L'ARTICLE DU MOIS : L'ÉDUCATION MUSICALE À L'ÉCOLE - UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ FOCUS SUR LA MUSIQUE MODERNE : THE TEMPEST, OPÉRA DE THOMAS ADÈS
À RESERVER SUR L'AGENDA
10 – 16 / 11
Notes d'automne au Perreux-sur-Marne
Le festival « Notes d'automne »
offre la particularité d'organiser une stimulante rencontre entre musique et
littérature, fructueux dialogue des mots et des sons. Et au-delà, de
« recréer les conditions du plaisir de l'écoute de la musique, simple,
désacralisé, ses associations inédites permettant de retourner à la source même
de l'inspiration du créateur », souligne Pierre Amoyel,
son directeur artistique. Cette 6 ème édition
s'ouvrira par un hommage à Marguerite Duras avec des musiques de Carlos d'Alessio, qui lui fit dire « Lorsque j'ai entendu sa
musique pour la première fois, j'ai vu qu'il venait du pays de partout »
(10/11, 20H30). Elle offrira ensuite un spectacle bâti autour des chansons et
poèmes de Bertold Brecht et de la musique de Kurt
Weill, « Chants d'exil » (13/11, 20H30), puis un concert-théâtre
intitulé « Le jour où j'ai rencontré Liszt » de et par Pierre Amoyel, qui livrera ce qu' est pour lui une histoire d'amour avec un
compositeur rencontré grâce à un interprète de génie, György Cziffra (14/11). Une journée russe, le 15/11, se déclinera en trois temps:
« Un voyage en Russie » sur des musiques de Tchaïkovski, Prokofiev,
mais aussi Bartók, et des textes de Pouchkine,
Lermontov, Maïakovski et Tsvetaïeva, à 15H, suivi
d'un rapprochement de la nouvelle de Tolstoï « La Sonate à Kreutzer »
et des musiques de Beethoven et de Janáček, à
17H, et enfin d'« Un rêve russe », proposant des airs d'opéra de
Rachmaninov, Borodine et Rimski-Korsakov, ainsi que la Sérénade de Tchaïkovski,
sur des textes de Dostoïevski, Gogol, Tolstoï et Pouchkine, à 21H. «
Beethoven immortel » sera le thème d'une soirée unissant des musiques et
des textes du maître de Bonn (12/11). Pour les plus jeunes, le concert-bande
dessinée « CHA(t)RIVARI », narrera les aventures du chat de Philippe Geluck au son des acrobaties musicales du quatuor de
clarinettes Les Anches Hantées (20H). Le festival s'achèvera, le 16 novembre, à
la fois sur une carte blanche à la chanteuse Barbara Hendricks (musiques de
Bach, Monteverdi, Purcell, de Visée, Gounod, Ravel, Vierne et de Negro
spirituals), à 11H, et une illustration sonore de contes de Perrault sur des
musiques de Couperin, Lully ou Corrette, à 17H.
Grand
théâtre, Centre des bords de Marne, 2, rue de la Prairie ; l'Auditorium, 62
avenue Georges Clémenceau ; Salons d'honneur de l'Hôtel de Ville, Place de la
Libération, les 11, 12,13, 14, 15 et 16 novembre 2014.
Renseignements et réservations : Centre des
bords de Marne, 2 rue de la Prairie, 94170 Le Perreux-Sur-Marne ; par tel.: 01 43 24 54 28 ; en ligne :
www.festivalnotesdautomne.fr
11 & 13 / 11
Quatre opéras radiophoniques de Germaine Tailleferre à Limoges
C'est à un spectacle tout à
fait original que nous convie l'Opéra-Théâtre de Limoges : faire revivre les
quatre opéras bouffes en un acte commandés en 1955 par la RTF à la compositrice
Germaine Tailleferre (1892-1983). Cet « amusement radiophonique »,
sur un livret de Denise Centaure, y a été créé en 1955. Du style galant au
style méchant, ils content quatre histoires saugrenues, pastichant quatre
époques phares de l'opéra français : le classicisme (« Le bel
Ambitieux »), le romantisme (« La Fille d'opéra »), le réalisme
(« Monsieur Petitpois achète un château »),
et l'opérette (« La pauvre Eugénie »). La mise en scène est confiée à
Marie-Ève Signeyrole qui a déjà à son actif un beau
palmarès en tant que collaboratrice des plus illustres metteurs en scène
d'opéras, dont Patrice Chéreau sur le travail duquel elle a écrit son mémoire
de fin d'études. Elle se propose d'aborder le foisonnement du second degré des
historiettes de Tailleferre en les regroupant sous une même bannière, en
l'occurrence l'enregistrement d'un feuilleton radiophonique, « L'Affaire
Tailleferre », et en situant l'action en un seul et même lieu, une salle
d'audience d'un Tribunal correctionnel. La direction d'orchestre sera dévolue à
Christophe Rousset qui nous emmènera loin de son cher Gluck, mais sûrement avec
pas moins de passion.
Opéra-Théâtre de Limoges, les 11 (15H ) et 13 (20H30) novembre 2014.
Location : au théâtre, 48, rue
Jean Jaurès, 87000 Limoges ; par tel.: 05 55 45 95 95 ; en ligne : www.operalimoges.fr
18, 22 / 11
Rameau encore fêté à l'Opéra de Versailles
La saison Rameau se conclura fastueusement
cet automne à Versailles. Après Les Boréades,
récemment (cf. infra in Spectacles et concerts), on donnera ainsi Zaïs, pastorale héroïque, sur un livret de Louis de Cahusac (1748), dirigée en version de concert par
Christophe Rousset et ses Talens Lyriques. La
distribution prestigieuse réunira Julian Prégardien,
Sandrine Piau, Konstantin Wolff et Amel Brahim-Djelloul. Malgré son appellation de ballet héroïque,
impliquant un ballet à entrées successives plus ou moins indépendantes, il
s'agit d'un opéra offrant une trame continue, sur le thème de la féérie, déjà
expérimenté par leurs auteurs dans Les Fêtes de Polymnie : en
l'occurrence une fantaisie sise dans un Moyen Orient de rêve. Les nombreux
divertissements en font tout le prix, plus qu'une l'intrigue peu caractérisée
(Opéra royal, le 18/11). Un gala Rameau clôturera les festivités. Il sera
dirigé par Hervé Niquet avec l'orchestre et les chœurs du Concert Spirituel
ainsi que les Chantres du CMBV. Ils joueront les trois Grands Motets de Rameau
et des Suites extraites de La Princesse de Navarre et de Castor et Pollux (Galerie des Glaces, le 22/11, à 21H).
Château
de Versailles, les 18 (20H) et 22 (21H) novembre 2014.
Location : par tel : 01 30 83 78 89 ; en
ligne : www.chateauversailles-spectacles.fr
21, 22 / 11
Journées Charles Bordes à Tours
Créateur avec Vincent D'indy et Alexandres Guilmant, de la Schola Cantorum, Charles Bordes (1863-1909), disciple de César
Franck, fut à la fin du XIX ème un pionnier du
renouveau des musiques anciennes qu'il publiait, interprétait et enseignait
sans relâche. Éditeur de revues musicologiques et infatigable organisateur de
concerts, il restera un formidable catalyseur d'énergies et participera grandement
au renouveau du goût français au tournant du siècle. Il fut aussi le plus
ardent propagateur des musiques populaires, tout particulièrement du Pays
Basque, dont il adorait l'expression musicale. Lors des prochaines
« Journées Charles Bordes », leur sixième édition, à Tours, vont
revivre les liens profonds entre Bordes et ce riche patrimoine musicale, en
focalisant sur cet aspect méconnu de sa production. Sera jouée sa « Suite
basque » op. 6 (de 1886, et créée en 1888 à Paris), pour flûte et quatuor à
cordes, une pièce à l'écriture délicate. Elle sera mise en perspective avec des
compositions de contemporains et proches du musicien, Debussy (Transcription des Épigraphes Antiques ), et Roussel (Trio op. 40 pour flûte, violon et violoncelle) ainsi qu'avec
une pièce d'un compositeur actuel, Nicolas Bacri (Trois Nocturnes, op. 79). Barci travaille d'ailleurs
à l'orchestration de l'opéra basque inachevé de Bordes, « Les Trois
Vagues », qui devrait être exhumé grâce aux efforts des Journées Bordes.
Les quatre œuvres seront interprétées par l'Ensemble Hélios, flûte et quatuor à
cordes, dédicataire de la pièce de Bacri. Le concert
sera précédé, la veille, d'une conférence introductive sur le thème « Un
compositeur tourangeau s'est fait une âme basque ».
Les 21/11 à 19H, conférence au
Musée des Beaux-Arts ; et 22/11, à 20H30, concert à
l'Hôtel de ville.
Renseignements et réservations
: Office du Tourisme de Tours, 78-82, rue Bernard Palissy, 37000 Tours ; par
tel. : 02 47 05 02 13 ( renseignements) et 02 47 70 37 37 (location) ; en ligne : infos@journéescharlesbordes,com ou www.journéescharlesbordes.com
4 / 12
Les musiciens de la Grande Guerre aux Invalides
Dans
le cadre du cycle "Vu du front.
Représenter la Grande Guerre", de l'Hôtel National des Invalides, le
pianiste Nicolas Stavy se produira en soliste avec
l'Orchestre de la Garde Républicaine, sous la direction de Sébastien Billard,
dans l'œuvre concertante pour piano de Benjamin Britten, Diversions for piano
and orchestra op. 21, spécialement composée en 1940 pour le pianiste autrichien
Paul Wittgenstein, amputé du bras droit lors de la Grande Guerre. Construite
sous forme de variations, l'œuvre fait preuve à la fois de lyrisme et de poésie
qui contrastent avec une écriture de piano et orchestre très rythmée. De toutes
les pièces écrites spécialement à son intention, par Ravel, Prokofiev,
Hindemith, Strauss ou Korngold, le pianiste
autrichien dira que Britten s'était plus approché que ceux-ci de ce qu'il souhaitait : ne pas chercher à imiter la
technique du piano à deux mains, mais plutôt exploiter la ligne unique.
Figureront également au programme La
Cathédrale blessée, op. 107 pour piano seul, de la compositrice Mel Bonis
(1915), de Gabriel Dupont, un extrait du cycle Les heures dolentes, pour piano seul, à l'occasion du centenaire de
sa mort, et de De Taye, Croix de Bois : Veillée d'armes - Bataille -
Morne Plaine (1926), pour orchestre. Enfin sera donné Polonia d'Edward Elgar, prélude pour orchestre, également écrit en 1915,
sur des thèmes polonais, dont une citation de l'œuvre du même nom que
Paderewski composa en 1908, et auquel l'anglais a dédié sa pièce.
Cathédrale
St-Louis des Invalides, Hôtel National des Invalides Entrée Nord, 129, rue de
Grenelle 75007 Paris, le 4 décembre 2014, à 20 H..
Réservations
: par tel.: 01 44 42 54 66 ; en ligne :
jean-francois.gaudin@musee-armée.fr ou billetterie.musee-armee.fr
5, 7 / 12
Les Caprices de Marianne sortis de l'oubli
Henri Sauguet (1901-1989) aimait la scène
pour laquelle il a écrit pas moins de 27 ballets, dont l'illustrissime Les
Forains, et quelques huit œuvres lyriques. Son opéra-comique Les
Caprices de Marianne, sur un livet de Jean-Pierre Grédy,
d'après la pièce d'Alfred de Musset, a été créée en
1954 à Aix-en-Provence. Dans cette œuvre poétique emplie des passions de son
sujet romantique, mais aussi de traits de comédie, on apprécie l'écriture
claire, la mélodie élégante et l'harmonie simple, mais aussi l'esprit mordant
d'un musicien dont la devise « Rester fidèle à soi-même », lui venait
de son maître Satie. La nouvelle production qu'on pourra voir à l'Opéra de
Massy est exemplaire puisqu'outre le fait quelle tire enfin de l'oubli une
œuvre rare, elle est le fruit d'une collaboration entre le Centre Français de
Promotion Lyrique (CFPL), qui se donne pour mission l'insertion des jeunes
artistes lyriques, et 15 maisons d'Opéra en France, durant deux ans, de
l'automne 2014 à la fin 2016 : Avignon, Bordeaux, Limoges, Marseille, Massy,
Metz, Nice, Reims, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Toulon, Toulouse, Tours et
Vichy. La mise en scène sera assurée par le québécois Oriol Tomas et la direction d'orchestre par le jeune chef Gwennolé Rufet. Une occasion à ne pas manquer, ici ou là.
Opéra
de Massy, le 5 décembre 2014, à 20H, et le 7/12 à 16H.
Location : billetterie, 1, place de France, 91300
Massy ; par tel.: 01 60 13 13 13 ; en ligne : www.opera-massy.com
15, 17, 19, 21, 23, 27, 29 / 12 et 1er / 1
Rusalka à
l'Opéra de Lyon
Décidément, l'opéra de Dvořák revient au goût jour. Et c'est tant mieux, car
il renferme de bien belles inspirations. Ce conte lyrique (1901) sur un livret
de
Opéra de Lyon, les 15, 17, 19,
23, 27, 29 Décembre 2014 à 20H et les 21/12 et 1er janvier 2015, à 16H.
Location: billetterie, 1 place
de la Comédie, 69001 Lyon ; par tel.: 04 69 85 54 54 ; en ligne :
www.opera-lyon.com
La saison 2015 de la Péniche Opéra
La nouvelle saison de la Péniche Opéra, la
dernière sous la houlette de Mireille Larroche, sa
dynamique directrice, sera resserrée sur les mois de février à mai 2015. Et
comme toujours, animée et haute en couleurs, cette fois sur le thème « des
chiffres et des hommes ». Elle proposera une création, 100 miniatures, monodrame de Bruno Gillet sur un texte de
Philippe Minyana. Autant de clins d'œil sur la vie de
tous les jours dans une ville qui pourrait être celle que chacun de nous habite.
Mireille Larroche signera la mise en scène et Pierre Roullier assurera la direction musicale (au XX e Théâtre,
du 5 au 15 mars, et du 27 mars au 19 avril, puis les 9 et 10 mai au Théâtre
Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine). Autre création, Le Maître du Jardin,
opéra de Suren Shahi-Djanyan,
compositeur et chef d'orchestre, inspiré d'un conte arménien (les 4,5 et 6
avril, sur la Péniche). On donnera aussi L'Île de Tulipatan et « Offenbach et les militaires », ces immanquables pochades du roi
de l'opérette, mises en scène par Yves Coudray ( XXe Théâtre, du 19 au 26 mars). Offenbach sera encore à
l'honneur avec, en prélude à la saison et au cours de celle-ci, ses opérettes
en un acte, données les deuxièmes dimanches du mois, de décembre à mai. On
pourra y entendre des raretés comme Une Demoiselle en Loterie, Apothicaire
et Perruquier, La Chatte métamorphosée, Monsieur Chou Fleuri, Les deux Aveugles, Le mariage aux lanternes. Cette suite à la
série inaugurée la saison passée sera orchestrée par le spécialiste Jean-Christophe Keck.
Les rendez-vous incontournables de la
péniche proposeront encore, au titre des « lundis de la
contemporaine », trois soirées inédites : « Musique à compter »,
à la fois jeu de piste et cabinet de curiosité, spectacle conçu et mis en scène
par Paul-Alexandre Dubois (2/2). Puis « Autour des carnets de Claude Helffer », concert permettant d'entendre, sous les
doigts de la pianiste Maria Paz Santibanez, des
pièces de Debussy, Webern, Stockhausen et des créations de
Adrian Pertout et de Miguel Farias, cette dernière dédiée à Helffer (16/3). Enfin, « En cours d'initialisation » autour du compositeur de
théâtre musical Richard Dubelski (18/5). Le thème de
saison sera encore décliné de quatre autres manières : une version ludique et féérique de La
Flûte enchantée de Mozart, « 1,2,3 La Flûte Mozart, un petit dej'musical du dimanche matin » (15 et 22/3 à 11H) ;
« Musiques à jouer : Dames de cœur », un spectacle conçu et dirigé
par Jérôme Corréas, sur des jeux musicaux italiens
des XVII ème et XVIII ème siècles ( 29/3) ; « Musique et chiffres symboliques : La Lyre
maçonnique », sur des musiques écrites pour les Loges, de Naudot, Clerambault, Rameau ou Giroust (14/4) ; enfin « Math & Musique »,
méli mélo de pièces anciennes et modernes, assemblées et jouées par
l'inénarrable et imprévisible Dominique Visse (5/5). Vogue encore une fois la
belle galère !
Renseignements et réservations : Péniche
Opéra, 46 Quai de la Loire, 75019 Paris ; par tel. : 01 53 35 07 77 ; fax : 01 53 26 91 93 ; en ligne : penicheopera@hotmail.com ou www.penicheopera.com
Jean-Pierre Robert.
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L'ARTICLE DU MOIS
L'éducation musicale à
l'école : un rendez-vous manqué Dans les années
d'après-guerre entrent en ligne de compte des données démographiques et
économiques nouvelles qui font évoluer la société française et lui imposent
d'adapter son système éducatif, de décloisonner les disciplines et de favoriser
l'interdisciplinarité. Cette évolution vers la polyvalence et la transversalité
est rendue possible par la réforme du système scolaire notamment la circulaire Fontanet de 1973 libérant 10% du temps pédagogique pour
l'organisation d'activités originales
mais c'est le colloque d'Amiens (1968) qui pose les fondamentaux d'une école nouvelle où les enseignements
artistiques ont désormais un rôle primordial à jouer. Avec l'émergence de
l'action culturelle, 1968 marque aussi la fin d'un
modèle dominant où la musique et les arts plastiques étaient les uniques
disciplines artistiques dispensées en milieu scolaire. Musique et arts
plastiques sont rejoints notamment par le théâtre et le cinéma mais au-delà de
la diversification des matières proposées en milieu scolaire, c'est la façon
dont les enseignements sont envisagés dans leur transversalité et pour leur
ouverture sur le monde qui provoque la fin du modèle prégnant jusqu'alors. Des
finalités nouvelles pour l'école et un contexte favorable pour l'éducation
musicale. Il faut remonter à
la fin des années soixante pour voir la notion d'éducation artistique
s'introduire dans le débat sur l'éducation scolaire de manière décisive. Le
colloque d'Amiens tenu en 1968 – « Pour une école nouvelle » - pose
les bases d'une réflexion qui a nourri toutes les avancées sur l'éducation
artistique depuis. Pour un certain nombre de militants, cette notion s'est
forgée autour de l'idée qu'elle a vocation à participer à la formation globale
des individus, à côté et avec l'éducation formelle, et qu'elle constitue un
point d'appui pour construire des repères, une autre fenêtre sur le monde. En
mettant en contact les jeunes avec les œuvres, avec les artistes, l'éducation artistique
participe à l'éveil des sens, à la construction de l'intelligence sensible, en
définitive à l'autonomie et à la construction personnelle des individus, tout
en contribuant par d'autres voies à leur insertion dans la cité. Pour cela,
bien entendu, il faut pouvoir s'appuyer sur des politiques concertées, des
acteurs, des lieux. L'école est le lieu central de conciliation possible entre
la formation de l'intelligence rationnelle et celle de l'intelligence sensible
parce qu'elle est le lieu de sociabilité, d'éducation, de citoyenneté de tous
par excellence. On retrouve les
grandes lignes du colloque d'Amiens dans les travaux de la Planification
française. Les membres de la commission des affaires culturelles du VIe
Plan (1971-1975) font un certain nombre de constats sur le système éducatif qui
servent de base à leur réflexion. Dans un premier temps, une critique de
l'enseignement légué par la bourgeoisie du XIXe siècle. Un système
qui vise plus à transmettre des connaissances qu'à permettre l'intelligence du
monde : « L'école de la IIIe
République avait su communiquer à la fois un savoir et une culture, celui de la
démocratie libérale. L'école d'aujourd'hui se demande si elle restera le moyen
unique d'acquisition du savoir, et quelles mutations seront nécessaires pour
réconcilier savoir et culture(1). » Dans un second
temps, une revalorisation de l'imaginaire et du sensible : « Cette orientation entraînera un
changement de mentalité, une modification considérable du rapport avec l'élève,
une stimulation de ses dispositions naturelles dans une atmosphère de plus
grande liberté. » Les méthodes
pédagogiques suivies au début des années soixante-dix sont pour le groupe enseignements artistiques du VIe
Plan « fort peu adaptées à
l'enfance(2) ». D'ores et déjà on
parle d'enfants et non d'écoliers et
ce changement de dénomination montre l'évolution générale souhaitée par le
groupe. L'école ne doit plus seulement se contenter d'enseigner des disciplines
intellectuelles à des écoliers mais elle doit aussi apprendre aux enfants à
vivre dans le monde qui les entoure. Cette nouvelle pédagogie doit
favoriser « l'épanouissement de
la personnalité de l'enfant », éviter le conditionnement de l'individu
par la technique et l'argent, « ouvrir
à l'art vivant sous toutes ses formes », mais aussi « ouvrir l'école » (des visites de
l'enfant à des organismes extérieurs, et l'école doit recevoir des visites de
l'extérieur). Le point 21 du rapport préparatoire de la commission B du
colloque d'Amiens stipule qu'« il
faut aussi que l'école sache s'ouvrir à tous ceux qui sont susceptibles, par
leur richesse personnelle, leur expérience, de venir se prêter au dialogue, à
l'échange que l'enfant réclame et auquel il a droit(3). » Enfin, il semble primordial d'« habituer tous les maîtres à tirer parti du
présent, de l'actualité, de l'événement d'où qu'il vienne. Certes,
l'inventaire, la réflexion sur les œuvres du passé restent enrichissants. Mais
ce qui compte surtout c'est se sentir capable de vivre avec son temps(4). » En bref, un nouveau profil de maître doit
être établi, il doit dorénavant être capable de travailler en équipe, d'animer.
Cet épanouissement de l'enfant est par ailleurs la recette du succès des
éducateurs de l'école maternelle. Ces finalités
nouvelles sont « mal intégrées(5) » car elles sont « purement et simplement plaquées sur un système dont les finalités
foncières n'ont pas été modifiées(6). » Toutefois, le
colloque d'Amiens exprime la volonté de bouleverser les hiérarchies entre les
disciplines. Bouleversement impulsé par le plan Langevin-Wallon qui repose
notamment sur le principe de l'égale dignité de toutes les tâches, manuelles et
pratiques autant qu'intellectuelles. « L'homme
n'est plus considéré comme une intelligence pure(7). » Pour Louis Cros,
inspecteur général de l'Instruction publique et auteur d'un livre intitulé «
L'explosion scolaire», la conception méthodologique de l'enseignement
est « trop restée de caractère
intellectualiste, livresque et formel(8). » Il parle de
« discrimination et de hiérarchie
implicite entre trois catégories de disciplines(9). » Il distingue en
effet les anciennes disciplines formelles (latin, français, mathématiques), les
disciplines scientifiques plus récemment constituées (histoire, géographie,
sciences physiques et naturelles) et les disciplines concrètes (éducation
physique, éducation artistique, travaux manuels). « Les finalités scolaires doivent suivre
l'évolution des besoins sociaux(10). » L'école doit être
ouverte sur le monde qui l'entoure, voilà une finalité nouvelle. Cela ne
signifie pas pour autant que l'école doive s'inscrire dans un rapport de
dépendance. Et selon les finalités traditionnelles : « Le contenu des études est déterminé en
fonction d'un modèle idéal qui échappe aux exigences de la professionnalisation
(…) on vise à former l'homme(11). » Ce type de
contradiction entre les finalités nouvelles et traditionnelles rend difficile
la manœuvre politique. Il faut permettre à
l'individu de modeler la nature de sa vie dès l'école. Pour mieux vivre il est
nécessaire que chaque enfant puisse connaître ce pour quoi il est fait. C'est
une idée-force de la commission B du colloque d'Amiens : « L'épanouissement de
chacun doit s'appuyer sur ce qui lui convient le mieux (…) On peut
favoriser la formation d'un élève et son intégration sociale par la gymnastique
ou les couleurs, et la compromettre à jamais par le latin ou les mathématiques(12) » ; «Toutes
les matières concourant à l'épanouissement de l'individu sont nécessaires à un
développement harmonieux, individuel et collectif(13). » Les tenants de l'école nouvelle proposent
de « réhabiliter le corps,
l'activité manuelle, l'affectivité ». La formation culturelle et
artistique répond à ces nouveaux critères. Elle propose de « faire jouer les ressources de la sensibilité (14) ». « Se servir pour susciter la soif de
savoir, de la curiosité de l'imagination de l'enfant, de son goût pour la
création et l'action, est bien certainement la meilleure méthode(15). » Parler de formation culturelle, c'est « s'assigner comme but premier la
formation d'un être : sachant s'informer, raisonner, communiquer ;
responsable, libre et désaliéné mais en même temps communautaire ;
équilibré, sachant découvrir son art de vivre par un ajustement sans cesse
recréé à l'environnement changeant ; capable pour cela de prévoir(16). » Parmi les activités artistiques promues
par le colloque d'Amiens on trouve les arts plastiques, l'architecture, la
musique et les arts sonores, les activités manuelles, l'expression corporelle,
les arts d'animation, les activités dramatiques, les activités de synthèse. Ce
qui semblait être subalterne pour beaucoup devient dans l'esprit de
quelques-uns primordial car « l'art
fait du bien à tous(17). » « Une
nouvelle obligation politique : l'action culturelle (18) » Le tiers temps
pédagogique fait office d'« ébauche de
solution » pour le groupe enseignements
artistiques du VIe Plan. À la circulaire du 7 août 1969 qui met
en place le tiers temps pédagogique pour les écoles maternelles et primaires,
fait suite la circulaire signée le 27 mars 1973 par le ministre de l'Éducation,
Joseph Fontanet. Elle permet « de mettre, à compter de la rentrée 1973, 10% de l'horaire annuel à la
disposition des établissements d'enseignement secondaire » pour « consacrer intégralement ce contingent
d'horaire à des activités originales en liaison avec l'enseignement(19). » et notamment artistique. Cela dans un
contexte favorable puisque quelques mois plus tard, en juillet 1974, la
commission René Haby fait vingt-quatre propositions
pour l'éducation à la sensibilité et à la créativité en milieu scolaire et le
11 juillet 1975, le ministre de l'Éducation nationale René Haby
fait adopter une loi sur la réforme du système éducatif qui préconise un
équilibre entre les disciplines intellectuelles, artistiques, manuelles,
physiques et sportives et insiste sur la place qui doit être faite à la
sensibilité artistique. Cette circulaire
prévoit un assouplissement de l'organisation du cycle secondaire. Le temps
scolaire contraint par un programme passe de trente à vingt-sept heures
hebdomadaires ; les trois heures dégagées devant être utilisées plus
librement et consacrées à des activités
originales. La circulaire propose des types d'activités possibles. Les plus
courantes sont les activités théâtrales, intéressantes pour les disciplines
littéraires et artistiques. Mais les professeurs font aussi preuve d'un réel
effort d'imagination et de recherche en envisageant d'autres sujets qui sont
eux en revanche franchement inattendus et pas très artistiques : les boucaniers, le couscous, le cassoulet… Les
réalisations sont également nombreuses en matière d'environnement et de cadre
de vie. Le 10% n'est pas réservé aux activités d'éducation artistique.
Néanmoins, un très grand nombre d'opérations relevant du 10% (environ la
moitié) (20)
s'orientent spontanément vers des activités culturelles. Cette tendance inscrit
dans le temps scolaire les pratiques artistiques déjà existantes dans un cadre
libre. Le 10% a demandé aux enseignants de rompre, en partie au moins, avec le
comportement que l'institution exige d'eux le reste du temps en les mettant
dans la situation d'intervenir sans programme ni sanction ultérieure dans des
domaines où leur compétence n'est ni très assurée ni reconnue ; d'aborder
des situations extérieures à la classe ; de se confronter à d'autres compétences
et de coordonner une tâche d'enseignement avec des collègues dans le cadre de
la pluridisciplinarité. On remarque que ces différents points s'opposent d'une
façon très nette aux différentes caractéristiques qui définissent la relation
pédagogique traditionnelle. Ce type
d'action nécessite la spécialisation de certains enseignants comme conseillers
techniques. Il peut être aussi fait appel à des animateurs d'associations ou à
des personnalités qualifiées extérieures au système scolaire : professeurs
de conservatoires, conservateurs de musées, archivistes, bibliothécaires,
comédiens de centres dramatiques, artistes, spécialistes de tous ordres,
responsables dans tous les secteurs de l'activité économique et social. Le comportement des enseignants eux-mêmes en matière
d'action culturelle est considéré comme élément prédominant de l'ensemble des
innovations proposées. Ce que le groupe enseignements artistiques du VIe
Plan souhaite avant tout, c'est en finir avec « les méthodes stérilisantes » du cours de dessin traditionnel
ou du cours de solfège. Les programmes et les directives sont « surannés ». Le maître est souvent
sommé d'enseigner un dessin de reproduction
auxiliaire des sciences ou le solfège. Il faut modifier « radicalement (21) » les
programmes. Il ne s'agit plus de « rendre
accessibles les œuvres capitales […] au plus grand nombre » mais de
fournir « à la totalité des citoyens
le minimum vital en matière culturelle […] Les hommes ont même le droit de
refuser la culture mais ils sont en droit d'exiger qu'on la leur propose et que
l'égalité en droit, l'égalité des chances soit en ce domaine accomplie. »
C'est pour cela que
« dès la sixième, l'éducation
esthétique doit s'organiser autour de temps forts : événements culturels
sur des thèmes choisis, [qui] mobiliseront les enseignants de plusieurs
disciplines. » C'est ce que tente de mettre en œuvre le Fonds
d'intervention culturelle (FIC) mis en route dès 1971 et pièce maîtresse de la
nouvelle politique de développement culturel. Cet organisme permet de concrétiser
la collaboration entre les ministères de la Culture et de l'Éducation
nationale, aussi bien qu'entre l'État et les collectivités locales. Par son
soutien financier (ce fonds est rattaché au budget du ministère des Affaires
culturelles), le FIC aide à lancer des projets d'action culturelle de type
nouveau, n'entrant pas dans les cadres des subventions accordées par les
ministères en multipliant les expérimentations transversales. Le concept d'une
politique globale de la culture intégrée au développement de l'ensemble du pays
s'est substitué à la notion d'affaires culturelles. Une culture vivante, une
culture en actes conçue en termes de rapports humains et de vie
quotidienne ; « il s'agit de
favoriser l'accès de chacun à une plus effective citoyenneté(22). » Le ministre de la Culture Jacques Duhamel pose des
conditions : un défi à toute tendance à l'égalitarisme culturel et un
encouragement au culturalisme. « Qu'une
fausse pudeur ne trouble pas nos esprits et que nos bons sentiments ne nous
conduisent pas à un égalitarisme culturel qui tarirait la source. Sans cela le
développement culturel serait le partage des pains sans le miracle de la
multiplication(23). » Enfin, « que le public vienne nombreux à la maison de la culture, c'est bien, ce
n'est pas suffisant. Il faut créer le contact avec celui qui ne se déplace pas,
aller chercher les gens là où ils sont, dans leur
milieu naturel, sur leurs lieux de travail. À ceux qui se sentiraient exclus
par une sorte de timidité, il faut montrer que la culture est leur bien(24). » Cette notion
culturaliste existait déjà chez le Malraux de 1936. « L'héritage culturel n'est pas l'ensemble des œuvres que les
hommes doivent respecter mais de celles qui peuvent les aider à vivre (…) Tout
le destin de l'art, tout le destin de ce que les hommes ont mis sous le mot
culture, tient en une seule idée : transformer le destin en conscience(25). » Il ne s'agit pas
pour le développement culturel d'imposer la musique et le dessin dans son
acception bourgeoise à tous. Pour le rapport du groupe long terme du VIe
Plan (mars 1971), ce type de projet constituerait un autre danger de « massification » et « d'aliénation ». En réponse à ce
danger le rapport propose que la politique d'action culturelle ne soit
exclusive d'aucune discipline. Une politique pluraliste pour éviter la massification.
« Le développement culturel n'est pas seulement la démocratisation de
la " haute
culture "(26). » « La notion de développement culturel
implique le dépassement de l'ancienne culture réservée à une minorité de
privilégiés et consiste en un enrichissement personnel d'ordre intellectuel ou
artistique. Elle efface la distinction entre le « culturel pur »
(lecture, théâtre, musique) et le domaine du « socioculturel » ou
« socio-éducatif ». Les instruments traditionnels de la culture ne
sont plus les moyens uniques d'un accès à cette autonomie de l'individu. Tout
individu doit participer activement à la culture vivante en train de se faire(27). » Le contexte de Mai
68 a favorisé cette tendance. Les directeurs des théâtres populaires et des
maisons de la culture réunis à Villeurbanne le 25 mai 1968 expriment le refus
d'une culture et d'un langage dont la diffusion serait réservée à la classe
cultivée dominante, mais aussi du rejet de la culture traditionnelle et des modèles
culturels : « À la conception
traditionnelle [de la culture] dont nous avons été jusqu'ici plus ou moins
victimes, il convient de substituer sans réserve et sans nuance une conception
entièrement différente qui ne se réfère pas a priori à tel contenu préexistant
mais qui attend de la seule rencontre des hommes la définition progressive d'un
contenu qu'ils puissent reconnaître(28). » Les enseignements
artistiques proposés en milieu scolaire reflètent cet ordre des choses. En
introduisant l'action culturelle en milieu scolaire, l'ambition est de
subvertir l'autorité des enseignements de musique et d'arts plastiques au
profit de l'enfant et de son potentiel créateur. Selon le rapport Puaux sur les établissements culturels (1982) qui tente une
définition de l'action culturelle, il s'agit d'obtenir « que les hommes soient mis en demeure de
prendre conscience de la part de richesse, de créativité qu'ils portent en eux,
mais que le plus souvent, ils ignorent ». Permettre à une « immensité humaine composée de tous ceux qui
n'ont encore aucun accès ni aucune chance d'accéder au phénomène culturel sous
les formes qu'il persiste à revêtir(29) », c'est rejeter
les modèles culturels et affirmer l'identité des exclus de la culture
dominante. L'idée fondamentale soulignée par Francis Jeanson
(auteur de L'action culturelle dans la
cité) étant que « le rejet des
valeurs de la classe dominante va de pair avec l'affirmation de l'identité
culturelle des classes dominées(30) ».
