Can we still think of music in terms of scores? How can we counter the argument that notation is a Eurocentric, antiquated notion rendered obsolete by jazz in the 1950s and 60s? George Lewis provides some form of a response to these questions through his practice of improvisation and notated composition, as well as through his theoretical reflections (c.f. The Oxford Handbook of Critical Improvisation Studies). Sandeep Bhagwati, similarly, through his exploration of the concept of comprovisation1 , reveals multiple links between the written work and the experience shared between performer and audience.

If we observe the practices of contemporary composers, notation remains, for some, a cornerstone which is not subject to scrutiny. Questioning the value of inherited conventions established in the 19th Century (for the most part) is considered by many to be a risk that may endanger prospects of performance. For others, in contrast, re-imagining the apparatus of notation is at the core of a fertile field of experimentation. Through the prism of the latter ideology, Craig Vear examines the term score, looking in particular at the impact of new technologies on notation, and the possibilities to which they give rise. IIn a world surrounded by digital media and audio recordings, the process of symbolization inherent to the score still fulfills musicians’ desires to communicate ideas without the need for them to be present. From his/her abstract musical idea, to its inscription on a page, to the moving fingers or lips of the performer, to, finally, the ears of the listener, the magic still operates today, in a manner reminiscent of the ars nova, from some 700 years ago. If Craig Vear and the international TENOR (Technology for musical Notation & Representation) community agree on some references (e.g. Ryan Ross Smith: http://ryanrosssmith.com/animatednotation.html), The Digital Score seems to open up new areas of research, emancipating itself, for instance, from issues of computer-assisted composition associated with IRCAM composers of the last 50 years, to the benefit of a broad and interdisciplinary vision which is open to multimedia, artificial intelligence, as well as the recent developments in software.

After an examination of the nature of the digital score (Chapter 2, the digital score as a communication interface, as a map for musicians…), Chapter 3 proposes “Seven Modalities of the Digital Score” (Interface object, Material affect, Goal, Content, Language, Feedback, Flow) which help frame their potential. Chapter 4 then explores their “Defining Features” (Augmented page, technological conductor, collaborating score, Animated score, system as score…), providing a classification2 of an unprecedented scale and depth, consistently illustrated with concrete examples.

The author states:

Digital technology is transforming the musical score as a broad array of innovative score systems have become available to musicians. From the mediation of printed page, to animated and graphical scores, to artificial intelligence-based options, digital scoring affects the musical process by opening up new possibilities for dynamic interaction between the performer and the music, changing how we understand the boundaries between composition, score, improvisation and performance. The Digital Score: Musicianship, Creativity and Innovation offers a guide into this new landscape, reflecting on what these changes mean for music-making from both theoretical and applied perspectives.


raig Vear is Professor of Digital Performance and Music at De Montfort University, UK, where he was recently awarded a European Research Council project3. Drawing on findings from over a decade’s worth of practice-based experimentation in the field, the author builds a framework for understanding how digital scores create meaning. This book provides a solid foundation for any student/artist/teacher wishing to explore the relationship between notation and technology.



1 Notational perspective and comprovisation, 2013, Sound & Score. Essays on Sound, Score and Notation
2 In a short article entitled Vexations of Ephemerality, extreme sight-reading in situative (proceedings of the 3rd International Tenor Conference, 2017), Sandeep Bhagwati explored a taxonomy of real-time scores (). The article also courageously denounced the only sporadic successes in the field, from an artistic stand point.
3 https://www.dmu.ac.uk/about-dmu/news/2020/december/dmu-academic-wins-2-million-grant-to-investigate-the-future-of-music-and-creative-technology.aspx
Jonathan BELL
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2021

 

Doit-on encore penser aujourd’hui la musique en termes de partitions? La notation musicale n’est-elle pas une notation passéiste eurocentrée, que la révolution du jazz des années 50-60 aurait profondément bouleversée? George Lewis apporte de nombreuse réponses sur ces questions, par sa pratique de l’improvisation, de l’écriture, ainsi par sa réflexion théorique (c.f. The Oxford Handbook of Critical Improvisation Studies). Sandeep Bhagwati également, par son exploration du concept de comprovisation1 , révèle également de multiples passerelles entre l'œuvre écrite fixée et l’instant vécu entre l'interprète et son public.

Pourtant, en observant les pratiques des compositeurs d’aujourd’hui, si la notation musicale s’inscrit pour certains dans une tradition presque muséale, elle constitue pour d’autres le noyau d’un terrain d’expérimentation fertile. C’est selon cette deuxième catégorie que Craig Vear examine le terme score (partition), en interrogeant plus particulièrement l’impact des nouvelles technologies sur la notation, et les affordances qu’elles suscitent. Dans un monde entouré de médias numériques et d'enregistrements audio, le processus de symbolisation inhérent à la partition répond toujours au désir des musiciens de communiquer des idées sans qu'ils aient besoin d'être présents. De son idée musicale abstraite, à son inscription sur une page, aux doigts ou aux lèvres en mouvement de l'interprète, jusqu'aux oreilles de l'auditeur, la magie opère encore aujourd'hui, plus que jamais, d'une manière qui rappelle l'ars nova, il y a 700 ans. Si Craig Vear et la communauté internationale TENOR (Technology for musical Notation & Representation) s’accordent sur certaines références (e.g. Ryan Ross Smith: http://ryanrosssmith.com/animatednotation.html), The Digital Score semble ouvrir une nouvelle voie, s’émancipant par exemple des problématiques de composition assistée par ordinateur typiquement associées au procédés compositionnels ircamiens des 50 dernières années, au profit d’une vision large et interdisciplinaire, ouverte sur le multimédia, l’intelligence artificielle, et les développement logiciels d’aujourd’hui.

L’auteur précise :

La technologie numérique transforme la notation musicale en mettant à la disposition des musiciens un large éventail de systèmes de partition innovants. Qu'il s'agisse de tentatives d'imitation de la partition imprimée, de partitions animées et graphiques ou de dispositifs basés sur l'intelligence artificielle, la notation numérique affecte le processus musical en ouvrant de nouvelles possibilités d'interaction dynamique entre l'interprète et la musique, modifiant ainsi notre compréhension des frontières entre composition, partition, improvisation et interprétation. The Digital Score : Musicianship, Creativity and Innovation offre un guide dans ce nouveau paysage, en réfléchissant à ce que ces changements signifient pour la création musicale d'un point de vue théorique et appliqué (C. Vear).


Craig Vear est professeur de musique et de performances numériques à l'université De Monfort, au Royaume-Uni. S'appuyant sur les résultats de plus d'une décennie d'expérimentations pratiques dans ce domaine, l'auteur élabore un cadre permettant de comprendre comment les partitions numériques créent du sens. Fort de l’obtention récente d’un projet de recherche européen2 , ce livre établit désormais un socle solide sur lequel peut se baser tout étudiant, artiste ou enseignant désireux d’explorer le rapport entre notation et technologie.



1Notational perspective and comprovisation, 2013, Sound & Score. Essays on Sound, Score and Notation
2https://www.dmu.ac.uk/about-dmu/news/2020/december/dmu-academic-wins-2-million-grant-to-investigate-the-future-of-music-and-creative-technology.aspx
Jonathan BELL
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2021

 

