PAROLES D'AUTEUR : LE CHAMBER ORCHESTRA OF EUROPE A 35 ANS REPÈRES PÉDAGOGIQUES : LE CHANT DES MUSES, LA DERNIERE CREATION DE XU YI PROPOS PARTAGÉS : MAURICE EMMANUEL (1862-1938) FESTIVALS! GLYNDEBOURNE 2016 : FUYEZ L'ORDINAIRE ! L'AGENDA
9 / 7 - 21 / 8 Le Festival Musique & Nature en Bauges Entre Savoie et Haute-Savoie, au cœur des
vallées rurales, le Festival « Musique et Nature en Bauges » propose,
de village en village, un itinéraire musical qui réunit les grandes figures du
classique. Le festival a invité le claveciniste Andreas Staier
le 9 juillet à ouvrir cette 18ème édition avec les « Variations
Goldberg », monument incontesté dans l'immense production du cantor de
Leipzig. Le festival crée aussi l'évènement, le 17 juillet : l'astrophysicien
et scientifique de renommée mondiale, Hubert Reeves, partagera sa passion pour
la musique avec le violoncelliste Henri Demarquette
et le pianiste Jean-Frédéric Neubuger dans un
programme inspiré des thèmes de la nature et débutant par un des Lieder
transcrit du « Chant de la terre » de Gustav Mahler. En outre, ce
concert prend place dans le cadre du château de Miolans,
spectaculaire forteresse du Moyen-Âge et joyau du patrimoine savoyard. En
prélude au concert, le Parc naturel régional de Massif des Bauges et la
Fondation FACIM (Fondation pour l'Action Culturelle en Montagne) propose des
visites guidées sur l'histoire du site et l'évolution du paysage. Tout au long de cette édition, la musique de
chambre est particulièrement à l'honneur avec des chefs-d'œuvre tels que
l'Octuor de Mendelssohn et le Sextuor de Brahms par l'Académie of St Martin in
the Fields (13/7), ou le Quintette avec piano de Brahms outre des quatuors de
Haydn et Debussy, par le Quatuor Ebène et Shani Diluka
(16/8). Ou encore les sonates pour violon et piano de Fauré et Franck, joyaux
de la musique française, par le pianiste Nelson Goerner
et le violoniste Tedi Papavrami,
fidèle compagnon de route du Festival (6/8). Si proche de la Savoie par la géographie et
l'histoire, l'Italie trouve naturellement une place de choix dans la
programmation. Concerto Köln invite à vivre et
partager ses « passions italiennes »(14/8).
Le violoniste Giuliano Carmignola propose un voyage à
Naples (27/7) , tandis que le celliste Edgar Moreau
s'associe aux musiciens d'Il Pomo D'Oro dans un programme de concertos italiens virtuoses
(23/7). Le piano est omniprésent : outre Nelson Goerner,
Jean-Frédéric Neuburger et Shani Diluka
en musique de chambre, on retrouvera Hélène Mercier et Louis Lortie dans un duo dansant consacré à Ravel et Rachmaninov
(29/7). Puis Vahan Mardirossian
qui, à la tête de son Orchestre national de chambre d'Arménie, donnera le
surprenant double concerto pour violon et piano de Mendelssohn (31/7). La musique vocale n'est pas en reste : le
contre-ténor néerlandais Maarten Engeltjes et les
Folies Françoises dans de rares arias de Bach (3/8).
La mezzo-soprano Blandine Staskiewicz, avec Les
Musiciens du Louvre, illustre l'art des castrats, (21/8). L'Ensemble vocal "La Tempête"
présente aussi un étonnant programme conçu en hommage au 7e Art,
autour des chefs d'œuvres que les réalisateurs ont utilisé dans leurs films.
Presque 400 ans de musiques universelles qui expriment des sentiments
extrêmement puissants (10/8). Renseignements et réservations :
Association Musique et Nature, Mairie de 73630 Le Chatelard ; par tel.: 04 79
54 84 28 ; en ligne : festival@lesbauges.com
ou www.musiqueetnature.fr 20 / 7 – 13 / 8 Les 61 èmes Nuits de la Citadelle de
Sisteron Depuis l'origine,
les Nuits de la Citadelle conjuguent les hauts lieux du patrimoine de
Sisteron avec le spectacle vivant dans toute sa diversité. La 61ème
édition se révèle plus que jamais fidèle à cette vocation foncièrement
éclectique. Elle se déclinera selon trois axes. Du baroque au klezmer d'abord : La musique occupe comme toujours une
place de choix et c'est à Philippe Jaroussky et à
l'Ensemble Artaserse qu'il revient d'ouvrir la fête,
de solaire et lyrique façon, sous le signe de l'Italie (20/7, 21H30, Cathédrale
N-D des Pommiers). Attachées à la mise en valeur des nouveaux talents, Les
Nuits accueillent le violoncelliste Edgar Moreau et le pianiste David Kadouch pour un intense moment de complicité chambriste
(1/8, 21H30, cloitre St Dominique). La compagnie Diva Opera,
fidèle depuis très longtemps au festival, est de retour avec une version
« de poche » de Cosi fan tutte de
Mozart (4/8, 21H30, cloitre), tandis que le grand répertoire symphonique occupe
aussi l'affiche avec Roger Muraro et l'Orchestre
Symphonique Ose !, dirigé par Daniel Kawka qui proposeront des œuvres de Ravel, Mahler et
Sibelius (13/8, 21H30, Théâtre de la Citadelle). Quant à l'Ensemble Sirba Octet, sa venue augure d'un enivrant et dépaysant
voyage à travers les musiques tzigane et klezmer
(9/8, 21H30, cloitre). Théâtre et comédie
musicale, ensuite, avec L'entretien de M.
Descartes avec M. Pascal le jeune : un magique moment de théâtre que la
pièce de Jean-Claude Brisville dont les acteurs ne
sont autres que Daniel et William Mesguich! Reconstitution imaginaire de la rencontre de Descartes et
Pascal au couvent des Minimes le 24 septembre 1647 (29/7, 21H30 cloitre St
Dominique). La
comédie musicale s'illustrera avec Irma la douce, un irrésistible concentré de gouaille parisienne que distilleront Lorànt Deutsch,
Marie-Julie Baup et Nicole Croisille
(26/7, 21H30, Citadelle). Chaque édition des
Nuits comporte aussi une soirée de danse, toujours impatiemment attendue. Avec
le spectacle « Rock the Ballet », celle confiée aux Bad Boys of Dance
ne déroge pas à la règle. Un vent de liberté made in New York promet de souffler sur le Théâtre de la
Citadelle (23/7, 21H30). Réservations :
Association « Arts, Théâtre, Monuments », Pavillon ATM, 1 allée de
Verdun, 04200 Sisteron ; par tel. : 04 92 61 06 00 ; par fax : 04 92 61 29 54 ; en ligne : www.nuitsdelacitadelle.fr 18 – 21 / 8 Les Rencontres musicales de Vézelay
Quelle que soit la route par laquelle il
aborde Vézelay, le voyageur a le souffle coupé. Que l'on vienne d'Asquins, d'Avallon, de Saint-Père ou de Clamecy, chacun de
ces accès dévoile la colline et la basilique sous un angle différent mais
toujours saisissant. L'itinéraire de cette nouvelle édition a été concocté avec
passion et enthousiasme. Ainsi on empruntera les sentiers balisés, des Vêpres de Monteverdi par Arsys Bourgogne et l'ensemble La Fenice
de Jean Tubéry guidé cette fois par Mihály Zeke (18/8, 21H Vézelay
Basilique) à la Passion selon Saint Jean
de Bach donnée par Aedes, Les Surprises et Mathieu
Romano (20/8, 21H Vézelay Basilique). On osera les chemins de traverse, avec Canticum Novum (19/8, 16H Église
Saint Jacques d'Asquins), les Neue Vocalsolisten Stuttgart (20/8, 16H Église Notre-Dame de
Saint-Père) ou le Chœur Magnificat de Budapest (19/8, 21H, Vézelay Basilique).
On entendra aussi Vocaldente, groupe allemand, dans
de la Pop vocale a cappella (19/8, 18H Vézelay plein air) ! Conduits par une boussole parfois
capricieuse, l'ensemble Gilles Binchois et les Sonadori
nous emmèneront de Tolède à Venise (18/8, 16H, Avallon, Église Saint Lazare),
en passant par l'Occitanie de la Mal Coiffée (18/8, 18H, Vézelay, plein air).
Le baroque celtique verra se produire Curious Bards,
ensemble original composé d'un violon baroque, d'un flûtiste, d'un chanteur,
d'un cistre, d'une harpe triple et d'une viole de gambe (19/8, 12H15, Vézelay,
cour du centre Sainte Madeleine). Les vents de la fanfare Danguba
pousseront le public jusqu'aux Balkans (20/8, 18H Vézelay, plein air). Quel
voyage ! Un autre originalité de ce festival de la
voix est d'organiser des ateliers quotidiens (15H, Place des Rencontres) de
découverte de la voix à destination des enfants de 6 à 14, sous la houlette
d'intervenants musiciens professionnels. Renseignements
et réservations : par tel.: 03 86 94 84 40 ; en ligne : billetterie@rencontresmusicalesdevezelay.com ou www.rencontresmusicalesdevezelay.com 18 / 7 – 3 /8 L'Académie Festival des Arcs
La programmation aura 3 grands
axes. D'abord une thématique : « le groupe
des six » qui réunissait autour de Jean
Cocteau Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger,
Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre. L'occasion pour le
festival d'explorer ce Paris de l'après guerre et son
avant-garde artistique. Puis le grand
répertoire de la musique de chambre :
de Bach à Schönberg, des " Schubertiades " quasi quotidiennes aux compositeurs
de notre temps, le festival est l'occasion de découvrir ou de redécouvrir les
chefs-d'œuvre du répertoire, interprétés par une soixantaine d'artistes de renom, lors des quelques 40 concerts gratuits. Enfin un
compositeur en résidence, le pianiste
et compositeur Jean-Frédéric Neuburger dont seront interprétées une dizaine de ses œuvres et une création pour piano à
4 mains, le 2/8. Au titre des temps forts de cette 43 ème édition : - la journée consacrée à Henri Dutilleux (27/7) à l'occasion du centenaire de sa naissance avec des
conférences, des projections et un concert consacrés à sa musique - la journée Bach (28/7) et
ses concerts à la Chapelle des Vernettes perdue à
1900 mètres d'altitude dans un écrin naturel digne de recevoir la musique du
Maître ! - une
soirée consacrée aux musiques de film (24/7) - les concerts jeunes publics, les conférences et les visites
guidées de la station - les cartes blanches d'Olivier Baumont (clavecin) et Bruno Maurice (accordéon),
le 22/7. De nombreuses surprises
compléteront la programmation. Côté
Académie, on attend une affluence record de
près de 200 stagiaires du monde entier, qui viendront se perfectionner auprès
de plus de 40 professeurs de renommée internationale. On pourra, lors de la
journée portes ouvertes, assister à des master classes publiques et apprécier
lors des concerts de l'Académie le travail fourni par ces jeunes musiciens dont
certains seront les stars de demain. Enfin le pôle chant et ses 25 artistes lyriques offriront deux concerts dont une transcription de
Jean-Frédéric Neuburger de L'Heure espagnole de Maurice Ravel. Renseignements et location :
14, rue de Surène, 75008 Paris ; par tel : 01 40 07
11 48 ; en ligne : contact@festivaldesarcs.com ou www.festivaldesarcs.com Bureau de l'Académie-Festival
aux Arcs (du 16/7 au 3/8) : Skishop de l'Hôtel du Golf,
Arc 1800. 22 - 27 / 8 Sinfonia en
Périgord
Les grandes fresques chorales feront l'évènement à Périgueux et dans ses environs pour le 26 ème festival Sinfonia en Périgord. On entendra ainsi la Passion selon Saint
Jean de JS. Bach avec l'Ensemble Les Surprises et
le choeur Aedes dirigés par Mathieu Romano (24/8, 21H, Eglise
de la Cité, Périgueux), ou des musiques de Tomas Luis de
Victoria par l'Ensemble Sagittarius et le choeur Dordogne en Sinfonia dirigés par Michel Laplénie
(22/8, 21H Eglise de Razac-sur-L'Isle). Ce même ensemble donnera des pages de Buxtehude (23/8, 21H, Abbaye de Chancelade). Le Maginificat de Vivaldi sera joué par la Maîtrise
de Radio France et l'Ensemble Pulcinella
dirigé par Ophélie Gaillard
(26/8, 21H, Eglise de la Cité,
Périgueux). Les Vêpres
de Monteverdi connaîtront une
version mise en espace et en lumière par la Compagnie La Tempête de Simon
Pierre Bestion (27/8, 21H, Théâtre
L'Odyssée, Périgueux). Pour sa dernière
année de résidence, le
Concert spirituel et Hervé Niquet donneront deux soirées sous le signe de l'Italie, la première, autour de
Vivaldi, avec les solistes de l'ensemble
(24/8 , 17H, Abbaye de Chancelade), la seconde réunissant les compositeurs
Marc-Antoine Charpentier, Lorenzani
et Benevolo (25/8, 21H, même
lieu). Se produiront encore la Chapelle
Rhénane dirigée par Benoit
Haller dans un programme
''La Rose des Vents'' juxtaposant Telemann,
Buxtehude, Bach, Schütz et Schein (23/8, 17H, Abbaye de Chancelade). La curiosité du festival envers les talents nouveaux s'exprimera
comme chaque année avec la série des concerts découverte "Jeunes talents
Sinfonia", du 23 au 27 août, présentant
des artistes émergents, dans
divers lieux du département.
Réservations :11 place du Coderc, 24000 Périgueux ;
par tel.: 05 53 08 69 81; en ligne
: www.sinfonia-en-perigord.com. 27 / 8 – 9 / 10 Le Festival de Royaumont
Après une campagne de rénovation considérable (restauration du Bâtiment
des moines, amélioration et
accroissement des équipements
résidentiels) le Festival de Royaumont
fait peau neuve. Il renoue avec la formule d'un seul tenant, l'espace de six week end, du 27 août au 9 octobre. De la création de Carré Magique du compositeur Jean- Luc Hervé dans le Potager-Jardin (27/8) aux
polyphonies de la Renaissance, "Musiques de scène anglaises au temps des Stuart", par l'Ensemble
Le Caravansérail dirigé par
Bertrand Cuiller (11/9) ou
un programme "Dufay en Italie" par Graindelavoix (même date). Des musiques transculturelles, le week end des 17-18 septembre,
avec des compositions de Lorenzo Bianchi-Hoesh
sous la direction de Marc Nammour, puis une "Nuit Magic Malik", ou
encore à un programme intitulé « Kit de survie », à la
création chorégraphique, le week end du 24-25
septembre : ''une traversée dans le temps de la danse'' sera la clé d'une série
de propositions de Daniel Larrieu, Pascale Houbin et Dominique Boivin (« En piste »),
d'Eloïse Deschemin et Diane Peltier (« Étude de
cas : Eloïse D. »), de Fabrice Dugied (« La collection Lise B
. »), de l'ensemble les Jerks Maurice Béjart pour une chorégraphie du
Grand Remix de la Messe pour le temps présent de Pierre Henry. La série
« Voix Nouvelles » fait aussi peau neuve ce dont témoigne le week-end
des 3 ou 4 septembre résolument orienté vers la jeunesse et l'aventure : aussi
bien « Autour de Xenakis » par Stéphane Thomopoulos,
piano, ou « Sideshow » de Steven Tagasaki par le Talea ensemble,
qu'un programme « Humoresque » par la
pianiste Imri Talgam qui
jouera Asperghis, Ligeti, Nancarrow
et Schumann, ou encore celui titré « Le madrigal retrouvé » par
l'ensemble vocal Exaudi de James Weeks.
Les
claviers seront à l'honneur : riche de l'exceptionnel fonds de la Bibliothèque
Musicale François-Lang, auquel s'ajoute désormais celui de la Médiathèque
Musicale Mahler, partenaire de la Fondation, Royaumont réserve une place de
choix au piano cette année. Avec Johann Jakob Froberger dont on pourra
découvrir des inédits sous les doigts d'Andreas Staier
(2/10) mais aussi d'autres pièces illustrées par l'ensemble Les Cyclopes
« Froberger et ses contemporains », 1er/10), et encore
« Froberger ; goût français et stylus fantasticus » par La Sainte folie fantastique (2/8).
Ainsi qu'à travers le piano du XIX ème siècle au
cours d'un week-end consacré à l'« Éloquence
romantique au piano », les 8 et 9/10, autour de Beethoven et de Chopin. Du
premier, dans le cadre du concert « De l'art concertant au piano
solo », on pourra entendre des sonates pour violon et piano et la sonate
op. 109. Et lors d'« Une Nuit Beethoven »,
partagée entre Elizaveta Miller et Alexei Lubimov, un choix
exhaustif de sonates. Du second, « La vocalité
au piano » sera l'occasion de se plonger dans certaines de ses pièces
emblématiques mises en regard avec des morceaux de Carl Friedrich Zelter,
Johann Gottlieb, Karl Spazier, Friedrich Wilhelm
Rust, Carl Loewe et Robert Schumann. Et sur le thème « Chopin, plasticité
et avant-garde », on savourera des pièces choisies par Edoardo
Torbianelli. La grande Bernarda
Fink se produira aussi dans un florilège des Lieder de Mahler (10/9) et Raphael
Pichon et Pygmalion dans une soirée « La Pellegrina
– Fêtes polychorales pour les Médicis » (1/10).
Renseignements et réservations : par courier à la Fondation Royaumont, 95270 Asnières-sur-Oise,
et sur place à l'accueil-billetterie ; par tel. : 01
30 35 58 00 ; en ligne : www.royaumont.com 16 / 9 - 9 / 10 Ambronay, le nec
plus ultra du baroque Peu des festivals sont aussi attachants que
celui niché dans la petite bourgade rurale d'Ambronay
aux confins du Bugey. On y joue de la musique baroque depuis des lustres dans
une abbatiale d'un roman épuré, et sous un chapiteau voisin permettant de
diversifier l'offre. Pour cette 37 ème édition
(16/9-9/10), placée sous le signe des « Vibrations : Lumières », on a
voulu « éprouver les sensations si vibrantes que procurent la musique
vivante et les arts du spectacle », proclame Daniel Bizeray
son directeur général. On se laissera donc éblouir, au fil de quatre riches « week end », par toutes sortes de musiques de JS. Bach
d'abord, mais pas seulement. Dont les pages seront déclinées par le nec plus
ultra du baroque. S'ils ne sont bien sûr pas tous là, bien peu manquent à
l'appel, solistes et ensembles tant appréciés céans. Ainsi des ''anciens'' : le
Collegium Vocale Gent de Philippe Herreweghe, pour
des cantates de Bach (16/9), les Talens Lyriques de
Christophe Rousset, pour Tamerlano de
Haendel (7/9), ou les Arts Florissants de William Christie, dans les cantates
profanes de Bach (25/9). Les formations associées ou en résidence ensuite, qui
feront jaillir la lumière des grandes œuvres sacrées baroques : la Passion
selon Saint Matthieu par le Concert Étranger d'Itay
Jedlin qui promet une version épurée à un chanteur
par pupitre pour chaque chœur « afin de se rapprocher du côté
madrigalesque » (9/10). Mais aussi The Fairy Queen de Purcell par les Nouveaux Caractères de
Sébastien d'Hérin (24/9). Les musiques sacrées et profanes
d'Amérique du sud seront illustrées par la Cappella Mediterranea,
l'ensemble Clematis et le Chœur de chambre de Namur,
dirigés par Leonardo García Alarcón (23/9). La mise
en regard intéressante de pages de Charpentier et de Purcell, à propos de
« Cécile, vierge radieuse », on la devra à Correspondances et Sébastien Daucé (18/9). Sous le motto
« Bach Luminoso », Damien Guillon et le
Banquet Céleste associeront des pièces de Bach (le Psaume 51 d'après le
Stabat Mater de Pergolèse) et le Nisi
Dominus de Vivaldi (2/10). Les nouveaux venus encore, car la spécificité d'Ambronay est de propulser les jeunes talents, et ils seront
légion et engagés. On ira jusqu'à Ambérieu-en-Bugey pour entendre Les
Eléments, un ballet de cour créé pour Louis XIV par Destouches et
Delalande, couplé avec des extraits de la Water Music de Haendel
(Ensemble Les Surprises, 28/9), et au superbe Monastère royal de Brou pour
l'oratorio d'Antonio Bertali, La Maddalena,
donné par Scherzi Musicali
(6/10), et même jusqu'à l'Auditorium de Lyon où Jordi Savall
livrera avec Hespèrion XXI un récit en musiques des
voyages initiatiques de l'écrivain Ibn Battûta (3/10).
La musique de chambre ne sera pas oubliée : par des sonates en trio de Bach
dans une version inédite pour deux clavecins, et des fugues de Mozart et de Clementi, par García Alarcón,
Jean Rondeau, et Thomas Dunford au théorbe (30/9); ou avec l'ensemble Repicco qui
« dansera vers les étoiles » sur des musiques de Stradella, Falconieri, Kapsberger ou Biber
(17/9).
La voix, on la célébrera aussi avec Philippe Jaroussky, Imaginarium et Enrico Onofri sur des musiques nocturnes (7/10). Comme par des
madrigaux de Monteverdi interprétés par les Arts Florissants et Paul Agnew (8/10). Une soirée exceptionnelle « Jonas et la
Tempête » permettra d'une part, de tirer un fil original entre Rameau et
Purcell dont on entendra des airs et danses d'opéras, d'autre part, de
découvrir un oratorio de Giovanni Battista Bassani Il
Giona. Deux ensembles seront à la manœuvre : Les Ombres et Chomie d'Oro (1/10). Sans compter
bien des événements autour du festival : les ''Afters'',
qu'ils soient ''métissé'', ''musique du monde'', ''déjanté'' ou encore
''baroque et pop'' ; les ateliers, d'ombres chinoises, de chant et harpe, de
chant pour amateurs ou de jonglerie en musique, dans l'abbaye ou en plein air
dans le parc de la mairie. Mais aussi des conférences et des ''mises en
oreilles'' pour se préparer aux concerts, menées par des étudiants du
département de culture musicale du CNSMD de Lyon. Le festival c'est encore le
festival EEEmerging (contraction de Emerging European Ensembles) qui
au long de ses trois parties, lors du denier week
end, découvrira des nouvelles pépites de musiciens pour demain. Car à Ambronay, qui se veut d'abord et avant tout un centre
culturel de rencontre, on travaille inlassablement à façonner la relève. En
tout cas, la programmation a été conçue toute en contrastes et en clairs-obscurs. L'automne sera intense à Ambronay et en terres burgiennes. Il faut y aller pour
savourer une expérience loin du stress ambiant et surtout se ressourcer. Renseignements et réservations : Centre
culturel de rencontre d'Ambronay, Service Location, Place de l'Abbaye,
BP. 3, 01500 Ambronay ; par tel. : 04 74 38 74 04 ;
en ligne : location@ambronay.org ou www.ambronay.org.
Possibilités de restauration sur place. Jean-Pierre Robert.
*** PAROLES D'AUTEUR
Le Chamber Orchestra of Europe a 35 ans Alors tout jeune orchestre – 2
ans d'âge – la critique spécialisée Nord Américaine
estimait que le Chamber Orchestra of Europe (COE)
était le meilleur orchestre de chambre au monde, qualité de nouveau reconnue
plusieurs décennies plus tard par la BBC. Cette constance dans l'éloge n'est pas due au
hasard. Plusieurs facteurs permettent de comprendre le mystère de
l'exceptionnelle qualité de l'Orchestre : son origine, la réunion de
musiciens ayant le souci de mettre leur talent au service de l'ensemble, leur
mode de désignation assez particulier, une fidélité largement répandue parmi
eux et en toute circonstance une attitude généreuse jamais prise en défaut. Il
en résulte non seulement des interprétations merveilleuses, mais une
appréciation de la part des solistes et chefs invités particulièrement
enthousiaste pour ne pas dire plus. Il s'ensuit que nombre des interprétations
du Chamber Orchestra of Europe sont marquantes et
s'inscrivent dans l'histoire de l'interprétation des œuvres.
L'origine C'est en 1981 que des membres de l'Orchestre
des Jeunes de la Communauté Européenne ayant atteint les 24 ans qui leur
interdisaient de poursuivre l'aventure de cet orchestre décidèrent de se
regrouper afin de réunir leur talent, nonobstant leur carrière naissante au
sein de grands ensembles de niveau international. Il y avait donc à la fois le
souhait de poursuivre une collaboration fondée sur de réelles affinités
artistiques ainsi que la conviction que l'exercice du métier et sa progression
ne pouvaient s'accomplir que dans la diversification d'expériences
judicieusement choisies : jouer dans un grand orchestre symphonique et se
retrouver dans un ensemble tel le COE, voilà qui semblait bien pouvoir répondre
à cette préoccupation. Il fallait bien sûr qu'une personnalité
indiscutable, aimée, soutienne l'initiative, en soit même le guide, capable de
mettre en valeur la qualité de chacun des musiciens, sans pour autant brider
leur enthousiasme mais au contraire en les aidant à s'exprimer pour atteindre
les plus hauts sommets. Cette personnalité ne pouvait être que Claudio Abbado
qui déjà connaissait les initiateurs du projet pour les avoir côtoyés à l'occasion
des sessions de l'Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne (EUYO) créé
en 1978 et dont il était le Directeur musical. Le talent au service de l'ensemble Être dès le début qualifié de « meilleur
orchestre de chambre au monde » ne tenait pas seulement au fait de la
présence attentive de chefs comme Claudio Abbado ou Nikolaus Harnoncourt. Il y
avait chez les musiciens de l'Orchestre, conscients de leur talent, le désir de
mettre celui-ci en commun pour faire ENSEMBLE de la musique. Les exemples suivant
illustrent cette préoccupation. C'est le cas du hautboïste
Douglas Boyd, un des fondateurs de l'orchestre ; virtuose reconnu de son
instrument il va devenir par la suite un chef estimé, aujourd'hui directeur
musical de l'Orchestre de Chambre de Paris. Quant au flûtiste Jacques Zoon, très tôt membre du du COE,
il a été première flûte au Concertgebouworkest
d'Amsterdam ainsi qu'à l'Orchestre Symphonique de Boston tout en conduisant une
carrière internationale en tant que soliste. Marieke Blankestijn, présente dès l'origine dans l'Orchestre dont
elle est toujours l'une des deux violons solos, tient la même fonction à
l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam que dirige Yannick Nézet-Séguin.
Le percussionniste John Chimes, toujours en activité
au COE, avait été en son temps sélectionné par Pierre Boulez au sein de
l'orchestre de la BBC où il resta 39 ans ; on constate qu'il est toujours
acclamé à l'issue de chaque concert. On pourrait multiplier les exemples de
musiciens aussi remarquables. On peut citer François Leleux
hautboïste de grande renommée qui était dans l'effectif il y a encore peu, et
parmi les jeunes, Lorenza Borrani
violon solo de l'orchestre, que Claudio Abbado choisissait pour intégrer
l'Orchestre du Festival de Lucerne. Elle est par ailleurs à l'origine de
l'étonnant projet « Spira Mirabilis ». Ellle se produit souvent au sein de formations de chambre
et sera la cheville ouvrière à l'automne prochain de tout un programme Mozart
au Japon avec les musiciens du COE. Il y a aussi dans l'effectif Luise Buchberger, par ailleurs violoncelliste co-soliste
de l'Orchestra of the Age of Enlightenment, Simone Jandl, digne disciple de l'altiste Tabea
Zimmermann, Romain Guyot, l'un des clarinettistes majeurs du moment, Clara Andrada de la Calle qui contribue à maintenir le plus haut
niveau du pupitre de première flûte au COE tout en assurant le même rôle au
sein du très bel Orchestre Radio Symphonique de Francfort (HR-Sinfonieorchester)... Mais n'évoquant que quelques noms, on peut
donner le sentiment d'être injuste pour les autres alors qu'ils ont autant de
mérites. Tous les musiciens de l'orchestre, depuis le début de l'existence de
la formation, sont des solistes de tout premier ordre, mais qui sont avant tout
MUSICIENS, s'unissant dans une même dynamique d'ensemble mettant au service des
œuvres interprétées des sonorités à la fois subtiles et puissantes. Même une
oreille peu exercée peut le constater et comprendre que cela provient notamment
d'un engagement total des musiciens : on le voit dans l'amplitude des
gestes de la part en particulier des instrumentistes à cordes, ainsi que dans
l'attention jamais relâchée de tous y compris lorsque la partition ne les
sollicite pas. On peut aussi remarquer les échanges de regards qu'il y a en
permanence entre eux, manifestation éclatante de leur totale complicité.
D'autres fois on surprend des sourires soulignant sans doute la satisfaction
d'avoir réussi un trait sur lequel les uns et les autres ont sans doute
travaillé durement. En un mot, ils aiment ce qu'ils font et le font partager au
public, ce qui a pour conséquence que chacun de leur concert est, certes, une
expérience artistique mais aussi une expérience humaine.
Un recrutement original et une fidélité largement partagée Cette atmosphère qui règne au sein de
l'Orchestre n'est pas le fait du hasard : les musiciens sont réunis selon
des règles particulières et restent souvent attachés à l'ensemble pendant de
longues années. A l'origine de l'Orchestre, on l'a indiqué plus haut, il y a eu
une démarche volontaire des artistes issus de l'orchestre des Jeunes de la
Communauté Européenne. Ils avaient un même désir de poursuivre une démarche
artistique alliant excellence et affinité. Il s'agissait de ne pas
« exécuter » les œuvres du répertoire sous l'autorité d'un chef
omnipotent, mais de les aborder suite à une confrontation des conceptions des
uns et des autres, sachant que le chef aurait in fine le dernier mot. Nous
verrons plus loin l'appréciation de maîtres les ayant dirigés tout en respectant
cette démarche de confrontation conçue comme un approfondissement. Aujourd'hui le recrutement se fait de façon
plus classique. Ainsi un candidat enverra son CV et un enregistrement qui
seront réceptionnés par le directeur du personnel. Celui-ci fait parvenir ces
deux documents au pupitre concerné, sachant que pour les vents ce sont tous les
vents/musiciens
concernés qui en seront destinataires en vue de participer au
choix. Ensuite si les musiciens le demandent, il y a audition du candidat. En cas
de sélection, l'intéressé(e) sera admis(e) dans l'effectif de divers concerts,
mais à l'essai, et ce autant de fois que les membres de l'orchestre le jugeront
utile. Ce n'est qu'à l'issue de ce processus que le candidat est susceptible
d'être inscrit sur la liste des musiciens du COE. C'est ainsi qu'on peut penser
que le choix est bien sûr artistique, mais que les membres de l'Orchestre sont
aussi attentifs à la capacité d'intégration du postulant dans un collectif aux
caractéristiques bien particulières. C'est qu'une fois intégré dans la
« famille » du COE, on y reste de nombreuses années, non par
obligation, mais parce que l'on adhère a
une démarche esthétique originale, dans un esprit de rare complicité. On ne
doit alors pas s'étonner de trouver encore une douzaine de musiciens fidèlement
attachés à l'Orchestre après plus de 30 années de collaboration. On a évoqué Marieke Blankestijn, mais on doit
ajouter d'autres violonistes : Fiona Brett, Joe Rappaport,
Iris Juda, Elisabeth Wexler, les altistes Stephen
Wright et Dorle Sommer, le violoncelliste Will
Conway, le contrebassiste Enno Senft,
le bassoniste Chris Gunia, le trompettiste Julian Poore, le corniste Peter Richards et le tromboniste basse
Nicholas Eastop.... N'est-ce pas là une explication
de l'homogénéité du COE si souvent soulignée ! Que disent les solistes et chefs qui collaborent avec le
COE ; quelles preuves apportent-ils de leur véritable amour de cet orchestre? Si le public et la critique reconnaissent les
vertus de l'ensemble, les solistes et les chefs invités ne sont pas moins
élogieux. Tout dernièrement la violoniste Patricia Kopatchinskaja
a donné son sentiment sur ce qu'elle ressentait suite à son contact avec le
COE : « COE is
not even a dream ; it is a dream...in
a dream …It starts to be a relationship for all life
and all about love....It is really music-making ».
Elle a dû aussi être sensible à la générosité contagieuse de l'orchestre en se
fondant, le temps de la Septième Symphonie de Beethoven, dans le pupitre des
cordes : il s'agissait de prendre la place d'une violoniste se trouvant
dans l'incapacité d'assurer la seconde partie d'un récent concert à
Bordeaux ; preuve s'il en était besoin d'une affinité profonde et d'un
partage de valeurs identiques de la virtuose moldave avec le COE ! Ce
concert était partie d'une tournée qui ne fut du reste pas un fleuve
tranquille : elle devait être dirigée par Vladimir Jurowski ;
or il tomba malade....Thierry Fischer, ancienne
première flûte du COE, alors Outre-Altlantique, dut
sauter dans l'avion, et étudier tout au long du vol une partition qu'il ne
connaissait pas, la Symphonie de Chambre n°10 Op.98 de Mieczyslaw
Weinberg. Nul doute que si le COE avait été composé d'instrumentistes imbus
d'eux-mêmes, potentiellement inamicaux vis à vis des chefs, Thierry Fischer ne
se serait pas engagé dans une telle aventure qui le vit dès son arrivée en
France amorcer les répétitions ! On peut penser que ce qu'il a fait
constitue plus qu'un témoignage d'amitié et d'admiration ! Rares en tout cas sont les orchestres pour
lesquels un chef serait prêt à s'envoler pour les sortir d'une situation
épineuse, quelles que soient les difficultés à affronter.... Mais avec le COE
il sera certain de trouver plus que des partenaires, des complices. Bien
d'autres éloges ont été émis, tel celui de Pierre-Laurent Aimard : « ….ce sont les musiciens les meilleurs du monde
qui se sont réunis pour ce projet.....Ils sont incroyablement cultivés et cet
orchestre est d'une merveilleuse pureté musicale ». Emmanuel Ax dit que les musiciens « ont pour objectif de partager leurs talents individuels et de produire
une vision unifiée de la musique qu'ils jouent ». Ivan Fisher affirme
que « le COE est extraordinaire, une
véritable source d'inspiration ».
