PAROLES D'AUTEUR : DIMITRI DIMITRIEVITCH CHOSTAKOVITCH REPÈRES PÉDAGOGIQUES : WTC 9/11 DE STEVE REICH, UNE ŒUVRE HOMMAGE PROPOS PARTAGÉS : JEAN RONDEAU, CLAVECINISTE ET AUSSI PIANISTE DE JAZZ
L'AGENDA
Odyssée bouscule les codes... Odyssée ensemble & compagnie, collectif
de théâtre musical, présentera deux de ses créations à la rentrée en région
lyonnaise et en Ile de France. « Les Frères Choum »
est une fable musicale constructiviste et bruitiste : autant musiciens
qu'inventeurs, lesdits frères poursuivent le rêve fou de construire des
machines inédites dont le fameux ''Robot trompettiste'' capable d'émettre le
son le plus impressionnant... ; une fable inspirée du constructivisme russe
utopique et extravagant du début du XX ème comme des
Marx Brothers. « Dr Flatterzung et les sept péchés capitaux de la musique
contemporaine » est un hommage taquin et amoureux aux
« chapelles » de la musique contemporaine, traitées comme autant de
péchés capitaux ; car la conférence de Herr Cornelius
Flatterzung, Dr honoris causa, tourne mal..... Théâtre Berthelot à Montreuil, Les Frères Choum
: le 4 octobre ; Dr Flatterzung,
du 18 au 20 novembre. Réservations : L'Atrium, 35
avenue du 8 mai 1945, 69160 Tassin-la-demi-lune ; par
tel : 04 78 34 70 07 ; Théâtre Berthelot, 6 rue Marcellin Berthelot, 93100
Montreuil ; par tel : 01 41 72 10 35 ; en ligne : http://www.odyssee-le-site.com, 6 / 10 Chichester Psalms à
Notre-Dame de Paris Pour son concert d'ouverture de
saison, la Maîtrise de Notre-Dame de Paris invite le Jeune Chœur de Paris. Ces
deux entités parisiennes, réunies sous la direction d'Henri Chalet, donneront à
entendre une œuvre phare de Léonard Bernstein : Chichester Psalms. Écrits en 1965, sur le
Livre des Psaumes de la Bible hébraïque, ils résonnent d'une vibration
poignante. Ils reflètent non seulement les racines juives de Bernstein mais
également son engagement pour la paix dans le monde. Répondant à une commande
de la cathédrale de Chichester pour son festival choral annuel, Bernstein lance
un appel à la paix jusqu'au pianissimo final : "Voyez comme il est bon et agréable pour les peuples de vivre ensemble
en harmonie". Le jeune chœur de Paris et le chœur d'adultes de la Maîtrise
Notre-Dame de Paris donneront ici la version réduite par Bernstein lui-même,
pour orgue, harpe et percussions. Le non moins célèbre Agnus Dei de Samuel Barber ainsi que des motets de Eric Whitacre (*1970), Morten Lauridsen (*1943), Joshua Shank
(*1980) et David MacIntyre (*1952) plongeront
l'auditeur dans l'univers a cappella d'une musique américaine dont la pureté et
la clarté brillent instantanément. Enfin, en résonance à ce répertoire
américain, les Trois Psaumes 26, 18 et 115, composés entre 1996 et 2011
par Yves Castagnet, organiste titulaire de l'orgue de
chœur de la cathédrale, feront résonner la puissance du Grand-Orgue et des 70
chanteurs de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Notre-Dame
de Paris, 6 octobre 2015, à 20h30 Réservations
:par tel : 01
44 41 49 99 10 / 10
- 20/ 3 Saisons Culturelles en Milieu Rural « La
musique reflète la société, le paysage et jusqu'au climat et à la géologie du
pays où elle voit le jour » (Yehudi
Menuhin) L'association Pour que l'Esprit
Vive, fondée en 1932, se donne pour mission de renforcer le lien social dans
les campagnes par le partage de la culture. Pour la troisième saison,
d'octobre 2015 à mars 2016, sont prévus 26 week-ends musicaux qui se
dérouleront dans 8 départements (Côte d'Or, Saône-et-Loire, Nièvre, Allier,
Indre, Cher, Loiret et Côtes d'Armor) ; l'occasion de quelques 80 interventions
musicales, le samedi, auprès de personnes âgées (maisons de retraite, EHPAD,
milieu hospitalier), ou de personnes isolées par des concerts à domicile
(prétexte à regroupement de membres de la famille et de voisins, sur le principe de rencontres intergénérationelles informelles), et de 26 concerts publics, le dimanche, dans
des lieux de patrimoine ruraux, églises, châteaux... Marielle
Nordmann est la marraine du projet et inaugurera la
saison en donnant intervention et concert à Neuvy-Saint-Sépulchre
dans l'Indre. N'interviennent que des musiciens professionnels de grand talent,
dans un esprit de partage et avec l'envie de s'immerger pendant deux jours dans
la campagne française, généreusement accueillis par des bénévoles locaux. Un
des maîtres mots est l'accessibilité des programmes musicaux, d'où un choix
soigneux des œuvres présentées. Elles font au demeurant l'objet d'une
explication introductive et leur exécution est suivie d'échanges entre artistes
et public. On pourra entendre ainsi le
Trio Alta, le duo Cordes et âmes, les Quatuors Arpeggione ou Hanson, l'ensemble
Micromegas et de nombreux solistes instrumentaux et
vocaux, entre autres, Elsa Grether et Yuri Kuroda,
violons, Jean-Pierre Arnaud, hautbois, Raphaël Aubry, alto, Olivier Pelmoine, guitare, Anne Ricquebourg,
harpe, Karina Desbordes, Seva
Manoukian, sopranos... Programmes, lieux et Renseignements : Association Pour Que l'Esprit Vive,
69 Boulevard Magenta, 75010 Paris, par tel. : 01 42 76 01 71; en ligne :
hors-saison-musicale@pqev.org 11 / 10 Le violon rêve Pour le premier concert de la
saison au Méjan, à Arles, l'Orchestre Régional
Avignon-Provence sous la direction de Samuel Jean, le jeune chef qui monte, et Cordelia Palm, son concertmeister,
célèbrent le grand répertoire classique et romantique. Comme un clin d'œil
lancé à la postérité musicale, Mozart prélude au concert avec l'ouverture des Noces de Figaro. Avec douceur, tendresse
et une parfaite maîtrise de l'écriture orchestrale, Mendelssohn offre aux
violonistes virtuoses de tous les temps une œuvre de pur rêve éveillé avec son concerto N° 2 pour violon en Mi mineur.
Enfin, Beethoven se fait le passeur de la symphonie classique à la symphonie
romantique, avec sa Première Symphonie.
Sous les apparences formelles, la masse orchestrale gronde et les conventions
harmoniques se rebellent. Chapelle
du Méjan, Arles, le 11 octobre 2015, à 11H. Réservations : association du Méjan,
Place Nina Berberova, BP 90038, 13633 Arles cedex ; par tel.:
04 90 49 56 78 ; en ligne : www.lemejan.com 15 – 18 / 10 Pianoscope fête ses
10 ans C'est à un programme festif que
nous convie Boris Berezovsky pour les 10 ans du
festival Pianoscope de Beauvais. Il s'ouvrira, le
15/10, par un concert surprise d'anniversaire donné par Boris Berezovsky et le jeune Lucas Debargue.
Le lendemain, soirée de jazz avec le Thomas Enhco
Trio. Souhaitant partager avec le public son goût pour la musique anglaise, Berezovsky a invité ses meilleurs représentants pour une
« journée so british », le 17 octobre, de
Dowland à Britten, de Purcell à Elgar et Bridge. L'occasion d'entendre
successivement en récital le duo dynamite Jatekok,
deux filles quatre mains, puis le jeune pianiste britannique Hamish Milne, et enfin le senior Barry
Douglas dans Field, Brahms et Schubert. La journée se conclura par un concert
de chambre réunissant Berezovsky, Henri Demarquette, Ivan Pochekin et Elina Pak, et des musiques
traditionnelles écossaises. Une « journée d'ivresse slave », le 18/10, permettra d'entendre Jean-Bernard
Pommier jouer Chopin, Chostakovitch et Beethoven, et d'apprécier ensuite un
vaste programme russe à géométrie variable autour de Tchaikovski,
Stravinsky, Medtner, Moussorgsky,
Glinka, Dhargomyzhky, Rachmaninov, avec Berezovsly, Anastasia Safonova,
Ekaterina Dherzavina, Ivan Pochekin,
et l'Ensemble choral Sirin qui interprèteront des
chants traditionnels russes. Maladrerie Saint Lazare & Théâtre du Beauvaisie
hors les murs, du 15 au 18 octobre 2015. Réservations : Théâtre du
Beauvaisis hors les murs, 40 rue Vinot Préfontaine, 66000 Beauvais ; par tel. : 03 44 45 49 72 ; en ligne : pianoscope.beauvais.fr ou www.digitick.com 28 & 29 / 10 Inauguration de l'orgue de la Philharmonie de Paris C'est à Thierry Escaich que reviendra l'honneur d'inaugurer l'orgue de la
Philharmonie de Paris, conçu par le facteur autrichien Rieger.
On doit à cette célèbre maison, fondée en 1845, d'avoir installé ou remis en
état l'instrument de nombreuses églises à travers le monde, telles que la
cathédrale Saint Étienne de Vienne ou celle d'Ulm, et de salles de concert
comme le Suntory Hall de Tokyo, le Musikverein de Vienne, ou plus près de nous, l'orgue du
Conservatoire de Paris (2002). L'inauguration du monumental instrument de la Philharmonie
permettra de juger sur pièces, en le faisant d'abord sonner seul dans des
improvisations, puis fondu dans l'orchestre avec la Symphonie n° 3 "avec orgue" de Camille Saint-Saëns que
dirigera Paavo Jarvi à la
tête de l'Orchestre de Paris. En milieu de programme, on pourra entendre, le
28/10, le Concerto pour alto en
création mondiale de Jörg Widmann, interprété
par Antoine Tamestit, et le 29/10, le Concerto pour violoncelle n° 1, op. 33 de Saint-Saëns, joué par sol Gabetta. Un avant-concert, le 28 octobre, de 19h à 20h,
sera l'occasion d'une "Rencontre autour de l'inauguration de l'orgue avec
Thierry Escaich" (entrée libre dans la limite des
places disponibles). Philharmonie de Paris 1, Grande Salle, les 28 et 29 octobre 2015 à 20h30. Réservations : Philharmonie de Paris, 221, avenue Jean Jaurès,
75019 Paris ; par tel.: 01 44 84 44 84 ; en ligne
: https://odp.shop.secutix.com/selection/event/date?productId=469463167 ou : https://odp.shop.secutix.com/selection/event/date?productId=469463168. 13 & 15 / 11 Les offres alléchantes de l'Opéra de Massy On sait l'Opéra de Massy
orignal dans ses propositions artistiques. Côté concerts, deux affiches
retiennent l'attention. D'abord le récital que donneront Natalie Dessay et le fidèle complice Philippe Cassard. Dans le
droit fil de leur nouveau CD qui sortira simultanément chez Warner, ils
s'uniront l'instant des « Fiançailles pour rire », du nom de cette
mélodie de Poulenc, et d'autres titres empruntés aux mélodistes français que
sont Duparc, Fauré et Debussy. Une première partie, plus sage, verra se
succéder des Lieder de Schubert et de Mendelssohn. L'occasion d'apprécier l'art
de notre diva en congé de la scène opératique et la fine patte d'un pianiste
dont on connait la délicatesse. Ensuite un programme de musique baroque
intitulé « Les orphelines de Venise », autrement dit un hommage à ces
demoiselles de l'Ospedale della
Pietá pour qui Antonio Vivaldi a écrit tant de pièces
vocales et instrumentales. S'inspirant de cette source originale, Geoffroy
Jourdain a concocté une collection de pièces vocales du Prete
Rosso, dont le Gloria et le Magnificat, et orchestrales. Son
ensemble des Cris de Paris réunira à cette fin 18 instrumentistes et 20
chanteuses. Opéra de Massy, le 13 novembre
2015, à 20H (récital Dessay), et le 15/11 à 16 H
(programme Vivaldi) Réservations : Massy Opéra, 1 place de France, 91300 Massy ; par tel.: 01 60 13 13 13 ; en ligne:
www.opera-massy.com 20, 23, 27, 29 / 11 & 2, 4, 6, 8, 10, 12 / 12 Le « double bill » audacieux de l'Opéra de Paris Réunir en une même soirée Le
Château de Barbe-Bleue et La Voix humaine n'est pas commun. Et
pourtant des liens aussi forts que mystérieux unissent ces deux œuvres en un
acte a priori si dissemblables. L'incommunicabilité entre homme et femme malgré
l'amour de l'un pour l'autre n'y est-elle pas au centre ? Là où Béla Bartók
dans son opéra confine ses deux personnages dans un parcours de mort dont la
dernière épouse de Barbe-Bleue ne sortira pas vivante. Le monde clos d'une
conversation téléphonique où Francis Poulenc, qui suit fidèlement le texte de
Cocteau, isole la Femme, unique protagoniste de sa tragédie lyrique. Un
dialogue dans le premier cas, qui ressemble à un monologue, car entre Judith et
Barbe-Bleue, l'affrontement est mené par la première ; un monologue dans le
second, qui masque un échange, celui de la Femme avec son interlocuteur muet,
mais si présent qu'on en devine les mots à chaque parole de celle-ci. En tout
cas deux œuvres dont la musique d'une beauté fascinante transpire de tous ses
pores la tragédie d'un amour immense, irrémédiablement perdu. Pour les révéler,
Esa Pekka Salonen sera au
pupitre, un retour attendu du grand chef au Palais Garnier. Krzysztof Warlikowski assurera la mise en scène et on est impatient
de découvrir l'acuité de son regard, comme toujours. Les trois personnages
seront défendus par des artistes d'exception : Johannes Martin-Kränzle, Barbe-Bleue, et Ekaterina Gubanova,
Judith, qui savent comme peu brûler les planches, l'incandescente Barbara Hannigan pour incarner l'héroïne désespérée de Poulenc. Opéra Garnier, les 20
(Avant-première : jeunes de moins de 28 ans), 23, 27 novembre, 2, 4, 6, 8, 12
décembre à 19H30, et le 29/11 à 14H 30, 10/12 à 20H30. Réservations : Billetterie,
Opéra Bastille, 130, rue de Lyon, 75012 Paris ou Palais Garnier, angle des rues
Scribe et Auber, 75001 Paris ; par tel. : 08 92 89 90 90
; en ligne : operadeparis.fr 4 - 19 / 12 Vol retour : premier spectacle de
l'Académie de l'Opéra de Paris La toute fraîche Académie de
l'Opéra de Paris présente son premier spectacle. Vol retour marque la
création française d'un opéra pour enfants (de 4 à 9 ans) monté en coproduction
avec l'ENO et son Baylis programme. Vrai manifeste
artistique du projet pédagogique de l'Académie, il se propose de rapprocher tous
les métiers, musiciens, chanteurs, metteur en scène en résidence. Il est écrit
par la compositrice anglaise Joanna Lee sur un livret de Rory
Mullarkey d'après le livre d'images « The Way Back Home » d'Oliver Jeffers. Pour signifier l'importance de l'évènement,
on a fait appel à une metteuse en scène de renom, Katie Mitchell, dont la plus
récente réalisation est Alcina au
dernier Festival d'Aix-en-Provence, et à sa décoratrice habituelle Vicky
Mortimer. La direction musicale est confiée à Stephen Higgins. Gageons que cet
opéra minute passionnera nos jeunes spectateurs qui se retrouveront dans
l'histoire de ce petit garçon qui sur un avion déniché dans son placard, part à
la conquête du monde et atterrit sur la lune... où il fera une bien étonnante
rencontre. Amphithéâtre Bastille, les 4,
5, 9 (+15H), 11,12 (+15H),18,19 décembre 2015 à 19H30
; et pour les scolaires les 7, 10, 14, 15 (+10H), 17 (+10H) décembre à 14H. Réservations : Billetterie,
Opéra Bastille, 130, rue de Lyon, 75012 Paris ou Palais Garnier, angle des rues
Scribe et Auber, 75001 Paris ; par tel. : 08 92 89 90 90
; en ligne : operadeparis.fr Jean-Pierre
Robert.
*** PAROLES D'AUTEURDimitri(1) Dimitrievitch CHOSTAKOVITCH Le destin de Dimitri Chostakovitch
(1906-1975) est exemplaire des difficultés rencontrées par un grand
compositeur, en l'occurrence l'un des plus puissants et des plus féconds de son
siècle, en butte à une incompréhension débordant largement les frontières de
l'art. Longtemps
méprisé par la critique européenne (spécialement française, hélas !),
tancé entre les deux guerres par les autorités culturelles soviétiques qui
réservent, en 1936, un accueil glacial à son magnifique opéra Lady Macbeth de Mzensk, Dimitri Chostakovitch aura
certes connu les plus hautes distinctions officielles de son pays (prix
Staline, prix Lénine, héros du travail socialiste), mais aussi passé sa
carrière sous le feu d'attaques croisées. Le taxant de « formalisme
bourgeois », par exemple, l'inénarrable Andreï A. Jdanov reçoit l'appui
inopinément officiel du musicographe français André Hodeir
qui, fixant à l'art des règles au-delà desquelles il se sait perdu, dénonce
sereinement la « faiblesse musicale » du grand Russe ! Pour
autant, il ne faut pas dresser du compositeur l'image de l'incompris solitaire
qu'il ne fut jamais. Musicien officiel du jeune État soviétique, délégué à la
Conférence mondiale de la paix aux États-Unis en 1949, salué dans le monde
entier pour son génie musical et son discours humaniste, acclamé par les
publics américains, honoré sous toutes les latitudes, enregistré de façon
pléthorique, interprété par les plus grands artistes du siècle (Sviatoslav
Richter, David Oïstrakh…), il aura suivi un parcours qui n'est pas sans évoquer
celui de son compatriote Serge Rachmaninov, autre proscrit (pour des raisons
dont l'antinomie n'est que de surface) d'une critique occidentale exaspérée par
la fervente « surdité du grand public » ! La
monumentalité du catalogue de Chostakovitch est telle qu'il faut renoncer à
simplement en donner l'idée en quelques lignes. À titre indicatif, le grand
musicien russe a légué à la postérité quinze symphonies, quinze quatuors à
cordes, six concertos (piano, violon violoncelle), trois opéras (dont le Nez, 1928 ; Katerina Ismaïlova [remaniement de Lady Macbeth], 1956-1963), trois ballets
(dont l'Âge d'or, 1930), quatre
cantates (dont le Chant des forêts,
1949), de nombreuses cycles de mélodies (dont la Suite sur des poèmes de Michel-Ange, 1974) et musiques de
films ! Passé au crible de l'analyse, cet énorme corpus dégage-t-il un
total cohérent de vecteurs esthétiques ? Offre-t-il une rigueur dans son
élaboration qui le signalerait au même titre que la production drastique d'un
Anton Webern ou muse-t-il sur d'improbables sentiers avec le même bonheur
espiègle que certaines pages d'un Igor Stravinsky ? La réponse reste assez
ambiguë, Dimitri Chostakovitch ayant toujours, au rebours de l'idée si répandue
par d'inexpérimentés exégètes, pratiqué un humour discrètement sarcastique,
corrosif, d'autant plus déconcertant qu'il se vêt le plus souvent d'un tissu
lyrique propre à abuser l'auditeur inattentif. Sa musique reste inépuisablement
riche d'extraordinaires et inoubliables beautés, de contrastes dynamiques et
expressifs, plus convulsifs que spéculatifs, tout un monde obscur mais exalté,
traversé d'immenses lumières…
Par-dessus tous les tumultes, la musique... Né le 25
septembre 1906 à Saint-Pétersbourg, dans un foyer où la musique est à
l'honneur, Dimitri Chostakovitch étudie le piano avec sa mère, intégrant en
1919 le Conservatoire de sa ville, dirigé par Alexandre Glazounov. Précocement
doué, le jeune musicien crée en 1926 sa première symphonie, dont les
saisissantes beautés sont aussitôt saluées par tout le monde musical, par un
Alban Berg (qui prend la peine d'écrire à son jeune confrère) aussi bien que
par un Arturo Toscanini, alors au sommet de sa gloire ! Dès l'année
suivante, le gouvernement soviétique lui passe commande d'une deuxième
symphonie, pour la commémoration de la Révolution russe. Triomphant au piano,
dans la musique de chambre, le jeune homme s'impose également au théâtre avec Le Nez qui, fondé sur l'étrange récit de
Gogol, rencontre un immense succès populaire en 1930. Il vaut d'ailleurs de
s'arrêter sur ce triomphe, Le Nez restant l'une des plus étonnantes
partitions lyriques du XXe siècle, miroir d'ambitions
avant-gardistes dont il est malaisé de découvrir l'équivalent ailleurs, à une
époque où, après Turandot
et Wozzeck, la question du théâtre
lyrique ne s'écrivait plus en termes de mutation, mais tout simplement de
survie. Dans cette fresque délirante qui met en scène quelque soixante-dix
personnages, la virtuosité stylistique du jeune compositeur a quelque chose
d'étourdissant, de même que son incroyable maîtrise des timbres, qu'il
sollicite pourtant de façon souvent périlleuse. Surtout, ayant peut-être médité
la grande leçon de Giacomo Puccini (notamment dans Gianni Schicchi), Chostakovitch réussit
le prodige de ne jamais s'écarter des inflexions du langage parlé ; il est
vrai que l'incroyable musicalité de la langue russe (dont on ne déplorera
jamais assez la quasi disparition de l'école française depuis 1981) autorise le
choix de presque tous les types de déclamation lyrique. Puis, il est chez notre
compositeur, une sorte d'ivresse du strict délire qui évoque souvent
l'inexorable mécanique théâtrale du meilleur Rossini, surtout quand ces
apparents automatismes sont mis au service d'une joyeuse et féroce dénonciation
de ces divagations administratives qu'autorise l'absurdité d'un pouvoir
arbitraire (est-ce un hasard si, sous nos latitudes, un Courteline et un
Labiche n'ont jamais été remplacés ?). Car, suivant en cela une tradition
honorée depuis deux siècles par Pouchkine, Gogol, Dostoïevski, tant d'autres
géants de la littérature russe, Chostakovitch se gausse sans retenue des
affolantes complexités de l'administration russe, au temps du tsar Nicolas 1er
(Dostoïevski lui-même ne rappelait-il pas que le seul voyage de
Saint-Pétersbourg à Moscou exigeait « une valise de
documents » ?). Le livret n'est pas des plus simples à résumer, le
premier protagoniste n'en étant autre que le malheureux major Kovaliov, technocrate qui, œuvrant au temps de Nicolas 1er,
découvre en s'éveillant un beau matin, que son nez a disparu ! Un nez qui
dispose d'une vie autonome et entend bien en profiter, prenant au passage
diverses apparences, dont celle d'un conseiller d'État ! Que l'auteur de
cette fantaisie, Nicolas Gogol, immortel auteur des Âmes mortes, ait lui-même sombré dans la folie n'étonnera personne,
mais sa fable continue d'ouvrir des abîmes sur la conscience du monde et sur
les postures prises par l'homme face au destin. N'était-ce pas déjà,
d'ailleurs, le fait des livrets du Convive
de pierre, de Boris Godounov ou
de La Dame de pique ? Occasion
de rappeler qu'il est une gravité particulière du génie russe qui déroute bien
souvent le public français (et pas seulement en matière littéraire ou
musicale) ! Marié avec
Nina en 1932, Chostakovitch donne bientôt un second opéra, Lady Macbeth du district de Mtsensk ; à nouveau le succès
public est au rendez-vous, marqué par plusieurs centaines de représentations en
deux ans sur le seul territoire de l'Union soviétique et par sa diffusion sur
nombre de scènes étrangères. C'est alors, au moment où tout se présente sous
les traits du triomphe, que paraît, le 28 janvier 1936 dans la Pravda, un article inepte, sous le titre
« Le Chaos remplace la musique ». Le plumitif de service s'en prend
violemment à Lady Macbeth,
(« tintamarre… formalisme petit-bourgeois… naturalisme
grossier » !). À peu de chose près, le discours tenu par la critique
officielle française à l'occasion des premières expositions impressionnistes ou
par la presse musicale allemande au temps des premiers grands opéras
wagnériens ! Cette persistance de la critique dans l'erreur n'a-t-elle pas
quelque chose de réjouissant ? Peut-être même y aura-t-il de la gaîté chez
les lecteurs du XXIIe siècle quand ils compulseront la docte
contribution que nous lui aurons léguée sur la production de notre temps !
Selon l'usage, les amis d'hier font preuve d'un courageux silence, la critique
officielle pontifie, la presse spécialisée offre au compositeur le réconfort de
"conseils" destinés à le remettre sur la bonne voie ! La réponse de
Chostakovitch n'est pas sans rappeler celle de Puccini au lendemain du désastre
de Madama Butterfly.
Reprenant ses partitions, saluant la « justesse des critiques » (!), il
donne ses 4e, 5e symphonies et 6e symphonies
jusqu'au début de la guerre, tout en consacrant une bonne part de son activité
à la musique de chambre ou de film.
Met de NewYork ©Getty Images Ken Howard L'exemple magistral de la Symphonie
Leningrad Dédiée à
la ville de Leningrad, la 7e symphonie marque un tournant capital
dans la vie du musicien. Elle a certes été entreprise avant le siège de la
cité, mais l'invasion nazie de l'Union soviétique, en juin 1941 (alors que
Chostakovitch vient de recevoir un premier Prix Staline pour son Quintette avec piano et cordes),
accélère sa genèse, la partition étant écrite de juillet à décembre, avant
l'évacuation du musicien vers Moscou. Créée le 5 mars 1942, au Palais de la
culture de Kouïbychev, elle connaît une carrière fulgurante, Toscanini
assurant, dès le 19 juillet, son éclatante création américaine à New York. La
grande partition est très vite donnée dans toutes les salles de concert du
monde et bouleverse tous les publics au triple titre de chef-d'œuvre musical,
de témoignage historique et d'acte de foi humaniste. Car, en dépit de son jeune
âge, Chostakovitch n'est plus seulement ici un musicien fantastiquement doué
dont la verve fascinait jusqu'à ses détracteurs ; mûri et frappé
d'angoisse par la perspective des drames à venir, il met à nu les graves
désordres de la condition humaine, ses tragiques dérives. Si les circonstances
militaires de ce siège épouvantable qui opposa les forces soviétiques aux armées
nazies à partir d'août 1941 sont bien connues, le calvaire de la population
civile devrait servir à jamais de repoussoir à l'idée même de la guerre.
Encerclés, affamés, mourant par centaines de milliers dans un froid excessif,
les habitants résistèrent dans des conditions hallucinantes aux opérations
supervisées par Adolf Hitler, ordonnateur du sac d'une ville dont il avait
prophétisé qu'elle reprendrait son nom allemand de Saint-Pétersbourg. Le 27
janvier 1944, après 31 mois de siège et la mort de plus de deux millions de
femmes, enfants et hommes victimes de la pire des barbaries, les armées
soviétiques parvenaient enfin à briser le siège de la cité martyre.
La gloire mondiale De ces
méditations transcendantes du grand compositeur, on retrouvera l'écho dans les
deux symphonies suivantes, mais aussi dans sa magnifique production de chambre
(troisième quatuor, deuxième sonate pour piano, second trio avec piano). C'est
de 1949 que datent son voyage aux États-Unis et son oratorio, le Chant des forêts, double occasion de
vérifier l'immensité de sa popularité très loin au-delà des seuls cercles de la
musique soviétique. Le Chant des forêts
se présente comme un oratorio sur un livre d'Eugène Dolmatovski. Créé sous
la direction du célèbre Mravinsky le 15 décembre 1949
à Leningrad, il réussit, en son temps, à provoquer l'enthousiasme du public et
l'approbation des autorités, prouesse dont peu de compositeurs du XXe
siècle auront finalement pu se vanter. D'une durée d'exécution supérieure à la
demi-heure, il exalte, dans une langue volontairement assagie, la fin de la
guerre, la reconstruction du pays par son peuple martyr, la reforestation des
régions dévastées. Assez curieusement, la partition oscille entre nostalgie de
la vieille Russie et aspiration à un ordre nouveau, phénomène surtout sensible
dans la dernière partie de l'œuvre, sorte de doxologie profane qui regroupe
toutes les forces de la phalange vocale et instrumentale. Cependant, Le
Chant des forêts nous intéresse moins peut-être aujourd'hui par ses forces
ou par ses faiblesses que par la réaction plaisante, à son endroit, de
l'avant-garde française autoproclamée des années soixante. Rien de plus
significatif, à ce sujet, que le discours d'André Hodeir,
porte-parole d'un milieu musical parisien, douloureusement conscient d'avoir un
demi-siècle d'avance sur la populace désespérément rétrograde des salles de
concert : « Certes, nous ne connaissons pas les intentions de
Chostakovitch ; mais si nous le jugeons sur pièces, il faut bien admettre
l'extrême faiblesse d'une partition comme Le
chant des forêts, apothéose du faux lyrisme et de la grandiloquence, qui
tourne en maint passage au pastiche de Borodine. Dans la mesure où il nous
paraît probable que la liberté ne l'eût pas sauvé de l'indigence, le sort d'un
Chostakovitch et, a fortiori, d'un
Kabalevski ou d'un Khatchatourian, nous semble peu digne d'intérêt. » (La musique depuis Debussy, Paris, PUF,
1961, p. 195). On tremble à l'idée que Chostakovitch ait pu prendre
connaissance de cet ukase tombé de l'Olympe parisien ! Et l'on ne peut
s'empêcher de songer au cruel Berlioz, raillant les "corrections" apportées par
l'illustre Fétis à l'obscur Beethoven : « Tout ce qui, dans l'harmonie de
Beethoven, ne cadrait pas avec la théorie professée par M. Fétis, était changé
avec un aplomb incroyable. […] En d'autres termes : Il est impossible
qu'un homme tel que Beethoven ne soit pas dans ses doctrines sur l'harmonie
entièrement d'accord avec M. Fétis » ! (Mémoires, chapitre 44) Persistance de la mémoire Le pays se
reconstruit, les années passent, Staline meurt en 1953, Chostakovitch perd sa
femme et sa mère peu après, connaît une évidente baisse d'inspiration durant
plusieurs années, en dépit de l'obtention du prix Lénine pour sa monumentale Onzième symphonie (1958). Nombreux sont les commentateurs qui
ont noté le caractère plus traditionnel, délibérément rétrograde, de cette
onzième symphonie, dont certains accents rappellent de façon frappante les
meilleures pages d'un Moussorgski, notamment dans Boris Godounov. D'une certaine façon, les deux grands compositeurs
ont dénoncé, chacun en leur temps et avec leurs propres moyens, les souffrances
d'un peuple asservi aux caprices de l'autocratie. Et comme son illustre
devancier, Chostakovitch a su, pour traduire cette plainte immémoriale, user d'une lange tout à la fois neuve et accessible. Ainsi
faut-il comprendre le principe de citation des chants révolutionnaires dans une
œuvre qui, pourtant, ne se présente nullement comme un manifeste. Pour ceux qui
se rappellent le chef-d'œuvre cinématographique, Летят
журавли
(« Quand passent les cigognes ») de Mikhaïl Kalatozov,
réalisé en 1957 et couronné par la Palme d'or au festival de Cannes en 1958,
les analogies sont frappantes, et pas seulement en raison de l'exacte
contemporanéité des deux œuvres. Dans un cas comme dans l'autre, les grandes
tragédies du siècle ont généré des tableaux, visuels et sonores, d'une
inoubliable beauté. Si la onzième symphonie (créée le 30 octobre 1957) salue
de façon explicite, ainsi que l'ont suggéré ses commanditaires, les
soulèvements de 1905, son ambition ne se limite pas à la seule glorification
d'un moment de sursaut du peuple. Usant précisément de nombreux thèmes
populaires (parfois inventés), elle se présente comme un très vaste poème
symphonique dont la durée totale dépasse légèrement l'heure. Une fois encore,
Chostakovitch sollicite une phalange considérable : 3 flûtes (1 piccolo),
3 hautbois (1 cor anglais), 3 clarinettes (1 clarinette basse), 3 bassons (1
contrebasson), 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, triangle,
tambour, cymbales, grosse caisse, tam-tam, xylophone, cloches, célesta, 4
harpes, 20 premiers violons, 18 seconds violons, 16 altos, 14 violoncelles, 12
contrebasses. L'adagio initial ayant
présent, dans une atmosphère de légère angoisse, la place du Palais sur
laquelle se prépare le drame, c'est dans l'allegro
suivant que la peinture sonore de la tragédie touche à son faîte : après
le grand mouvement de la foule révoltée grondant sur les fracas de l'orchestre,
les déflagrations de la caisse claire (souvenir de la symphonie Leningrad ?) et les mugissements des
trombones donnent à entendre la panique qui s'empare de cette foule au moment
où le tsar ordonne à ses troupes d'ouvrir le feu. Retour de la mouvance adagio pour le troisième mouvement, un
poignant lamento à la mémoire des
victimes du massacre, sur fond de chant révolutionnaire (Chant des survivants). C'est au finale que revient le soin de
sonner le "tocsin", signal de révolte et de violence, couronné par une ample
péroraison curieusement animée par les stridences du carillon.
décembre
1953 à Leningrad, lors de la création de la 10 ème
Symphonie / DR Le crépuscule Membre du
Parti communiste à partir de 1960, c'est-à-dire à l'époque du "dégel", le grand
compositeur russe participe vigoureusement au renouveau de la vie musicale de
son pays, marqué par des événements aussi symboliques que les tournées
triomphales de Leonard Bernstein, à la tête de l'orchestre de New York en 1959,
ou d'Igor Stravinsky, de retour sur sa terre natale en 1962 après un demi-siècle
d'absence. Les toutes dernières années se déroulent sous le double signe de la
gloire mondiale et d'une inspiration puissamment renouvelée (14e et
15e symphonies). Datant de cette même époque, le merveilleux
deuxième concerto pour violon, en ut dièse mineur, op. 129, ne jouit pas de la
même popularité que le premier, pour des raisons difficiles à préciser. Écrit
au printemps 1967 pour le violoniste du siècle, David Oïstrakh, il a
officiellement été créé par ce dernier, le 13 septembre 1967, sous la direction
de Kirill Kondrachine.
