PAROLES D'AUTEUR : L'OPÉRA PENTHESILEA DU COMPOSITEUR SUISSE OTHMAR SCHOECK REPÈRES PÉDAGOGIQUES : UN PARTENARIAT RÉUSSI PROPOS PARTAGÉS : DOMINIQUE VISSE, ENTRE BAROQUE ET MUSIQUE CONTEMPORAINE
L'AGENDA
12, 17, 24, 31 / 7 & 7, 14 / 8 Les
Musicales de Montsoreau 20 ans déjà ! La Saison Musicale de Montsoreau, dont le succès ne se dément pas au fil des
années, verra en juillet prochain sa 20e édition. Après tant de
rencontres d'interprètes exceptionnels, de découvertes musicales, de moments de
partage mémorables, les Musicales de Montsoreau
innovent avec une symphonie de Beethoven, des stars hors normes (François-René Duchâble), et la célébrissime Offrande musicale de Bach. La saison 2015 débutera en respectant la
tradition avec un chœur, les Soulful Singers, pour du Gospel (12/7). Suivra le concert
anniversaire, précédé d'un cocktail, proposant des extraits d'opéras et de
comédies musicales sur le thème « J'ai deux amours... », interprétés par la soprano Sophie Marin-Degor
accompagnée au piano par François-René Duchâble
(17/7). Une soirée avec Bach Père et Fils autour de l'Offrande musicale
sera donnée par Mario Raskin, clavecin, et trois
musiciens de l'ensemble Baroque Nomade, précédée d'une mise en bouche musicale
autour du clavecin (24/7). Pour clore le mois de juillet ce sera
« Symphonie à trois » avec le Trio de Lyon, dans Beethoven et Dvořák (31/7). Suivront, en août, les magnifiques Voix
de la Neva venues de St-Pétersbourg pour une nuit
« blanche » de musique sacrée et profane russe (7/8). Pour clore le
festival, ambiance « Festnoz » avec le Bagad Men Glaz,
pour de la musique celtique et des chants et danses traditionnels dans la cour
du Château comme il se doit (14/8). Du 12 juillet au 14 août 2015, 49730 Montsoreau. Renseignements
et réservations : Ligériana musicale, Mairie 49730 Montsoreau ; par tel : 02 41 51 70 22 ou 02 41 40 20 60; en
ligne : www.ville-montsoreau.fr 25, 28, 31 / 7 Un violon sur le sable à Royan « Un violon sur le
sable » réunit plusieurs ingrédients originaux : des concerts en nocturne
sur la plage de Royan, quelques 75 musiciens issus en partie de l'Orchestre de
l'Opéra de Paris, des invités prestigieux transcendant les genres, et une
capacité allant jusqu'à 50.000 spectateurs chaque soir assis sur le sable ou en
tribune... Le spectacle est bien sûr relayé sur écrans géants. Pour son édition
2015, la manifestation réunira, entre autres, la mezzo Béatrice Uria-Monzon, dans de ses airs d'opéra favoris et surprises,
Camille Thomas, violoncelliste, pour le Concerto de Dvořák,
Patrick Poivre d'Arvor, pour une évocation sur fond symphonique de la belle
époque de Royan à la fin du XIX ème siècle, et Carlo Rizzi, tambourin (25/7),
Nemanja Radulovic,
le violiste aux trilles du diable, Juan Carmona, guitare flamenco, Alexandre Jous, cor des alpes et la danseuse étoile Dorothée Gilbert
pour incarner le fameux Cygne de Saint-Saëns (28/7), ou encore Boris Berezovsky dans le Concerto
N°2 de Rachmaninov, la soprano Patricia Petibon
qui fredonnera « Glitter and be
gay » du Candide de Bernstein, le violoniste Thomas Lefort, et Lévon Minassian, au doudouk (31/7). Côté symphonique, Jérôme Pillement, le chef attitré de cette immense fête en bord de
mer, sera à la manœuvre dans des morceaux emblématiques tels que l'Ouverture de
Tannhäuser, Daphnis et Chloé de Ravel ou un extrait des
Planètes de Holst.
« Un violon sur la
ville » prolongera ces soirées, du 25 juillet au 1er août, par une
multitude d'événements à travers la ville de Royan et dans le pays royannais : ateliers de percussions,
« happening » autour d'un instrument insolite, en l'espèce le cor des
alpes, récital de violon dit « un violon sur le green », au golf de
Royan, et un cours d'interprétation « A chacun son court » en forme
de duel de pianos, sis au Tennis de Royan, avec l'incontournable Jean-François Zygel et un ''adversaire'' dont le nom est encore tenu
secret, etc.. ''Sur le sable'' / Les 25, 28 & 31 juillet 2015, plage de de la grande Conche, Royan. ''Sur
la ville'' / Du 25 juillet au 1er août 2015, divers lieux à Royan. Réservations
:114, avenue Émile Zola, 17200 Royan ; par tel.: 05 46
39 27 87 ; en ligne : www.violonsurlesable.com ou info@violonsurlesable.com 27 - 31 / 7 Le Festival de Fontdouce : entre
classique et jazz Située entre Cognac et
Saintes au creux d'un vallon, l'Abbaye de Fontdouce,
fondée en 1111 et riche d'histoire et de culture, est acquise
par la famille Boutinet il y a près de 200 ans. Leurs
descendants décident d'en faire un lieu de prédilection
pour leur festival créé il y a 22 ans. L'endroit
est enchanteur : une ancienne abbaye, un immense parc, des salles romanes et
gothiques pour bénéficier de
différentes atmosphères et acoustiques, de l'intimité du petit amphithéâtre naturel
au romantisme du grand pré à flanc de
coteaux dont l'acoustique ne manque pas de surprendre.
L'édition 2015 conserve
l'éclectisme habituel, avec Karine Deshayes,
Cédric Pescia, Anne Gastinel,
David Grimal, Philippe Cassard et Roger Muraro pour la partie classique, et
s'entoure de Didier Lockwood et Dimitri Naïditch, Adrien Moignard, Ben Toury et Awa Ly pour la partie jazz - manouche,
boogie-woogie et vocal. Avant d'innover pour une journée
supplémentaire dédiée aux musiques du monde avec Rachel Ratsizafy dans du gospel et Negro-spirituals ainsi
que le groupe Bratsch dans le cadre de leur tournée
d'adieu pour de la musique tzigane, arménienne et
russe. De plus, le festival proposera cette année un spectacle et des activités pour le jeune public. Pour la musique classique, 4 concerts
programmés par le pianiste Philippe Cassard, qui en présentera les œuvres
pendant vingt minutes chaque soir à 17h, sont proposés : le 27 Juillet 2015, Salle
des Moines, à 18H, un récital du pianiste Cédric Pescia
dans des œuvres de
Webern, Beethoven et Bach (Variations Goldberg), et à 21H, une soirée lyrique avec Karine Deshayes
et Dominique Plancarde, piano, dans des pièces de
Rossini, mélodies, cantates et airs d'opéras. Et le 28 Juillet 2015, Salle des Moines, à 18 H,
un récital de Roger Muraro, piano (Schumann
et la Symphonie Fantastique de Berlioz transcrite par Liszt), puis à 21H soirée de musique de chambre avec Anne Gastinel, David Grimal, et
Philippe Cassard qui joueront des trios de Chausson et
Schubert. Abbaye de Fontdouce, du 27 au 31 juillet
2015. Renseignements et réservations : Abbaye de Fontdouce, 17770 Saint Bris du Bois ; par tel. : 05 46 74
77 08 ; en ligne : www.fontdouce.com 1 / 8 – 13 / 9 Classique au vert : des Proms parisiens ! A
l'aube de sa 18ème édition, le festival Classique au vert s'impose comme
le grand rendez-vous de la musique classique de l'été à Paris. Pour inviter à
un voyage musical sans frontières. De l'Amérique du sud à l'Europe, la musique
conduira le public aux confins de ses racines et de ses inspirations les plus
populaires. L'occasion de 15 concerts sur la scène du Delta, de 14 concerts dans le
festival "off amateurs" et de 7 ateliers vocaux et de
nombreuses animations, le Parc Floral de Paris, jardin botanique de la ville de
Paris, devient le jardin d'été de la musique classique de la capitale. Double
événement les 29 et 30 août : les concertos n° 1, 2, 3 et 5 pour piano de
Beethoven seront joués et dirigés, respectivement,
par François Frédéric
Guy et Nicholas Angelich avec
les deux orchestres
associés de la Philharmonie de Paris : l'Orchestre de
chambre de Paris et l'Orchestre national d'Île-de-France.
Véritable odyssée musicale à travers les territoires, les âges
et les cultures, le festival nous embarque cette année dans un tour du monde
musical, à la recherche des inspirations populaires de la musique classique.
Première étape : l'Europe Centrale avec des œuvres de Bartok,
Bloch et Maratka, interprétées par le duo violoncelle
/accordéon, Salque Peirani… Puis
traversée de la Manche avec le chœur Voces8 dans un programme british, "God save the Queen !" et le trio
du jeune claveciniste Jean Rondeau avec Thomson, Thumoth, Gunn, Playford ou encore
O'Neale… Petite bouffée de romantisme en Allemagne
avec Schumann et la pianiste Hortense Cartier-Besson,
entourée du violoniste Pierre Fouchenneret, du
violoncelliste Victor Julien-Laferrière puis avec Schubert et le quatuor Hermès,
accompagné de la violoncelliste Emmanuelle Bertrand. Détour
par Salzbourg, chez Mozart en compagnie de la flûtiste Juliette Hurel
et de l'Orchestre de chambre Pelléas. Cap au Sud pour des sonorités italiennes avec les œuvres de Primavera, Scarlatti, Radesca,
Cimarosa interprétées par l'ensemble baroque Les Paladins. Dernières
escales dans des contrées plus lointaines : en Arménie avec l'ensemble de
musique de chambre formé par la pianiste Varduhi Yeritsyan, et en
Amérique du Sud avec le contre-ténor Rodrigo Ferreira et
le pianiste Hélio Vida dans
un programme - « Ay Caramba !», haut en couleurs. Arrêt à « Station Opéra » :
la soprano Valérie Yeng-Seng et Quai n°5 y
offrent des grands airs d'opéras revisités. Enfin, « On the road », du Vieux
Continent au Nouveau Monde, Sécession orchestra et Clément Mao-Takacs proposent
un tour du monde en un seul concert pour clôturer le festival ! Renseignements et réservations : Parc floral de Paris, Bois de
Vincennes, 75012 Paris ; en ligne : www.classiqueauvert.paris.fr 13 – 23 / 8 Estivales en Puisaye Les Estivales en Puisaye
regroupent artistes et mélomanes autour du fil rouge de l'art vocal, des jeunes
talents et de la création. Festival de musique classique itinérant, les
Estivales sont aussi engagées localement tant dans le domaine pédagogique que
dans celui de la diffusion musicale, autour de l'école de musique de Puisaye et
du conservatoire d'Auxerre. Tous, jeunes talents et professionnels venus de
toute l'Europe, irriguent de musique et de chant l'ensemble de la Puisaye avec
le concours de nombreux acteurs locaux. L'édition 2015 se place sous la triple
inspiration de l'Europe, de la jeunesse et du rire. Une dimension européenne
encore renforcée du festival avec la présence des musiciens tchèques de
l'orchestre Camerata Bohemiana
mais aussi avec la participation du chœur polonais Singet et l'époustouflante
qualité de ses prestations chorales. La jeunesse et les jeunes talents,
ensuite, avec la Maîtrise Saint Louis de
Gonzague qui en sera l'armature chorale, mais aussi avec des récitals
consacrés à la Maîtrise, à de jeunes talents ou à des talents plus confirmés.
Enfin, le rire et l'humour avec l'Opérette d'Offenbach Barbe Bleue, version comique et bon enfant du conte de Perrault (13,
15, 16/8, Centre de Rencontres de Champignelles).
Sans oublier un concert spécial « autour du music-hall » avec violon,
piano et clown pour une soirée pleine de surprises et de rires (21/8, Salle de
Saint Sauveur en Puisaye). Le stage de chant
choral est particulièrement attractif cette année avec 3 œuvres majeures
au programme qui seront travaillées pendant 10 jours sous la direction de Rémi Gousseau et chantées pour les deux concerts de clôture.
Ainsi du Te Deum de Charpentier, l'œuvre
maitresse du stage (22/8 Église de Briare, 23/8,
Eglise de Treigny). On entendra aussi le Salve Regina de Schubert, le Regina Cæli de
Mozart, le Magnificat de Bach (18/8, Église de Treigny), ou le Stabat Mater de Pergolèse (14/8, Église
de Bleneau). On donnera encore, entre autres, la Symphonie Linz (19/8, Église de Saint Sauveur en Puisaye, le
village de Colette !), le Quintette pour
Clarinette de Mozart (22/8, Église de Sommecaise),
et la Sérénade pour cordes, création du compositeur et directeur
artistique des Estivales Rémi Gousseau (16/8, Château
de Saint Fargeau). Du 13 au 28 août 2015, divers
lieux. Renseignements et réservations
: par tel.: 03 86 45 18 13 ; en ligne : www.estivales-puisaye.com 20 – 23 / 8 Les Rencontres musicales
de Vézelay Créées en 1999 par le
fondateur du chœur Arsys Bourgogne, Pierre Cao, les Rencontres
Musicales de Vézelay sont devenues un haut lieu dédié à l'art vocal en
Europe. Depuis 15 ans, au mois d'août, durant 4 jours, la « colline éternelle »
et la majestueuse basilique Sainte Marie-Madeleine, vibrent de mille voix et
réunissent mélomanes, pèlerins et touristes venus de toute l'Europe. Cette 16ème édition marque une nouvelle ère dans l'histoire des
Rencontres Musicales puisqu'elle s'intègre dans la création d'un nouvel établissement
public. Mais la programmation porte, cette année encore, la signature du maître
luxembourgeois Pierre Cao, qui remercie et rend hommage à la France, son pays
d'adoption, en invitant quelques-unes de ses plus belles phalanges chorales
ainsi que les meilleurs chefs hexagonaux. Au menu : l'ensemble phare des
Rencontres Musicales, le chœur Arsys Bourgogne, placé
sous la direction de son nouveau directeur musical, Mihály
Zeke (22/8, 16H, Avallon Collégiale Saint Lazare, et
23/8, 16H, Basilique Sainte Madeleine), mais aussi un nouveau venu à Vézelay,
l'ensemble vocal Aedes, dirigé par Mathieu Romano qui
initiera avec ce concert un partenariat renforcé avec la Cité de la Voix (22/8,
21 H, Basilique). Autres chœurs très attendus durant ces festivités, Les Cris de
Paris (21/8, 21H Basilique), le chœur de chambre Les Eléments (20/8, 21 H,
Basilique), les chanteurs corses de l'ensemble A Filetta
(20/8, 16H Église Notre-Dame, Saint Pere), ou encore
l'ensemble vocal Sequenza 9.3 (21/8, Église d'Asquins). Du 20 au 23 août 205, à Vérzelay, Saint Pere, Avallon et Asquins. Renseignements et réservations : Rencontres musicales de Vézelay,
Cité de la Voix, 4, rue de l'Hôpital, 89450 Vézelay ; par tel.:
03 86 94 84 40 ; en ligne : contact@rencontresmusicalesdevezelay,com
ou www.rencontresmusicalesdevezelay.com 11/ 9 - 4 / 10 Le Festival d'Ambronay : Mythes et
mystères... Pour son édition 2015, le
Festival d'Ambronay s'engage dans les mythes et les
mystères que ceux-ci renferment : les grandes figures mythologiques, comme la
musique baroque sait les révéler, les grands chefs d'œuvre de cette époque
bénie qui vécut un des règnes les plus mythiques de notre histoire
politico-musicale, celui de Louis XIV dont on fête, ici comme ailleurs, le
tricentenaire de la mort. En quatre week end, du 11
septembre au 4 octobre, Ambronay va résonner de ces
merveilleuses sonorités grâce à une pléiades d'interprètes experts de ce
répertoire, les anciens tels les Arts Florissants, le Concert spirituel, le
Concert de Nations, et les jeunes pousses comme on aime céans les propulser au
devant de la célébrité, les Correspondances, Les Surprises, Seconda Practica... Au programme des concerts du
soir dans l'abbatiale, on pourra entendre la Messe en Si de JS. Bach par
Collegium 1704 et Vaclav Luks
(12/9), une anthologie des grands airs des opéras de Francesco Cavalli, par
Leonardo Garcia Alarcon et sa Cappella Mediterranea,
avec Mariana Flores, soprano, et Anna Reinhold et Guisepina Bridelli, mezzos-sopranos (18/9), le semi-opéra King Arthur de
Henry Purcell, par La Fenice et Vox Luminis dirigés par Jean Tubery
(19/9), un florilège de cantates de Bach par le Banquet Céleste et Damien
Guillon 20/9), la rare Messe pour la
naissance du Grand Dauphin de Giovanni Rovetta, en re-création
mondiale, par le Galilei Consort et Benjamin Chénier
(23/9, Église de Lagnieu), la Passion selon Saint Marc de Bach, réécrite
à partir des sources, exécutée par le Concert Étranger et Itay
Jedlin (25/9), un concert sur le thème des
« goûts réunis » avec des pièces de Lully, Rameau, Purcell, Bocherrini ou Rosenmüller, par Jordi Savall
et son Concert des Nations ( 26/9), les Te Deum de Lully et de
Charpentier par le Poème Harmonique et Vincent Dumestre
(30/9, Auditorium de Lyon), des extraits des trois premiers « Libri » des Madrigaux de Monteverdi par les Arts
Florissants et Paul Agnew (2/10), des pièces sacrées
rares de Galuppi (son Magnificat, là encore en re
création, son Nisi Dominus) et le Credo, et le Dixit
Dominus de Vivaldi, interprétés par Ghislieri Choir & Consort, dirigé par Giulio Prandi ( 3/10), pour finir, le 4/10, en matinée cette fois,
par la désormais fameuse (grâce au disque !) Messe à quarante voix
d'Alessandro Striggio, par le Concert Spirituel
d'Hervé Niquet. Ensemble
Les Correspondances, dir. Sébastien Daucé ©Agathe
Poupeney/PhotoScene Les concerts de fin d'après
midi, à 17H, offrent un large panel :
des madrigaux de Monterverdi, Gesualdo ou Palestrina
(par Voces Suaves, le 12/9), des grands motets
d'Henry du Mont (par Correspondances, 12/9), des polyphonies ibériques 519/9),
des sonates en trio de Haendel et de Telemann (avec L'Aura Rilucente,
26/9), des pièces sacrées de Vivaldi sur le thème des « Orphelines de
Venise (par Les Cris de Paris, 27/9). Le deuxième Festival eeemerging,
plateforme des jeunes ensembles émergents, aura lieu le 3 octobre, de 11H à
16H30, salle Monteverdi. On pourra encore savourer le
programme Aashenayi, musiques persane, ottomane et safarade (23/9) déjà révélées par le disque (cf. NL de
6/2015), du fado, par Duarte (12/9), ou l'épopée burlesque « Typhon »
(avec La Clique des Lunaisiens, 3/10) ou encore un
« Rigodon » comédie-ballet de poche (joué par Les Musiciens de
Saint-Julien, 4/10). Car à Ambronay on s'adresse
autant au jeune public qu'aux mélomanes chevronnés. Enfin, le 1er octobre,
seront fêtés les 10 ans du label discographique Ambronay
Edition avec un concert autour du programme des deux dernières parutions : de
Radio Antiqua et du quatuor Terpsychore. Embarras du
choix délicieux, fête et bonheur musical seront ainsi au rendez vous dans le
village d'Ambronay !
Du 12 septembre au 4 octobre
2015 : Abbatiale d'Ambronay et chapiteau, Centre culturel de rencontre d'Ambronay,
Place de l'Abbaye, 01500 Ambronay. Renseignements et Réservations
: Billetterie par tel. : 04 74 38 74 04 ; en ligne :
www.ambronay.org Début de
saison 2015/2016 en fanfare à l'Opéra national de Paris
La première « vraie »
programmation de nouveau directeur de l'Opéra National de Paris, Stéphane Lissner, s'ouvre en septembre avec la reprise de trois
productions emblématiques maison : Madama Butterfly, Platée et Don Giovanni. Beau
clin d'œil à l'un de ses illustres prédécesseurs, Gérard Mortier. Madame Butterfly de Puccini, créée en 1904, après La Bohème
et Tosca, offre un nouveau terrain d'expérimentation à son auteur : le
drame psychologique, celui d'une geisha affrontant la mort plutôt que le
déshonneur de se voir délaisser par un amant de passage. La régie de Robert
Wilson, une de ses plus abouties, nous mène loin du croquis réaliste et de la
tranche de vie orientalisante de tant de productions. Comme une épure, elle
décrypte la psyché du personnage titre. Rarement a-t-on si magistralement
maitrisé l'espace scénique dans sa nudité et travaillé la lumière de manière
aussi saisissante en fondus- enchaînés à des fins dramaturgiques pour capter
les divers climats de cette comédie amère qui vire au tragique le plus
effroyable. La fameuse gestique wilsonnienne trouve
là idéale manière à s'exprimer. La distribution de haut vol sera dirigée par un
jeune chef de talent Daniele Rustioni
(13 représentations du 5/9 au 13/10, à Bastille).
Avec Platée, une des
comédies lyriques les plus originales et attachantes de Rameau, on passe dans
un tout autre registre, celui de la farce. Rameau et son librettiste content le
destin quelque peu pitoyable d'une grenouille ou les avatars de ses envies de
grandeurs et de reconnaissance. La mise en scène de Laurent Pelly
a fait date, elle aussi, par son inépuisable inventivité et sa charge fine du
monde de l'opéra. Le français n'a pas son pareil pour saisir le trait malicieux
et appuyer là où cela fait mal. Et pour décocher la flèche satirique, comme le
fait Rameau du paysage musical de son époque. A l'aune de cette
« Folie » qui s'époumone... Il sait aussi combien railler son monde :
le décor de pataugeoire verdâtre est d'anthologie comme le festin de couleurs.
Et comment résister à cette réplique sur scène des rangs de fauteuils pourpres
du Palais Garnier pour lieu de savantes confrontations mythologiques. Tout cela
tient du génie. Un plateau renouvelé avec des valeurs sûres du jeune chant
français, les Frédéric Antoun, Florian Sempey, Julie Fuchs, devrait aviver la verve ramiste illustrée par Pelly. Marc
Minkovski au pupitre est gage absolu d'authenticité
et de fini sonore (13 représentations du 7/9 au 8/10, à Garnier).
La mise en scène conçue par
Michael Haneke pour Don Giovanni est tout
aussi culte. Bien sûr, le cinéaste se permet quelques libertés avec la trame du
dramma giocoso de Mozart. Reste que sa vison est sans
concession et que la transposition des chasses amoureuses de Don Juan au sein
de quelque building industrieux de la Défense, pour être osée, n'en est pas
moins pas tant hors de propos qu'il y paraît. Le travail d'acteurs sur le
''couple'' Don Giovani-Leporello
est d'une acuité à couper le souffle. Et on ne compte pas les moments de vrai
théâtre qui s'affranchissent de toute convention. La distribution est
renouvelée avec Artur Ruciǹski
dans le rôle titre, Maria Bengtsson en Donna Anna et
Karine Deshayes en Donna Elvira, une prise de rôle
attendue. La direction est confiée à Parick Lange et
Marius Stieghorst, ce dernier pour les quatre ultimes
soirées. On nous dit que cette production est donnée pour la dernière fois.
Raison de plus pour s'empresser de la voir ou de la revoir, ne serait-ce que
pour saisir comment un chef d'œuvre qui défie le temps et les modes peut être
mis au goût de maintenant (12 représentations du 12/9 au 18/10, à Bastille). Renseignements et réservations
: Billetterie, soit au Palais Garnier, angle des rues Scribe et Auber, 75001
Paris, soit à l'Opéra Bastille, 130 rue de Lyon, 75012 Paris ; par tel. : 01 73 60 26 26 ; en ligne ; www.operadeparis.fr Jean-Pierre
Robert. *** PAROLES D'AUTEUR
L'opéra Penthesilea du compositeur suisse Othmar
Schoeck Le 10 février 2008, à
la Semperoper
de Dresde, le public de la capitale saxonne accueillit avec enthousiasme la
représentation de l'opéra Penthesilea d'Othmar Schoeck. Cet événement fut emblématique : le théâtre
avait déjà créé, huit décennies auparavant, en 1927, cette même œuvre – avant
qu'il fût la proie des bombardements de 1945. La mise en scène de 2008, sous la
baguette de l'éminent chef d'orchestre Gerd Albrecht, dans un théâtre
complètement reconstruit, marque aussi la renaissance d'une œuvre lyrique qui a
été, pour de longues années, oubliée et écartée des salles. Aujourd'hui, l'opéra Penthesilea est
l'œuvre lyrique la plus jouée parmi les huit opéras de Schoeck
et la seule qui ait trouvé une place, bien que modeste, dans le répertoire
international. Ce n'a pas été toujours ainsi. Les avis des contemporains, dans
les années 1920, étaient bien partagés : si le compositeur lui-même a
considéré sa Penthesilea
comme la réponse aux courants avant-gardistes des Strauss, Hindemith et Krenek,
ses admirateurs, en particulier en Suisse, étaient bouleversés par le nouveau
langage musical – et surtout par le sujet de cette Amazone qui tue et
déchiquette son amant Achille. Mais aux yeux des novateurs, qui dominaient
alors la scène avant-gardiste dans les festivals de musique, cet opéra n'était
rien d'autre qu'une tentative maladroite d'un musicien au fin fond de la Suisse
pour « faire moderne ». Othmar Schoeck :
un compositeur de Lieder Si Schoeck
a trouvé de nos jours sa place de compositeurs d'opéras, il ne faut pas oublier
que, pendant longtemps, il était exclusivement connu pour ses Lieder. Il n'a
composé pas moins que 400 Lieder pour voix et piano, en sus des chants avec
accompagnement instrumental ou orchestral. Dans son pays natal, on l'appelait
« notre Schubert suisse », eu égard à la prépondérance du Lied dans
sa création mais aussi pour le ton « romantique » de ses premiers
Lieder. Othmar Schoeck est né le 1er
septembre 1886 à Brunnen sur le Lac des Quatre Cantons, dans la demeure
familiale, une villa bien bourgeoise que le père Alfred, peintre et hôtelier, y
avait fait construire. Ces lieux idylliques, entre lac, glaciers et hautes
montagnes, étaient pour Schoeck qui passera toute sa
vie en milieu urbain, un point d'ancrage, de ressourcement. Arrivé en 1900 à
Zurich, ville prospère en pleine expansion, le jeune Schoeck
y fréquente le conservatoire de musique alors dirigé par Friedrich Hegar, compositeur et chef d'orchestre, ami de Brahms et de
Nietzsche. Lors d'une soirée mondaine donnée par une famille d'industriels à
Stuttgart au début 1907, la célèbre soprano Anna Sutter
arrange une rencontre avec Max Reger qui est impressionné par les Lieder que Schoeck lui présente à cette occasion. Nommé un mois plus
tard professeur au Conservatoire royal de Leipzig, Reger fait immédiatement
venir le jeune Suisse. Celui-ci restera un an dans la capitale saxonne pour y
étudier la composition. Quand il rentre en Suisse, en 1908, il publie rapidement
plusieurs cahiers de Lieder, ses opus 2 à 17, que des chanteurs talentueux
interpréteront : Ilona Durigo,
chanteuse hongroise, puis plus tard le Bernois Felix Loeffel et, avec un rayonnement international, Dietrich
Fischer-Dieskau.
Mais le récital de
Lied est une plateforme modeste pour une carrière de compositeur, et Schoeck en était parfaitement conscient. Pour se faire un
nom, il écrit donc également des œuvres chorales aux effectifs parfois
démesurés comme les monumentales Dithyrambes
(1911) d'après un vers de Goethe, ou bien Roulement
de tambours (1915) sur un poème de Walt Whitman, cette dernière composition
comme un cri d'indignation contre l'absurdité de la guerre. Les premiers pas sur la scène d'opéra Les ambitions de Schoeck allaient plus loin : le jeune compositeur
savait bien qu'une carrière à l'échelle internationale se joue sur la scène
d'opéra, comme le montre l'exemple de Richard Strauss. A partir de 1911, au
moment où sa situation financière s'est stabilisée après sa nomination à la
tête du vénérable Chœur des maîtres d'école de Zurich, Schoeck
travaille sans cesse à des projets d'opéra. La même année, 1911, il est invité
par l'écrivain et futur prix Nobel Hermann Hesse qui vivait alors au bord du
lac de Constance. Les deux amis, qui partageaient la fascination pour l'Italie
et le sud paradisiaque, esquissent des livrets pour des opéras qui,
malheureusement, ne verront jamais le jour. Schoeck
veut à tout prix éviter un drame de type wagnérien. Il songe à une « Spieloper,
insouciante et fraîche », avec une « musique objective, à l'image des
Italiens géniaux de la génération précédente », comme il écrit à son ami,
l'écrivain Hans Reinhart, le frère du célèbre mécène
de Winterthur(1). Il trouve finalement
ce qu'il cherche dans une comédie de Goethe : Erwin et Elmire (datant de 1775), un
texte qui a été déjà mis en musique auparavant par plusieurs compositeurs. A
côté des lourds drames post-wagnériens et psychologiques, le Singspiel de Schoeck
pourrait paraître bien anodin : une jeune femme capricieuse et son amant,
passif et inhibé, qui ne se retrouvent finalement que par l'intermédiaire du
sage Bernardo. Le compositeur trouve un ton léger « dans l'esprit de
Mozart » sans aucun pathos wagnérien. Malgré la qualité médiocre de la
création au Théâtre municipal fin 1916 (en pleine guerre), la pièce rencontre
un succès remarquable, ce qui encourage Schoeck à
continuer son chemin dans le domaine de l'art lyrique. Les sujets des deux
œuvres qui suivront lui sont suggérés par Ferruccio
Busoni qui passait les années de guerre à Zurich. Avec Don Ranudo, Schoeck
se lance dans l'opéra conventionnel : un opéra-comique en 4 actes d'après
une comédie du Norvégien Ludvig Holberg. Pour la
rédaction du livret, Schoeck fait, pour la première
fois, appel à son ami Armin Rüeger, ancien camarade
de classe et propriétaire d'une pharmacie dans une petite ville en Suisse
orientale. Cette collaboration se répétera encore pour deux autres opéras. On a
beaucoup reproché à Schoeck de ne pas avoir travaillé
avec un véritable librettiste de métier. Busoni remarque avec malice :
« Il lui [à Schoeck] manque quelques ingrédients
que l'on trouvera vain à la pharmacie(2). »
de Erwin et Elmire, en 1950 à l'Opéra de Zurich (de g. à dr.: Wili Wolff, Lisa Della Casa,
Othmar Schoeck, Rudolf Hartmann et
Libero de Luca) / DR Les difficultés pour
que cet opéra trouve une place dans le répertoire résultent en bonne partie de
la dramaturgie : au centre de l'intrigue se trouve l'aristocrate Don Ranudo, personnage tragique mais néanmoins grandiose.
L'aristocrate espagnol, dont l'arbre généalogique remonte aux temps
immémoriaux, refuse de marier sa fille unique à un « parvenu », un
noble riche mais de rang inférieur. Il préfère la donner à un prince oriental
qui est en réalité un vendeur de melon déguisé en « Maure ».
Découvrant la mascarade, il finit par accepter le projet de mariage de sa
fille. Après un accueil enthousiaste lors de la création au théâtre de Zurich
en 1918, le public allemand, à Stuttgart, lui réserve une réception tiède,
malgré une excellente distribution et la superbe direction de Fritz Busch. Entre temps, Schoeck a réalisé un autre projet que Busoni lui avait
soumis et dont celui-ci était l'auteur du livret : Das Wandbild (la peinture murale), scène et
pantomime avec musique. La scène se déroule dans la boutique d'un antiquaire
parisien en 1830 où le portrait d'une belle jeune femme devient vivant par la transformation de la scène en pantomime
imaginaire et fantastique dans un temple du monde des esprits chinois. En un
temps record, à peine trois jours, Schoeck écrit la
partition, « dédiée à Ferruccio Busoni, avec
révérence et gratitude », une musique pour grand orchestre avec de
nombreuses percussions et un célesta. La dernière mesure écrite, Schoeck oublie complètement son œuvre et ne se déplace même
pas pour assister à la création qui aura lieu en janvier 1921 à Halle. Encouragé par la
réception zurichoise de Don Ranudo, Schoeck se met à la
recherche d'un nouveau livret d'opéra. On lui suggère la nouvelle de Prosper
Mérimée, La Vénus d'Ille. La version
de l'opéra, intitulé simplement Vénus,
se distingue nettement de l'intrigue de Mérimée ; elle laisse place à
l'ambiance fantastique du romantique Eichendorff non sans rappeler un certain
E.T.A. Hoffmann. Horace, le héros tragique à l'allure d'un heldentenor wagnérien, nous est
présenté tel un libertin converti, sous le masque d'un mari bourgeois.
Confronté au pouvoir de la statue de Vénus, que l'on vient de découvrir dans le
parc de son domaine, son comportement devient incontrôlable. Il passe la bague,
destinée à sa future femme Simone, au doigt de la statue et celle-ci, la nuit
de noces, se matérialise dans sa chambre nuptiale pour l'étrangler. Sa mort
tragique pourrait être interprétée comme la rédemption face à l'absolu de l'art
(la beauté de la statue) ou simplement comme l'échec d'un homme qui tente
d'échapper aux impératifs de la vie bourgeoise. La création, le 10 mai
1922 au théâtre de Zurich, sous la baguette du compositeur et avec le brillant
Curt Taucher de la Staatsoper
de Dresde dans le rôle d'Horace, est un véritable triomphe. Le critique de la Neue Zürcher Zeitung
écrit : « rien de semblable dans l'opéra moderne tant dans le réalisme
que dans la précision de l'expression ; même un Richard Strauss devrait déposer
les armes devant ceci(3). »
L'enthousiasme du public et de la presse lors de la reprise au Grand Théâtre de
Genève en 1997, sous la direction du grand spécialiste schoeckien
Mario Venzago, a montré, une fois de plus, la
vivacité de cet opéra.
le 30 août 1941 lors de la Semaine de musique de Lucerne /
DR Paris et Salzbourg : le choc de la musique nouvelle Si avec le succès de Vénus Othmar Schoeck semble avoir définitivement conquis le terrain de
l'art lyrique, le compositeur commence plutôt à traverser une grave crise
artistique et personnelle. Quand en été 1921 Schoeck
se rend à Stuttgart pour proposer à Fritz Busch une
reprise de Don Ranudo,
il y rencontre Paul Hindemith qui présente à Busch
ses deux opéras Mörder, Hoffnung der Frauen et Das Nusch-Nuschi. Schoeck fut bouleversé des sujets et de la musique. Mais ce
n'était qu'un avant-goût de ce que Schoeck atteindra
sous peu. Au printemps 1923, il
visite pour la première fois Paris, invité par Arthur Honegger qu'il
connaissait depuis ses études au conservatoire de Zurich. Honegger nous a
laissé un rapport tantôt intéressant tantôt drolatique de leurs sorties
nocturnes dans la capitale française(4). Mais Honegger l'a surtout présenté à ses collègues musiciens du Groupe
des Six et, ensemble, ils assistent à la création de Noces suivies de Pétrouchka de Stravinsky sous la direction d'Ernest
Ansermet. Rentré en Suisse, Schoeck tente de cacher
son désarroi face à cette musique qui le fascine et l'inquiète – en se moquant
du snobisme des parisiens. Mais le choc esthétique qu'il a subi à Paris fait
surface dans son deuxième quatuor à cordes, op. 37, qu'il compose peu après son
retour. Ainsi, par exemple, de la présence des éléments de ragtime au dernier
mouvement. Pire encore fut son
voyage au Festival de musique de chambre qui se tenait la même année 1923 à
Salzbourg. Il commet l'immense erreur d'y faire jouer ses assez conventionnels Lieder de Hafiz écrits en 1919-1920 qui
contrastent de manière frappante avec le reste du programme : le cycle
atonal Das Buch der hängenden Gärten, op. 15, de
Schönberg, le Quatuor op. 3 de Berg, le Deuxième Quatuor de Hába
et le troisième du jeune Krenek, ce dernier sans doute la vedette du festival. Schoeck rentre humilié et déstabilisé. « C'est chose
étrange de se sentir, d'un coup, comme un retardataire de cent cinquante ans(5) », dit-il à ses amis suisses. Il prétend que la
musique nouvelle n'est qu'une mode éphémère, sachant dans son for intérieur que
c'est un vœu pieux. A l'automne de la même
année, Schoeck donne une première réponse
musicale : la composition du cycle de chants Gaselen, op. 38, d'après des
poèmes du Suisse Gottfried Keller. La modernité de Schoeck
se montre ici à la fois par les effectifs inhabituels de musique de chambre et
par une écriture quasiment « sérielle » du matériau. Quant à la
réception, le contraire se produit comme pour ses œuvres précédentes : en
Suisse la création en février 1924 à Winterthur est froidement accueillie,
alors qu'en Allemagne, lors de la Fête de l'Association des compositeurs
allemands, ce premier pas de Schoeck vers un style
« contemporain » rencontre un franc succès. Un opéra résolument moderne : Penthesilea Le nouvel opéra que Schoeck entame à partir de fin 1923 s'inscrit dans cette
démarche du compositeur pour s'imposer sur la scène internationale comme un
véritable musicien « moderne ». Ses amis lui suggèrent la tragédie Penthesilea de
Heinrich von Kleist et Schoeck
s'enflamme d'emblée. Le drame de Kleist raconte la rencontre fatale d'Achille
et de Penthésilée après la bataille entre Grecs et Amazones. Les Grecs
victorieux apparaissent dans le camp des Amazones. Quand Penthésilée se
réveille de son évanouissement, Achille, par ruse, se déclare vaincu – car lui
qui est tombé amoureux de la reine des Amazones sait bien que selon leurs lois
seul sera choisi comme amant celui qui a été vaincu dans le combat. Penthésilée
accepte cette version des faits et l'amour du héros grec. Mais lorsqu'Achille
lui dévoile la vérité, un nouveau combat singulier est déclaré. Achille
apparaît sans armes devant Penthésilée qui croit qu'il s'agit d'un véritable
combat : pleine de haine, elle se jette sur Achille désarmé, le tue et le
déchiquette. Horrifiée par ses propres actes, elle se donne la mort. Pourquoi Schoeck a-t-il choisi ce sujet ? Son premier biographe
Hans Corrodi qui préférait toujours l'explication
biographique, attribue l'intérêt du compositeur pour ce sujet au contexte de la
rupture avec sa compagne de longue date, Mary de Senger,
et plus tard aussi de son mariage malheureux avec la chanteuse Hilde Bartscher. Or, bien que la confrontation de l'homme et de
la femme soit sans doute un thème qui joue un rôle dans la vie privée et dans
certaines des œuvres de Schoeck, une interprétation
biographique de cet important opéra du XXe siècle semble bien
hasardeuse. Le choix d'un sujet de la mythologie grecque fait par Othmar Schoeck est, dans les années
1920, loin d'être un cas isolé. On pense à Stravinsky et son ballet Apollon musagète (créé en 1927) et à
l'oratorio Oedipus Rex (1927), ainsi qu'à l'opéra Œdipe de Georges Enesco (écrit entre
1910 et 1931 et créé en 1936). L'opéra Elektra de Richard Strauss (1909) a certainement aussi
influencé le choix de Schoeck pour sa Penthesilea, à la
fois par le caractère singulier du personnage féminin titre et par son
appartenance au genre de Literaturoper. A quel point l'aspect
littéraire joue un rôle dans la conception de l'œuvre se révèle dans la rédaction du livret. Son ami et biographe Corrodi lui propose une réécriture « romantique »
de Kleist en trois actes : Schoeck refuse cette
tragédie conventionnelle, sentimentale et bourgeoise. Le compositeur décide de
rédiger lui-même le livret, ne faisant même plus appel à son ami Rüeger qui avait déjà réalisé pour lui deux livrets d'opéra
que la critique avait si violemment fustigés. Se faisant aider par son cousin
Léon Oswald, il raccourcit considérablement le drame de Kleist : de plus
3000 vers, n'en restent que 750 environ. Son idée principale est de conserver
au maximum le langage kleistien et de rendre les
paroles « plus grandes(6) ». C'est déjà à ce stade-là que Schoeck
décide de recourir à quelques passages parlés à la place du chant. Il modifie
néanmoins deux scènes qui ne lui paraissent pas assez dramatiques : celle
où l'amazone furieuse déchire le corps d'Achille et la fin, le suicide de
Penthésilée. La première est réécrite par le
compositeur lui-même, et pour la seconde il fait appel à son frère Paul, auteur
de pièce de théâtre et chevronné en art dramatique. Malgré son affirmation
qu'« il n'y a pas même une virgule qui ne soit de Kleist », le livret
voit une transformation profonde de la pièce de théâtre.
avec les corrections en rouge de Othmar Schoeck
/ DR Enflammé par le sujet,
Schoeck écrit les premières mesures de la musique dés
novembre 1923, donc bien avant que le livret ne soit terminé. Mais c'est à
partir d'avril de l'année suivante qu'il se jette à corps perdu dans la
composition. Il passe des longs mois dans la maison familiale à Brunnen,
interrompus seulement par les concerts qu'il est censé donner en sa fonction de
chef d'orchestre à Saint-Gall. Il décline même une invitation de la part de son
mécène Werner Reinhart pour se rendre au festival
international de musique à Prague de 1925. Il termine la particelle
en mai 1925 pour entamer aussitôt la monumentale partition ; pour ce
travail l'éditeur Breitkopf fait imprimer un papier
de musique spécial ayant 44 portées et 5 lignes pour la percussion. La partition est d'une
sonorité jusque-là inconnue dans l'œuvre de Schoeck :
3 flûtes (ou piccolos), un hautbois et cor anglais, de nombreuses clarinettes
(six en si bémol, deux en mi bémol, deux clarinettes basses), quatre cors,
trompettes et trombones par quatre, un tuba, encore trois trompettes sur scène,
une percussion très fournie (comme un Stierhorn, littéralement une corne de taureau) et deux
pianos. Les altos, violoncelles et basses étant « bien fournies »,
les violons I et II ne sont que deux par partie. Cette instrumentation
inhabituelle reflète bien l'influence des partitions de la musique moderne, notamment
de Noces de Stravinsky que Schoeck avait entendu à Paris. Schoeck termine son travail
les derniers jours de 1926,
La production de la réduction
chant-piano (réalisée par
Karl Krebs) et surtout l'impression
de la partition avec les parties d'orchestre coûtent 6500 Reichsmark, somme faramineuse que Schoeck
n'a évidemment pas. Une fois de plus, Werner Reinhart
s'en chargera. La création à Dresde en 1927 Cette fois-ci, Schoeck veut absolument que son opéra soit créé en
Allemagne. En fait, plusieurs théâtres s'y intéressent, mais le choix du
compositeur se porte sur la prestigieuse Staatsoper
de Dresde. Le Generalmusikdirektor
Fritz Busch promet la première pour 1926, sous sa
baguette, mais finalement il préfère créer Cardillac de Hindemith en
novembre 1926 et cède, pour Penthesilea, la baguette à son second, Hermann Kutzschbach. Schoeck est déçu. Il
se rend à Dresde pour surveiller les répétitions, mais le spectacle est bien
préparé et l'ensemble des musiciens et chanteurs s'investit avec enthousiasme.
