Ludwig van BEETHOVEN : Concerto pour violon, Symphonie n°1, Ouverture de Coriolan. Isaac Stern, violon.  Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3154. TT : 76’03.

Franz SCHUBERT : Symphonie n°9. Carl Maria von WEBER : Ouverture d’Oberon. Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3155TT : 57’43.

Wolfgang Amadeus MOZART : Requiem, Ave Verum.  Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3156.

Coup sur coup paraissent trois disques rappelant la bienheureuse rencontre de l’immense chef autrichien Josef Krips (1902-1974) et de l’Orchestre national de la RTF, au cours de la décennie 1954-1965. Beethovénien hors pair (mais ne donna-t-il pas avec le même bonheur tout Haydn, tout Mozart et tout Schubert ?), Krips se signale surtout, dans cette interprétation de la Première Symphonie, par une apaisante humanisation du discours du grand sourd. Rien ne manque, aucun pupitre n’est négligé, chaque partie est ciselée et pourtant la passion demeure, aussi foudroyante que celle d’un Munch ou d’un Furtwängler, mais tellement plus viennoise, plus optimiste. Dans les passages les plus complexes, demeure ainsi cette lumière immatérielle qui reste la marque d’un chef aussi virtuose qu’inspiré, équilibrant avec le même bonheur les tempi, les intensités et les contrastes de timbre. Qualités que l’on retrouve au même niveau dans le Concerto pour violon, avec des moments d’une surnaturelle légèreté et une complicité bouleversante entre le soliste, la phalange qui le porte et le chef qui les soude.

Chez Mozart, le miracle est d’une autre nature, Krips invitant les auditoires contemporains à redécouvrir un Mozart tendre et radieux, doux sans mièvrerie, lyrique sans fadeur. Dès les premières mesures du Requiem, l’auditeur éprouve le sentiment, déroutant et stimulant, de redécouvrir une partition dont il avait cru jusque-là posséder toutes les clefs, les divers pupitres brossant une mosaïque sonore dont la variété dynamique n’a d’égale que la merveilleuse plénitude sonore. Dépouillement dramatique – dans cet enregistrement, la mise en exergue des silences relève du tour de force - et lecture scrupuleuse de la partition restent les maîtres mots. Rien de plus démonstratif en ce sens que l’Ave Verum, au sein duquel percent les échos de cette étrange inclination lyrique qui colora la musique religieuse des temps prérévolutionnaires. Occasion de rappeler qu’un compositeur, s’appelât-il Mozart, reste toujours l’héritier d’une longue tradition et le chantre de son époque. Car ici, plus encore que le maître de Salzburg, c’est tout le siècle des Lumières qui chante, un siècle qui, porteur des plus belles préméditations lyriques du théâtre musical, n’a pas oublié la grande leçon contrapuntique dispensée en son matin par Jean-Sébastien Bach et Haendel.

Schubert et Weber, enfin. Toujours au même niveau sommital. Dès l’introduction de la Symphonie, l’orchestre sonne avec cette vigueur roborative qui signale toujours le grand chef autrichien, et toute la suite illustre l’étonnante palette, chatoyante mais unitaire, des choix d’interprétation qu’il opère pour ce sommet de la musique romantique. Ainsi, sous sa direction, l’orchestre passe-t-il, avec une foudroyante soudaineté, de fragments d’un profond lyrisme à des épisodes de facture infiniment plus tourmentée. Même prodige avec l’ouverture de Weber : quel est donc le secret de Josef Krips pour alterner avec tant de bonheur les instants de pure sonorité si recherchée, si délicate, et les épisodes d’une telle intensité dramatique ? Il y a quelque chose d’infaillible chez lui, à mi-chemin entre instinct sensible et maîtrise virtuose. Sous sa direction, l’orchestre de la RTF enchante et satisfait avec le même bonheur le mélomane le plus blasé et le musicologue le moins indulgent. Trois disques, au total, qui réconcilient avec une esthétique qu’un certain fanatisme baroquisant avait tenté de disqualifier, mais dont tout dit maintenant qu’elle fut, et demeure, porteuse de la plus haute des vérités musicales.

    

Gérard Denizeau.

Éric LEBRUN : Vingt Mystères du Rosaire, pour violon, violoncelle, harpe & grand orgue.  2CDs Bayard Musique : S 448003.  TT : 42’12 + 51’47.

Dans ce double CD où les Vingt Mystères du Rosaire sont évoqués et commentés suivant leur ordre liturgique (Mystères joyeux, lumineux, douloureux, glorieux), Éric Lebrun a voulu rendre hommage aux Sonates pour violon & basse continue « Aus dem Leben Mariae » de Heinrich Biber (1644-1704) ; il les prolonge ainsi dans un langage qui, pour être résolument moderne et actuel, n’en est pas moins inspiré et fervent. Précédés par une pièce grégorienne (prière ou antienne à la Vierge) interprétée par la voix pure d’Isabelle Frémeau, et portant en exergue le texte liturgique, les quatre groupes, de cinq pièces chacun, sont confiés à divers instruments : orgue, violon, violoncelle, harpe, jouant tantôt en soliste, tantôt ensemble.  Nous ne pouvons pas dans le cadre de ce compte rendu évoquer en détail les multiples facettes de cette œuvre richement élaborée : depuis les éclats sonores et la virtuosité de l’orgue évoquant le surgissement de l’Ange Gabriel de l’Annonciation (I), à la déclamation douce et expressive du violon solo de la Visitation (II), depuis l’ample méditation du violoncelle du Jardin des Oliviers (XI), jusqu’au complexe harmonique répété de l’orgue, figurant les 41 coups de la Flagellation (XII), et enfin jusqu’à la légère envolée de l’orgue, telle celle d’un papillon, évoquant l’Assomption (XIX), autant d’exemples de ce fourmillement d’idées !  Si l’écriture est résolument actuelle, avec parfois l’usage du langage dodécaphonique, les formes restent traditionnelles, telles les variations de la harpe dans l’Annonce du Royaume (VIII), le choral d’orgue du Pange Lingua (X), le ricercar de la Couronne d’épines (XII), la chaconne d’orgue de l’Ascension (XVII) ou le rondo du Couronnement de la Vierge (XX) où tous les thèmes du cycle se superposent, s’enchevêtrent aux quatre instruments avec véhémence.

L’interprétation de cette œuvre majeure du jeune organiste de Saint-Antoine des Quinze-Vingt (église où a eu lieu l’enregistrement du disque), ne mérite que des éloges quant à la précision et à la musicalité.  Nous avons cité la voix expressive et pure d’Isabelle Frémeau ; ajoutons les noms des autres interprètes : les organistes Lucie Flesch, Béatrice Piertot, Yannick Merlin, Éric Lebrun et Marie-Ange Leurant (admirable dans la Crucifixion (XV)) , la harpiste Clara Izambert, le violoncelliste Philippe Bary, et enfin les violonistes Isabelle Lesage et Andréa Garnier ; celle-ci donne toute la mesure de sa virtuosité, mettant en valeur une écriture très violonistique, en particulier dans la Visitation (II) et le Baptême du Christ (VI).

Œuvre majeure, avons-nous dit, que ces Vingt Mystères du Rosaire, bien apte à inaugurer ce XXIe siècle musical qui, comme par le passé, verra éclore, n’en doutons pas, de nombreux et nouveaux chefs-d’œuvre !

Marie, porte du ciel.   Œuvres mariales du XIVe au XXe siècle.  Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun aux orgues historiques de Santa Maria de Mahon (Espagne).  Maîtrise de Dijon, dir. Alain Chobert.  Bayard Musique : 464713.  TT : 59’59.

Ce bel ensemble de 22 pièces, inspirées par le culte à la Vierge Marie, nous entraîne à travers les siècles, du chant grégorien à nos jours, faisant alterner pièces chorales et instrumentales. Mais c’est aussi à un voyage à travers toute l’Europe que l’auditeur est invité. Partant d’Espagne, puisque c’est sur le superbe orgue de la cathédrale Santa Maria de Mahon à Majorque que Marie-Ange Leurant et Éric Lebrun feront sonner des œuvres de Cabezón et de Sebastian Aguilera de Heredia, la Maîtrise de Dijon nous mènera en Italie, avec un Ave Maris Stella de Anerio et un très expressif Salve Regina de Viadana, entrecoupé de grégorien.  Avec les versets pour orgue du Magnificat de Pachelbel, suivi de sa version pour chœur (accompagnée de cornets et de saqueboutes), et du Choral BWV 648 de Jean-Sébastien Bach, nous nous retrouverons en terre germanique.  Après le Magnificat grégorien, entrecoupé d’un faux-bourdon de Joseph Samson, nous rejoindrons la France avec le Magnificat du 4e ton de Jean-François Dandrieu. Dans cette œuvre magnifique, l’orgue donne toute la mesure de sa palette sonore, avec ses jeux de tierces, de basses et dessus de cromorne, ou de trompette. Deux œuvres de César Franck suivront : en premier lieu l’Ave Maria pour chœur et orgue, recueilli et paisible, suivi de deux Versets pour orgue de l’Ave Maris Stella aux modulations bien franckistes. Les brumes nordiques nous accueilleront ensuite avec un beau chœur de Grieg, Ave Maris Stella, simple et fervent. Avec une Prière à Notre-Dame, extraite de la Suite Gothique pour orgue de Léon Boëllmann, empreinte ici d’un charme très « massenétique », très « fin de siècle », et d’un Recordare Virgo Mater pour chœur, du grand violoncelliste catalan Pablo Casals, prendront fin ces hommages variés et fervents à « Marie, porte du ciel ». L’interprétation, tant de la part des deux organistes, Marie-Ange Leurent-Lebrun et Éric Lebrun, que de la Maîtrise de Dijon dirigée par Alain Chobert, remarquable à tous points de vue, contribue à faire de ce CD une réalisation vivante, variée et pleine d’attraits.

Franz LISZT : Évocation à la Chapelle Sixtine.  Œuvres sacrées pour orgue.  Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun (orgue Stiehr-Mockers de l’église protestante de Barr).  2 CDs Bayard Musique : S 447989. TT : 51’44 + 45’44.

Pour l’année Liszt, Bayard Musique nous propose une fort intéressante anthologie d’œuvres sacrées pour orgue , due au talent du célèbre duo d’organistes, Marie-Ange Leurent-Lebrun & Éric Lebrun, chacun titulaire de prestigieuses tribunes parisiennes. Ce florilège, qui réunit dans ce double CD 17 pièces composées dans la dernière partie de la vie de Liszt, débute par des extraits de L’Arbre de Noël, écrit à l’intention de la petite-fille du compositeur, Daniela von Bülow, comportant des œuvres inspirées par Noël, liturgiques ou populaires.  Plusieurs pièces dédiées à la Vierge (Ave Maria, Ave Maris Stella, Salve Regina) voisinent ensuite avec quelques chorals allemands ou un bel Angelus carillonnant.  Des œuvres de plus grande envergure y figurent aussi, telle Les Morts-Oraison (inspirée par la mort prématurée du fils de Liszt, Daniel) dans ses deux versions, l’une avec récitant sur un texte de Lamennais, l’autre pour orgue seul ; telle également la superbe Introduction, Fugue & Magnificat de la Dante-Symphonie où des éclats un peu théâtraux lui confèrent une grandeur et une somptuosité sonore très organistique.  Mais le sous-titre de ce remarquable enregistrement, Évocation à la Chapelle Sixtine, se justifie par cet hommage à Mozart - qui vint à Rome à l’âge de douze ans - avec des réminiscences ou citations du Miserere d’Allegri, puis de l’Ave verum Corpus.  Le talent des deux organistes, interprètes de cette belle réalisation, n’est plus à souligner. Ils se partagent ce beau programme -exécuté sur un très bel orgue alsacien, contemporain de Liszt - tantôt alternativement, tantôt ensemble à quatre mains ; ainsi se trouve complétée, grâce à l’évocation de cette brillante facette du génie quasi universel de Franz Liszt, la série d’hommages qui lui furent rendus cette année.

Francine Maillard.

André MATHIEU (1929-1968) : Trio pour violon, violoncelle et piano, Quintette pour piano et cordes Ernest CHAUSSON : Concert op.21.  Alain Lefèvre (piano), David Lefèvre (violon), Quatuor Alcan.  Analekta : AN 2 9286.

Le culte dont André Mathieu est l’objet au Québec s’avère proprement effrayant : « le Mozart canadien » (n’ayons pas peur de mots, surtout !), une biographie de 500 pages, un film, une véritable croisade en sa faveur orchestrée par le pianiste Alain Lefèvre…  Le fait que celui-ci ait couplé l’enregistrement d’un concerto dudit petit « Mozart » (qui, paraît-il, fut un enfant prodige mais mourut précocément pour cause d’abus de la dive bouteille) au Concerto de Varsovie de Richard Addinsell suffisait à mettre la puce à l’oreille !  Alors, pour le dire en moins de 500 pages, que l’on me permette d’emprunter une phrase à l’un de mes producteurs de la Radio suisse romande : « C’est de la musique qui ne ferait pas de mal à une mouche ».  Soupe dégoulinante qui laisserait passer Rachmaninov pour le comble de l’avant-garde, la musique d’André Mathieu est surtout mal foutue (excusez le vocabulaire peu littéraire, mais je n’en vois pas d’autre pour décrire ce que l’on entend ici) : lorsqu’une idée un tant soit peu originale fait saillie, elle tourne court faute de métier pour la développer et en tirer le meilleur parti (ah, les marches d’harmonie !  Il vint pourtant étudier en France avec de bons maîtres, avant et après la guerre).  Le génie – authentique, celui-là – de Chausson n’avait pas besoin d’un tel faire-valoir pour s’imposer, il ne perd rien de son relief, même quand on l’intègre à des couplages homogènes, je veux dire à son niveau !  Il est déconcertant d’entendre des interprètes de grande qualité s’égarer dans une telle absence de discernement, d’autant qu’ils servent le chef-d’œuvre qu’est le Concert op.21 avec un très beau lyrisme caressant ses contours wagnériens et fauréens, échafaudant ses progressions franckistes.  Interprétation moins radicale, moins inexorablement puissante que celle que l’on entendit en concert à l’Auditorium du Louvre par Jean-Frédéric Neuburger, Diego Tosi et le Quatuor Modigliani (tous transcendants de profondeur), celle des Canadiens enrobe par sa généreuse sensualité et une délicatesse chaleureuse dans le travail du son qui ne s’effectue pas au détriment de la grandeur.  On salue ici une réelle compréhension de l’esthétique française “fin de siècle”, une émotion poignante (le mouvement lent, magnifique de désolation avant de s’élever à un véritable drame intime).  Pourquoi tant de goût dans l’interprétation des valeurs sûres, et tant d’inculture dans l’analyse compositionnelle ?

Description : Description : Chausson

Duo Gaulin-Riverin : Brillance.  Œuvres pour saxophone & piano de Jean Matitia (°1952), Fernande Breilh-Decruck (1896-1954), Paul Creston (1906-1985), William Albright (1944-1998), Ida Gotkovsky (°1933), Rudy Wiedoeft (1893-1940), Piet Swerts (°1960).  Analekta (www.analekta.com) : AN 2 9953.

Ce programme composé de manière attrayante est une fontaine de découvertes pour qui ne serait pas versé à temps complet dans le répertoire de saxophone.  Deux jeunes artistes canadiens, le saxophoniste Mathieu Gaulin et la pianiste Jacynthe Riverin, ont choisi des pièces peu courues du XXe siècle européen et américain, toutes d’une réelle originalité et de climats fort divers.  L’irrésistible Devil’s rag signé Jean Matitia est aujourd’hui un “classique” de ce que l’on oserait appeler la virtuosité divertissante, et l’on ne tait plus que sous ce pseudonyme se cache Christian Lauba ; nos Canadiens brusquent malheureusement l’élocution de cette pièce que l’on recommande d’écouter dans sa version de référence par les Hollandais Arno Bornkamp et Ivo Janssen (coffret « Le Saxophone classique », Brilliant Classics). Qui se souvient encore de l’organiste-compositrice Fernande Breilh-Decruck (sur laquelle on lira une intéressante documentation : http://www.saxiana.fr/pdf/Fernande-decruck.pdf), originaire de Gaillac ?  Certes, sa Sonate en do# s’inscrit dans l’esthétique de la musique française de l’entre-deux-guerres, et quelques influences s’y faufilent, mais elle n’en porte pas moins une gravité de sentiment bien personnelle.  Autre compositrice française, Ida Gotkovsky, dont Brillance (1974) va bien au-delà de ce titre à la connotation clinquante : l’œuvre expose quatre brefs mais prenants climats, avec un sens éloquent de la déclamation de l’instrument.  La Belgique est représentée par Piet Swerts et sa très belle pièce Klonos, au ton opiniâtre.  Deux Américains sont à l’honneur avec des œuvres se rattachant à des courants opposés : Paul Creston cultivait une grâce de style néo-classique (le finale de sa Sonate de 1939 est aussi piquant que du Poulenc), tandis que le regretté William Albright (qui s’enfonça dans une spirale auto-destructrice, avec alcoolisme à la clé) s’affirmait comme l’une des figures les plus audacieuses de l’avant-garde.  Les cinq mouvements de la Sonate d’Albright semblent parcourir les diverses humeurs de son esprit toujours en recherche : s’il reprend des titres empruntés à l’histoire, c’est pour le coup sans esprit néo-classique ; son Invention trahit une obstination tourmentée, La Follia pousse la mélancolie jusqu’à l’écartèlement, le Scherzo n’est que traversées fugitives de fantômes, le Recitative emprunte à Messiaen (mais en plus bref) l’idée d’un mouvement monodique au cœur de l’édifice, et la Mad dance glisse, feule, rugit sur de prestes rythmes.  Le but de ce récital est de démontrer que la virtuosité la plus affichée ne passe pas nécessairement par des démonstrations creuses ou extérieures, mais qu’elle peut se parer d’une modernité de bon aloi.  Pour leur premier disque, Mathieu Gaulin et Jacynthe Riverin ont incontestablement réussi leur pari.

Description : Description : Saxophone (1)

Bruno MADERNA (1920-1973) : Ausstrahlung* ; Biogramma ; Grande Aulodia.  Carole Sidney Louis (soprano)*, Thaddeus Watson (flûte), Michael Sieg (hautbois).  Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, dir. Arturo Tamayo.  Neos : 10935 (distr. Codaex).

Nul n’échappe à ses racines : en ces années darmstadtiennes (autour des années 1960) de radicalisation et de théorisation agressive, le lyrisme fut sauvé par deux Italiens (qui s’en étonnerait ?), Maderna et Berio.  Conséquence : leur musique passe mieux que celle d’autres contemporains le cap des générations.  Bruno Maderna (que son goût pour les bons petits vins expédia prématurément ad patres ; décidément les ravages de l’alcoolisme transforment en cimetière notre rubrique de ce mois-ci !) refusa toujours les systématismes de ses camarades, ce qui ne l’empêchait pas de pratiquer une modernité épanouie.  On peut prendre avec scepticisme son choix (dominant dans les importantes œuvres ici réunies) de la composition aléatoire, ou plus exactement de la forme ouverte : cela n’apporte rien à ces œuvres d’en laisser déterminer le parcours fléché par les interprètes ; de surcroît, conversez avec les musiciens d’orchestre, et vous verrez qu’ils ne se sentent absolument pas concernés par cette soi-disant liberté, et que cette pratique les agace et les impatiente plus qu’autre chose.  Par ailleurs, à une époque où la déstructuration des textes - pour n’y puiser que l’usage des phonèmes - était à la mode, Maderna, dans Ausstrahlung, veilla soigneusement à ce que les textes parlés sur bande magnétique (des textes persans et des extraits des livres sacrés indiens, dits en quatre langues européennes, ce qui pourra surprendre) soient toujours clairement entendus, respectés.  Il y a là, dans la manière de faire en sorte que les combinaisons orchestrales ne couvrent pas les voix, un instinct qui vient, qu’on le veuille ou non, de l’art opératique (donc bien italien !).

Mais attardons-nous plutôt sur ce qui frappe dans ces vastes partitions datant de 1970 à 1972 : le sens mélodique.  La flûte et le hautbois, amoureusement mis en valeur dans Ausstrahlung et Grande Aulodia, dessinent des courbes magnifiques, totalement étrangères aux mœurs de la génération de Darmstadt, mais d’une beauté intemporelle qui les rend… éternellement actuelles.  Autour d’eux, des blocs orchestraux ou des recréations timbriques montrent la maestria du chef d’orchestre – donc grand connaisseur de l’orchestre –  qu’était Maderna.  Dirigeant la musique d’un collègue, le chef espagnol Arturo Tamayo s’y montre exemplaire : il est incontestablement l’un des interprètes qui savent le mieux faire de la musique en s’emparant du répertoire contemporain ; ses Ohana et ses Xenakis demeurent des références, ses Maderna se haussent au même niveau d’excellence.  Saluons la prise de son, superbe, même si nulle reconstitution (fût-elle en SACD) ne peut rendre la volonté de spatialisation du compositeur (Grande Aulodia répartit les groupes instrumentaux d’une manière précisément décrite).

Description : Description : Maderna

Robert SCHUMANN : Gesänge der Frühe op.133,  7 Fughetten op. 126, Kreisleriana op.16, Geistervariationen (1854).  Dina Ugorskaja.  Avi music (en coproduction avec la Bayerischer Rundfunk) 8553217 (distr. Codaex).

Dina Ugorskaja, à l’instar de son célèbre père, préfère cultiver les marges que de s’abandonner au mainstream d’une carrière conventionnelle. Les ultimes recueils de Schumann, à l’image du cerveau de leur auteur malade, s’éloignent du monde des vivants : pour en véhiculer toute l’émotion aux arrière-plans pathétiques sans se laisser piéger par leur apparence désertique, il y faut un(e) interprète “habité(e)”.  La rencontre entre lesdites œuvres et l’interprète susnommée ne pouvait être que féconde. Dès les premières notes des Gesänge der Frühe (Chants de l’Aube), on entre avec elle dans la vérité épurée de la confidence. Les première et cinquième pièces de cet op.133 donnent à entendre sous ses doigts un miracle de gravité allant à l’essentiel, trouvant un sens à la nudité, tandis que les éclairs de rythme de la troisième et le doux ruissellement de la quatrième ranimeront l’espérance en la vie.  Le son de la pianiste est très travaillé, mais éclot avec un naturel qui sait « cacher l’art par l’art même ». Elle aborde les Fughetten avec une délicatesse, une fraîcheur qui préservent ces contrepoints pourtant rigoureux de toute aridité formelle. L’inclusion, au sein de ces œuvres sinon désincarnées du moins distanciées, des Kreisleriana au romantisme tempêtueux, pour avoir valeur d’absolu contraste stylistique et pianistique, n’en est pas moins judicieuse : en effet, par sa source littéraire comme par sa composition fantasque, l’op.16 laisse entrevoir les germes de la folie qui – fléau héréditaire chez les Schumann – emportera Robert.  Au fil des sections les plus intimes de cette construction n’obéissant qu’aux lois d’un imaginaire halluciné, Dina Ugorskaja illumine ce qui peut être vu comme une préfiguration des Chants de l’Aube, comme une aube de ce crépuscule, et elle atteint à une admirable pureté dans le drame intérieur pudiquement avoué. Des nappes de fantômes traversent sa vision de la dernière page des Kreisleriana, annonçant ainsi les Geistervariationen (Variations des esprits, esprits au sens de spectres) qui s’y enchaînent sur le disque. On comprend que Clara, de son vivant, ait interdit la diffusion de ces Variations qui ont peu d’autres atouts que celui – nous donnant l’impression pénible d’une forme de voyeurisme – d’exhiber l’état de destruction d’un cerveau qui fut l’un des plus bouillonnants de génie qui soit. C’est donc par la persuasion de la compassion qu’un(e) interprète peut en faire partager le message de désolation à ses auditeurs, et la pianiste russe réussit là encore son difficile pari.