Sollicitant un effectif relativement léger (piccolo, flûte, 2 hautbois, 2
clarinettes, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, timbales, percussion, quintette
des cordes), il est structuré en trois mouvements (Moderato, Adagio, Adagio-Allegro) qui font appel à une
typologie traditionnelle (forme-sonate, cadence accompagnée, structure en
rondo), tout en pratiquant une lange d'une singulière saveur. À partir de cette
date, l'humeur du compositeur semble peu à peu s'assombrir, comme s'il
pressentait l'imminence de son hiver. C'est fin 1973 qu'est diagnostiqué le
cancer qui l'emportera ; composant jusqu'à ses ultimes journées (la sonate
pour alto et piano est terminée quelques jours avant sa mort), Dimitri
Chostakovitch s'éteint à l'hôpital, le 9 août 1975. Quelques
disques d'anthologie Symphonie
« Leningrad », Orchestre symphonique d'URSS, E. Svetlanov,
SC 025, 1968 - Symphonies « 1905 » et « 1917 », Orchestre
Philharmonique de Leningrad, Y. Mravinsky, Melodia 10 00775, 2004 - Œuvres pour piano seul, V. Askhenazy, Decca, B00013UKLK, 2004. Gérard Denizeau. Karol BEFFA : Vers la lumière… Que la musique de Karol Beffa
(*1973) fasse vibrer les échos les plus discrètement profonds de notre siècle,
la variété des interprètes qui la donnent à entendre et le nombre des
institutions qui en couronnent les mérites le disent assez. Là, évidemment,
n'est pas l'essentiel. Il y a quelques mois, masqué par l'ombre protectrice
d'une petite salle des Hautes-Alpes où le compositeur-improvisateur-interprète
se produisait en duo, je songeais au vieil ami disparu, à Serge Nigg. Plus
précisément à notre conversation relative à Karol Beffa,
cet étonnant jeune musicien dont le hasard nous avait permis, à des titres
divers, de tôt découvrir les mérites. Notant que
le caractère le plus plaisant de la vie musicale française n'était autre que
son individualisme, son hostilité déclarée au despotisme esthétique, Serge Nigg
(admirablement placé pour en juger !) aimait à rappeler que les Rameau,
Berlioz, Debussy, Ravel… avaient toujours été des solitaires mal compris, des
perturbateurs, étrangers à tout esprit de concession. Sans Berlioz, notait-il,
qu'eût été l'orchestration des grands Allemands du second XIXe
siècle, de Wagner à Richard Strauss ? Et les grands compositeurs du XXe
siècle n'ont-ils pas, tous, contracté une dette particulière à l'endroit de
Debussy, sauveur de la musique à une époque où elle risquait de sombrer dans la
grandiloquence ? Parmi les noms des jeunes compositeurs commençant, en ce
début de troisième millénaire, à émerger, ce n'est donc pas un hasard si celui
de Karol Beffa nous était alors apparu comme
distinctif d'un mouvement faisant litière d'une dictature très parisienne,
aussi mortifère que pérenne depuis plus d'un demi-siècle.
Sans doute la brillante et très éclectique formation
reçue par le jeune Beffa n'est-elle pas étrangère à
la formidable leçon de liberté dispensée par sa magnifique musique. Il me
souvient (comme assurément à tous les enseignants qui eurent la bonne fortune de
le découvrir sur les bancs de leurs amphithéâtres) que ce jeune aspirant à la
gloire musicale manifesta tôt une indépendance intellectuelle et esthétique des
plus réjouissantes, aux antipodes des ukases d'une cour encore toute-puissante
au soir du XXe siècle. « En musique, écrivait Xenakis, il ne
sert à rien de faire de la théorie, il faut faire de la musique ». Que ce
mot me soit revenu lors d'une audition du concerto pour alto de Beffa (supérieurement restitué par Arnaud Thorette), je ne saurai exactement dire pourquoi. Mais,
indépendamment de la pure émotion dispensée par ce chef-d'œuvre d'élégiaque et
vigoureuse mélancolie, j'y ai retrouvé ce message nostalgique qui, ciblant les
frontières de l'inaccessible, immerge soudain l'auditeur dans la houle du pays
d'autrefois, qui est aussi celui de demain. Enfant, c'est à Berlioz que je
demandais ces clefs, adolescent à Varèse ; au temps de la grande maturité,
quel soulagement (après tant d'années de doutes et de souffrances) de découvrir
que les passeurs d'éternité n'ont rien abdiqué de leur mission, même si, dans
le grand fracas de notre monde en surchauffe, ils sont peut-être moins faciles
à repérer qu'autrefois ! Pour
rester dans la sphère concertante (puisque la musique reste avant tout la
résolution de conflits indéchiffrables), c'est tout l'enregistrement d'Into the dark (Karol Beffa,
piano ; Karine Deshayes, mezzo-soprano ;
Arnaud Thorette, violon, alto ; Emmanuel Ceysson, harpe ; Johan Farjot,
direction – CD Aparté) auquel
l'auditeur s'affrontera avec la certitude d'y rencontrer ce qu'il n'attendait
pas. Rien de plus déroutant, dans ce climat d'intense séduction sonore,
que ce cheminement subtil entre les deux abîmes de la complaisance spéculative
et de la résurgence lyrique. Pour Karol Beffa (qui a
peut-être eu la grande chance de ne pas naître vingt ans plus tôt), le problème
d'étonner à tout prix (si caractéristique des années 60 !) ne s'est pas
posé. Moins préoccupé de chercher que de trouver (Masques,
CD Triton, 2009), il excelle
en tout domaine avec une aisance confondante, brillant au clavier, profond
devant la table de composition (Concerto pour trompette, CD Indesens, 2015), virtuose dans sa confrontation avec les univers parents
(plus particulièrement le jazz), inégalable au jeu de l'invention spontanée (Improvisations,
CD Intrada, 2008). L'inspiration ? Sans doute. Cette
"terrible inspiration" qui visite sans être invitée, et dont l'univers
boulézien avait déjà fait (au temps lointain où l'auteur de ces lignes était
sagement assis dans la caverne du gourou) son premier repoussoir, témoignant, à
défaut de mieux, d'une louable lucidité en fixant à la musique des limites
au-delà desquelles il se savait perdu. Aux antipodes, donc, de la vigoureuse
déclaration du grand Varèse brocardant les "petits épiciers" de la composition
et annonçant les belles heures d'un art régénéré : « Le triomphe de la sensibilité n'est point une tragédie.
Que la musique sonne ! ». Il y a un demi-siècle que le magnifique
Edgar nous a quittés et sa musique est plus vivante que jamais ; il me
plaît de croire que, pour celle de Karol Beffa,
l'avenir aussi dure longtemps… Découvertes… Faute de connaître le catalogue complet des œuvres de
Karol Beffa (dont j'imagine qu'il a déjà dépassé les
cent numéros), je ne puis qu'attirer l'attention du lecteur sur un certain
nombre de partitions d'un intérêt souvent exceptionnel : Six études
pour piano, Gravitations, pour clarinette, Mirages pour piano à
quatre mains, Passacaille pour orgue, Sarabande et Doubles
pour piano, clavecin ou clavicorde, Subway
pour trompette et piano, Elévation pour piano et quatuor à cordes,
Concerto pour alto et orchestre à cordes, Into
the Dark pour piano et orchestre à cordes, Concerto
pour harpe et orchestre à cordes, Rainbow
pour piano et orchestre à cordes, Six mélodies pour voix et piano, Nuit
obscure pour orchestre à cordes et voix… Gérard Denizeau. (1) Ou Dmitri, selon
le système de transcription utilisé ; orthographe russe : Дмитрий Дмитриевич
Шостакович ***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
WTC 9/11 de
Steve Reich, une œuvre hommage L'attentat
du World Trade Center, le 11 septembre 2011, restera sans doute l'un des faits
marquants de cette première partie de XXIe siècle. Steve Reich, dans
son style très personnel, rend dans WTC
9/11 une forme d'hommage aux nombreuses victimes de cette tragédie. Cet
article a pour objet de mettre en lumière les principaux
éléments musicaux que le compositeur new-yorkais utilise pour traduire la
puissance émotionnelle de cet évènement. Nous aborderons dans la partie
analytique uniquement le troisième mouvement qui nous semble à cet égard le
plus abouti.
Contexte
et genèse de WTC 9/11
Cette
œuvre est composée pour un quatuor à cordes accompagné par des voix et deux quatuors
à cordes préenregistrés. Elle peut être éventuellement interprétée par trois
quatuors en direct et une bande contenant les voix. Sa création a lieu le 19
mars 2011 à l'université Duke en Caroline du Nord par le Kronos Quartet. Steve
Reich s'est à plusieurs reprises exprimé sur les origines de WTC 9/11. Le point de départ provient
d'une commande de David Harrington, premier violon et fondateur du Kronos
Quartet, qui souhaite une composition fondée sur des voix préenregistrées,
technique inusitée par Reich depuis Three tales (2002).
Après Different trains (1988) et Triple quartet (1999), WTC
9/11 est la troisième pièce que Reich destine à ce quatuor. La première
impulsion créatrice pour le compositeur, et cela avant toute autre
considération, provient du désir de mettre à nouveau en œuvre un procédé
technique le « stop action sound ». Cela
peut sembler curieux, au regard de l'importance du sujet traité. «
En 2009, le Kronos Quartet m'a commandé une pièce utilisant des voix
préenregistrées. Ma première idée a été de prolonger les voyelles ou les
consonnes finales du locuteur. Son en "stop
action". Impossible en
1973 lorsque j'y ai pensé pour la première fois. Possible en 2001 quand j'ai
commencé Dolly. Dans cette pièce, cela devait être, et c'est, le moyen de connecter – harmoniquement – une
personne avec une autre. Je n'avais aucune idée de qui devait parler. Le sujet
était sans importance. » (1) Nous
reviendrons plus loin sur cet aspect technique. Ce n'est que dans un second
temps que Reich conçoit le projet d'évoquer la tragédie du 11 septembre qu'il a
vécue de très près : « Après
plusieurs mois je me suis finalement rappelé ce qui était évident. Depuis
vingt-cinq ans nous habitions à quatre pâtés de maisons du World Trade Center.
Le 11 septembre, nous étions dans le Vermont, mais notre fils, notre
petite-fille et notre belle-fille étaient tous dans notre appartement. Notre
connexion téléphonique s'est maintenue durant six heures et nos voisins d'à
côté ont pu finalement quitter la ville en voiture vers le nord avec leur
famille et la nôtre. Pour nous, le 11 septembre n'a pas été un évènement
médiatique. En janvier 2010, plusieurs mois après la commande des Kronos, j'ai
compris que ces voix préenregistrées proviendraient du 11 septembre. » (2) WTC 9/11, d'une durée
approximative de 15 minutes, comporte trois mouvements : ·
9/11/01
(3'39) ·
2010
(7'27) ·
WTC
(4'36) Les
mouvements 1 et 2 s'articulent autour de textes enregistrés qui évoquent
directement l'attentat : « La
pièce débute et s'achève avec le premier violon doublant le signal d'alarme
très bruyant (en l'occurrence un fa) émis par votre téléphone lorsqu'il
reste décroché. Dans le premier mouvement il y a des voix d'archives des
contrôleurs du ciel du NORAD, alarmés que le vol 11 d'American Airlines ait dévié
de sa trajectoire. C'était le premier avion à percuter délibérément le World
Trade Center. Le mouvement enchaîne alors avec les archives de ce jour du FDNY
annonçant ce qui se passait à terre. Le deuxième mouvement utilise des
enregistrements que j'ai faits en 2010 de résidents du voisinage, un officier
du Fire Department et le
premier conducteur d'ambulance (des volontaires d'Hatzalah)
arrivés sur le site, se souvenant de ce qui s'était passé neuf ans plus
tôt. » (3) Le
troisième mouvement, sur lequel nous allons concentrer notre analyse, révèle un
caractère beaucoup plus intimiste. Reich s'en explique de la façon
suivante : « Après le 11
septembre, les corps et morceaux de corps ont été transportés au bureau du
médecin légiste qui se situe dans l'est de Manhattan. La tradition juive exige
qu'un corps soit surveillé depuis la mort jusqu'à l'enterrement. Cette coutume,
appelée Shmira, veut qu'une personne assise à côté du
corps récite des psaumes ou des passages de la Bible. Le but de cette tradition
est non seulement de protéger le corps des animaux et des insectes mais aussi
de tenir compagnie à l'âme, neshama, qui flotte
au-dessus du corps jusqu'à l'enterrement. Des problèmes d'identification d'ADN
ont conduit à des veilles de sept mois sans relâche. (4) » Analyse
1)
Texte et structure Ce
mouvement comporte 289 mesures (de 657 à 945). L'organisation formelle est
déterminée par le texte. Reich utilise la voix d'un habitant du quartier, deux
voix de femmes qui ont veillé des corps et récité des psaumes, la voix du
chantre d'une des grandes synagogues de New York, enfin celle d'une
violoncelliste qui a aussi participé à la Shmira dans
un autre lieu. Il s'agit de Maya Beiser, qui a créé Cello counterpoint
de Reich en 2003 ainsi que, la même année, World
to come de David Lang, œuvre à laquelle WTC
9/11 fait clairement référence. World
to come est destinée à un violoncelle qui joue en direct avec intervention
vocale de l'instrumentiste et une bande qui contient huit parties de
violoncelles. Comme le fait remarquer David Lang, ami de Reich, les initiales
de WTC 9/11 et de World to Come sont identiques. Ces deux
œuvres se trouvent liées par un subtil faisceau de correspondances. Dans The world to come Lang démultiplie la
sonorité du violoncelle par la bande comme le fait Reich avec le quatuor à
cordes. Par ailleurs, l'expression « The world to come » apparaît
dans la partie D de ce troisième mouvement. En chantonnant un bref passage du
Psaume 121, Maya Beiser, dédicataire à la fois de Cello counterpoint et
de World to come ajoute une résonance
supplémentaire entre les deux compositeurs. Avant
d'aborder de façon plus technique WTC,
une présentation rapide du texte, qui comme nous l'avons précisé plus haut,
génère la structure, semble indispensable. Le tableau 1 fait apparaître
clairement six sections, chacune caractérisée par des paroles spécifiques.
Tableau
1 Section
A 665-684 témoignage
d'un habitant ·
The
bodies (Les corps) ·
The
bodies were moved to large tents (Les corps furent transportés vers de grandes tentes) ·
Large
tents (Grandes tentes) ·
On
the east side of Manhattan
(Dans la partie Est de Manhattan) Section
B 685-727 témoignage
des deux femmes qui veillent les défunts ·
I would sit there
(Je restais là assise) ·
I
would sit there and recite Psalms all night (Je restais là assise à réciter des
psaumes toute la nuit) ·
Recite psalms
all night (Réciter des psaumes toute la nuit) ·
Simply sitting
(Tout simplement assise) ·
Sitting (Assise) Section
C 728 - 809 (Psaume 121 : 8)
Maya Beiser ·
Hashem yishmor tzaytcha uvoecha may atah va-ahd
olahm (L'Eternel gardera ton issue et ton entrée, dès
maintenant et à toujours.)
(5) Section
D 810-832 témoignage
d'un habitant ·
The world to come
(Le monde au-delà) ·
I
don't really know what that means
(Je ne sais pas ce que cela signifie) Section
E 833- 901 (Exode
23 : 20) Chantre new yorkais ·
Hiney ahnochi sholayach malach lephaneycha lishmorcha badarech valahaviahcha elhamahkom asher hakinoti (Voici, j'envoie un ange devant toi, pour te
garder dans le chemin, et pour t'amener au lieu que j'ai préparé.) (6) Section
F 902-945 émoignage d'un habitant (902-925) ·
And
there's the world (Puis il y a le monde) ·
And
there's the world right here
(Puis il y a le monde ici même) Le
texte juxtapose donc quatre sections en anglais (A, B, D, F) et deux en hébreu
(C, E), un passage du Psaume 121 murmuré par Maya Beiser
et un court extrait de l'Exode interprété par le chantre new-yorkais. Ce n'est
pas la première fois que Reich utilise l'hébreu. Il a déjà exploré cette langue
dans Tehillim
en 1981 et You are (variations) en
2004. En réalité Reich reste éloigné de ses racines juives jusqu'en 1976, année
pendant laquelle il apprend l'hébreu, étudie la bible et travaille la
cantillation. Il se rend par ailleurs à Jérusalem en 1977 et songe même à
devenir rabbin. Tehillim
illustre d'une certaine façon la quête d'un artiste pour renouer avec ses
origines profondes. 2) Speech-melody et Stop action
sound Nous
conserverons le terme anglais speech melody plutôt que la traduction française
« mélodie parlée » qui semble un peu restrictive. Cette technique,
que Reich utilise depuis Different trains, dans The cave, City life ou encore Three tales, consiste à
traduire au plus près musicalement les inflexions d'une phrase parlée. La
langue américaine, naturellement chantante, se prête parfaitement à ce type de
travail. Les paroles enregistrées, souvent concises, sont à la fois diffusées
et interprétées par les instruments qui anticipent et accompagnent les voix. « La
mélodie du discours de chaque individu constitue vraiment, comme le dit Beryl, une sorte de portrait musical de la personne en
question. C'est sa mélodie et je commence par la transcrire. Je dois trouver
les notes exactes, le rythme et le tempo des paroles prononcées. » (7) Tout
le matériau mélodique se trouve généré par les voix enregistrées ce qui donne
une solide cohérence à l'ensemble. A quelques rares détails près, ce jeu
s'établit pour l'essentiel avec le quatuor 1, les quatuors 2 et 3 enregistrés
également, remplissent une fonction de type plus harmonique. Dans ce troisième
mouvement les sections A, B, D et E sont fondées sur la technique de speech melody. Section
A 665-684 Cette
première section s'appuie sur 4 brèves interventions vocales (Exemple 1). Il
s'agit, comme nous l'avons signalé, de l'enregistrement du témoignage d'un
voisin. Chaque élément de phrase est systématiquement doublé par le violoncelle
du quatuor 1, celui qui joue en direct sur scène. Exemple
1 : Speech melody Section A. Il
existe donc un phénomène d'osmose entre le timbre de l'instrument et celui de
la voix. Ce qui paraît sans doute encore plus intéressant c'est que le quatuor
donne presque toujours à entendre la partie vocale avant qu'elle n'intervienne
réellement, comme une forme de prémonition. Ce côté lancinant se trouve encore renforcé
par l'aspect répétitif des formules (The
bodies ou Large tents). Dans
l'exemple 2 on peut clairement observer de quelle façon le quatuor 1 prépare le
texte. Le violon 1 joue intégralement la formule de la mesure 665 (The bodies), le violon 2 les deux
premières notes, l'alto uniquement la première. Les notes tenues installent une
trame harmonique de 3 sons (Sol, La, Ré) qui annonce l'entrée du couple
voix/violoncelle. Ce procédé est abondamment utilisé par Reich tout au long de WTC 9/11. Exemple 2 : Prémonition de la mesure 665. Section
B 685-727 La
section B reprend globalement les mêmes caractéristiques. Il s'agit cette fois
de cinq formules prononcées par deux femmes qui veillent le corps des défunts.
Le rôle du violoncelle dans la section A est remplacé ici par le violon 1 pour
des raisons évidentes de registre (Exemple 3). Exemple
3 : Speech melody Section B. A deux reprises le quatuor
1 anticipe le texte, avant la première intervention, I would sit there, et avant la quatrième, Simply sitting, (Exemple 4 et 5). Les cinq
passages vocaux forment donc un nouveau couple violon/voix. La mélodie est
rigoureusement doublée à la quinte juste inférieure soit par l'alto soit par le
violoncelle, parfois même les deux. Exemple 4 : Prémonition de la mesure 695. Exemple 5 : Prémonition de la mesure 717. Section
D 810-832 La
section D est la plus courte du mouvement, 23 mesures (Exemple 6). Elle
comporte deux interventions qui s'insèrent entre les textes bibliques (sections
C et E). Les paroles retenues par Reich soulèvent un questionnement d'ordre
métaphysique qui renforce la dimension quelque peu mystique de WTC. La voix
employée est la même que celle de la section A mais, cette fois, doublée non
seulement par le violoncelle mais également par l'alto. Exemple
6 : Speech melody
Section D. Le quatuor prépare uniquement The world to come. Chaque instrument
donne une des quatre notes de la présentation vocale et maintient une tenue
harmonique (Exemple 7). Exemple 7 : Prémonition de la mesure 818. Section
F 902-945 Il
s'agit de la même voix que pour les sections A et D. Elle présente deux parties
quasiment enchaînées et presque identiques avec la répétition de and there's the
world. Le climat devient beaucoup plus tendu et rappelle celui du premier
mouvement. La phrase est contenue dans un ambitus de tierce mineure Fa, Lab (Exemple 8). Les quatuors 1 et 2 jouent pour la
première fois du mouvement dans une nuance forte
avec des accents sur chacune des notes. L'armure avec quatre bémols, identique
au mouvement 1, prépare la coda sur laquelle nous reviendrons. Exemple
8 : Speech melody
Section F. La
partie vocale est cette fois annoncée de façon plus subtile. Il ne s'agit plus
de faire simplement entendre antérieurement de façon instrumentale la formule
mélodico-rythmique des paroles à venir mais de créer des polarités par le biais
des accents et des répétitions sur les trois notes de cette formule. Sol et Lab sont particulièrement repérables au violon 1 du 1er
quatuor, le Fa au violon 1 et au violoncelle du deuxième quatuor. Ce passage
instrumental, dont l'intensité et la nervosité rompent avec le caractère
recueilli du mouvement, dégage une sensation éminemment tragique (Exemple 9). Exemple 9 : Prémonition des mesures 920 à 925. Le
stop action sound
est une conception inextricablement liée à celle de la
speech melody.
Comme nous l'avons signalé plus haut, cette technique a précédé de plusieurs
mois le contenu narratif. « Quand
j'ai débuté cette œuvre, je n'avais pas la moindre idée de ce que cela pouvait
donner. La seule chose que je savais c'est que j'allais prendre les voyelles
qui terminent un mot et les allonger. Ainsi si quelqu'un disait "zéro"
cela deviendrait "zeroooooooo", et le "o"
pourrait se poursuivre indéfiniment. » (8) Depuis
Slow motion sound,
œuvre conceptuelle imaginée en 1967 qu'il oublie d'ailleurs de mentionner dans
la citation donnée page 1, Reich souhaite réaliser sur le plan sonore un peu
l'équivalent de l'arrêt sur image au cinéma. Grâce aux progrès technologiques,
il peut l'utiliser à partir de 2001 pour la première fois dans Dolly, dernier mouvement de Three tales. Jusqu'à WTC 9/11 le compositeur ne fait plus appel à ce procédé. A la fin
de chaque segment de phrase, la voix de la personne enregistrée est maintenue
sur la dernière voyelle. Reich compare cet effet à une trainée de vapeur qui
s'intègre à la trame harmonique. Ainsi, tel un halo sonore, le timbre de la
voix perdure plusieurs secondes et nimbe le discours musical qui suit. On peut
ainsi constater que l'aura de la personne interviewée s'étend bien au-delà de
la simple intervention vocale. Prémonition instrumentale et réminiscence par la
technique du stop action sound amplifient la pensée du locuteur et rayonnent
ainsi sur l'ensemble de la pièce. Dans les sections A, B, D et F, ce mécanisme
est systématiquement employé à la fin de chaque manifestation vocale. Pour la
présentation des extraits de la Bible, le processus est oublié sauf sur la
dernière voyelle prononcée par le chantre, section E. La dernière voyelle
perdure jusqu'à la dernière seconde du mouvement. Ce souffle sacré laisse une
trace indélébile et renforce le caractère tragique de la fin. 3)
Le travail contrapuntique au service du texte sacré Reich,
dont on connait l'attachement pour la technique du canon, l'utilise dans WTC 9/11 exclusivement dans le troisième
mouvement et plus précisément dans les deux sections chantées en hébreu (C et
E). Pour le compositeur il s'agit bien ici de renforcer la parole sacrée par
une écriture qui contraste fortement avec les autres sections vocales en
anglais. Section
C 728-809 Cet extrait enregistré du Psaume 121, est, comme nous
l'avons déjà signalé, chuchoté par Maya Beiser. La
même phrase apparaît trois fois à l'identique. Le canon s'élabore à la deuxième
apparition du texte. L'organisation contrapuntique est schématisée dans le
tableau 2. La voix se trouve systématiquement doublée par l'alto, puis par les
violons 1 et 2. Comme dans la partie B, tout au long de C, le violoncelle
double scrupuleusement le couple voix/alto à la quinte juste inférieure. Seules
deux petites mutations, indiquées par une croix (Exemple 11 et 12) rompent
cette rigoureuse construction. La référence faite au parallélisme des débuts de
la polyphonie montre l'intérêt que porte le compositeur à la musique ancienne.
Tableau 2. Dans
la partie 1 (728) la mélodie simple et répétitive, contenue dans un ambitus de
quinte juste, est donnée une première fois par le couple indissociable
voix/alto (Exemple 10). Exemple 10 : Organum parrallèle mesures 728 à 751. Au
cours de la seconde présentation (752), un canon à deux voix se met en place à
distance de 7 temps. La voix diffusée de Maya Beiser
se trouve ainsi démultipliée ce qui génère une ambiance mystérieuse qui sera
encore renforcée par la suite (Exemple 11). Exemple 11 : Canon à 2 voix et organum mesures 752 à 777. A
la dernière exposition (778), la troisième entrée s'ajoute à distance de 13
temps. Les couples voix/alto et voix/violons, joués dans le même registre,
provoquent une perte de repère. Une manière de halo sonore trouble la
perception et installe ainsi une atmosphère propice à une expression empreinte
de sacralité. Exemple 12 : Canon à 3 voix et organum mesures 778 à 809. Section
E 833-901 Un
bref extrait de l'Exode est exposé deux fois au cours de cette section, à la
différence de la section C bâtie en trois parties (Tableau 3). Un mécanisme
identique à celui de la section C se met en place. La voix de Maya Beiser est remplacée par celle du chantre.
Tableau 3 La
mélodie de 33 mesures se déroule plus longuement que celle de la section C (24
mesures). On retrouve la même simplicité dans un ambitus un peu plus large. Les
formules répétitives ainsi qu'une grande ductilité rythmique renforcent
l'aspect religieux du passage. Le concept de couple indissociable est maintenu
ainsi que le principe d'organum parallèle strict avec le violoncelle. La
différence principale consiste à présenter les trois voix canoniques sans
passer par le stade intermédiaire des deux voix. Exemple 13 : Organum parrallèle mesures 833 à 866. Les
entrées du canon s'effectuent de manière rapprochée et, comme pour la section
C, dans un même registre. Les effets de résonances s'en trouvent encore
renforcés. Cette expression, proche dans l'esprit de la cantillation hébraïque,
emplit l'atmosphère sous la forme d'un miroitement kaléidoscopique. Exemple 14 : Canon à 3 voix et organum mesures 867 à 901.Fonction des
quatuors 2 et 3 et langage harmonique Les
deux quatuors enregistrés ont une fonction différente du quatuor chargé de
jouer en direct. Alors que celui-ci forme le support systématique du texte les
deux autres remplissent un rôle tantôt de doublure tantôt d'amplification du
quatuor 1. A de rares exceptions près ils jouent de longues tenues sorte de
prolongement du stop action sound. Ils installent une trame harmonique souvent
étale sur laquelle viennent se poser les éléments narratifs. Les
cinq premières sections ne comportent aucune altération ni à l'armure ni dans
la musique elle-même. Dans la partie C, de 701 à 717, Reich emploie cependant
un Si bémol sous forme de note tenue au violoncelle du quatuor 1 ainsi qu'à
l'alto. Cela s'explique par le fait qu'il souhaite maintenir une quinte juste
dans l'organum rigoureusement parallèle que nous avons évoqué précédemment.