« J'ai passé toute ma vie dans la lumière de tes yeux », résumait le compositeur Alain Bancquart dans une lettre adressée à son épouse et poétesse Marie-Claire décédée en 2019. 1950 Alain Bancquart, alors tout jeune violoniste préparant le Conservatoire, assiste à une conférence sur Bartok donnée par Louis Saguer, chef de la chorale populaire de Paris, qui « savait tout, parlait 7 langues et pouvait déchiffrer au piano n'importe quelle partition » qui l'a introduit dans ce milieu musical. Une habilleuse (Marie-Claire) l'aide à se travestir pour participer à des représentations de Médée d'Euripide dans la cour de la Sorbonne. A. Saguer a chargé A. B. d'apprendre la partition aux choristes. Finalement, Marie-Claire et Alain se fiancent. Ils sont tous deux au début de leurs études, M.-Claire, au bagage culturel plus élaboré, manifestant un talent de pédagogue et une grande générosité non démentié au fil des décennies. L'hommage au « grand poète, grand romancier » Jacques Stephen Alexis, alors jeune homme avec qui Alain et son grand frère Marc passèrent d'enrichissantes soirées, est mentionnée. Marie-Claire préparait le concours d'entrée à l'École Normale Supérieure qu'elle intègre en 1953, alors que Alain abandonnait le violon et un professeur imbu pour l'alto. Par commodité, résidant à la Cité Universitaire avec comme coturne le futur ethnomusicologue israélien Simha Arom (alors élève en cor). Comme beaucoup d'étudiants, de gauche, les figures de Marx et de Staline étaient tutélaires, jusqu'à la découverte de la vraie nature du tyran soviétique et la fin d'un engagement aussi poussé qu'aveugle. La rencontre de l'auteur avec Iannis Xenakis, jeune architecte fraîchement débarqué de sa Grèce natale, manifestement musicalement vierge heureux de découvrir toutes les possibilités sonores de l'alto avec A.B. Vacances studieuses au Lac de Saint-Point : premiers essais poétique de Marie-Claire dans une pièce, munie de boules Quies pour échapper aux sons imposés par l'altiste dans la pièce d'à côté... En 1955, mariage de précaution avant le concours de l'Agrégation pour éviter d'avoir à partir en Algérie si M.-Cl. est reçue parmi les dernières du classement ; en fait, son rang (4e) rendait leur mariage « inutile »... Les pages suivantes développent les détails de leur vie active : elle rejoint le CNRS, passe sa thèse et constitue progressivement son corpus poétique ; un premier roman : Le temps immobile paraît (en 1960) ; il suit la classe de Darius Milhaud qui le soutient. Pour la première fois, une des pièces de A.B. son Concerto est interprété (par Jean-Claude Éloy) au Grand Casino de Vichy... La suite, tout aussi pleine d'anecdotes et de détails intéressants, à continuer par la lecture de ce drôle de petit format attachant, aux pages couvertes de gros caractères, qui effeuille les presque trois quarts de siècle de vie commune, rapportés par l'époux-musicien.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2021

 

Cette édition revue et enrichie de Notes étrangères I (2004) et II (Crise) (2016) définit ce qu'« être compositeur aujourd'hui » signifie pour ce musicien né en 1961, dont le vaste corpus s'élève à environ 150 œuvres (dont 7 Symphonies, 12 Concertos, 2 Opéras (1 acte), 11 Quatuors à cordes, 8 Cantates, 12 Motets pour chœur a cappella, de nombreuses pièces pour piano et de chambre, concertantes...), réconcilié de longue date avec le sentiment tonal. Après ses études au CNSMDP auprès de Claude Ballif (analyse), Marius Constant (orchestration), Serge Nigg et Michel Philippot (composition), couronnées par un Premier Prix de Composition (1983), titulaire de nombreux Prix, distinctions et récompenses, il a été compositeur en résidence ou invité dans de nombreuses institutions au fil des ans et la liste des commandes du Ministère de la Culture, d'institutions, concours et festivals internationaux qu'il a honorées depuis une trentaine d'années est impressionnante. Il enseigne la composition à la Schola Cantorum depuis 2018. Du jeune pensionnaire à la Villa Médicis, révolté par ce monde portant atteinte à la vie et à la pensée, il a rapidement opté pour tenter plutôt d'y introduire un amour et une compréhension sans doute plus efficaces.
Dans sa Préface si explicite, Nicolas Bacri rappelle que l'École de Vienne puis, dans son sillage radicalisé, celle de Darmstadt, ont mis à mal l'indispensable socle multiséculaire fondé sur la tonalité-modalité et que le clivage esthétique Est-Ouest ne fut que l'une des expressions de la Guerre froide, entraînant une « marginalisation du compositeur » qui a profité à l'industrie du disque au détriment de la musique contemporaine. Et l'avant-garde institutionnalisée, privilégiant peu ou prou le timbre sur les autres paramètres musicaux, a fini par établir un nouvel académisme. Le compositeur actuel aurait à choisir entre ancienne musique nouvelle (largement enseignée de nos jours) et nouvelle musique ancienne, la seconde épousant la démarche « réinventant à chaque fois la nature de sa rupture avec la tradition tout en s'appuyant sur elle » et en ne cessant de rechercher la beauté véritable (l'accomplissement de l'idée dans la forme). Il fustige la dégradation de l'enseignement touché par le « relativisme mortifère » qui, sous couvert de divertissement, laisse la culture en pâture au seul marché. Dans ce contexte de massification culturelle, le musicien classique finit par s'excuser d'être ce qu'il est... La Préface s'achève sur le credo du compositeur concernant le grand art : « je crois en une modernité intemporelle et éternelle qui engloberait classicisme et romantisme pour engendrer des siècles de création au plus haut niveau ». L’ouvrage s'inscrit dans cette espérance de continuité.
Travail musical et travail littéraire sont chez lui intimement liés par ce qu'il considère être son devoir explicatif (à l'instar du Domaine musical (1954) de Pierre Boulez, qu'il met en parallèle avec son Cantus formus, association créée en 2003 proposant une autre voie dans la musique contemporaine par l'organisation de concerts valorisant des musiciens de valeur délaissés par l'esthétique dominante). Crise (2016) -yang- est moins conciliant que la première mouture Notes étrangères (2004) -yin- : N. Bacri y pointe notamment la démission des élites culturelles, l'infiltration de l'art par la politique et l'idéologie. Il y a crise du sens au moins depuis 1914 au profit du « signe constamment renouvelé » qui attise l'appétence des élites culturelles ; la quête du sens d'une œuvre ramenant aux « interrogations éternelles ». Le temps fera le tri entre œuvres novatrices et celles aux approches inépuisables. Tragique illusion critique : « les œuvres du passé étaient importantes parce que novatrices, alors qu'en réalité, elles n'étaient novatrices que parce qu'elles étaient importantes. » L'ouvrage vise donc aussi à mettre le projecteur sur des musiciens nés pour la plupart dans l'Entre-deux-guerres - cf. une copieuse liste (p. 97-99), suivie d'une contre-liste (p.100-101) - qui n'ont pas fait table rase de la syntaxe traditionnelle et ont été relégués, se référant à des modèles aussi exigeants que Bach, Debussy ou encore Varèse... Le compositeur revendique le non-alignement au diktat américain de l'immédiat après-guerre, puis de la guerre froide jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est (1945-1990), qui encourageait les musiciens à écrire ce qu'ils voulaient pour un public et des interprètes qui n'en voulaient pas... Il faut, pour le coup, faire table rase des mythes modernistes confondant « profondeur et obscurité, complexité et complication, singularité et originalité ». La Querelle du Collège de France (dite, selon l'auteur, « Affaire [Jérôme] Ducros », compositeur musicien auteur d'une conférence pour le moins controversée) semble opposer au modernisme de la doxa un dixneuviémisme effréné et stérile. Plus généralement, l'enfermement d'un postmodernisme égaré est un nouvel écueil à la suite de celui du postsérialisme. Le compositeur explique que « chaque nouvelle œuvre [qu'il a] écrite depuis la fin de sa période postsérielle est une forme d'évasion du style établi... » Sa musique est classique (rigueur expressive), romantique (densité expressive), moderne (élargissement du champ expressif) et postmoderne (en ce qu'elle mélange les techniques expressives). N. Bacri avoue soutenir la tonalité parce qu'il apprécie la dissonance (inexistante, de fait, dans la musique atonale) et avoir participé à la mise en œuvre musicale d'un humanisme lucide tout autant qu'émouvant qui pense et panse l'homme actuel blessé. Il persiste et signe : « La musique d'aujourd'hui que je défends bouleverse ». Elle nous fait ressentir « la force du mystère de notre présence au monde ».
Après les Notes étrangères (p. 35-215), articulées en Notes de passage, Appoggiature, Échappée, Anticipation et Conclusion, suivent d'Autres écrits sur la musique, des Entretiens ainsi que 17 Exercices d'admiration (p. 271-343) parmi lesquels le compositeur rend hommage à Serge Nigg, René Maillard, Guillaume Connesson, Robert Simpson, Olivier Messiaen, Pierre Boulez, Henri Dutilleux... L'ouvrage s'achève par sa Biographie, des Repères chronologiques et son Catalogue chronologique.
Le percutant manifeste humaniste d'un compositeur vivant : à ne pas manquer pour le lecteur qui ne s'est pas encore forgé d'opinion arrêtée sur la vaste musique contemporaine.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2021

