Aram KHATCHATURIAN : Concerto pour violon et orchestre.
Pièces pour violon et piano de KREISLER, FAURE, RAVEL, WIENIAWSKI. Annie Jodry, violon. Thérèse Cochet, piano. Orchestre National de
la Radiodiffusion française, dir. Charles Munch. 1CD
FORGOTTEN RECORDS (www.forgottenrecords.com ) : fr 963. TT : 49’ 54 .
Comme il ressort de
leur Label, les Éditions FORGOTTEN RECORDS s’attachent à faire revivre des
talents d’exception et des interprétations hors pair enregistrées par le passé
risquant d’être oubliés et qui, pourtant, avaient marqué la production
discographique. C’est le cas de la violoniste française Annie Jodry, née en 1935, titulaire de tant de récompenses, dont
le Premier Prix du Concours International de Genève et si digne représentante
de l’école française de violon. Elle a collaboré avec les plus grands chefs
tels que le regretté Charles Munch (1891-1968) qui n’est pas à présenter au
grand public. Ensemble, avec l’Orchestre National de la Radiodiffusion
Française, ils ont réalisé en 1954 « la » version de référence du si
redoutable Concerto pour violon et
orchestre en ré mineur d’Aram Khatchaturian
(1903-1978). L’enregistrement du concert radiodiffusé le 19 juin 1954 à
Strasbourg (Palais des Fêtes), bénéficiant des immenses progrès techniques, est
de nouveau accessible, pour le plus grand bonheur des discophiles. Ce
compositeur russe a précisément gagné sa notoriété internationale grâce à ce Concerto composé en 1940, structuré en 3
mouvements : Allegro con fermezza enlevé énergiquement, nécessitant une très
haute virtuosité ; Andante sostenuto, plus
expressif et contrasté, remarquablement rendu par le timbre du violon ; suivi
de l’Allegro vivace, de haute voltige
et d’une précision inouïe dans laquelle Annie Jodry,
à l’âge de 19 ans, déploie toute sa technique éblouissante de justesse et de
rigueur, inaugurant sa brillante carrière. Ce disque comprend également des
pièces brèves pour violon et piano enregistrées la même année, avec le concours
de Thérèse Cochet : Sicilienne et
Rigaudon « dans le style de François Francoeur » de Fritz
Kreisler (1875-1962) ; Andante particulièrement
expressif de Gabriel Fauré (1845-1924) ; Pièce en forme de Habanera de Maurice Ravel (1875-1937) bénéficiant
des sonorités chaleureuses du violon et Scherzo-Tarentelle
de Henryk Wieniawski
(1835-1880), page de pure virtuosité pour laquelle la précision de l’attaque et
des entrées des deux instruments, réalisée en parfaite symbiose, force
l’admiration.
Édith Weber.
Ernest CHAUSSON : Poème, op. 25.
Camille SAINT-SAËNS : Havanaise, op. 83.
Alban BERG :
Concerto « À la mémoire d’un ange ». Annie Jodry, violon. Orchestre de la
Suisse Romande, dir. Kurt Brass.
Orchestre Philharmonique de l'ORTF, dir. Manuel Rosenthal.
1CD FORGOTTEN RECORDS (www.forgottenrecords.com ): fr 950. TT :
51’ 11.
Le même éditeur a
le mérite de remettre à la disposition des mélomanes deux œuvres interprétées
par Annie Jodry en soliste et l’Orchestre de la
Suisse Romande, placés sous la direction de Kurt Brass,
lors du concert radiodiffusé le 13 janvier 1956, au Victoria Hall de Genève. Le
Poème, op. 25 (1896) d’Ernest
Chausson (1855-1899) — en fait un Concerto pour violon et orchestre, dédié au violoniste
belge Eugène Ysaÿe — est structuré en 3
séquences : Lento e misterioso de caractère expressif, intériorisé et
dépouillé, avec une exceptionnelle ligne mélodique au violon contrastant
avec l’Animato très enlevé,
aboutissant au Finale éblouissant. Dans
la Havanaise en Mi Majeur, op. 83 de
Camille Saint-Saëns (1835-1924), œuvre concertante incontournable pour les
violonistes, Annie Jodry s’impose par sa remarquable
justesse et sa technique à vous couper le souffle. La seconde partie de ce
disque, provenant du concert radiodiffusé enregistré le 26 juin 1963 à Nancy,
comporte le Concerto pour violon et
orchestre « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg (1885-1935),
créé en mars 1936, s’articulant en deux parties : Andante-Allegretto et Allegro-Adagio,
avec des arpèges de cordes à vide au violon solo, suivis par des arpèges aux
deux clarinettes et à la harpe. Le violon énonce ensuite la série de 12 notes
déjà exposée par les pupitres. Dans cette œuvre symbolique, une longue courbe
thématique ascendante représente la montée de l’ange vers le ciel et prépare
l’entrée du Choral de J. S. Bach : Es
ist genug ; so nimm, Herr,
meinen Geist (C’en est
assez ; ainsi, Seigneur, reprends mon esprit) emprunté par Alban
Berg (il s’agit du Choral final de la Cantate 60, à propos de la mort de
Hans Joachim Burmeister, sur la mélodie de Johann
Rudolf Ahle). Elle est interprétée avec infiniment de
lyrisme et de ferveur par Annie Jodry et l’Orchestre
Philharmonique de l’Office de la Radiodiffusion-Télévision Française, placés sous
la direction si avisée du regretté Manuel Rosenthal
(mort en 2003). Versions fort attachantes à redécouvrir.
Édith Weber.
« Clair de lune. Meisterwerke für Harfe ». Émilie Jaulmes,
harpe. 1CD KALEIDOS MUSIKEDITIONEN (www.musikeditionen.de ) : KAL6325-2. TT : 66’ 52.
Sous le titre Clair de Lune — par allusion à la Suite bergamasque de Claude Debussy et
au poème éponyme de Paul Verlaine —, les Éditions KALEIDOS présentent des
chefs-d’œuvre allemands, français et américains enregistrés en 2014,
interprétés par la jeune harpiste française Émilie Jaulmes,
née à Grenoble où, après avoir débuté très jeune la harpe au Conservatoire,
elle a été l’élève, entre autres, de Marielle Nordmann
et de nombreux professeurs à l’étranger. Ayant obtenu plusieurs Prix au CNSM et
la Licence de Musicologie en Sorbonne, lauréate de nombreux Concours, elle
s’affirme comme soliste et chambriste de réputation internationale. Installée
en Allemagne, elle est actuellement la prestigieuse harpe soliste de
l’Orchestre « Stuttgarter Philharmoniker ».
Ce disque révèle ses goûts éclectiques avec des œuvres allant de G. Fr. Haendel
(1685-1759) à George Gershwin (1898-1937), en passant par Carl Philipp Emmanuel Bach (1714-1788), Louis Spohr (1784-1859),
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), John Thomas
(1826-1913) et, plus proches de nous : Gabriel Fauré (1845-1924), Wilhelm
Posse (1855-1925) et Claude Debussy (1862-1918). En connaissance de cause,
Émilie Jaulmes a retenu des formes traditionnelles pour
harpe : Fantaisie, Impromptu, Concerto, Romance, Prélude et Variations et des pages aux titres évocateurs : Clair de lune ; The Man I Love, Summertime ; ou encore The Minstrel’s
Adieu to His Native Land et Variationen über Der Karneval von Venedig : c’est dire
combien son répertoire est vaste et combien elle maîtrise tous les
traquenards techniques et les
esthétiques classique, romantique et contemporaine (y compris l’influence du
jazz). Les mélomanes et harpistes les plus exigeants seront comblés par ce CD,
modèle du genre. D'entrée de jeu, avec la Fantaisie
de Louis Spohr, Émilie Jaulmes fait preuve de sa
sonorité exceptionnelle, lumineuse et chatoyante, de son sens des nuances, de
son calme, de sa parfaite maîtrise de la pédale. Elle interprète l’Impromptu de Gabriel Fauré et Clair de lune de Claude Debussy en leur restituant leur caractère
mystérieux et suggestif. D’une manière générale, elle brille par la clarté de
la structure, la transparence, l’atmosphère variée des différents morceaux et
sa musicalité exceptionnelle au service d’un instrument que, depuis l’âge de 5
ans, elle pratique avec un enthousiasme contagieux.
Édith Weber.
Georg Philipp TELEMANN : 12 Fantasias 12 Recorders. Simon Borutzki, flûtes à bec.
1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de ) : KL 1509. TT : 52’ 31.
Les 12 Fantasie (per il violino
senza basso) ont été
écrites par Georg Philipp Telemann (1681-1767) pour
le violon, ce qui n’exclut pas leur interprétation à la flûte à bec très en
usage à l’époque. Selon sa fantaisie, Simon Borutzki
a sélectionné 12 instruments différents accordés au diapason La 415 (exceptionnellement La 440)
permettant de réaliser diverses impressions et couleurs sonores, émanant aussi
bien des registres très aigu que grave. Sa démarche
exploite d’ailleurs tout l’ambitus des instruments. La première Fantaisie en La Majeur en 2
mouvements : Vivace-Allegro
annonce déjà les grandes qualités stylistiques du flûtiste. De structure
classique, elles comportent 4 (ou 3) mouvements généralement contrastés (sauf
la 7e en Ré Majeur : Alla francese, Presto
et la 12e, en sol mineur, plus enlevée). Elles reposent sur l’alternance de
mouvements graves et méditatifs ; d’autres, plus enlevés (allant
jusqu’au Presto), représentent un bel
exemple des « goûts réunis ». D’ailleurs, en 1752, le grand flûtiste
Johann Joachim Quantz — professeur de flûte de Frédéric II de Prusse — avait
qualifié Georg Philipp Telemann de « plus grand
maître » maîtrisant les divers goûts de l’époque : il en
est de même de Simon Borutzki qui, dans cet
enregistrement de 2013 paru l’année suivante, s’impose par son phrasé précis,
son beau coup de langue, ses traits de virtuosité, sa volubilité, sa brillance
dans l’aigu dominés par un réel souci d’expressivité.