Cette économie de moyen a pour objectif de concentrer l'attention de l'auditeur
sur le texte. Il évite ainsi soigneusement toute friction ou dissonance pouvant
perturber la mécanique relativement minimaliste qu'il souhaite développer. La
sixième section (F) comporte 4 bémols à la clé. Le compositeur renoue avec
l'armure et plus généralement avec le climat tendu du premier mouvement. Les
quatuors 1 et 2 retrouvent la même nervosité (Exemple 9). Sous cette phase
conclusive plus agitée, le quatuor trois installe de manière progressive une
trame immuable qui se maintient jusqu'à la fin, à l'exception du saut d'octave
aux violons mesure 929 (Exemple 15). Exemple 15 : Trame harmonique au quatuor 3 à partir de la mesure 902. La
coda, quant à elle, donne à nouveau le Fa qui symbolise la sonnerie lancinante
du téléphone. Pendant toute cette partie Reich n'utilise aucun Mi, ni bémol ni
bécarre. Cette absence prépare et
renforce le frottement Mi bécarre/Fa à partir de 937, tension présente dès la
mesure 2 du premier mouvement. En
conclusion, Speech melody,
stop action sound,
contrepoint, minimalisme harmonique, éléments répétitifs ou encore évocation de
la musique ancienne sous la forme d'organum archaïque, constituent les principaux
éléments mis en œuvre par Steve Reich dans WTC
9/11. Partant du simple désir technique de réaliser une pièce utilisant le stop action sound,
puis, dans un second temps d'évoquer le drame vécu par sa famille le 11
septembre, Reich réalise une œuvre dont l'importance se situe bien au-delà. En
effet, WTC 9/11, et tout
particulièrement le dernier mouvement, atteint par instant une dimension
véritablement universelle. L'œuvre rend ainsi un émouvant hommage aux
nombreuses victimes de l'un des moments les plus tragiques de ce début de XXIe
siècle. Patrick Revol*. *Patrick Revol est Maître de conférences (HRD) à l'Université Pierre
Mendès France de Grenoble. Annexes (Texte anglais) : ·
Note
1 : « In 2009 the Kronos Quartet asked me for a piece using pre-recorded
voices. My first idea was to elongate the speaker's final vowels or consonants.
Stop Action sound. Impossible in 1973 when I first thought of
it. Possible in 2001 when Dolly was begun. In
this piece it was to be, and is, the means of connecting one person to another
– harmonically. » ·
Note
2 : « After
several months I finally remembered the obvious. For 25 years we lived four
blocks from the World Trade Center. On 9/11 we were in Vermont, but our son,
granddaughter and daughter-in-law were all in our apartment. Our phone
connection stayed open for six hours, and our next-door neighbors were finally
able to drive north out of the city with their family and ours. For us, 9/11
was not a media event. By January 2010,
several months after Kronos asked me for the piece, I
realized the pre-recorded voices would be from 9/11. » ·
Note
3 : « The piece
begins and ends with the first violin doubling the loud warning beep (actually
an F) your phone makes when it is left off the hook. In the first movement
there are archive voices from NORAD air traffic controllers, alarmed that
American Airlines Flight 11 was off course. This was the first plane to
deliberately crash into the World Trade Center. The movement then shifts to
FDNY archives of that day telling what happened on the ground. The second
movement uses recordings I made in 2010 of neighborhood residents, an officer
of the Fire Department and the first ambulance driver (from Hatzalah
volunteers) to arrive at the scene, remembering what happened nine years earlier. » ·
Note
4 : « After 9/11
the bodies and parts of bodies were taken to the Medical Examiner's office on
the east side of Manhattan. In Jewish tradition there is an obligation to guard
the body from the time of death until burial. The practice, called Shmira, consists of sitting near the body and reciting
Psalms or Biblical passages. The roots of the practice are, on one level, to
protect the body from animals or insects, and on another, to keep the neshama, or soul, company while it hovers over the body until
burial. Because of the difficulties in DNA identification, this went on for
seven months, 24/7. » ·
Note
8 : « When I
started the piece, I had no idea what it was going to be about. All I knew was
that I was going to take vowels that end a word and elongate them. So if
someone said, "zero," it would be "zeroooooooo,"
and the "o" would go on indefinitely. » (1) Traduction
du texte de Steve Reich de novembre 2010 publié sur la partition éditée par Boosey et Hawkes ainsi que sur la présentation de l'enregistrement
réalisé par le Kronos Quartet chez Nonesuch Records
Inc. en 2011. Toutes les citations en version anglaise sont proposées en annexe (2) Ibid. (3) Ibid. (4) Ibid. (5) D'après
la traduction de David Martin (1744). (6) D'après
la traduction de Louis Segond (1880). (7) Texte
extrait du document de communication du festival d'automne à Paris élaboré pour
les représentations de The cave en
2013. Cette interview de Reich et de sa compagne Beryl
korot est réalisée par Jonathan Cott. (8) Traduction
du texte provenant de l'interview réalisée par des membres du Carnegie Hall le
30 avril 2011 lors du concert organisé pour les 75 ans de Steve Reich. ***
PROPOS PARTAGES
Jean Rondeau,
claveciniste et aussi pianiste de jazz Jean Rondeau est né en 1991. Il complète sa formation
initiale au CRR de Paris où il travaille la composition et le contrepoint, puis
au CNSM où il remporte les prix de clavecin et de basse continue en 2013. Déjà
Premier prix du concours de Bruges en 2012, il est Premier prix du concours
Jeunes Solistes de Radio France en 2014. Parallèlement il suit des cours à la
Guildhall School de Londres, à l'Académie Chigiana de Sienne et à Florence avec Christophe Rousset.
Depuis, il se produit régulièrement en soliste ou en musique de chambre avec
ses amis anciens élèves du CRR dans le groupe Nevermind.
Il a fondé le groupe de jazz Note forget en 2011. Jean Rondeau, c'est au jeune claveciniste que je
m'adresse pour débuter cet entretien. Cet été a été assez riche de concerts en
tant que soliste : la Normandie Royan, Bruges, la Chaise-Dieu, Paris… C'est
beaucoup de programmes différents... Je change souvent mes programmes. Je cherche à m'adapter
même si parfois des pièces se recoupent. Je cherche à me renseigner sur le
lieu, le clavecin…pour toujours adapter mon programme. Toujours. Sur quoi portent tes choix en ce moment ? En fait, je suis toujours sur plein de chantiers en
même temps : à la fois monter des programmes, travailler du
répertoire de manière plus large et aussi travailler sur l'instrument juste
pour travailler sur l'instrument. C'est toujours un perpétuel fatras de
partitions qui s'empilent et il faut essayer de faire un tri.
Si
on parlait du temps des études qui n'est pas si éloigné que cela ? Quand je parle des études je parle toujours de mon
apprentissage avec Blandine Verlet, donc lorsque
j'étais assez jeune, entre 6 et 18 ans. En gros l'apprentissage à ce moment là
c'est la musique, l'instrument. On se plonge dedans pour essayer de toucher le
son, de se familiariser avec. Aujourd'hui le travail est différent, c'est une
approche plus technique. Blandine laisse beaucoup de place à l'élève, beaucoup
de liberté. En fait, elle n'impose rien, elle essaye d'attiser la passion de
l'élève, son amour. Elle essaye de comprendre ce qu'il entend… C'est pour cela
qu'elle est très souple, très à l'écoute. Elle a un
finesse qu'on ne trouve pas partout du point de vue du positionnement
pédagogique, elle est une vraie pédagogue. Elle arrive à faire grandir la
musique chez quelqu'un et ça c'est quelque chose de très fort. La manière
académique on s'en fiche, ce qui est important c'est la transmission, le goût
de l'amour pour cette musique, sur cet instrument précisément. Cela, elle
arrive à le faire et donc pour moi elle est une réelle pédagogue. L'aventure
a réellement commencé à 6 ans ? Déjà l'amour du clavecin ? En fait j'ai entendu du clavecin à la radio. J'ai eu un
vrai coup de foudre pour le son de l'instrument. Ce qui est sympa avec cette
histoire c'est que je ne suis pas tombé amoureux de l'apparence de l'instrument
ni du répertoire ni de la personne qui jouait parce que c'était des trucs qui
m'échappaient complètement à cet âge là (j'avais 5 ans). C'était le SON juste
le son de l'instrument qui me séduisait. C'est un contact assez direct. A
partir de ce moment j'ai demandé à mes parents de jouer du clavecin. Je ne
sais absolument pas ce que j'avais entendu. Ce qui est intéressant c'est que
seul le son m'attirait. C'était détaché de toute association avec une façon de
jouer ou un répertoire, juste un CONTACT avec l'instrument. Le clavecin a l'avantage de ne pas laisser indifférent.
Soit il y a des gens qui en sont épris, totalement épris ; soit il y en a
d'autres qui n'aiment pas du tout, qui peuvent être rebutés par le son, allant
jusqu'à le trouver un peu agressif. C'est un instrument qui a du caractère et
qui ne laisse pas indifférent. Ma démarche d'enfant ne peut pas s'expliquer
rationnellement comme le ferait un adulte. Quand l'enfant tombe amoureux de
quelque chose c'est une vraie passion et la passion d'un enfant est vraiment
pure. Au contraire de l'adulte qui se pose un tas de questions, quand on est
enfant il s'agit d'un élan. Blandine a été un professeur exemplaire. C'est une
grande artiste, une grande musicienne. Grâce à sa démarche assez humble elle
cherche à développer quelque chose chez quelqu'un, elle recherche les envies de
l'autre. Pas les siennes. A aucun moment elle ne met un pas de trop dans la
sphère de l'élève. En cela elle porte l'amour et c'est assez exemplaire. Je
n'ai jamais été déçu. Jamais… J'aurais été déçu si elle m'avait imposé de jouer
telle ou telle pièce parce que justement c'était lié à cet élan passionnel qui
consistait à dévorer de la musique, à jouer comme un enfant avec un jouet.
Quand on retire son jouet à un enfant il pleure ! Si on est malheureux je
ne sais pas ce qui sert le plus la musique… Comment
se faisait le choix des programmes alors ? Je déchiffrais énormément. J'entendais une pièce et je
voulais la jouer…Elle disait d'accord. Ce n'était pas académique, elle ne
m'imposait pas de programme. Faisais-tu
de l'improvisation ? Non, pas à ce moment là. J'ai commencé l'improvisation
vers 12 ans au piano. Vers cet âge là aussi j'ai commencé la basse continue.
C'était lié, c'était dans la continuité. Cela m'a tellement intéressé que j'ai
commencé l'écriture et j'ai eu d'autres professeurs. Après deux ans de piano au
conservatoire (qui ne m'avaient pas vraiment plu) j'ai rencontré un professeur
extérieur à la structure qui m'a vraiment fait aimer l'instrument. Avec lui
j'ai réellement eu l'impression de rentrer dans le piano par le biais de
l'improvisation. Il retournait tout l'enseignement théorique par la pratique
pour retrouver l'essentiel. Je me souviens qu'il m'enseignait à faire des
« phrases » ce qui est essentiel. Je remarque que beaucoup de grands
interprètes ne savent pas forcément taper dans leurs mains…
C'est
un joli plaidoyer pour les Méthodes Actives…. En tous cas j'ai lu quelque chose sur l'axiome
d'Emerson qui dirait que tu n'apprendras jamais mieux qu'en dehors
de l'institution. Quelle différence d'investissement y a-t-il
entre un concert en soliste et la réalisation d'une basse continue dans un
orchestre ? C'est clairement une différence matérielle mais en
revanche il n'y a pas de différence de positionnement. C'est une autre forme
d'oreille. En orchestre on est là pour écouter les autres mais ce qui guide
c'est qu'on fait de la musique. Cela fonctionne aussi bien pour le jazz que
pour la musique de chambre ou l'interprétation soliste. Je ne deviens pas
quelqu'un d'autre quand je joue quelque chose d'autre avec quelqu'un d'autre et
d'ailleurs même au sein de mon travail en tant que soliste, que je me retrouve
devant 3 ou 1000 personnes mon engagement sera le même. Cette remarque me fait penser à la prestation des
Victoires de la Musique retransmise à la télévision… Je ne peux pas dissocier la musique des autres. Je ne
fais pas cela pour moi sinon je resterais chez moi. Les autres sont essentiels.
Le public est le premier lieu de réflexion mais cela n'a rien à voir avec les
Victoires de la Musique qui sont encore autre chose. C'est de la télé. Ce n'est
pas la réalité. C'est une idée de représentation, une image, du spectacle… J'ai
joué deux minutes trente ! Cependant ce qui reste au centre de tout c'est
la musique. Au moment où je joue mon engagement reste le même. Il est vrai que
c'est extrêmement mal fait, extrêmement kitch et pas très beau. Ils souhaitent
représenter les clichés. Ce n'est pas la représentation de la réalité, c'est du
faux de faux. Là je suis assez pessimiste mais ce n'est pas grave. En même
temps c'est une bonne chose. J'ai découvert le clavecin par hasard à la radio
et peut-être qu'il y a des gens qui ont ouvert leur télévision et qui ont
peut-être découvert…Évidemment que c'est bien ! Il ne faut pas réserver le
clavecin à des connaisseurs. Je pense que la carrière et la musique ne jouent
pas sur le même terrain de jeu. Souvent l'une utilise l'autre et parfois,
encore pire, inversement ; mais en fait ça n'a rien à voir et c'est pour
cela que se créent deux mondes : celui de la production musicale et le
monde de la musique en soi (pas toujours mais c'est souvent le cas). C'est
assez compliqué en fait de comprendre que la musique a besoin de tout sauf de
commercial. Elle n'a rien à voir avec une démarche commerciale, elle transcende
le commerce, la mode, l'époque. On a quand même pas mal d'exemples de
compositeurs qui n'étaient pas forcément à la mode à leur époque ! Lors du récital au théâtre des Champs-Elysées un
spectateur est intervenu verbalement entre deux morceaux parce que un reflet de ta montre le gênait. Sans te démonter tu as
retiré la montre puis avec humour demandé si tu devais aussi retirer tes
souliers vernis, indiquant au passage que si quelque chose était de nature à
gêner il fallait le dire…Personnellement j'ai admiré le calme, l'à propos,
l'humour et la gentillesse de la réplique face à la violence que peut
représenter une telle intrusion dans la concentration du moment. En
fait, j'ai beaucoup aimé. Quelque chose gênait ce monsieur, il l'a dit. C'est
rarissime une interpellation au cours d'un concert classique, non ? Cela ne devrait pas être exceptionnel. Les lieux de
théâtre un peu guindés sont un héritage bourgeois mais en fait la musique n'a
pas besoin de chemin sinueux. Elle est la plus forte. On vit dans un monde qui
se veut rapide mais si on s'arrête deux minutes et qu'on se pose la question de
notre court passage sur terre on a vite fait d'abandonner les histoires de
pouvoir et de rapports de force et on finit par se bouger les fesses vraiment
pour quelque chose qui a du sens et qui a un impact direct et concret sur
l'homme. L'apparition de l'homme sur terre reste quand même infime par rapport
à l'existence de l'univers. Déjà le passage de l'homme est très court mais
alors le nôtre en tant qu'individu…il est invisible. Tu
as fait de la philosophie ? Oui. J'ai fait cela à la Catho qui a un très bon
département de philosophie avec d'excellents professeurs. La philo me passionne
mais je n'ai plus de temps. Que
se passe-t-il quand tu passes du clavecin au piano ? Cela reste du clavier mais c'est différent parce que
c'est une autre façon de gérer le poids du corps et le lien corporel avec
l'instrument. Le jazz c'est encore différent mais la respiration liée à la
musique est censée rester la même. Est
censée ? C'est le travail de toute une vie. Trouver la respiration
juste et le geste juste… Le premier qui me dit qu'il a trouvé… Propos recueillis par Laurence
Renault Lescure. Le programme de Jean Rondeau est chargé pour
l'automne 2015 :Milan, Kiev, Cambrige,
Utrecht,Varsovie, Poznan.
Puis La fondation Bettencourt, le festival
Terpsichore (22/11), La Lituanie. Et retour en France à l'Hôtel de Ville de
Neuilly le 12 décembre. On peut suivre son parcours sur internet. Il faut aussi
suivre le parcours de ses improvisations avec Thomas Dunford
au luth et la percussion de Kevin Benguigui. ***
Le frisson d'un orchestre d'exception
Pour ce concert de rentrée, la Philharmonie
de Paris connaissait l'excitation des grands soirs. C'est qu'on y entendait le
Boston Symphony Orchestra, au nombre des « big five » des formations symphoniques nord
américaines. Pour l'une des étapes de leur première tournée européenne sous le direction d'Andris Nelsons, qui de Londres à Berlin, leur faisaient donner
quelques 12 concerts en 15 jours. Le programme copieux de cet unique concert
parisien réunissait Don Quichotte de Strauss et la 10 ème Symphonie de Chostakovitch. Richard Strauss achève Don
Quichotte en 1897, peu après Till Eulenspiegel
dont il se situe dans le droit fil. Car ces « Variations fantastiques sur
un thème chevaleresque » op. 35 en reprennent l'esprit frondeur, pour ne
pas dire picaresque, loin des redondances pseudo philosophiques de Also Sprach Zarathustra. Presque
sujet opératique, cette illustration musicale du Don Quichotte de Cervantès
nous plonge dans le théâtre et son monde imaginaire. Le Chevalier à la longue
figure s'abime dans la déraison à la lecture de quelque roman de chevalerie et
va mettre en scène sa propre trajectoire d'évènements en compagnie de son
fidèle Sancho Pensa. Cette partition n'est autre que le récit de ses
aventures invraisemblables qui pourtant
ont la senteur de la vie, car le personnage est bien de chair et de sang tout
comme son double Sancho, au point qu'on a pu dire que les deux ne formaient
qu'une seule entité, comme il en va de Don Giovanni et de Leporello.
Strauss pare son orchestre de mille feux et ses deux héros des traits finement
dessinés, qui au violoncelle, qui à l'alto. L'interprétation d'Andris Nelsons est frappée au
coin de l'amour d'une musique à la fois démonstrative et recueillie. Si dans
les premières pages on perçoit quelque sollicitation textuelle, voire la
recherche de l'effet (évocation du « combat victorieux contre les armées
de l'empereur Alifanfaron », autrement dit le
drôle de combat contre un troupeau de moutons, dont les bêlements sont
soulignés), le discours va vite prendre une forme serrée et livrer de ces
séquences pathétiques ou naturalistes une moelle peu résistible. Grâce à un
orchestre d'une sonorité proprement inouïe. Et que dire de ces passages en
forme de triple concerto qui unissent cello, alto et
premier violon ! Yo Yo Ma,
dont on salue le retour à Paris, livre une exécution d'un goût extrême : au fil
des épisodes on savoure tout à tour l'épique mais aussi la retenue et une
poétique raffinée, comme lors des échanges avec l'alto (merveilleux Steven Ansell), montrant les liens indissolubles qui unissent les
deux personnages. Aux saluts, le celliste s'efface devant ses partenaires qui,
il est vrai, lui auront dessiné le plus précieux des écrins. Suivait la 10 ème de Chostakovitch, un monument et un challenge pour un
orchestre. Que Nelsons prend à bras le corps. Dès les
premières phrases, la tension s'installe. L'auditeur est submergé de tutti
faramineux, des crissements des cordes emballées, de stridences des vents, de
ce sentiment de masse écrasante, ou plongé dans le ravissement de solos
envoûtants de la clarinette basse (William R. Hudgins),
de la flûte ( Elisabeth Rowe) ou du cor (James Sommerville). La vision est oppressante au moderato, mécaniciste
et effrayante à l'allegro suivant, envoûtante au troisième mouvement allegretto
qui se conclut sur des cordes enfin assagies parmi lesquelles s'élève un trait
éthéré de la flûte, moment proprement magique. Un frisson d'enivrement parcourt
le finale où le pessimisme cède enfin la place à une bouffée d'air frais. Alors
ce ne seront que cavalcades et climax incandescents. Nelsons
joue à fond la formidable palette de la pièce et son substrat provocateur.
L'orchestre répond au quart de tour et distille des nuances qui clouent
l'auditeur au fauteuil. Et c'est un plaisir sans mélange de pouvoir enfin
entendre ces torrents musicaux sonner comme ils le doivent, dans une acoustique
ouverte rendant justice aussi bien à la ténuité d'un solo instrumental qu'aux déferlantes
d'un orchestre lâché à pleine puissance.
Jean-Pierre Robert. Un grand chef mahlérien
Autre phalange américaine à fouler le sol
parisien cet automne, le San Francisco Symphony était
dirigé par son charismatique chef Michael Tilson
Thomas, MTT pour ses familiers. A la tête de l'orchestre depuis vingt ans, il a
fait de celui-ci un instrument des plus performants. Deux œuvres on ne peut
plus dissemblables en apportaient la preuve. Le Quatrième concerto pour
piano de Beethoven était joué par Yuja Wang. On
sait le magnétisme de cette filiforme jeune femme qui en quelques années a
conquis le cœur de mélomanes, l'espace d'une poignée de disques et de concerts.
S'attaquer à l'un des concertos les plus emblématiques du maître de Bonn était
assurément un challenge. Voilà un Beethoven plutôt aérien, transparent, allégé.
Trop peut-être à qui attend ici une pâte solide, en particulier au rond final.
La manière de la pianiste chinoise (*1987) est indéniablement à rebours des
idées reçues. Mais que de qualités : une aisance virtuose transcendée par un
jeu perlé (allegro moderato), une expressivité qui n'a rien à envier à bien de
ses collègues (andante médian), grâce à une volonté de clarté, un intéressant
alliage d'alacrité presque ludique et de calme étonnamment maitrisé dans les
divers épisodes du rondo final. On remarque combien la pédale de violoncelle
est à peine soulignée par le chef. L'accompagnement prodigué par Michael Tilson Thomas, empreint d'équilibre, ne s'attarde pas sur
le terrain de l'héroïsme. Au final, une interprétation à part, d'une indéniable
rigueur. Yuja Wang se lancera en bis dans une
transposition de la Marche turque de Mozart, façon jazzy, en complète
rupture ; souci d'étalage de virtuosité - et elle est sensationnelle - ou goût
pour l'humour ? Un second bis plus romantique nous ramènera dans le droit
chemin... Le plat de résistance était l'exécution de la Première symphonie
de Gustav Mahler. Un compositeur cher au chef américain qui le programme
souvent et dont il a enregistré l'entier corpus symphonique pour le propre
label de l'orchestre (SFS). Lors d'une interview, ne déclarait-il pas que
« ces grandes symphonies sont comme les parcs nationaux » et avouait
intact son plaisir de les travailler encore et toujours avec le même
émerveillement. De fait, la relation de confiance avec l'orchestre est évidente
à chaque phrase. Pour une interprétation qui à l'occasion prend ses aises avec
les tempos. Mais une vision d'une parfaite cohérence magnifiant les ressorts
dramatique de cette musique aux multiples facettes. Le feeling est là dans la
longue introduction lente du premier mouvement avec ses interventions des bois
bien détachées. Cet éveil de la nature est certes
moins mystérieux que parfois, mais la progression vers les grands climax ne
manque pas son but. Du scherzo, marqué « énergique et animé, pas trop
rapide », MTT prend le rythme de valse sans appuyer sur son coté grotesque.
On trouve là une des caractéristiques de sa direction : le souci de bannir la
recherche de l'effet, que ce soit dans l'impulsion rythmique ou dans le travail
instrumental. Ce qui fait figure de mouvement lent, « solennel et mesuré,
sans traîner », déploie une magie sonore certaine, celle de l'univers des
Lieder du Wunderhorn. Le thème de marche
funèbre « Frère Jacques », magistralement exposé à la contrebasse
solo, prélude à une vaste digression tour à tour obsessionnelle et mesurée dans
ce morceau de genre si typique de la manière de Mahler. La séquence de la
chanson tzigane apporte un contraste justement parodique. Sans doute le temps
fort de cette exécution. Le finale sera grandiose, nanti de formidables écarts
de dynamique. La volonté de ménager les crescendos avec doigté est certaine,
quoique un peu emphatique. La science orchestrale des musiciens du San Franciso Symphony est indéniable,
même si moins aboutie que celle de leurs collègues de la côte Est, en particulier
au registre des bois.
Jean-Pierre Robert. Comment vraiment bien jouer Mozart
Pour son concert de rentrée, l'Orchestre de
Chambre de Paris affichait un programme Mozart sous la direction de Sir Roger
Norrington, et en vedette le pianiste Fazil Say. Aussi
bien interprète que compositeur, le pianiste turc offrait une de ses
compositions chambristes, la Sonate pour violon et piano op 7.
Confortant une tradition de cet orchestre de livrer des pièces de style et de
forme différents. Cette pièce, écrite en 1997, mélange les esthétiques et se
souvient des classiques. On y devine des références à Debussy, perçoit des
traits empruntés au Jazz, et bien sûr devine des climats du pays natal. En cinq
mouvements, sa modeste durée, un quart d'heure, n'en est pas le moindre
paradoxe, car sa richesse est grande : atmosphère éthérée de l'introduction, où
le balancement du piano berce la mélodie du violon, section scherzando
(« Grotesque ») jazzy, puis séquence presto à l'arraché en forme de perpetuum mobile, ou encore andante aux tonalités
orientales, là où le piano est joué sur la résonance des cordes, et enfin
« Epilogue », qui revient au thème initial en l'élargissant. Belle
exécution du compositeur et de Deborah Nemtanu.
Retour à Mozart : un court Divertimento et la Sérénade Posthorn
encadraient le 23 ème concerto de piano. Dès les
premières phrases du K 138, on perçoit combien pour Norrington cette pièce de
jeunesse est une affaire sérieuse : travail sur les accents, charpentés à
l'andante médian et au presto final d'une verve communicative. Il en ira de
même dans la vaste Serenade dite du « cor du
Postillon » K 320. Ses sept mouvements et sa riche instrumentation
l'apparentent plus à la symphonie qu'à la pièce de divertissement galant.
L'exécution qu'en donnent Norrington et les talentueux musiciens de l'OCP le
prouve : cette fine articulation, ce travail minutieux sur les coups d'archet,
ces climats construits tour à tour graves et apaisés, sont dignes de la manière
de grand Sandor Vegh. Comme
lui, Roger Norrington place ses violons I et II de part et d'autre pour en
tirer le meilleur effet phonique, ses trois contrebasses à l'extrême gauche et,
au fond, comme couvant les cordes, sa ligne des vents dont les instrumentistes
jouent debout. La mini symphonie concertante qui forme le deuxième mouvement
révèle l'éclat du Mozart de la Symphonie concertante K 297b et annonce
tel passage du II ème acte de Cosi
fan tutte. Le premier menuet offre de savoureux contrastes, notamment lors
du passage en duo flûte-hautbois. Une gravité proche d'accents funèbres pare
l'andantino : Mozart à son plus poignant. Du second menuet, on signalera les
deux Trios, le premier mené par la flûte piccolo et le deuxième par les
interventions impromptues du cor. Exubérant, le finale est éblouissant de verve
contenue. Qui sera bissé d'ailleurs. Au milieu, l'exécution du concerto N° 23,
K 488, aura livré d'égales félicités : un son ouvert, un dialogue expert entre
bois et piano. Celui-ci, Fazil Say l'aborde avec une
simplicité qui fleure le bonheur de jouer. En particulier à l'andante central,
l'une des plus belles inspirations de Mozart, qu'il prend avec une expressivité
empreinte de pudeur pour en souligner le pathétique, l'insondable inquiétude.
Quelques singularités n'entravent pas une exécution sensible, hautement pensée,
souveraine. L'allegro assai final est radieux et dispense une joie d'abord
contenue qui peu à peu dégage un vrai feu opératique. Les variations « Ah
vous dirais-je Maman » prolongent un plaisir intense. Il y a bien longtemps
qu'on n'avait pas entendu à Paris jouer Mozart de la sorte. Jean-Pierre Robert. Un Wozzeck d'anthologie Alban BERG : Wozzeck. Opéra
en trois actes. Livret d'après « Woyzeck »
de Georg Büchner. Christian
Gerhaher, Gun-Brit Barkmin,
Brandon Jovanovich, Mauro Peter, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke,
Lars Woldt, Pavel Daniliuk, Cheyne Davidson, Martin
Zysset, Irène Friedli. Allesandro Reinhazrt, Tae-Jin Park. Chor & Kinderchor der Oper Zürich. Philharmonia
Zürich, dir.: Fabio Luisi. Mise en scène :
Andreas Homoki. Opernhaus
Zürich. Il est à l'opéra des moments
qui se gravent dans la mémoire durablement. Assurément la nouvelle production
de Wozzeck que présente l'Opernhaus de Zürich est de
ceux-là ! Puisé dans le drame de Büchner, Wozzeck a été pensé pour la scène et
Alban Berg en a fait un morceau virtuose où drame et musique sont liés à un
rare degré de fusion. On ne reviendra pas sur la conception formelle des trois
actes, joués ici sans interruption, bâtissant au long de quinze scènes, un
schéma musical serré, sur le schéma Exposition, Péripétie, Catastrophe,
formellement condensé successivement en cinq pièces de caractère où sont
présentés chacun des personnages principaux (acte Ier), puis une symphonie en
cinq mouvements (II ème acte), enfin six inventions
au troisième. La perfection dramaturgique, une des plus réussies que comporte
le répertoire, est on ne peut plus inspirante pour un metteur en scène. Andreas
Homoki, le directeur de l'Opernhaus,
conçoit une régie d'une fabuleuse inventivité et d'une absolue cohérence. Le soldat Wozzeck
est prisonnier des circonstances dans un monde où finalement personne n'est
libre, où tout un chacun agit sous la contrainte. Et la catastrophe devient
inéluctable, car il n'est pas un moyen d'en réchapper. Une composante grotesque
s'empare de tous les individus, à l'aune du monde folie qui est celui de
Wozzeck. D'où le choix de raconter son histoire à travers la propre perception
qu'il a des événements, dans une approche surréaliste, « chaque scène
exposant une incertitude existentielle du personnage », dit Christian Gerhaher. Et de la situer dans l'univers impitoyable du
théâtre de marionnettes, comme naguère un Stanilawski.