En présence de ses amis suisses, la première a lieu le 8 janvier 1927. Le
public qui a été déjà préparé par la partition de Hindemith, deux mois
auparavant, fait honneur au compositeur : 18 rideaux sous des
applaudissements frénétiques. Schoeck pouvait déjà
espérer avoir gagné son pari – mais le lendemain, les critiques allemandes
étaient négatives voire désastreuses : « Le langage ardent et brillant de
Kleist est efféminé et énervé par une musique flasque. Cette épopée héroïque se
transforme en une histoire d'amour, douce et sentimentale. Il n'y a aucun
épanouissement dans cette partition, aucune passion, aucune émotion véridique
face à la grandeur mythique du thème. Sans substance aucune, sans idée, sans
grandeur, cette pièce en un acte se déroule interminablement(7). » En plus, après seulement quatre
représentations, l'interprète du rôle-titre, la brillante Irma Tervani,
tombe malade et l'opéra disparaît de l'affiche. Les critiques ne
laissent pas le compositeur insensible. A peine rentré de Dresde, il entame une
révision profonde de la partition : la métrique est modifiée, un « duo
d'amour » entre Penthésilée et Achille rajouté et la fin complètement
revisitée. Encore une fois, Reinhart est sollicité
pour la publication de la nouvelle partition et de la réduction chant-piano.
Puisque aucun éditeur n'a accepté, c'est son ami et propriétaire d'une maison
de pianos, Alfred Hüni (l'époux de la célèbre
chanteuse Felicie Mihacsek),
qui prend en charge la publication de la partition gigantesque – une
présentation très réussie mais truffée de fautes. « Hüni
est un commerçant qui vend de la farine pleine de vers(8) », ironisent ses amis. La révision de l'opéra
porte ses fruits lors de la Première suisse qui aura lieu le 15 mai 1928 au
théâtre de Zurich sous la baguette de Max Conrad, avec des interprètes moins
prestigieux qu'en Allemagne. Les critiques suisses sont beaucoup plus élogieux que leurs homologues
allemands. Le rédacteur en chef de la Revue
musicale suisse, le compositeur Karl Heinrich David, écrit :
« Cette œuvre puise en dernier ressort dans le drame musical de Wagner.
Mais contrairement à celui-ci, elle est orientée vers le futur, par
l'utilisation des moyens hardis et nouveaux, par le rythme soutenu et flagrant,
par une concentration dense qui demande une action rapide et presque soudaine.
'Penthesilea' est le summum de la création schoeckienne ; il a là atteint son véritable chef
d'œuvre. Cette composition est en un soi un genre et elle occupe une place
significative parmi les œuvres lyriques de nos jours(9). » Et le doyen de la critique musicale suisse, Willi Schuh, comble l'œuvre
d'éloges : « 'Penthesilea' n'a rien à faire
avec les expériences ludiques dans le domaine de l'opéra actuel – c'est un
souffle d'éternité qui règne dans cette création sombre. » (10) Quelques mois après ce
triomphe dans sa ville natale, l'Université de Zurich décerne à Othmar Schoeck le titre de doctor honoris causa :
« au grand poète et dramaturge », en tenant ainsi compte du succès
qu'avait rencontré l'opéra Penthesilea.
dans la mise en scène de Hans Neuenfels
à l'Opéra de Frankfurt, 2011 ©Monika Rittershaus
production du Semperoper Dresden, 2008 ©Matthias Creutziger Rebroussement stylistique Or, cet opéra qui
flirte si ouvertement et ostensiblement avec la modernité des Stravinsky,
Hindemith et Krenek demeurera sans lendemain. Avec Penthesilea, et quelques autres
compositions de la même période, Schoeck a atteint
les limites stylistiques de son écriture ; il ne pourra continuer sur la
voie des avant-gardistes, les docécaphonistes et sérialistes.
Quand sa Sonate pour clarinette basse,
op. 41, parmi ses compositions les plus « modernes », est refusée par
le jury de la Fête de l'IGNM à Sienne fin 1928, Schoeck
en est profondément déçu et prend désormais ses distances avec les courants
avant-gardistes. Les événements politiques des années 1930 et 1940, qui lui
donneront du coup la possibilité d'être joué sur les grandes scènes allemandes,
le pousseront davantage dans le camp des « réactionnaires ». Les trois opéras qui
suivront marquent définitivement le retour stylistique. La cantate dramatique Du pêcheur et de sa femme, d'après un
conte de fée des frères Grimm, créé de nouveau à la Staatsoper
de Dresde en 1930, suit une trame antidramatique :
des récitatifs interrompus de ritournelles. L'écriture est symphonique et
parfaitement tonale. Le prochain opéra est conservateur à un double titre, le
sujet et la musique : Massimilla Doni, sur un livret de son ami Armin Rüeger, basé sur la nouvelle
éponyme de Balzac. L'opéra se déroule dans une Venise féerique du début du XIXe
siècle : canaux, gondoles, le théâtre La
Fenice. Schoeck confie
sa nouvelle œuvre encore une fois au théâtre de Dresde – entre temps
« expurgé » des individus non conformes au régime nazi et sous
tutelle de la Reichskulturkammer.
Le livret « décadent » du Français Balzac passe encore de justesse
entre les mailles de la censure. Schoeck qui n'a pas de sympathie pour l'idéologie nazie profite
pourtant de l'absence de nombreux musiciens contraints de quitter l'Allemagne
parce qu'ils étaient juifs ou considérés comme des ennemis du régime. Pour son
dernier opéra, Le château Durande, Schoeck accepte pour
cette unique fois un « librettiste de métier », l'Allemand Hermann Burte, un écrivain médiocre qui glorifiait le Führer déjà dans les années vingt. Les
vers stupides et banaux de Burte travestissent
complètement la délicate nouvelle du poète romantique Josef von
Eichendorff. « Le texte de Burte est un abîme de
trivialité(11) », s'exclame
l'ami du compositeur, Corrodi. L'intrigue qui devrait
se dérouler pendant la Révolution française narre plutôt la lutte contre les
« hordes rouges » et l'arrivée d'un nouveau « guide ». Pire
encore, la création a lieu à la Staatsoper de Berlin
le 1er avril 1943, alors que la capitale allemande était déjà sous
le bombardement des Alliés. Après quatre représentations, Le château Durande quitte l'affiche, le Reichsmarschall
Hermann Göring étant intervenu en personne : « Comment a-t-on pu
jouer cette sottise délirante à la Staatsoper ?
L'auteur doit être un fou furieux ? (12) » Le retour de Schoeck sera dur. La presse suisse de gauche s'attaque
violemment à lui et le qualifie de traître à la patrie. Avec la défaite de
l'Allemagne nazie, les prestigieux théâtres allemands étaient en ruine. Le 9
mars 1944, lors d'un concert symphonique qu'il dirige avec son orchestre de
Saint-Gall, Schoeck est victime d'une crise
cardiaque. Il doit désormais cesser son activité de chef d'orchestre et
n'interviendra qu'épisodiquement en tant que pianiste. La décennie qui lui
restera encore – il mourra le 8 mars 1957 –, il la consacre à la
composition : musique symphonique, musique de chambre et surtout des
Lieder. Il ne fera plus d'incursions dans le domaine de l'art lyrique. Beat Föllmi.* *Beat Föllmi, musicologue et théologien, est professeur de musique sacrée et
d'hymnologie à la Faculté de Théologie protestante de l'Université de
Strasbourg, membre de l'EA 4378 (Théologie protestante) et du labex GREAM (Groupe de Recherches Expérimentales sur l'Acte
Musical). Il a dirigé les Œuvres
complètes d'Othmar Schoeck
(Éditions Hug,
Zurich) et a publié la première biographie du compositeur en langue française
(Éditions Papillon, Genève, 2013) qui a reçu le Prix des Muses de la Fondation
Singer-Polignac en 2014. (1) Lettre du
30 mars 1908, publiée in P. Sulzer, Zehn Komponisten um Werner Reinhart, vol. I, Winterthur, 1979, p. 199. (2) Lettre du
28 mai 1922 au chef d'orchestre Volkmar Andreae, publiée in J. Willimann,
Der Briefwechsel
zwischen Ferruccio Busoni und Volkmar Andreae
1907-1923 (Neujahrsblatt der AMZ, 178), Zurich, Hug & Co., 1994, p. 161 (n° 103). (3) Neue Zürcher Zeitung,
24 mai 1922 (n° 6837). (4) A.
Honegger, « Souvenirs sur Othmar Schoeck », in : Revue musicale suisse
86/8-9 (1946), p. 321-324. (5) Cf. B. Föllmi, Othmar Schoeck – maître du lied (mélophiles), Genève, éd. Papillon, 2013, p. 108. (6) Propos de
Schoeck du 7 décembre 1946, reproduit in : W.
Vogel, Othmar Schoeck im Gespräch, Zurich, Atlantis
Verlag 1965, p. 27. (7) W. Schrenk in : Deutsche
Allgemeine Zeitung du 11 janvier 1927. (8) H. Corrodi, Das Leben Othmar Schoecks, version
complète, manuscrit inédit, chapitre 6/1, p. 29, déposé à la Zentralbibliothek Zurich, Archives de l'Association Othmar Schoeck. (9) Revue musicale suisse 68/16 (1928), p.
216-217. (10) Revue musicale suisse 68/23 (1928), p.
738. (11) H. Corrodi, Erinnerungen, manuscrit inédit, notice du 15 avril 1941,
déposé à la Zentralbibliothek Zurich, Archives de
l'Association Othmar Schoeck. (12) Télégramme
du 14 avril 1943, reproduit in : B. Föllmi, Othmar Schoeck – maître du lied (mélophiles), Genève, éd. Papillon, 2013, p. 164.
***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
Un partenariat réussi Le mouvement de
rénovation pédagogique aurait pu permettre à la musique de s'affirmer davantage
en milieu scolaire au cours des années soixante-dix. Bien que le rendez-vous
ait été manqué,
[NDLR : « L'Education musicale à l'école : un rendez-vous manqué, NL de
11/2014] le tableau n'est pas noir pour autant. La création des classes à
horaires aménagées en 1974, tout comme la création des centres de formations
pour musiciens intervenants, dans les années quatre-vingt témoignent des succès
rencontrés pour la musique en milieu scolaire. Les classes à
horaires aménagées sont le résultat d'un partenariat réussi entre le milieu
scolaire et les conservatoires de musique. C'est le prototype du premier projet
culturel transversal. Créées par un arrêté interministériel du 8 novembre 1974,
les classes à horaires aménagés ou C.H.A.M. sont instituées dans certains
établissements d'enseignement élémentaire et de second degré et destinées aux
élèves de musique et de danse des conservatoires de région, écoles nationales
de musique, écoles municipales de musique agréées. Ces classes qui répondent au
vœu de Marcel Landowski, prennent appui sur le terrain, sur une base constituée
de directeurs d'écoles de musique qui souhaitent promouvoir l'enseignement
musical dispensé dans leurs établissements et renouveler leur public
traditionnel. Le but est d'ouvrir les écoles de musique qui recrutent dans des
sphères sociales assez étroites pour donner sa chance à un enfant qui n'aurait
jamais été inscrit à l'école de musique par ses parents. Les C.H.A.M. sont donc
un des premiers exemples de partenariat réussi à l'échelle locale entre une
institution culturelle et l'école. Elles permettent sur un même territoire de
mettre en synergie les savoir-faire des uns et des autres pour maximiser la
qualité de l'enseignement dispensé aux élèves et leur ouvrir de nouveaux
horizons sans jamais les couper de l'enseignement général. Il s'agit d'un
aménagement des rythmes scolaires rendu possible grâce à un allègement de
l'horaire d'enseignement général. Le dispositif est un succès puisqu'il sert de
modèle aux autres disciplines. Danse, théâtre, arts plastiques, chacun réclame
le principe de la classe à horaires aménagés pour sa discipline. La mise en place des
classes à horaires aménagés répond au vœu de la C.N.E. (1). Lors des réunions de la commission
interministérielle, Marcel Landowski a contacté de nombreux directeurs d'écoles
nationales de musique pour connaître le nombre d'élèves susceptibles d'être intéressés
par des classes à mi-temps. Les réponses lui ont permis d'évaluer le succès
d'une telle entreprise. La responsabilité de
ces classes peut être confiée à des écoles nationales de musique(2), quitte à leur accorder plus tard le statut de conservatoire
national de région. Là où les circonstances le permettent, et là où se trouvent
des personnes fidèles et motivées, le projet peut être mis en place. Marcel
Landowski donne donc l'impulsion. L'attribution d'un projet de classes à
horaires aménagés à l'école nationale de musique de Douai, plutôt qu'au
conservatoire national de région de Lille, sous prétexte d'un enthousiasme
exprimé plus ouvertement, est un bon exemple de son style de décision. Au-delà
de l'enthousiasme des directeurs d'écoles de musique, la création de ce type de
classes relève de décisions locales prises conjointement par l'inspecteur
d'académie, le directeur des services départementaux de l'Éducation et le maire
de la commune intéressée. Les classes sont d'abord implantées dans trente-cinq
départements. Leur localisation fait apparaître un développement dans les
grandes régions urbaines (Nord, Région parisienne, Rhône-Alpes,
Lorraine-Alsace). Toutefois on enregistre de plus en plus de créations dans les
villes moyennes et dans les départements moins urbanisés. Il s'agit d'une
politique territoriale qui se base sur le bon fonctionnement des rapports entre
l'école et les ressources culturelles. Pour qu'une classe à horaires aménagés
soit créée, il est nécessaire qu'existent, dans le même espace géographique, un
conservatoire ou une école de musique reconnu par le ministère de la Culture et
un établissement scolaire disposant d'un professeur d'éducation musicale ayant
pour ces classes une obligation de service alourdi. Bon fonctionnement nécessaire
puisque les partenaires vont devoir travailler ensemble. L'entente établie
entre l'école et l'école de musique est rendue possible grâce à l'ouverture du
monde scolaire aux partenaires culturels. La circulaire signée le 27 mars 1973
par le ministre de l'Éducation, Joseph Fontanet,
permet « de mettre, à compter de la rentrée 1973, 10% de l'horaire annuel à
la disposition des établissements d'enseignement secondaire » pour «
consacrer intégralement ce contingent d'horaire à des activités originales en
liaison avec l'enseignement. » (3) et notamment
artistique. Cela dans un contexte favorable puisque quelques mois plus tard, en
juillet 1974, la commission René Haby fait
vingt-quatre propositions pour l'éducation à la sensibilité et à la créativité
en milieu scolaire et le 11 juillet 1975, le ministre de l'Éducation nationale
René Haby, fait adopter une loi sur la réforme du
système éducatif qui préconise un équilibre entre les disciplines
intellectuelles, artistiques, manuelles, physiques et sportives, et insiste sur
la place qui doit être faite à la sensibilité artistique. La circulaire du 27
mars 1973 prévoit un assouplissement de l'organisation du cycle secondaire. Le
temps scolaire contraint par un programme passe de trente à vingt-sept heures
hebdomadaire ; les trois heures dégagées devant être utilisées plus
librement et consacrées à des activités originales. La circulaire
propose des types d'activités possibles. Les plus courantes sont les activités
théâtrales, intéressantes pour les disciplines littéraires et artistiques. Mais
les professeurs font aussi preuve d'un réel effort d'imagination et de
recherche en envisageant d'autres sujets qui sont eux, en revanche, franchement
inattendus et pas très artistiques : les boucaniers, le couscous, le
cassoulet… Les réalisations sont également nombreuses en matière
d'environnement et de cadre de vie. Le 10% n'est pas réservé aux activités
d'éducation artistique. Néanmoins, un très grand nombre d'opérations relevant
du 10% (environ la moitié) (4) s'orientent spontanément
vers des activités culturelles. Cette tendance inscrit dans le temps scolaire
les pratiques artistiques déjà existantes dans un cadre libre. Deux attitudes
pédagogiques se côtoient. La première est liée à la connaissance - découvrir la
peinture ou la sculpture d'une époque donnée afin de mieux saisir l'esprit de
telle ou telle évolution historique. C'est cette méthode qui est le plus
spontanément pratiquée par les enseignants. Une seconde attitude consiste à
favoriser des apprentissages ou, tout au moins, à favoriser la découverte ou
les conditions de cet apprentissage. Ces opérations 10% sont moins
traditionnellement scolaires. La relation pédagogique traditionnelle se définit
par rapport à un savoir détenu par l'enseignant. Il transmet ce savoir, dans un
domaine circonscrit (où sa compétence est socialement reconnue par des
diplômes, des titres), d'après un programme objectif, par des leçons préparées
à l'avance et dont l'assimilation par l'élève fait l'objet de contrôles
(devoirs, leçons, examens). Or, le 10% a demandé aux enseignants de rompre, en
partie au moins, avec le comportement que l'institution exige d'eux le reste du
temps en les mettant dans la situation d'intervenir sans programme ni sanction
ultérieure dans des domaines où leur compétence n'est ni très assurée ni
reconnue ; d'aborder des situations extérieures à la classe ; de se
confronter à d'autres compétences et de coordonner une tâche d'enseignement
avec des collègues dans le cadre de la pluridisciplinarité. On remarque que ces
différents points s'opposent d'une façon très nette aux différentes
caractéristiques qui définissent la relation pédagogique traditionnelle. Ce
type d'action nécessite la spécialisation de certains enseignants comme
conseillers techniques. Il peut être aussi fait appel à des animateurs
d'associations ou à des personnalités qualifiées extérieures au système
scolaire : professeurs de conservatoires, conservateurs de musées,
archivistes, bibliothécaires, comédiens de centres dramatiques, artistes,
spécialistes de tous ordres, responsables dans tous les secteurs de l'activité
économique et social. Le comportement
des enseignants eux-mêmes en matière d'action culturelle est considéré comme
élément prédominant de l'ensemble des innovations proposées. Cette fenêtre ouverte
dans le temps scolaire permet de développer trois nouveaux axes pédagogiques
dont l'éducation artistique peut tirer profit. En premier lieu, le travail en
équipe des professeurs. Un « cadre pédagogique » (5) recommande ce travail d'équipe des
professeurs « dans le cadre soit d'une, soit de deux ou plusieurs
disciplines, en profitant de la présence, durant les heures banalisées, de
professeurs de spécialités différentes. » (6) Il ne s'agit plus ici de coordination
mais d'interpénétration de savoirs et de savoir-faire. Dans un deuxième temps,
on accorde la priorité à la convergence des disciplines : « les
maîtres ne sont pas au service qui de la physique, qui de la mathématique, de
la philosophie, de l'histoire ou du latin. Ils n'en sont pas les prêtres ou les
défenseurs ; ils ont des élèves à former. » (7) L'accent est porté d'une façon très
explicite sur le décloisonnement : décloisonnement entre les disciplines,
et, éventuellement, entre les structures habituelles, divisions ou classes.
Enfin, troisième axe prioritaire : les contacts avec l'extérieur. La
visite de tel musée artistique ou technique, de tel monument, de telle
entreprise, de tel paysage illustre l'enseignement donné en histoire, en
sciences, en géographie, en lettres…et le professeur y prépare ses élèves,
multiplie les fiches, suggère des prises de notes, veille à l'exploitation
pédagogique de la visite. Il faut savoir utiliser les ressources existantes à
l'extérieur, se fondre dans le milieu environnant et l'irriguer. De plus, les
institutions culturelles à l'extérieur de l'école doivent être considérées
comme de véritables prolongements du système scolaire : c'est ainsi que la
fréquentation des musées ne doit pas se limiter à une visite annuelle, quelque
peu extraordinaire, organisée par des professeurs de bonne volonté, mais doit
devenir régulière et normale. Bien avant le 10%, une fructueuse collaboration
s'est engagée entre enseignants et personnels des institutions culturelles mais
le 10% a développé ces liens et a multiplié les points de contact. Il importe
aux rédacteurs de la circulaire que les apprentissages culturels se fassent sur
les lieux mêmes où se pratiquent les différentes formes de culture, théâtre,
cinéma, musique. Ces propositions supposent la fin d'un modèle unique d'enseignement.
Le 10 % ouvre la voie
aux partenariats avec les institutions culturelles mais la réalisation de
partenariats n'est pas habituelle en 1974, ce qui entraîne quelques petits
dérapages. Les questions autour de la gratuité de ces classes en font partie. La
circulaire n°76-292 du 9 novembre 1976 précise les rapports sur le plan
financier entre l'établissement public national et la municipalité gestionnaire
du conservatoire. Elle rappelle par ailleurs le rôle de chacune de ces
collectivités publiques dans le fonctionnement des sections d'enseignement
musical. L'accueil des élèves des lycées en section C.H.A.M. dans les
conservatoires de musique peut constituer en matière de fonctionnement, une
charge financière spécifique susceptible de justifier un remboursement à la collectivité locale. Les C.H.A.M. se
déroulant en écoles publiques, elles doivent respecter la loi de la gratuité de
l'école quelle que soit la particularité de l'enseignement que les écoliers
peuvent y recevoir. Toutefois, compte tenu du fait que ces classes accueillent
des élèves bien souvent hors commune, certains maires demandent une
contribution aux frais de fonctionnement aux communes de résidence des élèves
ou à défaut aux parents d'élèves. Cette situation de fait, qui entache
gravement le principe de gratuité de l'école publique, a pu se développer en
l'absence d'une réglementation spécifiant les modalités de prise en charge des
frais de fonctionnement de ces classes par les communes intéressées. Si le
dispositif des C.H.A.M. tente de développer la mission culturelle de l'école,
ce n'est pas pour contrevenir par ailleurs à la gratuité de l'école.
L'enseignement doit demeurer gratuit même si son offre n'est pas standard. Dans les classes à
horaires aménagés, l'enseignement général ne souffre pas, dans sa qualité, de
l'allégement qui lui est imparti, et les élèves peuvent réintégrer s'ils le
veulent le système d'enseignement traditionnel sans avoir le moindre retard.
L'avantage des horaires aménagés est de doter les futurs professionnels d'une
culture générale qui pourrait faire défaut, tout en donnant aux amateurs une solide culture musicale. Les
élèves y sont admis à partir du cours élémentaire première année. Ils
bénéficient d'un enseignement musical hebdomadaire de quatre à cinq heures.
L'horaire d'enseignement musical est fixé à quatre heures en CE1 et à cinq
heures en CE2, CM1, CM2. Cet horaire est prélevé sur l'horaire global de la
classe et sur l'ensemble des activités, aucune matière d'enseignement ne devant
être totalement supprimée. La circulaire
n°86-097 du 3 mars 1986 (bulletin officiel n°12 du 27 mars 1986) organise le
fonctionnement des C.H.A.M. pour les collèges. Cette circulaire, qui se
substitue à la circulaire interministérielle n°74-415 du 8 novembre 1974
et annule donc les dispositions antérieures, notamment la
circulaire n° 79-298 du 21 septembre 1979, précise que les élèves bénéficient,
pour mener à bien leurs études musicales, d'un allègement de l'horaire
réglementaire d'enseignement général. Celui-ci est de quatre heures en sixième
et en cinquième et de trois heures et demie en quatrième et troisième.
L'allégement horaire porte en premier lieu sur une heure d'éducation
artistique, l'éducation musicale étant prise en compte dans le volume horaire
global d'enseignement musical. Les autres disciplines qui font l'objet d'un
allégement horaire sont déterminées par le chef d'établissement, après avis du
conseil d'administration, dans le cadre de l'autonomie des collèges. Aucune de
ces autres disciplines ne doit néanmoins être totalement supprimée de
l'enseignement dispensé aux élèves de ces classes. Afin de ne pas surcharger les horaires
scolaires des élèves des classes musicales à horaires aménagés, ceux-ci n'ont
la possibilité de choisir qu'une seule option à partir de la classe de
quatrième. L'horaire d'enseignement musical est quant à lui fixé à six heures
et demie par semaine en sixième et cinquième et à sept heures par semaine en
quatrième et troisième. Ces aménagements
d'horaires doivent permettre d'atteindre les objectifs éducatifs généraux
poursuivis par les C.H.A.M. : « L'éducation
musicale contribue à l'enrichissement de la vie affective et sensible par la
mobilisation et la régulation des impulsions, la maîtrise des réactions, la
sensibilisation au plaisir d'entendre et
de faire de la musique, l'éveil du sens esthétique et du sens critique.
Elle participe aussi à l'épanouissement des possibilités intellectuelles et
motrices par le développement de la mémoire et de l'écoute ; par
l'acquisition et le développement des notions de rythme, de temps et d'espace,
liées ou non aux mouvement du corps ; par l'utilisation des symboles et de
concepts formels, favorisant le passage du concret à l'abstrait, permettant la
naissance et l'élaboration d'une pensée musicale ; l'éducation musicale
participe aussi à la formation morale et sociale de l'enfant : goût de
l'effort, courage, dépassement de soi, par et pour la musique considérée à la
fois comme expression et communication ; sens de l'équipe qui permet
l'analyse des situations et l'appréhension des relations par la pratique
musicale collective.» (8) L'éducation musicale
ainsi comprise vise non seulement à donner à l'enfant des compétences
techniques et des connaissances mais à éveiller et à forger sa propre
personnalité en enrichissant sa capacité à s'exprimer, à communiquer, à
recevoir, à développer sa créativité, à réagir de façon autonome et
personnelle. Les objectifs des C.H.A.M. des collèges sont plus exigeants sur le
plan technique et pratique car on ne se limite plus à l'épanouissement de
l'élève. L'enseignement musical au collège met davantage l'accent sur : « l'apprentissage
d'un langage aussi diversifié que possible, oral et écrit et faisant appel aux
nouvelles technologies ; l'écoute active et analytique participant au
développement du sens critique et esthétique de l'élève, lui permettant de se
repérer dans un univers sonore à la fois très large et très restreint.
L'extension du champ de connaissances aux œuvres musicales de toutes les
époques et de tous les pays qui ne manqueront pas d'être replacées dans leur
contexte historique, géographique et culturel.» (9) Et pour y parvenir,
la circulaire définit les progressions et le programme des œuvres musicales
vocales et/ou instrumentales, accompagnés des démarches pédagogiques aidant à
leur réalisation et des modalités d'évaluation. Il ne s'agit pas d'une
initiation artistique ou d'une simple sensibilisation mais il s'agit de
préparer d'éventuels futurs musiciens professionnels à leur métier. Les C.H.A.M.
permettent de suivre un enseignement musical dans le cadre du temps scolaire
conduisant à la préparation du baccalauréat de technicien musique F11. La
circulaire n°77-255 du 21 juillet 1977 précise le fonctionnement des
classes préparant au baccalauréat technique F11, et deux arrêtés
interministériels en date du 16 février 1977 pris conjointement par le ministre
de l'Éducation et par le secrétariat d'État à la Culture, définissent le
règlement d'examen du baccalauréat de technicien F11 ainsi que les horaires et
les programmes des classes destinées à le préparer. Cette orientation n'est pas
exclusive puisque les classes à horaires aménagés tiennent à la qualité de
l'éducation générale et ne veulent pas offrir une seule issue à leurs
étudiants. « Les futurs prodiges n'auront pas à sacrifier leur
formation générale, et leur baccalauréat, à un hypothétique premier prix de
conservatoire.» (10) La répartition des bacheliers se fait
pour un tiers vers les U.E.R. de musicologie, un tiers continuent de travailler
son instrument avec comme objectif les conservatoires nationaux supérieurs de
Paris et de Lyon, enfin un tiers s'oriente vers différentes activités, carrière
privée ou musicale. (11) Le succès des
C.H.A.M. suscite des envies. Fin 1986, la direction de la musique et de la
danse du ministère de la Culture fait circuler un projet de note
interministérielle sur le fonctionnement des classes de danse à horaires
aménagés des collèges sur le modèles des classes de musique qui permettent aux
élèves qui montrent des aptitudes pour ces activités de poursuivre dans les
conditions les plus satisfaisantes leur scolarité et de développer
parallèlement des compétences particulièrement affirmées. L'horaire total
d'enseignement musical et chorégraphique est fixé à huit heures par semaine en
sixième et en cinquième ou à douze heures par semaine en classes de quatrième
et de troisième avec des cours de formation musicale danseur, des cours
d'éducation musicale et des enseignements de danse ; tous ces cours étant
réalisés à l'école de musique par des professeurs spécialisés et habilités par
le ministère de la Culture. Les élèves des classes de danse à horaires aménagés
bénéficient eux aussi par ailleurs d'un allègement de l'horaire réglementaire
d'enseignement général de quatre heures dans les classes de sixième et
cinquième et de trois heures trente dans les classes de quatrième et de
troisième. Enfin, de la même
façon qu'il existe un bac musique, il existe un bac danse. À la fin des années
soixante-dix, le baccalauréat technologique musique (F11) a été diversifié en
deux options « instrument » et « danse ». Ce type de
collaboration entre une institution culturelle et l'école vise à accroître
l'ouverture des établissements scolaires sur leur environnement culturel,
facteur d'évolution du projet pédagogique, de l'institution scolaire et du
secteur culturel, dans une perspective de démocratisation de l'accès à
l'éducation et à la culture. Il s'agit d'un prototype. Le but est de favoriser
le développement de ces classes et d'en ouvrir plus largement l'accès en
évitant autant que possible la sélection sociale ou géographique ; de
faire de ces classes des éléments
moteurs dans le développement de l'éducation et de la pratique musicale en
milieu scolaire ; d'inciter les enseignants relevant du ministère de l'Éducation
nationale et du ministère de la Culture à une collaboration et à une
concertation plus intenses. La réussite du modèle et la qualité des prestations
assurées par ces classes permettent d'envisager alors leur extension à d'autres
domaines artistiques (danse, arts plastiques). Cependant, la
sélection des enfants, selon les seuls critères de leur intérêt pour la
musique, n'empêche pas une sélection de fait selon l'origine sociale. L'égalité
de principe n'empêche donc pas une inégalité de fait. Pourtant, le rapport
du comité technique du ministère de la Culture en date de 1982 précise que
« c'est l'intérêt des enfants pour la musique, manifesté à l'école
maternelle et au cours préparatoire, qui doit permettre de les orienter vers
les classes à horaires aménagés ». Les classes à horaires
aménagés ne sont pas la traduction d'un élan démocratique. Elles n'aident que
ceux des enfants qui y ont accès, c'est-à-dire des musiciens doués de talent.
On est loin des ambitions portées par les multiples dispositifs en faveur de
l'action culturelle qui se sont succédés et qui
cherchent plutôt l'insertion sociale par l'initiation artistique. Camille Grabowski. (1) C.N.E. :
commission nationale pour l'étude des problèmes de la musique en France
instituée par un arrêté du ministère des affaires culturelles en date du 22
décembre 1962. Cette commission est composée de Gaëtan Picon (directeur
générale des arts et des lettres), Emile-Jean Biasini
(directeur du théâtre, de la musique et de l'action culturelle), Georges Auric
(compositeur), Henry Barraud (compositeur, musicologue), René Dumesnil, Henri Dutilleux (compositeur), Raymond
Gallois-Montbrun (compositeur), Rolan Manuel, Claude Rostant et Robert Siohan, qui en
assume les fonctions de Rapporteur général. (2) Arrêté du 8 novembre
1974 (3) « L'aventure
pédagogique du 10% », Education et développement, numéro spécial 108, mars
1976 (4) « 10% et
apprentissages culturels », Education et développement, numéro 109,
avril-mai 1976 (5) « L'aventure
pédagogique du 10% », Education et développement, numéro spécial 108, mars
1976 (6) Ibid (7) Ibid., p.53-54 (8) Circulaire n°86-323
du 29 octobre 1986 (9) Circulaire n°86-097
du 3 mars 1986 (10) André-Hubert Mesnard, L'action culturelle des pouvoirs publics, Paris,
librairie générale de droit et jurisprudence, 1969 (11) Cité par Emelie de
Jong, in Du ministère Malraux aux années Duhamel : de la participation à
la concrétisation d'une politique musicale française, 1953-1973, IEP de Paris,
DEA d'histoire du XXème siècle, 1994
***
PROPOS PARTAGES
Dominique Visse, entre baroque et
musique contemporaine Dominique
Visse, contre ténor, fondateur de l'Ensemble Clément Janequin chante sur les
scènes internationales depuis 40 ans. C'est une personne hors norme, plus près
de la pop culture que de l'opéra tel qu'on se l'imagine. Il a remis au goût du
jour tout un pan de notre patrimoine de la chanson de la Renaissance. Les
compositeurs contemporains écrivent pour lui et ses spectacles sont toujours
surprenants. Ainsi du dernier qu'a joué et chanté l'Ensemble à la Péniche
Opéra, intitulé « Musiques et Mathématiques ». C'était une pure
merveille de drôlerie, de sensibilité (Cf. NL de juin 2015). Le théâtre musical
prime avant tout pour cet Ensemble. C'est sur fond de Billie Holiday qu'il m'a
payé un café au Châtelet et parlé de son actualité et des Janequin bien sûr.
Quelle est votre actualité ? C'est
un spectacle qu'on a monté avec le groupe qui s'appelle
« Zanni ! », ce sont des personnages qui improvisent dans la
commedia dell'Arte. Cela tourne autour de la musique
du 16ème et ce sont des madrigaux. Les personnages se répondent à
eux-mêmes. C'est assez compliqué à mettre en scène. On a supprimé tous les
instrumentistes et il n'y a que six chanteurs. C'est Laurent Serrano qui a mis en scène et cela se passe super bien. On
l'a donné trois fois et on espère le jouer plusieurs années. Des spectacles de ce style, il faut les tourner
longtemps ? Oui
car ils ont besoin de maturation. C'est une idée qui avait été lancée comme ça,
et c'est plus facile à tourner. On avait à cœur de pouvoir le présenter dans
toutes sortes de salles, sous forme de spectacle, de festival. On a joué au
Grand théâtre de Caen par exemple, mais on peut le faire dans des salles plus
petites. Il y a très peu de décors et il fallait que la musique soit accessible
parce que ces madrigaux fin 16ème sont écrits en vénitien. Mais le
parti-pris est une mise en scène moderne en fait. L'histoire est simple, c'est
celle d'un spectacle qui se passe mal ! Les musiciens, la soprano, ceux qui
font la lumière, les surtitrages ne sont pas arrivés.
