Aram KHATCHATURIAN : Concerto pour violon et orchestre. Pièces pour violon et piano de KREISLER, FAURE, RAVEL, WIENIAWSKI. Annie Jodry, violon. Thérèse Cochet, piano. Orchestre National de la Radiodiffusion française, dir. Charles Munch. 1CD FORGOTTEN RECORDS (www.forgottenrecords.com  ) : fr 963. TT : 49’ 54 .

Comme il ressort de leur Label, les Éditions FORGOTTEN RECORDS s’attachent à faire revivre des talents d’exception et des interprétations hors pair enregistrées par le passé risquant d’être oubliés et qui, pourtant, avaient marqué la production discographique. C’est le cas de la violoniste française Annie Jodry, née en 1935, titulaire de tant de récompenses, dont le Premier Prix du Concours International de Genève et si digne représentante de l’école française de violon. Elle a collaboré avec les plus grands chefs tels que le regretté Charles Munch (1891-1968) qui n’est pas à présenter au grand public. Ensemble, avec l’Orchestre National de la Radiodiffusion Française, ils ont réalisé en 1954 « la » version de référence du si redoutable Concerto pour violon et orchestre en ré mineur d’Aram Khatchaturian (1903-1978). L’enregistrement du concert radiodiffusé le 19 juin 1954 à Strasbourg (Palais des Fêtes), bénéficiant des immenses progrès techniques, est de nouveau accessible, pour le plus grand bonheur des discophiles. Ce compositeur russe a précisément gagné sa notoriété internationale grâce à ce Concerto composé en 1940, structuré en 3 mouvements : Allegro con fermezza enlevé énergiquement, nécessitant une très haute virtuosité ; Andante sostenuto, plus expressif et contrasté, remarquablement rendu par le timbre du violon ; suivi de l’Allegro vivace, de haute voltige et d’une précision inouïe dans laquelle Annie Jodry, à l’âge de 19 ans, déploie toute sa technique éblouissante de justesse et de rigueur, inaugurant sa brillante carrière. Ce disque comprend également des pièces brèves pour violon et piano enregistrées la même année, avec le concours de Thérèse Cochet : Sicilienne et Rigaudon « dans le style de François Francoeur » de Fritz Kreisler (1875-1962) ; Andante particulièrement expressif de Gabriel Fauré (1845-1924) ; Pièce en forme de Habanera de Maurice Ravel (1875-1937) bénéficiant des sonorités chaleureuses du violon et Scherzo-Tarentelle de Henryk Wieniawski (1835-1880), page de pure virtuosité pour laquelle la précision de l’attaque et des entrées des deux instruments, réalisée en parfaite symbiose, force l’admiration.

 

Édith Weber.

 

Ernest CHAUSSON : Poème, op. 25. Camille SAINT-SAËNS : Havanaise, op. 83. Alban BERG : Concerto « À la mémoire d’un ange ». Annie Jodry, violon. Orchestre de la Suisse Romande, dir. Kurt Brass. Orchestre Philharmonique de l'ORTF, dir. Manuel Rosenthal. 1CD FORGOTTEN RECORDS (www.forgottenrecords.com ): fr 950. TT : 51’ 11.

Le même éditeur a le mérite de remettre à la disposition des mélomanes deux œuvres interprétées par Annie Jodry en soliste et l’Orchestre de la Suisse Romande, placés sous la direction de Kurt Brass, lors du concert radiodiffusé le 13 janvier 1956, au Victoria Hall de Genève. Le Poème, op. 25 (1896) d’Ernest Chausson (1855-1899) — en fait un Concerto pour violon et orchestre, dédié au violoniste belge Eugène Ysaÿe — est structuré en 3 séquences : Lento e misterioso de caractère expressif, intériorisé et dépouillé, avec une exceptionnelle ligne mélodique au violon contrastant avec l’Animato très enlevé, aboutissant au Finale éblouissant. Dans la Havanaise en Mi Majeur, op. 83 de Camille Saint-Saëns (1835-1924), œuvre concertante incontournable pour les violonistes, Annie Jodry s’impose par sa remarquable justesse et sa technique à vous couper le souffle. La seconde partie de ce disque, provenant du concert radiodiffusé enregistré le 26 juin 1963 à Nancy, comporte le Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg (1885-1935), créé en mars 1936, s’articulant en deux parties : Andante-Allegretto et Allegro-Adagio, avec des arpèges de cordes à vide au violon solo, suivis par des arpèges aux deux clarinettes et à la harpe. Le violon énonce ensuite la série de 12 notes déjà exposée par les pupitres. Dans cette œuvre symbolique, une longue courbe thématique ascendante représente la montée de l’ange vers le ciel et prépare l’entrée du Choral de J. S. Bach : Es ist genug ; so nimm, Herr, meinen Geist (C’en est assez ; ainsi, Seigneur, reprends mon esprit) emprunté par Alban Berg (il s’agit du Choral final de la Cantate 60, à propos de la mort de Hans Joachim Burmeister, sur la mélodie de Johann Rudolf Ahle). Elle est interprétée avec infiniment de lyrisme et de ferveur par Annie Jodry et l’Orchestre Philharmonique de l’Office de la Radiodiffusion-Télévision Française, placés sous la direction si avisée du regretté Manuel Rosenthal (mort en 2003). Versions fort attachantes à redécouvrir.

Édith Weber.

 

« Clair de lune. Meisterwerke für Harfe ». Émilie Jaulmes, harpe. 1CD KALEIDOS MUSIKEDITIONEN (www.musikeditionen.de ) : KAL6325-2. TT : 66’ 52.

Sous le titre Clair de Lune — par allusion à la Suite bergamasque de Claude Debussy et au poème éponyme de Paul Verlaine —, les Éditions KALEIDOS présentent des chefs-d’œuvre allemands, français et américains enregistrés en 2014, interprétés par la jeune harpiste française Émilie Jaulmes, née à Grenoble où, après avoir débuté très jeune la harpe au Conservatoire, elle a été l’élève, entre autres, de Marielle Nordmann et de nombreux professeurs à l’étranger. Ayant obtenu plusieurs Prix au CNSM et la Licence de Musicologie en Sorbonne, lauréate de nombreux Concours, elle s’affirme comme soliste et chambriste de réputation internationale. Installée en Allemagne, elle est actuellement la prestigieuse harpe soliste de l’Orchestre « Stuttgarter Philharmoniker ». Ce disque révèle ses goûts éclectiques avec des œuvres allant de G. Fr. Haendel (1685-1759) à George Gershwin (1898-1937), en passant par Carl Philipp Emmanuel Bach (1714-1788), Louis Spohr (1784-1859), Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), John Thomas (1826-1913) et, plus proches de nous : Gabriel Fauré (1845-1924), Wilhelm Posse (1855-1925) et Claude Debussy (1862-1918). En connaissance de cause, Émilie Jaulmes a retenu des formes traditionnelles pour harpe : Fantaisie, Impromptu, Concerto, Romance, Prélude et Variations et des pages aux titres évocateurs : Clair de lune ; The Man I Love, Summertime ; ou encore The Minstrel’s Adieu to His Native Land et Variationen über Der Karneval von Venedig : c’est dire combien son répertoire est vaste et combien elle maîtrise tous les traquenards  techniques et les esthétiques classique, romantique et contemporaine (y compris l’influence du jazz). Les mélomanes et harpistes les plus exigeants seront comblés par ce CD, modèle du genre. D'entrée de jeu, avec la Fantaisie de Louis Spohr, Émilie Jaulmes fait preuve de sa sonorité exceptionnelle, lumineuse et chatoyante, de son sens des nuances, de son calme, de sa parfaite maîtrise de la pédale. Elle interprète l’Impromptu de Gabriel Fauré et Clair de lune de Claude Debussy en leur restituant leur caractère mystérieux et suggestif. D’une manière générale, elle brille par la clarté de la structure, la transparence, l’atmosphère variée des différents morceaux et sa musicalité exceptionnelle au service d’un instrument que, depuis l’âge de 5 ans, elle pratique avec un enthousiasme contagieux.

Édith Weber.

 

Georg Philipp TELEMANN : 12 Fantasias 12 Recorders. Simon Borutzki, flûtes à bec. 1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de ) : KL 1509. TT :  52’ 31.

Les 12 Fantasie (per il violino senza basso) ont été écrites par Georg Philipp Telemann (1681-1767) pour le violon, ce qui n’exclut pas leur interprétation à la flûte à bec très en usage à l’époque. Selon sa fantaisie, Simon Borutzki a sélectionné 12 instruments différents accordés au diapason La 415 (exceptionnellement La 440) permettant de réaliser diverses impressions et couleurs sonores, émanant aussi bien des registres très aigu que grave. Sa démarche exploite d’ailleurs tout l’ambitus des instruments. La première Fantaisie en La Majeur en 2 mouvements : Vivace-Allegro annonce déjà les grandes qualités stylistiques du flûtiste. De structure classique, elles comportent 4 (ou 3) mouvements généralement contrastés (sauf la 7e en Majeur : Alla francese, Presto et la 12e, en sol mineur, plus enlevée). Elles reposent sur l’alternance de mouvements graves et méditatifs ; d’autres, plus enlevés (allant jusqu’au Presto), représentent un bel exemple des « goûts réunis ». D’ailleurs, en 1752, le grand flûtiste Johann Joachim Quantz — professeur de flûte de Frédéric II de Prusse — avait qualifié Georg Philipp Telemann de « plus grand maître »  maîtrisant les divers goûts de l’époque : il en est de même de Simon Borutzki qui, dans cet enregistrement de 2013 paru l’année suivante, s’impose par son phrasé précis, son beau coup de langue, ses traits de virtuosité, sa volubilité, sa brillance dans l’aigu dominés par un réel souci d’expressivité.

