Lettre d’Information – n°94 – Juillet 2015

Lettre de Juin 2015. Tirage : 59.443 exemplaires


 

L'AGENDA

 

12, 17, 24, 31 / 7 & 7, 14 / 8

Les Musicales de Montsoreau 20 ans déjà !

 

La Saison Musicale de Montsoreau, dont le succès ne se dément pas au fil des années, verra en juillet prochain sa 20e édition. Après tant de rencontres d'interprètes exceptionnels, de découvertes musicales, de moments de partage mémorables, les Musicales de Montsoreau innovent avec une symphonie de Beethoven, des stars hors normes (François-René Duchâble), et la célébrissime Offrande musicale de Bach. La saison 2015 débutera en respectant la tradition avec un chœur, les Soulful Singers, pour du Gospel (12/7). Suivra le concert anniversaire, précédé d'un cocktail, proposant des extraits d'opéras et de comédies musicales sur le thème « J'ai deux amours... », interprétés par la soprano Sophie Marin-Degor accompagnée au piano par François-René Duchâble (17/7). Une soirée avec Bach Père et Fils autour de l'Offrande musicale sera donnée par Mario Raskin, clavecin, et trois musiciens de l'ensemble Baroque Nomade, précédée d'une mise en bouche musicale autour du clavecin (24/7). Pour clore le mois de juillet ce sera « Symphonie à trois » avec le Trio de Lyon, dans Beethoven et Dvořák (31/7). Suivront, en août, les magnifiques Voix de la Neva venues de St-Pétersbourg pour une nuit « blanche » de musique sacrée et profane russe (7/8). Pour clore le festival, ambiance « Festnoz » avec le Bagad Men Glaz, pour de la musique celtique et des chants et danses traditionnels dans la cour du Château comme il se doit (14/8).

Du 12 juillet au 14 août 2015, 49730 Montsoreau.

Renseignements et réservations : Ligériana musicale, Mairie 49730 Montsoreau ; par tel : 02 41 51 70 22 ou 02 41 40 20 60; en ligne : www.ville-montsoreau.fr

 

25, 28, 31 / 7

 

Un violon sur le sable à Royan

 

 

« Un violon sur le sable » réunit plusieurs ingrédients originaux : des concerts en nocturne sur la plage de Royan, quelques 75 musiciens issus en partie de l'Orchestre de l'Opéra de Paris, des invités prestigieux transcendant les genres, et une capacité allant jusqu'à 50.000 spectateurs chaque soir assis sur le sable ou en tribune... Le spectacle est bien sûr relayé sur écrans géants. Pour son édition 2015, la manifestation réunira, entre autres, la mezzo Béatrice Uria-Monzon, dans de ses airs d'opéra favoris et surprises, Camille Thomas, violoncelliste, pour le Concerto de Dvořák, Patrick Poivre d'Arvor, pour une évocation sur fond symphonique de la belle époque de Royan à la fin du XIX ème siècle, et Carlo Rizzi, tambourin (25/7),  Nemanja Radulovic, le violiste aux trilles du diable, Juan Carmona, guitare flamenco, Alexandre Jous, cor des alpes et la danseuse étoile Dorothée Gilbert pour incarner le fameux Cygne de Saint-Saëns (28/7), ou encore Boris Berezovsky dans le Concerto  N°2 de Rachmaninov, la soprano Patricia Petibon qui fredonnera « Glitter and be gay » du Candide de Bernstein, le violoniste Thomas Lefort, et Lévon Minassian, au doudouk (31/7). Côté symphonique, Jérôme Pillement, le chef attitré de cette immense fête en bord de mer, sera à la manœuvre dans des morceaux emblématiques tels que l'Ouverture de Tannhäuser, Daphnis et Chloé de Ravel ou un extrait des Planètes de Holst.

 


Bouquet final sur la plage de Royan / DR

 

« Un violon sur la ville » prolongera ces soirées, du 25 juillet au 1er août, par une multitude d'événements à travers la ville de Royan et dans le pays royannais : ateliers de percussions, « happening » autour d'un instrument insolite, en l'espèce le cor des alpes, récital de violon dit « un violon sur le green », au golf de Royan, et un cours d'interprétation « A chacun son court » en forme de duel de pianos, sis au Tennis de Royan, avec l'incontournable Jean-François Zygel et un ''adversaire'' dont le nom est encore tenu secret, etc.. 

 

''Sur le sable'' / Les 25, 28 & 31 juillet 2015, plage de de la grande Conche, Royan.

''Sur la ville'' / Du 25 juillet au 1er août 2015, divers lieux à Royan.

Réservations :114, avenue Émile Zola, 17200 Royan ; par tel.: 05 46 39 27 87 ; en ligne : www.violonsurlesable.com ou info@violonsurlesable.com

 

 

27 - 31 / 7

Le Festival de Fontdouce : entre classique et jazz

 

Située entre Cognac et Saintes au creux d'un vallon, l'Abbaye de Fontdouce, fondée en 1111 et riche d'histoire et de culture, est acquise par la famille Boutinet il y a près de 200 ans. Leurs descendants décident d'en faire un lieu de prédilection pour leur festival créé il y a 22 ans. L'endroit est enchanteur : une ancienne abbaye, un immense parc, des salles romanes et gothiques pour bénéficier de différentes atmosphères et acoustiques, de l'intimité du petit amphithéâtre naturel au romantisme du grand pré à flanc de coteaux dont l'acoustique ne manque pas de surprendre. L'édition 2015 conserve l'éclectisme habituel, avec Karine Deshayes, Cédric Pescia, Anne Gastinel, David Grimal, Philippe Cassard et Roger Muraro pour la partie classique, et s'entoure de Didier Lockwood et Dimitri Naïditch, Adrien Moignard, Ben Toury et Awa Ly pour la partie jazz - manouche, boogie-woogie et vocal. Avant d'innover pour une journée supplémentaire dédiée aux musiques du monde avec Rachel Ratsizafy dans du gospel et Negro-spirituals ainsi que le groupe Bratsch dans le cadre de leur tournée d'adieu pour de la musique tzigane, arménienne et russe. De plus, le festival proposera cette année un spectacle et des activités pour le jeune public.

 

Pour la musique classique, 4 concerts programmés par le pianiste Philippe Cassard, qui en présentera les œuvres pendant vingt minutes chaque soir à 17h, sont proposés : le 27 Juillet 2015, Salle des Moines, à 18H, un récital du pianiste Cédric Pescia dans des œuvres de Webern, Beethoven et Bach (Variations Goldberg), et à 21H, une soirée lyrique avec Karine Deshayes et Dominique Plancarde, piano, dans des pièces de Rossini, mélodies, cantates et airs d'opéras. Et le 28 Juillet 2015, Salle des Moines, à 18 H, un récital de Roger Muraro, piano (Schumann et la Symphonie Fantastique de Berlioz transcrite par Liszt), puis à 21H soirée de musique de chambre avec Anne Gastinel, David Grimal, et Philippe Cassard qui joueront des trios de Chausson et Schubert.

 

Abbaye de Fontdouce, du 27 au 31 juillet 2015.

Renseignements et réservations : Abbaye de Fontdouce, 17770 Saint Bris du Bois ; par tel. : 05 46 74 77 08 ; en ligne : www.fontdouce.com

 

 

1 / 8 – 13 / 9

 

Classique au vert : des Proms parisiens !

 

 

A l'aube de sa 18ème édition, le festival Classique au vert s'impose comme le grand rendez-vous de la musique classique de l'été à Paris. Pour inviter à un voyage musical sans frontières. De l'Amérique du sud à l'Europe, la musique conduira le public aux confins de ses racines et de ses inspirations les plus populaires. L'occasion de 15 concerts sur la scène du Delta, de 14 concerts dans le festival "off amateurs" et de 7 ateliers vocaux et de nombreuses animations, le Parc Floral de Paris, jardin botanique de la ville de Paris, devient le jardin d'été de la musique classique de la capitale. Double événement les 29 et 30 août : les concertos n° 1, 2, 3 et 5 pour piano de Beethoven seront joués et dirigés, respectivement, par François Frédéric Guy et Nicholas Angelich avec les deux orchestres associés de la Philharmonie de Paris : l'Orchestre de chambre de Paris et l'Orchestre national d'Île-de-France.

Véritable odyssée musicale à travers les territoires, les âges et les cultures, le festival nous embarque cette année dans un tour du monde musical, à la recherche des inspirations populaires de la musique classique. Première étape : l'Europe Centrale avec des œuvres de Bartok, Bloch et Maratka, interprétées par le duo violoncelle /accordéon, Salque Peirani… Puis traversée de la Manche avec le chœur Voces8 dans un programme british, "God save the Queen !" et le trio du jeune claveciniste Jean Rondeau avec Thomson, Thumoth, Gunn, Playford ou encore O'Neale… Petite bouffée de romantisme en Allemagne avec Schumann et la pianiste Hortense Cartier-Besson, entourée du violoniste Pierre Fouchenneret, du violoncelliste Victor Julien-Laferrière puis avec Schubert et le quatuor Hermès, accompagné de la violoncelliste Emmanuelle Bertrand. Détour par Salzbourg, chez Mozart en compagnie de la flûtiste Juliette Hurel et de l'Orchestre de chambre Pelléas.

Cap au Sud pour des sonorités italiennes avec les œuvres de Primavera, Scarlatti, Radesca, Cimarosa interprétées par l'ensemble baroque Les Paladins. Dernières escales dans des contrées plus lointaines : en Arménie avec l'ensemble de musique de chambre formé par la pianiste Varduhi Yeritsyan, et en Amérique du Sud avec le contre-ténor Rodrigo Ferreira et le pianiste Hélio Vida dans un programme - « Ay Caramba !», haut en couleurs. Arrêt à « Station Opéra » : la soprano Valérie Yeng-Seng et Quai n°5 y offrent des grands airs d'opéras revisités. Enfin, « On the road », du Vieux Continent au Nouveau Monde, Sécession orchestra et Clément Mao-Takacs proposent un tour du monde en un seul concert pour clôturer le festival !

Renseignements et réservations : Parc floral de Paris, Bois de Vincennes, 75012 Paris ; en ligne : www.classiqueauvert.paris.fr

 

13 – 23 / 8

Estivales en Puisaye

 

Les Estivales en Puisaye regroupent artistes et mélomanes autour du fil rouge de l'art vocal, des jeunes talents et de la création. Festival de musique classique itinérant, les Estivales sont aussi engagées localement tant dans le domaine pédagogique que dans celui de la diffusion musicale, autour de l'école de musique de Puisaye et du conservatoire d'Auxerre. Tous, jeunes talents et professionnels venus de toute l'Europe, irriguent de musique et de chant l'ensemble de la Puisaye avec le concours de nombreux acteurs locaux. L'édition 2015 se place sous la triple inspiration de l'Europe, de la jeunesse et du rire. Une dimension européenne encore renforcée du festival avec la présence des musiciens tchèques de l'orchestre Camerata Bohemiana mais aussi avec la participation du chœur polonais Singet et l'époustouflante qualité de ses prestations chorales. La jeunesse et les jeunes talents, ensuite, avec la Maîtrise Saint Louis de Gonzague qui en sera l'armature chorale, mais aussi avec des récitals consacrés à la Maîtrise, à de jeunes talents ou à des talents plus confirmés. Enfin, le rire et l'humour avec l'Opérette d'Offenbach Barbe Bleue, version comique et bon enfant du conte de Perrault (13, 15, 16/8, Centre de Rencontres de Champignelles). Sans oublier un concert spécial « autour du music-hall » avec violon, piano et clown pour une soirée pleine de surprises et de rires (21/8, Salle de Saint Sauveur en Puisaye).

 

Le stage de chant choral est particulièrement attractif cette année avec 3 œuvres majeures au programme qui seront travaillées pendant 10 jours sous la direction de Rémi Gousseau et chantées pour les deux concerts de clôture. Ainsi du Te Deum de Charpentier, l'œuvre maitresse du stage (22/8 Église de Briare, 23/8, Eglise de Treigny). On entendra aussi le Salve Regina de Schubert, le Regina Cæli de Mozart, le Magnificat de Bach (18/8, Église de Treigny), ou le  Stabat Mater de Pergolèse (14/8, Église de Bleneau). On donnera encore, entre autres, la Symphonie Linz (19/8, Église de Saint Sauveur en Puisaye, le village de Colette !), le Quintette pour Clarinette de Mozart (22/8, Église de Sommecaise), et la Sérénade pour cordes, création du compositeur et directeur artistique des Estivales Rémi Gousseau (16/8, Château de Saint Fargeau).

Du 13 au 28 août 2015, divers lieux.

Renseignements et réservations : par tel.: 03 86 45 18 13  ; en ligne : www.estivales-puisaye.com

 

 

20 – 23 / 8

Les Rencontres musicales de Vézelay

 

 

Créées en 1999 par le fondateur du chœur Arsys Bourgogne, Pierre Cao, les Rencontres Musicales de Vézelay sont devenues un haut lieu dédié à l'art vocal en Europe. Depuis 15 ans, au mois d'août, durant 4 jours, la « colline éternelle » et la majestueuse basilique Sainte Marie-Madeleine, vibrent de mille voix et réunissent mélomanes, pèlerins et touristes venus de toute l'Europe. Cette 16ème édition marque une nouvelle ère dans l'histoire des Rencontres Musicales puisqu'elle s'intègre dans la création d'un nouvel établissement public. Mais la programmation porte, cette année encore, la signature du maître luxembourgeois Pierre Cao, qui remercie et rend hommage à la France, son pays d'adoption, en invitant quelques-unes de ses plus belles phalanges chorales ainsi que les meilleurs chefs hexagonaux. Au menu : l'ensemble phare des Rencontres Musicales, le chœur Arsys Bourgogne, placé sous la direction de son nouveau directeur musical, Mihály Zeke (22/8, 16H, Avallon Collégiale Saint Lazare, et 23/8, 16H, Basilique Sainte Madeleine), mais aussi un nouveau venu à Vézelay, l'ensemble vocal Aedes, dirigé par Mathieu Romano qui initiera avec ce concert un partenariat renforcé avec la Cité de la Voix (22/8, 21 H, Basilique). Autres chœurs très attendus durant ces festivités, Les Cris de Paris (21/8, 21H Basilique), le chœur de chambre Les Eléments (20/8, 21 H, Basilique), les chanteurs corses de l'ensemble A Filetta (20/8, 16H Église Notre-Dame, Saint Pere), ou encore l'ensemble vocal Sequenza 9.3 (21/8, Église d'Asquins).

 

Du 20 au 23 août 205, à Vérzelay, Saint Pere, Avallon et Asquins.

Renseignements et réservations : Rencontres musicales de Vézelay, Cité de la Voix, 4, rue de l'Hôpital, 89450 Vézelay ; par tel.: 03 86 94 84 40 ; en ligne : contact@rencontresmusicalesdevezelay,com   ou www.rencontresmusicalesdevezelay.com

 

 

11/ 9 -  4 / 10

 

Le Festival d'Ambronay : Mythes et mystères...

 

 

Pour son édition 2015, le Festival d'Ambronay s'engage dans les mythes et les mystères que ceux-ci renferment : les grandes figures mythologiques, comme la musique baroque sait les révéler, les grands chefs d'œuvre de cette époque bénie qui vécut un des règnes les plus mythiques de notre histoire politico-musicale, celui de Louis XIV dont on fête, ici comme ailleurs, le tricentenaire de la mort. En quatre week end, du 11 septembre au 4 octobre, Ambronay va résonner de ces merveilleuses sonorités grâce à une pléiades d'interprètes experts de ce répertoire, les anciens tels les Arts Florissants, le Concert spirituel, le Concert de Nations, et les jeunes pousses comme on aime céans les propulser au devant de la célébrité, les Correspondances, Les Surprises, Seconda Practica...

 

Au programme des concerts du soir dans l'abbatiale, on pourra entendre la Messe en Si de JS. Bach par Collegium 1704 et Vaclav Luks (12/9), une anthologie des grands airs des opéras de Francesco Cavalli, par Leonardo Garcia Alarcon et sa Cappella Mediterranea, avec Mariana Flores, soprano, et Anna Reinhold et Guisepina Bridelli, mezzos-sopranos (18/9), le semi-opéra King Arthur de Henry Purcell, par La Fenice et Vox Luminis dirigés par Jean Tubery (19/9), un florilège de cantates de Bach par le Banquet Céleste et Damien Guillon  20/9), la rare Messe pour la naissance du Grand Dauphin de Giovanni Rovetta, en re-création mondiale, par le Galilei Consort et Benjamin Chénier (23/9, Église de Lagnieu), la Passion selon Saint Marc de Bach, réécrite à partir des sources, exécutée par le Concert Étranger et Itay Jedlin (25/9), un concert sur le thème des « goûts réunis » avec des pièces de Lully, Rameau, Purcell, Bocherrini ou Rosenmüller, par Jordi Savall et son Concert des Nations ( 26/9), les Te Deum de Lully et de Charpentier par le Poème Harmonique et Vincent Dumestre (30/9, Auditorium de Lyon), des extraits des trois premiers « Libri » des Madrigaux de Monteverdi par les Arts Florissants et Paul Agnew (2/10), des pièces sacrées rares de Galuppi (son Magnificat, là encore en re création, son Nisi Dominus) et le Credo, et le Dixit Dominus de Vivaldi, interprétés par Ghislieri Choir & Consort, dirigé par Giulio Prandi ( 3/10), pour finir, le 4/10, en matinée cette fois, par la désormais fameuse (grâce au disque !) Messe à quarante voix d'Alessandro Striggio, par le Concert Spirituel d'Hervé Niquet.

 

Ensemble Les Correspondances, dir. Sébastien Daucé

©Agathe Poupeney/PhotoScene

 

Les concerts de fin d'après midi, à 17H, offrent un large panel  : des madrigaux de Monterverdi, Gesualdo ou Palestrina (par Voces Suaves, le 12/9), des grands motets d'Henry du Mont (par Correspondances, 12/9), des polyphonies ibériques 519/9), des sonates en trio de Haendel et de Telemann (avec L'Aura Rilucente, 26/9), des pièces sacrées de Vivaldi sur le thème des « Orphelines de Venise (par Les Cris de Paris, 27/9). Le deuxième Festival eeemerging, plateforme des jeunes ensembles émergents, aura lieu le 3 octobre, de 11H à 16H30, salle Monteverdi.

 

On pourra encore savourer le programme Aashenayi, musiques persane, ottomane et safarade (23/9) déjà révélées par le disque (cf. NL de 6/2015), du fado, par Duarte (12/9), ou l'épopée burlesque « Typhon » (avec La Clique des Lunaisiens, 3/10) ou encore un « Rigodon » comédie-ballet de poche (joué par Les Musiciens de Saint-Julien, 4/10). Car à Ambronay on s'adresse autant au jeune public qu'aux mélomanes chevronnés. Enfin, le 1er octobre, seront fêtés les 10 ans du label discographique Ambronay Edition avec un concert autour du programme des deux dernières parutions : de Radio Antiqua et du quatuor Terpsychore. Embarras du choix délicieux, fête et bonheur musical seront ainsi au rendez vous dans le village d'Ambronay !

 


Ensemble Les Surprises ©Bertrand Pichène

 

Du 12 septembre au 4 octobre 2015 : Abbatiale d'Ambronay et chapiteau, Centre  culturel de rencontre d'Ambronay, Place de l'Abbaye, 01500 Ambronay.

Renseignements et Réservations : Billetterie par tel. : 04 74 38 74 04 ; en ligne : www.ambronay.org 

 

 

Début de saison 2015/2016 en fanfare à l'Opéra national de Paris

 


Madama Butterfly ©Opéra National de Paris

 

La première « vraie » programmation de nouveau directeur de l'Opéra National de Paris, Stéphane Lissner, s'ouvre en septembre avec la reprise de trois productions emblématiques maison : Madama Butterfly, Platée et Don Giovanni. Beau clin d'œil à l'un de ses illustres prédécesseurs, Gérard Mortier. Madame Butterfly de Puccini, créée en 1904, après La Bohème et Tosca, offre un nouveau terrain d'expérimentation à son auteur : le drame psychologique, celui d'une geisha affrontant la mort plutôt que le déshonneur de se voir délaisser par un amant de passage. La régie de Robert Wilson, une de ses plus abouties, nous mène loin du croquis réaliste et de la tranche de vie orientalisante de tant de productions. Comme une épure, elle décrypte la psyché du personnage titre. Rarement a-t-on si magistralement maitrisé l'espace scénique dans sa nudité et travaillé la lumière de manière aussi saisissante en fondus- enchaînés à des fins dramaturgiques pour capter les divers climats de cette comédie amère qui vire au tragique le plus effroyable. La fameuse gestique wilsonnienne trouve là idéale manière à s'exprimer. La distribution de haut vol sera dirigée par un jeune chef de talent Daniele Rustioni (13 représentations du 5/9 au 13/10, à Bastille).

 


Platée ©Opéra National de Paris

 

Avec Platée, une des comédies lyriques les plus originales et attachantes de Rameau, on passe dans un tout autre registre, celui de la farce. Rameau et son librettiste content le destin quelque peu pitoyable d'une grenouille ou les avatars de ses envies de grandeurs et de reconnaissance. La mise en scène de Laurent Pelly a fait date, elle aussi, par son inépuisable inventivité et sa charge fine du monde de l'opéra. Le français n'a pas son pareil pour saisir le trait malicieux et appuyer là où cela fait mal. Et pour décocher la flèche satirique, comme le fait Rameau du paysage musical de son époque. A l'aune de cette « Folie » qui s'époumone... Il sait aussi combien railler son monde : le décor de pataugeoire verdâtre est d'anthologie comme le festin de couleurs. Et comment résister à cette réplique sur scène des rangs de fauteuils pourpres du Palais Garnier pour lieu de savantes confrontations mythologiques. Tout cela tient du génie. Un plateau renouvelé avec des valeurs sûres du jeune chant français, les Frédéric Antoun, Florian Sempey, Julie Fuchs, devrait aviver la verve ramiste illustrée par Pelly. Marc Minkovski au pupitre est gage absolu d'authenticité et de fini sonore (13 représentations du 7/9 au 8/10, à Garnier).

 


Don Giovanni ©Opéra National de Paris

 

La mise en scène conçue par Michael Haneke pour Don Giovanni est tout aussi culte. Bien sûr, le cinéaste se permet quelques libertés avec la trame du dramma giocoso de Mozart. Reste que sa vison est sans concession et que la transposition des chasses amoureuses de Don Juan au sein de quelque building industrieux de la Défense, pour être osée, n'en est pas moins pas tant hors de propos qu'il y paraît. Le travail d'acteurs sur le ''couple'' Don Giovani-Leporello est d'une acuité à couper le souffle. Et on ne compte pas les moments de vrai théâtre qui s'affranchissent de toute convention. La distribution est renouvelée avec Artur Ruciǹski dans le rôle titre, Maria Bengtsson en Donna Anna et Karine Deshayes en Donna Elvira, une prise de rôle attendue. La direction est confiée à Parick Lange et Marius Stieghorst, ce dernier pour les quatre ultimes soirées. On nous dit que cette production est donnée pour la dernière fois. Raison de plus pour s'empresser de la voir ou de la revoir, ne serait-ce que pour saisir comment un chef d'œuvre qui défie le temps et les modes peut être mis au goût de maintenant (12 représentations du 12/9 au 18/10, à Bastille).

 

Renseignements et réservations : Billetterie, soit au Palais Garnier, angle des rues Scribe et Auber, 75001 Paris, soit à l'Opéra Bastille, 130 rue de Lyon, 75012 Paris ; par tel. :  01 73 60 26 26 ; en ligne ; www.operadeparis.fr

 

Jean-Pierre Robert.

 

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PAROLES D'AUTEUR

 

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L'opéra Penthesilea du compositeur suisse Othmar Schoeck

 

 

Le 10 février 2008, à la Semperoper de Dresde, le public de la capitale saxonne accueillit avec enthousiasme la représentation de l'opéra Penthesilea d'Othmar Schoeck. Cet événement fut emblématique : le théâtre avait déjà créé, huit décennies auparavant, en 1927, cette même œuvre – avant qu'il fût la proie des bombardements de 1945. La mise en scène de 2008, sous la baguette de l'éminent chef d'orchestre Gerd Albrecht, dans un théâtre complètement reconstruit, marque aussi la renaissance d'une œuvre lyrique qui a été, pour de longues années, oubliée et écartée des salles.

 

Aujourd'hui, l'opéra Penthesilea est l'œuvre lyrique la plus jouée parmi les huit opéras de Schoeck et la seule qui ait trouvé une place, bien que modeste, dans le répertoire international. Ce n'a pas été toujours ainsi. Les avis des contemporains, dans les années 1920, étaient bien partagés : si le compositeur lui-même a considéré sa Penthesilea comme la réponse aux courants avant-gardistes des Strauss, Hindemith et Krenek, ses admirateurs, en particulier en Suisse, étaient bouleversés par le nouveau langage musical – et surtout par le sujet de cette Amazone qui tue et déchiquette son amant Achille. Mais aux yeux des novateurs, qui dominaient alors la scène avant-gardiste dans les festivals de musique, cet opéra n'était rien d'autre qu'une tentative maladroite d'un musicien au fin fond de la Suisse pour « faire moderne ».

 

 

Othmar Schoeck : un compositeur de Lieder

 

Si Schoeck a trouvé de nos jours sa place de compositeurs d'opéras, il ne faut pas oublier que, pendant longtemps, il était exclusivement connu pour ses Lieder. Il n'a composé pas moins que 400 Lieder pour voix et piano, en sus des chants avec accompagnement instrumental ou orchestral. Dans son pays natal, on l'appelait « notre Schubert suisse », eu égard à la prépondérance du Lied dans sa création mais aussi pour le ton « romantique » de ses premiers Lieder.

 

Othmar Schoeck est né le 1er septembre 1886 à Brunnen sur le Lac des Quatre Cantons, dans la demeure familiale, une villa bien bourgeoise que le père Alfred, peintre et hôtelier, y avait fait construire. Ces lieux idylliques, entre lac, glaciers et hautes montagnes, étaient pour Schoeck qui passera toute sa vie en milieu urbain, un point d'ancrage, de ressourcement. Arrivé en 1900 à Zurich, ville prospère en pleine expansion, le jeune Schoeck y fréquente le conservatoire de musique alors dirigé par Friedrich Hegar, compositeur et chef d'orchestre, ami de Brahms et de Nietzsche. Lors d'une soirée mondaine donnée par une famille d'industriels à Stuttgart au début 1907, la célèbre soprano Anna Sutter arrange une rencontre avec Max Reger qui est impressionné par les Lieder que Schoeck lui présente à cette occasion. Nommé un mois plus tard professeur au Conservatoire royal de Leipzig, Reger fait immédiatement venir le jeune Suisse. Celui-ci restera un an dans la capitale saxonne pour y étudier la composition. Quand il rentre en Suisse, en 1908, il publie rapidement plusieurs cahiers de Lieder, ses opus 2 à 17, que des chanteurs talentueux interpréteront : Ilona Durigo, chanteuse hongroise, puis plus tard le Bernois Felix Loeffel et, avec un rayonnement international, Dietrich Fischer-Dieskau.

 


Othmar Schoeck / DR

 

Mais le récital de Lied est une plateforme modeste pour une carrière de compositeur, et Schoeck en était parfaitement conscient. Pour se faire un nom, il écrit donc également des œuvres chorales aux effectifs parfois démesurés comme les monumentales Dithyrambes (1911) d'après un vers de Goethe, ou bien Roulement de tambours (1915) sur un poème de Walt Whitman, cette dernière composition comme un cri d'indignation contre l'absurdité de la guerre.

 

 

Les premiers pas sur la scène d'opéra

 

Les ambitions de Schoeck allaient plus loin : le jeune compositeur savait bien qu'une carrière à l'échelle internationale se joue sur la scène d'opéra, comme le montre l'exemple de Richard Strauss. A partir de 1911, au moment où sa situation financière s'est stabilisée après sa nomination à la tête du vénérable Chœur des maîtres d'école de Zurich, Schoeck travaille sans cesse à des projets d'opéra. La même année, 1911, il est invité par l'écrivain et futur prix Nobel Hermann Hesse qui vivait alors au bord du lac de Constance. Les deux amis, qui partageaient la fascination pour l'Italie et le sud paradisiaque, esquissent des livrets pour des opéras qui, malheureusement, ne verront jamais le jour. Schoeck veut à tout prix éviter un drame de type wagnérien. Il songe à une « Spieloper, insouciante et fraîche », avec une « musique objective, à l'image des Italiens géniaux de la génération précédente », comme il écrit à son ami, l'écrivain Hans Reinhart, le frère du célèbre mécène de Winterthur(1). Il trouve finalement ce qu'il cherche dans une comédie de Goethe : Erwin et Elmire (datant de 1775), un texte qui a été déjà mis en musique auparavant par plusieurs compositeurs. A côté des lourds drames post-wagnériens et psychologiques, le Singspiel de Schoeck pourrait paraître bien anodin : une jeune femme capricieuse et son amant, passif et inhibé, qui ne se retrouvent finalement que par l'intermédiaire du sage Bernardo. Le compositeur trouve un ton léger « dans l'esprit de Mozart » sans aucun pathos wagnérien. Malgré la qualité médiocre de la création au Théâtre municipal fin 1916 (en pleine guerre), la pièce rencontre un succès remarquable, ce qui encourage Schoeck à continuer son chemin dans le domaine de l'art lyrique.

 

Les sujets des deux œuvres qui suivront lui sont suggérés par Ferruccio Busoni qui passait les années de guerre à Zurich. Avec Don Ranudo, Schoeck se lance dans l'opéra conventionnel : un opéra-comique en 4 actes d'après une comédie du Norvégien Ludvig Holberg. Pour la rédaction du livret, Schoeck fait, pour la première fois, appel à son ami Armin Rüeger, ancien camarade de classe et propriétaire d'une pharmacie dans une petite ville en Suisse orientale. Cette collaboration se répétera encore pour deux autres opéras. On a beaucoup reproché à Schoeck de ne pas avoir travaillé avec un véritable librettiste de métier. Busoni remarque avec malice : « Il lui [à Schoeck] manque quelques ingrédients que l'on trouvera vain à la pharmacie(2). »

 


Othmar Schoeck entouré des artistes d'une représentation

de Erwin et Elmire, en 1950 à l'Opéra de Zurich

(de g. à dr.: Wili Wolff, Lisa Della Casa, Othmar Schoeck,

Rudolf Hartmann et Libero de Luca) / DR

 

Les difficultés pour que cet opéra trouve une place dans le répertoire résultent en bonne partie de la dramaturgie : au centre de l'intrigue se trouve l'aristocrate Don Ranudo, personnage tragique mais néanmoins grandiose. L'aristocrate espagnol, dont l'arbre généalogique remonte aux temps immémoriaux, refuse de marier sa fille unique à un « parvenu », un noble riche mais de rang inférieur. Il préfère la donner à un prince oriental qui est en réalité un vendeur de melon déguisé en « Maure ». Découvrant la mascarade, il finit par accepter le projet de mariage de sa fille. Après un accueil enthousiaste lors de la création au théâtre de Zurich en 1918, le public allemand, à Stuttgart, lui réserve une réception tiède, malgré une excellente distribution et la superbe direction de Fritz Busch.

 

Entre temps, Schoeck a réalisé un autre projet que Busoni lui avait soumis et dont celui-ci était l'auteur du livret : Das Wandbild (la peinture murale), scène et pantomime avec musique. La scène se déroule dans la boutique d'un antiquaire parisien en 1830 où le portrait d'une belle jeune femme devient vivant par  la transformation de la scène en pantomime imaginaire et fantastique dans un temple du monde des esprits chinois. En un temps record, à peine trois jours, Schoeck écrit la partition, « dédiée à Ferruccio Busoni, avec révérence et gratitude », une musique pour grand orchestre avec de nombreuses percussions et un célesta. La dernière mesure écrite, Schoeck oublie complètement son œuvre et ne se déplace même pas pour assister à la création qui aura lieu en janvier 1921 à Halle.

 

Encouragé par la réception zurichoise de Don Ranudo, Schoeck se met à la recherche d'un nouveau livret d'opéra. On lui suggère la nouvelle de Prosper Mérimée, La Vénus d'Ille. La version de l'opéra, intitulé simplement Vénus, se distingue nettement de l'intrigue de Mérimée ; elle laisse place à l'ambiance fantastique du romantique Eichendorff non sans rappeler un certain E.T.A. Hoffmann. Horace, le héros tragique à l'allure d'un heldentenor wagnérien, nous est présenté tel un libertin converti, sous le masque d'un mari bourgeois. Confronté au pouvoir de la statue de Vénus, que l'on vient de découvrir dans le parc de son domaine, son comportement devient incontrôlable. Il passe la bague, destinée à sa future femme Simone, au doigt de la statue et celle-ci, la nuit de noces, se matérialise dans sa chambre nuptiale pour l'étrangler. Sa mort tragique pourrait être interprétée comme la rédemption face à l'absolu de l'art (la beauté de la statue) ou simplement comme l'échec d'un homme qui tente d'échapper aux impératifs de la vie bourgeoise.

 

La création, le 10 mai 1922 au théâtre de Zurich, sous la baguette du compositeur et avec le brillant Curt Taucher de la Staatsoper de Dresde dans le rôle d'Horace, est un véritable triomphe. Le critique de la Neue Zürcher Zeitung écrit : « rien de semblable dans l'opéra moderne tant dans le réalisme que dans la précision de l'expression ; même un Richard Strauss devrait déposer les armes devant ceci(3). » L'enthousiasme du public et de la presse lors de la reprise au Grand Théâtre de Genève en 1997, sous la direction du grand spécialiste schoeckien Mario Venzago, a montré, une fois de plus, la vivacité de cet opéra.

 


Othmar Schoeck au pupitre de l'Orchestre de la Scala de Milan

le 30 août 1941 lors de la Semaine de musique de Lucerne / DR

 

 

Paris et Salzbourg : le choc de la musique nouvelle

 

Si avec le succès de Vénus Othmar Schoeck semble avoir définitivement conquis le terrain de l'art lyrique, le compositeur commence plutôt à traverser une grave crise artistique et personnelle. Quand en été 1921 Schoeck se rend à Stuttgart pour proposer à Fritz Busch une reprise de Don Ranudo, il y rencontre Paul Hindemith qui présente à Busch ses deux opéras Mörder, Hoffnung der Frauen et Das Nusch-Nuschi. Schoeck fut bouleversé des sujets et de la musique. Mais ce n'était qu'un avant-goût de ce que Schoeck atteindra sous peu.

 

Au printemps 1923, il visite pour la première fois Paris, invité par Arthur Honegger qu'il connaissait depuis ses études au conservatoire de Zurich. Honegger nous a laissé un rapport tantôt intéressant tantôt drolatique de leurs sorties nocturnes dans la capitale française(4). Mais Honegger l'a surtout présenté à ses collègues musiciens du Groupe des Six et, ensemble, ils assistent à la création de Noces suivies de Pétrouchka de Stravinsky sous la direction d'Ernest Ansermet. Rentré en Suisse, Schoeck tente de cacher son désarroi face à cette musique qui le fascine et l'inquiète – en se moquant du snobisme des parisiens. Mais le choc esthétique qu'il a subi à Paris fait surface dans son deuxième quatuor à cordes, op. 37, qu'il compose peu après son retour. Ainsi, par exemple, de la présence des éléments de ragtime au dernier mouvement.

 

Pire encore fut son voyage au Festival de musique de chambre qui se tenait la même année 1923 à Salzbourg. Il commet l'immense erreur d'y faire jouer ses assez conventionnels Lieder de Hafiz écrits en 1919-1920 qui contrastent de manière frappante avec le reste du programme : le cycle atonal Das Buch der hängenden Gärten, op. 15, de Schönberg, le Quatuor op. 3 de Berg, le Deuxième Quatuor de Hába et le troisième du jeune Krenek, ce dernier sans doute la vedette du festival. Schoeck rentre humilié et déstabilisé. « C'est chose étrange de se sentir, d'un coup, comme un retardataire de cent cinquante ans(5) », dit-il à ses amis suisses. Il prétend que la musique nouvelle n'est qu'une mode éphémère, sachant dans son for intérieur que c'est un vœu pieux.

 

A l'automne de la même année, Schoeck donne une première réponse musicale : la composition du cycle de chants Gaselen, op. 38, d'après des poèmes du Suisse Gottfried Keller. La modernité de Schoeck se montre ici à la fois par les effectifs inhabituels de musique de chambre et par une écriture quasiment « sérielle » du matériau. Quant à la réception, le contraire se produit comme pour ses œuvres précédentes : en Suisse la création en février 1924 à Winterthur est froidement accueillie, alors qu'en Allemagne, lors de la Fête de l'Association des compositeurs allemands, ce premier pas de Schoeck vers un style « contemporain » rencontre un franc succès.

 

 

Un opéra résolument moderne : Penthesilea

 

Le nouvel opéra que Schoeck entame à partir de fin 1923 s'inscrit dans cette démarche du compositeur pour s'imposer sur la scène internationale comme un véritable musicien « moderne ». Ses amis lui suggèrent la tragédie Penthesilea de Heinrich von Kleist et Schoeck s'enflamme d'emblée. Le drame de Kleist raconte la rencontre fatale d'Achille et de Penthésilée après la bataille entre Grecs et Amazones. Les Grecs victorieux apparaissent dans le camp des Amazones. Quand Penthésilée se réveille de son évanouissement, Achille, par ruse, se déclare vaincu – car lui qui est tombé amoureux de la reine des Amazones sait bien que selon leurs lois seul sera choisi comme amant celui qui a été vaincu dans le combat. Penthésilée accepte cette version des faits et l'amour du héros grec. Mais lorsqu'Achille lui dévoile la vérité, un nouveau combat singulier est déclaré. Achille apparaît sans armes devant Penthésilée qui croit qu'il s'agit d'un véritable combat : pleine de haine, elle se jette sur Achille désarmé, le tue et le déchiquette. Horrifiée par ses propres actes, elle se donne la mort.

