PAROLES D'AUTEUR : LeS CHŒURS D'HOMMES DE LEOŠ JANÁCEK REPÈRES PÉDAGOGIQUES : L'ORCHESTRE DU CONSERVATOIRE DE PARIS SOUS LE Ier EMPIRE PROPOS PARTAGÉS : PHILIPPE ENTREMONT, PIANISTE ET CHEF D'ORCHESTRE
L'AGENDA
7/ 6 Les Matinées musicales d'Arles
Le Quatuor Strada
et le pianiste Jean-François Heisser donneront le
concert de clôture de la saison
2014-2015 des Matinées musicales
d'Arles, le dimanche 7 juin. Le concert débutera par le quatuor N° 11, op.
95 « serioso » de Beethoven, pièce
particulièrement concentrée et tendue. Puis le Quatuor Strada
s'attaquera au répertoire contemporain avec le quatuor à cordes (2015) du jeune
et talentueux pianiste et compositeur Jean-Frédéric Neuburger.
Enfin Jean-François Heisser se joindra au quatuor
pour interpréter le quintette pour piano et cordes en fa mineur
de Johannes Brahms, œuvre
à l'instrumentation singulière et à la genèse complexe, mais considérée comme
l'une des œuvres les plus abouties du compositeur. Chapelle
du Méjan, le 7 juin 2015, à 11H Réservations : Association du Méjan, BP 90038, 13633 Arles cedex ; par tel.:
04 90 49 56 78 : en ligne :
www.lemejan.com 14, 16, 29 / 6 Schubertiades avec Philippe Cassard
Le pianiste Philippe Cassard, grand
spécialiste de la musique de Schubert, se produira en juin à Lille, Paris et
Reims. Le 14 juin, dans le cadre de « Lille pianos Festival », et
pour une « journée Schubert 1828 », en une triple séance marathon, il
jouera avec Cédric Pescia les Trois pièces pour piano
à quatre mains, avant de se lancer dans l'exécution des trois dernières Sonates
et des Klavierstücke D 946, toutes œuvres composées
cette même année. Deux jours plus tard, à la Salle Gaveau, et cette fois
entouré de Natalie Dessay, David Grimal
et Anne Gastinel, il donnera une Schubertiade
qui permettra d'entendre la Sonate Arpegione,
5 Lieder, le Rondo D 951, Lebensstürme D
947 et le Trio N°2 D 929. Un magistral programme ! La fête continuera, le 29
juin, à Reims dans le cadre des « Flâneries Musicales de Reims »,
pour une soirée en trio avec Gastinel et Grimal : le Trio N° 2 de Schubert sera suivi de la création
française du « Trio Subterfuges » du pianiste de jazz Baptiste Trotignon (*1974), et on finira par le Trio d'Ernest
Chausson. Pas moins passionnant ! Auditorium du conservatoire, Lille, le 14
juin 2015, en trois séances successives à 11H, 14H et 18H. Salle
Gaveau, à Paris, le 16 juin 2015 à
20H30. Palais
du Tau, salle du Festin, Reims, le 29 juin, à 20H Réservations : A Lille, ONL, 3 Place Mendes
France, 59000 Lille ; par tel.: 03 20 12 82 40 ; en
ligne : www.lillepianosfestival.fr A Paris : 45-47, rue La Boétie,
75008 Paris; par tel.:
01 49 53 05 07 ; en ligne : www.sallegaveau.com A Reims : au « camion
billetterie » ; par tel.: 03 26 36 78 00 ; en
ligne : www.flaneriesreims.com ; 19 / 6 Le Requiem de Schumann à Orsay Le prochain concert de la saison musicale
du Chœur du Campus d'Orsay aura lieu le 19 juin. Au programme : le Requiem op.
148 de Robert Schumann. Cette pièce rare, très singulière au sein de la
production du musicien (1852, posthume), pour solistes, chœur mixte et
orchestre, emprunte à un texte liturgique dans la tradition du Missale Romanum.
Elle se compose de neuf parties et est de tonalité sombre et recueillie. Brahms
parle à ce propos de « prémonition de la mort » chez son ami. Elle
sera interprétée par le Chœur et l'Orchestre du Campus d'Orsay et le Chœur
Darius Milhaud, sous la direction de Martin Barral,
avec en solistes : Caroline Casadesus, soprano, Katryn
Werner, mezzo-soprano, Pierre Vaello, ténor et
Florian Hille, baryton. On donnera aussi en première
partie la symphonie N°3 dite « Rhénane ». Campus
d'Orsay, amphi Henri Cartan ( Bât 427 ), le 19 juin
2015 à 21H.. Réservations : au CESFO, Campus d'Orsay, Bât
304 ; à l'Office du Tourisme de la Vallée de Chevreuse à Orsay, tel. : 01 69 28
59 72 ; ou sur billetreduc.com ; ou encore sur www.scm.espci.fr 25, 30 / 6 Thierry Escaich, d'Angers à Paris
Thierry Escaich
(*1965) sera à Notre Dame de Paris le 30 juin, pour une de ses œuvres récentes,
Le dernier Évangile. Composée en 1999
pour double chœur mixte, orchestre et orgue, créée à Saint Malo, elle sera
remaniée en une version pour double chœur et deux orgues, et créée sous cette
forme en 2005 à Stuttgart. C'est cette dernière version qui sera donnée à
Paris, Escaich et Yves Castagnet
tenant respectivement le Grand orgue et l'orgue de chœur, et avec la Maîtrise
de Notre Dame de Paris. On jouera encore des pièces de Maurice Duruflé dont le Prélude et fugue sur le nom d'Alain (Jehan
Alain). De ce dernier compositeur seront aussi données ses Litanies. Thierry Escaich sera auparavant
en concert, le 25 juin à Angers, avec
Richard Galliano, dans le cadre de la soirée de
clôture de « Printemps des orgues ». Ils interpréteront, lors d'une
séance en deux parties et deux lieux différents (la Cathédrale et le Grand
théâtre d'Angers), une transcription de leur cru des Quatre Saisons de
Vivaldi, pour orgue et accordéon, puis Los Cuadro Estaciones
Portenas (Les quatre saisons de Buenos Aires)
d'Astor Piazzolla, pour piano et accordéon.
Par ailleurs, le compositeur et
organiste sera installé à l'Académie des Beaux-Arts
sous la Coupole de l'Institut de France par Laurent Petitgirard,
le 10 juin au fauteuil de Jacques Taddei. Notre
Dame de Paris, le 30 juin 2015, à 20H 30. Réservations
: par tel.: 01 44 41 49 99 ; en ligne :
contact@msndp.com Cathédrale
et Grand théâtre d'Angers, le 25 juin 2015 à 20H et suite à 21H 30. Réservations : Grand théâtre d'Angers,
Place du Ralliement, 49000 Angers ; par tel.: 02 41 24
16 40 ; ou Office du Tourisme d'Angers, Place Kennedy, et par tel.: 02 41 23 50
00. 25 - 28 / 6 Festival Les Pianissimes La 10e édition du Festival Les Pianissimes aura lieu du 25 au 28 juin 2015, et permettra comme
d'habitude d'apprécier la musique en plein air et en
transats ; un état d'esprit, fait de convivialité, de partage
et d'excellence qui s'est installé et cultivé à travers une saison de concerts
à Paris et durant le Festival d'été. C'est en effet en 2005, qu'une poignée de
passionnés de musique se réunissait en association pour partager leur passion
avec le plus grand nombre et donner un « coup de jeune dans le classique ».
Depuis, les objectifs des Pianissimes
n'ont
pas dévié : renouveler l'expérience du concert classique, diversifier et
rajeunir le public, soutenir les jeunes talents. Pour cette édition
anniversaire, 8 concerts rassembleront de nombreux artistes choisis parmi les
étoiles montantes de la jeune génération : Les pianistes Selim Mazari, Gilles Alonzo, Eloïse Bella Kohn,
Fanny Azzuro, Amandine Savary… Et un invité d'honneur
natif de la région, aussi grand interprète que pédagogue : Roger Muraro (27/6, 20H30, dans Ravel, Liszt, Wagner-Liszt et
Messiaen bien sûr). Deux concerts pédagogiques seront de nouveau offerts aux
enfants des écoles de la région. Et il y aura plus d'une surprise : une soirée
d'ouverture en forme de ciné-concert pour fêter à la fois les 10 ans du
festival et les 100 ans de Charlot (25/6, 21H), un concert-brunch « en direct
de Buenos Aires », avec le Spiri Tango Quartet
(28/6, 11H) ou encore un jeune chœur plein de promesses se produisant avec le
pianiste Selim Mazari, un des derniers élèves de
Brigitte Engerer (28/6, 15H). Le Trio Dali jouera les
Trios N° 1 de Schumann et de Mendelssohn et des pièces de JS. Bach (26/6,
20H30). Aylen Pritchin, 1er
prix de violon couronné au dernier Concours International Long-Thibaud, et
Eloïse Bella Kohn donneront des pièces de Stravinsky,
Franck, Ravel et Bizet-Waxman – la célèbre Carmen
Fantaisie (27/6, 17H). Des instants magiques et festifs en perspective ! Domaine des Hautannes,
33, rue du 8 mai 1945, 69650 Saint-Germain-au-Mont-d'Or,
les 25, 26, 27 et 28 juin 2015. Réservations : par correspondance à
l'Association Dièse, 5, rue des Hautannes, 69650
Saint-Germain-au-Mont-d'0r ; ou 204, rue Saint Martin, 75003 Paris ; par tel.: 06 61 71 24 19 ; en ligne : www.lespianissimes.com 27 / 6 La Symphonie Fantastique à l'orgue...
l'Académie Bach organise un
concert à l'église Saint-Jacques de Dieppe, au cours duquel sera interprétée la
Symphonie Fantastique op. 14 de Berlioz dans une transcription pour orge
due à Yves Rechsteiner. Berlioz et l'orgue ? On
connait son aversion pour certains registres de cet instrument. Dès 1836 Franz
Liszt réalise une version pour piano de la Symphonie Fantastique,
destinée probablement à faire connaître l'œuvre hors de France. D'une grande
difficulté, cette version reste fidèle à celle de Berlioz et mentionne dans le détail
beaucoup de particularités d'orchestration du compositeur. Vers 1850, Edouard
Batiste joue des extraits de symphonies de Beethoven à l'orgue de Saint
Eustache à Paris. Il fallut encore attendre une génération pour que la facture
d'orgue généralise les moyens permettant l'éclosion des grands virtuoses
transcripteurs comme Edwin Lemare et William Thomas
Best en Angleterre et aux États-Unis, organistes qui ne jouaient presque que
des œuvres empruntées à l'orchestre. Mais ce n'est qu'en 1930 qu'un
organiste français, Henri Busser, osa timidement une version pour orgue de la Marche
au Supplice. Il nota en marge d'un exemplaire envoyé dédicacé à un ami musicien "avec beaucoup d'excuses à Hector
Berlioz". Étrange oubli de la part des organistes,
car l'œuvre se prête fort bien à la transposition dans une église : on pense à
l'impressionnant passage du Dies Irae et des cloches du glas.
Le final d'Un Bal évoque les grands moments de Louis-James-Alfred Lefébure-Wély, l'organiste
parisien le plus adulé du milieu du XIXème siècle. Enfin, la Scène
aux Champs, avec son ranz des vaches, son grondement
lointain de l'orage et ses références aux mélodies populaires fait écho aux
scènes de tempêtes et d'orages qu'on jouait sur l'orgue dans les années 1830
pour le plus grand plaisir du public. Il faut donc entendre cette version de
la Symphonie Fantastique comme une grande fresque musicale
pour orgue, proche à la fois du style virtuose et pianistique que Liszt imposa
à l'orgue à partir de 1850, et du style de la musique d'orgue des organistes
parisiens du milieu du XIXème siècle (Batiste et Lefébure-Wély) qui tentaient déjà de reproduire sur leurs
instruments à grand renfort d'accords en octaves, l'immense ambitus sonore de
l'orchestre de Berlioz; Église Saint-Jacques de Dieppe, le 27 juin
2015 à 20H30. Réservations : Paroisse Dieppe Ouest , 4, rue Sainte-Catherine, 16200 Dieppe ; par tel. :
02 35 84 21 6 ; en ligne : www.catholiquedieppe.fr ou informations@academie-bach.fr 18 / 7 – 16 / 8 Festival Promenades Musicales en
Pays d'Auge Le Festival «
Promenades Musicales en Pays d'Auge », qui aura lieu du 18 juillet au
16 août 2015, propose une programmation choisie et éclectique. Comme toujours.
En voici un aperçu. Le festival s'ouvre avec Alain Buet
et Les Musiciens du Paradis, de prestigieux solistes instrumentaux, tel
François Guerrier, clavecin et orgue, ou vocaux dont le jeune contre ténor
Paul-Antoine Benos-Dijan,
pour une soirée festive de Bach à Hersant, de Mozart à Ballesteros
(pianiste compositeur), et un hommage à Michel Garcin, disparu il y a tout
juste 20 ans, l'emblématique directeur artistique des disques Erato (18/7,
20H30, Théâtre de Lisieux). Marc Coppey et
l'Orchestre Régional de Basse Normandie donneront, entre autres, le Concerto
pour violoncelle de Haydn (26/7, à 18 H, Couvent des Augustines à Orbec). Le
Chœur de Chambre de Rouen et le comédien Nicolas Vaude
se produiront dans un programme autour de Shakespeare (19/7, 18H, Théâtre du
Casino de Deauville). Le claveciniste Jean Rondeau se produira dans un
programme Bach (29/7, 19H30, Château de Canon, Mézidon-Canon). Le Quatuor Cambini interprétera les quatuors « Dissonances »
de Hyacinthe Jardin et de Mozart et le N° 77/1 de
Haydn (1/8, 17 ET 20H30, Église du Mesnil-Simon). Olivier Baumont
accompagnera Jean-Paul Fouchécourt dans des airs de
cour et des romances de Couperin, Lambert, Rameau et Mozart (14/8, 18H30,
Château de Vendeuvre). La pianiste Marie-Josephe Jude jouera Beethoven, Chopin et Debussy
(2/8, 18H, Greniers à sel, Honfleur). Par ailleurs, la Ferme de Fernand Léger
sera exceptionnellement ouverte au public le 22 juillet, avec une projection du
Ballet mécanique de Fernand Léger, sur des musiques de Antheil et de Satie interprétées par l'ensemble de
jazz itinérant « Repris de Justesse » (14H & 17H, Lisores, avec visite commentée des lieux). A vos marques... En
outre, des actions de médiation culturelle seront mises en œuvre : le
Piano-Van. Le projet trouve son assise autour d'un dispositif simple : une
voiture de tourisme, un Van, un piano droit mobile et quelques accessoires.
D'esprit forain et de maniement très aisé, il fonctionne autour de deux axes
essentiels : un aspect artistique de diffusion territoriale et des actions
pédagogiques. Il permet l'installation d'un espace culturel dans n'importe quel
endroit. Très polyvalent, il permet d'apporter le piano dans un lieu qui n'en a
pas, et d'utiliser le Van seul comme petite maison théâtrale. Pour cette
première saison, plusieurs thèmes seront traités : Pierre et le Loup
avec le talentueux Daniel Isoir, la Fabuleuse
histoire des bruits et des sons, un Récital en pièces détachées pour les
enfants, et quelques Promenades au jardin.... Réservations : par tel.:
02 31 31 06 00 ; en ligne :
culture.et.patrimoine@wanadoo.fr ou www.pays-auge-culture.org 26 / 7 - 13 / 8 Le Festival Pablo Casals fête ses
65 ans ! "La
musique fut pour moi une activité aussi normale que de respirer" disait
Pablo Casals. C'est à Prades que l'illustre musicien, fuyant le régime
franquiste, élut domicile et créa, le 2 juin 1950, la première édition de son
festival. Depuis lors, chaque été, le Festival
Pablo Casals accueille les plus grands noms de la musique de chambre. Pour
cette édition jubilaire, du 26 juillet au 13 août 2015, la programmation s'est
faite autour du thème « Notes
croisées » : croisées des répertoires, anciens et contemporains,
croisées des lieux grâce à la découverte du patrimoine architectural de la
région du Conflent, dont la magnifique Abbaye de Saint Michel de Cuxa et quelques beaux prieurés et églises, croisées des
rencontres, enfin, entre un public de plus en plus nombreux et les artistes
invités. Cette année, on pourra entendre Charlotte Hellekant,
mezzo-soprano, Pierre Amoyal, Christian Altenburger, Hagai Shaham, Svetlin Roussev, violon, Yuval Gotlibovich,
Diemut Poppen, alto, Frans Helmerson, Ivan Monighetti,
François Salque, violoncelle, Jurek
Dybal, contrebasse, Patrick Gallois, flûte,
Jean-Louis Capezzali, hautbois, Isaac Rodriguez et
Michel Lethiec (Directeur du festival), clarinette,
André Cazalet, cor, Seong-Jin
Cho, Yves Henry et Luis Fernando Pérez, au piano, Pascal Marsault, orgue...
Sans oublier le Trio Chausson, le Fine Arts Quartet et le Shanghai Quartet, et
l'orchestre Sinfonietta Cracovia.
L'ouverture du festival, le 26 juillet permettra d'entendre une
réplique exacte du premier concert qui fut donné le 2 juin 1950 : Pablo Casals
y rendait hommage à Jean-Sébastien Bach, dans l'église Saint-Pierre de Prades.
Même lieu, même heure (21H) et même programme, en 2015....
Les
temps forts seront multiples pour ce rendez-vous 2015 : - « Impressions d'Europe centrale » donnera à entendre
les Quatuors N°1 de Rachmaninov et de Schumann, et Magyar Madness pour
clarinette et quatuor à cordes de Del Tradici, avec
le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec (27/7, 21H, Cuxa), et par les mêmes des « Chefs d'œuvre
viennois », Haydn et Mozart (29/7, 15H, Abbaye de Gellone),
- un concert de trios, dont celui dit « des Quilles »
de Mozart et les Pièces pour clarinette,
alto et piano de Max Bruch sera donné par Bruno Pasquier, Miclel Lethiec et Yves Henry
(30/7, 16H, Musée d'Art contemporain de Sérignan), - « Doubles...», avec les Quatuors Fine Arts et Shangai sera l'occasion d'apprécier le Quatuor Hob 77/1 de Haydn et le 4 ème de
Bartók, outre l'Octuor de Mendelssohn (1/8, 21H, Cuxa),
- une soirée Brahms-Schubert, proposera chant et pièces
chambristes (2/8, 21H, Église de Prades), - la musique espagnole sera à l'honneur avec des pièces de
Boccherini, Turina, Granados, mais aussi de Debussy et de Chabrier (3/8, 21H, Cuxa), - comme « Les grands quintettes », de Mozart et de
Schubert, par une pléiade de solistes de talent (4/8, 21 H, Cuxa),
- le Trio Chausson jouera Haydn, Mendelssohn et Chopin (5/8,
17H, Église de Corneilla de Confluent), - un « Hommage à Thibaud-Casals-Cortot », le fameux
trio des grands amis, donnera à savourer le Trio N °1 de Schubert et le Concert
de Chausson (7/8, 21H, Cuxa), - une soirée « Chez Mallarmé », réunira Debussy et
Ravel (8/8, 21H, Cuxa),- « Du classique au
jazz » promènera ses auditeurs de Schubert à Rota et de Mendelssohn à Schoenfield (10/8, 21H, Cuxa) - autre proposition originale : « Le tour du monde en 80
minutes », de New York/Gershwin à Tokyo/Takemitsu,
de Paris/Saint-Saëns à Moscou/Tchaikovski (11/8, 21H,
Cuxa) - ou encore des « Chants sans paroles » pour un
programme Rossini, Mozart, de Falla et Pau Casals (13/8, 21H, Cuxa).
Une « Journée Pablo Casals », le 6 août, sera prétexte à un café
concert (11H, Grand Hôtel de Molitg les Bains, à une
conférence (15H, même lieu), et à deux
concerts : « Molitg 1955 »,
(17H, Église de Molitg) et « Cuxa
1955 » (21H, Cuxa), pour l'exécution d'œuvres de
Bach, Brahms et Schubert, ces musiciens qu'aimait tant le maestro catalan. Par
ailleurs, au Musée d'Art Moderne de Céret, Michel Lethiec
mettra en parallèle le travail d'un peintre avec celui d'un compositeur :
Satie, ami de Picasso (31/7 21H). Réservations : Festival
Pablo Casals de Prades, BP 50024, 33 rue des Hospices, 66502 Prades Cedex ; par
tel. : 04 68 96 33 07 ; par fax : 04 68 96 50 95 ; en
ligne : contact@prades-festival-casals.com ou www.prades-festival-casals.com Jean-Pierre Robert. *** PAROLES D'AUTEUR
Les
chœurs d'hommes de Leoš Janáček(1)
La création
musicale est une pensée. Elle devient art
par la plénitude De la pensée dans
l'étreinte du temps. Que cet art dépende
de la seule pureté des sons – Cette idée n'a plus
cours. Du son béni on est
passé – au froufrou des balais. (Leoš Janáček – Autobiographie,
1924) (2) Au sein de l'histoire du langage musical, Janáček (1854-1928) fait
indéniablement figure d'exception : en tant qu'homme, que compositeur,
comme théoricien et fin pédagogue. Il ne peut être fondamentalement compris
qu'à partir de sa propre connaissance des sources populaires de sa Moravie
natale au demeurant fort différente de sa voisine, la Bohême. Cet article a
pour objectif de se concentrer essentiellement sur une forme que Janáček affectionnait particulièrement, le chœur pour
voix d'hommes. Il a constitué un véritable laboratoire non seulement
sonore mais également psychologique et folklorique. Au cours de sa vie, ardente
et féconde, Janáček en composera plus d'une trentaine. Dès ses
premiers essais, il a manifesté une originalité foncière, entrant immédiatement
dans ce qui allait le caractériser pour toujours. Ce faisant, il s'est
progressivement libéré du type germanique Liedertafel(3), trop conventionnel pour lui et surtout représentatif
d'un état d'esprit qui lui était étranger. J'ai choisi de présenter dans cet
article quelques-uns de ses chœurs masculins parmi les plus emblématiques tout
en les situant brièvement au sein de leur contexte général. Sources et apprentissages Pour tout compositeur tchèque, les sources de la musique en Bohême et
en Moravie remontent à la Réforme hussite. Jan Hus (ca 1471-1415), son inspirateur, sera toujours considéré tel un héros
national, libérateur de la conscience individuelle face à la lecture de la
Bible et à celle qui concerne la culture et la langue. Le grand pédagogue
Comenius (1592-1670) poursuivra cette tâche héroïque pour laquelle la musique
jouera également un rôle fondamental dans la formation de la pensée. Janáček n'oubliera jamais ce précieux héritage enrichi
par un apprentissage singulier dispensé par le Père Karel Pavel Křížkovský (1820-1885), le maître du chant choral
tchèque. Cela se passait au monastère des Augustins du Vieux-Brno [Brünn], la
capitale de la Moravie. Cette grande figure, vénérée entre toutes, était
elle-même l'héritière d'un personnage remarquable en matière de tradition
orale, poétique et mélodique, le collecteur František Sušil (1804-1868). Pour bien comprendre les principales
étapes de la musique chorale tchèque, il importe de suivre ce fil d'Ariane qui
nous fait cheminer de Sušil à Janáček
en passant par Křížkovský. Sušil est né à Rousínov, Slavkov, un village
situé à une vingtaine de kilomètres à l'est de Brno. Il fait ses études à
l'école de grammaire de Kromĕříž, un centre
musical renommé de l'époque, d'où son intérêt pour un apprentissage et
livresque et instrumental. Il mène de front théologie et musique. En 1824, František participe
à l'édition des « chants nationaux slaves » de l'écrivain František Ladislav Čelakovský
(1799-1852) qui l'avait sollicité. Trois ans plus tard, il entrera dans les
ordres tout en s'intéressant au folklore de son village natal et des autres
régions de la Moravie. Son éveil à la conscience « nationale »
s'incarnera progressivement. Dès 1832, il prépare la publication, à Brno, de la
première collection de chants moraves, Moravské národní písnĕ
(« chants [populaires] nationaux(4) moraves »), l'une des contributions parmi les
plus remarquables de la culture tchèque de la première moitié du XIXe
siècle. Elle contient cent quatre-vingt-dix textes. Un nouveau recueil de cinq
cent quatre-vingt six chants religieux et séculiers voit le jour en 1840 avec
l'apport d'autres collecteurs. Entre 1853 et 1860, les Moravské národní písnĕ
s nápĕvy do textu vřadĕnými
(« Chants populaires moraves avec les mélodies associées aux
textes ») paraissent sous forme de fascicules. La huitième édition
de ce corpus, en 1860 – dans laquelle
Janáček puisera à de nombreuses reprises –, est pourvue
d'une préface et d'une introduction. Elle contient deux mille quatre-vingt-onze
mélodies pour deux mille trois cent soixante et un textes : ballades,
chants de cérémonie, mélodies de bergers, chants dansés, spirituels,
historiques, chants d'amour, de noces, domestiques, de travail, militaires,
chants de vie, chants drôles, allégoriques et naïfs, issus de toute la Moravie,
des pays Lašsko et Valašsko, et d'une partie du sud de la Silésie. Sušil a soigneusement respecté l'usage dialectal des textes
et préservé les caractéristiques générales des mélodies, notamment pour ce qui
concerne leurs inflexions non diatoniques. Toutefois, influencé par la musique
savante de son temps, il a utilisé les clefs conventionnelles dans ses
transcriptions, valorisant, de la sorte, les seuls modes Majeur et mineur. Seul
Janáček sera en mesure de rétablir la modalité
d'origine. La conception de Sušil du chant
« populaire », dans une perspective dite « nationale »,
aura néanmoins une influence directe sur Křížkovský
dont la personnalité, unique en son genre, a suscité la curiosité autant que
l'admiration pour son courage. František Sušil – Jan Vilímek,
1881 Křížkovský était partagé
entre ses vœux monastiques et ses dons de musicien et de compositeur. Cela ne
l'empêchera pas d'ouvrir toutes grandes les portes de l'intelligence
folklorique à son disciple Janáček. Son œuvre, à
la suite de Sušil, a fécondé une grande partie de la
musique tchèque, fortement enracinée dans le chant populaire. Křížkovský a de même joué un grand rôle en ce qui
concerne le chant des hymnes en langue tchèque et la libération des
compositeurs de sa nation encore soumis à l'impérialisme germanique. Il a été
le véritable fondateur de la musique tchèque en Moravie. Le « folklorisme
d'écho » (ohlasy národních písní) constituait son modèle initial ; autrement dit,
une composition « sur un texte musical, une mélodie ou une composition
originale d'après un matériel folklorique ». Ce modèle sera transcendé par
Janáček pour lequel le charisme et la
personnalité de Křížkovský ont sans doute
davantage compté que la fidélité de ce dernier au mode mélodique pur. Le maître
a accueilli le jeune Leoš, au monastère des Augustins
du Vieux-Brno, en septembre 1865. Dans le même temps, son père Jiří (1815-1866), excellent musicien, fondait dans son
village une société chorale dont il prenait la direction. Auparavant, son fils
avait chanté, pourvu de sa jolie voix de soprano, dans les chœurs des églises
de Hukvaldy, son village natal, et de Rychaltice, situé non loin de là, lors des services religieux.
Les célébrations, en 1869, du millième
anniversaire de la mort de St Cyrille (ca 827-869), l'un des Apôtres des
Slaves, avec St Méthode (ca 825-885), impressionneront durablement le
jeune homme dans sa quête des sources et leur signification. La première
manifestation de cette commémoration eut lieu, à Petrov, le 14 février, en
l'église des Dominicains. Le chœur était dirigé par Křížkovský.
Au programme figuraient la Messe en La Majeur du compositeur et musicien
d'église suisse Carl Greith (1828-1887), l'un des
principaux théoriciens de la réforme cécilienne(5), et un motet du
Slovène et moine cistercien Jacob Handl (1550-1591). En septembre de la même année, Leoš commencera ses études à l'École normale d'instituteurs
de Brno. C'est alors que son vif intérêt pour la psychologie se manifeste avec
les cours du Dr Josef Parthe dont il pensera « avec gratitude » dans
son « autobiographie » de 1924. Cette approche l'introduira aux
éminents travaux du philosophe et psychologue Wilhelm Wundt (1832-1920). Par
ailleurs, il s'était déjà intéressé à la musique populaire à l'occasion des
séjours effectués chez son oncle et tuteur, le prêtre Jan Janáček
(1810-1889). L'année 1872 revêt de l'importance lorsque au
mois d'octobre il remplacera, dans les fonctions de chef de chœur, organiste et
chef d'orchestre, Křížkovský alors parti pour
Olomouc [Olmütz]. Le 20 juillet, Leoš
terminait ses études à l'École normale et recevait son diplôme de maître
assistant compétent en chant, en musique, en géographie et en histoire. Il
pourra aussi enseigner en tchèque ce qui n'était pas sans risques à l'endroit
d'une majorité germanique. Svatopluk Le 13 février 1873, Janáček, âgé seulement de dix-neuf ans, est élu
contre toute attente chef de chœur de la Société chorale Svatopluk nommée ainsi en référence à un souverain de
la Grande Moravie, mort en 894. Pour cela, il avait été soutenu par son
président le Dr Josef Illner (1839-1894), un précieux
allié. Il prendra ses fonctions le 1er mars suivant. Cette
nomination correspond indéniablement à un tournant remarquable de sa vie et de
sa carrière. Il s'agissait, en quelque sorte, de prendre en main tout en le
réformant, un club d'une quarantaine de travailleurs d'âges variés, artisans,
masculins, principalement des tisserands. Ce chœur avait été fondé en 1868 sous
l'influence germanique. Janáček n'aura de cesse
de lui faire prendre conscience de ses origines tchèques et d'en élever le
niveau en lui destinant, notamment, ses premières compositions chorales. Leur
devise sera précisément : « Unité et loyauté envers la patrie ».
