hébrides » et sa troisième symphonie. De la première John Eliot Gardier propose une interprétation forte de contrastes, dans ses diverses phases, ondoiement marin, tempête déchainée, retour au calme, nouvelle bourrasque. Cette même approche caractérise la symphonie dite « écossaise », partagée entre vivacité et relâchement, agitation fébrile et apaisement bienfaisant. A l'exemple du premier mouvement : une longue introduction plantant le décor à la fois visuel, les landes des Highlands, et figuré, la poétique romantique d'Ossian, puis le déploiement d'épisodes tempétueux que le chef ne cherche pas à amoindrir, mais au contraire truffe de rythmes martelés. Le vivace suivant, sorte de scherzo nocturne, si typique de la manière de Mendelssohn, est abordé dans un tempo d'une ébouriffante vitesse, presque boulé, ce qui dans les passages ppp lui confère un aspect fantastique. On retrouve pareille vivacité au finale, tourbillon haletant débouchant sur une péroraison majestueuse, dépourvue de grandiloquence. Malgré l'allure endiablée et la pression mise par le chef sur ses musiciens, le discours ne perd pas une once d'articulation. Peu avant, l'adagio aura distillé une cantilène mélancolique des violons dont un deuxième thème solennel ne sera pas parvenu à interrompre le cours. Une exécution débordante de vie, qui renouvelle notre vision de ce petit chef d'œuvre. Le Concerto pour piano op. 54 de Schumann, créé par Clara Wieck, en 1845, après une longue maturation, occupe une place particulière parmi les grands concertos romantiques par ses audaces d'écritures et son caractère novateur. Il est, sous les doigts de Maria João Pires, un modèle d'équilibre : un pianisme ni maniéré ni ostentatoire, d'une belle alacrité, sans ce trop plein de vigueur que lui confèrent certains de ses confrères ou consœurs. Comme ce fut le cas lors du concert parisien, on se laisse bercer par la fine adéquation de l'interprétation à la poétique de la pièce : délicatesse et intériorité de l'« affetuoso » initial, ton chambriste dont est exécuté l'intermezzo central, comme un chant intime, sérénité transparaissant dans le finale enjoué, jubilatoire, sans brillance superfétatoire.     

 

Jean-Pierre Robert

 

« A 90 th Birthday celebration ». Anton DVOŘÀK : Quintette pour piano et cordes en la majeur, op. 81. Franz SCHUBERT : Quintette pour piano et cordes « La Truite », D 667. Menahem Pressler, piano, Benjamin Berlioz, contrebasse, Quatuor Ebène. 1CD Erato : 46259649. TT.: 75'39. 1DVD (TT.: 116'30) contenant l'intégralité du concert, dont en outre : 4 Lieder extraits du Winterreise et « Die Forelle », D 560, de Schubert, l'Andantino du Quatuor à cordes de Debussy et le Nocturne en ut dièse mineur, op. posthume de Chopin. 

Ce CD est la captation du concert du 7 novembre 2013, salle Pleyel, durant lequel fut fêté le 90 ème anniversaire de ce géant du piano, de la musique tout court, qu'est Menahem Pressler. Ce fut une fête en effet. Qu'on salua bien bas (cf. NL de 12/2013). Et sans doute des exécutions hors concours, qu'il ne faut pas tenter de comparer à d'autres. La Quintette op. 81 pour piano et cordes de Dvořàk montre peut-être des ralentissements qui, à l'écoute aveugle, peuvent surprendre, par exemple au fil du premier mouvement. Mais quel engagement de tous les instants, quel jaillissement mélodique à travers ses climats tour à tour élégiaques et prestes ! Après tout, l'indication de tempo est « allegro ma non tanto ». Il y a là un sentiment d'urgence qui aux dernières phrases, emporte tout, au point de déchaîner les applaudissements de l'auditoire ! L'andante suivant est pareillement distillé avec amour sur le rythme un soupçon mélancolique d'une danse de Dumka, et s'il vire à l'adagio quelquefois, sa profondeur abyssale est bouleversante par le jeu perlé du pianiste et le répondant tout en finesse des Ebène. Ils vont se déchaîner au Furiant, d'une vivacité aérienne, alors que le trio médian explore les contrées de l'âme. Un allegro enjoué conclut cette exécution magistrale. Il en va de même du Quintette « La Truite » de Schubert qui respire le bonheur de jouer ensemble, nimbé de la douceur miraculeuse du jeu de Menahem Pressler, et cultive un art consommé de la transition. Le vivace initial, certes modéré, notamment en son deuxième thème contenu dans un pianissimo bienfaisant, est d'un suprême naturel. Ce nuancier on le retrouve à l'andante qui chante comme jamais et, sans jeu de mot, coule de source, tout en côtoyant les tréfonds. Le scherzo introduit un joli presto d'une vigueur tempérée dans sa scansion tournoyante, qu'entrecoupe un trio empreint d'un sentiment d'apaisement. Le merveilleux thème de l'Andantino, calqué sur celui du Lied « Die Forelle », est pris aux cordes avec infiniment de douceur, avant que le piano ne donne le signal des variations. Celles-ci seront subtilement différenciées, en particulier celle mettant en scène le violoncelle, d'une lenteur habitée. La joie sans ombre du finale Allegro giusto, merveilleusement balancé, conclut une exécution là encore mémorable. La prise de son ménage un équilibre très satisfaisant entre piano et cordes.

 

Le DVD nous plonge au cœur même de cette leçon de musique, grâce à de superbes images, en particulier du héros de la fête dont les doigts collent au clavier comme pour mieux modeler la musique. Son attention de tous les instants vis à vis de ses jeunes confrères est un régal, comme ce sourire furtif échappé au vol. Il permet aussi de savourer encore quelques moments magiques : un bouquet de Lieder de Schubert, chantés par le ténor Christoph Prégardien, et tirés du Voyage d'hiver, outre celui de « La Truite », annonçant judicieusement le Quintette du même nom, ainsi que les bis : le mouvement lent du Quatuor de Debussy, présent fait par les Ebène à celui qui remporta naguère le Concours du même nom et voue depuis lors une passion pour le compositeur, et un Nocturne de Chopin, joué comme en apesanteur par Menahem Pressler. Hors concours décidément !    

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johannes BRAHMS : Sonates pour violon et piano, N° 1, op. 78, N° 2, op. 100, N° 3, op. 108. Scherzo en ut mineur (Sonate « F-A-E »). Augustin Dumay, violon, Louis Lortie, piano. 1CD Onyx : ONYX 4133. TT. : 77'01. 

Augustin Dumay n'en est pas à sa première exécution des trois Sonates pour violon de Brahms, même au disque. La plus récente le fut avec Maria João Pires, pour Universal DG. Cette nouvelle version surprend par sa tonalité automnale, son austérité, sa sévérité même. Elle est le fruit d'intenses réflexions, de recherches, de remises en question sans doute. La Sonate op.78 tourne le dos au caractère lumineux qu'on lui attribue généralement, en raison de tempos retenus, voire lents, dans le vivace initial, empreint de mélancolie, que soulignent des ralentissements constants. Ils affectent tout autant l'adagio, qui s'enfonce dans l'immobilité, et l'allegro moderato final manque de ce charme immédiat associé à cette première pièce. Une approche très personnelle, à mille lieux des bretteurs d'estrade. La Sonate op. 100, « plus classique et plus heureuse », selon le violoniste, est de même marquée par un débit retenu : l'allegro amabile qui l'ouvre est nanti, là encore, de ralentissements extrêmes qui confèrent à ce qu'il est convenu de considérer comme une romance sans parole, une sérénité refusant tout épanchement romantique. Le lyrisme ne se libère pas aisément aux deux autres mouvements, et le souffle brahmsien est fermement contenu dans des limites objectives. L'opus 108 s'avère plus proche des interprétations « centrales » et fait montre d'une jeunesse d'esprit communicative, vérifiant ce bon mot de Picasso de qui aurait « mis du temps à devenir jeune ». Les tempos, quoique là encore plus lents que ceux adoptés, par exemple, par Leonidas Kavakos et Yuja Wang dans leur récente version (Decca ; cf NL de 6/2014), sont justement passionnés, voire fiévreux au finale, et d'une poignante expression à l'adagio. Dumay joue le superbe Guarneri del Jesù ayant appartenu à Leonid Kogan, et un archet de Pierre Putigny qu'utilisait Arthur Grumiaux, son maître vénéré. La sonorité chaude et sombre, comme confidente, accentue l'austérité de la vision, comme y contribue une prise de son intimiste.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

Georges BIZET : Carmen. Opéra en quatre actes. Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Maria Callas, Nicolai Gedda, Andrea Guiot, Robert Massard, Nadine Sautereau, Jane Berbié, Claude Cales, Jacques Mars, Jean-Paul Vauquelin, Jacques Pruvost. Chœurs René Duclos. Chœurs d'enfants Jean Pesneaud. Orchestre du Théâtre National de l'Opéra de Paris, dir. Georges Prêtre (enregistrement : juillet 1964 ; remastered : 2014). 2 CD Warner Classics : 0825646341108.