L'éducation
artistique en milieu scolaire profite de l'évolution du système éducatif et de
l'essor des politiques culturelles notamment du nouvel enjeu que représente le
développement culturel. La musique, ainsi que les arts plastiques auraient pu
bénéficier du contexte faisant la part belle à l'éveil de la sensibilité aux
côtés de l'éducation classique mais paradoxalement ces deux disciplines se sont
vues dépassées par le courant de l'action culturelle qui a eu vite fait de les
considérer péjorativement comme bourgeoises. On a préféré encourager des
cultures plus proches des jeunes ou des populations minoritaires pour éviter
toute discrimination culturelle. En dépit de grands succès comme la création
des classes à horaires aménagés et des centres de formation de musicien
intervenant, la musique peine donc toujours à trouver sa place à l'école. Camille Grabowski*. *
Camille Grabowski est Docteur en Histoire. 1 Rapport du groupe long terme, commission des affaires
culturelles pour le VIe Plan, mars 1971. 2 Rapport du groupe enseignements artistiques, VIe
Plan, mars 1971. 3 Rapport préparatoire de la commission B du colloque
d'Amiens, p.106. 4 Point 27, rapport préparatoire de la commission B du
colloque d'Amiens, p.107. 5 Rapport préparatoire de la commission A du colloque
d'Amiens, p.36. 6 Rapport préparatoire, commission A du colloque d'Amiens,
p.38. 7 Rapport préparatoire de la commission A du colloque
d'Amiens, p.37. 8 Louis Cros, annexe 1 à la commission A du colloque
d'Amiens, p.46. 9 Louis Cros, annexe 1 à la commission A du colloque
d'Amiens, p.49. 10 Louis Cros, annexe 1, commission A du colloque d'Amiens. 11 Rapport préparatoire, commission A du colloque d'Amiens,
p.37. 12 Point 5 du rapport préparatoire de la commission B du
colloque d'Amiens, p.102. 13 Point 4 du rapport préparatoire de la commission B du
colloque d'Amiens, p.102. 14 Point 17 du rapport préparatoire de
la commission B du colloque d'Amiens, p.104. 15 Louis Cros, « L'école nouvelle
témoigne », Cahiers de pédagogie
moderne, 1970. 16 Rapport final de la commission B du colloque d'Amiens,
p.141-142. 17 Point 12 du rapport préparatoire de la commission B du
colloque d'Amiens, p.103. 18 Rapport de la commission affaires culturelles du VIe
Plan, mars 1971. 19 « L'aventure pédagogique du 10% », Education et développement, numéro
spécial 108, mars 1976. 20 « 10% et apprentissages culturels », Education et développement, numéro 109,
avril-mai 1976. 21 Ibid. 22 Francis Jeanson, L'Action culturelle dans la cité, Paris,
Seuil, 1973. 23 Allocution prononcée par Duhamel devant le Conseil national
du développement culturel, 1971. 24 « L'avenir des maisons de la culture »,
interview de Jacques Duhamel, Le Monde,
4 mai 1972. 25 Discours d'André Malraux au secrétariat général de
l'Association des écrivains pour la défense de la culture à Londres, juin 1936,
cité in Jean Caune, p.146. 26 du groupe long terme, commission des affaires culturelles
pour le VIe Plan, mars 1971. 27 Ibid. 28 Les directeurs des théâtres
populaires et des maisons de la culture réunis en comité permanent à
Villeurbanne, le 25 mai 1968, in L'Action
culturelle dans la cité de Francis Jeanson,
Paris, Seuil, 1973, p.120. 29 D'après les directeurs des théâtres
populaires et des maisons de la culture réunis en comité permanent à
Villeurbanne, le 25 (ou 21) mai 1968, in L'Action
culturelle dans la cité de Francis Jeanson,
Paris, Seuil, 1973, p.120. 30 Francis Jeanson in Jean Caune, La Culture en action : de Vilar à
Lang : le sens perdu, Grenoble, PUG, 1992, p.180.
FOCUS SUR LA MUSIQUE MODERNE
The Tempest, opéra de Thomas Adès(1)
« La
Tempête », tragi-comédie ou romance (1611), ultime et différent
chef-d’œuvre de William Shakespeare (1564-1616), a été la source d’inspiration
pour de nombreuses partitions, symphoniques autant que lyriques. Parmi elles,
citons plus essentiellement, outre les adaptations de Purcell (1659-1695) et de
Matthew Locke (ca 1622-1677), l’opéra en deux actes assez superficiels, La
Tempête, de Jacques Fromental Halévy
(1799-1862), représenté à Londres en 1850 – l’émouvante musique de scène (1862)
de Sir Arthur Seymour Sullivan (1842-1900) – la vigoureuse ouverture Prospero (1885) du Londonien Frederick Corder (1852-1932) –
l’extraordinaire musique de scène de Jean Sibelius (1865-1957), Stormen, opus 109 (1925) – l’opéra en deux actes, Die Zauberinsel (1942) du Suisse Heinrich Sutermeister (1910-1995) – le métaphysique Der Sturm (1952/55), opéra en trois actes dans la traduction allemande d’August Wilhelm von Schlegel (1767-1845) et Johann Ludwig Tieck (1773-1853)
du Genevois Frank Martin (1890-1974) – The Tempest,
opéra en trois actes (1985) de l’Américain John Charles Eaton (1935-) – et enfin, le sujet de cet article consacré à la mise en musique
shakespearienne, en 2003/2004, de l’Anglais Thomas Adès,
fruit d’une commande de Covent Garden.
Au deuxième acte
apparaissent deux membres grotesques de la suite royale, le « sommelier
ivre » Stephano (baryton-basse) et le bouffon vulgaire Trinculo (contre-ténor). Une querelle, provoquée mystérieusement par Ariel, va aussitôt
éclater entre les ennemis de Prospero. Le La Majeur
de Caliban, entonnant Friends don’t fear/The Island’s full of noises/Sounds and voices (« Amis, ne craignez rien/l’île
est pleine de bruits/de sons et de voix »), à la scène 2, exprime
clairement le ton anglais qui pourrait même faire penser, contre toute attente,
à celui de Gerald Raphael Finzi (1901-1956). Gonzalo
lui répond tout en le questionnant avec une gravité qui rappelle certains
passages du Pilgrim’s Progress (1951)
de Ralph Vaughan Williams (1872-1958). Mais, Caliban sera bientôt réduit au silence par Prospero. Il
s’agit désormais de retrouver les traces de Ferdinand sur l’île tant
l’inquiétude à son sujet croît au fur et à mesure du drame. Son père, le roi de
Naples, entonne aussitôt un chant d’imploration assez remarquable (My son is dead/ « mon fils est
mort »). C’est alors que, pour se venger, Caliban, s’adressant à Stephano et à Trinculo,
initie un complot visant à détruire Prospero. Le Duo
entre Ferdinand et Miranda à la fin de l’acte, scène 4, constitue une apothéose
dont l’ardeur est empreinte de délicatesse. Le dernier chant de cette séquence
est confié à un Prospero presque désespéré.
À propos,
justement, de sa conception du langage musical, le compositeur était interrogé
jadis par un journaliste français soucieux de comprendre la raison pour
laquelle il lui arrive de partir d’une échelle atonale pour conclure ensuite
sur une accord parfait Majeur. Et le compositeur de
répondre :
Pour son opéra, Adès a soigné la
signification relative au lieu et aux personnages. Ainsi, pour l’île qu’il
traite avec des sonorités
éthérées, très évocatrices, coulantes, confiées aux bois et aux cordes. Le
monde des courtisans milanais sonne en fanfare de manière déclamatoire et
pédante. Cependant, le ton général adopté par le jeune compositeur britannique
est à la fois doux et grave, tendant à la purification après l’ouragan
punisseur. Il a probablement, à l’instar de Shakespeare, exprimé sa propre
conception de la vie.
James
Lyon.
1 thomasades.com.
2 Issu de la tradition
néo-platonicienne, ce nom signifie « favorable ». Il figure déjà dans Every Man in His Humour,
comédie (1598) de Ben Jonson (1572-1637) dans laquelle Shakespeare a joué.
Certains commentateurs ont forgé une analogie entre le dramaturge et son
personnage.
3 Il est fait mention de ce nom
dans l’History of Travaile (1577) de Robert Eden (?), probable source de la pièce de Shakespeare.
4 Cette île serait Lampedusa, entre
Malte et la Tunisie.
5 Pour quelques critiques, lecteurs
de Montaigne (1533-1592), ce nom serait l’anagramme de « cannibale ».
6 Sa description doit beaucoup au
portrait de Médée qu’en a fait Ovide dans ses Métamorphoses (7).
7 Selon les récits de voyage de
Magellan (1480-1521), dieu des Patagoniens.
8 Cet événement rappelle aussi le
naufrage de l’amiral Sir George Somers (1554-1610), aux Bermudes, le 25 juin
1609.
9 Ce nom apparaît dans la
littérature magique traditionnelle ainsi que chez Ésaïe 29 et Esdras 8,16. Il est parfois comparé au dieu grec messager Hermès.
***
Un « all Brahms progamm » du Cleveland Orchestra
Avant dernière étape d'une longue tournée
européenne débutée aux Proms de Londres, le Cleveland
Orchestra s'est arrêté à la salle Pleyel pour deux concerts. Au nombre des
fameux « big five », cette formation fondé
en 1918, connut de grands directeurs musicaux, dont George Szell,
Lorin Maazel et Christoph von Dohnanyi. Franz Welser-Möst a pris le relais en 2003. Leur premier concert
parisien était entièrement consacré à Johannes Brahms. La façon de se présenter
au public est originale : là où les orchestres européens de renom, Vienne,
Berlin, Amsterdam, se doivent d'entrer à la dernière minute, salle remplie,
sous les applaudissements, les musiciens américains font leur échauffement
longtemps avant l'arrivée du chef, dans une ambiance studieuse, chacun
peaufinant tel trait essentiel. Le concerto pour violon et orchestre en ré
majeur, op. 77 est l'un des plus emblématiques du répertoire. Comme toujours en
pareille occurrence chez Brahms - on pense aux deux concertos pour piano - il
s'agit d'une pièce de vastes dimensions dans laquelle l'orchestre occupe une
place essentielle, au-delà du rôle de pur accompagnement. Au point qu'on a dit
que le violon jouait contre lui, métaphore paradoxale pour expliquer combien il
doit s'imposer. Nikolaj Znaider, Premier prix au
Concours Reine Élisabeth à Bruxelles en 1997, l'aborde avec une tranquille
assurance et une chaude sonorité. Il n'y aura pas d'épanchement excessif dans
le vaste allegro initial, pris par Welser-Möst de
manière énergique. Znaider choisit non pas la cadence
de Joachim, le dédicataire, mais celle de son cru, pot-pourri brillant des
divers thèmes exposés jusqu'alors, et jouée très virtuose, quelque peu en
rupture avec la ligne plus romantique adoptée par ailleurs. Welser-Möst prend l'adagio de manière très objective, accentuant
la difficulté pour le soliste d'établir le climat de romance sans parole introduite
par le solo du hautbois et sa mélodie envoûtante. Des pianissimos insistants
distendent un peu le discours. Le finale sera très énergique, un brin martial
dans le geste orchestral, mais Znaider tire son
épingle du jeu avec brio. Le succès nous vaut un bis, emprunté à JS Bach. La
Première Symphonie op. 68 est, de par sa tonalité d'ut mineur, dans la veine
héroïque de la Cinquième de Beethoven, sans parler, côté références, de la
citation à peine voilée, au mouvement final, de l'« Ode à la joie »
d'une certaine Neuvième. « C'est si évident qu'un âne s'en
apercevrait » se serait écrié le compositeur. Comme dans l'œuvre
précédente, la manière de Welser-Möst est robuste,
accréditant tout à fait le mot de son lointain prédécesseur Hans de Bülow
parlant de « Dixième Symphonie, alias la première symphonie de
Brahms ». Le chef autrichien ne cherche pas à s'appesantir sur l'aspect
massif de l'orchestration, fruit d'une grande complexité thématique. Son souci
est plus le « drive », la progression, qui ne va pas sans quelques
débordements d'énergie au fil du premier mouvement, passé une introduction
sostenuto, elle-même non retenue. L'andante sostenuto introduit plus de calme,
et l'allegretto suivant, sorte d'intermezzo, est d'une attrayante fluidité,
avec un passage trio fort bien contrasté. Le finale se déploie majestueux et la
dernière section mérite bien son indication « con brio », car elle
renoue avec l'énergie résolue beethovénienne du premier mouvement et ce
jusqu'aux accords finaux martelés sans vergogne. Du fort habile travail
d'orchestre en tout cas, mettant en valeur une phalange superbe, assurément
brillante, comme il en va à ce niveau outre-atlantique.
A l'homogénéité des cordes répond la finesse déclamatoire des bois, hautbois et
clarinette en particulier. En bis, un danse hongroise,
déversant moult harmonie et rythme tziganes, fait monter la tension d'un cran.
Car Welser-Möst se lâche avec des contrastes
surprenants, pour conclure par un prestissimo enivrant. Jean-Pierre Robert. Pulcinella joue CPE
Bach
On ne pouvait rêver meilleur
hommage à Carl Philipp Emmanuel Bach (1714-1788) que
ce concert donné Salle Gaveau par le Pulcinella
Orchestra et Ophélie Gaillard, sa fondatrice. Ce fils ainé du Cantor connut une
longue et prestigieuse carrière, d'abord à Berlin auprès de Frédéric II, puis à
Hambourg, à compter de 1768, où il prendra la succession de Telemann et
occupera les fonctions de directeur musical des cinq principales églises de la
cité hanséatique. Le programme proposait un échantillon significatif de sa
production, qui par sa texture sonore novatrice, est annonciatrice du Sturm und Drang. Avec d'abord deux
concertos pour violoncelles. Pas aussi célèbres que ses concertos pour clavier,
ces pièces ne sont pas moins intéressantes. Elles illustrent le langage si
personnel de CPE et en particulier une imprégnation du style vocal tant en
vogue à l'époque du fait du développement de l'opera seria, et le choix de contrastes pour le moins théâtraux
dans l'accompagnement d'orchestre, introduisant un zest d'inattendu. Le
Concerto en la mineur, Wq. 170, de vastes proportions, déploie une virtuosité
marquée tant dans le ripieno d'orchestre qu'avec le traitement réservé au
soliste. Ophélie Gaillard en est l'interprète inspirée. L'orchestre ne comprend
que des cordes et un pianoforte, signe de modernité chez celui qui fut le
chantre de l'écriture pour le clavecin. Le concerto Wq. 172 est peut-être plus
brillant encore, contrastant deux mouvements rapides, extrêmement brillants, et
la profondeur inquiétante du largo médian, lui-même couronné d'une cadence
envoûtante. La Sinfonia N° 5, Wq. 182, extraite d'une
série de six écrites au début du séjour à Hambourg, pour le baron van Swieten, démontre pareil souci d'originalité chez CPE :
dans le goût de la symphonie concertante pour les seules cordes, chaque groupe
se voit allouer un rôle prééminent, et on est surpris par les accords brusques
venant rompre le discours, quasiment à l'arraché, et, là encore, par des effets
de surprise. Enfin, la Sonate pour deux violons et basse Wq. 161, en ut mineur,
dite « Sanguineus
e melancholicus » est une perle d'esprit (1749)
: organisée au fil de ses trois mouvements telle une conversation entre deux
personnages au caractère bien tranché, le doux rêveur et le très passionné. Au
premier mouvement, l'un des violons tente d'imposer sa douce et lente
cantilène, interrompu sans ménagement par le second, tout ébouriffé. L'adagio
inverse les rôles. Mais les deux protagonistes se retrouveront au finale pour
parler de concert. La veine est des plus novatrices. Thibault Noally et Nicolas Mazzoleni font
assaut de dextérité, accompagnés par Ophélie Gaillard et Francesco Corti au
pianoforte. L'ensemble au complet, quelques 14 musiciens, aura donné le
meilleur dans les œuvres concertantes et la symphonie. En bis, pour célébrer le
neuvième anniversaire de leurs débuts dans cette même salle, ils joueront un
mouvement vif d'un concerto pour cordes de Vivaldi, brillantisssime. Jean-Pierre Robert. William Christie illumine le Grand motet français
Le Grand motet français, illustré par les
grands compositeurs des XVII ème et XVII ème, tels Du Mont, Delalande ou Charpentier, puis Desmarest, Gilles ou Campra se caractérise, en comparaison
avec le (petit) motet, par son ampleur, faisant appel à un double chœur, à
plusieurs solistes et un orchestre fourni. Essentiellement écrit à partir des
textes des Psaumes de David, sa fonction religieuse perdra peu à peu de son
importance, notamment avec la création en 1725 du Concert spirituel, pour
devenir une pièce de concert. Jean-Joseph Cassanéa de
Mondonvile (1711-1772) et Jean-Philippe Rameau s'y
sont illustrés, quoique ce dernier n'ait laissé au genre que trois partitions. William Christie avait
choisi de les réunir lors de son concret à la Cité de la musique. Rameau a
composé ses motets dans sa période dite lyonnaise, 1712-1715. Il ne reviendra
plus au genre de la musique vocale religieuse et profane, qui avec le motet
mais aussi la cantate, selon Sylvie Bouissou « représentent à l'évidence
pour lui un champ d'expérimentation des moyens musicaux utilisés dans
l'opéra » (« Jean-Philippe Rameau », Fayard). Le motet « Quam delicta tabernacula »
est écrit sur le psaume 83, où David
aspire à trouver auprès du tabernacle le calme et la paix du Seigneur.
Ses sept courtes parties décrivent un climat fervent qui conduit à une
apothéose finale sur le chœur « Seigneur des vertus, heureux l'homme qui
espère en Toi ». Le motet « In convertendo Dominus », sur le psaume 125, est moins austère, sans
doute parce que l'édition qu'on en connaît, fruit d'un remaniement en 1751 pour
son exécution au Concert spirituel, développe une instrumentation plus riche
dans les vents, hautbois, bassons et cors. Le chant est aussi plus fastueux, à
l'aune des émotions ressenties par le peuple juif exprimant la joie de la
délivrance. On le ressent dès le premier récit du haute-contre, aux accents
presque théâtraux, et dans les chœurs emplis d'énergie. L'écriture de Rameau annonce
les pages de la maturité. Des 17 motets écrits par Mondonville, neuf ont été
préservés. Le style est immédiatement plus expressif, la manière plus animée,
sans doute guidés par la perspective d'une exécution en concert. Le motet
« Dominus regnavit »
(1734), se signale par sa description des flots marins en furie décrivant
l'impétuosité des eaux tant à l'orchestre que dans le chœur, la phrase chantée
s'enroulant sur elle-même, tumultueuse. Il s'achève par un vaste chœur d'action
de grâce. Le motet « In exitu Israel » (1753), sur le psaume 113, décrit la sortie
d'Égypte des israéliens par des effets dramatiques puissamment évocateurs.
L'épisode de la mer se retirant sur le passage de la foule, l'est tout particulièrement : chant
syllabique sur les mots « la mer le vit et s'enfuit ». Le solo du
contre ténor qui suit ne l'est pas moins. William Christie et ses Arts
Florissants impriment à toutes ces pages le cachet de l'authenticité : rigueur
et élégance du phrasé, couleurs orchestrales moirées, souple articulation des
chœurs, ce qui n'exclut pas des contrastes saisissants en termes
d'expressivité. Le panel de solistes est glorieux, dont on détachera le
haute-contre Cyril Auvity, d'une pureté de ligne et
d'une force déclamatoire exceptionnelles. En bis, et pour rendre hommage à
plusieurs figures récemment disparues, chères à son cœur, Christie donnera un
chœur de Castor et Pollux, tel qu'arrangé pour
une exécution lors des funérailles de Rameau. Tout simplement superbe. Jean-Pierre Robert. Les Boréades enfin
créées à Versailles ! Jean-Philippe RAMEAU : Les Boréades. Tragédie en
musique en cinq actes. Livret de Louis de Cahusac.
Julie Fuchs, Samuel Boden, Manuel Núnez-Camelino, Jean-Gabriel Saint-Martin, Chloé Briot, Damien Pass, André Morsch, Matthieu Gardon. Ensemble Aedes.
Les Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc
Minkowski. Version de concert.
Brandissant la partition des Boréades, aux saluts finaux, Marc Minkowski
soulignait que l'exécution donnée à l'Opéra royal marquait la création de
l'œuvre à Versailles. En version de concert. Mais s'en plaindra-t-on alors que
dans le cadre de l'année Rameau, partout abondamment fêtée, l'Opéra de Paris
n'a pas jugé bon de l'afficher en reprenant la production conçue naguère par
Robert Carsen à Garnier. Singulier destin que celui
de l'ultime tragédie en musique de Rameau qui ne la verra pas créée de son
vivant. Elle ne connaîtra sa première scénique que deux siècles plus tard, en
1982, au festival d'Aix-en-Provence. La mort du compositeur en 1764, peu après
l'achèvement de la partition, n'est sans doute pas la cause première de
l'ajournement de sa publication et de sa représentation publique. Le livret,
rédigé selon toute vraisemblance par Louis de Cahusac,
avait de quoi agacer les censeurs de l'époque : un parfum libertaire assumé,
« Le bien suprême, c'est la liberté », et une critique à peine voilée de
l'absolutisme, déjà affirmée dans le fait d'avoir supprimé le traditionnel prologue
à la gloire du monarque régnant, consubstantiel à toute tragédie lyrique du
XVIII ème. Comment expliquer un si long oubli par les
générations ultérieures ? Les caractéristiques intrinsèques de cet opéra
peuvent être avancées, alors que, paradoxalement, son sujet avait de quoi
séduire. L'aridité du sujet : deux personnages singuliers, l'un, Alphise, s'écarte de sa mission royale pour se fragiliser
dans un amour qu'elle sait contraire à la raison d'État, l'autre, Abaris, type même de l'anti héros, d'ascendance inconnue,
vit une évolution psychologique inverse puisqu'il se révèle peu à peu à travers
un parcours initiatique. Un objet magique, une flèche enchantée - matérialisé
ici par la baguette du chef d'orchestre !- signale le substrat maçonnique de la
pièce. On trouve ici bien des symptômes du déclin de l'opéra baroque et les
signes avant coureurs du renouveau tel que Gluck va bientôt l'affirmer. La musique de Rameau offre beaucoup surtout
lorsque portée par l'élan que lui confère Marc Minkowski. Son orchestre est
resplendissant : Les Musiciens du Louvre Grenoble prouvent encore, s'il en
était besoin, leur suprématie dans ce répertoire. Il est passionnant de
constater, à quelques jours d'intervalle, combien cet orchestre, tout comme
celui des Arts Florissants, tiennent le haut du pavé pour servir Rameau. La
battue du chef fait corps avec la musique. On admire ici une ferme assise dans
la basse, qui livre toute la modernité de l'orchestration du dernier Rameau.
L'art de couler la phrase également, et soudain de rompre le rythme par des
syncopes aussi inattendues que vertigineuses. La couleur évocatrice des bois,
encore, les bassons en particulier. Enfin, la manière de nimber les
divertissements d'une grâce délicate ou au contraire d'une mâle vigueur comme
pour l'épisode fameux « Orage, tonnerre et tremblement de terre » et
la « Suite des vents » déchaînant la colère boréenne.
Ces divertissements qui, par leur importance au fil de l'action, marquent
l'invasion de la symphonie dans le discours chanté. Les danses joyeuses ont une
pointe humoristique, comme ces contredanses prestes qui concluent chacun des
actes. Minkowski nurse ses chœurs, magnifique Ensemble Aedes,
et chacun de ses solistes, veillant à la rigueur de l'intonation et à la
sobriété de la diction. Encore qu'il n'hésite pas à les faire s'exprimer avec
véhémence dans les passages forte, ce qui contraste d'autant mieux les
moments élégiaques. Julie Fuchs aborde le rôle d'Alphise
avec une confondante autorité, aussi à l'aise dans les passages syllabiques de
l'air « Mon cœur entraîné par ma flamme » (I,1)
que dans la déploration de « Songe affreux, image cruelle » (III,1).
La résidence de la chanteuse à l'Opernhaus de Zürich
porte ses fruits et on assiste à l'épanouissement d'un sûr talent. La déclamation,
d'une vraie justesse de ton, est au service d'une vocalité inextinguible.
Samuel Boden offre un portrait tout aussi accompli d'Abaris
: timbre idéal de haute-contre à la française, force d'expression, comme dans
l'air d'entrée « Charmes trop dangereux, malheureuse tendresse » (II,
1). La voix, lorsqu'à pleine puissance, est tendue comme un arc. Une aura
intérieure émane de son chant. Le ténor Manuel Núnez-
Camelino, la soprano Chloé Briot
et un brelan de voix graves complètent une distribution sans faille. Un concert
mémorable ! Jean-Pierre
Robert. Owen Wingrave ou l'opéra télévisuel Benjamin BRITTEN : Owen
Wingrave. Opéra en deux actes. Livret de Myfanwy Piper, d'après la nouvelle de Henry James. Ashley Riches, Allen Boxer, Chad Shelton, Orla Boylan, Katherine Broderick,
Judith Howarth, Kitty Whately,
Mark Le Brocq, Jules Casies
Renaud, Titouan Lachaux. Chœur d'enfants du Conservatoire régional
du Grand Nancy. Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, dir.
Ryan McAdams. Mise en scène : Marie-Ève Signeyrole.
Le pénultième opéra de Benjamin Britten, Owen
Wingrave, est sans doute l'un de ses plus
secrets. Et des plus originaux aussi. Conçu pour la télévision, où il fut donné
par la BBC, le 16 mai 1971, il s'inspire de la nouvelle
éponyme de Henry James. C'est la seconde fois que le compositeur anglais traite
d'un sujet imaginé par le poète, le premier étant The Turn
of the Screw (1954). Apparue dès les
années 50, l'idée ne se concrétisera que vers 1967 et l'opéra sera le fruit
d'un travail intense. Finalement peu satisfait du résultat sur le petit écran,
Britten accueillera avec plus d'enthousiasme la création scénique à Covent Garden, en 1973. Le thème est celui de l'isolement
de l'individu face à la multitude, ici la famille et le cercle qui l'entoure.
Cette thématique de l'homme exclu et rejeté de tous est au cœur de plusieurs de
ses œuvres lyriques, dont Peter Grimes et Billy Budd.
Elle croise celle de l'antimilitarisme, autre sujet essentiel chez Britten,
déjà évoqué dans le War Requiem (1963),
qui trouve ici une résonance particulière. Sans parler du goût tout britannique
pour les histoires de revenants. Owen, le dernier rejeton d'une famille dédiée
à la cause militaire, ne veut plus embrasser cette carrière où tout le
prédispose, et s'oppose fermement à son entourage au prix d'une lutte acharnée.
L'opéra décrit un parcours mental pathétique puisqu'il mènera le héros jusqu'au
sacrifice, ici demandé par sa propre amie Kate. Comme toujours Britten
construit une trame serrée où musique et texte s'allient intimement, au point
d'user du procédé de la simultanéité de scènes, et dresse une galerie de
portraits saisissants. De cette pièce plutôt avare de péripéties, Marie-Eve Signeyrole propose un maelström d'idées. De nature à
visualiser une folie collective proche, selon elle, d'un passage à tabac du
personnage titre. Loin du manoir british de Paramore,
nous sommes plongés dans un univers plus imaginaire que réel, essentiellement
mouvant, fondu enchaîné enveloppant scènes et interludes dans un même continuum
cinématographique, ce à quoi contribue grandement le dispositif tournant en
forme de lanterne magique découvrant des horizons oniriques ou menaçants. Cette
animation constante n'est pas dénuée de traits mordants (la salle de
musculation toute virile qui ouvre l'opéra) et de fines références au monde
insouciant de l'enfance. Surtout, la régie imbrique finement les événements
actuels et la légende qui tourmente la famille des Wingrave,
celle d'un enfant accusé de lâcheté pour avoir refusé de répondre au défi lancé
par un camarade d'école, et frappé à mort par son père dans l'une des chambres
de la demeure familiale, depuis lors considérée comme hantée. C'est dans cette
même chambre qu'Owen sera convoqué pour se voir déshériter, et là encore qu'il
mourra. La mise en scène crée un sentiment claustrophobe mêlant peur enfantine
irrépressible et formidable pression sur le héros, celle d'une guerre familiale
ouverte jusqu'à l'affrontement. Mais l'entêtement de son entourage, à deux exceptions
près, l'instructeur Coyle et sa femme, renforce la
détermination de l'exclu : l'intolérance appelle le sacrifice. Marie-Eve Signeyrole signe là indéniablement une lecture forte et
inspirée.
Le jeune chef américain Ryan McAdams se meut avec aisance dans cette partition complexe
à la rythmique étrange, à la thématique très étudiée, introduisant des associations sonores inouïes (trombone et
piccolo pour signer les caractères du vieux général et de l'enfant meurtri),
aux sonorités chambristes envoûtantes, parfois à la limite de l'elliptique
(partie de harpe, cuivres) ; ce que l'Orchestre symphonique de Nancy assimile
avec un bel aplomb. Une musique qui aux pire moments tragiques, de la Ballade ouvrant
l'acte II, et de la dernière intervention du chœur d'enfants, « Sonnez,
trompettes, Paramore va accueillir le malheur
! », sonne étonnamment presque joyeuse. L'engagement de la distribution
parachève la réussite. Ashley Riches offre de Owen une figure jeune et
sympathique dans sa douce mais inébranlable résolution à combattre des idéaux
qu'il ne partage pas, pathétique à l'heure du dernier dialogue avec la bien
aimée. Du camarade de promotion Lechmere, tout
l'opposé d'Owen, Stuart Shelton trace un portrait peu flatteur dans son
inconséquence et le refus de se remettre en question. Tout le contraire de
l'instructeur Coyles, personnage un peu artiste et
surtout lucide, fasciné, sous une apparence de froideur, par la résolution de
son protégé à braver l'interdit, et gagné par la compassion. Dans le double
rôle du Général Sir Philip Wingrave et du Narrateur,
tout comme il en est dans The Turn of the Screw, de Peter Quint et du Narrateur, tous conçus pour le ténor Peter Pears, Mark Le Brocq, au
look curieusement lisse, paraît un peu placide, du moins pour incarner la
vindicte butée du vieux général, Pater familias omnipotent. Les rôles féminins
sont admirablement chantés et habilement différenciés : Miss Wingrave, Orla Boylan, aussi excentrique qu'intransigeante, Mrs Julian,
superbe Judith Howarth, l'amie gagnée par l'hystérie
ambiante, et Mrs Coyle, Katherine Broderick,
la première à s'interroger sur la motivation d'Owen et à se sentir mal à l'aise
dans cet enfer. Kitty Whately
confère au personnage de Kate, aussi obstinée à servir la cause que réellement
aimante, toute son ambiguïté.
Jean-Pierre Robert. Le vaisseau Fantôme vu par La Fura dels Baus Richard WAGNER : Der Fliegende Holländer.
Opéra
romantique en trois actes. Livret du compositeur. Simon Neal, Falk Struckmann, Magdelena Anna
Hofmann, Tomislav Muzek,
Luc Robert, Ève-Maud Hubeaux. Orchestre et Chœurs de
l'Opéra de Lyon, dir. Kazushi
Ono. Mise en scène : Alex Ollé / La Fura dels Baus.
On attendait avec impatience la vision
portée par l'équipe de La Fura dels
Baus sur Le Vaisseau Fantôme. Force est de
dire qu'à l'aune des précédentes productions de ces imaginatifs fous de
théâtre, elle est somme toute assez sage. Elle se veut partagée « entre
légende et réalisme » affirme Alex Ollé. Et de se demander si au-delà de
l'absolu d'une passion, de l'amour impossible si ce n'est dans la mort, il n'y
a pas là une histoire très humaine de marchandage de sa propre fille par un
homme avide. Deux idées force la sous tendent : l'omniprésence de l'univers
marin qui fait fantasmer les esprits et engloutit les destins, et le
misérabilisme de ces endroits reculés de l'Orient où sont envoyées les épaves
rouillées de navires promises à la démolition. Comme toujours, l'imagerie est
forte, hautement évocatrice de la tempête qui sévit dès l'Ouverture, où l'on
voit la gigantesque proue d'un navire combattre une violente houle. Celui-ci
s'échouera sur un banc de sable. D'abord inspecté par les hommes de Daland, au début du Ier acte, le vaisseau sera
méthodiquement découpé dans sa super structure durant le II ème,
pour offrir sa carcasse béante au III ème tandis que
les ouvriers rejoints par leurs femmes fêtent une pause dans leur labeur
harassant. La coque désossée s'évanouira au finale pour laisser l'océan
reprendre ses droits et envahir l'entier plateau, engloutissant le Hollandais.