La prise de son accompagne bien l’esprit contenu de l’interprétation. Ce disque apporte une contribution nécessaire, terriblement humaine, à la discographie schumanienne.

Robert SCHUMANN : Carnaval op.9, Impromptus op.5, Albumblätter op.124, Noveletten op.21, Gesänge der Frühe op.133,  Fughetten op.126, Variationen über ein Thema von Schubert.  Cédric Pescia.  2CDs Claves : 50-1103/04.

Le label suisse poursuit son intégrale de l’œuvre pianistique de Schumann confiée à de jeunes artistes. La malchance veut que, sur ce cinquième volume confié au Lausannois Cédric Pescia, on retrouve deux des œuvres ultimes sorties quelques mois auparavant sous les doigts de Dina Ugorskaja. La comparaison ne tourne pas en faveur du jeune Suisse : dans les Gesänge der Frühe, il se montre plus prosaïque, plus “vert” et inexpérimenté que sa miraculeuse collègue russe, ne réussissant pas à creuser ce déroutant opus. Quant aux Fughetten, il les joue certes avec délicatesse, mais comme de jolis exercices : autant dire qu’on s’ennuie vite ! Suivons Cédric Pescia sur le chemin d’autres époques de la vie de Schumann : quitte à devoir nous donner la nième version du Carnaval op.9, autant l’assortir d’un intéressant apport documentaire consistant en variations sur la Sehnsuchtswalzer de Schubert, non dénuées de plaisantes trouvailles. Mais, abandonnant cet essai de jeunesse avorté (ici mis en forme “présentable” par Andreas Boyde) pour vite bifurquer vers le Carnaval, Schumann y puisera  notamment son Préambule.  Cédric Pescia ne fait pas montre d’une imagination débordante dans l’articulation dudit Carnaval, bien joué au demeurant ; il y est par moments élégant, fin, mais aussi capable d’enfoncer des clous comme dans le dernier volet ! Il convainc mieux dans les phases de mystère et les divagations des Impromptus op.5 (curieusement peu souvent joués). Les pages éparses récupérées par Schumann pour constituer les Albumblätter, si elles ne s’intégraient peut-être pas aux recueils en parallèle desquels elles naquirent, offrent de savoureuses touches, tantôt poétiques, tantôt espiègles, qu’on aurait tort de négliger : Cédric Pescia s’en fait l’avocat plein de tact. Les Novelletten nous ramènent aux problèmes du Carnaval : la virtuosité est impeccable, fluide, mais chez Pescia, la puissance homophonique s’avère un peu vulgaire, un peu “paysanne” ; par ailleurs, il ne prend pas assez le temps de ménager ces temps de repli d’où sourdent comme des voix antérieures (et pas seulement intérieures !).  Il est des enregistrements que l’on fait trop tôt ; ce jeune homme n’a pas encore atteint le degré d’évolution grâce auquel il pourra un jour se mesurer aux pianistes exceptionnels qui ont marqué l’interprétation schumannienne ; que ceux-ci soient possédés d’intuitions fulgurantes, ou qu’ils s’affirment au prix d’un long itinéraire de mûrissement, ils ont autant questionné les méandres tourmentés de l’âme du compositeur que l’instrument afin d’en extraire des solutions idoines.  

La captation a été effectuée à Berlin sur un Steinway new-yorkais de 1901, qui nous rappelle celui employé par le label allemand MDG.

Egon WELLESZ (1885-1974) : Sommernacht pour voix & ensemble de chambre ; Mouvement pour orchestre de chambre ; Persisches Ballet ; Suite pour violon & ensemble de chambre ;  Four Songs of return pour soprano & ensemble de chambre ; Ode an die Musik pour baryton & ensemble de chambre.  Christine Whittlesey (soprano), Adrian Eröd (baryton), Josef  Hell (violon), Ensemble Kontrapunkte, dir. Peter Keuschnig.  CPO : 777 575-2.

Le Viennois Egon Wellesz, parmi les élèves de Schönberg, conserva toujours sa liberté par rapport au “dogme” ; de surcroît, voué à l’exil par le nazisme, il mena à Oxford une double carrière de compositeur et de musicologue spécialiste de la musique byzantine. L’Ensemble Kontrapunkte, dont les musiciens sont issus des rangs des deux grandes phalanges viennoises, réunit ici des pièces s’étalant sur quinze années d’avant-exil (1909-1924), puis deux œuvres vocales tardives (1961 et 1965). Tout n’est pas de la meilleure eau. Dans Sommernacht, des climats profonds, teintés d’une influence bien “digérée” de Schönberg, émanent du complexe de dix instruments, mais la ligne vocale (ici confiée au baryton), la mise en mélodie du texte, se révèlent sommaires, dénuées d’inspiration poétique.  Est-ce pour cela que Wellesz ne fit ni jouer ni publier cette pièce, dont le disque constitue la première posthume ?  Le minuscule Mouvement dodécaphonique, destiné au cercle de Schönberg, ne connut lui aussi d’exécution que posthume, et l’on reste sur un sentiment d’inachevé.  Le compositeur savait décidément ce qu’il faisait en ne laissant point paraître n’importe quoi. Bien achevé, mais assez superficiel, est le Ballet qui n’a de persan que le nom et l’argument. La partition connut plusieurs variantes, et l’on peut penser que la version plus largement orchestrée draperait plus avantageusement la narration que l’ascétique dizaine d’instrumentistes ici en action, même s’ils s’efforcent d’en faire ressortir le limpide entrelacs de lignes. La Suite oscille entre aridité et inclusion de naïves ritournelles, guère aidée par le son du violoniste qui manque de chaleur.

Le meilleur du programme nous attend donc à la fin. Est-ce nostalgie de l’exilé ? Les Four Songs of return s’ancrent plus clairement dans une esthétique atonale de post-dodécaphonisme ; la grande réussite tient à la répartition dans l’espace des timbres instrumentaux qui tissent un maillage aéré et inventif autour de la voix ; ceci dit, avec le temps, Wellesz n’est pas plus devenu un compositeur “vocal”, et il faut féliciter Christine Whittlesey d’avoir mis sa vaillance au service d’une partie éprouvante, écrite comme un instrument parmi les autres. L’Ode de Pindare qui conclut le disque montre le goût du maître  pour l’Antiquité, elle est aussi plus “humaine” pour la voix, et le traitement des timbres tend cette fois à des couleurs d’essence orchestrale. Le livret nous apporte de précieux éclairages documentaires, il est l’œuvre de deux responsables du Egon-Wellesz-Fonds bei der Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne.

Rééditions “The Sony Opera House”

On se lamente lorsque des gravures à juste titre mémorables manquent au catalogue durant de nombreuses années. L’allégresse nous saisit lorsqu’une opportune réédition les rend à notre fraîche écoute. Parmi la dizaine d’opéras gagnant la collection économique sous laquelle la firme japonaise regroupe les anciennes étiquettes américaines CBS et RCA, nous en avons sélectionné trois rendus à nos vœux (on s’exprimerait en langage librettistique, à trop fréquenter ce répertoire !).

En premier lieu, l’irremplaçable et irremplacée Cendrillon de MASSENET (88697855742, un boîtier de 2 CDs). Alors que ce délicieux « conte de fées en quatre actes » a été remonté à ravir par l’Opéra-Comique en mars dernier, on ne pouvait plus l’entendre au disque ! Or la version enregistrée en 1978 (à l’époque sous label CBS) demeure une référence quasiment parfaite : Frederica von Stade est toute de délicatesse mélancolique, d’élan affectif spontané, de touchante sincérité, et elle affronte avec une maîtrise vocale sans faille le rôle-titre qui occupe une place ambiguë entre mezzo-soprano et redoutables aigus de franc soprano ; l’Acte III, qui constitue le grand moment de l’héroïne, la voit donner toute l’envergure tant humaine que virtuose de son émouvant personnage.  La Fée de Massenet évolue dans les mêmes sphères de haute altitude (soprano léger coloratura) que la Reine de la Nuit : Ruth Welting y est aérienne à souhait. La diction française ne saurait être mieux défendue que par le couple Jules Bastin (Pandolfe) et Jane Berbié (Madame de la Haltière) : le baryton suscite l’empathie envers son débonnaire personnage, mari faible mais père aimant ; Jane Berbié fait presque trop passer le beau chant avant la caricature dans son rôle d’invivable marâtre : le trio formé par la prétentieuse dame escortée de ses deux sottes filles constitue un  pic du comique sur la scène lyrique et, à l’Opéra-Comique, la cantatrice polonaise Ewa Podleś, irrésistible du haut de ses cinquante-neuf printemps, avait pleinement assumé le registre “bouffe” de sa composition. Quant à l’expérience du chef Julius Rudel dans l’opéra italien et français, elle n’est plus à vanter : elle soutient le rythme sans temps morts d’un ouvrage qui brille également par les saveurs de son orchestration. La seule erreur de cette  distribution consiste à avoir transposé le rôle du Prince Charmant pour un ténor (Nicolaï Gedda) : cette erreur fréquemment commise – par réalisme ? ce serait le comble dans un conte de fées, par définition irréaliste ! – méconnaît le clin d’œil que Massenet, tout comme Richard Strauss, adressait aux siècles passés (le conte de Perrault date de 1697) en revenant à la pratique des rôles travestis, ce qui déconcerta la critique de l’époque ; mais imaginerait-on de faire chanter par un homme l’Octavian du Chevalier à la Rose ? Massenet a de même créé un exquis Chérubin, qui fut également enregistré par Frederica von Stade. La production de l’Opéra-Comique avait respecté l’attribution féminine du rôle, qui se trouve déplorablement alourdi quand on l’entend par un ténor. Enfin, le Prince Charmant étant le seul personnage un peu fade de l’ouvrage (ce qui fut critiqué dès la création), ce faux pas n’entachera guère le plaisir que nous procure par ailleurs une magnifique distribution.

Don Pasquale (88697856542, un boîtier de 2 CDs venant du fonds RCA) est le bijou post-rossinien de DONIZETTI. Roberto Abbado (le neveu de qui vous savez), à la tête de l’Orchestre et du chœur de la Radio de Münich, sait trouver le juste équilibre entre la verve prenant ses racines dans une longue tradition d’opera-buffa, et ce petit quelque chose en plus par lequel Donizetti “actualise“ le naturel de la déclamation et l’orchestration (la composition date de 1842). Son expérience rossinienne (c’est de famille, décidément !) le rend pleinement maître d’étourdissants ensembles comme le trio puis le quatuor terminant l’Acte II, ou d’un rebond tout en finesse dans les délicieux chœurs de domestiques de l’Acte III. Renato Bruson, en 1993, était en grande forme vocale ; mais, ambiguïté du casting, il mena une grande carrière de baryton-Verdi, alors que Don Pasquale est une basse bouffe : le rôle fut d’ailleurs créé au Théâtre Italien de Paris par l’illustre Luigi Lablache face à Antonio Tamburini en Docteur Malatesta ; ce n’est pas tant le registre que la couleur qui est en cause, même si Don Pasquale descend une tierce mineure plus bas que Malatesta : après tout, Geraint Evans chanta le barbon dans la célèbre production de Jean-Pierre Ponnelle, or il était un Figaro mozartien et un Falstaff. Il en résulte ici que les couleurs vocales se confondent presque lorsque Renato Bruson dialogue avec l’excellent Malatesta de Thomas Allen.  Eva Mei chante en fine comédienne, malheureusement bridée par son aigu trop étriqué. Seul Frank Lopardo se montre insipide ; même si le rôle de ténor n’est pas l’essentiel, la création fut tout de même confiée à Mario di Candia, un partenaire adulé pour partager l’affiche avec Giulia Grisi, première Norina, qui deviendra deux ans plus tard son épouse. Précisons que Roberto Abbado dirige l’édition établie par Piero Rattalino en 1971 à partir du manuscrit de Donizetti.

Roberto Abbado, toujours avec les forces munichoises et flanqué d’une fière équipe de trois chanteurs (Vesselina Kasarova, Ramón Vargas, Eva Mei : c’était l’époque où les deux premiers enregistraient aussi un mémorable Werther), avait dirigé pour RCA deux réalisations du plus haut intérêt musicologique : Tancredi de Rossini, dans l’édition critique de Philip Gossett, avec les deux finali alternatifs, et l’opéra de BELLINI qui nous revient aujourd’hui, I Capuleti e i Montecchi (coffret de 3 CDs 88697856522). Celui-ci connut bien des vicissitudes, dont le présent coffret se fait l’écho : si le rôle (travesti) de Roméo fut créé par la fameuse Giuditta Grisi (sœur de Giulia), il fut repris en 1832 par une autre “star”, la Malibran… laquelle décréta que le finale de l’ouvrage (plus d’une demi-heure de musique, tout de même !) ne la mettait pas assez en valeur ; alors, du vivant du compositeur (on n’est pas plus aimable !), elle y substitua d’autorité le finale d’un autre Giulietta e Romeo, celui de Vaccai ; l’auteur commun des deux libretti, Felice Romani, s’en émut lui-même, mais cette incohérente “substitution” survécut jusqu’au XXe siècle (que voulez-vous, la Malibran, on s’incline… sans remonter du gosier à la cervelle !).  En 1966, un jeune chef milanais nommé Claudio Abbado (mais oui !)  imposa le retour à la partition de Bellini, quoique encore altérée par l’attribution du rôle de Roméo à un ténor (toujours les raisons de réalisme scénique : voir ci-dessus Cendrillon), ce qui dénature les enlacements de voix soprano/mezzo-soprano ou contralto chéris par Bellini. On peut entendre cette étape “historique” (avec le jeune Luciano Pavarotti en Tebaldo) sur de vieilles cires “live” à la prise de son archaïque ! Trente-et-un ans plus tard, les mentalités ayant évolué, grâce d’ailleurs à l’acharnement de Claudio Abbado, le neveu d’icelui disposait des moyens pour nous donner un parfait I Capuleti e i Montecchi, avec les deux voix féminines, cette fois, et, à la partition complète du Sicilien, il ajoutait en bonus (sur le troisième CD) le finale de Vaccai afin que nous puissions constater par nous-mêmes que, engoncée dans les conventions de l’époque, sa musique n’est ni pire ni meilleure qu’une autre. Cela dit, l’intensité émotionnelle que donne Vesselina Kasarova à la mort de Roméo chez Bellini accentue le contraste en faveur de l’original plus dépouillé. Ah, ces traditions de chanteurs ! En contre-exemple, le disque de bonus nous fait entendre l’air d’entrée de Roméo (Acte I) dans une réécriture ornée par Rossini : ornementation sobre mais d’une élégance souveraine ; quand un compositeur plus doué appose sa “patte” sur le travail parfois inabouti d’un cadet, on doit reconnaître que le résultat s’envole tant il  témoigne d’une souplesse à la fois plus judicieuse et plus séduisante dans la vocalità.

Dès la scintillante Sinfonia, on comprend que Roberto Abbado va instiller la vie à cet ouvrage inégal, coupé de “tunnels” en récitatif et d’ensembles trop statiques ; pourtant, écoutez la ligne instrumentale introduisant « Tace il fragor », c’est déjà du Chopin !  Eva Mei (Juliette) est ici en meilleure forme que dans ses Norina et autres Violetta, Vesselina Kasarova réussit à vaincre les difficultés d’un rôle de contralto coloratura à la tessiture très longue auquel elle apporte son timbre corsé, malgré une prononciation bizarre de l’italien ; ainsi chanté, le duo Roméo-Juliette de l’Acte I/scène 2 est un délice. Ramón Vargas donne sa vaillance verdienne et son grave chaleureux au rôle de Tebaldo, les solistes instrumentaux jouent à merveille leurs rôles de “partenaires”, les chœurs de la Radio bavaroise font preuve d’un fondu et d’un phrasé parfaits. Un document précieux.

Série de rééditions “gourmandes” en Italie (Dynamic, distr. Codaex) :

Il y a quelques mois, nous vantions les Quatuors à cordes de Saint-Saëns importés d’Italie dans une collection qui, pour souligner son titre Delizie musicali, orne ses couvertures de “dolci” et “gelati” du dernier kitchissime. Un nouveau plateau de ces “dolci” nous est parvenu, dont nous avons extrait l’excellent récital Liszt pour notre rubrique ad hoc. Passons sur des Sonates de Grieg (Dynamic DM8016) gâchées par le son rêche et enrhumé de la violoniste Natalia Lomeiko ;  pourtant, si la pianiste Olga Sitkovetsky avait eu quelque lyrisme à soutenir chez sa partenaire, sa propre interprétation aurait pu faire prévaloir un romantisme cernant bien le caractère des mouvements. Délices superficiels comme un nuage de crème Chantilly, les pièces de caractère du violoniste virtuose Antonio Bazzini (1818-1897) nous reviennent sous l’archet de Luigi Alberto Bianchi (DM8018) qui avait eu l’intelligence de laisser de côté la célébrissime Ronde des lutins  pour se concentrer sur des recueils de 1865 et 1867 ; mais si l’on savoure la grâce du Conte de Grand’Mère, de La Nymphe des bois ou de Mignonne, la trop longue Sonate manque de consistance pour soutenir la durée. 

En revanche, un joyau d’interprétation  – injustement demeuré confidentiel – nous manquait cruellement depuis de longues années : l’œuvre pour piano de Janáček par Andrea Pestalozza (DM8010). Nul ne sait mieux que ce pianiste italien faire oublier que le piano a des marteaux, et pourtant, musicien polyvalent, il est aussi... percussionniste ! Sa passion, les pans négligés du répertoire, a conduit ce neveu de Claudio Abbado (eh oui ! encore un !) à choisir l’ombre du dévouement à des causes difficiles plutôt que la gloire d’une carrière de bateleur d’estrade. Il nous murmure de mélancoliques confidences Sur un sentier herbeux, et distille d’impalpables atmosphères à faire pleurer des pierres. Puis des lueurs diffractées percent Dans la brume (traversées d’étranges et fugitifs effets de miroir par lesquels Janáček invoque Beethoven et Brahms). Enfin, la Sonate 1.X.1905 – commémorant la mort d’un ouvrier de 20 ans au cours d’une manifestation – tournoie dans ses obsédantes exhalaisons d’une  irrémédiable désolation, d’un abandon dépouillé. Un disque envoûtant, vraiment.

    

Johannes BRAHMS : Les 3 Sonates pour violon et piano, Scherzo de la Sonate F-A-E.  Arabella Steinbacher (violon), Robert Kulek (piano). Pentatone SACD PTC 5186 367 (distr. Codaex).

Ce disque est un enchantement tant il prend soin de tout ce que les intentions de Brahms  véhiculent : car la douceur et la tendresse si palpables ici sont inscrites en toutes lettres sur les partitions (spécialement les 1er et 3e mouvements de la Sonate n°1, puis les 1er et 2e mouvements de la Sonate n°2). Le legato très fondu du clavier et de l’archet donne la plus  expressive concentration, la plus poignante intériorité à l’Adagio de la Sonate n°1, fruit de la douleur face à l’inéluctable disparition de Felix Schumann, fils de Robert et Clara. On admire chez Robert Kulek l’art de timbrer de beaux p et pp (nuances qui reviennent fréquemment sur ces partitions). L’entente entre les deux partenaires scelle la réussite de cette interprétation. Cependant, si leur approche, toute de délicatesse, convient magnifiquement aux

deux premières Sonates, émanations de Lieder nées de circonstances intimes que le livret détaille fort bien, la troisième, plus manifestement Sonate de concert, nous est familière selon des conceptions axées sur la grandeur des éléments opérant comme des arcs-boutants. Pourtant, Robert Kulek et Arabella Steinbacher nous rappellent que les contrastes les plus nuancés y prédominent aussi. Et ils savent se montrer sous un jour plus débridé dans le Scherzo de la Sonate F-A-E. L’excellente prise de son respecte parfaitement la musicalité des interprètes.

Francesco CILEA : Adriana Lecouvreur. Micaela Carosi (Adrianne Lecouvreur), Marcelo Álvarez (Maurice, Comte de Saxe), Alfonso  Antoniozzi (Michonnet), Marianne Cornetti (la Princesse de Bouillon), Simone Del Savio (le Prince de Bouillon), Luca Casalin (l’Abbé de Chazeuil). Orchestre et Chœur du Teatro Regio de Turin, dir. Renato Palumbo. Dynamic CDS 628/1-2 (2 CDs).

Les téléspectateurs ayant eu la chance de voir sur Arte le spectacle, proche de la perfection, filmé en décembre 2010 à Covent Garden par François Roussillon, dans la splendide mise en scène de David McVicar, avec Jonas Kaufmann, Angela Gheorghiu, Alessandro Corbelli (un Michonnet idéal de qualité vocale comme d’émouvante sincérité), Olga Borodina et une pléiade de seconds rôles irréprochables, sous la baguette dynamique et précise de Mark Elder (on espère une publication en DVD de cet événement exceptionnel), auront quelque peine à supporter le présent enregistrement discographique du Teatro Regio de Turin, montage de trois représentations données en juillet 2009 ! L’orchestre – si important dans la riche partition de Cilea, un des chefs-d’œuvre parmi les ouvrages contemporains de Puccini – flotte à vau-l’eau (spécialement dans les deux premiers actes), mal équilibré du point de vue des dosages comme de la qualité du  jeu. Les seconds rôles, qui apportent tant de verve au déroulement de la pièce, se tiennent dans une moyenne... très moyenne. Le timbre trop corsé  de Micaela Carosi fait paraître son personnage plus âgé qu’il ne devrait, et elle charrie les accents des tirades parlées en “gonflant” son élocution d’une manière insupportablement ampoulée : l’œuvre reposant (avec quelle admirable finesse !) sur le théâtre dans le théâtre, l’inclusion de monologues raciniens traduits en italien réclame de la cantatrice chargée du rôle d’Adrienne Lecouvreur des enchaînements de la voix parlée au chant, ce qui constitue un défi pourtant nécessaire pour inscrire la tragédie en filigrane du caractère et du sort de la célèbre actrice ; Raina Kabaïvanska y fut incomparable. Le grand ténor Marcelo Álvarez, dont l’art de moduler les phrasés et les intonations à l’intérieur même des courbes générales de la mélodie constitue généralement un atout magistral, se trouve ici livré à lui-même, ne sauvant que sa diction à l’impeccable projection : eût-il été dirigé, quelque chef vigilant l’eût-il inséré avec des nuances dans l’équilibre des dialogues et des scènes d’ensemble si vivantes, on se serait réjoui que l’enregistrement nous conservât son interprétation. Seule Marianne Cornetti tire son épingle du jeu dans un rôle dont on comprend qu’il ait attiré les grands contraltos russes (Elena Obraztsova ou Olga Borodina).