La composante décorative s'impose d'emblée, avec sa dominante jaune passé : une construction
répétitive en perspective (Michael Levine, le
décorateur de Carsen, et adepte des effets en trompe
l'œil), qui va s'échafauder ou se défaire au fil des scènes, et qui emprisonne
les personnages dans ses diverses strates. Ainsi ceux-ci apparaissent-ils au
premier plan puis s'évanouissent comme à Guignol, ou s'installent à califourchon sur le rebord. On savoure les
divagations du Docteur (Acte1, sc. 4) vaticinant sur la relativité des choses.
Une escouade de mandarins, vêtus de noir comme leur maître, envahit alors l'espace,
s'emparant du pauvre hère pour le faire tourner en bourrique. Plus tard ( Acte II, sc. 2), Capitaine et Docteur vont assaisonner de
leurs propos plus sournois qu'aimables leur souffre-douleur en une
course-poursuite s'étalant sur plusieurs plans. Ceux-ci autorisent la mise en
perspective de groupes aux allures effroyables. Ainsi la scène de l'auberge
verra-t-elle une armée de de bonshommes s'agiter au
pas de l'oie et peupler l'imaginaire du soldat pour mieux l'assommer. La scène
de la caserne qui clôt l'acte II, avec ses soldats, leurs oreillers collés sur
l'oreille, vous arrache une larme d'émotion tant on perçoit combien la torture
est insupportable pour Wozzeck, alors que le Tambour-major dont on a perçu
l'immense égo et l'appeal sexuel débordant, va
s'appliquer à détruire son simple soldat dont il a volé l'épouse. La violence
est loin d'être éludée. On la reçoit de plein fouet par exemple durant
l'interlude qui suit la scène de l'auberge et l'intervention du fou, car une
orgie collective quasi tellurique s'empare de l'assistance ; ce qui rend le
contraste avec la placidité du début du tableau de la chambrée encore plus
impressionnant. Une infinie douceur appert aussi. On n'oubliera pas de sitôt la
scène de la lecture de la Bible (Acte III,
sc. 1) qui au-delà des didascalies, introduit Wozzeck : Wozzeck et
Marie, blottis l'un contre l'autre, enchâssant leur pauvre gosse, puis Wozzeck
reprenant le livre sacré qu'elle a posé, pour sembler y puiser lui aussi
quelque chose d'essentiel. Là comme au détour de chaque scène, chaque
personnage est détaillé avec une force exceptionnelle. Autre trait inouï : à
l'ultime scène, chacun des enfants sera une réplique de chaque personnage
principal, et pour celui d'entre eux qui annonce au petit orphelin la mort de Marie
(« Du, dein Mutter ist tot »/ Toi, ta mère elle
est morte), un sosie de celle-ci. On touche ici le génie dramaturgique. La puissance de cette
production se vit à travers l'interprétation qui épouse cette régie comme un
second soi-même, tant chacun y est littéralement sculpté par elle. La
distribution, qui ne connaît pas la moindre faille, comprend plusieurs prises
de rôle, gage de renouvellement et remède contre la routine. Au premier chef,
celle du rôle titre par Christian Gerhaher. On sait
tout l'intérêt qu'il y a à le distribuer à un interprète familier du domaine du
Lied, comme jadis Dietrich Fischer-Dieskau ou plus près de nous Matthias Goerne. Le dire expressif en bénéficie à chaque instant et
la balance entre Sprechgesang et approche chantée bascule en faveur de cette
dernière, comme le confie l'intéressé qui dit aborder le rôle avec respect
devant l'immensité de l'entreprise. Et il est heureux que cette première prise
de contact ait lieu dans une salle à taille humaine comme celle de l'Opernhaus. Tout est là: les couleurs infiniment variées,
les inflexions les plus subtiles, la pénétration du caractère, sans doute
exacerbée par l'approche de Homoki, mais combien
émouvante. Le côté grotesque dont sont nantis les autres personnages, semble
mettre à nu la folie intérieure dont est atteint le soldat : effroi, peur, puis
enhardissement, rage longtemps couvée, interrogation puis résolution et passage
à l'acte. Gerharher le vit on ne peut plus
intensément. La voix d'une beauté à couper le souffle, dispense un large
spectre, depuis le plus fin pianissimo jusqu'au tonitruant forte. Un
coup de maître ! La Marie de Gun-Brit Barkmin, hier une fabuleuse Katerina dans Lady Macbeth
de Mtsenzk, fait son affaire des aspérités du
rôle et détaille toute l'ambivalence du personnage qui se reflète dans son
aspect presque caricatural (sa longue chevelure rousse) : une femme moins
soumise que souvent qui trahit son soldat de mari comme malgré elle. Le
docteur, Lars Woldt, est d'une vérité qui vous cloue
sur place, comme ses théories fumeuses sur le destin du monde. Wolfgang Abliger-Sperrhacke, dont on
connait la passion pour les rôles de composition, offre du Capitaine un
portrait lui aussi saisissant et vocalement sur le fil du rasoir. Il en va de
même du Tambour major de Brandon Jovanovich, que son
allure de brigadier d'opérette plus vrai que nature rend encore plus effrayant.
Mauro Peter, Andres, Irène Friedli, Margret, et les deux compagnons de la taverne, complètent
un ensemble vraiment remarquable. La direction de Fabio Luisi
maintient la tension constamment à son maximum, non pas tant par des
déchaînements orchestraux que par une approche chambriste et une recherche
d'expressivité. Cette musique qui produit un choc émotionnel, agissant sur la
sensibilité de l'auditeur comme peu d'autres œuvres du théâtre lyrique. Il
obtient de l'Orchestre Philharmonia Zürich des
sonorités d'une plastique enviable. Un spectacle mémorable ! Jean-Pierre
Robert. Paavo Järvi et
l'Orchestre de Paris fêtent le 80e anniversaire d'Arvo Pärt Arvo Pärt (circa 2013) ©Universal Edition/Eric Marinitsch La Philharmonie de Paris
consacrait, pour l'occasion, tout un week end à
l'œuvre du compositeur estonien dont on fêtait le 11 septembre le 80e
anniversaire. Il faut dire qu'au-delà de l'événement, c'était, en filigrane, le
témoignage d'une amitié ancienne entre le compositeur et la famille Järvi. En 1968, Neeme Järvi dirigea la création du Credo d'Arvo Pärt,
partition fondée sur des extraits de l'Évangile
selon Saint Matthieu. L'œuvre provoqua les foudres du régime soviétique,
qui prohibait les références religieuses. Las des pressions exercées par le
pouvoir, le compositeur et le chef d'orchestre décidèrent en 1980 de s'exiler
avec leurs familles. Après avoir séjourné à Vienne, Pärt
s'installa à Berlin, Järvi aux États-Unis. Depuis, Neeme Järvi n'a cessé de défendre
la musique de son compatriote et de la diffuser dans le monde entier. Ses fils Kristjan et Paavo, actuel
directeur musical de l'Orchestre de Paris, poursuivirent cette belle
entreprise. Reconnu comme un des compositeurs
contemporains les plus importants, l'œuvre d'Arvo Pärt est assez caractéristique d'une certaine musique
contemporaine, épurée, inspirée, profondément spiritualisée, d'inspiration
religieuse voire mystique. Passé par différentes périodes, sérielle, collages,
plain chant grégorien, il est le promoteur du style « tintinabuli »,
minimaliste, utilisant un matériau primitif sonnant comme des cloches, d'où son
nom. Les deux concerts au programme de ce week end
présentaient un florilège de ses œuvres, emblématiques de l'homme et de son
évolution musicale, des compositions courtes, où on notera la prédilection du
compositeur estonien pour les cordes, la musique chorale et les percussions. Le premier de ces concerts
présentait huit de ses œuvres. Summa pour orchestre à cordes (1991) est une pièce
lancinante et très intériorisée, sorte de chant sans paroles faisant référence
à la Summa theologica de
Saint Thomas d'Aquin. Passacaglia pour violon, vibraphone et orchestre à cordes (2007) dédiée à Gidon Kremer, jouée ce soir par
la violoniste Viktoria Mullova, consiste en une
partie de violon qui progressivement s'étoffe avec une cadence en pizzicato,
évoluant sur un ostinato de cordes. Da pacem Domine pour chœur et orchestre (2008)
impressionne par son ampleur, sa verticalité, sa profonde inspiration et son
caractère tragique. Les circonstances de composition (après l'attentat de
Madrid en 2004) s'accordent avec la propension de Pärt
à l'élégie et à la méditation spirituelle qui suspend le temps. La Sindone
(2005) en référence au suaire de Turin, recrute un grand orchestre. Débutant
sur une sublime langueur ondoyante des cordes graves et percussions, elle se
poursuit par un violent appel des cuivres conduisant au chaos final. C'est une
longue méditation sur la douleur, la mort et la résurrection. Credo pour piano, chœur et orchestre est
la plus ancienne des pièces présentées ce soir, elle déclencha la censure
communiste lors de sa création en 1968, avec pour conséquence l'exil du
compositeur. Plus complexe et dissonante, typique de la période des collages,
elle emprunte au Premier Prélude du
Clavier bien Tempéré de Bach, avant d'évoluer vers une musique hachée et
chaotique aux accents jazzy du piano (Romain Descharmes)
saturant l'espace sonore, avant de retourner au calme et à la sérénité. Silhouette pour orchestre à cordes et
percussions (2009) dédiée à Paavo Järvi et à l'Orchestre de Paris, est une commande effectuée
lors de la prise de fonction du chef estonien à la tête de l'orchestre.
Aérienne, épurée, laissant s'élever le chant du violoncelle sur des pizzicati
des cordes, elle est un hommage à Gustave Eiffel, toute empreinte de gaieté, d'invitation
à la danse et d'élégance à l'image de la « vieille Dame ». La Symphonie n° 3 (1971) évolue en trois
mouvements enchainés, mettant en avant les vents et la petite harmonie. Elle
chemine vers la simplicité marquée par la limpidité, la clarté des rythmes et
des textures, inspirée du chant grégorien. C'est une œuvre de transition d'où
émergera le style « tintinabuli »
caractéristique du compositeur. Cantus in
Memory of Benjamin Britten pour orchestre à cordes et percussions (1977)
est emblématique de ce style employé depuis 1976 apportant une conclusion
idéale à ce magnifique concert. Une œuvre en canon où s'exprime toute la
déploration du compositeur face à une rencontre souhaitée qui n'aura jamais
lieu, dont le principe fondamental consiste à utiliser les notes d'une gamme
pour écrire une mélodie qui se déploie tout au long de la composition, en lui
adjoignant une seconde voix fondée uniquement sur les notes de l'accord
parfait, d'où une écriture qui tinte comme des cloches d'église produisant une
assise sonore. Un très beau concert, en présence du compositeur, devant un
public venu nombreux pour écouter cette superbe musique chargée de sens. Bon
anniversaire et longue vie Monsieur Pärt ! Patrice Imbaud. Le Freischütz : Une histoire sans paroles… Carl
Maria von WEBER : Der Freischütz. Opéra en trois actes. Livret de Johann Friedrich Kind,
d'après un conte populaire germanique. Véronique Gens, Nicolai
Schukoff, Christina Landshammer,
York Felix Speer, Miljenko Turk, Franz-Joseph Selig, Dimitri
Ivashchenko. WDR Rundfunkchor Köln & NDR Chor
Hamburg. NDR Sinfonieorchester
Hamburg, dir Thomas Hengelbrock. Version de concert. Théâtre des Champs-Elysées.
Foule des grands soirs avenue Montaigne
pour ce premier opéra en version de concert de la saison nouvelle. Le Freischütz de Carl Maria von
Weber, un opéra assez rarement donné de
nos jours, ayant pourtant une réelle importance historique puisque constituant
la pierre fondatrice du grand opéra allemand, emblématique de l'opéra
romantique, s'appuyant typiquement sur un sujet fantastique où surnaturel et
magie occupent une place importante. Un opéra, héritier du Singspiel mozartien,
enrichi d'accents italiens et français, qui connut une carrière éclatante dans
le monde entier depuis sa création à Berlin le 18 juin 1821. Wagner, Mahler,
Berlioz ou Debussy en reconnaitront tous les mérites, lui témoignant une
admiration qui jamais ne se démentit. On ne peut que regretter que la
production présentée ce soir ait choisi de remplacer les dialogues parlés
initiaux par un texte de Steffen Kopetsky, déclamé
par un récitant (Graham F. Valentine dans le rôle parlé de Samiel)
au demeurant peu compréhensible, ce qui eut pour effet de nuire grandement à la
compréhension du livret, altérant l'unité de l'opéra en opérant une véritable
césure entre verbe et musique, réduisant du coup le Freischütz à une histoire sans paroles…Musique sublime d'un coté et logorrhée
pseudo poético philosophique de l'autre !
Dommage car cette production fut, par ailleurs, en tous points
remarquable. L'orchestre conduit avec allant, contrastes et nuances, par un
Thomas Hengelbrock totalement investi, précis et
pertinent dans sa lecture. La scène de la « Gorge aux Loups » fut, de
ce point de vue, un véritable morceau d'anthologie, effrayant à souhait. Un
sans faute également des différents pupitres du NDR Sinfonieorchester
Hamburg, avec
une mention spéciale pour les cors, très sollicités, l'alto solo dans son
dialogue avec Annette ou le violoncelle solo dans sa romance avec Agathe. Au
plan vocal, une distribution dominée par le Gaspard noir et puissant de Dimitri
Ivashchenko totalement habité par le rôle. Citons
encore la grâce et l'élégance de Véronique Gens en Agathe, le magnifique legato
de Nicolai Schukoff qui
campa un Max plein de charme et de doute, le timbre acidulé de Christina Landshammer donnant au personnage d'Annette toute sa
crédibilité et son humour piquant. Sans oublier dans ce concert de louanges le
grand Franz-Joseph Selig (L'Ermite), Miljenko Turk (Ottokar), et le superbe chœur très réactif. Bref, une bien
belle soirée ! Patrice Imbaud. Concert
d'ouverture de l'Orchestre National de France : Sergey
Khachatrian exemplaire
Pour le concert d'ouverture de cette
saison, qui sera pour Daniele Gatti la dernière à la
tête de l'Orchestre National de France, le public était venu nombreux dans le
grand auditorium de la maison ronde. Un programme bien connu, le Concerto pour violon de Beethoven et la Symphonie fantastique de Berlioz. Deux
occasions d'apprécier la direction précise et toujours pertinente du chef
italien capable du meilleur comme du pire…Daniele
Gatti est assurément un des plus grands chefs actuellement sur le circuit, sa
nomination récente à la tête du Concertgebouw
d'Amsterdam et sa présence sur la short liste de
postulants pour la direction musicale du Gewandhaus
de Leipzig en sont deux preuves indiscutables. Sa science musicale, son travail
important sur les partitions, sa lecture très analytique des œuvres mettent
souvent en évidence des éclairages passés jusque là inaperçus. Mais à trop
s'attacher aux détails, on en perd parfois le fil conducteur, d'où une
impression quelquefois d'inabouti… C'est précisément ce qui se passa pour ce
concert d'ouverture. Le jeune violoniste Sergey Khachatrian donna
une interprétation en tout point magistrale du Concerto pour violon (1806) de Beethoven, inspirée, très
intériorisée, virtuose sans excès, dans une symbiose totale avec l'orchestre
mené de façon assez épurée par le chef italien, soulignant ici et là un
fragment d'orchestration visant à valoriser l'œuvre et le soliste. Cet
égrégore, si difficile à établir, entre orchestre et soliste fut un véritable
moment de grâce salué unanimement par le public. En revanche, la Symphonie fantastique (1830) de Berlioz,
par sa complexité structurelle allait
faire retomber Daniele Gatti dans ses mauvais penchants.
Une symphonie romantique nourrie d'influences littéraires (Goethe, Hugo, Thomas
de Quincey, Hoffmann), placée sous l'ombre tutélaire
de Beethoven, construite sur un programme en cinq mouvements que Berlioz
lui-même détailla, inspirée d'amour déçu (Harriet Smithson)
et d'hallucinations morbides. Certes, Daniele Gatti
sut mettre en valeur toute la richesse de l'orchestration berliozienne,
mais des tempi trop lents, une lecture trop analytique et parfois trop appuyée,
en entama le charme, laissant sur une impression d'inachevé et de manque de
liant, notamment dans le premier mouvement (Rêveries
et Passions), ainsi que dans le troisième pastoral (Scène aux champs). Le Bal,
la Marche au supplice et le Songe d'une nuit de sabbat furent en
revanche conduits de manière convaincante, très alerte et dansante pour le
premier, très expressive et très engagée pour les derniers, faisant souffler
l'effroi dans la salle. Une
interprétation qui ne restera
peut-être pas dans toutes les mémoires
mais qui permit de juger de la qualité musicale irréprochable et de la forme
impressionnante de dynamisme du « National » au seuil de cette saison
nouvelle jalonnée de rendez vous importants avec notamment un Tristan et Isolde très attendu où Daniele Gatti
devrait donner son meilleur, étant reconnu comme un grand chef wagnérien,
habitué du Festspielhaus de Bayreuth. Patrice Imbaud. Un Enlèvement au sérail sans
éclat Wolfgang
Amadé MOZART : Die Entfhürung aus dem serail. Singspiel en trois actes. Livret de Johann Gottlieb
Stephanie d'après Christoph
Friedrich Bretzner. Jane Archibald,
Norman Reinhardt, Mischa Schelomianski,
David Portillo, Rachele Gilmore. Christoph Quest. Chœur Aedes. Le Cercle de l'Harmonie, dir.
Jérémie Rohrer. Version concertante. Théâtre des
Champs-Elysées.
Débarrassé de l'encombrante et contestée
mise en scène de Martin Kusej, donnée au festival
d'Aix-en-Provence cet été, Jérémie Rohrer retrouvait
son Cercle de l'harmonie au Théâtre des Champs-Elysées pour un Enlèvement au sérail de Mozart, en
version de concert cette fois. Orchestre différent, mais distribution vocale
sensiblement identique, à l'exception, malheureuse s'il en est, du remplacement
du ténor Martin Behle dans le rôle de Belmonte par le ténor américain Norman Reinhardt. En
revanche, un nouveau venu dans ce casting vocal, aux lieu et place de
l'immense Franz-Joseph Selig, le baryton-basse russe,
Mischa Schelomianski, fut
l'heureuse surprise de la soirée. Au plan orchestral, Jérémie Rohrer, à la tête de son orchestre, confirma son statut de
chef mozartien conduisant sa phalange avec un brio incontestable, maintenant
une ligne conductrice faite de souplesse, d'élégance et de cantabile comme il
se doit dans ce répertoire. Toutefois, cette prestation fut, il faut bien
l'avouer, lourdement pénalisée par la méforme vocale du couple vedette. Roman
Reinhardt (Belmonte) ne trouva jamais ses marques,
émission limitée, vocalises empâtées et timbre engorgé ! Jane Archibald
(Constance) peina à trouver les siennes, forçant les aigus et amputant les
vocalises. En revanche le couple Pedrillo/Blonde se
montra plus convaincant par la beauté du timbre et l'aisance vocale de Rachele Gilmore (Blonde), même si
la projection reste limitée chez David Portillo (Pedrillo). L'indiscutable succès de cette soirée fut à
mettre au crédit de Mischa Schelomianski,
Osmin, aussi à l'aise vocalement, large tessiture,
puissance, phrasé, diction, que scéniquement, assumant totalement son rôle de
méchant bouffon. Patrice Imbaud. Le parc floral de Paris ou le Parc musical !
Au cœur du bois de Vincennes, à deux pas du
Château des Rois maudits, sur 28 hectares, fleurs, arbres, de toutes les
espèces, sont offerts à ceux qui ont besoin d'avoir la campagne à la
ville ; le rêve d'Alfred Jarry y est réalisé! Mais ce n'est pas un cours
d'horticulture que nous voulons vous faire partager, mais parler de culture,
celle qui passe par les oreilles. Tout l'été et jusqu'à la fin de septembre,
pour seulement 6 euros, des jazzmen et des musiciens dit classiques sont venus
s'éclater au milieu des gazouillis des enfants, des vols de canards (eux en
principe ils n'en font pas) sur une scène couverte – l'espace delta - et
ouverte à tous les vents (la pince à linge est aussi importante que la
partition). Depuis 1993 du beau monde est venu offrir des moments d'anthologie,
surtout en jazz. Cette année, entre autres, le pianiste Jason Moran, le saxo
Steve Potts, le chanteur guitariste Boubacaré Traoré, le tromboniste funky Nils Landgren, l'organiste Rhoda Scott
en compagnie de la trompettiste Airelle Besson ont fait bouger un public,
souvent âgé, et peu habitué à ce style de musique. Les piqueniqueurs, plus
jeunes, ceux qui offrent les gazouillis de leurs progénitures, allongés sur les
pelouses, une mousse et chips à portée de main, apprécient cette musique, mais
plutôt en fond sonore. Beethoven, Bartók, Brahms, Mozart,
Schubert, … dès le mois d'août, ont remplacé les standards de jazz. Là aussi on a pu entendre des gens connus des
spécialistes mais en général pas du tout du public du parc. François Salque, violoncelle, Jean Rondeau, clavecin (Victoire de la
musique de l'année), Hortense Cartier-Bresson, piano, Juliette Hurel, flûte traversière….ont participé aux week-ends « Classique
au Vert ». Cette manifestation on la doit bien sûr à la Mairie de Paris
mais surtout à l'énergie de Marianne Gaussiat et
d'Isabelle Gillouard. Si vous n'allez pas écouter la
musique classique, la musique classique viendra à vous, tel est le credo de
« Classique au Vert ». Cette année l'événement était l'intégrale
des concertos pour piano de Beethoven. La découverte devant des sièges à moitié
pleins, à l'heure de la sieste, était Robin Stephenson, un excellent jeune
pianiste amateur. Il a interprété le Quatrième avec une
décontraction assez impressionnante lorsqu'on connaît la difficulté de le
jouer. Ah ce terrible premier accord qui va donner tout le sens à la
suite ! Comment le faire sonner face à son piano ! Il était
accompagné par un tout jeune orchestre, l'Ensemble Nouvelles Portées, et un
chef, Victor Jacob, tout aussi jeune. C'est plus facile de jouer de la musique
que de faire de la recherche mathématique nous a avoué ce normalien ! Le
soir, on était dans une performance plus physique avec l'énergique François Frédéric-Guy au piano et à la direction de l'Orchestre de Chambre de Paris. Diriger et jouer en
même temps des concertos tels que le Troisième et le terrible Cinquième est de
l'ordre de la prouesse. La veille il les avait tous interprétés dans un
festival, donc pas de soucis, les notes étaient là. Le lendemain, c'était
plutôt concerto pour éventails et orchestre que l'on pouvait entendre, en
raison d'une chaleur excessive. On a quand même apprécié la connivence entre la première violon Anne-Estelle Médouze
de l'Orchestre National d'Ile de France et Nicolas Angelich,
très concentré, qui avec seulement quelques gestes et regards très discrets, a
dirigé et offert une magnifique interprétation des deux premiers concertos. L'été
était toujours à l'affiche au parc avec un « Viaggio a Napoli » joué et chanté par Les Paladins sous la
direction de Jérôme Correas. Le fameux « Funiculi Funiculà » a été
repris en chœur et en battements des mains par les spectateurs enthousiastes,
ravis d'entendre ces canzone napolitaines de la
Renaissance au XIXème siècle. Le dimanche suivant, l'excellente violoncelliste Emmanuelle
Bertrand a accompagné un fougueux quatuor de jeunes musiciens, le Quatuor
Hermès ; Hermès comme le messager des Dieux - c'est ce qu'il veut faire
entendre dans sa conception - et non
comme la marque bon chic bon genre, à la calèche. Il a interprété le chantant
« Quatuor Américain » de Dvořák
et le périlleux Quintette à deux violoncelles D 956 de Schubert. Ce quintette a
été créé dix ans après la mort du compositeur. Il est vrai que l'espace delta n'est
pas le lieu idéal pour entendre toutes les subtilités de l'interprétation du
Quatuor Hermès. Il a pourtant enchanté le public et on peut espérer que des
spectateurs iront l'écouter dans de meilleures conditions. C'est la vertu d'un
tel festival.
Le dernier week
end musical, les 12 et 13 septembre, était très humide mais le public a quand
même bravé la pluie. Le Secession Orchestra sous la direction de Clément Mao-Takacs a fait voyager les
auditeurs de Dvořák à Howard Shore, le compositeur
du « Seigneurs des Agneaux », en passant par Mahler, Debussy et
Wagner. L'orchestre est à géométrie variable et pratiquement tous les musiciens
sont des jeunes sortis du Conservatoire soit de Paris soit de Lyon. Clément
Mao-Takacs a commencé très tôt, à 15 ans, sa carrière de chef d'orchestre. Il a assisté
Janos Komives à Budapest,
et Gianluigi Gelmetti à
Rome qui lui avait confié la direction d'un Tristan et Isolde. C'est en
2011-2012 qu'il a fondé l'orchestre Sécession avec lequel il a joué dans de
nombreux festivals. Son éclectisme l'emmène à diriger des œuvres du répertoire
romantique, des opéras, et des œuvres du XXIème siècle. C'est avec une belle
énergie qu'il a dirigé ce cycle « On the road », un voyage
passionnant de pièces à la frontière entre musiques populaire et savante. Il
présenta en outre les œuvres de ce voyage musical avec simplicité et poésie. Un
beau concert que la pluie n'a pas altéré. Le lendemain, Quai N°5 a dû lutter
non seulement contre le vent, la pluie, mais aussi contre un concert techno qui
se donnait au Château ! Grâce au travail de l'ingénieur du son qui
sonorise les spectacles du parc, le bruit de fond des basses se mélangeait fort
bien avec les œuvres jouées par cet orchestre de 5 musiciens qui ne se prennent
pas au sérieux mais très en place. Le bassiste Stéphane Logerot s'est saisi du
répertoire classique et comme à son habitude l'a arrangé à la sauce musique
pop. Une soprano, Valérie Yeng-Seng,
chantait les « tubes » d'opéras, accompagnée quelquefois par Rémy Poulakis, accordéoniste de talent, et de temps en temps
ténor au timbre chaud et ensoleillé ; un plus pour cette après midi pluvieuse.
C'est ainsi que les Variations de Mozart « Ah vous dirais-je maman »
passent par le jazz, le tyrol, qu'un air de Carmen
est à la sauce « Walk on the Wild Side » de Lou Reed, ou que le célèbre tube de Samson
et Dalila se retrouve être un tango argentin, ou encore que La Rondine de Puccini est chantée en bossa nova…. Ceux qui
connaissaient les versions originales de ces airs d'opéra s'amusaient de penser
qu'après tout, « Una furtiva lagrima »
(L'Elixir d'Amour), chanté en duo et en tango, n'est pas si éloignée de
la musique populaire italienne ; tout est question de point de vue. Pour la
majorité du public c'était un beau concert de jazz manouche, de tangos, de
bossa nova, de pop, de rocks, d'énergie et d'humour sur de belles mélodies de
Bach, Berlioz, Verdi, Haendel. On avait eu les Beatles à la sauce baroque,
classique, romantique ; ici c'était le contraire. Un joli pied de nez qu'a
offert « Classique au Vert » pour terminer la saison 2015. Stéphane
Loison. Kullervo de
Sibelius aux Proms de Londres
Le 28 avril 1892, Jean Sibelius (1865-1957) (1) – dont les Proms célébraient cette année l'anniversaire de la
naissance(2)
– dirigeait, à Helsinki, dans la grande salle de l'Université, sa Symphonie Kullervo pour
soprano, baryton, chœur d'hommes et orchestre, opus 7. Pour cette
extraordinaire et émouvante partition en cinq mouvements(3), le compositeur
s'inspirait des Chants XXXI-XXXVI du Kalevala, la grande épopée des
Finnois telle qu'elle avait été recueillie et « poétisée » par le
collecteur Elias Lönnrot (1802-1884) (4). Ce jour-là, emblématique pour la
culture d'une nation en devenir, les quelque quatre-vingt-dix minutes de
l'œuvre ont transporté le public qui y a vu l'acte de naissance de la musique
finnoise. Saluée, honorée avec un tel enthousiasme patriotique, elle sera
reprise mais disparaîtra complètement de l'affiche du vivant de Sibelius qui
n'en était ni satisfait, ni désireux de la réviser. Pourtant, le compositeur et
organiste Frans Oskar Merikanto (1868-1924), alors
critique musical de Päivälehti,
écrivait aussitôt : « Sibelius caresse nos oreilles de sonorités
finlandaises que nous reconnaissons comme nôtres, même sans les avoir entendues
auparavant exactement sous cette forme ». Le 29 août 2015, à Londres, dans
le sublime Royal Albert Hall, notre attente était largement comblée par
l'interprétation inspirée et dynamique du chef finlandais Sakari
Oramo(5) à la tête du Polytech
Choir(6),
du BBC Symphony Chorus(7), du BBC Symphony Orchestra(8) aux côtés des solistes Johanna Rusanen-Kartano, pour la sœur de Kullervo, et Waltteri Torikka, incarnant Kullervo, le
héros du cycle le plus tragique de l'épopée. Une interview très intéressante,
émouvante, de Johanna Rusanen-Kartano,
incorporée dans le riche programme du concert, témoigne de l'intelligence et de
la finesse de sa compréhension d'une musique aussi complexe qu'admirable. Elle
vit sans conteste avec intensité le patrimoine de son pays. En première partie,
nous avions le privilège d'entendre une musique rare de Sibelius, son poème
symphonique, opus 9, En saga
(« Un conte de fées »), conçu au cours de l'été et de l'automne 1892,
puis révisé en 1902. Le compositeur appréciait particulièrement les contes
selon la conception qu'en avaient les frères Jacob Ludwig Carl (1785-1863) et
Wilhelm Carl (1786-1859) Grimm lesquels valorisaient
le mystère de la nature, empreint de religiosité. En saga est l'expression poétique du Märchen
par excellence à laquelle s'ajoute harmonieusement la dimension d'essence
historique de la légende. Néanmoins, Sibelius ne fixe pas de
« programme » au sens conventionnel de ce concept. Il exige de
l'auditeur qu'il fasse travailler son imagination. Ce faisant, il propose un
voyage intérieur à travers un paysage étonnant illuminé par la haute qualité de
l'orchestration. La seule référence concrète nous conduit vers le peintre
symboliste bâlois Arnold Böcklin (1827-1901) et son « Île des Morts »
(1880). Tout l'esprit des Eddas nordiques est
condensé dans ces vingt minutes de musique. Sibelius révélait, pour ainsi dire,
son être profond. Le concert était introduit, au Royal College
of Music tout proche, par une présentation radiophonique publique de BBC 3,
tout à fait remarquable, du producteur Martin Handley
et ses invités Daniel M. Grimley, professeur à Merton
College, Oxford, et spécialiste de Sibelius(9), et du critique
musical Andrew Mellor. On ne peut qu'admirer à la
fois la compétence, l'intelligence, l'humour et la maîtrise du discours de ces
personnalités. Tout le contraire d'une musicologie aussi pédante qu'arrogante
telle qu'il est trop souvent possible, hélas, de la subir.