Nous, les six personnages, somment là sur scène ; alors nous nous occupons de
tout ! On fait tourner les surtitrages, on se
déguise pour faire tous les personnages, on se démultiplie, on s'amuse beaucoup
et ça marche vraiment bien. Le public est accroché. Bien qu'on n'ait pas tout surtitré, on s'aperçoit que ce n'est pas nécessaire. C'est
une chose que je revendique depuis des années à l'opéra : il n'y a pas besoin
de comprendre mot à mot tout ce qui se dit sur scène. Si la mise en scène est
bien faite, s'il y a des repères dans le texte et si on s'intéresse à l'opéra
avant de venir le voir, on n'a pas besoin de surtitres. Il y a tellement de
strates dans un opéra entre la musique, les voix, la lumière, la mise en scène,
le texte, on peut se passer de quelques lignes de textes qui gênent la
cohérence du spectacle. Lorsqu'on entend des œuvres françaises et
qu'on ne comprend rien dans la prononciation des mots c'est tout de même
gênant... Oui
bien sûr, il faut que le texte soit bien prononcé. Surtout quand la musique est
collée au texte. Qui décide à l'Ensemble Janequin du choix
des textes, des spectacles ? On
est démocratique mais comme dans toute démocratie il faut un pouvoir fort et
une base forte. En fait, c'est assez collégial, mais maintenant on a plus le
temps de prendre notre temps. Au début du groupe on était plusieurs copains qui
connaissaient ce répertoire, le 16ème français, d'un point de vue
musicologique, car on a tous fait des études de musicologie. En l'ayant chanté
dans des grands chœurs, on a formé un petit groupe par curiosité au départ,
c'était le jeu, et puis il s'est trouvé que cela a marché. L'Ensemble existe
depuis 1978, 37 ans donc ! C'était une expérience génialissime. Pendant
plusieurs années le groupe avait deux têtes, avec Philip Cantor, et au bout de
dix ans, comme on avait le grand privilège que ça marche, on faisait des
tournées et des disques quand on voulait chez Harmonia Mundi.
Vous en faisiez beaucoup à l'époque ? Deux
par an. C'était trop, on aurait pu mieux les travailler. On s'engouffrait dans
une musique qu'on ne connaissait pas, une sorte de forêt vierge. Avec le temps,
j'ai beaucoup plus travaillé, notamment au niveau des transcriptions et
l'informatique a changé notre mode de fonctionnement. Pour connaître un
compositeur en entier, je passe plus de temps sur les transcriptions qu'à
l'époque. Avant on cherchait un peu à l'aveugle, on fouillait, et parfois les
éditions n'étaient pas idéales. Et puis on ne prenait pas le temps de faire les
recherches et on copiait tout à la main. C'était un travail très, très long et
très difficile. Pendant dix ans on a tourné comme ça, une bande de copains. On
s'est vraiment éclaté !On adorait faire de la
musique, mais surtout on adorait voyager, on s'amusait énormément. Puis après
la trentaine chacun a eu des goûts musicaux différents tout simplement. Alors
le groupe a éclaté mais n'a pas disparu. L'un a voulu chanter du Mozart, Cantor
a voulu aller vers la mélodie, moi j'ai fait pas mal de musique contemporaine
aussi. On a arrêté le groupe pendant six mois. Bruno Boterf
venait d'arriver et tous les deux on avait envie de recommencer. C'est un
groupe qui est très stable parce que cela reste collégial et surtout parce
qu'on est tous amis. Ce serait pour moi impossible autrement. Je dirige quand
je suis obligé, je fais tout le travail en amont et ça arrange tout le monde. N'y a-t-il jamais eu de jeunes qui ont
voulu travailler avec vous ? Vous avez ouvert la voie à pas mal de groupes
d'aujourd'hui ! On a
souvent des retours. Dimanche dernier, je chantais une cantate de Bach ; il y a
deux des chanteuses qui sont venues me voir en tremblant. Quand on a débuté,
elles n'étaient même pas nées ! On rajeunit les cadres, j'essaye de travailler
avec d'autres groupes. La polyphonie, même si c'est très ouvert, nous enferme
vite dans des habitudes. Il faut toujours mettre du sang neuf pour casser les
moules. C'est pourquoi on fait des spectacles, pour prendre des risques et on
privilégie le théâtre. La question est de savoir comment faire partager au
public ce répertoire qui n'est pas fait réellement pour le concert. La chanson
française est écrite pour le plaisir, un sorte de
récréation des gens qui chantaient entre eux. Cette musique est compliquée
parce que en fait c'est un jeu : faire partager le texte au public c'est assez
compliqué, comme les fricassées. Il y a un travail historique et puis ensuite
il y a un travail qui consiste à ouvrir toutes nos vannes de phantasmes
musicaux. Je fais le travail en amont, mais il y a un chanteur qui prend tout
le travail en direction et là on ne discute plus d'histoire, de musicologie. On
a la chance d'avoir dans le groupe des gens qui viennent d'univers totalement
différents : certains n'ont aucune connaissance du répertoire que l'on fait, je
veux dire historique ou musicologique, parce qu'ils adorent la musique
romantique ; un autre est compositeur, donc passionné de musiques
contemporaines. C'est intéressant de donner aux luthistes l'opportunité de gérer
la musique, la ficta par exemple, car ils n'ont pas
la même façon que faire que nous. Lorsque vous allez chanter dans d'autres
ensembles, n'est pas tout de même la star qui arrive ? C'est
vrai. Je vais chanter avec des ensembles très jeunes. Je travaille avec un trio
qui s'appelle « Trio Musica e Humana ». Ce sont trois jeunes chanteurs qui viennent
de la maîtrise. Je les ai connus comme élèves, car je fais parfois des stages,
des interventions. Je les vois pendant une année en général, et lorsqu'ils sortent
en fin d'année, ils ont à cœur de former un groupe ou d'aller travailler. Or,
là c'est tout bête, comme ils ne sont que trois c'est assez compliqué pour eux
de chanter la musique de la Renaissance. Ils sont contre ténor, baryton et
ténor ; et il y a très peu de répertoire pour eux. Ils s'associent souvent avec
d'autres chanteurs et alors je vais leur donner un coup de main. Et ça se passe
simplement.
Comment arrivez-vous à mener tout cela, car
vous avez aussi votre carrière de chanteur d'opéra ? Difficilement !
Mais ce qui me demande énormément de travail c'est le travail de transcription.
Pour ce trio, c'est moi qui m'en occupe aussi ; ma porte est grande
ouverte. J'ai quand même quarante mille pages dans mon ordinateur sur la musique
de la Renaissance ! Je les donne, les gens le savent. Alors ils me
demandent de plus en plus de transcriptions et de programmes. Je travaille pour
l'Ensemble Janequin, mais lorsqu'on me demande du répertoire je suis obligé de
retravailler parce qu'il manque un bout, il manque le texte. Tout cela mis bout
à bout ça demande énormément de travail. Outre le fait que le Janequin est en
résidence dans le Nord, à Saint-Omer. Là il y a du travail avec les chœurs
d'enfants, de femmes et un chœur mixte, et il faut que je trouve de la musique
pour associer ces chœurs avec notre groupe ; et là aussi c'est du boulot !
L'avantage avec l'opéra, c'est que ça me laisse énormément de temps pour faire
tout ce travail. Je suis à l'extérieur de chez moi, donc au revoir les problèmes
domestiques ! Et comment va votre femme, Agnès Melon ? Très
bien, elle a arrêté de chanter, elle enseigne. C'est une bonne pédagogue, elle
est très heureuse d'enseigner. Elle a trois postes : Dijon, Vincennes et Milly-La-Forêt. Elle n'enseigne pas seulement le baroque,
mais le chant en général au départ. Vous avez été toujours très attiré par la musique
contemporaine ? Oui,
il y a un pont entre la musique baroque et la musique contemporaine ; moins
entre baroque et classique ou romantique. La raison c'est la manière
d'appréhender la voix, la technique vocale. J'en fais beaucoup, je travaille
avec Pascal Dusapin, Philippe Manoury ;
ils créent des rôles pour moi. Je suis très privilégié. Votre voix est quand même très particulière ? J'ai
fait beaucoup d'opéras du XVIIème italiens avec René Jacobs et tous ces gens
là. Pour les madrigaux, mes copains chanteurs prenaient tous des cours. Moi
j'avais la voix pointue, métallique, tout ce qu'on veut, mais ça ne me gênait
pas ; on me disait ça serait bien que tu prennes des cours, que tu arrondisse ta voix. Moi évidemment j'ai toujours chanté
depuis que je suis enfant et je ne me suis jamais posé la question de savoir
comment ça marchait. J'ai essayé, et avec le deuxième professeur de chant, j'ai
perdu une quarte dans l'aigu ! Donc je me suis dit : là il y a un petit
problème. Je ne pouvais plus chanter les ré 415 ! Il ne devait pas avoir de professeur qui
possédait la technique à l'époque ? Quand
j'ai commencé à chanter contre ténor, il n'y avait pas de possibilité pour
travailler. Au début, j'avais quelques notions de technique, je suis allé voir
quelques profs de chant et comme je suis quelqu'un d'assez culotté,
j'auditionnais les profs de chant. Le monde à l'envers ! Il y avait une
trop grande fracture entre la musique que je voulais chanter et l'enseignement
qu'on donnait pour d'autres contre ténor que moi. C'était des délires de mezzos
romantiques qui ne correspondaient pas à ce que je cherchais. J'ai écouté
beaucoup de disques, ceux d'Alfred Deller. La maison de la Radio organisait des
sortes de séminaires avec des interprètes de la musique ancienne dont René
Jacobs, William Christie, et Deller le premier. J'ai appris qu'il allait à
Lacoste tous les ans faire un stage. On s'est inscrit avec le luthiste avec qui
je chantais Dowland à cette époque. On a pas beaucoup
travaillé, on a fait la foire pendant tout le stage. Et puis surtout Deller
était quelqu'un qui, comme moi, et comme beaucoup d'anglais, avait chanté
enfant. Et à son époque il n'y avait aucun moyen d'apprendre cette technique.
De plus, il a commencé très tard à chanter. Donc il n'avait aucune solution à
nous proposer pour les problèmes techniques : les cours étaient super agréables
mais je n'ai rien appris. Je chantais du Dowland et lui me parlait du texte,
chantait la pièce une fois et cela s'arrêtait là. Pour lui, le texte, la
poésie, étaient plus importants que tout. Ses concerts avec cette voix si pure,
c'était fantastique. J'ai plus appris en l'écoutant que pendant le stage. J'ai
arrêté les cours et il s'est trouvé qu'eu égard à ma taille et en raison d'une
certaine ouverture d'esprit, car je privilégie toujours le théâtre - la voix je
la mets toujours après et j'adore m'amuser avec - j'ai chanté des rôles de
travestis au début de ma carrière, avec les Arts Florissants, en 1979, 1980 et
1982. En fait j'ai tout de suite été enfermé dans ce genre de rôle et de
répertoire, et moi ça m'éclatait de m'amuser ainsi avec ma voix. Pour la
musique contemporaine c'est la même chose : les compositeurs aiment bien
déplacer la technique habituelle et utiliser tous les registres, surtout quand
on est contre ténor. Je viens de faire une création d'un théâtre Nô :
« Madame Narita » avec Yoshi Oida comme metteur en scène. C'est un théâtre de
marionnettes et là j'étais tout seul. La façon de chanter correspond bien au
challenge, je fais tous les personnages : il y a deux femmes, donc je chante en
voix de fausset, le prince, je le chante en baryton, et je fais aussi le
récitant. C'est très excitant mais pour la mémoire c'est dur ! J'ai chanté
« Mare Nostrum » de Maurizio Kagel, c'était des
pièces vraiment difficiles, le challenge étant de chanter dans toutes les
langues autour de la Méditerranée. Et il y avait toutes sortes d'instruments.
Cela m'excite aussi de savoir que je peux apprendre tout ça par cœur, et que je
peux être crédible. Évidemment on vient me chercher pour ce genre de rôles.
L'année prochaine, je vais faire une création de Brice Pauset
(NDLR : Wonderful Deluxe,
les 10 & 13 mai 2016 au Grand théâtre de Luxembourg). Il veut que je fasse
le rôle de Paris Hilton ! Je ne sais pas ce qui va en sortir ! Il
faudra peut-être que je me fasse teindre, liposucer, qui sait ! (rires)
juillet
2012 ©Pascal Victor Vous avez toujours eu cette allure de biker style l'Equipée Sauvage et vous adorez soit vous
mettre à nu soit vous travestir, ce n'est pas une attitude des gens de la
sphère classique ! Par
rapport à ma tenue vestimentaire, s'il fallait que je sois comme j'ai envie
d'être se serait dix fois plus extravagant ! Quand j'étais jeune, c'était
effroyable. C'est comme ça. Les gens pensent que c'est de la provocation. Plus
jeune j'ai souffert de ne pas pouvoir m'habiller comme j'avais envie. Je
n'avais pas d'argent et quand je rentrais dans une salle de concert, notamment
en Autriche, il y a trente ou quarante ans, je me faisais sortir. J'en
souffrais, j'ai même eu des problèmes avec la police aux frontières, ça me
déplaisait énormément. Par contre dès que j'ai été un peu reconnu, cela a été
utilisé dans le sens contraire et là ça me faisait encore plus mal. Je me
souviens une fois, à la Monnaie à Bruxelles, après le pot de la première de
l'opéra, la direction m'a demandé d'être habillé en motard ! Je ne l'ai
pas fait, car c'était une manière de récupérer ma manière d'être, il fallait
que je sois extravagant ! C'était insupportable ! C'est ma manière
d'être tout simplement. Quand on voit des chefs d'orchestre en
tenue XIXème et qui jouent du baroque pur et dur, n'y a-t-il pas un hiatus ? Oui
il faut être soi-même, sans être provocant. Lorsque j'étais jeune je mettais
des manteaux de fourrure ! Quand je faisais du stop en Normandie j'avais
des petits problèmes. Ils s'arrêtaient me prenant pour une femme, et quand je
montais dans la voiture, là ils avaient très, très peur... (rires) On devait aussi penser que vos tendances
sexuelles étaient transgressives à l'époque ? Notamment
dans le groupe : le luthiste était Claude Debôves, il
avait des cheveux longs, on portait des boucles d'oreille. Dans les années 80,
on se faisait traiter d'homosexuel à tous les carrefours ; même au ski où
j'avais un vêtement tout doré. Tous les poncifs je les ai entendus. Par rapport
à la sexualité je suis très ouvert. Je suis totalement hétérosexuel, mais
j'aurai aimé être homo pour avoir accès à d'autres plaisirs ! (rires). Mais sur scène embrasser un mec
ou me mettre à poil ça ne me pose aucun souci si le rôle l'exige. C'est votre côté Rolling
Stones ? Oui,
d'ailleurs quand je passe la frontière et que je dis que je suis chanteur, on
ne peut pas imaginer que c'est d'opéra ! On cherche toujours dans mes
affaires le shit ! J'ai remarqué très tôt que, lorsque je faisais un rôle
de travesti, il ne fallait pas imiter une femme. Cela marche mieux de jouer
cette dualité d'un homme qui tient le rôle d'une femme, c'est du
travestissement, c'est un costume de scène ; c'est habituel au théâtre. Au
cinéma ça ne me déplaît lorsqu'un acteur arrive à la perfection dans
l'imitation d'un personnage célèbre qu'il représente, qu'on ne sente pas la
différence, qu'il est lui. Cela me dérange et je trouve cela moins efficace. Avec l'âge, est-ce qu'il y a des rôles, que
vous ne pouvez plus chanter ou que vous auriez aimé interpréter ? Je
ne me pose pas cette question. J'ai eu le privilège toute ma vie qu'on me
propose des rôles, et par nature je déteste savoir ce que je vais faire.
Lorsque je vais sur une production c'est tout juste si je sais qui est le chef
d'orchestre et qui sont les chanteurs ; je fais confiance aux gens. J'ai refusé
des rôles trop lourds pour ma voix, Platée par exemple. Vous avez beaucoup enregistré, chez
Harmonia Mundi par exemple, et maintenant chez
Alpha... Chez
Harmonia Mundi c'était génial, on était super
privilégié, on faisait avec Benoit Coutaz un disque
qui se vendait et un disque pour le plaisir, s'il ne se vendait pas ce n'était
pas grave. Le premier disque que j'ai enregistré c'était du Dowland, en 1976
chez Calliope. Le premier disque Janequin est toujours en vente chez Harmonia Mundi parce qu'il y a une sorte de fraîcheur. On peut y
trouver des défauts musicologiques, historiques, mais il y a toute la fougue de
la jeunesse. C'était comme à l'époque de la Guerre ? On n'a
jamais fait mieux, je pense ! C'était
je crois notre troisième disque. Lorsqu'on chantait cette œuvre à l'époque
on terminait sans voix ! C'est super violent pour la voix, chanter juste
avec un luth c'est plus fatigant qu'un opéra où on a le soutien de l'orchestre.
Avec la polyphonie il faut tout le temps chercher la justesse, chanter droit. Et on chante tout le concert, seul comme nu,
devant les gens, il n'y a aucune béquille. On a tendance à se crisper, mais
c'est ce qui est formidable. Il y a des jours où ça marche et puis d'autres où
ça ne fonctionne pas. Revenons à l'actualité... Je
vais chanter dans de nouveaux opéras, un à Nancy, Orphée de Rossi, avec
une jeune équipe. On l'avait enregistré avec les Arts Florissants. Je suis la
nourrice, pour changer ! Et je participe à la création d'un opéra à Marseille
mais je ne sais pas le titre ; c'est un opéra vénitien, italien, mais il
risque de chevaucher avec deux opéras contemporains. On continue… Propos
recueillis par Stéphane Loison. Geoffroy Jourdain
va conduire la Péniche Opéra… sans permis !
Sous
un soleil printanier, en ce vendredi 13 mars, jour de chance, j'ai remonté le
Quai de Loire jusqu'au numéro 46. La Péniche Opéra était à quai mais c'est dans
le café d'en face que Geoffroy Jourdain m'a offert un petit noir sans sucre
pour parler de sa toute nouvelle nomination à la tête de ce bateau qu'il n'a
pas encore le droit de piloter. Qu'importe, il a désormais la casquette de
capitaine après avoir présenté avec son acolyte Olivier Michel un projet qui
tient la route, disons plutôt …le canal ! Geoffroy Jourdain c'est Les Cris
de Paris qu'il dirige depuis 1999 et cet ensemble, à géométrie variable, a
chanté la musique de tous les siècles avec talent. Que vient faire l'ensemble Les Cris de Paris sur le
Quai de Loire ? Ce
n'est pas Les Cris de Paris, mais l'histoire des Cris de Paris qui nous amène
ici. A sa création c'était un groupe d'étudiants, une association non
consciente qu'elle allait participer à la fondation d'un groupe qui se
professionnaliserait à partir de 2005 avec l'aide de la Fondation Orange. C'est
à ce moment là qu'Olivier Michel est arrivé comme administrateur. Quelle est la formation d'Olivier Michel ? Il a
une formation dans le monde de l'entreprise et puis une appétence particulière
pour tout ce qui est création contemporaine. Cela fait donc dix ans que Les Cris de
Paris est un ensemble professionnel ? Oui
et c'est cette expérience qui fait que nous venons à la Péniche Opéra avec une
ligne éditoriale précise et un enthousiasme qui va nous permettre de faire des
rencontres et inventer un projet dont on ne peut pas dire ce qu'il deviendra
dans dix ans ! Vous avez donc postulé pour venir sur la
Péniche ce qui va vous amener à avoir des responsabilités supplémentaires,
dépendre d'un conseil d'administration, donc avoir peut-être moins de liberté
qu'avec votre ensemble, non ? Il y
a eu un appel d'offre en juin 2014. On a postulé avec un projet qui va nous
permettre de réinventer quelque chose et rééquilibrer nos relations. Depuis
quelques temps on avait envie de diriger un lieu. Les Cris de Paris existe,
continue à vivre leur vie. Le projet proposé, en plus de mutualiser les
réseaux, les connaissances, et de mobiliser des enthousiasmes, permettra avec
la Péniche Opéra de mieux s'organiser, de prendre du recul par rapport à ce
qu'on a fait, de faire évoluer nos publics. On veut aussi faire profiter de
notre expérience acquise avec Les Cris de Paris. Vous connaissiez bien ce lieu ? Je
suis venu travailler avec Mireille Larroche, pas
souvent, certes, mais j'ai vu beaucoup de productions hors les murs. Depuis sa
création, il y a une trentaine d'année, la Péniche Opéra met en œuvre un projet
artistique très en lien avec le répertoire du théâtre musical, avec des petites
formations lyriques, et la création contemporaine, par des commandes auprès
d'artistes. Je me sens tout à fait en phase avec l'univers auquel s'est
consacré la Péniche et Mireille Larroche. Qu'est ce qui fait que vous avez été choisi ? Peut-être
que nous sommes un ensemble plus récent que d'autres et qu'on a su évoluer avec
un modèle économique différent, avec du mécénat privé, de sociétés privées, et
qui conduit à moins compter sur l'État. Il faut apprendre à l'État à mieux se
responsabiliser par l'utilisation de l'argent publique pour la culture comme il
le fait pour l'éducation musicale. Aujourd'hui Les Cris de Paris est soutenu
par la Fondation Béthencourt, la Société Générale, reçoit une aide de la DRAC
et un peu de la Mairie de Paris. Comme beaucoup d'ensembles on est accueilli à
la Fondation Polignac. On commence une résidence à Levallois ainsi qu'en Région
Champagne Ardennes via l'Opéra de Reims. Comment ont réagi les membres de votre ensemble ? Je
les ai prévenus. J'ai eu des réactions enthousiastes, et pas mal de gens, même
si je n'en avais jamais parlé, trouvaient cela évident en fait. En raison de ce
que nous avons développé ces dernières années, en modifiant un peu les
protocoles du concert, en montant des projets avec d'autres disciplines
artistiques, comme les arts plastiques, la danse, le théâtre. Toute la curiosité
qu'on a pu avoir pour ne pas nécessairement faire des concerts de façon
frontale, nous d'un côté, avec des pupitres et des costumes, et le public de
l'autre côté, pour beaucoup de gens c'était dans la logique du projet
artistique. Il fallait qu'il y ait un espace, j'entends virtuel - je ne parle
pas nécessairement de la Péniche - mais un espace de productions et
d'inventions. La signature de ce projet c'est aussi l'idée de laboratoire. Et vous envisagez la venue de votre ensemble ? Cela
arrivera dans le sens où nous commençons en 2016, et si on veut favoriser des
créations de dispositifs de spectacles, de l'écriture qui s'inscrit dans la
durée, pour 2016 il fallait que nous ayons des choses en magasin. Donc
effectivement la première saison il va y avoir une production des Cris de Paris
et durant la deuxième aussi. Mais pour l'instant c'est tout ce qui est
envisagé. L'idée n'est pas du tout que la Péniche soit un lieu pour l'ensemble. Alors quelle est votre actualité avec la Péniche
Opéra ? Pour
simplifier, elle n'est pas à quai pendant l'été, la saison se termine en mai.
Ensuite le lieu Péniche, pour la rentrée, va être exploité pour des répétitions
des conception. Notre saison 2015-2016 ne va en
réalité commencer qu'en 2016. Il faut qu'on se donne un petit peu de temps pour
être sûr de notre programmation. On vient juste d'arriver, on a été nommé il
n'y a que quelques jours. Au début, on va faire essentiellement de l'accueil
avec des groupes, avec des spectacles qui existent déjà, pour rester en contact
avec le public de la Péniche. Ce qui est mis en écriture demande du temps. Il
faut bien une saison pour avoir des créations originales. A part Système D des
Cris de Paris, les autres spectacles existent déjà. J'espère que le public de
la Péniche se reconnaîtra, même si nos programmes seront différents. Il y aura
le public des Cris de Paris et aussi, j'espère, un public qui sera intéressé
par la nouveauté. Le danger à Paris est de savoir le garder. Ensuite, mais
c'est peut-être un peu tôt pour en parler, on va expérimenter d'autres
horaires, on fera des spectacles à 19H. Être en lien avec un public, notamment
de celui des gens de quarante ans qui ont des baby-sitters ou qui veulent aller
au resto après le spectacle et qui bossent le lendemain matin. On fera d'autres
horaires l'après midi pour des représentations avec le jeune public et aussi
pour des spectacles familiaux, le dimanche après midi par exemple. Et au sujet de l'artistique ? On
avait proposé à l'appel d'offre un projet qui s'intéresse au mode d'écriture
« pluridisciplinaire », « transversal ». Même si je n'aime
pas ce mot à la mode, qui mélange de nombreuses formes artistiques. Mettre dans
la même temporalité des gens qui travaillent dans des domaines différents c'est
ce qui nous intéresse dans le processus d'écriture de ce genre de spectacle.
C'est à dire prendre par exemple le compositeur et au lieu de le laisser à sa
table de travail, le mettre dans le dispositif. Cela va durer plus de temps, et
il faudra le faire aussi avec les chanteurs, les danseurs. Cela ne veux pas
dire qu'on va faire de l'art total en permanence, mais les disciplines qui se
croisent, on les met au plateau ensemble. Il faut être convaincant dans la
création de formes nouvelles. Je rêve de prendre le compositeur à sa table d'écriture
et de le mettre dans ce dispositif. L'idée qu'il y ait un librettiste d'un
côté, un compositeur de l'autre, des gens qui travaillent en scène au piano,
comme à l'Opéra pendant tant de temps et puis qui font des italiennes et des
scènes orchestre, pour moi cela me semble absurde. Les schémas dans lesquels on
peut faire de la musique patrimoniale ne peuvent pas être ceux dans lesquels on
fait de la création. Cela paraît évident quand on le dit mais cela n'empêche
que dans les maisons d'Opéra, par exemple, ça n'existe pas vraiment. Cela
existe dans des lieux un plus laboratoire, là où les mentalités sont
différentes. C'est vrai plutôt en Europe du Nord où il y a des schémas dont on
peut s'inspirer. Je pense à la Belgique ou à la Hollande où effectivement ces
questionnements des écritures et comment une écriture peut influer sur l'autre,
sont des choses qui sont en jeu depuis longtemps parce que le poids de la
tradition est aussi moins important. La
Péniche Opéra est un incubateur de spectacles. Mais il y aura aussi la Péniche
plateforme entre les professionnels et les jeunes compagnies, les jeunes
ensembles. Tous les ans il y aura des présentations de maquettes de spectacles
de jeunes compagnies, d'ensembles, à des professionnels, des diffuseurs etc… qui en voyant ces maquettes s'engageront à accompagner
les projets montés sur la Péniche. L'identité c'est le spectacle musical. Il y
aura peut-être aussi des chanteurs de pop avec une narration, une dramaturgie,
de la même façon qu'il y aura des projets d'installations avec une narration
sonore avec des voix. Si quelqu'un veut raconter une histoire en musique il
faut qu'il sache qu'on existe. On a un projet très décloisonné. Il va falloir alors que vous soyez attentif
à tout ce qui vous entoure au niveau de la création ? C'est
pourquoi, on est très heureux d'avoir un lieu comme la Péniche. Avec Olivier,
depuis dix ans, on passe notre temps à aller voir des spectacles, visiter des
galeries, lire beaucoup. On s'était dit, si on avait un lieu pour favoriser les
rencontres on serait ravi ! C'est ce qui vient de nous arriver ! Vous devez être très sollicité ? Il y
a beaucoup de gens qui veulent devenir nos amis ! Mais il y a en beaucoup
aussi que nous voulons contacter parce qu'on aime leur travail. On pourrait programmer
pendant dix ans tant il y a des gens qui nous intéressent. Avec Les Cris de
Paris on avait des prestations à proposer, maintenant on va devenir
coproducteur de spectacles musicaux et on espère inspirer, susciter, des
projets. En conclusion ? On
est les héritiers d'une belle histoire et il faut qu'on puisse continuer à
l'écrire. On aimerait aussi que la Péniche Opéra puisse continuer à se déplacer
à travers les canaux, cela fait partie de sa mission : la faire circuler en Ile
de France et rencontrer des publics différents. Il n'y a plus pour Geoffroy Jourdain qu'à
passer son permis bateau pour faire naviguer la Péniche et avancer ses
projets ! Propos
recueillis par Stéphane Loison.
***
Un Bal masqué futuriste à La Monnaie Giuseppe VERDI : Un
Ballo in maschera (Un
bal masqué). Mélodrame en trois actes. Livret d'Antonio Somma. Stefano Secco,
George Petean, Maria José Siri,
Marie-Nicole Lemieux, Kathleen Kim, Roberto Accurso, Tijl Faveyts, Carlo Cigni, Zeno Popescu, Pierre Derbet. Orchestre symphonique et Choeurs
de la Monnaie, dir : Carlo Rizzi.
Mise en scène : Alex Ollé (La Fura dels Baus). Théâtre de La
Monnaie.
Au sein de la production verdienne, Un ballo in maschera (1859)
marque la fin des « années de galère ». L'opéra de Verdi connut une
genèse mouvementée. Le sujet qui se présenta d'abord fut « Gustave III de
Suède », opéra de Auber sur un livret de Scribe
(1837), que Verdi demanda à son librettiste de réécrire. Tant il était persuadé
de l'intérêt du sujet : « Gustave IIII comporte des ressorts dramatiques
exceptionnels et le situations y sont remarquablement agencées »,
dira-t-il. La pièce devint ainsi « La vendetta in domino ». C'était
sans compter sur la censure napolitaine qui grinçait à la pensée de voir
traiter sur scène le meurtre d'un souverain, alors en outre, que venait de se
produire l'attentat d'Orsini contre Napoléon III. Se tournant alors vers Rome,
et pour contrer une censure tout aussi rigoureuse, Verdi et Somma transposent
l'action dans le Boston des années 1850. Pour beaucoup Le bal masqué est
l'une des meilleures réalisations de son auteur : un livret rapide, contrasté
dans ses situations grâce à l'utilisation subtile du mélange des genres ; une
musique sensible qui joue plus des situations précisément que de l'étude des
caractères, encore que ceux-ci soient bien tracés. Surtout, on trouve ici mise
en exergue une valeur essentielle, celle de l'amitié, que Verdi travaillera par
la suite avec La forza del
destino et Don Carlo. Car au final, le
souverain pardonne à Renato, son ami, de l'avoir frappé à mort. Ce dernier
étant convaincu que son honneur d'homme avait été trahi par l'infidélité de sa
femme avec le roi. Celui-ci meurt non sans avoir disculpé Amelia et exhorté les
époux réunis à quitter la Cour pour une ambassade. On donne à La Monnaie
l'opéra dans la version originale à la Cour de Suède. La mise en scène d'Alex
Ollé flirte du côté du roman de Georges Orwell, 1984, et son sujet de
l'arbitraire idéologique de Big Brother. Ollé voit
dans le roi un éternel tyran. La décoration en ajoute quant au broiement des
êtres par le pouvoir : une architecture gigantesque, univers de béton qui
enferme personnages et action dans un carcan froid, heureusement nuancé par un
beau travail sur la lumière. Rarement décor aura-t-il autant imprimé son poids
sur la régie. Car ces volumes qui se font et défont, utilisent les trois
dimensions, la partie supérieure, tel un couvercle de marmite, s'abaissant pour
mieux écraser, ou s'élevant dans un mouvement libérateur. La sorcière Ulrica
apparaitra descendant des cintres pour entonner son premier air. Tous sont
munis de masques dès les premières mesures, car selon Ollé « aucun ne montre
vraiment son visage à découvert » dans cette action qui « se déroule
dans un futur proche ». La régie d'acteurs est objectivée, tous traités
comme des êtres mus par quelque froide mécanique. Mais si intrigue politique il
y a, elle cache un drame intime, celui de trois personnages, Gustave III, Amelia. Renato, taraudés par ces affres que
sont l'amour, la jalousie, la vengeance. Et ce drame est quelque peu relégué au
second plan. On a voulu creuser les contrastes et gommer la fantaisie que Verdi
a instillée dans certaines scènes, par exemple à travers le personnage du page
Oscar, et noircir le tableau jusqu'à faire de la scène finale une vision de
désolation : si le roi meurt, tous sont cloués au sol dans l'horreur d'une
sorte d'attaque chimique dont on se demande s'ils peuvent en réchapper malgré
leurs masques de science fiction...
La Monnaie a assemblé un cast de prestige. Carlo Rizzi, un
des spécialistes de l'univers verdien, livre une lecture intense tirant le
meilleur de l'Orchestre symphonique de la Monnaie qui brille en particulier
dans les solos instrumentaux agrémentant les airs (le violoncelle dans celui
d'Amelia, le hautbois pour l'aria de Renato). Sa vision est puissante, accusant
tout autant les contrastes. Car ceux-ci diffusent dans la partition, à l'aune
de l'ambivalence des traits de caractère des personnages. Chacun a sa
personnalité musicale, en termes d'orchestration, de rythme, de sonorité
spécifique, produisant l'effet théâtral. On pense au grave profond d'Ulrica, au
solide esprit de revanche de Renato dès lors qu'il se sent trompé par sa femme
et son ami. Tout ce que Verdi nomme « tinta », c'est à dire la
couleur des affects, des confrontations aussi. L'effectivité dramatique du spectacle
procède autant de la musique que de sa traduction purement théâtrale. Chaque
membre de la distribution en est imprégné. George Petean,
Renato, offre le meilleur du baryton Verdi, pour lequel a été écrit l'un de ses
plus beaux airs : « Eri tu que macchiavi quell'anima...» (Et
c'est toi qui a souillé cette âme), chef d'œuvre de rage non contenue de
l'homme bafoué dans ce qu'il a de plus cher, sa femme, son amitié, puis de
déploration, nostalgie du bonheur perdu. On pense à Rigoletto
et à « Cortigiani, vil razza
damnata.. » à cet instant. Le portrait fouillé
est totalement convaincant. Stefano Secco campe un roi Gustave III de belle
facture vocale, maniant l'ambivalence de l'homme insouciant, du monarque
hautain et de la victime expiatoire. L'Amelia de Marie José Siri
est une heureuse découverte car voilà un soprano lyrique expressif doté d'un
medium large tirant sur le grave, comme le possédait naguère Martina Arroyo, et
à la quinte aiguë aisée qui projette naturellement. Le portrait est tout en
clair obscur. Marie-Nicole Lemieux ajoute à sa galerie de contraltos verdiens
un nouveau gemme : Ulrica est taillée pour sa voix de stentor, sa
« tinta » de grave caverneux, son allure farouche. L'Oscar de
Kathleen Kim est moins sur le fil du rasoir que souvent et, régie faisant, a de
l'épaisseur. Les seconds rôles, dont les conspirateurs, sont de belle tenue.
Enfin les Chœurs de la Monnaie font œuvre de présence vocale ainsi que d'impact
dramatique. Jean-Pierre Robert. La Mort de Tintagiles aux
Bouffes du nord Maurice MAETERLINCK: La mort de Tintagiles. Pièce
en cinq actes ; précédée de fragments de « Pour un tombeau
d'Anatole » de Stéphane Mallarmé. Adrien Gamba Gontard,
Leslie Menu, Clara Noël. Christophe Coin, violoncelle et baryton à cordes,
Garth Knox, alto et viole. Conception musicale : Christophe Coin & Garth
Knox. Mise en scène : Denis Podalydès. Théâtre des
bouffes du Nord.
Maurice Maeterlinck a donné au théâtre
symboliste Pelléas et Mélisande que
Debussy allait mettre en musique pour le chef d'œuvre que l'on sait, mais aussi
d'autres pièces intéressantes, telle que La mort de Tintagiles
(1894). L'idée de la monter assortie d'un ramage musical revient à Denis Podalydès et à Christophe Coin. Qui avaient déjà collaboré pour Le Bourgeois gentilhomme
(au demeurant repris aux Bouffes du nord
jusqu'au 26 juillet). La mort de Tintagiles
est une pièce en cinq actes, cinq courts tableaux qui font intervenir quatre
personnages outre quelques servantes. Elle conte le triste sort réservé à un
enfant, Tintagiles, que ses deux sœurs Ygraine et Bellangère (qui
appartiennent à la même fratrie que Mélisande, et dont il est question dans Ariane
et Barbe-Bleue de Dukas) tentent de préserver d'un mal diffus, l'emprise
d'une vieille femme, la Reine, prête « à dévorer les nôtres », sorte
de monstre, d'ogresse. Malgré l'aide bien dérisoire d'un vieux serviteur Aglovale. L'acte IV illustre le rapt de l'enfant par une
cohorte de servantes obscures à la solde
de la Reine. Il périt on ne sait comment, happé
au-delà du réel par quelque force du mal. Le non dit est ici autant prégnant
que l'exprimé et les dialogues aussi énigmatiques que chargés de sens caché. On
y trouve la sémantique du théâtre symboliste et des sentences comme : « Je
me suis dit un jour que j'allais être heureuse » (Ygraine,
acte I), ou encore « Il fallait bien que l'on vive en attendant
l'inattendu... et puis il faut agir comme si l'on espérait... » (Aglovale, acte III). La symbolique des choses encore : la
lampe, métaphore de la lumière, la tour, de l'incessible, la porte, de
l'infranchissable, etc... Car dans ce théâtre chacun
est aveugle sur sa destinée et il arrive finalement ce qu'on refuse de voir. La
mise en scène de Denis Podalydès est extrêmement
respectueuse du texte qui porte un « trop plein d'images », empli de
mystère, où « pourtant tout est simple, tout est court, n'avance pas plus
loin qu'au bord d'un abîme tout proche, que l'on se refuse à qualifier »,
souligne-t-il. Sa direction d'acteurs est sobre, tout en clair-obscur. Seule
concession à l'expressivité : le personnage titre, cet enfant fragile aux
« boucles d'or », visualisé par une marionnette grandeur nature,
remarquablement vivante par la manière dont elle est dirigée. L'atmosphère est
oppressante de par un environnement décoratif crépusculaire, dissimulant
heureusement les murs lépreux du théâtre. Pour introduire ce climat, on a fait
précéder la pièce d'un prologue emprunté à Mallarmé et à des fragments de
« Pour un tombeau d'Anatole », véhiculant l'idée de deuil, de la mort
infantile, en résonance parfaite avec le texte de Maeterlinck. Mais l'idée de
génie est d'avoir pourvu le texte d'une illustration sonore. Christophe Coin et
Garth Knox, qui jouent, respectivement, tour à tour le cello
et le baryton, ou la viole et l'alto, prodiguent des prolongements sonores des
plus inattendus mais combien expressifs. L'image atteint ainsi une autre
dimension. On entendra successivement des extraits des Mikrokosmos
de Bartók, des morceaux de Lutoslawski, de Satie (« Pièce froide »),
de Kurtag ou de Berio (extrait des Duos pour
violons, n°27), des morceaux de Félix Bettanchon,
de Jean Noguès, de Charles Loeffler, ou encore des
pièces chantées : un chant gaëlique irlandais («Keen
for a dead »), ou « Alas
poor men » de Tobias Hume. Les acteurs mènent
les textes à leur plus sublime expressivité, dont l'émouvante Leslie Menu, Ygraine, et Adrien Gamba Gontard,
désarmant d'innocence, et les deux musiciens prodiguent d'empoignantes
sonorités de leurs beaux instruments. Un spectacle rare, d'une vraie cohérence
dramatique et musicale.