CHOPIN : Les 4 Ballades ; Andante spianato et Grande Polonaise ; Nocturnes n°2 et 13.

Jean-Marc Luisada.  RCA Red Seal :  88697872132.

Jean-Marc Luisada n’est pas un-pianiste-qui-joue-Chopin (qu’importerait un de plus ou de moins, dans la masse !), il se situe comme l’un des plus profonds “spécialistes” d’un compositeur dont il scrute inlassablement l’âme et la musique depuis un quart de siècle. Remettant sans cesse sur le métier ses fertiles acquis (souvenons-nous des Mazurkas parues l’an dernier chez RCA), il se hisse à des accomplissements d’une vérité humaine désormais bouleversante. Tout est dit dès la page initiale de la 1re Ballade : une mélancolie poignante nous saisit, et elle instillera ses effluences sous cette teinte de vaghezza (le mot figure sur la partition, il est intraduisible et inclut en italien un double caractère de grâce et de fottante indétermination) caractéristique de la nostalgie chopinienne ; le con fuoco final découle de cette mélancolie, il en est comme l’exaspération qui ne parviendrait plus à se contenir. Le sotto voce du premier thème de la Ballade n°2 s’exprime avec une délicatesse infiniment sensible ; la rage du Presto con fuoco n’en éclate que plus noblement, propulsée par des basses profondes ; et avec quel mystère le murmure du bercement initial ne l’interrompt-il pas à la fin de l’œuvre ! La grazia de la 3e Ballade n’est jamais futile ni superficielle : on sent Chopin toujours prompt à s’évader vers son monde intérieur, que Jean-Marc Luisada a fait sien ; certaine houle frappant par en-dessous la basse, comme en acciaccature, gronde même d’un ton franchement inquiétant. Après quoi, la douceur de la 4e Ballade semble émaner de sphères lointaines et ne jamais consentir tout à fait à se poser sur notre globe, ou alors pour s’en dégager d’un mouvement brusque. Coloration et suggestion impressionnistes imprègnent l’Andante spianato que l’on n’avait jamais entendu si précurseur de la fluidité debussyste ; puis la Grande Polonaise est véritablement “orchestrée”... mieux que ne sut le faire Chopin lui-même dans sa version accompagnée qui n’apporte guère de “plus-value” : Jean-Marc Luisada administre ici la preuve que les deux mains d’un pianiste observateur suffisent à restituer les multiples plans et arrière-plans de l’œuvre. Les deux Nocturnes qui complètent le programme s’inscrivent au nombre des moments d’anthologie : une sonorité comme en suspension nous captive d’emblée dans l’op. 9 n°2 en mib majeur, et l’écoute partition en main nous rappelle que Jean-Marc Luisada s’est depuis longtemps livré à une étude minutieuse des meilleures sources et éditions relatives à Chopin ; celui-ci notait une infinité de micro-détails de phrasé, d’accents, de nuances, dont on entend ici l’observation attentive donner vie aux inflexions les plus subtiles au sein de l’arc poétique. Du célèbre op. 48 n°1 en ut mineur, Jean-Marc Luisada décide de retenir l’unité s’inscrivant sous le tempo Lento puis Poco più lento des deux tiers de la pièce: en ressort le côté inexorable dans la concentration intérieure, que rien ne doit venir fracturer, pas même les orageuses vagues chromatiques au crescendo très progressif (comme indiqué sur la partition !). Un enregistrement (réalisé au Japon sur un piano Yamaha) qui s’inscrit au sommet de la discographie chopinienne.

TCHAÏKOVSKY : Symphonie n°6.Gürzenich-Orchester Köln, dir. Dmitrij Kitajenko. OEHMS (SACD) : OC666.

On aime par moments faire le point sur l’évolution des orchestres, et l’on découvre une pépite. L’Orchestre du Gürzenich a connu des heures glorieuses, spécialement les trois décennies du directorat de Günter Wand. Ces dernières années, le chef ukrainien Dmitrij Kitajenko a développé des liens privilégiés avec l’orchestre de Cologne et entreprend une intégrale des Symphonies de Tchaïkovsky dont ce disque constitue le deuxième volume. Une “Pathétique” de plus ? Non, mieux que cela, une incitation à relire attentivement la partition. On est pris d’emblée par le climat venu de très, très loin dont sourd l’Adagio initial. Tout au long de l’immense premier mouvement, le travail des nuances se maitient à un niveau de qualité timbrique admirable. Imagine-t-on combien de couleurs de p et de pp se succèdent dans ce premier mouvement ? En suivant la minutieuse – mais sensible – vigilance que Kitajenko accorde aux moindres nuances, si vivantes, si palpitantes, écrites sur la partition, il nous semble être conviés à la reconsidérer, dépouillée de tout le fatras des facilités d’un pathos conventionnel. L’arc dynamique de la Symphonie entière couvre toutes les gradations du pppppp jusqu’au sempre fff, et il est bien agréable de l’entendre fidèlement restitué tel qu’il est écrit ! Félicitons au passage l’équipe technique qui a soigné cette captation en SACD. Du coup, la sincérité des climats engendrés par cette interprétation nous émeut. La qualité des cordes de l’Orchestre du Gürzenich reste son meilleur atout (écoutez le moelleux du chant des violoncelles ouvrant l’Allegro con grazia). Tout juste pourrait-on reprocher aux bois de ne pas avoir toute la scintillante légèreté souhaitable (1er et 3e mouvements), en somme de ne pas être assez “mendelssohniens”. La même attention aux détails gouverne le Finale qui, retournant à la poignante désolation dans les dernières pages, boucle la boucle du climat dont naissait le premier mouvement. Un seul regret : une ouverture de concert aurait pu compléter le minutage un peu chiche.

Manfred faisait l’objet du premier volume de ce cycle tchaïkovskien (SACD OC 665) : symphonie à programme librement inspirée de Byron, l’œuvre a toujours souffert d’une ambiguïté (dont Tchaïkovsky était conscient) entre cadre symphonique trop étiré et poème dramatique contraint d’entrer dans ce cadre inadapté. La faiblesse de l’œuvre réside dans le statisme de certaines pages où l’on sent combien Tchaïkovsky ne sait pas lui-même où il veut aller. Alors, comment l’interprète peut-il sauver ce qui mérite de l’être ? Dmitrij Kitajenko s’y emploie par des couleurs très différenciées, clairement définies, conférant par conséquent une vie "psychologique" aux voix qui circulent dans la texture. L’atmosphère sombre du Lento lugubre mène à une évocation féminine d’une soyeuse tendresse, avant que le premier mouvement ne s’élève à une grandeur mythique dans la péroraison. En revanche, nul talent ne peut empêcher que les deux mouvements intermédiaires ne souffrent de longueurs non inspirées. La Bacchanale est elle aussi trop longue, mais ainsi fouettée d’attaques précises, de traits cinglants, elle réveille notre intérêt. On attend avec impatience les futurs volumes de ce qui s’annonce comme une intégrale ravivant les couleurs et les moindres ciselures de ces partitions célèbres.

     

Edvard GRIEG : 17 Pièces lyriques ; Suite "Au temps de Holberg". Edda Erlendsdóttir (piano). ERMA : 200.003 (distr. Intégral).

Edda Erlendsdóttir mène – par tempérament – une carrière discrète, mais les pianistes et les amateurs de piano savent qu’elle est une nature de musicienne parmi les plus authentiques que l’on puisse trouver. Lors de la soirée organisée au Châtelet par le distributeur Intégral le 9 juin 2011 (au passage, félicitons-nous que le producteur-organisateur de ces soirées se soit enfin rallié à un piano Steingraeber !), la pianiste islandaise (installée depuis longtemps en France) avait donné une interprétation non conventionnelle des trois Klavierstücke D. 946 de Schubert, où le dévoilement des strates d’une psychologie profonde nous entraînait vers les interrogations dramatiques du compositeur au soir de sa vie. Puis elle avait sélectionné dix de ses pièces préférées parmi les pages de Grieg gravées sur le présent disque. Celui-ci, enregistré en 1993 mais remis sur le marché grâce à Intégral,  propose, dans l’ordre chronologique, une anthologie de Pièces lyriques choisies parmi les nombreux recueils, de l’op. 12 à l’op. 71. L’écriture simple et spontanée de ces miniatures démasquerait toute affectation : or la vérité humaine avec laquelle Edda Erlendsdóttir épouse les musiques élues par son cœur, constitue le meilleur appel au partage. La pureté du son jeu, aussi cristalline et translucide que l’eau des fjords, transporte aussitôt notre imagination parmi les évocations d’une nature préservée, qu’il s’agisse du volettement d’un Papillon ou du gazouillis de l’Oisillon, de la tendre délicatesse de l’Élégie ou du Notturno, de l’atmosphère tantôt aérienne, tantôt orageuse du Scherzo, de la ronde espiègle d’un Lutin, ou des Sons de cloches qui traversent les distances et de mélancoliques brumes. Ainsi voudrait-on que les Jours écoulés ne prennent jamais fin. En complément, la très néo-classique Suite "Au temps de Holberg" (hommage à un auteur dramatique du XVIIe siècle), que l’on connaît plutôt dans sa version orchestrée pour cordes, retrouve les habits pianistiques de sa première rédaction.

Ce disque est un enchantement ; lors des soirées d’automne ou d’hiver, il dissipera la grisaille de nos villes et baignera de fraîcheur vos rêveries.

Carl-Maria von WEBER : Sonate n°1 ; attr. à Weber : Les Adieux.  J. L. DUSSEK : Tableau “Marie-Antoinette”, Sonate op. 61 “Élégie harmonique sur la mort de Louis Ferdinand”.  Lisa Yui.  Intégral : INT 221.182.

Lors de la même soirée du label Intégral au Châtelet où, en première partie, Edda Erlendsdóttir présentait les Grieg ci-dessus recensés, Lisa Yui donnait une partie du programme de ce disque. Il est toujours révélateur, lors de telles soirées, d’entendre un même piano changer radicalement de couleur selon les instrumentistes qui se succèdent au clavier. Que l’on n’attende pas de Lisa Yui les profondeurs humaines mûrement pensées d’une Edda Erlendsdóttir. L’artiste japonaise, évoluant entre le Canada anglophone et les États-Unis, apparaît comme intelligente et cultivée, mais fort extérieure (que donnerait, au filtre de son interprétation, l’opus 111 de Beethoven, on demande à voir… ou plutôt à entendre). Le disque, à franchement parler, en offre une image plus gratifiante que le concert, impitoyable vérité que l’on ne rattrape pas. Lors de la soirée, Lisa Yui s’adressait au public pour le guider vers chaque pièce (la 1re Sonate de Weber, le Tableau Marie-Antoinette de Dussek, et les Réminiscences de Norma de Liszt) avec une pertinence que l’on retrouve dans le livret qu’elle a ici rédigé (mais la version française  montre de la part du traducteur une certaine méconnaissance des sujets abordés !). Son jeu, tout de grâce superficielle, “reconstitue” élégamment les sentiments que l’expressivité de cette époque voulait représenter. L’esprit fort enlevé des thèmes wébériens ainsi que les plages de mystère lyrique sont rendus par de jolis doigts dans l’ample 1re  Sonate de Weber. “Les Adieux”, quoique d’attribution douteuse (ils pourraient être sortis de la plume de K. G. Reissiger, dit-on), méritent d’être écoutés. Le cœur du disque réside dans deux œuvres “mortuaires” de Jan Ladislav Dussek, que l’on connaissait au pianoforte par Andreas Staier : Lisa Yui les restitue habilement sur un piano moderne (et même hypermoderne puisqu’elle a enregistré sur le tout nouveau Yamaha CFX). Le Tableau “Marie-Antoinette”, “musique à programme”, consiste en dix brefs épisodes peignant les derniers moments et l’exécution de la Reine, y compris la chute du couperet de la guillotine suivie de celle du royal chef décollé jusqu’au panier. On avait vu, au fil du XVIIIe siècle, une tendance à la musique instrumentale descriptive se faire jour, préparant un peu naïvement la géniale éclosion du poème symphonique au siècle suivant. C’est dans l’Élégie, sorte de déploration composée en 1806 sur la mort du prince Louis Ferdinand de Prusse (et non de Russie, comme l’écrit le traducteur, qui n’en est pas à cela près !), que l’interprète livre l’expression la plus “sentie”.  Malgré une prise de son légèrement mate, un peu courte de résonance (aïe, les premiers accords de Weber !), on prendra plaisir à découvrir un programme intelligemment conçu qui apporte une contribution bienvenue à la connaissance de cette époque-charnière. Le mot « intelligent » est décidément celui que l’esprit associe spontanément aux activités et au jeu de Lisa Yui, mais l’intelligence – sans l’inspiration – suffit-elle à l’art ?...

Erich Wolfgang KORNGOLD : Symphonie op.40. Tänzchen im alten Stil.Helsinki Philharmonic Orchestra, dir. John Storgårds.  Ondine : ODE 1182-2.

La fluviale Symphonie (53 minutes !) appartient à la période américaine de Korngold, ex-enfant prodige du creuset viennois, et, tout comme pour George Antheil, il n’est pas rare de lire des commentaires avançant que la pratique (alimentaire) de la musique de film aurait infléchi le style tardif de ces auteurs vers un lyrisme quelque peu “glamourous”. C’est un  jugement expéditif, mais il appartient aux interprètes de se défier d’une dualité possible dans le matériau : pour rétablir la vérité, écoutez avec impartialité les expositions thématiques comme les développements, et vous constaterez qu’à chaque fois, des angles dissonnants, des déviations impromptues viennent contrecarrer les assises tonales avec une habileté consommée. Ainsi naît un dynamisme extraordinaire dans le cheminement des éléments, secondé par une orchestration d’une virtuosité ébouriffante. Le Finlandais John Storgårds, ex-violoniste devenu chef d’orchestre, met une intelligence pénétrante à souligner les arêtes, les aspérités (car Korngold n’a rien abandonné de son modernisme) autant que la puissance des contrastes dramatiques et la prestesse des changements d’atmosphère qui rappellent l’expérience du  compositeur d’opéras. On se laisse emporter par les quatre vastes mouvements sans que les saveurs, tantôt capiteuses, tantôt acidulées, ne risquent de virer au sirop, et c’est tant mieux ! Cette interprétation touche juste, et l’on y retournera comme à une référence. Plus anecdotique, le complément de programme est une partition de jeunesse (Tänzchen im alten Stil : petite danse dans le style ancien) que l’on croyait perdue et dont John Storgårds dirigea la “résurrection” en 2007.

Amilcare PONCHIELLI : Fantaisie sur des thèmes de La Traviata pour trompette & orchestre ; Concertos pour trompette op. 123 et op. 198 ; Concerto pour euphonium op. 155 ; Gran Capriccio pour hautbois (orch. de Wolfgang Hohensee).Giuliano Sommerhalder (trompette), Roland Fröscher (euphonium), Simone Sommerhalder (hautbois), Mecklenburgische Staatskapelle Schwerin, dir. Matthias Foremny. MDG (SACD) : 901 1642-6 (distr. Codaex).

Cette compilation est un hommage de la famille Sommerhalder aux années de misère de Ponchielli, avant que celui-ci n’atteigne la célébrité avec son opéra La Gioconda et la reconnaissance avec sa classe de composition au Conservatoire de Milan où il forma notamment Puccini et Mascagni. Le trompettiste suisse Max Sommerhalder (également auteur du livret qui nous initie au contexte historique et organologique), professeur au Conservatoire de Detmold depuis 1985, s’est intéressé aux piles de musique par lesquelles le malheureux Ponchielli alimentait les orchestres d’harmonie de sa région natale de Crémone (« Vilain travail, la musique d’harmonie ! Comme labourer une terre sans pluie », se lamentait-il). Toujours est-il que ces partitions révèlent la présence de solistes exceptionnellement doués puisque des concertos très virtuoses en émergent. Alors, Max Sommerhalder a orchestré pour orchestre “normal” plusieurs de ces concertos ou fantaisies et les a confiés à son fils Giuliano, admirable héritier qui devient cette année (à 26 ans !) trompettiste solo de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, et à Roland Fröscher, un spécialiste de l’euphonium (instrument apparenté au saxhorn et breveté en 1844) et autres instruments à vent historiques. Et pour n’oublier personne dans la tribu (même le chef d’orchestre est un de ses anciens élèves de trompette), une orchestration du Gran Capriccio pour hautbois & piano permet de faire entendre l’autre fils, Simone Sommerhalder (24 ans), qui a déjà retenu l’attention, depuis des années, de Claudio Abbado, Lorin Maazel et autres sommités. L’intérêt de ces musiques est purement anecdotique, l’imprévisibilité y est égale à zéro, mais elles nous renseignent sur les pratiques du temps et l’on écoute avec admiration des solistes instrumentaux pratiquer le bel canto, le colorature et autres cadenze car (on ne se refait pas !) l’esprit de l’opéra irrigue toute musique dans l’Italie de cette époque ! La perfection du legato nuancé des trois jeunes virtuoses nous laisse… je n’ose écrire “le souffle coupé” car le leur semble inépuisable !

Richard WAGNER : Die Walküre (Les Adieux de Wotan, Acte III), Die Meistersinger von Nürnberg (extraits des Actes II et III), Lohengrin (extrait de l’Acte I), Parsifal (extrait de l’Acte III), Tannhäuser (Romance à l’étoile, Acte III). René Pape (basse), avec le concours de Plácido Domingo (Parsifal). Chœur du Staatsoper unter den Linden, Staatskapelle de Berlin, dir. Daniel Barenboim. DGG : 4776617.

Qui n’a été ému par René Pape chantant le Roi Marke, dont il est devenu ces dernières années l’incarnation la plus humaine qui se puisse entendre ? Dans le présent récital, on chemine avec lui sur d’autres versants du répertoire wagnerien. Il force quelque peu sa nature en endossant le rôle de Wotan : en effet, René Pape est toujours plus convaincant dans la tendresse et la compassion, et il n’a guère l’autorité “olympienne”. Il “dit” son monologue des Adieux de Wotan dans un caractère de chaude intimité ; or on attendrait d’un dieu – même pétri d’imperfections humaines !- de la majesté en sus de l’émotion du père. De surcroît, la part du registre plus barytonnant dans laquelle s’aventure Wotan l’expose à des tensions : dès qu’il monte, la puissance lui fait défaut, à moins qu’il ne tire sur ses limites. On doit par ailleurs subir les lourdeurs coutumières de Daniel Barenboim : écoutez la lenteur consternante du feu qui monte autour du rocher de la Walkyrie endormie, il ne crépite pas ! À ce rythme-là, il ne risquerait même pas de griller votre andouillette sur le barbecue !

Ceci dit, la qualité de velours du timbre de René Pape se double d’une sûreté d’émission devenue – hélas ! – bien rare de nos jours chez les basses. La déclamation de son Hans Sachs sonne “vrai” ; pourtant, on bute encore sur ses limites dès qu’il doit donner de la puissance dans l’aigu (de même dans le rôle du Roi Henri de Lohengrin). Mais pourquoi a-t-il fallu qu’en supplément, il chantât – pas très juste – la brève intervention du veilleur de nuit ? La “romance à l’étoile” de Wolfram constitue un des moments les plus émouvants de ce récital, avec une conduite du legato exceptionnelle. L’humanité et la compassion sont les vertus que communique au mieux le chant de René Pape, disions-nous : ne nous étonnons pas, alors, que l’incarnation la plus idéale de ce programme soit celle de Gurnemanz, d’autant que la tessiture et la couleur du rôle lui correspondent exactement. Mais le Plácido Domingo de 2010 fut bien imprudent d’accepter de lui donner la réplique : lui qui fut un Parsifal si vaillant et lumineux au temps de sa splendeur donne aujourd’hui une image pitoyable de lui-même…

“Colours of the French horn” : Œuvres de Richard Strauss (Andante pour cor & piano), Robert Schumann (Trois romances op. 94, Adagio e Allegro op. 70), Gioacchino Rossini (Prélude, Thème et Variations en mi majeur), Jean Françaix (Divertimento pour cor & piano), Poulenc (Élégie “in memoriam Dennis Brain”), Volker David Kirchner (Tre Poemi).  Szabolcs Zempléni (cor), Péter Nagy (piano).  OEHMS : OC 789 (distr. Codaex).

Qu’on ne s’y trompe pas : en anglais, “French horn” désigne simplement le cor à pistons (d’ailleurs breveté par des Allemands !), mais ce récital de deux artistes hongrois nous convie à un parcours européen. Le corniste Szabolcs Zempléni avait 29 ans lorsqu’il grava le présent disque et on remarque déjà son noble legato, même si, dans Schumann, son interprétation ne rivalise pas encore avec la fameuse corniste allemande Marie Luise Neunecker. Si le programme s’ouvre avec une petite pièce offerte par Richard Strauss à son corniste de père pour fêter ses noces d’argent, les sommets sont à chercher ailleurs, dans le versant souriant tout d’abord : il est piquant d’entendre un corniste faire dans Rossini ce qu’il faut bien appeler des vocalises, et l’optimisme ne se relâche pas au fil du Divertimento de Jean Françaix qui gambade avec une saine joie de vivre. Puis le versant sombre laisse une forte impression : les deux interprètes accentuent les angles dissonants dans l’Élégie de Poulenc, suivant l’esprit d’une esthétique post-stravinskyenne, et on leur donne raison de mettre en avant le caractère funèbre de cet hommage au corniste Dennis Brain (mort dans un accident de voiture) plutôt que l’amabilité française. La captation microphonique restitue bien les effets de résonance sympathique provoqués par le cor jouant au-dessus des cordes du piano dans le Lamento des Tre Poemi de Volker David Kirchner (compositeur allemand né en 1942, qui fut élève de Bernd Alois Zimmermann) : ces pièces au puissant climat dramatique s’inspirent des Sonette an Orpheus de Rainer Maria Rilke, le profond Lamento est suivi d’une Danza de caractère opiniâtre et de La Gondola funebre (sans rapport avec Liszt !) qui exhale un long thrène. Une découverte que l’on recommande assurément.

