PAROLES D'AUTEUR : Eine Alpensinfonie de l'ANTECHRIST À LA NATURE ETERNELLE PROPOS PARTAGÉS : Jacques Lenot, un musicien en quÊte de secret L'AGENDA
5
/ 6 Mozart à l'honneur aux Musicales d'Arles
Pour leur ultime concert de la saison, les
Musicales d'Arles ont programmé un des joyaux de la musique de chambre de
Mozart : le Divertimento K. 563 pour violon, alto et violoncelle.
Composé durant l'été 1788, sa distribution instrumentale uniquement confiée aux
cordes en scelle l'originalité. Ses six mouvements mêlent tour à tour gravité,
presque pathétisme (l'œuvre est dédiée à l'ami secourable Michael Puchberg, frère de Loge) et entrain guilleret puisé à
quelque aimable folklore. Rarement aura-ton touché de si près le tragique
abyssal et la gaieté volatile. En prélude, on entendra le 1er trio pour cordes
D 471 de Schubert (1816), resté inachevé avec son seul mouvement allegro
d'inspiration lyrique. Gageons que les trois interprètes Augustin Dumay, violon, Miguel da Silva, alto, et Henri Demarquette, violoncelle, prêteront à ces pages leur vraie
authenticité. Chapelle
du Méjan, le 5 juin à 11H Réservations : Association du Méjan, BP 90038, 13633, Arles cedex ; par tel. ; 04 90 49
56 78 ; en ligne : www.lemejan.com 8,
29 & 30 / 6 Leonardo García Alarcón dirige Donizetti
et Falvetti
Le Chœur de Chambre de
Namur, le Millenium Orchestra et la Cappella Mediterranea,
sous la baguette de Leonardo García Alarcón
donnent trois concerts à Saint-Denis et Versailles composés d'œuvres rares de
Donizetti et de Falvetti. Le Requiem de Gaetano
Donizetti est une
œuvre ambitieuse, écrite à la mémoire d'un autre spécialiste, son ami et rival
Bellini. Dans l'imposante polyphonie d'un chœur ou la brillance virtuose et
opératique des arias solistes, les mélodies raffinées et sensuelles règnent en
maître et traversent tous les états d'âme du texte, du drame au recueillement.
Un Requiem de Bel Canto, sorti de l'ombre à la fin du siècle dernier, et remis
en lumière par un amoureux fervent de la musique italienne. Dans la tradition
de Carissimi et de Haendel, la musique de Michelangelo Falvetti
est d'une grande originalité. Il diluvio universale, «
dialogue à cinq voix et cinq instruments », (1682) reprend l'un des épisodes
les plus connus et tragiques de l'Ancien Testament : le déluge, sujet se
prêtant parfaitement à un traitement dramatique. Le livret de Vincenzo Giattini a permis à Falvetti d'exploiter le drame avec un génie accompli.
Redécouvert, ce chef d'œuvre a durant ces cinq dernières
années suscité auprès du public une émotion intense. Encouragé par ce
succès, Leonardo García Alarcón s'est attelé à la
création d'une autre œuvre inédite composée en 1683 par Falvetti
: Nabucco. Préfiguration du premier chef-d'œuvre de Giuseppe Verdi,
écrit 130 ans plus tard, on est là à mi-chemin entre l'oratorio historique et
le dramma per musica. La
richesse de l'écriture musicale entendue dans le Diluvio
universale est, dans Nabucco, constamment
égalée voire dépassée. L'implication de Leonardo García Alarcón
comme l'engagement total de ses interprètes méritent qu'on ne laisse pas passer
ces occasions. Festival
de Saint-Denis, Basilique, le 8 juin à 20H30. Chapelle royale du château de Versailles, les
29 (Il Diluvio) et 30 (Nabucco) juin 2016 à 20H Réservations Saint-Denis : par correspondance
: Saint-Denis Location, 16 rue de la Légion d'Honneur, 93200 Saint-Denis ; sur
place : kiosque à gauche de la Basilique ; par tel.:
01 48 13 06 07 ; par fax : 01 48 20 19 36 ; en ligne : http://www.festival-saint-denis.com Versailles
: par tel.: 01 30 83 78 89 ; en ligne, http://www.chateauversailles-spectacles.fr 9 / 6 La harpe enchantée
d'Isabelle Moretti
Depuis le début de sa riche carrière,
Isabelle Moretti porte haut les couleurs de l'école de harpe française partout
dans le monde. Sous ses doigts l'instrument révèle toute l'étendue d'un
potentiel expressif immense – et parfois même insoupçonné. « Beauté
du son, perfection du style, profondeur de l'éloquence » : les
mots du compositeur Philippe Hersant résument les qualités d'une interprète
dont la curiosité embrasse un vaste répertoire, du XVIIIe siècle à la musique
d'aujourd'hui. Le besoin de partage d'Isabelle Moretti se traduit par des
collaborations privilégiées avec des instrumentistes ou chanteurs auxquels des
affinités particulières l'unissent, tels Philippe Bernold,
Magali Mosnier, Dame Felicity
Lott, ou encore le hautboïste
et chef d'orchestre François Leleux. Avec ce dernier,
qu'elle qualifie de « musicien exceptionnel », elle partagera
l'affiche d'un concert au Théâtre des Champs-Elysées aux côtés de l'Orchestre
de chambre de Paris, dont François Leleux assurera
aussi la direction. On y entendra, entres autres, l'illustre Concerto pour harpe de Boieldieu et le
non moins célèbre Concerto pour flûte et
harpe de Mozart… dans une transcription pour hautbois et harpe qui promet
de révéler un visage nouveau d'une partition dont le raffinement et le lyrisme
charment immanquablement. Théâtre des Champs-Elysées, le 9 juin 2016 à
20H Réservations : 15, avenue Montaigne, 75008
Paris : par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : www.theatrechampselysees.fr 17, 19, 21, 23, 25, 28 / 6 & 8, 10 / 7 Don Carlo vu par
Robert Carsen à l'Opéra du Rhin Robert Carsen
aime l'Alsace. Il y revient chaque année. Cette fois ce
sera avec une toute nouvelle mise en scène du Don Carlo de Verdi. Il
confie y travailler depuis longtemps eu égard à la difficulté de faire revire
cette fresque historique qui, selon lui, est portée par un livret pas toujours
à la hauteur de la manière dont le sujet est traité musicalement. Et l'on sait
que Verdi a écrit là des pages exceptionnellement mélodieuses. On pense aux
airs de Philippe II, d'Eboli, de Posa ou d'Elisabeth,
et aux duos réunissant le roi et Posa, ou unissant les deux improbables amants au finale de l'opéra. La régie se concentrera sur
l'isolement du personnage titre et sur des échanges essentiels, dont celui
entre Philippe II et l'Infant, ce fils rebelle, une relation père-fils que Carsen estime « catastrophique », en tout cas
moins élaborée que la relation père-fille au centre de Rigoletto.
Il ne faut pas s'attendre à un « péplum espagnol » (in son ITV in
Forumopera.com). De fait, ce qui importe peut-être le plus dans cette œuvre,
c'est son caractère intimiste, comme il en va à bien des égards aussi d'Aïda.
La distribution réunie est de haute tenue avec Tassis
Christoyannis en Marquis de Posa, Stephen Milling, Philippe II, Elza van
den Heerver, Elisabeth de Valois et Elena Zhidkova, la Princesse Eboli. Daniele Callegari dirigera
l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et les Chœurs de l'ONR. Opéra de Rhin à Strasbourg/Opéra,
les 17, 21, 23, 25, 28 Juin 2016 à 19H30 et le 19/6 à 17H ; puis à Mulhouse/La
Filature, le 8 juillet à 19H30 et le 10/7 à 17H. Réservations : Opéra de
Strasbourg : 19, Place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel. :
03 68 98 51 80. La Filature/Mulhouse, 20, Allée Nathan- Katz , 68090 Mulhouse cedex ; par tel.: 03 89 36 28 29 . En ligne : caisse@onr.fr
27 / 6 - 2 / 7 Les Tons voisins, festival en
albigeois C'est à une manifestation
originale que nous convie le Festival Tons Voisins à Albi et environs.
Pour cette 10 ème édition, le pianiste Denis Pascal,
son directeur artistique, propose de décliner les « Vertiges de
l'amour ». Durant six jours de fêtes, pour « s'énamourer de la
musique » (Georges Sand) et évoquer l'amour sous diverses facettes :
passion, érotisme, élévation spirituelle, mais aussi trahison, désespoir,
tristesse de l'adieu, joie du pardon, enivrement du vertige et de l'abandon ;
et ce de Purcell à Piazzolla, de Rameau à Poulenc et jusqu'au jazz ! Bien des temps forts en perspective : Un
« hommage à Billie Holiday », avec Denis Pascal, piano, Jérôme Comte,
clarinette et Pascal Lay, piano jazz (27/6, Verrerie de Carmaux) ; « Vie
et amour d'une femme », Lieder et mélodies de Mahler, Brahms, Schumann,
Florent Schmitt et Gounod, par Sunhae Im, soprano,
Anne Le Bozec, piano, Alain Meunier, violoncelle
(28/7, Lescure, Église Saint-Pierre). « Nuits de l'âme » ou une
sélection de Noctunes de Chopin par
Bruno Rigutto et Jean-Yves Clément, récitant (29/7,
Hôtel de Gorsse, Albi), puis « Love songs », pot pourri de
pièces chambristes de Clara et Robert Schumann, Richard Strauss, Poulenc, de
tunes de Gerswin et de Claude Bolling,
de chansons de Michel Legrand... et la création de ''Fantaisie'' de Vladimir Cosma (29/7, Parc de Rochegude). La
voix humaine de Francis Poulenc sera interprétée par Camille Poul, soprano, et Jean-Paul Pruna,
piano, suivie de la Sonatine pour flûte et piano de Boulez (30/6, Albi,
Grand Théâtre, 18H30). L'Aurore, le film culte de Murnau, sera
accompagné au piano par Jean-François Zygel (30/6,
même lieu, 21H). « Plaisir d'amour » ou un florilège de chansons de
Piaf, Scotto, Rota, mais aussi de Schubert ravira les seniors (1/7, Résidence
Les Mimosas, 15H), puis « Vertigo » les plus aventureux, puisque
juxtaposant 12 Notations de Boulez, jouées par Sébastien Vichard, piano, et des pièces de clavecin de Bach, Rameau,
Royer par Jean Rondeau (Grand Théâtre, 18H), enfin ce seront les
« Vertiges de l'amour », allant de Purcell à Schoenberg, de Brahms à Messiaen (Église de Rayssac, 21H). « Chants de l'amour triomphant »
proposeront, entre autres, le Poème de Chausson, le Quatuor avec
piano op. 47 de Schumann, et Bribes de Laurent Petitgirard
(2/7, Musée Toulouse Lautrec, 18H30) et « Tourbillons de la vie »
concocteront un mélange aussi improbable que détonnant de musiques de JS. Bach,
Piazzolla, Carlos Gardel, Mahler, Marcello Nisinman
(même lieu 21H), suivi d'un pot de clôture anniversaire dans le hall du Grand
Théâtre (23H). Tout cela sans compter les ''concerts impromptus'' et les
''moments d''amitié''. De quoi « faire aimer l'amour » prédit Denis
Pascal. Du 27 juin au 2 juillet 2016, divers
lieux Renseignements et réservations :
par tel : 05 63 38 55 56 : en ligne : www.sn-albi.fr ou www.tons-voisins.com 2 / 7 - 4 / 8 Les Promenades musicales du Pays
d'Auge Pour cette édition, le Festival
se déroulera essentiellement en juillet, dans l'esprit et pour fêter un des
illustres et fantasques enfants augerons : Erik Satie, originaire de Honfleur.
Les principaux moments en seront : Une spectacle intitulé « Le ventre de
Paris », ''comédie musicale'' philosophico-burlesque sur la gastronomie
française ou les tribulations d'un gourou d'une communauté secrète réunissant
autour de lui trois fidèles pour célébrer une cérémonie dédiée à la gourmandise.
La Clique des Lunaisiens (quatre chanteurs, trois
instrumentistes) sera à la manœuvre (2/7, Théâtre de Lisieux). Puis une rencontre avec Michel Butor, dont on
célèbre cette année les 90 ans, un des pilier du
Nouveau roman (8/7, Médiathèque de Honfleur). On donnera les Goyescas d'Enrique Granados dans une exécution mêlée
de textes. En effet, entre chacun des tableaux de l'œuvre, jouée par
Jean-François Heisser, Michel Butor évoquera les Caprices
de Francesco Goya, série de 80 gravures, autant de satires de la société
espagnole de la fin du XVIII ème siècle, dont
Granados s'est inspiré pour composer cette œuvre (9/7, Greniers à sel
Honfleur). L'orchestre de l'Opéra de Rouen jouera les symphonies Nos 1 et 2 de
Beethoven et accompagnera le ténor Yann Beuron dans
des mélodies de Saint-Saëns (10/7, Théâtre du Casino Barrière de Deauville).
Une promenade et délices champêtres ''au jardin d'Erasme'' aura lieu le samedi
16 juillet au
château de Pierrefitte-en-Auge dont le domaine est une sorte de jardin d'Eden :
alterneront un récital de violoncelle seul (sonates de Bach et de Britten) et
une promenade entre musiques et textes... et buffet. Le Trio Dali donnera des
trios de Beethoven et de Mendelssohn (17/7, Couvent de Augustines à Orbec).
Comme chez Marcel Proust, « un salon musical au
XIX ème siècle » sera l'occasion d'entendre la
violoniste Deborah Nemtanu et le pianiste Romain Descharmes jouer les Sonates de Debussy et de Franck, outre
la Méditation de Thaïs de Massenet et Tzigane de Ravel (22/7,
salle des fêtes de Cabourg). Thibault Cauvin, le jeune guitariste qui
monte, jouera Scarlatti, Piazzolla, Albeniz et ses
propres compositions (23/7, Église de Courtonne-le-Meurdac).
La journée Satie aura lieu le
dimanche 24 juillet et se déclinera en trois volets : à 14 H, à l'Église :
Messe des Pauvres, suivie du Prélude du fils des étoiles, puis
à 17H30, au cinéma : ''cabaret Satie'', savoir mélodies, chansons et pièces
pour piano, entrelardées de projections de Meliès ;
enfin devant ledit cinéma : Buffet blanc au rythme du piano-jazz. Car « je ne mange que des aliments blancs », disait
Satie. Un anniversaire, donc, pour fêter la musique étonnante et les écrits
percutants d'un personnage fantasque, certes, mais unique! (Pont-L'Évêque). Et tout
finira par « un Banquet pour Madame
Bovary », autrement dit un repas animé suivi d'un concert, avec
quadrilles, valses et chansons du XIX ème siècle,
autour d'Emma Bovary et de Gustave Flaubert, par la Compagnie Les Frivolités
Parisiennes. Ce sera à Bernay, aux confins de la Haute et de la Basse
Normandie, naturellement liées au Pays d'Auge (31/7, Abbatiale). A noter, en
parallèle, deux actions pédagogiques : le piano-Van, outil de médiation
culturelle et artistique itinérant (une voiture de tourisme munie d'un piano droit
et de quelques accessoires), aux fins de diffusion territoriale ; et un projet
pédagogique monté pour les 150 ans d'Erik Satie. Du 2 juillet au 4 août, divers
lieux, horaires variables Renseignements et réservations :
Association Culture et Patrimoine, 1410, route du Manoir Gosset, 14340
Saint-Ouen-Le-Pin ; par tel.: 02 31 31 06 00 ; en
ligne : www.pays-auge-culture.org ;
promenadesmusicales@pays-auge-culture.org 12 / 7 – 24 / 8 Le Festival de la Vézère Le 36 ème Festival
de la Vézère propose de la mi-juillet à la fin août 18 concerts dans 14 lieux
différents, dont le Château de Saillant, épicentre de la manifestation,
présidée par sa propriétaire et directrice Isabelle de Saillant. Il rayonnera
largement sur la Corrèze. La programmation brillante est ouverte à tous les
publics. Elle débutera par l'Orchestre Mozart de Toulouse qui proposera un
programme espagnol dont le Concerto d'Aranjuez joué par Emmanuel Rossfelder (12/7, Théâtre de Brive-La-Gaillarde). Puis le
jeune prodige Kit Amstrong se produira lors d'une
soirée faste puisqu'offrant deux des grands morceaux du répertoire pianistique,
la Sonate de Liszt et les Variations Goldberg de JS. Bach (16/7,
Château du Saillant). Le festival accueillera l'Orchestre symphonique de la
Garde Républicaine et la soprano sud-africaine Pumeza
qui chantera, entre autres, des airs de La Bohème de Puccini, de Rusalka de Dvořák
et de Carmen, entourant la Symphonie du Nouveau Monde (19/7,
Trois Provinces à Brive-La-Gaillarde). Plusieurs soirées permettront d'écouter
les lauréats du CNSMD de Paris : des élèves de la classe de violoncelle de
Raphaël Pidoux dans des trios et quatuors
d'Offenbach, Tortelier, Bréval (22/7, Abbatiale
d'Uzerche), puis ceux de Philippe Bernold en musique
de chambre (27/7 :Chapelle du Saillant puis Chapelle
des Pénitents blancs de Donzenac ; 29/7 : Chapelle Saint -Blaise de Pompadour
puis Église d'Objat). Ces concerts sont l'occasion d'allier musique et
patrimoine, la chapelle de Saint-Blaise étant décorée par André Brasilier et celle du Saillant par Chagall. Des concerts de
chœur auront pour lieux l'Abbatiale d'Aubazine (2/8 :
Chœur d'hommes Alexandre Nevsky de Saint-Pétersbourg)
et l'Église de Saint-Ybard (9/8 : Chœur corse de
Sartène).
Un duo insolite réunira
le violoncelliste François Salque et l'accordéoniste
Vincent Peirani dans un programme unissant répertoire
classique, tango et Jazz, de Piazzolla à des arrangements et improvisations sur
des thèmes hongrois (4/8, Église d'Allassac). Le
jeune celliste Edgar Moreau sera le soliste d'un concert de l'Orchestre
d'Auvergne avec le Premier concerto pour violoncelle de Hadyn (18/8 Collégiale de Turenne). Une soirée de
Schubertiades plongera les auditeurs au cœur du romantisme dans un programme
joué par la soprano Camille Poul, le clarinettiste
Raphaël Sévère et la famille Pascal, Denis au piano et ses deux fils, Aurélien,
violoncelle, et Alexandre, violon (19/8, Château du Saillant). La Misa Criolla clôturera le festival, chantée par des musiciens tout droit venus d'Argentine et de Bolivie
accompagnés du Chœur de Pampelune, gage d'authenticité (24/8, Cathédrale de
Tulle). Mais avant, un week-end opéra aura permis d'entendre et de voir la
troupe Diva Opéra dans deux représentations de Così
fan Tutte de Mozart et une de Don Pasquale
de Donizetti. Ces soirées présenteront comme toujours des jeunes interprètes
sous la direction du pianiste Bryan Evans (12 et 14 /8 : Così,
13/8 : Don Pasquale). Il faut signaler une
initiative intéressante que celle consistant à proposer à plusieurs groupes
d'enfants des centres sociaux-culturels de trois quartiers prioritaires de
Brive des rencontres autour du chant sous la direction de chanteurs anglais professionnels « Apollo 5 ». Le Festival de la
Vézère souhaite ainsi enrichir l'apprentissage de la musique et de l'anglais et
ainsi contribuer à faire découvrir à ces jeunes de nouveaux horizons. L'atelier
final devait donné lieu à deux concerts mêlant aux
voix des enfants celles des ces 5 artistes anglais
(28 et 29/5). Du 12 juillet au 24 août
2015, divers lieux, en soirée à 20H30 (sauf les 16/7 et 13, 14, 19/8 à 20H; 12/8, à 18H; et les 27, 29/7 à 17H30 & 20H30) Réservations : Festival de la Vézère,
10 Bd du Salan, 19100 Brive-la-Gaillarde ; par tel. : 05 55 23 25 09 ; en ligne : www.festival-vezere.com ;
contact@festivaldelavezere.com 22 / 7 – 7 / 8 Le Verbier Festival, la musique aux
et sur les sommets.... Pour la présentation
de la prochaine saison du Verbier Festival, son fondateur et directeur, Martin T:son Engstroem, avait donné
rendez-vous à l'Ambassade de Suisse à Paris. Il n'en faut pas moins pour
expliquer ce qu'est ce festival d'été pas comme les autres, qui opère au sein
des montages du Valais, dans ce petit village choisi. « Une
destination », dit-il, car c'est au bout de la route : « on y monte
et on en redescend, un point c'est tout ». Mais une fois parvenu sur le
plateau, à 1500 mètres d'altitude, quel bonheur ! La musique règne en maitresse
absolue au milieu d'une nature grandiose. L'histoire du Verbier Festival a
débuté en 1991 et la première édition lancée en 1994. Depuis, Verbier est le rendez vous du nec plus ultra de la musique dite classique.
Le directeur s'en est vite donné les moyens grâce à un carnet d'adresses bien
rempli ; et cela compte énormément dans le petit monde de la musique classique
où l'amitié reste une valeur sûre (Engstroem a fait
carrière, entre autres, chez un des majors du disque où il s'occupait des stars
maison, Abbado, Boulez, Pollini... mais aussi des
nouvelles signatures, Netrebko, Lang Lang, Hilary Hahn...). Mais il y a bien plus que cela : la
volonté indéfectible de promouvoir la jeune génération est un des moteurs de
l'institution. On ne compte pas les grands noms d'aujourd'hui éclos hier à
Verbier et passés par l'Academy du festival : Yuja Wang, piano, Patricia Kopatchinskaja,
violon, Sol Gabetta, Edgard Moreau, cellos, les voix d'Emöke Barath ou de Julia Lezhneva; sans parler du Quatuor Ebène ou des Modigliani. La liste
est immense. Et fructifie en permanence car les auditions sont innombrables,
par exemple dans le domaine du chant ou de la musique de chambre. Il y a à
Verbier deux orchestres en résidence, constitués ad hoc chaque année, recrutés
parmi les meilleurs instrumentistes d'Europe et des États-Unis. L'Orchestre du
festival, coaché par les premiers pupitres de l'Orchestre du MET de New York -
un joli résultat du travail fait et de l'amitié nouée avec le maestro James Levine -, se compose d'une centaine de jeunes musiciens de
18 à 28 ans, et est placé sous la direction artistique de Charles Dutoit. Il sera dirigé l'été prochain aussi par Jésus
Lopez-Cobos, Paavo Järvi, Yvan Fischer et Michael Tilson
Thomas. Par ailleurs, le Verbier Festival Chamber
Orchestra, composé d'anciens musiciens de l'orchestre du festival actuellement
en poste dans des orchestres du monde entier, se consacre à l'interprétation du
répertoire pour orchestre de chambre. Il est actuellement placé sous la
direction de Gabor Takacs- Nagy qui cédera aussi la
baguette à Marc Minkovski, Michael Tilson Thomas et Emmanuel Krivine.
La composante formation
est, on s'en doute, essentielle. La Verbier Festival Academy
attire quelques 300 jeunes entre 13 et 29 ans pour des stages de 3 à 5
semaines. Ils se perfectionnent lors de master class quotidiennes et
d'ateliers, et bénéficient d'une formation complète portant autant sur les
aspects musicaux que sur la gestion de carrière. L'Academy
qui permet notamment aux musiciens de se questionner sur la manière dont ils
peuvent faire vivre la musique classique en dehors de la salle de concert mais
aussi sur la façon dont ils peuvent eux mêmes devenir
de véritables acteurs au sein de la communauté, agit en vrai tremplin pour les
carrières de la jeune génération de musiciens. Un orchestre de jeunes : le
Verbier Festival Junior Orchestra a été créé en 2013, destiné à de jeunes
instrumentistes de 15 à 18 ans. La direction artistique en est assurée cette
année par Daniel Harding. En outre, le projet « Un violon dans mon
école », en partenariat avec le canton du Valais, offre à une centaine de
tout jeunes de se former à l'instrument par le biais de classes tri-hebdomadaires.
la musique éclot de
partout, quasi continument, à Verbier à raison de quatre concerts (payants) par
jour et de multiples évènements gratuits (répétitions, master class, ateliers).
Qu'on en juge au fil de ces quelques programmes phares ! Le concert d'ouverture
du Verbier Festival Orchestra, dirigé par Dutoit,
donnera à entendre La Symphonie Fantastique et le Concerto pour
violon de Brahms joué par Kyung Wha Chung (22/7). Puis ce seront deux opéras en version de
concert : Carmen dirigée par Dutoit avec Kate
Aldrich dans le rôle titre (25/7) et Falstaff dirigé
par Lopez-Cobos avec Bryn Terfel dans Sir John et une mise en espace de Claudio Desderi (29/7). Une constellation de moments d'exception :
récitals de Grigory Sokolof
(26/7), Yuja Wang (27/7), Andras
Schiff et le Verbier Festival Orchestra (28/7), Daniil Trifonov (31/7), Daniel
Hope pour un hommage à Yehudi Menuhin (1/8), le
Quatuor Ebène (27 et 29/7), le Jerusalem Quartet et
Andreas Ottensamer (27/7). On pourra encore entendre
des grands concerts symphoniques : la Troisième de Mahler (par Tilson Thomas, 7/8) ou un programme Wagner avec la soprano Anja Kampe, 4/8). Sans oublier les Jeunes Artistes, ou les
grands noms de demain : « la Génération Verbier ». Dont un tout jeune
prodige, Daniel Lozakovitj d'origine kirghize, qui du
haut de ses 15 ans, a animé le programme musical de cette présentation (deux
pièces de Bach, un Caprice de Paganini et le Scherzo de Kreisler)
et donnera son premier récital le 27 juillet prochain. « Le cadre fait
toute la différence » conclut Martin Engstroem,
de ce festival dont l'autre particularité est de ne pas se dérouler en milieu
urbain. Nonobstant le nombre de stars au m2, il y règne une atmosphère des plus
décontractées. Courez-y ! Du 22 juillet au 7
août 2016, Verbier (Suisse ; canton du Valais, à proximité de Martigny ) : Salle de Combins,
Église. Trajet SNCF par TGV Lyria Paris-Lausanne; puis train Regio pour
Martigny. Renseignements et
réservations. Par courrier : Billetterie du Verbier Festival Case Postale,
CH-1936 Verbier ; par Fax : 00 41 (0)848 771 883 ; par tel. : 00 41 (0)848 771
882 (du lundi au vendredi, de 11h à 17h) ; en ligne : www.verbierfestival.com
Saison 2016 -2017 de l'Opéra de Nancy : légèreté à
tous les étages
Lors de sa
traditionnelle conférence de presse parisienne, Laurent Spielmann,
le directeur de l'Opéra de Lorraine, a dévoilé les grandes lignes de sa
prochaine saison. En ces temps de disette budgétaire et de désintérêt du
politique pour « la musique savante », notre homme ne baisse pas le
bras, loin de là et dit vouloir créer le bonheur là où règne le pessimisme. En
concoctant un programme faisant place à l'idée de légèreté, déclinée au fil
d'un chapelet d'œuvres qui n'ont rien de traditionnel. Il faut savoir qu'avec
un budget de d'environ 15M d'Euros et une équipe de 175 personnes, dont 66
musiciens d'orchestre, on tient un format certes réduit, mais qui est peut-être
une chance, celle d'un travail approfondi. Légèreté donc, ce qui ne veut pas
dire petits riens ! Ainsi des deux œuvres en miroir qui ouvrent la saison : L'Heure
espagnole et Gianni Schicchi. Un
improbable double bill ? Pas tant que cela. Car le metteur en scène Bruno Ravella a imaginé un dispositif scénique original
permettant de relier les deux pièces de Ravel et de Puccini, à partir d'une
curieuse horloge... (du 27/9 au 6/10). Vient ensuite pour les fêtes, Geneviève
de Brabant, opéra-bouffe d'Offenbach, en coproduction avec l'Opéra de
Montpellier dans la mise en scène de Carlos Wagner (du 27/12 au 3/1). Puis
Il Matrimonio segreto de
Cimarosa, confié a Sascha Goetzel, direction, et Cordula Däuper, régie ; une occasion rare de savourer un petit chef
d'œuvre giocoso (du 31/1 au 9/2). Le ''clou'' de la saison, on le devra à un
opéra russe Le Coq d'or, une des partitions les plus fascinantes de
Rimski-Korsakov, mêlant poésie et fantastique. Laurent Pelly est le régisseur
tout désigné pour conter cette histoire de Tsar fatigué mais toujours amoureux,
guidé par un diabolique astrologue (du 12 au 21/3). Cet opéra est coproduit
avec La Monnaie de Bruxelles qui aura initié le spectacle en décembre. C'est
que l'Opéra de Nancy est désormais bien reconnu comme une scène qui compte. Les
régisseurs d'importance se plaisent à y venir travailler et les autres maisons
françaises et étrangères n'hésitent pas à coproduire ou à emprunter telle
production nancéenne. On pense à l'extraordinaire Orfeo
de Luigi Rossi, vu cette année et qui sera donnée bientôt à Versailles, à
Bordeaux et à Caen avec les forces de Pygmalion dirigé par Raphaël Pichon.
On poursuivra avec Semiramide de Rossini, un choix plus austère,
pas moins séduisant lorsqu'on sait que le contre-ténor star Franco Fagioli a souhaité effectuer la prise du rôle d'Arsace, immortalisé par des contraltos féminins célèbres
dont Marilyn Horne. La pièce bel cantiste sera
dirigée par Domingo Hindoyan et produite par Nicola
Raab, une metteuse en scène dont on sait les idées originales (du 2 au 11 mai).
C'est Ariadne auf
Naxos de Richard Strauss qui clôturera la saison dans une production
nouvelle due à David Hermann et dirigée par le chef maison Rani Calderon (du 6 au 15/6). Laurent Spielmann
invite aussi à venir assister aux récitals ''Une heure avec...''. Et à ne pas
manquer les programmes symphoniques de l'Orchestre de Nancy donnés dans la
salle Poirel, un bel exemple d'art nouveau, qui fut
au début du XX ème siècle un creuset de musique de
chambre. Renseignements et
réservations : par correspondance = Billetterie, 1 rue Sainte- Catherine, 54000
Nancy ; au guichet : place Stanislas, Nancy ; par tel. : 03 83 85 33 11 ; en
ligne : www.opera-national-lorraine.fr Jean-Pierre Robert.
*** PAROLES D'AUTEUREine Alpensinfonie : de l'Antéchrist à la Nature éternelle « J'ai enfin appris à orchestrer » (1), affirma Richard Strauss lors de la répétition
générale de Eine Alpensinfonie (Une Symphonie alpestre) avant sa
création en octobre 1915. Par ces mots, le compositeur semblait affirmer à la
fois sa totale satisfaction face au résultat musical qu'il venait d'atteindre
dans la maîtrise du grand orchestre symphonique – soulignant habilement en
passant tout le processus d'évolution de la technique d'orchestration qu'il
avait construite depuis près de trente ans (2) et pour laquelle il était unanimement reconnu
comme un grand maître –, mais aussi, en raison d'une écriture virtuose mais
dénuée de surenchère technique, son désir de revenir à une orchestration
maîtrisée, loin des brillants excès de Salomé
ou d'Elektra (3). Strauss
désirait dédicacer cet ultime poème symphonique à Ernst von Schuch, chef de
l'orchestre de Dresde et créateur de ses grands opéras, Salomé, Feuersnot, Elektra et Der Rosenkavalier, mais sa disparition soudaine en mai 1914
bouleversa le projet du compositeur. L'œuvre fut donc dédiée à l'Orchestre
royal de Dresde (Königlichen Kapelle zu
Dresden) et à son intendant, le comte Nikolaus Seebach. La création, sous
la direction de Strauss, ne put se tenir à Dresde en raison de l'absence
d'orgue dans la salle de concert de l'orchestre (4).
Elle eut finalement lieu à la Philharmonie de Berlin installée à la Bernburger
Strasse le 28 octobre 1915 avec la Dresdner Hofkapelle.
Culte panthéiste et tragédie de l'artiste Très appréciée de Strauss, au point qu'il en
recommandât l'écoute à Hofmannsthal (5),
Eine Alpensinfonie est longtemps
restée une œuvre fétiche du compositeur, qu'il chercha à donner en concert à
plusieurs reprises à l'occasion d'événements prestigieux, même si pendant
longtemps, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, on eut tendance à
considérer cette œuvre comme représentative des excès musicaux et
psychologiques du courant post-romantique, sorte de musique surdimensionnée,
déconnectée de la réalité du monde et plus apparentée à la carte postale
musicale qu'à une grande symphonie à connotation descriptive. C'est
d'ailleurs par cette œuvre que Strauss, après la période de « dénazification »,
voulut revenir dans le monde de la musique occidentale en marquant l'événement
d'une manière aussi impressionnante que possible. À l'automne 1947, à
l'occasion d'un festival donné en son honneur à Londres, il indiqua
« préférer diriger la Symphonie
alpestre », même si des difficultés matérielles, notamment pour la
constitution du grand orchestre, en rendirent la réalisation impossible et
poussèrent à son remplacement par la Sinfonia
domestica de 1903 (6). Eine
Alpensinfonie est une œuvre
à programme comme Richard Strauss n'en avait encore jamais composée
jusque-là. La présentation extérieure propose vingt-deux sous-titres retraçant
autant d'épisodes à l'occasion d'une excursion d'une journée en montagne, qui
justifient l'étonnante variété du traitement orchestral. Avec son
instrumentation exceptionnelle et son écriture instrumentale virtuose, cette
œuvre apparaît comme un aboutissement de l'orchestre romantique. Mais, derrière
l'image un peu naïve véhiculée par le titre et les sous-titres (7) se cache en fait une œuvre dionysiaque qui trouve son origine dans
l'influence qu'avait la pensée de Nietzsche sur le jeune Strauss. Ainsi, dans
une remarque rapportée par Willi Schuh, Strauss indiquait :
« J'intitulerai ma Symphonie
alpestre l'Antéchrist car il y a en elle une
purification morale qui vient de ses propres forces, une délivrance par le
travail et le culte de la nature, éternelle et glorieuse » (8). Mais, de nos jours, il peut sembler vain de
rechercher dans cette partition la trace de ces pensées élevées car Strauss
lui-même en a préservé l'auditeur en éliminant toute référence à une quelconque
idée philosophique et en proposant les nombreux sous-titres réalistes évoqués
précédemment, qui s'enchaînent dans la partition plus rapidement que dans
n'importe quel autre poème symphonique antérieur, donnant ainsi, à première
vue, l'idée d'un catalogue d'images pittoresques de petit format à l'intérieur
d'un cadre élargi. Pourtant, le montagnard évoqué
dans cette œuvre (dont on ne sait rien et qui pourrait être Strauss lui-même),
qui entreprend tel un Wanderer
romantique son périple dans la montagne alpine, semble être un être dionysiaque
à qui la nature se manifeste directement, sans intermédiaire, et qui est pris
d'une immense satisfaction face à ses manifestations variées. Le culte
de la nature mentionné par Strauss y apparaît en filigrane au travers d'un
hommage panthéiste. Même si les premières idées liées à Eine
Alpensinfonie remontent à 1900, la composition elle-même n'eut lieu qu'une
décennie plus tard, essentiellement entre 1911 et 1915. Entreprise après
l'immense succès de Der Rosenkavalier,
son écriture est intervenue parallèlement à la composition d'Ariadne auf Naxos (1912-1916), à une
époque où Strauss, se languissant de ne pas recevoir d'Hofmannsthal de texte à
mettre en musique, cherchait un dérivatif en reprenant des projets anciens,
notamment celui d'un poème symphonique intitulé Künstler-Tragödie (La tragédie d'un artiste) (9) esquissé en 1902, mais qui
avait pris forme dans sa tête depuis deux ans déjà. En janvier 1900, de Berlin
où il était devenu premier chef de l'orchestre de la cour, il écrivit à son
père : « Tout au fond de mon cœur sommeille un poème symphonique qui
s'ouvrira sur un lever de soleil en Suisse. Pour le moment il n'en existe que
l'idée (tragédie amoureuse d'un artiste) et quelques thèmes » (10). Ce projet, sur lequel il
travailla à partir de l'été suivant, révèle deux éléments importants qui auront
des conséquences sur la composition future de Eine Alpensinfonie. D'une part, Strauss n'avait pas renoncé au
genre du poème symphonique après Ein
Heldenleben, créé en mars 1899 – même s'il avait envisagé un retour au
genre de la symphonie avec une « Symphonie du printemps » dès mars
1898 ; d'autre part, la thématique de l'artiste-héros, présente sous
différentes formes dans tous ses poèmes symphoniques antérieurs et portée à son
point culminant dans Ein Heldenleben,
était encore bien ancrée en lui comme élément déclencheur de son processus
créatif. Dans le cas de la Künstler-Tragödie,
elle prenait une forme particulière à la fois réaliste et idéale
puisqu'elle permettait d'unir symboliquement encore plus Strauss à Wagner dans
le sens où l'œuvre projetée aurait pu devenir le « Tristan » du
compositeur bavarois (11). Intitulé par la suite Tragédie amoureuse d'un artiste (à la mémoire de Karl Stauffer), ce
poème symphonique devait évoquer la véritable destinée d'un artiste-héros
talentueux qui fut soutenu financièrement par un couple de mécènes suisses,
Emil et Lydia Welti. Devenu l'amant de la femme, Stauffer fut par la suite
poursuivi et emprisonné avant de se suicider, bientôt rejoint dans la mort par
sa maîtresse qui mit également volontairement un terme à son existence dans une
sorte de Liebestod totalement
assumée. Tous les ingrédients wagnériens symboliques et réels étaient réunis
ici pour un nouveau Tristan, qui ne
vit finalement pas le jour mais dont certains éléments composés de la première
partie – celle évoquant l'enfance insouciante de l'artiste dans les Alpes
suisses – allaient reparaître plus tard dans Eine Alpensinfonie.