Senta surnagera aux flots s'apaisant peu à peu. Alex Ollé s'offre quelques
entorses avec les didascalies. Ainsi renonce-t-il à faire apparaître les marins
à la fin du premier acte, tout comme dans les dernières pages, il se refuse à
visualiser les autres personnages et la foule. L'unité décorative devient vite
un carcan et la régie prisonnière d'une idée. Le surgissement du navire maudit
est symbolisé par son ancre lâchée des cintres, mais le Hollandais apparait
dans la même structure que celle du navire de Daland,
ce qui crée la confusion. Surtout, l'animation occasionnée par le démantèlement
de l'épave, qui sévit en contrepoint de l'action, en particulier pendant les
divers duos au II acte, n'est pas suffisamment vécue pour être crédible. N'est
pas Chéreau qui veut pour donner l'impression de mouvement là où l'action se
réduit au dialogue entre deux personnages. La direction d'acteurs d'Ollé reste
d'une grande discrétion quant au positionnement des quatre personnages
principaux. Le réalisme s'impose en fin de compte, l'anecdote n'en étant pas
exclue, tel le parasol planté sur la plage où les dames viennent laver les objet familiers.
L'interprétation de Kazushi
Ono flatte le romantisme de l'œuvre plus qu'elle n'évoque la musique de
l'avenir. Jouant l'œuvre sans coupure, il choisit de donner l'Ouverture de la
version originale de 1841, qui se conclut par trois accords, et de finir
l'opéra sur le thème de la Rédemption, emprunté à la version remaniée en 1860.
Des tempos plutôt lents ne permettent pas toujours de faire émerger la
dynamique qui doit entraîner ces pages hautes en couleurs et fortes de signification.
Dès l'ouverture on le sent sur la retenue, et l'urgence manque. L'impact
dramatique semble s'affaisser à maint endroit, duo entre le Hollandais et Daland, au I, entre Erik et Senta au II, voire même, plus
loin, entre celle-ci et le Hollandais, ce qui est plus problématique. N'étaient
quelques petites imprécisions dans les attaques, l'Orchestre de l'Opéra de Lyon
répond bien, mais le feu s'empare rarement de la fosse d'orchestre. Les Chœurs,
eux, s'en tirent avec brio, que ce soit celui des femmes, affairées à leur
opération de nettoyage domestique sur la plage, et non à filer quoi que ce
soit, ou ceux du dernier, curieusement transformés en joyeux festival de rites
du sous continent indien avec jeux de mains chorégraphiés. Falk Struckmann domine la distribution. Voix de bronze, rompue
aux grands rôles wagnériens jusqu'à Wotan, la plupart chantés sous la direction
de Daniel Barenboim, il offre du capitaine Daland un portrait puissant et s'impose au risque de faire
de l'ombre à ceux qui l'entourent. Le personnage est-il conscient de la chance
que lui propose le Hollandais ou ne fait-il que saisir une opportunité ?
L'étonnement et l'apparente discrétion de son attitude vis à vis du marin
étranger autorise à se poser la question, un des points intéressants de la
régie. L'image que Simon Neal donne du Hollandais est contrastée, plus sur la
réserve que véhiculant l'angoisse. On le sent à la limite de ses moyens dans le
monologue d'entrée et lors du duo central du II ème
acte, et peu de charisme émane du personnage. Magdalena Anna Hofmann, Senta,
est taxée par un rôle finalement assez délicat eu égard à sa tessiture
terriblement tendue dans l'aigu. Le portrait est cependant saisissant : jeune
et néanmoins déterminée. Si le Pilote de Luc Robert frôle l'inexistant, à sa
décharge peu mis en valeur par la régie, le Erik de Tomislav
Muzek, mitraillette à l'épaule, nul doute gardien
chargé de faire régner l'ordre dans l'entreprise de démolition, est dans la
norme bel cantiste du rôle. Jean-Pierre Robert. Rencontre inspirée
Réunir deux solistes stars de leur
instrument n'est pas toujours gage de réussite ! Rien de tel avec Renaud Capuçon et Khatia Buniatishvili. Le violoniste, désormais au zénith de son
art, semble communiquer à sa partenaire ce sens de l'équilibre et ce geste
d'autorité naturelle qui domptent la volcanique pianiste. Leur duo, qui n'en
est plus à sa première apparition, depuis leur rencontre au festival de Lugano
en 2008, sous la houlette de Martha Argerich, est
déjà une affaire de superlatifs. Le programme conçu autour de la Sonate de
Franck, réunissait encore Dvořák et Grieg. Les
Quatre Pièces romantiques pour violon et piano, qui doivent leur origine à
des miniatures pour trio, deux violons et alto, sont écrites par Dvořák en 1887. Ce sont des pièces lyriques
contrastées. Notre duo les aborde avec tendresse et un brin de passion, à
l'aune des séquences mesurées, « Cavatine », « Romance » et
« Elégie », qu'entrecoupe en seconde position, un « Capriccio »
en forme de scherzo emporté. La Troisième Sonate pour violon et piano op. 45
d'Edvard Grieg est sa dernière pièce de musique de chambre (1886). Peu jouée,
elle découvre pourtant un univers sonore étonnant, empruntant notamment au
folklore norvégien. Le fourmillement motivique n'a
d'égal que la densité de l'écriture pour les deux instruments. Ce qui avec Capuçon et Buniatishvili prend un
relief particulier, formidablement passionné dans ses mouvements extrêmes,
presque sauvages dans leur accumulation de tension. L'« allegretto espressivo
alla Romanza » médian s'épanche comme un Lied et
se conclut sur un note filée du violon. Joyaux de la musique de chambre
française, la Sonate en la majeur de Franck allie sens
de la mélodie d'une sensibilité toute gallique et ce schéma cyclique qui flatte
tant l'intellect. L'interprétation de Renaud Capuçon
et de Khatia Buniatishvili
est un modèle d'élégance et de musicalité. On ne sait qu'admirer le plus de ces
phrases sinueuses du violon que la sonorité solaire de Renaud Capuçon nimbe d'une aura de raffinement, ou de la partie
veloutée de piano, à laquelle le pianisme limpide de Khatia Buniatishvili, vraie main
de velours, apporte un supplément d'âme. Le sentiment du juste équilibre, qui
appert dès les premières notes, est renforcé par l'entente évidente qui règne
dans ce partenariat. Chacun des quatre mouvements de cette géniale pièce
découvrira des trésors : fraîcheur de l'opposition des deux thèmes de l'allegro
initial, le premier pris ici justement « ben moderato », rythmique
passionnée mais aussi lyrisme diaphane de l'allegro suivant, intimité de la
séquence lente, émouvante à force d'introspection, enfin élan véhément du
finale aux rebondissements attendus. Une vraie complicité autorise ici l'audace
d'une prise de risques assumée, comme dans les turbulences de la Sonate de
Grieg. Une interprétation vraiment inspirée. Trois généreux bis poursuivront
cette rencontre au sommet, dont le Clair de lune de Debussy, miracle de
poésie. Jean-Pierre Robert. La grande tradition de l'école russe
Le grand chef russe Guennadi Rozhdestvensky qui
commença sa carrière dans les années 1950, est l'un des derniers représentants
de la grande tradition russe. Il connut Chostakovitch auprès duquel il
recueillera de précieuses indications d'interprétation. Ce qui fait tout le
prix de l'exécution qu'il vient de donner de la Quinzième symphonie, à la tête
de l'Orchestre de Paris, salle Pleyel. Cet ultime opus symphonique, créé à
Moscou en 1972 par Maxime Chostakovitch, est énigmatique à plus d'un titre :
procédé du collage de citations, empruntées qui à Rossini (Ouverture de Guillaume
Tell), qui à Wagner (Leitmotive du Götterdämmerung
et de Tristan und Isolde), diversité du
matériau sonore, la tonalité jouxtant le dodécaphonsisme,
et surtout économie de moyens à laquelle l'auteur n'avait jusqu'alors pas
toujours habitué ses auditeurs. Rozhdestvensky en
donne une exécution d'une envoûtante beauté. Gestuelle minimale, sans podium,
le chef sculpte cet univers sonore de l'intérieur. Sa vision peut paraître
austère, comparée à celle de son collègue Gergiev,
car elle refuse tout effet théâtral et asservit l'insolite de tel ou tel trait
à une vision plus globale, chargée qu'elle est d'une tension qui ne se relâche
pas. Le pessimisme qui habite plus d'une page est comme objectivé, le chef ne
cherchant pas à solliciter un texte qui parle de lui-même. Dans l'allegretto,
l'humour ne le sera qu'au second degré, la fameuse fanfare rossinienne presque
apprivoisée. La dynamique reste contenue, dans des limites strictes, tout
débordement paraissant superflu. Le long adagio est comme étranglé de douleur
et lorsqu'elle apparait, la déflagration sonore n'en est que plus forte. Le
solo de violoncelle n'est qu'un épisode de ce qui participe d'une vaste
méditation. Passé un scherzo allant, si original dans sa brièveté, Rozhdestvensky semble entrer dans le finale avec sérénité.
Les rebondissements de ce mouvement, lui-même partagé entre séquences lentes et
vives, sont volontairement non accentués, seul un grand climax marquant le
signal de la désintégration du matériau des dernières pages, où la matière perd
peu à peu de sa consistance pour conclure sur les seules percussions.
L'orchestre répond avec ferveur, comme enivré par cette leçon d'orchestre, les
solistes, violoncelle, violon flûte, trombone donnant le meilleur. Le concert
avait débuté par deux œuvres méconnues du répertoire russe. Le Fragment de
l'Apocalypse, op. 66, d'Anatoly Liadov
(1855-1914) est un exemple de la manière symboliste russe, par ailleurs si bien
illustrée par Scriabine. Un orchestre pléthorique y distille une narration
serrée aux combinaisons sonores étranges. Alexandre Glazounov (1865-1936) a
laissé un corpus abondant, comptant quelques huit symphonies, des ballets,
plusieurs concertos, outre des pièces de chambre. Son Premier concerto pour
piano, op. 92, offre bien des curiosités : deux mouvements seulement pour une
durée confortable d'une demi heure, une partie soliste éprouvante par sa
complexité, même si moins brillante qu'elle ne l'est dans les concertos de
Rachmaninov. Viktoria Postnikova, la complice de
toujours (et épouse) de Rozhdestvensky, le joue avec
cette évidente maîtrise qui procure le sentiment de facilité. L'allegro
moderato mêle deux modes, l'un pathétique, à la manière de Tchaïkovski, l'autre
plus rythmé, presque primesautier par instant. Le second mouvement est une
suite de variations sur un thème qui sera métamorphosé en des traits
extrêmement différents, aux indications évocatrices, telles que
« Chromatique », « Héroïque », « Intermezzo »,
« Mazurka »... On admire l'inventivité de l'écriture et de nouveau ce
mélange de lyrisme et de rythmique vive dont Viktoria Postnikova
se joue allégrement. L'orchestre fait plus que bonne figure grâce à la sûreté
de la conduite du chef. En bis, Postnikova donnera
une pièce de Liadov, dite la Tabatière à musique,
miniature écrite sur le seul registre aigu du clavier, empreinte de cette
pointe d'humour et d'une préciosité surannée typiquement russes. Jean-Pierre Robert. Castor et Pollux : entre tradition et modernité. Jean-Philippe
RAMEAU : Castor et Pollux.
Tragédie lyrique en cinq actes. Livret de Pierre-Joseph Bernard, dit
Gentil-Bernard. John Tessier, Edwin Crossley-Mercer, Omo Bello, Michèle Losier,
Jean Teitgen, Reinoud van Mechelem,
Hasnaa Bennani, Marc Labonnette.
Chorégraphie : Andonis Foniadakis.
Le Concert Spirituel & Chœur du Concert Spirituel, dir.
Hervé Niquet. Mise en scène : Christian Schiaretti.
Objet de toutes les querelles entre
« Lullystes » et « Rameauneurs »
en 1737, puis participant à la « Querelle de Bouffons » en 1754,
opposant les tenants de l'opéra moulé à
la française aux partisans de l'opéra tissé à l'italienne, Castor et Pollux voit aujourd'hui toute
querelle apaisée, puisqu'universellement reconnu comme une œuvre phare du
compositeur français. Pièce maîtresse de la tragédie lyrique, genre musical
spécifiquement français assurant la fusion entre ballet de cour et tragédie
ballet, elle est l'équivalent de la grande tragédie classique dans le domaine
musical. S'opposant point par point à l'opéra italien, la tragédie lyrique
laisse une large place à la mélodie, à la prosodie, au récitatif chantant,
préfigurant la mélodie continue de l'opéra wagnérien. Il existe deux versions
de Castor & Pollux,
la version initiale de 1737 et celle de 1754, plus concise, choisie pour cette
première au Théâtre des Champs-Elysées. Hasard du calendrier, cette production
est, en effet, la première exécution en version scénique de cet opéra depuis
l'inauguration de la salle de l'avenue Montaigne, en 1913, et c'est heureux que
cet évènement survienne justement en cette année Rameau où l'on célèbre le 250 ème anniversaire de la mort du compositeur. « Qu'on le
veuille ou non, Rameau est une des bases les plus certaines de la musique et
l'on peut sans crainte marcher dans le beau chemin qu'il traça » nous dit
Debussy alias « Monsieur Croche ». Une qualité musicale jamais
démentie caractérisée par un sens aigu de l'Harmonie où orchestre et chœur
prennent une importance et une virtuosité jusque là inégalées. Génie de
l'abstraction, Rameau manie avec dextérité, dans cette histoire mythologique de
frères jumeaux, tout le langage des symboles rappelant ainsi son appartenance à
la franc-maçonnerie. Il suffit d'en juger par la gravité de la quête des dieux
dans leur souhait d'échapper à l'immortalité pour ressembler aux humains,
solennelle quête célébrant le devoir, la fidélité, l'amour et le don de soi. On
notera également les symboles attachés
aux personnages, Télaïre-Soleil, Phoebé-Lune,
dualité féminine et masculine, couples en miroir, l'agissement se situant dans
le couple Pollux-Phoebé, la
passivité dans celui de Castor-Télaïre. Une quête
doublée d'une intrigue amoureuse dessinant un véritable parcours initiatique
avec mort symbolique du héros, descente aux enfers, séjour parmi les morts,
renaissance et élévation à l'immortalité, terme du voyage astral. Le livret de Castor et Pollux
nous raconte donc l'élévation cosmique des jumeaux, c'est-à-dire leur parcours
exemplaire vers la place de gardiens de
la lumière la plus pure, position stellaire escortant le soleil à son zénith.
Les deux jumeaux et Télaïre forment la triade
Sagesse, Force et Beauté constituant les trois colonnes fondatrices de
l'édifice maçonnique. Comme on le voit Castor
et Pollux est une œuvre complexe susceptible
d'initier différentes explications éso ou exotériques…
Christian Schiaretti
semble pour l'occasion s'être départi de toute composante politique,
privilégiant une position plus intemporelle, à la fois formelle et élégante. Le
choix de situer l'action dans un atrium dépouillé évoquant, en miroir, la salle
du théâtre des Champs-Elysées est une excellente idée car établissant un
contrat implicite entre cérémonie scénique et spectateur, majorant
l'implication, abolissant le quatrième mur, éloignant tout vraisemblable,
favorisant la mise en abime du spectateur. Une prise de conscience, une
implication constamment soutenue par la musique et le verbe. La musique
parfaitement servie par Le Concert Spirituel dirigé par la battue énergique et
enthousiaste d'Hervé Niquet qui parvient à masquer par son engagement quelques
défauts de justesse de son orchestre baroque ! Le verbe soutenu par la
belle prosodie ramiste et la bonne diction de la
majorité des chanteurs. Quant à la danse, élément indispensable de la tragédie
lyrique, confiée au chorégraphe grec Andonis Foniadakis, elle est résolument moderne, au grand dam de
certains. Parfois lassante car assez monomorphe, elle illustre le plus souvent
de façon assez claire le propos et la marche de l'action. Son effet est
globalement assez réussi, aidé en cela par une scénographie et des éclairages
superbes. Enfin il convient de signaler l'excellence du Chœur dont chaque
intervention est un modèle du genre en matière d'équilibre, de diction, de précision
et d'émotion.
En revanche, c'est peut-être par les
chanteurs et leurs performances vocales que le spectacle présente quelques
faiblesses. Non pas tant par Télaïre que la chanteuse
franco nigérienne Omo Bello interprète d'une belle façon, facile dans
l'émission, timbre lumineux, solaire, nous gratifiant d'un magnifique « Tristes apprêts, pâles tombeaux »
plein de dignité et d'élégance, que par les jumeaux Castor (John Tessier) et Pollux (Edwin Crossley-Mercer) dont la ligne de chant manque de tenue et dont les
vocalises sont souvent approximatives. Jean Tessier manque d'assurance et de
projection. Edwin Crossley-Mercer,
à l'inverse, force sa voix. Quant à Michèle Losier,
si son engagement scénique parvient à donner à Phoebé
toute la fureur nécessaire, sa diction reste le plus souvent absconse et son
chant puissant entaché d'un gênant vibrato. Parmi les seconds rôles signalons
les excellentes prestations de Jean Teitgen
(Jupiter), Reinoud van Mechelem (Spartiate), Hasnaa Bennani (Cléone) et Marc Labonnette (Grand Prêtre). En bref, une production, qui
sans être mémorable, affiche une belle tenue et tient correctement sa place
parmi les nombreuses compositions de Rameau proposées cette année. Patrice Imbaud. Lio Kuokman remporte le Concours
International de chefs d'orchestre Evgeny Svetlanov. Retour sur la naissance d'un grand chef…
Encore une magnifique soirée de concert
boudée par le public parisien ! C'est à désespérer de tout : Deux
créations françaises, un jeune chef, encore inconnu en France, lauréat d'un
grand concours international, un violoniste parmi les plus talentueux du moment
comme soliste, et une œuvre symphonique majeure pour conclure… Et pourtant,
malgré un tel programme, une salle Pleyel désespérément vide. Qu'importe, les
absents ont eu assurément tort !! A la baguette, Lio Kuokman,
33 ans, originaire de Macao, formé à Hong Kong, diplômé de la Julliard School, du Curtis Institute de Philadelphie et du New England Conservatory of Music.
Actuellement chef assistant du Philadelphia Orchestra et dernier vainqueur du
concours Svetlanov. Une étoile montante de la
direction qui nous a séduit ce soir et que ne
renierait pas le grand chef russe. Lui qui souhaitait, dans ses mémoires, que
d'autres reprennent le flambeau, voilà chose faite, et de belle manière !
Une battue d'une rare élégance, un engagement de tous les instants, une
intelligence de direction rendant la narration
claire et passionnante, une précision qui ne fut jamais prise en défaut
et une complicité avec les musiciens qui lui vaudra les applaudissements de
l'orchestre ! Deux créations françaises, la Rhapsodie n° 2 « juive » d'Evgeny
Svetlanov (1928-2002) écrite en 1978, à la mémoire de
Pantcho Vladigerov, compositeur
bulgare d'origine juive. Une œuvre de belle facture mélodique reprenant des
thèmes orientalisants, des éléments de musique traditionnelle juive, des
accents klezmer, exprimant toute cette âme yiddish,
mêlant complainte et danse. Une pièce dont on regrettera toutefois une certaine
pauvreté dans l'orchestration, construite essentiellement sur une succession de
longs solos faisant intervenir, tour à tour, tous les instruments de la petite
harmonie. Quand on connaît le talent des instrumentistes comme Nicolas Baldeyrou à la clarinette, Olivier Doise
au hautbois (et tous les autres) c'est peu dire que ce fut une véritable fête
orchestrale, menée tambour battant, avec une précision métronomique par le chef
chinois. Deuxième création de cette mémorable
soirée, le Concerto pour violon
« les voix du violon » de Benjamin Youssoupov
(*1962). Force est de reconnaitre qu'on est contraint d'émettre quelques
réserves vis-à-vis de cette œuvre, certes originale, mais de peu d'intérêt.
Décousue, rassemblant six parties virtuoses de violon, chacune dans un style
différent, à la façon ancienne, irlandaise, indienne, tzigane, jazz ou encore
romantique, reliées entre elles par des vagues de dissonances. Une véritable
« salade composée » bien indigeste dont le pauvre Vadim Repin, dédicataire de l'œuvre, fut la première victime.
Prenons donc cette composition pour ce qu'elle est, une succession d'exercices
violonistiques, particulièrement virtuoses et exigeants dont Repin, assez éprouvé, par la durée et les difficultés techniques,
se tira avec mérite et application. En deuxième partie, la Symphonie n° 5 de Dimitri Chostakovitch. Une œuvre majeure du
répertoire symphonique composée en 1937, lors des grandes purges staliniennes.
Chostakovitch avait composé, à cette époque, sa Quatrième symphonie. Toutefois
après le scandale de Lady Macbeth de Mzensk et l'avertissement de la Pravda, il choisit de ne pas exécuter sa dernière composition qui
pouvait encore choquer les dirigeants du parti. Il décida donc de faire amende
honorable en composant la Symphonie n° 5,
« réponse concrète et créative d'un
artiste soviétique à de justes critiques ». Point n'est besoin d'être
grand clerc pour comprendre l'ironie, le faux semblant et la fausse allégeance
que représente cette œuvre. Véritable « Janus » musical, elle est en
permanence sous-tendue par une ambigüité alliant repentance, fausse joie
et terreur. Ce qui fera dire au
compositeur quelques années plus tard : « la Cinquième, c'est comme si l'on vous frappait avec un bâton et que
votre rôle soit de vous réjouir… » Une dualité que le jeune chef
chinois, dirigeant sans partition, sut rendre parfaitement, dans une lecture
assez lente, tendue et contrastée, digne de ses plus grands aînés, comme Haitink ou Jansons. Une
souveraine et majestueuse lenteur ouvrit le premier mouvement avant que la
noirceur n'apparaisse sur un rythme inéluctable. Le deuxième mouvement
grinçant, burlesque et ironique fut un modèle du genre. Hautbois, clarinette et
flûte donnèrent un peu d'air au troisième, avant que ne s'installe une ambiance
de désolation, de requiem, tendue à l'extrême, s'égrenant sur quelques notes de
harpe. Enfin le finale fut mené comme une formidable chevauchée avant de
conclure, une fois encore, sur le drame et le recueillement. En bref, une formidable
interprétation d'une intelligence rare qui sut conduire le « Philar » sur des sommets. Une très belle soirée pour
« happy few ». Dommage ! Bravo messieurs ! Patrice Imbaud. Soirée russe au Théâtre des Champs-Elysées
Une soirée russe au Théâtre des
Champs-Elysées qui malgré l'intérêt du programme n'a pas réussi à attirer les
foules avenue Montaigne. Et pourtant ce n'est pas tous les jours que l'on
donne, sur une scène parisienne, le Concerto pour violon de Glazounov et la Symphonie n° 2 de Rachmaninov, conduits
par le chef russe, Vassily Zinaisky,
directeur musical du Bolchoï de Moscou, avec Vadim Gluzman
en soliste. Des œuvres magnifiques capables de consoler le
« National » du départ prochain de son directeur musical, Daniele Gatti, nommé tout récemment à la tête du Concertgebouw d'Amsterdam. En première partie, après La Vie
parisienne d'Offenbach, en ouverture, le Concerto pour violon et orchestre de Glazounov (1865-1936) composé
en 1905 et crée la même année par Leopold Auer, à
Saint Pétersbourg sur le violon joué ce soir par
Vadim Gluzman ! (Stradivarius 1690). Le
violoniste russe en donna une lecture lumineuse, lyrique et virtuose, avec une
facilité déconcertante, presque détaché, souriant et jetant régulièrement à Vassily Zinaisky des regards à la
fois ironiques et complices qui n'éviteront pas quelques décalages de
l'orchestre. En seconde partie, la sublime Symphonie
n° 2 de Rachmaninov. Une composition d'une extrême richesse thématique, à
elle seule capable de faire mentir tous ceux qui ne voient en Rachmaninov qu'un
pianiste…Une œuvre composée à Dresde en 1907, créée à Saint Pétersbourg
en 1908, dense, riche en thèmes et en couleurs. Bâtie sur un principe cyclique,
elle correspond à une période d'épanouissement créateur du compositeur,
contemporaine de l'Ile des Morts et
du Troisième concerto pour piano. Vassily Zinaisky, une fois
encore, en proposa une interprétation limpide, parfaitement cadrée où l'on
regrettera parfois un manque d'équilibre dû à l'importance exagérée donnée aux
cuivres, parfois un peu flottants…au détriment d'une petite harmonie qui fut,
comme à son habitude, irréprochable! Belle soirée ! Patrice Imbaud. Sage nuit américaine à Aix-les-bains
Certes, Gershwin n'a eu de cesse, sa vie
durant, de faire en sorte d'être considéré comme un grand compositeur
classique… On se souvient de l'épisode lors duquel il demanda à Ravel des
conseils, que celui-ci refusa de lui donner, sous le prétexte que George
gagnait mieux sa vie que lui-même ! Cependant son originalité ne
tient-elle pas précisément à ce mélange bien dosé de jazz et d'écriture
« académique » ? Les œuvres du grand compositeur américain
données le 4 octobre à la Salle des Congrès d'Aix-les-bains par l'orchestre Jan Talich
de Prague, dans le cadre du festival des Nuits romantiques, avaient ce
« léché », cette propreté qui aseptise légèrement, au détriment de la
fantaisie. Bravo à Johan Farjot pour cette direction,
pour la fluidité de ses gestes. L'orchestration extraordinaire de Gershwin pour
Un américain à Paris ne pouvait
qu'être mise en valeur grâce à ce travail de précision et de justesse de
l'orchestre. Mais pardon, je préfèrerais un peu de gouaille, d'humour pour ces
œuvres merveilleuses, plutôt qu'une réalisation « Karajanesque ».. Vous n'en manquez sûrement pas, comme vous l'avez prouvé
par instants lorsque vous étiez au piano. Piano dont on a d'ailleurs profité
surtout à ce moment-là, alors que les arrangements des deux standards (dont I got rythm) lui laissaient la part belle, sans le couvrir
totalement. Par contre dans la Rhapsody in blue, le son du piano de David Bismuth ne faisait pas
le poids… Acoustique de la salle ? Son trop important des cuivres, il m'a
manqué très franchement le brillant du soliste, comme si, dans un
enregistrement de CD, on avait raté la balance ! Je suis d'autant plus
déçu que l'interprétation de David Bismuth paraissait sans faille. Un peu trop
aussi sans doute ! Qu'on se souvienne des circonstances de la création de
l'œuvre, le 12 février 1924, alors que la partition n'était pas écrite, et que
Gershwin improvisait tous les soli. Comment, à l'heure de youtube,
peut-on encore interpréter la gamme initiale ascendante et surtout descendante
de la rhapsodie de cette manière ? Qu'on aille entendre le clarinettiste Ross
Gorman dans le premier enregistrement original (du 10
juin 1924) http://www.youtube.com/watch?v=hAotqPCBRFs
et l'on se rendra compte de la véritable verve de cette introduction, (un éclat
de rire, pas un trait d'orchestre !), et de l'humour de toute la
pièce ! En un mot, que ce soit dans ces pièces, comme dans la suite de Porgy and Bess,
nous avons eu une belle interprétation, bien méritante. Mais, comment
dire ? Pas assez américaine ! Oh Léonard, comme tu nous
manques ! Philippe Morant. Sébastien Llinares, ou le renouveau de la
guitare classique
A l'occasion de la sortie de son dernier
album «Soliloque », le
guitariste Sébastien Llinares a offert un superbe
concert dans la mythique salle Cortot à l'École Normale Supérieure de Musique
de Paris. En compagnie du guitariste Nicolas Lestoquoy, de la violoncelliste Maitane Sébastian, de la soprano Elise Chauvin, il a
interprété des œuvres d'Henri Sauguet, Pierre Wissmer,
Francis Poulenc, Éric Pénicaud, Dominique Preschez et
une transcription subtile qu'il a écrite des trois fameuses « Gnossiennes » d'Éric Satie. Sébastien Llinares, d'origine espagnole, est né en 1978 à Toulouse.
Après une formation classique, des études de musicologie et de jazz, il est
remarqué à l'Académie Internationale de Musique de Cagliari (Sardaigne) où il
obtient une bourse d'étude lui permettant d'intégrer la classe de Rafael Andia à l'École Normale Supérieure de Musique de Paris. En
soliste, il se produit régulièrement en récital en France et à l'étranger. En
compagnie du guitariste Nicolas Lestoquoy, il crée le Duo Mélisande avec
lequel il joue notamment une adaptation pour deux guitares des célèbres Variations
Goldberg de Bach. Passionné par l'écriture, il compose ou transcrit des
pièces inédites pour son instrument, qu'il crée en France et en Europe à
l'occasion de concerts, de performances ou d'installations sonores. Il
intervient pour la Fondation Cartier pour l'art contemporain, La Cité de la
Musique à Paris, le Théâtre Garonne, les festivals Printemps de septembre et
Siestes électroniques à Toulouse, le Lieu Unique à Nantes et les festivals
belges City Sonics et Empreintes Numériques. Outre
ses concerts, il enseigne au Conservatoire Éric Satie du 7e
arrondissement de Paris et tient également une classe au Conservatoire
International de Musique de Paris. Avec une technique à toute épreuve et un son
assez impressionnant, il se joua des difficultés des compositions interprétées.
Tout paraissait facile à le regarder jouer. Le duo qu'il forme avec Nicolas
Lestoquoy, pour interpréter « Rittrato del Poeta »
ou « Prestilagoyana » de Pierre Wissmer, compositeur contemporain, était un bel exemple de
cette fluidité dans son jeu. Sébastien Llinares est à
placer parmi les grands interprètes de cet instrument si difficile à maîtriser.
Le renouveau de la guitare classique est en marche. On peut trouver trois disques qu'il a
enregistrés : « Soliloque »
- consacré à la musique française du 20e siècle – « Variations
Goldberg » de Jean Sébastien
Bach - transcription pour deux guitares avec Nicolas Lestoquoy – « Œuvres
pour Guitare Solo » de Joaquin
Turina (disques Paraty distribué par Harmonia Mundi). Stéphane
Loison. Muza Rubackyte, « Joie et lumière »
La pianiste franco-lituanienne Muza Rubackyte a donné un concert
sous forme d'un poème lyrique, dit le programme, une « ode à la
joie » guidée par Bach, Beethoven et Liszt. Le public était conquis
d'avance. Dans une salle Gaveau comble,
la plupart des personnes présentes parlaient une langue incompréhensible à nos
oreilles. Il y aurait donc une belle colonie lituanienne à Paris ! L'État Lituanien a reconnu à plusieurs
reprises le rôle important de cette pianiste dans la promotion de la culture
lituanienne. Après avoir terminé ses études au Conservatoire Tchaïkovski de
Moscou, Muza Rubackyte est
lauréate du fameux concours All Union
à Saint-Pétersbourg, qui élit les meilleurs musiciens d'Union Soviétique. Elle
remporte en 1981 le Grand Prix du Concours
international de piano de Budapest Liszt-Bartók. Elle entre alors
dans la résistance lituanienne, ce qui lui vaut d'être privée de passeport jusqu'en
1989, date à laquelle elle peut quitter I'URSS. En 1989, elle remporte à Paris
le Premier Prix de Piano au Concours
international Les Grands Maîtres Français de l'association Triptyque, créée par Ravel, Dukas et Roussel.
Depuis, elle connaît une très belle carrière internationale. En 2004 elle
enregistre une superbe intégrale des « Années de Pèlerinage » de Franz
Liszt. Ce compositeur l'inspire et son interprétation, en première partie du
concert, d'un extrait des « Années de Pèlerinage - Italie », « Venetia e Napoli » : Gondoliera, Canzona, Tarantella, était époustouflant de maîtrise. Les deux
sonates de Beethoven, n°18 et n° 31, par contre, posaient un petit problème.