 

Préfacé par M.-N. Masson, l'ouvrage rassemble les études d’une dizaine de spécialistes en analyse musicale (musicologues, compositeurs, musiciens), chacun dans son domaine de recherche. Son objectif : la définition et le rôle du corpus dans la théorisation et l'analyse du fait musical. Caractériser un corpus (« ensemble de textes servant de base à l'analyse ») et y appliquer les méthodes adéquates ne vont pas de soi et devrait constituer le fondement de toute recherche musicologique. Dans l'Introduction, Nicolas Meeùs retrace le cheminement de la pensée théorique confrontée aux clivages musique savante/musique populaire, musique orale/musique écrite, musique tonale/toutes les autres musiques. Il pointe le rôle crucial de la notation (descriptive/prescriptive) pour l'analyste, nourri de culture écrite. En parallèle avec des notions véhiculées par la linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1857-1913), la notation étant l'image du son, finit par prendre sa place (comme si, pour connaître quelqu'un, on préférait sa photo à son visage). « L'écriture musicale vise au moins autant à expliquer qu'à représenter » (p.18-19). Une des raisons principales motivant la transcription : la transformation du temps réel (trop fugace) en un temps immobile (contrairement à l'enregistrement) autorisant l'objet d'étude grâce au passage d'une sémiotique auditive à une sémiotique visuelle. La notation occidentale est écriture de points, id est d'unités discrètes (notes-hauteurs liées aux intonations et aux tempéraments). L'analogie avec la linguistique permet la définition d'éléments « syntaxiques » (segmentables « en manières constantes, non uniformes, proportionnées » : mélodie, rythme, harmonie) et d'éléments « pragmatiques » ou « statistiques » (qui ne peuvent être segmentés en relations proportionnelles, par ex. tempo, sonorité et timbre). Mais l'écriture ou représentation visuelle de la musique est « nécessaire mais pas suffisante » (p. 20) et ne peut échapper à la nécessité d'un code contextuel implicite, plus variable que les partitions elles-mêmes, donnant accès aux éléments pragmatiques ou statistiques qui vont plus loin que le dit du texte. L'auteur conclut en questionnant très pertinemment « l'œuvre musicale ».
Quadripartite, l'ouvrage s'articule ainsi. Dans la vaste première partie : « Corpus et modèles théoriques », Nicolas Meeus, après avoir exposé les principes de la théorie schenkérienne et défini le corpus qu'elle exploite, les exporte dans d'autres répertoires, notamment la musique renaissante pré-tonale. Hugues Seress, constatant certaines limites des « théories transformationnelles », décrit la tonalité du XIXe siècle, éclairant l'adaptabilité du modèle théorique au corpus objet d'analyse. Cécile Bardoux-Lovén présente une méthode syncrétique (s'attachant à la linéarité musicale, à l'élaboration des lignes mélodiques et au mouvement musical) au service de l'analyse d'oeuvres des années 1940 de deux compositeurs suédois (K.-B. Blomdahl et I. Lidholm). Pierre Couprie questionne l'utilité du concept d'« objet sonore » (défini par Pierre Schaeffer dans le Traité des objets musicaux, 1966) pour l'analyse de la musique électroacoustique. François Delalande, quant à lui, plaide, en extrapolant à partir de cette dernière, pour la généralité des modèles théoriques en analyse ; seules les techniques sont spécifiques. La deuxième partie : « Corpus spécifiques » permet d'abord à Guillaume Bunel d'identifier des tensions entre textes théoriques et pièces en fuga dans l'analyse modale de compositions polyphoniques vers 1500. Marc Clérivet y montre l'homogénéité de formes et fonctions du corpus retenu pour son étude d'airs de contredanse à l'est des Côtes-d'Armor (cantons et de Broons et de Collinée), alors qu'Annie Labussière étudie l'ordre mélodique dans le chant « à voix nue » en haute et basse-Bretagne. Et Julie Mansion-Vaquié interroge la spécificité des méthodes mises en œuvre pour les musiques de scène actuelles et notamment ce qui distingue la prestation de concert de l'enregistrement. Dans la troisième partie, intitulée « Approches paramétriques », Gérald Guillot analyse les micro-rythmes dans les musiques de la diaspora africaine. Nathalie Hérold approfondit la dimension timbrique de la musique, déployant le timbre en amont et dans des domaines adjacents à la pensée musicale théorique du second XXe s. qui l'a vu naître. Enfin, la brève quatrième et dernière partie, titrée « De la rhétorique des œuvres » Françoise Depersin se livre à un va-et-vient analytique entre corpus des Tombeaux français baroques et méthode rhétorique ; Ernesto Donoso fournit des outils d'analyse pour le dernier Luis de Pablo (compositeur espagnol né en 1930).
D'abondantes illustrations (extraits de partition, grilles d'accords, figures ; textes ; cartes ; tableaux, plans tonaux, transformations élémentaires, schémas, sonagrammes, oscillogrammes, configurations scénographiques, représentations choréologiques) corroborent le texte. Une publication destinée à un lectorat spécialisé, offrant néanmoins au non spécialiste d'entrevoir les dernières avancées de l'analyse musicale et de mieux saisir les enjeux actuels de la discipline.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2021

 

