Lettre d’Information – n°104 Juin 2016

Lettre de Mai 2016. Tirage : 61.235 exemplaires

 

L'AGENDA

Haut

5 / 6

 

Mozart à l'honneur aux Musicales d'Arles

 


Augustin Dumay ©Mirare

 

Pour leur ultime concert de la saison, les Musicales d'Arles ont programmé un des joyaux de la musique de chambre de Mozart : le Divertimento K. 563 pour violon, alto et violoncelle. Composé durant l'été 1788, sa distribution instrumentale uniquement confiée aux cordes en scelle l'originalité. Ses six mouvements mêlent tour à tour gravité, presque pathétisme (l'œuvre est dédiée à l'ami secourable Michael Puchberg, frère de Loge) et entrain guilleret puisé à quelque aimable folklore. Rarement aura-ton touché de si près le tragique abyssal et la gaieté volatile. En prélude, on entendra le 1er trio pour cordes D 471 de Schubert (1816), resté inachevé avec son seul mouvement allegro d'inspiration lyrique. Gageons que les trois interprètes Augustin Dumay, violon, Miguel da Silva, alto, et Henri Demarquette, violoncelle, prêteront à ces pages leur vraie authenticité.

 

Chapelle du Méjan, le 5  juin à 11H

Réservations : Association du Méjan, BP 90038, 13633, Arles cedex ; par tel. ; 04 90 49 56 78 ; en ligne : www.lemejan.com

 

 

8, 29 & 30 / 6

 

Leonardo García Alarcón dirige Donizetti et Falvetti

 


DR

 

Le Chœur de Chambre de Namur, le Millenium Orchestra et la Cappella Mediterranea, sous la baguette de Leonardo García Alarcón donnent trois concerts à Saint-Denis et Versailles composés d'œuvres rares de Donizetti et de Falvetti. Le Requiem de Gaetano Donizetti est une œuvre ambitieuse, écrite à la mémoire d'un autre spécialiste, son ami et rival Bellini. Dans l'imposante polyphonie d'un chœur ou la brillance virtuose et opératique des arias solistes, les mélodies raffinées et sensuelles règnent en maître et traversent tous les états d'âme du texte, du drame au recueillement. Un Requiem de Bel Canto, sorti de l'ombre à la fin du siècle dernier, et remis en lumière par un amoureux fervent de la musique italienne. Dans la tradition de Carissimi et de Haendel, la musique de Michelangelo Falvetti est d'une grande originalité. Il diluvio universale, « dialogue à cinq voix et cinq instruments », (1682) reprend l'un des épisodes les plus connus et tragiques de l'Ancien Testament : le déluge, sujet se prêtant parfaitement à un traitement dramatique. Le livret de Vincenzo Giattini a permis à Falvetti  d'exploiter le drame avec un génie accompli. Redécouvert, ce chef d'œuvre a durant ces cinq dernières années suscité auprès du public une émotion intense. Encouragé par ce succès, Leonardo García Alarcón s'est attelé à la création d'une autre œuvre inédite composée en 1683 par Falvetti : Nabucco. Préfiguration du premier chef-d'œuvre de Giuseppe Verdi, écrit 130 ans plus tard, on est là à mi-chemin entre l'oratorio historique et le dramma per musica. La richesse de l'écriture musicale entendue dans le Diluvio universale est, dans Nabucco, constamment égalée voire dépassée. L'implication de Leonardo García Alarcón comme l'engagement total de ses interprètes méritent qu'on ne laisse pas passer ces occasions.

 

Festival de Saint-Denis, Basilique, le 8 juin à 20H30.

Chapelle royale du château de Versailles, les 29 (Il Diluvio) et 30 (Nabucco) juin 2016  à 20H

Réservations Saint-Denis : par correspondance : Saint-Denis Location, 16 rue de la Légion d'Honneur, 93200 Saint-Denis ; sur place : kiosque à gauche de la Basilique ; par tel.: 01 48 13 06 07 ; par fax : 01 48 20 19 36 ; en ligne : http://www.festival-saint-denis.com

Versailles : par tel.: 01 30 83 78 89 ; en ligne,  http://www.chateauversailles-spectacles.fr

 

9 / 6

La harpe enchantée d'Isabelle Moretti


DR

 

Depuis le début de sa riche carrière, Isabelle Moretti porte haut les couleurs de l'école de harpe française partout dans le monde. Sous ses doigts l'instrument révèle toute l'étendue d'un potentiel expressif immense – et parfois même insoupçonné.  « Beauté du son, perfection du style, profondeur de l'éloquence » : les mots du compositeur Philippe Hersant résument les qualités d'une interprète dont la curiosité embrasse un vaste répertoire, du XVIIIe siècle à la musique d'aujourd'hui. Le besoin de partage d'Isabelle Moretti se traduit par des collaborations privilégiées avec des instrumentistes ou chanteurs auxquels des affinités particulières l'unissent, tels Philippe Bernold, Magali Mosnier, Dame Felicity Lott, ou encore le hautboïste et chef d'orchestre François Leleux. Avec ce dernier, qu'elle qualifie de « musicien exceptionnel », elle partagera l'affiche d'un concert au Théâtre des Champs-Elysées aux côtés de l'Orchestre de chambre de Paris, dont François Leleux assurera aussi la direction. On y entendra, entres autres, l'illustre Concerto pour harpe de Boieldieu et le non moins célèbre Concerto pour flûte et harpe de Mozart… dans une transcription pour hautbois et harpe qui promet de révéler un visage nouveau d'une partition dont le raffinement et le lyrisme charment immanquablement.

 

Théâtre des Champs-Elysées, le 9 juin 2016 à 20H

Réservations : 15, avenue Montaigne, 75008 Paris : par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : www.theatrechampselysees.fr

 

 

17, 19, 21, 23, 25, 28 / 6 & 8, 10 / 7

 

Don Carlo vu par Robert Carsen à l'Opéra du Rhin

 

 

Robert Carsen aime l'Alsace. Il y revient chaque année. Cette fois ce sera avec une toute nouvelle mise en scène du Don Carlo de Verdi. Il confie y travailler depuis longtemps eu égard à la difficulté de faire revire cette fresque historique qui, selon lui, est portée par un livret pas toujours à la hauteur de la manière dont le sujet est traité musicalement. Et l'on sait que Verdi a écrit là des pages exceptionnellement mélodieuses. On pense aux airs de Philippe II, d'Eboli, de Posa ou d'Elisabeth, et aux duos réunissant le roi et Posa, ou unissant les deux improbables amants au finale de l'opéra. La régie se concentrera sur l'isolement du personnage titre et sur des échanges essentiels, dont celui entre Philippe II et l'Infant, ce fils rebelle, une relation père-fils que Carsen estime « catastrophique », en tout cas moins élaborée que la relation père-fille au centre de Rigoletto. Il ne faut pas s'attendre à un « péplum espagnol » (in son ITV in Forumopera.com). De fait, ce qui importe peut-être le plus dans cette œuvre, c'est son caractère intimiste, comme il en va à bien des égards aussi d'Aïda. La distribution réunie est de haute tenue avec Tassis Christoyannis en Marquis de Posa, Stephen Milling, Philippe II, Elza van den Heerver, Elisabeth de Valois et Elena Zhidkova, la Princesse Eboli. Daniele Callegari dirigera l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et les Chœurs de l'ONR.

 

Opéra de Rhin à Strasbourg/Opéra, les 17, 21, 23, 25, 28 Juin 2016 à 19H30 et le 19/6 à 17H ; puis à Mulhouse/La Filature, le 8 juillet à 19H30 et le 10/7 à 17H.

Réservations : Opéra de Strasbourg : 19, Place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel. : 03 68 98 51 80.

La Filature/Mulhouse, 20, Allée Nathan- Katz , 68090 Mulhouse cedex ; par tel.: 03 89 36 28 29 .

En ligne : caisse@onr.fr 

 

 

27 / 6 - 2 / 7

 

Les Tons voisins, festival en albigeois

 

 

C'est à une manifestation originale que nous convie le Festival Tons Voisins à Albi et environs. Pour cette 10 ème édition, le pianiste Denis Pascal, son directeur artistique, propose de décliner les « Vertiges de l'amour ». Durant six jours de fêtes, pour « s'énamourer de la musique » (Georges Sand) et évoquer l'amour sous diverses facettes : passion, érotisme, élévation spirituelle, mais aussi trahison, désespoir, tristesse de l'adieu, joie du pardon, enivrement du vertige et de l'abandon ; et ce de Purcell à Piazzolla, de Rameau à Poulenc et jusqu'au jazz !  Bien des temps forts en perspective : Un « hommage à Billie Holiday », avec Denis Pascal, piano, Jérôme Comte, clarinette et Pascal Lay, piano jazz (27/6, Verrerie de Carmaux) ; « Vie et amour d'une femme », Lieder et mélodies de Mahler, Brahms, Schumann, Florent Schmitt et Gounod, par Sunhae Im, soprano, Anne Le Bozec, piano, Alain Meunier, violoncelle (28/7, Lescure, Église Saint-Pierre). « Nuits de l'âme » ou une sélection de Noctunes de Chopin par Bruno Rigutto et Jean-Yves Clément, récitant (29/7, Hôtel de Gorsse, Albi), puis « Love songs », pot pourri de pièces chambristes de Clara et Robert Schumann, Richard Strauss, Poulenc, de tunes de Gerswin et de Claude Bolling, de chansons de Michel Legrand... et la création de ''Fantaisie'' de Vladimir Cosma (29/7, Parc de Rochegude). La voix humaine de Francis Poulenc sera interprétée par Camille Poul, soprano, et Jean-Paul Pruna, piano, suivie de la Sonatine pour flûte et piano de Boulez (30/6, Albi, Grand Théâtre, 18H30). L'Aurore, le film culte de Murnau, sera accompagné au piano par Jean-François Zygel (30/6, même lieu, 21H). « Plaisir d'amour » ou un florilège de chansons de Piaf, Scotto, Rota, mais aussi de Schubert ravira les seniors (1/7, Résidence Les Mimosas, 15H), puis « Vertigo » les plus aventureux, puisque juxtaposant 12 Notations de Boulez, jouées par Sébastien Vichard, piano, et des pièces de clavecin de Bach, Rameau, Royer par Jean Rondeau (Grand Théâtre, 18H), enfin ce seront les « Vertiges de l'amour », allant de Purcell à Schoenberg, de Brahms à Messiaen  (Église de Rayssac, 21H). « Chants de l'amour triomphant » proposeront, entre autres, le Poème de Chausson, le Quatuor avec piano op. 47 de Schumann, et Bribes de Laurent Petitgirard (2/7, Musée Toulouse Lautrec, 18H30) et « Tourbillons de la vie » concocteront un mélange aussi improbable que détonnant de musiques de JS. Bach, Piazzolla, Carlos Gardel, Mahler, Marcello Nisinman (même lieu 21H), suivi d'un pot de clôture anniversaire dans le hall du Grand Théâtre (23H). Tout cela sans compter les ''concerts impromptus'' et les ''moments d''amitié''. De quoi « faire aimer l'amour » prédit Denis Pascal. 

 

Du 27 juin au 2 juillet 2016, divers lieux

Renseignements et réservations : par tel : 05 63 38 55 56 : en ligne : www.sn-albi.fr  ou  www.tons-voisins.com

 

 

2 / 7 - 4 / 8

 

Les Promenades musicales du Pays d'Auge

 

Pour cette édition, le Festival se déroulera essentiellement en juillet, dans l'esprit et pour fêter un des illustres et fantasques enfants augerons : Erik Satie, originaire de Honfleur. Les principaux moments en seront : Une spectacle intitulé « Le ventre de Paris », ''comédie musicale'' philosophico-burlesque sur la gastronomie française ou les tribulations d'un gourou d'une communauté secrète réunissant autour de lui trois fidèles pour célébrer une cérémonie dédiée à la gourmandise. La Clique des Lunaisiens (quatre chanteurs, trois instrumentistes) sera à la manœuvre (2/7, Théâtre de Lisieux).  Puis une rencontre avec Michel Butor, dont on célèbre cette année les 90 ans, un des pilier du Nouveau roman (8/7, Médiathèque de Honfleur). On donnera les Goyescas d'Enrique Granados dans une exécution mêlée de textes. En effet, entre chacun des tableaux de l'œuvre, jouée par Jean-François Heisser, Michel Butor évoquera les Caprices de Francesco Goya, série de 80 gravures, autant de satires de la société espagnole de la fin du XVIII ème siècle, dont Granados s'est inspiré pour composer cette œuvre (9/7, Greniers à sel Honfleur). L'orchestre de l'Opéra de Rouen jouera les symphonies Nos 1 et 2 de Beethoven et accompagnera le ténor Yann Beuron dans des mélodies de Saint-Saëns (10/7, Théâtre du Casino Barrière de Deauville). Une promenade et délices champêtres ''au jardin d'Erasme'' aura lieu le samedi 16 juillet  au château de Pierrefitte-en-Auge dont le domaine est une sorte de jardin d'Eden : alterneront un récital de violoncelle seul (sonates de Bach et de Britten) et une promenade entre musiques et textes... et buffet. Le Trio Dali donnera des trios de Beethoven et de Mendelssohn (17/7, Couvent de Augustines à Orbec). Comme chez Marcel Proust, «  un salon musical au XIX ème siècle » sera l'occasion d'entendre la violoniste Deborah Nemtanu et le pianiste Romain Descharmes jouer les Sonates de Debussy et de Franck, outre la Méditation de Thaïs de Massenet et Tzigane de Ravel (22/7, salle des fêtes de Cabourg). Thibault Cauvin, le jeune guitariste qui monte, jouera Scarlatti, Piazzolla, Albeniz et ses propres compositions (23/7, Église de Courtonne-le-Meurdac).

 


Erik Satie / DR

 

La journée Satie aura lieu le dimanche 24 juillet et se déclinera en trois volets : à 14 H, à l'Église : Messe des Pauvres, suivie du Prélude du fils des étoiles,  puis à 17H30, au cinéma : ''cabaret Satie'', savoir mélodies, chansons et pièces pour piano, entrelardées de projections de Meliès ; enfin devant ledit cinéma : Buffet blanc au rythme du piano-jazz. Car «  je ne mange que des aliments blancs », disait Satie. Un anniversaire, donc, pour fêter la musique étonnante et les écrits percutants d'un personnage fantasque, certes,  mais unique! (Pont-L'Évêque). Et tout finira par «  un Banquet pour Madame Bovary », autrement dit un repas animé suivi d'un concert, avec quadrilles, valses et chansons du XIX ème siècle, autour d'Emma Bovary et de Gustave Flaubert, par la Compagnie Les Frivolités Parisiennes. Ce sera à Bernay, aux confins de la Haute et de la Basse Normandie, naturellement liées au Pays d'Auge (31/7, Abbatiale). A noter, en parallèle, deux actions pédagogiques : le piano-Van, outil de médiation culturelle et artistique itinérant (une voiture de tourisme munie d'un piano droit et de quelques accessoires), aux fins de diffusion territoriale ; et un projet pédagogique monté pour les 150 ans d'Erik Satie.

 

Du 2 juillet au 4 août, divers lieux, horaires variables

Renseignements et réservations : Association Culture et Patrimoine, 1410, route du Manoir Gosset, 14340 Saint-Ouen-Le-Pin ; par tel.: 02 31 31 06 00 ; en ligne : www.pays-auge-culture.org ;  promenadesmusicales@pays-auge-culture.org

 

 

12 / 7 – 24 / 8

 

Le Festival de la Vézère

 

 

Le 36 ème Festival de la Vézère propose de la mi-juillet à la fin août 18 concerts dans 14 lieux différents, dont le Château de Saillant, épicentre de la manifestation, présidée par sa propriétaire et directrice Isabelle de Saillant. Il rayonnera largement sur la Corrèze. La programmation brillante est ouverte à tous les publics. Elle débutera par l'Orchestre Mozart de Toulouse qui proposera un programme espagnol dont le Concerto d'Aranjuez joué par Emmanuel Rossfelder (12/7, Théâtre de Brive-La-Gaillarde). Puis le jeune prodige Kit Amstrong se produira lors d'une soirée faste puisqu'offrant deux des grands morceaux du répertoire pianistique, la Sonate de Liszt et les Variations Goldberg de JS. Bach (16/7, Château du Saillant). Le festival accueillera l'Orchestre symphonique de la Garde Républicaine et la soprano sud-africaine Pumeza qui chantera, entre autres, des airs de La Bohème de Puccini, de Rusalka de Dvořák et de Carmen, entourant la Symphonie du Nouveau Monde (19/7, Trois Provinces à Brive-La-Gaillarde). Plusieurs soirées permettront d'écouter les lauréats du CNSMD de Paris : des élèves de la classe de violoncelle de Raphaël Pidoux dans des trios et quatuors d'Offenbach, Tortelier, Bréval (22/7, Abbatiale d'Uzerche), puis ceux de Philippe Bernold en musique de chambre (27/7 :Chapelle du Saillant puis Chapelle des Pénitents blancs de Donzenac ; 29/7 : Chapelle Saint -Blaise de Pompadour puis Église d'Objat). Ces concerts sont l'occasion d'allier musique et patrimoine, la chapelle de Saint-Blaise étant décorée par André Brasilier et celle du Saillant par Chagall. Des concerts de chœur auront pour lieux l'Abbatiale d'Aubazine (2/8 : Chœur d'hommes Alexandre Nevsky de Saint-Pétersbourg) et l'Église de Saint-Ybard (9/8 : Chœur corse de Sartène).

 

 


Kit Amstrong / DR

 

Un duo insolite réunira le violoncelliste François Salque et l'accordéoniste Vincent Peirani dans un programme unissant répertoire classique, tango et Jazz, de Piazzolla à des arrangements et improvisations sur des thèmes hongrois (4/8, Église d'Allassac). Le jeune celliste Edgar Moreau sera le soliste d'un concert de l'Orchestre d'Auvergne avec le Premier concerto pour violoncelle de Hadyn (18/8 Collégiale de Turenne). Une soirée de Schubertiades plongera les auditeurs au cœur du romantisme dans un programme joué par la soprano Camille Poul, le clarinettiste Raphaël Sévère et la famille Pascal, Denis au piano et ses deux fils, Aurélien, violoncelle, et Alexandre, violon (19/8, Château du Saillant). La Misa Criolla clôturera le festival, chantée par des musiciens tout droit venus d'Argentine et de Bolivie accompagnés du Chœur de Pampelune, gage d'authenticité (24/8, Cathédrale de Tulle). Mais avant, un week-end opéra aura permis d'entendre et de voir la troupe Diva Opéra dans deux représentations de Così fan Tutte de Mozart et une de Don Pasquale de Donizetti. Ces soirées présenteront comme toujours des jeunes interprètes sous la direction du pianiste Bryan Evans (12 et 14 /8 : Così, 13/8 : Don Pasquale).

Il faut signaler une initiative intéressante que celle consistant à proposer à plusieurs groupes d'enfants des centres sociaux-culturels de trois quartiers prioritaires de Brive des rencontres autour du chant sous la direction de chanteurs anglais professionnels  « Apollo 5 ». Le Festival de la Vézère souhaite ainsi enrichir l'apprentissage de la musique et de l'anglais et ainsi contribuer à faire découvrir à ces jeunes de nouveaux horizons. L'atelier final devait donné lieu à deux concerts mêlant aux voix des enfants celles des ces 5 artistes anglais (28 et 29/5).

 

Du 12 juillet au 24 août 2015, divers lieux, en soirée à 20H30 (sauf les 16/7 et 13, 14, 19/8 à 20H; 12/8, à 18H; et les 27, 29/7 à 17H30 & 20H30)

Réservations : Festival de la Vézère, 10 Bd du Salan, 19100 Brive-la-Gaillarde ; par tel. : 05 55 23 25 09 ;  en ligne : www.festival-vezere.com ; contact@festivaldelavezere.com  

 

22 / 7 – 7 / 8

 

Le Verbier Festival, la musique aux et sur les sommets....

 

 

Pour la présentation de la prochaine saison du Verbier Festival, son fondateur et directeur, Martin T:son Engstroem, avait donné rendez-vous à l'Ambassade de Suisse à Paris. Il n'en faut pas moins pour expliquer ce qu'est ce festival d'été pas comme les autres, qui opère au sein des montages du Valais, dans ce petit village choisi. « Une destination », dit-il, car c'est au bout de la route : « on y monte et on en redescend, un point c'est tout ». Mais une fois parvenu sur le plateau, à 1500 mètres d'altitude, quel bonheur ! La musique règne en maitresse absolue au milieu d'une nature grandiose. L'histoire du Verbier Festival a débuté en 1991 et la première édition lancée en 1994. Depuis, Verbier est le rendez vous du nec plus ultra de la musique dite classique. Le directeur s'en est vite donné les moyens grâce à un carnet d'adresses bien rempli ; et cela compte énormément dans le petit monde de la musique classique où l'amitié reste une valeur sûre (Engstroem a fait carrière, entre autres, chez un des majors du disque où il s'occupait des stars maison, Abbado, Boulez, Pollini... mais aussi des nouvelles signatures, Netrebko, Lang Lang, Hilary Hahn...). Mais il y a bien plus que cela : la volonté indéfectible de promouvoir la jeune génération est un des moteurs de l'institution. On ne compte pas les grands noms d'aujourd'hui éclos hier à Verbier et passés par l'Academy du festival : Yuja Wang, piano, Patricia Kopatchinskaja, violon, Sol Gabetta, Edgard Moreau, cellos, les voix d'Emöke Barath ou de Julia Lezhneva; sans parler du Quatuor Ebène ou des Modigliani. La liste est immense. Et fructifie en permanence car les auditions sont innombrables, par exemple dans le domaine du chant ou de la musique de chambre. Il y a à Verbier deux orchestres en résidence, constitués ad hoc chaque année, recrutés parmi les meilleurs instrumentistes d'Europe et des États-Unis. L'Orchestre du festival, coaché par les premiers pupitres de l'Orchestre du MET de New York - un joli résultat du travail fait et de l'amitié nouée avec le maestro James Levine -, se compose d'une centaine de jeunes musiciens de 18 à 28 ans, et est placé sous la direction artistique de Charles Dutoit. Il sera dirigé l'été prochain aussi par Jésus Lopez-Cobos, Paavo Järvi, Yvan Fischer et Michael Tilson Thomas. Par ailleurs, le Verbier Festival Chamber Orchestra, composé d'anciens musiciens de l'orchestre du festival actuellement en poste dans des orchestres du monde entier, se consacre à l'interprétation du répertoire pour orchestre de chambre. Il est actuellement placé sous la direction de Gabor Takacs- Nagy qui cédera aussi la baguette à Marc Minkovski, Michael Tilson Thomas et Emmanuel Krivine.  


Le Quatuor Ebène lors du festival 2015  ©Nicolas Brodard

 

La composante formation est, on s'en doute, essentielle. La Verbier Festival Academy attire quelques 300 jeunes entre 13 et 29 ans pour des stages de 3 à 5 semaines. Ils se perfectionnent lors de master class quotidiennes et d'ateliers, et bénéficient d'une formation complète portant autant sur les aspects musicaux que sur la gestion de carrière. L'Academy qui permet notamment aux musiciens de se questionner sur la manière dont ils peuvent faire vivre la musique classique en dehors de la salle de concert mais aussi sur la façon dont ils peuvent eux mêmes devenir de véritables acteurs au sein de la communauté, agit en vrai tremplin pour les carrières de la jeune génération de musiciens. Un orchestre de jeunes : le Verbier Festival Junior Orchestra a été créé en 2013, destiné à de jeunes instrumentistes de 15 à 18 ans. La direction artistique en est assurée cette année par Daniel Harding. En outre, le projet « Un violon dans mon école », en partenariat avec le canton du Valais, offre à une centaine de tout jeunes de se former à l'instrument par le biais de classes tri-hebdomadaires.

 


Le site de Verbier / DR

 

la musique éclot de partout, quasi continument, à Verbier à raison de quatre concerts (payants) par jour et de multiples évènements gratuits (répétitions, master class, ateliers). Qu'on en juge au fil de ces quelques programmes phares ! Le concert d'ouverture du Verbier Festival Orchestra, dirigé par Dutoit, donnera à entendre La Symphonie Fantastique et le Concerto pour violon de Brahms joué par Kyung Wha Chung (22/7). Puis ce seront deux opéras en version de concert : Carmen dirigée par Dutoit avec Kate Aldrich dans le rôle titre (25/7) et Falstaff dirigé par Lopez-Cobos avec Bryn Terfel dans Sir John et une mise en espace de Claudio Desderi (29/7). Une constellation de moments d'exception : récitals de Grigory Sokolof (26/7), Yuja Wang (27/7), Andras Schiff et le Verbier Festival Orchestra (28/7), Daniil Trifonov (31/7), Daniel Hope pour un hommage à Yehudi Menuhin (1/8), le Quatuor Ebène (27 et 29/7), le Jerusalem Quartet et Andreas Ottensamer (27/7). On pourra encore entendre des grands concerts symphoniques : la Troisième de Mahler (par Tilson Thomas, 7/8) ou un programme Wagner  avec la soprano Anja Kampe, 4/8). Sans oublier les Jeunes Artistes, ou les grands noms de demain : « la Génération Verbier ». Dont un tout jeune prodige, Daniel Lozakovitj d'origine kirghize, qui du haut de ses 15 ans, a animé le programme musical de cette présentation (deux pièces de Bach, un Caprice de Paganini et le Scherzo de Kreisler) et donnera son premier récital le 27 juillet prochain. « Le cadre fait toute la différence » conclut Martin Engstroem, de ce festival dont l'autre particularité est de ne pas se dérouler en milieu urbain. Nonobstant le nombre de stars au m2, il y règne une atmosphère des plus décontractées. Courez-y !

 

Du 22 juillet au 7 août 2016, Verbier (Suisse ; canton du Valais, à proximité de Martigny ) : Salle de Combins, Église. Trajet SNCF par TGV Lyria Paris-Lausanne; puis train Regio pour Martigny.

Renseignements et réservations. Par courrier : Billetterie du Verbier Festival Case Postale, CH-1936 Verbier ; par Fax : 00 41 (0)848 771 883 ; par tel. : 00 41 (0)848 771 882 (du lundi au vendredi, de 11h à 17h) ; en ligne : www.verbierfestival.com

 

Saison 2016 -2017 de l'Opéra de Nancy : légèreté à tous les étages

 


L'opéra de Nancy Lorraine sur la place Stanislas / DR

 

Lors de sa traditionnelle conférence de presse parisienne, Laurent Spielmann, le directeur de l'Opéra de Lorraine, a dévoilé les grandes lignes de sa prochaine saison. En ces temps de disette budgétaire et de désintérêt du politique pour « la musique savante », notre homme ne baisse pas le bras, loin de là et dit vouloir créer le bonheur là où règne le pessimisme. En concoctant un programme faisant place à l'idée de légèreté, déclinée au fil d'un chapelet d'œuvres qui n'ont rien de traditionnel. Il faut savoir qu'avec un budget de d'environ 15M d'Euros et une équipe de 175 personnes, dont 66 musiciens d'orchestre, on tient un format certes réduit, mais qui est peut-être une chance, celle d'un travail approfondi. Légèreté donc, ce qui ne veut pas dire petits riens ! Ainsi des deux œuvres en miroir qui ouvrent la saison : L'Heure espagnole et Gianni Schicchi. Un improbable double bill ? Pas tant que cela. Car le metteur en scène Bruno Ravella a imaginé un dispositif scénique original permettant de relier les deux pièces de Ravel et de Puccini, à partir d'une curieuse horloge... (du 27/9 au 6/10). Vient ensuite pour les fêtes, Geneviève de Brabant, opéra-bouffe d'Offenbach, en coproduction avec l'Opéra de Montpellier dans la mise en scène de Carlos Wagner (du 27/12 au 3/1). Puis Il Matrimonio segreto de Cimarosa, confié a Sascha Goetzel, direction, et Cordula Däuper, régie ; une occasion rare de savourer un petit chef d'œuvre giocoso (du 31/1 au 9/2). Le ''clou'' de la saison, on le devra à un opéra russe Le Coq d'or, une des partitions les plus fascinantes de Rimski-Korsakov, mêlant poésie et fantastique. Laurent Pelly est le régisseur tout désigné pour conter cette histoire de Tsar fatigué mais toujours amoureux, guidé par un diabolique astrologue (du 12 au 21/3). Cet opéra est coproduit avec La Monnaie de Bruxelles qui aura initié le spectacle en décembre. C'est que l'Opéra de Nancy est désormais bien reconnu comme une scène qui compte. Les régisseurs d'importance se plaisent à y venir travailler et les autres maisons françaises et étrangères n'hésitent pas à coproduire ou à emprunter telle production nancéenne. On pense à l'extraordinaire Orfeo de Luigi Rossi, vu cette année et qui sera donnée bientôt à Versailles, à Bordeaux et à Caen avec les forces de Pygmalion dirigé par Raphaël Pichon.


La salle / DR

 

On poursuivra avec Semiramide de Rossini, un choix plus austère, pas moins séduisant lorsqu'on sait que le contre-ténor star Franco Fagioli a souhaité effectuer la prise du rôle d'Arsace, immortalisé par des contraltos féminins célèbres dont Marilyn Horne. La pièce bel cantiste sera dirigée par Domingo Hindoyan et produite par Nicola Raab, une metteuse en scène dont on sait les idées originales (du 2 au 11 mai). C'est Ariadne auf Naxos de Richard Strauss qui clôturera la saison dans une production nouvelle due à David Hermann et dirigée par le chef maison Rani Calderon (du 6 au 15/6). Laurent Spielmann invite aussi à venir assister aux récitals ''Une heure avec...''. Et à ne pas manquer les programmes symphoniques de l'Orchestre de Nancy donnés dans la salle Poirel, un bel exemple d'art nouveau, qui fut au début du XX ème siècle un creuset de musique de chambre.   

Renseignements et réservations : par correspondance = Billetterie, 1 rue Sainte- Catherine, 54000 Nancy ; au guichet : place Stanislas, Nancy ; par tel. : 03 83 85 33 11 ; en ligne : www.opera-national-lorraine.fr 

 

Jean-Pierre Robert.

 

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PAROLES D'AUTEUR

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Eine Alpensinfonie :

de l'Antéchrist à la Nature éternelle

 

 

« J'ai enfin appris à orchestrer » (1), affirma Richard Strauss lors de la répétition générale de Eine Alpensinfonie (Une Symphonie alpestre) avant sa création en octobre 1915. Par ces mots, le compositeur semblait affirmer à la fois sa totale satisfaction face au résultat musical qu'il venait d'atteindre dans la maîtrise du grand orchestre symphonique – soulignant habilement en passant tout le processus d'évolution de la technique d'orchestration qu'il avait construite depuis près de trente ans (2) et pour laquelle il était unanimement reconnu comme un grand maître –, mais aussi, en raison d'une écriture virtuose mais dénuée de surenchère technique, son désir de revenir à une orchestration maîtrisée, loin des brillants excès de Salomé ou d'Elektra (3). Strauss désirait dédicacer cet ultime poème symphonique à Ernst von Schuch, chef de l'orchestre de Dresde et créateur de ses grands opéras, Salomé, Feuersnot, Elektra et Der Rosenkavalier, mais sa disparition soudaine en mai 1914 bouleversa le projet du compositeur. L'œuvre fut donc dédiée à l'Orchestre royal de Dresde (Königlichen Kapelle zu Dresden) et à son intendant, le comte Nikolaus Seebach. La création, sous la direction de Strauss, ne put se tenir à Dresde en raison de l'absence d'orgue dans la salle de concert de l'orchestre (4). Elle eut finalement lieu à la Philharmonie de Berlin installée à la Bernburger Strasse le 28 octobre 1915 avec la Dresdner Hofkapelle.


Richard Strauss ©Kunsthistorisches Museum Wien

 

Culte panthéiste et tragédie de l'artiste

Très appréciée de Strauss, au point qu'il en recommandât l'écoute à Hofmannsthal (5), Eine Alpensinfonie est longtemps restée une œuvre fétiche du compositeur, qu'il chercha à donner en concert à plusieurs reprises à l'occasion d'événements prestigieux, même si pendant longtemps, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, on eut tendance à considérer cette œuvre comme représentative des excès musicaux et psychologiques du courant post-romantique, sorte de musique surdimensionnée, déconnectée de la réalité du monde et plus apparentée à la carte postale musicale qu'à une grande symphonie à connotation descriptive. C'est d'ailleurs par cette œuvre que Strauss, après la période de « dénazification », voulut revenir dans le monde de la musique occidentale en marquant l'événement d'une manière aussi impressionnante que possible. À l'automne 1947, à l'occasion d'un festival donné en son honneur à Londres, il indiqua « préférer diriger la Symphonie alpestre », même si des difficultés matérielles, notamment pour la constitution du grand orchestre, en rendirent la réalisation impossible et poussèrent à son remplacement par la Sinfonia domestica de 1903 (6).

Eine Alpensinfonie est une œuvre à programme comme Richard Strauss n'en avait encore jamais composée jusque-là. La présentation extérieure propose vingt-deux sous-titres retraçant autant d'épisodes à l'occasion d'une excursion d'une journée en montagne, qui justifient l'étonnante variété du traitement orchestral. Avec son instrumentation exceptionnelle et son écriture instrumentale virtuose, cette œuvre apparaît comme un aboutissement de l'orchestre romantique. Mais, derrière l'image un peu naïve véhiculée par le titre et les sous-titres (7) se cache en fait une œuvre dionysiaque qui trouve son origine dans l'influence qu'avait la pensée de Nietzsche sur le jeune Strauss. Ainsi, dans une remarque rapportée par Willi Schuh, Strauss indiquait : « J'intitulerai ma Symphonie alpestre l'Antéchrist car il y a en elle une purification morale qui vient de ses propres forces, une délivrance par le travail et le culte de la nature, éternelle et glorieuse » (8). Mais, de nos jours, il peut sembler vain de rechercher dans cette partition la trace de ces pensées élevées car Strauss lui-même en a préservé l'auditeur en éliminant toute référence à une quelconque idée philosophique et en proposant les nombreux sous-titres réalistes évoqués précédemment, qui s'enchaînent dans la partition plus rapidement que dans n'importe quel autre poème symphonique antérieur, donnant ainsi, à première vue, l'idée d'un catalogue d'images pittoresques de petit format à l'intérieur d'un cadre élargi. Pourtant, le montagnard évoqué dans cette œuvre (dont on ne sait rien et qui pourrait être Strauss lui-même), qui entreprend tel un Wanderer romantique son périple dans la montagne alpine, semble être un être dionysiaque à qui la nature se manifeste directement, sans intermédiaire, et qui est pris d'une immense satisfaction face à ses manifestations variées. Le culte de la nature mentionné par Strauss y apparaît en filigrane au travers d'un hommage panthéiste.

Même si les premières idées liées à Eine Alpensinfonie remontent à 1900, la composition elle-même n'eut lieu qu'une décennie plus tard, essentiellement entre 1911 et 1915. Entreprise après l'immense succès de Der Rosenkavalier, son écriture est intervenue parallèlement à la composition d'Ariadne auf Naxos (1912-1916), à une époque où Strauss, se languissant de ne pas recevoir d'Hofmannsthal de texte à mettre en musique, cherchait un dérivatif en reprenant des projets anciens, notamment celui d'un poème symphonique intitulé Künstler-Tragödie (La tragédie d'un artiste) (9) esquissé en 1902, mais qui avait pris forme dans sa tête depuis deux ans déjà. En janvier 1900, de Berlin où il était devenu premier chef de l'orchestre de la cour, il écrivit à son père : « Tout au fond de mon cœur sommeille un poème symphonique qui s'ouvrira sur un lever de soleil en Suisse. Pour le moment il n'en existe que l'idée (tragédie amoureuse d'un artiste) et quelques thèmes » (10). Ce projet, sur lequel il travailla à partir de l'été suivant, révèle deux éléments importants qui auront des conséquences sur la composition future de Eine Alpensinfonie. D'une part, Strauss n'avait pas renoncé au genre du poème symphonique après Ein Heldenleben, créé en mars 1899 – même s'il avait envisagé un retour au genre de la symphonie avec une « Symphonie du printemps » dès mars 1898 ; d'autre part, la thématique de l'artiste-héros, présente sous différentes formes dans tous ses poèmes symphoniques antérieurs et portée à son point culminant dans Ein Heldenleben, était encore bien ancrée en lui comme élément déclencheur de son processus créatif. Dans le cas de la Künstler-Tragödie, elle prenait une forme particulière à la fois réaliste et idéale puisqu'elle permettait d'unir symboliquement encore plus Strauss à Wagner dans le sens où l'œuvre projetée aurait pu devenir le « Tristan » du compositeur bavarois (11). Intitulé par la suite Tragédie amoureuse d'un artiste (à la mémoire de Karl Stauffer), ce poème symphonique devait évoquer la véritable destinée d'un artiste-héros talentueux qui fut soutenu financièrement par un couple de mécènes suisses, Emil et Lydia Welti. Devenu l'amant de la femme, Stauffer fut par la suite poursuivi et emprisonné avant de se suicider, bientôt rejoint dans la mort par sa maîtresse qui mit également volontairement un terme à son existence dans une sorte de Liebestod totalement assumée. Tous les ingrédients wagnériens symboliques et réels étaient réunis ici pour un nouveau Tristan, qui ne vit finalement pas le jour mais dont certains éléments composés de la première partie – celle évoquant l'enfance insouciante de l'artiste dans les Alpes suisses – allaient reparaître plus tard dans Eine Alpensinfonie.


Programme de la création de Eine Alpensinfonie à Berlin / DR

 

Strauss et le poème symphonique

Dixième et dernier poème symphonique de Richard Strauss (12), Eine Alpensinfonie conclut brillamment la série d'œuvres à programme que le compositeur avait entreprise dès 1886 et qui devait lui assurer une célébrité exceptionnelle déjà de son vivant. Le recours régulier au genre du poème symphonique, qui pouvait servir d'échappatoire à la copie d'œuvres wagnériennes (13), a été chez Strauss l'un des signes les plus visibles et les plus efficaces de sa conversion aux idées de la « Musique de l'avenir » qui allaient désormais investir ses œuvres et le mener sur le devant de la modernité musicale. De Aus Italien en 1886 – fantaisie en forme de symphonie en quatre mouvements liés aux souvenirs d'un voyage en Italie, mais qui devait « assurer le lien entre l'ancienne et la nouvelle manière » –, jusqu'à Eine Alpensinfonie, œuvre de longue durée au programme narratif et pittoresque, Richard Strauss a conçu dix poèmes symphoniques qui repensent et recréent à chaque fois le concept de « musique à programme ». Cela affecte aussi bien le plan formel que le recours à un élément extra-musical à chaque fois différent comme stimulus du principe narratif, le tout étant renforcé par l'adéquation d'une orchestration riche et colorée au contenu dramatique. Adaptant dans un premier temps les principes lisztiens découverts auprès de Hans von Bülow et surtout d'Alexander Ritter lors de son séjour à Meiningen, Strauss a compris l'importance de la liberté formelle et de l'expression comme vecteur de la création musicale. Ainsi, Don Juan, Macbeth, Tod und Verklärung, Also sprach Zarathustra, Till Eulenspiegel, Ein Heldenleben et la Sinfonia domestica représentent-ils autant d'étapes dans le triple développement de l'art du compositeur Strauss, dans l'évolution de sa pensée musicale et dans l'affirmation de sa maîtrise de l'écriture orchestrale.

 

L'influence de Nietzsche

Si le projet de composer le grand poème de la nature que représente aujourd'hui Eine Alpensinfonie a réellement pris forme en 1901, l'idée même d'écrire une symphonie en quatre mouvements (14) était venue à Strauss encore plus tôt, dès mars 1898 avec un projet de « Symphonie du printemps » (15) qui fut un temps envisagée à la suite de la composition d'Also sprach Zarathustra et sous la même influence nietzschéenne. L'emprise du philosophe sur le compositeur fut considérable à cette époque au point de mener Strauss à la rupture avec son mentor Alexander Ritter, qui lui en avait déconseillé la lecture. C'est vraisemblablement par l'intermédiaire de Bulöw – qui voulait le protéger de l'influence délétère de Schopenhauer et le préserver de toute tentation de suivre aveuglément le modèle wagnérien – que Strauss découvrit Nietzsche, et il fut certainement l'un des tout premiers musiciens de son temps à en subir l'ascendant. Selon Joseph Gregor, en écrivant Guntram en 1893, son premier opéra encore fortement teinté de wagnérisme mais qui exaspéra toutefois les Wagnériens par la liberté provocatrice dont il fit preuve dans le troisième acte (16), Richard Strauss, rompant avec l'oppressante influence wagnérienne, « a définitivement franchi la sphère de la rédemption dramatique en s'ouvrant au monde spirituel de Nietzsche » (17). Dès 1893, lors de son voyage en Égypte et en Italie, Strauss avait ainsi découvert les écrits du philosophe et, pour lui, ses idées figuraient, comme il l'écrivit par la suite à Cosima, « parmi les choses les plus significatives qu'un cerveau humain peut concevoir ». Au-delà du thème du Surhomme, qui était déjà présent dans ses précédents poèmes symphoniques sous la figure changeante du héros, c'est également l'anti-christianisme de Nietzsche qui trouvait un écho dans le violent athéisme du compositeur. À cet égard, le dernier texte écrit par Nietzsche avant qu'il ne sombre dans la folie – L'Antéchrist, imprécations contre le christianisme – allait curieusement jouer un rôle important dans la conception initiale de la future Eine Alpensinfonie. Écrit en 1888, l'ouvrage de Nietzsche ne parut cependant qu'en 1895, peu avant que Strauss ne commence la composition d'Also sprach Zarathustra (18). Bien qu'il se défendît d'écrire de la « musique philosophique », Strauss était néanmoins très sensible aux idées anti-chrétiennes développées par le philosophe et, après le succès remporté par son poème symphonique, « librement démarqué de Friedrich Nietzsche » (19), son intérêt pour L'Antéchrist fut éveillé par la parution en 1899 d'une nouvelle édition du livre qui avait été préparée par l'un de ses meilleurs amis munichois, Arthur Seidl (20).

Dans son enthousiasme, l'idée première de Richard Strauss fut d'écrire un poème païen sur la nature fondé sur L'Antéchrist de Nietzsche. Commencée en 1901, à partir de son projet de poème symphonique avorté consacré à la tragédie de Karl Stauffel, l'œuvre fut alors conçue comme une pièce en quatre mouvements destinée à glorifier le concept nietzschéen de « vivre dans les montagnes ». Provisoirement intitulée L'Antéchrist : une symphonie alpestre, Strauss voulait notamment y mettre en valeur « les sentiments religieux de l'artiste face à la puissance de la nature ». Dès les premières esquisses, il imagina la mise en parallèle d'un hymne à la nature à une vision du développement intérieur de l'artiste, réalisant ainsi une sorte de synthèse entre deux de ses poèmes symphoniques marqués par l'empreinte nietzschéenne, Also sprach Zarathustra et Ein Heldenleben. Dans ses premières idées, Strauss voulait insister sur des thématiques largement exploitées au cours du XIXe siècle romantique, comme celle du contraste existant entre le calme et l'apaisement de la nature face au tumulte et à la douleur de la vie intérieure de l'artiste, ou comme celle de la confrontation du sentiment religieux de l'enfance face à la nature…


Friedrich Nietzsche / DR

Le projet s'appuyait sur un plan en quatre mouvements où se mêlaient deux grandes idées nietzschéennes – la création humaine et la nature – déjà confrontées dans Also sprach Zarathustra. Dans son carnet d'esquisses, sous l'intitulé Les Alpes, Strauss y détailla la trame suivante, qui évoque de manière superficielle une ascension dans les Alpes et qui anticipe largement sur le scénario final de Eine Alpensinfonie. À lui seul, le premier mouvement annonçait tous les éléments du futur poème symphonique (I. « Nuit et lever du soleil / ascension : forêt (chasse) / cascades (fée des Alpes) / champs couvert de fleurs (bergers) / glacier / orage/ descente et calme ». Cet hymne à la nature était cependant immédiatement mis en contraste avec la vie intérieure torturée de l'artiste qui perçoit ses premières idées artistiques dans un état d'esprit où se mêlent « les souvenirs de l'enfance, les sentiments religieux face à la nature », mais aussi « l'impuissance et la consolation ». Dans le deuxième mouvement, l'Antéchrist devait « révéler les plaisirs ruraux : danses, musique populaire, procession » (II. « Réjouissances et danses campagnardes »). Le troisième mouvement offrait une vision onirique en présentant l'artiste en proie à des délires nocturnes (III. « Rêves et fantômes, d'après Goya »), avant qu'il n'atteigne le but désiré dans le dernier mouvement (IV. « Libération par le travail : création artistique »). Ce projet qui, en quelque sorte, complétait le portrait du Héros présenté peu auparavant dans Ein Heldenleben (1898-1899), faisait de la puissance artistique le moteur de l'évolution et de l'indépendance humaines.