James Lyon. « La Petite Renarde
Rusée » de Janáček
au Peacock Theatre de
Londres(10)
L'excellente troupe du British Youth Opera de Sadler's Wells(11), fondé en 1987 par Denis Coe (1929-2015), présentait une
version anglaise(12)
du chef-d'œuvre de Leoš Janáček (1854-1928) (13) dans le beau Peacock Theatre
situé entre Holborn et Aldwych.
En m'y rendant, je me demandais ce que le concept janáčekien
de « mélodies du langage parlé » (nápĕvky mluvy) allait donner dans la langue de Shakespeare.
Je n'ai pas été déçu tant cette dernière possède d'indéniables qualités
mélodiques. Cette soirée fut un véritable enchantement tant du point de vue des
chanteurs, que du Southbank Sinfonia
dirigé par le remarquable Lionel Friend, jadis
assistant du regretté Sir Charles Mackerras
(1925-2010), et de la très poétique et humoristique mise en scène de Stuart
Barker, par ailleurs diplômé en astrophysique de l'Université de Londres. Le
moment, au premier acte, où les stupides et irrésolues poules, tyrannisées par
le coq, hésitent face aux propositions révolutionnaires de la petite renarde
était tout à fait irrésistible. L'orchestre, dans sa formation réduite, sonnait
admirablement et rendait fort bien ce climat si particulier, si spécifique
conçu par Janáček. Le forestier de Kieran Rayner, jeune baryton néo-zélandais et étudiant du Royal College of Music, n'avait pas cette brutalité banale que
certains chanteurs prêtent parfois à ce rôle populaire. Tout au contraire, il
se montrait touché par cette foison animale avec laquelle il partage le cycle
inéluctable de la vie et de la mort. De son côté, la petite renarde de Hazel McBain, jeune soprano
écossaise issue du Royal Conservatoire of Scotland et par ailleurs excellente
interprète de Bach, était merveilleuse de spontanéité et de clarté mélodique.
La multitude de chanteurs incarnait tous les rôles avec jubilation et
concentration dans cette belle et touchante production. Les décors et costumes
colorés et drôles de Simon Bejer, diplômé de
l'Université de Melbourne, valorisaient une authentique ambiance féerique. James Lyon. La Last Night des Proms ou
le feu d'artifice musical...
Quel privilège et quelle joie de pouvoir
assister à un tel événement, conclusion du festival de musique le plus
extraordinaire au monde, au Royal Albert Hall. Il a été conçu en 1895 par le
chef d'orchestre, compositeur et organiste Sir Henry Joseph Wood (1869-1944).
Les mots sont impuissants à traduire ce que l'on peut vivre, ressentir lors de
cette célébration qui tient autant de la cérémonie que de la liturgie. Tout
musicien, toute personne aimant la musique devrait pouvoir y assister au moins
une fois dans sa vie. Pour ma part, je compte bien renouveler l'expérience.
Marin Alsop(14) – que j'avais jadis critiquée vertement dans cette même Newsletter – m'a
semblé cette fois-ci être tout à fait à la hauteur de la gageure. Sous sa
houlette, s'exprimaient avec enthousiasme les BBC Singers(15), le BBC Symphony Chorus, le BBC Symphony
Orchestra, les solistes étant le jeune et remarquable pianiste britannique
Benjamin Grosvenor, la soprano australienne Danielle
de Niese et le ténor allemand Jonas Kaufmann. Pour ce
qui concerne ce dernier, il s'agissait vraiment d'un défi car il est le premier
de sa nationalité à entonner, dans le cadre de cette Last Night, le
répertoire « national » anglais, tel l'énergique et émouvant Rule Britannia !
(1740)(16). Le concert, proprement dit, constitue,
bien évidemment, le noyau de la soirée. Pour autant, il ne faut pas négliger ce
qui précède : ainsi, cette véritable fourmilière qui se prépare, fait
patiemment la queue, dîne sur les escaliers qui relient le Royal College of Music au Royal Albert Hall. Les
costumes, les drapeaux attestent de cet humour, de cette extraordinaire
capacité imaginative propre au monde anglophone, si différent au demeurant de
certaines attitudes continentales en forme de bonnets de nuit. La joie la plus
naturelle, la plus simple, se trouve au rendez-vous, indéniablement. Le
programme débutait avec une commande d'Eleanor Alberga
(1949-)(17)
donnée en première mondiale. Arise, Athena ! pour chœurs et orchestre (2015) exprime merveilleusement
l'état d'esprit que je viens de décrire par la référence à la fille de Zeus,
combative et sage. Le mouvement lent (Andante) du Concerto pour piano n°2 en Fa
Majeur (1956/57) de Dimitri Chostakovich (1906-1975)
est d'une grande délicatesse émotive. Grosvenor l'a
interprété avec une belle retenue et dignité. La première exécution aux Proms du Credo (1968) pour chœurs et piano de
l'Estonien Arvo Pärt
(1935-) apportait un ton particulier, propre à ce compositeur. Le conflit entre
l'harmonie et la disharmonie y est maîtrisé de manière mythologique. C'est une
partition d'une grande intensité qui contraste singulièrement avec les facéties
du Till Eulenspiegels lustige
Streiche (1894/95) de Richard Strauss (1864-1949)
qui suivait. La première partie concluait avec quelques extraits d'opéras de
Giacomo Puccini (1858-1924) entonnés non sans vergogne par Jonas Kaufmann. Le
public germanique lui a offert une belle ovation. Après l'interval,
deux parties distinctes : des musiques diverses et contrastées de James P.
Johnson (1894-1955), Aaron Copland (1900-1990), George Gershwin (1898-1937)
arrangé par Percy Grainger (1882-1961), Morton Gould (1913-1996), Franz Lehár
(1870-1948), Edvard Hagerup Grieg (1843-1907), Léo
Delibes (1836-1891) et Richard Rodgers (1902-1979) adapté par Chris Hazell (1948-). Personnellement, j'attendais – en tant
qu'amoureux de la musique anglaise – les œuvres emblématiques et
caractéristiques de Sir Edward William Elgar (1857-1934) (18), Henry Wood(19) et Thomas Arne(20) déjà cités, le Jerusalem (1916) de Sir Charles Hubert Hastings
Parry (1848-1918) orchestré par Elgar en 1922. Toutes ces partitions
sollicitaient le concours de l'auditoire qui connaît ce répertoire par cœur. Je
n'ai pas manqué d'y participer. The National Anthem, adapté par Benjamin
Britten (1913-1976), et l'émouvant Auld lang syne (1788) du poète
écossais Robert Burns (1759-1796) sur une old
folk melody arrangée par Cedric
Thorpe Davie (1913-1983) marquaient la fin d'une
soirée semblable à un rêve. Je me suis pincé plusieurs fois. J'y étais bien et
je ne l'oublierai jamais. James Lyon. Anne Boleyn's Songbook :
Music and Passions of a Tudor Queen au Shakespeare's Globe Le Théâtre du Globe, à Londres, reconstitué
d'après l'original de l'époque shakespearienne, situé sur les bords de la
Tamise face à la Cathédrale St Paul, s'est récemment vu doté d'une salle
supplémentaire : le Sam Wanamaker Playhouse, en hommage à l'acteur qui a contribué à la
renaissance de ce lieu mythique à la fin du siècle dernier. Ce théâtre jacobéen
contient un nombre très limité de places. Il est éclairé aux chandelles et
présente, outre les pièces de Shakespeare, celles de ses contemporains ainsi
que plusieurs concerts thématiques. Dimanche soir, il était consacré au
répertoire que la seconde malheureuse épouse d'Henry VIII, Anne Boleyn (ca 1507-1536) appréciait. Outre de nombreux
anonymes, s'y trouvaient les noms de Jean Mouton (ca 1459-1522), de Loyset Compère (ca 1445-1518), Antoine Brumel (ca 1460-1512/13), Claudin
de Sermisy (ca 1490-1562), Antoine de Févin (ca 1470-1511/12) et Josquin
Desprez (ca 1450/55-1521). L'influence
française de ce corpus, abstraite et esthétique, est indéniable. Il faut
dire que les interprètes – nonobstant la perfection technique de leur
interprétation – ont sensiblement exagéré ce type de discours. L'ensemble Alamire, composé de neuf chanteurs et deux instrumentistes,
conduit par le musicologue David Skinner se trouve plus ou moins à l'aise face
un public qui se trouve si proche de lui. La froideur, par exemple, de
l'Américain Jacob Heringman, luthiste, et de la
harpiste Kirsty Whatley
laisse perplexe et nourrit un ennui auquel je ne suis guère habitué en tant que
spectateur régulier du Globe. Il est vrai que les acteurs shakespeariens,
également chanteurs et musiciens, sont faits d'une autre trempe. Décidément,
que les interprètes de la musique « ancienne », tout comme ceux de la
musique dite « contemporaine », manquent singulièrement de chaleur.
Leur effroi pathologique du Romantisme et leur pédantisme est véritablement
aussi redoutable que décourageant. Et ce n'est pas l'humour convenu des
présentations savantes du professeur Skinner – entre les pièces – qui satisfera
davantage notre esprit. À trop vouloir imiter les comportements continentaux en
la matière, certains musiciens anglais en viennent curieusement à perdre ce qui
peut s'appeler la « chaleur d'âme ». James Lyon. (1) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les
sources, Paris, Beauchesne, 2011, p. 225-289. (2) Avec celui du
Danois Carl August Nielsen (1865-1931). (3) Introduction
(Allegro moderato) – La jeunesse de Kullervo (Grave)
– Kullervo et sa sœur (Allegro vivace) – Kullervo part en guerre (Alla marcia)
– La mort de Kullervo (Andante). (4) James LYON, op.
cit., p.
231-234. (5) Chef de
l'Orchestre philharmonique royal de Stockholm et du BBC Symphony
Orchestra. (6) Le Polyteknikkojen Kuoro, fondé en
1900, est un chœur universitaire de voix d'hommes issu de l'Université Aalto en
technologie d'Helsinki. (7) Fondé en 1928. (8) Fondé en 1930, il
est l'un des piliers des Proms. (9) Daniel M. GRIMLEY, (éd.), The Cambridge
Companion to Sibelius, Cambridge, Cambridge University Press, 2004. (10) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les
sources, Paris, Beauchesne, 2011, p. 203-224. (11) Associé à
l'English National Opera. (12) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les
sources, Paris, Beauchesne, 2011, p. 165-224. (13) The Cunning
Little Vixen. (14) Actuellement à la
tête du Baltimore Symphony Orchestra. (15) Fondé en 1924. (16) Extrait d'Alfred,
masque de Thomas Augustine Arne (1710-1778). (17) Née à Kingston,
Jamaïque. Elle a étudié le chant et le piano à la Royal Academy
of Music de Londres. Sa musique est très appréciée au Royaume-Uni. (18) Pomp and
Circumstance March N° 1 en Ré Majeur, « Land of
Hope and Glory » (1901). (19) Fantasia on British Sea-Songs
(1905) : mise en musique de Jack's
the Lad (Hornpipe) et du merveilleux Home,
Sweet Home (1821) la fameuse ballade de Sir Henry
Rowley Bishop (1786-1855) tant appréciée par Dickens. (20) Arrangé par Sir
Malcolm Sargent (1895-1967). ***
L'ÉDITION MUSICALE
MUSIQUE
CHORALE Charles
BALAYER – Marie-Claire DAULHAC : Enfantines pour chœur mixte SATB et piano (ou
section rythmique). Moyen. Delatour : DLT2470. Nous ne pouvons qu'inviter
nos lecteurs à se rendre immédiatement sur le site de l'éditeur ou sur You Tube
pour écouter dans son intégralité l'œuvre interprétée merveilleusement par
l'ensemble Artie Shaw. La difficulté réside non pas tellement dans les notes
mais dans le style… Il faudra un chœur rompu au style jazz pour rendre justice à
cette œuvre poétique et tendre pour laquelle il vaudra mieux respecter
l'orchestration originale. Un vrai bonheur ! Charles
BALAYER – Marie-Claire DAULHAC : Dodeca(co)phonia
pour chœur mixte SATB et piano (ou section rythmique). Assez
difficile. Delatour : DLT2540. On retrouvera sur le site
de l'éditeur et You Tube l'ensemble Artie Shaw pour l'écoute intégrale de ce
swing absolument délicieux. Que dire d'autre sinon que le titre est évidemment
humoristique, car les harmonies sont, elles, extrêmement recherchées et
mouvantes. Là encore, on essaiera de respecter autant que possible
l'orchestration originale. Ajoutons qu'il s'agit de vrai jazz et qu'il faudra
que les interprètes soient capables de « chorus » :
l'improvisation est au rendez-vous ! ORATORIO Jean
LEGOUPIL : Requiem pour tous les
temps pour récitant, solistes,
chœur, orchestre et orgue. Texte de Jean-Paul Bouland.
Delatour : DLT2531. Cette œuvre monumentale
suit les quatre parties de l'actuelle liturgie catholique des défunts : le
temps de l'accueil, le temps de la mémoire, le temps de l'action de grâce et le
temps de l'espérance. Les trois premières parties sont subdivisées en cinq
séquences, la dernière en comportant six. Texte français de Jean-Paul Bouland et texte latin de l'office des défunts alternent
tandis que le récitant cimente le tout. L'écriture est d'une grande sobriété.
L'ensemble, sans être facile, n'est pas d'une difficulté technique
insurmontable. Souhaitons que cette œuvre d'un compositeur et organiste bien
connu soit rapidement jouée et enregistrée. ORGUE Karl-Peter CHILLA :
Enjoy the organ 3. Sélection de pièces faciles à jouer. Bärenreiter : BA11209. Ce recueil sera apprécié
par les organistes amateurs ou de niveau moyen car il permet de se constituer
un répertoire pour l'office à partir d'œuvres de compositeurs de qualité
transcrites pour orgue avec beaucoup de goût et de fidélité par Karl-Peter Chilla. Ces pièces sont facilement adaptables à tous les
types d'instruments. Pascale
ROUET : Bien commencer… l'orgue. Répertoire
pour les premières années. Delatour : Volume
1 : DLT2535. Volume 2 : DLT2537. Volume 3 : DLT 2539. Voici un ouvrage bien
intéressant puisqu'il permet une initiation à l'orgue à un âge où on commence
plutôt le piano. Pièces anciennes adaptées et pièces contemporaines se
succèdent de façon graduée. Les explications pour la mise en œuvre sont
parfaitement claires. Une présentation de l'instrument précède le
répertoire : bien sûr, le professeur devra illustrer et compléter le tout.
On sent que l'auteur a longuement pratiqué cette initiation des plus jeunes (à
partir de six ans) et maîtrise parfaitement cette pédagogie. Les volumes deux
et trois suivent la même progression et la même alternance entre pièces
anciennes et contemporaines, mais avec une augmentation en longueur et en
difficulté. De même, les indications laissent de plus en plus de place à
l'autonomie de l'interprète. Précisons que les pièces anciennes sont
exclusivement des pièces d'orgue souvent simplifiées, parfois transposées et souvent
utilisées partiellement. Mais tout cela a été réalisé avec un tact parfait. Cet
ouvrage est donc à recommander chaudement… Pascale
ROUET : Pour continuer… l'orgue. Répertoire
de pièces avec pédalier. Volume 1. Delatour :
DLT2533. Dans le même esprit que
dans les recueils recensés ci-dessus, Pascale Rouet présente un florilège de
pièces anciennes et contemporaines qui constituent une véritable méthode
d'orgue. La première partie est axée sur l'acquisition progressive des
difficultés les plus courantes au pédalier, la deuxième partie mélange les
difficultés. On ne serait trop remercier les compositeurs contemporains, qu'on
ne peut tous citer ici, d'avoir composé spécialement pour cet ouvrage. PIANO DVOŘÁK :
Aus dem Böhmerwalde / Ze Šumavy pour piano à quatre mains op. 68. Bärenreiter : BA9565. Écrites autour des années
1883-1884, ces « pièces de caractère » forment le troisième recueil
publié par l'auteur après le succès des Dances slaves et
des Légendes. Il est inutile d'en
préciser l'intérêt. Cette édition est établie d'après l'édition complète des
œuvres de Dvořák et inclut une nouvelle
présentation tout à fait intéressante d'Ivan Rentsch
et Hans-Joachim Hinrichsen ainsi que des doigtés
remis à jour. Jean-Charles
GANDRILLE : Quatre Préludes-Poèmes pour piano. Delatour :
DLT2453. Ne demandant pas de
virtuosité, ces œuvres peuvent donc être abordées par des amateurs de bon
niveau ou des élèves avancés. Mais ce n'est pas pour cela qu'elles en sont
moins intéressantes ! « Doux, rêveur », « Tendre »,
« Onirique », « Tendre et mélancolique », ces indications
en tête de chacune des pièces indiquent bien l'esprit dans lequel elles ont été
composées. L'auteur a l'art d'enchainer des harmonies subtiles sous des mélodies
attachantes dans un discours qui, pour être compréhensible, n'en est pas moins
contemporain. CHOPIN
–LISZT – HILLER : Pièces faciles
pour piano choisies et annotées par
Nils Franke. Wiener Urtext
Edition, Schott/Universal Edition : UT 52010. Voici une collection très
intéressante par l'éclectisme et la pertinence du choix présenté. Chaque œuvre
est par ailleurs l'objet d'une présentation très intéressante. Et on rendra
grâce à l'éditeur de ne pas avoir oublié de donner de cette présentation un
texte en français. L'auteur de la collection justifie le but de celle-ci et ses
choix en tête de son commentaire. Ce volume est le n° 5 d'une série qui propose
dans le n° 1 des œuvres de Bach, Haendel et Scarlatti (UT52001) ; dans le
n° 2, nous trouvons Haydn, Mozart et Cimarosa (UT52002), dans le n° 3,
Beethoven, Schubert et Hummel (UT52003) et dans le n°4, Schumann, Brahms et
Kirchner (UT52007). Franz
SCHUBERT : Impromptus op. 90 et op. post. 142 – Moments musicaux
op. 94. Wiener Urtext Edition, Schott/Universal
Edition : UT50297. Certes, si l'on considère
les œuvres publiées, il ne s'agit pas vraiment d'une nouveauté, mais en
réalité, cette nouvelle édition vaut par le soin qui y a été apporté et par les
spécialistes qui l'ont préparée et commentée. Edité d'après les sources par
Ulrich Leisinger, elle comporte des notes sur
l'interprétation de Robert D. Levin, particulièrement judicieuses, et les
doigtés ont été établis par Paul Badura-Skoda. Dans
les notes sur l'interprétation, on notera spécialement le premier paragraphe
sur le piano à l'époque de Schubert. Il est fondamental en effet de comprendre
ce qu'était la facture de l'époque pour interpréter ces œuvres dans l'esprit de
leur auteur. Ajoutons que cette édition est trilingue, ce qui est bien
agréable et permet de comprendre toutes les explications données. Stéphane
DELPLACE : Préludes & Fugues
dans les Trente Tonalités pour
clavier, premier livre, se succédant dans la plus grande alternance de bémols
et de dièses, chaque tonalité majeure étant suivie de sa relative mineure. Ut,
seule tonalité pouvant revêtir les trois formes, bémol, bécarre et dièse, est
placée au centre. Delatour : DLT2207. Si cela ne vous rappelle
rien… L'auteur, dans sa présentation ne cache pas la filiation, même s'il
précise bien qu'il ne s'agit en rien d'un pastiche. Chacune des pièces est
présentée par l'auteur de façon succincte mais précise. Techniquement, cela
reste abordable, du même niveau que son modèle. Avouons que l'entreprise est
originale et mérite d'être écoutée… et jouée ! Jean-Sébastien
BACH : Eighteen little preludes pour
piano. Edités par Dr. Hans Bischoff. 1 vol. 1 CD. Kalmus : K02000X.
(Alfred éditions). Comme dans les autres
volumes de la collection, un CD
contenant l'intégralité des pièces complète l'album, non pour servir de
modèle mais pour être un point de départ pour une réflexion sur
l'interprétation. L'enregistrement de la pianiste Kim O'Reilly
est fort intéressant par les partis-pris inévitable dans ce genre d'œuvres,
mais qui permettent précisément de réfléchir avec profit. Johann Friedrich Franz BURGMÜLLER : Twenty-five
easy etudes op. 100 pour piano. 1
vol. 1 CD. Kalmus : K03274X. (Alfred éditions). Ces délicieuses études
(mais oui, il y en a, et pas seulement chez Chopin) devraient faire le bonheur
des jeunes pianistes. Les titres attirants correspondent bien au contenu. On
sait que ce compositeur allemand du XIX° siècle fit toute sa carrière à Paris
où il connut un succès certain. Le CD joint fait de ces études une lecture très
vivante et très délicate. S'il n'est pas fait pour servir de modèle, il faut
avouer qu'il est cependant bien remarquable et qu'il sera difficile de ne pas
s'en inspirer. Il est interprété par la pianiste américano-canadienne Valery
Lloyd-Watts. BEETHOVEN :
Konzert Nr. 5 in Es
pour piano et orchestre op 73. Bärenreiter :
BA9025. Bärenreiter
termine sa monumentale intégrale des concertos pour piano de Beethoven édités
par Jonathan Del Mar par l'emblématique cinquième. Nous ne redirons pas ici
toutes les qualités de cette édition, et notamment l'importance du copieux
commentaire critique publié séparément (BA9025-40) sans oublier, bien entendu
la pertinente préface. Rappelons nos commentaires des autres concertos (N° 1 –
Lettre 72, n° 2 – 80, N° 3 – 84, N° 4 – 88). Thierry
DELERUYELLE : Il était une fois pour piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2885. Ce joli conte badin
permettra de donner libre cours à l'imagination de l'interprète. Il permettra
aussi au professeur de disserter sur les différentes sortes de broderies…C'est
en tout cas tout à fait charmant et montre comment, avec des moyens simples, on
peut former le goût des jeunes élèves. GUITARE Arnaud
DUMOND : Prélude et toccata pour
guitare. Lemoine : 29191 H.L. Cette œuvre a été composée
par le guitariste et compositeur Arnaud Dumont pour le quatrième concours
international Robert Vidal. C'est dire qu'elle fait appel à toutes les
ressources de l'instrumentiste et de l'instrument. Mais c'est d'abord et avant
tout de la très bonne musique. Un court prélude intitulé « Oublier Venise »
précède la Toccata, qui demande à la fois une grande virtuosité mais surtout
une grande sensibilité et un sens musical très fin. Bien plus qu'une pièce de
concours, c'est une œuvre qu'on souhaite entendre souvent en concert. VIOLON Claude-Henry
JOUBERT : Quatre contes des frères
Grimm. 1 – Blanche Neige – librement adaptés pour violon avec
accompagnement de piano. Première année. Sempre
più : SP0176. L'auteur, comme à son
habitude, sait admirablement manier l'humour et la musique. Le conte, ici, est
très simplifié et permettra au professeur de doser sans difficulté le degré
d'angoisse généré par la méchante reine. Claude-Henry
JOUBERT : Quatre contes des frères
Grimm. 2 – Haensel et Gretel
– librement adaptés pour violon avec accompagnement de piano. Deuxième
année. Sempre più : SP0177. Comme nous sommes en
deuxième année, le conte peut être un peu plus développé. Le violoniste, aidé
du pianiste, pourra jouer plus facilement sur les différents registres de son
instrument pour évoquer l'histoire et les réactions des divers personnages.
L'invention de l'auteur fait, comme d'habitude, merveille. Claude-Henry
JOUBERT : Quatre contes des frères
Grimm. 3 – Les musiciens de Brême – librement
adaptés pour violon avec accompagnement de piano. Troisième année. Sempre più : SP0178. Cette fois, nous voici en
troisième année. Le conte se développe, les paysages et les effets sonores sont
encore plus variés que dans les contes précédents avec toujours la même
inventivité redoutable ! Claude-Henry
JOUBERT : Quatre contes des frères
Grimm. 4 – Le Joueur de flûte de Hamelin – librement adaptés pour violon
avec accompagnement de piano. Fin de 1er cycle. Sempre
più : SP0179. Et voici le sommet.
L'histoire, fort développée, donne lieu à toutes les possibilités d'expression
des deux instrumentistes. L'ensemble des quatre pièces pourrait être
l'occasion, dans une classe de violon, de monter un véritable spectacle avec
mise en scène où ceux qui ne joueraient pas de leur instrument pourraient
s'exprimer autrement. On pourrait aussi envisager des alternances… et pourquoi
pas des improvisations ! Soyons sûr que l'auteur serait sûrement
pleinement d'accord avec ces propositions… VIOLONCELLE Max
MÉREAUX : Rêverie pour violoncelle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L. 2894. Sur les arpèges rêveurs du
piano, le violoncelle chemine lentement, mélodieusement, en valeurs longues qui
permettront d'apprécier la qualité du son et du phrasé de l'instrumentiste.
L'ensemble module doucement pour revenir à la tonalité délicate de fa Majeur.
Simplicité et grâce, telles sont les caractéristiques essentielles de cette
pièce. FLÛTE André
TELMAN : Le songe de l'instant pour flûte et piano. Début de 1er cycle. Lafitan :
P.L.2824. Rêveuse à souhait, cette
pièce se déroule dans une atmosphère onirique où le piano développe d'abord de
larges arpèges sous la mélodie un peu mélancolique de la flûte, puis prend à
son tour la parole dans un dialogue où chacun a sa part. C'est donc une fort jolie pièce où les deux interprètes devront
s'écouter et montrer leur musicalité. HAUTBOIS René
POTRAT : Habanera pour hautbois et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2944. Même si cette habanera
n'est pas franchement typique, cela ne l'empêche pas d'avoir beaucoup de
charme… Classée dans la rubrique de l'éditeur « musique de chambre »,
elle sollicite donc autant le hautboïste que le pianiste, et ce n'est pas le
moindre de ses mérite. Les couleurs se modifient au rythme des changements de
tonalité, ce qui renouvelle à chaque fois l'intérêt. CLARINETTE Josiane
DIEFFERDING : Souvenir d'amour. Tango pour clarinette et piano. 2ème
cycle. Sempre più : SP0158. Que voilà un agréable
tango, bien dans le style, mais cependant varié. Si la première et la dernière
partie sont d'incontestables tangos, le milieu, en majeur, a plutôt un air de
samba. Quant à la cadence, c'est… une cadence qui permettra au clarinettiste de
briller et de revenir peu à peu au tango final. C'est donc une pièce variée,
très réussie, et qui devrait donner beaucoup de plaisir à ses interprètes et à
leurs auditeurs. Pascal
PROUST : Couleurs du ciel pour clarinette et piano. Fin de 1er
cycle. Sempre più : SP0160. Ce titre correspond bien à
la diversité de l'œuvre. Il correspond bien aussi à la diversité des couleurs
et des rythmes que le jeune clarinettiste devra tirer de son instrument.
Commençant par une cadence enchainant avec un « très modéré »
lyrique, les couleurs et les rythmes les plus variés se succèdent alors. Une
dernière cadence et un retour au « Maestoso » initial terminent cette
jolie pièce. SAXOPHONE Michel
NIERENBERGER : Feria à Glenac pour
saxophone alto et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2926. A l'écoute de la pièce, au
caractère plus espagnol que breton, on peut douter qu'il s'agisse bien de la commune
du Morbihan qui porte ce nom. Mais, après tout, le Festival Interceltique
nous a habitués à ce genre d'échange. Bref, cette Feria est en tout cas fort
bien venue et fort réjouissante et devrait donner envie de danser à ceux qui
entendront cette musique espagnole à souhait. Jean-Claude
AMIOT : Les Pélicans du Park pour saxophone alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2933. Ces pélicans dégagent une
atmosphère à la tonalité fluctuante qui crée une atmosphère un peu exotique
mais fort agréable. Le jeune saxophoniste pourra y mettre en valeur sa
sensibilité et sa capacité à faire chanter son instrument. La partie de piano
développe un contrepoint qui demandera beaucoup d'écoute entre les interprètes.
Cette pièce ne manque donc pas de charme. Alain
FLAMME : Transitions. Pièce en trois mouvements pour saxophone
alto et piano. Supérieur (3ème cycle). Lafitan :
P.L.2885. Par le déhanché des
rythmes et certains enchainements harmoniques, on peut penser parfois à Dave Brubeck. Mais bien sûr, cela n'ôte rien à l'originalité et
l'intérêt de cette œuvre, bien au contraire. L'atmosphère en est fort agréable
et l'ensemble pourrait fort bien figurer dans un concert. Le tout présente
beaucoup de charme, mais les interprètes devront faire preuve d'un sens du
rythme certain ! . TROMBONE Jacques
TOULON – Marcel JORAND : Saltimbanques. Suite pour trombone et piano. N° 2.
Diabolos. Préparatoire. Lafitan : P.L.2953. Les diabolos volent dans
les airs, sautent, rebondissent… Les deux interprètes devront eux-mêmes faire
preuve d'une grande dextérité. Cette pièce possède un aspect réjouissant mais
et parfois aussi un peu inquiétant, ce qui n'exclut pas une partie plus
lyrique. L'ensemble est aussi varié que plaisant. COR André
TELMAN : Le réveil du volcan pour cor en fa ou mib et piano. Deuxième cycle. Lafitan :
P.L.2948. Ce volcan fait plus que se
réveiller : il éructe ses flots de lave avec une belle vigueur.