Strauss et le poème symphonique Dixième et dernier poème symphonique de Richard Strauss (12), Eine Alpensinfonie conclut brillamment la série d'œuvres à
programme que le compositeur avait entreprise dès 1886 et qui devait lui
assurer une célébrité exceptionnelle déjà de son vivant. Le recours régulier au
genre du poème symphonique, qui pouvait servir d'échappatoire à la copie
d'œuvres wagnériennes (13), a été chez Strauss l'un des signes les plus
visibles et les plus efficaces de sa conversion aux idées de la « Musique
de l'avenir » qui allaient désormais investir ses œuvres et le mener sur
le devant de la modernité musicale. De
Aus Italien en 1886 – fantaisie en forme de symphonie en quatre mouvements
liés aux souvenirs d'un voyage en Italie, mais qui devait « assurer le
lien entre l'ancienne et la nouvelle manière » –, jusqu'à Eine Alpensinfonie, œuvre de longue
durée au programme narratif et pittoresque, Richard Strauss a conçu dix poèmes
symphoniques qui repensent et recréent à chaque fois le concept de
« musique à programme ». Cela affecte aussi bien le plan formel que
le recours à un élément extra-musical à chaque fois différent comme stimulus du
principe narratif, le tout étant renforcé par l'adéquation d'une orchestration
riche et colorée au contenu dramatique. Adaptant dans un premier temps les
principes lisztiens découverts auprès de Hans von Bülow et surtout d'Alexander
Ritter lors de son séjour à Meiningen, Strauss a compris l'importance de la
liberté formelle et de l'expression comme vecteur de la création musicale.
Ainsi, Don Juan, Macbeth, Tod und Verklärung,
Also sprach Zarathustra, Till Eulenspiegel, Ein Heldenleben et la Sinfonia domestica représentent-ils
autant d'étapes dans le triple développement de l'art du compositeur Strauss,
dans l'évolution de sa pensée musicale et dans l'affirmation de sa maîtrise de
l'écriture orchestrale. L'influence de Nietzsche Si le projet de composer le grand
poème de la nature que représente aujourd'hui Eine Alpensinfonie a réellement pris forme en 1901, l'idée même
d'écrire une symphonie en quatre mouvements (14) était venue à Strauss encore plus
tôt, dès mars 1898 avec un projet de « Symphonie du printemps » (15)
qui fut un temps envisagée à la suite de la composition d'Also sprach Zarathustra et sous la même influence nietzschéenne.
L'emprise du philosophe sur le compositeur fut considérable à cette époque au
point de mener Strauss à la rupture avec son mentor Alexander Ritter, qui lui
en avait déconseillé la lecture. C'est vraisemblablement par l'intermédiaire de
Bulöw – qui voulait le protéger de l'influence délétère de Schopenhauer et le
préserver de toute tentation de suivre aveuglément le modèle wagnérien – que
Strauss découvrit Nietzsche, et il fut certainement l'un des tout premiers
musiciens de son temps à en subir l'ascendant. Selon Joseph Gregor, en écrivant
Guntram en 1893, son premier opéra encore fortement teinté de wagnérisme mais qui
exaspéra toutefois les Wagnériens par la liberté provocatrice dont il fit
preuve dans le troisième acte (16), Richard Strauss, rompant avec
l'oppressante influence wagnérienne, « a définitivement franchi la sphère
de la rédemption dramatique en s'ouvrant au monde spirituel de Nietzsche »
(17).
Dès 1893, lors de son voyage en Égypte et en Italie,
Strauss avait ainsi découvert les écrits du philosophe et, pour lui, ses idées
figuraient, comme il l'écrivit par la suite à Cosima, « parmi les choses
les plus significatives qu'un cerveau humain peut concevoir ». Au-delà du
thème du Surhomme, qui était déjà présent dans ses précédents poèmes
symphoniques sous la figure changeante du héros, c'est également
l'anti-christianisme de Nietzsche qui trouvait un écho dans le violent athéisme
du compositeur. À cet égard, le dernier texte écrit par Nietzsche avant qu'il
ne sombre dans la folie – L'Antéchrist,
imprécations contre le christianisme – allait curieusement jouer un rôle
important dans la conception initiale de la future Eine Alpensinfonie. Écrit en 1888, l'ouvrage de Nietzsche ne parut
cependant qu'en 1895, peu avant que Strauss ne commence la composition d'Also sprach Zarathustra (18).
Bien qu'il se défendît d'écrire de la « musique philosophique »,
Strauss était néanmoins très sensible aux idées anti-chrétiennes développées
par le philosophe et, après le succès remporté par son poème symphonique,
« librement démarqué de Friedrich Nietzsche » (19),
son intérêt pour L'Antéchrist fut
éveillé par la parution en 1899 d'une nouvelle édition du livre qui avait été
préparée par l'un de ses meilleurs amis munichois, Arthur Seidl (20).
Dans son enthousiasme, l'idée
première de Richard Strauss fut d'écrire un poème païen sur la nature fondé sur
L'Antéchrist de Nietzsche. Commencée
en 1901, à partir de son projet de poème symphonique avorté consacré à la
tragédie de Karl Stauffel, l'œuvre fut alors conçue comme une pièce en quatre
mouvements destinée à glorifier le concept nietzschéen de « vivre dans les
montagnes ». Provisoirement intitulée L'Antéchrist :
une symphonie alpestre, Strauss voulait notamment y mettre en valeur
« les sentiments religieux de l'artiste face à la puissance de la
nature ». Dès les premières esquisses, il imagina la mise en parallèle
d'un hymne à la nature à une
vision du développement intérieur de l'artiste, réalisant ainsi une sorte de
synthèse entre deux de ses poèmes symphoniques marqués par l'empreinte
nietzschéenne, Also sprach Zarathustra
et Ein Heldenleben. Dans ses
premières idées, Strauss voulait insister sur des thématiques largement
exploitées au cours du XIXe siècle romantique, comme celle du
contraste existant entre le calme et l'apaisement de la nature face au tumulte
et à la douleur de la vie intérieure de l'artiste, ou comme celle de la
confrontation du sentiment religieux de l'enfance face à la nature…
Le projet s'appuyait sur un plan en
quatre mouvements où se mêlaient deux grandes idées nietzschéennes – la
création humaine et la nature – déjà confrontées dans Also sprach Zarathustra. Dans son carnet d'esquisses, sous
l'intitulé Les Alpes, Strauss y
détailla la trame suivante, qui évoque de manière superficielle une ascension
dans les Alpes et qui anticipe largement sur le scénario final de Eine Alpensinfonie. À lui seul, le
premier mouvement annonçait tous les éléments du futur poème symphonique (I.
« Nuit et lever du soleil / ascension : forêt (chasse) / cascades
(fée des Alpes) / champs couvert de fleurs (bergers) / glacier / orage/
descente et calme ». Cet hymne à la nature était cependant immédiatement
mis en contraste avec la vie intérieure torturée de l'artiste qui perçoit ses
premières idées artistiques dans un état d'esprit où se mêlent « les
souvenirs de l'enfance, les sentiments religieux face à la nature », mais
aussi « l'impuissance et la consolation ». Dans le deuxième
mouvement, l'Antéchrist devait « révéler les plaisirs ruraux :
danses, musique populaire, procession » (II. « Réjouissances et
danses campagnardes »). Le troisième mouvement offrait une vision onirique
en présentant l'artiste en proie à des délires nocturnes (III. « Rêves et
fantômes, d'après Goya »), avant qu'il n'atteigne le but désiré dans le
dernier mouvement (IV. « Libération par le travail : création
artistique »). Ce projet qui, en quelque sorte, complétait le portrait du
Héros présenté peu auparavant dans Ein
Heldenleben (1898-1899), faisait de la puissance artistique le moteur de
l'évolution et de l'indépendance humaines. Réactivant en mai 1911 le projet qui
était resté sans suite, Strauss fit évoluer le destin de son héros en soulignant
le fait que celui-ci devait trouver sa libération non plus dans la création
mais dans la nature elle-même, ce qui pourrait expliquer la limitation de Eine Alpensifonie au contenu du seul
premier mouvement, expurgé de tout message philosophique ou métaphysique
apparent. Impatient de se lancer dans une nouvelle production avec Hofmannsthal
qui tardait à lui envoyer des textes à mettre en musique, Strauss reprit donc
sans conviction réelle son ancien projet de symphonie (21)
et le fit évoluer vers ce qui en constitue aujourd'hui la version définitive.
Il supprima le projet des mouvements 2, 3 et 4 ainsi que le thème salvateur de
la création artistique, mais il conserva le titre général de L'Antéchrist jusqu'aux finitions de
l'œuvre en août 1913. Le retrait in extremis
du titre original qui avait accompagné les esquisses pendant près de quinze ans
était peut-être dû au désir de Strauss de ne pas exprimer publiquement ses
idées privées en matière de religion (22) alors qu'il occupait un poste
officiel en tant que Kapellmeister de
l'Orchestre de la cour à Berlin, l'un des plus prestigieux orchestres allemands
de l'époque. Avec son mouvement unique constitué
de 22 sous-parties enchaînées, Eine
Alpensinfonie ne conserve donc du projet initial que l'ascension montagnarde du premier mouvement. Programmée sur une
journée complète, de la nuit à la nuit suivante, cette ascension établit un
parallèle avec la vie humaine, parsemée d'embûches, de doutes, de peurs, mais
aussi de progressions, de satisfactions et d'ivresses. Il est donc important de
replacer « l'excursion » en montagne que représente la version finale
de Eine Alpensinfonie dans sa longue
genèse afin d'en apprécier au mieux la valeur intrinsèque car, malgré l'abandon
de l'ambitieux projet initial au profit d'une apparente et réductrice carte
postale sonore, son titre premier d'Antéchrist
reste une clé de compréhension majeure voire indispensable pour comprendre une
œuvre qui s'avère être en soi la plus nietzschéenne composée par Strauss, une
œuvre qui, finalement, a tenté de dépasser le mysticisme traditionnellement
associé à la nature. De nombreux commentateurs, ignorant l'origine complexe de Eine Alpensinfonie, ont attribué la
dimension purement pittoresque et narrative de l'œuvre à une supposée
incapacité de Strauss à transcender le monde matériel. D'où l'accueil réservé
voire ironique de la critique lors de la création, qui était à l'opposé du
public qui apprécia pour sa part largement la puissance de l'œuvre et ses
étonnantes descriptions de la nature à l'occasion des nombreuses exécutions qui
suivirent en Allemagne. L'orchestre de Eine Alpensinfonie L'orchestre utilisé dans Eine Alpensinfonie est l'un des plus
vastes développés par Richard Strauss. Tel qu'il est indiqué sur la partition,
l'effectif instrumental comptabilise 109 instrumentistes (23)
auxquels peuvent s'adjoindre 16 instruments en cuivre hors scène
(éventuellement issus de l'orchestre) et le doublement possible de 7
instruments en bois et de 2 harpes, ce qui représente un total maximum de 134
instrumentistes (24). Parmi les instruments rares
destinés à créer un effet descriptif figurent la cloche de troupeau, la machine
à vent (25) et la machine à tonnerre. Cet
orchestre élargi, comparable à celui des grands ouvrages postromantiques de la
même époque (Mahler, Stravinski…) mais aussi des ouvrages contemporains de
Strauss (Ein Heldenleben, Sinfonia
domestica, Festlisches Präludium op. 61…), est représentatif de l'esprit
« supra-classique » de l'instrumentation dans lequel l'orchestre
assume un équilibre orchestral fondé approximativement sur le double numérique
de l'effectif classique d'un Haydn ou d'un Beethoven (26).
Outre la large variété d'instruments et de timbres que l'on y trouve, ce vaste
effectif permet au début du XXe siècle un jeu nouveau de doublures
instrumentales et une profusion polyphonique inconnue à l'orchestre auparavant.
Cependant, malgré l'emploi de cette formation large aux ressources élaborées,
cette œuvre ne connaît pas véritablement l'excès de peinture sonore
illustrative que les sous-titres pourraient suggérer. Car, et c'est là
l'essence même de l'art straussien en matière d'écriture orchestrale,
l'orchestration n'est jamais conçue chez lui comme une fin en soi ; elle
est toujours mise au service de l'idée poétique selon un principe lisztien appris
autrefois auprès de Bülow et de Ritter.
Signalons en outre un élément
particulier lié à l'instrumentation de Eine
Alpensinfonie. Strauss recommande, comme pour le Festliches Präludium, l'utilisation de l'aérophor (27)
pour faciliter les longues tenues des vents. Il s'agit d'un système récent à
l'époque, breveté en 1912 par le flûtiste néerlandais Bernhard Samuel, qui
consiste à actionner un soufflet avec le pied afin d'amener régulièrement de
l'air par un tuyau vers un coin de la bouche de l'instrumentiste, tout en lui
permettant de respirer librement et de manière ininterrompue par le nez (28).
Alors que l'œuvre avait connu une
genèse de plus de dix ans avant de connaître sa version définitive,
l'orchestration du poème symphonique a, pour sa part, été réalisée rapidement,
en cent jours seulement entre le 1er novembre 1914 et le 8 février
1915, alors que Strauss finissait la seconde version d'Ariadne auf Naxos et travaillait déjà à la composition de Die Frau ohne Schatten, sa troisième
collaboration avec Hugo von Hofmannsthal. Le
scénario d'une journée en montagne Eine
Alpensinfonie offre plusieurs lectures possibles entre celle
qui, s'appuyant sur les sous-titres, privilégierait un scénario quasi
cinématographique d'images musicales variées et pittoresques insérées dans un
grand mouvement continu, ou celle qui, en dehors des indications
programmatiques, chercherait à appréhender l'homogénéité de l'œuvre en tant que
vaste construction symphonique, ou celle encore qui comprendrait son organisation
formelle comme une succession de différentes formes symphoniques (introduction
lente, rondo, variations, scherzo…) et qui révèlerait, comme mis en abyme, un
plan sous-jacent de forme-sonate ou de forme symphonique en quatre mouvements.
Le scénario musicalisé proposé ci-dessous s'attache à suivre au plus près le
programme tel qu'il apparaît dans les sous-titres de Strauss. Nuit (Nacht)
et Lever du soleil (Sonnenaufgang) servent d'introduction lente.
L'organisation de la Nuit est
remarquable avec sa superposition aux cordes sur trois octaves d'une gamme
complète dissonante de si bémol
mineur, suivie d'un élargissement gradué de cette gamme par accroissement
rythmique et mélodique à la manière du prélude de Der Rheingold de Wagner (2) (29). Par son
agitation progressive, ce fond sombre et ténébreux mène à l'éclatant Lever du soleil dont la mélodie
diatonique et homorythmique sera l'un des thèmes principaux de la partition
(7). La symphonie commence réellement au début de L'ascension (Der Anstieg), symbolisée par un thème de marche vigoureux (8 mesures avant
12) qui décrit la robustesse et l'intrépidité du Wanderer. Plusieurs des développements à venir seront bâtis sur ce
thème utilisé soit dans sa version originale, soit modifié par l'idée poétique.
Le premier point de repos est atteint avec L'arrivée
en forêt (Eintritt in den Wald)
(21) où un thème en forme de Lied de nature poétique et chaleureux, avec chants
d'oiseaux (27), rappelle les « Murmures de la forêt » de Siegfried. C'est le même esprit qui préside
dans la Marche près du ruisseau (Wanderung
neben dem Bache (2 avant 38), qui présente une extension musicale du thème
du Wanderer avec une ornementation
élaborée. Près des chutes (Am
Wasserfall) (3 avant 41) et
Apparition (Erscheinung) (42) terminent la première partie
de l'ascension. Ce sont de courtes pièces enchaînées aux couleurs orchestrales
scintillantes (avec glockenspiel, célesta, harpes et cordes divisées) qui sont
organisées en forme de scherzo symphonique. Annoncé par une mélodie au cor (3
avant 46), Sur les prés fleuris (Auf
blumigen Wiesen) (47) ouvre
une nouvelle section de repos et de plénitude, véritable joyau d'écriture
orchestrale qui est prolongé par l'andante idyllique de Sur les pâturages (Auf
der Alm) (51) où l'on retrouve des réminiscences d'images de la
Nature empruntées à Mahler, avec l'utilisation de la cloche de troupeau et des
yodle. Quoique volontairement naïve dans son figuralisme descriptif,
l'orchestration est ici d'une grande subtilité sonore avec des trilles et des flatterzunge (roulement lingual
produisant un effet de t rémolo) aux bois qui enrichissent la portée symbolique
de cette pièce. Suit alors une série des sections
plus mouvementées décrivant la rudesse et les dangers de la montagne : Perdu dans les fourrés (Durch
Dickicht und Gestrüpp auf Irrwegen) (59), Sur le glacier (Auf dem Gletscher) (3 av 68) et Moment
dangereux (Gefahrvolle Augenblicke) (4 av. 72). Ils représentent le point culminant du
développement artistique du thème du Wanderer.
Strauss y insère des passages fugués comme à chaque fois qu'il veut décrire le
portrait d'un être dans le besoin, perdu dans ses pensées ou dans la forêt (30). Le même matériau thématique apparaît sous différentes formes qui
contrastent les unes avec les autres et qui accentuent l'impression d'une
montée difficile. Cela continue sans repos et de manière angoissante jusqu'à la
fin de l'ascension et l'arrivée Sur le
sommet (Auf dem Gipfel)
(5 après 76) où la tranquillité est enfin atteinte. Après avoir été annoncé
triomphalement par les trombones sur des accords brisés (6 après 76), le
caractère de la musique change et laisse place à une simple mélodie de hautbois
sur fond de trémolos de cordes qui traduit, avant sa prodigieuse amplification
orchestrale, l'ivresse que la Nature provoque face à l'immensité de sa
puissance.
Sur le sommet, la Vision (4 av 88) offerte par le
spectacle d'une Nature éternelle et immuable propulse l'œuvre vers l'apogée
musical le plus important de toute l'œuvre. Le tempo ralenti et l'opulence de
l'orchestration riche en effets et en couleurs irisées impriment à ce passage
une incomparable majesté. Mais l'ivresse du sommet est troublée par de
nouvelles images contrastées qui s'expriment au travers de nouveaux effets
musicaux lorsque Le brouillard se lève
(Nebel steigen auf)
(97). À la manière des brusques changements météorologiques que l'on rencontre
en montagne, Strauss alterne soudainement différents passages en reprenant des
éléments thématiques déjà entendus auparavant dans Le soleil s'assombrit (Die Sonne verdüstert sich allmählich) (98), Élégie (100) et Calme avant
la tempête (Stille vor dem Sturm) (4 après 103). Musicalement bien pensée,
l'inversion et la diminution du thème de l'ascension marque le début de la
redescente, qui se fait sous l'orage. L'unité de ce long passage est réalisée
sous un seul sous-titre : Tempête
et orage, descente (Gewitter und Sturm, Abstieg) (3 av 110). On trouve dans cette
section brillante et virtuose de nombreux détails d'orchestration
insolites : flatterzunge aux
bois (3 av 110), effets d'éclairs aux trompettes, clarinette en mi bémol et piccolos (110), orgue en
plein-jeu, instrumentation fortissimo
(fff) pour l'apogée sonore (124) avec
machine à vent et machine à tonnerre pendant quelques mesures. Strauss réalise
là un des plus somptueux orages et l'un des plus réalistes de toute l'histoire
de la musique. Comme dans la nature, tout change en quelques instants et le fortissimo (fff) devient pianissimo (pp) sur l'image majestueuse du Coucher du soleil (Sonnenuntergang) (129), avec des trompettes
« solennelles » (130) qui annonce la Conclusion (Ausklang).
Il s'agit d'une coda (134) qui reprend avec ampleur les thèmes de
l'ascension et du lever du soleil, avant que la Nuit (7 ap. 144) n'apparaisse de nouveau et reprenne dans une
nuance piano la gamme de si bémol mineur superposée sur trois
octaves, à l'image des premières mesures de la partition.
Au-delà de cette lecture linéaire
privilégiant un mouvement continu, il est également possible de considérer
qu'entre les deux extrémités de l'œuvre qui caractérisent de manière identique
la même idée (la nuit), Strauss ait conçu un grand mouvement symphonique
reprenant l'idée d'une symphonie en un mouvement avec un allegro rapide dans
les sections extrêmes, entre lesquelles s'intercalent des intermèdes en forme
de scherzos, des andantes idylliques et, au centre, au moment de l'arrivée sur
le sommet, un splendide adagio expressif. Le plan quasi symétrique de cette construction
serait ainsi le suivant : Introduction lente : Nuit + Lever du soleil Allegro : L'Ascension, L'arrivée en forêt, Marche près
du ruisseau Intermezzo (scherzo) : Près des chutes, Apparition, Sur les prés
fleuris Andante : Sur les pâturages de montagne Intermezzo (scherzo) : Perdu dans les fourrés, Sur le glacier,
Moment dangereux Andante : Sur le sommet, Vision Intermezzo (scherzo) : Le brouillard se lève, Le soleil s'assombrit Adagio : Élégie, Calme avant la tempête Allegro : Tempête et orage – descente Coda lente : Coucher du soleil, Conclusion, Nuit Traduire la nature Pour un disciple de Nietzsche comme l'était Strauss, l'idéal
beethovénien de la nature qui rapproche l'homme de Dieu n'était plus de mise.
De même, Strauss n'avait plus besoin de voir, comme chez Liszt ou Wagner, une
transcendance divine dans la nature car sa vision émancipée du monde était
fondée uniquement sur une conception prométhéenne de la nature sans dieu, idée
qu'il partageait d'ailleurs avec plusieurs de ses contemporains, notamment
Mahler qui, dans sa Symphonie n° 3
utilise de nombreuses citations de Nietzsche, retirées par la suite. Achevée en
1896, cette œuvre est d'ailleurs contemporaine d'Also sprach Zarathustra de Strauss. Mais, au-delà de
sa thématique, peu banale pour une symphonie, il y a à l'intérieur de la
partition de Eine Alpensinfonie tout
en ensemble d'éléments destinés à renforcer l'évocation de la nature. Strauss
utilise évidemment ses dons d'orchestrateur pour traduire de manière évocatrice
ou réaliste les éléments de la nature. Il le fait de plusieurs manières, dont
voici quelques exemples. Il utilise tout d'abord des
moyens instrumentaux, avec la présence d'une cloche de troupeaux, élément un
peu naïf voire kitsch de nos jours, mais qui donne un relief tout particulier
au passage concerné. Il emploie également des percussions suggestives comme la
machine à vent et la machine à tonnerre. La première est présente dans deux des
passages les plus impressionnants de la partition (Calme avant la tempête et Orage
et Tempête). L'effet trouve son point culminant avec l'entrée en jeu de la
machine à tonnerre, qui n'intervient que sur deux mesures dans un tutti de notes tenues jouées fortissimo. Au même endroit, ainsi que
dans la partie finale de la partition, la présence de l'orgue, qui maintient de
puissants accords en plein-jeux, apporte une touche de religiosité aux
phénomènes naturels évoqués. La nature trouve aussi sa
transcription symbolique dans la présence de chants d'oiseaux stylisés et dans
la réminiscence d'œuvres marquantes. Dès l'Entrée
dans la forêt, on entend clairement aux instruments en bois des formules
rythmiques et mélodiques évoquant plusieurs chants d'oiseaux. Ces éléments
brièvement présentés ne connaissent aucun développement mais ils font penser à
ce qu'avait fait Beethoven dans le premier mouvement de la Symphonie Pastorale. On retrouve des idées similaires chez Mahler (Symphonies 1 et 3). Strauss procède aussi à une évocation des Murmures de la forêt de Siegfried
de Wagner (bruissements des arbres) ou de la Symphonie Pastorale (deuxième mouvement) dans la Marche près du ruisseau. Il utilise également ses dons
d'orchestrateur pour créer un sentiment de la nature et traduire certains de
ses éléments. C'est le cas dans Orage et
Tempête évoqué plus haut, mais aussi dans Près des chutes où il
applique une orchestration d'une étonnante légèreté avec son tutti (sans cuivres) mais avec
percussions et glockenspiel. Il en résulte un émiettement des idées thématiques
dans tout l'espace sonore avec des retombées mélodiques, des glissandos aux
cordes et harpes qui évoquent aisément le ruissellement de fines gouttelettes
d'eau qui rebondissent près des cascades, avec le mouvement plus violent des
masses d'eau qui s'entrechoquent en tombant. Enfin, la structure même de Eine Alpensinfonie est en cohérence avec
la nature elle-même puisque son organisation s'adapte au cycle solaire que l'on
suit au travers du déroulement d'une journée complète, de la fin de la nuit à
son retour en fin de journée. Ainsi les sous-titres 1 et 22 (Nuit) qui encadrent la partition
sont-ils conçus habilement sur le même principe musical, à savoir le long
déroulé d'une triple gamme de si
bémol mineur aux cordes qui descend diatoniquement pour se transformer en
immense cluster. Si le concept de la nuit est souvent présent en musique, sa
traduction musicale a souvent été évitée car elle semblait irréductible au
langage des sons. Wagner en avait donné un exemple dans Tristan und Isolde, mais en l'opposant au jour. Ici, Strauss en
donne sa propre version, qui reprend d'ailleurs quelques idées wagnériennes
avec l'élargissement de l'arpège qui s'accélère peu à peu et qui monte en
tessiture. Ce procédé évoque nettement le prélude de Das Rheingold et semble rattacher Eine Alpensinfonie à son idée métaphysique d'un son fondamental et
originel à partir duquel tout se construit et s'articule. L'effet est
saisissant lorsqu'apparaît le soleil qui, par contraste, utilise une mélodie
descendante fortissimo en écriture
homorythmique et homophonique. La tentation serait grande de ne voir dans Eine Alpensinfonie qu'une simple peinture musicale résultant de
l'admiration de Strauss devant la contemplation des beautés de la nature, lui
qui, Bavarois de naissance et ayant acheté une villa à Garmisch-Partenkirchen
en 1908, pouvait admirer le sommet du Zugspitze, le plus haut d'Allemagne, ou
les gorges étroites du torrent Partnach. Brillant orchestrateur, il
n'utiliserait donc son art que pour rendre d'admirables effets techniques et
peindre musicalement la nature d'une manière réaliste. Cette tentation
d'analyse serait cependant totalement erronée car l'idée musicale, bien que
provoquée par un stimulus extérieur, est toujours conduite chez Strauss par une
ambition esthétique. Et quand il veut traduire la nature dans Eine Alpensinfonie, il cherche avant
tout à démontrer que les thématiques a
priori triviales renferment en elles autant d'impulsions créatrices que les
thèmes empruntées à la littérature et que, du coup, la vie dans ce qu'elle a de
plus immédiat et de plus naturel avec ses richesses surabondantes a au moins
autant d'intérêt que les productions de l'esprit. Eine Alpensinfonie participe de cette démarche et, en raison de sa
genèse mouvementée, offre la particularité de satisfaire à la fois l'émotion
immédiate de la description pittoresque associée à une réflexion plus profonde
sur la place de l'homme dans le conflit qui l'oppose à la nature. Jean-Jacques Velly* (1) « Jetzt hab' ich endlich instrumentieren gelernt ». Cf. Ernst Krause, Richard Strauss, Der letzte Romantiker, Munich, Wilhelm Heyne
Verlag, 1963, p. 167. (2) De Don Juan
à la Sinfonia domestica, en passant
notamment par Also sprach Zarathustra
et Ein Heldenleben. (3) Norman Del Mar, Richard
Strauss, vol. 2, Londres, Faber and Faber, [1969], 1986, p. 106. (4) Dans une lettre du 15 juin 1915 à Hermann
Kutzschbach, le chef de l'orchestre de Dresde, Strauss indique que « dans
l'orage, le grand orgue de concert est un instrument indispensable ». Cité
par Stephan Kohler, dans Richard Strauss, Eine
Alpensinfonie, Edition Eulenburg n° 8046, 1996, préface p. IX. (5) « Vous devriez écouter la Symphonie alpestre ; c'est une très belle œuvre »,
écrivit Strauss à Hofmannsthal le 15 novembre 1915. (6) Michael Kennedy, Richard Strauss, Paris, Fayard, 2001, p. 516. (7) Image renforcée par l'affirmation du compositeur
selon laquelle « [il voulait] pour une fois composer comme une vache
donne du lait » ! Cité par Adolf Aber dans Richard Strauss, Eine Alpensinfonie, Munich/Leipzig,
F.E.C. Leuckhart (7529), introduction p. I (allemand) et p. V (anglais). (8) Ibid., p. I et V. (9) Le projet s'appuyait sur un fait réel, le suicide
récent du peintre, sculpteur et graveur Karl Stauffer-Bern (1857-1891). Cf. Willi Schuh, Richard
Strauss, A Chronicle of the Early
Years 1864-1898, [1976], Cambridge University Press, 1976, p. 499 et 533. (10) Lettre du 28 janvier 1900, citée dans Michael
Kennedy, op. cit., p. 184. (11) La partition de Tristan
und Isolde a joué un rôle essentiel dans la conversion de Strauss à la
modernité. Par ailleurs, c'est avec cette œuvre qu'il venait de commencer sa
carrière à Berlin le 5 novembre 1898 au Hofoper Unter den Linden. (12) Le nombre de dix poèmes symphoniques inclut Aus Italien (1886) au contenu nettement
descriptif, et les deux « symphonies » ultérieures – Sinfonia domestica (1903) et Eine Alpensinfonie (1915), pour
lesquelles la notion de « symphonie » ne correspond à aucune
utilisation de la forme symphonique traditionnelle, mais plutôt au concept
ancien de formation orchestrale. (13) « J'étais anéanti par le respect le plus
fanatique que j'éprouvais pour l'œuvre gigantesque de Richard Wagner ».
Cité dans Richard Strauss, Anecdotes et
souvenirs, Lausanne, Ed. du Cervin, 1951, p. 38. (14) Strauss avait déjà composé deux symphonies de
jeunesse, en ré mineur (1881) et en fa mineur (1883). (15) Michael Kennedy, op. cit., p. 183. (16) Cf. Jean-Jacques Velly,
« Héritage wagnérien et indépendance artistique chez Richard Strauss. Des
années de formation à Guntram »,
dans Revue du Cercle Richard Wagner
Toulouse Midi Pyrénées – 2014-2015, janvier 2016, p. 5-17. (17) Joseph Gregor, Un
maître de l'opéra : Richard Strauss [1939], Paris, Mercure de France,
1942, p. 86. (18) Création à Francfort le 27 novembre 1896 par
Strauss. (19) Le titre exact figurant sur la partition originale
est : Also spach Zarathustra, Tondichtung (frei nach Friedr. Nietzsche). (20) Arthur Seidl (1863-1928) était écrivain, critique
musical et spécialiste d'esthétique. Il a dirigé les Archives Nietzsche à
Weimar en 1898 et 1899. Il est également l'auteur de la première publication
sur Strauss (Richard Strauss, eine
Charakterskizze, 1896), ainsi qu'une série d'articles le concernant (Straussiana, 1913). Il a été enfin, à
partir de 1917, l'éditeur de la revue Die
Musik, fondée par Strauss lui-même en 1904. (21) Strauss se creusait « la cervelle pour écrire
une symphonie, ce qui [lui] plaisait encore moins que de secouer des arbres
pour récolter des hannetons ». Cité dans Michael Kennedy, op. cit., p. 248. (22) Strauss est plutôt agnostique et très critique
envers le christianisme. (23) Dont 64 instrumentistes à cordes, 16 bois, 18
cuivres et 3 percussionnistes. La configuration de l'orchestre est la
suivante : bois et cuivres « par 4 », orgue, 2
harpes, célesta, glockenspiel, cordes et 9 percussions, auxquels s'ajoutent
pour des passages plus ou moins développés, 1 clarinette en mi bémol, 1 heckelphone, 4 tubas ténors,
ainsi que 12 cors, 2 trompettes et 2 trombones hors scène. (24) Suite à un don de Strauss à la France effectué le
10 octobre 1945, le manuscrit original de Eine
Alpensinfonie se trouve à la Bibliothèque Nationale à Paris. (25) Instrument déjà employé dans Don Quixote en 1897. (26) Cf. Jean-Jacques Velly, L'orchestration dans les poèmes symphoniques de Richard Strauss :
langage technique et langage esthétique, Thèse de doctorat de musicologie,
Paris-IV Sorbonne, 1991. (27) Également dénommé par erreur
« aérophone » dans différents textes, y compris sur la partition
révisée Eulenburg (n° 8046) éditée par Stephan Kohler en 1996. (28) Bien qu'attesté lors des premières exécutions de Eine Alpensinfonie, l'aérophor de Samuel
n'est plus utilisé de nos jours, notamment en raison des problèmes dentaires
occasionnés par le mélange d'air froid et de laiton sur les dents. (29) Les numéros entre parenthèses représentent les
chiffres de la partition. (30) Cf. Don Quixote,
Also spach Zarathustra et Sinfonia domestica.
***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
Haut
Le Centre
international pour les artistes de la musique et de la danse de
Royaumont Inspirer, créer,
partager Chaque année, quelques 300 artistes de la
musique et de la danse choisissent la Fondation Royaumont afin de se perfectionner
auprès de formateurs reconnus tant pour leurs qualités artistiques que pour
leur capacité à transmettre, expérimenter et inspirer. Ils vivent au cœur de
l'abbaye de Royaumont une relation privilégiée avec d'autres artistes qui font
partager leurs savoirs et leur passion. Grâce à des soutiens publics et privés, la
Fondation Royaumont propose des ateliers de formation internationale de haut
niveau et accessibles au plus grand nombre en fonction de stricts critères
d'excellence. Dans le cadre exceptionnel de l'abbaye de Royaumont, la Fondation
met à la disposition des stagiaires des salles de travail et de répétition, un
service d'hôtellerie et des espaces de détente. Ceux-ci bénéficient de deux
bibliothèques : La Bibliothèque Henry et Isabel Goüin,
héritière de la bibliothèque médiévale des moines de l'abbaye, désormais
d'ordre générale, et une bibliothèque musicale réunissant la collection de
manuscrits et d'imprimés musicaux (plus de 1300 titres) du pianiste François
Lang (1908-1944) et de sa propre une bibliothèque de travail, outre un Fonds
Rameau riche de quelques 1500 documents. Ces conditions proches de l'idéal sont
de nature à permettre une vraie immersion dans un répertoire et une atmosphère
propice au partage et à l'échange entre participants et avec les formateurs. Les divers ateliers de formation de l'année
2016, destinés aux étudiants ou artistes en formation continue souhaitant
préparer ou élargir leur carrière illustrent la démarche artistique de la
Fondation Royaumont. Une attention toute particulière est accordée à la
création et aux relectures du répertoire, permettant un questionnement sans
cesse renouvelé des formes et de l'interprétation des œuvres. La Fondation Royaumont a noué de nombreux
partenariats. Ainsi en est-il avec les établissements d'enseignement supérieur
pour permettre aux étudiants de mieux se préparer à la carrière : CNSMDP,
Université Paris-Sorbonne, Pôle supérieur Boulogne-Billancourt, CDNC Angers, École
supérieure des Arts Paris-Cergy, Schola Cantorum de
Bâle, etc. Le partenariat l'est aussi avec des lieux de production et des
réseaux qui offriront à certains une étape d'insertion professionnelle:
Ulysses,
Exerce Montpellier, Opéra Comique, Théâtre des
Bouffes du Nord, et festivals du Réseau Européen de Musique Ancienne. ATELIERS
CLAVIERS Objectifs : Aux fins de mettre le geste du
claviériste en perspective des traités et pratiques, de la musique et de la
danse permettant de se reconnecter à l'imaginaire des compositeurs et de
leurs instruments. Ils concernent les pianos romantiques, l'orgue Cavaillé-Coll
et enfin les virginalistes du XVII°. PIANOS
ROMANTIQUES Beethoven et ses contemporains Dates
: du 10 au 15 juillet 2016 Destinataires
: 12 pianistes sur piano moderne et ancien Chopin, la vocalité instrumentale, profils rythmiques et geste
musical Dates
: du 10 au 14 août 2016 Destinataires
: 10 pianistes sur piano moderne ou ancien L'éloquence romantique au piano -Vienne Paris- Beethoven et Chopin Dates
: du 7 au 17 octobre 2016 Destinataires
: 10 pianistes, violonistes, chanteurs ORGUE L'orgue français au début su XX siècle :
entre tradition et modernité Dates
: du 10 au 14 juillet Destinataires
: 10 organistes CLAVECIN Les virginalistes anglais : Byrd ,Bull, Philips, Tomkins... Dates
: du 22 au 26 août 2016 Destinataires
: 10 clavecinistes ATELIERS
VOIX Objectifs : l'excellence vocale à la pointe
de tous les répertoires afin de favoriser les rencontres et permettre la
proximité auprès des plus grands maitres ainsi que des jeunes chanteurs
européens dans des temps d'approfondissement privilégiés. Opéra baroque français (extraits d'Armide
de Lully et d'Hippolyte et Aricie de Rameau) Dates
: du 16 au 24 juillet
2016 Destinataires
: 24 chanteurs, 2 clavecinistes Dufy en Italie / Graindlavoix (ensemble en
résidence) Dates
: du 18 au 23 juillet 2016 destinataires : 8 chanteurs et ouvert à 2 chercheurs Aux frontières de la Polyphonie et de la polychoralité Dates
: du 25 au 31 Juillet 2016 Destinataires
: 10 chanteurs, viole de gambe, orgue positif Humanité enchantée : les Lieder de Mahler Dates
: du 12 au 15 septembre 2016 Destinataires
: 8 chanteurs, 2 pianistes ACADEMIE
VOIX NOUVELLES Objectifs : Cette Académie regroupe jeunes
compositeurs, jeunes interprètes et professionnels d'envergure internationale
pour un temps fort unique au cœur de la création. Académie Voix Nouvelles : composition et interprétation Dates
: du 21 août au 9 septembre 2016 pour les compositeurs ; et du 30 août au 9
septembre pour les interprètes Destinataires
: 14 compositeurs – 10 interprètes (instrumentistes, chanteurs, chefs
d'orchestre) ATELIER
D'INTERPRETATION DRAMATIQUE ET MUSICALE Une tragédie florentine d'Alexander Zemlinsky Dates
: du 16 au 30 juillet 2016 Destinataires
: 6 chanteurs (3 rôles – double casting), 2 pianistes/chefs de chant ATELIERS
DE MUSIQUES TRANSCULTURELLES Objectifs : Dans la mesure où la
mondialisation des musiques conduit à de stimulantes interconnexions, encore
inconcevables il y a quelques années, le programme Musiques Transculturelles
propose d'exercer à de telles connexions l'imagination créatrice en faisant
appel à Magic Malik et Amir El Saffir. Intesections : maqams et impovisations jazz; II Dates
: du 15 au 21 août 206 Destinataires
: 10 compositeurs et/ou improvisateurs, musiciens ou chanteurs Imaginer avec Magic Malik, II Dates
; du 15 au 21 août 2016 Destinataires
: 10 compositeurs et/ou improvisateurs, musiciens ou chanteurs ATELIERS
RECHERCHE ET COMPOSITION CHOREGRAPHIQUES Objectifs
: D'une part, poser comme hypothèse de recherche la citation ou la présence
d'un corps virtuose ou amateur dans le propos chorégraphique, d'autre part,
interroger les modalités de transmissions dans la relation entre chorégraphes
et danseurs. Prototype IV (2016-2017) Corps dansant virtuose ou amateur : quelle présence à l'œuvre dans
le projet chorégraphique ? Dates : trois sessions entre décembre 2016 et août et septembre
2017 Destinataires : 10 à 12 chorégraphes ayant réalisé quelques pièces
chorégraphiques En partenariat avec le Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris et le Centre national de la danse
contemporaine d'Angers, recrutement interne. Dialogues I Pour des relations, dialogues et protocoles de transmission entre
le chorégraphe et le danseur interprète Session 3/3 – pratiques et expérience 2 Dates : du 20 au 30 juin 2016 Participants : 4 chorégraphes stagiaires et 20 étudiants danseurs
du cycle professionnalisant de CNDC d'Angers RESIDENCES PEDAGOGIQUES EN
BIBLIOTHEQUES EN LIEN AVEC DES ETABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPRIEUR Objectifs : La Bibliothèque musicale
François-Lang et la Médiathèque Musicale Mahler* se prêtent particulièrement à
l'accueil de résidences pédagogiques destinées aux étudiants des établissements
supérieurs : universités, conservatoires, pôles supérieurs... Centrées autour
des collections conservées dans ces deux bibliothèques, ces résidences ou
journées visent à sensibiliser les étudiants à l'approche et l'étude des
sources musicales allant de la fin du XVI ème au XXI ème siècle. Les concerts de Royaumont, 1936-1964 Enrichissement
de la base de données Dezede.org Dates
: 10-11 juin 2016, à la la Bibliothèques musicale
François Lang Destinataires
: 10 étudiants de l'Université de Rouen Il est possible de découvrir les coulisses de
la création à Royaumont. Les artistes en résidence dévoilent au public leur
travail en cours dans le cadre de rendez-vous libres d'accès, programmés généralement
en fin de résidence. Le nombre des places étant limité, la réservation est
obligatoire. Infos
pratiques : Dates
d'audition et inscriptions aux ateliers et autres dispositifs de formation :
www.royaumont.com/les-formations Contact
: Fondation Royaumont Formation
professionnelle F
95270 Asnières sur Oise par tel.:
+33 (0) 1 30 35 59 00 en ligne : formation@royaumont.com *Médiathèque
Musicale Mahler, 11bis rue de Vézelay 75008 Paris ; tel : 01 53 89 09 10 ; www.mediathequemahler.org Jean-Pierre Robert
(source : Fondation Royaumont). ***
Jacques Lenot, un musicien en quête de secret Jacques Lenot est
né en 1945 à Saint-Jean d'Angély, une charmante
bourgade de la Charente-Maritime, à quelques encablures de Royan et son festival
international d'art contemporain (1964-1977). Cette proximité a été une
formidable opportunité pour cet angérien au tempérament d'artiste, qui, dans
son adolescence, a peint et dit avoir écrit de la musique en secret depuis
l'âge de huit ans... car c'est au Festival de Royan, en 1967, que tout a
commencé. Avec un catalogue qui compte aujourd'hui plus
de 250 opus où tous les genres musicaux sont abordés, la trajectoire accomplie
est impressionnante, celle d'un compositeur qui poursuit en solitaire un travail
d'écriture aussi prolifique que radical, porté par un imaginaire foisonnant où
les images, la littérature et la poésie nourrissent sa pensée du sonore. Un
autodidacte par volonté Est-ce
que le fait d'être autodidacte est pour vous l'expression d'un refus ? Certainement; et avec la distance
ce refus pourrait bien s'appeler une gaffe. J'en ai fait une première à 22 ans.