Cent fois sur le métier... L'héritage Callas semble être voué à une réactivation permanente, aubaine pour le label. Pour les collectionneurs et les amoureux de l'art de la Diva assoluta aussi, le bénéfice étant pour eux avant tout artistique. Entre autres parutions, son interprétation légendaire de Carmen revient dans un nouveau transfert. La remastérisation a été effectuée, dans les fameux studios londoniens d'Abbey road, à partir, cette fois, des bandes-mères originales. Le gain sonore est indéniable, la dynamique enfin restituée dans sa quasi entièreté, et non plus affectée de l'effet de compression qui en limitait le spectre, dans les tuttis notamment. Car la salle Wagram, où eut lieu l'enregistrement en juillet 1964, pour ce qui devait être l'avant-dernière intégrale d'opéra léguée par Callas, offrait une acoustique ouverte et idéalement aérée, ce dont le producteur (Michel Glotz) et l'ingénieur du son (Paul Vavasseur) usèrent avec leur habileté coutumière. La présence est étonnante, des voix comme de l'orchestre, avec une naturelle spacialisation des diverses sections, cordes, bois, cuivres, et l'accent porté sur les graves, aux percussions en particulier. La clarté des plans est tout aussi saisissante, comme la discrète mais efficace mise en espace (chœurs d'enfants au Ier acte, placement des voix lors de la scène des cartes au III). Seuls, les chœurs ne profitent pas toujours de cette cure de rajeunissement, captés souvent trop en arrière plan, en particulier lors de la Habanera, où la voix de Callas est fortement privilégiée. C'est que cette radiographie sonore ne passe rien. Les fêlures de la voix de la diva, bien sûr, et cette tendance à privilégier le registre de poitrine. Mais combien d'avantages en comparaison ! Car l'interprétation est grandiose, envoûtante, avec ces traits fulgurants, cette manière de jouer de la morgue (Séguedille, échange avec José lors du retour de celui-ci), de la fatalité (scène des cartes), d'une inflexibilité totalement assumée (scène finale, jusqu'à ce « tiens »  détimbré, instillant le froid dans le dos). Le sens du texte, la diction admirable rendent ce portrait captivant, où sont illustrés tous les registres de la séduction. Chante-t-on encore aujourd'hui avec l'intelligence suprême qu'apporte Nicolai Gedda à Don José ? Une élégance dans la passion, une vraie clarté de l'émission, un art du phrasé, là aussi devenus légendaires, pour une incarnation ardente, vaillante, avec le soleil dans le timbre. De même, Robert Massard est un Escamillo doté d'une distinction dont peu de ses successeurs, van Dam excepté, surent user. Et Andrea Guiot offre une Micaela de calibre, prouvant que ce rôle est plus proche des héroïnes italiennes que d'une soubrette souffreteuse. L'impact dramatique de l'interprétation doit beaucoup à la direction enflammée de Georges Prêtre, et à ses excès : une certaine sécheresse du trait, des accélérations incroyables (bagarre des cigarières, Entracte du II ), et un discours pas toujours des plus subtils, mais diablement efficace. Peut-être pas la version idéale du chef d'œuvre de Bizet. Une interprétation électrisante certainement, encore embellie. Seule ombre dans cette captivante entreprise : aucun texte de présentation sur l'opéra, fût-il le plus joué au monde, comme l'absence du livret. N'y a-t-il  pas encore un public à conquérir ?  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Émile GOUE : « Musique de chambre vol. 3 » Sextuor à cordes, op. 33. Duo pour violon et violoncelle, op. 34. Trio pour violon, alto et violoncelle, op. 32. Fleurs mortes pour violon et piano. Trois Mélodies pour voix et quatuor à cordes,op. 36. L'Amitié. Elmira Darvarova, Kristi Helberg, violons. Ronald Carbone, David Cerutti, altos. Samuel Magill, Wendy Sutter, violoncelles. Damien Top, ténor. Linda Hall, piano. 1CD Azur classical. : AZC120. TT.: 73'03.

Émile Goué (1904-1946) mena de front sa carrière d'enseignant et une intense activité de composition. Dans le domaine de la musique de chambre en particulier. Formé sur le tas, il sera encouragé par Albert Roussel et Charles Koechlin. L'association du Festival international Albert-Roussel et les éditions Azur classical tirent peu à peu de l'ombre sa riche production. Après la Sonate pour violon et piano, les quatuors, le quintette (Cf. NL de 1/2014) voici, pour ce troisième volume, d'autres pièces non moins passionnantes. A propos desquelles s'applique si bien le mot de Koechlin « c'est infiniment sérieux, âpre souvent, étrange même, parfois assez austère, tragique aussi ». Car l'écriture de Goué, si elle reste ancrée dans la tonalité, l'élargit en des harmonies denses et complexes. Le Trio à cordes op. 22, de 1939, déploie une belle veine mélodique et une sûre architecture. Débutant par un presto, à la verve digne du style de Roussel, il offre un adagio dont le parcours mélodieux s'inscrit dans une rythmique assurée, ce qui lui confère une étonnante résonance grave, mais nullement triste. L'allegro final, sur un rythme de tarentelle, distille une joie sans mélange, celle d'un air populaire. Le Sextuor à cordes op. 33, écrit en 1942, durant la longue période de captivité du musicien au nord de l'Allemagne, s'avère plus charnu et laisse percevoir les sentiments partagés du musicien durant cette période difficile. Une introduction lente prélude à un mouvement vivement rythmé. Une profonde cantilène rompt ce climat enjoué pour des accents presque lugubres. Ce climat semble perdurer dans le deuxième mouvement « très animé ». Le sens de l'urgence ne laisse pas beaucoup d'espoir quant à la désolation qui parcourt ces pages. Le thème du « Lent » est tiré du Poème symphonique de 1933 : la thématique est là encore résolument sombre, aux altos notamment, mais empreinte d'une vraie délicatesse. Le finale, « vif », est comme un manifeste d'espoir. Le Duo pour violon et piano op. 34, de 1943, qui s'inscrit dans un genre déjà expérimenté par Ravel et Honegger, se signale par une vraie osmose entre les deux instruments, au fil de ses trois mouvements, « animé », «  très lent », belle médiation, et « très vif », dégageant quelque optimisme en l'existence. Le CD présente une autre composition pour violon et piano, inédite : « Fleurs mortes », de 1934, évoquant comme la nostalgie des souvenirs d'enfance dans ses deux séquences, la première au balancement typiquement gallique, la seconde au parfum de comptine populaire. Enfin, les « Trois Mélodies pour voix et quatuor à cordes » op. 36, de 1943, de tonalité automnales, sont écrites sur des textes de Jean de La Ville de Mirmont et de Rainer Maria Rilke. La mélodie isolée « L'Amitié », sur un texte de Christiane Delmas (1935) offre pareil climat austère. Les solistes de l'Orchestre du MET de New-York et le ténor Damien Top apportent leur talent pour nous faire découvrir ces compositions.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« L'Heure romantique ». Mélodies et Lieder de Purcell, Mahler, Schumann, Bizet, Caplet, Ravel, Canteloube, Paul Ben Haim, Alexander Boskovitch. Airs d'opéras de Mozart et de Meyerbeer. Varda Kotler, soprano, Israel Kastoriano, piano. 1CD Forlane : FOR 16878. TT.:73'12.

La soprano Varda Kolter, native de Tel Aviv, poursuit une belle carrière aussi bien à la scène qu'en récital. Pour son nouveau CD elle réunit un programme fort éclectique aussi bien anglais qu'allemand, français ou yiddich, du plus connu à quelques raretés. Pour « un voyage musical révélant la grande humanité enfouie dans ces courtes pièces », souligne-t-elle. De la mélodie « Music for a while » de Purcell, à quelques Rückert-Lieder de Mahler, dont « Ich atmet einen Linden Duft », si empli d'atmosphère, ou encore à Schumann et son délicat « Der Nussbaum », la pudeur de la manière de la chanteuse fait merveille, comme la simplicité avec laquelle elle aborde « Erstes Grün » de ce dernier. Elle est à l'aise dans le répertoire français, même si çà et là quelques intonations s'avèrent délicates, dues à la difficulté de prononciation d'une langue terriblement exigeante. Le « Sonnet » de Bizet, sur un poème de Ronsard, révèle sa fine mélancolie, et « Tarentelle » est enjouée et virtuose dans ses insouciantes vocalises, enfin « Guitare » déploie une belle énergie, sur un rythme espagnol qui confère au texte de Victor Hugo une saveur insoupçonnée. Quelques pièces des Chants d'Auvergne de Joseph Canteloube lui conviennent encore mieux car elle en distille l'esprit et l'originalité. La Vocalise-Étude de Ravel, donnée avec ce zest d'abandon indispensable, prélude à deux chansons sans paroles du compositeur israélien Paul Ben-Haim (1897-1984). Au chapitre des raretés, une pièce de Alexander Uriah Boskovitch (1907-1964), « Que tu es belle, ma bien-aimée », tirée du Cantique des Cantiques, nous immerge dans la poétique du chant juif. Comme Ben-Haim, ce musicien né en Europe, se rendra en Israël. D'André Caplet (1878-1925), Varda Kotler donne « Le corbeau et le renard », mise en musique de la célèbre fable de Jean de La Fontaine, pleine de mystère et d'esprit, d'inspiration plutôt moderniste, qui fait penser à Schoenberg. En guise de bis, viennent deux airs d'opéra de Mozart et de Meyerbeer. De La Clemenza di Tito, le « Parto, ma tu ben mio » du jeune Sesto est finement ménagé dans le récitatif comme dans l'aria. Et « Nobles Seigneurs, Salut! », tiré des Huguenots, fait montre de panache.       

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Chansons perpétuelles ». Guillaume LEQUEUX : Trois poèmes. Hugo WOLF : quatre Lieder extraits de l'Italienisches Liederbuch. Gabriel FAURE : 5 mélodies «  de Venise  ». Serge RACHMANINOV : mélodies extraites de Chest Romansov op. 4 et de Dvenadtsat Romansov. Charles KOECHLIN : extraits de «  Cinq mélodies » op. 5 et de « Sept Rondels » op. 8. Ernest CHAUSSON : Chanson perpétuelle, op. posthume 37. Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano. Roger Vignoles, piano. Quatuor Psophos. 1CD Naïve : V 5355. TT.: 63'17.

