Ludwig van BEETHOVEN : Concerto pour violon, Symphonie n°1, Ouverture de Coriolan. Isaac Stern, violon. Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3154. TT : 76’03.
Franz
SCHUBERT : Symphonie
n°9. Carl Maria von WEBER : Ouverture d’Oberon. Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3155. TT : 57’43.
Wolfgang
Amadeus MOZART : Requiem, Ave Verum. Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3156.
Coup sur coup paraissent trois
disques rappelant la bienheureuse rencontre de l’immense chef autrichien
Josef Krips (1902-1974) et de l’Orchestre national de la RTF, au cours de
la décennie 1954-1965. Beethovénien hors pair (mais ne donna-t-il pas avec le
même bonheur tout Haydn, tout Mozart et tout Schubert ?), Krips se signale
surtout, dans cette interprétation de la Première Symphonie,
par une apaisante humanisation du discours du grand sourd. Rien ne manque,
aucun pupitre n’est négligé, chaque partie est ciselée et pourtant la passion demeure,
aussi foudroyante que celle d’un Munch ou d’un Furtwängler, mais tellement plus
viennoise, plus optimiste. Dans les passages les plus complexes, demeure ainsi
cette lumière immatérielle qui reste la marque d’un chef aussi virtuose
qu’inspiré, équilibrant avec le même bonheur les tempi, les intensités et les
contrastes de timbre. Qualités que l’on retrouve au même niveau dans le Concerto pour violon, avec des moments
d’une surnaturelle légèreté et une complicité bouleversante entre le soliste,
la phalange qui le porte et le chef qui les soude.
Chez
Mozart, le miracle est d’une autre nature, Krips invitant les auditoires
contemporains à redécouvrir un Mozart tendre et radieux, doux sans mièvrerie,
lyrique sans fadeur. Dès les premières mesures du Requiem, l’auditeur éprouve le sentiment, déroutant et stimulant,
de redécouvrir une partition dont il avait cru jusque-là posséder toutes les
clefs, les divers pupitres brossant une mosaïque sonore dont la variété
dynamique n’a d’égale que la merveilleuse plénitude sonore. Dépouillement
dramatique – dans cet enregistrement, la mise en exergue des silences relève du
tour de force - et lecture scrupuleuse de la partition restent les
maîtres mots. Rien de plus démonstratif en ce sens que l’Ave Verum, au sein duquel percent
les échos de cette étrange inclination lyrique qui colora la musique religieuse
des temps prérévolutionnaires. Occasion de rappeler qu’un compositeur,
s’appelât-il Mozart, reste toujours l’héritier d’une longue tradition et le
chantre de son époque. Car ici, plus encore que le maître de Salzburg, c’est
tout le siècle des Lumières qui chante, un siècle qui, porteur des plus belles
préméditations lyriques du théâtre musical, n’a pas oublié la grande leçon
contrapuntique dispensée en son matin par Jean-Sébastien Bach et Haendel.
Schubert
et Weber, enfin. Toujours au même niveau sommital. Dès l’introduction de la Symphonie,
l’orchestre sonne avec cette vigueur roborative qui signale toujours le grand
chef autrichien, et toute la suite illustre l’étonnante palette, chatoyante
mais unitaire, des choix d’interprétation qu’il opère pour ce sommet de la
musique romantique. Ainsi, sous sa direction, l’orchestre passe-t-il, avec une
foudroyante soudaineté, de fragments d’un profond lyrisme à des épisodes de facture
infiniment plus tourmentée. Même prodige avec l’ouverture de Weber : quel
est donc le secret de Josef Krips pour alterner avec tant de bonheur les
instants de pure sonorité si recherchée, si délicate, et les épisodes d’une
telle intensité dramatique ? Il y a quelque chose d’infaillible chez lui,
à mi-chemin entre instinct sensible et maîtrise virtuose. Sous sa direction,
l’orchestre de la RTF enchante et satisfait avec le même bonheur le mélomane le
plus blasé et le musicologue le moins indulgent. Trois disques, au total, qui
réconcilient avec une esthétique qu’un certain fanatisme baroquisant avait
tenté de disqualifier, mais dont tout dit maintenant qu’elle fut, et demeure,
porteuse de la plus haute des vérités musicales.
Gérard Denizeau.
Éric LEBRUN : Vingt Mystères
du Rosaire, pour violon, violoncelle,
harpe & grand orgue. 2CDs
Bayard Musique : S 448003. TT :
42’12 + 51’47.
Dans ce
double CD où les Vingt Mystères du Rosaire sont évoqués et commentés
suivant leur ordre liturgique (Mystères joyeux, lumineux, douloureux,
glorieux), Éric Lebrun a voulu rendre hommage aux Sonates pour violon &
basse continue « Aus dem Leben Mariae » de
Heinrich Biber (1644-1704) ; il les prolonge ainsi dans un langage
qui, pour être résolument moderne et actuel, n’en est pas moins inspiré et
fervent. Précédés par une pièce grégorienne (prière ou antienne à la Vierge)
interprétée par la voix pure d’Isabelle Frémeau, et portant en exergue le
texte liturgique, les quatre groupes, de cinq pièces chacun, sont confiés à
divers instruments : orgue, violon, violoncelle, harpe, jouant tantôt en
soliste, tantôt ensemble. Nous ne pouvons pas dans le cadre de ce compte
rendu évoquer en détail les multiples facettes de cette œuvre richement
élaborée : depuis les éclats sonores et la virtuosité de l’orgue évoquant
le surgissement de l’Ange Gabriel de l’Annonciation (I), à la
déclamation douce et expressive du violon solo de la Visitation (II),
depuis l’ample méditation du violoncelle du Jardin des Oliviers (XI),
jusqu’au complexe harmonique répété de l’orgue, figurant les 41 coups de
la Flagellation (XII), et enfin jusqu’à la légère envolée de
l’orgue, telle celle d’un papillon, évoquant l’Assomption (XIX),
autant d’exemples de ce fourmillement d’idées ! Si l’écriture est résolument
actuelle, avec parfois l’usage du langage dodécaphonique, les formes restent
traditionnelles, telles les variations de la harpe dans l’Annonce du Royaume (VIII),
le choral d’orgue du Pange Lingua (X), le ricercar de la Couronne
d’épines (XII), la chaconne d’orgue de l’Ascension (XVII)
ou le rondo du Couronnement de la Vierge (XX) où tous les thèmes du
cycle se superposent, s’enchevêtrent aux quatre instruments avec véhémence.
L’interprétation
de cette œuvre majeure du jeune organiste de Saint-Antoine des Quinze-Vingt
(église où a eu lieu l’enregistrement du disque), ne mérite que des éloges
quant à la précision et à la musicalité. Nous avons cité la voix
expressive et pure d’Isabelle Frémeau ; ajoutons les noms des autres
interprètes : les organistes Lucie Flesch, Béatrice Piertot,
Yannick Merlin, Éric Lebrun et Marie-Ange Leurant (admirable dans la Crucifixion (XV))
, la harpiste Clara Izambert, le violoncelliste Philippe Bary, et
enfin les violonistes Isabelle Lesage et Andréa Garnier ;
celle-ci donne toute la mesure de sa virtuosité, mettant en valeur une écriture
très violonistique, en particulier dans la Visitation (II) et le Baptême
du Christ (VI).
Œuvre
majeure, avons-nous dit, que ces Vingt Mystères du Rosaire, bien apte à
inaugurer ce XXIe siècle musical qui, comme par le passé, verra
éclore, n’en doutons pas, de nombreux et nouveaux chefs-d’œuvre !
Marie, porte du ciel. Œuvres mariales du XIVe au XXe siècle.
Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun aux orgues historiques de
Santa Maria de Mahon (Espagne). Maîtrise de Dijon, dir. Alain Chobert.
Bayard Musique : 464713. TT : 59’59.
Ce bel
ensemble de 22 pièces, inspirées par le culte à la Vierge Marie, nous entraîne
à travers les siècles, du chant grégorien à nos jours, faisant alterner pièces
chorales et instrumentales. Mais c’est aussi à un voyage à travers toute
l’Europe que l’auditeur est invité. Partant d’Espagne, puisque c’est sur le superbe
orgue de la cathédrale Santa Maria de Mahon à Majorque que Marie-Ange
Leurant et Éric Lebrun feront sonner des œuvres de Cabezón et de Sebastian
Aguilera de Heredia, la Maîtrise de Dijon nous mènera en Italie, avec un Ave
Maris Stella de Anerio et un très expressif Salve Regina de Viadana,
entrecoupé de grégorien. Avec les versets pour orgue du Magnificat de Pachelbel, suivi de sa version pour chœur (accompagnée de cornets et de
saqueboutes), et du Choral BWV 648 de Jean-Sébastien Bach, nous
nous retrouverons en terre germanique. Après le Magnificat grégorien, entrecoupé d’un faux-bourdon de Joseph Samson, nous rejoindrons la
France avec le Magnificat du 4e ton de Jean-François
Dandrieu. Dans cette œuvre magnifique, l’orgue donne toute la mesure de sa palette
sonore, avec ses jeux de tierces, de basses et dessus de cromorne, ou de
trompette. Deux œuvres de César Franck suivront : en premier lieu l’Ave
Maria pour chœur et orgue, recueilli et paisible, suivi de deux Versets
pour orgue de l’Ave Maris Stella aux modulations bien franckistes. Les
brumes nordiques nous accueilleront ensuite avec un beau chœur de Grieg, Ave
Maris Stella, simple et fervent. Avec une Prière à Notre-Dame,
extraite de la Suite Gothique pour orgue de Léon Boëllmann, empreinte
ici d’un charme très « massenétique », très « fin de
siècle », et d’un Recordare Virgo Mater pour chœur, du grand violoncelliste
catalan Pablo Casals, prendront fin ces hommages variés et fervents à
« Marie, porte du ciel ». L’interprétation, tant de la part des deux
organistes, Marie-Ange Leurent-Lebrun et Éric Lebrun, que de la Maîtrise de
Dijon dirigée par Alain Chobert, remarquable à tous points de vue,
contribue à faire de ce CD une réalisation vivante, variée et pleine
d’attraits.
Franz
LISZT : Évocation à la Chapelle Sixtine.
Œuvres sacrées pour orgue. Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun (orgue
Stiehr-Mockers de l’église protestante de Barr). 2 CDs Bayard Musique : S 447989. TT :
51’44 + 45’44.
Pour
l’année Liszt, Bayard Musique nous propose une fort intéressante anthologie
d’œuvres sacrées pour orgue , due au talent du célèbre duo d’organistes,
Marie-Ange Leurent-Lebrun & Éric Lebrun, chacun titulaire de
prestigieuses tribunes parisiennes. Ce florilège, qui réunit dans ce double CD
17 pièces composées dans la dernière partie de la vie de Liszt, débute par
des extraits de L’Arbre de Noël, écrit à l’intention de la petite-fille
du compositeur, Daniela von Bülow, comportant des œuvres inspirées par
Noël, liturgiques ou populaires. Plusieurs pièces dédiées à la Vierge (Ave
Maria, Ave Maris Stella, Salve Regina) voisinent ensuite avec quelques
chorals allemands ou un bel Angelus carillonnant. Des œuvres de
plus grande envergure y figurent aussi, telle Les Morts-Oraison (inspirée par la mort prématurée du fils de Liszt, Daniel) dans ses deux
versions, l’une avec récitant sur un texte de Lamennais, l’autre pour orgue
seul ; telle également la superbe Introduction, Fugue & Magnificat de la Dante-Symphonie où des éclats un peu théâtraux lui confèrent une
grandeur et une somptuosité sonore très organistique. Mais le sous-titre
de ce remarquable enregistrement, Évocation à la Chapelle Sixtine, se
justifie par cet hommage à Mozart - qui vint à Rome à l’âge de douze ans -
avec des réminiscences ou citations du Miserere d’Allegri, puis de l’Ave
verum Corpus. Le talent des deux organistes, interprètes de cette
belle réalisation, n’est plus à souligner. Ils se partagent ce beau programme -exécuté
sur un très bel orgue alsacien, contemporain de Liszt - tantôt alternativement,
tantôt ensemble à quatre mains ; ainsi se trouve complétée, grâce à
l’évocation de cette brillante facette du génie quasi universel de
Franz Liszt, la série d’hommages qui lui furent rendus cette année.
Francine
Maillard.
André MATHIEU (1929-1968) : Trio pour violon,
violoncelle et piano, Quintette pour piano et cordes. Ernest CHAUSSON : Concert op.21. Alain Lefèvre (piano), David Lefèvre
(violon), Quatuor Alcan. Analekta : AN 2 9286.
Le culte
dont André Mathieu est l’objet au Québec s’avère proprement effrayant :
« le Mozart canadien » (n’ayons pas peur de mots, surtout !),
une biographie de 500 pages, un film, une véritable croisade en sa faveur
orchestrée par le pianiste Alain Lefèvre… Le fait que celui-ci ait
couplé l’enregistrement d’un concerto dudit petit « Mozart » (qui,
paraît-il, fut un enfant prodige mais mourut précocément pour cause d’abus de
la dive bouteille) au Concerto de
Varsovie de Richard Addinsell suffisait à mettre la puce à
l’oreille ! Alors, pour le dire en moins de 500 pages, que l’on
me permette d’emprunter une phrase à l’un de mes producteurs de la Radio suisse
romande : « C’est de la musique qui ne ferait pas de mal à une
mouche ». Soupe dégoulinante qui laisserait passer Rachmaninov pour
le comble de l’avant-garde, la musique d’André Mathieu est surtout mal
foutue (excusez le vocabulaire peu littéraire, mais je n’en vois pas d’autre
pour décrire ce que l’on entend ici) : lorsqu’une idée un tant soit peu
originale fait saillie, elle tourne court faute de métier pour la développer et
en tirer le meilleur parti (ah, les marches d’harmonie ! Il vint pourtant
étudier en France avec de bons maîtres, avant et après la guerre). Le
génie – authentique, celui-là – de Chausson n’avait pas besoin d’un tel
faire-valoir pour s’imposer, il ne perd rien de son relief, même quand on
l’intègre à des couplages homogènes, je veux dire à son niveau ! Il
est déconcertant d’entendre des interprètes de grande qualité s’égarer dans une
telle absence de discernement, d’autant qu’ils servent le chef-d’œuvre qu’est
le Concert op.21 avec un très beau
lyrisme caressant ses contours wagnériens et fauréens, échafaudant ses
progressions franckistes. Interprétation moins radicale, moins
inexorablement puissante que celle que l’on entendit en concert à l’Auditorium
du Louvre par Jean-Frédéric Neuburger, Diego Tosi et le Quatuor Modigliani
(tous transcendants de profondeur), celle des Canadiens enrobe par sa généreuse
sensualité et une délicatesse chaleureuse dans le travail du son qui ne
s’effectue pas au détriment de la grandeur. On salue ici une réelle
compréhension de l’esthétique française “fin de siècle”, une émotion poignante
(le mouvement lent, magnifique de désolation avant de s’élever à un véritable
drame intime). Pourquoi tant de goût dans l’interprétation des valeurs
sûres, et tant d’inculture dans l’analyse compositionnelle ?
Duo Gaulin-Riverin : Brillance. Œuvres pour
saxophone & piano de Jean Matitia (°1952), Fernande Breilh-Decruck
(1896-1954), Paul Creston (1906-1985), William Albright (1944-1998), Ida
Gotkovsky (°1933), Rudy Wiedoeft (1893-1940), Piet Swerts (°1960). Analekta (www.analekta.com) :
AN 2 9953.
Ce
programme composé de manière attrayante est une fontaine de découvertes pour
qui ne serait pas versé à temps complet dans le répertoire de saxophone.
Deux jeunes artistes canadiens, le saxophoniste Mathieu Gaulin et la
pianiste Jacynthe Riverin, ont choisi des pièces peu courues du XXe siècle européen et américain, toutes d’une réelle originalité et de climats
fort divers. L’irrésistible Devil’s rag signé Jean Matitia est aujourd’hui un “classique” de ce que l’on oserait
appeler la virtuosité divertissante, et l’on ne tait plus que sous ce
pseudonyme se cache Christian Lauba ; nos Canadiens brusquent
malheureusement l’élocution de cette pièce que l’on recommande d’écouter dans
sa version de référence par les Hollandais Arno Bornkamp et
Ivo Janssen (coffret « Le Saxophone classique »,
Brilliant Classics). Qui se souvient encore de l’organiste-compositrice
Fernande Breilh-Decruck (sur laquelle on lira une intéressante
documentation : http://www.saxiana.fr/pdf/Fernande-decruck.pdf),
originaire de Gaillac ? Certes, sa Sonate en do# s’inscrit dans l’esthétique de la musique
française de l’entre-deux-guerres, et quelques influences s’y faufilent, mais
elle n’en porte pas moins une gravité de sentiment bien personnelle.
Autre compositrice française, Ida Gotkovsky, dont Brillance (1974) va bien au-delà de ce titre à la connotation
clinquante : l’œuvre expose quatre brefs mais prenants climats, avec un
sens éloquent de la déclamation de l’instrument. La Belgique est
représentée par Piet Swerts et sa très belle pièce Klonos, au ton opiniâtre. Deux Américains sont à l’honneur
avec des œuvres se rattachant à des courants opposés : Paul Creston
cultivait une grâce de style néo-classique (le finale de sa Sonate de 1939 est aussi piquant que du
Poulenc), tandis que le regretté William Albright (qui s’enfonça dans une
spirale auto-destructrice, avec alcoolisme à la clé) s’affirmait comme l’une
des figures les plus audacieuses de l’avant-garde. Les cinq mouvements de
la Sonate d’Albright semblent
parcourir les diverses humeurs de son esprit toujours en recherche : s’il
reprend des titres empruntés à l’histoire, c’est pour le coup sans esprit
néo-classique ; son Invention trahit une obstination tourmentée, La
Follia pousse la mélancolie jusqu’à l’écartèlement, le Scherzo n’est que traversées fugitives de fantômes, le Recitative emprunte à Messiaen (mais en
plus bref) l’idée d’un mouvement monodique au cœur de l’édifice, et la Mad dance glisse, feule, rugit sur
de prestes rythmes. Le but de ce récital est de démontrer que la
virtuosité la plus affichée ne passe pas nécessairement par des démonstrations
creuses ou extérieures, mais qu’elle peut se parer d’une modernité de bon
aloi. Pour leur premier disque, Mathieu Gaulin et
Jacynthe Riverin ont incontestablement réussi leur pari.
Bruno
MADERNA (1920-1973) : Ausstrahlung* ; Biogramma ; Grande Aulodia. Carole Sidney Louis (soprano)*, Thaddeus
Watson (flûte), Michael Sieg (hautbois). Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, dir. Arturo Tamayo.
Neos : 10935 (distr. Codaex).
Nul
n’échappe à ses racines : en ces années darmstadtiennes (autour des années
1960) de radicalisation et de théorisation agressive, le lyrisme fut sauvé par
deux Italiens (qui s’en étonnerait ?), Maderna et Berio.
Conséquence : leur musique passe mieux que celle d’autres contemporains le
cap des générations. Bruno Maderna (que son goût pour les bons
petits vins expédia prématurément ad patres ;
décidément les ravages de l’alcoolisme transforment en cimetière notre rubrique
de ce mois-ci !) refusa toujours les systématismes de ses camarades, ce
qui ne l’empêchait pas de pratiquer une modernité épanouie. On peut
prendre avec scepticisme son choix (dominant dans les importantes œuvres ici
réunies) de la composition aléatoire, ou plus exactement de la forme
ouverte : cela n’apporte rien à ces œuvres d’en laisser déterminer le
parcours fléché par les interprètes ; de surcroît, conversez avec les
musiciens d’orchestre, et vous verrez qu’ils ne se sentent absolument pas
concernés par cette soi-disant liberté, et que cette pratique les agace et les
impatiente plus qu’autre chose. Par ailleurs, à une époque où la déstructuration
des textes - pour n’y puiser que l’usage des phonèmes - était à la mode,
Maderna, dans Ausstrahlung, veilla
soigneusement à ce que les textes parlés sur bande magnétique (des textes
persans et des extraits des livres sacrés indiens, dits en quatre langues
européennes, ce qui pourra surprendre) soient toujours clairement entendus,
respectés. Il y a là, dans la manière de faire en sorte que les
combinaisons orchestrales ne couvrent pas les voix, un instinct qui vient,
qu’on le veuille ou non, de l’art opératique (donc bien italien !).
Mais
attardons-nous plutôt sur ce qui frappe dans ces vastes partitions datant de
1970 à 1972 : le sens mélodique. La flûte et le hautbois,
amoureusement mis en valeur dans Ausstrahlung et Grande Aulodia, dessinent des
courbes magnifiques, totalement étrangères aux mœurs de la génération de
Darmstadt, mais d’une beauté intemporelle qui les rend… éternellement
actuelles. Autour d’eux, des blocs orchestraux ou des recréations
timbriques montrent la maestria du chef d’orchestre – donc grand connaisseur de
l’orchestre – qu’était Maderna.
Dirigeant la musique d’un collègue, le chef espagnol Arturo Tamayo s’y
montre exemplaire : il est incontestablement l’un des interprètes qui
savent le mieux faire de la musique en s’emparant du répertoire contemporain ; ses Ohana et ses Xenakis
demeurent des références, ses Maderna se haussent au même niveau
d’excellence. Saluons la prise de son, superbe, même si nulle
reconstitution (fût-elle en SACD) ne peut rendre la volonté de spatialisation
du compositeur (Grande Aulodia répartit les groupes instrumentaux d’une manière précisément décrite).
Robert SCHUMANN : Gesänge der Frühe op.133, 7 Fughetten op. 126, Kreisleriana op.16, Geistervariationen (1854). Dina Ugorskaja. Avi music
(en coproduction avec la Bayerischer Rundfunk) 8553217 (distr. Codaex).
Dina
Ugorskaja, à l’instar de son célèbre père, préfère cultiver les marges que de
s’abandonner au mainstream d’une
carrière conventionnelle. Les ultimes recueils de Schumann, à l’image du
cerveau de leur auteur malade, s’éloignent du monde des vivants : pour en
véhiculer toute l’émotion aux arrière-plans pathétiques sans se laisser piéger
par leur apparence désertique, il y faut un(e) interprète “habité(e)”. La rencontre entre lesdites œuvres et
l’interprète susnommée ne pouvait être que féconde. Dès les premières notes des Gesänge der Frühe (Chants de l’Aube), on entre avec elle
dans la vérité épurée de la confidence. Les première et cinquième pièces de cet
op.133 donnent à entendre sous ses doigts un miracle de gravité allant à
l’essentiel, trouvant un sens à la nudité, tandis que les éclairs de rythme de
la troisième et le doux ruissellement de la quatrième ranimeront l’espérance en
la vie. Le son de la pianiste est très
travaillé, mais éclot avec un naturel qui sait « cacher l’art par l’art
même ». Elle aborde les Fughetten avec une délicatesse, une fraîcheur qui préservent ces contrepoints pourtant
rigoureux de toute aridité formelle. L’inclusion, au sein de ces œuvres sinon
désincarnées du moins distanciées, des Kreisleriana au romantisme tempêtueux, pour avoir valeur d’absolu contraste stylistique et
pianistique, n’en est pas moins judicieuse : en effet, par sa source
littéraire comme par sa composition fantasque, l’op.16 laisse entrevoir les
germes de la folie qui – fléau héréditaire chez les Schumann – emportera
Robert. Au fil des sections les plus
intimes de cette construction n’obéissant qu’aux lois d’un imaginaire
halluciné, Dina Ugorskaja illumine ce qui peut être vu comme une préfiguration
des Chants de l’Aube, comme une aube
de ce crépuscule, et elle atteint à une admirable pureté dans le drame
intérieur pudiquement avoué. Des nappes de fantômes traversent sa vision de la
dernière page des Kreisleriana,
annonçant ainsi les Geistervariationen (Variations des esprits, esprits au
sens de spectres) qui s’y enchaînent sur le disque. On comprend que Clara, de
son vivant, ait interdit la diffusion de ces Variations qui ont peu d’autres atouts que celui – nous donnant
l’impression pénible d’une forme de voyeurisme – d’exhiber l’état de
destruction d’un cerveau qui fut l’un des plus bouillonnants de génie qui soit.