 

Édith Weber.

 

« Ornstein Bloch ». Ernest BLOCH: Schelomo, transcription pour violon et piano. Léo ORNSTEIN : trois Sonates, Poème pour flûte et autres pièces pour piano. 2CDs PRO MUSICA Association Artistique (www.christophe-boulier.com ): P 1411. TT : 68’ 56+ 62’ 47.

Ce disque a le mérite de révéler, en première mondiale, la transcription par le violoniste Christophe Boulier (qui fut déjà à 14 ans Premier Prix de Violon du CNSM) de la version inédite pour violon de Schelomo (à l’origine : Rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre) d’Ernest Bloch (né à Genève en 1880 et mort à Portland en 1959) interprétée avec fougue et ferveur au violon (Joseph Hell 1885) par Chr. Boulier et au piano : Sho Ogushi et Chisato Nishizono, deux jeunes artistes de l’Académie de Jeunes Solistes fondée à Mézin (en Aquitaine) en 2006. Ce premier CD est complété par 3 Sonates et le Poème pour flûte de Leo Ornstein (1893-2002) — pianiste ukrainien installé aux États-Unis, compositeur novateur pratiquant des procédés techniques audacieux (emploi notamment du cluster) —, autre musicien juif auquel le second CD (œuvres pour piano) est entièrement consacré. Ce coffret est réalisé, en outre, avec le concours déjà très prometteur des pianistes Célia Oneto-Bensaid, Héloïse Bertrand Oleari, Stephanie Maertens, Fiona Mato et Mai Yamada ; des violoncellistes Laurène Barbier-Combelles et Simon Dechambre ; de la flûtiste Floriane Gruson. À remarquer l’excellente contribution de Jean-Louis Caillard (depuis 2010 professeur de piano et de musique de chambre à l’Académie, et concertiste) pour les Intermezzi n°1 à 4. Bel encouragement et marque de confiance de l’éditeur PRO MUSICA vis-à-vis de ces jeunes interprètes.

 

Édith Weber.

 

Érik SATIE : Pièces pour piano (1912-1915) transcrites pour orchestre. Orchestre Régional de Basse-Normandie, dir. Jean-Pierre Wallez. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr): DSK3135. TT : 66’ 38.

Michel Decoust, né en 1936, flûtiste et compositeur français, a réalisé l’orchestration de 55 pièces d’Érik Satie (né à Honfleur le 17 mai 1866 et mort à Paris le 1er juillet 1925), écrites pour piano entre 1912 et 1915. Les titres des recueils sont particulièrement évocateurs, énigmatiques, fantaisistes, satiriques ou pleines d’humour, par exemple : Quatre préludes flasques (pour un chien) (1912), Embryons desséchés (1913), Trois Valses distinguées du précieux dégoûté (1914) : Sa taille, Son binocle, Ses jambes ; Sports et Divertissements (1914) avec Choral inappétissant… ; ou encore des pages descriptives : La balançoire, La Chasse, Le Feu d’artifice... La version orchestrale de ces pièces extrêmement brèves (petits clins d’œil souvent de moins d’une minute) rehausse les sonorités moins diversifiées du piano, en augmente le relief et la profondeur. Le programme se termine par Croquis et agaceries d’un gros bonhomme en bois : Tyrolienne turque, Danse maigre et Espanana : soit un total de plus d’une heure. Programme en tous genres et en tous sens, désopilant, magistralement interprété par l’Orchestre Régional de Basse-Normandie, sous la direction de Jean-Pierre Wallez, de réputation internationale.

Édith Weber.

 

« Modeste le petit pion ». 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI331179. TT : 50’ 31.

Ce Conte musical pour enfants, reposant sur le texte de Mathilde Maraninchi, est agrémenté par la musique d’Alexandre Gasparov (également passionné d’échecs). Lu avec un remarquable sens pédagogique et un grand pouvoir de suggestion, par Philippe Murgier qui dialogue avec les enfants, l’histoire met en scène Modeste, « le petit pion de bois Blanc » sur l’échiquier (comme il ressort également de l’illustration) et leur explique en détails les règles du jeu et le maniement des pions, tout en maintenant constamment leur attention. L’ « aspirant-pion » s’est entraîné en vue d’être sélectionné pour participer à la partie royale. Une musique rythmée et assez solennelle scande les divers épisodes. L’ensemble relate l’aventure, le déroulement de la partie d’échecs, avec l’impatience, les émotions qu’elle suscite parmi les participants, un peu à la manière impressionniste de Prokofiev dans Pierre et le loup. Finalement, Modeste, courageux et déterminé, fera une percée décisive parmi les pions Noirs. La musique contribue largement à créer l’arrière-plan de la scène, et Modeste, modestement, reçoit les acclamations. Confirmé « cavalier » par le Roi, il est devenu désormais « Modeste le Glorieux »… Exemple à suivre par les enfants qui, incités à jouer aux échecs, seront captivés par ce conte musical.

Édith Weber.

 

Giulio SAN PIETRO DE’ NEGRI :  Amorosa Fenice. Ensemble Faenza. 1CD AGOGIQUE (www.agogique.com ) : AGO018. TT : 69’ 02 .

L’ensemble Faenza, fondé en 1996 par Marc Horvat, est actuellement (2014) en résidence à l’Université de Reims Champagne-Ardennes. Son chef s’est spécialisé dans l’interprétation de la musique du Moyen-Âge à la Schola Cantorum de Bâle, et la musique de la Renaissance auprès de Dominique Vellard. Il a le mérite de recréer historiquement des œuvres de compositeurs peu connus. Par ses arrangements et diminutions additionnelles, il tire ainsi de l’oubli Giulio San Pietro de’Negri (v.1570-v.1630). Dans son remarquable texte de présentation, Robert Kendrick rappelle que : « Parmi toutes les figures — fascinantes, mais aujourd’hui peu connues — qui peuplèrent le monde de la monodie italienne du début du XVIIe siècle, Giulio San Pietro de’Negri (ou San Piero di Negro, car il existe des variantes à son nom de famille) est probablement l’une des plus intéressantes. Il aurait publié au moins onze volumes de pièces vocales profanes ou de motets entre les années 1605 et 1620, ainsi qu’un certain nombre de pièces dans des anthologies ».  Le programme, typique du Primo seicento, repose essentiellement sur des extraits des deux Livres de caractère expérimental : Grazie ed affetti di musica moderna à una, due, e tre voci da cantare nel clavicordo chitarrone & arpa doppia & altri simili istromenti (Milan, 1613), op. 5 de G. San Pietro de’Negri, dans le sillage de Claudio Monteverdi, à la recherche de nouveautés sonores et misant sur le caractère émotionnel, et de son op. 11 : Canti Accademici concertati a due, tre, quatro, cinque, & sei voci publié à Venise en 1620, selon les perspectives concertantes en vogue. Le titre de ce disque n’est autre que celui de la première pièce enregistrée pour chant, flûte soprano, guitare, théorbe, lautenwerk — c’est-à-dire clavecin-luth avec cordes en boyau (et non métalliques), produisant une sonorité adoucie. Il comprend au total une vingtaine de pièces, dont, en outre, quelques unes de Giovanni Ghizzolo (né à Brescia en 1580-mort à Novare v. 1625), pratiquant à la fois la prima prattica et la secunda, les passaggi pour mettre en valeur les affects verbaux ; d’Ottavio Valera, chanteur milanais actif au début du XVIIe siècle, et de Francesco Rognoni (né à Milan dans la seconde moitié du XVIe siècle-mort avant 1626), maître de chapelle dans cette ville à l’Église Saint-Ambroise.

Parmi les thèmes évoqués musicalement, figurent l’amour, la souffrance, la douleur, la langueur, les plaintes et soupirs ; l’art du bien-aimer, la fidélité et la cruauté en amour ; ou encore des personnages célèbres : Cloris, Tyrsis, Aminte… Ces sources, jusqu’ici inexploitées, sont révélées par l’interprétation si minutieuse de l’ensemble Faenza (chant, luth, théorbe, guitare, flûte, dessus et basse de viole) qui s’est surpassé pour faire renaître « de leurs cendres » ces « curiosités musico-littéraires » et pour dévoiler notamment Giulio San Pietro de’Negri, compositeur particulièrement attachant à découvrir impérativement. L’ensemble Faenza s’impose d’emblée par sa diction précise, sa volubilité, la souplesse vocale, l’équilibre entre voix et accompagnement, son sens du dialogue entre chant et instruments ; également par  la virtuosité des instruments (flûte…) et, d’une manière générale, son souci de la traduction musicale figuraliste précise des images et des sentiments du texte.

Édith Weber.

 

« In memoriam Pavel HAAS ». Fabrice Ferez, hautbois, Marc Pantillon, piano. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : GALLO CD 1426. TT : 61’ 06.

Le hautboïste français Fabrice Ferez et le pianiste suisse Marc Pantillon rendent un émouvant hommage au compositeur tchèque juif, Pavel Haas (né à Brno en 1899 et mort à Auschwitz en 1944) qui — après avoir effectué ses études au Conservatoire de Brno et composé quelques œuvres symphoniques, de musique de chambre, de films et de scène, d’ailleurs interdites par les nazis — a connu un destin particulièrement cruel. Ces deux instrumentistes ont enregistré avec une grande émotion sa Suite pour hautbois et piano, op. 12, composée en 1939 et symbolisant la résistance tchèque, avec l’emprunt du Choral hussite de ralliement : Les guerriers de Dieu et le Choral historique de Saint Venceslas (Xe s.) : Toi, héritier de la Bohême, n’oublie pas ton peuple… ; paradoxalement, cette œuvre a été créée au camp de concentration de Terezin, où Pavel Haas se trouvait avant son départ pour Auschwitz. Hautement symbolique, très révélatrice de l’état d’esprit qui régnait alors en Pologne sous le joug nazi, elle débute dans la désespérance, le dépouillement et la résignation contrastant avec un élargissement conclusif certain.