Ses exigences en matière d'assiduité aux répétitions, par exemple, seront à la
hauteur de l'enjeu. Ainsi, Orání
(« Labourage »), JW I/1, à quatre voix simples, est-t-il interprété à
l'occasion du premier concert donné le 27 avril 1873 à la fameuse auberge U bílého kříže. Il s'agit
d'un chant populaire – Šohajko švarný, čemu neořeš (« Gentil gars, pourquoi n'as-tu pas
labouré ? ») – dont le texte avait été publié en 1860 par Sušil. La double
influence de l'enseignement et l'esprit de Křížkovský
et de la tradition orale s'entendent tout en laissant apparaître déjà un ton
propre au jeune compositeur dont la motivation était précisément de
s'affranchir de l'esprit de la Liedertafel
allemande. Afin de mieux
s'approprier l'essence de la culture tchèque, Leoš suit les cours de
langue et de littérature donnés par le Professeur Antonín Matzenauer
(1823-1893) à l'Académie régionale morave. Ce remarquable philologue slaviste,
non-conformiste, plongé dans ses études, ne pouvait que plaire au jeune chef de
chœur attiré par de telles recherches. D'autres œuvres
vont suivre : Láska opravdivá (« L'Amour véritable »), JW IV/8,
très apaisant, est composé le 6 janvier 1876, d'après une source slovaque
reprise dans la fameuse collection du panslaviste et poète Ján
Kollár (1793-1852), éditée en 1834. Voilà un motif cher au compositeur qui
l'associera bien vite à celui de « musique de vérité ». C'est
probablement en janvier 1876 que Janáček compose Osudu neujdeš
(« Tu n'échapperas pas à ton destin »), JW IV/9, sur le texte d'un
recueil de traductions de poésies populaires serbes transcrites par l'homme de
lettres Siegfried Kapper (1821-1879). Le caractère
jovial de cette source a inspiré Janáček qui lui attribue un
ton déclamatoire. Dans ces partitions, le rythme est traité librement à la
manière des chants populaires de la Moravie orientale ou de la Slovaquie. Le musicien
attribue beaucoup d'importance à l'accentuation naturelle et aux fluctuations
incessantes de l'expression. Cette réalité correspond à l'acuité de son oreille
et à son extrême sensibilité aux motifs psychologiques liés à la teneur
poétique de l'ambiance. Pavel Křížkovský – Jan Vilímek, 1885 Entre-temps,
pendant l'année scolaire 1874/75, Leoš s'était perfectionné à l'École d'orgue de
Prague dont il sera provisoirement « renvoyé » eu égard à la
formulation objective de ses critiques publiées dans un article de la revue Cecilie dans lequel il écrivait à l'issue d'un
concert : « Mais que peut-on demander à des gens qui considèrent
cet art si noble juste comme – un métier ? » Le renvoi le choquera à tel point qu'il
s'exprimera par ces mots dans son journal : « Ce jour-là est mémorable pour moi ; on
m'a fait violence pour avoir écrit la vérité. » (6) Cette vérité sur
laquelle il fondera toute sa pensée musicale. À la fin de 1874, Leoš
avait probablement fait la connaissance d'Antonín Dvořák
(1841-1904) dans le contexte cécilien de l'église
Saint-Vojtěch de Prague. Malgré leurs
différences d'appréciation sur les plans politique et religieux, les deux
hommes vont s'entendre essentiellement grâce à leur valorisation du slavisme,
leur goût partagé pour la musique folklorique morave. Tous deux ont eu à
souffrir particulièrement de l'hégémonie de la langue allemande. Les vacances d'été
1875 seront mises à profit pour la connaissance des traditions populaires en
Moravie slovaque. Beseda brněnská (« Société de
Brno ») Le 3 février 1876, Janáček est élu à la tête
de Beseda brněnská, autre société
chorale au demeurant fort différente de Svatopluk. Il la dirigera
jusqu'en 1888 avec une interruption d'une année entre octobre 1879 et juin 1880
afin de suivre des études pour le moins infructueuses aux Conservatoires de
Leipzig et de Vienne. Cet ensemble, créé en 1860, allait être considéré comme
l'un des meilleurs en Bohême tant et si bien que l'intérêt de Leoš pour Svatopluk déclinera jusqu'à
sa démission le 26 octobre. Pourtant, les débuts
n'ont pas toujours été faciles tant les exigences du jeune chef pouvaient
heurter quelques habitudes. Par exemple, lorsque les choristes se rassemblaient
afin de simplement se divertir tout en buvant de la bière. Leoš se concentrera, comme précédemment, sur la qualité de
l'interprétation. Les résultats, là encore, seront à la hauteur de ses
espérances. La première partition qu'il destine à son nouveau chœur, Zpěvná duma
(« Élégie chorale »), JW IV/10, datée du 23 février, est créée le 3
avril à Brno. Le texte (1840) est de l'écrivain et fameux traducteur de Goethe,
František Ladislav Čelakovský
(1799-1852). Le mot tchèque duma
(« méditation ») est emprunté au russe et à l'ukrainien de la
narration épique. Son diminutif dumka
(« lamentation ») était interchangeable au XIXe siècle. Le chœur d'hommes
suivant est certainement Na košatej jedli dva holubi
seďá (« Deux pigeons sont perchés sur
un sapin touffu »), JW IV/11, dont le texte trouve encore sa source chez Sušil en 1860. Sa
composition correspond, pour Janáček, à une
période de transition qui va bientôt mettre fin à sa collaboration avec Svatopluk. Il s'agit peut-être ici d'une pièce spécialement
destinée à illustrer l'une de ses nombreuses conférences à l'Institut des
Maîtres ou encore d'un exemple pédagogique conçu à l'usage des étudiants, ce
qui ne diminue en rien sa qualité et sa spontanéité. Il faudra néanmoins
attendre le 1er décembre 1957 pour une exécution officielle, à
Prague, dirigée par Josef Veselka (1910-1992). Expériences Le 30 août 1876, Janáček était nommé professeur suppléant à l'École
normale d'instituteurs de Brno. À la fin de 1881, il y fondera la fameuse École
d'orgue placée sous les auspices de la « Société pour la promotion de
musique d'église ». Il en sera la tête pensante et active pendant
trente-huit ans, jusqu'en 1919. Sa vie s'est véritablement concentrée en ce lieu
aimé faisant de lui, pour les esprits étroits, un musicien régional assez peu
respecté parce principalement voué à la recherche folklorique et
l'enseignement. En août 1883, sans certitude, Janáček compose un Ave
Maria, JW IV/16, qui est en réalité la traduction en tchèque, par le
philosophe Josef Durdík (1837-1902), d'un fragment de
texte de Lord Byron (1788-1824), extrait de la satire épique Don
Juan,
Canto 3, v. 102 (1819/24), publiée la même année à Prague dans O modní filosofii naší doby (« Sur la
philosophie à la mode de notre époque »). Cette pièce, intense et secrète,
occupe une position unique dans le corpus choral de Janáček. En l'occurrence,
il ne s'agit pas d'une prière mariale comme l'on pourrait s'y attendre. Le
compositeur avait été intrigué par cet essai philosophique de Durdík, éminente figure de la recherche en esthétique dont
les travaux l'ont influencé pendant un certain temps. Ce chœur sera publié en
1890 avec les seules initiales LJ. Curieusement, il ne reste pas de trace de
son exécution au cours de la vie du compositeur. Le 6 décembre 1884,
le nouveau Théâtre tchèque de Brno ouvrait ses portes avec une tragédie de
Josef Jiří Kolár
(1812-1896), Magelóna. Le lendemain soir, Prodaná nevěsta
(« La Fiancée vendue » – 1863/66), opéra-comique de Bedřich Smetana (1824-1884) était représenté. Janácěk était naturellement présent lors de ces deux
soirées. Peu après, il participait à la fondation de la revue Hudební listy
(« Lettres musicales »), à orientation scientifique et unité
philosophique, dont il sera le rédacteur jusqu'au 1er juin 1888. Par
ses riches contributions, il témoignera, à travers ses vingt-six articles,
d'une très grande originalité et liberté de pensée. Ce faisant, il constituera
une véritable encyclopédie de ses positions théorique, pédagogique et critique.
Le 11 mai 1885,
lors des funérailles de Křížkovský à l'église du
monastère des Augustins du Vieux-Brno, Beseda brněnská et Svatopluk réunis ont chanté
quelques-uns de ses chœurs. Une époque de la musique tchèque prenait ainsi fin.
De nouvelles responsabilités allaient incomber au jeune disciple. Du 20 juin au 1er
novembre de la même année, Janácěk se consacre à
ses Čtveřice mužských
sborů (« Quatre chœurs pour voix
d'hommes »), JW IV/17, sur des poésies populaires, dédiés à Dvořák « en témoignage d'un respect
illimité ». Le dédicataire sera fort étonné, dans un premier temps, avant
de trouver que « certains passages ont des sonorités magiques ». Vyhrůžka (« Menace ») revêt un
caractère dramatique particulièrement contrasté, concluant sur un adagio
très intériorisé – O Lásko (« Oh, cet
amour »), tel une berceuse, valorise spécialement la douceur mélodique – Ach vojna, vojna (« Ah, la guerre »), plus développé,
déploie une forte déclamation, conjuration des effrayantes images de la guerre
– Krásné oči
tvé (« Tes beaux yeux »), sur un poème
de Jaroslav Tichý
(1853-1917), oppose un étonnant contraste lyrique avec ce qui précède en
privilégiant la gravité. Pĕvecké sdružení moravských
učitelů (« Société chorale des
instituteurs moraves ») –mestohudby.cz Pourtant, Leoš était saisi par le doute. Il avait besoin du soutien
de son aîné. Un sentiment nouveau et scientifiquement plus profond envers le
chant populaire, dont il ne respectait pas toujours la pureté de la source,
surgissait en lui. Après les premières découvertes du folklore, la même année,
en pays Lašsko, Janáček,
soutenu par le directeur du lycée du vieux Brno, le dialectologue,
philologue, ethno-hymnologue et folkloriste František Bartoš (1837-1906),
entreprend d'explorer plus systématiquement sa terre natale. Fasciné par les
modes mélodiques naturels, le ton aigre-doux du chant et les singularités
rythmiques, il s'attache également aux danses. Plus tard, au printemps 1888, Leoš adressera encore à Dvořák
ses Tři sbory mužské (« Trois chœurs pour voix
d'hommes »), JW IV/19, qui ne seront découverts que post mortem, en 1940 et 1955, dans les propres documents du
dédicataire. Ils partagent en commun le thème éternel de l'amour et de la
jalousie. Dans le premier, Loučení (« Les Adieux »), le compositeur
présente la rupture des amants. Le deuxième, Holubička (« La
Colombe »), évoque la recherche désespérée du pigeon qui « tout
ensanglanté s'est tu ». Les textes sont de la poétesse féministe Eliška Krásnohorská (1847-1926) (7). Enfin, le troisième
chœur, Žárlivec
(« Le Jaloux »), cultive ce motif, constitutif de sa future Jenůfa
(1894/1903), d'après une ballade populaire morave, et en référence à Na horách, na dolách (« Sur les collines, dans la vallée »)
de František Sušil. C'est
l'histoire d'un brigand mourant qui, par dépit, veut tuer sa bien-aimée afin
qu'elle ne puisse appartenir à aucun autre. Ce texte a réellement obsédé Janáček au cours de ces années. Par là même, il a
montré son intérêt pour l'affectivité humaine, du point de vue psychologique.
Le compositeur avait bien compris que plus l'affectivité se
précise, plus l'être vivant sent sa propre continuité à travers des excitations
de moins en moins chaotiques. Pour dresser de
l'affectivité un tableau imagé, le musicien doit présenter à l'imagination les
« sons » (nápĕvky mluvy) et les
contours de la vie, même dans ses manifestations disharmonieuses afin d'en
dégager la forme pure, la beauté de la légalité secrète. La chute dans
l'affectivité aveuglante exige de renaître à la vérité par la vérité. D'où le
concept janáčekien de « musique de la
vérité » fondé sur l'intériorité des mouvements psychiques qui se
traduisent en « mélodies du langage parlé » puis naturellement
chanté. Le 1er
juin 1888, Leoš
met fin à sa collaboration avec Beseda brněnská.
Il passera désormais ses étés à Hukvaldy qui, avec Luhačovice, représentera l'un des lieux de référence,
son environnement vital dont il a absolument besoin pour s'épanouir à la fois
en tant que créateur et comme être humain désireux d'entretenir une relation
durable avec ses proches. Lors de l'été de la même année, il entreprend son véritable travail de
collecte du chant populaire, en Moravie orientale, bénéficiant également des
conseils de l'organiste et folkloriste Martin Zeman (1854-1919). Vers 1898, Janáček reprendra un
ancien chœur de 1874, Osamělá bez těchy (« Seul
sans consolation »), JW IV/26, d'après un magnifique chant populaire
slovaque publié, en 1834, dans la collection du poète pro-slave Ján Kollár (1793-1852). Il sera remanié à la date du 10
février 1925 grâce à l'écrivain et compositeur pragois proche de Kafka, Max Brod (1884-1968), qui lui rappellera cette partition
oubliée, semble-t-il, par son auteur. Entre 1900 et 1906,
Leoš travaille à ses Čtvero
mužských sborů moravských (« Quatre chœurs moraves »), JW
IV/28, animés par l'esprit que l'on retrouvera dans son opéra burlesque autant
que tragique, Výlety páně
Broučkovy (« Les excursions de M. Brouček »). Dež
víš (« Si vous savez que je vous aime
davantage que le monde entier ») est un ardent chant d'amour – l'exigeant Komáři (« Les moustiques ») est une
pièce naturelle pleine d'esprit et d'agilité chromatique – Klekánica
(« La sorcière du soir ») est une contre-partie
humoristique du poème symphonique, opus 108, de Dvořák,
Polednice (« La Sorcière de Midi »,
1896) – tandis que Rozloučení
(« Rupture ») se livre à la tristesse dans ce qu'elle de plus sombre
et d'inexorable. Les numéros 2 et 4 se réfèrent au chant populaire selon Sušil, les 1 et 3 sont issus de la récente collection de
poèmes (ca 1900), en dialecte hanaque, de Ondřej Přikryl
(1862-1936). Leur interprète de prédilection sera la dédicataire, la Pĕvecké sdružení moravských učitelů
(« Société chorale des instituteurs moraves »), que le chef et
compositeur Ferdinand Vach (1860-1939) avait
fondé au printemps 1903. Leoš les entendra pour la première fois le 11 juin
1905, à Veselí na Moravě.
Entre-temps, daté
de novembre 1903 (?), il avait composé un énergique Veni
Sancte Spiritus, JW
II/13, motet pour voix d'hommes, dont le texte est issu du Liber usualis. Il s'agit de la première strophe de la
séquence pour la Messe de Pentecôte, publiée seulement en 1978. L'œuvre,
éloignée de la manière cécilienne, avait été
découverte à Brno par le musicologue Bohumír Šědroň (1905-1982). Ferdinand Vach – prostor-ad.cz La « trilogie » de Petr Bezruč Ces trois ballades sont sans aucun doute le
point culminant de ses chœurs masculins. À l'origine, il ne s'agissait pas de
former un corpus cohérent. Au fur et à mesure de la création, il a fini
par s'imposer grâce à un fond commun par lequel le compositeur a exprimé ses
sentiments les plus douloureusement révoltés contre l'exploitation polonaise et
germanique à travers le motif du suicide des principaux protagonistes. Ces
derniers apparaissent dans les Slezské písnĕ (« Chants de Silésie », 1903/09)
du chantre national Petr Bezruč (1867-1958) (8), par ailleurs
humble employé des postes à Brno. Un dynamisme particulièrement émotif, porté
par une amère critique sociale, les anime. Il est certain que de profondes
affinités spirituelles liaient le poète et le musicien. Le 24 octobre 1906, ce dernier achève son emblématique, Kantor Halfar,
JW IV/33. Il le révisera encore le 21 mars 1917. L'œuvre est dédiée à Ferdinand
Vach. Il s'agit de l'histoire tragique d'un maître
d'école réel(9), petit homme
tranquille, néanmoins rebelle et fidèle à l'idée nationale qui, finalement,
cède devant la méchanceté de ses subordonnés et devant la vie en impasse. Halfar se pendra au pommier, symbole tragique de la vie trahie.
Son seul défaut était justement d'oser parler sa langue là même où il vivait et
travaillait. L'image du Kantor, en tchèque, est forte. Elle désigne le
maître d'école dépositaire d'un savoir essentiel pour lequel le chant constitue
la charpente. En cela, il est proche de l'idée que s'en faisait déjà le Suisse
Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827). Le texte de la première strophe
contient tout le problème cher à Leoš : Halfar, le maître
d'école, était un brave garçon un garçon tranquille,
même un joli garçon, mais il avait, il avait
un défaut : à Těšín, il parlait tchèque. La musique de ce drame exprime autant le
simple que le complexe, autrement dit la nudité d'une voix jusqu'à
l'épanouissement de la polyphonie. Le mouvement inexorable est allégé par le
fréquent détachement métrique des parties secondaires. Toutefois, la
simultanéité des motifs fragmentés crée une morphologie sonore polymélodique et
polyrythmique d'une force déprimante. C'est dans cet esprit que Janáček valorise ses intervalles favoris de seconde et
de quarte. La première exécution n'aura lieu que le 27 mai 1911, à Plzeň,
avec Antonín Arnet à la tête de la Société chorale
Smetana. Le 11 novembre 1906, Leoš crée l'une de ses œuvres les plus connues avec Jenůfa,
Maryčka Magdónova,
JW IV/34-35. Le poème raconte la tragédie d'une famille de mineurs. Le
compositeur y retravaillera au mois de mars de l'année suivante dans une
version plus tendue que la première dans laquelle il ajoutera un solo de ténor et un solo de basse. Le regretté Guy Erismann, l'un de ses meilleurs spécialistes francophones,
avait raison de parler, pour ce chœur puissant, d'« opéra » (10). Dans le poème, Maryčka Magdónova,
persécutée par la brutalité des autorités, est l'aînée de « cinq orphelins
en pleurs ». Là aussi, il y aura suicide. Elle se jettera dans la rivière Ostravice. Pris par son émotion, Janáček avait écrit ces mots à Bezruč : « J'ai
lu vos paroles comme si je les avais entendues, et j'y ajoute un orage de sons
furieux, désespérés et douloureux … » Musicalement, les fières dissonances, le
ton âpre exacerbent l'étrange effet d'une épouvantable réalité. Le 12 avril
1908, Ferdinand Vach dirigeait la seconde version de
ce chœur à Prostějov avant de se rendre avec sa « Société chorale des
instituteurs moraves » à Paris où il la donnera, le 27 avril, au Théâtre
du Châtelet. Le dernier volet de la
« trilogie », Sedmdesát tisíc (« Les Soixante-dix mille »), JW IV/36,
toujours d'après Petr Bezruč, est daté du 8
décembre 1909. Comme pour le précédent, ce chœur sera remanié le 5 juillet 1912
et sera créé le 25 mars 1914, à Benešov u Prahy, sous la direction de František
Spilka (1887-1960) (11), professeur au Conservatoire de Prague.
C'est à cette occasion que le compositeur et chef d'orchestre Otakar Ostrčil (1879-1935), son futur interprète pragois,
félicitera chaleureusement Janáček. Une fois de plus, et dans le texte et
dans la mélodie viscérale, il s'agit de révolte en réponse à l'humiliation
subie par cette minorité de Tchèques en Silésie alors rassemblés devant Těšín, refusant de devenir Polonais ou de parler
l'allemand. Ils préféraient plutôt mourir de corps que d'âme. Le 24 décembre
1907, Janáček avait d'ailleurs publié un texte dans Lidové noviny (JW
XV/188) sur les relations nationales en Silésie à propos de la pratique de la
langue polonaise propagée dans un territoire essentiellement tchèque. Ce
chœur se traduit musicalement par des couches contrastées entonnées par un
ténor solo, un quatuor solo, symbole de l'âme d'un peuple impuissant, auxquels
s'ajoute le chœur principal. Particulièrement difficile à interpréter, cette
partition a d'abord été considérée comme inchantable jusqu'à ce que Vach et ses chanteurs prennent finalement le taureau par
les cornes, répétant avec rigueur jusqu'à offrir de mémorables exécutions. Le
chef d'orchestre, compositeur et musicologue Jaroslav
Vogel (1894-1970) a estimé qu'il s'agit là d'une des musiques chorales les plus
émouvantes qui ait jamais été composée tout en citant ce riche commentaire de
Max Brod : « l'agitation d'une révolte passionnée, l'éruption d'un
chagrin infini et la force accumulée à travers des siècles d'oppression » (11). Ces trois chœurs, quasiment
autobiographiques et opératiques, sont introduits par une ritournelle dont la
répétition forge la cohérence du discours tout au long de la partition. Leur
caractère relève aussi de l'hymne. C'est précisément à partir d'une telle
stabilité que Leoš peut explorer un langage plus
inouï, aux harmonies brutales, aux fréquents changements de tempi. Les voix
sont exposées et vulnérables. C'est ainsi que nos habitudes d'écoute, à
première audition, sont quelque peu bousculées. Ce fut le cas lors de leurs
créations par les instituteurs moraves qui attiraient généralement un large
auditoire. Leur exécution, de même, n'est guère aisée ni sur le plan de
l'intonation, ni sur celui du rythme, tant les lignes s'interpénètrent dans
toute leur complexité. La déclamation s'oppose au lyrisme pur, exprimant par là
même le combat essentiel auquel Janáček
renvoie en permanence tout un chacun. Pour autant, malgré son aspect
volontairement sombre, le ton ne manque pas d'éclaircies de compassion. Entre-temps, le 2 juillet 1910, Janáček avait emménagé dans une maison construite
dans le jardin de son École d'orgue à Brno. Aujourd'hui, c'est un riche musée
que l'on peut visiter avec profit pour une connaissance plus intime du musicien
qui y a passé le reste de son existence. Entre 1912/13, il pensera et
travaillera à son fameux Nauka o harmonii
(« Traité d'Harmonie »), JW XV/202, tout à fait non-conformiste et
tellement plus proche de la réalité psychologique que la plupart des ouvrages
de ce genre.
Naissance d'un pays À la veille du déclenchement de la Grande
Guerre, Leoš fête, le 3 juillet 1918, son soixantième
anniversaire qui passe complètement inaperçu. Mais, dès le 28 juillet, tous ses
plans seront bien évidemment bouleversés par la brutalité des événements. Entre le 15 et le 18 novembre, il travaille
à Česká legie
(« La Légion tchèque »), JW IV/42, célébrant la naissance de la
Tchécoslovaquie, le 28 octobre. Le texte, contemporain, publié dans Národní listy, est de Antonín Horák (1862-1948).
L'événement était d'importance pour ce qui concerne l'indépendance nationale
d'un pays assoiffé de liberté. Il faudra néanmoins attendre le 26 septembre
1920 pour que Ferdinand Vach en assure la création à
Kroměříž avec ses instituteurs moraves. Dans cette partition
reconnaissante, d'une grande force et d'exultation patriotique, où il évoque le
« Chemin des Dames », Janáček reprend la technique
d'écriture développée pour la « trilogie » de Bezruč. En juin 1921, Leoš
assiste à Prague, à une conférence du poète et philosophe Bengali mystique Rabindranath Tagore (1861-1941), authentique prophète, ce
qui donnera lieu, pour l'année suivante à la mise en musique de l'un des poèmes
de cette éminente et impressionnante personnalité. Lors de cet événement, il
avait, comme à son habitude, soigneusement noté les mouvements mélodiques du
langage parlé (nápěvky
mluvy)
de Tagore. Marqué par « l'indicible tristesse » qui émanait de
sa voix, il publiera un article dès le 22 juin dans Lidové
noviny. Entre juillet et le 12 novembre 1922, il se consacrera à
Potulný šílenec
(« Le Fou errant »), JW IV/43, chœur d'hommes et baryton auxquels
s'ajoute une voix de soprano. Le baryton solo figure, par sa monotonie, la soif
de l'or de ce fou alors que le soprano symbolise le jeune garçon qui déconcerte
le vieillard. Le langage y est étonnant du point de vue de sa liberté
expressive. Dans cette ballade, Janáček exprime ainsi sa
philosophie de la compassion fondée sur le rêve éternel de l'homme qui est
d'atteindre au sublime par sa vaine recherche de la pierre philosophale. La
composition, fidèle au poème, attribue à chaque voix une belle indépendance
dramatique. L'œuvre, complexe, demande encore beaucoup à ses interprètes. Pour
cette raison, deux années passeront avant sa création publique par Vach, ses chanteurs moraves et la soprano Eliška Janečková, le 21
septembre 1924, à Rosice u Brna. Épilogue Le dernier chœur
d'hommes, très bref, de Janáček a été conçu entre
le 27 mars et le 2 avril 1928. Il s'agit de Sbor
při kladení základního kamene Masarykovy university v Brně (« Chœur pour la pose de la première
pierre de l'Université Masaryk à Brno »), JW IV/45. Le texte est du
Professeur Antonín Trýb (1884-1960), doyen de la
Faculté de médecine de l'université de Brno. La création aura lieu sur place,
le 9 juin, en présence du Président Tomáš Garrigue
Masaryk (1850-1937). Jaroslav Kvapil
(1892-1959) dirigeait alors le chœur de Beseda
brněnská. Le début de l'ultime année 1928
avait été marqué par le décès tragique de l'écrivain et journaliste Rudolf Těsnohlídek (1882-1928), auteur des légendes
pittoresques qui ont été à la source de Příhody
Lyšky Bystroušky
(« L'Histoire de la Petite Renarde rusée », 1921/24). Peu de temps après
la cérémonie universitaire, le 8 août, Janáček
tombera malade à la suite d'une malencontreuse expédition en forêt à la
poursuite d'Otto, le fils de sa bien-aimée Kamila Stösslová (1892-1935), inspiratrice de nombreux personnages
de ses opéras et d'autres partitions. Hospitalisé à Ostrava, il écrira le 12 sa
dernière lettre au critique suisse William Marie Ritter (1876-1955), récemment
rencontré à Luhačovice, avant de s'éteindre dans
la matinée. Sur le monument funéraire d'Eduard Milén
(1891-1976), qui orne sa tombe, se trouve gravé un extrait de son « Fou
errant » : « ses forces étant épuisées et son cœur dans la poussière
comme un arbre ayant été arraché ». Le chœur pour voix d'hommes, au sein de la pensée
musicale de Janáček, ne saurait exister
sans la référence fondamentale au folk-lore, compris dans sa
signification étymologique forgée, en 1846, par l'érudit anglais Williams John Thoms (1803-1885) (13). En cela, Janáček apparaît, au sein du
collège des compositeurs du XXe siècle, comme une figure
exceptionnelle et isolée. Le grand musicologue américain Richard Taruskin, dans sa vaste et remarquable History of Music(14), a raison de souligner que Janáček se situe entre Schönberg (1874-1951) et Bartók
(1881-1945), sans pour autant partager avec eux un fond commun. Avec le second,
il le pourrait, eu égard à la proche relation au chant populaire. Pourtant, il
n'en est rien car les différences entre le Hongrois et le Morave sont loin
d'être anodines. Bartók est avant tout un musicien savant qui valorise
essentiellement l'abstraction sonore. De son côté, Janáček,
réellement proche du peuple et de ses souffrances, se réfère à des sources
folkloriques tout en les incarnant en profondeur dans son exégèse musicale. Ses
chœurs d'hommes en témoignent avec force. James Lyon. (1) Guy ERISMANN, Janáček
ou la passion de la vérité, Paris, Seuil, 2007 - Hans HOLLANDER, Janáček. His Life and Works, London, John Calder, 1963 - Leoš
JANÁČEK, Daniela LANGER, Écrits, Paris, Fayard, 2009 - James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les sources, Paris, Beauchesne,
2011 - Nigel SIMEONE, John TYRELL, Alena
NĔMCOVÁ, Janáček
Works, Oxford, Oxford University Press, 1997 - Richard TARUSKIN, Music
in the Early Twentieth Century, Oxford, Oxford University Press, 2010, p.
421-445 - John TYRELL, Janáček. Years of a Life. Volume 1 (1854-1914). The Lonely
Blackbird, London, Faber and Faber, 2006 - Id.,
Janáček. Years
of a Life. Volume 2 (1914-1928). Tsar of the Forests, London, Faber and Faber, 2007 - Jaroslav VOGEL, Leoš Janáček, Praha, Academia, 1997 -
Mirka ZEMANOVÁ, Janáček,
London, John Murray, 2002. (2) Traduction de Daniela Langer, op.
cit., p. 251. (3) Société de chant. (4) En tchèque, národ-ní signifie aussi bien
« national » que « populaire ». (5) Relative à l'intérêt que le XIXe
siècle vouait au passé dans le contexte de l'Église catholique romaine. Ses
initiateurs ont principalement été Karl Proske
(1794-1861) et Franz Xaver Witt (1834-1888). Dans ce
contexte, Palestrina était préféré à Bach. (6) Citations in Daniela LANGER, op.
cit., p. 20. (7) Eliška Krásnohorská a également été la librettiste de Bedřich Smetana pour Hubička (1875/76), Tajemství (1877/78), Čertova stĕna
(1879/82), et Viola (1874/75,
1883/84). (8) Vladimír Vašek de son vrai nom. (9) Son frère, également instituteur,
avait fait connaître certains chants populaires à Janáček
en 1893. (10)
Guy ERISMANN, op. cit., p.138. (11) Avec Ferdinand Vach,
il a conçu une autre approche du chant choral. (12)
Jaroslav VOGEL, op. cit., p.
189. (13) James LYON, op.
cit., p. 293. (14) Richard
TARUSKIN, op. cit.,
p. 444-445.
***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
L'orchestre du Conservatoire de Paris sous le 1er Empire
Les concerts donnés à Paris par l'orchestre des élèves du Conservatoire sous le modeste nom d'« Exercices » rencontrent dès leur origine en 1797 un réel engouement. Au cours de cent quarante-trois séances jusqu'en 1815, date à laquelle ses activités s'arrêtent, l'orchestre séduit le public comme la critique : « Il y a eu le 23 Nivôse [13 janvier 1801], au Conservatoire de musique, un exercice des élèves, qui a été entendu avec beaucoup d'intérêt. La partie instrumentale est vraiment étonnante. Un orchestre nombreux, composé tout entier de jeunes gens, qui ont l'air de former une pension, exécute avec ensemble, précision et fermeté les symphonies, et met, ce qui est plus difficile, dans l'accompagnement, l'intelligence et les ménagemens que ce genre exige » (1).
L'histoire de cet orchestre est mal documentée : les sources sont lacunaires, les archives ayant été en partie détruites lors de la Restauration de 1815, puis dilapidées au cours du XIXe siècle. A la suite des travaux de Constant Pierre, qui s'est intéressé vers 1900 aux Exercices des élèves(2), et plus tard de Jean Mongrédien(3), une nouvelle source permet d'étudier cet orchestre, en interrogeant notamment son effectif : les Archives Nationales conservent en effet deux listes des instrumentistes, élèves au Conservatoire, le composant. Datée pour l'une de 1806 et l'autre de la saison 1813-1814, celles-ci se trouvent dans un registre des élèves de déclamation dramatique et ont, pour cette raison, échappé au regard des chercheurs(4). La première (septembre 1806), présente alphabétiquement quarante-quatre noms d'anciens élèves, en spécifiant leurs adresses et parfois leur instrument avec différents degrés de précision. La seconde liste (1813-1814), plus exhaustive, fait état des musiciens constituant chaque pupitre.
Les orchestres du passé récent L'organisation de l'orchestre du Conservatoire s'oppose par bien des aspects aux institutions ayant existé à Paris au XVIIIe siècle : sans remonter à l'ensemble du mécène Le Riche de La Poplinière (actif de 1732 à 1762), il est nécessaire de rappeler que l'orchestre du Concert des Amateurs (1769-1781), celui de la Loge Olympique (1783-1790), ainsi que celui des Concerts de la rue de Cléry (1799-1805) étaient gérés par une assemblée de mécènes et de mélomanes, dans le but d'organiser des concerts amateurs avec l'appoint de musiciens professionnels rémunérés(5). Au Conservatoire, ce sont avant tout des élèves de l'établissement, même si tous ne se destinent pas à la profession de musicien, et si des professionnels viennent compléter les rangs au gré des nécessités. L'effectif total de l'orchestre du Conservatoire est, selon la seconde liste, supérieur à celui de ses devanciers, et relativement comparable à celui de l'orchestre de l'Opéra qui, destiné à un autre répertoire, se compose en 1800 de soixante-quinze musiciens(6).