Pour son nouveau récital, Marie-Nicole Lemieux reste dans la sphère mélancolique. Le disque emprunte son titre à La Chanson perpétuelle d'Ernest Chausson, que la chanteuse avait inscrite au programme de son concert à l'Amphithéâtre Bastille en 2013, et propose un voyage à travers l'Europe de la fin du XIX ème siècle qui, souligne-t-elle, marque «  l'apogée de la mélodie française ». Elle est entourée dans cette pièce d'un quintette instrumental et la voix s'épanouit admirablement, s'enroulant dans leurs volutes, et la diction impressionne. Les Trois Poèmes de Guillaume Lequeu (1870-1894) exhalent pareille veine mélancolique, même dans « Ronde » malgré une apparente nonchalance de ton, tandis que « Nocturne », avec le renfort du quatuor à cordes, révèle mystère et langueur. Les « Mélodies de Venise » de Gabriel Fauré (1891) découvrent une manière tout sauf aseptisée. La fine poésie de Verlaine y palpite de sensualité. A l'inverse de beaucoup d'interprètes, Marie-Nicole Lemieux privilégie une approche plus dessinée, gourmande du mot, et «  Mandoline » ou « Green » en acquièrent une densité nouvelle, alors que « C'est l'extase » n'a rien de vaporeux. Le pianisme de Roger Vignoles est à l'unisson. Marie-Nicole Lemieux offre aussi quelques pièces de Charles Koechlin, tirées des « Cinq mélodies » op. 5, et des « Sept rondels » op. 8. Des premières, « Si tu le veux » est un régal, la voix évoluant sur l'ondoiement du piano, tandis que « Menuet » est tout de nostalgie. Des Sept rondels, sur des poèmes de Théodore de Banville, elle propose, entre autres, « La lune », seul vrai trait d'esprit du récital. Hugo Wolf la montre à l'aise en territoire germanique. Les pièces de Serge Rachmaninov lui conviennent encore mieux car le timbre grave y trouve matière à s'épanouir naturellement, proche de l'effusion opératique. Ainsi en est-il du très célèbre « Ma belle, ne chante pas devant moi ». La déclamation est expressive et le legato superbe, tout comme l'accompagnement démonstratif. Sa grande voix, Marie-Nicole Lemieux sait la dompter pour la mettre au diapason de la confidente récitaliste, tout comme elle canalise son tempérament expansif pour se faire patte de velours. Roger Vignoles est un sûr partenaire pour installer à chaque instant le juste climat et donner vie à ces belles miniatures.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Les Ombres Heureuses ». Les organistes français de la fin de l’Ancien Régime. Olivier Baumont, orgue & piano. 1CD Éditions Radio France, Collection Tempéraments : TEM 316053. TT : 63’31.

C’est probablement au XVIIIe siècle que la musique pour orgue s’anoblit, s’embellit et s’enrichit, période où compositeurs et facteurs d’instruments se réunissent dans une symbiose étroite tout au service de la musique, au service de la sonorité, miracle de la musique qui naît d’une altérité chaque fois renouvelée et partagée qui produira ces pièces peu connues que nous propose Olivier Baumont dans cet enregistrement. Des compositeurs de l’Ancien Régime, Claude Balbastre (1724-11799), Michel Corrette (1707-1795)h Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier (1734-1794), Armand-Louis Couperin (1727-1789), Josse-François-Joseph Benaut (1741-1794) et Guillaume Lasceux (1740-1831). Des maîtres aujourd’hui oubliés et des œuvres qu’Olivier Baumont a judicieusement choisies comme un journal d’orgue qu’on feuillette avec plaisir et nostalgie. Des instruments exceptionnels comme l’orgue Dom Bedos-Quoirin (1748) de l’église Sainte-Croix de Bordeaux et le pianoforte-orgue, insolite piano organisé Erard-Frères (1791) conservé au musée de la Cité de la Musique à Paris. Un disque, on l’aura compris, tout à fait exceptionnel par le choix de œuvres, par la nature de l’instrumentarium et par la qualité de l’interprétation d’Olivier Baumont. On regrettera toutefois une prise de son qui parait parfois un peu plate. Un disque original et didactique.

Patrice Imbaud.

 

Carl Maria von WEBER. Johann Nepomuk HUMMEL. Early Romantic Concertos for Clarinet & Trumpet. Philippe Cuper, clarinette. Éric Aubier, Trompette. Orchestre Symphonique de Bretagne, dir. Claude Schnitzler & Vincent Barthe. 1 CD Indésens : INDE067. TT : 73’45.

Réédition par le label Indésens de quatre œuvres emblématiques du répertoire pour clarinette et trompette, les Concertos n° 1 & n° 2 et le Concertino pour clarinette de Carl Maria von Weber (1786-1826) et le Concerto pour trompette de Johann Nepomuk Hummel (1778-1837). Des concertos incontournables, joués, ici, par des figures reconnues des vents français, le clarinettiste Philippe Cuper et le trompettiste Éric Aubier. Weber composa en 1811, à l’intention de son ami le clarinettiste virtuose Heinrich Baermann, l’aimable concertino et les deux concertos, des œuvres qui exploitent au mieux toutes les possibilités expressives et techniques de la clarinette. Hummel reste encore inscrit dans les mémoires par ce concerto pour trompette datant de 1803, dédié au trompettiste Weidinger. Des œuvres maîtresses où l’on peut juger de la proximité des instruments à vents avec la voix, de la complainte de la clarinette aux accents plus soutenus de la trompette. Des compositions qui font la transition entre classicisme et romantisme, qu’il est bon d’écouter et de réécouter surtout quand l’interprétation est d’une telle qualité.

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Romance oubliée ». Hermine Horiot, violoncelle. Ferenc Vizi, piano. 1 CD Collection 1001 Notes : 1001notes 05. TT : 64’16.

Un premier disque pour la jeune violoncelliste Hermine Horiot, mais un coup de maître. Associée au pianiste Ferenc Vizi dans un programme éminemment romantique, Dvořák, Schumann, Chopin et Liszt. Un bel enregistrement qui ravira tous les amateurs de musique de chambre. Une sélection de pièces connues, jouées par les plus grands, des ambiances différentes, mais une même poésie portée par la sonorité superbe du violoncelle, Waldesruhe et Sonatine de Dvořák, Trois Romances de Robert Schumann, la grande Sonate de Chopin et Romance oubliée de Liszt. Une très belle interprétation toute en ressenti, en nuances, construite avec intelligence autour de la sonate de Chopin qui explore à elle seule tous les méandres de l’âme romantique, de sa part d’ombre, de sa romance oubliée comme une mélodie perdue qu’on a de cesse de retrouver. Bravo ! Un pari audacieux totalement maîtrisé. Une violoncelliste à suivre…

 

Patrice Imbaud.

 

                                                

Gabriel FAURÉ. Quatuor avec piano n° 1, Op. 15. Mel BONIS. Quatuor avec piano n° 1, Op. 69. Quatuor Giardini. 1 CD Evidence : EVCD004. TT : 56’45.

Le Quatuor Giardini (du nom d’un des premiers compositeurs du genre quatuor avec clavier) nous présente ici un enregistrement d’un grand intérêt musical, par le choix des œuvres et par la qualité de leur réalisation. Le genre quatuor avec clavier remonte au milieu du XVIIIe siècle, époque ou le clavecin s’émancipe, devient instrument soliste et où se développe parallèlement le genre concertant, faisant d’abord appel aux cordes exclusives, avant de s’enrichir de l’effectif des vents. Mozart lui donna ses lettres de noblesse, bientôt secondé par les compositeurs romantiques et post romantiques. Il serait vain de présenter Gabriel Fauré (1845-1924), sans nul doute un des plus fameux musiciens français, maitre reconnu en matière d’harmonie et de mélodie. Son Quatuor avec piano n° 1 appartient à sa première période compositionnelle puisqu’écrit entre 1876 et 1879. En revanche, Mélanie Bonis (1858-1937) est probablement moins connue du grand public. Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, son œuvre, souvent entravée par sa vie personnelle et le conservatisme ambiant, comprend environ trois cents pièces, tous genres confondus, musique de chambre, musique pour piano, musique vocale et orchestrale. Son Quatuor avec piano n° 1 fut composé entre 1900 et 1905. Deux œuvres bien différentes. Si le Quatuor de Fauré  révèle immédiatement toute sa plénitude musicale, chargée de lumière, de tumulte et de drame, celui de Mel Bonis parait plutôt en demie teinte, empreint de nostalgie, d’une certaine pudeur dans l’expression qui en fait tout le charme. Un disque remarquable qui frappe d’emblée par la cohésion du Quatuor Giardini, par la sensibilité musicale de chacun de ses membres et par la qualité de la prise de son. Un disque qui fera référence ! Un Quatuor original et talentueux à suivre…

 

Patrice Imbaud.

 

 

Ralph VAUGHAN WILLIAMS. Paul HINDEMITH. Florent SCHMITT. Charles KOECHLIN : Les altistes engagés. Vincent Roth, alto. Sébastien Beck, piano Erard. 1 CD Editions Hortus. Collection « Les musiciens et la Grande Guerre. Vol VII ». HORTUS 707. TT : 60’53.

Septième volume de cette magnifique collection que le label Hortus consacre aux « Musiciens et la Grande Guerre ». Comme pour les précédents opus, un choix pertinent d’œuvres originales et des interprètes de qualité qui feront, à n’en pas douter, le succès de ce disque. Loin d’entraver la progression de l’avant-garde musicale, initiée notamment par Stravinski et son Sacre du Printemps datant de 1913, la Grande Guerre semble avoir toutefois modifié la donne, par l’enrôlement et l’expérience du front que connaitront nombre de jeunes compositeurs français, allemands ou anglais. Ralph Vaughan Williams (1872-1958) s’engage comme brancardier, sa Romance pour alto et piano, aux accents tragiques, date de 1914. Paul Hindemith (1895-1963) porte dès l’âge de 19 ans le deuil de son père tué dès le début du conflit dans les Flandres. Altiste hors pair, sa Sonate Op. 11 n° 4, de 1919, post romantique, s’inscrit dans la tradition allemande, à la fois lyrique et expressionniste. Florent Schmitt (1870-1958) compose sa Légende en 1918, malgré sa profonde tendresse, elle reste chargée d’angoisse. Charles Koechlin (1867-1950) s’engage comme infirmier et continue de défendre l’avant-garde cosmopolite par le biais de la Société Indépendante de Musique face à la très nationaliste Société Nationale de Musique, émanant de la Schola Cantorum. Sa Sonate Op. 53, écrite en 1915, est une partition déchirante empreinte de désolation. Un disque marqué par le sceau de la guerre, par ses atrocités, par ses drames, où la complainte de l’alto est ici résignée et désolée, ailleurs agitée et vindicative, mais toujours magnifiquement expressive et émouvante comme la voix venue d’ailleurs d’une humanité souffrante qui n’aspire qu’au repos. Beau et émouvant !

Patrice Imbaud.

 

 

Jean-Louis FLORENTZ : De Cire et Or. Thomas Monnet, orgue. 1 CD Editions Hortus : HORTUS 114. TT : 86’20.