Pour les 70 ans du compositeur, cet ouvrage, copieux et très fouillé, codirigé par les professeurs P. A. Castanet et M. Joubert et préfacé par Gilbert Amy, regroupe les contributions d’une vingtaine d’auteurs (musicologues, compositeurs, philosophes, interprètes, anciens élèves) ainsi que des extraits de notices d’œuvres du musicien, créant un « va-et-vient incessant entre exégèses et témoignages ». L’ensemble est articulé en 5 chapitres extrêmement denses et riches, fourmillant de pistes de réflexion (débordant volontiers sur des liens internet) pour le lecteur curieux prêt à s’immerger dans l’univers complexe du créateur érudit. Né en 1949, fils du philosophe Emmanuel Levinas (qui lui a transmis une « esthétique de l’extraordinaire et du merveilleux ») et d’une mère pianiste, Michaël Levinas poursuit sa formation au CNSMDP auprès de Vlado Perlemuter, Yvonne Lefébure, Yvonne Loriod et Olivier Messiaen (en composition), fondera avec Tristan Murail et Gérard Grisey L’Itinéraire (qui donnera jour à la musique spectrale), avant de partager son temps entre l’enseignement (dans la même institution), une carrière de pianiste au répertoire couvrant près de 4 siècles d’écriture et de répondre à de nombreuses commandes jalonnant sa vie de compositeur. Il est membre de l’Académie des Beaux-Arts. Une raison de sa distanciation d’avec le spectralisme ? « un risque d’enfermement dans la pure matérialité du son devenu un avatar du formalisme sériel », le refus d’« un certain dogmatisme acoustique et technologique » (p. 130). Sa définition (Darmstadt, 1982) : « J’appelle instrumental tout son produit en un temps réel par l’intervention du corps humain » a marqué une rupture au sein de L’Itinéraire.
Cette publication complète Le Compositeur trouvère (paru en 2002), ne contenant bien sûr pas les œuvres créées depuis (Les Nègres (2003), Le Poème battu (2009), La Métamorphose (2011), Le Petit Prince (2014), La Passion selon Marc (2017)…) ni le regard musicologique (au sens large) le plus récent. Impossible à résumer, l’énoncé des 5 articulations constituera une première approche et aiguisera sans doute l’appétence de lecture. La première : Univers esthétiques et philosophiques déploie l’esprit lévinassien au cœur de sa pensée et de sa création ; la deuxième établit comment l’hybridation prolonge l’instrumental ; la troisième rend compte Des espaces de résonance aux paradoxes sonores, fils rouges de la démarche créatrice du compositeur ; la quatrième : Les mutations de la vocalité attestent la place centrale de l’œuvre vocale parmi ses écritures métamorphiques. Enfin, un « long épilogue synthétique » intitulé Levinas et le trouble des métamorphoses conclut cette approche approfondie et actuelle du compositeur.
En quête permanente de la transcendance de l’énoncé sonore : alors qu’Hugues Dufourt (né en 1943) emploie le terme d’« outre passage », Michaël Levinas cherche à exprimer l’être du son, voire même son « au-delà » (les œuvres antinomiques Préfixes (1991) et Par-delà (1994) fixant l’amont et l’aval du dépassement acoustique). Le compositeur assume la gestion du « son sale », revendiquant une filiation à Berlioz (allant jusqu’à mettre en musique sa nouvelle d’anticipation Euphonia (1844)) ; une autre figure tutélaire ancienne est Beethoven. Parmi les influences contemporaines revendiquées, celles de G. Ligeti (1923-2006) et de K. Stockhausen (1928-2007) complète la filiation référentielle de son maître, Olivier Messiaen (1908-1992), « le fondateur ». D’une esthétique si singulière motivée par la concomitance du son et du sens, son travail sur le texte s'impose chez le concepteur du poème battu, de La Métamorphose ou encore de la Passion selon Marc. Le pianiste ayant enregistré notamment le Clavier bien tempéré (J. S. Bach) et les 32 Sonates (L. van Beethoven) use volontiers de phénomènes arborescents entre interprétation, composition et improvisation : mêler « entreprendre et entendre sur-le-champ ».
Explorateur acous(ma)tique à l'esthétique si singulière, M. Levinas travaille aussi sur l'« au-delà de l'espace » sonore en déformant l'espace interne de la musique par son écriture et son langage-même. La quête d'illusions acoustiques (en parallèle avec des illusions visuelles telles le trompe-l'œil, l'anaglyphe ou la paréinodie) : battements, échos... participe de ces métamorphoses spatiales dont il a le secret. La manipulation de l'effet Doppler, par exemple, auquel il a recours comme d’un nouveau langage harmonique (altération progressive des échelles), engendre l’élargissement de la profondeur spatiale perçue ou encore espaces tournoyants (mouvements paradoxaux, p. 444). Un bel exemple de porosité entre les découvertes du pianiste qui nourrissent l'écriture du compositeur : la notion de « polyphonie paradoxale » sous-tendant nombre d'œuvres conçues au cours de la première décennie du XXIe s. s'est imposée à M. Levinas alors qu'il étudiait en vue de leur enregistrement les Études de G. Ligeti. La figure de la spirale si fascinante pour le compositeur exemplifie encore son approfondissement de l'ambiguïté sonore et la revendication du trouble auditif entretenu chez l'auditeur. Dans L'Amphithéâtre (2012) -élaboré pour la salle des concerts de la Cité de la Musique-, sont conviés plusieurs gestes paradoxaux qui se combinent à la figure concentrique fondatrice. « Fusion » – d'ailleurs issue du spectralisme –, forme métamorphosée, métaphore paternelle du visage (qui cautionne le rattachement de tout son à la voix humaine), témoignent de l'interchangeabilité de la forme dans la création lévinassienne.
Pour conclure, une incursion dans une de ses œuvres récentes marquantes : La Passion selon Marc. Une Passion après Auschwitz (2017, commande de l’Église Saint-François de Lausanne pour le 500e anniversaire de la Réforme luthérienne) qui questionne l'impossible relation entre la Passion (sacrifice de Dieu fait homme pour le salut de l'humanité) et la Shoah (sacrifice de millions d'individus oubliés de tous). Le choix de la narration selon Marc, où il n’y a pas d’antisémitisme. Oui, le confirme M. Levinas, il faut chanter après Auschwitz. La formule « Autrement qu’être » (d’Emmanuel Levinas) y est dédiée à toutes les victimes de la shoah et de l’antisémitisme. Le message religieux parle par les textes retenus, la musique employant notamment les tournures polyphoniques de la Renaissance. Cette Passion moderne est un triptyque linguistique : 1. kaddish, prière El Maleh Rah’Amim et Hommage aux morts des camps (en araméen et en hébreu – prononciation ashkénaze –) ; 2. Partie chrétienne comportant des extraits de l'Évangile en vieux français (XIIIe s.), jalonnés de textes de d'Arnoul Gréban (entre autres, organiste à Notre-Dame au milieu du XVe siècle) sur les souffrances de Marie et de Marie-Madeleine (Pieta) 3. Enfin, la troisième partie s'articule autour de deux poésies de Paul Celan (1920-1970) – lui-même victime des camps nazis – (dont l'une, piéta renversée dans laquelle le fils pleure sur sa mère qui ne reviendra pas). Le chef Maxime Pascal (qui a la pleine confiance du compositeur, son ancien professeur, Salle 445 du Conservatoire), à la tête du Balcon, explique sa démarche récurrente : à la fin de son travail préparatoire avec le compositeur, il dirige comme si c’était le compositeur lui-même qui dirigeait, et le chef se prend pour le compositeur : un va-et-vient créatif qui le guide systématiquement. Avec Michaël – qui cherche à transmettre sa musique par l’écriture et à l’oral (très liés à son caractère improvisatoire) –, le chef place les interprètes dans les dispositions qui les incitent à recevoir tous les desiderata du compositeur. Le Balcon avait déjà collaboré avec une grande réussite, selon Levinas, au Concerto pour un piano espace et à La Métamorphose. Remarquable est, d'ailleurs, l'apport complémentaire des extraits audio et vidéos disponibles sur internet, permettant au lecteur un peu perdu d'être confronté à des entretiens, à certaines pièces librement accessibles et ainsi à la réalité des effets mis en œuvre.
Un ouvrage de référence concernant non seulement ce pionnier du traitement sonore mais aussi bien des questionnements fondamentaux et enjeux de l'activité musicale dans tous ses domaines. Une seule question concernant le sous-titre : « Vers des contrepoints irréels » faisant allusion aux différentes versions (Variations répercutées (1975) et Rencontres (1980)) référencées au tout début du corpus de Michaël Levinas, est-ce toujours vers cette même destination que le « compositeur trouvère » tend toute sa démarche créatrice ?
Édith WEBER
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René Gerber (1908-2006) est une haute figure artistique à Neuchâtel dans la seconde moitié du XXe siècle, ayant poursuivi sa formation musicale à l’École Normale de Musique de Paris, auprès de Paul Dukas et de Nadia Boulanger puis, de retour dans sa chère Fédération helvétique, selon ses propres dires, est devenu « le plus français des compositeurs suisses » (comme en témoignent les intitulés de plusieurs pièces de son vaste corpus : Suites françaises, Sonatines du terroir parisien, Les Heures de France, Le Moulin de la Galette, L’école de Fontainebleau, Noëls français, Noëls bourguignons, Chansons populaires françaises, berrichonnes…). Il a d’ailleurs été comparé à Jean Françaix.
Dans sa Biographie (p. 9-20) rédigée par Claude Delley, le pédagogue a élaboré un Traité de contrepoint pour ses élèves en composition -Julien-François Zbinden (plus que centenaire) étant son plus ancien élève. En 1944, au Victoria Hall de Genève, à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, Ernest Ansermet a dirigé ses Trois paysages de Breughel et il a bénéficié du soutien fidèle de son ami, le chef Théo Loosli (1933-2017), à la tête de l’Orchestre Symphonique neuchâtelois qui a créé plusieurs œuvres parmi lesquelles ses opéras ( R. Gerber en a d’ailleurs écrit les livrets) : Roméo et Juliette (1957-1961) et Le Songe d’une nuit d’été (1978-1981) – un 3e fut même envisagé dans son (trop) grand âge : Jeanne d’Arc. Tout au long des 70 ans de sa production dans de nombreux domaines, il élabore un important répertoire pour piano (et piano 4 mains), en musique de chambre, pour grand orchestre ; nombreux chœurs, mélodies. Son écriture tonale et/ou modale, avec emprunts polytonaux (dans le sillage de Debussy, Dukas, Ravel, Poulenc) transmet une musique transparente et colorée, avec mise en valeur des vents dans l’écriture symphonique. D’une connaissance artistique encyclopédique, il s’est illustré en poésie (150 Sonnets, sous le pseudonyme de René Bourgogne) et en peinture figurative (ps. Martel). Fondateur en 1951 de la Galerie Pro Arte, il y exposera pendant un demi-siècle artistes hollandais, italiens, français et suisses. Il a accueilli chez lui des amis artistes, dont le peintre Ferdinand Hodler. Un chapitre émouvant, rédigé par son fils naturel, narre leur rapprochement au soir de la vie du compositeur. Dans 233 nuances de René Gerber (ou presque) – Une promenade musicale (p. 29-60), Bertrand Ferrier invite le lecteur à le suivre dans la « forêt Gerber » aux 233 « clairières-œuvres », irriguées par au moins deux « sources » : sa liberté (antisystématique et anti exhaustive) et la « pulsion poly-artistique de son corpus ». L’auteur y enchaîne les épithètes pertinentes définissant la démarche artistique du compositeur, tour à tour synesthésiste (ses Trois paysages de Breughel (1942) attestent ce « pas de côté » typique sous une apparente évidence), transformiste (exemplifié par The Old Farmer’s Almanach (1986)), modeste (notamment dans l’appellation de ses œuvres, en conformité avec son goût pour l’artisanat de précision), formaliste (sonates et concertini tous tripartites, la Sonate pour violon et piano (1943) démontrant sa liberté d’action dans ce cadré imposé), historien (récit consubstantiel du projet musical), géographe français (l’imaginaire français occupe une place de choix dans son vivier d’inspiration) et international (sa Marche franco-suisse pour piano à 4 mains (1946) annonce une plus large ouverture au monde avec des échos nippons, belges, espagnoles, italiens, « germanoschumaniens »)… Un chapitre suivant propose la synthèse par Jean-Jacques Perrenoud de son testament artistique : Les exigences de l’art (2003) - objet d'une recension dans une LI antérieure.
Sa musique discrète, bien que de plus en plus connue notamment aux États-Unis, dont le catalogue (mis à jour en 2018) réunit 233 pièces, est également accessible en disques (21 CD parus chez VDE-GALLO). Comme sa production, l'active Fondation René Gerber survit à l'homme à la pensée vive. Un bel hommage à cet artiste universel, au « vaste héritage culturel ».
Édith WEBER
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À compter parmi les dernières parutions de la remarquable Collection Pensée Musicale, chez DELATOUR, cet ouvrage dense débute par une éclairante Introduction, indispensable à tout lecteur non versé dans l’évolution d’une partie non négligeable de l’expression musicale des cinquante dernières années. Docteur en musicologie et licencié en psychologie, Nicolas Marty - qui a, entre autres, pris une part active à la plate-forme BbMat à l’Université de Bourgogne et administré l’association Octandre (musiques électroacoustiques) – s’est intéressé au silence, aux nuances basses... Il propose d’approfondir et d’éprouver la notion de conduites d’écoute établie par François Delalande dès 1979 et développée les années suivantes. Après avoir retracé à grands traits l’évolution de la musique des notes vers celle des sons, Nicolas Marty circonscrit le champ d’investigation sollicité dans cette étude : les musiques acousmatiques (misant non plus sur les instruments, mais sur les haut-parleurs) et définit le type d’écoute retenu pour cette vaste analyse : l’écoute solitaire et attentive, d’une traite, sans instrumentation ni support visuel, pour approfondir l’interaction entre l’auditeur et l’œuvre. Il s’agit de dépasser le stade poïétique de l’œuvre pour se placer versant esthésique, de sa réception, dans le sillage de l’inventeur de la notion de musiques acousmatiques qui, selon Francis Bayle, suscitent « une écoute active intéressée aux effets et au sens ». C’est finalement à l’auditeur qu’il incombe d’en élaborer une représentation – et ce, sans les influences ni harmonique, ni instrumentale des musiques de notes – et, le cas échéant, son corollaire émotionnel.