C’est donc par la persuasion de la compassion qu’un(e) interprète peut en faire
partager le message de désolation à ses auditeurs, et la pianiste russe réussit
là encore son difficile pari.
La prise
de son accompagne bien l’esprit contenu de l’interprétation. Ce disque apporte
une contribution nécessaire,
terriblement humaine, à la discographie schumanienne.
Robert SCHUMANN : Carnaval op.9, Impromptus op.5, Albumblätter op.124, Noveletten op.21, Gesänge der Frühe op.133, Fughetten op.126, Variationen über ein Thema von Schubert. Cédric
Pescia. 2CDs Claves : 50-1103/04.
Le label
suisse poursuit son intégrale de l’œuvre pianistique de Schumann confiée à de
jeunes artistes. La malchance veut que, sur ce cinquième volume confié au
Lausannois Cédric Pescia, on retrouve deux des œuvres ultimes sorties quelques
mois auparavant sous les doigts de Dina Ugorskaja. La comparaison ne tourne pas
en faveur du jeune Suisse : dans les Gesänge
der Frühe, il se montre plus prosaïque, plus “vert” et inexpérimenté que sa
miraculeuse collègue russe, ne réussissant pas à creuser ce déroutant opus.
Quant aux Fughetten, il les joue
certes avec délicatesse, mais comme de jolis exercices : autant dire qu’on
s’ennuie vite ! Suivons Cédric Pescia sur le chemin d’autres époques de la
vie de Schumann : quitte à devoir nous donner la nième version du Carnaval op.9,
autant l’assortir d’un intéressant apport documentaire consistant en
variations sur la Sehnsuchtswalzer de
Schubert, non dénuées de plaisantes trouvailles. Mais, abandonnant cet essai de
jeunesse avorté (ici mis en forme “présentable” par Andreas Boyde) pour vite
bifurquer vers le Carnaval, Schumann
y puisera notamment son Préambule. Cédric Pescia ne fait pas montre d’une imagination débordante dans
l’articulation dudit Carnaval, bien
joué au demeurant ; il y est par moments élégant, fin, mais aussi capable
d’enfoncer des clous comme dans le dernier volet ! Il convainc mieux dans
les phases de mystère et les divagations des Impromptus op.5 (curieusement peu souvent joués). Les pages éparses
récupérées par Schumann pour constituer les Albumblätter,
si elles ne s’intégraient peut-être pas aux recueils en parallèle desquels
elles naquirent, offrent de savoureuses touches, tantôt poétiques, tantôt
espiègles, qu’on aurait tort de négliger : Cédric Pescia s’en fait
l’avocat plein de tact. Les Novelletten nous
ramènent aux problèmes du Carnaval :
la virtuosité est impeccable, fluide, mais chez Pescia, la puissance
homophonique s’avère un peu vulgaire, un peu “paysanne” ; par ailleurs, il
ne prend pas assez le temps de ménager ces temps de repli d’où sourdent comme
des voix antérieures (et pas seulement intérieures !). Il est des enregistrements que l’on
fait trop tôt ; ce jeune homme n’a pas encore atteint le degré d’évolution
grâce auquel il pourra un jour se mesurer aux pianistes exceptionnels qui ont
marqué l’interprétation schumannienne ; que ceux-ci soient possédés
d’intuitions fulgurantes, ou qu’ils s’affirment au prix d’un long itinéraire de
mûrissement, ils ont autant questionné les méandres tourmentés de l’âme du
compositeur que l’instrument afin d’en extraire des solutions idoines.
La captation
a été effectuée à Berlin sur un Steinway new-yorkais de 1901, qui nous rappelle
celui employé par le label allemand MDG.
Egon WELLESZ (1885-1974) : Sommernacht pour voix & ensemble de chambre ; Mouvement pour orchestre de
chambre ; Persisches Ballet ; Suite pour violon & ensemble de
chambre ; Four Songs of return pour soprano & ensemble de chambre ; Ode an die Musik pour baryton &
ensemble de chambre. Christine Whittlesey (soprano),
Adrian Eröd (baryton), Josef Hell
(violon), Ensemble Kontrapunkte, dir. Peter Keuschnig. CPO :
777 575-2.
Le
Viennois Egon Wellesz, parmi les élèves de Schönberg, conserva toujours sa
liberté par rapport au “dogme” ; de surcroît, voué à l’exil par le nazisme,
il mena à Oxford une double carrière de compositeur et de musicologue
spécialiste de la musique byzantine. L’Ensemble Kontrapunkte, dont les
musiciens sont issus des rangs des deux grandes phalanges viennoises, réunit
ici des pièces s’étalant sur quinze années d’avant-exil (1909-1924), puis deux
œuvres vocales tardives (1961 et 1965). Tout n’est pas de la meilleure eau.
Dans Sommernacht, des climats
profonds, teintés d’une influence bien “digérée” de Schönberg, émanent du
complexe de dix instruments, mais la ligne vocale (ici confiée au baryton), la
mise en mélodie du texte, se révèlent sommaires, dénuées d’inspiration
poétique. Est-ce pour cela que Wellesz
ne fit ni jouer ni publier cette pièce, dont le disque constitue la
première posthume ? Le
minuscule Mouvement dodécaphonique,
destiné au cercle de Schönberg, ne connut lui aussi d’exécution que posthume,
et l’on reste sur un sentiment d’inachevé. Le compositeur savait décidément ce qu’il faisait en ne laissant
point paraître n’importe quoi. Bien achevé, mais assez superficiel, est le Ballet qui n’a de persan que le nom et
l’argument. La partition connut plusieurs variantes, et l’on peut penser que la
version plus largement orchestrée draperait plus avantageusement la narration
que l’ascétique dizaine d’instrumentistes ici en action, même s’ils s’efforcent
d’en faire ressortir le limpide entrelacs de lignes. La Suite oscille entre aridité et inclusion de naïves ritournelles,
guère aidée par le son du violoniste qui manque de chaleur.
Le
meilleur du programme nous attend donc à la fin. Est-ce nostalgie de l’exilé ?
Les Four Songs of return s’ancrent
plus clairement dans une esthétique atonale de post-dodécaphonisme ; la
grande réussite tient à la répartition dans l’espace des timbres instrumentaux
qui tissent un maillage aéré et inventif autour de la voix ; ceci dit,
avec le temps, Wellesz n’est pas plus devenu un compositeur “vocal”, et il faut
féliciter Christine Whittlesey d’avoir mis sa vaillance au service d’une partie
éprouvante, écrite comme un instrument parmi les autres. L’Ode de Pindare qui conclut le disque montre le goût du maître pour l’Antiquité, elle est aussi plus
“humaine” pour la voix, et le traitement des timbres tend cette fois à des
couleurs d’essence orchestrale. Le livret nous apporte de précieux éclairages
documentaires, il est l’œuvre de deux responsables du Egon-Wellesz-Fonds bei der Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne.
Rééditions “The Sony Opera House”
On se
lamente lorsque des gravures à juste titre mémorables manquent au catalogue
durant de nombreuses années. L’allégresse nous saisit lorsqu’une opportune
réédition les rend à notre fraîche écoute. Parmi la dizaine d’opéras gagnant la
collection économique sous laquelle la firme japonaise regroupe les anciennes
étiquettes américaines CBS et RCA, nous en avons sélectionné trois rendus à nos
vœux (on s’exprimerait en langage librettistique, à trop fréquenter ce
répertoire !).
En
premier lieu, l’irremplaçable et irremplacée Cendrillon de MASSENET (88697855742, un boîtier de 2 CDs).
Alors que ce délicieux « conte de fées en quatre actes » a été
remonté à ravir par l’Opéra-Comique en mars dernier, on ne pouvait plus
l’entendre au disque ! Or la version enregistrée en 1978 (à l’époque sous
label CBS) demeure une référence quasiment parfaite : Frederica
von Stade est toute de délicatesse mélancolique, d’élan affectif spontané,
de touchante sincérité, et elle affronte avec une maîtrise vocale sans faille
le rôle-titre qui occupe une place ambiguë entre mezzo-soprano et redoutables
aigus de franc soprano ; l’Acte III, qui constitue le grand
moment de l’héroïne, la voit donner toute l’envergure tant humaine que virtuose
de son émouvant personnage. La Fée
de Massenet évolue dans les mêmes sphères de haute altitude (soprano léger
coloratura) que la Reine de la Nuit : Ruth Welting y est aérienne à
souhait. La diction française ne saurait être mieux défendue que par le couple
Jules Bastin (Pandolfe) et Jane Berbié (Madame de la Haltière) :
le baryton suscite l’empathie envers son débonnaire personnage, mari faible
mais père aimant ; Jane Berbié fait presque trop passer le beau chant
avant la caricature dans son rôle d’invivable marâtre : le trio formé par
la prétentieuse dame escortée de ses deux sottes filles constitue un pic du comique sur la scène lyrique et, à
l’Opéra-Comique, la cantatrice polonaise Ewa Podleś, irrésistible du
haut de ses cinquante-neuf printemps, avait pleinement assumé le registre
“bouffe” de sa composition. Quant à l’expérience du chef Julius Rudel dans
l’opéra italien et français, elle n’est plus à vanter : elle soutient le
rythme sans temps morts d’un ouvrage qui brille également par les saveurs de
son orchestration. La seule erreur de cette distribution consiste à avoir transposé le rôle du Prince Charmant
pour un ténor (Nicolaï Gedda) : cette erreur fréquemment commise –
par réalisme ? ce serait le comble dans un conte de fées, par définition
irréaliste ! – méconnaît le clin d’œil que Massenet, tout comme
Richard Strauss, adressait aux siècles passés (le conte de Perrault date
de 1697) en revenant à la pratique des rôles travestis, ce qui déconcerta la
critique de l’époque ; mais imaginerait-on de faire chanter par un homme
l’Octavian du Chevalier à la Rose ?
Massenet a de même créé un exquis Chérubin, qui fut également enregistré par
Frederica von Stade. La production de l’Opéra-Comique avait respecté
l’attribution féminine du rôle, qui se trouve déplorablement alourdi quand on
l’entend par un ténor. Enfin, le Prince Charmant étant le seul personnage
un peu fade de l’ouvrage (ce qui fut critiqué dès la création), ce faux pas
n’entachera guère le plaisir que nous procure par ailleurs une magnifique
distribution.
Don Pasquale (88697856542, un boîtier de 2 CDs venant du
fonds RCA) est le bijou post-rossinien de DONIZETTI. Roberto Abbado
(le neveu de qui vous savez), à la tête de l’Orchestre et du chœur de la Radio
de Münich, sait trouver le juste équilibre entre la verve prenant ses racines
dans une longue tradition d’opera-buffa,
et ce petit quelque chose en plus par lequel Donizetti “actualise“ le naturel
de la déclamation et l’orchestration (la composition date de 1842). Son
expérience rossinienne (c’est de famille, décidément !) le rend pleinement
maître d’étourdissants ensembles comme le trio puis le quatuor terminant
l’Acte II, ou d’un rebond tout en finesse dans les délicieux chœurs de domestiques
de l’Acte III. Renato Bruson, en 1993, était en grande forme
vocale ; mais, ambiguïté du casting, il mena une grande carrière de
baryton-Verdi, alors que Don Pasquale est une basse bouffe : le
rôle fut d’ailleurs créé au Théâtre Italien de Paris par l’illustre
Luigi Lablache face à Antonio Tamburini en Docteur Malatesta ;
ce n’est pas tant le registre que la couleur qui est en cause, même si Don Pasquale
descend une tierce mineure plus bas que Malatesta : après tout, Geraint Evans
chanta le barbon dans la célèbre production de Jean-Pierre Ponnelle, or il
était un Figaro mozartien et un Falstaff. Il en résulte ici que les couleurs
vocales se confondent presque lorsque Renato Bruson dialogue avec l’excellent
Malatesta de Thomas Allen. Eva Mei chante en fine comédienne, malheureusement bridée par son
aigu trop étriqué. Seul Frank Lopardo se montre insipide ; même si le
rôle de ténor n’est pas l’essentiel, la création fut tout de même confiée à
Mario di Candia, un partenaire adulé pour partager l’affiche avec
Giulia Grisi, première Norina, qui deviendra deux ans plus tard son
épouse. Précisons que Roberto Abbado dirige l’édition établie par
Piero Rattalino en 1971 à partir du manuscrit de Donizetti.
Roberto
Abbado, toujours avec les forces munichoises et flanqué d’une fière équipe de
trois chanteurs (Vesselina Kasarova, Ramón Vargas, Eva Mei : c’était
l’époque où les deux premiers enregistraient aussi un mémorable Werther), avait dirigé pour RCA deux
réalisations du plus haut intérêt musicologique : Tancredi de Rossini, dans l’édition critique de Philip Gossett,
avec les deux finali alternatifs, et
l’opéra de BELLINI qui nous revient aujourd’hui, I Capuleti
e i Montecchi (coffret de 3 CDs 88697856522). Celui-ci
connut bien des vicissitudes, dont le présent coffret se fait l’écho : si
le rôle (travesti) de Roméo fut créé par la fameuse Giuditta Grisi (sœur
de Giulia), il fut repris en 1832 par une autre “star”, la Malibran… laquelle
décréta que le finale de l’ouvrage
(plus d’une demi-heure de musique, tout de même !) ne la mettait pas assez
en valeur ; alors, du vivant du compositeur (on n’est pas plus
aimable !), elle y substitua d’autorité le finale d’un autre Giulietta e
Romeo, celui de Vaccai ; l’auteur commun des deux libretti,
Felice Romani, s’en émut lui-même, mais cette incohérente “substitution”
survécut jusqu’au XXe siècle (que voulez-vous, la Malibran, on
s’incline… sans remonter du gosier à la cervelle !). En 1966, un jeune chef milanais nommé
Claudio Abbado (mais oui !) imposa le retour à la partition de Bellini, quoique encore altérée par
l’attribution du rôle de Roméo à un ténor (toujours les raisons de réalisme
scénique : voir ci-dessus Cendrillon),
ce qui dénature les enlacements de voix soprano/mezzo-soprano ou contralto
chéris par Bellini. On peut entendre cette étape “historique” (avec le jeune
Luciano Pavarotti en Tebaldo) sur de vieilles cires “live” à la prise de
son archaïque ! Trente-et-un ans plus tard, les mentalités ayant évolué,
grâce d’ailleurs à l’acharnement de Claudio Abbado, le neveu d’icelui
disposait des moyens pour nous donner un parfait I Capuleti e i Montecchi, avec les deux voix féminines,
cette fois, et, à la partition complète du Sicilien, il ajoutait en bonus (sur
le troisième CD) le finale de
Vaccai afin que nous puissions constater par nous-mêmes que, engoncée dans les
conventions de l’époque, sa musique n’est ni pire ni meilleure qu’une autre.
Cela dit, l’intensité émotionnelle que donne Vesselina Kasarova à la
mort de Roméo chez Bellini accentue le contraste en faveur de l’original plus
dépouillé. Ah, ces traditions de chanteurs ! En contre-exemple, le disque
de bonus nous fait entendre l’air d’entrée de Roméo (Acte I) dans une
réécriture ornée par Rossini : ornementation sobre mais d’une élégance
souveraine ; quand un compositeur plus doué appose sa “patte” sur le
travail parfois inabouti d’un cadet, on doit reconnaître que le résultat
s’envole tant il témoigne d’une
souplesse à la fois plus judicieuse et plus séduisante dans la vocalità.
Dès la
scintillante Sinfonia, on comprend
que Roberto Abbado va instiller la vie à cet ouvrage inégal, coupé de
“tunnels” en récitatif et d’ensembles trop statiques ; pourtant, écoutez
la ligne instrumentale introduisant « Tace
il fragor », c’est déjà du Chopin ! Eva Mei (Juliette) est ici en meilleure forme que dans ses
Norina et autres Violetta, Vesselina Kasarova réussit à vaincre les
difficultés d’un rôle de contralto coloratura à la tessiture très longue auquel
elle apporte son timbre corsé, malgré une prononciation bizarre de
l’italien ; ainsi chanté, le duo Roméo-Juliette de
l’Acte I/scène 2 est un délice. Ramón Vargas donne sa vaillance
verdienne et son grave chaleureux au rôle de Tebaldo, les solistes
instrumentaux jouent à merveille leurs rôles de “partenaires”, les chœurs de la
Radio bavaroise font preuve d’un fondu et d’un phrasé parfaits. Un
document précieux.
Série de rééditions “gourmandes” en Italie (Dynamic, distr.
Codaex) :
Il y a
quelques mois, nous vantions les Quatuors
à cordes de Saint-Saëns importés d’Italie dans une collection qui, pour
souligner son titre Delizie musicali,
orne ses couvertures de “dolci” et “gelati” du dernier kitchissime. Un nouveau
plateau de ces “dolci” nous est parvenu, dont nous avons extrait l’excellent
récital Liszt pour notre rubrique ad hoc. Passons sur des Sonates de Grieg (Dynamic DM8016)
gâchées par le son rêche et enrhumé de la violoniste Natalia
Lomeiko ; pourtant, si la pianiste
Olga Sitkovetsky avait eu quelque lyrisme à soutenir chez sa partenaire, sa
propre interprétation aurait pu faire prévaloir un romantisme cernant bien le
caractère des mouvements. Délices superficiels comme un nuage de crème
Chantilly, les pièces de caractère du violoniste virtuose Antonio Bazzini (1818-1897) nous reviennent sous l’archet de Luigi Alberto Bianchi (DM8018) qui
avait eu l’intelligence de laisser de côté la célébrissime Ronde des lutins pour se
concentrer sur des recueils de 1865 et 1867 ; mais si l’on savoure la
grâce du Conte de Grand’Mère, de La Nymphe des bois ou de Mignonne, la trop longue Sonate manque de consistance pour
soutenir la durée.
En
revanche, un joyau d’interprétation –
injustement demeuré confidentiel – nous manquait cruellement depuis de longues
années : l’œuvre pour piano de
Janáček par Andrea Pestalozza (DM8010). Nul ne sait mieux que ce pianiste italien faire oublier que le piano
a des marteaux, et pourtant, musicien polyvalent, il est aussi...
percussionniste ! Sa passion, les pans négligés du répertoire, a conduit
ce neveu de Claudio Abbado (eh oui ! encore un !) à choisir l’ombre
du dévouement à des causes difficiles plutôt que la gloire d’une carrière de
bateleur d’estrade. Il nous murmure de mélancoliques confidences Sur un sentier herbeux, et distille
d’impalpables atmosphères à faire pleurer des pierres. Puis des lueurs
diffractées percent Dans la brume (traversées d’étranges et fugitifs effets de miroir par lesquels Janáček
invoque Beethoven et Brahms). Enfin, la Sonate
1.X.1905 – commémorant la mort d’un ouvrier de 20 ans au cours d’une
manifestation – tournoie dans ses obsédantes exhalaisons d’une irrémédiable désolation, d’un abandon
dépouillé. Un disque envoûtant, vraiment.
Johannes BRAHMS : Les 3 Sonates pour violon et piano, Scherzo de
la Sonate F-A-E. Arabella Steinbacher (violon), Robert
Kulek (piano). Pentatone
SACD PTC 5186 367 (distr. Codaex).
Ce
disque est un enchantement tant il prend soin de tout ce que les intentions de
Brahms véhiculent : car la douceur
et la tendresse si palpables ici sont inscrites en toutes lettres sur les
partitions (spécialement les 1er et 3e mouvements de la
Sonate n°1, puis les 1er et 2e mouvements de la Sonate
n°2). Le legato très fondu du clavier et de l’archet donne la plus expressive concentration, la plus poignante
intériorité à l’Adagio de la Sonate
n°1, fruit de la douleur face à l’inéluctable disparition de Felix Schumann,
fils de Robert et Clara. On admire chez Robert Kulek l’art de timbrer de beaux p et pp (nuances qui reviennent fréquemment sur ces partitions). L’entente entre les
deux partenaires scelle la réussite de cette interprétation. Cependant, si leur
approche, toute de délicatesse, convient magnifiquement aux
deux
premières Sonates, émanations de Lieder nées de circonstances intimes que le
livret détaille fort bien, la troisième, plus manifestement Sonate de concert,
nous est familière selon des conceptions axées sur la grandeur des éléments
opérant comme des arcs-boutants. Pourtant, Robert Kulek et Arabella Steinbacher
nous rappellent que les contrastes les plus nuancés y prédominent aussi. Et ils
savent se montrer sous un jour plus débridé dans le Scherzo de la Sonate F-A-E.
L’excellente prise de son respecte parfaitement la musicalité des interprètes.
Francesco CILEA : Adriana Lecouvreur. Micaela Carosi (Adrianne Lecouvreur), Marcelo
Álvarez (Maurice, Comte de Saxe), Alfonso Antoniozzi (Michonnet), Marianne Cornetti (la Princesse de Bouillon),
Simone Del Savio (le Prince de Bouillon), Luca Casalin (l’Abbé de Chazeuil).
Orchestre et Chœur du Teatro Regio de Turin, dir. Renato
Palumbo. Dynamic CDS 628/1-2 (2 CDs).