Bruno Giner (*1960) a dédicacé à Fabrice Ferez son œuvre intitulée : Trois silences déchirés (In memoriam Pavel Haas pour hautbois seul). Comme le précise Élise Petit : « Le titre polysémique de la pièce fait référence à la déportation de Hass et, partant, au sort de ses compatriotes européens : le silence est celui, assourdissant, de la déshumanisation des camps à laquelle sont réduits tous les déportés : c’est aussi le mutisme dépressif du compositeur à Terezin. Le déchirement évoque la séparation de tout environnement social, familial et affectif, ainsi que la violence de l’internement » ; elle constate que l’œuvre évoquant une situation particulièrement violente, énonce un thème si-la-la-mib correspondant aux lettres H.A.A.S. ou si-la-lab (H. A. AS.), et fait aussi entendre le Choral hussite cité par Pavel Haas dans sa Suite. Avec une sensibilité à fleur de peau, l’excellent hautboïste s’investit pleinement dans cette partition si lourde de sens et d’une tension quasi insoutenable. Le programme comporte en outre la Sonate écrite entre 1913 et 1922 par le compositeur slovaque Leos Janacek (1854-1928), en 4 mouvements mettant en valeur, tour à tour, une mélodie chaude de caractère chantant planant au-dessus des interventions incisives du piano, puis, une mélodie à découvert un peu plus allante, sur un fond sonore au piano, débouchant sur une conclusion plus animée, faisant appel à la volubilité du hautbois. Cette réalisation s’achève sur Epitaph (1980) du chef d’orchestre et compositeur polonais d’avant-garde, Witold Lutoslawski (1913-1994), privilégiant la couleur harmonique et la forme ouverte, « écho saisissant au Final de la Suite de P. Haas » ; et le Duo concertant (1984) du compositeur et chef d’orchestre hongrois, Antal Dorati (1906-1988). Ce voyage dans le monde musical en Europe de l’Est et aux XIXe et XXe siècles révèle la riche palette expressive du hautbois, le rôle indispensable du piano soliste et accompagnateur, et traduit la mentalité psychologique et esthétique d’Europe de l’Est au fil de l’histoire. Par devoir de mémoire, ces interprètes français et suisse ont ainsi rendu un vibrant hommage à Pavel Haas.

Édith Weber.

 

Joanna BRUZDOWICZ. : Quatuor à cordes n°1, La Vita.  In The Fever World. World. Tomasz Jocz, piano. NeoQuart. Liliana Gorska, soprano. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com) : APO329. TT : 49’ 48 .

Polonaise naturalisée française, issue d’une famille de musiciens, Joanna Bruzdowicz, née le 17 mai 1943 à Varsovie, a étudié la composition et le piano à l’Académie de musique Frédéric Chopin (Varsovie) puis, à Paris, avec Nadia Boulanger, Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer. Tout en réalisant des productions audiovisuelles et des musiques de films, elle compose également des œuvres de forme classique (Quatuors à cordes, mélodies…). Son Quatuor à cordes n°1 La Vita a été composé en 1983 en hommage à Karol Szymanowski, « père de la musique polonaise contemporaine ». Comme elle le précise, son œuvre « incorpore différents rythmes et accords reposant sur la musique populaire polonaise » « gorale » (pratiquée notamment dans le Sud de la Pologne). Ce Quatuor, largement diffusé et enregistré depuis 1983, année de sa création à Bruxelles, est structuré en 3 mouvements : Prologue : Allegro molto agressif, énergique, avec des rythmes incisifs, captant immédiatement l’attention ; Épisode central : Tutti. Andante cantabile in modo d’una canzone triste, de caractère lyrique, privilégiant davantage la ligne mélodique, spéculant sur quelques dissonances ; Épilogue : Grave. Presto. Coda. Finale faisant appel à la virtuosité des instrumentistes du NeoQuartet : Karolina Piatkowska-Nowicka (Violon I), Pawel Kapica (Violon II), Michal Markiewicz (alto) et Kryzstof Pawlowski (violoncelle) rompus à tous les traquenards techniques. Ce disque comprend aussi douze mélodies In The Fever World sur les textes anglais de Jehanne Dubrow, d’inspiration variée faisant allusion à la « cité des machines », « l’enfant perdu », « la dernière nuit »…, avec accompagnements originaux et indépendants qui assurent les transitions et créent les diverses atmosphères. Elles sont interprétées par Tomasz Jocz (piano) et le NeoQuartet. Joanna Bruzdowicz y fait preuve d’une grande capacité d’imagination dont Liliana Gorska (mezzo-soprano) rend toutes les subtilités. De facture mélodique plus tourmentée, proche de l’esthétique du Lied et soutenu au piano renforçant l’atmosphère, le cycle de mélodies World (sur le texte de Czeslaw Milosz) évoque notamment la foi, l’espérance, l’amour (la charité), le soleil « à l’origine de toutes les couleurs » et la terre qui est « comme un poème ». La voix si prenante de Liliana Gorska traduit avec expressivité ces divers états d’âme. Les œuvres de Joanna Bruzdowicz, quasi inclassables, représentent une synthèse de postromantisme et de minimalisme. Sa musique, originale et personnelle, très éclectique et sophistiquée, a le mérite d’accrocher immédiatement les auditeurs.

 

Édith Weber.

 

Duo Harpian. VDE GALLO (www.vdegallo-music.com). GALLO CD 1426. TT : 57’ 01.

Céline Gay des Combes (harpe) et Julia Froschhammer (piano), formant le « Duo Harpian », proposent un programme original. Elles restituent — dans l’arrangement de Fritz Froschhammer — des pages descriptives bien connues de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) provenant de ses Pièces de clavecin qui, avec cette formation instrumentale, résonne différemment, mais dont les différents plans ressortent davantage (piano plus percutant et harpe plus mélodique) : une autre écoute. La Danse sacrée et la Danse profane de Claude Debussy (1862-1918) bénéficient du caractère impressionniste des sonorités de la harpe. La Sonatine en trois mouvements de Maurice Ravel (1875-1937), écrite pour piano en 1903-5, interprétée uniquement à cet instrument, est plus incisive et énigmatique, alors que son Introduction et Allegro (1905), effectivement pour harpe et piano, a un caractère d’authenticité. Céline Gay des Combes se produit encore, seule, dans deux œuvres pour harpe dont elle exploite toutes les possibilités de timbres et de coloris. Enfin, le Duo Harpian interprète deux danses espagnoles : n°5 Andaluza  d’Enrique Granados (1867-1916) (arrangement de Carlos Salzedo) et Danse rituelle du feu de Manuel de Falla (1876-1946) posant sur cette réalisation un point d’orgue bien rythmé et mettant en valeur la virtuosité et la musicalité des deux instrumentistes.

Édith Weber.

 

Jozef WIENIAWSKI : Ouverture Guillaume le Taciturne, op. 43 - Symphony in D major op. 49. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com ) : APO331. TT : 50’ 25.

Le Label (polonais) ACTE PRÉALABLE qui s’attache à promouvoir la musique polonaise vient de démontrer que, contrairement à un faux adage, la forme de la symphonie est bien cultivée en Pologne, c’est le cas de l’opus 49 de Jozef Wieniawski qui est né en 1837 à Lublin (Pologne) et mort en 1912 à Bruxelles. Il a effectué ses études dans sa ville natale, ensuite au Conservatoire de Paris (piano avec P. Zimmermann, A. Fr. Marmontel et Ch.-V. Alkan ; composition avec F. Le Couppey), puis à Weimar avec Fr. Liszt. Il s’est alors imposé comme pianiste virtuose, pédagogue, concertiste international et compositeur. Après son séjour à Paris, il sera professeur de piano au Conservatoire de Moscou et, par la suite, occupera le même poste à celui de Bruxelles où il décède en 1902.

Sa Symphonie en Ré Majeur, d’esprit romantique et de structure classique (proche de J. Brahms) comprend 4 mouvements traditionnels : Allegro con spirito (selon la forme sonate), avec un premier motif exposé au cor et de nombreux figuralismes, puis un second aux bassons, altos et violoncelles : l’ensemble se déroule un poco pastorale ;  Andante molto cantabile (également de caractère pastoral, plus lyrique et plus lent) ; Scherzo presto (de forme répétitive A B A’) comportant un important motif de tête et se terminant par une brève coda ; Finale, Allegro energico e resoluto (comme un Allegro de sonate) qui privilégie le rythme de marche. L’orchestration force sur les instruments à vent dans cette symphonie de caractère épique et lyrique, digne d’être découverte grâce à l’excellente prestation de l’Orchestre Symphonique Philharmonique des Carpates (Podkarpackiej), fondé en 1955, placé sous la  direction à la fois énergique et sensible de Piotr Wajrak. Le disque commence par l’Ouverture dramatique de « Guillaume le Taciturne » (op. 43) de Jozef Wieniawski, avec par moments des réminiscences wagnériennes. Voici une belle Défense et illustration de la musique symphonique polonaise.

 

Édith Weber.

 

« Orchestral Lollipops ». 1 CD KLANGLOGO (www.rondeau.de ). Diffusion : RONDEAU PRODUCTION (Leipzig) : KL1506. TT : 61’48.