Le corps du livre débute avec les démarches (pionnières) de conduites d’écoute par François Delalande, menées au sein-même du Groupe de Recherches Musicales (bastion de la musique électroacoustique) par Jean-Christophe Thomas, autour, d’abord, de Sommeil (Pierre HENRY, premier mouvement des Variations pour une porte et un soupir, 1963) auprès de 8 auditeurs plutôt aiguisés en la matière, puis, quelques années plus tard, autour de La terrasse des audiences du clair de lune (Cl. Debussy, Prélude n°7) cette fois-ci auprès d’une dizaine d’auditeurs également experts. Se dégagent de l’analyse des attitudes des uns et des autres 6 écoutes-types : sensibilité à l’impact physiologique des sons – ou encore écoute emphatique –, écoute taxinomique, écoute immergée, figuration dramatique – qui deviendra « figurativisation » –, recherche d’une loi d’organisation et, enfin, non-écoute : autant de signalement de pistes que seule la lecture de l’ouvrage permet d’approfondir.
Dans les deux chapitres suivants, deux autres démarches sont analysées : celle d’Antonio Alcazar, faisant écouter respectivement 3 extraits de musique électroacoustique à 24 auditeurs (spécialistes, musiciens et non-musiciens) ; celle d’Elizabeth Anderson (compositrice acousmatique), 4 autres extraits auprès d’une quarantaine d’écouteurs d’âge et d’éducation diversifiés, affinant les catégorisations établies par Fr. Delalande. Selon Denis Smalley, la conduite emphatique relèverait d’une relation réflexive ; la figurative, d’une relation indicative ; la taxinomique, d’une relation interactive.
Le chapitre « Variations et développements théoriques » analyse les apports des travaux de Martin Kaltenecker (fondés sur la consultation d’ouvrages et d’archives), (théoriques) de Lasse Thoresen, les consultations pour son Master de Nicolas Marty et enfin les propositions de Francesco Spampinato. La publication se poursuit par l’énoncé approfondi de 3 enquêtes, fruits de la collaboration de l’auteur notamment avec Pascal Terrien (maître de conférences à l’ESPE Aix-Marseille Université). L’Enquête n°1 a répertorié les réactions écrites d’une centaine de non-experts face à un extrait musical acousmatique (suivi d’un entretien d’explication) mettant en œuvre plusieurs méthodologies pour un même extrait musical, auprès de sujets plus nombreux. Les Enquêtes nos 2 (écoute unique) et 3 (écoute répétée) apportent d'autres réponses et de nouveaux questionnements qui ouvrent sur des perspectives plus théoriques. Toutes ces expérimentations conduisent à l'élaboration toujours plus fine d'une théorisation des conduites d’écoute. Tableaux (dont le récapitulatif des études de conduites d’écoute, p. 110-111) et figures permettent de mieux appréhender et comparer les procédures mises en œuvre.
Un ouvrage d’une grande richesse éclairant les mécanismes et les enjeux actuels et futurs de la réception musicale verbalisée.
Édith WEBER
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13e parution dans la Collection Musique/transversales (au titre si explicite) de la prolifique maison d’édition, ces Jardins en friche ouvrent l’accès au riche univers sensible (de moins en moins secret) d’Isabel Trocellier, artiste libre ayant cultivé la composition acousmatique notamment autour de la flûte et des arts plastiques. Citons-la, puisque poétesse elle l’est aussi et qu’en quelques mots elle a tout résumé : « Un jardin en friche, friche du temps. Les jardins du temps et de l’espace s’entremêlent en des objets mutants. Au fil du son, la matière se transforme. Sonore ou plastique, fulguration ou douceur, elle se module, se chauffe de feu ou de chants, rêve avec un micro ou un marteau. Le métal, lui, résonne, plie, crisse, se tord, murmure, caresse ou grésille. Ce feu silencieux du chemin en devenir, garde l’écho du souffle immatériel. » (4e de couverture).
En moins de pages qu’un Que sais-je ? (certes de format supérieur), fruit d’une collaboration active de talents complémentaires (passionnant apport introductif de Begael, texte de Lo Gral, poèmes de Patricia Pasquiou-Mignot et d’Isabel Trocellier), ce livre-exposition nous fait pousser les portes de son jardin. De remarquables photos (réalisées par non moins de 6 photographes - dont l’artiste) de son œuvre plastique singulière jalonnent le parcours livresque. Leur agencement, leur mise en page suivent une visite très structurée : « In situ » (autour de ses Nains de jardin, vers 2000), « Pièges sonores » réunissant en eux-mêmes acte plastique et production de son (vers 2000 et 2010)…, « Silence » met alors en vis-à-vis des poèmes d’Isabel Trocellier et ses réalisations qui tiennent davantage de la peinture. Le béotien est pris de vertige face à tant de maîtrise et de richesse expressive se répondant d’un art à l’autre. Le texte, rare, n’en est que plus quintessencié. D’autres volets de son exposition mériteraient d’y consacrer encore bien des lignes : « Scènes et contes », Seuils et passages »…, « Du triangle au cercle ». Dans la riche Table des matières (sic), des informations précises sur les matériaux manipulés pour chaque œuvre exposée mettent le « visiteur » candide un peu sur la voie de la sculptrice-dessinatrice, côté atelier : pêle-mêle : fer, CD chauffé, pot d’échappement, tissu, coquillage, éléments de récupération soudés, pierre, laine, acier ; fibre de verre, acétylène sur papier, sur toile ; acier, plâtre, goudron, haut-parleur...
Un seul regret : l’absence criante du 3e (et non le moindre) pan de sa création – acousmatique donc, liée à la flûte - vers lequel ce maître-livre, tout en douceur et en puissance, nous pousse irrésistiblement. Mais, (p. 117), l’Écoute audio y répond finalement, et cette faim de son est contentée par 3 œuvres « hommages » accessibles grâce au lien sur Internet : Estran (dédié à Pierre Toreilles), Passages blancs (à Andreï Tarkovski), Abysses (à Bélà Tarr). Un ouvrage passe-muraille qui ouvre l’esprit à d’autres réalités physicosensibles, un élargisseur.
Édith WEBER
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Deuxième volet de la vaste trilogie consacrée au genre étatique par excellence (1. Du Roi Soleil à la Révolution ; 3. De la Belle Époque au monde globalisé) publiée par Fayard, sous la direction du musicologue Hervé Lacombe (professeur à l’Université de Rennes 2), spécialiste de musique française, pour lequel il s’est entouré de quelque cinquante spécialistes internationaux qui se répartissent finement les diverses articulations des 21 chapitres denses, cette somme pose un regard scientifique actuel et transdisciplinaire sur le continent lyrique qu’il ausculte, spectrographie, analyse dans toutes ses composantes et sous toutes ses formes.
L’ouvrage est savamment structuré, après une remarquable Introduction, en un Prologue conséquent (lui-même tripartite s’intéressant successivement à l’aspect politique ; aux acteurs de l’opéra ; à l’atelier de composition d’un opéra) ouvrant sur 3 imposantes parties. La Première partie, historique, intitulée : « Créations et répertoire », propose une découpe chronologique du XIXe siècle français en 7 chapitres (le dernier dressant un état des lieux à la fin du siècle), avec focalisation sur les genres en vogue et les compositeurs saillants selon les régimes successifs. À noter le chapitre 9, s’attachant aux influences verdiennes et wagnériennes croissantes dans la France de la seconde moitié du siècle. La Deuxième partie, « Production et diffusion », étudiant la gestion et l’économie du spectacle lyrique, à Paris, en Province (Lyon, Rouen…) et dans les colonies, les divers intervenants, les lieux, les publics…, s’achève dans son 5e et dernier chapitre consacré au rayonnement européen de l’opéra français (Italie, territoire germanique, Espagne, Angleterre, ainsi qu’en particulier, à Bade et Bruxelles), Russie, Scandinavie et aux États-Unis. La Troisième, « Imaginaire et réception » (5 chapitres) développe les thématiques récurrentes (amour, mort, religieux, imaginaire mélodramatique, légèreté…) ; l’altérité et l’ailleurs (surnaturel, fantastique), l’exotisme : ses territoires, ses formes, son lien avec le colonialisme, les Juifs dans l’opéra français ; une approche plus sémiologique sous l’angle de la réception par le système médiatique, en particulier par la critique avec, entre autres, une lecture genrée dans le sillage de Carmen ; l’opéra qui irrigue toute la vie musicale française, avec des produits dérivés diversifiés, son emploi dans les concerts à Paris et en Province, au spectacle ; enfin, les liens entre opéra et littérature.
Le non moins passionnant Épilogue questionne, entre autres, l’aspect romantique de la production hexagonale ainsi que sa propension progressive à l’historicité. Avec la parution des ouvrages de référence d’un François-Joseph Fétis et son instauration de concerts historiques, la prise de conscience de la part de l’histoire dans la création lyrique notamment s’impose, favorisant la catégorisation des œuvres en trois : « l’oublié, le connu, le nouveau » (p. 1137), engendrant la notion d’inviolabilité de l’œuvre mais aussi un intérêt croissant pour les œuvres passées. L’opéra, porteur des idéologies morales, religieuses, politiques, genrées, coloniales contemporaines, objet de récits et de commentaires comme jamais aux siècles précédents, nourrit un « imaginaire lyrique » imprégnant la culture du temps (Saint-Saëns, Rossini, Stendhal et Rousseau y jouant un rôle de premier plan). L’irrépressible « besoin d’histoire » se manifeste dans l’éclosion d’articles, d’ouvrages toujours plus documentés mais aussi de traités, de revues musicales qui vont de pair avec la naissance de l’histoire de la musique (citons, à la fin du siècle, la thèse de Romain Rolland portant sur les origines du théâtre lyrique européen). Le continuel repositionnement de l’école française vis-à-vis de ses rivales italienne et allemande permet d’affiner les spécificités nationales et de jouer avec la ligne de démarcation fluctuante entre ses représentants (d’origine française ou étrangère) et les autres : ainsi Rameau sera revalorisé ; Gluck, Rossini, Meyerbeer... jaugés à l’aune de l’évolution de leur production ; Wagner, quant à lui, cristallisant la démesure fantasmagorique d’Outre-Rhin.
« Des salles parisiennes aux théâtres de province, de l’espace privé aux institutions publiques, du salon au concert, du bal au kiosque à musique, l’opéra ne cesse de traverser de nouveaux lieux et de se ramifier sous de nouvelles formes » (p. 1164) : grand opéra (nouveau genre porteur dans le 2e quart du siècle et dont le dépérissement sera accéléré par la vogue wagnérienne dans le dernier tiers du siècle), opéra-comique (qui connaîtra plusieurs vagues, après celle des Auber, Boieldieu, Herold et Adam, une moins haute avec notamment Ambroise Thomas et Meyerbeer avant la déferlante de la génération Bizet, Massenet, Delibes, lieu d’innovation dans les premières décennies de la IIIe République, qui tendra vers plus de musique -et de sérieux-), opérette (apparue sous le IId Empire, où le parlé abonde dans un argument où la légèreté est de mise), opéra de salon… Finalement, « il est le cœur battant d’une culture et d’un marché » (p. 1165).
Outre l’imposant volume lui-même (impossible à résumer ici en quelques lignes), les deux copieux Index : des noms (41 p.), des œuvres lyriques (37 p.) témoignent de l’investigation en profondeur aux Archives nationales, institutionnelles, municipales, dans la consultation des nombreux périodiques généraux ou spécialisés d’une presse alors très prisée et de la masse des données mises en valeur. Une vingtaine d’encadrés consacrés aux interprètes, de nombreuses illustrations (en noir et blanc, in texte, mais également des fiches cartonnées en couleurs, à la fin du chapitre 11) jalonnent et animent les écrits.
Le second volet de la trilogie consacrée à l’opéra français, sans précédent, complétera utilement le riche Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle (FAYARD, 2003).
Édith WEBER
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Abondamment documenté et richement illustré, ce Guide utile est destiné aux amateurs d’opéras et de spectacles autour de Louis XIV et dans l’Encyclopédie. L’amateur y trouvera avec grand profit une remarquable initiation et introduction à ce genre de théâtre avec musique et danses, sous Louis XIV, puis Louis XV, dans l’entourage de Jean-Philippe RAMEAU (1706-1764) et enfin Louis XVI, entre conventions et réformes, avec une visée d’ordre politique, en France — même dans les colonies antillaises — et à l’étranger (Italie, Scandinavie, territoires germaniques) pendant deux siècles, jusqu’à la problématique « baroque ou classique ». Ouvrage de consultation indispensable qui sera fort apprécié à sa juste valeur.
Édith WEBER
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Tempo flûte. Revue de l’Association d’Histoire de la Flûte française, n°22, second semestre 2020, Saint-Clair-sur-Epte (www.tempoflute.com ), 64 p. (18 €/an).