L'atmosphère est sauvage et inquiétante. On n'est pas loin de « La nuit
sur le mont chauve »… Bref, pianiste et corniste devront rivaliser de
tonus pour mettre en valeur cette pièce qui se termine certes dans un certain
retour au calme, mais toujours inquiétant et qui laisse présager un nouveau
réveil. MUSIQUE
DE CHAMBRE Jean-Charles
GANDRILLE : Nox-Trio
pour violon, violoncelle et piano. Delatour :
DLT2193. D'une durée d'un peu plus
d'un quart d'heure, cette œuvre comporte deux parties presque égales. La
première, intitulée « Cantus », évoque la nuit dans son mystère,
privilégiant le chant du violon et du violoncelle. La deuxième, « Contrapunctus » « évoque la danse, la jeune
génération qui danse la nuit sur des rythmiques nerveuses », le tout sur
une rythmique obstinée du piano. L'ensemble est fidèle au langage habituel de
l'auteur, plein de charme et de mystère. Jean-Charles
GANDRILLE : Trois pièces pour violoncelle et piano. Delatour : DLT2458. Ces trois belles pièces,
qui peuvent être jouées séparément se caractérisent par leur lyrisme et la
délicatesse de leur écriture. La première, « Très intense,
véhément », exprime comme un cri, comme une demande instante et tient en
haleine d'un bout à l'autre. La deuxième (calme) et la troisième (très calme,
nostalgique) constituent chacune une sorte de méditation ou de contemplation et
se déroulent avec un discours d'une grande ampleur et d'une grande beauté. On
pourra en prendre toute la mesure en écoutant ces pièces sur le site de
l'éditeur ou sur You Tube. Jean-Charles
GANDRILLE : Pop-Trio pour violon, violoncelle et piano. Delatour : DLT2452. Née de la volonté d'écrire
une musique très pulsée, sur le modèle de la pop-music, cette œuvre comporte
trois mouvements : « Energique », « Calme » et
« Intense ». Le langage est compréhensible par tous mais sans aucune
concession à la facilité. On y retrouve la science de l'auteur pour créer des
ambiances harmoniques et mélodiques rares et envoutantes. Ce Pop-Trio
devrait, comme le dit l'auteur, permettre à beaucoup d'apprécier
cette forme de trio. Robert
SCHUMANN : Fantasiestücke op. 73
pour clarinette et piano. Wiener Urtext
Edition, Schott/Universal : UT50286. La même
pour violoncelle et piano : UT50285. Il s'agit bien des trois
mêmes pièces pour lesquelles Schumann a écrit préférentiellement une version
pour clarinette mais dont la version pour violoncelle est également de Schumann
lui-même. Le tout est fort bien expliqué dans chacun des volumes, édités tous
deux d'après les sources par Michael Kube. La version
pour clarinette comporte des notes sur l'interprétation par Elizabeth Eichenberg pour la clarinette et Peter Roggenkamp
pour le piano qui a également doigté la partie de piano. La version pour
violoncelle a été annotée et doigtée par Ji-Eun Noh. L'édition est très soignée et les copieuses préfaces
et annotations aussi pertinentes que passionnante. ORCHESTRE Romain
DUMAS : Concertino pour violon et orchestre à cordes. Niveau
élémentaire. Lafitan : P.L.2911. Saluons tout
particulièrement cette œuvre écrite pour orchestre d'élèves, qui a obtenu le
Premier Prix – bien mérité – du concours
de composition de l'orchestre symphonique du Loiret. Trois mouvements se
succèdent, d'une écriture à la fois très personnelle et très classique. Le
premier mouvement s'intitule « Melopedia »,
le deuxième, lyrique à souhait, « Romanza ».
Le « Finale baroque » clôt avec conviction cette œuvre à la fois
originale et de facture classique. Daniel
Blackstone. ORGUE BRET (Julien) : Hévélius, pour orgue. Paris,
Le Chant du Monde (www.lechantdumonde.com ), OR 4947, 2015, 22 p. – 15, 95 € (hors frais de port). L'illustration
ci-dessous : Uranographia, argo navis, Johannes Hevelius
révèle que l'auteur est un astronome polonais auquel Hervé Désarbre,
organiste du Val de Grâce (Paris), a rendu hommage en créant, le 24. 06.
2015 : Hévélius,
cette œuvre de Julien Bret, au Grand Orgue de la Cathédrale d'Oliwa en Pologne,
comme il se doit. Jan Heweliusz (28. 01. 1611-28. 01.
1687), alias Hevelius, est né dans une famille de
riches brasseurs. Après ses études à Leyde et des voyages en Europe, il s'est
installé à Danzig sur la Baltique où il a été bourgmestre, a construit des
instruments et compulsé des cartes d'étoiles. Fondateur de la topographie
lunaire, il a présenté de nouvelles constellations australes ; il a aussi
entretenu une vaste correspondance avec les érudits de son temps entre 1611 et
1667. C'est ce personnage qui a inspiré Julien Bret (né en 1974), organiste et
compositeur français. Cette
œuvre se présente en deux parties : Vif
et léger et Valse. Comme il le
précise, la première (mesure 1 à 116) symbolise le soleil (observé par Hevelius). Il s'agit
donc d'une pièce descriptive, de « caractère scintillant » évoquant
les étoiles et les comètes, avec une ligne mélodique (à la
main droite) comprenant de nombreuses altérations, reposant sur un support
rythmique complexe contrasté, avec des contretemps entrecoupés de silences et
syncopes (au pédalier et à la main gauche), toujours en mouvement. La seconde
partie (mesures 117 à 280), en forme de Valse,
représente, par l'alternance du mode majeur et mineur, l'« aspect
changeant, clair et mystérieux de l'astre
lunaire » agrémentée de quelques petites notes d'ornement à la partie
supérieure, de traits de croches, mais aussi de passages en valeurs longues et
de pédales supérieures ; le rythme de valse est bien scandé à la pédale.
Pour conclure, à un pp et une mélodie
chromatique, succèdent trois accords fff bien ponctués et accentués. Démarche originale et
intéressante. Toutefois, malgré la clarté de la typographie — en raison de sa
complexité rythmique et de certaines difficultés de lecture — sur le plan
technique, cette partition est destinée à des organistes expérimentés. ***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Ludovic Florin et Jean-Michel Court (dir.):
Rencontres du jazz et de la musique contemporaine. 1
vol, Toulouse, PUM, 2015, 184 pages, 20€. Il y a aura quatre ans le 9 décembre prochain, disparaissait Jacques B. Hess qui, "professeur de jazz" du département de musicologie de Paris IV au temps jadis, a laissé un grand souvenir à tous les étudiants ayant eu la bonne fortune de suivre ses cours. En lisant cet ouvrage, tout à la fois si savant et si ouvert, il m'est revenu que cet excellent maître déplorait régulièrement le caractère prétendument inconciliable de la musique "contemporaine" et du jazz, deux visages si marquants du génie musical de son siècle. Sans doute eût-il été particulièrement heureux de cette magnifique contribution qui se signale, au-delà de son sérieux et de son éclectisme, par un équilibre exceptionnel dans la qualité. Il n'est rien question de prouver ici, non plus que de régler on ne sait quel différend esthétique. L'ambition supérieure des contributeurs, dirigés par Ludovic Florin et Jean-Michel Court, ne ressortit pas à l'incantation, mais à l'argumentation. À mesure que les pages ajoutent au discours, le lecteur prend conscience que la dissociation du jazz et de la création "contemporaine" (qui me donnera la définition satisfaisante d'une création "non-contemporaine" ?) relève plus de la convention paresseuse que de la réflexion esthétique. Aussi les auteurs, sans jamais tomber dans le piège d'un scientisme qui fit les beaux jours d'une certaine musicologie surannée, n'hésitent-ils pas à solliciter les leçons de l'histoire, de l'ethnologie, de la sociologie… mais aussi, avant tout, de la musique ! Car il ne suffit pas de nommer les catégories pour les apparier et c'est au prix d'un effort saisissant que l'on voit ainsi surgir les passerelles reliant, de façon parfois troublante, inattendue, ces deux hypostases de la création musicale de notre temps. Il fut un temps où l'auteur de ces lignes entendait ses camarades de l'orchestre de jazz de la Sorbonne lui affirmer gaîment que pour un musicien classique, « la partition fermée, il n'y avait plus personne » ! À quoi il répondait, avec la même gaîté, que pour un musicien de jazz, c'est quand la partition était ouverte qu'il n'y avait plus personne ! Heureuse époque où les propos les plus inconséquents passaient pour de bons mots ! Qui s'avisera aujourd'hui de parler de jazz et de musique contemporaine sans postuler que le jazz est musique contemporaine ? Il faut lire cet ouvrage remarquable ; certains passages, c'est vrai, sont ardus, presque toutes les contributions exigeant une pratique solfégique raisonnable. Mais au total, quel bonheur que cette mise en lumière méthodique des postures et des stratégies de la création sonore, de ses pratiques, de ses archétypes, ou encore du caractère irréductible de l'écrit au non-écrit ! Et comment, en propos terminal, ne pas recommander la brillante contribution de Ludovic Florin et Jean-Michel Court dans leur introduction-synthèse (tirée du colloque ayant donné son nom au volume) ainsi que celle, tout aussi captivante, de Cécile Auzolle sur l'apport du jazz dans l'opéra Wintermärchen de Philippe Boesmans ? Double démonstration d'une évolution radicale de la pensée musicologique dans la dernière décennie. Gérard Denizeau. Alfred
BRENDEL : L'Abécédaire
d'un
pianiste.
1 vol Christian Bourgois, Paris, 2015, 154 p, 15 € Alfred Brendel (*1931) a toujours été pédagogue autant que pianiste. Bien qu'ayant mis un terme à sa carrière d'interprète, il poursuit son inlassable croisade pour la promotion du piano. Son humour en coin est tout autant légendaire comme son goût pour l'aphorisme (« la phrase ''il n'y a pas de mauvais pianos, juste de mauvais pianistes'' pourrait avoir été inventée par un diable déguisé en marchand de piano », p. 125). Ce petit opuscule est une mine pour les amoureux de l'instrument comme pour tous les autres d'ailleurs. Avec un mélange de simplicité teintée de cette réserve amusée qui le caractérise et de l'autorité du professeur, il nous indique dès l'avant-propos, le dessein : « Ce livre distille ce que j'ai à dire, arrivé à un âge avancé, sur la musique, les musiciens et ma profession ». Il l'articule selon les entrées d'un dictionnaire qui en 27 lettres et 87 propositions, passe en revue quelques mots essentiels. Leur choix est bien sûr arbitraire et ne vise pas l'exhaustivité, mais est significatif d'une certaine idée de ce qu'est jouer du piano et interpréter des morceaux de piano. On remarquera que la lettre C comme chef d'orchestre est la plus fréquentée tout juste après la lettre S, comme silence. On pourrait classer ces remarques selon un triple schéma. En premier lieu, les réflexions fondamentales : « une clef importante pour jouer Mozart est le chant d'opéra », p 88 ; ou encore, à propos de l'item Fin, « la fin d'une œuvre... peut fermer, mais aussi, dans bien des cas, ouvrir le silence... J'implore donc à genoux que l'on ne sépare pas artificiellement les accords finaux de ce qui les précède », p 61). Puis les indications essentielles : « l'interprète est un rhéteur; il doit donner des normes au public, et non jouer vers lui en abaissant le niveau », p 73 ; et la distinction à opérer entre tempo métronomique, tempo psychologique et tempo d'improvisation. Enfin les traits d'humour. Ces derniers sont nombreux et revigorants. Ainsi à la rubrique Attaque : « On peut avoir un grand jeu, et même un jeu immense, sans enfoncer le son à travers les touches comme avec un couteau » (p 20), ou encore à Humour : « On concède le soupir à la musique, on ne lui accorde pas le rire ». Ou cette autre, à la limite du provocateur : « Les règles sont là pour être remises en question. On ne devrait les respecter que dans le cas où elles résistent à un examen plus détaillé – et même dans ce cas, ne le faire qu'avec des réserves », (p 111). Et que dire de l'entrée Toux : « Si vous devez vraiment tousser, faites-le je vous prie lors des passages doux ou pendant les pauses générales. Vous serez assuré de remporter la médaille du ''Tousse-donc-là'' (p 132). Les dessins de Gottfried Wiegand sont aussi ludiques que l'est le contenu de ce livre. Alors n'hésitez pas : il faut se procurer ce bréviaire du parfait pianiste... Jean-Pierre Robert. Jessye
NORMAN. Tiens-toi droite et chante ! 1 Vol
Fayard, 2015, 350 p. 20,90€. Sans remettre en cause notre admiration
pour la chanteuse et notre respect pour la femme, il faut bien reconnaitre que
ce livre n'apporte rien de plus à la gloire de la chanteuse américaine. Un
livre qui n'intéressera que les admirateurs inconditionnels de Jessye Norman, où la chanteuse d'origine afro-américaine
nous conte son enfance en Géorgie dans le sud des États- Unis, son milieu
familial très aimant, sa foi solide, son fabuleux parcours musical, ses
émotions, ses combats, notamment contre la ségrégation raciale, ses rencontres,
son métier. Un témoignage, hélas, fait de beaucoup de lieux communs bien
pensants, tout que de très respectable mais de peu d'intérêt pour qui n'est pas
très soucieux de la vie personnelle de
la diva, préférant s'en tenir à sa vie musicale, exemplaire s'il en est, et
déjà si bien remplie. Patrice Imbaud. BIRGER PETERSEN (éd.) : Johann Sebastian Bach
und der Choralsatz des 17. und 18. Jahrhunderts, Hildesheim, Olms, 2013, 122 p. 24 €. La Hochschule für Musik und
Theater de Rostock a organisé, en décembre 2006, un Colloque sur les techniques
compositionnelles exploitées par Jean Sébastien Bach. Il a été inauguré par le
regretté Professeur Dr. Martin Petzoldt, Président de
la Neue Bachgesellschaft.
En effet, depuis la Réforme, le répertoire de Chorals luthériens allemands reposant sur de remarquables textes
poétiques (Martin Luther, Paul Gerhardt…) notamment dans la mouvance du
Piétisme, a été exploité par de nombreux compositeurs. Il concerne tout
particulièrement les chanteurs et les organistes, les hymnologues,
musicologues et spécialistes du langage musical. Ce volume regroupe les communications
d'éminents spécialistes. Karl Heller présente les modèles compositionnels dans
l'exploitation du choral ; Oliver Korte, le modèle du
faux bourdon : Robert Rabenalt, le traitement du
contrepoint par Jean Sébastien Bach ; Johannes Kreidel,
l'aspect analytique et stylistique. Birger Petersen étudie le rôle de la
cadence parfaite et le chant pour enfants. Jan Philip Sprick
attire l'attention sur l'Evangelisches Musicalisches Liederbuch (Hambourg, 1730), recueil de Chorals,
intéressante source historique compilée par G. Ph. Telemann et ayant d'ailleurs
fait l'objet d'un facsimilé (Olms, 1977), déjà
épuisé. Dans son étude significative concernant « L'école d'orgue [Orgelschule] de
Johann Christian Kittel », Benjamin Lang propose
une approche pratique du Choralsatz
(procédé compositionnel reposant sur un choral) et son éventuelle réception par
l'enseignement théorique. La publication mentionne aussi la Collection Neumeister,
avec ses adaptations et développements de Chorals (entre autres par J. S. Bach)
pouvant servir à l'enseignement de la composition. Ces textes démontrent
combien le Choralsatz
est un élément essentiel favorisant la participation liturgique active,
individuelle et collective, dans une finalité exégétique, et assume un rôle
d'édification renforcé par l'intervention de l'organiste. Édité avec tant de
soins par Birger Petersen et étayé d'exemples musicaux renforçant les
démonstrations, ce volume souligne les objectifs d'ordre rhétorique et
l'application de la théorie des affects (Affektenlehre). Il s'imposera
comme une remarquable synthèse entre méthodologie et pédagogie, théorie et pratique compositionnelles. Édith Weber. Association
Beethoven France et Francophonie : Beethoven, sa vie, son œuvre.
Dossier : Egmont, ouverture et musique de scène, Ablis, ABF (19,rue
de l'Étang, 78660 ABLIS, www.Beethoven-France.org ), n°17, 1er semestre 2015, 132 p. 10 €. L'Association Beethoven France et
Francophonie (ABFF) publie un bulletin semestriel avec des informations
concernant l'homme, le compositeur, l'œuvre et un dossier plus ponctuel. Son
rédacteur-en-chef, Dominique Reniers a judicieusement
fait appel à des membres de l'Association afin de relancer l'intérêt pour ce
grand musicien, de le situer dans ses divers contextes psychologiques et
sociologiques, au milieu de ses amis, notamment : Nicolaus
Zmeskall, célibataire, domestique puis ami et
dédicataire du Quatuor (op. 45) Quartetto serioso.
Le dossier concerne l'Ouverture d'Egmont, le souhait de Goethe qui confère
à la musique un rôle important ; la genèse, le plan de l'œuvre ; son
contenu émotionnel ; enfin, une analyse musicale fouillée avec citations
musicales à l'appui, constitue une excellente préparation à l'écoute.
L'information est complétée par quelques réactions de Franz Liszt, du critique
Adolphe Bernhard Marx ou encore la révélation ressentie par Richard Wagner, des
lettres de Beethoven à propos de son œuvre et des « fantômes de
Bettina » d'ailleurs devenue la « favorite du maître Goethe ». La
partie analytique de ce numéro concerne la suite de la présentation de la Missa Solemnis avec le Sanctus,
sa problématique religieuse et musicale, son rôle dans la Messe et l'évolution historique de cette forme de l'époque baroque
à Liszt ; finalement, Beethoven voit le Sanctus « en croyant qui cherche à donner une authenticité
religieuse à chacun de ses gestes musicaux » (p. 71). Une contribution
originale traite « Beethoven et l'humour » (le Witz), le rire et leur traduction musicale illustrée par des
exemples appropriés. La dernière partie est dévolue à l'apport
phonographique : Tous les
enregistrements du XIXe siècle, c'est-à-dire les premiers cylindres
français. Répertoriés avec une méthodologie exemplaire (cotes, références
usuelles… et, parfois même, incipit…), ils sont extraits des catalogues (Pathé, Gramophone records,
entre autres). L'article suivant : Beethoven
au théâtre (2) introduit et commente Le
calvaire de Ludwig van Beethoven, action dramatique autour de Beethoven
« sourd, rebelle et génial comme notre Goya », selon les termes de
son compositeur Louis Capdevila. Le résumé de l'œuvre
suivi d'une analyse mettent en valeur cet hommage d'un
musicien espagnol à Beethoven avec le recul du temps. Ce numéro 17, bénéficiant d'une excellente
présentation typographique, est étayé d'illustrations et de documents d'époque
(autographes, dessins, portraits, affiches, lieux…). La dernière de couverture
contient le plan d'une Exposition :
Ludwig van Beethoven, sa vie, son œuvre,
déjà accueillie par de nombreuses institutions médiatiques (festivals,
conservatoires, lycées). Outre son incontestable intérêt documentaire, elle a
l'avantage d'être louée gracieusement. Elle contribuera aussi à une meilleure
connaissance de Beethoven et au rayonnement de l'ABF. Tant par son
enthousiasme, sa curiosité intellectuelle que par la vitalité de ses activités,
cette Association « pas comme les autres » et son Bulletin rédigé par
ses membres (donc sans apport extérieur) méritent les plus vifs éloges. À
encourager sans réserve.
Édith Weber. Martha COOK : L'art de la Fugue. Une méditation en musique, 1
volume, Paris, Fayard (www.fayard. ), 2015, 271 p. 17 €. Jean Sébastien BACH : Die Kunst der Fuge. Martha Cook, clavecin. 1CD Passacaille : 1014 (www.passacaille.be ). La claveciniste et
musicologue américaine Martha Cook lance une autre « clé de lecture » suscitant une autobiographie et
une autre conception de L'art de la Fugue dont l'ordre de
succession des Contrepoints a
intrigué tant de spécialistes, par exemple Jacques Chailley qui — dans sa
« mise en ordre » des quatorze fugues et quatre canons — a davantage
prôné une logique d'ordre musical et philologique. Après avoir examiné à fond
la partition dans ses états successifs : manuscrit autographe, édition
posthume datant de 1751-1752 (p. 259 sq.)
réalisée dans la précipitation et Annexes
du MS. P 200 (canons…, choral), elle suggère une approche absolument
inédite s'appuyant sur la Théologie de la
Croix élaborée par Martin Luther. Son raisonnement,
fondé sur la Rhétorique classique, comprend explicatio autour de la question : « L'Art de la Fugue, une genèse biblique ? », puis applicatio et, en conclusion,
elle avance qu'il s'agit d'une « cantate imaginaire » spéculant
également sur l'allégorie des nombres.
Martha Cook considère L'Art de la Fugue
comme une « méditation en musique » autour de l'Évangile de Luc, chapitre 14, versets 27 à 35. Cette démarche très
approfondie sur les plans littéraire, biblique et exégétique permet de
restructurer l'œuvre autrement en
rétablissant les contrepoints selon une logique textuelle. L'auteur précise
l'origine de ses investigations en ces termes : «… j'ai découvert l'essai
d'un poète et éditeur connu pour son travail sur Hölderlin, qui, commentant le
premier contrepoint de L'Art de la Fugue,
y entendait résonner, dans l'allemand de la Bible
de Luther, la voix du Christ prédicateur et, plus précisément, le
passage de l'Évangile de Luc :
Wer nicht sein Kreuz trägt, und
mir nachfolgt, der kann nicht mein Jünger sein » :
Celui qui ne porte pas sa croix et ne me
suit pas, ne peut pas être mon disciple (p. 16-17). Elle se réfère donc à
la « théologie de la Croix » tant prônée par le Réformateur allemand.
De nombreux traits de l'œuvre confirmant l'hypothèse, fondée sur toutes ces
réflexions (cf. p. 17sq). Ces explications probantes sont
encore confirmées par le fonds à dominante théologique et herméneutique de la
bibliothèque personnelle de Bach qui contenait, par exemple, la Bible de Calow
(Wittenberg, 1581, récemment découverte aux États-Unis) qu'il avait annotée
notamment pour ses Cantates pour le
choix des textes (c'est nous qui soulignons). Ce livre très circonstancié
fournit donc tous les supports nécessaires à l'appréhension des intentions de
Bach. Toutefois, à côté de l'exégèse biblique, le travail didactique du Cantor
de Leipzig peut aussi se situer dans la mouvance de la combinatoire (Kombinationslehre) lancée par Gottfried Wilhelm Leibniz
(1646-1716). Pour une meilleure
compréhension, tout en écoutant le disque, les mélomanes gagneront à suivre conjointement cette démarche
complexe : dans l'Annexe I avec
extraits de l'Évangile de Luc (14,
27-35) en allemand (p. 256) dans le texte de Martin Luther (1545) un peu
modernisé ou dans la traduction française (p. 257) de Port-Royal
(1657-1700), puis dans la partition des Contrepoints
correspondants (selon le nouvel ordre de succession) et, enfin, dans les
analyses et commentaires de Martha Cook étayés d'exemples musicaux
significatifs. Ils pourront ainsi additionner (selon la notation alphabétique allemande :
première note A = La…) les nombres traduits par sa
signature et ceux correspondant aux versets bibliques :
B A C H 2+1+3+8 = 14
J. S. 9+18 = 27
Luc 14, 27 1+4+2+7 = 14
soit 27+14 =
41 (correspondant à J. S. BACH). Cette association
BACH-LUC ressort donc d'une triple démarche tenant compte de la signature de
Bach, des références bibliques de l'Évangile
de Luc, des analyses et justifications par Martha Cook associant également
les Contrepoints, la Fugue inachevée et le célèbre Choral Wenn wir in höchsten Nöthen sein (Au plus profond de la détresse). Grâce aux talents
de musicologue avisée et d'excellente claveciniste, ayant parfaitement décrypté
les intentions du Cantor de Leipzig et grâce à cette démarche sonore,
spirituelle et théologique, voici, « au-delà des notes », une autre écoute méditative au service de
l'émotion et du message de J. S. Bach dans L'Art
de la Fugue. Édith Weber.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
Antonin DVOŘÁK : Requiem, op. 89. Maria Stader,
soprano, Sieglinde Wagner, alto, Ernst Haefliger, ténor, Kim Borg, basse. Chœur des Chanteurs
Tchèques. Philharmonie Tchèque, dir. Karel Ancerl. 1CD JADE (www.jade-music.net ) : CD 699 866-2. 2 CD. TT : 49'
35 ; 39' 46. Le Requiem en Si b mineur, B. 165 (op. 89) d'Antonin Dvořák
(1841-1904) est bien moins connu que sa célèbre IXe Symphonie dite « du Nouveau Monde » (1893), et
pourtant… Rappelons qu'il a composé de nombreuses œuvres religieuses (Messes, Te Deum, Chant biblique, Oratorio…) qui gagneraient absolument à
être plus largement diffusées. En 2015, les Éditions JADE ont remasterisé l'enregistrement historique (1959), dirigé par
le célèbre chef, Karel Ancerl qui, à la tête du Chœur
des Chanteurs Tchèques et de la Philharmonie Tchèque (de Prague), a fait appel
au concours de quatre solistes internationaux exceptionnels : Maria Stader (soprano), Sieglinde
Wagner (alto), Ernst Haefliger (ténor) et Kim Borg
(basse). Ébauché en 1890, puis créé au Festival de Birmingham en 1891, le Requiem s'impose d'emblée par ses
accents sincères et son intense émotion. Les mélomanes seront ravis de
réentendre ou de découvrir cette œuvre. Après l'atmosphère chargée de l'Introït et l'expression douloureuse du Requiem aeternam, le Dies irae et le Tuba mirum sont très impressionnants.
Dans le quatuor avec chœur Qui sum miser (Lento),
Dvořák cultive
volontiers les timbres des instruments ; les solistes proclament la majesté
terrifiante de Dieu dans le Rex tremendae majestatis.
L'ambiance, à nouveau sereine dans le Recordare, s'assombrit avec le chœur Confutatis maledictis qui se termine par la prière Voca me. Le Lacrymosa, quatuor avec chœur,
est suivi de l'Offertoire comportant
le remarquable solo d'alto : Domine Jesu Christe, Rex gloriae d'abord pathétique sur Libera animas, puis, après un fugato
alla breve, le Quam promisisti se fait triomphal et
éclatant. Les chanteurs se distinguent dans l'Hostias. Le Sanctus est serein, puis véhément, alors que l'atmosphère devient
lumineuse dans le quatuor pour chœur Pie Jesu. Enfin, l'Agnus
conclusif affirme la lumière éternelle du « Lux perpetua ». Dvořák
excelle dans la peinture d'atmosphère et une certaine sobriété. Grâce aux
Éditions JADE : révélation d'un Requiem
en une version historique n'ayant, de surcroît, rien à envier à d'autres
œuvres éponymes. Édith Weber. Œuvres de
Marcel Dupré. Alain Bouvet,
orgue. 1 CD TRITON (www.triton.fr ) : TRI 331198. TT : 51' 32. Depuis 1990
organiste titulaire de l'Orgue Cavaillé-Coll de l'Abbatiale Saint-Étienne de
Caen, Alain Bouvet avait, en 1985, déjà enregistré son premier disque à cet
Orgue inauguré le 3 mars 1885 — soit un an avant la naissance de Marcel Dupré
(1886-1971). L'instrument comporte 3 claviers (avec appels, anches - mixtures
et mutations) et pédalier ; il est accordé au diapason 435 Hz.François Lemanissier a signé
l'excellent texte de présentation d'œuvres marquantes de Marcel Dupré,
accompagné d'une chronologie significative. Le programme comprend Évocation (3e mouvement), op. 37, très
élaboré, toujours en mouvement, dont Alain Bouvet dégage à merveille le ton
décidé, émanant de nombreuses répétitions de notes. Cortège et Litanie, op. 19 n°2, se présente comme un « décor
avec figurines » dans une vaste progression dynamique, et aboutit à
l'affirmation tonitruante d'un choral. Le 3e Prélude et Fugue en sol mineur, op. 7, œuvre de jeunesse datant de
1912, Vivace, fait tournoyer un Choral
combiné avec le sujet de la fugue. Enfin, sa Symphonie-Passion, op. 23, en 4 parties, composée en 1924 à partir
d'une improvisation lors d'un concert en 1921, reprend la vie du
Christ depuis l'attente de sa venue jusqu'à sa Résurrection. Apparenté à
un poème symphonique (comme Évocation),
le chef-d'œuvre traduit d'abord énergiquement le chaos (Allegro agitato ma non troppo vivo) avec
des accords dissonants, poussifs et staccato qui introduisent l'hymne de Noël Jesu Redemptor omnium,
débouchant sur la lumière : Tu lumen
et splendor Patris,
comme le rappelle Fr. Lemanissier. Cette œuvre
descriptive se poursuit avec l'épisode de la Passion : la marche au
Calvaire, la mort du Christ, puis « la mère des douleurs » (Stabat Mater). Enfin, la Résurrection,
symbolisant le Christ vainqueur du chaos et de la mort, donne lieu à un
mouvement perpétuel avec des modulations reposant sur l'hymne Adoro te devote,
concluant l'œuvre aux accents d'un carillon du meilleur effet. Alain Bouvet
confère à cette vaste fresque son caractère à la fois émouvant et grandiose. Il
a signé un bel hommage à Marcel Dupré. Édith Weber. « Two Generations. Choral and Organ
Works by Zoltan Gardonyi
and Zsolt Gardonyi ». Rudolf Müller, orgue. Kammerchor
de Bad Homburg, dir. Susanne Rohn. 1CD
RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6118. TT : 75'
42. Cet enregistrement
de musique hongroise et protestante (pour chœur et orgue) est une entreprise
originale, à l'actif de RONDEAU PRODUCTION qui a eu l'idée de réunir deux
générations de compositeurs hongrois : le père, Zoltan Gardonyi
(1906-1986) et le fils, Zsolt Gardonyi
(né en 1946), qui ont marqué la musique d'Église de notre époque. Élève de
Zoltan Kodaly, Paul Hindemith et Arnold Schering, le premier a transmis ses
talents au second. Ce disque est réalisé par le Kammerchor
de Bad Homburg que dirige Susanne Rohn avec le
précieux concours de l'organiste Rudolf Müller à l'Orgue Wilhelm Sauer (1908, à 4 claviers et pédalier). Il bénéficie de la
remarquable acoustique de la Erlöserkirche. Les deux
compositeurs adaptent des mélodies de Chorals
extraits des Recueils officiels (luthérien et réformé) actuellement en usage en
Allemagne, ainsi que la mélodie de l'Hymne Veni Creator Spiritus. Le père, né à
Budapest, également musicologue, a été professeur à l'Académie Franz Liszt de
1941 à 1967, et Directeur de la Faculté de Musique religieuse protestante
jusqu'à sa fermeture par les communistes en 1949. En 1972, il s'est installé en
Allemagne où il est mort à Herford, peu avant ses 80 ans. Ce CD permet de
découvrir un chant de louange d'après le Psaume
45 pour chœur et orgue, assez développé, spéculant sur l'unisson, les
oppositions de nuances et les entrées successives. Sa Partita pour orgue, très élaborée, reprend la mélodie du Veni Creator Spiritus. Enfin, pour ses 3 Motets pour chœur a cappella, il s'inspire d'un chant de repentance
finlandais : Finnisches Buslied ;
de la mélodie du Psaume 23 : Der Herr ist mein
Hirte qui s'élève des profondeurs et bénéficie
d'une dynamique contrastée. Son bref motet : Du schöner Lebensbaum
des Paradies, d'abord
énigmatique, utilise les voix à découvert ainsi qu'une ligne mélodique
ascendante, puis descendante. Son style est proche des tendances esthétiques
autour des années 1960. Son fils, Zsolt Gardonyi (prénoms à ne pas
confondre), musicien également né à Budapest, a fait des études d'orgue, de
musique sacrée et de théorie. Il a séjourné en Allemagne, à Wurzbourg
où il a enseigné la théorie musicale au Conservatoire. Concertiste de renom
international, il a composé, entre autres, pour orgue, les Sept Paroles du Christ en Croix (paroles énoncées successivement
pendant le déroulement de l'œuvre), dans l'idiome contemporain ; le Preludio con Fuga est
plus massif et mouvementé ; il est suivi de Trois Hommages (pour orgue) tout d'abord à Jean Sébastien Bach, avec évocation de son Prélude en Sol majeur (BWV 54) et, noblesse oblige, citation des 4
lettres B. A. C. H. formant le motif traditionnel Sib, La, Do, Si
bécarre, l'œuvre se termine sur un genre de passacaille. Le deuxième hommage, à Franz Liszt, fait allusion à ses
œuvres : Sonnets de Pétrarque, Funérailles et Préludes ; le troisième, à
Max Reger — paraissant en premier enregistrement mondial — fait allusion à
sa Fantaisie chorale sur le Choral Wachet auf, ruft uns die Stimme. Ce CD
propose également Trois motets pour
chœur et orgue : Gott, unser Schöpfer (d'après un chant hongrois de reconnaissance),
le Psaume 8 (d'après le Psautier de Genève, 1562), œuvre de
commande pour le 25e Kirchentag,
grand rassemblement protestant à Munich (1993). Outre les sources luthériennes
et calvinistes, il traite aussi un texte à partir d'un Negro Spiritual : Erd und Himmel sollen singen,
attestant son ouverture sur la musique de notre temps. Un excellent
hommage est rendu — par le remarquable Kammerchor de
Bad Homburg, sous la direction avisée de Susanne Rohn,
et l'excellent organiste Rudolf Müller — à ces « deux générations »
de compositeurs protestants hors du commun, respectant les sources mélodiques
anciennes (Psaumes, Chorals, Hymne) et s'exprimant dans l'idiome de la deuxième
moitié du XXe siècle. Révélation à découvrir impérativement. Édith Weber. Arvo PÄRT : Magnificat. I Am the True Vine. Nunc dimittis. Sept Antiennes du Magnificat. Prière Gebet nach dem
Kanon. Chœur de chambre Aquarius, dir.:
Marc Michael de Smet. 1CD JADE (www.jade-music.net): CD 699 850-2 .TT.:
58' 47. Le Chœur de chambre
Aquarius (fondé en 1995) dirigé par Marc Michael de
Smet et les Éditions JADE ont tenu à marquer les 80 ans du compositeur
estonien, Arvo Pärt (né en
1935 à Paide), avec cette synthèse de sa musique religieuse gravitant autour du
Magnificat (1989), I Am the True Vine
(1996), Nunc dimittis
(2001) ; de sept Antiennes du
Magnificat (1988) et de la prière Gebet nach dem Kanon. Ils chantent dans
les quatre langues de prédilection du compositeur : latin, anglais,
espagnol et vieux slavon. Le programme
commence par le Magnificat, d'abord
écrit pour chœur de garçons, se poursuit avec un genre de motet : I Am the True Vine
(Matthieu 15, 1-14), exploitant le
symbolisme : séries de notes répétées six fois pour évoquer la solidité du
cep de vigne. Le Nunc dimittis
(Cantique de Siméon, Luc 2, 29-32),
composé à l'attention de la Cathédrale Épiscopale Sainte-Marie d'Édimbourg, a
été créé à la BBC pour l'Office anglican du soir. Le compositeur estime que
« le latin est beau parce que ce n'est pas une langue de tous les jours.