Réactivant en mai 1911 le projet qui était resté sans suite, Strauss fit évoluer le destin de son héros en soulignant le fait que celui-ci devait trouver sa libération non plus dans la création mais dans la nature elle-même, ce qui pourrait expliquer la limitation de Eine Alpensifonie au contenu du seul premier mouvement, expurgé de tout message philosophique ou métaphysique apparent. Impatient de se lancer dans une nouvelle production avec Hofmannsthal qui tardait à lui envoyer des textes à mettre en musique, Strauss reprit donc sans conviction réelle son ancien projet de symphonie (21) et le fit évoluer vers ce qui en constitue aujourd'hui la version définitive. Il supprima le projet des mouvements 2, 3 et 4 ainsi que le thème salvateur de la création artistique, mais il conserva le titre général de L'Antéchrist jusqu'aux finitions de l'œuvre en août 1913. Le retrait in extremis du titre original qui avait accompagné les esquisses pendant près de quinze ans était peut-être dû au désir de Strauss de ne pas exprimer publiquement ses idées privées en matière de religion (22) alors qu'il occupait un poste officiel en tant que Kapellmeister de l'Orchestre de la cour à Berlin, l'un des plus prestigieux orchestres allemands de l'époque.

Avec son mouvement unique constitué de 22 sous-parties enchaînées, Eine Alpensinfonie ne conserve donc du projet initial que l'ascension montagnarde du premier mouvement. Programmée sur une journée complète, de la nuit à la nuit suivante, cette ascension établit un parallèle avec la vie humaine, parsemée d'embûches, de doutes, de peurs, mais aussi de progressions, de satisfactions et d'ivresses. Il est donc important de replacer « l'excursion » en montagne que représente la version finale de Eine Alpensinfonie dans sa longue genèse afin d'en apprécier au mieux la valeur intrinsèque car, malgré l'abandon de l'ambitieux projet initial au profit d'une apparente et réductrice carte postale sonore, son titre premier d'Antéchrist reste une clé de compréhension majeure voire indispensable pour comprendre une œuvre qui s'avère être en soi la plus nietzschéenne composée par Strauss, une œuvre qui, finalement, a tenté de dépasser le mysticisme traditionnellement associé à la nature. De nombreux commentateurs, ignorant l'origine complexe de Eine Alpensinfonie, ont attribué la dimension purement pittoresque et narrative de l'œuvre à une supposée incapacité de Strauss à transcender le monde matériel. D'où l'accueil réservé voire ironique de la critique lors de la création, qui était à l'opposé du public qui apprécia pour sa part largement la puissance de l'œuvre et ses étonnantes descriptions de la nature à l'occasion des nombreuses exécutions qui suivirent en Allemagne.

 

L'orchestre de Eine Alpensinfonie

L'orchestre utilisé dans Eine Alpensinfonie est l'un des plus vastes développés par Richard Strauss. Tel qu'il est indiqué sur la partition, l'effectif instrumental comptabilise 109 instrumentistes (23) auxquels peuvent s'adjoindre 16 instruments en cuivre hors scène (éventuellement issus de l'orchestre) et le doublement possible de 7 instruments en bois et de 2 harpes, ce qui représente un total maximum de 134 instrumentistes (24). Parmi les instruments rares destinés à créer un effet descriptif figurent la cloche de troupeau, la machine à vent (25) et la machine à tonnerre. Cet orchestre élargi, comparable à celui des grands ouvrages postromantiques de la même époque (Mahler, Stravinski…) mais aussi des ouvrages contemporains de Strauss (Ein Heldenleben, Sinfonia domestica, Festlisches Präludium op. 61…), est représentatif de l'esprit « supra-classique » de l'instrumentation dans lequel l'orchestre assume un équilibre orchestral fondé approximativement sur le double numérique de l'effectif classique d'un Haydn ou d'un Beethoven (26). Outre la large variété d'instruments et de timbres que l'on y trouve, ce vaste effectif permet au début du XXe siècle un jeu nouveau de doublures instrumentales et une profusion polyphonique inconnue à l'orchestre auparavant. Cependant, malgré l'emploi de cette formation large aux ressources élaborées, cette œuvre ne connaît pas véritablement l'excès de peinture sonore illustrative que les sous-titres pourraient suggérer. Car, et c'est là l'essence même de l'art straussien en matière d'écriture orchestrale, l'orchestration n'est jamais conçue chez lui comme une fin en soi ; elle est toujours mise au service de l'idée poétique selon un principe lisztien appris autrefois auprès de Bülow et de Ritter.


Aerophor de Bernhard Samuel

Signalons en outre un élément particulier lié à l'instrumentation de Eine Alpensinfonie. Strauss recommande, comme pour le Festliches Präludium, l'utilisation de l'aérophor (27) pour faciliter les longues tenues des vents. Il s'agit d'un système récent à l'époque, breveté en 1912 par le flûtiste néerlandais Bernhard Samuel, qui consiste à actionner un soufflet avec le pied afin d'amener régulièrement de l'air par un tuyau vers un coin de la bouche de l'instrumentiste, tout en lui permettant de respirer librement et de manière ininterrompue par le nez (28).

Alors que l'œuvre avait connu une genèse de plus de dix ans avant de connaître sa version définitive, l'orchestration du poème symphonique a, pour sa part, été réalisée rapidement, en cent jours seulement entre le 1er novembre 1914 et le 8 février 1915, alors que Strauss finissait la seconde version d'Ariadne auf Naxos et travaillait déjà à la composition de Die Frau ohne Schatten, sa troisième collaboration avec Hugo von Hofmannsthal.

 

Le scénario d'une journée en montagne

Eine Alpensinfonie offre plusieurs lectures possibles entre celle qui, s'appuyant sur les sous-titres, privilégierait un scénario quasi cinématographique d'images musicales variées et pittoresques insérées dans un grand mouvement continu, ou celle qui, en dehors des indications programmatiques, chercherait à appréhender l'homogénéité de l'œuvre en tant que vaste construction symphonique, ou celle encore qui comprendrait son organisation formelle comme une succession de différentes formes symphoniques (introduction lente, rondo, variations, scherzo…) et qui révèlerait, comme mis en abyme, un plan sous-jacent de forme-sonate ou de forme symphonique en quatre mouvements. Le scénario musicalisé proposé ci-dessous s'attache à suivre au plus près le programme tel qu'il apparaît dans les sous-titres de Strauss.

Nuit (Nacht) et Lever du soleil (Sonnenaufgang) servent d'introduction lente. L'organisation de la Nuit est remarquable avec sa superposition aux cordes sur trois octaves d'une gamme complète dissonante de si bémol mineur, suivie d'un élargissement gradué de cette gamme par accroissement rythmique et mélodique à la manière du prélude de Der Rheingold de Wagner (2) (29). Par son agitation progressive, ce fond sombre et ténébreux mène à l'éclatant Lever du soleil dont la mélodie diatonique et homorythmique sera l'un des thèmes principaux de la partition (7). La symphonie commence réellement au début de L'ascension (Der Anstieg), symbolisée par un thème de marche vigoureux (8 mesures avant 12) qui décrit la robustesse et l'intrépidité du Wanderer. Plusieurs des développements à venir seront bâtis sur ce thème utilisé soit dans sa version originale, soit modifié par l'idée poétique. Le premier point de repos est atteint avec L'arrivée en forêt (Eintritt in den Wald) (21) où un thème en forme de Lied de nature poétique et chaleureux, avec chants d'oiseaux (27), rappelle les « Murmures de la forêt » de Siegfried. C'est le même esprit qui préside dans la Marche près du ruisseau (Wanderung neben dem Bache (2 avant 38), qui présente une extension musicale du thème du Wanderer avec une ornementation élaborée. Près des chutes (Am Wasserfall) (3 avant 41) et Apparition (Erscheinung) (42) terminent la première partie de l'ascension. Ce sont de courtes pièces enchaînées aux couleurs orchestrales scintillantes (avec glockenspiel, célesta, harpes et cordes divisées) qui sont organisées en forme de scherzo symphonique.

Annoncé par une mélodie au cor (3 avant 46), Sur les prés fleuris (Auf blumigen Wiesen) (47) ouvre une nouvelle section de repos et de plénitude, véritable joyau d'écriture orchestrale qui est prolongé par l'andante idyllique de Sur les pâturages (Auf der Alm) (51) où l'on retrouve des réminiscences d'images de la Nature empruntées à Mahler, avec l'utilisation de la cloche de troupeau et des yodle. Quoique volontairement naïve dans son figuralisme descriptif, l'orchestration est ici d'une grande subtilité sonore avec des trilles et des flatterzunge (roulement lingual produisant un effet de t rémolo) aux bois qui enrichissent la portée symbolique de cette pièce.

Suit alors une série des sections plus mouvementées décrivant la rudesse et les dangers de la montagne : Perdu dans les fourrés (Durch Dickicht und Gestrüpp auf Irrwegen) (59), Sur le glacier (Auf dem Gletscher) (3 av 68) et Moment dangereux (Gefahrvolle Augenblicke) (4 av. 72). Ils représentent le point culminant du développement artistique du thème du Wanderer. Strauss y insère des passages fugués comme à chaque fois qu'il veut décrire le portrait d'un être dans le besoin, perdu dans ses pensées ou dans la forêt (30). Le même matériau thématique apparaît sous différentes formes qui contrastent les unes avec les autres et qui accentuent l'impression d'une montée difficile. Cela continue sans repos et de manière angoissante jusqu'à la fin de l'ascension et l'arrivée Sur le sommet (Auf dem Gipfel) (5 après 76) où la tranquillité est enfin atteinte. Après avoir été annoncé triomphalement par les trombones sur des accords brisés (6 après 76), le caractère de la musique change et laisse place à une simple mélodie de hautbois sur fond de trémolos de cordes qui traduit, avant sa prodigieuse amplification orchestrale, l'ivresse que la Nature provoque face à l'immensité de sa puissance.


Le Zugspitze / DR

Sur le sommet, la Vision (4 av 88) offerte par le spectacle d'une Nature éternelle et immuable propulse l'œuvre vers l'apogée musical le plus important de toute l'œuvre. Le tempo ralenti et l'opulence de l'orchestration riche en effets et en couleurs irisées impriment à ce passage une incomparable majesté. Mais l'ivresse du sommet est troublée par de nouvelles images contrastées qui s'expriment au travers de nouveaux effets musicaux lorsque Le brouillard se lève (Nebel steigen auf) (97). À la manière des brusques changements météorologiques que l'on rencontre en montagne, Strauss alterne soudainement différents passages en reprenant des éléments thématiques déjà entendus auparavant dans Le soleil s'assombrit (Die Sonne verdüstert sich allmählich) (98), Élégie (100) et Calme avant la tempête (Stille vor dem Sturm) (4 après 103).

 

Musicalement bien pensée, l'inversion et la diminution du thème de l'ascension marque le début de la redescente, qui se fait sous l'orage. L'unité de ce long passage est réalisée sous un seul sous-titre : Tempête et orage, descente (Gewitter und Sturm, Abstieg) (3 av 110). On trouve dans cette section brillante et virtuose de nombreux détails d'orchestration insolites : flatterzunge aux bois (3 av 110), effets d'éclairs aux trompettes, clarinette en mi bémol et piccolos (110), orgue en plein-jeu, instrumentation fortissimo (fff) pour l'apogée sonore (124) avec machine à vent et machine à tonnerre pendant quelques mesures. Strauss réalise là un des plus somptueux orages et l'un des plus réalistes de toute l'histoire de la musique. Comme dans la nature, tout change en quelques instants et le fortissimo (fff) devient pianissimo (pp) sur l'image majestueuse du Coucher du soleil (Sonnenuntergang) (129), avec des trompettes « solennelles » (130) qui annonce la Conclusion (Ausklang). Il s'agit d'une coda (134) qui reprend avec ampleur les thèmes de l'ascension et du lever du soleil, avant que la Nuit (7 ap. 144) n'apparaisse de nouveau et reprenne dans une nuance piano la gamme de si bémol mineur superposée sur trois octaves, à l'image des premières mesures de la partition.

 


Première page de la partition (Nuit) / DR

Au-delà de cette lecture linéaire privilégiant un mouvement continu, il est également possible de considérer qu'entre les deux extrémités de l'œuvre qui caractérisent de manière identique la même idée (la nuit), Strauss ait conçu un grand mouvement symphonique reprenant l'idée d'une symphonie en un mouvement avec un allegro rapide dans les sections extrêmes, entre lesquelles s'intercalent des intermèdes en forme de scherzos, des andantes idylliques et, au centre, au moment de l'arrivée sur le sommet, un splendide adagio expressif. Le plan quasi symétrique de cette construction serait ainsi le suivant :

 

Introduction lente : Nuit + Lever du soleil

 

Allegro : L'Ascension, L'arrivée en forêt, Marche près du ruisseau

Intermezzo (scherzo) : Près des chutes, Apparition, Sur les prés fleuris

Andante : Sur les pâturages de montagne

Intermezzo (scherzo) : Perdu dans les fourrés, Sur le glacier, Moment dangereux

 

Andante : Sur le sommet, Vision

 

Intermezzo (scherzo) : Le brouillard se lève, Le soleil s'assombrit

Adagio : Élégie, Calme avant la tempête

Allegro : Tempête et orage – descente

 

Coda lente : Coucher du soleil, Conclusion, Nuit

 

Traduire la nature

Pour un disciple de Nietzsche comme l'était Strauss, l'idéal beethovénien de la nature qui rapproche l'homme de Dieu n'était plus de mise. De même, Strauss n'avait plus besoin de voir, comme chez Liszt ou Wagner, une transcendance divine dans la nature car sa vision émancipée du monde était fondée uniquement sur une conception prométhéenne de la nature sans dieu, idée qu'il partageait d'ailleurs avec plusieurs de ses contemporains, notamment Mahler qui, dans sa Symphonie n° 3 utilise de nombreuses citations de Nietzsche, retirées par la suite. Achevée en 1896, cette œuvre est d'ailleurs contemporaine d'Also sprach Zarathustra de Strauss. Mais, au-delà de sa thématique, peu banale pour une symphonie, il y a à l'intérieur de la partition de Eine Alpensinfonie tout en ensemble d'éléments destinés à renforcer l'évocation de la nature. Strauss utilise évidemment ses dons d'orchestrateur pour traduire de manière évocatrice ou réaliste les éléments de la nature. Il le fait de plusieurs manières, dont voici quelques exemples.

Il utilise tout d'abord des moyens instrumentaux, avec la présence d'une cloche de troupeaux, élément un peu naïf voire kitsch de nos jours, mais qui donne un relief tout particulier au passage concerné. Il emploie également des percussions suggestives comme la machine à vent et la machine à tonnerre. La première est présente dans deux des passages les plus impressionnants de la partition (Calme avant la tempête et Orage et Tempête). L'effet trouve son point culminant avec l'entrée en jeu de la machine à tonnerre, qui n'intervient que sur deux mesures dans un tutti de notes tenues jouées fortissimo. Au même endroit, ainsi que dans la partie finale de la partition, la présence de l'orgue, qui maintient de puissants accords en plein-jeux, apporte une touche de religiosité aux phénomènes naturels évoqués.

La nature trouve aussi sa transcription symbolique dans la présence de chants d'oiseaux stylisés et dans la réminiscence d'œuvres marquantes. Dès l'Entrée dans la forêt, on entend clairement aux instruments en bois des formules rythmiques et mélodiques évoquant plusieurs chants d'oiseaux. Ces éléments brièvement présentés ne connaissent aucun développement mais ils font penser à ce qu'avait fait Beethoven dans le premier mouvement de la Symphonie Pastorale. On retrouve des idées similaires chez Mahler (Symphonies 1 et 3). Strauss procède aussi à une évocation des Murmures de la forêt de Siegfried de Wagner (bruissements des arbres) ou de la Symphonie Pastorale (deuxième mouvement) dans la Marche près du ruisseau.

Il utilise également ses dons d'orchestrateur pour créer un sentiment de la nature et traduire certains de ses éléments. C'est le cas dans Orage et Tempête évoqué plus haut, mais aussi dans Près des chutes il applique une orchestration d'une étonnante légèreté avec son tutti (sans cuivres) mais avec percussions et glockenspiel. Il en résulte un émiettement des idées thématiques dans tout l'espace sonore avec des retombées mélodiques, des glissandos aux cordes et harpes qui évoquent aisément le ruissellement de fines gouttelettes d'eau qui rebondissent près des cascades, avec le mouvement plus violent des masses d'eau qui s'entrechoquent en tombant.

Enfin, la structure même de Eine Alpensinfonie est en cohérence avec la nature elle-même puisque son organisation s'adapte au cycle solaire que l'on suit au travers du déroulement d'une journée complète, de la fin de la nuit à son retour en fin de journée. Ainsi les sous-titres 1 et 22 (Nuit) qui encadrent la partition sont-ils conçus habilement sur le même principe musical, à savoir le long déroulé d'une triple gamme de si bémol mineur aux cordes qui descend diatoniquement pour se transformer en immense cluster. Si le concept de la nuit est souvent présent en musique, sa traduction musicale a souvent été évitée car elle semblait irréductible au langage des sons. Wagner en avait donné un exemple dans Tristan und Isolde, mais en l'opposant au jour. Ici, Strauss en donne sa propre version, qui reprend d'ailleurs quelques idées wagnériennes avec l'élargissement de l'arpège qui s'accélère peu à peu et qui monte en tessiture. Ce procédé évoque nettement le prélude de Das Rheingold et semble rattacher Eine Alpensinfonie à son idée métaphysique d'un son fondamental et originel à partir duquel tout se construit et s'articule. L'effet est saisissant lorsqu'apparaît le soleil qui, par contraste, utilise une mélodie descendante fortissimo en écriture homorythmique et homophonique.

La tentation serait grande de ne voir dans Eine Alpensinfonie qu'une simple peinture musicale résultant de l'admiration de Strauss devant la contemplation des beautés de la nature, lui qui, Bavarois de naissance et ayant acheté une villa à Garmisch-Partenkirchen en 1908, pouvait admirer le sommet du Zugspitze, le plus haut d'Allemagne, ou les gorges étroites du torrent Partnach. Brillant orchestrateur, il n'utiliserait donc son art que pour rendre d'admirables effets techniques et peindre musicalement la nature d'une manière réaliste. Cette tentation d'analyse serait cependant totalement erronée car l'idée musicale, bien que provoquée par un stimulus extérieur, est toujours conduite chez Strauss par une ambition esthétique. Et quand il veut traduire la nature dans Eine Alpensinfonie, il cherche avant tout à démontrer que les thématiques a priori triviales renferment en elles autant d'impulsions créatrices que les thèmes empruntées à la littérature et que, du coup, la vie dans ce qu'elle a de plus immédiat et de plus naturel avec ses richesses surabondantes a au moins autant d'intérêt que les productions de l'esprit. Eine Alpensinfonie participe de cette démarche et, en raison de sa genèse mouvementée, offre la particularité de satisfaire à la fois l'émotion immédiate de la description pittoresque associée à une réflexion plus profonde sur la place de l'homme dans le conflit qui l'oppose à la nature.

 

Jean-Jacques Velly*

 

*Jean-Jacques Velly est Maître de conférences HDR Université de Paris-Sorbonne.  

 

 

(1) « Jetzt hab' ich endlich instrumentieren gelernt ». Cf. Ernst Krause, Richard Strauss, Der letzte Romantiker, Munich, Wilhelm Heyne Verlag, 1963, p. 167.

(2) De Don Juan à la Sinfonia domestica, en passant notamment par Also sprach Zarathustra et Ein Heldenleben.

(3) Norman Del Mar, Richard Strauss, vol. 2, Londres, Faber and Faber, [1969], 1986, p. 106.

(4) Dans une lettre du 15 juin 1915 à Hermann Kutzschbach, le chef de l'orchestre de Dresde, Strauss indique que « dans l'orage, le grand orgue de concert est un instrument indispensable ». Cité par Stephan Kohler, dans Richard Strauss, Eine Alpensinfonie, Edition Eulenburg n° 8046, 1996, préface p. IX.

(5) « Vous devriez écouter la Symphonie alpestre ; c'est une très belle œuvre », écrivit Strauss à Hofmannsthal le 15 novembre 1915.

(6) Michael Kennedy, Richard Strauss, Paris, Fayard, 2001, p. 516.

(7) Image renforcée par l'affirmation du compositeur selon laquelle « [il voulait] pour une fois composer comme une vache donne du lait » ! Cité par Adolf Aber dans Richard Strauss, Eine Alpensinfonie, Munich/Leipzig, F.E.C. Leuckhart (7529), introduction p. I (allemand) et p. V (anglais).

(8) Ibid., p. I et V.

(9) Le projet s'appuyait sur un fait réel, le suicide récent du peintre, sculpteur et graveur Karl Stauffer-Bern (1857-1891). Cf. Willi Schuh, Richard Strauss, A Chronicle of the Early Years 1864-1898, [1976], Cambridge University Press, 1976, p. 499 et 533.

(10) Lettre du 28 janvier 1900, citée dans Michael Kennedy, op. cit., p. 184.

(11) La partition de Tristan und Isolde a joué un rôle essentiel dans la conversion de Strauss à la modernité. Par ailleurs, c'est avec cette œuvre qu'il venait de commencer sa carrière à Berlin le 5 novembre 1898 au Hofoper Unter den Linden.

(12) Le nombre de dix poèmes symphoniques inclut Aus Italien (1886) au contenu nettement descriptif, et les deux « symphonies » ultérieures – Sinfonia domestica (1903) et Eine Alpensinfonie (1915), pour lesquelles la notion de « symphonie » ne correspond à aucune utilisation de la forme symphonique traditionnelle, mais plutôt au concept ancien de formation orchestrale.

(13) « J'étais anéanti par le respect le plus fanatique que j'éprouvais pour l'œuvre gigantesque de Richard Wagner ». Cité dans Richard Strauss, Anecdotes et souvenirs, Lausanne, Ed. du Cervin, 1951, p. 38.

(14) Strauss avait déjà composé deux symphonies de jeunesse, en mineur (1881) et en fa mineur (1883).

(15) Michael Kennedy, op. cit., p. 183.

(16) Cf. Jean-Jacques Velly, « Héritage wagnérien et indépendance artistique chez Richard Strauss. Des années de formation à Guntram », dans Revue du Cercle Richard Wagner Toulouse Midi Pyrénées – 2014-2015, janvier 2016, p. 5-17.

(17) Joseph Gregor, Un maître de l'opéra : Richard Strauss [1939], Paris, Mercure de France, 1942, p. 86.

(18) Création à Francfort le 27 novembre 1896 par Strauss.

(19) Le titre exact figurant sur la partition originale est : Also spach Zarathustra, Tondichtung (frei nach Friedr. Nietzsche).

(20) Arthur Seidl (1863-1928) était écrivain, critique musical et spécialiste d'esthétique. Il a dirigé les Archives Nietzsche à Weimar en 1898 et 1899. Il est également l'auteur de la première publication sur Strauss (Richard Strauss, eine Charakterskizze, 1896), ainsi qu'une série d'articles le concernant (Straussiana, 1913). Il a été enfin, à partir de 1917, l'éditeur de la revue Die Musik, fondée par Strauss lui-même en 1904.

(21) Strauss se creusait « la cervelle pour écrire une symphonie, ce qui [lui] plaisait encore moins que de secouer des arbres pour récolter des hannetons ». Cité dans Michael Kennedy, op. cit., p. 248.

(22) Strauss est plutôt agnostique et très critique envers le christianisme.

(23) Dont 64 instrumentistes à cordes, 16 bois, 18 cuivres et 3 percussionnistes. La configuration de l'orchestre est la suivante : bois et cuivres « par 4 », orgue, 2 harpes, célesta, glockenspiel, cordes et 9 percussions, auxquels s'ajoutent pour des passages plus ou moins développés, 1 clarinette en mi bémol, 1 heckelphone, 4 tubas ténors, ainsi que 12 cors, 2 trompettes et 2 trombones hors scène.

(24) Suite à un don de Strauss à la France effectué le 10 octobre 1945, le manuscrit original de Eine Alpensinfonie se trouve à la Bibliothèque Nationale à Paris.

(25) Instrument déjà employé dans Don Quixote en 1897.

(26) Cf. Jean-Jacques Velly, L'orchestration dans les poèmes symphoniques de Richard Strauss : langage technique et langage esthétique, Thèse de doctorat de musicologie, Paris-IV Sorbonne, 1991.

(27) Également dénommé par erreur « aérophone » dans différents textes, y compris sur la partition révisée Eulenburg (n° 8046) éditée par Stephan Kohler en 1996.

(28) Bien qu'attesté lors des premières exécutions de Eine Alpensinfonie, l'aérophor de Samuel n'est plus utilisé de nos jours, notamment en raison des problèmes dentaires occasionnés par le mélange d'air froid et de laiton sur les dents.

(29) Les numéros entre parenthèses représentent les chiffres de la partition.

(30) Cf. Don Quixote, Also spach Zarathustra et Sinfonia domestica.

 

 

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REPÈRES PÉDAGOGIQUES

 

Haut

 

Le Centre international pour les artistes de la musique

et de la danse de Royaumont

 

 

Inspirer, créer, partager

 

 

Chaque année, quelques 300 artistes de la musique et de la danse choisissent la Fondation Royaumont afin de se perfectionner auprès de formateurs reconnus tant pour leurs qualités artistiques que pour leur capacité à transmettre, expérimenter et inspirer. Ils vivent au cœur de l'abbaye de Royaumont une relation privilégiée avec d'autres artistes qui font partager leurs savoirs et leur passion.

 


DR

 

Grâce à des soutiens publics et privés, la Fondation Royaumont propose des ateliers de formation internationale de haut niveau et accessibles au plus grand nombre en fonction de stricts critères d'excellence. Dans le cadre exceptionnel de l'abbaye de Royaumont, la Fondation met à la disposition des stagiaires des salles de travail et de répétition, un service d'hôtellerie et des espaces de détente. Ceux-ci bénéficient de deux bibliothèques : La Bibliothèque Henry et Isabel Goüin, héritière de la bibliothèque médiévale des moines de l'abbaye, désormais d'ordre générale, et une bibliothèque musicale réunissant la collection de manuscrits et d'imprimés musicaux (plus de 1300 titres) du pianiste François Lang (1908-1944) et de sa propre une bibliothèque de travail, outre un Fonds Rameau riche de quelques 1500 documents. Ces conditions proches de l'idéal sont de nature à permettre une vraie immersion dans un répertoire et une atmosphère propice au partage et à l'échange entre participants et avec les formateurs.

 

Les divers ateliers de formation de l'année 2016, destinés aux étudiants ou artistes en formation continue souhaitant préparer ou élargir leur carrière illustrent la démarche artistique de la Fondation Royaumont. Une attention toute particulière est accordée à la création et aux relectures du répertoire, permettant un questionnement sans cesse renouvelé des formes et de l'interprétation des œuvres.

 


La bibliothèque Henry & Isabel Goüin ©Nathalie Le Gonidec

 

La Fondation Royaumont a noué de nombreux partenariats. Ainsi en est-il avec les établissements d'enseignement supérieur pour permettre aux étudiants de mieux se préparer à la carrière : CNSMDP, Université Paris-Sorbonne, Pôle supérieur Boulogne-Billancourt, CDNC Angers, École supérieure des Arts Paris-Cergy, Schola Cantorum de Bâle, etc. Le partenariat l'est aussi avec des lieux de production et des réseaux qui offriront à certains une étape d'insertion professionnelle: Ulysses,   Exerce Montpellier, Opéra Comique, Théâtre des Bouffes du Nord, et festivals du Réseau Européen de Musique Ancienne.

 

 

ATELIERS CLAVIERS  

 

Objectifs : Aux fins de mettre le geste du claviériste en perspective des traités et pratiques, de la musique et de la danse permettant de se reconnecter à l'imaginaire des compositeurs et de leurs instruments. Ils concernent les pianos romantiques, l'orgue Cavaillé-Coll et enfin les virginalistes du XVII°.

 

PIANOS ROMANTIQUES

 

Beethoven et ses contemporains

Dates : du 10 au 15 juillet 2016

Destinataires : 12 pianistes sur piano moderne et ancien

 

Chopin, la vocalité instrumentale, profils rythmiques et geste musical

Dates : du 10 au 14 août 2016

Destinataires : 10 pianistes sur piano moderne ou ancien

 

L'éloquence romantique au piano -Vienne Paris- Beethoven et Chopin

Dates : du 7 au 17 octobre 2016

Destinataires : 10 pianistes, violonistes, chanteurs

 

ORGUE

 

L'orgue français au début su XX siècle : entre tradition et modernité  

Dates : du 10 au 14 juillet

Destinataires : 10 organistes

 

CLAVECIN

 

Les virginalistes anglais : Byrd ,Bull, Philips, Tomkins...

Dates : du 22 au 26 août 2016

Destinataires : 10 clavecinistes

 

 

ATELIERS VOIX

 

Objectifs : l'excellence vocale à la pointe de tous les répertoires afin de favoriser les rencontres et permettre la proximité auprès des plus grands maitres ainsi que des jeunes chanteurs européens dans des temps d'approfondissement privilégiés.

 

Opéra baroque français (extraits d'Armide de Lully et d'Hippolyte et Aricie de  Rameau)

Dates : du 16 au 24  juillet 2016

Destinataires : 24 chanteurs, 2 clavecinistes

 

Dufy en Italie / Graindlavoix (ensemble en résidence)

Dates : du 18 au 23 juillet 2016

destinataires : 8 chanteurs et ouvert à 2 chercheurs

 

Aux frontières de la Polyphonie et de la polychoralité

Dates : du 25 au 31 Juillet 2016

Destinataires : 10 chanteurs, viole de gambe, orgue positif

 

Humanité enchantée : les Lieder de Mahler

Dates : du 12 au 15 septembre 2016

Destinataires : 8 chanteurs, 2 pianistes

 


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ACADEMIE VOIX NOUVELLES

 

Objectifs : Cette Académie regroupe jeunes compositeurs, jeunes interprètes et professionnels d'envergure internationale pour un temps fort unique au cœur de la création.

 

Académie Voix Nouvelles : composition et interprétation

Dates : du 21 août au 9 septembre 2016 pour les compositeurs ; et du 30 août au 9 septembre pour les interprètes

Destinataires : 14 compositeurs – 10 interprètes (instrumentistes, chanteurs, chefs d'orchestre)

 

 

ATELIER D'INTERPRETATION DRAMATIQUE ET MUSICALE

 

Une tragédie florentine d'Alexander Zemlinsky

Dates : du 16 au 30 juillet 2016

Destinataires : 6 chanteurs (3 rôles – double casting), 2 pianistes/chefs de chant

 

 

ATELIERS DE MUSIQUES TRANSCULTURELLES

 

Objectifs : Dans la mesure où la mondialisation des musiques conduit à de stimulantes interconnexions, encore inconcevables il y a quelques années, le programme Musiques Transculturelles propose d'exercer à de telles connexions l'imagination créatrice en faisant appel à Magic Malik et Amir El Saffir.

 

Intesections : maqams et impovisations jazz;  II

Dates : du 15 au 21 août 206

Destinataires : 10 compositeurs et/ou improvisateurs, musiciens ou chanteurs

 

Imaginer avec Magic Malik, II

Dates ; du 15 au 21 août 2016

Destinataires : 10 compositeurs et/ou improvisateurs, musiciens ou chanteurs

 


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ATELIERS RECHERCHE ET COMPOSITION CHOREGRAPHIQUES

 

Objectifs : D'une part, poser comme hypothèse de recherche la citation ou la présence d'un corps virtuose ou amateur dans le propos chorégraphique, d'autre part, interroger les modalités de transmissions dans la relation entre chorégraphes et danseurs.

 

Prototype IV (2016-2017)

Corps dansant virtuose ou amateur : quelle présence à l'œuvre dans le projet chorégraphique ?

Dates : trois sessions entre décembre 2016 et août et septembre 2017

Destinataires : 10 à 12 chorégraphes ayant réalisé quelques pièces chorégraphiques

 

En partenariat avec le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et le Centre national de la danse contemporaine d'Angers, recrutement interne.

 

Dialogues I

Pour des relations, dialogues et protocoles de transmission entre le chorégraphe et le danseur interprète

Session 3/3 – pratiques et expérience 2

Dates : du 20 au 30 juin 2016

Participants : 4 chorégraphes stagiaires et 20 étudiants danseurs du cycle professionnalisant de CNDC d'Angers

 

 

RESIDENCES PEDAGOGIQUES EN BIBLIOTHEQUES EN LIEN AVEC DES ETABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPRIEUR

 

Objectifs : La Bibliothèque musicale François-Lang et la Médiathèque Musicale Mahler* se prêtent particulièrement à l'accueil de résidences pédagogiques destinées aux étudiants des établissements supérieurs : universités, conservatoires, pôles supérieurs... Centrées autour des collections conservées dans ces deux bibliothèques, ces résidences ou journées visent à sensibiliser les étudiants à l'approche et l'étude des sources musicales allant de la fin du XVI ème au XXI ème siècle.

 

Les concerts de Royaumont, 1936-1964

Enrichissement de la base de données Dezede.org

Dates : 10-11 juin 2016, à la la Bibliothèques musicale François Lang

Destinataires : 10 étudiants de l'Université de Rouen

 


Le cloitre / DR

 

Il est possible de découvrir les coulisses de la création à Royaumont. Les artistes en résidence dévoilent au public leur travail en cours dans le cadre de rendez-vous libres d'accès, programmés généralement en fin de résidence. Le nombre des places étant limité, la réservation est obligatoire.

 

 

Infos pratiques :

 

Dates d'audition et inscriptions aux ateliers et autres dispositifs de formation : www.royaumont.com/les-formations

 

Contact : Fondation Royaumont

Formation professionnelle

F 95270 Asnières sur Oise

par tel.:  +33 (0) 1 30 35 59 00

en ligne : formation@royaumont.com

 

 

*Médiathèque Musicale Mahler, 11bis rue de Vézelay 75008 Paris ; tel : 01 53 89 09 10 ; www.mediathequemahler.org

 

 

Jean-Pierre Robert (source : Fondation Royaumont).

 

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PROPOS PARTAGÉS

 

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Jacques Lenot, un musicien en quête de secret

 

Jacques Lenot est né en 1945 à Saint-Jean d'Angély, une charmante bourgade de la Charente-Maritime, à quelques encablures de Royan et son festival international d'art contemporain (1964-1977). Cette proximité a été une formidable opportunité pour cet angérien au tempérament d'artiste, qui, dans son adolescence, a peint et dit avoir écrit de la musique en secret depuis l'âge de huit ans... car c'est au Festival de Royan, en 1967, que tout a commencé.

 

Avec un catalogue qui compte aujourd'hui plus de 250 opus où tous les genres musicaux sont abordés, la trajectoire accomplie est impressionnante, celle d'un compositeur qui poursuit en solitaire un travail d'écriture aussi prolifique que radical, porté par un imaginaire foisonnant où les images, la littérature et la poésie nourrissent sa pensée du sonore.

 


DR

 

 

Un autodidacte par volonté

 

Est-ce que le fait d'être autodidacte est pour vous l'expression d'un refus ?

 

Certainement; et avec la distance ce refus pourrait bien s'appeler une gaffe. J'en ai fait une première à 22 ans. L'Orchestre national sous la direction de Maurice Le Roux venait de créer au Festival de Royan ma première pièce d'orchestre Diaphanéis. Elle avait été sélectionnée par Olivier Messiaen qui participait à la programmation. Le Maître enthousiaste m'a aussitôt dit : « Je vous attends dans ma classe, naturellement ». Or, pour moi, monter dans la capitale n'avait rien de naturel et n'était pas dans mes projets. Je préférais rester un compositeur secret, dans « ma » Charente-Maritime. Mon deuxième refus, alors même que je vivais à Paris, s'adresse à la personne même de Pierre Boulez, après la création d'Allégorie d'exil n°4 qu'il dirige, en 1980, avec l'Ensemble Intercontemporain. « Jacques, je vous attends à l'Ircam, naturellement » me dit le patron des lieux. Je n'avais jamais mis les pieds dans un studio, et toutes ces machines m'effrayaient. J'ai décliné l'invitation. Sans doute était-elle prématurée, comme celle de Messiaen; en tout cas, je n'ai ni remords ni regrets.

 

 

Le pèlerinage à Dartmstadt

 

Comment et pourquoi l'autodidacte que vous êtes rallie-t-il le sérialisme ?

 

J'ai l'impression d'être né avec le sérialisme. J'ai ouvert la partition des Mikrokomos de Bartók à l'âge de 8 ans et aime tout ce qui relève de la combinatoire et du rapport au nombre. Je rappelle que je suis fils d'horloger et que l'on maniait la mécanique de précision à la maison ! L'utilisation du carré magique chez Webern, que je découvre d'abord à travers la lecture des ouvrages de René Leibowitz, me stimule. La musique du compositeur viennois entendue au concert, grâce à Bruno Maderna qui est venu la diriger à Royan, est une véritable révélation. Ayant un piano à la maison, j'ai moi-même reçu Michel Beroff et Catherine Collard qui venaient répéter les Variations opus 27 du maître viennois. Je sentais qu'il me fallait approfondir la question. L'heure était donc venue de mon « pèlerinage » à Darmstadt que j'entreprends, non sans appréhension, en 1966. Karlheinz Stockhausen y était le maître d'œuvre. Cette personnalité rayonnante autant qu'extravagante enseignait aux côtés de Mauricio Kagel et de György Ligeti, qui analysait quant à lui les Bagatelles de Webern. Avec les frères Kontarsky au piano, Stockhausen nous présentait ses Klavierstücke et faisait des démonstrations devant le grand tam-tam de Mikrophonie I qu'il venait de composer. Le bain de musique fut édifiant et je me suis mis à acheter et à lire des tonnes de partitions : les trois Viennois bien sûr, mais aussi Debussy, Stravinsky, Bartók, Boulez et plus précisément encore Gruppen de Stockhausen : mon véritable apprentissage commençait...     

 

Si vous reconnaissez en Stockhausen votre ascendance musicale, une autre personnalité a compté pour vous dans cette période que l'on pourrait qualifier d'initiatique.

 

J'ai en effet découvert à Darmstadt quelques partitions du compositeur italien Sylvano Bussotti. J'ai pu ensuite le rencontrer à Venise et lui ai demandé des conseils à Rome en 1970. S'il ne m'a rien appris en matière de composition, il m'a initié à la calligraphie. Pour cet artiste protéiforme et homme de théâtre, les notes de musique sont des dessins et l'acte d'écriture une œuvre d'art. L'œil y est donc sollicité autant que l'oreille. J'ai appris la calligraphie sous sa dictée. Dès lors, j'ai toujours préparé moi-même mes calques d'écriture, presque rituellement, tirant les lignes des portées à l'encre de Chine. Je précise que je voulais être architecte quand j'étais petit... Aussi, ma musique passe-t-elle par la façon de l'écrire. Des problèmes de vue m'ont obligé, depuis quelques années, à renoncer au manuscrit. De fait, l'adoption du logiciel Finale a eu des incidences certaines sur ma composition.

 

 

Franchir les portes de l'Ircam

 

Les machines ont donc cessé de vous effrayer ?

 

J'ai quand même attendu 25 ans, après la proposition de Pierre Boulez, pour franchir les portes de l'Ircam! Joséphine Markovits, directrice artistique en charge de la programmation musicale au Festival d'Automne, m'avait demandé de réfléchir à un projet original lié à l'espace de l'église Saint Eustache. J'ai alors eu l'idée de sonoriser la voûte comme si les sons tombaient du ciel. Il me fallait pour cela la magie de l'électronique et l'assistance précieuse de mon réalisateur informatique Éric Daubresse. Mais j'étais dans l'incapacité de concevoir directement la matière électronique. J'ai donc, sur mon papier dûment réglé et comme j'en avais l'habitude, écrit une partition d'orchestre spatialisée en vingt-huit trios, qui a été ensuite entièrement numérisée et synthétisée grâce à Gregory Beller. C'est ainsi, au terme de cet « artisanat furieux », que s'est élaborée Il y a, ma première œuvre électronique.

 

Vous récidivez en 2014 avec Isis & Osiris

 

C'est une nouvelle commande de l'Ircam-Centre Pompidou que je nomme « installation sonore mixte pour septuor à vent et environnement électronique ». Le son transformé en temps réel est projeté en 3D, selon le procédé high tech dit ambisonic. Je voulais obtenir un poudroiement sonore articulé dans le temps et l'espace, projet que je réalise avec l'aide précieuse de l'informaticien Serge Lemouton. L'œuvre est créée par l'Ensemble Multilatérale à l'Espace de projection de l'Ircam, dans des conditions acoustiques optimales.

 


Pendant l'enregistrement de Et il regardait le vent / DR

 

 

Utopie

 

Quelle est la chose qui prime pour vous en matière de composition musicale ?

 

Je suis celui qui est en train de révéler des secrets et je désire à travers ma musique inviter chacun de mes auditeurs à une écoute attentive, j'oserais dire recueillie. Le mot n'est pas à prendre au sens religieux et relève sans doute de l'utopie toujours au centre de mon travail de composition. J'ai écrit en 2011 Propos recueillis, une partition dont l'ambiguïté du titre me plait. C'est un cycle de douze pièces pour ensemble instrumental inspirées par les poètes allemands Else Lasker-Schüller et Friedrich Hölderlin; une sorte de journal intime où j'accompagne durant presqu'une heure mon auditeur à travers les couches profondes de la pensée.

 

Vous avez fait du dessin et de la peinture dans votre adolescence mais la poésie, et la littérature en général, semblent tenir davantage de place dans votre travail de composition.

 

J'ai arrêté la peinture à 18 ans car j'ai dû faire un choix. A l'époque, Maurice Fleuret, rencontré aux Jeunesses musicales de France où il donnait des conférences, m'a beaucoup poussé à devenir compositeur et à me consacrer entièrement à la musique. Mais je garde un rapport très fort à l'image. Quant à la poésie, elle m'a pris au berceau, elle a imprégné mon enfance et ne m'a plus jamais lâché. Apprendre des poésies par cœur a toujours été un délice.

 

Quelle place occupe-t-elle dans votre catalogue ?

 

Je n'ai mis que quelques vers de poètes en musique, ceux de Louise Labé (Cinq sonnets), de Clément Marot, Else Lasker-Schüler ou encore Jean de la Fontaine dans le Tombeau de Henri Ledroit. Mais je me tiens à distance de la grande poésie que je révère, principalement celle de Friedrich Hölderlin, Rainer Maria Rilke et Philippe Jaccottet, même si elle irrigue constamment ma pensée et inspire souvent les titres de mes œuvres.

 

J'ai l'impression qu'elle accompagne votre nature mélancolique mieux que la musique ne saurait le faire.

 

Je suis solitaire, plutôt introverti, toujours en quête de secret. Pour autant, je ne pense pas être mélancolique. Mais sombres sont mes choix. Sans doute en raison du contexte dans lequel j'ai grandi. Je suis né en 1945 et traîne avec moi une « germanitude » mal digérée. J'ai vu Royan en ruines et me suis posé beaucoup de questions qui, à l'époque, sont restées sans réponse, me heurtant au silence de mon entourage. Mon père m'a même interdit d'apprendre l'allemand ! Ces images et ce mystère qui planait autour d'elles sont devenues pour moi une obsession et n'ont cessé de tarauder ma nature inquiète et d'imprégner mes pensées. Des chefs d'œuvre comme Les ailes du désir de Wim Wenders et le cinéma de Fassbinder m'ont profondément marqué.

 

 

L'entente secrète avec les interprètes

 

Le solitaire que vous êtes s'est souvent entouré d'interprètes qui prennent une place importante dans le contexte de votre travail.   