 

Pourquoi Schoeck a-t-il choisi ce sujet ? Son premier biographe Hans Corrodi qui préférait toujours l'explication biographique, attribue l'intérêt du compositeur pour ce sujet au contexte de la rupture avec sa compagne de longue date, Mary de Senger, et plus tard aussi de son mariage malheureux avec la chanteuse Hilde Bartscher. Or, bien que la confrontation de l'homme et de la femme soit sans doute un thème qui joue un rôle dans la vie privée et dans certaines des œuvres de Schoeck, une interprétation biographique de cet important opéra du XXe siècle semble bien hasardeuse. Le choix d'un sujet de la mythologie grecque fait par Othmar Schoeck est, dans les années 1920, loin d'être un cas isolé. On pense à Stravinsky et son ballet Apollon musagète (créé en 1927) et à l'oratorio Oedipus Rex (1927), ainsi qu'à l'opéra Œdipe de Georges Enesco (écrit entre 1910 et 1931 et créé en 1936). L'opéra Elektra de Richard Strauss (1909) a certainement aussi influencé le choix de Schoeck pour sa Penthesilea, à la fois par le caractère singulier du personnage féminin titre et par son appartenance au genre de Literaturoper.

 

A quel point l'aspect littéraire joue un rôle dans la conception de l'œuvre se révèle dans  la rédaction du livret. Son ami et biographe Corrodi lui propose une réécriture « romantique » de Kleist en trois actes : Schoeck refuse cette tragédie conventionnelle, sentimentale et bourgeoise. Le compositeur décide de rédiger lui-même le livret, ne faisant même plus appel à son ami Rüeger qui avait déjà réalisé pour lui deux livrets d'opéra que la critique avait si violemment fustigés. Se faisant aider par son cousin Léon Oswald, il raccourcit considérablement le drame de Kleist : de plus 3000 vers, n'en restent que 750 environ. Son idée principale est de conserver au maximum le langage kleistien et de rendre les paroles « plus grandes(6) ». C'est déjà à ce stade-là que Schoeck décide de recourir à quelques passages parlés à la place du chant. Il modifie néanmoins deux scènes qui ne lui paraissent pas assez dramatiques : celle où l'amazone furieuse déchire le corps d'Achille et la fin, le suicide de Penthésilée. La première est réécrite par le compositeur lui-même, et pour la seconde il fait appel à son frère Paul, auteur de pièce de théâtre et chevronné en art dramatique. Malgré son affirmation qu'« il n'y a pas même une virgule qui ne soit de Kleist », le livret voit une transformation profonde de la pièce de théâtre.

 


Première page de la partition de Penthesilea réduction chant-piano, 1ère version,

avec les corrections en rouge de Othmar Schoeck / DR

 

Enflammé par le sujet, Schoeck écrit les premières mesures de la musique dés novembre 1923, donc bien avant que le livret ne soit terminé. Mais c'est à partir d'avril de l'année suivante qu'il se jette à corps perdu dans la composition. Il passe des longs mois dans la maison familiale à Brunnen, interrompus seulement par les concerts qu'il est censé donner en sa fonction de chef d'orchestre à Saint-Gall. Il décline même une invitation de la part de son mécène Werner Reinhart pour se rendre au festival international de musique à Prague de 1925. Il termine la particelle en mai 1925 pour entamer aussitôt la monumentale partition ; pour ce travail l'éditeur Breitkopf fait imprimer un papier de musique spécial ayant 44 portées et 5 lignes pour la percussion.

 

La partition est d'une sonorité jusque-là inconnue dans l'œuvre de Schoeck : 3 flûtes (ou piccolos), un hautbois et cor anglais, de nombreuses clarinettes (six en si bémol, deux en mi bémol, deux clarinettes basses), quatre cors, trompettes et trombones par quatre, un tuba, encore trois trompettes sur scène, une percussion très fournie (comme un Stierhorn, littéralement une corne de taureau) et deux pianos. Les altos, violoncelles et basses étant « bien fournies », les violons I et II ne sont que deux par partie. Cette instrumentation inhabituelle reflète bien l'influence des partitions de la musique moderne, notamment de Noces de Stravinsky que Schoeck avait entendu à Paris. Schoeck termine son travail les derniers jours de 1926, La production de la réduction chant-piano (réalisée par Karl Krebs) et surtout l'impression de la partition avec les parties d'orchestre coûtent 6500 Reichsmark, somme faramineuse que Schoeck n'a évidemment pas. Une fois de plus, Werner Reinhart s'en chargera.

 

 

La création à Dresde en 1927

 

Cette fois-ci, Schoeck veut absolument que son opéra soit créé en Allemagne. En fait, plusieurs théâtres s'y intéressent, mais le choix du compositeur se porte sur la prestigieuse Staatsoper de Dresde. Le Generalmusikdirektor Fritz Busch promet la première pour 1926, sous sa baguette, mais finalement il préfère créer Cardillac de Hindemith en novembre 1926 et cède, pour Penthesilea, la baguette à son second, Hermann Kutzschbach. Schoeck est déçu. Il se rend à Dresde pour surveiller les répétitions, mais le spectacle est bien préparé et l'ensemble des musiciens et chanteurs s'investit avec enthousiasme. En présence de ses amis suisses, la première a lieu le 8 janvier 1927. Le public qui a été déjà préparé par la partition de Hindemith, deux mois auparavant, fait honneur au compositeur : 18 rideaux sous des applaudissements frénétiques. Schoeck pouvait déjà espérer avoir gagné son pari – mais le lendemain, les critiques allemandes étaient négatives voire désastreuses : « Le langage ardent et brillant de Kleist est efféminé et énervé par une musique flasque. Cette épopée héroïque se transforme en une histoire d'amour, douce et sentimentale. Il n'y a aucun épanouissement dans cette partition, aucune passion, aucune émotion véridique face à la grandeur mythique du thème. Sans substance aucune, sans idée, sans grandeur, cette pièce en un acte se déroule interminablement(7). »

 

En plus, après seulement quatre représentations, l'interprète du rôle-titre, la brillante Irma Tervani, tombe malade et l'opéra disparaît de l'affiche. Les critiques ne laissent pas le compositeur insensible. A peine rentré de Dresde, il entame une révision profonde de la partition : la métrique est modifiée, un « duo d'amour » entre Penthésilée et Achille rajouté et la fin complètement revisitée. Encore une fois, Reinhart est sollicité pour la publication de la nouvelle partition et de la réduction chant-piano. Puisque aucun éditeur n'a accepté, c'est son ami et propriétaire d'une maison de pianos, Alfred Hüni (l'époux de la célèbre chanteuse Felicie Mihacsek), qui prend en charge la publication de la partition gigantesque – une présentation très réussie mais truffée de fautes. « Hüni est un commerçant qui vend de la farine pleine de vers(8) », ironisent ses amis.

 

La révision de l'opéra porte ses fruits lors de la Première suisse qui aura lieu le 15 mai 1928 au théâtre de Zurich sous la baguette de Max Conrad, avec des interprètes moins prestigieux qu'en Allemagne. Les critiques suisses sont  beaucoup plus élogieux que leurs homologues allemands. Le rédacteur en chef de la Revue musicale suisse, le compositeur Karl Heinrich David, écrit : « Cette œuvre puise en dernier ressort dans le drame musical de Wagner. Mais contrairement à celui-ci, elle est orientée vers le futur, par l'utilisation des moyens hardis et nouveaux, par le rythme soutenu et flagrant, par une concentration dense qui demande une action rapide et presque soudaine. 'Penthesilea' est le summum de la création schoeckienne ; il a là atteint son véritable chef d'œuvre. Cette composition est en un soi un genre et elle occupe une place significative parmi les œuvres lyriques de nos jours(9). » Et le doyen de la critique musicale suisse, Willi Schuh, comble l'œuvre d'éloges : « 'Penthesilea' n'a rien à faire avec les expériences ludiques dans le domaine de l'opéra actuel – c'est un souffle d'éternité qui règne dans cette création sombre. » (10)

 

Quelques mois après ce triomphe dans sa ville natale, l'Université de Zurich  décerne à Othmar Schoeck le titre de doctor honoris causa : « au grand poète et dramaturge », en tenant ainsi compte du succès qu'avait rencontré l'opéra Penthesilea.

 


Photo de la production de Penthesilea

dans la mise en scène de Hans Neuenfels à l'Opéra de Frankfurt, 2011

©Monika Rittershaus

 

 


Iris Vermillon dans le rôle de Penthesilea,

production du Semperoper Dresden, 2008 ©Matthias Creutziger

 

Rebroussement stylistique

 

Or, cet opéra qui flirte si ouvertement et ostensiblement avec la modernité des Stravinsky, Hindemith et Krenek demeurera sans lendemain. Avec Penthesilea, et quelques autres compositions de la même période, Schoeck a atteint les limites stylistiques de son écriture ; il ne pourra continuer sur la voie des avant-gardistes, les docécaphonistes et sérialistes. Quand sa Sonate pour clarinette basse, op. 41, parmi ses compositions les plus « modernes », est refusée par le jury de la Fête de l'IGNM à Sienne fin 1928, Schoeck en est profondément déçu et prend désormais ses distances avec les courants avant-gardistes. Les événements politiques des années 1930 et 1940, qui lui donneront du coup la possibilité d'être joué sur les grandes scènes allemandes, le pousseront davantage dans le camp des « réactionnaires ».

 

Les trois opéras qui suivront marquent définitivement le retour stylistique. La cantate dramatique Du pêcheur et de sa femme, d'après un conte de fée des frères Grimm, créé de nouveau à la Staatsoper de Dresde en 1930, suit une trame antidramatique : des récitatifs interrompus de ritournelles. L'écriture est symphonique et parfaitement tonale. Le prochain opéra est conservateur à un double titre, le sujet et la musique : Massimilla Doni, sur un livret de son ami Armin Rüeger, basé sur la nouvelle éponyme de Balzac. L'opéra se déroule dans une Venise féerique du début du XIXe siècle : canaux, gondoles, le théâtre La Fenice. Schoeck confie sa nouvelle œuvre encore une fois au théâtre de Dresde – entre temps « expurgé » des individus non conformes au régime nazi et sous tutelle de la Reichskulturkammer. Le livret « décadent » du Français Balzac passe encore de justesse entre les mailles de la censure.

 

Schoeck qui n'a pas de sympathie pour l'idéologie nazie profite pourtant de l'absence de nombreux musiciens contraints de quitter l'Allemagne parce qu'ils étaient juifs ou considérés comme des ennemis du régime. Pour son dernier opéra, Le château Durande, Schoeck accepte pour cette unique fois un « librettiste de métier », l'Allemand Hermann Burte, un écrivain médiocre qui glorifiait le Führer déjà dans les années vingt. Les vers stupides et banaux de Burte travestissent complètement la délicate nouvelle du poète romantique Josef von Eichendorff. « Le texte de Burte est un abîme de trivialité(11) », s'exclame l'ami du compositeur, Corrodi. L'intrigue qui devrait se dérouler pendant la Révolution française narre plutôt la lutte contre les « hordes rouges » et l'arrivée d'un nouveau « guide ». Pire encore, la création a lieu à la Staatsoper de Berlin le 1er avril 1943, alors que la capitale allemande était déjà sous le bombardement des Alliés. Après quatre représentations, Le château Durande quitte l'affiche, le Reichsmarschall Hermann Göring étant intervenu en personne : « Comment a-t-on pu jouer cette sottise délirante à la Staatsoper ? L'auteur doit être un fou furieux ? (12) »

 

Le retour de Schoeck sera dur. La presse suisse de gauche s'attaque violemment à lui et le qualifie de traître à la patrie. Avec la défaite de l'Allemagne nazie, les prestigieux théâtres allemands étaient en ruine. Le 9 mars 1944, lors d'un concert symphonique qu'il dirige avec son orchestre de Saint-Gall, Schoeck est victime d'une crise cardiaque. Il doit désormais cesser son activité de chef d'orchestre et n'interviendra qu'épisodiquement en tant que pianiste. La décennie qui lui restera encore – il mourra le 8 mars 1957 –, il la consacre à la composition : musique symphonique, musique de chambre et surtout des Lieder. Il ne fera plus d'incursions dans le domaine de l'art lyrique.

 

Beat Föllmi.*

 

 

 

*Beat Föllmi, musicologue et théologien, est professeur de musique sacrée et d'hymnologie à la Faculté de Théologie protestante de l'Université de Strasbourg, membre de l'EA 4378 (Théologie protestante) et du labex GREAM (Groupe de Recherches Expérimentales sur l'Acte Musical). Il a dirigé les Œuvres complètes d'Othmar Schoeck (Éditions  Hug, Zurich) et a publié la première biographie du compositeur en langue française (Éditions Papillon, Genève, 2013) qui a reçu le Prix des Muses de la Fondation Singer-Polignac en 2014.

 

 

(1) Lettre du 30 mars 1908, publiée in P. Sulzer, Zehn Komponisten um Werner Reinhart, vol. I, Winterthur, 1979, p. 199.

(2) Lettre du 28 mai 1922 au chef d'orchestre Volkmar Andreae, publiée in J. Willimann, Der Briefwechsel zwischen Ferruccio Busoni und Volkmar Andreae 1907-1923 (Neujahrsblatt der AMZ, 178), Zurich, Hug & Co., 1994, p. 161 (n° 103).

(3) Neue Zürcher Zeitung, 24 mai 1922 (n° 6837).

(4) A. Honegger, « Souvenirs sur Othmar Schoeck », in : Revue musicale suisse 86/8-9 (1946), p. 321-324.

(5) Cf. B. Föllmi, Othmar Schoeckmaître du lied (mélophiles), Genève, éd. Papillon, 2013, p. 108.

(6) Propos de Schoeck du 7 décembre 1946, reproduit in : W. Vogel, Othmar Schoeck im Gespräch, Zurich, Atlantis Verlag 1965, p. 27.

(7) W. Schrenk in : Deutsche Allgemeine Zeitung du 11 janvier 1927.

(8) H. Corrodi, Das Leben Othmar Schoecks, version complète, manuscrit inédit, chapitre 6/1, p. 29, déposé à la Zentralbibliothek Zurich, Archives de l'Association Othmar Schoeck.

(9) Revue musicale suisse 68/16 (1928), p. 216-217.

(10) Revue musicale suisse 68/23 (1928), p. 738.

(11) H. Corrodi, Erinnerungen, manuscrit inédit, notice du 15 avril 1941, déposé à la Zentralbibliothek Zurich, Archives de l'Association Othmar Schoeck.

(12) Télégramme du 14 avril 1943, reproduit in : B. Föllmi, Othmar Schoeckmaître du lied (mélophiles), Genève, éd. Papillon, 2013, p. 164.

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REPÈRES PÉDAGOGIQUES

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Un partenariat réussi

 

 

Le mouvement de rénovation pédagogique aurait pu permettre à la musique de s'affirmer davantage en milieu scolaire au cours des années soixante-dix. Bien que le rendez-vous ait été manqué, [NDLR : « L'Education musicale à l'école : un rendez-vous manqué, NL de 11/2014] le tableau n'est pas noir pour autant. La création des classes à horaires aménagées en 1974, tout comme la création des centres de formations pour musiciens intervenants, dans les années quatre-vingt témoignent des succès rencontrés pour la musique en milieu scolaire.

 

 

Les classes à horaires aménagées sont le résultat d'un partenariat réussi entre le milieu scolaire et les conservatoires de musique. C'est le prototype du premier projet culturel transversal. Créées par un arrêté interministériel du 8 novembre 1974, les classes à horaires aménagés ou C.H.A.M. sont instituées dans certains établissements d'enseignement élémentaire et de second degré et destinées aux élèves de musique et de danse des conservatoires de région, écoles nationales de musique, écoles municipales de musique agréées. Ces classes qui répondent au vœu de Marcel Landowski, prennent appui sur le terrain, sur une base constituée de directeurs d'écoles de musique qui souhaitent promouvoir l'enseignement musical dispensé dans leurs établissements et renouveler leur public traditionnel. Le but est d'ouvrir les écoles de musique qui recrutent dans des sphères sociales assez étroites pour donner sa chance à un enfant qui n'aurait jamais été inscrit à l'école de musique par ses parents. Les C.H.A.M. sont donc un des premiers exemples de partenariat réussi à l'échelle locale entre une institution culturelle et l'école. Elles permettent sur un même territoire de mettre en synergie les savoir-faire des uns et des autres pour maximiser la qualité de l'enseignement dispensé aux élèves et leur ouvrir de nouveaux horizons sans jamais les couper de l'enseignement général. Il s'agit d'un aménagement des rythmes scolaires rendu possible grâce à un allègement de l'horaire d'enseignement général. Le dispositif est un succès puisqu'il sert de modèle aux autres disciplines. Danse, théâtre, arts plastiques, chacun réclame le principe de la classe à horaires aménagés pour sa discipline.

 

La mise en place des classes à horaires aménagés répond au vœu de la C.N.E. (1). Lors des réunions de la commission interministérielle, Marcel Landowski a contacté de nombreux directeurs d'écoles nationales de musique pour connaître le nombre d'élèves susceptibles d'être intéressés par des classes à mi-temps. Les réponses lui ont permis d'évaluer le succès d'une telle entreprise.

 

La responsabilité de ces classes peut être confiée à des écoles nationales de musique(2), quitte à leur accorder plus tard le statut de conservatoire national de région. Là où les circonstances le permettent, et là où se trouvent des personnes fidèles et motivées, le projet peut être mis en place. Marcel Landowski donne donc l'impulsion. L'attribution d'un projet de classes à horaires aménagés à l'école nationale de musique de Douai, plutôt qu'au conservatoire national de région de Lille, sous prétexte d'un enthousiasme exprimé plus ouvertement, est un bon exemple de son style de décision. Au-delà de l'enthousiasme des directeurs d'écoles de musique, la création de ce type de classes relève de décisions locales prises conjointement par l'inspecteur d'académie, le directeur des services départementaux de l'Éducation et le maire de la commune intéressée. Les classes sont d'abord implantées dans trente-cinq départements. Leur localisation fait apparaître un développement dans les grandes régions urbaines (Nord, Région parisienne, Rhône-Alpes, Lorraine-Alsace). Toutefois on enregistre de plus en plus de créations dans les villes moyennes et dans les départements moins urbanisés.

 

Il s'agit d'une politique territoriale qui se base sur le bon fonctionnement des rapports entre l'école et les ressources culturelles. Pour qu'une classe à horaires aménagés soit créée, il est nécessaire qu'existent, dans le même espace géographique, un conservatoire ou une école de musique reconnu par le ministère de la Culture et un établissement scolaire disposant d'un professeur d'éducation musicale ayant pour ces classes une obligation de service alourdi. Bon fonctionnement nécessaire puisque les partenaires vont devoir travailler ensemble.

 

L'entente établie entre l'école et l'école de musique est rendue possible grâce à l'ouverture du monde scolaire aux partenaires culturels. La circulaire signée le 27 mars 1973 par le ministre de l'Éducation, Joseph Fontanet, permet « de mettre, à compter de la rentrée 1973, 10% de l'horaire annuel à la disposition des établissements d'enseignement secondaire » pour « consacrer intégralement ce contingent d'horaire à des activités originales en liaison avec l'enseignement. » (3) et notamment artistique. Cela dans un contexte favorable puisque quelques mois plus tard, en juillet 1974, la commission René Haby fait vingt-quatre propositions pour l'éducation à la sensibilité et à la créativité en milieu scolaire et le 11 juillet 1975, le ministre de l'Éducation nationale René Haby, fait adopter une loi sur la réforme du système éducatif qui préconise un équilibre entre les disciplines intellectuelles, artistiques, manuelles, physiques et sportives, et insiste sur la place qui doit être faite à la sensibilité artistique.

 

La circulaire du 27 mars 1973 prévoit un assouplissement de l'organisation du cycle secondaire. Le temps scolaire contraint par un programme passe de trente à vingt-sept heures hebdomadaire ; les trois heures dégagées devant être utilisées plus librement et consacrées à des activités originales. La circulaire propose des types d'activités possibles. Les plus courantes sont les activités théâtrales, intéressantes pour les disciplines littéraires et artistiques. Mais les professeurs font aussi preuve d'un réel effort d'imagination et de recherche en envisageant d'autres sujets qui sont eux, en revanche, franchement inattendus et pas très artistiques : les boucaniers, le couscous, le cassoulet… Les réalisations sont également nombreuses en matière d'environnement et de cadre de vie. Le 10% n'est pas réservé aux activités d'éducation artistique. Néanmoins, un très grand nombre d'opérations relevant du 10% (environ la moitié) (4) s'orientent spontanément vers des activités culturelles. Cette tendance inscrit dans le temps scolaire les pratiques artistiques déjà existantes dans un cadre libre.

 

Deux attitudes pédagogiques se côtoient. La première est liée à la connaissance - découvrir la peinture ou la sculpture d'une époque donnée afin de mieux saisir l'esprit de telle ou telle évolution historique. C'est cette méthode qui est le plus spontanément pratiquée par les enseignants. Une seconde attitude consiste à favoriser des apprentissages ou, tout au moins, à favoriser la découverte ou les conditions de cet apprentissage. Ces opérations 10% sont moins traditionnellement scolaires. La relation pédagogique traditionnelle se définit par rapport à un savoir détenu par l'enseignant. Il transmet ce savoir, dans un domaine circonscrit (où sa compétence est socialement reconnue par des diplômes, des titres), d'après un programme objectif, par des leçons préparées à l'avance et dont l'assimilation par l'élève fait l'objet de contrôles (devoirs, leçons, examens). Or, le 10% a demandé aux enseignants de rompre, en partie au moins, avec le comportement que l'institution exige d'eux le reste du temps en les mettant dans la situation d'intervenir sans programme ni sanction ultérieure dans des domaines où leur compétence n'est ni très assurée ni reconnue ; d'aborder des situations extérieures à la classe ; de se confronter à d'autres compétences et de coordonner une tâche d'enseignement avec des collègues dans le cadre de la pluridisciplinarité. On remarque que ces différents points s'opposent d'une façon très nette aux différentes caractéristiques qui définissent la relation pédagogique traditionnelle. Ce type d'action nécessite la spécialisation de certains enseignants comme conseillers techniques. Il peut être aussi fait appel à des animateurs d'associations ou à des personnalités qualifiées extérieures au système scolaire : professeurs de conservatoires, conservateurs de musées, archivistes, bibliothécaires, comédiens de centres dramatiques, artistes, spécialistes de tous ordres, responsables dans tous les secteurs de l'activité économique et social.  Le comportement des enseignants eux-mêmes en matière d'action culturelle est considéré comme élément prédominant de l'ensemble des innovations proposées.

 

Cette fenêtre ouverte dans le temps scolaire permet de développer trois nouveaux axes pédagogiques dont l'éducation artistique peut tirer profit. En premier lieu, le travail en équipe des professeurs. Un « cadre pédagogique » (5) recommande ce travail d'équipe des professeurs « dans le cadre soit d'une, soit de deux ou plusieurs disciplines, en profitant de la présence, durant les heures banalisées, de professeurs de spécialités différentes. » (6) Il ne s'agit plus ici de coordination mais d'interpénétration de savoirs et de savoir-faire. Dans un deuxième temps, on accorde la priorité à la convergence des disciplines : « les maîtres ne sont pas au service qui de la physique, qui de la mathématique, de la philosophie, de l'histoire ou du latin. Ils n'en sont pas les prêtres ou les défenseurs ; ils ont des élèves à former. » (7) L'accent est porté d'une façon très explicite sur le décloisonnement : décloisonnement entre les disciplines, et, éventuellement, entre les structures habituelles, divisions ou classes. Enfin, troisième axe prioritaire : les contacts avec l'extérieur. La visite de tel musée artistique ou technique, de tel monument, de telle entreprise, de tel paysage illustre l'enseignement donné en histoire, en sciences, en géographie, en lettres…et le professeur y prépare ses élèves, multiplie les fiches, suggère des prises de notes, veille à l'exploitation pédagogique de la visite. Il faut savoir utiliser les ressources existantes à l'extérieur, se fondre dans le milieu environnant et l'irriguer. De plus, les institutions culturelles à l'extérieur de l'école doivent être considérées comme de véritables prolongements du système scolaire : c'est ainsi que la fréquentation des musées ne doit pas se limiter à une visite annuelle, quelque peu extraordinaire, organisée par des professeurs de bonne volonté, mais doit devenir régulière et normale. Bien avant le 10%, une fructueuse collaboration s'est engagée entre enseignants et personnels des institutions culturelles mais le 10% a développé ces liens et a multiplié les points de contact. Il importe aux rédacteurs de la circulaire que les apprentissages culturels se fassent sur les lieux mêmes où se pratiquent les différentes formes de culture, théâtre, cinéma, musique. Ces propositions supposent la fin d'un modèle unique d'enseignement.

 

Le 10 % ouvre la voie aux partenariats avec les institutions culturelles mais la réalisation de partenariats n'est pas habituelle en 1974, ce qui entraîne quelques petits dérapages. Les questions autour de la gratuité de ces classes en font partie. La circulaire n°76-292 du 9 novembre 1976 précise les rapports sur le plan financier entre l'établissement public national et la municipalité gestionnaire du conservatoire. Elle rappelle par ailleurs le rôle de chacune de ces collectivités publiques dans le fonctionnement des sections d'enseignement musical. L'accueil des élèves des lycées en section C.H.A.M. dans les conservatoires de musique peut constituer en matière de fonctionnement, une charge financière spécifique susceptible de justifier un remboursement à  la collectivité locale. Les C.H.A.M. se déroulant en écoles publiques, elles doivent respecter la loi de la gratuité de l'école quelle que soit la particularité de l'enseignement que les écoliers peuvent y recevoir. Toutefois, compte tenu du fait que ces classes accueillent des élèves bien souvent hors commune, certains maires demandent une contribution aux frais de fonctionnement aux communes de résidence des élèves ou à défaut aux parents d'élèves. Cette situation de fait, qui entache gravement le principe de gratuité de l'école publique, a pu se développer en l'absence d'une réglementation spécifiant les modalités de prise en charge des frais de fonctionnement de ces classes par les communes intéressées. Si le dispositif des C.H.A.M. tente de développer la mission culturelle de l'école, ce n'est pas pour contrevenir par ailleurs à la gratuité de l'école. L'enseignement doit demeurer gratuit même si son offre n'est pas standard.

 

Dans les classes à horaires aménagés, l'enseignement général ne souffre pas, dans sa qualité, de l'allégement qui lui est imparti, et les élèves peuvent réintégrer s'ils le veulent le système d'enseignement traditionnel sans avoir le moindre retard. L'avantage des horaires aménagés est de doter les futurs professionnels d'une culture générale qui pourrait faire défaut, tout en donnant aux  amateurs une solide culture musicale. Les élèves y sont admis à partir du cours élémentaire première année. Ils bénéficient d'un enseignement musical hebdomadaire de quatre à cinq heures. L'horaire d'enseignement musical est fixé à quatre heures en CE1 et à cinq heures en CE2, CM1, CM2. Cet horaire est prélevé sur l'horaire global de la classe et sur l'ensemble des activités, aucune matière d'enseignement ne devant être totalement supprimée.

 

La circulaire n°86-097 du 3 mars 1986 (bulletin officiel n°12 du 27 mars 1986) organise le fonctionnement des C.H.A.M. pour les collèges. Cette circulaire, qui se substitue à la circulaire interministérielle n°74-415 du 8 novembre 1974 et annule donc les dispositions antérieures, notamment la circulaire n° 79-298 du 21 septembre 1979, précise que les élèves bénéficient, pour mener à bien leurs études musicales, d'un allègement de l'horaire réglementaire d'enseignement général. Celui-ci est de quatre heures en sixième et en cinquième et de trois heures et demie en quatrième et troisième. L'allégement horaire porte en premier lieu sur une heure d'éducation artistique, l'éducation musicale étant prise en compte dans le volume horaire global d'enseignement musical. Les autres disciplines qui font l'objet d'un allégement horaire sont déterminées par le chef d'établissement, après avis du conseil d'administration, dans le cadre de l'autonomie des collèges. Aucune de ces autres disciplines ne doit néanmoins être totalement supprimée de l'enseignement dispensé aux élèves de ces classes.  Afin de ne pas surcharger les horaires scolaires des élèves des classes musicales à horaires aménagés, ceux-ci n'ont la possibilité de choisir qu'une seule option à partir de la classe de quatrième. L'horaire d'enseignement musical est quant à lui fixé à six heures et demie par semaine en sixième et cinquième et à sept heures par semaine en quatrième et troisième.

 

Ces aménagements d'horaires doivent permettre d'atteindre les objectifs éducatifs généraux poursuivis par les C.H.A.M. :

 

« L'éducation musicale contribue à l'enrichissement de la vie affective et sensible par la mobilisation et la régulation des impulsions, la maîtrise des réactions, la sensibilisation au plaisir d'entendre et  de faire de la musique, l'éveil du sens esthétique et du sens critique. Elle participe aussi à l'épanouissement des possibilités intellectuelles et motrices par le développement de la mémoire et de l'écoute ; par l'acquisition et le développement des notions de rythme, de temps et d'espace, liées ou non aux mouvement du corps ; par l'utilisation des symboles et de concepts formels, favorisant le passage du concret à l'abstrait, permettant la naissance et l'élaboration d'une pensée musicale ; l'éducation musicale participe aussi à la formation morale et sociale de l'enfant : goût de l'effort, courage, dépassement de soi, par et pour la musique considérée à la fois comme expression et communication ; sens de l'équipe qui permet l'analyse des situations et l'appréhension des relations par la pratique musicale collective.» (8)

 

L'éducation musicale ainsi comprise vise non seulement à donner à l'enfant des compétences techniques et des connaissances mais à éveiller et à forger sa propre personnalité en enrichissant sa capacité à s'exprimer, à communiquer, à recevoir, à développer sa créativité, à réagir de façon autonome et personnelle. Les objectifs des C.H.A.M. des collèges sont plus exigeants sur le plan technique et pratique car on ne se limite plus à l'épanouissement de l'élève. L'enseignement musical au collège met davantage l'accent sur :

 

« l'apprentissage d'un langage aussi diversifié que possible, oral et écrit et faisant appel aux nouvelles technologies ; l'écoute active et analytique participant au développement du sens critique et esthétique de l'élève, lui permettant de se repérer dans un univers sonore à la fois très large et très restreint. L'extension du champ de connaissances aux œuvres musicales de toutes les époques et de tous les pays qui ne manqueront pas d'être replacées dans leur contexte historique, géographique et culturel.» (9)

 

Et pour y parvenir, la circulaire définit les progressions et le programme des œuvres musicales vocales et/ou instrumentales, accompagnés des démarches pédagogiques aidant à leur réalisation et des modalités d'évaluation. Il ne s'agit pas d'une initiation artistique ou d'une simple sensibilisation mais il s'agit de préparer d'éventuels futurs musiciens professionnels à leur métier.

 

Les C.H.A.M. permettent de suivre un enseignement musical dans le cadre du temps scolaire conduisant à la préparation du baccalauréat de technicien musique F11. La circulaire n°77-255 du 21 juillet 1977 précise le fonctionnement des classes préparant au baccalauréat technique F11, et deux arrêtés interministériels en date du 16 février 1977 pris conjointement par le ministre de l'Éducation et par le secrétariat d'État à la Culture, définissent le règlement d'examen du baccalauréat de technicien F11 ainsi que les horaires et les programmes des classes destinées à le préparer. Cette orientation n'est pas exclusive puisque les classes à horaires aménagés tiennent à la qualité de l'éducation générale et ne veulent pas offrir une seule issue à leurs étudiants.  « Les futurs prodiges n'auront pas à sacrifier leur formation générale, et leur baccalauréat, à un hypothétique premier prix de conservatoire.» (10) La répartition des bacheliers se fait pour un tiers vers les U.E.R. de musicologie, un tiers continuent de travailler son instrument avec comme objectif les conservatoires nationaux supérieurs de Paris et de Lyon, enfin un tiers s'oriente vers différentes activités, carrière privée ou musicale. (11)

 

Le succès des C.H.A.M. suscite des envies. Fin 1986, la direction de la musique et de la danse du ministère de la Culture fait circuler un projet de note interministérielle sur le fonctionnement des classes de danse à horaires aménagés des collèges sur le modèles des classes de musique qui permettent aux élèves qui montrent des aptitudes pour ces activités de poursuivre dans les conditions les plus satisfaisantes leur scolarité et de développer parallèlement des compétences particulièrement affirmées. L'horaire total d'enseignement musical et chorégraphique est fixé à huit heures par semaine en sixième et en cinquième ou à douze heures par semaine en classes de quatrième et de troisième avec des cours de formation musicale danseur, des cours d'éducation musicale et des enseignements de danse ; tous ces cours étant réalisés à l'école de musique par des professeurs spécialisés et habilités par le ministère de la Culture. Les élèves des classes de danse à horaires aménagés bénéficient eux aussi par ailleurs d'un allègement de l'horaire réglementaire d'enseignement général de quatre heures dans les classes de sixième et cinquième et de trois heures trente dans les classes de quatrième et de troisième.

 

Enfin, de la même façon qu'il existe un bac musique, il existe un bac danse. À la fin des années soixante-dix, le baccalauréat technologique musique (F11) a été diversifié en deux options « instrument » et « danse ».

 

Ce type de collaboration entre une institution culturelle et l'école vise à accroître l'ouverture des établissements scolaires sur leur environnement culturel, facteur d'évolution du projet pédagogique, de l'institution scolaire et du secteur culturel, dans une perspective de démocratisation de l'accès à l'éducation et à la culture. Il s'agit d'un prototype. Le but est de favoriser le développement de ces classes et d'en ouvrir plus largement l'accès en évitant autant que possible la sélection sociale ou géographique ; de faire  de ces classes des éléments moteurs dans le développement de l'éducation et de la pratique musicale en milieu scolaire ; d'inciter les enseignants relevant du ministère de l'Éducation nationale et du ministère de la Culture à une collaboration et à une concertation plus intenses. La réussite du modèle et la qualité des prestations assurées par ces classes permettent d'envisager alors leur extension à d'autres domaines artistiques (danse, arts plastiques).

 

Cependant, la sélection des enfants, selon les seuls critères de leur intérêt pour la musique, n'empêche pas une sélection de fait selon l'origine sociale. L'égalité de principe n'empêche donc pas une inégalité de fait. Pourtant, le rapport du comité technique du ministère de la Culture en date de 1982 précise que « c'est l'intérêt des enfants pour la musique, manifesté à l'école maternelle et au cours préparatoire, qui doit permettre de les orienter vers les classes à horaires aménagés ». Les classes à horaires aménagés ne sont pas la traduction d'un élan démocratique. Elles n'aident que ceux des enfants qui y ont accès, c'est-à-dire des musiciens doués de talent. On est loin des ambitions portées par les multiples dispositifs en faveur de l'action culturelle qui se sont succédés et qui cherchent plutôt l'insertion sociale par l'initiation artistique.

 

Camille Grabowski.

 

 

(1) C.N.E. : commission nationale pour l'étude des problèmes de la musique en France instituée par un arrêté du ministère des affaires culturelles en date du 22 décembre 1962. Cette commission est composée de Gaëtan Picon (directeur générale des arts et des lettres), Emile-Jean Biasini (directeur du théâtre, de la musique et de l'action culturelle), Georges Auric (compositeur), Henry Barraud (compositeur, musicologue), René Dumesnil, Henri Dutilleux (compositeur), Raymond Gallois-Montbrun (compositeur), Rolan Manuel, Claude Rostant et Robert Siohan, qui en assume les fonctions de Rapporteur général.

(2) Arrêté du 8 novembre 1974

(3) « L'aventure pédagogique du 10% », Education et développement, numéro spécial 108, mars 1976

(4) « 10% et apprentissages culturels », Education et développement, numéro 109, avril-mai 1976

(5) « L'aventure pédagogique du 10% », Education et développement, numéro spécial 108, mars 1976

(6) Ibid

(7) Ibid., p.53-54

(8) Circulaire n°86-323 du 29 octobre 1986

(9) Circulaire n°86-097 du 3 mars 1986

(10) André-Hubert Mesnard, L'action culturelle des pouvoirs publics, Paris, librairie générale de droit et jurisprudence, 1969

(11) Cité par Emelie de Jong, in Du ministère Malraux aux années Duhamel : de la participation à la concrétisation d'une politique musicale française, 1953-1973, IEP de Paris, DEA d'histoire du XXème siècle, 1994

 

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PROPOS PARTAGES

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Dominique Visse, entre baroque et musique contemporaine

 

 

Dominique Visse, contre ténor, fondateur de l'Ensemble Clément Janequin chante sur les scènes internationales depuis 40 ans. C'est une personne hors norme, plus près de la pop culture que de l'opéra tel qu'on se l'imagine. Il a remis au goût du jour tout un pan de notre patrimoine de la chanson de la Renaissance. Les compositeurs contemporains écrivent pour lui et ses spectacles sont toujours surprenants. Ainsi du dernier qu'a joué et chanté l'Ensemble à la Péniche Opéra, intitulé « Musiques et Mathématiques ». C'était une pure merveille de drôlerie, de sensibilité (Cf. NL de juin 2015). Le théâtre musical prime avant tout pour cet Ensemble. C'est sur fond de Billie Holiday qu'il m'a payé un café au Châtelet et parlé de son actualité et des Janequin bien sûr.

 


DR

 

Quelle est votre actualité ?

C'est un spectacle qu'on a monté avec le groupe qui s'appelle « Zanni ! », ce sont des personnages qui improvisent dans la commedia dell'Arte. Cela tourne autour de la musique du 16ème et ce sont des madrigaux. Les personnages se répondent à eux-mêmes. C'est assez compliqué à mettre en scène. On a supprimé tous les instrumentistes et il n'y a que six chanteurs. C'est Laurent Serrano qui a mis en scène et cela se passe super bien. On l'a donné trois fois et on espère le jouer plusieurs années.

 

Des spectacles de ce style, il faut les tourner longtemps ?