Panorama sur les Exercices des élèves de 1797 à 1815 Commencés le 24 octobre 1797 et prévus au nombre de six par saison, les Exercices atteignent entre cinq et huit séances par an entre 1803 et 1806, puis douze ou treize séances annuelles entre 1807 et 1814, au rythme soutenu d'un concert toutes les trois semaines environ. Les programmes le plus souvent renouvelés obligent à une organisation serrée des répétitions, que le Règlement du Conservatoire en l'an IV [1796] prévoit dès l'origine : « Les classes de répétitions de tous genres (…) se font dans l'ordre suivant : les répétitions d'instruments à vent, dans l'un des petits théâtres, les duodis et sextidis ; celles d'instruments à cordes, au même théâtre, les tridis et septidis ; celles de scène chantée, avec accompagnement de grand orchestre, les quartidis et octidis » (10). Le travail préparatoire de cet orchestre est méticuleux : séparation des cordes et des vents, chaque groupe ayant deux répétitions par périodes de dix jours, une activité assez dense. Il n'y a pas de programme musical type, mais la composition en est fréquemment de cinq à sept numéros, par exemple : Symphonie, air, concerto, air, symphonie concertante, ensemble vocal et ouverture.
Principes de constitution de l'orchestre La visée pédagogique des Exercices des élèves, signalés dans les règlements du Conservatoire de 1796, 1800 et 1808(11) est logiquement définie : « Ces exercices ont pour but de les former [les élèves] à l'ensemble de l'exécution » (12). L'orchestre et les chœurs sont composés des « élèves jugés en l'état d'être admis à l'exécution », étant « les plus avancés(13) », et jugés comme tels par le comité d'enseignement, qui « constate les moyens des élèves destinés à paraître en public, soit dans les exercices du Conservatoire(14) ». Le terme d'« élève » est à prendre dans un sens non restrictif : élève en cours d'études ou bien élève ayant quitté le Conservatoire, mais continuant à en fréquenter l'orchestre. Nous verrons pour certains pupitres dont l'enseignement n'est pas assuré que le musicien est bien élève au Conservatoire, mais dans un autre cours, tel l'harmonie ou le piano.
Les registres autographes où les deux inspecteurs de l'enseignement Méhul et Cherubini consignent les notes prises lors des « examens des classes » offrent une illustration des procédures du choix de membres du chœur(15). Lors de l'inspection de la classe d'Alphonse Butignot le 2 août 1811, Cherubini propose « Melle Gallet, petite voix, chante sans couleur et nonchalance, (à employer aux exercices dans les morceaux d'ensemble) » ; il reprend la même formulation le même jour pour trois autres élèves, Melles Paillard, Chaumel et Lefort(16). Selon le règlement, l'élève choisi pour entrer dans l'orchestre a l'obligation d'y participer : « Les élèves sont à la disposition du Conservatoire pour son service intérieur » (17).
Si le chœur est mixte, l'orchestre n'est en revanche composé que de jeunes hommes, les seules matières offertes aux élèves femmes (solfège, chant et piano) leur interdisent de facto l'accès à l'orchestre. Les élèves se connaissent, parfois depuis plusieurs années, puisqu'ils suivent un enseignement collectif, en principe de huit élèves, à raison d'un cours tous les deux jours. La collégialité favorise la cohésion du jeu orchestral et est renforcée par les liens de parenté : plusieurs élèves sont membres d'une même famille, tels les frères Habeneck, violonistes, les frères Collin, cornistes(18), les Guthmann père (professeur, trompettiste) et fils (élève, contrebassiste). Les professeurs encadrent la préparation des concerts, mais ne jouent pas au sein de l'orchestre(19).
Étude de cas : les élèves violonistes de l'orchestre violoncelles Selon la liste de 1806, l'orchestre des élèves du Conservatoire ne comprend que vingt-six cordes : dix-sept violonistes, deux altistes, cinq violoncellistes et deux contrebassistes. Ce document relève uniquement les élèves « qui n'ont plus de classes », et omet ceux en cours de scolarité. La liste de 1813-1814 offre en revanche un panorama complet de l'orchestre, relevant les noms de cinquante-huit instrumentistes à cordes : 14 violon I, 14 violon II, 8 altos, 14 violoncelles, 8 contrebasses. Chaque pupitre y est constitué de deux instrumentistes(20). La petite harmonie se compose quant à elle de dix-huit instruments auxquels s'ajoutent une trompette, deux trombones et un timbalier.
Dès 1795, en recrutant sans concours d'entrée tout élève se présentant, le Conservatoire attire une grande quantité de garçons d'une dizaine d'années, dont beaucoup sont débutants(21). Pour le violon, les classes des maîtres Kreutzer, Baillot, Habeneck, et pour le violoncelle celles de Levasseur et Baudiot doivent réunir un nombre d'élèves suffisant pour trouver parmi les meilleurs un nombre capable de satisfaire à l'effectif d'un orchestre symphonique. En 1800 les neuf classes de violon totalisent soixante-dix-neuf élèves(22), ce qui permet de subvenir aux besoins de l'orchestre. En 1806 la situation évolue : seules trois classes de maîtres actives forment trente-cinq élèves, situation identique en 1813-1814 :
Statistiques des élèves de violon dans les classes en 1806
Statistiques des élèves de violon dans les classes en 1813-1814
L'orchestre, une fois fondé, conserve en partie ses musiciens, de sorte que les classes n'ont qu'à pourvoir au renouvellement des musiciens sortis. En 1806 on dénombre trente-six violons et altos dans l'orchestre et trente-cinq élèves dans les classes ; en 1813-1814 on dénombre trente-trois violons et altos dans l'orchestre et trente-trois élèves (de maîtres) dans les classes : un panel nombreux d'élèves permet ainsi aux inspecteurs de sélectionner les meilleurs pour intégrer l'orchestre. Les instrumentistes à cordes de l'orchestre sont en moyenne plus jeunes que les instrumentistes à vent. L'âge médian des violonistes est de 24 ans en 1806, de 23 ans en 1813-1814. En 1806 le plus jeune a 20 ans, le plus âgé 28 ; en 1813-1814, l'éventail des âges s'élargit : le plus jeune est âgé de 14 ans, le plus âgé de 32 ans, la majorité se situe entre 20 et 25 ans(31).
Les règlements de l'An IV [1796], 1800 et 1808 ne subordonnent pas l'accès à l'orchestre à l'obtention de récompenses du Conservatoire. Il n'existe aucune relation réglementaire entre le simple suivi des cours d'un élève, le fait d'être titulaire d'un 1er prix et le suivi de l'orchestre : chaque cursus est individualisé et dépend des décisions des inspecteurs de l'enseignement, un élève pouvant ou non cumuler ces différents titres ou activités. L'élève peut être désigné à l'orchestre à tout stade de sa scolarité, et y être maintenu au-delà de son parcours scolaire. Le 1er prix n'est pas considéré comme un point d'aboutissement des études, il n'est pas rare qu'un élève reste dans sa classe après l'obtention du 1er prix, sous le nom d'« élève en plus ». Néanmoins, les prix permettent d'établir quelques statistiques : en 1806, cinq violonistes sur dix-sept sont nantis d'un 1er prix ; en 1813-1814, ils sont douze sur trente-deux : la proportion des musiciens titulaires d'une récompense augmente entre 1806 et 1813. Le prix tend à prendre un caractère de reconnaissance de qualités, par exemple ces violonistes lauréats occupent plus volontiers les premiers pupitres que ceux placés au fond de l'orchestre.
Une autre manière de distinguer les élèves réside dans le répétitorat. En 1806 comme en 1813-1814, plusieurs musiciens de l'orchestre des Exercices ajoutent à leur scolarité une activité de répétiteur, faisant travailler des élèves plus jeunes qui jouent avec eux à l'orchestre(32). En 1813-1814, le maître Kreutzer enseigne à cinq élèves simultanément répétiteurs de classes de violon et membres de l'orchestre : Duret, Fontaine, Armand, Sauvageot, Saint Aubin. Parfois ces répétiteurs enseignent eux-mêmes le violon à des élèves plus jeunes et membres de l'orchestre, tel Duret, répétiteur de Desaussay, Ostinelli, Baudoin, Barbereau et Kuhn cadet. Cette situation n'est pas isolée, car le maître Baillot est (ou a été) professeur d'Habeneck aîné et de Mialle, ces deux derniers formant à leur tour des élèves membres de l'orchestre : Blondeau, Dufresne, Crétu, Lambert jeune, Turina, Claudel et Escudero. On mesure ainsi l'extension de ce système, l'émulation qu'il peut produire parmi ces jeunes gens dans une unité de travail, et qui révèle finalement un intense réseau de relations à l'intérieur de l'orchestre(33). Les répétiteurs sont un facteur de stabilité ; plus âgés que la moyenne des élèves, ils bénéficient d'une autorité liée à leur responsabilité. Leur présence au sein de ce jeune orchestre assure à n'en pas douter un élément de maturité et de sérieux bénéfique à la cohésion musicale et psychologique de l'ensemble.
Un dernier gage de qualité musicale est l'appartenance de plusieurs violonistes à l'orchestre de l'Opéra de Paris, comme en 1799 « Luc Guené âgé de 18 ans », « Gilles Demeuze âgé de 22 ans », « Marcel Duret âgé de 18 ans » et « Pierre Louis Verdiguier âgé de 20 ans », tous simultanément élèves du Conservatoire et futurs membres de l'orchestre des Exercices(34).
La petite harmonie : une plus grande excellence La constitution des pupitres de la petite harmonie répond à des critères bien différents. Le faible nombre de musiciens nécessaires permet de ne recruter que les meilleurs élèves. Beaucoup de ces instrumentistes à vent avaient été élèves à l'Institut national de musique (1793-1795), phalange essentiellement militaire ; plusieurs d'entre eux deviennent répétiteurs au Conservatoire et font par la suite carrière à l'Opéra, dans les théâtres ou l'enseignement. Ils apparaissent aussi comme solistes aux Exercices, en jouant des concertos ou des symphonies concertantes. Toutes les conditions sont donc réunies pour imaginer une petite harmonie homogène et de belle sonorité. Le tableau suivant met en concordance l'état de la petite harmonie en 1806 puis en 1813-1814, en tenant compte de l'âge des musiciens :
Âge des élèves de la petite harmonie, en 1806 et en 1813-1814
Maintenus à leur poste, les six musiciens communs à 1806 et 1813 « freinent » le recrutement ; et cependant les nouvelles recrues en 1813 ont le même âge qu'eux. Ces phénomènes produisent un vieillissement de l'harmonie où l'âge médian est de 32 ans.
Le nombre de professeurs formant les élèves d'instruments à vent est concentré sur les noms des maîtres de cette époque : Wunderlich (flûte), Sallantin (hautbois), X. Lefèvre et Ch. Duvernoy (clarinette), Ozi et Delcambre (basson), F. Duvernoy (cor aigu), Kenn et Domnich (cor grave). Cette concentration est aussi un facteur d'unité dans le jeu de l'orchestre :
Professeurs ayant formé les élèves de la petite harmonie
Le probable travail des traits du répertoire avec ces professeurs n'a laissé aucune trace dans les archives.
La statistique des lauréats pour les instruments à vent représente, comme celle des instrumentistes à cordes, un moyen de repérage des meilleurs élèves. Et l'effectif habituel de deux instruments par pupitre, rapporté à l'effectif des classes, fait attirer les élèves les plus compétents à ces rares postes. En 1806, on dénombre huit 1ers prix sur onze instrumentistes à vent :
Élèves récompensés dans la petite harmonie (1806)
Sept ans plus tard on en dénombre dix-sept sur dix-huit instrumentistes à vent(36). Entre 1806 et 1814, la prééminence des élèves lauréats exprime à la fois la qualité d'un 1er prix et en sens inverse la valeur de l'orchestre.
Les pupitres difficiles : alto, contrebasse L'absence de classe d'alto au Conservatoire complique le recrutement de cet instrument, le « cousinage » du violon facilitant un peu les choses(37). Dans la liste de 1806, Gabriel Denizot aîné est le seul altiste mentionné avec la précision « alto » ; né en 1786, il est élève de violon à partir de 1802 chez Rode puis Baillot, fréquentant les répétiteurs Habeneck et Mazas, « rayé le 27 octobre 1806 » ; on ne sait rien de son éventuelle formation spécifique à l'alto. En 1813-1814, le pupitre d'alto compte neuf musiciens (dont trois noms rayés), presque tous élèves de violon au Conservatoire, offrant des profils très divers(538. Ces altistes donnent une image de curiosité, d'ouverture d'esprit, qui correspond d'ailleurs au choix d'un instrument non enseigné à l'époque.
Pour la contrebasse, l'éphémère classe existant entre 1796 et 1800 n'engendre pas un vivier suffisant de musiciens(39). En 1806, la présence de deux contrebassistes traduit ce déficit : ce sont Antoine Jean Charles Laperdriès(40), et Nicolas Guthmann(41). Leurs études musicales (violon, piano, cor) ont peu à voir avec la contrebasse. En 1813-1814, ce pupitre est singulier car les trois élèves ne sont toujours pas formés au jeu de la contrebasse(42), et les cinq autres contrebassistes sont des musiciens de renfort, contrairement à ce que préconisent les règlements du Conservatoire(43).
Finalement, sur un orchestre de soixante-dix-neuf exécutants (cinquante-huit cordes, vingt-et-un vents, un timbalier) se trouvent soixante-douze musiciens-élèves (en concédant au terme d'élève une valeur extensive), et sept exceptions de « musiciens professionnels » (44). Le Conservatoire n'a pas de classes d'alto, il réussit malgré ce handicap à combler ses pupitres à l'orchestre ; il est évident qu'il ne le peut pas pour la contrebasse. A contrario, les faibles effectifs des classes de violoncelle rendent nécessaire une recherche de violoncellistes extérieurs. Malgré de telles difficultés, les responsables de l'orchestre minimisent le plus possible l'appel à des éléments extérieurs, ce qui semble répondre sincèrement au titre d'orchestre de l'établissement, malgré ces entorses.
Les parents pauvres : cuivres, timbales La liste de 1806 ne mentionne qu'un seul trompettiste, Nicolas Broulard Guthmann, également cité comme contrebassiste. Deux trompettistes étaient cependant nécessaires. Si l'on ignore qui vient à ses côtés, il n'est pas impossible que son père, unique trompettiste selon la liste de 1813-1814, tienne ce rôle : Adam François Guthmann (1754-1819) est en effet professeur de solfège et de trompette au Conservatoire entre 1796 et 1800, et aussi trompettiste à l'opéra(45).
Pour les quelques passages d'œuvres qui exigent un pupitre de trois trombones, deux noms figurent sur la liste de 1813-1814(46) : Michel René Bénard, entre 1796 et 1810 élève de solfège, de violon et d'harmonie ; et Hippolyte François Félix Cazot, élève de 1802 à 1807, brillant solfégiste et harmoniste, répétiteur de 1806 à 1815. Il n'y a donc rien de bien organisé dans ces pupitres, aménagés en fonction des nécessités.
Le timbalier est le même en 1806 et en 1813-1814, il s'agit de Jean Marie Magdeleine Schneitzhoffer, fils d'un professeur de flûte du Conservatoire, formé en classe de piano (1796-1801) et d'harmonie (1799-1803), en l'absence d'enseignement de la percussion(47). Il occupe par la suite la fonction de timbalier à l'Opéra de Paris (1816-1821).
À l'orée de la longue histoire des grands orchestres symphoniques des XIXe et XXe siècles, l'orchestre des Exercices connaît un succès continu auprès du public et de la critique musicale. Ses débuts prometteurs ont été suivis avec enthousiasme par son auditoire, comme par l'Impératrice Joséphine et la haute société qui s'y rendait. Inquiets de voir ce succès les abandonner au moment de l'abdication de Napoléon 1er, les élèves organisent dans l'urgence en avril 1814 des séances cherchant par tous les moyens à se faire bien considérer par la Restauration(48). Un autre élément de solidité de cet orchestre réside dans la fidélisation d'une large partie de son effectif, notamment pour les instruments à vent.
La dernière séance des Exercices sous l'Empire a lieu le 11 juin 1815. On assiste alors à un délabrement complet de l'activité, en raison de l'effondrement politique de l'Empire et de la renonciation provisoire aux héritages de la Révolution, dont fait partie le Conservatoire musical. La Restauration retourne à un esprit d'Ancien Régime, qui cherche à annihiler les activités précédentes, d'où la disparition des « Exercices » (49).
Cet orchestre engendre une expérience de l'orchestre dans trois domaines : celui du recrutement des musiciens, chefs, solistes et chœurs, celui d'un modèle de travail, celui d'une recherche d'un idéal sonore. Ces acquis servent ailleurs en Europe au XIXe siècle(50). Les futures autres écoles de musique à Paris, l'École de Choron, celle de Niedermeyer, de la Schola Cantorum(51), n'ont ni dans leurs objectifs ni dans leurs moyens la possibilité d'aborder ce type d'activité orchestrale. Mais le mouvement initié par les Exercices d'élèves est assez puissant pour ressurgir treize années plus tard sous la forme de la Société des Concerts du Conservatoire (1828) (52). Beaucoup d'hommes se retrouvent parmi les cadres de ces deux institutions, comme Cherubini, Baillot et Habeneck(53). L'expérience acquise entre 1800 et 1815 est associée à ce qui se reconstruit en 1828, et la Société des Concerts du Conservatoire deviendra une institution majeure de la vie musicale française.
Frédéric de La Grandville.*
* Frédéric de La Grandville est Docteur en Musicologie, spécialiste de l'histoire musicale du début du XIX ème siècle.
(1) La Décade philosophique, littéraire et politique, par une société de gens de lettres (neuvième année, IIe trimestre, n°12, 30 Nivôse An IX [20 janvier 1801]), p. 184. B.n.F. [FB- 33961-33999. [MFILM Z- 23188-23229. (2) Constant Pierre, Le Conservatoire national de musique et de déclamation, documents historiques et administratifs recueillis ou reconstitués (Paris, Imprimerie Nationale, 1900). En particulier Chap. X « Exercices des élèves : concerts et représentations, 1° notice historique ; 2° Programmes (1800-1900), p. 460-510. (3) Jean Mongrédien, « Les premiers exercices publics d'élèves d'après la presse contemporaine (1800-1815) », Le Conservatoire de Paris, 1795-1995, Des Menus-Plaisirs à la Cité de la Musique (Paris, Buchet-Chastel, 1996), p. 15-37. Jean Mongrédien, « Étude sur le regard de la presse allemande sur les débuts du Conservatoire », Le Conservatoire de musique de Paris. Regards sur une institution et son histoire (Paris, Association du bureau des étudiants du Conservatoire, 1995). (4) Archives Nationales de France, série du Conservatoire de musique A.n.F. [AJ37 87, Registre de l'École d'art dramatique, p. 233-267. (5) Patrick Taïeb, « Le Concert des Amateurs de la rue de Cléry en l'an VIII (1799-1800) », Hans Bödeker et Patrick Veit, Les Sociétés de musique en Europe, 1700-1920 (Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2007), p. 81-99. Patrick Taïeb, « L'exploitation commerciale du concert public en l'an V (1797) : l'exemple de Charles Barnabé Sageret », Hans Bödeker, Patrick Veit, Michael Werner, Organisateurs et formes d'organisation du concert en Europe 1700-1920, institutionnalisation et pratiques (Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2008), p. 57-82. (6) Emmanuel Hervé, « La disposition des musiciens de l'orchestre de l'Opéra de Paris d'après Alexandre Choron et Adrien de Lafage », Revue française d'organologie et d'iconographie musicale (Musique - image - Instruments), n°12 (2010), p. 86, note 23. (7) Michel Brenet [Marie Bobiller], Les concerts en France sous l'Ancien Régime (Paris, Fischbascher, 1900), p. 361 : « Quarante violons, douze violoncelles, huit contrebasses, avec le nombre ordinaire de flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors et trompettes ». L'appellation « nombre ordinaire », selon les habitudes de l'époque, pourrait être d'une flûte, 2 hautbois ou clarinettes, 2 bassons, 2 cors et 2 trompettes, soit un chiffre incertain de « 9 vents », sans oublier le timbalier souvent requis. (8) Patrick Taïeb, op. cit., p. 89-90. Cet article récapitule et compare les effectifs des différents orchestres de ce temps. (9) « Réglemens du Concert des Amateurs de Paris, arrêtés en assemblée générale, le 15 Brumaire An VIII [novembre 1799] », B.n.F., Dép. de la Musique [Recueil 234 (1), p. 4. (10) Règlement de l'an IV [1796], Titre XI, Art. 5. C. Pierre, op. cit. p. 227. (11) Les trois règlements de 1796, 1800 et 1808 sont publiés par C. Pierre, op. cit, p. 223-244. (12) Règlement de 1808, préambule. C. Pierre, op. cit. p. 237-238. (13) Règlement de 1800, Titre VI, Art. 10. C. Pierre, op. cit. p. 232. Le chœur existe aussi, toutefois les sources évoquent très peu son existence, le public et la critique sont avant tout frappés par la qualité de l'orchestre. (14) Règlement de 1808 [est-ce un titre ??], Chap VII, Art. 90. C. Pierre, op. cit. p. 242. (15) Les cinq inspecteurs de l'enseignement partagent avec le directeur Bernard Sarrette les tâches liées à la gestion du Conservatoire. Plus particulièrement, deux inspecteurs (Méhul et Cherubini) se consacrent à l'examen des classes (nous en avons les traces d'archives de 1806 à 1815 et pas auparavant) ; ils proposent selon les résultats des élèves des orientations discutées et fixées par le « Comité de l'enseignement », constitué jusqu'en 1815 de trois personnes : Sarrette, Méhul et Cherubini. (16) Registre de Mr Cherubini, A.n.F. [AJ37 207, 3, p. 72. Quoique le nombre d'œuvres pour chanteurs solistes domine dans les programmes, nous pouvons en extraire entre 1807 et 1814 certains titres mentionnant expressément les chœurs : Didon de Piccini, Erifile et Montuzema de Sacchini, Médée et Elisa de Cherubini, Uthal de Méhul, La morte di Mitridate de Zingarelli, Idomeneo de Mozart, Offertoire de Jommelli, Litanies de Durante, Athalie de Gossec, Il trionfo della Chiesa de Paër. (17) Règlement de 1808, Chap. 1, Art. 7 ; Chap. IV, Art 34 ; Chap. VII, Art. 111. C. Pierre, op. cit. p. 238, 240, 242. Les élèves du Conservatoire ne fréquentent plus d'autres orchestres que celui de leur école : « Le Concert de la rue de Cléry accueille aussi des élèves dans l'orchestre. Ils sont deux en 1799, mais cette pratique ne semble pas avoir duré longtemps. La création des Exercices des élèves du Conservatoire en 1797 et leur activité régulière à partir de 1800 expliquent peut-être cette évolution », P. Taïeb, op. cit. p. 94. A la note 23, l'auteur cite trois élèves : Charles Julien Le Carpentier est élève en classe de violon au Conservatoire, Henri Louis Péronneau, élève corniste, et un certain Frey (instrument non précisé), désigné comme « élève » dans les listes de cet orchestre, mais qu'on ne retrouve pas au Conservatoire. (18) Pierre François aîné et Pierre Louis cadet, respectivement 2e et 3e cors. (19) Nombreux sont en revanche les professeurs à participer au Concert des Amateurs de la rue de Cléry, créé en novembre 1799. La liste nominative des membres ( Réglemens du Concert des Amateurs de Paris, arrêtés en assemblée générale, le 15 Brumaire An VIII [novembre 1799] », B.n.F., Dép. de la Musique [Recueil 234 (1), p. 4) montre que parmi les quarante-et-un professeurs du Conservatoire, quatre instrumentistes à cordes sur vingt-neuf et treize instrumentistes à vent sur vingt s'y retrouvent (Les violonistes Guérillot, Chelard, Pagniez ; le violoncelliste J.B. Rey (sauf homonyme) ; le flûtiste Hugot ; les hautboïstes Sallantin, Félix Miollan et Schneitzhoffer père ; les bassonistes Delcambre, Ozi ; les clarinettistes Solere et Xavier Lefèvre ; les cornistes Kenn, Frédéric Duvernoy, Horace, Domnich et Buch) (20) Les pupitres 1, 5 et 7 des 1ers violons comportent trois noms, dont l'un est rayé est remplacé par un autre. On peut donc en rester au principe de base : un pupitre égale deux violonistes. Il en va de même pour les 2ds violons, où il y a trois noms pour le 1er pupitre. Hervé Audéon a étudié l'effectif de l'orchestre, sous ce rapport acoustique 14/14/8/14/8 : Hervé Audéon, Le Concerto pour piano à Paris entre 1795 et 1815, pratique et évolution du genre autour du Conservatoire (Thèse Université de Tours, 1999), p. 262-263. (21) Seule exigence : « Nul ne peut être admis Élève au Conservatoire s'il ne sait lire et s'il n'a l'entier exercice des facultés physiques nécessaires au genre d'étude qu'il veut suivre ». Règlement de l'An IV [1796], Titre IX, Art. 4, in : C. Pierre, op. cit., p. 226. Les règlements de 1800 et 1808 reprennent cet article sans modification. Ces éléments obéissent aux idéaux de liberté et d'égalité de la Révolution. (22) Guénin (12 élèves), P. Blasius (9), F. Blasius (9), Kreutzer (11), Baillot (9), Gaviniès (7), La Houssaye (7), Guérillot (8), Rode (7), total 79 élèves de violon. Comme le Conservatoire réunit environ 350 élèves, les classes de violon représentent 22,6% de l'ensemble. (23) Dont 4 à l'orchestre : Marie Henri, Louis Fournier, Charles Sauvageot, Georges Weymer. (24) Dont 4 à l'orchestre : Pierre Blondeau, Luc Guéné, Victor Lepage, Jean Guynemer. (25) Dont 1 à l'orchestre : Pierre Verdiguier. (26) Dont 2 à l'orchestre : Louis Ostelli, Mathurin Barbereau (F. de La Grandville, op. cit., p. 141). Si l'on comptait tous les élèves déjà formés par ce maître et présents à l'orchestre en 1813-1814, il y en aurait davantage. Cette remarque vaut pour les trois notes suivantes. (27) Dont 3 à l'orchestre : Henri Dufresne, François Lambert, Jean Paul Turina (F. de La Grandville, op. cit., p. 166). (28) Dont 4 à l'orchestre : François Claudel, Théodore Lagny, Charles Saint Laurent et à l'alto Pierre Escudero (F. de La Grandville, op. cit., p. 152-153). (29) Aucun élève de Grasset dans la saison 1813-1814 ne figure parmi les violonistes ou altistes de l'orchestre. Les 6 élèves de Grasset alors présents à l'orchestre ont été formés par ce maître auparavant (F. de La Grandville, op. cit., p. 174). (30) En 1813-1814, Georges Kuhn est l'élève du répétiteur Duret, Pierre Tissot fut l'élève du répétiteur Auzou. Mais il est difficile de déterminer dans quelle mesure les maîtres Kreutzer et Grasset supervisent le travail de leurs répétiteurs Duret et Auzou. (F. de La Grandville, op. cit., p. 350). (31) Marcel Duret (1er pupitre, chef d'attaque), François Antoine Habeneck aîné et Charles Sauvageot sont nés en 1781 : on observe que ces aînés sont aux postes-clef de l'orchestre. Mathurin Barbereau né en 1799 est le benjamin. (32) La question des répétiteurs au Conservatoire sous l'Empire a été marginalisée par Constant Pierre dans son livre Le Conservatoire… op. cit. Or leur importance est croissante dans l'établissement de 1802 à 1815, notre introduction à l'étude des classes de solfège est une première occasion de montrer ce rôle : F. de la Grandville, op. cit., p. 259. (33) Six violonistes sont aussi répétiteurs de solfège, ce qui leur confère une certaine autorité vis à vis de leurs élèves également musiciens à l'orchestre : Vidal, Saint Laurent, Storck, Kuhn cadet, Jouet et pour le violoncelle Panseron cadet. Quant à la petite harmonie, il est peu probable que les musiciens de l'orchestre soient répétiteurs d'élèves-musiciens à l'orchestre, pour les raisons de faible renouvellement qui seront observées ci-infra. (34) A. Terrier, op. cit. p. 102-103. Le jury du concours de recrutement à l'Opéra en 1799 est composé de Gossec, Méhul, Lesueur, Cherubini, Martini, Rigel, président : Gaviniès, tous membres du Conservatoire. (35) Ce chiffre signifie que cet élève a travaillé en (1) auprès de François Devienne, en (2) auprès de Jean Georges Wunderlich. (36) L'exception est Jacques Boufil, 2e Accessit 1808 ; il est pourtant répétiteur de clarinette de son professeur Charles Duvernoy. F. de la Grandville, op. cit., p. 66. (37) La classe d'alto sera créée en 1894. (38) Des neuf altistes relevés sur la liste de 1813-1814, cinq proviennent des classes de violon (Amédée, Saint-Aubin, Kuhn, Escudero, Jouet), deux de l'harmonie (Storck, Séjan), un du cor (Mengal), un du solfège. Le statut d'« élève du Conservatoire » est bien respecté, nous pouvons supposer que les quatre derniers élèves apprennent le violon ou l'alto auprès d'un professeur privé. (39) Stiglitz, le contrebassiste de l'Institut national de musique (1793-1795) décède en 1795 ; une place de professeur de contrebasse est donc instituée au concours de recrutement du 22 novembre 1795 mais le candidat reçu, Jean Baptiste Kersten, est réformé dès 1800. La classe de contrebasse sera créée en 1827. C. Pierre, op. cit. p. 129, 447, 457. (40) Antoine Jean Charles Laperdriès, élève de violon (entre 1796 et 1800) et de piano (entre 1798 et 1806, avec de probables interruptions) n'a remporté aucune récompense. Voir F. de La Grandville, op. cit., p. 367. (41) Nicolas Guthmann, élève « multiforme » de cor (entre 1796 et 1800) jouant de la trompette et aussi de la contrebasse. Voir F. de La Grandville, op. cit., p. 298. (42) Ce sont Nicolas Guthmann (cor et trompette), Henri Courtin (basson et harmonie), et Pierre Roll (violon et harmonie).Voir F. de La Grandville, op. cit., p. 298, 148, 552. (43) Les contrebassistes Niquet et Perret sont évoqués par Hervé Audéon, op. cit., p. 259. Ils n'apparaissent pas dans les listes des autres orchestres des théâtres parisiens. Gelinek est contrebassiste à l'orchestre du Concert des amateurs de la rue de Cléry en 1799. Voir « Réglemens du Concert des Amateurs de Paris, arrêtés en assemblée générale, le 15 Brumaire An VIII [novembre 1799] », B.N.F., Dép. de la Musique [Recueil 234(1), p. 4. Il passe à l'opéra, où il se trouve en 1815 : Agnès Terrier, L'Orchestre de l'opéra de Paris de 1669 à nos jours (Paris, La Martinière, 2003), p. 112. (44) Ces sept musiciens sont quatre violoncellistes (Chapuis, Lagneau, Porte et Krenn) et quatre contrebassistes (Perret, Niquet, Gelinek et Lagneau) ; sept au total, puisque le musicien Lagneau est le même, passant d'un instrument à l'autre. (45) A.N.F. [AJ37 64, pp. 1, 6, 10, 13, 18, 21, 25bis, 29, 32, 37, 40, 44. Les pages 32 et 40 sont les seules où l'on précise « solfège hommes & trompette », en octobre 1801 ; l'existence de la classe de trompette d'Adam François Guthmann père entre 1795 et 1802 est furtive. La page 44 spécifie la réforme de François Guthman en 1802. La fondation officielle de la classe de trompette aura lieu en juin 1833 avec François Dauverné. (46) La fondation officielle de la classe de trombone a lieu en 1840. Les œuvres aux programmes des Exercices comprenant une partie de trombone sont les suivantes : un trombone requis dans l'Ouverture de Faniska (Cherubini) programmée les 18 mai 1806 et 1er juin 1806 puis 7 juillet 1814 ; l'Ouverture Les Abencérages du même auteur, jouée le 13 juin 1814 ; trois trombones sont nécessaires à l'Ouverture de La flûte enchantée (Mozart) jouée le 15 mai 1814 et à l'Ouverture d'Anacréon (Cherubini) jouée le 3 juin 1814. (47) La classe de percussion sera fondée au Conservatoire de musique de Paris en 1947 avec Félix Passerone. Voir Corinne Roby-Campenon, La classe de percussion au Conservatoire de musique de Paris de 1792 à 1958, maîtrise, Université Paris IV-Sorbonne, 1989, direction Danièle Pistone. (48) Napoléon ayant abdiqué le 6 avril 1814, les Exercices programment dès le 17 avril l'air royaliste « Vive Henri IV » et dès le 24 avril l'air « Charmante Gabrielle », arrangé à trois voix par Gossec, illustrant un épisode galant entre le roi Henri IV et sa maîtresse Gabrielle d'Estrées. Ces deux œuvres vocales, prohibées depuis l'Ancien Régime, sont redonnées le 3 juin 1814. Une autre œuvre instrumentale est choisie le 12 mai 1814 : l'Ouverture du jeune Henri. Cette pièce de Méhul issue d'un opéra tombé le 1er mai 1797 « parce que le compositeur avait mis en scène un tyran » était redonnée de 1810 à 1813 aux Exercices en raison de sa brillance. Mais la présence publique à la séance du 12 mai 1814 de l'empereur Alexandre de Russie et du roi Guillaume de Prusse modifie le caractère du choix de l'œuvre. (49) Quelques essais de refondation des Exercices ont bien lieu entre 1817 et 1824, mais le manque de succès et donc les difficultés matérielles en empêchent la poursuite (Voir C. Pierre, op. cit. , p. 460-475). (50) William Weber, « Concerts at four conservatories in the 1880s : a comparative analysis », Michael Fend and Michel Noiray, Musical Education in Europe (1770-1914) (Berliner Wissenschafts-Verlag, 2005, Vol. I). Le chapitre « Exercices d'élèves in Paris » en particulier aborde cet aspect, p. 337-340. Matthias Brzoska, « L'image du Conservatoire dans l'Allgemeine Musikalische Zeitung de Leipzig à ses débuts », Le Conservatoire de Paris, 1795-1995 Deux cents ans de pédagogie (Paris, Buchet-Chastel, 1999), p. 379-386 et notamment p. 382 et 385. (51) L'Institut royal de musique religieuse de Choron est fondé en 1818 ; l'École Niedermeyer de Paris en 1853 et la Schola Cantorum de Paris en 1894. (52) En s'occupant de l'orchestre des Exercices durant quinze ans (1800-1815), Cherubini comme compositeur et membre de l'encadrement, Habeneck aîné comme violoniste, chef d'orchestre et soliste, en ont nécessairement tiré une expérience qui leur est profitable, en particulier au moment où les mêmes hommes conçoivent en 1828 la création de la « Société des Concerts du Conservatoire ». Voir Nicolas Southon, L' émergence de la figure du chef d'orchestre et ses composantes socio-artistiques. François-Antoine Habeneck (1781-1849). La naissance du professionnalisme musical, thèse de doctorat (Tours, Université F. Rabelais, 9 décembre 2008, directeur de thèse : Joël-Marie Fauquet). Voir aussi Nicolas Southon, « La métaphore de l'orchestre-machine au temps de Berlioz », Revue française d'organologie et d'iconographie musicale (Musique - image - Instruments), n°12 (2010), p. 93-110. (53) Elisabeth Delafon-Bernard, « Habeneck et la société des concerts du Conservatoire : un destin exemplaire », Le Conservatoire de Paris, 1795-1815, des Menus-Plaisirs à la Cité de la musique, (Paris, Buchet-Chastel, 1996), p. 97-116. L'auteure précise : « Habeneck, au début de sa carrière, disposait d'un orchestre d'élèves. Ceux-ci ont vieilli et sont devenus professeurs. Ils peuvent, s'ils l'acceptent, encadrer les nouvelles générations et aborder le grand répertoire, celui des symphonies classiques (…) Habeneck veut un orchestre de professionnels, vigoureux et nombreux ».