 

J'ai toujours écrit ma musique en pensant à celui ou celle qui allait la jouer, dans une entente secrète entre l'interprète et moi-même. Telle fut ma collaboration avec le contre ténor Henri Ledroit pour qui j'ai composé Un déchaînement si prolongé de la Grâce en 1982. C'est pour Pierre Boumard, sublime organiste, que je commence mes Livres d'orgue : deux artistes malheureusement disparus dans la fleur de l'âge. C'est par son intermédiaire que je rencontre Jean-Christophe Revel à Plaisance-du-Gers où je vis pendant cinq ans à l'ombre de l'orgue neuf construit dans l'église du village. Celui-ci devient titulaire des orgues historiques d'Auch et grave sur le Grand orgue de la cathédrale de Chambéry Suppliques en 2013 (sorti chez Intrada) et mon Livre des dédicaces sur  l'instrument de la cathédrale de Belfort en 2015.

 


Avec Winston Choi ©Florian Chavanon

 

Chez Intrada toujours sortent en 2010 et 2014 deux intégrales retentissantes : votre musique pour piano avec Winston Choi et les sept quatuors à cordes avec les Tana, un coffret couronné par le Grand Prix du disque Charles Cros. Voilà de nouvelles collaborations fertiles !

 

La découverte de Winston Choi, jeune pianiste et compositeur canadien, est un véritable conte de fée. C'est Françoise Thinat, directrice du Concours International de Piano d'Orléans - que Choi remporte en 2002 - qui lui fait découvrir ma musique pour piano. Notre première rencontre a lieu lors du récital qu'il donne à l'Institut canadien où il me fait la surprise d'inscrire cinq de mes pièces à son programme. L'entente est immédiate et réciproque. Cet artiste hors norme n'est pas long à posséder toute ma musique pour piano qui sera gravée dans la foulée. Mes dernières pièces sont écrites pour lui et portent son indéfectible empreinte. J'ai scellé une même collaboration durable et profonde avec les prodigieux interprètes du Quatuor Tana, une phalange bruxelloise à qui j'ai dédié mon septième quatuor. Ils viennent d'enregistrer, pour mon propre label cette fois, Et il regardait le vent où je place la trompette de Raphaël Duchateau au sein des quatre cordes.    

 

Y-a-t-il des domaines de la création sonore que vous n'avez pas encore abordés ?

 

Oui, le concerto pour violon et c'est précisément ce à quoi je travaille depuis six mois. Peut-être parce que je n'avais pas encore rencontré d'interprète acceptant de collaborer avec moi et de s'investir pour créer une œuvre ambitieuse et emblématique, je n'avais jamais osé écrire de concerto pour cet instrument. Or j'ai eu sa sonorité dans la tête depuis tout petit, celle de Zino Francescatti notamment jouant le merveilleux concerto de Mendelssohn. Je me rappelle avoir échoué en 1983 dans mon projet d'écrire pour Jacques Ghestem une cadence de violon au sein de mon sextuor à cordes Dans le tumulte des flots. Cela m'avait bloqué. Je ne prétends pas concurrencer Paganini, mais je pense que l'instrument appelle une dimension virtuose que je veux assumer. Et je suis très heureux d'écrire ce concerto pour Nicolas Dautricourt qui vient d'avoir les honneurs de la presse pour la sortie de son disque Sibelius.  

 

Votre actualité est particulièrement chargée dans les mois qui suivent...

 

Il y a en effet des sorties discographiques prévues, avec Nicolas Dautricourt et la pianiste Dana Ciocarlie, qui ont enregistré La lettre au voyageur. Avec le Quatuor Tana et la pianiste Aline Piboule, le quintette Effigies, commande du Concours Piano Orléans en 2012. Le livre des dédicaces pour orgue avec Jean-Christophe Revel, et Reliquien pour piano et trompette avec Aline Piboule et Raphaël Duchateau. Côté concert, c'est l'intégrale des Propos recueillis qui est à l'affiche à Bruxelles le 21 mai. Quelques jours avant, à Paris, Winston Choi sera sur la scène de l'auditorium de la Sacem où je soufflerai – avec quelques mois de retard s'entend – mes 70 bougies d'anniversaire.

 

 

Propos recueillis par Michèle Tosi.

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    L'ŒIL ÉCOUTE

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Lucio Silla à la Philharmonie de Paris

 

Wolfgang Amadé MOZART : Lucio Silla. Opéra seria en trois actes K 316. Livret de Giovanni de Gamerra. Franco Fagioli, Olga Pudova, Allesandro Liberatore, Chiara Skerath, Ilse Eerens. Le jeune chœur de Paris. Insula Orchestra, dir. Laurence Equilbey, Concept et mise en espace : Rita Cosentino. Philharmonie de Paris 2.

 


Insula Orchestra ©Julien Mignot

 

Lucio Silla n'est plus considéré comme une œuvre mineure dans la production de Mozart : comme ses autres opera seria du début, elle est de plus en plus jouée, scéniquement ou en version de concert. C'est que Mozart fait voler en éclats bien des schémas conventionnels, celui de l'aria da capo par exemple, munie ici de longues introductions orchestrales et privée, à l'occasion, de la fameuse reprise. Surtout le génie dramatique du jeune musicien – il n'a que seize ans lors de la création en 1772 – se révèle dans toute sa force, même si contraint à une écriture virtuose pour Milan qui exigeait une manière brillante pour ses chanteurs. L'histoire s'y prête : celle de l'empereur romain Lucio Silla trahi par son ami Cecilio courtisant celle qu'il aime, Giunia, la fille de son ennemi juré Marius. Condamné à mort, Cecilio ne verra sa vie sauve que grâce à la magnanimité du potentat. Un sujet en vogue, produit du Siècle des Lumières et déjà plusieurs fois utilisé à l'opéra avant Mozart, notamment par Albinoni, Vinci, ou Hasse, et après lui par Jean Chrétien Bach ou Anfossi. Il faut dire que ce ''peplum'' plaisait au public de l'époque puisqu'emprunté à l'antique, revu et corrigé par Metastasio. Encore que le suspense politique intéressait moins que la qualité des arias attribuées aux divers personnages et les prouesses des castrats et autres divas qui les défendaient et dont on attendait fébrilement les prestations. Mozart ne les en prive pas, loin de là. Car ses morceaux flattent les registres aigus à l'envi. Mais aussi, ce qui est nouveau, offrent des nuances dans une mesure insoupçonnée jusqu'alors. C'était le cas du castrat Venenzio Rauzzini qui incarnait le rôle de Cecilio, bardé de colorature inouïes et d'une ligne de chant très aboutie. Il est tenu ici par Franco Fagioli. De main de maitre, au point que le personnage en devient le centre de l'opéra et ravit presque la vedette aux autres interprètes. Le contre ténor s'y révèle sous le meilleur jour, offrant une interprétation d'un fini exceptionnel : vocalité d'un impact impressionnant, d'abord dans l'approche du récitatif où perce l'émotion puis dans l'aria qui s'en suit, variant les couleurs et facettes du récit. Ainsi dans « Cecilio, a che t'arresti » introduisant l'aria « Quest' improvviso trèmito » au début de l'acte II, montrant l'ampleur du souffle et, durant l'air, des aigus dignes d'une soprano, pour risquer une comparaison avec les tessitures actuelles. Cet ''aria di furore'' où le jeune homme raconte sa vision de Marius, le père défunt de Giunia, fouetté par un orchestre plus qu'agité, démontre que la noirceur du dessein n'empêche pas la noblesse des sentiments. De même l'aria « Pupille amate » du III ème acte, égrène-t-il un chant piano d'un legato éblouissant. On se réjouit de l'ascension de cet artiste et de la manière judicieuse dont il choisit ses rôles. Si on a l'impression que le personnage domine, et non celui de l'empereur Silla, ses collègues ne restent pas dans l'ombre. Ainsi d'Olga Pudova, beau soprano qui fait son affaire des longues phrases dont est pourvue la partie de Giunia et ses acrobaties vocales. Qui dans l'aria de l'acte II, «  Ah se il crudel periglio » annonce Konstance de L'Enlèvement au sérail. Ou à l'air du III « Fra i pensier più funesti » libère pareil dramatisme. Du personnage titre, le ténor Alessandro Liberatore donne une manière héroïque certaine, annonçant celle d'Idomeneo. Chiara Skerath offre de Luico Cinna une prestation sympathique et un bel engagement, et Ilse Eerens est une Celia attachante, là encore d'une sûre vocalité.

 

Le jeune chœur de Paris, étudiants du département du Conservatoire à rayonnement régional, fondé par Laurence Equilbey, prête un concours aussi efficace que de qualité. De cette partition qui à bien des égards préfigure les grands drames seria ultérieurs, comme Idomeneo et même La Clemenza di Tito et ses allusions maçonniques, Lauernce Equilbey propose une approche musclée, un peu drue par endroits, pas toujours d'une extrême souplesse, ce qui met à mal certain département de son Insula Orchestra, les cuivres en particulier. Mais les cordes sont ductiles et permettent aux finales de livrer leur continuum que la chef d'orchestre ménage avec doigté. Ces morceaux concertants sont en effet d'importance, même si moins directement séduisants que les arias de solistes. Car ils renferment des inspirations mozartiennes essentielles tel l'émouvant duetto entre Giunia et Cecilio qui termine le Ier acte ou le trio qui clôt le deuxième, sommet d'expressivité tragique en ce qu'il oppose la fureur de Silla à la constance des deux jeunes gens résolus à mourir ensemble. Le concert était mis en espace par Rita Cosentino. Quelque chose de plus au demeurant car on a voulu se rapprocher d'une véritable mise en scène : mouvements intéressants quoique minimaux, environnement décoratif sommaire qui montre vite ses limites : cinq cabines paravents qu'on barbouille de graffitis (Amor, Sangue, Collera, etc.) et qu'on retourne en tous sens, une chaise symbole de la pompe impériale, des écharpes rouge sang... Une fort belle soirée nonobstant.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Mithridate loin de ses Racines...

 

Wolfgang Amadé MOZART. Mitridate, Re di Ponto. Dramma per musica en trois actes. Livret de Vittorio Amadeo Cigna-Santi d'après la tragédie éponyme de Jean Racine. Michael Spyres, Lenneke Ruiten, Myrtò Papatanasiu, David Hansen, Simona Šaturová, Sergey Romanovsky, Yves Saelens. Orchestre symphonique de La Monnaie, dir. Christophe Rousset. Mise en scène : Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil (LE LAB). Palais de La Monnaie, Bruxelles.

 


©Berndt Uhlig

 

Hasards du calendrier : un autre opera seria de jeunesse de Mozart, Mitridat Re di Ponto, était présenté à La Monnaie. Dans une salle de remplacement du fait des travaux en cours au théâtre, qui s'éternisant, ont contraint à une solution plus pérenne que les divers lieux en ville pratiqués jusqu'alors. Une construction façon toile de tente géante, fort excentrée, peu propice aux mises en scènes actuelles puisqu'offrant un plateau assez réduit et une absence de cintres. Ce pourquoi la reprise de la mise en scène encombrante de Rober Carsen, originellement prévue, a dû être abandonnée au profit d'un concours dont la palme fut attribuée à une équipe de metteurs en scène français, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, réunis sous le nom de Le LAB. Mitridate est le premier des operas serias de Mozart, précédant Lucio Silla. Il est créé à Milan en décembre 1770. Christophe Rousset souligne combien le jeune musicien s'est inspiré des maitres de l'époque, Niccolò Jommeli en particulier, et singulièrement de son dramma Armida abbandonata. Mais il y a là autre chose qu'une simple influence : un hommage plus qu'un plagiat. Soumis comme ses contemporains à la fameuse tyrannie des castrats, Mozart sacrifie à la composition d'arias extrêmement brillantes, afin de convaincre ses interprètes de ne pas succomber à la pratique des « airs de bagage » ou inclusion de morceaux d'autres musiciens, plus aptes à faire valoir leurs talents de vocalistes. Le génie du jeune prodige fait le reste et on perçoit dans cette adaptation de la tragédie de Racine – sujet au demeurant imposé par les commanditaires - un souci certain de dramatisme. Si tous les airs sont virtuoses, exigeant pour certains des prouesses vocales incroyables, les récitatifs très élaborés conduisent une trame haute en rebondissements. Les duettistes de LAB ont imaginé de transposer la tragédie de nos jours, et à Bruxelles : « quelque part au cœur d'un bâtiment de l'UE, au long des 24 heures d'un sommet de crise particulièrement intense, un politicien rebelle [Mitridate] tente de modifier les règles du jeu des institutions européennes ». Deux camps s'affrontent : les partisans du rebelle et d'autres soucieux du maintien de la stabilité de l'Union. Et de nous dire que la musique de Mozart invite « à réfléchir sur la crise d'identité actuelle de l'UE »... C'est prêter au musicien d'étonnantes intentions prospectives, encore mieux que Victor Hugo qui prédisait la constitution de « la fraternité européenne ». L'important est de savoir si cette lecture est pertinente. Force est de constater que malgré une débauche d'effets (reconstitution d'une salle du Conseil européen, flash télévisés sur divers écrans disséminés dans la salle commentant les divers épisodes de la crise, volée de drapeaux en salle, tics de régie habituels : brelans de journalistes fébriles, femmes de ménage, goutte à goutte pour le malheureux roi s'avançant vers son ''abdication''), les choses s'embrouillent à force de références appuyées à l'actualité. La trame devient de moins en moins lisible. Surtout les caractères ne ressortent pas, privés de relief. On a affaire à un parcours de crise avec ses haines et ses retours, du type ''je t'aime, moi non plus'', et non pas à un vrai drame. C'est la lutte des places et la tragédie est accaparée par une lecture vue à travers un prisme somme toute assez facile. La primauté de la vidéo devient quasi diktat, comme la pratique du filming en direct de certaines scènes : le film, diffusé simultanément à l'action, fausse le jeu en captant l'attention au détriment de l'analyse de fond. Quelques beaux moments cependant tels les duo entre Sifare et Aspasie et les deux arias de ceux-ci, à l'acte II, modèles d'émotion sensuelle.

 


Myrtò Papatanasiu & Lenneke Ruiten ©Bernt Uhlig

 

C'est que deux les deux interprètes dominent alors la situation : Lenneke Ruiten campe une Aspasie déchirée entre son devoir de promise au roi et son amour pour Sifare, résolue mais aussi fragile dans ses sentiments vis à vis du jeune homme.  La vocalité est irréprochable. Myrtò Papatanasiu offre de Sifare un portrait juste, tirant son épingle du jeu, en particulier lors de l'aria « Lungi da te » (Loin de toi) où le personnage est partagé entre un amour passion irrésistible pour Aspasie et le fait de devoir la quitter pour ne pas s'opposer au roi son père. La ligne de chant est d'une beauté spectrale, enrichie de la partie de cor obligé par laquelle Mozart en transfigure les élans ; un premier exemple de chant accompagné qui prospérera dans le quatuor instrumental de l'air ''Marten aller Arten'' de Konstanze de L'Enlèvement au sérail. Leur consœur Simona Šaturová, Ismène, n'est pas loin d'atteindre pareils sommets. La distribution masculine est en deçà. Le Farnace du contre ténor David Hansen, en apparence bien en place, n'offre pas une vocalité aboutie et si les vocalises atteignent le soprano aisément, ce n'est pas avec douceur, comme un Fagioli. Michael Spyres, affrontant en Mitridate un rôle à vrai dire impossible, laisse paraître des signes de faiblesse et la quinte aiguë est acide, sorte d'éclats stridents de vrai faux Rossini. Les deux autres ténors sont tout juste à la hauteur. Heureusement la direction sauve le show. L'empathie de Christophe Rousset pour cette musique crie l'évidence et l'Orchestre symphonique de La Monnaie prodigue brillance et style. Tempos alertes, sollicitude pour le chant et ses acrobaties souvent tendues, au fil des arias da capo que Mozart asservit à sa guise, élégance du récitatif qui donne naissance à l'air naturellement : on sent la patte du claveciniste et du musicologue soucieux des origines de l'œuvre et de sa situation au sein de la production de Mozart. Son interprétation est enthousiasmante.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Une enivrante soirée de fado... à Bruxelles !

 

 

Le Fado est consubstantiel à l'âme portugaise, mélancolique, qui aime tant chanter. Il se chante aujourd'hui dans les bars de Lisbonne ou à Coimbra, plutôt pour les touristes, mais pas seulement, à en juger par l'ambiance qui s'empare du public local lorsque le ton s'enivre. Il se livre aussi en concert par le truchement de voix flamboyantes comme celle de la grande Amalia Rogrigues. Joana Amendoeira est de cette lignée. Elle se produisait, pour la première fois au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, dans la salle de musique de chambre du Bozar. Devant un public de connaisseurs, et sans doute de la communauté portugaise de la ville européenne. Pour une soirée chaude en couleurs. Entourée de trois musiciens, Pedro Amendoeira, son frère, à la guitare portugaise, Rogiero Ferreira, à la guitare classique et Entonio Quintino, contrebasse, Joana Amendoeira va enchainer une heure et quart durant succès de toujours du répertoire et pièces plus récentes, souvent écrites pour elle. Elle a du chien dans sa robe rouge sang et sa mantille noire qu'elle rassemble tantôt sur les reins tantôt au-dessus de l'épaule, et surtout ce timbre grave, guttural qui, via une habile sonorisation, communique immédiatement la sensation non pas de tristesse, de profonde nostalgie plutôt. Elle va distiller ces chants qui sont autant de déclarations d'amour à la ville de Lisbonne, ''Lichboa'', à ses quartiers pittoresques dont l'Alfama, ou à des cités maritimes telle Viana do Castelo, et bien sûr aussi au pays Portugal. Elle glisse un hommage ému à Amalia Rodrigues. On est vite pris au jeu de cette musique au rythme sommaire, de ces tunes qui semblent proches les uns des autres, mais restent suffisamment variés pour donner l'impression de quelque chose de différent à chaque fois. Tous les morceaux sont fabriqués sur un modèle immuable : une introduction musicale, quelques couplets chantés, puis une sorte de cadence instrumentale débouchant sur une coda reprenant le chant initial. On est conquis par l'abattage de la chanteuse et la maestria de ses complices musiciens qui, lors d'une pièce, sont invités à improviser tour à tour en solo comme en manière de jazz. A ce jeu la guitare portugaise de Pedro Amendoeira fait des malheurs de ses virtuoses et imaginatives modulations. Des mots comme « saudade » frappent l'oreille et le cœur comme toute cette panoplie d'affects inhérents à la galaxie fadiste : le destin - à l'origine du mot fado, dérivé du fatum -, l'amour malheureux, la nostalgie du passé, la jalousie, le chagrin. L'exil encore, car le fado dériverait des chants de marins. Le public est invité à battre des mains et ne se fait pas prier. L'adrénaline monte vite sur le plateau et dans la salle jusqu'aux bis fêtant une talentueuse artiste.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Miroir des nostalgies : Le Chevalier à la rose

 

Richard STRAUSS : Der Rosenkavalier. Comédie pour musique en trois actes. Livret de Hugo von Hofmannsthal. Michaela Kaune, Daniela Sindram, Erwin Morley, Peter Rose, Martin Gantner, Irmgard Vilsmaier, Dietmar Kerschbaum, Eve-Maud Hubeaux, Francesco Demuro, Jan Štáva, Charles Reid, Peter Galliard, Martin Snell, Robert Worle, Ruzan Mantashyan, Caroline Colineau, Laetitia Jeanson, Olga Oussova, Emanuel Mendes, Chae Hoon Baek, Jian-Hong Zhao, Olivier Fillon, Lucio Prete. Maîtrise des Hauts-de Seine/Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris. Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris, dir. Philippe Jordan. Mise en scène : Herbert Wernicke. Opéra Bastille.

 


Acte I ©Emilie Brouchon/OnP

 

Après Capriccio en janvier, l'Opéra national de Paris reprend Le Chevalier à la rose, dans la mise en scène d'Herbert Wernicke, coproduite avec le Festival de Salzburg où elle fut initiée en 1995. On comprend ce choix tant la régie est un chef d'œuvre d'esthétisme comme savait le concevoir le régisseur allemand (1946-2002), auteur de projets mémorables comme La Calisto à La Monnaie, Moïse et Aaron au Châtelet ou Don Carlo et Les Troyens à Salzburg. Tout en la suivant de très près, Wernicke idéalise l'histoire qu'il nous conte par la perfection des images, la justesse de la direction d'acteurs, le refus des tics et poncifs de la réécriture et un souci d'aller à l'essentiel tout en respect scrupuleusement les didascalies du texte. Pour lui, Der Rosenkavalier, si intimement travaillé par Strauss à partir du texte de Hugo von Hofmannsthal, se joue « à une époque où l'on n'a pas encore cessé de rêver à une autre ». Car le monde de cette ''comédie pour musique'' est certes la Vienne de Marie-Thérèse, au glorieux passé, mais vue à un moment où tout semble devoir basculer irrémédiablement, à l'aune de la trajectoire de La Maréchale qui renonce à une aventure avec le bel Octavian, puisqu'aussi bien le temps qui passe chasse les évènements sans doute aussi vite qu'ils sont advenus. C'est elle qui inconsciemment jette l'adolescent dans les bras de Sophie, sous prétexte de respecter la tradition – imaginée de toute pièce par les auteurs – de la présentation de la rose d'argent par un factotum à la place du prétendant choisi. Drame de la nostalgie ? Du réalisme plutôt d'une femme jeune qui connait bien la vie et aura d'autres passades sans doute ! Sur fond de monde grand bourgeois, ancré dans le superficiel, dans le bling bling de l'époque, qui satisfait à la facilité dans une débauche de moyens étalés, comme le font les Faninal en leur ''stadtpalais'' grandiose. Il y a là une constellation de personnages de chair et de sang comme sait en portraiturer Strauss qui demandait à son librettiste poète d'être aussi près que possible des réalités. Wernicke traite tout cela avec une infinie élégance à l'aune de cette décoration dont il est aussi l'auteur, construite en miroirs géants qui tantôt renvoient le vide du plateau, tantôt multiplient à l'envi l'illusion d'un faste étalé, mais beau, d'une chambre (acte Ier), d'une imposante salle d'apparat (II ème acte) ou d'une auberge cossue qui se métamorphose en parc viennois (acte III). Cela parait immense, et pourtant un sentiment de proximité en émane : les personnages ne sont pas disséminés sur le vaste plateau de l'Opéra Bastille pas plus qu'ils ne l'étaient sur la large scène du Festspielhaus de Salzburg car le régisseur sait ses personnages et leur imprime ce maintien si essentiel ici, cette manière d'être qui fait sens. Si la conversation en musique s'étire un peu au Ier acte durant l'échange-exposition entre La Maréchale et le Baron Ochs, les choses prennent vite un tour différent lors du tableau du grand Lever qui suit : Wernicke n'a pas son pareil pour emplir et vider le plateau en un tournemain, comme il en sera des autres scènes de foule des deux actes suivants. Il articule même habilement ces scènes avec des plages plus intimes afin de varier les climats. L'arrivée aussi peu inopinée que possible de La Maréchale dans l'auberge au dernier acte, Wernicke l'a pensée loin du tohubohu du piège farce tendu au Baron, alors que restent seuls en scène Octavian, Ochs et le commissaire de police. Ce qui restitue tout son poids à la morale énoncée par la dame et transforme l'humiliation du rustre en vraie prise de conscience. Quelques clins d'œil amusants sont là pour rappeler que cette comédie est aussi joyeuse : la charge de la profusion qu'offrent ces maisons bourgeoises avec leur superflu, tels le chanteur muni de son flûtiste ou la théorie de domesticité chez les uns et les autres, mais aussi dans la police viennoise qui aligne outre un commissaire, quelques huit agents de rue ; et ces apparitions pour effrayer le pleutre Ochs : autant de chevaliers à la rose tous vêtus de blanc...

 


Acte II ©Emilie Brouchon/OnP

 

La représentation se signale tout autant par l'exécution musicale. Michaela Kaune, substituant une autre star, trace du personnage de La Maréchale un portrait juste et loin de tout cabotinage : une vision intériorisée et nursée avec soin. Ainsi de l'irrépressible mélancolie qui saisit le personnage bien avant son fameux monologue sur le passage du temps, même face aux débordements de son jeune amant. Le tragique qu'on oppose souvent ici ne l'est pas tant. La caractérisation de l'interprète le démontre : nullement triste, seulement pragmatique quant au cours des choses. Le grand soprano, qui prend vite son essor, épouse toutes les facettes d'un rôle qu'on sait délicat de par toutes ses nuances. L'Octavian de Daniela Sindram est un roc : grand, boyisch, conquérant, à la voix puissante et bigrement convaincante. Rien n'est fabriqué dans ce rôle pourtant travesti. Une très fine interprétation ! Si le soprano de Erin Morley est un peu juste coté puissance, les vocalises sont irréprochables (début de l'acte II) et le personnage émouvant, partagé entre répulsion d'avoir à confier son destin à Lerchenau et légitime timidité d'un amour naissant pour un garçon de sa génération. Le trio qui élève le III ème acte au rang de classique du genre, atteindra une intensité et une richesse vocale proches de l'idéal, comme le duo final des deux jeunes gens enamourés, réunis par la rose d'argent qui sera remplacée d'une rose rouge par le Pierrot Mohamed au dernier instant de l'opéra. Le baron Ochs de Peter Rose est dans la droite ligne du Pourceaugnac de Molière dont s'est inspiré Hofmannsthal pour créer son personnage de rustre libidineux. Rien de vulgaire cependant ni même de trivial car le bonhomme a de la classe et se laissera finalement berner comme un Falstaff. Le plus de cette reprise réside dans la distribution des seconds rôles : un Herr von Faninal, Martin Gantner, parfaitement caractérisé, rendant au personnage une importance insoupçonnée, une Marianne Leitmetzerin, Irmgard Vilsmaier enfin correctement chantée dans ses onomatopées du début de l'acte II, un chanteur, Francesco Demuro, formidablement déployé ''à la Pavarotti'' avec mouchoir, deux intrigants fort bien appareillés et tutti quanti... Philippe Jordan les conduit avec doigté comme il le fait des passages symphoniques, et son orchestre répand des trésors de charme ensorceleur, les bois en particulier. Voilà une lecture qui évite l'écueil de la trivialité au profit du raffinement et celui de la suavité pour une objectivité bienvenue. Si les tempos sont plutôt mesurés, l'élan ne fait pas défaut, le sens des proportions non plus. On savoure cette musique immédiatement séduisante qui mêle adroitement classicisme de bon aloi - mozartien a-t-on dit - et modernité assumée dans ses harmonies et sa rythmique osées, pas si éloignées d'une Elektra que Strauss venait tout juste de terminer, et offre une virtuosité orchestrale et une générosité mélodique irrésistibles. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Orfeo ou le fruit du travail de l'Académie de l'OnP

 

Claudio MONTEVERDI : Orfeo. Favola in musica en un prologue et cinq actes. Livret d'Allessandro Striggio fils. Pauline Texier, Tomasz Kumiega, Laure Poissonnier, Emanuela Pascu, Gemma Bhrlain, Andrly Gnatiuk, Mikhail Timoshenko, Damien Pass. Cécile Larroche, Marie Picaut, Yu Shao, Alban Dufourt, Adèle Carlier. Orchestre et Choeur des Cris de Paris, dir. Geoffroy Jourdain. Mise en scène : Julie Berès. Amphithéâtre Opéra Bastille.

 


Prologue : La Musica  ©OnP

 

Point d'orgue de la première année de fonctionnement de l'Académie de l'Opéra national de Paris, cette production de l'Orfeo de Monteverdi en montre d'évidence la fine qualité du travail. Il n'est pas si aisé de monter cette ''fable en musique'', acte de naissance officiel du genre de l'opéra, même si plusieurs tentatives (Peri, Caccini) annonçaient et ont permis cette (r)évolution. Monteverdi en cette année 1607, providentielle pour lui et pour l'histoire de la Musique, assoit le genre et ouvre la voie royale à tous ses descendants. Le mythe d'Orphée, la célébration de l'amour conjugal, il le transfigure à partir d'un livret magistral qu'il pourvoit d'une déclamation monodique, sorte de parler en musique, apte à créer un vrai drame en musique. Cette nouvelle production, les chanteurs de l'Académie de l'Opéra, mais aussi une « académicienne » en mise en scène, Mirabelle Ordinaire, l'ont porté au long de séances de travail qu'on sent intenses tant le résultat éclate de vigueur. Ils sont aidés et guidés par la mise en scène aussi originale que juste de Julie Berès. Issue du CNS d'Art dramatique de Paris, elle fonde sa propre compagnie puis est associée à des scènes nationales, dont le Quartz de Brest ou le MC2 de Grenoble. Elle propose une lecture allusive et onirique. Depuis le prologue dévolu à La Musica trônant en haut d'une immense montagne de tulle (qui astucieusement permet de dissimuler tout un arsenal d'accessoires pour la suite), elle égrène les divers tableaux sans solution de continuité, restituant l'atmosphère pastorale des deux premiers actes, puis les sombres territoires des enfers aux suivants. De beaux arrêts sur images (le premier tableau des bergers), des groupements suggestifs (les mêmes bergers entourant les deux amants), laissent place à un mouvement tournoyant assez irrésistible, les uns les autres courant comme des cabris, même parmi l'auditoire, sans que cela ne paraisse fabriqué. Les moments clés sont adroitement ménagés : le surgissement de Sylvia, la Messagère de douleur, le lamento d'Orphée, l'échange entre Proserpine et Pluton, l'arrivée d'Apollon, porteur d'apaisement et d'appel au dépassement de soi. Les gestes sont justes et l'on y croit, jusqu'à ce geste d'émasculation qu'Orphée va commettre au comble du désespoir. Dans un environnement agréablement diversifié qui a su tirer parti des contraintes du lieu, l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille, aménagé avec son plateau central demi circulaire et deux dégagements de part et d'autre : à gauche, les musiciens disposés sur les gradins, à droite une seconde aire de jeu utilisant habilement la déclivité pour prolonger le parcours allégorique. Créant une intéressante proximité musique-action-public.

 


Tomasz Kumiega ©OnP

 

Mais ce sont nos « académiciens »-chanteurs qui tiennent le show. Et ils nous épatent. A commencer par Tomasz Kumiega, Orfeo : une large voix de baryton auquel on peut prédire sans discussion un bel avenir. Le recitar cantando est assuré par une claire émission (lamento du II ème acte « tu sei morta, mia vita », ou l'immense déploration-supplication « Possente spirto » du III ème, adornée des traits des violini puis de cornetti en écho). Si la patte ''baroque'' aura bien sûr encore à se peaufiner, quelles magistrales effluves déjà dans ce cantabile qui sait croître en intensité, et ces nuances ajustées avec soin. Son Eurydice, Laure Poissonnier, hélas peu gratifiée par le musicien, offre un joli timbre aussi, parfaitement conduit. Comme il en va de la Messagère, la roumaine Emanuela Pascu, beau timbre de mezzo qui libère des envolées vers le contralto et délivre une affliction palpable lors de l'annonce du drame de la morsure du serpent. Les basses ne sont pas moins valeureuses : Andrly Gnatiuk, Caron, Mikhail Timoshenko, Pluton, et Damien Pass, un ''ancien'' de l'Atelier lyrique maison, en Apollon. Les Chœurs des Cris de Paris, qui avitaillent certains rôles solistes, dont les deux bergers de Yu Shao et d'Alban Dufourt, ajoutent à la fête. Geoffroy Jourdain aussi avec son orchestre des mêmes Cris de Paris : belle sonorité des cuivres et fort appréciable contribution des cordes. De la belle ouvrage !

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Un Wagner de comédie shakespearienne

 

Richard WAGNER : Das Liebesverbot (La défense d'aimer). Grand opéra-comique en deux actes. Livret du compositeur d'après Mesure pour mesure de William Shakespeare. Robert Bork, Benjamin Hulett, Thomas Blondelle, Marion Ammann, Agnieszka Slawinska, Wofgang Bankl, Peter Kirk, Jaroslaw Kitala, Norman Patzke, Hanne Roos, Andreas Jaeggi. Chœurs de l'Opéra national du Rhin. Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. Constantin Trinks. Mise en scène : Mariame Clément. Opéra du Rhin à Strasbourg.

 


©Klara Beck

 

Il est à peine croyable de penser que cet opéra de jeunesse de Wagner connait ici sa création scénique française... Il est certes peu donné même en Allemagne, mais pareille ignorance de ce côté-ci du Rhin laisse rêveur. Créé en 1936, à Magdebourg où le jeune musicien était chef d'orchestre, la pièce ne connut pas le succès escompté et Wagner dut se battre pour la faire présenter tant à Leipzig qu'à Berlin, en vain. Les Fées et surtout Rienzi allaient connaître meilleur accueil. Avec le recul, on peut dire que c'est du Wagner sans Wagner; encore que... L'auteur de Tristan y convoque Bellini qu'il venait de découvrir par la cantatrice Schröder-Devrient, voire Donizetti, aussi bien que l'opéra-comique français. Mais aussi l'opéra romantique allemand de Weber, ce qui confère à l'opéra un aspect singspiel et a dû en particulier inspirer les contours du personnage clé, le gouverneur Friedrich. Tout cela fait beaucoup, dira-t-on, pour un sujet puisé chez Shakespeare. Voire. De Mesure pour mesure, Wagner ne retient finalement qu'une trame qui n'a plus grand chose à voir avec l'original, et réécrite à sa guise. Déjà ! Transportant l'intrigue de Vienne à Palerme, il concentre celle-ci sur un antagonisme assez primaire entre jouissance et puritanisme, pour au final laisser triompher la première en la personne même de ce Gouverneur qui n'hésite pas à enfreindre sa propre loi, qu'il n'a sans doute jamais eu l'idée de s'appliquer à lui-même. C'est en fait une charge loufoque contre l'hypocrisie bourgeoise : l'affirmation d'une sensualité accolée à l'idée qu'on s'en fait en Italie, réfrénée par des sbires allemands rigoristes, laquelle finit par prévaloir en une licence que rien ne peut plus tarir. La gente féminine a de la ressource et la jeune novice Isabella plus d'un tour dans son sac. Tout finit moyennant chassés croisés amoureux en plusieurs mariages lors d'une scène de carnaval qui voit la déconfiture de l'intransigeant gouverneur et le triomphe de la coquette, laquelle bien sûr renonce au couvent pour épouser celui qu'elle aime, après avoir éprouvé celui dont elle sait les faiblesses. Le mélange des esthétiques musicales n'est pas gênant dans pareil sujet, somme toute assez léger, et la rivalité entre italiens du sud et allemands du nord plutôt cocasse pour éprouver la morale. Pour son premier Wagner, Mariame Clément s'en tire bien. Peut-être parce que pas taraudée par le pathos wagnérien précisément. Et puis cette touche de féminisme n'est sans doute pas pour lui déplaire, qui est bien agréable à illustrer. La lecture est originale : elle nous transporte dans un monde du début du XX ème, en fait dans le décor inique d'un grand café où tout le monde se retrouve. Ceci permet de tracer une myriade de portraits amusants parmi le chœur, qui occupe une place prépondérante dans l'opéra : les piliers de bistrots, les dames embijoutées habituées du lieu, la caisse et ses tenanciers, jusqu'à la dame pipi aux bas roses... La direction est alerte et les personnages bien vus, dont celui du gouverneur, et d'Isabella et de ses soupirants. Il est certain que le début de la pièce pâtit d'une absence de suspense et que les choses ne prennent un tour plus intéressant qu'à partir de l'entrée dans l'action du gouverneur. Les airs et duos donnent lieu à des échanges serrés et les tableaux de foule sont fort achalandés, tel ce carnaval final qui voit l'ensemble des italiens et allemands troussés en personnages de la cosmogonie wagnérienne, où l'on trouve pèle mêle les gens de La Tétralogie avec armures et couvre chefs à ailettes, Elsa et autres figures issues de Tristan ou Parsifal....Joli clin d'œil !  Auparavant les oppresseurs germains auront porté culottes de peau bavaroise et chapeau vert à blaireau.

 


©Klara Beck

 

Constantin Trinks ne tarit pas d'éloges sur cette partition qu'il a déjà dirigée à Bayreuth, en marge du Festival, en 2013 pour les célébrations du centenaire. Et cherche à tordre le cou à bien des clichés accolés à cette œuvre de jeunesse, pour en faire saillir les originalités : sa lisibilité textuelle, malgré souvent une obligation de chanter « à toute vitesse dans un syllabisme strict », sa rythmique intéressante avec ses crescendos et accélérations typiquement italiens. La direction est vivante et, passée une ouverture à vrai dire de type pot-pourri, donne une bonne idée des vertus de la pièce. En particulier de ces signes avant-coureurs d'opéras ultérieurs comme Tannhäuser; ou Le Vaisseau fantôme à travers le personnage de Friedrich, préfiguration du Hollandais. L'orchestration dense, il la traite avec un souci d'allègement. L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg répond avec foi ; ce qui mérite d'être relevé devant pareille première de répertoire. Il en va de même des Chœurs de l'ONR qui font un passionnant travail autant de chant que de composition tant la régisseuse leur demande de présence. Il est bien sûr délicat de distribuer une pièce si peu jouée et que les chanteurs n'ont pas dans leurs cordes habituelles. Le cast rassemblé s'en tire plutôt bien. A commencer par le Gouverneur Friedrich de Robert Bork, beau timbre de baryton basse, bien placé et sachant tenir le choc d'un rôle exigeant, qui le fait finir ici déguisé en Zorro lors du bal du carnaval ! L'est tout aussi celui d'Isabella, et de plus fort long, à cheval sur des parties comme celles d'Elsa ou d'Elisabeth, avec des traits annonçant le grand soprano dramatique. Marion Ammann prend de l'assurance à mesure que progresse la soirée, renforçant la stature de femme résolue et astucieuse. Il en va de même d'Agnieszka Slawinska, Mariana, et des deux ténors, Benjamin Hulett (Luzio) et Thomas Blondelle (Claudio), le premier annonçant Erik et ses airs ''à l'italienne'' du Vaisseau fantôme. Une mention particulière à Wolfgang Bankl, en Brighella, cet avatar de la comedia dell 'Arte, exemple aussi d'un vrai faux tenant de l'orthodoxie puritaine, en réalité perdu dans ses propres contradictions : n'apparait-il pas en Pierrot lors de la mascarade finale ! Ou encore à Andreas Jaeggi, Pontio Pilato - tout un programme -, ce vrai type de voix de ténor de composition qu'on aime entendre à l'Opéra.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

La Traviata ou la fête contrainte

 

Giuseppe VERDI : La Traviata. Opéra en trois actes. Livret de Francesco Maria Piave d'après La dame aux camélias d'Alexandre Dumas Fils. Maria Agresta, Bryan Hymel, Željko Lučić, Antoinette Dennefeld, Julien Dran, Fabio Previati, Boris Grappe, Luc Bertin-Hugault, Vincent Morell, Marc Chapron, Andrea Nelli. Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris, dir. Michele Mariotti. Mise en scène : Benoît Jacquot. Opéra Bastille.  

 


Maria Agresta ©OnP

 

Avec cette reprise de La Traviata, l'Opéra de Paris conclut sa trilogie initiée avec Le Trouvère et poursuivie par Rigoletto. Si on devait mesurer la bonne santé vocale de la maison, la présente distribution en fournirait un bon étalon. Car celle-ci est de haut niveau. Dans le rôle-titre, et malgré le forfait de la cantatrice annoncée - une pratique qui a tendance à devenir courante - , la jeune Maria Agresta fait un joli succès : voix bien placée, large, admirablement timbrée, qui n'a pas de difficulté à s'imposer dans les vastes espaces de l'Opéra Bastille. On la sent à l'aise dans les diverses facettes d'une partie exigeante : des colorature de « E strano! » et de la cabalette « Gioire » (Ier acte), à « Ah, no giammai! » (II) ou ces pages d'une émotion à fleur de peau vis à vis d'Alfredo, d'une vérité déchirante parce que tout bascule alors ; de cet ultime échange chez Flora, « Morte je t'aimerai encore », à l Addio del passato » délivré dans une tension inouïe. Et ce malgré un public vraiment peu attentif aux efforts déployés par l'interprète, n'hésitant pas à tousser à gorge déployée ! La caractérisation est d'autant plus méritoire que la régie est, comme on le verra, peu aidante. Mais cet artiste, qui sait visiblement combien ce portrait de femme est porteur, est bien décidée à le faire savoir. Une interprétation achevée, justement saluée. A ses côtés, l'Alfredo de Bryan Hymel est de classe : un peu enveloppé, certes - un de ses illustres prédécesseurs ne l'était-il pas aussi - mais présentant bien, pas affecté. Le « Brindisi » au Ier acte est amené naturellement et la suite évite le pathos, tout comme les deux airs du II respirent les effluves d'une jeunesse que rien n'a encore ébranlé. L'armure saura se fendre plus tard. Željko Lučić, un des grands barytons Verdi du moment, prête à Germont une faconde là aussi totalement naturelle, et les deux airs du II ème acte sont un modèle de beau cantabile, aussi bien projeté que pensé, sans trop de morgue non plus que de vaine compassion. Les autres rôles sont assurés quoique sans aura particulière. La masse chorale défend les scènes de foule des actes I et III avec précision et une tenue dramaturgique qu'on n'hésite pas à porter à son crédit. Le chef Michele Mariotti, en poste à l'Opéra de Bologne, est extrêmement attentif à ses troupes qu'il guide de main sûre. Sa vision de la pièce est intimiste, fuyant tout pathos, et ses tempos sur le versant lent. On aime la façon dont il retient le mouvement et le fait évoluer par un savant dosage des effets. Comme le souci de la couleur, celle de la clarinette par exemple, employée par Verdi pour conférer à l'expression chantée un ton tragique particulier. Des contrastes également qui habitent le champ musical et le dilatent ou le contractent au gré des événements : Mariotti les distille habilement sans rien ajouter de factice. Dès lors, ces tonalités semblent tomber sous le sens parce qu'amenées avec un vrai souci de théâtre.

 


© OnP

 

L'a-t-on côté mise en scène ? Pour sa deuxième prestation opératique - après Werther de Massenet - le cinéaste Benoît Jacquot a voulu jouer l'économie de moyens. Et miser sur quelques traits essentiels. Ne pas tomber encore dans le travers de la transposition ni dans celui consistant à déplacer l'action à l'époque précise de la composition du livret, donc de celle de Dumas. Il dit avoir cherché à ramener chacun des quatre tableaux de l'opéra « à un élément qui serait comme la partie pour le tout » : un vaste lit d'apparat au Ier, un arbre gigantesque au II ème, un escalier monumental au III ème, et de nouveau le lit au dernier. Et avoir pris pour point de départ le tableau « Olympia » d'Édouard Manet (1863) ; dont la réplique trône ici au-dessus du lit et fournit les traits d'un des personnages de l'action, Annina, la servante de Violetta, grimée en femme noire comme celle qui sur la toile veille sur la beauté nue. Ces éléments disposés épars sur le vaste plateau de Bastille sont enveloppés de noir, d'un noir irrémédiable. Le souci d'intimisme est poussé à l'extrême. Au premier acte, point de réception chez Violetta, mais un souvenir de celle-ci, avec une théorie de bonshommes de noir vêtus et hauts de forme, alignés raides, qui s'avancent et reculent. Et au troisième, des invités qui mécaniquement gravitent les degrés de l'escalier majestueux d'une demeure qu'on sent démesurée, laissant place fugitivement à une rangée de danseurs pour quelques pas plus banaux qu'affriolants. C'est que tout ce petit monde est contraint à la fête, dit-on. Certes. Mais que cela est triste, compassé, sous tendu par une direction d'acteurs elle-même réduite à peu de chose et des éclairages étouffants (« Di Povenza » dans une semi obscurité). Le dernier acte nous plonge dans une affliction sans borne, dont l'émotion ne sourd paradoxalement que peu. Au point qu'on se demande si le régisseur n'a pas, sans le vouloir, épousé la théorie exposée dans le programme de salle par Karol Beffa : Verdi aurait dans son opéra pratiqué plus l'allusion et l'ellipse qu'une construction rigoureuse, et privilégié l'invraisemblance à la vraisemblance. Selon lui, au II ème acte en particulier, « Personne n'est jamais nulle part » et cet acte « est littéralement un acte de fuites et de courants d'air ». Chacun des personnages de Violetta, de Germont, et même d'Alfredo, poursuivant ses chimères : vraie-fausse rigueur bourgeoise chez Germont, amour impossible désormais pour Violetta, descente aux enfers pour le jeune amant. Quiproquos ? Peut-être. Mélodrame : sûrement pas. Ce qui, renchérit l'auteur, fait que «  nous assistons à un ballet des absents, à un carnaval démasqué où plus personne cependant ne se reconnaît ». Cette invraisemblance, qui apparaît clairement in fine lors de l'agonie de La Traviata, « hante tout le reste de l'œuvre ». On ne l'avait en effet pas pensé de la sorte. Il n'empêche : sans vouloir revenir à l'imagerie léchée de Zefirelli ou aux raccourcis de Sivadier, la manière de Jacquot est étrange.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Shakespeare voit son Roi Lear enfin honoré d'un opéra

 

Aribert REIMANN : Lear. Opéra en deux parties. Livret de Claus H. Henneberg, d'après The Tragedy of King Lear de William Shakespeare. Bo Skovhus, Gidon Saks, Ricarda Merbeth, Erika Sunnegårdh, Annette Dasch, Andreas Scheibner, Michael Colvin, Kor-jan Dusseljee, Lauri Vassar, Andrew Watts, Andreas Conrad, Ernst Alisch, Nicolas Marie, Lucas Prisor. Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris, dir. Fabio Luisi. Mise en scène : Calixto Bieito. Opéra Garnier.