Sous le titre intrigant : Sucettes — destiné aux grands amateurs de cette friandise à sucer longtemps (Dauerlutscher) —, Howard Griffiths, à la tête du Brandenburgisches Staatsorchester de Francfort et du Fine Arts Brass, s’amuse royalement. Au menu : 17 titres d’œuvres de la fin du XIXe et du XXe siècles composées, entre autres, par Johann Strauss (1825-1899), Carl Nielsen (1865-1931), Edward Elgar (1857-1934), George Gershwin (1898-1937), Henry Wood (1869-1944), Cole Porter (1891-1964), Irving Berlin (1888-1989). Ils sont morts entre 1899 et 1989, soit un siècle de musique de divertissement, de circonstance (marche) et de pompe ou descriptive (The typewriter la machine à écrire, Tik-Tak-Polka…) : autant de pièces envoûtantes, contagieuses, toujours en mouvement, irrésistibles… à déguster sans modération.

 

Édith Weber.

 

« Sancta Mater Teresia ». Chœur des Carmélites de Pécs. 1CD JADE (www.jade-music.net ) :699 834-2. TT : 63’ 09.

Sainte Thérèse d’Avila (Teresa Sancta de Cepeda Davila y Ahumada), réformatrice monastique du XVIe siècle, est née en 1515 en Vieille Castille et morte en 1582 à Alba de Tormes. Selon la Vida de Santa Teresa de Jesus, dès sa prime enfance, elle a apprécié les histoires édifiantes de la vie des Saints. En 1531, elle est entrée au Couvent de Santa Maria de Gracia à Avila, où elle ne séjournera que jusqu’à l’automne de l’année suivante et, en 1633, elle s’est rendue au Couvent de l’Incarnation d’Avila où elle a prononcé ses vœux. Le Chœur des Carmélites de Pécs (Hongrie) célèbre le Cinquième Centenaire de sa naissance avec des pièces grégoriennes bien connues : la séquence Veni Sancte Spiritus, le texte Gaude Maria (en honneur à la Vierge), l’hymne Ave Maris Stella ; Benedicite Dominum et le trope Benedicamus Domino extraits du Manuscrit Las Huelgas (v. 1300, conservé à Burgos); un grand choix d’antiennes : Revertere, Sancta Mater Teresia, celles de l’« Office des Laudes à Sainte Thérèse », entre autres. Le célèbre Manuscrit de Montpellier ms. H 196 (XIIIe-XIVe s.) est représenté par le motet latin Alle psallite à 3 voix. Ces mélodies grégoriennes chantées à l’unisson sont entrecoupées par trois lectures cantillées (Livre de la Sagesse) et de pièces instrumentales contemporaines de Thérèse : de Tomas Luis da Victoria (v.1548-1611), d’Antonio de Cabezon (1510-1566) et de Luis de Narvaez (XVIe s.). Les Moniales qui, d’une voix souple, dépouillée et naturelle, chantent ces pages de chant grégorien avec profondeur et conviction, savent aussi se divertir, comme le prouve la dernière pièce : El Castillo de Cristal (XXIe s.) posant un point d’orgue non liturgique sur cette remarquable anthologie autour de Sainte Thérèse d’Avila.

 

Édith Weber.

 

«  Les Prières du Classique ». 1CD JADE (www.jade-music.net ): CD 699 838-2. TT : 53’ 58.

Actuellement, les éditeurs confèrent volontiers à leurs productions un titre global et significatif : c’est le cas de ce disque. Il regroupe une sélection de 17 œuvres ayant marqué le répertoire, tout d’abord sous le signe de la Prière : le Kyrie de la Messe en si mineur (J. S. Bach), celui de la Petite Messe solennelle (G. Rossini), ou encore l’Ave verum corpus et le Lacrimosa du Requiem (W. A. Mozart), le Psaume : Wie lieblich sind deine Wohnungen du Requiem allemand (J. Brahms), d’autres extraits de Requiem : Pie Jesu (G. Fauré), In Paradisum  de M. Duruflé, sous sa direction ; Panis angelicus (C. Franck), entre autres. À remarquer tout particulièrement le choral conclusif si poignant de la Passion selon Saint Jean (J. S. Bach) : Ach, Herr, lass deinliebEngelein… et l’Aria de son contemporain, Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1749) : Bist du bei mir (attribuée à J. S. Bach) interprétée avec intériorité et retenue par Elisabeth Schwarzkopf accompagnée par Gerald Moore. À ces pièces particulièrement méditatives, s’ajoutent, d’une part des pages pleines d’élan, par exemple : l’Hallelujah du Messie de G. Fr. Haendel, le motet Exsultate Jubilate de W. A. Mozart et, d’autre part, des hymnes mariales : Ave Maria (Fr. Schubert), Ave Maria extrait d’Otello (G. Verdi), le chœur (italien) Ave Maria (G. Puccini) ; Salve Regina (Fr. Poulenc). Cette compilation internationale a le mérite de faire réentendre des voix célèbres du passé : les Sopranos Elisabeth Schwazkopf, Renata Tebaldi ; le Baryton Camille Maurane accompagné à l’orgue par la regrettée Marie-Claire Alain et d’anciennes versions, par exemple le Thomanerchor et l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig dirigé par Cantor Günther Ramin, l’Orchestre Philharmonique de New York dirigé par Bruno Walter et d’autres formations à Londres, Vienne, Rome et Berlin. Les discophiles apprécieront à leur juste valeur ces interprétations du passé et écouteront avec émotion ces chefs-d’œuvre intemporels.

 

Édith Weber.

 

« Cremolino. Centenario dell’Organo Carlo Vegezzi-Bossi ».  Paolo Oreni, orgue. 1CD FUGATTO. Diffusion : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ) : FUG056. TT : 47’ 42 .

L’Orgue de l’Église paroissiale à Cremolino (Piémont) a été construit en 1914 conformément aux directives de la réforme cécilienne (1903) initiée par Pie X dans son Motu Proprio « Inter sollicitudines » préconisant le retour de la musique liturgique aux traditions du chant grégorien et de la polyphonie classique et luttant contre les tendances théâtrales de la musique dite religieuse. Au service de la liturgie, l’instrument marque une période importante dans l’histoire de la facture italienne avec augmentation du nombre de claviers, combinant la tradition polyphonique et les caractéristiques de l’orgue symphonique européen. Avec ses transmissions pneumatique et électrique, il ouvre la voie à la musique du XXe siècle. Il a été restauré en 1994 par la Manufacture Fratelli-Marin qui, pour son 80e anniversaire, l’a doté d’une nouvelle console. Pour commémorer son Centenaire, Paolo Oreni — organiste italien de réputation internationale, formé à Bergame, puis au Conservatoire National de Luxembourg, également élève de Jean Guillou — a sélectionné un programme de musique française auquel il a ajouté trois de ses propres œuvres : Improvvisazione-Preludio ; Improvvisazione-Scherzo ; Improvvisazione-Adagio e Toccata. Des trois musiciens français, Felix-Alexandre Guilmant et Théodore Dubois sont nés la même année, en 1837, et Joseph Bonnet, en 1884. Paolo Oreni interprète le Prélude de la Sonate n°3 (op. 56/1) du premier (1837-1911), avec clarté, virtuosité et énergie et un jeu particulièrement précis, en respectant les contrastes de nuances et les oppositions de claviers. Il permet de découvrir deux pages de Théodore Dubois (1837-1924), extraites de ses Douze Pièces nouvelles (1893) : n°9 In Paradisum, de caractère plus dépouillé et discret, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre éponyme de Gabriel Fauré, mettant en valeur les registres aigus de l’instrument ; n°8 : Fiat lux, contrastant avec la précédente, plus volubile et plus animée. Deux Pièces de Joseph Bonnet (1884-1944) — élève d’Alexandre Guilmant, grand amateur de musique grégorienne, fondateur et directeur de l’Institut Grégorien de Paris de 1923 à 1944 — proviennent de son opus 7 :  Douze Pièces nouvelles pour le Grand Orgue comprenant, entre autres : Elfes (n°11), page très rythmée avec un motif répétitif bien exposé ; Caprice héroïque (n°12), massif et majestueux, enlevé avec énergie, dans lequel la pédale assume un rôle important. Ces pages françaises sont entrecoupées par 3 improvisations dans lesquelles l’éminent organiste fait preuve de tout son talent. L’Improvvisazione-Preludio s’élève des profondeurs avec des tuilages et une mélodie évocatrice sur quelques notes ; cette page éblouissante nécessite une très grande maîtrise de la technique organistique et une grande faculté d’imagination. L’Improvvisazione-Scherzo, énigmatique, avec de larges de traits de virtuosité, est interprétée avec une clarté exceptionnelle. L’Improvvisazione-Adagio e Toccata privilégie les mélodies à découvert, très intériorisées et particulièrement souples (notamment dans l’Adagio), elle se termine en feu d’artifice incisif et implacable, nécessitant une virtuosité époustouflante. Ce disque commémoratif met en valeur le grand talent de Paolo Oreni, improvisateur et interprète hors pair. À ne pas manquer.

Édith Weber.

 

Claudio MONTEVERDI : Madrigali. Volume 2  : Mantova. Extraits des Quatrième, Cinquième et Sixième Livre. Les Arts Florissants, Paul Agnew, direction. 1 CD Arts Florissants : AF 003. TT. : 74'03.