Paru sans retard — malgré la propagation du virus — grâce à la détermination de Pascal Gresset, ce numéro tenant compte de l’actualité (partitions, livres), assorti de nombreuses illustrations, comprend entre autres son entretien avec le concertiste Jean-Michel Varache à propos notamment du rétablissement des Concours internationaux de flûte parisiens, l’année dernière. Interprètes et facteurs apprécieront également le rôle des « artisans de flûte en temps de pandémie » avec leurs adresses (Paris, Genève, Le Mans) et le « Regard sur l’enseignement de Roger Bourdin » (1923-1976) au Conservatoire de Versailles, par Madeleine Chassang.
Édith WEBER
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Catherine LECHNER-REYDELLET : Les Légendes françaises du piano (racontées par leurs élèves). AEDAM MUSICAE (www.musicae.fr ) . 2020. 346 p. – 30 €.

Sous ce titre plus recherché, Catherine Lechner-Reydellet propose en fait un dictionnaire des pianistes français nés entre 1846 (Marie Jaëll) et 1952 (Brigitte Engerer) actifs depuis la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’en 2012, donc dans la longue durée. Ce guide a la particularité de faire appel à leurs élèves, donc aux sources authentiques relevant d’intenses témoignages, pour un total de 50 entrées.
La publication est abondamment illustrée et bénéficie d’un très copieux Index des noms. Elle pourrait servir de prétexte à d’autres investigations comparatives, par exemple sur le problème du trac qui démolit nerveusement ; sur la qualité de l’accueil des élèves (choc d’une rencontre avec Yves Nat) ; sur le « charme miraculeux » de Ginette Doyen ; sur les spécialités et particularismes des professeurs (dont l’enseignement novateur de Lazare-Lévy) ; sur l’exigence de l’ordre et de l’efficacité dans la classe de Jeanne-Marie Darré ; sur l’héritage de Reine Gianolli et son énergie débordante… Pour la préparation d’un concours, Yvonne Lefébure fait entrevoir le génie de BEETHOVEN. Les divers enseignants avaient leurs exigences : Alfred Cortot insiste sur le sens de chaque œuvre ; Brigitte Engerer, sur l’importance du rythme, de la construction du discours musical et de la faculté de s’émouvoir (facteur indispensable).
Il serait aussi instructif de considérer les techniques de Marie Jaëll (1846-1925, élève de Franz Liszt), sensible aux recherches neuropsychologiques, et de Blanche Selva (1884-1942) dans le domaine de la sonorité pianistique : elles obtiennent la même qualité chantante et sonore par des moyens opposés : d’un côté « caresser » les touches et, de l’autre, « appuis spectaculaires du poignet ». La tradition de la grande École française, magistralement révélée par ces « Légendes », pourra susciter d’autres études.