Oui car ils ont besoin de maturation. C'est une idée qui avait été lancée comme ça, et c'est plus facile à tourner. On avait à cœur de pouvoir le présenter dans toutes sortes de salles, sous forme de spectacle, de festival. On a joué au Grand théâtre de Caen par exemple, mais on peut le faire dans des salles plus petites. Il y a très peu de décors et il fallait que la musique soit accessible parce que ces madrigaux fin 16ème sont écrits en vénitien. Mais le parti-pris est une mise en scène moderne en fait. L'histoire est simple, c'est celle d'un spectacle qui se passe mal ! Les musiciens, la soprano, ceux qui font la lumière, les surtitrages ne sont pas arrivés. Nous, les six personnages, somment là sur scène ; alors nous nous occupons de tout ! On fait tourner les surtitrages, on se déguise pour faire tous les personnages, on se démultiplie, on s'amuse beaucoup et ça marche vraiment bien. Le public est accroché. Bien qu'on n'ait pas tout surtitré, on s'aperçoit que ce n'est pas nécessaire. C'est une chose que je revendique depuis des années à l'opéra : il n'y a pas besoin de comprendre mot à mot tout ce qui se dit sur scène. Si la mise en scène est bien faite, s'il y a des repères dans le texte et si on s'intéresse à l'opéra avant de venir le voir, on n'a pas besoin de surtitres. Il y a tellement de strates dans un opéra entre la musique, les voix, la lumière, la mise en scène, le texte, on peut se passer de quelques lignes de textes qui gênent la cohérence du spectacle.

 

Lorsqu'on entend des œuvres françaises et qu'on ne comprend rien dans la prononciation des mots c'est tout de même gênant...

Oui bien sûr, il faut que le texte soit bien prononcé. Surtout quand la musique est collée au texte.

 

Qui décide à l'Ensemble Janequin du choix des textes, des spectacles ?

On est démocratique mais comme dans toute démocratie il faut un pouvoir fort et une base forte. En fait, c'est assez collégial, mais maintenant on a plus le temps de prendre notre temps. Au début du groupe on était plusieurs copains qui connaissaient ce répertoire, le 16ème français, d'un point de vue musicologique, car on a tous fait des études de musicologie. En l'ayant chanté dans des grands chœurs, on a formé un petit groupe par curiosité au départ, c'était le jeu, et puis il s'est trouvé que cela a marché. L'Ensemble existe depuis 1978, 37 ans donc ! C'était une expérience génialissime. Pendant plusieurs années le groupe avait deux têtes, avec Philip Cantor, et au bout de dix ans, comme on avait le grand privilège que ça marche, on faisait des tournées et des disques quand on voulait chez Harmonia Mundi.

 

Vous en faisiez beaucoup à l'époque ?

Deux par an. C'était trop, on aurait pu mieux les travailler. On s'engouffrait dans une musique qu'on ne connaissait pas, une sorte de forêt vierge. Avec le temps, j'ai beaucoup plus travaillé, notamment au niveau des transcriptions et l'informatique a changé notre mode de fonctionnement. Pour connaître un compositeur en entier, je passe plus de temps sur les transcriptions qu'à l'époque. Avant on cherchait un peu à l'aveugle, on fouillait, et parfois les éditions n'étaient pas idéales. Et puis on ne prenait pas le temps de faire les recherches et on copiait tout à la main. C'était un travail très, très long et très difficile. Pendant dix ans on a tourné comme ça, une bande de copains. On s'est vraiment éclaté !On adorait faire de la musique, mais surtout on adorait voyager, on s'amusait énormément. Puis après la trentaine chacun a eu des goûts musicaux différents tout simplement. Alors le groupe a éclaté mais n'a pas disparu. L'un a voulu chanter du Mozart, Cantor a voulu aller vers la mélodie, moi j'ai fait pas mal de musique contemporaine aussi. On a arrêté le groupe pendant six mois. Bruno Boterf venait d'arriver et tous les deux on avait envie de recommencer. C'est un groupe qui est très stable parce que cela reste collégial et surtout parce qu'on est tous amis. Ce serait pour moi impossible autrement. Je dirige quand je suis obligé, je fais tout le travail en amont et ça arrange tout le monde.

 

N'y a-t-il jamais eu de jeunes qui ont voulu travailler avec vous ? Vous avez ouvert la voie à pas mal de groupes d'aujourd'hui !

On a souvent des retours. Dimanche dernier, je chantais une cantate de Bach ; il y a deux des chanteuses qui sont venues me voir en tremblant. Quand on a débuté, elles n'étaient même pas nées ! On rajeunit les cadres, j'essaye de travailler avec d'autres groupes. La polyphonie, même si c'est très ouvert, nous enferme vite dans des habitudes. Il faut toujours mettre du sang neuf pour casser les moules. C'est pourquoi on fait des spectacles, pour prendre des risques et on privilégie le théâtre. La question est de savoir comment faire partager au public ce répertoire qui n'est pas fait réellement pour le concert. La chanson française est écrite pour le plaisir, un sorte de récréation des gens qui chantaient entre eux. Cette musique est compliquée parce que en fait c'est un jeu : faire partager le texte au public c'est assez compliqué, comme les fricassées. Il y a un travail historique et puis ensuite il y a un travail qui consiste à ouvrir toutes nos vannes de phantasmes musicaux. Je fais le travail en amont, mais il y a un chanteur qui prend tout le travail en direction et là on ne discute plus d'histoire, de musicologie. On a la chance d'avoir dans le groupe des gens qui viennent d'univers totalement différents : certains n'ont aucune connaissance du répertoire que l'on fait, je veux dire historique ou musicologique, parce qu'ils adorent la musique romantique ; un autre est compositeur, donc passionné de musiques contemporaines. C'est intéressant de donner aux luthistes l'opportunité de gérer la musique, la ficta par exemple, car ils n'ont pas la même façon que faire que nous.

 

Lorsque vous allez chanter dans d'autres ensembles, n'est pas tout de même la star qui arrive ?

C'est vrai. Je vais chanter avec des ensembles très jeunes. Je travaille avec un trio qui s'appelle « Trio Musica e Humana ». Ce sont trois jeunes chanteurs qui viennent de la maîtrise. Je les ai connus comme élèves, car je fais parfois des stages, des interventions. Je les vois pendant une année en général, et lorsqu'ils sortent en fin d'année, ils ont à cœur de former un groupe ou d'aller travailler. Or, là c'est tout bête, comme ils ne sont que trois c'est assez compliqué pour eux de chanter la musique de la Renaissance. Ils sont contre ténor, baryton et ténor ; et il y a très peu de répertoire pour eux. Ils s'associent souvent avec d'autres chanteurs et alors je vais leur donner un coup de main. Et ça se passe simplement.

 


En concert / DR

 

Comment arrivez-vous à mener tout cela, car vous avez aussi votre carrière de chanteur d'opéra ?

Difficilement ! Mais ce qui me demande énormément de travail c'est le travail de transcription. Pour ce trio, c'est moi qui m'en occupe aussi ; ma porte est grande ouverte. J'ai quand même quarante mille pages dans mon ordinateur sur la musique de la Renaissance ! Je les donne, les gens le savent. Alors ils me demandent de plus en plus de transcriptions et de programmes. Je travaille pour l'Ensemble Janequin, mais lorsqu'on me demande du répertoire je suis obligé de retravailler parce qu'il manque un bout, il manque le texte. Tout cela mis bout à bout ça demande énormément de travail. Outre le fait que le Janequin est en résidence dans le Nord, à Saint-Omer. Là il y a du travail avec les chœurs d'enfants, de femmes et un chœur mixte, et il faut que je trouve de la musique pour associer ces chœurs avec notre groupe ; et là aussi c'est du boulot ! L'avantage avec l'opéra, c'est que ça me laisse énormément de temps pour faire tout ce travail. Je suis à l'extérieur de chez moi, donc au revoir les problèmes domestiques !

 

Et comment va votre femme, Agnès Melon ?

Très bien, elle a arrêté de chanter, elle enseigne. C'est une bonne pédagogue, elle est très heureuse d'enseigner. Elle a trois postes : Dijon, Vincennes et Milly-La-Forêt. Elle n'enseigne pas seulement le baroque, mais le chant en général au départ.

 

Vous avez été toujours très attiré par la musique contemporaine ?

Oui, il y a un pont entre la musique baroque et la musique contemporaine ; moins entre baroque et classique ou romantique. La raison c'est la manière d'appréhender la voix, la technique vocale. J'en fais beaucoup, je travaille avec Pascal Dusapin, Philippe Manoury ; ils créent des rôles pour moi. Je suis très privilégié.

 

Votre voix est quand même très particulière ?

J'ai fait beaucoup d'opéras du XVIIème italiens avec René Jacobs et tous ces gens là. Pour les madrigaux, mes copains chanteurs prenaient tous des cours. Moi j'avais la voix pointue, métallique, tout ce qu'on veut, mais ça ne me gênait pas ; on me disait ça serait bien que tu prennes des cours, que tu arrondisse ta voix. Moi évidemment j'ai toujours chanté depuis que je suis enfant et je ne me suis jamais posé la question de savoir comment ça marchait. J'ai essayé, et avec le deuxième professeur de chant, j'ai perdu une quarte dans l'aigu ! Donc je me suis dit : là il y a un petit problème. Je ne pouvais plus chanter les ré 415 !

 

Il ne devait pas avoir de professeur qui possédait la technique à l'époque ?

Quand j'ai commencé à chanter contre ténor, il n'y avait pas de possibilité pour travailler. Au début, j'avais quelques notions de technique, je suis allé voir quelques profs de chant et comme je suis quelqu'un d'assez culotté, j'auditionnais les profs de chant. Le monde à l'envers ! Il y avait une trop grande fracture entre la musique que je voulais chanter et l'enseignement qu'on donnait pour d'autres contre ténor que moi. C'était des délires de mezzos romantiques qui ne correspondaient pas à ce que je cherchais. J'ai écouté beaucoup de disques, ceux d'Alfred Deller. La maison de la Radio organisait des sortes de séminaires avec des interprètes de la musique ancienne dont René Jacobs, William Christie, et Deller le premier. J'ai appris qu'il allait à Lacoste tous les ans faire un stage. On s'est inscrit avec le luthiste avec qui je chantais Dowland à cette époque. On a pas beaucoup travaillé, on a fait la foire pendant tout le stage. Et puis surtout Deller était quelqu'un qui, comme moi, et comme beaucoup d'anglais, avait chanté enfant. Et à son époque il n'y avait aucun moyen d'apprendre cette technique. De plus, il a commencé très tard à chanter. Donc il n'avait aucune solution à nous proposer pour les problèmes techniques : les cours étaient super agréables mais je n'ai rien appris. Je chantais du Dowland et lui me parlait du texte, chantait la pièce une fois et cela s'arrêtait là. Pour lui, le texte, la poésie, étaient plus importants que tout. Ses concerts avec cette voix si pure, c'était fantastique. J'ai plus appris en l'écoutant que pendant le stage.

 

J'ai arrêté les cours et il s'est trouvé qu'eu égard à ma taille et en raison d'une certaine ouverture d'esprit, car je privilégie toujours le théâtre - la voix je la mets toujours après et j'adore m'amuser avec - j'ai chanté des rôles de travestis au début de ma carrière, avec les Arts Florissants, en 1979, 1980 et 1982. En fait j'ai tout de suite été enfermé dans ce genre de rôle et de répertoire, et moi ça m'éclatait de m'amuser ainsi avec ma voix. Pour la musique contemporaine c'est la même chose : les compositeurs aiment bien déplacer la technique habituelle et utiliser tous les registres, surtout quand on est contre ténor. Je viens de faire une création d'un théâtre Nô : « Madame Narita » avec Yoshi Oida comme metteur en scène. C'est un théâtre de marionnettes et là j'étais tout seul. La façon de chanter correspond bien au challenge, je fais tous les personnages : il y a deux femmes, donc je chante en voix de fausset, le prince, je le chante en baryton, et je fais aussi le récitant. C'est très excitant mais pour la mémoire c'est dur ! J'ai chanté « Mare Nostrum » de Maurizio Kagel, c'était des pièces vraiment difficiles, le challenge étant de chanter dans toutes les langues autour de la Méditerranée. Et il y avait toutes sortes d'instruments. Cela m'excite aussi de savoir que je peux apprendre tout ça par cœur, et que je peux être crédible. Évidemment on vient me chercher pour ce genre de rôles. L'année prochaine, je vais faire une création de Brice Pauset (NDLR : Wonderful Deluxe, les 10 & 13 mai 2016 au Grand théâtre de Luxembourg). Il veut que je fasse le rôle de Paris Hilton ! Je ne sais pas ce qui va en sortir ! Il faudra peut-être que je me fasse teindre, liposucer, qui sait ! (rires)

 


Dans le rôle de La Pythonisse de David et Jonathas à Aix,

juillet 2012 ©Pascal Victor

 

Vous avez toujours eu cette allure de biker style l'Equipée Sauvage et vous adorez soit vous mettre à nu soit vous travestir, ce n'est pas une attitude des gens de la sphère classique !

Par rapport à ma tenue vestimentaire, s'il fallait que je sois comme j'ai envie d'être se serait dix fois plus extravagant ! Quand j'étais jeune, c'était effroyable. C'est comme ça. Les gens pensent que c'est de la provocation. Plus jeune j'ai souffert de ne pas pouvoir m'habiller comme j'avais envie. Je n'avais pas d'argent et quand je rentrais dans une salle de concert, notamment en Autriche, il y a trente ou quarante ans, je me faisais sortir. J'en souffrais, j'ai même eu des problèmes avec la police aux frontières, ça me déplaisait énormément. Par contre dès que j'ai été un peu reconnu, cela a été utilisé dans le sens contraire et là ça me faisait encore plus mal. Je me souviens une fois, à la Monnaie à Bruxelles, après le pot de la première de l'opéra, la direction m'a demandé d'être habillé en motard ! Je ne l'ai pas fait, car c'était une manière de récupérer ma manière d'être, il fallait que je sois extravagant ! C'était insupportable ! C'est ma manière d'être tout simplement.

 

Quand on voit des chefs d'orchestre en tenue XIXème et qui jouent du baroque pur et dur, n'y a-t-il pas un hiatus ?

Oui il faut être soi-même, sans être provocant. Lorsque j'étais jeune je mettais des manteaux de fourrure ! Quand je faisais du stop en Normandie j'avais des petits problèmes. Ils s'arrêtaient me prenant pour une femme, et quand je montais dans la voiture, là ils avaient très, très peur... (rires)

 

On devait aussi penser que vos tendances sexuelles étaient transgressives à l'époque ?

Notamment dans le groupe : le luthiste était Claude Debôves, il avait des cheveux longs, on portait des boucles d'oreille. Dans les années 80, on se faisait traiter d'homosexuel à tous les carrefours ; même au ski où j'avais un vêtement tout doré. Tous les poncifs je les ai entendus. Par rapport à la sexualité je suis très ouvert. Je suis totalement hétérosexuel, mais j'aurai aimé être homo pour avoir accès à d'autres plaisirs ! (rires). Mais sur scène embrasser un mec ou me mettre à poil ça ne me pose aucun souci si le rôle l'exige.

 

C'est votre côté Rolling Stones ?

Oui, d'ailleurs quand je passe la frontière et que je dis que je suis chanteur, on ne peut pas imaginer que c'est d'opéra ! On cherche toujours dans mes affaires le shit ! J'ai remarqué très tôt que, lorsque je faisais un rôle de travesti, il ne fallait pas imiter une femme. Cela marche mieux de jouer cette dualité d'un homme qui tient le rôle d'une femme, c'est du travestissement, c'est un costume de scène ; c'est habituel au théâtre. Au cinéma ça ne me déplaît lorsqu'un acteur arrive à la perfection dans l'imitation d'un personnage célèbre qu'il représente, qu'on ne sente pas la différence, qu'il est lui. Cela me dérange et je trouve cela moins efficace.

 

Avec l'âge, est-ce qu'il y a des rôles, que vous ne pouvez plus chanter ou que vous auriez aimé interpréter ?

Je ne me pose pas cette question. J'ai eu le privilège toute ma vie qu'on me propose des rôles, et par nature je déteste savoir ce que je vais faire. Lorsque je vais sur une production c'est tout juste si je sais qui est le chef d'orchestre et qui sont les chanteurs ; je fais confiance aux gens. J'ai refusé des rôles trop lourds pour ma voix, Platée par exemple.

 

Vous avez beaucoup enregistré, chez Harmonia Mundi par exemple, et maintenant chez Alpha...

Chez Harmonia Mundi c'était génial, on était super privilégié, on faisait avec Benoit Coutaz un disque qui se vendait et un disque pour le plaisir, s'il ne se vendait pas ce n'était pas grave. Le premier disque que j'ai enregistré c'était du Dowland, en 1976 chez Calliope. Le premier disque Janequin est toujours en vente chez Harmonia Mundi parce qu'il y a une sorte de fraîcheur. On peut y trouver des défauts musicologiques, historiques, mais il y a toute la fougue de la jeunesse.

 

C'était comme à l'époque de la Guerre ? On n'a jamais fait mieux, je pense !

C'était je crois notre troisième disque. Lorsqu'on chantait cette œuvre à l'époque on terminait sans voix ! C'est super violent pour la voix, chanter juste avec un luth c'est plus fatigant qu'un opéra où on a le soutien de l'orchestre. Avec la polyphonie il faut tout le temps chercher la justesse, chanter droit. Et on chante tout le concert, seul comme nu, devant les gens, il n'y a aucune béquille. On a tendance à se crisper, mais c'est ce qui est formidable. Il y a des jours où ça marche et puis d'autres où ça ne fonctionne pas.

 

Revenons à l'actualité...

Je vais chanter dans de nouveaux opéras, un à Nancy, Orphée de Rossi, avec une jeune équipe. On l'avait enregistré avec les Arts Florissants. Je suis la nourrice, pour changer ! Et je participe à la création d'un opéra à Marseille mais je ne sais pas le titre ; c'est un opéra vénitien, italien, mais il risque de chevaucher avec deux opéras contemporains. On continue…

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

 

Geoffroy Jourdain va conduire la Péniche Opéra… sans permis !

 

 


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Sous un soleil printanier, en ce vendredi 13 mars, jour de chance, j'ai remonté le Quai de Loire jusqu'au numéro 46. La Péniche Opéra était à quai mais c'est dans le café d'en face que Geoffroy Jourdain m'a offert un petit noir sans sucre pour parler de sa toute nouvelle nomination à la tête de ce bateau qu'il n'a pas encore le droit de piloter. Qu'importe, il a désormais la casquette de capitaine après avoir présenté avec son acolyte Olivier Michel un projet qui tient la route, disons plutôt …le canal ! Geoffroy Jourdain c'est Les Cris de Paris qu'il dirige depuis 1999 et cet ensemble, à géométrie variable, a chanté la musique de tous les siècles avec talent.

 

Que vient faire l'ensemble Les Cris de Paris sur le Quai de Loire ?

Ce n'est pas Les Cris de Paris, mais l'histoire des Cris de Paris qui nous amène ici. A sa création c'était un groupe d'étudiants, une association non consciente qu'elle allait participer à la fondation d'un groupe qui se professionnaliserait à partir de 2005 avec l'aide de la Fondation Orange. C'est à ce moment là qu'Olivier Michel est arrivé comme administrateur.

 

Quelle est la formation d'Olivier Michel ?

Il a une formation dans le monde de l'entreprise et puis une appétence particulière pour tout ce qui est création contemporaine.

 

Cela fait donc dix ans que Les Cris de Paris est un ensemble professionnel ?

Oui et c'est cette expérience qui fait que nous venons à la Péniche Opéra avec une ligne éditoriale précise et un enthousiasme qui va nous permettre de faire des rencontres et inventer un projet dont on ne peut pas dire ce qu'il deviendra dans dix ans !

 

Vous avez donc postulé pour venir sur la Péniche ce qui va vous amener à avoir des responsabilités supplémentaires, dépendre d'un conseil d'administration, donc avoir peut-être moins de liberté qu'avec votre ensemble, non ?

 

Il y a eu un appel d'offre en juin 2014. On a postulé avec un projet qui va nous permettre de réinventer quelque chose et rééquilibrer nos relations. Depuis quelques temps on avait envie de diriger un lieu. Les Cris de Paris existe, continue à vivre leur vie. Le projet proposé, en plus de mutualiser les réseaux, les connaissances, et de mobiliser des enthousiasmes, permettra avec la Péniche Opéra de mieux s'organiser, de prendre du recul par rapport à ce qu'on a fait, de faire évoluer nos publics. On veut aussi faire profiter de notre expérience acquise avec Les Cris de Paris.

 

Vous connaissiez bien ce lieu ?

Je suis venu travailler avec Mireille Larroche, pas souvent, certes, mais j'ai vu beaucoup de productions hors les murs. Depuis sa création, il y a une trentaine d'année, la Péniche Opéra met en œuvre un projet artistique très en lien avec le répertoire du théâtre musical, avec des petites formations lyriques, et la création contemporaine, par des commandes auprès d'artistes. Je me sens tout à fait en phase avec l'univers auquel s'est consacré la Péniche et Mireille Larroche.

 

Qu'est ce qui fait que vous avez été choisi ?

Peut-être que nous sommes un ensemble plus récent que d'autres et qu'on a su évoluer avec un modèle économique différent, avec du mécénat privé, de sociétés privées, et qui conduit à moins compter sur l'État. Il faut apprendre à l'État à mieux se responsabiliser par l'utilisation de l'argent publique pour la culture comme il le fait pour l'éducation musicale. Aujourd'hui Les Cris de Paris est soutenu par la Fondation Béthencourt, la Société Générale, reçoit une aide de la DRAC et un peu de la Mairie de Paris. Comme beaucoup d'ensembles on est accueilli à la Fondation Polignac. On commence une résidence à Levallois ainsi qu'en Région Champagne Ardennes via l'Opéra de Reims.

 

Comment ont réagi les membres de votre ensemble ?

Je les ai prévenus. J'ai eu des réactions enthousiastes, et pas mal de gens, même si je n'en avais jamais parlé, trouvaient cela évident en fait. En raison de ce que nous avons développé ces dernières années, en modifiant un peu les protocoles du concert, en montant des projets avec d'autres disciplines artistiques, comme les arts plastiques, la danse, le théâtre. Toute la curiosité qu'on a pu avoir pour ne pas nécessairement faire des concerts de façon frontale, nous d'un côté, avec des pupitres et des costumes, et le public de l'autre côté, pour beaucoup de gens c'était dans la logique du projet artistique. Il fallait qu'il y ait un espace, j'entends virtuel - je ne parle pas nécessairement de la Péniche - mais un espace de productions et d'inventions. La signature de ce projet c'est aussi l'idée de laboratoire.

 

Et vous envisagez la venue de votre ensemble ?

Cela arrivera dans le sens où nous commençons en 2016, et si on veut favoriser des créations de dispositifs de spectacles, de l'écriture qui s'inscrit dans la durée, pour 2016 il fallait que nous ayons des choses en magasin. Donc effectivement la première saison il va y avoir une production des Cris de Paris et durant la deuxième aussi. Mais pour l'instant c'est tout ce qui est envisagé. L'idée n'est pas du tout que la Péniche soit un lieu pour l'ensemble.

 

Alors quelle est votre actualité avec la Péniche Opéra ?

Pour simplifier, elle n'est pas à quai pendant l'été, la saison se termine en mai. Ensuite le lieu Péniche, pour la rentrée, va être exploité pour des répétitions des conception. Notre saison 2015-2016 ne va en réalité commencer qu'en 2016. Il faut qu'on se donne un petit peu de temps pour être sûr de notre programmation. On vient juste d'arriver, on a été nommé il n'y a que quelques jours. Au début, on va faire essentiellement de l'accueil avec des groupes, avec des spectacles qui existent déjà, pour rester en contact avec le public de la Péniche. Ce qui est mis en écriture demande du temps. Il faut bien une saison pour avoir des créations originales. A part Système D des Cris de Paris, les autres spectacles existent déjà. J'espère que le public de la Péniche se reconnaîtra, même si nos programmes seront différents. Il y aura le public des Cris de Paris et aussi, j'espère, un public qui sera intéressé par la nouveauté. Le danger à Paris est de savoir le garder. Ensuite, mais c'est peut-être un peu tôt pour en parler, on va expérimenter d'autres horaires, on fera des spectacles à 19H. Être en lien avec un public, notamment de celui des gens de quarante ans qui ont des baby-sitters ou qui veulent aller au resto après le spectacle et qui bossent le lendemain matin. On fera d'autres horaires l'après midi pour des représentations avec le jeune public et aussi pour des spectacles familiaux, le dimanche après midi par exemple.

 

Et au sujet de l'artistique ?

On avait proposé à l'appel d'offre un projet qui s'intéresse au mode d'écriture « pluridisciplinaire », « transversal ». Même si je n'aime pas ce mot à la mode, qui mélange de nombreuses formes artistiques. Mettre dans la même temporalité des gens qui travaillent dans des domaines différents c'est ce qui nous intéresse dans le processus d'écriture de ce genre de spectacle. C'est à dire prendre par exemple le compositeur et au lieu de le laisser à sa table de travail, le mettre dans le dispositif. Cela va durer plus de temps, et il faudra le faire aussi avec les chanteurs, les danseurs. Cela ne veux pas dire qu'on va faire de l'art total en permanence, mais les disciplines qui se croisent, on les met au plateau ensemble. Il faut être convaincant dans la création de formes nouvelles. Je rêve de prendre le compositeur à sa table d'écriture et de le mettre dans ce dispositif. L'idée qu'il y ait un librettiste d'un côté, un compositeur de l'autre, des gens qui travaillent en scène au piano, comme à l'Opéra pendant tant de temps et puis qui font des italiennes et des scènes orchestre, pour moi cela me semble absurde. Les schémas dans lesquels on peut faire de la musique patrimoniale ne peuvent pas être ceux dans lesquels on fait de la création. Cela paraît évident quand on le dit mais cela n'empêche que dans les maisons d'Opéra, par exemple, ça n'existe pas vraiment. Cela existe dans des lieux un plus laboratoire, là où les mentalités sont différentes. C'est vrai plutôt en Europe du Nord où il y a des schémas dont on peut s'inspirer. Je pense à la Belgique ou à la Hollande où effectivement ces questionnements des écritures et comment une écriture peut influer sur l'autre, sont des choses qui sont en jeu depuis longtemps parce que le poids de la tradition est aussi moins important.

 

La Péniche Opéra est un incubateur de spectacles. Mais il y aura aussi la Péniche plateforme entre les professionnels et les jeunes compagnies, les jeunes ensembles. Tous les ans il y aura des présentations de maquettes de spectacles de jeunes compagnies, d'ensembles, à des professionnels, des diffuseurs etc… qui en voyant ces maquettes s'engageront à accompagner les projets montés sur la Péniche. L'identité c'est le spectacle musical. Il y aura peut-être aussi des chanteurs de pop avec une narration, une dramaturgie, de la même façon qu'il y aura des projets d'installations avec une narration sonore avec des voix. Si quelqu'un veut raconter une histoire en musique il faut qu'il sache qu'on existe. On a un projet très décloisonné.

 

Il va falloir alors que vous soyez attentif à tout ce qui vous entoure au niveau de la création ?

C'est pourquoi, on est très heureux d'avoir un lieu comme la Péniche. Avec Olivier, depuis dix ans, on passe notre temps à aller voir des spectacles, visiter des galeries, lire beaucoup. On s'était dit, si on avait un lieu pour favoriser les rencontres on serait ravi ! C'est ce qui vient de nous arriver !

 

Vous devez être très sollicité ?

Il y a beaucoup de gens qui veulent devenir nos amis ! Mais il y a en beaucoup aussi que nous voulons contacter parce qu'on aime leur travail. On pourrait programmer pendant dix ans tant il y a des gens qui nous intéressent. Avec Les Cris de Paris on avait des prestations à proposer, maintenant on va devenir coproducteur de spectacles musicaux et on espère inspirer, susciter, des projets.

 

En conclusion ?

On est les héritiers d'une belle histoire et il faut qu'on puisse continuer à l'écrire. On aimerait aussi que la Péniche Opéra puisse continuer à se déplacer à travers les canaux, cela fait partie de sa mission : la faire circuler en Ile de France et rencontrer des publics différents.

 

Il n'y a plus pour Geoffroy Jourdain qu'à passer son permis bateau pour faire naviguer la Péniche et avancer ses projets !

 

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.


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    L'ŒIL ÉCOUTE

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Un Bal masqué futuriste à La Monnaie

 

Giuseppe VERDI : Un Ballo in maschera (Un bal masqué). Mélodrame en trois actes. Livret d'Antonio Somma. Stefano Secco, George Petean, Maria José Siri, Marie-Nicole Lemieux, Kathleen Kim, Roberto Accurso, Tijl Faveyts, Carlo Cigni, Zeno Popescu, Pierre Derbet. Orchestre symphonique et Choeurs de la Monnaie, dir : Carlo Rizzi. Mise en scène : Alex Ollé (La Fura dels Baus). Théâtre de La Monnaie.

 


©Johann Jacobs/De Munt La Monnaie

 

Au sein de la production verdienne, Un ballo in maschera (1859) marque la fin des «  années de galère ». L'opéra de Verdi connut une genèse mouvementée. Le sujet qui se présenta d'abord fut « Gustave III de Suède », opéra de Auber sur un livret de Scribe (1837), que Verdi demanda à son librettiste de réécrire. Tant il était persuadé de l'intérêt du sujet : « Gustave IIII comporte des ressorts dramatiques exceptionnels et le situations y sont remarquablement agencées », dira-t-il. La pièce devint ainsi « La vendetta in domino ». C'était sans compter sur la censure napolitaine qui grinçait à la pensée de voir traiter sur scène le meurtre d'un souverain, alors en outre, que venait de se produire l'attentat d'Orsini contre Napoléon III. Se tournant alors vers Rome, et pour contrer une censure tout aussi rigoureuse, Verdi et Somma transposent l'action dans le Boston des années 1850. Pour beaucoup Le bal masqué est l'une des meilleures réalisations de son auteur : un livret rapide, contrasté dans ses situations grâce à l'utilisation subtile du mélange des genres ; une musique sensible qui joue plus des situations précisément que de l'étude des caractères, encore que ceux-ci soient bien tracés. Surtout, on trouve ici mise en exergue une valeur essentielle, celle de l'amitié, que Verdi travaillera par la suite avec La forza del destino et Don Carlo. Car au final, le souverain pardonne à Renato, son ami, de l'avoir frappé à mort. Ce dernier étant convaincu que son honneur d'homme avait été trahi par l'infidélité de sa femme avec le roi. Celui-ci meurt non sans avoir disculpé Amelia et exhorté les époux réunis à quitter la Cour pour une ambassade. On donne à La Monnaie l'opéra dans la version originale à la Cour de Suède. La mise en scène d'Alex Ollé flirte du côté du roman de Georges Orwell, 1984, et son sujet de l'arbitraire idéologique de Big Brother. Ollé voit dans le roi un éternel tyran. La décoration en ajoute quant au broiement des êtres par le pouvoir : une architecture gigantesque, univers de béton qui enferme personnages et action dans un carcan froid, heureusement nuancé par un beau travail sur la lumière. Rarement décor aura-t-il autant imprimé son poids sur la régie. Car ces volumes qui se font et défont, utilisent les trois dimensions, la partie supérieure, tel un couvercle de marmite, s'abaissant pour mieux écraser, ou s'élevant dans un mouvement libérateur. La sorcière Ulrica apparaitra descendant des cintres pour entonner son premier air. Tous sont munis de masques dès les premières mesures, car selon Ollé «  aucun ne montre vraiment son visage à découvert » dans cette action qui «  se déroule dans un futur proche ». La régie d'acteurs est objectivée, tous traités comme des êtres mus par quelque froide mécanique. Mais si intrigue politique il y a, elle cache un drame intime, celui de trois personnages, Gustave III,  Amelia. Renato, taraudés par ces affres que sont l'amour, la jalousie, la vengeance. Et ce drame est quelque peu relégué au second plan. On a voulu creuser les contrastes et gommer la fantaisie que Verdi a instillée dans certaines scènes, par exemple à travers le personnage du page Oscar, et noircir le tableau jusqu'à faire de la scène finale une vision de désolation : si le roi meurt, tous sont cloués au sol dans l'horreur d'une sorte d'attaque chimique dont on se demande s'ils peuvent en réchapper malgré leurs masques de science fiction...

 


Marie-Nicole Lemieux ©Johann Jacobs/De Munt La Monnaie

 

La Monnaie a assemblé un cast de prestige. Carlo Rizzi, un des spécialistes de l'univers verdien, livre une lecture intense tirant le meilleur de l'Orchestre symphonique de la Monnaie qui brille en particulier dans les solos instrumentaux agrémentant les airs (le violoncelle dans celui d'Amelia, le hautbois pour l'aria de Renato). Sa vision est puissante, accusant tout autant les contrastes. Car ceux-ci diffusent dans la partition, à l'aune de l'ambivalence des traits de caractère des personnages. Chacun a sa personnalité musicale, en termes d'orchestration, de rythme, de sonorité spécifique, produisant l'effet théâtral. On pense au grave profond d'Ulrica, au solide esprit de revanche de Renato dès lors qu'il se sent trompé par sa femme et son ami. Tout ce que Verdi nomme « tinta », c'est à dire la couleur des affects, des confrontations aussi. L'effectivité dramatique du spectacle procède autant de la musique que de sa traduction purement théâtrale. Chaque membre de la distribution en est imprégné. George Petean, Renato, offre le meilleur du baryton Verdi, pour lequel a été écrit l'un de ses plus beaux airs : « Eri tu que macchiavi quell'anima...» (Et c'est toi qui a souillé cette âme), chef d'œuvre de rage non contenue de l'homme bafoué dans ce qu'il a de plus cher, sa femme, son amitié, puis de déploration, nostalgie du bonheur perdu. On pense à Rigoletto et à « Cortigiani, vil razza damnata.. » à cet instant. Le portrait fouillé est totalement convaincant. Stefano Secco campe un roi Gustave III de belle facture vocale, maniant l'ambivalence de l'homme insouciant, du monarque hautain et de la victime expiatoire. L'Amelia de Marie José Siri est une heureuse découverte car voilà un soprano lyrique expressif doté d'un medium large tirant sur le grave, comme le possédait naguère Martina Arroyo, et à la quinte aiguë aisée qui projette naturellement. Le portrait est tout en clair obscur. Marie-Nicole Lemieux ajoute à sa galerie de contraltos verdiens un nouveau gemme : Ulrica est taillée pour sa voix de stentor, sa « tinta » de grave caverneux, son allure farouche. L'Oscar de Kathleen Kim est moins sur le fil du rasoir que souvent et, régie faisant, a de l'épaisseur. Les seconds rôles, dont les conspirateurs, sont de belle tenue. Enfin les Chœurs de la Monnaie font œuvre de présence vocale ainsi que d'impact dramatique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

La Mort de Tintagiles aux Bouffes du nord

 

Maurice MAETERLINCK: La mort de Tintagiles. Pièce en cinq actes ; précédée de fragments de « Pour un tombeau d'Anatole » de Stéphane Mallarmé. Adrien Gamba Gontard, Leslie Menu, Clara Noël. Christophe Coin, violoncelle et baryton à cordes, Garth Knox, alto et viole. Conception musicale : Christophe Coin & Garth Knox. Mise en scène : Denis Podalydès. Théâtre des bouffes du Nord.

 


Acte I ©Pascal Gely

 

Maurice Maeterlinck a donné au théâtre symboliste Pelléas et Mélisande que Debussy allait mettre en musique pour le chef d'œuvre que l'on sait, mais aussi d'autres pièces intéressantes, telle que La mort de Tintagiles (1894). L'idée de la monter assortie d'un ramage musical revient à Denis Podalydès et à Christophe Coin. Qui avaient déjà  collaboré pour Le Bourgeois gentilhomme (au demeurant repris aux Bouffes du  nord jusqu'au 26 juillet). La mort de Tintagiles est une pièce en cinq actes, cinq courts tableaux qui font intervenir quatre personnages outre quelques servantes. Elle conte le triste sort réservé à un enfant, Tintagiles, que ses deux sœurs Ygraine et Bellangère (qui appartiennent à la même fratrie que Mélisande, et dont il est question dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas) tentent de préserver d'un mal diffus, l'emprise d'une vieille femme, la Reine, prête « à dévorer les nôtres », sorte de monstre, d'ogresse. Malgré l'aide bien dérisoire d'un vieux serviteur Aglovale. L'acte IV illustre le rapt de l'enfant par une cohorte de servantes  obscures à la solde de la Reine. Il périt on ne sait comment, happé au-delà du réel par quelque force du mal. Le non dit est ici autant prégnant que l'exprimé et les dialogues aussi énigmatiques que chargés de sens caché. On y trouve la sémantique du théâtre symboliste et des sentences comme : « Je me suis dit un jour que j'allais être heureuse » (Ygraine, acte I), ou encore « Il fallait bien que l'on vive en attendant l'inattendu... et puis il faut agir comme si l'on espérait... » (Aglovale, acte III). La symbolique des choses encore : la lampe, métaphore de la lumière, la tour, de l'incessible, la porte, de l'infranchissable, etc... Car dans ce théâtre chacun est aveugle sur sa destinée et il arrive finalement ce qu'on refuse de voir. La mise en scène de Denis Podalydès est extrêmement respectueuse du texte qui porte un « trop plein d'images », empli de mystère, où « pourtant tout est simple, tout est court, n'avance pas plus loin qu'au bord d'un abîme tout proche, que l'on se refuse à qualifier », souligne-t-il. Sa direction d'acteurs est sobre, tout en clair-obscur. Seule concession à l'expressivité : le personnage titre, cet enfant fragile aux « boucles d'or », visualisé par une marionnette grandeur nature, remarquablement vivante par la manière dont elle est dirigée. L'atmosphère est oppressante de par un environnement décoratif crépusculaire, dissimulant heureusement les murs lépreux du théâtre. Pour introduire ce climat, on a fait précéder la pièce d'un prologue emprunté à Mallarmé et à des fragments de « Pour un tombeau d'Anatole », véhiculant l'idée de deuil, de la mort infantile, en résonance parfaite avec le texte de Maeterlinck. Mais l'idée de génie est d'avoir pourvu le texte d'une illustration sonore. Christophe Coin et Garth Knox, qui jouent, respectivement, tour à tour le cello et le baryton, ou la viole et l'alto, prodiguent des prolongements sonores des plus inattendus mais combien expressifs. L'image atteint ainsi une autre dimension. On entendra successivement des extraits des Mikrokosmos de Bartók, des morceaux de Lutoslawski, de Satie (« Pièce froide »), de Kurtag ou de Berio (extrait des Duos pour violons, n°27), des morceaux de Félix Bettanchon, de Jean Noguès, de Charles Loeffler, ou encore des pièces chantées : un chant gaëlique irlandais («Keen for a dead »), ou « Alas poor men » de Tobias Hume. Les acteurs mènent les textes à leur plus sublime expressivité, dont l'émouvante Leslie Menu, Ygraine, et Adrien Gamba Gontard, désarmant d'innocence, et les deux musiciens prodiguent d'empoignantes sonorités de leurs beaux instruments. Un spectacle rare, d'une vraie cohérence dramatique et musicale.