 


©Elisa Haberer/OnP

 

« Depuis Wozzeck d'Alban Berg, on a rarement expliqué de façon aussi convaincante la solitude de l'homme par son aveuglement vis à vis de ses frères ». Ainsi s'exprime celui qui est à l'origine du projet de création de l'opéra Lear en 1978, le baryton Dietrich Fischer-Dieskau, fasciné par ce personnage hors norme. A vrai dire tous y allaient à reculons : le compositeur Aribert Reimann (*1936) qui commença par décliner l'invitation mais se ravisa à mesure que le projet l'envahissait et lorsque la commande du Staatsoper de Munich devint officielle ; le librettiste Claus H. Henneberg qui reconnait s'être décidé plus par amitié pour le musicien que par conviction. Le sujet, un des plus sombres de la cosmogonie shakespearienne, emprunté à des pages effrayantes de l'histoire anglaise, en avait fait réfléchir plus d'un avant eux, Verdi en particulier, qui caressa longtemps le projet et abandonna. « Shakespeare restera toujours une provocation » relève Henneberg, et la tentation est forte de ne pas vouloir se mesurer à la limite des limites, mais irrésistible aussi la volonté de s'y confronter. Le vieux roi Lear est décidé à partager son royaume entre ses trois filles, Goneril, Regan et Cordelia. Si les deux premières acceptent volontiers, la troisième oppose un remerciement poli, sans doute plus aimante que ses sœurs. A peine le partage consommé, les deux premières, devenues rivales, vont se déchirer l'héritage tout comme leurs maris et leurs proches. Car il y a là-dedans diverses strates dans la convoitise du pouvoir et dans l'horreur. Lear sera vite confronté à la méchanceté de ses rejetons. Rencontrant le fou, donc la sagesse, il subit l'inanité des desseins de tous ces personnages qu'il a contribué à façonner. Et il aura cette phrase  « Est-ce que ces mains sont les miennes ? J'aimerais tant savoir ce que je suis ». Il mourra désespéré. Devant pareil « chaos », Reimann a écrit une œuvre d'une puissance proprement inouïe, où l'orchestre est un personnage à part entière. Un orchestre pléthorique, truffé de percussions, bourré d'effets de clusters, d'agrégats sonores immenses, pour des déchainements souvent insoutenables dans leur permanence, leur insistance. La scène de la tempête sur la lande est à cet égard d'une violence irradiante peu commune. Les plages de répit sont limitées. Et pourtant il y en a. Ainsi de la fin de la première partie où le roi et le fou sont rejoints par Tom, apparition fantomatique d'Edgar, fils de Gloucester, pour un colloque halluciné ; ou encore cette immense vague d'orchestre de cordes conventionnelles d'une intensité incandescente qui à l'antépénultième scène de l'opéra, voit Lear et sa fille Cordelia un instant réunis avant l'anéantissement final. On pense ici à l'intermède symphonique entre les deux dernières scènes de Wozzeck, ou soudain le ciel s'entrouvre sur une musique d'une saisissante et poignante beauté. L'écriture pour les voix est d'une extrême complexité. Dietrich Fischer-Dieskau lui-même reconnait avoir été « à la fois subjugué et étonné » de constater que souvent « le chanteur était totalement abandonné à lui-même, sans le moindre soutien à attendre d'un orchestre évoluant par-dessus le marché le plus souvent en nappes de quarts de tons » (in « Les sons parlent et les mots chantent » ; Buchet & Chastel). Reimann utilise le parlé chanté dans une acception elle-même multiforme : du parlé déclamé (le Fou) au parlé crié, sorte d'éructation, du parlé libre au parlé rythmé, sans intonation musicale. Mais aussi du chant pur au chant libre, voire du Sprechgesang hérité de Schönberg que le musicien travaille également à sa guise. Tout cela est bien sûr mixé et donne lieu à des accents paroxystiques contraignant l'interprète à des écarts énormes, dans l'aigu du registre par exemple, du soprano bien sûr, de la basse aussi. Les rôles ont été pensés en fonction de chanteurs bien précis : pour Lear, un grand baryton basse capable d'une émission soutenue, que le Lied aurait façonné : Dietrich Fischer-Dieskau. Les trois filles, extrêmement différentes, à l'image de leur caractère bien distinct : un grand soprano dramatique pour Goneril (Helga Dernesch à la création) ; pour Regan, un soprano plus tendu ; et s'agissant de Cordelia, un soprano plus lyrique (Julia Varady à Munich). Les maris et autres chevaliers britanniques sont campés par une panoplie de ténors, barytons et basses. Tandis que la partie d'Edgar revient à un contre ténor au large ambitus.

 


©Elisa Haberer/OnP

 

La régie de Calixto Bieito, pour ses débuts à l'OnP, surprend presque par sa volonté de respect textuel. Là où on pouvait craindre une transposition moderne - et les correspondances ne manquent pas - il propose une lecture éminemment théâtrale ancrée sur une direction serrée. L'environnement volontairement claustrophobe aide à pareille concentration : décoration de lattes de bois qui se dilatent pour laisser suinter la lumière en des effets d'une beauté spectrale, en miroir même dans la salle. Ou deviner les frénétiques allers et venues de l'ensemble des protagonistes outre ceux du chœur durant l'intermède symphonique qui scinde la première partie. La scène de la tempête renchérit en vision d'apocalypse, par un éclairage de fond de scène balayant l'entier plateau. La lumière (Franck Evin) jouera un rôle déterminant au fil des divers tableaux de la seconde partie, sorte d'enfer sur terre. Magistralement travaillées, les confrontations deviennent autant de corps à corps. Celles des deux filles Goneril et Regan qui, au-delà d'un crêpage de chignon sans merci, atteignent leur exacerbation lorsque se rejoignant presqu'à l'unisson, elles déversent leur torrent de venin. A la réplique du pauvre roi, dépossédé au-delà du croyable, « Je vous ai tout donné », ne se voit-il pas rétorquer par ces furies « Il était temps ! ». Le parcours de déchéance, Bieito le conçoit aussi à travers le prisme du vieillissement des corps : celui de Lear qui peu à peu se défait de ses attributs solides, qui finira en culotte pas nette ; celui de tel personnage muet de vieillard qui hante le plateau, signe tangible d'une décrépitude programmée, irréversible. Les empoignades et méprises entre femmes et maris ne sont pas moins effroyables, car ces Lady Macbeth en puissance n'hésitent pas à malmener l'époux sans le moindre égard. Bieito n'y va pas de main morte question coups de poing, strangulations et yeux arrachés. Les interventions du Fou ajoutent à l'irrationnel ambiant, au sarcasme aussi. Et les quelques vérités qu'il lâche sonnent comme autant de paraboles pas forcément douces à entendre, sûrement intéressantes à méditer. Il y a surtout des images qui vous clouent au fauteuil : ledit colloque entre Lear, le Fou et Tom à la fin de la première partie, d'une saisissante cruauté et pitoyable vérité : ou ces ultimes retrouvailles entre Lear et Cordelia vers la fin de l'opéra, alors qu'elle le tient sur ses genoux telle une Pietà. L'ultime trait, qui voit Lear assis au bord du plateau au-dessus du vide de la fosse d'orchestre, est tout aussi singulier, qui peu à peu éteint son sourire dans le néant.

 


Bo Skovhus & Annette Dasch ©Elisa Haberer/OnP

 

Pour tenir une telle œuvre, encore fallait-il une distribution de taille. Celle réunie est à tous égards formidable. Qui pour succéder à DFD ? Bo Skovhus en a la taille, les moyens vocaux et le charisme. Depuis les premières phrases murmurées sur un ton monocorde aux grands éclats dont est constellé le rôle, intransigeant et périlleux, tendu à l'extrême, le danois n'a pas son pareil pour tenir le choc, et en haleine le plateau. Le monologue durant la scène de la tempête est un moment de désespérance et d'aplomb vocal rares. Comme la lente course à l'abîme qui fait passer le personnage d'acteur à témoin de sa propre déchéance. Chaque geste, chaque regard est taillé à l'aune de la possession de celui qui sans doute ne doit pas laisser indemne son interprète, et en tout cas submerge le spectateur. Une prodigieuse assomption. Chacune des trois filles offre pareil magistral portrait : Ricarda Merbeth possède le soprano dramatique qui sied au personnage de Goneril, sans doute la plus harpie des trois et la plus résolue à en découdre vis à vis de tout un chacun, à travers une vocalité toujours tendue comme un arc, à la limite du cri vengeur. Il émane de ce personnage une tension proprement insoutenable souvent. Sa consœur Regan, Erika Sunnegårdh offre un soprano pas moins incandescent et un portrait tout autant ravageur dans ses trépignements et caprices de femme inassouvie. La Cordelia  d'Annette Dasch, beau soprano lyrique, en est presque réconfortante, mais le rôle est conçu de manière tout aussi tendue. C'est d'amour et de féminité que cet individu nous parle, enfin. Tous les personnages masculins des rois (de France) et princes (d'Angleterre : Albany, Cornwall, Kent, Gloster) sont défendus avec autant de perfection vocale que de présence dramatique. Se détachent encore L'Edmund d'Andreas Conrad, grand ténor expressif, et surtout l'Edgar du contre-ténor Andrew Watts qui pour ses débuts à Paris, réussit un coup de maître : à la beauté intrinsèque du timbre fait écho un impact tragique éblouissant. Le personnage parlé du Fou, Ernst Alisch, acteur vieillissant et criant de vérité dans son torse nu et ses moulinets de chapeau noir, en fait un atout majeur d'un spectacle qui dans sa force n'épargne personne. Il en va tout autant de la direction de Fabio Luisi. Pour avoir dirigé un inoubliable Wozzeck à l'Opernhaus de Zurich, on le sait en parfaite affinité avec le genre de Litteraturoper qui fleurit au XX éme siècle. La maestria n'est pas mince d'avoir amené l'orchestre de l'Opéra de Paris à pareil magma fusionnel quels que soient les départements concernés ; ceux des percussions débordant même de la fosse pour gagner les loges d'avant-scène. Dans l'acoustique si merveilleusement présente de l'Opéra Garnier, la musique de Reimann sonne particulièrement à l'aise et le compositeur, présent aux saluts finaux de cette Première, pouvait être légitimement fier de la magnificence de son œuvre. Assurément un événement !

 

Jusqu'au 12 juin.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Matthias Goerne & Christoph Eschenbach : Une curieuse impression d'inachevé….

 


Christoph Eschenbach & Matthias Goerne / DR

 

On sait le baryton allemand, Matthias Goerne, plus à l'aise dans l'exercice du lied que dans les grandes fresques opératiques, aussi ce concert de l'Orchestre de Paris qui retrouvait pour l'occasion son ancien directeur musical, le pianiste et chef allemand, Christoph Eschenbach, avait-il un parfum d'inattendu, expliquant l'affluence des grands soirs à la Philharmonie de Paris. Un programme totalement allemand, les Monologues célèbres de Wagner et la Symphonie n° 2 de Brahms. Formidable conteur dans le Lied où sa narration intimiste et son expression du « Je » font merveille, Matthias Goerne déçut dans ces monologues wagnériens, d'autant qu'on connait l'extrême difficulté de donner, pour les chanteurs, le meilleur de soi dans ces fragments d'opéra isolés où l'on doit immédiatement, dès les premières notes, recréer le climat de l'œuvre. Exercice périlleux, s'il en est, et souvent décevant…Le Monologue du roi Marke « Tatest du's wirklich ? » concluant le deuxième acte de Tristan et Isolde ouvrait le concert. Force est de reconnaitre que Mathias Goerne ne possède pas la tessiture adéquate pour ce rôle normalement échu à une basse. Sa tessiture trop légère, manquant de charisme vocal et de compassion, retirant de ce fait à cet air tout son pouvoir d'émotion. Venait ensuite le monologue du Hollandais « Die Frist ist um » sorte de confession entre parole et lyrisme où le héros évoque la malédiction qui le poursuit, dans la deuxième scène de l'acte I. Hélas, malgré une tessiture plus adaptée, le chant un peu haché du baryton fut couvert à plusieurs reprises par l'orchestre. Enfin pour conclure, les merveilleux et dramatiques Adieux de Wotan, concluant le deuxième acte de La Walkyrie. Quintessence du baryton héroïque wagnérien, Wotan y punit sa fille pour lui avoir désobéi en la plongeant dans un profond sommeil et lui dit adieu. Une des pièces les plus touchantes et les plus lyriques du répertoire, toute baignée d'amour et de tristesse que Goerne rendit de belle façon retrouvant, ici, son legato et sa capacité d'émouvoir par le ton de la confidence qu'il sait si bien exprimer dans le Lied. Après la pause, la Symphonie n° 2 de Brahms, monument du répertoire symphonique romantique allemand, composée en 1877. Elle fut créée la même année par le Phiharmonique de Vienne sous la direction de Hans Richter. Une œuvre où Christoph Eschenbach répondit immédiatement à nos craintes et retomba dans ses mauvais travers, nous livrant un discours fragmenté et confus malgré une direction quelque peu emphatique. Une impression d'inachevé qui perdura tout au long des quatre mouvements. S'attachant plus aux détails qu'à la continuité de la ligne, avec force variations de tempo, pour une narration empreinte de superficialité, le chef allemand ne parvint jamais à nous intéresser vraiment malgré les qualités musicales indéniables de l'orchestre. Un rendez-vous manqué…

 

Patrice Imbaud.

 

 

Daniel Harding et l'Orchestre de Paris : Le début d'une nouvelle ère.

 


Daniel Harding ©Chris Christodoulou

 

Le nouveau futur directeur musical de l'Orchestre de Paris retrouvait ses troupes quelques mois avant sa prise officielle de fonction en septembre prochain, date à laquelle il remplacera Paavo Järvi. Les choses changent et il faudra s'y habituer…Si la direction du chef estonien s'appuyait notamment sur un sens aigu de la dynamique et une gestique assez minimaliste, celle du chef britannique se caractérise, au contraire, par une certaine langueur, originale, tant dans le geste, ample, élégant et parfois quelque peu grandiloquent que dans la lecture de l'œuvre, s'attachant beaucoup aux détails et aux nuances, parfois aux dépens de la ligne conductrice qu'on peine quelque peu à suivre…Un concert à la Philharmonie de Paris qui avait donc valeur de test bien que Daniel Harding ait plusieurs fois dirigé la phalange parisienne depuis la date de ses débuts en 1997. Au programme, des œuvres bien connues du chef britannique, le Concerto à la mémoire d'un ange d'Alban Berg avec la violoniste Isabelle Faust en soliste et la Symphonie n°4 de Gustav Mahler avec la soprano Christina Landshamer. Un concerto de Berg à la mémoire de Marion Gropius, fille d'Alma Mahler, qui dérouta un peu par son ambiance chambriste très marquée, recueillie, presque religieuse comme une sorte de Requiem. Une interprétation dans l'esprit de la partition qui fut composée en 1935, quelques mois avant la mort du compositeur. Une œuvre inimitable où se mêlent intimement une méditation confidentielle autobiographique et un hommage à l'enfant tant aimée. Une composition dégageant une rare charge émotionnelle que l'on ne retrouva pas dans cette lecture épurée que certains auraient préféré plus engagée, plus expressionniste, plus empreinte de tension dramatique, comme celle de Christian Tetzlaff, ou encore plus poétique et tendue comme celle de Gil Shaham en 2012 avec le même orchestre sous la direction de Christoph Eschenbach. En deuxième partie, la Symphonie n° 4 de Mahler, compositeur fétiche de chef britannique, élève de Simon Rattle à Birmingham et de Claudio Abbado  à Berlin. La Quatrième se démarque des symphonies précédentes par la réduction de l'effectif orchestral, l'absence de chœur, l'absence de programme explicite mais elle s'inscrit toutefois dans la continuité par la présence du  lied « Das himmlische Leben » (La Vie céleste) tiré du « Wunderhorn », autour duquel elle se construit. Elle comprend quatre mouvements, le premier réfléchi, à l'aise, innocent mais ambigu, interprété à l'époque comme un retour à Haydn, le deuxième inquiétant, comme si la mort conduisait le bal, danse satanique au son du violon accordé un ton trop haut, aux allures de crincrin,  l'adagio suivant à la fois divinement gai et infiniment triste confirmant la figure de Janus de la Quatrième symphonie, enfin  la « Vie céleste » comme l'aboutissement de l'œuvre entreprise dans la Troisième symphonie, nous rappelant à la fois la vie céleste et le monde de l'enfance. Mahler confirme par ce Lied que l'accès au royaume du ciel est possible même s'il existe plusieurs chemins pour la maison du Père. Les joies du Paradis sont ici d'essence bien terrestre. La Quatrième symphonie a posé bien des problèmes d'interprétation lors de sa création, elle correspond à la fin d'une première étape dans la construction mahlérienne. Le compositeur se retourne pour apprécier l'ampleur du travail accompli. Comme l'affirme Max Graf, cette symphonie doit être lue à l'envers, son programme caché se révèle : un voyage dont le but est l'innocence. « La fin est l'endroit d'où nous partons » (T.S Eliot). La lecture que nous donna de cette œuvre complexe Daniel Harding nous parut là encore très originale, riche en couleurs et en nuances, profitant de toutes les occasions pour faire valoir les pupitres de l'orchestre, excellents, vents et cordes, rendant ainsi hommage à l'opulence, à la beauté et à la complexité de l'orchestration mahlérienne. Une lecture aux tempi assez lents parfois surprenants, d'une froide beauté apollinienne qui ne parvint pas, hélas, à nous émouvoir car manquant de tension, d'engagement et de continuité dans la ligne. Le lied conclusif « La Vie céleste » d'habitude si émouvant nous laissa là encore sur des regrets, la voix de Christina Landshamer manquant de projection dans la grande salle de la Philharmonie, avec un médium assez faible, de beaux aigus mais une voix détimbrée dans les pianos… Un concert en demi-teintes et une collaboration à suivre qui nous réservera probablement des surprises…

 

Patrice Imbaud.

 

 

Hélène TYSMAN à l'Institut Goethe : Un récital 100% Bach

 


DR

 

La jeune pianiste française Hélène Tysman était en concert à l'Institut Goethe de Paris dans le cadre de la saison « Piano, mon amour » organisé par les pianos Blüthner pour un court récital entièrement dédié à Bach. Lauréate de plusieurs concours internationaux comme notamment le Concours International Chopin de Varsovie, Hélène Tysman a déjà gravé une discographie essentiellement consacrée au répertoire romantique (Schumann et Chopin). Aussi pouvait-on s'étonner et se réjouir du choix de ce programme 100% Bach, la curiosité ajoutant au plaisir de l'écoute, la jeune pianiste ayant déjà été plusieurs fois remarquée par la critique, pour son jeu, son toucher et sa sensibilité pianistiques. Pourquoi s'étonner de ce programme quand on sait que Bach est un compagnon de route obligatoire de tout pianiste, quand on connait l'admiration que Chopin portait au Cantor de Leipzig, et surtout quand on constate que les deux compositeurs sont réunis, au-delà du temps, par une même et incontournable exigence dans la pratique du clavier. Un concert entièrement consacré à Bach avec La Fantaisie chromatique & Fugue BWV 903, excellente occasion de mettre en avant cette interprétation originale, plein d'allant et de liberté qui caractérise Hélène Tysman, une interprétation qui sait s'échapper des sentiers battus pour laisser place au chant, oscillant entre l'improvisation de la Fantaisie et la rigueur de la Fugue. Une ambivalence, une originalité et une excellence qu'on retrouvera tout au long du concert, dans le Prélude & Fugue BWV 854, dans la Partita n °1 BWV 825, dans le Concerto italien BWV 971 ou dans la Fugue BWV 944. Plus intériorisé et peut-être plus complexe quant à son interprétation, le Prélude et Fugue BWV 853 nous parut très intériorisé, mêlant douleur et solennité. En bref un beau récital, une interprétation aux multiples facettes, aux accents parfois « romantiques » témoignant de la liberté assumée du discours, un chant plein de couleurs qui sait profiter au mieux des possibilités offertes par l'utilisation de pianos modernes. On attend le prochain récital. Artiste à suivre…

 

Patrice Imbaud.

 

 

Superbe Tristan et Isolde au Théâtre des Champs-Elysées

 

Richard WAGNER : Tristan und Isolde. Drame musical en trois actes. Livret du compositeur d'après Gottfried von Straβburg. Torsten Kerl, Rachel Nicholls, Michelle Breedt, Steven Humes, Brett Polegato, Andrew Rees. Orchestre National de France & Chœur de Radio France, dir. Daniele Gatti. Mise en scène de Pierre Audi. Théâtre des Champs-Elysées. 

 


©Vincent Pontet

 

Simple fait du hasard et belle coïncidence, c'est précisément au Théâtre des Champs-Elysées qu'eut lieu, en 1914, la première création française originale, en langue allemande, de cet opéra mythique de Richard Wagner. Un opéra de l'amour, de la mort, de l'incomplétude où certains ont pu voir la mise en scène de la propre mort du compositeur, dans une étrange analogie entre mort et désir. Une œuvre majeure de la musique occidentale composée sur plusieurs années (1856-1859) dans un climat de turbulence affective et intellectuelle, rencontre avec Mathide Wesendonck pour une courte liaison adultère mise en abime dans l'opéra, rencontre avec Cosima qui deviendra sa deuxième épouse après sa rupture avec Minna, et découverte du Monde comme Volonté et représentation de Schopenhauer. Un bouillonnement qui conjointement avec la lecture plusieurs fois répétée des différentes versions de la légende de Tristan aboutira quelques années plus tard à la création de l'opéra en 1865 à Munich avec l'aide de Louis II de Bavière. Dans Tristan und Isolde Wagner atteint le sommet de la passion romantique. L'hymne à la nuit nous rappelle étrangement Novalis : la mort est intensément désirée car elle seule ouvre l'accès à cet empire merveilleux de la nuit, où tout devient possible. Les amants se sont affranchis de l'illusion du jour, ils aspirent à l'éternel sommeil de la mort où ils resteront à jamais unis. L'amour de Tristan et Isolde est immortel, ce qui succombe à la mort, ce sont justement les obstacles qui les empêchent de s'aimer sans fin. Au cœur de la nuit, Tristan et Isolde effectueront le retour à l'unité : une seule âme, une seule pensée, l'amour a réalisé son but : l'unique et définitive rédemption. Wagner atteint, ici, le point culminant de son pessimisme Schopenhauerien (seule la mort pourra nous délivrer de l'illusion). Le pessimisme et le caractère illusoire du monde de la représentation ne trouve une échappatoire que dans la musique qui est une présence directement manifestée faisant coïncider la Volonté et la représentation, d'où son pouvoir unique de libération. Wagner entre en contact avec l'œuvre de Schopenhauer en 1854, par l'intermédiaire de son ami Herwegh. En une année, il ne le lut pas moins de quatre fois. L'absurdité de l'existence, le mépris de l'humanité moyenne et surtout la rédemption par un art désintéressé comme la musique, voilà autant de thèmes autour desquels Wagner et Nietzsche se retrouveront pendant un temps. Rédemption grâce à l'amour, l'amour mû par l'incomplétude mais qui ne trouvera son accomplissement que dans la complétude, expliquant par ce paradoxe, sa position intermédiaire entre le mortel et l'immortel, entre l'humain et le divin. C'est cette position ambigüe de médiateur qui lui confèrera sa fonction rédemptrice. Mais la quête de la rédemption chez Wagner s'intègre également dans une recherche à la fois esthétique et morale culminant dans le concept unificateur de l'œuvre d'art totale. « Rédemption au rédempteur » qui conclura plus tard Parsifal est une exclamation, qui constitue en elle-même un blasphème et suffit à infirmer l'évolution de Wagner vers un néo christianisme. Mais cette négation du religieux, n'est pas négation du spirituel, le spirituel, c'est le religieux quand on n'a plus de nom pour le qualifier, et le refus de lui donner un contenu explicite n'empêche pas la recherche de cette dimension, notamment dans la réalisation de l'œuvre d'art. L'art devient alors substitut du sacré et l'artiste est élevé au rang de prophète, de démiurge. L'artiste est un créateur, comme dieu, il a la capacité d'amener de nouveaux objets à la vie. Il fait surgir les choses du néant (Gauchet). La musique est un art pur de l'évocation et « c'est parce qu'elle n'a pas de sens précis, parce qu'elle n'est qu'elle-même, que la musique exalte le spirituel » (Pierre Boulez) et qu'elle nous promet le rachat…Telle peut être schématiquement une des interprétations de ce drame complexe qu'est Tristan et Isolde où Wagner repousse aux ultimes limites la tonalité avec le célèbre accord initial. Un chromatisme synonyme de désir inatteignable, un chromatisme synonyme de division persistante par son absence de résolution, un chromatisme qui conduit vers l'abime… Mais revenons à la présente représentation conduite par Daniele Gatti à la tête de l'Orchestre National de France.

 


©Vincent Pontet

 

On peut, sans aucun doute, affirmer que le chef italien, déjà reconnu par Bayreuth, a renforcé avec ce Tristan tant attendu, et avec quelle éloquence et raffinement, ses galons de chef wagnérien confirmé, tant le discours musical fut animé, du Prélude jusqu'à la Mort d'Isolde, d'un exceptionnel sens de la narration, riche en couleurs et en nuances, le « National » sensuel et élégant répondant avec une étonnante réactivité et une magnifique sonorité à chacune de ses sollicitations. Des propos plus nuancés concernent la mise en scène de Pierre Audi, inexistante, réduite à une scénographie minimaliste, rehaussée par de très beaux éclairages rappelant le travail déjà ancien de Robert Wilson…A la décharge du metteur en scène, il faut reconnaitre que Tristan n'a pas besoin de vains et d'illusoires atours. D'un point de vue vocal, la surprise vint assurément de Rachel Nicholls (Isolde), remplaçant Emily Magee. Une prise de rôle véritablement enthousiasmante par la puissance et l'endurance de la voix où l'on regrettera toutefois le timbre un peu acide pénalisant la célèbre Liebestod. Torsten Kerl, habitué du rôle de Tristan, nous surprit également, assez timide vocalement dans le premier acte, faisant face, avec une certaine difficulté, à la puissance de Rachel Nicholls dans le duo d'amour et l'hymne à la nuit du deuxième acte, il sut donner sa pleine mesure vocale par l'émotion de son chant et son endurance dans l'agonie de Tristan du troisième acte. Michelle Breedt campa une Brangäne très convaincante et Brett Polegato, un Kurvenal autoritaire et guerrier, de belle tenue. Steven Humes en Roi Marke déçut quelque peu par sa tessiture trop aiguë, son manque d'autorité vocale et son absence de legato, retirant au célèbre monologue une grande partie de son charme et de son pouvoir émotionnel. En résumé, un superbe Tristan et une très belle façon pour Daniele Gatti de conclure son contrat avec le « National ». Bravo Maestro !

 

Patrice Imbaud.

 

Daniele Gatti & le « National » : Résolument chambristes

 


Daniele Gatti ©Pablo Faccinetto.

 

Après le superbe Tristan qui en surprit beaucoup par son ambiance chambriste, Daniele Gatti confirme sa vision claire et épurée de l'univers wagnérien dans cet admirable concert donné à la tête du « National » au Théâtre des Champs-Elysées. Un programme cohérent s'organisant autour du maitre de Bayreuth comprenant l'Orphée de Liszt, les Wesendonck Lieder dans leur version pour voix d'homme, chantés par le célèbre ténor Jonas Kaufmann et la Symphonie n° 7 de Bruckner. Passons rapidement sur Orphée, quatrième poème symphonique de Franz Liszt, composé en 1853, œuvre d'une grande limpidité, sorte d'hymne à la mission civilisatrice de la musique où les harpes occupent évidemment le premier plan entretenant une atmosphère transparente d'ineffable et mystérieuse Harmonie…Une pièce dont le but déclaré aujourd'hui peut faire sourire et, avouons-le, une partition de peu d'intérêt par rapport aux autres poèmes symphoniques du maitre de Weimar. Les Wesendonck Lieder sont composés en 1858 par Wagner sur des poèmes de la poétesse Mathilde Wesendonck avec laquelle il vécut une courte liaison adultère. Une image féminine, sorte de muse, qui nourrira le personnage d'Isolde, mais également à un degré moindre les autres héroïnes féminines de la La Walkyrie ou des Maitres Chanteurs. La version originale pour piano fut secondairement orchestrée par Felix Mottl (seul, Träume fut orchestré par Wagner et créé pour violon solo et petit ensemble le 23 décembre 1857 sous les fenêtres de Mathilde pour son anniversaire !!). Un cycle de cinq lieder, pièce incontournable et périlleuse, au répertoire de nombreuses sopranos wagnériennes dont il existe une transcription pour ténor. Une version rarement donnée, chantée ce soir par Jonas Kaufmann, tout juste arrivé de Munich où il chante actuellement le rôle de Walter des Maitres Chanteurs au Bayerische Staatsoper. Une interprétation admirable par son ambiance de confidence chambriste laissant se déployer le timbre sombre du ténor allemand, parfaitement soutenu par l'Orchestre National, tout en nuances et couleurs, dans un tempo d'une langoureuse lenteur. Une vocalité superlative par le timbre, la ligne, le legato et l'émotion dégagée. Une interprétation originale et pleine de charme qui enthousiasma le public conquis. La « Brucknermania » semble être une maladie contagieuse sévissant chez nombre de chefs sur les scènes parisiennes en ce moment puisqu'il ne se passe pas de semaine sans qu'on ne puisse entendre une des neuf symphonies du compositeur de Saint Florian. Autant de concerts, autant d'interprétations différentes, plus ou moins réussies, tant l'œuvre de Bruckner semble difficile à appréhender surtout en « live » ne se laissant apprivoiser que par les plus grands…La vision que nous donna l'Orchestre National de France conduit pour une des dernières fois par son directeur musical Daniele Gatti, de la Symphonie n° 7, composée en 1883 et toute empreinte de l'ombre tutélaire de Wagner, nous apparut ce soir comme particulièrement cohérente et convaincante. Originale certainement, à mille lieux des fanfares tonitruantes et des tutti assourdissants et confus, non, une lecture résolument chambriste menée sur un tempo assez lent, d'une lumineuse clarté, parfaitement en place, ample, au phrasé d'une grande souplesse, nous permettant d'apprécier l'opulence de l'orchestration et le sens de l'architecture du compositeur autrichien. Un Bruckner allégé, très intériorisé, lyrique qui nous passionna de bout en bout.

 

Patrice Imbaud.

 

Soixante dix bougies pour Jacques Lenot

 


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Ils ont traversé l'atlantique pour l'occasion. Le pianiste Winston Choi et son épouse violoniste MingHuan Xu Choi, résidant à Chicago, étaient le 17 mai dernier, sur la scène de l'Auditorium Debussy-Ravel de la Sacem pour le concert anniversaire de Jacques Lenot. Ses soixante-dix bougies n'avaient pu être soufflées en 2015 en raison des attentats de novembre à Paris. Rappelons que Winston Choi, élève de Menahem Pressler à l'Indiana University, a été lauréat du Concours de piano d'Orléans en 2002. Il est également l'interprète de l'intégrale de l'œuvre pour piano de Jacques Lenot gravée en 2010 chez Intrada.  Si la seconde partie de la soirée lui est entièrement consacrée, le pianiste partage la scène avec son épouse en début de programme, affichant, aux côtés d'œuvres solistes, les Mythes de Karol Szymanowski et les Douze duos pour violon et piano de Lenot, dont l'intégrale est donnée ce soir en création mondiale.

 

On pénètre d'emblée dans l'univers singulier du compositeur avec L'esprit de solitude, une pièce courte pour piano où le matériau très unitaire fait valoir des nuances infimes au sein d'un espace rigoureusement construit. Dans un registre plus sombre, Cités de la nuit relève d'une autre énergie du geste, avec ses contrastes abrupts et une complexité des lignes à laquelle le pianiste virtuose confère une dramaturgie éloquente. C'est pour l'anniversaire de mariage de nos deux interprètes que Jacques Lenot écrit en 2005 les Douze duos pour violon et piano, douze exercices de brièveté assumés avec brio. Dans ce colloque sentimental, aussi tendre qu'intimiste, l'écriture se renouvelle à chaque miniature. Ici le violon est conducteur, avec un soutien minimal du piano ; là c'est un « pas de deux » quasi chorégraphique ; à moins que le pianiste ne tisse la toile de fond sur laquelle s'inscrivent les figures de sa partenaire. Délicatesse et raffinement président au jeu des deux interprètes on ne peut plus complices. L'archet magistral et la brillance du timbre de MingHuan Xu Choi – lauréate, entre autre récompense, du prestigieux Curtis Institute de Philadelphie - enchantent les trois pièces de Mythes. L'œuvre est écrite en 1915 par le compositeur polonais Karol Szymanowski (1882-1937) regardant autant vers la modernité d'un Debussy que vers la mode antiquisante du début du XXème siècle. La fontaine d'Aréthuse est la pièce la plus connue des trois : musique hédoniste, séduisante autant qu'insaisissable, où la ligne expressive du violon s'inscrit sur les harmonies mouvantes du piano. Déployant leur virtuosité, Dryades et surtout Pan font naître un univers fantasque qui investit tous les registres des instruments et sollicite une palette de timbres très subtile. Le jeu fusionnel des deux musiciens captive autant qu'il émerveille.

 

Jacques Lenot est seul à l'affiche dans une seconde partie entièrement pianistique. Après Ils traversent la nuit (2007), c'est de nouveau la Grèce antique qui est convoquée dans Agalma (2008), une pièce mobilisant les ressources de la troisième pédale dite tonale du piano décuplant le champ de la résonance. Agalma est une statue divine dont il émane, selon les termes du compositeur, « un éclat énigmatique ». Le jeu habité de Winston Choi en révèle la dimension ritualisante et mystérieuse. Aussi courtes que fulgurantes les Six premières Etudes (1986), sous les doigts de magicien de Choi, ponctuent cette soirée de manière éblouissante. Les affects associés à chacune d'elle – frenetico, mesto (delirando), fantasque, lugubre… - sont autant de facettes de l'univers du compositeur. Lenot y exerce une virtuosité (Prestissimo volante) et une complexité d'écriture (Fantasque) inouïes où strates temporelles, figures rythmiques et jeux de registres se combinent et s'imbriquent dans une densité proche parfois de la saturation. Mais sans jamais inquiéter le geste éminemment libre et souverain de l'interprète qui se joue de toutes les difficultés. Le mouvement obstiné et enragé de Lugubre, brusquement stoppé dans son élan, mesure l'énergie mise à l'œuvre par notre interprète hors norme illuminant de l'intérieur la musique du compositeur.

 

Michèle Tosi.

 

 

 "L'esprit Satie" par Jean Pierre Armengaud

 


©Niki Gibbs

 

Dans le cadre du cent cinquantième anniversaire de la naissance d'Erik Satie, l'affiche du Reid Hall annonçait un concert donné par Jean Pierre Armengaud. Mais la soirée fut bien plus qu'un concert, puisque, si on a entendu la musique de Satie, elle était illustrée de son contrepoint littéraire, les textes écrits par le compositeur. Jean Pierre Armengaud connaît son Satie sur le bout des doigts du cœur et de l'âme, il en est le spécialiste incontesté puisque, outre qu'il interprète sa musique de piano, il est aussi historien et musicologue (il a écrit une biographie de 700 pages éditée par Fayard ). Les pièces écrites par Satie sont toutes de courte durée. Jean Pierre Armengaud en a joué plus d'une quarantaine entrecoupées par la lecture de quelques « contes drôlatiques ».  La musique est rarement comique, elle provoque rarement le rire mais associer la partition à son titre souvent loufoque fait glisser la musique de Satie vers une incontestable légèreté propice à la rêverie et Jean Pierre Armengaud sait parfaitement nous entraîner dans cette voie. Parfois on aurait aimé qu'il use d'une pédale aux ruptures plus raisonnables, qu'il travaille un peu plus le timbre de sa parole mais l'ensemble du "spectacle" sonne juste, comme une vraie récréation. La partition de la troisième Gnossienne est annotée "enfouissez le son" puis "munissez vous de clairvoyance, ouvrez la tête". Jean Pierre Armengaud applique ce principe à la lettre, il joue "sans orgueil"  en toute humilité, il parcourt la maison de Satie ( pauvre, il habitait une modeste chambre ! ) comme s'il était chez lui, il nous entoure de cette musique obsessionnelle souvent à mi-chemin entre le clinquant du music-hall (Satie était tapeur de piano au cabaret du "Chat noir") et l'élévation mystique tout en faisant sienne la devise de Satie : « accueillez la vérité des sons et repentez-vous des pêchés de Wagnérisme. »  Au fil des œuvres, Jean Pierre Armengaud nous régale des citations que Erik Satie glissait insidieusement dans ses partitions : la Marche funèbre de Chopin dans La Sonatine bureaucratique, la sonate n°1 de Clémenti sur laquelle sont calqués Les embryons desséchés ou encore une "pauvre" Marseillaise dans Sports et Divertissements. Le spectacle s'est achevé sur un ballet en noir et blanc puisque fut projeté Entracte, un film de René Clair d'après le ballet de Picabia sur une musique d'Erik Satie (quinze minutes, une des plus longues qu'il ait composées !), jouée alertement à l'image par Jean Pierre Armengaud. 

 

Il y a dans cette musique de Satie une jubilation simple et le secret de son interprétation. Jean Pierre Armengaud nous l'a livré tout au long de cette soirée : "C'est de joindre à la plus scrupuleuse minutie l'abandon de l'amour". Terminons par une pitoyable anecdote : pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de cette naissance de Satie, la municipalité d'Arcueil, petite ville de la banlieue parisienne ou Satie vécut (pauvrement) ses trente dernières années, avait décidé de voter une subvention pour célébrer cet anniversaire. C'était sans compter sur l'opposition farouche d'un élu du Front National qui s'opposa à cette décision sous prétexte qu'il n'était pas question de donner un centime à la mémoire d'un artiste alcoolique, anarchiste, communiste et sans talent ! Satie disait : " Plus je connais les hommes, plus j'admire les chiens". Peut-être avait-il raison.

 

Jean-François Robin.

 

 

Prélude à l'Opus 36 du Festival d'Auvers sur Oise

 


DR

 

A Auvers-sur-Oise, terres d'artistes, Pascal Escande continue l'aventure - 36ème saison - du festival avec cette année, entre autres points forts, un hommage à Charles Gounod et son « Saint François d'Assise ». C'est au très moderne conservatoire Jean-Baptiste Lully de la ville de Puteaux que le festival a préludé par le récital de deux magnifiques musiciennes, dans tous les sens du terme, Anastasia Kobekina, violoncelliste et Anna Fedorova, pianiste. Le concert débutait par les Phantasiestücke pour violoncelle et piano op.73 de Schumann. Ces trois pièces de fantaisie pour clarinette et piano ont été écrites en 1849. Bien qu'elles aient été à l'origine conçues pour clarinette et piano, Schumann a proposé que la partie de clarinette puisse également être confiée à l'alto ou au violoncelle. C'est cette dernière version que l'on a entendue ce soir. Dans la première pièce, Anastasia Kobekina a su rendre la mélancolie qu''elle contient. Anna Fedorova, en accompagnement, était très à l'écoute de son amie. Dans la deuxième fantaisie c'est l'énergie qui était sous les doigts de ces interprètes et leur dialogue était parfait. Pour la troisième, la technicité hors pair de ces deux jeunes femmes a fait sonner l'exubérance, la frénésie de la passion qui doivent être exprimées dans le finale. Le concert, à peine débuté, Anastasia Kobekina et Anna Fedorova avaient déjà conquis le public ! Anthony Girard est un compositeur dont les modes d'expression lui importent peu. Ce qui l'inspire avant toute chose c'est la poésie. En partant d'un texte de Marc Aurèle il a écrit une très belle et courte œuvre : « L'Âme du Monde ». Mystère et paix intérieure c'est ce qu'ont réussi à faire passer les deux interprètes. Un climat de douceur de sérénité a enveloppé l'auditoire. Avec la « Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur, op.19 de Serguei Rachmaninov, c'est un tout autre climat qui régnait sur scène. Elle a été composée en 1901. Rachmaninov a peu écrit pour le domaine de la musique de chambre. Dès le début de la sonate, on est transporté dans un monde tragique : pendant que le violoncelle joue une mélodie intimiste, grave, le piano est tourmenté, puis vient un magnifique dialogue, moins tendu, entre les deux instruments suivi par un andante où l'on retrouve toute la douceur et la tristesse de Rachmaninov qui confine si souvent à la dépression. Le finale est jubilatoire. Pour interpréter une telle pièce il faut vélocité, technicité et émotivité. Que possèdent ces deux jeunes interprètes ! Cette œuvre a été filmée durant un concert précédent et un DVD en a été édité. Voilà deux superbes artistes à suivre passionnément !

 

Patricia Petitbon, Les sœurs Labèque, Gautier Capuçon, Jérôme Ducros, le Quatuor Van Kuijk, Philippe Jaroussky, Jean Rondeau…toute une pléiade d'artistes va se produire à Auvers-sur-Oise pendant un mois à partir du 12 juin. Il faut y aller !

 

Pour plus d'informations : www.festival-auvers.com

 

Stéphane Loison.

 

 

Chants d'Amour !

 


Yoritsumé Matsudaïra / DR

 

La Fondation Franco-Japonaise Sasakawa a proposé une soirée exceptionnelle dans cet endroit mythique qu'est le théâtre des Bouffes du Nord. Deux grands créateurs, liés par une admiration et une amitié remarquables, Olivier Messiaen et Yoritsuné Matsudaïra ont été interprétés par Yumi Nara, soprano, accompagnée par le brillant Jay Gottlieb au piano. Yumi Nara chante ces œuvres depuis des années et ces deux compositeurs appréciaient sa musicalité, sa sensibilité, et l'émotion qu'elle apporte. On n'a pu en juger lors de concert.  Peut-être son vibrato est-il devenu plus présent au fil des années, depuis qu'en 1991, elle a chanté pour la première fois Harawi devant Messiaen. Ces « Chants d'Amour et de Mort » (1945, demandent une grande technicité et une parfaite maîtrise tant sur le ton que du point de vue du rythme. La prononciation des textes en Français n'est pas chose aisée pour un japonais mais la musicalité de cette chanteuse nous a émerveillée. Les textes étaient proposés dans un livret que seuls les japonais savent inventer, avec cette délicatesse dans l'expression et la beauté de la mise en page. Yumi Nara avait commencé son récital avec des œuvres de Yoritsuné Matsudaïra : Le Dit du Genji :Oborozukiyoni (1992), Trois ordres : Ahukotono(1994), Kokinshû :Extraits (1939-45) ; Fantaisie de Rôéi :Chant de l'ancien temps ; enfin La Grâce :Poème de juillet (1991). C'est une profonde amitié qui liait ces deux artistes. Le compositeur a spécialement écrit pour elle pendant près de 15 ans jusqu'à sa mort. Matsudaïra a commencé sa carrière sous l'influence de la musique française et on sait qu'Olivier Messiaen fut fasciné par l'esthétique de l'Asie. Ce concert de Yumi Nara et de Jay Gottlieb est un vrai acte d'amour pour ces deux musiciens du XX ème siècle.