Les
téléspectateurs ayant eu la chance de voir sur Arte le spectacle, proche de la perfection,
filmé en décembre 2010 à Covent Garden par François Roussillon, dans la
splendide mise en scène de David McVicar, avec Jonas Kaufmann, Angela
Gheorghiu, Alessandro Corbelli (un Michonnet idéal de qualité vocale comme
d’émouvante sincérité), Olga Borodina et une pléiade de seconds rôles
irréprochables, sous la baguette dynamique et précise de Mark Elder (on espère
une publication en DVD de cet événement exceptionnel), auront quelque peine à
supporter le présent enregistrement discographique du Teatro Regio de Turin,
montage de trois représentations données en juillet 2009 ! L’orchestre –
si important dans la riche partition de Cilea, un des chefs-d’œuvre parmi les
ouvrages contemporains de Puccini – flotte à vau-l’eau (spécialement dans les
deux premiers actes), mal équilibré du point de vue des dosages comme de la
qualité du jeu. Les seconds rôles, qui
apportent tant de verve au déroulement de la pièce, se tiennent dans une
moyenne... très moyenne. Le timbre trop corsé de Micaela Carosi fait paraître son personnage plus âgé qu’il ne
devrait, et elle charrie les accents des tirades parlées en “gonflant” son
élocution d’une manière insupportablement ampoulée : l’œuvre reposant
(avec quelle admirable finesse !) sur le théâtre dans le théâtre, l’inclusion
de monologues raciniens traduits en italien réclame de la cantatrice chargée du
rôle d’Adrienne Lecouvreur des enchaînements de la voix parlée au chant, ce qui
constitue un défi pourtant nécessaire pour inscrire la tragédie en filigrane du
caractère et du sort de la célèbre actrice ; Raina Kabaïvanska y fut
incomparable. Le grand ténor Marcelo Álvarez, dont l’art de moduler les phrasés
et les intonations à l’intérieur même des courbes générales de la mélodie
constitue généralement un atout magistral, se trouve ici livré à lui-même, ne
sauvant que sa diction à l’impeccable projection : eût-il été dirigé,
quelque chef vigilant l’eût-il inséré avec des nuances dans l’équilibre des
dialogues et des scènes d’ensemble si vivantes, on se serait réjoui que l’enregistrement
nous conservât son interprétation. Seule Marianne Cornetti tire son épingle du
jeu dans un rôle dont on comprend qu’il ait attiré les grands contraltos russes
(Elena Obraztsova ou Olga Borodina).
CHOPIN : Les 4 Ballades ; Andante spianato et Grande Polonaise ; Nocturnes n°2 et 13.
Jean-Marc Luisada. RCA Red Seal : 88697872132.
Jean-Marc
Luisada n’est pas un-pianiste-qui-joue-Chopin (qu’importerait un de plus ou de
moins, dans la masse !), il se situe comme l’un des plus profonds “spécialistes”
d’un compositeur dont il scrute inlassablement l’âme et la musique depuis un
quart de siècle. Remettant sans cesse sur le métier ses fertiles acquis
(souvenons-nous des Mazurkas parues
l’an dernier chez RCA), il se hisse à des accomplissements d’une vérité humaine
désormais bouleversante. Tout est dit dès la page initiale de la 1re Ballade :
une mélancolie poignante nous saisit, et elle instillera ses effluences sous
cette teinte de vaghezza (le mot
figure sur la partition, il est intraduisible et inclut en italien un double
caractère de grâce et de fottante indétermination) caractéristique de la
nostalgie chopinienne ; le con fuoco final découle de cette mélancolie, il en est comme l’exaspération qui ne
parviendrait plus à se contenir. Le sotto
voce du premier thème de la Ballade n°2 s’exprime avec une délicatesse
infiniment sensible ; la rage du Presto
con fuoco n’en éclate que plus noblement, propulsée par des basses
profondes ; et avec quel mystère le murmure du bercement initial ne
l’interrompt-il pas à la fin de l’œuvre ! La grazia de la 3e Ballade n’est jamais futile ni
superficielle : on sent Chopin toujours prompt à s’évader vers son monde
intérieur, que Jean-Marc Luisada a fait sien ; certaine houle frappant par
en-dessous la basse, comme en acciaccature,
gronde même d’un ton franchement inquiétant. Après quoi, la douceur de la 4e Ballade
semble émaner de sphères lointaines et ne jamais consentir tout à fait à se
poser sur notre globe, ou alors pour s’en dégager d’un mouvement brusque.
Coloration et suggestion impressionnistes imprègnent l’Andante spianato que l’on n’avait jamais entendu si précurseur de
la fluidité debussyste ; puis la Grande
Polonaise est véritablement “orchestrée”... mieux que ne sut le faire
Chopin lui-même dans sa version accompagnée qui n’apporte guère de
“plus-value” : Jean-Marc Luisada administre ici la preuve que les deux
mains d’un pianiste observateur suffisent à restituer les multiples plans et
arrière-plans de l’œuvre. Les deux Nocturnes qui complètent le programme s’inscrivent au nombre des moments
d’anthologie : une sonorité comme en suspension nous captive d’emblée dans
l’op. 9 n°2 en mib majeur, et
l’écoute partition en main nous rappelle que Jean-Marc Luisada s’est depuis
longtemps livré à une étude minutieuse des meilleures sources et éditions
relatives à Chopin ; celui-ci notait une infinité de micro-détails de
phrasé, d’accents, de nuances, dont on entend ici l’observation attentive
donner vie aux inflexions les plus subtiles au sein de l’arc poétique. Du célèbre
op. 48 n°1 en ut mineur,
Jean-Marc Luisada décide de retenir l’unité s’inscrivant sous le tempo Lento puis Poco più lento des deux tiers de la pièce: en ressort le côté
inexorable dans la concentration intérieure, que rien ne doit venir fracturer,
pas même les orageuses vagues chromatiques au crescendo très progressif (comme
indiqué sur la partition !). Un enregistrement (réalisé au Japon sur un
piano Yamaha) qui s’inscrit au sommet de la discographie chopinienne.
TCHAÏKOVSKY : Symphonie n°6.Gürzenich-Orchester Köln, dir. Dmitrij Kitajenko. OEHMS
(SACD) : OC666.
On aime
par moments faire le point sur l’évolution des orchestres, et l’on découvre une
pépite. L’Orchestre du Gürzenich a connu des heures glorieuses, spécialement
les trois décennies du directorat de Günter Wand. Ces dernières années, le chef
ukrainien Dmitrij Kitajenko a développé des liens privilégiés avec l’orchestre
de Cologne et entreprend une intégrale des Symphonies de Tchaïkovsky dont ce disque constitue le deuxième volume. Une “Pathétique”
de plus ? Non, mieux que cela, une incitation à relire attentivement la
partition. On est pris d’emblée par le climat venu de très, très loin dont
sourd l’Adagio initial. Tout au long
de l’immense premier mouvement, le travail des nuances se maitient à un niveau
de qualité timbrique admirable. Imagine-t-on combien de couleurs de p et de pp se succèdent dans ce premier mouvement ? En suivant la
minutieuse – mais sensible – vigilance que Kitajenko accorde aux moindres
nuances, si vivantes, si palpitantes, écrites sur la partition, il nous semble
être conviés à la reconsidérer, dépouillée de tout le fatras des facilités d’un
pathos conventionnel. L’arc dynamique de la Symphonie entière couvre toutes les
gradations du pppppp jusqu’au sempre fff, et il est bien
agréable de l’entendre fidèlement restitué tel qu’il est écrit !
Félicitons au passage l’équipe technique qui a soigné cette captation en SACD.
Du coup, la sincérité des climats engendrés par cette interprétation nous
émeut. La qualité des cordes de l’Orchestre du Gürzenich reste son meilleur
atout (écoutez le moelleux du chant des violoncelles ouvrant l’Allegro con grazia). Tout juste
pourrait-on reprocher aux bois de ne pas avoir toute la scintillante légèreté
souhaitable (1er et 3e mouvements), en somme de ne pas
être assez “mendelssohniens”. La même attention aux détails gouverne le Finale qui, retournant à la poignante
désolation dans les dernières pages, boucle la boucle du climat dont naissait
le premier mouvement. Un seul regret : une ouverture de concert aurait pu
compléter le minutage un peu chiche.
Manfred faisait
l’objet du premier volume de ce cycle tchaïkovskien (SACD OC 665) :
symphonie à programme librement inspirée de Byron, l’œuvre a toujours souffert
d’une ambiguïté (dont Tchaïkovsky était conscient) entre cadre symphonique trop
étiré et poème dramatique contraint d’entrer dans ce cadre inadapté. La
faiblesse de l’œuvre réside dans le statisme de certaines pages où l’on sent
combien Tchaïkovsky ne sait pas lui-même où il veut aller. Alors, comment
l’interprète peut-il sauver ce qui mérite de l’être ? Dmitrij Kitajenko
s’y emploie par des couleurs très différenciées, clairement définies, conférant
par conséquent une vie "psychologique" aux voix qui circulent dans la
texture. L’atmosphère sombre du Lento
lugubre mène à une évocation féminine d’une soyeuse tendresse, avant que le
premier mouvement ne s’élève à une grandeur mythique dans la péroraison. En
revanche, nul talent ne peut empêcher que les deux mouvements intermédiaires ne
souffrent de longueurs non inspirées. La Bacchanale est elle aussi trop longue,
mais ainsi fouettée d’attaques précises, de traits cinglants, elle réveille
notre intérêt. On attend avec impatience les futurs volumes de ce qui s’annonce
comme une intégrale ravivant les couleurs et les moindres ciselures de ces
partitions célèbres.
Edvard GRIEG : 17 Pièces lyriques ; Suite "Au temps de Holberg". Edda Erlendsdóttir (piano). ERMA : 200.003 (distr. Intégral).
Edda
Erlendsdóttir mène – par tempérament – une carrière discrète, mais les
pianistes et les amateurs de piano savent qu’elle est une nature de musicienne
parmi les plus authentiques que l’on puisse trouver. Lors de la soirée
organisée au Châtelet par le distributeur Intégral le 9 juin 2011 (au passage,
félicitons-nous que le producteur-organisateur de ces soirées se soit enfin
rallié à un piano Steingraeber !), la pianiste islandaise (installée
depuis longtemps en France) avait donné une interprétation non conventionnelle
des trois Klavierstücke D. 946 de
Schubert, où le dévoilement des strates d’une psychologie profonde nous
entraînait vers les interrogations dramatiques du compositeur au soir de sa
vie. Puis elle avait sélectionné dix de ses pièces préférées parmi les pages de
Grieg gravées sur le présent disque. Celui-ci, enregistré en 1993 mais remis
sur le marché grâce à Intégral, propose, dans l’ordre chronologique, une anthologie de Pièces lyriques choisies parmi les
nombreux recueils, de l’op. 12 à l’op. 71. L’écriture simple et spontanée de
ces miniatures démasquerait toute affectation : or la vérité humaine avec
laquelle Edda Erlendsdóttir épouse les musiques élues par son cœur, constitue
le meilleur appel au partage. La pureté du son jeu, aussi cristalline et
translucide que l’eau des fjords, transporte aussitôt notre imagination parmi
les évocations d’une nature préservée, qu’il s’agisse du volettement d’un Papillon ou du gazouillis de l’Oisillon, de la tendre délicatesse de l’Élégie ou du Notturno, de l’atmosphère tantôt aérienne, tantôt orageuse du Scherzo, de la ronde espiègle d’un Lutin, ou des Sons de cloches qui traversent les distances et de mélancoliques
brumes. Ainsi voudrait-on que les Jours
écoulés ne prennent jamais fin. En complément, la très néo-classique Suite "Au temps de Holberg" (hommage à un auteur dramatique du XVIIe siècle), que l’on connaît
plutôt dans sa version orchestrée pour cordes, retrouve les habits pianistiques
de sa première rédaction.
Ce
disque est un enchantement ; lors des soirées d’automne ou d’hiver, il
dissipera la grisaille de nos villes et baignera de fraîcheur vos rêveries.
Carl-Maria von WEBER : Sonate n°1 ; attr. à Weber : Les
Adieux. J. L. DUSSEK : Tableau “Marie-Antoinette”, Sonate op. 61 “Élégie harmonique sur la
mort de Louis Ferdinand”. Lisa Yui. Intégral : INT
221.182.
Lors de
la même soirée du label Intégral au Châtelet où, en première partie, Edda
Erlendsdóttir présentait les Grieg ci-dessus recensés, Lisa Yui donnait une
partie du programme de ce disque. Il est toujours révélateur, lors de telles
soirées, d’entendre un même piano changer radicalement de couleur selon les
instrumentistes qui se succèdent au clavier. Que l’on n’attende pas de Lisa Yui
les profondeurs humaines mûrement pensées d’une Edda Erlendsdóttir. L’artiste
japonaise, évoluant entre le Canada anglophone et les États-Unis, apparaît
comme intelligente et cultivée, mais fort extérieure (que donnerait, au filtre
de son interprétation, l’opus 111 de Beethoven, on demande à voir… ou plutôt à
entendre). Le disque, à franchement parler, en offre une image plus gratifiante
que le concert, impitoyable vérité que l’on ne rattrape pas. Lors de la soirée,
Lisa Yui s’adressait au public pour le guider vers chaque pièce (la 1re Sonate de Weber, le Tableau Marie-Antoinette de Dussek, et
les Réminiscences de Norma de Liszt)
avec une pertinence que l’on retrouve dans le livret qu’elle a ici rédigé (mais
la version française montre de la part
du traducteur une certaine méconnaissance des sujets abordés !). Son jeu,
tout de grâce superficielle, “reconstitue” élégamment les sentiments que
l’expressivité de cette époque voulait représenter. L’esprit fort enlevé des
thèmes wébériens ainsi que les plages de mystère lyrique sont rendus par de
jolis doigts dans l’ample 1re Sonate de Weber. “Les Adieux”, quoique
d’attribution douteuse (ils pourraient être sortis de la plume de K. G.
Reissiger, dit-on), méritent d’être écoutés. Le cœur du disque réside dans deux
œuvres “mortuaires” de Jan Ladislav Dussek, que l’on connaissait au pianoforte
par Andreas Staier : Lisa Yui les restitue habilement sur un piano moderne
(et même hypermoderne puisqu’elle a enregistré sur le tout nouveau Yamaha CFX).
Le Tableau “Marie-Antoinette”,
“musique à programme”, consiste en dix brefs épisodes peignant les derniers
moments et l’exécution de la Reine, y compris la chute du couperet de la
guillotine suivie de celle du royal chef décollé jusqu’au panier. On avait vu,
au fil du XVIIIe siècle, une tendance à la musique instrumentale
descriptive se faire jour, préparant un peu naïvement la géniale éclosion du
poème symphonique au siècle suivant. C’est dans l’Élégie, sorte de déploration composée en 1806 sur la mort du prince
Louis Ferdinand de Prusse (et non de Russie, comme l’écrit le traducteur, qui
n’en est pas à cela près !), que l’interprète livre l’expression la plus
“sentie”. Malgré une prise de son
légèrement mate, un peu courte de résonance (aïe, les premiers accords de
Weber !), on prendra plaisir à découvrir un programme intelligemment conçu
qui apporte une contribution bienvenue à la connaissance de cette
époque-charnière. Le mot « intelligent » est décidément celui que
l’esprit associe spontanément aux activités et au jeu de Lisa Yui, mais
l’intelligence – sans l’inspiration – suffit-elle à l’art ?...
Erich
Wolfgang KORNGOLD : Symphonie op.40. Tänzchen im alten Stil.Helsinki
Philharmonic Orchestra, dir. John Storgårds. Ondine : ODE
1182-2.
La
fluviale Symphonie (53 minutes !)
appartient à la période américaine de Korngold, ex-enfant prodige du creuset
viennois, et, tout comme pour George Antheil, il n’est pas rare de lire
des commentaires avançant que la pratique (alimentaire) de la musique de film
aurait infléchi le style tardif de ces auteurs vers un lyrisme quelque peu
“glamourous”. C’est un jugement
expéditif, mais il appartient aux interprètes de se défier d’une dualité
possible dans le matériau : pour rétablir la vérité, écoutez avec
impartialité les expositions thématiques comme les développements, et vous
constaterez qu’à chaque fois, des angles dissonnants, des déviations
impromptues viennent contrecarrer les assises tonales avec une habileté
consommée. Ainsi naît un dynamisme extraordinaire dans le cheminement des
éléments, secondé par une orchestration d’une virtuosité ébouriffante. Le
Finlandais John Storgårds, ex-violoniste devenu chef d’orchestre, met une
intelligence pénétrante à souligner les arêtes, les aspérités (car Korngold n’a
rien abandonné de son modernisme) autant que la puissance des contrastes
dramatiques et la prestesse des changements d’atmosphère qui rappellent
l’expérience du compositeur d’opéras.
On se laisse emporter par les quatre vastes mouvements sans que les saveurs,
tantôt capiteuses, tantôt acidulées, ne risquent de virer au sirop, et c’est
tant mieux ! Cette interprétation touche juste, et l’on y retournera comme
à une référence. Plus anecdotique, le complément de programme est une partition
de jeunesse (Tänzchen im alten Stil : petite danse dans le style
ancien) que l’on croyait perdue et dont John Storgårds dirigea la
“résurrection” en 2007.
Amilcare PONCHIELLI : Fantaisie sur des thèmes de La Traviata
pour trompette & orchestre ; Concertos pour trompette op. 123 et
op. 198 ; Concerto pour
euphonium op. 155 ; Gran
Capriccio pour hautbois (orch. de Wolfgang Hohensee).Giuliano Sommerhalder
(trompette), Roland Fröscher (euphonium), Simone Sommerhalder
(hautbois), Mecklenburgische Staatskapelle Schwerin, dir. Matthias Foremny.
MDG (SACD) : 901 1642-6 (distr. Codaex).
Cette
compilation est un hommage de la famille Sommerhalder aux années de misère de
Ponchielli, avant que celui-ci n’atteigne la célébrité avec son opéra La Gioconda et la reconnaissance
avec sa classe de composition au Conservatoire de Milan où il forma notamment
Puccini et Mascagni. Le trompettiste suisse Max Sommerhalder (également
auteur du livret qui nous initie au contexte historique et organologique),
professeur au Conservatoire de Detmold depuis 1985, s’est intéressé aux piles
de musique par lesquelles le malheureux Ponchielli alimentait les orchestres
d’harmonie de sa région natale de Crémone (« Vilain travail, la musique
d’harmonie ! Comme labourer une terre sans pluie », se lamentait-il).
Toujours est-il que ces partitions révèlent la présence de solistes
exceptionnellement doués puisque des concertos très virtuoses en émergent.
Alors, Max Sommerhalder a orchestré pour orchestre “normal” plusieurs de
ces concertos ou fantaisies et les a confiés à son fils Giuliano, admirable
héritier qui devient cette année (à 26 ans !) trompettiste solo de
l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, et à Roland Fröscher, un
spécialiste de l’euphonium (instrument apparenté au saxhorn et breveté en 1844)
et autres instruments à vent historiques. Et pour n’oublier personne dans la
tribu (même le chef d’orchestre est un de ses anciens élèves de trompette), une
orchestration du Gran Capriccio pour hautbois & piano permet de faire entendre l’autre fils,
Simone Sommerhalder (24 ans), qui a déjà retenu l’attention, depuis
des années, de Claudio Abbado, Lorin Maazel et autres sommités. L’intérêt
de ces musiques est purement anecdotique, l’imprévisibilité y est égale à zéro,
mais elles nous renseignent sur les pratiques du temps et l’on écoute avec
admiration des solistes instrumentaux pratiquer le bel canto, le colorature et autres cadenze car (on ne se
refait pas !) l’esprit de l’opéra irrigue toute musique dans l’Italie de
cette époque ! La perfection du legato nuancé des trois jeunes virtuoses
nous laisse… je n’ose écrire “le souffle coupé” car le leur semble inépuisable !
Richard WAGNER : Die Walküre (Les Adieux de Wotan, Acte III), Die Meistersinger von Nürnberg (extraits des Actes II et III), Lohengrin (extrait de l’Acte I), Parsifal (extrait de l’Acte III), Tannhäuser (Romance à l’étoile, Acte III). René Pape (basse), avec le concours de Plácido Domingo (Parsifal). Chœur du
Staatsoper unter den Linden, Staatskapelle de Berlin, dir. Daniel Barenboim. DGG : 4776617.
Qui n’a
été ému par René Pape chantant le Roi Marke, dont il est devenu ces dernières
années l’incarnation la plus humaine qui se puisse entendre ? Dans le
présent récital, on chemine avec lui sur d’autres versants du répertoire
wagnerien. Il force quelque peu sa nature en endossant le rôle de Wotan :
en effet, René Pape est toujours plus convaincant dans la tendresse et la
compassion, et il n’a guère l’autorité “olympienne”. Il “dit” son monologue des Adieux de Wotan dans un caractère de
chaude intimité ; or on attendrait d’un dieu – même pétri d’imperfections
humaines !- de la majesté en sus de l’émotion du père. De surcroît, la
part du registre plus barytonnant dans laquelle s’aventure Wotan l’expose à des
tensions : dès qu’il monte, la puissance lui fait défaut, à moins qu’il ne
tire sur ses limites. On doit par ailleurs subir les lourdeurs coutumières de
Daniel Barenboim : écoutez la lenteur consternante du feu qui monte
autour du rocher de la Walkyrie endormie, il ne crépite pas ! À ce
rythme-là, il ne risquerait même pas de griller votre andouillette sur le
barbecue !
Ceci
dit, la qualité de velours du timbre de René Pape se double d’une sûreté
d’émission devenue – hélas ! – bien rare de nos jours chez les basses. La
déclamation de son Hans Sachs sonne “vrai” ; pourtant, on bute encore
sur ses limites dès qu’il doit donner de la puissance dans l’aigu (de même dans
le rôle du Roi Henri de Lohengrin).
Mais pourquoi a-t-il fallu qu’en supplément, il chantât – pas très juste – la
brève intervention du veilleur de nuit ? La “romance à l’étoile” de
Wolfram constitue un des moments les plus émouvants de ce récital, avec une conduite
du legato exceptionnelle. L’humanité et la compassion sont les vertus que communique
au mieux le chant de René Pape, disions-nous : ne nous étonnons pas,
alors, que l’incarnation la plus idéale de ce programme soit celle de
Gurnemanz, d’autant que la tessiture et la couleur du rôle lui correspondent
exactement. Mais le Plácido Domingo de 2010 fut bien imprudent d’accepter
de lui donner la réplique : lui qui fut un Parsifal si vaillant et
lumineux au temps de sa splendeur donne aujourd’hui une image pitoyable de
lui-même…
“Colours
of the French horn” : Œuvres de Richard Strauss (Andante pour cor & piano), Robert Schumann
(Trois romances op. 94, Adagio e Allegro op. 70), Gioacchino Rossini
(Prélude, Thème et Variations en mi majeur), Jean Françaix (Divertimento pour cor & piano),
Poulenc (Élégie “in memoriam Dennis Brain”),
Volker David Kirchner (Tre Poemi).
Szabolcs Zempléni (cor), Péter Nagy (piano). OEHMS : OC 789
(distr. Codaex).
Qu’on ne
s’y trompe pas : en anglais, “French horn” désigne simplement le cor à
pistons (d’ailleurs breveté par des Allemands !), mais ce récital de deux
artistes hongrois nous convie à un parcours européen. Le corniste
Szabolcs Zempléni avait 29 ans lorsqu’il grava le présent disque et
on remarque déjà son noble legato, même si, dans Schumann, son interprétation
ne rivalise pas encore avec la fameuse corniste allemande Marie Luise
Neunecker. Si le programme s’ouvre avec une petite pièce offerte par
Richard Strauss à son corniste de père pour fêter ses noces d’argent, les
sommets sont à chercher ailleurs, dans le versant souriant tout d’abord :
il est piquant d’entendre un corniste faire dans Rossini ce qu’il faut bien
appeler des vocalises, et l’optimisme ne se relâche pas au fil du Divertimento de Jean Françaix qui
gambade avec une saine joie de vivre. Puis le versant sombre laisse une forte
impression : les deux interprètes accentuent les angles dissonants dans l’Élégie de Poulenc, suivant l’esprit
d’une esthétique post-stravinskyenne, et on leur donne raison de mettre en
avant le caractère funèbre de cet hommage au corniste Dennis Brain (mort
dans un accident de voiture) plutôt que l’amabilité française. La captation
microphonique restitue bien les effets de résonance sympathique provoqués par
le cor jouant au-dessus des cordes du piano dans le Lamento des Tre Poemi de Volker David Kirchner (compositeur allemand né en 1942, qui fut élève
de Bernd Alois Zimmermann) : ces pièces au puissant climat dramatique
s’inspirent des Sonette an Orpheus de Rainer Maria Rilke, le profond Lamento est suivi d’une Danza de caractère
opiniâtre et de La Gondola funebre (sans rapport avec Liszt !) qui exhale un long thrène. Une découverte que
l’on recommande assurément.