Édith WEBER
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Jean-Noël VON DER WEID : Luis de Pablo, bâtisseur d’essentiel. Château-Gontier, AEDAM MUSICAE (www.musicae.fr ), 2020. 143 p. – 18 €.

Ce livre comble une lacune dans les publications françaises sur la musique espagnole. Luis de PABLO est né le 28 janvier 1930 à Bilbao. Installé à Madrid en 1939, il commence des études musicales et juridiques. Il participera à la fondation du Grupo nuova musica, organisera des concerts pour promouvoir la musique contemporaine. Grand voyageur, il séjournera au Mexique, à Berlin, en Argentine, à Ottawa et Montréal, en Ukraine, en Inde…, fondera à Madrid un studio électronique. Pour ses compositions, il s’inspire de R. Leibowitz, d’O. Messiaen et du Doktor Faustus (Thomas Mann).
En introduction, J.-N. von der Weid retrace brièvement la vie du compositeur jusqu’à leur première rencontre. Ils entretiennent alors une abondante correspondance, de 1995 à 2014 (puis passeront aux échanges téléphoniques), faisant l’objet de cette publication, révélant notamment leurs goûts respectifs, affinités et projets. Les lecteurs trouveront en filigranes l’évolution de la situation politique en Espagne, des renseignements concernant l’écriture et la réception de son œuvre ; d’autres plus anecdotiques notamment sur la Patum — très ancienne fête populaire catalane avec monstres, recherche du grotesque dans le pathétique — scandée par le tabal (grand tambour) (6 juin 2005, p. 124) ; une description du Pays basque... Par son corpus de plus de 200 œuvres (la plus récente en 2020) — dont plusieurs opéras —, Luis de PABLO confirme son appartenance à l’avant-garde sérielle et postsérielle, allant « d’un sérialisme avec des éléments aléatoires à une synthèse personnelle — flamenco des soleils, grandes fugues intimes —, dans laquelle se fondent la consonance, les micro-intervalles, la forme libre, la métrique complexe et certaines musiques extra-occidentales » (dernière de couverture). Sans Table des matières (la chronologie sert de fil conducteur), cet ouvrage, de lecture instructive, rédigé dans un langage recherché et très imagé, présente un compositeur éclectique en quête de son espagnolité.
Édith WEBER
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Sylvain SAMSON : L’œuvre musico-théâtrale de Luigi Dallapiccola. Une esthétique de sacré et de l’initiatique. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), Coll. Pensée Musicale, BDT0040, 2020, 333 p. – 35 €.

Luigi DALLAPICCOLA (1904-1975) a étudié le piano et la composition à Florence et à Graz et enseigné les deux disciplines au Conservatoire de Florence puis à Tanglewood (Etats-Unis), au Queen’s College de New York et à l’Université de Berkeley (1961). Sa musique se veut abstraite et concise, sa facture mélodique marquée par l’influence de R. Wagner, ce qui ne l’empêche pas de privilégier par exemple le dodécaphonisme, les quartes superposées, les intervalles dissonants.
Sylvain Samson, musicologue averti et philosophe insatiable, a mis à profit son savoir encyclopédique pour dégager la personnalité et l’immense apport intellectuel de ce grand compositeur italien, également auteur de ses propres livrets d’opéras, dont le héros représente l’une des problématiques.
Les Annexes sont d’une exceptionnelle richesse : Bibliographie : manuscrits de Dallapiccola, livres imprimés, livrets, partitions, écrits divers, sur des œuvres notamment Il Prigionero (chant), Job, Ulisse (et les références littéraires qu’il a brassées) et aussi d’autres sources inattendues : Nietzsche voisinant avec Ovide, Saint Exupéry avec Sénèque, Dante côtoie Thomas Mann… ; Discographie et même Webographie. Autant de sources de première et de seconde main exploitées par l’auteur — « une vraie gageure » — que d’années de travail intense et suivi. Pour entrer en perspective, les lecteurs pourront suivre notamment le cas d’Ulisse particulièrement significatif, avec figures et exemples musicaux illustrant la pensée concentrique de L. Dallapiccola.
La démarche si dense de l’auteur est vertigineuse et intradisciplinaire : musicale, littéraire, historique, philosophique, théologique et anthropologique. Initiations et horizons multiples. Un modèle à suivre.
Édith WEBER
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Bruno MONSAINGEON : Les bémols de Staline. Conversations avec Guennadi Rojdestvensky. Paris, FAYARD (www.fayard.fr ), 2020, 336 p. – 24 €.

D’entrée de jeu, quelques précisions sont indispensables : Bruno Monsaingeon, violoniste réputé, est aussi essayiste et même cinéaste ayant réalisé de nombreux films sur des musiciens : Glenn Gould, Sviatoslav Richter, Yehudi Menuhin…, sur le chef d’orchestre russe G. Rojdestvensky (1931-2018)d’après leurs échanges portant sur la triste réalité quotidienne et l’oppression des consciences à l’époque stalinienne, la situation au Bolchoi, l’existence tragique du peuple russe. Au fil des chapitres, les lecteurs seront renseignés sur la doctrine du réalisme soviétique et ses répercussions quotidiennes pendant 25 ans. Un condensé d’émotions non exempt d’un certain humour. Captivant.
Édith WEBER
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Danièle PISTONE : Prospectives musicologiques. aris, L’Harmattan (www.editions-harmattan.fr ), Coll. Musiques en question(s), 2019, 201 p. - 26 €.