Enregistrés lors de concerts donnés à la Cité de la musique, ces extraits du Volume 2 des Madrigaux de Monteverdi constituent le premier volet d'une série de trois qui couvriront les huit opus du crémonais. Du Livre IV (1603) de madrigaux à cinq voix sont proposées 5 pièces sur les 19 que comporte le recueil. Le genre madrigalesque connaît ici son apogée affirmant un souci de vérité dramatique auquel Monteverdi parvient par un savant dosage entre morceaux expressifs, où s'expriment les « affeti », et pièces de climat plus pastoral. Une certaine théâtralité se fait jour à travers des audaces harmoniques, dissonances, et l'usage du chromatisme. Le Cinquième Livre (1605) signe une nette évolution stylistique, portée sur les mots que prononcent des personnages qui cherchent à exprimer encore plus hautement leurs sentiments dans une récitation syllabique, là encore traversée de chromatisme. Ces pièces empruntent au Pastor fido et offrent un dialogue amoureux qui peut aller jusqu'au dolorisme. Le Sixième Livre (1614) contient 18 pièces qui, pour l'essentiel, sont renfermées dans deux cycles de « lamenti », le Lamento d'Arianna et la La Sestina, ici interprétés. Une nouvelle manière se fait jour, derniers feux du genre du madrigal a cappella. Aux côtés des œuvres sacrées de 1610, dont les Vespro, la théâtralité atteint son point culminant dans le récit où Arianna exprime sa languissante détresse. L'écriture polyphonique ouvre la voie au récitatif d'opéra. Le lamento La Sestina déploie une palette émotionnelle plus intimiste. La vision que donnent de ces pièces les solistes des Arts Florissants, sous la direction experte de Paul Agnew, combien familier de ce répertoire, est lumineuse : pureté des timbres, bel équilibre entre les voix. La liberté laissée aux interprètes est utilisée avec doigté au profit du réalisme de la narration, de l'acuité de la déclamation et de la mise en valeur des harmonies souvent audacieuses, sensuelles ou imitatives de la nature, de la musique de Monteverdi. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Apothéoses ». François COUPERIN : Concert instrumental sous le titre d'apothéose de Monsieur de Lully. Le Parnasse, ou l'apothéose de Corelli. La Superbe, Sonade en trio. La Sultane, Sonade en quatuor. Amandine Beyer, violon.  Gli Incogniti. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902193. TT.:  57'34.

L'apothéose, en musique, est un hommage rendu par un maître à un autre, et une composition dont les vastes dimensions dépassent celles du « Tombeau », et le contenu rhétorique celui plus anecdotique des « Portraits ». François Couperin, dit « Le grand » (1668-1733), en a écrit deux, dans cette optique des «  goûts réunis », prônée par le XVIII ème siècle, ou tentative de rapprochement des manières française et italienne. L'Apothéose de Corelli (1724) flatte le style italien au point de l'imiter, tout en gardant ses distances. La confrontation doit tourner à l'avantage de celui qui s'en fait le champion. Car comme le remarque Amandine Beyer, « en essayant de refaire une sonate dans le style italien, Couperin crée tout simplement le genre nouveau de la ' sonade ' française ». L'Apothéose «  composée à la mémoire de l'incomparable Monsieur de Lully » (1725) est encore plus explicite. Le grand musicien français se voit honoré de la visite d'Apollon qui le place au Parnasse auprès de Corelli, en les persuadant l'un et l'autre « que la réunion des Goûts Français et Italien doit faire la perfection de la Musique ». La composition est aussi plus conséquente, qui à travers ses trois parties, enchaîne une succession de morceaux lents et rapides, les premiers les plus développés d'ailleurs, aux intitulés évocateurs : « Gracieusement », « Dolemment », « Élégamment », « Vivement », « Rondement », « Gaÿment ». Cette belle anthologie comporte encore deux autres « sonades », l'une en trio, « La Superbe », dans le style italien, de Corelli bien sûr, l'autre, « La Sultane », en quatuor, avec l'ajout d'une seconde viole de gambe. Les «  recréations » que livrent Amandine Beyer et ses amis de Gli Incogniti fleurent le parfum des délicieuses aventures. Leur approche que la violoniste qualifie d'intuitive, est imaginative et d'un goût parfait dans l'art des contrastes : mouvements vifs empreints d'une joyeuse alacrité, pièces lentes d'une délicatesse de souffle certaine.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Porpora il maestro ». Arias et cantates de Nicola PORPORA. Franco Fagioli, contre ténor. Academia Montis Regalis, dir. Alessandro de Marchi. 1CD Naïve : V 5369. TT. : 80'.

L'attrait exercé par la voix de contre ténor nous vaut découverte sur découverte, d'interprètes, mais aussi de programmes. A cette aune, Franco Fagioli est en passe de se hisser aux toutes premières marches d'un Panthéon qu'on croyait réservé à Scholl, Jaroussky et autre Cencic. Après son CD « Arias pour Caffarelli » (cf. NL de 11/2013) il a concocté un généreux florilège de morceaux de celui qui pour lui, fait figure d'idole, Nicola Porpora. Ce napolitain (1686-1768) fut un compositeur pédagogue et on compta parmi ses élèves les fameux castrats Farinelli et Senesino. Il parcourut l'Europe, de Vienne à Londres, de Venise à Dresde. Son écriture vocale dénote une connaissance approfondie de la voix humaine et pas seulement dans la phénoménale maîtrise de la vocalise pyrotechnique dont il a inculqué la manière chez ses élèves. Avec lui, l'art vocal a atteint des sommets d'intensité et porté au plus haut l'école napolitaine. De ses nombreux opéras, Fagioli a choisi plusieurs exemples topiques d'arias aux arabesques infinies, aux ornementations les plus folles, souvent distillées sur un même mot. Les arias sont de coupe da capo avec le changement de rythme caractéristique sur la partie centrale et une reprise plus brillante encore du premier tempo. Si la forme demeure classique, l'usage qui en est fait est audacieux quant à la mise en scène des sentiments exprimés. Franco Fagioli se meut dans cet univers avec une aisance confondante. A la chaleur du timbre s'ajoute le legato parfait de naturel, notamment dans le registre piano, et bien sûr la sûreté des vocalises ahurissantes dont sont truffés les morceaux : enchaînement de trilles exécutés dans un même souffle, multiplication des ornementations, notes projetées dans le grave ou lancées en fusée dans l'extrême aigu. On est enivré de ces volutes à perdre haleine, par exemple en une sorte de cadence, déployées sur trois octaves, dans l'aria « Spesso di nubi cinto » tiré de Carlo il Calvo. On est subjugué aussi par un style qui ne sombre pas dans la pure sollicitation de l'effet, mais cultive une vraie chaleur expressive, qu'il s'agisse du registre de la douceur ou des traits emportés des arias di furore.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Stella di Napoli ». Airs de bel canto de Giovanni Pacini, Vincenzo Bellini, Michele Carafa, Gioachino Rossini, Saverio Mercadante, Gaetano Donizetti, carlo Valentini. Joyce DiDonato, mezzo soprano. Chœur et Orchestre de l'Opéra de Lyon, dir. Riccardo Minasi. 1 CD Erato : 08256 463656 2 3. TT. : 72'10.

La production napolitaine du début du XIX ème siècle compte parmi les trésors du bel canto. Parce que Naples est un centre musical essentiel alors, et que les courants les plus novateurs s'y font jour, voisinant avec les esthétiques les plus conservatrices. Cette confrontation assure aux compositions des musiciens qui s'y illustrent une étonnante originalité. Les arias assemblées dans ce CD en offrent une patente illustration. Où l'on constate que les voies du bel canto sont souvent imprévisibles, pour ne pas dire impénétrables dans les méandre de l'inspiration. La ligne de chant assume une surprenante autonomie par rapport à l'accompagnement, même si celui-ci fait appel à des instruments fétiches comme la harpe ou la clarinette. Ainsi de cette aria de Michele Carafa (1787-1872 ), emprunté à l'opéra Le nozze di Lammermoor, sur un sujet bien connu à l'époque et immortalisé par la Lucia di Lammermoor de Donizetti : préludé à la harpe, rejointe par la clarinette, la mélodie vocale installe un climat de douce mélancolie. Dans La Vestale, Saverio Mercadante (1795-1870) offre avec la cavatine « Se fino al cielo ascendere » un festin vocal défiant les lois de la mélodie prévisible, après qu'elle ait été introduite par un concertino des bois. Les ornementations peuvent être aussi originales qu'inattendues, comme le montre l'aria « Riedi al soglio » tirée de  la Zelmira de Rossini, créée pour la Colbran. Il en va de même de la scène finale de Saffo de Pacini (1796-1867) qui voit le suicide de l'héroïne dans une lugubre atmosphère. Au fil de ces morceaux délicats, voire de bravoure, on voit combien l'air romantique acquiert une nouvelle dimension sous la plume de ces musiciens : des touches personnelles dans les fioritures mènent la mélodie vocale dans des contrées peu prévisibles. Enfin, on est saisi par des changements d'harmonie, renforcés par le recours à une instrumentation inédite, comme l'harmonica de verre à clavier dialoguant avec le harpe pour cette autre aria tirée de l'Elisabetta al castello de Kenilworth de Donizetti (1829). Tous ces joyaux, Joyce DiDonato leur donne vie en les parant d'une coloration dramatique certaine et de cette vulnérabilité du trait qui la place plus dans le sillage d'une Marilyn Horne que dans la comparaison avec la manière de sa consœur italienne Cecilia Bartoli, car le vibrato se fait présent çà et là. Elle est idéalement soutenue par Riccardo Minasi qui sait trouver le ton et tirer de beaux accents du phonogénique Orchestre de l'Opéra de Lyon. Le chœurs maison sont moins à l'aise et ses solistes pas toujours à la hauteur des répliques épisodiques nécessitées par certaines scènes.

 

Jean-Pierre Robert.

 

JS. BACH : Double concerto pour violon, hautbois, cordes et continuo, BWV 1060R. Sinfonia de la cantate BWV 156. Concerto pour violon, cordes et continuo, BWV 1042. Sonate pour violon seul BWV 1003. « Erbarme dich, mein Gott », extrait de la Passion selon Saint-Matthieu, aria transcrite pour hautbois d'amour. CPE. BACH : Sonate en trio pour flûte, violon et continuo Wq 143. Lisa Batiashvili, violon, François Leleux, hautbois, Emmanuel Pahud, flûte. Kammerorchester des Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunk. 1CD Universal DG : 479 2479. TT. : 69'10.