***
PROPOS PARTAGES
Philippe Entremont,
pianiste et chef d'orchestre Six mille concerts !
Pianiste d'exception ! Chef d'orchestre pendant 29 ans de l'Orchestre de
Chambre de Vienne, Philippe Entremont comptait parmi les 10 pianistes de
renommée internationale choisis pour jouer au « Piano Extravaganza
of the Century » lors des jeux olympiques de Pékin en 2008. En tant que chef, il a été
directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de la Nouvelle Orléans entre
1981 et 1986, puis de l'Orchestre Symphonique du Colorado à Denver. Il a
également été chef permanent de l'Orchestre de Chambre d'Amsterdam jusqu'en
2002 après avoir été directeur musical et chef permanent, (il est devenu le
chef lauréat à vie, « auf Lebenszeit
») de l'Orchestre de Chambre de Vienne. Il y a une énigme
Entremont en France ! A la douane on le prend pour l'héritier du fromage
de Haute Savoie (une publicité du célèbre produit avait été faite avec un
piano !) ce qui le rend furieux. Un célèbre directeur, toujours en
activité, d'une non moins célèbre scène parisienne
regrettait que ce talentueux chef d'orchestre soit Canadien et non
Français ! Mais ce n'est pas aujourd'hui qu'il va regretter d'être
mondialement connu et applaudi. Les critiques de l'hexagone préfèrent certains
artistes plus médiatisés. Le cliché « On n'est pas prophète en son
pays » est toujours aussi vivace dans notre chère France, où passer un
bonne partie de son temps à s'occuper des médias est plus important que de
travailler ses partitions, comme le font certains instrumentistes français à la
mode.
Philippe Entremont nous a reçu dans son appartement près de la place Vendôme. Bien
qu'il ait passé la majeure partie de sa vie loin de Paris, il a toujours gardé
« fiscalement » la France. Cet homme simple, à l'humour décapant,
vient d'écrire un petit livre de réflexions et de souvenirs (*) qui a été la
base de cet entretien informel et amical. Vous
venez d'écrire un livre de réflexions sur la musique avec un titre à double
sens : « Piano ma non troppo ».
Pouvez-vous nous expliquer ce choix ? C'est toujours difficile
de trouver un titre pour un livre ; il fallait qu'il y ait le mot piano
naturellement et qu'il soit compris dans toutes les langues. Pour les
musiciens, l'italien c'est leur langue de base, donc on le comprend très
facilement. Mais
il nous dit aussi qu'on ne va pas parler trop du piano... Oui, c'est un livre de souvenirs mais ce n'est surtout
pas une biographie. Quand
même on n'est frustré en le lisant. On aurait aimé connaître un peu plus votre
vie. Ce qui y est agréable c'est qu'on peut le feuilleter, dans le désordre, au
grès de notre humeur, chaque chapitre étant indépendant et passionnant. Vous
êtes très discret sur votre vie privée, de pianiste par exemple, et votre
relation avec votre père, chef d'orchestre, vous n'en parlez-pas ? Je suis parti très tôt de
la maison, je me suis trouvé tout seul en pension, chez des gens ; à l'âge
de neuf ans c'était terminé. C'est très personnel, je ne voulais pas en parler. Cette
situation a peut-être eu des conséquences sur votre vie artistique ? Vous
avez fait des Mozart avec lui par exemple ? C'est moi qui le lui ai
demandé; je voulais le faire et je savais que je m'entendrais bien avec lui.
Vous savez, j'ai toujours été très indépendant, même vis à vis de mes
professeurs. Je n'ai eu qu'un professeur que je continue à vénérer encore
aujourd'hui, c'est Rose Lejour ; elle m'a appris ce
que je devais savoir. Effectivement
vous en parlez beaucoup. Mais vous écrivez que vous n'aimez pas beaucoup les
Mozart que vous faisiez à vos débuts, et avec le livre vous nous offrez le
23ème concerto de Mozart dirigé par votre père. Disons que ça ne me venait
pas de manière naturelle. Il y a beaucoup de choses qu'on vous oblige à
apprendre ; je me souviens que je me suis empoisonné la vie avec le début
du 4ème de Beethoven, avec ces quelques mesures où le piano est seul
; je l'ai tellement pensé, travaillé que je n'arrivais plus à le jouer. Je l'ai
laissé tomber et puis un jour, je me suis dit, tu mets tes mains sur le piano
et tu joues le début sans y penser, et ça a marché ! Jouer la partition
pour la partition cela peut être dangereux; bien sûr il faut la respecter pour
ne pas faire de bêtises, mais il faut que les notes vous viennent
naturellement. Un jour je me suis assis au piano et sans y penser, j'ai joué (il se met à chantonner les mesures),
simple sans histoire, j'y étais. Ce que j'ai pu entendre comme conseils, qu'il
fallait le travailler, etc... etc… tous ces conseils m'ont bloqué. Essayons
de refaire une chronologie : le piano c'est l'instrument qui vous est venu
naturellement ? (Rires) Qu'est ce que vous voulez me faire dire ? J'ai beaucoup
aimé l'instrument mais c'est le violon qui a été mon premier instrument. Mon
père était violoniste, ma mère pianiste, c'était une très bonne pédagogue.
C'était vraiment laid ce que je faisais ; le début au violon c'était
atroce. Un jour, j'étais à côté du piano, j'étais fainéant comme vous ne pouvez
pas l'imaginer ; je me suis assis et j'ai commencé à jouer, et c'est ainsi
que j'ai abandonné le violon. Tant
mieux pour nous ! Et pour moi surtout (rires) En
lisant votre livre on a du mal à comprendre comment s'est déroulée votre
carrière Je déteste ce mot ! Oui,
vous l'écrivez... Carrière de quoi ? Les seules que j'aime ce sont les
carrières de marbre à côté de Florence ! Votre
fils fait une belle carrière de médecin non ? Oui, mais il n'aime pas le mot non plus ! Vous
parlez avec beaucoup d'affection de Rose Lejour mais
vous ne faites que citer votre professeur Jean Doyen dont elle était la
répétitrice. Oui parce que je n'ai rien
à dire sur lui. Il m'a eu dans le nez. Ce qui pouvait être normal ; il
aimait tout sauf la fainéantise. J'ai passé trois ans au conservatoire à ne
rien faire. J'ai eu mon accessit, mon second prix et en troisième année je n'ai
rien foutu ! Alors
qu'est-ce qui vous motivait à jouer ? Attention je jouais des
œuvres qu'on n'étudiait pas. J'avais une chance : je déchiffrais très bien les
œuvres que j'aimais et qu'au conservatoire on n'appréciait pas. Les
compositeurs russes comme Tchaïkovski, Rachmaninov étaient détestés.
Tchaïkovski était considéré comme le comble du mauvais goût. J'ai enregistré
ses symphonies, et Roméo et Juliette est une œuvre fabuleuse. Le
concerto pour piano n'est pas mal non plus ! Vous
nous l'avez offert avec votre livre ! Oui, c'est la version avec
Monteux : j'étais le tout jeune qui jouait avec Pierre Monteux très âgé. Cela
s'est très bien passé et on a enregistré cette version très, très vite. On a
mis deux heures à peine ! Pas beaucoup de raccords. J'ai fait aussi cela
avec l'Orchestre de Philadelphie. Il enregistrait toutes les semaines, le
lundi, le programme qu'il avait joué quatre fois la semaine d'avant !
C'est ce que devraient faire tous les grands orchestres, répéter ! Et non
pas seulement une fois ! Revenons
à Doyen... J'avais une admiration
sans borne pour le pianiste, il était magnifique dans Chopin, Schumann. C'était
une des plus belles techniques que j'ai rencontrées. Puisque
nous parlons de pianiste, vous avez une façon un peu dure de parler des Russes,.. Oui, c'est vrai je déteste
la gamme chromatique avec la pédale ! Cela fait désordre ! Il
est vrai que la pédale on s'en sert à tort et à
travers aujourd'hui ! Pour moi c'est le cache
misère. Cela s'étudie. Mais c'est une chose qu'on ne fait pas dans les écoles;
on ne vous montre pas comment mettre la pédale, on confond la pédale avec
l'accélérateur. Tous les élèves que j'ai eus ne savaient pas s'en servir. Ils
l'écrasaient avec le milieu du pied. Le piano est construit avec un couvercle
qui est une cage acoustique, souvent suffisante ; c'est pourquoi il sonne bien
dans des salles qui sont mauvaises. Attention il y a de grands pianistes russes
: Emil Gilels était un immense pianiste. Vous
dites « A la différence des Russes, qui ont multiplié les effets, les
pianistes français n'ont pas à rougir d'une certaine élégance…le bon goût
réside avant tout dans la vérité de l'intention, la sincérité du geste et la
bonne tenue des paramètres techniques », une jolie phrase… Oui, c'est totalement
vrai, dire que le piano français c'est joli, voila un mot que je déteste ! Philippe
Entremont, d'origine française, n'a pas fait sa carrière en France et il est
extrêmement connu dans le monde. Il était à deux pas avec son orchestre à
Vienne et on ne l'a pas invité. L'exception française en quelque sorte ? Bah, ça ne me gêne pas, ça
ne m'a pas empêché de jouer du piano et de diriger les œuvres que j'avais envie
d'interpréter. Est-ce
un mal français, cette attitude ? Je pense qu'en France la
musique de répertoire n'a pas la place qu'elle mérite. La France est un pays de
théâtre, de parole. Le cinéma français est apprécié mais la musique c'est un
désastre alors qu'il y a de bons musiciens en France. Je suis horrifié de voir ce
qui se passe sur le plan musical et cela depuis longtemps ! Il y a eu de
la haine contre moi, c'est exact, qui remonte à très loin. Quel
a été le déclic pour que vous partiez jouer aux USA ? Quand je suis sorti de ce
que j'appelle le carcan - le conservatoire était ma prison - j'ai retrouvé la liberté et contrairement à
d'autres qui dès qu'ils avaient leur premier prix, avaient l'impression d'être
prêts à faire des concerts, moi je me suis mis à travailler. A cette époque
j'étais un des piliers des Jeunesse Musicales avec Bernard Gavoty.
J'ai eu beaucoup de soutiens et après beaucoup de haine.... Mais
comment êtes-vous parti aux USA ? Il s'est trouvé que des
gens m'ont entendu tels que Olin Downes
du New York Times et le compositeur Virgil Thomson critique au Herald Tribune
et ils m'ont toujours soutenu. C'est grâce aux Jeunesses Musicales, qui avaient
fait un échange avec moi et la Music Ligue de New York, que j'ai pu jouer à
Carnegie Hall sous la direction de Leon Barzin. Il avait été l'alto de l'orchestre NBC de
Toscanini ! J'ai fait ainsi mes débuts à New York avec le Premier Concerto
de Liszt et le Concerto de Jolivet qui était une première américaine. Jolivet
vous a entendu le jouer, je suppose ? C'est exact, je l'ai bien
connu. Il n'avait aucun conseil à donner pour l'interprétation ; il a même
écrit sur la partition : « Vous devrez le jouer au tempo que Monsieur
Entremont vous dira » (rires).
On a dit : il a de la chance de jouer à Carnegie Hall ; ce n'est pas de la
chance, tout le monde peut jouer à Garnegie. C'est
d'y revenir qui est le plus compliqué ! C'est la durée ! J'en ai
beaucoup parlé avec Zino Francescatti.
Il me disait ne t'en fais pas, la carrière ça prend du temps, c'est long, c'est
toujours rester au sommet qui est le plus important ! C'est par l'art que
l'on réussit….j'ai bien duré ! Et
ce premier concert a fait boule de neige alors ? J'ai eu de la chance une
fois. Puis Monsieur Ormandy a demandé à
m'entendre ; il faisait son métier de directeur d'orchestre ; il
entendait les jeunes solistes pour savoir si ça
pouvait marcher ou pas. Ce n'est pas à celui qu'on ose nommer le directeur
artistique, qui ne connaît rien d'habitude, de choisir. Qu'il fasse son
travail, il en a déjà assez, pour ne pas venir mettre des bâtons dans les roues
dans le job du chef d'orchestre qui est le véritable directeur artistique.
Donc, il m'a écouté trois minutes, je lui
ai joué l'Île joyeuse de Debussy et j'ai été engagé pour une tournée. Et
qu'avez-vous joué ? La Rhapsodie sur un
thème de Paganini, ensuite le Concerto de Grieg, puis tous les
concertos avec son orchestre au répertoire de l'Orchestre Philadelphie. Je les
ai tous enregistré avec lui ! Et
la France dans tout cela ? Elle a suivi ! J'ai
joué en France vraiment pour la première fois, beaucoup plus tard ; c'était
l'année de mon mariage. J'avais 21 ans. J'ai été appelé je m'en souviens très
bien à 5h de l'après midi par l'Orchestre de la Société des Conservatoires pour
le lendemain. Ils avaient un pépin : c'était pour remplacer Emil Gilels qui devait jouer le concerto de Tchaïkovski, que je
n'avais jamais joué. Je l'ai interprété sans répéter. Je me souviens aussi du
premier concert à Paris de Carlo Maria Giulini,
j'étais son soliste avec l'Orchestre Pasdeloup, c'était au théâtre de Chaillot
; et à partir de là j'ai joué en France régulièrement, normalement, Et
pourquoi avez-vous « disparu »
de la scène française ? Je n'en sais rien. Vous
parlez de jeunes pianistes dans votre livre qui font plus une carrière, excusez-moi du terme, à l'international
qu'en France. Oui Jean-Yves Thibaudet
par exemple qui est très connu aux États-Unis, Jean-Philippe Collard aussi. Mais la France c'est une toute petite partie
du monde, donc ça ne m'atteint pas. Après les États-Unis il y a eu le Japon,
puis toute l'Europe. Puis je suis devenu chef d'orchestre, et là j'ai eu des
postes partout sauf en France. Regardez Michel Plasson
qui a fait des choses extraordinaires et dont on s'est royalement foutu à
Paris ! J'ai enregistré avec lui toute l'œuvre pour piano et orchestre de
Saint-Saëns, sauf le Carnaval ; c'était à l'époque où on faisait
les essais du Concorde. On devait attendre qu'il passe au-dessus de nos têtes
toutes les heures pour continuer à enregistrer ! (NLDR : en 1974-75) Vous
êtes un pianiste qui ne vit pas que pour le piano d'après ce que vous
écrivez ? Heureusement, je
m'intéresse à beaucoup de choses, je lis beaucoup, je m'intéresse à la
politique, j'aime beaucoup le cinéma américain, j'ai rencontré Hamlisch qui a écrit la musique de « l'Arnaque »
à partir des airs de Scott Joplin ; Fellini aussi ; j'aime la bonne cuisine… Lorsque
vous êtes avec des pianistes confirmés ou en devenir parlez-vous de
piano ? Jamais, je
déteste parler musique même en famille. Quand je fais des cours, bien
sûr on parle partition mais j'aime qu'ils s'intéressent à autre chose ; je suis
quelqu'un de très ouvert. Trouvez-vous
que la jeune génération manque de culture générale ? Énormément, même
musicalement c'est dramatique. Quand vous voyez qu'un violoniste écrit
Vieuxtemps en deux mots ! Ils ne sont pas curieux, je m'en aperçois dans
mes cours. J'étais feignant mais je lisais beaucoup. Demandez à un jeune
violoniste qui était Zino Francescatti
: un des plus grands violonistes français... Et ne parlons pas de Ferras...
C'est dramatique ! Il
reste les enregistrements. Écoutez-vous les vôtres ? Cela m'est arrivé. Avec la
sortie du coffret c'est sûr : il y a les Bartók
avec Bernstein que j'aime beaucoup : le Deuxième Concerto, c'est
« Mon » disque. Lorsqu'on
fait autant de concerts, on ne peut pas être toujours à cent pour cent de ses
moyens ? Si toujours ; je n'ai
jamais eu de différents avec les chefs d'orchestre. Oui peut être deux fois : il y a eu deux chefs allemands, un pour un Mozart,
que j'ai détesté, et puis un autre avec qui on ne se parle plus.
Vous
avez une passion pour Bernstein ! Ah oui. Il est difficile
de ne pas l'avoir, on est presque de la même génération ; on était copain. On a
beaucoup joué ensemble. Vous
avez connu Villa Lobos... Je l'ai connu très tôt, à
ma sortie du conservatoire, je jouais une de ses œuvres, salle Gaveau, un
concert qui lui avait été dédié. C'était relativement confidentiel, c'était en
1951 et nous avons lié amitié. Et ensuite je l'ai retrouvé à New York. Je ne
comprenais pas comment il pouvait composer pendant que je venais m'entraîner
chez lui. Vous
avez beaucoup d'affection pour Kurt Sanderling qui a passé la majeur partie de
son temps en Union Soviétique et en Allemagne de l'Est, donc peu connu en
Europe et ailleurs. J'ai eu la chance de jouer
avec lui en Italie, c'était le Concerto de Schumann, ce que je n'oublierai
jamais. Un très grand chef ; c'était une merveille. Et lorsque j'ai commencé à
diriger, il est venu à un de mes concerts
à Copenhague et nous sommes allés dîner après, et il a été de très bons
conseils. Il a été formidable pour moi. Vous
avez beaucoup appris en regardant les chefs ? J'ai beaucoup appris avec
l'Orchestre de Philadelphie. J'ai tellement joué avec cet orchestre ; je
n'étais pas le soliste abruti, excusez-moi du terme, qui une fois qu'il a
terminé de jouer son concerto rentre se morfondre à l'hôtel. Moi je restais
pour écouter les répétitions, c'était fascinant ; j'ai tout appris là. Ce sont
des heures que j'ai passées avec le Philadelphie. Bien
sûr Ormandy a été très important pour vous... Énormément. On le dénigre
stupidement ! Je me souviens au Philadelphia il y avais
deux violoncellistes dans l'orchestre, le frère d'Eugène Ormandy
et le frère d'Igor Markevitch ! J'ai eu un très grand plaisir aussi à
jouer souvent avec un autre hongrois, Itsvan Kertész, un très
grand chef et ami. Je n'ai par contre jamais eu le plaisir d'être dirigé par
Georg Solti mais il m'a prêté son orchestre. Il y a
beaucoup de très grands artistes hongrois, Zoltan Kocsis,
Dezo Ranki sont de grands
pianistes. Il y a quand même un pianiste hongrois que je déteste qui un jour
que je le dirigeais m'a reproché d'être gentil avec l'orchestre ! Il est
très à la mode c'est ce qui est inquiétant. Vous
avez une dent contre Stravinsky et surtout le chef d'orchestre Craft ! Qui sait (rires) ! C'est une horreur cet
homme : il y a des gens comme cela qui arrivent à phagocyter, Madame Stravinsky
par exemple qui l'aimait beaucoup ; c'est une abomination, un chef
déplorable. Vous
écrivez que vous aimez le jazz Je l'adore, je suis allé
souvent écouter du jazz ; Oscar Peterson est un très grand pianiste. Avec
toutes ces activités annexes quand répétez-vous ? C'est comme le vin, avec
modération (rires). Ce n'est pas les
heures passées sur le piano qui comptent, c'est la manière dont on travaille. Serkin était un immense pianiste mais il était esclave de
son instrument. Il
faut bien apprendre les œuvres ? J'apprends très vite. Le
2ème Concerto de Rachmaninov, je l'ai appris, attention les notes seulement, en
deux jours. J'ai une grande facilité de déchiffrage - plus maintenant-, c'est
inné, je n'y suis pour rien. Composez-vous
aussi ? Non, je décompose ! (rires). J'ai fait quelques
transcriptions mais je ne compose pas. Rudolf Barchaï,
lui, a fait des transcriptions magnifiques pour orchestre de chambre des
quatuors de Chostakovitch. A
vous lire, vous appréciez beaucoup Chostakovitch. Énormément, il est le
dernier des grands symphonistes. J'adore aussi Poulenc qui est le dernier des
grands mélodistes. Vous
aimez Boulez, mais il dit que Chostakovitch n'a pas grand intérêt. On ne peut pas être
d'accord ! Qui est d'accord, les bêlants de l'IRCAM ! J'ai joué des
Boulez, j'aime énormément Dutilleux ; je l'ai joué aussi et ce qu'on fait
en ce moment à son propos est scandaleux. On n'a qu'à faire comme pour Jarry,
Boulevard de la Madeleine avec une plaque disant que Jarry est mort dans
l'immeuble d'en face ! (rires) Vous
avez une très jolie formule pour désigner les baroqueux. Ce sont des femmes de ménage !
Ils ont fait un travail admirable. Ils ont fait le ménage et il était temps. Je
n'en pouvais plus d'entendre des œuvres de manière poussives avec des tempos
mortels, comme les andante de Mozart, c'était absolument à crever. Quand il y
avait le C barré, ce qui veut dire à la brève si je ne me trompe, ce qu'on
entendait était monstrueux ! Et les baroqueux sont arrivés, et ils ont
fait le ménage. J'ai fait une fois l'Oratorio de Noël à Vienne, j'ai eu
une bonne critique, c'était un Bach dépoussiéré. Par
contre l'interprétation sur les pianos d'époque vous pose des problèmes. Alors là, j'ai horreur de
ça ! Le piano forte était un instrument transitoire.
On le sent tellement, ce sont des instruments ratés, on est arrivé depuis
longtemps au piano qu'on joue aujourd'hui qui est un bon instrument. J'ai joué
sur un Steinway qui avait cent ans, c'était magnifique. Le piano forte est accablant. C'est inaudible en concert. Mais
attention le clavecin est un instrument abouti, c'est comme le piano
d'aujourd'hui. On n'écrit pas assez pour le clavecin. J'ai joué le 5ème
concerto Brandebourgeois : qu'est ce que j'ai pu travailler mon clavecin,
pendant trois mois ! Au piano, pour Bach, on n'est pas obligé de mettre de
la pédale, on est bien d'accord. Bach c'est très compliqué à interpréter. Il
y a certains de vos confrères qui disent qu'il faut l'interpréter assez tard
dans sa vie. Je n'en suis pas encore arrivé là ! (rires) Ce
fameux Steinway, n'est-ce pas une sorte de normalisation du son ? C'est le meilleur piano ;
il a été rejoint par Yamaha. Les nouveaux Yamaha sont magnifiques. Je reproche
au nouveau Steinway d'avoir les aigus un peu gueulards. J'insiste beaucoup
là-dessus, il ne faut pas les jouer comme un sourd ; ils sont mal joués, c'est
inutile de taper dessus, le résultat est laid. Choisissez-vous
votre piano à chaque concert ? Non je prends celui qu'on
me propose. J'ai voyagé avec un piano jusqu'à ce qu'il périsse fracassé au
cours d'un voyage. Comment
êtes-vous devenu le chef de l'Orchestre de Chambre de Vienne ? Créé après la guerre il
avait un chef qui s'appelait Carlo Zecchi, un très
grand pianiste. A cause d'un accident, il y avait de grandes chances qu'il ne
rejoue plus. L'assurance a payé une énorme somme à condition qu'il arrête le
piano. Après deux ou trois ans il s'est aperçu qu'il pouvait jouer mais il
s'est dirigé vers la direction d'orchestre. C'était un homme délicieux que j'ai
d'ailleurs connu et j'ai joué avec lui les deux Concertos de Ravel au Festival
de Vienne. Le secrétaire général de l'orchestre m'a entendu et il savait que je
commençais à diriger. Il y avait une tournée qui devait se faire en France,
dirigée par Zecchi. Il n'a pas pu faire cette
tournée. C'était la panique et le secrétaire général a émis l'idée de me
prendre comme chef d'orchestre. Je n'avais jamais joué avec l'orchestre, mais
la tournée s'est très bien passée. Je rentre en France et quelques années après
Zecchi ne pouvait plus
diriger et il est parti laissant l'orchestre sans chef. Il fallait trouver
quelqu'un. Ils ont donc fait une recherche, il y a eu 250 candidats ! Les
musiciens de l'orchestre ont éliminé au fur et à mesure les chefs. C'est eux
qui décident comme pour le Philharmonique de Vienne. A la fin ils ont pris le
seul qui n'était pas candidat : Moi ! Cela a été l'étonnement général
; ils m'ont choisi parce que j'avais fait la tournée avec eux. J'ai accepté
après huit jours de réflexion, ce qui est peu. A
Vienne que dirigiez-vous ? Le répertoire. Haydn pour
qui j'ai un passion. Ses symphonies sont d'une invention
extraordinaire. Il y a quelques belles symphonies de Mozart, mais c'est un peu
plus inégal, comme certaines sonates, disons.
Les concertos comme ses opéras sont tous très beaux. Les quatuors tout
le monde les réussit. Il y avait les Beethoven et bien sûr les Viennois, on
partait en tournée avec Webern. Vous
avez vu venir des jeunes, des jeunes pianistes par exemple ? Il y avait le pianiste
maison ! (rires) Oui j'ai eu des
superbes violonistes, violoncellistes. J'ai fait venir des jeunes à l'époque comme
Rudolf Buchbinder, Till Fellner. Vous
avez accompagné Régine Crespin pour un disque Satie et Ravel... Oui c'était son dernier
disque. J'ai fait beaucoup d'adieux de chanteurs, j'aime bien accompagner. Avec
l'orchestre j'ai fait les adieux de Leontyne Price,
de Georges London, de Beverly Sills, de Carlo Bergonzi… J'ai aussi accompagnée une artiste que j'adore,
Teresa Berganza ! Et
les compositeurs contemporains ? Vous savez, on est revenu
au néo-classique. J'ai dirigé la Sinfonia de
Berio deux semaines après l'effondrement du mur de Berlin, avec l'Orchestre de
la Radio de Leipzig, un bon orchestre. Vous rendez-vous compte de jouer cela
là-bas ? A la première répétition, j'étais prêt à partir à l'aéroport. On
a eu dix répétitions, et le résultat a été une merveille. Il a fallu
travailler. J'ai dirigé Les Trois Petites Liturgie de Messiaen : elles
sont d'une dimension parfaite. J'ai fait Phil Glass, John Adams, avec qui nous
nous sommes perdus avec l'orchestre, mais ça a très bien marché. (rires) Quels
sont vos rapports avec les critiques Une fois j'en ai fait
virer un, c'était dans le Wisconsin : le critique avait fait auparavant un
papier sur un concert que je n'avais pas joué. S'il était venu il aurait su que
le programme avait été changé ! C'était un récital. Bah il y a de bons
critiques comme de mauvais pianistes. Que
pensez-vous de l'enseignement en France, vous qui vous êtes occupé pendant
vingt ans de la direction du Conservatoire de Fontainebleau ? Je l'ai quitté à cause des
incompétences administratives et artistiques. Il faut être honnête, on forme de
bons pianistes mais je ne suis pas content avec les cordes. On veut en faire
des Heifetz ou je ne sais quoi, alors qu'il faut revaloriser la position des
musiciens d'orchestre. On aura toujours besoin de cordes, c'est pourquoi il est
si important d'avoir des orchestres de jeunes ; c'est ce qu'ont compris les
Américains, à la Julliard School, à la Manhattan, au
Curtis Institute, toutes les écoles ont leur orchestre, c'est le top avec de
bons chefs et je suis heureux d'avoir créé cette année l'orchestre de l'École
Normale de Paris. Cela fait quarante ans que j'en ai parlé à Pierre Petit. Son
successeur m'a trouvé trop vieux, ce qui est agréable... Il y a maintenant une femme directrice de
l'École, Madame Françoise Noël-Marquis, qui en deux jours m'a donné le feu vert
pour cet orchestre. On a fait notre premier concert le 15 mai dernier à la
salle Cortot avec le pianiste magnifique Rémi Geniet,
diplômé de l'École et lauréat du 2ème Prix du Concours Reine Élisabeth 2013.