 


Leslie Menu ©Pascal Gely

 

Jean-Pierre Robert.

 

Daniel Barenboim ou la flamme du piano de Schubert

 


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Au sein de l'emploi du temps chargé auquel il nous a habitués, partagé entre opéras et concerts symphoniques, Daniel Barenboim s'offre une pause au piano, son cher piano qui marqua d'une empreinte si forte sa première carrière de musicien, et nous offre une mini intégrale Schubert : onze sonates essentielles, l'espace de quatre concerts à la Philharmonie de Paris, à guichets fermés. Un premier constat : le vaste auditorium accueille favorablement le récital de piano, l'instrument sonne précis et proche, bénéficiant de l'acoustique flatteuse du lieu et d'un temps de réverbération intéressant à l'aune de la manière interprétative du maestro. Disons-le d'emblée, celle-ci creuse les contrastes, de dynamique, de tempo. Il y a du bouillonnement parfois dans les variations d'éclairages si fréquents que ménage Schubert, une lisibilité sans doute moins immédiate, différente de l'approche plus objective et au classicisme tout viennois d'Alfred Brendel. Et parfois on ne sait s'il s'agit d'un souci de souligner ce qu'il y a d'original, ces pistes que Schubert a lui-même mêlées à satiété dans plus d'une pièce, ou d'une volonté de mettre en avant ce qu'il peut y avoir de « moderne » dans cette littérature pianistique. Surtout, on a le sentiment que le jeu au clavier est désormais nettement influencé par la patte du chef d'orchestre : cette façon de manier les écarts, d'exacerber les couleurs, à l'extrême souvent, de dramatiser le discours, tout cela participe de l'approche d'un expert de la direction d'orchestre lyrique ou symphonique ; mais la chose n'est pas nouvelle chez Barenboim. La maestria du clavier, impressionnante, n'a rien perdu de sa formidable acuité et l'instrument sonne glorieux dans les grands climax (un terme qui participe du vocabulaire orchestral d'ailleurs !) comme on ne peut plus raffiné dans les passages élégiaques, le lyrisme de la palette de Schubert en ressortant avec évidence. Des deux soirées auxquelles on a assisté, la première juxtaposait d'abord les Sonates D. 568 et D. 784. Autant dire deux partitions pas toujours aisées à appréhender par l'auditeur, qui s'attend à pouvoir entendre un Schubert charmeur, mélodieux avant tout. Pas tant ici. La Sonate D 568, de 1817, possède une histoire curieuse. En cette année, Schubert est accaparé par la composition pour le piano. Il mettra en chantier plusieurs sonates, dont la Sonate D 567 en ré bémol majeur et cette autre D 568. La seconde n'est-elle qu'une transposition de la première ? En tout cas elle comporte quatre mouvements, alors que sa sœur en comprend trois, et ce grâce à l'adjonction d'un menuetto allegretto. Plutôt que de simple transposition, il s'agit, selon Brigitte Massin (dont l'ouvrage essentiel sur Schubert vient d'être réédité, Fayard), d'un « nouveau travail d'élaboration à partir d'une donnée première ». L'architecture d'ensemble est repensée et son caractère plus accusé en terme d'agitation. En particulier au premier mouvement qui s'écarte de la forme sonate pour une structure s'apparentant à la fantaisie, où les thèmes se succèdent à foison. Barenboim la joue avec les caractéristiques qu'on a rappelées, et on savoure en particulier le mouvement lent d'un beau lyrisme et le scherzo, menuet d'un calme lyrique qui fait place à un trio dansant. Cette référence à la danse, on la retrouve au finale allegro moderato. La Sonate D 784 occupe une place particulière dans la production schubertienne. Composée en 1823, c'est est une pièce isolée, mais marquant la ligne de partage entre sonates de jeunesse et de la maturité. C'est, selon Brigitte Massin « une œuvre de crise » et son dramatisme se ressent dans les deux mouvements extrêmes qui énoncent des thèmes antagonistes se confrontant plus qu'ils ne se correspondent. Barenboim souligne volontiers ces oppositions qui mettent en lumière une modernité qu'on n'associe pas à Schubert ; à tort, car combien inhérente à sa manière. Le début très lent de l'allegro giusto initial progresse par une large montée en puissance et le développement se fait chaotique. De même le finale vivace est-il l'expression d'une force irrépressible, le premier thème affirmé dans ses accords assénés, alors que le second énonce une sorte de valse. Au milieu, l'andante apporte quelques instants de sérénité dans ce parcours véhément.

 

 

Durant l'année 1825, Schubert écrit, entre autres, trois grandes sonates. La Sonate D 845, sera la première à être publiée du vivant du musicien, en 1826. Schubert y démontre encore combien il s'affranchit des canons rigides de la forme sonate au profit de la fantaisie. De plus, le langage est ici quasi orchestral, sans parler de la durée conséquente de la pièce, qui avoisine la demi heure. Le moderato par lequel elle s'ouvre multiple les thèmes qui vont s'entrecroiser à volonté, notamment au cours du développement extrêmement modulant. Le discours se fait dramatique en particulier dans le registre grave. Une coda très développée déploie de sombres accents. Que Barenboim ne cherche pas à amoindrir. Le schéma de thème et variations de l'andante est proche du Lied et apporte de la fraicheur dans ses fines appogiatures, que le pianiste pare de joliesse tout en gardant sous-jacente une dose de tragique. Le scherzo est dynamique mais ne se dépare pas de gravité ; alors que le trio tout contrastant est élégiaque. Le rondo final, sorte de perpetuum mobile, s'avèrera fiévreux, Barenboim exacerbant la pulsation, soulignant là encore la modernité du langage schubertien, et ménageant une progression rapide, implacable, presque boulée. La sonate D 850 marque une nouvelle étape de l'évolution du style du compositeur vers la donne épique, tels ces accords répétés rageusement, et un élargissement de la palette sonore proche du langage orchestral. Schubert est occupé alors à l'ébauche de ce qui deviendra sa symphonie en Ut, D 944, dite « la Grande ». Le rythme y est roi. Cela s'affirme dès l'allegro vivace qui débute en fanfare, le discours progressant avec frénésie presque, agrémenté de délicieux triolets. Barenboim s'y montre on ne peut plus fougueux. Le con moto suivant est méditatif, promenant une rêverie schubertienne typique où se joignent deux thèmes, l'un majestueux, l'autre vif, au fil d'épisodes émerveillés où l'on prend son temps - les fameuses « divines longueurs » ! Animé, le scherzo est avec Barenboim pas si épique que cela, et le trio, très développé, introduit une belle sérénité. Le finale moderato avec son thème dansant comme improvisé, déploie une suprême fluidité jusqu'aux dernières phrases qui s'évanouissent comme dans un songe.

 


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Le dernier concert s'achevait comme il se doit par l'ultime Sonate D 960. Une somme s'il en est ! Sommet de l'art de Schubert, challenge pour l'interprète, instants de félicité pour l'auditeur. Scellant la fin d'un parcours exemplaire, interrompu par une mort prématurée, elle témoigne de la formidable vitalité qui s'empare alors du musicien : composition du Quintette à deux violoncelles, de messes, corrections apportées à la seconde partie du Winterreise, travail sur ce qui figurera le Schwanengesang, etc... Barenboim affirme même qu'au cours de la période de quelques 13 ans au cours de laquelle Schubert a écrit ses sonates pour piano « sa progression fut si rapide qu'il serait peut-être devenu l'un des compositeurs les plus révolutionnaires de l'histoire de la musique s'il avait vécu plus longtemps ». Cette Sonate D 960 intimement liée aux deux autres,  D 858 et D 659, est un aboutissement de son style comme une marque d'hommage à Beethoven et à son célèbre corpus de 32 Sonates. La facture quasi orchestrale s'y révèle, introduisant comme une action, alors que certains traits nouveaux s'affirment telle la tendance vers le chromatisme. La vision de Barenboim est grandiose et devant pareille exécution, la logique de la comparaison s'efface quant à l'appréciation de la performance en soi : la dramaturgie de l'immense premier mouvement molto moderato, la méditation envoûtante de l'andante sostenuto et ses notes pppp effleurées sur le jeu de mains croisées, la salle retenant son souffle devant ce qui est côtoiement de l'ineffable, la pure joie que procure le scherzo, « vivace con delicatezza », où l'on sent pointer quelque fantaisie, qu'un trio va contraster d'une page plus austère mais apaisée ; un finale aussi énergique qu'enchâssé dans une action, là encore, idéalement construite, là où Schubert raconte une si merveilleuse et poignante histoire. On reste ému après une exécution de ce calibre, de cette autorité souveraine, de cette musicalité accomplie. Citera-t-on l'ami Albert Stadler qui parlant de l'art de Schubert pianiste, remarquait : « Il appartenait encore à cette vieille école de pianistes talentueux qui ne se jettent pas comme des oiseaux de proie sur les pauvres touches. » Merci !

 

Jean-Pierre Robert.

 

L'art du récital à son sommet

 


Magdalena Kožená & Mitsuko Uchida © PJ-Ivan Malŷ

 

Magdalena Kožená et Mitsuko Uchida donnaient au Théâtre des Champs Elysées  un récital dont le programme parcourait les chemins de l'amour, de Schumann à Debussy, de Mahler à Messiaen. Diverses manières d'aborder un thème si porteur. Dernier cycle schumannien, les Gedichte der Königin Maria Stuart (Poèmes de la Reine Marie Stuart) datent de 1852 et sont tirés de Shakespeare. Ultime preuve d'amour à Clara ? Le climat est sombre, désespéré, le musicien épousant le destin tragique de l'héroïne, en particulier au troisième Lied, « A la Reine Elisabeth », supplique à une « sœur », une rivale plutôt. « L'adieu au monde » est poignant à l'aune de ce « Mon cœur est détaché des biens terrestres », prémonition d'une fin prochaine. L'ultime Lied, « Prière » en appelle à la délivrance. Kožená prouve une force de conviction que la voix amplement déployée porte à son paroxysme, tandis que le piano d'Uchida vibre à l'unisson. Les Rückert Lieder sont composés par Gustav Mahler en 1901, au même moment que la Cinquième Symphonie. Sa passion pour Alma Schindler est à son comble, il l'épousera l'année suivante. Ces poèmes nocturnes sont un présent à la bien aimée : d'effusion avec « Ich atmet' einen linden Duft » (Je respirais un doux parfum), ce « doux parfum de l'amour », qui conclut la mélodie. Ou de confidence amoureuse de ce « Je t'aimerais à jamais », ultimes mots de « Liebst du um Schönheit » (Aimes-tu pour la beauté). De mystère aussi, voire de prière et de solitude avec « Um Mitternach » (A minuit). D'angoisse interrogative encore, là où le denier Lied « Me voilà coupé du monde » signe une vraie identification du musicien avec son poète. Les deux interprètes tutoient ici le sublime, Kožená de son timbre chaud et expressif, Uchida tressant un accompagnement où l'on croit entendre l'orchestre tout entier. Claude Debussy a écrit ses Ariettes oubliées en pensant à Blanche Vasnier, son égérie, encore qu'à l'époque, leur relation soit sur le déclin. Inspirées des Romances sans paroles de Verlaine (1892), ces mélodies montrent un Debussy de la maturité. Il sera en pleine lumière ici, car le piano de Mitsuko Uchida est tout sauf vaporeux ou « impressionniste », et la voix de la chanteuse extrêmement engagée. « C'est l'extase » montre la voie, chant et piano faisant jeu égal. « Chevaux de bois » contraste, follement entraînant par le mouvement tourbillonnant insufflé par la pianiste. Les deux « aquarelles finales, « Green » et « Spleen » sont plus que des vignettes : la suprême déclamation (« et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous », désolation de l'amour perdu. Sans doute les Trois chansons de Bilitis sont-elles moins explicites quant au thème. Encore qu'elles sont traversées de la même poésie langoureuse, les textes de Pierre Louÿs  et leur manière un peu archaïque inspirant à Debussy des pages mémorables. Et on ne peut s'empêcher de penser à Pelléas et Mélisande sur lequel  il travaillait alors. « La chevelure »  n'est-ce pas celle de Mélisande ? Et ces jeux de « La flûte de Pan » n'ont-ils pas la même saveur de vraie fausse innocence que ceux auxquels se livrent les deux protagonistes de l'opéra ? De par ses harmonies froides et son ton angoissant, « Le tombeau des naïades » effraie presque comme quelque intervention de Golaud. La manière dramatique du Mitsuko Uchida et la suprême diction de Magdalena Kožená, une des grandes interprètes de Mélisande, le montrent comme d'évidence. Le récital se concluait par le livre II de Poèmes pour Mi d'Olivier Messiaen. Ils sont dédiés à sa première épouse Claire Delbos, surnommée « Mi ». Ils traitent de l'amour considéré comme sacré, le sacrement du mariage. De sa voix ample et de son articulation soignée Kožená en livre une exécution saisissante, tour à tour habitée de foi (« L'épouse »), de conviction inébranlable (« Ta voix »), de véhémence presque (« Les deux guerriers »), de tendresse (« Le collier »), ou de moment de béatitude (« Prière exaucée »). Elle n'hésite pas à lancer la voix à pleine puissance pour exprimer ce qu'il y a de jubilatoire dans ces pièces, voire à user du registre de poitrine, presque détimbré. Uchida se mesure avec bonheur à la rythmique qui étaie les mélodies plus qu'elle ne les accompagne. Trois bis prolongent la soirée : un chant populaire de Janacek, puis Der Nussbaum (Le noisetier) de Schumann, dont Kožená distille amoureusement les modulations à l'infini, et un Lied de Hugo Wolff, comme une variante de « Ainsi va l'amour ». Ce qui distingue ce récital c'est au-delà de la prestation de la chanteuse, le plaisir procuré par le jeu de la pianiste, et une rare symbiose entre deux partenaires pour qui raffinement et expression sont unis indissolublement.

 

Jean-Pierre Robert.

 


Utahl : à l'origine de l'opéra romantique français

 

Étienne-Nicolas MEHUL: Uthal. Opéra-comique en un acte. Livret de Jacques-Benjamin-Maximilien Blins de Saint Victor d'après James Macpherson. Yann Beuron, Karine Deshayes, Jean-Sébastien Bou, Sébastien Droy, Philippe-Nicolas Martin, Reinoud van Mechelen, Artavazd Sargsyan, Jacques-Greg Belobo. Chœur de chambre de Namur. Le Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset. Exécution de concert. Opéra Royal de Versailles.

 

 

Parmi les musiciens du tournant du siècle 1800, Étienne-Nicolas Méhul (1763-1827) ne reste aujourd'hui hors de l'oubli que grâce à son fameux Chant du départ, écrit en 1794, et peut-être encore son drame biblique Joseph. Pourtant ce compositeur prolixe en tous domaines a laissé plus de de trente titres au genre lyrique. Uthal, créé en 1806 à l'Opéra Comique, salle Feydeau, est inspiré des rêveries « ossianiques » de James Macpherson (1736-1796). Il nous plonge dans les brumes et la mythologie écossaises des bardes et de leurs luttes guerrières. Le vieux chef Larmore, relégué à l'inaction par son gendre Uthal, n'a pas dit son dernier mot : il veut lui livrer combat pour restaurer son autorité. Pressée de choisir entre le père inflexible et l'époux hautain, Malvina préfère ce dernier. Vaincu et promis à l'exil, Uthal abandonne sa superbe devant la compassion de Malvina prête à le suivre, et fait amende honorable. Le redoutable Larmore pardonne alors. On a tant fustigé les faiblesses du livret de cet opéra-comique, et même sous la plume de Berlioz, par ailleurs un défenseur de son collègue, qu'on a toujours eu peine à porter du crédit à cette pièce, mêlée de chant et de parlé, en alexandrins pourtant... Dans son « Histoire de l'Opéra (1856) le célèbre Castil Blaze porte haut une œuvre qui dépasse singulièrement le cadre de l'opéra-comique pour côtoyer la tragédie. Et nul doute que comme le remarque dans son introduction au concert, Alexandre Dratwicki, directeur artistique du centre de musique romantique française « Il est temps de se sortir des partis pris » et d'emprunter le chemin des découvertes, les vraies. Et il y en a ici à foison ! A commencer par une orchestration inattendue qui omet les violons au profit des altos pour asseoir une couleur sombre et mélancolique, ou qui introduit la harpe celtique dans des combinaisons instrumentales saisissantes lorsqu'elle est associée soit à la flûte soit au cor ; ce qu'un critique de l'époque a qualifié de « teinte gothique ». Méhul dispense surtout ce style héroïque dans lequel il est passé maître, une « musique de fer » disait-on alors, qui ravissait les auditeurs de ces temps nouveaux au tournant de la Révolution et du Ier Empire. Et que Napoléon appréciait tout particulièrement. Dans sa brièveté, l'œuvre offre des gemmes. Ainsi de la Romance d'Uthal, grand morceau empli de vaillance ; ou de l'hymne au sommeil chanté par les quatre bardes sur un accompagnement de harpe, de deux flûtes et de deux cors ; s'en détache l'incantation du chef des bardes, et il est ponctué d'une antienne de ses trois compagnons tandis que s'inscrit en contrepoint la plainte de Malvina. Ou encore de cette Ouverture en forme d'orage, préfigurant les grands morceaux tempétueux de l'opéra romantique, où les bois et les cors alliés aux cordes graves ménagent un effet saisissant qui « accroche » l'auditeur. Caractères et situations sont traités avec le souci de l'impact dramatique et le passage du parlé au chanté vient adroitement.

 



Christophe Rousset / DR

 

La présente exécution donnée sous les auspices du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, dans le cadre de la troisième édition de son « Festival Bru Zane à Paris », est un sans faute. Car on a assemblé des forces orchestrales et chorales comme des solistes de haut vol. Christophe Rousset poursuit son exploration de chefs d'œuvre méconnus du répertoire d'entre deux du XIX ème. Dans son interprétation on perçoit tout ce que cette musique doit à Gluck, mais aussi annonce l'opéra romantique français : un allant parcourant tout, arias et ensembles, l'héroïsme des interventions guerrières du chœur, confié aux seules voix d'hommes. Mais aussi un chaud lyrisme que la palette des cordes graves enrichit particulièrement dans les échanges avec les bois. La sonorité mordorée des 14 altos est pure joie et si le ton des solistes vents des Talens Lyriques n'est plus à louer, ils trouvent ici matière à illustrer leurs talents! On signalera la finesse des interventions de Virginie Tarrête à la harpe celtique, au son cristallin. Le chœur de chambre de Namur fait mouche par sa précision et la justesse de ton de l'élocution. S'il n'est pas très développé, le rôle titre n'en est pas moins porteur : Yann Beuron émeut par la noblesse de la déclamation parlée, l'élégance du style dans le récitatif et la beauté du chant. La romance d'Uthal « Pour prix d'un bien si plein de charme » offre le racé d'une grande interprétation. Karine Deshayes, Malvina, affronte partie moins diserte et aisée car ici le passage de la prose au chant s'avère délicat. Elle n'en éprouve cependant pas de difficulté grâce aux vertus essentielles d'une diction impeccable et d'une vraie sûreté de la ligne de chant. Le duo qui les réunit est comme haletant. Dans la partie de Larmore, Jean-Sébastien Bou affiche une voix de stentor et déclame le texte avec fougue, pour ne pas dire véhémence, déployant des colères effroyables qui font trembler tout alentour, mais pas le belliqueux Uthal convaincu de sa haute valeur (« Je suis né violent, ambitieux peut-être ; Pour lâche... je ne le suis pas »). Du quatuor des bardes on détachera le beau baryton de Philippe-Nicolas Marin, distingué dans l'ensemble dit « du sommeil », et la voix ductile et ensoleillée de Reinoud van Mechelen. Ce quintette restera un des sommets de la soirée. Un concert à marquer d'une pierre blanche, de surcroit dans le cadre choisi de l'Opéra Royal de Versailles. Chance ! Il était enregistré et doit paraître en CD.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Trésors de la musique romantique française pour quatuor à cordes

 


Quatuor Diotima (formation 2015) / DR

 

Parmi les six autres concerts de l'édition 2015 du Festival Bru Zane à Paris, celui donné par le Quatuor Diotima méritait plus qu'un détour. Sous le moto « d'une modernité à l'autre » étaient rapprochés trois compositeurs, Onslow, Lequeux et Debussy. George Onslow (1784-1853), désormais réchappé de l'oubli, grâce à plusieurs parutions discographiques, composa nombre de quatuors. Une première période dans les années 1814 donna naissance à une douzaine de pièces (op. 8 & 10). Il revient au genre dans les années 1830 et cette deuxième brassée est marquée par le choc éprouvé par l'écoute des quatuors de Beethoven. L'opus 56 en ut mineur (1833-1834) est dédié au celliste Alexandre Chevillard, découvreur des dernières pièces du Maître de Bonn. Par rapport aux quatuors des op. 8 et 10 (Cf. CD du Quatuor Hermès, NL de 6/2025, et ci-dessous), cette nouvelle livraison se signale par un enrichissement de l'écriture et une dramatisation du discours, comme on le remarque dans l'allegro « maestoso ed espressivo » initial. Le Minuetto aligne deux trios enluminés par le violoncelle. L'adagio, là encore introduit par le cello, offre une douce cantilène, éprise de sérénité. Le finale vivace, le seul peut-être à s'inspirer de la grande manière d'un Beethoven, s'avère entraînant non sans quelque traits âpres et culmine dans un presto conclusif brillant. Les Diotima en livrent une lecture d'une impressionnante concentration. Et on observe que la nouvelle seconde violon, Constance Ronzatti, s'est déjà bien intégrée à l'ensemble. Guillaume Lekeu (1870-1894), musicien belge autodidacte, a écrit trois quatuors dont un seul est parvenu jusqu'à nous, et un Molto adagio pour quatuor à cordes. Cette pièce, de 1886-1887, est étrange : une longue digression au sein de laquelle on peut distinguer plusieurs sections, dont un grand climax central, et qui évolue sur le versant modéré. Son sous- titre « Mon âme est triste jusqu'à la mort », est emprunté à la parole du Christ se rendant au jardin de Gethsémani. L'atmosphère méditative est soulignée par un discours qui n'offre que peu d'accents. Il progresse peu quoique l'harmonie soit tendue. Le recueillement fait penser aux Sept dernières paroles du Christ en croix de Joseph Haydn. Les Diotima en rendent la formidable intensité. Auprès de ces deux pièces, le Quatuor de Debussy apparaît comme un Boudin comparé à un petit maître (encore que celui-ci ne soit pas à dédaigner puisqu'il peut orner les murs de nos salons). Le Quatuor de Claude de France est un des morceaux choisis du répertoire. Il respire le génie de la première à la dernière note et depuis sa création en 1893 par le Quatuor Ysaÿe, sa suprématie ne s'est jamais démentie, aux côtés de celui de Ravel. Les Diotima en donnent une exécution proche de l'idéal : équilibre parfait des voix au premier mouvement « animé et décidé », révélant cette clarté louée par Paul Dukas (« Tout est clair et nettement dessiné ») ; mordant au suivant « assez vif et bien rythmé, » les pizzicatos d'une précision extraordinaire, sans dureté, et le ton juste dans les subtiles transitions ; serein épanchement dans l'andantino « doucement expressif », ce type de marque si essentiellement française pour signifier la douceur aérienne, sans effet d'apesanteur pourtant. L'introduction par le second violon est finement expressive précisément et l'alto de Franck Chevalier lui donne une réplique on ne peut plus poétique : Un grand moment. Le finale « très modéré », ne le sera pas tant : un brin agité, montrant les audaces d'un musicien qui n'hésite pas à s'affranchir des conventions du genre, mais combien suprêmement joué. Les Diotima montrent, s'il en était encore besoin, leur suprématie dans ce répertoire gallique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Paradis et la Péri de Schumann au Festival de Saint-Denis

 

Robert SCHUMANN : Das Paradis und die Peri. Dichtung (Poème) en trois parties. Texte tiré de Lalla Rookh de Thomas Moore. Marita Sǿlberg, Marta Boberska, Karine Deshayes, Frédéric Antoun, Ben Johnson, Edwin Crossley-Mercer. Chœur de  Radio France. Orchestre National de France, dir. Jérémie Rhorer. Basilique de Saint-Denis.

 


Jérémie Rhorer ©Festival de Saint-Denis

 

Le concert d'ouverture du Festival de Saint-Denis offrait l'occasion d'entendre le rare Le Paradis et la Péri op. 50 de Schumann. Créé en 1843 à Leipzig sous la direction du compositeur, l'œuvre appartient au genre de l'oratorio profane, plus exactement le Märchen oratorium (conte oratorio). Élisabeth Brisson remarque qu'«elle est de facture inhabituelle, correspondant à un nouveau genre, ''neue Genre'', voulu par Schumann qui la dénomme ''Dichtung'' (Poésie) et non oratorio » (Cf. NL de 5/2015, in ''Paroles d'auteur''). Schumann a puisé dans un texte du philosophe, humaniste et théologien Thomas Moore (1478-1535 ), Lalla Rookh, conte initiatique, lui-même emprunté à la mythologie arabo-perse, qui traite le thème de la rédemption. La Péri, chassée du Paradis, espère y retrouver sa place. Mais elle ne le pourra qu'en rapportant des contrées terrestres une offrande digne des dieux. Ce que ne seront pas le sang d'un héros hindou, non plus que l'amour sacrificiel d'une vierge égyptienne, mais bien les larmes d'un criminel syrien – l'Homme – se repentant à la vue d'un enfant en prière. Ce présent seul permet le rachat. L'œuvre s'inscrit dans la ligné des sujets d'inspiration féminine qui soutiennent tant de pièces du musicien : L'Amour et la Vie d'une femme, puis les Scènes de Faust avec le personnage de Gretchen, ou encore le Lied de Mignon. De par sa portée symbolique, Le Paradis et la Péri se rattache à un courant né avec La Flûte enchantée de Mozart. Y fleure un délicat exotisme qui était alors en vogue. On remarquera que la pièce de Schumann est contemporaine de celle du français Félicien David, Le Désert (1844), qui elle aussi capte si bien ces atmosphères envoûtantes d'un Orient aussi imaginé que vécu. Ce qui se traduit dans le cas présent par une orchestration irradiant la lumière, même si elle fait appel à une formation riche de trombones, cors, ophicléide, et nombreuses percussions. Une vraie fluidité sonore parcourt ses trois parties. Si la trame n'est pas spécialement dramatique, du moins la pièce respire-t-elle une vraie unité. C'est que le langage offre une sorte de continuum de style arioso qui englobe récitatifs et arias, et unit solos et ensembles dont un quatuor vocal et une importante participation du chœur. L'un des protagonistes, le ténor, se voit offrir un rôle de récitant, une sorte d'Évangéliste séculier. C'est sans doute la partie la plus achevée avec celle de La Péri qui au fil de ses diverses interventions, voit son destin se modifier jusqu'à ce trait final « J'ai accompli mon œuvre » sur contrepoint du chœur des bienheureux. L'exécution qu'en donne Jérémie Rohrer offre ceci d'intéressant  qu'elle mêle adroitement vigueur du geste et lyrisme soutenu. Et fait ressortir ce souci d'unité qui distingue l'œuvre au fil de ses diverses parties. Vues dans la continuité, car elles se succèdent sans hiatus, elles alternent climats puissants (fin de la Première partie) ou apaisés : ceux qui marquent plus d'une intervention du Ténor solo ou de l'Ange. Si la contribution du Chœur de Radio France ne passe pas pour la plus marquante du fait d'une diction touffue que l'acoustique de la Basilique de Saint-Denis n'aide pas, la prestation de l'Orchestre National est à louer, en particulier pour ce qui est de la section des bois et de la belle plasticité des cordes. Les sept solistes forment un plateau harmonieux dont se détachent deux voix : celle mordorée de Karine Deshayes - quelques jours seulement après sa belle prestation dans Uthal à Versailles - tour à tour Alt-solo et l'Ange, et surtout celle solaire de Frédéric Antoun, Tenor solo, à l'élocution aisée et au style remarquable. Chacune de ses interventions est un moment de bonheur. Marita Sǿlberg prête à La Péri des accents lumineux dans une partie délicate dont elle s'acquitte avec aise et une belle sensibilité.

 

Jean-Pierre Robert.

 

La « Dernière nuit » ou des funérailles musico théâtrales

 


La Cappella Mediterranea et Leonardo Garcia Alarcon

©Festival de Saint-Denis

 

Est-il plus majestueux endroit que la basilique de Saint-Denis pour présenter une évocation de ce que furent au XVII ème siècle des funérailles royales ? « La dernière nuit » se veut un ''concert théâtral'', concept inédit qui se propose d'illustrer par « un dialogue imaginaire avec la musique » selon Mathieu Coblentz et Jean Bellorni, auteurs de la mise en scène, les cérémonies funéraires au temps de Louis XIV : leur faste, ces vrais Pompes funèbres, leur aspect spectaculaire et ce mélange de déploration et de verve théâtrale. Les auteurs et le chef Leonardo Garcia Alarcon ont pris pour point de départ ce qui fut organisé en 1683 pour les obsèques de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, à Saint-Denis précisément. On y présenta semble-t-il ce qui ressemblait à un véritable spectacle autour de la dépouille de le souveraine. Qui alliait musique, lecture de textes, mise en scène au sein de l'église dont le vaste espace était complétement investi. Le présent ''spectacle'' fait voisiner la Missa pro defunctis ou Requiem de Picard Charles d'Helfer (1598-1661) avec des morceaux en plain-chant et deux motets de Lully, Dies Irae et De Profundis. Ces musiques sont complétées de la déclamation d'oraisons funèbres, voire d'autres textes de veine plus séculière. Il débute et se clôt par un Plain-chant qui, surgi du lointain, se déplace peu à peu dans la basilique et en particulier autour d'un lutrin à hauteur du Chœur pour, à la fin, s'éteindre de nouveau dans le lointain et s'achever dans le silence. Puis interviendront les divers séquences de la Messe d'Helfter et les deux Motets de Lully. Ils seront entrecoupés de trois intermèdes, sur des textes empruntés à l'Oraison funèbre de Louis XIV, des épitaphes anonymes publiés entre 1715 et 1789, un extrait du Livre de Job, et enfin des passages du Sermon de Bossuet. Le résultat est plus qu'intéressant car l'alternance musique texte vient naturellement avec de courtes pauses, et grâce à une habile spacialisation utilisant le cadre de la basilique dans ses vastes dimensions : on a pour ce faire disposé le public, non pas face à la tribune d'orgue, mais en deux rangées latérales se faisant face, comme au Parlement de Westminster, et ménagé une grande allée centrale sur laquelle vont évoluer les choristes ou les acteurs de la partie théâtrale. Cette dernière est quelque peu inattendue : deux acteurs, une femme, un homme, lui pédalant sur une bicyclette tirant un petit attelage où elle est installée, évoluent sur des praticables surélevés en forme de catafalques véhiculés par trois croque morts plus vrais que nature... Le parti pris est de traiter les textes, les deux premiers du moins, sur le mode ironique et de les « moderniser », introduisant un amusant décalage avec la cérémonial ambiant. On y remarque des phrases bien senties comme « Dieu paraît tout ce qu'il est, et l'homme n'est plus rien de tout ce qu'il croyait être », car « la pelletée de terre...rappelle aux rois et aux empereurs comme aux plus humbles de leurs sujets la destinée commune à tous ». Des épitaphes on retiendra celle-ci : « Ci-gît Louis le Grand. Il avait le cœur d'Alexandre ; la mort n'a pris ce conquérant que quand il n'eut plus rien à prendre. » Car « ci-dessous est inhumé Qui, supprimant, fut supprimé ». La parole du bon peuple n'est pas toujours amène ! On passera sur quelque concession à une « modernité » paupérisée, du couple cassant la croûte en devisant sur la vanité du destin royal, pour souligner la qualité de la diction et l'empathie de deux comédiens, Samuel Glaumé et Sophie Botte, dans les extraits du Sermon de Bossuet sur l'« étrange faiblesse de l'esprit humain » qui « aime mieux être aveugle que de connaître son faible », et cette interrogation si poignante : « Qu'est-ce que notre être ? » car « Que la place est petite que nous occupons en ce monde ! » Cette morale replace alors le ''concert théâtral'' dans son contexte de déploration, voire d'hommage au royal défunt. L'ultime Psalmus De Profundis de Lully, alors que seules demeurent éclairées les voûtes de la basilique, et une image qui porte fort. L'exécution musicale est de la plus haute tenue. Leonardo Garcia Alarcon sait ce que ces musiques signifient d'abîme de réflexion et la prestation de son ensemble de la Cappella Mediterranea / Orchestre Millenium est un plaisir sans mélange. Tant l'Ensemble Vox Cantoris, dans la messe dont les paroles sont prononcées en latin francisé, que le Chœur  de Chambre de Namur pour le Plain-chant, offrant une beauté d'émission magique, assurent le concert d'une compétence à couper le souffle. Des cinq solistes émérites, on détachera la basse d'une douceur de ton enchanteresse de Joao Fernandez et le haute-contre de Mathias Vidal, timbre solaire, voix inextinguible. Une soirée inédite et passionnante.

 

Jean-Pierre Robert.

 

L'Orchestre du Tonhalle et son chef Lionel Bringuier

 


La salle et l'Orchestre du Tonhalle ©Francesca Camilla Bruno

 

Pour le concert d'ouverture du Festival de Zurich 2015, manifestation célébrant durant un mois tous les arts, l'Orchestre du Tonhalle s'était « mis sur son 31 ». Cette formation fondée en 1868, qui eut pour directeurs musicaux des chefs illustres comme Hans Rosbaud, Rudolf Kempe et plus récemment et pendant presque vingt ans, David Zinman, a choisi en 2014 de confier les rênes à un jeune chef français Lionel Bringiuer. Le niçois (*1986), bardé d'une « Mention très bien à l'unanimité » au sortir du CNSMP en 2004, et vainqueur du 49 ème concours de chefs d'orchestre de Besançon, possède un talent hors du commun. Le « mariage » avec l'orchestre  zurichois sera d'emblée une réussite et un an après le résultat est là : une complicité manifeste avec ses musiciens, un accueil public enthousiaste. L'emphase portée sur le répertoire français, peu joué ici, a sans doute surpris, mais a vite été acceptée, au point que les Ravel donnés au fil de la saison (dont les deux concertos avec Yuja Wang !) et de la prochaine seront les fleurons d'une intégrale discographique réalisée pour la firme DG. Le geste est simple, sans fioritures, l'intention vraie, et on sent l'empathie avec les musiciens. Le programme de cet « Eröffnungskonzert » était quelque peu étrange puisque réunissant deux pièces orchestrales en forme d'ouverture précédant le Concerto de violon de Beethoven. Il faut sans doute attribuer cet assortiment à la satisfaction du thème d'année du festival, qui met à l'honneur Shakespeare, plus précisément « Geld macht Liebe » ( L'amour et la puissance de l'argent) et « Shakespeare et d'autres puissances ». En l'occurrence, l'Ouverture fantaisie Roméo et Juliette de Tchaikovski cadre parfaitement avec la thématique. Moins, sans doute, le poème Finlandia de Sibelius, sauf à y voir une manifestation de la puissance  du destin dans le rêve de liberté qu'il véhicule, non étrangère à la cosmogonie shakespearienne. Quant au concerto de Beethoven, sa singularité peut-être lui vaut-elle de croiser ladite thématique. Plus prosaïquement, la présence d'une star de l'archet, en la personne de Julia Fischer justifiait à elle seule ce choix.

 

Écrit en 1899, le poème symphonique pour orchestre Finlandia, op 26, Sibelius le pense  comme les « tableaux vivants du passé finnois et de sa mythologie ». C'est selon la belle formule de Gérard Denizeau, un « hymne à une indépendance refusée par les tsars » (in « L'énigme Sibelius », NL de 2/2015). Son épisode hymnique central le manifeste on ne peut plus hautement. Lionel Bringuier aborde gravement le début sombre (« La Finlande s'éveille ») pour mieux préparer la survenance de cet épisode brûlant, bardé de trompettes et de trombones éclatants mais sévères. Autres climats avec la Fantäsie-Ouverture Romeo und Julia. Ce beau morceau d'orchestre est le succédané d'un opéra qui ne vit pas le jour, projet pourtant caressé par Tchaikovski dès mai 1878, à la lecture de la pièce. Encore que cette ouverture ait été composée dès 1870. C'est un résumé des faits marquants du drame, qui sans respecter la chronologie des événements, les associe de manière adroite et combine les deux éléments essentiels que sont les luttes fratricides entre les deux clans et le fil d'amour unissant les protagonistes. On savoure ces climats tranchés au fil d'une interprétation qui ne sombre jamais dans un inutile pathos, préserve une clarté de tous les instants et déploie une énergie sympathique entre empoignades et félicité amoureuse, où les premières semblent devoir l'emporter avant que sonne une grande et noble péroraison remettant tout le monde d'accord. Jacques Longchampt remarque (in « La musique au jour le jour », cf. infra '' Le coin bibliographique '') qu'il ne faut pas refuser le plaisir d'apprécier comme la première fois ce que nous croyons trop bien connaître. Cela s'appelle le plaisir combien raffiné de se laisser surprendre... Et c'était bien le cas de cette exécution. La seconde partie du concert offrait le Concerto pour violon de Beethoven. Quelle interprétation là encore ! Julia Fischer en livre une lecture enthousiasmante, intense en même temps raffinée, solaire et suprêmement construite. L'orchestre, réduit à la formation dite classique viennoise, procure un écrin de rêve, car Bringuier dispense un soutien habité, au-delà d'un simple accompagnement attentif, et installe des pianissimos éthérés laissant à la soliste un espace choisi. La cadence de l'allegro initial est pur instant de grâce, avec des trilles d'une finesse proprement inouïe. La reprise des cordes pizzicatos tandis que s'égrène le solo de basson est un moment rare. Le larghetto dispense des joies célestes et le rondo final est proprement magique d'esprit et de goût. Et comment résister à ce sourire échangé avec le chef ! Une souveraine interprétation d'une sobriété assumée, sans excès dans les ralentissements ou velléité de brillance. Plus que dignement fêtée, Julia Fischer donnera un bon quart d'heure de bis, sur le mode virtuose asservi au bon goût, dont des Capricci de Paganini, présent à un public qui visiblement la chérit.