Jeanne DEMESSIEUX : Te Deum, Prélude et Fugue en ut, Répons pour le Temps de Pâques,
7 des Douze Chorals-Préludes, Études n° 5 et 6. Hampus LINDWALL : Improvisation sur le nom de Jeanne Demessieux. Hampus Lindwall sur les orgues de
La Madeleine et de l’Église du Saint-Esprit. Ligia : 0109228-11.
Le
brillant virtuose suédois Hampus Lindwall inaugure sa carrière discographique
par un hommage à l’une des grandes figures disparues de l’école
française : Jeanne Demessieux (1921- 1968). Le destin a voulu que
Hampus Lindwall, installé en France pour recueillir l’enseignement de Rolande Falcinelli,
soit nommé titulaire de l’un des deux orgues parisiens qu’a tenus
Jeanne Demessieux, le Gloton-Debierre de l’Église du Saint-Esprit. Il a d’ailleurs enregistré son programme sur
l’autre orgue dont elle fut la titulaire, le grand Cavaillé-Coll de
la Madeleine (agrandi et électrifié par Roethinger, Gonzalez &
Dargassies) et, en complément de programme, il a “bissé” trois des mêmes pièces
sur le petit instrument du Saint-Esprit pour en faire entendre les
possibilités : Hampus Lindwall a toujours été fort habile pour faire
sonner les 16 jeux du Gloton-Debierre comme s’ils étaient au nombre de
trente. Mais revenons à l’essentiel : comment un jeune interprète, par
ailleurs très féru de musique ultra-contemporaine, allait-il vaincre ce qui
demeure la faiblesse de Jeanne Demessieux, à savoir un langage qui ne
décolle pas souvent des conventions de la musique d’orgue du temps (or le
“temps” de l’orgue a généralement un demi-siècle de retard – voire plus –
sur l’évolution du reste de la musique !) ? Dans la notice, Hampus Lindwall explique s’être basé sur un
commun amour du jazz l’unissant à la compositrice pour trouver un biais ;
rassurez-vous, il n’a certes pas fait swinguer les hymnes et autres prélude et
fugue, mais écoutez bien son interprétation du chef-d’œuvre de la musicienne,
le fameux Te Deum : il en
axe l’impact sur le poids rythmique, ce qui s’avère une féconde idée car il
fallait trouver un subterfuge pour donner de la densité à une musique qui n’en
a pas toujours. Il réitère l’initiative dans le Répons pour le Temps de Pâques, traversé d’un saisissant écho de la
musique de Marcel Dupré. La souplesse soyeuse de son rubato fait ressortir
par ailleurs l’élégance – autant harmonique que mélodique – du Prélude en ut de l’op. 13. Les Chorals-Préludes op. 7 sont
irrémédiablement de la musique liturgique, et quelques-uns auraient pu être
évités au profit d’une ou deux Études de plus ; Hampus Lindwall les joue néanmoins avec chaleur et les
enveloppe dans les fonds les plus ronds des ces beaux instruments. Pour un
instrumentiste de sa trempe, les fameuses Études,
considérées comme l’un des sommets mythiques de la virtuosité à l’orgue, sont une promenade de santé (il en a vu
d’autres !), et il joue avec allégresse l’Étude en notes répétées, avant de monter à l’assaut (victorieux,
bien sûr!) de l’Étude en octaves,
avalanche de traits manuels et pédestres “avalée” avec autant de panache que de
spectaculaire autorité. Toutes les registrations sont pensées avec une justesse
expressive idéale. Pour conclure son hommage, Hampus Lindwall, inspiré par
le nom de la compositrice, nous donne une improvisation fluide et piquante, qui
s’étourdit vers l’exubérance rythmique.
La prise
de son d’Éric Baratin ne mérite que des éloges, d’autant que l’orgue de la
Madeleine n’est pas facile à capter avec toute la définition souhaitable.
Sylviane
Falcinelli.
Heinrich SCHÜTZ : Weihnachtshistorie. Berlin Classics : 0016232 BC. TT : 60’.
Heinrich Schütz (1585-1672), « père de la
musique protestante allemande », l’un des « 3 S » - à côté
de J. H. Schein et S. Scheidt -, a vécu les affres de la guerre
de Trente Ans (1618-1648). La Lautten Compagney et son
complément vocal, la Capella Angelica comptent parmi les ardents
défenseurs de H. Schütz et de D. Buxtehude. Elles s’imposent
par leurs timbres et leur traduction si fidèle des images et des idées du
texte. L’Histoire de Noël (Weihnachtshistorie) - en fait,
l’histoire de la naissance de Jésus, médiateur et Sauveur… - se rattache à la
tradition des Histoires bibliques, relatées ici par l’Évangéliste
Christoph Prégardien, avec solistes et intermèdes instrumentaux et
vocaux. Voici une version absolument authentique, placée sous la
direction si avisée de Wolfgang Katschner, permettant de revivre le temps
liturgique de Noël. Ce disque comprend notamment, sur le même thème, la
pièce bien connue : Uns ist ein Kind
geboren (à 3 voix et 3 instruments) de Johann Philipp Krieger
(1649-1725), composée à Weissenfels pour Noël 1697 ; et, en premier
enregistrement mondial : Nun ich
singe ! Gott ich kniee (précédé d’une Symphonia) par un élève de H. Schütz, Johann Theile (1646-1724).
Dietrich Buxtehude (ca 1637-1707)
est représenté par son adaptation du célèbre choral de Ph. Nicolai : Wachet auf, ruft uns die Stimme. Un modèle du genre, devant impérativement figurer dans toute
discothèque de musique religieuse.
Heinrich SCHÜTZ : Musikalische Exequien. Ricercar (stephanie@outhere.com) : RIC 311. TT : 56’55.
Les Musikalische
Exequien ne sont en aucune manière un Requiem selon la liturgie catholique, mais des obsèques en musique (du latin : exequiae ; en allemand : Exequien, avec « n », marque du pluriel). Le
prince Heinrich Posthumus von Reuss (1572-1635) avait tout prévu pour
ses funérailles : thème de la prédication, lectures bibliques, chorals
pour le chant d’assemblée, versets à graver sur son cercueil… (servant
d’illustration à cette publication). L’ensemble Vox luminis comprend
11 pupitres de chanteurs chevronnés, une basse de viole et un orgue
positif (Masato Suzuki, spécialisé dans la musique issue de la
Réforme) ; il est dirigé par Lionel Meunier. Le Concert in Form einer teutschen
Begräbnis-Missa SWV 279, reprend des versets bibliques précédés d’une intonatio à laquelle répondent les
solistes et la Cappella. Il est suivi du motet à deux chœurs : Herr, wenn ich nur dich habe,
SWV 280 et du Cantique de Siméon : Herr, nun lässest du deinen Diener in
Friede fahren, SWV 281. Cette remarquable interprétation
comprend également une sélection de brefs motets, dont le Canticum B. Simeonis SWV 432 & 433 et trois motets sur des
versets bibliques de H. Schütz, ainsi qu’une page d’orgue de
Samuel Scheidt : Wir glauben
all an einen Gott (Credo),
interprétée par Bernard Foccroulle, et la version de
Martin Luther : Mit Fried und
Freud ich fahr dahin, interprétée par le tutti. L’ensemble
Vox luminis s’impose par son paysage vocal exceptionnel et rend un
lumineux hommage à H. Schütz (1585-1672).
J. S. BACH : Inventions. Sinfoniae (BWV 772-801). Prélude et fugue en la mineur (BWV 894), Fugue en si mineur (BWV 951). VDE Gallo (info@vdegallo.ch) : CD 1308. TT : 66’.
Daniel Fuchs est à la fois organiste à Lausanne, professeur de
piano au Conservatoire de Genève, compositeur et improvisateur. Pour
interpréter ces pages de Bach destinées soit au clavicorde, soit au clavecin,
il a retenu le piano Steinway 109 572 qui, comme tous les instruments de
cette marque, bénéficie toujours des soins attentifs d’un technicien-accordeur
(Laurent Rogeboz). Le programme bien connu se veut d’abord comme une
œuvre didactique réservant souvent des traquenards cachés aux jeunes
interprètes. Les 15 Inventions
à 2 voix (BWV 772-786) et les 15 Sinfoniae à 3 voix (BWV 787-801) sont dominées par le souci de la concision et de la
construction solide ; la transparence entre les voix est de rigueur dans
ces « exercices » qui, en fait, sont de petits chefs-d’œuvre
d’écriture qu’un élève ne peut maîtriser d’entrée de jeu. Ce disque est
complété par le Prélude et fugue en la mineur (BWV 894) et la Fugue en si mineur sur un sujet d’Albinoni (BWV 951). Belle
illustration du génie compositionnel de Jean-Sébastien Bach, mais aussi de la
maîtrise et de la musicalité à toute épreuve de Daniel Fuchs.
« France
1789 ». Révolte
en musique d’un sans-culotte & d’un royaliste. Alpha (stephanie@outhere.com) :
810. TT : 61’23.
L’ensemble Les Lunaisiens, créé en 2004 par Arnaud
Marzorati (baryton) et Jean-François Novelli (ténor), a pour objectif de « servir la musique,
et toutes les musiques… mais sous un autre angle, éclairée différemment :
par le biais de l’aspect théâtral… ; par la confrontation de mondes
musicaux différents… ». Ils privilégient la collaboration avec
d’autres ensembles et des rencontres entre musicologues, historiens et
musiciens. L’histoire événementielle est représentée par la Prise de la Bastille (1789), la Délivrance des captifs (1790), la Déclaration des Droits de l’homme (1791), La Guillotine (1792), la Mort de Louis Capet (1793). Le répertoire comprend aussi des hymnes : Hymne à l’hyver (1783), Hymne à l’Être suprême (1794), et, comme
de juste, La Marseillaise (1792)
de Rouget de Lisle et la Contre-Marseillaise,
trois ans après, sur les paroles de l’abbé René-Charles Lusson et
anonyme. Cette réalisation fait appel à deux voix de ténor, au violon,
aux percussions, mais également à des instruments plus rarement utilisés
(flageolet, serpent, piano organisé…). Témoignages d’histoire des
mentalités et d’histoire de France sur laquelle règne un esprit de curiosité et
de découverte : à ne pas manquer, mémoire oblige.
Philippe MANOURY : Inharmonies. Naïve (contact@accentus.fr) : V 5217. TT : 47’.
Laurence Equilbey, chef d’orchestre &
directrice musicale du chœur de chambre Accentus, toujours aussi dynamique
depuis 15 ans, ne recule devant aucune difficulté technique, aucune
esthétique, aucun compositeur... Son talent s’épanouit autant dans la
musique ancienne et classique que dans la musique contemporaine.
Philippe Manoury (°1952), compositeur, après avoir séjourné au Brésil,
revient en France en 1981 où, chercheur à l’Ircam, il se spécialise en
acoustique et en informatique. Il enseigne la composition et la musique
électronique au CNSM de Lyon ; il est également compositeur en résidence à
l’Orchestre national de Paris, puis à la Scène nationale d’Orléans. Son
disque, intitulé : Inharmonies,
frappe par sa curiosité intellectuelle et ses choix de titres : Fragments d’Héraclite (œuvre de
commande), Inharmonies et Slova (commandes d’Accentus), ou encore Trakl Gedichte (poésies de
Georg Trakl), selon lequel « le sens lui-même ne se fixe pas dans la
durée. Si la couleur dominante est celle du bleu nocturne, il s’agit
d’une nuit que les astres ont désertée… ». Sa poésie, particulièrement
tourmentée, préfigure l’Apocalypse (de la Première Guerre mondiale) ; elle
est aussi nostalgique. Il a donc réuni 4 textes, « expression
d’une collectivité ». Inharmonies est composé pour chœur mixte à 24 voix. L’introduction s’élève
des profondeurs. Le compositeur spécule sur l’opposition des timbres, les
contrastes de nuances, la technique vocale bouche fermée, sur tous les
registres. Sous sa plume, paradoxalement, étirements vocaux, sons
« inharmoniques » et dissonances deviennent consonances. Sa
musique est particulièrement impressionnante. L’inégalable
Laurence Equilbey confère à ces pages à la fois relief, étrangeté,
agressivité, énergie et douceur : résultat d’une exceptionnelle somme de
travail vocal en profondeur, avec ses choristes si motivés et qu’elle
galvanise. Il en sera de même des discophiles.
Johann Sebastian BACH : Motetten BWV 225-230. PHI (stephanie@outhere.com) : LPH 002.
TT : 62’42.
Pour son enregistrement des 6 Motets, Philippe Herreweghe - aspirant toujours à plus
d’authenticité - a joué sur les effectifs en fonction du sens de chaque pièce.
Ce disque s’ouvre en feu d’artifice, aux accents de Singet dem Herrn ein neues Lied, à double chœur et avec un
effectif plus important, compte tenu de l’acoustique de la
Jesus-Christus-Kirche à Berlin. Son approche est parfaitement justifiée.
En revanche, pour d’autres pièces, l’excellent chef préconise un nombre moindre
de chanteurs, par exemple pour le si célèbre Jesu, meine Freude, afin d’en traduire toutes les inflexions.
Il a sélectionné des interprètes de tout premier plan et très motivés, toujours
attentifs au phrasé, à la diction et, bien entendu, à la justesse extrême.
Il y a une trentaine d’années, Ph. Herreweghe avait déjà enregistré ces Motets ; avec cette nouvelle
version, les mélomanes se rendront compte combien il a réfléchi à tous les
critères d’interprétation : couleur, doublure colla parte et dynamisme ; ils apprécieront les contrastes de
nuances, la transparence du motet Fürchte
dich nicht, ou encore la force de persuasion du motet Der Geist hilft unser Schwachheit auf. Décidément, le
Collegium vocale Gent a atteint un sommet pour rendre le message de Bach encore
plus saisissant.
Andelko IGREC : Kyrie. Aulos/Glas Koncila : GV 0141. TT : 60’40.
Andelko Igrec (°1968) s’est affirmé comme un musicien croate très
marqué par la religion catholique et par les jésuites. Il exploite non
seulement les sources bibliques et grégoriennes, mais encore les textes de
saint Thomas d’Aquin et du Symbole de
Nicée-Constantinople… Il accorde la priorité au verbe. Trois œuvres
remontent au temps de ses études à Vienne, et la quatrième, Adoro
te, à son retour en Croatie. Dans sa Kyrie-Litanie (Vienne, 1995), il évoque la Transfiguration de Jésus
et l’annonce de sa Passion. Ses 5 Kraljevski
Psalmi — Psaumes royaux (extraits
des Ps. 57, 100, 29, 45, 136) —
(Vienne, 1996), dont deux invitent à la danse et à la louange, sont, tour à
tour, de caractère jubilatoire et majestueux (participation de l’orgue).
En 1999, il a écrit Adoro te à Varazdin,
pour voix de femmes a cappella, dans le sillage de la tradition du motet,
toutefois dans le langage du XXe siècle. Cette pièce s’impose
par son caractère méditatif et son expressivité. Enfin, sa Becka Misa (Messe de Vienne), composée en 1994, œuvre de commande du Collège
croate de cette ville, repose sur la paraphrase de l’Ordinaire de la Messe
réalisée par le Jésuite Ivan Matic. L’atmosphère solennelle alterne avec
l’élan, la joie et l’extase admirablement recréés par le Chorus angelicus
et le Collegium pro Musica sacra, et enregistré dans le cadre somptueux de la
Cathédrale de Varazdin, cité remontant à la fin du XIIe siècle,
intense foyer culturel et économique dès le XVIIe siècle.
Voici une illustration de la piété catholique, non dénuée de résonances
folkloriques croates. À découvrir.
Matthias WECKMAN : Abendmusiken. Zig-Zag Territoires : ZZT 110502. Outhere (stephanie@outhere-music.com). TT : 66’00.
La
tradition des Abendmusiken, à Lubeck, remonte au XVIIe siècle. Ces « Musiques du soir » ont été fondées à Lubeck par
Franz Tunder, poursuivies par M. Weckman - organiste luthérien et
élève de M. Praetorius - et surtout D. Buxtehude qui leur assura une
solide réputation, bien au-delà de la ville hanséatique. Ce disque,
reprenant le titre de l’institution, regroupe plusieurs formes ; Concerts
vocaux, Sonates et Partita. L’ensemble Les Cyclopes (instrumental et
vocal) est dirigé par B. Lapointe (clavecin) et Th. Maeder (orgue).
Le programme comprend une page particulièrement douloureuse : Wie liegt die
Stadt so wüste — d’après les Lamentations de Jérémie —, rendue avec
une grande sensibilité par E. Warnier (soprano) et B. Arnould
(basse). Le Concert vocal : Weine nicht est traité en
dialogue par Matthias Weckman (1616-1674). L’injonction : « Ne pleure
pas » s’appuie sur un fragment de l’Apocalypse auquel
D. Guillon, R. Getchell et B. Arnould restituent son caractère
si poignant. Le
psaume 125(/126) : Wenn der Herr die Gefangenen zu Zion erlösen
wird est traduit avec profondeur. Les pages instrumentales
comprennent deux Sonates a 4 mettant, entre autres, en valeur les
sonorités du cornettino, du trombone et du basson, et la Partita en ré mineur jouée avec une
grande précision par B. Lapointe sur un clavecin proche des instruments de
Ruckers. Enfin, le choral de Pentecôte : Komm, heiliger Geist,
Herre Gott est bien structuré et enlevé avec assurance par Th. Maeder
à l’orgue Arp Schnitger (restauré par J. Ahrend) de l’église
St Ludger à Norden. Cette réalisation exceptionnelle a le mérite de
mieux faire connaître l’œuvre de M. Weckman, mort deux ans après
H. Schütz.
Giovanni GIORGI : Ave
Maria. Ricercar (stephanie@outhere-music.com) : RIC 313. TT : 55’00.
Leonardo
García-Alarcón — avec le Chœur de chambre de Namur, la Cappella Mediterranea
et l’Ensemble instrumental Clematis — a eu raison de lancer
Giovanni Giorgi, musicien italien peu connu, peut-être élève
d’Antonio Lotti. Il a été maître de chapelle à St-Jean de Latran,
puis compositeur et maître de chapelle à la cour de Lisbonne, où il est mort en
1762. Ses compositions, essentiellement religieuses (2-8 voix, parfois
avec doublure instrumentale), annoncent déjà le classicisme naissant sans
renier la polychoralité et l’esthétique madrigalesque. Sa Messe à
2 chœurs, composée pour la Chapelle royale de Lisbonne,
s’impose d’emblée par la plénitude vocale, la ligne mélodique quelque peu ornée
et les entrées successives animant le discours. Les interludes sont
confiés aux vents et aux cordes. Elle se déroule selon le schéma traditionnel.
À remarquer la transparence des voix, par exemple dans le Credo,
l’intériorité du Sanctus, la douceur de l’Agnus Dei. Ce
disque est complété par un Ave Maria a 4 et cinq Offertoires à destination liturgique (Rameaux, Fête de l’Ascension…). Indispensable
dans toute discothèque de fin connaisseur.
Marie, Reine des Anges. Jade (jade@milanmusic.fr) :
699 735-2. TT : 52’07.
Cette anthologie associe les deux traditions
grégorienne et byzantine. Elle s’impose par l’intériorité, le
dépouillement. Son objectif vise le rapprochement entre Orient et Occident.
Pour ce faire, les éditions Jade ont procédé à une compilation et repris des
interprétations de chœurs prestigieux réalisées à Santo Domingo de
Silos ; Sainte Madeleine du Barroux, au Mont Athos ; au
Monastère Sainte-Élisabeth de Minsk (Biélorussie), au Carmel de Pécs (Croatie),
ainsi que du Chœur byzantin de Grèce (dirigé par L. Angelopoulos), et du
Chœur Melodi (avec Divna Ljubojevic), tant appréciés des amateurs de
chant orthodoxe. Le programme comprend, notamment, le cantique Salve Mater Misericordia, l’Ave Maria, O Regina, l’antienne Regina Caeli,
le Magnificat royal et un extrait de
l’hymne acathiste Devant ta grâce
incomparable, poème liturgique typique de l’Église d’Orient proche de la
théologie des conciles de Nicée (IVe siècle) et d’Éphèse (Ve siècle).
Intéressant document pédagogique et historique.
Hommage à Louis Debierre. Bruno Morin. Abbatiale Notre-Dame de
Montvilliers. Dédicaces (217, rue Pierre Mendès-France, 76300
Sotteville-lès-Rouen) : DED 002. CD Diffusion (info@cddiffusion.fr).
TT : 58’ 52.
Bruno Morin rend un vibrant hommage au facteur
d’orgue nantais, Louis Debierre, qui a exercé ses activités entre 1862 et
1911. Conçu avec beaucoup d’ingéniosité, l’orgue de l’abbatiale de
Montvilliers bénéficie des acquisitions du XIXe siècle :
traction électro-pneumatique, accouplements, tuyaux polyphones... Son
esthétique s’apparente à celle de l’orgue symphonique, sans toutefois renier
les principes néoclassiques. L’instrument comprend trois claviers
(56 notes chacun) et pédalier (30 notes), avec accouplements, appels
de jeux de fonds, tuyaux polyphones. L’excellent organiste - soucieux de
valoriser ce remarquable instrument - a, en connaissance de cause, retenu des
pages romantiques : Prélude et Fugue, Choral et Variation « Herzlich tut mich verlangen » de F. Mendelssohn. La Pièce héroïque de C. Franck est rendue en force sur cet
instrument polyvalent qui privilégie aussi les timbres clairs et les registres
plus doux. Il interprète également une Cantilène de J. G. Rheinberger
et le premier mouvement extrait de la 5e Sonate d’A. Guilmant. Curiosités à noter : la Marche hongroise extraite de la Damnation de Faust (H. Berlioz) et le Chœur des pèlerins extrait de Tannhäuser (R. Wagner). Presque une heure de musique pour révéler de façon
convaincante aux amis de l’orgue le Grand Orgue historique de
Louis Debierre (1892).
Édith Weber.
Georg Friedrich HANDEL : Ariodante. Opéra en trois actes.
Livret d’Antonio Salvi. Joyce DiDonato, Karina Gauvin, Marie-Nicole
Lemieux, Topi Lehtipuu, Matthew Brook, Sabina Puértolas, Anicio Zorzi
Guistiniani. Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis. 3CDs
Virgin Classics : 50999 0708442. TT : 69'54 + 63'50 +
59'15.