Cet orchestre, croyez-moi, je vais bien m'en occuper. Ce que je voudrais c'est
avoir un peu plus de cordes françaises, car elles sont à 98% chinoises,
japonaises, coréennes. Vous
terminez votre livre avec la Sonate en si bémol de Schubert que vous avez joué
dernièrement au Musée Jacquemart André. C'est une sonate sublime
et très difficile à jouer. J'ai envie de l'enregistrer et c'est en projet en
bonne voie ainsi que celui de La Voix Humaine. Vous savez que j'ai une
passion pour Poulenc et je préfère de loin cette œuvre interprétée dans la
version au piano. L'orchestration de Poulenc convient mieux pour des œuvres
comme la Sinfonietta que pour une pièce
aussi sombre. Avez vous un souvenir éblouissant qui vous
reste en mémoire après tant d'années de concerts ? Le Quintette de Schuman
avec l'Alban Berg Quartet à New York. Vous voyez c'est de la musique de
chambre. Le disque existe encore, chez EMI je pense... Propos
recueillis par Stéphane Loison. En hommage à ses 80 ans,
chez Sony n°88843013 272, on peut retrouver les interprétations des concertos
pour piano du répertoire dans un coffret de 19 CD. (*) « Piano ma non troppo » souvenirs par Philippe Entremont, Éditions de
Fallois, 140 pages. (Voir le compte rendu ci dessus,
dans cette même Newsletter, et dans la NL de 3/2015)
The English Music Festival à St Paul's Church Ralph Vaughan Williams © Daily mail online Le « Festival de musique
anglaise », fondé et animé avec le plus grand talent par Em Marshall-Luck - auteur de l'ouvrage « Music in the Landscape. How the British Countryside
inspired our greatest composers », Rober
Hale, editor, London, 2011 -, est une remarquable institution vouée à la
valorisation d'un vaste répertoire hélas peu connu à l'extérieur de ses
frontières. C'était donc, pour moi, à la fois une joie et un privilège que de
pouvoir assister, le 21 avril dernier, à l'un de ses concerts donnés en la très
hogarthienne St Paul's
Church, Bedford Street, située dans le quartier particulièrement animé de Covent Garden, là même où Samuel Pepys (1633-1703) a
assisté à la première représentation de l'extraordinaire Punch and Judy
en mai 1662. Le chef d'orchestre Ben Palmer, humble autant qu'inspiré,
conduisait avec la plus grande maîtrise l'Orchestra of St Paul's
dans un riche programme consacré à Sir Malcolm Arnold (1921-2006), Ralph
Vaughan Williams (1872-1958), Paul Patterson (1947-), John Dowland (1563-1626)
et Benjamin Britten (1913-1976). Il débutait par la Serenade
for Small Orchestra, opus 26 (1950), d'Arnold, élève de Gordon Jacob
(1895-1984) au Royal College of Music et, par
ailleurs, excellent trompettiste, membre du London Philharmonic
Orchestra (1941/42 ; 1946/48) et du BBC Symphony
Orchestra (1945). Sa musique relève de la plus pure spontanéité. Elle est par
nature encourageante grâce, notamment, à ses qualités mélodiques où le simple
et le complexe établissent un heureux dialogue. La paradisiaque Fantasia on Greesleeves (1934) de Vaughan Williams suivait. Cette
composition, shakespearienne, est associée à The Merry
Wives of Windsor (« Les Joyeuses Commères de
Windsor »). En effet, le compositeur avait été
nommé, en 1913, directeur musical du Festival de Stratford-upon-Avon, dans le
Warwickshire. Ce très symbolique motif de Greensleeves
se trouve dans son opéra Sir John in Love (1928). Il est associé aux
célèbres paroles que le fameux Falstaff adresse à Mistress
Ford : « Que le ciel fasse pleuvoir des pommes de terre ! qu'il tonne sur la mélodie de Green-sleeves,
qu'il grêle des dragées d'amour ! qu'il neige des érynges »
(V,5) - nom d'une
plante aphrodisiaque. Ce tune, connu depuis le
milieu du XVIe siècle, est également associé, dans la partition de
Vaughan Williams, au folk song Lovely
Joan que le compositeur avait collecté le 15 avril 1908 non loin de
Norwich, à Bridge Inn, dans le Norfolk, de la voix de Mr. Christopher Jay. La Serenade
for violin and orchestra, opus 112 (2013), de
Paul Patterson, présent dans l'assistance, offre de belles possibilités que la
violoniste Midori Komachi a
su utiliser sans coup férir. Patterson a enseigné à la Warwick University et à la Royal Academy
of Music de Londres. Ce bel et original itinéraire sonore nous conduisait
ensuite à une adaptation très inspirée et émouvante du chef Ben Palmer – dont
c'était la création anglaise – de In this trembling shadow de Dowland.
Cette fantaisie pour cordes, dédiée à Hannah Perowne,
premier violon de l'orchestre, avait été créée en novembre 2014 à la
Philharmonie de Berlin. Il s'agit de l'arrangement des trois strophes d'un lute
song publié en 1612 dans A Pilgrims
Solace. La Romance The Lark
Ascending for Violin and
Orchestra de Vaughan Williams est l'un des chefs-d'œuvre de la musique
anglaise et également de la poésie, en l'occurrence celle de George Meredith
(1828-1909). Elle a été esquissée en 1914 avant les tragiques événements de la
Première Guerre mondiale, puis reprise en 1919/20, au retour du
compositeur-soldat dans sa patrie. Cette musique, associée à la beauté des
paysages anglais, est particulièrement consolante et d'une beauté spirituelle
incomparable. Il lui faut absolument un interprète à la hauteur du sentiment
mystique qui l'anime. Midori Komachi
est incontestablement une très bonne technicienne de son instrument mais,
hélas, cela ne suffit pas pour entrer au Paradis. Le concert se terminait avec
l'une des partitions de Britten parmi les plus réussies : sa Serenade for Tenor,
Horn and Strings, opus 31 (1943), dédiée au ténor Peter Pears (1910-1986)
et au jeune corniste Dennis Brain (1921-1957).
Intensément inspirée par la peinture de John Constable (1776-1837), l'œuvre
s'associe à six merveilleux poèmes : Pastoral de Charles Cotton
(1630-1687), Nocturne de Alfred, Lord Tennyson (1809-1892), Elegy de William Blake (1757-1827), Dirge un texte anonyme du XVe siècle, Hymn to Diana de Ben Jonson (1572-1637) et To
Sleep de John Keats (1795-1821). Britten est ici
véritablement anglais et c'est dans cet esprit que l'ont finement exprimé le
ténor Richard Edgar-Wilson et le corniste Alec Frank-Gemmill.
Je ne manquerai pas d'assister, le 1er octobre prochain, à trois
créations londoniennes de David Owen Norris, éminente personnalité à laquelle
j'avais consacré, ici même, un article plus élaboré. Ces manifestations
stimulantes et hors du commun ne peuvent que réjouir et encourager le
musicologue. James Lyon. Sibelius à l'honneur en Aquitaine
Décidément Jean Sibelius ne
fait plus peur ni aux organisateurs de concert ni surtout au public. Témoin le
concert d'abonnement au bel auditorium Henri Dutilleux de Bordeaux. « Le
retour de Lemminkäinen », extrait de la Suite
de Lemminkäinen, dont il constitue le quatrième
et dernier volet, est composé par Sibelius en1896. Ce poème symphonique
s'inspire de la légende du Kalevala. Il montre les ingrédients d'un
langage bien spécifique : combinaisons de timbres, de dynamique impressionnante
et de rythmique généreuse. Outre le recours à des instruments spécifiques,
petites flûtes, tambour de basque, au sein d'un orchestre à l'effectif
nombreux, assurant à la pièce une originalité certaine. Le retour du héros, fatigué
par ses luttes et combats, sur ses terres chéries, est décrit en vagues
successives, énergiques (allegro con fuoco), nourries
de traits anguleux mais aussi d'accalmies, succession de tension et d'abandon. La
Deuxième symphonie, en ré majeur, op. 43, date de 1902, l'année de la 5ème
de Mahler. Un monde sépare cependant ces deux œuvres, alors qu'elles marquent
une étape décisive dans le parcours symphonique de leurs auteurs. Il est clair
que comme le grand musicien viennois, le compositeur nordique cultive le désir
de renouvellement. La Symphonie N°2 est bien différente de la Première, encore
tournée vers le XIX ème. On a épilogué à perte de vue
sur le style sibélien, son morcellement, sa
fragmentation des thèmes, son effet « coq à l'âne » ; au point de
fustiger une musique « interminable parce qu'elle ne commence
jamais »! De fait, le premier mouvement peut donner cette impression :
bribes de thèmes s'évanouissant aussi vite qu'ils sont apparus, à la limite de
l'aphorisme, modes divers comme l'usage des pizzicatos des cordes ; mais aussi mélodies sinueuses, en particulier
dans le développement et la coda qui synthétise tout le matériau. L'exécution
qu'en donne Paul Daniel, le chef attitré de l'Orchestre de Bordeaux Aquitaine
est d'une belle tenue. On admire aussi l'atmosphère assombrie du deuxième
mouvement, « Tempo andante, ma rubato », avec ses déferlantes de
cuivres et de percussions. Le vivacissimo, en forme
de scherzo, sait alterner une façon de mouvement perpétuel et des moments de
répit à la section « lento e suave », distinguée par le hautbois
solo, alors que les lames de fond reprennent le dessus au « tempo
primo ». Le finale, directement enchaîné, ne manquera pas de souffle, pris
très vif, nettement plus animé que l'indication « moderato », mais
tous les chefs le font ainsi. Le rythme guerrier bardé de fanfares de cuivres,
du premier thème en ressort glorieux, ce type de langage qui soulève les cœurs.
On remarque la cohésion d'un orchestre visiblement galvanisé par son chef, et
mesure le formidable travail instrumental. Le Concerto pour violon op.
77 de Brahms, morceau brillant s'il en est, est défendu avec brio par Viktoria Mullova, qu'on a plaisir à
entendre, car les occasions sont rares ces temps, dans l'hexagone du moins.
L'adagio en particulier délivre une sobre mais intense ligne violonistique. Les
deux mouvements extrêmes sont bien conduits, même si l'orchestre sonne quelque
peu bruyant. En bis, la grande dame du violon russe donnera un morceau de Bach
d'une profonde sensibilité. Jean-Pierre Robert. Dardanus en
majesté à l'Opéra de Bordeaux Jean-Philippe RAMEAU : Dardanus. Tragédie lyrique en cinq
actes et un Prologue. Livret de Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère. Version de 1737. Karina Gauvin, Gaëlle Arquez,
Reinoud van Mechelen, Florian Sempey, Nahuel di Pierro, Katherine
Watson, Etienne Bazola, Virgile Ancely,
Guillaume Gutiérrez. Ensemble Pygmalion Chœur et
Orchestre, dir. Raphaël Pichon. Mise en scène :
Michel Fau. Opéra national de Bordeaux.
Cinquième opéra de Rameau, créé en 1737, Dardanus n'est pas le plus abordable non plus que le
plus aisé à monter. Il pêche par la pauvre qualité de son livret.
Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère était un jeune
poète en vue, adoubé par Voltaire - auquel Rameau aurait pensé pour tenir la
plume - mais pas toujours inspiré, et la pièce tombe au plus fort de la
querelle dévastatrice des lullistes et des ramistes.
La tragédie lyrique est mâtinée de tragédie ballet et le résultat quelque peu
hybride pour ce qui est un huis clos amoureux entre trois personnages, Iphise, Dardanus et Anténor. Un magicien, Isménor,
permettra aux deux amants de se retrouver, après qu'Anténor
aura laissé la place et que Dardanus ait été sauvé
des dents d'un monstre, mythologie oblige. Le problème est que cet emprunt au
merveilleux, de règle dans la tragédie lyrique, s'il est prétexte au grand
spectacle, n'apporte pas grand chose à la vraisemblance dramaturgique. Et
l'œuvre progresse au fil de ses six épisodes, un prologue et cinq actes, en un
patchwork au potentiel peu dramatique. Heureusement, la musique de Rameau sauve
tout et promet des pages souvent d'une stupéfiante beauté. Debussy, dira avec
le délicieux sarcasme qu'on lui connait, à l'endroit de son illustre
prédécesseur : «...il faut l'aimer, avec ce tendre respect qu'on conserve à ces
ancêtres, un peu désagréables, mais qui savaient si joliment dire la
vérité ». On danse beaucoup dans Dardanus,
et la féérie du ballet avive bien des situations, les précédant ou en concluant
la signification (ainsi de l'épisode qui suit le « Sommeil de Dardanus »). Mettre en scène cet opéra « n'est
pas un cadeau » relève Michel Fau. Tournant le dos à toute velléité
« de modernisation », comme à la volonté « de
reconstitution », il opte pour une habile troisième voie, celle d'une
transposition amusante et légèrement décalée « qui réinvente le XVII ème », avec un clin d'œil du côté de Fellini dans
l'amusante exagération des couleurs et des accessoires. Mais les canons
baroques sont respectés : apparitions du dessus, monstre effrayant, attitudes
juste hyperboliques et effets de symétrie. L'architecture du beau théâtre
Gabriel de Bordeaux est aussi une source d'inspiration, depuis ce rideau de
scène tout en perspectives jusqu'à ce décor qui prolonge les galeries de la
salle avec ses colonnades. Fau veut s'inscrire dans le rêve et son contraire,
le cauchemar, et partant, dans l'extraordinaire de ces situations pas toujours
crédibles à nos yeux, mais qu'il faut tenir avec respect. Il ira jusqu'à une
certaine démesure dans le jeu, quoique sans outrance, et l'excessif verbal des
dialogues sera ancré dans une approche naturelle, non empesée. De même les
danses sont revisitées à la façon dégingandée et décontractée d'aujourd'hui,
mais avec une bonne dose d'ironie par rapport à la manière baroque. La
décoration se veut onirique, truffée de tons vifs, des rouges d'anémone, des
verts de perroquet, presque criards, mais aussi des bleus profonds,
réconfortants. Certain tableau, telle la première intervention d'Iphise, est digne d'une aquarelle d'époque. Les apparitions
du magicien chaussant lunettes de soleil sont cocasses. Le plateau,
volontairement réduit quant à l'aire de jeu, introduit une intimité propice aux
dialogues, même si ceux-ci restent volontairement d'un impact prosaïque.
L'interprétation est pur régal.
D'abord et avant tout grâce à la direction de Raphaël Pichon. Il précise avoir
retenu la version première de 1737, qu'il complète d'emprunts à celle remaniée
de 1744, pour une meilleure cohérence musico-dramatique : ainsi du Prologue
puisé dans la version de 1744, car plus ramassé, « flamboyant, expansif et
excentrique », ou du monologue de la prison, à l'acte IV. Autre idée
originale que de revenir au schéma « petit chœur/grand chœur » qui
confère à ces moments de digression musicale toute leur virtuosité. Le discours
prend sous la baguette alerte du jeune chef une dimension festive, avec même
des effluves italiens, par exemple l'air de Vénus au prologue. L'influx
dramatique, il le ménage de main de maître par des tempos expressifs et un art
consommé des transitions et cette manière de « retenir » l'orchestre
entre deux morceaux, « préparant » celui qui suit : ces quelques
instants de silence qui font sens parce qu'on attend l'aria et que les premières
pages s'en découvrent avec délectation. La fluidité de la ligne (aria
« Paix adorable », les diverses danses) n'a d'égale que la clarté de
ton qui sait se faire hypnotique (« Dormez, dormez »). L'Ensemble
Pygmalion prodigue un jeu perlé et choisi. Chaque membre du cast
aussi. Florian Sempey, Anténor,
de son timbre charmeur de baryton Martin, est dans les pas de son collègue
Stéphane Degout dont il possède déjà la même
souveraine autorité, le racé du chant et la clarté d'émission. Gaëlle Arquez
est un parangon d'intensité et prête à Iphise
puissance et force. Reinoud van Mechelen, désormais un des grands tenants des
parties de ténor français classique, brille par une superbe projection, telles
les tenues sur une note ou un mot, gage d'expression juste. Le timbre possède
la séduction et la couleur idoines pour distinguer le
rôle titre. On remarque aussi la basse de Nahuel di Pierro, tour à tour Teucer et le magicien Isménor. Quant à Karina Gauvin, luxus
casting, elle apporte à Vénus les prestiges d'une voix de soprano somptueuse et
d'une diction impeccable. Les autres rôles comme les Chœurs de Pygmalion
complètent une distribution qu'on sent étudiée dans ses moindres détails. Une
fière réussite ! Jean-Pierre
Robert. Le LSO célèbre Pierre Boulez
Lors de son concert de
résidence à la Philharmonie de Paris, le London Symphony
Orchestra rendait hommage à Pierre Boulez. Le compositeur, chef d'orchestre et
pédagogue hongrois Peter Eötvös dirigeait. Plus qu'une marque de sympathie, une
vraie communion avec celui qui le fit nommer directeur musical de l'Ensemble intercontemporain en 1978, où il restera en poste jusqu'en
1991. S'il n'a pas créé les deux œuvres du maître au programme – elles le
furent par le BBC Symphony Orchestra que Boulez
dirigeait alors - la phalange londonienne est étroitement associée aux
festivités de la célébration du 90 ème anniversaire
(le concert devait être répété trois jours plus tard à Londres) et connait bien
cet univers musical qu'il a abordé depuis des lustres. Deux pièces de Boulez
encadraient Le Sacre du printemps : Livre pour
cordes et Rituel in memoriam Bruno Maderna. Boulez compose le
Livre pour cordes en 1968, à partir des mouvements Ia et Ib de son Livre pour
quatuor des années 1948-1949. Il le créera à Brighton en décembre 1968 et
quelques jours plus tard au Royal Festival Hall de Londres dans la version dite
complète. La pièce remaniée, comme souvent chez Boulez, qui conçoit son œuvre
en perpétuelle mouvance, et dans une version désormais en un seul mouvement, sera
créée à Londres en janvier 1989 sous la direction de l'auteur. Elle appartient
de par ses origines à une époque de radicalité, le livre pour quatuor ayant été
débuté peu après la Deuxième Sonate pour piano (1848) : référence à la
rythmique de Stravinsky, à celle de Messiaen, à la manière sérielle de
Schönberg, revues et corrigées par une solide volonté de refonte stylistique
qui refuse les influences de la tradition. Du Boulez à son plus
« révolutionnaire ». Comme son nom l'indique, il s'agit d'une pièce
pour les seules cordes. La formation retenue est, ce soir, de 16 premiers
violons, 16 seconds, 10 altos, 10 violoncelles et 8 contrebasses... L'exécution
qu'en donne Eötvös, d'une transparence inouïe, est d'une ascèse certaine,
livrant une grande richesse sonore à travers des traits soit tendus soit
libérés, presque lyrique. La battue est proche de celle du maître français :
peu de gestes, une précision millimétrique. On se souvient du bon mot de Boulez
à propos de la gestique du chef « plus on bouge, moins les musiciens vous
regardent... la géométrie des gestes est capitale ». Les cordes du LSO
font merveille de cohésion et de ton. Rituel in memoriam Bruno Maderna est
un « tombeau » à l'ami et collègue disparu le 13 novembre 1973 : « une litanie pour une
cérémonie imaginaire, cérémonie de mort, rituel de l'éphémère et de
l'éternel » écrira-t-il. L'œuvre sera créée à Londres en avril 1975. Elle
requiert un effectif singulier : huit groupes au nombre croissant de musiciens
(un hautbois, deux clarinettes, trois flûtes, quatre violons, une quintette à vents, un sextuor à cordes, un septuor de
bois, un ensemble de 14 cuivres ; chaque groupe se voyant adjoindre un
percussionniste). Ils sont disposés séparément sur le plateau, alors que
théoriquement répartis dans la salle, parmi les spectateurs. L'exécution donnée
ici ne pratique donc pas cette spacialisation
extrême. Elle est conçue à partir du chiffre 7, correspondant aux sept lettres
du mot MADERNA. Quinze séquences (7 impaires + 7 paires +1 coda), introduite
chacune par une note de gong, se répartissent l'espace : cellules plus ou moins
développées, la dernière l'étant beaucoup. L'exécution de Peter Eötvös et de
ses musiciens d'élites traduit magistralement l'effet répétitif, obsessionnel,
la rigueur implacable quoique souple et le sens incantatoire d'une œuvre que
Boulez a voulue comme une sorte de « Symphonie Les adieux », car les
divers groupes, une fois l'effectif complet atteint, se retirent peu à peu du
jeu. L'extrême dépouillement met l'emphase sur une fonction ritualisante.
L'idée d'intercaler Le Sacre
du printemps n'est ni fortuite ni gratuite, car si la pièce de Stravinsky
est un des manifestes de la musique moderne, quoique sans lendemain, elle a
toujours été au cœur des réflexions boulezienne.
L'analyse qu'il en fit en 1951 est encore d'actualité et on ne compte pas ses
exécutions en concerts et au disque (la dernière, parue chez DG en 1992).
L'interprétation de Peter Eötvös est souveraine, pas si éloignée que cela de
celle de Boulez. Un début très mystérieux, plutôt lent, pas de primitivisme
sauvage excessif alors ; il ne viendra que sporadiquement dans la seconde
partie. Une transparence là encore bienvenue. Des différences de dynamique bien
senties lorsque de la masse sonore incandescente se détache les explosions des
cuivres et des percussions, ce que l'acoustique « ouverte » de la
salle met en exergue. On admire une retenue du geste qui jamais ne frôle la
rigidité, même dans les climax les plus chargés : rien de tonitruant ici. Une
lecture que d'aucuns pourraient qualifier de « sage ». Mais ce mot a
plusieurs significations, celle d'avisé en particulier ! Une vision qui donne à
cette musique là aussi son pouvoir incantatoire et lui confère une respiration
somme toute bien agréable et ne surimpose pas des torrents de décibels. Les
qualités devenues légendaires du LSO, chéri par les mélomanes parisiens, sont
là en évidence : cordes pellucides au son bien plein, bois rutilants de
couleurs (le basson, le cor anglais!), cuivres royaux, percussions plus
qu'agiles. Du fort excellent travail d'orchestre et un bien bel anniversaire ! Jean-Pierre
Robert. La très grande classe de la Staatskapelle
Berlin
La venue à Paris de la Staatskapelle Berlin est toujours un événement. Après le
concert donné lors des festivités d'ouverture de la Philharmonie de Paris, ils
revenaient avec leur chef « à vie » Daniel Berenboim
et en guest star Martha Argerich.
D'où le rush au box office et une salle bondée de public et de musiciens.
L'exécution du Concerto pour piano N° 1 de Beethoven devait combler les
plus tièdes à l'endroit de la pianiste argentine. Ce concerto op. 15, de 1801,
est si fidèle à la manière classique qu'on a pu le considérer comme « le
28 ème concerto de Mozart ». C'est aller vite en
besogne car la patte du maître de Bonn s'y affirme dès les fameuses quatre
notes notes de l'allegro con brio, et entre autres
originalités, le discours progresse dans un habile dialogue avec les bois en
groupe. Barenboim aborde pianissimo l'introduction et
va peu à peu la munir d'une belle envolée martiale. L'entrée de la soliste se
fait naturelle et persévèrera ainsi au fil du développement et de la cadence. Argerich joue le largo avec infiniment de délicatesse,
chantant comme un Lied enluminé par les interventions des bois nursés par un Barenboim aux
petits soins, et la coda délivrera son lot de tendresse, en particulier à
travers le dialogue piano-clarinette. Le finale enchaîné est enjoué, preste
sans excès. Tout au long des trois mouvements le jeu d'Argerich
est aérien, les traits appogiaturés comme de charmantes fusées, les passages
plus charnus d'une souveraine autorité. Raffinement et force se partagent cette
interprétation qui fait la différence avec des exécutions seulement réussies. A
qui cela tient-il ? Plus encore qu'à une grande musicalité, à une alchimie qui
ressortit à l'infinitésimal. Et aussi pour beaucoup à la communion de vues
existant entre les deux partenaires. Pianiste, Barenboim
sait ce que signifie ce morceau. La battue allie elle aussi délicatesse et
panache. Aucun des deux ne cherche à épater un public qui n'a d'yeux que pour
la pianiste icône, encore moins ne vise l'esbroufe. Les deux amis reviennent
s'asseoir côte à côte au piano pour jouer à quatre mains le Rondo D 951 de
Schubert. Le premier violon tiendra le rôle tourneur de pages au long de ce bon
quart d'heure de félicité.
Contraste complet avec deux
extraits de Parsifal. Le Prélude du premier
acte connaît une exécution d'emblée recueillie, les silences prenant tout leur
sens, et l'enchainement des Leitmotive leur totale signification. L'Enchantement
du Vendredi Saint est pareillement doté de ses prestiges et on en
oublie presque la voix de Gurnemanz dans cette
célébration de la nature et de ses beautés célestes. Les musiciens qui viennent
tout jute de terminer une exécution scénique de l'œuvre à la Festtage de Berlin (mis en scène par le russe Tcherniakov), nantissent ces pages d'un son plein, où
consistance ne veut pas dire épaisseur. La musique sonne étonnamment claire,
dégagée qu'elle est ici du carcan de l'« abîme mystique » de Bayreuth
ou de toute autre fosse d'orchestre conventionnelle. Presque trop séduisante !
Mais va-t-on vraiment s'en plaindre ? Pour clore son programme, Daniel Barenboim dirige Notations de Boulez. Des pièces
chères à son cœur. C'est lui, en effet qui créa Notations I-IV, en juin
1980, avec l'Orchestre de Paris, à la salle Pleyel, puis Notations VII,
en 1999 à Chicago, à la tête de l'Orchestre Symphonique. Ces pièces, de durée
inégale, ont pour origine les brèves Notations pour piano de 1945. Leur
orchestration participe de l'idée très boulézienne de réflexion sur la propre
pratique de compositeur et de chef, par une démultiplication de la figure
musicale dans l'espace et le temps, appelée « prolifération ». Les
pièces sont données dans un ordre spécifié, en l'occurrence I-VII-IV-III-II.
Leur exécution réclame un orchestre pléthorique comprenant, entre autres, pas
moins de 18 premiers violons, 10 basses, bois par quatre, 6 cors et 3 harpes.
Qui ne sonnera aucunement touffu pourtant. Au contraire, l'extrême tension nait
de la raréfaction du matériau et de la manière fort
concise dont il est traité. Cela respire bien dans l'immense vaisseau de la
Porte de Pantin. Malgré l'aridité, le succès est là. Et devant pareil accueil Barenboim cite une savoureuse anecdote guignée lors de la
création parisienne des Notation I-IV, singeant une présentatrice radio
qui apaisait ses auditeurs d'un « vous verrez ce n'est pas long »
(comparé à la Neuvième de Beethoven également au programme) ! Pour montrer que
le public pouvait les digérer, il lui annonce bisser Notation II, son
trop plein d'énergie vitale et son accord final jubilatoire ! Jean-Pierre
Robert. Tripe hommage à la danse : The New York Philharmonic
Pour son second concert de
tournée, le New York Philharmonic donnait Petrouchka,
Jeux et Le mandarin merveilleux. Autrement dit trois manières
d'invitation à la danse. Avec Petrouchka, « scènes burlesques en
quatre tableaux », Igor Stravinsky tourne définitivement le dos à toute
référence romantique :
le ballet imaginé pour Serge de Diaguilev, composé au
demeurant à partir d'une précédente œuvre pour piano et orchestre du
« pantin subitement déchaîné, qui par ses cascades d'arpèges diaboliques,
exaspère l'orchestre », fuit le réalisme d'une trame pourtant bien ancrée
dans le récit populaire. Elle navigue entre figuratif et abstrait. L'auditeur
spectateur est convié à une succession d'images, qui mène au-delà d'une pure
narration. Et l'impression reste la même en exécution de concert. La version
choisie par Alan Gilbert est celle de la création parisienne de 1911, au
Châtelet, par Pierre Monteux : un orchestre très fourni avec les bois par
quatre, là où la version révisée de 1947 allégera la texture et par exemple
réduira les bois à trois par pupitre. C'est à une grande fête de la rutilance
orchestrale que nous sommes conviés. La ligne des cuivres est soulignée, ce que
l'acoustique décidément très aérée de la Philharmonie de Paris accentue encore
volontiers. Gilbert va conter une histoire fantastique et nous faire saisir
combien cette œuvre occupe une position singulière entre L'Oiseau de feu
et Le Sacre du printemps : opposition par rapport au premier,
anticipation du second, de par une écriture maniant la formule lapidaire et un
travail à la fois sur le timbre et le rythme. Côté timbre, on savoure les solos
de la flûte, dont le premier est abordé
lent et combien habité, et de la clarinette (où le jeune noir, Anthony
McGill, digne émule d'un certain Sydney
Bechet, fait des étincelles !). Les percussions, tendues comme un arc, ne sont
pas en reste. Côté rythme, les scansions seront sauvages avec ces ruptures
inattendues, et en même temps fort civilisées. Les effets de surprise, au fil
des tableaux, n'en finissent pas de surprendre. Une exécution envoûtante qui
nous immerge à travers cette enfilade de danses et leur foisonnement dans une
vraie fête des sens. Le « poème dansé » Jeux, crée en 1913,
également par Monteux, dans sa version scénique, puis l'année suivante au
concert par Gabriel Pierné, requiert le même instrumentarium
que le Stravinsky. Pour une palette singulièrement autre. Il est fascinant de
constater combien ces deux pièces que seuls deux ans séparent, et surtout pour
le Debussy contemporaine du Sacre du printemps, diffèrent si
profondément. D'un argument plaisant et en apparence anodin, mais aux sous
entendus magistraux, imaginé par Nijinsky, Debussy
créé une des ses partitions les plus originales et « modernes ». Son
caractère insaisissable à l'aune de sa mobilité sonore, magnifie ce que
Vladimir Jankélévitch appelle la « séduction de la profondeur »
(Debussy et le mystère de l'instant, Plon). Le compositeur lui-même dira à
propos de Jeux :
« Il faudrait trouver un orchestre ''sans pied'' pour cette musique... Je
pense à cette couleur orchestrale qui semble écrite par derrière et dont il y a
de si merveilleux effets dans Parsifal ! ». Plus
que dans La mer, le trait est roi, avec un souci de mettre en exergue
une idée d'imprévisibilité dans la conduite de l'action. Car action il y a.
Alan Gilbert le traduit avec un sens aigu de la manière de restituer
l'impondérable, le suprême aérien de ces pages inouïes. Et son orchestre new
yorkais sonne aussi gallique que la meilleure des phalanges françaises :
cordes frissonnantes, petite harmonie
délicieusement sonore (encore notre clarinettiste héros!). Le trio si original
qui réunit flûte, basson et clarinette, est un moment de pure grâce.