Édith
Weber.
« Ornstein Bloch ». Ernest BLOCH: Schelomo, transcription pour violon et piano. Léo
ORNSTEIN : trois Sonates, Poème pour flûte et autres pièces pour piano. 2CDs PRO MUSICA Association Artistique (www.christophe-boulier.com ): P 1411. TT : 68’ 56+ 62’ 47.
Ce disque a le
mérite de révéler, en première mondiale, la transcription par le violoniste
Christophe Boulier (qui fut déjà à 14 ans Premier Prix de Violon du CNSM) de la
version inédite pour violon de Schelomo (à l’origine : Rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre) d’Ernest Bloch (né à Genève en 1880 et
mort à Portland en 1959) interprétée avec fougue et ferveur au violon (Joseph Hell 1885) par Chr. Boulier et au piano : Sho Ogushi et Chisato
Nishizono, deux jeunes artistes de l’Académie de
Jeunes Solistes fondée à Mézin (en Aquitaine) en 2006. Ce premier CD est
complété par 3 Sonates et le Poème pour flûte de Leo Ornstein (1893-2002) — pianiste ukrainien installé aux
États-Unis, compositeur novateur pratiquant des procédés techniques audacieux
(emploi notamment du cluster) —, autre musicien juif auquel le second CD
(œuvres pour piano) est entièrement consacré. Ce coffret est réalisé, en outre,
avec le concours déjà très prometteur des pianistes Célia Oneto-Bensaid, Héloïse Bertrand Oleari, Stephanie Maertens, Fiona Mato et Mai Yamada ; des violoncellistes Laurène Barbier-Combelles et Simon Dechambre ;
de la flûtiste Floriane Gruson. À remarquer
l’excellente contribution de Jean-Louis Caillard
(depuis 2010 professeur de piano et de musique de chambre à l’Académie, et
concertiste) pour les Intermezzi
n°1 à 4. Bel encouragement et marque de confiance de l’éditeur PRO MUSICA
vis-à-vis de ces jeunes interprètes.
Édith Weber.
Érik SATIE : Pièces pour piano (1912-1915)
transcrites pour orchestre. Orchestre Régional de Basse-Normandie, dir. Jean-Pierre Wallez. 1CD
SKARBO (www.skarbo.fr): DSK3135. TT : 66’ 38.
Michel Decoust, né en 1936, flûtiste et compositeur français, a
réalisé l’orchestration de 55 pièces d’Érik Satie (né
à Honfleur le 17 mai 1866 et mort à Paris le 1er juillet 1925), écrites pour
piano entre 1912 et 1915. Les titres des recueils sont particulièrement
évocateurs, énigmatiques, fantaisistes, satiriques ou pleines d’humour, par
exemple : Quatre préludes flasques
(pour un chien) (1912), Embryons
desséchés (1913), Trois Valses
distinguées du précieux dégoûté (1914) : Sa taille, Son binocle, Ses jambes ; Sports et Divertissements
(1914) avec Choral inappétissant… ;
ou encore des pages descriptives : La
balançoire, La Chasse, Le Feu d’artifice... La version
orchestrale de ces pièces extrêmement brèves (petits clins d’œil souvent de
moins d’une minute) rehausse les sonorités moins diversifiées du piano, en
augmente le relief et la profondeur. Le programme se termine par Croquis et agaceries d’un gros bonhomme en
bois : Tyrolienne turque, Danse maigre et Espanana… : soit un total de plus d’une heure. Programme en tous genres
et en tous sens, désopilant, magistralement interprété par l’Orchestre Régional
de Basse-Normandie, sous la direction de Jean-Pierre Wallez,
de réputation internationale.
Édith Weber.
« Modeste
le petit pion ». 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI331179. TT : 50’ 31.
Ce Conte musical pour enfants, reposant
sur le texte de Mathilde Maraninchi, est
agrémenté par la musique d’Alexandre Gasparov
(également passionné d’échecs). Lu avec un remarquable sens pédagogique et un grand
pouvoir de suggestion, par Philippe Murgier qui
dialogue avec les enfants, l’histoire met en scène Modeste, « le petit
pion de bois Blanc » sur l’échiquier (comme il ressort également de
l’illustration) et leur explique en détails les règles du jeu et le maniement
des pions, tout en maintenant constamment leur attention.
L’ « aspirant-pion » s’est entraîné en vue d’être sélectionné
pour participer à la partie royale. Une musique rythmée et assez solennelle
scande les divers épisodes. L’ensemble relate l’aventure, le déroulement de la
partie d’échecs, avec l’impatience, les émotions qu’elle suscite parmi les
participants, un peu à la manière impressionniste de Prokofiev dans Pierre et le loup. Finalement, Modeste,
courageux et déterminé, fera une percée décisive parmi les pions Noirs. La
musique contribue largement à créer l’arrière-plan de la scène, et Modeste, modestement, reçoit les acclamations.
Confirmé « cavalier » par le Roi, il est devenu désormais
« Modeste le Glorieux »… Exemple à suivre par les enfants qui,
incités à jouer aux échecs, seront captivés par ce conte musical.
Édith Weber.
Giulio SAN PIETRO DE’ NEGRI : Amorosa Fenice. Ensemble Faenza.
1CD AGOGIQUE (www.agogique.com ) : AGO018. TT : 69’ 02 .
L’ensemble Faenza,
fondé en 1996 par Marc Horvat, est actuellement
(2014) en résidence à l’Université de Reims Champagne-Ardennes.
Son chef s’est spécialisé dans l’interprétation de la musique du Moyen-Âge à la Schola Cantorum de
Bâle, et la musique de la Renaissance auprès de Dominique Vellard.
Il a le mérite de recréer historiquement des œuvres de compositeurs peu connus.
Par ses arrangements et diminutions additionnelles, il tire ainsi de l’oubli
Giulio San Pietro de’Negri (v.1570-v.1630). Dans
son remarquable texte de présentation, Robert Kendrick
rappelle que : « Parmi toutes les figures — fascinantes, mais aujourd’hui
peu connues — qui peuplèrent le monde de la monodie italienne du début du XVIIe
siècle, Giulio San Pietro de’Negri (ou San Piero di
Negro, car il existe des variantes à son nom de famille) est probablement l’une
des plus intéressantes. Il aurait publié au moins onze volumes de pièces
vocales profanes ou de motets entre les années 1605 et 1620, ainsi qu’un
certain nombre de pièces dans des anthologies ». Le programme, typique du
Primo seicento,
repose essentiellement sur des extraits des deux Livres de caractère
expérimental : Grazie ed affetti di musica moderna à una, due, e tre voci da cantare
nel clavicordo chitarrone
& arpa doppia & altri simili istromenti (Milan,
1613), op. 5 de G. San Pietro de’Negri, dans le sillage de Claudio Monteverdi,
à la recherche de nouveautés sonores et misant sur le caractère émotionnel, et
de son op. 11 : Canti Accademici concertati a due, tre, quatro, cinque, & sei voci… publié à Venise en
1620, selon les perspectives concertantes en vogue. Le titre de ce disque n’est
autre que celui de la première pièce enregistrée pour chant, flûte soprano,
guitare, théorbe, lautenwerk
— c’est-à-dire clavecin-luth avec cordes en boyau (et non métalliques),
produisant une sonorité adoucie. Il comprend au total une vingtaine de pièces,
dont, en outre, quelques unes de Giovanni Ghizzolo
(né à Brescia en 1580-mort à Novare v. 1625), pratiquant à la fois la prima prattica
et la secunda,
les passaggi
pour mettre en valeur les affects verbaux ; d’Ottavio Valera, chanteur
milanais actif au début du XVIIe siècle, et de Francesco Rognoni
(né à Milan dans la seconde moitié du XVIe siècle-mort avant 1626), maître de
chapelle dans cette ville à l’Église Saint-Ambroise.
Parmi les thèmes
évoqués musicalement, figurent l’amour, la souffrance, la douleur, la langueur,
les plaintes et soupirs ; l’art du bien-aimer,
la fidélité et la cruauté en amour ; ou encore des personnages célèbres : Cloris, Tyrsis, Aminte… Ces sources, jusqu’ici inexploitées, sont révélées
par l’interprétation si minutieuse de l’ensemble Faenza (chant, luth,
théorbe, guitare, flûte, dessus et basse de viole) qui s’est surpassé pour
faire renaître « de leurs cendres » ces « curiosités
musico-littéraires » et pour dévoiler notamment Giulio San Pietro de’Negri, compositeur particulièrement attachant à
découvrir impérativement. L’ensemble Faenza s’impose d’emblée par sa diction
précise, sa volubilité, la souplesse vocale, l’équilibre entre voix et
accompagnement, son sens du dialogue entre chant et instruments ;
également par la virtuosité des
instruments (flûte…) et, d’une manière générale, son souci de la traduction
musicale figuraliste précise des images et des
sentiments du texte.
Édith Weber.
« In memoriam Pavel HAAS ». Fabrice Ferez,
hautbois, Marc Pantillon, piano. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : GALLO CD 1426. TT : 61’
06.
Le hautboïste
français Fabrice Ferez et le pianiste suisse Marc Pantillon
rendent un émouvant hommage au compositeur tchèque juif, Pavel Haas (né à Brno
en 1899 et mort à Auschwitz en 1944) qui — après avoir effectué ses études au
Conservatoire de Brno et composé quelques œuvres symphoniques, de musique de
chambre, de films et de scène, d’ailleurs interdites par les nazis — a connu un
destin particulièrement cruel. Ces deux instrumentistes ont enregistré avec une
grande émotion sa Suite pour hautbois et
piano, op. 12, composée en 1939 et symbolisant la résistance tchèque, avec
l’emprunt du Choral hussite de ralliement : Les guerriers de Dieu et le Choral historique de Saint Venceslas (Xe
s.) : Toi, héritier de la Bohême,
n’oublie pas ton peuple… ; paradoxalement, cette œuvre a été créée au
camp de concentration de Terezin, où Pavel Haas se
trouvait avant son départ pour Auschwitz. Hautement symbolique, très
révélatrice de l’état d’esprit qui régnait alors en Pologne sous le joug nazi,
elle débute dans la désespérance, le dépouillement et la résignation
contrastant avec un élargissement conclusif certain.