 


Julia Fischer © Decca / Felix Broede

 

On notera que lors d'une tournée européenne, l'Orchestre du Tonhalle et son chef Lionel Bringuier seront à la Philharmonie de Paris le 15 avril 2016. Au programme : la Symphonie N°8 de Dvořák et le Concerto pour piano de Grieg joué  par jean-Yves Thibaudet.

Jean-Pierre Robert.

 

Le marathon des « dernières sonates » par Andras Schiff

 


©Priska Ketterer Lucerne Festival

 

Tant Beethoven que Schubert ont écrit une trilogie finale de sonates pour piano, les opus 109, 110 et 111 du maître de Bonn, les opus D 958, 959 et 960 de l'auteur de La Truite. On peut la jouer chacune en un même concert. On peut aussi imaginer de les rapprocher les unes des autres, et de leur adjoindre les « dernières » de Mozart et de Haydn. C'est ce à quoi s'attache Andras Schiff lors d'une série de trois concerts : rapprocher les ultimes sonates de ces quatre maîtres du classicisme viennois. Si elles sont unies par ce même esprit, elles montrent bien des différences et des points communs saisissants. On sait la vénération vouée par Schubert à Beethoven. Andras Schiff d'expliquer encore, par exemple, que la plus singulière proximité réside entre Haydn et Beethoven, pas seulement parce que l'un fut l'élève de l'autre, mais bien parce que le style de composition favorisé par Beethoven s'inspire du modèle de Haydn, qui fait notamment qu'un motif n'irrigue pas seulement un mouvement entier mais baigne une œuvre dans son ensemble, et parce que les deux musiciens sont unis par certaines idées, comme l'humour. Ce que Schubert ne partage sans doute pas. Il existe aussi un parallèle entre Mozart et Beethoven, ne serait-ce qu'à travers la polyphonie héritée de JS. Bach, ce qui se vérifie dans la Sonate K 576 du premier ; encore que la filiation avec le Cantor ne soit pas toujours visible chez Beethoven. Ainsi le geste consistant à rapprocher ces sonates est-il signifiant, même et surtout en termes de différences : le côté extraverti de celles de Haydn dont deux ont été écrites pour une pianiste virtuose anglaise, l'élément sacré si présent dans les pièces de Beethoven, en particulier dans le mouvement lent de l'opus 109, ou dans la fugue de l'opus 111, les moments d'étonnements qu'on trouve chez Haydn, etc... Et si  chez Mozart les trois dernières sonates ne sont pas conçues comme une triade, elles sont pour autant partagées par un même souci de d'alternance entre lumière et ombre.

 

Le présent concert, le premier de la série, proposait donc les sonates N° 60 de Haydn, l'op 109 de Beethoven, la sonate K 576 de Mozart et la D 958 de Schubert. Schiff joue les deux premières quasi dans la continuité, sauf un court break d'applaudissements, renforçant l'idée même de parenté. La brillante C-Dur Sonate Hob. XVI:50 de Haydn débute par une fantaisie de notes piquées au vol et une brassée de traits d'une stimulante  créativité. L'adagio est grave mais son style d'improvisation est tout aussi singulier, alors que l'interprète le pare d'un toucher d'une étonnante clarté. L'allegro molto final  qui introduit quelque suspense, déploie un sympathique allant. De l'opus 109 de Beethoven Schiff va tracer les interrogations, les énigmes presque, du vivace initial, nous faire savourer un tumultueux Prestissimo, puis un andante à variations tutoyant le sublime, là où se forge les éléments du style futur du compositeur. Le « cantabile ed espressivo » a rarement été aussi en évidence, où effleure furtivement comme un rythme de sarabande baroque. La dernière séquence avant la péroraison atteint des sommets interprétatifs proprement inouïs. Le pianiste ne parle-t-il pas de sa « sonate préférée au sein des 32 » de Beethoven. Le public envoûté retient son souffle et pas le moindre bruit ne vient troubler une exécution de haut vol. La seconde partie unira les sonates de Mozart et de Schubert. La Sonate K 545, dite « Petite sonate pour piano pour les débutants », de juin 1788, est aussi appelée « facile ». Rien de plus étrange, car les difficultés y sont légion : si l'allegro semble couler de source, l'andante va droit au cœur au moment où le thème passe en mineur. Le chant tressé par la main droite est pur bonheur chez Schiff, comme il en va encore au rondo final qui signe, selon les Massin, « la finesse impressionniste du coloris ». Enfin, la Sonate D 958 clôture cet étonnant marathon. Schubert, en 1828, entame sa fameuse trilogie pianistique dans une vraie fièvre créatrice. L'allegro prouve sa dette à Beethoven et en particulier à ses « 32 variations en ut mineur », mais prend vite ses distances avec celui-ci dans un volontaire et tempétueux allegro où le développement découvre des trésors d'inventivité. A l'andante, que Schiff distille tel qu'on conterait une belle histoire, la mélodie sur un rythme balancé de marche lente, s'élance sans hâte qu'interrompt à deux reprises un crescendo véhément. Le bref Menuetto muni de son encore plus court trio, débouche sur un impressionnant finale de par ses vastes proportions : presque un retour à Haydn pour l'esprit primesautier de ses premières mesures, puis une course poursuite emplie de traits obsessionnels, telle une chevauchée effrénée. Andras Schiff survole tout cela de son pianisme souverain, ménageant les contrastes par un toucher qui frôle l'immatériel et une manière ancrée dans le plus pur classicisme viennois. Le concert se prolongera de deux bis empruntés au même Schubert, comme si ce quatuor de sonates ne suffisait pas au plaisir des auditeurs éblouis.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Vivaldi à l'opéra : une dramaturgie insoupçonnée

 

Antonio VIVALDI : La verità in cimento (La vérité mise à l'épreuve). Dramma per musica en trois actes. Livret de Giovaanni Palazzi. Julie Fuchs, Wiebke Lehmkuhl, Christophe Dumaux, Delphine Galou, Anna Goryachova, Richard Croft. Orchestra La Scintilla, dir. Ottavio Dantone. Mise en scène : Jan Philipp Gloger. Opernhaus Zürich.

 

 

Monter un opéra de Vivaldi est chose suffisamment rare pour qu'on se précipite à l'Opernhaus de Zurich pour voir La verità in cimento, d'autant que la distribution en était fort alléchante. Cet opéra a été créé en 1720 au Teatro San' Angelo de Venise. La Sérénissime est alors capitale du luxe et du plaisir, attirant un vaste public quasi international, dirait-on aujourd'hui, dans ses sept maisons d'opéra. Vivaldi y règne en maître et ce « drame en musique » survient dans une période faste pour celui qui est désormais une star de l'opéra céans en sa double casquette d'homme de théâtre avisé et et d'impresario habile. Certes, l'intrigue n'est pas des plus aisées à suivre, mais le public n'en a cure, car ce sont les prouesses vocales qui l'intéresse. Il devra pourtant, comme celui de 2015, faire son affaire de cette histoire de vérité malmenée : un Sultan, Malmud, qui a deux fils, Melindo, de son épouse, et Zelim, avec une dame de passage, doit à l'instigation de cette dernière, se résoudre à révéler la vérité de leurs origines : ils ont grandi avec une fausse mère et celui qu'on pense être l'héritier de l'empire n'est pas qui on croit ; c'est non pas Melindo, mais Zelim qui peut y prétendre. Par ailleurs, Rosane, la fille d'un potentat ennemi, aime passionnément Melindo, quoiqu'elle ait eu une relation avec son demi frère. Au final, Zelim s'effacera et laissera Rosane épouser Melindo. Du moins les didascalies le proclament-elles ! Car la production zurichoise voit les choses dans une toute autre perspective. On était quelque peu inquiet du parti qu'allait suivre son auteur Jan Phlipp Gloger qui signa à Bayreuth une mise en scène plus que déconcertante du Fliegende Holländer. Force est de reconnaître que, cette fois, sa manière suit une certaine logique et n'est pas trop ''décontructiviste''. Encore que... Le sultan devient un riche industriel suisse et son palais une luxueuse villa sur les hauteurs de la ville banquière, comme le montre un décor astucieusement glissant de gauche à droite, découvrant une pièce de réception, la chambre à coucher, un corridor, ou le bureau du propriétaire. La pièce se joue en un huis clos étouffant qui voit une famille se déchirer à belles dents et se complaire dans une violence à peine contenue. On se bouscule les uns les autres, tables et chaises volent rageusement, Melindo dans sa fureur s'en prend aux collections de tableaux du maître de maison qu'il lacère à grands coups de canifs, etc... Celui-ci, devant la catastrophe qu'il a provoquée, en vient à tenter de se suicider en s'enfermant dans sa voiture de luxe dans laquelle il a dirigé les gaz d'échappement... Mais les caractères sont fort habilement typés : Rustena, l'épouse légitime, bardée d'un optimisme béat, adepte du yoga pour voir apaiser les tensions alentours, tombe de haut devant cette vérité assénée et se convertit à l'écologie verte. Damira, l'autre passion du patron, ici la bonne de la maison, fieffée calculatrice, est une furie que rien n'apaise. Les deux fils sont aussi dissemblables que leur ascendance le permet : Melindo, d'abord sur son quant à soi, sûr de son droit, se révèle d'une arrogance farouche dès qu'il s'aperçoit que ce droit ne lui reviendra pas et que Rosane ne peut peut-être plus s'intéresser à lui. Zelim, fagoté en sdf, un peu original, déclencheur de malheurs, ne fait rien pour arranger la situation. Rosane, l'égérie de la maisonnée, par sa beauté et son trop plein d'amour, qui lui fait se pendre de passion pour tous les mâles, voire même le maître des lieux, jeu dangereux, essaie de surnager dans cette tempête familiale. En vain. Car Gloger substitue au lieto fine, un épilogue bien noir : Mamud, bâillonné par Melindo, en est réduit à voir tous se détruire, impuissant. A force de jouer avec son arme à feu, Melindo se tue et Rosane pleure inconsolable sa disparition. Les deux dames aimées par le sultan-entrepreneur sont ravagées qui par le remords, qui par l'aveuglement : Damira devient quasi folle et Rustena est en proie à des visions, donc pas mieux lotie. Zelim reste le seul... Mais, nous dit Gloger, « désillusionné, sans espoir, enfermé dans son orgueil ». Morale : la vérité est-elle toujours bonne à dire ? Ou mieux : ne dites jamais la vérité ! En tout cas voilà une perspicace variation sur une thématique à la dramaturgie porteuse. Et des images fortes auxquelles une direction d'acteurs sentie confère un poids certain, sans parler d'une piquante charge de la société bourgeoise helvétique.

 

 

Il fallait une distribution capable de tenir le choc. Le sextuor réuni par l'Opéra de Zurich ne connait pas la moindre faille. Et on se plait à voir que trois français y triomphent. Et que les timbres graves sont à égale proportion avec les plus ''légers'' :  trois voix féminines dans le registre mezzo, dont un rôle travesti, et trois parties plus ''aiguës'', dont deux ténors et une soprano. Richard Croft, dans son statut enviable de vétéran, a encore beaucoup à offrir : ce style élégant qu'on lui connait et une composition modèle d'intelligence. Wiebke Lehkmuhl, qui s'affirme à chaque apparition comme une valeur sûre dans le répertoire de mezzo, offre une vocalité pleine et riche, et un portrait d'un amusant naturel de la femme épouse rangée, maitresse de maison soucieuse de tout, qui sombre dans les affres que l'on sait. Anna Goryachova, hier Macha des Trois Soeurs de Peter Eötvös, livre du rôle de Zelim une superbe composition, garçon manqué, façon loubard, projeté dans cette ambiance si policée, et la voix est inextinguible. Delphine Galou, autre timbre de mezzo ductile et engagé, fait son miel des arias de Damira, et offre de la femme-furie un étonnant portrait, se dépensant sans compter. On ne lui connaissait pas un tel abattage. Le Melindo du contre ténor Christophe Dumaux est lui aussi un parangon de vertus. Que de chemin parcouru depuis sa prestation en Tolomeo dans le Giulio Cesare de Haendel à Glyndebourne ! Le timbre qui se rapproche de celui de Dominique Visse, offre cette acidité tranchante qui sied  à un personnage qui va semer la terreur in loco. Là encore une formidable assomption. Enfin, Julie Fuchs, Rosane, assume sans barguigner une sorte de statut de star ici, de « Shooting Star ». Sa deuxième année de résidence dans la troupe de l'Opernhaus lui a permis de peaufiner son métier. Et cela en est passe de devenir gagnant. L'accueil triomphal du public le prouve. Quelques grands noms ne sont-ils pas passés par là, un certain Jonas Kaufmann pour ne citer que lui... Les arias sont abordées avec maitrise et sensibilité, et le jeu d'une parfaite aisance pour celle qui déclare aimer tant se surprendre elle-même par les figures auxquelles elle prête vie. La partie musicale dans tout cela ? Elle ravit l'oreille à chaque instant. Ottavio Dantone connait son répertorie italien et l'univers de Vivaldi en l'occurrence. Sa battue est souple, fuyant un traitement aux arêtes vives comme souvent chez ses collègues, et les sonorités de l'Orchestra La Scintilla en ressortent magnifiées. Cela chante et permet aux chanteurs de s'exprimer aisément dans les arias mais aussi lors de deux ensembles qui font le prix de ce dramma per musica : le Terzetto du Ier acte réunissant Rosane, Zelim et Melindo, moment de persiflage doux-amer, et le Quintette qui clôt le II ème, scène de la reconnaissance où chacun découvre sa vraie-fausse identité, chef d'œuvre de verve vivaldienne.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Le suprême chant mahlérien de Bernard Haitink

 


©Iroyuki Ito / Getty Images

 

La résidence parisienne du LSO nous aura convié à une soirée exceptionnelle à la Philharmonie de Paris. Bernard Haitink était au pupitre. Tel un sage de la musique à l'automne d'une longue et riche carrière, il revient à la quintessence des grandes partitions. Le Troisième Concerto de violon de Mozart ouvrait le concert, joué par Alina Ibragimova. Cette interprète qu'on associe plus aux intimités de la musique de chambre – en partenariat avec Cédric Tiberghien en particulier - qu'au grand lustre du concerto, livre une exécution limpide et sensible de cette pièce où Mozart semble prendre ses distances avec le style galant que la forme lui impose encore. Les tempos non métronomiques adoptés par Haitink permettent une intéressante liberté du discours, dégagé de tout carcan rigide, en particulier à l'allegro et ses réponses inattendues de l'orchestre au soliste. L'adagio coule une cantilène délicieusement mélancolique couronnée par une cadence hautement pensée pianissimo. Le ''rondeau'' final est mené avec entrain sans excès de précipitation, chef d'œuvre de goût et de raffinement sous les doigts de la violoniste. Mozart fait ici sienne la manière française du « pot-pourri » aussi bien thématique que rythmique et c'est pure joie que le défilement des intermèdes variés et des reprises du refrain. Une magnifique exécution que la violoniste prolonge d'un bis connu emprunté à JS. Bach, au grand plaisir de ses auditeurs. La Première symphonie de Mahler allait donner au concert une autre dimension, et l'acoustique de la salle, une peu trop large pour la pièce de Mozart, se révéler, de par sa vaste résonance, le parfait medium de la magie sonore de cette épopée titanesque. On se demande ce que chef et musiciens auront pensé du résultat comparé à l'exécution, la veille, au Barbican de Londres. Enfin, à Paris, entend-on Mahler comme il doit sonner ! La vision du grand chef néerlandais, qui dirige cette œuvre depuis des lustres, et le fit notamment à Amsterdam avec le Concertgebouworkest, héritier d'une immense tradition interprétative mahlérienne, frappe d'abord par sa lisibilité, son absence de pathos inutile, grâce à une approche absolument naturelle des transitions, et des contrastes qui ne paraissant jamais ''fabriqués''. Ainsi en est-il, par exemple, entre le pianissimo éthéré des cordes aiguës du début du premier mouvement et ce lent crescendo menant à la lumière éclatante, entre la constance de la pédale de grave d'un appareil orchestral comme en sommeil vigilant et des sautes d'humeur en éclats dévastateurs. Ensuite par un souci d'équilibre des masses, qui permet de détacher les traits solistes, si importants chez Mahler. Le sens de la couleur encore, des bois, des cuivres, de cordes utilisées si différemment, tels les pizzicatos de contrebasses. Faut-il détailler les bonheurs de cette interprétation souveraine qui émeut comme la première fois ! Car l'émotion nait de cette évidente simplicité, fruit d'une maitrise combien pensée du langage de cette symphonie, premier chef d'œuvre, première vraie plongée dans un univers somptueux, étrange et fantastique. Quelques remarques glanées au long de ces pages : le pianissimo éthéré des cordes aiguës du début du premier mouvement, éveil de la nature, dont se détachent les « bruits » enamourés des bois, puis le climat recueilli du tempo « lent et trainant » exigé par Mahler, le scherzo marqué « vigoureusement animé », ici merveille d'esprit, et ce merveilleux contraste lorsque sonne le solo du cor, ou encore le trio en forme de Landler entamant un bénéfique moment de détente. De la « chanson de Frère Jacques » du troisième mouvement, Haitink trace la démarche bonhomme, combien idiomatique de la manière du compositeur, tirant de son contrebassiste solo une sonorité envoûtante, et lorsque la couleur change par l'intervention des hautbois, la mélopée tzigane, « Mit Parodie », prend une saveur douloureuse. L'impressionnant finale couronnera cette exécution titanesque, introduit par le coup de tonnerre de cymbale, inouï dans cet auditorium. Le discours sera résolu, héroïque, là encore sans sollicitation, avec de nouveau ces vastes crescendos, où le torrent d'abord retenu, est lâché dans une immense effusion, ou encore la péroraison martiale. L'époustouflante qualité instrumentale du LSO achève de conférer à cette interprétation une aura d'absolue grandeur. A l'écoute de cette phalange, au mieux de sa forme, on comprend pourquoi Sir Simon Rattle l'a choisie pour sa retraite berlinoise !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Christian Gerhaher chante Mahler : La référence !

 


Christian Gerhaher & Gerold Huber ©Silvia Lelli/Salzburger Festspiele

 

Un récital du célèbre baryton allemand Christian Gerhaher accompagné par le pianiste Gerold Huber dans le cadre d'un week end entier consacré au Lied par la Philharmonie de Paris. Intéressant concert quand on sait l'importance du Lied dans l'œuvre de Gustav Mahler, à la fois en tant que corpus, dont le programme ce soir donna un large aperçu, mais également comme source d'inspiration symphonique. Au programme : les Lieder eines fahrenden Gesellen (Les Chants d'un compagnon errant) que Mahler composa alors qu'il était chef à Kassel, dans les suites d'un amour déçu pour Johanna Richter, comprenant quatre lieder sur le thème de l'itinérance, comparable par certains points au Voyage d'hiver de Schubert. Le premier lied est fondé sur le Wunderhorn, les trois derniers s'appuient sur des textes du compositeur et clament une amère désillusion. Dans ce cycle, le premier lied « Wenn mein Schatz Hochzeit macht » parut manquer de recueillement soutenu par un jeu pianistique assez maniéré, le deuxième « Ging heut'morgen über's Feld » fut pris sur un tempo un peu lent, le troisième « Ich hab'ein glühend Messer », très engagé, et le quatrième « Die zwei blauen Augen » parurent les plus réussis, alliant dans un savant mélange effroi, désolation et consolation. Vinrent ensuite une sélection de dix Lieder extraits du Knaben Wunderhorn (Cor merveilleux de l'enfant) un recueil de textes populaires datant des XVII & XVIIIe siècles, collectés au XIXe par Arnim et Brentano dont Mahler s'inspira dans la rédaction de ses quatre premières symphonies. Alliance de candeur populaire et de musique savante, ils furent magistralement interprétés vocalement, accompagnés par un piano très complice,  permettant à Christian Gerhaher de faire montre de tout son talent vocal et expressif dans des climats très différents tantôt joyeux mystérieux ou insouciants, tantôt dramatiques, ironiques ou subversifs. Ce récital se conclut sur ce qui fut, sans doute, le meilleur moment du concert avec les Kindertotenlieder (Chants des enfants morts) sur des textes de Friedrich Rückert, écrits par le poète à la suite de la perte de deux de ses enfants emportés par la maladie à quelques semaines d'intervalle. Ces cinq lieder composés entre 1901 et 1904, paradoxalement à un moment où le bonheur semblait sourire à Mahler, ont pris pour certains une valeur prémonitoire car Mahler perdra à son tour sa fille ainée quelques temps plus tard, en 1907. Ces textes terrifiants, redoutés par Alma qui y voyait comme une sorte d'appel à la fatalité, sont considérés par certains comme le plus grand chant funèbre de la littérature mondiale. La musique de Mahler y développe une atmosphère pesante, immobile et oppressante, imprégnée de deuil avant de se conclure dans la sérénité illusoire d'une berceuse. Encore une fois Christian Gerhaher parvint à en saisir toute l'ambigüité, la lenteur obsessive et douloureuse, la thématique funèbre parcourant  sans relâche des paysages sonores vides et désolés. Un récital qui remporta un succès mérité pour un interprète qui demeure une référence en matière de chant mahlérien. La plupart des Lieder interprétés ce soir furent secondairement orchestrés par Mahler lui-même, ou par d'autres compositeurs. Pour ceux qui voudraient les retrouver au disque, signalons simplement l'enregistrement de Christian Gerhaher avec l'Orchestre Symphonique de Montréal, dirigé par Kent Nagano, paru chez Sony Classicals en 2013.

 

Patrice Imbaud.

 

Un moment de pure poésie : Les Heine-Lieder chantés par Manuel Walser

 


Manuel Walser ©Thomas Walser

 


Thomas Quasthoff / DR

 

Dans le cadre idéal et intimiste de l'Amphithéâtre de la Philharmonie de Paris, le célèbre baryton basse Thomas Quasthoff officiait un tant que récitant dans le concert donné par son élève, le baryton suisse Manuel Walser (*1989), lauréat en 2013 du concours international « Das Lied » de Berlin. Un prix qui lui permettra d'intégrer tout prochainement la troupe de la Staatsoper de Vienne, et un talent indiscutable comme en témoigna le moment de pure magie musicale qu'il nous offrit à l'occasion de ce récital consacré entièrement aux lieder composés par Liszt et Schumann sur des textes de Heinrich Heine. Heinrich Heine (1797-1856) fut l'un des plus grands écrivains allemands du XIXe siècle. Dernier poète romantique, mais également journaliste, satiriste, polémiste, il fut le poète de langue allemande le plus mis en musique puisqu'on dénombre plus de huit cents Lieder composés sur ses textes.  En 1821, la publication du Buch der Lieder lui valut la célébrité auprès du monde musical. Sa collaboration avec Schubert fut courte, à l'inverse de celle qu'il entreprit avec Schumann qui culmina avec le Liederkreis op. 24 et la Dichterliebe (Amours du poète) (1844). Pour cette soirée, un programme remarquablement construit comprenant des Lieder de Schumann et Liszt, quelques poèmes de Heine merveilleusement déclamés par Thomas Quasthoff, avant de conclure sur le splendide cycle des Amours du poète. Un cycle où le jeu pianistique superlatif de Justus Zeyen prit toute son importance, à la fois dans l'accompagnement du chanteur mais également dans le lien unificateur établi entre les différents lieder, leur donnant ainsi une unité et un impact émotionnel majeur. Un ensemble de chants d'espoir et d'adoration bientôt assombris par la trahison de la bien aimée, oscillant alors entre morne désespoir et douleur fiévreuse, se concluant dans le calme et la tristesse. Moment magique, moment de poésie pure surement, mais également moment d'étonnement avec la découverte surprenante du jeune baryton suisse, Manuel Walser à qui rien ne manque, tant au niveau de l'interprétation et de l'engagement scénique, que de la technique vocale. Puissance, diction parfaite, souplesse de la ligne, beauté du timbre, tessiture étendue, graves profonds, aigus filés, engagement et présence scénique… que demander de plus ? Un baryton dont on reparlera bientôt ! Un talent à suivre.

 

Patrice Imbaud.

 

La lecture originale de la titanesque Turangalîla-Symphonie

 

©Katja Tähjä

 

La monumentale symphonie d'Olivier Messiaen est toujours un moment exaltant mais périlleux pour les musiciens, cela expliquant probablement la rareté de son exécution en concert. On se souvient de la fameuse interprétation de Marris Jansons avec son Orchestre de la Radio Bavaroise dans cette même salle, l'année passée, avec le pianiste Jean-Yves Thibaudet en soliste. Pour cette année, Michel Franck avait bien fait les choses, confiant la prestation à une célèbre phalange londonienne, le Philharmonia Orchestra, dirigée par son chef principal, Esa-Pekka Salonen, assisté de Pierre-Laurent Aimard au piano, spécialiste de Messiaen et ancien élève d'Yvonne Loriot, et avec Valérie Hartmann-Claverie aux ondes Martenot, elle aussi familière de cet univers. Une affiche de choix et une œuvre attendue expliquant sans doute l'affluence du public avenue Montaigne. Une œuvre monumentale que cette Turangalîla-Symphonie, commande de Serge Koussevitsky pour l'Orchestre Symphonique de Boston. Composée entre 1946 et 1948, la partition de 429 pages, 2683 mesures et un découpage en 10 mouvements, pour un orchestre de 103 musiciens et une durée de 80 minutes, sera créée en 1949 par le jeune Leonard Bernstein à Boston. Avant d'être reprise en 1954, dans son intégralité, au Théâtre des Champs-Elysées, avec Yvonne Loriod au piano et sa sœur Jeanne aux ondes Martenot. Le titre lui-même en confirme la dimension titanesque, signifiant en sanscrit, le cycle, le jeu de l'amour et de la mort, le temps, le mouvement et le rythme…Un orchestre énorme avec un instrumentarium des plus variés comprenant force de cuivres et percussions, ainsi que trois claviers (célesta, jeu de timbres et vibraphone) qui renforcent les jeux du piano et des ondes Martenot. Une œuvre gigantesque, parcourue par des thèmes récurrents (thème-statue brutal et terrifiant entonné fortissimo par les trombones, l'image de la fleur jouée par les clarinettes, la mélodie d'amour inspirée de la légende de Tristan & Iseult, et enfin un quatrième thème tout en accords). Une partition découpée en 10 mouvements alternant tension, lyrisme, chants d'oiseaux, passion, danse frénétique, drame, violence et poésie. Une symphonie hors norme, unique, pouvant donner lieu à plusieurs niveaux d'interprétation se résolvant dans une sorte d'épiphanie…Cette œuvre exceptionnelle s'inscrit dans une grande trilogie sur le thème de l'Amour, comprenant Harawi, histoire d'un amour malheureux ne trouvant sa réalisation que dans la mort, Cinq Rechants et la Turangalîla. Un triptyque consacré à l'Amour, de forme cyclique, les pièces V et VI (Joie du sang dans les étoiles et Jardin du sommeil d'amour) en constituant le cœur où se lit en filigrane le souvenir des amours du compositeur, Claire Delbos, sa première épouse, Yvonne Loriot, la seconde, qui inspira les Cinq Rechants, un amour transcendé par le mythe de Tristan & Iseult, qui trouvera, chez ce compositeur éminemment chrétien, son sublime  aboutissement dans l'amour de Dieu. Comme on le voit, une œuvre aux multiples facettes, source d'autant de ressentis et d'interprétations différentes.

 

La lecture d'Esa-Pekka Salonen nous parut, sans aucun doute défendable, bien qu'assurément originale, s'inscrivant assez loin de la vision plus spiritualisée et éthérée du compositeur, pour y préférer une interprétation plus primitive, proche de la transe et du rituel barbare, aux accents stravinskiens (Le Sacre n'est pas loin) mâtinés d'intonations jazzy, accentuées par la battue très souple et le déhanchement du chef finlandais lui donnant parfois des allures de Glenn Miller ! Un Messiaen comme on l'entend rarement, très rythmé, mené avec une force tellurique parfois assourdissante, masquant par instant l'admirable jeu de Pierre-Laurent Aimard au piano, un Messiaen peut-être un peu hollywoodien qui ne manquera pas de choquer certains puristes…

 

Patrice Imbaud.

 

Klaus Florian Vogt insurpassable !

 


Klaus Florian Vogt & Andris Nelsons ©Priska Ketterer Lucerne Festival

 

Le ténor Klaus Florian Vogt semble aujourd'hui la référence vocale incontournable dans les rôles de Stolzing des Maîtres chanteurs de Nuremberg, d'Erik du Vaisseau fantôme, de Loge de l'Or du Rhin, de Siegmund de la Walkyrie, de Parsifal, mais surtout de Lohengrin où son timbre si particulier le rend insurpassable. Il était associé pour ce mini récital au talentueux et bouillonnant chef letton Andris Nelsons, également habitué de Bayreuth, qui effectue, ici, sa dernière tournée européenne à la tête de son Orchestre Symphonique de la ville de Birmingham. Un programme comprenant Wagner et Dvořák : L'Enchantement du Vendredi Saint, « Amfortas ! Die Wunde ! », « Nur eine Waffe taugt » extraits de Parsifal, puis le Prélude à l'acte III, « Höchstes Vertrauen hast Du mir schon zu danken » et « In fermen Land » extraits de Lohengrin qui permettaient au ténor allemand de prendre peu a peu la mesure de l'orchestre, dirigé de façon magistrale par Andris Nelsons, soucieux de faire ressortir toutes les nuances et couleurs de l'orchestration wagnérienne dans une parfaite symbiose avec le chanteur. Au plan vocal, la magie opéra dans le passage du père au fils pour culminer dans l'air de Lohengrin où le héros se révèle. Timbre rond, éthéré, alliant fragilité et héroïsme, projection puissante, diction parfaite, souplesse du phrasé pour une interprétation d'anthologie. En bis il donna un superbe « Winterstürme wichen dem Wonnemond » de Siegmund, tiré du premier acte de la Walkyrie. En deuxième partie, la Symphonie n° 7 d'Anton Dvořák, composée en 1885, dans un savant mélange d'inspiration slave et de germanisme, dédiée à Hans von Bülow qui en devint l'interprète de choix. Là encore la direction savante et atypique du chef letton parvint à nous faire partager la gravité et la poésie du premier mouvement,  le lyrisme et la piété du deuxième, l'inspiration folklorique du troisième et la sensibilité tzigane du quatrième. Une belle lecture de l'œuvre, une direction totalement impliquée, mais un orchestre qui montra parfois ses limites, non pas  tant au niveau des cordes qu'au niveau des bois et des cuivres dont la sonorité fut parfois agressive et sans rondeur. Une  très belle soirée tout de même !

 

Patrice Imbaud.

 

Yannick Nézet-Séguin et Emmanuel Ax, un duo gagnant

 


Yannick Nézet-Séguin ©Chris Lee

 

Le jeune chef québécois Yannick Nézet-Séguin est décidément très présent avenue Montaigne, ces temps-ci. Présent sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, il y a seulement quelques jours avec son Orchestre de Rotterdam, le voilà de nouveau dans les lieux avec, cette fois, l'Orchestre de Philadelphie dont il est également le nouveau directeur musical…Talent oblige ! Une affiche alléchante avec en soliste le pianiste américain Emmanuel Ax dans un programme exclusivement viennois associant Brahms, Beethoven et Richard Strauss, dans un ordre quelque peu surprenant. Brahms donc, en première partie avec la Symphonie n° 3, une œuvre composée en 1883, un peu différente des précédentes, peut-être plus subtile dans un mélange d'héroïsme, de tension, de tendresse, de sérénité et de langueur douloureuse. Une complexité de sentiments que le chef canadien ne parviendra à rendre que de façon incomplète. Si  les premier et quatrième mouvements, rapides, furent menés avec justesse et dynamisme, les mouvements centraux, plus lents et plus intériorisés, parurent un peu vides de matière, enrobés d'une lumière crépusculaire donnant l'impression d'une errance mal maitrisée. Le Concerto pour piano n° 3 de Beethoven, fut, à l'inverse, un grand moment de piano. Un jeu, une écoute, une complicité, un plaisir de jouer et une empathie captivante entre soliste et orchestre, le dynamisme de Yannick Nézet-Séguin répondant au jeu superlatif, dans le ton comme dans la note, d'Emmanuel Ax. En bis, un moment rare, soliste et chef partageant le même siège pour jouer à quatre mains la célèbre Valse op. 39 n°15 de Brahms. En deuxième partie de concert, la Suite pour orchestre du Chevalier à la rose fut, sans conteste, le moment où l'orchestration foisonnante de Strauss permit à l'orchestre de se montrer à son meilleur, tant au niveau des cordes somptueuses qu'au niveau des vents, confirmant ainsi sa place méritée parmi les « Big Five » américains. Nul doute qu'avec un chef aussi talentueux, s'inscrivant dans la droite ligne de ses illustres prédécesseurs (Stokowski, Ormandy, Sawallisch, Muti) cette prestigieuse phalange voit l'avenir sous un ciel serein.

 

Patrice Imbaud.

 

Myung-Whun Chung et le « Philhar »: Quinze ans d'histoire

 


©Jean-François Leclercq

 

Un moment un peu exceptionnel et émouvant que ce dernier concert du chef coréen donné dans le Grand Auditorium, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France qu'il dirigea de 2000 à 2015. Un concert au terme duquel lui furent remis par Mathieu Gallet, la médaille et le titre de directeur musical honoraire de la phalange parisienne, remerciements de quinze années de passion et d'exigence Sans revenir sur une si longue histoire, il convient toutefois de signaler la complicité certaine, établie de longue date entre chef et musiciens, ainsi que l'importance du travail effectué, en terme d'excellence musicale et de pédagogie, faisant du Philhar un orchestre, aujourd'hui, de réputation internationale. Une soirée de gala expliquant la présence d'un public nombreux pour ce concert comprenant le Premier Concerto pour violon et orchestre de Max Bruch (1838-1920) interprété de façon exemplaire par le violoniste israélo-américain Gil Shaham, suivi de la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler (1860-1911). Très présent sur les scènes parisiennes, chaque prestation de Gil Shaham est un morceau d'anthologie violonistique. Personnalité sympathique, charisme et immense talent musical sont sans doute ses atouts majeurs. Le Concert pour violon de Bruch, composé en 1864, puis révisé et créé dans sa forme définitive par Joseph Joachim en 1868, fait assurément partie des grands concertos romantiques allemands au même titre que ceux de Beethoven, de Brahms  ou de Mendelssohn. Il fournit une lumineuse première partie à cette soirée par son dynamisme, son lyrisme, son équilibre et la complicité entre soliste et orchestre, le chef coréen comme à son habitude dirigeant sans partition et prenant garde de ne jamais couvrir le soliste. Un violon d'une exceptionnelle sonorité (Stradivarius de 1699) et un jeu d'une extrême délicatesse passant de la confidence la plus recueillie à la virtuosité tzigane la plus débridée. Si cette première partie fut indiscutablement un grand moment de violon, notre avis demeurera plus mitigé concernant l'exécution de la Symphonie n° 5 de Mahler dont on aurait préféré une lecture plus cohérente, plus allégée mettant mieux en valeur la richesse de l'orchestration mahlérienne. Composée dans le climat d'amour de son mariage récent avec Alma, mais aussi dans la douleur et l'angoisse faisant suite à une hémorragie intestinale grave, la Cinquième symphonie (1904) est la première symphonie de la trilogie instrumentale centrale (5e, 6e et 7e symphonies) dominée par un sentiment d'ambigüité, d'autant que parfois les forces créatrices semblent submerger le compositeur lui-même : « C'est une œuvre maudite, personne ne la comprend ». Elle comprend cinq mouvements. La marche funèbre inaugurale parut un peu confuse notamment dans les tutti furieux menés par les trompettes et les cuivres, d'autant que cette salle demande du fait de son acoustique délicate plus de mesure et de discernement. L'allegro suivant nous donna à entendre de magnifique cordes sur un ton à la fois solennel et véhément. Le scherzo fut superbement animé par le cor solo et la petite harmonie, l'espièglerie des bois répondant au lyrisme des cordes, sans que le caractère ambigu et grinçant de la partition n'apparaisse vraiment. Le célébrissime adagietto s'ouvrant sur les sonorités des cordes et de la harpe resta dans le superficiel et le convenu, sans profondeur ni recueillement, ne parvenant jamais à nous émouvoir vraiment. Enfin le finale fut de loin le mouvement le plus réussi par son interprétation plus nuancée, plus riche en couleur, chantante et tendue, constamment animé par un sentiment d'urgence signant la victoire définitive des forces de vie et de création. Mais là encore, cette victoire n'est-elle pas dénuée d'ambigüité et d'interrogation ? Comme le dira Mahler lui-même : « Ciel, quelle figure fera le public devant ce chaos qui engendre toujours un monde prêt, au dernier moment, à  retourner au néant ? ».

 

En bref, une magnifique prestation instrumentale de l'ensemble des pupitres du Philhar avec une mention d'excellence pour le cor solo d'Antoine Dreyfuss et la trompette solo d'Alexandre Baty, rarement aussi exposés, mais une lecture du chef coréen qui donna une impression d'inabouti, comme déshabitée… Dommage ! En bis, un extrait de Carmen de Bizet qui fit lever la salle pour une standing ovation bien méritée au regard de l'histoire de l'orchestre. Nul doute qu'avec une telle phalange, le nouveau directeur musical, Mikko Franck, n'ait pas de soucis à se faire pour l'avenir ! Bravo à tous et merci Maestro !

 

Patrice Imbaud.