 

Stéphane Loison.

 

 

L'ensemble Nouvelles Portées à l'Eglise du Liban

 


Marc (Hajjar) & Victor (Jacob) / DR

 

Ce n'est pas le Philharmonique de Vienne, de Berlin, de New York, ou de Londres, mais l'Ensemble Nouvelles Portées, fondé en 2014, est un orchestre en devenir avec des jeunes et brillants instrumentistes formés dans les meilleurs conservatoires français et européens. L'objectif, comme pour les deux chefs qui le dirigent, est de défendre un répertoire peu interprété. L'orchestre possède la fougue de la jeunesse et l'a montré tout au long de la soirée. La première partie a été dirigée par Marc Hajjar qui s'est fait remarquer au Concours International de Besançon 2015. C'est une œuvre du jeune compositeur Olivier Calmel (*1974) qui a débuté le concert, un musicien de grand talent qui passe de la musique de répertoire à la musique de film et au jazz avec autant de facilité dans l'écriture. Reflets d'Enfance est une œuvre en cinq parties où l'on reconnait les compositeurs qu'apprécie Calmel - Ravel, Debussy, Dukas -, la rythmique du jazz et, dans la dernière partie, une écriture que John Williams n'aurait pas reniée. L'orchestre à pris un réel plaisir à jouer cette œuvre qui va du premier éveil aux premiers désirs d'avenir. Le Concerto pour cor N° 2 de Richard Strauss a était interprété par le brillant Pierre Badol. On sait tout l'amour que portait Strauss pour cet instrument, son père ayant été soliste à l'Orchestre de la Cour de Bavière, à Munich. Le concerto a été écrit en 1942 en hommage à son père. Est-ce à cause du contexte de l'époque, mais c'est une œuvre assez intimiste, très classique, mozartienne, même si elle n'est pas d'un grand intérêt au niveau de l'écriture. L'orchestre a accompagné de manière efficace le jeune et brillant soliste.

 

Après l'entracte c'est l'autre chef, Victor Jacob, qui a pris la baguette. C'est au Royal Academy of Music qu'il a connu Marc Hajjar et qu'ils ont décidé de fonder cet orchestre. Après avoir appris le violon, chanté dans la Maîtrise de Radio France, Victor étudia la direction d'orchestre. Malgré son jeune âge, il a dirigé de nombreux orchestres. Sa direction de la Quatrième Symphonie de Beethoven était très analytique : pas de romantisme effréné, beaucoup de respect de la partition, d'énergie et de précision. L'orchestre a suivi à la lettre cette lecture moderne et on a pu ainsi apprécier tout le génie harmonique de l'écriture de Beethoven. Espérons que cet orchestre pourra poursuivre sa carrière ! Un nouvel orchestre en France, voilà une bonne nouvelle !

 

Pour tout contact, mécénat …contact@ensemblenouvellesportées.fr

 

Stéphane Loison.

 

 

Les Musiciens d'Apollinaire à l'Auditorium du Musée d'Orsay

 


©Guy Vivien

 

Du 19 au 24 mai a eu lieu l'exposition « Apollinaire, le regard du poète ». Ce fut l'occasion de rappeler l'influence du poète sur la musique. Après sa mort, plusieurs compositeurs ont mis ses mots en musique. Pour l'occasion, c'est Francis Poulenc qui était le fil rouge des concerts donnés à l'Auditorium. Après les Musiciens de l'Orchestre de la Garde Républicaine qui ont superbement interprété des œuvres de Debussy et le Sextuor pour piano et vents de Poulenc, c'est l'Ensemble Musicatreize sous la direction de Roland Hayrabedian qui a chanté Francis Poulenc, Maurice Ravel, Guy Reibel et Marius Constant. Cet ensemble marseillais existe depuis 1987. Il a gagné les Victoires de la Musique Classique en 2007, parcouru le monde et a beaucoup enregistré. Pour ce concert les textes étaient d'Apollinaire bien sûr, mais aussi d'Eluard et de Cendrars. Ravel, quant à lui, a écrit les paroles pour ses « Trois chansons ». Il a voulu à travers ces airs retrouver l'esprit de la Renaissance  : ce sont des sortes de comptines écrites pendant la guerre. Il les achèvera en 1915. Musicatreize les interpréta avec une mise en place vocale étonnante. C'est avec l'œuvre de Guy Reibel « Calliphones », écrite en 1995, que l'ensemble a le plus impressionné. C'est une œuvre pour douze voix qui est une réponse sonore aux « Calligrammes » d'Apollinaire. Comme le dit le compositeur, il s'est laissé « entraîner par le dessin du calligramme pour imaginer la musique ». L'interprétation d' « Un cigare allumé » avait quelque chose d'halluciné par la répétition de cette phrase ad libitum par toutes sortes de timbres vocaux ! Pour « Trois poèmes élastiques, pour chœur mixte », composé en 1987 par Marius Constant sur des textes de Cendras, un des chanteurs est d'abord venu les dire avec beaucoup de talent avant que l'ensemble les reprenne magnifiquement en musique. Les œuvres de Poulenc sur les poèmes d'Apollinaire et d'Eluard ont paru plus classiques mais ses mélodies sont toujours aussi belles et inventives. Au final : une heure de bonheur en chansons, c'est ce que nous a offert Musicatreize. Un bémol ! Leur tenue vestimentaire ! Si les membres de cet ensemble et leur chef sont très précis quant à la manière d'interpréter les œuvres, leur présentation laisse rêveur ! C'est bonjour tristesse ! Peut-être portent-ils ces habits depuis la naissance de l'ensemble ! Ils oublient qu'ils sont en représentation ! Un effort pourrait être fait pour le simple plaisir des yeux. Mesdames, Messieurs, le regard du spectateur aussi importe.

 

Stéphane Loison.

 

 

Désirs de l'Orient

 


Le Quatuor Küchl /DR

 

L'orientalisme traverse les collections du musée d'Orsay et la musique n'échappe pas à l'attrait pour cet Orient phantasmé. Dès les années 1830 apparaît un courant de mélodies françaises orientalisantes qu'illustreront Saint-Saëns, Ravel, Delage, Massenet. La chanteuse Amel Brahim-Djelloul nous l'avait fait entendre magnifiquement. Le Quatuor Küchl de Vienne, en interprétant Le Quatuor à Cordes de Debussy et l'arrangement pour quatuor par Ernst-Thilo Kalke des contes de Ma Mère L'Oye de Ravel, montre combien ces deux compositeurs ont aussi été fascinés par l'orientalisme musical. Le Quatuor Küchl a été fondé en 1973. Ses musiciens sont tous membres de l'Orchestre Philharmonique de Vienne. Rarement a-t-on perçu une telle complicité entre musiciens, qui se fait sentir dans les attaques, les dialogues entre les différentes voix. Dans le Quatuor de Debussy, à certains moments on avait l'impression qu'un seul instrument s'exprimait ! C'est magique d'arriver à une telle perfection ! Ce quatuor est plus spécialisé dans le répertoire du classicisme viennois mais joue aussi des œuvres du XXème. Simplicité, émotion, douceur, nous les avons savourées dans les attaques de l'altiste Henrich Koll ou du violoncelliste Robert Nagy. Précision, rigueur, musicalité, c'est ce qui impressionnent le plus dans le jeu de ce grand violoniste qu'est Rainer Küchl, secondé par le violon chantant de Daniel Froschauer. Ce concert a été une heure de musique captivante qui nous a fait redécouvrir le quatuor de Debussy et toucher du doigt combien la version quatuor de Ma Mère l'Oye est une merveille.

 

Stéphane Loison.

 

 

Prélude aux Flâneries musicales de Reims

 


Serge Prokofiev / DR

 

Exigence, éclectisme, nouveauté, attractivité, voilà ce que propose depuis 1990 les équipes qui ont participé à l'élaboration de ce festival unique en France. Cette année, pour la 27 ème édition, 53 concerts seront offerts dans 35 lieux différents ! Aujourd'hui c'est Jean-Louis Henry qui en est le Président et Jean-Philippe Collard le directeur artistique. Mais derrière eux c'est toute une organisation qui travaille toute l'année pour apporter ce plaisir musical dans toute la ville. De nombreux concerts sont gratuits mais le prix des places est très abordable. La diversité des œuvres, des formations, des artistes, est un vrai plus pour cette manifestation. Pour clore ces Flâneries, le 23 juillet l'Orchestre National de Lorraine sous la direction de Jacques Mercier va interpréter des airs de comédies musicales pour un concert pique-nique. L'année dernière celui-ci a réuni près de 18 000 personnes !  C'est dans la Basilique Saint-Remi, pour l'ouverture, que, le 23 juin, les Cris de Paris sous la direction de Geoffroy Jourdain seront venus s'exprimer dans leur répertoire qui va du baroque au contemporain.

 

Le 20 mai dernier, en guise de prélude aux Flâneries, un concert a été offert dans la Basilique Saint-Remi. Deux musiques de film, composées par Prokofiev, ont été jouées par l'Orchestre National de Lorraine sous la direction de Jacques Mercier avec la participation de la mezzo-soprano Nana Javakhidzé et le chœur Nicolas de Grigny sous la direction de Jean-Pierre Puissant. Successivement on a entendu « Lieutenant Kijé » et « Alexandre Nevsky ». C'est une gageure de jouer cette dernière cantate car elle tient beaucoup à l'excellence du chœur. Malgré la qualité de ces chanteurs et le travail qui a été fait, le chœur était un peu en dessous de ce que demande cette oeuvre. C'est une pièce typiquement russe : il faut avoir cette âme slave, ces tripes, pour chanter cet hymne à la nation Russe !  L'orchestre, lui, a pu montrer sa qualité surtout les vents et les cuivres. Nana Javakhidzé, magnifique timbre de mezzo, a été bouleversante dans l'air « Le chant des morts ». Jacques Mercier ne s'est pas ménagé pour exécuter cette bataille contre l'envahisseur Teuton alias, à l'époque de la réalisation du film, Hitler et ses hordes nazis ! Curieuse programmation lorsque a lieu en même temps une superbe exposition au Musée du Tau sur la Guerre de 14-18 et les ravages qu'elle a commis dans la ville de Reims ; comme s'est produite la venue de la Chancelière allemande pour fêter l'amitié franco – allemande ! Malgré ce petit bémol, Les Flâneries sont bien parties pour offrir de belles soirées « pétillantes » comme il se doit ! Que la fête commence !

 

Le festival se déroule du 23 juin au 12 juillet 2016. Renseignements : www.flaneriesreims.com

 

Stéphane Loison.

 

Quand le Japon se célèbre en un nôpéra

 


Noriko Baba / DR

 

Le 22 et le 23 avril a été donné en création mondiale, à la Maison de la culture du Japon, AOI, Yesterday's glory is today's dream. Cette œuvre qualifiée de « nôpéra » marie la musique contemporaine occidentale et le théâtre nô. L'histoire est celle de Rokujo, femme vieillissante, délaissée par le prince Genji et remplacée par la jeune Aoï. L'opéra lui-même se résume à la lamentation de Rokujo, Aoï n'apparaissant pas. Autant la partition, signée Noriko Baba (*1972) et interprétée par l'ensemble 2e2m (dir. Pierre Roullier) – flûte, clarinette, basson, violon, alto, violoncelle et deux performers – est chatoyante, autant le chant et la gestuelle traditionnels japonais peuvent paraître sobres, monotones et étranges au public européen non averti. La scène : sol clair sur lequel vont et viennent les musiciens tout au long du spectacle, plus un écran TV montrant le visage impassible de Rokujo, murs noirs supportant deux autres écrans, l'un pour la traduction française, l'autre passant des images d'avant. C'est cet « avant », le yesterday du titre, qui tend le drame que vit Rokujo, ex-princesse oubliée de tous. La mise en scène de Mié Coquempot contextualise cet épisode inspiré d'un récit du xive siècle dans l'univers « post-punk » d'une jeunesse japonaise désabusée. Aussi les musiciens portent-ils des perruques et des vêtements flashy, tandis que la (remarquable) chanteuse et danseuse Ryoko Aoki revêt un superbe costume dessiné par Yoshikazu Yamagata, qui emprunte à la tradition.

 

 

La compositrice a bien voulu répondre à quelques questions :

 

PJ : Voir son œuvre portée pour la première fois sur la scène est une expérience particulièrement émouvante. Avez-vous été surprise par la création de votre « nôpéra » et en avez-vous été satisfaite ?

NB : C'était une collaboration ouverte, j'ai assisté librement aux répétitions et pu donner mon opinion sans aucune restriction. Bien sûr, j'ai respecté entièrement le travail de Mié Coquempot, que j'ai d'ailleurs trouvé magnifique. Je suis satisfaite de l'ensemble, même si certaines choses ont été difficiles à accepter. On n'est jamais tout à fait d'accord, mais c'est normal, puisqu'il s'agit d'une collaboration d'artistes !

 

PJ : "AOI " est une œuvre complexe mêlant musique, théâtre et danse. C'est aussi l'opus le plus long que vous ayez composé à ce jour. Diriez-vous que c'est un ouvrage de maturité et qu'il marque un tournant dans votre parcours ?

NB : Je suis née et j'ai grandi au Japon, mais l'éducation musicale que j'y ai reçue a été totalement occidentale. C'est seulement à mon arrivée en France que je me suis posé la question de savoir d'où je venais et que je me suis intéressée à la culture de mon pays d'origine. La découverte du théâtre nô a été un véritable choc et je n'ai rien compris à cette dramaturgie, du début à la fin. Depuis, j'ai étudié le Nô en profondeur et écrit plusieurs pièces pour son chant avec l'aide de Ryoko Aoki. J'ai mis toute mon âme dans cet opéra, mais je voudrais poursuivre ma recherche : il y a encore mille possibilités qu'on peut explorer dans le dialogue !

 

PJ : À certains moments, AOI m'a fait penser à l'opéra Luci mie traditrici de Salvatore Sciarrino, non seulement à cause de l'alliance d'une sobriété quasi aérienne et d'une grande expressivité, mais aussi par ses brèves références – comme des éclats – à une musique du passé. Une mosaïque de sons très ciselée et très aboutie. Êtes-vous d'accord avec ce rapprochement et parleriez-vous à propos de votre travail d'une esthétique du miroitement ?

NB : Je vous remercie de rapprocher AOI  de Luci mie traditrici, qui est pour moi l'un des plus beaux opéras au monde ! Bien sûr, j'admire la musique de Sciarrino, mais en même temps, je pense que nous sommes très différents ; en plus il est italien ! Je suis arrivée en France il y a plus de 20 ans, et la première difficulté que j'ai rencontrée a été la différence d'expression des sentiments dans les deux cultures. Au Japon, nous estimons qu'il n'est pas beau de les exprimer d'une manière directe et que, partant, tout doit être masqué. Cela vient de notre esthétique wabi-sabi, pour laquelle la notion de beauté est associée à l'imperfection, à l'ambiguïté. Tout cela est à la base de ma musique. Produire un reflet, une ombre dans l'intensité du noir sur chaque matériau et sur l'architecture globale d'une composition : voilà ce que, naturellement, j'en suis venue à rechercher.

 

 

On l'aura compris : AOI est un spectacle composite qui joue sur la double tension dramatique et esthétique entre passé et présent, jeunesse et vieillesse, coutume et modernité. Il dure une heure et l'on ne s'ennuie pas une seconde.

 

Patrick Jézéquel.

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L'ÉDITION MUSICALE

Haut

 

FORMATION MUSICALE

 

Cécile PRUNET (livret) – Bernard COL (musique) : Erwan et les Korrigans.  Conte musical pour quatuor de clarinettes avec glockenspiel et récitant. Delatour : DLT2662.

Il s'agit d'une adaptation de l'opéra pour enfants La nuit des korrigans dont nous avons rendu compte dans la lettre d'information N° 93 de juin 2015. On pourra lire la suite à la rubrique clarinette.

 

 

VOIX

 

Abdel Rahman EL BACHA : Moment musical pour 2 sopranos et piano. Assez facile. Delatour : DLT2678.

Cette pièce est, comme son titre le laisse entendre, un hommage à Schubert et à son style. Les deux sopranos chantent très simplement en vocalises. On y retrouve beauté du langage et simplicité de l'expression. L'ensemble ne présente pas de difficulté majeure. Souhaitons que cette pièce soit largement chantée et diffusée.

 

 

 

MUSIQUE CHORALE

 

Bruno ROSSIGNOL : La mer est entrée dans les prés  pour chœur mixte SATB. Assez facile. Delatour : DLT2657.

Il y a vraiment beaucoup de charme et de poésie dans cette courte pièce qui fait penser aux « Chansons » de Poulenc. Dissonances et consonances se mêlent avec un goût parfait. Si la partition n'offre pas de difficulté spéciale, elle demandera évidemment une justesse impeccable. Mais n'est-ce pas naturel ?

 

 

Dominique RITTER : Une histoire des arts en chansons.  Opéra-chorale pour chœur mixte et orchestre de chambre. Assez facile. Delatour : DLT : 2652.

Il s'agit d'une œuvre conséquente puisqu'elle dure environ trois quart d'heure. Mais on ne s'ennuiera pas dans ce pittoresque parcours des arts de l'antiquité jusqu'à nos jours… En choisissant judicieusement dates et citations musicales (qui restent cependant discrètes), l'auteur nous raconte en musique l'histoire des arts. L'œuvre a été conçue plutôt pour une maîtrise (deux voix d'enfants et une voix d'hommes dans une partie des pièces), mais un chœur mixte classique SATB peut également très bien convenir.  L'effectif comprend si possible un piano, trois premiers violons, trois seconds, une clarinette en sib ou la, un basson, deux trompettes en ut (accessoirement une bombarde en sol et en sib). Mais l'œuvre peut être accompagnée par le piano seul… L'humour est, bien entendu, constamment présent dans cette œuvre dont le langage très varié reste cependant abordable par tous et pour tous.

 

 

 

ORGUE

 

Frédéric LEDROIT : Qui cherche la vérité écoute ma voix. Op. 57d. La Passion du Christ selon Saint Jean pour orgue. Difficile. Delatour : DLT2663.

Il s'agit d'une commande du Festival Le Printemps des Orgues pour la finale du Grand Prix d'Orgue Jean-Louis-Florentz - Académie des Beaux-Arts. Création le dimanche 22 mai 2016 à la Cathédrale d'Angers, avec le soutien de la SACEM.

Nous avons rendu compte dans notre lettre précédente (N° 103, mai 2016) du premier volet de cette Passion : on ne peut ici que redire qu'il s'agit d'une œuvre monumentale, d'une méditation sur l'ensemble de la Passion selon Saint Jean. Le commentaire de l'organiste est inséparable du texte qui est d'ailleurs donné dans la partition. Espérons que, comme l'opus 57a, ce volet de l'œuvre se trouvera bientôt sur Youtube. Deux versions sont fournies : une pour clavier de 61 notes, l'autre pour clavier de 56 notes. C'est dire combien l'auteur est favorable à toute transposition sur des instruments plus petits d'une œuvre conçue pour le nouvel orgue de la cathédrale d'Angoulême. En attendant, on ne peut que recommander d'aller écouter le premier volet sur https://www.youtube.com/watch?v=oFCGambvraw

 

 

 

Christophe MARCHAND : Praxipode.  Ensemble de trois suites pour le travail du pédalier. Delatour : DLT2618.

Après la Dactylopraxie  dont nous avons rendu compte dans la lettre 81 de mai 2014, voici le complément indispensable pour un organiste : l'étude méthodique du pédalier. Suivant le même plan que le précédent, ce recueil permet une approche progressive de l'étude du pédalier. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, c'est en même temps de l'excellente musique et l'étude de la technique n'est absolument pas séparée de l'expressivité, du phrasé, bref de tout ce qui fait le plaisir musical.

 

 

 

Benoît MERNIER : GO !  10 miniatures pour organiste débutant. Delatour : DLT2658.

On  est vraiment heureux de voir combien la littérature pour organiste débutant s'enrichit journellement. C'est sans doute parce que, désormais, beaucoup de jeunes commencent directement l'orgue sans passer par le piano, et c'est bien normal et réjouissant ! Ces miniatures sont donc une invitation à aller de l'avant sur le Grand Orgue (l'auteur joue explicitement sur les deux sens possibles de son titre). Si certaines pièces sont « manualiter » la plupart comportent l'utilisation du pédalier et on ne peut que se féliciter de ce choix : la dissociation mentale nécessaire entre mains et pieds peut ainsi s'installer tout naturellement. Les pièces sont de caractère varié et font appel à toute la richesse des timbres de l'instrument.

 

 

 

Jean-Christophe AURNAGUE : Choral, variation et Toccata sur un cantique de la Messe des morts.  Œuvre pour grand-orgue. Delatour : DLT2609.

Ce « cantique de la Messe des morts » est en fait un chant basque, et ce n'est pas pour rien que la photo de couverture représente le tombeau de Sanche le Fort, roi de Navarre, à la collégiale de Roncevaux. Si trois claviers sont souhaitables, deux peuvent tout à fait convenir. D'écriture très classique, l'œuvre est très plaisante et devrait séduire beaucoup d'interprètes. Elle joue beaucoup sur les couleurs, les timbres… Ajoutons en plus qu'elle n'offre pas de très grande difficulté.

 

 

 

PIANO (et claviers).

 

F.X. DUŠEK : Complete Sonatas for Keybord.  Edité par Vojtĕch Spurný. Urtext. Bärenreiter : BA 11513.

C'est un grand plaisir de trouver dans un recueil l'ensemble des sonates de ce compositeur tchèque de la deuxième moitié du XVIII° siècle encore trop peu connu. Les sonates sont publiées en ordre chronologique par date de publication. Elles ont été soigneusement recueillies sur les sources et paraissent donc pour la première fois en édition critique. Ce premier volume contient les dix premières sonates (sur vingt-et-un) ainsi qu'une préface et des notes critiques du plus haut intérêt.

 

 

 

Abdel Rahman EL BACHA : Préludes et chants  pour piano. Assez facile à moyen. Delatour : DLT2677.

On connait le langage à la fois si personnel et si profondément lyrique de ce pianiste-compositeur à la fois tellement libanais et tellement français… Ces pièces sont autant de petits tableaux aux titres évocateurs pleins de sensibilité et de poésie.

 

 

 

Abdel Rahman EL BACHA : Le monde des enfants.  Six pièces pour piano. Facile à moyen. Delatour : DLT2667.

Dans l'esprit de Schumann, l'auteur nous livre ici une série de petits tableaux, de « scènes », pleins de délicatesse et de charme. Il présente lui-même ses pièces avec beaucoup d'émotion et de sensibilité. Si certaines sont techniquement très faciles, elles demandent, comme pour celles de Schumann, un sens musical affiné. Comme le dit l'auteur, « la rêverie du petit soldat (de bois !) » est une pièce que peut jouer un très jeune – mais talentueux – pianiste ». Tout est dit…

 

 

 

Béla Bartók : Mikrokosmos I (vol. 1 & 2), Mikrokosmos II (vol. 3 & 4),  Mikrokosmos III, (vol 5 & 6).  Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT 50411, UT 50412, UT 50413.

Certes, il existe d'autres éditions de cette œuvre pédagogique magistrale de Béla Bartók, mais celle-ci est particulièrement remarquable par le sérieux qui a présidé à sa conception. Outre la partition elle-même, on y trouve au début de chaque volume une remarquable préface rédigée par les éditeurs, Michael Kube et Jöchen Reutter et des notes sur l'étude et l'interprétation de Peter Roggenkamp. Ajoutons qu'il s'agit d'une édition trilingue et que la traduction française de Geneviève Geffray est particulièrement réussie. Souhaitons que cette édition monumentale permette aux professeurs et aux élèves de tirer tout le profit possible de cette œuvre pédagogique majeure.

 

 

 

Hector BERLIOZ : Un Bal.  Extrait de la Symphonie fantastique. Transcription pour piano à quatre mains par Bruno Rossignol. Moyen. Delatour : DLT2656.

C'est bien sûr une gageure que de transcrire pour piano à quatre mains une œuvre aussi tributaire des timbres et de l'orchestration. Mais nous ne pouvons que nous réjouir que les pianistes puissent ainsi découvrir « de l'intérieur » une telle œuvre. On sait que pendant longtemps cette pratique a été la seule possible pour les mélomanes éloignés des salles de concert. Et si aujourd'hui nous disposons d'enregistrements toujours plus parfait, rien ne remplace la compréhension qu'on peut atteindre à travers ces types de transcription. Mieux, leur pratique nourrit ensuite l'audition aussi bien des enregistrements que des concerts et permet de mieux assimiler l'œuvre dans son originalité. Bruno Rossignol réalise cela avec beaucoup de goût grâce à sa connaissance de l'œuvre et des possibilités du piano.

 

 

 

Jean-Sébastien BACH : Le petit livre d'orgue – Orgelbüchlein  transcrit pour deux instruments à un seul clavier par François Delalande. DLT1779.

Quelle bonne idée que cette transcription de ce monument que constituent les quarante-cinq chorals du Petit livre d'orgue ! Disons tout de suite que « deux instruments à un seul clavier » désigne tout instrument à clavier, qu'il s'agisse de deux pianos acoustiques ou électriques, ou synthétiseur, ou harmonium, bref tout ce qui a un clavier polyphonique. Les mélanges sont même recommandés. A travers ces transcriptions de difficultés diverses suivant les chorals, l'auteur invite à une découverte intime de ceux-ci. La richesse de ces textes n'est pas à démontrer et le volume comporte pour chacun une analyse approfondie et des suggestions d'interprétation. Seul petite lacune, mais qui peut se combler facilement, l'absence des titres (et des textes) des chorals. Une vidéo présente sur le site de l'éditeur et sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=wMqLjt4Dp5I permettra d'entendre quelques exemples d'interprétation et à partir de là, d'imaginer les différents assemblages de clavier réalisables.

 

 

 

 

GUITARE

 

Marc LE GARS : Mémoires celtiques  pour 2 guitares. Vol. 1 et 2. Lemoine : HL 29168 et 29251.

Le premier volume comporte huit pièces, le deuxième sept. Il s'agit soit de compositions originales soit d'harmonisations de thèmes celtiques. Le tout est fait avec beaucoup de goût et dans le respect de la tradition mais dans un langage personnel à l'auteur qui reprend ici certaines de ses compositions antérieures pour guitare seule et en ajoute de nouvelles. Une fois de plus, c'est la preuve que l'authentique musique celte est bien vivante !

 

 

 

Marc LE GARS : Les Mabinogion et autres contes médiévaux du pays de Galles. Pour 2 guitares. Lemoine : HL 29169.

Toutes les indications concernant les différentes légendes et leur contenu sont très clairement expliquées dans la préface de ce recueil. Les légendes étant variées, les différentes pièces le sont aussi : l'auteur manie le lyrisme et la danse joyeuse avec l'art qu'on lui connait pour créer des paysages ou des ambiances très diverses mais toujours dans cette tradition celtique qui est son authentique langage.

 

 

 

VIOLON

 

Claude-Henry JOUBERT : Quatre fables pour violon avec accompagnement de piano. 2 – Le Baba et la Pâtissière.  Débutant. Lafitan : P.L.3076.

Après L'omelette et les fines herbes, dont nous avons rendu compte dans la lettre 95 de septembre 2015, voici donc une nouvelle gourmandise à déguster sans modération. L'histoire est, bien entendu, dramatique à souhait, mais se termine évidemment très bien. Le brave Baba viendra à bout du méchant Prince Savarin et conquerra les faveurs de la pâtissière prénommée Crème, comme il se doit… Alternent donc les passages tendres, terrifiants, lyriques. La partie de piano n'offre pas de grandes difficultés et sera avantageusement confiée à un élève. Bien entendu, une mise en scène est possible. Comme toujours avec les œuvres de Claude-henry Joubert, un professeur attentif peut tirer de cette pièce plein d'enseignements musicaux concernant les tessitures, le style… Mais faisons confiance au professeur !

 

 

 

ALTO

 

Ignace PLEYEL ( : Sonatina III.  Transcription pour alto et piano de François Méreaux. Elémentaire. Lafitan : P.L.2778.

Les musicologues s'intéresseront aux sources de cette transcription. Disons tout simplement qu'elle est très bien faite et constitue ainsi une véritable petite sonate pour alto et piano où chaque instrument joue son rôle. La partie de piano peut également convenir à un pianiste de niveau élémentaire ou moyen. C'est de la très agréable et très bonne musique.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Henri DUPARC : Sonate  pour violoncelle et piano. Delatour : DLT2553.

C'est dans leur collection « Musique & Patrimoine » que les éditions Delatour nous offrent cette première édition mondiale de cette Sonate miraculeusement rescapée de la folie destructrice de leur auteur. Olivier Laville et Camille Seghers ont réalisé cette édition et nous donne un très bel aperçu de l'œuvre sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=dZaBHS1HcT4 Souhaitons avoir l'occasion d'entendre souvent cette œuvre qui pour être « de jeunesse » n'en est pas moins parfaitement accomplie et d'une grande beauté.

 

 

Luigi BOCCHERINI : Sonate n° 1 en sib majeur  pour violoncelle et piano. Réalisation et cadence de Louis-Noël Belaubre. Delatour : DLT2263.  Les 18 autres sonates : de 2264 à 2281.

C'est un remarquable travail qui a été fait par L.-N. Belaubre. En effet, ces dix-neuf sonates inédites ont été découvertes par lui en 1962 grâce au directeur de la bibliothèque de la radio. A l'époque, on ne disposait que de six sonates éditées chez Ricordi dans une harmonisation assez éloignée du style de l'auteur. Même si Ricordi a complété son édition, c'est à un travail tout à fait personnel de réécriture dans le style de Boccherini que l'éditeur s'est livré. Les manuscrits ne comportent en effet qu'une basse non chiffrée. L'intérêt de ces sonates n'est plus à démontrer. L.-N. Belaubre en a réalisé un enregistrement avec le violoncelliste Charles Reneau, aujourd'hui épuisé (FY 011-014).

 

 

 

FLÛTE

 

Claude-Henry JOUBERT : Le pinceau d'Eugène. Une enquête du commissaire Léonard pour flûte avec accompagnement du professeur de flûte. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L. 2978.

Voici donc une de ces délectables enquêtes du commissaire Léonard dont C.-H. Joubert a le secret. Il y aura, comme d'habitude, autant de travail pour le professeur que pour l'élève, mais un travail ô combien fructueux… Outre la découverte des peintres Eugène Boudin et et Eugène Delacroix réunis en la personne d'Eugène Deladin-Boucroix, et des styles italien et américain, la pièce permet tout un travail d'improvisation passionnant : bien loin du n'importe quoi, il s'agit d'inviter l'élève et le professeur à construire la cadence et la conclusion de l'œuvre à l'aide des matériaux musicaux proposés, mais assimilés, digérés… L'auteur ne laisse pas les interprètes sans direction : la partition comporte tous les éléments nécessaires pour mener à bien ce travail aussi formateur que passionnant.

 

 

 

Gilles MARTIN : Vocalise  pour flûte traversière et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2971.

Quelle charmante vocalise, qui se déroule dans un Andantino avec un discours modulant sans cesse, tout en adoptant un discours tout à fait tonal. Mais après cette délicieuse promenade, c'est un Allegro giocoso tout guilleret et dans un do Majeur très affirmé, qui va nous conduire à une fin éclatante dans le registre aigu de l'instrument. La partie de piano est très facilement abordable. Ce sera une bien agréable manière pour les deux interprètes de s'initier à la musique de chambre.

 

 

 

Jean-François PAILLER : Le petit Éléphant en ville  pour flûte et piano. Débutant. Delatour : DLT2621.

Il n'y a rien de maladroit ou d'un peu pataud dans la promenade à travers la ville de ce charmant pachyderme. On pourra s'en persuader en allant écouter sur le site de l'éditeur ou sur Youtube cette charmante pièce (https://www.youtube.com/watch?v=zNOTsuVQpgI ). Le côté primesautier de certains passages dans la rue, avec les arrêts aux feux tricolores ne masque pas, cependant une certaine mélancolie. Nostalgie de sa forêt natale ? Bref, l'ensemble est tout à fait séduisant et original Cet éléphanteau devrait faire le bonheur de ses interprètes.

 

 

 

CLARINETTE

 

Cécile PRUNET (livret) – Bernard COL (musique) : Erwan et les Korrigans.  Conte musical pour quatuor de clarinettes avec glockenspiel et récitant. Delatour : DLT2662.

Adaptation de l'opéra pour enfants La nuit des korrigans  dont nous avons rendu compte dans notre lettre 93 de juin 2015, cette œuvre est réécrite ici pour un quatuor de clarinette de 2ème cycle, la partie de glockenspiel étant tenue à tour de rôle par un membre du quatuor. Nous écrivions alors : « L'argument est emprunté à l'imaginaire breton : korrigans et Ankou (figure de la mort) y jouent un rôle central. La musique est écrite dans un style romantique auquel se mêlent des références à la musique française du début du XX° siècle. Si l'œuvre a, évidemment, un côté très sombre, elle se termine cependant « dans un climat musical de joie et de libération, sur l'air traditionnel de la dérobée de Guingamp ». Cette nouvelle version devrait permettre à beaucoup d'écoles de musique de se lancer dans l'aventure.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Charles BALAYER : Deep south  pour quintette de saxophone. Moyen avancé. Delatour : DLT2655.

Dans ce sud profond (sud des États-Unis), l'auteur nous entraine dans les différents styles (blues, country, spirituals…) qui lui sont familiers. Thème et chorus écrits se succèdent avec un entrain qui ne se dément pas. On connait le talent de compositeur de Charles Balayer et cette nouvelle page est à la hauteur des précédentes…

 

 

 

TROMPETTE

 

Alain FLAMME : Réflexes  pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3067.

Des réflexes, il faudra en faire preuve dans cette pièce aux fréquents changements de rythme, de mesure, le tout dans un tempo assez vif… Ceci dit, il ne s'agit pas seulement d'un exercice de rythme mais surtout d'une pièce très vivante et primesautière qui, les difficultés de mise au point résolues, devraient donner beaucoup de plaisir à ses interprètes. Bien sûr, le pianiste devra être à la hauteur rythmique de son partenaire : la partie de piano n'est pas moins rythmée et dialogue constamment avec la trompette.

 

 

 

COR

 

André GUIGOU : Axel  pour cor fa ou mib  et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2984.

Voici une œuvre très poétique et très délicate qui, après nous avoir longuement promené dans un mode de fa s'installe ensuite de façon plus classique dans le fa majeur annoncé. Le tout n'est pas banal et permet au jeune débutant de se former l'oreille à des ambiances modales diverses. Rappelons qu'une des caractéristiques de cette collection est de pouvoir confier la partie de piano à un élève pas forcément virtuose et de favoriser ainsi la musique de chambre.

 

 

 

PERCUSSION

 

Wieslaw JANECZEK : Boomerang  pour caisse claire et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3059.

Le titre dit bien le propos de la pièce. Les différents types de jeu de la caisse claire rebondissent et reviennent sur le pianiste qui, avec ses contretemps, donne à la caisse claire une réponse musclée. Tout cela est bien agréable et roboratif et devrait donner du plaisir tant aux interprètes qu'aux auditeurs qui ne risquent pas de s'ennuyer en écoutant ce dialogue.

 

 

 

Denis DIONNE : Drum Tab.  Jouez tout de suite à la batterie sans connaître le solfège. Dhalmann : FD0484.

L'auteur ne prétend pas que le solfège soit inutile mais il pense pouvoir venir ainsi en aide à ceux qu'une approche trop théorique du solfège aurait rendus totalement allergique à cette discipline… Le didacticiel présent sur le site de l'éditeur démontre que cette approche sensorielle peut être tout à fait pertinente et efficace. Ce petit volume est très agréablement présenté, fonctionne par dessins très explicites et permettra, souhaitons-le, de débloquer des situations difficiles. C'est l'œuvre d'un praticien et de la batterie et de l'enseignement…

 

 

 

Laurent COULOMB : Face à face  pour deux percussionnistes et traitement électronique. Delatour : DLT2615.

Précisons que le traitement électronique se fait en temps réel à partir d'un patch MaxMSP commandé par ordinateur. Pour comprendre la philosophie de l'œuvre, qu'il est impossible de résumer ici, on se reportera au commentaire de l'auteur sur le site de l'éditeur ainsi qu'à la prévisualisation qui s'y trouve. Disons qu'il s'agit, comme le titre le suggère d'une sorte de combat entre les deux interprètes : l'auteur précise qu' « une mise en scène – voire l'intervention de danseurs – est légitimement imaginable. »

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Boris GAQUERE : Tango del vertigo.  Fantaisie pour guitare et quintette à cordes. Lemoine : 29 239 H.L.

Cette œuvre est une commande des Jeunesses Musicales du Brabant Wallon à l'occasion du 25ème anniversaire du Kaléidoscope de la guitare (festival de guitare de Rixensart, Belgique). L'ensemble n'est pas facile, mais constitue une musique très plaisante autant pour les interprètes que pour les auditeurs. Cette fantaisie est une sorte de mini-concerto où guitare et quintette à cordes (quatuor plus contrebasse) dialoguent continuellement même si la guitare a évidemment la part belle. Ce tango nous entraine dans une ambiance sud-américaine du meilleur aloi. Le tout est remarquablement écrit ce qui n'étonnera pas de la part de ce guitariste et compositeur à la carrière prometteuse.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : WOZNYA  pour bande de hautbois et musiciens débutants. Delatour : DLT2416.

WOZNYA est une pièce pour Bande de Hautbois intégrant des élèves hautboïstes et bassonistes de cycle 1 & 2. Cette œuvre a été commandée par l'association « Bémols Perplexes » sur l'impulsion de son directeur artistique : Claude Villevieille.

Il s'agit, selon l'auteur, d'une sorte de « chevauchée héroïque ». L'intérêt évident est la participation possible d'élèves de tous niveaux à une œuvre roborative qui devrait les séduire et leur donner l'envie de la musique d'ensemble. La « bande de hautbois » comporte deux hautbois, un hautbois d'amour, deux cors anglais deux bassons et un contrebasson optionnel. A cette bande viennent s'adjoindre quatre parties de hautbois et quatre parties de basson allant de débutant à fin de 1er cycle. Ces parties sont modulables en fonction des effectifs. A ces ensembles se joignent une cymbale suspendue et une caisse claire.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : LUSKELL pour bande de hautbois et musiciens débutants. Delatour : DLT 2415.

On se reportera au commentaire précédent pour la partie technique concernant cette pièce, créée en même temps. Nous reproduisons ici le commentaire de l'auteur : « Cette pièce (ternaire) commence par une introduction en forme de berceuse qui utilise les notes harmoniques des hautbois et cor anglais. Puis les percussions annoncent une partie « swinguée » qui fait la part belle aux élèves hautboïstes et bassonistes. La Bande de Hautbois se charge des refrains durant ce swing. Les élèves hautboïstes les plus avancés se retrouvent solistes le temps d'un couplet et répondent à leurs camarades durant quelques mesures. LUSKELL se termine par un tutti mêlant élèves et Bande de Hautbois. »

 

 

Daniel Blackstone.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Philippe CANGUILHEM : L'Improvisation polyphonique à la Renaissance. Paris, Classique Garnier, Coll. Arts de la Renaissance européenne, ARE 5, 2015, 263 p. —69 €.

Spécialiste de la musique de la Renaissance et des sources théoriques et pratiques — après avoir dirigé l'ouvrage intitulé : « Chanter sur le livre » à la Renaissance (Turnhout, Brepols, 2014, cf. Lettre d'information n°82, juin 2014) et rédigé un article éponyme « Singing upon the book » — Philippe Canguilhem, professeur à l'Université de Tours, aborde les problèmes du contrepoint et de l'improvisation : d'une part vocale (plain-chant, polyphonie), d'autre part instrumentale, et également de l'improvisation soit individuelle, soit collective, car tout n'est pas consigné par écrit et l'improvisation peut aussi susciter la virtuosité. Il est donc possible de chanter autre chose que ce qui est écrit.

Sa solide démarche est sous-tendue par une exploitation approfondie des traités notamment de Bartolomé Ramos de Pareja (1482), Heinrich Glarean (1516…), Adrian Petit Coclico (1552), Hermann Finck (1556), Gioseffo Zarlino (1558), Seth Calvisius (1594), Marin Mersenne (1636)… jusqu'à Carl Dahlhaus (1977). Il se réfère aussi aux différentes catégories de polyphonies improvisées établies par Klaus Jurgen Sachs, tout en tenant compte des répertoires et, plus particulièrement, ceux des Maîtrises des Cathédrales en Italie, en Espagne et également en France.

Philippe Canguilhem observe qu'il n'y a pas de corpus théorique solide à propos de la musique improvisée aux XVe et XVIe siècles, mais que la théorie poétique et rhétorique permet une certaine approche du concept. Les Humanistes florentins s'intéressent à la création spontanée, dans la mouvance d'Ange Politien (1454-1494) et de Marsile Ficin (1433-1499) qui insiste sur l'inspiration, voire l'inspiration divine ; elle est aussi immédiate. Dès l'Antiquité gréco-latine, l'improvisation poétique avait suscité l'admiration par son effet de présence (donc sans préparation) et la dimension physique de sa prestation. De plus, le public stimule l'art oratoire.

L'auteur dégage un premier point de vue : en situant la création polyphonique « entre oralité et écriture », il est évident d'associer improvisation et oralité. Il rappelle aussi la pratique de l'improvisation en langue vernaculaire, la pratique du contrepoint et met l'accent sur le fait que la composition exige une longue préparation, alors que l'improvisation est marquée par l'absence de préméditation. Cette « non-préparation » est liée à l'oralité et à l'extemporalité (cf. verbe anglais : to extemporise, signifiant improviser, c'est nous qui soulignons). Le second point de vue soulève un contresens historique consistant à introduire une différence substantielle entre l'écrit et l'oralité (p. 34). En fait, il n'y a pas de hiérarchie entre les deux, et la musique de la Renaissance est caractérisée par la relation d'interdépendance entre oralité et écriture.

Une partie porte sur les techniques, le contrepoint ad videndum (à visualiser), le chant collectif et le faux-bourdon... Enfin, la dernière concerne « le spectacle du contrepoint » sous divers aspects : émulation, vanité, virtuosité, ostentation, habileté, tendances contrapuntiques et également la pratique en Espagne (joutes contrapuntiques) et en Italie, ainsi que le recrutement. Philippe Canguilhem évoque ainsi les effets de cette pratique au XVIIe siècle, en ces termes : « lorsqu'il [Soriano] chantait, il était tel une furie infernale, puis devenait un ange en revenant au contrepoint sonore, et il était si vif dans la conduite des dissonances qu'il resta connu pour cet exercice. » (p. 235, d'après Giovanni D'Avella, 1657). En définitive, selon l'auteur, le processus de création est éloigné du concept de composition.

Actuellement, certains Conservatoires organisent des cours d'Improvisation historique, et ce thème a aussi donné lieu à des Colloques. Le livre vient donc à point nommé car, au fil des chapitres, la réalité de l'improvisation musicale est abordée sous divers angles : problème du latin, chanter « par usage », chanter sans la musique, musique improvisée à l'instrument ou encore chanter « sur le livre à l'Église » (activité quotidienne). Également reflet des tendances actuelles (fin XXe-début XXIe siècle), cette publication est complétée par une imposante Bibliographie (p. 259-263) avec références à des titres en plusieurs langues allant du XVIe siècle à nos jours et traduisant la complexité, la diversité et l'évolution du sujet magistralement traité par Philippe Canguilhem, très au fait des principes et techniques, du répertoire spécifique (illustré par de nombreux exemples musicaux) et de la pratique ancienne et actuelle. Ouvrage éclairant et sujet « dans le vent ».

 

Édith Weber.

 

Henri-Claude FANTAPIÉ : 60 ans de vie musicale de 1945 à nos jours. Paris, L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2016, Collection Univers musical, 220 p.     23, 50 €.