Puis vint la suite d'orchestre
Le Mandarin merveilleux, dans la version de concert de 1927, adaptée de la
Pantomime créée en 1926. De merveilleux nos américains vont nous enivrer pour
de bon. La danse est dans ce cas plus réaliste et même à la frontière extrême
du fantastique, creusant une nouvelle différence avec le Debussy de Jeux,
mais aussi le Stravinsky de Petrouchka. Bartók qualifiera lui-même
l'œuvre de « Musique infernale » eu égard autant à son sujet qu'à la
manière dont il est traité, d'un expressionnisme et d'une violence peu communs
(qui lui vaudront l'opprobre de sa propre Patrie où la pièce sera interdite en
1927). L'effectif instrumental est toujours impressionnant quoique
paradoxalement moins dense que pour le Debussy (bois par trois ici) mais
soutenu par force percussions, dont un tam-tam, deux tambours, une grosse
caisse, outre le xylophone et le célesta. Gilbert se lance dans une frénésie
rythmique à travers des courses-poursuites haletantes, alors que les plages
d'accalmie sont tout aussi tendues. De nouveau Anthony
McGill tiendra la vedette de sa clarinette enchantée et tonique. Mais ses
collègues seront au même diapason. Les grands climax montrent là encore une
rutilance orchestrale à son meilleur, pas clinquante car tous les départements
se font une fête, qui soulève l'auditeur. Pour remercier le public de son
« accueil si chaleureux », Gilbert et ses forces jouent l'Ouverture
Egmont de Beethoven : le tourbillon des cordes, d'une finesse parfaite, la
cohésion de l'ensemble, le côté follement entraînant des pages conclusives,
elles aussi pas totalement étrangères à l'univers de la danse, font redoubler
l'enthousiasme. Jean-Pierre
Robert. Une production intellectualisée de La Ville morte Erich Wolfgang KORNGOLD : Die tote Stadt. Opéra en trois actes.
Livret de Paul Schott d'après le roman Bruges-la-morte de Georges
Rodenbach. Daniel Kirch, Helena Juntunen, Allen
Boxer, Maria Riccarda Wesseling,
John Chest, Alexander Sprague,
Elisa Cenni, Albane Carrère,
Rémi Mathieu. Chœurs de l'Opéra national de Lorraine. Orchestre symphonique et
lyrique de Nancy, dir. Thomas Rösner.
Mise en scène : Philippe Himmelmann. Opéra de Nancy.
« La lutte de la puissance
érotique de la femme vivante contre la puissance persistante de l'esprit de la
morte... tout cela m'a attiré » précise Korngold
à propos de son opéra en 1921. La Ville morte, créé l'année précédente à
Cologne, lui a été inspiré par le roman de Georges Rodenbach, « Brurges-la-morte » (1892), qui avait servi de base à
un drame symboliste « Le mirage » (1897). Un homme pleure la mort de
sa femme, Marie. Une autre femme, Marietta, se présente, offrant une
ressemblance troublante avec la défunte. Elle le séduit mais il lui avoue
n'aimer en elle que le souvenir de sa propre femme. Devant son insistance, il
la chasse. Mais elle s'en prend à la mèche de cheveux de Marie, conservée telle
une relique. Il l'étrangle avec la tresse. Épilogue : il se réveille, Marietta
vient de sortir ; elle réapparait ayant oublié son parapluie... Type même du Zeitoper (opéra d'actualité), qui dans ces années
1920, commence une carrière prometteuse, l'œuvre dont Korngold
est en fait l'auteur du livret, Paul Schott n'étant qu'un pseudo, réinterprète
le roman de Rodenbach ; à la différence d'un Debussy qui avec son Pelléas et Mélisande colle de si près au texte de
Maeterlinck. Le thème du héros passif dont le parcours hallucinatoire est tracé
dans l'atmosphère décadente de la ville de Bruges, est transcendé par une
approche plus exaltée chez Paul et une joie de vivre débordante chez Marietta.
Ce que le geste musical amplifie car la musique est souvent vigoureuse et
exaltée développant un grand éclectisme, voire quelque hétérogénéité, en
particulier au II ème acte et au début du III ème. Le désir de mort du héros se confronte vite au mirage
de l'illusion, et on passe subrepticement du rêve à la réalité. Philippe Himmelmann l'a bien saisi et sa régie en capte l'épure.
Tout l'espace scénique est occupé par six niches sur deux niveaux, à
l'intérieur desquelles se reproduit la même
décoration, un fauteuil noir flanqué d'un lampadaire coiffé d'un abat jour
orange. Les personnages vont évoluer au sein de ces cadres sans jamais se
rejoindre, tandis que l'évocation du portrait de Marie se profile gigantesque
en fond de scène. À l'image du délire divinatoire de Paul qui à force de
vouloir voir réapparaitre la morte, la voit tout simplement reprendre forme
sous les traits de Marietta. Ce parti décoratif et sa traduction théâtrale
concentrent l'attention du spectateur sur l'essence du drame : l'isolement,
l'incommunicabilité entre les êtres. Ce dispositif qui s'estompe le temps du II
ème acte pour laisser place à une vision orgiaque de
la ville en état de fête, les corps foisonnant de lascivité, à la limite de
l'obscène, vision amplifiée par d'habiles jeux de miroir, réapparaît au dernier
: les deux protagonistes sont plus que jamais nettement séparés, lui en haut,
elle en bas, dialoguant avec le portrait de plus en plus envahissant de Marie.
Ce contraste dépouillement/foisonnement est on ne peut plus pertinent. La
première composante s'accompagne paradoxalement d'une volonté d'expression
vocale paroxystique, à la limite de l'interjection, voire du cri, chez Paul, et
d'un quasi expressionnisme de la part de Marietta.
Les interprètes se plient à
cette optique avec diligence. Daniel Kirch est Paul, rivé à ses rêves, empêtré
dans ses contradictions, veule et pitoyable. La voix est conduite en puissance,
parfois trop. La Marietta de Helena Juntunen est
aussi agitée qu'il est passif. Tour à tour capricieuse, aguicheuse, lascive et
provocante, elle danse comme un chat. La voix est inextinguible et apporte au
rôle ce supplément d'âme qui fait une grande interprétation. Quelques belles
individualités se révèlent parmi les autres rôles : Fritz, le Pierrot, de John Chest, leste et assuré ; Franck, l'ami qui tente de
déciller Paul, mais devient un temps son rival, sous les charmes de Marietta,
Allen Boxer, un peu terne vocalement, mais d'une solide prestance ; Maria Riccarda Wesseling, Birgita, la servante dévouée mais pas déconnectée du réel,
au timbre de mezzo bien sonore. Les choristes et une armée de figurants, dans
la scène d'orgie du tableau central, font plus que bonne contenance. Mais
l'orchestre n'a-t-il pas le dernier mot ? Il est riche, passionné, parfois
sensuel ; il est luxuriant et traversé d'un réseau de Leitmotive, dans une
utilisation très différente de celle qu'en avait faite Wagner, instaurant
plutôt des motifs de réminiscence, à l'exemple du thème de la chanson de
Marietta au Ier acte, seul vrai air de la partition, dont le refrain revient en
boucle à la fin de l'ouvrage. Thomas Rösner tire le
meilleur de l'Orchestre symphonique de Nancy et on savoure des fins solos de
flûte et des effluves lyriques agréables, comme dans l'interlude flamboyant
précédant le II ème acte, bardé de volées de cloches.
Reste que la texture orchestrale compacte imaginée par Korngold
est à l'étroit dans la fosse exiguë du théâtre nancéen et que l'exubérance peut
à l'occasion conduire à un sentiment de trop grande force sonore en pareille
occurrence. Jean-Pierre
Robert. Ariane et Barbe-Bleue à L'Opéra du Rhin Paul Dukas : Ariane
et Barbe-Bleue ou la délivrance inutile. Conte en trois actes.
Livret de Maurice Maeterlinck. Ori Phillips, Sylvie
Brunet-Grupposo, Marc Barrard,
Aline Martin, Cocio Pèrez,
Gaëlle Alix, Lamia Beuque, Délia Sépulcre Nativi, Jaroslav Kitala, Peter Kirk, David Oller.
Chœurs de l'Opéra national du Rhin. Orchestre symphonique de Mulhouse, dir. Daniele Callegari.
Mise en scène : Olivier Py. Opéra de Strasbourg.
L'unique opéra de Paul Dukas, Ariane
et Barbe-Bleue, occupe une place à part dans le répertoire. Ne serait-ce
qu'eu égard à la difficulté de distribuer le rôle titre féminin. Créé en 1907,
à l'Opéra Comique par Georgette Leblanc, l'épouse de Maeterlinck, il connaîtra
son heure de gloire à l'Opéra Garnier lorsque Germaine Lubin le reprendra en
1935. Depuis lors, il demeure peu représenté. Un autre point d'achoppement
réside dans le contenu même de l'œuvre. Conçu par Maeterlinck comme une vraie
trame d'opéra, le livret ne dispense qu'une action dramatique réduite. Il
véhicule d'abord des idées, et au premier chef celle de la liberté non saisie
par les cinq femmes de Barbe-Bleue et que leur offre Ariane, et leur choix
final de rester assujetties à cet homme. D'où le sous titre de « la
délivrance inutile ». Pour ce faire, Maeterlinck emprunte au mythe grec
d'Ariane qui désobéit pour permettre à Thésée de sortir du labyrinthe ; ce qui
renvoie à l'Ève de la Bible qui brava l'interdiction de toucher au fruit
défendu. « Il faut désobéir : c'est le premier devoir quand l'ordre est
menaçant et ne s'explique pas », proclame-t-elle. Ariane incarne la
lumière triomphant des ténèbres du mal qu'incarne Barbe-Bleue. Mais on ne peut
faire le bien malgré tout et les cinq femmes demeureront dans leur prison : on
aime bien son bourreau. Ariane elle-même part après avoir sauvé ce bourreau,
sans doute aussi par amour. Dukas a fait de cette trame une œuvre, baptisée
« conte », s'emparant de ce sujet légendaire à portée philosophique.
Il l'enchâsse dans une trame symphonique intense : c'est l'orchestre qui tient
ici le premier rôle. Comme l'observera Olivier Messiaen, admirateur
inconditionnel de Dukas et de son opéra, « Dukas... a choisi un sujet si
vaste qu'il touche à tous les sujets, et la somptueuse symphonie dont il l'a
parée nous les dit tous ». De fait, la symphonie est impressionnante par
sa richesse, l'originalité de l'instrumentation, les trouvailles harmoniques
(l'évocation des pierreries au Ier acte ), et la
formidable plénitude sonore qui s'en dégage. On a dit que l'œuvre agissait
comme une progression de l'ombre vers la lumière, ce qui caractérise une
tension en apparence absente du texte.
Qu'en peut-il en être de sa
traduction scénique ? « Le motif de la révolution impossible » est,
selon Olivier Py, au cœur de l'opéra, et le fait que
« les hommes restent attachés à leurs ténèbres et non pas à la lumière de
la Raison », comme les femmes de Barbe-Bleue attachées à leur bourreau.
Partant du constat que l'œuvre est « à la fois onirique et très concrète »,
mais aussi sans doute basée sur des dialogues parfois filandreux pour ne pas
dire longuets, il prend le parti d'animer. Ainsi divise-t-il le plateau en deux
: au niveau bas, une grotte en pierres grossières, dans laquelle Ariane va
ouvrir les six portes où sont recluses les femmes ; au dessus, une sorte de
théâtre sur le théâtre où se profilent une forêt ou un intérieur bourgeois, et
se noue une intrigue autour de Barbe-Bleue, figure de minotaure, et de ses
acolytes encagoulés avant de paraître complètement nus. Peu à peu une action
théâtrale se met en place, autant de visions de cauchemar et d'ébats érotiques
d'une crudité totale. Si au Ier acte, la forêt est traversée d'ombres blanches,
sans doute celles des âmes féminines que pourchasse le héros en éternel manque
de chair fraiche, le deuxième voit s'installer un ballet de femmes dénudées,
les cinq femmes, flanquées de leurs tortionnaires mâles, le visage serti d'un
masque d'animal antique. Le III ème surenchérit, dès
le prélude, qui donne lieu à une scène de sabbat bachique présidée par
Barbe-Bleue, doublé par un éphèbe nu. Certes, on voit bien que Py revient à la donne de départ de Maeterlinck qui dans les
premières ébauches du livret, attribuait une plus grande prééminence à
Barbe-Bleue et imposait d'ailleurs sa présence pendant tout le premier acte ;
et où il apparait comme violent, et débauché, une sorte de monstre. Mais cette
constante animation factice, certes proposée en simultané et au deuxième plan,
capte nécessairement l'attention qu'elle en vient à monopoliser, au détriment
du substrat symphonique et vocal. Que viennent faire ces relents de messe
noire, ces fantasmes appuyés, ces orgies rougeoyantes mêlant sexe, alcool et
sabbat, et surtout cette empressement d'Ariane autour d'un Barbe-Bleue nu, au
final ? On a compris ce qui se passe, nul besoin de souligner. Mais ceux qui
abordent la pièce y comprennent-ils quelque chose ? Il reste des images
saisissantes, mais plus que dérangeantes, peu en situation quant à la
problématique philosophique défendue par le metteur en scène. La direction
d'acteurs n'a au demeurant pas l'acuité à laquelle il nous avait habitués. Il y
a un gap entre les intentions affichées et leur réalisation.
Musicalement, les choses, ce
jour là, furent plus qu'acceptables : Lori Phillips, une jeune cantatrice
américaine, remplaçant Jeanne-Michèle Charbonnet dont
la prestation aurait été désastreuse les soirées précédentes, offre un français
plus qu'acceptable et une diction satisfaisante, alors que propulsée dans le
spectacle que l'on sait à la onzième heure. De ce rôle impossible de walkyrie
française, qui taxe la voix dans le medium grave comme dans le registre aigu,
et qui requiert une endurance toute wagnérienne, car le personnage ne quitte
pratiquement pas la scène, son calibre de soprano dramatique fait son affaire.
Grâce à elle la soirée aura été sauvée. Non que les autres protagonistes ne
soient pas à la hauteur. Ils sont excellemment tenus. Sylvie Brunet-Grupposo campe une Nourrice de choix, même si le rôle est
plus un faire valoir qu'une vraie offre dramatique. Le beau métal grave de
quasi contralto fait merveille et la diction est pur régal. Dans la partie plus
qu'épisodique vocalement de Barbe-Bleue, Marc Barrard
offre le meilleur. Les cinq femmes dépassent leur statut de second plan pour
apparaître au premier, en particulier la Sélysette
d'Aline Martin. Les Chœurs de l'ONR, qu'on a eu la bonne idée non de laisser en
coulisses, mais de placer dans les loges d'avant scène, s'acquittent de leurs
interventions avec talent. On sait que l'orchestre d'Ariane et Barbe-Bleue
est tourné vers Wagner, que Dukas admirait, autant qu'il paie tribut à Debussy,
quoique d'une manière bien différent du Pelléas
et Mélisande de celui-ci. Il plus charnu mais aussi paré de nuances lyriques
; comme il en est l'évocation des pierres précieuses au Ier acte. Celle des
diamants donne lieu à un vrai vertige de sons. Au fil de la direction de Daniele Callegari, qui se
confronte pour la première fois à ce monument, on entend plus le poids wagnérien
que la transparence debussyste, malgré la citation empruntée à Pelléas et Mélisande lors de l'évocation de cette
dernière, bel hommage à l'ami musicien. La richesse de la partition, que le
chef compare au genre du poème symphonique, et dont il trouve un exemple dans
la palette luxuriante d'un Rimski- Korsakov, s'en
trouve amoindrie dans une approche sous haute tension. Et les effluves lyriques
sont quelque peu noyées dans un maelström trop souvent
forte. Le chef d'œuvre de Dukas eût mérité mieux, surtout quant à sa
traduction scénique.ó Jean-Pierre
Robert. Au cœur de la musique de chambre : Gidon Kremer & friends
Lors d'un (trop) rare passage à
Paris, au Théâtre des Champs Elysées, Gidon Kremer avait convié deux partenaires de choix, le pianiste Daniil Trifonov, jeune prodige
russe, déjà adoubé par les plus grands, dont Gergiev,
et la celliste lituanienne Giedre Dirvanauskaite,
chambriste accomplie, choisie par Kremer pour se
produire dans son festival autrichien de Lockenhaus.
Pour une soirée festive, au plus près surtout de cet état de grâce que procure
souvent un concert de musique de chambre. Organisée sur le schéma dit à
géométrie variable, puisque débutant par la Fantaisie pour pinao
K. 397 de Mozart, jouée par Trifonov, hélas sur fond
de toux cacochymes. Violon seul ensuite avec la Sonate pour violon solo N° 3
op. 126 de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996),
compositeur presque inconnu en France, et pourtant d'un immense talent, qui ne
dépare pas avec Chostakovith dont il fut l'ami,
disant « je me considère comme son élève ». Parmi sa faramineuse
production symphonique, opératique et chambriste, la Sonate op. 126 est rien
moins que passionnante. Gidon Kremer
qui en est aujourd'hui l'interprète de choix, avoue qu'elle a été pour lui
« l'une des œuvres les plus difficiles à 'conquérir '», car d'une
virtuosité violonistique qui s'apparente à celle de la Sonate de Bartók. D'un
seul tenant, d'une durée de quelques 22 minutes, on peut y décerner diverses séquences.
Elle est dédiée par Weinberg « à la mémoire de mon père », mort comme
plusieurs autres membres de la famille, en camp de concentration. Kremer dit quelle « nous conte une histoire dramatique
sur la vie, l'amour, le destin, l'éternité ». Sa modernité, qui s'imprègne
aussi de relents de folklore, requiert une folle dextérité, car tour à tour
tonique ou recueillie, féroce, voire dure, ou élégiaque. Elle met en valeur
toutes les ressources de l'instrument et exploite en particulier ses registres
extrêmes. On peut l'entendre au disque dans un double CD Weinberg, par Kremer et ses amis (label ECM New series).
C'est peu dire que Gidon Kremer
a été à la hauteur ! La Fantaisie pour violon et piano, D 934, de 1827,
est la dernière pièce que Schubert a laissée à la formation pour violon et
piano. Délicate d'exécution au fil de ses quatre parties enchaînées, alternant
lent et vif, elle donna lieu à une exécution immaculée marquée par la
« liquidité » du clavier de Trifonov et la
sonorité habitée du violon de Kremer. Le concert
s'achevait par le Trio élégiaque N° 2 op. 9 de Rachmaninov. Une œuvre
d'ampleur composée en 1893, un an après un premier essai, et créée en 1894,
Rachmaninov tenant la partie de piano.
Le musicien l'avait composé juste après la mort de Tchaikovski,
auquel il est dédié « à la mémoire d'un grand artiste ». Les deux
musiciens étaient très liés, et Tchaikovski avait
pesé de tout son poids pour faire créer au Bolchoi le
premier opéra de son jeune collègue, Aleko.
Profondément affecté par la disparition du maître, il écrit un trio qui
s'inspire de l'op. 50 de celui-ci. Il s'articule en trois mouvements de durée
inégale, le dernier fort bref. Le moderato s'ouvre par une sombre introduction,
sorte de lamento, et progresse dans une profusion thématique impressionnante
laissant déjà une part essentielle au piano, l'instrument de prédilection de
Rachmaninov. Le développement atteint un allegro vivace et une envolée
dynamique notable. Une quasi cadence explose soudain au piano. Le deuxième
mouvement est titré « Variazioni quasi » et
marqué andante : le thème est énoncé par le piano et les huit variations seront
très diversifiées avec parfois d'intéressants unissons des deux cordes. La
pièce s'achève par un allegro risoluto où prédomine
le piano, pour conduire à un moderato réintroduisant le thème du lamento du
premier mouvement. Les dernières phrases sont dévolues aux seuls cello et piano. La manière virtuose, au sens noble du
terme, de Daniil Trifonov
fait des étincelles, grands écarts de dynamique, souveraine maîtrise, passion
contrôlée qui se communique aux deux autres protagonistes, Gidon
Kremer plus inspiré que jamais, et Giedre Dirvanauskaite, à
l'impériale sonorité. Une exécution mémorable.
Jean-Pierre
Robert. Das Klagende Lied dans sa version originale
L'intérêt majeur des concerts
d'abonnement de l'Orchestre de Paris des 6 et 7 mai résidait dans l'exécution
de Das Klagende
Lied (Le Chant plaintif) dans sa version originale en trois parties. Cet
op. 1, Gustav Mahler y consacrera trois ans. Il
sera pour lui « un vrai enfant de douleur », notamment en
raison des moyens considérables requis pour le faire exécuter. Achevée en 1880,
mais travaillée depuis 1878, cette cantate trouve ses sources dans le poème
éponyme de Ludwig Bechstein (1856) et un conte des
frères Grimm, « Der singende Knochen »
(L'Os qui chante). Mahler sera son propre librettiste. Il semble qu'il ait
alors pensé à un opéra ; idée vite abandonnée du fait de l'absence de
dramaturgie au sens fort de cette ballade populaire au ton lugubre : deux
frères sont amoureux d'une femme, cherchant dans la forêt la fleur rouge
qu'elle a réclamée. Le plus jeune la trouve, mais l'aîné le tue dans son
sommeil pour s'emparer du précieux talisman (première partie : « Waldmärchen »/ légende de la forêt). Un ménestrel s'en
vient et sculpte une flûte avec un os du jeune homme assassiné. L'instrument se
met à chanter, contant la tragédie (deuxième partie : « Der Spielmann »/ Le Ménestrel). La fête des noces de la
femme et du frère fratricide est interrompue par l'arrivée du ménestrel qui ne
peut réfréner la funèbre plainte et ainsi s'empêcher de révéler la tragédie aux
invités. Ils s'enfuient horrifiés tandis que le château s'écroule (troisième
partie : « Hochzeitsstück »/Les Noces). Ces
trois parties façonnent une œuvre où cohabitent ton de la ballade populaire et
sonorités de musique savante, une des caractéristiques du futur langage
mahlérien, annonciatrice du monde du Wunderhorn.
Mais cette pièce atypique pour l'époque, Mahler la remaniera plusieurs fois
pour la voir jouer, en particulier en supprimant la première partie, lors de la
création en 1901 à Vienne sous sa direction. Ce n'est que bien plus tard, dans
les années 1960 qu'elle sera enfin donnée dans son intégralité, en particulier
par Pierre Boulez, en 1970, qui l'enregistrera (CD sous label CBS, devenu
Sony). Elle prend toute sa signification au fil de ses trois parties,
profondément unies par un réseau
thématique élaboré qui voit des motifs être rappelés de l'une à l'autre. Bien qu'écrite pour chœurs et
quatre solistes, outre deux voix d'enfant, la symphonie y domine : un orchestre
gigantesque (quatre harpes, nombreuses percussions, dont deux gongs, bois par
trois, cuivres nourris) commente l'action plus qu'il ne la décrit, mêlant
grands climax et lyrisme intense. On décèle bien des caractéristiques qui
façonneront le style si spécifique de l'auteur : rythmes de marche, alternance
majeur mineur, fanfares de fête, orchestre dans le lointain lors de ladite
fête, thématique mélancolique unissant musiques populaire et savante. Mais
aussi un sens aigu du timbre, dans le traitement des bois, un climat démoniaque
dans la dernière partie, jusqu'à ce finale pianissimo où tout semble se déliter
pour conclure sur un accord sec et brutal. L'exécution de Jaap
van Zweden, ex premier violon solo du Concertgebouworkest, tourné vers la direction d'orchestre
dans les années 1995, est puissante et engagée, tirant le meilleur d'un
Orchestre de Paris brillant de tous ses feux. Sous sa conduite, l'œuvre dévoile
toutes ses ascendances wagnériennes (tel thème apparenté au « chœur des Gibichüngen » du Götterdämmerung,
ou d'autres moments du Ring), mais aussi ses rythmes de valse débraillée
typique de Mahler, le lyrisme encore de moult pages, comme la fin de la
première partie, et ces éléments topiques de la langue mahlérienne, dans la
deuxième, comme les appels de cors. Si le Chœur de l'Orchestre de Paris ne
parait pas toujours convaincant en raison d'une diction approximative, ne
permettant de saisir qu'un mot sur deux, les solistes sont émérites. On a réuni
une brochette de stars : Mélanie Diener, soprano
ductile, Iris Vermillon, superbe timbre de mezzo, enluminant toutes ses
interventions, les plus nombreuses d'ailleurs, dont cette phrase finale « Was ist es wohl
mit dem Hochzeitsmahl ?
(Qu'est-il advenu du festin nuptial?), le beau ténor de Werner Güra et le baryton expressif de Ludwig Mittelhammer,. En première partie était donné l'illustrissime Concerto
de piano N° 20, K 466 de Mozart dans
une interprétation au ras de la partition, avec bien peu de sens de l'occasion
du fait d'un orchestre peu subtil n'aidant pas beaucoup le soliste ; en
particulier lors de la belle Romance médiane. Si David Fray
tire son épingle du jeu, il le doit à sa seule maîtrise de l'univers mozartien
qu'il fréquente déjà avec assiduité, en particulier au disque avec ce même
chef, un partenariat alors plus inspiré. Jean-Pierre
Robert. Benvenuto Cellini mis en scène façon Monty Python Hector BERLIOZ : Benvenuto
Cellini. Opéra en deux actes. Livret de Léon de Wailly
et Auguste Barbier. John Osborn, Laurent Naouri, Orlin Anastassov, Mariangela Sicilia, Michèle Losier, Maurizio Muraro, Nicky Spence, Scott Conner, André
Morsch, Marcel Beekmann.
Chœur de l'Opéra national néerlandais. Rotterdam Philharmonic
Orkest, dir. Sir Mark
Elder. Mise en scène : Terry Gilliam. Het musik Theater Amsterdam.
Décidément Pierre Audi, le
directeur du Nederlandse Opera
aime faire des coups ; et ne rate pas sa cible. Après un Lady Macbeth de Mzensk confié à Martin Kusej
ou un Kitège à Dmitri
Tcherniakov, pour ne citer que ces deux là, il a fait
appel à Terry Gilliam pour mettre en scène le délicat
Benvenuto Cellini. Il s'agit d'une co
production avec l'ENO de Londres, où le spectacle fut donné en 2014 devant des
salles sold out. Il faut dire que du spectacle, il y
en a, à revendre ! L'opéra de Berlioz, ce mélange de grand opéra et d'opéra-comique,
n'appelle-t-il pas la fantaisie ? Avec sa trame où se mêlent intrigue amoureuse
sur fond de quiproquos (Teresa courtisée par Cellini mais aussi par Fieramosca), et tranche d'Histoire généreuse : la
confection par l'illustre ciseleur de la statue de Persée promise au Pape
Clément VII. Ces deux thèmes s'entrecroisent au fil d'une action plus échevelée
que réellement logique où Berlioz se révèle tout sauf cartésien. On comprend
l'engouement du public britannique pour son théâtre. Il y achève ici une symbiose
entre la comédie, souvent très franche, et le mélodrame le plus convenu, mais
vu au second degré. On sait que l'opéra ne connut pas le succès lors de sa
création en 1838, et que pour venir en aide à son ami, Liszt imagina une autre
version, cette fois en trois actes, donnée à Weimar en 1852. Berlioz y est
pourtant chez lui : et cet autre « épisode de la vie d'un artiste »,
à l'exemple de celui de « Leilio » et de la
« Fantastique », n'est pas moins original, encore qu'il résume un
savant alliage du classicisme et de la grande imagination romantique, beaucoup
d'ingénuité et une vitalité sans borne, où imbroglios, ruses, vraies fausses
coïncidences cohabitent avec un sens du burlesque irrépressible. Si l'on ajoute
l'empathie du musicien pour l'art de la dérision, les rapides changements dans
la conduite de l'action, le goût du pot pourri, on a les recettes de ce qui
devrait être une pièce à succès. Malheureusement, on a tendance à n'y voir que
le premier degré et à s'enfermer dans une lecture visant à juxtaposer ces
éléments plutôt qu'à les croiser. Une production, due à Philipp
Stölzl, au Festival de Salzbourg 2007, créa déjà la
sensation, en faisant de Benvenuto Cellini un Blockbuster
cinématographique, pas toujours du meilleur effet.
Terry Gilliam
va plus loin encore, mais fait plus mouche. Parce qu'il saisit tout ce qu'il y
a d'ubuesque dans cette histoire. Celui qui a donné (plus que ses autres
confrères) son nom à l'épopée des Monty Phyton, cette série télévisée anglaise des années
1969-1974, est devenu un réalisateur en vue : « Monty
Python and the Holy Grail »
(1975), « The life of Brian » (1977), puis, entre autres, « Brazil » (LAFCA 1985 du meilleur film), « Le Roi
Pêcheur » (Lion d'argent à Venise en 1991) ou encore « Les frères
Grimm ». Il s'adonne désormais depuis 2011 aussi à l'opéra et on lui doit
une Damnation de Faust, déjà à l'ENO. Sa conception de Benvenuto
Cellini se signale avant tout par une constante animation, pas seulement
durant les scènes d'ensemble, mais aussi au long des passages plus restreints
où il enveloppe les péripéties de l'action principale dans des seconds plans
animés. Ainsi du périlleux trio de l'acte I, où l'on voit passer des fêtards
dans la rue au lointain. Ce parti s'affiche dès l'Ouverture qui donne lieu à
illustration, sorte de digest de la scène du Carnaval à venir, avec animation
dans la salle et apparition de deux effigies de gigantesques poupées : un
ridicule et une tête de mort. Cette activité souvent débordante s'inscrit dans
une décoration elle-même pléthorique, figuration de dessins d'architecture de
Piranèse projetés en fond, enfilades d'escaliers permettant de détacher
plusieurs plans. Elle trouve son apogée durant le tableau du Mardi gras et bien
sûr dans celui du Carnaval romain sur la Place Colonna où Gilliam
convoque en un foisonnant barnum acrobates, jongleurs, cracheurs de feu,
échassiers, et pantins dans la plus pure veine exhibitionniste. Juxtaposant
bien pensance et grotesque. Mais Berlioz ne l'a-t-il
pas conçu ainsi ? Les mouvements de foule s'accommodent de déplacements du
décor lui-même créant un sentiment de folie collective où le quiproquo (les
moines capucins) devient presque logique et les fous plutôt intelligents. La
veine Monty Python ne dit pas non plus son dernier
mot : l'arrivée du Pape et la tirade « A vos péchés pleine indulgence »
donne lieu à une image pour le moins paroxystique : Clément VII fait son entrée
juché sur un portant déroulant un escalier, harnaché dans un ample vêtement de
mandarin... et entouré de sbires qui plus que des Gardes suisses, font figure
de fantoches bardés de casques emplumés d'une aigrette rouge vif. La direction
d'acteurs, au sein de ce fatras, reste pourtant lisible et les caractères, à
défaut de posséder une réelle épaisseur dramatique, en ressortent plutôt bien
typés.
Le spectacle se distingue
encore par sa très belle qualité musicale. La distribution est très étudiée et
à une exception près, totalement valeureuse. John Osborn
prête à Cellini les atouts d'un des grands ténors bel cantistes
du moment. Car il faut dans ce rôle exigeant une voix ductile et des
intonations racées. Osborn qui est la partenaire de
Cecilia Bartoli dans Otello de Rossini ou Norma
de Bellini, montre combien le rôle est pur raffinement. On ne sait qu'apprécier
: le legato souverain, la quinte aiguë aisée, doublée d'un usage subtil de la
voix de tête. L'air « que ne suis-je un simple pasteur » est un
modèle de bon goût, rappelant l'art du grand Nicolaï Gedda.