Tout semblait parfait en termes d'exécution pianistique mais dans la première,
la main droite manquait d'énergie, surtout dans le presto et fuoco. La sonate s'appelle « La chasse » et
demande une force et une bravoure peu communes. On ne peut lui en tenir
rigueur, c'était le début du concert et il lui fallait se chauffer avant
d'attaquer le Liszt. La technique solide ne suffit pas. Son interprétation des
deux sonates était assez erratique. C'est avec les sonates de Beethoven qu'on
reconnaît les très grands pianistes et les bons. Avec la chaconne de Bach /
Busoni et les deux bis, Muza Rubackyte
se sentait plus à l'aise : la transcription de la « Mort d'Isolde »
par Liszt avait toute la poésie nécessaire. Qu'importe, le public lui fit une
ovation. Que demander de plus. Stéphane Loison. ***
L'EDITION MUSICALE
FORMATION
MUSICALE Marie-Alice
CHARRITAT : La Théorie de la
musique. Lemoine : 29142HL. Récompensée par le prix
SACEM de la partition pédagogique en 2013, M.-A. Charritat
se livre à un exercice plutôt difficile : intéresser petits et grands avec
ce qui est le plus souvent considéré comme l'épouvantail de la Formation
Musicale. Cette « théorie » possède le grand mérite d'être claire,
divisée en quatre parties : écriture, rythmes et mesures, mélodie –
harmonie, genres et formes de la musique. Il faudra bien sûr faire découvrir
ces quatre parties concurremment et non successivement ! Nous sommes à
l'opposé du « catéchisme » par questions et réponses qu'ont été
certaines Théories. On pourra toujours critiquer certaines simplifications,
mais il était bien difficile de dire autant de choses en si peu de pages… Bref,
l'ensemble est réussi et pourra constituer la base d'un enseignement vivant et
nourri de musique de cette « théorie » si redoutée des élèves.
CHANT
CHORAL Gérard
HILPIPRE : Magnificat pour
soprano solo et chœur mixte (SSATB) a cappella. Delatour :
DLT2365. Cette œuvre demande qu'on
respecte fidèlement la nomenclature. Les trois voix de femmes peuvent être
chantées par des voix d'enfant. Classique dans sa structure, ce Magnificat est pleinement contemporain,
au meilleur sens du terme, par son écriture qui mêle avec bonheur « nova
et vetera ». Assez difficile, il est caractérisé
par la rigueur du style en même temps que par une liberté harmonique au service
de l'expression.
Dominique
RITTER : Ubi Caritas pour chœur mixte SATB, flûte et
orgue. Compositeurs Alsaciens Volume 34. Delatour :
DLT2403. De moyenne difficulté et
ne demandant pas un orgue trop conséquent, cette œuvre est une sorte de
paraphrase de la mélodie grégorienne entrecoupée de passages instrumentaux où
la flûte joue quasiment le rôle d'un ange exaltant le message d'amour qui se
dégage de toute l'œuvre : « Là où sont charité et amour, Dieu est
là »…
Yves
CASTAGNET : O salutaris
pour chœur mixte (SATB) a cappella. Symetrie :
ISMN 979-0-2318-0764-6. On connait les talents
d'organiste concertiste et accompagnateur d'Yves Castagnet.
Le compositeur mérite, lui aussi, d'être connu. Se déroulant comme un choral
dans des harmonies délicates, cette pièce peut être chantée à la messe pendant
la communion mais trouvera plus légitimement encore sa place au Salut du Saint
Sacrement. Et bien sûr, elle peut aussi être chantée en concert ! Elle
demande plutôt un ensemble vocal qu'un grand chœur. Simple et belle, souhaitons-lui
beaucoup de succès.
CHANT Gérard
HILPIPRE : Rilke-Lieder pour
soprano et orchestre à cordes. Delatour :
DLT2223. Ce cycle de quatre lieder
écrit en 1997 est composé à partir, dans les deux premiers lieder, de longs
extraits de la première des Elégies de Duino (1922) et de deux Sonnets à Orphée, également de 1922, de Rainer-Maria Rilke. Toute
la musicalité de la poésie de Rilke se trouve en parfaite harmonie avec le
discours orchestral. L'ensemble est d'une grande beauté. On pourra facilement
en juger par l'enregistrement disponible sur le site de l'éditeur.
ORGUE Johannes
BRAHMS – Paul STERNE : Symphony N° 4 in E minor pour orgue. Delatour :
DLT2393. Plus que d'une
transcription, il s'agit d'une réinterprétation de cette œuvre dans le langage
et avec les moyens propres de l'orgue. Le transcripteur précise bien qu'il ne
faudra en aucun cas imiter l'orchestre « que ce soit par les phrasés, les
tempi, ou par la registration. ». Quoi qu'il en soit, cette
réinterprétation est vraiment passionnante.
Gérard
HILPIPRE : Deuxième symphonie pour
orgue. Delatour : DLT2412. Ecrite en hommage à Albert
Schweitzer, dont le nom apparaît à maints endroits selon le système de notation
habituel, cette œuvre monumentale demande un instrument qui puisse soutenir
cette écriture foisonnante et haute en couleurs. Fort sagement, l'auteur s'en
remet à la sagacité de l'organiste pour adapter sa registration au matériel
sonore dont il dispose. Les organistes apprécieront cette confiance qui vaut
mieux qu'une registration ultra-précise, mais valable seulement pour
l'instrument de l'auteur. Un auteur, d'ailleurs, n'est pas toujours fidèle à
ses propres indications : il n'est que d'écouter Messiaen interpréter ses
propres œuvres sur l'instrument pour lequel elles ont été écrites pour s'en
rendre compte… Deux grandes parties se
succèdent, comportant chacune des facettes fort
variées. C'est donc un monument à visiter de toute urgence ! Daniel ROTH :
UT,RE, MI… Fantaisie
sur l'hymne à Saint Jean le Baptiste pour
Grand Orgue. Organistes Alsaciens Volume 30. Delatour :
DLT2425. Il s'agit certes d'une
fantaisie, mais au sens où Bach pouvait en écrire. La théologie est présente à
chaque note de cette œuvre et ce n'est pas un hasard si deux citations
textuelles se trouvent dans le corps de l'œuvre, celle de la deuxième strophe
de l'hymne, et celle de l'incipit du Cantique de Zacharie. Mais le propos est
explicité par l'auteur lui-même sur une quatrième de couverture qu'il faudra
bien se garder de négliger. Si la théologie est présente, la musique ne l'est
pas moins et c'est une bien belle œuvre que nous offre Daniel Roth. Jean-Jacques
WERNER : Sur une rive du fleuve
Ogooué pour flûte piccolo et orgue
ou piano. Compositeurs Alsaciens Volume 33. Delatour :
DLT2402. Ecrite en hommage à Albert
Schweitzer pour le centenaire de son arrivée à Lambaréné en 1913, cette pièce
marie les envolées lyriques de la flûte piccolo, allant parfois jusqu'à la
stridence avec les sonorités profondes de l'orgue (ou du piano). « Ombre
et lumière se disputent leur place au soleil tel que Schweitzer l'évoque dans
la nombreuse correspondance relatant sa vie en terre africaine. »
PIANO Antoine
REICHA : Grande sonate en ut. Edition
Michaël Bulley. Symétrie : ISMN
979-0-2318-0760-8 Après la Grande sonate en mib,
voici cette Grande sonate en ut établie
également à partir de la seule source existante, le manuscrit Ms 2498 de la
Bibliothèque Nationale de France. Il est heureux qu'on redécouvre à travers ces
parutions ce compositeur trop longtemps méconnu. L'édition proposée ici est
claire et agréable à lire et par conséquent à travailler.
Christine
MARTY-LEJON : 4 cartes postales. Volume
2 pour piano. 1er cycle-2ème année, 1er cycle-3ème année. Soldano :
ES 1051. http://www.partition-soldano.fr/
L'Inde, la Dalmatie, la
Californie, Prague, autant de courtes images aussi variées qu'intéressantes qui
peuvent, en plus de leur charme intrinsèque, donner lieu à des « écoutes
complémentaires » bien enrichissantes. On admirera l'habileté avec
laquelle l'auteur a su saisir le style, l'ambiance de ces différents pays. On
peut écouter l'intégrale sur le site de l'éditeur.
Alireza MASHAYEKHI : Avec Chopin
pour piano. Op. 130. Delatour :
DLT2315. Cette œuvre techniquement
difficile est issue de la vision multiculturelle de ce compositeur iranien.
Composée à partir de citations de Chopin souvent revisitées et de citations de
sa propre musique, elle illustre ce métissage si prôné en notre temps. On
pourra l'écouter intégralement sur le site de l'éditeur. Alireza MASHAYEKHI : Moments
pour piano. Op. 119. Delatour :
DLT2317. Ces quinze courtes pièces
peuvent aussi bien ponctuer le parcours d'un élève de premier cycle qu'être
données en récital. C'est très volontairement que le compositeur a pris cette
forme courte afin d'inciter les jeunes compositeurs à les pratiquer. Très
variées, elles peuvent être interprétées soit séparément soit comme un tout.
GUITARE Hervé
BOULET : Romance pour une Orchidée, pièce
pour guitare. Elémentaire. Lafitan : P.L.2725. Cette charmante romance ne
manque pas de caractère. Une première partie en mi mineur nous expose un thème
dans un 2/4 caractérisé tandis qu'une seconde partie en sol mineur offre une
grande souplesse rythmique, arpégeant des accords un peu nostalgiques. Jean-Max
FRÉZIGNAC : La danse de Séléné, pièce
pour guitare. Fin du 1er cycle. Lafitan :
P.L.2724. Le mouvement est
« Andante amoroso » : c'est tout un programme ! Il
n'empêche que cette danse ne manque cependant ni de rythme ni de piquant. La
partie médiane déroule sur un rythme obstiné une mélodie joliment décalée qui
risque de donner un peu de mal à l'interprète… Mais cela fait partie du charme
de cette pièce !
ACCORDEON Fabrice
TOUCHARD : Le sourire de Marine, pièce
pour accordéon. Débutant. Lafitan : P.L.2711. Une jolie mélodie et une
basse chromatique forment un ensemble tout à fait séduisant. Le la mineur rend
le tout un peu nostalgique. C'est un sourire, certes, quoiqu'un peu
mélancolique mais si joli !
Jean-Michel
TROTOUX : Comme une Java, pièce
pour accordéon. Elémentaire. Lafitan : P.L.2780. Mais c'est une java !
Et bien dans l'esprit et l'atmosphère… Nul doute que le jeune interprète ne
prenne beaucoup de plaisir à interpréter cette jolie pièce. Mais on peut
craindre que lors d'une audition, l'assistance ne se lève pour danser… la
java !
Jean-Michel
TROTOUX : Manouche I Vago. Pièce pour accordéon. Elémentaire. Lafitan : P.L.2781. Si le jazz manouche est à
l'honneur à la guitare, pourquoi le style manouche ne s'épanouirait-il pas
aussi à l'accordéon ? On trouve dans cette pièce variée et fort agréable
toute les caractéristiques de cette musique si attachante. Il faudra bien faire
ressortir les différents plans sonores. A l'interprète de prouver qu'il sent
cette musique à l'ambiance si particulière.
VIOLON Alain
QUERLEUX : Souvenirs d'Hendaye. Air
varié pour violon solo (ou flûte ou hautbois solo). Sempre
più : SP0119. Varié, cet air l'est
vraiment, et de bien agréable manière. Ternaire et binaire s'enchainent avec
bonheur sur des airs plaisants et bien typés. Mais il faudra quand même le
réserver au second cycle.
Marco PÜTZ :
Lover's grief & happy end pour violon et
piano. Deuxième
cycle. Sempre più : SP0142. Chagrin d'amour… ne dure
que le temps d'une pièce, puisque la deuxième nous propose un heureux
dénouement. Ces deux jolies pièces sont évidemment contrastées : si la
première est mélancolique à souhait, l'autre se déploie dans un tempo endiablé
même si la partie médiane, beaucoup plus calme, exprime dans un rythme de
sicilienne beaucoup de tendresse. Bref, on ne s'ennuie pas avec ces charmantes
œuvrettes. Christine
MARTY-LEJON : Les lumières
d'Acapulco pour violon et piano. 1er
cycle-4ème année, 2ème cycle-1ère année. Soldano :
ES 624. http://www.partition-soldano.fr/index.php
On ne s'ennuie pas non
plus à écouter cette pièce « caractéristique » : le site de
l'éditeur nous en propose une vidéo tout à fait convaincante par une artiste en
herbe pleine de promesses. C'est de l'excellente musique remplie de charme et
d'intérêt.
Bruno
ROSSIGNOL : La meunière a neuf
écus pour violon et piano. Assez
facile. Delatour : DLT2386. Inspirée d'une chanson
catalane La molièra
qu'a nau escuts, cette
pièce très entrainante en développe fort agréablement le thème qui passe du
violon au piano, faisant de celui-ci un acteur à part entière. Les deux
interprètes devraient y trouver beaucoup de plaisir.
VIOLONCELLE Jean
CRAS : Largo en fa # mineur pour
violoncelle et piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0389-1 D'abord, remercions les
éditions Symétrie pour tout le travail de publication des œuvres de Jean Cras, tant pour les textes que pour les partitions. Ce
Largo existe également en versions alto et piano et violon et piano, toutes
certainement réalisées ou approuvées par l'auteur. Il s'agit d'un inédit, créé
en 1934 et recréé lors de la Folle Journée de Nantes en 2013 par Raphaël Pidoux et Vincent Coq. Souhaitons qu'il fasse maintenant
partie du répertoire de beaucoup. On peut en écouter un extrait sur le site de
l'éditeur.
Frédéric
BORSARELLO : Les cahiers du
violoncelle Volume 1.1 vol. 1 DVD. Sempre più : SP0069. Voici une méthode de
violoncelle bien sympathique ne serait-ce qu'à cause du DVD qui l'accompagne et
qui constitue une véritable initiation à l'instrument. Après une présentation
du violoncelle suivent les présentations des exercices et les secondes voix des
petits duos proposés, le tout par un pédagogue passionné de musique et de son
instrument. Il s'agit d'une très intéressante réalisation.
Frédéric
BORSARELLO : De l'océan à la mare. Deux
pièces pour violoncelle et piano. Harmonisation : Alain Bernaud. Sempre più :
SP0083. Alain le pingouin et
Lucien le batracien feront certainement la joie des jeunes violoncellistes.
L'accompagnement, plein d'humour et de délicatesse, contribue au charme de ces
deux pièces destinées au premier cycle. On peut en écouter un extrait sur le
site de l'éditeur.
FLÛTE Gérard
HILPIPRE : Trois incantations pour
flûte seule. Delatour : DLT2222. Précisons tout de suite
que la première de ces incantations est écrite pour flûte alto en sol. Ces
trois pièces, même si elles peuvent être données séparément forment un tout.
Elles explorent avec bonheur le caractère poétique et quasi magique que peut
revêtir l'instrument. Si le langage est contemporain, la poésie qui s'en dégage
n'a pas d'âge. Ce côté « exploration » fait que ces pièces, même si
ce n'est pas leur destination première, peuvent constituer de remarquables
morceaux d'étude car, bien qu'assez difficiles, ce ne sont pas des pièces de
virtuosité mais de recherche de son, de souffle, d'articulation et de phrasé.
Sophie
Lacaze : L'espace
et la flûte. Variations sur des textes de Jean Tardieu pour récitant et
ensemble de flûtes. Delatour : DLT2440. Composée à l'intention de
Pierre-Yves Artaud, de l'Orchestre de Flûtes Français, et d'Alain Carré, cette
œuvre a été créée en 2010 par les dédicataires sons la direction de Paul Méfano. Il s'agit d'une sorte de méditation sur les très
beaux textes de Jean Tardieu. On pourra juger du résultat en écoutant l'œuvre
dans son intégralité sur le site de l'éditeur (ou directement sur YouTube).
CLARINETTE JANÁČEK :
Sonate pour clarinette et piano
d'après la sonate pour violon et piano. Arrangement de Shirley Brill. Bärenreiter : BA
9581. Après avoir été longtemps
considérés comme un péché capital, les transcriptions et arrangements ont
retrouvé la faveur des instrumentistes et des mélomanes. Ne nous en plaignons
pas. Cette œuvre profondément lyrique et belle est admirablement servie par
cette adaptation réalisée par la clarinettiste israélienne Shirley Brill. S'il faut parler d'arrangement et non de transcription, c'est qu'il a fallu
parfois modifier la partie de piano. Mais il est des cas où la fidélité à
l'esprit consiste à modifier la lettre…
TROMPETTE André
TELMAN : Au centre du cataclysme pour
trompette ou trompette basse en mi bémol et piano. Lafitan :
P.L.2786. Attention, la partition
est bien écrite pour trompette en mi bémol. De niveau supérieur, cette pièce
est autant une pièce de concert qu'une pièce pédagogique. Elle fait appel à
toutes les possibilités rythmiques et expressives de l'instrument. A un début
assez calme mais tragique succède ce qu'on pourrait appeler un « presto
furioso ». Un certain retour au calme s'opère dans les dernières mesures.
L'ensemble est plein d'une passion qu'on peut dire, à juste titre,
cataclysmique.
TROMBONE Max
MÉREAUX : Feuille d'automne pour
trombone et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2735. Le rythme berceur à 12/8
évoque bien une atmosphère d'automne. Promenade en forêt où en longeant un
canal ? Qu'importe : les images jailliront facilement dans la tête
des interprètes de cette très jolie pièce habilement construite. Il y a
beaucoup de charme dans cette musique simple mais pas du tout simplette !
COR Pascal
SAINT-LEGER : Nostalgia pour cor en fa ou mib et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2761. Voici une bien jolie
nostalgie : les ambiances se succèdent : valse, swing… La nostalgie
n'engendre pas la mélancolie et les deux partenaires, piano et cor, prendront
certainement beaucoup de plaisir à ce dialogue plein de charme et d'humour.
SAXHORN/EUPHONIUM/TUBA Rémi
MAUPETIT : L'horloge magique pour
saxhorn basse/euphonium/tuba et piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2768. Pendant la plus grande
partie de la pièce, sous le chant délicat du saxhorn, le piano égrène un tictac
qui fait plus penser à une montre qu'à une horloge, mais qu'importe :
l'ensemble est plein de charme, la mélodie fort agréable. Les deux partenaires
devraient trouver beaucoup de charme à cette manière de passer le temps…
PERCUSSION Max
MÉREAUX : Chant d'ailleurs pour
caisse claire et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2721. Ce n'est pas vraiment la
partie de caisse claire qui est « d'ailleurs » mais bien plutôt la
partie de piano, construite sur des quartes et des gammes modales, le tout avec
des rythmes syncopés un peu dépaysants. L'ensemble
est intéressant mais donnera certainement du fil à retordre aux
interprètes !
Sylvie
REYNAERT : Marimbalès. 7 duos pour timbales et marimba. Dhalmann : FD0436. Ces sept petits duos,
dotés chacun d'un titre humoristique. La musique en est très agréable, très
« carrée » et elle plaira beaucoup aux cycles 1 et début de cycle 2 à
qui elle est destinée.
QUATUOR
BEAT (Gabriel Benlolo, Aurélien Carsalade,
Laurent Fraiche, Jérome Guicherd) :
Kromo-Jungle. Quatuor de percussion. Dhalmann : FD0420. Cette pièce assez difficile sort en quelque sorte du silence où chaque instrumentiste intervient séparément, puis elle s'épanouit peu à peu dans un rythme obstiné pour se terminer par un ffff paroxystique. Il y a dans cette œuvre jubilatoire un dynamisme fou.
ORATORIO George Friedrich HÄNDEL : Solomon.
Voix et piano. Urtext. Bärenreiter : BA
10 709-90. Précisons immédiatement
que le conducteur et le matériel d'orchestre sont publiés parallèlement. Comme
toujours dans ces publications, la préface est particulièrement soignée et
intéressante. Celle de Hans Dieter Clausen ne faillit
pas à cette tradition. On appréciera également la pertinence et la clarté de la
réduction au piano d'Andreas Köhs.
Daniel
Blackstone. BASSON ET PIANO Ivan JEVTIC : Sonate pour basson et piano, LE
CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com ),
BP4706, Piano : 27 p. (non paginées
à partir de la p. 3) (+ partie basson, 7 p.). Ivan
Jevtic, élève d'O. Messiaen à Paris et d'Alfred Uhl à Vienne, privilégie beaucoup la musique de chambre. Sa Sonate pour basson et piano (Paris,
Belgrade, 2005) est, au début, de caractère enjoué. Structurée en 3
mouvements contrastants : Allegro con spirito-Maestoso-Allegro
strepitoso, elle exige du basson une bonne
maîtrise du staccato, mais aussi du
jeu lié (traits de triolets de croches et quintolets très chromatiques) mettant
la mélodie en valeur, et, du piano, une indépendance des deux mains, la
précision dans l'alternance et une grande virtuosité (batteries de
triples-croches, notamment). Quant aux deux interprètes, ils doivent respecter
impérativement les phrasés et faire preuve d'une belle connivence. FLÜTES A BEC Guy MIAILLE : Premières musiques
d'ensemble. « Entrons dans la danse ». 19 canons pour flûtes à bec
(autres instruments mélodiques). Flûtes seules. Livre d'accompagnement.
Santilly, Éditions Les Escholiers
(17 rue du Bois, 28310 SANTILLY) gmiv.esg@wanadoo.fr ,
2014 (+ CD encarté). ESG EDLD. GM. Vol. 1 (24 p.) : 5 €, Vol. 2 (41
p.) : 18 €. Grâce à son écriture en canon (même thème, entrées successives),
ce recueil permettra aux débutants d'interpréter rapidement des morceaux
polyphoniques, de caractères variés, avec titres de danses (Musette, Habanera, Farandole…) et
accrocheurs : Pas chinois…, Sérénade mexicaine…, Menuet rustique…. L'accompagnement est
assuré au clavecin ou au piano. Dans la première série, sont mises en jeu cinq
notes : Sol La Si Do Ré.
La seconde prévoit un ajout de notes graves Do
Ré Mi Fa#. Chaque pièce tient sur une page. Les mélodies chatoyantes sont
agréables à entendre. La partie supérieure est interprétée par la flûte à bec
soprano (pour les pièces suivantes : flûte à bec alto, puis ténor). Guy Miaille — avec un indéniable sens pédagogique et pratique —
permet ainsi aux enfants, même très jeunes, de réaliser un programme de petits
concerts pour la plus grande joie des flûtistes et de l'assistance. PIANO Arnaud PETIT : Douze Pièces faciles pour pianiste fatigué,
LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com ),
Paris, PN4898, 15 p. Les
titres de ces Douze Pièces faciles d'Arnaud
Petit (né à Metz en 1959), en fait de difficulté technique progressive, tendent
à évoquer la fatigue et ses manifestations. Ce recueil propose une
familiarisation avec les changements de mesures (7/8 - 5/4), le rythme syncopé,
le jeu lié, le chromatisme et les tierces parallèles, sauts d'octaves, traits
de doubles-croches (n°10 : Queue de
chien), le mouvement contraire (L'ombre
du chat) ainsi que les accords plaqués. PIANO A QUATRE MAINS Ivan JEVTIC : Radouïsya pour piano
à quatre mains, Paris, LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com ), 2013, PN4891, 28 p. Composée
par Ivan Jevtic (1947-) à Paris, en avril 2004,
publiée en 2013 et dédiée « à son ami Dusan Jankov
et à sa famille », l'interprétation de la pièce : Radouïsya exige des deux pianistes une
grande rigueur, un bon esprit d'équipe et le sens de l'écoute réciproque.
L'œuvre est structurée en 4 mouvements : Andante
particulièrement expressif, évoluant dans la douceur et nécessitant la
maîtrise de la pédale et le respect des nuances (de p dolce à ff) ; Allegro avec rythme précis 3 contre 2
(c'est-à-dire croches par 3 liées contre croches par 2 staccato) ; Andante
espressivo e sostenuto imprégné de douceur, comportant des accords arpégés
et des changements de mesures (4/4, 5/4, 9/8) ; enfin : Molto rustico, très énergique, page de virtuosité
réservée aux bons solfègistes et pianistes
chevronnés. QUATUOR A CORDES Ivan JEVTIC : Quatuor à cordes n°4, LE CHANT DU
MONDE (www.chantdumonde.com ),
MC4836, 35 p. Ce
Quatuor composé à Paris en 2011 ne
peut être interprété que par des violoncelliste, altiste et deux violonistes
chevronnés, en raison des nombreuses difficultés techniques apparentes et
cachées (sul pont., pizzicati, arco…)
dans le premier mouvement Grave,
contrastant avec l'Allegro molto
assez dynamique, comportant de très fortes oppositions de nuances (ff au grave, ppp partie supérieure). Le troisième mouvement : Tranquillo fait
appel aux harmoniques, mais aussi à des accords percutants. Le dernier : Quasi presto nécessite, selon le
compositeur, une attaque feroce
et se termine progressivement sur des accords parallèles avec des indications
dynamiques très précises et contrastées. VIOLON OU HAUTBOIS OU FLÛTE ET
PIANO Carlos
D'ALESSIO : India Song. Version pour violon ou flûte ou hautbois et
piano de Julien BRET, Paris, LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com ), VP4900, 2014, 6 p. Carlos
d'Alessio est né en 1935 à Buenos Aires et mort à
Paris en 1992. L'arrangement de Julien Bret (né en 1974) est réalisé pour un
instrument mélodique accompagné au piano. D'entrée de jeu, la partie de
clavier, pleine d'élan rythmique, introduit le thème de l'India Song, exposé en valeurs longues et entrecoupé par la même formule
rythmique pointée. Ce « chant » évolue dans un tempo modéré. Son
interprétation requiert une parfaite maîtrise du jeu marcato
et de la dynamique avec des nuances très subtiles (mp, pp, ppp). VIOLON, VIOLONCELLE ET PIANO Aram KHATCHATOURIAN: Berceuse pour
violon, violoncelle et piano, Paris, LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com), MC4903, 1993. (Piano : 6 p. – parties violon,
violoncelle séparées : 2 p. chacune).
Aram
Khatchatourian (né en Géorgie en 1903, mort à Moscou en 1978) a composé cette Berceuse pour violon, violoncelle et piano en
1926. Une introduction au piano comportant des accords arpégés prépare l'entrée
du thème d'abord au violoncelle (pp),
il sera ensuite repris comme en écho par le violon. Cette page avec des
oppositions de nuances, baigne dans la douceur et le calme inhérents au genre,
ainsi que dans la simplicité avec une pointe de caprice. Édith Weber.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Stéphane GENDRON : Enseigner le piano aujourd'hui. Sampzon, Éditions DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2014, 95 p. –19 €. Dans le cadre de sa
Collection « Musique/Pédagogie », Jean-Michel Bardez a fait appel à
Stéphane Gendron, musicologue et littéraire de formation, pour — à la lumière
de son expérience — évoquer les tendances de l'enseignement du piano depuis
plus de trois décennies. Ce livre, qui n'est pas une « méthode »
comme, entre autres, les écrits de Marie Jaël ou
encore Les principes rationnels de
la technique pianistique d'Alfred Cortot (Salabert,
1928)…, représente une vaste ouverture de l'approche de la musique en fonction
des nouvelles technologies et en tenant compte des publications récentes.
L'auteur propose d'abord une rétrospective organologique, allant du clavicorde
(XIVe siècle, vraisemblablement en Angleterre) jusqu'aux claviers numériques,
en passant par le gravicembalo col piano à pianoforte exigeant une technique différente, puis les instruments
des Manufactures Érard et Pleyel (XIXe siècle…). Le piano — d'abord lié à
l'appartenance sociologique, comme signe extérieur dans les salons — deviendra
un instrument populaire jusqu'à gagner les salles de cinéma muet, les cabarets
et les émissions de variétés. Ensuite, Stéphane Gendron passe en revue diverses
motivations (découverte, contexte familial, dépassement de soi), puis il aborde
le répertoire si vaste au XIXe siècle, ainsi que les possibilités d'écoute sur
Internet et d'apprécier notamment les interprétations de célèbres
pianistes du passé : Edwin Fischer, Arthur Rubinstein… Il évoque succinctement
les diverses méthodes actives (J. Dalcroze, Z.
Kodaly, E. Willems…), l'évolution du langage, l'aspect pédagogique (leçons
particulières à domicile ou pratique collective). En fait, l'enseignement
artistique doit déboucher sur des auditions et concerts, mais aussi sur une
évaluation de l'instrumentiste. Le cours de « solfège » d'antan est
devenu cours de « formation musicale ». Tout en sélectionnant des
morceaux, le professeur doit être attentif aux choix de ses élèves, rester à
leur écoute, prendre leur âge et leur maturité en considération et, surtout,
leur transmettre le désir de jouer. En guise de conclusion, Stéphane Gendron
préconise des passerelles indispensables et « une formation très
ouverte » en rapport avec d'autres arts. Cette démarche globale n'a pu
être élaborée qu'à partir de sa grande expérience « pour enseigner le
piano aujourd'hui », c'est-à-dire au début du XXIe siècle où la musique
peut être pratiquée à tout âge. La musique n'est-elle pas un « plus »
dans la vie ? Édith Weber. Antonia SOULEZ : Qualia. Sampzon,
Éditions DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2014, 1 vol 65 p. –12 €. Une explication
s'impose comme préalable : « Qualia désigne ici la qualité faite matière en l'absence de
substrat ». Dans le Petit manifeste
initial, Yves Bonnefoy s'interroge : « Écrit parlé, le poème est-t-il
vocalité d'une trace ? ». Certains sont associés à six petits
tableaux non figuratifs de Jackie Kiang. Ce petit
volume pourrait intéresser les philologues et les lexicologues à la recherche
de l'originalité. Dans ses textes en prose, de structure libre, non rimés,
parfois strophiques, Antonia Soulez expose des idées et concepts philosophiques
hors des sentiers battus. Selon la dernière page de couverture : « La
poésie signe ici l'autonomie de la qualité quand elle devient le son marqué par
ce que fait l'événement au mot ». Le texte Sous le ciel de la musique souligne les intentions de l'auteur :
« Je cherche ce cœur, non l'œil pinéal, mais le pouls de mon ouïe,
sensible au moindre froissement d'onde, à la fois précis et séismique, le
microgramme de l'être en mouvement sous le ciel de la musique ».
Questions : y a-t-il une « correspondance négative entre philosophie
et poésie » ? Que pourrait y ajouter la musique à part, dans le cas
présent, le vocabulaire qui lui est emprunté ? Édith Weber. Pascal TERRIEN (dir.) : Une histoire du
saxophone par les méthodes parues en France : 1846-1942. Sampzon, Éditions DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2014, DLT2428, 273 p. –25 €. Le saxophone — au
départ instrument privilégié par les musiques militaires, populaires, les
harmonies municipales, les fanfares dans les villages et par l'Orchestre de la
Garde Républicaine — s'est ensuite imposé grâce à l'évolution de sa facture
entraînant des progrès dans la technique et l'élargissement du répertoire
(d'abord lié à l'exotisme). Il est associé à l'orchestre classique vers le
milieu du XIXe siècle. La venue du jazz en France vers 1920 fait aussi appel à
la famille des saxophones lancée par le facteur Adolf Sax (1814-1894).
Progressivement, les saxophonistes s'adapteront à tous les genres musicaux.