 

Murray Perahia ou la suprême élégance

 


DR

 

Figure mondiale reconnue du clavier, le pianiste américain Murray Perahia occupe sur la planète piano une place particulière, par l'importance de sa discographie (un coffret de 73 CDs fêtant ses quarante années de carrière vient de lui être consacré par le label Sony), par son charisme, et par son exceptionnel toucher d'une rare élégance qui en font un véritable poète du clavier. Réfléchi, discret, son lyrisme parait toujours contenu sans effusion excessive, attaché à la beauté du son, à la justesse du phrasé dans une perspective plus apollinienne que dionysiaque. Il apparaissait ce soir pour la première fois sur la grande scène de la Philharmonie de Paris faisant de ce concert un événement à la fois médiatique et musical expliquant le remplissage de la salle. Un programme copieux retraçant plus de cent ans de piano, baroque, classique et romantique, de Bach à Chopin en passant par Haydn, Beethoven et César Franck. La Suite française n° 6 de Bach permit immédiatement d'apprécier le jeu souple, jamais percussif, délicat, sincère et fluide de Murray Perahia. Un toucher toujours d'une suprême délicatesse, naturel, sans manière, clair, limpide et dynamique faisant de cette pièce de Bach un moment de musique pure. La Sonate n° 31 de Haydn fut plus contrastée alternant jeu cantabile, moment de recueillement et déferlante finale. L'Andante con Variazioni du même compositeur fut entièrement empreint d'une désolation poignante, avant que la Sonate n° 14 de Beethoven, dite « Clair de lune », n'instaure sur la Philharmonie une lumière crépusculaire, très intériorisée, sans pathos excessif, la justesse de la lecture répondant à la sonorité à la fois diaphane et charpentée faisant de ces instants un grand moment de piano. Le Prélude, Choral et Fugue de César Franck, joué pour la première fois en public par le pianiste américain, nous permit d'appréhender une autre facette de son jeu révélant un piano grandiose, engagé et percussif. Pour conclure, le Scherzo n° 1 de Chopin mit en évidence toute la virtuosité, la palette infinie de couleurs et les nuances subtiles du compositeur polonais, dans un propos tantôt confident, tantôt orchestral, totalement habité par le désespoir de l'exil. Une très belle soirée !

 

Patrice Imbaud.

 

Maria Stuarda : Duel vocal au sommet

 

Gaetano DONIZETTI : Maria Stuarda. Drame lyrique en deux actes. Livret de Giuseppe Bardari d'après la tragédie éponyme de Schiller. Alexandra Kurzak, Carmen Giannattasio, Francesco Demuro, Carlo Colombara, Christian Helmer, Sophie Pondjiclis. Chœur du Théâtre des Champs-Elysées. Orchestre de chambre de Paris, dir. Daniele Callegari. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser, reprise par Gilles Rico. Théâtre des Champs-Elysées.

 

©Vincent Pontet

 

Un duo vocal superlatif, avec Alexandra Kurzak en Marie Stuart et Carmen Giannattasio en Elisabeth, voilà un des atouts majeurs de cette coproduction du Théâtre des Champs Elysées. Maria Stuarda, un drame lyrique (43ème des 71 opéras écrits par Donizetti), reconnu par tous comme un sommet du bel canto, est une œuvre qui s'inscrit dans la trilogie des Tudor entre Anna Bolena et Roberto Devereux, Un opéra, rarement donné, au livret concis et à la dramaturgie exacerbée, qui marque aussi l'évolution prochaine vers l'opéra verdien avec un orchestre qui s'étoffe, des vents prenant une place plus importante (clarinettes et trombones) et des cordes se faisant volontiers symphoniques. Une très belle production qui vaut surtout par le magnifique duo vocal féminin qui culminera dans la scène de la confrontation entre les deux reines que tout oppose, conflit à la fois politique, religieux et amoureux, où des paroles d'une rare dureté seront prononcées, Marie Stuart se condamnant à mort en traitant la reine vierge de bâtarde, fille impure d'Anna Bolena ! Une confrontation qui n'eut jamais lieu historiquement, mais qui servit de pivot au drame de Donizetti. Des propos sans équivoque et la mise à mort d'une reine, sujets sensibles au XIXe siècle, qui entrainèrent la pâmoison de Marie-Christine de Savoie lors de la représentation du 18 octobre 1834 au San Carlo de Naples, avec pour conséquence, une censure et une récriture, avant que l'opéra ne réapparaisse sur scène dans sa version définitive, à la Scala de Milan, en 1835 avec Maria Malibran dans le rôle titre. Le compositeur semble placer les deux « prime donne » sur le même plan d'égalité, réservant à chacune un finale (Acte I pour Elisabeth, Acte II pour Marie Stuart). Mais il devient rapidement évident que sa sympathie penche, peu à peu, en faveur de la reine écossaise au fur et à mesure de la progression du drame. De tessiture voisine, les deux voix ne semblent toutefois pas interchangeables, Marie plutôt soprano, Elisabeth plutôt mezzo. Le compositeur de Bergame a écrit pour Marie des mélodies qui montent et qui descendent avec douceur jusqu'à la sublime prière finale où le legato, l'évanescence des pianos, la souplesse de la ligne paraissent primordiaux. A l'inverse, pour Elisabeth, il a prévu de larges sauts vocaux, des intervalles plus imposants, un phrasé plus articulé qui doit être mené avec plus de force. Le casting vocal de cette production sut respecter totalement ce cahier des charges avec une Marie Stuart d'Alexandra Kurzak au timbre éthéré, aux aigus limpides, aux pianos divins, à la ligne de chant d'une impressionnante souplesse, tandis que le timbre plus acide et l'engagement vocal plus marqué de Carmen Giannattasio en faisaient une Elisabeth très convaincante, tenante de la force et de l'autorité. Pour les autres rôles, on retiendra le phrasé un peu raide de Francesco Demuro (Conte de Leicester) parfois un peu à la peine dans les aigus, les remarquables prestations de Christian Helmer (Cecil) Carlo Colombara (Talbot) et Sophie Pondjiclis (Anna). Un mot sur la mise en scène, assez neutre faisant montre d'une scénographie assez minimaliste (une façade de palais, un réfectoire de prison, un billot et une hache), en tous cas peu gênante, ce qui n'est pas son moindre mérite. Un bel orchestre, très enthousiaste, mené de main de maitre par Daniele Callegari, spécialiste de l'opéra italien, et un chœur superbe de bout en bout avec une scène finale impressionnante prenant des accents prémonitoires du Nabucco de Verdi.

 


©Vincent Pontet

 

Patrice Imbaud.

 

Sinfonietta Paris Chamber Orchestra

 


DR

 

Voilà trois ans que Sinfonietta Paris, formation dite à géométrie variable,  existe et propose des concerts « Cocktails & Conversations », c'est à dire des trios, des quatuors, des quintettes ou en formation de chambre d'une vingtaine de musiciens. Pour ouvrir la saison 2015-2016, cette jeune formation proposait un concert éclectique sous la direction de son chef américain Michael Boone. Celui-ci réside en France depuis 2009. La plupart des musiciens de l'orchestre ont été formés au CNSMDP et cela se sent. « Souvenir de Florence » de Tchaikovski, donné ici dans sa version pour orchestre à cordes,  a été écrit pour un sextuor vers 1890 et se compose de quatre mouvements. Dans l'auditorium du Carreau du temple à l'acoustique étonnante, le Sinfonietta Paris sonnait parfaitement et c'était une joie de voir ces jeunes musiciens très concentrés et, sourire aux lèvres, suivre la baguette précise du chef. Après un vrai Allegro con spirito, le contraste avec l'Adagio cantabile e con moto était parfait et le finale Allegro Vivace joué avec une belle énergie. L'œuvre suivante, « Focus », est une œuvre de jazz écrite par un très grand compositeur et arrangeur, Edward Ernest Sauter. Elle a été créée par Stan Getz. Sauter  débuta comme batteur puis continua comme trompettiste. Il travailla pour Red Norvo, Woody Herman, Arty Shaw, Benny Goodman. C'est en 1961 qu'il écrit cette suite pour orchestre à cordes, saxophone ténor, harpe et batterie, dédiée à Stan Getz. Roy Haynes était à la batterie. Sauter et Getz se retrouvèrent en 1965 sur le film « Mickey One » d'Arthur Penn. « Focus » est d'ailleurs un disque extrêmement connu, presque autant que le « Jazz Samba » de Getz/Gilberto. Malgré tout le talent du saxo ténor John Gunther qui a joué avec de nombreuses stars du jazz telles que Dewey Redman, Christian McBride, Tom Harrel, Wallace Roney, on constate que la sonorité chaude et sensuelle de Getz est difficilement remplaçable. Qu'importe, ce fut une grande originalité d'entendre jouer cette œuvre dans un concert dit classique. L'interprétation de Gunther ne manquait pas de charme et le public était étonné et ravi de la découvrir. Voilà un bel orchestre qu'il faut suivre. On espère que des auditeurs ou des mécènes vont le soutenir. Il a besoin de toute notre attention et il faut que des formations de cette qualité puissent exister en France. Ce n'est pas souvent qu'on entend des musiciens d'une telle qualité. Le but de cet orchestre est de soutenir l'expression artistique d'une nouvelle génération d'interprètes. Au cours de la saison 2015-16, leurs concerts auront lieu à l'Institut Finlandais pour les petites formations où elles interpréteront des œuvres de Sibelius, Dvořák, Korngold, Zemlinsky, Brahms….

 

Pour tout renseignements, consulter le site www.sinfoniettaparis.org

 

Stéphane Loison.

 

Les Passions ou « Les Petits Plaisirs du Seicento »

 


Laurent Lechenadec, Yasuko Uyama-Bouvard, Jean-Marc Andrieu / DR

 

En trio, en duo ou simplement le clavecin couplé avec un organo, les trois instrumentistes Jean-Marc Andrieu, flûtes à bec, Laurent Lechenadec, basson, et Yasuko Uyama-Bouvard, claviorganum, ont fait merveille à l'Orangerie de Rochemontes, dans ce festival sympathique organisé par la chaleureuse Catherine Kauffmann-Saint-Martin. La plupart des  compositeurs joués le sont très peu, voire méconnus ou inconnus. Qu'on en juge :  Tarquino Merula (1595-1638) et sa Canzone a soprano e basso « La Berlasina » et « La Noce », de 1651, Giovanni Battista Spadi da Faenza (1516-1590) et Diminutions sur Ancor che col partire de Cipriano da Rore, Venise, 1609, Bartholomeo de Selma y Salaverde (1595-1638) avec Diminutions sur Vestiva i colli de Palestrina, Venise 1638, Michelangelo Rossi (1602-1656) et sa Toccata pour clavier, Rome 1657, Girolamo Frescobaldi (1583-1643) et Canzona a soprano e basso « La Franciotta », Rome 1628, Philipp Friedrich Boddecker (1607-1683) et sa Fantaisie pour basson sur La Monica (1651), Giovanni Paolo Cima (v.1570-1622) avec ses Due sonate da chiesa, Milan 1610, Jacob Van Eyck (1590-1657) et ses Variations sur Lachrimae Pavan de John Dowland, Amsterdam – Utrecht, 1647, Claudio Merulo (1533-1604) avec sa Toccata pour clavier, Rome 1598, et enfin Bartholomeo de Selma y Salaverde (1595-1638) et Canzon a soprano e basso, Venise 1638. C'est un immense plaisir, sans jeu de mots, que d'entendre ces flûtes, ce basson si spécial et ce claviorganum encore plus étrange. Avec beaucoup d'humour, Jean-Marc Andrieu expliqua les œuvres et les instruments qu'ils jouaient pour les interpréter. Vélocité, tendresse, allegro et adagio, toute une palette de rythmes, de couleurs, de textures se sont faites entendre pendant une heure devant un public séduit. Le son de ces flûtes, Jean-Marc Andrieu l'avait fait apprécier dans un disque magnifique paru en 2014, « Folies ! », autour d'œuvres de Corelli, Telemann, Marcello Couperin, Purcell, et le fameux concerto « La Folia »  de Vivaldi ( CD Ligia lidi : 0301284-14). Jean-Marc Andrieu est spécialiste de la pratique des instruments d'époque. Le principe et sa démarche artistique sont, depuis 30 ans, le respect des techniques de jeux anciennes et l'interprétation du discours musical. En l'écoutant, on peut dire qu'il communique la passion pour ces musiques du Seicento vénitien. C'est dans le parc ensoleillé où les cerisiers étaient rouges de leurs fruits que le verre de l'amitié a été offert. On sait recevoir à Rochemontes ! Le concert a été filmé par CLC productions. Un DVD sera édité.

Pour tout renseignement sur les prochains concerts : www.rochemontes.com

Stéphane Loisson.

 

« Vocello » à la Philharmonie 2 de Paris

 


DR

 

Depuis plusieurs années, cela remonte à 2013, Le violoncelliste Henri Demarquette donne des concerts en association avec le chœur à capella Sequenza 9.3 dirigé par Catherine Simonpietri. Le programme intitulé « Vocello », proposé ce soir, était composé d'œuvres contemporaines ainsi que de pièces de la Renaissance et baroques (Giovanni Pierluigi da Palestrina : extraits de la Missa ut ré mi fa sol la ; Josquin des Près, extraits de la Missa pange lingua, ou « Flow my tears » de John Dowland). Malgré tout le talent du violoncelliste, l'interprétation de ces dernières pièces passait mal ou même pas du tout. Ainsi de l'extrait de Dido and Aeneas de Purcell : « When I Am laid In Earth ». On peut comprendre que Demarquette veuille établir un pont entre ces racines musicales et les œuvres contemporaines. Mais après tous les mouvements de recherche du son baroque et les diverses manières de jouer ces œuvres, on a du mal à les écouter interprétées dans un style romantique. Par contre, les œuvres contemporaines étaient agréables à entendre et la fusion violoncelle chœur passionnante (Olivier Greif : Solo from «  », John Taverner : Svyati, Eric Tanguy Stabat Mater, Patrick Burgan : L'Archipel des saisons). Ou encore « Plonge » de Justé Janulytè, jeune compositrice lituanienne, d'une tragique beauté. Cette pièce est dédicacée à Demarquette. Si des œuvres de cette qualité sont à porter au crédit de cette association violoncelle-choeur, comme les autres créations entendues ce soir-là, on ne peut que se réjouir de la volonté d'Henri Demarquette de sortir des sentiers battus. Une belle expérience, un concert appréciable.

 

Stéphane Loison.

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L'ÉDITION MUSICALE

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FORMATION MUSICALE

 

Marguerite LABROUSSE & Jean-Paul DESPAX : Atout rythme. 2ème cycle. 3 volumes (début, milieu, fin). Lemoine : 29182 HL, 29183 HL, 29184 HL.

Peut-on faire du rythme une discipline à la fois musicale, excitante et formatrice de l'oreille et de la pensée musicale ? C'est une évidence pour ces deux remarquables pédagogues imprégnés de la pensée de Maurice Martenot. C'est donc une démarche globale s'étalant sur tout le deuxième cycle qu'ils nous proposent ici. Mais attention : il faudra en respecter l'esprit… à la lettre ! La préface indique une vraie méthode de travail qui commence par le « sensoriel » c'est-à-dire la mémorisation des rythmes avant toute lecture, qui se poursuit par des « jeux » qui n'ont rien de gratuit, continue par écriture et lecture et aboutit à tout un programme de « réalisation personnelle » qu'il ne faudra pour rien au monde négliger car il est l'aboutissement de toute la démarche. Comme le disent les auteurs, « Ce travail sert à développer : - l'appropriation des connaissances – la mémoire – l'audition intérieure – l'imagination musicale – le rapport à l'écrit ». Enfin, il faut mentionner que le tout est effectué avec un savant dosage d'exercices spécifiques débouchant sur de très nombreux textes musicaux, contribuant ainsi à accroître la culture musicale des élèves en ajoutant au travail sur le rythme une possible – et souhaitable – pratique  vocale et instrumentale. Que dire de plus sinon recommander chaudement ces trois volumes ?

 

 

 

 

Catherine KELLER : Voyage en chansons. Vol.2. Lemoine : HL 29158.

En l'absence du volume 1, disons que ce volume 2 est bien sympathique. S'appuyant, à chacune des vingt leçons, sur une chanson connue, populaire ou du folklore, il fait la part belle à l'oralité pour conduire ensuite à la lecture et l'écriture. Chaque leçon est organisée de façon identique pour permettre aux élèves de s'y retrouver facilement. Il privilégie la pédagogie de groupe et comporte à la fin une série de pages « à la maison » permettant aux parents de continuer le travail effectué en classe ou en groupe. Le choix des chansons est particulièrement agréable et judicieux et permet un véritable enrichissement de la culture musicale des enfants.

 

 

 

Emmanuel GAULTIER – Philippe RIBO0UR : Zoom sur le Jazz.  Découvrir, comprendre jouer. Billaudot : G 7228 B.

« Rythme, harmonie, mélodie, phrasé et interprétation, forme et structure, styles et musiciens », tel est le résumé du contenu de ce volume, qui se trouve sur la couverture et qui correspond parfaitement à ce qui s'y trouve. A la fois ouvrage ressource et manuel pratique, Zoom sur le Jazz  constitue une véritable encyclopédie, une sorte de « memento » avec à la fois les qualités et les limites d'un ouvrage de deux-cent huit pages, mais qui rendra de grands services à tous ceux qui recherchent une initiation à la fois sérieuse et complète au Jazz.

 

 

 

Margarita Lorenzo de REIZÁBAL : La direction d'orchestre pour les chefs d'orchestre, d'harmonie, de chœur. 1 vol. 1 DVD. Lemoine :HL 29120.

Cet ouvrage, éminemment pratique, n'en néglige pas, pour autant, tout l'aspect culturel de la direction. Si il est orienté prioritairement vers la conduite d'un orchestre, il s'attache aussi à la direction spécifique d'une harmonie, ou, encore plus spécifique, d'un chœur. Cet aspect a d'ailleurs été longtemps négligé et tous les chefs de chœur ou choriste ont connu ces chefs d'orchestre qui ne savait pas comment se conduire vis-à-vis d'un chœur lorsqu'ils dirigeaient une pièce pour chœur et orchestre. Bref, l'ouvrage est très complet. Il comporte cinq parties plus l'indispensable glossaire. La première partie est consacrée aux techniques de base correspondant à tout l'aspect corporel, de la tenue aux différentes battues. La deuxième partie est consacrée à l'étude et la préparation du répertoire, exposées très en détail. La troisième est consacrée aux répétitions, la quatrième au concert. La cinquième partie fait en quelque sorte la synthèse en proposant d'appliquer l'ensemble à l'Alléluia du Messie de Haendel. L'ouvrage comporte aussi une copieuse et judicieuse bibliographie. Quant au DVD, il suit pas à pas l'exposé et ne comporte pas moins de trente-quatre chapitres divisés eux-mêmes en plusieurs sections. Il s'agit donc d'un outil de travail tout à fait remarquable et l'auteur explique en détail comment l'utiliser. Cette réalisation est donc une somme que le professionnel aussi bien que l'amateur éclairé pourra lire avec un grand intérêt et un grand profit.

 

 

 

CHANT

 

Jean-Philippe RAMEAU : Airs d'opéra. Edités par Sylvie Bouissou, Benoît Dratwicki, Julien Dubruque. Centre de musique baroque de Versailles / Société Jean-Philippe Rameau 2015. Distribution mondiale : Bärenreiter. Grand dessus (Soprano et mezzo-Soprano). BA 9195. Haute-Contre (Ténor) BA 9196.

Ces deux volumes font partie d'une anthologie en huit volumes réalisée conjointement par le Centre de Musique Baroque de Versailles et la société Jean-Philippe Rameau. On ne peut que se réjouir de voir ainsi mis à la disposition des chanteurs un tel répertoire, difficilement accessible par ailleurs. De plus, une copieuse préface et des tableaux chronologiques ainsi que, pour chaque air, le texte de la pièce complètent de façon judicieuse cette remarquable édition, aussi précise que claire, aussi savante que pratique.

 

 

Jean-Charles GANDRILLE : Stabat Mater. Litanies pour deux sopranos et orgue. Moyenne difficulté. Delatour : DLT2158.

L'intégrale de l'œuvre peut être écoutée sur le site de l'éditeur (et sur YouTube), interprétée par l'auteur à l'orgue et Julia et Suzanne Jerosme, sopranos. Cette écoute vaut mieux que tout commentaire. Disons simplement que l'auteur a été séduit par la qualité du texte latin et son côté incantatoire qui l'a amené à écrire une musique sous forme litanique. Le discours va crescendo au fur et à mesure que l'œuvre avance et que le texte devient de plus en plus dramatique. Le respect de la prosodie latine est total. L'ensemble est abordable pour les chanteuses mais il faudra un bon organiste – et un bon orgue – pour soutenir le tout. L'ensemble est émouvant et beau.

 

 

 

ORGUE

 

Henriette PUIG-ROGET : Trois prières  pour grand orgue. Delatour : DLT2182.

Elève de Marcel Dupré et de Charles Tournemire, Henriette Puig-Roget (1910-1992) fut une musicienne accomplie. Remarquable pianiste, collaborant à de nombreuses émissions radiophoniques, elle fut aussi une non moins remarquable organiste, tant à la Grande Synagogue de la rue de la Victoire qu'à l'Eglise Réformée de l'Oratoire du Louvre. Mais elle eut aussi une activité moins connue de compositrice.

Des Trois prières  proposées ici, deux seulement avaient été éditées. L'ensemble demande de préférence un orgue à trois claviers, mais deux claviers peuvent suffire. La première pièce, Prière pour un jour de douleur (1934)  est une large paraphrase du « Dies irae », à la fois tragique et solennelle et traversée d'éclairs. La deuxième, Prière pour un jour de joie  est construite également sur un thème grégorien. Elle est à peu près dans la même forme, mais apaisée et lumineuse. Quant à la troisième, Prière d'action de grâces, elle est construite très logiquement sur le thème du Te Deum laudamus  qui constitue comme une basse obstinée qui se déploie peu à peu pour arriver à une véritable explosion jubilatoire qui se termine en apothéose. Ces trois pièces sont à découvrir et à faire connaître et ont leur place dans les récitals au côté des grands organistes-compositeurs du XX° siècle.

 

 

 

Henriette PUIG-ROGET : Trois pièces  pour grand orgue. Delatour : DLT2183.

On se reportera à la recension précédente pour la personnalité de l'auteur. Ajoutons seulement que, comme pour les précédentes, cette publication a été possible grâce à Alain Cartayrade, secrétaire général de l'association Maurice et Marie-Madeleine Duruflé qui a œuvré avec la fille de l'auteur, ainsi que Yannick Merlin et Mami Sakato, organiste à Tokyo et filleule de l'auteur, pour que ces partitions soient disponibles et éditables. Là encore, on ne peut que se réjouir de découvrir des pièces d'une telle qualité. La Complainte date de 1929 et a été créée par Olivier Messiaen à l'orgue de la Trinité. Recueillement est de 1934 et la Fantaisie de concert  intitulée également Hanoukah ou Fantaisie sur des thèmes hébraïques de 1935, date à laquelle l'auteur est organiste à la Grande Synagogue de la rue de la Victoire.

 

 

 

PIANO

 

Célino BRATTI : Escale en forêt  pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2965.

Voici une bien agréable et charmante pièce, remarquablement écrite dans un style qui rappelle les meilleurs moments des « pièces de genre ». Un thème récurrent plein d'allant ponctue l'ensemble tandis que différents paysages apparaissent. Agilité, musicalité, phrasé, toutes les qualités du pianiste sont sollicitées au cours de cette escale pleine de jolies surprises.

 

 

 

Thierry DELERUYELLE : La belle du pirate  pour piano. Lafitan : P.L.2881.

A-t-elle, comme une autre célèbre, des yeux de velours ? Quoi qu'il en soit, cette belle ne manque pas de charme. Le jeune pianiste devra faire preuve de son talent à faire chanter alternativement ses deux mains, à les faire dialoguer, à faire chanter la gauche tout en accompagnant par des accords légers de la droite… Ajoutons que la pièce est entièrement doigtée. Ce pourra être l'occasion de s'interroger sur le pourquoi de tel ou tel doigté et ce qu'il apporte à l'interprétation.

 

 

 

Pierre-Richard DESHAYS : Roche volcanique.  Elémentaire. Lafitan : P.L.2851.

Volcanique, elle l'est vraiment cette roche qui, entre des moments mélodiques et paisibles explose soudain pour retomber dans un harmonieux silence. On jouera beaucoup sur les contrastes dans cette œuvre intéressante tant mélodiquement que rythmiquement.

 

 

 

Bruno ROSSIGNOL : Préludes Minéraux  pour piano. Moyen-avancé. Delatour : DLT1751.

Ces cinq brèves pièces sont censées être des éclats de roche. Chacune fait appel à une formule rythmique ou mélodique qui la caractérise. Il faudra repérer ces formules, que ce soit « une improvisation en secondes majeures égrainées comme les pas d'un chat sur un clavier ou le reflet d'une aigue marine dans un miroir. »

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Le vent parle d'un taureau gracié…  pour piano. Assez difficile. Delatour : DLT2520.

Un texte de l'auteur introduit cette pièce pleine de facettes diverses. Il ne s'agit pas d'un « programme » en tant que tel mais il innerve constamment l'œuvre sous ses différents aspects. L'ambiance est cependant typiquement espagnole. Il faudra suivre à la lettre (mais aussi selon l'esprit !) les différentes indications très précises de tempo, de phrasé, de caractère. Même si elle peut être une pièce pédagogique, c'est d'abord et avant tout une œuvre musicale qu'on pourrait rencontrer dans des récitals.

 

 

 

Bernard COL : Pièces siamoises.  10 compositions faciles pour piano. Fin de 1er cycle. Delatour : DLT2525.

Ces dix pièces sont siamoises en ce sens qu'elles vont deux par deux, se complétant comme L'évasion du bagnard et Mauvais rêve du gardien, ou s'opposant comme Départ forcé et Départ en vacances… Faciles (pas tant que cela), ces dix pièces sont également courtes (de 30 secondes à 1 minute 45). Il est évidemment recommandé de les jouer deux par deux… L'ensemble est donc plein d'humour et très contrasté. Pour chaque pièce, il faudra créer une nouvelle atmosphère en employant la technique appropriée. Mais tout cela est bien joli et bien agréable !

 

 

 

ACCORDEON

 

Manu MAUGUIN & Célino BRATTI : Comme sur un nuage.  Pièce pour accordéon. Elémentaire. Lafitan : P.L.2955.

Quelle curieuse pièce qui, avec un rythme de valse musette, a des accents qui rappellent Satie… Tout cela est en tout cas bien joli et remarquablement écrit. Ce sera certainement un régal pour le jeune interprète ainsi que pour ses auditeurs.

 

 

 

GUITARE

 

Alain LENGLET : La roue.  Pièce pour guitare. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2931.

Il y a dans cette « roue » comme un écho de chanson des années cinquante, une sorte de valse musette bien sympathique, qui rappelle Domino, le célèbre succès d'André Claveau. S'agit-il de la grande roue de la foire ou de quelque autre évocation ? Toujours est-il que cette roue est tout à fait séduisante et devrait s'inscrire facilement dans la mémoire de l'interprète et de ses auditeurs.

 

 

 

Didier RENOUVIN : de la guitare à la musique  Petit traité à l'usage des joueurs de guitare. 1 vol. 1 CD. Delatour : DLT0991

Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une méthode de guitare, le volume part vraiment de zéro et invite peu à peu l'instrumentiste à faire le lien entre systèmes d'écriture, partie théorique et jeu instrumental. Après avoir découvert le manche et avoir appris à former les gammes, le guitariste va découvrir les accords parfaits, ceux qui le sont moins, apprendre des notions d'harmonie, toujours à l'aide d'exercices pratiques et se familiariser succinctement au blues et au jazz. Vaste programme ! Il sera aidé dans ces découvertes par un CD copieux qui lui fournit l'exemple du résultat à obtenir.

 

 

 

VIOLON

 

Fernand de LA TOMBELLE (1854-1928) : Epithalame  pour violon et piano (ou orgue). Delatour : DLT2479.

Remercions vivement les éditions Delatour et Jean-Emmanuel Filet pour cette remise à l'honneur de l'œuvre de F. de La Tombelle, si injustement tombée dans l'oubli. Piano ? Orgue ? Les deux sont possibles, même si la mention du « roi des instruments » semble indiquer plutôt l'orgue… Quoi qu'il en soit, cette belle pièce aux harmonies subtiles et délicates trouvera facilement sa place dans les concerts ou, comme son nom le suggère, dans les mariages…

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Le blanc berceau  pour violon et piano. Niveau moyen avancé. Delatour : DLT 2518.

Il s'agit d'une transcription de la pièce pour alto recensée plus bas. Disons simplement qu'il s'agit d'une œuvre très intéressante qui mérite d'être connue et diffusée.

 

 

 

ALTO

 

Rose-Marie JOUGLA : Tzigana  pour alto et piano. Difficile. Delatour : DLT2516.

Cette œuvre a été écrite pour Magali Demesse, alto solo de l'orchestre philarmonique de l'Opéra de Marseille. Il s'agit donc d'une œuvre de concert, à la fois virtuose et demandant beaucoup d'engagement. Passionnée, mais aussi mélancolique et profondément lyrique, cette pièce correspond parfaitement à son titre.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Le blanc berceau  pour alto et piano. Niveau moyen avancé. Delatour : DLT 2517.

Enregistrée avec beaucoup de sensibilité par Magali Demesse, alto solo de l'orchestre Philharmonique de l'Opéra de Marseille, et l'auteur au piano, cette très jolie berceuse devrait faire le bonheur de ses interprètes. Dédiée à sa fille, cette pièce « est une berceuse pour calmer un enfant qui pleure, le menant doucement jusqu'au sommeil. La partie du piano évoque le balancement du berceau et les pleurs de l'enfant (accords dissonants) ; la partie d'alto évoque une mélodie chantée par la maman. La tonalité mineure du début fait place à la tonalité majeure pour la réexposition du thème, instant où l'enfant s'est calmé (accords moins dissonants). La fin de la pièce évoque le balancement du berceau qui peu à peu s'arrête : chut ! L'enfant s'est endormi… » Qu'ajouter à ce commentaire ? L'auteur propose également une version pour violon et une version pour flûte.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Suite nostalgique.  12 pièces courtes pour alto et piano. Moyen. Delatour : DLT2514.

Ecrites à la mémoire de Joseph La Marca, professeur au CRD d'Aix-en-Provence, ces pièces évoquent à travers les douze mois de l'année des paysages et des ambiances nostalgiques « en souvenir des temps joyeux ». Piano et alto dialoguent constamment et devront se mettre à l'unisson de l'ambiance de chacune des pièces. La nostalgie n'est pas exempte d'humour, comme dans le Tango dingo ! du mois de juillet. On notera aussi le côté « enseignant » du calendrier utilisé : il commence en septembre pour se terminer en août…

 

 

 

FLÛTE

 

Sophie LACAZE : Estampes  pour quatuor de flûtes. Delatour : DLT2253.

Cette œuvre assez difficile a été écrite pour l'ensemble Tétraflûtes et son spectacle JikkenKôbô. Elle s'appuie sur une mélodie traditionnelle japonaise, « Kuroda bushi », exposée en introduction. Il s'agit d'évoquer musicalement des estampes d'Utagawa Hiroshige (1797-1858) et d'Utagawa Kuniyoshi (1797-1861). L'ensemble fait appel à toutes les techniques contemporaines de la flûte et comporte un important aspect spatial et visuel.

 

 

 

W.-A. MOZART : Air de concert  d'après l'Aria pour soprano KV580 « Schon lacht der holde Frühling, pour flûte et piano. Arrangement : Pascal Proust. 3ème cycle. Sempre più : SP0150.

Voilà qui permettra aux jeunes flûtistes d'élargir leur répertoire. La transcription est très bien faite et l'ensemble « sonne » parfaitement. Cet air destiné à mettre en valeur la troisième des sœurs Weber, Josepha, est donc une œuvre de circonstance destinée à faire ressortir le talent de la cantatrice. Mais, œuvre de circonstance ou pas, c'est toujours du Mozart !

 

 

 

Yves BOUILLOT : Romantic Mood  pour flûte en ut et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2840.

Cette « humeur romantique » au parfum de pelouse britannique est à la fois légère et charmante. Pianiste et flûtiste dialoguent avec distinction. Bref, l'ensemble s'écoute (et se joue) avec beaucoup de plaisir.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Le blanc berceau  pour flûte et piano. Niveau moyen avancé. Delatour : DLT 2519.

Il s'agit d'une transcription de la pièce pour alto recensée plus haut. Disons simplement qu'il s'agit d'une œuvre très intéressante qui mérite d'être connue et diffusée.

 

 

 

FLÛTE A BEC

 

Jean-François PAULÉAT : Sicilienne  pour flûte à bec soprano et piano. Très facile. Delatour : DLT2507.

On pourra écouter intégralement cette jolie pièce sur le site de l'éditeur. Pianiste et flûtiste dialoguent joyeusement et légèrement. Si la pièce ne comporte pas de difficulté technique, il faudra bien sûr, pour en tirer toute la substance, faire preuve d'une vélocité certaine et d'un sens musical non moins certain.

 

 

 

HAUTBOIS

 

Jean-François PAULÉAT : Puck  pour hautbois et piano. Très facile. Delatour : DLT2506.

Le facétieux lutin s'en donne à cœur joie dans cette pièce qui possède aussi un aspect incantatoire et répétitif. Pianiste et hautboïste dansent à qui mieux mieux sur un rythme endiablé. Une petite modulation permet de troubler le cours de ce qui, autrement, aurait pu paraître un peu monotone. Cette pièce devrait mettre de bonne humeur ses interprètes et leurs auditeurs.

 

 

 

CLARINETTE

 

Michel PELLEGRINO : La clarinette, Jazz manouche. 1 vol. 1 CD.  Lemoine : 29195 HL.

Après d'autres recueils consacrés à d'autres styles, l'auteur s'attache à présenter le Jazz manouche tel qu'il a pu être initié par Django Reinhardt. Cela ne l'empêche pas de rappeler, tout au long de sons ouvrage, les principes généraux de l'interprétation du jazz à la clarinette, les gammes nécessaires pour l'improvisation ainsi que les principales grilles d'accord. Le CD est éminemment pratique : morceaux et play-back y figurent, ainsi que l'indispensable « la » du diapason. Mais il constitue aussi un très joli récital qu'on prend un plaisir certain à écouter. L'ensemble est complété par un lexique et de nombreuses annotations théoriques et pratiques. C'est en dire tout l'intérêt.

 

 

 

Michel CHEBROU : Cantaclarina  pour clarinette et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2939.

Certes, elle chante, cette clarinette, accompagnée par un piano aux allures de harpe. Mais ce n'est qu'une face de l'œuvre, car piano et clarinette vont bientôt bondir à l'envie dans un rythme sautillant. Puis c'est la mesure elle-même qui prend un air déjanté… Il y a donc beaucoup de facettes différentes dans cette pièce très intéressante et qui fait appel à toutes les qualités des deux instrumentistes. Notons entre autres pour la clarinette le contraste du thème exposé d'abord dans le registre aigu puis dans le registre grave de l'instrument. Le tout est extrêmement plaisant.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Jean-Claude AMIOT : Les Pélicans du Park  pour saxophone alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2933.

Si la partition n'est pas techniquement difficile, la musique, elle, nous entraine dans une atmosphère à la fois mélancolique et onirique qui ne pourra que stimuler l'imaginaire des interprètes. Il y a beaucoup de poésie et de mystère dans ces harmonies délicates. Auditeurs et interprètes devraient se laisser facilement séduire par cette œuvre très intéressante.

 

 

 

BASSON

 

Alexandre OUZOUNOFF : Spring boulevard  pour basson et piano. Fin 1er cycle. Sempre più : SP0159.

Cette commande du Conservatoire de Bondy possède un air un peu dégingandé qui plaira sûrement aux amateurs d'une musique un peu goguenarde. Le style en est donc bien agréable et on déambulera volontiers le long de ce « Spring boulevard ».

 

 

 

COR

 

Gilles MARTIN : Multicolores.  Suite en 6 mouvements pour cor en fa et piano. Fin 1er cycle. Sempre più : SP0157.

Multicolore, cette suite l'est incontestablement par le style. De la marche à la valse en passant par d'autres genres connus, l'ensemble se termine par un tango de la meilleure venue et qui donnera des démangeaisons dans les jambes aux auditeurs et peut-être même aux instrumentistes. L'ensemble est fort agréable et plaisant.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Jean-Charles GANDRILLE : Irisation  pour vibraphone et orgue. Delatour : DLT2476.

Cette pièce marie avec bonheur les timbres du vibraphone et du « roi des instruments ». L'auteur, organiste de l'église d'Auvers sur Oise, nous explique qu'il a « toujours aimé les harmonies lumineuses du vibraphone », d'où le titre de l'œuvre. L'orgue est traité avec beaucoup de délicatesse. L'auteur a privilégié les fonds de 8' avec à un moment une touche de 4' et de cornet. La pièce joue donc essentiellement sur les couleurs des deux instruments.

 

 

 

Jean-Paul HOLSTEIN : La cueillette de(s) Marguerites(s)  pour 1 (ou 2) flûtes et / ou hautbois et 1 (ou 2) violoncelle(s) et / ou basson. Facile. Delatour : DLT2401.

Cette petite pièce pleine de fraicheur constitue une excellente approche de la musique de chambre. La facilité de la partition permet à chacun d'écouter l'ensemble. Les indications d'interprétation ainsi que le récit des différentes phases de la cueillette permettent de s'investir dans le discours très simple et le dialogue qui s'instaure entre les différents instruments. Il est si difficile d'écrire de la musique pour débutants… Et le pédagogue et compositeur chevronné qu'est Jean-Paul Holstein y réussit parfaitement !

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Tzigana  pour alto et marimba. Difficile. Delatour : DLT2515.

Il s'agit de la même pièce que nous avons recensée en catégorie alto et piano. On se reportera donc à cette rubrique.

 

 

 

Dynam-Victor FUMET : Premier quatuor à cordes. Delatour : DLT1653.