L'Orchestre national sous la direction de Maurice Le Roux venait de créer au
Festival de Royan ma première pièce d'orchestre Diaphanéis.
Elle avait été sélectionnée par Olivier Messiaen qui participait à la
programmation. Le Maître enthousiaste m'a aussitôt dit : « Je vous attends
dans ma classe, naturellement ». Or, pour moi, monter dans la capitale
n'avait rien de naturel et n'était pas dans mes projets. Je préférais rester un
compositeur secret, dans « ma » Charente-Maritime. Mon deuxième
refus, alors même que je vivais à Paris, s'adresse à la personne même de Pierre
Boulez, après la création d'Allégorie d'exil n°4 qu'il dirige, en 1980,
avec l'Ensemble Intercontemporain. « Jacques, je
vous attends à l'Ircam, naturellement » me dit
le patron des lieux. Je n'avais jamais mis les pieds dans un studio, et toutes
ces machines m'effrayaient. J'ai décliné l'invitation. Sans doute était-elle
prématurée, comme celle de Messiaen; en tout cas, je
n'ai ni remords ni regrets. Le
pèlerinage à Dartmstadt Comment
et pourquoi l'autodidacte que vous êtes rallie-t-il le sérialisme ? J'ai l'impression d'être né avec le
sérialisme. J'ai ouvert la partition des Mikrokomos
de Bartók à l'âge de 8 ans et aime tout ce qui relève de la combinatoire et
du rapport au nombre. Je rappelle que je suis fils d'horloger et que l'on
maniait la mécanique de précision à la maison ! L'utilisation du carré magique
chez Webern, que je découvre d'abord à travers la lecture des ouvrages de René
Leibowitz, me stimule. La musique du compositeur viennois entendue au concert,
grâce à Bruno Maderna qui est venu la diriger à Royan, est une véritable
révélation. Ayant un piano à la maison, j'ai moi-même reçu Michel Beroff et Catherine Collard qui venaient répéter les Variations
opus 27 du maître viennois. Je sentais qu'il me fallait approfondir la
question. L'heure était donc venue de mon « pèlerinage » à Darmstadt
que j'entreprends, non sans appréhension, en 1966. Karlheinz Stockhausen y
était le maître d'œuvre. Cette personnalité rayonnante autant qu'extravagante
enseignait aux côtés de Mauricio Kagel et de György Ligeti, qui analysait quant
à lui les Bagatelles de Webern. Avec
les frères Kontarsky au piano, Stockhausen nous
présentait ses Klavierstücke et faisait des
démonstrations devant le grand tam-tam de Mikrophonie
I qu'il venait de composer. Le bain de musique fut édifiant et je me suis
mis à acheter et à lire des tonnes de partitions : les trois Viennois bien sûr,
mais aussi Debussy, Stravinsky, Bartók, Boulez et plus précisément encore Gruppen de Stockhausen : mon véritable apprentissage
commençait... Si vous reconnaissez en Stockhausen votre
ascendance musicale, une autre personnalité a compté pour vous dans cette
période que l'on pourrait qualifier d'initiatique. J'ai en effet découvert à Darmstadt quelques
partitions du compositeur italien Sylvano Bussotti.
J'ai pu ensuite le rencontrer à Venise et lui ai demandé des conseils à Rome en
1970. S'il ne m'a rien appris en matière de composition, il m'a initié à la
calligraphie. Pour cet artiste protéiforme et homme de théâtre, les notes de
musique sont des dessins et l'acte d'écriture une œuvre d'art. L'œil y est donc
sollicité autant que l'oreille. J'ai appris la calligraphie sous sa dictée. Dès
lors, j'ai toujours préparé moi-même mes calques d'écriture, presque
rituellement, tirant les lignes des portées à l'encre de Chine. Je précise que
je voulais être architecte quand j'étais petit... Aussi, ma musique
passe-t-elle par la façon de l'écrire. Des problèmes de vue m'ont obligé,
depuis quelques années, à renoncer au manuscrit. De fait, l'adoption du
logiciel Finale a eu des incidences certaines sur ma composition. Franchir
les portes de l'Ircam Les
machines ont donc cessé de vous effrayer ? J'ai quand même attendu 25 ans, après la
proposition de Pierre Boulez, pour franchir les portes de l'Ircam! Joséphine Markovits, directrice artistique en charge de la programmation
musicale au Festival d'Automne, m'avait demandé de réfléchir à un projet original lié à
l'espace de l'église Saint Eustache. J'ai alors eu l'idée de sonoriser la voûte
comme si les sons tombaient du ciel. Il me fallait pour cela la magie de
l'électronique et l'assistance précieuse de mon réalisateur informatique Éric Daubresse. Mais j'étais dans l'incapacité de concevoir
directement la matière électronique. J'ai donc, sur mon papier dûment réglé et
comme j'en avais l'habitude, écrit une partition d'orchestre spatialisée en
vingt-huit trios, qui a été ensuite entièrement numérisée et synthétisée grâce
à Gregory Beller. C'est ainsi, au terme de cet
« artisanat furieux », que s'est élaborée Il y a, ma première
œuvre électronique. Vous
récidivez en 2014 avec Isis & Osiris C'est une nouvelle
commande de l'Ircam-Centre Pompidou que je nomme
« installation sonore mixte pour septuor à vent et environnement
électronique ». Le son transformé en temps réel est projeté en 3D, selon
le procédé high tech dit ambisonic.
Je voulais obtenir un poudroiement sonore articulé dans le temps et l'espace,
projet que je réalise avec l'aide précieuse de l'informaticien Serge Lemouton. L'œuvre est créée par l'Ensemble Multilatérale à
l'Espace de projection de l'Ircam, dans des
conditions acoustiques optimales. Utopie Quelle est la chose
qui prime pour vous en matière de composition musicale ? Je suis celui qui est en train de révéler des
secrets et je désire à travers ma musique inviter chacun de mes auditeurs à une
écoute attentive, j'oserais dire recueillie. Le mot n'est pas à prendre au sens
religieux et relève sans doute de l'utopie toujours au centre de mon travail de
composition. J'ai écrit en 2011 Propos recueillis, une partition dont
l'ambiguïté du titre me plait. C'est un cycle de douze pièces pour ensemble
instrumental inspirées par les poètes allemands Else Lasker-Schüller et Friedrich Hölderlin;
une sorte de journal intime où j'accompagne durant presqu'une heure mon
auditeur à travers les couches profondes de la pensée. Vous avez fait du dessin et de la peinture
dans votre adolescence mais la poésie, et la littérature en général, semblent
tenir davantage de place dans votre travail de composition. J'ai arrêté la peinture à 18 ans car j'ai dû
faire un choix. A l'époque, Maurice Fleuret, rencontré aux Jeunesses musicales
de France où il donnait des conférences, m'a beaucoup poussé à devenir
compositeur et à me consacrer entièrement à la musique. Mais je garde un
rapport très fort à l'image. Quant à la poésie, elle m'a pris au berceau, elle
a imprégné mon enfance et ne m'a plus jamais lâché. Apprendre des poésies par
cœur a toujours été un délice. Quelle
place occupe-t-elle dans votre catalogue ? Je n'ai mis que quelques vers de poètes en
musique, ceux de Louise Labé (Cinq sonnets), de Clément Marot, Else Lasker-Schüler ou encore Jean de la Fontaine dans le Tombeau
de Henri Ledroit. Mais je me tiens à
distance de la grande poésie que je révère, principalement celle de Friedrich
Hölderlin, Rainer Maria Rilke et Philippe Jaccottet, même si elle irrigue
constamment ma pensée et inspire souvent les titres de mes œuvres. J'ai l'impression qu'elle accompagne votre
nature mélancolique mieux que la musique ne saurait le faire. Je suis solitaire, plutôt introverti,
toujours en quête de secret. Pour autant, je ne pense pas être mélancolique.
Mais sombres sont mes choix. Sans doute en raison du contexte dans lequel j'ai
grandi. Je suis né en 1945 et traîne avec moi une « germanitude »
mal digérée. J'ai vu Royan en ruines et me suis posé beaucoup de questions qui,
à l'époque, sont restées sans réponse, me heurtant au silence de mon entourage.
Mon père m'a même interdit d'apprendre l'allemand ! Ces images et ce mystère qui
planait autour d'elles sont devenues pour moi une
obsession et n'ont cessé de tarauder ma nature inquiète et d'imprégner mes
pensées. Des chefs d'œuvre comme Les ailes du désir de Wim
Wenders et le cinéma de Fassbinder m'ont profondément marqué. L'entente
secrète avec les interprètes Le solitaire que vous êtes s'est souvent
entouré d'interprètes qui prennent une place importante dans le contexte de
votre travail. J'ai toujours écrit ma musique en pensant à
celui ou celle qui allait la jouer, dans une entente secrète entre l'interprète
et moi-même. Telle fut ma collaboration avec le contre ténor
Henri Ledroit pour qui j'ai composé Un déchaînement si prolongé de la
Grâce en 1982. C'est pour Pierre Boumard, sublime
organiste, que je commence mes Livres d'orgue : deux artistes malheureusement
disparus dans la fleur de l'âge. C'est par son intermédiaire que je rencontre
Jean-Christophe Revel à Plaisance-du-Gers où je vis pendant cinq ans à l'ombre
de l'orgue neuf construit dans l'église du village. Celui-ci devient titulaire
des orgues historiques d'Auch et grave sur le Grand orgue de la cathédrale de
Chambéry Suppliques en 2013 (sorti chez Intrada)
et mon Livre des dédicaces sur l'instrument de la cathédrale de
Belfort en 2015. Chez Intrada
toujours sortent en 2010 et 2014 deux intégrales retentissantes : votre musique
pour piano avec Winston Choi et les sept quatuors à cordes avec les Tana, un
coffret couronné par le Grand Prix du disque Charles Cros. Voilà de nouvelles
collaborations fertiles ! La découverte de Winston Choi, jeune pianiste
et compositeur canadien, est un véritable conte de fée. C'est Françoise Thinat, directrice du Concours International de Piano
d'Orléans - que Choi remporte en 2002 - qui lui fait découvrir ma musique pour
piano. Notre première rencontre a lieu lors du récital qu'il donne à l'Institut
canadien où il me fait la surprise d'inscrire cinq de mes pièces à son
programme. L'entente est immédiate et réciproque. Cet artiste hors norme n'est
pas long à posséder toute ma musique pour piano qui sera gravée dans la foulée.
Mes dernières pièces sont écrites pour lui et portent son indéfectible
empreinte. J'ai scellé une même collaboration durable et profonde avec les
prodigieux interprètes du Quatuor Tana, une phalange bruxelloise à qui j'ai
dédié mon septième quatuor. Ils viennent d'enregistrer, pour mon propre label
cette fois, Et il regardait le vent où je place la trompette de Raphaël Duchateau au sein des quatre cordes. Y-a-t-il
des domaines de la création sonore que vous n'avez pas encore abordés ? Oui, le concerto pour violon et c'est
précisément ce à quoi je travaille depuis six mois. Peut-être parce que je
n'avais pas encore rencontré d'interprète acceptant de collaborer avec moi et
de s'investir pour créer une œuvre ambitieuse et emblématique, je n'avais
jamais osé écrire de concerto pour cet instrument. Or j'ai eu sa sonorité dans
la tête depuis tout petit, celle de Zino Francescatti notamment jouant le merveilleux concerto de Mendelssohn.
Je me rappelle avoir échoué en 1983 dans mon projet d'écrire pour Jacques Ghestem une cadence de violon au sein de mon sextuor à
cordes Dans le tumulte des flots. Cela m'avait bloqué. Je ne prétends
pas concurrencer Paganini, mais je pense que l'instrument appelle une dimension
virtuose que je veux assumer. Et je suis très heureux d'écrire ce concerto pour
Nicolas Dautricourt qui vient d'avoir les honneurs de
la presse pour la sortie de son disque Sibelius. Votre
actualité est particulièrement chargée dans les mois qui suivent... Il y a en effet des sorties discographiques
prévues, avec Nicolas Dautricourt et la pianiste Dana
Ciocarlie, qui ont enregistré La lettre au
voyageur. Avec le Quatuor Tana et la pianiste Aline Piboule,
le quintette Effigies, commande du Concours Piano Orléans en 2012. Le livre des dédicaces pour orgue avec
Jean-Christophe Revel, et Reliquien pour piano et trompette avec Aline Piboule et Raphaël Duchateau.
Côté concert, c'est l'intégrale des Propos recueillis qui est à
l'affiche à Bruxelles le 21 mai. Quelques jours avant, à Paris, Winston Choi
sera sur la scène de l'auditorium de la Sacem où je
soufflerai – avec quelques mois de retard s'entend – mes 70 bougies
d'anniversaire. Propos recueillis par
Michèle Tosi.
Wolfgang Amadé
MOZART : Lucio Silla. Opéra seria
en trois actes K 316. Livret de Giovanni de Gamerra.
Franco Fagioli, Olga Pudova,
Allesandro Liberatore, Chiara Skerath, Ilse Eerens. Le jeune chœur de Paris. Insula Orchestra, dir. Laurence Equilbey, Concept
et mise en espace : Rita Cosentino. Philharmonie de
Paris 2. Lucio Silla n'est plus considéré
comme une œuvre mineure dans la production de Mozart : comme ses autres opera seria du début, elle est de
plus en plus jouée, scéniquement ou en version de concert. C'est que Mozart
fait voler en éclats bien des schémas conventionnels, celui de l'aria da capo
par exemple, munie ici de longues introductions orchestrales et privée, à
l'occasion, de la fameuse reprise. Surtout le génie dramatique du jeune
musicien – il n'a que seize ans lors de la création en 1772 – se révèle dans
toute sa force, même si contraint à une écriture virtuose pour Milan qui
exigeait une manière brillante pour ses chanteurs. L'histoire s'y prête : celle
de l'empereur romain Lucio Silla trahi par son ami Cecilio
courtisant celle qu'il aime, Giunia, la fille de son
ennemi juré Marius. Condamné à mort, Cecilio ne verra
sa vie sauve que grâce à la magnanimité du potentat. Un sujet en vogue, produit
du Siècle des Lumières et déjà plusieurs fois utilisé à l'opéra avant Mozart,
notamment par Albinoni, Vinci, ou Hasse, et après lui par Jean Chrétien Bach ou
Anfossi. Il faut dire que ce ''peplum''
plaisait au public de l'époque puisqu'emprunté à l'antique, revu et corrigé par
Metastasio. Encore que le suspense politique intéressait moins que la qualité des arias attribuées aux
divers personnages et les prouesses des castrats et autres divas qui les
défendaient et dont on attendait fébrilement les prestations. Mozart ne les en
prive pas, loin de là. Car ses morceaux flattent les registres aigus à l'envi.
Mais aussi, ce qui est nouveau, offrent des nuances dans une mesure
insoupçonnée jusqu'alors. C'était le cas du castrat Venenzio
Rauzzini qui incarnait le rôle de Cecilio,
bardé de colorature inouïes et d'une ligne de chant très aboutie. Il est tenu
ici par Franco Fagioli. De main de maitre, au point
que le personnage en devient le centre de l'opéra et ravit presque la vedette
aux autres interprètes. Le contre ténor s'y révèle
sous le meilleur jour, offrant une interprétation d'un fini exceptionnel :
vocalité d'un impact impressionnant, d'abord dans l'approche du récitatif où
perce l'émotion puis dans l'aria qui s'en suit, variant les couleurs et
facettes du récit. Ainsi dans « Cecilio, a che t'arresti » introduisant
l'aria « Quest' improvviso
trèmito » au début de l'acte II, montrant
l'ampleur du souffle et, durant l'air, des aigus dignes d'une soprano, pour
risquer une comparaison avec les tessitures actuelles. Cet ''aria di furore'' où le jeune homme raconte sa vision de Marius, le
père défunt de Giunia, fouetté par un orchestre plus
qu'agité, démontre que la noirceur du dessein n'empêche pas la noblesse des sentiments.
De même l'aria « Pupille amate » du III ème acte, égrène-t-il un chant piano d'un legato
éblouissant. On se réjouit de l'ascension de cet artiste et de la manière
judicieuse dont il choisit ses rôles. Si on a l'impression que le personnage
domine, et non celui de l'empereur Silla, ses collègues ne restent pas dans
l'ombre. Ainsi d'Olga Pudova, beau soprano qui fait
son affaire des longues phrases dont est pourvue la partie de Giunia et ses acrobaties vocales. Qui dans l'aria de l'acte
II, « Ah se il crudel periglio » annonce Konstance de L'Enlèvement au sérail. Ou à l'air du
III « Fra i pensier più funesti »
libère pareil dramatisme. Du personnage titre, le ténor Alessandro Liberatore donne une manière héroïque certaine, annonçant
celle d'Idomeneo. Chiara Skerath offre de Luico Cinna une
prestation sympathique et un bel engagement, et Ilse Eerens
est une Celia attachante, là encore d'une sûre vocalité. Le jeune chœur de Paris, étudiants du
département du Conservatoire à rayonnement régional, fondé par Laurence Equilbey, prête un concours aussi efficace que de qualité.
De cette partition qui à bien des égards préfigure les grands drames seria ultérieurs, comme Idomeneo
et même La Clemenza di Tito et ses allusions
maçonniques, Lauernce Equilbey
propose une approche musclée, un peu drue par endroits, pas toujours d'une
extrême souplesse, ce qui met à mal certain département de son Insula
Orchestra, les cuivres en particulier. Mais les cordes sont ductiles et
permettent aux finales de livrer leur continuum que la chef d'orchestre ménage
avec doigté. Ces morceaux concertants sont en effet d'importance, même si moins
directement séduisants que les arias de solistes. Car ils renferment des
inspirations mozartiennes essentielles tel l'émouvant duetto entre Giunia et Cecilio qui termine le
Ier acte ou le trio qui clôt le deuxième, sommet d'expressivité tragique en ce
qu'il oppose la fureur de Silla à la constance des deux jeunes gens résolus à
mourir ensemble. Le concert était mis en espace par Rita Cosentino.
Quelque chose de plus au demeurant car on a voulu se rapprocher d'une véritable
mise en scène : mouvements intéressants quoique minimaux, environnement
décoratif sommaire qui montre vite ses limites : cinq cabines paravents qu'on
barbouille de graffitis (Amor, Sangue, Collera, etc.)
et qu'on retourne en tous sens, une chaise symbole de la pompe impériale, des
écharpes rouge sang... Une fort belle soirée nonobstant. Jean-Pierre Robert. Mithridate loin de ses Racines... Wolfgang Amadé
MOZART. Mitridate, Re di Ponto. Dramma per musica en trois actes.
Livret de Vittorio Amadeo Cigna-Santi d'après la
tragédie éponyme de Jean Racine. Michael Spyres, Lenneke Ruiten, Myrtò Papatanasiu, David Hansen,
Simona Šaturová, Sergey Romanovsky, Yves Saelens. Orchestre symphonique de La
Monnaie, dir. Christophe Rousset. Mise en scène :
Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil (LE LAB). Palais de La Monnaie, Bruxelles. Hasards du calendrier : un autre opera seria de jeunesse de
Mozart, Mitridat Re
di Ponto, était présenté à La Monnaie. Dans une salle de remplacement du
fait des travaux en cours au théâtre, qui s'éternisant, ont contraint à une
solution plus pérenne que les divers lieux en ville pratiqués jusqu'alors. Une
construction façon toile de tente géante, fort excentrée, peu propice aux mises
en scènes actuelles puisqu'offrant un plateau assez réduit et une absence de
cintres. Ce pourquoi la reprise de la mise en scène encombrante de Rober Carsen, originellement prévue, a dû être abandonnée au profit
d'un concours dont la palme fut attribuée à une équipe de metteurs en scène
français, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, réunis sous le nom de Le LAB. Mitridate
est le premier des operas serias
de Mozart, précédant Lucio Silla. Il est créé à Milan en décembre 1770.
Christophe Rousset souligne combien le jeune musicien s'est inspiré des maitres
de l'époque, Niccolò Jommeli
en particulier, et singulièrement de son dramma Armida abbandonata.
Mais il y a là autre chose qu'une simple influence : un hommage plus qu'un
plagiat. Soumis comme ses contemporains à la fameuse tyrannie des castrats,
Mozart sacrifie à la composition d'arias extrêmement brillantes, afin de
convaincre ses interprètes de ne pas succomber à la pratique des « airs de
bagage » ou inclusion de morceaux d'autres musiciens, plus aptes à faire
valoir leurs talents de vocalistes. Le génie du jeune prodige fait le reste et
on perçoit dans cette adaptation de la tragédie de Racine – sujet au demeurant
imposé par les commanditaires - un souci certain de dramatisme. Si tous les
airs sont virtuoses, exigeant pour certains des prouesses vocales incroyables,
les récitatifs très élaborés conduisent une trame haute en rebondissements. Les
duettistes de LAB ont imaginé de transposer la tragédie de nos jours, et à
Bruxelles : « quelque part au cœur d'un bâtiment de l'UE, au long des 24
heures d'un sommet de crise particulièrement intense, un politicien rebelle [Mitridate] tente de modifier les règles du jeu des
institutions européennes ». Deux camps s'affrontent : les partisans du
rebelle et d'autres soucieux du maintien de la stabilité de l'Union. Et de nous
dire que la musique de Mozart invite « à réfléchir sur la crise d'identité
actuelle de l'UE »... C'est prêter au musicien
d'étonnantes intentions prospectives, encore mieux que Victor Hugo qui
prédisait la constitution de « la fraternité européenne ».
L'important est de savoir si cette lecture est pertinente. Force est de
constater que malgré une débauche d'effets (reconstitution d'une salle du Conseil
européen, flash télévisés sur divers écrans disséminés
dans la salle commentant les divers épisodes de la crise, volée de drapeaux en
salle, tics de régie habituels : brelans de journalistes fébriles, femmes de
ménage, goutte à goutte pour le malheureux roi s'avançant vers son
''abdication''), les choses s'embrouillent à force de références appuyées à
l'actualité. La trame devient de moins en moins lisible. Surtout les caractères
ne ressortent pas, privés de relief. On a affaire à un parcours de crise avec
ses haines et ses retours, du type ''je t'aime, moi non plus'', et non pas à un
vrai drame. C'est la lutte des places et la tragédie est accaparée par une
lecture vue à travers un prisme somme toute assez facile. La primauté de la
vidéo devient quasi diktat, comme la pratique du filming
en direct de certaines scènes : le film, diffusé simultanément à l'action,
fausse le jeu en captant l'attention au détriment de l'analyse de fond.
Quelques beaux moments cependant tels les duo entre Sifare et Aspasie et les deux arias de ceux-ci, à l'acte
II, modèles d'émotion sensuelle. C'est que deux les deux interprètes dominent
alors la situation : Lenneke Ruiten
campe une Aspasie déchirée entre son devoir de promise au roi et son amour pour
Sifare, résolue mais aussi fragile dans ses
sentiments vis à vis du jeune homme. La
vocalité est irréprochable. Myrtò Papatanasiu
offre de Sifare un portrait juste, tirant son épingle
du jeu, en particulier lors de l'aria « Lungi da
te » (Loin de toi) où le personnage est partagé entre un amour passion
irrésistible pour Aspasie et le fait de devoir la quitter pour ne pas s'opposer
au roi son père. La ligne de chant est d'une beauté spectrale, enrichie de la
partie de cor obligé par laquelle Mozart en transfigure les élans ; un premier
exemple de chant accompagné qui prospérera dans le quatuor instrumental de
l'air ''Marten aller Arten''
de Konstanze de L'Enlèvement au sérail. Leur
consœur Simona Šaturová, Ismène, n'est pas loin d'atteindre
pareils sommets. La distribution masculine est en deçà. Le Farnace
du contre ténor David Hansen, en apparence bien en
place, n'offre pas une vocalité aboutie et si les vocalises atteignent le
soprano aisément, ce n'est pas avec douceur, comme un Fagioli.
Michael Spyres, affrontant en Mitridate
un rôle à vrai dire impossible, laisse paraître des signes de faiblesse et la
quinte aiguë est acide, sorte d'éclats stridents de vrai faux Rossini. Les deux
autres ténors sont tout juste à la hauteur. Heureusement la direction sauve le
show. L'empathie de Christophe Rousset pour cette musique crie l'évidence et
l'Orchestre symphonique de La Monnaie prodigue brillance et style. Tempos
alertes, sollicitude pour le chant et ses acrobaties souvent tendues, au fil
des arias da capo que Mozart asservit à sa guise, élégance du récitatif qui
donne naissance à l'air naturellement : on sent la patte du claveciniste et du
musicologue soucieux des origines de l'œuvre et de sa situation au sein de la
production de Mozart. Son interprétation est enthousiasmante. Jean-Pierre Robert. Une enivrante soirée de fado... à Bruxelles ! Le Fado est consubstantiel à
l'âme portugaise, mélancolique, qui aime tant chanter. Il se chante aujourd'hui
dans les bars de Lisbonne ou à Coimbra, plutôt pour les touristes, mais pas
seulement, à en juger par l'ambiance qui s'empare du public local lorsque le
ton s'enivre. Il se livre aussi en concert par le truchement de voix
flamboyantes comme celle de la grande Amalia Rogrigues.
Joana Amendoeira est de cette lignée. Elle se
produisait, pour la première fois au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, dans
la salle de musique de chambre du Bozar. Devant un
public de connaisseurs, et sans doute de la communauté portugaise de la ville
européenne. Pour une soirée chaude en couleurs. Entourée de trois musiciens,
Pedro Amendoeira, son frère, à la guitare portugaise,
Rogiero Ferreira, à la guitare classique et Entonio Quintino, contrebasse,
Joana Amendoeira va enchainer une heure et quart
durant succès de toujours du répertoire et pièces plus récentes, souvent
écrites pour elle. Elle a du chien dans sa robe rouge sang et sa mantille noire
qu'elle rassemble tantôt sur les reins tantôt au-dessus de l'épaule, et surtout
ce timbre grave, guttural qui, via une habile sonorisation, communique
immédiatement la sensation non pas de tristesse, de profonde nostalgie plutôt.
Elle va distiller ces chants qui sont autant de déclarations d'amour à la ville
de Lisbonne, ''Lichboa'', à ses
quartiers pittoresques dont l'Alfama, ou à des cités
maritimes telle Viana do Castelo, et bien sûr aussi au pays Portugal. Elle
glisse un hommage ému à Amalia Rodrigues. On est vite pris au jeu de cette
musique au rythme sommaire, de ces tunes qui semblent proches les uns des autres,
mais restent suffisamment variés pour donner l'impression de quelque chose de
différent à chaque fois. Tous les morceaux sont fabriqués sur un modèle
immuable : une introduction musicale, quelques couplets chantés, puis une sorte
de cadence instrumentale débouchant sur une coda reprenant le chant initial. On
est conquis par l'abattage de la chanteuse et la maestria de ses complices
musiciens qui, lors d'une pièce, sont invités à improviser tour à tour en solo
comme en manière de jazz. A ce jeu la guitare portugaise de Pedro Amendoeira fait des malheurs de ses virtuoses et
imaginatives modulations. Des mots comme « saudade »
frappent l'oreille et le cœur comme toute cette panoplie d'affects inhérents à
la galaxie fadiste : le destin - à l'origine du mot
fado, dérivé du fatum -, l'amour malheureux, la nostalgie du passé, la
jalousie, le chagrin. L'exil encore, car le fado dériverait des chants de
marins. Le public est invité à battre des mains et ne se fait pas prier.
L'adrénaline monte vite sur le plateau et dans la salle jusqu'aux bis fêtant
une talentueuse artiste. Jean-Pierre
Robert. Miroir des nostalgies : Le Chevalier à la rose Richard STRAUSS : Der
Rosenkavalier. Comédie pour musique en trois
actes. Livret de Hugo von Hofmannsthal. Michaela Kaune, Daniela Sindram, Erwin
Morley, Peter Rose, Martin Gantner, Irmgard Vilsmaier, Dietmar Kerschbaum, Eve-Maud Hubeaux,
Francesco Demuro, Jan Štáva,
Charles Reid, Peter Galliard, Martin Snell, Robert Worle, Ruzan Mantashyan, Caroline
Colineau, Laetitia Jeanson, Olga Oussova,
Emanuel Mendes, Chae Hoon Baek, Jian-Hong Zhao, Olivier
Fillon, Lucio Prete. Maîtrise des Hauts-de
Seine/Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris. Orchestre et Chœurs de
l'Opéra national de Paris, dir. Philippe Jordan. Mise
en scène : Herbert Wernicke. Opéra Bastille. Après Capriccio en janvier, l'Opéra
national de Paris reprend Le Chevalier à la rose, dans la mise en scène
d'Herbert Wernicke, coproduite avec le Festival de Salzburg où elle fut initiée
en 1995. On comprend ce choix tant la régie est un chef d'œuvre d'esthétisme
comme savait le concevoir le régisseur allemand (1946-2002), auteur de projets
mémorables comme La Calisto à La Monnaie, Moïse et Aaron au
Châtelet ou Don Carlo et Les Troyens à Salzburg. Tout en la
suivant de très près, Wernicke idéalise l'histoire qu'il nous conte par la
perfection des images, la justesse de la direction d'acteurs, le refus des tics
et poncifs de la réécriture et un souci d'aller à l'essentiel tout en respect
scrupuleusement les didascalies du texte. Pour lui, Der Rosenkavalier,
si intimement travaillé par Strauss à partir du texte de Hugo von Hofmannsthal, se joue « à une époque où l'on n'a
pas encore cessé de rêver à une autre ». Car le monde de cette ''comédie pour
musique'' est certes la Vienne de Marie-Thérèse, au glorieux passé, mais vue à
un moment où tout semble devoir basculer irrémédiablement, à l'aune de la
trajectoire de La Maréchale qui renonce à une aventure avec le bel Octavian, puisqu'aussi bien le temps qui passe chasse les
évènements sans doute aussi vite qu'ils sont advenus. C'est elle qui
inconsciemment jette l'adolescent dans les bras de Sophie, sous prétexte de
respecter la tradition – imaginée de toute pièce par les auteurs – de la
présentation de la rose d'argent par un factotum à la place du prétendant
choisi. Drame de la nostalgie ? Du réalisme plutôt d'une femme jeune qui
connait bien la vie et aura d'autres passades sans doute ! Sur fond de monde
grand bourgeois, ancré dans le superficiel, dans le bling
bling de l'époque, qui satisfait à la facilité dans
une débauche de moyens étalés, comme le font les Faninal
en leur ''stadtpalais'' grandiose. Il y a là une
constellation de personnages de chair et de sang comme sait en portraiturer
Strauss qui demandait à son librettiste poète d'être aussi près que possible
des réalités. Wernicke traite tout cela avec une infinie élégance à l'aune de
cette décoration dont il est aussi l'auteur, construite en miroirs géants qui
tantôt renvoient le vide du plateau, tantôt multiplient à l'envi l'illusion
d'un faste étalé, mais beau, d'une chambre (acte Ier), d'une imposante salle
d'apparat (II ème acte) ou d'une auberge cossue qui
se métamorphose en parc viennois (acte III). Cela parait immense, et pourtant
un sentiment de proximité en émane : les personnages ne sont pas disséminés sur
le vaste plateau de l'Opéra Bastille pas plus qu'ils ne l'étaient sur la large
scène du Festspielhaus de Salzburg car le régisseur
sait ses personnages et leur imprime ce maintien si essentiel ici, cette
manière d'être qui fait sens. Si la conversation en musique s'étire un peu au
Ier acte durant l'échange-exposition entre La Maréchale et le Baron Ochs, les
choses prennent vite un tour différent lors du tableau du grand Lever qui suit
: Wernicke n'a pas son pareil pour emplir et vider le plateau en un tournemain,
comme il en sera des autres scènes de foule des deux actes suivants. Il
articule même habilement ces scènes avec des plages plus intimes afin de varier
les climats. L'arrivée aussi peu inopinée que possible de La Maréchale dans
l'auberge au dernier acte, Wernicke l'a pensée loin du tohubohu du piège farce
tendu au Baron, alors que restent seuls en scène Octavian,
Ochs et le commissaire de police. Ce qui restitue tout son poids à la morale
énoncée par la dame et transforme l'humiliation du rustre en vraie prise de
conscience. Quelques clins d'œil amusants sont là pour rappeler que cette
comédie est aussi joyeuse : la charge de la profusion qu'offrent ces maisons
bourgeoises avec leur superflu, tels le chanteur muni de son flûtiste ou la
théorie de domesticité chez les uns et les autres, mais aussi dans la police
viennoise qui aligne outre un commissaire, quelques huit agents de rue ; et ces
apparitions pour effrayer le pleutre Ochs : autant de chevaliers à la rose tous
vêtus de blanc... La représentation se signale tout autant par
l'exécution musicale. Michaela Kaune, substituant une
autre star, trace du personnage de La Maréchale un portrait juste et loin de
tout cabotinage : une vision intériorisée et nursée
avec soin. Ainsi de l'irrépressible mélancolie qui saisit le personnage bien
avant son fameux monologue sur le passage du temps, même face aux débordements
de son jeune amant. Le tragique qu'on oppose souvent ici ne l'est pas tant. La
caractérisation de l'interprète le démontre : nullement triste, seulement
pragmatique quant au cours des choses. Le grand soprano, qui prend vite son
essor, épouse toutes les facettes d'un rôle qu'on sait délicat de par toutes
ses nuances. L'Octavian de Daniela Sindram est un roc : grand, boyisch,
conquérant, à la voix puissante et bigrement convaincante. Rien n'est fabriqué
dans ce rôle pourtant travesti. Une très fine interprétation ! Si le soprano de
Erin Morley est un peu juste coté puissance, les vocalises sont irréprochables
(début de l'acte II) et le personnage émouvant, partagé entre répulsion d'avoir
à confier son destin à Lerchenau et légitime timidité
d'un amour naissant pour un garçon de sa génération. Le trio qui élève le III ème acte au rang de classique du genre, atteindra une
intensité et une richesse vocale proches de l'idéal, comme le duo final des
deux jeunes gens enamourés, réunis par la rose d'argent qui sera remplacée
d'une rose rouge par le Pierrot Mohamed au dernier instant de l'opéra. Le baron
Ochs de Peter Rose est dans la droite ligne du Pourceaugnac
de Molière dont s'est inspiré Hofmannsthal pour créer son personnage de rustre
libidineux. Rien de vulgaire cependant ni même de trivial car le bonhomme a de
la classe et se laissera finalement berner comme un Falstaff. Le plus de cette
reprise réside dans la distribution des seconds rôles : un Herr von Faninal, Martin Gantner, parfaitement caractérisé, rendant au personnage
une importance insoupçonnée, une Marianne Leitmetzerin,
Irmgard Vilsmaier enfin
correctement chantée dans ses onomatopées du début de l'acte II, un chanteur,
Francesco Demuro, formidablement déployé ''à la
Pavarotti'' avec mouchoir, deux intrigants fort bien appareillés et tutti
quanti... Philippe Jordan les conduit avec doigté comme il le fait des passages
symphoniques, et son orchestre répand des trésors de charme ensorceleur, les
bois en particulier. Voilà une lecture qui évite l'écueil de la trivialité au
profit du raffinement et celui de la suavité pour une objectivité bienvenue. Si
les tempos sont plutôt mesurés, l'élan ne fait pas défaut, le sens des
proportions non plus. On savoure cette musique immédiatement séduisante qui
mêle adroitement classicisme de bon aloi - mozartien a-t-on dit - et modernité
assumée dans ses harmonies et sa rythmique osées, pas si éloignées d'une Elektra que Strauss venait tout juste de terminer,
et offre une virtuosité orchestrale et une générosité mélodique
irrésistibles. Jean-Pierre
Robert. Orfeo ou le
fruit du travail de l'Académie de l'OnP Claudio MONTEVERDI : Orfeo. Favola in musica en un prologue et cinq actes. Livret d'Allessandro Striggio fils.