Jeanne DEMESSIEUX : Te Deum, Prélude et Fugue en ut, Répons pour le Temps de Pâques, 7 des Douze Chorals-Préludes, Études n° 5 et 6. Hampus LINDWALL : Improvisation sur le nom de Jeanne Demessieux. Hampus Lindwall sur les orgues de La Madeleine et de l’Église du Saint-Esprit.  Ligia : 0109228-11.

Le brillant virtuose suédois Hampus Lindwall inaugure sa carrière discographique par un hommage à l’une des grandes figures disparues de l’école française : Jeanne Demessieux (1921- 1968). Le destin a voulu que Hampus Lindwall, installé en France pour recueillir l’enseignement de Rolande Falcinelli, soit nommé titulaire de l’un des deux orgues parisiens qu’a tenus Jeanne Demessieux, le Gloton-Debierre de l’Église du Saint-Esprit.  Il a d’ailleurs enregistré son programme sur l’autre orgue dont elle fut la titulaire, le grand Cavaillé-Coll de la Madeleine (agrandi et électrifié par Roethinger, Gonzalez & Dargassies) et, en complément de programme, il a “bissé” trois des mêmes pièces sur le petit instrument du Saint-Esprit pour en faire entendre les possibilités : Hampus Lindwall a toujours été fort habile pour faire sonner les 16 jeux du Gloton-Debierre comme s’ils étaient au nombre de trente. Mais revenons à l’essentiel : comment un jeune interprète, par ailleurs très féru de musique ultra-contemporaine, allait-il vaincre ce qui demeure la faiblesse de Jeanne Demessieux, à savoir un langage qui ne décolle pas souvent des conventions de la musique d’orgue du temps (or le “temps” de l’orgue a généralement un demi-siècle de retard – voire plus – sur l’évolution du reste de la musique !) ?  Dans la notice, Hampus Lindwall explique s’être basé sur un commun amour du jazz l’unissant à la compositrice pour trouver un biais ; rassurez-vous, il n’a certes pas fait swinguer les hymnes et autres prélude et fugue, mais écoutez bien son interprétation du chef-d’œuvre de la musicienne, le fameux Te Deum : il en axe l’impact sur le poids rythmique, ce qui s’avère une féconde idée car il fallait trouver un subterfuge pour donner de la densité à une musique qui n’en a pas toujours. Il réitère l’initiative dans le Répons pour le Temps de Pâques, traversé d’un saisissant écho de la musique de Marcel Dupré. La souplesse soyeuse de son rubato fait ressortir par ailleurs l’élégance – autant harmonique que mélodique – du Prélude en ut de l’op. 13. Les Chorals-Préludes op. 7 sont irrémédiablement de la musique liturgique, et quelques-uns auraient pu être évités au profit d’une ou deux Études de plus ; Hampus Lindwall les joue néanmoins avec chaleur et les enveloppe dans les fonds les plus ronds des ces beaux instruments. Pour un instrumentiste de sa trempe, les fameuses Études, considérées comme l’un des sommets mythiques de la virtuosité à l’orgue, sont une promenade de santé (il en a vu d’autres !), et il joue avec allégresse l’Étude en notes répétées, avant de monter à l’assaut (victorieux, bien sûr!) de l’Étude en octaves, avalanche de traits manuels et pédestres “avalée” avec autant de panache que de spectaculaire autorité. Toutes les registrations sont pensées avec une justesse expressive idéale. Pour conclure son hommage, Hampus Lindwall, inspiré par le nom de la compositrice, nous donne une improvisation fluide et piquante, qui s’étourdit vers l’exubérance rythmique.

La prise de son d’Éric Baratin ne mérite que des éloges, d’autant que l’orgue de la Madeleine n’est pas facile à capter avec toute la définition souhaitable.

Sylviane Falcinelli.

Heinrich SCHÜTZ : Weihnachtshistorie.  Berlin Classics : 0016232 BC.  TT : 60’.

Heinrich Schütz (1585-1672), « père de la musique protestante allemande », l’un des « 3 S » - à côté de J. H. Schein et S. Scheidt -, a vécu les affres de la guerre de Trente Ans (1618-1648).  La Lautten Compagney et son complément vocal, la Capella Angelica comptent parmi les ardents défenseurs de H. Schütz et de D. Buxtehude.  Elles s’imposent par leurs timbres et leur traduction si fidèle des images et des idées du texte.  L’Histoire de Noël (Weihnachtshistorie) - en fait, l’histoire de la naissance de Jésus, médiateur et Sauveur… - se rattache à la tradition des Histoires bibliques, relatées ici par l’Évangéliste Christoph Prégardien, avec solistes et intermèdes instrumentaux et vocaux.  Voici une version absolument authentique, placée sous la direction si avisée de Wolfgang Katschner, permettant de revivre le temps liturgique de Noël.  Ce disque comprend notamment, sur le même thème, la pièce bien connue : Uns ist ein Kind geboren (à 3 voix et 3 instruments) de Johann Philipp Krieger (1649-1725), composée à Weissenfels pour Noël 1697 ; et, en premier enregistrement mondial : Nun ich singe ! Gott ich kniee (précédé d’une Symphonia) par un élève de H. Schütz, Johann Theile (1646-1724).  Dietrich Buxtehude (ca 1637-1707) est représenté par son adaptation du célèbre choral de Ph. Nicolai : Wachet auf, ruft uns die Stimme.  Un modèle du genre, devant impérativement figurer dans toute discothèque de musique religieuse.

Description : Description : !cid_3389098139_739205

Heinrich SCHÜTZ : Musikalische Exequien.  Ricercar (stephanie@outhere.com) : RIC 311.  TT : 56’55.

Les Musikalische Exequien ne sont en aucune manière un Requiem selon la liturgie catholique, mais des obsèques en musique (du latin : exequiae ; en allemand : Exequien, avec « n », marque du pluriel).  Le prince Heinrich Posthumus von Reuss (1572-1635) avait tout prévu pour ses funérailles : thème de la prédication, lectures bibliques, chorals pour le chant d’assemblée, versets à graver sur son cercueil… (servant d’illustration à cette publication).  L’ensemble Vox luminis comprend 11 pupitres de chanteurs chevronnés, une basse de viole et un orgue positif (Masato Suzuki, spécialisé dans la musique issue de la Réforme) ; il est dirigé par Lionel Meunier.  Le Concert in Form einer teutschen Begräbnis-Missa SWV 279, reprend des versets bibliques précédés d’une intonatio à laquelle répondent les solistes et la Cappella.  Il est suivi du motet à deux chœurs : Herr, wenn ich nur dich habe, SWV 280 et du Cantique de Siméon : Herr, nun lässest du deinen Diener in Friede fahren, SWV 281.  Cette remarquable interprétation comprend également une sélection de brefs motets, dont le Canticum B. Simeonis SWV 432 & 433 et trois motets sur des versets bibliques de H. Schütz, ainsi qu’une page d’orgue de Samuel Scheidt : Wir glauben all an einen Gott (Credo), interprétée par Bernard Foccroulle, et la version de Martin Luther : Mit Fried und Freud ich fahr dahin, interprétée par le tutti.  L’ensemble Vox luminis s’impose par son paysage vocal exceptionnel et rend un lumineux hommage à H. Schütz (1585-1672).

Description : Description : !cid_3389098225_735735

J. S. BACH : Inventions.  Sinfoniae (BWV 772-801).  Prélude et fugue en la mineur (BWV 894), Fugue en si mineur (BWV 951).  VDE Gallo (info@vdegallo.ch) : CD 1308.  TT : 66’.

Daniel Fuchs est à la fois organiste à Lausanne, professeur de piano au Conservatoire de Genève, compositeur et improvisateur.  Pour interpréter ces pages de Bach destinées soit au clavicorde, soit au clavecin, il a retenu le piano Steinway 109 572 qui, comme tous les instruments de cette marque, bénéficie toujours des soins attentifs d’un technicien-accordeur (Laurent Rogeboz).  Le programme bien connu se veut d’abord comme une œuvre didactique réservant souvent des traquenards cachés aux jeunes interprètes.  Les 15 Inventions à 2 voix (BWV 772-786) et les 15 Sinfoniae à 3 voix (BWV 787-801) sont dominées par le souci de la concision et de la construction solide ; la transparence entre les voix est de rigueur dans ces « exercices » qui, en fait, sont de petits chefs-d’œuvre d’écriture qu’un élève ne peut maîtriser d’entrée de jeu.  Ce disque est complété par le Prélude et fugue en la mineur (BWV 894) et la Fugue en si mineur sur un sujet d’Albinoni (BWV 951).  Belle illustration du génie compositionnel de Jean-Sébastien Bach, mais aussi de la maîtrise et de la musicalité à toute épreuve de Daniel Fuchs.

Description : Description : !cid_3389098260_729143

« France 1789 ». Révolte en musique d’un sans-culotte & d’un royalisteAlpha (stephanie@outhere.com) : 810. TT : 61’23.

L’ensemble Les Lunaisiens, créé en 2004 par Arnaud Marzorati (baryton) et Jean-François Novelli (ténor), a pour objectif de « servir la musique, et toutes les musiques… mais sous un autre angle, éclairée différemment : par le biais de l’aspect théâtral… ; par la confrontation de mondes musicaux différents… ».  Ils privilégient la collaboration avec d’autres ensembles et des rencontres entre musicologues, historiens et musiciens.  L’histoire événementielle est représentée par la Prise de la Bastille (1789), la Délivrance des captifs (1790), la Déclaration des Droits de l’homme (1791), La Guillotine (1792), la Mort de Louis Capet (1793).  Le répertoire comprend aussi des hymnes : Hymne à l’hyver (1783), Hymne à l’Être suprême (1794), et, comme de juste, La Marseillaise (1792) de Rouget de Lisle et la Contre-Marseillaise, trois ans après, sur les paroles de l’abbé René-Charles Lusson et anonyme.  Cette réalisation fait appel à deux voix de ténor, au violon, aux percussions, mais également à des instruments plus rarement utilisés (flageolet, serpent, piano organisé…).  Témoignages d’histoire des mentalités et d’histoire de France sur laquelle règne un esprit de curiosité et de découverte : à ne pas manquer, mémoire oblige.

Description : !cid_3389098287_707464

Philippe MANOURY : Inharmonies.  Naïve (contact@accentus.fr) : V 5217.  TT : 47’.

Laurence Equilbey, chef d’orchestre & directrice musicale du chœur de chambre Accentus, toujours aussi dynamique depuis 15 ans, ne recule devant aucune difficulté technique, aucune esthétique, aucun compositeur...  Son talent s’épanouit autant dans la musique ancienne et classique que dans la musique contemporaine.  Philippe Manoury (°1952), compositeur, après avoir séjourné au Brésil, revient en France en 1981 où, chercheur à l’Ircam, il se spécialise en acoustique et en informatique.  Il enseigne la composition et la musique électronique au CNSM de Lyon ; il est également compositeur en résidence à l’Orchestre national de Paris, puis à la Scène nationale d’Orléans.  Son disque, intitulé : Inharmonies, frappe par sa curiosité intellectuelle et ses choix de titres : Fragments d’Héraclite (œuvre de commande), Inharmonies et Slova (commandes d’Accentus), ou encore Trakl Gedichte (poésies de Georg Trakl), selon lequel « le sens lui-même ne se fixe pas dans la durée.  Si la couleur dominante est celle du bleu nocturne, il s’agit d’une nuit que les astres ont désertée… ».  Sa poésie, particulièrement tourmentée, préfigure l’Apocalypse (de la Première Guerre mondiale) ; elle est aussi nostalgique.  Il a donc réuni 4 textes, « expression d’une collectivité ».  Inharmonies est composé pour chœur mixte à 24 voix.  L’introduction s’élève des profondeurs.  Le compositeur spécule sur l’opposition des timbres, les contrastes de nuances, la technique vocale bouche fermée, sur tous les registres.  Sous sa plume, paradoxalement, étirements vocaux, sons « inharmoniques » et dissonances deviennent consonances.  Sa musique est particulièrement impressionnante.  L’inégalable Laurence Equilbey confère à ces pages à la fois relief, étrangeté, agressivité, énergie et douceur : résultat d’une exceptionnelle somme de travail vocal en profondeur, avec ses choristes si motivés et qu’elle galvanise.  Il en sera de même des discophiles.

Description : !cid_3389098324_724331

Johann Sebastian BACH : Motetten BWV 225-230.  PHI (stephanie@outhere.com) : LPH 002.  TT : 62’42.

Pour son enregistrement des 6 Motets, Philippe Herreweghe - aspirant toujours à plus d’authenticité - a joué sur les effectifs en fonction du sens de chaque pièce.  Ce disque s’ouvre en feu d’artifice, aux accents de Singet dem Herrn ein neues Lied, à double chœur et avec un effectif plus important, compte tenu de l’acoustique de la Jesus-Christus-Kirche à Berlin.  Son approche est parfaitement justifiée.  En revanche, pour d’autres pièces, l’excellent chef préconise un nombre moindre de chanteurs, par exemple pour le si célèbre Jesu, meine Freude, afin d’en traduire toutes les inflexions.  Il a sélectionné des interprètes de tout premier plan et très motivés, toujours attentifs au phrasé, à la diction et, bien entendu, à la justesse extrême.  Il y a une trentaine d’années, Ph. Herreweghe avait déjà enregistré ces Motets ; avec cette nouvelle version, les mélomanes se rendront compte combien il a réfléchi à tous les critères d’interprétation : couleur, doublure colla parte et dynamisme ; ils apprécieront les contrastes de nuances, la transparence du motet Fürchte dich nicht, ou encore la force de persuasion du motet Der Geist hilft unser Schwachheit auf.  Décidément, le Collegium vocale Gent a atteint un sommet pour rendre le message de Bach encore plus saisissant.

Description : image, &

Andelko IGREC : Kyrie.  Aulos/Glas Koncila : GV 0141.  TT : 60’40.

Andelko Igrec (°1968) s’est affirmé comme un musicien croate très marqué par la religion catholique et par les jésuites.  Il exploite non seulement les sources bibliques et grégoriennes, mais encore les textes de saint Thomas d’Aquin et du Symbole de Nicée-Constantinople… Il accorde la priorité au verbe.  Trois œuvres remontent au temps de ses études à Vienne, et la quatrième,  Adoro te, à son retour en Croatie.  Dans sa Kyrie-Litanie (Vienne, 1995), il évoque la Transfiguration de Jésus et l’annonce de sa Passion. Ses 5 Kraljevski PsalmiPsaumes royaux (extraits des Ps. 57, 100, 29, 45, 136) — (Vienne, 1996), dont deux invitent à la danse et à la louange, sont, tour à tour, de caractère jubilatoire et majestueux (participation de l’orgue).  En 1999, il a écrit Adoro te à Varazdin, pour voix de femmes a cappella, dans le sillage de la tradition du motet, toutefois dans le langage du XXe siècle.  Cette pièce s’impose par son caractère méditatif et son expressivité.  Enfin, sa Becka Misa (Messe de Vienne), composée en 1994, œuvre de commande du Collège croate de cette ville, repose sur la paraphrase de l’Ordinaire de la Messe réalisée par le Jésuite Ivan Matic.  L’atmosphère solennelle alterne avec l’élan, la joie et l’extase admirablement recréés par le Chorus angelicus et le Collegium pro Musica sacra, et enregistré dans le cadre somptueux de la Cathédrale de Varazdin, cité remontant à la fin du XIIe siècle, intense foyer culturel et économique dès le XVIIe siècle.  Voici une illustration de la piété catholique, non dénuée de résonances folkloriques croates.  À découvrir.

Description : image

Matthias WECKMAN : Abendmusiken.  Zig-Zag Territoires : ZZT 110502.  Outhere (stephanie@outhere-music.com).  TT : 66’00.

La tradition des Abendmusiken, à Lubeck, remonte au XVIIe siècle.  Ces « Musiques du soir » ont été fondées à Lubeck par Franz Tunder, poursuivies par M. Weckman - organiste luthérien et élève de M. Praetorius - et surtout D. Buxtehude qui leur assura une solide réputation, bien au-delà de la ville hanséatique.  Ce disque, reprenant le titre de l’institution, regroupe plusieurs formes ; Concerts vocaux, Sonates et Partita.  L’ensemble Les Cyclopes (instrumental et vocal) est dirigé par B. Lapointe (clavecin) et Th. Maeder (orgue).  Le programme comprend une page particulièrement douloureuse : Wie liegt die Stadt so wüste — d’après les Lamentations de Jérémie —, rendue avec une grande sensibilité par E. Warnier (soprano) et B. Arnould (basse).  Le Concert vocal : Weine nicht est traité en dialogue par Matthias Weckman (1616-1674). L’injonction : « Ne pleure pas » s’appuie sur un fragment de l’Apocalypse auquel D. Guillon, R. Getchell et B. Arnould restituent son caractère si poignant.  Le psaume 125(/126) : Wenn der Herr die Gefangenen zu Zion erlösen wird est traduit avec profondeur.  Les pages instrumentales comprennent deux Sonates a 4 mettant, entre autres, en valeur les sonorités du cornettino, du trombone et du basson, et la Partita en  mineur jouée avec une grande précision par B. Lapointe sur un clavecin proche des instruments de Ruckers.  Enfin, le choral de Pentecôte : Komm, heiliger Geist, Herre Gott est bien structuré et enlevé avec assurance par Th. Maeder à l’orgue Arp Schnitger (restauré par J. Ahrend) de l’église St Ludger à Norden.  Cette réalisation exceptionnelle a le mérite de mieux faire connaître l’œuvre de M. Weckman, mort deux ans après H. Schütz.

Giovanni GIORGI : Ave Maria.  Ricercar (stephanie@outhere-music.com) : RIC 313.  TT : 55’00.

Leonardo García-Alarcón — avec le Chœur de chambre de Namur, la Cappella Mediterranea et l’Ensemble instrumental Clematis — a eu raison de lancer Giovanni Giorgi, musicien italien peu connu, peut-être élève d’Antonio Lotti.  Il a été maître de chapelle à St-Jean de Latran, puis compositeur et maître de chapelle à la cour de Lisbonne, où il est mort en 1762.  Ses compositions, essentiellement religieuses (2-8 voix, parfois avec doublure instrumentale), annoncent déjà le classicisme naissant sans renier la polychoralité et l’esthétique madrigalesque.  Sa Messe à 2 chœurs, composée pour la Chapelle royale de Lisbonne, s’impose d’emblée par la plénitude vocale, la ligne mélodique quelque peu ornée et les entrées successives animant le discours.  Les interludes sont confiés aux vents et aux cordes. Elle se déroule selon le schéma traditionnel.  À remarquer la transparence des voix, par exemple dans le Credo, l’intériorité du Sanctus, la douceur de l’Agnus Dei. Ce disque est complété par un Ave Maria a 4 et cinq Offertoires à destination liturgique (Rameaux, Fête de l’Ascension…).  Indispensable dans toute discothèque de fin connaisseur.

Marie, Reine des Anges.  Jade (jade@milanmusic.fr) : 699 735-2.  TT : 52’07.

Cette anthologie associe les deux traditions grégorienne et byzantine.  Elle s’impose par l’intériorité, le dépouillement.  Son objectif vise le rapprochement entre Orient et Occident.  Pour ce faire, les éditions Jade ont procédé à une compilation et repris des interprétations de chœurs prestigieux réalisées à Santo Domingo de Silos ; Sainte Madeleine du Barroux, au Mont Athos ; au Monastère Sainte-Élisabeth de Minsk (Biélorussie), au Carmel de Pécs (Croatie), ainsi que du Chœur byzantin de Grèce (dirigé par L. Angelopoulos), et du Chœur Melodi (avec Divna Ljubojevic), tant appréciés des amateurs de chant orthodoxe.  Le programme comprend, notamment, le cantique Salve Mater Misericordia, l’Ave Maria, O Regina, l’antienne Regina Caeli, le Magnificat royal et un extrait de l’hymne acathiste Devant ta grâce incomparable, poème liturgique typique de l’Église d’Orient proche de la théologie des conciles de Nicée (IVe siècle) et d’Éphèse (Ve siècle).  Intéressant document pédagogique et historique.

Hommage à Louis Debierre.  Bruno Morin.  Abbatiale Notre-Dame de Montvilliers.  Dédicaces (217, rue Pierre Mendès-France, 76300 Sotteville-lès-Rouen) : DED 002.  CD Diffusion (info@cddiffusion.fr).  TT : 58’ 52.

Bruno Morin rend un vibrant hommage au facteur d’orgue nantais, Louis Debierre, qui a exercé ses activités entre 1862 et 1911.  Conçu avec beaucoup d’ingéniosité, l’orgue de l’abbatiale de Montvilliers bénéficie des acquisitions du XIXe siècle : traction électro-pneumatique, accouplements, tuyaux polyphones...  Son esthétique s’apparente à celle de l’orgue symphonique, sans toutefois renier les principes néoclassiques.  L’instrument comprend trois claviers (56 notes chacun) et pédalier (30 notes), avec accouplements, appels de jeux de fonds, tuyaux polyphones.  L’excellent organiste - soucieux de valoriser ce remarquable instrument - a, en connaissance de cause, retenu des pages romantiques : Prélude et Fugue, Choral et Variation « Herzlich tut mich verlangen » de F. Mendelssohn.  La Pièce héroïque de C. Franck est rendue en force sur cet instrument polyvalent qui privilégie aussi les timbres clairs et les registres plus doux.  Il interprète également une Cantilène de J. G. Rheinberger et le premier mouvement extrait de la 5e Sonate d’A. Guilmant.  Curiosités à noter : la Marche hongroise extraite de la Damnation de Faust (H. Berlioz) et le Chœur des pèlerins extrait de Tannhäuser (R. Wagner).  Presque une heure de musique pour révéler de façon convaincante aux amis de l’orgue le Grand Orgue historique de Louis Debierre (1892).

Édith Weber.

Georg Friedrich HANDEL : Ariodante.  Opéra en trois actes.  Livret d’Antonio Salvi.  Joyce DiDonato, Karina Gauvin, Marie-Nicole Lemieux, Topi Lehtipuu, Matthew Brook, Sabina Puértolas, Anicio Zorzi Guistiniani.  Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis.  3CDs Virgin Classics : 50999 0708442.  TT : 69'54 + 63'50 + 59'15.