Un disque comme un hommage au compositeur Jean-Louis Florentz disparu il y a dix ans. Compositeur et organiste, musicien atypique, avide de découvertes sonores, ancien élève d’Olivier Messiaen, Jean-Louis Florentz (1947-2004) fut un homme de foi dont la musique encore trop méconnue s’adresse à l’orgue, à la voix ou au violoncelle. Une œuvre ayant réussi le difficile syncrétisme entre musique africaine, proche orientale et tradition debussyste, une œuvre toute imprégnée de spiritualité et de symbolique religieuse. Une musique puissante, parfois dérangeante qui ne laisse pas indifférent, apocalyptique, onirique, véhémente quasi militante, évoluant par grands plans sonores, par clusters et répétitions. Une musique qui invite à découvrir la face cachée de la vraie médaille, une musique au service de la foi, une musique qui vous transporte dans un autre monde, celui de la méditation et de la prière. Thomas Monnet, sur l’orgue de Roquevaire, nous propose dans cet enregistrement un véritable parcours initiatique à travers quatre compositions emblématiques, constituant l’intégrale de la musique pour orgue de Florentz, Les Laudes comme des icônes de la Vierge Marie pleurant la persécution de l'Éthiopie, l’Enfant noir, conte symphonique inachevé d’après le roman éponyme de Camara Laye, Debout sur le soleil, chant de résurrection ouvrant la voie des ténèbres vers la lumière, et la Croix du Sud, poème symphonique inspiré d’un poème touareg célébrant la rencontre avec Dieu. Un disque de musique sacrée contemporaine, un document rare, servi magnifiquement par Thomas Monnet. Une découverte à ne pas manquer ! Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur Jean-Louis Florentz, signalons la sortie prochaine du livre que lui consacre l’organiste Michel Bourcier. A suivre….

Patrice Imbaud.

                                                

 

Laurent LEFRANÇOIS. Balnéaire.  Chamber Music. 1 CD Evidence Classics/ Little tribeca : EVCD005. TT : 49’30.

Ramage et plumage font ici bon ménage. A la qualité des compositions répond la qualité superlative des interprètes, pour cet enregistrement de musique de chambre contemporaine regroupant dix ans de composition de Laurent Lefrançois utilisant des effectifs chambristes à géométrie variable. Sextuor mixte pour fluûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano, Padouk Phantasticus pour marimba et clarinette, Toccata sesta pour quatuor à cordes, Approaching a city pour hautbois, clarinette et basson, Erinnerung pour quatuor à cordes et Le Nouveau Balnéaire pour piano à quatre mains. Des interprètes de renommée internationale comme Paul Meyer à la clarinette, Magali Mosnier à la flûte, le quatuor Parisii, François Meyer au hautbois, Gilbert Audin au basson, Ria Ideta au marimba, Nima Sarkechik et Cyril Guillotin au piano. Des œuvres superbement construites, centrées sur le rythme, la mélodie, l’alchimie des timbres et le plaisir de l’écoute où Laurent Lefrançois affirme clairement sa différence, son attachement à l’héritage du passé, son lyrisme et son talent de compositeur. Un disque coup de cœur .

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

« La trompette de Noël ». Eric Aubier, trompette. 2 CDs Indésens : INDE072. TT : 78’20 + 56’51.

Georges Gershwin, Michel Legrand, Claude Bolling, Guy-Claude Luypaerts, Spiritual, Georges Bizet, César Franck, Bach, Gounod, Mozart, Jeremiah Clarke et Tomaso Albinoni, tous ces compositeurs réunis dans un large florilège de différentes pièces pour trompette. Musique classique, comédie musicale, musique de film, jazz et variétés qui raviront petits et grands. Des œuvres profanes et religieuses que le trompettiste Eric Aubier conduit avec sa maitrise habituelle, avec la complicité du compositeur et organiste Thierry Escaich pour les arrangements. Un disque comme un hommage rendu à Maurice André. A savourer comme une friandise en ces fêtes de fin d’année.

Patrice Imbaud.

 

                                                     

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MUSIQUE ET CINEMA

 

Haut

Vu et à Voir 

 

Le Festival de La Baule vient de vivre sa première édition. Le palmarès décerné est le suivant :

 

Ibis d'or du meilleur film : Abd Al Malik pour son film « Qu'Allah Bénisse la France »

Ibis d'or de la meilleure musique de film : « Eden » de Mia Hansen-Love avec une musique de DaftPunk.

Ibis d'or décerné par le public : « Swim Little Fish Swim » de Lola Bessis et Ruben Amar.

Deux Ibis d'or ont été également remis à Claude Lelouch et Francis Lai

pour couronner cinquante ans de collaboration.

 

 

La Musique à l'Image au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris

 

Jeudi 18 décembre 2014 au Conservatoire porte de Pantin, devant une salle comble, l'Orchestre du Conservatoire de Paris sous la direction de Laurent Petitgirard a interprété deux pièces de 2 minutes 30 composées par chacun des neuf élèves de la classe de composition de Musique à l'image de Laurent Petitgirard. C'est sur deux séquences du film de « Monsieur Hire » de Patrice Leconte (Hire regarde par la fenêtre la femme d'en face - Hire sur le toit et sa chute) que ces jeunes compositeurs – moyenne d'âge 23 ans -  ont exercé leur talent en présence du réalisateur. Cet exercice était passionnant à écouter et Patrice Leconte à tour à tour donné son avis avec beaucoup de gentillesse, d'acuité, d'émotion, sur ces musiques qui remplaçaient l'originale, celle de Brahms et de Michael Nyman. Tous ces styles, du plus romantique au plus contemporain, ont montré la richesse d'écriture et d'orchestration de ces compositeurs en devenir. Certains de ces jeune gens ont déjà écrit pour des courts-métrages ou pour des jeux vidéo. La relation entre ces compositeurs et les écoles de cinéma commence à peine à voir le jour. On sait que les compositeurs connaissent mal le cinéma et que les réalisateurs ne connaissent rien de la musique. On espère que ces contacts donneront des résultats sur le plan artistique. Benjamin Attahir, Maël Oudin, Axel Nouveau, Naraé Chung, Stéphane Gassot, Thomas Chabalier, Julien Giraudet, Robin Melchior et Arthur Ouvrad sont sûrement les Georges Delerue, Antoine Duhamel ou Alexandre Desplat de demain. C'est ce qu'on leur souhaite.

 

De nombreux concerts sont donnés au Conservatoire (Classique, jazz, et même de la danse) ainsi que des entretiens passionnants. Pour tous renseignements, faire  www.conservatoiredeparis.fr

 

 

Rueil-Malmaison et le ciné-concert annuel

 

 

Le 24 novembre 2014, la sixième édition de la semaine du court-métrage  au Théâtre André Malraux s'est achevée avec la remise du prix international du court métrage et un ciné-concert avec l'Orchestre Symphonique des élèves du Conservatoire de Rueil-Malmaison dirigé par Jean-Luc Tourret. Cette année, c'est Costa Gavras qui était à l'honneur. En première partie on a pu voir ou revoir deux courts-métrages qu'il avait réalisés. L'un à l'occasion du centenaire du cinéma « Lumière et compagnie » et l'autre pour Amnesty International, « Contre l'Oubli ». Arrangés pour le concert par Gilles Tinayre, Kirsten Harma et Anne-Sophie Versnaeyen on a ensuite entendu des extraits de la célèbre musique de « Z » composée en prison, à l'époque de la dictature grecque, par Mikis Théodorakis, de « L'Aveu » de Jacques Météhen, de la belle musique de Sarde pour « Music Box », du curieux score de Vangelis Papathanassiou pour le magnifique film « Missing », un paso doble de Pascal Marquina et un passage de la musique de Jean Musy pour « Claire de Femme ». On a pu aussi se rendre compte, à l'écoute de l'orchestre et à la vision des extraits de films, que les musiques d'Armand Amar, le compositeur actuel des derniers films de Costa Gavras, sont de style passe partout. Qu'elles soient écrites pour « Amen », « Le Capital » ou « Le Couperet », elles pourraient être interchangeables car peu inventives. C'est le risque d'un tel concert. Le réalisateur a été interviewé par Yves Alion, le rédacteur en chef de l'Avant-Scène Cinéma, sur l'exposition photos qui se tenait en même temps que le concert, et bien sûr sur son parcours cinématographique. C'est une bien belle et passionnante manifestation qu'offre chaque année le Théâtre et la Ville de Rueil-Malmaison.

 

https://www.youtube.com/watch?v=jbaS5o_yBME

 

 

L'Orchestre Symphonique de Bretagne, sous la Direction d'Aurélien Azan Zielinski, interprétera les plus belles musiques de film françaises sur scène,

 

le dimanche 11 janvier à 17h

A ARRADON dans le Morbihan à La Lucarne

le mardi 13 janvier à 20h30

A CESSON-SEVIGNE en Ille-et-Vilaine à Le Carré

 

le samedi 17 janvier à 20h30
A SAINT-GILLES en Ille-et-Vilaine au Sabot d'Or

 

Au Programme : Antoine Duhamel Ridicule, Alexandre Desplat La Jeune fille à la perle, et Michel Portal Docteur Petiot
Jean-Michel Bernard La Science des Rêves, Patrick Doyle Indochine, Ludovic Bource The Artist
Vladimir Cosma La 7e cible, Francis Lai Love Story, Jean-Claude Petit Cyrano de Bergerac

Gabriel Yared Camille Claudel, Philippe Rombi Joyeux Noël, Robert Fienga La maison démontable

Olivier Calmel L'Art des Thanatier, Jacques Davidovici Full Frontal, Serge Perathoner Ushuaia

Eric Serra Arthur et les Minimoys, Pascal Le Pennec Le Tableau ,Francis Lai Un Homme et une Femme


Stéphane Loison.

 

 

Entretien

 

Rob, un musicien atypique...

 


DR

 

De son vrai nom Robin Coudert, alias Rob, est né en 1978 à Caen. Ce musicien atypique nous a accordé un entretien dans son studio Porte des Lilas au milieu d'une multitude d'instruments « vintage ».

 

Comment êtes-vous venu à la musique de film ?