Pauline Texier, Tomasz Kumiega,
Laure Poissonnier, Emanuela Pascu,
Gemma Bhrlain, Andrly Gnatiuk, Mikhail Timoshenko,
Damien Pass. Cécile Larroche,
Marie Picaut, Yu Shao, Alban Dufourt, Adèle Carlier. Orchestre et Choeur des Cris de Paris, dir.
Geoffroy Jourdain. Mise en scène : Julie Berès.
Amphithéâtre Opéra Bastille. Point d'orgue de la première
année de fonctionnement de l'Académie de l'Opéra national de Paris, cette
production de l'Orfeo de Monteverdi en montre
d'évidence la fine qualité du travail. Il n'est pas si aisé de monter cette
''fable en musique'', acte de naissance officiel du genre de l'opéra, même si
plusieurs tentatives (Peri, Caccini) annonçaient et
ont permis cette (r)évolution. Monteverdi en cette année 1607, providentielle
pour lui et pour l'histoire de la Musique, assoit le genre et ouvre la voie
royale à tous ses descendants. Le mythe d'Orphée, la célébration de l'amour
conjugal, il le transfigure à partir d'un livret magistral qu'il pourvoit d'une
déclamation monodique, sorte de parler en musique, apte à créer un vrai drame
en musique. Cette nouvelle production, les chanteurs de l'Académie de l'Opéra,
mais aussi une « académicienne » en mise en scène, Mirabelle
Ordinaire, l'ont porté au long de séances de travail qu'on sent intenses tant
le résultat éclate de vigueur. Ils sont aidés et guidés par la mise en scène
aussi originale que juste de Julie Berès. Issue du
CNS d'Art dramatique de Paris, elle fonde sa propre compagnie puis est associée
à des scènes nationales, dont le Quartz de Brest ou le MC2 de Grenoble. Elle
propose une lecture allusive et onirique. Depuis le prologue dévolu à La Musica trônant en haut d'une immense montagne de tulle (qui
astucieusement permet de dissimuler tout un arsenal d'accessoires pour la
suite), elle égrène les divers tableaux sans solution de continuité, restituant
l'atmosphère pastorale des deux premiers actes, puis les sombres territoires
des enfers aux suivants. De beaux arrêts sur images (le premier tableau des
bergers), des groupements suggestifs (les mêmes bergers entourant les deux
amants), laissent place à un mouvement tournoyant assez irrésistible, les uns
les autres courant comme des cabris, même parmi l'auditoire, sans que cela ne
paraisse fabriqué. Les moments clés sont adroitement ménagés : le surgissement
de Sylvia, la Messagère de douleur, le lamento d'Orphée, l'échange entre
Proserpine et Pluton, l'arrivée d'Apollon, porteur d'apaisement et d'appel au
dépassement de soi. Les gestes sont justes et l'on y croit, jusqu'à ce geste
d'émasculation qu'Orphée va commettre au comble du désespoir. Dans un
environnement agréablement diversifié qui a su tirer parti des contraintes du
lieu, l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille, aménagé avec son plateau central demi
circulaire et deux dégagements de part et d'autre : à gauche, les musiciens
disposés sur les gradins, à droite une seconde aire de jeu utilisant habilement
la déclivité pour prolonger le parcours allégorique. Créant une intéressante
proximité musique-action-public. Mais ce sont nos
« académiciens »-chanteurs qui tiennent le
show. Et ils nous épatent. A commencer par Tomasz Kumiega, Orfeo : une large voix
de baryton auquel on peut prédire sans discussion un bel avenir. Le recitar cantando est assuré par
une claire émission (lamento du II ème acte « tu
sei morta, mia vita », ou l'immense
déploration-supplication « Possente spirto » du III ème, adornée
des traits des violini puis de cornetti
en écho). Si la patte ''baroque'' aura bien sûr encore à se peaufiner, quelles
magistrales effluves déjà dans ce cantabile qui sait croître en intensité, et
ces nuances ajustées avec soin. Son Eurydice, Laure Poissonnier, hélas peu
gratifiée par le musicien, offre un joli timbre aussi, parfaitement conduit.
Comme il en va de la Messagère, la roumaine Emanuela Pascu, beau timbre de mezzo qui libère des envolées vers le
contralto et délivre une affliction palpable lors de l'annonce du drame de la
morsure du serpent. Les basses ne sont pas moins valeureuses : Andrly Gnatiuk, Caron, Mikhail Timoshenko, Pluton, et Damien Pass,
un ''ancien'' de l'Atelier lyrique maison, en Apollon. Les Chœurs des Cris de
Paris, qui avitaillent certains rôles solistes, dont les deux bergers de Yu Shao et d'Alban Dufourt,
ajoutent à la fête. Geoffroy Jourdain aussi avec son orchestre des mêmes Cris
de Paris : belle sonorité des cuivres et fort appréciable contribution des
cordes. De la belle ouvrage ! Jean-Pierre
Robert. Un Wagner de comédie shakespearienne Richard WAGNER : Das Liebesverbot (La
défense d'aimer). Grand opéra-comique en deux actes. Livret du compositeur
d'après Mesure pour mesure de William Shakespeare. Robert Bork, Benjamin Hulett, Thomas Blondelle, Marion Ammann, Agnieszka Slawinska, Wofgang Bankl, Peter Kirk,
Jaroslaw Kitala, Norman Patzke,
Hanne Roos, Andreas Jaeggi. Chœurs de l'Opéra national du Rhin. Orchestre
Philharmonique de Strasbourg, dir. Constantin Trinks. Mise en scène : Mariame
Clément. Opéra du Rhin à Strasbourg. Il est à peine croyable de penser
que cet opéra de jeunesse de Wagner connait ici sa création scénique française...
Il est certes peu donné même en Allemagne, mais pareille ignorance de ce
côté-ci du Rhin laisse rêveur. Créé en 1936, à Magdebourg où le jeune musicien
était chef d'orchestre, la pièce ne connut pas le succès escompté et Wagner dut
se battre pour la faire présenter tant à Leipzig qu'à Berlin, en vain. Les
Fées et surtout Rienzi allaient connaître meilleur accueil. Avec
le recul, on peut dire que c'est du Wagner sans Wagner;
encore que... L'auteur de Tristan y convoque Bellini qu'il venait de
découvrir par la cantatrice Schröder-Devrient, voire
Donizetti, aussi bien que l'opéra-comique français. Mais aussi l'opéra
romantique allemand de Weber, ce qui confère à l'opéra un aspect singspiel et a
dû en particulier inspirer les contours du personnage clé, le gouverneur
Friedrich. Tout cela fait beaucoup, dira-t-on, pour un sujet puisé chez
Shakespeare. Voire. De Mesure pour mesure, Wagner ne retient finalement
qu'une trame qui n'a plus grand chose à voir avec l'original, et réécrite à sa
guise. Déjà ! Transportant l'intrigue de Vienne à Palerme, il concentre
celle-ci sur un antagonisme assez primaire entre jouissance et puritanisme,
pour au final laisser triompher la première en la personne même de ce
Gouverneur qui n'hésite pas à enfreindre sa propre loi, qu'il n'a sans doute
jamais eu l'idée de s'appliquer à lui-même. C'est en fait une charge loufoque
contre l'hypocrisie bourgeoise : l'affirmation d'une sensualité accolée à
l'idée qu'on s'en fait en Italie, réfrénée par des sbires allemands rigoristes,
laquelle finit par prévaloir en une licence que rien ne peut plus tarir. La
gente féminine a de la ressource et la jeune novice Isabella plus d'un tour
dans son sac. Tout finit moyennant chassés croisés amoureux en plusieurs
mariages lors d'une scène de carnaval qui voit la déconfiture de
l'intransigeant gouverneur et le triomphe de la coquette, laquelle bien sûr
renonce au couvent pour épouser celui qu'elle aime, après avoir éprouvé celui
dont elle sait les faiblesses. Le mélange des esthétiques musicales n'est pas
gênant dans pareil sujet, somme toute assez léger, et la rivalité entre
italiens du sud et allemands du nord plutôt cocasse pour éprouver la morale.
Pour son premier Wagner, Mariame Clément s'en tire
bien. Peut-être parce que pas taraudée par le pathos wagnérien précisément. Et
puis cette touche de féminisme n'est sans doute pas pour lui déplaire, qui est
bien agréable à illustrer. La lecture est originale : elle nous transporte dans
un monde du début du XX ème, en fait dans le décor
inique d'un grand café où tout le monde se retrouve. Ceci permet de tracer une
myriade de portraits amusants parmi le chœur, qui occupe une place
prépondérante dans l'opéra : les piliers de bistrots, les dames embijoutées
habituées du lieu, la caisse et ses tenanciers, jusqu'à la dame pipi aux bas
roses... La direction est alerte et les personnages bien vus, dont celui du
gouverneur, et d'Isabella et de ses soupirants. Il est certain que le début de
la pièce pâtit d'une absence de suspense et que les choses ne prennent un tour
plus intéressant qu'à partir de l'entrée dans l'action du gouverneur. Les airs
et duos donnent lieu à des échanges serrés et les tableaux de foule sont fort
achalandés, tel ce carnaval final qui voit l'ensemble des italiens et allemands
troussés en personnages de la cosmogonie wagnérienne, où l'on trouve pèle mêle
les gens de La Tétralogie avec armures et couvre chefs à ailettes, Elsa
et autres figures issues de Tristan ou Parsifal....Joli
clin d'œil ! Auparavant les oppresseurs
germains auront porté culottes de peau bavaroise et chapeau vert à blaireau. Constantin Trinks
ne tarit pas d'éloges sur cette partition qu'il a déjà dirigée à Bayreuth, en
marge du Festival, en 2013 pour les célébrations du centenaire. Et cherche à
tordre le cou à bien des clichés accolés à cette œuvre de jeunesse, pour en
faire saillir les originalités : sa lisibilité textuelle, malgré souvent une
obligation de chanter « à toute vitesse dans un syllabisme strict »,
sa rythmique intéressante avec ses crescendos et accélérations typiquement
italiens. La direction est vivante et, passée une ouverture à vrai dire de type
pot-pourri, donne une bonne idée des vertus de la pièce. En particulier de ces
signes avant-coureurs d'opéras ultérieurs comme Tannhäuser;
ou Le Vaisseau fantôme à travers le personnage de Friedrich,
préfiguration du Hollandais. L'orchestration dense, il la traite avec un souci
d'allègement. L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg répond avec foi ; ce qui
mérite d'être relevé devant pareille première de répertoire. Il en va de même
des Chœurs de l'ONR qui font un passionnant travail autant de chant que de
composition tant la régisseuse leur demande de présence. Il est bien sûr
délicat de distribuer une pièce si peu jouée et que les chanteurs n'ont pas
dans leurs cordes habituelles. Le cast rassemblé s'en
tire plutôt bien. A commencer par le Gouverneur Friedrich de Robert Bork, beau timbre de baryton basse, bien placé et sachant
tenir le choc d'un rôle exigeant, qui le fait finir ici déguisé
en Zorro lors du bal du carnaval ! L'est tout aussi celui d'Isabella, et de
plus fort long, à cheval sur des parties comme celles d'Elsa ou d'Elisabeth,
avec des traits annonçant le grand soprano dramatique. Marion Ammann prend de l'assurance à mesure que progresse la
soirée, renforçant la stature de femme résolue et astucieuse. Il en va de même
d'Agnieszka Slawinska,
Mariana, et des deux ténors, Benjamin Hulett (Luzio) et Thomas Blondelle
(Claudio), le premier annonçant Erik et ses airs ''à l'italienne'' du Vaisseau
fantôme. Une mention particulière à Wolfgang Bankl,
en Brighella, cet avatar de la comedia
dell 'Arte, exemple aussi d'un vrai faux tenant de l'orthodoxie puritaine, en
réalité perdu dans ses propres contradictions : n'apparait-il pas en Pierrot
lors de la mascarade finale ! Ou encore à Andreas Jaeggi,
Pontio Pilato - tout un
programme -, ce vrai type de voix de ténor de composition qu'on aime entendre à
l'Opéra. Jean-Pierre
Robert. La Traviata ou la fête contrainte Giuseppe VERDI : La
Traviata. Opéra en trois actes. Livret de Francesco Maria Piave d'après La
dame aux camélias d'Alexandre Dumas Fils. Maria Agresta,
Bryan Hymel, Željko Lučić, Antoinette Dennefeld,
Julien Dran, Fabio Previati,
Boris Grappe, Luc Bertin-Hugault, Vincent Morell, Marc Chapron, Andrea Nelli. Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris, dir. Michele Mariotti.
Mise en scène : Benoît Jacquot. Opéra Bastille. Avec cette reprise de La Traviata,
l'Opéra de Paris conclut sa trilogie initiée avec Le Trouvère et
poursuivie par Rigoletto. Si on devait mesurer
la bonne santé vocale de la maison, la présente distribution en fournirait un
bon étalon. Car celle-ci est de haut niveau. Dans le rôle-titre, et malgré le
forfait de la cantatrice annoncée - une pratique qui a tendance à devenir
courante - , la jeune Maria Agresta
fait un joli succès : voix bien placée, large, admirablement timbrée, qui n'a
pas de difficulté à s'imposer dans les vastes espaces de l'Opéra Bastille. On
la sent à l'aise dans les diverses facettes d'une partie exigeante : des
colorature de « E strano! » et de la cabalette
« Gioire » (Ier acte), à « Ah, no giammai! » (II) ou ces pages d'une émotion à fleur de
peau vis à vis d'Alfredo, d'une vérité déchirante parce que tout bascule alors
; de cet ultime échange chez Flora, « Morte je t'aimerai encore », à
l'« Addio del passato » délivré dans
une tension inouïe. Et ce malgré un public vraiment peu attentif aux efforts
déployés par l'interprète, n'hésitant pas à tousser à gorge déployée ! La caractérisation
est d'autant plus méritoire que la régie est, comme on le verra, peu aidante.
Mais cet artiste, qui sait visiblement combien ce portrait de femme est
porteur, est bien décidée à le faire savoir. Une interprétation achevée,
justement saluée. A ses côtés, l'Alfredo de Bryan Hymel
est de classe : un peu enveloppé, certes - un de ses illustres prédécesseurs ne
l'était-il pas aussi - mais présentant bien, pas affecté. Le
« Brindisi » au Ier acte est amené naturellement et la suite évite le
pathos, tout comme les deux airs du II respirent les effluves d'une jeunesse
que rien n'a encore ébranlé. L'armure saura se fendre plus tard. Željko Lučić, un des
grands barytons Verdi du moment, prête à Germont une
faconde là aussi totalement naturelle, et les deux airs du II ème acte sont un modèle de beau cantabile, aussi bien
projeté que pensé, sans trop de morgue non plus que de vaine compassion. Les
autres rôles sont assurés quoique sans aura particulière. La masse chorale
défend les scènes de foule des actes I et III avec précision et une tenue
dramaturgique qu'on n'hésite pas à porter à son crédit. Le chef Michele Mariotti, en poste à
l'Opéra de Bologne, est extrêmement attentif à ses troupes qu'il guide de main
sûre. Sa vision de la pièce est intimiste, fuyant tout pathos, et ses tempos
sur le versant lent. On aime la façon dont il retient le mouvement et le fait
évoluer par un savant dosage des effets. Comme le souci de la couleur, celle de
la clarinette par exemple, employée par Verdi pour conférer à l'expression
chantée un ton tragique particulier. Des contrastes également qui habitent le
champ musical et le dilatent ou le contractent au gré des événements : Mariotti les distille habilement sans rien ajouter de
factice. Dès lors, ces tonalités semblent tomber sous le sens parce qu'amenées
avec un vrai souci de théâtre. L'a-t-on côté mise en scène ? Pour sa
deuxième prestation opératique - après Werther de Massenet - le cinéaste
Benoît Jacquot a voulu jouer l'économie de moyens. Et miser sur quelques traits
essentiels. Ne pas tomber encore dans le travers de la transposition ni dans
celui consistant à déplacer l'action à l'époque précise de la composition du
livret, donc de celle de Dumas. Il dit avoir cherché à ramener chacun des
quatre tableaux de l'opéra « à un élément qui serait comme la partie pour
le tout » : un vaste lit d'apparat au Ier, un arbre gigantesque au II ème, un escalier monumental au III ème,
et de nouveau le lit au dernier. Et avoir pris pour point de départ le tableau
« Olympia » d'Édouard Manet (1863) ; dont la réplique trône ici
au-dessus du lit et fournit les traits d'un des personnages de l'action, Annina, la servante de Violetta, grimée en femme noire
comme celle qui sur la toile veille sur la beauté nue. Ces éléments disposés épars
sur le vaste plateau de Bastille sont enveloppés de noir, d'un noir
irrémédiable. Le souci d'intimisme est poussé à l'extrême. Au premier acte,
point de réception chez Violetta, mais un souvenir de celle-ci, avec une
théorie de bonshommes de noir vêtus et hauts de forme, alignés raides, qui
s'avancent et reculent. Et au troisième, des invités qui mécaniquement
gravitent les degrés de l'escalier majestueux d'une demeure qu'on sent
démesurée, laissant place fugitivement à une rangée de danseurs pour quelques
pas plus banaux qu'affriolants. C'est que tout ce petit monde est contraint à
la fête, dit-on. Certes. Mais que cela est triste, compassé, sous tendu par une
direction d'acteurs elle-même réduite à peu de chose et des éclairages
étouffants (« Di Povenza » dans une semi
obscurité). Le dernier acte nous plonge dans une affliction sans borne, dont
l'émotion ne sourd paradoxalement que peu. Au point qu'on se demande si le
régisseur n'a pas, sans le vouloir, épousé la théorie exposée dans le programme
de salle par Karol Beffa : Verdi aurait dans son
opéra pratiqué plus l'allusion et l'ellipse qu'une construction rigoureuse, et
privilégié l'invraisemblance à la vraisemblance. Selon lui, au II ème acte en particulier, « Personne n'est jamais nulle
part » et cet acte « est littéralement un acte de fuites et de
courants d'air ». Chacun des personnages de Violetta, de Germont, et même d'Alfredo, poursuivant ses chimères :
vraie-fausse rigueur bourgeoise chez Germont, amour
impossible désormais pour Violetta, descente aux enfers pour le jeune amant.
Quiproquos ? Peut-être. Mélodrame : sûrement pas. Ce qui, renchérit l'auteur,
fait que « nous assistons à un ballet des
absents, à un carnaval démasqué où plus personne cependant ne se
reconnaît ». Cette invraisemblance, qui apparaît clairement in fine lors
de l'agonie de La Traviata, « hante tout le reste de l'œuvre ». On ne
l'avait en effet pas pensé de la sorte. Il n'empêche : sans vouloir revenir à
l'imagerie léchée de Zefirelli ou aux raccourcis de Sivadier, la manière de Jacquot est étrange. Jean-Pierre
Robert. Shakespeare voit son Roi Lear enfin honoré d'un opéra Aribert REIMANN : Lear. Opéra en deux parties. Livret de Claus H. Henneberg, d'après The Tragedy
of King Lear de William Shakespeare. Bo Skovhus, Gidon Saks, Ricarda
Merbeth, Erika Sunnegårdh,
Annette Dasch, Andreas Scheibner,
Michael Colvin, Kor-jan Dusseljee, Lauri Vassar, Andrew
Watts, Andreas Conrad, Ernst Alisch, Nicolas Marie,
Lucas Prisor. Orchestre et Chœurs de l'Opéra national
de Paris, dir. Fabio Luisi.
Mise en scène : Calixto Bieito.
Opéra Garnier. « Depuis Wozzeck d'Alban Berg, on a
rarement expliqué de façon aussi convaincante la solitude de l'homme par son
aveuglement vis à vis de ses frères ». Ainsi s'exprime celui qui est à
l'origine du projet de création de l'opéra Lear en 1978, le baryton
Dietrich Fischer-Dieskau, fasciné par ce personnage hors norme. A vrai dire
tous y allaient à reculons : le compositeur Aribert Reimann (*1936) qui commença par décliner l'invitation mais
se ravisa à mesure que le projet l'envahissait et lorsque la commande du Staatsoper de Munich devint officielle ; le librettiste
Claus H. Henneberg qui reconnait s'être décidé plus
par amitié pour le musicien que par conviction. Le sujet, un des plus sombres
de la cosmogonie shakespearienne, emprunté à des pages effrayantes de
l'histoire anglaise, en avait fait réfléchir plus d'un avant eux, Verdi en
particulier, qui caressa longtemps le projet et abandonna. « Shakespeare
restera toujours une provocation » relève Henneberg,
et la tentation est forte de ne pas vouloir se mesurer à la limite des limites,
mais irrésistible aussi la volonté de s'y confronter. Le vieux roi Lear est
décidé à partager son royaume entre ses trois filles, Goneril,
Regan et Cordelia. Si les
deux premières acceptent volontiers, la troisième oppose un remerciement poli,
sans doute plus aimante que ses sœurs. A peine le partage consommé, les deux
premières, devenues rivales, vont se déchirer l'héritage tout comme leurs maris
et leurs proches. Car il y a là-dedans diverses strates dans la convoitise du
pouvoir et dans l'horreur. Lear sera vite confronté à la méchanceté de ses
rejetons. Rencontrant le fou, donc la sagesse, il subit l'inanité des desseins
de tous ces personnages qu'il a contribué à façonner. Et il aura cette phrase « Est-ce que
ces mains sont les miennes ? J'aimerais tant savoir ce que je suis ». Il
mourra désespéré. Devant pareil « chaos », Reimann a
écrit une œuvre d'une puissance proprement inouïe, où l'orchestre est un
personnage à part entière. Un orchestre pléthorique, truffé de percussions,
bourré d'effets de clusters, d'agrégats sonores immenses, pour des
déchainements souvent insoutenables dans leur permanence, leur insistance. La
scène de la tempête sur la lande est à cet égard d'une violence irradiante peu
commune. Les plages de répit sont limitées. Et pourtant il y en a. Ainsi de la
fin de la première partie où le roi et le fou sont rejoints par Tom, apparition
fantomatique d'Edgar, fils de Gloucester, pour un colloque halluciné ; ou
encore cette immense vague d'orchestre de cordes conventionnelles d'une
intensité incandescente qui à l'antépénultième scène de l'opéra, voit Lear et
sa fille Cordelia un instant réunis avant
l'anéantissement final. On pense ici à l'intermède symphonique entre les deux
dernières scènes de Wozzeck, ou soudain le ciel s'entrouvre sur une
musique d'une saisissante et poignante beauté. L'écriture pour les voix est
d'une extrême complexité. Dietrich Fischer-Dieskau lui-même reconnait avoir été
« à la fois subjugué et étonné » de constater que souvent « le
chanteur était totalement abandonné à lui-même, sans le moindre soutien à
attendre d'un orchestre évoluant par-dessus le marché le plus souvent en nappes
de quarts de tons » (in « Les sons parlent et les mots
chantent » ; Buchet & Chastel). Reimann utilise le parlé
chanté dans une acception elle-même multiforme : du parlé
déclamé (le Fou) au parlé crié, sorte d'éructation, du parlé
libre au parlé rythmé, sans intonation musicale. Mais aussi du chant pur au
chant libre, voire du Sprechgesang hérité de Schönberg que le musicien
travaille également à sa guise. Tout cela est bien sûr mixé et donne lieu à des
accents paroxystiques contraignant l'interprète à des écarts énormes, dans
l'aigu du registre par exemple, du soprano bien sûr, de la basse aussi. Les
rôles ont été pensés en fonction de chanteurs bien précis : pour Lear, un grand
baryton basse capable d'une émission soutenue, que le Lied aurait façonné :
Dietrich Fischer-Dieskau. Les trois filles, extrêmement différentes, à l'image de
leur caractère bien distinct : un grand soprano dramatique pour Goneril (Helga Dernesch à la
création) ; pour Regan, un soprano plus tendu ; et
s'agissant de Cordelia, un soprano plus lyrique
(Julia Varady à Munich). Les maris et autres
chevaliers britanniques sont campés par une panoplie de ténors, barytons et
basses. Tandis que la partie d'Edgar revient à un contre
ténor au large ambitus. La régie de Calixto
Bieito, pour ses débuts à l'OnP,
surprend presque par sa volonté de respect textuel. Là où on pouvait craindre
une transposition moderne - et les correspondances ne manquent pas - il propose
une lecture éminemment théâtrale ancrée sur une direction serrée.
L'environnement volontairement claustrophobe aide à pareille concentration :
décoration de lattes de bois qui se dilatent pour laisser suinter la lumière en
des effets d'une beauté spectrale, en miroir même dans la salle. Ou deviner les
frénétiques allers et venues de l'ensemble des protagonistes outre ceux du
chœur durant l'intermède symphonique qui scinde la première partie. La scène de
la tempête renchérit en vision d'apocalypse, par un éclairage de fond de scène
balayant l'entier plateau. La lumière (Franck Evin) jouera un rôle déterminant
au fil des divers tableaux de la seconde partie, sorte d'enfer sur terre.
Magistralement travaillées, les confrontations deviennent autant de corps à
corps. Celles des deux filles Goneril et Regan qui, au-delà d'un crêpage de chignon sans merci,
atteignent leur exacerbation lorsque se rejoignant presqu'à l'unisson, elles
déversent leur torrent de venin. A la réplique du pauvre roi, dépossédé au-delà
du croyable, « Je vous ai tout donné », ne se voit-il pas rétorquer
par ces furies « Il était temps ! ». Le parcours de déchéance, Bieito le conçoit aussi à travers le prisme du
vieillissement des corps : celui de Lear qui peu à peu se défait de ses
attributs solides, qui finira en culotte pas nette ; celui de tel personnage
muet de vieillard qui hante le plateau, signe tangible d'une décrépitude programmée,
irréversible. Les empoignades et méprises entre femmes et maris ne sont pas
moins effroyables, car ces Lady Macbeth en puissance n'hésitent pas à malmener
l'époux sans le moindre égard. Bieito n'y va pas de
main morte question coups de poing, strangulations et yeux arrachés. Les
interventions du Fou ajoutent à l'irrationnel ambiant, au sarcasme aussi. Et
les quelques vérités qu'il lâche sonnent comme autant de paraboles pas
forcément douces à entendre, sûrement intéressantes à méditer. Il y a surtout
des images qui vous clouent au fauteuil : ledit colloque entre Lear, le Fou et
Tom à la fin de la première partie, d'une saisissante cruauté et pitoyable
vérité : ou ces ultimes retrouvailles entre Lear et Cordelia
vers la fin de l'opéra, alors qu'elle le tient sur ses genoux telle une Pietà.
L'ultime trait, qui voit Lear assis au bord du plateau au-dessus du vide de la
fosse d'orchestre, est tout aussi singulier, qui peu à peu éteint son sourire
dans le néant. Pour tenir une telle œuvre, encore fallait-il
une distribution de taille. Celle réunie est à tous égards
formidable. Qui pour succéder à DFD ? Bo Skovhus
en a la taille, les moyens vocaux et le charisme. Depuis les premières phrases
murmurées sur un ton monocorde aux grands éclats dont est constellé le rôle,
intransigeant et périlleux, tendu à l'extrême, le danois n'a pas son pareil
pour tenir le choc, et en haleine le plateau. Le monologue durant la scène de
la tempête est un moment de désespérance et d'aplomb vocal rares. Comme la
lente course à l'abîme qui fait passer le personnage d'acteur à témoin de sa
propre déchéance. Chaque geste, chaque regard est taillé à l'aune de la
possession de celui qui sans doute ne doit pas laisser indemne son interprète,
et en tout cas submerge le spectateur. Une prodigieuse assomption. Chacune des
trois filles offre pareil magistral portrait : Ricarda
Merbeth possède le soprano dramatique qui sied au
personnage de Goneril, sans doute la plus harpie des
trois et la plus résolue à en découdre vis à vis de tout un chacun, à travers
une vocalité toujours tendue comme un arc, à la limite du cri vengeur. Il émane
de ce personnage une tension proprement insoutenable souvent. Sa consœur Regan, Erika Sunnegårdh offre un
soprano pas moins incandescent et un portrait tout autant ravageur dans ses
trépignements et caprices de femme inassouvie. La Cordelia d'Annette Dasch,
beau soprano lyrique, en est presque réconfortante, mais le rôle est conçu de
manière tout aussi tendue. C'est d'amour et de féminité que cet individu nous
parle, enfin. Tous les personnages masculins des rois (de France) et princes
(d'Angleterre : Albany, Cornwall, Kent, Gloster) sont
défendus avec autant de perfection vocale que de présence dramatique. Se
détachent encore L'Edmund d'Andreas Conrad, grand ténor expressif, et surtout
l'Edgar du contre-ténor Andrew Watts qui pour ses débuts à Paris, réussit un
coup de maître : à la beauté intrinsèque du timbre fait écho un impact tragique
éblouissant. Le personnage parlé du Fou, Ernst Alisch,
acteur vieillissant et criant de vérité dans son torse nu et ses moulinets de
chapeau noir, en fait un atout majeur d'un spectacle qui dans sa force
n'épargne personne. Il en va tout autant de la direction de Fabio Luisi. Pour avoir dirigé un inoubliable Wozzeck à l'Opernhaus de Zurich, on le sait en parfaite affinité avec
le genre de Litteraturoper qui fleurit au XX éme siècle. La maestria n'est pas mince d'avoir amené
l'orchestre de l'Opéra de Paris à pareil magma fusionnel quels que soient les
départements concernés ; ceux des percussions débordant même de la fosse pour
gagner les loges d'avant-scène. Dans l'acoustique si merveilleusement présente
de l'Opéra Garnier, la musique de Reimann sonne
particulièrement à l'aise et le compositeur, présent aux saluts finaux de cette
Première, pouvait être légitimement fier de la magnificence de son œuvre.
Assurément un événement ! Jusqu'au 12 juin. Jean-Pierre Robert. Matthias Goerne & Christoph Eschenbach : Une curieuse impression d'inachevé…. On sait le baryton allemand, Matthias Goerne, plus à l'aise dans l'exercice du lied que dans les
grandes fresques opératiques, aussi ce concert de l'Orchestre de Paris qui
retrouvait pour l'occasion son ancien directeur musical, le pianiste et chef
allemand, Christoph Eschenbach, avait-il un parfum
d'inattendu, expliquant l'affluence des grands soirs à la Philharmonie de
Paris. Un programme totalement allemand, les Monologues célèbres de Wagner et
la Symphonie n° 2 de Brahms.
Formidable conteur dans le Lied où sa narration intimiste et son expression du
« Je » font merveille, Matthias Goerne
déçut dans ces monologues wagnériens, d'autant qu'on connait l'extrême
difficulté de donner, pour les chanteurs, le meilleur de soi dans ces fragments
d'opéra isolés où l'on doit immédiatement, dès les premières notes, recréer le
climat de l'œuvre. Exercice périlleux, s'il en est, et souvent décevant…Le
Monologue du roi Marke « Tatest du's wirklich ? » concluant le deuxième acte de Tristan et Isolde ouvrait le concert.
Force est de reconnaitre que Mathias Goerne ne
possède pas la tessiture adéquate pour ce rôle normalement échu à une basse. Sa
tessiture trop légère, manquant de charisme vocal et de compassion, retirant de
ce fait à cet air tout son pouvoir d'émotion. Venait ensuite le monologue du
Hollandais « Die Frist
ist um » sorte de
confession entre parole et lyrisme où le héros évoque la malédiction qui le
poursuit, dans la deuxième scène de l'acte I. Hélas, malgré une tessiture plus
adaptée, le chant un peu haché du baryton fut couvert à plusieurs reprises par
l'orchestre. Enfin pour conclure, les merveilleux et dramatiques Adieux de Wotan, concluant le deuxième
acte de La Walkyrie. Quintessence du
baryton héroïque wagnérien, Wotan y punit sa fille pour lui avoir désobéi en la
plongeant dans un profond sommeil et lui dit adieu. Une des pièces les plus
touchantes et les plus lyriques du répertoire, toute baignée d'amour et de
tristesse que Goerne rendit de belle façon
retrouvant, ici, son legato et sa capacité d'émouvoir par le ton de la
confidence qu'il sait si bien exprimer dans le Lied. Après la pause, la Symphonie n° 2 de Brahms, monument du
répertoire symphonique romantique allemand, composée en 1877. Elle fut créée la
même année par le Phiharmonique de Vienne sous la
direction de Hans Richter. Une œuvre où Christoph Eschenbach
répondit immédiatement à nos craintes et retomba dans ses mauvais travers, nous
livrant un discours fragmenté et confus malgré une direction quelque peu
emphatique. Une impression d'inachevé qui perdura tout au long des quatre
mouvements. S'attachant plus aux détails qu'à la continuité de la ligne, avec
force variations de tempo, pour une narration empreinte de superficialité, le
chef allemand ne parvint jamais à nous intéresser vraiment malgré les qualités
musicales indéniables de l'orchestre. Un rendez-vous manqué… Patrice Imbaud. Daniel Harding et l'Orchestre de Paris : Le début d'une
nouvelle ère. Le nouveau futur directeur musical de
l'Orchestre de Paris retrouvait ses troupes quelques mois avant sa prise
officielle de fonction en septembre prochain, date à laquelle il remplacera Paavo Järvi. Les choses changent
et il faudra s'y habituer…Si la direction du chef estonien s'appuyait notamment
sur un sens aigu de la dynamique et une gestique assez minimaliste, celle du
chef britannique se caractérise, au contraire, par une certaine langueur,
originale, tant dans le geste, ample, élégant et parfois quelque peu
grandiloquent que dans la lecture de l'œuvre, s'attachant beaucoup aux détails
et aux nuances, parfois aux dépens de la ligne conductrice qu'on peine quelque
peu à suivre…Un concert à la Philharmonie de Paris qui avait donc valeur de
test bien que Daniel Harding ait plusieurs fois dirigé la phalange parisienne
depuis la date de ses débuts en 1997. Au programme, des œuvres bien connues du
chef britannique, le Concerto à la
mémoire d'un ange d'Alban Berg avec la violoniste Isabelle Faust en soliste
et la Symphonie n°4 de Gustav Mahler
avec la soprano Christina Landshamer. Un concerto de
Berg à la mémoire de Marion Gropius, fille d'Alma Mahler, qui dérouta un peu
par son ambiance chambriste très marquée, recueillie, presque religieuse comme
une sorte de Requiem. Une interprétation dans l'esprit de la partition qui fut
composée en 1935, quelques mois avant la mort du compositeur. Une œuvre
inimitable où se mêlent intimement une méditation confidentielle
autobiographique et un hommage à l'enfant tant aimée. Une composition dégageant
une rare charge émotionnelle que l'on ne retrouva pas dans cette lecture épurée
que certains auraient préféré plus engagée, plus expressionniste, plus
empreinte de tension dramatique, comme celle de Christian Tetzlaff,
ou encore plus poétique et tendue comme celle de Gil Shaham
en 2012 avec le même orchestre sous la direction de Christoph Eschenbach. En deuxième partie, la Symphonie n° 4 de Mahler, compositeur fétiche de chef britannique,
élève de Simon Rattle à Birmingham et de Claudio Abbado à Berlin. La
Quatrième se démarque des symphonies précédentes par la réduction de l'effectif
orchestral, l'absence de chœur, l'absence de programme explicite mais elle
s'inscrit toutefois dans la continuité par la présence du lied « Das himmlische Leben » (La Vie céleste)
tiré du « Wunderhorn », autour duquel elle se construit.
Elle comprend quatre mouvements, le premier réfléchi, à l'aise, innocent mais
ambigu, interprété à l'époque comme un retour à Haydn, le deuxième
inquiétant, comme si la mort conduisait le bal, danse satanique au son du
violon accordé un ton trop haut, aux allures de crincrin, l'adagio suivant à la fois divinement gai et
infiniment triste confirmant la figure de Janus de la Quatrième symphonie,
enfin la « Vie céleste » comme l'aboutissement de l'œuvre entreprise dans
la Troisième symphonie, nous rappelant à la fois la vie céleste et le monde de
l'enfance. Mahler confirme par ce Lied que l'accès au royaume du ciel est
possible même s'il existe plusieurs chemins pour la maison du Père. Les joies
du Paradis sont ici d'essence bien terrestre. La Quatrième symphonie a posé
bien des problèmes d'interprétation lors de sa création, elle correspond à la
fin d'une première étape dans la construction mahlérienne. Le compositeur se
retourne pour apprécier l'ampleur du travail accompli. Comme l'affirme Max Graf,
cette symphonie doit être lue à l'envers, son programme caché se révèle :
un voyage dont le but est l'innocence. « La fin est l'endroit d'où nous
partons » (T.S Eliot). La lecture que nous donna de cette œuvre complexe
Daniel Harding nous parut là encore très originale, riche en couleurs et en
nuances, profitant de toutes les occasions pour faire valoir les pupitres de
l'orchestre, excellents, vents et cordes, rendant ainsi hommage à l'opulence, à
la beauté et à la complexité de l'orchestration mahlérienne. Une lecture aux
tempi assez lents parfois surprenants, d'une froide beauté apollinienne qui ne
parvint pas, hélas, à nous émouvoir car manquant de tension, d'engagement et de
continuité dans la ligne. Le lied conclusif « La Vie céleste » d'habitude si émouvant nous laissa là encore
sur des regrets, la voix de Christina Landshamer
manquant de projection dans la grande salle de la Philharmonie, avec un médium
assez faible, de beaux aigus mais une voix détimbrée dans les pianos… Un
concert en demi-teintes et une collaboration à suivre qui nous réservera
probablement des surprises… Patrice Imbaud. Hélène
TYSMAN à l'Institut Goethe : Un récital 100% Bach La jeune pianiste française Hélène Tysman était en concert à l'Institut Goethe de Paris dans
le cadre de la saison « Piano, mon amour » organisé par les pianos Blüthner pour un court récital entièrement dédié à Bach.