Inspiré librement de l'Orlando furioso de l'Arioste, l'opéra Ariodante fut créé en 1735 au théâtre fraîchement ouvert de Covent Garden, alors que Haendel tentait de résister à la concurrence que lui livrait le nouvel Opéra de la Noblesse dirigé par Nicolò Porpora.  Malgré les forces vocales réunies, dont le célèbre castrat Carestini, l'extrême faste décoratif déployé, l'agrément des danses réglées par la ballerine française renommée Marie Sallé, la pièce ne connut pas le succès, contrairement à celle qui devait la suivre de peu, Alcina.  Le XXe siècle finissant a réévalué les choses et placé Ariodante au rang des grandes réalisations opératiques de son auteur.  En effet, plus qu'ailleurs, Haendel y fait montre d'une totale liberté dans la forme qui, si elle privilégie les arias da capo, propose encore des duos et des chœurs avec une part d'imprévisibilité étonnante.  Témoin de sa faculté de renouvellement.  Une construction musicale savante mêle soli, duos, morceaux d'ensemble en la forme de ballets et chœurs, notamment lors des finales.  En outre, la puissance théâtrale est tangible qui rend crédible une simple intrigue amoureuse brouillée un temps par la machination grossière d'un rival éconduit.  La peinture des affetti est aussi finement pensée qu'est imaginée la virtuosité vocale.  Même si cette dernière semble céder le pas à la dynamique dramatique.  Conçus pour des interprètes bien particuliers, aux moyens immenses, les rôles devaient leur permettre de briller.  La distribution réunie sur le présent disque démontre qu'avec les moyens d'aujourd'hui, cette vocalité n'a rien perdu de son prestige.  Joyce DiDonato orne le rôle-titre d'une aura grandiose : généreuse dans les vocalises, imaginative dans les ornements, usant avec un égal bonheur de l'éclat glorieux comme du pianissimo murmuré.  Et la vision provoque cette émotion vraie qui naît de la sincérité de l'interprétation.  Marie-Nicole Lemieux, dans la partie de l'intrigant Polinesso, affirme la plasticité d'un chant au charme irrésistible.  Le velouté du timbre sombre y est pour beaucoup, même si une tendance à souligner le registre de la perfidie conduit à une légère outrance çà et là.  Le soprano délicat de Karina Gauvin défend brillamment la partie de Ginevra, tour à tour enjouée et désespérée, car celle-ci est la victime du complot ourdi pour faire échouer son union avec le vassal Ariodante.  L'air qui clôt l'acte II atteint le vrai tragique.  La contribution masculine est tout aussi pétrie de conviction, en particulier le ténor Topi Lehtipuu, d'une merveilleuse souplesse.  Poursuivant patiemment l'exploration de l'œuvre théâtrale de Haendel, Alan Curtis aborde cette étape sans dogmatisme.  Fort de la trentaine de musiciens de son ensemble, Il Complesso Barocco, il opte pour une exécution intime qui se signale par son immédiateté ; sentiment que renforce une prise de son effectuée dans une acoustique mate.  Admirable est, chez ce maître du baroque, l'élasticité du tempo qui se défie des excès de rapidité autant que de lenteur.  L'équilibre inné du discours se nourrit d'une solide énergie interne.  Il s'en dégage une plénitude sonore très séduisante.  Tout comme une couleur instrumentale diaphane dans les contributions solos et les ambiances nocturnes où perce quelque nostalgie.

Jean-Philippe RAMEAU : L'orchestre de Louis XV.  Suites d'orchestre tirées des Indes Galantes, Naïs, Zoroastre, Les Boréades.  Le Concert des Nations, dir. Jordi Savall.  2CDs Alia Vox : AVSA 9882A+B.  TT : 57'05 + 51'03.

Rameau serait-il le musicien de Louis XV comme Lully fut celui du Roi Soleil ?  Il est, en tout cas, le compositeur emblématique de cette époque attirée par le renouvellement.  Comparé à la rigueur de celui de Lully, l'orchestre ramiste est empli de liberté, de légèreté, de fantaisie.  On a parlé, à cet égard, d'esthétique « rocaille » en musique.  La danse y tient une place de choix, comme le montrent les suites symphoniques tirées de ses œuvres lyriques.  Tout l'art novateur de Rameau s'y dévoile.  Car ce qu'on appelle les « ballets figurés » ont vocation à dépasser le statut de divertissements purement décoratifs pour assurer la fonction dramatique de faire progresser l'action.  Au point que l'écriture instrumentale le dispute à la partie vocale dans des morceaux appelés Airs.  Le faste et l'agrément rivalisent avec les effets de discontinuité, voire de surprise, comme l'inclusion de dialogues entre deux instruments solistes.  L'art de la danse connaît à cette époque une évolution notable grâce à des interprètes prestigieux : Louis Dupré, tenant de la « belle danse » extrêmement raffinée, Marie Sallé dont le style convoque une plus grande expression dramatique et Marie-Anne de Camargo qui prône la virtuosité et une haute technicité.  Rameau puisera auprès d'eux matière à diversifier ses intermèdes dansés et fera même évoluer le genre ; ce que démontrent les quatre Suites figurant sur ce disque.  Depuis Les Indes Galantes (1735), opéra-ballet, jusqu'aux Boréades (1764), sa dernière œuvre pour la scène, en passant par Naïs (1748), pastorale héroïque, et la tragédie lyrique Zoroastre (1749), c'est foison de climats toujours séduisants.  Et ce, grâce au renouvellement du langage harmonique et surtout à la place nouvelle assignée aux vents qui acquièrent leur autonomie par rapport aux cordes.  Jordi Savall, ardent défenseur de la musique française de l'ère baroque, saisit comme peu la densité de cet idiome et sa charge de vigoureuse force physique.  La manière est extrêmement volontaire : cadences imaginatives dans leurs constantes métamorphoses, articulation incisive des figures rythmiques répétées, ponctuations étudiées (coups d'archets secs), subtiles variations d'intensité au sein d'une même danse.  Savall n'hésite pas à booster le tempo pour donner au discours toute sa vivacité, lui conférant une vitalité contagieuse (l'Ouverture de Naïs, avec ses cordes rageuses).  Tout aussi passionnant est le travail d'instrumentation, les bassons en particulier ou encore ces musettes de cour à la sonorité rustique.  Ces fines peintures musicales n'en finissent pas de fasciner : des entrées enchanteresses (2e Air pour les Zéphyrs des Indes Galantes, quasi hypnotique, Gavottes I & II des Boréades) aux pantomimes endiablées (Tambourins de Naïs) ; sans oublier les morceaux de vastes proportions (Chaconne des Indes, contredanse des Boréades) lestés de refrains revenant en boucle, sorte de « tubes » à l'effet quasi entêtant.  Avec Les Boréades, l'orchestre s'enrichit de cors et le discours se truffe d'épisodes insolites.  Ainsi de l'entracte intitulé « Les Vents » qui instaure « une sorte de climat instable et effrayant par le biais d'une écriture quasi frénétique » (Sylvie Bouissou).  L'ensemble du Concert des Nations est d'une qualité instrumentale hors pair, mise en valeur par un enregistrement d'une rare présence.

Joseph HAYDN : Les Saisons.  Oratorio en quatre parties.  Livret du baron Gottfried van Swieten, d'après le poème de James Thomson.  Miah Persson, Jeremy Ovenden, Andrew Foster-Williams.  London Symphony Chorus. London Symphony Orchestra, dir. Sir Colin Davis.  2CDs LSO/Live : LSO0708.  TT : 65'18 + 63'17.

Tel un pendant à La Création, l'oratorio Les Saisons (1802) privilégie la description de la nature, une nature idéalisée dans laquelle l'Homme tient une place de choix.  On a pu dire que si dans le premier on progresse de Dieu vers l'Homme, le cheminement est inverse dans le second, où l'on part de l'Homme pour remonter à son créateur, célébré dans le monumental chœur final.  Les connotations philosophiques sont loin d'être absentes dans ce nouvel opus, comme l'esprit des Lumières.  Le sujet, peaufiné par le baron van Swieten à partir du poème de l'anglais James Thomson, auquel il ajouta quelques morceaux de son cru, avait de quoi séduire Haydn et son bon sens paysan.  Il y jettera toutes ses forces et ces quatre cantates constituent comme une somme de ses moyens créateurs.  Les traits naturalistes, pour certains naïfs, les épisodes idylliques, il les transfigure par une musique constamment inventive combinant fraîcheur pastorale et vitalité jubilatoire, voire quelques brefs accents maçonniques.  Ce qui fut sans doute un beau concert ne fait pas nécessairement un disque mémorable.  La présente exécution, pour remarquable qu'elle soit, manque de charisme.  Certes, la manière de Colin Davis a de l'allure, nantie d'une bienfaisante articulation, même si un peu brusque par endroits (final choral du Printemps, tempête de l'Été).  De soudaines accélérations du tempo, telle cette amusante précipitation lors de la ritournelle marquant la fin de l'Automne avec l'intervention soulignée du tambour de basque, donnent quelque piment au discours.  Mais l'interprétation pâtit d'un manque de tension.  Le LSO déploie pourtant de beaux accents pour ce qui est de la ductilité des cordes et de la brillance des bois.  Le LSO Chorus, pas toujours favorisé par la prise de son, apporte aux grandes fresques chorales, si déterminantes ici, verve et éclat notamment lors des exaltants passages fugués.  La contribution des solistes est en retrait et offre une caractérisation superficielle.  Andrew Foster-Williams, Simon, offre le chant le plus intéressant et un portrait sympathique du bon paysan, même si la voix est légère, baryton-basse plus que basse profonde.  Le ténor Jeremy Owenden par contre, outre un timbre ingrat, ne s'épanouit guère dans la partie de Lukas et Miah Persson, qui n'évite pas quelques intonations douteuses, donne peu d'aura à celle de Hanne.

George ONSLOW : La musique de chambre avec vents.  Sextuor op. 30 pour flûte, clarinette, basson, cor, contrebasse & piano.  Septuor op. 79 pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, contrebasse & piano.  Nonetto op. 77 pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, violon, alto, violoncelle & contrebasse.  Quintette op. 81 pour flûte, hautbois, clarinette, basson & cor. Ensemble Initium.  Ensemble Contraste.  2CDs Timpani : 2C2185.  TT : 74'48 + 59'11.

Au sein de l'immense production de musique de chambre de George Onslow (1784-1853) dominée par les quatuors et quintettes à cordes, les œuvres dédiées aux instruments à vent font figure d'exception : quatre pièces en tout.  Elles sont fort à propos réunies sur ces disques.  Excepté le Sextuor op. 30, il s'agit de pièces tardives, composées durant les années 1849 et 1850 alors que le musicien est au faîte de la gloire qu'il dispute à Berlioz.  Figure marquante du romantisme français, très introduit dans les salons parisiens, Onslow n'a pas de mal à faire apprécier des compositions à la manière très personnelle, qui se réclament aussi de l'école allemande.  L'habileté à combiner les timbres dans une recherche certaine d'expressivité lui vaudra l'admiration de Berlioz, louant chez lui « l'un des grands harmonistes de l'époque ».  Son langage s'accommode de tournures archaïsantes mais imagine des traits innovants annonciateurs des évolutions futures.  Deux de ces pièces unissent le piano aux vents.  C'est que Onslow, lui-même excellent pianiste, vouait à l'instrument une véritable passion.  Le mélange de la forme concertante et de la musique de chambre les caractérise.  Le Sextuor op. 30 (1825) livre des contrastes originaux avec des relents de mélodies opératiques, notamment dans le menuet et le finale.  Le Septuor op. 79, d'imposantes proportions - près de 40 minutes - s'ouvre par un long mouvement dégageant une fraîcheur remarquable avec de larges bouffées de lyrisme.  L'inspiration ne se maintient pas toujours au même niveau et le geste restera légèrement emphatique tout au long d'une pièce illustrant la forme narrative chère au musicien.  Elle n'en est pas pour autant dépourvue d'énergie dynamique.  Le Nonetto op. 77 (1849) allie vents et cordes dans un dialogue souvent charnu, notable à l'allegro spirituoso initial.  Après un scherzo bien dansant, un Tema con variazioni, de forme andante, progressant majestueusement non sans une pointe de mélancolie, le finale débuté largo se développe en un allegretto coulant.  Les deux groupes, vents et cordes, se répondent ou s'entrelacent d'élégante manière.  Enfin le Quintette op. 81, une des dernières compositions chambristes de l'auteur (1850), se distingue par une écriture exigeante requérant des interprètes une agilité extrême dans les traits virtuoses comme dans les passages lyriques car elle exploite les dernières avancées techniques des instruments.  L'Ensemble Initium, six jeunes instrumentistes maniant les vents de main de maître, et l'Ensemble Contraste, formation comprenant un pianiste et trois cordes, sont les interprètes émérites de ces pièces heureusement réhabilitées.

George Onslow La musique de chambre avec vents

Robert SCHUMANN : L'œuvre pour trio avec piano.  Trio n°1 op. 63.  Trio n°2 op. 80.  Trio n°3 op. 110.  Six Études en forme de canon op. 56 (arrangement de Theodor Kirchner).  Phantasiestücke op. 88.  Leif Ove Andsnes (piano), Christian Tetzlaff (violon), Tanja Tetzlaff (violoncelle).  2CDs EMI : 0 94180 2.  TT : 75'15 + 46'18.

A côté des quatuors ou du quintette avec piano, Schumann a aussi exploré le genre du trio avec piano, largement cultivé par les romantiques.  Un premier essai, en 1842, se résume à quatre pièces de caractère (revisitées en 1849 et publiées l'année suivante sous l'appellation de Phantasiestücke op. 88), dont une « Humoreske » fantasque et bien rythmée et un « Duett » de caractère presque vocal où les cordes batifolent tour à tour sur une basse ondulante du piano.  Mais il faudra attendre 1847 pour que s'affirme la maîtrise.  Le Trio n°1, prenant pour modèle Mendelssohn, affirme cette prépondérance du clavier qui sera la marque du compositeur.  Aux turbulences du premier mouvement font suite un scherzo au thème galopant à satiété puis un épisode lent marqué « avec un sentiment profond », d'une intense réflexion, enfin un finale exultant, « avec feu », qui progresse de plus en plus vite.  Le Trio n°2, op. 80 (1849) qui, selon l'auteur, « exerce une séduction plus immédiate, plus charmeuse », possède ce mélange de simplicité et de savant où excelle Schumann.  De texture foisonnante, il fait la part belle à la mélodie.  Ainsi du deuxième mouvement « avec une expression intime », pages ferventes traversées de larges traits démonstratifs, ce que prolonge un intermezzo presque brahmsien d'écriture syncopée qui laisse sourdre quelque inquiétude.  L'effusion mélodique caractérise le finale allègre autant par l'allant du piano que par le chant des cordes.  Le Trio n°3, op. 100 (1851), plus concis encore, s'ouvre dans un univers d'arabesques entrelacées, pour progresser dans un mouvement lent où le duo ardent des cordes sur le simple accompagnement du piano laisse place à un passage central très agité pour se conclure ppp.  Le scherzo rapide s'orne de deux intermèdes en trio, l'un sur une mélodie insouciante du violon, le second en guise de marche capricieuse.  Et le finale « vigoureux, avec humour » déploie une sûre énergie.  Cette intégrale comprend encore les Six Études en forme de canon op. 56, fruit du travail d'étude approfondi du contrepoint de Bach auquel s'étaient livrés Schumann et Clara Wieck.  Conçues à l'origine pour piano à pédalier, ces courtes pièces seront arrangées pour trio avec piano par Theodor Kirchner, un ami du compositeur.  L'ensemble ad hoc formé par Leif Ove Andsnes, Christian & Tanja Tetzlaff offre une quasi idéale fusion qui rend si attractive cette combinaison instrumentale.  C'est que le toucher svelte du pianiste norvégien et sa fine intelligence musicale laissent à ses deux merveilleux partenaires toute la liberté nécessaire pour servir le lyrisme de pièces où s'épanche naturellement la veine intimiste de Schumann.

« René Pape chante Richard WAGNER » : Airs et scènes extraits de Die Walküre, Die Meistersinger von Nürnberg, Lohengrin, Parsifal, Tannhäuser.  René Pape, basse ; Plácido Domingo, ténor.  Chor der Staatsoper Unter den Linden.  Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim.  Universal/DG : 477 6617.  TT : 69'03.

En ces temps où se tarit l'enregistrement discographique d'intégrales d'opéra - on lui préfère le plus séduisant DVD -, le pli se prend de privilégier le CD bâti autour d'un compositeur célèbre et d'un interprète en vue.  On y associe airs & scènes pour sortir du carcan du récital.  La méthode convient dans le cas de Wagner où les airs à proprement parler sont rares.  René Pape est, sans conteste, l’un des meilleurs ambassadeurs actuels du répertoire de baryton/basse qui adorne la plupart des opéras du maître de Bayreuth.  La présente anthologie propose d'abord la scène finale de La Walkyrie dans laquelle il prête aux adieux de Wotan des accents qu'on n'avait plus perçus aussi bouleversants peut-être depuis Hans Hotter.  Des pianissimos envoûtants, comme un magistral messa di voce sur les mots « so küsst er die Gottheit von dir ! » (et t'enlève d'un baiser la divinité), marquent cette interprétation.  Du bon Hans Sachs des Maîtres Chanteurs de Nuremberg - qu'il n'a pas encore abordé à la scène – il emplit le Fliedermonolog du IIe acte d'une poésie diaphane à laquelle le subtil accompagnement de Daniel Barenboim n'est pas étranger : une rêverie musicale en forme de méditation sur les mystères de l'art du chant.  La scène finale de l'acte III a aussi grande allure : cette longue harangue à l'ingrat Walther, qui taxe tant d'interprètes épuisés par un rôle écrasant, dont un dernier acte de plus de deux heures.  Rien de tel en l'occurrence, s'agissant d'une captation en studio. Les affinités avec le personnage sont réelles.  Alors qu'on s'attendait au second grand monologue, le grave « Wahn, wahn » du IIIe acte, Pape lui préfère la courte tirade du Veilleur de nuit qui clôt le deuxième.  Une coquetterie !  Tel est aussi le cas de la Romance à l'étoile de Wolfram von Eschenbach au dernier acte de Tannhäuser, qui appartient au répertoire de baryton lyrique.  La voix claire et flexible du chanteur donne de cet air mélancolique un contour presque belcantiste.  Le récit du roi Henri l'Oiseleur au Ier acte de Lohengrin a force et autorité.  Mais c'est nul doute avec Gurnemanz de Parsifal que la grande basse allemande fait son meilleur miel.  Ce rôle d'Évangéliste qui ne dit pas son nom enlumine le chef-d'œuvre ultime de Wagner.  La scène avec Parsifal de l'acte III et l'Enchantement du Vendredi Saint sont purs joyaux de chant ciselé et d'interprétation pensée au tréfonds.  Là encore la comparaison avec Hotter s'impose, pas mince compliment !  Luxe de ce disque, Plácido Domingo lui donne la réplique dans le rôle-titre, pour lequel il professe une tendresse toute particulière.  Ce que démontrent à l'évidence les interprétations de René Pape, c'est l'éloquence de la diction, fruit d'une suprême articulation, et la beauté insigne d'un timbre suffisamment riche et étendu pour passer sans effort du registre de baryton/basse à celui de basse profonde.  Daniel Barenboim à la tête de son éminent orchestre berlinois, apporte à ces pages une aura toute particulière de grandeur et de poésie inspirée.

Gustav MAHLER : Le Chant de la terre.  Symphonie pour voix de ténor et d'alto (ou de baryton) & orchestre.  D'après le poème Die chinesische Flöte (« La Flûte chinoise ») de Hans Bethge.  Fritz Wunderlich, ténor ; Dietrich Fischer-Dieskau, baryton.  Wiener Symphoniker, dir. Josef Krips.  Universal/DG : 477 8988.  TT : 63'23.

Ce CD inespéré est la captation d'un concert donné le 14 juin 1964 à Vienne, l’une des rares incursions au disque du chef Josef Krips dans l'univers mahlérien.  Se remémorant cet événement particulier, Dietrich Fischer-Dieskau lui rendra ce vibrant hommage : « Vous à qui je dois le plus beau concert du Chant de la terre ».  Cette symphonie avec voix qu'il pensa un premier temps titrer « Chant de l'affliction de la terre », Mahler en a puisé les textes, à travers la traduction qu'en fit le poète Hans Bethge, dans un recueil de poèmes chinois.  Elle sera créée par Bruno Walter en 1911, de manière posthume.  Celui qui en sera l'interprète privilégié parle d'une « œuvre unique, passionnée, amère, pleine de renoncement ».  Le thème de la solitude la traverse, évocation de climats d'une tristesse infinie mais aussi empreints d'une poésie frémissante.  L'orchestration en est fascinante qui privilégie la clarté, le dessin plus que la couleur et puise à ce qu'on a pu appeler une technique de musiciens solistes, proche de la musique de chambre.  Les combinaisons instrumentales originales comme le recours à des instruments insolites, telle la mandoline, rappelant les modes orientaux, créent des espaces sonores changeants, souvent étranges.  Josef Krips a choisi la version pour baryton.  Mahler avait laissé liberté de choix pour la seconde voix.  Bruno Walter marqua sa préférence pour celle d'alto, l'alternance de solistes homme et femme étant « plus agréable à l'oreille ».  Si les exécutions de ce type sont rares, l'interprétation de Fischer-Dieskau, alors à son zénith, lève bien des réserves : son art de caresser les mots, de distiller les plus fines inflexions, sa musicalité légendaire sont là d'une absolue flagrance.  Et quelle intensité !  Fritz Wunderlich qui était, lui, à l'orée d'une carrière prometteuse, hélas tragiquement interrompue l'année suivante, offre l'alliance quasi idéale du lyrisme le plus délicat et de la vaillance héroïque.  Le timbre d'une fraîcheur spontanée est habité d'harmoniques resplendissantes. Outre sa manière de faire corps avec ses chanteurs, comme s'il respirait avec eux, Krips adopte des tempos généralement soutenus et n'hésite pas à souligner l'acidité, la crudité même de maints passages.  Le souci de la structure, les contrastes qu'il ne cherche pas à réduire sont autant de marques d'une exécution d'une grande humanité.  Ainsi du lied final L'Adieu, vaste tableau aux changements d'éclairages fréquents, d'une mélancolie pénétrante jusqu'à l'indicible : ce mot murmuré « Ewig » (éternellement) répété sept fois qui se dissout dans l'orchestre.  Dietrich Fischer-Dieskau y est immense.

« Poème ».  Ottorino RESPIGHI : Poema autunnale.  Josef SUK : Fantasy.  Ernest CHAUSSON : Poème op. 25.  Ralph VAUGHAN WILLIAMS : The Lark Ascending.  Julia Fischer, violon.  Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, dir. Yakov Kreizberg.  Universal/Decca : 478 2684.  TT : 69'59.