 

Au départ la musique de film n'était pas une volonté, même si rétrospectivement tout m'y amenait. Ce que j'écoutais enfant c'était pratiquement que de la musique pour l'image. Les belles musiques de dessins animés, comme « Les Cités D'or» de Shuli Levy et Haim Saban, avec beaucoup de synthés, ont marqué toute ma génération. Cadet d'une fratrie de quatre enfants, j'entendais ce qu'écoutaient mes frères. Je me souviens ainsi de la musique du « Bal des Vampires », de « Mission ». J'ai vu « Dune » à six ans avec la superbe BO de Toto. Un autre des traumatismes musicaux de mon enfance a été la musique de Nyman pour « Meurtres dans un Jardin Anglais ». Elle me perturbe encore aujourd'hui. La musique de film c'est une musique en fait qui me hante inconsciemment depuis que je suis enfant.

 

Vous baignez donc dans un univers musical ?

 

A huit ans j'étais au conservatoire et je jouais de la trompette. C'est un instrument très ingrat. J'ai joué de cet instrument parce qu'on n'avait pas besoin de passer par la classe de solfège. Mais en fait je ne l'ai jamais apprécié. Comme j'étais d'une constitution fragile, je n'ai pas pu continuer et mon père m'a acheté un synthé, et là ça été la révélation. Je devais avoir 11ans et c'était fantastique. Mon grand frère était guitariste et son univers c'était plutôt gothique, hard rock et films d'horreur. Il a fait mon éducation musicale. Il a commencé par Thiéfaine, puis hard rock, jazz rock, jazz funk, et jazz, tout cela dans une musique assez haut de gamme. Aujourd'hui il est très connu par les collectionneurs de disques à « La Dame Blanche » à Paris, un des magasins de vinyles les plus pointus de la capitale. C'est lui qui m'a initié à la musique de genre. Comme il était guitariste, c'est lui qui m'a appris à jouer dans un groupe, il a amené toute sorte d'instruments à la maison ce qui m'a permis d'en jouer plusieurs. Ma mère a une sensibilité musicale très poussée, elle chantait dans une chorale et je me souviens qu'elle avait participé à un spectacle Xenakis. Ca m'a élargi mon spectre musical.

 

Vous vouliez en faire votre métier?

 

La musique c'était le plaisir d'en faire, de l'amitié, de jouer en groupe. J'ai eu plusieurs groupes, un de hard rock, puis de funk. On s'est retrouvé à être douze sur scène, avec une section cuivres, percus, et c'est à ce moment que j'ai commencé à m'amuser avec les synthés. J'avais un Rhodes, un MS20, le groupe sonnait assez bien. Cela s'est fini dans l'amour et le sang à la fin de l'adolescence… Le conservatoire m'avait dégoûté, j'avais arrêté le solfège rapidement, je me voyais plutôt faire de l'histoire de l'art, appendre les techniques de la peinture, de la phogravure, de la photo… Je voulais être peintre. J'ai fait les Beaux-Arts de Paris. J'y suis entré très tôt, à dix neuf ans. C'était pour moi un monde où je ne me sentais pas bien, c'était trop grand. J'avais une vision naïve, la vie de bohème de l'artiste. L'atelier où j'étais, n'était pas fait pas pour moi. Le seul où je me suis senti bien c'est celui de la photogravure. J'ai eu de graves ennuis de santé et j'ai tout abandonné sur place, mes peintures, mes pinceaux, et je me suis mis à faire de la musique underground. J'ai vécu à ce moment là la vie de bohème comme je me l'imaginais, celle des peintres ! Jour et nuit dans un appartement de fonction où je vivais d'une manière illégale, je pouvais m'adonner à la musique. J'avais accumulé pas mal d'instruments. Les Phoenix que j'avais rencontré à l'époque de l'orchestre Funk m'avaient prêté un enregistreur à bande. C'était une vraie période de jeunesse artistique. C'est là que j'ai composé mon premier album.

 

Qui l'a produit ?

 

C'est Source Virgin que j'avais connu par Phoenix. Le deal était de sortir des compil de jeunes musiciens. Ils appelaient ça les compil' Source Lab. Plusieurs groupes avaient ainsi été  lancés. Là ils cherchaient la nouvelle génération. Phoenix, Sébastien Tellier étaient dedans. Pas beaucoup de noms ont perduré ; moi j'y étais aussi. C'est à ce moment que je me suis appelé Rob, mais je n'avais aucune conscience de ce que cela impliquait, car au bout d'un an j'étais produit ! A cette époque, c'était la pente descendante de la French Touch, les dernières belles années. Après un premier album avec un budget quasiment illimité, j'avais 22 ans, j'ai signé un contrat avec 500 000 francs d'enregistrement et autant pour la promo ! Pour le « crevard » que j'étais, c'était inespéré. Moi, passionné de musique de film, de musique expérimentale et de pop seventies, j'ai eu tous les moyens rêvés pour faire cette musique là ! J'avais décidé de tout faire sur bande et sans ordinateur, tout en direct !

 

Résultat ?

 

Magnifique, splendide ! Un album mythique parce qu'aucune concession commerciale, et très peu vendu, totalement incompris ! Trois ans après Source a coulé à cause de leurs prises de risques et de l'effondrement de l'industrie du disque. C'était un album dans la ligné de Hair, de la pop instrumentale. Mais là où eux étaient plus lounge, exotica, easy listening, ce qui plaisait aux anglais, moi j'étais plus rock. C'était une musique classée mauvais goût. Je n'avais aucune conscience de ce que j'avais fait, je n'avais pas de recul. On me parlait de Pink Floyd alors que je n'avais jamais entendu ce groupe ! J'avais quelques bons retours quand même et j'étais content de ce que j'avais composé.

 

Il s'appelait comment ?

 

L'album s'appelait « Don't Kill ». Il a été fait de manière artisanale : j'y joue de pratiquement tous les instruments. Le résultat est étonnant. J'ai enchaîné un deuxième album, « Satyred love », en même temps que mon deuxième pneumothorax ! J'étais bien cassé. J'avais décidé de ne faire que des chansons, des histoires d'amour un peu salaces. La boîte a coulé aussi sec, donc le disque est pour le compte ultra mythique, il n'est jamais sorti !

 

Suite à cet échec tout devait être compliqué je suppose ?

 

Oui, retour à la bohème ! Sauf que j'avais connu des moyens de production fabuleux. C'est à ce moment que j'ai pris du recul par rapport à ma musique et au milieu professionnel. J'ai tout connu au bon âge parce que c'était la jeunesse. C'était le moment avec ma femme, et le fric qu'on me donnait, de pouvoir partir où on voulait ! On en a beaucoup profité ! Suite à cet échec j'ai eu ma période RMI, appartement avec cuisine dans le placard. Mais la musique ne m'avait pas quitté. Je connaissais pas mal de gens dans le milieu et j'ai toujours pu continuer à composer. C'est à cette époque que j'ai rencontré Jack Lahana, mon ingénieur du son, mon partenaire depuis. C'est lui qui a mixé l'intégralité de mes disques. Ensemble on a expérimenté tous les studios qu'on nous prêtait. J'ai enregistré pendant trois ans des heures et des heures de musique. C'était une grande période de disette et d'expérimentation, d'intensification de la musique. Maintenant que je n'en vivais plus, j'en avais toujours envie, donc c'était une période heureuse en définitif ! J'ai fait plein de petits boulots, dont ouvreur dans un cinéma au Gaumont Grand Écran, place d'Italie. C'était une salle qui attirait des passionnés. J'ai vu un public spécial quand on a projeté « Le Seigneur des anneaux ». Travailler dans un cinéma c'était intéressant, vu la suite de ma carrière. J'ai aussi été pianiste pour Sébastien Tellier. Lui s'en était mieux sorti et on faisait des cabarets ensemble. On a fait l'ouverture du Baron, c'était assez marrant. Sébastien faisait des sortes de happenings et en même temps sa musique était très belle, c'était très émouvant. Mais parfois c'était dur de le soutenir artistiquement et humainement. On a fait pas mal de voyages, on a fait des concerts avec Tony Allen, un des meilleurs batteurs du monde. Phoenix m'ont proposé de les rejoindre sur scène. Une belle proposition pour une grosse tournée. C'était en 2006, je me suis marié et je n'ai pas arrêté de voyager. Çà m'a permis de me refaire financièrement.

 

C'est à ce moment là, pendant que ma femme faisait des études de réalisatrice à la FEMIS, que j'ai côtoyé la nouvelle génération du cinéma français, Rebecca Zlotowski, Teddy Modeste, mais aussi un label qui s'appelait Institubes. C'était un label de technorap expérimental, pas du tout mon genre, mais qui avait à l'époque un directeur, directeur artistique qui s'appelait Jean-René Etienne, curieux et intelligent, qui aimait ma musique. Il la connaissait lui ! Je lui ai donc dit que j'avais des heures et des heures de musique. Il a écouté et c'est ainsi qu'est née l'idée du dodécalogue, un projet hors format, donc pas de contrainte de durée, pas commercial. Le principe était de livrer un disque par mois, pendant un an, d'où le titre. On a greffé un contexte biblique pour se donner une ligne artistique, mystique, histoire de se marrer, d'où des pochettes magnifiques, de noms de morceaux. J'ai exploité tout ce que j'avais composé pendant quatre ans en le remaniant, en le remixant, en rajoutant des morceaux. Il s'est vite avéré que le rythme était intenable et que cela coûtait très cher, car ma vision artisanale de composer de la musique l'était. Sortir 12 disques d'un artiste qui n'avait jamais cartonné entraîna la fin du label !

 

Vous êtes un artiste dangereux !

 

Un label c'est fait pour prendre des risques de couler. Je suis fier de ne pas avoir le profil pour une major ! J'ai de la chance de ne pas avoir de succès discographique ! Dès qu'on a du succès, après on est foutu ! Si tu fais quelque chose qui plaît au public, tu es obligé de refaire la même chose ensuite et c'est la fin d'une carrière artistique. Moi je n'ai pas ce profil là, Dieu m'en préserve ! En revanche j'ai sorti énormément de disques qui plaisent à un public de connaisseurs, de gens qui aiment chercher la différence. Je pense que ce public est sensible à ma sincérité. C'est à cette époque que j'ai commencé à travailler pour les autres. J'ai produit l'album d'Alizée, mais j'ai fait pire, par exemple l'album de Melissa Mars, une des chanteuses de la comédie musicale « Mozart ». J'ai fait aussi des albums pour Zaza Fournier…

 

Revenons au cinéma...