Lauréate de plusieurs concours internationaux comme notamment le Concours
International Chopin de Varsovie, Hélène Tysman a
déjà gravé une discographie essentiellement consacrée au répertoire romantique
(Schumann et Chopin). Aussi pouvait-on s'étonner et se réjouir du choix de ce
programme 100% Bach, la curiosité ajoutant au plaisir de l'écoute, la jeune
pianiste ayant déjà été plusieurs fois remarquée par la critique, pour son jeu,
son toucher et sa sensibilité pianistiques. Pourquoi s'étonner de ce programme
quand on sait que Bach est un compagnon de route obligatoire de tout pianiste,
quand on connait l'admiration que Chopin portait au Cantor de Leipzig, et
surtout quand on constate que les deux compositeurs sont réunis, au-delà du
temps, par une même et incontournable exigence dans la pratique du clavier. Un
concert entièrement consacré à Bach avec La
Fantaisie chromatique & Fugue BWV 903, excellente occasion de mettre en
avant cette interprétation originale, plein d'allant et de liberté qui
caractérise Hélène Tysman, une interprétation qui
sait s'échapper des sentiers battus pour laisser place au chant, oscillant
entre l'improvisation de la Fantaisie et la rigueur de la Fugue. Une
ambivalence, une originalité et une excellence qu'on retrouvera tout au long du
concert, dans le Prélude & Fugue BWV
854, dans la Partita n °1 BWV 825,
dans le Concerto italien BWV 971 ou
dans la Fugue BWV 944. Plus
intériorisé et peut-être plus complexe quant à son interprétation, le Prélude et Fugue BWV 853 nous parut très
intériorisé, mêlant douleur et solennité. En bref un beau récital, une
interprétation aux multiples facettes, aux accents parfois
« romantiques » témoignant de la liberté assumée du discours, un
chant plein de couleurs qui sait profiter au mieux des possibilités offertes
par l'utilisation de pianos modernes. On attend le prochain récital. Artiste à
suivre… Patrice Imbaud. Superbe Tristan et Isolde au
Théâtre des Champs-Elysées Richard
WAGNER : Tristan und Isolde.
Drame musical en trois actes. Livret du compositeur d'après Gottfried von Straβburg. Torsten Kerl, Rachel Nicholls, Michelle Breedt, Steven Humes, Brett Polegato,
Andrew Rees. Orchestre National de France & Chœur de Radio France, dir. Daniele Gatti. Mise en scène
de Pierre Audi. Théâtre des Champs-Elysées.
Simple
fait du hasard et belle coïncidence, c'est précisément au Théâtre des
Champs-Elysées qu'eut lieu, en 1914, la première création française originale,
en langue allemande, de cet opéra mythique de Richard Wagner. Un opéra de
l'amour, de la mort, de l'incomplétude où certains ont pu voir la mise en scène
de la propre mort du compositeur, dans une étrange analogie entre mort et
désir. Une œuvre majeure de la musique occidentale composée sur plusieurs
années (1856-1859) dans un climat de turbulence affective et intellectuelle,
rencontre avec Mathide Wesendonck
pour une courte liaison adultère mise en abime dans l'opéra, rencontre avec
Cosima qui deviendra sa deuxième épouse après sa rupture avec Minna, et
découverte du Monde comme Volonté et
représentation de Schopenhauer. Un bouillonnement qui conjointement avec la
lecture plusieurs fois répétée des différentes versions de la légende de
Tristan aboutira quelques années plus tard à la
création de l'opéra en 1865 à Munich avec l'aide de Louis II de Bavière. Dans Tristan und Isolde
Wagner atteint le sommet de la passion romantique. L'hymne à la nuit nous
rappelle étrangement Novalis : la mort est intensément désirée car elle
seule ouvre l'accès à cet empire merveilleux de la nuit, où tout devient
possible. Les amants se sont affranchis de l'illusion du jour, ils aspirent à
l'éternel sommeil de la mort où ils resteront à jamais unis. L'amour de Tristan
et Isolde est immortel, ce qui succombe à la mort, ce sont justement les
obstacles qui les empêchent de s'aimer sans fin. Au cœur de la nuit, Tristan et
Isolde effectueront le retour à l'unité : une seule âme, une seule pensée,
l'amour a réalisé son but : l'unique et définitive rédemption. Wagner
atteint, ici, le point culminant de son pessimisme Schopenhauerien (seule la
mort pourra nous délivrer de l'illusion). Le pessimisme et le caractère
illusoire du monde de la représentation ne trouve une échappatoire que dans la
musique qui est une présence directement manifestée faisant coïncider la
Volonté et la représentation, d'où son pouvoir unique de libération. Wagner
entre en contact avec l'œuvre de Schopenhauer en 1854, par l'intermédiaire de
son ami Herwegh. En une année, il ne le lut pas moins de quatre fois.
L'absurdité de l'existence, le mépris de l'humanité moyenne et surtout la
rédemption par un art désintéressé comme la musique, voilà autant de thèmes autour
desquels Wagner et Nietzsche se retrouveront pendant un temps. Rédemption grâce
à l'amour, l'amour mû par l'incomplétude mais qui ne trouvera son
accomplissement que dans la complétude, expliquant par ce paradoxe, sa position
intermédiaire entre le mortel et l'immortel, entre l'humain et le divin. C'est
cette position ambigüe de médiateur qui lui confèrera sa fonction rédemptrice.
Mais la quête de la rédemption chez Wagner s'intègre également dans une
recherche à la fois esthétique et morale culminant dans le concept unificateur
de l'œuvre d'art totale. « Rédemption
au rédempteur » qui conclura plus tard Parsifal est une exclamation, qui
constitue en elle-même un blasphème et suffit à infirmer l'évolution de Wagner
vers un néo christianisme. Mais cette négation du religieux, n'est pas négation
du spirituel, le spirituel, c'est le religieux quand on n'a plus de nom pour le
qualifier, et le refus de lui donner un contenu explicite n'empêche pas la
recherche de cette dimension, notamment dans la réalisation de l'œuvre d'art.
L'art devient alors substitut du sacré et l'artiste est élevé au rang de
prophète, de démiurge. L'artiste est un créateur, comme dieu, il a la capacité
d'amener de nouveaux objets à la vie. Il fait surgir les choses du néant (Gauchet). La musique est un art pur de l'évocation et
« c'est parce qu'elle n'a pas de
sens précis, parce qu'elle n'est qu'elle-même, que la musique exalte le
spirituel » (Pierre Boulez) et qu'elle nous promet le rachat…Telle
peut être schématiquement une des interprétations de ce drame complexe qu'est Tristan et Isolde où Wagner repousse aux
ultimes limites la tonalité avec le célèbre accord initial. Un chromatisme
synonyme de désir inatteignable, un chromatisme synonyme de division
persistante par son absence de résolution, un chromatisme qui conduit vers
l'abime… Mais revenons à la présente représentation conduite par Daniele Gatti à la tête de l'Orchestre National de France. On
peut, sans aucun doute, affirmer que le chef italien, déjà reconnu par
Bayreuth, a renforcé avec ce Tristan tant attendu, et avec quelle
éloquence et raffinement, ses galons de chef wagnérien confirmé, tant le
discours musical fut animé, du Prélude
jusqu'à la Mort d'Isolde, d'un
exceptionnel sens de la narration, riche en couleurs et en nuances, le
« National » sensuel et élégant répondant avec une étonnante
réactivité et une magnifique sonorité à chacune de ses sollicitations. Des
propos plus nuancés concernent la mise en scène de Pierre Audi, inexistante,
réduite à une scénographie minimaliste, rehaussée par de très beaux éclairages
rappelant le travail déjà ancien de Robert Wilson…A la décharge du metteur en
scène, il faut reconnaitre que Tristan n'a pas besoin de vains et
d'illusoires atours. D'un point de vue vocal, la surprise vint assurément de
Rachel Nicholls (Isolde), remplaçant Emily Magee. Une
prise de rôle véritablement enthousiasmante par la puissance et l'endurance de
la voix où l'on regrettera toutefois le timbre un peu acide pénalisant la
célèbre Liebestod.
Torsten Kerl, habitué du rôle de Tristan, nous
surprit également, assez timide vocalement dans le premier acte, faisant face,
avec une certaine difficulté, à la puissance de Rachel Nicholls
dans le duo d'amour et l'hymne à la nuit du deuxième acte, il sut donner sa
pleine mesure vocale par l'émotion de son chant et son endurance dans l'agonie
de Tristan du troisième acte. Michelle Breedt campa
une Brangäne très convaincante et Brett Polegato, un Kurvenal autoritaire
et guerrier, de belle tenue. Steven Humes en Roi Marke
déçut quelque peu par sa tessiture trop aiguë, son manque d'autorité vocale et
son absence de legato, retirant au célèbre monologue une grande partie de son
charme et de son pouvoir émotionnel. En résumé, un superbe Tristan et une très
belle façon pour Daniele Gatti de conclure son
contrat avec le « National ». Bravo Maestro ! Patrice Imbaud. Daniele Gatti & le « National » :
Résolument chambristes Après le superbe Tristan qui en surprit beaucoup par son ambiance chambriste, Daniele Gatti confirme sa vision claire et épurée de
l'univers wagnérien dans cet admirable concert donné à la tête du
« National » au Théâtre des Champs-Elysées. Un programme cohérent
s'organisant autour du maitre de Bayreuth comprenant l'Orphée de Liszt, les Wesendonck Lieder
dans leur version pour voix d'homme, chantés par le célèbre ténor Jonas
Kaufmann et la Symphonie n° 7 de
Bruckner. Passons rapidement sur Orphée,
quatrième poème symphonique de Franz Liszt, composé en 1853, œuvre d'une grande
limpidité, sorte d'hymne à la mission civilisatrice de la musique où les harpes
occupent évidemment le premier plan entretenant une atmosphère transparente
d'ineffable et mystérieuse Harmonie…Une pièce dont le but déclaré aujourd'hui
peut faire sourire et, avouons-le, une partition de peu d'intérêt par rapport
aux autres poèmes symphoniques du maitre de Weimar. Les Wesendonck Lieder sont composés en 1858 par Wagner sur des poèmes de la
poétesse Mathilde Wesendonck avec laquelle il vécut
une courte liaison adultère. Une image féminine, sorte de muse, qui nourrira le
personnage d'Isolde, mais également à un degré moindre les autres héroïnes
féminines de la La Walkyrie ou des Maitres
Chanteurs. La version originale pour piano fut secondairement orchestrée
par Felix Mottl (seul, Träume fut orchestré par Wagner et créé pour violon solo et petit
ensemble le 23 décembre 1857 sous les fenêtres de Mathilde pour son
anniversaire !!). Un cycle de cinq lieder, pièce incontournable et
périlleuse, au répertoire de nombreuses sopranos wagnériennes dont il existe
une transcription pour ténor. Une version rarement donnée, chantée ce soir par
Jonas Kaufmann, tout juste arrivé de Munich où il chante actuellement le rôle
de Walter des Maitres Chanteurs au
Bayerische Staatsoper. Une interprétation admirable
par son ambiance de confidence chambriste laissant se déployer le timbre sombre
du ténor allemand, parfaitement soutenu par l'Orchestre National, tout en
nuances et couleurs, dans un tempo d'une langoureuse lenteur. Une vocalité
superlative par le timbre, la ligne, le legato et l'émotion dégagée. Une
interprétation originale et pleine de charme qui enthousiasma le public
conquis. La « Brucknermania » semble être
une maladie contagieuse sévissant chez nombre de chefs sur les scènes
parisiennes en ce moment puisqu'il ne se passe pas de semaine sans qu'on ne
puisse entendre une des neuf symphonies du compositeur de Saint Florian. Autant
de concerts, autant d'interprétations différentes, plus ou moins réussies, tant
l'œuvre de Bruckner semble difficile à appréhender surtout en
« live » ne se laissant apprivoiser que par les plus grands…La vision
que nous donna l'Orchestre National de France conduit pour une des dernières
fois par son directeur musical Daniele Gatti, de la Symphonie n° 7, composée en 1883 et
toute empreinte de l'ombre tutélaire de Wagner, nous apparut ce soir comme
particulièrement cohérente et convaincante. Originale certainement, à mille
lieux des fanfares tonitruantes et des tutti assourdissants et confus, non, une
lecture résolument chambriste menée sur un tempo assez lent, d'une lumineuse
clarté, parfaitement en place, ample, au phrasé d'une grande souplesse, nous
permettant d'apprécier l'opulence de l'orchestration et le sens de
l'architecture du compositeur autrichien. Un Bruckner allégé, très intériorisé,
lyrique qui nous passionna de bout en bout. Patrice Imbaud. Soixante
dix bougies
pour Jacques Lenot Ils ont traversé l'atlantique pour
l'occasion. Le pianiste Winston Choi et son épouse violoniste MingHuan Xu Choi, résidant à Chicago, étaient le 17 mai dernier,
sur la scène de l'Auditorium Debussy-Ravel de la Sacem
pour le concert anniversaire de Jacques Lenot. Ses soixante-dix
bougies n'avaient pu être soufflées en 2015 en raison des attentats de novembre
à Paris. Rappelons que Winston Choi, élève de Menahem Pressler
à l'Indiana University, a été lauréat du Concours de
piano d'Orléans en 2002. Il est également l'interprète de l'intégrale de
l'œuvre pour piano de Jacques Lenot gravée en 2010
chez Intrada.
Si la seconde partie de la soirée lui est entièrement consacrée, le
pianiste partage la scène avec son épouse en début de programme, affichant, aux
côtés d'œuvres solistes, les Mythes
de Karol Szymanowski et les Douze duos pour violon et piano de Lenot, dont l'intégrale est donnée ce soir en création
mondiale. On pénètre d'emblée dans l'univers singulier
du compositeur avec L'esprit de solitude,
une pièce courte pour piano où le matériau très unitaire fait valoir des
nuances infimes au sein d'un espace rigoureusement construit. Dans un registre
plus sombre, Cités de la nuit relève d'une autre énergie du
geste, avec ses contrastes abrupts et une complexité des lignes à laquelle le
pianiste virtuose confère une dramaturgie éloquente. C'est pour l'anniversaire
de mariage de nos deux interprètes que Jacques Lenot
écrit en 2005 les Douze duos pour
violon et piano, douze exercices de brièveté assumés avec
brio. Dans ce colloque sentimental, aussi tendre qu'intimiste, l'écriture se
renouvelle à chaque miniature. Ici le violon est conducteur, avec un soutien
minimal du piano ; là c'est un « pas de deux » quasi
chorégraphique ; à moins que le pianiste ne tisse la toile de fond sur
laquelle s'inscrivent les figures de sa partenaire. Délicatesse et raffinement
président au jeu des deux interprètes on ne peut plus complices. L'archet
magistral et la brillance du timbre de MingHuan Xu
Choi – lauréate, entre autre récompense, du
prestigieux Curtis Institute de Philadelphie - enchantent les trois pièces de Mythes. L'œuvre est écrite en 1915 par le compositeur polonais Karol Szymanowski
(1882-1937) regardant autant vers la modernité d'un Debussy que vers la mode
antiquisante du début du XXème siècle. La
fontaine d'Aréthuse est la pièce la plus connue
des trois : musique hédoniste, séduisante autant qu'insaisissable, où la
ligne expressive du violon s'inscrit sur les harmonies mouvantes du piano.
Déployant leur virtuosité, Dryades et
surtout Pan font naître un univers
fantasque qui investit tous les registres des instruments et sollicite une
palette de timbres très subtile. Le jeu fusionnel des deux musiciens captive
autant qu'il émerveille. Jacques Lenot est
seul à l'affiche dans une seconde partie entièrement pianistique. Après Ils traversent la nuit (2007), c'est de
nouveau la Grèce antique qui est convoquée dans Agalma (2008), une pièce mobilisant les ressources de la troisième
pédale dite tonale du piano décuplant le champ de la résonance. Agalma est une statue divine dont il
émane, selon les termes du compositeur, « un éclat énigmatique ». Le
jeu habité de Winston Choi en révèle la dimension ritualisante
et mystérieuse. Aussi courtes que fulgurantes les Six premières Etudes (1986), sous les doigts de magicien de Choi,
ponctuent cette soirée de manière éblouissante. Les affects associés à chacune
d'elle – frenetico, mesto (delirando), fantasque, lugubre… - sont autant de facettes
de l'univers du compositeur. Lenot y exerce une
virtuosité (Prestissimo volante) et
une complexité d'écriture (Fantasque)
inouïes où strates temporelles, figures rythmiques et jeux de registres se
combinent et s'imbriquent dans une densité proche parfois de la saturation.
Mais sans jamais inquiéter le geste éminemment libre et souverain de
l'interprète qui se joue de toutes les difficultés. Le mouvement obstiné et
enragé de Lugubre, brusquement stoppé
dans son élan, mesure l'énergie mise à l'œuvre par notre interprète hors norme
illuminant de l'intérieur la musique du compositeur. Michèle Tosi. "L'esprit Satie" par Jean Pierre Armengaud Dans le cadre du cent cinquantième
anniversaire de la naissance d'Erik Satie, l'affiche du Reid Hall annonçait un
concert donné par Jean Pierre Armengaud. Mais la
soirée fut bien plus qu'un concert, puisque, si on a entendu la musique de
Satie, elle était illustrée de son contrepoint littéraire, les textes écrits
par le compositeur. Jean Pierre Armengaud connaît son
Satie sur le bout des doigts du cœur et de l'âme, il en est le spécialiste
incontesté puisque, outre qu'il interprète sa musique de piano, il est aussi
historien et musicologue (il a écrit une biographie de 700 pages éditée par Fayard ). Les pièces écrites par Satie sont toutes de
courte durée. Jean Pierre Armengaud en a joué plus d'une quarantaine entrecoupées par la lecture de quelques
« contes drôlatiques ». La musique est rarement comique, elle
provoque rarement le rire mais associer la partition à son titre souvent
loufoque fait glisser la musique de Satie vers une incontestable légèreté
propice à la rêverie et Jean Pierre Armengaud sait
parfaitement nous entraîner dans cette voie. Parfois on aurait aimé qu'il use
d'une pédale aux ruptures plus raisonnables, qu'il travaille un peu plus le
timbre de sa parole mais l'ensemble du "spectacle" sonne juste, comme une vraie
récréation. La partition de la troisième Gnossienne est annotée
"enfouissez le son" puis "munissez vous de
clairvoyance, ouvrez la tête". Jean Pierre Armengaud
applique ce principe à la lettre, il joue "sans orgueil" en toute humilité, il parcourt la maison de
Satie ( pauvre, il habitait une modeste chambre ! ) comme s'il était
chez lui, il nous entoure de cette musique obsessionnelle souvent à mi-chemin
entre le clinquant du music-hall (Satie était tapeur de piano au cabaret du "Chat noir") et l'élévation mystique
tout en faisant sienne la devise de Satie : « accueillez la vérité
des sons et repentez-vous des pêchés de Wagnérisme. » Au fil des œuvres, Jean Pierre Armengaud nous régale des citations que Erik Satie glissait
insidieusement dans ses partitions : la Marche funèbre de Chopin dans La Sonatine bureaucratique, la sonate
n°1 de Clémenti sur laquelle sont calqués Les
embryons desséchés ou encore une
"pauvre" Marseillaise dans Sports et
Divertissements. Le spectacle s'est achevé sur un ballet en noir et blanc
puisque fut projeté Entracte, un film
de René Clair d'après le ballet de Picabia sur une musique d'Erik Satie (quinze
minutes, une des plus longues qu'il ait composées !), jouée alertement à
l'image par Jean Pierre Armengaud. Il y a dans cette musique de Satie une
jubilation simple et le secret de son interprétation. Jean Pierre Armengaud nous l'a livré tout au long de cette
soirée : "C'est de joindre à la plus scrupuleuse minutie l'abandon de
l'amour". Terminons par une pitoyable anecdote : pour célébrer le cent
cinquantième anniversaire de cette naissance de Satie, la municipalité
d'Arcueil, petite ville de la banlieue parisienne ou Satie vécut (pauvrement)
ses trente dernières années, avait décidé de voter une subvention pour célébrer
cet anniversaire. C'était sans compter sur l'opposition farouche d'un élu du
Front National qui s'opposa à cette décision sous prétexte qu'il n'était pas
question de donner un centime à la mémoire d'un artiste alcoolique, anarchiste,
communiste et sans talent ! Satie disait : " Plus je connais les
hommes, plus j'admire les chiens". Peut-être avait-il raison. Jean-François Robin. Prélude à
l'Opus 36 du Festival d'Auvers sur Oise A Auvers-sur-Oise, terres d'artistes, Pascal Escande continue l'aventure - 36ème saison - du
festival avec cette année, entre autres points forts, un hommage à Charles
Gounod et son « Saint François d'Assise ». C'est au très moderne
conservatoire Jean-Baptiste Lully de la ville de Puteaux que le festival a
préludé par le récital de deux magnifiques musiciennes, dans tous les sens du
terme, Anastasia Kobekina, violoncelliste et Anna Fedorova, pianiste. Le concert débutait par les Phantasiestücke pour violoncelle et piano op.73 de
Schumann. Ces trois pièces de fantaisie pour
clarinette et piano ont été écrites en 1849. Bien qu'elles aient été à
l'origine conçues pour clarinette et piano, Schumann a proposé que la partie de
clarinette puisse également être confiée à l'alto ou au violoncelle. C'est
cette dernière version que l'on a entendue ce soir.
Dans la première pièce, Anastasia
Kobekina a
su rendre la mélancolie qu''elle contient. Anna Fedorova, en accompagnement, était très à l'écoute de son amie. Dans
la deuxième fantaisie c'est l'énergie qui était sous les doigts de ces
interprètes et leur dialogue était parfait. Pour la troisième, la technicité
hors pair de ces deux jeunes femmes a fait sonner l'exubérance, la frénésie de
la passion qui doivent être exprimées dans le finale. Le concert, à peine débuté, Anastasia Kobekina et Anna Fedorova avaient déjà conquis le public ! Anthony
Girard est un compositeur dont les modes d'expression lui importent peu. Ce qui
l'inspire avant toute chose c'est la poésie. En partant d'un texte de Marc
Aurèle il a écrit une très belle et courte œuvre : « L'Âme du
Monde ». Mystère et paix intérieure c'est ce qu'ont réussi à faire passer
les deux interprètes. Un climat de douceur de sérénité a enveloppé l'auditoire.
Avec la « Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur, op.19 de
Serguei Rachmaninov, c'est un tout autre climat qui régnait sur scène. Elle a
été composée en 1901. Rachmaninov a peu écrit pour le domaine de la musique de
chambre. Dès le début de la sonate, on est transporté dans un monde tragique :
pendant que le violoncelle joue une mélodie intimiste, grave, le piano est
tourmenté, puis vient un magnifique dialogue, moins tendu, entre les deux instruments suivi par un andante où l'on retrouve
toute la douceur et la tristesse de Rachmaninov qui confine si souvent à la
dépression. Le finale est jubilatoire. Pour
interpréter une telle pièce il faut vélocité, technicité et émotivité. Que
possèdent ces deux jeunes interprètes ! Cette œuvre a été filmée durant un
concert précédent et un DVD en a été édité. Voilà deux superbes artistes à
suivre passionnément ! Patricia Petitbon,
Les sœurs Labèque, Gautier Capuçon,
Jérôme Ducros, le Quatuor Van Kuijk, Philippe Jaroussky, Jean Rondeau…toute une pléiade d'artistes va se
produire à Auvers-sur-Oise pendant un mois à partir du 12 juin. Il faut y
aller ! Pour
plus d'informations : www.festival-auvers.com Stéphane Loison. Chants
d'Amour ! La
Fondation Franco-Japonaise Sasakawa a proposé une
soirée exceptionnelle dans cet endroit mythique qu'est le théâtre des Bouffes
du Nord. Deux grands créateurs, liés par une admiration et une amitié
remarquables, Olivier Messiaen et Yoritsuné Matsudaïra ont
été interprétés par Yumi Nara, soprano, accompagnée par le brillant Jay Gottlieb au piano. Yumi Nara chante
ces œuvres depuis des années et ces deux compositeurs appréciaient sa
musicalité, sa sensibilité, et l'émotion qu'elle apporte. On n'a pu en juger
lors de concert. Peut-être son vibrato
est-il devenu plus présent au fil des années, depuis qu'en 1991, elle a chanté
pour la première fois Harawi devant
Messiaen. Ces « Chants d'Amour et de Mort » (1945, demandent une grande technicité et une
parfaite maîtrise tant sur le ton que du point de vue du rythme. La
prononciation des textes en Français n'est pas chose aisée pour un japonais
mais la musicalité de cette chanteuse nous a émerveillée. Les textes étaient
proposés dans un livret que seuls les japonais savent inventer, avec cette
délicatesse dans l'expression et la beauté de la mise en page. Yumi Nara avait commencé son récital avec des œuvres de Yoritsuné Matsudaïra : Le Dit du
Genji :Oborozukiyoni (1992),
Trois ordres : Ahukotono(1994), Kokinshû
:Extraits
(1939-45) ;
Fantaisie de Rôéi :Chant de
l'ancien temps ; enfin La Grâce :Poème de juillet (1991). C'est une profonde amitié
qui liait ces deux artistes. Le compositeur a spécialement écrit pour elle
pendant près de 15 ans jusqu'à sa mort. Matsudaïra a
commencé sa carrière sous l'influence de la musique française et on sait
qu'Olivier Messiaen fut fasciné par l'esthétique de l'Asie. Ce concert de Yumi Nara et de Jay Gottlieb est un vrai acte d'amour pour
ces deux musiciens du XX ème siècle. Stéphane Loison. L'ensemble
Nouvelles Portées à l'Eglise du Liban Ce n'est pas le Philharmonique de Vienne, de
Berlin, de New York, ou de Londres, mais l'Ensemble Nouvelles Portées, fondé en
2014, est un orchestre en devenir avec des jeunes et brillants instrumentistes
formés dans les meilleurs conservatoires français et européens. L'objectif,
comme pour les deux chefs qui le dirigent, est de défendre un répertoire peu
interprété. L'orchestre possède la fougue de la jeunesse et l'a montré tout au
long de la soirée. La première partie a été dirigée par Marc Hajjar qui s'est
fait remarquer au Concours International de Besançon 2015. C'est une œuvre du
jeune compositeur Olivier Calmel (*1974) qui a débuté
le concert, un musicien de grand talent qui passe de la musique de répertoire à
la musique de film et au jazz avec autant de facilité dans l'écriture. Reflets
d'Enfance est une œuvre en cinq parties où l'on reconnait les compositeurs
qu'apprécie Calmel - Ravel, Debussy, Dukas -, la
rythmique du jazz et, dans la dernière partie, une écriture que John Williams
n'aurait pas reniée. L'orchestre à pris un réel
plaisir à jouer cette œuvre qui va du premier éveil aux premiers désirs
d'avenir. Le Concerto pour cor N° 2 de Richard Strauss a était interprété par
le brillant Pierre Badol. On sait tout l'amour que
portait Strauss pour cet instrument, son père ayant été soliste à l'Orchestre
de la Cour de Bavière, à Munich. Le concerto a été écrit en 1942 en hommage à
son père. Est-ce à cause du contexte de l'époque, mais c'est une œuvre assez
intimiste, très classique, mozartienne, même si elle n'est pas d'un grand
intérêt au niveau de l'écriture. L'orchestre a accompagné de manière efficace
le jeune et brillant soliste. Après l'entracte c'est l'autre chef, Victor
Jacob, qui a pris la baguette. C'est au Royal Academy
of Music qu'il a connu Marc Hajjar et qu'ils ont décidé de fonder cet
orchestre. Après avoir appris le violon, chanté dans la Maîtrise de Radio
France, Victor étudia la direction d'orchestre. Malgré son jeune âge, il a
dirigé de nombreux orchestres. Sa direction de la Quatrième Symphonie de
Beethoven était très analytique : pas de romantisme effréné, beaucoup de
respect de la partition, d'énergie et de précision. L'orchestre a suivi à la
lettre cette lecture moderne et on a pu ainsi apprécier tout le génie
harmonique de l'écriture de Beethoven. Espérons que cet orchestre pourra
poursuivre sa carrière ! Un nouvel orchestre en France, voilà une bonne
nouvelle ! Pour
tout contact, mécénat …contact@ensemblenouvellesportées.fr Stéphane Loison. Les
Musiciens d'Apollinaire à l'Auditorium du Musée d'Orsay Du 19 au 24 mai a eu
lieu l'exposition « Apollinaire, le regard du poète ». Ce fut
l'occasion de rappeler l'influence du poète sur la musique. Après sa mort,
plusieurs compositeurs ont mis ses mots en musique. Pour l'occasion, c'est
Francis Poulenc qui était le fil rouge des concerts donnés à l'Auditorium.
Après les Musiciens de l'Orchestre de la Garde Républicaine qui ont superbement
interprété des œuvres de Debussy et le Sextuor pour piano et vents de Poulenc,
c'est l'Ensemble Musicatreize sous la direction de
Roland Hayrabedian qui a chanté Francis Poulenc,
Maurice Ravel, Guy Reibel et Marius Constant. Cet
ensemble marseillais existe depuis 1987. Il a gagné les Victoires de la Musique
Classique en 2007, parcouru le monde et a beaucoup enregistré. Pour ce concert
les textes étaient d'Apollinaire bien sûr, mais aussi d'Eluard et de Cendrars.
Ravel, quant à lui, a écrit les paroles pour ses « Trois chansons ».
Il a voulu à travers ces airs retrouver l'esprit de la Renaissance
: ce sont des sortes de comptines écrites pendant la guerre. Il les
achèvera en 1915. Musicatreize les interpréta avec
une mise en place vocale étonnante. C'est avec l'œuvre de Guy Reibel « Calliphones »,
écrite en 1995, que l'ensemble a le plus impressionné. C'est une œuvre pour
douze voix qui est une réponse sonore aux « Calligrammes »
d'Apollinaire. Comme le dit le compositeur, il s'est laissé « entraîner
par le dessin du calligramme pour imaginer la musique ». L'interprétation d' « Un cigare allumé » avait quelque chose
d'halluciné par la répétition de cette phrase ad libitum par toutes sortes de
timbres vocaux ! Pour « Trois poèmes élastiques, pour chœur
mixte », composé en 1987 par Marius Constant sur des textes de Cendras, un
des chanteurs est d'abord venu les dire avec beaucoup de talent avant que
l'ensemble les reprenne magnifiquement en musique. Les œuvres de Poulenc sur
les poèmes d'Apollinaire et d'Eluard ont paru plus classiques mais ses mélodies
sont toujours aussi belles et inventives. Au final : une heure de bonheur en
chansons, c'est ce que nous a offert Musicatreize. Un
bémol ! Leur tenue vestimentaire ! Si les membres de cet ensemble et leur
chef sont très précis quant à la manière d'interpréter les œuvres, leur
présentation laisse rêveur ! C'est bonjour tristesse ! Peut-être portent-ils
ces habits depuis la naissance de l'ensemble ! Ils oublient qu'ils sont en
représentation ! Un effort pourrait être fait pour le simple plaisir des
yeux. Mesdames, Messieurs, le regard du spectateur aussi importe. Stéphane
Loison. Désirs de l'Orient L'orientalisme traverse les collections du
musée d'Orsay et la musique n'échappe pas à l'attrait pour cet Orient phantasmé. Dès les années 1830 apparaît un courant de
mélodies françaises orientalisantes qu'illustreront Saint-Saëns, Ravel, Delage,
Massenet. La chanteuse Amel Brahim-Djelloul nous
l'avait fait entendre magnifiquement. Le Quatuor Küchl
de Vienne, en interprétant Le Quatuor à Cordes de Debussy et l'arrangement pour
quatuor par Ernst-Thilo Kalke
des contes de Ma Mère L'Oye de Ravel, montre combien ces deux
compositeurs ont aussi été fascinés par l'orientalisme musical. Le Quatuor Küchl a été fondé en 1973. Ses musiciens sont tous membres
de l'Orchestre Philharmonique de Vienne. Rarement a-t-on perçu une telle complicité
entre musiciens, qui se fait sentir dans les attaques, les dialogues entre les
différentes voix. Dans le Quatuor de Debussy, à certains moments on avait
l'impression qu'un seul instrument s'exprimait ! C'est magique d'arriver à
une telle perfection ! Ce quatuor est plus spécialisé dans le répertoire du
classicisme viennois mais joue aussi des œuvres du XXème. Simplicité, émotion,
douceur, nous les avons savourées dans les attaques de l'altiste Henrich Koll ou du violoncelliste
Robert Nagy. Précision, rigueur, musicalité, c'est ce qui impressionnent le
plus dans le jeu de ce grand violoniste qu'est Rainer Küchl,
secondé par le violon chantant de Daniel Froschauer.
Ce concert a été une heure de musique captivante qui nous a fait redécouvrir le
quatuor de Debussy et toucher du doigt combien la version quatuor de Ma Mère
l'Oye est une merveille. Stéphane Loison. Prélude aux Flâneries musicales de Reims Exigence, éclectisme, nouveauté,
attractivité, voilà ce que propose depuis 1990 les équipes qui ont participé à
l'élaboration de ce festival unique en France. Cette année, pour la 27 ème édition, 53 concerts seront offerts dans 35 lieux
différents ! Aujourd'hui c'est Jean-Louis Henry qui en est le Président et
Jean-Philippe Collard le directeur artistique. Mais derrière eux c'est toute
une organisation qui travaille toute l'année pour apporter ce plaisir musical
dans toute la ville. De nombreux concerts sont gratuits mais le prix des places
est très abordable. La diversité des œuvres, des formations, des artistes, est
un vrai plus pour cette manifestation. Pour clore ces Flâneries, le 23 juillet
l'Orchestre National de Lorraine sous la direction de Jacques Mercier va
interpréter des airs de comédies musicales pour un concert pique-nique. L'année
dernière celui-ci a réuni près de 18 000 personnes ! C'est dans la Basilique Saint-Remi,
pour l'ouverture, que, le 23 juin, les Cris de Paris sous la direction de
Geoffroy Jourdain seront venus s'exprimer dans leur répertoire qui va du
baroque au contemporain. Le 20 mai dernier, en guise de prélude aux
Flâneries, un concert a été offert dans la Basilique Saint-Remi.
Deux musiques de film, composées par Prokofiev, ont été jouées par l'Orchestre
National de Lorraine sous la direction de Jacques Mercier avec la participation
de la mezzo-soprano Nana Javakhidzé et le chœur
Nicolas de Grigny sous la direction de Jean-Pierre Puissant. Successivement on
a entendu « Lieutenant Kijé » et
« Alexandre Nevsky ». C'est une gageure de
jouer cette dernière cantate car elle tient beaucoup à l'excellence du chœur.
Malgré la qualité de ces chanteurs et le travail qui a été fait, le chœur était
un peu en dessous de ce que demande cette oeuvre.
C'est une pièce typiquement russe : il faut avoir cette âme slave, ces tripes,
pour chanter cet hymne à la nation Russe !
L'orchestre, lui, a pu montrer sa qualité surtout les vents et les
cuivres. Nana Javakhidzé, magnifique timbre de mezzo,
a été bouleversante dans l'air « Le chant des morts ». Jacques
Mercier ne s'est pas ménagé pour exécuter cette bataille contre l'envahisseur
Teuton alias, à l'époque de la réalisation du film, Hitler et ses hordes
nazis ! Curieuse programmation lorsque a lieu en même temps une superbe
exposition au Musée du Tau sur la Guerre de 14-18 et les ravages qu'elle a
commis dans la ville de Reims ; comme s'est produite la venue de la
Chancelière allemande pour fêter l'amitié franco – allemande ! Malgré ce
petit bémol, Les Flâneries sont bien parties pour offrir de belles soirées « pétillantes »
comme il se doit ! Que la fête commence ! Le
festival se déroule du 23 juin au 12 juillet 2016. Renseignements : www.flaneriesreims.com Stéphane Loison. Quand le Japon
se célèbre en un nôpéra Le 22 et le 23 avril a été donné en création mondiale, à la Maison
de la culture du Japon, AOI, Yesterday's glory is today's dream.