Voilà le type de disque qui renouvelle le genre du récital et enrichit singulièrement le répertoire. Car y sont réunies quatre pièces appartenant à la littérature violonistique du tournant du XXesiècle et apportant des éclairages différents mais complémentaires quant à ce qui lui est consubstantiel, la poésie.  Le Poème op. 25 de Chausson, écrit en 1896 pour Eugène Ysaÿe, tire son sujet symboliste d'une nouvelle de Tourgueniev, Le chant de l'Amour triomphant, aux accents étranges, mystérieux et tendus.  Ce qui n'affecte pas la fluidité du discours et la forme très libre du morceau qui déploie sa géniale modulation.  On y rencontre discrètement aussi le principe cyclique hérité de César Franck.  La partie soliste, nerveuse ou élégiaque, en arrive à se fondre dans l'orchestre dans quelque alliance éphémère.  Le Poème automnal de Respighi (1925) introduit un tout autre climat, une autre manière impressionniste par une instrumentation originale (xylophone, cor anglais).  Quoique de facture assez différente de sa trilogie romaine, on y trouve pourtant l'habileté suprême du compositeur à évoquer la clarté italienne ou la voluptueuse atmosphère d'une belle journée d'arrière-saison.  Magnifiquement écrit pour l'instrument (comme l'introduction solo) avec de longues notes tenues, il en émane un lyrisme envoûtant qu'agrémente une section médiane plus agitée.  Josef Suk propose avec sa Fantaisie (1903) une sorte de concerto de vastes proportions.  Élève de Dvořák, il en perpétue le langage « dans ses mélodies et sa belle orchestration et surtout par sa manière d'utiliser le cor d'harmonie » dit Julia Fischer.  Là encore, la pièce est taillée sur mesure pour l'instrument dont elle explore toutes les possibilités expressives.  Le classicisme de la forme est mâtiné d'accents bohèmes, alternance de joie insouciante et de lyrisme ardent.  The Lark Ascending (« L'envol de l'alouette ») que Ralph Vaughan Williams écrit en 1914 d'après un poème de George Meredith, en appelle à l'imagination : dans un paysage calme et serein, le violon soliloque, planant au-dessus d'un orchestre assagi, souvent dans le registre aigu jusqu'à une cadence finale ppp, proprement magique.  Loin d'un assemblage disparate, ces quatre morceaux sont unis sous l'archet de Julia Fischer par un fil conducteur : celui que son extrême sensibilité, sa rectitude artistique prodiguent au-delà de la simple agilité technique.  Sa maîtrise du phrasé, l'ampleur du geste forcent l'admiration comme le don d'épouser des styles différents : la générosité italienne, l'effusion gallique, l'expansif slave ou la fine dentelle du musicien anglais.  Yakov Kreizberg met en scène avec intelligence le dialogue entre violon & orchestre dans un désir de réelle complicité.  Le disque est dédié par Julia Fischer à la mémoire du chef récemment disparu.

Jean CRAS : Trio à cordes.  Deux Impromptus pour harpeSuite en duo pour flûte & harpeQuintette pour flûte, harpe & cordes.  Juliette Hurel (flûte), Marie-Pierre Langlamet (harpe), Philippe Graffin (violon), Miguel da Silva (alto), Henri Demarquette (violoncelle).  Timpani : 1C1179.  TT : 69'09.

Voici un merveilleux disque de musique de chambre française ! Le marin et musicien Jean Cras (1879-1932) est à son meilleur dans cet univers choisi de la petite formation.  Les quatre pièces réunies ici appartiennent à sa dernière période créatrice alors qu'il présidait aux destinées des fleurons de la flotte nationale.  Le trio à cordes est un genre délicat s'il en est et peu représenté dans le répertoire chambriste, sans doute eu égard à la part d'austérité qui se dégage de cette combinaison spécifique.  Le Trio de Cras (1926) est, au contraire, joie et lumière, divertissant et plein de charme, fruit d'un magnifique travail sur les trois instruments fort bien mis en valeur.  La belle improvisation du premier mouvement laisse place à une séquence « lent » emplie de contrastes audacieux dans l'harmonie, les instruments étant censés jouer sans vibrato.  Suit un « animé » allègre avec quelques touches orientalistes dans le traitement en pizzicatos.  Le finale surenchérit puisque « très animé », sorte de mouvement perpétuel en forme de gigue étourdissante de vivacité.  À travers tout ce morceau règne un pentatonisme exultant.  Comme Debussy, Cras écrit magistralement pour la harpe.  Les deux Impromptus (1925) juxtaposent atmosphère de rêve et danse joyeuse.  Marie-Pierre Langlamet, dans la lignée des grandes dames de la harpe française, apporte transparence, évanescence dans le registre pianissimo.  La Suite en duo pour flûte & harpe (1927), cet idéal mariage de sonorités, présente quatre pièces d'un charme innocent mêlant inspiration celtique de la Bretagne natale de Cras et mélismes indigènes puisés dans ses voyages au long cours.  Enfin, le Quintette pour flûte, harpe & trio à cordes (1928), propose encore une forme rare.  Elle est dédicacée à une formation ad hoc, le Quintette instrumental de Paris, active de 1924 à 1958, qui inspira bien d'autres musiciens dont Koechlin, Roussel, Schmitt, Ropartz, Ibert ou Jolivet.  C'est que cette étonnante combinaison de timbres appelle la musique pure.  L'union des trois cordes, du chant extatique de la flûte et des glissandos et arpèges de la harpe confère une transparence et des couleurs dans lesquelles se reconnaît la pensée musicale française.  Elle offre un climat directement séduisant, un divertissement sans arrière-pensée.  Ce chef-d'œuvre de goût, les interprètes en font leur délice.  À écouter absolument !

Jean Cras Quintette pour harpe, flûte, violon, alto et violoncelle - Suite en duo pour flûte et harpe - Deux Impromptus pour harpe - Trio à cordes

Jean-Pierre Robert.

Antonio VIVALDI : Les quatre saisons.  L’estro armonico op.3.  Concertos n°6 & 9.  Olivier Charlier (violon & direction), Orchestre d’Auvergne. Transart Live (www.cdpresto.com) : TR 157.  TT : 54’21.

À la question que certains esprits chagrins pourraient poser : « Les quatre saisons… une fois de plus ? » laissons répondre Olivier Charlier : « Bien sûr, c’est sans doute l’œuvre la plus enregistrée du répertoire, mais le printemps revient chaque année, sans jamais nous lasser ! »  Quoi qu’il en soit, il s’agit, ici, d’une très belle interprétation, enregistrée live lors d’un concert aux Flâneries musicales de Reims en 2008, témoignant de la grande complicité existant entre l’Orchestre d’Auvergne et son chef.

Ernest BLOCH (1880-1959) : Poème mystique. Baal Shem. Psaumes 114 & 137. Supplication. Suite Hébraïque. Poème de la Mer.  Leo ORNSTEIN (1893-2002) : Hebraic Fantasy.  Christophe Boulier (violon), Académie des Jeunes Solistes.  Promusica : P1105.  TT : 72’05.

Un disque empreint de spiritualité qui donne à entendre des œuvres rarement jouées, comme l’Hebraic Fantasy de Leo Ornstein, dédiée à Albert Einstein, enregistrée ici pour la première fois.  Une interprétation souvent virtuose et pleine d’allant au plan instrumental.  Quelques réserves, quant à l’interprétation vocale des Poèmes de la Mer d’Ernest Bloch.

Franz SCHUBERT : Winterreise.  Nathalie Stutzmann (contralto), Inger Södergren (piano).  Saphir Productions (www.saphirproductions.net)  : LVC 1153.  TT : 76’21.

Réédition de ce cycle de 24 lieder qui apparaît comme un long voyage hivernal avec des accents funèbres, remplis de mélancolie et de paysages désolés, marquant la parfaite adéquation entre la musique de Schubert et les vers de Wilhelm Müller. Une interprétation, bien sûr, digne d’intérêt où l’on regrettera, toutefois, une vocalité parfois mal adaptée à la sombre gravité du cycle.

Franz LISZT (1811-1886) : Lectures.  Nicolas Stavy, piano.  Hortus : 088.  TT : 77’08.

Répondant aux aspirations du poète musicien, Nicolas Stavy nous propose, ici, un voyage original et contrasté mêlant des œuvres, toutes inspirées par les nombreuses lectures qu’effectua Liszt tout au long de sa vie.  Il en va ainsi des Harmonies poétiques et religieuses (1847-1849) dont est tirée la Bénédiction de Dieu dans la solitude, des Années de pèlerinage (1833-1839), du Sonnet de Pétrarque, des Consolations (1850) et de son dernier poème symphonique, Du berceau jusqu’au tombeau (1881).  Un disque aux multiples facettes, empli de sensibilité et de ferveur, qui permet à Nicolas Stavy de faire montre de tout son talent.

Liszt: Lectures

Patience.  Stéphane Kerecki (contrebasse), John Taylor (piano).  Zig-Zag Territoires-Outhere (www.outhere-music.com) : ZZT 110402.  TT : 51’25.

Patience, un disque qui évoque, tout d’abord, un climat, la nécessité de lâcher prise, de laisser les notes évoluer, à l’écoute de l’autre.  Un disque comme une évidence, celle de l’assurance d’un dialogue vrai où les lignes mélodiques s’entrelacent, celle, également, d’une magnifique sonorité et d’une indiscutable réussite dans cet exercice difficile du duo piano-contrebasse.  Magnifique.

Une soirée chez Brahms.  Schumann, Kirchner, Brahms, Fuchs.  Franz Ortner (violoncelle), Caroline Boirot (piano).  Lyrinx : LYR 261.  TT : 60’37.

Un disque dont le programme, original, est placé sous le signe de l’amitié et de l’estime, l’occasion, pour nous, d’entendre Brahms et Schumann ainsi que certains de leurs amis que l’on a moins l’habitude de fréquenter dans les salles de concert, comme Kirchner (1823-1903) et Fuchs (1847-1927).  Un très beau disque, un superbe dialogue empreint de lyrisme, remarquablement interprété par le violoncelliste autrichien Franz Ortner et la talentueuse jeune pianiste Caroline Boirot.

Schumann : Adagio et Allegro Op. 70, Kirchner : 8 Pieces Op. 79, Fuchs : 2eme Sonate Op.83, Brahms :

Unsuk CHIN : Fantaisie mécanique.  Xi.  Akrostichon-Wortspiel.  Double Concerto.  Ensemble intercontemporain.  Kairos : KAI 0013062.  TT : 72’23.

Un disque qui présente plusieurs œuvres de la compositrice coréenne Unsuk Chin (née en 1961) :  Akrostichon-Wortspiel (1991) qui lui valut une reconnaissance internationale, la Fantaisie mécanique (1994) à la sonorité plus tranchante, Xi (1998) œuvre électroacoustique, peut-être la plus ambitieuse, enfin, le magnifique Double Concerto pour piano, percussion & ensemble (2002).  Une musique surprenante, parfois ardue, colorée et imprévisible, qui semble, malgré les différences d’écriture, dominée par une recherche d’unité et de synthèse, parole & musique (Akrostichon-Wortspiel), improvisation & construction (Fantaisie mécanique) sons synthétiques & sons instrumentaux (Xi), solistes & ensemble (Double Concerto).

Patrice Imbaud.

Giovanni Pierluigi da PALESTRINA (ca 1525-1594) : Assumpta est Maria in caelum.  Missa Sicut lilium inter spinas.  Lamentations Incipit oratio Jeremiae Prophetae.  Missa brevis.  Missa Papae MarcelliThe Tallis Scholars, dir. Peter Phillips.  2CDs Gimell (www.gimell.com) : GIM204.

Palestrina fut, sans doute, le compositeur le plus souvent chanté & enregistré par The Tallis Scholars.  Avec peut-être la seule musique pour piano de Mozart, ces chefs-d’œuvre ne souffrent nulle imperfection technique…  Leur restitution est ici idéale.

Jean-Sébastien BACH (1685-1750) : Variations Goldberg BWV 988.  Nicholas Angelich, piano.  Virgin Classics (www.virginclassics.com) : 0706642-9. TT : 79’58.

Tout au long de ce fameux cycle de 32 variations, Bach conserve presque toujours la même tonalité : sol majeur.  Seules les variations 15, 21 et 25 sont en sol mineur.  Les mesures sont, en revanche, extrêmement diversifiées : de 3/4 à 2/4, 3/8, 6/8, 4/4, 18/16.  Merveilleux Nicholas Angelich qui, comme à son ordinaire –  concentration & diversité expressive -, nous restitue sans afféterie cet incomparable chef-d’œuvre.

Rose of Sharon, 100 ans de musique américaine (1770-1870).  Ensemble Phoenix Munich, dir. Joel Fredericksen.  Harmonia Mundi (www.harmoniamundi.com) : HMC 902085. TT : 71’45.

Que de merveilleuses musiques parmi les 30 pièces ici révélées ! Précédées de Lay me low (chant de la communauté chrétienne libre des Shakers), elles sont réparties en 6 chapitres : Le combat pour la liberté / Le père de la musique américaine (William Billings) / Singing Schools et Shape Notes / La musique des Shakers / Chants de la guerre civile américaine / Revival Meetings et Spirituals.  Conduits par Joel Frederiksen, lui-même magnifique basso profundo coloratura (sic) & luthiste, les sept chanteurs et musiciens qui constituent l’Ensemble Phoenix Munich sont au-dessus de toute louange. (Textes en anglais, français, allemand.)

Frederick DELIUS (1862-1934) : Appalachia.  The Song of the Hight Hills.  Olivia Robinson (soprano), Christopher Bowen (ténor), Andrew Rupp (baryton). BBC Symphony Chorus, BBC Symphony Orchestra, dir. Sir Andrew Davis.  Super Audio CD Chandos (www.chandos.net) : CHSA 5088.  TT : 64’24.

Longues méditations sur les mystères de la vie, Appalachia et The Song of the Hight Hills ont été composés entre 1898 et 1914, période la plus fertile du compositeur anglais.  Appalachia, nom indien de l’Amérique du Nord, vise à recréer l’atmosphère des grands marécages qui bordent le Mississippi, si intimement associée à la vie des anciens esclaves noirs.  L’œuvre comporte 10 variations sur un chant d’esclave, plus un final pour baryton, chœur & orchestre.  Pour soprano, ténor, chœur & orchestre, The Song of the Hight Hills a été inspiré par les montagnes de Norvège, pays que Delius considérait comme sa patrie spirituelle.  L’une et l’autre œuvres ont été révisées & éditées par Sir Thomas Beecham.  Splendide !

Paul Badura-Skoda (°1927) joue Ravel, Berg & Chopin.  TransArt Live (www.cdpresto.com) : TR 160.  Distr. Naïve.  TT : 73’52.

Du légendaire pianiste viennois, voici réunis quelques-uns des plus précieux enregistrements publics des années 1965-1983, aux États-Unis : de Ravel : Jeux d’eau, Sonatine, Gaspard de la nuit, Toccata (extrait du Tombeau de Couperin) ; de Berg : la Sonate op. 1 en si mineur ; de Chopin : Nocturne op. posth. n°72 en mi mineur, Études op. 10 n°1, 2, 10, 11, 12 et Scherzo n°3 en ut# mineur.

Claude DEBUSSY : Estampes, …d’un cahier d’Esquisses, Masques, L’Isle joyeuse, Images (1re et 2e séries).  Philippe Bianconi, piano.  SACD Lyrinx (www.lyrinx.com) : LYR 2274.

Plans sonores admirablement différenciés, jetant une vive lumière sur des interprétations d’un - à tout le moins - singulier volontarisme.

A tribute to Bach, par Célimène Daudet, piano.  Œuvres de J. S. Bach, Mendelssohn, Liszt, Franck.  Arion (www.arion-music.com) : ARN 68820.

Fil conducteur de cet enregistrement, « l’art du contrepoint » justifie l’intitulé du CD.  Outre les Choral pour orgue BWV 639 (transcription : Ferruccio Busoni) et Prélude & fugue en ut# mineur du Clavier bien tempéré BWV 949, il comporte en effet : le Prélude & fugue op.35 n°1 de Mendelssohn, les Prélude, fugue & variation pour orgue op.18 (transcription : Harold Bauer) et Prélude, choral & fugue de César Franck, Bénédiction de Dieu dans la solitude de Franz Liszt.  Superbe programme que Célimène Daudet interprète avec une infinie délicatesse.  Notice signée Georgie Durosoir.

Gustav MAHLER : Symphonie n°4 en sol majeur.  Concertgebouw Orchestra Amsterdam, dir. Eduard von Beinum (1901-1959).  Margaret Ritchie (1903-1969), soprano.  Des Knaben Wunderhorn, six chants.  Orchestre de l’Opéra de Vienne, dir. Felix Prohaska (1912-1987).  Alfred Poell (1900-1968), baryton ; Lorna Sydney (°1912), mezzo-soprano.  Magdalen/Metronome (www.magdalen.biz) : MET 8004.  TT : 75’23.

Programmant de grands interprètes ayant, pour la plupart, connu le compositeur, voici une réédition bienvenue.  Notamment la 4e Symphonie, dirigée en 1952, avec une poignante émotion, par le trop méconnu Eduard von Beinum qui, à la tête du Concertgebouw, avait brièvement succédé (il mourut jeune) à Wilhelm Mengelberg…

Sergiu Celibidache (1912-1996) en concert.  Berliner Philharmoniker, RIAS Symphonie-Orchester & Radio-Symphonie-Orchester Berlin.  Gerhard Puchelt (piano), Siegfried Borries (violon), Gustav Schneck (flûte).  3 CDs Audite (www.audite.de) : 21.406.  TT : 70’12 + 80’48 + 65’15.

Sous la baguette du célébre chef roumain, définitivement rebelle à tout enregistrement, voici – mais capté en concert – un ensemble d’interprétations.  Corpus à tout le moins disparate et d’inégale qualité.  1er CD : Gershwin (consternante Rhapsody in Blue), Ravel (Rhapsodie espagnole), Busoni (Concerto pour violon op. 45a), Cherubini (ouverture d’Anacréon).  2e CD : Hindemith (Concerto pour piano), Harald Genzmer (Concerto pour flûte & orchestre de chambre), Aaron Copland (Appalachian Spring).  3e CD : Heinz Tiessen (Hamlet Suite op. 30 / Salambo Suite op. 34a / Symphony n°2 op. 17) / Reinhard Schwarz-Schilling (Introduction & fugue pour orchestre à cordes, création mondiale).  Les bandes originales de la RIAS ont été quelque peu nettoyées de leurs scories.

Edvard GRIEG (1843-1907) : L’œuvre symphonique, vol. 1.  WDR Sinfonieorchester Köln, dir. Eivind Aadland.  Audite (www.audite.de) : 92.651 SACD.  TT : 73’22.

Sous la direction du jeune chef norvégien Eivind Aaaland, ont été regroupées, dans ce premier volume de l’intégrale de l’œuvre symphonique de Grieg : Symphonic Dances op. 64, Peer Gynt Suite n°1 op. 46, Peer Gynt Suite n°2 op. 55, Funeral March in memory of Rickard Nordraak.

Quartettsatz, par le Quatuor Alfama.  Fuga Libera (www.fugalibera.com) : FUG 582.  TT : 56’30.

Ce tout jeune et vaillant quatuor à cordes belge s’est ici lancé sur des chemins peu frayés.  Jugez-en : Serenade (Wolf), Langsamer Satz (Webern), Presto in C (Schönberg), Capriccio op.81/3 (Mendelssohn), Quartettsatz (Tchaikovsky), Alla Marcia (Britten), Andante festivo (Sibelius), Romance (Rachmaninov).  Élégance & dynamisme.

Pyotr Ilyich TCHAIKOVSKY (1849-1893) : Sérénade pour cordes op. 48. Souvenir de Florence op. 70.  Do.gma Chamber Orchestra (www.dogmaorchestra.com), dir. Mikhail Gurewitsch.  Super Audio CD Audiomax (www.berthold-records.de) : 912 1654-6.  TT : 65’01.

Trop souvent appréciées pour leur seul glamour, ces œuvres sont ici interprétées avec tout le sérieux que leur confèrent ordinairement les Russes - lesquels (à la différence de notre critique hexagonale) considèrent Tchaikovsky comme leur plus grand compositeur.  Incomparable qualité sonore du SACD.

Francis POULENC, Gabriel FAURÉ, Claude DEBUSSY : Impressions françaises.  Juliette Hurel, flûte.  Hélène Couvert, piano. Zig-Zag Territoires (www.outhere-music.com) : ZZT 110401.

Délicieuse Juliette Hurel qui nous livre ici de ses plus spirituelles, tendres, sensuelles ou mélancoliques Impressions…  Poulenc : Sonate pour flûte & piano, Un joueur de flûte berce les ruines pour flûte seule.  Fauré : Pièce, Sicilienne, Morceau de concours, Fantaisie, Berceuse.  Debussy : Syrinx pour flûte & récitant (Florence Darel), Sonate pour flûte, alto (Arnaud Thorette) & harpe (Christine Icart), Syrinx (pour flûte seule), Prélude à l’après-midi d’un faune pour flûte & piano (transcription de G. Samazeuilh).

Francis POULENC : Concerto pour deux pianos & orchestre (1932), Suite française (1935), Concert champêtre (1928).  Anima Eterna Brugge, Jos van Immerseel (direction & piano), Claire Chevalier (piano), Kateřina Chroboková (clavecin).  Zig-Zag Territoires (www.outhere-music.com) : ZZT 110403. TT : 58’24.

Pour le pianiste & chef d’orchestre belge, Jos van Immerseel, Poulenc est l’un des compositeurs majeurs du XXe siècle – ce que nous ne démentirons certes pas !  Ainsi a-t-il ici réunis trois de ses œuvres les plus éminemment françaises : le Concerto en  mineur pour deux pianos, œuvre commandée par la princesse Edmond de Polignac, que Jacques Février et le compositeur lui-même créèrent avec l’orchestre de la Scala de Milan (Venise, 1932) ; la Suite française (pour 2 hautbois, 2 bassons, 2 trompettes, 3 trombones, clavecin & percussions), originairement composée pour accompagner le IIe acte de La reine Margot, pièce d’Édouard Bourdet, partition s’inspirant - sur les conseils de Nadia Boulanger - des Livres de danceries (1655) de Claude Gervaise ; le Concert champêtre pour clavecin (ou piano) & orchestre, où se mêlent, à l’esprit de Stravinsky, des références à la musique française de clavecin du XVIIIe siècle.

Dmitri SCHOSTAKOWITSCH : Die Streichquartette.  Mandelring Quartett.  5 CDs Audite (www.audite.de) : 21.411.  TT : 72’52 + 70’07 + 67’54 + 75’33 + 67’46.  39’95 €.

Admirable entreprise que de réunir, en un même coffret, les 15 quatuors à cordes de Chostakovitch et ce, sous les doigts du merveilleux Mandelring Quartett [Sebastian & Nanette Schmidt (violons), Roland Glassl (alto), Bernhard Schmidt (violoncelle)].  Parfaite homogénéité des intentions et des phrasés.