Depuis 1942, à l'initiative de son directeur Claude Delvincourt, le saxophone
est enseigné officiellement à Paris au Conservatoire National, et l'école
française, très appréciée, jouit d'un grand prestige. En fait, son enseignement
aux « élèves militaires », existait déjà au « Gymnase
militaire » — considéré à l'époque comme une annexe du Conservatoire de
Paris —, mais il avait été supprimé en 1856. Pascal Terrien,
universitaire, interprète et enseignant, a dirigé cette publication comprenant
un Avant-Propos
de Bruno Mantovani, directeur du CNSMDP et une Préface de Serge Cyferstein,
responsable du Département de Pédagogie dans cette institution, qui affirme
que : « La capacité des enseignants musiciens à interroger leur
pratique dans son contexte historique, social, culturel et bien sûr éducatif et
pédagogique sera une nécessité absolue pour leur permettre de peser sur cette
nouvelle inflexion » (p. 8). Ce livre se situant dans ces perspectives
relève d'une méthodologie originale. Il a pour point de départ l'examen et la
comparaison des méthodes publiées en
France pendant près d'un siècle. Dans le cadre des « Cours de science de
l'éducation », six auteurs saxophonistes expérimentés et, pour conclure,
Pascal Terrien livrent le résultat de leurs recherches pédagogiques et
didactiques, après avoir constitué et examiné un imposant catalogue de méthodes. Ce livre se
démarque ainsi de celui de Jean-Marie Londeix : 125 ans de musique pour saxophone
(Paris, A. Leduc, 1/1971) mettant davantage l'accent sur le répertoire. Il est complété par un
classement typologique des Méthodes et
une très imposante Bibliographie. Il
souligne les partis-pris des auteurs de méthodes,
la proximité de l'instrument avec la clarinette ainsi que la voix chantée, la
carrière et le devenir officiel de l'instrument. À juste titre, Pascal Terrien
affirme que « Les méthodes de saxophone entre 1846 et 1942 sont les
témoins des conduites sociales des musiciens, des '' rendez-vous
manqués '' avec l'instrument et l'histoire de la musique, des paradoxes
qui déchirent l'enseignement musical. Ce travail ne vaut que pour ce qu'il
révèle méthodologiquement et la réflexion qu'il peut susciter parmi les musiciens-enseignants
de chaque discipline. » (p. 252). Édith Weber. Michèle LHOPITEAU-DORFEUILLE : Jean-Sébastien BACH : un sacré
tempérament. Lormont, Éditions Le Bord de L'eau (www.editionsbdl.com ), 2014, 246 p. –32 €. (avec 2 CDs encartés : 2 h 40). La « dynastie
Bach » et Jean Sébastien en particulier ont suscité une multitude de
publications en tous genres, depuis la Bachbiographie de Johann Nikolaus Forkel (1749-1818), celle (1873) de Ph. Spitta ou encore L'esthétique de Jean-Sébastien Bach
(1907) d'André Pirro,
sans oublier l'intérêt que lui a témoigné L. Chr. Mizler
(1711-1778)… jusqu'aux bandes dessinées ou même la « jazzification »
de sa musique, en passant par tant de monographies, analyses, études,
enregistrements… D'abord tombée dans l'oubli, puis « ressuscitée »
par Felix Mendelssohn (Passion selon Saint Matthieu), son œuvre fait le tour du monde. Michèle Lhopiteau-Dorfeuille propose une
« autre » image. Elle a le chic pour extraire de sa vie des faits
marquants et significatifs qu'elle traite en quelque sorte en contrepoint. Afin
de justifier son titre, sa démarche originale consiste — en suivant la
chronologie — à relever des constats : orphelin très jeune, recueilli par son
frère, puis « pensionnaire très loin de sa Thuringe natale » ;
veuf à 35 ans… Elle précise que, dans l'exercice de sa profession, il a subi «
les humeurs de ses maîtres », les contingences familiales — 20 enfants, dont les plus célèbres sont
Carl Philipp Emanuel (1714-1788) et Johann Christian
(1735-1782) — et a dû faire face aux obligations d'organiste, de cantor et de
compositeur luthérien : une Cantate
par dimanche et pour les fêtes, œuvres de circonstance… S'appuyant sur des
sources : manuscrits, écrits, documents autographes (sans toutefois citer
leur traduction française, Paris, Éditions Entente, 1976), l'auteur, à la
recherche de « contradictions », a le mérite de situer le musicien au
quotidien, en tenant compte des contextes historiques. Grâce à sa plume alerte
et non exempte d'humour (« Bach dans sa perruque »), elle présente un
« Bach dans tous ses états » : au clavier, à la baguette, au
poste de Cantor, en « voyage immobile », et également un « Bach
sonore » grâce aux deux CDs (2h 40' de musique) comportant un choix
judicieux de 47 extraits (œuvres instrumentales, chorals, pages d'orgue, y
compris le célèbre Caprice sur le départ
de son frère bien-aimé, la Cantate
des Paysans et des fragments de Cantates,
Motets, Passions…) : un « sacré » digest. Le chapitre
3 : « Jean-Sébastien Bach entre Luther, Calvin, les Piétistes et
l'Église catholique » se présente comme une introduction théologique
sommaire. En fait, la Cour de Coethen était bien calviniste ; la musique y étant
très limitée aux cultes, Bach a eu tout le loisir de composer ses Concertos Brandebourgeois et d'autres
œuvres instrumentales destinées aux concerts. En revanche, pour les services à
Leipzig en l'Église Saint-Thomas, il a très largement contribué à la musique luthérienne. À propos des
« 36 » Chorals de M. Luther (p. 40), rappelons l'ouvrage d'Yves Kéler : Les 43 chants
de Martin Luther. Textes originaux et Paraphrases françaises strophiques rimées
et chantables… (Beauchesne, 2013). Ce livre se
termine sur un « rapide état des lieux de la musique baroque en
général et de Jean-Sébastien Bach en particulier dans la France du XXIe siècle
». En fait, à propos de l'engouement de Bach, il eût été indispensable de
mentionner la longue tradition strasbourgeoise lancée à la fin du XIXe siècle
par Ernest Munch, reprise en 1928 par son fils Fritz Munch (1890-1970) avec
l'exécution en alternance des Passions
selon Saint Matthieu ou Saint Jean,
chaque Vendredi Saint : véritable institution locale, en l'Église
Saint-Guillaume, encore en usage au XXIe siècle (avec une seule interruption à
la fin de la Seconde Guerre mondiale, suite à un bombardement : la Passion a été remplacée par le Requiem allemand de J. Brahms, au Palais
des Fêtes). Pour le 28 juillet — date de la mort de J. S. Bach —, Albert
Schweitzer a lancé un concert commémoratif à l'Église Saint-Thomas. À l'Église
réformée, rue du Bouclier, pendant de longues années, en principe, une Cantate
mensuelle est interprétée (dirigée par Charles Müller, Francis Muller et Daniel
Schertzer…). À Paris, sa musique chorale a été
cultivée par la Société Bach fondée en 1904 par Gustave Bret et qu'il a dirigée
jusqu'à sa mort en 1940. Enfin, Freddy Eichelberger
a lancé, au Foyer de l'Âme, chaque premier dimanche du mois, un concert de
cantates, et l'Église des Billettes a repris la tradition du Concert
commémoratif du 28 juillet existant à Strasbourg depuis plus d'un siècle. L'Index (p. 233-240) soulignerait déjà, à
lui seul, l'ampleur de la démarche encore associée à un remarquable contexte
sonore. Ce livre « pas comme les autres » suggère donc une
« autre » vision de ce Cantor « pas comme les autres »,
« sacré musicien », « musicien sacré » ou
encore « Bach autrement »… Par son livre et ses deux CDs
encartés, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille
a incontestablement le mérite de renouveler le regard porté sur cet homme
« au sacré tempérament ». Édith Weber. Nikolaus HARNONCOURT :
« La parole musicale. Propos sur la musique
romantique ».Traduction de l'allemand et préface de Sylvain Fort
(« Mozart Dialoge & ' Töne
sind höhere Worte' », Residenz Verlag, 2005/2007). 1 vol. Actes Sud, 2014, 234 p., 22 €. Troisième volume d'une trilogie qui
comprend déjà « Le Discours musical », 1984, et « Le Dialogue
musical », 1985, parus en français chez Gallimard, ce nouvel ouvrage est
un florilège d'entretiens accordés par le grand chef d'orchestre autrichien
dans les années 2004/2005. Avec Harnoncourt la parole est franche et le
discours sans ambages. Il y a chez lui quelque chose de professoral, que l'on
perçoit d'ailleurs lorsqu'il prend la parole en début de concert, devant un
public germanique, pour résumer en quelques phrases bien senties les grandes
lignes de l'œuvre jouée. Il est homme de
décision, car comme le fait remarquer Sylvain Fort dans sa préface, « une
partition … est une suite presque illimitée de décisions ». Il ne se sent
pas un homme de pouvoir, qui baserait son travail sur la peur, mais quelqu'un
qui doit susciter chez ses musiciens le bonheur de jouer. Et prône que « la
musique n'est pas là pour détendre ou divertir les gens, mais plutôt pour leur
ouvrir les yeux, les secouer, les effrayer ». Dire qu'il fuit les
phénomènes de mode est un euphémisme. L'a-t-on étiqueté garant de la tradition
? Elle est pour lui autre chose que celle issue d'une « sédimentation
d'une pratique qui a échoué à transmettre l'Urtext...
pour fonder sur des bases chancelantes une posture (le chef démiurge) et une
manière (le concert comme grand-messe) » (préface, ibid.). Pour
Harnoncourt, la tradition est plutôt affaire de racines, en l'occurrence celles
de la culture autrichienne. Avec ce que cela comporte de référence à la musique
populaire et à la pratique religieuse catholique. Mais ce pragmatique sait
s'adapter à l'évolution des idées, car on joue pour le public d'aujourd'hui, et
aux contingences de l'exécution instrumentale ou vocale. Le sens de la formule
est chez lui comme une seconde nature (« La fidélité à l'œuvre est une
notion catastrophique et destructrice » car « C'est ce qui reste
derrière les notes, le sens, qui est l'œuvre »). S'il y a quelque
intransigeance, par exemple en matière de respect de la dynamique, elle cache
une absolue probité, une recherche de l'inatteignable vérité. Il n'est que
d'assister à une de ses répétitions pour s'en convaincre. Harnoncourt concède
des changements d'attitudes au fil des ans à l'endroit de tel ou tel
compositeur. Sa vision de Bruckner, par exemple, a évolué, lequel est plus
moderne qu'on croit et ne saurait être compris sans le repère qu'est la terre
autrichienne et son folklore rural. Son enthousiasme pour Offenbach ou l'Aïda
de Verdi (« de la grande musique de chambre »), et pour Carmen,
peut surprendre. Le résultat en a pourtant détrompé plus d'un. L'ouvrage livre
des pages pénétrantes dévouées à Mozart (dont le discours prononcé à Salzbourg,
le 27 janvier 2006, pour le 250 ème anniversaire de
la naissance), à Schubert aussi, à l'égard duquel sont véhiculées tant
d'inexactitudes, en particulier la vision biaisée qu'on en a longtemps eue par
l'approche du romantisme tardif et les « corrections » apportées par
Brahms. Chez Beethoven, la rhétorique du discours sonore emprunte de nouvelles
voies du langage et il y a quelque chose d'« agitatoire »
dans sa musique. Les romantiques, il les aime tout autant, dont la Genoveva de Schumann, l'unique opéra, « un
regard sur l'âme », et Brahms bien sûr - mais est-il vraiment un
romantique ?- Bruckner encore, le précurseur (« sans Bruckner pas de
Mahler »). La parole musicale de Nikolaus
Harnoncourt est sans doute celle d'un sage. Et l'on n'en compte céans plus
beaucoup. Jean-Pierre Robert. Jean-Michel
MOLKHOU. Les grands violonistes du XXe siècle.
Tome II (1948-1985). 1 Vol. Éditions Buchet Chastel, collection Musique, 1CD inclus, 2014, 475
p, 23 €. Deuxième tome très attendu de cette très
belle étude que Jean-Michel Molkhou consacre aux
grands violonistes du XXe siècle. Après un premier tome traitant de la période
1875-1947, voici aujourd'hui le deuxième volet intéressant la période plus
« contemporaine » de 1948 à 1985. Comme le signale l'auteur, le recul peut paraitre
parfois insuffisant pour juger du talent de tel ou tel interprète, alors que
l'histoire avait eu le temps de faire son tri dans les générations précédentes,
d'où un choix qui sans prétendre être exhaustif, tient compte des prestations
marquantes, au concert et au disque, réalisées lors des dernières années
du XXe et des dix premières du XXIe siècle. Un choix particulièrement avisé et
judicieux quand on sait l'affinité profonde et la connaissance encyclopédique
de Jean-Michel Molkhou pour les cordes en général, et
le violon en particulier. Une suite chronologique qui présente pas moins de 35
interprètes du plus haut niveau artistique. Chaque portrait comprenant pour
chacun une courte biographie, un aperçu de son répertoire, les caractéristiques
de son jeu, les principaux éléments de sa discographie, complété souvent par
une interview, une anecdote qui nous permet de pénétrer plus avant dans
l'intimité de chacun comme un gage d'authenticité. Un livre original,
didactique, indispensable à tout amateur de musique, un merveilleux guide qui
accompagnera chacun au concert. Un ouvrage complété par une courte
bibliographie, un index alphabétique très pratique, de nombreuses photographies
et une illustration sonore à l'appui du texte, particulièrement pertinente,
sous forme d'un CD d'une durée de plus de quatre heures de musique ! A
lire, à relire et à écouter sans modération ! Patrice Imbaud. ***
CDs et DVDs
Aram KHATCHATURIAN : Concerto pour violon et orchestre.
Pièces pour violon et piano de KREISLER, FAURE, RAVEL, WIENIAWSKI. Annie Jodry, violon. Thérèse Cochet, piano. Orchestre National de
la Radiodiffusion française, dir. Charles Munch. 1CD
FORGOTTEN RECORDS (www.forgottenrecords.com ) : fr 963. TT : 49' 54 . Comme il ressort de
leur Label, les Éditions FORGOTTEN RECORDS s'attachent à faire revivre des
talents d'exception et des interprétations hors pair enregistrées par le passé
risquant d'être oubliés et qui, pourtant, avaient marqué la production
discographique. C'est le cas de la violoniste française Annie Jodry, née en 1935, titulaire de tant de récompenses, dont
le Premier Prix du Concours International de Genève et si digne représentante
de l'école française de violon. Elle a collaboré avec les plus grands chefs
tels que le regretté Charles Munch (1891-1968) qui n'est pas à présenter au
grand public. Ensemble, avec l'Orchestre National de la Radiodiffusion
Française, ils ont réalisé en 1954 « la » version de référence du si
redoutable Concerto pour violon et
orchestre en ré mineur d'Aram Khatchaturian
(1903-1978). L'enregistrement du concert radiodiffusé le 19 juin 1954 à
Strasbourg (Palais des Fêtes), bénéficiant des immenses progrès techniques, est
de nouveau accessible, pour le plus grand bonheur des discophiles. Ce
compositeur russe a précisément gagné sa notoriété internationale grâce à ce Concerto composé en 1940, structuré en 3
mouvements : Allegro con fermezza enlevé énergiquement, nécessitant une très
haute virtuosité ; Andante sostenuto, plus
expressif et contrasté, remarquablement rendu par le timbre du violon ; suivi
de l'Allegro vivace, de haute voltige
et d'une précision inouïe dans laquelle Annie Jodry,
à l'âge de 19 ans, déploie toute sa technique éblouissante de justesse et de
rigueur, inaugurant sa brillante carrière. Ce disque comprend également des
pièces brèves pour violon et piano enregistrées la même année, avec le concours
de Thérèse Cochet : Sicilienne et
Rigaudon « dans le style de François Francoeur » de Fritz
Kreisler (1875-1962) ; Andante particulièrement
expressif de Gabriel Fauré (1845-1924) ; Pièce en forme de Habanera de Maurice Ravel (1875-1937) bénéficiant
des sonorités chaleureuses du violon et Scherzo-Tarentelle
de Henryk Wieniawski
(1835-1880), page de pure virtuosité pour laquelle la précision de l'attaque et
des entrées des deux instruments, réalisée en parfaite symbiose, force
l'admiration. Édith Weber. Ernest CHAUSSON : Poème, op. 25.
Camille SAINT-SAËNS : Havanaise, op. 83.
Alban BERG :
Concerto « À la mémoire d'un ange ». Annie Jodry, violon. Orchestre de la
Suisse Romande, dir. Kurt Brass.
Orchestre Philharmonique de l'ORTF, dir. Manuel Rosenthal.
1CD FORGOTTEN RECORDS (www.forgottenrecords.com ): fr 950. TT :
51' 11. Le même éditeur a
le mérite de remettre à la disposition des mélomanes deux œuvres interprétées
par Annie Jodry en soliste et l'Orchestre de la
Suisse Romande, placés sous la direction de Kurt Brass,
lors du concert radiodiffusé le 13 janvier 1956, au Victoria Hall de Genève. Le
Poème, op. 25 (1896) d'Ernest
Chausson (1855-1899) — en fait un Concerto pour violon et orchestre, dédié au violoniste
belge Eugène Ysaÿe — est structuré en 3
séquences : Lento e misterioso de caractère expressif, intériorisé et
dépouillé, avec une exceptionnelle ligne mélodique au violon contrastant
avec l'Animato très enlevé,
aboutissant au Finale éblouissant. Dans
la Havanaise en Mi Majeur, op. 83 de
Camille Saint-Saëns (1835-1924), œuvre concertante incontournable pour les
violonistes, Annie Jodry s'impose par sa remarquable
justesse et sa technique à vous couper le souffle. La seconde partie de ce
disque, provenant du concert radiodiffusé enregistré le 26 juin 1963 à Nancy,
comporte le Concerto pour violon et
orchestre « À la mémoire d'un ange » d'Alban Berg (1885-1935),
créé en mars 1936, s'articulant en deux parties : Andante-Allegretto et Allegro-Adagio,
avec des arpèges de cordes à vide au violon solo, suivis par des arpèges aux
deux clarinettes et à la harpe. Le violon énonce ensuite la série de 12 notes
déjà exposée par les pupitres. Dans cette œuvre symbolique, une longue courbe
thématique ascendante représente la montée de l'ange vers le ciel et prépare
l'entrée du Choral de J. S. Bach : Es
ist genug ; so nimm, Herr,
meinen Geist (C'en est
assez ; ainsi, Seigneur, reprends mon esprit) emprunté par Alban
Berg (il s'agit du Choral final de la Cantate 60, à propos de la mort de
Hans Joachim Burmeister, sur la mélodie de Johann
Rudolf Ahle). Elle est interprétée avec infiniment de
lyrisme et de ferveur par Annie Jodry et l'Orchestre
Philharmonique de l'Office de la Radiodiffusion-Télévision Française, placés sous
la direction si avisée du regretté Manuel Rosenthal
(mort en 2003). Versions fort attachantes à redécouvrir. Édith Weber. « Clair de lune. Meisterwerke für Harfe ». Émilie Jaulmes,
harpe. 1CD KALEIDOS MUSIKEDITIONEN (www.musikeditionen.de ) : KAL6325-2. TT : 66' 52. Sous le titre Clair de Lune — par allusion à la Suite bergamasque de Claude Debussy et
au poème éponyme de Paul Verlaine —, les Éditions KALEIDOS présentent des
chefs-d'œuvre allemands, français et américains enregistrés en 2014,
interprétés par la jeune harpiste française Émilie Jaulmes,
née à Grenoble où, après avoir débuté très jeune la harpe au Conservatoire,
elle a été l'élève, entre autres, de Marielle Nordmann
et de nombreux professeurs à l'étranger. Ayant obtenu plusieurs Prix au CNSM et
la Licence de Musicologie en Sorbonne, lauréate de nombreux Concours, elle
s'affirme comme soliste et chambriste de réputation internationale. Installée
en Allemagne, elle est actuellement la prestigieuse harpe soliste de
l'Orchestre « Stuttgarter Philharmoniker ».
Ce disque révèle ses goûts éclectiques avec des œuvres allant de G. Fr. Haendel
(1685-1759) à George Gershwin (1898-1937), en passant par Carl Philipp Emmanuel Bach (1714-1788), Louis Spohr (1784-1859),
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), John Thomas
(1826-1913) et, plus proches de nous : Gabriel Fauré (1845-1924), Wilhelm
Posse (1855-1925) et Claude Debussy (1862-1918). En connaissance de cause,
Émilie Jaulmes a retenu des formes traditionnelles pour
harpe : Fantaisie, Impromptu, Concerto, Romance, Prélude et Variations et des pages aux titres évocateurs : Clair de lune ; The Man I Love, Summertime ; ou encore The Minstrel's
Adieu to His Native Land et Variationen über Der Karneval von Venedig : c'est dire
combien son répertoire est vaste et combien elle maîtrise tous les
traquenards techniques et les
esthétiques classique, romantique et contemporaine (y compris l'influence du
jazz). Les mélomanes et harpistes les plus exigeants seront comblés par ce CD,
modèle du genre. D'entrée de jeu, avec la Fantaisie
de Louis Spohr, Émilie Jaulmes fait preuve de sa
sonorité exceptionnelle, lumineuse et chatoyante, de son sens des nuances, de
son calme, de sa parfaite maîtrise de la pédale. Elle interprète l'Impromptu de Gabriel Fauré et Clair de lune de Claude Debussy en leur restituant leur caractère
mystérieux et suggestif. D'une manière générale, elle brille par la clarté de
la structure, la transparence, l'atmosphère variée des différents morceaux et
sa musicalité exceptionnelle au service d'un instrument que, depuis l'âge de 5
ans, elle pratique avec un enthousiasme contagieux. Édith Weber. Georg Philipp TELEMANN : 12 Fantasias 12 Recorders. Simon Borutzki, flûtes à bec.
1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de ) : KL 1509. TT : 52' 31. Les 12 Fantasie (per il violino
senza basso) ont été
écrites par Georg Philipp Telemann (1681-1767) pour
le violon, ce qui n'exclut pas leur interprétation à la flûte à bec très en
usage à l'époque. Selon sa fantaisie, Simon Borutzki
a sélectionné 12 instruments différents accordés au diapason La 415 (exceptionnellement La 440)
permettant de réaliser diverses impressions et couleurs sonores, émanant aussi
bien des registres très aigu que grave. Sa démarche
exploite d'ailleurs tout l'ambitus des instruments. La première Fantaisie en La Majeur en 2
mouvements : Vivace-Allegro
annonce déjà les grandes qualités stylistiques du flûtiste. De structure
classique, elles comportent 4 (ou 3) mouvements généralement contrastés (sauf
la 7e en Ré Majeur : Alla francese, Presto
et la 12e, en sol mineur, plus enlevée). Elles reposent sur l'alternance de
mouvements graves et méditatifs ; d'autres, plus enlevés (allant
jusqu'au Presto), représentent un bel
exemple des « goûts réunis ». D'ailleurs, en 1752, le grand flûtiste
Johann Joachim Quantz — professeur de flûte de Frédéric II de Prusse — avait
qualifié Georg Philipp Telemann de « plus grand
maître » maîtrisant les divers goûts de l'époque : il en
est de même de Simon Borutzki qui, dans cet
enregistrement de 2013 paru l'année suivante, s'impose par son phrasé précis,
son beau coup de langue, ses traits de virtuosité, sa volubilité, sa brillance
dans l'aigu dominés par un réel souci d'expressivité. Édith
Weber. « Ornstein Bloch ». Ernest BLOCH: Schelomo, transcription pour violon et piano. Léo
ORNSTEIN : trois Sonates, Poème pour flûte et autres pièces pour piano. 2CDs PRO MUSICA Association Artistique (www.christophe-boulier.com ): P 1411. TT : 68' 56+ 62' 47. Ce disque a le
mérite de révéler, en première mondiale, la transcription par le violoniste
Christophe Boulier (qui fut déjà à 14 ans Premier Prix de Violon du CNSM) de la
version inédite pour violon de Schelomo (à l'origine : Rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre) d'Ernest Bloch (né à Genève en 1880 et
mort à Portland en 1959) interprétée avec fougue et ferveur au violon (Joseph Hell 1885) par Chr. Boulier et au piano : Sho Ogushi et Chisato
Nishizono, deux jeunes artistes de l'Académie de
Jeunes Solistes fondée à Mézin (en Aquitaine) en 2006. Ce premier CD est
complété par 3 Sonates et le Poème pour flûte de Leo Ornstein (1893-2002) — pianiste ukrainien installé aux
États-Unis, compositeur novateur pratiquant des procédés techniques audacieux
(emploi notamment du cluster) —, autre musicien juif auquel le second CD
(œuvres pour piano) est entièrement consacré. Ce coffret est réalisé, en outre,
avec le concours déjà très prometteur des pianistes Célia Oneto-Bensaid, Héloïse Bertrand Oleari, Stephanie Maertens, Fiona Mato et Mai Yamada ; des violoncellistes Laurène Barbier-Combelles et Simon Dechambre ;
de la flûtiste Floriane Gruson. À remarquer
l'excellente contribution de Jean-Louis Caillard
(depuis 2010 professeur de piano et de musique de chambre à l'Académie, et
concertiste) pour les Intermezzi
n°1 à 4. Bel encouragement et marque de confiance de l'éditeur PRO MUSICA
vis-à-vis de ces jeunes interprètes. Édith Weber. Érik SATIE : Pièces pour piano (1912-1915)
transcrites pour orchestre. Orchestre Régional de Basse-Normandie, dir. Jean-Pierre Wallez. 1CD
SKARBO (www.skarbo.fr): DSK3135. TT : 66' 38. Michel Decoust, né en 1936, flûtiste et compositeur français, a
réalisé l'orchestration de 55 pièces d'Érik Satie (né
à Honfleur le 17 mai 1866 et mort à Paris le 1er juillet 1925), écrites pour
piano entre 1912 et 1915. Les titres des recueils sont particulièrement
évocateurs, énigmatiques, fantaisistes, satiriques ou pleines d'humour, par
exemple : Quatre préludes flasques
(pour un chien) (1912), Embryons
desséchés (1913), Trois Valses
distinguées du précieux dégoûté (1914) : Sa taille, Son binocle, Ses jambes ; Sports et Divertissements
(1914) avec Choral inappétissant… ;
ou encore des pages descriptives : La
balançoire, La Chasse, Le Feu d'artifice... La version
orchestrale de ces pièces extrêmement brèves (petits clins d'œil souvent de
moins d'une minute) rehausse les sonorités moins diversifiées du piano, en
augmente le relief et la profondeur. Le programme se termine par Croquis et agaceries d'un gros bonhomme en
bois : Tyrolienne turque, Danse maigre et Espanana… : soit un total de plus d'une heure. Programme en tous genres
et en tous sens, désopilant, magistralement interprété par l'Orchestre Régional
de Basse-Normandie, sous la direction de Jean-Pierre Wallez,
de réputation internationale. Édith Weber. « Modeste
le petit pion ». 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI331179. TT : 50' 31. Ce Conte musical pour enfants, reposant
sur le texte de Mathilde Maraninchi, est
agrémenté par la musique d'Alexandre Gasparov
(également passionné d'échecs). Lu avec un remarquable sens pédagogique et un grand
pouvoir de suggestion, par Philippe Murgier qui
dialogue avec les enfants, l'histoire met en scène Modeste, « le petit
pion de bois Blanc » sur l'échiquier (comme il ressort également de
l'illustration) et leur explique en détails les règles du jeu et le maniement
des pions, tout en maintenant constamment leur attention.
L' « aspirant-pion » s'est entraîné en vue d'être sélectionné
pour participer à la partie royale. Une musique rythmée et assez solennelle
scande les divers épisodes. L'ensemble relate l'aventure, le déroulement de la
partie d'échecs, avec l'impatience, les émotions qu'elle suscite parmi les
participants, un peu à la manière impressionniste de Prokofiev dans Pierre et le loup. Finalement, Modeste,
courageux et déterminé, fera une percée décisive parmi les pions Noirs. La
musique contribue largement à créer l'arrière-plan de la scène, et Modeste, modestement, reçoit les acclamations.
Confirmé « cavalier » par le Roi, il est devenu désormais
« Modeste le Glorieux »… Exemple à suivre par les enfants qui,
incités à jouer aux échecs, seront captivés par ce conte musical. Édith Weber. Giulio SAN PIETRO DE' NEGRI : Amorosa Fenice. Ensemble Faenza.
1CD AGOGIQUE (www.agogique.com ) : AGO018. TT : 69' 02 . L'ensemble Faenza,
fondé en 1996 par Marc Horvat, est actuellement
(2014) en résidence à l'Université de Reims Champagne-Ardennes.
Son chef s'est spécialisé dans l'interprétation de la musique du Moyen-Âge à la Schola Cantorum de
Bâle, et la musique de la Renaissance auprès de Dominique Vellard.
Il a le mérite de recréer historiquement des œuvres de compositeurs peu connus.
Par ses arrangements et diminutions additionnelles, il tire ainsi de l'oubli
Giulio San Pietro de'Negri (v.1570-v.1630). Dans
son remarquable texte de présentation, Robert Kendrick
rappelle que : « Parmi toutes les figures — fascinantes, mais aujourd'hui
peu connues — qui peuplèrent le monde de la monodie italienne du début du XVIIe
siècle, Giulio San Pietro de'Negri (ou San Piero di
Negro, car il existe des variantes à son nom de famille) est probablement l'une
des plus intéressantes. Il aurait publié au moins onze volumes de pièces
vocales profanes ou de motets entre les années 1605 et 1620, ainsi qu'un
certain nombre de pièces dans des anthologies ». Le programme, typique du
Primo seicento,
repose essentiellement sur des extraits des deux Livres de caractère
expérimental : Grazie ed affetti di musica moderna à una, due, e tre voci da cantare
nel clavicordo chitarrone
& arpa doppia & altri simili istromenti (Milan,
1613), op. 5 de G. San Pietro de'Negri, dans le sillage de Claudio Monteverdi,
à la recherche de nouveautés sonores et misant sur le caractère émotionnel, et
de son op. 11 : Canti Accademici concertati a due, tre, quatro, cinque, & sei voci… publié à Venise en
1620, selon les perspectives concertantes en vogue. Le titre de ce disque n'est
autre que celui de la première pièce enregistrée pour chant, flûte soprano,
guitare, théorbe, lautenwerk
— c'est-à-dire clavecin-luth avec cordes en boyau (et non métalliques),
produisant une sonorité adoucie. Il comprend au total une vingtaine de pièces,
dont, en outre, quelques unes de Giovanni Ghizzolo
(né à Brescia en 1580-mort à Novare v. 1625), pratiquant à la fois la prima prattica
et la secunda,
les passaggi
pour mettre en valeur les affects verbaux ; d'Ottavio Valera, chanteur
milanais actif au début du XVIIe siècle, et de Francesco Rognoni
(né à Milan dans la seconde moitié du XVIe siècle-mort avant 1626), maître de
chapelle dans cette ville à l'Église Saint-Ambroise. Parmi les thèmes
évoqués musicalement, figurent l'amour, la souffrance, la douleur, la langueur,
les plaintes et soupirs ; l'art du bien-aimer,
la fidélité et la cruauté en amour ; ou encore des personnages célèbres : Cloris, Tyrsis, Aminte… Ces sources, jusqu'ici inexploitées, sont révélées
par l'interprétation si minutieuse de l'ensemble Faenza (chant, luth,
théorbe, guitare, flûte, dessus et basse de viole) qui s'est surpassé pour
faire renaître « de leurs cendres » ces « curiosités
musico-littéraires » et pour dévoiler notamment Giulio San Pietro de'Negri, compositeur particulièrement attachant à
découvrir impérativement. L'ensemble Faenza s'impose d'emblée par sa diction
précise, sa volubilité, la souplesse vocale, l'équilibre entre voix et
accompagnement, son sens du dialogue entre chant et instruments ;
également par la virtuosité des
instruments (flûte…) et, d'une manière générale, son souci de la traduction
musicale figuraliste précise des images et des
sentiments du texte. Édith Weber. « In memoriam Pavel HAAS ». Fabrice Ferez,
hautbois, Marc Pantillon, piano. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : GALLO CD 1426. TT : 61'
06. Le hautboïste
français Fabrice Ferez et le pianiste suisse Marc Pantillon
rendent un émouvant hommage au compositeur tchèque juif, Pavel Haas (né à Brno
en 1899 et mort à Auschwitz en 1944) qui — après avoir effectué ses études au
Conservatoire de Brno et composé quelques œuvres symphoniques, de musique de
chambre, de films et de scène, d'ailleurs interdites par les nazis — a connu un
destin particulièrement cruel. Ces deux instrumentistes ont enregistré avec une
grande émotion sa Suite pour hautbois et
piano, op. 12, composée en 1939 et symbolisant la résistance tchèque, avec
l'emprunt du Choral hussite de ralliement : Les guerriers de Dieu et le Choral historique de Saint Venceslas (Xe
s.) : Toi, héritier de la Bohême,
n'oublie pas ton peuple… ; paradoxalement, cette œuvre a été créée au
camp de concentration de Terezin, où Pavel Haas se
trouvait avant son départ pour Auschwitz. Hautement symbolique, très
révélatrice de l'état d'esprit qui régnait alors en Pologne sous le joug nazi,
elle débute dans la désespérance, le dépouillement et la résignation
contrastant avec un élargissement conclusif certain. Bruno Giner (*1960) a dédicacé à Fabrice Ferez son œuvre
intitulée : Trois silences déchirés (In memoriam Pavel Haas pour hautbois
seul). Comme le précise Élise Petit : « Le titre polysémique de la
pièce fait référence à la déportation de Hass et,
partant, au sort de ses compatriotes européens : le silence est celui,
assourdissant, de la déshumanisation des camps à laquelle sont réduits tous les
déportés : c'est aussi le mutisme dépressif du compositeur à Terezin. Le déchirement évoque la séparation de tout
environnement social, familial et affectif, ainsi que la violence de
l'internement » ; elle constate que l'œuvre évoquant une situation
particulièrement violente, énonce un thème si-la-la-mib correspondant aux lettres H.A.A.S. ou si-la-lab (H.
A. AS.), et fait aussi entendre le Choral hussite cité par Pavel Haas dans sa Suite. Avec une sensibilité à fleur de
peau, l'excellent hautboïste s'investit pleinement dans cette partition si
lourde de sens et d'une tension quasi insoutenable. Le programme comporte en
outre la Sonate écrite entre 1913 et
1922 par le compositeur slovaque Leos Janacek
(1854-1928), en 4 mouvements mettant en valeur, tour à tour, une mélodie chaude
de caractère chantant planant au-dessus des interventions incisives du piano,
puis, une mélodie à découvert un peu plus allante, sur un fond sonore au piano,
débouchant sur une conclusion plus
animée, faisant appel à la volubilité du hautbois. Cette réalisation s'achève
sur Epitaph
(1980) du chef d'orchestre et compositeur polonais d'avant-garde, Witold Lutoslawski (1913-1994), privilégiant la couleur
harmonique et la forme ouverte, « écho saisissant au Final de la Suite de P.
Haas » ; et le Duo concertant
(1984) du compositeur et chef d'orchestre hongrois, Antal Dorati (1906-1988).