Les éditions Delatour continuent de nous révéler l'œuvre de ce compositeur trop oublié, organiste et improvisateur exceptionnel, qui vécut de  1867 à 1949. Ce quatuor qui fut, comme pour d'autres compositeurs, ses contemporains, à la fois le premier et le dernier, date des années vingt. Il est composé de trois mouvements. Le premier est un Allegro « joyeux et animé », le deuxième un andante « Molto moderato » et le troisième, un Final « vif et animé ». L'ensemble est écrit dans un langage sans concession et d'une rare beauté. Souhaitons que cette œuvre paraisse bientôt au répertoire d'un de nos quatuors

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Daniel Blackstone.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

Haut

 

JARDIN (Étienne) et TAÏEB (Patrick), dir. : Archives du concert. La vie musicale française à la lumière de sources inédites (XVIIIe-XIXe siècles). Paris, ACTES SUD, LE MÉJAN/PALAZZETTO BRU ZANE Centre de Musique romantique française (www.actes-sud.fr ), 2015, 379 p. - 39 €.

Cet ouvrage — révélant un vaste répertoire des Concerts parisiens de 1822 à 1848 d'après, entre autres, les Archives du droit des pauvres (p. 155-310) et comprenant des articles de fond étayés de figures, statistiques et affiches — prouve une fois de plus combien les sources de première main peuvent éclairer l'Histoire et, en particulier, restituer la vie musicale et sociale à une époque donnée.

L'exploitation minutieuse de nombreux documents (conservés également dans les Bibliothèques municipales d'Amiens, de Lille, au Département Musique de la BN, à la Bibliothèque du Musée de l'Opéra ainsi qu'aux Archives Nationales, Archives de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et aux Archives municipales de Reims) permet de mieux comprendre les divers contextes et des événements musicaux même fugitifs concernant les Concerts donnés à Paris. Leur consultation est encore facilitée par l'Index des noms et l'Index des lieux, autour d'un dénominateur commun : le répertoire. La démarche, assez récente dans la recherche en France, consiste à « fournir un outil systématique sur les artistes de concert et leur professionnalisation (à partir des programmes de concerts) sur les lieux de concerts, la circulation des œuvres et des interprètes ainsi que sur les pratiques d'exécution » (p. 11). De nombreux critères peuvent intervenir : lieux et acoustique, réaction immédiate de la presse après les manifestations ; programmes pour les auditeurs, reprise des œuvres (p.12 sq), concerts des Académies de musique françaises. Patrick Taïeb traite un aspect neuf : Le droit des pauvres, dans un contexte d'assistance et de charité dont l'étude est un « moyen efficace pour aborder de manière globale une activité de concerts devenue particulièrement intense au milieu du XIXe siècle ». Avant la prolifération des périodiques, l'importance des affiches, notamment celles des Concerts Spirituels, est capitale pour attirer l'attention des mélomanes et amateurs. Dans ses descriptions et analyses des affiches, Beverly Wilcox rappelle qu'elles représentaient la seule publicité et source d'information à l'époque. Étienne Jardin démontre que le rayonnement artistique des concerts parisiens (1882-1848) est encore renforcé par l'évolution de l'édition musicale parisienne et de la facture instrumentale, ainsi que la création du Conservatoire. Les lecteurs curieux seront renseignés sur de nombreux points tels que la gestion des musiciens, les frais et effectifs ; les divers salons et salles ; l'élargissement du répertoire et les changements intervenus dans le goût ; les enjeux politiques, la notion de subvention pour « entretenir le principe d'égalité », le choix d'ouvrages « flattant les valeurs de la République » ou encore les « Concerts à bénéfice » (au profit des victimes d'un sinistre).

Tout à l'honneur du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française collaborant avec Actes Sud, ce bel ouvrage de conception assez neuve, par le truchement des concerts, revalorise l'apport de documents inédits, de sources de première main exploitées avec rigueur par des musicologues. Il contribue ainsi à l'indispensable renouveau historiographique associé à l'histoire événementielle, au goût esthétique et à la sociologie des publics.

 

Édith Weber.

 

ORLANDO (Stéphane), WUIDAR (Laurence), éd. : Les XIV Sequenze de Luciano BERIO. Quatorze analyses en séquence. Sampzon, DELATOUR FRANCE, (www.editions-delatour.com), 2015, 259 p. – 29, 90 €.

La Société Belge d'Analyse Musicale a organisé, les 22, 23 et 24 mars 2011, un Colloque et plusieurs concerts proposant l'intégrale des Sequenze de Luciano Berio (1925-2003). Ces 24 Séquences ont fait l'objet de quatorze « Analyses en séquence » hautement spécialisées et élaborées par des musicologues et théoriciens de réputation internationale. La Collection « Pensée Musicale » a, à nouveau, le mérite d'associer des approches méthodologiques et analytiques originales et neuves, complémentaires et croisées. Les Séquences, composées entre 1948 et 2002, reflètent l'évolution du langage et de la virtuosité instrumentale. Elles ont beaucoup marqué la production musicale dans la seconde moitié du XXe siècle. Présentées sous divers angles d'attaque avec des références multiples au jazz, à la voix, au « contrepoint virtuel », elles sont aussi tributaires de la perspective cognitiviste. Elles témoignent de « péripéties créatrices » en évolution, de toute la richesse de la pensée esthétique de Luciano Berio et de son état d'esprit particulier. Le compositeur a procédé à de nombreuses corrections ; il en existe plusieurs versions, la première étant plus spontanée, les suivantes plus raffinées et pour divers instruments : violon, violoncelle, alto, harpe, hautbois, trombone. Parmi ses partis-pris esthétiques figurent, entre autres, la « polyphonie métaphorique », les grands gestes pianistiques... Les analyses regroupent plusieurs Séquences : autour d'un motif conducteur, de l'apport sémantique de son langage, du rapport entre compositeur et instrument, mais aussi autour du discours entre percussion et résonance. Les lecteurs tireront grand profit de ces analyses multiples, à condition de confronter la lecture avec la partition, les exemples musicaux, figures et graphiques et, si possible, en écoutant ces Séquences. Tous, à des degrés divers, y trouveront leur compte : les analystes, les historiens du langage musical, les musicologues, les théoriciens et, au premier chef, les interprètes, familiarisés avec la terminologie spécifique de Luciano Berio et soucieux d'authenticité et de respect des multiples intentions compositionnelles, tireront grand profit de ces 14 analyses en séquence.

Comme l'exprime si judicieusement Dante Alighieri (1265-1321) dans son Convivio (Le Banquet) : « La musique est toute relative, comme on peut le voir dans les paroles harmonisées et dans les chants : l'harmonie n'est que plus douce, lorsque la relation est belle, car c'est en elle que l'essentiel se distingue : la musique attire vers elle les esprits humains qui sont presque principalement les humeurs du cœur, si bien qu'ils cessent toute activité : ainsi c'est l'âme toute entière lorsqu'elle entend la musique, et la vertu de presque chacun est attirée vers cet esprit sensible qui reçoit le son. » (p. 17). En effet : La musica è tutta relativa… : de quoi faire réfléchir à d'autres modes d'analyse, d'écoute et de perception de la musique contemporaine.

Édith Weber.

 

Melanie von GOLDBECK : Lettres de Charles GOUNOD à Pauline Viardot. 1 vol ACTES SUD, LE MÉJAN/PALAZZETTO BRU ZANE, Centre de Musique romantique française (www.actes-sud.fr ), 2015, 443 p. – 45 €.

Préfacée par Gérard de Condé, publiée avec le soutien de la Fondation d'entreprise La Poste, cette importante contribution à l'historiographie plonge le lecteur dans le milieu lyrique et mondain français pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Selon Melanie von Goldberg, Docteur en musicologie, chercheur à l'Université d'Oxford, spécialiste de Pauline Viardot (1821-1910) et des pratiques musicales européennes, cette cantatrice exceptionnelle a facilité l'entrée de Charles Gounod (1818-1893) à l'Opéra ; elle tiendra le rôle titre de Sapho, œuvre créée à l'Opéra de Paris en 1851. Elle en avait d'ailleurs suivi les étapes compositionnelles. En 1848, Gounod ayant quitté le Séminaire, ils se retrouvèrent fréquemment, comme il ressort de leur correspondance comprenant essentiellement des lettres de la main du compositeur. Celles de Pauline ne nous sont pas parvenues, à part quatre. Ce duo, quelque peu perturbé par le mariage de Gounod en mai 1852, s'est poursuivi jusqu'à sa mort en 1893.

Les lettres sont numérotées par le musicien, car elle devait lui en accuser réception. Elles fournissent les détails de la vie quotidenne : arrivée du facteur, inondation à Courtavenel, visite à Georges Sand à Paris, rendez-vous le 26 août 1850 chez Cavaillé-Coll (Lettre 65), promenades « délicieuses », achat de papier de musique, inauguration de l'Orgue de Saint-Cloud (lettre 392), le 13 octobre 1877… ; détails de la vie musicale, artistique et littéraire : soirées à l'Opéra et programmes ; circonstances des représentations (par exemple : Le bourgeois gentilhomme pour le 230e anniversaire de la naissance de Molière) ; les goûts de Charles (Faust lui tient à cœur, p. 337). Des détails très personnels concernant ce duo sont révélés et reflètent l'histoire des mentalités et des sensibilités par rapport aux événements artistiques et intellectuels, comme, par exemple, les réactions de Tourgeniev (p. 129).

Cet échange épistolaire — totalisant de plus de 154 lettres de Charles dispersées dans des fonds en France et à l'étranger — est regroupé en 8 chapitres résultant d'un remarquable travail (collecte, mise en forme, corrections, modernisation de l'orthographe et de la ponctuation). Il ne s'agit donc pas d'une « édition diplomatique ». Ce « Trésor épistolaire » souligne  chronologiquement les différentes étapes de la carrière du compositeur et le rayonnement international de Pauline lors de ses tournées. Les témoins de l'époque sont présents : Georges Sand, Émile Augier, Ivan Tourgueniev, les Dickens, Camille Saint-Saëns, Hector Berlioz ; les amis anglais de Pauline : John Hullah, le critique Henry Chorley…, lors de leur séjour respectif à Londres, dans le contexte de la Guerre franco-prussienne contre Napoléon III. Les recommandations de Gounod ne manquent pas : « si vous chantez demain soir, gardez dans votre poche cette lettre [Paris, lundi 26 août 50], allusion à l'orgue Cavaillé-Coll qui vous souhaite bon Élisir ou bon n'importe ce que vous chanterez ; je suis avec vous. » La méthodologie est exemplaire. Les lettres sont accompagnées de très utiles notes critiques infrapaginales (projet non réalisé : Fleur d'épine ; surnom de Georges Sand : « La Ninounne »…). À noter également le vocabulaire : Père Cailleteau : « un raseur, incapable, critique, dangereux, funeste » et les intentions : « J'ai voulu vous mettre bien au fait de tout ». Ces documents sont associés à des illustrations significatives : portraits datés de Charles et Pauline, exemples musicaux, maquettes de costumes et même un dessin de Gounod représentant Henry Chorley. Une copieuse Bibliographie et un Index très dense (p. 429-437) sont éclairants. Cet imposant recueil de lettres retrace donc, d'une part, l'évolution de la carrière artistique de Pauline Viardot et, d'autre part, la genèse des œuvres de Charles Gounod et leur réception.

 

 

Édith Weber.

 

Serge DONVAL : Histoire  universelle de la musique et de la théorie musicale. 1Vol L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2015, 244 p. – 25, 50 €.

À la fois professeur à la Faculté des Sciences et au Conservatoire, luthiste et compositeur, Serge Donval associe avec bonheur les spéculations théoriques et pratiques, musicales et instrumentales, aux contextes historiques, dont la chronologie est parfois quelque peu malmenée. Il en résulte non pas une Histoire de plus, mais une « histoire pas comme les autres » accompagnée de judicieuses illustrations : exemples musicaux, reproductions d'instruments orientaux anciens, miniatures, pages de titre, schémas, tableaux (notations de la musique, râgas avec leur mode principal, division de l'octave en 53 commas holderiens)… Sa curiosité et son érudition l'amènent à se pencher sur des musiques rarement analysées et d'origines diverses : turque, perse, arabe, indienne, chinoise généralement peu abordées par certains musicologues européens : d'où le qualificatif d'« Histoire universelle ». Sa démarche originale représente en fait un coup de projecteur sur des composantes théoriques peu abordées dans des livres traditionnels à finalité historique. Il précise que son « ouvrage cite et récite les faits musicaux depuis de nombreux siècles, les explique, les analyse, les décortique et finit par découvrir de nombreuses incohérences. » (p. 7). Il lance en fait un défi aux manifestations esthétiques chronologiques à travers les siècles et aux formes musicales marquantes. Sous le couvert d'Universalité, les lecteurs seront sensibles à ce coup de patte.

Le livre s'ouvre sur des spéculations à propos des échelles musicales, gammes et accords, de leur formation et évolution. Pour le quart de ton, Serge Donval met en regard « l'héritage européen » ainsi que les maquams d'Orient (plus exactement maquamat au pluriel) et la notion d'Ethos si importante pour les théoriciens et philosophes de l'Antiquité grecque. Le chapitre II aborde, entre autres, les domaines de l'Harmonie et du Contrepoint. Le fil conducteur est tissé de façon historique, chronologique mais discontinue ; il est étayé par des éléments théoriques et des formes. À remarquer toutefois que Guillaume de Machaut (v. 1300-1377), chef de file de l'Ars Nova (XIVe siècle), ne peut pas vraiment être considéré comme un troubadour (p. 67). À noter également que le pluriel d'organum n'est pas organums, mais organa. Le chapitre III : Le Moyen Âge met l'accent sur le chant grégorien, sans oublier le chant byzantin. La chronologie est quelque peu bousculée car à l'époque médiévale succèdent (p. 75), au chapitre IV, la théorie musicale en Mésopotamie et en Perse, puis la théorie grecque antique. Le chapitre V : La Renaissance est présentée avec des titres bien ciblés : « La transition mélodie-harmonie, l'opposition savoir/profane » et quelques allusions à la Réforme et à la Contre-Réforme. Quant au chapitre VI : La période classique, elle est abordée de façon tout à fait « classique » : tonalité, formes, instruments et le problème du tempérament. Le chapitre VII concernant La musique orientale est plus neuf ; il porte sur le luth (en fait, ud) si caractéristique, les principaux auteurs et théoriciens célèbres, tels que Al Kindi (801-873), Al Farabi (872-950) ou encore Safi Ad-Din (1252-1334)… L'auteur évoque « l'Occident arabo-musulman » jusqu'à la musique orientale (Turquie-Iran-Perse) avec ses particularismes ou encore le monde arabe : autant de sujets peu développés dans les Histoires traditionnelles de la musique. Il en sera de même au chapitre VIII pour l'Inde avec les échelles, râgas et les instruments spécifiques et, au chapitre IX, pour la musique chinoise avec, entre autres, une définition, des précisions sur les formes musicales ou encore l'échelle pentatonique, l'heptatonisme, le triton et les instruments. Le chapitre X, La musique contemporaine, allant du Néo-classicisme au XXe siècle, fait un distingo entre ce qui « est européen et ce qui est oriental », sans oublier la musique électroacoustique et son évolution, l'acousmatique, la musique électronique et l'influence des techniques nouvelles : synthétiseur, informatique et ordinateur, ou encore le jazz (p. 204) et le cinéma (p. 208). Sept Annexes apportent un utile complément d'information. En revanche, la Bibliographie, un peu rapide, comporte de légères lacunes et manque de précisions, par exemple pour les prénoms d'auteurs bien connus (Vincent Arlettaz, Annie Bélis, Roland de Candé, Charles Koechlin, François Picard, Daniel Saulnier…) ; pour les rééditions successives ­de la Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique (1834-1835) de François-Joseph Fétis publiée en 1860 et, la plus récente, en 2001 dans la Collection « Bibliothèque des Introuvables ». Par ailleurs, les dates de publication et le nombre de pages ne sont pas systématiquement  indiqués.

Ces imprécisions bibliographiques ou encore grammaticales (maquamat, organa…) sont quelque peu regrettables ; elles n'enlèvent évidemment rien à l'intérêt de ce travail d'un scientifique et d'un acousticien. Son ouvrage s'impose par sa large ouverture sur des aspects peu développés dans les « Histoires » générales de la musique soucieuses de respecter la chronologie. Les lecteurs, notamment européens, seront judicieusement renseignés sur les manifestations musicales dans d'autres civilisations. Il s'agit donc davantage d'une histoire des civilisations vue à travers la musique.

 

Édith Weber.

 

Simha AROM et Denis-Constant MARTIN : L'enquête en Ethnomusicologie. Préparation, terrain, analyse. Paris, VRIN (www.vrin.fr ), Collection MusicologieS, 2015, 285 p. – 15 €.

Deux chercheurs : un ethnomusicologue spécialiste de la musique de Centre-Afrique et un socio-anthropologue font part de leur vaste expérience pratique (sur le terrain), puis méthodologique et analytique. Ce manuel contient de solides recommandations pour les étudiants et, dans  certains cas, les professionnels, selon trois étapes : préparation, terrain, analyse qui débouchent sur les objectifs de « l'analyseur social ». Ils ouvrent de nouvelles perspectives encore accrues par les progrès techniques d'enregistrement sur le vif et des possibilités ouvertes par l'informatique. La collaboration entre les deux auteurs remonte à 1971. Ils ne proposent ni « un livre de recettes », ni un « recueil de règles », mais de nombreux résultats d'expériences qui en engendrent d'autres. Après un siècle de collectages (documents sonores, entre autres), au XXIe siècle, le constat de pérennité découlant de la longue durée s'impose, de même que la révision de la notion de tradition au profit des changements sociaux. Les ethnomusicologues sont aux prises avec les sociétés primitives, développées, puis civilisées et doivent tenir compte du lieu, de l'occasion et des circonstances de la pratique musicale, pour en dégager une caractérisation des concepts, par exemple, la catégorie des « musiques qui n'en sont pas », selon Simha Arom : rhombes, cris de chasse, langages tambourinés et sifflés qui servent, en fait, de moyen de communication. En revanche, épopées et chantefables sollicitent à la fois les paroles et le chant ; et, par ailleurs, le narrateur peut s'accompagner d'un instrument et même danser.

Le problème de la conservation et de l'exploitation des données fournies par les enquêtes dans une perspective pluridisciplinaire se pose. L'ethnomusicologue doit s'interroger préalablement sur ce qu'on entend par  musique dans une autre culture ; sur le style spécifique à une population donnée ; sur le sens des connotations linguistiques. Une extrême prudence est indispensable en la matière. Finalement, « la seule posture véritablement heuristique est de considérer qu'on ne sait, qu'on ne comprend jamais tout » (cf. p. 79). Il faut donc éviter les généralisations abusives et, au préalable, maîtriser la formulation des questions à poser. La documentation doit être rigoureusement organisée et comprendre des « fichiers-index », avec indications du nom des collecteurs ayant participé aux enregistrements audio-vidéo ; des notes de terrain et des considérations techniques (enregistrements, photos, films, captation du son), objet et lieu de l'enquête, mais aussi connaître l'état des centres de documentation et la référence à des dictionnaires de langues très spécialisés, dont la consultation est indispensable pour interroger les autochtones. Les traductions doivent être scrupuleusement vérifiées. Le matériel fait aussi l'objet de judicieux conseils pratiques, par exemple pour les enregistrements sonores (et en fonction du budget alloué), il faut avoir une réserve de piles ou un accumulateur pour les appareils analogiques ou numériques ; prévoir 2 microphones dynamiques peu sensibles aux températures extrêmes ; pour les photos, utiliser des appareils silencieux munis de filtres contre les rayons ultraviolets et ne pas oublier les transformateurs, accumulateurs de rechange, les hauts-parleurs, trépieds, lampes de poche… Ces remarques de bon sens auraient pu faire l'objet d'un tableau synoptique.

Les compétences de l'enquêteur sont indispensables : avoir une « oreille éduquée » ; savoir transcrire la musique avec des signes graphiques ; maîtriser les techniques d'enregistrement ; connaître l'alphabet phonétique international. Des précautions sont évidentes : protéger les appareils et sauvegarder les documents avec un disque dur externe ou en ligne. Sur le plan diplomatique, le chercheur doit être muni d'autorisations du Ministère des Affaires étrangères, de soutiens de personnalités diplomatiques. Par ailleurs, l'ethnomusicologue doit faire preuve de vigilance et collecter tous les éléments au cas où il ne pourrait pas retourner sur le lieu de ses investigations.Un livre, certes petit en format et en nombre de pages, mais si riche en recommandations et informations émanant de l'expérience — avant le départ en mission, puis sur le terrain et ensuite au retour — avec une bibliographie suivant chaque chapitre (et non noyée dans une Bibliographie générale à la fin de l'ouvrage), contenant des références à des auteurs très confirmés tels que Jean During, Jean Molinié, Jean-Jacques Nattiez, Bruno Nettl, parmi d'autres. Il est destiné aux ethnographes, ethnomusicologues et socio-anthropologues. Débutants ou spécialistes : tous trouveront, au fil des pages et à tant de titres divers, de très précieux conseils. Incontournable.

 

Édith Weber.

 

Ziad KREIDY : Les avatars du piano. 1 vol Éditions Beauchesne, 2012, 80 p 14,50 €.

 

Le point de vue de l'auteur : pourquoi j'ai écrit ce livre.

 

         En 2004, commençant mon doctorat de musicologie sur le compositeur japonais Tôru Takemitsu, j'envisageai déjà d'écrire un livre novateur sur le piano. L'interaction entre écriture musicale et timbre me passionnait depuis mes études d'orchestration commencées en 1999. À l'époque, les pianos anciens que j'avais la chance de jouer m'intriguaient. J'y pensais continuellement. Captivé par leur musicalité, différente d'un instrument à l'autre, je me posais de multiples questions musicales et sociologiques. Pourquoi sont-ils si méconnus et jugés à coup sûr défaillants ? Pourquoi ce consensus sur l'idéalisation du grand piano à queue d'aujourd'hui ? Est-ce un phénomène purement musical ou cela relève-t-il de notre société contemporaine, voire de notre civilisation ? Comment analyser le goût musical des uns et des autres ? Pourquoi ce champ de recherche n'est-il peu ou pas du tout exploré par les musicologues ? Pourquoi n'intéresse-t-il pas les pianistes ? Quel est le lien entre les pianos et les compositions d'une même époque ? Pourquoi ces transformations ininterrompues de la facture pianistique au cours des âges ? Comment en est-on arrivé au piano moderne puissant et standardisé ? Etc...

 

Vers la fin de mes études, en classe d'organologie (2002-2005), j'ai associé le timbre à la facture instrumentale, considérant que la forme d'un instrument détermine sa sonorité. J'ai observé que s'il existe une infinité de manière de jouer d'un instrument de musique, chacun possède sa propre esthétique, à la fois insondable et limitée. Peu à peu, je me rendais à l'évidence : non seulement le monde du piano, dans sa grande majorité, ne connait pas son instrument, mais, en outre, il ne s'intéresse pas à son histoire et la déprécie.

 

 

         À propos d'autres sujets artistiques, hormis dans les sociétés dites primitives, il n'y a pas consensus, les avis divergent. A-t-on toujours dénigré le travail des facteurs du passé, où est-ce une caractéristique majeure de la deuxième moitié du xxe siècle ? Le manque de curiosité ambiant, l'ignorance de ce patrimoine constitué par les pianos historiques m'ont incité à écrire sur cette grande épopée des sonorités perdues au cours des âges. Toutefois, à l'époque, Takemitsu et la musique de la seconde moitié du xxe siècle étaient ma priorité. De plus, concernant le style musicologique, je souhaitais écrire sur le piano loin de tout formalisme. Il fallait donc attendre la fin de mes études.

 

         Travailler pendant plus de trois ans sur la musique de Takemitsu m'a aidé à être plus clairvoyant dans mon analyse de cet instrument purement occidental qu'est le piano. Les notions de moderne et d'ancien, de civilisation, d'identité, d'absolu, de métamorphose par petites touches, de mystère de la force créatrice, fondamentales chez Takemitsu, se retrouvent sous des éclairages différents dans Les avatars du piano. Takemitsu s'est véritablement intéressé à l'aspect esthétique de l'organologie. Il fut frappé par la différence entre les instruments européens modernes, facilement transposables, et les instruments japonais anciens, plus fragiles quand on les éloigne de leur lieu d'origine. De mon côté, analysant sa pensée créatrice, je prenais de plus en plus conscience de l'écart entre les pianos des différentes époques. Deux caractéristiques avaient dès le début attiré mon attention : la diversité infinie des instruments anciens et la puissance sonore augmentant depuis l'époque de Mozart jusqu'à nous. Je remarquais que cette tendance à la puissance, déterminée par le progrès technologique depuis les abords des années 1840, avait graduellement installé le long du xxe siècle une uniformisation du son.

 

         Il va sans dire qu'il est impossible de replacer les compositeurs et les instruments du passé dans leur contexte d'origine. L'œuvre d'art, les instruments de musique, notre perception de l'histoire, sont condamnés à se transformer avec le temps. En ce qui concerne les pianos anciens, peu ont survécu. Ceux qui ont perduré sont difficiles d'accès. L'examen des traités anciens ne permet pas de savoir exactement comment on les jouait ou comment on les accordait. En outre, ils ont vieilli. L'interaction des parties constitutives de chaque instrument s'est modifiée. La mécanique d'un piano, par exemple, se détériore avec le temps. Phénomène lent, complexe et inéluctable, le vieillissement est un mystère des avatars du piano. J'ai renoncé, peut-être à tort, à y consacrer un chapitre. Comment sonnait un piano à l'origine ? On ne le saura jamais. En revanche, les pianos anciens, qu'ils soient restaurés ou non, ainsi que les copies modernes de pianoforte permettent de nous faire une certaine idée de la sonorité du piano d'une époque donnée. Là encore, et à juste titre, les avis des spécialistes concernant la restauration et la manière de réaliser des copies de pianos anciens divergent. Cela m'a poussé, entre autres, à affirmer qu'il n'existe pas de référence en matière de facture pianistique.

 

         La lecture des écrits actuels ainsi que mes conversations avec les pianistes, compositeurs, accordeurs, facteurs de piano, journalistes et musicologues m'ont aidé à cerner le contexte sociologique d'aujourd'hui. J'ai constaté que notre vision du piano se réduit surtout aux spécificités du répertoire et des pianistes. Ces derniers, par exemple, avaient du mal à répondre à mes questions sur le piano. Ils n'évoquaient que leur technique instrumentale, comme si le piano en tant que tel était un sujet fictif. Leur vision du jeu pianistique obnubilait tout intérêt pour l'instrument. Dans le meilleur des cas, l'exigence de réglage (égalité des touches, harmonisation des têtes de marteaux, accord, etc.) se substituait à d'autres aspects de la facture pianistique. De même, je me rendais compte que les notions d'égalité sonore et de respect littéral de la partition, typiques de l'enseignement pianistique de notre époque, sont proclamées sans conscience historique, comme si le piano était resté immuable au fil des siècles. Cette certitude en la suprématie à tous égards du grand piano de concert moderne est fonction de l'incompréhension de son histoire. Elle empêche toute approche critique. Pour ma part, je continue de penser qu'il est indispensable d'avoir une bonne connaissance historique avant toute démarche analytique. Quel que soit le point de vue, connaître les instruments anciens est nécessaire à un commentaire sérieux du legs du passé. Considérer l'histoire du piano à partir d'un seul modèle me paraît toujours insensé. J'ai ainsi remarqué que l'histoire du piano, notamment au xxe siècle, s'est souvent racontée sans contact direct avec les pianos anciens, en valorisant dans le piano les survivances anciennes au détriment des réalisations oubliées.

 

         Même s'il traite des éléments liés à l'interprétation, ce livre ne cherche pas à dire quel piano choisir et comment le jouer. Il pousse à la réflexion et déconstruit l'opinion largement admise. Est-il un livre d'histoire de la musique ou d'organologie ? Il me semble que, dans une bibliothèque, il peut être rangé au rayon histoire, esthétique, organologie ou même interprétation. Essayant d'apporter ma pierre à l'édifice, je propose une sorte de théorie esthétique du piano. D'où la concision et la densité de l'ouvrage qui contient peu de renseignements. Je ne voulais pas répéter ce qui a déjà été dit, ni synthétiser les connaissances musicologiques sur le piano. Je ne l'ai pas non plus voulu comme une analyse avançant progressivement pour aboutir à une conclusion finale. C'est pour ces raisons que, d'un commun accord avec les éditions Beauchesne, on n'a pas proposé une bibliographie à la fin de l'ouvrage.

 

         Les avatars(1) sont une esthétique de l'organologie, une trame conceptuelle permettant de saisir la vie complexe d'un instrument emblématique de l'histoire de la musique de l'Occident des trois derniers siècles. En réfutant par conviction la doctrine du progrès, je remets en cause l'histoire du piano telle qu'elle est racontée, selon l'idée d'un progrès graduel, depuis le début du xixe siècle. Mon parti pris est que le piano n'est pas uniquement une formidable machine à produire du son mise au service des musiciens, mais aussi un instrument d'art. Analyser sa musicalité indépendamment de l'instrumentiste ébranle les certitudes et sème le doute. Je savais à l'avance que c'est un livre qui provoque, qui dérange, mais je tiens à préciser qu'il s'agit d'une coïncidence objective que je n'ai pas choisie.

 

         Je cherchais une stratégie musicologique. Comment montrer que chaque époque a connu des pianos parfaitement aboutis dont la plupart on disparu ? Par où commencer ? Organiser mon discours ne fut pas chose facile, tellement le sujet est vaste. Je prenais conscience de mes propres limites, estimant qu'une seule personne ne peut pas posséder toutes les compétences afin d'aborder, dans leur ensemble, les avatars du piano. D'où l'impression d'inachevé qui émane de cet ouvrage. Je ne voulais pas un livre avec trop de renseignements, mais une réflexion sur l'expressivité du piano mettant en valeur ses caractéristiques insoupçonnées. Je l'ai élaboré selon un concept central que j'expose dès les premières pages et qui se développe le long du livre de manière circulaire. J'ai lié le contexte de naissance du piano à sa destinée, à la civilisation de l'Occident.

 

Le premier chapitre Pianos anciens, pianistes modernes montre de manière critique le regard de notre époque sur les avatars de son instrument adoré. Glossateurs de pianos montre que la préférence du piano contemporain est une ancienne tradition qui perdure malgré les transformations historiques du piano. Dans Résonance et équilibre des registres, je prouve qu'au cours de son histoire, le piano n'a pas évolué de manière linéaire, mais qu'il s'est métamorphosé de façon très complexe. J'ai voulu analyser la manière dont de nombreux détails spécifiques d'un texte musical touchent à la nature des instruments de l'époque. Pour décrire la sonorité, j'ai évité les adjectifs tels que "sombre", "clair", "coloré", "voilé", etc., fréquemment employés, considérant qu'ils deviennent imprécis si on ne connait pas l'instrument dont on parle. De même, s'il est très difficile de parler du son musical, il est plus aisé de déterminer les limites des instruments d'une époque donnée.

 

         Dans Puissance du son et aléas historiques, j'insiste sur la puissance grandissante du son comme un paramètre fondamental, comme un cheminement inéluctable de la vie du piano, la situant au-delà des détails de fabrication d'un instrument donné. Il est intéressant de relever que les spécialistes des pianos anciens que j'ai rencontrés n'accordent pas une telle importance à cet aspect.

 

         Après avoir achevé ce livre, je reste persuadé que le piano est un instrument méconnu. Ce que je conteste dans la théorie de la suprématie absolue du piano moderne, ce n'est pas uniquement sa lecture progressiste de l'histoire, mais aussi la conception standardisée qu'elle cherche à promouvoir. En fin de compte, proposant une autre histoire du piano, je m'emploie à déboulonner les préjugés qui me paraissent néfastes, et à construire ou à ranimer ce que j'appelle des mythes positifs, comme la diversité illimitée du patrimoine que constituent les pianos anciens.

 

         Les avatars du piano n'a pas bénéficié de l'appui d'une quelconque institution. Écrit librement à une époque où je n'avais pas un travail régulier, il ne s'adresse pas exclusivement aux musicologues et aux universitaires. Dans un grand souci de concision, j'ai expressément cherché un ton direct et percutant. Je souhaite qu'un jour il ne soit plus vu comme un ouvrage à contre-courant du monde musical.

 

Ziad Kreidy.

 

 

(1) En langue française, « avatar » signifie métamorphose, incarnation et mésaventure.

 

Jacques LONCHAMPT : La musique au jour le jour. Bouquets de Fleurs 1 1961-1973. 1vol L'Harmattan, 2015, 303 p, 28€.

 

« Que deviennent nos souvenirs de concerts ?» Sans doute plus que l'impression du moment, glanée au sortir d'une soirée qu'on pense être marquée d'une pierre blanche... ou embrumée par quelque déception. S'ils ont tendance à s'estomper au fil inexorable du temps, le mérite de cet ouvrage est de les raviver. Car voici réuni un florilège de papiers de Jacques Lonchampt, éminent critique musical du journal Le Monde des années durant, récemment disparu. Et tournés avec la fine plume qu'on lui connut. Ce sont finalement autant de moments essentiels où le mot culture prend tout son sens. Pour qui a vécu ces années bénies, de 1961 à 1973, où l'on abordait bien des œuvres pour la première fois, c'est une mine d'enseignements. Pour les autres aussi, car l'interprétation n'est aujourd'hui que dans la continuité de ce qu'ont tracé ceux d'avant. C'est une joie, un privilège même, de se trouver dans l'intimité des plus grands, Casals, Rubinstein, Berganza ou Hotter, et de voir éclore les débuts de qui est parvenu à son tour à la gloire de maintenant, les Abbado, Pires,... Ce qui fait le prix de cette collection c'est l'art de l'auteur de replacer la recension dans un cadre plus large, musical, spacio temporel ou historique. Ils étaient nombreux, à l'époque, à concevoir de la sorte un papier. On pense à un José Bruyr ou à un Antoine Goléa. Et puis il y a chez Lonchampt un art revigorant de la belle formule : à propos du festival de Bayreuth, une « usine à musique », de Pelléas et Mélisande, « cet étonnant chef d'œuvre... qui nous empêche de nous ''divertir' (p 222) ». L'acuité du titre est l'exact miroir de ce qu'on va lire ensuite : « Bruckner Le paysan du Danube, une ''liaison avec Dieu'' (p 96), « Arthur Rubinstein le ''repos dans la lumière'' (p 100), ou encore « Herbert von Karajan Don Juan de tous les grands orchestres » (p 108). Parfois quelques phrases bien senties s'autorisent une divertissante fantaisie, par exemple pour ce qui est de la trame d'opéra (Lucia di Lammermoor : une « œuvre dépourvue de consistance dramatique mais non de charme, dont la musique... remplit honnêtement son office comme un bon film de série ou une comédie de boulevard...). C 'est surtout dans l'analyse perspicace que l'auteur se révèle : Celle d'une œuvre, Pli selon Pli de Boulez, pour n'en citer qu'une, ou dans la description d'un spectacle (Otello à Salzbourg, p 150), d'un lieu (le festival de Menton, p 148), ou encore d'un disque (« Les Saisons » interprétées par Karl Böhm, ou le Trio K 563 de Mozart, ou encore la monumentale édition des Lieder de Schubert par Dietrich Fischer-Diekau). Sa plume n'est jamais aussi éloquente que lorsqu'il parle d'un artiste comme « Il cherubino Rubinstein », ou Reine Gianoli (« elle parait toute frêle et solitaire, immergée dans le secret des œuvres auxquelles elle va donner un sens ce soir » (p 73). Bien sûr, la plupart ce ceux-là nous ont quittés (mais pas Boulez, comme l'indique une coquille dans la préface). Reste leur empreinte indélébile au panthéon de l'interprétation. Jacques Lonchampt met l'accent, plutôt rare à l'époque, sur la musique contemporaine : des « espaces inhabitables » de François Bayle (p 90), aux Momente de Stockhausen, en premières auditions françaises, en 1972 et 1973, de « L'inquiétant Monsieur Kagel » à Royan, à Boucourechliev et les ''navigations'' de Amers à La Rochelle en avril 1973. Il faut sans doute lire ce livre en picorant dans ses diverses entrées, plus que dans la continuité,  pour savourer le sel de ces petites histoires de Grande musique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Noémi LEFEBVRE : Marcel Landowski – une politique de l'enseignement musical – 1966/1974. Cahiers de recherches du Cefedem Rhône-Alpes et Comité d'histoire du ministère de la Culture et de la Communication, "Enseigner la musique numéro 12", Lyon, 2014,  358p. 21 euros.

 

Après un premier ouvrage consacré à Maurice Fleuret et publié en collaboration avec Anne Veitl, Noémi Lefebvre s'attaque à une autre figure de la politique musicale française, Marcel Landowski. Tout comme pour son ouvrage précédent, Noémie Lefebvre a bénéficié du soutien du Comité d'histoire du ministère de la Culture et de la Communication, soutien perceptible notamment dans la richesse des sources exploitées. L'auteure nous livre une étude très bien informée, très détaillée et nuancée qui témoigne d'une grande connaissance des problématiques de la politique de l'enseignement musical où elle aborde successivement la politique musicale et l'action culturelle (1962-1966), le conservatoire national supérieur de musique, la réforme de l'enseignement musical spécialisé, l'action en faveur de la musique dans l'enseignement scolaire et la politique d'animation musicale. Ce livre est publié à point nommé, tout d'abord parce qu'il permet de célébrer le centenaire de la naissance d'un homme cardinal pour le développement de la politique musicale française de la seconde moitié du XXe siècle et ensuite parce qu'on assiste progressivement au démantèlement de l'œuvre d'aménagement et de développement culturel du territoire qu'il avait participé à mettre en place, notamment avec la diminution des dotations budgétaires de certains conservatoires.

 

Noémi Lefebvre nous explique comment le ministère des Affaires culturelles est arrivé à la création d'abord d'un service puis d'une direction de la musique, confiée à un musicien, et comment le projet de démocratisation de l'accès à la musique, fondé sur la réorganisation des structures de l'enseignement et de la diffusion défendu par Marcel Landowski, s'est finalement imposé contre le projet de l'intégration de la musique à la politique d'action culturelle (soutenu par Pierre Boulez). C'est une étude passionnante pour qui s'intéresse aux enjeux politiques de la musique et souhaite décrypter la crise des années soixante.