Cette œuvre qualifiée de « nôpéra » marie
la musique contemporaine occidentale et le théâtre nô. L'histoire est
celle de Rokujo, femme vieillissante, délaissée par le
prince Genji et remplacée par la jeune Aoï. L'opéra
lui-même se résume à la lamentation de Rokujo, Aoï n'apparaissant pas. Autant la partition, signée Noriko Baba (*1972) et interprétée par l'ensemble 2e2m (dir. Pierre Roullier) – flûte, clarinette,
basson, violon, alto, violoncelle et deux performers – est chatoyante, autant le chant et la gestuelle traditionnels
japonais peuvent paraître sobres, monotones et étranges au public européen non
averti. La scène : sol clair sur lequel vont et viennent les musiciens
tout au long du spectacle, plus un écran TV montrant le visage impassible de Rokujo, murs noirs supportant deux autres écrans, l'un pour
la traduction française, l'autre passant des images d'avant. C'est cet
« avant », le yesterday
du titre, qui tend le drame que vit Rokujo,
ex-princesse oubliée de tous. La mise en scène de Mié
Coquempot contextualise cet épisode inspiré d'un
récit du xive
siècle dans l'univers « post-punk » d'une jeunesse japonaise
désabusée. Aussi les musiciens portent-ils des perruques et des vêtements flashy, tandis que la (remarquable)
chanteuse et danseuse Ryoko Aoki
revêt un superbe costume dessiné par Yoshikazu Yamagata, qui emprunte à la tradition. La compositrice a bien voulu répondre à quelques questions : PJ : Voir son œuvre portée
pour la première fois sur la scène est une expérience particulièrement
émouvante. Avez-vous été surprise par la création de votre « nôpéra » et en avez-vous été satisfaite ? NB : C'était une collaboration ouverte, j'ai assisté librement aux répétitions et pu donner mon opinion sans aucune
restriction. Bien sûr, j'ai respecté entièrement le travail de Mié Coquempot, que j'ai
d'ailleurs trouvé magnifique. Je suis satisfaite de l'ensemble, même si
certaines choses ont été difficiles à accepter. On n'est jamais tout à fait
d'accord, mais c'est normal, puisqu'il s'agit d'une collaboration d'artistes ! PJ : "AOI " est
une œuvre complexe mêlant musique, théâtre et danse. C'est aussi l'opus le plus
long que vous ayez composé à ce jour. Diriez-vous que c'est un ouvrage de
maturité et qu'il marque un tournant dans votre parcours ? NB : Je suis née et j'ai grandi au Japon, mais l'éducation musicale
que j'y ai reçue a été totalement occidentale. C'est seulement à mon arrivée en
France que je me suis posé la question de savoir d'où je venais et que je me
suis intéressée à la culture de mon pays d'origine. La découverte du théâtre nô
a été un véritable choc et je n'ai rien compris à cette dramaturgie, du début à
la fin. Depuis, j'ai étudié le Nô en profondeur et écrit plusieurs pièces pour
son chant avec l'aide de Ryoko Aoki.
J'ai mis toute mon âme dans cet opéra, mais je voudrais poursuivre ma
recherche : il y a encore mille possibilités qu'on peut explorer dans le
dialogue ! PJ : À certains moments, AOI m'a fait penser à l'opéra Luci mie traditrici de Salvatore Sciarrino, non seulement à cause de l'alliance d'une
sobriété quasi aérienne et d'une grande expressivité, mais aussi par ses brèves
références – comme des éclats – à une musique du passé. Une mosaïque de sons
très ciselée et très aboutie. Êtes-vous d'accord avec ce rapprochement et
parleriez-vous à propos de votre travail d'une esthétique du miroitement ? NB : Je vous
remercie de rapprocher AOI de Luci mie traditrici, qui est pour moi l'un
des plus beaux opéras au monde ! Bien sûr, j'admire la musique de Sciarrino, mais en même temps, je pense que nous sommes
très différents ; en plus il est italien ! Je suis arrivée en France il y
a plus de 20 ans, et la première difficulté que j'ai rencontrée a été la
différence d'expression des sentiments dans les deux cultures. Au Japon, nous
estimons qu'il n'est pas beau de les exprimer d'une manière directe et que,
partant, tout doit être masqué. Cela vient de notre esthétique wabi-sabi, pour
laquelle la notion de beauté est associée à l'imperfection, à l'ambiguïté. Tout
cela est à la base de ma musique. Produire un reflet, une ombre dans
l'intensité du noir sur chaque matériau et sur l'architecture globale d'une
composition : voilà ce que, naturellement, j'en suis venue à rechercher. On l'aura
compris : AOI est un spectacle composite qui joue sur la double tension
dramatique et esthétique entre passé et présent, jeunesse et vieillesse,
coutume et modernité. Il dure une heure et l'on ne s'ennuie pas une seconde. Patrick Jézéquel. ***
L'ÉDITION MUSICALE
FORMATION
MUSICALE Cécile
PRUNET (livret) – Bernard COL (musique) : Erwan et les Korrigans. Conte
musical pour quatuor de clarinettes avec glockenspiel et récitant. Delatour : DLT2662. Il s'agit d'une adaptation de l'opéra pour enfants
La nuit des korrigans dont nous avons
rendu compte dans la lettre d'information N° 93 de juin 2015. On pourra lire la
suite à la rubrique clarinette. VOIX Abdel
Rahman EL BACHA : Moment musical pour
2 sopranos et piano. Assez facile. Delatour : DLT2678. Cette pièce est, comme son titre le laisse
entendre, un hommage à Schubert et à son style. Les deux sopranos chantent très
simplement en vocalises. On y retrouve beauté du langage et simplicité de
l'expression. L'ensemble ne présente pas de difficulté majeure. Souhaitons que
cette pièce soit largement chantée et diffusée. MUSIQUE
CHORALE Bruno
ROSSIGNOL : La mer est entrée dans
les prés pour chœur mixte SATB. Assez
facile. Delatour : DLT2657. Il y a vraiment beaucoup de charme et de
poésie dans cette courte pièce qui fait penser aux « Chansons » de
Poulenc. Dissonances et consonances se mêlent avec un goût parfait. Si la
partition n'offre pas de difficulté spéciale, elle demandera évidemment une
justesse impeccable. Mais n'est-ce pas naturel ? Dominique
RITTER : Une histoire des arts en
chansons. Opéra-chorale pour chœur
mixte et orchestre de chambre. Assez facile. Delatour :
DLT : 2652. Il s'agit d'une œuvre conséquente puisqu'elle
dure environ trois quart d'heure. Mais on ne s'ennuiera pas dans ce pittoresque
parcours des arts de l'antiquité jusqu'à nos jours… En choisissant
judicieusement dates et citations musicales (qui restent cependant discrètes),
l'auteur nous raconte en musique l'histoire des arts. L'œuvre a été conçue
plutôt pour une maîtrise (deux voix d'enfants et une voix d'hommes dans une
partie des pièces), mais un chœur mixte classique SATB peut également très bien
convenir. L'effectif comprend si
possible un piano, trois premiers violons, trois seconds, une clarinette en sib ou la, un
basson, deux trompettes en ut (accessoirement une bombarde en sol et en sib). Mais l'œuvre peut être accompagnée
par le piano seul… L'humour est, bien entendu, constamment présent dans cette
œuvre dont le langage très varié reste cependant abordable par tous et pour
tous. ORGUE Frédéric
LEDROIT : Qui cherche la vérité
écoute ma voix. Op. 57d. La Passion du Christ selon Saint Jean pour orgue.
Difficile. Delatour : DLT2663. Il s'agit d'une commande du Festival Le
Printemps des Orgues pour la finale du Grand Prix d'Orgue Jean-Louis-Florentz - Académie des Beaux-Arts. Création le dimanche 22
mai 2016 à la Cathédrale d'Angers, avec le soutien de la SACEM. Nous avons rendu compte dans notre lettre
précédente (N° 103, mai 2016) du premier volet de cette Passion : on ne
peut ici que redire qu'il s'agit d'une œuvre monumentale, d'une méditation sur
l'ensemble de la Passion selon Saint Jean. Le commentaire de l'organiste est
inséparable du texte qui est d'ailleurs donné dans la partition. Espérons que,
comme l'opus 57a, ce volet de l'œuvre se trouvera bientôt sur Youtube. Deux versions sont fournies : une pour
clavier de 61 notes, l'autre pour clavier de 56 notes. C'est dire combien
l'auteur est favorable à toute transposition sur des instruments plus petits
d'une œuvre conçue pour le nouvel orgue de la cathédrale d'Angoulême. En
attendant, on ne peut que recommander d'aller écouter le premier volet sur https://www.youtube.com/watch?v=oFCGambvraw
Christophe
MARCHAND : Praxipode. Ensemble
de trois suites pour le travail du pédalier. Delatour :
DLT2618. Après la Dactylopraxie dont nous avons rendu compte dans
la lettre 81 de mai 2014, voici le complément indispensable pour un
organiste : l'étude méthodique du pédalier. Suivant le même plan que le
précédent, ce recueil permet une approche progressive de l'étude du pédalier.
Mais, qu'on ne s'y trompe pas, c'est en même temps de l'excellente musique et
l'étude de la technique n'est absolument pas séparée de l'expressivité, du
phrasé, bref de tout ce qui fait le plaisir musical. Benoît
MERNIER : GO ! 10 miniatures pour organiste débutant. Delatour : DLT2658. On est vraiment heureux de voir combien la
littérature pour organiste débutant s'enrichit journellement. C'est sans doute
parce que, désormais, beaucoup de jeunes commencent directement l'orgue sans
passer par le piano, et c'est bien normal et réjouissant ! Ces miniatures
sont donc une invitation à aller de l'avant sur le Grand Orgue (l'auteur joue
explicitement sur les deux sens possibles de son titre). Si certaines pièces
sont « manualiter » la plupart comportent
l'utilisation du pédalier et on ne peut que se féliciter de ce choix : la
dissociation mentale nécessaire entre mains et pieds peut ainsi s'installer
tout naturellement. Les pièces sont de caractère varié et font appel à toute la
richesse des timbres de l'instrument. Jean-Christophe
AURNAGUE : Choral, variation et
Toccata sur un cantique de la Messe des morts.
Œuvre pour grand-orgue. Delatour : DLT2609. Ce « cantique de la Messe des
morts » est en fait un chant basque, et ce n'est pas pour rien que la
photo de couverture représente le tombeau de Sanche le Fort, roi de Navarre, à
la collégiale de Roncevaux. Si trois claviers sont souhaitables, deux peuvent
tout à fait convenir. D'écriture très classique, l'œuvre est très plaisante et
devrait séduire beaucoup d'interprètes. Elle joue beaucoup sur les couleurs,
les timbres… Ajoutons en plus qu'elle n'offre pas de très grande difficulté. PIANO
(et claviers). F.X. DUŠEK : Complete Sonatas
for Keybord. Edité
par Vojtĕch Spurný. Urtext. Bärenreiter : BA
11513. C'est
un grand plaisir de trouver dans un recueil l'ensemble des sonates de ce
compositeur tchèque de la deuxième moitié du XVIII° siècle encore trop peu
connu. Les sonates sont publiées en ordre chronologique par date de
publication. Elles ont été soigneusement recueillies sur les sources et
paraissent donc pour la première fois en édition critique. Ce premier volume
contient les dix premières sonates (sur vingt-et-un) ainsi qu'une préface et
des notes critiques du plus haut intérêt. Abdel
Rahman EL BACHA : Préludes et chants pour piano. Assez facile à moyen. Delatour : DLT2677. On connait le langage à la fois si personnel
et si profondément lyrique de ce pianiste-compositeur à la fois tellement
libanais et tellement français… Ces pièces sont autant de petits tableaux aux
titres évocateurs pleins de sensibilité et de poésie. Abdel
Rahman EL BACHA : Le monde des
enfants. Six pièces pour piano.
Facile à moyen. Delatour : DLT2667. Dans l'esprit de Schumann, l'auteur nous
livre ici une série de petits tableaux, de « scènes », pleins de
délicatesse et de charme. Il présente lui-même ses pièces avec beaucoup d'émotion
et de sensibilité. Si certaines sont techniquement très faciles, elles
demandent, comme pour celles de Schumann, un sens musical affiné. Comme le dit
l'auteur, « la rêverie du petit
soldat (de bois !) » est
une pièce que peut jouer un très jeune – mais talentueux – pianiste ».
Tout est dit…
Béla
Bartók : Mikrokosmos I (vol. 1
& 2), Mikrokosmos II (vol. 3 & 4), Mikrokosmos
III, (vol 5 & 6). Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT 50411,
UT 50412, UT 50413. Certes, il existe d'autres éditions de cette
œuvre pédagogique magistrale de Béla Bartók, mais celle-ci est
particulièrement remarquable par le sérieux qui a présidé à sa conception.
Outre la partition elle-même, on y trouve au début de chaque volume une
remarquable préface rédigée par les éditeurs, Michael Kube
et Jöchen Reutter et des notes sur l'étude et
l'interprétation de Peter Roggenkamp. Ajoutons qu'il
s'agit d'une édition trilingue et que la traduction française de Geneviève Geffray est particulièrement réussie. Souhaitons que cette
édition monumentale permette aux professeurs et aux élèves de tirer tout le
profit possible de cette œuvre pédagogique majeure. Hector
BERLIOZ : Un Bal. Extrait de la Symphonie fantastique.
Transcription pour piano à quatre mains par Bruno Rossignol. Moyen. Delatour : DLT2656. C'est bien sûr une gageure que de transcrire
pour piano à quatre mains une œuvre aussi tributaire des timbres et de
l'orchestration. Mais nous ne pouvons que nous réjouir que les pianistes
puissent ainsi découvrir « de l'intérieur » une telle œuvre. On sait
que pendant longtemps cette pratique a été la seule possible pour les mélomanes
éloignés des salles de concert. Et si aujourd'hui nous disposons
d'enregistrements toujours plus parfait, rien ne remplace la compréhension
qu'on peut atteindre à travers ces types de transcription. Mieux, leur pratique
nourrit ensuite l'audition aussi bien des enregistrements que des concerts et
permet de mieux assimiler l'œuvre dans son originalité. Bruno Rossignol réalise
cela avec beaucoup de goût grâce à sa connaissance de l'œuvre et des
possibilités du piano.
Jean-Sébastien
BACH : Le petit livre d'orgue – Orgelbüchlein transcrit
pour deux instruments à un seul clavier par François Delalande. DLT1779. Quelle bonne idée que cette transcription de
ce monument que constituent les quarante-cinq chorals du Petit livre d'orgue ! Disons tout de suite que « deux
instruments à un seul clavier » désigne tout instrument à clavier, qu'il
s'agisse de deux pianos acoustiques ou électriques, ou synthétiseur, ou
harmonium, bref tout ce qui a un clavier polyphonique. Les mélanges sont même
recommandés. A travers ces transcriptions de difficultés diverses suivant les
chorals, l'auteur invite à une découverte intime de ceux-ci. La richesse de ces
textes n'est pas à démontrer et le volume comporte pour chacun une analyse
approfondie et des suggestions d'interprétation. Seul petite
lacune, mais qui peut se combler facilement, l'absence des titres (et
des textes) des chorals. Une vidéo présente sur le site de l'éditeur et sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=wMqLjt4Dp5I
permettra d'entendre quelques exemples d'interprétation et à partir de là,
d'imaginer les différents assemblages de clavier réalisables. GUITARE Marc LE
GARS : Mémoires celtiques pour
2 guitares. Vol. 1 et 2. Lemoine : HL 29168 et 29251. Le premier volume comporte huit pièces, le
deuxième sept. Il s'agit soit de compositions originales soit d'harmonisations
de thèmes celtiques. Le tout est fait avec beaucoup de goût et dans le respect
de la tradition mais dans un langage personnel à l'auteur qui reprend ici
certaines de ses compositions antérieures pour guitare seule et en ajoute de
nouvelles. Une fois de plus, c'est la preuve que l'authentique musique celte
est bien vivante ! Marc LE
GARS : Les Mabinogion
et autres contes médiévaux du pays de Galles. Pour 2 guitares.
Lemoine : HL 29169. Toutes les indications concernant les
différentes légendes et leur contenu sont très clairement expliquées
dans la préface de ce recueil. Les légendes étant variées, les différentes
pièces le sont aussi : l'auteur manie le lyrisme et la danse joyeuse avec
l'art qu'on lui connait pour créer des paysages ou des ambiances très diverses
mais toujours dans cette tradition celtique qui est son authentique langage. VIOLON Claude-Henry
JOUBERT : Quatre fables pour violon avec accompagnement de piano. 2 – Le Baba et la Pâtissière. Débutant. Lafitan :
P.L.3076. Après L'omelette
et les fines herbes, dont nous avons rendu compte dans la lettre 95 de
septembre 2015, voici donc une nouvelle gourmandise à déguster sans modération.
L'histoire est, bien entendu, dramatique à souhait, mais se termine évidemment
très bien. Le brave Baba viendra à bout du méchant Prince Savarin et conquerra
les faveurs de la pâtissière prénommée Crème, comme il se doit… Alternent donc
les passages tendres, terrifiants, lyriques. La partie de piano n'offre pas de
grandes difficultés et sera avantageusement confiée à un élève. Bien entendu,
une mise en scène est possible. Comme toujours avec les œuvres de Claude-henry
Joubert, un professeur attentif peut tirer de cette pièce plein d'enseignements
musicaux concernant les tessitures, le style… Mais faisons confiance au
professeur ! ALTO Ignace
PLEYEL ( : Sonatina III. Transcription pour
alto et piano de François Méreaux. Elémentaire. Lafitan : P.L.2778. Les musicologues s'intéresseront aux sources
de cette transcription. Disons tout simplement qu'elle est très bien faite et
constitue ainsi une véritable petite sonate pour alto et piano où chaque
instrument joue son rôle. La partie de piano peut également convenir à un
pianiste de niveau élémentaire ou moyen. C'est de la très agréable et très
bonne musique. VIOLONCELLE Henri
DUPARC : Sonate pour violoncelle et piano. Delatour : DLT2553. C'est dans leur collection « Musique
& Patrimoine » que les éditions Delatour
nous offrent cette première édition mondiale de cette Sonate miraculeusement rescapée de la folie destructrice de leur
auteur. Olivier Laville et Camille Seghers ont
réalisé cette édition et nous donne un très bel aperçu de l'œuvre sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=dZaBHS1HcT4
Souhaitons avoir l'occasion d'entendre souvent cette œuvre qui pour être
« de jeunesse » n'en est pas moins parfaitement accomplie et d'une
grande beauté. Luigi
BOCCHERINI : Sonate n° 1 en sib majeur pour violoncelle et piano.
Réalisation et cadence de Louis-Noël Belaubre. Delatour : DLT2263.
Les 18 autres sonates : de 2264 à 2281. C'est un remarquable travail qui a été fait
par L.-N. Belaubre. En effet, ces dix-neuf sonates
inédites ont été découvertes par lui en 1962 grâce au directeur de la bibliothèque
de la radio. A l'époque, on ne disposait que de six sonates éditées chez Ricordi dans une harmonisation assez éloignée du style de
l'auteur. Même si Ricordi a complété son édition,
c'est à un travail tout à fait personnel de réécriture dans le style de
Boccherini que l'éditeur s'est livré. Les manuscrits ne comportent en effet
qu'une basse non chiffrée. L'intérêt de ces sonates n'est plus à démontrer.
L.-N. Belaubre en a réalisé un enregistrement avec le
violoncelliste Charles Reneau, aujourd'hui épuisé (FY
011-014). FLÛTE Claude-Henry
JOUBERT : Le pinceau d'Eugène. Une
enquête du commissaire Léonard pour flûte avec accompagnement du professeur de
flûte. Fin du 1er cycle. Lafitan :
P.L. 2978. Voici donc une de ces délectables enquêtes du
commissaire Léonard dont C.-H. Joubert a le secret. Il y aura, comme
d'habitude, autant de travail pour le professeur que pour l'élève, mais un
travail ô combien fructueux… Outre la découverte des peintres Eugène Boudin et et Eugène Delacroix réunis en la personne d'Eugène Deladin-Boucroix, et des styles italien et américain, la
pièce permet tout un travail d'improvisation passionnant : bien loin du
n'importe quoi, il s'agit d'inviter l'élève et le professeur à construire la
cadence et la conclusion de l'œuvre à l'aide des matériaux musicaux proposés,
mais assimilés, digérés… L'auteur ne laisse pas les interprètes sans
direction : la partition comporte tous les éléments nécessaires pour mener
à bien ce travail aussi formateur que passionnant. Gilles
MARTIN : Vocalise pour flûte traversière et piano.
Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2971.
Quelle charmante vocalise, qui se déroule
dans un Andantino avec un discours modulant sans cesse, tout en adoptant un
discours tout à fait tonal. Mais après cette délicieuse promenade, c'est un
Allegro giocoso tout guilleret et dans un do Majeur très affirmé, qui va nous
conduire à une fin éclatante dans le registre aigu de l'instrument. La partie
de piano est très facilement abordable. Ce sera une bien agréable manière pour
les deux interprètes de s'initier à la musique de chambre. Jean-François
PAILLER : Le petit Éléphant en ville pour flûte et piano. Débutant. Delatour :
DLT2621. Il n'y a rien de maladroit ou d'un peu pataud
dans la promenade à travers la ville de ce charmant pachyderme. On pourra s'en
persuader en allant écouter sur le site de l'éditeur ou sur Youtube
cette charmante pièce (https://www.youtube.com/watch?v=zNOTsuVQpgI
). Le côté primesautier de certains passages dans la rue, avec les arrêts aux
feux tricolores ne masque pas, cependant une certaine mélancolie. Nostalgie de
sa forêt natale ? Bref, l'ensemble est tout à fait séduisant et original
Cet éléphanteau devrait faire le bonheur de ses interprètes. CLARINETTE Cécile
PRUNET (livret) – Bernard COL (musique) : Erwan et les Korrigans. Conte
musical pour quatuor de clarinettes avec glockenspiel et récitant. Delatour : DLT2662. Adaptation de l'opéra pour enfants La nuit des korrigans dont
nous avons rendu compte dans notre lettre 93 de juin 2015, cette œuvre est
réécrite ici pour un quatuor de clarinette de 2ème cycle, la partie
de glockenspiel étant tenue à tour de rôle par un membre du quatuor. Nous
écrivions alors : « L'argument est emprunté à l'imaginaire breton :
korrigans et Ankou (figure de la mort) y jouent un
rôle central. La musique est écrite dans un style romantique auquel se mêlent
des références à la musique française du début du XX° siècle. Si l'œuvre a,
évidemment, un côté très sombre, elle se termine cependant « dans un climat
musical de joie et de libération, sur l'air traditionnel de la dérobée de
Guingamp ». Cette nouvelle version devrait permettre à beaucoup d'écoles de
musique de se lancer dans l'aventure. SAXOPHONE Charles
BALAYER : Deep south pour quintette de saxophone. Moyen avancé. Delatour : DLT2655. Dans ce sud profond (sud des États-Unis),
l'auteur nous entraine dans les différents styles (blues, country, spirituals…)
qui lui sont familiers. Thème et chorus écrits se succèdent avec un entrain qui
ne se dément pas. On connait le talent de compositeur de Charles Balayer et
cette nouvelle page est à la hauteur des précédentes… TROMPETTE Alain
FLAMME : Réflexes pour trompette ou cornet ou bugle
et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3067. Des réflexes, il faudra en faire preuve dans
cette pièce aux fréquents changements de rythme, de mesure, le tout dans un
tempo assez vif… Ceci dit, il ne s'agit pas seulement d'un exercice de rythme
mais surtout d'une pièce très vivante et primesautière qui, les difficultés de
mise au point résolues, devraient donner beaucoup de plaisir à ses interprètes.
Bien sûr, le pianiste devra être à la hauteur rythmique de son
partenaire : la partie de piano n'est pas moins rythmée et dialogue
constamment avec la trompette. COR André
GUIGOU : Axel pour cor fa ou mib et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2984. Voici une œuvre très poétique et très
délicate qui, après nous avoir longuement promené dans un mode de fa s'installe
ensuite de façon plus classique dans le fa majeur annoncé. Le tout n'est pas
banal et permet au jeune débutant de se former l'oreille à des ambiances
modales diverses. Rappelons qu'une des caractéristiques de cette collection est
de pouvoir confier la partie de piano à un élève pas forcément virtuose et de
favoriser ainsi la musique de chambre. PERCUSSION Wieslaw
JANECZEK : Boomerang pour caisse claire et piano.
Préparatoire. Lafitan : P.L.3059. Le titre dit bien le propos de la pièce. Les
différents types de jeu de la caisse claire rebondissent et reviennent sur le
pianiste qui, avec ses contretemps, donne à la caisse claire une réponse
musclée. Tout cela est bien agréable et roboratif et devrait donner du plaisir
tant aux interprètes qu'aux auditeurs qui ne risquent pas de s'ennuyer en
écoutant ce dialogue. Denis
DIONNE : Drum Tab. Jouez tout de suite à la batterie sans
connaître le solfège. Dhalmann : FD0484. L'auteur ne prétend pas que le solfège soit
inutile mais il pense pouvoir venir ainsi en aide à ceux qu'une approche trop
théorique du solfège aurait rendus totalement allergique à cette discipline… Le
didacticiel présent sur le site de l'éditeur démontre que cette approche
sensorielle peut être tout à fait pertinente et efficace. Ce petit volume est
très agréablement présenté, fonctionne par dessins très explicites et
permettra, souhaitons-le, de débloquer des situations difficiles. C'est l'œuvre
d'un praticien et de la batterie et de l'enseignement… Laurent
COULOMB : Face à face pour
deux percussionnistes et traitement électronique. Delatour :
DLT2615. Précisons que le traitement électronique se
fait en temps réel à partir d'un patch MaxMSP
commandé par ordinateur. Pour comprendre la philosophie de l'œuvre, qu'il est
impossible de résumer ici, on se reportera au commentaire de l'auteur sur le
site de l'éditeur ainsi qu'à la prévisualisation qui s'y trouve. Disons qu'il
s'agit, comme le titre le suggère d'une sorte de combat entre les deux
interprètes : l'auteur précise qu' « une
mise en scène – voire l'intervention de danseurs – est légitimement
imaginable. » MUSIQUE
DE CHAMBRE Boris
GAQUERE : Tango del
vertigo. Fantaisie pour guitare et
quintette à cordes. Lemoine : 29 239 H.L. Cette œuvre est une commande des Jeunesses
Musicales du Brabant Wallon à l'occasion du 25ème anniversaire du
Kaléidoscope de la guitare (festival de guitare de Rixensart, Belgique).
L'ensemble n'est pas facile, mais constitue une musique très plaisante autant
pour les interprètes que pour les auditeurs. Cette fantaisie est une sorte de
mini-concerto où guitare et quintette à cordes (quatuor plus contrebasse)
dialoguent continuellement même si la guitare a évidemment la part belle. Ce
tango nous entraine dans une ambiance sud-américaine du meilleur aloi. Le tout est
remarquablement écrit ce qui n'étonnera pas de la part de ce guitariste et
compositeur à la carrière prometteuse. Jean-François
PAULÉAT : WOZNYA pour bande de
hautbois et musiciens débutants. Delatour :
DLT2416. WOZNYA est une pièce pour
Bande de Hautbois intégrant des élèves hautboïstes et bassonistes de cycle 1
& 2. Cette œuvre a été commandée par l'association « Bémols Perplexes » sur
l'impulsion de son directeur artistique : Claude Villevieille.
Il s'agit, selon l'auteur, d'une sorte de
« chevauchée héroïque ». L'intérêt évident est la participation
possible d'élèves de tous niveaux à une œuvre roborative qui devrait les
séduire et leur donner l'envie de la musique d'ensemble. La « bande de
hautbois » comporte deux hautbois, un hautbois d'amour, deux cors anglais
deux bassons et un contrebasson optionnel. A cette bande viennent s'adjoindre
quatre parties de hautbois et quatre parties de basson allant de débutant à fin de 1er cycle. Ces parties sont modulables
en fonction des effectifs. A ces ensembles se joignent une cymbale suspendue et
une caisse claire. Jean-François
PAULÉAT : LUSKELL pour bande de hautbois et musiciens débutants. Delatour :
DLT 2415. On se reportera au commentaire précédent pour la
partie technique concernant cette pièce, créée en même temps. Nous reproduisons
ici le commentaire de l'auteur : « Cette pièce (ternaire) commence
par une introduction en forme de berceuse qui utilise les notes harmoniques des
hautbois et cor anglais. Puis les percussions annoncent une partie « swinguée
» qui fait la part belle aux élèves hautboïstes et bassonistes. La Bande de
Hautbois se charge des refrains durant ce swing. Les élèves hautboïstes les
plus avancés se retrouvent solistes le temps d'un couplet et répondent à leurs
camarades durant quelques mesures. LUSKELL se termine par un tutti
mêlant élèves et Bande de Hautbois. » Daniel
Blackstone.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Philippe CANGUILHEM : L'Improvisation polyphonique à la Renaissance.
Paris, Classique Garnier, Coll. Arts de la Renaissance européenne, ARE 5, 2015,
263 p. —69 €. Spécialiste de la
musique de la Renaissance et des sources théoriques et pratiques — après avoir
dirigé l'ouvrage intitulé : « Chanter
sur le livre » à la Renaissance (Turnhout, Brepols,
2014, cf. Lettre d'information n°82,
juin 2014) et rédigé un article éponyme « Singing upon the book » — Philippe
Canguilhem, professeur à l'Université de Tours, aborde les problèmes du
contrepoint et de l'improvisation : d'une part vocale (plain-chant,
polyphonie), d'autre part instrumentale, et également de l'improvisation soit
individuelle, soit collective, car tout n'est pas consigné par écrit et
l'improvisation peut aussi susciter la virtuosité. Il est donc possible de
chanter autre chose que ce qui est écrit. Sa solide démarche
est sous-tendue par une exploitation approfondie des traités notamment de
Bartolomé Ramos de Pareja (1482), Heinrich Glarean
(1516…), Adrian Petit Coclico (1552), Hermann Finck
(1556), Gioseffo Zarlino (1558), Seth Calvisius (1594), Marin Mersenne (1636)…
jusqu'à Carl Dahlhaus (1977). Il se réfère aussi aux
différentes catégories de polyphonies improvisées établies par Klaus Jurgen Sachs, tout en tenant compte des répertoires et,
plus particulièrement, ceux des Maîtrises des Cathédrales en Italie, en Espagne
et également en France. Philippe Canguilhem
observe qu'il n'y a pas de corpus théorique solide à propos de la musique
improvisée aux XVe et XVIe siècles, mais que la théorie poétique et rhétorique
permet une certaine approche du concept. Les Humanistes florentins
s'intéressent à la création spontanée, dans la mouvance d'Ange Politien
(1454-1494) et de Marsile Ficin (1433-1499) qui insiste sur l'inspiration,
voire l'inspiration divine ; elle est aussi immédiate. Dès l'Antiquité
gréco-latine, l'improvisation poétique
avait suscité l'admiration par son effet de présence (donc sans préparation) et
la dimension physique de sa prestation. De plus, le public stimule l'art
oratoire. L'auteur dégage un
premier point de vue : en situant la création polyphonique « entre
oralité et écriture », il est évident d'associer improvisation et oralité.
Il rappelle aussi la pratique de l'improvisation en langue vernaculaire, la
pratique du contrepoint et met l'accent sur le fait que la composition exige une longue préparation, alors que l'improvisation est marquée par l'absence
de préméditation. Cette « non-préparation » est liée à l'oralité et à
l'extemporalité (cf.
verbe anglais : to extemporise,
signifiant improviser, c'est nous qui soulignons). Le second point de vue
soulève un contresens historique consistant à introduire une différence substantielle entre l'écrit
et l'oralité (p. 34). En fait, il n'y a pas de hiérarchie entre les deux, et la
musique de la Renaissance est caractérisée par la relation d'interdépendance entre oralité et
écriture. Une partie porte sur
les techniques, le contrepoint ad videndum (à visualiser), le chant collectif et le
faux-bourdon... Enfin, la dernière concerne « le spectacle du
contrepoint » sous divers aspects : émulation, vanité, virtuosité,
ostentation, habileté, tendances contrapuntiques et également la pratique en
Espagne (joutes contrapuntiques) et en Italie, ainsi que le recrutement.
Philippe Canguilhem évoque ainsi les effets de cette pratique au XVIIe siècle,
en ces termes : « lorsqu'il [Soriano] chantait, il était tel une
furie infernale, puis devenait un ange en revenant au contrepoint sonore, et il
était si vif dans la conduite des dissonances qu'il resta connu pour cet
exercice. » (p. 235, d'après Giovanni D'Avella,
1657). En définitive, selon l'auteur, le processus de création est éloigné du
concept de composition. Actuellement, certains
Conservatoires organisent des cours d'Improvisation
historique, et ce thème a aussi donné lieu à des Colloques. Le livre vient
donc à point nommé car, au fil des chapitres, la réalité de l'improvisation
musicale est abordée sous divers angles : problème du latin, chanter
« par usage », chanter sans la musique, musique improvisée à
l'instrument ou encore chanter « sur le livre à l'Église » (activité
quotidienne). Également reflet des tendances actuelles (fin XXe-début XXIe
siècle), cette publication est complétée par une imposante Bibliographie (p. 259-263) avec références à des titres en
plusieurs langues allant du XVIe siècle à nos jours et traduisant la
complexité, la diversité et l'évolution du sujet magistralement traité par
Philippe Canguilhem, très au fait des principes et techniques, du répertoire
spécifique (illustré par de nombreux exemples musicaux) et de la pratique
ancienne et actuelle. Ouvrage éclairant et sujet « dans le vent ». Édith Weber. Henri-Claude FANTAPIÉ : 60 ans de vie musicale de 1945 à nos jours. Paris,
L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2016, Collection Univers musical, 220
p. –
23, 50 €. Henri-Claude Fantapié est à la fois chef d'orchestre, compositeur,
disciple, entre autres, de Henri Dutilleux et de Maurice Ohanna,
directeur de Conservatoire et musicologue. Il vit donc la musique au quotidien,
tant en composant qu'en dirigeant, en France comme à l'étranger et plus
particulièrement en Finlande. Il est au contact de nombreuses personnalités du
monde musical, enseigne la direction d'orchestre, forme de jeunes
instrumentistes (en Europe, Afrique, Amérique) et rayonne d'abord avec
l'Orchestre de chambre Les Solistes de Paris et l'Orchestre départemental de la
Jeune Philharmonie de Seine-Saint-Denis. Ses nombreuses qualifications et sa
vaste expérience lui permettent de poser un regard global et personnel sur la
production musicale de 1945 à nos jours. Comme il le
précise : « ce livre n'est pas
une autobiographie, mais le procès-verbal
partiel et partial d'une vie dans un monde en constante mutation qui va de
l'immédiat Après-guerre jusqu'aux première années du XXIe siècle, en
passant par mai 1968 » (quatrième de couverture). Il propose donc la réaction
d'un spectateur doublé d'un acteur, d'un jeune soliste devenu chef d'orchestre
avant la mode des « baroqueux » et « moderneux »,
à l'époque à laquelle les professeurs étaient des maîtres. Tout en sollicitant
sa mémoire, il associe les faits à une réflexion personnelle et dans un esprit
critique ; ils sont évoqués par des événements significatifs : -1945 à 1965 :
donc l'Après-guerre, avec les chefs d'orchestre, l'impact de la Radio et des
enregistrements, sans oublier son engagement personnel de l'auteur et les
problèmes esthétiques du moment. -1965 à 1980, avec,
entre autres, les institutions (Lycée La Fontaine, Cité internationale
universitaire), les spectacles et concerts parisiens, les festivals ; les
musiciens en vogue (Eugène Bigot, Henri Dutilleux, Igor Markévitch…,
les femmes compositeurs et chefs d'orchestre) ; l'impact de mai 1968, mais
aussi la musique baroque, la musique contemporaine, le jazz et le jazz hot, les
chansons et disques ; 1980 à 2000, avec le renouveau baroque. -2000 à 2005… :
années marquant « la fin des utopies » : individualisme, bling-bling, culture pour tous. À ces constats s'ajoutent
encore des remarques sur les Concours, stages, masterclasses…
et des considérations personnelles, jazzistiques entre autres. Cette énumération
donnera aux lecteurs l'envie d'en savoir davantage. Les deux brefs
« Épilogues personnels » se présentent comme un bilan dans lequel
Henri-Claude Fantapié revient en arrière et relate
ses débuts de chef avec l'Orchestre de Chambre de la Fondation de Monaco à la
Cité internationale (Paris). Il rappelle qu'il a aussi créé Les Solistes de
Paris et étendu largement son répertoire avec divers Ensembles dans la Région
parisienne, puis à l'étranger. Il fait également allusion à ses activités
multiples : direction d'orchestres et de Conservatoire, ainsi que
compositeur et musicologue. Toutefois, c'est la direction d'orchestre qui lui a
procuré le plus de satisfactions. Cette tranche de vie bien remplie est aussi
étayée par 30 illustrations (dont certaines photos réalisées par l'auteur) et
un choix d'articles concernant le jazz, la venue à Paris de Charles Mingus,
avec des sous-titres percutants. Ce livre original
n'est donc pas une autobiographie,
mais effectivement « le procès-verbal
partiel et partiel » de son engagement artistique. Il révèle — au fil des
pages et des personnalités citées — la face cachée de toute une époque et le
cheminement artistique et professionnel de l'auteur, toujours soucieux de
situer les faits et événements pris sur le vif dans leurs divers
contextes : historique, événementiel (voire politique) et esthétique, avec
un esprit critique associé à de solides réflexions : 60 ans dans un monde
musical en mutation et vivant témoignage d'un acteur resté éloigné du
« grand cirque du star-système ». Édith Weber. Colette MOUREY : Essai sur le son mental. De résonner… à raisonner ! (Préface d'Édith
Weber), Paris, L'HARMATTAN
(www.harmattan.fr ), 2016, 140 p. – 15, 50 €. Colette Mourey est connue des lecteurs de L'Éducation musicale (cf.