 

Ma première musique de film a été pour le court-métrage de ma femme, Maria Larrea. C'est « Pink Cowboy Boots » où je joue dedans ainsi que Sébastien et Camille Lagache qui chantaient dans mon premier album. Puis Rebecca Zlotowski m'a demandé si je ne voulais pas faire la musique de son film. Toujours prêt à de nouvelles expériences, j'ai accepté. Lorsque je parle de musique mes références sont toujours des images. Si je parle de guitare classique c'est « L'Arme Fatale ». Ma musique est toujours synonyme d'émotions, je n'ai jamais fait de musique pour danser, pour faire la fête ; c'est toujours une musique qui parle de déceptions amoureuses, la perte d'un proche, l'ennui, et des choses abstraites. Pour les gens qui travaillent l'image, ma musique leur parle. Rebecca m'a donc proposé son film puis très vite un réalisateur de la même promo m'a demandé de composer la musique du sien. Je me suis trouvé à avoir à faire en même temps le « Décalogue », la tournée de Phoenix et deux longs métrages. C'était le début d'une période fantastique qui n'a pas cessé depuis.

 

Comment avez-vous travaillé avec ces deux jeunes réalisateurs ?

 

Comme c'était leur premier long-métrage, et moi ma première BO, on a beaucoup parlé de l'idée du film, après du scénario, après des rushes. J'ai participé à tout le processus. C'était passionnant parce que c'étaient des films d'auteur, et comme c'était le premier, il y a beaucoup d'eux-mêmes. J'ai travaillé sur les deux simultanément. « Belle Épine », le film de Rebecca, est très rock, fin seventies, alors que « Jimmy Rivière » est une musique plus planante, style Popol Vuh. Les deux réalisateurs ont des manières de travailler très différentes. Rebecca demande des musiques très spéciales, revient en arrière, puis change d'avis, le montage bouge beaucoup. Alors que Teddy avait une vision plus stable du film, il savait exactement ce qu'il voulait. C'était un rythme de travail assez fou.

 

Question budget ?

 

C'étaient des films de réalisateurs qui sortaient de La FEMIS. Grâce au CNC il y avait de l'argent que je ne gérais pas à l'époque, et je crois que c'étaient les plus petits budgets que j'ai jamais eu. Mais comme je travaillais sur plusieurs projets, dont ceux pour Institubes, tout passait chez Institubes, une petite magouille. J'aime travailler sur plusieurs projets en même temps. Les réalisateurs n'aiment pas ça, ils pensent qu'on ne se concentre pas si on travaille ainsi. Moi ça me permet de tenir financièrement et artistiquement.

 

Et au niveau instruments vous aviez ce que vous vouliez ?

 

Oui, j'ai eu de vrais instruments mais il n'y avait pas de cordes. L'orchestre est venu plus tard dans ma carrière.

 

Ces deux premiers films n'ont pas eu un grand succès. « Bel Épine » a été un succès critique. Par contre « Radiostars » a eu un joli succès, avec une musique totalement différente.

 

C'était un film plus commercial très réussi et j'ai appris à travailler ce coup-ci avec un producteur, Alain Attal. C'est lui qui va le vendre et gagner de l'argent, donc il met son nez partout. Contrairement aux films d'auteurs où on se permet une expérimentation, là il faut que tout soit calibré par rapport à un public. Et donc la musique doit être en parfait accord avec la situation, soit au niveau de la vanne qui est dite, soit au niveau de l'émotion qui est exprimée. Plus on nous ajoute de contraintes, plus ça nous force à nous dépasser et il n'y a rien d'avilissant dans cette méthode. Romain Levy avait une vision très américaine de son film, style Judd Apatow, les frères Farrelly. Travailler une comédie c'était difficile pour moi qui ne ris jamais !

 

Comment êtes-vous venu sur Maniac?

 

Aja était aux États-Unis et il m'a téléphoné. Il avait vu « Belle Épine », avait adoré, il voulait une musique dans ce style, des ambiances nocturnes, il aimait Tangerine Dream.

 

Je suppose que vous n'aviez pas écouté la musique de Chattaway du premier « Maniac » ?

 

Non, surtout pas. J'ai vu le film après, qui est totalement différent de celui d'Aja. Je connaissais de mon enfance la pochette terrible et culte de « Maniac » qu'avait mon frère. J'ai regardé les films d'Alexandre, comme « Piranhas », « La Colline a des Yeux ». J'ai aimé, été séduit par le côté dégueulasse des images et je me suis dit que ça devrait être formidable de faire de la musique pour de telles images !

 

Souvent dans ces films de genre la musique est « pléonasmique » ?

 

Oui, j'ai fait ce constat, et si Alexandre m'a appelé c'est pour que je fasse quelque chose de différent, comme souvent les autres réalisateurs. Son idée c'était d'avoir des musiques profondément sentimentales puisque c'est ma spécialité. Il m'a parlé tout de suite de caméra subjective et j'ai compris à la lecture du scénario qu'on allait être dans la peine, la tristesse du personnage. J'ai fait une musique comme si c'était l'histoire d'un enfant abandonné qui cherche sa maman dans la forêt, une musique hyper triste, sentimentale, nostalgique, avec aussi des passages violents. J'ai acheté des synthés que je rêvais d'avoir, je me suis enfermé pendant 15 jours avec le scénario et j'ai produit l'intégralité de la BO comme ça. Je la lui ai envoyée juste avant le tournage et il a apprécié. Ensuite il m'a envoyé les rushes, qui étaient souvent des plans séquences, vu le principe de la caméra subjective, et je plaçais la musique dessus et ça fonctionnait ! Il fallait beaucoup de musique ; A ce jour, c'est une des mes expériences musicales les plus passionnantes.

 

Avec « Horns » ça a été aussi passionnant ?

 

Deuxième travail avec Alex, mais là ambiance business américaine. Il y avait plus d'argent mais moins de liberté. « Horns » c'est un conte, c'est de l'aventure fantastique, pas un film d'horreur. C'est un film très romantique. Il voulait un score à l'américaine mais avec une couleur originale. Alex, c'est un infiltré, c'est le Français à Hollywood ! Donc j'ai composé une musique très romantique, avec des violons un peu partout, du piano. Je suis un piètre musicien, je suis autodidacte. Je me sers de l'orchestre comme d'un synthé, comme un instrument. J'avais 70 musiciens avec un orchestre de Macédoine. J'ai fait appel à un orchestrateur, car je ne sais pas écrire.

 

Et alors ces rapports avec le studio américain ?

 

Il y avait un vrai malentendu ! Au final la rencontre est sublime mais en fait on ne se comprend pas. Ils ont une vision d'un Français qui va leur faire une musique originale, romantique, et en même temps il faut que ça sonne blockbuster, il faut que ça passe les screen tests, il faut que ça soit efficace mais avec ta touche. Entre le producteur, le réalisateur et moi le musicien, il y avait une incompréhension totale. Le producteur avait engagé Radcliffe, Harry Potter ! et il voulait le positionner dans une nouvelle carrière ! Si je mettais de la musique romantique, lui il voulait que ça fasse peur ! On a eu 21 versions de montage, ce qui a été une expérience très pénible pour Alex et pour moi. Je devais couper dans les musiques ce qui ne rimait plus à rien. Le résultat en a souffert. Le film au final est un grand n'importe quoi. Quand j'écoute la musique de « Horns » j'ai l'impression que ce n'est pas moi qui l'ai écrite !

 

Populaire pourtant?

 

Il a bien marché, mais le film était trop cher, très réussi. J'étais en co-composition avec Emmanuel D'Orlando, orchestrateur, entre autres, d'Éric Neveux. La musique a été nommée au César en 2011 !

 

Et la même année il y a eu « Grand central »

 

Qui a bien marché, deuxième collaboration avec Rebecca.

 

La musique a été remarquée en tout cas

 

Parce que Rebecca sait bien l'utiliser et c'est un vrai atout pour ses films. Pas simplement pour le récit, mais un plus remarquable. Elle est très forte pour me pousser aussi. Elle m'a amené à faire une musique que jamais je n'aurai pensé pouvoir composer. L'idée était de faire vivre la centrale comme une vieille machine humaine. C'est tout simple, mais à mettre en musique c'était intéressant. Ensuite j'ai fait d'autres films, films mythiques car personne ne les a vus ! « Tristesse Club » de Vincent Mariette, film d'auteur, de La FEMIS, un peu ennuyeux, mais avec des aspects surréalistes. Les rapports entre les personnages sont inattendus et ma musique est très originale !

 

Et Aujourd'hui ?

 

Une série avec Éric Rochant pour Canal+ et le prochain film d'Alexandre Aja, « La Neuvième Vie de Louis Drax », un film transgenre avec une musique rappel à l'enfance, avec toujours des citations de  « Mission », du «  Bal des Vampires », des musiques de « Moroder ». le must quoi. Le principal il faut que ça me parle !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=iX5TFGDbnbc

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

DVD / Cinéma

 

 

Trois films et leur DVD ressortent en copie restaurée HD, dont la musique a marqué l'époque de leur sortie.