 

Après un long développement sur le CNSM, sa vocation d'excellence, et la gestion de Mai 68 par Landowski, Noémi Lefebvre se focalise sur la formation des musiciens professionnels, soulignant l'effort conséquent mené pour l'élargissement de la base grâce à l'implantation de structures d'enseignement sur tout le territoire dans le cadre du "Plan de 10 ans pour l'organisation des structures musicales françaises" et rendue possible grâce à un effort financier de l'État en constante croissance, à partir de 1969. La réforme de l'enseignement musical spécialisé ayant pour but la formation de musiciens professionnels mais aussi la constitution d'un public pour les concerts car il s'agit également d'organiser la société dans son rapport à la culture.

 

L'autre champ de préoccupation fondamental de Marcel Landowski est le rapprochement entre l'éducation générale et l'enseignement musical. L'ouverture de l'école primaire aux pédagogies nouvelles après Mai 68 créé un espace favorable à une réforme du mode d'enseignement musical scolaire, en ayant recours aux interventions extérieures. La création de classes à horaires aménagés constituant l'un des principaux résultats d'une réflexion commune engagée entre le ministère de l'Éducation nationale et le ministère des Affaires culturelles.

 

Il manque cependant, pour que cette étude soit complète, tout un pan de la politique de démocratisation musicale menée par Marcel Landowski, l'aval de la question, à savoir la création des orchestres de région dans un contexte d'aménagement du territoire. Quelques rapides références à la crise des orchestres de la R.T.F., à la restructuration des orchestres parisiens, à la mobilisation des musiciens d'orchestre dans les années soixante ne suffisent pas à traiter le sujet. Il reste donc tout cet aspect à couvrir pour un prochain ouvrage ?

 

 

Camille Grabowski.

 

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

Haut

 

« DAROCA 1488. 1607. 1718. 2006 ». Albert Bolliger, orgue. 1CD SINUS (www.sinus-verlag.ch ). Distribution : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ) : CD 4008. TT : 61' 26.

L'Orgue historique de l'Église Collégiale Santa Maria de los Corporales Sagrados, à Daroca (commune de Saragosse, en Espagne), remonte à 1460 ; il a été transformé successivement en 1488, 1498, 1511 et 1607, adapté à l'esthétique baroque en 1718, puis au goût romantique en 1918. En 2006, le facteur Pascal Quoirin, en collaboration avec les Frères Frédéric et Yann Desmottes de Cuenca, a voulu restituer l'instrument en son état de 1700. Cet instrument prestigieux permet de nombreuses possibilités de registration très judicieusement exploitées par l'éminent organiste suisse Albert Bolliger (né en 1937), élève du Conservatoire de Zurich, puis, à Paris, auprès d'André Marchal et de Jean Langlais. Le programme concerne des musiciens espagnols : Aguilera de Heredia (1561-1627), Martin y Coll (mort après 1734), Pablo Bruna (1611-1679), Gabriel Menalt (1657-1687), Joan Cabanilles (1644-1712) qui gagnent à être révélés aux mélomanes et aux organistes. Il offre un aperçu des formes organistique traditionnelles depuis la fin du XVIe jusqu'au début du XVIIIe siècle : Tiento (forme typiquement espagnole s'apparentant à la fantaisie ou au ricercar), Tiento de Batalla (bataille), œuvres dans plusieurs tons, danses : Galharda, Alamanda, Corrente italiana, Zarabanda, Pasacalles (passacaille), entre autres…

À noter le remarquable livret d'Albert Bolliger avec historique, description et composition de l'Orgue successivement d'esthétique gothique, renaissante, baroque, romantique. Dans le Tiento de batalla (8e ton) composé par Aguilera de Heredia, le thème s'impose en force au clavier principal, avec des entrées successives et des effets d'échos, contrastant avec le Tiento de falsas (6e ton) de Pablo Bruna, moins développé et plus intériorisé. Joan Cabanilles maîtrise parfaitement l'écriture contrapuntique dans son Tiento (30) du 1er ton. Le Tiento de falsas (6e ton) de Gabriel Menalt s'élève des profondeurs vers l'aigu. Parmi des œuvres anonymes (attribuées à Martin y Coll) figurent entre autres des danses : Alamanda, brève pièce dans un tempo extrêmement lent ; Zarabanda, danse lente par excellence. La Corrente italiana de Joan Cabanilles est plus développée et privilégie une facture mélodique quelque peu ornée. Excellente revalorisation d'un orgue qui a retrouvé sa facture baroque (autour de 1700).

 

 

Édith Weber.

 

« Pour un violon » : Georges Migot (1891-1976)- Jean Absil (1893-1974) : œuvres pour violon. Claire Couic-Le Chevalier, violon. 1CD ARTIST LABEL (www.artist-label.com) : AL-150521. TT : 51' 09.

Comme le précise la violoniste Claire Couic-Le Chevalier : « Ce disque est le fruit d'une recherche qui a pour point de départ un coup de foudre pour un violon, un  Léonhard Maussiel de 1735 essayé et acquis à l'occasion d'une vente aux enchères, aux Andelys, fin 2013 ». Elle signale qu'après avoir étudié le Catalogue de la BNF, à la recherche d'œuvres méconnues ou moins connues dont aucun enregistrement n'est disponible actuellement, son choix s'est fixé sur deux compositeurs quasi contemporains pratiquant un langage musical très différent : Georges Migot (1891-1976) et Jean Absil (1893-1974). Sous le titre : « Pour un violon », elle interprète d'abord la Sonate pour violon seul composée à Saint-Jean d'Angély du 29 juillet au 5 août 1951 par Georges Migot et dédiée à Maurice Fuéri dans laquelle elle respecte parfaitement les indications du compositeur relatives aux cinq mouvements : Prélude : souple et librement ; Allègre : décidé ; Andante : large, chantant ; Danse : Andante, Allègre et Final : gai-léger. Cette musique dépouillée, quasi intemporelle, exige une haute technicité violonistique, souvent à deux voix, avec un cheminement mélodique souple et diversifié, faisant appel à la virtuosité, à l'attaque précise, à une justesse impeccable et à une vive sensibilité, un phrasé très précis qui sont présents tout au long de l'œuvre. La Sonatine pour violon datant de 1959 se réclame des mêmes éléments stylistiques, mais — comme le rappelle le regretté Marc Honegger — elle appartient à une période de production de Migot où le langage s'est épuré : une période de dépassement. C'est aussi le cas de Claire Couic-Le Chevalier.

Le second volet permet d'entendre  la Chaconne (op. 69) et la Sonate (op. 134) de Jean Absil, né à Bonsecours dans le Hainaut, le 22 octobre 1893, et mort à Bruxelles, le 2 février 1974. Il a fait ses études en orgue, harmonie et fugue au Conservatoire Royal de Bruxelles et a obtenu les Premiers Prix, mais aussi en ochestration et en composition, puis il y a enseigné l'harmonie et la fugue. En 1922, il a remporté le Second Grand Prix de Rome (belge). Ses recherches se sont portées notamment sur la polytonalité, l'atonalité, le sérialisme. Son Catalogue comprend de nombreuses œuvres de musique instrumentale (piano, quatuor) et pour orchestre (symphonies) ainsi que des pièces pour quatuor vocal. Sa Chacone pour violon (op. 69), datant de 1949, dédiée à Maurice Raskin, reprend la formule habituelle : un thème suivi de variations (24 au total) mélodiques, rythmiques ou harmoniques. Sa musique baigne dans l'atonalité et le chromatisme. En 1967, il a composé sa Sonate pour violon seul faisant appel aux mêmes caractéristiques stylistiques, exigeant toutefois moins de virtuosité que la Chacone. Ces œuvres de deux compositeurs du XXe siècle, interprétées en connaissance de cause par Claire Couic-Le Chevalier, gagnent à être découvertes, entendues et réentendues.

 

Édith Weber.

 

Anthony GIRARD : Sonate pour violon et piano « Behind the Light ».  L'oiseau d'éternité, poème pour piano. Deux pièces d'après Marc Aurèle pour violoncelle et piano. Vers le ciel pour violoncelle et piano. Isabelle Flory, violon, Geneviève Girard, piano, Fabrice Bihan, violoncelle. 1CD NAXOS (www.naxos.com). CD 9.70221. TT : 60'43. 

Anthony Girard, né en 1959 à New York, a fait ses études au CNSMP où il a obtenu, entre 1980 et 1986, cinq Premiers Prix : harmonie, contrepoint, analyse, orchestration et composition. Il est également titulaire du DEA d'Histoire de la Musique préparé en 1985 à l'Université Paris-Sorbonne. Il a composé des œuvres de commande pour de nombreux orchestres, chœurs et ensembles internationaux en France et à l'étranger. Sa Sonate pour violon et piano composée en 2005 : Behind the Light est, selon ses propres termes, « une sonate toute entière tendue vers la lumière, ou mieux vers l'au-delà de la lumière. L'œuvre commence avec des ailes (With wings), et s'annonce comme un voyage irréel… La seconde partie de la Sonate, lente, se développe à partir d'une sorte de vide central, un matériau pauvre, dépouillé : les cordes à vide du violon sol-ré-la-mi… La troisième partie reprend le mouvement initial… et développe les thèmes de la lumière invisible avec un lyrisme éperdu mais intime. La Sonate se termine par une brève coda en crescendo qui semble vouloir à tout prix accéder aux régions de l'inaccessible clarté ». Voici tout un programme réalisé avec sensibilité et finesse par Geneviève Girard — qui se distingue par son accompagnement soutenu au piano — et Isabelle Flory — qui s'impose par sa ligne mélodique dans le registre aigu du violon pour évoquer la lumière — avec un excellent pouvoir suggestif.

Geneviève Girard interprète le poème pour piano composé en 2011 : L'oiseau d'éternité « inspiré par le récit d'un promeneur témoin de cet enchantement » et de sa « rencontre avec l'oiseau d'éternité » car, selon le compositeur, le chant de l'oiseau d'éternité, l'oiseau dont parlent les légendes, nous donne accès à un espace sonore où le temps n'existe plus, le lieu rêvé de la musique ! Mais au moment où l'on voudrait que cet espace nous appartienne, il devient inaccessible… ». Cette musique à la fois descriptive et si évocatrice est interprétée jusque dans les moindres insinuations par l'excellente pianiste, avec fidélité aux intentions du compositeur. Le programme se termine avec d'abord Deux pièces d'après Marc Aurèle pour violoncelle et piano : 1. Le fleuve du temps évoquant le temps qui passe et le « monde comme un être unique ayant une substance unique et une âme unique » ; 2. L'âme du monde, particulièrement dépouillée et d'une rare simplicité, impose le silence, résultant d'une parfaite connivence entre Geneviève Girard et Fabrice Bihan (violoncelle). La dernière œuvre : Vers le ciel pour violoncelle et piano, est marquée par l'intériorité, le lyrisme, l'élan, l'aspiration à la lumière, tout comme la Sonate pour violon et piano (plage 1). Belle révélation des talents compositionnels d'Anthony Girard imprégné d'une indicible spiritualité.

 


Édith Weber.

 

Anthony GIRARD : Le Cercle de la Vie, 24 Préludes pur piano. Et si le ciel disparaît ?, pour orgue. Geneviève Girard, piano. Pascale Rouet, orgue. 1DVD CEA MUSIKA (14, rue Laferrière, 75009 PARIS); : TT : 90'. 

Si la réalisation discographique (cf. supra) met en valeur la spiritualité d'Anthony Girard, la seconde — en fait une vidéo avec le Cercle de la Vie (2007) (suite de 24 Préludes pour piano) — traduit aussi son attitude philosophique et son « aventure intérieure ». Les excellentes prises de vue et la remarquable mise en scène créent immédiatement l'atmosphère si bien rendue au piano par Geneviève Girard, professeur à l'École Normale de Musique de Paris, soliste internationale, qui s'impose par sa technique éblouissante, son remarquable toucher, la souplesse et la transparence de son jeu et son interprétation faite de discrétion. Ces 24 Préludes abondent en sensations et images pour « imaginer la vie comme un cercle et la musique comme des points situés le long de ce cercle : comme un voyage autour du monde où les pôles seraient la Joie et la Tristesse et, à mi-chemin, l'Inquiétude et la Paix » exprimés dans les 12 premiers Préludes. Les 12 suivants, selon Anthony Girard, reprennent le même principe : « À la Joie et la Tristesse se substituent la Lumière et les Ténèbres ; à l'Inquiétude et la Paix, le Rêve et la Réalité ».

Le DVD se poursuit avec l'œuvre pour orgue intitulée : Et si le ciel disparaît ? enregistrée par Pascale Rouet — professeur d'orgue et organiste — à l'Orgue de la Cathédrale Saint-Étienne d'Auxerre, de facture contemporaine avec 4 claviers et pédalier, des tuyaux en chamade. Comme elle le précise : cette œuvre « se présente comme une fresque deux panneaux où l'on retrouve nombre de préoccupations musicales du compositeur : lignes directement issues d'un grégorien remodelé, périodes en ostinatos rythmique et mélodique, utilisation de silences prolongeant la résonance d'accords toujours légèrement différents, matériau limité qui se développe verticalement ou horizontalement. » Quant au compositeur, il souhaite « représenter le ciel comme un miroir du temps et comme le récit de leur propre vie [des musiciens et peintres] ».

Cette vidéo avec cet enregistrement musical de tout premier plan évoque toute la dimension philosophique, esthétique et spirituelle du compositeur qui peut compter sur des interprètes particulièrement fidèles  et sensibles à son message.

 

Édith Weber.

 

Felix MENDELSSOHN : Les six Sonates pour orgue. Pierre Labric, orgue. 1CD DISQUES FY & DU SOLSTICE (www.solstice-music.com ): SOCD 303. TT.: 73' 52.

L'Orgue Aristide Cavaillé-Coll (1890) de l'Abbatiale Saint-Ouen à Rouen — à 4 claviers (positif, grand orgue, récit expressif et bombarde) et pédale, d'esthétique baroque mais avec de nombreuses mixtures, mutations et des jeux d'anches — permet également d'interpréter des œuvres de Felix Mendelssohn (1809-1847), plus romantiques et avec une approche symphonique, se situant toutefois « entre tradition et modernité », comme le souligne François Sabatier. Son titulaire, Pierre Labric — élève en orgue de Marcel Dupré, Maurice Duruflé, Pierre Cochereau et Jeanne Demessieu, d'ailleurs suppléant de ces deux derniers ­— est titulaire de l'Orgue Aristide Cavaillé-Coll (1890) à l'Abbatiale Saint-Ouen à Rouen.  Mendelssohn a composé ses 6 Sonates pour orgue (op. 65) entre 1844 et 1845, à l'initiative des éditeurs anglais Coventry et Hollier. Il a été influencé à la fois par l'école anglaise anglaise, par J. S. Bach et par la musique luthérienne. En effet, il exploite des mélodies de chorals bien connus dans ses Sonates nos I : Was mein Gott will, das g'scheh allzeit, III : Aus tiefer Not schrei ich zu dir (De profundis) et VI : Vater unser im Himmelreich (Notre Père).

La première Sonate en fa mineur se rattache au passé par sa structure en 4 mouvements : Allegro moderato & serioso, Adagio, Andante, Allegro assai vivace. Elle fait alterner douceur, intériorité, expressivité et brio (toccata) ; elle exige une grande virtuosité. La deuxième en ut mineur rappelle la forme typiquement anglaise du Voluntary. L'introduction est suivie d'un bref Grave et d'un Adagio de conception assez classique. L'Allegro maestoso e vivace se présente comme une marche énergique avec une coda massive servant de transition vers l'Allegro moderato dans lequel Mendelssohn reprend une fugue de 1839 avec deux contresujets et strette conclusive très énergique. La troisième en La majeur est un triptyque de structure répétitive (A B A') avec combinaison du choral Aus tiefer Not et d'une double fugue. La quatrième, en Si b majeur, s'apparente à une symphonie plus qu'à une sonate. Elle comprend 4 mouvements : l'Allegro con brio bithématique contrastant avec l'Andante religioso plus intériorisé, alors que l'Allegretto s'impose par un thème typiquement mendelssohnien circulant à travers le mouvement. En conclusion, l'Allegro maestoso e vivace comporte une marche tonitruante, une fugue qui n'est pas sans rappeler J. S. Bach, avec de nombreuses entrées (sujet droit, sujet renversé puis strette) requérant une parfaite maîtrise technique aux claviers et à la pédale. La cinquième en Ré majeur composée autour de 1845, est aussi un triptyque : Andante (un peu comme un choral), Andante con moto (avec un staccato de pédale) et Allegro maestoso (à deux thèmes, l'un interrogatif ; l'autre de caractère plus passionné). La sixième en ré mineur repose sur le choral Vater unser im Himmelreich (chaque article du Notre Père commenté par Martin Luther fait l'objet d'une strophe). Mendelssohn fait appel à une série de variations dans lesquelles il traite différemment le cantus firmus : d'abord harmonisé à 5 voix, puis — dans les 4 variations — planant au soprano (Variation 1) ; ponctué à la pédale, choral harmonisé à 4 voix sur une pédale de croches (Variation 2) ;  exposé au ténor avec des commentaires en tierces et sixtes parallèles (Variation 3) ; enfin, énoncé d'abord à la basse avec quelques accents déplacés ensuite en alternance au soprano et au ténor, pour aboutir à une imposante coda ; et , pour finir, une fugue reprend le début de la mélodie du choral (Variation 4). L'éminent organiste titulaire de l'Orgue Cavaillé-Coll (1890), Pierre Labric — respectant les intentions de Mendelssohn relatives aux critères d'interprétation, aux nuances et à la registration — et François Carbou —qui a réalisé l'excellent montage par à partir de l'enregistrement historique de 1974 — font honneur aux Disques Fy et du Solstice toujours attentifs à la musique d'orgue.

 

Édith Weber.

 

Camille SAINT-SAËNS : Les six Préludes et fugues pour orgue. Pierre Labric, orgue. 1CD SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : SOCD 305. TT.: 56' 43.

Dans la même optique que le CD précédent, les Disques FY et du SOLSTICE proposent un enregistrement historique (Saint-Saëns) réalisé les 23 et 24 juillet 1973 et le 12 octobre (1974 (Gigout) avec l'assistance à la console de François Carbou ; cette production étant dirigée par Yvette Carbou. Camille Saint-Saëns (1835-1921), très jeune, élève surdoué de François Benoist, a suivi des cours de composition, d'harmonie, de contrepoint et de fugue au Conservatoire. Il était à la fois un pianiste, un virtuose et un organiste prodigieux. La fugue, une de ses formes de prédilection, représente un chef-d'œuvre d'inventivité et de maîtrise du contrepoint. Chaque Prélude & Fugue est dédié à un de ses collègues : Charles-Marie Widor, Alexandre Guilmant, Eugène Gigout, Gabriel Fauré, Albert Périlhou, Henri Dallier. L'opus 99 a été publié en 1894. Dans ces œuvres, il fait preuve d'imagination, de renouvellement mélodique, rythmique et aussi de couleur modale. Ses Fugues sont toujours traitées à quatre voix, et ne sont pas sans rappeler celles de J. S. Bach avec certains éléments baroques, mais davantage pensées pour les couleurs de l'orgue symphonique. Dans les Trois Préludes et Fugues (op. 109), le compositeur soigne tout particulièrement les marches d'harmonie, les imitations, la logique du discours, les alternances de claviers qui se répondent. Il fait aussi appel à la virtuosité avec des arpèges descendants et ascendants planant au-dessus de la pédale en valeurs longues, à la double fugue de structure répétitive ou encore à des divertissements. Il utilise volontiers aussi des accords alternés et des altérations pour créer une certaine instabilité, mais il se refuse à l'excès de sentimentalisme, ceci au profit de l'émotion. Pour compléter son programme, Pierre Labric a ajouté le Grand Chœur dialogué  (n°6 des Six Pièces, 1881) qu'Eugène Gigout a dédié à l'organiste virtuose belge, Alphonse Mailly. Dans cet Allegro moderato quasi maestoso, sur les fonds et anches, le compositeur spécule sur l'alternance entre un chœur forte sans pédale (« Chœur II ») — même s'il ouvre la pièce — et un chœur fortissimo avec pédale (« Chœur I »), de caractère très rythmé et scandé. Cette œuvre majestueuse est, comme l'observe Michel Roubinet : « une authentique page d'apparat de l'orgue symphonique français ». Pierre Labric se joue de toutes les difficultés techniques et son esthétique diversifiée peut être représentative de l'impressionnisme, à un degré moindre du néo-classicisme, et surtout de l'orgue symphonique français.

 

Édith Weber.

 

Franz SCHUBERT : Sonate D 960. 4 Impromptus op. 90, D 899.  Sodi Braide, piano. 1CD Disques FY et du SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : SOCD 309. TT : 71' 01.

Comme les Préludes de Chopin, les Impromptus de Franz Schubert font partie du répertoire des jeunes pianistes aussi bien que des solistes expérimentés. Sodi Braide, artiste cosmopolite réside actuellement à Paris. Il a entrepris ses études au Nigeria, en France au CNSM avec Jacques Rouvier et Gérard Frémy, et à l'École Normale de Musique de Paris avec Françoise Thinat, puis à Madrid avec Dimitri Bashkirov, enfin à la Fondation pour piano du Lac de Côme, notamment auprès de Leon Fleisher, Alicia de Larrocha, Charles Rosen. Soliste, il se produit avec de nombreux orchestres et à la télévision, en France ainsi qu'à l'étranger. Il a d'ailleurs été invité dès 1994 à donner des concerts en Afrique du Sud. Comme il le rappelle, il est ainsi devenu « l'un des premiers pianistes d'origine noire africaine à y jouer après la fin de l'apartheid. » Sodi Braide rappelle : « mon premier contact avec l'œuvre pianistique de Schubert date de la fin de mes années au Conservatoire de Paris. J'avais commencé mes études en travaillant des Préludes et Fugues de Bach, des Sonates de Beethoven, des Études de Chopin, bref le répertoire standard de tout apprenti pianiste. J'ai joué relativement peu de Schubert. » Mais, vers la fin de ses études, frappé par « l'aspect profondément humain de Schubert, avec ses contradictions, ses subtilités », il a retenu des œuvres « représentatives de toutes les facettes de son art », produites par Schubert vers la fin de sa vie.

Sodi Braide propose les 4 Impromptus op. 90 (D. 899) datant de 1827. Le premier, le plus développé, en ut mineur (Allegro molto moderato), frappe par son accord initial tout en force avec des effets de résonance, auquel s'enchaîne une marche comportant une mélodie tranchée qui donne lieu à des développements évoluant du piano vers le forte avec des oppositions constantes de nuances et des effets d'écho. Le deuxième, en mi b majeur (Allegro), si souvent « massacré », s'impose par son charme et sa fraîcheur, et n'est pas sans rappeler Chopin. Le troisième, en sol b majeur (Andante mosso), plus calme, utilise une courbe mélodique plus ample un peu à la manière d'un choral sur accompagnement de triolets. Le quatrième, en la b majeur (Allegretto), fait appel à la virtuosité et à un langage donnant libre cours aux modulations enharmoniques. Ces Impromptus sont interprétés à la limite de la vitesse avec force, énergie et grande maîtrise de la technique pianistique. Enfin, le morceau de résistance : la Sonate n°21 en si b majeur (D 960), datant de 1828 — dernière composition de grande envergure, deux mois avant la mort de Schubert — comprend 4 mouvements diversifiés : Molto moderato très développé, avec un beau discours mélodique ; Andante sostenuto marquant le point culminant de la sonate, avec une mélodie plaintive et méditative contrastant avec le Scherzo. Allegro vivace con delicatezza enjoué et bien enlevé ; enfin, l'Allegro ma non troppo très rythmé, au thème coquin et des effets de modulation débouchant sur un presto brillant avec à la main gauche des batteries d'octaves, termine ce disque en virtuosité.

 

Édith Weber.

 

Frédéric  CHOPIN : 24 Préludes op 28. Prélude op 45. Fantaisie op 49, Berceuse op 57, Barcarolle op 60. Jean-François Antonioli, piano. 1CD KLANGLOGO (www.rondeau.de ): KL 1409. TT : 71' 55.

Grâce au Label KLANGLOGO, distribué par RONDEAU PRODUCTION (Leipzig) et grâce à la qualité exceptionnelle de l'acoustique du Victoria Hall à Genève, les amateurs de Chopin, découvriront le pianiste et chef Jean-François Antonioli dans une autre conception des Préludes op. 28 souvent galvaudés. Dans ce disque tout en finesse, en expressivité et en poésie, ils sont interprétés avec infiniment de minutie et de distinction, avec les moindres nuances et un romantisme contenu. L'interprète — en parfaite connivence avec la pensée de Chopin — confère à chacun des 24 Préludes son caractère propre, tour à tour agité, lugubre, radieux, volubile, plaintif, joyeux, anxieux, ou décrivant la tempête, la fièvre, la violence, la colère voire l'hallucination… Avec une visée pédagogique : contretemps, main gauche en doubles notes, arpèges…, ils appartiennent au bagage commun des pianistes, mais exigent à la fois une technique pianistique hors pair, une vélocité à toute épreuve ou, au contraire, des peintures d'atmosphère diversifiées, une sonorité chaude et chatoyante. Ce disque se termine avec le Prélude (op. 45), plus développé ; la Fantaisie en fa mineur (op. 49), d'abord mystérieuse, lyrique, ensuite expansive, tourbillonnante ; la Berceuse (op. 57, 1844), particulièrement célèbre avec un rythme balancé et une remarquable ligne mélodique et, pour conclure, l'extatique Barcarolle (op. 60, 1845-1846). Pour Jean-François Antonioli, rien n'est laissé au hasard ; il invite donc les discophiles à une autre perception de ces œuvres si marquantes qu'il interprète dans un esprit de fidélité aux multiples états d'âme de Chopin.

 

Édith Weber.

 

Charles KOECHLIN : Ballade op 50. Préludes op 209. L'ancienne maison de campagne op 124. Jean-Pierre Ferey, piano. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr) : DSK1136. TT : 68' 14.

Charles Koechlin, né à Paris le 27 novembre 1867 et mort au Canadel (Var) le 31 décembre 1950, a suivi, au Conservatoire, les cours d'Antoine Taudou en harmonie, de Jules Massenet et d'André Gédalge en harmonie et composition, puis de Gabriel Fauré. Il obtiendra ensuite de nombreux Prix. Il est l'auteur, entre autres, d'un célèbre Traité d'harmonie (1928) et d'un Traité de l'orchestration (1941), et son Catalogue comporte 226 numéros d'opus (musique de chambre, symphonique…). Dans ses œuvres quelque peu oubliées en France, ce grand maître du contrepoint se veut très indépendant et ne se rattache à aucune école. En 2010, l'attention des lecteurs a été attirée par l'ouvrage de Philippe Cathé, Sylvie Douche et Michel Duchesneau (dir.) : Charles Koechlin, compositeur et humaniste (Paris, Vrin). En 2015, les Disques SKARBO illustrent son œuvre pianistique avec une sélection de 32 morceaux : Ballade (op. 50), L'ancienne maison de campagne (op. 124) et Préludes (op. 209). Jean-Pierre Ferey (piano) — élève de Marie-José Delvincourt, de Lélia Gousseau, de Guido Agosti, à la fois soliste et concertiste, associé pour la musique de chambre à Jean Hubeaua le mérite d'avoir enregistré en 1993 ce programme si significatif, qui a été repris en 2015.

Il n'est pas possible de rendre compte de 32 plages totalisant plus de 68 minutes. Dans la Ballade (op. 50), Jean-Pierre Ferey se distingue par son jeu transparent et délicat, son phrasé subtile, ses attaques précises, son sens de la dynamique. L'ancienne maison de campagne évoque à la fois l'accueil, les lieux (collines, lacs, vieille fontaine), mais aussi des événements de la vie quotidienne (fiancés, deuil, départ) et, pour terminer : La Jeunesse vue du seuil de la Vieillesse. Enfin, dans les Préludes (op. 209), l'excellent pianiste tient scrupuleusement compte des différents tempi et mouvements indiqués avec grand soin par Charles Koechlin qui précise les atmosphères souhaitées : Très doux et soutenu ; Très calme ; Allegro assez animé ; Giocoso ; ou encore Expressif et bien soutenu. Avec une remarquable intelligence des partitions et des intentions du compositeur, Jean-Pierre Ferey contribue avec talent à la diffusion de l'apport pianistique de Charles Koechlin à la musique française. Cette réalisation sera appréciée à sa juste valeur aussi bien par les amateurs de musique pour piano que par les discophiles exigeants.

 

Édith Weber.

 

« Hommage à Henri DUTILLEUX ». Fabrice Bihan, violoncelle, Philippe Bourlois, accordéon. 1CD TRITON (www.disques-triton.com) : TRI 331196. TT : 68' 54.

Comme le rappelle Geneviève Thibault, directrice du Label TRITON : « En cette fin de mois de mai [2015], nous voulons rendre Hommage à Henri Dutilleux pour commémorer les deux ans de sa disparition. En 2011, il eut connaissance du projet de Fabrice Bihan et Philippe Bourlois qui avaient passé commande à une dizaine de compositeurs français pour l'écriture d'une pièce de 5 à 6 minutes s'inspirant de l'Œuvre du Maître avec citation de l'une de ses œuvres. Ils ont créé ces pièces au Festival Les Inouïes d'Arras en 2011 et Henri Dutilleux en a été très heureux » : ce sera aussi le cas des discophiles grâce à Fabrice Bihan (violoncelle) et Philippe Bourlois (accordéon).

Henri Dutilleux, né le 22 janvier 1916 à Angers, est mort le 22 mai 2013 à Paris. Après ses études au Conservatoire de Douai, puis, au CNSM de Paris où il a suivi les cours de Henri Büsser en composition, de Jean Gallon en harmonie, de Noël Gallon en contrepoint et fugue, de Philippe Gaubert en direction d'orchestre et de Maurice Emmanuel en histoire de la musique, il obtient en 1938 le Premier Prix de Rome. À la demande d'Alfred Cortot, il est en 1961 professeur de composition à l'École Normale de Musique qu'il présidera. À partir de 1970, il est professeur associé au CNSM. Son œuvre prolifique comprend, entre autres, Trois Strophes sur le nom de Sacher (1976-1982), qui jalonne le programme (plages 1, 5 et 13) avec ses Strophes 1, 2 et 3 pour violoncelle seul. D'ailleurs, Philippe Hersant (né en 1948) s'en est inspiré pour sa Strophe (plage 2) destinée à une formation insolite : violoncelle et accordéon. Il utilise le thème mi b – la – do – si – mi - ré d'après les lettres du nom de [Paul] SACHER, chef d'orchestre et mécène suisse ; comme il le rappelle : « J'ai repris ce motif à mon compte, et de façon très radicale, puisque le violoncelle, du début à la fin, ne fait entendre que ces six notes-là… Les accords réguliers, insistants de l'accordéon, contribuent à donner à cette pièce un caractère très obsédant. Elle est dédiée à Henri Dutilleux », de même que les Métamorphoses (op. 121) de Nicolas Bacri (né en 1961) selon lequel « il s'agit d'une forme sonate bithématique précédée d'une introduction lente dans le caractère d'une improvisation. Le premier thème noté Allegro moderato e maestoso fait un emploi abondant d'une polyphonie au lyrisme volontaire. Le second thème se base sur un motif plaintif de demi-ton sur un continuo de doubles-croches après un développement qui reprend tour à tour les éléments du premier et du second thème, la réexposition est précédée d'un bref rappel de l'introduction. Cette réexposition est suivie d'un développement terminal assez conséquent comprenant la citation du chef-d'œuvre de Dutilleux. » Dans cette œuvre pour violoncelle seul, Fabrice Bihan se joue de toutes les difficultés techniques et fait preuve autant de justesse que de sensibilité.

Le programme comprend également Pour Geneviève [Joy] et Henri (G-H) de Bernard Cavanna (né en 1951) pour violoncelle et accordéon, qui — comme il le rappelle — résulte de différents « collages » ; il cite « quelques bribes de la musique d'Henri Dutilleux, dont notamment les Métaboles/Linéaires au tout début de la pièce. Elle se termine sur une tierce majeur sol [G]-si [H] qui reprennent ainsi les initiales de Geneviève et d'Henri, deux êtres forcément inséparables que j'admirais beaucoup. » Vincent Paulet (né en 1962) a, lui aussi, dédié à Henri Dutilleux son œuvre Instants/Litanies et en plus à Fabrice Bihan et Philippe Bourlois qui forment une belle équipe. Ces deux Litanies font — selon Vincent Paulet — « directement référence au Quatuor Ainsi la nuit. La filiation ne s'arrête pas là, car une incise mélodique de ce Quatuor (très précisément le début de Litanie II) est évoquée de façon librement allusive à chacune des deux litanies. » Quelques mesures avant de conclure, la partition fait brièvement à une autre œuvre d'Henri Dutilleux Timbres, espace, mouvement ou la nuit étoilée. Dans sa pièce pour violoncelle seul : Houles, Jacques Lenot (né en 1945) rend aussi hommage à Henri Dutilleux. Quant à Olivier Penard (né en 9174), il a composé sur un thème d'Henri Dutilleux une Charade particulièrement originale signifiant « une mélodie éclatée, méconnaissable », « un jeu nouveau avec des contours inattendus », « l'impatiente agitation des triolets », résolue par « Mon tout est un thème du quatrième mouvement de la première symphonie d'Henri Dutilleux ».

Ce disque comprend encore des pages pour violoncelle seul de Patrick Burgand (né en 1960), Régis Campo (né en 1968), et une pour accordéon seul de Vincent Wimart (né en 1973) ; et, pour le duo, de Jean-René Combes-Damien (né en 1957) : …D'une empreinte diaphane posée. Plus importantes qu'une analyse détaillée et critique, ces diverses citations confirment la source d'inspiration que ces compositeurs contemporains ont empruntée à Henri Dutilleux et la destination de leurs contributions qui se veulent un double hommage inédit à l'œuvre et au maître français qui nous a quittés à l'âge de 97 ans. C'est le mérite des Disques TRITON d'avoir — deux ans après sa disparition et de façon si originale et appropriée — commémoré le regretté Henri Dutilleux.

 

Édith Weber.

 

« Pierre COCHEREAU en concert à Notre-Dame de Paris ». 1CD SOLSTICE (www.solstice-music.com ): SOCD 310. TT : 69' 37.

Le regretté Pierre Cochereau (1924-1984), élève d'André Fleury puis, au CNSM, de Marcel Dupré, Maurice Duruflé et Noël Gallon, a été nommé titulaire des Grandes Orgues de la Cathédrale Notre-Dame de Paris en 1955. Son rayonnement pendant 30 ans a été considérable. Spécialiste aussi de facture d'orgue, il a tenu à faire relever son Orgue (1868) d'Aristide Cavaillé-Coll, entre autres par Robert et Jean-Loup Boisseau. Organiste jusqu'à sa mort en 1984, il a aussi été Directeur du Conservatoire de Nice et créé le second CNSM de France à Lyon.

Grâce à la prise de son live de François Carbou, ce CD permet de réentendre plusieurs récitals annuels comportant des œuvres de compositeurs allemands : Jean Sébastien Bach et Felix Mendelssohn, et français : César Franck, Eugène Gigout, Louis Vierne, Maurice Duruflé et Olivier Messiaen. Ces concerts s'échelonnent de 1969 à 1975. Yvette Carbou rappelle que « son exceptionnelle carrière de récitaliste (plus de 2600 concerts sur les 5 continents) lui aura permis de faire découvrir à des publics on ne peut plus variés les pages majeures de l'orgue…». 

C'est avec une indicible émotion que les amis de l'orgue réentendront le Prélude et Fugue en si mineur (BWV 544) de J. S. Bach traduisant d'abord la douleur avec une registration adéquate, puis la vigueur de la Fugue très bien structurée, et — pour le Choral O Mensch bewein dein Sünde gross (BWV 622) — l'intériorité et la profondeur voulues par le Cantor de Leipzig, de même que dans le Prélude et Fugue en ut mineur de elix. Mendelssohn, bien enlevé. Quant au Choral n°2 en si mineur de César Franck, Michel Roubinet souligne qu'il est « admirable de ferveur virtuose, de poésie et de mystère, d'imprévisible » (mars 2015). Il signale aussi que « l'absolue nouveauté de cet album est bien entendu le Prélude et Fugue sur le nom d'A.L.A.I.N. de Maurice Duruflé, de facture assez modale, avec une longue progression dynamique. Pierre Cochereau rend ainsi un bel hommage à l'un de ses maîtres. Au programme, figurent également l'incontournable Toccata en si mineur d'Eugène Gigout et une page de Louis Vierne rarement entendue : Clair de lune op. 53, n°5 si évocatrice et suggestive. Pour conclure : Le Banquet céleste d'Olivier Messiaen, particulièrement méditatif, œuvre à laquelle Pierre Cochereau était très sensible. Ce remarquable disque permet — si besoin était — de rappeler une fois de plus sa maîtrise légendaire de la technique organistique, son exploitation des possibilités acoustiques du lieu et des registrations, en parfaite symbiose avec les diverses esthétiques des compositeurs en cause. Les discophiles seront ravis de réentendre quelques « Récitals de 17h 45 », d'autant plus que les pièces interprétées ne figurent pas dans sa discographie (CD). Les Éditions FY et du SOLSTICE ne pouvaient lui rendre meilleur hommage.

 

Édith Weber.

 

Disque pour enfants

 

ROBINSON : La bonne étoile. 1 CD EDB (www.brigitteberthelot.com). Distribution HARMONIA MUNDI : CD 931 150-1.  TT : 44' 19.

Voici un disque et un album imaginatif, instructif, à la portée des enfants et résultant du vécu familial et de l'expérience de Robinson, à la fois auteur de textes « à multiples entrées » (rimés ou non, strophiques ou non), compositeur et chanteur. Un peu à la manière de Francine Cockenpot, avec en plus sa griffe personnelle, poèmes et mélodies sont simples et faciles à retenir, grâce à un vocabulaire adapté même aux tout-petits. La plaquette parsemée d'étoiles est aussi illustrée par des motifs caractéristiques : baleine, jument, ours blanc… en rapport avec les paroles. La nature est représen