Jean-Pierre Robert. Daniel Barenboim ou la flamme du piano de
Schubert
Au sein de l'emploi du temps
chargé auquel il nous a habitués, partagé entre opéras et concerts symphoniques,
Daniel Barenboim s'offre une pause au piano, son cher
piano qui marqua d'une empreinte si forte sa première carrière de musicien, et
nous offre une mini intégrale Schubert : onze sonates
essentielles, l'espace de quatre concerts à la Philharmonie de Paris, à
guichets fermés. Un premier constat : le vaste auditorium accueille
favorablement le récital de piano, l'instrument sonne précis et proche,
bénéficiant de l'acoustique flatteuse du lieu et d'un temps de réverbération
intéressant à l'aune de la manière interprétative du maestro. Disons-le
d'emblée, celle-ci creuse les contrastes, de dynamique, de tempo. Il y a du
bouillonnement parfois dans les variations d'éclairages si fréquents que ménage
Schubert, une lisibilité sans doute moins immédiate, différente de l'approche
plus objective et au classicisme tout viennois d'Alfred Brendel. Et parfois on
ne sait s'il s'agit d'un souci de souligner ce qu'il y a d'original, ces pistes
que Schubert a lui-même mêlées à satiété dans plus d'une pièce, ou d'une volonté
de mettre en avant ce qu'il peut y avoir de « moderne » dans cette
littérature pianistique. Surtout, on a le sentiment que le jeu au clavier est
désormais nettement influencé par la patte du chef d'orchestre : cette façon de
manier les écarts, d'exacerber les couleurs, à l'extrême souvent, de dramatiser
le discours, tout cela participe de l'approche d'un expert de la direction
d'orchestre lyrique ou symphonique ; mais la chose n'est pas nouvelle chez Barenboim. La maestria du clavier, impressionnante, n'a
rien perdu de sa formidable acuité et l'instrument sonne glorieux dans les
grands climax (un terme qui participe du vocabulaire orchestral d'ailleurs !)
comme on ne peut plus raffiné dans les passages
élégiaques, le lyrisme de la palette de Schubert en ressortant avec évidence.
Des deux soirées auxquelles on a assisté, la première juxtaposait d'abord les
Sonates D. 568 et D. 784. Autant dire deux partitions pas toujours aisées à
appréhender par l'auditeur, qui s'attend à pouvoir entendre un Schubert charmeur,
mélodieux avant tout. Pas tant ici. La Sonate D 568, de 1817, possède une
histoire curieuse. En cette année, Schubert est accaparé par la composition
pour le piano. Il mettra en chantier plusieurs sonates, dont la Sonate D 567 en
ré bémol majeur et cette autre D 568. La seconde n'est-elle qu'une
transposition de la première ? En tout cas elle comporte quatre mouvements,
alors que sa sœur en comprend trois, et ce grâce à l'adjonction d'un menuetto allegretto. Plutôt que de simple transposition, il
s'agit, selon Brigitte Massin (dont l'ouvrage
essentiel sur Schubert vient d'être réédité, Fayard), d'un « nouveau
travail d'élaboration à partir d'une donnée première ». L'architecture
d'ensemble est repensée et son caractère plus accusé en terme
d'agitation. En particulier au premier mouvement qui s'écarte de la forme
sonate pour une structure s'apparentant à la fantaisie, où les thèmes se
succèdent à foison. Barenboim la joue avec les
caractéristiques qu'on a rappelées, et on savoure en particulier le mouvement
lent d'un beau lyrisme et le scherzo, menuet d'un calme lyrique qui fait place
à un trio dansant. Cette référence à la danse, on la retrouve au finale allegro
moderato. La Sonate D 784 occupe une place particulière dans la production
schubertienne. Composée en 1823, c'est est une pièce isolée, mais marquant la
ligne de partage entre sonates de jeunesse et de la maturité. C'est, selon
Brigitte Massin « une œuvre de crise » et
son dramatisme se ressent dans les deux mouvements extrêmes qui énoncent des
thèmes antagonistes se confrontant plus qu'ils ne se correspondent. Barenboim souligne volontiers ces oppositions qui mettent
en lumière une modernité qu'on n'associe pas à Schubert ; à tort, car combien
inhérente à sa manière. Le début très lent de l'allegro giusto
initial progresse par une large montée en puissance et le développement se fait
chaotique. De même le finale vivace est-il l'expression d'une force
irrépressible, le premier thème affirmé dans ses accords assénés, alors que le
second énonce une sorte de valse. Au milieu, l'andante apporte quelques
instants de sérénité dans ce parcours véhément. Durant l'année 1825, Schubert
écrit, entre autres, trois grandes sonates. La Sonate D 845, sera la première à
être publiée du vivant du musicien, en 1826. Schubert y démontre encore combien
il s'affranchit des canons rigides de la forme sonate au profit de la
fantaisie. De plus, le langage est ici quasi orchestral, sans parler de la
durée conséquente de la pièce, qui avoisine la demi heure.
Le moderato par lequel elle s'ouvre multiple les thèmes qui vont s'entrecroiser
à volonté, notamment au cours du développement extrêmement modulant. Le
discours se fait dramatique en particulier dans le registre grave. Une coda
très développée déploie de sombres accents. Que Barenboim
ne cherche pas à amoindrir. Le schéma de thème et variations de l'andante est
proche du Lied et apporte de la fraicheur dans ses fines appogiatures, que le
pianiste pare de joliesse tout en gardant sous-jacente une dose de tragique. Le
scherzo est dynamique mais ne se dépare pas de gravité ; alors que le trio tout
contrastant est élégiaque. Le rondo final, sorte de perpetuum
mobile, s'avèrera fiévreux, Barenboim exacerbant la
pulsation, soulignant là encore la modernité du langage schubertien, et
ménageant une progression rapide, implacable, presque boulée. La sonate D 850
marque une nouvelle étape de l'évolution du style du compositeur vers la donne
épique, tels ces accords répétés rageusement, et un élargissement de la palette
sonore proche du langage orchestral. Schubert est occupé alors à l'ébauche de
ce qui deviendra sa symphonie en Ut, D 944, dite « la Grande ». Le
rythme y est roi. Cela s'affirme dès l'allegro vivace qui débute en fanfare, le
discours progressant avec frénésie presque, agrémenté de délicieux triolets. Barenboim s'y montre on ne peut plus fougueux. Le con moto suivant est méditatif, promenant une rêverie
schubertienne typique où se joignent deux thèmes, l'un majestueux, l'autre vif,
au fil d'épisodes émerveillés où l'on prend son temps - les fameuses
« divines longueurs » ! Animé, le scherzo est avec Barenboim pas si épique que cela, et le trio, très
développé, introduit une belle sérénité. Le finale moderato avec son thème
dansant comme improvisé, déploie une suprême fluidité jusqu'aux dernières
phrases qui s'évanouissent comme dans un songe.
Le dernier concert s'achevait comme il se
doit par l'ultime Sonate D 960. Une somme s'il en est ! Sommet de l'art de
Schubert, challenge pour l'interprète, instants de félicité pour l'auditeur.
Scellant la fin d'un parcours exemplaire, interrompu par une mort prématurée,
elle témoigne de la formidable vitalité qui s'empare alors du musicien :
composition du Quintette à deux violoncelles, de messes, corrections apportées
à la seconde partie du Winterreise, travail
sur ce qui figurera le Schwanengesang, etc... Barenboim affirme même
qu'au cours de la période de quelques 13 ans au cours de laquelle Schubert a
écrit ses sonates pour piano « sa progression fut si rapide qu'il serait
peut-être devenu l'un des compositeurs les plus révolutionnaires de l'histoire
de la musique s'il avait vécu plus longtemps ». Cette Sonate D 960
intimement liée aux deux autres, D 858
et D 659, est un aboutissement de son style comme une marque d'hommage à
Beethoven et à son célèbre corpus de 32 Sonates. La facture quasi orchestrale
s'y révèle, introduisant comme une action, alors que certains traits nouveaux
s'affirment telle la tendance vers le chromatisme. La vision de Barenboim est grandiose et devant pareille exécution, la
logique de la comparaison s'efface quant à l'appréciation de la performance en
soi : la dramaturgie de l'immense premier mouvement molto moderato, la
méditation envoûtante de l'andante sostenuto et ses notes pppp
effleurées sur le jeu de mains croisées, la salle retenant son souffle devant
ce qui est côtoiement de l'ineffable, la pure joie que procure le scherzo,
« vivace con delicatezza », où l'on sent
pointer quelque fantaisie, qu'un trio va contraster d'une page plus austère mais
apaisée ; un finale aussi énergique qu'enchâssé dans une action, là encore,
idéalement construite, là où Schubert raconte une si merveilleuse et poignante
histoire. On reste ému après une exécution de ce calibre, de cette autorité
souveraine, de cette musicalité accomplie. Citera-t-on l'ami Albert Stadler qui
parlant de l'art de Schubert pianiste, remarquait : « Il appartenait
encore à cette vieille école de pianistes talentueux qui ne se jettent pas
comme des oiseaux de proie sur les pauvres touches. » Merci ! Jean-Pierre Robert. L'art du récital à son sommet
Magdalena Kožená
et Mitsuko Uchida donnaient
au Théâtre des Champs Elysées un récital
dont le programme parcourait les chemins de l'amour, de Schumann à Debussy, de
Mahler à Messiaen. Diverses manières d'aborder un thème si porteur. Dernier
cycle schumannien, les Gedichte der Königin Maria Stuart (Poèmes de la Reine Marie Stuart)
datent de 1852 et sont tirés de Shakespeare. Ultime preuve d'amour à Clara ? Le
climat est sombre, désespéré, le musicien épousant le destin tragique de
l'héroïne, en particulier au troisième Lied, « A la Reine
Elisabeth », supplique à une « sœur », une rivale plutôt.
« L'adieu au monde » est poignant à l'aune de ce « Mon cœur est
détaché des biens terrestres », prémonition d'une fin prochaine. L'ultime
Lied, « Prière » en appelle à la délivrance. Kožená
prouve une force de conviction que la voix amplement déployée porte à son
paroxysme, tandis que le piano d'Uchida vibre à
l'unisson. Les Rückert Lieder sont composés par Gustav Mahler en 1901,
au même moment que la Cinquième Symphonie. Sa passion pour Alma
Schindler est à son comble, il l'épousera l'année suivante. Ces poèmes
nocturnes sont un présent à la bien aimée : d'effusion avec « Ich atmet' einen
linden Duft » (Je
respirais un doux parfum), ce « doux parfum de l'amour », qui conclut
la mélodie. Ou de confidence amoureuse de ce « Je t'aimerais à jamais »,
ultimes mots de « Liebst du um
Schönheit » (Aimes-tu pour la beauté). De
mystère aussi, voire de prière et de solitude avec « Um Mitternach » (A minuit). D'angoisse interrogative
encore, là où le denier Lied « Me voilà coupé du monde » signe une
vraie identification du musicien avec son poète. Les deux interprètes tutoient
ici le sublime, Kožená de son timbre chaud et
expressif, Uchida tressant un accompagnement où l'on
croit entendre l'orchestre tout entier. Claude Debussy a écrit ses Ariettes
oubliées en pensant à Blanche Vasnier, son
égérie, encore qu'à l'époque, leur relation soit sur le déclin. Inspirées des Romances
sans paroles de Verlaine (1892), ces mélodies montrent un Debussy de la
maturité. Il sera en pleine lumière ici, car le piano de Mitsuko
Uchida est tout sauf vaporeux ou
« impressionniste », et la voix de la chanteuse extrêmement engagée.
« C'est l'extase » montre la voie, chant et piano faisant jeu égal.
« Chevaux de bois » contraste, follement entraînant par le mouvement
tourbillonnant insufflé par la pianiste. Les deux « aquarelles finales,
« Green » et « Spleen » sont plus que des vignettes : la
suprême déclamation (« et puis voici mon cœur qui ne bat que pour
vous », désolation de l'amour perdu. Sans doute les Trois chansons de Bilitis sont-elles moins explicites quant au thème.
Encore qu'elles sont traversées de la même poésie langoureuse, les textes de
Pierre Louÿs et leur manière un peu
archaïque inspirant à Debussy des pages mémorables. Et on ne peut s'empêcher de
penser à Pelléas et Mélisande sur
lequel il travaillait alors. « La
chevelure » n'est-ce pas celle de
Mélisande ? Et ces jeux de « La flûte de Pan » n'ont-ils pas la même
saveur de vraie fausse innocence que ceux auxquels se livrent les deux
protagonistes de l'opéra ? De par ses harmonies froides et son ton angoissant,
« Le tombeau des naïades » effraie presque comme quelque intervention
de Golaud. La manière dramatique du Mitsuko Uchida et la suprême
diction de Magdalena Kožená, une des grandes
interprètes de Mélisande, le montrent comme d'évidence. Le récital se concluait
par le livre II de Poèmes pour Mi d'Olivier Messiaen. Ils sont dédiés à
sa première épouse Claire Delbos, surnommée
« Mi ». Ils traitent de l'amour considéré comme sacré, le sacrement
du mariage. De sa voix ample et de son articulation soignée Kožená
en livre une exécution saisissante, tour à tour habitée de foi
(« L'épouse »), de conviction inébranlable (« Ta voix »),
de véhémence presque (« Les deux guerriers »), de tendresse
(« Le collier »), ou de moment de béatitude (« Prière
exaucée »). Elle n'hésite pas à lancer la voix à pleine puissance pour
exprimer ce qu'il y a de jubilatoire dans ces pièces, voire à user du registre
de poitrine, presque détimbré. Uchida se mesure avec
bonheur à la rythmique qui étaie les mélodies plus qu'elle ne les accompagne.
Trois bis prolongent la soirée : un chant populaire de Janacek, puis Der Nussbaum (Le noisetier) de Schumann, dont Kožená distille amoureusement les modulations à l'infini,
et un Lied de Hugo Wolff, comme une variante de « Ainsi va l'amour ».
Ce qui distingue ce récital c'est au-delà de la prestation de la chanteuse, le
plaisir procuré par le jeu de la pianiste, et une rare symbiose entre deux
partenaires pour qui raffinement et expression sont unis indissolublement. Jean-Pierre Robert.
Étienne-Nicolas MEHUL: Uthal. Opéra-comique en un acte. Livret de
Jacques-Benjamin-Maximilien Blins de Saint Victor
d'après James Macpherson. Yann Beuron, Karine Deshayes, Jean-Sébastien Bou, Sébastien Droy,
Philippe-Nicolas Martin, Reinoud van Mechelen, Artavazd
Sargsyan, Jacques-Greg Belobo.
Chœur de chambre de Namur. Le Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset. Exécution de concert. Opéra Royal
de Versailles. Parmi les musiciens du tournant
du siècle 1800, Étienne-Nicolas Méhul (1763-1827) ne reste aujourd'hui hors de
l'oubli que grâce à son fameux Chant du départ, écrit en 1794, et
peut-être encore son drame biblique Joseph. Pourtant ce compositeur
prolixe en tous domaines a laissé plus de de trente
titres au genre lyrique. Uthal, créé en 1806 à
l'Opéra Comique, salle Feydeau, est inspiré des rêveries
« ossianiques » de James Macpherson (1736-1796). Il nous plonge dans
les brumes et la mythologie écossaises des bardes et de leurs luttes
guerrières. Le vieux chef Larmore, relégué à
l'inaction par son gendre Uthal, n'a pas dit son
dernier mot : il veut lui livrer combat pour restaurer son autorité. Pressée de
choisir entre le père inflexible et l'époux hautain, Malvina préfère ce
dernier. Vaincu et promis à l'exil, Uthal abandonne
sa superbe devant la compassion de Malvina prête à le suivre, et fait amende
honorable. Le redoutable Larmore pardonne alors. On a
tant fustigé les faiblesses du livret de cet opéra-comique, et même sous la
plume de Berlioz, par ailleurs un défenseur de son collègue, qu'on a toujours
eu peine à porter du crédit à cette pièce, mêlée de chant et de parlé, en
alexandrins pourtant... Dans son « Histoire de l'Opéra (1856) le célèbre Castil Blaze porte haut une œuvre qui dépasse
singulièrement le cadre de l'opéra-comique pour côtoyer la tragédie. Et nul
doute que comme le remarque dans son introduction au concert, Alexandre Dratwicki, directeur artistique du centre de musique
romantique française « Il est temps de se sortir des partis pris » et
d'emprunter le chemin des découvertes, les vraies. Et il y en a ici à foison !
A commencer par une orchestration inattendue qui omet les violons au profit des
altos pour asseoir une couleur sombre et mélancolique, ou qui introduit la
harpe celtique dans des combinaisons instrumentales saisissantes lorsqu'elle
est associée soit à la flûte soit au cor ; ce qu'un critique de l'époque a
qualifié de « teinte gothique ». Méhul dispense surtout ce style héroïque
dans lequel il est passé maître, une « musique de fer » disait-on alors,
qui ravissait les auditeurs de ces temps nouveaux au tournant de la Révolution
et du Ier Empire. Et que Napoléon appréciait tout
particulièrement. Dans sa brièveté, l'œuvre offre des gemmes. Ainsi de la
Romance d'Uthal, grand morceau empli de vaillance ;
ou de l'hymne au sommeil chanté par les quatre bardes sur un accompagnement de
harpe, de deux flûtes et de deux cors ; s'en détache l'incantation du chef des
bardes, et il est ponctué d'une antienne de ses trois compagnons tandis que
s'inscrit en contrepoint la plainte de Malvina. Ou encore de cette Ouverture en
forme d'orage, préfigurant les grands morceaux tempétueux de l'opéra
romantique, où les bois et les cors alliés aux cordes graves ménagent un effet
saisissant qui « accroche » l'auditeur. Caractères et situations sont
traités avec le souci de l'impact dramatique et le passage du parlé au chanté
vient adroitement.
La présente exécution donnée sous les
auspices du Palazzetto Bru Zane Centre de musique
romantique française, dans le cadre de la troisième édition de son
« Festival Bru Zane à Paris », est un sans faute. Car on a assemblé
des forces orchestrales et chorales comme des solistes de haut vol. Christophe
Rousset poursuit son exploration de chefs d'œuvre méconnus du répertoire
d'entre deux du XIX ème. Dans son interprétation on
perçoit tout ce que cette musique doit à Gluck, mais aussi annonce l'opéra
romantique français : un allant parcourant tout, arias et ensembles, l'héroïsme
des interventions guerrières du chœur, confié aux seules voix d'hommes. Mais
aussi un chaud lyrisme que la palette des cordes graves enrichit
particulièrement dans les échanges avec les bois. La sonorité mordorée des 14
altos est pure joie et si le ton des solistes vents des Talens
Lyriques n'est plus à louer, ils trouvent ici matière à illustrer leurs
talents! On signalera la finesse des interventions de Virginie Tarrête à la harpe celtique, au son cristallin. Le chœur de
chambre de Namur fait mouche par sa précision et la justesse de ton de
l'élocution. S'il n'est pas très développé, le rôle titre n'en est pas moins
porteur : Yann Beuron émeut par la noblesse de la
déclamation parlée, l'élégance du style dans le récitatif et la beauté du
chant. La romance d'Uthal « Pour prix d'un bien
si plein de charme » offre le racé d'une grande interprétation. Karine Deshayes, Malvina, affronte partie moins diserte et aisée
car ici le passage de la prose au chant s'avère délicat. Elle n'en éprouve
cependant pas de difficulté grâce aux vertus essentielles d'une diction
impeccable et d'une vraie sûreté de la ligne de chant. Le duo qui les réunit
est comme haletant. Dans la partie de Larmore,
Jean-Sébastien Bou affiche une voix de stentor et déclame le texte avec fougue,
pour ne pas dire véhémence, déployant des colères effroyables qui font trembler
tout alentour, mais pas le belliqueux Uthal convaincu
de sa haute valeur (« Je suis né violent, ambitieux peut-être ; Pour
lâche... je ne le suis pas »). Du quatuor des bardes on détachera le beau
baryton de Philippe-Nicolas Marin, distingué dans l'ensemble dit « du
sommeil », et la voix ductile et ensoleillée de Reinoud van Mechelen. Ce
quintette restera un des sommets de la soirée. Un concert à marquer d'une
pierre blanche, de surcroit dans le cadre choisi de l'Opéra Royal de
Versailles. Chance ! Il était enregistré et doit paraître en CD. Jean-Pierre Robert. Trésors de la musique romantique française pour quatuor à cordes
Parmi les six autres concerts de l'édition
2015 du Festival Bru Zane à Paris, celui donné par le Quatuor Diotima méritait plus qu'un détour. Sous le
moto « d'une modernité à l'autre » étaient rapprochés trois
compositeurs, Onslow, Lequeux
et Debussy. George Onslow (1784-1853), désormais
réchappé de l'oubli, grâce à plusieurs parutions discographiques, composa
nombre de quatuors. Une première période dans les années 1814 donna naissance à
une douzaine de pièces (op. 8 & 10). Il revient au genre dans les années
1830 et cette deuxième brassée est marquée par le choc éprouvé par l'écoute des
quatuors de Beethoven. L'opus 56 en ut mineur (1833-1834) est dédié au celliste
Alexandre Chevillard, découvreur des dernières pièces du Maître de Bonn. Par
rapport aux quatuors des op. 8 et 10 (Cf. CD du Quatuor Hermès, NL de 6/2025,
et ci-dessous), cette nouvelle livraison se signale par un enrichissement de
l'écriture et une dramatisation du discours, comme on le remarque dans
l'allegro « maestoso ed espressivo »
initial. Le Minuetto aligne deux trios enluminés par le
violoncelle. L'adagio, là encore introduit par le cello,
offre une douce cantilène, éprise de sérénité. Le finale vivace, le seul
peut-être à s'inspirer de la grande manière d'un Beethoven, s'avère entraînant
non sans quelque traits âpres et culmine dans un
presto conclusif brillant. Les Diotima en livrent une
lecture d'une impressionnante concentration. Et on observe que la nouvelle
seconde violon, Constance Ronzatti, s'est déjà bien
intégrée à l'ensemble. Guillaume Lekeu (1870-1894), musicien belge autodidacte,
a écrit trois quatuors dont un seul est parvenu jusqu'à nous, et un Molto
adagio pour quatuor à cordes. Cette pièce, de 1886-1887, est étrange : une
longue digression au sein de laquelle on peut distinguer plusieurs sections,
dont un grand climax central, et qui évolue sur le versant modéré. Son sous-
titre « Mon âme est triste jusqu'à la mort », est emprunté à la
parole du Christ se rendant au jardin de Gethsémani. L'atmosphère méditative
est soulignée par un discours qui n'offre que peu d'accents. Il progresse peu
quoique l'harmonie soit tendue. Le recueillement fait penser aux Sept
dernières paroles du Christ en croix de Joseph Haydn. Les Diotima en rendent la formidable intensité. Auprès de ces
deux pièces, le Quatuor de Debussy apparaît comme un Boudin comparé à un petit
maître (encore que celui-ci ne soit pas à dédaigner puisqu'il peut orner les
murs de nos salons). Le Quatuor de Claude de France est un des morceaux choisis
du répertoire. Il respire le génie de la première à la dernière note et depuis
sa création en 1893 par le Quatuor Ysaÿe, sa
suprématie ne s'est jamais démentie, aux côtés de celui de Ravel. Les Diotima en donnent une exécution proche de l'idéal :
équilibre parfait des voix au premier mouvement « animé et décidé »,
révélant cette clarté louée par Paul Dukas (« Tout est clair et nettement
dessiné ») ; mordant au suivant « assez vif et bien rythmé, »
les pizzicatos d'une précision extraordinaire, sans dureté, et le ton juste
dans les subtiles transitions ; serein épanchement dans l'andantino
« doucement expressif », ce type de marque si essentiellement
française pour signifier la douceur aérienne, sans effet d'apesanteur pourtant.
L'introduction par le second violon est finement expressive précisément et
l'alto de Franck Chevalier lui donne une réplique on ne peut plus poétique : Un
grand moment. Le finale « très modéré », ne le sera pas tant : un
brin agité, montrant les audaces d'un musicien qui n'hésite pas à s'affranchir
des conventions du genre, mais combien suprêmement joué. Les Diotima montrent, s'il en était encore besoin, leur
suprématie dans ce répertoire gallique. Jean-Pierre Robert. Le Paradis et la Péri de Schumann au Festival de Saint-Denis Robert SCHUMANN : Das Paradis und die Peri. Dichtung (Poème) en trois parties. Texte tiré de Lalla Rookh de
Thomas Moore. Marita Sǿlberg, Marta Boberska, Karine Deshayes,
Frédéric Antoun, Ben Johnson, Edwin Crossley-Mercer. Chœur de Radio France. Orchestre National de France, dir. Jérémie Rhorer. Basilique de
Saint-Denis.
Le concert d'ouverture du Festival de
Saint-Denis offrait l'occasion d'entendre le rare Le Paradis et la Péri
op. 50 de Schumann. Créé en 1843 à Leipzig sous la direction du compositeur,
l'œuvre appartient au genre de l'oratorio profane, plus exactement le Märchen oratorium (conte
oratorio). Élisabeth Brisson remarque qu'«elle est de facture inhabituelle,
correspondant à un nouveau genre, ''neue
Genre'', voulu par Schumann qui la dénomme ''Dichtung''
(Poésie) et non oratorio » (Cf. NL de 5/2015, in ''Paroles d'auteur''). Schumann
a puisé dans un texte du philosophe, humaniste et théologien Thomas Moore
(1478-1535 ), Lalla
Rookh, conte initiatique, lui-même emprunté à la
mythologie arabo-perse, qui traite le thème de la rédemption. La Péri, chassée
du Paradis, espère y retrouver sa place. Mais elle ne le pourra qu'en
rapportant des contrées terrestres une offrande digne des dieux. Ce que ne
seront pas le sang d'un héros hindou, non plus que l'amour sacrificiel d'une
vierge égyptienne, mais bien les larmes d'un criminel syrien – l'Homme – se
repentant à la vue d'un enfant en prière. Ce présent seul permet le rachat.
L'œuvre s'inscrit dans la ligné des sujets d'inspiration féminine qui
soutiennent tant de pièces du musicien : L'Amour et la Vie d'une femme,
puis les Scènes de Faust avec le personnage de Gretchen, ou encore le
Lied de Mignon. De par sa portée symbolique, Le Paradis et la Péri
se rattache à un courant né avec La Flûte enchantée de Mozart. Y fleure
un délicat exotisme qui était alors en vogue. On remarquera que la pièce de
Schumann est contemporaine de celle du français Félicien David, Le Désert
(1844), qui elle aussi capte si bien ces atmosphères envoûtantes d'un Orient
aussi imaginé que vécu. Ce qui se traduit dans le cas présent par une
orchestration irradiant la lumière, même si elle fait appel à une formation
riche de trombones, cors, ophicléide, et nombreuses percussions. Une vraie
fluidité sonore parcourt ses trois parties. Si la trame n'est pas spécialement
dramatique, du moins la pièce respire-t-elle une vraie unité. C'est que le
langage offre une sorte de continuum de style arioso qui englobe récitatifs et
arias, et unit solos et ensembles dont un quatuor vocal et une importante
participation du chœur. L'un des protagonistes, le ténor, se voit offrir un
rôle de récitant, une sorte d'Évangéliste séculier. C'est sans doute la partie
la plus achevée avec celle de La Péri qui au fil de ses diverses interventions,
voit son destin se modifier jusqu'à ce trait final « J'ai accompli mon
œuvre » sur contrepoint du chœur des bienheureux. L'exécution qu'en donne
Jérémie Rohrer offre ceci d'intéressant qu'elle mêle adroitement vigueur du geste et
lyrisme soutenu. Et fait ressortir ce souci d'unité qui distingue l'œuvre au
fil de ses diverses parties. Vues dans la continuité, car elles se succèdent
sans hiatus, elles alternent climats puissants (fin de la Première partie) ou
apaisés : ceux qui marquent plus d'une intervention du Ténor solo ou de l'Ange.
Si la contribution du Chœur de Radio France ne passe pas pour la plus marquante
du fait d'une diction touffue que l'acoustique de la Basilique de Saint-Denis
n'aide pas, la prestation de l'Orchestre National est à louer, en particulier
pour ce qui est de la section des bois et de la belle plasticité des cordes.
Les sept solistes forment un plateau harmonieux dont se détachent deux voix :
celle mordorée de Karine Deshayes - quelques jours
seulement après sa belle prestation dans Uthal
à Versailles - tour à tour Alt-solo et l'Ange, et surtout celle solaire de
Frédéric Antoun, Tenor
solo, à l'élocution aisée et au style remarquable. Chacune de ses interventions
est un moment de bonheur. Marita Sǿlberg prête à
La Péri des accents lumineux dans une partie délicate dont elle s'acquitte avec
aise et une belle sensibilité. Jean-Pierre Robert. La « Dernière nuit » ou des funérailles musico théâtrales
©Festival de
Saint-Denis Est-il plus majestueux endroit que la
basilique de Saint-Denis pour présenter une évocation de ce que furent au XVII ème siècle des funérailles royales ? « La dernière
nuit » se veut un ''concert théâtral'', concept inédit qui se propose
d'illustrer par « un dialogue imaginaire avec la musique » selon
Mathieu Coblentz et Jean Bellorni,
auteurs de la mise en scène, les cérémonies funéraires au temps de Louis XIV :
leur faste, ces vrais Pompes funèbres, leur aspect spectaculaire et ce mélange
de déploration et de verve théâtrale. Les auteurs et le chef Leonardo Garcia
Alarcon ont pris pour point de départ ce qui fut organisé en 1683 pour les
obsèques de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, à Saint-Denis précisément. On y
présenta semble-t-il ce qui ressemblait à un véritable spectacle autour de la
dépouille de le souveraine. Qui alliait musique, lecture de textes, mise en
scène au sein de l'église dont le vaste espace était complétement
investi. Le présent ''spectacle'' fait voisiner la Missa pro defunctis ou Requiem de Picard Charles d'Helfer (1598-1661) avec des morceaux en plain-chant et deux
motets de Lully, Dies Irae et De Profundis. Ces musiques sont
complétées de la déclamation d'oraisons funèbres, voire d'autres textes de
veine plus séculière. Il débute et se clôt par un Plain-chant qui, surgi du
lointain, se déplace peu à peu dans la basilique et en particulier autour d'un
lutrin à hauteur du Chœur pour, à la fin, s'éteindre de nouveau dans le
lointain et s'achever dans le silence. Puis interviendront les divers séquences de la Messe d'Helfter
et les deux Motets de Lully. Ils seront entrecoupés de trois intermèdes, sur
des textes empruntés à l'Oraison funèbre de Louis XIV, des épitaphes anonymes
publiés entre 1715 et 1789, un extrait du Livre de Job, et enfin des passages
du Sermon de Bossuet. Le résultat est plus qu'intéressant car l'alternance
musique texte vient naturellement avec de courtes pauses, et grâce à une habile
spacialisation utilisant le cadre de la basilique
dans ses vastes dimensions : on a pour ce faire disposé le public, non pas face
à la tribune d'orgue, mais en deux rangées latérales se faisant face, comme au
Parlement de Westminster, et ménagé une grande allée centrale sur laquelle vont
évoluer les choristes ou les acteurs de la partie théâtrale. Cette dernière est
quelque peu inattendue : deux acteurs, une femme, un homme, lui pédalant sur
une bicyclette tirant un petit attelage où elle est installée, évoluent sur des
praticables surélevés en forme de catafalques véhiculés par trois croque morts
plus vrais que nature... Le parti pris est de traiter les textes, les deux
premiers du moins, sur le mode ironique et de les « moderniser »,
introduisant un amusant décalage avec la cérémonial
ambiant. On y remarque des phrases bien senties comme « Dieu paraît tout
ce qu'il est, et l'homme n'est plus rien de tout ce qu'il croyait être »,
car « la pelletée de terre...rappelle aux rois et aux empereurs comme aux
plus humbles de leurs sujets la destinée commune à tous ». Des épitaphes
on retiendra celle-ci : « Ci-gît Louis le Grand. Il avait le cœur
d'Alexandre ; la mort n'a pris ce conquérant que quand il n'eut plus rien à
prendre. » Car « ci-dessous est inhumé Qui, supprimant, fut
supprimé ». La parole du bon peuple n'est pas toujours amène ! On passera
sur quelque concession à une « modernité » paupérisée, du couple
cassant la croûte en devisant sur la vanité du destin royal, pour souligner la
qualité de la diction et l'empathie de deux comédiens, Samuel Glaumé et Sophie Botte, dans les extraits du Sermon de
Bossuet sur l'« étrange faiblesse de l'esprit humain » qui
« aime mieux être aveugle que de connaître son faible », et cette
interrogation si poignante : « Qu'est-ce que notre être ? » car
« Que la place est petite que nous occupons en ce monde ! » Cette
morale replace alors le ''concert théâtral'' dans son contexte de déploration,
voire d'hommage au royal défunt. L'ultime Psalmus De
Profundis de Lully, alors que seules demeurent éclairées les voûtes de la
basilique, et une image qui porte fort. L'exécution musicale est de la plus
haute tenue. Leonardo Garcia Alarcon sait ce que ces musiques signifient
d'abîme de réflexion et la prestation de son ensemble de la Cappella Mediterranea / Orchestre Millenium est un plaisir sans
mélange. Tant l'Ensemble Vox Cantoris, dans la messe
dont les paroles sont prononcées en latin francisé, que le Chœur de Chambre de Namur pour le Plain-chant,
offrant une beauté d'émission magique, assurent le concert d'une compétence à
couper le souffle. Des cinq solistes émérites, on détachera la basse d'une
douceur de ton enchanteresse de Joao Fernandez et le haute-contre de Mathias
Vidal, timbre solaire, voix inextinguible. Une soirée inédite et passionnante. Jean-Pierre Robert.
L'Orchestre du Tonhalle et son chef Lionel
Bringuier
Pour le concert d'ouverture du Festival de
Zurich 2015, manifestation célébrant durant un mois tous les arts, l'Orchestre
du Tonhalle s'était « mis sur son 31 ».
Cette formation fondée en 1868, qui eut pour directeurs musicaux des chefs
illustres comme Hans Rosbaud, Rudolf Kempe et plus récemment et pendant presque vingt ans, David
Zinman, a choisi en 2014 de confier les rênes à un
jeune chef français Lionel Bringiuer. Le niçois
(*1986), bardé d'une « Mention très bien à l'unanimité » au sortir du
CNSMP en 2004, et vainqueur du 49 ème concours de
chefs d'orchestre de Besançon, possède un talent hors du commun. Le
« mariage » avec l'orchestre
zurichois sera d'emblée une réussite et un an après le résultat est là :
une complicité manifeste avec ses musiciens, un accueil public enthousiaste.
L'emphase portée sur le répertoire français, peu joué ici, a sans doute
surpris, mais a vite été acceptée, au point que les Ravel donnés au fil de la
saison (dont les deux concertos avec Yuja Wang !) et
de la prochaine seront les fleurons d'une intégrale discographique réalisée
pour la firme DG. Le geste est simple, sans fioritures, l'intention vraie, et
on sent l'empathie avec les musiciens. Le programme de cet « Eröffnungskonzert » était quelque peu étrange puisque
réunissant deux pièces orchestrales en forme d'ouverture précédant le Concerto
de violon de Beethoven. Il faut sans doute attribuer cet assortiment à la
satisfaction du thème d'année du festival, qui met à l'honneur Shakespeare,
plus précisément « Geld macht
Liebe » ( L'amour
et la puissance de l'argent) et « Shakespeare et d'autres
puissances ». En l'occurrence, l'Ouverture fantaisie Roméo et Juliette
de Tchaikovski cadre parfaitement avec la thématique.
Moins, sans doute, le poème Finlandia de
Sibelius, sauf à y voir une manifestation de la puissance du destin dans le rêve de liberté qu'il
véhicule, non étrangère à la cosmogonie shakespearienne. Quant au concerto de
Beethoven, sa singularité peut-être lui vaut-elle de croiser ladite thématique.
Plus prosaïquement, la présence d'une star de l'archet, en la personne de Julia
Fischer justifiait à elle seule ce choix. Écrit en 1899, le poème symphonique pour
orchestre Finlandia, op 26, Sibelius le
pense comme les « tableaux vivants
du passé finnois et de sa mythologie ». C'est selon la belle formule de
Gérard Denizeau, un « hymne à une indépendance
refusée par les tsars » (in « L'énigme Sibelius », NL de
2/2015). Son épisode hymnique central le manifeste on ne peut plus hautement.
Lionel Bringuier aborde gravement le début sombre
(« La Finlande s'éveille ») pour mieux préparer la survenance de cet
épisode brûlant, bardé de trompettes et de trombones éclatants mais sévères.
Autres climats avec la Fantäsie-Ouverture Romeo und Julia. Ce beau morceau d'orchestre est le succédané
d'un opéra qui ne vit pas le jour, projet pourtant caressé par Tchaikovski dès mai 1878, à la lecture de la pièce. Encore
que cette ouverture ait été composée dès 1870. C'est un résumé des faits
marquants du drame, qui sans respecter la chronologie des événements, les
associe de manière adroite et combine les deux éléments essentiels que sont les
luttes fratricides entre les deux clans et le fil d'amour unissant les
protagonistes. On savoure ces climats tranchés au fil d'une interprétation qui
ne sombre jamais dans un inutile pathos, préserve une clarté de tous les
instants et déploie une énergie sympathique entre empoignades et félicité
amoureuse, où les premières semblent devoir l'emporter avant que sonne une
grande et noble péroraison remettant tout le monde d'accord. Jacques Longchampt remarque (in « La musique au jour le
jour », cf. infra '' Le coin bibliographique '') qu'il ne faut pas refuser
le plaisir d'apprécier comme la première fois ce que nous croyons trop bien
connaître. Cela s'appelle le plaisir combien raffiné de se laisser
surprendre... Et c'était bien le cas de cette exécution. La seconde partie du
concert offrait le Concerto pour violon de Beethoven. Quelle
interprétation là encore ! Julia Fischer en livre une lecture enthousiasmante,
intense en même temps raffinée, solaire et suprêmement construite. L'orchestre,
réduit à la formation dite classique viennoise, procure un écrin de rêve, car Bringuier dispense un soutien habité, au-delà d'un simple
accompagnement attentif, et installe des pianissimos éthérés laissant à la
soliste un espace choisi. La cadence de l'allegro initial est pur instant de
grâce, avec des trilles d'une finesse proprement inouïe. La reprise des cordes
pizzicatos tandis que s'égrène le solo de basson est un moment rare. Le
larghetto dispense des joies célestes et le rondo final est proprement magique
d'esprit et de goût. Et comment résister à ce sourire échangé avec le chef !