Quant à Bernard Haitink,
il estime qu'avec le COE il n'a « plus
le sentiment d'être un chef d'orchestre mais plutôt un musicien qui fait de la
musique avec eux. Ils se respectent, ils s'aiment beaucoup, ils adorent la
musique et travailler avec eux est une bouffée d'air frais. Parce que le COE
est compact, on peut aller vraiment au cœur des œuvres. C'est très intéressant.
Je les adore » (BBC 4- 2015). Le même Bernard Haitink
déclarait au Figaro, en 2011,« en véritables
chambristes, [ les musiciens du COE] sont habitués à s'écouter, sans se
focaliser sur le chef d'orchestre. Cela correspond exactement à l'idée que je
me suis toujours faite de la direction d'orchestre ». Quant à Claudio
Abbado, à l'occasion de la parution de l'enregistrement du Voyage à Reims de
Gioacchino Rossini, il déclarait, selon le/dans le numéro 1866 de Télérama
d'octobre 1985 : « Pour le
''Voyage à Reims'', j'avais besoin de leur enthousiasme, plus riche que dans
les grands orchestres professionnels où l'on joue souvent par obligation, plus
préoccupé par les problèmes syndicaux que par la musique .
Là, il n'est jamais question de discipline. D'eux mêmes,
en quatuor ou en octuor, ils travaillent les passages les plus difficiles.
L'Orchestre de la Communauté Européenne est une expérience et un exemple
unique. Pour les jeunes comme pour moi. Toutes nationalités confondues, seul
l'amour de la musique nous rassemble ». Nous pouvons affirmer que cet état d'esprit
est toujours d'actualité. La « relève », associée aux musiciens à
l'origine du projet pérennise la démarche, et chaque concert est une affaire
avant tout d'artistes unis par une même conception de la musique. Quelle marque laisse le Chamber Orchestra of Europe à travers ses concerts et
enregistrements ? A première vue, on peut penser que seuls les
enregistrements assurent à l'orchestre son inscription durable dans l'histoire
de l'interprétation musicale. Affirmons ici que le souvenir de concerts
contribue aussi à l'écriture de cette histoire.... Sinon on ne parlerait pas de
concerts mémorables (lesquels aujourd'hui font de plus en plus l'objet
d'édition audio et/ou vidéo). S'agissant de concerts mémorables, beaucoup
gardent vivant le souvenir de ceux dirigés par Claudio Abbado ou Nikolaus
Harnoncourt. Plus récemment, lors de leurs passages à Paris, on évoquera le
concert dirigé par Ivan Fischer avec en soliste Julia Fischer dans une
interprétation d'anthologie du Concerto pour violon de Félix Mendelssohn en
2010 à la Cité de la Musique. Rappelons-nous aussi des symphonies de Beethoven
d'une totale plénitude dirigées par Bernard Haitink à la salle Pleyel en 2012. Mais tous les concerts
du maître hollandais avec le COE sont une leçon de probité exemplaire, offrant
à l'auditeur le sentiment de pénétrer au cœur de la création musicale. En 2014, Yannick Nézet-Séguin
a su rendre le romantisme de Robert Schumann dans toute sa spontanéité tout en
allégeant une orchestration réputée compacte, et fin 2015 ce fut l'intégrale
des symphonies de Mendelssohn qui ont enthousiasmé le public de la Philharmonie
de Paris sous la direction du chef canadien. Ces deux intégrales symphoniques
ont du reste été enregistrées, celle de Mendelssohn étant en attente d'être
publiée alors que celle de Schumann est déjà diffusée. Ce sont quelques 250 enregistrements qui
parcourent l'histoire du COE et parmi ces 250 pierres de l'édifice, nombreuses
sont celles qui constituent des étapes marquantes de l'interprétation et sont
même parfois des révélations. Le premier disque publié fut déjà en son temps un
événement. Il s'agissait de La Donna del Lago de Rossini dirigée par Maurizio Pollini, captée en direct du festival de Pesaro (1984), et
considéré comme étant le premier enregistrement mondial de l'œuvre. Il fut
suivi peu après du Voyage à Reims du même Rossini, qui fut d'une part
une révélation quant à l'œuvre, d'autre part une révélation quant à la qualité
exceptionnelle de l'orchestre – finesse, précision, musicalité, virtuosité. On évoquera aussi les enregistrements de
Nikolaus Harnoncourt qui offrent en héritage une approche novatrice des
symphonies de Beethoven (début des années 90) ou des Cinq concertos pour piano
avec Pierre-Laurent Aimard (2004). Bien évidemment on
ne peut passer sous silence l'ensemble des enregistrements dirigés par Claudio
Abbado. Retenons pourtant plus particulièrement les 5ème et 6ème Symphonies de
Schubert d'une élégance et profondeur inégalées (1988). L'héritage est aussi
constitué par un répertoire contemporain audacieux avec par exemple
l'enregistrement du Concerto grosso n°1 d'Alfred Schnittke
dirigé par Heinrich Schiff (1990) ou celui consacré à
des œuvres de Salvatore Sciarrino (Autoritratto nella notte), György Ligeti (6 Bagatellen
für Bläserquintett et
Doppelkonzert für Flöte und Oboe)
et Arnold Schoenberg (Kammersymphonie n°1)
avec Claudio Abbado au pupitre (1997). Nous avons conscience d'être injuste en ne
citant pas tous les enregistrements du COE, alors que tous sont exemplaires et
méritent de figurer au premier rang de la discothèque de l'honnête homme. Et
cela comprend les toutes récentes publications qui confirment la constance de
la qualité des instrumentistes : c'est le cas du CD Mozart avec le
Concerto pour clarinette K.622 interprété par Romain Guyot et le Quintette
K.581 qui associe le clarinettiste avec ses partenaires du COE, les violonistes
Lorenza Borrani et Mats Zetterqvist, l'altiste Pascal Siffert
et le violoncelliste Richard Lester.
L'anniversaire Un tel bilan après 35 ans ne pouvait pas ne
pas être célébré ! C'est donc tout naturellement que l'orchestre se fit un
devoir d'offrir au public le meilleur de lui-même au cours d'une tournée qui le
vit successivement à Ferrare le 18 mai ( jour
anniversaire de sa première prestation à Londres au Merchant Taylors' Hall ), Reggio Emilia,
Wuppertal. Le dernier concert de la tournée, à Birmingham, était suivi d'un
concert privé à Londres (Saint John's, Smith Square) le 24 mai avec tout un
programme Mendelssohn : l'ouverture Les Hébrides, le Concerto
pour piano n°1 et la Symphonie Écossaise, le tout dirigé et joué par
Sir Andras Schiff avec
énergie, mais surtout grande compréhension des œuvres et un goût très sûr. On
comprend qu'il soit par ailleurs membre d'honneur de l'Orchestre, à l'instar de
Bernard Haitink et de Alice Harnoncourt. Lors de son discours, le président Peter Readman a su faire partager à l'audience son émotion
lorsqu'il a évoqué la mémoire de Claudio Abbado, Paavo
Berglund, Nikolaus Harnoncourt, mais aussi celle d'un
musicien de l'orchestre fidèle parmi les fidèles, le contrebassiste Lutz
Schumacher décédé il y a un an. L'évoquer au même titre que les trois chefs démontre clairement que chacun à partir du moment où il fait
partie de la famille du COE, compte de la même manière. Trente cinq ans est
un âge de maturité. Le monde de l'art, et pas seulement celui de la musique,
doit souhaiter vivement que soient fêtés d'autres anniversaires du COE. De
grands moments par ailleurs sont encore attendus. Après Cosi
fan tutte, Don Giovanni, L'Enlèvement au Sérail et Les
Noces de Figaro, devraient encore être enregistrés, avec le même chef
Yannick Nézet Séguin, les années à venir à la Festspielhaus de Baden-Baden, les autres opéras de Mozart : La
Clémence de Titus, La Flûte enchantée, Idoménée.
Mais la conclusion de cette évocation du Chamber Orchestra of Europe ne sera pas à proprement
musicale. Elle se veut une illustration de la sensibilité généreuse des
artistes qui composent cette fabuleuse phalange. A l'occasion d'un récent
concert à Bordeaux que nous avons déjà évoqué, pendant la Septième Symphonie de
Beethoven un téléphone sonne. Immédiatement le public se met à huer la personne
fautive qui se trouve être une dame âgée. Celle-ci affolée ne parvient pas à
interrompre la sonnerie intruse et tombe en pleurs, ne supportant pas l'ire de
la foule.... Les membres de l'orchestre bien sûr constatent l'incident. Dès la
fin du concert plusieurs d'entre eux se précipitent dans les couloirs de la
salle pour essayer de lui parler... .ce qu'ils purent
faire en ces termes : « mais Madame, ce n'est pas grave et ça peut
arriver » ; dans cette attitude on a l'illustration de la nature
délicate de ces musiciens qui avant tout ont une sensibilité et une générosité
qui les conduit à ne pas supporter ce qu'ils ont estimé être une humiliation
inutile subie par cette dame. La sonnerie de son téléphone ne gênait pas le
déroulement du concert, moins en tout cas que la réaction violente d'une partie
de la salle. C'est cela aussi le Chamber Orchestra of
Europe ! Q mai Gilles Ribardiere. ***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
Le Chant des Muses, la dernière création de Xu Yi
Xu Yi est membre de la génération de la Nouvelle Vague (Xinchao 新潮) à l'instar d'autres compositeurs
chinois reconnus qui tous ont été formés à l'étranger, comme Chen Yi (陳怡 1953), Zhou Long (周龍 1953),
Ge Gan-ru (葛干孺
1954), Sheng Zongliang (Bright Sheng 盛宗亮 1955), Ye Xiaogang (葉小剛 1955), Tan Dun (譚盾 1957)
aux Etats-Unis ; Wen Deqing (溫德清 1958) en Suisse ; Chen Qigang (陳其鋼 1951), Zhang Xiaofu (張小夫 1954), Xu Shuya (許舒亞 1961), Xu Yi (徐儀 1963)
en France ; Chen Xiaoyong (陳曉勇 1955) en Allemagne etc. (1) Ils ont tous quitté la Chine après
la révolution culturelle et ont rejoint le domaine de la musique contemporaine
en Occident. Xu Yi en France et Chen Yi aux Etats-Unis sont deux rares
compositrices de leur époque. Xu Yi arrive à
Paris en 1988 et complète ses cursus IRCAM (1990-1991) et CNSMDP (1991-1995)
couronnés par le Prix Villa Médicis en 1996-1998. Elle est la première compositrice
chinoise à briller sur la scène française avant une autre
compositrice Tian Leilei (田蕾蕾 1971) qui a également accompli le cursus de l'IRCAM et a été pensionnaire de la Villa Médicis en
2012-2013. (2) Après Chen Qigang, Xu Yi doit être la compositrice
chinoise la plus reconnue en France dans le domaine contemporain grâce à son
œuvre. Le plein du Vide (1997) pour
quatorze instruments et dispositif électronique a été sélectionnée pour
l'épreuve de musique du Baccalauréat en 2006-2007. De nombreux
articles(3) analytiques de cette pièce ont été publiés par des
compositeurs et musicologues. Xu Yi conserve une certaine visibilité depuis ses
premières créations depuis 1991 en France, dans un domaine quasi masculin. Cet
intérêt s'explique peut-être par la profondeur de sa pensée fondée sur le taoïsme et partant en constante
évolution. Elle a développé cette pensée sous
des angles tant spirituels qu'intellectuels qu'elle a inscrit dans son langage
musical à travers toutes sortes de formations : écriture instrumentale et
mixte, pièces solistes, ensemble et orchestre, musique de film et opéra. Ces schémas contraints, fortement
influencés par le taoïsme, qu'elle décrit comme étant « ses propre recettes"
sont à l'image du système de cryptogramme utilisé plus fréquemment à partir du
XIXe siècle par des compositeurs comme Maurice Ravel, Alban Berg,
Olivier Messiaen et Elliott Carter… le plus célèbre étant certainement le motif
sur B-A-C-H. Elle emploie régulièrement depuis
1991 et pour la première fois son système théorique personnel issus du I Ching
dans l'œuvre mixte Tui pour
contrebasse et station audionumérique stéréo créée à l'IRCAM en 1992, l'image extrêmement connue des
cent-quatre-vingt-douze quart de tons basés sur les soixante-quatre hexagrammes
(voir l'image
ci-dessous).
Sa démarche compositionelle se fonde sur toutes les pratiques disponibles dans
le corpus du taoïsme qui va de l'exploitation quasi mathématique des
soixante-quatre hexagrammes à l'interprétation des oracles couramment pratiqués
dans cette pensée propre à l'univers de la Chine.
Création Le Chant des Muses Depuis son arrivée en France, Xu Yi occupe une place importante
dans le monde de la composition contemporaine et est devenue une personnalité
notoire pour les compositions pour voix(4) (chants a capella, choeurs
d'enfants, mélodrames) qui influencent directement son écriture
instrumentale liée
à la recherche sur l'intonation vocale propre à la langue chinoise. Plusieurs œuvres ont mis en valeur
cette caractéristique entre instrument et voix à l'image de la dernière création Le
Chant des Muses
pour soprano, trois ténors, choeur et treize musiciens, commande du COSU
(Choeur & Orchestre Sorbonne Universités). Cette pièce a été créée dans le Grand
Amphithéâtre
de la Sorbonne le 15 mars 2016 sous la direction d'Ariel Alonso au sein d'un
programme présentant trois autres oeuvres de Ludwig van Beethoven (1770-1827),
Etienne Nicolas Méhul (1763-1817) et Henri Tomasi (1901-1971). La création de
Xu Yi répond parfaitement à cette commande du COSU, chaleureusement reçue
par le public dans une salle presque comble. Il faudrait saluer comme une belle avancée à la croisée du
dialogue sans frontière entre Extrême-Occident et
Extrême-Orient, classique et contemporain compositeurs (au pluriel…) et
compositrice (au singulier…). Dans cette création Le Chant des Muses, Xu Yi met en regard trois poètes,
présentés chacun dans leur langue : chinois pour Shang Guan Wan
Er (上官婉兒 664-710), français pour Louise Labé (1524-1566),
italien pour Pétrarque (1304-1374) en respectant scrupuleusement les
caractéristiques vocales de ces langues. La compositrice accorde aux voix une
grande diversité d'expression qui va du chuchotement au cri, de la virtuosité du belcanto à la voix récitante, évocation
lyrique de l'amour impossible, de la mélancolie et de la
solitude
apportant dans cette richesse et cette variété une dimension universelle à son
propos. La genèse du Chant des Muses remonte à 2014 dans l'oeuvre L'impératrice Wu Zetian - entre ciel et terre(5),
drame lyrique en trois actes pour trois chanteurs, une comédienne, un choeur de
jeunes filles, sept musiciens et dispositif électronique spatialisé sur un
livret d'Agnès Marietta relatant l'histoire de Shang Guan Wan Er secrétaire d'état dans le gouvernement de l'Impératrice Wu Zetian durant la
dynastie Tang. Shang Guan Wan
Er, est une des
rares poétesses et femmes politiques chinoises de l'antiquité nommée par
l'impératrice Wu Ze-Tian (武則天 624-705) de la dynastie
Tang (618-907). Elle est, dans toute l'histoire de la Chine impériale
l'une des rares femmes ayant atteint cette haute fonction. Les talents de Shang
Guan Wan Er ont été mis au service de trois empereurs de la dynastie Tang.
Disgrâciée à la suite d'intrigues politiques, elle est condamnée à mort par
l'empereur Li Long-Ji (李隆基 685-762). Quelques années plus
tard, pris de remords, ce dernier publiera officiellement ses poèmes qui
représentent une oeuvre d'une vingtaines de recueils. Dans le poème La plainte du livre à
colorier(6) en cinq quatrains de Shang Guan Wan
Er en « ü »,
Xu Yi en exprime la pudeur mélancolique par un plan sonore spatialisé à l'image
des différents plans cinématographiques (gros plan, plan large etc.) dans un
éventail qui s'ouvre du choeur au chant, du chanter-parler au chuchotement en
chinois. Un plan large de fond sonore décrit l'amour et la solitude d'une femme
dans sa classique image Extrême-Orientale :
la douceur de la tristesse profonde, l'émotion féminine cachée sans parole et
« noyée de larmes d'amour » (7)
dans l'attente du retour de son amant. La
plainte du livre à colorier (Le livre des couleurs amères) Les
feuilles tombent au bord du lac Dongting -
Shang Guan Wan Er Cette poésie remarquable souligne le
contraste entre les écrits poétiques emprunts de sentiment amoureux - révélés
après sa mort - et le pouvoir politique aux mains de Shang Guan Wan Er qui
faisait trembler la Chine quand elle était au service de trois
Empereurs successifs de la Dynastie Tang. Cet aspect de la
personnalité de Shang Guan Wan Er qui grâce à son talent nous a apporté à
travers les âges un témoignage bouleversant, est aussi un marqueur de la place
des femmes durant cette période faste de l'histoire de la Chine et de l'expression féminine qui a reculé plus tard et
jusqu'à nos jours dans la société asiatique. A l'inverse de Shang Guan
Wan Er et
son évocation pudique de l'amour impossible et de la solitude, sept
cent ans plus tard dans le même contexte des relations amoureuses, je
vis je meurs - le huitième sonnet de Les Sonnets et Elégies(8) (1555) de Louise Labé, poétesse
lyonnaise de la renaissance, influencée par les écrits de Pétrarque, est
choisie par Xu Yi. Celle-ci destine ce magnifique texte à la voix soprano
interprétée par Marthe Davost lors de la création. La voix de soprano exprime
la poésie de Louise Labé centrée sur le plan scénique et sur l'organisation de
l'espace sonore située au premier plan en solo. Cette voix est accompagnée de
l'ensemble des instruments pour la plupart du temps et soutenue temporairement
par le chuchotement du choeur avec le texte de Shang Guan Wan
Er en chinois qui est mis en place à
l'arrière plan sonore avec la nuance ppp-p
pour toute l'oeuvre. Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ; Tout à
un coup je ris et je larmoie, Ainsi Amour inconstamment me mène ; Puis, quand je crois ma joie être certaine, - Louise Labé La
spatialisation Le point commun entre Shang Guan Wan
Er et Louise Labé réside dans la solitude de la passion amoureuse librement exprimée par
des femmes, chose rare aux deux extrémités du monde, surtout dans ces temps
reculés. Loin de la distance pudique de Shang Guan Wan Er, Louise Labé dévoile une explosion
de sentiments dans une écriture audacieuse à l'autre extrémité de l'expression
de Shang Guan Wan Er qui évoque pourtant la même
liberté
de ton que la poétesse de la dynastie Tang. Sonetto XXXV del Canzoniere Solo et pensoso i più deserti campi … - Pétrarque L'extrait des Lettres amoureuses de Pétrarque écrit pour trois ténors, précise
leur mise en place à l'arrière de l'audience, au milieu du premier balcon pour
décrire la mélancolie, la nostalgie et l'isolement absolu du « solo » de ce poème. Ce « Solo» repris par
les ténors et par le choeur soutenu par l'ensemble des instruments est un
magnifique rappel de la spatialisation (voir l'image ci-dessous). L'effet
spatialisé est réalisé grâce aux voix des trois ténors qui s'envolent de
l'extérieur vers l'intérieur de le scène, c'est à dire du monde, et évoluant
au-dessus de l'audience éveille l'écoute du public par la
direction des voix et leur douceur profonde. C'est sans doute l'une des plus importantes caractéristiques
musicales de la compositrice dans l'ensemble de ses œuvres instrumentale et
mixte depuis 1994.
La première
composition spatialisée,
Hundun (混沌) (10), a été créée en 1994 pour cinq
groupes instrumentaux spatialisés qui évoquent la cosmologie de la pensée taoïste et le dialogue entre l'être
humain et l'univers. Les compositions mixtes avec l'électronique en
dispositif fixe rappellent également la place de l'humain au sein de l'univers.
Chaque point de diffusion sonore installé dans l'espace est une transposition
de la présence physique des musiciens. En conséquence, elle traite l'écriture
de la partie électronique, contrairement à beaucoup de compositeurs avec une
précision extrême à l'instar de l'écriture pour
instrument. La
prédilection instrumentale Le choix très minutieux des
instruments de Xu Yi avec une prédilection pour la flûte, la clarinette, les
cordes et les percussions est en rapport avec une approche du langage vocal.
Cette permanence apporte à l'ensemble de son oeuvre une homogénéité dont on
pourrait trouver la source dans sa familiarité avec la langue chinoise dont la
musicalité est inscrite dans la locution. A cela s'ajoute sa connaissance
approfondie du violon chinois Erhu (vièl(11)e à deux cordes) que la compositrice
a étudié dans un premier temps en parvenant à un très haut niveau de virtuosité
dans les années quatre-vingt et où elle a été sélectionnée comme la seule admise au concours
d'entrée du Conservatoire de Shanghai ,avant de choisir la voie de la composition. Pour la
percussion, elle puise dans sa mémoire l'époque de sa jeunesse ou elle écoutait
souvent des opéras de rue dont les rythmes et les timbres propres à ce genre irriguent sa musique. Et
l'on retrouve cet équilibre entre le timbre instrumental et la voix
qui exprime souvent le souffle vital dans la musique chinoise. Le Chant des Muses est l'expression de l'amour impossible que Xu Yi choisit de
montrer du rare point de vu de femmes qui comme on le sait n'ont que très tardivement pénétré les sphères
des sentiments dans des œuvres écrites. Quant au texte de Petrarque, il donne
le contrepoint de la pesante solitude tant spatiale que temporelle qui émane
des textes des deux poétesses. La sincérité, élément fondamental de sa
musique aux dires même de Xu Yi, s'exprime par le choix de ces poèmes dans un
grand ambitus qui va de la plus discrète pudeur à une hystérie flamboyante et
magnifique. Cette création offre une lecture et
un regard spirituels qui vont au-delà du monde réel plein de douleur, de
mélancolie et d'amour impossible. Xu Yi en propose une écoute et une perception
du temps basé sur les états décrits dans les textes : proches dans l'esprit,
éloignés dans l'expression, lointains dans le temps mais toujours présent. De
ces trois poèmes reflétant chacun un aspect de l'amour, Xu Yi en les
confrontant installe à distance une mise en abîme autant spatiale que temporel
le et sa composition s'empare de la profusion des sentiments qu'elle transcende
pour les faire confiner à l'infini. Recension, communiquée par Michèle Tosi, de Liao Lin-Ni.* *Liao Lin-Ni, Compositrice chinoise,
musicologue et chercheuse associée à l'Institut de Recherche en Musicologie
(CNRS - Université Paris-Sorbonne - Ministère de la Culture – BNF), a publié
trois ouvrages : Pensée musicale d'Edith
Lejet, Fusion du temps :
Passé-Présent, Extrême Orient - Extrême Occident (co-éditeur : Marc
Battier) et Héritages culturels et
pensée moderne – Les compositeurs taiwanais de musique contemporaine formés à
l'étranger et divers articles sur l'analyse du langage musical, de
l'identité et de l'héritage culturel de la musique contemporaine et le
féminisme dans le domaine de création en Extrême-Orient. (1) A l'exception de Qu Xiaosong (瞿小松 1952) et Guo Wenjing (郭文景 1960), tous deux formés en Chine ont séjourné aux Etats-Unis
en court terme. (2) Wang Ying (王穎 1976) a été sélectionnée
par le Cursus IRCAM en 2011-2012, Shen Ye (沈葉 1977) en 2013-2014 et Cheng Huihui (程慧惠 1985) en 2015-2016. (3) Les articles et les analyses sur Le
Plein du Vide de Xu Yi sont très complets sur le site du Baccalauréat musique -
http://www2.cndp.fr/secondaire/bacmusique/xuyi/presentation.htm (4) 2015 Le ciel brûle pour mezzo-soprano et percussions / 2014 L'impératrice Wu Zetian, Drame Lyrique en 3 actes pour trois
chanteurs, une comédienne, un choeur de jeunes filles, un ensemble de sept
musiciens et dispositif électronique spatialisés / 2013 La joie du ciel pour 5
voix de femme à capella / 2002 Dialogue d'amour pour soprano, chœur d'enfants et 13
instruments / 1999 Crue
d'automne poème scénique, pour une récitante, vidéo, 6 musiciens et
dispositif électronique spatialisé / 1997 Tian yun Mélodrame, pour 1 récitant et 8 instruments /
1993 Le Roi des arbres opéra
parlé en 1 acte (3 tableaux), pour un chef, 3 comédiens et 8 musiciens /
1987 Internal moving pour soprano, clarinette, alto et
piano / 1985 Temple Hanshan pour
soprano et 3 instruments chinois (5) L'impératrice Wu
Zetian créée au Théâtre 95 à Cergy-Pontoise en avril 2014 par
Orchestre de studio et Choeur de CRR de Cergy-Pontoise avec le chef d'orchestre
: Andrée-Claude Brayer. (6)
Le titre de la poésie et la traduction ont été réalisée par Guilhem Fabre en 2015 et
proposé par la compositrice. L'auteure suggère ici une autre traduction
concernant le titre de ce poème - Le livre des couleurs amères. Poésie
originale en chinois : « 彩書怨 » 葉下洞庭秋,思君萬里余; 露濃香被冷,月落錦屏虛。 慾奏江南曲,貪封薊北書。書中無別意,惆悵久離居。 (7) L'image classique de femme dans la
société traditionnelle du temps passé. (8) « Les Sonnets et Elégies
» comprenant vingt-quatre
poèmes recueillis dans l'ouvrage en prose Le débat d'Amour et de Folie publié
en 1555. (9) Extrait de « Solo et pensoso i più deserti campi » dans Sonetto XXXV del
Canzoniere (1337) de Francesco Petraca (dit Pétrarque). Traduction d'Etienne Du Tronchet
en 1575 Le sonnet 27 Lettres amoureuses choisie par Xu Yi : Sonnet XXXV du Chansonnier Tout seul, et en rêvant au champ
plus solitaire Je mesure mes pas
posés appesantifs… (10) L'oeuvre a été d'abord enregistrée
pour le disque Journée de la composition 1994 par l'Orchestre du CNSMDP sous la direction de Jean-Sébastie
Béreau et créée plus en mai 2000 à la cathédrale
Saint-Maclou à Pontoise par l'Orchestre Symphonique de Cergy-Pontoise avec le
chef d'orchestre Andrée-Claude Brayer. (11) La vièle chinoise n'est pas un luth.
Les deux cordes sont tendues entre la cheville et le sillet, passant sous une
ligature puis sur le chevalet reposant sur la table. L'archet est prisonnier
entre les cordes qu'il frotte par l'intérieur ou l'extérieur de la mêche.
L'accord standard est D3 - A3. - François Picard, Lexique des musiques d'Asie
orientale (Chine, Corée, Japon, Vietnam), Paris, Editions You Feng, 2006, p.
34.
PROPOS PARTAGÉS
Maurice Emmanuel
(1862-1938) « Un maître, dans tous les sens du mot. Un
maître écrivain et un maître penseur, un maître critique et un maître érudit,
qui distribuait autour de lui l'enseignement le plus fécond, et aussi un
"créateur" qui laisse des œuvres remarquables, mais on ne s'en aperçut pas de
son vivant. Des dons qui s'allient rarement : une intelligence lumineuse,
un esprit d'analyse prodigieux, une extraordinaire puissance de réflexion qui
dissocie les éléments de la réalité ou des créations de l'art, et en même temps
ce mystérieux fonds de sensibilité et cet esprit de synthèse qui produisent les
chefs-d'œuvre. » [Paul Landormy, sur Maurice Emmanuel, in La musique française après Debussy. NRF
Gallimard, 1943, p. 205-209] Aussi chaleureuse
que passionnée par son sujet, c'est à Antony, siège de l'Association des amis
de Maurice Emmanuel dont elle est la cheville ouvrière, que m'a longuement reçu
Madame Anne Eichner Emmanuel. Pour me parler du grand
compositeur, son grand-père, dont elle possède un fonds considérable de
partitions, lettres et autres documents.
C'est donc à elle qu'est dû l'essentiel des lignes qui
suivent.
[L'Éducation
musicale] S'il
fallait, en quelques lignes, résumer la vie et la carrière de Maurice Emmanuel… [Anne Eichner Emmanuel] Maurice Emmanuel
(ses autres prénoms sont Marie François) est né à Bar-sur-Aube le 2 mai 1862,
mais sa famille s'installe à Beaune (Côte-d'Or) dès 1869. Formé au piano par un
certain Ravazzi, titulaire du baccalauréat, il
s'inscrit au Conservatoire de musique de Paris en 1880 et y suit les cours de
Savart (solfège), de Dubois (harmonie), de Bourgault-Ducoudray
(histoire de la musique) et de Delibes (composition). Parallèlement, il mène un
cursus de philologie et d'histoire de l'art à la Sorbonne et à l'école du
Louvre. Delibes lui reprochant son usage des modes anciens et lui fermant la
porte du Prix de Rome, il se tourne vers Guiraud et se lie avec Debussy, son
exact contemporain. Docteur en 1896, avec une thèse sur les danses dans la
Grèce antique, il enseigne jusqu'en 1904 dans le secondaire, œuvre également
comme maître de chapelle jusqu'en 1906. Professeur d'histoire de la musique au
Conservatoire de Paris en 1909, il assurera cette fonction jusqu'à sa retraite.
Ses élèves, Messiaen, Dutilleux,
Ibert, Jehan Alain, Migot, Yvonne Lefébure, ont rendu
hommage à son enseignement au Conservatoire de Paris, où il fit découvrir
l'histoire de la musique à des générations de jeunes musiciens. En tant que compositeur, il n'a conservé qu'une trentaine d'opus sur les
quelque 73 sortis de sa plume. Maurice Emmanuel est mort à Paris le 14 décembre
1938. Chez Maurice
Emmanuel, le musicologue n'a-t-il pas trop souvent
éclipsé le compositeur ? Sans doute, du
fait d'une certaine erreur de perspective. Il faut en premier lieu rappeler que
les premières impressions musicales de Maurice Emmanuel viennent des grandes orgues de la collégiale Notre-Dame de Beaune, mais aussi des chansons des
vendangeurs de la côte de Beaune. Le folklore bourguignon a éveillé le sens
musical de l'enfant, mais aussi alimenté en permanence le vivier du compositeur
parvenu à l'âge adulte. Nécessairement, la confrontation avec le système tonal,
étudié au conservatoire, ne pouvait que provoquer chez lui une profonde
réflexion sur le génie particulier d'un langage musical à renouveler.
Exactement de la même façon qu'en Hongrie, un Kodály
et un Bartók étaient partis à la recherche d'un art musical populaire aux
richesses insoupçonnées. La découverte plus tardive des modes grecs, des
factures savantes de la production médiévale, du plain-chant et de nombreux
modes populaires ne pouvait qu'affermir le jeune Emmanuel dans la certitude
qu'il y avait là une veine féconde, propre à le libérer des contraintes du
langage tonal. C'est de là qu'est née une sorte de théorie de la continuité des
langages musicaux à laquelle le compositeur devait rester fidèle toute sa vie.
Il est singulier de constater que cette érudition si originale, ce goût si
prononcé pour des modes exotiques et cette volonté si ardente d'y puiser une
leçon de liberté ont pu troubler dans l'esprit des auditeurs l'image du
compositeur, dans le même temps qu'un peu plus tard, Olivier Messiaen, l'un de
ses disciples les plus émérites, fondera nombre de ses plus géniales intuitions
sur l'étude attentive de modes lointains. Il me semble qu'à
l'occasion de la sortie récente du DVD La
rumeur du monde, un portrait de Maurice Emmanuel (Anne Bramard-Blagny
et Julia Blagny, ABB Reportages, 2012) l'excellente
musicologue Anne Penesco a parfaitement résumé et
défini la position de Maurice Emmanuel : « Il détestait qu'on le
considère comme un savant et se définissait lui-même comme un musicien ».
Mais il faut ajouter que c'est dans les leçons de la musicologie que le compositeur
a puisé la certitude qu'une voie de liberté, d'inventivité et d'originalité
s'ouvrait pour des musiciens indépendants et fascinés par le prodigieux univers
sonore ouvert dans le même temps par Claude Debussy. Il n'est, pour s'en
convaincre, que d'écouter l'allegro de la Sonatine pour piano op. 20 n° 4 "sur des
modes hindous", ou encore la Sonatine
op. 4 n° 1 "bourguignonne", ou enfin la Suite
pour violon et piano sur des airs populaires grecs op. 10 ! La
réputation de Maurice Emmanuel a-t-elle franchi nos frontières ? Pour vous
répondre, je ne puis faire mieux que citer le critique américain Steven Kruger
au sujet des deux symphonies de notre compositeur : « Les œuvres
symphoniques de Maurice Emmanuel provoquent certes le respect en France. Mais
comme celles de Magnard ou de Vincent d'Indy, elles ne sont pas d'une séduction
aussi immédiate que les compositions parentes de Franck, Ravel ou Debussy. […]
L'univers musical d'Emmanuel est tout de douceur et de sincérité,
kaléidoscopique sans folie, exaltant sans emphase, et inscrit dans cette belle
manière française qui ne tombe jamais dans le piège de l'alanguissement »
[traduction libre de l'auteur]. Il apparaît ainsi que Maurice Emmanuel se situe
dans le long continuum d'une lignée française qui, sans reculer devant les plus
grandes audaces (Rameau, Berlioz), se signale tout aussi bien par son
inégalable délicatesse (Debussy, Ravel).