Quand j'écris de la musique, je tiens à maintenir une distance avec le langage
du quotidien ». Ses sept Antiennes
du Magnificat (1988, 1991), œuvre
liturgique de commande du RIAS Kammerchor, pour la
semaine avant Noël, reposent sur des textes bien connus relatifs à la sagesse,
au Dieu d'Israël O Adonai, à la Racine de Jessé,
ou encore à l'Étoile du matin, au Roi de tous les peuples, à Emmanuel, au
Christ. La Prière après le canon,
dans la mouvance de sa Passion, s'adresse à Jésus, évoque ses souffrances, les
larmes de compassion, invite à l'intercession. Bravant toutes les
difficultés d'exécution, le Chœur Aquarius, qui avait
eu l'occasion de travailler avec le compositeur, s'impose par sa parfaite
justesse, son homogénéité, sa diction et son intelligence musicale, car Arvo Pärt mise sur la sobriété,
la sincérité, l'impact émotionnel et la profondeur de l'expression. Marc
Michael De Smet et ses choristes rendent « magnifiquement » au
compositeur estonien si exigeant un authentique et fidèle hommage. Édith Weber. Johann Sebastian
BACH : Concertos pour clavecin (intégrale) : N°1 BWV 1052, N°2 BWV 1053, N°3 BWV 1054,
N°4 BWV 1055, N°5 BWV 1056, N°6 BWV 1057, N° 7 BWV 1058. Andreas Staier, clavecin. Freiburger Barockorchester, dir. Petra Müllejans. 2CDs Harmonia Mundi :
HMC 902181.82. TT.: 1H49. Les concertos sont au centre de la
production de JS Bach, ceux de clavier en particulier, dont on peut avancer qu'ils
constituent les vrais débuts du genre du concerto pour piano qui connaitra l'essor
que l'on sait. Les sept concertos pour clavecin, écrits à Leipzig durant les
années 1738/1739, ne sont pas tous des partitions originales, Bach ayant
« recyclé » du matériau antérieur, dont celui de concertos de violon,
dans trois cas (BWV 1052, 1054 et 1058), la partie de violon étant confiée à la
main droite du claveciniste, et d'un des Concertos Brandebourgeois, le
quatrième, pour ce qui est du concerto BWV 1057. Quoi qu'il en soit, l'entreprise
est enrichissante car l'art de l'adaptation pour le clavier, souvent avec une
partie de basse enrichie, conduit à une écoute différente, surtout richement
dotée comme dans la présente interprétation, modèle d'intégration du soliste
dans l'accompagnement des cordes. Ainsi du concerto BWV 1052, dont on ne peut
pas ne pas savourer l'origine violonistique. Mais le résultat n'est pas moins
clair et vigoureux à l'allegro expansif, grave à l'adagio de par l'accompagnement
ostinato, et preste à l'allegro quasi jubilatoire. Seule la cadence finale
marquera un instant de réflexion. Le concerto BWV 1054 reprend le matériau du
concerto de violon BWV 1042, mais Bach introduit des modifications dans le
détail de la partie soliste, comme à l'adagio « piano e sempre », un beau largo plaintif, et au rondeau final
dansant dans lequel le clavier tresse sa guirlande. Le concerto BWV 1058,
inspiré du concerto de violon BWV 1041, ne messied nullement au clavecin
notamment à l'andante ample dans son rythme marqué à la basse, et au finale,
allegro assai, rapide ici, une gigue fuguée puissamment articulée dans laquelle
le soliste joue une partie virtuose dont une cadence endiablée. Le concerto BWV
1053, est de facture plus intime, l'accompagnement étant réduit aux quatre
cordes du quatuor et à la contrebasse, ce qui permet, au premier mouvement, un
dialogue serré avec le clavier. Le « Siciliano »
qui suit se déroule comme une aria initiée par les cordes alors que le soliste,
dans un climat détendu, va égrener sa partite au milieu de soupirs de l'orchestre.
Le concerto BWV 1055 débute par un allegro bondissant pour ce qui est de l'accompagnement,
dans lequel le clavier s'inscrit avec aisance. Le larghetto tendrement
mélancolique est distingué par le soliloque du clavecin. Un menuet rapide clôt
la pièce. Le concerto BWV 1056 se signale par son largo médian qui laisse la
prééminence au soliste, l'accompagnement étant réduit au minimum, des
pizzicatos en particulier, et le presto final déclamatoire est
paré d'accords surprises. Sorte de transcription du 4 ème
Brandebougeois, le concerto BWV 1057 remplace la
partie de violon par le clavecin tout en conservant les deux petites flûtes et
l'idée de faire du soliste le continuo de ces deux vents. Par son alacrité, le
clavecin s'accommode de cette combinaison. Andreas Staier
se montre un coloriste idéal et la claire sonorité de son instrument, copie de
d'un clavecin d'Albrecht Hass, de 1734, ajoute au
bonheur de l'écoute. On admire une fluidité du jeu et la finesse des traits
rapides. Malgré la dizaine de cordes utilisées, on est saisi par la générosité
de l'accompagnement. C'est qu'une idée de fusion avec le soliste préside à ces
interprétations, magnifiquement captées. Jean-Pierre Robert. Franz Joseph HAYDN : « Il filosofo ». Symphonies N° 46, Hob. I:46, N° 22, Hob. I:7, N° 47, Hob. I:47. Wilhelm Friedmann BACH : Symphonie pour cordes FK 67. Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini. 1CD Alpha
: Alpha 671. TT.: 75'18. Voici le deuxième volume de l'édition
« Haydn 2032 », qui partage sa monumentalité avec « L'Edition
Vivaldi » chez un autre éditeur, consistant à enregistrer, d'ici à l'année
Haydn de 2032... ses
107 symphonies, outre quelques compositions de ses contemporains. De quoi se
mesurer à l'intégrale Haydn réalisée naguère par Antal Dorati. L'âme du projet
est Giovanni Antonini qui dirige son orchestre Il Giardino Armonico, savoir une
formation d'une vingtaine de musiciens jouant sur instruments anciens. Ce qui d'emblée
donne une idée de la facture des interprétations. Il a été décidé de construire
chaque étape, non en respectant l'ordre chronologie, mais par thème, en
recourant aux appellations des symphonies. Le procédé n'est pas nouveau. Mais
aussi de mettre l'accent sur une particularité commune à la série enregistrée :
ici l'originalité des traits compositionnels. Ce volume est donc intitulé
« Il filosofo », du titre plus ou moins
apocryphe de la symphonie N°22, de 1764. L'ordre de ses mouvements est pour le
moins surprenant puisqu'elle débute par un adagio, sorte de trame sévère
ponctuée d'interventions des cors naturels et des cors anglais sur des violons
en sourdine. Suit un presto, fort trottinant, marque de l'humour du
compositeur. Le menuetto propose une sorte de
concerto pour cor dans le trio médian. Et le finale presto est allègre quoique
sans excès. C'est qu'Antonini signale son
interprétation plus par un souci d'allègement de la texture que par une volonté
de rythmique forcenée. La finesse instrumentale prime sur la puissance et c'est
tant mieux, laissant émerger des couleurs insoupçonnées. Il en va de même des
deux autres symphonies. La manière décontractée retenue par le chef convient à
la symphonie N°46, pour cordes et deux cors : un vivace décrivant une belle agitation, un poco adagio
tout en contraste, sur un rythme de sicilienne, joué piano, dont émane une
grâce contenue, un menuet allegretto progressant dans le même esprit de
retenue, et un finale, presto e scherzando, caractérisé par l'irrégularité de
son débit, offrant des effets de surprise dont celui introduit impromptu par
les cors. L'opus 47 offre lui aussi quelques traits originaux, dont les
fanfares de vents colorant une entame de cordes d'abord paisibles puis se
chargeant de tragique, un poco adagio subtil, suite de variations graves, et
surtout un « minuet al reverso »,
où le motif est joué tel quel puis dans
un ordre inversé, sorte de palindrome. Le presto assai final apporte une conclusion
festive à cette composition d'un musicien de 40 ans au faîte de ses moyens. Il
en va ainsi de l'exécution d'Antonini et de ses
forces. En appendice, la symphonie pour cordes de Wilhelm Friedmann Bach, qui
appartient à sa période de Dresde (1733-1746), s'épanouit sur le mode de la sinfonia d'opéra italien avec un menuet en sus. Elle offre
une facture baroque très travaillée, en particulier à l'allegro (3ème
mouvement) d'une démarche syncopée d'un bel effet théâtral. Jean-Pierre Robert. Wolfgang Amadé
MOZART : Quatuors pour flûte et cordes (intégrale)
K 285, 285A, 285B, 298. Juliette Hurel, flûte.
Membres du Quatuor Voce. 1 CD Alpha : Alpha 204. TT.: 57'41. Les quatuors pour flûte et trio à cordes
que Mozart écrit l'hiver 1777/1778, pour les deux premiers, puis en 1781 et en
1786, se situent dans la ligne des compositions de ce type alors en vogue au
XVIII ème siècle. C'est lors de son voyage à
Mannheim, en route pour Paris, fin 1777, que Mozart découvre le célèbre et
talentueux flûtiste Johann Baptist Wendling qui lui permet d'obtenir la commande de plusieurs
pièces pour l'instrument de la part d'un amateur hollandais fortuné De Jean.
Ces pièces sont de facture concertante et fort
agréables à l'oreille par leurs dessins mélodiques. Ainsi du premier, K 285,
dont l'allegro développé est mené par l'instrument à vent. Celui-ci s'épanche à
l'adagio, modèle de mélodie, la flûte planant sur des pizzicatos des cordes
jusqu'à cette péroraison comme suspendue dans le temps. Un rondeau joyeux et
sans façon s'y enchaîne directement. Le quatuor K 285A, en seulement deux
mouvements, s'ouvre par un andante ample, un brin pathétique. La flûte semble
mieux intégrée parmi les cordes et l'alto prend le flambeau de temps en temps.
Le tempo di menuetto marque le triomphe du style
galant, au sens noble du terme. Un peu plus tardif, le quatuor K 285B, quoique
la parenté avec les deux précédents ne fasse pas de doute, lui aussi en deux
parties, contraste un allegro, là encore de belles proportions, qui progresse
avec élan de son rythme ternaire, parfaitement concertant, surtout dans son
second thème fort original, puis un andante gracieux sur un schéma de thème et
variations. Juliette Hurel et ses compagnons du
quatuor Voce le prennent avec une sûre joie de vivre : chaque instrument prend tout à tour part à la fête,
le violon dans la 2 ème variation, le cello à la troisième, l'alto à la 4 ème.
La 5 ème est quasi tragique,
un adagio magnifiquement jugé ici. Et tout en contraste, l'ultime s'avère
pleine de gaité : des larmes au rire ! Le dernier quatuor, K 298, que Mozart
compose en 1786, offre cette originalité que chacun de ses trois mouvements est
construit sur un air : l'andantino, sur un Lied de Hoffmeister,
traité sous plusieurs éclairages différents, une vieille chanson française pour
le menuetto, et un air d'opéra de Paisiello dans le
rondeau final, célèbre pour ses indications loufoques. Le style galant est là
déjà dépassé. On savoure au fil de ces interprétations la finesse du phrasé et
les tempos naturels adoptés par Juliette Hurel et les
Voce dont les cordes sont merveille de douceur, dans une acoustique bien
présente.
Jean-Pierre Robert. Robert SCHUMANN : concerto
pour piano op. 54 en La mineur. Trio N° 2 pour
piano, violon et violoncelle en Fa majeur op. 80. Alexander Melnikov, pianoforte, Isabelle Faust, violon, Jean-Guihen Queyras, violoncelle. Freiburger Barockorchester, dir. Pablo
Heras-Casado. 1CD Harmonia Mundi :
902198. TT.: 57'10. Voici le deuxième volume de l'intégrale
promise par Harmonia Mundi des concertos de Schumann
sur instruments d'époque. Il est centré sur le Concerto pour piano op
54, une œuvre clé du répertoire, tant de fois enregistrée par les plus grands.
Cette exécution est bien différente car jouée sur un pianoforte Erard de 1837,
au son sec et épuré avec une résonance claire, loin de la séduction immédiate
procurée par un Steinway grand ou même un Bösendorfer,
et dans l'écrin sobre du Freiburger Barockorchester, favorisant une sonorité moins massive et
enveloppante que ne le fait un grand orchestre symphonique moderne. Mais la
surprise passée, la séduction opère vite : on tient là une vision dégraissée où
le rapport piano-orchestre signale une vraie intégration du soliste et ne
confine pas à quelque lutte entre les deux protagonistes. On a dit que Schumann
avait conçu un concerto sans soliste... C'est aller un peu vite en besogne, car
si l'allegro affetuoso initial, qui tire son origine d'une Fantaisie
antérieure, morceau indépendant, insère le piano au point de le faire concerter
à part égale avec l'orchestre, le dernier mouvement lui fait bel et bien tenir
le rôle de primus inter pares. La fluidité de l'allegro
est admirable ici, les attaques sèches du piano d'Alexander Melnikov
qui privilégie la simplicité du jeu, répondant à celles puissamment charpentées
de chef Pablo Heras-Casado qui ne dédaigne pas une
certaine fébrilité à l'occasion. Le développement prend le terme d'« affetuoso »
avec objectivité (clarinette) et coule de source, juste retenu, romantisme
oblige. La ligne pianistique fuit l'affectation, ce qui ne veut pas dire
froideur. L'andantino est sous les doigts de Melnikov
un vrai intermezzo, naturel dans le premier thème alors que le second,
introduit par les violoncelles, fuit l'emphase qui lui traditionnellement
assigné. La transition toute en confidence laisse à l'attaca
du finale toute ses vertus de surprise. Le vivace, pris confortable par le
chef, sans précipitation, permet au pianiste une belle articulation. Le
deuxième thème est là encore retenu et la section fuguée un modèle de simplicité. Tandis que la
péroraison est admirablement balancée. Une interprétation originale, loin du
pathos romantique comme de la grande virtuosité, qui restitue peut-être une
idée de celle des débuts de l'œuvre, jouée par Clara. C'est aussi pour elle que
Schumann a composé son Deuxième Trio pour piano, violon et violoncelle,
op 80 (1849). Il est typique de la dernière période créatrice du musicien : un
premier mouvement fougueux, presque robuste, où les trois instruments sont
intimement mêlés, une romance fervente maniant un savant contrepoint, un
intermezzo alternant soupirs et sursauts d'énergie, et un finale exubérant,
affirmatif d'une foi amoureuse déterminée. Clara qui dira qu'« il fait
partie des œuvres de Robert qui, du début à la fin, me réchauffent l'âme et me
ravissent ». L'exécution d'Alexander Melnikov,
Isabelle Faust et Jean-Guihen Queyras confirme cette
pensée. La sonorité particulière du piano joué, un Streicher
de 1847, apporte une note de clarté, détachant l'interprétation de toute impression
pesante. Jean-Pierre Robert. Mikhail GLINKA Kamarinskaya, Valse-fantaisie, Capriccio sur
des thèmes russes, Trot de cavalerie Nos 1 &
2, Polka Initiale. Piotr Ilyich TCHAIKOVSKI : 50 Chants
populaire russes. Cyprien Katsaris, Alexander Ghindin, pianos à quatre mains. 1CD Piano21 : P21 046 –
N.TT.: 59'40. Une intéressante découverte que ces pièces
pour piano à quatre mains ! Ce genre a fait florès tout au long du XIX ème. Mikhail Glinka (1804-1857),
dilettante, esprit fantasque, n'est pas seulement l'auteur des opéras Ivan Soussanine et Rouslan
et Ludmila. Il a investigué bien d'autres
domaines : symphonique, musique chorale, mélodie. Son empreinte sur la musique
russe est essentielle et le Groupe des Cinq lui doit beaucoup. Kamarinskaya, « fantaisie sur deux airs
russes », de 1848, est une de ses pièces symphoniques les plus célèbres.
Faite de deux morceaux contrastés (« air de noces », « air de
danse »), empruntés au folklore russe. La transcription pour piano à
quatre mains, jouée ici, est de Mily Balakirev
(1902), un des membres du Groupe des cinq. C'est ce même compositeur qui, cette
fois, orchestrera la Polka Initiale de Glinka (1852), un morceau d'un
charme insouciant. La Valse-Fantaisie, également conçue pour l'orchestre (1845), est inspirée
d'un poème de Pouchkine et offre une valse mélancolique aux couleurs
orientalistes. Sa transcription pour quatre mains est de Sergueï Liapounov. Le Capriccio sur des thèmes russes, revu
et corrigé pour sa publication posthume par Balakirev (1834), offre une
thématique typiquement russe, annonçant le langage de Rimski-Korsakov. La
musique de piano de Tchaikovski est sans doute moins
célébrée que ses opéras, ses symphonies ou sa musique de chambre. Et pourtant
on y trouve des merveilles là aussi. Les 50 Chants populaires russes,
composés pour piano à quatre mains en 1868 à la demande de son éditeur, offrent
l'occasion de découvrir, s'il en était besoin, le superbe folkloriste qu'est l'auteur
de La Dame de Pique. Celui-ci s'inspire de recueils existants, tel celui
de Balakirev, et ouvre la voie à d'autres pièces telles que les 100 Chants
populaires russes de Rimski-Korsakov (1877). Tout au long de ces pièces
dont la plus courte dure 16 secondes et la plus développée 1'50, on savoure des
inspirations tour à tour naïves et grandioses, des climats dansants ou
élégiaques. Tchaikovski puisera lui-même dans ce
corpus pour alimenter plusieurs autres de ses œuvres, comme le Premier
Quatuor, la Deuxième Symphonie « Ukrainienne », la Sérénade
pour cordes. D'autres compositeurs s'y référeront aussi comme Stravinsky
pour ses ballets Petrouchka et L'Oiseau de feu. Cyprien Katsaris et son collègue Alexander Ghindin
non seulement font œuvre de découvreurs, mais aussi et surtout conjuguent leur
talent pour notre plaisir. Jean-Pierre Robert. Sergei RACHMANINOV : Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 43 ; Variations sur un thème de Chopin op. 22 ; Variations sur un thème de Corelli, op. 42. Daniil TRIFONOV : Rachmaniana.
Daniil Trifonov, piano. The Philadelphia
Orchestra, dir. Yannick Nézet-Séguin. 1CD Universal DG : 479 4970. TT.: 68' Au sein de la musique pour piano de Serge
Rachmaninov, « tendre et agitée » confie Daniil Trifonov, « très russe », habitée de
« nostalgie à la fois douloureuse et chaleureuse mêlée d'une espèce de
fatalisme », le genre de la variation est cultivé à plusieurs reprises.
Aussi l'idée de réunir ces pièces sur un même disque est-elle bienvenue. Les Variations
sur un thème de Chopin, op 22 (1904), offrent monumentalité et passion au long de 22 morceaux encadrant l'énoncé
du thème, lequel est repris en forme de conclusion. Les transitions y sont
judicieuses provoquant d'intéressants changements d'atmosphère. On admire le
sens du phrasé dans les passages lyriques : « l'élégance de Chopin à la
rencontre de la passion de Rachmaninov ». Les Variations sur un thème
de Corelli, op 42, de 1931, a priori sur celui du concerto « La Folia », sont plus denses, très concentrées avec une
énergie explosive souvent. Quant à la Rhapsodie sur un thème de Paganini,
op. 43, de 1934, inspirées du 24 ème « Caprice
pour violon », c'est un grand morceau de bravoure pianistique, mis en
valeur par l'accompagnement orchestral. Le thème est exploité de moult
manières, valse, fox trot, boston, de la tradition à la modernité, sans parler
des aspects philosophiques sous sous-jacents : le motif du Dies irae qui
apparaît au centre de l'œuvre, revient de manière allusive lors de la
conclusion. C'est « un ballet miniature – une danse avec le destin
au-dessus de l'âme de Paganini » dit joliment Trifonov.
Les contrastes abondent dans son interprétation. Un clin d'œil : l'enregistrement
a été fait avec l'Orchestre de Philadelphie, celui même qui, en 1934, créa
l'œuvre avec le compositeur. Le disque
comprend encore une pièce inédite, de Trifonov
lui-même, Rachmaniana, Suite pour piano
seul, écrite en 2009. Cet hommage à son illustre prédécesseur, le pianiste
russe l'a conçu en cinq parties, s'inscrivant dans le pianisme
démonstratif de celui-ci : transparence (andante improvizato),
nostalgie (andante nostalgico), expressivité (allegro
con fuoco),
proche de l'aura du romantisme tardif (dolce romantico
et finale) et utilisant toutes les possibilités de l'instrument. Là comme
ailleurs, Daniil Trifonov
montre une belle aisance, lui qui est rompu à cet idiome exigeant, empruntant à
la fantaisie ou proche de l'improvisation. Le Steinway grand sonne on ne peut
plus opulent. Trifonov appartient à cette race de
jeunes virtuoses qui outre une technique à toute épreuve, sont capables des
nuances les plus raffinées. Jean-Pierre Robert. « Belle Époque ».
Henriette RENIÉ : concerto en ut mineur pour harpe et orchestre. Théodore
DUBOIS : Fantaisie pour harpe et orchestre. Gabriel PIERNÉ : Concertstück pour harpe et orchestre. Camille SAINT-SAENS :
Morceau de concert pour harpe et orchestre. Emmanuel Ceysson,
harpe. Orchestre Régional Avignon Provence, dir.
Samuel Jean. 1CD Naïve : V5419. TT.: 65'57. Comme Edgard Moreau au violoncelle, Jean
Rondeau pour le clavecin, Emmanuel Ceysson est l'enfant
terrible de la harpe. Il est aussi de la trempe des grandes figures de l'école
française de harpe qui depuis Llily Laskine, en
passant par Marielle Nordmann, a produit tant de
solistes émérites. Premier harpiste de l'Orchestre de l'Opéra National de
Paris, il a déjà à son actif un beau palmarès international et enseigne à l'École
normale de musique de Paris. Pour son nouveau disque il a choisi un bouquet d'œuvres
concertantes parmi celles qui fleurirent au début du siècle précédent,
considéré comme l'âge d'or de l'instrument. Les deux facteurs rivaux Pleyel,
avec sa harpe chromatique, et Érard qui proposait une harpe à pédales, créaient
alors l'émulation parmi les compositeurs. Debussy écrira ses Danses pour
harpe et orchestre. Le Concerto pour harpe de la harpiste Henriette
Renié (1875-1956), qui fut le professeur de Lily Laskine, a été créé en 1901.
Il est conséquent, puisque ses quelques 24 minutes dévoilent quatre mouvements,
magnifiquement écrits pour l'instrument : lignes mélodiques séduisantes à l'allegro
risoluto et à l'adagio, flattant le registre grave de
la harpe, manière encore plus inventive aux deux derniers mouvements,
exploitant une veine un brin fantastique. La pièce exhale un parfum légèrement
suranné, mais une transparence très française. Dans la Fantaisie pour harpe
et orchestre de Théodore Dubois (1903), un thème dansant cyclique irrigue
trois mouvements enchaînés. L'écriture pour la harpe est plus classique, pas
moins intéressante : une séquence allegro, sur le versant hymnique, est suivie
d'une autre plus pensive, livrant un beau dialogue flûte et harpe, toujours du
meilleur effet, et le finale livre forces pirouettes exigées du soliste ; ce
qui ne gêne nullement Emmanuel Ceysson dont la
technique est vraiment bluffante. Le Concertstück de Gabriel Pierné (1903), là
encore en trois parties enchainées, allie finesse d'écriture pour la harpe et
transparence de l'orchestration. Ainsi de la dramaturgie du premier mouvement
qui voit un dialogue serré entre harpe et orchestre, de la section centrale d'un
ample lyrisme qui peu à peu s'anime, et du finale encore plus ardent dans son
thème coulant. Saint-Saëns a écrit son Morceau de concert pour harpe en
1918, une de ses dernières compositions. L'instrument soliste est fort mis en
valeur grâce à une orchestration habile qui agit plus en fond de tableau que
comme moteur, encore que l'inspiration réserve des trouvailles intéressantes
(registre extrêmement aigu de la harpe exploité en trilles). La partie
conclusive offre une belle animation et au soliste l'occasion de briller.
Emmanuel Ceysson l'aura fait tout au long de ces
pièces par une habileté magistrale. Jean-Pierre Robert. « Yes ! ».
Airs extraits d'opéras et d'opérettes. Maurice YVAIN : Yes
!. André MESSAGER : L'amour
masqué. Francis POULENC : Les mamelles de Tiresias.
Arthur HONEGGER : Les aventures du Roi Pausole.
Maurice RAVEL : L'enfant et les sortilèges. Casimir OBERFELD : La
Pouponnière. Hervé CHRSTINÉ : Phi-Phi.
Reynaldo HAHN : Ô mon bel inconnu, Ciboulette.
Vincent YOUMANS : No,
No Nanette. Kurt WEILL : L'Opéra de quat'sous.
Franz LEHÁR : La Veuve Joyeuse. Nikolai
RIMSKI-KORSAKOV : Le Coq d'or. Julie Fuchs, soprano. Avec : Stéphane de Barbeyrac, ténor, Anaïk Morel,
mezzo. Orchestre national de Lille, dir. Samuel Jean.
1CD Universal DG : 481 200. TT.: 56'49. Alors qu'elle triomphe sur la scène du
Palais Garnier dans La Folie de Platée, Julie Fuchs sort son premier
album solo. Un voyage à la fois dans le répertoire « Belle époque »
et parmi ces musiciens de l'entre deux guerres qui ont si joliment chanté l'amour
et ses facéties. On pense bien sûr à Reynaldo Hahn
dont le Bel inconnu ne l'est pas tant (sur un livret de Sacha Guitry),
et Ciboulette encore moins. Julie Fuchs y savoura ses premiers triomphes
parisiens, à l'Opéra Comique. Cet air de ne pas y toucher avec une once de
tendre nostalgie vous va droit au cœur (« C'est
pas Paris, c'est sa banlieue ». Mais aussi à André Messager, dont L'amour
masqué, encore emprunté à Guitry, est un chef d'œuvre d'humour coquin. A
Poulenc bien sûr, et ses Mamelles de Tirésias : la pochade de la femme à
barbe est désopilante. Le récital offre encore des grands classiques du genre,
comme la « Chanson de Vilja » et l'« Heure
exquise » de La Veuve Joyeuse de Lehár, dans sa version française.
On est tout autant séduit par les raretés que nous propose Julie Fuchs. Elles
ont pour nom Phi Phi de
Henri Christiné (« Ah ! Cher monsieur
excusez-moi »), Yes de Maurice Yvain,
engageant, Les aventures du Roi Pausole d'Arthur
Honegger, dont le « Trio des baisers » est un morceau joliment
facétieux. Ou encore La Pouponnière de Casimir Oberfeld,
charmeur, et No, No Nanette de Vincent Youmans,
où l'on découvre le face à face de jeunes amants swinguant un « Thé pour
deux ». On y a ajouté l'air du Feu de L'enfant et les sortilèges de
Ravel et l'hymne au soleil du Coq d'or de Rimski-Korsakov, deux morceaux
de vocalises colorature fameux. Deux extraits de L'Opéra de quat'sous de Kurt Weill complètent un panorama
finalement fort large. Le programme est judicieusement composé pour mettre en
valeur les qualités de la chanteuse : le charme du timbre de soprano léger qui
sait se mouvoir avec adresse dans un registre plus médian, son souci d'articulation
et d'une diction toujours irréprochable, un goût sûr et tout un art de ne pas
trop en faire ; ce qui ne veut pas dire absence d'abattage. Les pièces de Weill
et de Poulenc sont là pour le prouver. La voix est toujours magistralement
conduite et offre une fraîcheur de tous les instants. Samuel Jean, à la tête de
l'Orchestre national de Lille, et comme pianiste à l'occasion, lui offre un
accompagnement racé et sensible. Jean-Pierre Robert. John ADAMS. Absolute Jest.