Et là où il faut de la puissance, la voix s'envole facilement (Romance du Ier
acte). Enfin un diction consommée et une idée de ne
pas se prendre au sérieux achèvent un portrait frôlant l'idéal. La Teresa de Mariangela Sicilia (remplaçant
Patricia Petibon qui avait déclaré forfait) est une
découverte. Car ce petit bout de femme, issue de l'Académie d'Aix-en-Provence
(2011) et déjà lauréate du Concours Operalia de Placido Domingo, en 2014, offre un soprano qui a de
l'étoffe et une conduite vocale sûre. Un souci du texte et une savante
différenciation entre lyrisme et éclat, un médium large et des aigus percutants
(Cavatine « Entre l'amour et le devoir », à l'acte I) démontent un
talent avec lequel il faudra compter, car une prise de rôle de cette qualité
est rare. Laurent Naouri est un Fieramosca attrayant,
vrai faux grotesque qui sait déployer des ressources insoupçonnées. L'air
« Ah! qui pourrait me résister ? » est un chef d'œuvre de beau chant français. Orlin Anastassov est un Pape
clément VII bien sonore dont le sérieux
est à prendre au second degré. L'Ascanio de Michèle Losier
est un autre winner : outre une prestance lutine, dans ce rôle travesti, le
timbre de mezzo clair est attrayant. Les deux airs font bel effet par leur
faconde et un entrain communicatif. On a même confié le rôle plus qu'épisodique
du Cabaretier au ténor néerlandais Marcel Beekman,
hier Platée à l'Opéra Comique : son couplet de la taverne est un régal de
drôlerie. Seul, Maurizio Muraro en Balducci est en deçà, du fait d'une articulation laissant à
désirer et d'une voix qui ne projette pas suffisamment. Les chœurs du National Opera d'Amsterdam sont plus que vaillants et leur diction
satisfaisante. Sir Mark Elder, qui dirige l'Orchestre Philharmonique de
Rotterdam, connaît son Berlioz sur le bout
du doigt. Son interprétation a du punch et de l'épique au centuple,
ménageant les effets de surprise que cèle une musique exubérante, au langage
excentrique, certes, mais pas si fragmentaire que l'on croit. Les trésors
d'orchestration que Berlioz traite çà et là, et ces effluves de clair lyrisme,
on les savoure, comme les basses grondantes durant l'air de Cellini au II ème acte. Jean-Pierre
Robert. Week end festif sur le thème de « Berlin. Années folles »
Un week end à la
Philharmonie de Paris comprenant, d'une part, un concert symphonique présentant
des œuvres de Paul Hindemith, Kurt Weill et Eduard Künneke
et ,d'autre part, une soirée cabaret animée par la
chanteuse Ute Lemper autour de « songs » intitulée « de Berlin à Broadway ».
Après le désastre humain et moral de la Grande Guerre, la République de Weimar
va connaitre une sorte d'âge d'or de la création artistique autour des années
1920. Expressionnisme et Nouvelle Objectivité, refusant les abimes de l'introspection
hérités du XIXe siècle, marquent ce renouveau esthétique qui va progressivement
s'éteindre dans les années 1930 face aux difficultés économiques et à la montée
du nazisme. C'est dans ce contexte social troublé, cette ambiance interlope
parfaitement rendue par Alfred Döblin dans son
ouvrage emblématique Berlin Alexanderplatz, que s'inscrivent les œuvres
d'Hindemith, Weill et Künneke. L'opéra Nouvelles du jour (1928)
de Paul Hindemith fut retiré des scènes allemandes jusqu'en 1950, l'ouvrage
n'ayant survécu que grâce à l'Ouverture donnée
ce soir, faisant briller la petite harmonie (clarinette, basson, piccolo) sur
des rythmes très marqués par le jazz. Deux œuvres issues de la collaboration
entre Kurt Weill et Bertolt Brecht poursuivaient le programme, Les Sept Péchés capitaux (1933) et la Suite de l'Opéra de quat'sous
(1928) deux occasions d'entendre la voix de cabaret de la chanteuse
allemande Ute Lemper, moins rocailleuse que celle de
Lotte Lenya, dans son répertoire de prédilection.
Enfin pour conclure, une œuvre moins connue de Eduard Künneke,
Suite dansante pour jazz band et grand
orchestre (1929) concerto grosso en cinq mouvements. Traversée par un thème
mélodique récurrent, cette œuvre semble fortement influencée par la musique de
Weill, faisant se succéder Foxtrots, Valses, Blues au son du banjo, du chœur de
saxophones dans une ambiance exotique, tendre ou intimiste, non dénuée de
sensualité. Un concert dominé par la joie des musiciens de l'Orchestre de Pqris, la joie du
public ravi et celle du chef allemand Thomas Engelbrock
dont on parle dans les coulisses pour la succession prochaine de Paavo Järvi.
Comme un prolongement de cette soirée, le
récital d'Ute Lemper proposa le lendemain de
nombreuses mélodies issues du cabaret, lieu de protestation où s'exprimait le
malaise social berlinois, avec un moment d'intense émotion lorsque la chanteuse
interpréta, pour fêter le 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz, deux
mélodies anonymes issues des camps de concentration, Yiddishe Lieder et Der Auschwitz
Tango. Une façon comme une autre de ne pas oublier… Patrice Imbaud. Anna Netrebko chante les Quatre derniers Lieder
Depuis ses débuts au Festival de Salzbourg
en 2002, la soprano russe Anna Netrebko n'a cessé de
nous surprendre par la fulgurance de sa carrière et la qualité de son chant.
Certes, le plumage s'est un peu épaissi ces dernières années, mais le ramage
reste souverain. La voix est puissante, la tessiture étendue, le timbre rond,
la ligne de chant souple, le legato omniprésent et la technique irréprochable
…Indiscutablement une voix rare et magnifique ! Le public se pressait donc
nombreux avenue Montaigne pour ce concert exceptionnel des « Grandes
Voix » où la diva se produisait étonnamment dans un répertoire qui n'est
pas habituellement le sien, les Quatre derniers Lieder de Richard
Strauss. Elle vient toutefois d'enregistrer, avec un bonheur discutable,
l'ultime œuvre vocale de Strauss pour le label à l'étiquette jaune, et chante
actuellement le rôle de Lady Macbeth de l'opéra de Verdi au MET. Une soirée de
gala, sous la direction attentive de Daniele Gatti à
la tête de l'Orchestre National de France, dont le programme comportait, outre
ces Lieder de Richard Strauss, l'Ouverture de Béatrice et Bénédict de
Berlioz et Roméo, et enfin Roméo et Juliette de Prokofiev, comme
un point final au cycle Shakespeare (Les poèmes symphoniques Hamlet de Liszt, Macbeth de Richard Strauss, le Songe
d'une nuit d'été de Mendelssohn et l'opéra Macbeth de Giuseppe Verdi) entrepris ces dernières semaines par le
chef milanais. Hélas, devant un public conquis d'avance, russe pour une grande
part, du moins au parterre, la soprano ne put s'empêcher de minauder avant
d'attaquer avec une fureur guerrière Frühling et September qui devinrent de ce fait totalement dénués de sens
et d'intériorité. Ce n'est qu'au troisième Lied, Beim
Schlafengehen, la magie de la musique
straussienne faisant probablement son œuvre, puis avec Im Abendrot
que cette œuvre, composée en 1948 par le compositeur allemand au soir de sa
vie, retrouva la lueur crépusculaire et le recueillement si caractéristiques
qui en génèrent tout le charme, l'émotion et en portent toute la beauté, le
legato de la voix s'enlaçant intimement avec la somptueuse parure orchestrale,
comme une preuve tangible du génie mélodique straussien. Après cette légère
déception, le National rutilant et motivé nous offrit une Ouverture Béatrice et Bénédicte (1862) pleine de dynamisme, d'humour et de poésie avant de conclure sur
les Suites pour orchestre n° 1 et n° 2 de
Roméo et Juliette (1938-1944) de
Prokofiev dans une lecture tendue chargée d'une rare expressivité en faisant
une véritable symphonie dramatique. Une belle soirée ! Patrice Imbaud. New York Philharmonic à la Philharmonie de
Paris : Alan Gilbert apollinien
Une grande salle de la Philharmonie de
Paris comble pour ce premier concert de la prestigieuse phalange new-yorkaise
dans le nouveau temple de la musique symphonique parisienne. Un programme sur
mesure visant à mettre en avant toutes
les qualités de sonorité, de précision et de cohésion de cette formation
comptant parmi les plus prestigieuses au monde, jadis dirigée par des figures
musicales aussi illustres que Gustav Mahler ou Arturo Toscanini. Alan Gilbert,
son actuel directeur musical ayant à cœur de s'inscrire dans la lignée de ses
glorieux prédécesseurs… Un programme copieux proposant des œuvres de
compositeurs reconnus comme des maîtres dans le domaine de l'orchestration
(Ravel, Strauss et Salonen), débutant par une œuvre
du compositeur-chef d'orchestre scandinave contemporain Esa-Pekka
Salonen, Nyx :
une
pièce en clair obscur comme un matin du monde, composée en 2010, qui marque le
retour du compositeur à la musique purement orchestrale. Une œuvre nécessitant
un grand orchestre avec des passages concertants exposés par la clarinette et
les cors, très rythmée recrutant nombre de percussions, envoûtante par son
ostinato de cordes, usant d'une orchestration riche valorisant les différents
timbres orchestraux aux accents parfois jazzy, remarquablement servie par
l'acoustique exceptionnelle de la salle. Une très belle composition équilibrée,
claire et chatoyante dirigée de façon limpide, efficace et élégante par le chef
new-yorkais. Venait ensuite Shéhérazade
(1903) de Maurice Ravel comme un vibrant hommage à l'orchestrateur de génie que
fut le compositeur français, trois poèmes de Klingsor superbement chantés par
la mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato : une
ligne de chant toute en nuances et legato répliquant successivement au violon
solo, à la flûte et à la clarinette, faisant montre d'une grande complicité
avec l'orchestre dans une interprétation d'anthologie, qui se prolongera par un
bis extatique, Morgen
de Richard Strauss. En deuxième partie, Ravel encore dont les Valses nobles et sentimentales (1912)
sont jouées avec une étonnante fluidité, alternant cordes et vents dans une
ambiance changeante exhalant toute leur saveur délicate, leur amère et féérique
élégance tout au long des huit valses se concluant sur la lueur évanescente de
la harpe et du célesta. Enfin pour clore cette magnifique soirée, la Suite pour orchestre du Chevalier à la rose
(1944) de Richard Strauss, véritable poème symphonique dans un mélange très
expressif de nostalgie, d'amour, d'humour et de ferveur. Une partition toute en
finesse, à l'instrumentation délicate recrutant tous les pupitres de
l'orchestre depuis les cordes mélancoliques ou véhémentes, les cuivres, ici
d'une justesse absolue et d'une rondeur exemplaire, ou encore une petite
harmonie superlative. En bref, une superbe soirée où certains esprits chagrins
regretteront le parti pris du « beau son » parfois au détriment de la
profondeur et du sens, une interprétation peut-être plus apollinienne que
dionysiaque. A défaut de bacchanales, en bis, après un extrait du Lac des Cygnes de Tchaïkovski, un
endiablé standard de Duke Ellington exécuté de mains de maître par les chefs de
pupitre des cuivres assura le triomphe de l'orchestre et de son chef. Bravo à
tous ! Patrice Imbaud. Macbeth de Verdi au Théâtre des Champs-Elysées Giuseppe
VERDI : Macbeth. Opéra en quatre actes. Livret de Francesco Maria Piave et
Andrea Maffei, d'après la tragédie éponyme de
Shakespeare. Version de 1865. Roberto Frontali,
Susanna Branchini, Andrea Mastroni,
Jean-François Borras, Sophie Pondjiclis,
Jérémy Duffau. Orchestre National de France &
Chœur de Radio France, dir. Daniele
Gatti. Mise en scène : Mario Martone.
S'il fallait encore une preuve de la
profonde affinité existant entre le compositeur italien et le chef milanais,
cela serait chose faite, aujourd'hui, après l'éblouissante prestation de Daniele Gatti à la tête de l'Orchestre National dans cette
nouvelle production de Macbeth de
Giuseppe Verdi. Un opéra noir qui marque le premier rendez vous entre Verdi et
Shakespeare. Une œuvre bâtie sur un
support psychologique et fantastique qui contient en germe les futures
productions du Verdi de la maturité revenant vers Shakespeare avec Otello et Falstaff. Un opéra porté par des forces
démoniaques, un opéra qui garde l'odeur du sang humain, un opéra de la mort, de
l'ambition et de la trahison où la dramaturgie tient le devant de la scène, où
la musique est constamment au service du drame. Et c'est bien cette gageure
qu'a parfaitement réussie Daniele Gatti en parvenant à maintenir de bout en bout la
tension dramatique qui fait le cœur de l'opéra. Une tension, une inquiétude,
une angoisse palpable dès l'ouverture orchestrale où la musique semble rester
en suspens…Dans l'attente… Une direction claire, précise, attentive aux
moindres inflexions du texte, soucieuse de servir l'œuvre et les chanteurs,
riche de nuances et de couleurs car Gatti est, ici, bien loin de la caricature
outrancière de certains. Sa direction ciselée sait faire ressortir le détail
d'importance, favorisant le galbe ou à l'inverse durcissant la ligne, de façon
constamment juste. Un « National » au mieux de sa forme, réactif,
précis et engagé. Un Chœur de Radio France d'une remarquable souplesse et d'une
grande cohésion. Une distribution vocale de haut niveau, homogène, où
l'engagement scénique compense souvent quelques faiblesses vocales. Roberto Frontali, Macbeth, quoique vieillissant fait honneur au
baryton Verdi, Susanna Branchini, Lady Macbeth,
utilise son vibrato et son timbre agressif pour distiller la haine ; les notes
pointées de la scène de somnambulisme sont un modèle du genre. Andrea Mastroni, Banquo, est une basse ample et pudique d'une
belle stature. Jean François Borras, Macduff, remporte légitimement les faveurs du public dans
son air unique « Paterna Mano » du dernier acte tandis que
Sophie Pondjiclis, la Dame d'honneur, habituée des
lieux, confirme tout le bien qu'on pensait d'elle.
La mise en scène de Mario Martone, sobre et efficace, voire intimiste, s'attachant
plus au sens qu'à la forme, n'apporte pas d'ombre au tableau. Reposant sur une
scénographie dépouillée, valorisée par de superbes éclairages et l'utilisation
pertinente de la vidéo, elle sait
laisser la primeur à la musique, à l'intériorité et au jeu d'acteur. En
bref, une belle et honorable production digne de cette œuvre incontournable du
répertoire opératique. Patrice Imbaud. Une soirée contrastée avec l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam
Le public s'était déplacé nombreux avenue
Montaigne pour entendre le jeune pianiste Rafal Blechacz, élève d'Artur Rubinstein, lauréat du prestigieux
Concours Frédéric Chopin de Varsovie en 2005, accompagné par l'Orchestre
Philharmonique de Rotterdam sous la direction de son chef titulaire, Yannick Nézet-Séguin. Un public fourni, mais un public déçu par la
piètre prestation du pianiste polonais
dans le célébrissime Concerto pour piano n° 1 de Brahms. Une œuvre
magistrale (1858), maintes fois rabâchée à longueur de concerts, où les
versions de référence ne manquent pas…Celle de ce soir ne fera assurément pas
date, se réduisant à un Brahms de majorette, insipide et sans tension ne
donnant qu'un pale reflet de cette œuvre pourtant grandiose. Un premier mouvement loin
de toute majesté, cantonné dans une mièvrerie pseudo romantique affichant une
absence totale de dialogue entre un soliste neurasthénique et un orchestre
somnolent, un deuxième mouvement où la sombre méditation rêveuse, comme un
hommage à Clara, se transforme rapidement en un épanchement larmoyant d'un
romantisme sirupeux et boursoufflé d'une lenteur accablante, avant de conclure
sur un Rondo final assez bien mené (mais c'est toujours le cas !) où
semblait réapparaitre, enfin, une ébauche de cet élan brahmsien
caractéristique. Heureusement, après la pause, Yannick Nézet-Séguin
dirigeant sans partition et sans baguette, se plaisant à pétrir des ses mains
la masse sonore, se chargea de vite nous faire oublier cette triste première
partie, en interprétant de façon éblouissante et très engagée la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski, deuxième
volet de la trilogie du fatum (1888), l'orchestre retrouvant, alors, tout son
allant dans une lecture d'une parfaite justesse de ton oscillant en permanence
entre aspiration au bonheur et soumission au destin. Une interprétation tendue
laissant une large place aux épanchements
mordorés des cordes aiguës, aux vrombissements des cordes graves, aux
fanfares de cuivres et aux appels des bois. Un premier mouvement chargé de
tension et de lyrisme, un deuxième pathétique sur une longue mélodie du cor
solo comme une sorte de consolation avant la réapparition du thème du destin
clamé par les trompettes, un troisième comme une valse insouciante et
trompeuse, avant de conclure sur un finale grandiose qui conduira l'orchestre
dans ses ultimes limites. Une magnifique interprétation vraiment ! Patrice Imbaud. Semyon Bychkov poignant
et Alexandre Tharaud exemplaire Semyon Bychkov / DR La présence rare à Paris du grand chef
russe Semyon Bychkov dans
son répertoire de prédilection, Chostakovitch, avait suffi à remplir les bancs
du Grand Auditorium de Radio France. Un programme contrasté associant Mozart (Concerto pour piano n° 21) et
Chostakovitch (Symphonie n° 8).
Cantabile de l'orchestre, fluidité du jeu pour un Mozart élégant et tonique,
sans mièvrerie sous les doigts du pianiste Alexandre Tharaud
pour ouvrir la soirée. Un jeu naturel et bien présent, dans un juste tempo,
sans épanchements larmoyants, dans une lecture équilibrée et complice avec
l'orchestre. La Huitième symphonie de
Chostakovitch, monumentale, symphonie de guerre composée en 1943, qui n'est pas
sans présenter nombre d'analogies avec la Cinnquième par son caractère
ambigu et désolé, occupait à elle seule la deuxième partie. Une des œuvres
préférées du compositeur russe, écrite au lendemain de la bataille de
Stalingrad, tragique et austère, censée évoquer le « climat intérieur de l'être humain assourdi par le marteau de la
guerre ». L'immense premier mouvement atteint d'emblée des sommets
d'intensité et d'émotion, marqué par cette acidité aiguë des cordes rehaussée
par les stridences des bois, dans un tempo assez retenu témoignant de la
désolation ambiante jusqu'au tutti cataclysmique et dissonant scandé par les
percussions... Un champ de ruines au milieu duquel s'élèvera la longue
cantilène du cor anglais, un chant de déploration comme un reste d'humanité qui
se refuse à mourir. Le deuxième mouvement prend ensuite des allures de marche
burlesque soutenue par le solo et les trilles du piccolo avant que le
troisième, véritable équivalent d'une toccata de mort, n'installe son rythme
perpétuel et obstiné parcourant tout l'orchestre, un rythme motoriste qui n'est
pas sans rappeler certaines compositions de Prokofiev, et au sein duquel
s'élèveront de prodigieuses fanfares de cuivres à l'effet saisissant. Le
quatrième mouvement, Largo,
s'enchaine sans pause, équivalant d'une longue méditation par un matin de
commencement du monde, statique et désolé après l'apocalypse, une musique
hagarde où flottent de façon hiératique quelques lambeaux mélodiques. Seul le
dernier mouvement apportera une trompeuse rémission avec les solos multiples de
bois et de cordes (basson, cor, clarinette, violon solo) comme autant de
tentatives à faire réapparaitre un quelconque espoir, peu convaincant au demeurant,
la dernière note tombant comme un couperet. Une magnifique interprétation du
chef russe, une direction intelligente, juste et précise et un superbe
orchestre, tous pupitres confondus, pour une soirée qui restera dans les
mémoires ! Patrice Imbaud. Cycle
Modernités Italiennes au Musée d'Orsay
© Musée d'Orsay/ Sylvie Boegly Au dernier étage du Musée d'Orsay (on n'y
fait pas la queue et c'est gratuit), il faut à tout prix ne pas manquer
l'exposition « Dolce Vita ? Du Liberty au Design italien
(1900-1940) ». Elle présente des artistes importants pour l'Italie du
début du XX ème siècle. Dans ce tout jeune pays,
ébénistes, céramistes, maîtres verriers travaillaient en collaboration avec les
plus grands artistes, créant ainsi un véritable « style italien ». Comme
souvent, l'amphithéâtre d'Orsay propose des concerts en relation avec les
expositions. En parallèle à l'exposition italienne, Le Duo Buet-Violi, issu du jeune Quatuor Giardini,
donnait un concert exigeant d'œuvres de la période dite « Generazione
dell'Ottanta ». Mario Castelnuovo-Tedesco
(1895-1968), est un compositeur italien de tendance impressionniste et néo-romantique descendant d'une illustre famille de
banquiers qui vécurent dans la péninsule ibérique jusqu'à l'expulsion des juifs
d'Espagne en 1492. Sa musique combine de fait des inspirations italiennes,
juives et espagnoles. Compositeur prolifique, mal connu, il a écrit de nombreuses
œuvres dans tous les domaines. Ses origines juives l'obligèrent à quitter, en
1939, l'Italie pour les États-Unis afin de fuir la politique antisémite du
régime de Mussolini. Il s'installa à Hollywood où il écrivit la musique de plus
de deux cents films, dont le célèbre « Docteur Jekyll et Mr.Hyde » de
Victor Fleming. La Sonate op. 50 qu'a interprétée le jeune duo formé de Pauline
Buet, violoncelle, et David Violi,
piano, est sentimentale, empreinte de nostalgie. Commencer un concert avec une
œuvre qui demande autant d'attention était un challenge. Ils l'ont réussi : le
public a été conquis par l'énergie, la précision et le sérieux avec lesquels
ils ont interprété cette sonate. Guiseppe Martucci
(1856-1909) faisait figure avec quelques autres compositeurs tels que Giovanni Sgambatti ou Marco Enrico Bossi, de pionnier de la
résurgence de la musique instrumentale dans l'Italie de l'Ottocento.
Il est un des rares compositeurs de cette génération à ne pas avoir écrit
d'opéra. Célèbre pianiste et chef d'orchestre, il eut comme élève Respighi,
Fano. Toscanini l'a beaucoup interprété pour le faire connaître. Les deux
courtes pièces données, Romance op 72 n° et Pezzo
op 69 n°2, étaient pour la plupart inconnues des auditeurs. La ligne mélodique
de ces œuvres, empreintes d'influences germaniques, Schumann ou Wagner, était du plus bel effet. Ferrucio
Busoni (1866-1924), pianiste prodige et virtuose dont on connaît surtout les
transcriptions, a écrit, peu avant les compositions de Martucci,
une « Petite Suite » op. 23 aux allures baroques. On sait
l'importance qu'avait Bach pour ce compositeur. Dans les cinq mouvements
plusieurs influences se font sentir : on passe de Bach à la musique française
du XIXème, ou encore les allemands de cette époque. Le pianiste David Violi, d'origine italienne, a fait montre d'une technique
irréprochable. Le duo donnera en bis Canto nell'infinito
de Gian Francesco Malipiero (1882-1973), compositeur le plus important de la generazzione delle Ottenta. Cette
pièce offre des couleurs lunaires, une atmosphère nostalgique et décadente,
magnifique de subtilité sans aucune mélodie, piano et violoncelle ne faisant
qu'un. Le concert s'acheva sous les bravos – mérités - d'un public enthousiaste qui a suivi avec
beaucoup d'attention ce récital d'une grande rigueur dans le choix des œuvres.
A la lecture du programme ce n'était pas gagné d'avance. On pourra voir ou
revoir ce concert qui a été filmé par la société CLC et réalisé par Laurent Preyale. Une belle initiative. Stéphane Loison. Le
Quatuor Cambini-Paris interprète Félicien David
Nous avions eu le plaisir d'entendre le
Quatuor Cambini-Paris au Couvent des Recollets dans le cadre des concerts « Les Pianissimes » et dit tout le bien que nous pensions de leur interprétation du
quatuor « Les Dissonances » de Mozart (cf. NL de 3/2015). On a
retrouvé ces mêmes exigence et détermination dans
l'interprétation de ce quatuor K 465 de Mozart à l'Auditorium d'Orsay. On aura
le plaisir de la revoir, car le concert a été filmé par la société CLC
productions. Le quatuor Cambini-Paris a d'ailleurs
enregistré la totalité des Six Quatuors dédiés à Haydn chez
Ambroisie-Naïve ( cf. NL de 3/2015). Chose plus rare,
grâce à ces interprètes, on a pu découvrir le Quatuor n°2 en la
majeur de Félicien David (1810-1876), compositeur du XIXème peu joué
aujourd'hui. Il eut pourtant son heure de gloire. En 1869, à la mort de
Berlioz, il lui succéda au poste de bibliothécaire du Conservatoire et à son
fauteuil de membre de l'Institut. Les Cambini-Paris
ont d'ailleurs enregistré un disque de ses quatuors. Le romantisme français est
de retour. Est-il nécessaire de le dépoussiérer ? Tel n'est pas notre propos,
mais on peut dire qu'à l'écoute de ce quatuor, et par l'interprétation qu'en
donnent les Cambini-Paris, on ne peut qu'apprécier
cette initiative. Cette pièce sent bon la province, la campagne et respire la
bonne humeur. Dès le début, le violoncelle de Atsushi Sakaï donne au
premier mouvement une fluidité élégante, suivi par le violon de Julien
Chauvin ; puis c'est un dialogue entre l'alto de Pierre-Eric Nimylowycs et le violon de Karine Crocquenoy,
qui fait entendre un autre thème développé plus avant. Chaque pupitre va ainsi
dialoguer dans ce premier mouvement et le violoncelle interviendra de nouveau
dans le développement sur un thème secondaire. Le deuxième mouvement est
empreint de nostalgie et un dialogue entre le premier violon et le violoncelle
montre une grande expressivité. Le scherzo renoue avec le style viennois des débuts
de XIXème où chaque instrument intervient tour à tour. Quant au finale, il a
des accents folkloriques, d'une danse campagnarde trépidante. Au cours de
l'exécution de ce quatuor on a pu apprécier l'aisance et l'énergie qu'ont ces
quatre musiciens à vouloir nous faire partager leur plaisir de jouer cette
musique. Cette exécution a aussi été filmée.
Le disque des Quatuors de David a été édité chez Ambroisie et il est
magnifique.
Stéphane
Loison. Viva l'Opéra au Cirque d'Hiver! Fondé en 1996 par le chef d'orchestre
Jean-Philippe Sarcos, l'Académie de musique de Paris
propose aux jeunes des universités, grandes écoles et conservatoires d'étudier
et pratiquer ensemble la musique classique. Elle forme chaque année quelques
400 jeunes au sein d'un orchestre symphonique et d'un chœur de chambre. Ils
sont encadrés par des professionnels issus de l'Orchestre Le Palais Royal et de
l'Orchestre National de France. Depuis une dizaine d'année des concerts sont
organisés au Cirque d'Hiver. Sont visités l'opéra français, la musique
française, Offenbach, Mozart, Carl Orff et son célébrissime Carmina Burana, le Te Deum de Berlioz, le Requiem
de Fauré…Cette année, comme en 2008, était proposé un survol des chœurs dans
l'opéra italien, de Rossini à Mascagni en passant par Verdi, Puccini, Donizetti
et Cilea. Leurs plus belles et très célèbres pages
ont été interprétées par tous ces jeunes chanteurs et musiciens. La soprano
Catherine Manandaza et la basse Bertrand Gruenwald ont prêté brillamment leur concours pour chanter
« Casta Diva » de Norma de Bellini,
« Des Cieux où tu résides » de Moïse et Pharaon de
Rossini, « D'imenso
giubilo » de Lucia di Lammermoor
de Donizetti, « Oh chi piange »
de Nabucco de Verdi, et « Io son l'umile ancella » d'Adriana Lecouvreur de Cilea. La cantatrice a terminé en beauté avec « l'hymne pascal » de Cavalleria Rusticana
de Mascagni, qui a fait vibrer tout le public du cirque et qui a été bissé.
Bien sûr, des airs célèbres pour chœur ont été interprétés magnifiquement par
ces jeunes, extraits du Trouvère, de Rigoletto,
de Nabucco, de Madama Butterfly (son superbe chœur à bouches fermées) et de La
Traviata. Lumières, ambiance électrique et vibrante, jeunes qui s'éclatent
à plein poumon, tout cela montre une fois de plus le travail essentiel
qu'effectue Jean-Philippe Sarcos pour faire aimer la
musique. Inutile de dire que tout le monde chantait Mascagni en sortant du
cirque et qu'on aurait aimé être parmi ces jeunes gens enthousiastes qui sont
les amateurs des concerts de demain. Bien sûr, aucun représentant de la Culture
ou de l'Éducation nationale n'était présent, la télévision n'étant pas là pour
les remarquer ! Merci monsieur Sarcos pour votre
engagement, et aux organisateurs pour la qualité du programme papier, toujours
exceptionnel par ses commentaires et son iconographie. Du beau travail !Viva l'Académie de Musique ! Stéphane Loison. Math
& Musique à la Péniche Opéra Comme le dit Dominique Visse, l'Ensemble
Clément Janequin aime le théâtre musical. C'est ce qu'il a proposé à la Péniche
Opéra sous forme de conférence sur la structure musicale en accord avec les
mathématiques. La première partie du spectacle examinait de façon rigoureuse et
avec beaucoup d'humour les liens qui unissent la métrique poétique et la
métrique musicale à travers le chiffre clef de 12, qui est aussi bien
l'alexandrin que celui de la gamme chromatique occidentale. Les meilleurs
auteurs étaient convoqués : Ronsard, Racine, Proust, Alais,
Hallyday, Lapointe…et les meilleurs compositeurs du XVème au XXème siècle :
Dufay, Janequin, Monteverdi, Pauliau-Skoudt… A l'entracte, Damien Schoëvaërt,
biologiste et mathématicien, à l'aide de graphiques, nous parla des rapports
entre certaines zones du cerveau, le son et la musique. Puis le compositeur Tom
Johnson nous a régalé de ses curieux « Counting Laguages » où l'on compte jusqu'à 7 de diverses façons
et en diverses langues. En deuxième partie, l'Ensemble interpréta un florilège
hétéroclite et joyeux de chansons de toutes époques, dont le titre comporte au
moins un chiffre ; de « V'la mon numéro» de
Jean Daris, à « Nous sommes trois cents millions » de Ricet Barrier, hommage rendu aux
Frères Jacques. Le concert se termina par « Mille regrets de vous
abandonner » de Nicolas Gombert. Inutile de dire que ce spectacle était
d'une intelligence, d'une drôlerie – entendre le songe d'Athalie sur un air des
Demoiselles de Rochefort était surprenant, et cela fonctionne ! – et d'une
haute tenue musicale. L'Ensemble Clément Janequin s'amuse en chantant. Lorsqu'il
interprète Sestima de Claudio Monteverdi après
un « Couplet de la statistique » d'Offenbach, on a
la chair de poule tant la qualité du chant est superbe. La toute jeune soprano
Capucine Keller est venue se joindre aux autres chanteurs plus connus et ce fut
une révélation. On espère qu'elle pourra continuer avec eux ou voler de ses
propres ailes. Vincent Bouchot était le monsieur loyal de la soirée et nous a
bien amusé avec son discours sur la métrique et les
textes qu'il a lu. L'Ensemble est passé de Johnny Halliday, Boby
Lapointe à Philip Glass ou Nicolas Gombert avec un naturel qui montre l'aisance
qu'ont ses chanteurs. Quel travail et quel talent cela représente pour arriver
à une telle qualité artistique. Les Janequin sont toujours aussi stupéfiants
après 37 ans d'existence! Stéphane Loison. Un opéra
pour nous enfumer ! Xavier DAYER : Les
Contes de la Lune Vague après la pluie. Opéra de chambre en un prologue,
deux parties et un épilogue sur un livret d'Alain Perroux d'après le film de
Kenji Mizoguchi. Majdouline
Zerari, Luanda Siqueira,
Judith Fa, Benjamin Mayenobe, Carlos Natale, David Tricou. Ensemble Linea, dir. Jean-Philippe Wurtz. Mise en scène : Vincent
Huguet. Opéra Comique.