Bruno Giner (*1960) a dédicacé à Fabrice Ferez son œuvre
intitulée : Trois silences déchirés (In memoriam Pavel Haas pour hautbois
seul). Comme le précise Élise Petit : « Le titre polysémique de la
pièce fait référence à la déportation de Hass et,
partant, au sort de ses compatriotes européens : le silence est celui,
assourdissant, de la déshumanisation des camps à laquelle sont réduits tous les
déportés : c’est aussi le mutisme dépressif du compositeur à Terezin. Le déchirement évoque la séparation de tout
environnement social, familial et affectif, ainsi que la violence de
l’internement » ; elle constate que l’œuvre évoquant une situation
particulièrement violente, énonce un thème si-la-la-mib correspondant aux lettres H.A.A.S. ou si-la-lab (H.
A. AS.), et fait aussi entendre le Choral hussite cité par Pavel Haas dans sa Suite. Avec une sensibilité à fleur de
peau, l’excellent hautboïste s’investit pleinement dans cette partition si
lourde de sens et d’une tension quasi insoutenable. Le programme comporte en
outre la Sonate écrite entre 1913 et
1922 par le compositeur slovaque Leos Janacek
(1854-1928), en 4 mouvements mettant en valeur, tour à tour, une mélodie chaude
de caractère chantant planant au-dessus des interventions incisives du piano,
puis, une mélodie à découvert un peu plus allante, sur un fond sonore au piano,
débouchant sur une conclusion plus
animée, faisant appel à la volubilité du hautbois. Cette réalisation s’achève
sur Epitaph
(1980) du chef d’orchestre et compositeur polonais d’avant-garde, Witold Lutoslawski (1913-1994), privilégiant la couleur
harmonique et la forme ouverte, « écho saisissant au Final de la Suite de P.
Haas » ; et le Duo concertant
(1984) du compositeur et chef d’orchestre hongrois, Antal Dorati (1906-1988).
Ce voyage dans le monde musical en Europe de l’Est et aux XIXe et XXe siècles
révèle la riche palette expressive du hautbois, le rôle indispensable du piano
soliste et accompagnateur, et traduit la mentalité psychologique et esthétique
d’Europe de l’Est au fil de l’histoire. Par devoir de mémoire, ces interprètes
français et suisse ont ainsi rendu un vibrant hommage à Pavel Haas.
Édith Weber.
Joanna BRUZDOWICZ. : Quatuor à cordes n°1,
La Vita. In The
Fever World. World. Tomasz Jocz, piano. NeoQuart. Liliana Gorska, soprano. 1CD ACTE
PRÉALABLE (www.acteprealable.com) : APO329. TT : 49’ 48 .
Polonaise
naturalisée française, issue d’une famille de musiciens, Joanna Bruzdowicz, née le 17 mai 1943 à Varsovie, a étudié la
composition et le piano à l’Académie de musique Frédéric Chopin (Varsovie)
puis, à Paris, avec Nadia Boulanger, Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer. Tout
en réalisant des productions audiovisuelles et des musiques de films, elle
compose également des œuvres de forme classique (Quatuors à cordes, mélodies…).
Son Quatuor à cordes n°1 La Vita a été composé en 1983 en hommage
à Karol Szymanowski, « père de la musique polonaise contemporaine ».
Comme elle le précise, son œuvre « incorpore différents rythmes et accords
reposant sur la musique populaire polonaise » « gorale »
(pratiquée notamment dans le Sud de la Pologne). Ce Quatuor, largement diffusé et enregistré depuis 1983, année de sa
création à Bruxelles, est structuré en 3 mouvements : Prologue : Allegro molto agressif, énergique, avec
des rythmes incisifs, captant immédiatement l’attention ; Épisode
central : Tutti. Andante cantabile
in modo d’una canzone triste, de caractère
lyrique, privilégiant davantage la ligne mélodique, spéculant sur quelques
dissonances ; Épilogue : Grave.
Presto. Coda. Finale faisant appel à la virtuosité des
instrumentistes du NeoQuartet : Karolina Piatkowska-Nowicka (Violon I), Pawel Kapica
(Violon II), Michal Markiewicz (alto) et Kryzstof Pawlowski (violoncelle)
rompus à tous les traquenards techniques. Ce disque comprend aussi douze
mélodies In The Fever World sur les
textes anglais de Jehanne Dubrow, d’inspiration
variée faisant allusion à la « cité des machines », « l’enfant
perdu », « la dernière nuit »…, avec accompagnements originaux
et indépendants qui assurent les transitions et créent les diverses
atmosphères. Elles sont interprétées par Tomasz Jocz (piano) et le NeoQuartet.
Joanna Bruzdowicz y fait preuve d’une grande capacité
d’imagination dont Liliana Gorska
(mezzo-soprano) rend toutes les subtilités. De facture mélodique plus
tourmentée, proche de l’esthétique du Lied
et soutenu au piano renforçant l’atmosphère, le cycle de mélodies World (sur le texte de Czeslaw Milosz) évoque notamment la foi, l’espérance,
l’amour (la charité), le soleil « à l’origine de toutes les
couleurs » et la terre qui est « comme un poème ». La voix si
prenante de Liliana Gorska
traduit avec expressivité ces divers états d’âme. Les œuvres de Joanna Bruzdowicz, quasi inclassables, représentent une synthèse
de postromantisme et de minimalisme. Sa musique, originale et personnelle, très
éclectique et sophistiquée, a le mérite d’accrocher immédiatement les
auditeurs.
Édith Weber.
Duo Harpian. VDE GALLO (www.vdegallo-music.com). GALLO CD 1426. TT : 57’ 01.
Céline Gay des
Combes (harpe) et Julia Froschhammer (piano), formant
le « Duo Harpian », proposent un programme
original. Elles restituent — dans l’arrangement de Fritz Froschhammer
— des pages descriptives bien connues de Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
provenant de ses Pièces de clavecin qui,
avec cette formation instrumentale, résonne différemment, mais dont les
différents plans ressortent davantage (piano plus percutant et harpe plus
mélodique) : une autre écoute. La Danse
sacrée et la Danse profane de
Claude Debussy (1862-1918) bénéficient du caractère impressionniste des
sonorités de la harpe. La Sonatine en
trois mouvements de Maurice Ravel (1875-1937), écrite pour piano en 1903-5,
interprétée uniquement à cet instrument, est plus incisive et énigmatique,
alors que son Introduction et Allegro
(1905), effectivement pour harpe et piano, a un caractère d’authenticité.
Céline Gay des Combes se produit encore, seule, dans deux œuvres pour harpe
dont elle exploite toutes les possibilités de timbres et de coloris. Enfin, le
Duo Harpian interprète deux danses espagnoles :
n°5 Andaluza d’Enrique Granados (1867-1916) (arrangement de
Carlos Salzedo) et Danse rituelle du feu de Manuel de Falla (1876-1946) posant sur
cette réalisation un point d’orgue bien rythmé et mettant en valeur la
virtuosité et la musicalité des deux instrumentistes.
Édith Weber.
Jozef WIENIAWSKI : Ouverture Guillaume le Taciturne, op. 43 - Symphony in D major op. 49. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com ) : APO331. TT : 50’ 25.
Le Label (polonais)
ACTE PRÉALABLE qui s’attache à promouvoir la musique polonaise vient de
démontrer que, contrairement à un faux adage, la forme de la symphonie est bien
cultivée en Pologne, c’est le cas de l’opus 49 de Jozef Wieniawski
qui est né en 1837 à Lublin (Pologne) et mort en 1912 à Bruxelles. Il a
effectué ses études dans sa ville natale, ensuite au Conservatoire de Paris
(piano avec P. Zimmermann, A. Fr. Marmontel et Ch.-V. Alkan ;
composition avec F. Le Couppey), puis à Weimar avec
Fr. Liszt. Il s’est alors imposé comme pianiste virtuose, pédagogue,
concertiste international et compositeur. Après son séjour à Paris, il sera
professeur de piano au Conservatoire de Moscou et, par la suite, occupera le
même poste à celui de Bruxelles où il décède en 1902.
Sa Symphonie en Ré Majeur, d’esprit
romantique et de structure classique (proche de J. Brahms) comprend 4
mouvements traditionnels : Allegro con spirito (selon la forme sonate), avec un premier motif
exposé au cor et de nombreux figuralismes, puis un second aux bassons, altos et
violoncelles : l’ensemble se déroule un
poco pastorale ; Andante molto cantabile (également de
caractère pastoral, plus lyrique et plus lent) ; Scherzo presto (de forme répétitive A B A’) comportant un important
motif de tête et se terminant par une brève coda ; Finale, Allegro energico e resoluto (comme un Allegro
de sonate) qui privilégie le rythme de marche. L’orchestration force sur les
instruments à vent dans cette symphonie de caractère épique et lyrique, digne
d’être découverte grâce à l’excellente prestation de l’Orchestre Symphonique
Philharmonique des Carpates (Podkarpackiej), fondé en 1955, placé sous la direction à la fois énergique et
sensible de Piotr Wajrak. Le disque commence par l’Ouverture dramatique de « Guillaume le Taciturne » (op. 43) de
Jozef Wieniawski, avec par moments des réminiscences
wagnériennes. Voici une belle Défense et illustration de la musique symphonique
polonaise.
Édith Weber.
« Orchestral Lollipops ». 1 CD KLANGLOGO (www.rondeau.de
). Diffusion :
RONDEAU PRODUCTION (Leipzig) : KL1506. TT : 61’48.