Inspiré
librement de l'Orlando furioso de l'Arioste, l'opéra Ariodante fut créé en 1735 au théâtre fraîchement ouvert de Covent Garden, alors que
Haendel tentait de résister à la concurrence que lui livrait le nouvel Opéra de
la Noblesse dirigé par Nicolò Porpora. Malgré les forces vocales
réunies, dont le célèbre castrat Carestini, l'extrême faste décoratif déployé,
l'agrément des danses réglées par la ballerine française renommée
Marie Sallé, la pièce ne connut pas le succès, contrairement à celle qui
devait la suivre de peu, Alcina. Le XXe siècle
finissant a réévalué les choses et placé Ariodante au rang des grandes
réalisations opératiques de son auteur. En effet, plus qu'ailleurs,
Haendel y fait montre d'une totale liberté dans la forme qui, si elle
privilégie les arias da capo, propose encore des duos et des chœurs avec
une part d'imprévisibilité étonnante. Témoin de sa faculté de
renouvellement. Une construction musicale savante mêle soli, duos,
morceaux d'ensemble en la forme de ballets et chœurs, notamment lors des finales.
En outre, la puissance théâtrale est tangible qui rend crédible une simple
intrigue amoureuse brouillée un temps par la machination grossière d'un rival
éconduit. La peinture des affetti est aussi finement pensée qu'est
imaginée la virtuosité vocale. Même si cette dernière semble céder le pas
à la dynamique dramatique. Conçus pour des interprètes bien particuliers,
aux moyens immenses, les rôles devaient leur permettre de briller. La
distribution réunie sur le présent disque démontre qu'avec les moyens d'aujourd'hui,
cette vocalité n'a rien perdu de son prestige. Joyce DiDonato orne
le rôle-titre d'une aura grandiose : généreuse dans les vocalises,
imaginative dans les ornements, usant avec un égal bonheur de l'éclat glorieux
comme du pianissimo murmuré. Et la vision provoque cette émotion vraie
qui naît de la sincérité de l'interprétation. Marie-Nicole Lemieux, dans
la partie de l'intrigant Polinesso, affirme la plasticité d'un chant au charme
irrésistible. Le velouté du timbre sombre y est pour beaucoup, même si
une tendance à souligner le registre de la perfidie conduit à une légère
outrance çà et là. Le soprano délicat de Karina Gauvin défend
brillamment la partie de Ginevra, tour à tour enjouée et désespérée, car
celle-ci est la victime du complot ourdi pour faire échouer son union avec le
vassal Ariodante. L'air qui clôt l'acte II atteint le vrai
tragique. La contribution masculine est tout aussi pétrie de conviction,
en particulier le ténor Topi Lehtipuu, d'une merveilleuse souplesse.
Poursuivant patiemment l'exploration de l'œuvre théâtrale de Haendel,
Alan Curtis aborde cette étape sans dogmatisme. Fort de la trentaine
de musiciens de son ensemble, Il Complesso Barocco, il opte pour une
exécution intime qui se signale par son immédiateté ; sentiment que
renforce une prise de son effectuée dans une acoustique mate. Admirable
est, chez ce maître du baroque, l'élasticité du tempo qui se défie des excès de
rapidité autant que de lenteur. L'équilibre inné du discours se nourrit
d'une solide énergie interne. Il s'en dégage une plénitude sonore très
séduisante. Tout comme une couleur instrumentale diaphane dans les
contributions solos et les ambiances nocturnes où perce quelque nostalgie.
Jean-Philippe
RAMEAU : L'orchestre de Louis XV. Suites d'orchestre tirées des Indes Galantes, Naïs, Zoroastre, Les Boréades. Le Concert des Nations, dir. Jordi Savall. 2CDs Alia Vox :
AVSA 9882A+B. TT : 57'05 + 51'03.
Rameau
serait-il le musicien de Louis XV comme Lully fut celui du
Roi Soleil ? Il est, en tout cas, le compositeur emblématique
de cette époque attirée par le renouvellement. Comparé à la rigueur de
celui de Lully, l'orchestre ramiste est empli de liberté, de légèreté, de
fantaisie. On a parlé, à cet égard, d'esthétique « rocaille »
en musique. La danse y tient une place de choix, comme le montrent les
suites symphoniques tirées de ses œuvres lyriques. Tout l'art novateur de
Rameau s'y dévoile. Car ce qu'on appelle les
« ballets figurés » ont vocation à dépasser le statut de
divertissements purement décoratifs pour assurer la fonction dramatique de
faire progresser l'action. Au point que l'écriture instrumentale le
dispute à la partie vocale dans des morceaux appelés Airs. Le faste et
l'agrément rivalisent avec les effets de discontinuité, voire de surprise,
comme l'inclusion de dialogues entre deux instruments solistes. L'art de
la danse connaît à cette époque une évolution notable grâce à des interprètes
prestigieux : Louis Dupré, tenant de la « belle danse »
extrêmement raffinée, Marie Sallé dont le style convoque une plus grande
expression dramatique et Marie-Anne de Camargo qui prône la virtuosité et
une haute technicité. Rameau puisera auprès d'eux matière à diversifier
ses intermèdes dansés et fera même évoluer le genre ; ce que démontrent
les quatre Suites figurant sur ce disque. Depuis Les Indes Galantes (1735), opéra-ballet, jusqu'aux Boréades (1764), sa dernière œuvre pour
la scène, en passant par Naïs (1748), pastorale héroïque, et la tragédie
lyrique Zoroastre (1749), c'est foison de climats toujours
séduisants. Et ce, grâce au renouvellement du langage harmonique et
surtout à la place nouvelle assignée aux vents qui acquièrent leur autonomie
par rapport aux cordes. Jordi Savall, ardent défenseur de la musique
française de l'ère baroque, saisit comme peu la densité de cet idiome et sa
charge de vigoureuse force physique. La manière est extrêmement
volontaire : cadences imaginatives dans leurs constantes métamorphoses,
articulation incisive des figures rythmiques répétées, ponctuations étudiées
(coups d'archets secs), subtiles variations d'intensité au sein d'une même
danse. Savall n'hésite pas à booster le tempo pour donner au discours
toute sa vivacité, lui conférant une vitalité contagieuse (l'Ouverture de Naïs,
avec ses cordes rageuses). Tout aussi passionnant est le travail
d'instrumentation, les bassons en particulier ou encore ces musettes de cour à
la sonorité rustique. Ces fines peintures musicales n'en finissent pas de
fasciner : des entrées enchanteresses (2e Air pour les
Zéphyrs des Indes Galantes, quasi hypnotique, Gavottes I &
II des Boréades) aux pantomimes endiablées (Tambourins de Naïs) ;
sans oublier les morceaux de vastes proportions (Chaconne des Indes,
contredanse des Boréades) lestés de refrains revenant en boucle, sorte
de « tubes » à l'effet quasi entêtant. Avec Les Boréades,
l'orchestre s'enrichit de cors et le discours se truffe d'épisodes
insolites. Ainsi de l'entracte intitulé « Les Vents » qui
instaure « une sorte de climat instable et effrayant par le biais d'une
écriture quasi frénétique » (Sylvie Bouissou). L'ensemble
du Concert des Nations est d'une qualité instrumentale hors pair, mise en
valeur par un enregistrement d'une rare présence.
Joseph
HAYDN : Les Saisons. Oratorio en quatre parties. Livret du
baron Gottfried van Swieten, d'après le poème de James Thomson. Miah Persson, Jeremy Ovenden,
Andrew Foster-Williams. London Symphony Chorus. London Symphony
Orchestra, dir. Sir Colin Davis. 2CDs LSO/Live :
LSO0708. TT : 65'18 + 63'17.
Tel un
pendant à La Création, l'oratorio Les Saisons (1802)
privilégie la description de la nature, une nature idéalisée dans laquelle
l'Homme tient une place de choix. On a pu dire que si dans le premier on
progresse de Dieu vers l'Homme, le cheminement est inverse dans le second, où
l'on part de l'Homme pour remonter à son créateur, célébré dans le monumental
chœur final. Les connotations philosophiques sont loin d'être absentes
dans ce nouvel opus, comme l'esprit des Lumières. Le sujet, peaufiné par le
baron van Swieten à partir du poème de l'anglais James Thomson, auquel il
ajouta quelques morceaux de son cru, avait de quoi séduire Haydn et son bon
sens paysan. Il y jettera toutes ses forces et ces quatre cantates
constituent comme une somme de ses moyens créateurs. Les traits
naturalistes, pour certains naïfs, les épisodes idylliques, il les transfigure
par une musique constamment inventive combinant fraîcheur pastorale et vitalité
jubilatoire, voire quelques brefs accents maçonniques. Ce qui fut sans
doute un beau concert ne fait pas nécessairement un disque mémorable. La
présente exécution, pour remarquable qu'elle soit, manque de charisme.
Certes, la manière de Colin Davis a de l'allure, nantie d'une bienfaisante
articulation, même si un peu brusque par endroits (final choral du Printemps,
tempête de l'Été). De soudaines accélérations du tempo, telle cette
amusante précipitation lors de la ritournelle marquant la fin de l'Automne avec
l'intervention soulignée du tambour de basque, donnent quelque piment au
discours. Mais l'interprétation pâtit d'un manque de tension. Le
LSO déploie pourtant de beaux accents pour ce qui est de la ductilité des
cordes et de la brillance des bois. Le LSO Chorus, pas toujours
favorisé par la prise de son, apporte aux grandes fresques chorales, si
déterminantes ici, verve et éclat notamment lors des exaltants passages
fugués. La contribution des solistes est en retrait et offre une
caractérisation superficielle. Andrew Foster-Williams, Simon, offre le
chant le plus intéressant et un portrait sympathique du bon paysan, même si la
voix est légère, baryton-basse plus que basse profonde. Le ténor
Jeremy Owenden par contre, outre un timbre ingrat, ne s'épanouit guère
dans la partie de Lukas et Miah Persson, qui n'évite pas quelques
intonations douteuses, donne peu d'aura à celle de Hanne.
George
ONSLOW : La musique de chambre avec vents. Sextuor op. 30 pour flûte, clarinette, basson, cor, contrebasse
& piano. Septuor op. 79 pour flûte, hautbois, clarinette,
basson, cor, contrebasse & piano. Nonetto op. 77 pour
flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, violon, alto, violoncelle &
contrebasse. Quintette op. 81 pour flûte, hautbois,
clarinette, basson & cor. Ensemble Initium.
Ensemble Contraste. 2CDs
Timpani : 2C2185. TT : 74'48 + 59'11.
Au sein
de l'immense production de musique de chambre de George Onslow (1784-1853)
dominée par les quatuors et quintettes à cordes, les œuvres dédiées aux
instruments à vent font figure d'exception : quatre pièces en tout.
Elles sont fort à propos réunies sur ces disques. Excepté le Sextuor
op. 30, il s'agit de pièces tardives, composées durant les années 1849
et 1850 alors que le musicien est au faîte de la gloire qu'il dispute à
Berlioz. Figure marquante du romantisme français, très introduit dans les
salons parisiens, Onslow n'a pas de mal à faire apprécier des compositions à la
manière très personnelle, qui se réclament aussi de l'école allemande.
L'habileté à combiner les timbres dans une recherche certaine d'expressivité
lui vaudra l'admiration de Berlioz, louant chez lui « l'un des grands
harmonistes de l'époque ». Son langage s'accommode de tournures
archaïsantes mais imagine des traits innovants annonciateurs des évolutions
futures. Deux de ces pièces unissent le piano aux vents. C'est que
Onslow, lui-même excellent pianiste, vouait à l'instrument une véritable
passion. Le mélange de la forme concertante et de la musique de chambre
les caractérise. Le Sextuor op. 30 (1825) livre des
contrastes originaux avec des relents de mélodies opératiques, notamment dans
le menuet et le finale. Le Septuor op. 79, d'imposantes
proportions - près de 40 minutes - s'ouvre par un long mouvement dégageant
une fraîcheur remarquable avec de larges bouffées de lyrisme.
L'inspiration ne se maintient pas toujours au même niveau et le geste restera
légèrement emphatique tout au long d'une pièce illustrant la forme narrative
chère au musicien. Elle n'en est pas pour autant dépourvue d'énergie
dynamique. Le Nonetto op. 77 (1849) allie vents et cordes
dans un dialogue souvent charnu, notable à l'allegro spirituoso initial.
Après un scherzo bien dansant, un Tema con variazioni, de forme andante,
progressant majestueusement non sans une pointe de mélancolie, le finale débuté
largo se développe en un allegretto coulant. Les deux groupes, vents et
cordes, se répondent ou s'entrelacent d'élégante manière. Enfin le Quintette
op. 81, une des dernières compositions chambristes de l'auteur (1850),
se distingue par une écriture exigeante requérant des interprètes une agilité
extrême dans les traits virtuoses comme dans les passages lyriques car elle
exploite les dernières avancées techniques des instruments.
L'Ensemble Initium, six jeunes instrumentistes maniant les vents de main
de maître, et l'Ensemble Contraste, formation comprenant un pianiste et
trois cordes, sont les interprètes émérites de ces pièces heureusement
réhabilitées.
Robert
SCHUMANN : L'œuvre pour trio avec piano. Trio n°1 op. 63. Trio n°2 op. 80. Trio
n°3 op. 110. Six Études en forme de canon op. 56 (arrangement de Theodor Kirchner). Phantasiestücke op. 88.
Leif Ove Andsnes (piano), Christian Tetzlaff (violon),
Tanja Tetzlaff (violoncelle). 2CDs EMI : 0 94180 2.
TT : 75'15 + 46'18.
A côté
des quatuors ou du quintette avec piano, Schumann a aussi exploré le genre du
trio avec piano, largement cultivé par les romantiques. Un premier essai,
en 1842, se résume à quatre pièces de caractère (revisitées en 1849 et publiées
l'année suivante sous l'appellation de Phantasiestücke op. 88),
dont une « Humoreske » fantasque et bien rythmée et un
« Duett » de caractère presque vocal où les cordes batifolent tour à
tour sur une basse ondulante du piano. Mais il faudra attendre 1847 pour
que s'affirme la maîtrise. Le Trio n°1, prenant pour modèle
Mendelssohn, affirme cette prépondérance du clavier qui sera la marque du
compositeur. Aux turbulences du premier mouvement font suite un scherzo
au thème galopant à satiété puis un épisode lent marqué « avec un
sentiment profond », d'une intense réflexion, enfin un finale exultant,
« avec feu », qui progresse de plus en plus vite. Le Trio n°2, op. 80 (1849) qui, selon l'auteur, « exerce une
séduction plus immédiate, plus charmeuse », possède ce mélange de
simplicité et de savant où excelle Schumann. De texture foisonnante, il
fait la part belle à la mélodie. Ainsi du deuxième mouvement « avec
une expression intime », pages ferventes traversées de larges traits
démonstratifs, ce que prolonge un intermezzo presque brahmsien d'écriture
syncopée qui laisse sourdre quelque inquiétude. L'effusion mélodique
caractérise le finale allègre autant par l'allant du piano que par le chant des
cordes. Le Trio n°3, op. 100 (1851), plus concis encore,
s'ouvre dans un univers d'arabesques entrelacées, pour progresser dans un
mouvement lent où le duo ardent des cordes sur le simple accompagnement du
piano laisse place à un passage central très agité pour se conclure ppp.
Le scherzo rapide s'orne de deux intermèdes en trio, l'un sur une mélodie
insouciante du violon, le second en guise de marche capricieuse. Et le
finale « vigoureux, avec humour » déploie une sûre énergie.
Cette intégrale comprend encore les Six Études en forme de canon op. 56, fruit du travail d'étude approfondi du contrepoint de Bach auquel
s'étaient livrés Schumann et Clara Wieck. Conçues à l'origine pour
piano à pédalier, ces courtes pièces seront arrangées pour trio avec piano par
Theodor Kirchner, un ami du compositeur. L'ensemble ad hoc
formé par Leif Ove Andsnes, Christian & Tanja Tetzlaff offre une
quasi idéale fusion qui rend si attractive cette combinaison
instrumentale. C'est que le toucher svelte du pianiste norvégien et sa
fine intelligence musicale laissent à ses deux merveilleux partenaires toute la
liberté nécessaire pour servir le lyrisme de pièces où s'épanche naturellement
la veine intimiste de Schumann.
« René Pape chante Richard WAGNER » : Airs et
scènes extraits de Die Walküre, Die Meistersinger von Nürnberg, Lohengrin, Parsifal, Tannhäuser. René Pape,
basse ; Plácido Domingo, ténor. Chor der Staatsoper Unter den Linden. Staatskapelle Berlin,
dir. Daniel Barenboim. Universal/DG :
477 6617. TT : 69'03.
En ces
temps où se tarit l'enregistrement discographique d'intégrales d'opéra - on lui
préfère le plus séduisant DVD -, le pli se prend de privilégier le CD bâti
autour d'un compositeur célèbre et d'un interprète en vue. On y associe
airs & scènes pour sortir du carcan du récital. La méthode convient
dans le cas de Wagner où les airs à proprement parler sont rares.
René Pape est, sans conteste, l’un des meilleurs ambassadeurs actuels du
répertoire de baryton/basse qui adorne la plupart des opéras du maître de
Bayreuth. La présente anthologie propose d'abord la scène finale de La Walkyrie dans laquelle il prête aux adieux de Wotan des accents qu'on n'avait plus
perçus aussi bouleversants peut-être depuis Hans Hotter. Des
pianissimos envoûtants, comme un magistral messa di voce sur
les mots « so küsst er die Gottheit von dir ! » (et t'enlève
d'un baiser la divinité), marquent cette interprétation. Du bon
Hans Sachs des Maîtres Chanteurs de Nuremberg - qu'il n'a pas
encore abordé à la scène – il emplit le Fliedermonolog du IIe acte d'une poésie diaphane à laquelle le subtil accompagnement de
Daniel Barenboim n'est pas étranger : une rêverie musicale en forme
de méditation sur les mystères de l'art du chant. La scène finale de
l'acte III a aussi grande allure : cette longue harangue à l'ingrat
Walther, qui taxe tant d'interprètes épuisés par un rôle écrasant, dont un
dernier acte de plus de deux heures. Rien de tel en l'occurrence,
s'agissant d'une captation en studio. Les affinités avec le personnage sont
réelles. Alors qu'on s'attendait au second grand monologue, le grave
« Wahn, wahn » du IIIe acte, Pape lui préfère la
courte tirade du Veilleur de nuit qui clôt le deuxième. Une
coquetterie ! Tel est aussi le cas de la Romance à l'étoile de Wolfram von Eschenbach au dernier acte de Tannhäuser, qui
appartient au répertoire de baryton lyrique. La voix claire et flexible
du chanteur donne de cet air mélancolique un contour presque belcantiste.
Le récit du roi Henri l'Oiseleur au Ier acte de Lohengrin a force et autorité. Mais c'est nul doute avec Gurnemanz de Parsifal que la grande basse allemande fait son meilleur miel. Ce rôle
d'Évangéliste qui ne dit pas son nom enlumine le chef-d'œuvre ultime de
Wagner. La scène avec Parsifal de l'acte III et l'Enchantement du Vendredi Saint sont purs joyaux de chant ciselé et d'interprétation
pensée au tréfonds. Là encore la comparaison avec Hotter s'impose, pas
mince compliment ! Luxe de ce disque, Plácido Domingo lui donne
la réplique dans le rôle-titre, pour lequel il professe une tendresse toute
particulière. Ce que démontrent à l'évidence les interprétations de
René Pape, c'est l'éloquence de la diction, fruit d'une suprême
articulation, et la beauté insigne d'un timbre suffisamment riche et étendu
pour passer sans effort du registre de baryton/basse à celui de basse
profonde. Daniel Barenboim à la tête de son éminent orchestre
berlinois, apporte à ces pages une aura toute particulière de grandeur et de
poésie inspirée.
Gustav
MAHLER : Le Chant de la terre.
Symphonie pour voix de ténor et d'alto (ou de baryton) & orchestre.
D'après le poème Die chinesische Flöte (« La Flûte chinoise »)
de Hans Bethge. Fritz Wunderlich,
ténor ; Dietrich Fischer-Dieskau, baryton. Wiener Symphoniker,
dir. Josef Krips. Universal/DG :
477 8988. TT : 63'23.
Ce CD
inespéré est la captation d'un concert donné le 14 juin 1964 à Vienne,
l’une des rares incursions au disque du chef Josef Krips dans l'univers
mahlérien. Se remémorant cet événement particulier, Dietrich
Fischer-Dieskau lui rendra ce vibrant hommage : « Vous à qui je dois
le plus beau concert du Chant de la terre ». Cette symphonie
avec voix qu'il pensa un premier temps titrer « Chant de l'affliction de
la terre », Mahler en a puisé les textes, à travers la traduction qu'en
fit le poète Hans Bethge, dans un recueil de poèmes chinois. Elle
sera créée par Bruno Walter en 1911, de manière posthume. Celui qui
en sera l'interprète privilégié parle d'une « œuvre unique, passionnée,
amère, pleine de renoncement ». Le thème de la solitude la traverse,
évocation de climats d'une tristesse infinie mais aussi empreints d'une poésie
frémissante. L'orchestration en est fascinante qui privilégie la clarté,
le dessin plus que la couleur et puise à ce qu'on a pu appeler une technique de
musiciens solistes, proche de la musique de chambre. Les combinaisons
instrumentales originales comme le recours à des instruments insolites, telle
la mandoline, rappelant les modes orientaux, créent des espaces sonores
changeants, souvent étranges. Josef Krips a choisi la version pour
baryton. Mahler avait laissé liberté de choix pour la seconde voix.
Bruno Walter marqua sa préférence pour celle d'alto, l'alternance de
solistes homme et femme étant « plus agréable à l'oreille ». Si
les exécutions de ce type sont rares, l'interprétation de Fischer-Dieskau,
alors à son zénith, lève bien des réserves : son art de caresser les mots,
de distiller les plus fines inflexions, sa musicalité légendaire sont là d'une
absolue flagrance. Et quelle intensité ! Fritz Wunderlich
qui était, lui, à l'orée d'une carrière prometteuse, hélas tragiquement
interrompue l'année suivante, offre l'alliance quasi idéale du lyrisme le
plus délicat et de la vaillance héroïque. Le timbre d'une fraîcheur
spontanée est habité d'harmoniques resplendissantes. Outre sa manière de faire
corps avec ses chanteurs, comme s'il respirait avec eux, Krips adopte des
tempos généralement soutenus et n'hésite pas à souligner l'acidité, la crudité
même de maints passages. Le souci de la structure, les contrastes qu'il
ne cherche pas à réduire sont autant de marques d'une exécution d'une grande
humanité. Ainsi du lied final L'Adieu, vaste tableau aux
changements d'éclairages fréquents, d'une mélancolie pénétrante jusqu'à
l'indicible : ce mot murmuré « Ewig » (éternellement) répété
sept fois qui se dissout dans l'orchestre. Dietrich Fischer-Dieskau y est immense.
« Poème ».
Ottorino RESPIGHI : Poema autunnale. Josef SUK : Fantasy. Ernest CHAUSSON : Poème op. 25. Ralph VAUGHAN WILLIAMS : The Lark Ascending. Julia Fischer, violon. Orchestre philharmonique
de Monte-Carlo, dir. Yakov Kreizberg.
Universal/Decca : 478 2684. TT :
69'59.