Lettre d'information n°101, mars
2016, avec la recension de L'intelligence
musicale, livre amorçant déjà le présent essai). À la fois chercheur
indépendant en Musicologie et guitariste de haut niveau, elle a été longtemps
professeur de didactique et d'esthétique de la musique à l'Université de
Franche-Comté (Besançon) et a participé à la formation des futurs professeurs à
l'École supérieure du Professorat et de l'Éducation (ÉSPÉ). Compositeur
prolifique ; on lui doit plus de 1000 compositions pour guitare, violoncelle,
piano… (parues, en Suisse, dans sa collection aux Éditions Marc Reift). Dans sa précédente
publication — partant du point de vue que l'intelligence musicale est
« doublement rationnelle et intuitive » —, elle démontre que
« l'audition est à la fois de caractère subjectif et objectif » et
nécessite une attention « aiguisée, forgée par la volonté » devant
être longuement soutenue, puis met l'accent sur la finalité : l'éducation
auditive réflexive. Dans le présent ouvrage, comme le précise notre Préface (p. 11-13) : elle étudie le
« son mental » sous divers angles d'attaque, souligne l'existence de
ce phénomène, définit son champ d'action et cerne la musique associée à la
réflexion et à la pensée. Elle se réclame de la transversalité et de la transdisciplinarité,
et insiste sur l'indispensable attention mentale auditive et sur l'éducation
auditive réflexive, autrement dit formant le trinôme :
Musique-Réflexion-Pensée. Sa démarche s'appuie, d'une part, sur la physique quantique, la dimension
algorithmique dans le sillage des fractales,
d'après Benoît Mandelbrot qui, comme elle le rappelle, « introduit
l'analogie (la résonance) dans le
raisonnement » : d'où le titre de ce livre très neuf : Essai sur le son mental – De Résonner… à
Raisonner ! et, d'autre part, sur l'holisme selon Jan Christian Smuts (du grec holos, signifiant
« entier »). Elle étudie donc le phénomène dans sa globalité (et non
par paramètres additionnés) et au sens d'un ensemble indivisible. Elle fait
intervenir le passage de la métrique à la logique ; de la mélodie à
l'émotion ; de la polyphonie aux architectures mentales, puis développe
les sons de la pensée et, finalement, confirme le rôle spécifique de
l'intelligence musicale (cf. publication
précédente), c'est-à-dire : l'intelligence rythmique, l'intelligence
mélodique et l'intelligence polyphonique. Si le son
« résonne », il force aussi le lecteur à « raisonner », il
ne s'agit pas d'un simple jeu de mots phonétique. En connaissance de cause et
dans une optique transversale et transdisciplinaire, Colette Mourey affirme (cf. 4e
de couverture) : « C'est par et au sein de l'élaboration en toute
conscience de notre paysage sonore mental que nous devenons à part entière des
êtres de création : auteurs des mondes que nous projetons, et dans
lesquels nous expérimentons toute la mesure de notre liberté, par-delà les
frontières de tout univers connu et inconnu. » Elle n'a pas fini de nous
étonner. Auteur prolifique à suivre. Édith Weber. Élisabeth BRISSON : Beethoven. 1Vol Éditions Ellipses. Collection Biographies et mythes historiques, 2016, 400p (www.editions-ellipses.fr),
24,50€. Un
nouvel ouvrage consacré à Beethoven peut à première vue être considéré comme
surabondant. Mais très vite on constate que l'on n'est pas en présence d'une
simple biographie venant s'ajouter aux nombreuses précédentes. Élisabeth
Brisson dans la première partie intitulée « Les étapes de la biographie
créatrice de Beethoven » entend en effet bannir toutes anecdotes sujettes
à caution et donner de Beethoven l'image d'un être humain qui certes est un
génie, mais n'en est pas moins un personnage de son temps, totalement dévoué à
son art et conscient de sa valeur. C'est un homme d'exception certes mais qui
sait ce qu'il doit à ses maîtres tels Joseph Haydn ou Johann Georg Albrechstberger. De nombreuses légendes sont mises à mal,
ou du moins remises à leur niveau, comme les effets d'un caractère difficile –
Élisabeth Brisson en convient – mais qui n'empêchent pas la pérennité de solides
amitiés ainsi que de soutiens plutôt constants qui on
permis à Beethoven de vivre correctement et d'avoir une reconnaissance auprès
du public qui ne s'est jamais démentie. Sinon, comment aurait-on pu expliquer
ses obsèques grandioses à Vienne ! Élisabeth Brisson nous montre un
Beethoven retravaillant sans cesse ses compositions, soucieux de la qualité de
leur publication. Il apparaît comme une personne négociant âprement ses
contrats, mais très souvent en retard dans la livraison de ses commandes – situation
somme toute très normale dans le monde artistique ! Ces retards expliquent
que les premières auditons étaient souvent partielles, faisant par la suite
l'objet de corrections et/ou d'ajouts non négligeables (Fidelio en est
un exemple). Ce qui
est particulièrement intéressant dans cette biographie, ce sont les
développements consacrés à la relation qu'a Beethoven avec la France. Bien sûr
il y a la genèse de l'Eroica, initialement intitulata Bonaparte, mais il y a aussi le sujet de
Fidelio, ainsi que l'attirance pour un pays dont la capitale recèle la
meilleure école de violon en Europe, avec notamment Rodolphe Kreutzer, pays qui
a aussi suscité un immense espoir avec la révolution. En fait, Beethoven
pendant de nombreuses années a caressé l'espoir de séjourner à Paris, estimant
que ses œuvres correspondaient à la sensibilité du public français du moment.
Il ne put jamais mettre son projet à exécution compte tenu du climat
conflictuel en Europe. Élisabeth Brisson évite de conduire une biographie sur
la base de témoignages peu fiables. Elle s'appuie sur des correspondances
certaines et surtout sur les compositions du maître de Bonn, envoyant aux
oubliettes la théorie énoncée par Wilhelm von Lenz
autour des année 1850 des trois périodes créatrices très en vogue tout au long
du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle. Élisabeth Brisson
nous expose une évolution linéaire du travail de composition de Beethoven, en
lien avec le contexte historique, notant que dès les premiers Opus les audaces
sont là. Elle
donne en revanche une place essentielle à la Quatrième Symphonie op.60
qui selon elle récapitule les innovations qui parsèment ses compositions :
« masse sonore de l'orchestre, des
harmonies tendues, des motifs très courts associés à des attaques différenciées
(pizzicato, détaché, sforzando, legato) ou à des timbres (tel le basson), des
répétitions successives de notes ou d'accords très brefs. » (p.104).
Elle nous donne à lire de très belles pages à l'occasion de descriptions de
certaines œuvres, comme l'ouverture de Coriolan (p.109) « L'écriture musicale mise en œuvre par
Beethoven manifeste l'action inévitable des forces contradictoires auxquelles
l'homme est soumis, malgré sa lutte énergique qui est signe de sa liberté
intérieure ». Ce qui
frappe dans le travail d'Élisabeth Brisson, c'est son refus de dramatiser outre
mesure la vie de Beethoven ; ainsi décrit-elle avec tact ses relations
avec non neveu Karl, même si elle rend compte sans fard de sa réaction suite à
la tentative de suicide de Karl . Elle n'insiste
pas sur la souffrance que le compositeur à pu subir
du fait de sa surdité insistant plutôt sur la façon dont il dépassait cette
infirmité : elle écrit à ce sujet qu' « il est [ ] bien décidé à saisir le destin à la gueule, à ne pas
se laisser abattre et à persévérer dans son amour de la vie » (p.66).
Enfin elle relate la fin de Beethoven avec beaucoup de pudeur, préférant rendre
compte de la solennité des obsèques suivies par une foule viennoise très
importante. La
seconde partie de l'ouvrage est très intéressante. Elle a pour titre « La
postérité paradoxale » et passe en revue ce que l'on peut considérer comme
des détournements de son héritage. Ainsi l'auteure souligne-t-elle l'insistance
avec laquelle ses thuriféraires l'élèvent au rang divin dès sa disparition.
Plus tard, au XXème siècle, elle constate qu'il a pu être « annexé par les
nazis », ce qui constitue un contre sens absolu car il est alors considéré
« comme une figure idéale pour créer
un consensus autour de l'idée de la supériorité de la civilisation allemande et
du peuple allemand » (p.300). Une
troisième et dernière partie « l'actualité de Beethoven » souffre
peut-être d'être partielle : certes y est soulignée l'incroyable présence
des œuvres de Beethoven sur le marché des enregistrements, sa présence chaque
année dans les programmes des concerts. Est aussi évoquée la démarche de
certains créateurs à partir de l'image ou d'œuvres de Beethoven ; ainsi peut-on
lire un long développement sur le film de Mauricio Kagel, Ludwig van : ein Bericht. Mais cette
permanence du maître de Bonn aurait sans doute pu être enrichie par l'évocation
du travail du chef Igor Makevitch (« Etude
historique, analytique et pratique des symphonies de Beethoven (Die Sinfonien von Ludwig van
Beethoven : historische analytische
und praktische Studien. Leipzig. Ed Peters 1982 »). Il aurait aussi
été sans doute pertinent de consacrer des développements sur les évolutions de
l'interprétation. Elle est seulement esquissée quand est évoqué Furtwängler
voire von Karajan pour la direction d'orchestre ou la
pianiste Elly Ney. En tout cas voilà matière à la publication d'un autre
ouvrage ! Mais on retiendra l'originalité de ce Beethoven d'Élisabeth
Brisson : tout en humanisant son modèle, elle nous permet de comprendre
son génie absolu. Elle le fait de façon très claire, sans jargon en analysant
ses œuvres. Ainsi sommes-nous mieux préparés à les entendre et à les
comprendre. Gilles
Ribardière.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
« L'Apocalypse » selon Johann Sebastian
BACH, Dietrich BUXTEHUDE, Christian GEIST. 1CD K
617 Chemins du Baroque (www.rencontres-saint-ulrich.com) : CD8003. TT.:
49'14. Dans une perspective
comparative, certains éditeurs privilégient actuellement des titres thématiques
autour d'un dénominateur commun, ayant l'avantage de regrouper des œuvres
familières aux mélomanes qui auront plaisir à les réentendre, et parfois d'en
faire découvrir d'autres. C'est le cas de ce disque du label K 617 Chemins du
Baroque et des Rencontres musicales de Saint Ulrich à Sarrebourg, à
l'initiative d'Alain Pacquier, ardent défenseur de la
musique baroque. Cette nouvelle production associe Jean Sébastien Bach,
Dietrich Buxtehude (1637-1707) et Christian Geist
(1640-1711), moins connu du grand public, autour du thème de l'Apocalypse. Apocalypse, du grec apocalypsé, a
pour sens premier : « révélation ». C'est aussi le cas du
dernier livre éponyme du Nouveau Testament.
Ce mot peut aussi impliquer un combat, une bataille, les ennemis, la fin du
monde… mais aussi l'apparition de l'Archange. Les artistes l'ont illustrée de
manière très révélatrice, par exemple Jerôme Bosch
(v.1450-1516) dans son tableau : Le
triomphe de la Mort) ou encore Albrecht Dürer (1471-1528) dans sa célèbre
gravure Les quatre Cavaliers de
l'Apocalypse, à titre d'exemples. Cette réalisation est
articulée autour de la notion de bataille (Es
erhub sich ein Streit (BWV 19) – Une bataille s'engagea, Cantate de J.
S. Bach), de la puissance de l'Archange protecteur (Befiehl dem Engel dass er komm (BuxWV 10) – Ordonne à l'ange de venir de Dietrich
Buxtehude) et de l'apparition de l'Archange (Herr Gott dich loben alle wir
(BWV 130)– Seigneur Dieu, nous te
louons tous de J. S. Bach, faisant notamment allusion à la création des
anges et chérubins, mais aussi au dragon dans sa Cantate implorant la
protection du Seigneur), sans oublier la description de la bataille de
l'Archange Michel contre Satan. Comme le rappelle Alain Pacquier,
il s'agissait surtout pour Christian Geist
« d'évoquer également… le jeune roi en bute aux forces des ténèbres des ennemis politiques de la Suède » (Qui hostis in coelis avec allusions au dragon, au lion, à l'enfer,
posant donc la question : « Qui sont ses ennemis dans les cieux
? »). Dans ce « concerto sacré », préoccupations politiques et
religieuses se mêlent. Ces thèmes se prêtent
admirablement à une évocation musicale grâce aux sonorités
instrumentales — notamment hautbois, bassons, trompettes, timbales — et
aux Chorals luthériens si prégnants, ainsi qu'aux Récits et Airs créant et
diversifiant l'atmosphère. Les pages hautement descriptives (trompettes de la
bataille, ostinatos) ou profondément méditatives et sereines sont interprétées
avec musicalité et élan par l'ensemble norvégien Trondheim Barokk
dirigé avec énergie et sensibilité par Sigiswald Kuijken (également violon). L'enregistrement public (8
juillet 2015), dans le cadre du Festival international de Sarrebourg, mérite
les plus vifs éloges tant par l'originalité du programme que par la qualité de
l'interprétation. Édith
Weber. « Et misericordia ». Béatrice Gobin,
soprano, Éric Lebrun, orgue, Patrick Simon, flûte. 1CD MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com ). TT : 56' 47. Dans la même
perspective comparative que le CD précédent (L'Apocalypse), mais pour voix seule, Béatrice Gobin (Soprano), a
fait appel à Éric Lebrun (orgue, piano), Patrick Simon (flûte) et Bernard
Bonnet (hautbois). À l'occasion du « Jubilé de la Miséricorde », ils
ont réalisé un Récital sacré dont le
programme regroupe 27 pièces allant de l'époque baroque à 2015 avec, en bonus,
précisément la devise de ce Jubilé : Misericordes sicut Pater, reposant sur des sources bibliques. Il
s'agit d'un chant d'action de grâce sollicitant les sept dons de l'Esprit, le
réconfort et affirmant qu'« En toute occasion,
l'amour espère et persévère », cette hymne s'inscrit en écho avec la
première pièce : Magnificat. Et misericordia
de Georg Philipp Telemann. Les noms de J. S.
Bach (texte allemand), G. Fr. Wolfgang Amadé Mozart
et Michel-Richard Delalande (textes latins), de
même que de Nadia Boulanger (texte français) sont associés à deux
improvisations d'Éric Lebrun : l'une à l'orgue sur Cor mundum crea in
me Deus (en liaison avec Delalande) ; l'autre, au piano, sur O Lord, Be Merciful
(en liaison avec Homer Newton Bartlett, v. 1845-1920). Le programme gravite
autour de plusieurs idées : la miséricorde, la prière, l'amour, le cœur
pur, la pitié, le pardon, la louange et l'action de grâce. Béatrice Gobin,
membre du Centre de Musique Baroque de Versailles, diplômée d'Études musicales
(chant baroque), 2004, est sollicitée par de nombreux Chœurs : Accentus, Le Concert Spirituel, le Chœur de Chambre de
Namur, la Sinfonie du
Marais… Son répertoire est particulièrement varié. Sa voix pure et cristalline,
s'est imposée depuis son premier enregistrement en 2002. Éric Lebrun, disciple
de Gaston Litaize en orgue et de Bruno Rigutto en piano, Lauréat de nombreux Concours
internationaux, est l'organiste titulaire du Grand Orgue Cavaillé-Coll de
l'Église Saint-Antoine des Quinze-Vingts à Paris. Il
a improvisé sur Cor mundum
crea in me, Deus, à l'Orgue Yves Fossaert (1999) de l'Église Notre-Dame de Rocheservière (en
Vendée) et, au piano, sur O Lord, be merciful. À ces deux
interprètes se sont joints le flûtiste Patrick Simon jouant de plusieurs
instruments et l'hautboïste Bernard Bonnet, diplômé
du CNSMP, membre de l'Orchestre National des Pays de la Loire. Ce
« Récital sacré » s'impose par la diversité des formes : Magnificat, Aria, Miserere, Psaumes, mais aussi brèves Improvisations instrumentales, et
surtout par la musicalité des interprétations sur lesquelles plane la voix si
prenante et lumineuse de la soliste. Ces musiciens accompagnent, tour à tour,
en souplesse et avec discrétion, Béatrice Gobin qui se distingue, entre autres,
par son excellente diction et émission vocale et sa sensibilité typiquement
mozartienne dans le Laudate Dominum de Mozart (n°7) ; par son calme et sa
sérénité dans le Cantique « À
toute âme qui pleure… » (texte de Maeterlinck extrait des 15 Chansons, 1904) de Nadia Boulanger (n°4), sans oublier la souplesse des vocalises
à découvert et la justesse à toute épreuve. Voici une incontournable
réalisation des Disques Monthabor, dépassant
largement le prétexte de la commémoration d'un Jubilé (2016) et qui, placée
sous la direction artistique de Fabrice Bravard,
bénéficie d'une excellente prise de son : à retenir à divers points de
vue. Édith
Weber. Louis VIERNE. « Clair
obscur » : Oeuvres
pour orgue et pour voix et orgue. Marie-Noëlle Cros, soprano, Franck Besingrand, orgue. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com ): HORTUS 131. TT : 74' 56. Sous le titre : Clair Obscur,
également dans une optique comparative (cf.
CD précédents), Marie-Noëlle Cros (Soprano) — soliste d'oratorio et
spécialiste d'un répertoire allant de Monteverdi à Verdi, se produit souvent à
Paris (Saint-Germain-des-Prés, Saint-Séverin…) avec l'Orchestre de la Garde
Républicaine, l'Orchestre Paul Kuentz et à l'étranger, notamment en Pologne,
Lituanie… Elle est associée à Franck Besingrand —
professeur d'orgue au CRD de l'Aveyron et concertiste international — à l'Orgue
Théodore Puget de l'Église Saint-Amans de Rodez, instrument à 3 claviers, grand
orgue, positif expressif, récit expressif et pédale ; avec plusieurs 16'
et de nombreux 8' formant le Duo Voce Humana qui a le
mérite de mieux faire connaître des pages de Louis Vierne (1870-1937). Cette réalisation
discographique s'impose d'emblée par l'introduction massive à l'orgue : Hymne au Soleil (Pièces de Fantaisie, Deuxième
Suite op. 53) de ce « musicien pur » qui « chante sa joie,
ses douleurs, sa colère, son espérance, sa foi », comme le rappelle Fr. Besingrand, auteur d'une biographie sur le
compositeur : « cette profession de foi de Louis Vierne résume son
art. Son lyrisme si personnel, sombre ou gorgé de lumière, chante au plus haut
point cette douleur transfigurée. » Cette citation peut s'appliquer à
l'ensemble des œuvres programmées comprenant, pour orgue, les pièces : Choral de la Deuxième Symphonie (op. 20), Adagio
de la Troisième, Scherzetto (en style libre) op. 31, Cathédrales
(4e Suite op. 55), Prélude de la Quatrième Symphonie et, pour finir en
force — comme au début — l'incontournable Carillon
de Westminster (4e Suite op. 54, créé par
le compositeur à Notre-Dame en 1927), imposant tourbillon sonore. Les œuvres pour voix
et orgue (ou piano), environ 50 mélodies, sont rarement interprétées donc moins
connues. Elles sont représentées par les Motets : Ave Maria (op. 3), Tantum ergo (op. 2), Ave verum (op. 15), les Angelus (op. 57), sur le poème de
Jehan le Povre Moyne
(Ernest Eugène Coquin) qui « met en perspective la symbolique des heures,
en lien avec les activités humaines et l'appel au divin ». Les titres des
trois parties sont évocateurs : Au
Matin (réveil de la nature, naissance du jour), À Midi (flamboiement de la lumière, moissons humaines et moissons
du Christ…), Au Soir (cloches et voix
psalmodiée : « Puisque la nuit remonte au ciel et dans nos
cœurs », prière et supplique). La voix lyrique
parfois un tantinet théâtrale plane au-dessus de
commentaires à l'orgue qui assure quelques interludes en rapport avec
l'atmosphère émanant des textes. L'ensemble reste de caractère liturgique,
recueilli et intériorisé. L'interprétation bénéficie d'une part, d'un réel
équilibre entre les interprètes ; d'autre part, de la facture de l'Orgue
tout indiquée pour mettre en valeur les pages de Louis Vierne. Ce vaste
programme (15 œuvres) illustre les diverses préoccupations compositionnelles de
Louis Vierne. Édith
Weber. Patrick BURGAN : 1213. Bataille de Muret. Renat
Jurié, Pierre-Yves Binard, récitants. Ensembles vocaux
« Scandicus » et « Quinte et
Sens ». Les Sacqueboutiers de Toulouse, dir. Patrick Burgan. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com) : HORTUS 127. TT : 36' 53. Comme son titre
l'indique, cette épopée lyrique en 5 tableaux pour 2 Récitants, Chœur mixte,
cornet à bouquin, chalemie, sacqueboute, doulciane et percussions, associe un événement historique
reposant sur des textes en langue d'Oc extraits de La Chanson de la croisade albigeoise (Laisses 137 à 142) d'un auteur
anonyme, adaptés en français en 1960 par Patrick Burgan.
Il s'agit d'une commande qui lui a été adressée par l'Ensemble Les Sacqueboutiers de Toulouse, avec leur concours et celui des
ensembles vocaux « Scandicus » et
« Quinte et Sens », tous placés sous sa direction. L'œuvre se
rattache au genre de la Bataille (cf. Chansons françaises (Bataille de
Marignan, 1515) du XVIe siècle ou encore, par la suite, pièces pour virginal… et la Sinfonia brevis De Bello Gallico
de Vincent d'Indy (1918) et, plus récemment, en 1941, la Symphonie n° 7 Leningrad de Chostakovitch. Ce thème
implique l'évocation de cris belliqueux, de l'effroi, de la déploration et des
sensations collectives mais aussi, un côté poétique rendu par les paroles et la
polyphonie vocale. À côté des Récitants, le percussionniste recrée les bruits
correspondant au contexte. Selon Sylviane Falcinelli,
le champ est ouvert « à l'imaginaire de l'auditeur qui se trouve invité à recréer sa « cinéscénie » personnelle à partir de l'entrelacs des
sollicitations auditives ». Si le langage musical
est moderne, il
n'exclut pas l'emprunt à des techniques médiévales, par exemple le hoquet et
les syncopes (XIVe siècle, Ars Nova).
Le compositeur spécule aussi sur le symbolisme en musique car le 4e
Tableau : La Bataille repose sur
la date de cet événement qui s'est produit près de Toulouse en 1213, comme le
rapporte l'un des récitants dans sa déclamation en langue d'Oc, alors que le
second s'exprimant en français moderne, représente la voix de « l'homme
d'aujourd'hui ». Ils peuvent déclamer leur texte simultanément sur le
devant à gauche et à droite de la scène. L'œuvre a été créée précisément à
l'Église Saint-Jacques de Muret, le jeudi 12 septembre 2013, en marquant donc
le huit-centième anniversaire. Le texte d'accompagnement comprend
judicieusement les paroles des différentes Laisses
évoquant les divers assauts, la bataille proprement dite et débouchant sur le
deuil et les regrets, car « Simon de Montfort reste donc désormais le
maître incontesté de tous les territoires du Comte de Toulouse et de ses
partisans. Les fausses prédictions les auront dépouillés. Le Dauphin rentre en
France. » C'est donc tout un programme qui se prête à la fois à une
description hautement réaliste et à une émotion certaine. Ce CD reproduit
l'enregistrement en concert du 18 mai 2015 à la grande
Salle d'Odyssud-Blagnac, dans le cadre des Rencontres
des Musiques baroques et anciennes dans ce lieu. Patrick Burgan, né à Grenoble en 1960, qui a fait ses études au
Conservatoire de Toulouse où il est actuellement professeur d'écriture et
d'improvisation, traite avec la même aisance les instruments et les voix. Le
caractère quelque peu théâtral de sa musique convient parfaitement à
l'évocation sonore d'une bataille et à l'émotion qu'elle engendre, allant de
l'anxiété et de l'effroi jusqu'à la désolation, encore renforcés par les voix
de Renat Jurié et
Pierre-Yves Binard et leurs injonctions à l'impératif simultanément dans les
deux langues, les sonorités de la fanfare (cuivres) et le rythme répétitif des
percussions. Les Sacqueboutiers de Toulouse font
merveille. Voici une réalisation typiquement régionale et historique,
impressionnante et émouvante. En conclusion, Sylviane Falcinelli
précise à propos du compositeur : « Jamais il ne perd de vue que l'artiste,
aspirant à donner un visage à la beauté qu'il ressent en lui, touche à un
Absolu qui l'irradie et, par là-même, touche à quelque chose qui est de l'ordre
du sacré ». Dont acte. Édith
Weber. Johann Georg RAUCH : Musiques pour la Cathédrale de Strasbourg. Ensemble Dulcis Melodia, dir. . 1CD K 617 Chemins du Baroque (www.rencontres-saint-ulrich.com ) : CD8002. TT : 58' 05. Voici un autre disque
à tendance comparative, concernant des Musiques
pour la Cathédrale de Strasbourg et des œuvres composées par Johann Georg Rauch (1658-1710), musicien ayant effectué sa carrière à la
Cathédrale Notre-Dame, à la fin du XVIIe siècle. À l'initiative du Label K 617
« Chemins du Baroque » (jadis : « K617 ») qui, avec
leur directeur artistique Alain Pacquier, spécialiste
de la musique baroque, reprennent « leur marche vers des répertoires
souvent méconnus ou oubliés » et révèlent des pièces de durée moyenne
extraites, d'une part, des Novae Sirenes Sacrae Harmoniae (Augsbourg, 1687) et, d'autre part, du
Recueil Cithara Orphei
(Strasbourg, 1697). Elles sont interprétées avec une belle envolée par des voix
lumineuses de l'Ensemble Dulcis Melodia.
En fait, Johann Georg
Rauch est mieux connu depuis les années 1970. Comme
le rappelle Jean-François Haberer, ce musicien est « mentionné pour la
première fois en 1687 dans les comptes du grand chapitre ». Par ailleurs,
il a dédicacé son premier opus au Doyen et aux membres du Grand Chapitre. Sur
le plan historique, il fait lui-même référence aux festivités du retour de la
Cathédrale au culte catholique (24 octobre 1681). Dans son catalogue
monumental : L'Alsace et ses
compositeurs, de la Renaissance à nos jours (Delatour
France, 2015), Michel Schmitt précise qu'il a été organiste de la Cathédrale
pendant 30 ans et que ses fils lui succéderont. Ce n'est qu'en 1699 qu'il y
sera maître de chapelle, après Sébastien de Brossard. Les deux Recueils
d'Augsbourg et de Strasbourg (déjà cités) comportent des Motets pour voix
solistes et instruments, alors que le troisième : Harmonicus Missarum concentus
(1692) concerne des Messes et Motets pour grand effectif. Enfin, son
Recueil Cithara Orphei (1697)
contient 12 Sonates instrumentales. Ces œuvres sont d'essence liturgique et
religieuse, et prévues pour l'Office, en tenant compte des possibilités
instrumentales locales. Dans son opus 2,
il souhaite « contribuer par la musique de mon œuvre à adoucir toutes les
fatigues, à disperser les ténèbres, à revigorer la lassitude des âmes ».
Tel est, à l'audition, encore le cas de nos jours. 10 œuvres se réclament de
textes liturgiques d'essence mariale, dont Salve Regina, Regina Coeli ou encore Veni Consolator optime. J.-Fr. Haberer interprète aussi la 4e
puis la 1ère et la 3e Sonate de
Johann Georg Rauch et, peut-être en hommage à Georg
Muffat (1653-1704), sa Toccata prima
est intercalée. Cette réalisation,
excellent rappel historique de la pratique musicale à la Cathédrale Notre-Dame
de Strasbourg, est marquée sous le sceau de l'authenticité historique grâce à
l'Ensemble Dulcis Melodia.
Soutenue par le Ministère de la Culture, elle est tout à fait conforme aux
objectifs du Label K 617 Chemins du Baroque. Édith
Weber. « De
Prague à Vienne. Sonates pour mandoline et pianoforte ». Duo A Piacere : Aline Zylberajch,
pianoforte), Florentino Calvo, mandoline. 1CD LA
FOLLIA MADRIGAL (www.lafollia.com ). LFM 12101. TT : 74' 40. La formation pour
mandoline — instrument très prisé à Vienne au XIXe siècle — et pianoforte,
sortant des sentiers battus, est pratiquée par le Duo A Piacere,
formé d'Aline Zylberajch (pianoforte) et de Florentino Calvo (Mandoline). Ils se produisent sur des
instruments d'époque (ou reconstitués) : pianoforte carré Lipp
(1850), conservé au Musée historique des Dominicains de Haute-Alsace, à
Guebwiller, et Pianoforte Paul & Theo Kobald,
d'après Anton Walter (v. 1795), et Mandoline bresciane :
Carlo Bavassano et fils. Ce disque a le mérite d'être enregistré en
acoustique naturelle dans le Chœur supérieur de l'ancien Couvent des
Dominicains de Haute-Alsace (avec plafond en bois de chêne). Le programme, centré
sur la production essentiellement viennoise, comprend Johann Nepomuk Hummel (né à Vienne en 1778 et mort en 1837), élève
de W. A. Mozart et de J. Haydn — auquel il a succédé comme Konzertmeister
chez le Prince Esterhazy —, remarquable pianiste, très apprécié de son temps,
Ludwig van Beethoven (1770-1827), qui a séjourné à Vienne en même temps que
Hummel, Vincenz Neuling
(1795-1846), très actif à Vienne début XIXe siècle, où sa Sonate en Sol majeur pour mandoline et fortepiano
a été éditée et Bartolomeo Bortolazzi (1773-1820) qui
y a créé précisément le Concerto pour
mandoline et orchestre de Hummel (1799). Les formes interprétées sont des Sonates, Sonatines, Adagio et Andante con Variazioni,
ainsi qu'en conclusion, un extrait de Concerto. Dès la première plage, avec la Grande Sonate op. 37a en Do majeur de Johann Nepomuk Hummel, les sonorités du pianoforte et de la
mandoline se confondent presque. L'Allegro
con spirito, énergique, très allant, ponctué par
des accords bien marqués, est suivi de l'Andante
moderato siziliano
plus expressif, puis du Rondo
conclusif faisant appel à la virtuosité. Ce volet viennois est complété par un
volet praguois, par le biais de l'Adagio
ma non troppo de la Sonatine en do mineur et de l'Andante
con Variazioni celle
en Do Majeur de L. van BEETHOVEN,
vraisemblablement composées à Prague, où il avait fait la connaissance de la
mandoliniste Joséphine von Clary-Aldringen
qui a pu lui inspirer une musique particulièrement expressive et tendre. La Sonate en Sol majeur de Vincenz Neuling comporte quatre
parties : Allegro moderato, Andante, Scherzo Presto, Thème et
Variations. Selon le texte de présentation, ces « quatre mouvements
fort contrastés témoignent de l'inspiration populaire des musiques de salons…
son Scherzo endiablé et la vigoureuse
Polonaise qui conclut les Variations l'inscrivent dans le terreau
musical de l'Europe centrale… ». D'inspiration plus galante, la Sonate op. 9 en Ré majeur de Bartolomeo Bortolazzi
: Allegro, Andante, Rondo s'impose
par l'expressivité du deuxième mouvement et le dialogue particulièrement
chantant des deux instrumentistes. Comme il l'avait
commencé, le Duo A Piacere termine ce CD avec Hummel.
Dans l'Andante con Variazioni
extrait du Concerto en Sol majeur,
la mandoline, avec virtuosité, est vigoureusement soutenue par le piano. Dans
la perspective thématique « De Prague à Vienne », cette
réalisation a bénéficié d'une prise de son (microphones omnidirectionnels), de
remarquables conditions acoustiques, tout en illustrant à la fois l'association
originale de la mandoline et du pianoforte. Édith
Weber. « Un novateur à Dantzig-Gdansk » : Kaspar FÖRSTER. Psaumes, hymnes,
sonates instrumentales. Anne Magouët, soprano, Paulin
Bündgen, alto, Martial Pauliat,
ténor, Renaud Delaigue, basse. Les Traversées
Baroques, dir. Étienne Meyer. 1CD K 617 Chemins du
Baroque (www.rencontres-saint-ulrich.com ): CD8001. TT : 67' 56. Sous-titré :
« Un novateur à Dantzig-Gdansk » et évoquant précisément le
rayonnement de cette ville au XVIIe siècle, ce disque est entièrement consacré
à Kaspar Förster fils (1616-1673). Il est interprété
par Les Traversées Baroques,
avec le concours d'un quatuor vocal : Anne Magouët (Soprano), Paulin Bündgen
(Alto), Martial Pauliat (Ténor) et Renaud Delaigue (Basse) et des instruments suivants : cornettinos, violon I, violon II, viole de gambe, dulciane, orgue et clavecin, tous placés sous la direction
d'Étienne Meyer, actuellement chef de chœur de l'École Maîtrisienne
Régionale de Bourgogne, passionné par le chant choral à un haut niveau et la
musique ancienne. Kaspar Förster (junior), né en 1616 à Oliwa, près de Gdansk, est
mort en 1673. Son père, (également prénommé Kaspar), chantre à la Marienkirche de cette ville, débuta sa formation musicale
qu'il a poursuivie en 1632-1633 auprès du théoricien et compositeur Marco Scacchi, violoniste et maître de chapelle à Varsovie. Entre
1633 et 1636, il a séjourné à Rome au Collegium Germanicum auprès de Giacomo Carissimi. De retour en
Pologne, il sera chanteur (alto) à la Cour royale de Wladyslaw IV et Jean II
Casimir jusqu'en 1652. Après avoir été maestro di capella de la Cour de
Frédéric III à Copenhague, il quittera cette ville pour succéder à son père à
la Marienkirche. Il s'imposera comme brillant
compositeur en Europe du Nord. La datation de ses œuvres est difficile ;
ses manuscrits sont souvent conservés en copies de seconde main, certaines à la
Bibliothèque de l'Université d'Uppsala (Fonds Düben).
Son langage est tributaire du stylus phantasticus en usage notamment en Allemagne du Nord et
de l'esthétique italitenne. Le compositeur doublé
d'un remarquable chanteur fait souvent appel à la virtuosité vocale et à de
larges tessitures. Le programme comporte
des Psaumes et Hymnes en latin et des Sonates
instrumentales. Le Psaume Confitebor tibi Domine bénéficie d'une remarquable diction, d'un
soutien instrumental précis ; le dialogue entre les chanteurs procède soit
homorythmiquement et homosyllabiquement
pour une meilleure perception du texte, soit par entrées successives assez
volubiles entrecoupées de vocalises souples (Alleluia) avec de brefs
interludes instrumentaux. L'Hymne Jesu Dulcis memoria, souvent
attribuée à saint Bernard de Clairvaux, est généralement chantée aux Vêpres. Sa
participation instrumentale, plus importante, est rendue avec vigueur.
L'invocation O bone
Jesu, expressive et insistante, est suivie du
Psaume Benedicam Dominum chanté
avec élan. L'affirmation : Credo
quod redemptor [meus vivit]
(« Je crois que mon Rédempteur est vivant ») est émouvante et
intériorisée. Enfin, le Psaume Beatus vir qui timet Dominum,
très volubile, grâce à la direction si efficace d'Étienne Meyer, met en valeur
toutes les qualités interprétatives des Traversées baroques. Les Sonates n°2 et n°3 permettent aux
instrumentistes de déployer leur virtuosité et, dans la Sonate anonyme, permet d'entendre les deux cornettini.
L'interprétation des Traversées baroques est tout à l'honneur des
« Chemins du Baroque » qui ont le grand mérite de lancer Kaspar Förster, compositeur polonais particulièrement
significatif. Édith
Weber. « Les
Donneurs de sérénades ». Françoise Masset, soprano, Carl Ghazarossian,
ténor. David Zobel, piano Bechstein.
1CD HORTUS (www.editionshortus.com ) : HORTUS 124. TT : 62' 13. Par association
d'idées, le titre : Les Donneurs de
sérénades évoque immédiatement la Mélodie française et des poésies célèbres
de Paul Verlaine (1844-1896). Cette Anthologie comparative regroupe — autour
des Fêtes Galantes et de La Bonne Chanson (1870) — les noms de 12 compositeurs : Gabriel
Fauré, Claude Debussy, Raoul Laparra, Josef Szulc, Alphons Diepenbrock, Poldowski (en fait : Régine Wieniawski,
1879-1932), Charles Radoux, Reynaldo
Hahn, Philippe Gaubert, Louis Aubert, Charles Bordes et Joseph Canteloube. Ces
« Sérénades » sont données par Carl Ghazarossian
(Ténor), David Zobel (piano Bechstein),
avec la participation de Françoise Masset (Soprano).
Les discophiles retrouveront avec plaisir ces poèmes si attachants mis
subtilement en musique, par exemple : Mandoline,
En sourdine, La bonne chanson, L'heure
exquise… qui profitent de la prise de son de Roger Lenoir. Il est
impossible de détailler ces 24 mélodies enregistrées en 2015 (oscillant entre
1' 27 et 6' 04), chacune révélant sa propre personnalité et atmosphère
spécifique. Comme il se doit, les deux chanteurs revivent intensément les moindres
intentions et insinuations poétiques, et le pianiste suit leurs interventions
tout en souplesse et avec assurance. La poésie de Paul Verlaine est déjà
« musique ». En 1869, Théodore de
Banville a immédiatement admiré Verlaine, et recommandé à ses amis :
« Emportez avec vous les Fêtes
galantes de Paul Verlaine, et ce petit livre de magicien vous rendra suave,
harmonieux et délicieusement triste, tout le monde idéal et enchanté du divin
maître des comédies amoureuses du grand et sublime Watteau ». Discophiles,
faites de même ! Et, en 2015, pour sa part, Carl Ghazarossian conclut
: « Voilà, au long de ce chemin à la fois familier et surprenant,
quelles « sérénades » nous donnerons aux auditeurs et autres
« belles écouteuses » (« Mandoline »), pour les intriguer,
les faire sourire et les séduire — car comme le dit Rimbaud, qui sait de quoi
il parle : « J'ai les Fêtes
Galantes de Verlaine. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment,
c'est adorable ». Objectif accompli : disque à emporter. Édith
Weber. « Le Temple et
le Désir ». Domenico MAZZOCCHI : Sonnets et madrigaux sacrés et
profanes extraits des « Musiche Sacre e Morali », des « Madrigali
a cinque voci e altri varii concerti » et
autres pièces. Lamento della Beata Virgine. Ensemble ELYMA, dir.
Gabriel Garrido. 1CD K617 Chemins du Baroque. CDB004.