Revenons en détail
sur la vie et la carrière du musicien, sur ses découvertes musicales et
artistiques, sur les étapes décisives de son évolution… De sa petite enfance, Maurice Emmanuel aimait à rappeler que la première
et la plus puissante impression sonore avait peut-être été le martèlement de la
machine de son grand-père maternel, François Jardeaux, imprimeur de son état. Mais
c'est à Beaune, où sa
tante Louise Jardeaux était religieuse hospitalière à
l'Hôtel-Dieu et où son père, Francis Emmanuel, venait d'entrer dans la Maison Jacqueminot comme représentant en vins, qu'il a connu son
initiation pianistique à partir de 1870. Puis ce seront les études secondaires,
brillantes, au collège Monge, la découverte des chansons des vendangeurs
bourguignons, les toutes premières compositions, le baccalauréat, le départ
enfin pour Paris, en 1880, et l'entrée au Conservatoire. Hormis un projet de
mariage qui, en 1885, ne verra pas le jour, la jeunesse de l'artiste est
dépourvue de faits saillants, son acharnement au travail étant seul à lui
permettre de réussir à mener de front les classes du Conservatoire et la
licence ès lettres qu'il conduit à terme, à la Sorbonne, en 1887. Année qui le
voit, par ailleurs, entamer ses recherches sur la danse grecque antique et
achever sa première partition d'envergure, la Sonate pour violoncelle et piano, op. 2. Comment parvient-il à
se faire une place dans le monde très fermé de la création musicale en cette
époque où une réaction violente contre Wagner et Brahms commence à se dessiner
en France ? Rompant avec son professeur de compositeur, Léo Delibes, en 1889, il
rencontre Claude Debussy chez Ernest Guiraud, effectue plusieurs séjours en
Bretagne, voyage en Suisse et en Autriche, multiplie ses activités jusqu'à
devenir élève du céramologue Edmond Pottier à l'École du Louvre, en 1892, et à
collaborer, l'année suivante, avec Etienne-Jules Marey, inventeur du
chronophotographe ! Ayant brillamment soutenu en 1896 sa thèse en Sorbonne
sur l'orchestique grecque, il part dès l'année suivante en mission officielle
en Allemagne et en Autriche ; il en tirera un long rapport sur La musique dans les universités allemandes,
publié par La Revue de Paris. C'est
de ces années laborieuses, conclues par le mariage avec Anne-Marie Bergeville, en 1898, que datent notamment ses sonatines I
et II. Professeur d'histoire de l'art aux lycées Racine et Lamartine (il le
restera jusqu'en 1904), il est pressenti en 1899 pour enseigner au Collège de
France ; mais diverses manœuvres ayant abouti à la perte des crédits
alloués à la chaire d'histoire de la musique, il doit y renoncer. Les années
suivantes sont marquées par nombre d'évènements familiaux, heureux ou
tragiques. Sa fille, Marthe, vient au monde en 1901, l'année même où il perd sa
mère, Lucy ; son fils, Franck, naît en 1907, deux ans après la mort de son
propre père. En tant que compositeur, il produit la Sonate en ré mineur pour piano et violon (op. 6) et Zingaresca,
fantaisie pour orchestre réduit (op. 7) en 1902, le quatuor à cordes en si bémol (op. 8) en 1903, le chant de Pâques, O filii (op. 9)
et la Suite sur des airs populaires grecs
(op. 10) en 1905. Échouant une nouvelle fois au Collège de France en 1904, il
assure, trois ans durant, la charge de maître de chapelle à Sainte-Clotilde
(Paris). Puis, c'est à la Schola Cantorum qu'il
enseigne la théorie musicale à partir de 1907, date de composition de sa Sonate en trio pour flûte, clarinette et
piano (op. 11), une année avant In
memoriam, poème lyrique pour voix, violon, violoncelle et piano (op. 12). Quand accède-t-il à
la chaire d'histoire de la musique du Conservatoire de Paris ? En 1909. Il succède alors à Louis-Albert Bourgault-Ducoudray
et consacre désormais un temps considérable à ses élèves et à ses publications
(Histoire de la langue musicale,
Laurens, 1911). Pour trouver le temps de composer (Trois Odelettes anacréontiques pour voix, flûte et piano, op. 13 - Trois pièces pour orgue, op. 14), il
renonce à son enseignement à la Schola Cantorum,
d'autant plus volontiers qu'il s'est brouillé avec Vincent d'Indy, directeur de
l'institution, au sujet de l'interprétation du chant liturgique !
Multipliant les publications savantes (Étude
sur la musique grecque antique pour "l'Encyclopédie de la Musique" de Lavignac, Traité de
l'accompagnement modal des psaumes, chez Janin), il est infirmier volontaire
lors du déclenchement des hostilités en 1914. En 1915, c'est la reprise des cours au Conservatoire de Paris ; il
y aura pour élèves Arthur Honegger en 1916, ou encore Yvonne Lefébure en 1917. Conservant toujours du temps pour la
composition, il produit une deuxième version de son Prométhée enchaîné
(tragédie lyrique en trois actes, op. 16), donne ensuite les Trente chansons
bourguignonnes du pays de Beaune pour voix et piano (op. 15). 1918 est une année particulièrement prolifique avec le
cycle de mélodies Musiques, (sur des poèmes de Louis de Launay, op.17),
la Sonatine III pour piano (op. 19) et la Sonatine IV sur des modes
hindous, dédiée à Ferruccio Busoni (op. 20). À
partir de 1920, année de sa rencontre avec ce dernier, il se consacre, en tant
que secrétaire de l'Amicale des Professeurs du Conservatoire, à une réforme en
profondeur du statut des enseignants, occasion de se lier avec Charles Kœchlin.
Dans le même temps, c'est pour satisfaire à une demande de Jacques Rouché,
directeur de l'Opéra de Paris, qu'il compose une première version de sa
tragédie lyrique, Salamine. Peut-on parler de
reconnaissance pour le compositeur parvenu à la soixantaine ? 1922, année des ses soixante ans, est
effectivement une date importante dans la vie de Maurice Emmanuel. En premier
lieu parce qu'il est frappé par la maladie et qu'il est amené à beaucoup
méditer au gré de sa convalescence ; ensuite, parce que cette réflexion le
conduit à prendre une décision drastique : la destruction d'une
quarantaine de ses partitions. Une trentaine d'œuvres seulement survit à cet autodafé, sans que l'on sache exactement
quels auront été les critères de sa sélection. Probablement au moment même où
il est nommé président de l'Association pour l'encouragement des Études
grecques et où il publie, avec René Moissenet, La
Polyphonie Sacrée, souhaite-t-il ne laisser à la postérité que le meilleur
de son œuvre, pour mieux apparaître sous son seul visage de compositeur. Ce qui ne le dissuade d'ailleurs nullement de poursuivre ses études, donnant
notamment, en 1923, année où il assiste aux Fêtes de la Jeunesse et de la Joie
à Genève, son Rapport sur la chanson populaire (Le Ménestrel). Un an plus tard, c'est Le rythme et la
musique, texte de réflexion essentielle, qui paraît dans le même temps que l'Académie
de Dijon lui ouvre ses portes. En fait, jusqu'à ses derniers jours, Maurice
Emmanuel tentera de concilier son activité de musicologue avec sa pratique de
compositeur. Les Sonatines pour piano V, "alla francese"
(op. 22) et VI (op. 23)
datent de 1925, sa Vocalise-étude à la Sicilienne (op. 24) en 1926. En parallèle, le
premier Congrès du Rythme de Genève (1926) lui permet de publier Le rythme
d'Euripide à Debussy, dans le volume d'actes du congrès. Le 1er mai 1928, son texte
sur La Polymodie sera édité par La Revue musicale ; en 1930, enfin,
son étude sur César Franck paraîtra à Paris, chez Laurens. Ces années fécondes sont aussi marquées par plusieurs rencontres.
Jacques Copeau lui ouvre ainsi de nouvelles perspectives théâtrales en 1925, année
du volume Mes avatars, son premier texte autobiographique. En 1927, il
se lie d'amitié avec le sévère Paul Dukas, dont il soutient la candidature à la
classe de composition du Conservatoire de Paris ; en 1928, il compte le
jeune Olivier Messiaen parmi ses disciples. Quant à la reconnaissance
officielle, elle se manifeste sous forme d'une Légion d'Honneur reçue en 1929,
année de la création, en juin, de Salamine, sa tragédie lyrique en trois
actes (op. 21), à l'Opéra de Paris, et de l'obtention du Prix Lasserre de
l'Institut. Les dernières années
voient-elles un ralentissement de cette activité ?
Apparemment pas, en dépit de la venue de l'âge et des inéluctables
difficultés de santé qui frappent alors Maurice Emmanuel. Élu à la présidence
de la Fédération Musicale de France (mouvement orphéonique) en 1935, il met,
cette même année, la dernière main à sa Deuxième symphonie en la (dite «
bretonne »), op. 25, et à sa Suite française, op. 26 (dédiée à
Franco Alfano, compositeur italien surtout célèbre
pour avoir terminé la Turandot de Puccini). Le 31 juillet, par
ailleurs, il publie une Conférence à la mémoire de Paul Dukas (Le Monde
Musical, 31 juillet 1935), mort le 17 mai précédent. Dans le même temps, son intérêt pour ses jeunes
disciples ne faiblit pas. En 1936, année de sa retraite administrative, il
compte Henri Dutilleux (qui en gardera un grand souvenir) parmi ses
élèves ; parallèlement, il collabore activement à l'action du Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne. La composition, enfin, n'est
pas oubliée, avec la Sonate pour bugle et piano, op. 29, son
avant-dernier opus officiel. Son dernier voyage
en Italie, en 1937, lui permet de donner une conférence sur la création du
violon. Dans le même temps, il met le point final à sa biographie d'Anton
Reicha, fascinant musicien tchèque du début du XIXe siècle qui eut,
au Conservatoire de Paris, Berlioz, Liszt, Franck ou Gounod pour élèves, et à
qui l'on doit divers traités sur la mélodie, l'harmonie, l'instrumentation
(Berlioz s'en souviendra)… ou encore la
musicothérapie, domaine dans lequel il fait figure de précurseur de
génie ! Maurice Emmanuel procède aussi au remaniement de sa musique de
scène pour Amphitryon, destinée à la comédie homonyme de Plaute (op. 28).
Avec l'aide de Jacques Chailley, à qui la musicologie française devra tant, il
aménage sa partition pour le concert, confiant la rédaction du texte explicatif
à son brillant cadet. Et c'est au crépuscule de l'année 1938, le 14 décembre,
alors que de terribles menacent pèsent sur tout le continent, que s'éteint le
musicien, qui laisse inachevée sa partition du Poème du Rhône, poème symphonique orchestré par
Marguerite Béclard d'Harcourt, trentième et ultime opus du compositeur. C'est
au cimetière Montparnasse, comme le grand Hector Berlioz, qu'il repose
désormais. L'œuvre Éditée pour
l'essentiel par de grandes maisons (Durand, Heugel,
Lemoine et Salabert), sans préjudice des nombreux
manuscrits conservés par la famille, la production musicale de Maurice Emmanuel
se signale par son éclectisme et par son exigence artistique. Au chapitre des
œuvres les plus réussies, on relèvera ainsi : ¬
¬
1886 (op. 1), Pierrot
peintre pantomime en deux tableaux, pour alto, récitant et
orchestre ¬
1887 (op. 2), Sonate pour violoncelle et piano ¬
1890 (op. 3), Ouverture
pour un conte gai, pour orchestre ¬ 1893 (op. 4), Sonatine n° 1 dite Bourguignonne ¬ 1897 (op. 5), Sonatine n° 2 dite Pastorale ¬
1902 (op. 7), Zingaresca, fantaisie pour 2 piccolos, 2
pianos, tympanon et cordes ¬
1902 (op. 6), Sonate en
ré mineur pour violon et piano ¬ 1903 (op. 8), Quatuor à cordes en si bémol majeur ¬
1905 (op. 9), O filii pour soliste et chœur ¬
1907 (op. 10), Suite sur
des airs populaires grecs pour violon et piano ¬
1907 (op. 11), Sonate en
trio pour flûte, clarinette et piano ¬
1908 (op. 12, 1), In memoriam
(R. Vallery-Radot) pour voix,
violon, violoncelle et piano ¬
1908 (op. 12, 2), Musiques, 12 chansons (textes de Launay) pour voix et piano ¬
1911 (op. 13), 3 odelettes
anacréontiques (Belleau, Ronsard) pour voix, flûte et piano ¬
1911 (première version en 1882, op. 14), 3 Pièces pour orgue et harmonium ¬
1913 (op. 15), 30 chansons
bourguignonnes du pays de Beaune, d'après des
chants populaires, pour voix et piano (arrangement du n° 10 pour voix et
orchestre en 1936) ¬
1918 (op. 16), Prométhée
enchaîné, opéra en 3 actes, livret du compositeur d'après
Eschyle (création au théâtre des Champs-Élysées le 23 novembre 1959) ¬
1916 (op. 16), Prologue de
Prométhée enchaîné pour orchestre ¬
1919 (op. 18), Symphonie n° 1 en la
majeur ¬
1920 (op. 19), Sonatine n° 3 pour piano ¬
1920 (op. 20), Sonatine n°
4 sur des modes hindous pour piano ¬
1923 (op. 21) Salamine, opéra en 3 actes d'après Eschyle (création créé
à l'Opéra de Paris le 19 juin 1929) ¬ 1923 (op. 21) Ouverture de Salamine ¬
1925 (op. 23), Sonatine n°
6 pour piano ¬
1925 (op. 22), Sonatine n°
5 alla francese pour piano ¬
1926 (op. 24), Vocalise pour alto, baryton et clarinette ¬
1931 (op. 25), Symphonie
n° 2 dite Bretonne en la majeur ¬
1935 (op. 26), Suite
française pour orchestre ¬
1935 (op. 27), 2 chansons
populaires d'après des rondes populaires pour voix et piano ¬
1936 (op. 29), Sonate en
si bémol majeur pour cornet ou bugle et piano ¬
1936 (op. 28), Amphitryon, texte de Plaute (création à l'Institut d'art et d'archéologie de
Paris, le 20 février 1937) ¬
1938 (op. 30), Le poème du
Rhône, poème symphonique d'après Mistral (orchestration
M. Béclard d'Harcourt) Les écrits À l'instar d'un Jacques Chailley, Maurice Emmanuel a pratiqué la
musicologie avec un tel bonheur que l'érudit a fini, pour la postérité, à
l'emporter sur le compositeur. Pour comprendre le cheminement intellectuel de
cet esprit aussi curieux que sensible, on se référera à quelques textes
capitaux : 1896, Essai sur l'orchestrique grecque (thèse),
université de Paris 1911, Histoire de la
langue musicale, Paris 1913, Traité de
l'accompagnement modal des psaumes, Lyon 1923 (avec R. Moissenet),
La polyphonie sacrée, Oullins 1926, Pelléas et Mélisande de Claude
Debussy, Paris 1930, César Franck, Paris 1936, Anton Reicha, Paris Bibliographie
sélective C'est dans
l'excellente collection Horizons des
Éditions Bleu Nuit que Christophe Corbier a publié, en
2007, « Maurice Emmanuel », ouvrage alerte et savant, documenté et
réfléchi, référence désormais incontournable. Par ailleurs, le Bulletin des Amis de Maurice Emmanuel
fait régulièrement le point sur l'activité musicale et musicologique relative
au compositeur. Parmi de nombreuses autres contributions, sont encore à
noter : Béclard d'Harcourt M., L'œuvre musical de Maurice Emmanuel, in Revue musicale 1935, p. 22-33 Carlson E. A., Maurice
Emmanuel and the Six Sonatinas for Piano, thèse, Boston University 1974 Chantavoine J., Prométhée enchaîné, in Revue de Bourgogne, 3
avril 1919 Dumesnil R., Maurice Emmanuel et la musique modale, Le Monde, 17 février 1955 Emmanuel F., Maurice Emmanuel
et les musiciens suisses, in Revue musicale de Suisse romande, 1990, p. 89-95 Hoérée A. (et alii),
Maurice Emmanuel, in Zodiaque, 1984, p. 2 Landormy P., La musique française après Debussy, Paris, 1943 Michel A., Modernité de
Maurice Emmanuel, in L'Éducation
musicale, 1977, p. 71-73 Numéro spécial de la Revue musicale (206), 1947, complété en 1988 Valette M.-C., Contribution
à l'étude de l'œuvre musical de Maurice Emmanuel, thèse, université de Strasbourg, 1972 Discographie
sélective Deuxième Sonatine "Pastorale", Mireille Saunal, Classics
MA040302, 2004 Six Sonatines pour piano, Peter Jacobs,
CDD 1048, 1992 Sonate pour flûte, clarinette et
piano,
Marie-Catherine Girod (piano),
Richard Vieille (clarinette
) et Alain Marion (flûte
), 1986, Grand prix international de l'Académie Charles Cros,
réédition mars 2004, Accord
476 16 58 Sonate pour clarinette, flûte et piano, Paul Meyer (clarinette), Emmanuel Pahud
(flûte), Éric Le Sage (piano)
EMI Classics 7243
5 57948 26, 2005
Salamine, tragédie
lyrique, Flora Wend, Bernard Demigny,
Jean Giraudeau, chœur et orchestre de la RTF, 1958, CD Fy SOCD 301 Symphonies 1 et 2, orchestre
philharmonique de Rhénanie-Palatinat
, dir. Leif Segerstam
,
Naxos/Marco Polo 8.550889 Les mélodies, Timpani 1C1030,
1995-2014 Musique
de chambre,
Timpani 1CD 1167 Musique
de piano,
Timpani 1CD 1189 Association Les Amis de Maurice Emmanuel,
30, rue Céline, 92160 Antony Téléphone :
01.46.66.12.29 Adresse internautique :
amis.maurice.emmanuel@orange.fr Gérard Denizeau.
FESTIVALS!
Glyndebourne 2016 : Fuyez
l'ordinaire ! Un festival de magie et d'espièglerie, telle
pourrait être la devise de cette édition qui invite résolument à la fête. Une
nouvelle production du Barbier de Séville, des reprises des Maîtres
Chanteurs de Nuremberg et de La petite renarde rusée, et année
Shakespeare oblige, une reprise du Songe d'une nuit d'été, enfin une
présentation nouvelle (due à Laurent Pelly et dont on attend beaucoup) de Béatrice
et Bénédict de Berlioz. Tout cela dans le cadre d'une autre magie, celle
des jardins où on célèbre pas seulement le fameux pic nic,
mais des compositions harmonieuses et rares : une sorte d'Arcadie anglaise qui
fait dire à William Christie « Où ailleurs les amoureux d'opéra
peuvent-ils revivre un tel mélange de jardins et de musique qui furent les
marques distinctives de la plupart des opéras des 17 ème
et 18 ème siècle? ». Mais avant de parler opéra, il faut
s'attarder sur une autre originalité. Car Glyndebourne,
c'est aussi un foyer vivace d'éducation musicale. Cette année voyait le
trentième anniversaire du Département Éducation. « Nous voulons attirer
diverses catégories de personnes, de toutes origines, intéressées à créer,
jouer et produire cette forme d'art merveilleuse » proclame Lucy Perry,
chef du Education Department. La mise en place
de celui-ci répondait aussi à un réel besoin d'identifier des « chanteurs
qui malgré le fait de posséder des ressources vocales indéniables et un talent
brut, ont manqué des études musicales ou une éducation dispensée par les moyens
normaux de l'école ». Ce programme se décline de plusieurs manières.
« Performances for Schools » a permis à
3815 enfants d'assister à une représentation durant le Festival Touring de
2015, qui se sont vus offrir la possibilité de connaître leur première
expérience à l'opéra et surtout donner les outils de connaissance et de
ressources pour apporter du sens à ce qu'ils ont connu. « Glyndebourne Youth Opera » dispense des workshops, c'est à dire des cours
de technique vocale et des projets de représentation. 3000 amateurs y ont
participé jusqu'à maintenant. La « Glyndebourne Academy », inaugurée en 2008, est un projet de
développement de talents pour des jeunes chanteurs confrontés à des obstacles
quant à l'adaptation au système habituel ou au suivi de l'enseignement d'un
collège de musique, et désireux de s'investir dans une carrière
professionnelle. Un schéma pilote créé en 2012 a été suivi d'une expérience en
2015 destinée à 80 participants répartis en groupes de 10 chanteurs de 18 à 26
ans. Enfin, « Young Composer-in-Residence a permis de passer des commandes à quelques 32
compositeurs qui ont pu recevoir également des conseils de régisseurs comme
Peter Sellars. Plusieurs projets ont été nominés dont
Misper (1997) ou The Yellow Sofa (2010). le dernier, présenté cette année, Nothing est de
David Bruce. Le Département Éducation travaille en lien avec RESEO (Experimental Network for Opera,
Music & Danse Education). A noter encore le programme « Raise Your Voice », conçu
pour des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et leurs aidants. Une belle et cruelle histoire d'amour, de vie et de renouveau Leoš JANÁČEK : La petite renarde rusée. Opéra en trois actes. Livret
du compositeur d'après une histoire de Rudolf Těsnohlídek.
Elena Tsallagova, Alzběta
Poláčková, Christopher Purves,
Alexander Vassiliev, Sarah Pring, Colin Judson, Alexandre Duhamel, Tate Nicol, Kitty Casey, Ruby Greis, May Abercrombie, Marta Fontanals-Simons,
Eliza Safjan, Rhiannon Llewellyn, Hannah Sandison,
Natalia Tanasii, Michael Wallace, Shuna
Scott Sendall, Angharad Lyddon, Natalia Brzezinska. The Glyndebourne Chorus. London Philharmonic
Orchestra, dir. Jakub Hrůša.
Mise en scène : Melly Still.
Cette production de La petite renarde
rusée de Janáček, initiée en 2012, est due à
Melly Still qui avait déjà
donné à Glyndebourne une Rusalka
fastueuse. De « cet extrême concentré de vie, de conscience de la
vie », qui voit une curieuse coexistence entre humains et monde animal, la
régisseuse anglaise offre une vision onirique, poétique, ironique, éminemment
théâtrale. La trame de l'opéra qui fut inspirée à Janáček
par une bande dessinée parue dans un journal local, met en avant une histoire
d'amour, certes peu conventionnelle, mais bien autre chose encore : la défense
de la liberté dans ce qu'elle a d'irrépressible chez les animaux autant que
pour les hommes, la vitalité féminine, le souci des rejetés de la société, tous
thèmes au centre de la poétique du compositeur tchèque. Et aussi, et surtout
peut-être, la force du cycle régénérateur de la nature : cette renarde que le
forestier va capturer puis abattre, renaitra en une autre autre
jeune renarde-fine-oreille... Et l'homme en sera sans doute étonné, peut-être
convaincu désormais de l'inanité de son geste, gagné par une générosité qui lui
fera renoncer la prochaine fois à un geste si cruel et maladroit. C'est la
morale que montre la régie de Melly Still : un forestier en proie à une joie irradiante aux
derniers moments de la pièce. Avant cela que de tours ! De joyeux (la scène des
poules : autant de poupées Barbie, rose bonbon, qui sous le joug du maitre coq,
se voient appelées à la rébellion par notre futée renarde. D'abord interdites,
bêtes, elles s'enhardissent et clouent au pilori leur géniteur trop
entreprenant et sûr de lui). De délicieux, telles les évolutions des insectes
et autre petit monde agile de la forêt. Des plus tristes comme cette capture
sans ménagement de la
renarde et plus tard sa mise en joug mortelle. Cette vie
insatiable du monde de la nature, visualisée en Technicolor, trouve sa
contrepartie dans un monde des humains d'une infinie tristesse, ici en noir et
blanc ; joli trait! Ils sont d'une mélancolie
désespérante, tel ce maitre d'école compassé, droit comme un bout de bois, ce
curé un peu à la dérive et ce forestier qui ne sait trop quoi faire de sa vie.
On est confronté aussi bien au réalisme qu'à l'imaginaire. Les animaux
paraissent plus ''humains'' que vrais animaux du fait de leur taille. Les
renards et renardeaux agitent une énorme queue rousse terminée par un point
blanc : ils la tiennent à la main, car elle sert à de multiples usages, de
séduction bien sûr, de menace aussi, la lutte pour survivre ou tout simplement
être reconnus les contraignant à jouer des coudes. La régie, qui s'inscrit dans
le décor unique de la forêt, avec un gigantesque arbre planté au milieu de la
lande et d'une vaste incurvation en spirale, de haut en bas du plateau,
autorisant des plans différentiés, déploie des trésors d'ingéniosité : outre
les amusantes glissades de quelque grenouille ou les acrobaties des oiseaux et
autres insectes, le plateau s'anime et se dépeuple en un clin d'œil ; ou se
transforme en un tournemain en une cabane trop bien humaine où nos pauvres
hères passent le temps à s'ennuyer. Belle solution de continuité, celle de la
vie même. Tout passe du vrai à l'irréel, du réaliste au plus poétique. Les
éclairages fantastiques de Paule Constable enrichissent ces tableautins d'une
extraordinaire vie et les couleurs volontairement crues avouent leur
exagération et leur ironie. La mise en scène possède cette vraie fluidité qui
en fait comme une chorégraphie. Et lorsque la renarde prend les devants pour
convoler - « Suis-je si belle », lance-t-elle à un renard interloqué,
penaud, dans un monologue qui la voit s'avantager -, il ne sera pas long à
s'échauffer ; et les noces seront célébrées par toute la forêt, au son d'une
musique délicieusement enlaçante.
ková ©Richard Hubert
Smith Cette musique qui ne cache pas ses
ascendances moraves, Janáček l'a portée du plus
profond de lui-même par une orchestration on ne peut plus originale, pas si
confortable, explorant les registres les plus inhabituels des instruments : la
petite flûte piccolo égrillarde, des percussions souvent claires, les hautbois
sollicités dans le registre le plus bas et les autres de la petite harmonie
dans le haut du spectre. Le chef Jakub Hrůša,
natif de Brno, connait cette musique depuis l'enfance et il dit s'être rendu
dans ces forêts mêmes où Janáček a conçu son
opéra. Une musique dont la force de communication est immédiate même pour
l'auditeur le moins averti. Car ce mélange de sonorités âpres ou douces, aiguës
ou rondes, séduisent vite. Sa direction le fait ressentir et le LPO répond avec
enthousiasme quels que soient les pupitres concernés. En tête de distribution
deux noms : la renarde d'Elena Tsallagova d'abord,
fine prestation. Cette artiste qui s'est déjà produite à l'Opéra Bastille dans
ce même rôle et dans celui de Mélisande, émeut par une agréable prestance et un
soprano ductile et lumineux. On n'oubliera pas son joli monologue séducteur en
diable ni sa force de conviction aussi bien pour semer la pagaille dans le
poulailler que pour provoquer alentour bêtes et hommes. Christopher Purves ensuite, le Forestier, voix de baryton extrêmement
bien projetée, qui fait de ce personnage à priori peu sympathique une figure
intéressante, un homme comme les autres qui se rachète peut-être en fin de
course, troquant une basique volonté destructrice pour quelque salutaire prise
de conscience du mal causé à la nature. Les autres protagonistes ne sont pas en
reste : le Prêtre, Alexander Vassiliev montre une sûre voix de basse tandis que
Colin Judson est un maitre d'école aussi rêveur que
beau ténor clair. Remarquable encore le français Alexandre Duhamel, Harašta, qui fait beaucoup de sa courte apparition au
dernier acte et possède un timbre de baryton séduisant ; un Forestier en
devenir. Si le renard d'Alzběta Poláčková reste un peu sur la réserve malgré un timbre
de mezzo soprano agréable, les ''petits rôles'' sont
bien tenus et on les sait nombreux. Comme le Chœur de Glyndebourne
fait merveille, en particulier lors de l'aubade des noces qui clôt le II ème acte. Beau succès public. Quand un événement rompt l'ordinaire de la confrérie des Maîtres
Chanteurs... Richard WAGNER : Die
Meistersinger von Nürnberg. Opéra
en trois actes. Livret du compositeur. Gerald Finley,
Michael Schade, Amanda Majeski, Hanna Hipp, David Portillo, Alastair
Miles, Jochen Kupfer, Colin Judson,
Andrew Slater, Darren Jeffery, Nicholas Folwell, Alastair Elliott, Daniel Norman, Adrian Thompson,
Henry Waddington, Sion Goronwy, Patrick Guetti,.
The Glyndebourne Chorus. London Philharmonic
Orchestra, dir. Michael Güttler.
Mise en scène : David Mc Vicar.
La voilà donc la reprise tant
attendue de la production de ce Wagner façon Glyndebourne
! Un belle réussite, comme lors de la première édition
en 2011. D'abord par un cast d'une parfaite
homogénéité. En tête duquel Gerald Finley, un Hans
Sachs dont l'assomption dans le rôle le place désormais auprès de ses grands
aînés. Noblesse du chant nursé dans le pianissimo
comme assuré dans les accès de force, avec une confondante maitrise et un
naturel tout aussi stupéfiant. Le rôle est, on le sait, porteur des plus pures
émotions. Il est chez cet artiste une sorte d'aboutissement logique d'un
parcours sans faute, depuis ses premiers pas dans les Chœurs de… Glyndebourne. Qui comme il le dit avec amusement, fut le
marchepied pour successivement se voir distribuer, d'abord au ''Festival on
Tour'' d'automne puis au Festival lui-même, dans un petit rôle, un rôle plus
important, un rôle majeur de Mozart et enfin le rôle titre
d'un autre opéra de Mozart ! Toujours animé du même souci d'excellence. Cela
paie au bout du compte et dans ce rôle le plus exigeant du répertoire
wagnérien, cela se sent et se voit. Le monologue « Wahn,
wahn » du début du III, d'une telle profondeur
d'émotion, couronné par ces mots ppp « Johannis
Nacht » puis piú
forte « Johannis Tag », cela ne
s'oubliera pas de sitôt. Mais on ne mesure pas une interprétation, fût-elle de
classe, à ce seul moment, non plus qu'à celui de l'acte II (« Flieder Monolog »),
également d'un impact à vous tirer les larmes ; elle doit se lire à travers une
défense et illustration du personnage au fil d'un long cheminement depuis
l'acte I, si détaillé, comme du II, si précis, ou encore durant les longs
échanges du dernier. Du grand art. Un ténor mozartien qui a franchi le pas des
Max (Der Freischütz), Florestan
(Fidelio) pour maintenant aborder Walther : Michel Schade est plutôt un
choix improbable sur le papier. Pourtant son interprétation est de classe, d'un
chant pourvu des nuances inhabituelles dans la préparation du chant de concours
à l'acte III et lors du délivré dudit chant. Si la projection n'est pas aussi
puissante et aisée que chez des ténors labellisés « wagnériens »,
comme Klaus Florian Vogt et maintenant Jonas Kaufmnan,
cela passe la rampe, d'autant plus facilement dans l'acoustique très présente
de la salle de Glyndebourne. Malgré un physique
désavantageux, le naturel de la prestation est indéniable. Jochen Kupfer
offre un Beckmesser d'une inhabituelle allure :
grand, jeune, tout juste pédant, baryton à l'articulation très détachée. En
grande forme, la basse Alastair Niles campe un bien sympathique Pogner, pas vieillot. Le
jeune David Portillo propose un David aussi futé dans
ses postures que lumineux dans sa voix de ténor clair. Si la Magdalene de Anna Hipp déploie un
séduisant mezzo, l'Eva d'Amanda Majeski, joli minois,
féminine, pas ingénue, offre une voix un peu courte, mais passe sans encombre,
en particulier dans le Quintette. La Confrérie des Maîtres, sans atteindre la starisation
de la production berlinoise de Barenboim, aligne
d'irréprochables prestations, avec une mention particulière au Fritz Kothner de Darren Jeffery et au Vogelgesang de Colin Jutson, la veille maître d'école dans le Janáček. Des Glyndebourne
Chorus on dira le meilleur : précision, force, implication. Le fameux « Wach auf! »
du III vous tire sur le bord du fauteuil. Peut-être manquant un peu de nuances
au Ier acte, la direction de Michael Güttler, un
familier du Théâtre Mariinsky, s'affirme à mesure que
progresse la représentation pour atteindre le sommet au dernier : depuis un
Prélude d'une profondeur de ton abyssale, nanti des traits de violoncelle et
surtout des altos d'un LPO en superbe verve (traduisant sur le plateau le
rêve-cauchemar de Sachs), et le monologue de celui-ci extrêmement pensé,
procurant un magnifique écrin au chanteur, jusqu'aux duos et ensemble (le
Quintette), sa direction acquiert une force dramatique certaine. La fête
culmine dans une folle excitation à laquelle tout l'orchestre, sans parler des
autres participants, communique sa joie de jouer et de nous éblouir.
La mise en scène de David Mc Vicar n'a pris une ride. Sa vision est d'un extrême
''classicisme'', dirait-on. Pas tant que cela cependant, car truffée de traits
d'une pertinence et d'une acuité remarquables. « Une scrupuleuse attention
pour le détail », remarque Gerald Finley. Le
chalenge auquel se voit confrontée une communauté par rapport à un outsider,
Walther von Stolzing, qui
souhaite l'intégrer, même si poursuivant au premier chef un dessein autre, la
conquête de la belle Eva. Dès le lever du rideau on comprend que le parti sera
de rester au plus près des didascalies, déjà fort précises chez le poète
Wagner. Les jeux de scène seront en parfaite harmonie avec celles-ci lors de la
première scène et durant celle de l'installation de la salle de réunion de MM.
les Maîtres. Et tout commence par des agapes car on a dressé aussi des tables
avec nappe et victuailles. Les choses prennent un tour plus sérieux lors de la
lecture des règles de la ''tabulature'' (beau
groupement des Maitres autour de Kothner, alors que
Walther semble se joindre à eux par simple curiosité). La première intervention
de ce dernier, destinée à donner un exemple de ce qu'il sait faire, déchaîne
interrogation et incompréhension. Pas celle de Sachs cependant, qui l'écoute
avec attention, d'abord interloqué comme les autres, puis intéressé, voire
captivé par tant d'audace et de fraicheur, au point de prendre des notes au
vol. Deux camps se font vite face, lutte des anciens et des modernes, quoique
les premiers tiennent la corde. Le jeune homme s'enhardit et tout finit dans
une amusante pagaille où l'on en vient aux mains, chez les apprentis s'entend. Et
Beckmesser dans tout cela ? Pas une caricature, loin
de là : un bel homme en redingote noire, calamistré, infatué mais sans excès,
donc crédible pour aspirer à la main d'Eva lui aussi, lui d'abord pense-t-il.