 

Henri-Claude Fantapié est à la fois chef d'orchestre, compositeur, disciple, entre autres, de Henri Dutilleux et de Maurice Ohanna, directeur de Conservatoire et musicologue. Il vit donc la musique au quotidien, tant en composant qu'en dirigeant, en France comme à l'étranger et plus particulièrement en Finlande. Il est au contact de nombreuses personnalités du monde musical, enseigne la direction d'orchestre, forme de jeunes instrumentistes (en Europe, Afrique, Amérique) et rayonne d'abord avec l'Orchestre de chambre Les Solistes de Paris et l'Orchestre départemental de la Jeune Philharmonie de Seine-Saint-Denis. Ses nombreuses qualifications et sa vaste expérience lui permettent de poser un regard global et personnel sur la production musicale de 1945 à nos jours.

Comme il le précise : « ce livre n'est pas une autobiographie, mais le procès-verbal partiel et partial d'une vie dans un monde en constante mutation qui va de l'immédiat Après-guerre jusqu'aux première années du XXIe siècle, en passant par mai 1968 » (quatrième de couverture). Il propose donc la réaction d'un spectateur doublé d'un acteur, d'un jeune soliste devenu chef d'orchestre avant la mode des « baroqueux » et « moderneux », à l'époque à laquelle les professeurs étaient des maîtres. Tout en sollicitant sa mémoire, il associe les faits à une réflexion personnelle et dans un esprit critique ; ils sont évoqués par des événements significatifs :

-1945 à 1965 : donc l'Après-guerre, avec les chefs d'orchestre, l'impact de la Radio et des enregistrements, sans oublier son engagement personnel de l'auteur et les problèmes esthétiques du moment.

-1965 à 1980, avec, entre autres, les institutions (Lycée La Fontaine, Cité internationale universitaire), les spectacles et concerts parisiens, les festivals ; les musiciens en vogue (Eugène Bigot, Henri Dutilleux, Igor Markévitch…, les femmes compositeurs et chefs d'orchestre) ; l'impact de mai 1968, mais aussi la musique baroque, la musique contemporaine, le jazz et le jazz hot, les chansons et disques ; 1980 à 2000, avec le renouveau baroque.

-2000 à 2005… : années marquant « la fin des utopies » : individualisme, bling-bling, culture pour tous. À ces constats s'ajoutent encore des remarques sur les Concours, stages, masterclasses… et des considérations personnelles, jazzistiques entre autres.

Cette énumération donnera aux lecteurs l'envie d'en savoir davantage. Les deux brefs « Épilogues personnels » se présentent comme un bilan dans lequel Henri-Claude Fantapié revient en arrière et relate ses débuts de chef avec l'Orchestre de Chambre de la Fondation de Monaco à la Cité internationale (Paris). Il rappelle qu'il a aussi créé Les Solistes de Paris et étendu largement son répertoire avec divers Ensembles dans la Région parisienne, puis à l'étranger. Il fait également allusion à ses activités multiples : direction d'orchestres et de Conservatoire, ainsi que compositeur et musicologue. Toutefois, c'est la direction d'orchestre qui lui a procuré le plus de satisfactions. Cette tranche de vie bien remplie est aussi étayée par 30 illustrations (dont certaines photos réalisées par l'auteur) et un choix d'articles concernant le jazz, la venue à Paris de Charles Mingus, avec des sous-titres percutants.

Ce livre original n'est donc pas une autobiographie, mais effectivement « le procès-verbal partiel et partiel » de son engagement artistique. Il révèle — au fil des pages et des personnalités citées — la face cachée de toute une époque et le cheminement artistique et professionnel de l'auteur, toujours soucieux de situer les faits et événements pris sur le vif dans leurs divers contextes : historique, événementiel (voire politique) et esthétique, avec un esprit critique associé à de solides réflexions : 60 ans dans un monde musical en mutation et vivant témoignage d'un acteur resté éloigné du « grand cirque du star-système ».

 

Édith Weber.

 

Colette MOUREY : Essai sur le son mental. De résonner… à raisonner ! (Préface d'Édith Weber), Paris, L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2016, 140 p. – 15, 50 €.

Colette Mourey est connue des lecteurs de L'Éducation musicale (cf. Lettre d'information n°101, mars 2016, avec la recension de L'intelligence musicale, livre amorçant déjà le présent essai). À la fois chercheur indépendant en Musicologie et guitariste de haut niveau, elle a été longtemps professeur de didactique et d'esthétique de la musique à l'Université de Franche-Comté (Besançon) et a participé à la formation des futurs professeurs à l'École supérieure du Professorat et de l'Éducation (ÉSPÉ). Compositeur prolifique ; on lui doit plus de 1000 compositions pour guitare, violoncelle, piano… (parues, en Suisse, dans sa collection aux Éditions Marc Reift).

Dans sa précédente publication — partant du point de vue que l'intelligence musicale est « doublement rationnelle et intuitive » —, elle démontre que « l'audition est à la fois de caractère subjectif et objectif » et nécessite une attention « aiguisée, forgée par la volonté » devant être longuement soutenue, puis met l'accent sur la finalité : l'éducation auditive réflexive. Dans le présent ouvrage, comme le précise notre Préface (p. 11-13) : elle étudie le « son mental » sous divers angles d'attaque, souligne l'existence de ce phénomène, définit son champ d'action et cerne la musique associée à la réflexion et à la pensée. Elle se réclame de la transversalité et de la transdisciplinarité, et insiste sur l'indispensable attention mentale auditive et sur l'éducation auditive réflexive, autrement dit formant le trinôme : Musique-Réflexion-Pensée. Sa démarche s'appuie, d'une part, sur la physique quantique, la dimension algorithmique dans le sillage des fractales, d'après Benoît Mandelbrot qui, comme elle le rappelle, « introduit l'analogie (la résonance) dans le raisonnement » : d'où le titre de ce livre très neuf : Essai sur le son mental – De Résonner… à Raisonner ! et, d'autre part, sur l'holisme selon Jan Christian Smuts (du grec holos, signifiant « entier »). Elle étudie donc le phénomène dans sa globalité (et non par paramètres additionnés) et au sens d'un ensemble indivisible. Elle fait intervenir le passage de la métrique à la logique ; de la mélodie à l'émotion ; de la polyphonie aux architectures mentales, puis développe les sons de la pensée et, finalement, confirme le rôle spécifique de l'intelligence musicale (cf. publication précédente), c'est-à-dire : l'intelligence rythmique, l'intelligence mélodique et l'intelligence polyphonique.

Si le son « résonne », il force aussi le lecteur à « raisonner », il ne s'agit pas d'un simple jeu de mots phonétique. En connaissance de cause et dans une optique transversale et transdisciplinaire, Colette Mourey affirme (cf. 4e de couverture) : « C'est par et au sein de l'élaboration en toute conscience de notre paysage sonore mental que nous devenons à part entière des êtres de création : auteurs des mondes que nous projetons, et dans lesquels nous expérimentons toute la mesure de notre liberté, par-delà les frontières de tout univers connu et inconnu. » Elle n'a pas fini de nous étonner. Auteur prolifique à suivre.

 

Édith Weber.

 

 

Élisabeth BRISSON : Beethoven. 1Vol  Éditions Ellipses. Collection Biographies et mythes historiques, 2016, 400p (www.editions-ellipses.fr), 24,50€.

 

Un nouvel ouvrage consacré à Beethoven peut à première vue être considéré comme surabondant. Mais très vite on constate que l'on n'est pas en présence d'une simple biographie venant s'ajouter aux nombreuses précédentes. Élisabeth Brisson dans la première partie intitulée « Les étapes de la biographie créatrice de Beethoven » entend en effet bannir toutes anecdotes sujettes à caution et donner de Beethoven l'image d'un être humain qui certes est un génie, mais n'en est pas moins un personnage de son temps, totalement dévoué à son art et conscient de sa valeur. C'est un homme d'exception certes mais qui sait ce qu'il doit à ses maîtres tels Joseph Haydn ou Johann Georg Albrechstberger. De nombreuses légendes sont mises à mal, ou du moins remises à leur niveau, comme les effets d'un caractère difficile – Élisabeth Brisson en convient – mais qui n'empêchent pas la pérennité de solides amitiés ainsi que de soutiens plutôt constants qui on permis à Beethoven de vivre correctement et d'avoir une reconnaissance auprès du public qui ne s'est jamais démentie. Sinon, comment aurait-on pu expliquer ses obsèques grandioses à Vienne ! Élisabeth Brisson nous montre un Beethoven retravaillant sans cesse ses compositions, soucieux de la qualité de leur publication. Il apparaît comme une personne négociant âprement ses contrats, mais très souvent en retard dans la livraison de ses commandes – situation somme toute très normale dans le monde artistique ! Ces retards expliquent que les premières auditons étaient souvent partielles, faisant par la suite l'objet de corrections et/ou d'ajouts non négligeables (Fidelio en est un exemple).

 

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette biographie, ce sont les développements consacrés à la relation qu'a Beethoven avec la France. Bien sûr il y a la genèse de l'Eroica, initialement intitulata Bonaparte, mais il y a aussi le sujet de Fidelio, ainsi que l'attirance pour un pays dont la capitale recèle la meilleure école de violon en Europe, avec notamment Rodolphe Kreutzer, pays qui a aussi suscité un immense espoir avec la révolution. En fait, Beethoven pendant de nombreuses années a caressé l'espoir de séjourner à Paris, estimant que ses œuvres correspondaient à la sensibilité du public français du moment. Il ne put jamais mettre son projet à exécution compte tenu du climat conflictuel en Europe. Élisabeth Brisson évite de conduire une biographie sur la base de témoignages peu fiables. Elle s'appuie sur des correspondances certaines et surtout sur les compositions du maître de Bonn, envoyant aux oubliettes la théorie énoncée par Wilhelm von Lenz autour des année 1850 des trois périodes créatrices très en vogue tout au long du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle. Élisabeth Brisson nous expose une évolution linéaire du travail de composition de Beethoven, en lien avec le contexte historique, notant que dès les premiers Opus les audaces sont là.

 

Elle donne en revanche une place essentielle à la Quatrième Symphonie op.60 qui selon elle récapitule les innovations qui parsèment ses compositions : « masse sonore de l'orchestre, des harmonies tendues, des motifs très courts associés à des attaques différenciées (pizzicato, détaché, sforzando, legato) ou à des timbres (tel le basson), des répétitions successives de notes ou d'accords très brefs. » (p.104). Elle nous donne à lire de très belles pages à l'occasion de descriptions de certaines œuvres, comme l'ouverture de Coriolan (p.109) « L'écriture musicale mise en œuvre par Beethoven manifeste l'action inévitable des forces contradictoires auxquelles l'homme est soumis, malgré sa lutte énergique qui est signe de sa liberté intérieure ».

 

Ce qui frappe dans le travail d'Élisabeth Brisson, c'est son refus de dramatiser outre mesure la vie de Beethoven ; ainsi décrit-elle avec tact ses relations avec non neveu Karl, même si elle rend compte sans fard de sa réaction suite à la tentative de suicide de Karl . Elle n'insiste pas sur la souffrance que le compositeur à pu subir du fait de sa surdité insistant plutôt sur la façon dont il dépassait cette infirmité : elle écrit à ce sujet qu'  « il est [ ] bien décidé à saisir le destin à la gueule, à ne pas se laisser abattre et à persévérer dans son amour de la vie » (p.66). Enfin elle relate la fin de Beethoven avec beaucoup de pudeur, préférant rendre compte de la solennité des obsèques suivies par une foule viennoise très importante.

 

La seconde partie de l'ouvrage est très intéressante. Elle a pour titre « La postérité paradoxale » et passe en revue ce que l'on peut considérer comme des détournements de son héritage. Ainsi l'auteure souligne-t-elle l'insistance avec laquelle ses thuriféraires l'élèvent au rang divin dès sa disparition. Plus tard, au XXème siècle, elle constate qu'il a pu être « annexé par les nazis », ce qui constitue un contre sens absolu car il est alors considéré « comme une figure idéale pour créer un consensus autour de l'idée de la supériorité de la civilisation allemande et du peuple allemand » (p.300).

 

Une troisième et dernière partie « l'actualité de Beethoven » souffre peut-être d'être partielle : certes y est soulignée l'incroyable présence des œuvres de Beethoven sur le marché des enregistrements, sa présence chaque année dans les programmes des concerts. Est aussi évoquée la démarche de certains créateurs à partir de l'image ou d'œuvres de Beethoven ; ainsi peut-on lire un long développement sur le film de Mauricio Kagel, Ludwig van : ein Bericht. Mais cette permanence du maître de Bonn aurait sans doute pu être enrichie par l'évocation du travail du chef Igor Makevitch (« Etude historique, analytique et pratique des symphonies de Beethoven (Die Sinfonien von Ludwig van Beethoven : historische analytische und praktische Studien. Leipzig. Ed Peters 1982 »). Il aurait aussi été sans doute pertinent de consacrer des développements sur les évolutions de l'interprétation. Elle est seulement esquissée quand est évoqué Furtwängler voire von Karajan pour la direction d'orchestre ou la pianiste Elly Ney. En tout cas voilà matière à la publication d'un autre ouvrage ! Mais on retiendra l'originalité de ce Beethoven d'Élisabeth Brisson : tout en humanisant son modèle, elle nous permet de comprendre son génie absolu. Elle le fait de façon très claire, sans jargon en analysant ses œuvres. Ainsi sommes-nous mieux préparés à les entendre et à les comprendre.

 

Gilles Ribardière.

 

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

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« L'Apocalypse » selon Johann Sebastian BACH, Dietrich BUXTEHUDE, Christian GEIST. 1CD K 617 Chemins du Baroque (www.rencontres-saint-ulrich.com) : CD8003. TT.:  49'14.

Dans une perspective comparative, certains éditeurs privilégient actuellement des titres thématiques autour d'un dénominateur commun, ayant l'avantage de regrouper des œuvres familières aux mélomanes qui auront plaisir à les réentendre, et parfois d'en faire découvrir d'autres. C'est le cas de ce disque du label K 617 Chemins du Baroque et des Rencontres musicales de Saint Ulrich à Sarrebourg, à l'initiative d'Alain Pacquier, ardent défenseur de la musique baroque. Cette nouvelle production associe Jean Sébastien Bach, Dietrich Buxtehude (1637-1707) et Christian Geist (1640-1711), moins connu du grand public, autour du thème de l'Apocalypse.

Apocalypse, du grec apocalypsé, a pour sens premier : « révélation ». C'est aussi le cas du dernier livre éponyme du Nouveau Testament. Ce mot peut aussi impliquer un combat, une bataille, les ennemis, la fin du monde… mais aussi l'apparition de l'Archange. Les artistes l'ont illustrée de manière très révélatrice, par exemple Jerôme Bosch (v.1450-1516) dans son tableau : Le triomphe de la Mort) ou encore Albrecht Dürer (1471-1528) dans sa célèbre gravure Les quatre Cavaliers de l'Apocalypse, à titre d'exemples.

Cette réalisation est articulée autour de la notion de bataille (Es erhub sich ein Streit (BWV 19) – Une bataille s'engagea, Cantate de J. S. Bach), de la puissance de l'Archange protecteur (Befiehl dem Engel dass er komm (BuxWV 10) – Ordonne à l'ange de venir de Dietrich Buxtehude) et de l'apparition de l'Archange (Herr Gott dich loben alle wir (BWV 130)– Seigneur Dieu, nous te louons tous de J. S. Bach, faisant notamment allusion à la création des anges et chérubins, mais aussi au dragon dans sa Cantate implorant la protection du Seigneur), sans oublier la description de la bataille de l'Archange Michel contre Satan. Comme le rappelle Alain Pacquier, il s'agissait surtout pour Christian Geist « d'évoquer également… le jeune roi en bute aux forces des ténèbres des ennemis politiques de la Suède » (Qui hostis in coelis avec allusions au dragon, au lion, à l'enfer, posant donc la question : « Qui sont ses ennemis dans les cieux ? »). Dans ce « concerto sacré », préoccupations politiques et religieuses se mêlent. 

Ces thèmes se prêtent admirablement à une évocation musicale grâce aux sonorités instrumentales — notamment hautbois, bassons, trompettes, timbales — et aux Chorals luthériens si prégnants, ainsi qu'aux Récits et Airs créant et diversifiant l'atmosphère. Les pages hautement descriptives (trompettes de la bataille, ostinatos) ou profondément méditatives et sereines sont interprétées avec musicalité et élan par l'ensemble norvégien Trondheim Barokk dirigé avec énergie et sensibilité par Sigiswald Kuijken (également violon). L'enregistrement public (8 juillet 2015), dans le cadre du Festival international de Sarrebourg, mérite les plus vifs éloges tant par l'originalité du programme que par la qualité de l'interprétation.

 

Édith Weber.

 

« Et misericordia ». Béatrice Gobin, soprano, Éric Lebrun, orgue, Patrick Simon, flûte. 1CD MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com ). TT : 56' 47.

Dans la même perspective comparative que le CD précédent (L'Apocalypse), mais pour voix seule, Béatrice Gobin (Soprano), a fait appel à Éric Lebrun (orgue, piano), Patrick Simon (flûte) et Bernard Bonnet (hautbois). À l'occasion du « Jubilé de la Miséricorde », ils ont réalisé un Récital sacré dont le programme regroupe 27 pièces allant de l'époque baroque à 2015 avec, en bonus, précisément la devise de ce Jubilé : Misericordes sicut Pater, reposant sur des sources bibliques. Il s'agit d'un chant d'action de grâce sollicitant les sept dons de l'Esprit, le réconfort et affirmant qu En toute occasion, l'amour espère et persévère », cette hymne s'inscrit en écho avec la première pièce : Magnificat. Et misericordia de Georg Philipp Telemann.

Les noms de J. S. Bach (texte allemand), G. Fr. Wolfgang Amadé Mozart et Michel-Richard Delalande  (textes latins), de même que de Nadia Boulanger (texte français) sont associés à deux improvisations d'Éric Lebrun : l'une à l'orgue sur Cor mundum crea in me Deus (en liaison avec Delalande) ; l'autre, au piano, sur O Lord, Be Merciful (en liaison avec Homer Newton Bartlett, v. 1845-1920). Le programme gravite autour de plusieurs idées : la miséricorde, la prière, l'amour, le cœur pur, la pitié, le pardon, la louange et l'action de grâce.

Béatrice Gobin, membre du Centre de Musique Baroque de Versailles, diplômée d'Études musicales (chant baroque), 2004, est sollicitée par de nombreux Chœurs : Accentus, Le Concert Spirituel, le Chœur de Chambre de Namur, la Sinfonie du Marais… Son répertoire est particulièrement varié. Sa voix pure et cristalline, s'est imposée depuis son premier enregistrement en 2002. Éric Lebrun, disciple de Gaston Litaize en orgue et de Bruno Rigutto en piano, Lauréat de nombreux Concours internationaux, est l'organiste titulaire du Grand Orgue Cavaillé-Coll de l'Église Saint-Antoine des Quinze-Vingts à Paris. Il a improvisé sur Cor mundum crea in me, Deus, à l'Orgue Yves Fossaert (1999) de l'Église Notre-Dame de Rocheservière (en Vendée) et, au piano, sur O Lord, be merciful.

À ces deux interprètes se sont joints le flûtiste Patrick Simon jouant de plusieurs instruments et l'hautboïste Bernard Bonnet, diplômé du CNSMP, membre de l'Orchestre National des Pays de la Loire. Ce « Récital sacré » s'impose par la diversité des formes : Magnificat, Aria, Miserere, Psaumes, mais aussi brèves Improvisations instrumentales, et surtout par la musicalité des interprétations sur lesquelles plane la voix si prenante et lumineuse de la soliste. Ces musiciens accompagnent, tour à tour, en souplesse et avec discrétion, Béatrice Gobin qui se distingue, entre autres, par son excellente diction et émission vocale et sa sensibilité typiquement mozartienne dans le Laudate Dominum de Mozart (n°7) ; par son calme et sa sérénité dans le Cantique « À toute âme qui pleure… » (texte de Maeterlinck extrait des 15 Chansons, 1904) de Nadia Boulanger (n°4), sans oublier la souplesse des vocalises à découvert et la justesse à toute épreuve. Voici une incontournable réalisation des Disques Monthabor, dépassant largement le prétexte de la commémoration d'un Jubilé (2016) et qui, placée sous la direction artistique de Fabrice Bravard, bénéficie d'une excellente prise de son : à retenir à divers points de vue.

 

 

Édith Weber.

 

Louis VIERNE. « Clair obscur » : Oeuvres pour orgue et pour voix et orgue. Marie-Noëlle Cros, soprano, Franck Besingrand, orgue. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com ): HORTUS 131. TT : 74' 56.

Sous le titre : Clair Obscur, également dans une optique comparative (cf. CD précédents), Marie-Noëlle Cros (Soprano) — soliste d'oratorio et spécialiste d'un répertoire allant de Monteverdi à Verdi, se produit souvent à Paris (Saint-Germain-des-Prés, Saint-Séverin…) avec l'Orchestre de la Garde Républicaine, l'Orchestre Paul Kuentz et à l'étranger, notamment en Pologne, Lituanie… Elle est associée à Franck Besingrand — professeur d'orgue au CRD de l'Aveyron et concertiste international — à l'Orgue Théodore Puget de l'Église Saint-Amans de Rodez, instrument à 3 claviers, grand orgue, positif expressif, récit expressif et pédale ; avec plusieurs 16' et de nombreux 8' formant le Duo Voce Humana qui a le mérite de mieux faire connaître des pages de Louis Vierne (1870-1937).

Cette réalisation discographique s'impose d'emblée par l'introduction massive à l'orgue : Hymne au Soleil (Pièces de Fantaisie, Deuxième Suite op. 53) de ce « musicien pur » qui « chante sa joie, ses douleurs, sa colère, son espérance, sa foi », comme le rappelle Fr. Besingrand, auteur d'une biographie sur le compositeur : « cette profession de foi de Louis Vierne résume son art. Son lyrisme si personnel, sombre ou gorgé de lumière, chante au plus haut point cette douleur transfigurée. » Cette citation peut s'appliquer à l'ensemble des œuvres programmées comprenant, pour orgue, les pièces : Choral de la Deuxième Symphonie (op. 20), Adagio de la Troisième, Scherzetto (en style libre) op. 31, Cathédrales (4e Suite op. 55), Prélude de la Quatrième Symphonie et, pour finir en force — comme au début — l'incontournable Carillon de Westminster  (4e Suite op. 54, créé par le compositeur à Notre-Dame en 1927), imposant tourbillon sonore.

Les œuvres pour voix et orgue (ou piano), environ 50 mélodies, sont rarement interprétées donc moins connues. Elles sont représentées par les Motets : Ave Maria (op. 3), Tantum ergo (op. 2),  Ave verum (op. 15), les Angelus (op. 57), sur le poème de Jehan le Povre Moyne (Ernest Eugène Coquin) qui « met en perspective la symbolique des heures, en lien avec les activités humaines et l'appel au divin ». Les titres des trois parties sont évocateurs : Au Matin (réveil de la nature, naissance du jour), À Midi (flamboiement de la lumière, moissons humaines et moissons du Christ…), Au Soir (cloches et voix psalmodiée : « Puisque la nuit remonte au ciel et dans nos cœurs », prière et supplique).

La voix lyrique parfois un tantinet théâtrale plane au-dessus de commentaires à l'orgue qui assure quelques interludes en rapport avec l'atmosphère émanant des textes. L'ensemble reste de caractère liturgique, recueilli et intériorisé. L'interprétation bénéficie d'une part, d'un réel équilibre entre les interprètes ; d'autre part, de la facture de l'Orgue tout indiquée pour mettre en valeur les pages de Louis Vierne. Ce vaste programme (15 œuvres) illustre les diverses préoccupations compositionnelles de Louis Vierne.

 

Édith Weber.

 

 

Patrick BURGAN : 1213. Bataille de Muret. Renat Jurié, Pierre-Yves Binard, récitants. Ensembles vocaux « Scandicus » et « Quinte et Sens ». Les Sacqueboutiers de Toulouse, dir. Patrick Burgan. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com) : HORTUS 127. TT : 36' 53.

Comme son titre l'indique, cette épopée lyrique en 5 tableaux pour 2 Récitants, Chœur mixte, cornet à bouquin, chalemie, sacqueboute, doulciane et percussions, associe un événement historique reposant sur des textes en langue d'Oc extraits de La Chanson de la croisade albigeoise (Laisses 137 à 142) d'un auteur anonyme, adaptés en français en 1960 par Patrick Burgan. Il s'agit d'une commande qui lui a été adressée par l'Ensemble Les Sacqueboutiers de Toulouse, avec leur concours et celui des ensembles vocaux « Scandicus » et « Quinte et Sens », tous placés sous sa direction. L'œuvre se rattache au genre de la Bataille (cf.  Chansons françaises (Bataille de Marignan, 1515) du XVIe siècle ou encore, par la suite, pièces pour virginal… et la Sinfonia brevis De Bello Gallico de Vincent d'Indy (1918) et, plus récemment, en 1941, la Symphonie n° 7 Leningrad de Chostakovitch. Ce thème implique l'évocation de cris belliqueux, de l'effroi, de la déploration et des sensations collectives mais aussi, un côté poétique rendu par les paroles et la polyphonie vocale. À côté des Récitants, le percussionniste recrée les bruits correspondant au contexte. Selon Sylviane Falcinelli, le champ est ouvert « à l'imaginaire de l'auditeur qui se trouve invité à recréer  sa « cinéscénie » personnelle à partir de l'entrelacs des sollicitations auditives ».

Si le langage musical est moderne,  il n'exclut pas l'emprunt à des techniques médiévales, par exemple le hoquet et les syncopes (XIVe siècle, Ars Nova). Le compositeur spécule aussi sur le symbolisme en musique car le 4e Tableau : La Bataille repose sur la date de cet événement qui s'est produit près de Toulouse en 1213, comme le rapporte l'un des récitants dans sa déclamation en langue d'Oc, alors que le second s'exprimant en français moderne, représente la voix de « l'homme d'aujourd'hui ». Ils peuvent déclamer leur texte simultanément sur le devant à gauche et à droite de la scène. L'œuvre a été créée précisément à l'Église Saint-Jacques de Muret, le jeudi 12 septembre 2013, en marquant donc le huit-centième anniversaire. Le texte d'accompagnement comprend judicieusement les paroles des différentes Laisses évoquant les divers assauts, la bataille proprement dite et débouchant sur le deuil et les regrets, car « Simon de Montfort reste donc désormais le maître incontesté de tous les territoires du Comte de Toulouse et de ses partisans. Les fausses prédictions les auront dépouillés. Le Dauphin rentre en France. » C'est donc tout un programme qui se prête à la fois à une description hautement réaliste et à une émotion certaine. Ce CD reproduit l'enregistrement en concert du 18 mai 2015 à la grande Salle d'Odyssud-Blagnac, dans le cadre des Rencontres des Musiques baroques et anciennes dans ce lieu.

Patrick Burgan, né à Grenoble en 1960, qui a fait ses études au Conservatoire de Toulouse où il est actuellement professeur d'écriture et d'improvisation, traite avec la même aisance les instruments et les voix. Le caractère quelque peu théâtral de sa musique convient parfaitement à l'évocation sonore d'une bataille et à l'émotion qu'elle engendre, allant de l'anxiété et de l'effroi jusqu'à la désolation, encore renforcés par les voix de Renat Jurié et Pierre-Yves Binard et leurs injonctions à l'impératif simultanément dans les deux langues, les sonorités de la fanfare (cuivres) et le rythme répétitif des percussions. Les Sacqueboutiers de Toulouse font merveille. Voici une réalisation typiquement régionale et historique, impressionnante et émouvante. En conclusion, Sylviane Falcinelli précise à propos du compositeur : « Jamais il ne perd de vue que l'artiste, aspirant à donner un visage à la beauté qu'il ressent en lui, touche à un Absolu qui l'irradie et, par là-même, touche à quelque chose qui est de l'ordre du sacré ». Dont acte.

 

 

Édith Weber.

 

 

Johann Georg RAUCH : Musiques pour la Cathédrale de Strasbourg. Ensemble Dulcis Melodia, dir. . 1CD K 617 Chemins du Baroque (www.rencontres-saint-ulrich.com ) : CD8002. TT : 58' 05.

Voici un autre disque à tendance comparative, concernant des Musiques pour la Cathédrale de Strasbourg et des œuvres composées par Johann Georg Rauch (1658-1710), musicien ayant effectué sa carrière à la Cathédrale Notre-Dame, à la fin du XVIIe siècle. À l'initiative du Label K 617 « Chemins du Baroque » (jadis : « K617 ») qui, avec leur directeur artistique Alain Pacquier, spécialiste de la musique baroque, reprennent « leur marche vers des répertoires souvent méconnus ou oubliés » et révèlent des pièces de durée moyenne extraites, d'une part, des Novae Sirenes Sacrae Harmoniae (Augsbourg, 1687) et, d'autre part, du Recueil Cithara Orphei (Strasbourg, 1697). Elles sont interprétées avec une belle envolée par des voix lumineuses de l'Ensemble Dulcis Melodia.

En fait, Johann Georg Rauch est mieux connu depuis les années 1970. Comme le rappelle Jean-François Haberer, ce musicien est « mentionné pour la première fois en 1687 dans les comptes du grand chapitre ». Par ailleurs, il a dédicacé son premier opus au Doyen et aux membres du Grand Chapitre. Sur le plan historique, il fait lui-même référence aux festivités du retour de la Cathédrale au culte catholique (24 octobre 1681). Dans son catalogue monumental : L'Alsace et ses compositeurs, de la Renaissance à nos jours (Delatour France, 2015), Michel Schmitt précise qu'il a été organiste de la Cathédrale pendant 30 ans et que ses fils lui succéderont. Ce n'est qu'en 1699 qu'il y sera maître de chapelle, après Sébastien de Brossard.

Les deux Recueils d'Augsbourg et de Strasbourg (déjà cités) comportent des Motets pour voix solistes et instruments, alors que le troisième : Harmonicus Missarum concentus (1692) concerne des Messes et Motets pour grand effectif. Enfin, son Recueil Cithara Orphei (1697) contient 12 Sonates instrumentales. Ces œuvres sont d'essence liturgique et religieuse, et prévues pour l'Office, en tenant compte des possibilités instrumentales locales. Dans son opus 2, il souhaite « contribuer par la musique de mon œuvre à adoucir toutes les fatigues, à disperser les ténèbres, à revigorer la lassitude des âmes ». Tel est, à l'audition, encore le cas de nos jours. 10 œuvres se réclament de textes liturgiques d'essence mariale, dont Salve Regina, Regina Coeli ou encore Veni Consolator optime. J.-Fr. Haberer interprète aussi la 4e puis la 1ère et la 3e Sonate de Johann Georg Rauch et, peut-être en hommage à Georg Muffat (1653-1704), sa Toccata prima est intercalée.

Cette réalisation, excellent rappel historique de la pratique musicale à la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, est marquée sous le sceau de l'authenticité historique grâce à l'Ensemble Dulcis Melodia. Soutenue par le Ministère de la Culture, elle est tout à fait conforme aux objectifs du Label K 617 Chemins du Baroque.

 

Édith Weber.

 

 

« De Prague à Vienne. Sonates pour mandoline et pianoforte ». Duo A Piacere : Aline Zylberajch, pianoforte), Florentino Calvo, mandoline. 1CD LA FOLLIA MADRIGAL (www.lafollia.com ). LFM 12101. TT :  74' 40.

La formation pour mandoline — instrument très prisé à Vienne au XIXe siècle — et pianoforte, sortant des sentiers battus, est pratiquée par le Duo A Piacere, formé d'Aline Zylberajch (pianoforte) et de Florentino Calvo (Mandoline). Ils se produisent sur des instruments d'époque (ou reconstitués) : pianoforte carré Lipp (1850), conservé au Musée historique des Dominicains de Haute-Alsace, à Guebwiller, et Pianoforte Paul & Theo Kobald, d'après Anton Walter (v. 1795), et Mandoline bresciane : Carlo Bavassano et fils. Ce disque  a le mérite d'être enregistré en acoustique naturelle dans le Chœur supérieur de l'ancien Couvent des Dominicains de Haute-Alsace (avec plafond en bois de chêne).

Le programme, centré sur la production essentiellement viennoise, comprend Johann Nepomuk Hummel (né à Vienne en 1778 et mort en 1837), élève de W. A. Mozart et de J. Haydn — auquel il a succédé comme Konzertmeister chez le Prince Esterhazy —, remarquable pianiste, très apprécié de son temps, Ludwig van Beethoven (1770-1827), qui a séjourné à Vienne en même temps que Hummel, Vincenz Neuling (1795-1846), très actif à Vienne début XIXe siècle, où sa Sonate en Sol majeur pour mandoline et fortepiano a été éditée et Bartolomeo Bortolazzi (1773-1820) qui y a créé précisément le Concerto pour mandoline et orchestre de Hummel (1799). Les formes interprétées sont des Sonates, Sonatines, Adagio et Andante con Variazioni, ainsi qu'en conclusion, un extrait de Concerto.  Dès la première plage, avec la Grande Sonate op. 37a en Do majeur de Johann Nepomuk Hummel, les sonorités du pianoforte et de la mandoline se confondent presque. L'Allegro con spirito, énergique, très allant, ponctué par des accords bien marqués, est suivi de l'Andante moderato siziliano plus expressif, puis du Rondo conclusif faisant appel à la virtuosité. Ce volet viennois est complété par un volet praguois, par le biais de l'Adagio ma non troppo de la Sonatine en do mineur et de l'Andante con Variazioni celle en Do Majeur de L. van BEETHOVEN, vraisemblablement composées à Prague, où il avait fait la connaissance de la mandoliniste Joséphine von Clary-Aldringen qui a pu lui inspirer une musique particulièrement expressive et tendre. La Sonate en Sol majeur de Vincenz Neuling comporte quatre parties : Allegro moderato, Andante, Scherzo Presto, Thème et Variations. Selon le texte de présentation, ces « quatre mouvements fort contrastés témoignent de l'inspiration populaire des musiques de salons… son Scherzo endiablé et la vigoureuse Polonaise qui conclut les Variations l'inscrivent dans le terreau musical de l'Europe centrale… ». D'inspiration plus galante, la Sonate op. 9 en Ré majeur de Bartolomeo Bortolazzi : Allegro, Andante, Rondo s'impose par l'expressivité du deuxième mouvement et le dialogue particulièrement chantant des deux instrumentistes.

Comme il l'avait commencé, le Duo A Piacere termine ce CD avec Hummel. Dans l'Andante con Variazioni extrait du Concerto en Sol majeur, la mandoline, avec virtuosité, est vigoureusement soutenue par le piano. Dans la perspective thématique « De Prague à Vienne », cette réalisation a bénéficié d'une prise de son (microphones omnidirectionnels), de remarquables conditions acoustiques, tout en illustrant à la fois l'association originale de la mandoline et du pianoforte.

 

 

Édith Weber.

 

 

« Un novateur à Dantzig-Gdansk » : Kaspar FÖRSTER. Psaumes, hymnes, sonates instrumentales. Anne Magouët, soprano, Paulin Bündgen, alto, Martial Pauliat, ténor, Renaud Delaigue, basse. Les Traversées Baroques, dir. Étienne Meyer. 1CD K 617 Chemins du Baroque (www.rencontres-saint-ulrich.com ): CD8001. TT :  67' 56.

Sous-titré : « Un novateur à Dantzig-Gdansk » et évoquant précisément le rayonnement de cette ville au XVIIe siècle, ce disque est entièrement consacré à Kaspar Förster fils (1616-1673). Il est interprété par Les Traversées Baroques,  avec le concours d'un quatuor vocal : Anne Magouët (Soprano), Paulin Bündgen (Alto), Martial Pauliat (Ténor) et Renaud Delaigue (Basse) et des instruments suivants : cornettinos, violon I, violon II, viole de gambe, dulciane, orgue et clavecin, tous placés sous la direction d'Étienne Meyer, actuellement chef de chœur de l'École Maîtrisienne Régionale de Bourgogne, passionné par le chant choral à un haut niveau et la musique ancienne.

Kaspar Förster (junior), né en 1616 à Oliwa, près de Gdansk, est mort en 1673. Son père, (également prénommé Kaspar), chantre à la Marienkirche de cette ville, débuta sa formation musicale qu'il a poursuivie en 1632-1633 auprès du théoricien et compositeur Marco Scacchi, violoniste et maître de chapelle à Varsovie. Entre 1633 et 1636, il a séjourné à Rome au Collegium Germanicum auprès de Giacomo Carissimi. De retour en Pologne, il sera chanteur (alto) à la Cour royale de Wladyslaw IV et Jean II Casimir jusqu'en 1652. Après avoir été maestro di capella de la Cour de Frédéric III à Copenhague, il quittera cette ville pour succéder à son père à la Marienkirche. Il s'imposera comme brillant compositeur en Europe du Nord. La datation de ses œuvres est difficile ; ses manuscrits sont souvent conservés en copies de seconde main, certaines à la Bibliothèque de l'Université d'Uppsala (Fonds Düben). Son langage est tributaire du stylus phantasticus en usage notamment en Allemagne du Nord et de l'esthétique italitenne. Le compositeur doublé d'un remarquable chanteur fait souvent appel à la virtuosité vocale et à de larges tessitures.

Le programme comporte des Psaumes et Hymnes en latin et des Sonates instrumentales. Le Psaume Confitebor tibi Domine bénéficie d'une remarquable diction, d'un soutien instrumental précis ; le dialogue entre les chanteurs procède soit homorythmiquement et homosyllabiquement pour une meilleure perception du texte, soit par entrées successives assez volubiles entrecoupées de vocalises souples (Alleluia) avec de brefs interludes instrumentaux. L'Hymne Jesu Dulcis memoria, souvent attribuée à saint Bernard de Clairvaux, est généralement chantée aux Vêpres. Sa participation instrumentale, plus importante, est rendue avec vigueur. L'invocation O bone Jesu, expressive et insistante, est suivie du Psaume Benedicam Dominum chanté avec élan. L'affirmation : Credo quod redemptor [meus vivit] (« Je crois que mon Rédempteur est vivant ») est émouvante et intériorisée. Enfin, le Psaume Beatus vir qui timet Dominum, très volubile, grâce à la direction si efficace d'Étienne Meyer, met en valeur toutes les qualités interprétatives des Traversées baroques. Les Sonates n°2 et n°3 permettent aux instrumentistes de déployer leur virtuosité et, dans la Sonate anonyme, permet d'entendre les deux cornettini. L'interprétation des Traversées baroques est tout à l'honneur des « Chemins du Baroque » qui ont le grand mérite de lancer Kaspar Förster, compositeur polonais particulièrement significatif.

 

Édith Weber.

 

 

« Les Donneurs de sérénades ». Françoise Masset, soprano, Carl Ghazarossian, ténor. David Zobel, piano Bechstein. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com ) : HORTUS 124. TT : 62' 13.

Par association d'idées, le titre : Les Donneurs de sérénades évoque immédiatement la Mélodie française et des poésies célèbres de Paul Verlaine (1844-1896). Cette Anthologie comparative regroupe — autour des Fêtes Galantes et de La Bonne Chanson (1870) les noms de 12 compositeurs : Gabriel Fauré, Claude Debussy, Raoul Laparra, Josef Szulc, Alphons Diepenbrock, Poldowski (en fait : Régine Wieniawski, 1879-1932), Charles Radoux, Reynaldo Hahn, Philippe Gaubert, Louis Aubert, Charles Bordes et Joseph Canteloube. Ces « Sérénades » sont données par Carl Ghazarossian (Ténor), David Zobel (piano Bechstein), avec la participation de Françoise Masset (Soprano). Les discophiles retrouveront avec plaisir ces poèmes si attachants mis subtilement en musique, par exemple : Mandoline, En sourdine, La bonne chanson, L'heure exquise… qui profitent de la prise de son de Roger Lenoir. Il est impossible de détailler ces 24 mélodies enregistrées en 2015 (oscillant entre 1' 27 et 6' 04), chacune révélant sa propre personnalité et atmosphère spécifique. Comme il se doit, les deux chanteurs revivent intensément les moindres intentions et insinuations poétiques, et le pianiste suit leurs interventions tout en souplesse et avec assurance. La poésie de Paul Verlaine est déjà « musique ».

En 1869, Théodore de Banville a immédiatement admiré Verlaine, et recommandé à ses amis : « Emportez avec vous les Fêtes galantes de Paul Verlaine, et ce petit livre de magicien vous rendra suave, harmonieux et délicieusement triste, tout le monde idéal et enchanté du divin maître des comédies amoureuses du grand et sublime Watteau ». Discophiles, faites de même ! Et, en 2015, pour sa part, Carl Ghazarossian conclut : « Voilà, au long de ce chemin à la fois familier et surprenant, quelles « sérénades » nous donnerons aux auditeurs et autres « belles écouteuses » (« Mandoline »), pour les intriguer, les faire sourire et les séduire — car comme le dit Rimbaud, qui sait de quoi il parle : « J'ai les Fêtes Galantes de Verlaine. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable ». Objectif accompli : disque à emporter.

 

 

Édith Weber.

 

 

« Le Temple et le Désir ». Domenico MAZZOCCHI : Sonnets et madrigaux sacrés et profanes extraits des « Musiche Sacre e Morali », des « Madrigali a cinque voci e altri varii concerti » et autres pièces. Lamento della Beata Virgine. Ensemble  ELYMA, dir. Gabriel Garrido. 1CD K617 Chemins du Baroque. CDB004. TT.: 73'05.

 

Au nombre des nouvelles productions du label K617 désormais appelé aussi ''Chemins du Baroque'', voici un CD découverte. Il propose en effet un florilège de pièces du compositeur romain Domenico Mazzocchi (1592-1665), réunies sous le titre « le Temple et le Désir » offrant, selon le chef Gabriel Garrido, un reflet de « la diversité de l'œuvre et de l'invention constante d'un musicien libre de toute contrainte, à la manière d'un Gesualdo ». Elles traduisent les bouleversements musicaux que connut Rome à la fin du 16 ème siècle. C'est le triomphe du style monodique. On a pu dire qu'après Monteverdi, Mazzocchi était le dernier révolutionnaire de la seconda pratica initiée par les Florentins autour de 1600. Il est l'héritier de Monteverdi dont il poursuit le « stile novo » encore plus loin : utilisation des langues latine et italienne, habile combinaison de la monodie profane et de la polyphonie de la musique sacrée pour aboutir à un mélange donnant naissance à la musique de la Contre Réforme, étrangeté de la ligne instrumentale et vocale jusqu'à la dissonance, couleurs modernes, complètement nouvelles pour l'époque. Le programme imaginé par Gabriel Garrido, qui met en parallèle le sacré et le profane et la perméabilité des deux domaines quant à l'expression presque sensuelle, exalte tour à tour l'amour profane et le désir sacré. L'amour profane est illustré par des madrigaux et sonnets des années 1640. Le désir sacré par des pièces telles que le « Dialogo della cantica » ou le « Dialogo della Maddalena » extraits des Sacrae concertationes publiés à Rome en 1664. Le disque comprend encore des sonnets et madrigaux spirituels tirés des Madrigali a cinque voci et altri varii concerti et des Musiche Sacre et Morali. Il se termine par un beau Lamento della Beata Virgine, un des meilleurs exemples du style résolument spécifique de Mazzocchi que n'effraie pas l'audace du choix des textes évoquant la peur panique de la Vierge cherchant son fils perdu. On perçoit ici une manière bien différente de Monteverdi et de la douleur exprimée dans son Lamento d'Arianna. La description de l'état bouleversé de la Vierge est étonnante : cri éperdu, stridence de l'élocution, intensification de l'émotion dans une déploration presque théâtrale. La réaction de l'entourage est d'une douceur indicible pour tenter de consoler pareil épanchement douloureux. L'interprétation de l'Ensemble ELYMA que dirige Gabriel Garrido est extrêmement pensée dans un souci d'authenticité afin d'en retrouver le style exact. Parmi les solistes vocaux sont particulièrement admirables les sopranos Maria Cristina Kiehr et Claire Lefilliâtre et le baryton Furio Zanasi. L'accompagnement instrumental est d'une rare pertinence.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Battaglie e Lamenti ». Annibale  PADOVANO  : Aria della Battaglia a 8. Francesco USPER : La Battaglia per cantar e sonar a 8. Bastian CHILESE : Canzon in echo a 8. Goavanni GABRIELI : Canzon a 12 in echo. Nicolo FONTEI : Pianto d'Erinna. Barbara STROZZI : Il Lamento « sul Rodano severo ». Jacopo PERI : Lamento di Iole. An. : Pavana. Montserrat Figueras, soprano. Graham Pushee, contre ténor, Harry van der Kamp, basse.  Hesperion XX, dir. Jordi Savzall. 1CD Archiv : 479 6217. TT.: 54'39.