Ce voyage dans le monde musical en Europe de l'Est et aux XIXe et XXe siècles
révèle la riche palette expressive du hautbois, le rôle indispensable du piano
soliste et accompagnateur, et traduit la mentalité psychologique et esthétique
d'Europe de l'Est au fil de l'histoire. Par devoir de mémoire, ces interprètes
français et suisse ont ainsi rendu un vibrant hommage à Pavel Haas. Édith Weber. Joanna BRUZDOWICZ. : Quatuor à cordes n°1,
La Vita. In The
Fever World. World. Tomasz Jocz, piano. NeoQuart. Liliana Gorska, soprano. 1CD ACTE
PRÉALABLE (www.acteprealable.com) : APO329. TT : 49' 48 . Polonaise
naturalisée française, issue d'une famille de musiciens, Joanna Bruzdowicz, née le 17 mai 1943 à Varsovie, a étudié la
composition et le piano à l'Académie de musique Frédéric Chopin (Varsovie)
puis, à Paris, avec Nadia Boulanger, Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer. Tout
en réalisant des productions audiovisuelles et des musiques de films, elle
compose également des œuvres de forme classique (Quatuors à cordes, mélodies…).
Son Quatuor à cordes n°1 La Vita a été composé en 1983 en hommage
à Karol Szymanowski, « père de la musique polonaise contemporaine ».
Comme elle le précise, son œuvre « incorpore différents rythmes et accords
reposant sur la musique populaire polonaise » « gorale »
(pratiquée notamment dans le Sud de la Pologne). Ce Quatuor, largement diffusé et enregistré depuis 1983, année de sa
création à Bruxelles, est structuré en 3 mouvements : Prologue : Allegro molto agressif, énergique, avec
des rythmes incisifs, captant immédiatement l'attention ; Épisode
central : Tutti. Andante cantabile
in modo d'una canzone triste, de caractère
lyrique, privilégiant davantage la ligne mélodique, spéculant sur quelques
dissonances ; Épilogue : Grave.
Presto. Coda. Finale faisant appel à la virtuosité des
instrumentistes du NeoQuartet : Karolina Piatkowska-Nowicka (Violon I), Pawel Kapica
(Violon II), Michal Markiewicz (alto) et Kryzstof Pawlowski (violoncelle)
rompus à tous les traquenards techniques. Ce disque comprend aussi douze
mélodies In The Fever World sur les
textes anglais de Jehanne Dubrow, d'inspiration
variée faisant allusion à la « cité des machines », « l'enfant
perdu », « la dernière nuit »…, avec accompagnements originaux
et indépendants qui assurent les transitions et créent les diverses
atmosphères. Elles sont interprétées par Tomasz Jocz (piano) et le NeoQuartet.
Joanna Bruzdowicz y fait preuve d'une grande capacité
d'imagination dont Liliana Gorska
(mezzo-soprano) rend toutes les subtilités. De facture mélodique plus
tourmentée, proche de l'esthétique du Lied
et soutenu au piano renforçant l'atmosphère, le cycle de mélodies World (sur le texte de Czeslaw Milosz) évoque notamment la foi, l'espérance,
l'amour (la charité), le soleil « à l'origine de toutes les
couleurs » et la terre qui est « comme un poème ». La voix si
prenante de Liliana Gorska
traduit avec expressivité ces divers états d'âme. Les œuvres de Joanna Bruzdowicz, quasi inclassables, représentent une synthèse
de postromantisme et de minimalisme. Sa musique, originale et personnelle, très
éclectique et sophistiquée, a le mérite d'accrocher immédiatement les
auditeurs. Édith Weber. Duo Harpian. VDE GALLO (www.vdegallo-music.com). GALLO CD 1426. TT : 57' 01. Céline Gay des
Combes (harpe) et Julia Froschhammer (piano), formant
le « Duo Harpian », proposent un programme
original. Elles restituent — dans l'arrangement de Fritz Froschhammer
— des pages descriptives bien connues de Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
provenant de ses Pièces de clavecin qui,
avec cette formation instrumentale, résonne différemment, mais dont les
différents plans ressortent davantage (piano plus percutant et harpe plus
mélodique) : une autre écoute. La Danse
sacrée et la Danse profane de
Claude Debussy (1862-1918) bénéficient du caractère impressionniste des
sonorités de la harpe. La Sonatine en
trois mouvements de Maurice Ravel (1875-1937), écrite pour piano en 1903-5,
interprétée uniquement à cet instrument, est plus incisive et énigmatique,
alors que son Introduction et Allegro
(1905), effectivement pour harpe et piano, a un caractère d'authenticité.
Céline Gay des Combes se produit encore, seule, dans deux œuvres pour harpe
dont elle exploite toutes les possibilités de timbres et de coloris. Enfin, le
Duo Harpian interprète deux danses espagnoles :
n°5 Andaluza d'Enrique Granados (1867-1916) (arrangement de
Carlos Salzedo) et Danse rituelle du feu de Manuel de Falla (1876-1946) posant sur
cette réalisation un point d'orgue bien rythmé et mettant en valeur la
virtuosité et la musicalité des deux instrumentistes. Édith Weber. Jozef WIENIAWSKI : Ouverture Guillaume le Taciturne, op. 43 - Symphony in D major op. 49. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com ) : APO331. TT : 50' 25. Le Label (polonais)
ACTE PRÉALABLE qui s'attache à promouvoir la musique polonaise vient de
démontrer que, contrairement à un faux adage, la forme de la symphonie est bien
cultivée en Pologne, c'est le cas de l'opus 49 de Jozef Wieniawski
qui est né en 1837 à Lublin (Pologne) et mort en 1912 à Bruxelles. Il a
effectué ses études dans sa ville natale, ensuite au Conservatoire de Paris
(piano avec P. Zimmermann, A. Fr. Marmontel et Ch.-V. Alkan ;
composition avec F. Le Couppey), puis à Weimar avec
Fr. Liszt. Il s'est alors imposé comme pianiste virtuose, pédagogue,
concertiste international et compositeur. Après son séjour à Paris, il sera
professeur de piano au Conservatoire de Moscou et, par la suite, occupera le
même poste à celui de Bruxelles où il décède en 1902. Sa Symphonie en Ré Majeur, d'esprit
romantique et de structure classique (proche de J. Brahms) comprend 4
mouvements traditionnels : Allegro con spirito (selon la forme sonate), avec un premier motif
exposé au cor et de nombreux figuralismes, puis un second aux bassons, altos et
violoncelles : l'ensemble se déroule un
poco pastorale ; Andante molto cantabile (également de
caractère pastoral, plus lyrique et plus lent) ; Scherzo presto (de forme répétitive A B A') comportant un important
motif de tête et se terminant par une brève coda ; Finale, Allegro energico e resoluto (comme un Allegro
de sonate) qui privilégie le rythme de marche. L'orchestration force sur les
instruments à vent dans cette symphonie de caractère épique et lyrique, digne
d'être découverte grâce à l'excellente prestation de l'Orchestre Symphonique
Philharmonique des Carpates (Podkarpackiej), fondé en 1955, placé sous la direction à la fois énergique et
sensible de Piotr Wajrak. Le disque commence par l'Ouverture dramatique de « Guillaume le Taciturne » (op. 43) de
Jozef Wieniawski, avec par moments des réminiscences
wagnériennes. Voici une belle Défense et illustration de la musique symphonique
polonaise. Édith Weber. « Orchestral Lollipops ». 1 CD KLANGLOGO (www.rondeau.de
). Diffusion :
RONDEAU PRODUCTION (Leipzig) : KL1506. TT : 61'48. Sous le titre
intrigant : Sucettes — destiné
aux grands amateurs de cette friandise à sucer longtemps (Dauerlutscher) —, Howard
Griffiths, à la tête du Brandenburgisches Staatsorchester de Francfort et du Fine Arts Brass, s'amuse royalement. Au menu : 17 titres
d'œuvres de la fin du XIXe et du XXe siècles
composées, entre autres, par Johann Strauss (1825-1899), Carl Nielsen
(1865-1931), Edward Elgar (1857-1934), George Gershwin (1898-1937), Henry Wood
(1869-1944), Cole Porter (1891-1964), Irving Berlin (1888-1989). Ils sont morts
entre 1899 et 1989, soit un siècle de musique de divertissement, de
circonstance (marche) et de pompe ou descriptive (The typewriter la machine à écrire, Tik-Tak-Polka…) : autant de pièces
envoûtantes, contagieuses, toujours en mouvement, irrésistibles… à déguster
sans modération. Édith Weber. « Sancta Mater Teresia ». Chœur
des Carmélites de Pécs. 1CD JADE (www.jade-music.net ) :699
834-2. TT : 63' 09. Sainte Thérèse
d'Avila (Teresa Sancta de Cepeda
Davila y Ahumada),
réformatrice monastique du XVIe siècle, est née en 1515 en Vieille Castille et
morte en 1582 à Alba de Tormes. Selon la Vida
de Santa Teresa de Jesus, dès sa prime enfance,
elle a apprécié les histoires édifiantes de la vie des Saints. En 1531, elle
est entrée au Couvent de Santa Maria de Gracia à Avila, où elle ne séjournera
que jusqu'à l'automne de l'année suivante et, en 1633, elle s'est rendue au
Couvent de l'Incarnation d'Avila où elle a prononcé ses vœux. Le Chœur des
Carmélites de Pécs (Hongrie) célèbre le Cinquième Centenaire de sa naissance
avec des pièces grégoriennes bien connues : la séquence Veni Sancte Spiritus, le texte Gaude
Maria (en honneur à la Vierge), l'hymne Ave
Maris Stella ; Benedicite Dominum et le
trope Benedicamus Domino extraits du Manuscrit Las Huelgas (v. 1300, conservé à Burgos); un grand choix
d'antiennes : Revertere,
Sancta Mater Teresia,
celles de l'« Office des Laudes à Sainte Thérèse », entre autres. Le
célèbre Manuscrit de Montpellier ms. H 196 (XIIIe-XIVe s.) est représenté par
le motet latin Alle psallite à 3
voix. Ces mélodies grégoriennes chantées à l'unisson sont entrecoupées par
trois lectures cantillées (Livre de la Sagesse) et de pièces instrumentales contemporaines de
Thérèse : de Tomas Luis da Victoria (v.1548-1611), d'Antonio de Cabezon (1510-1566) et de Luis de Narvaez (XVIe s.). Les
Moniales qui, d'une voix souple, dépouillée et naturelle, chantent ces pages de
chant grégorien avec profondeur et conviction, savent aussi se divertir, comme
le prouve la dernière pièce : El Castillo
de Cristal (XXIe s.) posant un point d'orgue non liturgique sur cette
remarquable anthologie autour de Sainte Thérèse d'Avila. Édith Weber. « Les Prières du Classique ». 1CD JADE (www.jade-music.net ): CD 699 838-2. TT : 53'
58. Actuellement, les
éditeurs confèrent volontiers à leurs productions un titre global et
significatif : c'est le cas de ce disque. Il regroupe une sélection de 17
œuvres ayant marqué le répertoire, tout d'abord sous le signe de la Prière : le Kyrie de la Messe en si
mineur (J. S. Bach), celui de la Petite
Messe solennelle (G. Rossini), ou encore l'Ave verum corpus et le Lacrimosa du Requiem
(W. A. Mozart), le Psaume : Wie lieblich sind deine
Wohnungen du Requiem
allemand (J. Brahms), d'autres extraits de Requiem : Pie Jesu (G. Fauré), In
Paradisum
de M. Duruflé, sous sa direction ; Panis angelicus (C. Franck), entre autres. À
remarquer tout particulièrement le choral conclusif si poignant de la Passion selon Saint Jean (J. S.
Bach) : Ach, Herr, lass dein' lieb'
Engelein… et l'Aria de son contemporain,
Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1749) : Bist du bei mir
(attribuée à J. S. Bach) interprétée avec intériorité et retenue par Elisabeth
Schwarzkopf accompagnée par Gerald Moore. À ces pièces particulièrement
méditatives, s'ajoutent, d'une part des pages pleines d'élan, par
exemple : l'Hallelujah
du Messie de G. Fr. Haendel, le motet
Exsultate Jubilate de
W. A. Mozart et, d'autre part, des hymnes mariales : Ave Maria (Fr. Schubert), Ave
Maria extrait d'Otello
(G. Verdi), le chœur (italien) Ave Maria (G.
Puccini) ; Salve Regina (Fr.
Poulenc). Cette compilation internationale a le mérite de faire réentendre des
voix célèbres du passé : les Sopranos Elisabeth Schwazkopf,
Renata Tebaldi ; le Baryton Camille Maurane
accompagné à l'orgue par la regrettée Marie-Claire Alain et d'anciennes
versions, par exemple le Thomanerchor et l'Orchestre
du Gewandhaus de Leipzig dirigé par Cantor Günther
Ramin, l'Orchestre Philharmonique de New York dirigé par Bruno Walter et
d'autres formations à Londres, Vienne, Rome et Berlin. Les discophiles
apprécieront à leur juste valeur ces interprétations du passé et écouteront
avec émotion ces chefs-d'œuvre intemporels. Édith Weber. « Cremolino. Centenario dell'Organo Carlo Vegezzi-Bossi ». Paolo Oreni, orgue. 1CD FUGATTO.
Diffusion : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ) : FUG056.
TT : 47' 42 . L'Orgue de l'Église
paroissiale à Cremolino (Piémont) a été construit en
1914 conformément aux directives de la réforme cécilienne
(1903) initiée par Pie X dans son Motu
Proprio « Inter sollicitudines » préconisant le retour de la
musique liturgique aux traditions du chant grégorien et de la polyphonie
classique et luttant contre les tendances théâtrales de la musique dite
religieuse. Au service de la liturgie, l'instrument marque une période
importante dans l'histoire de la facture italienne avec augmentation du nombre
de claviers, combinant la tradition polyphonique et les caractéristiques de
l'orgue symphonique européen. Avec ses transmissions pneumatique et électrique,
il ouvre la voie à la musique du XXe siècle. Il a été restauré en 1994 par la
Manufacture Fratelli-Marin qui, pour son 80e
anniversaire, l'a doté d'une nouvelle console. Pour commémorer son Centenaire,
Paolo Oreni — organiste italien de réputation
internationale, formé à Bergame, puis au Conservatoire National de Luxembourg,
également élève de Jean Guillou — a sélectionné un programme de musique
française auquel il a ajouté trois de ses propres œuvres : Improvvisazione-Preludio ;
Improvvisazione-Scherzo ; Improvvisazione-Adagio e Toccata. Des trois musiciens
français, Felix-Alexandre Guilmant et Théodore Dubois
sont nés la même année, en 1837, et Joseph Bonnet, en 1884. Paolo Oreni interprète le Prélude
de la Sonate n°3 (op. 56/1) du
premier (1837-1911), avec clarté, virtuosité et énergie et un jeu
particulièrement précis, en respectant les contrastes de nuances et les oppositions
de claviers. Il permet de découvrir deux pages de Théodore Dubois (1837-1924),
extraites de ses Douze Pièces nouvelles (1893)
: n°9 In Paradisum,
de caractère plus dépouillé et discret, qui n'est pas sans rappeler l'œuvre
éponyme de Gabriel Fauré, mettant en valeur les registres aigus de l'instrument
; n°8 : Fiat lux, contrastant
avec la précédente, plus volubile et plus animée. Deux Pièces de Joseph Bonnet (1884-1944) — élève d'Alexandre Guilmant,
grand amateur de musique grégorienne, fondateur et directeur de l'Institut
Grégorien de Paris de 1923 à 1944 — proviennent de son opus 7 : Douze Pièces nouvelles
pour le Grand Orgue comprenant, entre autres : Elfes (n°11), page très rythmée avec un motif répétitif bien
exposé ; Caprice héroïque
(n°12), massif et majestueux, enlevé avec énergie, dans lequel la pédale assume
un rôle important. Ces pages françaises sont entrecoupées par 3 improvisations dans lesquelles l'éminent
organiste fait preuve de tout son talent. L'Improvvisazione-Preludio s'élève
des profondeurs avec des tuilages et une mélodie évocatrice sur quelques
notes ; cette page éblouissante nécessite une très grande maîtrise de la
technique organistique et une grande faculté d'imagination. L'Improvvisazione-Scherzo, énigmatique, avec de larges de
traits de virtuosité, est interprétée avec une clarté exceptionnelle. L'Improvvisazione-Adagio e Toccata privilégie les
mélodies à découvert, très intériorisées et particulièrement souples (notamment
dans l'Adagio), elle se termine en
feu d'artifice incisif et implacable, nécessitant une virtuosité
époustouflante. Ce disque commémoratif met en valeur le grand talent de Paolo Oreni, improvisateur et interprète hors pair. À ne pas
manquer. Édith Weber. Claudio MONTEVERDI : Madrigali. Volume 2 : Mantova. Extraits des Quatrième, Cinquième et
Sixième Livre. Les Arts Florissants, Paul Agnew,
direction. 1 CD Arts Florissants : AF 003. TT. : 74'03. Enregistrés lors de concerts donnés à la
Cité de la musique, ces extraits du Volume 2 des Madrigaux de Monteverdi constituent
le premier volet d'une série de trois qui couvriront les huit opus du crémonais. Du Livre IV (1603) de madrigaux à cinq voix sont
proposées 5 pièces sur les 19 que comporte le recueil. Le genre madrigalesque
connaît ici son apogée affirmant un souci de vérité dramatique auquel
Monteverdi parvient par un savant dosage entre morceaux expressifs, où
s'expriment les « affeti », et pièces de
climat plus pastoral. Une certaine théâtralité se fait jour à travers des
audaces harmoniques, dissonances, et l'usage du chromatisme. Le Cinquième Livre
(1605) signe une nette évolution stylistique, portée sur les mots que
prononcent des personnages qui cherchent à exprimer encore plus hautement leurs
sentiments dans une récitation syllabique, là encore traversée de chromatisme.
Ces pièces empruntent au Pastor fido et offrent un dialogue amoureux qui peut aller
jusqu'au dolorisme. Le Sixième Livre (1614) contient 18 pièces qui, pour
l'essentiel, sont renfermées dans deux cycles de « lamenti »,
le Lamento d'Arianna et la La Sestina, ici interprétés. Une nouvelle manière se fait
jour, derniers feux du genre du madrigal a cappella. Aux côtés des œuvres
sacrées de 1610, dont les Vespro, la
théâtralité atteint son point culminant dans le récit où Arianna exprime sa languissante
détresse. L'écriture polyphonique ouvre la voie au récitatif d'opéra. Le
lamento La Sestina déploie une palette
émotionnelle plus intimiste. La vision que donnent de ces pièces les solistes
des Arts Florissants, sous la direction experte de Paul Agnew,
combien familier de ce répertoire, est lumineuse : pureté des timbres, bel
équilibre entre les voix. La liberté laissée aux interprètes est utilisée avec
doigté au profit du réalisme de la narration, de l'acuité de la déclamation et
de la mise en valeur des harmonies souvent audacieuses, sensuelles ou
imitatives de la nature, de la musique de Monteverdi. Jean-Pierre Robert. « Apothéoses ».
François COUPERIN : Concert instrumental sous le titre
d'apothéose de Monsieur de Lully. Le Parnasse,
ou l'apothéose de Corelli. La Superbe, Sonade en trio. La Sultane, Sonade en quatuor. Amandine Beyer,
violon. Gli Incogniti. 1CD Harmonia Mundi :
HMC 902193. TT.: 57'34.
L'apothéose, en musique, est un hommage
rendu par un maître à un autre, et une composition dont les vastes dimensions
dépassent celles du « Tombeau », et le contenu rhétorique celui plus
anecdotique des « Portraits ». François Couperin, dit « Le
grand » (1668-1733), en a écrit deux, dans cette optique des « goûts
réunis », prônée par le XVIII ème siècle, ou
tentative de rapprochement des manières française et italienne. L'Apothéose
de Corelli (1724) flatte le style italien au point de l'imiter, tout en
gardant ses distances. La confrontation doit tourner à l'avantage de celui qui
s'en fait le champion. Car comme le remarque Amandine Beyer,
« en essayant de refaire une sonate dans le style italien, Couperin crée tout
simplement le genre nouveau de la ' sonade '
française ». L'Apothéose « composée à la mémoire de l'incomparable
Monsieur de Lully » (1725) est encore plus explicite. Le grand musicien
français se voit honoré de la visite d'Apollon qui le place au Parnasse auprès
de Corelli, en les persuadant l'un et l'autre « que la réunion des Goûts
Français et Italien doit faire la perfection de la Musique ». La
composition est aussi plus conséquente, qui à travers ses trois parties,
enchaîne une succession de morceaux lents et rapides, les premiers les plus
développés d'ailleurs, aux intitulés évocateurs : « Gracieusement »,
« Dolemment », « Élégamment », « Vivement »,
« Rondement », « Gaÿment ». Cette
belle anthologie comporte encore deux autres « sonades »,
l'une en trio, « La Superbe », dans le style italien, de Corelli bien
sûr, l'autre, « La Sultane », en quatuor, avec l'ajout d'une seconde viole
de gambe. Les « recréations » que livrent Amandine Beyer et ses amis de Gli Incogniti fleurent le parfum des délicieuses aventures.
Leur approche que la violoniste qualifie d'intuitive, est imaginative et d'un
goût parfait dans l'art des contrastes : mouvements vifs empreints d'une
joyeuse alacrité, pièces lentes d'une délicatesse de souffle certaine. Jean-Pierre Robert. « Porpora il
maestro ». Arias et cantates de Nicola
PORPORA. Franco Fagioli, contre ténor. Academia Montis Regalis, dir. Alessandro de Marchi. 1CD Naïve : V 5369. TT. : 80'. L'attrait exercé par la voix de contre
ténor nous vaut découverte sur découverte, d'interprètes, mais aussi de
programmes. A cette aune, Franco Fagioli est en passe
de se hisser aux toutes premières marches d'un Panthéon qu'on croyait réservé à Scholl, Jaroussky et autre Cencic. Après
son CD « Arias pour Caffarelli » (cf. NL de
11/2013) il a concocté un généreux florilège de morceaux de celui qui pour lui,
fait figure d'idole, Nicola Porpora. Ce napolitain (1686-1768)
fut un compositeur pédagogue et on compta parmi ses élèves les fameux castrats
Farinelli et Senesino. Il parcourut l'Europe, de
Vienne à Londres, de Venise à Dresde. Son écriture vocale dénote une
connaissance approfondie de la voix humaine et pas seulement dans la
phénoménale maîtrise de la vocalise pyrotechnique dont il a inculqué la manière
chez ses élèves. Avec lui, l'art vocal a atteint des sommets d'intensité et
porté au plus haut l'école napolitaine. De ses nombreux opéras, Fagioli a choisi plusieurs exemples topiques d'arias aux
arabesques infinies, aux ornementations les plus folles, souvent distillées sur
un même mot. Les arias sont de coupe da capo avec le changement de rythme
caractéristique sur la partie centrale et une reprise plus brillante encore du
premier tempo. Si la forme demeure classique, l'usage qui en est fait est
audacieux quant à la mise en scène des sentiments exprimés. Franco Fagioli se meut dans cet univers avec une aisance
confondante. A la chaleur du timbre s'ajoute le legato parfait de naturel,
notamment dans le registre piano, et bien sûr la sûreté des vocalises
ahurissantes dont sont truffés les morceaux : enchaînement de trilles exécutés
dans un même souffle, multiplication des ornementations, notes projetées dans le
grave ou lancées en fusée dans l'extrême aigu. On est enivré de ces volutes à
perdre haleine, par exemple en une sorte de cadence, déployées sur trois
octaves, dans l'aria « Spesso di nubi cinto » tiré de Carlo
il Calvo. On est subjugué aussi par un style qui
ne sombre pas dans la pure sollicitation de l'effet, mais cultive une vraie
chaleur expressive, qu'il s'agisse du registre de la douceur ou des traits
emportés des arias di furore. Jean-Pierre Robert. « Stella di Napoli ». Airs de bel canto de Giovanni Pacini, Vincenzo Bellini, Michele
Carafa, Gioachino Rossini, Saverio
Mercadante, Gaetano Donizetti, carlo Valentini. Joyce
DiDonato, mezzo soprano. Chœur et Orchestre de
l'Opéra de Lyon, dir. Riccardo Minasi.
1 CD Erato : 08256 463656 2 3. TT. : 72'10. La production napolitaine du début du XIX ème siècle compte parmi les trésors du bel canto. Parce que
Naples est un centre musical essentiel alors, et que les courants les plus
novateurs s'y font jour, voisinant avec les esthétiques les plus conservatrices.
Cette confrontation assure aux compositions des musiciens qui s'y illustrent
une étonnante originalité. Les arias assemblées dans ce CD en offrent une
patente illustration. Où l'on constate que les voies du bel canto sont souvent
imprévisibles, pour ne pas dire impénétrables dans les
méandre de l'inspiration. La ligne de chant assume une surprenante
autonomie par rapport à l'accompagnement, même si celui-ci fait appel à des
instruments fétiches comme la harpe ou la clarinette. Ainsi de cette aria de Michele Carafa (1787-1872 ),
emprunté à l'opéra Le nozze di Lammermoor,
sur un sujet bien connu à l'époque et immortalisé par la Lucia di Lammermoor de Donizetti : préludé à la harpe, rejointe
par la clarinette, la mélodie vocale installe un climat de douce mélancolie.
Dans La Vestale, Saverio Mercadante
(1795-1870) offre avec la cavatine « Se fino al cielo ascendere » un festin
vocal défiant les lois de la mélodie prévisible, après qu'elle ait été
introduite par un concertino des bois. Les ornementations peuvent être aussi
originales qu'inattendues, comme le montre l'aria « Riedi
al soglio » tirée de la Zelmira
de Rossini, créée pour la Colbran. Il en va de même
de la scène finale de Saffo de Pacini (1796-1867) qui voit le suicide de l'héroïne dans
une lugubre atmosphère. Au fil de ces morceaux délicats, voire de bravoure, on
voit combien l'air romantique acquiert une nouvelle dimension sous la plume de
ces musiciens : des touches personnelles dans les fioritures mènent la mélodie
vocale dans des contrées peu prévisibles. Enfin, on est saisi par des
changements d'harmonie, renforcés par le recours à une instrumentation inédite,
comme l'harmonica de verre à clavier dialoguant avec le
harpe pour cette autre aria tirée de l'Elisabetta
al castello de Kenilworth de Donizetti (1829).
Tous ces joyaux, Joyce DiDonato leur donne vie en les
parant d'une coloration dramatique certaine et de cette vulnérabilité du trait
qui la place plus dans le sillage d'une Marilyn Horne que dans la comparaison
avec la manière de sa consœur italienne Cecilia Bartoli, car le vibrato se fait
présent çà et là. Elle est idéalement soutenue par Riccardo Minasi
qui sait trouver le ton et tirer de beaux accents du phonogénique Orchestre de
l'Opéra de Lyon. Le chœurs maison sont moins à l'aise
et ses solistes pas toujours à la hauteur des répliques épisodiques nécessitées
par certaines scènes. Jean-Pierre Robert. JS. BACH : Double concerto pour violon,
hautbois, cordes et continuo, BWV 1060R. Sinfonia de
la cantate BWV 156. Concerto pour violon, cordes et continuo, BWV 1042. Sonate
pour violon seul BWV 1003. « Erbarme dich, mein Gott »,
extrait de la Passion selon Saint-Matthieu, aria transcrite pour hautbois
d'amour. CPE. BACH : Sonate en trio pour flûte, violon et continuo Wq 143. Lisa Batiashvili, violon,
François Leleux, hautbois, Emmanuel Pahud, flûte. Kammerorchester des
Symphonieorchester des Bayerischen
Rundfunk. 1CD Universal DG
: 479 2479. TT. : 69'10. Ce disque qui se veut construit sur un air
de famille, et pas seulement entre JS. et CPE. Bach,
mais entre la violoniste Lisa Batiashvili et son
époux hautboïste François Leleux, réunit quelques
pages emblématiques du Cantor et une sonate en trio du fils aîné. Du premier on
peut ainsi entendre le double concerto BWV 1060R, dans sa version pour violon
et hautbois, et le concerto pour violon BWV1042. Le problème est que sous de
louables intentions, se cache une bien curieuse idée de l'interprétation de ces
pages archi connues : tempos peu rigoureux, accents de métronome, accélérations
arbitraires, fins de phrases banales. Sans prôner une interprétation sur
instruments anciens, cette version « moderne » offre peu de saveur.
L'absence de chef y est sans doute pour beaucoup, et on ne parvient pas à
accrocher à une expérience presque routinière.
C'est d'autant plus regrettable que le violon de Lisa Batiashvili
est stylé et déploie une belle sonorité. Ce qui se vérifie au fil de la Sonate
pour violon seul BWV 1003, distinguée par une « fuga »
presque véhémente et un andante profond. Côté concertant, les choses viennent
mieux dans la Sonate en trio de CPE Bach grâce à l'élan que lui apporte la
flûte solaire d'Emmanuel Pahud qui, à défaut de chef,
est le garant du juste tempo. L'aria « Erbarme dich, mein Gott »
extraite de la Matthaus Passion de
Bach, sonne, dans cette transcription pour violon et hautbois d'amour, comme un
bis racé montrant deux solistes à leur meilleur. Il n'empêche un bien curieux
programme. Jean-Pierre Robert. Jean-Philippe RAMEAU : Hippolyte et Aricie. Tragédie lyrique en cinq actes et un
prologue. Livret de l'Abbé Simon-Joseph Pellegrin. Topi
Lehtipuu, Anne-Catherine Gillet, Stéphane Degout, Sarah Connolly, Jaël Azzaretti, Salomé Haller, Andrea Hill, Marc Mauillon, Aurélie Legay, François
Lis, Aimery Lefèvre, Nicholas Mulroy,
Manuel Nunez Camelino,
Jérôme Varnier, Sydney Fierro.
Orchestre et Chœur Le Concert d'Astrée, dir.
Emmanuelle Haim. Mise en scène : Ivan Alexandre.
Production de l'ONP, 2012. 2 DVD Erato : 462291 7 8. TT. : 174'. Captée lors de sa présentation en juin 2012
au Palais Garnier, cette version du premier opéra de Rameau se signale par son
esthétisme raffiné. La mise en scène d'Ivan Alexandre regarde du côté de la Phèdre
de Racine. Elle décline le formalisme d'une tragédie classique où se
marient élégamment musique, théâtre et danse. Elle reste toujours lisible et ne
sombre pas dans le compassé de la reconstitution. Elle invite à un voyage
imaginaire. La décoration inspirée de l'antique, avec trompe-l'œil et effets de
symétrie, sertit des costumes chatoyants dont l'inspiration a été puisée aux
sources le plus sûres, et s'agrémente d'une machinerie sophistiquée avec
apparitions du dessus ou des entrailles. Les mouvements offrent juste cette
touche de préciosité dans les attitudes et d'hyperbole dans la gestique, avec
de savants jeux de mains, qui rappellent que nous sommes là en territoire codé.
Mais quelques clins d'œil modernes assouplissent le discours. Ainsi du
personnage de l'Amour dont l'impertinence apporte une note de vivacité dans cet
univers policé. La caméra saisit tel ou tel détail d'une expression, d'une
attitude, d'un visage et des affects qui l'habitent : fureur de Phèdre,
grandeur de Thésée, affliction d'Aricie, noirceur du
personnage de Tisiphone, presque caricatural. Mais la
régie qui va jusqu'aux limites, ne les franchit pas. Elle reste dans la
suggestion et la finesse du trait. Le tableau des enfers est à cet égard un
modèle de peinture de l'effrayant sous des apparences d'objectivité. La couleur
rouge sang domine, les Parques ont la tête à l'envers, Pluton et sa cour
infernale sont d'un immobilisme menaçant. La distribution fait honneur au chef
d'œuvre de Rameau. La noblesse d'accents, le phrasé souverain de Stéphane Degout illuminent le personnage de Thésée, comme la
déclamation grandiose de Sarah Connolly confère toute son aura de grandeur à
celui de Phèdre, toute racinienne. Le couple titre est plus placide, sans doute
volontairement, calé sur une direction d'acteurs qui le conçoit de manière peu
passionnelle. Jaël Azzaretti
est un parangon de délicieuse facétie dans le rôle de l'Amour qu'elle gratifie
de vocalises aériennes. La pléiade des autres rôles est servie par des
chanteurs de la jeune génération, rompue au baroque. La direction d'Emmanuelle Haim, vive et fluide, même si un brin placide, magnifie une
musique généreuse et les interventions solistes sont immaculées. Jean-Pierre Robert. Wolfgang Amadé
MOZART : Concerto pour piano K. 271, « Jeunehomme ».