Igor STRAVINSKY : Perséphone.  Doris Schade (récitant), Fritz Wunderlich (ténor).  Schwanheimer Kinderchor, Chor des Hessischen Rundfunks, Chor des Süddeutschen Rundfunks, Sinfonie-Orchesters des Hessischen Rundfunks, dir. Dean Dixon.  Audite (www.audite.de) : 95.619.  TT : 48’57.

Rarement interprété est ce mélodrame de Stravinsky, composé en 1934 pour Ida Rubinstein, sur un texte d’André Gide.  Trois parties (Le rapt de Perséphone, Perséphone aux enfers, Renaissance de Perséphone), pour récitant, ténor, double chœur & orchestre.  D’autant plus précieuse version que le soliste en est le très regretté Fritz Wunderlich.  Dommage toutefois que l’œuvre soit donnée en allemand.  Enregistrement live, 1960.

Luciano BERIO (1925-2003) : Sequenzas III & VII.  Différences (pour 5 instruments & bande magnétique).  Due pezzi (pour violon & piano), Chamber Music (pour voix de femme, clarinette, violoncelle & harpe).  Cathy Berberian (soprano), Heinz Holliger (hautbois).  Juilliard Ensemble, dir. Luciano Berio. Newton Classics (www.newtonclassics.com) : 8802040.  TT : 42’26.

D’insurpassable référence sont les pièces ici enregistrées, en avril 1969, sous la direction du compositeur – et, surtout, les Sequenza III (pour voix seule, par l’inoubliable Kathy Berberian) & Sequenza VII (par le grand hauboïste & compositeur suisse Heinz Holliger).  Sans préjudice d’autres pièces composées par le jeune Berio entre 1950 et 1960…

Karol BEFFA : Masques.  Ensemble Contraste : Arnaud Thorette (alto), Johan Farjot (piano), Geneviève Laurenceau (violon), Antoine Pierlot (violoncelle).  Triton (www.disques-triton.com) : TRI 331157.  TT : 77’55.

Cette première monographie consacrée à notre éminent collaborateur comporte sept œuvres d’une remarquable diversité : Les Ombres qui passent pour violon, alto & piano (en 3 mouvements), Mirages pour piano à 4 mains (avec le compositeur), Supplique pour violon seul, Masques I et Masques II pour violon & violoncelle, Manhattan pour alto & piano, Milonga pour alto & piano (arr. : A. Thorette & J. Farjot).  Musiques d’écriture avant tout harmonique, où l’on peut reconnaître différents hommages à Schumann, Ravel, Debussy, mais aussi à Bartók voire à Piazzolla ou à la pop. Atmosphères volontiers méditatives, crépusculaires, sinon hypnotiques voire... motoriques.

American Portraits : Charles COLEMAN, Jennifer HIGDON, Carter PANN, Jonathan BAILEY HOLLAND, Kevin PUTS. Cincinnati Symphony Orchestra, dir. Paavo Järvi. CSO Media : CSOM 945. TT : 76’18.

De Charles Coleman (°1968), sont ici présentés Streetscape (2001, commande du CSO) & Deep Woods (2000, d’après une toile du peintre Charles Yoder), pièces dans la filiation de Respighi ou de Charles Ives.  De Jennifer Higdon (°1962) : Fanfare Ritmico (2000, commande du San Francisco Women’s Philharmonic) qui célèbre la rythmicité croissante de l’homme et de ses machines.  De Carter Pann (°1972) : Slalom (2000), parcours d’une durée de quelque 10’, temps qu’il aura fallu au compositeur pour descendre, à skis, depuis le sommet du Storm Peak.  De Jonathan Bailey Holland (°1974) : Halcyon Sun (2004), pièce composée pour l’inauguration, à Cincinnati, du « National Underground Railroad Freedom Center ».  De Kevin Puts (°1972) : Network (1997), œuvre influencée par les post-minimalistes John Adams, Michael Torke... Un passionnant panorama de la jeune musique étasunienne.

Art BLAKEY & the Jazz Messengers : The Quintessence New York-Paris, 1947-1959.2 CDs Frémeaux & Associés (www.fremeaux.com) : FA 286.  Livret en français signé Alain Gerber & Alain Tercinet (28 p.).

Dans le 1er CD (1947-1958), se sont joints à cette formation mythique les pianistes Horace Silver & Thelonious Monk ; dans le 2nd CD (1958-1959), outre des musiques de film (Des femmes disparaissent, Les liaisons dangereuses), sont inclus des extraits de concerts à l’Esquinade, à l’Olympia, au Théâtre des Champs-Élysées, au Club Saint-Germain.

Astor PIAZZOLLA & Gustavo BEYTELMANN : Encuentro.  Quatuor Caliente.  Aeon (www.aeon.fr) : AECD 1107.  TT : 64’21.

Où le tango nuevo renaît dans sa juvénile splendeur...  Grâce aux musiciens du Quatuor Caliente : Gilberto Pereyra (bandonéon), Michel Berrier (violon), Cédric Lorel (piano), Nicolas Marty (contrebasse), ici rejoints par Laurent Colombani (guitare) & Vincent Maillard (vibraphone).  Œuvres de Piazzolla (Camorra I, Camorra II, Camorra III, Contrabajissimo) & de Beytelmann, héritier spirituel du grand Astor (Encuentro, Otras voces, El desaparecido).  Aux frontières du jazz et de la musique contemporaine…

Jean-Christophe CHOLET : Hymne à la nuit.  Élise Caron (chant) & chœur Arsys Bourgogne.  Heiri Känzig (contrebasse), Marcel Papaux (batterie).  Piano & direction : Jean-Christophe Cholet.  Digipack La Buissonne (www.labuissonne.com) : RJAL 397011.  Distr. Harmonia Mundi.

Associant son propre trio de jazz au chœur Arsys Bourgogne et à la merveilleuse chanteuse & actrice Élise Caron, le compositeur Jean-Christophe Cholet (www.jeanchristophecholet.com) rend ici hommage à deux grandes figures de la poésie européenne : Novalis et Rainer Maria Rilke.  Neuf parties : Introduction, Chanson, Ostinato, Visage, Rêve, Équinoxe, Mondnacht, Bluuz, Groove.  Une « expérience » tout à fait aboutie !

Gerard HOFFNUNG (1925-1959) : The Hoffnung Music Festival Concert (Royal Festival Hall, 13 novembre 1956) & Hoffnung at the Oxford Union (4 décembre 1958).  Disques Forum (www.regisrecords.co.uk) : FRC 6142.  TT : 74’27.

Sans guère de surprises, sont passées à la moulinette des œuvres de : Leopold Mozart, Haydn, Chopin, Francis Baines, Malcolm Arnold, Gordon Jacob, Humphrey Searle...  Un « inoubliable » toutefois : A piano concerto to end all piano concertos de Franz Reizenstein.

The Hoffnung Music Festival Concert (1956) and the Oxford Union Address (1958)

Samuel BLASER, Paul MOTIAN : Consort in Motion.  Samuel Blaser (trombone), Paul Motian (drums), Russ Lossing (piano), Thomas Morgan (bass). Kind of Blue Records (www.kindofbluerecords.com) : KOB 10046. Distr. Socadisc.

Que voilà une entreprise hors du commun : unir des musiques de la Renaissance italienne à des compositions & improvisations jazz !  Sans perdre couleurs et trame originelles, sont ainsi mises sur le métier des pièces de Monteverdi, Frescobaldi et Biagio Marini.  Un tissage convaincant !  Consulter : www.samuelblaser.com

Leszek MOŻDŻER : Komeda.  ACT (www.actmusic.com) : 9516-2.  Distr. Harmonia Mundi.  TT : 51’45.

Exaltant hommage est ici rendu au polonais Krzysztof Komeda (1931-1969) par son compatriote, le grand pianiste de jazz Leszek Możdżer (°1971).  Longues guirlandes rêveuses improvisées autour de thèmes de celui qui fut le compositeur attitré du cinéaste Roman Polanski (Quand les anges tombent, Le couteau dans l’eau, Le bal des vampires, Cul-de-sac, Rosemary’s Baby)…

Xavier DEMERLIAC : Wanted Men.  Ensemble L’Attirail.  Les Chantiers sonores (http://chantiers.sonores.free.fr) : LCS 1101.  Distr. Socadisc.  TT : 56’52.

Revendiquant, à l’évidence, l’esprit du grand Morricone, le compositeur Xavier Demerliac (guitares, banjo, ukulélé, dulcimer, piano, basse, euphonium) nous propose ici 17 joyeux titres - ambiance « conquête de l’Ouest » - avec la complicité d’Alexandre Michel (flûtes, monocorde, percussions, clarinette), Sébastien Palis (accordéon), Xavier Milhou (contrebasse) & Éric Laboulle (batterie), plus quelques invités.  Musiques pour l’image…

MORENO Orkestra & Samson SCHMITT présentent : Liouba Contact : www.lioubakort.com

Onze titres qui feront le bonheur de tout amateur de jazz manouche (Joseph Joseph, The man I love, Japanese Sandman, Hello Dolly, My heart belongs to daddy…).  Autour de la sensuelle Liouba Kortchinskaia, ils pourront ainsi découvrir Samson Schmitt & Moreno (guitares solo), Nikak Ivanovitch (guitare rythmique), Jérôme Etcheberry (trompette & trombone), Claudius Dupont (contrebasse), François Ricarol (batterie).

Sinclair.  Warner Music France : 2564672260.

Né dans une famille saltimbanque, Mathieu Blanc Francard, dit Sinclair, chante ses propres musiques sur des textes - le plus souvent - d’Éric Sévigné : atypiques phrasés & sauts… de tessitures.

POUR LES PLUS JEUNES

Mon bébé aime le classique.  « L’esprit Musique », 2CDs Bayard Musique (www.bayardmusique.com) : S468867.

Excellemment sélectionnées par Carole Renucci (rédactrice en chef d’Enfant Magazine), les musiques qui composent ce coffret réjouiront auditeurs de tout âge.  CD 1 : Vivaldi, Bach, Mozart, Schubert, Tchaïkovsky, Grieg, Dukas, Satie, Ravel, Stravinski.  CD 2 : Corelli, Vivaldi, Bach, Haendel, Mozart, Beethoven, Smetana, Franck, Dvořák, Grieg, Ravel, Fauré, Ph. Glass, anonyme…  Dans les meilleures interprétations des catalogues Hänssler Classic & Bayard Musique.  Tubissimo !

Steve WARING : Timoléon.  14 chansons, berceuses ou comptines pour les tout-petits.  Victorie Music (www.victorie-music.com): 276 644 3.  Distr. Universal.

Ce tout récent album du délicieux Steve Waring – qui, depuis quelque 30 ans, se consacre à la chanson pour enfants - est dédié à son petit-fils.  Musiques aux confins du jazz, du blues, du folksong & de paysages sonores exotiques ou insolites - avec le concours d’un instrumentarium d’une étonnante diversité : trombone, ukulélé, hélicon, contrebasse, clarinette, bugle, djembé, etc.

Francis Gérimont.

DVD

Claudio ARRAU, the Emperor.  Film de Peter Rosen.  5e Concerto pour piano de Beethoven (Orchestre symphonique de l’Université du Chili, dir. Victor Tevah).  EuroArts (www.euroarts.com) : 2058648.  TT : 85’00.

Universellement connu sous le sobriquet de « l’Empereur », le Chilien Claudio Arrau (1903-1991) revint pour la première fois en son pays en 1984, où il fut triomphalement accueilli.  Enfant prodige, qualifié de « second Mozart » dès l’âge de 5 ans, il suivit à Berlin l’enseignement de Martin Krause.  D’une rare discrétion et gentillesse, cet immense artiste fit l’unanimité du monde musical, notamment (chose rare) de ses pairs.  Le présent film retrace, avec émotion, une carrière hors du commun.  Est, en outre, donnée l’intégralité de son interprétation du 5e Concerto de Beethoven, son compositeur de prédilection, dont il fit sienne la devise : « Combattre et vaincre ».

Ludvig van BEETHOVEN : Sonates pour piano.  Claudio Arrau.  « Classic Archive », 2 DVDs EuroArts (www.euroarts.com) : 2058708.  TT : 85’00 + 105’00.

En judicieux complément du film ci-dessus recensé, EuroArts publie huit Sonates de Beethoven enregistrées en public par le grand pianiste chilien (Beethovenfest Bonn, 1970 et 1977).  1er DVD : Sonates op. 53, 2 (n°3) et 111.  2nd DVD : Sonates op. 27 (n°1), 109, 57, 27 (n°2), 81a.

Carl Maria von WEBER : Ouverture d’Obéron Dimitri CHOSTAKOVITCH : 1er Concerto pour violon, op. 99.  Jean-Sébastien BACH : Presto de la 1re Sonate pour violon seul, BWV 1001.  Antonin DVOŘÁK : 8e Symphonie et Danse slave, op. 72 n°7.  Hilary Hahn, violon.  Berliner Philharmoniker, dir. Mariss Jansons.  EuroArts (www.euroarts.com) : 2050448.  TT : 99’00.

Le chef d’orchestre letton Mariss Jansons est familier, depuis 1976, du Berliner Philharmoniker.  Ardent défenseur des compositeurs slaves, de Chostakovitch notamment, il a trouvé ici (au Suntory Hall de Tokyo, le 26 novembre 2000), en toute la jeune Hilary Hahn (elle avait alors 20 ans), la partenaire idéale - laquelle faisait déjà montre d’une démoniaque virtuosité, sans volonté démonstrative cependant.  Splendeur d’un jeu d’une rare intensité - sinon violence -, cependant que le visage encore enfantin demeure impénétrable…  Interprétation nullement déparée par le reste du programme.

Claudio ABBADO : Entendre le silence.  Esquisses pour un portrait, par Paul Smaczny.  Livret incluant un essai de Péter Esterházy.  EuroArts : 2053279.  TT : 67’00.

Admirable film, dédié à l’un des plus grands chefs d’orchestre de notre temps, homme d’une aristocratique élégance, adoré par les musiciens de toutes les phalanges qu’il aura dirigées – ici les Berliner Philharmoniker, Wiener Philharmoniker, Lucerne Festival Orchestra, Gustav Mahler Jugendorchester.  Dans des extraits d’œuvres de : Dvořák, Nono, Beethoven, Bruckner, Stravinsky, Brahms, R. Strauss, Webern, Mahler, Debussy, Tchaikovsky.  Avec la participation, notamment, de l’acteur Bruno Ganz et des musiciens Daniel Harding, Albrecht Mayer, Wolfram Christ, Kolja Blacher…  Neuf séquences : Introduction, Vienne, La trame de la musique, Claudio, Silence, Un lieu magique, Berlin, Lucerne, Hölderlin.  Un extraordinaire témoignage humain et artistique.

Gustav MAHLER : Adagio de la Xe Symphonie12 chants du Knaben Wunderhorn.  Magdalena Kožená (soprano), Christian Gerhaher (baryton).  The Cleveland Orchestra, dir. Pierre Boulez.  Accentus Music (www.accentus.com) : ACC 20231.  TT : 88’06.

Un triple anniversaire aura permis cette opportune publication : le 150e anniversaire de la naissance de Mahler, les 85 ans de Pierre Boulez et les 45 années de sa collaboration avec l’Orchestre de Cleveland.  Toutes choses justifiant la très émouvante cérémonie en hommage au chef d’orchestre, non moins que son interview, inscrites en bonus sur ce DVD (enregistrement live, les 11 et 13 février 2010, en le magnifique Severance Hall de Cleveland (Ohio).  À la tête de cette somptueuse phalange – où, à la différence de la plupart de nos grandes formations européennes, toutes les générations sont heureusement représentées -, Pierre Boulez atteint désormais, dans une gestique d’une parfaite économie, à une rare expressivité.  Sans que déméritent jamais les solistes...

Steve REICH : Phase to face.  Film d’Éric Darmon & Franck Mallet.  Mémoire magnétique Productions.  Idéale Audience (www.euroarts.com) : 3058128.  TT : 52’ + 28’ (bonus).

Batteur passé à la composition, Steve Reich a été notablement influencé par Bach, Stravinski, Miles Davis, les percussions balinaises & ghanéennes et surtout John Coltrane.  Sa technique du phasing - brèves boucles se superposant en décalage plus ou moins aléatoire – n’a eu de cesse de se métamorphoser depuis It’s Gonna Rain (1965).  Ce documentaire a été tourné sur cinq sites : Le Havre (novembre 2007), Rome (avril 2008), Tokyo (mai 2008), New York (avril 2009), Manchester (juillet 2009) ; il comporte de nombreux extraits, en concert, de ses musiques les plus emblématiques : Differents Trains, Music for 18 Musicians, City Life, Tehillim, The Desert Music…  En bonus : Talks in Tokyo with Steve Reich / A brief history of music by Steve ReichFascinant !

Francis Gérimont.

Giacomo PUCCINI : Tosca.  Emily Magee (Floria Tosca), Jonas Kaufmann (Cavaradossi), Thomas Hampson (Scarpia), Giuseppe Scorsin (le sacristain).  Orchestre & chœur de l’Opéra de Zurich, dir. Paolo Carignani.  Mise en scène : Robert Carsen. Réalisation pour la télévision de Felix Breisach.  Decca : 074 3420.

Bien entendu, il serait du plus mauvais ton pour un metteur-en-scène-dans-le-vent de respecter l’implantation du livret d’un opéra, donc Monsieur Carsen nous flanque Tosca en plein milieu du XXe siècle.  Mais ce n’est pas tout : l’œuvre entière est “déménagée” dans un théâtre, or, spécialement dans le Ier Acte, cela donne des tamponnements du dernier croquignolet entre propos dits et images vues !  Au cours de cet acte initial, les personnages parlent à tout bout de champ (et de chant) de chapelle, d’autel, de prière, d’eau bénite, etc. ; alors, les chaises Louis XVI tournées vers un rideau de scène, le bedeau (ici homme de ménage) récitant l’Angelus en ramassant des programmes d’une représentation de Floria Tosca, la maîtrise de l’église remplacée par des petits rats en tutu… mais chantant néanmoins en latin (curieux, non ?!), tout cela fait rire.  Aucun prétexte soi-disant psychanalytico-machin-truc en matière de motivations des profondeurs (hormis le désir débile de se faire remarquer par des moyens qui, eux, relèveraient du psychiatre !) ne peut justifier d’entendre des chanteurs prononcer des phrases qui semblent provenir d’une autre pièce que celle que l’on voit devant ses yeux.  Le sommet du comique involontaire est atteint lors de ce qui constitue en principe l’une des plus grandioses scènes du théâtre lyrique, celle du Te Deum : on y voit les membres de l’assistance chanter l’hymne latine en cherchant fébrilement leur numéro de place sur les dossiers des chaises, leur billet de théâtre à la main.  Maints ressorts des personnages de Tosca sont actionnés par le conflit entre passions profanes et – au mieux – piété (pour Tosca) ou –  au pire – perverse bigoterie (pour Scarpia) ; quant à la situation politique exploitée par Sardou puis, à sa suite, Giacosa et Illica, son importance dépasse de très loin le fond allégorique qui servait de décor au genre du “Grand Opéra“ historique de la première partie du XIXe siècle, elle est ici traitée de manière tout à fait “vériste” : « Juin 1800 », est-il indiqué très précisément sur le livret et la partition ; en effet, on suit heure par heure les rebondissements de la bataille de Marengo (14 juin), et les luttes des patriotes italiens contre l’ennemi autrichien sont déjà à l’œuvre, vibrant à l’unisson des succès bonapartistes.  En conséquence de quoi, entendre parler des victoires de Bonaparte en costard-cravate relève, soit d’une bien persistante nostalgie, soit d’un déphasage mental pour jeux de rôles ! On pourrait continuer à l’envi cette description des ridicules, le plus drôle étant que la prétention à l’avant-garde donne par moments des images kitchissimes !  Pour le reste, Emily Magee (dont c’était en 2009 la prise de rôle) est très pulpeuse en star hollywoodienne des années (19)50, sa voix est d’un métal très sûr mais peut-être pas du plus sensible raffinement.  Jonas Kaufmann n’a décidément pas un timbre méditerranéen, et l’on avoue en ressentir une certaine gêne : on a trop entendu de Cavaradossi italiens, espagnols, latino-américains (autrement dit, issus d’un même et solaire creuset) pour accepter facilement cette couleur peu lumineuse, mais quel réalisme d’intimité amoureuse donne-t-il en emmenant fort loin l’art de détimbrer « E lucevan le stelle » (que trop de ténors latins éprouvent le besoin de bramer) et « O dolci mani » (Acte III) !  Le cas méritant que l’on s’y attarde est celui de Thomas Hampson : il est un baryton de type Mattia Battistini (ce qui lui a permis de réussir admirablement sa résurrection de l’adaptation pour baryton du rôle de Werther), à l’aigu étendu, clair et facile ; or, Scarpia, qui est un baryton-Verdi, exige un tel impact dans la projection du cynisme et de la noirceur que, pour compenser l’absence d’airain dans la voix de trop de barytons incapables de faire oublier le légendaire Tito Gobbi, il est devenu courant d’aller chercher des barytons-basses (ce qui est une erreur), estimant que la sombre couleur du grave compenserait (!) la déficience en matière de caractérisation dramatique. La représentation de Zurich nous fait assister au phénomène inverse : Thomas Hampson n’a pas la voix du rôle (qu’il n’avait d’ailleurs jamais abordé jusqu’à cette date), mais c’est un acteur exceptionnel, doté d’une intelligence tout aussi exceptionnelle, et il parvient à composer un Scarpia réellement très impressionnant ! Sa diction admirablement articulée fait un sort à chaque intention, son visage comme son art du geste “jouent“ à l’égal d’un véritable comédien de théâtre, sa présence charismatique soutient l’autorité du personnage, et l’on reste saisis par cette performance. Autrement dit, l’intelligence et la caractérisation peuvent compenser le registre, non l’inverse.  Giuseppe Scorsin est un bedeau (enfin… technicien de surface !) très amusant.  Quant au chef, Paolo Carignani, il tarde à trouver ses marques, ce qui nous vaut un premier Acte assez faible, dénué de lyrisme, mais la tension de l’acte suivant – et peut-être le duel de ses solistes – finit par l’emporter, et il redresse la situation. Aucun bonus dans cette édition reprenant une simple captation télévisuelle.

Rudolf TOBIAS : Des Jona Sendlung.  Pille Lill (soprano), Merle Silmato (alto), Juhan Tralla (ténor), Rauno Elp (Jonas, baryton-basse), Johann Tilli (basse).  Chœurs nationaux estoniens, Voces Musicales, Orchestre symphonique national d’Estonie. dir. Neeme Järvi.  VAI : 4539 (distr. Codaex).