TT.: 73'05. Au nombre des nouvelles productions du
label K617 désormais appelé aussi ''Chemins du Baroque'', voici un CD
découverte. Il propose en effet un florilège de pièces du compositeur romain Domenico
Mazzocchi (1592-1665), réunies sous le titre
« le Temple et le Désir » offrant, selon le chef Gabriel Garrido, un reflet de « la diversité de l'œuvre et de
l'invention constante d'un musicien libre de toute contrainte, à la manière
d'un Gesualdo ». Elles traduisent les bouleversements musicaux que connut
Rome à la fin du 16 ème siècle. C'est le triomphe du
style monodique. On a pu dire qu'après Monteverdi, Mazzocchi
était le dernier révolutionnaire de la seconda pratica
initiée par les Florentins autour de 1600. Il est l'héritier de Monteverdi
dont il poursuit le « stile novo » encore
plus loin : utilisation des langues latine et italienne, habile combinaison de
la monodie profane et de la polyphonie de la musique sacrée pour aboutir à un
mélange donnant naissance à la musique de la Contre Réforme, étrangeté de la ligne instrumentale et
vocale jusqu'à la dissonance, couleurs modernes, complètement nouvelles pour
l'époque. Le programme imaginé par Gabriel Garrido,
qui met en parallèle le sacré et le profane et la perméabilité des deux
domaines quant à l'expression presque sensuelle, exalte tour à tour l'amour
profane et le désir sacré. L'amour profane est illustré par des madrigaux et
sonnets des années 1640. Le désir sacré par des pièces telles que le « Dialogo della cantica »
ou le « Dialogo della
Maddalena » extraits des Sacrae concertationes publiés à Rome en 1664. Le disque
comprend encore des sonnets et madrigaux spirituels tirés des Madrigali a cinque voci et altri varii
concerti et des Musiche Sacre et Morali. Il se termine par un beau Lamento della Beata Virgine, un des
meilleurs exemples du style résolument spécifique de Mazzocchi
que n'effraie pas l'audace du choix des textes évoquant la peur panique de la
Vierge cherchant son fils perdu. On perçoit ici une manière bien différente de
Monteverdi et de la douleur exprimée dans son Lamento d'Arianna. La
description de l'état bouleversé de la Vierge est étonnante : cri éperdu,
stridence de l'élocution, intensification de l'émotion dans une déploration
presque théâtrale. La réaction de l'entourage est d'une douceur indicible pour
tenter de consoler pareil épanchement douloureux. L'interprétation de
l'Ensemble ELYMA que dirige Gabriel Garrido est
extrêmement pensée dans un souci d'authenticité afin d'en retrouver le style
exact. Parmi les solistes vocaux sont particulièrement admirables les sopranos
Maria Cristina Kiehr et Claire Lefilliâtre
et le baryton Furio Zanasi.
L'accompagnement instrumental est d'une rare pertinence. Jean-Pierre Robert. « Battaglie e Lamenti ».
Annibale PADOVANO : Aria della
Battaglia a 8. Francesco USPER : La Battaglia per cantar
e sonar a 8. Bastian CHILESE : Canzon in echo a 8. Goavanni GABRIELI : Canzon a 12 in echo. Nicolo FONTEI : Pianto d'Erinna. Barbara STROZZI : Il Lamento « sul Rodano severo ».
Jacopo PERI : Lamento di Iole. An. : Pavana. Montserrat Figueras, soprano.
Graham Pushee, contre ténor,
Harry van der Kamp, basse. Hesperion XX, dir. Jordi Savzall. 1CD Archiv : 479 6217. TT.: 54'39. Ce disque est l'unique enregistrement réalisé
par Jordi Savall pour le label Archiv.
La musique descriptive, pour ne pas dire à programme, ne date pas d'hier. Le
XVI siècle et l'Italie la connaissaient, en particulier dans les musiques de
batailles et de lamenti. Jordi Savall
met ici en parallèle ces deux sources d'inspiration. Les ''battaglie''
avec des compositeurs comme Annibale Padovano (1527-1575) qui dans son « Aria della Battaglia », commet une adaptation de la chanson
« La guerre » de Clément Jannequin, ou
Francesco Usper (c. 1560/61-1641) prodiguant moult
fanfares, rythmes animés et modes de bourdon dans sa « Battaglia per cantar et sonar a 8 ». Certains compositeurs utilisent
la ''Canzon'' en écho, autrement dit le jeu avec la
résonance. Ainsi de Giovanni Gabrieli (c.1154/57-1612) qui porte le genre un
peu plus loin avec un effet de double écho. Autre genre : le lamento ou chant
de déploration du destin d'un personnage ou d'un événement marquant. Claudio
Monteverdi en inaugura la vogue avec son Lamento d'Arianna puis le Lamento
della Ninfa. D'autres
compositeurs tel Nicolo Fontei,
dans les années 1630, se l'approprient, comme dans Pianto
d'Erinna (1639), ou Jacopo Peri
(1561-1633) dans le Lamento di Iole (1628), ou encore Barbara Strozzi
(1619-1677) dans Il Lamento ''sul Rodano severo'' (1654), type
même de la lamentation poétique : la
plainte de Cinq Mars, favori de Louis XIII, protégé de Richelieu, qui périra exécuté en 1642 pour avoir pactisé en secret avec l'Espagne.
La pièce s'ouvre par l'image effrayée d'un corps sans vie retrouvé sur les
bords du Rhône, et le texte finit par cette sentence « Alors que le roi
montre par ses larmes qu'il se repent de sa hâte, Paris tremble et la Seine est
troublée ». La soprano Montserrat Figueras prête des tons douloureux aux
interventions chantées et l'Ensemble Hespérion XX
sonne magnifiquement. Jean-Pierre Robert. Alessandro STRADELLA : Santa Editta, Virgine
e monaca, Regina d'Ingihlterra.
Oratorio pour cinq voix et basse continue. Verónica Cangemi, Francesca Aspromonte, Claudia Di Carlo, Gabriella Martellacci, Fernando Guimãraes,
Sergio Foresti. Ensemble Mare Nostrum, dir. Andrea di Carlo. 1CD Arcana,
distribution Outhere music:
A 396. TT.: 56'38. Cette réalisation constitue le troisième
volet de ce que le chef Andrea De Carlo appelle « The Stradella
Project », autrement dit l'enregistrement d'œuvres d'Alessandro Stradella (1639-1682) et
en particulier ses oratorios. Le compositeur, à la vie tumultueuse, a écrit
entre autres six oratorios dont trois sur des figures de saints très populaires
en Italie au XVII ème siècle. Ainsi de Santa Editta, Virgine Monaca, Regina d'Inghilterra
(1670), sur un texte de Lelio Orsini, chantre du
genre pour avoir commis moult canevas offerts à divers musiciens de l'époque.
Édith, sainte anglaise du X ème siècle, retirée dans
l'abbaye de Wilton, aurait refusé la couronne d'Angleterre qu'on lui offrait,
préférant la vie monacale aux fastes du pouvoir. Elle mourut à 30 ans. Son
destin a peut-être à voir avec des événements contemporains de la création de
l'œuvre : le mariage de Jacques II Stuart, Duc d' York,
et de Marie-Béatrice d'Este, manigancé par Louis XIV qui souhaitait placer sur
le trône d'Angleterre deux catholiques qui lui seraient fidèles. Il fallut
l'intervention du Pape Clément X pour convaincre la jeune Béatrice d'accepter
cette couronne. Les hésitations de cette dernière ne sont pas sans rappeler
celles d'Édith. Le texte de l'oratorio ne raconte pas une histoire, mais
véhicule des valeurs : celles de l'Humilité, de la Beauté, de la Grandeur, de
la Noblesse et du Sens, offertes au choix de l'intéressée. Il y a ici un
contexte allégorique en forme de parabole, que Haendel utilisera dans son
oratorio Il trionfo del
tempo e del disinganno.
En deux parties, l'oratorio de Stradella est à cinq voix. En fait pour six
personnages, celui d'Édith (soprano) dominant les autres protagonistes que sont
l'Humilité, la Beauté, la Grandeur, la Noblesse et le Sens. La musique épouse
le texte avec grande sensibilité au fil de courts récitatifs et d'arias tout aussi
concis, Stradella instaurant une vraie continuité entre les deux modes.
Toujours vivante, elle comprend aussi de petits ensembles, comme le Terzetto
unissant Noblesse, Grandeur et Sens, ou le Duetto terminant la première partie,
opposant l'Humilité et la Grandeur. L'interprétation de l'
Ensemble Mare Nostrum fondé en 2005 par Andrea
De Carlo est enthousiasmante, que ce soit dans la basse continue bien sonnante
ou la délicatesse apportée à l'accompagnement des chanteurs. Au premier rang de
ceux-ci, Verónica Cangemi
offre un superbe portrait de Santa Editta et une
vocalité parfaite au fil d'arias et d'ariosos très différents les uns des
autres. Auprès d'elle, on admire le fin ténor de Fernando Guimãraes
(Bellezza), le contralto sonore et en même temps empreint
de douceur de Gabriella Martellacci (Grandezza), la pimpante soprano de Claudia Di Carlo (Umiltà), le soprano éthéré de Francesca Aspromonte (Nobilità) et la basse claire de Sergio Foresti (Senso). Une bien belle réussite ! Jean-Pierre Robert. « Bien que
l'amour... Airs sérieux et à boire » de Michel LAMBERT, François
COUPERIN, Joseph CHABANCEAU DE LA BARRE, Marc-Antoine CHARPENTIER, Honoré
D'AMBRUYS. Emmanuelle de Negri, Anna Reinhold, Cyril Auvity,
Marc Mauillon, Lisandro
Abadie. Les Arts Florissants, dir. William Christie.
1CD Harmonia Mundi : HAF 8905276. TT.: 80'05. Et voilà William Christie et ses Arts
Florissants revenus chez Harmonia Mundi. Une nouvelle
histoire s'écrit. Et la première page de cette enième
aventure est de choix. Puisque présentant un florilège d'airs pour montrer
« comment chanter l'amour au Grand Siècle », en quelques vingt items
mêlant deux générations : l'apogée du règne de Louis XIV (avec des musiciens
comme Michel Lambert, Joseph Chabanceau de la Barre,
Marc-Antoine Charpentier) et le déclin de la fin du règne (avec les
compositeurs Honoré d'Ambruys et François Couperin).
Contrastant aussi airs sérieux et airs à boire. Une mine musicale aussi bien
qu'historique. Merci à Bill Christie de si bien et si inlassablement défendre
notre patrimoine national ! Largement représenté sur le CD, Michel Lambert
(1616-1696), illustre chanteur et maitre de chant, maitre de la musique de la
Chambre du Roi, semble être le champion du genre de l'air français qu'il met en
musique toujours au service du texte (souvent d'anonymes, mais aussi de
Philippe Quinault ou de La Fontaine). Ses pièces sont étonnamment variées, qui
font respirer la douce mélancolie inhérente au chant français de cette époque
et ménagent des harmonies délicates. Ainsi de l'air « Le repos, l'ombre,
le silence », à quatre voix, ou le poignant « Il faut mourir plutôt
que de changer » , pour quatre voix également. On
sera tout autant séduit par l'air « Iris n'est plus, mon Iris m'est
ravie », chanté par Cyril Auvity, ou « Bien que
l'amour fasse toute ma peine, je veux aimer et mourir en aimant », où le
solo de haute contre est relayé par les cinq voix. « Que d'amants séparés
languissent nuit et jour » (1629) offre une subtile combinaison des
timbres des quatre voix (bas-dessus ou mezzo, haute contre, basse taille ou
baryton, et basse). L'air progresse confortable par des unissons ou des redites
en miroir à partir d'une intervention soliste. Dans « Jugez de ma douleur en
ces tristes adieux », introduit par un prélude instrumental, la
déploration sereine de la soprano est reprise à l'identique par celle élégiaque
du haute contre ; et pourtant il y a un vrai drame dans ces paroles tragiques
et le soutien intense des instruments, lesquels apportent seuls la péroraison.
De François Couperin, Christie a choisi deux chansonnettes à boire :
« Épitaphe d'un paresseux » (1706, sur un texte de La Fontaine), et
ce curieux morceau intitulé « Les Pélerines »
(1711-1712), à trois épisodes : ''La Marche'', ''La Caristade'',
''Le Remerciement'', un intermède instrumental séparant les deux premiers. De
la fort imaginative musique. On entend encore des pièces de Joseph Chabanceau de La Barre (1643-1678) et d'Honoré d'Ambruys (actif c. 1650-1700). Et encore de Marc-Antoine
Charpentier (1643-1704) : les « Intermèdes du Mariage forcé » (1672),
première collaboration avec Molière, un air à trois voix sur le versant
parodique avec dissonances (''Oh le joli concert et la belle harmonie'') et
effets de miaulements, aboiements et autres hihan d'âne, entrecoupé d'un
intermède instrumental
en forme de danses. Un petit bijou de moquerie musicale!
Le compositeur s'illustre aussi par des airs à boire, qui finalement ne sont
pas nombreux dans le programme. On y croise le grotesque là aussi (« Ayant
bu du vin clairet ») ou le leste (« Auprès du feu l'on fait l'amour,
Aussi bien que sur la fougère.. »), ou encore le
coquin « Beaux petits yeux d'écarlate », où le musicien cultive le
mode de la répétition, ce qui est traduit par les présents interprètes avec
vivacité. C'est qu'ici comme au fil de tous ces airs, les cinq voix réunies par
Bill Christie déploient des trésors de charme, d'esprit, et de technique
accomplie. Les cinq voix des Arts Florissants (violons I et II, viole de gambe,
théorbe et clavecin) installent un climat raffiné, libéré, pour célébrer, entre
autres ces vers de La Fontaine (musique de Lambert) : « Tout l'Univers
obéit à l'Amour.... Aimez, aimez, le reste n'est rien ». On vous dit : un
vrai régal ! Jean-Pierre Robert. Marc-Antoine CHARPENTIER : Les Arts florissants. Idylle en musique, H. 487. Les
Arts Florissants, dir. William Christie. 1CD Harmonia
Mundi : HAF 8901083. TT.:
40'43. Le nouveau contrat scellé avec Harmonia Mundi est l'occasion de revisiter les enregistrements que
William Christie réalisa dans les années 1980. Cinq titres sont réédités. Ainsi
des Arts Florissants de Charpentier qu'il grava en 1982. On sait que le
compositeur a pâti de la gloire de Lully qu'il voyait en rival. Il écrira pour
Molière et continuera à le faire pour les Comédiens français après la disparition de celui-ci. Cette
''idylle en musique'', il l'a composée en 1685 pour Marie de Lorraine, duchesse
de Guise. Cette cousine de Louis XIV, protectrice des Arts, employait un petit
orchestre à son domicile parisien. Il s'agit d'un opéra de chambre, dans le
genre allégorique et pastoral. Un conflit entre les Beaux
Arts, la Musique, la Peinture, la Poésie et l'Architecture, sous l'œil
de la Paix et de la Discorde, sans oublier l'hommage appuyé à Louis, « le
Monarque des Lys ». Ses cinq scènes suivent le modèle du ballet à Entrées
: chaque personnage défend l'intérêt de son Art, le chœur commentant l'action.
Le sens dramatique est certain, et l'œuvre alterne l'élégiaque et le grotesque,
l'apaisement et la frayeur (les tremblements en musique), la douceur et la
fureur. La pièce prend, entre les mains de William Christie, une allure
grandiose : pulsation rythmique soutenue, douceur des interventions purement
instrumentales avec cette délicieuse insistance sur le mouvement comme louré
(comme lors de la Sarabande en rondeau à la scène 5 et sa partie de flûte
languissante), art du chanté hyperbolique et bonheur des répétitions à satiété.
Tout est ici frappé au coin de l'intelligence textuelle. Les chanteurs, dont
Dominique Visse, Gregory Reinhart et Guillemette
Laurens, sont éblouissants. Un retour au catalogue bienvenu. Jean-Pierre Robert. Michel PIGNOLET DE MONTÉCLAIR : Cantates à une et trois voix. Avec symphonie. Agnès Mello, Monique Zanetti, Gérard Lesne, Jean-Paul Fouchécourt,
Jean-François Gardeil. Las Arts Florissants dir. William Christie. 1CD Harmonia Mundi
: HAF 8901280. TT.: 75'36. Il en va de même de cet autre CD consacré à
Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), enregistré
en 1988. Ce lorrain qui suivit son protecteur, le prince De Vaudémont, juqu'en Italie et s'établit enfin à Paris, s'est illustré
dans plusieurs genres musicaux dont la musique de chambre et l'opéra.
L'histoire dit que son Jephté serait à l'origine de la vocation
opératique de Rameau qui, un an après cette création, proposera son Hippolyte
et Aricie. Il commit aussi 24 cantates qui s'inscrivent dans un genre qui
avait fait son apparition en France dès 1706. William Christie en propose cinq
tirées des trois livres publiés en 1709, 1716 et 1728. Quatre traitent de
l'amour, de ses passions et de ses drames. Le disque s'ouvre par La Mort de
Didon, pour soprano, violon, flûte et basse continue. La pièce traite des
derniers jours de la reine de Carthage abandonnée par son héros Enée, partagée
entre mélancolie (air : ''Ô
Toi Déesse de Cythère!'', avec flûte obligée - remarquable Marc
Hantaï) et fureur. Et tout cela se conclut dans une morale, canon obligé, que
la reine s'adresse à elle-même. La cantate Il Dispetto
In Amore (les vexations de l'amour), pour contre ténor et basse continue, alterne récitatifs et trois
airs magnifiques, successivement vif, lent et vif. Le Triomphe de l'Amour,
pour ténor et basse continue, nous entraine dans un univers plus léger, savoir
la dispute du Dieu Amour et de son rival Bacchus. Là encore, on a à faire à une
succession de récitatifs énonçant le sujet, variant le propos entre ariette et
airs, pour in fine aboutir à la morale de la fable : l'irrésistible triomphe de
l'Amour joliment aidé par le Dieu du Vin. La Mort de Lucrèce conte
l'histoire de l'épouse du patricien Romain Collatinus,
violée par Tarquin, et qui préféra la mort au déshonneur. Sort infortuné que
Benjamin Britten mettra en musique dans son opéra The Rape
of Lucrezia. La pièce offre récitatifs et trois
airs évoquant tour à tour la violence, la résolution et l'agonie de la jeune
femme. Enfin, la cantate Pyrame et Thisbé pour
trois voix, flûte et basse continue, est la plus vaste de celles composées par
Montéclair. Tirés des Métamorphoses d'Ovide, la pièce se prête chez le
compositeur français à une forte expression dramatique, renforcée par
l'intervention d'un récitant. On y admire divers airs extrêmement contrastés
dont celui de Pyrame ''Amour, cruel auteur de ma fatale flamme'' ou
celui de Thisbé, lent et tendre, proprement
ensorcelant avec la mélopée de la flûte pour exprimer une douce tristesse
résolue. La cantate se conclut également par une morale de L'Amour conquérant.
Ces pièces sont magnifiquement défendues par les sopranos Agnés
Mellon et Monique Zanetti, le haute-contre Gérard Lesne, le ténor Jean-Paul Fouchécourt
et la basse Jean-François Gardeil, qu'on a infiniment
de plaisir à retrouver. Bien sûr, Bill Christie leur concocte le plus
authentique des écrins. Jean-Pierre Robert. Johann Sebastian
BACH : Goldberg Variations BWV 988. Ludwig van
BEETHOVEN : 32 Variations sur un thème de valse d'Anton
Diabelli, op.
120. Frederic RZEWSKI : 36 Variations sur ''El pueblo unido
jamás será vencido''. Igor Levit,
piano. 3CDs Sony classical : 8875060962. TT.: 77'58+54'+62'27. Voilà une étonnante somme et une triade
improbable. D'abord réunir deux des cycles les plus exigeants de la littérature
pianistique, les Variations Goldberg et les Variations Diabelli,
assurément des sommets, véhiculant une foule d'idées musicales dans un univers
très concentré au fil d'une myriade de courtes pièces. Mais y ajouter un autre
cycle contemporain, les 36 Variations ''The People united
will be never
defaeted!''
de Frederic Rzewski, peu
connues, pas moins absorbantes : le projet d'Igor Levit
est assurément titanesque. Il dit aimer la forme des variations, et vivre
chacune des trois œuvres comme « un livre de voyage ». Les Goldberg
Variations BWV 988, l'aria et leurs 30 variations, Levit
dit les avoir abordées sur le tard – de sa jeune carrière – après bien des
hésitations et interrogations d'ordre artistique : comment restituer
l'architecture de l'ensemble de ces pièces ? Sur un piano grand moderne ou au
clavecin ? Plus que des exercices, ces pièces explorent des territoires essentiels,
souvent des mouvements de danse, et expriment des affects variés, même
l'humour, comme dans le ''Quolibet'' (variation 30), mélange d'air populaire et
de veine plus sérieuse. Une sorte de ''plaisanterie musicale'', car « Bach
ajoute un élément d'ironie à la forme pour laquelle il vient d'élaborer le plus
grand des monuments musicaux », remarque le pianiste. S'il a choisi le
piano moderne finalement, c'est parce que « dans Bach, je trouve comme un
sens de supplication, une expansibilité » qui peuvent être restitués sur
un instrument de plus vaste résonance que le clavecin. Et l'étude des maitres
anciens, Palestrina et Josquin des Prez, l'y a aidé. De fait, la manière est alerte, élégante,
claire, dégagée de tout aspect mécanique, presque gaie par endroits, par
exemple dans quelque ''Canone'' au babil sans fin
(variation 15 : ''Canone alla quinta'').
On admire la douceur des notes piquées, la fluidité de la ligne lorsque rapide,
mais aussi la profondeur de pensée, comme dans la longue Variation 25. Au
final, une exécution fort articulée extrêmement vivante.
Les 33 Variations sur un thème de valse
d'Anton Diabelli, op. 120, appartiennent à la dernière manière de
Beethoven, mais offrent un visage insoupçonné de son art. Alfred Brendel y voit « un véritable abrégé de comique
musical », « par leur gravité, leur lyrisme, leur mystère, leur
nostalgie, leur caractère cassant et leur virtuosité forcenée ». Une œuvre qui
n'est pas sans intriguer, bâtie à partir d'une valse de rien du tout, que
Beethoven dissèque en tous sens avec même un souci de parodique (v. 22, sur un
air de Leporello tiré du Don Giovanni de
Mozart) ou un sens du développement (v. 31) souvent fort éloigné du propos de
départ. La complexité de ce monument n'est pas pour déconcerter Igor Levit. Il empoigne le Tema vivace de façon on ne peut plus
allègre, « ce thème déjà comique en soi » car « cette valse
n'est pas très valsante », observe Brendel.
L'exécution se veut solide en même temps nullement pesante : déclamatoire, voire
véhémente. La digitalité peut être menée au galop (v.
16, 19) et quelque allegro assai (v. 23) devenir un prestissimo, ou un vivace
(v. 27), un torrent que rien n'arrête. L'interprétation est tout aussi
réfléchie, empreinte de légèreté (v. 25 qui bien que boustée,
reste d'une formidable lisibilité). Admirable est l'art de la transition (de la
v. 14 à la v. 15, de la v. 20 à la v. 21, ou des toutes dernières notes de la
32 ème introduisant la Fuga
de la v. 32 ). Il en va de même des enchainements
diaboliques (de la 16 ème après la 15 ème). Le toucher révèle des pianissimos d'une infinie
douceur ou d'une puissance faramineuse. Ce que l'enregistrement capte par son
excellente définition. Le compositeur américain Frederic
Rzewski (*1938), tenant de l'avant-garde de la
musique de piano dans les années 70, a écrit en 1976 ses 36 Variations sur
''Il pueblo unido jamás será vincido!'', à partir du chant révolutionnaire marxiste chilien.
Elles sont regroupées en six groupes de 6 dans un ordre suggestif : cinq variations,
dans chaque groupe, ont à voir avec un élément substantiel ou textuel
différent, tels que le rythme, la mélodie, le contrepoint, alors que la sixième
constitue une synthèse de tous ces aspects. Les difficultés a priori
insurmontables sont en fait parfaitement maitrisables, dit Levit,
dans la mesure où « la musique est clairement écrite par quelqu'un
connaissant exactement ce qu'il est possible de faire au piano ». Il y a
là une juxtaposition de styles – à l'intérieur même d'une pièce – : populaire,
moderne, jazzy, voire pop, aux fins de créer une polyphonie qui, selon Levit, « contraint involontairement l'auditeur à
adopter une position non équivoque nonobstant le fait de partager ou non le
contenu marxiste de l'œuvre ». Le nuancier est extrêmement vaste : aplats
d'accords puissants, notes piquées très détachées, et même bruitages inopinés
(bois du piano frappé, intrusion d'une voix d'homme, sifflotements). On ne
retrouve le thème d'origine de la chanson que très fugitivement (v. 11, ''comme
des fragments d'une mélodie absente''). Dans la mesure où tout est joué
enchainé, à peu d'exceptions près, puisqu'avec une légère pause entre les
divers groupes, on a l'impression d'une vaste improvisation d'une étonnante
diversité rythmique et émotionnelle. Le jeu est au-delà même de la virtuosité
et on trouve des indications telles que '' inflexible'', ''gelé'', ''expansif,
avec un sentiment victorieux'', '' implacable, sans compromis ''... C'est
un challenge pour l'interprète. Que Levit relève haut
la main, qui dit s'être familiarisé à ce style de musique auprès du compositeur
lui-même. Hallucinante rapidité, force digitale inouïe (accords assénés,
trilles insistants avec décélération), éclairs de rêve, transitions aussi
inattendues que percutantes ; tout cela compose une expérience stimulante qui
vous emporte malgré vous. Chapeau de l'avoir initiée ! Jean-Pierre Robert. George Frideric
HAENDEL : Arminio.
Opéra en trois actes. Livret anonyme d'après un livret d'Antonio Salvi.
Max-Emanuel Cencic, Layla Claire, Petros Magoulas, Juan Sancho, Vince Yi, Ruxandra
Donose, Xavier Sabata. Armonia Atenea, dir. George Petrou. 2CD Decca :
478 8764. TT.: 77'35+73'01. Arminio vient tard dans la
production opératique de Haendel : deux ans après Ariodante
et Alcina, en cette année 1737 où le
compositeur créé pour le Théâtre de Covent Garden
trois pièces, celle-ci, Giustino et Bérénice. Le texte est emprunté à
un livret d'Antonio Salvi, lui-même inspiré d'une tragédie française
« Arminius » de Jean Galbert de Campistron (1656-1723),
un protégé de Racine. Il relate l'histoire d'Arminius, guerrier Chérusques qui
a violé un traité avec les occupants romains, en vainquant un de leurs
généraux, Varus. Sur ce sujet historique la trame traite des thèmes du
patriotisme et des rivalités amoureuses sur fond d'épopée guerrière. Il avait
déjà été utilisé par d'autres musiciens dont Caldara, Steffani,
Hasse et Galuppi. Haendel écrivit son opéra en particulier pour deux castrats
qui n'avaient rien à envier en célébrité aux fameux Senesino
ou Farinelli. Il s'agissait de Domenico Annibali et
Gioacchino Conti, distribués respectivement dans le rôle d'Arminio
et dans celui de Sigismondo, deux tessitures fort
différentes, le second dans le registre aigu de sopraniste. La partition se
compose d'une succession d'arias précédées de courts récitatifs, et de très peu
d'ensembles : seuls deux duettos et un chœur durant et à la fin de l'acte III.
Quelquefois l'aria n'est même pas introduite par un
récitatif telle la première de Sigismondo au Ier acte.
On trouve pourtant un bref tableau au début du III ème
acte qui, enchainant sinfonia, deux récitatifs et une
aria d'Arminio, forme une vraie scène. La présente
interprétation se signale d'abord par la direction extrêmement vivante de
George Petrou, peut-être un peu trop car sur le
versant agité, voire boulé, privilégiant des tempos souvent frénétiques.
L'écoute n'est pas toujours de tout repos, mais le soutien aux chanteurs
indéfectible ; ce qui est magnifié par un enregistrement d'une extrême clarté
et d'une formidable présence. Elle vaut surtout par le festival vocal proposé,
dominé par un brelan de contre-ténors. Max Emmanuel Cencic,
à l'origine du projet, livre du personnage titre un portait grandiose au fil
d'arias d'une grande persuasion, variant les affects. Comme dans la succession
des arias du 2 ème acte où le héros enchainé évoque
d'abord l'affliction de son sort (« Duri lacci », n° 13), puis au cours d'une pièce plus
virtuose (« Si, cadro, ma songera », n°
14), la fureur, débitant alors des vocalises à une incroyable vitesse. Un peu
plus tard, dans l'aria « Vado a morir » (n° 18) ou l'adieu à la bien aimée, la ligne
de chant se pare d'accents poignants que le timbre moiré traduit à la
perfection. L'autre contre-ténor que Cencic a engagé
est un nouveau venu dans le roster de ces voix tant
mises en avant aujourd'hui : le jeune coréen du sud Vince Yi incarnant le rôle
de Sigismondo. Voilà un timbre de sopraniste, encore
plus aigu que celui de Jaroussky, ce qui dans le rôle
de l'amant de la jeune Ramise, incarnée ici par une mezzo soprano, fausse quelque peu la perspective car
l'interprète laisse deviner une voix de jeune adolescent, ce qui met à mal la vraisemblance. Reste que
le timbre est étonnant, pur et cristallin, et l'art de la vocalise éblouissant.
Comme dans l'aria « Quella fiamma »
(acte II, n° 17) où la voix se mesure à la partie de hautbois obligé dans un
tempo plus que soutenu. On est au-delà de la virtuosité raisonnée avec une
avalanche de contre Ut et des envolées de roulades infernales, s'achevant sur
une large cadence qui voit le chanteur au mieux de son art. Le troisième contre ténor, Xavier Sabata (le
tribun Tulio) offre un registre plus ''central'',
parfaitement maitrisé. Le reste de la distribution est valeureux : la soprano
Layla Claire, un nom nouveau également, triomphe des aspérités du rôle de Tusnelda, Ruxandra Donose (Ramise) offre un timbre
moiré d'alto féminin, le ténor Juan Sancho (le général Varus) apporte les
prestiges d'une voix bien conduite, comme la basse Petros Magoulas. L'enregistrement a été effectué en Grèce et
l'ensemble Armonia Atenea,
qui a déjà été retenu par Cencic pour d'autres titres
peu connus (Siroe de Hasse, par exemple),
montre des vertus comparables à celles des formations baroques du moment. Au
final une réalisation prestigieuse, pour amateurs sacrifiant volontiers aux
acrobaties vocales des contre ténors. Jean-Pierre Robert. Wolfgang Amadé
MOZART : Quintettes à cordes (intégrale). Renaud
Capuçon, Alina Ibragimova, violons, Gérard Caussé,
Léa Hennino, altos, Clemens Hagen, violoncelle. 2DVD Belvedere/Stiftung Mozarteum Salzburg : BVD08004. TT.:
89'06+90'. Deux des concerts de la Semaine Mozart de
Salzbourg 2014 étaient consacrés à l'intégrale des Quintettes à cordes du
musicien. Une somme dans la production si éclectique du maitre et des moments phares de sa manière chambriste. Les présentes
interprétations ont été filmées en direct, en temps réel donc avec pour seules
pauses les interruptions dues au concert et semble-t-il sans retouche. Le résultat
est superbe. Car les cinq musiciens réunis, qui ne forment pas un ensemble
pérenne comme le Trio Grumiaux et Eva Czako à l'alto et Georges Jenzer,
cello, ou le Quatuor Talich
et l'altiste Karel Rehak, naguère au disque, n'en
sont pas moins unis par un lien de complicité artistique qui pare leurs exécutions de la plus extrême pertinence,
ajoutée à la spontanéité du concert. La prise de vues, réduite en pareille
occurrence à des gros plans de chacun des instrumentistes de face ou de biais,
à des plans d'ensemble plus ou moins larges, est soignée. Et on savoure la joie
gourmande de Renaud Capuçon, presque grognard,
semblant vouloir parler, le sourire esquissé d'Alina Ibraghimova, l'autre violon, sous le charme de cette
musique, l'intériorité de Gérard Caussé et son
autorité bienveillante, l'œil aux aguets de l'autre altiste, Léa Hennino, et ses grands beaux yeux, l'extrême concentration
du celliste Clemens Hagen, en apparence imperturbable... On aime moins ces
travellings de bas en haut qui de l'instrument (le violoncelle) remonte au
visage de son titulaire ou les travellings de gauche à droite balayant les cinq
protagonistes. Le genre du quintette pour deux violons, deux
altos et violoncelle, qui est plus qu'un quatuor à cordes augmenté d'un alto,
permet en raison du doublement des altos un élargissement du registre médian et
confère un charme particulier à la composition. L'ordonnancement des voix
octroie au premier alto une position essentielle, d'arbitre, qui souvent
dialogue avec le Ier violon, alors que les deux violons sont mis en
concurrence. Cette dernière situation entraine une virtuosité certaine,
particulièrement notable dans les derniers quintettes. Autre trait intéressant
inhérent à ce type de composition : le fait que les thèmes sont repris
alternativement par tous les instruments. Ce principe de répétition entraine un
allongement de la durée des mouvements. Cela apparaît dès le quintette K. 174,
pièce isolée (1787) dans la production mozartienne, car autre élément notable,
ces pièces viendront chez Mozart ensuite par deux : K. 515 et K. 516, K. 593 et K. 614. Le cas du
K. 406 étant particulier et singulier puisque Mozart y arrange sa Sérénade pour
instruments à vents en Ut mineur K. 388. Toutes ces pièces constituent des
chefs d'œuvre par l'agencement des cinq voix et la richesse du développement
thématique, distançant les essais de Michael Haydn, d'Ignaz
Pleyel ou d'Anton Hoffmeister.
Sans vouloir détailler les interprétations,
qu'il suffise de relever que le Quintette K. 174 (1773) reçoit une lecture
asservissant ses difficultés techniques, installant la belle primauté de
l'archet de Renaud Capuçon qui mène les débats, en
particulier au Menuetto décidé, truffé de variations
souvent jouées en écho entre les deux violons ; et au finale fugué, fiévreux.
Le K.406, de 1788, clone du K. 388, est un monde de sombritude,
contrastant à l'allegro initial un thème lyrique et l'autre dramatique,
essentiellement livré aux altos, offrant au Menuetto
un canon inversé, et un finale en schéma de variations
ouvrant alors cette pièce ténébreuse sur de joyeuses perspectives. Avec le K.
515 (avril 1787), on aborde peut-être la plus connue de ces pièces : les cinq
musiciens, au mieux de leur forme, montrent une cohésion extrême, s'attachant à
faire en sorte que les répétitions apparaissent non comme des redites mais
comme des enrichissements. La belle ligne du violoncelle de Clemens Hagen, qui
ouvre l'allegro, lui confère une plénitude presque opératique, et le
développement serré révèle toute une tragédie contenue. À l'andante, joué ici
en deuxième position, le cantabile de l'échange du violon de Capuçon et de l'alto de Caussé
devient dialogue d'aspiration au bonheur. Au Menuetto,
la thématique se concentre, proche de l'angoisse, que le Trio ne parvient pas à
libérer. Et le finale enjoué chante un thème aisé, si
typiquement mozartien, qui comble l'auditeur et avant lui le musicien. Le ton
plus que mélancolique du K. 516 (mai 1787), en sol mineur, les présents
interprètes le poussent aux limites de la noirceur. A l'aune de la mélodie qui
s'enroule à partir du Ier violon solaire mais angoissé de Capuçon,
alors que Caussé marche dans ses pas. Un sentiment de
mort rode là dedans. Le Menuetto
renchérit. Sommet expressif de l'œuvre, l'adagio tutoie ici une abyssale
méditation de ses phrases doucement interrogatives qui sont quelque prière
adressée à une puissance supérieure ; puis le second thème apporte une
respiration inattendue. Les cinq musiciens atteignent une vraie plénitude. Les
premières pages adagio du finale poursuivent la
réflexion du mouvement précédent, dominée par le chant du Ier violon : c'est
d'une douleur indicible. Puis tout s'éclaire et c'est le bonheur retrouvé que
les musiciens ne mégotent pas. Le Quintette K. 593 (1790), fruit d'une commande
d'un frère franc maçon, Johann Tost, violoniste
amateur, s'ouvre par un larghetto livré au violoncelle, bien timbré ici de Clemens Hagen, et débouche sur
un allegro très décidé, décliné de moult façons. L'adagio épanche une émotion
sérieuse, exprimée par chacune des cinq voix. Le menuet sonne haut et fort et le finale déroule une sorte de perpetuum
mobile initié par le superbe violon de Capuçon.
Charpenté, le développement montre des élans vigoureux. Magistral ! Enfin, le
K. 614 (avril 1791), de nouveau commande de l'ami Tost,
révèle des intentions maçonniques, et des difficultés interprétatives extrêmes.
Lancé par les deux altos, l'allegro qui l'ouvre, sollicite tous les instruments
à parts égales, même si le Ier violon mène souvent le jeu. La vision est
extrêmement engagée. Débuté sagement, l'andante s'enrichit de jolies
appogiatures du violon de Capuçon. Et les cinq
musiciens se jouent des aspérités interprétatives que Mozart offre à ses
exécutants (mélange des voix, superposition des thèmes). On a parlé à propos de
cette pièce de « dépouillement esthétique » (Jean & Brigitte Massin) ; ce qui caractérise également le Menuetto. Leur belle faconde ennoblit le finale, joyeux, se
concluant en une sorte de refrain - aspiration à la lumière ; aux Lumières -
qui semble vouloir se prolonger mais cesse dans une fugue savante. Une somme
! Jean-Pierre Robert. Edward ELGAR : Symphony N° 1 en
La bémol majeur op. 55. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. 1CD Decca
: 478 9353. TT. : 51'40. La Première Symphonie d'Edward Elgar (1908) se situe plus dans la tradition symphonique brahmsienne que dans le sillage des poèmes symphoniques de Richard Strauss et fuit donc toute musique à programme. Son langage abstrait a pu dérouter de ce coté-ci du Channel, car la riche thématique ne permet peut-être pas toujours des repères très apparents, même par le jeu des reprises. Mais l'œuvre se signale par une écriture orchestrale raffinée et un élan caractéristique de la production symphonique du musicien anglais, qu'on peut apprécier au long de ses quatre mouvements. Le premier s'ouvre par un andante introduisant le ''thème noble et simple'' fait d'une longue mélodie, qui réapparaitra vers la fin du mouvement allegro qu'il clôt dans la sérénité. Le développement aura permis d'en apprécier les diverses métamorphoses. L'allegro molto suivant figure un scherzo emporté, combatif, presque héroïque. Le court trio bucolique fait diversion, qu'il faut jouer « comme quelque chose que vous entendez au bord de la rivière », dit un jour l'auteur à un orchestre. La reprise se fait avec presque fébrilité, notamment dans un appel des cuivres et un furtif solo du premier violon. Elgar était violoniste de formation. Et cela se termine là encore dans une sorte d'apaisement, introduisant l'adagio. Celui-ci, joué enchainé, est large et mélodieux aux cordes avec d'originaux ralentissements mettant en exergue en particulier les bois. Le discours se développe à travers une multitude de mini-thèmes et l'on musarde dans quelque univers de musique pure, précisément sans repères particuliers. Ce type de musique, propre à déconcerter les auditeurs français, ravit no |