Sous le titre
intrigant : Sucettes — destiné
aux grands amateurs de cette friandise à sucer longtemps (Dauerlutscher) —, Howard
Griffiths, à la tête du Brandenburgisches Staatsorchester de Francfort et du Fine Arts Brass, s’amuse royalement. Au menu : 17 titres
d’œuvres de la fin du XIXe et du XXe siècles
composées, entre autres, par Johann Strauss (1825-1899), Carl Nielsen
(1865-1931), Edward Elgar (1857-1934), George Gershwin (1898-1937), Henry Wood
(1869-1944), Cole Porter (1891-1964), Irving Berlin (1888-1989). Ils sont morts
entre 1899 et 1989, soit un siècle de musique de divertissement, de
circonstance (marche) et de pompe ou descriptive (The typewriter la machine à écrire, Tik-Tak-Polka…) : autant de pièces
envoûtantes, contagieuses, toujours en mouvement, irrésistibles… à déguster
sans modération.
Édith Weber.
« Sancta Mater Teresia ». Chœur
des Carmélites de Pécs. 1CD JADE (www.jade-music.net ) :699
834-2. TT : 63’ 09.
Sainte Thérèse
d’Avila (Teresa Sancta de Cepeda
Davila y Ahumada),
réformatrice monastique du XVIe siècle, est née en 1515 en Vieille Castille et
morte en 1582 à Alba de Tormes. Selon la Vida
de Santa Teresa de Jesus, dès sa prime enfance,
elle a apprécié les histoires édifiantes de la vie des Saints. En 1531, elle
est entrée au Couvent de Santa Maria de Gracia à Avila, où elle ne séjournera
que jusqu’à l’automne de l’année suivante et, en 1633, elle s’est rendue au
Couvent de l’Incarnation d’Avila où elle a prononcé ses vœux. Le Chœur des
Carmélites de Pécs (Hongrie) célèbre le Cinquième Centenaire de sa naissance
avec des pièces grégoriennes bien connues : la séquence Veni Sancte Spiritus, le texte Gaude
Maria (en honneur à la Vierge), l’hymne Ave
Maris Stella ; Benedicite Dominum et le
trope Benedicamus Domino extraits du Manuscrit Las Huelgas (v. 1300, conservé à Burgos); un grand choix
d’antiennes : Revertere,
Sancta Mater Teresia,
celles de l’« Office des Laudes à Sainte Thérèse », entre autres. Le
célèbre Manuscrit de Montpellier ms. H 196 (XIIIe-XIVe s.) est représenté par
le motet latin Alle psallite à 3
voix. Ces mélodies grégoriennes chantées à l’unisson sont entrecoupées par
trois lectures cantillées (Livre de la Sagesse) et de pièces instrumentales contemporaines de
Thérèse : de Tomas Luis da Victoria (v.1548-1611), d’Antonio de Cabezon (1510-1566) et de Luis de Narvaez (XVIe s.). Les
Moniales qui, d’une voix souple, dépouillée et naturelle, chantent ces pages de
chant grégorien avec profondeur et conviction, savent aussi se divertir, comme
le prouve la dernière pièce : El Castillo
de Cristal (XXIe s.) posant un point d’orgue non liturgique sur cette
remarquable anthologie autour de Sainte Thérèse d’Avila.
Édith Weber.
« Les Prières du Classique ». 1CD JADE (www.jade-music.net ): CD 699 838-2. TT : 53’
58.
Actuellement, les
éditeurs confèrent volontiers à leurs productions un titre global et
significatif : c’est le cas de ce disque. Il regroupe une sélection de 17
œuvres ayant marqué le répertoire, tout d’abord sous le signe de la Prière : le Kyrie de la Messe en si
mineur (J. S. Bach), celui de la Petite
Messe solennelle (G. Rossini), ou encore l’Ave verum corpus et le Lacrimosa du Requiem
(W. A. Mozart), le Psaume : Wie lieblich sind deine
Wohnungen du Requiem
allemand (J. Brahms), d’autres extraits de Requiem : Pie Jesu (G. Fauré), In
Paradisum
de M. Duruflé, sous sa direction ; Panis angelicus (C. Franck), entre autres. À
remarquer tout particulièrement le choral conclusif si poignant de la Passion selon Saint Jean (J. S.
Bach) : Ach, Herr, lass dein’ lieb’
Engelein… et l’Aria de son contemporain,
Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1749) : Bist du bei mir
(attribuée à J. S. Bach) interprétée avec intériorité et retenue par Elisabeth
Schwarzkopf accompagnée par Gerald Moore. À ces pièces particulièrement
méditatives, s’ajoutent, d’une part des pages pleines d’élan, par
exemple : l’Hallelujah
du Messie de G. Fr. Haendel, le motet
Exsultate Jubilate de
W. A. Mozart et, d’autre part, des hymnes mariales : Ave Maria (Fr. Schubert), Ave
Maria extrait d’Otello
(G. Verdi), le chœur (italien) Ave Maria (G.
Puccini) ; Salve Regina (Fr.
Poulenc). Cette compilation internationale a le mérite de faire réentendre des
voix célèbres du passé : les Sopranos Elisabeth Schwazkopf,
Renata Tebaldi ; le Baryton Camille Maurane
accompagné à l’orgue par la regrettée Marie-Claire Alain et d’anciennes
versions, par exemple le Thomanerchor et l’Orchestre
du Gewandhaus de Leipzig dirigé par Cantor Günther
Ramin, l’Orchestre Philharmonique de New York dirigé par Bruno Walter et
d’autres formations à Londres, Vienne, Rome et Berlin. Les discophiles
apprécieront à leur juste valeur ces interprétations du passé et écouteront
avec émotion ces chefs-d’œuvre intemporels.
Édith Weber.
« Cremolino. Centenario dell’Organo Carlo Vegezzi-Bossi ». Paolo Oreni, orgue. 1CD FUGATTO.
Diffusion : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ) : FUG056.
TT : 47’ 42 .
L’Orgue de l’Église
paroissiale à Cremolino (Piémont) a été construit en
1914 conformément aux directives de la réforme cécilienne
(1903) initiée par Pie X dans son Motu
Proprio « Inter sollicitudines » préconisant le retour de la
musique liturgique aux traditions du chant grégorien et de la polyphonie
classique et luttant contre les tendances théâtrales de la musique dite
religieuse. Au service de la liturgie, l’instrument marque une période
importante dans l’histoire de la facture italienne avec augmentation du nombre
de claviers, combinant la tradition polyphonique et les caractéristiques de
l’orgue symphonique européen. Avec ses transmissions pneumatique et électrique,
il ouvre la voie à la musique du XXe siècle. Il a été restauré en 1994 par la
Manufacture Fratelli-Marin qui, pour son 80e
anniversaire, l’a doté d’une nouvelle console. Pour commémorer son Centenaire,
Paolo Oreni — organiste italien de réputation
internationale, formé à Bergame, puis au Conservatoire National de Luxembourg,
également élève de Jean Guillou — a sélectionné un programme de musique
française auquel il a ajouté trois de ses propres œuvres : Improvvisazione-Preludio ;
Improvvisazione-Scherzo ; Improvvisazione-Adagio e Toccata. Des trois musiciens
français, Felix-Alexandre Guilmant et Théodore Dubois
sont nés la même année, en 1837, et Joseph Bonnet, en 1884. Paolo Oreni interprète le Prélude
de la Sonate n°3 (op. 56/1) du
premier (1837-1911), avec clarté, virtuosité et énergie et un jeu
particulièrement précis, en respectant les contrastes de nuances et les oppositions
de claviers. Il permet de découvrir deux pages de Théodore Dubois (1837-1924),
extraites de ses Douze Pièces nouvelles (1893)
: n°9 In Paradisum,
de caractère plus dépouillé et discret, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre
éponyme de Gabriel Fauré, mettant en valeur les registres aigus de l’instrument
; n°8 : Fiat lux, contrastant
avec la précédente, plus volubile et plus animée. Deux Pièces de Joseph Bonnet (1884-1944) — élève d’Alexandre Guilmant,
grand amateur de musique grégorienne, fondateur et directeur de l’Institut
Grégorien de Paris de 1923 à 1944 — proviennent de son opus 7 : Douze Pièces nouvelles
pour le Grand Orgue comprenant, entre autres : Elfes (n°11), page très rythmée avec un motif répétitif bien
exposé ; Caprice héroïque
(n°12), massif et majestueux, enlevé avec énergie, dans lequel la pédale assume
un rôle important. Ces pages françaises sont entrecoupées par 3 improvisations dans lesquelles l’éminent
organiste fait preuve de tout son talent. L’Improvvisazione-Preludio s’élève
des profondeurs avec des tuilages et une mélodie évocatrice sur quelques
notes ; cette page éblouissante nécessite une très grande maîtrise de la
technique organistique et une grande faculté d’imagination. L’Improvvisazione-Scherzo, énigmatique, avec de larges de
traits de virtuosité, est interprétée avec une clarté exceptionnelle. L’Improvvisazione-Adagio e Toccata privilégie les
mélodies à découvert, très intériorisées et particulièrement souples (notamment
dans l’Adagio), elle se termine en
feu d’artifice incisif et implacable, nécessitant une virtuosité
époustouflante. Ce disque commémoratif met en valeur le grand talent de Paolo Oreni, improvisateur et interprète hors pair. À ne pas
manquer.
Édith Weber.
Claudio MONTEVERDI : Madrigali. Volume 2 : Mantova. Extraits des Quatrième, Cinquième et
Sixième Livre. Les Arts Florissants, Paul Agnew,
direction. 1 CD Arts Florissants : AF 003. TT. : 74'03.
Enregistrés lors de concerts donnés à la
Cité de la musique, ces extraits du Volume 2 des Madrigaux de Monteverdi constituent
le premier volet d'une série de trois qui couvriront les huit opus du crémonais. Du Livre IV (1603) de madrigaux à cinq voix sont
proposées 5 pièces sur les 19 que comporte le recueil. Le genre madrigalesque
connaît ici son apogée affirmant un souci de vérité dramatique auquel
Monteverdi parvient par un savant dosage entre morceaux expressifs, où
s'expriment les « affeti », et pièces de
climat plus pastoral. Une certaine théâtralité se fait jour à travers des
audaces harmoniques, dissonances, et l'usage du chromatisme. Le Cinquième Livre
(1605) signe une nette évolution stylistique, portée sur les mots que
prononcent des personnages qui cherchent à exprimer encore plus hautement leurs
sentiments dans une récitation syllabique, là encore traversée de chromatisme.