De cette approche du personnage, Mc Vicar ne démord
pas ensuite, en particulier durant la sérénade interrompue du II ème acte : l'échange aigre-doux avec Sachs se situe dans le
registre de la raillerie, non dans celui de l'agression convenue, bien inutile,
qui souvent tourne au grotesque. Nul trace ici de
pareille dérive. Et lorsqu'au final, il échoue au vrai concours, devant toute la ville
réunie, il s'en tient piteux mais digne sur son siège un peu à l'écart, tendant
l'oreille au chant souverain de ce jeune loup de Walther, puis approuvant la
harangue de Sachs quant au fait pour ce dernier de devoir porter plus que la
couronne du vainqueur, l'insigne de Maitre. Et puis ce trait d'une délicatesse
inouïe : tandis que Sachs se dirige vers lui pour lui glisser en silence
« faisons la paix », il se détourne fièrement. Le premier montre sa
déception devant ce choix de non réconciliation, se désolant d'avoir été dur
envers un brave homme. Ainsi se trace une relation autrement plus pertinente
entre les deux tenants de la tradition et de la modernité que leur sempiternel
affrontement. La figure de Sachs en acquiert encore, s'il en était besoin, une
noblesse étonnante.
Ce sens de l'observation des
hauts et bas de la nature humaine, au centre des préoccupations de Wagner dans
son opéra, trouve dans cette mise en scène un écho réel : la recherche de
créativité chez un homme, Hans Sachs, qui a connu un parcours personnel
difficile et se réfugie dans l'Art au-delà des préoccupations quotidiennes.
L'écrin décoratif parachève le prestige de ce spectacle, que procure un lien
unique unissant les trois actes : ce beau plafond blanc en ogives qui relie
aussi bien l'église du 1er acte que la rue du deuxième avec sa statue de JS
Bach trônant au milieu d'une fontaine, ou encore la pièce atelier-bureau de
Sachs au dernier, encombrée de tant de livres et partitions – et même d'un
petit bronze de Wagner! - et enfin la fête sur fond
stylisé de ville médiévale. C'est d'un grand esthétisme et fonctionne à la
perfection sur ce plateau de dimensions bien plus modestes que celles des
grandes maisons, grâce à des astuces de présentation, pour élargir par exemple
l'horizon de ladite fête avec ses acrobates, jongleurs et cracheurs de feu. On
ne saurait passer sous silence non plus l'élégance des costumes cultivant le
style Biedermeier. Great ! Jean-Pierre Robert.
***
Rencontres Proquartet en Préhistoire
Dans le cadre des 17 èmes
Rencontres musicales Proquartet en Seine-et-Marne,
l'un des concerts se donnait au Musée départemental de Préhistoire de Nemours.
Lieu improbable, voire insolite, pour le récital du Quartetto Lyskamm. Car se produire dans cet endroit dédié à
l'Histoire d'avant l'Histoire avait de quoi surprendre, puisqu'on jouait aux
côtés d'une réplique de l'Homme de Cromagnon et d'un
squelette impressionnant de quelque ancêtre, sur fond d'arbres généreux à
défaut d'être antiques. Mais le concert fut nul doute un moment de bonheur.
D'abord du fait d'une acoustique plus hospitalière qu'on l'imaginait.
L'architecte Roland Simounet conçut dans les années fin 1970 un édifice tout en
béton brut, qui avec
la patine du temps prit les couleurs des rochers nemouriens, et pensa un hall
qui finalement se prête bien à ce type de manifestation musicale. Ensuite parce
que les musiciens sont des plus talentueux. Le Quartetto Lyskamm,
fondé en 2008 au conservatoire Verdi de Milano, par quatre jeunes italiens,
trois filles, un garçon, a bénéficié de l'aide de bonnes fées (les Artemis, Jacques Pernoo, Hetto Beyerle, Heime Müller...). Il a remporté le deuxième prix du
concours de Graz et le prix spécial Proquartet. Il se
produit déjà dans des lieux renommés tant en Italie que partout en Europe. En
2016, le Borletti Buitoni
Trust lui a décerné le ''prix spécial pour la musique de chambre'' créé à la
mémoire de Claudio Abbado. Ce que les caractérise, c'est leur engagement
tangible dès la première phrase, et quel que soit le répertoire abordé. Le
programme aussi original qu'exigeant le démontrait d'évidence : deux pièces de
Stravinsky, une de Casale, pour finir par un quatuor
de Beethoven. En présentant interprètes et programme, le représentant de
l'association Proquartet précisa qu'ils jouaient les
deux tiers de la production stravinskienne livrée au quatuor à cordes,
s'agissant des Trois pièces de 1914 et du Concertino de 1920
(seule manquait donc une dernière pièce composée en 1959). Les Trois pièces
montrent une sûre maitrise du matériau pour le moins raréfié que Stravinsky
offre à ses interprètes, morceau répétitif essentiellement articulé à partir du
violon I (pièce n°1), atonalité qui ne dit pas son nom à la deuxième et ton
russe dans le droit fil du Sacre ou de Petrouchka pour la
troisième, la plus développée. Le Concertino pour quatuor à cordes se
situe, quant à lui, dans la lignée de L'Histoire du soldat. Les Lyskamm maitrisent le rythme, cette scansion abrupte
typique du maitre. Le violon I de Cecilia Ziano se
taille la part du lion dans un morceau de coupe ternaire conçu sur le modèle de
la sonate a quattro baroque. Le compositeur italien Emanuele Casale (*1974) qui se perfectionna, entre autres, auprès de
Salvatore Sciarrino, se spécialise dans la musique
électro-acoustique. Il n'en délaisse pas pour autant la composition dite
traditionnelle. Son mouvement de quatuor intitulé « 7 » est, comme
l'indique le celliste Giorgio Casati, un « joke » car son titre n'a pas de signification
particulière... En fait, une impression de dialogue d'abord entre les violons I
et II sur d'infimes petites cellules et pianissimo, la pièce progressant en
vrais faux unissons et proposant des bribes qui s'enflent en un tout impressionnant.
Une attaca après un silence marqué donne le signal
d'une séquence d'une folle énergie. Il y a un côté Ligeti là
dedans. Ce que confirme le celliste qui nous précise « there is much
of ligeti's idea of harmonization with all the pitches included in a determined interval in continous movement ». Une
exécution sur le fil du rasoir et d'une fine maitrise instrumentale. Cette
maitrise, les Lyskamm vont l'asseoir éloquemment avec
le Quatuor op. 18 N° 5 de Beethoven. Ils s'y jettent sans fard, n'hésitant pas
à prendre des risques, dans l'allegro pris à belle allure et le menuetto, qui fait figure plus de scherzo que de danse de
cour, même si d'une douce rêverie . Les variations de
l'andante cantabile dévoilent des trésors d'imagination dans les divers
éclairages et un remarquable fini instrumental. C'est que chacune s'y révèle
fort différente en termes de rythme, de mélodie et d'expression. Le finale sera on ne peut plus engagé drivant une énergie
débordante avec son second thème. Voilà du fort beau travail et on ne saurait
que féliciter les quatre voix de ces sympathiques italiens. En bis, ils donnent
le finale du Quatuor K. 464 de Mozart dont en sait que
Beethoven s'est inspiré pour la composition de son op. 18. Jean-Pierre
Robert. Brahms au sommet à Saint-Denis
Affluence des grands jours à la
Légion d'Honneur pour le concert de musique de chambre consacré à Brahms dans
le cadre du festival 2016. C'est que se produisaient le violoniste Renaud Capuçon qui, comme peu aujourd'hui, peuvent assurer une
salle pleine, mais aussi le non moins réputé Nicholas Angelich
au piano, et last but not least, la chanteuse Karine Deshayes.
Un trio à chérir. All Brahms programm donc pour ce
concert vespéral sous l'œil de Napoléon. La Sonate pour violon et piano N° 2
en la majeur, op. 100, est composée en 1886, au bord du lac de Thun où le
musicien coulait des jours heureux. Contrairement à la mélancolique Première sonate,
l'atmosphère est ici celle d'un rêve poétique. Qu'aucune ombre ne vient
troubler. L'interprétation de Capuçon et Angelich est méditative, retenue, presque grave. Ce qui
transparait dès l'allegro amabile, en particulier dans le développement.
Impression que confirme l'andante tranquillo. Ce
mouvement qui comme souvent chez Brahms, cumule les fonctions d'andante et de
scherzo, débute par un thème heureux énoncé par le violon, repris au piano. Le
mouvement se révèle quelque peu fantasque avec un épisode vivace et un usage du
mode cyclique qui remet en boucle le thème d'origine. Les deux protagonistes
montrent une complicité qu'on sent déjà bien établie. Le
finale allegretto grazioso, un rondo en trois séquences, prolonge le
sentiment de tendresse et de ballade élégiaque qui aura baigné toute la
composition. Venaient ensuite les Zwei Gesänge (deux chants) op. 91 pour voix grave, alto et
piano. Datant de 1884, peu après la Troisième symphonie, ils offrent une
combinaison unique en son genre chez Brahms. Mais somme toute idéale pour
traduire la mélancolie au cœur de sa musique. Ce sont deux duos pour voix
d'alto et alto avec accompagnement de piano. Le premier, « Gestillte Sehnsucht » (désir
apaisé), sur un poème de Friedrich Rückert, est un adagio espressivo évoquant
la douce atmosphère d'une journée au crépuscule qui n'apaise peut-être pas les
battements d'un cœur enamouré. Après une large introduction de l'alto, que joue
Capuçon, la voix s'élève et ouvre un dialogue ému
avec celui-ci. Karine Deshayes y sera bouleversante
de simplicité, le regardant fascinée. La seconde mélodie « Geistliches Wiegenlied» (berceuse sacrée), un andante con moto sur un texte
traduit de Lope de Vega, est inspirée d'un chant de Noël du XVI ème siècle et trouve son origine chez Brahms dans une
pièce « Geistliches
Wiegenlied », de 1864. Là encore les entrelacs
de la voix grave et de l'alto sont une merveille d'émotion. L'interprétation de
Karine Deshayes dont le timbre moiré et velouté, est
au plus près de cette prière intime. L'intensité du jeu de Capuçon
et le perspicace accompagnement d'Angelich complètent
un moment de grâce qui vaudra d'être bissé en fin de concert. Il se poursuivait par la Troisième
Sonate pour violon et piano op.108 (1888). La plus développée, dont la
richesse thématique sans cesse se renouvelle. Ainsi de l'allegro qui va jusqu'à
introduire de nouveaux matériaux dans le développement lequel présente cette
autre particularité d'être bâti sur l'idée originale d'une pédale de dominante
tenue par la main gauche du piano. La vision de Capuçon
et Angelich est énergique, comme exprimé durant la
large coda. L'adagio, une des inspirations mélodieuses les plus abouties de
Brahms, les trouve au sommet de leur art : une rêverie à l'état pur. Le court
scherzo formera un intermède joyeux dans sa rythmique capricieuse, le ''con sentimento'' ajoutant une note aérienne. Ils abordent le finale presto agitato on ne peut plus engagé, jusqu'à la
brillante coda. La paire fonctionne décidément à la perfection et on aura
admiré combien le violon solaire de Capuçon sait se
tinter de belles couleurs mordorées dans le médium et le grave, et comme le
piano d'Angelich est plus qu'une réplique. Jean-Pierre
Robert. Oui, on aime Brahms...
Clemens
Hagen, Leif Ove Andsnes / DR Un concert de la sorte se mérite
: l'intégrale des trois Quatuors pour piano et cordes de Brahms par Christian
Tetzlaff, Tebea Zimmermann,
Clemens Hagen et Leif Ove Andsnes. Mais
avec de tels interprètes, il devient un bonheur. Et ce fut le cas tout au long
de cette vaste soirée au Théâtre des Champs-Elysées, dense, passionnée,
lumineuse, infiniment musicale. On joue souvent le Premier quatuor op. 25 en
sol mineur. Une référence, doublée d'un souvenir personnel : l'interprétation dans
les années 1980, donnée dans cette même salle, pour le dernier concert parisien
du Quartteto Italiano, avec un jeune pianiste du nom
de Maurizio Pollini ! Mais les deux autres se font
plus rares, même au disque. Aussi les entendre d'affilée est comme une sorte de
révélation. L'opus 25, Brahms l'achève 1861, dans la fougue d'une jeunesse
débordante d'activité. On est frappé d'emblée par la liberté de la forme, plus
encore que par la combinaison inaccoutumée piano cordes. A l'aune des divers
épisodes du premier mouvement et de sa richesse thématique. Ce sera un vrai
jaillissement, débordant d'énergie, d'engagement, qui ne se se
tarira pas au fil des trois autres mouvements. Nos quatre mousquetaires
prennent cet allegro à bras le corps, d'un modernisme insoupçonné. Ce qui se
confirme à l'intermezzo, aérien, rêveur, muni d'un trio ''animato'' qui s'avère
fantasque dans sa tonalité nocturne. L'andante con moto, vaste cantilène en
trois parties, sera tout aussi libre, le discours se faisant presque orchestral. Du finale, un
« rondo alla zingarese » bien senti, ils
ménagent les diverses variations avec entrain et fantaisie et la conclusion prestissime en deviendra irrésistible. Une exécution
mémorable. Le Deuxième quatuor op. 26, en la majeur, composé simultanément avec
le premier, est d'une toute autre facture. Moins directement séduisant, il est
de caractère plus intérieur, mais aussi moins aventureux du point de vue
formel. Il complémente le précédent pourtant. Une petite cellule rythmique
inonde le premier mouvement, allegro non troppo, et
on admire le sens de la digression brahmsienne ; l'équivalent des fameuses
''divines longueurs'' de Schubert peut-être ! Le poco adagio offre une belle
effusion en particulier dans le jeu du piano, et les dernières pages ppp
sont révélatrices de tout l'art de Brahms. Du scherzo les quatre interprètes
donnent une lecture fluide et magistralement proportionnée. Le
finale bien scandé se partage deux thèmes, l'un fiévreux, l'autre
lyrique, qui vont se mêler au fil d'un développement là encore substantiel et
les toutes dernières phrases seront négociées à une vitesse vertigineuse que
seuls des musiciens de cette trempe peuvent soutenir avec une telle maestria. Celle avec laquelle ils abordent
le Troisième quatuor op. 60 (1875) est tout aussi renversante. Avec cet ultime
pièce pour la formation piano-cordes, le langage se complexifie. Et on dénote
quelques solos du violon, de l'alto, du piano bien sûr. La tonalité est plus
austère : c'est le Brahms de la maitrise de la maturité, comparé à celui de
l'héroïsme de la jeunesse. Encore que des études ont montré que la composition
de cette pièce aurait été longue et aurait débuté en 1861, en même temps que
les deux autres. Une introduction précède l'entrée du premier thème de
l'allegro, lequel sera passionné, exalté presque ; impression qui perdurera
tout le reste de l'œuvre. Le scherzo, très libre, est léger mais non sans
véhémence. Le beau cantabile de l'andante, introduit par le violoncelle et le
piano, puis repris par le violon et l'alto, nous mène sur les cimes d'un Lied
expressif. Du finale, d'une rare complexité, les
interprètes déjouent les aspérités techniques par une exécution proprement
inouïe. Ils seront justement fêtés. Quel marathon en effet ! Un concert comme
il en est peu, au cœur de la musique grâce au génie et à la générosité de
musiciens d'exception. Jean-Pierre
Robert. « Recréation » d'Olympie de Spontini Gaspare
SPONTINI : Olympie. Tragédie lyrique en trois
actes. Livret d'Armand-Michel Dieulafoy et Charles Brifaut, d'après la pièce
éponyme de Voltaire. Karina Gauvin, Kate Aldrich, Mathias Vidal, Josef Wagner,
Patrick Bolleire, Philippe Sauvagie.
Chœur de la Radio flamande. Le Cercle de l'Harmonie, dir.
Jérémie Rhorer. Version de concert au Théâtre des
Champs-Elysées.
Pour l'inauguration de son
quatrième Festival à Paris, le Palazzetto Bru Zane,
en coproduction avec le Théâtre des Champs-Elysées, donnait Olympie de Gaspare Spontini (1774-1851). Celui dont on ne connait
bien, semble-t- il, que La Vestale, commit
pourtant une vingtaine d'autres ouvrages pour la scène, comme Fernand Cortez
(1809), commande de Napoléon, ou Agnès von Hauhenstanden (1829). Olympie a été créé en 1819
à l'Académie royale de musique de Paris, puis remanié deux fois : l'une pour permettre
un version en allemand, grâce à une traduction de
E.T.A. Hoffmann (1821), l'autre, en français (1826), doté d'un lieto fine qui n'existait pas à l'origine. Depuis lors
l'ouvrage a sombré dans l'oubli, si ce n'est une production à La Scala en 1966.
Aussi l'occasion était-elle remarquable de pouvoir entendre un opéra qui
enthousiasma Berlioz qui y voyait « l'une des plus splendides
partitions de Spontini, celle même qu'il affectionnait davantage » (27
novembre 1851). C'est que cet opéra, inspiré de la pièce de Voltaire (1761),
moyennant adaptations sensibles, ne manque pas d'attraits même si le premier
contact est quelque peu déconcertant. En bon élève de Piccini
ou de Cimarosa, mais en musicien bien de son temps, Spontini tente d'unir ici
tragédie lyrique classique issue de Gluck et tradition opératique italienne.
Mais à la différence de La Vestale, Olympie forge un langage
particulier, peut-être marqué par la petite musique de la tragédie éponyme de
Voltaire (1761). Et son sujet à la fois héroïque et lyrique : l'union
impossible d'Olympie, fille d'Alexandre le Grand et de Cassandre, meurtrier
présumé de son père. À la flamboyance de certaines pages telles que l'Ouverture
ou les grands finales des actes 1 et 2, fait pendant
une trame éminemment lyrique. Plus : les enchainements, pour certains
insolites, imbriquent les deux genres. Ainsi du passage sans solution de
continuité du premier chœur à l'air de la basse. Ces enchainements créent des
associations inhabituelles : le premier air de Cassandre (ténor) « Oh
souvenir épouvantable », est enchâssé entre deux duos (avec
Antigone-baryton). Autre exemple : au début du II ème
acte, l'air de la prêtresse Statira, qui s'avèrera
être la veuve d'Alexandre, est entrecoupé de courtes interventions du grand
prêtre L'Hiérophante (basse) puis du chœur. On trouve ainsi là le procédé de la
scena, très nouveau et moderne pour l'époque, qui
annonce déjà les grands romantiques dont Weber, plus que les italiens comme
Rossini. La musique offre des harmonies curieuses, ce que l'interprétation sur
instruments anciens renforce : ainsi d'une extrême mouvance mélodique au fil de
séquences courtes qui outre qu'elle mêlent les veines héroïque et élégiaques,
déploient une instrumentation fort originale, des bois en particulier (par deux
pour flûtes et hautbois, par trois s'agissant des clarinettes et des bassons)
mais aussi des cuivres (trombones, cors, et ophicléides dont c'est une des
premières apparitions dans le paysage musical français, donc bien avant
Berlioz). On n'en finirait pas de citer les inventions dont Spontini truffe son
opéra. Qui possède un indéniable ressort dramatique, à partir du moment où
intervient, au Ier acte, le personnage de Statira,
comme les renversements de situations, sans parler de morceaux d'une charge de passion
étonnante tel le duo-confrontation Olympie-Statira au IIème acte, débuté sur un
accompagnement des seules cordes. L'interprétation qu'en donne
Jérémie Rhorer et son Cercle de l'Harmonie ne mérite
que des éloges : mouvement allègre boustant au besoin
les climats de cette vaste fresque, qui pourtant ne sonne pas grandiloquente ;
comme ce duo Olympie-Cassandre à l'acte III, qui par son tempo alerte, fait
presque mentir le texte désespéré que chantent des deux protagonistes en proie
aux tourments de la passion contrariée ; force communicative des tempos
lorsqu'il le faut, en particulier pour les finales qui ménagent les effets de
répétition ou le procédé du crescendo monté par paliers successifs avec
élargissement de la dynamique, préfigurant ceux de Rossini. Soin enfin apporté
à l'instrumentation et ferveur de la mélodie. Les Chœurs de la Radio flamande
distillent un excellent français. La distribution défend la pièce avec foi, ce
qui n'est sans doute pas aisé faute d'accoutumance à cet idiome, et nul doute
délicat à contrôler car les points de comparaison manquent. De l'héroïne,
Karina Gauvin dresse un portrait tour à tour altier et ému et le soprano se
déploie avec aisance, qui culmine dans le l'air « O saintes lois de la
nature », modèle de ligne épurée. Kate Aldrich trace de la prêtresse Statira une figure grandiose, de sa voix de mezzo soprano fort bien timbrée et conduite ; qui fait
penser à Anna Caterina Antonacci. Remplaçant Charles Castronovo,
Mathias Vidal offre sans doute un timbre de ténor bien différent : point de
brillance italienne, un timbre plus mat. Pas moins investi cependant dans ses
répliques rageuses. Si la voix n'est pas large, du moins le style est au rendez vous. Le baryton Josef Wagner, Antigone, et la basse
Patrick Bolleire L'Hiérophante, complètent un cast sans faille. Une bien intéressante découverte qu'on
devrait pouvoir encore peaufiner plus avant à l'écoute du disque qui en a été
confectionné live. Jean-Pierre
Robert. Le charme discret d'une grande dame du piano
Voilà enfin le concert parisien
que nous appelions de nos vœux lors de la Folle journée qui voyait l'exécution par
Anne Queffélec de sonates de Scarlatti. Son programme
à la salle Gaveau associait le compositeur italo-espagnol et Schubert. Un
rapprochement à priori curieux. Pas tant, comme on le verra. Pour débuter, la
pianiste joue Toccata, adagio et fugue en ut majeur BWV 564 de Bach,
arrangé par Ferrucio Busoni. Le ton de la soirée est
donné, d'une profonde réflexion. Elle enchaîne avec Scarlatti dont elle donne
douze sonates. On sait ce musicien cher à son cœur et combien elle est en
empathie avec son langage. Et tord le cou à quelque cliché associé à des pièces
originellement écrites pour clavecin : loin d'être uniquement brillantes et
purement répétitives, ces « exercices », dédiés à une grande
d'Espagne, véhiculent ombre et lumière à travers une foison de rythmes et de
manières moyennant une incroyable liberté de la forme. Au piano, plutôt qu'au
clavecin, elles changent de caractère et « acquièrent des couleurs
nouvelles », dit-elle. Elle n'est d'ailleurs pas la première à faire de la
sorte : on pense à Marcelle Bunlet ou plus récemment
à son collègue Alexandre Tharaud. Elles véhiculent
aussi le charme de la peinture des goûts espagnols et offrent des sonorités
souvent solaires. On les croit modelées sur le même moule, en trois ou quatre
sections accolées, et purement répétitives. Et pourtant que de différences de
l'une à l'autre. Cette liberté formelle permet de substantiels changements,
même dans la technique du clavier : gruppetos,
phrases ouvragées à l'envi dont la répétition emporte toujours quelque chose de
nouveau et d'original. La diversité des climats est tout autant étonnante :
l'élégiaque, la motricité, le sémillant, le poignant. L'extraordinaire
inventivité des traits en fait une source de surprise permanente. Anne Queffélec a choisi un bouquet de pièces s'inscrivant dans
le cadre de réflexion initié par l'œuvre de Bach jouée en entame de son
récital. On savoure le jeu d'un suprême raffinement, alerte, d'une merveilleuse
fluidité, qui magnifie cette écriture lumineuse : notes piquées, trilles et
autres appogiatures, sans parler des silences, des sauts d'intervalle et autres
traits humoristiques. Car si exercice il y a, il ne doit à aucun prix paraître
fastidieux. On admire encore la modernité de certaines sonates. Elle termine
par la Sonate K 27, pièce fétiche, d'une optimiste résolution et qui
« s'en va sur la pointe des pieds ». On sort de ce petit marathon
revigoré et empli de bonheur. Comme de l'audition de son récent CD (Mirare : MIR 265). La seconde partie du concert
était consacrée à la Sonate D 960 de Schubert en si bémol majeur. Cette
ultime pièce livrée au piano (1828) contient l'essence même du génie
pianistique du musicien. Pas une note qui ne soit frappée au coin de la
souveraine maitrise de l'instrument, pas une phrase qui ne sorte d'une absolue
cohérence de la pensée. Anne Queffélec l'aborde avec
humilité et recueillement presque. Ainsi du molto moderato qu'elle prend
retenu, accentuant les silences entre les divers groupes du premier thème. La
poésie sereine affleure, immédiate. Le spectre dynamique sera relativement
restreint : des pianissimos évanescents, des forte loin d'être tonitruants. Un
jeu pas si ''féminin'' que cela, qui souvent chez d'autres tonne et empoigne.
Rien de cela ici. Ce qu'on perd peut-être en fluidité, on le gagne en poésie,
comme aux derniers accords, d'une infinie douceur. L'andante sostenuto prend
l'aspect d'une confidence émue, hypnotique, d'un tragique abyssal, certes,
combien retenu. L'aisance du jeu et la gracilité du toucher font oublier les
difficultés qui s'imposent à l'interprète : les passages des mains, cette
rythmique aérienne exigée à la partie médiane. Cela respire et est d'une
confondante simplicité. Queffélec dévoile avec le
scherzo, marqué « Allegro vivace con delicatezza »
un monde fantasque qui n'est peut-être pas si éloigné que cela de celui de
Scarlatti. Un moment de détente presque.
Du finale, le rythme de marche est mis en relief comme toute la
dramaturgie d'un mouvement qui pousse toujours de l'avant avec des pauses et
des signaux (les accords forte) pour d'autres rebondissements. On perçoit aussi
une pointe de mélancolie vers la fin. Une magistrale exécution hors de toute
démonstration de clinquant. Non, la poésie, là encore, dans ce qu'elle a de
plus secret. En bis, elle donnera d'abord un morceau de Reynaldo
Hahn, Hivernale, « que Schubert aurait sans doute aimé »,
lance-t-elle. Le climat raréfié d'un paysage glacé mais non aseptisé, sur un
schéma de variations. Elle prend congé par « Oiseaux tristes »,
la deuxième pièce des Miroirs de Ravel : toute une signification à
l'aune de ce qui a précédé. On saisit, sous ses doigts, ce que cette pièce a à
voir avec le futur Gaspard de la nuit. Jean-Pierre
Robert. Quant un
passionné nous découvre le Requiem de Donizetti
Leonardo García Alarcón n'en est pas à son coup d'essai. Après Michelangelo
Falvetti et le Déluge universel et autre Nabucco,
il déniche le Requiem de Donizetti ! Que celui-ci écrivit en 1835 à la mémoire
de son rival et néanmoins ami Vincenzo Bellini. La pièce ne sera jouée qu'en
1870, à l'occasion du transfert des cendres de Donizetti lui-même. Elle
sombrera dans l'oubli jusqu'à sa redécouverte en 1975. Mais sera peu jouée
ensuite. D'où la chance offerte par le chef argentin de l'entendre dans le
cadre du Festival de Saint-Denis. Elle se compose de 17 séquences, pour la
plupart assez courtes, dont plusieurs non reprises dans les autres Requiem, tel
celui de Verdi. Ainsi de l'« In memoria » (V), confié au chœur, du « Ludex ergo », aux ténor et basse (VIII), du « Rex
tremendae majestatis (IX)
pour soprano, basse et chœur, de « Praeces meae » (XII) , pour alto, ténor et basse, de « Oro supplex » (XIII) pour
air de la basse. Ce Requiem qui assortit les quatre voix cardinales, de
soprano, mezzo-soprano, ténor et basse, ne réserve curieusement pas d'air à
proprement parler aux deux femmes, mais fait la part belle à la basse et au
ténor (« Ingemisco », comme chez Verdi) ;
sans compter le chœur qui prend une égale importance. Il est quelque peu
éloigné du propos religieux : Donizetti est d'abord un homme de théâtre. Mais
la veine lyrique perce bien souvent, en particulier au « Lacrymosa » (XIV) et à la séquence finale du
« Libera me » (XVII). Le sentiment donc de l'hommage d'un compositeur
d'opéra à un autre maitre du bel canto. Mais ne dit-on pas de la Messa da Requiem de Verdi qu'elle est écrite
plus pour le théâtre que pour l'église ! L'interprétation de García Alarcón ne manque pas de panache et combine habilement les deux aspects théâtral et religieux. L'empathie du chef
avec cet idiome est évidente, sa passion pour le chant n'étant plus un secret.
On se souvient de ses « Funérailles de Louis XIV », l'année
passée au même Festival de Saint-Denis. Le geste est généreux et tente de
juguler l'acoustique impossible de la basilique : un temps de réverbération
énorme qui transforme certaines fins de phrases forte
en bouillie sonore. Surtout lorsque le chef déchaine les timbales. Une
instrumentiste altiste, rencontrée le
lendemain dans le train la ramenant à Amsterdam, confiait que lesdites timbales
étaient encore plus fortes au concert qu'en répétitions. De fait, elles
couvraient la moitié de l'orchestre. Cet orchestre, le Millenium, ajoute-elle a
été fondé il y a un un peu plus d'un an par García Alarcón et pour quelques projets spécifiques dépassant la
sphère baroque. Il est constitué de musiciens free lance
venant de divers pays européens, comme il en est du Chamber
Orchestra of Europe. On admire les sonores fanfares, très opératiques ouvrant l'« Introduzione » (I),
puis le contraste tout en douceur que forme la section suivante
« Requiem » (II), le duo mezzo-ténor à « In memoria
aeterna » (V), la violence du « Dies
irae » (VI) qui tonne de ses timbales ffff.
La séquence du ''Recordare Jesu
pie'' qui est incluse dans le « Rex tremendae majestatis », est introduite par la soprano dans le
registre éthéré, et le ''Quaerens me'' sera défendu par la basse très legato.
Deux grands moments. Comme aussi l'« Ingemisco » avec son solo de violon et les cordes
seules au début, pour un morceau on ne peut plus bel cantiste
; ce que l'interprète Fabio Trümpy ne se fait pas
faute de souligner. Autre passage lumineux : le « Lacrymosa »
du chœur, beau chant religieux que conclut une vaste fugue. A l'« Offertorium », pour
basse et chœur d'hommes, Donizetti a imaginé un solo de cor sur ''Domine Jesu Christe''. On revient vite
ensuite à l'opéra. Le Requiem se termine sur une note mélancolique des quatre
solistes, juste avant la reprise du « Libera me » véhément du chœur.
Mais le dernier trait sera recueilli. Les solistes sont de classe : outre le
ténor cité, la basse claire de Nikolay Borchev, la soprano assurée d'Ambroisine
Bré et le beau mezzo de Guiseppina
Bridelli. Comme magistrale la prestation du Chœur de
Chambre de Namur, partenaire habituel des projets de García Alarcón. En amuse
bouche, il avait proposé la Sinfonia sopra i motivi dello Stabat Mater di Rossini, composé en 1843 par Saverio Mercadante (1795-1870). Ce compositeur largement
ignoré aujourd'hui, quoique défendu par Riccardo Muti,
écrit ici une musique elle aussi ancrée dans l'univers de l'opéra, ce qui est
logique puisqu'inspirée du Stabat Mater de Rossini et alors que l'auteur
du Barbier de Séville n'y fasse pas de distinction tranchée entre scène
et église. Le fameux motif central plein d'élan en est un bel exemple, comme
les fanfares introductives. Exécution engagée du chef et de ses forces de l'Orchestre
Millenium. Jean-Pierre
Robert. La Dame de pique : une réflexion autobiographique… Piotr Ilitch TCHAIKOVSKI : La Dame de
pique. Opéra en trois actes. Livret de Modest Tchaikovski
d'après la nouvelle d'Alexander Pouchkine. Misha Didyk,
Alexey Markov, Vladimir Stoyanov, Svetlana Aksenova, Larissa Diadkova, Anna Goryachova, Andrey Popov, Andrii Goniukov, Mikhail Makrov, Anatoly Sivko, Morschi Frzanz, Olga Savova, Maria Fiselier, Pelageya Kurennaya, Christiaan Kuyvenhoven. Concertgebouworkest,
dir. Mariss Jansons. Mise en scène : Stefan Herheim.
De Nationale Opera Amsterdam.
C'est à un événement
considérable, de longue date mûri, que l'Opéra
National d'Amsterdam aura convié son public pour le Festival de Hollande :
La Dame de pique dirigée par Mariss Jansons à la tête de l'Orchestre du Concertgebouw
et mise en scène par Stefan Herheim. L'idée maitresse
de celui-ci est de placer le personnage de Tchaikovski
lui-même au centre de l'histoire : un homme tourmenté par ses souffrances
morales, partagé entre attirance homosexuelle et essai de normalisation par un
mariage qui ne durera pas, et qui en finira par un suicide, un empoisonnement.