Voilà le
type de disque qui renouvelle le genre du récital et enrichit singulièrement le
répertoire. Car y sont réunies quatre pièces appartenant à la littérature
violonistique du tournant du XXesiècle et apportant des éclairages
différents mais complémentaires quant à ce qui lui est consubstantiel, la
poésie. Le Poème op. 25 de Chausson, écrit en 1896 pour
Eugène Ysaÿe, tire son sujet symboliste d'une nouvelle de Tourgueniev, Le
chant de l'Amour triomphant, aux accents étranges, mystérieux et
tendus. Ce qui n'affecte pas la fluidité du discours et la forme très
libre du morceau qui déploie sa géniale modulation. On y rencontre discrètement
aussi le principe cyclique hérité de César Franck. La partie
soliste, nerveuse ou élégiaque, en arrive à se fondre dans l'orchestre dans
quelque alliance éphémère. Le Poème automnal de Respighi
(1925) introduit un tout autre climat, une autre manière impressionniste par
une instrumentation originale (xylophone, cor anglais). Quoique de
facture assez différente de sa trilogie romaine, on y trouve pourtant
l'habileté suprême du compositeur à évoquer la clarté italienne ou la voluptueuse
atmosphère d'une belle journée d'arrière-saison. Magnifiquement écrit
pour l'instrument (comme l'introduction solo) avec de longues notes tenues, il
en émane un lyrisme envoûtant qu'agrémente une section médiane plus
agitée. Josef Suk propose avec sa Fantaisie (1903) une sorte
de concerto de vastes proportions. Élève de Dvořák, il en perpétue
le langage « dans ses mélodies et sa belle orchestration et surtout par sa
manière d'utiliser le cor d'harmonie » dit Julia Fischer.
Là encore, la pièce est taillée sur mesure pour l'instrument dont elle explore
toutes les possibilités expressives. Le classicisme de la forme est
mâtiné d'accents bohèmes, alternance de joie insouciante et de lyrisme
ardent. The Lark Ascending (« L'envol de
l'alouette ») que Ralph Vaughan Williams écrit en 1914 d'après un
poème de George Meredith, en appelle à l'imagination : dans un
paysage calme et serein, le violon soliloque, planant au-dessus d'un orchestre
assagi, souvent dans le registre aigu jusqu'à une cadence finale ppp, proprement magique. Loin d'un assemblage disparate, ces quatre
morceaux sont unis sous l'archet de Julia Fischer par un fil
conducteur : celui que son extrême sensibilité, sa rectitude artistique
prodiguent au-delà de la simple agilité technique. Sa maîtrise du phrasé,
l'ampleur du geste forcent l'admiration comme le don d'épouser des styles
différents : la générosité italienne, l'effusion gallique, l'expansif
slave ou la fine dentelle du musicien anglais. Yakov Kreizberg met
en scène avec intelligence le dialogue entre violon & orchestre dans un
désir de réelle complicité. Le disque est dédié par Julia Fischer à
la mémoire du chef récemment disparu.
Jean
CRAS : Trio à cordes. Deux Impromptus pour harpe. Suite en
duo pour flûte & harpe. Quintette pour flûte, harpe &
cordes. Juliette Hurel (flûte), Marie-Pierre Langlamet
(harpe), Philippe Graffin (violon), Miguel da Silva (alto),
Henri Demarquette (violoncelle). Timpani : 1C1179. TT : 69'09.
Voici un
merveilleux disque de musique de chambre française ! Le marin et musicien
Jean Cras (1879-1932) est à son meilleur dans cet univers choisi de la
petite formation. Les quatre pièces réunies ici appartiennent à sa
dernière période créatrice alors qu'il présidait aux destinées des fleurons de
la flotte nationale. Le trio à cordes est un genre délicat s'il en est et
peu représenté dans le répertoire chambriste, sans doute eu égard à la part
d'austérité qui se dégage de cette combinaison spécifique. Le Trio de Cras (1926) est, au contraire, joie et lumière, divertissant et plein de
charme, fruit d'un magnifique travail sur les trois instruments fort bien mis
en valeur. La belle improvisation du premier mouvement laisse place à une
séquence « lent » emplie de contrastes audacieux dans l'harmonie, les
instruments étant censés jouer sans vibrato. Suit un « animé »
allègre avec quelques touches orientalistes dans le traitement en
pizzicatos. Le finale surenchérit puisque « très animé », sorte
de mouvement perpétuel en forme de gigue étourdissante de vivacité.
À travers tout ce morceau règne un pentatonisme exultant. Comme
Debussy, Cras écrit magistralement pour la harpe. Les deux Impromptus (1925) juxtaposent atmosphère de rêve et danse joyeuse. Marie-Pierre
Langlamet, dans la lignée des grandes dames de la harpe française, apporte
transparence, évanescence dans le registre pianissimo. La Suite en duo
pour flûte & harpe (1927), cet idéal mariage de sonorités, présente
quatre pièces d'un charme innocent mêlant inspiration celtique de la Bretagne
natale de Cras et mélismes indigènes puisés dans ses voyages au long
cours. Enfin, le Quintette pour flûte, harpe & trio à cordes (1928), propose encore une forme rare. Elle est dédicacée à une formation
ad hoc, le Quintette instrumental de Paris, active de 1924 à 1958, qui
inspira bien d'autres musiciens dont Koechlin, Roussel, Schmitt, Ropartz, Ibert
ou Jolivet. C'est que cette étonnante combinaison de timbres appelle la
musique pure. L'union des trois cordes, du chant extatique de la flûte et
des glissandos et arpèges de la harpe confère une transparence et des couleurs
dans lesquelles se reconnaît la pensée musicale française. Elle offre un
climat directement séduisant, un divertissement sans arrière-pensée. Ce
chef-d'œuvre de goût, les interprètes en font leur délice. À écouter
absolument !
Jean-Pierre
Robert.
Antonio VIVALDI : Les quatre saisons. L’estro armonico op.3. Concertos n°6
& 9. Olivier Charlier (violon &
direction), Orchestre d’Auvergne. Transart Live (www.cdpresto.com) : TR 157.
TT : 54’21.
À la question que certains
esprits chagrins pourraient poser : « Les quatre saisons… une fois de
plus ? » laissons répondre Olivier Charlier : « Bien sûr,
c’est sans doute l’œuvre la plus enregistrée du répertoire, mais le printemps
revient chaque année, sans jamais nous lasser ! » Quoi qu’il
en soit, il s’agit, ici, d’une très belle interprétation, enregistrée live lors d’un concert aux
Flâneries musicales de Reims en 2008, témoignant de la grande complicité
existant entre l’Orchestre d’Auvergne et son chef.
Ernest BLOCH
(1880-1959) : Poème mystique. Baal Shem. Psaumes 114 & 137. Supplication. Suite Hébraïque. Poème de la Mer. Leo ORNSTEIN (1893-2002) : Hebraic Fantasy. Christophe Boulier (violon), Académie
des Jeunes Solistes. Promusica :
P1105. TT : 72’05.
Un disque empreint de
spiritualité qui donne à entendre des œuvres rarement jouées, comme l’Hebraic Fantasy de Leo Ornstein,
dédiée à Albert Einstein, enregistrée ici pour la première fois. Une
interprétation souvent virtuose et pleine d’allant au plan instrumental.
Quelques réserves, quant à l’interprétation vocale des Poèmes de la Mer d’Ernest Bloch.
Franz SCHUBERT : Winterreise. Nathalie Stutzmann (contralto), Inger Södergren
(piano). Saphir Productions (www.saphirproductions.net)
: LVC 1153. TT : 76’21.
Réédition de ce cycle de
24 lieder qui apparaît comme un long voyage hivernal avec des accents funèbres,
remplis de mélancolie et de paysages désolés, marquant la parfaite adéquation
entre la musique de Schubert et les vers de Wilhelm Müller. Une interprétation,
bien sûr, digne d’intérêt où l’on regrettera, toutefois, une vocalité parfois
mal adaptée à la sombre gravité du cycle.
Franz LISZT
(1811-1886) : Lectures. Nicolas Stavy, piano. Hortus : 088.
TT : 77’08.
Répondant aux aspirations
du poète musicien, Nicolas Stavy nous propose, ici, un voyage original et
contrasté mêlant des œuvres, toutes inspirées par les nombreuses lectures
qu’effectua Liszt tout au long de sa vie. Il en va ainsi des Harmonies poétiques et
religieuses (1847-1849) dont est tirée la Bénédiction de Dieu dans la solitude, des Années de pèlerinage (1833-1839), du Sonnet de Pétrarque, des Consolations (1850) et de son dernier
poème symphonique, Du berceau jusqu’au tombeau (1881). Un disque
aux multiples facettes, empli de sensibilité et de ferveur, qui permet à Nicolas Stavy
de faire montre de tout son talent.
Patience.
Stéphane Kerecki (contrebasse), John Taylor (piano). Zig-Zag
Territoires-Outhere (www.outhere-music.com) : ZZT 110402. TT : 51’25.
Patience, un disque qui évoque,
tout d’abord, un climat, la nécessité de lâcher prise, de laisser les notes
évoluer, à l’écoute de l’autre. Un disque comme une évidence, celle de
l’assurance d’un dialogue vrai où les lignes mélodiques s’entrelacent, celle,
également, d’une magnifique sonorité et d’une indiscutable réussite dans cet
exercice difficile du duo piano-contrebasse. Magnifique.
Une soirée chez Brahms. Schumann,
Kirchner, Brahms, Fuchs. Franz Ortner (violoncelle),
Caroline Boirot (piano). Lyrinx :
LYR 261. TT : 60’37.
Un disque dont le
programme, original, est placé sous le signe de l’amitié et de l’estime,
l’occasion, pour nous, d’entendre Brahms et Schumann ainsi que certains de
leurs amis que l’on a moins l’habitude de fréquenter dans les salles de
concert, comme Kirchner (1823-1903) et Fuchs (1847-1927). Un très beau
disque, un superbe dialogue empreint de lyrisme, remarquablement interprété par
le violoncelliste autrichien Franz Ortner et la talentueuse jeune pianiste
Caroline Boirot.
Unsuk CHIN : Fantaisie mécanique. Xi. Akrostichon-Wortspiel. Double Concerto.
Ensemble intercontemporain. Kairos : KAI 0013062.
TT : 72’23.
Un disque qui présente plusieurs œuvres de la compositrice
coréenne Unsuk Chin (née en 1961) : Akrostichon-Wortspiel (1991) qui lui valut une reconnaissance
internationale, la Fantaisie mécanique (1994) à la sonorité plus tranchante, Xi (1998)
œuvre électroacoustique, peut-être la plus ambitieuse, enfin, le magnifique Double Concerto pour piano,
percussion & ensemble (2002). Une musique surprenante, parfois ardue,
colorée et imprévisible, qui semble, malgré les différences d’écriture, dominée
par une recherche d’unité et de synthèse, parole & musique (Akrostichon-Wortspiel),
improvisation & construction (Fantaisie mécanique) sons synthétiques
& sons instrumentaux (Xi), solistes & ensemble (Double Concerto).
Patrice Imbaud.
Giovanni Pierluigi da PALESTRINA (ca 1525-1594) : Assumpta est Maria
in caelum. Missa
Sicut lilium inter spinas. Lamentations Incipit
oratio Jeremiae Prophetae. Missa brevis. Missa Papae Marcelli. The Tallis Scholars, dir. Peter Phillips. 2CDs Gimell (www.gimell.com) :
GIM204.
Palestrina
fut, sans doute, le compositeur le plus souvent chanté & enregistré par The
Tallis Scholars. Avec peut-être la seule musique pour piano de Mozart, ces
chefs-d’œuvre ne souffrent nulle imperfection technique… Leur restitution
est ici idéale.
Jean-Sébastien BACH (1685-1750) : Variations Goldberg BWV 988. Nicholas Angelich, piano. Virgin Classics (www.virginclassics.com) :
0706642-9. TT : 79’58.
Tout au
long de ce fameux cycle de 32 variations, Bach conserve presque toujours la
même tonalité : sol majeur.
Seules les variations 15, 21 et 25 sont en sol mineur.
Les mesures sont, en revanche, extrêmement diversifiées : de 3/4 à 2/4,
3/8, 6/8, 4/4, 18/16. Merveilleux Nicholas Angelich qui, comme à son
ordinaire – concentration & diversité expressive -, nous restitue
sans afféterie cet incomparable chef-d’œuvre.
Rose of Sharon, 100 ans de musique américaine (1770-1870). Ensemble Phoenix Munich, dir.
Joel Fredericksen. Harmonia Mundi (www.harmoniamundi.com) :
HMC 902085. TT : 71’45.
Que de
merveilleuses musiques parmi les 30 pièces ici révélées ! Précédées
de Lay me low (chant de la
communauté chrétienne libre des Shakers), elles sont réparties en 6 chapitres :
Le combat pour la liberté / Le père de la musique américaine (William Billings) / Singing Schools et Shape Notes / La musique des
Shakers / Chants de la guerre civile américaine / Revival Meetings et Spirituals. Conduits par Joel Frederiksen,
lui-même magnifique basso profundo coloratura (sic) & luthiste, les sept chanteurs et musiciens qui constituent
l’Ensemble Phoenix Munich sont au-dessus de toute louange. (Textes en anglais,
français, allemand.)
Frederick
DELIUS (1862-1934) : Appalachia. The Song of the Hight Hills.
Olivia Robinson (soprano), Christopher Bowen (ténor),
Andrew Rupp (baryton). BBC Symphony Chorus, BBC Symphony Orchestra, dir. Sir Andrew
Davis. Super
Audio CD Chandos (www.chandos.net) :
CHSA 5088. TT : 64’24.
Longues
méditations sur les mystères de la vie, Appalachia et The Song of the Hight Hills ont
été composés entre 1898 et 1914, période la plus fertile du compositeur anglais. Appalachia, nom indien de l’Amérique
du Nord, vise à recréer l’atmosphère des grands marécages qui bordent le Mississippi,
si intimement associée à la vie des anciens esclaves noirs. L’œuvre
comporte 10 variations sur un chant d’esclave, plus un final pour baryton,
chœur & orchestre. Pour soprano, ténor, chœur & orchestre, The Song of the Hight Hills a été
inspiré par les montagnes de Norvège, pays que Delius considérait comme sa
patrie spirituelle. L’une et l’autre œuvres ont été révisées &
éditées par Sir Thomas Beecham. Splendide !
Paul Badura-Skoda (°1927) joue Ravel,
Berg & Chopin. TransArt
Live (www.cdpresto.com) :
TR 160. Distr. Naïve. TT : 73’52.
Du légendaire
pianiste viennois, voici réunis quelques-uns des plus précieux enregistrements
publics des années 1965-1983, aux États-Unis : de Ravel : Jeux d’eau, Sonatine, Gaspard de la nuit,
Toccata (extrait du Tombeau de
Couperin) ; de Berg : la Sonate op. 1 en si mineur ;
de Chopin : Nocturne op. posth.
n°72 en mi mineur, Études op. 10 n°1, 2, 10, 11, 12 et Scherzo n°3 en ut# mineur.
Claude DEBUSSY : Estampes, …d’un cahier d’Esquisses, Masques,
L’Isle joyeuse, Images (1re et 2e séries). Philippe Bianconi, piano. SACD Lyrinx (www.lyrinx.com) : LYR 2274.
Plans
sonores admirablement différenciés, jetant une vive lumière sur des interprétations
d’un - à tout le moins - singulier volontarisme.
A tribute to Bach, par Célimène Daudet, piano. Œuvres de J. S. Bach,
Mendelssohn, Liszt, Franck. Arion (www.arion-music.com) :
ARN 68820.
Fil
conducteur de cet enregistrement, « l’art du contrepoint » justifie l’intitulé
du CD. Outre les Choral pour orgue BWV 639 (transcription : Ferruccio Busoni) et Prélude & fugue en ut# mineur du Clavier bien tempéré BWV 949, il comporte en effet : le Prélude & fugue op.35 n°1 de
Mendelssohn, les Prélude, fugue &
variation pour orgue op.18 (transcription : Harold Bauer) et Prélude, choral & fugue de
César Franck, Bénédiction de Dieu
dans la solitude de Franz Liszt. Superbe programme que
Célimène Daudet interprète avec une infinie délicatesse. Notice signée
Georgie Durosoir.
Gustav MAHLER : Symphonie n°4 en sol majeur. Concertgebouw
Orchestra Amsterdam, dir. Eduard von Beinum (1901-1959).
Margaret Ritchie (1903-1969), soprano. Des Knaben Wunderhorn, six chants. Orchestre de l’Opéra de Vienne, dir. Felix Prohaska (1912-1987).
Alfred Poell (1900-1968), baryton ; Lorna Sydney (°1912),
mezzo-soprano. Magdalen/Metronome (www.magdalen.biz) : MET 8004. TT : 75’23.
Programmant
de grands interprètes ayant, pour la plupart, connu le compositeur, voici une
réédition bienvenue. Notamment la 4e Symphonie,
dirigée en 1952, avec une poignante émotion, par le trop méconnu Eduard
von Beinum qui, à la tête du Concertgebouw, avait brièvement succédé (il
mourut jeune) à Wilhelm Mengelberg…
Sergiu Celibidache (1912-1996) en concert.
Berliner Philharmoniker, RIAS Symphonie-Orchester &
Radio-Symphonie-Orchester Berlin. Gerhard Puchelt (piano),
Siegfried Borries (violon), Gustav Schneck (flûte). 3 CDs
Audite (www.audite.de) : 21.406.
TT : 70’12 + 80’48 + 65’15.
Sous la
baguette du célébre chef roumain, définitivement rebelle à tout enregistrement,
voici – mais capté en concert – un ensemble d’interprétations. Corpus à
tout le moins disparate et d’inégale qualité. 1er CD :
Gershwin (consternante Rhapsody in Blue), Ravel (Rhapsodie espagnole),
Busoni (Concerto pour violon op. 45a), Cherubini (ouverture d’Anacréon). 2e CD : Hindemith (Concerto pour piano),
Harald Genzmer (Concerto pour flûte & orchestre de chambre),
Aaron Copland (Appalachian Spring). 3e CD :
Heinz Tiessen (Hamlet Suite op. 30 / Salambo Suite op. 34a / Symphony n°2 op. 17) / Reinhard
Schwarz-Schilling (Introduction & fugue pour orchestre à cordes,
création mondiale). Les bandes originales de la RIAS ont été quelque peu
nettoyées de leurs scories.
Edvard
GRIEG (1843-1907) : L’œuvre symphonique, vol. 1. WDR
Sinfonieorchester Köln, dir. Eivind Aadland.
Audite (www.audite.de) : 92.651 SACD. TT :
73’22.
Sous la direction
du jeune chef norvégien Eivind Aaaland, ont été regroupées, dans ce
premier volume de l’intégrale de l’œuvre symphonique de Grieg : Symphonic Dances op. 64, Peer Gynt Suite n°1 op. 46, Peer Gynt
Suite n°2 op. 55, Funeral March in memory of
Rickard Nordraak.
Quartettsatz, par le
Quatuor Alfama. Fuga Libera (www.fugalibera.com) : FUG 582. TT : 56’30.
Ce tout
jeune et vaillant quatuor à cordes belge s’est ici lancé sur des chemins peu frayés.
Jugez-en : Serenade (Wolf), Langsamer Satz (Webern), Presto in C (Schönberg), Capriccio op.81/3 (Mendelssohn), Quartettsatz (Tchaikovsky), Alla Marcia (Britten), Andante festivo (Sibelius), Romance (Rachmaninov). Élégance
& dynamisme.
Pyotr Ilyich TCHAIKOVSKY (1849-1893) : Sérénade pour cordes op. 48. Souvenir
de Florence op. 70. Do.gma Chamber Orchestra (www.dogmaorchestra.com), dir.
Mikhail Gurewitsch. Super
Audio CD Audiomax (www.berthold-records.de) :
912 1654-6. TT : 65’01.
Trop
souvent appréciées pour leur seul glamour,
ces œuvres sont ici interprétées avec tout le sérieux que leur confèrent
ordinairement les Russes - lesquels (à la différence de notre critique
hexagonale) considèrent Tchaikovsky comme leur plus grand compositeur. Incomparable
qualité sonore du SACD.
Francis POULENC, Gabriel FAURÉ, Claude
DEBUSSY : Impressions
françaises. Juliette Hurel, flûte. Hélène Couvert, piano. Zig-Zag Territoires (www.outhere-music.com) :
ZZT 110401.
Délicieuse
Juliette Hurel qui nous livre ici de ses plus spirituelles, tendres, sensuelles
ou mélancoliques Impressions… Poulenc : Sonate pour flûte & piano, Un joueur de flûte berce les ruines pour flûte seule. Fauré : Pièce,
Sicilienne, Morceau de concours, Fantaisie, Berceuse. Debussy : Syrinx pour flûte & récitant (Florence Darel), Sonate pour flûte, alto
(Arnaud Thorette) & harpe (Christine Icart), Syrinx (pour flûte seule), Prélude
à l’après-midi d’un faune pour flûte & piano (transcription de
G. Samazeuilh).
Francis POULENC : Concerto pour deux pianos & orchestre (1932), Suite française (1935), Concert champêtre (1928). Anima Eterna Brugge, Jos van Immerseel (direction & piano),
Claire Chevalier (piano), Kateřina Chroboková (clavecin).
Zig-Zag Territoires (www.outhere-music.com) :
ZZT 110403. TT : 58’24.
Pour le pianiste & chef d’orchestre belge, Jos van
Immerseel, Poulenc est l’un des compositeurs majeurs du XXe siècle –
ce que nous ne démentirons certes pas ! Ainsi a-t-il ici réunis
trois de ses œuvres les plus éminemment françaises : le Concerto en ré mineur pour deux pianos, œuvre commandée par la princesse
Edmond de Polignac, que Jacques Février et le compositeur lui-même créèrent
avec l’orchestre de la Scala de Milan (Venise, 1932) ; la Suite française (pour 2 hautbois,
2 bassons, 2 trompettes, 3 trombones, clavecin &
percussions), originairement composée pour accompagner le IIe acte
de La reine Margot, pièce d’Édouard Bourdet,
partition s’inspirant - sur les conseils de Nadia Boulanger -
des Livres de danceries (1655) de
Claude Gervaise ; le Concert champêtre pour clavecin (ou piano) & orchestre, où se mêlent, à l’esprit de
Stravinsky, des références à la musique française de clavecin du XVIIIe siècle.
Dmitri SCHOSTAKOWITSCH : Die
Streichquartette. Mandelring Quartett.
5 CDs Audite (www.audite.de) :
21.411. TT : 72’52 + 70’07 + 67’54 + 75’33 +
67’46. 39’95 €.
Admirable
entreprise que de réunir, en un même coffret, les 15 quatuors à cordes de
Chostakovitch et ce, sous les doigts du merveilleux Mandelring Quartett [Sebastian
& Nanette Schmidt (violons), Roland Glassl (alto),
Bernhard Schmidt (violoncelle)]. Parfaite homogénéité des intentions
et des phrasés.
Igor STRAVINSKY : Perséphone.
Doris Schade (récitant), Fritz Wunderlich (ténor). Schwanheimer
Kinderchor, Chor des Hessischen Rundfunks, Chor des Süddeutschen Rundfunks,
Sinfonie-Orchesters des Hessischen Rundfunks, dir. Dean Dixon.