 

A HARD DAY'S NIGHT (Quatre Garçons dans le Vent) 1964. Un film de Richard Lester avec le Beatles et Wilfrid Brambell

 

Trois jours dans la vie des Beatles qui déclenchent partout où ils passent des phénomènes d'hystérie collective. Ils vont donner un concert à la télévision, et on les suit successivement dans le train, dans la rue, dans un club, en répétition, en concert, habituellement accompagnés du grand-père de Paul interprété par Wilfrid Brambell, qui sème la zizanie partout où il passe. Ce film est très important dans le domaine de la musique et de la culture. Ce n'est pas un documentaire, c'est une vraie fiction avec cinq acteurs principaux formidables et un scénario complètement délirant.  Il a été tourné en 1963 et la première a lieu le 6 juillet 1964, soit quatre jours avant la sortie de l'album qui sera numéro un en Grande Bretagne et aux USA pendant plus de quinze semaines, un phénomène inégalé ! La reine Élisabeth II est présente à la projection. Piccadilly Circus est noir de monde. C'est le début de la Beatlemania ! Le titre du film vient d'un accident de langage de Ringo qui après une journée d'enregistrement en studio a dit  « It was a hard day…night », night en s'apercevant qu'il faisait nuit en sortant du studio alors qu'ils y étaient entrés de jour. Le producteur a demandé à Lennon et McCartney d'écrire une chanson avec ce titre, ils l'ont composée le soir pour le lendemain. C'est la première fois que le tandem Lennon-McCartney a écrit la totalité des chansons et que sur l'album, leur troisième, il n'y a pas de reprises. On peut vraiment dire que c'est le premier album des Beatles. Le nom « Beatles » n'est pas prononcé dans le film. Seulement à la fin lorsqu'ils prennent l'hélicoptère de la compagnie BEA, lorsque la porte se ferme, apparaît TLES. On peut remarquer aussi leur nom sur un panneau lumineux derrière eux à la fin du concert au théâtre. C'est dans ce film que naît véritablement le clip style MTV. Richard Lester en est l'inventeur. Ce réalisateur surfe sur la vague du nouveau cinéma anglais et du swinging London, avec un style décontracté, irrévérencieux, qu'on retrouvera dans la plupart de ses films. Avec les Beatles c'est les Marx Brothers qui reviennent. Mais c'est aussi cet humour typiquement britannique tel que celui de Peter Sellers et Mike Milligan qui sévissent à la BBC. C'est le film – et la musique - de toute une génération, le baby boom. Les Fab Four deviennent à partir de ce moment un phénomène mondial dont l'influence se fait encore sentir dans la musique.

 

Dans le DVD bonus, est offert un très passionnant documentaire. Il est présenté par Phil Collins qui, tout jeune adolescent, faisait de la figuration dans la scène du concert. On y voit et entend une chanson supprimée dans le film, « I'll Cry Instead ». Les studios étaient très inquiets pour le succès du film. Ils demandèrent au producteur s'il pensait que le groupe existerait encore à la sortie du film ! Lorsque le tournage a commencé les Beatles étaient connus, et à la sortie du film ils étaient des superstars mondiales ! Georges Martin, leur célèbre arrangeur, a été nommé aux Oscars pour la musique. Richard Lester, l'année suivante, a reçu la Palme d'or avec un film aussi fou : « The Knack …ou comment l'avoir » puis il a dirigé de nouveau les Beatles dans « Help ! », tout aussi burlesque que le précédent. Le film est en noir et blanc pour lui donner un style indémodable. Richard Lester et Walter Shenson, le producteur, ont eu bien raison, « A Hard Day's Night » it's for ever !

 

On peut trouver sur internet et dans les bacs des disquaires le CD d'UK.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=GM0YOmPs8UU&list=PLD3C9605E265E69A3

 

SACCO E VANZETTI 1971. Un film de  Giuliano Montaldo avec Ricardo Cucciolla, Gian Maria Volontè. DVD remastérisé en HD.

 

Un hold-up sanglant est commis le 15 avril 1920 dans le Massachusetts. Deux anarchistes d'origine italienne, Nicolas Sacco et Bartolomeo Vanzetti, sont arrêtés. Malgré le manque de preuves formelles, ils sont condamnés à mort et envoyés à la chaise électrique. Dans les années 70 le cinéma italien était très politisé, et un genre socialement et politiquement plus direct se développa. Il y avait une similitude entre l'Italie de ces années ultra tendues et la période anti-communiste américaine des années 1920. Les réalisateurs avaient pour nom Rosi, Pietri, Damiani, Montaldo, Pontecorvo. Ce cinéma ne se limitait pas seulement à la réalité italienne et s'intéressait à des événements plus internationaux comme la « Bataille d'Alger » de Pontecorvo et ce drame aux USA dont l'histoire a bouleversé le monde entier et  a participé à l'antiaméricanisme en Europe. C'est avec justesse et classicisme que Montaldo retrace cette tragédie qui aujourd'hui reste encore dans toute les mémoires. Ricardo Cucciolla a reçu la Palme d'Or pour son interprétation de Nicola Sacco. La musique de la plupart de ses films « politiques » était écrite par le prolixe Ennio Morricone. Celle de « Sacco e Vanzetti » est devenue extrêmement connue. « La Ballade de Sacco e Vanzetti » et la chanson du film, « Here's to You »  sont de véritables hymnes en hommage à ces deux martyrs de la société capitaliste américaine. Elles sont chantées par la subversive Joan Baez.

 

« Here's to you Nicola and Bart
Rest forever here in our hearts
The last and final moment is yours
That agony is your triumph
. »

 

Le thème de la chanson est aussi le thème du film qu'arrangea selon les situations le compositeur. Cette musique reste dans la mémoire dès qu'on l'entend. Elle est souvent employée sur des images de conflits sociaux. Elle est le pendant de la musique des westerns écrite par ce génie de la musique de film qu'est Ennio Morricone. Cette BO culte se trouve facilement sur internet.

 

     

 

https://www.youtube.com/watch?v=1eBQBrDijrM

 

 

L'ENFANT LION 1993. Le film de Patrick Grandperret en DVD

 

L'Enfant lion est l'adaptation du roman de René Guillot intitulé "Sirga la lionne". Pour la première fois vient de sortir en coffret collector, remastérisé HD :

1 DVD avec le film et la bande annonce,

1 DVD des bonus avec 4h20 d'images inédites, la construction du village,  le dressage des lions, les éléphants, Oulé et les abeilles, le serpent, une fausse tornade…

1 CD de la musique de Salif Keita et Steve Hillage,

1 livre de 52 pages contenant le story-board, les photos du tournage, des jeux, des dessins commentés par le réalisateur.

 

L'histoire raconte qu'au village de Pama, sur les terres de Baoulé, hommes et lions vivaient en paix, les premiers sous la protection des seconds. Le même jour, naquirent Oulé, fils du chef Moko Kaouro, et Sirga, fille de Ouara, la reine des lions. La brousse décida qu'ils seraient frère et sœur. Ils grandissent ensemble et deviennent inséparables, passant leurs journées à chasser, au grand dam de Léna, la douce amie d'Oulé. L'enfant apprend le langage des animaux, du vent et du feu. Ses connaissances vont d'ailleurs lui devenir précieuses, lorsqu'un jour surgirent des hommes armés. La tribu est décimée et les enfants sont emmenés en esclavage. Oulé tente de retrouver sa terre natale avec l'aide des félins. Le film est un joli conte africain avec des images superbes des paysages africains. Grandperret sait nous raconter cette belle histoire d'amitié. On serait tenter de faire un amalgame avec ce qui se passe aujourd'hui en Afrique. On est dans le conte et restons-y. La musique est signée Salif Keita et Steve Hillage. Salif Keita colle parfaitement avec ce conte, il joue même dans le film. Sa voix, ses mélodies sont un apport important aux magnifiques images et à l'ambiance du film. Steve Hillage avec son expérience de musicien donne une dimension intéressante à l'histoire. Ce chanteur, compositeur, producteur a travaillé avec de nombreux groupes des années 70 (Gong, Dave Stewart, System 7). La BO de « L'Enfant Lion » est toujours aussi agréable à écouter, dont le fameux tube «  Chérie ».

 

             

 

https://www.youtube.com/watch?v=u1wNum5NEfo

 

 

BO en CDs

 

EXODUS : Gods and Kings. Réalisation : Ridley Scott. Compositeur : Alberto Iglesias. 1CD Sony n° 88875019082

 

« Exodus » est le remake des « Dix Commandements ». C'est l'histoire de Moïse qui après avoir été considéré comme un prince égyptien, retrouve ses racines d'hébreu et va emmener son peuple vers la terre promise. Avec la mise en scène de Ridley Scott on n'est plus dans la vision Saint-Sulpicienne de Cecil B. De Mille avec les deux stars qu'étaient Yul Brynner et Charlton Heston. On est dans un film où la forme prime sur le fond, où les trucages prennent le pas sur la narration. Ils sont ahurissants et remplacent la poésie naïve hollywoodienne qu'avaient « Les Dix Commandements ». Mais hélas, bien qu'aujourd'hui on se penche plus sur une soi-disant historicité, « Exodus » manque de ce souffle épique qu'avaient ces péplums des années cinquante. Alors la musique ? C'est vrai que lorsqu'on entendait les premières notes d'Elmer Bernstein, on savait dans quel univers on était emporté. Alberto Iglésias est un grand compositeur. Il s'est fait connaître en écrivant dès 1995 pour Pedro Almodovar puis pour Julio Medem. Il a reçu le Goya (équivalent des Césars) pour de nombreux films, la plupart ceux d'Almodovar. La musique de « La Taupe » a été récompensée pour les prix européens. C'est la première fois qu'il travaille sur un film de cette envergure. Pour faire plus authentique il nous propose de temps en temps une musique pseudo orientale, clichée, avec chœur et duduk, cet instrument arménien (?), et des instruments du Moyen Orient ! Il va même jusqu'à pasticher Carl Orff ! Vu les scènes « énhaurmes » qu'on nous montre à l'image, trompettes, chœurs et orchestre doivent remplir leurs rôles. Il faut du gros son et que la musique sonne vraie ! Mais on a du mal à reconnaître le style du compositeur. Tout n'est pas à jeter, loin de là. Iglésias a écrit quelques jolis thèmes, surtout les thèmes d'ambiance, plus « psychologiques ». « Climbing Mont Sinai », « I Need a general » qui flirte avec l'ouverture de L'Or du Rhin, « Ramsès Insomnia »… sont de belle facture. En lisant de plus près le booklet du CD, on s'aperçoit que les musiques dites « additionnelles » ont été écrites par Harry Gregson-Williams qui a été formé au studio Media Venture, la boîte à musique de Zimmer. On a plutôt l'impression qu'Iglésias s'est fait piéger et que la BO a été écrite par l'écurie Zimmer, c'est à dire une musique formatée pour grosse machine. Iglésias est certainement maintenant lancé à Hollywood. Attendons les Oscars qui devront choisir entre « Interstellar » et « Exodus ». La musique de film, elle, n'a rien à y gagner. Il y a belle lurette que Ridley Scott ne nous fait plus rêver ! Peut-être n'aura-t-il, comme le film de Cecil B. de Mille, que l'Oscar des effets spéciaux ! Revoyez « Les Dix Commandements » et réécoutez la musique de Elmer Bernstein rééditée par Milan!