Ces pièces empruntent au Pastor fido et offrent un dialogue amoureux qui peut aller
jusqu'au dolorisme. Le Sixième Livre (1614) contient 18 pièces qui, pour
l'essentiel, sont renfermées dans deux cycles de « lamenti »,
le Lamento d'Arianna et la La Sestina, ici interprétés. Une nouvelle manière se fait
jour, derniers feux du genre du madrigal a cappella. Aux côtés des œuvres
sacrées de 1610, dont les Vespro, la
théâtralité atteint son point culminant dans le récit où Arianna exprime sa languissante
détresse. L'écriture polyphonique ouvre la voie au récitatif d'opéra. Le
lamento La Sestina déploie une palette
émotionnelle plus intimiste. La vision que donnent de ces pièces les solistes
des Arts Florissants, sous la direction experte de Paul Agnew,
combien familier de ce répertoire, est lumineuse : pureté des timbres, bel
équilibre entre les voix. La liberté laissée aux interprètes est utilisée avec
doigté au profit du réalisme de la narration, de l'acuité de la déclamation et
de la mise en valeur des harmonies souvent audacieuses, sensuelles ou
imitatives de la nature, de la musique de Monteverdi.
Jean-Pierre Robert.
« Apothéoses ».
François COUPERIN : Concert instrumental sous le titre
d'apothéose de Monsieur de Lully. Le Parnasse,
ou l'apothéose de Corelli. La Superbe, Sonade en trio. La Sultane, Sonade en quatuor. Amandine Beyer,
violon. Gli Incogniti. 1CD Harmonia Mundi :
HMC 902193. TT.: 57'34.
L'apothéose, en musique, est un hommage
rendu par un maître à un autre, et une composition dont les vastes dimensions
dépassent celles du « Tombeau », et le contenu rhétorique celui plus
anecdotique des « Portraits ». François Couperin, dit « Le
grand » (1668-1733), en a écrit deux, dans cette optique des « goûts
réunis », prônée par le XVIII ème siècle, ou
tentative de rapprochement des manières française et italienne. L'Apothéose
de Corelli (1724) flatte le style italien au point de l'imiter, tout en
gardant ses distances. La confrontation doit tourner à l'avantage de celui qui
s'en fait le champion. Car comme le remarque Amandine Beyer,
« en essayant de refaire une sonate dans le style italien, Couperin crée tout
simplement le genre nouveau de la ' sonade '
française ». L'Apothéose « composée à la mémoire de l'incomparable
Monsieur de Lully » (1725) est encore plus explicite. Le grand musicien
français se voit honoré de la visite d'Apollon qui le place au Parnasse auprès
de Corelli, en les persuadant l'un et l'autre « que la réunion des Goûts
Français et Italien doit faire la perfection de la Musique ». La
composition est aussi plus conséquente, qui à travers ses trois parties,
enchaîne une succession de morceaux lents et rapides, les premiers les plus
développés d'ailleurs, aux intitulés évocateurs : « Gracieusement »,
« Dolemment », « Élégamment », « Vivement »,
« Rondement », « Gaÿment ». Cette
belle anthologie comporte encore deux autres « sonades »,
l'une en trio, « La Superbe », dans le style italien, de Corelli bien
sûr, l'autre, « La Sultane », en quatuor, avec l'ajout d'une seconde viole
de gambe. Les « recréations » que livrent Amandine Beyer et ses amis de Gli Incogniti fleurent le parfum des délicieuses aventures.
Leur approche que la violoniste qualifie d'intuitive, est imaginative et d'un
goût parfait dans l'art des contrastes : mouvements vifs empreints d'une
joyeuse alacrité, pièces lentes d'une délicatesse de souffle certaine.
Jean-Pierre Robert.
« Porpora il
maestro ». Arias et cantates de Nicola
PORPORA. Franco Fagioli, contre ténor. Academia Montis Regalis, dir. Alessandro de Marchi. 1CD Naïve : V 5369. TT. : 80'.
L'attrait exercé par la voix de contre
ténor nous vaut découverte sur découverte, d'interprètes, mais aussi de
programmes. A cette aune, Franco Fagioli est en passe
de se hisser aux toutes premières marches d'un Panthéon qu'on croyait réservé à Scholl, Jaroussky et autre Cencic. Après
son CD « Arias pour Caffarelli » (cf. NL de
11/2013) il a concocté un généreux florilège de morceaux de celui qui pour lui,
fait figure d'idole, Nicola Porpora. Ce napolitain (1686-1768)
fut un compositeur pédagogue et on compta parmi ses élèves les fameux castrats
Farinelli et Senesino. Il parcourut l'Europe, de
Vienne à Londres, de Venise à Dresde. Son écriture vocale dénote une
connaissance approfondie de la voix humaine et pas seulement dans la
phénoménale maîtrise de la vocalise pyrotechnique dont il a inculqué la manière
chez ses élèves. Avec lui, l'art vocal a atteint des sommets d'intensité et
porté au plus haut l'école napolitaine. De ses nombreux opéras, Fagioli a choisi plusieurs exemples topiques d'arias aux
arabesques infinies, aux ornementations les plus folles, souvent distillées sur
un même mot. Les arias sont de coupe da capo avec le changement de rythme
caractéristique sur la partie centrale et une reprise plus brillante encore du
premier tempo. Si la forme demeure classique, l'usage qui en est fait est
audacieux quant à la mise en scène des sentiments exprimés. Franco Fagioli se meut dans cet univers avec une aisance
confondante. A la chaleur du timbre s'ajoute le legato parfait de naturel,
notamment dans le registre piano, et bien sûr la sûreté des vocalises
ahurissantes dont sont truffés les morceaux : enchaînement de trilles exécutés
dans un même souffle, multiplication des ornementations, notes projetées dans le
grave ou lancées en fusée dans l'extrême aigu. On est enivré de ces volutes à
perdre haleine, par exemple en une sorte de cadence, déployées sur trois
octaves, dans l'aria « Spesso di nubi cinto » tiré de Carlo
il Calvo. On est subjugué aussi par un style qui
ne sombre pas dans la pure sollicitation de l'effet, mais cultive une vraie
chaleur expressive, qu'il s'agisse du registre de la douceur ou des traits
emportés des arias di furore.
Jean-Pierre Robert.
« Stella di Napoli ». Airs de bel canto de Giovanni Pacini, Vincenzo Bellini, Michele
Carafa, Gioachino Rossini, Saverio
Mercadante, Gaetano Donizetti, carlo Valentini. Joyce
DiDonato, mezzo soprano. Chœur et Orchestre de
l'Opéra de Lyon, dir. Riccardo Minasi.
1 CD Erato : 08256 463656 2 3. TT. : 72'10.
La production napolitaine du début du XIX ème siècle compte parmi les trésors du bel canto. Parce que
Naples est un centre musical essentiel alors, et que les courants les plus
novateurs s'y font jour, voisinant avec les esthétiques les plus conservatrices.
Cette confrontation assure aux compositions des musiciens qui s'y illustrent
une étonnante originalité. Les arias assemblées dans ce CD en offrent une
patente illustration. Où l'on constate que les voies du bel canto sont souvent
imprévisibles, pour ne pas dire impénétrables dans les
méandre de l'inspiration. La ligne de chant assume une surprenante
autonomie par rapport à l'accompagnement, même si celui-ci fait appel à des
instruments fétiches comme la harpe ou la clarinette. Ainsi de cette aria de Michele Carafa (1787-1872 ),
emprunté à l'opéra Le nozze di Lammermoor,
sur un sujet bien connu à l'époque et immortalisé par la Lucia di Lammermoor de Donizetti : préludé à la harpe, rejointe
par la clarinette, la mélodie vocale installe un climat de douce mélancolie.
Dans La Vestale, Saverio Mercadante
(1795-1870) offre avec la cavatine « Se fino al cielo ascendere » un festin
vocal défiant les lois de la mélodie prévisible, après qu'elle ait été
introduite par un concertino des bois. Les ornementations peuvent être aussi
originales qu'inattendues, comme le montre l'aria « Riedi
al soglio » tirée de la Zelmira
de Rossini, créée pour la Colbran. Il en va de même
de la scène finale de Saffo de Pacini (1796-1867) qui voit le suicide de l'héroïne dans
une lugubre atmosphère. Au fil de ces morceaux délicats, voire de bravoure, on
voit combien l'air romantique acquiert une nouvelle dimension sous la plume de
ces musiciens : des touches personnelles dans les fioritures mènent la mélodie
vocale dans des contrées peu prévisibles. Enfin, on est saisi par des
changements d'harmonie, renforcés par le recours à une instrumentation inédite,
comme l'harmonica de verre à clavier dialoguant avec le
harpe pour cette autre aria tirée de l'Elisabetta
al castello de Kenilworth de Donizetti (1829).
Tous ces joyaux, Joyce DiDonato leur donne vie en les
parant d'une coloration dramatique certaine et de cette vulnérabilité du trait
qui la place plus dans le sillage d'une Marilyn Horne que dans la comparaison
avec la manière de sa consœur italienne Cecilia Bartoli, car le vibrato se fait
présent çà et là. Elle est idéalement soutenue par Riccardo Minasi
qui sait trouver le ton et tirer de beaux accents du phonogénique Orchestre de
l'Opéra de Lyon. Le chœurs maison sont moins à l'aise
et ses solistes pas toujours à la hauteur des répliques épisodiques nécessitées
par certaines scènes.
Jean-Pierre Robert.
JS. BACH : Double concerto pour violon,
hautbois, cordes et continuo, BWV 1060R. Sinfonia de
la cantate BWV 156. Concerto pour violon, cordes et continuo, BWV 1042. Sonate
pour violon seul BWV 1003. « Erbarme dich, mein Gott »,
extrait de la Passion selon Saint-Matthieu, aria transcrite pour hautbois
d'amour. CPE. BACH : Sonate en trio pour flûte, violon et continuo Wq 143. Lisa Batiashvili, violon,
François Leleux, hautbois, Emmanuel Pahud, flûte. Kammerorchester des
Symphonieorchester des Bayerischen
Rundfunk. 1CD Universal DG
: 479 2479. TT. : 69'10.