Ce disque qui se veut construit sur un air de famille, et pas seulement entre JS. et CPE. Bach, mais entre la violoniste Lisa Batiashvili et son époux hautboïste François Leleux, réunit quelques pages emblématiques du Cantor et une sonate en trio du fils aîné. Du premier on peut ainsi entendre le double concerto BWV 1060R, dans sa version pour violon et hautbois, et le concerto pour violon BWV1042. Le problème est que sous de louables intentions, se cache une bien curieuse idée de l'interprétation de ces pages archi connues : tempos peu rigoureux, accents de métronome, accélérations arbitraires, fins de phrases banales. Sans prôner une interprétation sur instruments anciens, cette version « moderne » offre peu de saveur. L'absence de chef y est sans doute pour beaucoup, et on ne parvient pas à accrocher à une expérience  presque routinière. C'est d'autant plus regrettable que le violon de Lisa Batiashvili est stylé et déploie une belle sonorité. Ce qui se vérifie au fil de la Sonate pour violon seul BWV 1003, distinguée par une « fuga » presque véhémente et un andante profond. Côté concertant, les choses viennent mieux dans la Sonate en trio de CPE Bach grâce à l'élan que lui apporte la flûte solaire d'Emmanuel Pahud qui, à défaut de chef, est le garant du juste tempo. L'aria « Erbarme dich, mein Gott » extraite de la Matthaus Passion de Bach, sonne, dans cette transcription pour violon et hautbois d'amour, comme un bis racé montrant deux solistes à leur meilleur. Il n'empêche un bien curieux programme.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jean-Philippe RAMEAU : Hippolyte et Aricie.  Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue. Livret de l'Abbé Simon-Joseph Pellegrin. Topi Lehtipuu, Anne-Catherine Gillet, Stéphane Degout, Sarah Connolly, Jaël Azzaretti, Salomé Haller, Andrea Hill, Marc Mauillon, Aurélie Legay, François Lis, Aimery Lefèvre, Nicholas Mulroy, Manuel Nunez Camelino, Jérôme Varnier, Sydney Fierro. Orchestre et Chœur Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haim. Mise en scène : Ivan Alexandre. Production de l'ONP, 2012. 2 DVD Erato : 462291 7 8. TT. : 174'.

Captée lors de sa présentation en juin 2012 au Palais Garnier, cette version du premier opéra de Rameau se signale par son esthétisme raffiné. La mise en scène d'Ivan Alexandre regarde du côté de la Phèdre de Racine. Elle décline le formalisme d'une tragédie classique où se marient élégamment musique, théâtre et danse. Elle reste toujours lisible et ne sombre pas dans le compassé de la reconstitution. Elle invite à un voyage imaginaire. La décoration inspirée de l'antique, avec trompe-l'œil et effets de symétrie, sertit des costumes chatoyants dont l'inspiration a été puisée aux sources le plus sûres, et s'agrémente d'une machinerie sophistiquée avec apparitions du dessus ou des entrailles. Les mouvements offrent juste cette touche de préciosité dans les attitudes et d'hyperbole dans la gestique, avec de savants jeux de mains, qui rappellent que nous sommes là en territoire codé. Mais quelques clins d'œil modernes assouplissent le discours. Ainsi du personnage de l'Amour dont l'impertinence apporte une note de vivacité dans cet univers policé. La caméra saisit tel ou tel détail d'une expression, d'une attitude, d'un visage et des affects qui l'habitent : fureur de Phèdre, grandeur de Thésée, affliction d'Aricie, noirceur du personnage de Tisiphone, presque caricatural. Mais la régie qui va jusqu'aux limites, ne les franchit pas. Elle reste dans la suggestion et la finesse du trait. Le tableau des enfers est à cet égard un modèle de peinture de l'effrayant sous des apparences d'objectivité. La couleur rouge sang domine, les Parques ont la tête à l'envers, Pluton et sa cour infernale sont d'un immobilisme menaçant. La distribution fait honneur au chef d'œuvre de Rameau. La noblesse d'accents, le phrasé souverain de Stéphane Degout illuminent le personnage de Thésée, comme la déclamation grandiose de Sarah Connolly confère toute son aura de grandeur à celui de Phèdre, toute racinienne. Le couple titre est plus placide, sans doute volontairement, calé sur une direction d'acteurs qui le conçoit de manière peu passionnelle. Jaël Azzaretti est un parangon de délicieuse facétie dans le rôle de l'Amour qu'elle gratifie de vocalises aériennes. La pléiade des autres rôles est servie par des chanteurs de la jeune génération, rompue au baroque. La direction d'Emmanuelle Haim, vive et fluide, même si un brin placide, magnifie une musique généreuse et les interventions solistes sont immaculées.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Wolfgang Amadé MOZART : Concerto pour piano K. 271, « Jeunehomme ». Rondo pour piano et orchestre K. 386. Air de concert « Ch'io mi scordi di te ?.. Non temer, amato bene », K. 505. Joseph HAYDN : Concerto pour piano en /Hob. XVIII : 11. Alexandre Tharaud, piano. Joyce DiDonato, mezzo-soprano. Les Violons du Roy, dir. Bernard Labadie. 1 CD Erato : 46224 0 3. TT.: 70'56.

Le nouveau projet discographique d'Alexandre Tharaud ose l'originalité, plutôt que   coupler deux concertos pour piano de Mozart, de mettre en miroir le concerto K. 271 avec un concerto de la maturité de Josef Haydn, et de l'agrémenter de deux autres courtes pièces de Mozart. L'association fonctionne plutôt bien. Écrit pour Mlle Jeunehomme, pianiste française et une de ses élèves, ce morceau annonce la veine des grands concertos de la maturité. Tharaud et Bernard Labadie l'abordent vif et engagé à l'allegro initial, avec un vrai jaillissement, à l'aune de l'entrée du piano dès les premières mesures. La cadence porte un bref trait de mélancolie. Le pianiste, qui dit voir là une de ses œuvres fétiches, prend l'andantino et sa façon de s'épancher comme un air d'opéra, de manière très retenue, quasi adagio, soliloque d'une voix intérieure, jusqu'à la confession. Le développement, sur le concertino des bois énonce quelque souffrance enfouie, que Tharaud renforce de solides contrastes dans les accords. Le rondo final s'ébroue tel un tourbillon au milieu duquel gambade un soliste enjoué. Un changement d'humeur et de rythme, lors de la cadence, est là encore le signal d'un autre court moment de mélancolie. Le pianisme de Tharaud est clair, énergique, inventif et plein d'esprit. Le concerto de Haydn ne dépare pas face à celui de Mozart. Ils semblent même se compléter. La gaieté simple et sans nuage marque le « vivace » qui débute l'œuvre d'une verve émoustillante, nantie des traits humoristiques. Le finale, rondo « all'Ungarese », d'une vigueur décapante, est d'une folle faconde, que Tharaud souligne à l'envi, au point d'inclure dans la cadence des bribes de la « Marche Turque » de Mozart. Car l'idée est d'établir des passerelles entre les deux œuvres et au-delà avec une autre pièce du programme, le rondo K. 386. Celui-ci alterne deux motifs, l'un serein, l'autre introspectif, et Tharaud conçoit une cadence qu'il relie à la thématique du dernier mouvement du concerto « Jeunehomme ». Il a aussi inclus l'air de concert K. 505 « Ch'io mi scordi di te... »,  sans doute l'un des plus fascinant de Mozart. Il insère en effet le piano dans le dialogue voix-orchestre, pour en faire presque un concerto à deux instruments. Joyce DiDonato le chante avec humilité tandis que le piano de Tharaud lui ravirait la vedette. Un CD surprenant et passionnant.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Mozart's Instrumental Oratorium ». Wolfgang Amadé Mozart : Symphonies N° 39, K. 443, en Mi bémol majeur, N° 40, K. 550, en Sol mineur, & N° 41, « Jupiter », K. 551, en Ut majeur. Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt. 2CDs Sony Music : 88843026352. TT.: 65'01+39'23.

 

Avec cette interprétation, Nikolaus Harnoncourt affirme haut et fort ce que d'aucuns avançaient comme une hypothèse (en particulier Jean et Brigitte Massin, in 'Mozart', Fayard) : les trois dernières symphonies de Mozart forment un tout, non pas trois pièces indépendantes, mais une œuvre tripartite. Ce qu'il appelle un « oratorio instrumental ». « Elles figurent en apparence une sorte d'itinéraire choisi par un être humain pour atteindre sa destination » (in 'La parole musicale', Actes Sud, cf. supra Le Coin Bibliographique). On sait peu de choses de ces œuvres, si ce n'est qu'elles ont été écrites en 1788, en l'espace de deux mois, sans commande précise. Le besoin financier, auquel peuvent faire penser les lettres alors adressées par Mozart à Michael Puchberg, frère de Loge, est une explication, à laquelle le chef autrichien ne croit guère. Un lien de parenté unit ces trois œuvres : de l'ouverture tragique que constitue le premier mouvement de la 39 ème, jusqu'au finale grandiose de la 41 ème, il y a là un continuum que le choix des tonalités rend probable. Leur enchaînement aussi et le développement de motifs proches. Des singularités encore : le finale de la Symphonie K. 443, monothématique, finit par « se résoudre en un nuage de poussière » (ibid.), d'où émerge, si on les rapproche, « le début vague et confus » de la Symphonie K. 550, et sa curieuse « palpitation » des altos.