Préfacée par Catherine Massip, cette rétrospective situe les nombreuses publications de Danièle Pistone, professeur émérite (Sorbonne Université), notamment responsable (1980-1999) de l’Observatoire musical français. Passionnée par les sciences humaines, les neurosciences, la sociologie de la musique, l’esthétique, la philosophie, la linguistique, le piano, la méthodologie et l’intradisciplinarité, elle a fondé la Revue internationale de musique française (1980-1997), privilégiant le XIXe siècle, encouragé la constitution des catalogues d’œuvres en insistant sur leur classification. Elle a ainsi forgé des outils de recherche en Musicologie dépassant le cadre de la musicologie historique.
Les lecteurs apprécieront la nouveauté et l’actualité de ses propos. La première partie est intitulée : « Entre histoire sociale et sociomusicologie » ; la deuxième : « Propositions méthodologiques » évoque le catalogage, la « titrologie appliquée aux œuvres musicales », la contextualisation à la lumière de l’herméneutique ; la troisième traite l’esthétique à l’exemple des « musiques de l’eau », propose des éléments pour une étude lexicologique et aborde encore « la musique et l’imaginaire dans la France contemporaine ». Chaque partie, avec tableaux, exemples musicaux, nombreux encadrés (statistiques et pourcentages) est suivie d’une orientation bibliographique circonstanciée. À noter un apport original : La thématique de l’eau dans une approche pluridisciplinaire et surtout la technique de l’enquête.
Bel exemple d’ouverture d’esprit, de croisements des méthodes et des disciplines.
Édith WEBER
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Pascal GRESSET (éd.) : Tempo Flûte. Paris, Revue de l’Association d’Histoire de la Flûte française (www.tempoflute.com ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ; 7, rue Louis Pasteur 95770 Saint-Clair-sur-Epte), numéro 21, premier semestre 2020, 11e année, 64 p. – 12, 12 €.

Les flûtistes et historiens apprécieront à leur juste valeur ce nouveau numéro contenant des renseignements si intéressants : Entretiens avec Emily Beynon à propos de sa formation, ses activités à l’Orchestre du Concertgebouw, avec ses impressions et réaction en tant que jurée à divers concours : aspect rarement abordé. Ce volume est accompagné de nombreuses photos de terrain.
Pascal Gresset s’est entretenu avec Nina Pollet et Ludwig Böhm, respectivement au sujet du 4e Concours Maxence Larieu (Nice et Munich). Il signale également deux Premiers Prix français au Concours Carl Nielsen. Deux problèmes sont posés : la paternité Quantz et Agricola, une controverse ; Alain Fourchotte ou l’expression du discours. Sur le plan organologique, Pierre Helou présente une Flûte Parmenon, avec toutes les cheminées alignées.
À noter les informations précises sur le Conseil Européen de la Flûte (EFC) et ses priorités stratégiques. L’actualité concerne les Festivals, la discographie, la bibliographie et les partitions. Revue toujours très enrichissante.
Édith WEBER
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Michel SCHMITT : Les 120 ans de l’Orchestre symphonique. La Philharmonie. Hipsheim, Bastian Éditions (www.bastian-editions.fr ), 2019, 434 p. – 31, 50 €.

Michel Schmitt, spécialiste incontesté de l’histoire de la vie musicale à Strasbourg et en Alsace, a marqué le 120e anniversaire (en 2020) de l’Orchestre symphonique « La Philharmonie », c’est-à-dire de Strasbourg (à ne pas confondre avec La Philharmonie de Paris, inaugurée en 2015, dotée d’un Orgue prestigieux, bénéficiant d’une remarquable acoustique et ayant intégré l’Orchestre de Paris en 2019). L’auteur a brassé et ordonné une information extraordinaire (Archives de Strasbourg, revue de presse locale, programmes et procès-verbaux, statuts), portant sur la longue durée et la spécificité historique de l’Alsace sous les aspects politique, militaire, économique, culturel, sociologique avec son destin oscillant entre l’Annexion allemande, le retour à la France, l’Entre-deux Guerres, puis l’Annexion de 1940 à 1944 et allant jusqu’au profil de l’Orchestre en 2019. Le brassage d’une telle masse de documents, de faits et d’événements est un vrai tour de force.
Au fil des pages et du temps, les lecteurs curieux et admiratifs sont mis au courant de la genèse de cette Institution avec ses difficultés et réussites. Cette somme contient aussi des éléments bibliographiques, des Annexes concernant les présidents, chefs, membres d’honneur, musiciens, solistes et une sélection d’articles (presse locale) très révélateurs ; surtout les Dernières Nouvelles d’Alsace (p. 426-7), Le Nouvel Alsacien, Der Elsässer et, plus rares, quelques publications parisiennes (1926). Des photos (par exemple : chefs René Matter et Philippe Acker dont nous avions suivi les concerts jusqu’en 1958… ; la Philharmonie, l’année du centenaire, Concert du 9 décembre 1999, au Palais des Fêtes de Strasbourg) illustrent significativement le propos. Actuellement plus de 100 musiciens marqués par l’excellence biculturelle française et allemande, proposent programme éclectique allant du XVIIIe siècle à nos jours.
Michel Schmitt a signé un document sociologique portant sur la pratique d’amateurs à un haut niveau et dans la longue durée et le « témoignage de la vie artistique d’un collectif humain avec ses caractéristiques propres et ses personnalités qui ont contribué à forger l’identité de la Philharmonie ». Enthousiasme partagé.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020

 

Michèle BUS-CAPORALI : C’est l’âme qui chante. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), BDT 0170, 2019, 209 p. – 15 €.

Plusieurs éditeurs mettent actuellement le rôle de l’âme en valeur, comme c’est le cas de la musique de Chopin (cf. CD : Le chant de l’âme, HORTUS, LI 127).
Michèle Bus-Caporali — pianiste, chanteuse, chef de chœur, très sensible aux émotions — évoque « l’arrivée d’un personnage étrange bouleversant les activités d’un ensemble vocal » : Ambroise Berger, chanteur lyrique, ayant vécu loin de son violoniste de père, atteint d’un mal inexorable, malgré les péripéties de l’existence « ayant mis leur âme à nu »… « Ils se rejoignent dans la musique ».
En un style direct, élégant, descriptif, le parcours d’Ambroise se déroule comme un roman, de lecture agréable, avec, en filigranes, des allusions autobiographiques (à la première personne) ; l’auteure veut communiquer avec le public en tant que formatrice (éducation musicale), faire des expériences sonores et se remettre en cause.
Modèle d’expression et de style, l’ouvrage réussit à camper les personnages entre avenir « plombé » du protagoniste, magnétisme, musicothérapie… : vertige au bord de l’âme qui, finalement, déchante.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020

 

Élisabeth BRISSON : Alban BERG au miroir de ses œuvres. Château-Gontier, AEDAM MUSICAE (www.musicae.fr ), 2019, 357 p. – 28 €.

Disciple d’Arnold Schönberg (1874-1951), Alban BERG, né à Vienne en 1885 dans une famille mélomane, mort en 1835 à l’âge de 50 ans, a relativement peu composé : 13 œuvres au total, dont Wozzeck, la plus connue. Ce musicien passionné se situe encore quelque peu dans l’héritage de Schumann, Beethoven, Mahler… Il mise sur l’émotion et le fantasme.
Son Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange » (dem Andenken eines Engels), composé en 1935, édité en 1936 (Universal Edition), a été créé le 25 octobre de la même année à Vienne, sous la direction d’Otto Klemperer, avec Louis Krasner en soliste. Élisabeth Brisson, Docteur en Histoire, en retrace la genèse (cf. p. 308 sq), la structure bipartite : Praeludium - Scherzo traduisant par une marche la vie sur la terre, Allegro - Adagio avec citation du Choral luthérien So nimm, Herr, meinen Geist (Seigneur, prends mon esprit), d’après la mélodie (1662) de Johann Rudolf Ahle, faisant l’objet de variations (cf. J. S. BACH, Cantate BWV 160) se présentant comme un cri. Ce Concerto oppose donc la vie et la mort (cf. p. 311 sq).
Le livre, accompagné d’une chronologie détaillée et d’une utile sélection discographique, révèle le processus créateur, reflète « ce qui animait A. Berg » : son désir de nouer la sensualité, la spiritualité et la pensée… et sa prédilection pour la sonorité (cf. 4e de couverture). Approche transparente : « en miroir ».
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020