Une souveraine interprétation d'une sobriété assumée, sans excès dans les
ralentissements ou velléité de brillance. Plus que dignement fêtée, Julia
Fischer donnera un bon quart d'heure de bis, sur le mode virtuose asservi au
bon goût, dont des Capricci de
Paganini, présent à un public qui visiblement la chérit.
On notera que lors d'une tournée
européenne, l'Orchestre du Tonhalle et son chef Lionel
Bringuier seront à la
Philharmonie de Paris le 15 avril 2016. Au programme : la Symphonie N°8 de Dvořák et le Concerto pour piano de Grieg joué par jean-Yves
Thibaudet.
Jean-Pierre Robert. Le marathon des « dernières sonates » par Andras Schiff
Tant Beethoven que Schubert ont écrit une
trilogie finale de sonates pour piano, les opus 109, 110 et 111 du maître de
Bonn, les opus D 958, 959 et 960 de l'auteur de La Truite. On peut la
jouer chacune en un même concert. On peut aussi imaginer de les rapprocher les
unes des autres, et de leur adjoindre les « dernières » de Mozart et
de Haydn. C'est ce à quoi s'attache Andras Schiff lors d'une série de trois concerts : rapprocher les
ultimes sonates de ces quatre maîtres du classicisme viennois. Si elles sont
unies par ce même esprit, elles montrent bien des différences et des points
communs saisissants. On sait la vénération vouée par Schubert à Beethoven. Andras Schiff d'expliquer encore,
par exemple, que la plus singulière proximité réside entre Haydn et Beethoven,
pas seulement parce que l'un fut l'élève de l'autre, mais bien parce que le
style de composition favorisé par Beethoven s'inspire du modèle de Haydn, qui
fait notamment qu'un motif n'irrigue pas seulement un mouvement entier mais
baigne une œuvre dans son ensemble, et parce que les deux musiciens sont unis
par certaines idées, comme l'humour. Ce que Schubert ne partage sans doute pas.
Il existe aussi un parallèle entre Mozart et Beethoven, ne serait-ce qu'à travers
la polyphonie héritée de JS. Bach, ce qui se vérifie dans la Sonate K 576 du
premier ; encore que la filiation avec le Cantor ne soit pas toujours visible
chez Beethoven. Ainsi le geste consistant à rapprocher ces sonates est-il
signifiant, même et surtout en termes de différences : le côté extraverti de
celles de Haydn dont deux ont été écrites pour une pianiste virtuose anglaise,
l'élément sacré si présent dans les pièces de Beethoven, en particulier dans le
mouvement lent de l'opus 109, ou dans la fugue de l'opus 111, les moments
d'étonnements qu'on trouve chez Haydn, etc... Et
si chez Mozart les trois dernières
sonates ne sont pas conçues comme une triade, elles sont pour autant partagées
par un même souci de d'alternance entre lumière et ombre. Le présent concert, le premier de la série,
proposait donc les sonates N° 60 de Haydn, l'op 109 de Beethoven, la sonate K
576 de Mozart et la D 958 de Schubert. Schiff joue
les deux premières quasi dans la continuité, sauf un
court break d'applaudissements, renforçant l'idée même de parenté. La brillante
C-Dur Sonate Hob. XVI:50 de Haydn débute par une
fantaisie de notes piquées au vol et une brassée de traits d'une
stimulante créativité. L'adagio est
grave mais son style d'improvisation est tout aussi singulier, alors que
l'interprète le pare d'un toucher d'une étonnante clarté. L'allegro molto
final qui introduit quelque suspense,
déploie un sympathique allant. De l'opus 109 de Beethoven Schiff
va tracer les interrogations, les énigmes presque, du vivace initial, nous
faire savourer un tumultueux Prestissimo, puis un andante à variations tutoyant
le sublime, là où se forge les éléments du style futur du compositeur. Le
« cantabile ed espressivo » a rarement été
aussi en évidence, où effleure furtivement comme un rythme de sarabande
baroque. La dernière séquence avant la péroraison atteint des sommets
interprétatifs proprement inouïs. Le pianiste ne parle-t-il pas de sa
« sonate préférée au sein des 32 » de Beethoven. Le public envoûté
retient son souffle et pas le moindre bruit ne vient troubler une exécution de
haut vol. La seconde partie unira les sonates de Mozart et de Schubert. La
Sonate K 545, dite « Petite sonate pour piano pour les débutants »,
de juin 1788, est aussi appelée « facile ». Rien de plus étrange, car
les difficultés y sont légion : si l'allegro semble couler de source, l'andante
va droit au cœur au moment où le thème passe en mineur. Le chant tressé par la
main droite est pur bonheur chez Schiff, comme il en
va encore au rondo final qui signe, selon les Massin,
« la finesse impressionniste du coloris ». Enfin, la Sonate D 958 clôture
cet étonnant marathon. Schubert, en 1828, entame sa fameuse trilogie
pianistique dans une vraie fièvre créatrice. L'allegro prouve sa dette à
Beethoven et en particulier à ses « 32 variations en ut mineur »,
mais prend vite ses distances avec celui-ci dans un volontaire et tempétueux
allegro où le développement découvre des trésors d'inventivité. A l'andante,
que Schiff distille tel qu'on conterait une belle histoire,
la mélodie sur un rythme balancé de marche lente, s'élance sans hâte
qu'interrompt à deux reprises un crescendo véhément. Le bref Menuetto muni de son encore plus court trio, débouche sur
un impressionnant finale de par ses vastes proportions : presque un retour à
Haydn pour l'esprit primesautier de ses premières mesures, puis une course
poursuite emplie de traits obsessionnels, telle une chevauchée effrénée. Andras Schiff survole tout cela
de son pianisme souverain, ménageant les contrastes
par un toucher qui frôle l'immatériel et une manière ancrée dans le plus pur
classicisme viennois. Le concert se prolongera de deux bis empruntés au même
Schubert, comme si ce quatuor de sonates ne suffisait pas au plaisir des
auditeurs éblouis. Jean-Pierre Robert. Vivaldi à l'opéra : une
dramaturgie insoupçonnée Antonio VIVALDI : La
verità in cimento
(La vérité mise à l'épreuve). Dramma per musica en trois actes. Livret de Giovaanni
Palazzi. Julie Fuchs, Wiebke
Lehmkuhl, Christophe Dumaux,
Delphine Galou, Anna Goryachova,
Richard Croft. Orchestra La Scintilla, dir. Ottavio Dantone. Mise en
scène : Jan Philipp Gloger.
Opernhaus Zürich. Monter un opéra de Vivaldi est chose
suffisamment rare pour qu'on se précipite à l'Opernhaus
de Zurich pour voir La verità in cimento, d'autant que la distribution en était fort
alléchante. Cet opéra a été créé en 1720 au Teatro
San' Angelo de Venise. La Sérénissime est alors capitale du luxe et du plaisir,
attirant un vaste public quasi international, dirait-on aujourd'hui, dans ses
sept maisons d'opéra. Vivaldi y règne en maître et ce « drame en
musique » survient dans une période faste pour celui qui est désormais une
star de l'opéra céans en sa double casquette d'homme de théâtre avisé et et d'impresario habile. Certes, l'intrigue n'est pas des
plus aisées à suivre, mais le public n'en a cure, car ce sont les prouesses
vocales qui l'intéresse. Il devra pourtant, comme
celui de 2015, faire son affaire de cette histoire de vérité malmenée : un
Sultan, Malmud, qui a deux fils, Melindo,
de son épouse, et Zelim, avec une dame de passage,
doit à l'instigation de cette dernière, se résoudre à révéler la vérité de
leurs origines : ils ont grandi avec une fausse mère et celui qu'on pense être
l'héritier de l'empire n'est pas qui on croit ; c'est non pas Melindo, mais Zelim qui peut y
prétendre. Par ailleurs, Rosane, la fille d'un
potentat ennemi, aime passionnément Melindo,
quoiqu'elle ait eu une relation avec son demi frère.
Au final, Zelim s'effacera et laissera Rosane épouser Melindo. Du moins
les didascalies le proclament-elles ! Car la production zurichoise voit les
choses dans une toute autre perspective. On était quelque peu inquiet du parti
qu'allait suivre son auteur Jan Phlipp Gloger qui signa à Bayreuth une mise en scène plus que
déconcertante du Fliegende Holländer. Force est de reconnaître que, cette fois, sa
manière suit une certaine logique et n'est pas trop ''décontructiviste''.
Encore que... Le sultan devient un riche industriel suisse et son palais une
luxueuse villa sur les hauteurs de la ville banquière, comme le montre un décor
astucieusement glissant de gauche à droite, découvrant une pièce de réception,
la chambre à coucher, un corridor, ou le bureau du propriétaire. La pièce se
joue en un huis clos étouffant qui voit une famille se déchirer à belles dents
et se complaire dans une violence à peine contenue. On se bouscule les uns les
autres, tables et chaises volent rageusement, Melindo
dans sa fureur s'en prend aux collections de tableaux du maître de maison qu'il
lacère à grands coups de canifs, etc... Celui-ci,
devant la catastrophe qu'il a provoquée, en vient à tenter de se suicider en
s'enfermant dans sa voiture de luxe dans laquelle il a dirigé les gaz
d'échappement... Mais les caractères sont fort habilement typés : Rustena, l'épouse légitime, bardée d'un optimisme béat,
adepte du yoga pour voir apaiser les tensions alentours, tombe de haut devant
cette vérité assénée et se convertit à l'écologie verte. Damira,
l'autre passion du patron, ici la bonne de la maison, fieffée calculatrice, est
une furie que rien n'apaise. Les deux fils sont aussi dissemblables que leur
ascendance le permet : Melindo, d'abord sur son quant
à soi, sûr de son droit, se révèle d'une arrogance farouche dès qu'il
s'aperçoit que ce droit ne lui reviendra pas et que Rosane
ne peut peut-être plus s'intéresser à lui. Zelim,
fagoté en sdf, un peu original, déclencheur de malheurs, ne fait rien pour
arranger la situation. Rosane, l'égérie de la
maisonnée, par sa beauté et son trop plein d'amour, qui lui fait se pendre de
passion pour tous les mâles, voire même le maître des lieux, jeu dangereux,
essaie de surnager dans cette tempête familiale. En vain. Car Gloger substitue au lieto fine,
un épilogue bien noir : Mamud, bâillonné par Melindo, en est réduit à voir tous se détruire, impuissant.
A force de jouer avec son arme à feu, Melindo se tue
et Rosane pleure inconsolable sa disparition. Les
deux dames aimées par le sultan-entrepreneur sont ravagées qui par le remords,
qui par l'aveuglement : Damira devient quasi folle et
Rustena est en proie à des visions, donc pas mieux
lotie. Zelim reste le seul... Mais, nous dit Gloger, « désillusionné, sans espoir, enfermé dans son
orgueil ». Morale : la vérité est-elle toujours bonne à dire ? Ou mieux :
ne dites jamais la vérité ! En tout cas voilà une perspicace variation sur une
thématique à la dramaturgie porteuse. Et des images fortes auxquelles une
direction d'acteurs sentie confère un poids certain, sans parler d'une piquante
charge de la société bourgeoise helvétique. Il fallait une distribution capable de
tenir le choc. Le sextuor réuni par l'Opéra de Zurich ne connait pas la moindre
faille. Et on se plait à voir que trois français y triomphent. Et que les
timbres graves sont à égale proportion avec les plus ''légers'' : trois voix
féminines dans le registre mezzo, dont un rôle travesti, et trois parties plus
''aiguës'', dont deux ténors et une soprano. Richard Croft,
dans son statut enviable de vétéran, a encore beaucoup à offrir : ce style
élégant qu'on lui connait et une composition modèle d'intelligence. Wiebke Lehkmuhl, qui s'affirme à
chaque apparition comme une valeur sûre dans le répertoire de mezzo, offre une
vocalité pleine et riche, et un portrait d'un amusant naturel de la femme
épouse rangée, maitresse de maison soucieuse de tout, qui sombre dans les
affres que l'on sait. Anna Goryachova, hier Macha des
Trois Soeurs de Peter Eötvös, livre du rôle de
Zelim une superbe composition, garçon manqué, façon
loubard, projeté dans cette ambiance si policée, et la voix est inextinguible.
Delphine Galou, autre timbre de mezzo ductile et
engagé, fait son miel des arias de Damira, et offre
de la femme-furie un étonnant portrait, se dépensant sans compter. On ne lui
connaissait pas un tel abattage. Le Melindo du contre
ténor Christophe Dumaux est lui aussi un parangon de
vertus. Que de chemin parcouru depuis sa prestation en Tolomeo
dans le Giulio Cesare de Haendel à Glyndebourne ! Le timbre qui se rapproche de celui de
Dominique Visse, offre cette acidité tranchante qui sied à un personnage qui va semer la terreur in
loco. Là encore une formidable assomption. Enfin, Julie Fuchs, Rosane, assume sans barguigner une sorte de statut de star
ici, de « Shooting Star ». Sa deuxième
année de résidence dans la troupe de l'Opernhaus lui
a permis de peaufiner son métier. Et cela en est passe de devenir gagnant.
L'accueil triomphal du public le prouve. Quelques grands noms ne sont-ils pas
passés par là, un certain Jonas Kaufmann pour ne citer que lui... Les arias sont
abordées avec maitrise et sensibilité, et le jeu d'une parfaite aisance pour
celle qui déclare aimer tant se surprendre elle-même par les figures auxquelles
elle prête vie. La partie musicale dans tout cela ? Elle ravit l'oreille à
chaque instant. Ottavio Dantone connait son
répertorie italien et l'univers de Vivaldi en l'occurrence. Sa battue est
souple, fuyant un traitement aux arêtes vives comme souvent chez ses collègues,
et les sonorités de l'Orchestra La Scintilla en ressortent magnifiées. Cela
chante et permet aux chanteurs de s'exprimer aisément dans les arias mais aussi
lors de deux ensembles qui font le prix de ce dramma
per musica : le Terzetto du Ier acte réunissant Rosane, Zelim et Melindo, moment de persiflage doux-amer, et le Quintette
qui clôt le II ème, scène de la reconnaissance où
chacun découvre sa vraie-fausse identité, chef d'œuvre de verve vivaldienne. Jean-Pierre Robert. Le suprême chant mahlérien de Bernard Haitink
La résidence parisienne du LSO nous aura convié à une soirée exceptionnelle à la Philharmonie de
Paris. Bernard Haitink était au pupitre. Tel un sage
de la musique à l'automne d'une longue et riche carrière, il revient à la
quintessence des grandes partitions. Le Troisième Concerto de violon de
Mozart ouvrait le concert, joué par Alina Ibragimova. Cette interprète qu'on associe plus aux
intimités de la musique de chambre – en partenariat avec Cédric Tiberghien en
particulier - qu'au grand lustre du concerto, livre une exécution limpide et
sensible de cette pièce où Mozart semble prendre ses distances avec le style
galant que la forme lui impose encore. Les tempos non métronomiques adoptés par
Haitink permettent une intéressante liberté du
discours, dégagé de tout carcan rigide, en particulier à l'allegro et ses
réponses inattendues de l'orchestre au soliste. L'adagio coule une cantilène
délicieusement mélancolique couronnée par une cadence hautement pensée
pianissimo. Le ''rondeau'' final est mené avec entrain sans excès de
précipitation, chef d'œuvre de goût et de raffinement sous les doigts de la
violoniste. Mozart fait ici sienne la manière française du
« pot-pourri » aussi bien thématique que rythmique et c'est pure joie
que le défilement des intermèdes variés et des reprises du refrain. Une
magnifique exécution que la violoniste prolonge d'un bis connu emprunté à JS.
Bach, au grand plaisir de ses auditeurs. La Première symphonie de Mahler
allait donner au concert une autre dimension, et l'acoustique de la salle, une peu trop large pour la pièce de Mozart, se révéler, de
par sa vaste résonance, le parfait medium de la magie sonore de cette épopée
titanesque. On se demande ce que chef et musiciens auront pensé du résultat
comparé à l'exécution, la veille, au Barbican de
Londres. Enfin, à Paris, entend-on Mahler comme il doit sonner ! La vision du
grand chef néerlandais, qui dirige cette œuvre depuis des lustres, et le fit
notamment à Amsterdam avec le Concertgebouworkest,
héritier d'une immense tradition interprétative mahlérienne, frappe d'abord par
sa lisibilité, son absence de pathos inutile, grâce à une approche absolument
naturelle des transitions, et des contrastes qui ne paraissant jamais
''fabriqués''. Ainsi en est-il, par exemple, entre le pianissimo éthéré des
cordes aiguës du début du premier mouvement et ce lent crescendo menant à la
lumière éclatante, entre la constance de la pédale de grave d'un appareil
orchestral comme en sommeil vigilant et des sautes d'humeur en éclats
dévastateurs. Ensuite par un souci d'équilibre des masses, qui permet de
détacher les traits solistes, si importants chez Mahler. Le sens de la couleur
encore, des bois, des cuivres, de cordes utilisées si différemment, tels les
pizzicatos de contrebasses. Faut-il détailler les bonheurs de cette
interprétation souveraine qui émeut comme la première fois ! Car l'émotion nait
de cette évidente simplicité, fruit d'une maitrise combien pensée du langage de
cette symphonie, premier chef d'œuvre, première vraie plongée dans un univers
somptueux, étrange et fantastique. Quelques remarques glanées au long de ces
pages : le pianissimo éthéré des cordes aiguës du début du premier mouvement,
éveil de la nature, dont se détachent les « bruits » enamourés des
bois, puis le climat recueilli du tempo « lent et trainant » exigé par
Mahler, le scherzo marqué « vigoureusement animé », ici merveille
d'esprit, et ce merveilleux contraste lorsque sonne le solo du cor, ou encore
le trio en forme de Landler entamant un bénéfique
moment de détente. De la « chanson de Frère Jacques » du troisième
mouvement, Haitink trace la démarche bonhomme,
combien idiomatique de la manière du compositeur, tirant de son contrebassiste
solo une sonorité envoûtante, et lorsque la couleur change par l'intervention
des hautbois, la mélopée tzigane, « Mit Parodie », prend une saveur
douloureuse. L'impressionnant finale couronnera cette exécution titanesque,
introduit par le coup de tonnerre de cymbale, inouï dans cet auditorium. Le
discours sera résolu, héroïque, là encore sans sollicitation, avec de nouveau ces
vastes crescendos, où le torrent d'abord retenu, est lâché dans une immense
effusion, ou encore la péroraison martiale. L'époustouflante qualité
instrumentale du LSO achève de conférer à cette interprétation une aura
d'absolue grandeur. A l'écoute de cette phalange, au mieux de sa forme, on
comprend pourquoi Sir Simon Rattle l'a choisie pour
sa retraite berlinoise ! Jean-Pierre Robert. Christian Gerhaher chante Mahler : La
référence !
Un récital du célèbre baryton allemand
Christian Gerhaher accompagné par le pianiste Gerold Huber dans le cadre d'un week
end entier consacré au Lied par la Philharmonie de Paris. Intéressant concert
quand on sait l'importance du Lied dans l'œuvre de Gustav Mahler, à la fois en
tant que corpus, dont le programme ce soir donna un large aperçu, mais
également comme source d'inspiration symphonique. Au programme : les Lieder eines fahrenden Gesellen (Les Chants d'un compagnon errant) que
Mahler composa alors qu'il était chef à Kassel, dans les suites d'un amour déçu
pour Johanna Richter, comprenant quatre lieder sur le thème de l'itinérance,
comparable par certains points au Voyage
d'hiver de Schubert. Le premier lied est fondé sur
le Wunderhorn,
les trois derniers s'appuient sur des textes du compositeur et clament une
amère désillusion. Dans ce cycle, le premier lied « Wenn mein Schatz Hochzeit macht » parut manquer de recueillement soutenu par
un jeu pianistique assez maniéré, le deuxième « Ging heut'morgen über's
Feld » fut pris sur un tempo un peu lent, le
troisième « Ich hab'ein glühend Messer », très engagé, et le quatrième
« Die zwei
blauen Augen »
parurent les plus réussis, alliant dans un savant mélange effroi, désolation et
consolation. Vinrent ensuite une sélection de dix Lieder extraits du Knaben Wunderhorn (Cor merveilleux de l'enfant) un recueil
de textes populaires datant des XVII & XVIIIe siècles, collectés au XIXe
par Arnim et Brentano dont Mahler s'inspira dans la rédaction de ses quatre
premières symphonies. Alliance de candeur populaire et de musique savante, ils
furent magistralement interprétés vocalement, accompagnés par un piano très
complice, permettant à Christian Gerhaher de faire montre de tout son talent vocal et
expressif dans des climats très différents tantôt joyeux mystérieux ou
insouciants, tantôt dramatiques, ironiques ou subversifs. Ce récital se conclut
sur ce qui fut, sans doute, le meilleur moment du concert avec les Kindertotenlieder
(Chants des enfants morts) sur des
textes de Friedrich Rückert, écrits par le poète à la suite de la perte de deux
de ses enfants emportés par la maladie à quelques semaines d'intervalle. Ces
cinq lieder composés entre 1901 et 1904, paradoxalement à un moment où le
bonheur semblait sourire à Mahler, ont pris pour certains une valeur
prémonitoire car Mahler perdra à son tour sa fille ainée quelques temps plus
tard, en 1907. Ces textes terrifiants, redoutés par Alma qui y voyait comme une
sorte d'appel à la fatalité, sont considérés par certains comme le plus grand
chant funèbre de la littérature mondiale. La musique de Mahler y développe une
atmosphère pesante, immobile et oppressante, imprégnée de deuil avant de se
conclure dans la sérénité illusoire d'une berceuse. Encore une fois Christian Gerhaher parvint à en saisir toute l'ambigüité, la lenteur
obsessive et douloureuse, la thématique funèbre parcourant sans relâche des paysages sonores vides et
désolés. Un récital qui remporta un succès mérité pour un interprète qui
demeure une référence en matière de chant mahlérien. La plupart des Lieder
interprétés ce soir furent secondairement orchestrés par Mahler lui-même, ou
par d'autres compositeurs. Pour ceux qui voudraient les retrouver au disque,
signalons simplement l'enregistrement de Christian Gerhaher
avec l'Orchestre Symphonique de Montréal, dirigé par Kent Nagano, paru chez
Sony Classicals en 2013. Patrice Imbaud. Un moment de pure poésie : Les Heine-Lieder
chantés par Manuel Walser
Dans le cadre idéal et intimiste de
l'Amphithéâtre de la Philharmonie de Paris, le célèbre baryton basse Thomas Quasthoff officiait un tant que récitant dans le concert
donné par son élève, le baryton suisse Manuel Walser (*1989), lauréat en 2013
du concours international « Das Lied » de
Berlin. Un prix qui lui permettra d'intégrer tout prochainement la troupe de la
Staatsoper de Vienne, et un talent indiscutable comme
en témoigna le moment de pure magie musicale qu'il nous offrit à l'occasion de
ce récital consacré entièrement aux lieder composés par Liszt et Schumann sur
des textes de Heinrich Heine. Heinrich Heine (1797-1856) fut l'un des plus
grands écrivains allemands du XIXe siècle. Dernier poète romantique, mais
également journaliste, satiriste, polémiste, il fut le poète de langue
allemande le plus mis en musique puisqu'on dénombre plus de huit cents Lieder
composés sur ses textes. En 1821, la
publication du Buch der Lieder lui valut la célébrité
auprès du monde musical. Sa collaboration avec Schubert fut courte, à l'inverse
de celle qu'il entreprit avec Schumann qui culmina avec le Liederkreis op. 24 et la Dichterliebe (Amours
du poète) (1844). Pour cette soirée, un programme remarquablement construit
comprenant des Lieder de Schumann et Liszt, quelques poèmes de Heine
merveilleusement déclamés par Thomas Quasthoff, avant
de conclure sur le splendide cycle des Amours
du poète. Un cycle où le jeu pianistique superlatif de Justus Zeyen prit toute son importance, à la fois dans
l'accompagnement du chanteur mais également dans le lien unificateur établi entre
les différents lieder, leur donnant ainsi une unité et un impact émotionnel
majeur. Un ensemble de chants d'espoir et d'adoration bientôt assombris par la
trahison de la bien aimée, oscillant alors entre morne désespoir et douleur
fiévreuse, se concluant dans le calme et la tristesse. Moment magique, moment
de poésie pure surement, mais également moment d'étonnement avec la découverte
surprenante du jeune baryton suisse, Manuel Walser à qui rien ne manque, tant
au niveau de l'interprétation et de l'engagement scénique, que de la technique
vocale. Puissance, diction parfaite, souplesse de la ligne, beauté du timbre,
tessiture étendue, graves profonds, aigus filés, engagement et présence
scénique… que demander de plus ? Un baryton dont on reparlera bientôt ! Un
talent à suivre. Patrice Imbaud. La
lecture originale de la titanesque Turangalîla-Symphonie ©Katja Tähjä La monumentale symphonie d'Olivier Messiaen
est toujours un moment exaltant mais périlleux pour les musiciens, cela
expliquant probablement la rareté de son exécution en concert. On se souvient
de la fameuse interprétation de Marris Jansons avec
son Orchestre de la Radio Bavaroise dans cette même salle, l'année passée, avec
le pianiste Jean-Yves Thibaudet en soliste. Pour cette année, Michel Franck
avait bien fait les choses, confiant la prestation à une célèbre phalange
londonienne, le Philharmonia Orchestra, dirigée par
son chef principal, Esa-Pekka Salonen,
assisté de Pierre-Laurent Aimard au piano,
spécialiste de Messiaen et ancien élève d'Yvonne Loriot, et avec Valérie
Hartmann-Claverie aux ondes Martenot, elle aussi familière de cet univers. Une
affiche de choix et une œuvre attendue expliquant sans doute l'affluence du
public avenue Montaigne. Une œuvre
monumentale que cette Turangalîla-Symphonie,
commande de Serge Koussevitsky pour l'Orchestre
Symphonique de Boston. Composée entre 1946 et 1948, la partition de 429 pages,
2683 mesures et un découpage en 10 mouvements, pour un orchestre de 103
musiciens et une durée de 80 minutes, sera créée en 1949 par le jeune Leonard
Bernstein à Boston. Avant d'être reprise en 1954, dans son intégralité, au
Théâtre des Champs-Elysées, avec Yvonne Loriod au
piano et sa sœur Jeanne aux ondes Martenot. Le titre lui-même en confirme la
dimension titanesque, signifiant en sanscrit, le cycle, le jeu de l'amour et de
la mort, le temps, le mouvement et le rythme…Un orchestre énorme avec un instrumentarium des plus variés comprenant force de cuivres
et percussions, ainsi que trois claviers (célesta, jeu de timbres et
vibraphone) qui renforcent les jeux du piano et des ondes Martenot. Une œuvre
gigantesque, parcourue par des thèmes récurrents (thème-statue brutal et
terrifiant entonné fortissimo par les trombones, l'image de la fleur jouée par
les clarinettes, la mélodie d'amour inspirée de la légende de Tristan &
Iseult, et enfin un quatrième thème tout en accords). Une partition découpée en
10 mouvements alternant tension, lyrisme, chants d'oiseaux, passion, danse
frénétique, drame, violence et poésie. Une symphonie hors norme, unique,
pouvant donner lieu à plusieurs niveaux d'interprétation se résolvant dans une
sorte d'épiphanie…Cette œuvre exceptionnelle
s'inscrit dans une grande trilogie sur le thème de l'Amour, comprenant Harawi, histoire
d'un amour malheureux ne trouvant sa réalisation que dans la mort, Cinq Rechants et la Turangalîla. Un triptyque consacré à l'Amour, de forme cyclique, les pièces V
et VI (Joie du sang dans les étoiles et Jardin du sommeil d'amour) en
constituant le cœur où se lit en filigrane le souvenir des amours du
compositeur, Claire Delbos, sa première épouse,
Yvonne Loriot, la seconde, qui inspira les Cinq
Rechants, un amour transcendé par le mythe de Tristan & Iseult, qui trouvera, chez
ce compositeur éminemment chrétien, son sublime
aboutissement dans l'amour de Dieu. Comme on le voit, une œuvre aux
multiples facettes, source d'autant de ressentis et d'interprétations
différentes. La lecture d'Esa-Pekka
Salonen nous parut, sans aucun doute défendable, bien
qu'assurément originale, s'inscrivant assez loin de la vision plus
spiritualisée et éthérée du compositeur, pour y préférer une interprétation
plus primitive, proche de la transe et du rituel barbare, aux accents
stravinskiens (Le Sacre n'est pas
loin) mâtinés d'intonations jazzy, accentuées par la battue très souple et le
déhanchement du chef finlandais lui donnant parfois des allures de Glenn
Miller ! Un Messiaen comme on l'entend rarement, très rythmé, mené avec
une force tellurique parfois assourdissante, masquant par instant l'admirable
jeu de Pierre-Laurent Aimard au piano, un Messiaen
peut-être un peu hollywoodien qui ne manquera pas de choquer certains puristes… Patrice Imbaud. Klaus Florian Vogt insurpassable !
Le ténor Klaus Florian Vogt semble
aujourd'hui la référence vocale incontournable dans les rôles de Stolzing des Maîtres
chanteurs de Nuremberg, d'Erik du Vaisseau
fantôme, de Loge de l'Or du Rhin,
de Siegmund de la Walkyrie,
de Parsifal, mais surtout de Lohengrin où son timbre si particulier le rend insurpassable. Il
était associé pour ce mini récital au talentueux et bouillonnant chef letton Andris Nelsons, également habitué
de Bayreuth, qui effectue, ici, sa dernière tournée européenne à la tête de son
Orchestre Symphonique de la ville de Birmingham. Un programme comprenant Wagner
et Dvořák : L'Enchantement du Vendredi Saint, « Amfortas !
Die Wunde ! », « Nur
eine Waffe taugt » extraits de Parsifal, puis le Prélude à l'acte III, « Höchstes Vertrauen hast Du mir schon zu danken »
et « In fermen Land » extraits de Lohengrin qui permettaient au ténor
allemand de prendre peu a peu la mesure de l'orchestre, dirigé de façon
magistrale par Andris Nelsons,
soucieux de faire ressortir toutes les nuances et couleurs de l'orchestration
wagnérienne dans une parfaite symbiose avec le chanteur. Au plan vocal, la
magie opéra dans le passage du père au fils pour culminer dans l'air de Lohengrin où le héros se révèle. Timbre
rond, éthéré, alliant fragilité et héroïsme, projection puissante, diction
parfaite, souplesse du phrasé pour une interprétation d'anthologie. En bis il
donna un superbe « Winterstürme wichen dem Wonnemond » de Siegmund, tiré du premier acte de la Walkyrie. En deuxième partie, la Symphonie n° 7 d'Anton Dvořák,
composée en 1885, dans un savant mélange d'inspiration slave et de germanisme,
dédiée à Hans von Bülow qui en devint l'interprète de
choix. Là encore la direction savante et atypique du chef letton parvint à nous
faire partager la gravité et la poésie du premier mouvement, le lyrisme et la piété du deuxième, l'inspiration
folklorique du troisième et la sensibilité tzigane du quatrième. Une belle
lecture de l'œuvre, une direction totalement impliquée, mais un orchestre qui
montra parfois ses limites, non pas tant
au niveau des cordes qu'au niveau des bois et des cuivres dont la sonorité fut
parfois agressive et sans rondeur. Une
très belle soirée tout de même ! Patrice Imbaud. Yannick Nézet-Séguin et Emmanuel Ax, un duo gagnant
Le jeune chef québécois Yannick Nézet-Séguin est décidément très présent avenue Montaigne,
ces temps-ci. Présent sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, il y a
seulement quelques jours avec son Orchestre de Rotterdam, le voilà de nouveau
dans les lieux avec, cette fois, l'Orchestre de Philadelphie dont il est
également le nouveau directeur musical…Talent oblige ! Une affiche alléchante
avec en soliste le pianiste américain Emmanuel Ax
dans un programme exclusivement viennois associant Brahms, Beethoven et Richard
Strauss, dans un ordre quelque peu surprenant. Brahms donc, en première partie
avec la Symphonie n° 3, une œuvre
composée en 1883, un peu différente des précédentes, peut-être plus subtile
dans un mélange d'héroïsme, de tension, de tendresse, de sérénité et de
langueur douloureuse. Une complexité de sentiments que le chef canadien ne
parviendra à rendre que de façon incomplète. Si
les premier et quatrième mouvements, rapides, furent menés avec justesse
et dynamisme, les mouvements centraux, plus lents et plus intériorisés,
parurent un peu vides de matière, enrobés d'une lumière crépusculaire donnant
l'impression d'une errance mal maitrisée. Le Concerto pour piano n° 3 de Beethoven, fut, à l'inverse, un grand
moment de piano. Un jeu, une écoute, une complicité, un plaisir de jouer et une
empathie captivante entre soliste et orchestre, le dynamisme de Yannick Nézet-Séguin répondant au jeu superlatif, dans le ton comme
dans la note, d'Emmanuel Ax. En bis, un moment rare,
soliste et chef partageant le même siège pour jouer à quatre mains la célèbre Valse op. 39 n°15 de Brahms. En deuxième
partie de concert, la Suite pour
orchestre du Chevalier à la rose fut, sans conteste, le moment où
l'orchestration foisonnante de Strauss permit à l'orchestre de se montrer à son
meilleur, tant au niveau des cordes somptueuses qu'au niveau des vents,
confirmant ainsi sa place méritée parmi les « Big
Five » américains. Nul doute qu'avec un chef aussi talentueux,
s'inscrivant dans la droite ligne de ses illustres prédécesseurs (Stokowski, Ormandy, Sawallisch, Muti) cette prestigieuse phalange voit
l'avenir sous un ciel serein. Patrice Imbaud. Myung-Whun Chung et le « Philhar »: Quinze ans d'histoire
Un moment un peu exceptionnel
et émouvant que ce dernier concert du chef coréen donné dans le Grand
Auditorium, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France qu'il
dirigea de 2000 à 2015. Un concert au terme duquel lui furent remis par Mathieu
Gallet, la médaille et le titre de directeur musical honoraire de la phalange
parisienne, remerciements de quinze années de passion et d'exigence Sans
revenir sur une si longue histoire, il convient toutefois de signaler la
complicité certaine, établie de longue date entre chef et musiciens, ainsi que
l'importance du travail effectué, en terme d'excellence musicale et de
pédagogie, faisant du Philhar un orchestre,
aujourd'hui, de réputation internationale. Une soirée de gala expliquant la
présence d'un public nombreux pour ce concert comprenant le Premier Concerto pour violon et orchestre de
Max Bruch (1838-1920) interprété de façon exemplaire par le violoniste
israélo-américain Gil Shaham, suivi de la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler
(1860-1911). Très présent sur les scènes parisiennes, chaque prestation de Gil Shaham est un morceau d'anthologie violonistique.
Personnalité sympathique, charisme et immense talent musical sont sans doute
ses atouts majeurs. Le Concert pour
violon de Bruch, composé en 1864, puis révisé et créé dans sa forme
définitive par Joseph Joachim en 1868, fait assurément partie des grands
concertos romantiques allemands au même titre que ceux de Beethoven, de
Brahms ou de Mendelssohn. Il fournit une
lumineuse première partie à cette soirée par son dynamisme, son lyrisme, son
équilibre et la complicité entre soliste et orchestre, le chef coréen comme à
son habitude dirigeant sans partition et prenant garde de ne jamais couvrir le
soliste. Un violon d'une exceptionnelle sonorité (Stradivarius de 1699) et un
jeu d'une extrême délicatesse passant de la confidence la plus recueillie à la
virtuosité tzigane la plus débridée. Si cette première partie fut
indiscutablement un grand moment de violon, notre avis demeurera plus mitigé
concernant l'exécution de la Symphonie n°
5 de Mahler dont on aurait préféré une lecture plus cohérente, plus allégée
mettant mieux en valeur la richesse de l'orchestration mahlérienne. Composée dans le
climat d'amour de son mariage récent avec Alma, mais aussi dans la douleur et
l'angoisse faisant suite à une hémorragie intestinale grave, la Cinquième symphonie (1904) est la
première symphonie de la trilogie instrumentale centrale (5e, 6e
et 7e symphonies) dominée par un sentiment d'ambigüité, d'autant que
parfois les forces créatrices semblent submerger le compositeur
lui-même : « C'est une
œuvre maudite, personne ne la comprend ». Elle comprend cinq
mouvements. La marche funèbre inaugurale parut un peu confuse notamment dans
les tutti furieux menés par les trompettes et les cuivres, d'autant que cette
salle demande du fait de son acoustique délicate plus de mesure et de
discernement. L'allegro suivant nous donna à entendre de magnifique cordes sur
un ton à la fois solennel et véhément. Le scherzo fut superbement animé par le
cor solo et la petite harmonie, l'espièglerie des bois répondant au lyrisme des
cordes, sans que le caractère ambigu et grinçant de la partition n'apparaisse
vraiment. Le célébrissime adagietto s'ouvrant sur les
sonorités des cordes et de la harpe resta dans le superficiel et le convenu,
sans profondeur ni recueillement, ne parvenant jamais à nous émouvoir vraiment.
Enfin le finale fut de loin le mouvement le plus réussi par son interprétation
plus nuancée, plus riche en couleur, chantante et tendue, constamment animé par
un sentiment d'urgence signant la victoire définitive des forces de vie et de
création. Mais là encore, cette victoire n'est-elle pas dénuée d'ambigüité et
d'interrogation ? Comme le dira Mahler lui-même : « Ciel, quelle figure fera le public devant ce
chaos qui engendre toujours un monde prêt, au dernier moment, à retourner au néant ? ». En bref, une magnifique prestation
instrumentale de l'ensemble des pupitres du Philhar
avec une mention d'excellence pour le cor solo d'Antoine Dreyfuss
et la trompette solo d'Alexandre Baty, rarement aussi exposés, mais une lecture
du chef coréen qui donna une impression d'inabouti, comme déshabitée…
Dommage ! En bis, un extrait de Carmen
de Bizet qui fit lever la salle pour une standing
ovation bien méritée au regard de l'histoire de l'orchestre. Nul doute qu'avec
une telle phalange, le nouveau directeur musical, Mikko Franck, n'ait pas de
soucis à se faire pour l'avenir ! Bravo à tous et merci Maestro ! Patrice Imbaud. Murray Perahia ou la suprême élégance
Figure mondiale reconnue du clavier, le
pianiste américain Murray Perahia occupe sur la
planète piano une place particulière, par l'importance de sa discographie (un
coffret de 73 CDs fêtant ses quarante années de carrière vient de lui être
consacré par le label Sony), par son charisme, et par son exceptionnel toucher
d'une rare élégance qui en font un véritable poète du clavier. Réfléchi, discret,
son lyrisme parait toujours contenu sans effusion excessive, attaché à la
beauté du son, à la justesse du phrasé dans une perspective plus apollinienne
que dionysiaque. Il apparaissait ce soir pour la première fois sur la grande
scène de la Philharmonie de Paris faisant de ce concert un événement à la fois
médiatique et musical expliquant le remplissage de la salle. Un programme
copieux retraçant plus de cent ans de piano, baroque, classique et romantique,
de Bach à Chopin en passant par Haydn, Beethoven et César Franck. La Suite française n° 6 de Bach permit
immédiatement d'apprécier le jeu souple, jamais percussif, délicat, sincère et
fluide de Murray Perahia. Un toucher toujours d'une
suprême délicatesse, naturel, sans manière, clair, limpide et dynamique faisant
de cette pièce de Bach un moment de musique pure. La Sonate n° 31 de Haydn fut plus contrastée alternant jeu cantabile,
moment de recueillement et déferlante finale. L'Andante con Variazioni du même
compositeur fut entièrement empreint d'une désolation poignante, avant que la Sonate n° 14 de Beethoven, dite « Clair de lune », n'instaure sur la
Philharmonie une lumière crépusculaire, très intériorisée, sans pathos
excessif, la justesse de la lecture répondant à la sonorité à la fois diaphane
et charpentée faisant de ces instants un grand moment de piano. Le Prélude, Choral et Fugue de César
Franck, joué pour la première fois en public par le pianiste américain, nous
permit d'appréhender une autre facette de son jeu révélant un piano grandiose, engagé
et percussif. Pour conclure, le Scherzo
n° 1 de Chopin mit en évidence toute la virtuosité, la palette infinie de
couleurs et les nuances subtiles du compositeur polonais, dans un propos tantôt
confident, tantôt orchestral, totalement habité par le désespoir de l'exil. Une
très belle soirée ! Patrice Imbaud. Maria Stuarda : Duel
vocal au sommet Gaetano
DONIZETTI : Maria Stuarda.