Grand Pianola
Music. St Lawrence String Quartet. Orli Shaham, Marc-André Hamelin, pianos. San Francisco Symphony Orchestra, dir. John Adams, Michael Tilson Thomas. 1CD SFS media : SFS 0063. TT.: 57'34. L'intérêt de ce disque est de rapprocher
une œuvre récente de John Adams (*1947) d'une pièce plus ancienne. Grand
Pianola Music pour deux pianos, trois voix de femme, bois et cuivres par
deux et percussions, a été composé en 1982 et quelque peu chahuté lors de sa
création tant à New York qu'à Paris. On en critiquait l'audace d'avoir malmené
le principe minimaliste alors porté au pinacle. On en est revenu depuis et l'autre
reproche d'américanisme matérialiste s'est quelque peu assagi. Presque un
classique de la musique instrumentale d'Adams ? E tout cas, rien de bien
« non audible » ici car on reste dans la tonalité. Et les
réminiscences de chemins déjà empruntés, par Debussy pour ce qui est des voix
de femmes, traitées ici plutôt en solo qu'en groupe compact comme dans
« Sirènes », ou les répétition incessantes chères à Philip Glass,
paraissent plus amusantes qu'exotiques. Le climat souvent presque pastoral de
la « Part I », se transforme en un court passage lent jusqu'à un
cluster de l'ensemble instrumental, en forme d'explosion fortissimo, puis les
deux pianos distillent dans le registre aigu comme des gouttes, soutenus par
une pédale de cuivres. La seconde partie se meut sur un mode plus généreux,
dont semble se détacher un thème de mélodie populaire américaine rythmé par la
percussion et les voix, qui va s'élargissant selon le
procédé d'amplification et de démultiplication typique du minimalisme, proche
de la transe. C'est John Adams lui-même qui dirige cette exécution, et on doit
en déduire qu'on tient sans doute le nec plus ultra de sa pensée mélangeant
humour américain et volubilité. Absolute Jest, composé en 2012, et révisé en 2013, est selon son
auteur « l'œuvre d'un compositeur sexagénaire qui revisite et réimagine des partitions majeures qui ont marqué sa
jeunesse – en l'occurrence Beethoven - à
travers le prisme d'un langage compositionnel plus évolué et – je l'espère –
plus subtil ». Ce « colossal scherzo de 25 minutes » s'approprie en effet des
bribes de thèmes beethovéniens, empruntées au scherzo de la Neuvième Symphonie ou à divers mouvements des Quatuors
op 131 et 135 et à la Grande fugue ou encore à la Sonate
Waldstein. La pièce est écrite pour quatuor à cordes et grand orchestre,
« une idée risquée », dira-t-il. Et déroule six parties enchaînées
alternant lent et vif. Plus que la séduction, elle provoque l'admiration devant
la prouesse technique. La direction habile de Michael Tilson
Thomas révèle l'astuce de la combinaison des masses sonores et les différents
climats qu'elle offre, dont un moment élégiaque (4 ème
séquence : meno mosso ) ou de vertigineuses séquences, comme le vivacissimo et le prestissimo finaux qui s'élancent tel
« un riff furieux sur la progression harmonique initiale de la Sonate
Waldstein » (J. Adams). Le côté obsédant et brillant de la manière
minimaliste est dépassé par une approche moins intellectuelle, voire émouvante. Jean-Pierre Robert. « Joyce &
Tony ». Live at Wigmore Hall. Joseph HAYDN: Cantate
Arianna a Naxos. Francesco SANTOLIQUIDO : I canti
della serra. Ernesto De CURTIS : « Non ti scordar di me! ». Mélodies américaines de Stephen FOSTER, Jerome KERN,
Havelock NELSON, Celius DOUGHERTY, Jerome MOROSS,
William BOLCON, Heitor VILLA-LOBOS, Richard RODGERS,
Irving BERLIN, Harold ARLEN. Joyce DiDonato,
mezzo-soprano, Antonio Pappano, piano. 2CDs Warner classics : 0825646107896. TT.: 41'49+47'37. Ce CD est la captation du concert d'ouverture
de la saison 2014-2015 du Wigmore Hall de Londres.
Soirée mémorable car réunissant une chanteuse très en vue au charisme certain
et un pianiste chef d'orchestre, directeur musical du Royal Opera
House. La première partie du programme, classique, propose la cantate
Arianna a Naxos de Haydn (1789). Joyce DiDonato
mise sur la dramatisation du récitatif et une approche qui, souvent à pleine
voix, souligne la fureur, l'indignation, la vitupération et un quasi délire,
entre désespoir et abandon. Dans l'aria, elle n'hésite pas à lâcher toutes les
forces, à la limite de l'accent opératique. Elle est en territoire plus connu
avec les pièces de Rossini, telle « Beltà crudele », mélodie voluptueuse de passion amoureuse là
encore, ou « La danza », extraite des Soirées
musicales (1835), qui sur un rythme de tarentelle, magnifiquement jouée par
Pappano, distille une franche faconde. Les mélodies
de Francesco Santoliquido (1883-1971) sont une
découverte car ses Canti della serra (Chants du soir) ont des accents pucciniens librement adaptés. Joyce DiDoato,
là encore, se donne à fond et pousse la quinte aiguë à un maximum de tension.
La pièce d'Ernesto De Curtis « Non ti scordar di
me! », écrite pour Benjamino Gigli, est aussi
pur joyau. Changement complet d'atmosphère avec la seconde partie consacrée à
des mélodies américaines (dont hélas le livret ne fournit pas les textes ). La chanteuse est définitivement chez elle dans ce
« Great American Song-book ». Car ces « chansons
préférées » révèlent un talent aussi bien vocal que théâtral et l'occasion
de briller autant par le chant que par l'esprit. On se délecte de la rythmique
irrésistible de « The Siren's Song » de Jerome Kern, tiré de Show Boat
(1927), et de « Life Upon the Wicked Stage » ou la vraie gouaille cockney de la
comédie américaine. Du même Kern, on signalera aussi
« Can't Help Lovin'
Dat Man » qui sur un accompagnement swinguant, déploie une mélopée
envoûtante. On navigue dans la chanson folklorique et ses suaves accents :
ainsi de « Beautiful Dreamer »
de Stephen Foster, de « Lovely Jimmie » de Havelock Nelson, ou de « Love in the Dictionary » de Celius Dougherty. Et surtout de « Lazy
Afternoon » de Jerome Moross, extrait de The Golden Apple (1955), dont le
style paresseux prête à cette Hélène des temps modernes une immanquable force
de séduction. Avec « Amor » de William Bolcon, DiDonato met le public
dans sa poche car dans le déhanchement de la voix on sent le clin d'œil coquin
; de même avec « My Funny
Valentine » de Richard Rodgers ou comment accrocher indéfectiblement l'auditeur.
Parmi les bis, judicieusement choisis, on relève « I love a Piano »,
d'Irvin Berlin, vraie déclaration d'amour à l'accompagnateur du soir, et
« Over the Rainbow » de Harold Arlen, hommage au Kansas natal de la chanteuse, mélodie
nostalgique et entraînante. Ces tunes américains
mettent en valeur le charme coloré de la voix de DiDonato,
en particulier dans le medium, et une présence pétulante peu résistible, celle
de la vraie « bête de scène ». Un coup de chapeau à Antonio Pappano pour son flair et son goût. Jean-Pierre Robert. Richard WAGNER : Der
Ring des Nibelungen. Das
Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung.
Festival
scénique musical en un prologue et trois journées. Livret du compositeur. René
Pape, Stephan Rügamer, Johannes Martin-Kränzle, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Doris Soffel, Kwangchul Youn, Marco Jentzsch, Jan Buchwald, Timo Rilhoren, Anna Samuil, Anna Larsson, Aga Mikotaj, Maria Gortsevskaya, Marina Prudendskaya
(Das Rheingold) ;
Simon O'Neill, Waltraud Meier, Nina Stemme, Ekaterina Gubanova, John,
Tomlinson, Vitalij Kowaljow,
Carola Hoehn, Ivonne Fuchs,
Anaik Morel, Susan Foster, Leann
Sandel-Pentaleo, Nicole Piccolomini, Simone Schroeder
(Die Walküre) ; Lance Ryan, Nina Stemme,
Peter Bronder, Terje Stensvold, Johannes Martin-Kräntzle,
Alexander Tsymbalyuk, Rinat
Moriah (Siegfried) ; Lance Ryan, Irene
Theorin, Waltraud Meier, Anna Samuil,
Gerd Grochowski, Johannes Martin-Kränzle,
Mikhail Petrenko, Margerita Nekrasova, Aga Mikolaj, Maria Gortsevskaya, Anna
Lapkovskaja (Gotterdämmerung).
Orchestre et Chœurs du Teatro alla Scala Milano, dir.
Daniel Barenboim. Mise en scène : Guy Cassiers. 7 DVDs Arthaus musik : 101 693, 101 694,
101 695, 101 696. TT.: 163'+238'+253'+292' (enregistrements : La Scala, mai
& décembre 2010, octobre 2012, juin 2013). Voici la captation du Ring dans la
mise en scène conçue par Guy Cassiers à la fois pour le Schiller Theater de
Berlin et la Scala de Milan. Elle a été réalisée dans ce dernier théâtre entre
2010 et 2013. Un Ring pour le XXI ème siècle ?
En tout cas, Guy Cassiers s'inscrit dans la continuité de la vision mythique d'un
Wieland Wagner (Neu Bayreuth, 1951-1965) sans renier
l'approche historiciste de Patrice Chéreau (1976-1980). Il se démarque de ses
autres collègues, qui de Bayreuth (Kirchner, Kupfer, Flimm ou Castorf) à Valencia (Fura dels Baus),
Londres (Johns) ou Aix (Braunschweig) ont tenté, pas
toujours avec bonheur, de renouveler l'illustration de cet Himalaya de la scène
lyrique. Tout en recourant aux techniques les plus avancées, la manière y est
respectueuse du mythe. Les symboles sont préservés (Wotan est toujours doté de
sa lance), juste modernisés (la forge de Siegfried), voire proche du
littéral (l'estrade surélevée-catafalque où est endormie Brünnhilde).
Mais foin de transposition dans quelque univers contemporain avec ce que cela
peut entraîner d'exagération. Elle est basée sur le concept de projection au
sens premier, photographique, du terme : un maelström d'images colorées en fond
de scène déchaine une stimulation visuelle continue, d'un esthétisme certain :
flammes entourant Brünnhilde au 3ème acte de La
Walkyrie, revêtant diverses apparences à chaque réapparition, scintillement
de la forêt, luminescence écarlate de la scène de la forge (Siegfried),
chevauchée fantastique entourant celle des compagnes de Brünnhilde
au début de l'acte 3 de La Walkyrie, projetant les corps dénudés des
guerriers-héros, etc... Le concept est également
appréhendé sur le plan psychologique, d'« externalisation d'expériences
intérieures » (Richard P. Steinberg, dans le livret) vécues par les divers
personnages, Wotan au premier chef. Le parti décoratif reste de l'ordre de l'abstraction
pure (Ier acte de La Walkyrie) ou réinterprétée (l'enchevêtrement d'épées
brisées formant une sorte de cage au Ier acte de Siegfried). Quelques
points cependant l'émaillent, dont le bas relief imité de la frise dite des
« Passions humaines », réalisée en 1889 par le sculpteur belge Jef
Lambeaux à Bruxelles, qui visualisé à la fin de L'Or du Rhin,
réapparaitra au fil des trois journées. Agissant comme un leitmotiv visuel à l'appui
de ceux de la musique de Wagner, et fonctionnant sur le principe de la
répétition, et pour le spectateur, de la reconnaissance. Ces passions humaines
qui envahissent peu à peu le champ dramatique de la Tétralogie à mesure
que s'évanouit l'autorité des Dieux. L'autre élément essentiel de la régie de
Cassiers est la composante chorégraphiée, prodiguant là encore une forme d'animation
par des groupes humains multiformes. Elle fonctionne également comme un moyen
de conceptualisation. Ainsi de la
velléité de puissance d'Alberich dont le personnage
est durant L'Or du Rhin construit à partir de groupements évocateurs.
Extrêmement présents dans le prologue, ces passages mimés le sont moins dans
La Walkyrie, mais réapparaissent dans Siegfried (scène du réveil de Fafner) et surtout dans Le Crépuscule où ils
accompagnent plusieurs scènes.
Qu'apporte la captation filmique au
spectacle tel que présenté, en particulier à Berlin (cf. NL de 12/2010, 5/2012,
11/2012, 4/2013). Beaucoup de ''plus''. A commencer par un sentiment de
proximité avec les personnages (Ier acte de La Walkyrie, Ier acte de Siegfried,
narration d'Erda au III ème,
scène de Waltraute au Ier acte du Götterdämmerung).
L'éparpillement perçu parfois sur scène (sans doute encore plus sensible à
Milan que sur le plateau de moindre dimension du Schiller Theater berlinois),
est tenu en respect par une prise de vues habile alternant plans d'ensemble,
rapprochés ou de très près. Quelques performances d'acteurs en bénéficient
particulièrement. Cette vision « rapprochée » permet surtout de
saisir des détails quelque peu distanciés à la représentation. Ainsi des
maquillages, proches du masque. C'est notamment vrai de Mime dont le visage est
émacié de crevasses, ou encore d'Alberich qui vrai
hâbleur, se voit doté d'une bouche comme élargie par de fausses agrafes. Quant
à celui de Wotan, il est peu à peu noirci et habité de rictus, ce qui achève de
le rendre peu sympathique dès la fin de La Walkyrie. A l'inverse, celui
de Hagen est étrangement lisse. On perçoit aussi les détails des costumes, fort
chargés, rapiécés par des collages d'éléments différents, fourrures, plumes,
étoffes diverses, créant une sensation d'étrangeté. Aux redingotes approuvées
par Chéreau on a préféré, côté messieurs, les fracs usés, défraichis, vision
grotesque d'une splendeur passée. Le film utilise largement le fondu enchaîné,
émancipant le système de projections et démultipliant la gestique des
personnages, en particulier par le procédé des ombres chinoises. C'est que la
direction d'acteurs de Cassiers est affûtée, fouillée, avec une mention
spéciale pour les personnages maléfiques (Mime, Alberich),
ou diaboliques (Loge, Hagen). Là encore les didascalies sont respectées. Autre
avantage du film : l'œil porté sur le chef en début et à la toute fin de chaque
acte. En regard, les inconvénients sont peu nombreux. Certes, la caméra impose
ses choix, que le spectateur est libre d'opérer autrement. C'est vrai dans L'Or
du Rhin, pièce prolixe, voire bavarde s'il en est : si la focalisation sur
l'élément aquatique reste intéressant, en particulier quant à la vision finale,
assez paradoxale, de Loge piétinant rageusement dans les flaques d'eau, l'attention
portée à l'élément chorégraphié peut lasser. D'une exécution globale de haut vol, se
détachent quatre performances de référence, où interprète et personnage ne font
qu'un. Stephan Rügamer, Loge (Das
Rheingold), conseiller juridique de Wotan,
calculateur au-delà du commun de ses semblables, manipulateur expert, usant de
sa voix de ténor claire et tranchante avec la plus extrême dextérité. Waltraud
Meier, Sieglinde (Die Walküre),
tour à tour inquiète, émue, épanouie (acte I ),
déchirante (actes II & III). Il n'est pas un mot, pas un geste, pas une
expression qui ne sonne juste et qui ne passe par un chant souverain. Et quelle
beauté de l'expression chantée. Peter Bronder, Mime (Siegfried),
retors, pitoyable, loin de tout ce qui souvent rend le personnage histrion ou
assommant. Là aussi la caméra saisit des expressions d'une vérité criante.
Waltraud Meier encore, Waltraute (Götterdämmung),
bouleversante, véhémente dans ses vaines tentatives de sauver ce qui peut
encore l'être. Cette scène, une des plus saisissantes du Ring, trouve là
une interprète hors pair. A leurs côtés, on signalera le Wotan de René Pape (Das Rheingold),
merveilleusement chanté. Dommage qu'il ne soit pas distribué dans La
Walkyrie, car son « successeur », quoique vocalement assuré, ne
possède pas le charisme requis de ce dieu alors encore grandiose, non plus que
dans le Wanderer dont le titulaire quoique aguerri,
offre une figure fatiguée. L'Alberich de Johannes
Martin-Kräntzle rejoint ses illustres prédécesseurs
au panthéon de l'interprétation idéale de ce sulfureux personnage. De celui
plus radieux de Brünnhilde, Nina Stemme
offre le meilleur dans La Walkyrie et Siegfried, quinte aiguë
royale, phrasé majestueux, là où dans Le
Crépuscule, Irene Theorin
propose un portrait de diva wagnérienne par trop coutumier. Simon O'Neill,
malgré un look peu phonogénique, livre pourtant l'interprétation de sa vie dans
le Ier acte de La Walkyrie, tandis que Lance Ryan, Siegfried, façon beau
gosse américain, est d'une amusante candeur dans ses réactions incrédules aux
historiettes de Mime et garde une certaine distance quant aux événements qui s'en
suivent. Il sera paradoxalement moins à l'aise dans le Götterdämmerung.
Filles du Rhin et Nornes sont à la hauteur, les
Walkyries un peu moins. Quelques castings de luxe complètent le tableau, comme
John Tomlinson, Hunding, hier un fameux Wotan, ou
Anna Larsson, impressionnante Erda.
Daniel Barenboim apporte son immense expertise de l'idiome
wagnérien à ces quatre parties d'un même tout. L'Orchestre de La Scala révèle
une empathie insoupçonnée avec ce langage à mille lieux de son répertoire
habituel, car l'entente avec le chef est plus qu'évidente. La pâte sonore est
riche, pas épaisse pour autant, que des fluctuations de tempos achèvent de
rendre presque transparente : lent et combien expressif dans les grands
monologues, tel celui de Siegmund, « Ein Schwert... », ou pressant le débit dans celui de Wotan, ou lors de l'Annonce
de la mort (Die Walküre), puis à la scène de
la forge ou lors de l'interlude du « Voyage de Siegfried sur le
Rhin » (Götterdämmerung). Les fins d'actes
sont précipitées comme le faisait Karl Böhm à Bayreuth. Au final, une
interprétation à placer aux côtés des intégrales célèbres, filmée avec
discernement, rendant justice à une vision qui dans son parti de recours aux
techniques modernes, est respectueuse du sens d'une œuvre hors du commun. Jean-Pierre Robert. William BYRD. Walsingham.
Jean-Luc Ho, Orgue & Clavecin. 1 CD
Encelade : ECL 1401. TT : 70'. William Byrd (1543-1623) est un compositeur
charnière entre les styles Renaissance et Baroque, parmi les plus importants
représentants de l'école anglaise pour clavier. Né probablement à Londres vers
les années 1540, il fut élève du compositeur Thomas Tallis, organiste de la
cathédrale de Lincoln, nommé Gentilhomme de la Chapelle Royale d'Elisabeth 1ère
en 1572. Il composa nombres d'œuvres vocales religieuses (messes et motets) et
un important corpus de musique pour clavier (Clavecin, Virginal et Orgue).
L'essentiel des œuvres présentées dans cet enregistrement appartiennent à deux
recueils parmi les plus connus du musicien, My Ladye Nevells Booke et le célèbre Fitzwilliam Virginal Book dont Walsingham
constitue la première page. Outre l'intérêt de remettre au gout du jour les
œuvres de ce compositeur important, quelque peu oublié de nos jours, ce beau disque
nous donne à entendre la superbe interprétation et la maitrise absolue, tant au
clavecin qu'à l'orgue, de Jean-Luc Ho, sur l'Orgue Renaissance de l'Abbaye de
Saint-Amant-de-Boixe d'après Koblenz (1511) et
sur le clavecin italien Ryo Yoshida d'après Trasuntino
(1531). Après son disque précédent consacré à Bach et Couperin, Jean-Luc Ho
confirme, ici avec brio, tout son talent, sa curiosité et sa passion pour la
musique ancienne. Patrice Imbaud. Georg Friedrich HAENDEL. Nicola Francesco HAYM. Trio Sonatas. Ensemble
L'Aura Rilucente. 1 CD AMBRONNAY. Collection Jeunes
Ensembles : AMY304. TT : 55'19. Encore un très joli enregistrement à mettre
au crédit du label Ambronnay. Un disque découverte
puisque consacré en partie au compositeur Nicola
Francesco Haym (1678-1729) et interprété par le très
jeune ensemble L'Aura Rilucente. Nicola Francesco Haym est né à
Rome de parents allemands, et s'est installé à Londres dès 1701 pour y mener
une carrière de violoncelliste, de librettiste et de compositeur. Sa collaboration
avec Haendel (1685-1759) débute en 1713, un travail en duo d'où naîtront nombre
d'œuvres célèbres comme les opéras, Giulio
Cesare in Egitto, Rodelinda
et Tamerlano.
Pour l'heure les sonates en trio présentées sur ce disque résultent de la
découverte qu'en fit l'ensemble L'Aura Rilucente en
2012 à la Bibliothèque Royale de La Haye, deux livrets quasiment inconnus qui
viennent immédiatement compléter le répertoire de cette formation consacré à
Haendel. Ce programme Haendel/Haym, associant dans une mise en miroir pertinente sonates
et arias, interprétés avec élégance et dynamisme, incarne l'esprit musical du
XVIIIe siècle soulignant la complémentarité des genres instrumentaux et vocaux.
Un premier disque original, intelligent dans sa conception, et parfaitement
maitrisé dans sa réalisation…Que demander de plus ? Une découverte à ne
pas manquer. Patrice Imbaud. Ludwig
van BEETHOVEN : Concerto pour violon et orchestre,
Symphonie N° 8. Johannes BRAHMS. Sextuor à cordes N°1. Sinfonia
Varsovia, Kansai Philharmonic
Orchestra. Augustin Dumay, violon & direction. 2
CDs ONYX 4154. TT : 70'01 + 37'24. Très beau coffret de 2 CDs, au contenant
luxueux et au contenu de belle facture, consacré à Beethoven pour le premier
disque (Concerto pour violon et Symphonie n° 8) et à Brahms pour le
second (Sextuor n° 1). Un programme
sans surprise présentant des œuvres célébrissimes, ici, parfaitement exécutées
par Augustin Dumay, à la fois violoniste et chef
d'orchestre (Sinfonia Varsovia
et Kansai Philharmonic Orchestra) entouré d'autres
musiciens talentueux et prestigieux comme Svetlin Roussev, Miguel da Silva, Marie Chilemme,
Henri Demarquette et Aurélien Pascal. Pièce
incontournable du répertoire, cheval de bataille de tous les violonistes, le Concerto pour violon de Beethoven fut
composé en 1806, contemporain de la Quatrième
symphonie, des quatuors dits « Razumowsky », dans un climat de bonheur
correspondant aux fiançailles secrètes du compositeur avec Thérèse de
Brunswick, expliquant peut-être son aspect extraverti, virtuose et enjoué.
Augustin Dumay en donne, ici, une lecture
parfaitement juste, d'une grande limpidité, sincère sans effets excessifs, dans
une ambiance plutôt chambriste. Sur le même disque la Symphonie n° 8 confirme cette atmosphère heureuse. Couramment
appelée « Symphonie
humoristique » elle fut composée rapidement en 1812, là encore inspirée par l'inclination du compositeur
pour la cantatrice berlinoise Amélie Sebald. A
l'image de la chanteuse qui l'inspira, cette symphonie, quelque peu dédaignée, est
toute empreinte de dynamisme, de gaité, sans mouvement lent, remplacé par un Allegretto Scherzando où Beethoven semble par son rythme sautillant et
mécanique se moquer de son ami Johann Maelzel, inventeur du chronomètre, aïeul
du métronome. L'interprétation qu'en donnent le Kansai Philharmonic
Orchestra d'Osaka et son actuel directeur musical, Augustin Dumay
ne souffre aucune critique, fidèle à l'œuvre dans le ton comme dans la note. Le
second disque du coffret est entièrement dévolu à la musique de chambre avec le
Sextuor n° 1 de Brahms. Une œuvre
grandiose, chef d'œuvre absolu, achevée en 1860, créée par Joachim, à la fois
poignante et lyrique, qui conclut magnifiquement ce superbe coffret.
Patrice Imbaud. Franz
SCHUBERT. Quartettsatz D 703. Quatuor N° 15 D 887. Quatuor Terpsycordes.
1 CD Ambronnay : AMY044. TT : 57'31. Un enregistrement d'une belle intelligence
dans sa conception et d'une grande maturité dans son accomplissement musical.
Le Quartettsatz (mouvement de quatuor) est une œuvre
inachevée correspondant au seul mouvement Allegro
assai du Quatuor n° 12, composé
en 1820. Il ouvre la série des grands quatuors à cordes de la maturité dont le Quatuor n° 15 constitue l'opus ultime.
Ces œuvres marquent indéniablement une rupture dans la production des quatuors
à cordes schubertiens antérieurs tant ils frappent par leur modernité, la
profondeur de leur inspiration et leur complexité d'écriture faite
d'instabilité tonale et de ruptures rythmiques. Le Quatuor n° 15 date de 1826, composé en une dizaine de jours, il se
caractérise par sa durée d'exécution, son ampleur polyphonique et ses
contrastes marqués. Le Quatuor Terpsychordes, jouant
sur instruments anciens, poursuit, ici avec talent, son exploration du
répertoire chambriste romantique pour quatuor à cordes, dans une vision
enflammée et audacieuse qui ne manquera pas de séduire. Bravo ! Patrice Imbaud. « Invitation française ». Camille
SAINT-SAËNS. Claude DEBUSSY. Gabriel FAURÉ. Maurice RAVEL. Georges BIZET :
transcriptions pour guitares. Quatuor Eclisses, guitares. 1 CD Ad Vitam :
AV 150715. TT : 53'37. Un programme de musique française de la fin
du XIXe siècle, une grande pertinence dans le choix des œuvres et une
interprétation éblouissante procurent à ces transcriptions pour quatuor de guitares
toute leur légitimité et tout leur intérêt. L'Alborada del gracioso (1905)
de Maurice Ravel rappelle que la guitare est toute désignée pour servir de
support à cette aubade grotesque, soulignant l'importance de l'univers espagnol
chez le compositeur basque. De même parvient-elle dans la Suite Bergamasque (1890) de Claude Debussy, toute en délicatesse et
en chatoiement de timbres, à retranscrire parfaitement l'élégance et le ciselé
de la composition. La Danse macabre
de Saint-Saëns (1875) est l'occasion d'une démonstration époustouflante de
virtuosité sur un rythme haletant et répétitif. Les extraits de Carmen (1875) mettent en avant toutes
les sonorités authentiquement espagnoles et flamencos qui inspirèrent Georges
Bizet. Enfin la Barcarolle n° 1 de Gabriel
Fauré referme sur un clapotis d'eau et sur un balancement romantique ce bel
enregistrement qui ravira, à l'évidence, tous les amateurs de guitare. Un
disque qui confirme, avec éclat, l'opinion de Berlioz selon laquelle « la guitare est un petit orchestre ».
Avec cet enregistrement, le quatuor Eclisses (Gabriel Bianco, Arkaïtz Chambonnet, Pierre Lelièvre et Benjamin Valette), Premier Prix FNAPEC 2013,
permet, sans nul doute, à la guitare ne reprendre un nouveau souffle en sortant
des sentiers battus….Original et convaincant ! Patrice Imbaud. Serge PROKOFIEV, Carl REINECKE, Georges ENESCU, Paul
INDEMITH, Ernst von DOHNANYI : Works for Flute and Piano. Daniela Koch, flüte &
Olivier Triendl, piano. 1 CD Indésens :
INDE074. TT : 71'42. Un programme éclectique visant à nous faire
entendre la flûte traversière dans tous ses états, mais quelle que soit
l'œuvre, une même sonorité magnifique, un phrasé souple et élégant, une
virtuosité qui jamais ne se trouve en défaut, une interprétation témoignant
d'une grande implication dans la compréhension des œuvres, une émotion et un
charme envoûtant, tels sont à l'évidence les caractéristiques du jeu de la
jeune flûtiste autrichienne, Daniela Koch, lauréate du prestigieux concours de
l'ARD à Munich. Des œuvres très différentes comme l'ondoyante Undine de Reinecke,
la plus sombre et ambiguë Sonate de
Prokofiev où l'humour quelque peu grinçant semble faire pendant à la tragédie
de la seconde guerre mondiale, puisque composée en 1942, ou encore le très
virtuose Cantabile et Presto
d'Enescu, la Sonate d'Hindemith,
puissante et originale, et l'Aria
d'Ernst von Dohnanyi, lyrique et pourtant si rarement
jouée. Un bien beau disque, une flûtiste à suivre …. Patrice Imbaud. Martial
CAILLEBOTTE: Dies
Irae. Une Journée. Psaume 132. Chœur régional Vittoria d'Ile de
France & Orchestre Pasdeloup, dir. Michel Piquemal. Karine Deshayes.
Clémentine Margaine. Philippe Do. Boris Mychajlizyn.
Rudi Frenandez-Cardenas. Eric Génovèse.
1 CD HORTUS 117. TT : 77'29. Un disque superbe et original marquant une
deuxième étape dans l'exploration de l'œuvre de Martial Caillebotte (1853-1910)
entreprise par Michel Piquemal et son Ensemble
Vittoria. Après un premier disque permettant la découverte de la Messe Solennelle de Pâques, voici un
nouvel album contenant trois œuvres nouvelles du « frère oublié ».
Martial Caillebotte, compositeur, frère de Gustave, peintre pionnier du
mouvement impressionniste, frère également d'Alfred, curé de Notre Dame de
Lorette où seront créés la Messe de
Pâques et le Dies Irae. Le Dies Irae, composé vers 1880, est une œuvre grandiose pour grand orchestre,
chœur et deux voix solistes (Karine Deshayes, soprano
et Philippe Do, ténor). Une Journée
est une succession de scènes pour orchestre et chœur, mêlant poésie (Eric Génovèse, récitant) et musique, dans le genre du mélologue. Les textes ouvrant chaque tableau musical sont
d'Édouard Blau, librettiste célèbre de Massenet,
Offenbach, Franck et Lalo. Le Psaume 132
est bien sûr un chemin mystique vers Dieu, mais c'est également un hymne au
bonheur fraternel, à la joie de vivre ensemble comme l'ont fait les frères
Caillebotte pendant de nombreuses années, une sorte d'hommage à la vie commune.
Trois œuvres bien différentes qui permettent à l'auditeur d'apprécier, tout à
la fois, la technique compositionnelle et la sensibilité du compositeur. Une
découverte à ne pas manquer d'autant que l'interprétation vocale et
instrumentale est à la hauteur de l'intérêt musicologique. Magnifique ! Patrice
Imbaud. |