Cet opéra a été crée le 20 mars dernier à l'Opéra
de Rouen et a été donné pour deux soirées à l'Opéra Comique. Le 19 mai, le
Japon était présent avec son excellence l'ambassadeur du Japon en France S.E. M. Yoichi SUZUKI. Pourquoi nous
dire que c'est d'après le film ? Il y a un livre au départ que personne ne
peut lire peut-être dans la langue mais qui est un classique de la littérature
japonaise, écrit par Ueda Akinari (1734-1809). C'est un recueil de neuf contes.
Quel est l'intérêt de partir d'un film pour en faire un opéra ? Imaginons
Orson Welles partir de l'adaptation qu'a faite Verdi de Macbeth ou d'Othello,
ou Verdi partir de l'Otello de Rossini ?
Ils ont puisé à l'original, à Shakespeare. Où est Kenji Mizogushi
dans cette affaire ? Un effet marketing ? Pour la mise en scène, l'ombre
de Patrice Chéreau plane. C'est normal, car c'est son assistant et son
scénographe qui se sont mis à la tâche pour présenter cet opéra. On se retrouve
plus de trente ans en arrière dès le premier levé de rideau. Pourquoi commencer
par le visuel ? Et bien, c'est que la musique, elle aussi, nous projette
il y a trente ans. Aucune originalité dans l'écriture, rien qui ne dérange
formellement, c'est plat, c'est d'un ennui mortel. On l'écoute sans passion
aucune. Elle ne dégage aucune émotion, on se fiche du drame terrible qui se
déroule. Mizogushi nous transportait dans ce chef
d'œuvre. Là, on écoute d'une oreille distraite. Il paraît que c'est compliqué
de chanter ce genre d'œuvre. Strauss, Wagner, Verdi, Britten, Adès aussi, non ? On remarque la belle voix de la
mezzo Majdouline Zerari, la
sensualité juvénile Luanda Siqueira dans le rôle de la Princesse Wakasa, et celle de Judith
Fa (Ohama). Les deux rôles masculins,
Benjamin Mayenobe
(Genjuro) et le ténor Carlos Natale (Tobe) sont
correctement chantés. Quant à David Tricou, sa voix de haute-contre se joue du
défi des six rôles. On s'aperçoit que lorsqu'il a deux personnes à faire
« chanter » - on appelle cela un duo -, le compositeur a du mal à s'y
prendre et termine par les faire parler... Que dire du texte ? Il est d'une
platitude achevée. On a dû partir des sous-titres pour faire les dialogues.
Pour cacher le peu de créativité de cet opéra on nous a abondamment enfumé dans la salle. Il y avait longtemps que cela ne nous
était arrivé. La machine à fumée des spectacles de Rock fonctionne mieux ! Si
Xavier Dayer avait voulu vraiment s'inspirer de Mizogushi il aurait dû écouter des œuvres du compositeur Fumio Hayasaka, trop tôt disparu,
à 41 ans, qui a écrit la plupart des musiques pour le réalisateur, et celle
très connue des « Sept Mercenaires » de Kurosawa. Mais ce sont des
musiques pas assez absconses pour un compositeur contemporain. Ce qui fut le
plus agréable dans cette soirée, c'était l'After
offert par les champagnes Delamotte et son président
Didier Depond. Les invités qui avaient applaudi
poliment, parlaient plus, curieusement, du dernier spectacle fantastique à
l'Opéra Comique : Ciboulette, une musique magnifique de Reynaldo Hahn, un chef d'œuvre ! Voilà où nous conduit
la musique contemporaine ! Le dernier mot sera du metteur en scène
lui-même qui parlant de Genichi, lâche: « C'est de son silence que naissent peut-être
les mots et la musique des Contes de la Lune Vague après la pluie ».
Que les créateurs de cet opéra ne l'aient entendu !
Stéphane Loison. ***
L'ÉDITION MUSICALE
OPERAS
POUR ENFANTS Bernard
COL, musique, Cécile PRUNET, livret : La
nuit des korrigans. Opéra pour
enfants (chœur et solistes). Delatour : DLT2513. Il s'agit d'une œuvre
importante puisque la durée du spectacle est d'environ quarante-cinq minutes.
Un chœur d'enfant à une et deux voix, quatre rôles de solistes dont trois
adultes, et un soliste secondaire enfant se partagent les rôles.
L'accompagnement est prévu pour piano seul, mais un arrangement pour ensemble
ou orchestre peut être obtenu sur commande. L'argument est emprunté à
l'imaginaire breton : korrigans et Ankou (figure
de la mort) y jouent un rôle central. La musique est écrite dans un style
romantique auquel se mêlent des références à la musique française du début du
XX° siècle. Si l'œuvre a, évidemment, un côté très sombre, elle se termine
cependant « dans un climat musical de joie et de libération, sur l'air
traditionnel de la dérobée de
Guingamp ». Souhaitons que beaucoup d'écoles de musique et de collèges
se lancent dans cette aventure qui devrait être passionnante, d'autant que
l'ensemble ne comporte pas de grande difficulté. CHANT Madeleine
BLOY-SOUBERBIELLE : Deux
mélodies pour chant et piano. Delatour : DLT2417. Remercions Alexis Galpérine de nous faire découvrir ce diptyque de celle qui
était à la fois la fille de Léon Bloy et la femme d'Edouard Souberbielle,
grand organiste et professeur qui eut pour élèves entre autres Michel Chapuis,
André Isoir, Odile Bailleux… Madeleine Bloy Souberbielle était aussi une musicienne, élève de Vincent
d'Indy, dont le talent fut reconnu par Georges Auric, Francis Poulenc, et, bien
entendu, son mari… Le contraste entre les
deux poèmes est extrême : dans Demain
dès l'aube… Victor Hugo nous fais partager son cheminement vers la tombe de
sa fille. La babillarde d'Antoine de
Baïf est au contraire un poème léger,
bien dans la veine des poètes de la Pléiade. On aimera la délicatesse de
l'écriture de ces mélodies écrites en 1948 et qui méritent d'être chantées et
enregistrées rapidement. ORGUE Fernand
de LA TOMBELLE (1854 – 1928) : Jeanne
d'Arc. Suite d'épisodes symphoniques pour orgue. Delatour :
DLT2478. Remercions d'abord les
éditions Delatour de publier pour la première fois
cette œuvre monumentale d'un compositeur trop méconnu. Ce baron aux multiples
talents, compositeur, pianiste et organiste, pédagogue, écrivain, poète,
photographe, élève d'Alexandre Guilmant, Théodore Dubois et Camille Saint-Saëns
fut un des fondateurs de la Schola Cantorum où,
professeur d'harmonie, il comptera parmi ses élèves Déodat
de Séverac, Blanche Selva, Auguste Le Guennant… Cette
fresque sur Jeanne d'Arc est une œuvre monumentale puisqu'elle dure environ
trois quarts d'heure. Lors de la création, le 4 juin 1905, elle était intitulée
sur le programme « Poème symphonique de Jeanne d'Arc ». Reprenant
toute l'histoire de Jeanne grâce à deux thèmes principaux qui parcourent la
composition et à des motifs annexes, l'ensemble allie à la fois continuité et
diversité. Il faut aller lire sur le site de l'éditeur la présentation ainsi
que, dans la partition, la copieuse et passionnante introduction de celui qui a
réalisé cette première édition : J-Emmanuel Filet. Gabriel
FAURÉ :
Pelléas et Mélisande. Transcription pour orgue de Louis
Robillard. Delatour : DLT2134. On connait la qualité des
transcriptions pour orgue de ce
remarquable organiste et professeur. Les indications de registration et de
répartition des plans sont conçues pour un instrument à trois claviers, mais il
sera possible d'adapter en fonction de l'instrument dont on dispose, en
respectant cependant l'esthétique de ceux que Fauré à connus…Bref, c'est un
grand plaisir de pouvoir aborder ainsi ce répertoire. PIANO Wilhelm OHMEN :
Concert Favourites. Les
plus beaux bis et pièces de concert pour piano. Schott : ED 21827. Pièces originales et
arrangements se côtoient dans ce copieux volume : de Couperin à Reger et Rachmaninoff, les pianistes en mal de répertoire de courtes
pièces pour leurs récitals ne seront pas déçus. Une partie notable des
transcriptions sont celles de Franz Liszt, notamment pour Wagner. On voit à
quel niveau se situe ce volume… Aki TAKASE : 16 pièces pour piano. 1 vol. 1 CD. Assez difficile. Schott :
ED 21838. Les pièces de cette
compositrice japonaise ont comme particularité d'ouvrir explicitement à
l'improvisation. Elle en fournit les grilles, les outils. Le CD en présente des
exemples abondants. Issues du jazz et de
l'improvisation libre, ces pièces fourniront un abondant matériel et serviront
d'exemple pour libérer la créativité de l'interprète. GUITARE Didier
RENOUVIN : Passé (re) composé. Etudes
progressives pour guitare. Débutant à supérieur. Delatour :
DLT1823. A travers ces études,
c'est toute une vie et une expérience d'enseignement que l'auteur nous livre.
Beaucoup de ces études sont des hommages ou des clins-d'œil
à tel ou tel compositeur ou guitariste connus, ou encore des exercices de
styles. Bref il y a beaucoup de variété, de vie et de vraie musique dans ces
études qui ne négligent pas, bien évidemment, le côté technique. VIOLON Claude
PASCAL : Deux études-tableaux pour violon. Troisième cycle. SP0146. Sempre più : SP0146. Ces études sont, comme on
pouvait s'y attendre avec l'auteur, d'abord de la musique. La première,
« Au coin du feu », possède le caractère un peu nostalgique qu'on
attend d'un tel titre, mais il s'agit bien quand même de jongler, sans en avoir
l'air, avec les difficultés violonistiques, notamment dans les doubles cordes
et le contrepoint. Quant à la deuxième, « Folle chevauchée en
forêt », elle annonce bien la couleur et ne décevra pas les virtuoses en
herbe. Pierre
MISIKOWSKI : Un caprice ? pour violon et
piano. Fin de premier cycle. Lafitan : P.L.2889. Dans l'esprit de Paganini,
voici une bien réjouissante pièce, une sorte de thème
et variations qui mettra certes à l'épreuve les qualités techniques de
l'instrumentiste mais qui montrera aussi ses capacités expressives
d'interprétation. L'ensemble est brillant et plein de charme. L'auteur, en
choisissant ce titre, a-t-il pensé également à un autre caprice ? Horresco
referens… Sébastien
VILLERS : Faux ton pour violon et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2849. Do mineur ? Do
Majeur ? Outre les variations clairement affichées, la tonalité officielle
n'hésite pas à moduler avec hardiesse et grâce tout au long de cette œuvre
lyrique où pianiste et violoniste auront de quoi exprimer leur sensibilité. On
pourrait, bien sûr, interpréter le titre autrement… Kurt
et Christoph SASSMANNSHAUS : Violin recital album Première
position Vol. 1 et 2. Bärenreiter : BA 9668
& BA 9669. Compléments de la méthode
de violon des mêmes auteurs mais pouvant être utilisés indépendamment, ces deux
volumes renferment des pièces disposées par ordre de difficulté et avec leur
accompagnement de piano ou par un deuxième violon. De différents auteurs ou
extraites du folklore, ces pièces sont fort plaisantes et faciliteront les
débuts des jeunes violonistes. Certaines de ces pièces peuvent être visionnées
sur You tube. Jean-Sébastien
BACH : Air de la suite d'orchestre BWV1068 arrangé
pour violon seul par Roman Kim. Bärenreiter : BA
5140. Ce célèbre Aria aura décidément connu tous les
arrangements possibles jusqu'à sa transcription en do pour être joué sur la
corde de sol… Ici, c'est un véritable challenge que s'est imposé Roman Kim en
faisant de son violon un orchestre à lui tout seul. On pourra juger du résultat
sur You tube https://www.youtube.com/watch?v=BgAw93L9gG0
. Le respect pour l'œuvre est évident. Quant au résultat, assez convainquant il
faut le dire, il enchantera les uns et sera vilipendé par les autres. A chacun
son opinion… Francine
AUBIN : Légende finlandaise pour violon et piano. 2ème
cycle. Sempre più : SP0152. Cette légende nous raconte
une histoire passionnée, tantôt dansante, tantôt passionnée, dans un langage
qui ne peut pas ne pas faire penser à certaines pages de Grieg, sans pour
autant perdre de sa personnalité propre. Les jeunes interprètes devraient trouver
dans ces pages lyriques matière à mettre en valeur tout leur tempérament de
musicien. ALTO Jean
Sébastien BACH : Passion selon Saint
Matthieu, chorals pour quatre altos.
Arrangement : Jacques Borsarello. Fin 1er
cycle, début second cycle. Sempre più : SP0153. Jacques Borsarello avait déjà entrepris le même travail pour onze
chorals de la Passion selon Saint jean, et
nous avions dit dans notre lettre 78 de février 2014 tout le bien que nous
pensions de ce travail. Nous en diront autant aujourd'hui : les onze
chorals proposés ont été transcrits avec un soin scrupuleux. Et les élèves
tireront de leur fréquentation un profit inestimable. Lina
TONIA : Neuma pour
alto solo. Supérieur. Sempre più : SP0143. Il s'agit de l'œuvre
lauréate du concours de composition organisé par l'Association
Franco-Européenne de l'Alto dans le cadre du congrès Viola's
2014 (avril 2014, Paris). L'écriture est résolument contemporaine, faisant
appel à toutes les nouvelles techniques de l'instrument. On appréciera l'expressivité et la poésie de la
pièce de cette jeune compositrice grecque qui a déjà à son actif un grand
nombre d'œuvres de premier plan. VIOLONCELLE Frédéric
BORSARELLO : Kit d'échauffement à l'usage des violoncellistes. Sempre più : SP0156. Le contenu, parfaitement
conforme au titre, consiste en une série d'exercices d'échauffement qui seront
certainement appréciés par les violoncellistes même si l'auteur avoue
modestement qu'il y a d'autres possibilités. On appréciera le côté méthodique
et systématique utilisé pour chacune des deux mains du violoncelliste. C'est un
très utile outil de travail. HAUTBOIS Paul
STERNE : Prélude pour hautbois et piano. Facile. Delatour : DLT2287. La mention
« facile » risque d'induire en erreur. Certes, cette œuvre ne demande
pas de grands moyens techniques, mais c'est avant tout une musique riche par
ses harmonies délicates, son lyrisme, son caractère méditatif et parfois un peu
champêtre. C'est avant tout de la très
belle musique qu'on pourra écouter intégralement sur le site de l'éditeur. CLARINETTE Claude-Henry
JOUBERT : Rondeau hongrois pour clarinette avec accompagnement de
piano. Fin de 1er cycle. Lafitan :
P.L.2883. Cette pièce dans le style
hongrois est fort agréable et permet au clarinettiste de montrer toutes ses
qualités à la fois de technique et d'expression. Les indications portées sur la
partition permettent une interprétation raisonnée de l'œuvre. Comprendre de que
l'on joue, n'est-ce pas le soubassement de l'interprétation ? C'est en tout
cas, (mais qui en douterait ?) de la fort bonne musique. Rémi
MAUPETIT : Santiago pour clarinette et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2871. Voici une pièce qui
balance joliment et ne devrait pas manquer de succès auprès des élèves et des
auditeurs. Différents aspects se succèdent, dont un fort joli
« cantabile » en do mineur à la fois lyrique et un brin mélancolique.
L'atmosphère est bien celle suggérée par le titre. André
TELMAN : Star de scène pour clarinette en sib et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2829. Cette jolie star oscille
avec charme dans une tonalité fluctuante. Nous avons souvent dit combien il
était difficile d'écrire de la bonne musique pour débutant : André Telman y réussit parfaitement, comme à son habitude. Paul
STERNE : Soliloque pour clarinette seule. Fin de second
cycle. Delatour : DLT2512. C'est une jolie pièce à
l'aspect un peu mystérieux qui mettra en valeur les qualités tant technique que
musicale du jeune clarinettiste. On peut écouter la pièce intégralement sur le
site de l'éditeur. SAXOPHONE Max
MÉREAUX :
Vent du Nord pour saxophone alto et piano.
Préparatoire. Lafitan : P.L.2451. On
entendra sans difficulté le vent souffler sur la plaine. On pourrait aussi
évoquer « Colchiques dans les prés », chanson tirée du recueil Vent du Nord
de Francine Cockenpot, qui n'est pas,
comme on le croit souvent, tirée du folklore, et toutes les mélodies inspirées
par ce thème. A la fois mélancolique et évocatrice, la pièce de Max Méreaux ne laissera pas indifférent. Si c'est une pièce
pédagogique par destination, c'est d'abord l'œuvre d'un compositeur à la
musique attachante ; de la musique, tout simplement. Charles BALAYER : Amusette, Ah musette pour quatuor de saxophones. Moyen/avancé.
Delatour : DLT2302. Quelle
jolie valse-swing ! Composée primitivement pour accordéon, elle sonne
admirablement pour ce quatuor de saxophones. Après un intermède introductif,
répété régulièrement, se déroulent des « chorus » qui se développent
de huit en huit mesures. L'ensemble est joyeux, mais toujours avec ce brin de
mélancolie du style « musette ». C'est en tout cas très réussi !
BASSON Alexandre
OUZOUNOFF : Marco Polo l'avait bien
dit pour basson et piano. Deuxième
cycle. Sempre più : SP0104. S'agit-il de l'explorateur
ou de la série télévisée ? Peu importe. La pièce est pleine de dynamisme.
Piano et basson dialoguent à part égale dans un mouvement haletant avec de
temps en temps des « poco più lento » qui aèrent le discours. Il
y a donc beaucoup de dynamisme dans un langage atonal et harmonieux. TROMPETTE Bruno
CAMPORELLI : Alla Haydn pour trompette en ut ou sib (ou cornet ou bugle) et piano.
Deuxième cycle. Sempre più : SP0107. Cette pièce comporte deux
courts mouvements dans le style de Haydn, fort agréables à entendre mais qui
demandent au trompettiste beaucoup de précision dans le phrasé et l'expression.
L'allegretto, notamment, demande une vélocité certaine mais qui ne devra pas se
faire aux dépens de la finesse et de la musicalité. Gérard
LENOIR : Jean qui rit et Jean qui
pleure pour trompette ou cornet ou
bugle et piano. Fin de premier cycle. Lafitan :
P.L.2791. Le titre est tout un
programme : différentes ambiances sonores se succèdent, qu'il faudra
traduire par les sonorités de l'instrument. Il y a donc beaucoup de variété
dans cette musique tantôt primesautière, tantôt lyrique. L'ensemble est d'une
bien agréable fantaisie. COR Pascal PROUST :
Bye-bye ! pour 4 cors en fa. Fin 1er
cycle. Sempre più : SP0155. Nous laisserons aux
exécutants et aux spectateurs la surprise finale de cette pièce pleine de
bonhommie. Disons seulement qu'on pense à l'andante de la symphonie « Les
adieux », ce que sous-entend d'ailleurs le titre. C'est en tous cas plein
d'humour et de bonne humeur et devrait mettre une joyeuse ambiance dans des
auditions d'élèves. SAXHORN/EUPHONIUM/TUBA René
POTRAT : La boite à images. Pièce en cinq mouvements pour saxhorn
basse, / euphonium / tuba et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2950. Il s'agit d'une vraie
petite suite aux visages divers mais qui ont un point commun :
l'importance du piano en général et de son dialogue avec le partenaire. Ce sont
donc cinq courtes images (l'ensemble ne dure pas plus de trois minutes trente,
qu'il faudra faire sortir de leur boite, le tout dans un langage tout à fait
moderne, mélodiquement et rythmiquement. MUSIQUE
DE CHAMBRE Thierry
PALLESCO : Sortilèges pour quatuor à cordes. Moyenne
difficulté. Delatour : DLT2351. Trois mouvements pour ce
quatuor. Le premier, Vivace, après quatre mesures battant la pulsation, est
entièrement construit sur une succession ininterrompue de croches jusqu'à
quelques mesures de la fin. On a l'impression d'une sorte d'envoutement. Le
court deuxième mouvement est un Lento en
valeurs longues et très lyrique. Quant au troisième mouvement, on y retrouve le
rythme lancinant du premier mouvement, parfois décliné en doubles croches, avec
des envolées semblables à des fusées. On y retrouve toutes les qualités
expressives et musicales de cet organiste et compositeur dont on pourra écouter
sur You tube les compositions pour orgue. Thierry
PALLESCO : Prélude pastoral et
fugue pour piccolo, hautbois et
cordes. Moyenne difficulté. Delatour :
conducteur DLT2350 – matériel DLT2350E. Il s'agit d'un
septuor : au piccolo et au hautbois se joint un ensemble à cordes au
complet. Piccolo et hautbois font de courtes interventions qui ponctuent le
discours des cordes. On connait le côté « pastoral » de ces deux
instruments. L'ensemble possède les qualités musicales des œuvres de ce compositeur-organiste
plus connu pour ses œuvres pour orgue. C'est vraiment de la belle
musique ! Jean-Jacques
WERNER : Ils s'appelaient Pierre et
Paul. Elégie pour Violon solo, Alto
solo & orchestre à cordes. Solistes et réduction piano. Delatour :
DLT2444. Conducteur : DLT2443. Cette œuvre est un
« Hommage aux combattants de la Grande Guerre 14-18 » Ecrite en 2013,
elle a été créée à Nancy le 17 mars 2014. Cette pièce poignante s'inscrit bien
dans le regard que nous portons aujourd'hui sur cette période de l'histoire.
L'auteur cite en conclusion de son œuvre cette phrase du prêtre et poète
allemand Séverin-Anton Averdonk : « Un
monstre vint, surgi des abîmes de l'enfer, il grandit entre le ciel et la
terre, et ce fut la nuit ». Que dire de plus ? Gérard
HILPIPRE : Symphonie de chambre pour 7 instruments solistes. Assez
difficile. Delatour : DLT2411. Il s'agit de la réécriture
en 2014 d'une œuvre écrite en 1987. Les sept instruments sont une flûte, une
clarinette (alternant avec la clarinette-basse), violon, alto, violoncelle,
piano et percussions. L'œuvre est constituée de cinq sections qui s'enchaînent.
Chacune offre un paysage différent, en contraste avec le précédent, onirique,
lyrique, contemplatif… Il y a donc beaucoup de poésie et de charme dans cette œuvre
passionnée. Jean-Charles
GANDRILLE : Près des fleuves de
Babylone pour violon et orgue.
Difficile. Delatour : DLT2477. Cette œuvre est inspirée
par le Psaume 136, dont on ne retient souvent que la première phrase
« Près des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous
souvenant de Sion. » Mais ce chant du peuple juif déporté à Babylone
contient aussi des accents terribles : si la danse est présente aussi dans
ce psaume, c'est en souvenir de Jérusalem ; et le dernier verset exprime
toute la soif de vengeance des déportés : « Fille de Babel, la
dévastée, heureux qui te rend la pareille, le mal que tu nous as fait ! Heureux
qui saisit tes enfants, et les écrase sur le roc ! ». Tout cela se
retrouve dans cette œuvre tendue, haletante, à la fois pleine de nostalgie et
de brutalité.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Juliette AUBRUN, Catherine BRUANT et alia (dir.) : Silences et bruits du Moyen-Âge à nos jours. Paris, L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2015, 189 p. – 19, 50 €. Sous-titré : « Perceptions, identités sonores et patrimonialisation », cet ouvrage collectif réunit des communications présentées par douze intervenants, en 2012, lors d'une rencontre à l'Université de Saint-Quentin-en-Yvelines et à l'Institut National de l'Audiovisuel. Ils proviennent d'horizons très variés : musicologie et ethnomusicologie ; organologie, acoustique et informatique musicales ; histoire médiévale et contemporaine ; environnement sonore, urbanisme et architecture ; lexicographie et linguistique ; archéologie et ethnologie… La diversité des approches autour de la manifestation des phénomènes sonores marquant notre identité s'est avérée complémentaire. En fait, cette confrontation internationale, placée sous le signe de la méthodologie, a pour dénominateur commun l'omniprésence et la diversité du sonore. Le débat n'est pas neuf ; il avait déjà été amorcé dès 1966, pour le bruit, par Pierre Schaeffer, dans son Traité des objets musicaux, puis, en 1977, Jacques Attali (Bruits) ; pour la perception de la musique, dès 1958 par Robert Francès, Michel Imberty, entre autres… Au cours des décennies, il s'est élargi à la perception du bruit par opposition au silence examinée dans la longue durée : depuis l'époque médiévale jusqu'à nos jours et associée à une dimension sociétale affectant, dans les années 1980, l'évolution de la notion d'effet sonore. Les douze auteurs abordent non seulement les « sons de la nature », le « paysage sonore près du Danube », les « rumeurs et bruits », le « son du quotidien en Tunisie »…, mais encore, en plus des sons, les silences en fonction des « zones calmes ». Ils en précisent les définitions et caractéristiques à partir de la judicieuse confrontation de Dictionnaires anciens et récents. Ils démontrent aussi que le calme — opposé à la notion de bruit — peut avoir une portée négative (p. 101). Ils attirent l'attention sur le « calme excessif » et posent la question : « le calme est-il vraiment synonyme de silence ? » (p. 105), donc sans bruit et sans excitation. Ils rappellent que l'agitation est physique et le calme, associé à la campagne, à la nuit… En considérant l'environnement sonore urbain au cours du temps, ils dégagent diverses conceptions gravitant autour du calme et quelques critères (p. 110) permettant d'identifier les zones calmes assurant le bien être. Les lecteurs seront intéressés par la « restitution du passé sonore » antérieur au XIXe siècle qui peut être réalisée grâce à des témoignages d'archives, en examinant les sons du lieu (villes, champs de bataille…) ou encore en tenant compte des phénomènes atmosphériques et météorologiques, des conditions de propagation du son, de la qualité de la trame sonore des matériaux (p. 154 sq). Toutes ces considérations, étayées de descriptions de situations sonores, sont complétées par des témoignages vécus et dotées d'une Bibliographie spécialisée (avec uniquement des titres français). Depuis la fin du XIXe siècle, l'évolution des progrès techniques favorisant la captation du son a largement facilité les investigations en général et la perception de la musique et du sonore en particulier, ainsi que la compréhension de l'« archéologie du paysage sonore » : une nouvelle discipline en plein essor.
Édith Weber.
« Cahiers de conversation de BEETHOVEN (1819-1827) » traduits et présentés par Jacques-Gabriel PROD'HOMME. Édition révisée par Nathalie Krafft. Paris, BUCHET-CHASTEL, LIBELLA (www.libella.fr ), 2015, 448 p. – 23 €. Cette nouvelle édition — révisée et introduite par Nathalie Krafft — remet à la disposition des musicologues et amateurs francophones ces documents (indisponibles depuis un demi-siècle) illustrant les dernières années de la vie de Beethoven. À partir de 1818, atteint de surdité, l'écriture était alors son seul moyen de communiquer avec son entourage, par le jeu de questions et de réponses. Ces Cahiers uniques en leur genre ne se rattachent à aucune catégorie littéraire codifiée : à la fois autobiographie, propos parfois inattendus, réactions prises sur le vif, réflexions diverses replaçant — au jour le jour — l'homme et le compositeur dans son époque historique et politique, également dans son aparté et son intimité. Ils signalent ses lectures et ses goûts, et l'ensemble constitue une authentique approche de la vie artistique et musicale au début du XIXe siècle. Au fil des pages et des années, les lecteurs seront renseignés sur ses problèmes familiaux : tutelle et éducation de son neveu Karl, ses tentatives de suicide, son départ à l'armée ; sur ses efforts compositionnels et l'élaboration, par exemple, de la Missa solemnis, sur la reprise de Fidelio en 1822, ou encore sur ses préparatifs de concerts, sans oublier les scènes de ménage, les problèmes financiers et de chauffage… Ils découvriront ses fréquentations : son maître, le violoniste et chef d'orchestre Ignaz Schuppanzigh ; son éditeur Breitkopf et Härtel ; l'un de ses premiers biographes, Anton Schindler ; les noms de son médecin, de ses amis (Antonie et Franz von Brentano, Stephan Breuning et son fils Gerhard), mais aussi de personnalités telles que le Prince Franz Ludwig Hatzfeld, le Comte Moritz Lichnowski... Beethoven s'intéresse aux œuvres de Georg Friedrich Haendel, Franz Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Schubert, Carl Czerny, Ignaz Moscheles (nombreuses lettres)… ; aux écrits de Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Lord Byron, Franz Grillparzer, par ailleurs auteur de son Oraison funèbre (pour ses obsèques, le 29 mars 1827) et, bien entendu, de Johann Wolfgang Goethe, ainsi qu'aux philosophes et théoriciens antiques ou anciens : Sophocle, Aristote, Zarlino... L'histoire événementielle est aussi relatée, par exemple l'assassinat du Duc de Berry en 1820. Grâce à une foultitude de renseignements et de précisions, ces Cahiers mettent en scène le musicien au quotidien, avec des aspects insoupçonnés et révélateurs de sa forte personnalité. Ces notations représentent donc en quelque sorte une psychanalyse du personnage. Trois Index : Œuvres citées par genre, Œuvres citées par numéro d'opus, Noms cités et deux Annexes : Principaux interlocuteurs de Beethoven, Chronologie augmentent encore la richesse informative du livre : à lire « en zig zag », pour une approche écrite et circonstanciée du musicien et de son temps.
Édith Weber.
Jacinthe HARBEC, Marie-Noëlle LAVOIE et alia : Darius Milhaud, compositeur et expérimentateur. Paris, VRIN (www.vrin.fr ), Collection MusicologieS, 2014, 286 p. – 30 €. Darius Milhaud (1892-1974), « Français de Provence et de religion israélite », — auteur d'une œuvre prolifique (443 numéros d'opus), largement diffusée, contemporain de Maurice Ravel, Charles Koechlin, Oswaldo Guerra — a très largement contribué au rayonnement international de la musique française. Toutefois, certains aspects de sa forte personnalité et de son esthétique restent encore à découvrir. Jacinthe Harbec et Marie-Noëlle Lavoie ont regroupé onze études et réuni un important corpus documentaire inédit : lettres (Pierre Monteux), correspondances (Milhaud-Guerra), affiches (concert, Salle Chopin, 27 avril 1936 ; Chorégies à Orange, 1936…), programmes de concerts (Galerie Montaigne, Saudades do Brazil, 22. 11. 1920…), portraits, exemples musicaux… D'une manière générale, les auteurs privilégient les œuvres moins connues composées pour la voix, la scène, le ballet et même le cinéma (film Espoir). Ils tiennent compte des contextes esthétique et sociopolitique des « Années Trente », autour de la politique culturelle du Front Populaire et des nouvelles technologies apparues vers 1930 : radio, disque et film. Pour Darius Milhaud, le cinéma sera un objet de démonstration. Vers 1937, les traditions musicales régionales (Suite provençale, Esther de Carpentras…) et le chant de masse seront mis en valeur. Ces onze articles brossent, en fait, un éloquent tableau du milieu musical en France et du milieu artistique au Brésil, pays pour lequel le compositeur français avait une prédilection particulière et où il comptait de nombreux amis (Niniha et Oswaldo Guerra, entre autres). Au fil des chapitres, à l'appui d'une remarquable documentation assez neuve, les lecteurs et amateurs de Darius Milhaud — qui n'a pas encore révélé tous ses secrets — seront renseignés notamment à propos de la structure formelle de L'homme et son désir ; de ses harmonisations de chansons (Magali et Se Canto) ; de sa mise en valeur des traditions régionales, sources d'inspiration d |