 

A l'automne d'une immense carrière, et pour la première fois avec son orchestre du Concentus Musicus Wien - d'un fini instrumental inouï - Harnoncourt livre sa vision de cette trilogie et développe une dramaturgie bien différente de ce qu'on a coutume d'entendre. Elle bannit toute brillance. Le « béat bonheur mozartien » (ibid.) cède résolument le pas à une manière austère, qui vous remue au plus profond. La Symphonie K. 443 en Mi bémol majeur, tonalité « du cérémoniel sérieux », empoigne dès les premiers accords massifs et tragiques, et au fil d'un allegro qui progresse avec grandeur. Dans l'andante con moto, tout aussi dramatique, il n'y aura pas de grâce superfétatoire. Le Menuetto est vivement rythmé avec un trio tout en rupture et une reprise peut-être plus vive encore. Le finale se vit en rafale, prestissime. L'enchaînement du 1er mouvement de la 40 ème symphonie, dans le disque, immédiatement après les dernières notes de la symphonie précédente, produit un effet saisissant. « Tout est ici remis en question » dit Harnoncourt à propos de la 40 ème, car la tonalité de Sol mineur est celle « de la mort et de la tristesse ». L'élan est implacable, tel un cauchemar au premier mouvement. L'andante souffle l'apaisement, en apparence, car un serrement de cœur se fait jour aux bois (hautbois et bassons) sur le soupir des violons. Le Menuetto, d'une belle liberté d'approche fermement rythmée, introduit une pause, vite abandonnée par un trio d'une insondable douleur, mise en exergue par le concertino des bois et des cors. L'allegro assai poursuit sur la même idée dramatique, sans s'emballer comme souvent chez certains chefs, et refusant le sourire que ceux-ci apportent à cet épisode. Les accords en cascade sont fermement détachés et la fugue conclusive affirme encore ce choix. La Symphonie « Jupiter » K. 551, là où Mozart « résout tout dans la joie », est grandiose de bout en bout : un Vivace aux attaques fières, dignes d'une Ouverture d'opéra, bardé de silences lourds de sens, à la rythmique solide avec des coups de boutoir formidables ; un Andante cantabile qui ne s'attarde pas sur quelque joliesse, car le tempo allant est traversé d'interjections brusques ; un Menuetto extrêmement fluide, dont l'énigmatique Trio avec ses trois notes lourées, livre un étonnant contraste ; et, dernière étape d'un voyage impressionnant, un finale portant la fièvre à son apogée, pas seulement eu égard à la battue fort énergique du chef, mais par l'élan qu'il communique, celui d'un musicien taraudé par « l'angoisse de la perfection » (ibid.) dans l'interprétation musicale. Un expérience rare.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Robert SCHUMANN : Intégrale des symphonies. N° 1, op. 38, « Frühlingsymphonie » (symphonie du printemps), N° 2, op. 61, N° 3, op. 97, « Rhénane », N° 4 (Première version de 1841). Berliner Phiharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 2 CDs + 1DVD Berliner Philharmoniker Recordings : BPHR 140011. TT. : CDs =56'18+60'56 ; DVD=140'.

Comme bien d'autres orchestres avant lui, le Berliner Philharmoniker a créé son propre label discographique et vidéographique. Plusieurs raisons à cela : le développement du Digital Concret Hall, opération de diffusion vidéo des concerts de l'orchestre, et le fait que le contrat du directeur musical Simon Rattle avec un des majors du disque (EMI, devenu Warner ) a pris fin sans être renouvelé. La question de savoir si l'orchestre continuera à enregistrer, avec d'autres chefs, pour les majors du disque, comme DG, est posée. Pour l'heure, et comme premier opus de ce nouveau projet, Rattle et l'Orchestre ont choisi d'offrir l'intégrale des symphonies de Schumann. Celle de Schubert suivra, dirigée par Nikolaus Harnoncourt. La présentation des disques est fort luxueuse, sous large coffret entoilé rehaussé, comme il en est de l'iconographie intérieure du livret, de reproductions de vases de la Manufacture Royale de porcelaine de Berlin, KPM. Le coût est aussi en rapport avec le produit. Mais le prince des orchestres ne saurait faire dans le banal ! Côté interprétation, voilà des versions qui assument leur différence dans un secteur où la concurrence est rude. Simon Rattle associe volonté d'offrir des interprétations historiquement documentées et souci d'une exécution moderne dans une large salle de concert ; en l'occurrence celle de la Phiharmonie de Berlin où ces enregistrements ont été effectués en direct. Ce qui frappe d'emblée c'est le parti d'allègement de la texture, lequel permet de s'approcher de la couleur d'origine, loin des exécutions plus épaisses souvent favorisées depuis lors avec des formations pléthoriques. On sait le vieux débat autour de l'orchestration schumannienne que d'aucuns ont fustigé de malhabile ou de monotone, ce qui paraît bien méconnaître le génie de Schumann pour la diversité et une manière alerte empruntée à Mendelssohn. Cette atténuation de la pâte sonore on la perçoit dans les cordes dont Rattle cherche à souligner  la finesse, mais aussi chez les cuivres qui sont astreints à une relative discrétion. Une autre caractéristique est la manière de contraster forte et piano, encore que le spectre sonore ne soit jamais disproportionné. Tout cela est restitué dans une perspective naturelle de concert par les ingénieurs du son qui achèvent un équilibre pleinement satisfaisant entre cordes et vents, et mettent en valeur les fameuses caractéristiques de l'orchestre, dont la sonorité enveloppante des contrebasses n'est pas la moins captivante.

 

La Symphonie N° 1, « du printemps », offre un bel exemple de l'allègement sonore privilégié par Rattle. Dès le premier mouvement la manière s'avère vive, dansante presque, s'emballant joliment à la coda. Le larghetto est chantant, pas seulement dans la majestueuse phrase des cellos, et le deuxième thème n'est pas appuyé. Bien balancé, le scherzo est calé dans une rythmique dansée et le trio fait contraste, sa deuxième réplique prise à une allure plus rapide introduisant un bel effet de surprise. La péroraison ouvre un espace de réflexion qui prend son temps. Quant au finale, grazioso, tout mendelssohnien, des accélérations çà et là maintiennent en haleine et la reprise finale conduit fièrement à un joyeux tumulte d'apothéose. Rattle joue la Quatrième symphonie dans sa version originale de 1841. Le matériau est plus fruste que dans la révision de 1851, qui utilise les doublures instrumentales. Ici, le discours n'est pas appuyé, révélant mieux la subtilité de l'harmonie schumannienne. La vision de Rattle est volubile, n'hésitant pas à bouler le tempo (coda du premier mouvement, finale très scandé). La mélancolique « Romanza » centrale s'épanche naturellement et l'entrée du violon solo lors de la péroraison n'est pas exagérée en termes de prééminence sonore. La Deuxième symphonie souffre d'un parti pris de ralentissement comme d'une recherche de contrastes exacerbés, à la différence de la fraîcheur du geste qu'apporte Claudio Abbado dans sa récente interprétation en CD (cf. NL de 9/2013). L'architecture du premier mouvement s'en ressent et connaît quelque baisse de tension dans le développement, alors que la coda est comme précipitée. Le scherzo « vivace » a du mordant mais le trio central s'appesantit. L'opposition « Forestan et Eusébius » sans doute, mais un peu poussée à l'extrême. Par contre, à l'andante espressivo, le chef prend son temps et l'on savoure la mélodie envoûtante du hautbois comme le merveilleux crescendo monté amplement aboutissant au bouquet des cordes suraiguës. Le développement associe lenteur et jeu pianissimo, au point de presque distendre le discours. Le molto vicace final renoue avec l'énergie et on savoure le contrepoint des cordes graves. La Troisième Symphonie, « Rhénane », est une indéniable réussite car la vision est plus « centrale ». Rattle fait sienne l'indication « Lebhaft » (animé), et le « drive » est certain, héroïque au premier mouvement et retrouvant au finale la légèreté bondissante de la Première symphonie. Les trois séquences médianes forment contraste : du scherzo « très modéré », ample comme une danse de Landler, tandis que les traits de cuivres ne sont pas funèbres, au « nicht schnell », intermezzo romantique expressif s'enfonçant dans une douce rêverie, ou encore au « Feierlich » (solennel), choral non pesant avec une progression dramatique savamment dosée. La volonté d'allègement coté cuivres est là encore patente. Partout, on est subjugué par la souveraine perfection sonore des Berliner.


Jean-Pierre Robert.

 

Dimitri CHOSTAKOVITCH : Symphonies N°4, op. 43, No 5, op. 47,  N° 6, op. 54. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 2CDs Mariinsky : MAR0545. TT.: 59'40+75'26.

Pour ce nouveau volet de l'intégrale des symphonies de Chostakovitch, Valery Gergiev propose les opus 43, 47 et 54 et leurs univers contrastés quoique partageant un point commun, celui d'un message tragique assumé jusqu'à l'extrème. La Quatrième Symphonie op. 43, achevée en 1936, retirée par Chostakovitch juste avant la première exécution, et finalement créée en 196I par Kyrill Kondrashin, est un immense coup de poing.  A l'effectif orchestral gigantesque répond le foisonnement des idées, fruit des intenses recherches du musicien. A l'exemple du vaste premier mouvement, lui-même divisé en plusieurs sections au fil d'une mosaïque thématique étonnante. Valery Gergiev et ses musiciens du Mariinsly en livrent une exécution impressionnante, quoique moins engagée que de précédentes exécutions. Ponctuée de stridences dignes de l'opéra Lady Macbeth de Mzensk, de clusters grisants, de courses haletantes et éperdues, de sforzandos inouïs comme enroulés sur eux-même. Le moderato central, un scherzo qui ne dit pas son nom, quelque peu impénétrable, abonde de références à Mahler. Les changements brusques de cap qui émaillent le finale, d'une marche funèbre, elle-même envahissante, à une suite de danses variées, conduisent à des explosions sonores, points culminants d'accélérandos saisissants. La séquence finale signe des accords frénétiques avant que le discours livre son angoissante résolution aux dernières mesures où le son se raréfie pppp jusqu'au silence. Le caractère déroutant de cette œuvre, par l'enchaînement des motifs et la rugosité de la musique, n'est assurément pas aisé à appréhender dans une écoute domestique privée de la spacialisation du concert. Encore que la captation live aide beaucoup ici.