Ce disque qui se veut construit sur un air
de famille, et pas seulement entre JS. et CPE. Bach,
mais entre la violoniste Lisa Batiashvili et son
époux hautboïste François Leleux, réunit quelques
pages emblématiques du Cantor et une sonate en trio du fils aîné. Du premier on
peut ainsi entendre le double concerto BWV 1060R, dans sa version pour violon
et hautbois, et le concerto pour violon BWV1042. Le problème est que sous de
louables intentions, se cache une bien curieuse idée de l'interprétation de ces
pages archi connues : tempos peu rigoureux, accents de métronome, accélérations
arbitraires, fins de phrases banales. Sans prôner une interprétation sur
instruments anciens, cette version « moderne » offre peu de saveur.
L'absence de chef y est sans doute pour beaucoup, et on ne parvient pas à
accrocher à une expérience presque routinière.
C'est d'autant plus regrettable que le violon de Lisa Batiashvili
est stylé et déploie une belle sonorité. Ce qui se vérifie au fil de la Sonate
pour violon seul BWV 1003, distinguée par une « fuga »
presque véhémente et un andante profond. Côté concertant, les choses viennent
mieux dans la Sonate en trio de CPE Bach grâce à l'élan que lui apporte la
flûte solaire d'Emmanuel Pahud qui, à défaut de chef,
est le garant du juste tempo. L'aria « Erbarme dich, mein Gott »
extraite de la Matthaus Passion de
Bach, sonne, dans cette transcription pour violon et hautbois d'amour, comme un
bis racé montrant deux solistes à leur meilleur. Il n'empêche un bien curieux
programme.
Jean-Pierre Robert.
Jean-Philippe RAMEAU : Hippolyte et Aricie. Tragédie lyrique en cinq actes et un
prologue. Livret de l'Abbé Simon-Joseph Pellegrin. Topi
Lehtipuu, Anne-Catherine Gillet, Stéphane Degout, Sarah Connolly, Jaël Azzaretti, Salomé Haller, Andrea Hill, Marc Mauillon, Aurélie Legay, François
Lis, Aimery Lefèvre, Nicholas Mulroy,
Manuel Nunez Camelino,
Jérôme Varnier, Sydney Fierro.
Orchestre et Chœur Le Concert d'Astrée, dir.
Emmanuelle Haim. Mise en scène : Ivan Alexandre.
Production de l'ONP, 2012. 2 DVD Erato : 462291 7 8. TT. : 174'.
Captée lors de sa présentation en juin 2012
au Palais Garnier, cette version du premier opéra de Rameau se signale par son
esthétisme raffiné. La mise en scène d'Ivan Alexandre regarde du côté de la Phèdre
de Racine. Elle décline le formalisme d'une tragédie classique où se
marient élégamment musique, théâtre et danse. Elle reste toujours lisible et ne
sombre pas dans le compassé de la reconstitution. Elle invite à un voyage
imaginaire. La décoration inspirée de l'antique, avec trompe-l'œil et effets de
symétrie, sertit des costumes chatoyants dont l'inspiration a été puisée aux
sources le plus sûres, et s'agrémente d'une machinerie sophistiquée avec
apparitions du dessus ou des entrailles. Les mouvements offrent juste cette
touche de préciosité dans les attitudes et d'hyperbole dans la gestique, avec
de savants jeux de mains, qui rappellent que nous sommes là en territoire codé.
Mais quelques clins d'œil modernes assouplissent le discours. Ainsi du
personnage de l'Amour dont l'impertinence apporte une note de vivacité dans cet
univers policé. La caméra saisit tel ou tel détail d'une expression, d'une
attitude, d'un visage et des affects qui l'habitent : fureur de Phèdre,
grandeur de Thésée, affliction d'Aricie, noirceur du
personnage de Tisiphone, presque caricatural. Mais la
régie qui va jusqu'aux limites, ne les franchit pas. Elle reste dans la
suggestion et la finesse du trait. Le tableau des enfers est à cet égard un
modèle de peinture de l'effrayant sous des apparences d'objectivité. La couleur
rouge sang domine, les Parques ont la tête à l'envers, Pluton et sa cour
infernale sont d'un immobilisme menaçant. La distribution fait honneur au chef
d'œuvre de Rameau. La noblesse d'accents, le phrasé souverain de Stéphane Degout illuminent le personnage de Thésée, comme la
déclamation grandiose de Sarah Connolly confère toute son aura de grandeur à
celui de Phèdre, toute racinienne. Le couple titre est plus placide, sans doute
volontairement, calé sur une direction d'acteurs qui le conçoit de manière peu
passionnelle. Jaël Azzaretti
est un parangon de délicieuse facétie dans le rôle de l'Amour qu'elle gratifie
de vocalises aériennes. La pléiade des autres rôles est servie par des
chanteurs de la jeune génération, rompue au baroque. La direction d'Emmanuelle Haim, vive et fluide, même si un brin placide, magnifie une
musique généreuse et les interventions solistes sont immaculées.
Jean-Pierre Robert.
Wolfgang Amadé
MOZART : Concerto pour piano K. 271, « Jeunehomme ».
Rondo pour piano et orchestre K. 386. Air de concert « Ch'io
mi scordi di te ?.. Non temer, amato bene », K. 505. Joseph HAYDN : Concerto pour
piano en Ré /Hob. XVIII :
11. Alexandre Tharaud, piano. Joyce DiDonato, mezzo-soprano. Les Violons du Roy,
dir. Bernard Labadie. 1 CD Erato : 46224 0 3. TT.:
70'56.
Le nouveau projet discographique
d'Alexandre Tharaud ose l'originalité, plutôt
que coupler deux concertos pour piano
de Mozart, de mettre en miroir le concerto K. 271 avec un concerto de la
maturité de Josef Haydn, et de l'agrémenter de deux autres courtes pièces de
Mozart. L'association fonctionne plutôt bien. Écrit pour Mlle Jeunehomme, pianiste française et une de ses élèves, ce
morceau annonce la veine des grands concertos de la maturité. Tharaud et Bernard Labadie l'abordent vif et engagé à
l'allegro initial, avec un vrai jaillissement, à l'aune de l'entrée du piano
dès les premières mesures. La cadence porte un bref trait de mélancolie. Le
pianiste, qui dit voir là une de ses œuvres fétiches, prend l'andantino et sa
façon de s'épancher comme un air d'opéra, de manière très retenue, quasi
adagio, soliloque d'une voix intérieure, jusqu'à la confession. Le
développement, sur le concertino des bois énonce quelque souffrance enfouie,
que Tharaud renforce de solides contrastes dans les
accords. Le rondo final s'ébroue tel un tourbillon au milieu duquel gambade un
soliste enjoué. Un changement d'humeur et de rythme, lors de la cadence, est là
encore le signal d'un autre court moment de mélancolie. Le pianisme
de Tharaud est clair, énergique, inventif et plein
d'esprit. Le concerto de Haydn ne dépare pas face à celui de Mozart. Ils
semblent même se compléter. La gaieté simple et sans nuage marque le
« vivace » qui débute l'œuvre d'une verve émoustillante, nantie des
traits humoristiques. Le finale, rondo « all'Ungarese »,
d'une vigueur décapante, est d'une folle faconde, que Tharaud
souligne à l'envi, au point d'inclure dans la cadence des bribes de la
« Marche Turque » de Mozart. Car l'idée est d'établir des passerelles
entre les deux œuvres et au-delà avec une autre pièce du programme, le rondo K.
386. Celui-ci alterne deux motifs, l'un serein, l'autre introspectif, et Tharaud conçoit une cadence qu'il relie à la thématique du
dernier mouvement du concerto « Jeunehomme ».
Il a aussi inclus l'air de concert K. 505 « Ch'io mi scordi di te... »,
sans doute l'un des plus fascinant de Mozart.
Il insère en effet le piano dans le dialogue voix-orchestre, pour en faire
presque un concerto à deux instruments. Joyce DiDonato
le chante avec humilité tandis que le piano de Tharaud
lui ravirait la vedette. Un CD surprenant et passionnant.
Jean-Pierre Robert.
« Mozart's Instrumental Oratorium ». Wolfgang Amadé
Mozart : Symphonies N° 39, K. 443, en Mi bémol majeur, N° 40, K. 550, en Sol
mineur, & N° 41, « Jupiter », K. 551, en Ut majeur. Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus
Harnoncourt. 2CDs Sony Music :
88843026352. TT.: 65'01+39'23.
Avec cette interprétation, Nikolaus Harnoncourt affirme haut et fort ce que d'aucuns
avançaient comme une hypothèse (en particulier Jean et Brigitte Massin, in 'Mozart', Fayard) : les trois dernières
symphonies de Mozart forment un tout, non pas trois pièces indépendantes, mais
une œuvre tripartite. Ce qu'il appelle un « oratorio instrumental ».
« Elles figurent en apparence une sorte d'itinéraire choisi par un être
humain pour atteindre sa destination » (in 'La parole musicale', Actes
Sud, cf. supra Le Coin Bibliographique). On sait peu de choses de ces œuvres,
si ce n'est qu'elles ont été écrites en 1788, en l'espace de deux mois, sans
commande précise. Le besoin financier, auquel peuvent faire penser les lettres
alors adressées par Mozart à Michael Puchberg, frère
de Loge, est une explication, à laquelle le chef autrichien ne croit guère. Un
lien de parenté unit ces trois œuvres : de l'ouverture tragique que constitue
le premier mouvement de la 39 ème, jusqu'au finale
grandiose de la 41 ème, il y a là un continuum que le
choix des tonalités rend probable. Leur enchaînement aussi et le développement
de motifs proches. Des singularités encore : le finale de la Symphonie K. 443,
monothématique, finit par « se résoudre en un nuage de poussière »
(ibid.), d'où émerge, si on les rapproche, « le début vague et
confus » de la Symphonie K. 550, et sa curieuse « palpitation » des
altos.