Drame lyrique en deux actes. Livret de Giuseppe Bardari
d'après la tragédie éponyme de Schiller. Alexandra Kurzak,
Carmen Giannattasio, Francesco Demuro,
Carlo Colombara, Christian Helmer,
Sophie Pondjiclis. Chœur du Théâtre des
Champs-Elysées. Orchestre de chambre de Paris, dir. Daniele Callegari. Mise en scène
: Patrice Caurier et Moshe Leiser,
reprise par Gilles Rico. Théâtre des Champs-Elysées. ©Vincent Pontet Un duo vocal superlatif, avec Alexandra Kurzak en Marie Stuart et Carmen Giannattasio
en Elisabeth, voilà un des atouts majeurs de cette coproduction du Théâtre des
Champs Elysées. Maria Stuarda,
un drame lyrique (43ème des 71 opéras écrits par Donizetti), reconnu par
tous comme un sommet du bel canto, est une œuvre qui s'inscrit dans la trilogie
des Tudor entre Anna Bolena
et Roberto Devereux, Un opéra,
rarement donné, au livret concis et à la dramaturgie exacerbée, qui marque
aussi l'évolution prochaine vers l'opéra verdien avec un orchestre qui
s'étoffe, des vents prenant une place plus importante (clarinettes et
trombones) et des cordes se faisant volontiers symphoniques. Une très belle
production qui vaut surtout par le magnifique duo vocal féminin qui culminera
dans la scène de la confrontation entre les deux reines que tout oppose,
conflit à la fois politique, religieux et amoureux, où des paroles d'une rare
dureté seront prononcées, Marie Stuart se condamnant à mort en traitant la reine
vierge de bâtarde, fille impure d'Anna Bolena !
Une confrontation qui n'eut jamais lieu historiquement, mais qui servit de
pivot au drame de Donizetti. Des propos sans équivoque et la mise à mort d'une
reine, sujets sensibles au XIXe siècle, qui entrainèrent la pâmoison de
Marie-Christine de Savoie lors de la représentation du 18 octobre 1834 au San
Carlo de Naples, avec pour conséquence, une censure et une récriture, avant que
l'opéra ne réapparaisse sur scène dans sa version définitive, à la Scala de Milan,
en 1835 avec Maria Malibran dans le rôle titre. Le compositeur semble placer
les deux « prime donne » sur le même plan d'égalité, réservant à
chacune un finale (Acte I pour Elisabeth, Acte II pour Marie Stuart). Mais il
devient rapidement évident que sa sympathie penche, peu à peu, en faveur de la
reine écossaise au fur et à mesure de la progression du drame. De tessiture
voisine, les deux voix ne semblent toutefois pas interchangeables, Marie plutôt
soprano, Elisabeth plutôt mezzo. Le compositeur de Bergame a écrit pour Marie
des mélodies qui montent et qui descendent avec douceur jusqu'à la sublime
prière finale où le legato, l'évanescence des pianos, la souplesse de la ligne
paraissent primordiaux. A l'inverse, pour Elisabeth, il a prévu de larges sauts
vocaux, des intervalles plus imposants, un phrasé plus articulé qui doit être
mené avec plus de force. Le casting vocal de cette production sut respecter
totalement ce cahier des charges avec une Marie Stuart d'Alexandra Kurzak au timbre éthéré, aux aigus limpides, aux pianos
divins, à la ligne de chant d'une impressionnante souplesse, tandis que le
timbre plus acide et l'engagement vocal plus marqué de Carmen Giannattasio en faisaient une Elisabeth très convaincante,
tenante de la force et de l'autorité. Pour les autres rôles, on retiendra le
phrasé un peu raide de Francesco Demuro (Conte de
Leicester) parfois un peu à la peine dans les aigus, les remarquables
prestations de Christian Helmer (Cecil) Carlo Colombara (Talbot) et Sophie Pondjiclis
(Anna). Un mot sur la mise en scène, assez neutre faisant montre d'une
scénographie assez minimaliste (une façade de palais, un réfectoire de prison,
un billot et une hache), en tous cas peu gênante, ce qui n'est pas son moindre
mérite. Un bel orchestre, très enthousiaste, mené de main de maitre par Daniele Callegari, spécialiste de
l'opéra italien, et un chœur superbe de bout en bout avec une scène finale
impressionnante prenant des accents prémonitoires du Nabucco de Verdi.
Patrice Imbaud. Sinfonietta Paris Chamber Orchestra
Voilà trois ans que Sinfonietta
Paris, formation dite à géométrie variable,
existe et propose des concerts « Cocktails &
Conversations », c'est à dire des trios, des quatuors, des quintettes ou
en formation de chambre d'une vingtaine de musiciens. Pour ouvrir la saison
2015-2016, cette jeune formation proposait un concert éclectique sous la direction
de son chef américain Michael Boone. Celui-ci réside en France depuis 2009. La
plupart des musiciens de l'orchestre ont été formés au CNSMDP et cela se sent.
« Souvenir de Florence » de
Tchaikovski, donné ici dans sa version pour orchestre
à cordes, a été écrit pour un sextuor
vers 1890 et se compose de quatre mouvements. Dans l'auditorium du Carreau du
temple à l'acoustique étonnante, le Sinfonietta Paris
sonnait parfaitement et c'était une joie de voir ces jeunes musiciens très
concentrés et, sourire aux lèvres, suivre la baguette précise du chef. Après un
vrai Allegro con spirito,
le contraste avec l'Adagio cantabile e
con moto était parfait et le finale Allegro
Vivace joué avec une belle énergie. L'œuvre suivante, « Focus », est une œuvre de jazz écrite
par un très grand compositeur et arrangeur, Edward Ernest Sauter. Elle a été
créée par Stan Getz. Sauter débuta comme
batteur puis continua comme trompettiste. Il travailla pour Red Norvo, Woody
Herman, Arty Shaw, Benny Goodman. C'est en 1961 qu'il écrit cette suite pour
orchestre à cordes, saxophone ténor, harpe et batterie, dédiée à Stan Getz. Roy
Haynes était à la batterie. Sauter et Getz se
retrouvèrent en 1965 sur le film « Mickey
One » d'Arthur Penn. « Focus »
est d'ailleurs un disque extrêmement connu, presque autant que le « Jazz Samba » de Getz/Gilberto.
Malgré tout le talent du saxo ténor John Gunther qui a joué avec de nombreuses
stars du jazz telles que Dewey Redman, Christian
McBride, Tom Harrel, Wallace Roney,
on constate que la sonorité chaude et sensuelle de Getz est difficilement
remplaçable. Qu'importe, ce fut une grande originalité d'entendre jouer cette
œuvre dans un concert dit classique. L'interprétation de Gunther ne manquait
pas de charme et le public était étonné et ravi de la découvrir. Voilà un bel
orchestre qu'il faut suivre. On espère que des auditeurs ou des mécènes vont le
soutenir. Il a besoin de toute notre attention et il faut que des formations de
cette qualité puissent exister en France. Ce n'est pas souvent qu'on entend des
musiciens d'une telle qualité. Le but de cet orchestre est de soutenir
l'expression artistique d'une nouvelle génération d'interprètes. Au cours de la
saison 2015-16, leurs concerts auront lieu à l'Institut Finlandais pour les
petites formations où elles interpréteront des œuvres de Sibelius, Dvořák, Korngold, Zemlinsky,
Brahms…. Pour
tout renseignements, consulter le site www.sinfoniettaparis.org Stéphane Loison. Les Passions ou « Les Petits Plaisirs du Seicento
»
En trio, en duo ou
simplement le clavecin couplé avec un organo, les
trois instrumentistes Jean-Marc Andrieu, flûtes à bec, Laurent Lechenadec, basson, et Yasuko Uyama-Bouvard, claviorganum, ont
fait merveille à l'Orangerie de Rochemontes, dans ce
festival sympathique organisé par la chaleureuse Catherine Kauffmann-Saint-Martin.
La plupart des compositeurs joués le
sont très peu, voire méconnus ou inconnus. Qu'on en juge : Tarquino Merula (1595-1638) et sa Canzone a soprano e basso « La Berlasina » et « La Noce », de 1651, Giovanni Battista Spadi da Faenza
(1516-1590) et Diminutions sur Ancor che col partire
de Cipriano da Rore, Venise, 1609, Bartholomeo de
Selma y Salaverde (1595-1638) avec Diminutions sur Vestiva
i colli de Palestrina, Venise 1638, Michelangelo
Rossi (1602-1656) et sa Toccata pour
clavier, Rome 1657, Girolamo Frescobaldi (1583-1643) et Canzona a soprano e basso « La Franciotta
», Rome 1628, Philipp Friedrich Boddecker (1607-1683) et sa Fantaisie pour basson sur La Monica (1651), Giovanni Paolo Cima
(v.1570-1622) avec ses Due sonate da chiesa, Milan 1610,
Jacob Van Eyck (1590-1657) et ses Variations sur Lachrimae
Pavan de John Dowland, Amsterdam – Utrecht, 1647,
Claudio Merulo (1533-1604) avec sa Toccata
pour clavier, Rome 1598, et enfin Bartholomeo de
Selma y Salaverde (1595-1638) et Canzon a soprano e basso, Venise 1638. C'est un immense plaisir, sans jeu de
mots, que d'entendre ces flûtes, ce basson si spécial et ce claviorganum
encore plus étrange. Avec beaucoup d'humour, Jean-Marc Andrieu expliqua les
œuvres et les instruments qu'ils jouaient pour les interpréter. Vélocité,
tendresse, allegro et adagio, toute une palette de rythmes, de couleurs, de
textures se sont faites entendre pendant une heure devant un public séduit. Le
son de ces flûtes, Jean-Marc Andrieu l'avait fait apprécier dans un disque
magnifique paru en 2014, « Folies ! »,
autour d'œuvres de Corelli, Telemann, Marcello Couperin, Purcell, et le fameux
concerto « La Folia » de Vivaldi ( CD Ligia lidi
: 0301284-14). Jean-Marc Andrieu est spécialiste de la pratique des instruments
d'époque. Le principe et sa démarche artistique sont, depuis 30 ans, le respect
des techniques de jeux anciennes et l'interprétation du discours musical. En
l'écoutant, on peut dire qu'il communique la passion pour ces musiques du Seicento vénitien. C'est dans le parc ensoleillé où les
cerisiers étaient rouges de leurs fruits que le verre de l'amitié a été offert.
On sait recevoir à Rochemontes ! Le concert a
été filmé par CLC productions. Un DVD sera édité. Pour
tout renseignement sur les prochains concerts : www.rochemontes.com Stéphane Loisson. « Vocello » à la Philharmonie 2 de Paris
Depuis plusieurs années, cela remonte à
2013, Le violoncelliste Henri Demarquette donne des
concerts en association avec le chœur à capella Sequenza
9.3 dirigé par Catherine Simonpietri. Le programme
intitulé « Vocello », proposé ce soir,
était composé d'œuvres contemporaines ainsi que de pièces de la Renaissance et
baroques (Giovanni Pierluigi da Palestrina : extraits de la Missa ut ré mi fa sol la ; Josquin des Près, extraits de la Missa pange lingua, ou « Flow my tears » de John
Dowland). Malgré tout le talent du violoncelliste, l'interprétation de ces
dernières pièces passait mal ou même pas du tout. Ainsi de l'extrait de Dido and Aeneas de Purcell
: « When I Am laid In
Earth ». On
peut comprendre que Demarquette veuille établir un
pont entre ces racines musicales et les œuvres contemporaines. Mais après tous
les mouvements de recherche du son baroque et les diverses manières de jouer
ces œuvres, on a du mal à les écouter interprétées dans un style romantique.
Par contre, les œuvres contemporaines étaient agréables à entendre et la fusion
violoncelle chœur passionnante (Olivier Greif : Solo from « Nö », John Taverner : Svyati, Eric Tanguy Stabat Mater, Patrick Burgan : L'Archipel des saisons). Ou encore « Plonge » de Justé Janulytè, jeune
compositrice lituanienne, d'une tragique beauté. Cette pièce est dédicacée à Demarquette. Si des œuvres de cette qualité sont à porter
au crédit de cette association violoncelle-choeur,
comme les autres créations entendues ce soir-là, on ne peut que se réjouir de
la volonté d'Henri Demarquette de sortir des sentiers
battus. Une belle expérience, un concert appréciable. Stéphane Loison. ***
L'ÉDITION MUSICALE
FORMATION
MUSICALE Marguerite
LABROUSSE & Jean-Paul DESPAX : Atout
rythme. 2ème cycle. 3 volumes (début, milieu, fin).
Lemoine : 29182 HL, 29183 HL, 29184 HL. Peut-on faire du rythme
une discipline à la fois musicale, excitante et formatrice de l'oreille et de
la pensée musicale ? C'est une évidence pour ces deux remarquables
pédagogues imprégnés de la pensée de Maurice Martenot. C'est donc une démarche
globale s'étalant sur tout le deuxième cycle qu'ils nous proposent ici. Mais
attention : il faudra en respecter l'esprit… à la lettre ! La préface
indique une vraie méthode de travail qui commence par le
« sensoriel » c'est-à-dire la mémorisation des rythmes avant toute
lecture, qui se poursuit par des « jeux » qui n'ont rien de gratuit,
continue par écriture et lecture et aboutit à tout un programme de
« réalisation personnelle » qu'il ne faudra pour rien au monde
négliger car il est l'aboutissement de toute la démarche. Comme le disent les
auteurs, « Ce travail sert à développer : - l'appropriation des
connaissances – la mémoire – l'audition intérieure – l'imagination musicale –
le rapport à l'écrit ». Enfin, il faut mentionner que le tout est effectué
avec un savant dosage d'exercices spécifiques débouchant sur de très nombreux textes
musicaux, contribuant ainsi à accroître la culture musicale des élèves en
ajoutant au travail sur le rythme une possible – et souhaitable – pratique vocale et instrumentale. Que dire de plus
sinon recommander chaudement ces trois volumes ?
Catherine
KELLER : Voyage en chansons. Vol.2.
Lemoine : HL 29158. En l'absence du volume 1,
disons que ce volume 2 est bien sympathique. S'appuyant, à chacune des vingt
leçons, sur une chanson connue, populaire ou du folklore, il fait la part belle
à l'oralité pour conduire ensuite à la lecture et l'écriture. Chaque leçon est
organisée de façon identique pour permettre aux élèves de s'y retrouver
facilement. Il privilégie la pédagogie de groupe et comporte à la fin une série
de pages « à la maison » permettant aux parents de continuer le
travail effectué en classe ou en groupe. Le choix des chansons est
particulièrement agréable et judicieux et permet un véritable enrichissement de
la culture musicale des enfants. Emmanuel
GAULTIER – Philippe RIBO0UR : Zoom
sur le Jazz. Découvrir, comprendre
jouer. Billaudot : G 7228 B. « Rythme, harmonie,
mélodie, phrasé et interprétation, forme et structure, styles et
musiciens », tel est le résumé du contenu de ce volume, qui se trouve sur
la couverture et qui correspond parfaitement à ce qui s'y trouve. A la fois
ouvrage ressource et manuel pratique, Zoom
sur le Jazz constitue une véritable
encyclopédie, une sorte de « memento » avec
à la fois les qualités et les limites d'un ouvrage de deux-cent huit pages,
mais qui rendra de grands services à tous ceux qui recherchent une initiation à
la fois sérieuse et complète au Jazz. Margarita
Lorenzo de REIZÁBAL : La direction
d'orchestre pour les chefs d'orchestre, d'harmonie, de chœur. 1 vol. 1 DVD.
Lemoine :HL 29120. Cet ouvrage, éminemment
pratique, n'en néglige pas, pour autant, tout l'aspect culturel de la
direction. Si il est orienté prioritairement vers la conduite d'un orchestre,
il s'attache aussi à la direction spécifique d'une harmonie, ou, encore plus
spécifique, d'un chœur. Cet aspect a d'ailleurs été longtemps négligé et tous
les chefs de chœur ou choriste ont connu ces chefs d'orchestre qui ne savait
pas comment se conduire vis-à-vis d'un chœur lorsqu'ils dirigeaient une pièce
pour chœur et orchestre. Bref, l'ouvrage est très complet. Il comporte cinq
parties plus l'indispensable glossaire. La première partie est consacrée aux
techniques de base correspondant à tout l'aspect corporel, de la tenue aux
différentes battues. La deuxième partie est consacrée à l'étude et la
préparation du répertoire, exposées très en détail. La troisième est consacrée
aux répétitions, la quatrième au concert. La cinquième partie fait en quelque
sorte la synthèse en proposant d'appliquer l'ensemble à
l'Alléluia du Messie de Haendel. L'ouvrage comporte
aussi une copieuse et judicieuse bibliographie. Quant au DVD, il suit pas à pas
l'exposé et ne comporte pas moins de trente-quatre chapitres divisés eux-mêmes
en plusieurs sections. Il s'agit donc d'un outil de travail tout à fait
remarquable et l'auteur explique en détail comment l'utiliser. Cette
réalisation est donc une somme que le professionnel aussi bien que l'amateur
éclairé pourra lire avec un grand intérêt et un grand profit. CHANT Jean-Philippe
RAMEAU : Airs d'opéra. Edités
par Sylvie Bouissou, Benoît Dratwicki, Julien Dubruque. Centre de musique baroque de Versailles / Société
Jean-Philippe Rameau 2015. Distribution mondiale : Bärenreiter.
Grand dessus (Soprano et mezzo-Soprano). BA 9195. Haute-Contre (Ténor) BA 9196. Ces deux volumes font
partie d'une anthologie en huit volumes réalisée conjointement par le Centre de
Musique Baroque de Versailles et la société Jean-Philippe Rameau. On ne peut
que se réjouir de voir ainsi mis à la disposition des chanteurs un tel
répertoire, difficilement accessible par ailleurs. De plus, une copieuse
préface et des tableaux chronologiques ainsi que, pour chaque air, le texte de
la pièce complètent de façon judicieuse cette remarquable édition, aussi
précise que claire, aussi savante que pratique. Jean-Charles
GANDRILLE : Stabat Mater. Litanies
pour deux sopranos et orgue. Moyenne difficulté. Delatour :
DLT2158. L'intégrale de l'œuvre
peut être écoutée sur le site de l'éditeur (et sur YouTube),
interprétée par l'auteur à l'orgue et Julia et Suzanne Jerosme,
sopranos. Cette écoute vaut mieux que tout commentaire. Disons simplement que
l'auteur a été séduit par la qualité du texte latin et son côté incantatoire
qui l'a amené à écrire une musique sous forme litanique. Le discours va
crescendo au fur et à mesure que l'œuvre avance et que le texte devient de plus
en plus dramatique. Le respect de la prosodie latine est total. L'ensemble est
abordable pour les chanteuses mais il faudra un bon organiste – et un bon orgue
– pour soutenir le tout. L'ensemble est émouvant et beau. ORGUE Henriette
PUIG-ROGET : Trois prières pour grand orgue. Delatour :
DLT2182. Elève de Marcel Dupré et
de Charles Tournemire, Henriette Puig-Roget (1910-1992) fut une musicienne accomplie. Remarquable
pianiste, collaborant à de nombreuses émissions radiophoniques, elle fut aussi
une non moins remarquable organiste, tant à la Grande Synagogue de la rue de la
Victoire qu'à l'Eglise Réformée de l'Oratoire du Louvre. Mais elle eut aussi
une activité moins connue de compositrice. Des Trois prières proposées ici,
deux seulement avaient été éditées. L'ensemble demande de préférence un orgue à
trois claviers, mais deux claviers peuvent suffire. La première pièce, Prière pour un jour de douleur (1934) est une large paraphrase du « Dies
irae », à la fois tragique et solennelle et traversée d'éclairs. La
deuxième, Prière pour un jour de
joie est construite également sur un
thème grégorien. Elle est à peu près dans la même forme, mais apaisée et
lumineuse. Quant à la troisième, Prière
d'action de grâces, elle est construite très logiquement sur le thème du Te Deum laudamus qui constitue comme une basse obstinée
qui se déploie peu à peu pour arriver à une véritable explosion jubilatoire qui
se termine en apothéose. Ces trois pièces sont à découvrir et à faire connaître
et ont leur place dans les récitals au côté des grands organistes-compositeurs
du XX° siècle. Henriette
PUIG-ROGET : Trois pièces pour grand orgue. Delatour :
DLT2183. On se reportera à la
recension précédente pour la personnalité de l'auteur. Ajoutons seulement que,
comme pour les précédentes, cette publication a été possible grâce à Alain Cartayrade, secrétaire général de l'association Maurice et
Marie-Madeleine Duruflé qui a œuvré avec la fille de l'auteur, ainsi que
Yannick Merlin et Mami Sakato,
organiste à Tokyo et filleule de l'auteur, pour que ces partitions soient
disponibles et éditables. Là encore, on ne peut que se réjouir de découvrir des
pièces d'une telle qualité. La Complainte
date de 1929 et a été créée par Olivier Messiaen à l'orgue de la Trinité. Recueillement est de 1934 et la Fantaisie de concert intitulée également Hanoukah ou Fantaisie sur des thèmes
hébraïques de 1935, date à laquelle l'auteur est organiste à la Grande
Synagogue de la rue de la Victoire. PIANO Célino BRATTI : Escale en forêt pour piano.
Elémentaire. Lafitan : P.L.2965. Voici une
bien agréable et charmante pièce, remarquablement écrite dans un style qui
rappelle les meilleurs moments des « pièces de genre ». Un thème récurrent
plein d'allant ponctue l'ensemble tandis que différents paysages apparaissent.
Agilité, musicalité, phrasé, toutes les qualités du pianiste sont sollicitées
au cours de cette escale pleine de jolies surprises. Thierry
DELERUYELLE : La belle du
pirate pour piano. Lafitan : P.L.2881. A-t-elle, comme une autre
célèbre, des yeux de velours ? Quoi qu'il en soit, cette belle ne manque
pas de charme. Le jeune pianiste devra faire preuve de son talent à faire
chanter alternativement ses deux mains, à les faire dialoguer, à faire chanter
la gauche tout en accompagnant par des accords légers de la droite… Ajoutons
que la pièce est entièrement doigtée. Ce pourra être l'occasion de s'interroger
sur le pourquoi de tel ou tel doigté et ce qu'il apporte à l'interprétation. Pierre-Richard
DESHAYS : Roche volcanique. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2851. Volcanique, elle l'est
vraiment cette roche qui, entre des moments mélodiques et paisibles explose
soudain pour retomber dans un harmonieux silence. On jouera beaucoup sur les
contrastes dans cette œuvre intéressante tant mélodiquement que rythmiquement. Bruno
ROSSIGNOL : Préludes Minéraux pour piano. Moyen-avancé. Delatour : DLT1751. Ces cinq brèves pièces
sont censées être des éclats de roche. Chacune fait appel à une formule
rythmique ou mélodique qui la caractérise. Il faudra repérer ces formules, que
ce soit « une improvisation en secondes majeures égrainées comme les pas
d'un chat sur un clavier ou le reflet d'une aigue marine dans un miroir. » Rose-Marie
JOUGLA : Le vent parle d'un taureau
gracié… pour piano. Assez difficile.
Delatour : DLT2520. Un texte de l'auteur
introduit cette pièce pleine de facettes diverses. Il ne s'agit pas d'un
« programme » en tant que tel mais il innerve constamment l'œuvre
sous ses différents aspects. L'ambiance est cependant typiquement espagnole. Il
faudra suivre à la lettre (mais aussi selon l'esprit !) les différentes
indications très précises de tempo, de phrasé, de caractère. Même si elle peut
être une pièce pédagogique, c'est d'abord et avant tout une œuvre musicale
qu'on pourrait rencontrer dans des récitals. Bernard
COL : Pièces siamoises. 10 compositions faciles pour piano. Fin
de 1er cycle. Delatour : DLT2525. Ces dix pièces sont
siamoises en ce sens qu'elles vont deux par deux, se complétant comme L'évasion du bagnard et Mauvais rêve du gardien, ou s'opposant
comme Départ forcé et Départ en vacances… Faciles (pas tant
que cela), ces dix pièces sont également courtes (de 30 secondes à 1 minute
45). Il est évidemment recommandé de les jouer deux par deux… L'ensemble est
donc plein d'humour et très contrasté. Pour chaque pièce, il faudra créer une
nouvelle atmosphère en employant la technique appropriée. Mais tout cela est
bien joli et bien agréable ! ACCORDEON Manu
MAUGUIN & Célino BRATTI : Comme sur un nuage. Pièce pour accordéon. Elémentaire. Lafitan : P.L.2955. Quelle curieuse pièce qui,
avec un rythme de valse musette, a des accents qui rappellent Satie… Tout cela
est en tout cas bien joli et remarquablement écrit. Ce sera certainement un
régal pour le jeune interprète ainsi que pour ses auditeurs. GUITARE Alain
LENGLET : La roue. Pièce pour guitare. Fin de 1er
cycle. Lafitan : P.L.2931. Il y a dans cette
« roue » comme un écho de chanson des années cinquante, une sorte de
valse musette bien sympathique, qui rappelle Domino, le célèbre succès d'André Claveau. S'agit-il de la grande
roue de la foire ou de quelque autre évocation ? Toujours est-il que cette
roue est tout à fait séduisante et devrait s'inscrire facilement dans la
mémoire de l'interprète et de ses auditeurs. Didier
RENOUVIN : de la guitare à la
musique Petit traité à l'usage des
joueurs de guitare. 1 vol. 1 CD. Delatour :
DLT0991 Bien qu'il ne s'agisse pas
à proprement parler d'une méthode de guitare, le volume part vraiment de zéro
et invite peu à peu l'instrumentiste à faire le lien entre systèmes d'écriture,
partie théorique et jeu instrumental. Après avoir découvert le manche et avoir
appris à former les gammes, le guitariste va découvrir les accords parfaits,
ceux qui le sont moins, apprendre des notions d'harmonie, toujours à l'aide
d'exercices pratiques et se familiariser succinctement au blues et au jazz.
Vaste programme ! Il sera aidé dans ces découvertes par un CD copieux qui
lui fournit l'exemple du résultat à obtenir. VIOLON Fernand
de LA TOMBELLE (1854-1928) : Epithalame pour violon et piano (ou orgue). Delatour : DLT2479. Remercions vivement les
éditions Delatour et Jean-Emmanuel Filet pour cette
remise à l'honneur de l'œuvre de F. de La Tombelle, si injustement tombée dans
l'oubli. Piano ? Orgue ? Les deux sont possibles, même si la mention
du « roi des instruments » semble indiquer plutôt l'orgue… Quoi qu'il
en soit, cette belle pièce aux harmonies subtiles et délicates trouvera
facilement sa place dans les concerts ou, comme son nom le suggère, dans les
mariages… Rose-Marie
JOUGLA : Le blanc berceau pour violon et piano. Niveau moyen
avancé. Delatour : DLT 2518. Il s'agit d'une
transcription de la pièce pour alto recensée plus bas. Disons simplement qu'il
s'agit d'une œuvre très intéressante qui mérite d'être connue et diffusée. ALTO Rose-Marie
JOUGLA : Tzigana pour
alto et piano. Difficile. Delatour : DLT2516. Cette œuvre a été écrite
pour Magali Demesse, alto solo de l'orchestre
philarmonique de l'Opéra de Marseille. Il s'agit donc d'une œuvre de concert, à
la fois virtuose et demandant beaucoup d'engagement. Passionnée, mais aussi
mélancolique et profondément lyrique, cette pièce correspond parfaitement à son
titre. Rose-Marie
JOUGLA : Le blanc berceau pour alto et piano. Niveau moyen avancé. Delatour : DLT 2517. Enregistrée avec beaucoup
de sensibilité par Magali Demesse, alto solo de
l'orchestre Philharmonique de l'Opéra de Marseille, et l'auteur au piano, cette
très jolie berceuse devrait faire le bonheur de ses interprètes. Dédiée à sa
fille, cette pièce « est une berceuse pour calmer un enfant qui pleure, le
menant doucement jusqu'au sommeil. La partie du piano évoque le balancement du
berceau et les pleurs de l'enfant (accords dissonants) ; la partie d'alto
évoque une mélodie chantée par la maman. La tonalité mineure du début fait
place à la tonalité majeure pour la réexposition du thème, instant où l'enfant
s'est calmé (accords moins dissonants). La fin de la pièce évoque le
balancement du berceau qui peu à peu s'arrête : chut ! L'enfant s'est
endormi… » Qu'ajouter à ce commentaire ? L'auteur propose également
une version pour violon et une version pour flûte. Rose-Marie
JOUGLA : Suite nostalgique. 12 pièces courtes pour alto et piano.
Moyen. Delatour : DLT2514. Ecrites à la mémoire de
Joseph La Marca, professeur au CRD d'Aix-en-Provence, ces pièces évoquent à
travers les douze mois de l'année des paysages et des ambiances nostalgiques
« en souvenir des temps joyeux ». Piano et alto dialoguent
constamment et devront se mettre à l'unisson de l'ambiance de chacune des
pièces. La nostalgie n'est pas exempte d'humour, comme dans le Tango dingo ! du
mois de juillet. On notera aussi le côté « enseignant » du calendrier
utilisé : il commence en septembre pour se terminer en août… FLÛTE Sophie
LACAZE : Estampes pour quatuor de flûtes. Delatour : DLT2253. Cette œuvre assez
difficile a été écrite pour l'ensemble Tétraflûtes et
son spectacle JikkenKôbô. Elle s'appuie sur une
mélodie traditionnelle japonaise, « Kuroda bushi », exposée en
introduction. Il s'agit d'évoquer musicalement des estampes d'Utagawa Hiroshige (1797-1858) et d'Utagawa
Kuniyoshi (1797-1861). L'ensemble fait appel à toutes
les techniques contemporaines de la flûte et comporte un important aspect
spatial et visuel. W.-A.
MOZART : Air de concert d'après l'Aria pour soprano KV580 « Schon lacht der holde Frühling, pour flûte et
piano. Arrangement : Pascal Proust. 3ème cycle. Sempre più : SP0150. Voilà qui permettra aux
jeunes flûtistes d'élargir leur répertoire. La transcription est très bien
faite et l'ensemble « sonne » parfaitement. Cet air destiné à mettre
en valeur la troisième des sœurs Weber, Josepha, est
donc une œuvre de circonstance destinée à faire ressortir le talent de la
cantatrice. Mais, œuvre de circonstance ou pas, c'est toujours du Mozart ! Yves
BOUILLOT : Romantic Mood pour flûte en ut et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2840. Cette « humeur romantique »
au parfum de pelouse britannique est à la fois légère et charmante. Pianiste et
flûtiste dialoguent avec distinction. Bref, l'ensemble s'écoute (et se joue)
avec beaucoup de plaisir. Rose-Marie
JOUGLA : Le blanc berceau pour flûte et piano. Niveau moyen avancé.
Delatour : DLT 2519. Il s'agit d'une
transcription de la pièce pour alto recensée plus haut. Disons simplement qu'il
s'agit d'une œuvre très intéressante qui mérite d'être connue et diffusée. FLÛTE
A BEC Jean-François
PAULÉAT : Sicilienne pour flûte à bec soprano et piano. Très
facile. Delatour : DLT2507. On pourra écouter
intégralement cette jolie pièce sur le site de l'éditeur. Pianiste et flûtiste
dialoguent joyeusement et légèrement. Si la pièce ne comporte pas de difficulté
technique, il faudra bien sûr, pour en tirer toute la substance, faire preuve
d'une vélocité certaine et d'un sens musical non moins certain. HAUTBOIS Jean-François
PAULÉAT : Puck pour hautbois et piano. Très facile. Delatour : DLT2506. Le facétieux lutin s'en
donne à cœur joie dans cette pièce qui possède aussi un aspect incantatoire et
répétitif. Pianiste et hautboïste dansent à qui mieux mieux
sur un rythme endiablé. Une petite modulation permet de troubler le cours de ce
qui, autrement, aurait pu paraître un peu monotone. Cette pièce devrait mettre
de bonne humeur ses interprètes et leurs auditeurs. CLARINETTE Michel
PELLEGRINO : La clarinette, Jazz
manouche. 1 vol. 1 CD. Lemoine : 29195 HL. Après d'autres recueils
consacrés à d'autres styles, l'auteur s'attache à présenter le Jazz manouche
tel qu'il a pu être initié par Django Reinhardt. Cela ne l'empêche pas de
rappeler, tout au long de sons ouvrage, les principes généraux de
l'interprétation du jazz à la clarinette, les gammes nécessaires pour
l'improvisation ainsi que les principales grilles d'accord. Le CD est
éminemment pratique : morceaux et play-back y figurent, ainsi que
l'indispensable « la » du diapason. Mais il constitue aussi un très
joli récital qu'on prend un plaisir certain à écouter. L'ensemble est complété
par un lexique et de nombreuses annotations théoriques et pratiques. C'est en
dire tout l'intérêt. Michel
CHEBROU : Cantaclarina pour
clarinette et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan :
P.L.2939. Certes, elle chante, cette
clarinette, accompagnée par un piano aux allures de harpe. Mais ce n'est qu'une
face de l'œuvre, car piano et clarinette vont bientôt bondir à l'envie dans un
rythme sautillant. Puis c'est la mesure elle-même qui prend un air déjanté… Il
y a donc beaucoup de facettes différentes dans cette pièce très intéressante et
qui fait appel à toutes les qualités des deux instrumentistes. Notons entre
autres pour la clarinette le contraste du thème exposé d'abord dans le registre
aigu puis dans le registre grave de l'instrument. Le tout est extrêmement
plaisant. SAXOPHONE Jean-Claude
AMIOT : Les Pélicans du Park pour saxophone alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2933. Si la partition n'est pas
techniquement difficile, la musique, elle, nous entraine dans une atmosphère à
la fois mélancolique et onirique qui ne pourra que stimuler l'imaginaire des
interprètes. Il y a beaucoup de poésie et de mystère dans ces harmonies
délicates. Auditeurs et interprètes devraient se laisser facilement séduire par
cette œuvre très intéressante. BASSON Alexandre
OUZOUNOFF : Spring boulevard
pour basson et piano. Fin 1er cycle. Sempre
più : SP0159. Cette commande du
Conservatoire de Bondy possède un air un peu dégingandé qui plaira sûrement aux
amateurs d'une musique un peu goguenarde. Le style en est donc bien agréable et
on déambulera volontiers le long de ce « Spring
boulevard ». COR Gilles
MARTIN : Multicolores. Suite en 6 mouvements pour cor en fa et
piano. Fin 1er cycle. Sempre più :
SP0157. Multicolore, cette suite
l'est incontestablement par le style. De la marche à la valse en passant par
d'autres genres connus, l'ensemble se termine par un tango de la meilleure
venue et qui donnera des démangeaisons dans les jambes aux auditeurs et
peut-être même aux instrumentistes. L'ensemble est fort agréable et plaisant. MUSIQUE
DE CHAMBRE Jean-Charles
GANDRILLE : Irisation pour vibraphone et orgue. Delatour : DLT2476. Cette pièce marie avec
bonheur les timbres du vibraphone et du « roi des instruments ».
L'auteur, organiste de l'église d'Auvers sur Oise,
nous explique qu'il a « toujours aimé les harmonies lumineuses du
vibraphone », d'où le titre de l'œuvre. L'orgue est traité avec beaucoup
de délicatesse. L'auteur a privilégié les fonds de 8' avec à un moment une touche
de 4' et de cornet. La pièce joue donc essentiellement sur les couleurs des
deux instruments. Jean-Paul
HOLSTEIN : La cueillette de(s)
Marguerites(s) pour 1 (ou 2) flûtes
et / ou hautbois et 1 (ou 2) violoncelle(s) et / ou basson. Facile. Delatour : DLT2401. Cette petite pièce pleine
de fraicheur constitue une excellente approche de la musique de chambre. La
facilité de la partition permet à chacun d'écouter l'ensemble. Les indications
d'interprétation ainsi que le récit des différentes phases de la cueillette
permettent de s'investir dans le discours très simple et le dialogue qui
s'instaure entre les différents instruments. Il est si difficile d'écrire de la
musique pour débutants… Et le pédagogue et compositeur chevronné qu'est
Jean-Paul Holstein y réussit parfaitement ! Rose-Marie
JOUGLA : Tzigana pour
alto et marimba. Difficile. Delatour : DLT2515. Il s'agit de la même pièce
que nous avons recensée en catégorie alto et piano. On se reportera donc à
cette rubrique. Dynam-Victor FUMET : Premier quatuor à cordes. Delatour : DLT1653. Les éditions Delatour continuent de nous révéler l'œuvre de ce
compositeur trop oublié, organiste et improvisateur exceptionnel, qui vécut
de 1867 à 1949. Ce quatuor qui fut,
comme pour d'autres compositeurs, ses contemporains, à la fois le premier et le
dernier, date des années vingt. Il est composé de trois mouvements. Le premier
est un Allegro « joyeux et animé », le deuxième un andante
« Molto moderato » et le troisième, un Final « vif et
animé ». L'ensemble est écrit dans un langage sans concession et d'une
rare beauté. Souhaitons que cette œuvre paraisse bientôt au répertoire d'un de
nos quatuors . Daniel
Blackstone.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
JARDIN (Étienne) et TAÏEB (Patrick), dir. : Archives du concert.