 

La Symphonie N° 5, op. 47, lors de sa création, en 1937, marquait la première collaboration de Chostakovitch avec le jeune chef Evgeny Mavrinski qui la mena au triomphe. Elle raconte une épopée totalement russe et Gergiev en porte haut la veine émotionnelle. L'âpreté du discours est vite en évidence dans une dynamique  extrêmement contrastée, avec des climax d'une force colossale. Le scherzo est rythmé avec humour. Le largo offre comme un cri désespéré, à l'image de la mélodie du hautbois d'une insondable tristesse. Là encore, la progression aboutit à des paroxysmes terrifiants que rehaussent les percussions. La récapitulation n'est sereine qu'en apparence. La fanfare qui ouvre le dernier mouvement introduit un contraste saisissant : de vastes torrents se répandent, où la modernité du langage cède brièvement la place à quelque post romantisme. Toute cette dialectique, Gergiev la saisit à bras le corps. De la symphonie N° 6, op. 54, de 1939, il donne une exécution incandescente. Cette pièce présente un schéma inhabituel, ses deux derniers mouvements brefs ne totalisant pas même la durée du premier. Les très sombres accents de ce largo, de tout un orchestre frémissant pianissimo, d'où émerge un solo de flûte désespéré, procure un immédiat sentiment de morbidezza, rappelant là encore Lady Macbeth de Mzensk et son dernier tableau. Il s'accentue à la coda, quoique apparaissent des lueurs d'optimisme. L'allegro suivant est pris dans une légèreté désinvolte. Du finale presto, bâti sur un train de marche en crescendo à la Rossini, Gergiev souligne toute la malice et ne se prive pas d'en souligner les aspects grotesques et l'incisive vivacité comme lors d'un récent concert parisien.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Frédéric CHOPIN : Concertos pour piano opus 11 & 21. Version pour piano & pianino. Soo Park & Mathieu Dupouy. 1 CD Label-Herisson : LH 11. TT : 79’25.

Quand on sait le peu de goût de Frédéric Chopin pour  les grandes prestations publiques, notamment avec orchestre, on comprend toute la pertinence de cet enregistrement des deux Concertos opus 21 (1829) et opus 11 (1830) dans cette version pour deux pianos (Pianoforte Pleyel 1843) et pianino (Pianino Pleyel 1838). Une vision plus intimiste correspondant, sans doute mieux, au caractère très introspectif du compositeur. Une authenticité, par ailleurs, avérée puisque Chopin avait coutume d’accompagner ses élèves sur un piano droit, assurant le tutti, tandis qu’il leur laissait la partie soliste sur le grand piano à queue. Une version pleine de charme, de délicatesse, d’émotion, merveilleusement naturelle où rien ne semble manquer tant le piano sait se faire, tour à tour, confident ou orchestral. Une belle entente jamais mise en défaut, une interprétation toute au service de la musique. Un Chopin comme on l’aime ! Authentique et élégant !

 

Patrice Imbaud.

 

« Made in France ». Pierre Génisson, clarinette. David Bismuth, piano. 1 CD APARTE : AP 096. TT : 59’.

Un disque remarquable qui rend hommage à l’école française d’instruments à vents et à la clarinette en particulier. Bien bel hommage en vérité, mérité qui plus est, présentant des œuvres célèbres du répertoire de cet instrument et d’autres moins connues bien que tout aussi belles. La Sonate pour clarinette et piano (1921) de Camille Saint-Saëns, écrite à 86 ans, la Sonate de Francis Poulenc composée en 1962 quelques mois avant la mort du compositeur, la Première Rhapsodie (1910) de Claude Debussy, l’Andante et Allegro (1881) d’Ernest Chausson, de découverte récente (1977) et  le Thème et Variations (1974) de Jean Françaix constituent l’essentiel de cet enregistrement, joliment conclu par la Méditation de Thaïs de Jules Massenet qui n’en est pas à une transcription de plus. Un disque, on l’aura compris, qui se veut le champion de la clarinette exploitant toute des possibilités expressives et techniques de l’instrument dans un mélange d’élégance et de virtuosité. Force est d’avouer que ces deux termes, élégance et virtuosité, s’appliquent parfaitement aux deux solistes qui s’entendent à merveille pour donner à ce disque tout son charme et sa poésie.

 

Patrice Imbaud.

 

« L’AMOUR ». Airs d'opéra. Juan Diego Florez, ténor. Orchestra e Coro del Teatro Comunale di Bologna, dir. Roberto Abbado. 1 CD Universal Decca 478 5948. TT : 64’15.

Un recueil d’airs célèbres d’opéra français du XIXe siècle, dus à Boieldieu, Bizet, Donizetti, Berlioz, Adam, Delibes, Massenet, Thomas, Offenbach et Gounod. Un répertoire chanté depuis toujours par tous les ténors du monde dont Nicolaï Gedda, Alfredo Kraus ou Roberto Alagna, pour n’en citer que quelques uns…repris aujourd’hui par Juan Diego Florez, bel cantiste reconnu. Un enregistrement qui ravira tous les inconditionnels du ténor péruvien, qui n’y trouveront rien à jeter, mais où d’autres regretteront parfois une ligne de chant qui se brise et se durcit nettement dans l’aigu. Par ailleurs, le timbre est beau dans le médium, la diction claire, la virtuosité certaine, l’accompagnement orchestral de qualité.

 

Patrice Imbaud.

 

« Mélodies. Prescience conscience ». Collection Les Musiciens  &  la Grande Guerre. (Vol IV). Marc Mauillon, baryton. Anne Le Bozec, piano. 1 CD HORTUS 704. TT : 69’49.

Quatrième volume de cette collection originale et très intéressante consacrée, par le label Hortus, aux musiciens de la Grande Guerre. Tout un florilège de mélodies, lieder et songs reflétant parfaitement les climats si variés de cette époque tragique, toutes nations confondues, dans un mélange de regret, de désespoir, d’amertume, de désillusion, mais aussi de camaraderie et de joie.  Des compositeurs français célèbres comme Ravel, Fauré, Debussy ou Reynaldo Hahn, d’autres moins connus, belges, allemands, britanniques que l’on se plait à découvrir au fil de l’écoute, guidé en cela par un excellent livret qui présente succinctement les différentes biographies et les textes de poèmes. L’interprétation de Marc Mauillon et Anne Le Bozec ne souffre, ici, d’aucun reproche, témoignant d’une parfaite symbiose entre voix et piano, au service de la musique et de l’histoire. Une collection à suivre, d’une valeur rare !

 

Patrice Imbaud.

 

« La Naissance d’un Nouveau Monde ». Collection Les Musiciens de la Grande Guerre. (Vol V). Thomas Duran, violoncelle. Nicolas Mallarte, piano. 1 CD HORTUS 705. TT : 80’50.

Cinquième opus de la collection « les Musiciens & la Grande Guerre » proposée par le label Hortus. Dix millions de morts soldant la Grande Guerre, voilà qui ne pouvait, ni ne devait, laisser le monde indifférent, le monde musical en particulier… C’est précisément cette prise de conscience tragique et son influence sur la création musicale qui fait tout l’intérêt de cet enregistrement qui constituera pour beaucoup une découverte. Certains musiciens se rattacheront au passé, à une tradition rassurante, d’autres considéreront que plus rien ne peut désormais être comme avant, franchissant délibérément les limites d’un académisme suranné pour se risquer dans une modernité pleine d’espoirs nouveaux. Cinq œuvres magnifiques de compositeurs peu connus du grand public (Schulhoff, Bridge, Granados, Boulnois, et De la Presle) comme autant de regards différents sur le monde, comme autant d’histoires empreintes de désillusion, de nostalgie, mais aussi d’espoir. Une interprétation sublime où la complainte du violoncelle répond avec émoi et empressement aux attentes réitérées du piano. Superbe !

 

Patrice Imbaud.

 

« Métamorphose ». Collection Les Musiciens de la Grande Guerre. (Vol VI). Thomas Monnet, orgue. 1 CD HORTUS 706.  TT : 78’50.

Peut-être, par son ampleur sonore, l’orgue est-il l’instrument le plus apte à traduire l’acuité de la prise de conscience des musiciens devant la gravité du massacre humain,  parvenant à exprimer, avec une véhémence notable, ce mélange d’angoisse et de renaissance qui caractérise la création musicale au sortir de la Grande Guerre. Thomas Monnet, sur l’orgue Stahlhuth Jann de l’église Saint Martin de Dudelange (Luxembourg) nous donne à entendre, dans cet enregistrement, six œuvres originales ou transcrites d’Hendrik Andriessen ( Fête Dieu), Joseph Jongen (Deux pièces pour orgue), Sergueï Prokofiev (Toccata), Max Reger (Trauerode), Joseph Boulnois (Choral) et Maurice Ravel (Le Tombeau de Couperin). Des œuvres qui prennent, dans ce nouveau contexte instrumental, un éclairage différent où se mêlent religiosité, méditation, violence, désolation, nationalisme, tradition et modernité, tout un amalgame de sentiments qui expliquera l’importante métamorphose que subira la musique en ce début du XXe siècle, hésitant entre liberté débridée et néoclassicisme. Un sixième volume de la Collection Les Musiciens & la Grande Guerre tout aussi passionnant que les précédents. Une collection à suivre, assurément !

 

Patrice Imbaud.