Rondo pour piano et orchestre K. 386. Air de concert « Ch'io
mi scordi di te ?.. Non temer, amato bene », K. 505. Joseph HAYDN : Concerto pour
piano en Ré /Hob. XVIII :
11. Alexandre Tharaud, piano. Joyce DiDonato, mezzo-soprano. Les Violons du Roy,
dir. Bernard Labadie. 1 CD Erato : 46224 0 3. TT.:
70'56. Le nouveau projet discographique
d'Alexandre Tharaud ose l'originalité, plutôt
que coupler deux concertos pour piano
de Mozart, de mettre en miroir le concerto K. 271 avec un concerto de la
maturité de Josef Haydn, et de l'agrémenter de deux autres courtes pièces de
Mozart. L'association fonctionne plutôt bien. Écrit pour Mlle Jeunehomme, pianiste française et une de ses élèves, ce
morceau annonce la veine des grands concertos de la maturité. Tharaud et Bernard Labadie l'abordent vif et engagé à
l'allegro initial, avec un vrai jaillissement, à l'aune de l'entrée du piano
dès les premières mesures. La cadence porte un bref trait de mélancolie. Le
pianiste, qui dit voir là une de ses œuvres fétiches, prend l'andantino et sa
façon de s'épancher comme un air d'opéra, de manière très retenue, quasi
adagio, soliloque d'une voix intérieure, jusqu'à la confession. Le
développement, sur le concertino des bois énonce quelque souffrance enfouie,
que Tharaud renforce de solides contrastes dans les
accords. Le rondo final s'ébroue tel un tourbillon au milieu duquel gambade un
soliste enjoué. Un changement d'humeur et de rythme, lors de la cadence, est là
encore le signal d'un autre court moment de mélancolie. Le pianisme
de Tharaud est clair, énergique, inventif et plein
d'esprit. Le concerto de Haydn ne dépare pas face à celui de Mozart. Ils
semblent même se compléter. La gaieté simple et sans nuage marque le
« vivace » qui débute l'œuvre d'une verve émoustillante, nantie des
traits humoristiques. Le finale, rondo « all'Ungarese »,
d'une vigueur décapante, est d'une folle faconde, que Tharaud
souligne à l'envi, au point d'inclure dans la cadence des bribes de la
« Marche Turque » de Mozart. Car l'idée est d'établir des passerelles
entre les deux œuvres et au-delà avec une autre pièce du programme, le rondo K.
386. Celui-ci alterne deux motifs, l'un serein, l'autre introspectif, et Tharaud conçoit une cadence qu'il relie à la thématique du
dernier mouvement du concerto « Jeunehomme ».
Il a aussi inclus l'air de concert K. 505 « Ch'io mi scordi di te... »,
sans doute l'un des plus fascinant de Mozart.
Il insère en effet le piano dans le dialogue voix-orchestre, pour en faire
presque un concerto à deux instruments. Joyce DiDonato
le chante avec humilité tandis que le piano de Tharaud
lui ravirait la vedette. Un CD surprenant et passionnant. Jean-Pierre Robert. « Mozart's Instrumental Oratorium ». Wolfgang Amadé
Mozart : Symphonies N° 39, K. 443, en Mi bémol majeur, N° 40, K. 550, en Sol
mineur, & N° 41, « Jupiter », K. 551, en Ut majeur. Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus
Harnoncourt. 2CDs Sony Music :
88843026352. TT.: 65'01+39'23. Avec cette interprétation, Nikolaus Harnoncourt affirme haut et fort ce que d'aucuns
avançaient comme une hypothèse (en particulier Jean et Brigitte Massin, in 'Mozart', Fayard) : les trois dernières
symphonies de Mozart forment un tout, non pas trois pièces indépendantes, mais
une œuvre tripartite. Ce qu'il appelle un « oratorio instrumental ».
« Elles figurent en apparence une sorte d'itinéraire choisi par un être
humain pour atteindre sa destination » (in 'La parole musicale', Actes
Sud, cf. supra Le Coin Bibliographique). On sait peu de choses de ces œuvres,
si ce n'est qu'elles ont été écrites en 1788, en l'espace de deux mois, sans
commande précise. Le besoin financier, auquel peuvent faire penser les lettres
alors adressées par Mozart à Michael Puchberg, frère
de Loge, est une explication, à laquelle le chef autrichien ne croit guère. Un
lien de parenté unit ces trois œuvres : de l'ouverture tragique que constitue
le premier mouvement de la 39 ème, jusqu'au finale
grandiose de la 41 ème, il y a là un continuum que le
choix des tonalités rend probable. Leur enchaînement aussi et le développement
de motifs proches. Des singularités encore : le finale de la Symphonie K. 443,
monothématique, finit par « se résoudre en un nuage de poussière »
(ibid.), d'où émerge, si on les rapproche, « le début vague et
confus » de la Symphonie K. 550, et sa curieuse « palpitation » des
altos. A l'automne d'une immense carrière, et pour
la première fois avec son orchestre du Concentus Musicus Wien - d'un fini instrumental inouï - Harnoncourt
livre sa vision de cette trilogie et développe une dramaturgie bien différente
de ce qu'on a coutume d'entendre. Elle bannit toute brillance. Le « béat
bonheur mozartien » (ibid.) cède résolument le pas à une manière austère,
qui vous remue au plus profond. La Symphonie K. 443 en Mi bémol majeur,
tonalité « du cérémoniel sérieux », empoigne dès les premiers accords
massifs et tragiques, et au fil d'un allegro qui progresse avec grandeur. Dans
l'andante con moto, tout aussi dramatique, il n'y aura pas de grâce
superfétatoire. Le Menuetto est vivement rythmé avec
un trio tout en rupture et une reprise peut-être plus vive encore. Le finale se
vit en rafale, prestissime. L'enchaînement du 1er
mouvement de la 40 ème symphonie, dans le disque,
immédiatement après les dernières notes de la symphonie précédente, produit un
effet saisissant. « Tout est ici remis en question » dit Harnoncourt
à propos de la 40 ème, car la tonalité de Sol mineur
est celle « de la mort et de la tristesse ». L'élan est implacable,
tel un cauchemar au premier mouvement. L'andante souffle l'apaisement, en
apparence, car un serrement de cœur se fait jour aux bois (hautbois et bassons)
sur le soupir des violons. Le Menuetto, d'une belle
liberté d'approche fermement rythmée, introduit une pause, vite abandonnée par
un trio d'une insondable douleur, mise en exergue par le concertino des bois et
des cors. L'allegro assai poursuit sur la même idée dramatique, sans s'emballer
comme souvent chez certains chefs, et refusant le sourire que ceux-ci apportent
à cet épisode. Les accords en cascade sont fermement détachés et la fugue
conclusive affirme encore ce choix. La Symphonie « Jupiter » K. 551,
là où Mozart « résout tout dans la joie », est grandiose de bout en
bout : un Vivace aux attaques fières, dignes d'une Ouverture d'opéra, bardé de
silences lourds de sens, à la rythmique solide avec des coups de boutoir
formidables ; un Andante cantabile qui ne s'attarde pas sur quelque joliesse,
car le tempo allant est traversé d'interjections brusques ; un Menuetto extrêmement fluide, dont l'énigmatique Trio avec
ses trois notes lourées, livre un étonnant contraste ; et, dernière étape d'un
voyage impressionnant, un finale portant la fièvre à son apogée, pas seulement
eu égard à la battue fort énergique du chef, mais par l'élan qu'il communique,
celui d'un musicien taraudé par « l'angoisse de la perfection »
(ibid.) dans l'interprétation musicale. Un expérience
rare. Jean-Pierre Robert. Robert SCHUMANN : Intégrale des symphonies.
N° 1, op. 38, « Frühlingsymphonie »
(symphonie du printemps), N° 2, op. 61, N° 3, op. 97, « Rhénane », N°
4 (Première version de 1841). Berliner Phiharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 2 CDs + 1DVD Berliner
Philharmoniker Recordings :
BPHR 140011. TT.
: CDs =56'18+60'56 ; DVD=140'. Comme bien d'autres orchestres avant lui,
le Berliner Philharmoniker
a créé son propre label discographique et vidéographique. Plusieurs raisons à
cela : le développement du Digital Concret Hall, opération de diffusion vidéo
des concerts de l'orchestre, et le fait que le contrat du directeur musical
Simon Rattle avec un des majors du disque (EMI,
devenu Warner ) a pris fin sans être renouvelé. La
question de savoir si l'orchestre continuera à enregistrer, avec d'autres
chefs, pour les majors du disque, comme DG, est posée. Pour l'heure, et comme
premier opus de ce nouveau projet, Rattle et
l'Orchestre ont choisi d'offrir l'intégrale des symphonies de Schumann. Celle
de Schubert suivra, dirigée par Nikolaus Harnoncourt.
La présentation des disques est fort luxueuse, sous large coffret entoilé
rehaussé, comme il en est de l'iconographie intérieure du livret, de
reproductions de vases de la Manufacture Royale de porcelaine de Berlin, KPM.
Le coût est aussi en rapport avec le produit. Mais le prince des orchestres ne
saurait faire dans le banal ! Côté interprétation, voilà des versions qui
assument leur différence dans un secteur où la concurrence est rude. Simon Rattle associe volonté d'offrir des interprétations
historiquement documentées et souci d'une exécution moderne dans une large
salle de concert ; en l'occurrence celle de la Phiharmonie
de Berlin où ces enregistrements ont été effectués en direct. Ce qui frappe
d'emblée c'est le parti d'allègement de la texture, lequel permet de
s'approcher de la couleur d'origine, loin des exécutions plus épaisses souvent
favorisées depuis lors avec des formations pléthoriques. On sait le vieux débat
autour de l'orchestration schumannienne que d'aucuns ont fustigé de malhabile
ou de monotone, ce qui paraît bien méconnaître le génie de Schumann pour la
diversité et une manière alerte empruntée à Mendelssohn. Cette atténuation de
la pâte sonore on la perçoit dans les cordes dont Rattle
cherche à souligner la finesse, mais
aussi chez les cuivres qui sont astreints à une relative discrétion. Une autre
caractéristique est la manière de contraster forte et piano,
encore que le spectre sonore ne soit jamais disproportionné. Tout cela est
restitué dans une perspective naturelle de concert par les ingénieurs du son
qui achèvent un équilibre pleinement satisfaisant entre cordes et vents, et
mettent en valeur les fameuses caractéristiques de l'orchestre, dont la
sonorité enveloppante des contrebasses n'est pas la moins captivante. La Symphonie N° 1, « du
printemps », offre un bel exemple de l'allègement sonore privilégié par Rattle. Dès le premier mouvement la manière s'avère vive,
dansante presque, s'emballant joliment à la coda. Le larghetto est chantant,
pas seulement dans la majestueuse phrase des cellos,
et le deuxième thème n'est pas appuyé. Bien balancé, le scherzo est calé dans
une rythmique dansée et le trio fait contraste, sa deuxième réplique prise à
une allure plus rapide introduisant un bel effet de surprise. La péroraison
ouvre un espace de réflexion qui prend son temps. Quant au finale, grazioso,
tout mendelssohnien, des accélérations çà et là maintiennent en haleine et la
reprise finale conduit fièrement à un joyeux tumulte d'apothéose. Rattle joue la Quatrième symphonie dans sa version
originale de 1841. Le matériau est plus fruste que dans la révision de 1851,
qui utilise les doublures instrumentales. Ici, le discours n'est pas appuyé,
révélant mieux la subtilité de l'harmonie schumannienne. La vision de Rattle est volubile, n'hésitant pas à bouler le tempo (coda
du premier mouvement, finale très scandé). La mélancolique « Romanza » centrale s'épanche naturellement et l'entrée
du violon solo lors de la péroraison n'est pas exagérée en termes de
prééminence sonore. La Deuxième symphonie souffre d'un parti pris de
ralentissement comme d'une recherche de contrastes exacerbés, à la différence
de la fraîcheur du geste qu'apporte Claudio Abbado dans sa récente interprétation
en CD (cf. NL de 9/2013). L'architecture du premier mouvement s'en ressent et
connaît quelque baisse de tension dans le développement, alors que la coda est
comme précipitée. Le scherzo « vivace » a du mordant mais le trio
central s'appesantit. L'opposition « Forestan et
Eusébius » sans doute, mais un peu poussée à
l'extrême. Par contre, à l'andante espressivo, le chef prend son temps et l'on
savoure la mélodie envoûtante du hautbois comme le merveilleux crescendo monté
amplement aboutissant au bouquet des cordes suraiguës. Le développement associe
lenteur et jeu pianissimo, au point de presque distendre le discours. Le molto vicace final renoue avec l'énergie et on savoure le
contrepoint des cordes graves. La Troisième Symphonie, « Rhénane »,
est une indéniable réussite car la vision est plus « centrale ». Rattle fait sienne l'indication « Lebhaft »
(animé), et le « drive » est certain, héroïque au premier mouvement
et retrouvant au finale la légèreté bondissante de la Première symphonie. Les
trois séquences médianes forment contraste : du scherzo « très
modéré », ample comme une danse de Landler,
tandis que les traits de cuivres ne sont pas funèbres, au « nicht schnell », intermezzo
romantique expressif s'enfonçant dans une douce rêverie, ou encore au « Feierlich » (solennel), choral non pesant avec une
progression dramatique savamment dosée. La volonté
d'allègement coté cuivres est là encore patente.
Partout, on est subjugué par la souveraine perfection sonore des Berliner.
Jean-Pierre Robert. Dimitri CHOSTAKOVITCH : Symphonies N°4, op.
43, No 5, op. 47, N° 6, op. 54. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 2CDs Mariinsky : MAR0545. TT.: 59'40+75'26. Pour ce nouveau volet de l'intégrale des
symphonies de Chostakovitch, Valery Gergiev propose les
opus 43, 47 et 54 et leurs univers contrastés quoique partageant un point
commun, celui d'un message tragique assumé jusqu'à l'extrème.
La Quatrième Symphonie op. 43, achevée en 1936, retirée par Chostakovitch juste
avant la première exécution, et finalement créée en 196I par Kyrill Kondrashin, est un immense
coup de poing. A l'effectif orchestral
gigantesque répond le foisonnement des idées, fruit des intenses recherches du
musicien. A l'exemple du vaste premier mouvement, lui-même divisé en plusieurs
sections au fil d'une mosaïque thématique étonnante. Valery Gergiev
et ses musiciens du Mariinsly en livrent une
exécution impressionnante, quoique moins engagée que de précédentes exécutions.
Ponctuée de stridences dignes de l'opéra Lady Macbeth de Mzensk,
de clusters grisants, de courses haletantes et éperdues, de sforzandos
inouïs comme enroulés sur eux-même. Le moderato
central, un scherzo qui ne dit pas son nom, quelque peu impénétrable, abonde de
références à Mahler. Les changements brusques de cap qui émaillent
le finale, d'une marche funèbre, elle-même envahissante, à une suite de danses
variées, conduisent à des explosions sonores, points culminants d'accélérandos saisissants. La séquence finale signe des
accords frénétiques avant que le discours livre son angoissante résolution aux
dernières mesures où le son se raréfie pppp
jusqu'au silence. Le caractère déroutant de cette œuvre, par l'enchaînement des
motifs et la rugosité de la musique, n'est assurément pas aisé à appréhender
dans une écoute domestique privée de la spacialisation
du concert. Encore que la captation live aide beaucoup ici. La Symphonie N° 5, op. 47, lors de sa
création, en 1937, marquait la première collaboration de Chostakovitch avec le
jeune chef Evgeny Mavrinski
qui la mena au triomphe. Elle raconte une épopée totalement russe et Gergiev en porte haut la veine émotionnelle. L'âpreté du
discours est vite en évidence dans une dynamique extrêmement contrastée, avec des climax d'une
force colossale. Le scherzo est rythmé avec humour. Le largo offre comme un cri
désespéré, à l'image de la mélodie du hautbois d'une insondable tristesse. Là
encore, la progression aboutit à des paroxysmes terrifiants que rehaussent les
percussions. La récapitulation n'est sereine qu'en apparence. La fanfare qui
ouvre le dernier mouvement introduit un contraste saisissant : de vastes
torrents se répandent, où la modernité du langage cède brièvement la place à
quelque post romantisme. Toute cette dialectique, Gergiev
la saisit à bras le corps. De la symphonie N° 6, op. 54, de 1939, il donne une
exécution incandescente. Cette pièce présente un schéma inhabituel, ses deux
derniers mouvements brefs ne totalisant pas même la durée du premier. Les très
sombres accents de ce largo, de tout un orchestre frémissant pianissimo, d'où
émerge un solo de flûte désespéré, procure un immédiat sentiment de morbidezza, rappelant là encore Lady Macbeth de Mzensk et son dernier tableau. Il s'accentue à la coda,
quoique apparaissent des lueurs d'optimisme. L'allegro
suivant est pris dans une légèreté désinvolte. Du finale presto, bâti sur un
train de marche en crescendo à la Rossini, Gergiev
souligne toute la malice et ne se prive pas d'en souligner les aspects
grotesques et l'incisive vivacité comme lors d'un récent concert parisien. Jean-Pierre Robert. Frédéric
CHOPIN : Concertos
pour piano opus 11 & 21. Version pour piano & pianino. Soo Park & Mathieu Dupouy. 1 CD Label-Herisson : LH
11. TT : 79'25. Quand on sait le peu de goût de Frédéric
Chopin pour les grandes prestations
publiques, notamment avec orchestre, on comprend toute la pertinence de cet
enregistrement des deux Concertos opus 21
(1829) et opus 11 (1830) dans cette
version pour deux pianos (Pianoforte Pleyel 1843) et pianino
(Pianino Pleyel 1838). Une vision plus intimiste
correspondant, sans doute mieux, au caractère très introspectif du compositeur.
Une authenticité, par ailleurs, avérée puisque Chopin avait coutume
d'accompagner ses élèves sur un piano droit, assurant le tutti, tandis qu'il
leur laissait la partie soliste sur le grand piano à queue. Une version pleine
de charme, de délicatesse, d'émotion, merveilleusement naturelle où rien ne
semble manquer tant le piano sait se faire, tour à tour, confident ou
orchestral. Une belle entente jamais mise en défaut, une interprétation toute
au service de la musique. Un Chopin comme on l'aime ! Authentique et
élégant ! Patrice Imbaud. « Made
in France ». Pierre Génisson, clarinette. David Bismuth, piano. 1 CD APARTE : AP 096. TT : 59'. Un disque remarquable qui rend hommage à
l'école française d'instruments à vents et à la clarinette en particulier. Bien
bel hommage en vérité, mérité qui plus est, présentant des œuvres célèbres du
répertoire de cet instrument et d'autres moins connues bien que tout aussi belles.
La Sonate pour clarinette et piano
(1921) de Camille Saint-Saëns, écrite à 86 ans, la Sonate de Francis Poulenc composée en 1962 quelques mois avant la
mort du compositeur, la Première
Rhapsodie (1910) de Claude Debussy, l'Andante
et Allegro (1881) d'Ernest Chausson, de découverte récente (1977) et le Thème
et Variations (1974) de Jean Françaix constituent l'essentiel de cet
enregistrement, joliment conclu par la Méditation
de Thaïs de Jules Massenet qui n'en est pas à une transcription de plus. Un
disque, on l'aura compris, qui se veut le champion de la clarinette exploitant
toute des possibilités expressives et techniques de l'instrument dans un
mélange d'élégance et de virtuosité. Force est d'avouer que ces deux termes,
élégance et virtuosité, s'appliquent parfaitement aux deux solistes qui
s'entendent à merveille pour donner à ce disque tout son charme et sa poésie. Patrice Imbaud. « L'AMOUR ». Airs d'opéra. Juan Diego Florez, ténor. Orchestra e Coro del Teatro Comunale
di Bologna, dir. Roberto Abbado.
1 CD Universal Decca 478 5948. TT :
64'15. Un recueil d'airs célèbres d'opéra français
du XIXe siècle, dus à Boieldieu, Bizet, Donizetti, Berlioz, Adam, Delibes,
Massenet, Thomas, Offenbach et Gounod. Un répertoire chanté depuis toujours par
tous les ténors du monde dont Nicolaï Gedda, Alfredo
Kraus ou Roberto Alagna, pour n'en citer que quelques uns…repris aujourd'hui
par Juan Diego Florez, bel cantiste
reconnu. Un enregistrement qui ravira tous les inconditionnels du ténor
péruvien, qui n'y trouveront rien à jeter, mais où d'autres regretteront
parfois une ligne de chant qui se brise et se durcit nettement dans l'aigu. Par
ailleurs, le timbre est beau dans le médium, la diction claire, la virtuosité
certaine, l'accompagnement orchestral de qualité. Patrice Imbaud. « Mélodies.
Prescience conscience ». Collection Les Musiciens &
la Grande Guerre. (Vol IV). Marc Mauillon,
baryton. Anne Le Bozec, piano. 1 CD HORTUS 704.
TT : 69'49. Quatrième volume de cette collection
originale et très intéressante consacrée, par le label Hortus,
aux musiciens de la Grande Guerre. Tout un florilège de mélodies, lieder et songs reflétant parfaitement les climats si variés de cette
époque tragique, toutes nations confondues, dans un mélange de regret, de
désespoir, d'amertume, de désillusion, mais aussi de camaraderie et de
joie. Des compositeurs français célèbres
comme Ravel, Fauré, Debussy ou Reynaldo Hahn,
d'autres moins connus, belges, allemands, britanniques que l'on se plait à
découvrir au fil de l'écoute, guidé en cela par un excellent livret qui
présente succinctement les différentes biographies et les textes de poèmes.
L'interprétation de Marc Mauillon et Anne Le Bozec ne souffre, ici, d'aucun reproche, témoignant d'une
parfaite symbiose entre voix et piano, au service de la musique et de
l'histoire. Une collection à suivre, d'une valeur rare ! Patrice Imbaud. « La Naissance d'un Nouveau Monde ». Collection
Les Musiciens de la Grande Guerre. (Vol V). Thomas Duran, violoncelle. Nicolas Mallarte, piano. 1 CD HORTUS 705. TT : 80'50. Cinquième opus de la collection « les
Musiciens & la Grande Guerre » proposée par le label Hortus. Dix millions de morts soldant la Grande Guerre,
voilà qui ne pouvait, ni ne devait, laisser le monde indifférent, le monde
musical en particulier… C'est précisément cette prise de conscience tragique et
son influence sur la création musicale qui fait tout l'intérêt de cet
enregistrement qui constituera pour beaucoup une découverte. Certains musiciens
se rattacheront au passé, à une tradition rassurante, d'autres considéreront
que plus rien ne peut désormais être comme avant, franchissant délibérément les
limites d'un académisme suranné pour se risquer dans une modernité pleine
d'espoirs nouveaux. Cinq œuvres magnifiques de compositeurs peu connus du grand
public (Schulhoff, Bridge, Granados, Boulnois, et De la Presle) comme autant de regards
différents sur le monde, comme autant d'histoires empreintes de désillusion, de
nostalgie, mais aussi d'espoir. Une interprétation sublime où la complainte du
violoncelle répond avec émoi et empressement aux attentes réitérées du piano.
Superbe ! Patrice Imbaud. « Métamorphose ». Collection
Les Musiciens de la Grande Guerre. (Vol VI). Thomas Monnet, orgue. 1 CD HORTUS
706. TT : 78'50. Peut-être, par son ampleur sonore, l'orgue
est-il l'instrument le plus apte à traduire l'acuité de la prise de conscience
des musiciens devant la gravité du massacre humain, parvenant à exprimer, avec une véhémence
notable, ce mélange d'angoisse et de renaissance qui caractérise la création
musicale au sortir de la Grande Guerre. Thomas Monnet, sur l'orgue Stahlhuth Jann de l'église Saint
Martin de Dudelange (Luxembourg) nous donne à entendre, dans cet
enregistrement, six œuvres originales ou transcrites d'Hendrik Andriessen ( Fête Dieu), Joseph
Jongen (Deux pièces pour orgue),
Sergueï Prokofiev (Toccata), Max
Reger (Trauerode),
Joseph Boulnois (Choral)
et Maurice Ravel (Le Tombeau de Couperin).
Des œuvres qui prennent, dans ce nouveau contexte instrumental, un éclairage différent
où se mêlent religiosité, méditation, violence, désolation, nationalisme,
tradition et modernité, tout un amalgame de sentiments qui expliquera
l'importante métamorphose que subira la musique en ce début du XXe siècle,
hésitant entre liberté débridée et néoclassicisme. Un sixième volume de la
Collection Les Musiciens & la Grande Guerre tout aussi passionnant que les
précédents. Une collection à suivre, assurément ! Patrice Imbaud.
*** MUSIQUE ET CINEMA
CONCERTS Le
1er novembre à 13h30, Jean-Michel Bernard donne une
master class à La Gaîté Lyrique à Paris, entrée libre sur réservation. Le 2
novembre 2014, 18h : ciné-concert au Grand Rex à Paris. Manifestations
organisées dans le cadre du Festival des musiques à l'image et de l'Audi
Talents Awards Le 10 novembre à Quimper, au cinéma Quai Duplex, Le 12 novembre à
Toulon, au Festival Musiques d'écran, Le 17 novembre à
Paris, cinéma Le Balzac : Ciné-concert
avec le Quatuor Prima Vista, le trompettiste Matthias Champon
et le percussionniste Cédric Barbier. Musique de Baudine
Jam sur les images du chef d'œuvre « Les Ailes » de William Wellman (1927), Oscar du meilleur film. En
1997, "Les Ailes" a été désigné « culturellement, historiquement et
esthétiquement signifiant » par la Bibliothèque du Congrès et sélectionné pour
préservation au National Film Registry. Le 1er novembre,
aux 45e Rencontres Cinématographiques de Marcigny, Le 17 novembre à
Paris au cinéma Le Balzac : Ciné
concert : « La Grande Guerre » avec le Quatuor Prima Vista.
Musique de Baudine Jam. Au programme : "La
Femme française pendant la guerre", Réalisation Alexandre Devarennes (30') - 1917 ; "Les Enfants de France
pendant la guerre", Réalisation Henri Desfontaines (31') - 1918 ; "No man's
land" Images du front (28'), Réalisation (en partie) Alfred Machin - 1915-18 Le 9 novembre à
Londres, Barbican Hall, Le 23 novembre à
Marseille, Villa Méditerranée : Ciné
concert « Études sur Paris » d'André Sauvage, 1928, avec le quatuor
Prima Vista. Musique de Baudine Jam. Pour en savoir plus
sur ce quatuor : http://quatuorprimavista.online.fr Hommage aux musiques des films de
Costa-Gavras Le
24 novembre à 20h30, au théâtre André Malraux de Rueil
Malmaison, un concert des musiques des films de Costa-Gavras sera donné par
l'orchestre des élèves du conservatoire. Costa-Gavras sera présent ainsi
qu'Armand Amar, le compositeur des derniers films du réalisateur
(« Amen », « Le Couperet », « Eden à L'Ouest »,
« Le Capital »). Gilles Tinayre, comme il
l'a fait l'année dernière pour l'hommage Francis Lai– Claude Lelouch, a fait
les arrangements pour ce passionnant concert. Une exposition d'une trentaine de
photos du réalisateur sera organisée et le prix du jury du concours
international de courts-méntrages de Rueil-Malmaison,
réservé aux travaux des élèves des écoles de cinéma, sera remis au lauréat par
Costa-Gavras. Théâtre
André Malraux 9 Place des Arts, 92500 Rueil-Malmaison tel 01 47 32 24 42.
https://www.youtube.com/watch?v=f4n5j9jgdo8 ANTOINE DUHAMEL
Ce
très grand compositeur de musique vient
de s'éteindre à l'âge de 89 ans. Il était le fils de l'écrivain Georges Duhamel
et de l'actrice Blanche Albane. Il fit ses études musicales auprès d'Olivier
Messiaen et de René Leibowitz. Parallèlement il a étudié la psychologie et la
musicologie à la Sorbonne. Compositeur de nombreuses œuvres symphoniques,
d'opéras, il l'a été aussi de musique pour le cinéma. Sa carrière
cinématographique a masqué celle de sa musique à programme qui est d'une grande
qualité. Il a travaillé avec Jean-Luc Godard, Jean-Daniel Pollet,
François Truffaut, Bertrand Tavernier, Patrice Leconte, Fernando Trueba…. « Pierrot Le Fou », « Week End », « Baisers Volés »,
« Domicile Conjugal », « Que la Fête Commence »,
« Ridicule », « Belle Epoque » sont des musiques
inoubliables. Une des plus belles partitions qu'il a écrite est une de ses
toutes premières : « Méditerranée » de Jean-Daniel Pollet. C'est avec « Ridicule » de Patrice
Leconte qu'il a été récompensé d'un César. Compositeur exigeant, amoureux du
cinéma, il a été frustré que sa musique classique n'ait pas été plus écoutée et
enregistrée. « Ubu à l'Opéra » est un petit chef d'œuvre !
Stéphane Lerouge a écrit un livre d'entretiens aux
éditions Textuel avec une préface d'Alexandre Desplat
et des témoignages de Bertrand Tavernier, Patrice Leconte et Olivier Assayas. On le trouve encore sur internet. https://www.youtube.com/watch?v=tbRi3mAU9jI https://www.youtube.com/watch?v=gd7yVxlKf_0&list=PL30078D5065D7BCD6 https://www.youtube.com/watch?v=xVrH4d900wY
L'IMAGE MANQUANTE Le 10 octobre dernier, lors d'une soirée à
la salle Pleyel, la musique du film de Rithy Panh « L'image
manquante », composée par Marc Mader a reçu le prix
de « France Musique – Sacem » de la musique de film. Le lauréat reçoit alors
une commande de Radio France qui sera créée et interprétée l'année suivante par
l'Orchestre Philharmonique de Radio France.
Il y
a juste un an, dans le numéro de Novembre 2013 de la NL de L'Education Musicale
en avait fait un compte rendu. Stéphane Loison. ENTRETIEN Le réalisateur Patrice Leconte
Patrice
Leconte passe son enfance à Tours. A l'âge de 20 ans il monte à Paris, il entre
à l'IDHEC, participe aux Cahiers du Cinéma et se lance dans le court-métrage.
Parallèlement il contribue au journal Pilote dans les années 1970-74. En 1975,
il réalise son premier film « Les Vécés Étaient Fermés de l'Intérieur » en
adaptant des personnages de Gotlib, avec Jean Rochefort et Coluche. C'est le
film « Les Bronzés », un des plus gros succès du cinéma français, qui
fait sa renommée. Réalisateur, scénariste, cadreur il a réalisé une trentaine
de longs-métrages. Souvent nommé aux Césars, il a obtenu celui du meilleur
réalisateur pour « Ridicule » Patrice Leconte, sans faire un mauvais jeu
de mots, pourquoi ne faites-vous
pas tandem avec un compositeur de musique ? Vous en changez très
souvent... Oui,
j'ai un bras droit et un bras gauche, qui sont Joëlle Hache, monteuse, et Ivan Maussion,
décorateur. J'ai d'autres fidélités plus épisodiques, mais au niveau de la
musique je me balade. Je me suis toujours méfié des musiciens. Lorsque je
reçois des bandes démo, des CD, quand des musiciens pensent savoir tout
faire…suspens ? La vraie personnalité d'un compositeur ce n'est pas de
savoir tout faire, d'être un caméléon … Je dis ça mais j'ai passé ma vie à
faire des films différents les uns des autres. Je suis un mauvais exemple… Donc
lorsque j'aborde un nouveau film, je me pose toujours la question
basique : comment le mettre en scène ? On ne le fait pas de la même
manière pour « Les Bronzés », « Une Promesse » ou
« Les Grands Ducs ». Quel angle, quel style, vais-je adopter, et très
vite je me pose la question de savoir qui va composer la musique. C'est une interrogation
que je me pose très très en amont. Je ne crois pas
qu'on puisse s'adresser à un même musicien pour des films très différents. Je
m'amuse beaucoup plus à faire appel à Michael Nyman,
ensuite à Gabriel Yared ou bien à un groupe comme
L'Attirail que peu de gens connaissent. Ça me plaît parce que j'ai l'impression
qu'en convoquant tel ou tel compositeur je vais les superposer à ma vision du
film et que cette superposition n'est pas universelle. Ça ne m'intéresserait
pas de connaître un compositeur qui sache tout faire, que j'emprunte le chemin
de droite, de gauche ou celui du milieu. J'aimerais qu'on revisite vos films en
fonction du compositeur choisi. Pour votre premier long-métrage « Les
Vécés Étaient Fermés de l'Intérieur », vous avez travaillé avec le très
prolifique Paul Misraki. A
l'époque, je n'avais pas une grande connaissance des compositeurs de musique de
film. Je connaissais bien sûr les compositeurs emblématiques comme Georges
Delerue, Philippe Sarde. Avec Philippe, on se connaissait depuis longtemps, je
lui avais proposé de faire la musique du film. C'est lui qui m'a conseillé de
prendre Paul Misraki. C'était un vieux monsieur
absolument délicieux et qui s'est amusé comme un fou à faire la musique à
l'image, musique pléonasme, musique stabylo. J'ai
adoré ça, mais ce n'est pas moi qui ai eu l'idée de le prendre. Et « Les Bronzés » ? Si
vous regardez bien la liste de mes films vous allez voir que petit à petit j'ai
pris conscience de l'importance de la musique. Pour mes premiers films je
cherche, je n'ai pas d'idée. Les compositeurs arrivent après coup. Je ne suis
pas très motivé. « Les Bronzés », c'était ma renaissance après
l'échec du premier film et une période sombre. J'ai eu Michel Bernholc parce que j'aime beaucoup la variété et j'aimais
beaucoup Michel Berger. Il n'avait pas le temps de faire la musique et m'a
proposé son arrangeur. C'est là que je me suis rendu compte que les arrangeurs,
les orchestrateurs, étaient des gens très talentueux. Mais s'il n'y a pas le
type qui à l'origine donne la ligne mélodique, l'idée, ça ne sonne pas comme il
faut. Michel Bernholc a fait une bonne musique, mais
ce n'était pas du Michel Berger. Avec « Les Bronzés font du Ski » et
Pierre Bachelet c'était un hasard un peu stupide. Yves Rousset-Rouard, le producteur des « Bronzés », avait
produit « Emmanuelle » et m'a dit de rencontrer Pierre Bachelet, le
compositeur de la musique ; ce serait
charmant. Je n'avais pas d'idée, j'attendais qu'on m'en souffle. Je le
rencontre donc. C'était un monsieur très sympathique, paix à son âme, mais la
musique des « Bronzés Font du Ski » est la musique que je déteste le
plus. Je la trouve toujours affreuse. A l'époque déjà je ne l'aimais pas. Mais
bon si la production la trouvait bien, je l'acceptais, je me laissais un peu
avoir… Après vous avez eu une grande aventure avec Renaud. Avec
Michel Blanc quand on a écrit « Viens Chez Moi J'habite Chez une
Copine », on s'est posé la question de la musique. Là aussi je demandais
conseil à des gens que j'estimais. Michel me propose de prendre Renaud ; toujours
mon goût pour la variété. On fait appel à lui et j'apprends que Renaud
travaille avec un musicien qui s'appelle Ramon Pipin
du groupe Odeurs, un groupe que j'apprécie. On a fait deux chansons, une pour
le générique début et l'autre pour le générique de fin, puis avec le groupe
Odeurs la musique du milieu et là, même si je n'ai pas contrôlé les choses
d'une manière comme j'aime, à l'arrivée, je trouve qu'il y a une cohérence
assez magnifique. C'était un film de 81, ça fonctionne bien entre musique et cinéma. C'était l'air du temps. Oui.