 

           

 

https://www.youtube.com/watch?v=aPd-JpE8U3U

 

https://www.youtube.com/watch?v=BLREkfkiG7A&list=RDBLREkfkiG7A#t=142

 

 

LE HOBBIT : La Bataille des Cinq Armées. Réalisateur : Peter Jackson. Compositeur : Howard Shore. 1CD Decca

 

Voilà après 13 ans, Peter Jackson en a fini avec Tolkien et ses mythiques livres « Bilbo le Hobbit » et « Le Seigneur des Anneaux ». Comme « Le Seigneur », « Le Hobbit » aura eu trois volets. Si le précédent était longuet, même ennuyeux avec beaucoup de redites, ce dernier volet « La Bataille des Cinq Armées » est le plus abouti. Atteignant enfin la Montagne Solitaire, Thorin et les Nains, aidés par Bilbo le Hobbit, ont réussi à récupérer leur royaume et leur trésor. Mais ils ont également réveillé le dragon Smaug qui déchaîne désormais sa colère sur les habitants de Lac-ville. A présent, les Nains, les Elfes, les Humains mais aussi les Wrags et les Orques menés par le Nécromancien, convoitent les richesses de la Montagne Solitaire. La bataille des cinq armées est imminente et Bilbo est le seul à pouvoir unir ses amis contre les puissances obscures de Sauron. De par l'expérience de Peter Jackson, l'évolution des techniques, la concision du propos, on est pris de bout en bout par ce dernier épisode. C'est un film d'action qui ne nous laisse aucun répit. Il y a des bastons avec des méchants vraiment méchants, des revirements de situations, des combats corps à corps, des trucages surprenants, il y a des milliers de soldats qui s'étripent, des monstres abrutis qui cassent des fortifications à coup de tête et qui ne s'en relèvent pas, des batailles dantesques et gigantesques… Peter Jackson termine cette saga en apothéose. Si les scènes de batailles sont titanesques, les deux combats singuliers de Thorin et Legolas contre les Orques Azog et Bolg sont stupéfiants. Même si Jackson a le sens de l'épopée, il a su aussi mettre en scène quelques beaux moments « d'humanité ». Pendant toutes ces années Howard Shore a accompagné en musique Peter Jackson. Ce sont des heures de musique qu'il a composées pour ces deux cycles (21 heures ?).Pour ce dernier volet, il a trouvé encore le sens de l'épique, de la poésie, de la nostalgie, de la dramaturgie. La première séquence qui ouvre le film avec le thème « Fire and water » et la scène avec Smaug, le dragon, est magnifique tant sur le plan de la mise en scène que sur la composition orchestrale. L'ensemble London Voices est très présent dans les courtes séquences proposées. La musique n'est pas sans rappeler Dvořák ou même Wagner. Le style est assez contemplatif avec des changements brusques de tonalité et des influences celtiques. On retrouve de temps en temps des citations des deux premiers épisodes.  Pour les scènes de batailles « Battle for the Mountain » ou « To the Death » par exemple, Shore sait donner de l'orchestre, apporter de l'épique ; on est dans l'épopée musicale ! La chanson du générique de fin « The Last Goodbye », interprétée par Billy Boyd, a toute la nostalgie nécessaire pour qu'on verse une larme en pensant que le cycle est fini. Reste à lire ou à relire les livres pour retrouver Bilbo, Gandalf, Thorin, Balin, Dwalin, Fili, Kili, Dori, Nori, Ori, Oin, Gloin, Bifur, Bofur, Bombur mais aussi Elrond, Legolas, Bard…tout en écoutant les compositions de Howard Shore pour que l'aventure continue !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=mXTAE1VSSD4

 

 

GOD HELP THE GIRL. Réalisateur, compositeur : Stuart Murdock. 1CD Milan n°399590-2

 

« God Help the Girl » est un projet de Stuart Murdoch, le leader de « Belle and Sebastian » créé en 2009. Le chanteur écossais ayant composé des titres qui, selon lui s'intégraient mal au style de son groupe, décide de les enregistrer et d'en faire un album concept qui raconte la dépression du personnage central Ève. Cet album deviendra un film. La jeune Ève écrit des chansons en rêvant de les entendre un jour à la radio. À l'issue d'un concert, elle rencontre James, musicien timide et romantique qui donne des cours de guitare à Cassie, une fille des quartiers chics. Dans un Glasgow pop et étudiant, ils entreprennent bientôt de monter leur propre groupe. C'est une charmante comédie musicale enthousiasmante, sympathique avec des adolescents adorables, un bonbon acidulé comme ceux d'Haribo. Le CD est très agréable à écouter pour ceux qui aime ce genre de pop anglaise, qui apprécient le groupe « Belle et Sebastian ». On est loin des blockbusters indigestes. Vive la légèreté de l'être avec une pointe de mélancolie!

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=zPAD1T9oEsU

 

 

PENGUINS OF MADAGASCAR. Réalisateurs : Eric Darnell et Simon J. Smith. Compositeur : Lorne Balfe. 1CD Sony n°88875050652

 

Les pingouins Commandant, Kowalski, Rico et Soldat sont appelés pour travailler avec Le Vent du Nord, une organisation secrète des animaux de diverses espèces dans le but d'aider ceux d'entre eux qui ne peuvent pas s'aider eux-mêmes. Les pingouins doivent unir leurs forces avec le loup Classifié et son équipe pour arrêter le docteur Octavius Brine, qui veut contrôler le monde ! Avec un tel scénario, inutile de dire les situations abracadabrantesques qu'ont inventé les réalisateurs des studios DreanWorks ! La musique est signée par un tâcheron de Remote Control Productions, l'usine à soundtracks d'Hans Zimmer ! C'est eux qui travaillent le plus souvent avec DreanWorks – Madagascar avait été signé par Hans Zimmer - Lorne Balfe a fait des musiques dites additionnelles de blockbusters, style « Sherlock Holmes », « Inception », « Transformers ». Savoir quelles musiques il a commises pour apprécier son travail c'est plus compliqué ! Dans ce film on est dans la dérision et le savoir faire est important. On s'amuse à jouer en thème et variations sur une paraphrase musicale de Mission Impossible, de Mannix, de Lalo Schiffrin à la sauce comédie. On est dans la parodie du film d'espionnage et la musique fonctionne bien. Elle a un côté vintage, de ces séries des années 70. Lorne Balfe a fait du bon travail. Le CD est un double album où sur le disque bonus Sony offre des chants de Noël chantés par les Penguins of Madagascar !

 

https://www.youtube.com/watch?v=z62GwS_ywJQ

 

 

L'AFFAIRE SK1 Réalisateur : Frédéric Tellier. Compositeur : Christophe La Pinta et Frédéric Tellier. 1CD Cristal Records

 

Paris, 1991. Franck Magne, un jeune inspecteur fait ses premiers pas à la Police Judiciaire, 36 quai des Orfèvres, Brigade Criminelle. Sa première enquête porte sur l'assassinat d'une jeune fille. Son travail l'amène à étudier des dossiers similaires qu'il est le seul à connecter ensemble. Il est vite confronté à la réalité du travail d'enquêteur : le manque de moyens, les longs horaires, la bureaucratie… Pendant 8 ans, obsédé par cette enquête, il traquera ce tueur en série auquel personne ne croit. Au fil d'une décennie, les victimes se multiplient. Les pistes se brouillent. Les meurtres sauvages se rapprochent. Franck Magne traque le monstre qui se dessine pour le stopper. Le policier de la Brigade Criminelle devient l'architecte de l'enquête la plus complexe et la plus vaste qu'ait jamais connue la Police judiciaire française. Il va croiser la route de Frédérique Pons, une avocate passionnée, décidée à comprendre le destin de l'homme qui se cache derrière cet assassin sans pitié. Une plongée au cœur de 10 ans d'enquête, au milieu de policiers opiniâtres, de juges déterminés, de policiers scientifiques consciencieux, d'avocats ardents qui, tous, resteront marqués par cette affaire devenue retentissante : « l'affaire Guy Georges, le tueur de l'est parisien ». Avec cette affaire il fallait un super casting. Le film l'a avec Raphael Personnaz et Olivier Gourmet, et une musique en phase. C'est Christophe Pinta qui a composé le score. Il avait déjà travaillé avec le réalisateur pour une fiction TV «  Les hommes de l'Ombre ». Sa musique a toute la noirceur et la gravité qui colle au propos. C'est une musique efficace, attendue, avec des arrangements classiques et qui s'écoute avec beaucoup de plaisir. Le violon solo est tenu par Stéphanie Gonley, et Chloé Stéfani est au piano. On peut la télécharger chez Cristal Records dès le 5 janvier.

 

 

 

TIMBUKTU. Réalisateur : Abderrahmane Sissako. Compositeur : Amine Bouhafa. 1CD Universal Musique

 

Non loin de Tombouctou, tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane  mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football… Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques.
Kidane et les siens semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur destin bascule le jour où Kidane tue accidentellement Amadou le pêcheur qui s'en est pris à GPS, sa vache préférée. Il doit alors faire face aux nouvelles lois de ces occupants venus d'ailleurs… Amine Bouhafa est un jeune pianiste et compositeur tunisien qui a étudié à Paris et dont les influences sont mutiples (classique, jazz, word music). Il a composé pour six films et quelques téléfilms. Il a écrit aussi des chansons. Il a travaillé surtout avec le réalisateur égyptien Abdel Adib et le tunisien Mohammed Zran. Pour "Timbuktu",  Amine Bouhafa conçoit une musique complétement en contrepoint de la violence qui est à l'écran. Duduk, percussions, guitares, oud, piano reviennent en litanie comme pour rappeler une douceur de vivre qui n'est plus. C'est une musique brillante, inspirée, qu'on ne se lasse pas d'écouter. Elle est téléchargeable et le CD se trouve sur Internet ou dans les bonnes maisons, qui existent encore, pour offrir de la bonne musique. Un must, comme le film.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=dGO5_qNnz1M

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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·       La librairie de L’éducation musicale

   

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

 

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

A PARAÎTRE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

 
 

 

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SPÉCIAL BAC 2015

 

 

 

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