A l'automne d'une immense carrière, et pour
la première fois avec son orchestre du Concentus Musicus Wien - d'un fini instrumental inouï - Harnoncourt
livre sa vision de cette trilogie et développe une dramaturgie bien différente
de ce qu'on a coutume d'entendre. Elle bannit toute brillance. Le « béat
bonheur mozartien » (ibid.) cède résolument le pas à une manière austère,
qui vous remue au plus profond. La Symphonie K. 443 en Mi bémol majeur,
tonalité « du cérémoniel sérieux », empoigne dès les premiers accords
massifs et tragiques, et au fil d'un allegro qui progresse avec grandeur. Dans
l'andante con moto, tout aussi dramatique, il n'y aura pas de grâce
superfétatoire. Le Menuetto est vivement rythmé avec
un trio tout en rupture et une reprise peut-être plus vive encore. Le finale se
vit en rafale, prestissime. L'enchaînement du 1er
mouvement de la 40 ème symphonie, dans le disque,
immédiatement après les dernières notes de la symphonie précédente, produit un
effet saisissant. « Tout est ici remis en question » dit Harnoncourt
à propos de la 40 ème, car la tonalité de Sol mineur
est celle « de la mort et de la tristesse ». L'élan est implacable,
tel un cauchemar au premier mouvement. L'andante souffle l'apaisement, en
apparence, car un serrement de cœur se fait jour aux bois (hautbois et bassons)
sur le soupir des violons. Le Menuetto, d'une belle
liberté d'approche fermement rythmée, introduit une pause, vite abandonnée par
un trio d'une insondable douleur, mise en exergue par le concertino des bois et
des cors. L'allegro assai poursuit sur la même idée dramatique, sans s'emballer
comme souvent chez certains chefs, et refusant le sourire que ceux-ci apportent
à cet épisode. Les accords en cascade sont fermement détachés et la fugue
conclusive affirme encore ce choix. La Symphonie « Jupiter » K. 551,
là où Mozart « résout tout dans la joie », est grandiose de bout en
bout : un Vivace aux attaques fières, dignes d'une Ouverture d'opéra, bardé de
silences lourds de sens, à la rythmique solide avec des coups de boutoir
formidables ; un Andante cantabile qui ne s'attarde pas sur quelque joliesse,
car le tempo allant est traversé d'interjections brusques ; un Menuetto extrêmement fluide, dont l'énigmatique Trio avec
ses trois notes lourées, livre un étonnant contraste ; et, dernière étape d'un
voyage impressionnant, un finale portant la fièvre à son apogée, pas seulement
eu égard à la battue fort énergique du chef, mais par l'élan qu'il communique,
celui d'un musicien taraudé par « l'angoisse de la perfection »
(ibid.) dans l'interprétation musicale. Un expérience
rare.
Jean-Pierre Robert.
Robert SCHUMANN : Intégrale des symphonies.
N° 1, op. 38, « Frühlingsymphonie »
(symphonie du printemps), N° 2, op. 61, N° 3, op. 97, « Rhénane », N°
4 (Première version de 1841). Berliner Phiharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 2 CDs + 1DVD Berliner
Philharmoniker Recordings :
BPHR 140011. TT.
: CDs =56'18+60'56 ; DVD=140'.
Comme bien d'autres orchestres avant lui,
le Berliner Philharmoniker
a créé son propre label discographique et vidéographique. Plusieurs raisons à
cela : le développement du Digital Concret Hall, opération de diffusion vidéo
des concerts de l'orchestre, et le fait que le contrat du directeur musical
Simon Rattle avec un des majors du disque (EMI,
devenu Warner ) a pris fin sans être renouvelé. La
question de savoir si l'orchestre continuera à enregistrer, avec d'autres
chefs, pour les majors du disque, comme DG, est posée. Pour l'heure, et comme
premier opus de ce nouveau projet, Rattle et
l'Orchestre ont choisi d'offrir l'intégrale des symphonies de Schumann. Celle
de Schubert suivra, dirigée par Nikolaus Harnoncourt.
La présentation des disques est fort luxueuse, sous large coffret entoilé
rehaussé, comme il en est de l'iconographie intérieure du livret, de
reproductions de vases de la Manufacture Royale de porcelaine de Berlin, KPM.
Le coût est aussi en rapport avec le produit. Mais le prince des orchestres ne
saurait faire dans le banal ! Côté interprétation, voilà des versions qui
assument leur différence dans un secteur où la concurrence est rude. Simon Rattle associe volonté d'offrir des interprétations
historiquement documentées et souci d'une exécution moderne dans une large
salle de concert ; en l'occurrence celle de la Phiharmonie
de Berlin où ces enregistrements ont été effectués en direct. Ce qui frappe
d'emblée c'est le parti d'allègement de la texture, lequel permet de
s'approcher de la couleur d'origine, loin des exécutions plus épaisses souvent
favorisées depuis lors avec des formations pléthoriques. On sait le vieux débat
autour de l'orchestration schumannienne que d'aucuns ont fustigé de malhabile
ou de monotone, ce qui paraît bien méconnaître le génie de Schumann pour la
diversité et une manière alerte empruntée à Mendelssohn. Cette atténuation de
la pâte sonore on la perçoit dans les cordes dont Rattle
cherche à souligner la finesse, mais
aussi chez les cuivres qui sont astreints à une relative discrétion. Une autre
caractéristique est la manière de contraster forte et piano,
encore que le spectre sonore ne soit jamais disproportionné. Tout cela est
restitué dans une perspective naturelle de concert par les ingénieurs du son
qui achèvent un équilibre pleinement satisfaisant entre cordes et vents, et
mettent en valeur les fameuses caractéristiques de l'orchestre, dont la
sonorité enveloppante des contrebasses n'est pas la moins captivante.
La Symphonie N° 1, « du
printemps », offre un bel exemple de l'allègement sonore privilégié par Rattle. Dès le premier mouvement la manière s'avère vive,
dansante presque, s'emballant joliment à la coda. Le larghetto est chantant,
pas seulement dans la majestueuse phrase des cellos,
et le deuxième thème n'est pas appuyé. Bien balancé, le scherzo est calé dans
une rythmique dansée et le trio fait contraste, sa deuxième réplique prise à
une allure plus rapide introduisant un bel effet de surprise. La péroraison
ouvre un espace de réflexion qui prend son temps. Quant au finale, grazioso,
tout mendelssohnien, des accélérations çà et là maintiennent en haleine et la
reprise finale conduit fièrement à un joyeux tumulte d'apothéose. Rattle joue la Quatrième symphonie dans sa version
originale de 1841. Le matériau est plus fruste que dans la révision de 1851,
qui utilise les doublures instrumentales. Ici, le discours n'est pas appuyé,
révélant mieux la subtilité de l'harmonie schumannienne. La vision de Rattle est volubile, n'hésitant pas à bouler le tempo (coda
du premier mouvement, finale très scandé). La mélancolique « Romanza » centrale s'épanche naturellement et l'entrée
du violon solo lors de la péroraison n'est pas exagérée en termes de
prééminence sonore. La Deuxième symphonie souffre d'un parti pris de
ralentissement comme d'une recherche de contrastes exacerbés, à la différence
de la fraîcheur du geste qu'apporte Claudio Abbado dans sa récente interprétation
en CD (cf. NL de 9/2013). L'architecture du premier mouvement s'en ressent et
connaît quelque baisse de tension dans le développement, alors que la coda est
comme précipitée. Le scherzo « vivace » a du mordant mais le trio
central s'appesantit. L'opposition « Forestan et
Eusébius » sans doute, mais un peu poussée à
l'extrême. Par contre, à l'andante espressivo, le chef prend son temps et l'on
savoure la mélodie envoûtante du hautbois comme le merveilleux crescendo monté
amplement aboutissant au bouquet des cordes suraiguës. Le développement associe
lenteur et jeu pianissimo, au point de presque distendre le discours. Le molto vicace final renoue avec l'énergie et on savoure le
contrepoint des cordes graves. La Troisième Symphonie, « Rhénane »,
est une indéniable réussite car la vision est plus « centrale ». Rattle fait sienne l'indication « Lebhaft »
(animé), et le « drive » est certain, héroïque au premier mouvement
et retrouvant au finale la légèreté bondissante de la Première symphonie. Les
trois séquences médianes forment contraste : du scherzo « très
modéré », ample comme une danse de Landler,
tandis que les traits de cuivres ne sont pas funèbres, au « nicht schnell », intermezzo
romantique expressif s'enfonçant dans une douce rêverie, ou encore au « Feierlich » (solennel), choral non pesant avec une
progression dramatique savamment dosée. La volonté
d'allègement coté cuivres est là encore patente.
Partout, on est subjugué par la souveraine perfection sonore des Berliner.
Jean-Pierre Robert.
Dimitri CHOSTAKOVITCH : Symphonies N°4, op.
43, No 5, op. 47, N° 6, op. 54. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 2CDs Mariinsky : MAR0545. TT.: 59'40+75'26.
Pour ce nouveau volet de l'intégrale des
symphonies de Chostakovitch, Valery Gergiev propose les
opus 43, 47 et 54 et leurs univers contrastés quoique partageant un point
commun, celui d'un message tragique assumé jusqu'à l'extrème.
La Quatrième Symphonie op. 43, achevée en 1936, retirée par Chostakovitch juste
avant la première exécution, et finalement créée en 196I par Kyrill Kondrashin, est un immense
coup de poing. A l'effectif orchestral
gigantesque répond le foisonnement des idées, fruit des intenses recherches du
musicien. A l'exemple du vaste premier mouvement, lui-même divisé en plusieurs
sections au fil d'une mosaïque thématique étonnante. Valery Gergiev
et ses musiciens du Mariinsly en livrent une
exécution impressionnante, quoique moins engagée que de précédentes exécutions.