 

Ce disque est l'unique enregistrement réalisé par Jordi Savall pour le label Archiv. La musique descriptive, pour ne pas dire à programme, ne date pas d'hier. Le XVI siècle et l'Italie la connaissaient, en particulier dans les musiques de batailles et de lamenti. Jordi Savall met ici en parallèle ces deux sources d'inspiration. Les ''battaglie'' avec des compositeurs comme Annibale Padovano (1527-1575) qui dans son « Aria della Battaglia », commet une adaptation de la chanson « La guerre » de Clément Jannequin, ou Francesco Usper (c. 1560/61-1641) prodiguant moult fanfares, rythmes animés et modes de bourdon dans sa « Battaglia per cantar et sonar a 8 ». Certains compositeurs utilisent la ''Canzon'' en écho, autrement dit le jeu avec la résonance. Ainsi de Giovanni Gabrieli (c.1154/57-1612) qui porte le genre un peu plus loin avec un effet de double écho. Autre genre : le lamento ou chant de déploration du destin d'un personnage ou d'un événement marquant. Claudio Monteverdi en inaugura la vogue avec son Lamento d'Arianna puis le Lamento della Ninfa. D'autres compositeurs tel Nicolo Fontei, dans les années 1630, se l'approprient, comme dans Pianto d'Erinna (1639), ou Jacopo Peri (1561-1633) dans le Lamento di Iole (1628), ou encore Barbara Strozzi (1619-1677) dans Il Lamento ''sul Rodano severo'' (1654), type même de la lamentation poétique :  la plainte de Cinq Mars, favori de Louis XIII, protégé de Richelieu, qui périra exécuté en 1642 pour avoir pactisé en secret avec l'Espagne. La pièce s'ouvre par l'image effrayée d'un corps sans vie retrouvé sur les bords du Rhône, et le texte finit par cette sentence « Alors que le roi montre par ses larmes qu'il se repent de sa hâte, Paris tremble et la Seine est troublée ». La soprano Montserrat Figueras prête des tons douloureux aux interventions chantées et l'Ensemble Hespérion XX sonne magnifiquement.  

Jean-Pierre Robert.

 

Alessandro STRADELLA : Santa Editta, Virgine e monaca, Regina d'Ingihlterra. Oratorio pour cinq voix et basse continue. Verónica Cangemi, Francesca Aspromonte, Claudia Di Carlo, Gabriella Martellacci, Fernando Guimãraes, Sergio Foresti. Ensemble Mare Nostrum, dir. Andrea di Carlo. 1CD Arcana, distribution Outhere music: A 396. TT.: 56'38.

 

Cette réalisation constitue le troisième volet de ce que le chef Andrea De Carlo appelle « The Stradella Project », autrement dit l'enregistrement d'œuvres  d'Alessandro Stradella (1639-1682) et en particulier ses oratorios. Le compositeur, à la vie tumultueuse, a écrit entre autres six oratorios dont trois sur des figures de saints très populaires en Italie au XVII ème siècle. Ainsi de Santa Editta, Virgine Monaca, Regina d'Inghilterra (1670), sur un texte de Lelio Orsini, chantre du genre pour avoir commis moult canevas offerts à divers musiciens de l'époque. Édith, sainte anglaise du X ème siècle, retirée dans l'abbaye de Wilton, aurait refusé la couronne d'Angleterre qu'on lui offrait, préférant la vie monacale aux fastes du pouvoir. Elle mourut à 30 ans. Son destin a peut-être à voir avec des événements contemporains de la création de l'œuvre : le mariage de Jacques II Stuart, Duc d' York, et de Marie-Béatrice d'Este, manigancé par Louis XIV qui souhaitait placer sur le trône d'Angleterre deux catholiques qui lui seraient fidèles. Il fallut l'intervention du Pape Clément X pour convaincre la jeune Béatrice d'accepter cette couronne. Les hésitations de cette dernière ne sont pas sans rappeler celles d'Édith. Le texte de l'oratorio ne raconte pas une histoire, mais véhicule des valeurs : celles de l'Humilité, de la Beauté, de la Grandeur, de la Noblesse et du Sens, offertes au choix de l'intéressée. Il y a ici un contexte allégorique en forme de parabole, que Haendel utilisera dans son oratorio Il trionfo del tempo e del disinganno. En deux parties, l'oratorio de Stradella est à cinq voix. En fait pour six personnages, celui d'Édith (soprano) dominant les autres protagonistes que sont l'Humilité, la Beauté, la Grandeur, la Noblesse et le Sens. La musique épouse le texte avec grande sensibilité au fil de courts récitatifs et d'arias tout aussi concis, Stradella instaurant une vraie continuité entre les deux modes. Toujours vivante, elle comprend aussi de petits ensembles, comme le Terzetto unissant Noblesse, Grandeur et Sens, ou le Duetto terminant la première partie, opposant l'Humilité et la Grandeur. L'interprétation de l' Ensemble Mare Nostrum fondé en 2005 par Andrea De Carlo est enthousiasmante, que ce soit dans la basse continue bien sonnante ou la délicatesse apportée à l'accompagnement des chanteurs. Au premier rang de ceux-ci, Verónica Cangemi offre un superbe portrait de Santa Editta et une vocalité parfaite au fil d'arias et d'ariosos très différents les uns des autres. Auprès d'elle, on admire le fin ténor de Fernando Guimãraes (Bellezza), le contralto sonore et en même temps empreint de douceur de Gabriella Martellacci (Grandezza), la pimpante soprano de Claudia Di Carlo (Umiltà), le soprano éthéré de Francesca Aspromonte (Nobilità) et la basse claire de Sergio Foresti (Senso). Une bien belle réussite !

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Bien que l'amour... Airs sérieux et à boire » de Michel LAMBERT, François COUPERIN, Joseph CHABANCEAU DE LA BARRE, Marc-Antoine CHARPENTIER, Honoré D'AMBRUYS. Emmanuelle de Negri, Anna Reinhold, Cyril Auvity, Marc Mauillon, Lisandro Abadie. Les Arts Florissants, dir. William Christie. 1CD Harmonia Mundi : HAF 8905276. TT.: 80'05.

 

Et voilà William Christie et ses Arts Florissants revenus chez Harmonia Mundi. Une nouvelle histoire s'écrit. Et la première page de cette enième aventure est de choix. Puisque présentant un florilège d'airs pour montrer « comment chanter l'amour au Grand Siècle », en quelques vingt items mêlant deux générations : l'apogée du règne de Louis XIV (avec des musiciens comme Michel Lambert, Joseph Chabanceau de la Barre, Marc-Antoine Charpentier) et le déclin de la fin du règne (avec les compositeurs Honoré d'Ambruys et François Couperin). Contrastant aussi airs sérieux et airs à boire. Une mine musicale aussi bien qu'historique. Merci à Bill Christie de si bien et si inlassablement défendre notre patrimoine national ! Largement représenté sur le CD, Michel Lambert (1616-1696), illustre chanteur et maitre de chant, maitre de la musique de la Chambre du Roi, semble être le champion du genre de l'air français qu'il met en musique toujours au service du texte (souvent d'anonymes, mais aussi de Philippe Quinault ou de La Fontaine). Ses pièces sont étonnamment variées, qui font respirer la douce mélancolie inhérente au chant français de cette époque et ménagent des harmonies délicates. Ainsi de l'air « Le repos, l'ombre, le silence », à quatre voix, ou le poignant « Il faut mourir plutôt que de changer » , pour quatre voix également. On sera tout autant séduit par l'air « Iris n'est plus, mon Iris m'est ravie », chanté par Cyril Auvity, ou « Bien que l'amour fasse toute ma peine, je veux aimer et mourir en aimant », où le solo de haute contre est relayé par les cinq voix. « Que d'amants séparés languissent nuit et jour » (1629) offre une subtile combinaison des timbres des quatre voix (bas-dessus ou mezzo, haute contre, basse taille ou baryton, et basse). L'air progresse confortable par des unissons ou des redites en miroir à partir d'une intervention soliste. Dans « Jugez de ma douleur en ces tristes adieux », introduit par un prélude instrumental, la déploration sereine de la soprano est reprise à l'identique par celle élégiaque du haute contre ; et pourtant il y a un vrai drame dans ces paroles tragiques et le soutien intense des instruments, lesquels apportent seuls la péroraison. De François Couperin, Christie a choisi deux chansonnettes à boire : « Épitaphe d'un paresseux » (1706, sur un texte de La Fontaine), et ce curieux morceau intitulé « Les Pélerines » (1711-1712), à trois épisodes : ''La Marche'', ''La Caristade'', ''Le Remerciement'', un intermède instrumental séparant les deux premiers. De la fort imaginative musique. On entend encore des pièces de Joseph Chabanceau de La Barre (1643-1678) et d'Honoré d'Ambruys (actif c. 1650-1700). Et encore de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : les « Intermèdes du Mariage forcé » (1672), première collaboration avec Molière, un air à trois voix sur le versant parodique avec dissonances (''Oh le joli concert et la belle harmonie'') et effets de miaulements, aboiements et autres hihan d'âne, entrecoupé d'un intermède instrumental  en forme de danses. Un petit bijou de moquerie musicale! Le compositeur s'illustre aussi par des airs à boire, qui finalement ne sont pas nombreux dans le programme. On y croise le grotesque là aussi (« Ayant bu du vin clairet ») ou le leste (« Auprès du feu l'on fait l'amour, Aussi bien que sur la fougère.. »), ou encore le coquin « Beaux petits yeux d'écarlate », où le musicien cultive le mode de la répétition, ce qui est traduit par les présents interprètes avec vivacité. C'est qu'ici comme au fil de tous ces airs, les cinq voix réunies par Bill Christie déploient des trésors de charme, d'esprit, et de technique accomplie. Les cinq voix des Arts Florissants (violons I et II, viole de gambe, théorbe et clavecin) installent un climat raffiné, libéré, pour célébrer, entre autres ces vers de La Fontaine (musique de Lambert) : « Tout l'Univers obéit à l'Amour.... Aimez, aimez, le reste n'est rien ». On vous dit : un vrai régal !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Marc-Antoine CHARPENTIER : Les Arts florissants. Idylle en musique, H. 487. Les Arts Florissants, dir. William Christie. 1CD Harmonia Mundi : HAF 8901083. TT.: 40'43.

Le nouveau contrat scellé avec Harmonia Mundi est l'occasion de revisiter les enregistrements que William Christie réalisa dans les années 1980. Cinq titres sont réédités. Ainsi des Arts Florissants de Charpentier qu'il grava en 1982. On sait que le compositeur a pâti de la gloire de Lully qu'il voyait en rival. Il écrira pour Molière et continuera à le faire pour les Comédiens français après  la disparition de celui-ci. Cette ''idylle en musique'', il l'a composée en 1685 pour Marie de Lorraine, duchesse de Guise. Cette cousine de Louis XIV, protectrice des Arts, employait un petit orchestre à son domicile parisien. Il s'agit d'un opéra de chambre, dans le genre allégorique et pastoral. Un conflit entre les Beaux Arts, la Musique, la Peinture, la Poésie et l'Architecture, sous l'œil de la Paix et de la Discorde, sans oublier l'hommage appuyé à Louis, « le Monarque des Lys ». Ses cinq scènes suivent le modèle du ballet à Entrées : chaque personnage défend l'intérêt de son Art, le chœur commentant l'action. Le sens dramatique est certain, et l'œuvre alterne l'élégiaque et le grotesque, l'apaisement et la frayeur (les tremblements en musique), la douceur et la fureur. La pièce prend, entre les mains de William Christie, une allure grandiose : pulsation rythmique soutenue, douceur des interventions purement instrumentales avec cette délicieuse insistance sur le mouvement comme louré (comme lors de la Sarabande en rondeau à la scène 5 et sa partie de flûte languissante), art du chanté hyperbolique et bonheur des répétitions à satiété. Tout est ici frappé au coin de l'intelligence textuelle. Les chanteurs, dont Dominique Visse, Gregory Reinhart et Guillemette Laurens, sont éblouissants. Un retour au catalogue bienvenu. 

Jean-Pierre Robert.

 

Michel PIGNOLET DE MONTÉCLAIR : Cantates à une et trois voix. Avec symphonie. Agnès Mello, Monique Zanetti, Gérard Lesne, Jean-Paul Fouchécourt, Jean-François Gardeil. Las Arts Florissants dir. William Christie. 1CD Harmonia Mundi : HAF 8901280. TT.: 75'36.

 

Il en va de même de cet autre CD consacré à Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), enregistré en 1988. Ce lorrain qui suivit son protecteur, le prince De Vaudémont, juqu'en Italie et s'établit enfin à Paris, s'est illustré dans plusieurs genres musicaux dont la musique de chambre et l'opéra. L'histoire dit que son Jephté serait à l'origine de la vocation opératique de Rameau qui, un an après cette création, proposera son Hippolyte et Aricie. Il commit aussi 24 cantates qui s'inscrivent dans un genre qui avait fait son apparition en France dès 1706. William Christie en propose cinq tirées des trois livres publiés en 1709, 1716 et 1728. Quatre traitent de l'amour, de ses passions et de ses drames. Le disque s'ouvre par La Mort de Didon, pour soprano, violon, flûte et basse continue. La pièce traite des derniers jours de la reine de Carthage abandonnée par son héros Enée, partagée entre mélancolie (air : ''Ô  Toi Déesse de Cythère!'', avec flûte obligée - remarquable Marc Hantaï) et fureur. Et tout cela se conclut dans une morale, canon obligé, que la reine s'adresse à elle-même. La cantate Il Dispetto In Amore (les vexations de l'amour), pour contre ténor et basse continue, alterne récitatifs et trois airs magnifiques, successivement vif, lent et vif. Le Triomphe de l'Amour, pour ténor et basse continue, nous entraine dans un univers plus léger, savoir la dispute du Dieu Amour et de son rival Bacchus. Là encore, on a à faire à une succession de récitatifs énonçant le sujet, variant le propos entre ariette et airs, pour in fine aboutir à la morale de la fable : l'irrésistible triomphe de l'Amour joliment aidé par le Dieu du Vin. La Mort de Lucrèce conte l'histoire de l'épouse du patricien Romain Collatinus, violée par Tarquin, et qui préféra la mort au déshonneur. Sort infortuné que Benjamin Britten mettra en musique dans son opéra The Rape of Lucrezia. La pièce offre récitatifs et trois airs évoquant tour à tour la violence, la résolution et l'agonie de la jeune femme. Enfin, la cantate Pyrame et Thisbé pour trois voix, flûte et basse continue, est la plus vaste de celles composées par Montéclair. Tirés des Métamorphoses d'Ovide, la pièce se prête chez le compositeur français à une forte expression dramatique, renforcée par l'intervention d'un récitant. On y admire divers airs extrêmement contrastés dont celui de Pyrame ''Amour, cruel auteur de ma fatale flamme'' ou celui de Thisbé, lent et tendre, proprement ensorcelant avec la mélopée de la flûte pour exprimer une douce tristesse résolue. La cantate se conclut également par une morale de L'Amour conquérant. Ces pièces sont magnifiquement défendues par les sopranos Agnés Mellon et Monique Zanetti, le haute-contre Gérard Lesne, le ténor Jean-Paul Fouchécourt et la basse Jean-François Gardeil, qu'on a infiniment de plaisir à retrouver. Bien sûr, Bill Christie leur concocte le plus authentique des écrins.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johann Sebastian BACH : Goldberg Variations BWV 988. Ludwig van BEETHOVEN : 32 Variations sur un thème de valse d'Anton Diabelli, op.  120. Frederic RZEWSKI : 36 Variations sur ''El pueblo unido jamás será vencido''. Igor Levit, piano. 3CDs Sony classical : 8875060962. TT.: 77'58+54'+62'27. 

 

Voilà une étonnante somme et une triade improbable. D'abord réunir deux des cycles les plus exigeants de la littérature pianistique, les Variations Goldberg et les Variations Diabelli, assurément des sommets, véhiculant une foule d'idées musicales dans un univers très concentré au fil d'une myriade de courtes pièces. Mais y ajouter un autre cycle contemporain, les 36 Variations ''The People united will be never defaeted!'' de Frederic Rzewski, peu connues, pas moins absorbantes : le projet d'Igor Levit est assurément titanesque. Il dit aimer la forme des variations, et vivre chacune des trois œuvres comme « un livre de voyage ». Les Goldberg Variations BWV 988, l'aria et leurs 30 variations, Levit dit les avoir abordées sur le tard – de sa jeune carrière – après bien des hésitations et interrogations d'ordre artistique : comment restituer l'architecture de l'ensemble de ces pièces ? Sur un piano grand moderne ou au clavecin ? Plus que des exercices, ces pièces explorent des territoires essentiels, souvent des mouvements de danse, et expriment des affects variés, même l'humour, comme dans le ''Quolibet'' (variation 30), mélange d'air populaire et de veine plus sérieuse. Une sorte de ''plaisanterie musicale'', car « Bach ajoute un élément d'ironie à la forme pour laquelle il vient d'élaborer le plus grand des monuments musicaux », remarque le pianiste. S'il a choisi le piano moderne finalement, c'est parce que « dans Bach, je trouve comme un sens de supplication, une expansibilité » qui peuvent être restitués sur un instrument de plus vaste résonance que le clavecin. Et l'étude des maitres anciens, Palestrina et Josquin des Prez, l'y a aidé. De fait, la manière est alerte, élégante, claire, dégagée de tout aspect mécanique, presque gaie par endroits, par exemple dans quelque ''Canone'' au babil sans fin (variation 15 : ''Canone alla quinta''). On admire la douceur des notes piquées, la fluidité de la ligne lorsque rapide, mais aussi la profondeur de pensée, comme dans la longue Variation 25. Au final, une exécution fort articulée extrêmement vivante.

 


©Gregor Hohenberg

 

Les 33 Variations sur un thème de valse d'Anton Diabelli, op. 120, appartiennent à la dernière manière de Beethoven, mais offrent un visage insoupçonné de son  art. Alfred Brendel y voit « un véritable abrégé de comique musical », « par leur gravité, leur lyrisme, leur mystère, leur nostalgie, leur caractère cassant et leur virtuosité forcenée ». Une œuvre qui n'est pas sans intriguer, bâtie à partir d'une valse de rien du tout, que Beethoven dissèque en tous sens avec même un souci de parodique (v. 22, sur un air de Leporello tiré du Don Giovanni de Mozart) ou un sens du développement (v. 31) souvent fort éloigné du propos de départ. La complexité de ce monument n'est pas pour déconcerter Igor Levit. Il empoigne le Tema vivace de façon on ne peut plus allègre, « ce thème déjà comique en soi » car « cette valse n'est pas très valsante », observe Brendel. L'exécution se veut solide en même temps nullement pesante : déclamatoire, voire véhémente. La digitalité peut être menée au galop (v. 16, 19) et quelque allegro assai (v. 23) devenir un prestissimo, ou un vivace (v. 27), un torrent que rien n'arrête. L'interprétation est tout aussi réfléchie, empreinte de légèreté (v. 25 qui bien que boustée, reste d'une formidable lisibilité). Admirable est l'art de la transition (de la v. 14 à la v. 15, de la v. 20 à la v. 21, ou des toutes dernières notes de la 32 ème introduisant la Fuga de la v. 32 ). Il en va de même des enchainements diaboliques (de la 16 ème après la 15 ème). Le toucher révèle des pianissimos d'une infinie douceur ou d'une puissance faramineuse. Ce que l'enregistrement capte par son excellente définition.

 

Le compositeur américain Frederic Rzewski (*1938), tenant de l'avant-garde de la musique de piano dans les années 70, a écrit en 1976 ses 36 Variations sur ''Il pueblo unido jamás será vincido!'', à partir du chant révolutionnaire marxiste chilien. Elles sont regroupées en six groupes de 6 dans un ordre suggestif : cinq variations, dans chaque groupe, ont à voir avec un élément substantiel ou textuel différent, tels que le rythme, la mélodie, le contrepoint, alors que la sixième constitue une synthèse de tous ces aspects. Les difficultés a priori insurmontables sont en fait parfaitement maitrisables, dit Levit, dans la mesure où « la musique est clairement écrite par quelqu'un connaissant exactement ce qu'il est possible de faire au piano ». Il y a là une juxtaposition de styles – à l'intérieur même d'une pièce – : populaire, moderne, jazzy, voire pop, aux fins de créer une polyphonie qui, selon Levit, « contraint involontairement l'auditeur à adopter une position non équivoque nonobstant le fait de partager ou non le contenu marxiste de l'œuvre ». Le nuancier est extrêmement vaste : aplats d'accords puissants, notes piquées très détachées, et même bruitages inopinés (bois du piano frappé, intrusion d'une voix d'homme, sifflotements). On ne retrouve le thème d'origine de la chanson que très fugitivement (v. 11, ''comme des fragments d'une mélodie absente''). Dans la mesure où tout est joué enchainé, à peu d'exceptions près, puisqu'avec une légère pause entre les divers groupes, on a l'impression d'une vaste improvisation d'une étonnante diversité rythmique et émotionnelle. Le jeu est au-delà même de la virtuosité et on trouve des indications telles que '' inflexible'', ''gelé'', ''expansif, avec un sentiment victorieux'', '' implacable, sans compromis ''... C'est un challenge pour l'interprète. Que Levit relève haut la main, qui dit s'être familiarisé à ce style de musique auprès du compositeur lui-même. Hallucinante rapidité, force digitale inouïe (accords assénés, trilles insistants avec décélération), éclairs de rêve, transitions aussi inattendues que percutantes ; tout cela compose une expérience stimulante qui vous emporte malgré vous. Chapeau de l'avoir initiée !  

Jean-Pierre Robert.

 

George Frideric HAENDEL : Arminio. Opéra en trois actes. Livret anonyme d'après un livret d'Antonio Salvi. Max-Emanuel Cencic, Layla Claire, Petros Magoulas, Juan Sancho, Vince Yi, Ruxandra Donose, Xavier Sabata. Armonia Atenea, dir. George Petrou. 2CD Decca : 478 8764. TT.: 77'35+73'01.

 

Arminio vient tard dans la production opératique de Haendel : deux ans après Ariodante et Alcina, en cette année 1737 où le compositeur créé pour le Théâtre de Covent Garden trois pièces, celle-ci, Giustino et Bérénice. Le texte  est emprunté à un livret d'Antonio Salvi, lui-même inspiré d'une tragédie française « Arminius » de Jean Galbert de Campistron (1656-1723), un protégé de Racine. Il relate l'histoire d'Arminius, guerrier Chérusques qui a violé un traité avec les occupants romains, en vainquant un de leurs généraux, Varus. Sur ce sujet historique la trame traite des thèmes du patriotisme et des rivalités amoureuses sur fond d'épopée guerrière. Il avait déjà été utilisé par d'autres musiciens dont Caldara, Steffani, Hasse et Galuppi. Haendel écrivit son opéra en particulier pour deux castrats qui n'avaient rien à envier en célébrité aux fameux Senesino ou Farinelli. Il s'agissait de Domenico Annibali et Gioacchino Conti, distribués respectivement dans le rôle d'Arminio et dans celui de Sigismondo, deux tessitures fort différentes, le second dans le registre aigu de sopraniste. La partition se compose d'une succession d'arias précédées de courts récitatifs, et de très peu d'ensembles : seuls deux duettos et un chœur durant et à la fin de l'acte III. Quelquefois l'aria n'est même pas introduite par un récitatif telle la première de Sigismondo au Ier acte. On trouve pourtant un bref tableau au début du III ème acte qui, enchainant sinfonia, deux récitatifs et une aria d'Arminio, forme une vraie scène. La présente interprétation se signale d'abord par la direction extrêmement vivante de George Petrou, peut-être un peu trop car sur le versant agité, voire boulé, privilégiant des tempos souvent frénétiques. L'écoute n'est pas toujours de tout repos, mais le soutien aux chanteurs indéfectible ; ce qui est magnifié par un enregistrement d'une extrême clarté et d'une formidable présence. Elle vaut surtout par le festival vocal proposé, dominé par un brelan de contre-ténors. Max Emmanuel Cencic, à l'origine du projet, livre du personnage titre un portait grandiose au fil d'arias d'une grande persuasion, variant les affects. Comme dans la succession des arias du 2 ème acte où le héros enchainé évoque d'abord l'affliction de son sort (« Duri lacci », n° 13), puis au cours d'une pièce plus virtuose (« Si, cadro, ma songera », n° 14), la fureur, débitant alors des vocalises à une incroyable vitesse. Un peu plus tard, dans l'aria « Vado a morir » (n° 18) ou l'adieu à la bien aimée, la ligne de chant se pare d'accents poignants que le timbre moiré traduit à la perfection. L'autre contre-ténor que Cencic a engagé est un nouveau venu dans le roster de ces voix tant mises en avant aujourd'hui : le jeune coréen du sud Vince Yi incarnant le rôle de Sigismondo. Voilà un timbre de sopraniste, encore plus aigu que celui de Jaroussky, ce qui dans le rôle de l'amant de la jeune Ramise, incarnée ici par une mezzo soprano, fausse quelque peu la perspective car l'interprète laisse deviner une voix de jeune adolescent, ce qui  met à mal la vraisemblance. Reste que le timbre est étonnant, pur et cristallin, et l'art de la vocalise éblouissant. Comme dans l'aria « Quella fiamma » (acte II, n° 17) où la voix se mesure à la partie de hautbois obligé dans un tempo plus que soutenu. On est au-delà de la virtuosité raisonnée avec une avalanche de contre Ut et des envolées de roulades infernales, s'achevant sur une large cadence qui voit le chanteur au mieux de son art. Le troisième contre ténor, Xavier Sabata (le tribun Tulio) offre un registre plus ''central'', parfaitement maitrisé. Le reste de la distribution est valeureux : la soprano Layla Claire, un nom nouveau également, triomphe des aspérités du rôle de Tusnelda, Ruxandra Donose (Ramise) offre un timbre moiré d'alto féminin, le ténor Juan Sancho (le général Varus) apporte les prestiges d'une voix bien conduite, comme la basse Petros Magoulas.  L'enregistrement a été effectué en Grèce et l'ensemble Armonia Atenea, qui a déjà été retenu par Cencic pour d'autres titres peu connus (Siroe de Hasse, par exemple), montre des vertus comparables à celles des formations baroques du moment. Au final une réalisation prestigieuse, pour amateurs sacrifiant volontiers aux acrobaties vocales des contre ténors.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Quintettes à cordes (intégrale). Renaud Capuçon, Alina Ibragimova, violons, Gérard Caussé, Léa Hennino, altos, Clemens Hagen, violoncelle. 2DVD Belvedere/Stiftung Mozarteum Salzburg : BVD08004. TT.: 89'06+90'.  

 

Deux des concerts de la Semaine Mozart de Salzbourg 2014 étaient consacrés à l'intégrale des Quintettes à cordes du musicien. Une somme dans la production si éclectique du maitre et des moments phares de sa manière chambriste. Les présentes interprétations ont été filmées en direct, en temps réel donc avec pour seules pauses les interruptions dues au concert et semble-t-il sans retouche. Le résultat est superbe. Car les cinq musiciens réunis, qui ne forment pas un ensemble pérenne comme le Trio Grumiaux et Eva Czako à l'alto et Georges Jenzer, cello, ou le Quatuor Talich et l'altiste Karel Rehak, naguère au disque, n'en sont pas moins unis par un lien de complicité artistique qui pare leurs exécutions de la plus extrême pertinence, ajoutée à la spontanéité du concert. La prise de vues, réduite en pareille occurrence à des gros plans de chacun des instrumentistes de face ou de biais, à des plans d'ensemble plus ou moins larges, est soignée. Et on savoure la joie gourmande de Renaud Capuçon, presque grognard, semblant vouloir parler, le sourire esquissé d'Alina Ibraghimova, l'autre violon, sous le charme de cette musique, l'intériorité de Gérard Caussé et son autorité bienveillante, l'œil aux aguets de l'autre altiste, Léa Hennino, et ses grands beaux yeux, l'extrême concentration du celliste Clemens Hagen, en apparence  imperturbable... On aime moins ces travellings de bas en haut qui de l'instrument (le violoncelle) remonte au visage de son titulaire ou les travellings de gauche à droite balayant les cinq protagonistes.

 

Le genre du quintette pour deux violons, deux altos et violoncelle, qui est plus qu'un quatuor à cordes augmenté d'un alto, permet en raison du doublement des altos un élargissement du registre médian et confère un charme particulier à la composition. L'ordonnancement des voix octroie au premier alto une position essentielle, d'arbitre, qui souvent dialogue avec le Ier violon, alors que les deux violons sont mis en concurrence. Cette dernière situation entraine une virtuosité certaine, particulièrement notable dans les derniers quintettes. Autre trait intéressant inhérent à ce type de composition : le fait que les thèmes sont repris alternativement par tous les instruments. Ce principe de répétition entraine un allongement de la durée des mouvements. Cela apparaît dès le quintette K. 174, pièce isolée (1787) dans la production mozartienne, car autre élément notable, ces pièces viendront chez Mozart ensuite  par deux :  K. 515 et K. 516, K. 593 et K. 614. Le cas du K. 406 étant particulier et singulier puisque Mozart y arrange sa Sérénade pour instruments à vents en Ut mineur K. 388. Toutes ces pièces constituent des chefs d'œuvre par l'agencement des cinq voix et la richesse du développement thématique, distançant les essais de Michael Haydn, d'Ignaz Pleyel ou d'Anton Hoffmeister.

 


©ISM

 

Sans vouloir détailler les interprétations, qu'il suffise de relever que le Quintette K. 174 (1773) reçoit une lecture asservissant ses difficultés techniques, installant la belle primauté de l'archet de Renaud Capuçon qui mène les débats, en particulier au Menuetto décidé, truffé de variations souvent jouées en écho entre les deux violons ; et au finale fugué, fiévreux. Le K.406, de 1788, clone du K. 388, est un monde de sombritude, contrastant à l'allegro initial un thème lyrique et l'autre dramatique, essentiellement livré aux altos, offrant au Menuetto un canon inversé, et un finale en schéma de variations ouvrant alors cette pièce ténébreuse sur de joyeuses perspectives. Avec le K. 515 (avril 1787), on aborde peut-être la plus connue de ces pièces : les cinq musiciens, au mieux de leur forme, montrent une cohésion extrême, s'attachant à faire en sorte que les répétitions apparaissent non comme des redites mais comme des enrichissements. La belle ligne du violoncelle de Clemens Hagen, qui ouvre l'allegro, lui confère une plénitude presque opératique, et le développement serré révèle toute une tragédie contenue. À l'andante, joué ici en deuxième position, le cantabile de l'échange du violon de Capuçon et de l'alto de Caussé devient dialogue d'aspiration au bonheur. Au Menuetto, la thématique se concentre, proche de l'angoisse, que le Trio ne parvient pas à libérer. Et le finale enjoué chante un thème aisé, si typiquement mozartien, qui comble l'auditeur et avant lui le musicien. Le ton plus que mélancolique du K. 516 (mai 1787), en sol mineur, les présents interprètes le poussent aux limites de la noirceur. A l'aune de la mélodie qui s'enroule à partir du Ier violon solaire mais angoissé de Capuçon, alors que Caussé marche dans ses pas. Un sentiment de mort rode là dedans. Le Menuetto renchérit. Sommet expressif de l'œuvre, l'adagio tutoie ici une abyssale méditation de ses phrases doucement interrogatives qui sont quelque prière adressée à une puissance supérieure ; puis le second thème apporte une respiration inattendue. Les cinq musiciens atteignent une vraie plénitude. Les premières pages adagio du finale poursuivent la réflexion du mouvement précédent, dominée par le chant du Ier violon : c'est d'une douleur indicible. Puis tout s'éclaire et c'est le bonheur retrouvé que les musiciens ne mégotent pas.

 

Le Quintette K. 593 (1790), fruit d'une commande d'un frère franc maçon, Johann Tost, violoniste amateur, s'ouvre par un larghetto livré au violoncelle, bien timbré  ici de Clemens Hagen, et débouche sur un allegro très décidé, décliné de moult façons. L'adagio épanche une émotion sérieuse, exprimée par chacune des cinq voix. Le menuet sonne haut et fort et le finale déroule une sorte de perpetuum mobile initié par le superbe violon de Capuçon. Charpenté, le développement montre des élans vigoureux. Magistral ! Enfin, le K. 614 (avril 1791), de nouveau commande de l'ami Tost, révèle des intentions maçonniques, et des difficultés interprétatives extrêmes. Lancé par les deux altos, l'allegro qui l'ouvre, sollicite tous les instruments à parts égales, même si le Ier violon mène souvent le jeu. La vision est extrêmement engagée. Débuté sagement, l'andante s'enrichit de jolies appogiatures du violon de Capuçon. Et les cinq musiciens se jouent des aspérités interprétatives que Mozart offre à ses exécutants (mélange des voix, superposition des thèmes). On a parlé à propos de cette pièce de « dépouillement esthétique » (Jean & Brigitte Massin) ; ce qui caractérise également le Menuetto. Leur belle faconde ennoblit le finale, joyeux, se concluant en une sorte de refrain - aspiration à la lumière ; aux Lumières - qui semble vouloir se prolonger mais cesse dans une fugue savante. Une somme !   

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Edward ELGAR : Symphony N° 1 en La bémol majeur op. 55. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. 1CD Decca : 478 9353. TT. : 51'40.

 

La Première Symphonie d'Edward Elgar (1908) se situe plus dans la tradition symphonique brahmsienne que dans le sillage des poèmes symphoniques de Richard Strauss et fuit donc toute musique à programme. Son langage abstrait a pu dérouter de ce coté-ci du Channel, car la riche thématique ne permet peut-être pas toujours des  repères très apparents, même par le jeu des reprises. Mais l'œuvre se signale par une écriture orchestrale raffinée et un élan caractéristique de la production symphonique du musicien anglais, qu'on peut apprécier au long de ses quatre mouvements. Le premier s'ouvre par un andante introduisant le ''thème noble et simple'' fait d'une longue mélodie, qui réapparaitra vers la fin du mouvement allegro qu'il clôt dans la sérénité. Le développement aura permis d'en apprécier les diverses métamorphoses. L'allegro molto suivant figure un scherzo emporté, combatif, presque héroïque. Le court trio bucolique fait diversion, qu'il faut jouer « comme quelque chose que vous entendez au bord de la rivière », dit un jour l'auteur à un orchestre. La reprise se fait avec presque fébrilité, notamment dans un appel des cuivres et un furtif solo du premier violon. Elgar était violoniste de formation. Et cela se termine là encore dans une sorte d'apaisement, introduisant l'adagio. Celui-ci, joué enchainé, est large et mélodieux aux cordes avec d'originaux ralentissements mettant en exergue en particulier les bois. Le discours se développe à travers une multitude de mini-thèmes et l'on musarde dans quelque univers de musique pure, précisément sans repères particuliers. Ce type de musique, propre à déconcerter les auditeurs français, ravit nos compatriotes britanniques qui au demeurant se délectent pareillement de la manière si peu cartésienne d'un Berlioz. Le finale, débuté lento, est de nouveau quelque peu énigmatique dans le discours qui débouche sur un allegro très allant que le chef va bouster. Un section scandée renchérit une dramaturgie agitée. Puis le thème du premier mouvement revient et la péroraison « grandioso, poco largamente » se fait bien cuivrée. Daniel Barenboim est un des grands défenseurs de cette musique dont il épouse le caractère expansif et en même temps rêveur. Son orchestre de la Staatskapelle Berlin est brillant, magnifiquement saisi dans la salle de la Philharmonie.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Arthur HONEGGER/Jacques IBERT : L'Aiglon. Drame lyrique en cinq actes. Livret de Henri Cain d'après la pièce éponyme d'Edmond Rostand. Anne-Catherine Gillet, Marc Barrard, Étienne Dupuis, Philippe Sly, Pascal Charbonneau, Isaiah Bell, Tyler Duncan, Jean-Michel Richter, Hélène Guilmette, Marie-Nicole Lemieux, Julie Bouliane, Kimly Mclaren. Chœurs de l'OSM. Orchestre Symphonique de Montréal, dir. Kent Nagano. 2CDs Decca : 478 9502. TT.: 92'29.

 

Voici une redécouverte car L'Aiglon n'avait pas connu le disque depuis 1956, encore qu'il ait eu plus récemment les honneurs de la scène, entre autres, à Marseille (2004, 2015) et à Tours (2013). Ce drame lyrique, créé en 1937 à Monte-Carlo, est original à plus d'un titre. Deux compositeurs s'en sont partagés l'écriture, Jacques Ibert et Arthur Honegger, la répartition des tâches entre les deux demeurant un secret de polichinelle puisque les actes 1 et 5 reviennent au premier, le II et le IV au second, et l'acte trois ayant été mené conjointement. L'histoire est directement empruntée à la pièce d'Edmond Rostand (1900) qui s'accommode bien d'une traduction musicale, moyennant quelques coupures. Enfin, le rôle titre, celui du duc de Reichstadt, est confié à une soprano – mais le héros de Rostand ne fut-il pas créé par Sarah Bernarhdt ? Le destin héroïco-tragique du fils de Napoléon, confiné au château de Schönbrunn en 1831, est narré au fil des 5 actes qui ont pour sous-titre  « Les ailes qui s'ouvrent » ou l'espoir de rentrer à Paris, « les ailes qui battent » ou l'évocation de Napoléon par Metternich, ravalant le Duc à peu, « les ailes meurtries » ou la vraie fausse conspiration d'opérette sur fond de valses viennoises, « les ailes brisées » ou l'évocation de la bataille de Wagram, enfin « les ailes fermées », la fin du prince. Quoique écrite par deux mains, la musique extrêmement variée offre pourtant une grande unité. Elle est on ne peut plus gallique avec un bel usage de la petite harmonie (le basson qu'Honegger dispense largement au 2 ème acte), sait être expansive, ou encore délicieusement ironique avec ses mouvements de marche de petits soldats (3 ème acte). On y trouve deux passages admirables telle la fin de l'acte IV où, pour évoquer la bataille de Wagram et la mort du grognard Flambeau, Honegger réutilise la musique conçue en 1927 pour le film d'Abel Gance Napoléon, qu'il truffe du Chant du Départ et de La Marseillaise. Et les dernières pages de l'acte V pour lesquelles Ibert conçoit une atmosphère apaisée, irisée, d'une puissance dramatique et d'une émotion contenue qui font penser à la dernière scène de Pelléas et Mélisande. Fruit d'un concert donné à Montréal en 2015, la présente interprétation a beaucoup d'atouts. A la tête de l'Orchestre Symphonique de Montréal, qu'il dirige désormais, Kent Nagano offre une lecture très expressive, parée de toutes les couleurs dont ces pages regorgent. Entièrement francophone, la distribution se fait une joie de la déclamation aisée de la pièce et de son langage truculent, voire leste. Du rôle titre, Anne-Catherine Gillet tisse un portrait intéressant : un adolescent partagé entre aspiration de gloire (« pour régner...Ai-je le front trop lourd et les poignets trop minces ? » et désarmante simplicité, jouet entre les mains du stratège Metternich. Le timbre est peut-être un peu aigu, ce qui à certains endroits taxe l'interprète. Un brelan de voix graves se partage les rôles de Flambeau (Marc Barrard), de Metternich (Étienne Dupuis), tous deux dispensant une excellente prosodie, et du Maréchal Marmont (Philippe Sly). On trouve également, dans des rôles plus épisodiques, les noms de Marie-Nicole Lemieux, Hélène Guilmette, Julie Boulianne ou Pascal Charbonneau, Une belle initiative et une œuvre à découvrir.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« English Delight ». Rebecca CLARKE : Sonate pour alto et piano. John DOWLAND : deux pièces. Benjamin BRITTEN : Lachrymae, op. 48. Frank Bridge : deux pièces. Jonathan HARVEY : Chant for solo viola. Ralph VAUGHAN WILLIAMS : Six Studies in English Folk Song. Henry PURCELL : Music for a while. Adrien La Marca, alto. Thomas Hoppe, piano. 1CD La Dolce Volta : LV22. TT.: 63'10. 

 

Le répertoire pour l'alto n'est pas si large et l'on apprécie d'autant ce disque qui lui est consacré. Le jeune Adrien La Marca, révélé aux Victoires de la Musique 2014, altiste du quatuor Capuçon, réalise ici son premier disque en solo. Un coup de maître tant par la conception du programme que par son exécution. A commencer par la Sonate pour alto et piano de Rebecca Clarke (1886-1979), altiste anglaise hélas peu connue, qui pourtant fut une des premières femmes à entrer dans un orchestre outre-Manche, au Queen' Hall Orchestra d'Henry Wood, en 1912, et connut une riche même si brève carrière de compositrice en musique de chambre en particulier. Sa sonate (1919), est d'une belle inspiration mélodique souvent proche du raffinement gallique et d'un romantisme retenu. A l'aune de l'Impetuoso initial que contrastent des traits tour à tour expansifs et recueillis flattant un registre discret de dynamique. Le Vivace qui suit est un scherzo espiègle qui vire au quasi religioso, passage de nouveau soft dans sa dynamique et le mouvement finit par une pirouette. L'allegro final s'ouvre par une section adagio, beau chant mélodique faisant une large part au recueillement avant de se déployer en un élan lyrique passionné, « une partie très déclamée et riche de variations de caractères » souligne Adrien La Marca. La coda, qui retrouve le thème du premier mouvement, termine la pièce brillamment. L'altiste rappelle que la pièce porte en épigraphe les vers tirés de La Nuit de Mai de Musset : « Poète, prends ton luth; le vin de la jeunesse / Fermente cette nuit dans les veines de Dieu ». Magistrale interprétation de La Marca et du pianiste Thomas Hoppe.

 

Le programme anglais se poursuit par deux pièces de John Dowland dont la seconde ''If my complaints could passions move'' est à la source de la pièce de Britten, Lachrymae opus 48. Ce morceau de l'auteur de Peter Grimes porte en sous titre ''Reflections of a Song of John Dowland''. Écrit en 1950 pour l'altiste William Primerose, il met en miroir l'univers de l'autre musicien anglais, au fil de dix variations, le thème n'apparaissant clairement qu'à la dernière. Les variations 1 à 3 sont intimistes, nocturnes, évoquant une déploration par un jeu très doux. En contraste, la 4ème est déclamatoire. Les 5 ème et 6 ème renouent avec un univers choisi, ce que poursuit la 7 ème, proche du stand still. La 8 ème, de son balancement et de sa montée dynamique, dévoile des couleurs insoupçonnées dans l'aigu de l'alto, « un savant mélange d'une marche immuable presque hallucinée, alliée à des couleurs de Jazz » (Le Marca). L'avant dernière, lento, prépare la 10 ème qui dévoile enfin l'entièreté du thème de Dowland. Voilà une œuvre magnifique qui reçoit une interprétation tout aussi choisie. Adrien La Marca joue ensuite deux pièces de Frank Bridge (1879-1941), le maître de Britten et excellent altiste, l'une rêveuse (''Pensiero'', de 1905), l'autre d'un grand lyrisme, (''Allegro appassionato'', 1908). Chant for solo viola de Jonathan Harvey (1939-2012) est une sorte d''invocation liturgique '' écrite avec scordatura, la corde de La étant abaissée d'un quart de ton et sonnant volontairement « faussée ». Les Six Studies in English Folk Song, ont été composées par Ralph Vaughan Williams en 1926. Ces délicates miniatures inspirées de chants traditionnels anglais sont d'une grande transparence (''Lovely on the Water''), presque sensuelle (''Spurn Point''), dégageant comme une bouffée d'air (''Van Dieman's land''), reposante (''The Lady and the Dragon'') ou pleine d'esprit (''As I walked over London Bridge''). Le programme se referme par le célèbre « Music for a while » de Purcell dans l'arrangement réalisé par Michael Tippett, qui offre une grande richesse harmonique grâce à l'importance accordée à la partie de Piano. « Une vraie déclaration d'amour à la musique » conclut notre jeune altiste qui aura enthousiasmé tout au long de cet imaginatif programme, tout comme son partenaire pianiste.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« De Baudelaire à Proust. Sonates françaises pour violon et piano. » César FRANCK. Gabriel FAURÉ. Claude DEBUSSY. Virginie Robillard, violon, Bruno Robillard, piano. 1 CD Hortus : HORTUS 128. TT : 70'07.