Un homme exalté qui compose sous nos yeux son opéra, « une pièce
épouvantable, un enfer », dont on sait que via le librettiste, son frère
Modest, sont légèrement déplacés les ressorts et soulignées les contradictions
par rapport à la nouvelle de Pouchkine. Qu'il va le porter ici à bout de bras, de
tous ses fantasmes, à l'image de son héros Hermann, sa créature chérie, mais
aussi damnée ; presque un double de lui-même. Ainsi Herheim
montre-t-il le compositeur dès un prologue muet, aux pieds d'un Hermann affalé,
tentant de se rassurer en activant une boite à musique qui débite un air de Papageno de La Flûte enchantée... Tout l'opéra sera
habité de la présence du compositeur en proie aux affres de la création, qui
tour à tour en tirera les ficelles, tentera d'en infléchir le cours, magnifiera
ses plus belles trouvailles. Une lecture logique lorsqu'on sait combien est
déterminante la part autobiographique dans la production du musicien russe. Au
centre du plateau, qui visualise un intérieur cossu, très XIX ème, le piano à queue noir, lieu d'échange essentiel. Son couvercle
soulevé ne découvre-t-il pas un envers damassé de satin blanc, là où plus tard
on placera la dépouille de la Comtesse. Lieu névralgique aussi : les feuilles
blanches de la partition qui s'écrit s'y entassent et chacun vient s'en
emparer. Au dernier tableau - le tripot - point de tables de jeu, mais cet
unique meuble autour duquel les joueurs se pressent et misent à satiété. Une
idée de la cohérence de la régie. Il y en a bien d'autres au
soutien d'une direction d'acteurs d'une force théâtrale peu commune. A
commencer par celle de l'identification du personnage imaginé de Tchaikovski à celui, bien réel, de Yeletsky
qui courtise Lisa. Souvent passe-t-on de l'un à l'autre, du muet à celui qui
chante, au point de s'y méprendre tant la combinaison est habile et pas
seulement dans la similitude du vêtement de l'un et de l'autre. La duplication
des gens du chœur ensuite : des répliques de Tchaikovski
lui-même pour les messieurs, des femmes vêtues de blanc comme Lisa, ou de noir
comme la Comtesse, ou encore cette théorie de Gouvernantes, multiplication de
ce personnage crucial dans la trame. Le théâtre et son double, l'effet de
miroir, Herheim s'en approprie le concept avec une
efficacité redoutable. On voit comment l'auteur façonne ses créatures, et d'abord
son soldat possédé par la quête d'un amour impossible, puis par l'argent qu'il
peut entasser grâce au secret des trois cartes nécessairement gagnantes. Cet
homme veule finalement s'adresse à lui souvent, non au personnage de la
didascalie. Ainsi au tableau de la chambre de la caserne : son fameux
monologue, Hermann l'adresse au compositeur, interloqué, dubitatif ou plein de
compassion ; conférant au morceau une vie extraordinaire. Plus tôt, le premier
duo avec Lisa, après qu'Hermann se soit introduit chez elle, voit un jeu de
scène étonnant : le compositeur la poussant littéralement dans les bras d'un
inconnu entreprenant. Ce procédé de médiation atteint son zénith lors que la
Comtesse se remémore son glorieux passé amoureux sur un air de Grétry. Tandis que
s'achève la deuxième strophe « Il me dit : je vous aime, Et je sens malgré
moi mon cœur qui bat, qui bat, Je ne sais pas pourquoi... », Tchaikovski, au chevet du fauteuil, en savoure béat les
effluves. Puis c'est par dessus elle qu'Hermann
s'adresse au musicien, pour une sorte d'échange muet à trois : vertige
dramatique d'une force incroyable, et au demeurant d'une beauté plastique à
couper le souffle. Comme le sont bien d'autres moments, enluminés par des
éclairages spectraux.
Chaque ensemble, chaque réplique
poursuit le même but d'éprouver la dramaturgie et d'expliciter tel ou tel
passage solo ou d'échange : tel le premier air de Lisa, une rêverie passionnée
hors du temps alors qu'une nappe de cristaux pierreries Swaroski
descend des cintres, brusquement balayée par l'entrée d'Hermann. Ou leur ultime
duo, délivré comme s'ils jouaient désormais un rôle en lisant des bribes de la
partition. Car ils
n'y croient plus, lui gangréné par son obsessionnel passion du jeu -
« Qu'est-ce que l'amour ; un jeu ! » a-t-il
lancé peu avant -, elle constatant l'inanité des sentiments de celui qu'elle a
chéri, déjà prête au suicide. Celui-ci - dans les eaux noires de la Neva - sera
stylisé par un étouffement d'hommes, les répliques muettes de Tchaikovski, comme la dévorant ; autre image saisissante.
La scène finale se fera resserrée jusqu'à l'épure : cet échange entre Yeletsky/Tchaikovski et Hermann,
si bref, si cinglant, de la sortie de la carte qui tue, la Dame de pique, et
non pas l'As annoncé. Les hommes l'entourent fébrilement et le laissent se
tirer une balle dans la tête. Plusieurs clés de lecture secondaires ne sont pas
moins révélatrices, souvent annoncées subrepticement. La boite à musique du
début annonce l'intermède du II ème acte. Ce moment,
si délicat à mettre en scène de par son aspect ''tunnel'', est ici
astucieusement traité : la pantomime est transfigurée en un échange entre les
divers protagonistes (idée déjà utilisée par Lev Dodin
dans sa régie pour l'Opéra Bastille) ; sans parler du ''coup'' de l'arrivée de
la tsarine : les choristes déboulent dans la salle qu'on a rallumée et l'on
fait lever les spectateurs pour ovationner la souveraine... qui enlevant sa
couronne et son manteau d'hermine, s'avère être un Hermann éméché... Ce trait
grotesque, sardonique, est contrebalancé par d'autres plus amènes telle
l'apparition de Lisa en figure d'ange au prélude et au final. Herheim n'aurait-il pas réussi là une lecture aussi
pénétrante et exhaustive que celle de son Parsifal
à Bayreuth ?
On pourrait s'étendre tout autant
sur le volet musical. Et d'abord sur la direction de Mariss
Jansons. Retrouvant ''son'' orchestre néerlandais, Le
Concertgebouworkest, il livre de la partition une
vision d'une grande transparence, d'un raffinement extrême, renonçant à tout
pathos, aux éclats inutiles ; mais au contraire recentrée sur la puissance
intérieure de cette musique sombre, habitée. Les nuances sont inouïes : des
cordes lustrées aux bois sémillants, aux cuivres retenus, non tonitruants. Une
lecture intériorisée s'accordant parfaitement avec la régie. Ainsi de la scène
d'Hermann qui suit sans solution de continuité celle de la mort de la Comtesse,
et parée d'un douloureux mystère qu'instille le contrepoint étouffant ppp
des cordes graves. La rythmique fuit l'abrupt pour une scansion autrement plus
pertinente, et partant percutante. Les accents ne sont pas tranchés à l'envi
comme souvent, car Jansons ne cherche pas à
''dramatiser'' une musique dont tous les pores respirent déjà le drame. Le chef
est fêté dès son arrivée et ovationné aux rideaux finaux. Sa distribution est
de haute tenue. Misha Didyk campe un Hermann
tourmenté, pas si héroïque que bien de ses confrères, vite possédé de sa quête
obsessionnelle qui tourne à l'idée fixe. Naguère Fevronia
de Kitège, ici même et au Liceu
de Barcelone, Svetlana Aksenova est une Lisa aux
accents lyriques et sombres. La Comtesse de Larissa Diadkova
est d'une présence plus vraie que nature dès sa première apparition et sa
''scène'' s'inscrira tel un morceau d'anthologie dans l'atmosphère raréfiée que
créé Jansons et la poignante vision que suscite Herheim : en chemise de nuit, tassée dans son immense
fauteuil, clouée d'épouvante. Le Yeletzky de Vladimir
Stoyanov est un roc, superbe baryton héroïque et fin
acteur ; comme le Tomski d'Alexey Markov, baryton
plus lyrique. On remarque aussi la Polina d'Anna Goryachova, une habituée de l'Opernhaus
de Zürich : voix large, veloutée, de mezzo qui illumine la deuxième scène du
duo avec Lisa et surtout de l'air qui suit. Enthousiasmante encore, la
prestation du chœur du Nederlandse Opéra dont chaque
individu est façonné par la régie et dont la masse chantée est impressionnante
comme elle l'avait été dans la production de La Khovantschina.
Une mémorable soirée. Jean-Pierre
Robert. Un pianisme qui ne laisse pas de marbre
Pour son
récital parisien à la Philharmonie de Paris, Yuja
Wang n'a pas lésiné sur les moyens. Changement complet de programme : aux
Chopin, Bach et autre Schoenberg annoncés sont substitués Brahms, Schumann et
Beethoven. Amusante gimmick question tenue vestimentaire aussi, avec talons
aiguilles et robes dernier cri, alternant le blanc à paillettes et après la
pause, le noir quasi phosphorescent pour dégager une fort jolie jambe. Mais une
fois au clavier quelle métamorphose ! La fluette chinoise au sourire un peu
coincé se transforme en la plus avisée des interprètes. La semble-t-il timide
jeune femme se mue en pianiste d'une étonnante autorité. Son programme le
montre à l'envi. De Brahms d'abord les Ballades op. 10 Nos 1 et 2, deux
premiers volets d'un ensemble de quatre pièces écrites en 1854, inspirées d'une
ballade écossaise « Edward ». Brahms y montre son génie de la
narration suggérée. La première, andante, dont Schumann louera l'« étrange nouveauté », est sombre, d'un puissant sous entendu tragique pour conter le dialogue d'une mère et
d'un fils qui aurait tué le père, étrange et dépouillée aussi. La seconde est
plus contrastée au fil de ses trois épisodes, dont le premier ppp,
presque effleuré par Yuja Wang, ouvre un autre
forte, comme asséné. La coda est toute de féérie. La maestria de la
pianiste s'affirme d'emblée dans ces deux morceaux chargés d'atmosphère
poétique. Elle va se déployer de manière encore plus topique avec les Kreisleriana op. 16 de Schumann. Un grand morceau de
piano, certes, dont le titre évoque le héros sorti de l'imagination de E.T.A.
Hoffmann, Kreisler, être de folie. Prémonition du mal qui l'atteindra lui
aussi, ou simple exacerbation d'une pensée fertilisée par un récit fantasque,
écrit en 1838, lors que traversant une phase personnelle épouvante – sa passion
contrariée pour Clara Wieck -, ce cycle de huit
morceaux présente un visage morcelé et pourtant d'une étonnante unité. S'y
croisent les deux manières familières chez Schumann, de Florestan
(les pièces vives) et d'Eusébius (celles plus
lyriques). Mais cela peut être mêlé à l'intérieur d'un même morceau. Il y a
quelque chose d'effrayant dans ce discours morcelé que Yuja
Wang détricote avec aisance, jouant d'un ambitus extrêmement large, du murmure pppp à la poigne la plus affirmée dans les ffff. Usant ce faisant de la pédale avec largesse pour
créer un enveloppement sonore. C'est le cas du premier mouvement (molto agitato),
d'une grande fébrilité, du troisième, pareillement agitato, à l'ostinato
rythmique très résolu dont l'épisode central plus apaisé ne relâche cependant
pas la pression. Ou encore du cinquième exalté dont Wang mène l'incoercible
crescendo de main de maître. Les sections plus lyriques contrastent habilement
car la pianiste possède un art bien à elle de creuser le fossé dynamique :
colloque intime du second volet (intimo, molto
affettuoso), infinie tendresse du quatrième, façon de berceuse du sixième, d'une
beauté plastique à couper le souffle. La Sonate
N° 29 « Hammerklavier »
op. 106 de Beethoven formera la seconde partie du concert (en fait la deuxième
comme on le verra). Autre monument de la littérature pianistique, requérant
parait-il une force virile, une santé de fer pour en escalader les parois. Yuja Wang l'aborde avec humilité, mais vite affirme un
tempérament de feu et là encore une poigne que bien de ses confrères masculins
peuvent lui envier. Le fameux « fil à retordre » donné aux pianistes
« lorsqu'on la jouera dans cinquante ans », selon la boutade de son
auteur ! S'affirme sans ambages une des idées force du pianisme
de la chinoise : le jeu sur la dynamique, qui se traduit par une palette
extraordinairement élargie. La sonate ''au marteau'' qui, elle aussi, livre
deux visages antagoniques, « soit comme combat sans pitié, soit comme un
colloque apaisé », dira Romain Rolland, va en
livrer moult exemples. Un début finalement assez sage dans ses premiers accords
et un élan rythmique amorcé d'une bienfaisante fluidité. Les choses vont
s'animer rapidement avec les octaves assénés mais aussi le bel adoucissement du
deuxième thème. Le développement sera colossal pour se désagréger dans une coda
immatérielle. Le scherzo voit la pianiste étaler une force, en particulier à la
main gauche, proprement formidable dans le flux et reflux des thèmes ; et le
trio renchérit dans sa section presto, haché, presque démoniaque avant une
cadence hyper prestissimo. Vient un adagio lunaire, ''appassionato e con sentimento'', progressant au fil des méandres de la pensée
beethovénienne, immense et intarissable, comme il en ira de l'adagio de la IX
ème Symphonie. Il ne faut pas se perdre dans
cette « profonde Confession », cette « puissante méditation
passionnée » (ibid). Wang tient son monde en
haleine par un discours d'une apparente simplicité, très travaillé en fait ;
cela finit sur les cimes, « pour s'évanouir en arpèges - tutte le corde –
ppp... », souligne encore Romain Rolland. Le largo, transition qu'on a
dit labyrinthique, en tout cas étrange, comme improvisée, est impressionnant et
introduit le finale sur une attaca
majestueuse et subite. La ''digitalité'' tient du
prodige en termes de rapidité du trait, de façonnage dynamique pour des forte
impérieux, de force de frappe peu ordinaire ! Se déjouant de toutes les
difficultés ici accumulés par le compositeur. Qui avoua à un proche :
« Maintenant, je crois que je sais écrire ». Désormais il faut
compter avec ce bout de fille qui vous construit sans vergogne, et de quelle
manière, cette périlleuse sonate. Une
ovation sans fin ouvre une série de bis dont la longueur est digne de ceux qui
concluent un concert de Sokolov. On y entend Marguerite au rouet de
Schubert, la fameuse paraphrase de la Marche turque de Mozart agrémentée
jazzy (déjà expérimentée au Théâtre des Champs-Elysées), un Chopin légèrement
maniéré, un arrangement de thèmes de Carmen d'une virtuosité
époustouflante et d'une vitesse à peine croyable lors de l'évocation de la
danse frénétique qui ouvre le II ème acte, outre
d'autres pièces romantiques. Elle est espiègle, généreuse et grande. Et sourit
largement enfin ! Jean-Pierre Robert. Le romantisme musical français en quatuor
La fondation Bru - du nom des docteurs qui furent à
l'origine des laboratoires UPSA - a été à l'initiative du Centre de Musique
Romantique Française. Ce Centre a son siège à Venise au Palazzetto
Bru Zane. Depuis 2013 il organise un festival à Paris qui permet de présenter
au public chaque année un échantillon du patrimoine musical français du XIXème
siècle. Deux scènes se partageaient cette fois l'aventure. Ainsi le Théâtre des
Champs Elysées avait-il pu programmer un opéra de Spontini, Olympie [voir
ci-dessus]; quant
à celui des Bouffes du Nord il offrait à entendre tout un florilège de
musique de chambre alliant le connu - quatuor de Debussy, sonate de Alkan - au moins connu, voire l'inconnu - œuvres de
Benjamin Godard, Marie Jaël, Rita Strohl...
Les concerts qui se déroulaient dans cette salle bénéficiaient d'une acoustique
tout à fait appropriée. Les organisateurs avaient fait appel à de remarquables
musiciens comme Gary Hoffmann, Henri Demarquette,
Pascal Amoyal ou le quatuor Mosaïques. Ce dernier donnait un programme tout à fait
intéressant, permettant la confrontation entre le Quatuor de Debussy (un de ses
chefs-d'œuvre) et les seconds quatuors de Charles Gounod et de Benjamin Godard.
Est-ce une interprétation magnifiquement mise en place, mais presque trop
soignée du quatuor de Debussy ? Celui-ci semblait encore trop ancré dans
le XIXème siècle, malgré une écriture novatrice sous bien des aspects alors que
le quatuor de Benjamin Godard avait sous les archets des Mosaïques des
sonorités souvent étonnantes. C'est pourtant l'œuvre la plus ancienne des trois
(1878), la plus récente étant évidemment celle de Debussy (1892-1893), précédée
de peu par le Quatuor de Charles Gounod (1887). En revanche ce dernier semble
résolument tourné vers le passé, loin des audaces debussystes proposées
seulement 5 ans plus tôt, bien que légèrement atténuées dans l'interprétation
du présent concert. Le quatuor de Gounod est très lyrique, ce qui n'étonne
guère de la part du compositeur des Faust, Mireille, Roméo et
Juliette et autres opéras.... Le premier violon tenu par Erich Höbarth, grâce à son jeu à la fois retenu et sensible,
permettait vraiment de percevoir que la voix humaine n'est jamais très loin.
Œuvre agréable à entendre, ce qui faillit ne jamais être le cas, le compositeur
la trouvant « mauvaise »,
si bien qu'elle fut réputée perdue jusqu'à sa redécouverte en 1993 ! Ce
qui manque peut-être dans cette composition, ce serait la variété des couleurs,
vertu que l'on trouve en revanche dans le quatuor de Godard. Celui-ci commence
par une séduisante mélodie qui se prolonge par de très belles couleurs. Le
second mouvement a un début étonnant : les instruments sont à l'unisson
dans une tonalité sourde qui par contraste met en évidence une suite de thèmes
d'une grande richesse. Le vivace du 3ème mouvement est faussement désinvolte
tandis que le dernier mouvement, bien qu'appartenant assurément à son siècle,
offre des traits audacieux et se conclut avec énergie. L'ensemble constitue une
réelle confirmation que Godard n'est pas un compositeur de salon comme certains
ont pu l'affirmer. Son œuvre mérite une large diffusion. Les Mosaïques, très à
l'aise dans l'interprétation de ce second quatuor, ont été ce soir là des avocats particulièrement éloquents. Quant au Debussy, si nous émettons une
certaine réserve, ce n'est pas sur la qualité du jeu des interprètes, mais sur le parti
prix sans doute de privilégier ce que le compositeur doit au passé et non pas
ce qu'il annonce par ses audaces à venir. Mais ce fut tout compte fait une
interprétation de belle tenue. Ainsi le premier mouvement progressait-il avec
souplesse, les instruments se succédant ou se superposant harmonieusement, mais
en étouffant peut être un peu trop l'originalité des timbres. Dans le second
mouvement – Assez vif et bien rythmé – on notait les belles interventions
du violon d'Erich Höbarth ; le troisième
mouvement – Andantino, doucement expressif – était amorcé dans un tempo
un peu lancinant avec en revanche une prémonition de La Mer que l'on
entendait de manière assez évidente dans la seconde partie de ce mouvement. Le
dernier mouvement – Très modéré. très
mouvementé – fut magnifiquement introduit par le violoncelle profond de
Christophe Coin. Une soirée instructive, avec la confirmation d'un compositeur
à replacer sur le devant de la scène : Benjamin Godard. Gilles Ribardière. Stockhausen
illumine la basilique Saint-Denis Karlheinz STOCKHAUSEN
: Luzifers Abschied (L'Adieu de Lucifer) dernière scène de
l'opéra Samstag aus
Licht (Samedi de Lumière), pour chœur d'hommes,
orgue et sept trombones. Ensemble Le Balcon, dir.
Maxime Pascal & Alphonse Cemin. Basilique de
Saint-Denis.
Dans le cadre du
Festival de Saint-Denis, était donnée Luzifers
Abschied – L'Adieu de Lucifer – dernière
scène de Samstag aus
Licht – Samedi de Lumière –, opéra de
Karlheinz Stockhausen constitué d'un Gruss (Salut)
et de quatre scènes. Luzifers Abschied est la seule partie à avoir été conçue pour
être jouée dans une église. Composée en 1982 à l'occasion des huit cents ans de
la naissance de saint François d'Assise, elle est entièrement centrée sur ses Lodi
delle virtu, Éloges des vertus, et a été
écrite pour voix d'hommes (un chœur de sept ténors et vingt-six basses), sept
trombones et un orgue. Le concert était magnifiquement interprété par
l'ensemble Le Balcon, dirigé par Maxime Pascal et Alphonse Cemin.
L'auditoire, autant spectateur qu'auditeur, a assisté (voire participé, à la
toute fin) à une sorte de drame religieux très original, qui conviait la
musique, le théâtre et la danse. Et le cadre grandiose de la basilique
convenait parfaitement à une telle représentation, éblouissante d'inventivité. Au pied du grand
orgue, une scène sur laquelle sont assis en demi-cercle sept religieux habillés
de blanc et coiffés d'une capuche. La pièce commence sur une note tenue à
l'orgue, tandis que, par le bas-côté, entrent en file indienne vingt-six autres
frères qui commencent à psalmodier : « O, Regina sapienza, il Signore
ti salvi con tua sorella,
la pura semplicitá… »
Ceux-ci portent la tenue commune des franciscains – bure marron, corde autour
de la taille, mais sabots de bois aux pieds au lieu des habituelles sandales.
Ils vont prendre place dans la partie basse de la nef, encadrant une partie du
public en formant trois lignes qui dessineront un carré avec la scène. Ils
resteront toujours debout, les moines des côtés regardant vers les verrières et
ceux barrant la nef vers le chœur de la basilique et l'autre partie de
l'assistance. Le premier du cortège tient dans ses mains une cage contenant un
merle ou une corneille, qu'il va poser devant les moines blancs. On est
immédiatement saisi par ce cérémonial et bientôt complètement ébloui par la
prouesse qui se déroule sous nos yeux : ici, pas de direction apparente,
mais des solistes qui ne cessent de gesticuler et de se déplacer en frappant du
pied ; semblant ignorer leur partition, ils chantent par cœur !
Les vertus
franciscaines – sagesse, pauvreté, charité, simplicité, humilité et obéissance
– vont être égrenées avec force répétitions (le texte tient sur une page, alors
que la pièce dure une heure) et selon un système d'échos qui rappelle le
principe du répons dans le chant grégorien, lequel fait alterner un chantre
soliste et le chœur. Mais, chez Stockhausen, nous sommes loin des mélismes du
plain chant et beaucoup plus proches de la musique du théâtre nô, dont la
fonction est moins de porter un texte sacré que de créer une ambiance
surnaturelle. Il s'agit d'une sorte de parlé-chanté –
Sprechgesang –, qui se limite chez
les basses à deux ou trois notes dans le grave et l'extrême grave, ponctuées
d'exclamations et de cris. Grelots et crécelles sont agités à intervalles
irréguliers. Quant aux interventions de l'orgue et des trombonistes montés sur
sa tribune, elles se limiteront à quelques accords « dissonants »
assez identiques. Ce grand statisme musical est fait pour porter à la transe.
De fait, la tension monte par moments : lorsque les moines de la nef se
mettent à courir de plus en plus vite (en sabots !) sur leur allée en
bois, lorsque l'un des frères blancs se lève, s'avance et harangue ses
coreligionnaires, lorsqu'un tromboniste au visage couvert de suie s'élance à
travers la nef en poussant une seule note fortissimo, ou lorsqu'un
ecclésiastique s'empare du sac de jute descendu sur un côté de l'orgue et
détale lui aussi dans l'allée centrale. La surprise culminera avec le départ
des chanteurs pour le parvis, le joyeux lâcher de l'oiseau et l'éclatement du
contenu du sac : des noix de coco, que les religieux, un par un ou par
petits groupes, encouragés par les autres frères et finalement par le public,
lèveront lentement à deux mains vers le ciel avant de les projeter violemment
contre le sol. Tout cela dans un faux désordre scandé par le son monotone de
deux cloches frappées alternativement. Ite missa est ! Luzifers Abschied est une œuvre d'art total, Gesamtkunswerk,
et ce n'est pas un hasard si l'on rapproche souvent Stockhausen et Wagner. Samstag aux Licht
fait d'ailleurs partie du cycle Licht, heptalogie opératique qui
suit les sept jours de la semaine. À ce propos, Maxime Pascal dit du
compositeur qu'il « recrée un monde à travers la musique. » (La Terrasse n° 242, avril 2016) Mais la
comparaison avec les maîtres anciens doit s'arrêter là, puisque Stockhausen ne
suit pas la tradition essentiellement littéraire de l'opéra et ignore la
dimension téléologique du drame. On pourrait affirmer que ses œuvres,
multiculturelles et pluridisciplinaires créent plusieurs mondes
(d'interprétation). Sans communication verbale univoque, le texte devient
matière, tout comme la musique, qui ne raconte pas davantage. Cette musique
scénique novatrice, donc exigeante, requiert des interprètes virtuoses et très
engagés, c'est-à-dire désireux de vivre une aventure. Pari réussi et ce soir-là
et à marquer d'une pierre blanche, blanche et brillante comme la pulpe du fruit
qui jonchait le parvis de Saint-Denis. Patrick Jézéquel. L'Orchestre National du Capitole de Toulouse à la Philharmonie de
Paris
De retour du Musikverein
de Vienne, dans le cadre de sa tournée européenne, l'ONCT était de passage à la
Philharmonie de Paris conduit par son directeur musical, le chef ossète Tugan Sokhiev, pour un concert
très attendu comprenant le Concerto pour violoncelle et orchestre d'Antonin
Dvorak avec Gautier Capuçon en soliste et la Symphonie fantastique de Berlioz.
Programme grand public, déjà donné à Vienne, et notoriété des intervenants
expliquant l'affluence des auditeurs dans la grande salle de la Philharmonie.
Un concert finalement en demi teinte… Gautier Capuçon et Tugan Sokhiev ne nous donnant qu'une pale vision de ce Concerto pour violoncelle de Dvorak
datant de 1895, peut-être le plus célèbre des concertos pour violoncelle, tout
imprégné d'amour, de nostalgie, d'accents folkloriques, de rêverie, de lyrisme,
de douleur de l'exil et de tendresse pour la mère patrie… Une interprétation
sans charme, confuse, et de façon difficilement explicable, constamment
décalée, le vibrato excessif du violoncelliste français répondant à la lecture
hachée et maniérée du chef ossète. Reste un superbe bis « Le Chant des oiseaux » de Pablo
Casals qui nous permit enfin d'apprécier la sonorité et l'émotion se dégageant
du Matteo Goffriler du celliste français. Une toute
autre histoire nous attendait en deuxième partie avec la Symphonie fantastique de Berlioz. Pièce fondatrice du romantisme
musical français, cette symphonie datant de 1830 doit beaucoup à l'amour
qu'éprouva le compositeur français pour l'actrice Harriet Smithson,
amour vécu mais également amour fantasmé cher au Romantisme puisqu'il s'agit du
rêve d'un jeune musicien en délire. Un itinéraire en cinq étapes qui posera
également les premiers jalons de la « musique à programme » dont Liszt
et plus tard Strauss élargiront l'horizon. Rêverie, Bal, Scènes champêtres,
Marche au supplice et Songe d'une nuit de sabbat se succèderont avec la même
clarté, caractéristique de la sonorité de l'orchestre que Michel Plasson façonna pendant de nombreuses années, une limpidité
et une élégance bien françaises enrichies par un lyrisme et une sensualité
apportés par le chef russe. Une vision parfaitement cohérente, dynamique
faisant ressortir toute la richesse de l'orchestration berliozienne
en même temps que l'excellence des différents pupitres (vents, harpes,
percussions) nous permettant de quitter la salle sur une heureuse impression,
renforcée par deux bis empruntés à Carmen
de Bizet ! Patrice Imbaud. Mikko Franck dans son jardin
Pour un des derniers concerts de la saison au
grand Auditorium de la maison ronde, Mikko Franck retrouvait son orchestre et
sa baguette dans un programme franco scandinave particulièrement alléchant, répondant
parfaitement au cahier des charges du « Philhar »
associant musique française et musique dite « contemporaine ». Une
affiche où il excelle, comportant des œuvres de Claude Debussy et de deux
compositeurs finlandais, le maitre et l'élève, Einojuhani
Rautavaara (*1928) et Magnus Lindberg
(*1958) reconnus comme deux compositeurs majeurs du XXe siècle. Tous
compositeurs dont le chef finlandais s'est fait le champion depuis son arrivée
à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Une très belle soirée
où l'on regrettera le peu d'affluence du public. Une fois encore les absents
auront eu tort tant ce concert fut original et superbement interprété. Une
pièce de Rautavaara en ouverture, Apotheosis, composée entre 1992
et 1996 dont le langage consonant et le lyrisme héritent du post romantisme.
Très lyrique, avec une ampleur recrutant progressivement les différents
pupitres de l'orchestre, rappelant les grands espaces du grand Nord, soulignant
un travail portant plus sur la dynamique que sur les timbres, se terminant sur
un chant d'oiseaux mêlant harpe et percussions. Suivaient deux compositions de
Magnus Lindberg, Graffiti
et Arena.
Un compositeur actuellement en résidence au « Philhar »
qui poursuit une activité de composition depuis une cinquantaine d'années avec
un catalogue comprenant une centaine d'œuvres. Un compositeur original ayant
bénéficié des nombreuses influences du sérialisme, de la composition sur
ordinateur, pour trouver finalement un langage personnel fortement imprégné de
dramatisme, très contrasté, très marqué rythmiquement, associant densité sonore et rapidité
de mouvement. Une expression finale qui reste fondamentalement abstraite,
mettant à mal toute musique à programme et donnant raison à Debussy selon qui
la musique n'exprime rien en dehors d'elle-même. Graffiti pour chœur et orchestre fut composée en 2009, s'appuyant
sur des graffitis découverts dans les ruines de Pompéi, expliquant le texte en
latin, mêlant insultes, slogans politiques, remarques philosophiques et
description érotiques…Un œuvre chargée d'un sentiment d'attente prégnant et de
ferveur, très contrastée, très rythmée, polymorphe et envoûtante (richesse des
timbres, percussions et piano). Une musique instrumentale enrichie par une
belle expression du chœur de Radio France, dans une même aspiration à la
verticalité contrastant étonnamment avec la crudité du texte chanté. Arena date quant à elle, de 1995. Il s'agit d'une pièce composée pour un
concours de direction d'orchestre. Particulièrement complexe et ardue dans sa
réalisation comme dans sa direction, elle associe des miroitements
kaléidoscopiques, de riches et complexes textures orchestrales, des agencements
polyrythmiques, des épisodes de changement de mesure virtuoses, sous tendus par
une ligne mélodique assurant la continuité du discours qui reste toutefois un
peu chaotique. A retenir également le beau solo de violoncelle (Daniel Raclot) hélas un peu couvert par le tutti orchestral. Pour terminer Mikko Franck avait choisi une
pièce assez peu connue et peu jouée, les Fragments
symphoniques du Martyr de Saint Sébastien de Claude Debussy. Une musique de
scène écrite en 1911 pour la pièce éponyme de Gabriele d'Annunzio,
faite de préludes fantastiques, religieux et voluptueux, des fanfares
éclatantes, des rythmes de danse qui surprennent dans l'œuvre du grand Claude
de France. Une ambiance plutôt méditative (trois mouvements lents sur quatre)
toujours empreinte de délicatesse, de transparence et d'une riche orchestration
que la direction claire et précise du chef finlandais réussit à rendre
parfaitement. Pour mémoire un très beau solo de trompette (Alexandre Baty) et
de cor anglais (Stéphane Suchanek). Encore une
magnifique soirée et de la belle musique d'aujourd'hui. Patrice Imbaud. Marzena Diakun, encore un peu sur la réserve…
Marzena Diakun © Tamzin B. Smith Rarement chef assistante n'aura été autant
sollicitée que la jeune chef polonaise Marzena Diakun remplaçant une fois de plus au pied levé, Mikko
Franck, directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Plus
d'une dizaine de concerts dirigés depuis sa nomination en début de saison et
une impression favorable qui se confirme de jour en jour. Un défi de plus pour
la jeune chef polonaise qui a déjà assumé de nombreux challenges ardus comme
notamment le concert associant Angels and Visitations
de Rautavaara et les Planètes de Holst en octobre dernier, ou des opéras difficiles
comme la Ville morte de Korngold… Dans tous les cas une direction nette et précise
menée avec une autorité naturelle, toutefois tempérée par une certaine réserve
et une certaine difficulté à se libérer totalement…Une difficulté à trouver
véritablement sa place et à positionner l'orchestre qui se fera tout
particulièrement sentir dans la Symphonie
concertante pour violoncelle et orchestre de Prokofiev qui ouvrait la
soirée. Une partition un peu étrange se situant entre concerto et symphonie
concertante résultant de la reprise d'un premier concerto pour violoncelle
composé en 1938. Une partition écrite à l'intention de Mtislav
Rostropovitch, crée par lui en 1952 à Moscou. Si l'on put admirer sans réserve
l'exécution magistrale et l'époustouflante virtuosité de Truls
Mork, c'est bien la timidité, en regard, de
l'orchestre qui nous étonna, dans une œuvre où les deux entités doivent être
traitées à part égale…Moins de timidité et de réserve en revanche dans le Concerto pour orchestre (1945) de Bartók où le « Philhar »
put retrouver toute sa superbe sous la direction enfin libérée de Marzena Diakun. Une œuvre qui sait
faire briller tous les pupitres de l'orchestre et notamment les vents dans le
célèbre « jeu de couples » du deuxième mouvement. Une partition
composite à la riche orchestration, aux timbres surprenants, pleine de couleur
et d'allant qui fit beaucoup pour la postérité de Bela
Bartók, mêlant thèmes
folkloriques hongrois, réminiscences musicales, ironie grinçante et langueur
élégiaque, conclue par une pyrotechnie orchestrale. Marzena
Diakun sut nous gratifier d'une belle interprétation,
parfaitement conduite, où l'on regrettera, peut-être, un certain manque de
tension et de frissons dans le nocturne central. Comme d'habitude une
prestation largement saluée par le public et les musiciens. Un succès mérité et
un nom à retenir ! Patrice Imbaud. Lucia di Lammermoor ou le triomphe de Diana Damrau. Gaetano
DONIZETTI : Lucia
di Lammermoor. Opéra en trois actes. Livret de Salvatore Cammarano d'après La
Fiancée de Lammermoor de Walter Scott. Diana Damrau, Piero
Pretti, Gabriele Viviani, Nicolas Testé, Francesco Marsiglia, Daniela Valdenassi,
Luca Casalin. Orchestre Teatro
Regio Torino & Chœur Teatro
Regio Torino, dir. Gianandrea Noseda. Version de
concert au Théâtre des Champs- Elysées.
Il est des soirées qui restent dans les
mémoires. Celle qui nous fut offerte au Théâtre des Champs-Elysées pour cette
version de concert de Lucia di Lammermoor en fera sans aucun doute partie. Un opéra,
le trente sixième de Donizetti, considéré comme l'archétype de l'opéra
dramatique romantique s'inscrivant dans la tradition du bel canto rossinien
finissant, métamorphosé et enrichi par la modernité de la théâtralité et de
l'écriture vocale du compositeur bergamasque. Une théâtralité s'appuyant sur
l'amour incandescent, la mort et la folie et une modernité vocale qui annonce
Verdi, notamment dans les parties vocales masculines alors que l'héroïne
féminine, bien que nimbée dans une coloratura
protectrice, inaugure l'ère du soprano dramatique d'agilité. Une
caractérisation vocale des plus exigeantes nécessitant une époustouflante
perfection vocale tout autant qu'un vocabulaire en demi teintes soulignant la
profondeur dramatique du rôle. Un emploi particulièrement difficile, on l'aura
compris, ne se laissant apprivoiser que par les plus grandes comme Sutherland,
Callas et aujourd'hui Diana Damrau. Directement importée
du Teatro Regio de Turin,
cette version de concert consacra à Paris assurément la soprano allemande dans
ce rôle. Perfection vocale, souplesse de la ligne, clarté des vocalises,
rondeurs du timbre, engagement scénique, rien ne saurait manquer à cette interprétation
d'anthologie. Si la scène de la folie du troisième acte « Il dolce sono – Ardon gli
incensi » constitue pour certains le sommet
de cette interprétation, c'est également
dans le legato sublime et la tendresse juvénile de la cavatine du premier acte
« Regnava nel silenzio » qu'on appréciera la qualité du chant,
tout autant que dans les nombreux ensembles de la partition, comme les duos
multiples avec Elgardo « Sulla tomba » et « Verrano a te » et le célèbre
sextuor du deuxième acte « Chi mi frena in tal momento ».
Coté masculin, la distribution ne fut pas en reste. Gabriele Viviani
(Enrico) tout en noirceur, d'une fureur parfois effrayante, autoritaire et
brutal dans son premier air « Cruda funesta
smania », nous parut plus nuancé, capable de
nous émouvoir dans son duo « Il pallor funesto ». Piero Pretti (Elgardo), verdien avant
l'heure, au timbre lumineux eut également son moment de gloire lors de la scène
finale « Fra poco ame ». Nicolas Testé (Raimondo) resta plus
réservé, conformément à son rôle. Francesco Marsiglia
(Arturo), ténor lyrique au timbre léger souligna la lointaine filiation
rossinienne. Gianandrea Noseda,
très engagé, grondant, chantant, dansant, sautant, conformément à ses
habitudes, dirigea sa phalange d'une main ferme vigoureuse, parfois à la limite
de la brutalité, accentuant tous les contrastes de la partition pour valoriser
une narration passant avec une extrême facilité du drame à la badinerie.
L'Orchestre du Teatro Regio
Torino et le Chœur se montrèrent excellents de bout en bout avec une mention
particulière pour le pupitre des cors, la petite harmonie et l'harmonica de
verre. Plusieurs rappels et une très longue standing ovation finale
récompensèrent cette magnifique prestation. Patrice Imbaud. David Grimal et Les Dissonances ou la
musique en liberté
Qui aurait pu prédire, en 2004, lors de sa
création par le violoniste David Grimal, le fabuleux
destin des Dissonances, alors que certains regardaient naitre cette aventure
d'un œil amusé. Un collectif de musiciens du plus haut niveau, appartenant aux
plus grandes phalanges internationales, regroupés autour du violoniste David Grimal, décidé à faire de la musique autrement,
c'est-à-dire dans un autre esprit, en dehors des circuits de la
musique-business, jouant sans chef un répertoire très large allant de la
musique baroque à la musique d'aujourd'hui. Une posture très originale, une
soif de liberté un peu iconoclaste, quand on sait qu'il est généralement admis
que la musique symphonique et concertante, à partir de Beethoven, nécessite
impérativement un chef d'orchestre ! Assertion totalement battue en
brèche, et avec quelle éloquence, par cet ensemble de musiciens, à géométrie
variable capable de jouer excellemment tous les répertoires. Un ensemble en
train de conquérir de haute lutte une notoriété, une légitimité parfaitement
justifiée lui ouvrant, aujourd'hui, grandes les portes de la Philharmonie de
Paris pour un concert centré autour du thème de la ''Force du Destin''. Un programme associant l'Ouverture de la Force du Destin de Verdi, le Concerto pour violon et orchestre de Tchaïkovski et la Symphonie n° 4 du même Tchaïkovski.
Trois œuvres interprétées de façon véritablement enthousiasmante par leur
clarté, leur dynamisme, pleines d'allant, de motivation et de plaisir de jouer…
L'ouverture de Verdi (1862) fut attaquée de façon tonitruante par trois accords
effrayants laissant progressivement place à un pot pourri
des différents thèmes de l'opéra éponyme. Le Concerto pour violon (1878) avec David Grimal
en soliste, fut également magistralement interprété, phrasé chantant, plénitude
sonore et simplicité de la ligne, totalement en phase avec un orchestre faisant
chanter les couleurs, articulant parfaitement les plans sonores, faisant preuve
d'une complicité, d'une connivence sans faille, mené du violon par Hans Peter
Hofmann. La Symphonie n° 4 de Tchaïkovski (1877),
premier volet de la trilogie du Destin du compositeur russe, refermait ce
magnifique concert. Là encore une lecture très extravertie avec un début très
théâtral (fanfare de cuivres), une lecture très tendue, acérée, assez âpre,
avec une pulsion rythmique (contrebasses, cuivres et percussions) très marquée,
presque caricaturale dans le premier mouvement et le finale (la nécessaire
coordination de l'orchestre, la mise en place précise malgré l'absence de chef
exigeant peut-être cela ). Une scansion caractéristique
qui sait, toutefois, maintenir la continuité de la ligne, une lecture
assurément d'une grande cohérence souvent marquée par un sentiment d'urgence
assez fort. Une vision originale, plus dramatique que romantique, que certains
auraient peut-être préférée plus intériorisée, plus tendre dans l'approche,
plus sensuelle dans le phrasé…Tout cela n'étant, finalement, qu'une question de
goût… Quoiqu'il en soit, et de façon non contestable, il faut reconnaitre à cet
ensemble un véritable talent, un bel enthousiasme et une vraie originalité
justifiant amplement son triomphe devant une salle conquise. Une belle aventure
et un Destin qui s'annonce radieux. Patrice Imbaud. Bravo Maestro ! Daniele Gatti garde
le meilleur pour la fin !
Pour ses deux derniers concerts à la tête du
« National » en tant que directeur musical, le maestro italien offrit
au public parisien deux magnifiques concerts parmi les plus beaux de la
saison…Un cycle marquant les adieux de Daniele Gatti,
après huit années passées à la direction musicale de l'Orchestre National de
France. Le temps des adieux, bien sûr, mais également le temps du bilan avec
des temps forts, d'autres peut-être moins réussis, mais un travail assurément
très positif que chacun s'accorde à reconnaître. Succédant à Kurt Mazur, Daniele Gatti prit les
rênes du « National » en 2008. Ce seront plus de deux cents concerts
donnés en France, plusieurs intégrales (Mahler, Beethoven, Schumann,
Tchaïkovski), plusieurs cycles (Bartók,
Brahms), de nombreux opéras en version de concert comme le Parsifal de Wagner dans la
distribution vocale de Bayreuth, ou en version scénique (Falstaff de Verdi, Tristan und Isolde de Wagner pour n'en citer que quelques uns…), de nombreuses tournées en Europe ou en
Amérique du Nord, nombre de créations dites « contemporaines ». Un
riche bilan, à la fois dans les domaines lyriques et symphoniques, une
attention constante à la musique et à elle seule, une complicité croissante
avec les musiciens et le public, qui sont autant de marques d'un grand
chef…comme en témoignèrent la présence et les félicitations prodiguées au chef
italien par le Président François Hollande à l'issue du premier concert. Un concert totalement dédié à Anton Bruckner
avec la monumentale Symphonie n° 8,
la dernière achevée (1887) par le musicien de Saint Florian. Une œuvre
monumentale musicalement, très ambitieuse spirituellement, étape obligatoire du
parcours musical de tous les grands chefs d'orchestre, sorte d'aboutissement
symphonique, sommet de la symphonie romantique. Une œuvre difficile
d'interprétation dont Daniele Gatti donna une lecture
claire parfaitement respectueuse de l'architecture, dans des tempi assez lents,
avec cette attention aux détails de la partition qui le caractérise (au risque
parfois de se perdre et d'entacher la continuité du discours). Une belle
lecture préférant la solennité à la ferveur, mais une vision d'une parfaite
cohérence faisant valoir toutes les qualités instrumentales du National au
mieux de sa forme, en
particulier le pupitre des cors et l'ensemble des cuivres. Pour le deuxième concert, Daniele
Gatti avait choisi un programme original associant Honegger et Prokofiev. La Symphonie n° 3 dite « liturgique » d'Arthur Honegger fut composée en 1945, au
sortir de la guerre. Une œuvre s'appuyant sur les convictions philosophiques du
compositeur : « J'ai figuré musicalement le combat que se livrent
dans le cœur de l'homme, l'abandon aux forces aveugles et l'instinct du
bonheur, l'amour de la paix, le sentiment du refuge divin ». La Symphonie liturgique est l'expression de
cette quête contre toutes les formes de barbarie, une quête qui trouve sa voie
dans la liturgie catholique
puisqu'empruntant ses trois mouvements à la messe de Requiem
(Dies irae, De profundis clamavi, Dona nobis pacem). Tout un programme
d'une étonnante modernité d'écriture, avec un premier mouvement très violent,
chaotique, aux accents motoristes et obstinés, un second plus lyrique, sorte de
prière élégiaque d'une époustouflante beauté teintée d'un pessimisme angoissé et un mouvement final se
développant sur une marche implacable dont on ne sait si elle nous conduit vers
l'abîme ou la lumière. Une partition rarement donnée, conduite de façon
magistrale à flux tendu et parfaitement mise en place, d'une orchestration particulièrement riche et
magnifiquement interprétée par le National, très complice et motivé, avec une
mention particulière pour Michel Moraguès à la flûte
traversière. Pour conclure en beauté ce superbe concert, la cantate Alexandre Nevsky
de Prokofiev (1938). Une œuvre de propagande composée par Prokofiev, à son
retour en Union Soviétique,
pour le film éponyme de Serguei Eisenstein, dans un contexte
politiquement très marqué (Grandes purges staliniennes, lutte idéologique entre
communisme et nazisme qui n'empêchera pas la signature du pacte germano
soviétique en 1939…) Alexandre Nevsky, dans une analogie évidente, retrace la lutte
des Russes contre les Chevaliers Teutoniques au XIIIe siècle. Une cantate en
sept parties dressant le portrait du grand combattant, chant patriotique où les
teutons sont caractérisés par des motifs rythmiques acérés s'opposant aux
mélodies amples et lyriques de l'armée russe. Une cantate se terminant par la
marche triomphale d'Alexandre Nevsky, après que
s'élève sur le champ des morts la complainte de la jeune fille somptueusement
interprétée, ce soir, par la mezzo Olga Borodina. Une
occasion supplémentaire de saluer la direction et l'interprétation de Daniele Gatti, la sonorité, la précision rythmique, la
subtilité du phrasé, l'articulation des plans sonores, la douceur des transitions, le
dynamisme et la qualité instrumentale du National, sans oublier la magnificence
du chœur de Radio France, dirigé par Nicolas Fink. Deux concerts d'exception
dont l'Auditorium gardera assurément le souvenir. Bravo et merci Maestro. Au
plaisir de vous retrouver dès la rentrée au Concertgebouw
d'Amsterdam ! Et bonne chance à Emmanuel Krivine
qui vous succèdera. Patrice Imbaud. A Gala for St. George au Royal Albert Hall de Londres Encore plus emblématique, plus
caractéristique, m'est apparu ce concert entièrement conçu dans l'esprit
revigorant de l'Englishness.
Consacré à la célébration de St. George, héros vainqueur du funeste Dragon, il
ouvrait la soirée magistralement avec un magnifique God save the Queen
entonné par une salle aussi enthousiaste que convaincue, porté par l'inspiré
chef britannique Anthony Inglis à la tête de la Royal Choral Society, créée en 1871, et
le Royal Philharmonic
Orchestra fondé en 1946 par Sir Thomas Beecham (1879-1961). J'ai
immédiatement pensé que j'assistais à un événement bien plus marquant que la Last Night des Proms et cela n'est pas peu dire.
Cet émouvant concert était, de plus, présenté avec talent et humour par le grand
acteur Kevin Whately, très connu pour sa longue
incarnation de l'Inspecteur Lewis, ancien collaborateur de l'Inspecteur Morse
jadis interprété par le regretté John Thaw
(1942-2002). La soliste invitée de la soirée était la mezzo-soprano Laura
Wright, chaleureuse et imaginative. I Was Glad, anthem de Sir Charles Hubert Hastings
Parry (1848-1918) inaugurait la soirée. Cette riche partition fut composée en
1902 pour le couronnement d'Edward VII (1841-1910). J'en profite, bien
évidemment, pour redire l'importance de Parry non seulement en ce qui concerne
la musique anglaise mais aussi la musique européenne chorale et symphonique
dans son ensemble. Son langage unique mériterait davantage d'attention et de
considération me semble-t-il. Suivait, The
Bank of Green Willow brève pièce orchestrale, Idyll, de George Sainton Kaye Butterworth
(1885-1916), tué au cours de la Grande Guerre, à Pozières
dans la Somme. Voilà une musique d'une infinie délicatesse, d'une profondeur
touchante imprégnée par le merveilleux folklore dont Butterworth
était, aux côtés de son ami Ralph Vaughan Williams (1872-1958), un éminent
collecteur et danseur. La musique de Haendel (1685-1759), considéré comme
Anglais, suivait avec La Réjouissance
extraite de sa Music for the Royal Fireworks composée en 1749 pour l'Angleterre de George
II (1683-1760). L'ambiance traditionnelle était ensuite valorisée par le
sensible et fort connu Greensleeves
et la ballade Scarborough Fair célébrant cette belle ville côtière du North Yorkshire. Kevin Whately lisait,
pour suivre, Margate 1940 du grand
poète londonien John Betjeman (1906-1984). La fin de
la première partie était encore consacrée à Handel (Zadok the Priest,
1727), à l'heureuse et mystérieuse Fantasia
on a Theme by Thomas Tallis (1910/13/19) de Vaughan
Williams et à Crown Imperial (1937)
de l'énergique Sir William Turner Walton (1902-1983), marche destinée au
couronnement de George VI (1895-1952). Quelle joie de se trouver parmi ces
auditeurs concentrés et heureux, fiers de leur culture. Impossible alors de
sombrer dans la dépression. Cela fait beaucoup de bien. La deuxième partie reprenait largement les
partitions du vénéré Haendel tout en introduisant une light music très appréciable pour un samedi soir. Ainsi, nous
entendions de l'homme de radio Albert Eric Maschwitz (1901-1969) et du compositeur américain Manning Sherwin (1902-1974), le popular song, A Nightingale Sang in Berkeley Square (1939). Dans le même esprit, The White Cliffs
of Dover (1941) de l'Américain Walter Kent (1911-1994), 633 Squadron Theme (1964) du compositeur et chef d'orchestre anglais
Ron Goodwin (1925-2003) puis, de Eric
Coates (1886-1957), Knightsbridge March from London Suite (1933). Ces
musiques dites « légères » ne le sont guère au sens français du terme
tant leur profondeur mélodique atteste d'un art que l'on ne trouve, en ce
domaine, que dans le monde sonore anglo-saxon. Ici, jamais de vulgarité ni de
mièvrerie. Entre-temps, nous avions entendu Kevin Whately
lire, avec ardeur, la Scène I de l'Acte III de Henry V (1599) de William Shakespeare (1564-1616) dont l'Angleterre
célèbre avec intensité l'anniversaire de la mort, nonobstant toutes les
polémiques à propos de la paternité de son œuvre. Le Royal Philharmonic Orchestra avait joué,
de l'étrange Frederick Theodore Albert Delius (1862-1934), le poème symphonique
On hearing the
First Cuckoo in Spring
(1912) et le très prenant Nimrod des Enigma Variations (1898/99) de Sir Edward William Elgar (1857-1934). La
fin du concert était consacrée à la remarquable trilogie nationale constituée
par le Jerusalem
(1916) de Parry, le Rule, Britannia !
(1740) de Thomas Augustine Arne (1710-1778) et d'Elgar, Pomp and Circumstance March No. 1 (1901).
Seuls les esprits chagrins iront se moquer de tout cela. Laissons-les braire.
Ce concert a le mérite de revivifier ce qui est « caractéristique »,
cet adjectif que Parry a exprimé à travers son riche enseignement au Royal College of
Music de Londres, situé justement à quelques pas du Royal Albert Hall. Ne nous trompons pas, l'époque victorienne a
surmonté, par là même, tout ce qui a pu parfois l'assombrir. Merci infiniment. James Lyon. A Midsummer Night's
Dream : de la musique de Mendelssohn à Middle Temple Hall...
Qu'il est rare d'entendre cet ensemble si
harmonieux, la féerie shakespearienne portée par la merveilleuse musique de
Mendelssohn. Ce fut le cas, à Londres, en cet endroit magique qu'est Middle Temple Hall. Ce lieu paisible, au
demeurant très dickensien, situé dans le quartier de la Loi, est l'un des plus
beaux exemples architecturaux élisabéthains. On peut admirer notamment le
plafond en bois de chêne de Windsor
Forest. L'acoustique y est donc excellente. Cette soirée était l'occasion
de célébrer le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare qui a
probablement écrit sa comedy
vers 1594/96. Elle a été conçue pour commémorer la Fête de St Jean du 24 juin.
Mendelssohn a composé sa musique en deux temps. D'abord en 1826, à ses débuts,
il concevait une Ouverture, opus 21 ; puis, en 1842, il réalisait ce que
d'aucuns nomment une « musique de scène », opus 61, à l'occasion
d'une production de la pièce donnée à Postdam l'année suivante. Or, il s'agit
de bien plus que d'une « musique de scène ». Mendelssohn était un
homme de haute culture et de grande imagination. Sa connaissance de la culture
et de la civilisation anglaises lui a permis d'entrer dans ce monde
extraordinaire et unique, ce « théâtre du monde » conçu par
Shakespeare. L'œuvre du barde est complexe, cette « comédie », en particulier.
Elle ne saurait être traitée à la légère. Elle est issue d'une longue tradition
folklorique avec un riche symbolisme à travers lequel de nombreux
« mondes » s'interpénètrent de même que le tragique et le comique.
Mendelssohn a bien saisi cela. Les musiciens de notre soirée aussi. En
l'occurrence, il s'agissait de jeunes interprètes : The Outcry Ensemble dirigé par James Henshaw, ancien étudiant de Clare College, Cambridge. Les chanteurs,
excellents, étaient conduits par Aidan Oliver, Director of Music de St Margaret's Church Westminster,
l'Église du Parlement. Les comédiens, également jeunes pour la plupart, ont
fait preuve de talent dans cette salle où la scène était située au milieu
devant l'orchestre. La mise en scène de Michael Vivian rendait justice à
l'esprit d'une féerie qui, pourtant, ne doit absolument rien à Walt Disney. Le
rôle de Puck est essentiel et c'est généralement là que le bât blesse. Le plus
souvent, on en fait un charmant, espiègle lutin. Pourtant, c'est tout le
contraire. Il est l'incarnation du mal en soi. L'acteur et marionnettiste Joe Sleight qui l'incarnait n'a malheureusement pas très bien
saisi cette difficulté. Quoi qu'il en soit, cette production était remarquable
et, alors, je ne me doutais pas que deux soirs plus tard, j'allais assister à
une représentation détestable de cette pièce au Globe. Mais ce sera pour après
… James Lyon. … à la
pièce, au Globe Theatre
Après avoir heureusement assisté à la
représentation shakespearienne commentée ci-dessus, je me réjouissais d'en voir
une autre tant cette pièce recèle de possibilités symboliques et narratives.
Hélas, ma déception est certes à la hauteur de mon irritation. Un certain
tourisme peu soucieux de profondeur semble inciter la nouvelle direction du
Globe incarnée par Emma Rice à sacrifier à la
vulgarité la plus déplaisante qui puisse être. J'avoue que je n'ai pas été
capable d'assister à la totalité de la séance tant je me sentais indisposé par
une telle approche dont l'explication du programme apparaissait pourtant comme
très intéressante. En effet, Puck n'était plus le gentil petit lutin mais la
véritable incarnation du mal. Il ne suffit pas de le comprendre
intellectuellement encore faut-il mettre en accord pensée et actes.
L'interprétation stupide et exaltée de la plupart des acteurs était en parfait
accord avec la production. La musique indianisante de
Stu Barker a lourdement souligné cette ambiance disco
destructrice de la féerie au sens étymologique du terme, du mystère et de la
véritable émotion, de celle qui, en somme, nous aide à vivre. James Lyon. Shakespeare Odes à Milton Court Concert Hall
L'anniversaire de la mort de William
Shakespeare (1564-1616) suscite de nombreuses manifestations, concerts,
expositions. Il réanime aussi le débat très ancien sur la paternité des œuvres.
Quoi qu'il en soit, ce fut l'occasion d'assister à une soirée fort intéressante
sinon émouvante. La première partie était consacrée à l'évocation du grand
acteur et imprésario David Garrick (1717-1779) et sa collaboration avec le
compositeur Thomas Augustine Arne (1710-1778) plus particulièrement connu pour
son extraordinaire et enthousiasmant Rule Britannia (1740). En 1769, Garrick avait organisé à
Stratford-upon-Avon un Jubilé au cours duquel de jeunes hommes avaient chanté
dans une ambiance de véritable folklore. La Shakespeare
Ode était née. Il s'agissait de la restaurer à l'occasion de ce 400e
anniversaire. Ex Cathedra & Academy of Vocal Music, The City Musick
de William Lyons, dirigés par le pontifiant Jeffrey Skidmore
ont œuvré en ce sens. Mais pourquoi faut-il le faire avec cette pédanterie qui
caractérise le manque de naturel des musiciens soucieux de « musique
ancienne » ? Cela semblait d'ailleurs quelque peu gêner le grand
acteur Samuel West qui incarnait David Garrick pour The Garrick Ode mise en musique par Arne. La seconde partie faisait
entendre une partition actuelle de la Londonienne Sally Beamish
accompagnée du texte de la Poet Laureate, Carol Ann Duffy. Cette création faisait
participer les enfants avec une spontanéité rafraîchissante. L'exercice
pédagogique est excellent. Au fond, c'est une façon très positive de célébrer
un tel anniversaire. Si les musiciens « anciens » l'étaient moins, ce
serait presque parfait ! James Lyon. Sir Malcolm
at his club. English music for strings by Malcolm
Arnold and fellow Savile
Club members
©George Newson / Lebrecht Music &
Arts J'ai commencé mon séjour londonien avec le
concert dédié à St. George, je l'ai terminé avec une soirée de musique anglaise
dans cette église de St James, Piccadilly, là même où le poète, peintre et
graveur William Blake a été baptisé le 11 décembre 1757. Le thème principal
était centré autour de l'éminente figure du trompettiste et compositeur Sir
Malcolm Henry Arnold (1921-2006) et ses amis du fameux Savile Club, traditionnel gentlemen's
club fondé en 1868. Le Chamber Ensemble of
London conduit par Peter Fisher nous ont fait entendre les musiques de
Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Frederick Theodore Albert Delius
(1862-1934), Sir Edward William Elgar (1857-1934), William Alwyn
(1905-1985), Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924), Sir William Turner
Walton (1902-1983), Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918) et bien sûr,
Arnold lui-même. Sa musique revêt une indéniable énergie, notamment son
Concerto pour deux violons, interprété par Peter Fisher et Maya Iwabuchi. Le premier appartient à la grande école
traditionnelle européenne. Fisher a étudié, entre autres, avec les grands
Maîtres du violon, le Hongrois Carl Flesch (1873-1944), Ricardo Odnoposoff (1914-2004), austro-américain d'origine
argentine, et l'Italien Franco Gulli (1926-2001). Il
joue avec le plus grand sérieux. Hélas, la seconde, virtuose, ne se soucie
guère du sens. Seule la technique et la vitesse l'intéressent. Oh, dear, dear … Le programme, merveilleux, offrait des exemples
rarement entendus au concert telle cette si originale, touchante et roborative Lady Radnor's
Suite de Parry créée le 29 juin 1894. La March issue du Becket,
opus 48 (1893), de Stanford est pour ainsi dire inédite. Stanford est
injustement négligé au profit de Elgar. Il serait indispensable de rééquilibrer
entre ces deux figures qui même si elles ne s'appréciaient guère
personnellement ne devraient pas en subir les conséquences de nos jours. La Death of Falstaff extraite des Two Pieces from Henry V (1963) de Walton est si émouvante. Je n'ai
pas retrouvé, dans l'interprétation de Fisher et son orchestre, la même
intensité que lors d'une visite les jours précédents d'une exposition
Shakespeare à Somerset House où l'on
pouvait y entendre un enregistrement tout en admirant une carte de Londres du
XVIIe siècle. William Alwyn est
certainement le moins connu de tous les autres compositeurs de cette
réconfortante soirée. Sa prédilection pour la dissonance ne s'est guère
manifestée dans sa Love Scene, musique de film pour The Fallen Idol (1948) de Carol Reed
(1906-1976). Elle témoigne d'une diversité sonore et mélodique dont nos esprits
et nos oreilles ont pu heureusement bénéficier en cette dernière soirée
musicale passée à Londres. James Lyon. Une
chevauchée fantastique
D'abord
le piano, on nous annonce que Boris Gilltburg jouera
sur un tout nouveau piano de concert Stephen Paulello
de 102 touches, 3 mètres de long et cordes parallèles. Boris Giltburg a constitué son programme "avec soin" de façon
thématique autour de la mort et autour de compositeurs russes. La Chaconne de
Bach fut écrite pour violon. Busoni l'a copieusement revisitée et transcrite
pour le piano à la fin du XIX ème siècle. Boris Giltburg commence lento
conformément à la partition de Bach puis, comme l'a voulu Busoni, celui-ci
nous inonde d'un flot de notes qui permettent à l'interprète d'affirmer
d'emblée une virtuosité époustouflante. Avoir un pied dans Bach et l'autre dans
Busoni peut faire un peu boiter et l'œuvre ne parvient pas toujours à
départager la rigueur de l'un et le post-romantisme
de l'autre. Et le jeu du pianiste ne nous donne pas la solution qui s'envole
dans ce déluge avec brio au point de nous faire oublier parfois l'émotion. La
technique est parfaite et ne demandons pas à Busoni de nous toucher. Après tout
une chaconne était à l'origine une danse espagnole jouée avec des
castagnettes ! La Ballade n°2 en
fa majeur de Chopin fait le pont entre Bach-Busoni et Chostakovitch en ce
qu'elle alterne parfaitement la mélancolie et le drame. Elle fut terminée à
Majorque, dans une période difficile pour le compositeur, partagé entre la
phtisie et George Sand ! Le morceau commence sur le ton de la confidence, à mi voix,
comme s'il était improvisé, il se complaît dans ce rythme qui nous berce et si
Boris Giltburg nous montre qu'il sait aussi jouer piano, c'est pour mieux nous précipiter
dans la vague d'octaves et de doubles croches qui va suivre. Les modulations
s'enchaînent, le drame se noue et des gammes fulgurantes balayent le clavier.
L'orage culmine, Boris Ciltburg le maîtrise à la
perfection, sa technique se joue des difficultés de ce presto con fuoco impétueux, son toucher
net est juste et diablement précis jusqu'à ce que revienne le thème de
l'exposition qu'il reprend pianissimo et que l'œuvre s'achève dans un souffle
après un ouragan d'agitations et de bourrasques. Boris Giltburg enchaîne par le quatuor n°8 de Chostakovitch qu'il
a arrangé lui-même pour le piano. Comme Bach l'a fait avant lui, Chostakovitch
fait tourner toute la pièce autour de ses propres initiales (ré, mib, do si), une
pièce qu'il écrivit en quatre jours et qu'il s'était dédiée à lui même, de peur que personne ne compose d'œuvre à sa
mémoire. Comme chez Chopin, le quatuor débute par une espèce de lamentation
face à la mort puis il se met soudain à la repousser brutalement et la lutte
entre la violence et la dépression s'annonce rude. Arranger pour piano ce quatuor c'est un peu
"charrier un chargement de poids lourd dans une camionnette" ; aussi dès que
l'œuvre éclate et verse dans le drame, la violence et plus, l'agressivité,
elle, commence à déborder de notes et le pianiste se lance dans des ruptures abruptes
entre l'intime et le clinquant qui soulignent à l'aide de nombreuses citations
de ses propres œuvres, la douleur de la maladie (Chostakovitch était atteint de
la poliomyélite) et la peur du pouvoir stalinien. Si le jeu est clair, sans
failles, il est parfois difficile à suivre tellement les salves d'accords,
d'arpèges et d'octaves se superposent au point que le spectateur peut se perdre
facilement dans les intentions de l'interprète, malgré cette succession
obsédante de deux notes, deux brèves une longue qui rythment le morceau tout
entier. Puis la fugue du début revient et s'étend comme une ombre qui recouvre
la fin du morceau. Le pianiste semble tellement concentré, absorbé qu'il se
penche parfois vers le clavier comme s'il voulait embrasser le piano pour lui
murmurer sa passion mais aussi pour en boire toute sa substance et ces moments là sont les plus forts. Avec
les Études-Tableaux de Rachmaninov, les choses sont claires, il les a
composées comme des exercices pour travailler la technique pianistique. Boris Giltburg a donc le champ libre pour explorer les richesses
évocatrices que Rachmaninov nous livre sans titre, laissant à l'interprète et à
l'auditeur le choix de se raconter ses propres histoires, avec des torrents de
notes fluides comme des cascades qui répondent à des chevauchées traversant des
tableaux au couleurs brillantes. Boris Giltburg ne se
prive pas de nous transporter avec une belle aisance de la grâce à la tempête.
La Sonate n°8 de Prokoviev était considérée
par Sviatoslav Richter comme la plus grande contribution du compositeur à la
sonate. Composée entre 1939 et 1944, elle appartient au cycle des sonates de
guerre et reçut même le prix Staline !
Cette musique, par la complexité de son écriture, nécessite une
concentration intense de la part du pianiste (mais aussi de l'auditeur qui peut
s'en évader si l'interprète n'est pas sous la pression de la musique ), mais
heureusement Boris Giltburg nous tient en haleine par
la variété de son jeu qui alterne superbement le lié et le piqué, qui fait se
succéder le rêve d'Eugène Onéguine, musique de scène
d'après Pouchkine et le vivace du troisième mouvement, course folle en arpèges
et en accords, qui sonne comme une métaphore de la guerre de son début jusqu'à
la victoire. Et après un bis de Scriabine empreint de charme et de légèreté,
Boris Giltburg sort victorieux de ce combat, même si le choix de son
programme fut un peu trop orienté vers une vélocité trop véhémente. Jean François Robin. Fin de
partie à l'auditorium du Musée d'Orsay
C'est avec un feu d'artifice vocal que s'est
terminée la saison de l'Auditorium du Musée d'Orsay. Dans le cadre du concept
musical « Musiciens d'Apollinaire », en relation avec la superbe
exposition « Apollinaire, le regard du poète » à l'Orangerie, le
jeune baryton Jonathan McGovern, accompagné par James Baillieu,
a interprété avec élégance, force de conviction, humour et diction
parfaite un florilège de mélodies françaises : « Chanson d'Orkenise, FP 107, n°1, Hôtel, FP 107, n°2, Voyage à Paris, FP 107, n°4, Le bestiaire, FP 15a, Le travail du peintre » de Francis Poulenc, puis « Six poèmes
d'Apollinaire, H 12 » mis en musique par Arthur Honegger, et de nouveau « Le Bestiaire » mais mis en musique par Louis Durey et enfin « Trois
poèmes »
de Max Jacob, composition musicale de Georges
Auric. Peu interprétées, ces œuvres, souvent courtes, même minimalistes,
avaient trouvé là un digne interprète. Quelques
jours plus tard, la soprano Sarah-Jane Brandon et la mezzo Rosie Aldridge, accompagnées par Christopher Gglynn,
ont dans le cadre de l'expo « Désirs de l'Orient », entamé leur
concert par le Duo des fleurs » de Lakmé, composé par Léo
Delibes.
Puis Rosie Aldridge
a subjugué l'auditoire par son interprétation de « Shéhérazade » de
Maurice Ravel. Chacune leur tour ou ensemble elles ont ensuite donné « Quatre poèmes hindous » assez kitch de Maurice Delage, « Gesänge des Orients,
op. 77 » de Richard Strauss, « Auf flügeln des gesanges » composé par Felix Mendelssohn, et « Phänomen » de Johannes Brahms, sans grand intérêt musical. Comme elles
avaient commencé par un duo des fleurs c'est celui de « Madame Butterfly » de Giacomo Puccini qui termina le récital. Le public ne voulant
pas les lâcher, elles donnèrent un bis étonnant, détonnant ! Pas éprouvé vocalement par les pièces
précédentes, c'est avec le superbe duo « Mira O Norma ! » composé par Bellini pour son opéra Norma qu'elles électrisèrent
l'Auditorium du Musée ! Espérons que l'année prochaine Luc Bouniol-Laffont et Sandra Bernhard offriront une aussi belle
saison que celle-ci. Stéphane Loison. Un concert
transversal de l'orchestre Pasdeloup
Il faut vraiment souligner l'intérêt de la
démarche pédagogique que l'orchestre Pasdeloup adopte depuis 2010. Trouvant en
la Philharmonie de Paris un écrin de choix, il nous a proposé un concert d'un
grand mérite. Le programme « arc en ciel » concocté sous l'autorité
bienveillante de Patrice Fontanarosa, son conseiller
artistique, était captivant, puisqu'il proposait une transversalité entre musique
populaire et musique savante : à l'hispanisme de la seconde suite du Tricorne de de Falla répondait une
fantaisie de Sarasate sur Carmen ; et les airs bohémiens du même Sarasate répliquaient aux accents de
l'Europe de l'est de La seconde Rhapsodie
de Bartók. Nul besoin de
trouver un « symétrique » à La Valse
de Ravel : autant évocation que caricature, ce chef-d'œuvre comporte à
lui seul toutes les nuances d'un tableau cubiste face à son modèle. Comme à
chaque concert de l'ensemble, cette saison, une pièce de Esteban
Benzecry (*1970) Estrellas de la Patagonia (Étoiles de la
Patagonie) tirée des Colores de la Cruz del
Sur (Couleurs de la croix du sud) fut
donnée, dont le titre rappelle - comme souvent – l'attirance du musicien pour
l'art pictural, qu'il cultiva en premier. Enfin, puisque le concert
s'inscrivait dans le cadre des journées consacrées aux amateurs de la
Philharmonie, l'après-midi s'achevait par ce projet mené par Gilles Apap, de folk songs avec la collaboration de 220 violonistes
amateurs. Une participation très
remarquable, par la qualité de l'engagement des jeunes et moins jeunes, leur ap- et im-plication. A une époque
où l'élitisme est conspué, où le nivellement par le bas est de rigueur,
assister à une manifestation aussi enthousiaste et très proprement préparée
réchauffe le cœur ! Et qu'importe si Gilles Apap,
sous prétexte de sa grande connaissance des échelles et modes
« exotiques », a du mal à jouer des quintes justes (pourtant
base de toutes les pratiques, y compris extra-européennes) ! On lui pardonne, grâce à la qualité de son
registre aigu et à l'émulation qu'il a su créer chez ces amateurs. La sympathie
de cette « matinée » était indissociable de l'énergie communicative
du chef d'orchestre, Wolfgang Doerner, dont la
« chorégraphie » ne nuit jamais à la précision ; bien au
contraire. Inutile enfin, un an et demi après son inauguration, de relever la
qualité acoustique et esthétique exceptionnelle de cette salle de la
Philharmonie de Paris! Philippe Morant. Un expatrié reçoit les honneurs soviétiques au Théâtre des
Champs-Elysées
Introduite par un message
« personnel » de Vladimir Poutine - dont, je l'avoue, j'aurais pu me
passer- la « journée de la Russie dans le monde »
fut prétexte à ce magnifique concert de l'Orchestre philharmonique de l'Oural,
sous la direction de Dmitri Liss, avec la
participation du très grand Denis Matsuev. Le Concerto n°3 de Rachmaninov y fut donné
avec le brio qu'on attendait d'un premier prix Tchaïkovski… Puissance, perfection
technique, sensibilité : tout y était dans cette œuvre qu'on ne peut
entendre sans songer au film de Scott Hicks, qui a déjà vingt ans ! Le
public attendait-il avec autant d'impatience que moi la série de bis qui
suivit ? Le très schumannien Carillon
de Liadov, la fameuse étude en ré# mineur de Scriabine, et surtout cette fantaisie jazzistique sur
Caravan où
se mêlaient les ombres d'Art Tatum et de Petrucciani ! Maladresse de
programmation, après une telle prestation, la deuxième symphonie de Rachmaninov
me parut d'une longueur sidérale. Ce qui n'enlève rien à la qualité et la
précision de ce jeune orchestre de quatre-vingt ans. Philippe Morant. ***
L'ÉDITION MUSICALE
Auto-édition :
Nous
rendrons compte désormais des œuvres de Serge Ollive,
compositeur et organiste qui, sur son site, outre le téléchargement et l'écoute
de ses propres œuvres publiées en auto-édition
uniquement numérique sous le label Waldhorn Editions
offre également un service de gravure musicale pour compositeurs. Le tout se
trouve sur le site http://www.sergeollive.com/
CHANT CHORAL &
FORMATION MUSICALE Laurent
COULOMB : Le rat de ville et le rat
des champs. Micro-cantate sur la fable de Jean de La Fontaine pour chœur
d'enfants à 2 voix et piano. Facile. Delatour :
DLT2610. Cette « micro-cantate » ne dure
effectivement que quatre minutes. Mais pendant ce court laps de temps se déroulent
toute une série de mini-scènes qui rendent l'ensemble extrêmement pittoresque
et varié. L'auteur parle d'une « écriture largement tonale et fondée sur
des carrures claires pour faciliter l'apprentissage » : c'est tout à
fait le cas. Si le chœur d'enfant est facile, il faudra bien sûr un pianiste
aguerri et plein d'humour pour soutenir et commenter l'action… Ajoutons que le
texte de La Fontaine est scrupuleusement respecté. CHANT Jean-Pierre
LEGAY : Cendres d'ailes pour
voix de ténor et piano. 4 mélodies sur des poèmes de Lointain Intérieur de Henri Michaux. Lemoine : HL 29135. Si on peut saluer au passage le merveilleux
organiste, il faut ici se souvenir que cet élève d'Olivier Messiaen est un
compositeur chevronné au langage bien personnel. Ces mélodies, La Jeune Fille de Budapest, pensées, Comme
pierre dans le puits et Dans la nuit sont
donc écrites sur des poèmes publiés en 1938. Comme le dit l'auteur :
« Chant et piano, ou piano et chant ? Deux voix d'un même
regard. » On retiendra aussi cette indication : « Chantez en
voix de fausset quand cela permet un timbre plus velouté, et aussi de mieux
observer la hiérarchie des nuances dynamiques. » On comprend que texte et
musique sont très intimement liés. Tout est couleurs, ambiance, résonnances.
L'utilisation continue et sur de longues plages de la pédale au piano est au
service de cette atmosphère. On lira avec profit la notice de l'auteur sur le
site de l'éditeur. ORGUE Serge
OLLIVE : Prélude pour orgue.
Facile. Waldhorn Editions (auto-label) : réf. :
WH-459501. On lira en tête d'article ce que recouvre ce
label. Ce premier opus de l'auteur est fort agréable, limpide et dans un
langage simple. Il peut être joué « manualiter »
même si quelques indications de pédale en facilitent l'exécution. On peut
l'écouter sur le site de Serge Ollive. Serge
OLLIVE : Ciels Op. 169. Trois
esquisses modales pour orgue. Difficile.
Waldhorn Editions : WH-4516169. (Pour ces éditions,
voir en tête de l'article). « Ciels » est un triptyque d'évocation, écrit
pour un grand orgue symphonique à trois claviers. Il décrit trois ciels aux
couleurs contrastées : « Ciel marin », « Ciel d'été » et « Ciel éclatant ». On pourra lire en tête de la partition
téléchargeable gratuitement une description très complète de l'œuvre. Disons
seulement qu'elle a la particularité d'être écrite entièrement ou presque (les
dernières mesures) sur le mode « Berta » (le mode 2 de Messiaen). L'auteur a
donc joué sur les timbres, les rythmes pour évoquer les différentes
atmosphères. PIANO Pascal
SAINT-LEGER : Pékin pour piano.
Préparatoire. Lafitan : P.L.3044. Cette pièce modale s'efforce avec bonheur de
créer une ambiance chinoise, encore que les trois dernières mesures soient,
volontairement, bien classiques ! Tout cela est fort agréable, permet un
bon travail alterné des deux mains et peut être l'occasion de découvrir des
sonorités sagement exotiques. Alexandre
FLENGHI : les contes de la
Citrouille pour piano. Assez facile. Delatour :
DLT2673. Ces contes nous promènent dans un univers
onirique et macabre, mais plein d'humour. Ils ne seront donc certainement pas à
mettre entre toutes les mains, ne serait-ce que pour éviter les réactions de
certains parents ! Ceci dit, ces petites pièces sont pleines de finesse
et, même si elles ne sont pas techniquement difficiles, il faudra que
l'interprète sache y mettre tout le sel nécessaire. Du « vieux
cimetière » au « loup-garou » en passant par « le fantôme
de la mariée » et « le squelette qui avait perdu son bras
droit », dérobé par un dogue facétieux, et d'autres, on suivra un parcours
plein d'agréables surprises. On peut écouter le résultat sur le site de
l'éditeur, interprété à la perfection par l'auteur. Bernard
COL : Dix grimaces. Pièces
faciles pour piano. Moyen. Delatour : DLT2580. Ces dix petites pièces sont un hommage à
Prokofiev : le titre du recueil constitue une référence aux Sarcasmes op. 17 et la dixième,
intitulée (révérence) pastiche Pierre et le loup. Pièces pédagogiques,
elles sont aussi pleines d'un humour grinçant, de ridicule volontaire, de
moquerie. Ecrites pour un niveau de deuxième cycle, elles conviendront, nous
dit l'auteur, aux adolescents en crise… Acceptons-en l'augure ! José
SCHMELTZ : Le piano imaginaire. Vol.
1. Débutant. Delatour : DLT2590. Ce premier volume contient des pièces faciles
aux titres propres à exciter l'imagination, puisque le contenu dépend vraiment
du titre. Même si elles sont concises, ces dix-sept pièces sont pleines
d'intérêt et visent en même temps à des découvertes techniques progressives. Vol.
2 : DLT2591. l est écrit pour des élèves en fin de premier
cycle ou en début de second cycle. Si, comme dans le premier volume, les treize
pièces portent toutes un nom évocateur, elles visent cette fois-ci à faire
porter l'attention sur des éléments significatifs détaillés au début du volume.
De plus, elles laissent place à une improvisation maîtrisée par l'utilisation
de grilles harmoniques. Vol.
3 : DLT2592. Neuf
pièces seulement, cette fois, mais écrites pour la fin du second cycle ou
après… Les titres sont toujours aussi évocateurs, mais le contenu est
évidemment plus ambitieux. Les découvertes mélodiques, harmoniques,
stylistiques se poursuivent, ainsi que l'invitation à l'improvisation, voire à
la composition. Le sommaire, qui se trouve ici en fin de volume précise le but
recherché et les difficultés à découvrir. Ajoutons que l'ensemble des trois
volumes contient d'abord de la très bonne et très agréable musique et que les
styles abordés vont du baroque à la bossa-nova… GUITARE Jean-Max
FRÉZIGNAC : Blues
Ballade. Pièce pour guitare. Préparatoire. Lafitan :
P.L.3080. L'auteur nous indique : « comme une
promenade ». Et c'est bien là la caractéristique de cette pièce fort
agréable, un peu nonchalante qui nous promène effectivement dans une atmosphère
de blues bien sage. Nul doute que le jeune interprète y trouvera beaucoup de
plaisir. Florent
PASSAMONTI : 8 Petits blues pour
guitare. Premier cycle. Lemoine : 29250 H.L. Ces pièces constituent une initiation au
blues sous ses différentes formes tout en restant évidemment fidèle aux
harmonies du style. Il est effectivement intéressant que des élèves du premier
cycle puissent ainsi habituer leur oreille à des harmonies et des sonorités
aussi caractéristiques avec des pièces d'une grande facilité.
Claude
WORMS : Cantaoras. Suite pour 2 guitares flamencas. 4
vol. Combre : CO-6800, 6801, 6802, 6803. L'auteur, concertiste et professeur de
guitare flamenca nous offre un hommage à quatre « cantaoras »,
quatre chanteuses de Flamenco. L'avant-propos souligne le caractère original de
son projet, qui est d'écrire pour deux guitares ce qui est le plus souvent fait
pour une seule. La première pièce, en hommage à Laura Vital, est intitulée Rosa sanluqueña (Alegrías),
la deuxième, en hommage à Carmen Linares, se nomme Chacón-Breva – Malagueña, la
troisième, en hommage à Encarnación Marín « La Sallago » a pour titre Moto perpetuo – Bulerías et la
dernière, en hommage à Ana María Blanco Soto « Tía
Anica la Pïriñaca »,
s'intitule « Piriñaqueando » Sigiiriya. L'ensemble de la Suite est dédié à Marcelo
de la Puebla. Outre l'avant-propos, chaque volume contient
des indications très précises pour l'interprétation de ces pièces. L'ensemble
est donc aussi varié qu'intéressant, mais demande évidemment une technique
accomplie. VIOLON Yves
BOUILLOT : Deux portraits. Pièce
en deux mouvements pour violon et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2976. Ces deux portraits, l'un romantique et
l'autre rustique s'appuient sur des thèmes connus. Le premier emprunte sa
structure mélodique au célèbre nocturne en mi bémol de Chopin, le deuxième à à un chant populaire. L'ensemble est fort plaisant et
laisse au piano une place intéressante qui fait de ces portraits de vraies
œuvres de musique de chambre. Youli GALPERINE :
Capriccio Opus 37 n° 2 pour violon
solo. Difficile. Delatour : DLT2630. Ce capriccio
mérite bien son nom : changements de caractère, changements de rythme,
de mesure, il offre une variété très grande et très séduisante mais demande une
technique éprouvée. A la fois lyrique et rythmé, il nous emporte dans un
tourbillon plein de surprises. FLÛTE Gjovalin
NONAJ : Musique des Balkans pour
flûte. Lemoine : HL 29248. Outre les pièces pour flûte seule, le recueil
contient également une Rhapsodie instrumentale
balkanique pour deux flûtes. Issu d'une famille de chanteurs et musiciens
traditionnels, l'auteur, albanais, nous propose une série de compositions
originales qui, par leur richesse mélodique et rythmique ainsi que par leur
caractère souvent nostalgique, nous restituent l'ambiance de cette musique des
Balkans. Les mesures, parfois à 7/8 ou 7/16, nous introduisent dans un monde
rythmique dépaysant mais plein de charme. Colombe
ARNULF-KEMPCKE : Rhapsodie
balkanique n° 1 pour flûte et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.3072. Il n'est pas sûr que les origines
bourguignonnes de cette jeune compositrice et interprète la prédestinait à
écrire une Rhapsodie balkanique, et pourtant, il faut bien reconnaître que
cette œuvre est particulièrement réussie. Peut-être l'auteur est-elle en osmose
avec cette musique des Balkans comme Ravel l'était avec la musique espagnole…
Toujours est-il que cette Rhapsodie balkanique n°1, pour flûte et orchestre à
cordes, éditée ici dans sa version flûte et piano est tout à fait imprégnée de
l'ambiance des danses de ce pays et nous y transporte immédiatement. Cette
œuvre devrait faire le bonheur des jeunes – et moins jeunes – flûtistes et de
leurs auditeurs. CLARINETTE Gjovalin
NONAJ : Musique des Balkans pour
clarinette. Lemoine : HL 29247. Attention, ces pièces sont bien des pièces
originales et non les transcriptions des pièces pour flûte recensées plus haut.
Figure également dans ce recueil une Rhapsodie
tzigane pour deux clarinettes. Les œuvres de ce compositeur albanais, issu
d'une famille de chanteurs et de musiciens traditionnels, dépaysent en même
temps qu'elles charment. Ce sont autant de petits portraits riches et colorés
tout à fait typiques aux rythmes surprenants. Bref c'est un régal, mais ce
n'est pas pour des débutants. Marie-Luce
SCHMITT : Allegro de Píccolo
Mozart pour clarinette et piano. (Extrait de la sonate Píccolo Mozart, de Marie-Luce Schmitt P.L.1583.
Supérieur. Lafitan : P.L.3090. Nous avons rendu compte dans la lettre 14 de
septembre 2007 de cette sonate dans le style de Mozart. Cet
« allegro » constitue une pièce qui se suffit. Elle permettra à
l'élève de se familiariser avec le style de Mozart en interprétant une œuvre
originale pleine de verve et de vigueur, mettant en jeu toutes les possibilités
de l'instrument. Ce pourra être l'occasion, pour le professeur, de faire
découvrir les différentes œuvres où Mozart utilise la clarinette, et notamment
son concerto…
SAXOPHONE Charles
Jean-Baptiste SOUALLE dit Ali Ben Sou Alle : 3
Paraphrases d'opéra réunies par Fabien Chouraki.
Saxophone alto & piano. Deuxième cycle. Lemoine : HL 29234. Précisons tout de suite que la mention
« deuxième cycle » ne fait pas de ces pièces des pièces
« d'étude » : elles peuvent figurer comme de très agréables
« bis » au répertoire des concertistes, d'autant plus que la partie
de piano, remarquablement écrite, n'est pas précisément pour débutant… La première de ces paraphrases est une Fantaisie sur le Barbier de Séville de
Rossini, la deuxième une Fantaisie sur
Don Juan de Mozart et la troisième une fantaisie
sur le Trouvère de Verdi. L'édition de Fabien Chouraki
est très soignée. On appréciera en particulier qu'il ait indiqué avec précision
quels passages des œuvres étaient « paraphrasés » par l'auteur, ce
qui permettra aux interprètes d'aller écouter les originaux. Enfin, Fabien Chouraki a écrit une passionnante préface sur ce mystérieux
saxophoniste du XIX° siècle né à Arras en 1824, et dont on perd la trace après
1875, saxophoniste virtuose, compositeur… C'est dans les années 1850 qu'il
abandonne la clarinette pour se consacrer au saxophone dont il s'empresse
d'améliorer la facture par des perfectionnements universellement adoptés
aujourd'hui… Ces trésors dormaient à la BNF… Merci à Fabien Chouraki
de nous les avoir ainsi restitués. BASSON Bernard
COL : A l'ombre du Vésuve. 5
pièces pour basson et piano. Delatour : DLT2581. Les cinq pièces qui composent ce recueil nous
reportent quelques jours avant l'engloutissement d'Herculanum et Pompéi. La
première, Memento mori (Souviens-toi
que tu es mortel) nous met immédiatement en situation. De niveau fin de premier
cycle pour le basson, elle installe une ambiance oppressante avec ensuite un
ostinato du piano pour un retour à l'ambiance du début. La deuxième pièce, Via dell' abondanza
(deuxième cycle) est une promenade dans le Pompéi insouciant, la troisième Cave canem (attention
au chien) rappelle certaines mosaïques trouvées dans la ville et possède une
atmosphère de plaisanterie. La quatrième, Villa
dei mysteri (fin deuxième cycle) évoque la
troublante et sulfureuse Villa des Mystères. La pièce se termine par l'éruption
du Vésuve qui interrompt brusquement le cours des plaisirs. La dernière pièce, Après l'éruption est une déploration sur
la ville ensevelie dans son linceul de cendres. Précisons que la partie de
piano est à la fois très importante et très difficile. TROMBONE André
TELMAN : Alerte dans la citadelle pour
trombone et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan :
P.L.2990. On pourra facilement imaginer plein d'évènements
autour de cette « alerte ». Si le début commence comme des appels de
trompette, le milieu, rapide et mouvementé, fait penser à une attaque ou tout
autre évènement inattendu. Une cadence non moins mouvementée conduit à un
retour au calme : l'alerte est terminée ! Le langage employé, sans
être déroutant, est suffisamment dépaysant pour créer une atmosphère exotique.
Piano et trombone dialoguent tant dans le lyrisme que dans l'héroïsme.
L'ensemble est fort plaisant. Dominique
DELAHOCHE – Thomas ROCTON : Le
trombone dans l'imaginaire du compositeur. Choisir et écrire des sons pour
les trombones. Lemoine : HL29116. C'est une véritable somme à l'usage des
compositeurs et des instrumentistes que nous offrent ici les deux auteurs, tous
deux trombonistes reconnus. Partant de la facture de l'instrument, ils nous
présentent la conception et les éléments du résonateur-trombone, les différents
trombones et la manière de composer un pupitre de trombones, l'ensemble des
paramètres du jeu de l'instrument, et bien d'autres choses solidement
argumentées et expliquées avec force détails, schémas, exemples… Bref, cet
ouvrage tout à fait original permettra de mettre en valeur et de tirer le
meilleur parti de ce remarquable instrument dont on est loin de soupçonner toutes
les ressources. PERCUSSIONS Denis
DIONNE : La méthode Pygmalion volume
2. Dhalmann : ISMN 979-0-56024-466-2 Nous avons rendu compte dans notre lettre 68
de mars 2013 du premier volume de cette méthode. Rappelons qu'il s'agit d'une
« Méthode de percussion pour progresser à la caisse claire, aux
multi-percussion, à la batterie. ». Le deuxième volume suit la même
démarche que le premier : il s'agit d'autonomiser le plus possible le
jeune batteur. Une série d'études sont proposées, qui sont à jouer sur la
caisse claire seule. Puis l'élève la recompose pour deux ou trois instruments
tout en gardant la structure rythmique. Enfin on enrichit peu à peu l'étude
avec des nuances, des jeux de timbres… On acquiert ainsi une véritable
autonomie. MUSIQUE DE CHAMBRE Alain
QUERLEUX : Stances pour quatuor
à cordes. Elémentaire : P.L.2964. Ces Stances
commencent par un « Largo assai, sostenuto con anima » qui permet
aux interprètes d'exprimer toute leur sensibilité. Mais chacun sait que,
surtout pour les cordes, ce n'est pas un exercice facile… Suit alors un
« andantino malinconico » puis toute une
série de strophes diverses. Le tout se termine par un « largo sostenuto,
maestoso e cantabile » en sol mineur avec, pour finir, la traditionnelle
tierce « picarde ». C'est varié, cela sonne très bien, chaque
instrumentiste a sa part du discours. C'est donc de la bonne et vraie musique
de chambre. Carsten
KLOMP : Organ plus one. Œuvres originales et
arrangements pour le service d'église et le concert. Prière et remerciement –
Baptême et mariage. Bärenreiter : BA 8505. Nous avons recensé dans notre lettre 50 de
juin 2011 un recueil semblable consacré aux temps de la Passion et de Pâques.
Comme dans le volume précédent, les thèmes sont ceux des chorals traditionnels. Les pièces, qui peuvent leur servir de
prélude, ont été transposées dans le ton de l'Evangelisches
Gesangbuch.
Comme le titre l'indique, les arrangements ou compositions sont écrits
pour orgue & un instrument mélodique, plutôt à vent. Le volume contient la partie de l'instrument
qui s'ajoute à l'orgue dans les tonalités d'ut, sib, mib
et fa, pour pouvoir s'adapter à tous les instruments. Toutes ces pièces ne
présentent pas de grandes difficultés. Bien sûr, l'ensemble trouvera facilement
sa place au concert aussi bien que dans le culte, protestant ou catholique… Antonín DVOŘÁK : Piano Trio in B-flat major. Op. 21. Bärenreiter : BA 9578. Voici donc une nouvelle édition de ce trio
composé en 1875. Celle-ci a été soigneusement revue par Antonín Cubr. Une préface très intéressante a été rédigée par David
R. Beveridge, qui, grâce à de nouvelles recherches, y décrit en détail la
genèse de l'œuvre et la manière dont elle a été reçue. Youli
GALPERINE : Partie
espagnole « Echecs ». Opus 35 n° 1 pour violon et
violoncelle. Delatour : DLT2631. Ce titre, qui pourra paraître mystérieux à
beaucoup est en fait le nom d'une « ouverture » du jeu d'échec,
c'est-à-dire une manière spécifique de commencer une partie. Il s'agit, nous
dit l'auteur de l'« équivalent musical imaginaire de
la partie W. Steinitz – J. Blackburne. Londres,
1876. » Faut-il préciser que Steinitz et Blackburne
sont des champions d'échec de la fin du XIX° siècle, l'un autrichien, l'autre
britannique ? C'est dire que la lutte entre les deux instruments est une
vraie partie de championnat… Serge
OLLIVE : Divertimento n° 1 Op.
152 pour hautbois, clarinette et basson. Niveau intermédiaire. Waldhorn Editions
(auto-label) : WH-4513152. (Pour ces éditions, voir en tête de
l'article). Cette charmante œuvre comporte quatre
mouvements : - Andante – Scherzetto – Largo -
Allegro Vivace. On peut écouter l'ensemble de l'œuvre sur le site de
l'auteur-éditeur. Le langage, pour être classique, n'en est pas moins tout à
fait personnel. Après un andante très sage arrive un scherzetto
un peu coquin où on peut entendre des réminiscences (volontaires ?) de
Claude Nougaro et de sa java. Le largo, lyrique et charmeur à souhait est suivi
d'un dernier mouvement plein de verve et bien réjouissant. Les grands élèves ou
les interprètes chevronnés qui joueront cette œuvre devraient donner bien du
plaisir à leurs auditeurs et à eux-mêmes. ORCHESTRE Gérard
HILPIPRE : Fragments de l'Apocalypse
pour grand orchestre d'instruments à vent. Difficile. Delatour :
conducteur DLT2549 – matériel DLT2549E. Il s'agit d'une œuvre à grand effectif car
aux instruments à vent, bois et cuivres, s'ajoutent quatre percussionnistes et
un piano. Notons que le conducteur est écrit entièrement en sons réels à
l'octave réelle sauf les piccolos et le glockenspiel. Bien qu'elle ne dure qu'à
peine un quart d'heure, il s'agit donc d'une œuvre monumentale. L'auteur veut
donner aux visions grandioses de l'Apocalypse (rappelons qu'il ne s'agit pas de
catastrophes mais de visions qu'on pourrait appeler oniriques en particulier de
la Jérusalem céleste) une dimension sonore aussi colorée que possible.
L'ensemble est le plus souvent coloré, lyrique et méditatif, jouant sur les
longues tenues et les couleurs qui en résultent. Ce n'est pas un hasard si on pense
souvent à Olivier Messiaen, à qui l'œuvre est dédiée. Alexandre
OUZOUNOFF : Bosphore pour 2
bassons, orchestre à cordes et percussion. Difficile. Delatour :
DLT2619. Même s'il ne s'agit pas d'un concerto, le
basson, sous une forme double pour ne pas dire doublée est tout spécialement
mis en valeur dans cette œuvre qui permet ainsi à cet instrument de lutter à
forces égales non seulement avec l'orchestre à cordes mais même avec les
percussions, très présentes dans l'œuvre. L'ensemble évoque, de façon lyrique
et passionnée ce Bosphore, lieu de passage mais surtout
d'affrontements. Daniel
Blackstone. ***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Johann
Sebastian BACH : Luther-Lieder (Chorals de Bach pour chœur à 4 voix), Klaus HOFMANN (éd.), Stuttgart, CARUS (www.carus-verlag.com ), 2016, CARUS 4.023 (coll.). 40 p. – 14,
90 € (achat en nombre : prix dégressif). Dès la Réforme,
Martin Luther (1483-1546) a préconisé pour les fidèles le chant en langue
vernaculaire (et non plus en latin). Ce volume avec les harmonisations à 4 voix
de Jean Sébastien Bach sera très apprécié des cantors, chefs de chœur,
chanteurs et également des pasteurs soucieux de trouver des chants pour les
concerts ou les cultes. Les harmonisations de chorals luthériens pourront même
servir pour véhiculer les paraphrases françaises, strophiques, rimées chantables
sur les mélodies d'origine, élaborées par Yves Kéler : Les 43 chants de Martin Luther, Paris,
Beauchesne, Collection Guides Musicologiques n°7, 2013 (cf. Lettre d'information, n°75, décembre 2013). Parmi les mélodies
catholiques antérieures à la Réforme, figurent, entre autres : Christ lag in Todesbanden, d'après la
séquence Victimae paschali laudes de
Wipo (XIe siècle) ; Du bist drei in
Einigkeit, d'après le texte : O
lux beata Trinitas (IXe siècle) et la mélodie datée : Milan, v. 650 ; Christum, wir sollen loben schon, d'après l'hymne A solis ortus cardine de Caelius
Sedulius (Ve siècle) ; Komm, Gott
Schöpfer, Heiliger Geist, d'après l'hymne Veni Creator Spiritus (809) de Raban Maur, adaptée par Luther en
1529 ; ou encore Nun komm, der Heiden Heiland, d'après le
texte de l'hymne Veni redemptor gentium (v.
386) de Saint Ambroise de Milan et la
mélodie d'Einsiedeln (XIIe s.) reprise par Luther en 1524... Martin Luther a aussi
emprunté des mélodies à ses contemporains : Ludwig Senfl, pour le Psaume
67 : Es wolle Gott uns gnädig sein (1522)
; Johann Walter, pour le Psaume 14 : Es
spricht der Unweisen Mund wohl (1524). Ce volume a le mérite de proposer
deux mélodies (parues en 1524) et harmonisations du Psaume 130 : Aus tiefer Not schrei ich zu dir : celle
du musicien strasbourgeois Wolfgang Dachstein et celle de Luther comme,
d'ailleurs, le célèbre Psaume 46 : Ein
feste Burg ist unser Gott (texte et mélodie). De plus, il renvoie — sans
toutefois préciser le temps de l'Année liturgique ou la circonstance — aux
numéros correspondants dans le Recueil officiel : Evangelisches Gesangbuch, en usage au XXIe siècle en Allemagne. Ces Chorals et
Psaumes luthériens sont reproduits avec les harmonisations de J. S. Bach et
précision du BWV, ainsi que toutes leurs strophes. Ils sont extraits de
l'édition intégrale en 4 volumes : Johann
Sebastian Bachs vierstimmige Choralgesänge (neue Bachausgabe, 1954-2006). Les harmonisations sont d'abord
pensées pour accompagner le chant des fidèles (le cantus firmus planant à la
partie supérieure), mais aussi pour les organistes et les chefs de chœur (quelques tessitures
trop graves pour la voix de basse sont signalées). L'harmonisation est :
soit en contrepoint simple note contre note, avec quelques rares notes de
passage expressives dans les parties médianes (ténor, alto) ; soit en
contrepoint fleuri, avec de longues vocalises et des mélismes. Ces 30 Luther-Lieder peuvent donc être
interprétés à 4 voix par une chorale spécialisée ou simplement chantée à
l'unisson par les fidèles accompagnés à l'orgue lors de célébrations et de
concerts. Leur consultation est facilitée par la Table des matières alphabétique (p. 11), et surtout par la Table des correspondances avec le Recueil en usage (p. 36), renvoyant aux
pages de ce volume très bien présenté et gravé. Son utilité n'est évidemment
pas à démontrer. Édith Weber. « BERLIOZ,
encore et pour toujours.. ». Actes
du Cycle Hector Berlioz, Arras 2015, Paris, BoD (Books on Demand), 2016, 214 p.
- 7, 99 €. Dans ce Cycle de huit
Conférences données à Arras en 2015 — à l'occasion de la Semaine internationale
Hector Berlioz organisée par l'Université pour Tous de l'Artois, à l'initiative
de Dominique Catteau —, différents aspects sont abordés par huit spécialistes
d'horizons divers. Marc-Mathieu Münch a
signé la contribution la plus neuve. Il illustre l'effet de vie et la Symphonie fantastique, à partir de la version
discographique du « Bicentenaire » par l'Orchestre Symphonique de
Boston, sous la direction de Charles Münch (2003), et analyse ses réactions
personnelles. Rappelons que, Professeur comparatiste (Université de Metz), il a
conçu « une méthode nouvelle : la recherche d'invariants
anthropologiques dans les arts poétiques des grands auteurs », également
appliquée à la musique. Il aboutit à « une double découverte : le pluriel du beau, c'est-à-dire l'infinie
variété des esthétiques notamment depuis le XVIIIe siècle, avec passage de
l'idée d'un beau absolu et unique à un beau relatif et changeant », puis
celle de l'« invariant planétaire
de l'effet de vie qui permet de
définir la nature spécifique de l'art » (p. 210). Il préconise une écoute
naïve, en étant simplement disponible. Se prenant pour cobaye, il examine ses
réactions à l'écoute du début de la Symphonie
fantastique pénétrant dans le monde intérieur d'un être inquiet, dans une
âme ayant de nombreuses facettes contrastées (sérénité, violence) ; il se
crée ainsi « dans mon [son] corps-esprit un ensemble dans lequel il
ressent la diversité des étapes » (p. 43-44). La théorie de l'effet de vie
exige un travail d'introspection sollicitant « ouïe, corps,
esprit et cerveau, lors d'une démarche sur la partition dont l'idée fixe est au
centre ». Cette démonstration auditive permet de dégager six
corollaires : chercher le matériau incitatif (timbres pour Berlioz) ;
imaginer les combinaisons de sons nouveaux ; fabriquer des formes vivantes
(arche, transitions) sans rompre la formule globale ; définir la
plurivalence ; constater l'ouverture de l'œuvre au récepteur (Berlioz a
réussi à attirer l'auditeur) ; enfin, établir la cohérence. Les lecteurs seront
très intéressés par d'autres communications (informations, repères
biographiques, p. 6-8). Anne Bongrain aborde Berlioz comme écrivain et
feuilletoniste grâce à son immense culture, propose un bilan de ses écrits (y
compris les rééditions) et reproduit des articles et critiques associés aux
extraits musicaux correspondants. Ils sont de caractère sérieux, fantasque (cf. statistiques, p. 14), concernent
aussi les voyages à l'étranger entre 1831 et 1868. Patrick Barbier cerne la
personnalité exceptionnelle de Pauline Viardot qui a influencé Berlioz,
fréquentait de nombreux représentants du monde de la musique, des arts, des
lettres et même de la politique. Il met l'accent sur les liens et leur
collaboration. Marie-Hélène Coudroy-Saghaï étudie la critique berliozienne sans
concession, relative à l'Opéra Comique (cahiers des charges, dynamisme,
difficultés) et fait allusion aux ouvrages de l'ancien répertoire
« rhabillés à neuf ». L'influence de Berlioz est traitée par Hermann
Hofer qui met l'accent sur son rayonnement universel, le situe dans son
environnement à l'époque de la « déwagnerisation » en France, et
conclut (p. 141) que « Berlioz a révolutionné la musique de son
époque ». Katherine Kolb évoque la maturité de Berlioz vers 1820 (p. 149)
et rappelle que, pour faire jouer ses œuvres, il est forcé de partir à
l'étranger (p. 151). Elle cite également (p. 155) sa déclaration de foi :
« J'adore et je respecte l'art dans toutes ses formes ». Suit un
entretien original de Dominique Catteau avec Jean-Claude Malgoire qui signale
comment il a pu passer du baroque à Berlioz (il a même joué une partie de cor
anglais de la Symphonie fantastique dirigée
par Charles Münch). Matthias Brzoska apporte un autre éclairage :
« Berlioz, musicien d'Église ». Il cite les différentes œuvres et — à
propos du Resurrexit de la Messe (1827) et du Tuba mirum du Requiem (1837)
— constate que l'idée centrale de son esthétique de la musique religieuse :
« c'est l'expression bouleversante, même terrifiante de l'effroi religieux
face au jugement dernier qui suscite cette impression
terrible décrite par Berlioz ». Voici donc, grâce
notamment à Dominique Catteau : Berlioz,
encore et pour toujours, mais à travers le recul du temps et des perceptions
différentes (effet de vie, citations éclairantes…) traduisant avec pertinence
la fusion entre vie personnelle et création artistique. Édith Weber. Philippe CHARRU et Christoph THEOBALD : Johann Sebastian
Bach, interprète des Évangiles de la Passion, Paris, VRIN (www.vrin.fr
), Coll. Musicologies, 2016, 412 p. - 30
€. Philippe Charru,
organisateur du Colloque : Le
Baroque luthérien de J. S. Bach (Paris, 2005 ; actes publiés en 2007),
est aussi co-auteur, avec Christoph Theobald, des ouvrages très
remarqués : La pensée musicale de
Jean Sébastien Bach : les chorals du Catéchisme luthérien dans la
Clavierübung… (Paris, Cerf, 1993) et
L'esprit créateur dans la pensée
musicale de J. S. Bach : les chorals de l'autographe de Leipzig (Sprimont,
Mardaga, 2002). En spécialistes des
rapports entre la théologie et la musique, les deux intrépides chercheurs ont
uni leurs compétences et leurs solides expériences au service de J. S.
Bach : l'un étant organiste (Saint-Ignace, à Paris), professeur
d'esthétique au Centre Sèvres (Faculté jésuite de Paris) ; le second,
professeur de théologie fondamentale et de dogmatique à la même Faculté. Ils
proposent ainsi une approche pluridisciplinaire et herméneutique des Passions selon Saint Jean et Saint Matthieu
du Cantor de Leipzig, en conformité avec la tradition leipzicoise. Leur
démarche, qui ne dissocie évidemment pas le texte de la musique, a pour motif
conducteur l'intériorisation du drame de la Passion associée à la puissance émotionnelle.
D'entrée de jeu, les
pages liminaires démontrent déjà le sérieux de leur méthodologie avec un Glossaire
indispensable pour éviter tout malentendu terminologique ; les Abréviations et Conventions. En fin
d'ouvrage, la bibliographie (thématique) rappelle les sources (Saint Augustin,
Bernard de Clairvaux, B. H. Brockes, J. N. Forkel, M. Luther, Picander
(Henrici), entre autres ; des documents et Biographies marquantes (Ph. Spitta, A. Basso, K. Geiringer…), ainsi
que la TOB (Traduction Œcuménique de la
Bible) — il conviendrait de signaler celle de Louis Segond (plus familière
aux Protestants) — ; des ouvrages d'esthétique (A. Pirro, A. Schweitzer,
Chr. Wolf) et sur les Passions (J.
Chailley, G. Cantagrel…) : autant de références utiles aux lecteurs qui
apprécieront également les illustrations (portrait de Bach ; traduction de
la Bible par M. Luther éditée par A.
Calov, avec annotations et signature autographe (1733) ; partitions). La Première Partie
(Chapitres I-III), de caractère historique, évoque les traditions des Passions en général, puis typiquement
leipzicoise, enfin luthérienne privilégiant la prédication ainsi que les enjeux
théologiques et dramatiques. Elle aborde aussi les critères d'interprétation,
présente les formes spécifiques : récitatif, chœur de la turba (foule), l'impact des chorals
luthériens — apanage et identité de la musique protestante allemande —, les
arias, le chœur d'entrée et le chœur final et insiste sur la « médiation
stylistique de la théologie de la Passion ». La Deuxième Partie
(Chapitres IV-XI), très développée, concerne la « lecture de la Passion », d'abord la Johannes Passion reconstituée (cf. édition de la Neue Bach
Gesellschaft) — dans laquelle Bach honore « la spécificité de la tradition
johannique » (vision dramatique de l'existence humaine) —, puis la Matthäus Passion. Elle traite
judicieusement le passage du texte biblique au livret ; l'architecture
sonore, placée sous l'angle symbolique (aspect très important), sans oublier la
dramatique de conversion, la valeur pédagogique de l'empathie et l'incitation
de l'auditeur à la pénitence (Buss und
Reue), tout en rappelant les fruits de la Rédemption. La lecture continue
est divisée en épisodes sous-titrés, la Passion
étant, dans le contexte du culte luthérien, chantée avant et après la
prédication du pasteur. Les Tableaux
(en annexe) signalent les sources des textes (différentes versions de la Passion selon Saint Jean) et la
structure musicale. La traduction française figure à côté du texte
allemand ; quant à l'interprétation, le nombre de chanteurs — répartis sur
les deux tribunes de Saint-Thomas avec le grand orgue et l'orgue de chœur — est
indiqué. Au chapitre XI, la lecture continue (Saint Matthieu) est aussi étayée de citations musicales monodiques
et polyphoniques significatives, par exemple le motif cruciforme de la
croix relevé par le regretté Philippe Harnoncourt (p. 291). En Annexe B : 22 tableaux facilitent
la compréhension des paroles et précisent les sources littéraires et mélodiques
des différentes versions, l'instrumentation, la répartition des deux
chœurs… La Troisième Partie
(ch. XII-XIV), très neuve — après une approche comparative des deux Passions —, est dévolue à la Theologia Crucis (Théologie — sonore — de la Croix) exposée dans les
deux œuvres. Elle dégage les « voies spirituelles » diversifiées dans
leurs architectures respectives. Bach s'est inspiré de prédications et de
méditations dans la mouvance de l'orthodoxie luthérienne. La conclusion, —
paradoxalement mais à juste titre — intitulée : Ouverture (p. 395), est d'une richesse extrême. En fait, chaque
constat, voire chaque phrase, est à même de susciter la réflexion. La démarche
reste donc encore et toujours « ouverte ». Grâce à la longue expérience et au labeur
méticuleux et minutieux de Philippe Charru et Christoph Theobald, les lecteurs
et mélomanes, théologiens et historiens, pasteurs et fidèles, chefs et
chanteurs, bénéficient désormais de ce modèle d'exégèse croisée et
transdisciplinaire rarement atteinte. Incontestablement : un monument. Édith Weber. BACH
Magazin. Leipzig, Neue
Bachgesellschaft (www.bach-magazin.de ), Printemps-Été 2016, Cahier 27,
57 p. - abonnement annuel (2 numéros), 11, 80 €. Le numéro 27 du
Magazine Bach, organe de la Nouvelle Société Bach (Leipzig), paraît sous une
nouvelle formule et avec le concours de nouveaux responsables : Markus
Zepf et Ulrike Utsch. Il contient des articles de fond et informations diverses
concernant l'actualité (recensions, bibliographie et discographie autour de
Bach, annonces des prochaines Expositions, parutions, manifestations, Journées
Bach), le prochain Festival Bach à la célèbre Frauenkirche de Dresde et —
dans le cadre du centenaire de la disparition (11 mai 1916) de Max Reger — la
publication par les Éditions Breitkopf, de l'intégrale de son œuvre d'orgue, en
7 volumes, ainsi qu'une biographie significative : Max Reger Werk statt Leben (542 p.) par Suzanne Popp. Les études
spécialisées gravitent autour de trois pôles : Les orgues de Bach, ses élèves
et, selon l'actualité du calendrier, Bach
et Reger. En effet, J. S. Bach, en tant qu'interprète et fin connaisseur de
la facture d'orgue, a joué, expertisé et réceptionné de nombreux instruments,
et élaboré des projets de restauration et de transformation des Orgues de
Mühlhausen, d'Arnstadt, de Naumburg, de l'Église Saint Martin à Kassel et de
Saint Nicolas à Leipzig… Il s'est occupé d'une soixantaine d'instruments.
Markus Zepf propose ainsi un périple organistique passionnant, avec la rencontre
de nombreux facteurs et musiciens. Des documents d'archives tels que des
factures attestent aussi la nature et la qualité des travaux. Il signale à cet
égard l'ouvrage en collaboration avec le spécialiste Christoph Wolff : Die Orgeln J. S. Bachs. Ein Handbuch
(Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2/2008). Les lecteurs seront intéressés
par l'interview, par Birgit Hendrich, d'Ullrich Böhme — depuis 30 ans organiste
titulaire de Saint Thomas à Leipzig — à propos des Orgues que Bach a pu
pratiquer, de leurs facteurs respectifs et de la rénovation de l'Orgue Sauer
(d'esthétique à la fois néo-baroque et romantique tardive) dont il a entrepris
la restauration, et de l'« Orgue Bach ». L'article suivant aborde
Bach et la pratique de l'École d'orgue nord-allemande, ses divers voyages à
Lunebourg et Hambourg vers 1700-1702 pour y retrouver des organistes célèbres
(J. A. Reinecken, D. Buxtehude, G. Böhme). La contribution de Christine Blanken
bénéficie d'illustrations appropriées (paysages, plans, peintures, autographes
et croquis d'orgues). Enfin, une partie volontairement laconique (kurz und knapp) donne de riches
informations sur les faits d'actualité (2016) : film, Médaille Bach,
émissions radiophoniques, projets de recherche à propos de ses élèves, ainsi
que des renseignements plus précis sur la Nouvelle Société Bach (Maison et
Musée Bach, Académies en Europe de l'Est…) et présente Alexander Steinhilber,
le nouveau manager. Outre les hommages
concernant le centenaire de la mort de Reger, le 125e anniversaire de la
naissance de Hermann Scherchen et le 50e anniversaire de sa disparition sont
rappelés par Arndt Richter, le grand chef étant replacé dans ses divers
contextes artistique, esthétique et professionnel, mais aussi discographique.
D'autres informations annoncent le 20e Concours international Bach et la
constitution de son Jury ; le Festival Bach de Dresde 2016 (23 septembre-3
octobre), soucieux de « mobiliser toutes les ressources », à
l'initiative de la Nouvelle Société Bach et de la Frauenkirche, haut-lieu de la
musique, avec le concours de Roderich Kreile (Kreuzkantor, Directeur du
Festival) et de Matthias Grüner (Kantor de la Frauenkirche). D'autres
contributions (avec illustrations) présentent la Collection d'instruments de
musique anciens de Vienne à l'occasion de son centenaire (1916-2016) et rendent
un émouvant hommage au chef prestigieux, Nikolaus Harnoncourt, décédé
récemment, précurseur de la pratique musicale historique (selon les sources
d'archives). Ce numéro 27 du Bach Magazin, dans la conception repensée
par deux nouveaux responsables, sera très bienvenu non seulement des membres de
la Nouvelle Société Bach, mais encore des mélomanes, discophiles et
musicologues. Édith Weber. Marc Vignal : Ralph Vaughan Williams . Bleu Nuit éditeur, 1 vol. 2015, 176p, 20€. Écrire un livre sur un compositeur aussi
important que Vaughan Williams, non-conformiste notoire, implique de l'être
soi-même tant soi peu. Voilà un livre remarquablement scolaire quantitativement
et qui fait honneur, hélas, à une musicologie sèche, dépourvue de souffle et
d'émotion … que des faits, que des faits. Voilà qui aurait bien plu à Thomas
Gradgrind, ce sinistre personnage créé par Charles Dickens (1812-1870) pour son
Hard Times, for these times (1854).
En ce cas, l'éditeur aurait été bien avisé de veiller aux coquilles, à une
présentation plus souple et aérée notamment en ce qui concerne les citations
par ailleurs excellentes et fort bien choisies. Autre qualité, l'iconographie
qui nous fait respirer dans ce parcours du combattant. Sur le fond, il y a
d'autres objections à faire malgré une bonne introduction (p. 5-7), assez
prometteuse. Bien que j'y relève une phrase qui me surprend lorsque je lis que
« vers 1900 [le caractère anglais] ne disposait pas encore, pour
s'épanouir, de tous les outils nécessaires ». Un tel lieu commun m'effraie
tant il est injuste à l'endroit d'une culture si identifiée, si
caractéristique, depuis au moins John Dunstable (ca 1390-1453). Et, lorsque, page 26 en note 12, il est écrit que
Ralph Vaughan Williams aurait été sensible à « un certain impressionnisme
à la française », je ne sais plus que dire. Oh que non, il en était à des
années lumières ne serait-ce que du point de l'éthos. Dénigrer Sir Charles
Hubert Hastings Parry (1848-1918) et Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924)
au profit de Maurice Ravel (1875-1937), p. 32, me semble de même quelque peu
abusif. Avec ce dernier, Vaughan Williams a certes entretenu de très amicales
relations mais sans plus. En réalité, il est
l'aboutissement d'une longue aventure musicale spécifiquement anglaise qui, à
l'instar de son caractère, s'est forgée envers et contre tout. Bien sûr, Marc
Vignal connaît fort bien son sujet. Tout y est ou presque… James Lyon. Textes
réunis par Philippe Carles et Alexandre Pierrepont : POLYFREE
: La jazzosphère, et ailleurs (1970-2015). 1vol. Paris, Outre Mesure, 2016, 352 pages,
25 €. Sous ce titre
insolite, paraissent, réunies dans la collection Contrepoints par Philippe Carles et Alexandre Pierrepont, quelque
29 contributions dues à autant de spécialistes, véritable ovni dans la
publication musicologique contemporaine. C'est donc du jazz et de sa sphère
qu'il sera question, mais selon une perspective résolument novatrice qui,
tournant le dos à la nostalgie trop souvent associée à cette musique inscrite
dans le "vif", ne craint pas proposer ce que les directeurs de l'ouvrage
nomment eux-mêmes un "travelling panoramique sur les années 1970-2015". Loin de
récuser la notion d'inventaire, les contributeurs en acceptent gaîment ses plus
plaisants caractères : l'enchevêtrement, la diversité, voire
l'hétérogénéité… Nulle prétention d'exhaustivité dans cette affaire ; bien
au contraire, le lecteur est prié tacitement de poursuivre lui-même la
réflexion sur les voies ouvertes, de contester le parti-pris de tel auteur, la
recension de tel critique, la version de tel instrumentiste. En un mot, le jazz
est ici traité par effet-miroir, les contributeurs opérant avec la même liberté
et les mêmes contraintes que les musiciens engagés dans une performance dont on
leur aurait fourni le "chemin de fer" mais non, au risque accepté et jouissif
de certains déraillements, la carte des aiguillages ! D'emblée, il ne
s'agit de rien de moins que de "libérer
l'héritage des vivants Free",
de "décoloniser le présent des grands noms du
passé Free",
etc. Au gré de ce périple aussi divertissant que savant, des silhouettes
passent, des noms surgissent, des mouvements s'affirment, étrange ballet dont
l'unité profonde ne se discerne qu'au prix d'une patiente attention, la jazzosphère calquant ici l'image de ces
fourmilières, vastes usines ou partitions de Varèse (!) qui, déroutantes au premier regard, frappent progressivement
l'observateur par la vigueur de leur effort unitaire. Peut-être le plus
grand mérite de cet ouvrage reste-t-il sa capacité à dépasser, sans l'ignorer,
la dimension politique et sociale du jazz, pour en postuler l'incomparable
originalité et, surtout, rappeler que loin d'offrir un simple reflet du monde,
cette musique, monde en soi, offre au génie contemporain un espace unique de
développement et de variation. Rien de plus éclairant, de ce point de vue que les contributions de Marc Chemillier et Christian Béthune,
relatives aux musiques électroniques et au rap en regard du "champ
jazzistique". Ou encore que la démonstration offerte par Ludovic
Florin dans le chapitre au titre tellement explicite : Jazz(s) et… musique(s)
contemporaine(s) : le continent négligé. Ailleurs, c'est le
rock qui est convoqué par Guy Darol, Steve Coleman
par Xavier
Daverat, l'Europe Free de 1970 par Francis Hofstein ou le Jazz au Japon par Michel Henritzi ! J'ai déjà eu
l'occasion, dans ces colonnes, de saluer la chère ombre, disparue mais toujours
souriante, de Jacques B. Hess ; sans savoir, parmi tous ces contributeurs,
lesquels seraient ses disciples, j'ai songé qu'il aurait salué le ton nuancé de
gravité de Denis-Constant Martin (Afrique
du sud : les incertitudes de la modernité) aussi bien que la passion militante de Jean-Paul Ricard (Jazz au féminin : la
longue marche) ou que la vigueur roborative de Jean Rochard (La batterie à toute
épreuve) ! Sans préjudice de tous les autres
chapitres, chacun riche d'une réflexion originale. Une fois démontrée enfin,
par Jean-Louis Comolli, la Nécessité du
Jazz,
une bibliographie et une discographie électives,
suivies par les notices biographiques des contributeurs et par l'index,
complètent l'information du lecteur. Gérard Denizeau.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
« Pour une
Cathédrale ».
Messes, Hymnes et Motets de Jehan TITELOUZE, Henri FRÉMART, Artus
AUX-COUSTEAUX. François Ménissier, orgue. Les Meslanges, dir. Thomas Van Essen. 1CD PSALMUS (www.psalmus.fr): PSAL 023. TT : 62'. Ce titre global est
tout un programme historique et liturgique représentant la musique typiquement
composée pour une Cathédrale, dans l'optique de la Contre-Réforme. Elle émane
de trois compositeurs du début du XVIIe siècle, dont les œuvres sont rarement
enregistrées, sauf celles — publiées chez Ballard, à Paris, à partir de 1623 —
de Jehan Titelouze (v.1563-1633), « père de la musique d'orgue
française ». En guise
d'introduction (plage 1) : le Magnificat
sexti toni de Jehan
Titelouze (1626) alterne avec l'œuvre éponyme d'Artus Aux-Cousteaux
(1641), élève de Jean de Bournonville, maître des enfants de chœur à la
Cathédrale d'Amiens et maître de musique à la Sainte Chapelle, ainsi que
compositeur. Le volet Titelouze est représenté (pl. 4) par l'Hymne Exultet Caelum en
alternance avec le plain-chant en faux bourdon reconstitué par Volny Hostiou (*1981). L'Hymne Ave maris stella (pl.
6) est aussi interprétée en alternance avec le plain-chant en faux-bourdon de
J. de Bournonville. Enfin (pl. 9), en guise de conclusion : l'Hymne A solis ortus cardine alterne avec le
plain-chant en faux-bourdon de J. de Bournonville (v. 1585-1632). Le deuxième volet
comporte la Missa Verba mea de Henri Frémart ( ?-1651) — Maistre des enfants à la Cathédrale de
Rouen, puis à Notre-Dame de Paris — : Kyrie
(pl. 2) ; Gloria (pl. 3) ; Credo (pl. 5), Sanctus (pl. 7) et Agnus Dei (pl. 8). Il a le mérite d'attirer l'attention
sur ce musicien célèbre de son temps, quelque peu tombé dans l'oubli, dont les
8 Messes ont été imprimées par
Ballard et sont dédiées aux chapitres de Notre-Dame de Paris et de Rouen. À l'orgue de l'Église
Saint-Thomas de Cantorbery à Mont-Saint-Aignan (près
de Rouen), reconstruit par Pascal Quoirin en 2001 —
dont l'esthétique correspond à la facture française du début du début du XVIIe
siècle et à l'univers sonore de J. Titelouze —, François Ménissier,
professeur au Conservatoire de Rouen, titulaire de nombreux instruments : Fr.-H. Clicquot, à Saint-Nicolas des Champs (Paris) ; J. A.
Silbermann, à Saint-Thomas (Strasbourg), de 1989 à
2003, auteur prolifique et interprète si talentueux. L'ensemble Les Meslanges, placé sous la direction si attentive de Thomas
Van Essen (qui assure aussi les intonations), bénéficie du précieux concours
d'Eva Godard (cornet à bouquin et cornet muet), de Dimitri Debroutelle
(sacqueboute), Christiane Bopp (sacqueboute) et Volny Hostiou (serpent). Voici une musique de Cathédrale qui
brille par sa plénitude vocale, la transparence des voix, la précision des
attaques et la couleur instrumentale. Tous ces interprètes ont réalisé une
version très intériorisée vraiment à l'honneur de Jehan Titelouze : une
réalisation digne d'« une Cathédrale ». Édith Weber. « Baroque
Passion ». Elisabeth Schwanda, flûte à bec, Bernward Lohr, clavecin. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP 6107. TT : 61' 31. La flûte à bec (Blockflöte), en
bois, est en vogue dans la production discographique actuelle. Elisabeth Schwanda — très en vue en Allemagne et souvent sollicitée à
l'étranger —, spécialiste de la musique ancienne, a étudié au Conservatoire de
Musique et Théâtre de Hanovre et enseigne à l'École Supérieure de Musique
d'Église à Herford, tout en dirigeant des ensembles. Son accompagnateur, Bernward Lohr, a effectué ses
études de clavecin et de germaniste à Hanovre, ainsi que d'interprétation
historique (instruments à clavier) à Wurzbourg. Cette
équipe très soudée communique irrésistiblement aux discophiles sa passion pour
la musique baroque, avec deux Sonates
de Georg Philipp Telemann (1681-1767) —respectivement
TWV41:c5 et TWV41:e2 — ; la Sonate en mi mineur (BWV
1034) de J. S. Bach et celle de son contemporain, G. F. Haendel (1685-1756), en
ré mineur (HWV 367a). En soliste, Bernward Lohr a le mérite de faire découvrir, d'une part, le bref Prélude en Do majeur de Johann Gottlieb
Goldberg (1727-1756) qui a d'ailleurs inspiré les Variations éponymes de J. S. Bach et, d'autre part, la Sonate de clavecin en Fa majeur de Johann Adolf Hasse (1699-1783).
Ils se produisent sur des instruments reconstitués : flûte à bec d'après
Jacob Denner Arian Brown (1989) et flûte à bec alto
d'après Paul Bressan von Ralf Ehlert
(2013) ; clavecin d'après Christian Zell von Klinkhamer. L'excellent
enregistrement, coordonné par Ruprecht Langer et
réalisé par Dominik Streicher,
est favorisé par l'acoustique exceptionnelle de l'Église Saint-Étienne à
Hanovre Kleefeld, convenant si bien pour mettre en
valeur ce duo et, en particulier, les sonorités de la flûte à bec dont la
technique n'a aucun secret pour Elisabeth Schwanda
qui maîtrise parfaitement les théories des affects (Affektenlehre), exploite
l'ornementation et fait preuve d'une belle ligne mélodique. Les instrumentistes
se distinguent par le charme et la délicatesse, mais aussi la vivacité de leurs
interprétations, leur sens du rythme et de la danse et notamment avec les
effets berceurs (Cunando,
3e mouvement de la Sonate de Telemann
en ré mineur), avec la flûte à bec si
expressive d'abord à découvert, comportant un discret soutien du clavecin. Le
titre Passion baroque est pleinement
justifié par la fascination et la passion contagieuses des interprètes qui
n'échapperont pas aux discophiles. Édith
Weber. « BACH all'Italiano ». Simon
Borutzki & Ensemble. 1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de ): KL 1517. TT : 68' 48. Le titre accrocheur
(selon la tendance actuelle chez RONDEAU PRODUCTION et KLANGLOGO) se rapporte
en fait à la transcription de Concertos d'Antonio Vivaldi (1678-1741)
et de Benedetto Marcello (1686-1739) effectuée par J. S. Bach, ainsi que de son
propre Concerto italien (BWV 971),
arrangée pour flûte à bec avec basse continue (soit violoncelle, luth, clavecin
ou orgue). Simon Borutzki diffuse avec passion le répertoire de flûte à bec
(alto, ténor, soprano) accordé au tempérament : la = 416 Hz. Les adaptations d'œuvres très connues sont liées au
problème et à la technique des arrangements
pratiquée entre autres par Bach (ici par S. Borutzki
et Cl. Flick), mais aussi par Felix Mendelssohn et
Robert Schumann jusqu'à Leopold Stokowski (1882-1977)
qui a orchestré des pièces d'orgue. Ces huit Concertos de « Bach-Vivaldi »,
« Bach-Marcello » — dont le Concerto
italien en Fa majeur de J. S. Bach (BWV 971) — sont
structurés en 3 mouvements selon le schème vif-lent-vif, donc avec un mouvement
central très méditatif. Dans ces arrangements, la flûte à bec plane au-dessus
d'un continuo assez étoffé, assuré avec le concours de Lea
Rahel Bader (violoncelle), Magnus Andersson (luth) et
Clemens Flick (clavecin, orgue) réalisant la basse
continue. Ces œuvres bénéficient de la sonorité moelleuse et très prenante des
flûtes à bec (en bois) et des coloris spécifiques des instruments du continuo
qui se marient bien avec l'instrument soliste ; des critères
d'interprétation de la musique baroque. Simon Borutzki
fait preuve d'une maîtrise technique à toute épreuve, d'une exceptionnelle
volubilité et transparence et d'un souffle inépuisable. Cette sélection de Concertos all'Italiano
s'inscrit dans le cadre et l'atmosphère d'un concerto da camera italianisant, mais made in Germany, à laquelle les discophiles ne résisteront pas.
Curiosité convaincante : de quoi se laisser tenter par une autre approche de ces Concertos archi-connus. Édith
Weber. Josef HAYDN, C. P. E. BACH : Cello Concertos. Marc
Coppey, Zagreb Soloists. (www.audite.de ). 1CD AUDITE 97. 716.
TT : 67' 31. Marc Coppey, violoncelliste de réputation internationale et chef
des Zagreb Soloists, est né à Strasbourg où il a fait
ses études au Conservatoire, ensuite au CNSMP, puis aux Etats-Unis. L'ensemble
Zagreb Soloists a été fondé en 1953 pour Radio
Zagreb. Il totalise déjà plus de 3500 concerts sur le plan international et se
distingue par son sens aigu de la discipline, de la précision et par sa passion
pour la musique de chambre. Le programme, conçu
comme un diptyque, associe deux compositeurs : Joseph Haydn (1732-1809) et
Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), symbolisant
l'époque immédiatement après J. S. Bach. Les 3 Concertos reprennent la structure classique avec un mouvement
central lent et expressif contrastant avec deux mouvements rapides et bien
enlevés donnant au violoncelle de nombreuses occasions de prouver sa maîtrise
technique et sa sensibilité au service de l'émotion. Les Concertos de violoncelle de J. Haydn, respectivement en Do majeur (n°1, Hob.
VIIb : 1), œuvre de jeunesse, et en Ré majeur (n°2, Hob.
VIIb : 2), cheval de bataille des interprètes,
sont parfois galvaudés, ce qui n'est certes pas le cas avec Marc Coppey qui pense doublement, en tant que chef et que
soliste, et doit aussi veiller à l'équilibre de l'ensemble et restituer le
caractère chantant (influence du bel canto), les accents populaires exploités
par J. Haydn. Le Concerto de violoncelle
en La majeur (H. 439) de C. P.
E. Bach — surnommé le « Bach de
Berlin » ou « de Hambourg » — qui a, avant J. Haydn, composé des
Concertos, se situe entre baroque,
style galant et classicisme. Marc Coppey souligne la
bonne volonté, l'énergie des membres des Zagreb Soloists
aussi sensibles à l'expérimentation et très engagés. Ces facteurs garantissent
une interprétation jusque dans les moindres détails, vraie symbiose entre le
« chef-soliste » et son ensemble. Le texte de
présentation propose une brève analyse des œuvres et — ce qui est original —
une interview de Marc Coppey réalisée par Norbert Hornig : donc aux sources-mêmes de sa motivation, de
ses réactions, goûts
personnels et critères d'interprétation soulignant les rôles respectifs
des intervenants. Excellente réalisation à tous points de vue. Édith
Weber. Giovanni Battista
PERGOLESI : Stabat
Mater. Johann Valentin RATHGEBER : Missa brevis. Dietrich BUXTEHUDE : Klaglied. Dietrich Bednarz.
orgue. Knabenchor de la Chorakademie Dortmund, dir. Jost
Salm. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP6114. TT : 48' 48. Voici encore une
remarquable performance d'un Chœur de Garçons allemands : le Knabenchor de la Chorakademie de
Dortmund placé sous la direction efficace et exigeante de Jost Salm. Il fait
appel à une formation réduite de chanteurs triés sur le volet qui, par leur
paysage sonore, pourraient rivaliser avec les castrats de l'époque baroque. Ils
proposent une version exemplaire de la Missa
brevis en Fa
majeur (Kyrie, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei) de
Johann Valentin Rathgeber (1682-1750) — exact
contemporain de J. S. Bach —, théologien et musicien, qui a enseigné au Juliusspital de Wurzbourg et a
été, à partir de 1707, musicien de chambre avant de devenir prêtre, tout en
restant organiste et chef de chœur à l'Abbaye bénédictine de Banz (en Bavière). Trois jeunes solistes, Trian Geyer et Yorick Ebert
(sopranistes) et Sven Wagner (alto) sont accompagnés uniquement à l'orgue par
Dietrich Bednarz. Ils s'imposent par leurs voix
s'élançant au-dessus de l'orgue, leur expressivité dans le Benedictus avec des vocalises en dialogue dans l'Hosanna et le caractère plus intériorisé
de l'Agnus Dei, profitant d'un
accompagnement discret et efficace à l'orgue. Le Klaglied (Lamentation) de Dietrich Buxtehude (v. 1637-1707) saisit l'auditeur
dès les premières mesures, et suscite une indicible émotion grâce à deux voix
exceptionnelles même dans le registre très aigu. Ces voix de garçons font
merveille. Enfin, la pièce de
résistance, très développée, ayant conféré son titre à cette réalisation
discographique : le Stabat Mater
a été composé par Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), en 1736, peu avant sa disparition.
Le texte reprend la séquence pour la fête des Sept Douleurs de la Vierge Marie.
Il fait appel à deux solistes soprano et alto. Dans cette œuvre de
commande construite à la manière de la cantate italienne contemporaine, solos
et duos alternent. Les 4 premières strophes sont une déploration concernant la douleur de la Vierge, et les 6 dernières,
une imploration où le suppliant
demande à Marie de partager sa douleur avec lui. Le Knabenchor de la Chorakademie de
Dortmund, en formation réduite, réussit à exprimer la douleur profonde, le
caractère sombre et l'intense émotion de cette œuvre — aussi réputée que le Requiem de Mozart. Elle est intensément
vécue par ces jeunes et talentueux garçons du Chœur et, en particulier, par les
deux solistes T. Geyer et S. Wagner. Placés sous la direction de Jost Salm (né
en 1962), spécialisé dans la pédagogie des enfants, si souriant et sympathique
(cf. photos judicieusement
sélectionnées), ces garçons sportifs respirent la joie de vivre : ils ne
sont pas blasés par leur succès et communiquent largement leur joie de chanter. Édith
Weber. « Six Songs of Innocence ». Œuvres de Gregor HÜBNER, John RUTTER, Knut
NYSTEDT, Billy JOEL et Kirby SHAW. Sirius Quartet New York. Collegium iuvenum, Knabenchor
Stuttgart, dir. Michael Culo.
1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6210. TT : 55' 56 . Depuis le Moyen-Âge,
l'Allemagne possède de nombreux Chœurs de garçons rattachés à des Églises, sous
la responsabilité du Cantor ou de l'organiste — tels que le célèbre de Chœur de
Saint-Thomas : il s'agit d'une véritable institution. Le Collegium
iuvenum, Knabenchor
Stuttgart a été fondé en 1989 ; en fait, il est une école maîtrisienne dont le répertoire va de la musique
religieuse de la Renaissance à nos jours. Ce Chœur peut
rivaliser avec les meilleures formations de sorte que les compositeurs
contemporains n'hésitent pas à lui dédier des œuvres, mais il peut aussi
solliciter des commandes comme, par exemple, les Six Songs of Innocence pour chœur de
garçons et quatuor à cordes, (2014) de Gregor Hübner
(né en 1967), compositeur, violoniste et pianiste new yorkais. Les jeunes
chanteurs interprètent également, en premier enregistrement, son Purcell Project plus développé contenant
notamment des fragments du Lamento de
Didon, dans une nouvelle adaptation très captivante. L'association chœur et quatuor à cordes pourrait surprendre, mais elle est justifiée dans ce contexte particulier rythmé et « jazzifiant », mais également intériorisé ou méditatif, avec des parties instrumentales improvisées et de redoutables interventions chorales. Le texte de William Blake (1757-1827) traduit d'abord la joie des enfants, puis des oiseaux, à nouveau des jeunes garçons et filles et, enfin, la joie exprimée par leurs voix si allègres. Des passages instrumentaux mettent en valeu |