D'ailleurs dans le Nouvel Observateur, Michel Mardore
a écrit : « une comédie témoin de son temps ». Ça m'avait plus,
j'avais l'impression d'avoir décroché la Légion d'Honneur ! Avec
« Circulez y'a rien à Voir » on a retravaillé ensemble avec Ramon Pipin. Pour « Les Spécialistes » vous
avez fait appel à un vrai compositeur de musique de film qui avait déjà une
belle carrière derrière lui. Eric
Demarsan est un vrai professionnel de la musique. Je
crois que c'est le producteur Christian Fechner qui m'a conseillé de
m'acoquiner avec un conseiller musical, dont je ne me souviens plus le nom.
Bref il m'avait dit : « Il n'y a qu'un
seul type qui peux faire la musique de votre film c'est Eric Demarsan » . Il me cite quelques films qu'il avait
musiqués, les films de Melville bien sûr… Je le rencontre, je tombe sur un
petit bonhomme qui fume la pipe, qui habite la banlieue, qui ne paye pas de
mine et qui a fait une musique formidable. A l'époque je suis encore hésitant, je
ne sais pas exactement ce que je veux.
Je dois dire qu'avec Eric Demarsan on s'est
très bien entendu. C'est à cette époque que j'ai commencé à construire mon
envie de musique par rapport au film. « Tandem » ! Je me souviens
de la bande annonce où on entendait seulement la chanson « Il mio Refugio » chantée par Cocciante et un texte qui défilait sur l'écran. Oui
c'était Resnikoff qui à l'époque faisait beaucoup de
bandes annonces et qui avait eu cette idée d'écrire : « Sur un tandem
quand l'un des deux tombe ce sont les deux qui se cassent la gueule » www.dailymotion.com/.../x9q7g1_tandem-bande-a... « Il Mio Refugio »,
c'est un truc très curieux. Beaucoup de gens s'imaginent qu'on a acheté les
droits d'une chanson italienne existante. Mais elle a été composée pour le
film. A l'époque je faisais beaucoup de films publicitaires avec François
Bernheim. C'est un prince, il avait le chic pour trouver le jingle qu'il
fallait. Comme on s'entendait bien, je lui dis : je prépare un petit film,
avec un petit budget, il s'appelle « Tandem », j'aimerais que tu
fasses la musique, mais surtout je rêve que tu composes une chanson d'amour
italienne parce que les italiens quand ils chantent l'amour, ils le chantent
avec une telle désespérance, et même si ce film est une histoire d'amitié,
c'est ce que je désire. Il m'écrit la chanson, la chante au piano en yaourt, la
mélodie me plaît, il me propose de la donner à Cocciante.
Quand j'ai assisté à l'enregistrement j'avais les poils de l'avant bras qui se
hérissaient parce qu'elle me transperçait d'émotion. Je me suis dit, on a la chanson du film, j'étais aux anges. Lorsque je dis que
cette chanson a été composée spécialement pour le film par François Bernheim
c'est pour bien insister sur le nom de François Bernheim. Cocciante
ne l'a pas écrite, il la chante magnifiquement. Parlons
maintenant de votre admiration pour Michael Nyman. C'est grâce aux films de Peter Greenaway que j'ai apprécié
ce compositeur. Avec celles de Phil Glass ses musiques me transportent. A
partir de « Tandem », le compositeur n'arrive plus après coup. Dès
l'écriture du scénario je pense musique. Je raconte aux compositeurs
l'histoire, les images que j'ai en tête. Certains composent des thèmes avant
même que j'ai tourné un mètre de pellicule. J'aime cette idée que le
compositeur soit impliqué très en amont. Qui
vous a proposé « Monsieur Hire » ? Philippe Carcassonne avait produit « Tandem » et
il me demande ce qu'on fait maintenant. Connaissant ma passion pour Duvivier,
un réalisateur très pessimiste et romanesque, il me demande si je savais que
« Panique » était une adaptation d'un roman de Simenon. Je l'ignorais. J'achète le livre, des idées
me trottent dans la tête, j'appelle Carcassonne, je lui propose de ne pas faire
un remake du film mais une autre adaptation du livre. Pour tout vous dire,
j'aurais aimé faire le film avec Coluche mais il était mort un an auparavant.
Il avait toutes les fêlures qu'exigeait le rôle. On a donc écrit l'adaptation
sans penser à un acteur. Puis un jour j'ai eu l'idée de proposer le rôle à mon
ami Michel Blanc qui n'avait jamais joué ce genre de personnage. Ça lui a fait
peur, mais il a accepté. Moi aussi j'avais peur car je n'avais jamais réalisé
un film avec cette ambiance. C'est mon film sans doute le plus ténébreux, il
n'y a pas un demi gramme d'humour. Quand se posa la question du musicien, j'ai
proposé à Carcassonne, grand amateur de musique, de prendre Michael Nyman. Je suis parti à Londres : je le rencontre, il adore
le projet, il accepte. Et ça a été merveilleux. C'est Joëlle, ma monteuse, qui
me dit au cours du film, que ce serait assez magnifique si Monsieur Hire écoutait toujours un air. Il le mettrait et
regarderait Alice dans l'immeuble d'en face. J'ai trouvé l'idée formidable et
sur son initiative j'ai tourné tous ces gros plans de tourne-disque, de vinyle.
Je me suis souvenu d'un passage très court dans un quatuor de Brahms - Quatuor
en Sol mineur Op. 25 - une mélodie que
je connaissais depuis des années. Je me suis dit : voilà Monsieur Hire écoutera cette mélodie, puis j'ai dit à Michael qu'il
faudra qu'il cohabite avec Brahms et il a adoré cette idée. Michael Nyman, ce grand dandy, a écrit pour ce film une partition
exemplaire. Un autre musicien minimaliste pour qui vous
vouez une passion c'est Phil Glass. Vous n'avez jamais travaillé avec
lui ? Depuis
les films de Godfrey Reggio,
« Koyaanisqatsi », la trilogie des Qatsi, j'écoute ses
musiques cent cinquante fois par an, je ne m'en lasse pas. Bon on fait une
parenthèse dans la chronologie, je me suis toujours dit depuis la nuit des
temps que je ferai un film avec Philip Glass. Quand j'ai eu le projet
d' « Une Promesse », je me suis dit voilà on va travailler, Phil
Glass et moi. J'avais correspondu avec Godfrey Reggio, parce que j'avais fait un film du même acabit,
« Dogora ». Je corresponds avec Phil Glass,
son assistant me répond, j'envoie le scénario, il aimerait le faire, c'était
vachement avancé quoi…et un mois avant le tournage je reçois un email un peu
laconique de son assistant qui me dit monsieur Glass fête ses 75 ans, il n'aura
pas le temps de faire votre film, au revoir ! A l'américaine ! Pas un
mot, pas un sourire, ça ne m'a pas plu ! J'étais très déçu. Combien de
fois, avec Joëlle Hache lorsque je montais mes films, on mettait de la musique
de Glass avant d'avoir les compositions définitives. Vous étiez maso ! Oui, un peu (rire) Je pense que c'est quand même une bonne
chose pour le film. Car ce que vous a amené Yared est
exceptionnel. Quel
est le proverbe …C'est A quelque chose malheur est bon, je crois ? Un jour, j'ai proposé à Jean Pierre Marielle
« La Fille sur le Pont », il m'a dit non, je suis trop vieux. J'ai
pris Daniel Auteuil qui est génial. Quand un film vous claque dans les doigts,
vous vous dites que tout est foutu, et vous rebondissez d'une manière
formidable. Comment vous est venu l'idée
de Yared ? Joëlle
Hache avait travaillé avec lui sur « Camille Claudel ». C'est le seul
nom qui m'a consolé de la défection de Glass. Il a vu le film seul avec Joëlle
et c'est à la fin de la projection que j'ai fait sa connaissance et que nous
avons parlé du film. Il l'a vu avec des musiques provisoires qui étaient de Wim
Mertens. Pendant un moment j'ai rêvassé autour de lui quand j'ai senti que cela
pouvait être compliqué avec Phil Glass. Gabriel l'apprendra sûrement un jour
que j'avais proposé à Philip Glass, qu'il a été non pas le deuxième choix mais
mon sauveur. Ça a été une collaboration étourdissante de sensibilité, de talent.
Ce qu'il a fait pour le film est vraiment formidable. Je suis tellement heureux
du travail de Yared et on s'est tellement bien
entendu, c'était du bonheur. Voilà mon aventure avec Phil Glass. https://www.youtube.com/watch?v=0EBhxAeUYiE Maintenant on reprend la chronologie et on
arrive avec un film exceptionnel : « Le Mari de la Coiffeuse »
et une autre collaboration avec Michael Nyman ; mais
ce n'est pas sa musique dont on se souvient quand même. Je
voulais continuer avec Michael Nyman parce qu'on
s'entendait bien. Il lit le scénario et je lui dit qu'il faudra ce coup–ci cohabiter avec des
musiques orientales. Il trouve que le film est très Français, il me propose de
faire une musique à la française. Je ne savais pas ce que cela voulait dire
mais ça n'était pas terrible. Autant sur « Monsieur Hire »
il a été très Nymanien, autant sur « Le Mari de
la Coiffeuse » il a composé un peu par-dessus la jambe. Je garde un
souvenir de Nyman surtout pour « Monsieur Hire ». Ensuite vous avez travaillé avec le couple
Angélique et Jean-Claude Nachon que je ne connais
absolument pas. Où les avez-vous trouvés ? Y'a
pas de danger. C'est un couple qui a fait beaucoup de musiques de scène. Et
quand j'ai fait ma première mise en scène de théâtre, une pièce de Jean
Anouilh, j'ai demandé aux Nachon de faire la musique.
Elle n'était pas mal. Je ne sais plus où je les avais rencontrés. J'ai dû les
entendre au théâtre. Il y avait quelque chose qui m'avait plu. Je leur ai dit
que j'allais faire un film et par amitié, par fidélité, je leur ai demandé de
composer la musique. Ils ont composé pour « Tango » et pour un film
qui est un de mes préférés : « Les Grands Ducs ». Avec Pascal Estève vous avez travaillé
plusieurs fois, c'est un compositeur talentueux. J'ai
fait trois films avec lui. « Le Parfum d'Yvonne », « La Veuve de
Saint Pierre » et « Confidences Trop Intimes ». Je prépare
« Le Parfum d'Yvonne », voilà un titre à la con, qui est adapté de
« Villa Triste » de Modiano. « Villa Triste » c'est un très
beau titre, mais quand il faut se battre avec le producteur et le distributeur
qui vous racontent que dans « Villa Triste » y'a triste et que ce
n'est pas bon, enfin passons. Je devais retrouver pour le film Michael Nyman qui était ravi. Il voit le film, il me dit des choses
intelligentes, censées, pertinentes, l'affaire est faite. Je reçois avant la
date fatidique un message comme quoi pour des raisons obscures il ne pouvait
plus faire la musique. Je me trouve orphelin de compositeur. Et là-dessus
Joëlle Hache me dit écoute j'ai fait la connaissance d'un jeune type, Pascal
Estève, je suis sûre qu'il a du talent, rencontre-le. Je le rencontre, il me
joue des choses au piano, je lui montre le film, et il a été extraordinaire de
répondant immédiat, d'inspiration. Il a sauvé la musique d'une manière
brillante. C'était une opportunité formidable pour lui. La musique de
« Confidences Trop Intimes » est une musique formidable et ce qu'il a
fait pour « La Veuve de Saint Pierre » est inspiré. Je ne suis pas
musicien du tout, mais je donne des indications, des pistes, et avec mes mots
j'arrive à communiquer assez facilement. Je lui disais « Saint
Pierre » c'est un film maritime, avec de l'accordéon, avec une marée de cordes.
Il m'a dit je vais te composer une musique pour accordéon et cordes. Toute la
musique a été écrite avant le tournage et il y avait certains thèmes que
j'avais sur un CD et qui me trottaient dans la tête pendant le tournage. Avec Antoine Duhamel, là vous avez travaillé
avec un géant de la musique ! Antoine ! Je connaissais bien sûr sa musique sur les
films de Godard et aussi et surtout pour un film peu connu,
« Méditerranée » de Jean Daniel Pollet. Je
suis dingo de cette musique. Quand avec Carcassonne, le producteur de
« Ridicule », on évoque la musique, je lui dis qu'il y a un
compositeur que j'adore et que s'il était libre ce serait merveilleux, c'est
Antoine Duhamel. La grande question que je m'étais posée et qu'il m'a
posée : Patrice est-ce qu'on fait de la musique moderne jouée par des
instruments anciens, ou une musique ancienne jouée par des instruments
modernes. En fin de compte c'était la première solution la meilleure. Antoine
Duhamel a écrit une musique interprétée par Jean-Claude Malgoire
et la Grande Ecurie et La Chambre du Roy. J'ai adoré les séances
d'enregistrement parce qu'on a enregistré tous les instruments de l'orchestre
ensemble. Je n'avais pas vécu cette situation depuis longtemps, j'étais aux anges. Alexandre Desplat a fait
« Une Chance sur Deux ». Il a
fait une partition exemplaire pour ce film, mais il a été happé par les sirènes
anglo-saxonnes et il n'est plus disponible pour nous. Cette profession est
peut-être la seule qui permet le cumul, hélas. Alexandre fait trop de chose et
c'est dommage. J'avais envisagé de le prendre sur « Une Promesse »
mais il a été honnête et m'a dit qu'il ne pourrait pas être totalement libre
pour faire une bonne partition. Est-ce qu'au cours de votre carrière vous
vous êtes senti frustré par ce média que vous ne pouvez contrôler ? Non
jamais. Je n'ai jamais été intimidé par les grands compositeurs avec qui j'ai
travaillé comme Yared, Nyman
ou Antoine Duhamel. Vis-à-vis de la musique je sais exactement ce que j'aime ou
ce que je n'aime pas. Je n'ai pas forcément les connaissances, les mots, je ne
suis pas musicien encore une fois, mais ça m'aide, parce que ma naïveté, mes
convictions, en matière de goûts musicaux, j'arrive toujours à les communiquer.
Avec un compositeur, quel qu'il soit, qui me présente une maquette ou un thème
au piano, une approche de la musique, si je lui dis écoute c'est dommage parce
que le tempo est trop lent, ça va plomber la scène, ou je ne sais pas quoi,
bref, je ne me sens pas otage. Mais toujours, vraiment toujours, ça s'est bien passé.
Je n'ai jamais eu un compositeur qui le prenait de haut, qui me disait écoutes
laisse moi faire…ça ne m'est jamais arrivé. Alors sur « La Fille du Pont »
comme pour « Félix et Lola » et « Rue des Plaisirs » vous
avez choisi diverses musiques. J'ai
adoré ça. J'allais dans les bacs de la Fnac chercher dans Musiques du monde,
des musiques étranges, exotiques, des bizarreries. J'ai acheté des CD parce que
la pochette me plaisait, je passais à la caisse de la Fnac avec des piles de
disques qui étaient coincés sous mon menton. Vous n'aviez pas d'idées préconçues au départ. Je
voulais que la mise en scène soit très libre, que le scénario, la bande son
soient aussi très libres, donc je n'ai pas voulu de musicien. Vous êtes même allé chercher « I'm sorry » de Brenda Lee
que vous avez dû écouter quand vous étiez môme. Un collector
quand même. On l'entend d'ailleurs dans « Casino » de Scorsese. Scorsese
connaît très bien « La Fille sur le Pont », c'est un grand cinéphile.
J'ai fait plusieurs films ainsi sans compositeur. J'avais un sentiment de
liberté et de diversité qu'un compositeur n'aurait pu me donner. Sur « La
Fille sur le Pont » c'est le premier film que j'ai fait de cette manière.
Avec Joëlle au montage on mettait des musiques provisoires qui devenaient
définitives. La production se débrouillait pour acheter les droits. J'ai adoré
cette liberté. Sur « Félix et Lola » je me suis fait aider par une
sorte de Stéphane Lerouge bis pour trouver des
musiques. Parlez-moi de votre collaboration avec
Étienne Perruchon. Vous avez fait quatre films avec
lui, « Dogora », « Les Bronzés
3 », « La Guerre des Miss », « Le Magasin des
suicides ». Perruchon, je l'ai découvert
à l'Odéon pour une musique de scène. Il a fait énormément de musiques pour le
théâtre. C'est ainsi que notre amitié a débuté. « Dogora »
a été une aventure formidable. J'avais depuis très longtemps envie de faire un
film sans acteur, ni scénario, sans dialogue, sans un mot, un film qui serait
purement émotionnel, impressionniste et musical. Quand Étienne m'a fait
découvrir « Dogora », l'œuvre faisait 28
minutes. J'étais bouleversé. C'était une suite symphonique chantée dans une
langue étrange par une centaine d'enfants. Étienne rêvait d'associer sa musique
à des images. On décide de le faire mais il fallait réécrire une œuvre plus
longue. C'est lorsque je me suis rendu au Cambodge qu'est née cette aventure,
c'est une odyssée universelle, surprenante, émouvante. On n'a pas gagné un
sous, mais avec « Les Bronzés 3 » et le succès du film Étienne a bien
gagné sa vie. Vous avez retravaillé avec lui sur le « Magasin
des Suicides » J'adore
Jean Teulé et quelqu'un me contacte, me dit qu'il a
les droits du « Magasin des Suicides ». Je pense que c'est
inadaptable à moins d'être Tim Burton. Moi je ne suis pas aussi barré que lui,
je suis plus naturaliste. L'affaire tombe à l'eau. Un jour un type m'appelle,
me dit qu'il aimerait prendre un café avec moi pour un projet. J'accepte et il
me dit qu'il a racheté les droits du « Magasin des Suicides ». Je
l'arrête tout de suite et répète que je suis incapable de faire le film. Il me
demande de lui laisser finir sa phrase, c'est pour faire un film d'animation
qu'il voulait me rencontrer. Et là c'était lumineux pour moi parce que ça me
ramenait au dessin, à l'animation que j'adore, et surtout que par ce procédé on
peut faire des choses extravagantes, extrêmes. Je me suis mis à faire
l'adaptation le jour même. J'ai eu l'idée d'en faire un film musical, d'écrire
des chansons. J'ai travaillé avec Étienne Perruchon
parce qu'on a une grande amitié et surtout qu'on s'était dit qu'il faudrait
qu'un jour on fasse un film musical. J'aimerai être réincarné en cinéaste à Bollywood. Alors vous voyez pourquoi je me suis régalé à
faire ce film. Il est exactement ce que je voulais. https://www.youtube.com/watch?v=ZyrN7Q1AcjU&index=4&list=PLro0yFm3TXFI5PeY08_PsCnQBPA68iCcD Pour « Mon Meilleur Ami » vous
avez travaillé avec un groupe quasiment inconnu. C'est
toujours avec l'idée de me servir de musiques existantes, qu'en fouillant dans
un bac de la Fnac qui réunit toutes les musiques qu'ils ne savent pas trop où
classer, je tombe sur un CD intitulé « L'Attirail - Dancings des Bouts
du Monde ». La pochette représentait un autocar rouge et blanc, d'une
autre époque, roulant dans une ville d'un pays de l'Est. Je l'ai écouté et je
l'ai aussitôt aimé. Follement. J'ai choisi Nova Zagora part 2 pour accompagner
une séquence de lancer de couteaux pour « La Fille sur le Pont ».
Comme j'aime bien rencontrer les gens, j'ai écrit à Xavier Demerliac
du groupe et lui ai proposé, lorsqu'il viendrait à Paris, de le rencontrer. Ce
qui fut fait. J'ai appris qu'il aimait les vieilles voitures, qu'il roulait
avec une Simca P60, la voiture que j'avais lorsque j'étais lycéen et nous
sommes devenus assez copains. C'est ainsi que j'ai commencé à fréquenter
L'Attirail, assisté à leurs concerts, acheté d'autres albums avec le projet de
travailler un jour ensemble. Les envies il ne faut jamais les forcer. Lorsque
« Mon Meilleur Ami » est arrivé, je me suis dit : c'est
maintenant, ce film est pour Xavier. J'ai toujours eu un rapport parfaitement
intuitif avec la musique. Je lui ai fait lire le scénario, il l'a aimé, j'ai
tourné le film, il a commencé à inventer des thèmes, je lui ai montré le
premier montage et il a composé la musique. La musique de L'Attirail est une
musique reconnaissable entre toutes, originale, populaire, joyeuse, colorée,
nostalgique parfois. Aujourd'hui je me dis qu'il n'y avait pas de meilleur
choix. https://www.youtube.com/watch?v=KtA0J08UQS0 Et pour votre dernier film « Une
Heure de Tranquillité » vous avez pris un nouveau compositeur ? Oui,
Eric Neveu ! C'est un type charmant, très doué, très à l'écoute. Je
connaissais son travail depuis longtemps, je n'ai pas eu l'idée de le prendre,
mais la production Fidélité qui a souvent travaillé avec lui me l'a proposé. Je
suis ravi de ce qu'il a composé. On travaille en bonne intelligence. Alors rendez-vous
le 31 décembre pour la sortie de ce film!
Propos recueillis
par Stéphane Loison. BO
en CDS HENRY MANCINI. The Classic Soundtrack Collection.
Legacy – Sony. Disponible le 17 novembre 2014 Mancini c'est le thème de « The Pink Panther », c'est « Moon River », le standard international tiré de
« Breakfast at Tiffany's »
interprété par de nombreuses stars de la chanson, c'est le « Baby Elephant Walk » de « Hatari ! »,
c'est la musique de « La Soif du Mal » d'Orson Welles…C'est surtout
le compositeur attitré du réalisateur Blake Edwards. Henry Mancini a obtenu 4
Oscar, 20 Grammy Awards et
quelques Golden Globes. Il a son étoile sur le Walk
of Fame à Hollywood. Legacy
- Sony vient de concocter un coffret de 9 CDs, soit 18 musiques de films
d'Henry Mancini. On y trouve bien sûr les plus célèbres compositions pour Blake
Edwards (« The Party »,
« The Pink Panther et
son Retour », « Breakfast at Tiffany's » , « Darling Lili »,
« The Great Race », « What Did You Do in The War Daddy »), mais aussi pour trois comédies
magnifiques signées Stanley Donen (« Two For The Roads »,
« Arabesque » et « Charade »), et pour le célèbre film
d'aventure « Hatari !» d'Howard Hawks avec John Wayne.
Dans ce coffret sont proposées des musiques moins connues mais tout aussi
intéressantes de films tels que « Experiment in Terror », « Gunn », « High
Time » de Blake Edwards, « Visions
of Eight » réalisé entre autres par Milos
Forman, Arthur Penn, Claude Lelouch, et « Who Is Killing The Great Chefs of Europe »
de Ted Kotcheff (le réalisateur de Rambo), interprété
par Jacqueline Bisset et George Segal. Un livret bien
documenté et illustré accompagne ce coffret noir élégant. En bonus, Mary Poppins,
alias Julie Andrews, Madame Edwards à la ville, interprète « Nothing
To Lose » du film « The
Party ». Pour
les fêtes de fin d'année voici une belle idée de cadeau et pour les amateurs de
musique un vrai collector à posséder sur cet immense
compositeur et arrangeur.
https://www.youtube.com/watch?v=LpxYuv2O46c
UN AMERICAIN A PARIS. Réalisateur :
Vincente Minnelli. Compositeur : George Gershwin. 1CD Milan Music n° 399 593-2 Du
22 novembre 2014 au 4 janvier 2015, le Théâtre du Châtelet présente pour la
première fois « Un Américain à Paris », une comédie musicale tirée
du chef d'œuvre du genre, réalisée par
Vincente Minnelli. Dans ce CD on trouve des thèmes très connus de Gershwin –
« 'S Wonderful », « I Got Rythm », « Embraceable You »… qui proviennent de comédies de
Broadway écrites par Gershwin tels que « Girl Crazy »,
« Funny Face », « Strike Up The
Band ». Certains morceaux sont chantés par Georges Guétary et Gene Kelly.
On trouve aussi sur ce CD le troisième mouvement du Concerto en Fa interprété
par le pianiste Oscar Levant et le MGM Orchestra. Cette musique rappelle ô
combien que la MGM avait un savoir faire pour produire des comédies musicales. https://www.youtube.com/watch?v=4zLjF9hlH2k CLIFF MARTINEZ : « At
Film Fest Gent ». 1CD Milan / Universal n° 399 608-2 « Solaris », « A L'Origine », « Kafka », « Only God
Forgives », « Espion(S) », « The
Underneath », « Wicker Park », « The Company You
Keep », « Contagion », quelques extraits de compositions pour ces
films sont proposés dans ce CD. Elles ont été
orchestrées, interprétées par le Brussels Philharmonic,
dirigé par Dirk Brossé. Cliff Martinez est une figure incontournable de la
musique de film d'aujourd'hui. Son parcours est assez original. Batteur du
fameux groupe rock Red Hot Chili Peppers,
il est devenu le compositeur attitré de Steven Soderbergh (« Sexe, Mensonges et Vidéo »,
« Traffic », « Solaris »,
« Contagion »…et la série « The Knick »).
Il est aussi, entre autres, le compositeur de Nicola Windin Refn dont la musique de
« Drive » est devenu un succès
international. Dirk Brossé est compositeur et chef d'orchestre. Il est
actuellement directeur musical de l'Orchestre de Chambre de Philadelphie. Il a
composé plus de quatre cent œuvres dont quelques BO et a participé à plus de 70
enregistrements des plus grands artistes (José van Dam, John Williams, Hans Zimmer, Elmer Bernstein, Maurice Jarre, Michel Legrand,
Barbara Hendricks…). Ce disque est exemplaire car arriver à réécrire la musique
de « Cliff Martinez » pour grand orchestre est carrément une gageure.
Garder un équilibre entre les sons électroniques et les sons symphoniques n'est
pas courant et c'est un vrai défi à relever.
Les mélodies de Martinez ne sont pas classiques mais complexes. Grâce au
talent de Dirk Brossé on retrouve l'ambiance, l'émotion des œuvres originales.
Ce CD stimule l'imagination. Le seul reproche qu'on pourrait faire : il
semble très court ! Mais ce n'est qu'une impression ! L'orchestre
sous la direction de Dirk Brosse, se produit au Festival du Film de Gand.
https://www.youtube.com/watch?v=vhIrzhLR3Js CHEF. Réalisateur Jon Favreau. 1CD Milan /
Universal CD n°399 569-2 - disque VINYLE n°399 607-2 (le vinyle
contient une carte de téléchargement mp3, et ne possède que 10 morceaux) Carl
Casper, chef cuisinier, préfère démissionner soudainement de son poste plutôt
que d'accepter de compromettre son intégrité créative par les décisions du
propriétaire de l'établissement. Il doit alors décider de son avenir. Se
retrouvant ainsi à Miami, il s'associe à son ex-femme, son ami et son fils pour
lancer un food truck. En prenant la route, le Chef
Carl retourne à ses racines et retrouve la passion pour la cuisine et un zeste
de vie et d'amour. Jon Favreau, le réalisateur de blockbusters tels que les
« Iron Man », a concocté un petit film
indépendant à sa sauce et il est savoureux. Il est pimenté par l'apparition de
ses amis et acteurs fétiches (Robert Downey Jr.,
Dustin Hoffman, Scarlett Johansson et la pulpeuse
colombienne Sophia Vergara). Le film est un road trip
et donc chaque ville possède son identité culinaire et musicale propre. Miami
et la salsa, New Orleans et son groove (Sexual Healing en fanfare est un moment très amusant du film), Austin et son Texas
blues et enfin Los Angeles et son buffet hip-hop. La musique est très présente
dans le film, elle est comme un acteur. Tous les morceaux ont été enregistrés
spécialement pour le film. C'est une vrai BO. Elle donne des envies de bouger
et de courir aller voir « Chef » si on n'a pas vu le film. Le CD s'écoute
avec beaucoup de plaisir. Il serait dommage de ne pas goûter à cette food qu'offre Jon Favreau. Bon appétit ! https://www.youtube.com/watch?v=wBiPuJgkfVc I ORIGINS. Réalisateur : Mike Cahill.
Compositeurs : Will Bates & Phil Mossman.
1CD Milan n°399 582-2 Sur
le point de faire une découverte scientifique, un médecin part en Inde à la
recherche d'une jeune fille qui pourrait confirmer ou infirmer sa théorie. Le
film retrace le voyage incroyable qui va relier des individus totalement
différents, et prouver que la science et les sentiments ne sont pas deux
univers séparés... « I Origins » est
le nouveau film de science-fiction de Mike Cahill qui
avait réalisé déjà un film de ce genre, « Another
Earth ». Il avait eu un certain succès critique.
« I Origins » n'est pas un bon film mais la
musique de Will Bates & Phil Mossman est très
agréable à écouter pour ceux qui aiment la musique électronique ; une musique
assez planante. Sur l'album on peut entendre une belle chanson de The DØ
« Dust it Off »
et une de Radiohead « Motion Picture Soundtrack ». Le dernier morceau du CD est une jolie
valse jouée par Phaedon Papadopoulos.
Un disque à écouter.
https://www.youtube.com/watch?v=BkuTxygm7lY BOOK OF LIFE (La Légende de Manolo). Réalisateur :
Jorge R. Gutierrez. Compositeur : Gustavo Santaolalla.
1CD Sony Classical n°88875013232 Depuis la nuit des temps, au fin fond du
Mexique, les esprits passent d'un monde à l'autre le jour de la Fête des Morts.
Dans le village de San Angel, Manolo, un jeune rêveur tiraillé entre les
attentes de sa famille et celles de son cœur, est mis au défi par les Dieux.
Afin de conquérir le cœur de sa bien-aimée Maria, il devra partir au-delà des
mondes et affronter ses plus grandes peurs. Une aventure épique qui déterminera
non seulement son sort, mais celui de tous ceux qui l'entourent. Ce qu'il y a
de formidable avec l'animation c'est que tout est possible en terme de scénario, de mise en scène, d'invention. Jorge R. Gutierres s'en donne à cœur joie et on s'amuse beaucoup à
toutes ces aventures dans le monde magique des traditions mexicaines qu'est la
Fête des Morts. C'est un joyeux mess que nous offre le réalisateur. Les
osselets, les squelettes dansent, les monstres sont monstrueux et les musiques
trépidantes. Pour une fois la 3D est efficace. C'est Gustavo Santaolalla qui est aux manettes pour la musique et se
plait à recréer certaines chansons à la salsa mexicaine. Entendre un vieux
squelette chanter « Cielinto Lindo
» avec la voix de Placido Domingo est un pur bonheur.
Domingo avait déjà prêté sa voix pour la lune dans « Moulin Rouge ».
Diego Luna, qui est la voix du héros, chante lui-même les chansons et Gustavo Santaolalla pousse lui aussi la chansonnette. Le générique
de fin a des accents de tube, c'est le groupe Owl
City qui interprète "Take It All Away". On l'avait entendu dans d'autres films
d'animation tels que « Les Mondes de Ralph » et « Les Croods ». Le morceau n'est hélas pas sur le CD. Viva la Muerte ! Viva Mexico ! et le CD también !
https://www.youtube.com/watch?v=0xFn6rhDN3g
SAINT LAURENT. Réalisateur :
Bertrand Bonello. Musique : compilation faite
par Bertrand Bonello 1967
- 1976. La rencontre de l'un des plus grands couturiers de tous les temps
avec une décennie libre. Aucun des deux n'en sortira indemne. Comme pour la
plupart de ses films précédents (« L'Apollonide »,
« De La Guerre », « My New
Picture »), Bertrand Bonello choisit la musique
de ses films dans les catalogues de musiques existantes. Dans ce film consacré
au couturier Yves Saint Laurent, on entend des titres des années 60/70 (Velvet
Underground, Magali Noel, Lee Fields, Luther Ingram...), ainsi que des airs
classiques (Bach, Puccini, Schubert). Le CD est agréable à écouter et fait
découvrir quelques morceaux de Rythm & Blues
comme Bertrand Bonello en a le secret. |