Rudolf Tobias (1873-1918) est considéré comme le premier compositeur “national” de l’Estonie s’éveillant des influences périphériques.  Élève de Rimsky-Korsakov à Saint-Petersbourg, il s’engagea dans la réforme de la musique religieuse.  La longue gestation, puis la composition, puis divers remaniements (après une “première” bancale à Leipzig en 1909) de son “grand œuvre”, un vaste oratorio biblique sur La mission de Jonas, l’occupèrent par intermittences durant toute la partie de sa vie située sur le versant du XXe siècle, d’où une certaine hétérogénéité dont la musique se ressent, d’où aussi la difficulté à reconstituer une partition musicologiquement fiable, tâche dont Vardo Rumessen se chargea avec succès, aboutissant à la résurrection de l’œuvre en 1986.  En effet, lors du Prologue, mais aussi de la dernière partie (Le Signe du Fils de l’Homme), on croit s’être engagé dans un oratorio allemand post-mendelssohnien, mais les épisodes spectaculaires actionnent des ressorts dramatiques où affleure une soudaine influence wagnérienne ; le rôle de Jonas, un baryton-basse pour lequel un Wotan ne serait pas inadéquat, porte la plus prégnante trace de cette influence : dans sa prière « Ich rief zu dem Herrn » (Scène 2) passent même des effluves de Parsifal.  Et puis, à d’autres moments, l’écriture contrapuntique et harmonique est traversée d’audaces inédites qui révèlent que Tobias avait assimilé le virage pris par le XXe siècle commençant.  Certes, le résultat laisse parfois un peu interloqué, mais on serait bien en peine de désigner à la même époque un autre oratorio aussi vivant !  Car – et c’est là l’essentiel – on ne s’ennuie jamais au fil de ces deux heures de belle musique.  Le livret fut écrit par Tobias lui-même en allemand puisque l’espérance de faire jouer l’œuvre en Allemagne l’avait incité à se fixer dans ce pays.  Le DVD nous restitue un concert du 21 novembre 2008 : Neeme Järvi, toujours formidablement efficace, dirige ses troupes avec une énergie à déplacer, non des montagnes en l’occurrence, mais des océans et des baleines. Avec les masses orchestrales et  chorales requises (un grand chœur mixte, plus un Chorus mysticus et un chœur de garçons placés sur les balcons latéraux), il n’y avait plus, sur la scène de la salle de concert estonienne, d’espace pour y glisser une sardine, que dis-je, un goujon ! Par bonheur, lesdites masses sont les véritables protagonistes (la partition sollicite les choristes sur une durée éprouvante, mais la tradition chorale de ces pays n’est plus à vanter), car le point faible de ce concert réside dans les chanteurs solistes, tous… approximatifs.  Rauno Help (Jonas) ferait preuve d’un impact dramatique crédible si sa voix n’était si tremblotante (ah, ces techniques mal placées !).  Mais que cela ne nous détourne pas d’une découverte à conseiller chaudement.

Richard WAGNER : Der fliegende Holländer. Juha Uutisalo (le Hollandais), Robert Lloyd (Daland), Catherine Naglestad (Senta), Marco Jentzsch (Erik), Oliver Ringelhahn (le timonier), Marina Prudenskaja (Mary), Choeur de l’Opéra néerlandais, Netherlands Philharmonic Orchestra, dir. Hartmut Haenchen. Mise en scène : Martin Kušej ; décors: Martin Zehetgruber; costumes: Heide Kastler. Réalisation pour la télévision : Joost Honselaar. Opus Arte : OA 1049 D.

Un épisode de plus à verser au dossier de la provoc’ pour la provoc’ ! La scénographie (plus froide, tu meurs !) place le premier acte dans un terminal de ferry-boats. Daland, de marin-pêcheur hauturier, devient un play-boy (au look Saint-Trop’) rentrant d’une croisière sur son yacht ; à la place de son équipage, on voit débarquer des touristes en chemises hawaïennes et sacs de sport. Le deuxième acte se déroule dans la salle d’accès à une piscine municipale, et ces dames, uniquement préoccupées des soins prodigués par leurs esthéticiennes et de la mode dernier cri, lisent Elle... et ne filent pas : contrairement à ce qui est indiqué dans le livret et dicté par la musique (si le metteur en scène ne s’ingéniait pas à la contradiction systématique, ce ne serait pas drôle !), la seule à tisser au rouet est Senta, fagotée en vieille fille complètement décalée ; on se souvient que, chez Wagner (oui, il y eut un certain Wagner – bien oublié dans l’affaire – avant Môssieu Martin Kušej !), Mary est sa nourrice : ici, non seulement elle est plus jeune que Senta, mais elle arpente la scène déguisée en bimbo inspirée de Paris Hilton et se moque de la vieille fille. Pendant ce temps, les marins du Vaisseau fantôme (des immigrés clandestins, probablement) se font tirer comme des lapins (Dieu seul sait pourquoi !) et l’hémoglobine rougit la piscine. Le pire (si l’on ose écrire !) est à venir : la fin du 3e acte est carrément changée (mais la musique continue son train), le chasseur Erik tue au fusil Senta et le Hollandais. C’est dire que toute la métaphore de la « Mort et Transfiguration » (que Richard Strauss me pardonne cet emprunt, mais ce sont les mots les plus appropriés pour décrire le finale imaginé par Wagner) des héros disparaît : une telle atteinte à la lettre et au sens profond d’une œuvre devrait être considérée comme un délit, et certaines lois de protection des œuvres (celles de notre pays, particulièrement) permettent en fait d’intervenir contre de telles trahisons, mais elles ne sont pas généralisées à l’échelle de toute l’Europe. On voit bien la sinistre décadence dont cette mise en scène témoigne : le but en est clairement de rendre le drame prosaïque et de piétiner la dimension de parabole légendaire ainsi que la signification mystique (la rédemption par l’amour et la mort) qui furent les fondements mêmes du grand œuvre wagnérien depuis le Vaisseau fantôme jusqu’à Parsifal.

Le plus piquant est que, dans les interviews proposées en bonus, Hartmut Haenchen prend la peine de nous dire que Wagner a laissé une description précise (assortie de croquis) de la mise en scène qu’il souhaitait (à mon avis, le genre “terminal de ferry” et “piscine municipale” l’aurait mis dans une de ces rages dont il avait le secret ) !

Ces élucubrations, qui détournent sans cesse de l’impact émotionnel de la musique, sont d’autant plus mal venues que l’on tient là une des distributions les plus homogènes dont on puisse disposer, soutenue par l’excellente direction d’Hartmut Haenchen qui fait  une synthèse très équilibrée entre la personnalité créatrice déjà opérante chez le jeune Wagner et les persistances d’influence wébérienne voire italienne.

À juste titre, Hartmut Haenchen a choisi de donner la partition selon la version  « durchkomponiert » que Cosima faisait représenter depuis 1901, et non celle artificiellement cloisonnée en trois actes bien séparés à laquelle Wagner s’était résolu vers la fin de l’année 1842 pour parvenir à faire représenter son ouvrage plusieurs fois refusé.

Catherine Naglestad compose une Senta particulièrement émouvante, elle s’attache aux nuances qui rendent sensible la vulnérabilité de son personnage, les accents de la fameuse Ballade, soigneusement respectés, modulent le chant de l’héroïne et n’en font pas la démonstration d’exaltation qu’on a parfois entendue.

Juha Uutisalo, allure et faciès inquiétants, compte aujourd’hui parmi les meilleures basses chantantes (plus basse que baryton-basse, en réalité) dans Wagner. On l’entendra en ce mois de septembre à l’Opéra-Bastille dans Salomé de Richard Strauss. Sa justesse émotionnelle fait qu’on lui pardonne quelques passagères insécurités quant à la justesse... d’intonation.

Robert Lloyd a un timbre un peu clair pour Daland (mais évidemment, appliquée à un play-boy en virée aux Baléares, la problématique n’est point la même que pour un rude marin-pêcheur norvégien…). En somme, on réécouterait avec bonheur les interprétations purement musicales du chef et des chanteurs, si l’on pouvait déconnecter l’écran pendant que tourne ce DVD !

Richard WAGNER : Tannhäuser. Stig Andersen (Tannhäuser), Tommi Hakala (Wolfram von Eschenbach), Stephen Milling (Hermann, Landgraf von Thüringen), Peter Lodahl (Walther von der Vogelweide), Tina Kiberg (Elisabeth), Susanne Resmark (Venus). Orchestre et Chœur du Royal Danish Opera, dir. Friedemann Layer. Mise en scène : Kasper Holten, décors et costumes : Mia Stensgaard. Réalisation du film : Uffe Borgwardt.  2DVDs Decca : 074 3390.

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin ! Un sticker posé sur le présent DVD annonce (fièrement !) : « An electrifying and iconoclastic production from Copenhagen Opera » ! « Électrisante »... bof ! «Iconoclaste », assurément ! Notre impression tiendrait plutôt en deux mots bien différents : tantôt on ricane, tantôt on s’ennuie.

Le postulat de Kasper Holten est que toute cette histoire se déroule dans l’imagination de  Tannhäuser, devenu un écrivain du XIXe siècle dont le costume évoque (choix des tissus et béret compris) une célèbre photo de Wagner. L’action (dès l’Ouverture mise en scène) a donc pour théâtre une vaste demeure bourgeoise, où Tannhäuser vit – à l’Acte I, au Venusberg ! –  entouré de femme et enfants (?!... la silhouette ambiguë de la mère de ses enfants jette quelque trouble), ainsi que de la domesticité qui sied à une telle maison. Venus est une volumineuse virago en redingote et pantalon noirs, mais aux cheveux teints en rouge et maquillée comme une voiture volée, et on se demande chez qui elle pourrait éveiller la moindre pulsion érotique, sinon à chercher du côté des lesbiennes éprises du style "camionneur". Inutile de dire qu’à plus d’une phrase du texte on s’esclaffe, tant les sentiments de tendresse et d’ivresse amoureuse chantés par la déesse tombent à côté de la plaque dans un tel tableau ! C’est parmi cette figuration  ancillaire que seront recrutées les nymphes et bacchantes prévues au casting du Venusberg, lesquelles, au moment du ballet, semblent prises de démence collective : l’une se trempe les cheveux dans le seau de fer-blanc avec lequel elle lavait le sol, une autre mange les fleurs (pourquoi pas, au point d’idiotie où nous sommes rendus !), une troisième se récure soigneusement une jambe... Insistons sur cette triste réalité : en fait d’érotisme, rien de plus bourgeois que la mise en scène du Venusberg par Kasper Holten. Comique involontaire, le livret joint au DVD reproduit scrupuleusement le programme – très torride, lui ! –  rédigé par Wagner pour l’Ouverture au Venusberg et la Bacchanale. Il en ressort par antithèse à quel point la volonté de provocation des metteurs en scène, à chercher la surenchère d’année en année, a atteint son degré... de détumescence : elle sombre dans le "nunuche" là où l’on attendrait le comble de l’exaltation érotique.

En fait de Pèlerins, on voit sortir des chambres une cohorte de clients d’hôtel mal réveillés, la liquette pendante et la cravate pas encore nouée : une fois encore, c’est le texte de Wagner qui s’excuserait presque d’être placé là...

Quand à l’Acte II apparaît Elisabeth, toujours flanquée de son fiston ( ?!... c’est en fait le pâtre prévu par Wagner qui subit ce transfert), on réalise que "bobonne", à l’Acte du Venusberg, était cette  femme-ci, donc l’éternel féminin du poète en proie à sa création. Outre le fait d’être trop âgée, l’interprète détonne décidément par un physique étrange qui semblerait sorti d’un film de Pedro Almodovar. Le concours à la Wartburg a lieu dans la demeure bourgeoise qui sert de cadre unique à tout l’opéra et, les chaises étant décidément "très tendance" ces dernières années (le spectacle date de 2009), tout le devant de la scène est occupé par des rangées, au début sous housses blanches, que des soubrettes en costume sorti de chez Labiche vont s’affairer à  déhousser. L’arrivée de l’assistance donne lieu à un défilé de mode (et de coiffures féminines... apparemment le metteur en scène en pince pour les rousses !) que n’aurait pas désavoué Fellini. Quant à Venus (ou ce qui en tient lieu), plus virago que jamais, elle arpente la scène les mains dans les poches de son pantalon pendant que chante (tièdement, d’ailleurs, et d’une voix mal assurée) Wolfram.

À l’Acte III, le metteur en scène (investi de quel droit, s’il vous plaît ?!) se permet à nouveau de modifier l’œuvre de Wagner et – encore une fois (bis, ter !) – le propos est bien de laver l’œuvre originale de tout le contenu religieux que l’auteur a voulu. Libre au metteur en scène de ne point partager les convictions idéalistes de l’auteur, mais s’il n’aspire qu’au réalisme bourgeois, qu’il monte alors des œuvres de la période vériste ou naturaliste, non du Wagner ! L’acte, et son prélude mis en scène, deviennent ainsi d’un grotesque prosaïsme, aggravé par le fait d’entendre les phrases chantées dire tout autre chose que l’action sur le plateau, les acteurs évoluant dans un décor qui, lui aussi, dit le contraire de ce que décrit le texte chanté ! L’absurde n’a plus de limites !  Nous voyons donc Tannhäuser réapparaître d’un ton jovial (ceux qui connaissent le véritable ouvrage de Wagner apprécieront...) pour lire à Wolfram le récit d’un voyage à Rome qu’il vient de rédiger dans la fiction à laquelle il travaille : on imagine ce qu’il peut rester de l’intensité expressive d’un moment psychologique ainsi déporté ! Quant à Wolfram, il chante à une porte en bois sa "Romance à l’Étoile" (on ne saurait faire plus romantique !), et de surcroît il chante faux au passage des modulations. Avant le baisser de rideau, on vous laisse à deviner combien les mondaines vues à l’Acte II ont l’air godiche en applaudissant (oui : clap, clap, mais sans bruit, rassurez-vous !) au miracle de la crosse qui refleurit.

Contrairement au Vaisseau fantôme ci-dessus décrit, la partie musicale ne rattrape pas l’irritation causée par le nivellement scénique. Le Tannhäuser n’a pas l’envergure du rôle, mais comme on lui fait jouer systématiquement le contraire de l’expression voulue par Wagner, cela n’a plus guère d’importance ! Le Wolfram est un baryton de petit gabarit, privant l’aristocrate Minne-sänger de toute noblesse. Notre Elisabeth "hors d’âge" (qualificatif qui, parmi les Armagnac ou les Cognac, serait plutôt une garantie de qualité...) est aussi peu son personnage vocalement que physiquement, et elle force des moyens qu’elle n’a probablement jamais sécurisés par un positionnement adéquat. Le chef "assure", comme on dit, en fonctionnaire pépère, et à être si peu habités, ses tempi sont trop lents.

Un seul mot d’ordre pour conclure : il faut en finir avec l’illégitime dictature des metteurs en scène, car le résultat de ces loufoqueries, symptômes (au sens psychiatrique) d’une hypertrophie égotiste d’ambitions créatrices frustrées chez toute une corporation, est que l’on n’écoute plus la musique dont le sens est constamment distordu, caricaturé.

Vincenzo BELLINI : I Puritani. Juan Diego Flórez (Arturo Talbot), Nino Marchaidze (Elvira), Ildebrando d’Arcangelo (Giorgio Valton), Gabriele Viviani (Riccardo Forth), Ugo Guagliardo (Gualtiero Valton), Nadia Pirazzini (Henriette de France). Orchestre et Chœur du Teatro Comunale de Bologne, dir. Michele Pariotti. Mise en scène, décors et costumes : Pier’ Alli. Réalisation pour la télévision : Andrea Bevilacqua.  2DVDs Decca : 074 3351.

L’intérêt pour la nouvelle édition critique de la partition établie par Fabrizio Della Seta  (Ricordi) nous poussait vers cette représentation. Nous déchantâmes vite : autant, dans le principe, on ne peut que souscrire à une édition rétablissant tout le matériel disponible ayant survécu aux coupures (dont certaines décidées par le compositeur !), autant, s’agissant d’une musique déjà faible dans son ensemble et traversée de “tunnels” inconsistants, prolonger le spectacle s’avère le pire service à rendre au malheureux Bellini. Ce ne sont d’ailleurs pas les moments (internes à certains numéros célèbres) justement rétablis qui posent musicalement problème, mais ceci s’ajoutant à cela, l’opéra s’étale sur 2 DVDs (sans bonus) sans que la matière puisse soutenir la longueur. Or, l’orchestration et la dramaturgie ne volent pas au même niveau que Wagner !!! À dire vrai, Bellini surclasserait même Paganini et Chopin pour la palme du pire orchestrateur de l’histoire de la musique. Circonstance aggravante, d’où le chef Michele Pariotti tient-il ses tempi incroyablement lents, vidant tout phrasé de sa substance (surtout dans les deux premiers actes) ? Il gêne les chanteurs en les privant de l’opportunité de donner vie à leurs airs et ensembles (les seules pages auxquelles l’ouvrage doive sa postérité). Riccardo Muti ou Roberto Abbado surent sauver Bellini de ses faiblesses en lui donnant un certain relief. La mise en scène de Pier’Alli respecte certes le cadre historique (par les temps qui courent, c’est toujours bon à prendre !), mais elle en rajoute des tonnes dans le statisme, achevant de figer ce qui ne décolle déjà pas pour cause de tempo : au début, en voyant les troupes du château rigides comme des petits soldats de plomb, on croit (on espère !) que c’est par dérision antimilitariste, mais quand, à leur tour, les dames de la fête nuptiale sont plantées comme des piquets, on se frotte les yeux. Il ne sera jamais demandé plus de mobilité aux choristes qu’en “version de concert” ! Dans ces conditions – peu encourageantes – comment les protagonistes mettent-ils en valeur des rôles demeurés célèbres pour quelques performances requises ? Une débutante dans le rôle d’Elvira (créé par Giulia Grisi), la Géorgienne  Nino Marchaidze, a le timbre charnu des femmes d’Europe de l’est, et réussit à lancer vaillamment ses redoutables aigus (qui firent les belles heures de “la Stupenda” Joan Sutherland), même si elle les crie plutôt dans un effort les isolant du contexte. Ildebrando d’Arcangelo, belle prestance (dans le rôle de l’oncle bienveillant qui avait été créé par l’éléphantesque Luigi Lablache), noble voix, diction soignée, tire au mieux son épingle du jeu, mais son air de l’Acte II manque de ciselures dans les phrasés. Gabriele Viviani présente quelques insuffisances dans ce qui est un rôle de “basse-taille” (la dénomination de baryton n’existait pas encore), créé par Antonio Tamburini. Le duo“héroïque” des deux hommes,“Suoni la tromba” (à la fin de l’Acte II), a fourni le thème sur lequel Liszt et ses collègues brillèrent dans l’Hexameron. Que l’on ne compte pas sur Juan Diego Flórez pour insuffler vie et intelligence à une action scénique plate, mais après tout, le légendaire Rubini, pour lequel furent écrits tous les degrés d’escalade jusqu’au fameux contre-fa de l’Acte III, passait pour particulièrement indigent au chapitre du jeu ; Flórez est aujourd’hui le plus à même de restituer ces aigus, et on ne lui demande que de chanter, ce qu’il fait avec moelleux et bravura. Ceci dit, le chant que l’on entend de nos jours semble étrangement calme, plane : que l’on me permette de renvoyer nos lecteurs aux pages que Julian Budden et l’auteur de ces lignes ont écrites sur Rubini pour les éclairer sur les stratagèmes dont usait celui-ci afin de masquer ses transitions vers l’émission en falsetto, et aussi sur ce qui faisait l’essentiel de son succès, à savoir des variarions incessantes de nuances et des fioritures dont on rapporte qu’il les étendait jusqu’à des longueurs infinies (« Ses roulades durent parfois deux heures ! »,  écrivit Chopin). En somme – et cela éclaire la minceur du support fourni par certaines pages de Bellini ou d’autres de ses contemporains –,  peu importait la musique qu’on lui fournissait, elle n’était qu’un canevas sur lequel il tressait les guirlandes de ses exploits vocalisés. Cela vaut aussi pour le rôle d’Elvira : en 1985, l’éminent musicologue et chef d’orchestre Alberto Zedda avait donné avec Mariella Devia (au festival de Martina Franca) un exemple d’ornementation écrit par ses soins d’après ce que l’on sait de la pratique du temps.

Aaron COPLAND : Fanfare for America.  Film documentaire réalisé par Andreas Skipis.  Arthaus Musik : 101573.

Ce documentaire d’à peine une heure ne nous vient pas d’Amérique, il émane de la Hessischer Rundfunk : voilà un progrès dans la prise de conscience européenne que la musique américaine existe ! À dire vrai, il doit beaucoup au fait que Hugh Wolff en soit la cheville ouvrière. À l’époque où le film fut réalisé (2001), le chef américain était à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, et il dirige excellemment, avec finesse et acuité, les extraits d’œuvres de Copland. Profitons-en pour rappeler à nos lecteurs que le même Hugh Wolff, avec le même orchestre, avait été le protagoniste d’un remarquable documentaire sur Erich Wolfgang Korngold, également paru chez Arthaus (100362).

Le temps télévisuel est court, malheureusement, ce qui entraîne une vision un peu univoque de Copland : la majeure place est dévolue à ses œuvres d’inspirarion nationale et "folklorique" (Fanfare for the Common Man, Rodeo, Appalachian Spring, El Salón México...), pour démontrer comment Copland créa "an American sound" puis, tout d’un coup, à quelques minutes de la fin, on daigne nous parler – mais pour dire que le succès public ne fut pas au rendez-vous – de Connotations et de son expérimentation du dodécaphonisme. Si ce n’était quelques extraits des Poèmes d’Emily Dickinson (dans leur version orchestrée), admirablement chantés par Stella Doufexis, la prépondérance d’un chef d’orchestre dans l’entreprise a pour effet pervers que pas un mot, pas une note ne font allusion... au reste de l’abondante production de Copland, à savoir principalement sa musique de chambre et son œuvre pour piano ! En somme cette heure d’émission vaudrait comme un parfait premier volet d’un sujet qui appellerait un diptyque pour rendre compte de la "double vie" artistique du compositeur, reposant sur une alternance clairement assumée entre partitions destinées à un large public, et œuvres plus secrètes, le laboratoire où le musicien mûrissait les avancées de son langage. Des documents d’archives nous permettent de voir Copland répondre aux interviews, diriger une répétition ainsi qu’un extrait en concert de son Concerto pour clarinette avec Benny Goodman. On voit aussi Martha Graham danser Appalachian Spring, et  un extrait de Lincoln portrait dirigé par Leonard Bernstein avec un récitant noir qu’il aurait été opportun de nommer. Hugh Wolff et le biographe Howard Pollack nous guident dans l’approche de la personnalité du musicien. Des sous-titres français aideront les spectateurs de notre pays, mais prévenons-les que de grossières (et parfois comiques) erreurs de traduction s’y faufilent !

Sylviane Falcinelli.

***