Audite (www.audite.de) : 95.619.
TT : 48’57.
Rarement
interprété est ce mélodrame de Stravinsky, composé en 1934 pour
Ida Rubinstein, sur un texte d’André Gide. Trois parties (Le
rapt de Perséphone, Perséphone aux enfers, Renaissance de
Perséphone), pour récitant, ténor, double chœur & orchestre.
D’autant plus précieuse version que le soliste en est le très regretté
Fritz Wunderlich. Dommage toutefois que l’œuvre soit donnée en
allemand. Enregistrement live, 1960.
Luciano BERIO (1925-2003) : Sequenzas III &
VII. Différences (pour
5 instruments & bande magnétique). Due pezzi (pour violon & piano), Chamber Music (pour voix de femme, clarinette, violoncelle
& harpe). Cathy Berberian (soprano), Heinz Holliger
(hautbois). Juilliard Ensemble,
dir. Luciano Berio. Newton Classics (www.newtonclassics.com) :
8802040. TT :
42’26.
D’insurpassable
référence sont les pièces ici enregistrées, en avril 1969, sous la direction
du compositeur – et, surtout, les Sequenza III (pour voix seule, par l’inoubliable Kathy Berberian) & Sequenza VII (par le grand hauboïste
& compositeur suisse Heinz Holliger). Sans préjudice d’autres
pièces composées par le jeune Berio entre 1950 et 1960…
Karol BEFFA : Masques. Ensemble
Contraste : Arnaud Thorette (alto), Johan Farjot (piano), Geneviève Laurenceau
(violon), Antoine Pierlot (violoncelle). Triton (www.disques-triton.com) :
TRI 331157. TT : 77’55.
Cette première
monographie consacrée à notre éminent collaborateur comporte sept œuvres d’une
remarquable diversité : Les Ombres
qui passent pour violon, alto & piano (en 3 mouvements), Mirages pour piano à 4 mains (avec le
compositeur), Supplique pour
violon seul, Masques I et Masques II pour violon &
violoncelle, Manhattan pour alto
& piano, Milonga pour alto &
piano (arr. : A. Thorette & J. Farjot). Musiques d’écriture
avant tout harmonique, où l’on peut reconnaître différents hommages à Schumann,
Ravel, Debussy, mais aussi à Bartók voire à Piazzolla ou à la pop. Atmosphères volontiers
méditatives, crépusculaires, sinon hypnotiques voire... motoriques.
American Portraits : Charles
COLEMAN, Jennifer HIGDON, Carter PANN, Jonathan BAILEY HOLLAND,
Kevin PUTS. Cincinnati Symphony Orchestra, dir. Paavo Järvi.
CSO Media : CSOM 945. TT : 76’18.
De
Charles Coleman (°1968), sont ici présentés Streetscape (2001, commande du CSO) & Deep Woods (2000, d’après une toile du peintre Charles Yoder), pièces dans la
filiation de Respighi ou de Charles Ives. De Jennifer Higdon
(°1962) : Fanfare Ritmico (2000, commande du San Francisco Women’s Philharmonic) qui célèbre la
rythmicité croissante de l’homme et de ses machines. De Carter Pann
(°1972) : Slalom (2000), parcours
d’une durée de quelque 10’, temps qu’il aura fallu au compositeur pour
descendre, à skis, depuis le sommet du Storm Peak. De
Jonathan Bailey Holland (°1974) : Halcyon Sun (2004), pièce composée pour l’inauguration, à
Cincinnati, du « National Underground Railroad Freedom Center ».
De Kevin Puts (°1972) : Network (1997), œuvre influencée par les post-minimalistes John Adams,
Michael Torke... Un passionnant panorama de la jeune musique étasunienne.
Art
BLAKEY & the Jazz Messengers : The Quintessence New York-Paris, 1947-1959.2 CDs Frémeaux & Associés (www.fremeaux.com) : FA 286.
Livret en français signé Alain Gerber & Alain Tercinet
(28 p.).
Dans le
1er CD (1947-1958), se sont joints à cette formation mythique les
pianistes Horace Silver & Thelonious Monk ; dans le 2nd CD
(1958-1959), outre des musiques de film (Des
femmes disparaissent, Les liaisons
dangereuses), sont inclus des extraits de concerts à l’Esquinade, à
l’Olympia, au Théâtre des Champs-Élysées, au Club Saint-Germain.
Astor PIAZZOLLA & Gustavo BEYTELMANN : Encuentro.
Quatuor Caliente. Aeon (www.aeon.fr) :
AECD 1107. TT : 64’21.
Où le tango
nuevo renaît dans sa juvénile splendeur... Grâce aux musiciens du
Quatuor Caliente : Gilberto Pereyra (bandonéon),
Michel Berrier (violon), Cédric Lorel (piano), Nicolas Marty
(contrebasse), ici rejoints par Laurent Colombani (guitare) &
Vincent Maillard (vibraphone). Œuvres de Piazzolla (Camorra I, Camorra II,
Camorra III, Contrabajissimo) & de Beytelmann, héritier spirituel
du grand Astor (Encuentro,
Otras voces, El desaparecido). Aux frontières du jazz et de
la musique contemporaine…
Jean-Christophe CHOLET : Hymne à la nuit. Élise Caron
(chant) & chœur Arsys Bourgogne. Heiri Känzig
(contrebasse), Marcel Papaux (batterie). Piano & direction :
Jean-Christophe Cholet. Digipack La Buissonne (www.labuissonne.com) :
RJAL 397011. Distr. Harmonia Mundi.
Associant
son propre trio de jazz au chœur Arsys Bourgogne et à la merveilleuse
chanteuse & actrice Élise Caron, le compositeur Jean-Christophe Cholet
(www.jeanchristophecholet.com)
rend ici hommage à deux grandes figures de la poésie européenne : Novalis
et Rainer Maria Rilke. Neuf parties : Introduction, Chanson,
Ostinato, Visage, Rêve, Équinoxe, Mondnacht, Bluuz, Groove. Une « expérience »
tout à fait aboutie !
Gerard HOFFNUNG (1925-1959) : The Hoffnung Music Festival Concert (Royal
Festival Hall, 13 novembre 1956) & Hoffnung at
the Oxford Union (4 décembre 1958). Disques Forum
(www.regisrecords.co.uk) :
FRC 6142. TT : 74’27.
Sans guère
de surprises, sont passées à la moulinette des œuvres de : Leopold Mozart,
Haydn, Chopin, Francis Baines, Malcolm Arnold, Gordon Jacob,
Humphrey Searle... Un « inoubliable » toutefois : A
piano concerto to end all piano concertos de Franz Reizenstein.
Samuel
BLASER, Paul MOTIAN : Consort in Motion. Samuel Blaser
(trombone), Paul Motian (drums), Russ Lossing (piano),
Thomas Morgan (bass). Kind of Blue Records (www.kindofbluerecords.com) :
KOB 10046. Distr.
Socadisc.
Que voilà
une entreprise hors du commun : unir des musiques de la Renaissance
italienne à des compositions & improvisations jazz ! Sans perdre
couleurs et trame originelles, sont ainsi mises sur le métier des pièces de
Monteverdi, Frescobaldi et Biagio Marini. Un tissage
convaincant ! Consulter : www.samuelblaser.com
Leszek MOŻDŻER : Komeda. ACT (www.actmusic.com) :
9516-2. Distr.
Harmonia Mundi. TT : 51’45.
Exaltant
hommage est ici rendu au polonais Krzysztof Komeda (1931-1969) par son
compatriote, le grand pianiste de jazz Leszek Możdżer
(°1971). Longues guirlandes rêveuses improvisées autour de thèmes de
celui qui fut le compositeur attitré du cinéaste Roman Polanski (Quand les anges tombent, Le couteau dans l’eau, Le bal des vampires, Cul-de-sac, Rosemary’s Baby)…
Xavier DEMERLIAC : Wanted Men. Ensemble
L’Attirail. Les Chantiers sonores (http://chantiers.sonores.free.fr) :
LCS 1101. Distr. Socadisc. TT : 56’52.
Revendiquant,
à l’évidence, l’esprit du grand Morricone, le compositeur Xavier Demerliac
(guitares, banjo, ukulélé, dulcimer, piano, basse, euphonium) nous propose ici
17 joyeux titres - ambiance « conquête de l’Ouest » -
avec la complicité d’Alexandre Michel (flûtes, monocorde, percussions,
clarinette), Sébastien Palis (accordéon), Xavier Milhou (contrebasse)
& Éric Laboulle (batterie), plus quelques invités. Musiques pour
l’image…
MORENO Orkestra & Samson SCHMITT
présentent : Liouba. Contact : www.lioubakort.com
Onze
titres qui feront le bonheur de tout amateur de jazz manouche (Joseph Joseph, The man
I love, Japanese Sandman, Hello Dolly, My heart belongs
to daddy…). Autour de la sensuelle Liouba Kortchinskaia,
ils pourront ainsi découvrir Samson Schmitt & Moreno (guitares solo),
Nikak Ivanovitch (guitare rythmique), Jérôme Etcheberry
(trompette & trombone), Claudius Dupont (contrebasse),
François Ricarol (batterie).
Sinclair. Warner
Music France : 2564672260.
Né dans
une famille saltimbanque, Mathieu Blanc Francard, dit Sinclair, chante ses
propres musiques sur des textes - le plus souvent - d’Éric Sévigné :
atypiques phrasés & sauts… de tessitures.
POUR LES PLUS JEUNES
Mon bébé aime le classique. « L’esprit Musique »,
2CDs Bayard Musique (www.bayardmusique.com) :
S468867.
Excellemment
sélectionnées par Carole Renucci (rédactrice en chef d’Enfant Magazine), les musiques qui
composent ce coffret réjouiront auditeurs de tout âge. CD 1 :
Vivaldi, Bach, Mozart, Schubert, Tchaïkovsky, Grieg, Dukas, Satie, Ravel,
Stravinski. CD 2 : Corelli, Vivaldi, Bach, Haendel,
Mozart, Beethoven, Smetana, Franck, Dvořák, Grieg, Ravel, Fauré,
Ph. Glass, anonyme… Dans les meilleures interprétations des
catalogues Hänssler Classic & Bayard Musique. Tubissimo !
Steve WARING : Timoléon. 14 chansons,
berceuses ou comptines pour les tout-petits. Victorie Music
(www.victorie-music.com): 276 644 3. Distr. Universal.
Ce tout récent
album du délicieux Steve Waring – qui, depuis quelque 30 ans, se
consacre à la chanson pour enfants - est dédié à son petit-fils.
Musiques aux confins du jazz, du blues, du folksong & de paysages sonores
exotiques ou insolites - avec le concours d’un instrumentarium d’une étonnante
diversité : trombone, ukulélé, hélicon, contrebasse, clarinette, bugle,
djembé, etc.
Francis Gérimont.
DVD
Claudio ARRAU, the
Emperor. Film
de Peter Rosen. 5e Concerto pour piano de
Beethoven (Orchestre symphonique de l’Université du Chili, dir. Victor Tevah).
EuroArts (www.euroarts.com) :
2058648. TT :
85’00.
Universellement connu sous le sobriquet de
« l’Empereur », le Chilien Claudio Arrau (1903-1991) revint pour
la première fois en son pays en 1984, où il fut triomphalement accueilli.
Enfant prodige, qualifié de « second Mozart » dès l’âge de
5 ans, il suivit à Berlin l’enseignement de Martin Krause. D’une
rare discrétion et gentillesse, cet immense artiste fit l’unanimité du monde
musical, notamment (chose rare) de ses pairs. Le présent film
retrace, avec émotion, une carrière hors du commun. Est, en outre, donnée
l’intégralité de son interprétation du 5e Concerto de
Beethoven, son compositeur de prédilection, dont il fit sienne la devise :
« Combattre et vaincre ».
Ludvig van BEETHOVEN : Sonates pour piano. Claudio Arrau. « Classic Archive »,
2 DVDs EuroArts (www.euroarts.com) :
2058708. TT : 85’00 + 105’00.
En judicieux complément du film ci-dessus recensé,
EuroArts publie huit Sonates de Beethoven enregistrées en public par le
grand pianiste chilien (Beethovenfest Bonn, 1970 et 1977). 1er DVD : Sonates op. 53, 2 (n°3) et 111. 2nd DVD : Sonates op. 27 (n°1), 109, 57, 27 (n°2), 81a.
Carl Maria von WEBER : Ouverture d’Obéron. Dimitri CHOSTAKOVITCH : 1er Concerto pour violon,
op. 99. Jean-Sébastien BACH : Presto
de la 1re Sonate pour
violon seul, BWV 1001. Antonin DVOŘÁK : 8e Symphonie et Danse slave, op. 72 n°7. Hilary Hahn, violon.
Berliner Philharmoniker, dir. Mariss Jansons. EuroArts (www.euroarts.com) : 2050448.
TT : 99’00.
Le chef
d’orchestre letton Mariss Jansons est familier, depuis 1976, du
Berliner Philharmoniker. Ardent défenseur des compositeurs slaves,
de Chostakovitch notamment, il a trouvé ici (au Suntory Hall de Tokyo, le 26
novembre 2000), en toute la jeune Hilary Hahn (elle avait alors
20 ans), la partenaire idéale - laquelle faisait déjà montre d’une démoniaque
virtuosité, sans volonté démonstrative cependant. Splendeur d’un jeu d’une
rare intensité - sinon violence -, cependant que le visage encore
enfantin demeure impénétrable… Interprétation nullement déparée par le reste
du programme.
Claudio
ABBADO : Entendre le silence.
Esquisses pour un portrait, par Paul Smaczny. Livret incluant un
essai de Péter Esterházy. EuroArts : 2053279. TT : 67’00.
Admirable
film, dédié à l’un des plus grands chefs d’orchestre de notre temps, homme d’une
aristocratique élégance, adoré par les musiciens de toutes les phalanges qu’il
aura dirigées – ici les Berliner Philharmoniker, Wiener Philharmoniker,
Lucerne Festival Orchestra, Gustav Mahler Jugendorchester. Dans des
extraits d’œuvres de : Dvořák, Nono, Beethoven, Bruckner, Stravinsky,
Brahms, R. Strauss, Webern, Mahler, Debussy, Tchaikovsky. Avec la
participation, notamment, de l’acteur Bruno Ganz et des musiciens
Daniel Harding, Albrecht Mayer, Wolfram Christ,
Kolja Blacher… Neuf séquences : Introduction, Vienne, La
trame de la musique, Claudio, Silence, Un lieu magique, Berlin, Lucerne,
Hölderlin. Un extraordinaire témoignage humain et artistique.
Gustav MAHLER : Adagio
de la Xe Symphonie. 12
chants du Knaben Wunderhorn. Magdalena Kožená
(soprano), Christian Gerhaher (baryton). The Cleveland Orchestra,
dir. Pierre Boulez.
Accentus Music (www.accentus.com) :
ACC 20231. TT : 88’06.
Un
triple anniversaire aura permis cette opportune publication : le 150e anniversaire
de la naissance de Mahler, les 85 ans de Pierre Boulez et les
45 années de sa collaboration avec l’Orchestre de Cleveland. Toutes
choses justifiant la très émouvante cérémonie en hommage au chef d’orchestre, non
moins que son interview, inscrites en bonus sur ce DVD (enregistrement live, les 11 et 13 février 2010, en le magnifique
Severance Hall de Cleveland (Ohio). À la tête de cette somptueuse
phalange – où, à la différence de la plupart de nos grandes formations
européennes, toutes les générations sont heureusement représentées -,
Pierre Boulez atteint désormais, dans une gestique d’une parfaite économie,
à une rare expressivité. Sans que déméritent jamais les solistes...
Steve
REICH : Phase
to face. Film
d’Éric Darmon & Franck Mallet. Mémoire magnétique Productions. Idéale Audience
(www.euroarts.com) : 3058128. TT :
52’ + 28’ (bonus).
Batteur
passé à la composition, Steve Reich a été notablement influencé par Bach,
Stravinski, Miles Davis, les percussions balinaises & ghanéennes et
surtout John Coltrane. Sa technique du phasing - brèves boucles se superposant en décalage plus ou
moins aléatoire – n’a eu de cesse de se métamorphoser depuis It’s Gonna Rain (1965). Ce documentaire
a été tourné sur cinq sites : Le Havre (novembre 2007),
Rome (avril 2008), Tokyo (mai 2008), New York (avril 2009),
Manchester (juillet 2009) ; il comporte de nombreux extraits,
en concert, de ses musiques les plus emblématiques : Differents Trains, Music for 18 Musicians, City Life, Tehillim, The
Desert Music… En bonus : Talks in Tokyo with Steve Reich / A brief history of music by
Steve Reich. Fascinant !
Francis Gérimont.
Giacomo PUCCINI : Tosca.
Emily Magee (Floria Tosca), Jonas Kaufmann (Cavaradossi),
Thomas Hampson (Scarpia), Giuseppe Scorsin
(le sacristain). Orchestre & chœur de l’Opéra de Zurich, dir.
Paolo Carignani. Mise en scène : Robert Carsen.
Réalisation pour la télévision de Felix Breisach. Decca : 074
3420.
Bien
entendu, il serait du plus mauvais ton pour un metteur-en-scène-dans-le-vent de
respecter l’implantation du livret d’un opéra, donc Monsieur Carsen nous
flanque Tosca en plein milieu du XXe siècle.
Mais ce n’est pas tout : l’œuvre entière est “déménagée” dans un théâtre, or,
spécialement dans le Ier Acte, cela donne des tamponnements du
dernier croquignolet entre propos dits et images vues ! Au cours de
cet acte initial, les personnages parlent à tout bout de champ (et de chant) de
chapelle, d’autel, de prière, d’eau bénite, etc. ; alors, les chaises
Louis XVI tournées vers un rideau de scène, le bedeau (ici homme de
ménage) récitant l’Angelus en
ramassant des programmes d’une représentation de Floria Tosca, la maîtrise
de l’église remplacée par des petits rats en tutu… mais chantant néanmoins en
latin (curieux, non ?!), tout cela fait rire. Aucun prétexte
soi-disant psychanalytico-machin-truc en matière de motivations des profondeurs
(hormis le désir débile de se faire remarquer par des moyens qui, eux,
relèveraient du psychiatre !) ne peut justifier d’entendre des chanteurs
prononcer des phrases qui semblent provenir d’une autre pièce que celle que
l’on voit devant ses yeux. Le sommet du comique involontaire est atteint
lors de ce qui constitue en principe l’une des plus grandioses scènes du
théâtre lyrique, celle du Te Deum :
on y voit les membres de l’assistance chanter l’hymne latine en cherchant
fébrilement leur numéro de place sur les dossiers des chaises, leur billet de
théâtre à la main. Maints ressorts des personnages de Tosca sont actionnés par le conflit
entre passions profanes et – au mieux – piété (pour Tosca) ou – au pire – perverse bigoterie (pour Scarpia) ;
quant à la situation politique exploitée par Sardou puis, à sa suite, Giacosa
et Illica, son importance dépasse de très loin le fond allégorique qui servait
de décor au genre du “Grand Opéra“ historique de la première partie du XIXe siècle,
elle est ici traitée de manière tout à fait “vériste” : « Juin
1800 », est-il indiqué très précisément sur le livret et la
partition ; en effet, on suit heure par heure les rebondissements de la
bataille de Marengo (14 juin), et les luttes des patriotes italiens contre
l’ennemi autrichien sont déjà à l’œuvre, vibrant à l’unisson des succès
bonapartistes. En conséquence de quoi, entendre parler des victoires de
Bonaparte en costard-cravate relève, soit d’une bien persistante nostalgie,
soit d’un déphasage mental pour jeux de rôles ! On pourrait continuer à
l’envi cette description des ridicules, le plus drôle étant que la prétention à
l’avant-garde donne par moments des images kitchissimes ! Pour le
reste, Emily Magee (dont c’était en 2009 la prise de rôle) est très
pulpeuse en star hollywoodienne des années (19)50, sa voix est d’un métal très
sûr mais peut-être pas du plus sensible raffinement. Jonas Kaufmann
n’a décidément pas un timbre méditerranéen, et l’on avoue en ressentir une
certaine gêne : on a trop entendu de Cavaradossi italiens, espagnols,
latino-américains (autrement dit, issus d’un même et solaire creuset) pour
accepter facilement cette couleur peu lumineuse, mais quel réalisme d’intimité
amoureuse donne-t-il en emmenant fort loin l’art de détimbrer « E lucevan
le stelle » (que trop de ténors latins éprouvent le besoin de bramer) et
« O dolci mani » (Acte III) ! Le cas méritant
que l’on s’y attarde est celui de Thomas Hampson : il est un baryton
de type Mattia Battistini (ce qui lui a permis de réussir admirablement sa
résurrection de l’adaptation pour baryton du rôle de Werther), à l’aigu étendu,
clair et facile ; or, Scarpia, qui est un baryton-Verdi, exige un tel
impact dans la projection du cynisme et de la noirceur que, pour compenser
l’absence d’airain dans la voix de trop de barytons incapables de faire oublier
le légendaire Tito Gobbi, il est devenu courant d’aller chercher des
barytons-basses (ce qui est une erreur), estimant que la sombre couleur du
grave compenserait (!) la déficience en matière de caractérisation dramatique.
La représentation de Zurich nous fait assister au phénomène inverse : Thomas Hampson
n’a pas la voix du rôle (qu’il n’avait d’ailleurs jamais abordé jusqu’à cette
date), mais c’est un acteur exceptionnel, doté d’une intelligence tout aussi
exceptionnelle, et il parvient à composer un Scarpia réellement très
impressionnant ! Sa diction admirablement articulée fait un sort à chaque
intention, son visage comme son art du geste “jouent“ à l’égal d’un véritable
comédien de théâtre, sa présence charismatique soutient l’autorité du
personnage, et l’on reste saisis par cette performance. Autrement dit,
l’intelligence et la caractérisation peuvent compenser le registre, non
l’inverse. Giuseppe Scorsin est un
bedeau (enfin… technicien de surface !) très amusant. Quant au chef, Paolo Carignani, il tarde
à trouver ses marques, ce qui nous vaut un premier Acte assez faible, dénué de
lyrisme, mais la tension de l’acte suivant – et peut-être le duel de ses
solistes – finit par l’emporter, et il redresse la situation. Aucun bonus dans
cette édition reprenant une simple captation télévisuelle.
Rudolf TOBIAS : Des Jona Sendlung. Pille Lill (soprano), Merle Silmato (alto),
Juhan Tralla (ténor), Rauno Elp (Jonas, baryton-basse), Johann Tilli
(basse). Chœurs
nationaux estoniens, Voces Musicales, Orchestre symphonique national
d’Estonie. dir. Neeme Järvi. VAI : 4539 (distr. Codaex).
Rudolf
Tobias (1873-1918) est considéré comme le premier compositeur “national” de
l’Estonie s’éveillant des influences périphériques. Élève de
Rimsky-Korsakov à Saint-Petersbourg, il s’engagea dans la réforme de la musique
religieuse. La longue gestation, puis la composition, puis divers
remaniements (après une “première” bancale à Leipzig en 1909) de son
“grand œuvre”, un vaste oratorio biblique sur La mission de Jonas, l’occupèrent par intermittences durant toute
la partie de sa vie située sur le versant du XXe siècle, d’où
une certaine hétérogénéité dont la musique se ressent, d’où aussi la difficulté
à reconstituer une partition musicologiquement fiable, tâche dont Vardo Rumessen
se chargea avec succès, aboutissant à la résurrection de l’œuvre en 1986.