La vie musicale française à la lumière de sources inédites (XVIIIe-XIXe
siècles). Paris, ACTES SUD, LE MÉJAN/PALAZZETTO BRU ZANE Centre de
Musique romantique française (www.actes-sud.fr ), 2015, 379 p. - 39 €. Cet ouvrage —
révélant un vaste répertoire des Concerts parisiens de 1822 à 1848 d'après,
entre autres, les Archives du droit des pauvres (p. 155-310) et comprenant des
articles de fond étayés de figures, statistiques et affiches — prouve une fois
de plus combien les sources de première main peuvent éclairer l'Histoire et, en
particulier, restituer la vie musicale et sociale à une époque donnée. L'exploitation
minutieuse de nombreux documents (conservés également dans les Bibliothèques
municipales d'Amiens, de Lille, au Département Musique de la BN, à la
Bibliothèque du Musée de l'Opéra ainsi qu'aux Archives Nationales, Archives de
l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et aux Archives municipales de Reims)
permet de mieux comprendre les divers contextes et des événements musicaux même
fugitifs concernant les Concerts donnés à Paris. Leur consultation est encore
facilitée par l'Index des noms et l'Index des lieux, autour d'un
dénominateur commun : le répertoire. La démarche, assez récente dans la
recherche en France, consiste à « fournir un outil systématique sur les
artistes de concert et leur professionnalisation (à partir des programmes de
concerts) sur les lieux de concerts, la circulation des œuvres et des
interprètes ainsi que sur les pratiques d'exécution » (p. 11). De nombreux
critères peuvent intervenir : lieux et acoustique, réaction immédiate de
la presse après les manifestations ; programmes pour les auditeurs, reprise
des œuvres (p.12 sq),
concerts des Académies de musique françaises. Patrick Taïeb
traite un aspect neuf : Le droit des
pauvres, dans un contexte d'assistance et de charité dont l'étude est un
« moyen efficace pour aborder de manière globale une activité de concerts
devenue particulièrement intense au milieu du XIXe siècle ». Avant la
prolifération des périodiques, l'importance des affiches, notamment celles des
Concerts Spirituels, est capitale pour attirer l'attention des mélomanes et
amateurs. Dans ses descriptions et analyses des affiches, Beverly Wilcox rappelle qu'elles représentaient la seule publicité
et source d'information à l'époque. Étienne Jardin démontre que le rayonnement
artistique des concerts parisiens (1882-1848) est encore renforcé par
l'évolution de l'édition musicale parisienne et de la facture instrumentale,
ainsi que la création du Conservatoire. Les lecteurs curieux seront renseignés
sur de nombreux points tels que la gestion des musiciens, les frais et
effectifs ; les divers salons et salles ; l'élargissement du
répertoire et les changements intervenus dans le goût ; les enjeux
politiques, la notion de subvention pour « entretenir le principe
d'égalité », le choix d'ouvrages « flattant les valeurs de la
République » ou encore les « Concerts à bénéfice » (au profit
des victimes d'un sinistre). Tout à l'honneur du
Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique
française collaborant avec Actes Sud, ce bel ouvrage de conception assez neuve,
par le truchement des concerts, revalorise l'apport de documents inédits, de
sources de première main exploitées avec rigueur par des musicologues. Il
contribue ainsi à l'indispensable renouveau historiographique associé à
l'histoire événementielle, au goût esthétique et à la sociologie des publics. Édith Weber. ORLANDO (Stéphane), WUIDAR (Laurence), éd. : Les XIV Sequenze de Luciano BERIO. Quatorze analyses en séquence.
Sampzon, DELATOUR FRANCE, (www.editions-delatour.com), 2015, 259 p. – 29, 90 €. La Société Belge
d'Analyse Musicale a organisé, les 22, 23 et 24 mars 2011, un Colloque et
plusieurs concerts proposant l'intégrale des Sequenze de Luciano Berio
(1925-2003). Ces 24 Séquences ont
fait l'objet de quatorze « Analyses en séquence » hautement
spécialisées et élaborées par des musicologues et théoriciens de réputation
internationale. La Collection « Pensée Musicale » a, à nouveau, le
mérite d'associer des approches méthodologiques et analytiques originales et
neuves, complémentaires et croisées. Les Séquences,
composées entre 1948 et 2002, reflètent l'évolution du langage et de la
virtuosité instrumentale. Elles ont beaucoup marqué la production musicale dans
la seconde moitié du XXe siècle. Présentées sous divers angles d'attaque avec
des références multiples au jazz, à la voix, au « contrepoint
virtuel », elles sont aussi tributaires de la perspective cognitiviste.
Elles témoignent de « péripéties créatrices » en évolution, de toute
la richesse de la pensée esthétique de Luciano Berio et de son état
d'esprit particulier. Le compositeur a procédé à de nombreuses
corrections ; il en existe plusieurs versions, la première étant plus
spontanée, les suivantes plus raffinées et pour divers instruments : violon,
violoncelle, alto, harpe, hautbois, trombone. Parmi ses partis-pris esthétiques
figurent, entre autres, la « polyphonie métaphorique », les grands
gestes pianistiques... Les analyses regroupent plusieurs Séquences : autour d'un motif conducteur, de l'apport
sémantique de son langage, du rapport entre compositeur et instrument, mais
aussi autour du discours entre percussion et résonance. Les lecteurs tireront
grand profit de ces analyses multiples, à condition de confronter la lecture
avec la partition, les exemples musicaux, figures et graphiques et, si
possible, en écoutant ces Séquences.
Tous, à des degrés divers, y trouveront leur compte : les analystes, les
historiens du langage musical, les musicologues, les théoriciens et, au premier
chef, les interprètes, familiarisés avec la terminologie spécifique de Luciano
Berio et soucieux d'authenticité et de respect des multiples intentions
compositionnelles, tireront grand profit de ces 14 analyses en séquence. Comme l'exprime si
judicieusement Dante Alighieri (1265-1321) dans son Convivio (Le
Banquet) : « La musique
est toute relative, comme on peut le voir dans les paroles harmonisées et dans
les chants : l'harmonie n'est que plus douce, lorsque la relation est
belle, car c'est en elle que l'essentiel se distingue : la musique attire
vers elle les esprits humains qui sont presque principalement les humeurs du
cœur, si bien qu'ils cessent toute activité : ainsi c'est l'âme toute
entière lorsqu'elle entend la musique, et la vertu de presque chacun est
attirée vers cet esprit sensible qui reçoit le son. » (p. 17). En effet : La musica è tutta relativa… : de quoi faire réfléchir à d'autres
modes d'analyse, d'écoute et de perception de la musique contemporaine. Édith Weber. Melanie von GOLDBECK : Lettres de Charles
GOUNOD à Pauline Viardot. 1 vol ACTES SUD,
LE MÉJAN/PALAZZETTO BRU ZANE, Centre de Musique romantique française (www.actes-sud.fr ), 2015, 443 p. – 45 €. Préfacée par Gérard
de Condé, publiée avec le soutien de la Fondation d'entreprise La Poste, cette
importante contribution à l'historiographie plonge le lecteur dans le milieu
lyrique et mondain français pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Selon Melanie von Goldberg, Docteur en
musicologie, chercheur à l'Université d'Oxford, spécialiste de Pauline Viardot (1821-1910) et des pratiques musicales européennes,
cette cantatrice exceptionnelle a facilité l'entrée de Charles Gounod
(1818-1893) à l'Opéra ; elle tiendra le rôle titre de Sapho, œuvre créée à l'Opéra de Paris en 1851. Elle en avait d'ailleurs
suivi les étapes compositionnelles. En 1848, Gounod ayant quitté le Séminaire,
ils se retrouvèrent fréquemment, comme il ressort de leur correspondance
comprenant essentiellement des lettres de la main du compositeur. Celles de
Pauline ne nous sont pas parvenues, à part quatre. Ce duo, quelque peu perturbé
par le mariage de Gounod en mai 1852, s'est poursuivi jusqu'à sa mort en 1893. Les lettres sont
numérotées par le musicien, car elle devait lui en accuser réception. Elles
fournissent les détails de la vie quotidenne :
arrivée du facteur, inondation à Courtavenel, visite
à Georges Sand à Paris, rendez-vous le 26 août 1850 chez Cavaillé-Coll (Lettre
65), promenades « délicieuses », achat de papier de musique,
inauguration de l'Orgue de Saint-Cloud (lettre 392), le 13 octobre 1877… ;
détails de la vie musicale, artistique et littéraire : soirées à l'Opéra
et programmes ; circonstances des représentations (par exemple : Le bourgeois gentilhomme pour le 230e
anniversaire de la naissance de Molière) ; les goûts de Charles (Faust lui tient à cœur, p. 337). Des
détails très personnels concernant ce duo sont révélés et reflètent
l'histoire des mentalités et des sensibilités par rapport aux événements
artistiques et intellectuels, comme, par exemple, les réactions de Tourgeniev (p. 129). Cet échange
épistolaire — totalisant de plus de 154 lettres de Charles dispersées dans des
fonds en France et à l'étranger — est regroupé en 8 chapitres résultant d'un
remarquable travail (collecte, mise en forme, corrections, modernisation de
l'orthographe et de la ponctuation). Il ne s'agit donc pas d'une « édition
diplomatique ». Ce « Trésor épistolaire » souligne chronologiquement les différentes étapes de
la carrière du compositeur et le rayonnement international de Pauline lors de
ses tournées. Les témoins de l'époque sont présents : Georges Sand, Émile
Augier, Ivan Tourgueniev, les Dickens, Camille Saint-Saëns, Hector
Berlioz ; les amis anglais de Pauline : John Hullah,
le critique Henry Chorley…, lors de leur séjour respectif
à Londres, dans le contexte de la Guerre franco-prussienne contre Napoléon III.
Les recommandations de Gounod ne manquent pas : « si vous chantez
demain soir, gardez dans votre poche cette lettre [Paris, lundi 26 août 50],
allusion à l'orgue Cavaillé-Coll qui vous souhaite bon Élisir
ou bon n'importe ce que vous chanterez ; je suis avec vous. » La
méthodologie est exemplaire. Les lettres sont accompagnées de très utiles notes
critiques infrapaginales (projet non réalisé : Fleur d'épine ; surnom de Georges
Sand : « La Ninounne »…). À noter
également le vocabulaire : Père Cailleteau : « un raseur,
incapable, critique, dangereux, funeste » et les intentions :
« J'ai voulu vous mettre bien au fait de tout ». Ces documents sont
associés à des illustrations significatives : portraits datés de Charles
et Pauline, exemples musicaux, maquettes de costumes et même un dessin de
Gounod représentant Henry Chorley. Une copieuse Bibliographie et un Index très dense (p.
429-437) sont éclairants. Cet
imposant recueil de lettres retrace donc, d'une part, l'évolution de la
carrière artistique de Pauline Viardot et, d'autre
part, la genèse des œuvres de Charles Gounod et leur réception. Édith Weber. Serge DONVAL : Histoire universelle
de la musique et de la théorie musicale. 1Vol L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2015, 244 p. – 25, 50 €. À la fois
professeur à la Faculté des Sciences et au Conservatoire, luthiste et
compositeur, Serge Donval associe avec bonheur les
spéculations théoriques et pratiques, musicales et instrumentales, aux
contextes historiques, dont la chronologie est parfois quelque peu malmenée. Il
en résulte non pas une Histoire de plus, mais une « histoire pas comme les
autres » accompagnée de judicieuses illustrations : exemples musicaux,
reproductions d'instruments orientaux anciens, miniatures, pages de titre,
schémas, tableaux (notations de la musique, râgas avec leur mode principal,
division de l'octave en 53 commas holderiens)… Sa
curiosité et son érudition l'amènent à se pencher sur des musiques rarement
analysées et d'origines diverses : turque, perse, arabe, indienne,
chinoise généralement peu abordées par certains musicologues européens :
d'où le qualificatif d'« Histoire universelle ».
Sa démarche originale représente en fait un coup de projecteur sur des
composantes théoriques peu abordées dans des livres traditionnels à finalité
historique. Il précise que son « ouvrage cite et récite les faits musicaux
depuis de nombreux siècles, les explique, les analyse, les décortique et finit
par découvrir de nombreuses incohérences. » (p. 7). Il lance en fait un
défi aux manifestations esthétiques chronologiques à travers les siècles et aux
formes musicales marquantes. Sous le couvert d'Universalité, les lecteurs seront sensibles à ce coup de patte. Le livre s'ouvre
sur des spéculations à propos des échelles musicales, gammes et accords, de
leur formation et évolution. Pour le quart de ton, Serge Donval
met en regard « l'héritage européen » ainsi que les maquams d'Orient (plus exactement maquamat au pluriel) et la notion d'Ethos si importante pour les théoriciens
et philosophes de l'Antiquité grecque. Le chapitre II aborde, entre autres, les
domaines de l'Harmonie et du Contrepoint. Le fil conducteur est tissé de façon
historique, chronologique mais discontinue ; il est étayé par des éléments
théoriques et des formes. À remarquer toutefois que Guillaume de Machaut (v.
1300-1377), chef de file de l'Ars Nova (XIVe siècle), ne peut pas vraiment être
considéré comme un troubadour (p. 67). À noter également que le pluriel d'organum n'est pas organums, mais organa. Le
chapitre III : Le Moyen Âge met
l'accent sur le chant grégorien, sans oublier le chant byzantin. La chronologie
est quelque peu bousculée car à l'époque médiévale succèdent (p. 75), au
chapitre IV, la théorie musicale en Mésopotamie et en Perse, puis la théorie
grecque antique. Le chapitre V : La
Renaissance est présentée avec des titres bien ciblés : « La
transition mélodie-harmonie, l'opposition savoir/profane » et quelques
allusions à la Réforme et à la Contre-Réforme. Quant
au chapitre VI : La période classique,
elle est abordée de façon tout à fait « classique » : tonalité,
formes, instruments et le problème du tempérament. Le chapitre VII concernant La musique orientale est plus
neuf ; il porte sur le luth (en fait, ud) si caractéristique, les
principaux auteurs et théoriciens célèbres, tels que Al Kindi
(801-873), Al Farabi (872-950) ou encore Safi
Ad-Din (1252-1334)… L'auteur évoque « l'Occident
arabo-musulman » jusqu'à la musique orientale (Turquie-Iran-Perse) avec
ses particularismes ou encore le monde arabe : autant de sujets peu
développés dans les Histoires traditionnelles de la musique. Il en sera de même
au chapitre VIII pour l'Inde avec les échelles, râgas et les instruments
spécifiques et, au chapitre IX, pour la musique chinoise avec, entre autres,
une définition, des précisions sur les formes musicales ou encore l'échelle
pentatonique, l'heptatonisme, le triton et les
instruments. Le chapitre X, La musique
contemporaine, allant du Néo-classicisme au XXe siècle, fait un distingo entre ce qui « est européen et ce qui est oriental »,
sans oublier la musique électroacoustique et son évolution, l'acousmatique, la
musique électronique et l'influence des techniques nouvelles :
synthétiseur, informatique et ordinateur, ou encore le jazz (p. 204) et le
cinéma (p. 208). Sept Annexes
apportent un utile complément d'information. En revanche, la Bibliographie, un peu rapide, comporte
de légères lacunes et manque de précisions, par exemple pour les prénoms
d'auteurs bien connus (Vincent Arlettaz, Annie Bélis, Roland de
Candé, Charles Koechlin,
François Picard, Daniel Saulnier…) ; pour les rééditions successives de la Biographie universelle des musiciens et
bibliographie générale de la musique (1834-1835) de François-Joseph Fétis
publiée en 1860 et, la plus récente, en 2001 dans la Collection
« Bibliothèque des Introuvables ». Par ailleurs, les dates de
publication et le nombre de pages ne sont pas systématiquement indiqués. Ces imprécisions
bibliographiques ou encore grammaticales (maquamat, organa…) sont quelque peu
regrettables ; elles n'enlèvent évidemment rien à l'intérêt de ce travail
d'un scientifique et d'un acousticien. Son ouvrage s'impose par sa large ouverture
sur des aspects peu développés dans les « Histoires » générales de la
musique soucieuses de respecter la chronologie. Les lecteurs, notamment
européens, seront judicieusement renseignés sur les manifestations musicales
dans d'autres civilisations. Il s'agit donc davantage d'une histoire des
civilisations vue à travers la musique. Édith Weber. Simha AROM et Denis-Constant MARTIN : L'enquête en
Ethnomusicologie. Préparation, terrain, analyse. Paris, VRIN (www.vrin.fr ), Collection MusicologieS,
2015, 285 p. – 15 €. Deux
chercheurs : un ethnomusicologue spécialiste de la musique de
Centre-Afrique et un socio-anthropologue font part de leur vaste expérience
pratique (sur le terrain), puis méthodologique et analytique. Ce manuel
contient de solides recommandations pour les étudiants et, dans certains cas, les professionnels, selon trois
étapes : préparation, terrain, analyse qui débouchent sur les objectifs de
« l'analyseur social ». Ils ouvrent de nouvelles perspectives encore
accrues par les progrès techniques d'enregistrement sur le vif et des
possibilités ouvertes par l'informatique. La collaboration entre les deux
auteurs remonte à 1971. Ils ne proposent ni « un livre de recettes »,
ni un « recueil de règles », mais de nombreux résultats d'expériences
qui en engendrent d'autres. Après un siècle de collectages (documents sonores,
entre autres), au XXIe siècle, le constat de pérennité découlant de la longue
durée s'impose, de même que la révision de la notion de tradition au profit des
changements sociaux. Les ethnomusicologues sont aux prises avec les sociétés
primitives, développées, puis civilisées et doivent tenir compte du lieu, de
l'occasion et des circonstances de la pratique musicale, pour en dégager une
caractérisation des concepts, par exemple, la catégorie des « musiques qui
n'en sont pas », selon Simha Arom :
rhombes, cris de chasse, langages tambourinés et sifflés qui servent, en fait,
de moyen de communication. En revanche, épopées et chantefables sollicitent à
la fois les paroles et le chant ; et, par ailleurs, le narrateur peut
s'accompagner d'un instrument et même danser. Le problème de la
conservation et de l'exploitation des données fournies par les enquêtes dans
une perspective pluridisciplinaire se pose. L'ethnomusicologue doit s'interroger
préalablement sur ce qu'on entend par musique
dans une autre culture ; sur le
style spécifique à une population donnée ; sur le sens des connotations
linguistiques. Une extrême prudence est indispensable en la matière.
Finalement, « la seule posture véritablement heuristique est de considérer
qu'on ne sait, qu'on ne comprend jamais tout » (cf. p. 79). Il faut donc éviter les généralisations abusives et, au
préalable, maîtriser la formulation des questions à poser. La documentation
doit être rigoureusement organisée et comprendre des
« fichiers-index », avec indications du nom des collecteurs ayant
participé aux enregistrements audio-vidéo ; des notes de terrain et des
considérations techniques (enregistrements, photos, films, captation du son), objet
et lieu de l'enquête, mais aussi connaître l'état des centres de documentation
et la référence à des dictionnaires de langues très spécialisés, dont la
consultation est indispensable pour interroger les autochtones. Les traductions
doivent être scrupuleusement vérifiées. Le matériel fait aussi l'objet de
judicieux conseils pratiques, par exemple pour les enregistrements sonores (et
en fonction du budget alloué), il faut avoir une réserve de piles ou un
accumulateur pour les appareils analogiques ou numériques ; prévoir 2
microphones dynamiques peu sensibles aux températures extrêmes ; pour les
photos, utiliser des appareils silencieux munis de filtres contre les rayons
ultraviolets et ne pas oublier les transformateurs, accumulateurs de rechange,
les hauts-parleurs, trépieds, lampes de poche… Ces
remarques de bon sens auraient pu faire l'objet d'un tableau synoptique. Les compétences de
l'enquêteur sont indispensables : avoir une « oreille
éduquée » ; savoir transcrire la musique avec des signes graphiques ;
maîtriser les techniques d'enregistrement ; connaître l'alphabet
phonétique international. Des précautions sont évidentes : protéger les
appareils et sauvegarder les documents avec un disque dur externe ou en ligne.
Sur le plan diplomatique, le chercheur doit être muni d'autorisations du
Ministère des Affaires étrangères, de soutiens de personnalités diplomatiques.
Par ailleurs, l'ethnomusicologue doit faire preuve de vigilance et collecter
tous les éléments au cas où il ne pourrait pas retourner sur le lieu de ses investigations.Un livre, certes petit en format et en
nombre de pages, mais si riche en recommandations et informations émanant de
l'expérience — avant le départ en mission, puis sur le terrain et ensuite au
retour — avec une bibliographie suivant chaque chapitre (et non noyée dans une
Bibliographie générale à la fin de l'ouvrage), contenant des références à des
auteurs très confirmés tels que Jean During, Jean Molinié, Jean-Jacques Nattiez, Bruno Nettl,
parmi d'autres. Il est destiné aux ethnographes, ethnomusicologues et
socio-anthropologues. Débutants ou spécialistes : tous trouveront, au fil
des pages et à tant de titres divers, de très précieux conseils.
Incontournable. Édith Weber. Ziad KREIDY : Les avatars du piano.
1 vol Éditions Beauchesne, 2012, 80 p 14,50 €. Le
point de vue de l'auteur : pourquoi j'ai écrit ce livre. En
2004, commençant mon doctorat de musicologie sur le compositeur japonais Tôru Takemitsu, j'envisageai déjà
d'écrire un livre novateur sur le piano. L'interaction entre écriture musicale
et timbre me passionnait depuis mes études d'orchestration commencées en 1999.
À l'époque, les pianos anciens que j'avais la chance de jouer m'intriguaient.
J'y pensais continuellement. Captivé par leur musicalité, différente d'un
instrument à l'autre, je me posais de multiples questions musicales et
sociologiques. Pourquoi sont-ils si méconnus et jugés à coup sûr défaillants ?
Pourquoi ce consensus sur l'idéalisation du grand piano à queue d'aujourd'hui ?
Est-ce un phénomène purement musical ou cela relève-t-il de notre société
contemporaine, voire de notre civilisation ? Comment analyser le goût musical
des uns et des autres ? Pourquoi ce champ de recherche n'est-il peu ou pas du
tout exploré par les musicologues ? Pourquoi n'intéresse-t-il pas les pianistes
? Quel est le lien entre les pianos et les compositions d'une même époque ?
Pourquoi ces transformations ininterrompues de la facture pianistique au cours
des âges ? Comment en est-on arrivé au piano moderne puissant et standardisé ? Etc... Vers la fin de mes
études, en classe d'organologie (2002-2005), j'ai associé le timbre à la
facture instrumentale, considérant que la forme d'un instrument détermine sa
sonorité. J'ai observé que s'il existe une infinité de manière de jouer d'un
instrument de musique, chacun possède sa propre esthétique, à la fois
insondable et limitée. Peu à peu, je me rendais à l'évidence : non seulement le
monde du piano, dans sa grande majorité, ne connait pas son instrument, mais,
en outre, il ne s'intéresse pas à son histoire et la déprécie. À
propos d'autres sujets artistiques, hormis dans les sociétés dites primitives,
il n'y a pas consensus, les avis divergent. A-t-on toujours dénigré le travail
des facteurs du passé, où est-ce une caractéristique majeure de la deuxième
moitié du xxe siècle ? Le manque de
curiosité ambiant, l'ignorance de ce patrimoine constitué par les pianos
historiques m'ont incité à écrire sur cette grande épopée des sonorités perdues au cours des âges.
Toutefois, à l'époque, Takemitsu et la musique de la
seconde moitié du xxe siècle étaient ma
priorité. De plus, concernant le style musicologique, je souhaitais écrire sur
le piano loin de tout formalisme. Il fallait donc attendre la fin de mes
études. Travailler
pendant plus de trois ans sur la musique de Takemitsu
m'a aidé à être plus clairvoyant dans mon analyse de cet instrument purement
occidental qu'est le piano. Les notions de moderne et d'ancien, de
civilisation, d'identité, d'absolu, de métamorphose par petites touches, de
mystère de la force créatrice, fondamentales chez Takemitsu,
se retrouvent sous des éclairages différents dans Les avatars du piano. Takemitsu s'est
véritablement intéressé à l'aspect esthétique de l'organologie. Il fut frappé
par la différence entre les instruments européens modernes, facilement
transposables, et les instruments japonais anciens, plus fragiles quand on les
éloigne de leur lieu d'origine. De mon côté, analysant sa pensée créatrice, je
prenais de plus en plus conscience de l'écart entre les pianos des différentes
époques. Deux caractéristiques avaient dès le début attiré mon attention : la
diversité infinie des instruments anciens et la puissance sonore augmentant
depuis l'époque de Mozart jusqu'à nous. Je remarquais que cette tendance à la
puissance, déterminée par le progrès technologique depuis les abords des années
1840, avait graduellement installé le long du xxe siècle une uniformisation du son. Il
va sans dire qu'il est impossible de replacer les compositeurs et les instruments
du passé dans leur contexte d'origine. L'œuvre d'art, les instruments de
musique, notre perception de l'histoire, sont condamnés à se transformer avec
le temps. En ce qui concerne les pianos anciens, peu ont survécu. Ceux qui ont
perduré sont difficiles d'accès. L'examen des traités anciens ne permet pas de
savoir exactement comment on les jouait ou comment on les accordait. En outre,
ils ont vieilli. L'interaction des parties constitutives de chaque instrument
s'est modifiée. La mécanique d'un piano, par exemple, se détériore avec le
temps. Phénomène lent, complexe et inéluctable, le vieillissement est un
mystère des avatars du piano. J'ai renoncé, peut-être à tort, à y consacrer un
chapitre. Comment sonnait un piano à l'origine ? On ne le saura jamais. En
revanche, les pianos anciens, qu'ils soient restaurés ou non, ainsi que les
copies modernes de pianoforte permettent de nous faire une certaine idée de la
sonorité du piano d'une époque donnée. Là encore, et à juste titre, les avis
des spécialistes concernant la restauration et la manière de réaliser des
copies de pianos anciens divergent. Cela m'a poussé, entre autres, à affirmer
qu'il n'existe pas de référence en matière de facture pianistique. La
lecture des écrits actuels ainsi que mes conversations avec les pianistes,
compositeurs, accordeurs, facteurs de piano, journalistes et musicologues m'ont
aidé à cerner le contexte sociologique d'aujourd'hui. J'ai constaté que notre
vision du piano se réduit surtout aux spécificités du répertoire et des
pianistes. Ces derniers, par exemple, avaient du mal à répondre à mes questions
sur le piano. Ils n'évoquaient que leur technique instrumentale, comme si le
piano en tant que tel était un sujet fictif. Leur vision du jeu pianistique
obnubilait tout intérêt pour l'instrument. Dans le meilleur des cas, l'exigence
de réglage (égalité des touches, harmonisation des têtes de marteaux, accord,
etc.) se substituait à d'autres aspects de la facture pianistique. De même, je
me rendais compte que les notions d'égalité sonore et de respect littéral de la
partition, typiques de l'enseignement pianistique de notre époque, sont
proclamées sans conscience historique, comme si le piano était resté immuable
au fil des siècles. Cette certitude en la suprématie à tous égards du grand
piano de concert moderne est fonction de l'incompréhension de son histoire.
Elle empêche toute approche critique. Pour ma part, je continue de penser qu'il
est indispensable d'avoir une bonne connaissance historique avant toute
démarche analytique. Quel que soit le point de vue, connaître les instruments
anciens est nécessaire à un commentaire sérieux du legs du passé. Considérer
l'histoire du piano à partir d'un seul modèle me paraît toujours insensé. J'ai
ainsi remarqué que l'histoire du piano, notamment au xxe siècle, s'est souvent racontée sans contact direct
avec les pianos anciens, en valorisant dans le piano les survivances anciennes
au détriment des réalisations oubliées. Même
s'il traite des éléments liés à l'interprétation, ce livre ne cherche pas à
dire quel piano choisir et comment le jouer. Il pousse à la réflexion et
déconstruit l'opinion largement admise. Est-il un livre d'histoire de la
musique ou d'organologie ? Il me semble que, dans une bibliothèque, il peut
être rangé au rayon histoire, esthétique, organologie ou même interprétation.
Essayant d'apporter ma pierre à l'édifice, je propose une sorte de théorie
esthétique du piano. D'où la concision et la densité de l'ouvrage qui contient
peu de renseignements. Je ne voulais pas répéter ce qui a déjà été dit, ni
synthétiser les connaissances musicologiques sur le piano. Je ne l'ai pas non
plus voulu comme une analyse avançant progressivement pour aboutir à une
conclusion finale. C'est pour ces raisons que, d'un commun accord avec les
éditions Beauchesne, on n'a pas proposé une
bibliographie à la fin de l'ouvrage. Les
avatars(1)
sont une esthétique de l'organologie, une trame conceptuelle permettant de
saisir la vie complexe d'un instrument emblématique de l'histoire de la musique
de l'Occident des trois derniers siècles. En réfutant par conviction la
doctrine du progrès, je remets en cause l'histoire du piano telle qu'elle est
racontée, selon l'idée d'un progrès graduel, depuis le début du xixe siècle. Mon parti pris
est que le piano n'est pas uniquement une formidable machine à produire du son
mise au service des musiciens, mais aussi un instrument d'art. Analyser sa
musicalité indépendamment de l'instrumentiste ébranle les certitudes et sème le
doute. Je savais à l'avance que c'est un livre qui provoque, qui dérange, mais
je tiens à préciser qu'il s'agit d'une coïncidence objective que je n'ai pas
choisie. Je
cherchais une stratégie musicologique. Comment montrer que chaque époque a
connu des pianos parfaitement aboutis dont la plupart on disparu ? Par où
commencer ? Organiser mon discours ne fut pas chose facile, tellement le sujet
est vaste. Je prenais conscience de mes propres limites, estimant qu'une seule
personne ne peut pas posséder toutes les compétences afin d'aborder, dans leur
ensemble, les avatars du piano. D'où l'impression d'inachevé qui émane de cet
ouvrage. Je ne voulais pas un livre avec trop de renseignements, mais une
réflexion sur l'expressivité du piano mettant en valeur ses caractéristiques
insoupçonnées. Je l'ai élaboré selon un concept central que j'expose dès les
premières pages et qui se développe le long du livre de manière circulaire.
J'ai lié le contexte de naissance du piano à sa destinée, à la civilisation de
l'Occident. Le premier chapitre
Pianos anciens, pianistes modernes
montre de manière critique le regard de notre époque sur les avatars de son
instrument adoré. Glossateurs de pianos
montre que la préférence du piano contemporain est une ancienne tradition qui
perdure malgré les transformations historiques du piano. Dans Résonance et équilibre des registres, je
prouve qu'au cours de son histoire, le piano n'a pas évolué de manière
linéaire, mais qu'il s'est métamorphosé de façon très complexe. J'ai voulu
analyser la manière dont de nombreux détails spécifiques d'un texte musical
touchent à la nature des instruments de l'époque. Pour décrire la sonorité,
j'ai évité les adjectifs tels que "sombre", "clair",
"coloré", "voilé", etc., fréquemment employés, considérant
qu'ils deviennent imprécis si on ne connait pas l'instrument dont on parle. De
même, s'il est très difficile de parler du son musical, il est plus aisé de
déterminer les limites des instruments d'une époque donnée. Dans
Puissance du son et aléas historiques,
j'insiste sur la puissance grandissante du son comme un paramètre fondamental,
comme un cheminement inéluctable de la vie du piano, la situant au-delà des
détails de fabrication d'un instrument donné. Il est intéressant de relever que
les spécialistes des pianos anciens que j'ai rencontrés n'accordent pas une
telle importance à cet aspect. Après
avoir achevé ce livre, je reste persuadé que le piano est un instrument
méconnu. Ce que je conteste dans la théorie de la suprématie absolue du piano
moderne, ce n'est pas uniquement sa lecture progressiste de l'histoire, mais
aussi la conception standardisée qu'elle cherche à promouvoir. En fin de
compte, proposant une autre histoire du piano, je m'emploie à déboulonner les
préjugés qui me paraissent néfastes, et à construire ou à ranimer ce que
j'appelle des mythes positifs, comme la diversité illimitée du patrimoine que
constituent les pianos anciens. Les avatars du piano n'a
pas bénéficié de l'appui d'une quelconque institution. Écrit librement à une
époque où je n'avais pas un travail régulier, il ne s'adresse pas exclusivement
aux musicologues et aux universitaires. Dans un grand souci de concision, j'ai
expressément cherché un ton direct et percutant. Je souhaite qu'un jour il ne
soit plus vu comme un ouvrage à contre-courant du monde musical. Ziad Kreidy. (1) En langue française,
« avatar » signifie métamorphose, incarnation et mésaventure. Jacques LONCHAMPT :
La musique au jour le jour. Bouquets de Fleurs 1 1961-1973. 1vol
L'Harmattan, 2015, 303 p, 28€. « Que deviennent nos souvenirs de
concerts ?» Sans doute plus que l'impression du moment, glanée au sortir
d'une soirée qu'on pense être marquée d'une pierre blanche... ou embrumée par
quelque déception. S'ils ont tendance à s'estomper au fil inexorable du temps,
le mérite de cet ouvrage est de les raviver. Car voici réuni un florilège de
papiers de Jacques Lonchampt, éminent critique
musical du journal Le Monde des années durant, récemment disparu. Et tournés
avec la fine plume qu'on lui connut. Ce sont finalement autant de moments
essentiels où le mot culture prend tout son sens. Pour qui a vécu ces années
bénies, de 1961 à 1973, où l'on abordait bien des œuvres pour la première fois,
c'est une mine d'enseignements. Pour les autres aussi, car l'interprétation
n'est aujourd'hui que dans la continuité de ce qu'ont tracé ceux d'avant. C'est
une joie, un privilège même, de se trouver dans l'intimité des plus grands,
Casals, Rubinstein, Berganza ou Hotter, et de voir
éclore les débuts de qui est parvenu à son tour à la gloire de maintenant, les
Abbado, Pires,... Ce qui fait le prix de cette collection c'est l'art de l'auteur
de replacer la recension dans un cadre plus large, musical, spacio
temporel ou historique. Ils étaient nombreux, à l'époque, à concevoir de la
sorte un papier. On pense à un José Bruyr ou à un
Antoine Goléa. Et puis il y a chez Lonchampt un art revigorant de la belle formule : à propos
du festival de Bayreuth, une « usine à musique », de Pelléas et Mélisande, « cet étonnant
chef d'œuvre... qui nous empêche de nous ''divertir' (p 222) ». L'acuité
du titre est l'exact miroir de ce qu'on va lire ensuite : « Bruckner Le
paysan du Danube, une ''liaison avec Dieu'' (p 96), « Arthur Rubinstein le
''repos dans la lumière'' (p 100), ou encore « Herbert von
Karajan Don Juan de tous les grands orchestres » (p 108). Parfois quelques
phrases bien senties s'autorisent une divertissante fantaisie, par exemple pour
ce qui est de la trame d'opéra (Lucia di Lammermoor
: une « œuvre dépourvue de consistance dramatique mais non de charme, dont
la musique... remplit honnêtement son office comme un bon film de série ou une comédie
de boulevard...). C 'est surtout dans l'analyse perspicace que l'auteur se
révèle : Celle d'une œuvre, Pli selon Pli de Boulez, pour n'en citer
qu'une, ou dans la description d'un spectacle (Otello
à Salzbourg, p 150), d'un lieu (le festival de Menton, p 148), ou encore d'un
disque (« Les Saisons » interprétées par Karl Böhm, ou le Trio K 563
de Mozart, ou encore la monumentale édition des Lieder de Schubert par Dietrich
Fischer-Diekau). Sa plume n'est jamais aussi
éloquente que lorsqu'il parle d'un artiste comme « Il cherubino
Rubinstein », ou Reine Gianoli (« elle
parait toute frêle et solitaire, immergée dans le secret des œuvres auxquelles
elle va donner un sens ce soir » (p 73). Bien sûr, la plupart ce ceux-là
nous ont quittés (mais pas Boulez, comme l'indique une coquille dans la
préface). Reste leur empreinte indélébile au panthéon de l'interprétation.
Jacques Lonchampt met l'accent, plutôt rare à
l'époque, sur la musique contemporaine : des « espaces inhabitables »
de François Bayle (p 90), aux Momente de
Stockhausen, en premières auditions françaises, en 1972 et 1973, de
« L'inquiétant Monsieur Kagel » à Royan, à Boucourechliev et les
''navigations'' de Amers à La Rochelle
en avril 1973. Il faut sans doute lire ce livre en picorant dans ses diverses
entrées, plus que dans la continuité,
pour savourer le sel de ces petites histoires de Grande musique. Jean-Pierre Robert. Noémi
LEFEBVRE : Marcel Landowski – une politique de
l'enseignement musical – 1966/1974. Cahiers de recherches du Cefedem Rhône-Alpes et Comité d'histoire du ministère de la
Culture et de la Communication, "Enseigner la musique numéro 12",
Lyon, 2014, 358p. 21 euros. Après un premier ouvrage consacré à Maurice
Fleuret et publié en collaboration avec Anne Veitl, Noémi Lefebvre s'attaque à une autre figure de la politique
musicale française, Marcel Landowski. Tout comme pour son ouvrage précédent,
Noémie Lefebvre a bénéficié du soutien du Comité d'histoire du ministère de la
Culture et de la Communication, soutien perceptible notamment dans la richesse
des sources exploitées. L'auteure nous livre une étude très bien informée, très
détaillée et nuancée qui témoigne d'une grande connaissance des problématiques
de la politique de l'enseignement musical où elle aborde successivement la
politique musicale et l'action culturelle (1962-1966), le conservatoire national supérieur de musique, la réforme de
l'enseignement musical spécialisé, l'action en faveur de la musique dans
l'enseignement scolaire et la politique d'animation musicale. Ce livre est
publié à point nommé, tout d'abord parce qu'il permet de célébrer le centenaire
de la naissance d'un homme cardinal pour le développement de la politique
musicale française de la seconde moitié du XXe siècle et ensuite parce qu'on
assiste progressivement au démantèlement de l'œuvre d'aménagement et de
développement culturel du territoire qu'il avait participé à mettre en place,
notamment avec la diminution des dotations budgétaires de certains
conservatoires. Noémi Lefebvre nous
explique comment le ministère des Affaires culturelles est arrivé à la création
d'abord d'un service puis d'une direction de la musique, confiée à un musicien,
et comment le projet de démocratisation de l'accès à la musique, fondé sur la
réorganisation des structures de l'enseignement et de la diffusion défendu par
Marcel Landowski, s'est finalement imposé contre le projet de l'intégration de
la musique à la politique d'action culturelle (soutenu par Pierre Boulez).