Ponctuée de stridences dignes de l'opéra Lady Macbeth de Mzensk,
de clusters grisants, de courses haletantes et éperdues, de sforzandos
inouïs comme enroulés sur eux-même. Le moderato
central, un scherzo qui ne dit pas son nom, quelque peu impénétrable, abonde de
références à Mahler. Les changements brusques de cap qui émaillent
le finale, d'une marche funèbre, elle-même envahissante, à une suite de danses
variées, conduisent à des explosions sonores, points culminants d'accélérandos saisissants. La séquence finale signe des
accords frénétiques avant que le discours livre son angoissante résolution aux
dernières mesures où le son se raréfie pppp
jusqu'au silence. Le caractère déroutant de cette œuvre, par l'enchaînement des
motifs et la rugosité de la musique, n'est assurément pas aisé à appréhender
dans une écoute domestique privée de la spacialisation
du concert. Encore que la captation live aide beaucoup ici.
La Symphonie N° 5, op. 47, lors de sa
création, en 1937, marquait la première collaboration de Chostakovitch avec le
jeune chef Evgeny Mavrinski
qui la mena au triomphe. Elle raconte une épopée totalement russe et Gergiev en porte haut la veine émotionnelle. L'âpreté du
discours est vite en évidence dans une dynamique extrêmement contrastée, avec des climax d'une
force colossale. Le scherzo est rythmé avec humour. Le largo offre comme un cri
désespéré, à l'image de la mélodie du hautbois d'une insondable tristesse. Là
encore, la progression aboutit à des paroxysmes terrifiants que rehaussent les
percussions. La récapitulation n'est sereine qu'en apparence. La fanfare qui
ouvre le dernier mouvement introduit un contraste saisissant : de vastes
torrents se répandent, où la modernité du langage cède brièvement la place à
quelque post romantisme. Toute cette dialectique, Gergiev
la saisit à bras le corps. De la symphonie N° 6, op. 54, de 1939, il donne une
exécution incandescente. Cette pièce présente un schéma inhabituel, ses deux
derniers mouvements brefs ne totalisant pas même la durée du premier. Les très
sombres accents de ce largo, de tout un orchestre frémissant pianissimo, d'où
émerge un solo de flûte désespéré, procure un immédiat sentiment de morbidezza, rappelant là encore Lady Macbeth de Mzensk et son dernier tableau. Il s'accentue à la coda,
quoique apparaissent des lueurs d'optimisme. L'allegro
suivant est pris dans une légèreté désinvolte. Du finale presto, bâti sur un
train de marche en crescendo à la Rossini, Gergiev
souligne toute la malice et ne se prive pas d'en souligner les aspects
grotesques et l'incisive vivacité comme lors d'un récent concert parisien.
Jean-Pierre Robert.
Frédéric
CHOPIN : Concertos
pour piano opus 11 & 21. Version pour piano & pianino. Soo Park & Mathieu Dupouy. 1 CD Label-Herisson : LH
11. TT : 79’25.
Quand on sait le peu de goût de Frédéric
Chopin pour les grandes prestations
publiques, notamment avec orchestre, on comprend toute la pertinence de cet
enregistrement des deux Concertos opus 21
(1829) et opus 11 (1830) dans cette
version pour deux pianos (Pianoforte Pleyel 1843) et pianino
(Pianino Pleyel 1838). Une vision plus intimiste
correspondant, sans doute mieux, au caractère très introspectif du compositeur.
Une authenticité, par ailleurs, avérée puisque Chopin avait coutume
d’accompagner ses élèves sur un piano droit, assurant le tutti, tandis qu’il
leur laissait la partie soliste sur le grand piano à queue. Une version pleine
de charme, de délicatesse, d’émotion, merveilleusement naturelle où rien ne
semble manquer tant le piano sait se faire, tour à tour, confident ou
orchestral. Une belle entente jamais mise en défaut, une interprétation toute
au service de la musique. Un Chopin comme on l’aime ! Authentique et
élégant !
Patrice Imbaud.
« Made
in France ». Pierre Génisson, clarinette. David Bismuth, piano. 1 CD APARTE : AP 096. TT : 59’.
Un disque remarquable qui rend hommage à
l’école française d’instruments à vents et à la clarinette en particulier. Bien
bel hommage en vérité, mérité qui plus est, présentant des œuvres célèbres du
répertoire de cet instrument et d’autres moins connues bien que tout aussi belles.
La Sonate pour clarinette et piano
(1921) de Camille Saint-Saëns, écrite à 86 ans, la Sonate de Francis Poulenc composée en 1962 quelques mois avant la
mort du compositeur, la Première
Rhapsodie (1910) de Claude Debussy, l’Andante
et Allegro (1881) d’Ernest Chausson, de découverte récente (1977) et le Thème
et Variations (1974) de Jean Françaix constituent l’essentiel de cet
enregistrement, joliment conclu par la Méditation
de Thaïs de Jules Massenet qui n’en est pas à une transcription de plus. Un
disque, on l’aura compris, qui se veut le champion de la clarinette exploitant
toute des possibilités expressives et techniques de l’instrument dans un
mélange d’élégance et de virtuosité. Force est d’avouer que ces deux termes,
élégance et virtuosité, s’appliquent parfaitement aux deux solistes qui
s’entendent à merveille pour donner à ce disque tout son charme et sa poésie.
Patrice Imbaud.
« L’AMOUR ». Airs d'opéra. Juan Diego Florez, ténor. Orchestra e Coro del Teatro Comunale
di Bologna, dir. Roberto Abbado.
1 CD Universal Decca 478 5948. TT :
64’15.
Un recueil d’airs célèbres d’opéra français
du XIXe siècle, dus à Boieldieu, Bizet, Donizetti, Berlioz, Adam, Delibes,
Massenet, Thomas, Offenbach et Gounod. Un répertoire chanté depuis toujours par
tous les ténors du monde dont Nicolaï Gedda, Alfredo
Kraus ou Roberto Alagna, pour n’en citer que quelques uns…repris aujourd’hui
par Juan Diego Florez, bel cantiste
reconnu. Un enregistrement qui ravira tous les inconditionnels du ténor
péruvien, qui n’y trouveront rien à jeter, mais où d’autres regretteront
parfois une ligne de chant qui se brise et se durcit nettement dans l’aigu. Par
ailleurs, le timbre est beau dans le médium, la diction claire, la virtuosité
certaine, l’accompagnement orchestral de qualité.
Patrice Imbaud.
« Mélodies.
Prescience conscience ». Collection Les Musiciens &
la Grande Guerre. (Vol IV). Marc Mauillon,
baryton. Anne Le Bozec, piano. 1 CD HORTUS 704.
TT : 69’49.
Quatrième volume de cette collection
originale et très intéressante consacrée, par le label Hortus,
aux musiciens de la Grande Guerre. Tout un florilège de mélodies, lieder et songs reflétant parfaitement les climats si variés de cette
époque tragique, toutes nations confondues, dans un mélange de regret, de
désespoir, d’amertume, de désillusion, mais aussi de camaraderie et de
joie. Des compositeurs français célèbres
comme Ravel, Fauré, Debussy ou Reynaldo Hahn,
d’autres moins connus, belges, allemands, britanniques que l’on se plait à
découvrir au fil de l’écoute, guidé en cela par un excellent livret qui
présente succinctement les différentes biographies et les textes de poèmes.
L’interprétation de Marc Mauillon et Anne Le Bozec ne souffre, ici, d’aucun reproche, témoignant d’une
parfaite symbiose entre voix et piano, au service de la musique et de
l’histoire. Une collection à suivre, d’une valeur rare !
Patrice Imbaud.
« La Naissance d’un Nouveau Monde ». Collection
Les Musiciens de la Grande Guerre. (Vol V). Thomas Duran, violoncelle. Nicolas Mallarte, piano. 1 CD HORTUS 705. TT : 80’50.
Cinquième opus de la collection « les
Musiciens & la Grande Guerre » proposée par le label Hortus. Dix millions de morts soldant la Grande Guerre,
voilà qui ne pouvait, ni ne devait, laisser le monde indifférent, le monde
musical en particulier… C’est précisément cette prise de conscience tragique et
son influence sur la création musicale qui fait tout l’intérêt de cet
enregistrement qui constituera pour beaucoup une découverte. Certains musiciens
se rattacheront au passé, à une tradition rassurante, d’autres considéreront
que plus rien ne peut désormais être comme avant, franchissant délibérément les
limites d’un académisme suranné pour se risquer dans une modernité pleine
d’espoirs nouveaux. Cinq œuvres magnifiques de compositeurs peu connus du grand
public (Schulhoff, Bridge, Granados, Boulnois, et De la Presle) comme autant de regards
différents sur le monde, comme autant d’histoires empreintes de désillusion, de
nostalgie, mais aussi d’espoir. Une interprétation sublime où la complainte du
violoncelle répond avec émoi et empressement aux attentes réitérées du piano.
Superbe !
Patrice Imbaud.
« Métamorphose ». Collection
Les Musiciens de la Grande Guerre. (Vol VI). Thomas Monnet, orgue. 1 CD HORTUS
706. TT : 78’50.
Peut-être, par son ampleur sonore, l’orgue
est-il l’instrument le plus apte à traduire l’acuité de la prise de conscience
des musiciens devant la gravité du massacre humain, parvenant à exprimer, avec une véhémence
notable, ce mélange d’angoisse et de renaissance qui caractérise la création
musicale au sortir de la Grande Guerre. Thomas Monnet, sur l’orgue Stahlhuth Jann de l’église Saint
Martin de Dudelange (Luxembourg) nous donne à entendre, dans cet
enregistrement, six œuvres originales ou transcrites d’Hendrik Andriessen ( Fête Dieu), Joseph
Jongen (Deux pièces pour orgue),
Sergueï Prokofiev (Toccata), Max
Reger (Trauerode),
Joseph Boulnois (Choral)
et Maurice Ravel (Le Tombeau de Couperin).
Des œuvres qui prennent, dans ce nouveau contexte instrumental, un éclairage différent
où se mêlent religiosité, méditation, violence, désolation, nationalisme,
tradition et modernité, tout un amalgame de sentiments qui expliquera
l’importante métamorphose que subira la musique en ce début du XXe siècle,
hésitant entre liberté débridée et néoclassicisme. Un sixième volume de la
Collection Les Musiciens & la Grande Guerre tout aussi passionnant que les
précédents. Une collection à suivre, assurément !
Patrice Imbaud.