En effet, lors du Prologue, mais aussi de la dernière partie (Le Signe du Fils de l’Homme), on croit
s’être engagé dans un oratorio allemand post-mendelssohnien, mais les épisodes
spectaculaires actionnent des ressorts dramatiques où affleure une soudaine
influence wagnérienne ; le rôle de Jonas, un baryton-basse pour lequel un
Wotan ne serait pas inadéquat, porte la plus prégnante trace de cette
influence : dans sa prière « Ich
rief zu dem Herrn » (Scène 2) passent même des effluves de Parsifal. Et puis, à d’autres
moments, l’écriture contrapuntique et harmonique est traversée d’audaces
inédites qui révèlent que Tobias avait assimilé le virage pris par le XXe siècle
commençant. Certes, le résultat laisse parfois un peu interloqué, mais on
serait bien en peine de désigner à la même époque un autre oratorio aussi
vivant ! Car – et c’est là l’essentiel – on ne s’ennuie jamais au
fil de ces deux heures de belle musique. Le livret fut écrit par Tobias
lui-même en allemand puisque l’espérance de faire jouer l’œuvre en Allemagne
l’avait incité à se fixer dans ce pays. Le DVD nous restitue un concert
du 21 novembre 2008 : Neeme Järvi, toujours formidablement
efficace, dirige ses troupes avec une énergie à déplacer, non des montagnes en
l’occurrence, mais des océans et des baleines. Avec les masses orchestrales
et chorales requises (un grand chœur
mixte, plus un Chorus mysticus et un chœur de garçons placés sur les
balcons latéraux), il n’y avait plus, sur la scène de la salle de concert
estonienne, d’espace pour y glisser une sardine, que dis-je, un goujon !
Par bonheur, lesdites masses sont les véritables protagonistes (la partition
sollicite les choristes sur une durée éprouvante, mais la tradition chorale de
ces pays n’est plus à vanter), car le point faible de ce concert réside dans
les chanteurs solistes, tous… approximatifs. Rauno Help (Jonas) ferait preuve d’un impact dramatique crédible si
sa voix n’était si tremblotante (ah, ces techniques mal placées !).
Mais que cela ne nous détourne pas d’une découverte à conseiller chaudement.
Richard
WAGNER : Der
fliegende Holländer. Juha Uutisalo
(le Hollandais), Robert Lloyd (Daland), Catherine Naglestad (Senta), Marco
Jentzsch (Erik), Oliver Ringelhahn (le timonier), Marina Prudenskaja (Mary),
Choeur de l’Opéra néerlandais, Netherlands Philharmonic Orchestra, dir. Hartmut
Haenchen. Mise en scène : Martin Kušej ; décors: Martin Zehetgruber; costumes:
Heide Kastler. Réalisation
pour la télévision : Joost Honselaar. Opus Arte : OA 1049 D.
Un
épisode de plus à verser au dossier de la provoc’ pour la provoc’ ! La
scénographie (plus froide, tu meurs !) place le premier acte dans un
terminal de ferry-boats. Daland, de marin-pêcheur hauturier, devient un
play-boy (au look Saint-Trop’) rentrant d’une croisière sur son yacht ; à
la place de son équipage, on voit débarquer des touristes en chemises
hawaïennes et sacs de sport. Le deuxième acte se déroule dans la salle d’accès
à une piscine municipale, et ces dames, uniquement préoccupées des soins
prodigués par leurs esthéticiennes et de la mode dernier cri, lisent Elle... et ne filent pas :
contrairement à ce qui est indiqué dans le livret et dicté par la musique (si
le metteur en scène ne s’ingéniait pas à la contradiction systématique, ce ne
serait pas drôle !), la seule à tisser au rouet est Senta, fagotée en
vieille fille complètement décalée ; on se souvient que, chez Wagner (oui,
il y eut un certain Wagner – bien oublié dans l’affaire – avant Môssieu Martin Kušej !), Mary est sa
nourrice : ici, non seulement elle est plus jeune que Senta, mais elle
arpente la scène déguisée en bimbo inspirée de Paris Hilton et se moque de la
vieille fille. Pendant ce temps, les marins du Vaisseau fantôme (des immigrés clandestins, probablement) se font
tirer comme des lapins (Dieu seul sait pourquoi !) et l’hémoglobine rougit
la piscine. Le pire (si l’on ose écrire !) est à venir : la fin du 3e acte est carrément changée (mais la musique continue son train), le chasseur
Erik tue au fusil Senta et le Hollandais. C’est dire que toute la métaphore de
la « Mort et Transfiguration » (que Richard Strauss me pardonne cet
emprunt, mais ce sont les mots les plus appropriés pour décrire le finale imaginé par Wagner) des héros
disparaît : une telle atteinte à la lettre et au sens profond d’une œuvre
devrait être considérée comme un délit, et certaines lois de protection des
œuvres (celles de notre pays, particulièrement) permettent en fait d’intervenir
contre de telles trahisons, mais elles ne sont pas généralisées à l’échelle de
toute l’Europe. On voit bien la sinistre décadence dont cette mise en scène
témoigne : le but en est clairement de rendre le drame prosaïque et de
piétiner la dimension de parabole légendaire ainsi que la signification mystique
(la rédemption par l’amour et la mort) qui furent les fondements mêmes du grand
œuvre wagnérien depuis le Vaisseau
fantôme jusqu’à Parsifal.
Le plus
piquant est que, dans les interviews proposées en bonus, Hartmut Haenchen prend
la peine de nous dire que Wagner a laissé une description précise (assortie de
croquis) de la mise en scène qu’il souhaitait (à mon avis, le genre “terminal
de ferry” et “piscine municipale” l’aurait mis dans une de ces rages dont il
avait le secret ) !
Ces
élucubrations, qui détournent sans cesse de l’impact émotionnel de la musique,
sont d’autant plus mal venues que l’on tient là une des distributions les plus
homogènes dont on puisse disposer, soutenue par l’excellente direction
d’Hartmut Haenchen qui fait une
synthèse très équilibrée entre la personnalité créatrice déjà opérante chez le
jeune Wagner et les persistances d’influence wébérienne voire italienne.
À juste
titre, Hartmut Haenchen a choisi de donner la partition selon la version « durchkomponiert » que Cosima
faisait représenter depuis 1901, et non celle artificiellement cloisonnée en
trois actes bien séparés à laquelle Wagner s’était résolu vers la fin de
l’année 1842 pour parvenir à faire représenter son ouvrage plusieurs fois
refusé.
Catherine
Naglestad compose une Senta particulièrement émouvante, elle s’attache aux
nuances qui rendent sensible la vulnérabilité de son personnage, les accents de
la fameuse Ballade, soigneusement
respectés, modulent le chant de l’héroïne et n’en font pas la démonstration
d’exaltation qu’on a parfois entendue.
Juha
Uutisalo, allure et faciès inquiétants, compte aujourd’hui parmi les meilleures
basses chantantes (plus basse que baryton-basse, en réalité) dans Wagner. On
l’entendra en ce mois de septembre à l’Opéra-Bastille dans Salomé de Richard Strauss. Sa justesse émotionnelle fait qu’on lui
pardonne quelques passagères insécurités quant à la justesse... d’intonation.
Robert
Lloyd a un timbre un peu clair pour Daland (mais évidemment, appliquée à un
play-boy en virée aux Baléares, la problématique n’est point la même que pour
un rude marin-pêcheur norvégien…). En somme, on réécouterait avec bonheur les
interprétations purement musicales du chef et des chanteurs, si l’on pouvait
déconnecter l’écran pendant que tourne ce DVD !
Richard
WAGNER : Tannhäuser. Stig Andersen (Tannhäuser), Tommi Hakala (Wolfram
von Eschenbach), Stephen Milling (Hermann, Landgraf von Thüringen), Peter
Lodahl (Walther von der Vogelweide), Tina Kiberg (Elisabeth), Susanne Resmark
(Venus). Orchestre
et Chœur du Royal Danish Opera, dir. Friedemann Layer. Mise en scène :
Kasper Holten, décors et costumes : Mia Stensgaard. Réalisation du
film : Uffe Borgwardt. 2DVDs
Decca : 074 3390.
Ne nous
arrêtons pas en si bon chemin ! Un sticker posé sur le présent DVD annonce
(fièrement !) : « An electrifying and iconoclastic
production from Copenhagen Opera » ! « Électrisante »...
bof ! «Iconoclaste », assurément ! Notre impression tiendrait
plutôt en deux mots bien différents : tantôt on ricane, tantôt on s’ennuie.
Le
postulat de Kasper Holten est que toute cette histoire se déroule dans
l’imagination de Tannhäuser, devenu un
écrivain du XIXe siècle dont le costume évoque (choix des tissus et
béret compris) une célèbre photo de Wagner. L’action (dès l’Ouverture mise en
scène) a donc pour théâtre une vaste demeure bourgeoise, où Tannhäuser vit – à
l’Acte I, au Venusberg ! – entouré
de femme et enfants (?!... la silhouette ambiguë de la mère de ses enfants
jette quelque trouble), ainsi que de la domesticité qui sied à une telle maison.
Venus est une volumineuse virago en redingote et pantalon noirs, mais aux
cheveux teints en rouge et maquillée comme une voiture volée, et on se demande
chez qui elle pourrait éveiller la moindre pulsion érotique, sinon à chercher
du côté des lesbiennes éprises du style "camionneur". Inutile de dire
qu’à plus d’une phrase du texte on s’esclaffe, tant les sentiments de tendresse
et d’ivresse amoureuse chantés par la déesse tombent à côté de la plaque dans
un tel tableau ! C’est parmi cette figuration ancillaire que seront recrutées les nymphes et bacchantes prévues
au casting du Venusberg, lesquelles, au moment du ballet, semblent prises de
démence collective : l’une se trempe les cheveux dans le seau de fer-blanc
avec lequel elle lavait le sol, une autre mange les fleurs (pourquoi pas, au
point d’idiotie où nous sommes rendus !), une troisième se récure
soigneusement une jambe... Insistons sur cette triste réalité : en fait
d’érotisme, rien de plus bourgeois que la mise en scène du Venusberg par Kasper
Holten. Comique involontaire, le livret joint au DVD reproduit scrupuleusement
le programme – très torride, lui ! – rédigé par Wagner pour l’Ouverture au Venusberg et la Bacchanale. Il en
ressort par antithèse à quel point la volonté de provocation des metteurs en
scène, à chercher la surenchère d’année en année, a atteint son degré... de
détumescence : elle sombre dans le "nunuche" là où l’on
attendrait le comble de l’exaltation érotique.
En fait
de Pèlerins, on voit sortir des
chambres une cohorte de clients d’hôtel mal réveillés, la liquette pendante et
la cravate pas encore nouée : une fois encore, c’est le texte de Wagner
qui s’excuserait presque d’être placé là...
Quand à
l’Acte II apparaît Elisabeth, toujours flanquée de son fiston ( ?!...
c’est en fait le pâtre prévu par Wagner qui subit ce transfert), on réalise que
"bobonne", à l’Acte du Venusberg, était cette femme-ci, donc l’éternel féminin du poète en
proie à sa création. Outre le fait d’être trop âgée, l’interprète détonne
décidément par un physique étrange qui semblerait sorti d’un film de Pedro
Almodovar. Le concours à la Wartburg a lieu dans la demeure bourgeoise qui sert
de cadre unique à tout l’opéra et, les chaises étant décidément "très
tendance" ces dernières années (le spectacle date de 2009), tout le devant
de la scène est occupé par des rangées, au début sous housses blanches, que des
soubrettes en costume sorti de chez Labiche vont s’affairer à déhousser. L’arrivée de l’assistance donne
lieu à un défilé de mode (et de coiffures féminines... apparemment le metteur
en scène en pince pour les rousses !) que n’aurait pas désavoué Fellini.
Quant à Venus (ou ce qui en tient lieu), plus virago que jamais, elle arpente
la scène les mains dans les poches de son pantalon pendant que chante (tièdement,
d’ailleurs, et d’une voix mal assurée) Wolfram.
À l’Acte
III, le metteur en scène (investi de quel droit, s’il vous plaît ?!) se
permet à nouveau de modifier l’œuvre de Wagner et – encore une fois (bis,
ter !) – le propos est bien de laver l’œuvre originale de tout le contenu
religieux que l’auteur a voulu. Libre au metteur en scène de ne point partager
les convictions idéalistes de l’auteur, mais s’il n’aspire qu’au réalisme
bourgeois, qu’il monte alors des œuvres de la période vériste ou naturaliste,
non du Wagner ! L’acte, et son prélude mis en scène, deviennent ainsi d’un
grotesque prosaïsme, aggravé par le fait d’entendre les phrases chantées dire
tout autre chose que l’action sur le plateau, les acteurs évoluant dans un
décor qui, lui aussi, dit le contraire de ce que décrit le texte chanté !
L’absurde n’a plus de limites ! Nous voyons donc Tannhäuser réapparaître d’un ton jovial (ceux qui
connaissent le véritable ouvrage de Wagner apprécieront...) pour lire à Wolfram
le récit d’un voyage à Rome qu’il vient de rédiger dans la fiction à laquelle
il travaille : on imagine ce qu’il peut rester de l’intensité expressive
d’un moment psychologique ainsi déporté ! Quant à Wolfram, il chante à une
porte en bois sa "Romance à l’Étoile" (on ne saurait faire plus
romantique !), et de surcroît il chante faux au passage des modulations.
Avant le baisser de rideau, on vous laisse à deviner combien les mondaines vues
à l’Acte II ont l’air godiche en applaudissant (oui : clap, clap, mais
sans bruit, rassurez-vous !) au miracle de la crosse qui refleurit.
Contrairement
au Vaisseau fantôme ci-dessus décrit,
la partie musicale ne rattrape pas l’irritation causée par le nivellement
scénique. Le Tannhäuser n’a pas l’envergure du rôle, mais comme on lui fait
jouer systématiquement le contraire de l’expression voulue par Wagner, cela n’a
plus guère d’importance ! Le Wolfram est un baryton de petit gabarit,
privant l’aristocrate Minne-sänger de
toute noblesse. Notre Elisabeth "hors d’âge" (qualificatif qui, parmi
les Armagnac ou les Cognac, serait plutôt une garantie de qualité...) est aussi
peu son personnage vocalement que physiquement, et elle force des moyens
qu’elle n’a probablement jamais sécurisés par un positionnement adéquat. Le
chef "assure", comme on dit, en fonctionnaire pépère, et à être si
peu habités, ses tempi sont trop lents.
Un seul
mot d’ordre pour conclure : il faut en finir avec l’illégitime dictature
des metteurs en scène, car le résultat de ces loufoqueries, symptômes (au sens
psychiatrique) d’une hypertrophie égotiste d’ambitions créatrices frustrées chez toute une corporation, est que l’on
n’écoute plus la musique dont le sens est constamment distordu, caricaturé.
Vincenzo BELLINI : I Puritani. Juan Diego Flórez (Arturo Talbot), Nino Marchaidze (Elvira), Ildebrando
d’Arcangelo (Giorgio Valton), Gabriele Viviani (Riccardo Forth), Ugo Guagliardo
(Gualtiero Valton), Nadia Pirazzini (Henriette de France). Orchestre et Chœur
du Teatro Comunale de Bologne, dir. Michele Pariotti. Mise en scène,
décors et costumes : Pier’ Alli. Réalisation pour la télévision :
Andrea Bevilacqua. 2DVDs Decca : 074 3351.
L’intérêt
pour la nouvelle édition critique de la partition établie par Fabrizio Della
Seta (Ricordi) nous poussait vers cette
représentation. Nous déchantâmes vite : autant, dans le principe, on ne
peut que souscrire à une édition rétablissant tout le matériel disponible ayant
survécu aux coupures (dont certaines décidées par le compositeur !),
autant, s’agissant d’une musique déjà faible dans son ensemble et traversée de
“tunnels” inconsistants, prolonger le spectacle s’avère le pire service à
rendre au malheureux Bellini. Ce ne sont d’ailleurs pas les moments (internes à
certains numéros célèbres) justement rétablis qui posent musicalement problème,
mais ceci s’ajoutant à cela, l’opéra s’étale sur 2 DVDs (sans bonus) sans que
la matière puisse soutenir la longueur. Or, l’orchestration et la dramaturgie
ne volent pas au même niveau que Wagner !!! À dire vrai, Bellini
surclasserait même Paganini et Chopin pour la palme du pire orchestrateur de
l’histoire de la musique. Circonstance aggravante, d’où le chef Michele
Pariotti tient-il ses tempi incroyablement lents, vidant tout phrasé de sa
substance (surtout dans les deux premiers actes) ? Il gêne les chanteurs en les
privant de l’opportunité de donner vie à leurs airs et ensembles (les seules
pages auxquelles l’ouvrage doive sa postérité). Riccardo Muti ou Roberto Abbado
surent sauver Bellini de ses faiblesses en lui donnant un certain relief. La
mise en scène de Pier’Alli respecte certes le cadre historique (par les temps
qui courent, c’est toujours bon à prendre !), mais elle en rajoute des
tonnes dans le statisme, achevant de figer ce qui ne décolle déjà pas pour
cause de tempo : au début, en voyant les troupes du château rigides comme
des petits soldats de plomb, on croit (on espère !) que c’est par dérision
antimilitariste, mais quand, à leur tour, les dames de la fête nuptiale sont
plantées comme des piquets, on se frotte les yeux. Il ne sera jamais demandé plus
de mobilité aux choristes qu’en “version de concert” ! Dans ces conditions
– peu encourageantes – comment les protagonistes mettent-ils en valeur des
rôles demeurés célèbres pour quelques performances requises ? Une
débutante dans le rôle d’Elvira (créé par Giulia Grisi), la Géorgienne Nino Marchaidze, a le timbre charnu des
femmes d’Europe de l’est, et réussit à lancer vaillamment ses redoutables aigus
(qui firent les belles heures de “la Stupenda” Joan Sutherland), même si elle
les crie plutôt dans un effort les isolant du contexte. Ildebrando d’Arcangelo,
belle prestance (dans le rôle de l’oncle bienveillant qui avait été créé par
l’éléphantesque Luigi Lablache), noble voix, diction soignée, tire au mieux son
épingle du jeu, mais son air de l’Acte II manque de ciselures dans les phrasés.
Gabriele Viviani présente quelques insuffisances dans ce qui est un rôle de
“basse-taille” (la dénomination de baryton n’existait pas encore), créé par
Antonio Tamburini. Le duo“héroïque” des deux hommes,“Suoni la tromba” (à la fin de l’Acte II), a fourni le thème sur
lequel Liszt et ses collègues brillèrent dans l’Hexameron. Que l’on ne compte pas sur Juan Diego Flórez pour
insuffler vie et intelligence à une action scénique plate, mais après tout, le
légendaire Rubini, pour lequel furent écrits tous les degrés d’escalade
jusqu’au fameux contre-fa de l’Acte III, passait pour particulièrement indigent
au chapitre du jeu ; Flórez est aujourd’hui le plus à même de restituer
ces aigus, et on ne lui demande que de chanter, ce qu’il fait avec moelleux et bravura. Ceci dit, le chant que l’on
entend de nos jours semble étrangement calme, plane : que l’on me permette
de renvoyer nos lecteurs aux pages que Julian Budden et l’auteur de ces lignes
ont écrites sur Rubini pour les éclairer sur les stratagèmes dont usait
celui-ci afin de masquer ses transitions vers l’émission en falsetto, et aussi sur ce qui faisait
l’essentiel de son succès, à savoir des variarions incessantes de nuances et
des fioritures dont on rapporte qu’il les étendait jusqu’à des longueurs
infinies (« Ses roulades durent parfois deux heures ! », écrivit Chopin). En somme – et cela éclaire
la minceur du support fourni par certaines pages de Bellini ou d’autres de ses
contemporains –, peu importait la
musique qu’on lui fournissait, elle n’était qu’un canevas sur lequel il
tressait les guirlandes de ses exploits vocalisés. Cela vaut aussi pour le rôle
d’Elvira : en 1985, l’éminent musicologue et chef d’orchestre Alberto
Zedda avait donné avec Mariella Devia (au festival de Martina Franca) un
exemple d’ornementation écrit par ses soins d’après ce que l’on sait de la
pratique du temps.
Aaron
COPLAND : Fanfare
for America. Film documentaire
réalisé par Andreas Skipis. Arthaus Musik : 101573.
Ce
documentaire d’à peine une heure ne nous vient pas d’Amérique, il émane de la
Hessischer Rundfunk : voilà un progrès dans la prise de conscience
européenne que la musique américaine existe ! À dire vrai, il doit
beaucoup au fait que Hugh Wolff en soit la cheville ouvrière. À l’époque
où le film fut réalisé (2001), le chef américain était à la tête de l’Orchestre
symphonique de la Radio de Francfort, et il dirige excellemment, avec finesse
et acuité, les extraits d’œuvres de Copland. Profitons-en pour rappeler à nos
lecteurs que le même Hugh Wolff, avec le même orchestre, avait été le
protagoniste d’un remarquable documentaire sur Erich Wolfgang Korngold, également paru chez Arthaus (100362).
Le temps
télévisuel est court, malheureusement, ce qui entraîne une vision un peu
univoque de Copland : la majeure place est dévolue à ses œuvres
d’inspirarion nationale et "folklorique" (Fanfare for the Common Man, Rodeo, Appalachian Spring, El Salón México...), pour démontrer
comment Copland créa "an American sound" puis, tout d’un coup, à
quelques minutes de la fin, on daigne nous parler – mais pour dire que le
succès public ne fut pas au rendez-vous – de Connotations et de son expérimentation du dodécaphonisme. Si ce
n’était quelques extraits des Poèmes
d’Emily Dickinson (dans leur version orchestrée), admirablement chantés par
Stella Doufexis, la prépondérance d’un chef d’orchestre dans l’entreprise a
pour effet pervers que pas un mot, pas une note ne font allusion... au reste de
l’abondante production de Copland, à savoir principalement sa musique de
chambre et son œuvre pour piano ! En somme cette heure d’émission vaudrait
comme un parfait premier volet d’un sujet qui appellerait un diptyque pour
rendre compte de la "double vie" artistique du compositeur, reposant sur
une alternance clairement assumée entre partitions destinées à un large public,
et œuvres plus secrètes, le laboratoire où le musicien mûrissait les avancées
de son langage. Des documents d’archives nous permettent de voir Copland
répondre aux interviews, diriger une répétition ainsi qu’un extrait en concert
de son Concerto pour clarinette avec
Benny Goodman. On voit aussi Martha Graham danser Appalachian Spring, et un
extrait de Lincoln portrait dirigé
par Leonard Bernstein avec un récitant noir qu’il aurait été opportun de
nommer. Hugh Wolff et le biographe Howard Pollack nous guident dans l’approche
de la personnalité du musicien. Des sous-titres français aideront les
spectateurs de notre pays, mais prévenons-les que de grossières (et parfois
comiques) erreurs de traduction s’y faufilent !
Sylviane Falcinelli.
***
|