C'est une étude passionnante pour qui s'intéresse aux enjeux politiques de la
musique et souhaite décrypter la crise des années soixante. Après un long développement sur le CNSM, sa
vocation d'excellence, et la gestion de Mai 68 par Landowski, Noémi Lefebvre se focalise sur la formation des musiciens
professionnels, soulignant l'effort conséquent mené pour l'élargissement de la
base grâce à l'implantation de structures d'enseignement sur tout le territoire
dans le cadre du "Plan de 10 ans pour l'organisation des structures
musicales françaises" et rendue possible grâce à un effort financier de
l'État en constante croissance, à partir de 1969. La réforme de l'enseignement musical spécialisé ayant pour but la
formation de musiciens professionnels mais aussi la constitution d'un public pour les concerts
car il s'agit également d'organiser la société dans son rapport à la culture. L'autre champ de préoccupation fondamental
de Marcel Landowski est le rapprochement entre l'éducation générale et
l'enseignement musical. L'ouverture de l'école primaire aux pédagogies
nouvelles après Mai 68 créé un espace favorable à une réforme du mode
d'enseignement musical scolaire, en ayant recours aux interventions
extérieures. La création de classes à horaires aménagés constituant l'un des
principaux résultats d'une réflexion commune engagée entre le ministère de
l'Éducation nationale et le ministère des Affaires culturelles. Il manque cependant, pour que cette étude
soit complète, tout un pan de la politique de démocratisation musicale menée
par Marcel Landowski, l'aval de la question,
à savoir la création des orchestres de région dans un contexte d'aménagement du
territoire. Quelques rapides références à la crise des orchestres de la R.T.F.,
à la restructuration des orchestres parisiens, à la mobilisation des musiciens
d'orchestre dans les années soixante ne suffisent pas à traiter le sujet. Il
reste donc tout cet aspect à couvrir pour un prochain ouvrage ? Camille Grabowski.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
« DAROCA
1488. 1607. 1718. 2006 ».
Albert Bolliger, orgue. 1CD SINUS (www.sinus-verlag.ch ). Distribution : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ) : CD
4008. TT : 61' 26. L'Orgue historique
de l'Église Collégiale Santa Maria de los Corporales Sagrados, à Daroca (commune de
Saragosse, en Espagne), remonte à 1460 ; il a été transformé
successivement en 1488, 1498, 1511 et 1607, adapté à l'esthétique baroque en
1718, puis au goût romantique en 1918. En 2006, le facteur Pascal Quoirin, en collaboration avec les Frères Frédéric et Yann Desmottes de Cuenca, a voulu restituer l'instrument en son
état de 1700. Cet instrument prestigieux permet de nombreuses possibilités de
registration très judicieusement exploitées par l'éminent organiste suisse
Albert Bolliger (né en 1937), élève du Conservatoire
de Zurich, puis, à Paris, auprès d'André Marchal et de Jean Langlais. Le
programme concerne des musiciens espagnols : Aguilera
de Heredia (1561-1627), Martin y Coll (mort après
1734), Pablo Bruna (1611-1679), Gabriel Menalt (1657-1687), Joan Cabanilles
(1644-1712) qui gagnent à être révélés aux mélomanes et aux organistes. Il
offre un aperçu des formes organistique traditionnelles depuis la fin du XVIe
jusqu'au début du XVIIIe siècle : Tiento
(forme typiquement espagnole s'apparentant à la fantaisie ou au ricercar), Tiento de Batalla (bataille), œuvres dans plusieurs tons,
danses : Galharda,
Alamanda, Corrente italiana, Zarabanda, Pasacalles (passacaille), entre autres… À noter le
remarquable livret d'Albert Bolliger avec historique,
description et composition de l'Orgue successivement d'esthétique gothique,
renaissante, baroque, romantique. Dans le Tiento
de batalla (8e ton) composé par Aguilera de Heredia, le thème s'impose en force au clavier
principal, avec des entrées successives et des effets d'échos, contrastant avec
le Tiento de falsas
(6e ton) de Pablo Bruna, moins développé et plus
intériorisé. Joan Cabanilles maîtrise parfaitement
l'écriture contrapuntique dans son Tiento
(30) du 1er ton. Le Tiento de falsas (6e ton) de Gabriel Menalt
s'élève des profondeurs vers l'aigu. Parmi des œuvres anonymes (attribuées à
Martin y Coll) figurent entre autres des
danses : Alamanda,
brève pièce dans un tempo extrêmement lent ; Zarabanda, danse lente par
excellence. La Corrente italiana de
Joan Cabanilles est plus développée et privilégie une
facture mélodique quelque peu ornée. Excellente revalorisation d'un orgue qui a
retrouvé sa facture baroque (autour de 1700). Édith Weber. « Pour
un violon » : Georges Migot (1891-1976)- Jean Absil (1893-1974) :
œuvres pour violon. Claire Couic-Le Chevalier,
violon. 1CD ARTIST LABEL (www.artist-label.com) : AL-150521. TT : 51' 09. Comme le précise la
violoniste Claire Couic-Le Chevalier : « Ce disque est le fruit d'une
recherche qui a pour point de départ un coup de foudre pour un violon, un Léonhard Maussiel de 1735 essayé et acquis à l'occasion d'une vente
aux enchères, aux Andelys, fin 2013 ». Elle signale qu'après avoir étudié
le Catalogue de la BNF, à la
recherche d'œuvres méconnues ou moins connues dont aucun enregistrement
n'est disponible actuellement, son choix s'est fixé sur deux compositeurs quasi
contemporains pratiquant un langage musical très différent : Georges Migot
(1891-1976) et Jean Absil (1893-1974). Sous le titre : « Pour un violon », elle interprète
d'abord la Sonate pour violon seul composée
à Saint-Jean d'Angély du 29 juillet au 5 août 1951
par Georges Migot et dédiée à Maurice Fuéri dans
laquelle elle respecte parfaitement les indications du compositeur relatives
aux cinq mouvements : Prélude :
souple et librement ; Allègre :
décidé ; Andante : large,
chantant ; Danse : Andante,
Allègre et Final : gai-léger. Cette
musique dépouillée, quasi intemporelle, exige une haute technicité
violonistique, souvent à deux voix, avec un cheminement mélodique souple et
diversifié, faisant appel à la virtuosité, à l'attaque précise, à une justesse
impeccable et à une vive sensibilité, un phrasé très précis qui sont présents
tout au long de l'œuvre. La Sonatine pour
violon datant de 1959 se réclame des mêmes éléments stylistiques, mais —
comme le rappelle le regretté Marc Honegger — elle appartient à une période de
production de Migot où le langage s'est épuré : une période de
dépassement. C'est aussi le cas de Claire Couic-Le Chevalier. Le second volet
permet d'entendre la Chaconne (op. 69) et la Sonate (op. 134) de Jean Absil, né à Bonsecours dans le
Hainaut, le 22 octobre 1893, et mort à Bruxelles, le 2 février 1974. Il a fait
ses études en orgue, harmonie et fugue au Conservatoire Royal de Bruxelles et a
obtenu les Premiers Prix, mais aussi en ochestration
et en composition, puis il y a enseigné l'harmonie et la fugue. En 1922, il a
remporté le Second Grand Prix de Rome (belge). Ses recherches se sont portées
notamment sur la polytonalité, l'atonalité, le sérialisme. Son Catalogue
comprend de nombreuses œuvres de musique instrumentale (piano, quatuor) et pour
orchestre (symphonies) ainsi que des pièces pour quatuor vocal. Sa Chacone pour violon (op. 69), datant de
1949, dédiée à Maurice Raskin, reprend la formule
habituelle : un thème suivi de variations (24 au total) mélodiques,
rythmiques ou harmoniques. Sa musique baigne dans l'atonalité et le
chromatisme. En 1967, il a composé sa Sonate
pour violon seul faisant appel aux mêmes caractéristiques stylistiques,
exigeant toutefois moins de virtuosité que la Chacone. Ces œuvres de deux compositeurs du XXe siècle,
interprétées en connaissance de cause par Claire Couic-Le Chevalier, gagnent à
être découvertes, entendues et réentendues. Édith Weber. Anthony GIRARD : Sonate pour violon et piano « Behind the
Light ». L'oiseau d'éternité, poème pour piano.
Deux pièces d'après Marc Aurèle pour violoncelle
et piano. Vers le ciel pour violoncelle et
piano. Isabelle Flory, violon, Geneviève Girard, piano, Fabrice Bihan, violoncelle. 1CD NAXOS (www.naxos.com). CD 9.70221. TT : 60'43. Anthony Girard, né
en 1959 à New York, a fait ses études au CNSMP où il a obtenu, entre 1980 et
1986, cinq Premiers Prix : harmonie, contrepoint, analyse, orchestration
et composition. Il est également titulaire du DEA d'Histoire de la Musique
préparé en 1985 à l'Université Paris-Sorbonne. Il a composé des œuvres de
commande pour de nombreux orchestres, chœurs et ensembles internationaux en
France et à l'étranger. Sa Sonate pour
violon et piano composée en 2005 : Behind the Light est, selon ses propres termes, « une sonate toute
entière tendue vers la lumière, ou mieux vers l'au-delà de la
lumière. L'œuvre commence avec des ailes (With wings), et s'annonce comme un voyage
irréel… La seconde partie de la Sonate,
lente, se développe à partir d'une sorte de vide central, un matériau pauvre,
dépouillé : les cordes à vide du violon sol-ré-la-mi… La troisième partie reprend le mouvement initial… et
développe les thèmes de la lumière invisible avec un lyrisme éperdu mais
intime. La Sonate se termine par une
brève coda en crescendo qui semble vouloir à tout prix accéder aux régions de
l'inaccessible clarté ». Voici tout un programme réalisé avec sensibilité et
finesse par Geneviève Girard — qui se distingue par son accompagnement soutenu
au piano — et Isabelle Flory — qui s'impose par sa
ligne mélodique dans le registre aigu du violon pour évoquer la lumière — avec
un excellent pouvoir suggestif. Geneviève Girard
interprète le poème pour piano composé en 2011 : L'oiseau d'éternité « inspiré par le récit d'un promeneur
témoin de cet enchantement » et de sa « rencontre avec l'oiseau
d'éternité » car, selon le compositeur, le chant de l'oiseau d'éternité,
l'oiseau dont parlent les légendes, nous donne accès à un espace sonore où le
temps n'existe plus, le lieu rêvé de la musique ! Mais au moment où l'on
voudrait que cet espace nous appartienne, il devient inaccessible… ».
Cette musique à la fois descriptive et si évocatrice est interprétée jusque
dans les moindres insinuations par l'excellente pianiste, avec fidélité aux
intentions du compositeur. Le programme se termine avec d'abord Deux pièces d'après Marc Aurèle pour
violoncelle et piano : 1. Le fleuve
du temps évoquant le temps qui passe et le « monde comme un être
unique ayant une substance unique et une âme unique » ; 2. L'âme du monde, particulièrement
dépouillée et d'une rare simplicité, impose le silence, résultant d'une
parfaite connivence entre Geneviève Girard et Fabrice Bihan
(violoncelle). La dernière œuvre : Vers
le ciel pour violoncelle et piano, est marquée par l'intériorité, le
lyrisme, l'élan, l'aspiration à la lumière, tout comme la Sonate pour violon et piano (plage 1). Belle révélation des talents
compositionnels d'Anthony Girard imprégné d'une indicible spiritualité.
Édith Weber. Anthony GIRARD : Le Cercle de la Vie, 24 Préludes pur piano.
Et si le
ciel disparaît ?, pour orgue. Geneviève Girard, piano. Pascale
Rouet, orgue. 1DVD CEA MUSIKA (14, rue Laferrière,
75009 PARIS); : TT : 90'. Si la réalisation
discographique (cf. supra) met en
valeur la spiritualité d'Anthony Girard, la seconde — en fait une vidéo avec le
Cercle de la Vie (2007) (suite de 24 Préludes pour piano) — traduit aussi
son attitude philosophique et son « aventure intérieure ». Les
excellentes prises de vue et la remarquable mise en scène créent immédiatement
l'atmosphère si bien rendue au piano par Geneviève Girard, professeur à l'École
Normale de Musique de Paris, soliste internationale, qui s'impose par sa
technique éblouissante, son remarquable toucher, la souplesse et la
transparence de son jeu et son interprétation faite de discrétion. Ces 24 Préludes abondent en sensations et
images pour « imaginer la vie comme un cercle et la musique comme des
points situés le long de ce cercle : comme un voyage autour du monde où
les pôles seraient la Joie et la Tristesse et, à mi-chemin, l'Inquiétude et la
Paix » exprimés dans les 12 premiers Préludes.
Les 12 suivants, selon Anthony Girard, reprennent le même principe :
« À la Joie et la Tristesse se substituent la Lumière et les
Ténèbres ; à l'Inquiétude et la Paix, le Rêve et la Réalité ». Le DVD se poursuit
avec l'œuvre pour orgue intitulée : Et
si le ciel disparaît ? enregistrée par
Pascale Rouet — professeur d'orgue et organiste — à l'Orgue de la Cathédrale
Saint-Étienne d'Auxerre, de facture contemporaine avec 4 claviers et pédalier,
des tuyaux en chamade. Comme elle le précise : cette œuvre « se
présente comme une fresque deux panneaux où l'on retrouve nombre de
préoccupations musicales du compositeur : lignes directement issues d'un
grégorien remodelé, périodes en ostinatos rythmique et mélodique, utilisation
de silences prolongeant la résonance d'accords toujours légèrement différents,
matériau limité qui se développe verticalement ou horizontalement. » Quant
au compositeur, il souhaite « représenter le ciel comme un miroir du temps
et comme le récit de leur propre vie [des musiciens et peintres] ». Cette vidéo avec
cet enregistrement musical de tout premier plan évoque toute la dimension
philosophique, esthétique et spirituelle du compositeur qui peut compter sur
des interprètes particulièrement fidèles
et sensibles à son message. Édith Weber. Felix MENDELSSOHN : Les six Sonates pour
orgue. Pierre Labric, orgue. 1CD DISQUES
FY & DU SOLSTICE (www.solstice-music.com ): SOCD 303. TT.: 73' 52. L'Orgue Aristide
Cavaillé-Coll (1890) de l'Abbatiale Saint-Ouen à Rouen — à 4 claviers (positif,
grand orgue, récit expressif et bombarde) et pédale, d'esthétique baroque mais
avec de nombreuses mixtures, mutations et des jeux d'anches — permet également
d'interpréter des œuvres de Felix Mendelssohn
(1809-1847), plus romantiques et avec une approche symphonique, se situant
toutefois « entre tradition et modernité », comme le souligne
François Sabatier. Son titulaire, Pierre Labric —
élève en orgue de Marcel Dupré, Maurice Duruflé, Pierre Cochereau et Jeanne Demessieu, d'ailleurs suppléant de ces deux derniers — est
titulaire de l'Orgue Aristide Cavaillé-Coll (1890) à l'Abbatiale Saint-Ouen à
Rouen. Mendelssohn a composé ses 6 Sonates
pour orgue (op. 65) entre 1844 et 1845, à l'initiative des éditeurs anglais
Coventry et Hollier. Il a été influencé à la fois par
l'école anglaise anglaise, par J. S. Bach et par la
musique luthérienne. En effet, il exploite des mélodies de chorals bien connus
dans ses Sonates nos I : Was mein Gott will,
das g'scheh allzeit, III : Aus tiefer Not schrei ich zu dir
(De profundis) et VI : Vater unser im Himmelreich (Notre Père). La première Sonate
en fa mineur se rattache au passé par
sa structure en 4 mouvements : Allegro
moderato & serioso, Adagio, Andante, Allegro assai vivace.
Elle fait alterner douceur, intériorité, expressivité et brio (toccata) ;
elle exige une grande virtuosité. La deuxième en ut mineur rappelle la forme typiquement anglaise du Voluntary.
L'introduction est suivie d'un bref Grave
et d'un Adagio de conception assez
classique. L'Allegro maestoso e vivace se présente comme une
marche énergique avec une coda massive servant de transition vers l'Allegro moderato dans lequel Mendelssohn
reprend une fugue de 1839 avec deux contresujets et strette conclusive très
énergique. La troisième en La majeur
est un triptyque de structure répétitive (A B A') avec combinaison du choral Aus tiefer Not et
d'une double fugue. La quatrième, en Si b majeur, s'apparente à une symphonie
plus qu'à une sonate. Elle comprend 4 mouvements : l'Allegro con brio bithématique contrastant
avec l'Andante religioso
plus intériorisé, alors que l'Allegretto
s'impose par un thème typiquement mendelssohnien circulant à travers le
mouvement. En conclusion, l'Allegro
maestoso e vivace comporte une marche tonitruante, une fugue qui n'est pas
sans rappeler J. S. Bach, avec de nombreuses entrées (sujet droit, sujet
renversé puis strette) requérant une parfaite maîtrise technique aux claviers
et à la pédale. La cinquième en Ré majeur
composée autour de 1845, est aussi un triptyque : Andante (un peu comme un choral), Andante con moto (avec un staccato de pédale) et Allegro maestoso (à deux thèmes, l'un
interrogatif ; l'autre de caractère plus passionné). La sixième en ré mineur repose sur le choral Vater unser im Himmelreich (chaque
article du Notre Père commenté par
Martin Luther fait l'objet d'une strophe). Mendelssohn fait appel à une série
de variations dans lesquelles il traite différemment le cantus firmus :
d'abord harmonisé à 5 voix, puis — dans les 4 variations — planant au soprano (Variation 1) ; ponctué à la pédale,
choral harmonisé à 4 voix sur une pédale de croches (Variation 2) ; exposé
au ténor avec des commentaires en tierces et sixtes parallèles (Variation 3) ; enfin, énoncé
d'abord à la basse avec quelques accents déplacés ensuite en alternance au
soprano et au ténor, pour aboutir à une imposante coda ; et , pour
finir, une fugue reprend le début de la mélodie du choral (Variation 4). L'éminent organiste titulaire de l'Orgue
Cavaillé-Coll (1890), Pierre Labric — respectant les
intentions de Mendelssohn relatives aux critères d'interprétation, aux nuances
et à la registration — et François Carbou —qui a
réalisé l'excellent montage par à partir de l'enregistrement historique de 1974
— font honneur aux Disques Fy et du Solstice toujours attentifs à la musique
d'orgue. Édith Weber. Camille SAINT-SAËNS : Les six
Préludes et fugues pour orgue. Pierre Labric,
orgue. 1CD SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : SOCD 305. TT.: 56' 43. Dans la même
optique que le CD précédent, les Disques FY et du SOLSTICE proposent un
enregistrement historique (Saint-Saëns) réalisé les 23 et 24 juillet 1973 et le
12 octobre (1974 (Gigout) avec l'assistance à la
console de François Carbou ; cette production
étant dirigée par Yvette Carbou. Camille Saint-Saëns
(1835-1921), très jeune, élève surdoué de François Benoist, a suivi des cours
de composition, d'harmonie, de contrepoint et de fugue au Conservatoire. Il
était à la fois un pianiste, un virtuose et un organiste prodigieux. La fugue,
une de ses formes de prédilection, représente un chef-d'œuvre d'inventivité et
de maîtrise du contrepoint. Chaque Prélude
& Fugue est dédié à un de ses collègues : Charles-Marie Widor,
Alexandre Guilmant, Eugène Gigout, Gabriel Fauré,
Albert Périlhou, Henri Dallier.
L'opus 99 a été publié en 1894. Dans
ces œuvres, il fait preuve d'imagination, de renouvellement mélodique,
rythmique et aussi de couleur modale. Ses Fugues
sont toujours traitées à quatre voix, et ne sont pas sans rappeler celles de J.
S. Bach avec certains éléments baroques, mais davantage pensées pour les couleurs
de l'orgue symphonique. Dans les Trois
Préludes et Fugues (op. 109), le compositeur soigne tout particulièrement
les marches d'harmonie, les imitations, la logique du discours, les alternances
de claviers qui se répondent. Il fait aussi appel à la virtuosité avec des
arpèges descendants et ascendants planant au-dessus de la pédale en valeurs
longues, à la double fugue de structure répétitive ou encore à des
divertissements. Il utilise volontiers aussi des accords alternés et des
altérations pour créer une certaine instabilité, mais il se refuse à l'excès de
sentimentalisme, ceci au profit de l'émotion. Pour compléter son programme,
Pierre Labric a ajouté le Grand Chœur dialogué (n°6
des Six Pièces, 1881) qu'Eugène Gigout a dédié à l'organiste virtuose belge, Alphonse Mailly. Dans cet Allegro
moderato quasi maestoso, sur les fonds et anches, le compositeur spécule
sur l'alternance entre un chœur forte
sans pédale (« Chœur II ») — même s'il ouvre la pièce — et un chœur fortissimo avec pédale (« Chœur
I »), de caractère très rythmé et scandé. Cette œuvre majestueuse est,
comme l'observe Michel Roubinet : « une
authentique page d'apparat de l'orgue symphonique français ». Pierre Labric se joue de toutes les difficultés techniques et son
esthétique diversifiée peut être représentative de l'impressionnisme, à un
degré moindre du néo-classicisme, et surtout de l'orgue symphonique français. Édith Weber. Franz SCHUBERT : Sonate D 960. 4
Impromptus op. 90, D 899. Sodi Braide, piano. 1CD Disques FY et du SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : SOCD 309. TT : 71' 01. Comme les Préludes de Chopin, les Impromptus de Franz Schubert font partie
du répertoire des jeunes pianistes aussi bien que des solistes expérimentés. Sodi Braide, artiste cosmopolite
réside actuellement à Paris. Il a entrepris ses études au Nigeria, en France au
CNSM avec Jacques Rouvier et Gérard Frémy, et à l'École Normale de Musique de
Paris avec Françoise Thinat, puis à Madrid avec
Dimitri Bashkirov, enfin à la Fondation pour piano du
Lac de Côme, notamment auprès de Leon Fleisher, Alicia de Larrocha,
Charles Rosen. Soliste, il se produit avec de
nombreux orchestres et à la télévision, en France ainsi qu'à l'étranger. Il a
d'ailleurs été invité dès 1994 à donner des concerts en Afrique du Sud. Comme
il le rappelle, il est ainsi devenu « l'un des premiers pianistes
d'origine noire africaine à y jouer après la fin de l'apartheid. » Sodi Braide rappelle :
« mon premier contact avec l'œuvre pianistique de Schubert date de la fin
de mes années au Conservatoire de Paris. J'avais commencé mes études en
travaillant des Préludes et Fugues de
Bach, des Sonates de Beethoven, des Études de Chopin, bref le répertoire
standard de tout apprenti pianiste. J'ai joué relativement peu de Schubert. »
Mais, vers la fin de ses études, frappé par « l'aspect profondément humain
de Schubert, avec ses contradictions, ses subtilités », il a retenu des
œuvres « représentatives de toutes les facettes de son art »,
produites par Schubert vers la fin de sa vie. Sodi Braide propose les 4
Impromptus op. 90 (D. 899) datant de 1827. Le premier, le plus développé,
en ut mineur (Allegro molto moderato), frappe par son accord initial tout en
force avec des effets de résonance, auquel s'enchaîne une marche comportant une
mélodie tranchée qui donne lieu à des développements évoluant du piano vers le forte avec des oppositions constantes de nuances et des effets
d'écho. Le deuxième, en mi b majeur
(Allegro), si souvent « massacré », s'impose par son charme et sa
fraîcheur, et n'est pas sans rappeler Chopin. Le troisième, en sol b majeur (Andante mosso), plus calme, utilise une
courbe mélodique plus ample un peu à la manière d'un choral sur accompagnement
de triolets. Le quatrième, en la b majeur
(Allegretto), fait appel à la virtuosité et à un langage donnant libre
cours aux modulations enharmoniques. Ces Impromptus
sont interprétés à la limite de la vitesse avec force, énergie et grande
maîtrise de la technique pianistique. Enfin, le morceau de résistance : la
Sonate n°21 en si b majeur (D 960),
datant de 1828 — dernière composition de grande envergure, deux mois avant la
mort de Schubert — comprend 4 mouvements diversifiés : Molto moderato très développé, avec un
beau discours mélodique ; Andante sostenuto
marquant le point culminant de la sonate, avec une mélodie plaintive et
méditative contrastant avec le Scherzo.
Allegro vivace con delicatezza enjoué et bien
enlevé ; enfin, l'Allegro ma non troppo très rythmé, au thème coquin et des effets de
modulation débouchant sur un presto
brillant avec à la main gauche des batteries d'octaves, termine ce disque en
virtuosité. Édith Weber. Frédéric CHOPIN
: 24 Préludes op
28. Prélude op 45. Fantaisie op 49, Berceuse op 57, Barcarolle op
60. Jean-François Antonioli, piano. 1CD KLANGLOGO (www.rondeau.de ): KL 1409. TT : 71' 55. Grâce au Label
KLANGLOGO, distribué par RONDEAU PRODUCTION (Leipzig) et grâce à la qualité
exceptionnelle de l'acoustique du Victoria Hall à Genève, les amateurs de
Chopin, découvriront le pianiste et chef Jean-François Antonioli
dans une autre conception des Préludes op. 28 souvent galvaudés. Dans
ce disque tout en finesse, en expressivité et en poésie, ils sont interprétés
avec infiniment de minutie et de distinction, avec les moindres nuances et un
romantisme contenu. L'interprète — en parfaite connivence avec la pensée de
Chopin — confère à chacun des 24 Préludes
son caractère propre, tour à tour agité, lugubre, radieux, volubile, plaintif,
joyeux, anxieux, ou décrivant la tempête, la fièvre, la violence, la colère
voire l'hallucination… Avec une visée pédagogique : contretemps, main
gauche en doubles notes, arpèges…, ils appartiennent
au bagage commun des pianistes, mais exigent à la fois une technique
pianistique hors pair, une vélocité à toute épreuve ou, au contraire, des
peintures d'atmosphère diversifiées, une sonorité chaude et chatoyante. Ce
disque se termine avec le Prélude
(op. 45), plus développé ; la Fantaisie
en fa mineur (op. 49), d'abord mystérieuse, lyrique, ensuite expansive,
tourbillonnante ; la Berceuse
(op. 57, 1844), particulièrement célèbre avec un rythme balancé et une
remarquable ligne mélodique et, pour conclure, l'extatique Barcarolle (op. 60, 1845-1846). Pour Jean-François Antonioli, rien n'est laissé au hasard ; il invite
donc les discophiles à une autre
perception de ces œuvres si marquantes qu'il interprète dans un esprit de
fidélité aux multiples états d'âme de Chopin. Édith Weber. Charles KOECHLIN : Ballade op 50. Préludes
op 209. L'ancienne
maison de campagne op 124.
Jean-Pierre Ferey, piano. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr) : DSK1136. TT : 68' 14. Charles Koechlin, né à Paris le 27 novembre 1867 et mort au Canadel
(Var) le 31 décembre 1950, a suivi, au Conservatoire, les cours d'Antoine Taudou en harmonie, de Jules Massenet et d'André Gédalge en
harmonie et composition, puis de Gabriel Fauré. Il obtiendra ensuite de
nombreux Prix. Il est l'auteur, entre autres, d'un célèbre Traité d'harmonie (1928) et d'un Traité de l'orchestration (1941), et son Catalogue comporte 226
numéros d'opus (musique de chambre, symphonique…). Dans ses œuvres quelque peu
oubliées en France, ce grand maître du contrepoint se veut très indépendant et
ne se rattache à aucune école. En 2010, l'attention des lecteurs a été attirée
par l'ouvrage de Philippe Cathé, Sylvie Douche et
Michel Duchesneau (dir.) : Charles Koechlin,
compositeur et humaniste (Paris, Vrin). En 2015,
les Disques SKARBO illustrent son œuvre pianistique avec une sélection de 32
morceaux : Ballade (op. 50), L'ancienne maison de campagne (op.
124) et Préludes (op. 209).
Jean-Pierre Ferey (piano) — élève de Marie-José
Delvincourt, de Lélia Gousseau, de Guido Agosti, à la fois soliste et concertiste, associé pour la
musique de chambre à Jean Hubeau — a
le mérite d'avoir enregistré en 1993 ce programme si significatif, qui a été
repris en 2015. Il n'est pas
possible de rendre compte de 32 plages totalisant plus de 68 minutes. Dans la Ballade (op. 50), Jean-Pierre Ferey se distingue par son jeu transparent et délicat, son
phrasé subtile, ses attaques précises, son sens de la dynamique. L'ancienne maison de campagne évoque à
la fois l'accueil, les lieux (collines, lacs, vieille fontaine), mais aussi des
événements de la vie quotidienne (fiancés, deuil, départ) et, pour
terminer : La Jeunesse vue du seuil
de la Vieillesse. Enfin, dans les Préludes
(op. 209), l'excellent pianiste tient scrupuleusement compte des différents
tempi et mouvements indiqués avec grand soin par Charles Koechlin
qui précise les atmosphères souhaitées : Très doux et soutenu ; Très
calme ; Allegro assez
animé ; Giocoso ; ou
encore Expressif et bien soutenu.
Avec une remarquable intelligence des partitions et des intentions du compositeur,
Jean-Pierre Ferey contribue avec talent à la
diffusion de l'apport pianistique de Charles Koechlin
à la musique française. Cette réalisation sera appréciée à sa juste valeur
aussi bien par les amateurs de musique pour piano que par les discophiles exigeants. Édith Weber. « Hommage
à Henri DUTILLEUX ».
Fabrice Bihan, violoncelle, Philippe Bourlois, accordéon. 1CD TRITON (www.disques-triton.com) : TRI 331196. TT : 68' 54. Comme le rappelle
Geneviève Thibault, directrice du Label TRITON : « En cette fin de
mois de mai [2015], nous voulons rendre Hommage à Henri Dutilleux pour
commémorer les deux ans de sa disparition. En 2011, il eut connaissance du
projet de Fabrice Bihan et Philippe Bourlois qui avaient passé commande à une dizaine de
compositeurs français pour l'écriture d'une pièce de 5 à 6 minutes s'inspirant
de l'Œuvre du Maître avec citation de l'une de ses œuvres. Ils ont créé ces
pièces au Festival Les Inouïes d'Arras
en 2011 et Henri Dutilleux en a été très heureux » : ce sera aussi le cas
des discophiles grâce à Fabrice Bihan (violoncelle)
et Philippe Bourlois (accordéon). Henri Dutilleux, né
le 22 janvier 1916 à Angers, est mort le 22 mai 2013 à Paris. Après ses études
au Conservatoire de Douai, puis, au CNSM de Paris où il a suivi les cours de Henri Büsser en composition, de
Jean Gallon en harmonie, de Noël Gallon en contrepoint et fugue, de Philippe
Gaubert en direction d'orchestre et de Maurice Emmanuel en histoire de la
musique, il obtient en 1938 le Premier Prix de Rome. À la demande d'Alfred
Cortot, il est en 1961 professeur de composition à l'École Normale de Musique
qu'il présidera. À partir de 1970, il est professeur associé au CNSM. Son œuvre
prolifique comprend, entre autres, Trois
Strophes sur le nom de Sacher (1976-1982), qui jalonne le programme (plages
1, 5 et 13) avec ses Strophes 1, 2 et 3
pour violoncelle seul. D'ailleurs, Philippe Hersant (né en 1948) s'en est
inspiré pour sa Strophe (plage 2)
destinée à une formation insolite : violoncelle et accordéon. Il utilise
le thème mi b – la – do – si – mi - ré
d'après les lettres du nom de [Paul] SACHER,
chef d'orchestre et mécène suisse ; comme il le rappelle :
« J'ai repris ce motif à mon compte, et de façon très radicale, puisque le
violoncelle, du début à la fin, ne fait entendre que ces six notes-là… Les
accords réguliers, insistants de l'accordéon, contribuent à donner à cette
pièce un caractère très obsédant. Elle est dédiée à Henri Dutilleux », de
même que les Métamorphoses (op. 121) de
Nicolas Bacri (né en 1961) selon lequel « il
s'agit d'une forme sonate bithématique précédée d'une
introduction lente dans le caractère d'une improvisation. Le premier thème
noté Allegro moderato e maestoso fait
un emploi abondant d'une polyphonie au lyrisme volontaire. Le second thème se
base sur un motif plaintif de demi-ton sur un continuo de doubles-croches après
un développement qui reprend tour à tour les éléments du premier et du second
thème, la réexposition est précédée d'un bref rappel de l'introduction. Cette
réexposition est suivie d'un développement terminal assez conséquent comprenant
la citation du chef-d'œuvre de Dutilleux. » Dans cette œuvre pour violoncelle
seul, Fabrice Bihan se joue de toutes les difficultés
techniques et fait preuve autant de justesse que de sensibilité. Le programme
comprend également Pour Geneviève [Joy]
et Henri (G-H) de Bernard Cavanna (né
en 1951) pour violoncelle et accordéon, qui — comme il le rappelle — résulte de
différents « collages » ; il cite « quelques bribes de la
musique d'Henri Dutilleux, dont notamment les Métaboles/Linéaires au tout début de la pièce. Elle se termine sur une tierce majeur sol
[G]-si [H] qui reprennent ainsi
les initiales de Geneviève et d'Henri, deux êtres forcément inséparables que
j'admirais beaucoup. » Vincent Paulet (né en
1962) a, lui aussi, dédié à Henri Dutilleux son œuvre Instants/Litanies et en plus à Fabrice Bihan
et Philippe Bourlois qui forment une belle équipe.
Ces deux Litanies font — selon
Vincent Paulet — « directement référence au
Quatuor Ainsi la nuit. La filiation
ne s'arrête pas là, car une incise mélodique de ce Quatuor (très précisément le
début de Litanie II) est évoquée de
façon librement allusive à chacune des deux litanies. » Quelques mesures
avant de conclure, la partition fait brièvement à une autre œuvre d'Henri
Dutilleux Timbres, espace, mouvement ou
la nuit étoilée. Dans sa pièce pour violoncelle seul : Houles, Jacques Lenot
(né en 1945) rend aussi hommage à Henri Dutilleux. Quant à Olivier Penard (né en 9174), il a composé sur un thème d'Henri
Dutilleux une Charade
particulièrement originale signifiant « une mélodie éclatée,
méconnaissable », « un jeu nouveau avec des contours
inattendus », « l'impatiente agitation des triolets », résolue
par « Mon tout est un thème du quatrième mouvement de la première
symphonie d'Henri Dutilleux ». Ce disque comprend
encore des pages pour violoncelle seul de Patrick Burgand
(né en 1960), Régis Campo (né en 1968), et une pour accordéon seul de Vincent Wimart (né en 1973) ; et, pour le duo, de Jean-René
Combes-Damien (né en 1957) : …D'une
empreinte diaphane posée. Plus importantes qu'une analyse détaillée et
critique, ces diverses citations confirment la source d'inspiration que ces
compositeurs contemporains ont empruntée à Henri Dutilleux et la
destination de leurs contributions qui se veulent un double hommage inédit à
l'œuvre et au maître français qui nous a quittés à l'âge de 97 ans. C'est le
mérite des Disques TRITON d'avoir — deux ans après sa disparition et de façon
si originale et appropriée — commémoré le regretté Henri Dutilleux. Édith Weber. « Pierre
COCHEREAU en concert à Notre-Dame de Paris ». 1CD SOLSTICE (www.solstice-music.com ): SOCD 310. TT : 69' 37. Le regretté Pierre
Cochereau (1924-1984), élève d'André Fleury puis, au CNSM, de Marcel Dupré,
Maurice Duruflé et Noël Gallon, a été nommé titulaire des Grandes Orgues de la
Cathédrale Notre-Dame de Paris en 1955. Son rayonnement pendant 30 ans a été
considérable. Spécialiste aussi de facture d'orgue, il a tenu à faire relever
son Orgue (1868) d'Aristide Cavaillé-Coll, entre autres par Robert et Jean-Loup
Boisseau. Organiste jusqu'à sa mort en 1984, il a aussi été Directeur du
Conservatoire de Nice et créé le second CNSM de France à Lyon. Grâce à la prise de
son live de François Carbou, ce CD permet de réentendre plusieurs récitals
annuels comportant des œuvres de compositeurs allemands : Jean Sébastien
Bach et Felix Mendelssohn, et français : César
Franck, Eugène Gigout, Louis Vierne, Maurice Duruflé
et Olivier Messiaen. Ces concerts s'échelonnent de 1969 à 1975. Yvette Carbou rappelle que « son exceptionnelle carrière de récitaliste (plus de 2600 concerts sur les 5 continents)
lui aura permis de faire découvrir à des publics on ne peut plus variés les
pages majeures de l'orgue…». C'est avec une
indicible émotion que les amis de l'orgue réentendront le Prélude et Fugue en si mineur (BWV 544) de J. S. Bach traduisant d'abord la douleur avec une registration
adéquate, puis la vigueur de la Fugue
très bien structurée, et — pour le Choral
O Mensch bewein dein Sünde gross
(BWV 622) — l'intériorité et la profondeur voulues par le Cantor de Leipzig, de
même que dans le Prélude et Fugue en ut mineur de elix. Mendelssohn, bien enlevé. Quant au Choral n°2 en si mineur de César Franck,
Michel Roubinet souligne qu'il est « admirable
de ferveur virtuose, de poésie et de mystère, d'imprévisible » (mars
2015). Il signale aussi que « l'absolue nouveauté de cet album est bien
entendu le Prélude et Fugue sur le nom
d'A.L.A.I.N. de Maurice Duruflé, de facture assez modale, avec une longue
progression dynamique. Pierre Cochereau rend ainsi un bel hommage à l'un de ses
maîtres. Au programme, figurent également l'incontournable Toccata en si mineur d'Eugène Gigout et
une page de Louis Vierne rarement entendue : Clair de lune op. 53, n°5 si évocatrice et suggestive. Pour
conclure : Le Banquet céleste
d'Olivier Messiaen, particulièrement méditatif, œuvre à laquelle Pierre
Cochereau était très sensible. Ce remarquable disque permet — si besoin était —
de rappeler une fois de plus sa maîtrise légendaire de la technique
organistique, son exploitation des possibilités acoustiques du lieu et des
registrations, en parfaite symbiose avec les diverses esthétiques des
compositeurs en cause. Les discophiles seront ravis de réentendre quelques
« Récitals de 17h 45 », d'autant plus que les pièces interprétées ne
figurent pas dans sa discographie (CD). Les Éditions FY et du SOLSTICE ne pouvaient
lui rendre meilleur hommage. Édith Weber. Disque pour enfants ROBINSON : La bonne étoile. 1 CD EDB (www.brigitteberthelot.com). Distribution
HARMONIA MUNDI : CD 931 150-1.
TT : 44' 19. Voici un disque et un album imaginatif, instructif, à la portée des enfants et résultant du vécu familial et de l'expérience de Robinson, à la fois auteur de textes « à multiples entrées » (rimés ou non, strophiques ou non), compositeur et chanteur. Un peu à la manière de Francine Cockenpot, avec en plus sa griffe personnelle, poèmes et mélodies sont simples et faciles à retenir, grâce à un vocabulaire adapté même aux tout-petits. La plaquette parsemée d'étoiles est aussi illustrée par des motifs caractéristiques : baleine, jument, ours blanc… en rapport avec les paroles. La nature est représen |