 

Pourquoi ce titre énigmatique ? De Baudelaire à Proust. Peut être comme une vague réminiscence de cette époque romantique, où l'on croyait à la correspondance de tous les arts, à une certaine analogie entre les sons et les mots, différentes facettes d'un même Grand Œuvre esthétique, sorte d'athanor créatif où se réunissaient toutes les altérités. Baudelaire en est l'exemple typique, lui qui défendit avec ardeur et conviction Richard Wagner notamment après la création parisienne de Tannhäuser, ou encore Proust qui s'inspira de la sonate de César Franck pour sa célèbre Sonate de Vinteuil dans la Recherche… Peut-être aussi, plus simplement, comme un hommage reconnaissant que voulaient rendre Virginie et Bruno Robillard à cette musique française, tant aimée, qui nourrit leur jeunesse et leurs premières interprétations familiales… Trois sonates pour violon et piano, trois pièces majeures du répertoire chambriste, la Sonate de César Franck, poétique et passionnée, de forme cyclique, composée en 1886 au crépuscule de sa vie, dédiée à Eugène Ysaÿe qui la créa en 1886, la Sonate n° 1 de Gabriel Fauré, plus hardie dans sa forme et son contenu, magnifique et envoûtante, composée à l'âge de trente ans alors que le compositeur était amoureux de Marianne Viardot, dédiée au pianiste Paul Viardot, créée en 1877 avec Fauré au piano, enfin la Sonate de Debussy, plus moderne encore, aux multiples influences, ambiguë joyeuse et grave, créée en 1917 avec l'auteur au piano, utilisant un langage unique et inimitable, dernière œuvre complète du grand Claude, écrite pendant la Grande Guerre, laborieusement, alors qu'il était gravement malade et, en cela d'autant plus émouvante. Trois œuvres dissemblables mais une même excellence musicale dans l'interprétation marquée par une grande complicité, une virtuosité, une poésie, une délicatesse, une élégance, une clarté et une émotion qui jamais ne se démentent. Un album magistral !

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Vers la vie nouvelle». Cécile CHAMINADE. William BAINES. George ENESCO. Nadia BOULANGER. Jean CRAS. Anne de Fornel, piano. 1 CD HORTUS 717. Collection Les musiciens de la Grande Guerre. Vol. XVII. TT : 63'02.

 

Le label Hortus poursuit sa passionnante exploration de l'univers musical, encore mal connu, de la Grande Guerre avec ce nouvel album (17e opus)  convoquant successivement Cécile Chaminade (Au pays dévasté), William Baines (Paradise Gardens), Georges Enesco, (Choral et Carillon nocturne. Deux pièces impromptues de la Suite n° 3), Nadia Boulanger (Vers la vie nouvelle)  et Jean Cras (Quatre danze). Tous compositeurs ayant eu à souffrir des affres de la guerre, toutes compositions portant les stigmates de la souffrance, de la déploration, mais aussi porteuses du secret espoir d'une vie nouvelle. Le piano Pleyel 1892, utilisé ici, par ses aigus cristallins, par l'importance de sa résonance et la présence de ses basses profondes participe indéniablement de l'émotion, de la clarté et de l'expressivité de l'admirable interprétation d'Anne de Fornel. Une découverte discographique assurément et un livret assez complet qui permettra à l'auditeur de faire plus amplement connaissance avec ces compositeurs oubliés. Un nouvel opus qui ne déparera pas cette très belle collection.            

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Ombres et lumières ». Rudi STEPHAN. Louis VIERNE. Lucien DUROSOIR. Ensemble Calliopée. 1 CD HORTUS : 718. Collection Les Musiciens et la Grande Guerre. Vol XVIII. TT : 72'32.

 

Contrairement à ce que pourrait faire supposer le titre de cet album, voici un enregistrement contenant plus d'ombres que de lumière. Les ombres de ces hommes appartenant à toute une génération de compositeurs, le plus souvent méconnus de nos jours, marqués, décimés et meurtris par ces années d'horreur que furent les quatre années de la Grande Guerre. Un nouvel album (XVIIIe opus) de cette passionnante collection « les Musiciens et la Grande Guerre » éditée par le label Hortus, consacré aux œuvres de Rudi Stephan, Louis Vierne et Lucien Durosoir. Trois musiciens dont le destin fut bouleversé par la guerre, trois histoires d'homme et trois chefs d'œuvre de musique de chambre. Rudi Stephan (1887-1915) mourut à 28 ans avant de pouvoir confirmer une carrière de compositeur qui s'annonçait prometteuse. Sa Musik für sieben Saiteninstrumente (Musique pour sept instruments à cordes) composée en 1911 annonce de façon étonnamment prémonitoire la présence obsédante de la mort. Dans un climat sombre et lugubre se dégagent, tout au long des deux mouvements de ce septuor, des épisodes contrastés et violents quasiment expressionnistes laissant place par instant à des intermèdes habités d'une joie surprenante et  incongrue. Louis Vierne (1870-1937) fut marqué au plus profond de sa chair par la mort au front de son fils de 17 ans. Le Quintette pour piano et cordes composé en 1918 marque à la fois, la douleur d'un père, sa révolte et sa rage. Quant à Lucien Durosoir (1878-1955), c'est à son retour du front qu'il fut pris d'une frénésie créatrice, sorte d'exutoire musical de sa souffrance intime  longtemps mûrie dans son fauteuil de glaise, dans les tranchées, souffrance intime dont le Poème pour violon, alto et  piano est le fruit (1920). Trois œuvres de musique de chambre au romantisme douloureux, oscillant entre déploration et révolte, formidablement interprétées par l'ensemble Calliopée. Un disque document en même temps qu'une découverte à ne pas manquer.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Gaetano DONIZETTI : Le Duc d'Albe. Opéra en deux actes. Livret d'Eugène Scribe et Charles Duveyrier. Michael Spyres, Angela Meade, Laurent Naouri, Gianluca Buratto, David Stout, Trystan Llyr Griffiths, Robin Tritscher. Opera Rara Chorus. The Hallé Orchestra, dir. Sir Mark Elder. 2 CDs Opera Rara : ORC54. TT : 44'58 + 48'40.

 

Une histoire compliquée que l'histoire de cet opéra peu connu de Gaetano Donizetti (1797-1848). Résultant d'une commande de l'Opéra de Paris, qui ne fut jamais honorée par la Grande Boutique pour cause de lutte d'influence et de caprice de diva, cet opéra resta inachevé à la mort du compositeur. Celui-ci ne laissant que les deux premiers actes de ce vaste projet qui devait normalement en comporter quatre, construit suivant le moule du grand opéra français, grande fresque historique avec intrigue amoureuse et ballet. Sa composition débuta en 1839, à Paris, sur un livret d'Eugène Scribe et Charles Duveyrier. Jamais représenté du vivant du compositeur, le livret fut ultérieurement utilisé par Giuseppe Verdi dans les Vêpres Siciliennes (1855). Plusieurs versions ultérieures furent commandées par les héritiers du maitre de Bergame pour tenter de terminer l'opéra en complétant les deux derniers actes manquants, laissés par Donizetti à l'état d'esquisse. Une première version due à Matteo Salvi (élève de Donizetti) sur un livret d'Angelo Zanardini fut créée en 1882 au Teatro Apollo de Rome, une deuxième version fut effectuée par Thomas Schippers et créée en 1959 au Teatro Nuovo de Spolète. Ces deux versions tardives, sur un livret en italien, furent assez contestées puisqu'on reprocha à la première ses accents verdiens marqués, tandis que la seconde, essayant de revenir à l'origine, s'attachait à se rapprocher d'un très hypothétique Donizetti ( ?) Quoiqu'il en soit aucune de ses deux versions ne réussit à s'imposer et Le Duc d'Albe disparut de l'affiche. Le mérite du présent enregistrement, mais ce n'est pas le seul, est de ne considérer que les deux premiers actes dont on est sûr qu'ils furent écrits par Donizetti, complétés de façon minimale par Martin Fitzpatrick, avec bien sûr, pour conséquence l'absence de finale qu'il est toutefois possible de lire dans le livret….L'action se déroule en Flandres à la fin du XVIe siècle, placées sous le joug tyrannique des envahisseurs espagnols commandés par le Duc d'Albe (Laurent Naouri) qui vient de faire exécuter le comte d'Egmont, descendant d'une riche famille des Pays Bas. Le maitre brasseur Daniel (Gianluca Buratto) a pris sous sa protection la fille d'Egmont, Hélène (Angela Meade) et s'associe à la conjuration flamande menée contre les espagnols par le jeune Henri (Michael Spyres) amoureux d'Hélène. Plusieurs fois arrêté,  Henri s'étonne d'être à chaque fois relâché, jusqu'à ce que le Duc d'Albe lui demande de s'engager dans l'armée espagnole et lui avoue qu'il est, en fait, son père…. C'est sur ce pardon surprenant et improbable que s'achève le deuxième acte !

 

Ce remarquable enregistrement sera pour beaucoup une découverte, conduit par les mains expertes de Sir Mark Elder  qui parvient à rendre et à faire ressortir toutes les couleurs de la musique du compositeur bergamasque, caractérisant autant de climats comme le drame, l'amour, l'urgence, le secret de la conjuration ou encore la solennité des valeurs de lutte et de travail. La distribution vocale est de haute qualité concernant la ligne de chant, l'implication ou la diction en français, dominée par le trio masculin, Albe, Daniel et Henri. Laurent Naouri (baryton basse) campe un Duc d'Albe d'une belle prestance, posé et autoritaire. Gianluca Buratto (basse) prête sa voix profonde à un Daniel, maitre brasseur, plein de charme et de compassion. Michael Spyres (ténor) affirme son caractère de héros plein de hargne et d'amour par sa projection,  la largeur et la facilité de ses aigus ainsi que par l'étendue de sa tessiture. Seule Angela Meade, bel cantiste et verdienne reconnue, déçoit un peu, non pas tant par son engagement, sa souplesse et sa qualité vocales, que par son vibrato important et gênant, associé à une diction de piètre qualité rendant le discours quasiment incompréhensible. Enfin cet opéra vaut surtout par la beauté de ses ensembles comme le trio de la Scène n°5 « Race faible et poltronne… » le duo de la Scène n°7 « Quel est ton nom… » de l'acte I ou encore le grand ensemble avec chœur de la Scène n°6  « Les derniers feux meurent dans l'ombre… » ou le duo d'amour « Comment dans ma reconnaissance… » de l'acte II, sans oublier l'air d'Hélène « Henri ! Noble jeune homme… ». A noter pour terminer l'excellence du Chœur très sollicité dans cet opéra. En bref, un magnifique coffret qui ravira tous les amateurs d'opéra. Indispensable !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Franz LISZT. Concerto in the Hungarian Style. Hungarian Fantasia. Wanderer Fantasia. Cyprien Katsaris, piano. The Philhadelphia Orchestra, dir. Eugene Ormandy. 1 CD Piano 21 : P21 022-A. TT : 50'46.

 

Un enregistrement historique datant de 1981, extrait des archives du pianiste Cyprien Katsaris, édité par son propre label Piano 21, un disque document qui permet en outre de réécouter l'immense chef Eugene Ormandy, à la tête de l'Orchestre de Philadelphie qu'il dirigea, et dont il façonna la sonorité pendant plus de quarante ans (1938-1980). Un programme totalement dédié à Liszt avec des œuvres peu connues du compositeur hongrois et un arrangement orchestral de la Wanderer Fantaisie de Schubert. Le Concerto pour piano dans le style hongrois est parfois attribué à une élève de Liszt, Sophie  Menter. Toute porte à croire que Sophie Menter obtint du compositeur qu'il écrive pour elle une œuvre originale pour piano, s'appuyant sur des airs tziganes, pour laquelle elle demanda plus tardivement, après la mort de Liszt, à Tchaïkovski une orchestration. Quoi qu'il en soit, ce concerto porte indiscutablement la marque lisztienne et sa parenté avec les Rhapsodies hongroises ne fait aucun doute. La Fantaisie sur des chants populaires hongrois pour piano et orchestre  est issue de la quatorzième Rhapsodie où se mêlent thèmes folkloriques et improvisation. Enfin la Wanderer Fantaisie est un exemple typique des réappropriations lisztiennes, arrangements, orchestration, et paraphrases témoignant de l'admiration que le maitre de Weimar portait à son illustre aîné. Un disque document magistralement interprété, tant par l'accompagnement orchestral d'une grande fraicheur, que par la partie pianistique associant une digitalité virtuose et un sens musical aguerri. Un disque incontournable, indispensable à toute discothèque.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Krzysztof PENDERECKI. Clarinet Concerto. Flute Concerto. Concerto Grosso n° 1. Michel Lethiec, clarinette. Lukasz Dflgosz, flûte. Arto Noras, Rafal Kwiatkowski et Bartosz Koziak, violoncelles. The Polish Sinfonia luventus Orchestra, dir. Krzysztof Penderecki. 1 CD DUX  1186. TT : 77 '06.

 

Un disque qui permettra aux auditeurs curieux de faire plus amplement connaissance avec la musique du compositeur et chef d'orchestre polonais Krzysztof Penderecki (*1933). Son important catalogue comprend opéras, musique symphonique et concertante, musique vocale, musique de chambre et  musique sacrée. D'abord tenté par la musique sérielle, il évolua plus tardivement vers un certain néo romantisme marquant son retour à la tonalité. Le présent enregistrement permet d'apprécier différentes facettes de son œuvre. Le Concerto pour clarinette, transcription d'un Concerto pour alto date de 1983. Évoluant en un seul mouvement, s'y succèdent huit moments de tempo différents où, sur une longue complainte grave et douloureuse de l'orchestre, la clarinette émerge de façon de plus en plus véhémente par de virtuoses stridences dans un discours parfois solitaire (plus juxtaposition que dialogue avec l'orchestre) aux articulations hachées et abruptes où le compositeur va au bout des possibilités techniques et sonores de l'instrument. Plus lyrique, le Concerto pour flûte fut composé en 1992, dédié au flutiste français, Jean-Pierre Rampal. Le Concerto grosso n° 1, composé pour trois violoncelles fut créé à Tokyo en 2001. N'ayant de baroque que son illusoire appellation, il se rapproche plutôt du concerto pour orchestre tant le dialogue parait ici serré entre les différents instruments, violoncelles, vents et percussions. Ambigu, oscillant entre drame, joie et ironie burlesque, il rappelle fortement Chostakovitch dans sa conception comme dans ses sonorités, ce qui n'est pas un mince compliment. Un disque magnifique et une musique envoûtante, d'une vénéneuse beauté. À découvrir absolument !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Francesco Filidei. FORSE . Ensemble 2e2m. Dir. Pierre Roulier. 1CD l'empreinte digitale (www.empreintedigitale-label.fr):ED13247. TT.: 45'39

 

Voilà un CD courageux. Rien de spectaculaire en effet dans les œuvres enregistrées, mais une expérience sonore qui peut déranger. Francesco Filidei en est l'auteur. Ce compositeur italien, né à Pise en 1973 est aussi un remarquable organiste. Formé au conservatoire Cherubini de Florence, il a aussi bénéficié d'une formation au Conservatoire national supérieur de musique de Paris prodiguée notamment par Michael Levinas. Ce CD propose trois œuvres surprenantes. On n'est donc pas étonné d'entendre Salvatore Sciarrino, un de ses maîtres, caractériser le travail de Filidei en ces termes : [il essaye] « d'imaginer une musique qui a perdu l'élément sonore », ce qui toutefois ne doit pas se comprendre comme une négation de la nature même de la musique. Ce serait rejeter en tant que compositeurs tous ceux qui osèrent se détourner des sons tels qu'ils ont pu être traités tout au long de l'histoire de la musique occidentale et qui pourtant marquent aussi de leur empreinte cette histoire. Ainsi le XXème siècle a vu un John Cage « préparer » son piano pour qu'il en sorte des sons étranges, allant même jusqu'à élever 4'33 de silence au rang de composition musicale. Helmut Lachenmann gratte la surface des notes pour tenter de découvrir ce qui précède le son. On peut en dire autant de Mauricio Kagel. Et nombreux sont les compositeurs italiens contemporains qui s'émancipent des sons donnés traditionnellement par les instruments classiques. Sciarrino est justement l'un d'eux, mais aussi, autre maître auprès duquel Filidei s'est perfectionné, Sylvano Bussotti. Mais ne voyons pas dans ce que nous propose ici Francesco Filidei, des créations dans la lignée de celles des deux maîtres italiens. La démarche de Filidei est parfaitement originale. Certes, à l'instar de Sciarrino – et d'autres compositeurs italiens comme Luigi Nono ou Luciano Berio – de fugitives évocations de maîtres anciens sont audibles ; c'est le cas dans le Concertino d'Autunno datant de 2007 : l'Automne des Quatre Saisons de Vivaldi affleure le tissu sonore mis en place par Filidei. En fait, malgré une démarche que l'on peut considérer comme iconoclaste, il y a bien souvent chez ces compositeurs un désir de rendre hommage aux grands maîtres du passé comme Monteverdi, Vivaldi, Scarlatti ou Puccini. C'est ce que fait clairement Filidei non seulement dans le Concertino d'Autunno mais aussi dans la pièce intitulée Puccini alla caccia (2006) qu'il faut considérer comme un hommage à l'homme certes compositeur, mais aussi chasseur. Le climat sonore y est particulièrement évocateur aidé en cela par 8 joueurs d'appeaux. En revanche aucune mélodie puccinienne n'est perceptible.

 

L'œuvre médiane qui donne son titre au CD, l'opéra Forse (2008-2009) est peut-être plus difficile à aborder. Elle repose sur un texte de Pierre Senges, auteur notamment de fictions radiophoniques pour France Culture. Ici, il conte les amours d'un oiseau et d'un poisson qui se terminent tragiquement. L'écrivain est lui-même le récitant de cette « tragédie », divisée en 8 sketches commentés par les interventions musicales de Filidei. A cet égard on pourra être ému par la séquence Preghiere, deux textes latins déclamés – Requiem et Lacrimosa - venant en superposition de la musique. En fait l'élément musical est très présent, différent de ce que des instruments joués « normalement » émettraient. Est ainsi créé un monde très sensuel, parfois mystérieux, qui interpelle notre imagination. Si on écoute son très récent opéra Giordano Bruno, créé à Porto en décembre 2015 et présenté ce mois d'avril à Gennevilliers et Caen, on aura le sentiment d'une évolution de son langage. Le discours est particulièrement dramatique, les sons moins étranges et l'ensemble émeut très directement. Mais ce qu'il écrivait il y a un peu moins de 10 ans porte en germe cette dernière œuvre d'une très grande maturité. Aussi pour l'apprécier totalement le présent CD constitue la meilleure des introductions. Les trois pièces qui le composent sont un jalon dans le parcours artistique de Francesco Filidei. L'interprétation est à coup sûr conforme à ce que Filidei devait souhaiter, lui qui fût compositeur en résidence de l'Ensemble 2e2m en 2015. La restitution des sonorités particulières des œuvres est parfaite, particulièrement fine.

 

Gilles Ribardière.

 

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MUSIQUE ET CINEMA

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ENTRETIEN

 

Valentin Hadjadj : de la musique qui sert l'action

 


DR

 

 

Pour son premier long métrage « Avril et le Monde Truqué » de Franck Ekinci et Christian Desmares, avec des dessins de Tardi, le jeune compositeur Valentin Hadjadj a remporté plusieurs prix internationaux dont celui de l'UCMF pour la BO. Il a fait ses études musicales à Lyon, a suivi des stages auprès de compositeurs confirmés, a écrit pour des courts-métrages. Il accepté autour d'une bière un rendez-vous avec nous.

 

Comment êtes-vous arrivé sur ce long métrage d'animation, tout jeune compositeur avec aussi peu d'expérience ?

Je pense que c'est mon agent Jean Pierre Arquié et le conseiller musical Emmanuel Deletang qui m'ont recommandé. Il y avait déjà un compositeur sur le film, c'était quand même spécial comme situation. Les compositeurs qui ont plus de bouteille n'acceptent pas ce genre de condition.

 

Qu'aviez-vous comme expérience ?

J'étais encore étudiant au CNSMD à Lyon, j'avais fait pas mal de courts, j'avais fait un documentaire avec Gérard Corbiau. Je n'avais pas fait énormément de choses, des films d'étudiants. J'ai fait un dessin animé où le discours musical collait assez bien avec celui d'Avril. Je pense qu'ils ont dû le voir. On a fait des essais et si cela n'avait pas marché, ils ne m'auraient pas pris !

 

On ne dira pas le nom de l'autre compositeur !

On ne dira pas son nom ! Après trois mois il n'y avait pas grand chose qui avait été sélectionné par la réalisation. Donc la production a cherché un compositeur qui puisse travailler avec lui et arranger et orchestrer sa musique.

 

Êtes-vous arrivé le film terminé ou pendant le montage ?

Le début était terminé mais la fin du film ne l'était pas. Comme je composais en chronologie ce n'était pas gênant. J'ai travaillé une semaine avec l'autre compositeur, mais ça ne marchait pas…

 

Vous ne vous entendiez-pas ?

Non non, mais pour aller plus vite on s'était partagé les séquences ; moi j'avançais de mon côté et lui non.

 

Avait-il déjà travaillé pour des longs ?

Non c'était son premier. Il avait fait un peu de télé mais la demande sur le film était plus lourde que ce qu'il avait déjà composé !

 

Il n'avait peut-être pas le bagage suffisant techniquement ?

Il écrivait pas mal mais il n'avait pas une vision globale du film.

 

Lorsque vous avez rencontré les réalisateurs, que vous ont-ils dit au sujet de la vision musicale de leur film ?

C'était assez clair dès le début parce qu'ils avaient monté leur film avec des musiques qui allaient de Stravinsky à Cliff Martinez ! Le premier vrai travail c'était de trouver une vraie couleur au film. Il y avait du Herrmann, de la musique orchestrale. Entre moi et les réalisateurs il y avait des intermédiaires, comme mon agent Jean Pierre Arquié et le conseiller musical Emmanuel Deletang. Ils  se connaissent bien, ils sont dans le même bureau, ils avaient déjà été briffés par ce que voulait la réalisation.

 

Que leur avez-vous proposé ?

Je leur ai expliqué comment je pensais travailler : d'abord trouver des thèmes, pour avoir une cohérence sur tout le film. Les thèmes ont été validés et du coup j'ai avancé, avancé et comme le premier compositeur n'était plus là, j'ai continué...

 

La musique sur un dessin animé c'est très important ?

Oui, le travail au niveau du son a été énorme et il restait moins de place pour la musique. Mais par exemple il y a beaucoup de courses poursuites dans le film et la musique apporte du punch !

 

Les réalisateurs avaient-ils une culture musicale ?

Moi j'ai eu une relation avec Franck. Christian je ne l'ai eu qu'au téléphone. Les musiques étaient déjà très compartimentées, il n'y avait pas beaucoup de discussion. Ils ont assez vite validé. Il n'y a pas eu réellement de discussions sur le fond, ils savaient exactement ce qu'ils voulaient.

 

Et que voulaient-ils au départ ?

Ils voulaient de la musique qui sert l'action, pas l'émotion. Comme le film est assez décalé, je voulais renforcer cela, ce côté étrange, bizarre.

 

Lorsqu'on écoute votre musique, on sent des influences de Herrmann... une musique très symphonique.

J'ai fait mon mémoire sur Herrmann, je le connais un peu. Je pense que c'est dans le son des cordes que l'on sent cela, comme des enregistrements de l'époque, assez aigres, durs et froids, et cela marche pas mal sur le film, ce côté des années 40. Il ne fallait pas un son ample et beau. Herrmann c'est les cordes !

 

Avez-vous dirigé l'orchestre ?

Non, je ne suis pas formé pour et puis il fallait aller vite, bien parler anglais : on avait le Philharmonia à Londres. Il y avait un orchestrateur qui travaille avec Eric Neveux qui était là pour m'épauler en cabine. Il m'a bien coaché, on s'est bien entendu.

 

Vouliez-vous toujours faire de la musique de film ?

Oui, ado j'aimais beaucoup ce genre de musique ! Si je n'avais pas su qu'il existait une formation je n'aurais jamais tenté de devenir compositeur. Au lycée j'ai passé un bac musique puis j'ai fait le conservatoire en guitare, j'ai étudié l'harmonie, le solfège, la musicologie. Et j'ai eu un prof qui m'a dit qu'il existait une formation de composition de musique de film et donc je l'ai suivie !

 

Est-on musicien dans votre famille ?

Oui et lorsque j'avais quatre, cinq ans on m'a demandé si je voulais jouer d'un instrument et j'ai choisi la guitare.

 

Vous auriez pu faire du rock !

J'ai eu un groupe mais ce n'était pas fameux fameux. Non c'est la musique orchestrale qui m'attirait, la musique de film c'est très bien !

 

Quelle musique de film écoutiez-vous quand vous étiez ado ?

C'était le « Seigneur des Anneaux », même si maintenant ce n'est pas ma musique préférée. Mes parents écoutaient « Barry Lyndon » mais c'est de la musique classique, j'allais beaucoup au cinéma mais je n'étais pas attiré par la musique plus que ça ! J'aimais beaucoup les compositeurs classiques fin XIXème début XXème, qui ont fait de la musique très imagée, le Sacre du Printemps, la Symphonie du Nouveau Monde. Ce sont des musiques qui me parlaient beaucoup. La musique contemporaine n'est pas une musique qui m'attire ! Je trouvais que les images étaient un très bon support pour écrire.

 

Et la guitare ?

J'ai complétement arrêté à vingt ans !

 

Et pour composer comment faites-vous ?

J'ai toujours joué du piano, je compose à l'ordi et je maquette beaucoup, ça me rassure et après je fais les partitions, où je réécris beaucoup.

 

Vous vous sentez un symphonique ?

Quand j'ai commencé à faire de l'écriture musicale, on écoutait Boulez, Messiaen. Je ne me reconnaissais pas du tout dans cette musique mais on nous la présentait comme la musique qu'il fallait faire aujourd'hui ! La musique de film était un super moyen pour m'identifier musicalement même si quelquefois je trouve qu'on ne va pas assez loin ! Lorsque je vais au cinéma et que le film est vraiment réussi, je n'arrive pas à me concentrer sur la musique, je déconnecte complétement !

 

Est-ce que des réalisateurs, des producteurs, vous ont contacté après que vous ayez composé pour ce film,?

Oui j'ai fait un documentaire, parce qu'il y avait un des animateurs qui avaient travaillé sur Avril, mais je n'ai pas eu de retour direct. Il n'y a pas beaucoup de films d'animation qui se font en France. Je ne sais pas si la musique que j'ai écrite intéresse des réalisateurs qui font du cinéma en prise réelle. Ils ont du mal à se projeter.

 

A l'écoute de la musique seule on n'a pas cette impression. C'est de la vraie bonne musique de film ! Parlez-moi de vos derniers projets.

J'ai travaillé avec le groupe Pink Martini pour un film qui sort fin août. J'ai cosigné la musique sur des paroles pré-écrites des chansons. C'est l'histoire d'une chanteuse avec Isabelle Huppert comme actrice principale.

 

J'espère que vos prix vont vous faire mieux connaître !

C'est trop tôt pour en parler ! Je ne sais pas si les gens de cinéma s'intéressent aux prix pour la musique. Le prix de l'UCMF  a fait plaisir à toute l'équipe qui était présente à la SACEM et j'espère qu'on va retravailler ensemble !

 

C'est une société qui fait beaucoup d'animation !

Oui ils font beaucoup de télé, ils ont fait « Persépolis », « Le Jour des Corneilles ». Mais les délais sont immenses, donc c'est très difficile de faire un film par an. Je crois pour Avril qu'ils ont mis plus de sept ans !

 

 

Avez-vous des contacts avec des compositeurs ?

Oui parce que j'ai fait pas mal de workshops, de résidence, à Aubagne, à la maison du court. Je connais beaucoup les compositeurs de mon âge, de ma génération. A 25 ans faire un long-métrage c'est très jeune ; en général c'est trente, trente cinq ans. Il faut avoir de la chance c'est ce que j'ai eu,

 

Vous avez eu un agent très tôt ?

En fait Jean-Pierre je l'ai démarché pour faire mon stage que j'ai fait chez Cyrille Aufort et il a pensé à moi pour le projet !

 

Qu'est-ce que vous avez appris chez Cyrille Aufort ?

Tout le côté technique du métier que je ne connaissais pas du tout, les exports, les partitions à préparer, les partitions pour les enregistrements, l'organisation du travail. Il est très maniaque là-dessus. Moi je suis bordélique et il m'a appris à être très technique, technique. Il a travaillé sur « La Glace et le Ciel », c'est vachement bien écrit ! La BO de « Splice » est fabuleuse ! Cyrille a fait la même école que moi, donc il est très orchestral !

 

Votre actualité ?

J'ai une commande pour l'Orchestre de Basse Normandie, un ciné concert avec des films de Mélies, 50 minutes de programme ! J'ai un documentaire…Joker !...tant que ce n'est pas signé…je n'en dirai pas plus…c'est sur les enfants de migrants, un documentaire espagnol ! Quelques courts-métrages, une série télé en préparation, petit format…et un long métrage qui se profile pour 2017…

 

Gagnez-vous votre vie ?

Je commence grâce à Avril.

 

Où peut-on trouver la musique du film ?

En téléchargement chez 22D. C'est Emmanuel Deletang qui est l'éditeur de la musique. Il a un énorme pied dans l'animation.

 

Alors cher Valentin à bientôt sur les écrans !

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

BO EN CDs

 

 

AVRIL ET LE MONDE TRUQUE. Réalisateur : Franck Ekinci, Christian Desmares. Compositeur : Valentin Hadjadj. Les éditions du 22 Décembre en téléchargement

 

1941. Le monde est radicalement différent de celui décrit par l'Histoire habituelle. Napoléon V règne sur la France, où, comme partout sur le globe, depuis 70 ans, les savants disparaissent mystérieusement, privant l'humanité d'inventions capitales. Ignorant notamment radio, télévision, électricité, aviation, moteur à explosion, cet univers est enlisé dans une technologie dépassée, comme endormi dans un savoir du XIXème siècle, gouverné par le charbon et la vapeur. C'est dans ce monde étrange qu'une jeune fille, Avril, part à la recherche de ses parents, scientifiques disparus, en compagnie de Darwin, son chat parlant, et de Julius, jeune gredin des rues. Ce trio devra affronter les dangers et les mystères de ce Monde Truqué. Qui enlève les savants depuis des décennies ? Dans quel sinistre but ? Sur des dessins de Tardi, Valentin Hadjadj a composé une musique lyrique d'une grande force d'invention. C'est sa première BO pour un long et elle est réussie ! Il maîtrise parfaitement son outil car composer pour un dessin animé n'est pas une mince affaire. La musique a ici un rôle aussi important que le dessin. La facture de la musique est très classique et dans l'écriture et dans les thèmes choisis, avec de belles envolées rythmiques, en phase avec l'époque à laquelle se passe l'histoire. Le prix que Valentin Hadjadj a reçu de la part de l'UCMF est pleinement mérité. Claire Tillier chante une amusante chanson. Un CD sympathique à télécharger, à écouter, écrite pour un dessin animé fantastique à voir et revoir. Une grande réussite qui aurait dû avoir le César plutôt que celui choisi ! Mais on sait que les 4000 votants sont aveugles et sourds !

 

 

 https://www.youtube.com/watch?v=mvqqQwtaC-M&list=PLzhk329J-YhImZRxaTBVs8r4HtlykElUQ

 

 

ANOMALISA. Réalisateur : Charlie Kaufman, Duke Johnson. Compositeur : Carter Burwel. 1 CD Lakeshore Records.

 

Michael Stone, mari, père et auteur respecté de « Comment puis-je vous aider à les aider ? » est un homme sclérosé par la banalité de sa vie. Lors d'un voyage d'affaires à Cincinnati où il doit intervenir dans un congrès de professionnels des services clients, il entrevoit la possibilité d'échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa, représentante de pâtisseries, qui pourrait être ou pas l'amour de sa vie…Face à cet ovni, un film inclassable, mélancolique, tragique, dérangeant, déconcertant, Carter Burwel offre une musique, ou plutôt des bribes de musiques (des morceaux de 20 secondes !) qui ajoutent au tragique de cette animation en stop-motion. Ces parenthèses musicales fonctionnent parfaitement dans le film. Quant à les écouter sur un CD, c'est très frustrant, à moins qu'on soit maso comme Michael Stone !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=q5bwQfNbLe8&list=PLChRZ0hmLwKLMryHRx-czpwg73BHfs60C&index=5

 

 

CAROL. Réalisateur : Todd Haynes. Compositeur : Carter Burwel

Varese. 1CD  Sarabande UPC: 030206738087

 

Dans le New York des années 1950, Thérèse, jeune employée d'un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d'une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d'un mariage peu heureux. À l'étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle. Après "Loin du Paradis", le super mélo à la Douglas Sirk et la magnifique musique d' Elmer Bernstein, Todd Haynes revisite ses classiques avec Carter Burwel à la composition. Burwel offre une musique minimaliste magnifique avec un petit ensemble à la Phil Glass où le piano est très présent. Après les compositions qu'il a écrites, Burwel arrive à encore nous étonner dans des registres totalement différents. Sur le CD, comme nous sommes dans les années cinquante on peut entendre « One Mint Julep » par les Clovers, le fameux « Easy Living » par Billie Holliday, la guitare de Les Paul, et la voix de Mary Ford dans « Smoke Rings », et « No Other Lover »  de Paul Weston chanté par sa femme Jo Stafford, inspiré de Tristesse de Chopin qui fut chanté par Tino Rossi avant guerre ! Un CD et un film à savourer.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=v162MTr_RPM&list=PLbRpHkuMazSKL73_wqMhSWiPuzNizmCdg&index=1

 

 

X-MEN Apocalypse. Réalisateur : Bryan Singer. Compositeur : John Ottman. 1CDSony - 88985321202

 

Depuis les origines de la civilisation, Apocalypse, le tout premier mutant, a absorbé de nombreux pouvoirs, devenant à la fois immortel et invincible, adoré comme un dieu. Se réveillant après un sommeil de plusieurs milliers d'années et désillusionné par le monde qu'il découvre, il réunit de puissants mutants dont Magneto pour nettoyer l'humanité et régner sur un nouvel ordre. Raven et Professeur X vont joindre leurs forces pour affronter leur plus dangereux ennemi et sauver l'humanité d'une destruction totale. Le score a été composé par l'Américain John Ottman. Il collabore régulièrement avec le réalisateur Bryan Singer. Parmi les nombreux films pour lesquels Ottman a composé : « Non-Stop », « Jack le chasseur de géants », « Kiss kiss Bang Bang », « Les 4 Fantastiques », « Cellular », « La maison de Cire », « Gothika », « X-MEN 2 », « Urban Legend 2 », « Usual Suspects », « Ennemi Public »,.. Efficacité, énergie sont les maîtres mots de cette musique et du CD. Une musique pour les amateurs du genre !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=EjdR3DVIzhw

 

MIDNIGHT SPECIAL. Réalisateur : Jeff Nichols. Compositeur : David Wingo. 1CD WTM-10612138

 

 

Fuyant d'abord des fanatiques religieux et des forces de police, Roy, père de famille et son fils Alton, se retrouvent bientôt les proies d'une chasse à l'homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. En fin de compte, le père risque tout pour sauver son fils et lui permettre d'accomplir son destin. Un destin qui pourrait bien changer le monde pour toujours. David Wingo a composé pour tous les films de Jeff Nichols – « Mud », « Take Shelter » et le dernier, « Loving », en compétition à Cannes. Une musique qui colle à ce beau film à la Spielberg mais avec des effets sonores « science fiction » trop convenus à la simple écoute. Une sorte d'Interstellar bis sans l'orgue !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=IpjYgYNPqTU

 

 

LA PASSANTE DU SANS-SOUCI / GARDE À VUE. Réalisateurs : Jacques Rouffio - Claude Miller.Compositeur : Georges Delerue. Référence : Music Box Records MBR-091- Édition Collector Limitée

 

« La Passante du Sans-Souci » (1982) est adapté du livre de Joseph Kessel et réalisé par Jacques Rouffio. Pour ce film, Georges Delerue compose un thème principal dominé par le violon. Ce thème apporte au film une dimension dramatique dès son introduction au Générique. Ce thème, repris en chanson sur le générique de fin (Chanson d'Exil), est décliné en différents arrangements tout au long du film, comme par exemple dans L'air de Max.

 

Garde à vue de Claude Miller date de 1981. La musique écrite par Georges Delerue joue pour beaucoup dans l'efficacité de ce huit clos. Le thème principal, que l'on entend en intégralité sur le générique début (Musique de la pluie) et le générique de fin (Chantal Martinaud), prend la forme d'une valse de fête foraine. Une sourde inquiétude transparaît dans cette mélodie mécanique dominée par les flûtes. Le compositeur amène le malaise sur les froides et pluvieuses images du film. C'est la première fois que ces musiques sont offertes en CD, profitez-en !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=VtSZT8iTTrM


 

FRANKENSTEIN 90. Réalisateur : Alain Jessua. Compositeur : Armando Trovajoli. 1CD Référence : Music Box Records MBR-090 - Édition collector limitée

 

Alain Jessua revisite le mythe de Frankenstein, avec Jean Rochefort dans le rôle de Victor Frankenstein, et Eddy Mitchell dans celui de la créature (Frank). Le docteur est cette fois un cybernéticien qui crée un monstre à partir de morceaux humains, mais dont le cerveau est électronique. Armando Trovajoli livre une partition à la fois légère et sombre qui s'inscrit globalement dans une esthétique néo-romantique, au charme parfois désuet. Il parvient à mélanger des éléments à la fois romantiques (la valse surannée), parodiques (le piano bastringue doublé par un clavecin poussiéreux), ainsi que le pastiche de la « Marche Funèbre d'une Marionnette », (composée par Charles Gounod et le thème de la série Alfred Hitchcock présente), et horrifiques. La partition du compositeur italien est également empreinte d'une certaine modernité, notamment dans son utilisation récurrente du saxophone soprano, parfois accompagné d'une rythmique flirtant avec le disco.

 

 

 

MOBILE ÉTOILE . Réalisateur : Raphaël Nadjari. Compositeur : Jérôme Lemonnier. 1Cd La Majeur - LM-ME2016

 

L'histoire d'amour contrariée entre une chanteuse française et un pianiste québécois. Voici ce que dit de la musique le compositeur Jérôme Lemonier :

 

« C'est environ six mois avant le tournage que Raphaël Nadjari m'a contacté pour écrire les musiques de son film Mobile Etoile. Le travail musical à réaliser m'a tout de suite séduit par sa singularité, tant sur le plan esthétique que sur celui de sa réalisation technique. Raphaël me proposait, au travers de son film, un voyage musical de cinquante ans au cœur de la musique française, plus précisément de la mélodie française.

De 1870 à 1930, cinquante ans d'une période riche et féconde, jalonnée par des compositeurs de très grand talent, parfois de génie : Jacques Offenbach, Vincent d'Indy, Gabriel Fauré, Henri Duparc, Darius Milhaud, Maurice Ravel...Il y a maintenant quelques années, j'avais eu la chance de découvrir et d'étudier ces auteurs dans les classes d'écriture du CNSMDP. C'était donc une formidable occasion de renouer avec ces compositeurs en dehors des salles du Conservatoire ! De plus, il s'agissait d'un autre modèle de musique de film que celui avec lequel j'avais jusqu'ici travaillé. Une musique entièrement écrite avant le tournage, destinée à être mise en scène et intégrée à la structure du film. Par conséquent, cette musique serait interprétée par des acteurs dirigés par un metteur en scène, échappant par là même au contrôle de son compositeur. C'est donc avec beaucoup d'enthousiasme (et un peu d'incertitude) que je me suis mis au travail, aidé en cela par des discussions approfondies avec Raphaël, portant autant sur le film lui-même que sur l'esthétique de l'École Française du début du XXe siècle. Cette École se caractérise d'abord par la mise en valeur de la mélodie, la recherche de l'élégance et de l'équilibre dans la sobriété du langage. Ainsi, en l'espace de trois mois a vu le jour un ensemble de sept chansons composées sur les adaptations de textes hébraïques d'Emmanuel Moses. Il a fallu écrire les chansons puis les enregistrer comme un brouillon. C'est cette maquette qui a ensuite servi de base de chant pour les acteurs sur le tournage à Montréal. La composition de la musique de film, la plupart du temps, vient après les images. Elle se superpose généralement aux images. Ici ce fut le processus inverse : le film tourné résulte de la musique. C'est donc un film de musique avant une musique de film ! On se met en danger lorsque l'on travaille dans cet ordre-là : on n'a pas d'images, on ne travaille sur aucun support précis. L'opportunité de travailler sur ces chants adaptés par Emmanuel Moses a représenté un défi très intéressant d'un point de vue musical. Ces textes sont à la fois très concis et en même temps très denses. Il a fallu mettre les chansons en perspective les unes par rapport aux autres, trouver une cohérence, une homogénéité.

 

Dans la musique classique, la religion est omniprésente à travers les âges jusqu'au 17ème. Après le 17ème, les portes de la musique s'ouvrent au monde profane. La période romantique rend possible la rencontre entre le profane et le religieux. En fin de compte, qu'il s'agisse de sublimation des sentiments ou de divin, les artistes racontent toujours la même chose, mais dans des formes différentes en fonction de l'époque où ils vivent...Simon-Charles Bloch, le compositeur oublié dont le personnage d'Hannah essaie de retrouver la trace, est une sorte de fantôme qui survole tout le film et qui synthétise un peu tous ces courants musicaux qui ont vu le jour entre 1830 et 1930. Il représente l'esprit de la musique française de cette époque. Bloch est l'incarnation musicale de tous ces courants à lui tout seul : quelque part entre la religiosité d'un Fauré et la retenue d'un Ravel. La chanson intitulée Mobile Étoile est la seule pièce musicale qui existait déjà et qui n'a donc pas été créée pour le film. Il s'agit d'une pièce du compositeur Fernand Halphen dont j'avais découvert l'œuvre lorsque j'étudiais au Conservatoire. La chanson existait avec son arrangement propre. J'ai réarrangé en gardant strictement la mélodie mais en la présentant d'une façon nouvelle qui pouvait s'insérer plus facilement dans l'univers musical voulu par Raphaël. C'est très émouvant de voir maintenant le film fini. On fait les choses, on travaille la musique mais cela a besoin d'être fécondé par l'histoire, par l'incarnation des acteurs ; ce sont eux qui font naître les émotions à la fin. Tous se sont appropriés les paroles et la musique avec une grande modernité tout en restant dans l'esprit que Raphaël souhaitait insuffler. Et en fin de compte, le résultat est totalement différent de l'idée que je m'en faisais... C'est très émouvant de voir maintenant le film fini. On fait les choses, on travaille la musique mais cela a besoin d'être fécondé par l'histoire, par l'incarnation des acteurs ; ce sont eux qui font naître les émotions à la fin. Tous se sont appropriés les paroles et la musique avec une grande modernité tout en restant dans l'esprit que Raphaël souhaitait insuffler. Et en fin de compte, le résultat est totalement différent de l'idée que je m'en faisais... »

 

Une musique méconnue à découvrir et un film intéressant à voir !

 

 

Pour découvrir Fernand Halphen :

 

https://www.youtube.com/watch?v=wxpmLNFMgS0

 

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

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Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

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La librairie de L’éducation musicale

VIENT DE PARAÎTRE

COLLECTION VOIR ET ENTENDRE

Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.

W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto

Prix: 9 euros

A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale

Prix: 9 euros

H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement

Prix: 12 euros

J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »

Prix: 10,50 euros

Baccalauréat 2016.

Épreuve de musique

LIVRET DU CANDIDAT

 

192 pages

Consulter le sommaire en cliquant ici

Consulter un extrait du Livret du Candidat

 

   

1.STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)



 

2. ANALYSES MUSICALES VIIIè SIECLE - Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

COUPERIN

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

HAENDEL

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

3. LE NOUVEL OPERA

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

4. LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



 

5. LA RECHERCHE HYMNOLOGIQUE

En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France.
Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline.
Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question.
Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.

6. JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

7. LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

8. LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.




9. CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale