Lettre d’Information – n°71 – Juin 2013



 

 

                               


À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

                     

4, 5, 6, 7, 10, 12, 13, 21 / 06

 

Le « Sacre » dans tous ses états !

 

                                             

 

La création mouvementée du Sacre du printemps, le 29 juin 1913, restera dans les annales du Théâtre des Champs-Elysées comme un symbole de la vocation artistique du théâtre de l’avenue Montaigne. Ce moment, celui-ci le fera revivre, en cette année de centenaire, de diverses manières avec plusieurs concerts, plusieurs orchestres, plusieurs chefs. Après les versions scéniques du Théâtre Mariinski / Valery Gergiev (fin mai), et du Tanztheater Wuppertal / Pina Bausch, les 4, 5, 6, 7 juin 2013, ce seront au tour des chefs de livrer leur vision personnelle de cette œuvre emblématique du XXe siècle :

 

Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestral, le 10 juin 2013,

Daniele Gatti et l'Orchestre National de France, le 13 juin 2013,

Yannick Nézet-Seguin et l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam, le 21 juin 2013.

On pourra entendre encore une version pour piano à quatre mains, dans le cadre du concert de Prades au Champs-Elysées, le 12 juin 2013.

 

Renseignements et Location : concerts à 20 H, TCE, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris. Tel. : 01 49 52 50 50 ;  www.theatrechampselysees.fr

                                                                                                                                                                    

Patrice Imbaud.

 

 

 

11, 12, 15, 16 & 23 / 06

 

Quelques incontournables du Festival de Saint-Denis

 

 

Au Festival de Saint-Denis, on mise sur la jeunesse et le talent, ce dernier allant bien des fois avec. Et deux lieux dont la beauté et l'originalité ont fait depuis des années la réputation de cette manifestation prisée, aux portes de Paris. Ainsi de la star montante de la direction d'orchestre, Jérémie Rhorer, qui à la tête de son Cercle de l'Harmonie, donnera Le Christ au Mont des Oliviers. Contemporain de la Symphonie Héroïque, cet oratorio transcende un épisode biblique essentiel par une musique ..Rhorer ajoute à cette pièce la Symphonie Jupiter de Mozart, dont on appréciera, nul doute, la verve assurée. Le lendemain, et toujours dans la Basilique cathédrale, quatre violoncellistes se partageront l'affiche pour les Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach et les Suites que Benjamin Britten a composé pour le même instrument. Le rapprochement est instructif car Britten, en écrivant ces pièces pour Slava Rostropovitch, s'est plu à rendre hommage à son illustre prédécesseur. Ces pièces qui figurent parmi les chefs d'œuvre de leur auteur fourmillent d'inventions, tout comme les Suites du Cantor.

 


© DR

 

Au Palais de la Légion d'Honneur, à deux encablures de l'église des Rois de France, Gautier Capuçon et Gabriela Montero livreront un programme original, faisant jouxter Beethoven, Mendelssohn et Grieg. Nul doute que le réfléchi celliste et la bouillonnante pianiste, protégée de Martha Argerich,feront sauter les verrous de la virtuosité pour une approche/ subtile de ces pièces contrastées. La rare Sonate de Grieg, en particulier, devrait ravir les amateurs de découvertes et de belles mélopées. Le 16 juin, les Concertos Brandebourgeois, morceaux de culture s'il en est, revivront dans l'interprétation du Concerto Köln, sûrement pas académique, car ces musiciens jouant sans chef, sont d'éminents spécialistes de l'art de ..

 


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Enfin, le 23 juin, toujours en ce même lieu intimiste, le pianiste Adam Laloum et la violoniste Fanny Clamagirand feront équipe dans un « joint recital », allant de Brahms à Paganini, et de Saint-Saëns à Prokofiev. Le grand écart ? Pas sûr avec des solistes de la trempe de ces deux là ! ….Là encore le triomphe d'une jeunesse plus que prometteuse, de talents/ déjà auréolés de gloire.  

 

Basilique de Saint-Denis, Palais de la Légion d'Honneur : concerts à 20 H 30 ( 17 H, les 16 et 23  juin).  

Location : 16, rue de la Légion d'Honneur, 93200 Saint- Denis ; par tel. : 01 48 13 06 07  (pour les collectivités et les groupes : 01 42 43 46 28) ; www.concertclassic.com et www.fnac.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

11 / 06

 

Campra et Charpentier à Notre-Dame

 

Deux chefs-d'œuvre du style baroque français sont réunis en une même concert, nouvelle étape de « Musique sacrée à Notre-Dame de Paris », à l'occasion des célébrations des 850 ans de la cathédrale. De la douleur pleine d'espérance du Requiem de Campra (1732) à la joie exultante du Te Deum de Charpentier (c.1690), le public est convié à goûter à une grande variété d'affects, portés par les rythmes de danses omniprésents. Le motet polyphonique Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, composé pour célébrer une victoire de Louis XIV, et bien connu pour son prélude instrumental « Marche en rondeau », devenu indicatif de l'Union Européenne de radio télévision, requiert le chœur, huit solistes et un petit ensemble instrumental. André Campra, qui fut Maître de musique à Notre-Dame de Paris de 1694 à 1700, écrivit à partir de 1695 de nombreux motets. Sa Messe des morts, en sept parties, est empreinte d'une sereine gravité. Ces deux pièces seront interprétées par la Maîtrise, le Chœur et l'Orchestre de Notre-Dame de Paris, sous la direction de Lionel Sow.

Notre-Dame de Paris, le 11 juin 2013, à 20 H 30.

Location : par tel : 01 44 41 49 99 ; contact@msndp.com  ou http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article268

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

20 / 06

 

Pénélope ou l'unique opéra de Fauré

 


© DR

 

Parmi les festivités de sa saison inaugurale de 1913, Gabriel Astruc présenta Pénélope, l'unique œuvre que Fauré offrit à la scène, pourvue d'une distribution éclatante, menée par Lucienne Bréval, inspiratrice du projet. Le compositeur vieillissant y consent un retour à la déclamation lyrique lulliste, favorisant un style arioso, sorte de conversation musicale, et fait montre, comme toujours, d'une suprême veine mélodique. Le traitement musical sied à cette noble trame mythologique, empruntée à l'Odyssée d'Homère, à cette tragédie hautement symbolique de la passion humaine sur les rives d'Ithaque, conçue pour des interprètes hors normes, comme le début du XX eme siècle savait en aligner. Quoique sévère, car l'action y est parcimonieuse, il s'épanouit dans le registre intimiste, par une instrumentation transparente/diaphane. Tout sauf wagnérienne, l'approche diffère de Debussy et de son Pelléas et Mélisande (1902), réaction de classicisme contre le symbolisme, comme elle est à l'opposé du naturalisme et du pittoresque cultivés par un Gustave Charpentier et son roman musical Louise (1900). Pour sa saison centenaire, le Théâtre de l'avenue Montaigne se devait de redonner à cette partition rare son éclat original, si pas scéniquement, du moins en version de concert. Ce sera chose faite avec Anna Caterina Antonacci dans le rôle titre, en dernier lieu illustré par Régine Crespin, et Roberto Alagna, Ulysse, en tête d'un cast de haut vol.

 

Théâtre des Champs Elysées, le 20 juin 2013, à 20 H.

Location : 15, avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tél.: 01 49 52 50 50 ; theatrechampselysees.fr 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

28, 29 & 30/ 06

 

VIII ème Festival Les pianissimes 

 

 

Le festival annuel de l'association Les Pianissimes se déroulera à Saint-Germain au  Mont d'Or, joli village «  les pieds dans l'eau, la tête dans la verdure », sis dans la grande banlieue lyonnaise, à quelque 30 ' du centre de la Cité de Gaules. Les sept concerts, et les deux ateliers pédagogiques, se donneront dans le théâtre de verdure du parc du domaine des Hautannes (avec repli, en cas d'intempéries, sur l'église du village). De jeunes pianistes talentueux s'y produiront : Anna Fedorova, le 28 juin (20H30) dans un programme Beethoven Liszt et Moussorgsky, après avoir animé un atelier, le même jour (10 H & 14H) autour des Tableaux d'une exposition ; puis Natacha Kudritskaya, avec Rameau, Debussy, Crumb et Beethoven (le 29/6, à 18 H),  David Bismuth et l'ensemble Agora, le 30/6, à 18H, qui joueront Franck, Alkan, Saint-Saëns et Mozart (quintette K 452 pur piano et vents ), enfin Frank Braley, invité d'honneur de cette édition, pour une soirée, le 30/6, à 20H30, sur le thème de l'Espagne (Albeniz, Debussy et de Falla) et de la Rhapsody in blue de Gershwin. Un concert de jazz sera donné le 29, à 20 H30, par le Snuny Side Quartet, pour un spectacle intitulé L.O.V.E. en hommage à Nat King Cole.

 

Domaine des Hautannes, 33, rue du 8 Mai 1945, Saint-Germain au Mont d'Or, 69650.

Location : 5, rue des Hautannes, 69650, Saint-Germain au Mont d'Or ; par tel : 06 03 12 14 29 ou 06 61 71 24 19 ; www.lespianissimes.com

         

Jean-Pierre Robert.

 

 

29/ 06

 

Sumi Jo au Châtelet

 


© DR

 

Retour attendu de la cantatrice Sumi Jo, pour un récital au Châtelet. La chanteuse coréenne, qui prépare un nouvel enregistrement de Norma, aux côtés de Cecilia Bartoli, dans lequel elle tient, paradoxalement, le rôle d'Adalgisa... dans une version dite originale, ne s'était plus produite à Paris, et sur cette même scène, depuis la production de Nixon in China. Son programme, des plus éclectiques, s'articule, en trois pôles, autour des baroques, Purcell, Bach Haendel, Vivaldi, puis des français, Fauré, Hahn et Debussy, et enfin des espagnols : Turina, Rodrigo, Obradors, et Villa Lobos. Pour se conclure avec Mahler et Rachmaninov ( Vocalise ). Elle fera équipe avec le pianiste Jeff Cohen, dont on sait la beau toucher et le plaisir d'accompagner la voix.   

 

Théâtre du Châtelet, le 26 juin, à 20 H 30.

Location : 17, avenue Victoria, 75001 Paris ; par tel. : 01 40 28 28 40 ; www.chatelet-theatre.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Et les Festivals de l'Été...

 

 

Le Festival de Radio France et Montpellier (11 – 25 / 07)

 

 

Fidèle à sa manière et sa réputation, le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon présente une programmation à la fois audacieuse et grand public. Audacieuse, parce qu'un des axes est la découverte d'œuvres peu connues ; grand public, puisque les quatre cinquièmes des concerts sont gratuits, les autres restant à des tarifs fort abordables. Plusieurs lignes de force se partageront cette quinzaine festive. « Musique et pouvoir » est l'occasion d'une évocation musicale des présidents américains, dont John Fitzgerald Kennedy et l'oratorio Mass de Leonard Bernstein (11/7), commandé au compositeur par sa veuve Jackie, et créé en 1971, et des pièces de Copland et de John Adams ; tout autant que de la figure de Napoléon, à travers des œuvres emblématiques, telle l'Héroïque de Beethoven (21/7, direction de Bernard Haitink), mais aussi des pièces délaissées, comme l'opéra que Giordano livrera en 1915, Madame Sans-Gêne (19/7), ou l'opéra-comique de Benjamin Godard, La Vivandière, une quasi re création, où l'on voit le général Bonaparte héros d'une comédie légère et sentimentale (24/7, direction de Patrick Davin). Autre temps fort, la « Séquence Violon » est l'occasion d'entendre un panel d'interprètes de la jeune génération, Aisha Orazbayeva, Michael Barenboim, Alexandra Soumm, comme le virtuose assoluto, et décidément omniprésent, Renaud Capuçon. Le thème « Méditerranée » est exploré, cette année, par Christina Pluhar qui emmènera son public dans une odyssée sur toutes les rives de Mare Nostrum (17/7), et par le contre-ténor Max Emmanuel Cencic, qui fera revivre les grandes pages des opéras vénitiens (23/7).

 

 


Le Corum / © Luc Jennepin

 

Aux côtés des solistes de stature, tels que les pianistes Evgeny Kissin (en soliste et en trio avec avec Silvia Marcovici et Alexander Kniazev, 15/7), Bertrand Chamayou et Jean-Frédédric Neuburger (22/7), et des chefs renommés, comme François Xavier Roth (12/7), Tugan Sokhiev (16/7), Paul Mac Creesh et Myung-Whun-Chung (concerts de clôture du 25/7), les formations de Radio France au grand complet égaieront les nuits montpelliéraines. Il ne faut pas sous-estimer les concerts de musique de chambre quotidiens, à 18H, ou les matinées des jeunes solistes, à 12H30. Et les concerts de jazz, au Domaine d'O, les musiques électro, les films, et les débats. Car, il y en a pour les goûts de chacun dans ce foisonnant festival en Languedoc. Une innovation, encore : des concerts dans les hôtels particuliers de la Région, à Agde, Pézénas, Beaucaire, Castelnaudary et Montpellier, exceptionnellement ouverts au public.

 

Opéra Berlioz/Le Corum, Opéra-Comédie, et autres lieux : du 11 au 25 juillet 2013.

Programme détaillé et location : Festival de Radio France et Montpellier,  CS 79912  34960 Montpellier Cedex 2 ; par tel. : 04 67 02 02 01 ; par mail : billetterie@festivalradiofrancemontpellier.com ; ou www.festivalradiofrancemontpellier.com 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Musique à l'Emperi (28 / 07 – 8 / 08)

 

 

Niché entre Aix et La Roque d'Anthéron, Musique à l'Emperi, dans la ville fortifiée de Salons-de-Provence, offre la quintessence de la musique de chambre. Ses concepteurs, le pianiste Eric Le Sage, le flûtiste Emmanuel Pahud, et le clarinettiste Paul Meyer, concoctent, chaque été, un florilège de soirées choisies/, dans le cadre intimiste de la cour du château de l'Emperi, en soirée, et de l'église du lieu, en amuse bouche de choix/. L'originalité est le schéma dit à géométrie variable, qui réunissant, chaque fois, de dix à quinze musiciens, permet une programmation à priori illimitée. L'esprit de convivialité et une simplicité toute décontractée distinguent encore ce festival, décidément pas comme les autres : plus que le plaisir de faire de la musique ensemble, celui de faire partager des œuvres rares, dénichées par ces messieurs au gré de leurs tournées, de leurs projets musicaux de leurs rencontres. Et ils ont un large carnet d'adresse, puisque deux d'entre eux sont directement issus du Berliner Philharmoniker, et le troisième est un pianiste habitué à côtoyer les sommités musicales. Ils seront entourés d'une pléiade de talents neufs, venant des grands orchestres européens, ou solistes internationaux. Entre le 28 juillet et le 8 août, ce sont une vingtaine de concerts d'exception, qui mettront à l'honneur Poulenc, comme Ravel, Franck, Cras, Taffanel, Pierné ou Debussy, mais aussi CPE. Bach, Mozart ou Schubert ; Jolivet, Veress, Rota, Martinu, Guillaume Connesson ou Michael Jarrell encore.

 


© Nicolas Tavernier

 

Une place est donnée à la création à travers des commandes et la présence d'un compositeur en résidence. Enfin, « Marseille-Provence 2013 » oblige, plusieurs concerts et ciné-concerts gratuits feront revivre une Méditerranée multi culturelle, rapprochant notamment musique et cinéma : une improvisation à l'orgue, par Thierry Escaich, sur le film Ben-Hur, de Fred Niblo (1925), ou le compositeur israélien Ohad Ben-Ari revisitant La Strada de Nino Rota.  

 

Église Saint-Michel de Salons-de-Provence, Place Saint-Michel, et cour du château de l'Emperi, Montée du Puech, du 28 juillet au 8 août 2013, respectivement, à 18 H et 21 H.

Programme détaillé et location : billetterie, Théâtre municipal Armand de Salons-de-Provence, 67, boulevard Nostradamus, 13300 Salons-de- Provence ; par tel :  04 90 56 00 82 ;  info@festival-salons.fr   www.festival-salons.fr

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Festival Musique et Nature en Bauges (10 / 07 – 23 / 08)

 

 

Le pays des Bauges, en Savoie, entre les deux lacs d'Annecy et du Bourget, offre l'écrin choisi d'un festival pas comme les autres, Musique et Nature, unissant la beauté des sites naturels à la production musicale ; un bel antidote au poison de l'esprit de crise, selon son Président. Cette 15 ème édition sera, comme toujours, centrée sur la musique de chambre, et proposera des formations de renom, Trio Wanderer (10/7), Quatuor Prazak (27/7), et des solistes pas moins fêtés, les pianistes Yury Marynov ( 8/8) et Pascal  Amoyel (18/8), le celliste Henri Demarquette (17/7) ; mais aussi sur la musique baroque, dont elle offrira la fine fleur des interprètes, dont les Arts Florissants (23/8). A ce propos, une autre ligne de force se fait jour, cette année, autour de la thématique des musiques mariales, du 11 au 16 août, avec entre autres, Europa Barocca (11/8), Sigiswad Kuijken et sa Petite Bande (15/8), et le Concerto Kön (16/8). Autre point fort, la présence de François René Duchable, le 29/7, dans le concerto de Schumann, dirigé par Philippe Bender, à la tête de l'Orchestre de Cannes Provence Alpes Côte d'Azur, formation en résidence. Ces concerts se donnent dans de ravissantes et avenantes églises de la région du Parc des Bauges, naturellement généreux, fier de son identité montagnarde et de son patrimoine culturel impressionnant. Ce que mettent en exergue des animations avant et après concert, au fil de visites guidées de sites et autres balades écologiques

 

Du 10 juillet au 23 août, à 21 H ( sauf 21/7 et 18/8 :17 H), dans les églises de Viuz-la-Chiesaz, Saint Felix, Châtelard, Notre Dame de Chambery, Doucy-en-Bauges, Rumilly, Saint-Pierre de Faverges, Curienne, Le Montcel, Saint-Jean-de-la-Porte, Arith, Lescheraines, Bellecombe-en-Bauges, et divers églises d'Annecy.

Programme détaillé et location : Association Musique et Nature, Mairie, 73630 Le Châtelard ; par tel :  04 79 54 84 28 ; festival@lesbauges.com   www.musiqueet nature.fr

 

Jean-Pierre Robert.

 

   

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L’ARTICLE DU MOIS

 

Haut

 

Górecki et Penderecki : Éléments de comparaison

 

         Henryk Górecki et Krysztof Penderecki sont nés la même année, en 1933. C'est simultanément qu'ils se sont fait connaître du public très spécialisé des concerts d'avant-garde. En 1958, sont écrites deux œuvres de Penderecki et Górecki portant le même titre : Epitafium. Puis 1961 voit la création des Trois Diagrams pour flûte solo de Górecki1 et de Thrène de Penderecki2. Enfin, tous deux ont composé en 1963 des œuvres intitulées Trois Pièces dans le style ancien. Quoique frappantes, ces coïncidences ne révèlent pas grand chose d'essentiel. Le sens que Penderecki donne à "ancien" dans ses Trois Pièces renvoie à une période baroquisante regorgeant d'artifices, là où Górecki puise son inspiration dans une Renaissance beaucoup plus épurée.

        

         Après avoir exploré et synthétisé librement les principales techniques musicales de leur temps (sérialisme, clusters, etc.), Górecki et Penderecki ont aussi, à peu près simultanément, éprouvé la nécessité de réintroduire dans leur langage des éléments plus traditionnels, en tout cas plus directement perceptibles par l'oreille. Ce progressif "retour à la tonalité" a également touché - quoique dans une moindre mesure - des compositeurs comme Berio, Ligeti ou Stockhausen3. Cependant, le post-modernisme a été moins radical chez Penderecki que chez Pärt, Kancheli, Silvestrov et, comme on va le voir, Górecki. Néanmoins, les évolutions stylistiques de Górecki et de Penderecki, depuis la fin des années cinquante, ont été proches, au point que l'on a eu vite fait, en se fiant à des similitudes de générations comme de préoccupations esthétiques, de résumer la nouvelle École polonaise en Andrzej Panufnik et Witold Lutoslawski d'une part, Górecki et Penderecki de l'autre.

 


Henryk Górecki / © DR

 

Dressons un portrait de la situation de la création musicale à la fin des années cinquante. Les différents courants modernistes ont le vent en poupe un peu partout en Europe - notamment en France, en Italie et en Allemagne - et le sérialisme intégral séduit une bonne partie des compositeurs. Comme un certain nombre de musiciens, Górecki et Penderecki ont subi l'influence du sérialisme, mais de façons à l'évidence très différentes. Au début, l'engagement de Górecki paraît plus profond. Entre 1957 et 1961, dans des œuvres comme Diagram, Scontri et la Première Symphonie, il applique le sérialisme aux hauteurs et aux autres paramètres. Et, à vrai dire, il n'abandonnera pas le sérialisme du jour au lendemain : on trouve encore des résidus de pensée sérielle dans la manière dont les matériaux extraits de sources datant des XIVe et XVIe siècles sont traités dans une œuvre aussi tardive que l'opus 24, Muzyka staropolska (1969)4. Mais, bien que sans doute plus fidèle aux principes sériels à ses débuts que Penderecki, Górecki est, des deux compositeurs, celui qui par la suite réagira le plus violemment à l'orthodoxie sérielle. On sait que le sérialisme prône la non-répétition. Or, un des traits caractéristiques du style du Górecki de la maturité est d'insister au contraire sur la répétition, et ce jusqu'à l'obsession. Par ailleurs, ce style implique une quête de la simplicité, à l'opposé des constructions cérébrales des sériels pour qui la complexité est assurément une valeur en soi.

 

         Quant à Penderecki, si l'on considère sa production musicale autour de 1960, on voit que le sérialisme y est utilisé comme moyen, non comme fin esthétique. On en rencontre des éléments comme principe de construction, mais dans un nombre d'œuvres relativement restreint. Aussi, lorsque le compositeur s'en éloigne, la réaction reste mesurée. En fait, la puissance créatrice de Penderecki vient essentiellement de son instinct dramatique. Et il n'hésite pas à avoir recours à l'effet, non pas au sens d'une "musique d'effets", mais bien plutôt en ce qu'il recherche, avec une approche instinctive, quels seront les effets sur l'auditeur de tel ou tel procédé. Les moyens qu'il utilise à cet égard ont parfois été éprouvés par des siècles et des siècles de création musicale : Penderecki "prend son bien où il le trouve". Il pourra ainsi avoir recours à une conception du rythme stravinskienne, à un sens polyphonique à la Bach, à une série dodécaphonique dans l'esprit des Viennois, à une construction timbrique à la Varèse, à des glissandos et des nuages de sons à la Xenakis, de même qu'il pourra s'approprier une chanson populaire ou une ligne mélodique héritée du chant grégorien. Si bien qu'on s'est parfois demandé qui, le premier, de Ligeti, Xenakis ou Penderecki s'était lancé dans la recherche d'une continuité dans le déplacement des masses sonores. A vrai dire, l'antériorité importe peu dans la mesure où les trois compositeurs ont apporté des réponses personnelles à la question. Malgré les apparences, même Anaklasis ne nie pas les schèmes d'écoutes façonnés au cours de l'évolution de la musique occidentale : l'œuvre se réfère directement à l'habitus de la musique symphonique romantique, un peu comme si sa gestuelle pure nous était présentée "figée" dans l'espace musical. C'est là une manière générale de se référer constamment à la tradition sans jamais la citer explicitement. Bref, qu'il s'agisse de chefs-d'œuvre du passé, d'un chant populaire ou bien d'allusions stylistiques plus vagues, Penderecki considère le matériau dont il s'empare moins comme une simple référence ou un hommage que comme le prétexte à une collusion fertile entre des "minerais" historiques et un matériau non marqué par l'histoire. Il y a, de ce point de vue, chez lui quelque chose de très stravinskien.

 


Krysztof Penderecki / © DR

        

         Au fur et à mesure des variations de son imagination, les besoins stylistiques de Penderecki se sont modifiés. Du Stabat Mater, de 1962, au Paradis perdu de la fin des années soixante-dix, il s'est détourné du sérialisme et du sonorisme pour se rapprocher de la tradition romantique et y puiser de nouvelles sources d'inspiration. Un romantisme assez large puisqu'en matière d'orchestration, on repère aussi bien l'influence de Berlioz que celle de Messiaen. C'est, entre autres, le ton brucknérien de la Seconde Symphonie, ou encore la Passacaille et l'Adagio des Troisième et Quatrième Symphonies. Mais, en même temps, une œuvre comme Le Masque noir s'inscrit dans le sillage expressionniste, qui correspond assez aux sujets parfois lugubres que Penderecki choisit volontiers. Ainsi, l'instrumentation du Masque noir rappelle Richard Strauss par endroits. Cependant, un rapide coup d'œil jeté sur sa production la plus récente (Deuxième Concerto pour violon, Les Sept Portes de Jérusalem) révèle un Penderecki qui, sous les apparences d'une musique extravertie, sait aussi pratiquer l'introspection. Même si son langage semble s'être construit par absorption d'influences étrangères successives5, sa personnalité suffisamment forte et indépendante a su conserver à sa musique une touche éminemment originale.

 

         Si Penderecki, typiquement, a fonctionné par accumulation progressive, Górecki, à l'inverse, s'est détaché progressivement des scories de l'Histoire. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le mécanisme des références chez ce compositeur : qu'il utilise un matériau archaïque dans les Trois Pièces dans le style ancien ou dans Muzyka staropolska, qu'il fasse référence à une Mazurka de Chopin dans la Troisième Symphonie, au Quatrième Concerto de Beethoven dans Récitatifs et Ariosos, c'est toujours avec la plus grande désinvolture. Significatif de la différence du traitement des emprunts chez les deux musiciens polonais est l'exemple du chant de Noël de Franz Xaver Gruber Stille Nacht. Citée par Penderecki dans sa Deuxième Symphonie, la mélodie de Gruber prend un sens tout à fait autre : elle est comme isolée et individualisée, puis sujette à un travail compositionnel. Chez Górecki6, au contraire, l'auditeur profane pourrait très bien ne pas se rendre compte que la citation est hétérogène au matériau.

 

         On pourrait éventuellement s'interroger sur les raisons qui ont fait que la notoriété des deux compositeurs a suivi des chemins différents. Cela tient sans doute plus à des questions de tempérament ou d'occasions que de talent musical. Penderecki se déplaçait toujours là où sa musique était jouée, Górecki non. Penderecki écrivit une œuvre pour l'inauguration d'un monument à Auschwitz en avril 1967, Górecki non7. Penderecki a donc été connu du public mélomane beaucoup plus tôt que son compatriote. Ses œuvres ont été abondamment jouées et ont fait l'objet de nombreux enregistrements, tant en Pologne qu'à l'étranger. Sa carrière de chef d'orchestre, à partir des années soixante-dix, a sans doute facilité les choses. Pendant ce temps, Górecki restait dans une relative obscurité. Au début des années 1990, le coup d'éclat de l'enregistrement par Nonesuch de sa Troisième Symphonie l'a, à son grand étonnement, porté d'un coup sur la scène médiatique. Au-delà d'un simple succès d'un jour, cette subite notoriété a eu le mérite de révéler un talent différent mais au moins égal de celui de Penderecki.

 

Karol Beffa*.

 

 

 

*Compositeur et pianiste, Karol Beffa, agrégé et docteur en musicologie, est Maître de conférence depuis 2004 à l'École Normale Supérieure. Il a été nommé titulaire de la chaire de création artistique au Collège de France pour l'année 2012/2013. 

 

1 Un an plus tard, les membres de l'Orchestre Philharmonique de l'Etat de Silésie interprètent la deuxième pièce du tryptique Genesis, "Canti Strumentali".

2 Après avoir obtenu un prix de l'UNESCO à Paris, l'œuvre a eu sa première à Varsovie au festival de 1961, sous la baguette de Markowski.

3 Voir Mike Searby : "Ligeti the Postmodernist?", Tempo, janvier 1997.

4 L'œuvre a beau s'inspirer de structures pré-tonales très anciennes, la subtilité de la pièce réside dans la façon dont Górecki contrôle les divers blocs sonores à travers leurs relations et leurs interactions.

5 Ainsi, dans le Masque noir, lorsqu'il intègre dans ses partitions des extraits de chorals évangéliques comme le Aus tiefer Not.

6 La mélodie est citée dans le deuxième quatuor à cordes, Quasi una Fantasia.

7 Sollicité, Górecki aurait suggéré le nom de Penderecki dans la mesure où lui-même pensait ne pas pouvoir terminer l'œuvre à temps. Cité par D. Drew : "Górecki's Millions", in The London Review of Books, octobre 1994.

 

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Jean-Marc Quillet, membre du Katrami Duet, présente son nouveau disque Notre histoire de la musique occidentale*.

 

 

Jean-Marc Quillet, parlez-nous du Katrami Duet.

 

Emmanuel et moi avons emménagé à peu près simultanément rue des Quatre Amis, à Rouen, avec nos épouses. C'était... à la fin du siècle précédent. J'avais déjà joué avec son père, Louis Thiry, un éminent organiste, un artiste profond et lumineux, à l'occasion de concerts d'improvisation. Tout d'abord, au Conservatoire à Rouen, dont Louis est professeur honoraire, lors de mes études, avec le GRIMC (Groupe de Recherche et d'Improvisation Musicale Collective) animé par Jacques Petit, professeur d'écriture, d'harmonie et de composition. Dans ce même Groupe se trouvaient Élise Caron et Patrick Bismuth, par exemple. Plus tard, j'ai retrouvé Louis, toujours à l'occasion de concerts d'improvisation, mais cette fois-ci organisés par Antoine Hervé, récemment libéré de la direction de l'Orchestre National de Jazz. Nous nous retrouvions sur scène avec Jacques Di Donato, Yves Robert et Laurent Dehors. La rencontre avec Laurent Dehors fut déterminante puisque je joue avec lui depuis cette époque. Je connaissais Emmanuel mais je n'avais jamais joué avec lui. Lorsque nous découvrîmes que nous étions voisins, l'idée de jouer en duo est venu spontanément. Emmanuel m'a permis de mieux connaître le jazz et m'a fait faire d'indéniables progrès en musique. Ses connaissances - outre son prix de contrebasse d'Aubervilliers, il a un prix d'analyse du CNSM - ont enrichi mon jeu et ma pensée à chacune de nos séances de travail. Et en concert, bien entendu.

 


© DR

 

Comment est née l’idée de votre CD Notre histoire de la musique occidentale ?

 

Il y a quelques années, le directeur du conservatoire d'Yvetot, Didier Beloeil, nous a sollicité pour présenter une histoire de la musique (nous avons précisé « occidentale » plus tard) en concert. Manu a établi un programme sur lequel nous sommes restés à peu de différences près. Il a aussi eu l'idée de l'émailler de formules, de déclarations diverses et de mots historiques plus ou moins bons, concernant les compositeurs que nous jouions. Après Yvetot, nous avons joué ce programme plusieurs fois en Normandie, au Conservatoire de Rouen et ailleurs. Grâce à l'invitation de Jean-Paul Odiau, nous avons pu le présenter aussi au Conservatoire d'Annecy. Chaque fois, ce qui n'aurait pu être qu'une pochade ou un laborieux succédané musical, se goûtait comme un véritable moment d'art. Nous avions plusieurs projets de CD auxquels ce programme s'est joint petit à petit. Et lorsque nous sommes entrés en studio, en décembre 2011, c'est ce programme qui l'a emporté. Nous l'avons d'ailleurs encore approfondi durant cette session d'enregistrement.

 

Dans l’Aria de Jean-Sébastien Bach, les quatre voix du Katrami ont bien des timbres différents (vibraphone, contrebasse, sifflet asthmatique et dou-dou). Dans le livret, vous affirmez les réaliser en concert à deux ?

 

C'est exact, nous le faisons. Emmanuel joue la voix de basse à la contrebasse, et chantonne en « dou-dou » la voix de ténor. Je joue la voix d'alto au vibraphone et siffle la voix de soprano. Si mon sifflet est asthmatique, c'est que je ne sais faire autrement. Et nous faisons ainsi en concert. Manu a tout de suite pensé qu'il fallait faire suivre la Badinerie de cette aria. L'idée des quatre timbres est venue très rapidement. C'est de toute évidence iconoclaste. Néanmoins, personnellement, j'apprécie toute la « dramaturgie » qui émane de cette coloration non homogène et permet d'entrer en contact avec les différentes voix de la composition.

 

L’humour en musique, existe-t-il ? Edgard Varèse était persuadé du contraire.

 

C'est une question délicate. Je suis enclin à penser comme Varèse. Un son n'a pas de caractère comique ou tragique en lui-même. Et, sans doute, l'émotion ne naît-elle qu'à la réception, à l'audition de ce son, pas à son émission. On ne peut pourtant nier un certain esprit dans la musique. Certes, il est souvent lié à un programme, à une idée littéraire, qui n'est pas strictement musicale. Mais à l’écoute de la Tartine de beurre de Mozart au piano ou du Duo des Chats de Rossini, un sourire apparaît chez les auditeurs sans qu'aucune explication préalable n’ait été donnée. Cela est plus complexe, mais je pense qu'il y a un jeu théâtral fort au niveau de l'entrée du soliste dans les concertos. Chez Mozart, quelquefois, cela tient de la commedia dell'arte. Il y a de quoi développer une thèse.

 

Dans la "Surprise Symphony" de Haydn, vous caricaturez l’accent comique du mouvement lent ?

 

Oui. Plaidons coupable. Nous avons cédé à la potacherie adolescente. Ce qui a retenu notre attention ici, est le gag que Haydn a imaginé dans sa Symphonie N° 94, dite précisément, pour cette raison, « La Surprise ». Haydn avait remarqué qu'une partie de l'auditoire sombrait dans la somnolence ou la rêverie inattentive lors des concerts. Aussi inscrivit-il un accord tutti et fortissimo à la reprise pianissimo du thème dans le second mouvement de la symphonie. Nous sommes nous-mêmes marqués par Spike Jones et Hoffnung, et nous avons voulu ajouter notre trait à cette galerie de caricatures. Nous avons également pensé que cette plage marquerait une respiration dans l'écoute du CD, un peu comme la tradition du « trou normand » dans un repas copieux.

 

Ständchen de Schubert à la contrebasse, il fallait l’oser !

 

Oui, c'est vrai. Ce n'est pas la seule pièce pour laquelle nous avons franchi des caps de liberté dans ce disque. Comme tous les étudiants, nous avons été formés dans un respect fort vis à vis du grand répertoire. Mais notre fréquentation du jazz et de l'improvisation nous offre des perspectives neuves et nous désinhibe. Avec l'idée de « l'histoire de la musique occidentale », nous nous sommes intéressés au matériau mélodique, harmonique, formel, etc... comme si nous avions affaire à des standards de jazz. Manu souhaitait jouer ce lied de Schubert et improviser sur la « grille » que le compositeur nous offre. Il aurait été dommage de s'en priver. Au fond, c'est sans aucun doute l'accès que nous nous sommes offerts de pouvoir fréquenter la musique qui nous était interdite d'interprétation à cause des instruments que nous pratiquons, la contrebasse et le vibraphone en l'occurrence, qui a motivé l'ensemble de ce projet. Nous espérons simplement que cette licence et cette recherche de plaisir puissent trouver un public qui accepte et admet cette fantaisie.

 

Le rap musicologique, c’est votre idée de musicologue ou celle d’Emmanuel Thiry ?

 

Dès que nous avons fondé le duo, nous avons commencé à vouloir faire un rap solfégique. Celui-ci s'est formé laborieusement durant de nombreuses répétitions. Nous l'avons enregistré de manière « acoustique », tel que nous l'interprétons sur scène, dans notre premier CD. Depuis, nous voulions lui redonner une couleur plus adaptée à cette expression. Manu a apporté l'exercice de lecture de notes d'Alain Weber, éminent professeur au CNSM de Paris, et j'ai extrait deux courts passages de Penser la musique aujourd'hui de Pierre Boulez. Chose remarquable, nous avons l'autorisation écrite des deux intéressés pour l'utilisation de leur travail afin de faire notre rap. Quelque chose comme des documents historiques. Dans l'enregistrement actuel, nous nous sommes beaucoup amusés à produire la rythmique uniquement avec des sons vocaux et des bruits de bouche.

 

 

Pourquoi terminer par 4’33’’ de John Cage ?

 

Cage c'est pour ouvrir la porte à une époque et des modes de composition que nous n'avions pas explorés dans les autres plages. 4'33'' pour terminer par un vertige aussi. Un gag, peut-être, mais surtout une plage métaphysique. Une histoire qui termine par un silence, mais un silence métré.

 

Propos recueillis par Ziad Kreidy.

 

* CD paru chez le label TDM

 

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FOCUS SUR LA MUSIQUE NOUVELLE

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Récit littéraire et pensée symphonique dans les œuvres de Kaija Saariaho sur des textes d’Amin Maalouf

 

 

Kaija Saariaho (*1952) a composé plusieurs œuvres sur des textes d’Amin Maalouf : trois opéras, L’amour de loin (2000), Adriana Mater (2005), et Emilie (2008), un oratorio, La Passion de Simone (2006), ainsi que quatre chants, Quatre instants(2002), pour soprano et piano et pour soprano et orchestre (2002), œuvre dédiée à la chanteuse Karita Mattila, qui sera par la suite la protagoniste d’Emilie. On peut définir L’Amour de loin comme un « poème opératique », « Operndichtung » (par référence, bien sûr, au poème symphonique, « symphonische Dichtung »). Adriana Mater, par contre, est conçu en tant que « drame musical » avec une dimension éthique explicite. La Passion de Simone développe la pensée symphonique dans le contexte d’un oratorio comportant plusieurs stations ou arrêts, tandis que l’opéra Emilie effectue la synthèse de différentes stratégies opératiques dans le contexte d’un monodrame symphonique scénique.

 

I. L’opéra en tant que collaboration

La recherche compositionnelle de Kaija Saariaho de la dernière décennie semble fortement marquée par l’intérêt pour le genre de l’opéra. Au départ, la compositrice n’envisage même pas d’écrire d’opéra. « Au début de ma carrière, confiait-elle lors d’une récente interview, l’opéra était quelque chose de dépassé, poussiéreux et superficiel. Mais quand je suis venue à Paris, j’ai vu beaucoup de productions qui m’ont impressionnée. Et l’opéra qui m’a vraiment bouleversée, c’était Don Giovanni de Mozart dans la mise en scène de Peter Sellars, en 1989. A ce moment j’ai réalisé que l’opéra pouvait être compris comme une collaboration d’artistes venant de différents horizons et, de ce fait, devenir quelque chose de vraiment passionnant. »1

 


Kaija Saariaho / © DR

 

L’idée de la collaboration de Kaija Saariaho avec Amin Maalouf ne vient ni de la compositrice, ni de l’écrivain, mais de Gérard Mortier, à l'époque directeur artistique du Festival de Salzbourg. « J’avais lu ses livres et je les avais aimés », dit la compositrice, « mais je n’avais jamais pensé qu’il pouvait être librettiste. Et lui non plus, d’ailleurs.»2 Et A. Maalouf : « Je n’aurais jamais pris l’initiative de me lancer dans l’écriture de livrets d’opéras et je n’aurais jamais eu, probablement, l’occasion de rencontrer des compositeurs et de travailler avec eux. Mais cette rencontre, dont les parrains étaient Gérard Mortier et Peter Sellars, a été pour moi un moment très beau et très fécond dans mon parcours. Et je le verrai toujours comme un chemin parallèle à celui que je fais. »3

 

Pour son premier opéra, L’Amour de loin, Kaija Saariaho a déjà le sujet en tête, à partir de La Vida du troubadour du XIIe siècle Jaufré Rudel. Elle imagine un opéra selon le schéma de Don Giovanni, avec 5 personnages, et commence à collaborer avec Jacques Roubaud, qui renonce au projet par la suite. C’est dans les discussions avec Peter Sellars et Amin Maalouf, sollicités par Gérard Mortier, que Saariaho précise progressivement son opéra en le centrant autour de ses trois protagonistes, Jaufré, Clémence, et le Pèlerin, outre le chœur. Par la suite, la compositrice est quelque temps convaincue que L’Amour de loin resterait son unique opéra. Mais les nouveaux projets ne tardent pas.


© DR

 

Le deuxième opéra, Adriana Mater, naît dans la continuité du travail avec Amin Maalouf, à la suite du succès de L’Amour de loin. Cette fois-ci, il s’agit d’un projet à deux : C’est Maalouf qui propose la thématique de la guerre, de la violence, tandis que Saariaho avance la thématique féminine de la maternité. « Tous les deux, on avait une idée et à partir de cela, c’est Amin qui a construit l’histoire. On en a beaucoup parlé, échangé, mais la totalité est venue de lui »4. Et pour Amin Maalouf : « Pour Adriana Mater, c’était plutôt moi qui ai proposé le sujet, inspiré par diverses situations de guerre que j’avais vécues et que j’avais observées dans le monde. L’atmosphère mentale d’Adriana Mater, c’est plutôt la guerre dans l’ancienne Yougoslavie, mais, bien entendu, il y avait aussi mes propres réminiscences du Liban. Il y avait aussi des éléments qui venaient d’elle : l’idée de l’enfant, de la mère qui sent la présence d’un enfant à l’intérieur de son corps, l’idée de deux cœurs qui battent simultanément, une expérience spécifiquement féminine, maternelle. Je dirais que c’était une rencontre entre deux sensibilités. »5

 

L’idée de l’oratorio La Passion de Simone vient de Peter Sellars. Kaija Saariaho est attirée par le personnage de la philosophe Simone Weil qu’elle lit depuis sa jeunesse. Elle est fortement impressionnée par son ouvrage La pesanteur et la grâce6, le seul traduit en finnois à l’époque. Lors des répétitions pour L’Amour de loin, à Salzbourg, la compositrice est très surprise de voir que Peter Sellars apporte des livres de Simone Weil dont il discute avec les interprètes. L’idée de collaboration sur ce sujet commence à faire son chemin. « J’étais en train d’écrire Adriana Mater et imaginer un autre opéra quand j’étais en train d’écrire un, c’était trop lourd pour moi. Donc j’ai dit : c’est impossible, imaginons autre chose, quelque chose qui n’ait pas d’aspects scéniques. » C’est comme cela que ça a commencé. Donc l’idée était de Peter, mais ça avait mûri pendant plusieurs années. »7 Et A. Maalouf de préciser : « Pour La Passion de Simone, moi je suis venu en troisième, parce que Kaija et Peter m’en ont parlé. Je connaissais très vaguement Simone Weil et je me suis plongé dans sa vie et son œuvre avec passion. C’est devenu La Passion de Simone, sa passion comme son chemin de croix, en fait. Simone Weil était aussi une imitatrice de la passion du Christ. C’est un aspect du personnage : je dirais que ça correspondait à ce que Kaija voulait. »8

 

Enfin le monodrame Emilie vient à la suite des Quatre instants (2002) que Kaija Saariaho a écrit pour la chanteuse Karita Mattila. Après l'avoir vue sur scène interprétant le rôle de Leonora dans Fidelio de Beethoven, Saariaho commence à penser à une œuvre-monodrame autour du personnage d’Emilie de Châtelet, découvert dans l’ouvrage d’Elisabeth Badinter Madame du Châtelet, Madame d’Epinay ou l’ambition féminine au XVIIIe siècle9. Au départ, elle souhaite composer une œuvre vocale en monologue pour Karita Mattila avec électronique et partie visuelle : une œuvre juste pour la chanteuse avec un environnement technologique fort. Mais, après la commande venue de l’Opéra de Lyon, la compositrice modifie son projet initial. Au début, le librettiste Amin Maalouf ne connaît pas vraiment le personnage d’Emilie du Châtelet, c’est à la demande de Kaija Saariaho qu’il commence à s’y intéresser, faire des recherches, étudier les sources et élaborer le livret.

 

II. Un livret pour l’opéra

La collaboration avec Kaija Saariaho est la première expérience de librettiste pour Amin Maalouf : « c’est une expérience totalement à part dans mon parcours et mon premier réflexe, c’était de voir comment écrit-t-on un livret. »10 Maalouf en lit plusieurs, celui de Don Giovanni, bien sûr, des livrets de Brecht et beaucoup d’autres. Dans la plupart des cas, l’écrivain est déçu : « J’ai eu le sentiment que souvent dans des opéras avec des musiques extrêmement belles, les livrets sont souvent plats. Et j’ai eu la conviction qu’il ne fallait pas du tout s’inspirer des contenus des livrets. Il fallait apprendre à partir de la base. Et moi, je me suis mis à apprendre vraiment comment on écrit un livret d’opéra. Ce qui a été utile, c’était de voir comment c’était fait : c’est comme un couturier qui défait une robe pour voir comment elle est faite. Et en lisant un certain nombre de livrets, j’ai compris comment il fallait procéder. »11.

 

En toute humilité, le grand écrivain mondialement connu, prix Goncourt de 1993 pour son roman devenu très célèbre Le rocher de Tanios, se met à l’apprentissage. « La chose principale que j’ai retenue c’est que, contrairement à quand on écrit un roman, il faut écrire en pensant qu’il y a une musique qui vient. Donc on ne dit pas tout pour qu’il y ait de la place pour la musique. On écrit plutôt des demi lignes, des demi vers plutôt que des lignes et des vers. Et quand on se met dans cet état d’esprit, ça vient plus facilement. Je me suis assez vite adapté à cela. Parce que j’ai compris dès le début que c’était quelque chose de complètement différent et je n’ai pas essayé d’écrire les livrets comme j’écris des romans. C’est un univers différent, c’est différent, évidemment, des choses que j’écris d’habitude qui sont des romans, des essais. C’est différent aussi du théâtre, même s’il y a une certaine parenté. C’est différent de la poésie, même s’il y a une certaine parenté. C’est quelque chose qui se situe entre la poésie et le théâtre, mais qui aussi, par certains côtés, va au-delà. »12

 

III. Le livret-récit construit en tant que totalité

Le livret de Maalouf est donc théâtral et poétique à la fois. Il laisse de l’espace-temps à la musique et, en même temps, construit un récit. De son étude technique des livrets d’opéra, le grand romancier Maalouf retient la nécessité de construire un récit : différemment, bien sûr, du roman, mais aussi différemment des récits de la tradition de l’opéra. Il s’agit d’un récit en scènes opposées, en stations, en visions, en rêves ou souvenirs, mélangeant parfois passé, présent et futur, mais traçant toujours le cheminement orienté, directionnel d’un récit qui devient facteur de contrainte dramaturgique spécifique pour le compositeur et, simultanément, facteur de lisibilité fortement souhaitable pour l’auditeur. Le récit poétique dans les livrets de Maalouf est toujours un tout construit, une totalité fermée et cohérente. « Un texte littéraire, une œuvre est toujours un tout. Il faut que le tout existe pour que chaque partie ait un sens. Une fois que c’est terminé, on peut prendre un extrait, parce qu’on sait où cet extrait se situe dans le tout. Mais il n’y a rien de plus frustrant que de voir un extrait sans savoir dans quel cadre il est écrit. »13 Maalouf raisonne donc comme un compositeur fidèle à la grande tradition forte du fonctionnalisme formel sous-jacent à la pensée symphonique : l’œuvre en tant que totalité fermée et cohérente repose sur un schéma global et sur la mise en séquence directionnelle de fonctions formelles inhérentes au récit littéraire et à l’énonciation narrative proprement musicale.

 

 

IV. Un nouveau symphonisme opératique

Pour son premier opéra L’Amour de loin, Kaija. Saariaho trouve, dans l’histoire fascinante du troubadour Jaufré Rudel, présenté à partir d’éléments de sa Vida (Biographie) et de ses poèmes, ainsi que d’autres sources historiques, le sujet rêvé d’un opéra sur l’amour et la mort : un sujet très banal, d’après la compositrice, effectivement habituel pour le genre de l’opéra, probablement à cause du fait que la musique permet d’approcher au plus près les plus grands mystères de l’existence humaine. L’œuvre de Saariaho n’est pas un opéra d’action, tout en reposant sur un récit. Il donne à voir et entendre, sous forme de récit musical-scénique, l’histoire troublante du troubadour Jaufré Rudel, qui rappelle nécessairement le mythe de Tristan et Iseut. L’opéra de Saariaho ne représente pas d’actions scéniques. Il est constitué de 5 actes, de 5 stations, ou d’un prélude orchestral suivi de 13 scènes agissant comme des poèmes musicaux (ou comme des poèmes symphoniques avec parties vocales) : au XIIe siècle, en Aquitaine, à Tripoli et en mer, toujours en route vers l’autre14. Les 13 scènes de ce « Stationendrama » (drame des stations)15,,  à l’intérieur de la vie intense des sentiments, sont construites exclusivement sous forme de monologue ou de dialogue. Ce sont des scènes statiques, sans événements scéniques16, où la musique se charge de la mise en évidence sonore des moindres détails dans l’évolution des sentiments, dans la vie émotionnelle intense : du désir, de l’espoir, de la joie, du désespoir, de l’indignation, de l’amour apaisé de loin.

 

Le deuxième opéra, Adriana Mater, en 2 actes et 7 scènes, traite aussi de la problématique de l’altérité : cette fois-ci non pas de la relation à l’altérité en tant qu’élan irrésistible vers l’autre, extérieur et lointain, mais de la relation à l’altérité en tant que caractéristique inhérente à l’être humain et qui peut mener à la violence meurtrière et à la catastrophe irréparable. L’action dramatique est concentrée autour de quatre personnages : Adriana, sa sœur Refka, Tsargo et Yonas, le fils. Le contenu, beaucoup, plus sombre que celui de L’Amour de loin, engendre une œuvre très dramatique : le poème lyrique contemplatif cède la place, ici, au vrai drame, et l’écriture compositionnelle devient nécessairement plus dure, plus incisive, plus violente, pour exprimer la brutalité des événements et la force des sentiments. Les lignes mélodiques mélismatiques et raffinées de L’Amour de loin deviennent ici des lignes mélodiques syllabiques, plus âpres et fortement individualisées. Dans cet opéra, la compositrice attribue un rôle organisateur très important au rythme : c’est précisément le langage rythmique extrêmement actif, une nouveauté dans le travail compositionnel de Saariaho, qui permet de mettre en évidence de la façon la plus adéquate la violence de l’action et les tensions dramaturgiques extrêmes. Les textures orchestrales et chorales, très détaillées et différenciées, contribuent considérablement à la force suggestive du déroulement musical et scénique. Le chœur, qui n’est jamais présent sur scène, est doté d’une fonction plus abstraite que dans L’Amour de loin17. Les voix chorales sont ici souvent conçues en tant que prolongements spatio-temporels ou effets échos des voix des protagonistes.

 


Emilie à l'Opéra de Lyon / © DR

 

Le monodrame Emilie est une sorte de portrait symphonique-opératique de la protagoniste Emilie du Châtelet (1706-1749), considérée comme la toute première dame de sciences européenne, célèbre pour ses ouvrages Institutions de physique et Eléments de la philosophie naturelle, mais aussi pour sa relation avec Voltaire. Le monodrame de Saariaho reconstruit, dans un puzzle de réminiscences, de souvenirs, de rêves éveillés, de flash back, d’attente angoissée, le récit de la vie intense d’Emilie, évoluant entre ses amours démesurées pour Voltaire, pour Saint Lambert, et son attraction authentique pour la connaissance et pour la recherche scientifique. Les neuf tableaux ou scènes – Pressentiments, Tombe, Voltaire, Rayons, Rencontre, Feu, Enfant, Principia, Contre l’oubli – sont des moments essentiels dans l’histoire de la vie d’Emilie, dressant un portrait symphonique hors récit littéraire conventionnel. Les contrastes des personnages et les contrastes dans les attitudes de la protagoniste émergent comme des rêves éveillées où le père, Voltaire, Saint Lambert agissent comme des personnages individualisés à travers la transformation électronique de la voix en voix d’hommes et en transformant le monologue vocal en drame opératique.

 

La Passion de Simone est aussi un monologue symphonique, cette fois-ci proche de l’oratorio car il met entre parenthèses toute action scénique. Les 15 stations – les 15 tableaux – figurent le chemin de croix qui définit la brève vie de Simone Weil. Il s’agit d’un portrait symphonique vocal-instrumental de la protagoniste pour soprano, chœur (et aussi chœur parlé) et orchestre avec électronique. Le support électronique est utilisé uniquement pour l’émission de citations parlées provenant des écrits de Simone Weil. Il s’agit véritablement d’une lecture particulière ou d’un portrait de la philosophe. « Cette manière d’évoquer le personnage, précise Amin Maalouf, reflétait ma lecture. Ce qu’a vécu Simone Weil était une forme de passion dans le sens pascal du terme et cette idée s’est imposée à moi pendant que je lisais l’histoire de sa vie et ses textes… Je ne dirais pas que Simone était devenue chrétienne, je pense qu’elle a gardé jusqu’au bout une hésitation à rejoindre complètement la religion chrétienne, elle était tentée par la passion du Christ plus que par l'Église. Elle avait un désir de martyre qui était évident. Il me semble qu’elle a choisi de mourir, c’était une forme d’autodestruction qu’elle a pratiquée jusqu’au bout. Elle n’aimait pas ce qu’elle était. C’est-à-dire : Elle était femme, elle n’aimait pas être femme. Elle était juive, elle n’aimait pas être juive. Elle était bourgeoise, elle n’aimait pas être bourgeoise. Elle détestait tout ce qu’elle était… Ses textes politiques sont remarquables, ses textes mystiques sont certainement touchants. En même temps, la plupart des gens l’ont connue à travers des textes qu’elle n’a pas publiés elle-même, comme La pesanteur et la grâce, une œuvre posthume, qu’elle n’aurait certainement pas publiée sous cette forme… »18

 

 

La stratégie compositionnelle de Kaija Saariaho dans ses opéras ne repose pas sur la mise en musique d’un texte, sur l’écriture au fil du texte, elle ne cherche pas que « la musique devienne langage » (ce qui était le propos de Hans Werner Henze, par exemple), ni la pluralisation des contenus sémantiques dans la multiplicité musicale, scénique et langagière prônée par Luciano Berio, ni la spatialisation cosmique à dimension mystique dans la musique scénique de Stockhausen. Contrairement à la plupart des collègues de sa génération, qui proposent des sous-titres, « théâtre musical », « théâtre acoustique », « spectacle musical », « parabole en musique », « drame pour musique », « action musicale », « scènes musicales », etc..., pour éviter le genre narratif conventionnel de l’opéra, chargé d’histoire, Kaija Saariaho maintient sciemment la notion d’opéra et n’évite aucunement la narration que les compositeurs de l’après-guerre cherchaient à bannir par tous moyens. Mais la stratégie narrative devient tout à fait différente au contact du livret poétique et théâtral de Maalouf, qui laisse de la place à la musique : Saariaho invente un nouveau type de pensée symphonique dans le contexte de l’opéra, un nouveau symphonisme opératique.

 

L’œuvre chez Kaija Saariaho est fondée toujours sur une vue d’ensemble préalable, loin des schémas formels traditionnels, bien sûr, sur une vision globale de son évolution, avec des dimensions temporelles relativement précises de ses composantes temporelles. La composition de l’œuvre commence nécessairement par une  planification synoptique  préalable, c’est-à-dire par une planification temporelle de l’évolution globale et par une définition, au départ assez sommaire, des paramètres (hauteurs, harmonies, intensités, ambitus, etc.), dont  les évolutions dans le temps définiront la forme définitive.

 

IV. 1. Le plan : une vue globale de l’œuvre et de ses parties constitutives

 

De toute évidence, Kaija Saariaho a trouvé en Amin Maalouf le librettiste idéal le plus sensible à sa vision de l’opéra, toujours attaché à la grande tradition du genre narratif, mais réinventé selon les préceptes de cette nouvelle pensée symphonique. « Je fais toujours un planning très strict avant. J’imagine des tempi, des points forts – pour les scènes, pour tout l’opéra – et les durées à peu près, même si je ne suis pas vraiment obligée de les suivre par la suite. Mais je les imagine quand même ! Comme ça, j’ai ce plan tout le temps devant moi quand je travaille. Je peux changer des choses, mais ça m’aide vraiment de savoir exactement où j’en suis avec une page orchestrale et avec les voix, c’est un travail très lent. Donc je ne veux jamais oublier les relations et où je suis exactement, où je suis dans le temps. Et, dès le départ, j’ai toujours une idée approximative de la durée globale d’une scène ou d’une partie. »19

 

« Les premières idées qui viennent, dit Saariaho, ont quelque chose à voir avec la forme. Elles sont très sensorielles, ont une certaine atmosphère et dans cette atmosphère il y a des idées d’instrumentation, d’orchestration, mais aussi une idée de l’évolution totale. Donc à partir de cette idée globale, je trouve le matériau qui va avec, qui convient pour construire la forme. Il y a donc vraiment une relation très étroite entre toutes les composantes.»20. C’est cette idée abstraite initiale avec la vision de l’œuvre dans la globalité de son évolution temporelle, qui guide l’imagination de la compositrice vers les matériaux spécifiques et leurs transformations par la suite, en relation avec l’évolution du scénario imaginaire de l’œuvre. Dans le cas des scènes d’opéra, l’évolution formelle est nécessairement liée à l’évolution narrative, à la signification du texte du livret et aux péripéties dans l’action scénique avec ses personnages et tensions dramaturgiques.

 

 La pensée compositionnelle chez Saariaho est toujours directionnelle, orientée, télélogique. C’est, d’ailleurs, un des principes fondamentaux du symphonisme. « Je dois toujours avoir une direction. La musique doit toujours évoluer, aller quelque part. Même s’il y a une texture relativement statique, elle doit aller quelque part, chaque séquence doit être une peu différente. »21 A la place des unités ou composantes thématiques, essentielles dans les processus formels symphoniques historiquement antérieurs, agissent, chez K. Saariaho, les textures orchestrales qui caractérisent ses personnages : Dans ses opéras, chaque personnage est une musique, chacun a une harmonie, une sorte d’échelle ou de mode pour la partie chantée, et une instrumentation spécifique. Et, selon l’évolution dramaturgique dans le livret, les différentes musiques, ou textures vocales-instrumentales spécifiques, alternent, se superposent, deviennent de plus en plus présentes ou, au contraire, disparaissent. C’est seulement dans La Passion de Simone, où il n'y a qu'un seul personnage, que ce sont les différentes thématiques qui définissent les textures. La structuration de cette œuvre repose donc sur l’alternance de textures et, par conséquent, de possibilités musicales différentes : de la soliste soprano et l’orchestre, du chœur et de la partie électronique.


© DR

 

IV. 2. De l’harmonie-timbre

Après la vision globale assez abstraite, le processus compositionnel précis chez Saariaho commence le plus souvent par l’harmonie-timbre qui définit la couleur musicale fondamentale pour les personnages ou pour la scène dans sa globalité. L’harmonie-timbre, devenue notion-clé pour son travail compositionnel, se substitue au fonctionnalisme de la pensée tonale pour obtenir la cohérence musicale de la pièce. La conception de la matière musicale en tant qu’harmonie-timbre et les stratégies formelles dans ses opéras (et dans ses œuvres en général), répondent à la nécessité, d’ordre symphonique, de construire toujours une œuvre unifiée et cohérente. C’est, précisément, la grande tradition symphonique européenne qui met en évidence le fait que l’on obtient beaucoup plus de profondeur si l’on développe ou déduit la totalité de l’œuvre, du point de vue thématique et structurel à partir d’un même matériau de base. Mais si la tradition symphonique européenne a développé la narration symphonique sur la base du thématisme unifiant, du travail thématique et sur l’interaction des fonctions formatrices à l’intérieur de la totalité cohérente de l’œuvre, chez K. Saariaho, c’est l’harmonie-timbre de base qui donne unité et cohérence à la pièce, à la scène opératique ou à la composante formelle délimitée à l’intérieur de l’œuvre. La démarche est inspirée, de toute évidence, au moins en partie par le spectralisme. Mais pour Saariaho, le spectre reste toujours seulement une source d’inspiration, à partir de laquelle elle travaille intuitivement et donc librement. A partir de la matière organisatrice et unifiante de l’harmonie-timbre, naissent des caractères musicaux fort différents : les langages musicaux individualisés des protagonistes des opéras émergent à partir de la même matrice productrice de l’harmonie-timbre, comme c’est le cas de la cantilène lyrique et calme d’Adriana ou des lignes syllabiques impulsives de la partie de Tsargo dans Adriana Mater. L’harmonie-timbre se définit donc en tant que concentré prémédité, en tant que substance dense, plurielle et multivalente, à partir de laquelle naît l’œuvre; comme les caractéristiques musicales des personnages avec leurs échelles, mélodies, imitations, accords, bruits, textures denses, nappes transparentes, clusters détaillés, parfois répétitifs, etc... La pensée compositionnelle repose toujours sur une idée harmonique de couleurs qui évoluent, et ce travail d’élaboration des textures laisse beaucoup de place à l’intuition.

 

IV. 3. Du déploiement métabolique

Ce déploiement toujours organique de la matière musicale, et pour cette raison, précisément, comparable à l’esthétique de Schönberg dans Farben, pourrait être défini en tant que variation développante22 métabolique ou plutôt en tant que déploiement métabolique spatio-temporel de la matière du son. Il implique une multitude de procédés de modification, de transformation pluridirectionnelle de la matière fondée toujours sur l’harmonie-timbre de base, et permettant d’accepter et d’intégrer des événements musicaux extérieurs, des moments étrangers perturbateurs dont la venue est motivée, bien sûr, par l’évolution de l’émotion et le déroulement des événements scéniques.

 

Le déploiement coloré dans l’espace-temps de l’harmonie-timbre dans les opéras de Saariaho repose donc exclusivement sur l’évolution métabolique de textures, en tant que superposition de couches, souvent constituées d’ostinati ou de quasi ostinati, qui apparaissent toujours comme des « émanations » provenant de l’harmonie-timbre de base avec sa couleur spécifique. L’harmonie-timbre de base est pratiquement présente partout, souvent modifiée (et non pas comme l’accord stable de 7 sons dans Stimmung de Stockhausen), pour rendre possibles les différents déploiements métaboliques. L’adjectif « métabolique » semble convenir en l’occurrence car il insiste sur l’unité organique, sur l’interaction et la continuité des paramètres à l’intérieur d’une matière sonore vivante, pluridimensionnelle, unifiée et en transformation continuelle.

 

Le déploiement métabolique chez Kaija Saariaho repose souvent sur la superposition de couches en ostinati, fondées chacune sur la répétition d’un pattern relativement stable. Mais la variation métabolique ouverte chez elle renonce en fait, paradoxalement, à l’essence même de l’ostinato : c’est-à-dire à la répétition systématique, sans modification et donc ostinato, précisément, de la même substance musicale. L’idée de répétition est maintenue, mais elle définit un type particulier de génération de textures. La répétition dans les différentes couches de la texture musicale d’une scène absorbe la différence, la transformation, la modification continuelle, pour créer des textures unifiées, mais toujours en modification et dans lesquelles, paradoxalement, on ne perçoit plus, ni la répétition en tant que telle, ni la superposition polyphonique de lignes ou de couches distinctes. Ces textures sonores sont toujours cohérentes, étant donné qu’elles reposent sur la même base harmonique caractérisant un  personnage, par exemple, et toujours nouvelles, compte tenu du fait qu’elles s’adaptent librement et continuellement à l’action scénique narrative. La polyphonie engendrant un résultat harmonique dense en évolution continuelle est, une fois de plus, comparable à la polyphonie imperceptible dans Farben de Schœnberg, mais encore à son idée formelle capitale pour le XX ème siècle, celle de la durchkomponierte Form, de la forme continuelle, de la forme-processus qui bannit pratiquement la répétition « nue ». On pense aussi aux polyphonies, inaudibles en tant que polyphonies, dans les œuvres de Ligeti, un compositeur dont Saariaho se réclame volontiers. Le déploiement continu de l’harmonie-timbre, chez elle, vise non pas les effets de la polyphonie avec sa différenciation de lignes mélodiques ou de couches superposées, mais leur fusion continuelle dans le déploiement spatio-temporel des textures d’un corps sonore flexible, d’un organisme musical vivant, dont les mouvements internes cherchent à traduire les péripéties du déroulement scénique et l’évolution des sentiments des protagonistes. Ce qui définit un des aspects essentiels de la dramaturgie symphonique dans les opéras de Kaija Saariaho.

 

Ivanka Stoianova*.

 

* Ivanka Stoianova est  Prof. Dr à l'Université de Paris 8.

                                                                                                        

 

 

1 K. Saariaho, Interview I. S. – K. Saariaho du 16.02.2013 à Paris. Nous remercions la compositrice de sa disponibilité.

2 K. Saariaho, Interview I. S. – K. Saariaho du 16.02.2013 à Paris.

3 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013, Paris. Nous remercions l’écrivain de sa disponibilité généreuse.

4 K. Saariaho, Interview I. S. – K. Saariaho du 16.02.2013 à Paris.

5 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013, Paris.

6 S. Weil, Le pesanteur et la grâce, œuvre posthume de S. Weil, Plon, Paris, 1947,  1991.

7 K. Saariaho, Interview I. S. – K. Saariaho du 16.02.2013 à Paris.

8 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013.

9 E. Badinter, Madame du Châtelet, Madame d’Epinay ou l’ambition féminine au XVIIIe siècle, Flammarion, Paris, 2006.

10 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013.

11 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013.

12 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013.

13 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013.

14 I. Las de la vie de plaisirs, Jaufré Rudel, prince de Blaye, aspire à un amour différent, lointain, qu’il s’est résigné à ne jamais voir satisfait. Mais un pèlerin, venu d’Outremer, affirme qu’une telle femme existe et qu’il l’a rencontrée. II. Reparti en Orient, le Pèlerin rencontre la comtesse de Tripoli et lui avoue qu’en Occident, un prince-troubadour la célèbre dans ses chansons en l’appelant son « amour de loin ». III. Revenu à Blaye, le Pèlerin avoue à Jaufré que la Dame sait désormais qu’il la chante. Le troubadour décide de se rendre auprès d’elle. Clémence, de son côté, semble préférer que leur relation demeure ainsi lointaine. IV. Parti en mer, Jaufré est impatient de retrouver son « amour de loin ». Son angoisse est telle qu’il en tombe malade, de plus en plus malade à mesure qu’il s’approche de Tripoli. Il y arrive  mourant. V. le troubadour arrive à la Citadelle de Tripoli inconscient. Les deux « amants de loin » se rencontrent, s’avouent leur passion, se promettent de s’aimer. Quand Jaufré meurt dans ses bras, Clémence se révolte contre le Ciel, puis elle prie, mais ses paroles sont ambiguës et l’on ne sait pas très bien si elle implore Dieu ou son Dieu lointain, l’amour de sa vie, son « amour de loin ».

15 Rappelons l’importance du Stationendrama pour la tragédie allemande, selon W. Benjamin . - Cf. W.  Benjamin, Ursprung des deutschen Trauerspiels, Rowohlt, Berlin, 1928.

16 On pense à la construction formelle statique de l’opéra d’O. Messiæn Saint François. La très forte impression de cette œuvre, vue par K. Saariaho dans la mise en scène de Peter Sellars a Salzburg, définit, très probablement, au moins en grande partie, l’attirance pour la dramaturgie statique et surtout l’envie de travailler avec Peter Sellars qui réalise par la suite la mise en scène des deux opéras de K. Saariaho, ainsi que de La Passion de Simone.

17 La compositrice envisage au départ la présence du chœur sur la scène. Dans sa mise en scène, P. Sellars renonce à cette présence scénique, pour obtenir, en réalité, une plus grande force de suggestion.

18 A. Maalouf, Interview I. S. – A. Maalouf du 12.02.2013.

19 K. Saariaho, Interview K.S. – I. Stoianova du 16.02.2013.

20 K. Saariaho, Interview K.S. – I. Stoianova du 16.02.2013.

21 K. Saariaho, Interview K.S. – I. Stoianova du 16.02.2013.

22 Rappelons que la notion de variation développante est un terme de Schönberg, utilisé aussi par Adorno (par rapport à Mahler, par exemple) : il correspond surtout à l’interaction de procédés de variation  et de développement dans l’optique classico-romantique, c’est-à-dire dans un processus formel directionnel, téléologique.

 

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

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Rinaldo revisité à l'aune de la guerre en Irak

 

Georg Friedrich HAENDEL : Rinaldo. Dramma per musica en trois actes.Livret de Giacomo Rossi, d'après la chronique « La Gerusalemme liberata ovvero Il Goffredo »  de Torquato Tasso. Sonia Prina, Malin Hartelius, Lawrence Zazzo, Jane Archibald, Anna Goryachova, Ruben Drole, Olivia Vote, Herdis Anna Jonasdottir, Susanne Grossteiner, Chloé Chavanon, Roberto Ortiz. Orchestra La Scintilla Zürich, dir. Ivor Bolton. Mise en scène : Jens-Daniel Herzog, d'après un concept de Claus Guth.

 


© Suzanne Schwiertz


L'épisode de la Jerusalem libérée du Tasse (1581) contant, entre autres, les amours de la magicienne Armida et du chevalier croisé Rinaldo, forme la thématique du premier opéra offert par Haendel à la scène londonienne, en 1711. Une thématique héroïque et mythologique très utilisée à l'opéra chez les baroques, tels Lully (1786), Traëtta (1761), Jomelli ( 1771), Salieri (1777), Gluck (1887), Cherubini (1782), ou Josef Haydn (1784). Et même après, puisque Rossini (Tancredi ) et Verdi (Jerusalem) s'y essaieront. C'est que l'épopée de la première croisade pour libérer la ville sainte offre un fort potentiel dramatique : jusqu'au « lieto fine », que de rebondissements dans le conflit entre deux pouvoirs religieux, sur fond de revendications territoriale ou économique, alors que sont aux prises deux héros, Argante, le sarrasin, et Rinaldo, le chrétien, rongés par le désir d'en découdre pour asseoir leur hégémonie et voir triompher leurs idées. L'univers fantastique de la magicienne Armida tranche de manière parallèle. Même s'il emprunte à du matériau provenant de pièces antérieures, le dramma per musica Rinaldo est loin d'être un patchwork. Un monde de fantaisie, de combats, d'échanges musclés, y trouve un écho dans la manière habile dont le Saxon traite son sujet : au fil d'arias da capo, dont le fameux «  Lascia ch'io pianga », et ceux confiés à Rinado, telle « Cara sposa », d'un lyrisme bouleversant, ou « Venti turbini », décoiffant de virtuosité échevelée, ou encore « O, la tromba », où la voix se mesure à la trompette en une joute quasi égalitaire. Mais aussi de duettos ou d'« aria a due », tel celui entre Armida et Argante, d'une passion dévorante, un «  je t'aime, moi non plus ». L'opéra est également une mine pour un metteur en scène en quête d'images saisissantes. Il ne fait pas de doute que la pièce appelle le geste théâtral. Jens-Daniel Herzog, à partir du concept que Claus Guth n'avait, lors de la première, en 2007, pu mener jusqu'à son terme, se veut radicalement démonstratif. Il transpose, bien sûr, à l'époque actuelle, à l'aune de la guerre américaine en Irak, et s'empare du thème du voyage pour illustrer le propos, qui dans un hall d'aéroport bardé d'escalators froids, mais mouvants, qui d'un lobby d'hôtel, lieu de transit autorisant la rencontre multi culturelle. Couloirs en enfilade, pièces sans caractère, en fait un «  non lieu », défilent par le truchement d'un plateau tournant. Une animation constante, une violence non contenue, presque agressive donnent le tournis ; celui dans lequel s'enferrent les protagonistes. Comme souvent en pareille circonstance, on a le sentiment qu'une autre histoire est réécrite pour illustrer un schéma surimprimé sur une trame, il est vrai assez longue. Mais on se lasse vite de cette excitation, même si elle libre cours à des tableaux saisissants  (la foule se disloquant dans une vision de panique, lors de l'aria « venti turbini ») ou des mouvements énergiques/ des sbires de chacun des camps. L'anecdotique n'est pas en reste, lors des pérégrinations de Rinaldo de de Godefroy. Pour faire comprendre ce qui est ténu de la frontière entre tragique et comique.

 


© Suzanne Schwiertz

 

La direction d'Ivor Bolton est parfaitement en place, même s'il ne s'en dégage pas toujours la plus grande subtilité. L'appareil orchestral est irréprochable et le continuo adéquat. C'est indéniablement du plateau vocal que cette reprise tire son prestige, car il est d'une rare qualité. Sonia Prina déploie, en Rinaldo, un timbre de contralto impressionnant, jusque dans les vocalises périlleuses des « aria di furore ». L'Armida de Malin Hartelius est un parangon de force vocale, et a grande allure, en particulier lors des confrontations avec Argante. Celui-ci, Ruben Drole, a de la faconde et un métal de basse imposant. Jane Archibald, hier Zerbinetta à Baden-Baden, est superbe dans le registre de soprano plus léger du personnage d'Almirena ; tandis que le contre-ténor Lawrence Zazzo montre une acuité et un legato enviables, qui ne font que regretter que la partie de Goffredo ne sont ps mieux lotie par le compositeur. Une découverte : le beau mezzo d'Anna Goryachova, Eustazio, timbre sombre, idéalement projeté ;  une artiste à suivre, que l'on verra d'ailleurs bientôt à l'Opéra Bastille.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Un spectacle incandescent : Lady Macbeh of Mzensk

 

Dimitri CHOSTAKOVITCH : Lady Macbeth of Mzensk. Opéra en quatre actes et neuf tableaux. Livret du compositeur et d'Alexander G.Preis, d'après la nouvelle de Nikolai Leskow. Gun-Brit Barkmin, Kurt Rydl, Brandon Jovanovich, Benjamin Bernheim, Julia Riley, Kismara Pessati, Lidiya Filevych, Michael Laurenz, Valery Murga, Pavel Daniluk, Tomasz Slawinski, Christoph Seidl, Ilker Arcayürek, Roberto Ortiz, Benjamin Russell, Robert Weybora. Chor der Oper Zürich. Philharmonia Zürich, dir. Teodor Currentzis. Mise en scène : Andreas Homoki.  

 

 

« J'ai conçu Lady Macbeth comme un opéra tragico-satirique ». Ainsi s'exprime Chostakovitch à propos de son second opéra. Mais, pour lui, le terme satirique ne signifie pas ridicule, ou même drôle. Il s'agit d'une « satire dénonciatrice, qui inspire la haine ». Il s'approprie la nouvelle de Leskow d'une manière très personnelle, symptomatique : tourner en dérision un système répressif, mordre à pleines dents dans une intrigue où le grotesque est érigé en règle, un grotesque nihiliste, animé de scepticisme. Ainsi sa musique est-elle profondément incisive, procédant souvent par empilement d'effets sonores, pour créer la surprise, souvent proche de l'effarement. Plus encore que du comico-grotesque qui distinguait déjà la Troisième symphonie, on est proche de la caricature, voire de l'absurde, digne d'un Eugène Ionesco. Pour ce faire, le musicien a recours à des métaphores musicales, rythmes de polka aux bois, ou de valse déformée (descente de police lors de la réception du mariage), voire de cancan enragé. Il use aussi d'instruments particuliers, de manière suggestive : glissandos des trombones, lors de la scène d'amour plus vraie que nature, entre Katerina et Serguei, un procédé déjà traité de la sorte dans Le Nez, contrebasson débridé, et surtout percussions déboutonnées, tel le xylophone, véritable agent porteur de grotesque, notamment dans des galops endiablés. Il va loin, déployant une méchante ironie, un rire venimeux, une parodie enflée. «  Le chaos au lieu de la musique », fustigera la Pravda, dans un article demeuré » célèbre, du 28 janvier 1936. Tout cela on le ressent, au centuple même, dans la direction rien moins que survoltée de Teodor Currentzis, « Cet opéra est une comédie, dans laquelle il existe des contrastes d'une incroyable force, qui vont jusqu'à un choc acoustique » estime-t-il. Les écarts de dynamique sont, de fait, presque effrayants, qui confinent par moment à l'écrasement sonore quasi physique, ce que renforce l'acoustique extrêmement présente de la salle zürichoise. Une coulée fulminante s'empare de l'orchestre, au demeurant métamorphosé, de l'Opernhaus, vagues sonores assourdissantes, lorsque l'orchestre de fosse est complété, prolongé par la banda de cuivres, masse orchestrale vibrante dans la pédale de basse. En même temps, les pages lyriques sont d'une étonnante transparence et hypnotiques. Cela ne va pas sans un étirement des tempos. Mais on ne peut résister à pareil identification avec le fondement même de l'idiome. Qui plus est favorisant chez les chanteurs une élocution cantabile, rencontrant ce mot de l'auteur, selon lequel « il faut chanter à l'opéra ». 

 

 

La production de Andreas Homoki est un tour de force, à la fois terriblement expressionniste, et symbolique. Là aussi, le parti du grotesque, de la moquerie sans merci, n'est pas esquivé, en symbiose avec le mordant et le strident de l'instrumentation et ses emprunts à l'univers de la danse. Ainsi place-t-il la banda de cuivres sur le plateau, personnage à part entière, plus encore que musique de scène. L'effet caricatural en est démultiplié, car ces pierrots coloriés et grimés de blanc augmentent le sarcasme. La scène d'amour entre Katerina et Serguei prend une dimension plus qu'onirique, absolument jouissive. Et à plus d'un endroit sont-ils les acteurs musicaux des rebondissements de l'intrigue, alors que menés par le « galeux », à la fois démon comico-satanique et magicien diabolique, qui s'ingénie à faire monter la tension. Tour à tour voyeur, colporteur de la rumeur, indic, il sera un meneur de débauche infernal. Ce n'est là qu'un exemple d'une régie formidablement expressive, qui cherche à démasquer la réalité. Elle est rehaussée par un usage de couleurs crues, presque criardes dans les costumes, façon expressionnisme des années 30, basés sur la méthode du collage, et la décoration : un espace volontairement banalisé, dans lequel les protagonistes sont enfermés et dont ils ne trouvent pas le moyen de s'échapper : des trappes s'ouvrent et se referment devant eux, des volumes se font et se défont, à l'aune d'une pseudo maison de bois qui se métamorphose à l'envi. Homoki conçoit la pièce dans son découpage en tableaux, et s'intéresse à l'enchaînement de ces séquences. Aussi le continuum révèle-t-il une formidable acuité. Certes, le IV ème acte participe de la même dramaturgie, là où Chostakovitch rompt avec l'expressionnisme pour une atmosphère soudain plus dramatique, centrée sur la masse chorale, comme chez Moussorgsky et sa Khovantschina, par exemple. Les bagnards ne sont autres que les mêmes gens aux grotesques accoutrements rencontrés en amont. Et il faut faire accès d'imagination pour comprendre la différence de climat. Homoki a, nul doute, souhaité poursuivre dans la même voie, au risque d'éluder l'émotion. Celle-ci, on la trouve heureusement dans le texte musical, d'un poignant indicible : les formidables crescendos orchestraux donnent le frisson. Le travail sur la gestuelle est d'une force de tous les instants. Il n'est pas un membre de la nombreuse distribution qui ne s'immerge totalement dans ce schéma. Rarement la personnage de Katerina aura trouvé interprète plus idoine : Gun-Brit Barkmin, un nom nouveau, le domine de son attitude résolue, sous des apparences frêles, et d'une conviction vocale inouïe. Et se vérifie cette sentence du compositeur : « Si Katerina Ismaïlovna est une meurtrière, elle n'est pas pour autant un rebut. Sa conscience la tourmente... Je sympathise avec elle ». Le sadique beau-père Boris, qui périra empoisonné par les fameux champignons, Kurt Rydl l'incarne avec une violence non contenue, et la voix de cet immense chanteur a encore beaucoup à offrir. Le mari Sinowi, Benjamin Bernheim, est veule, pitoyable, le « galeux », Michael Laurenz, d'une sadisme peu ordinaire, sous des dehors  burlesques, et quelle voix de ténor de composition. L'amant Serguei, Brandon Jovanovich, hyper viril coureur de jupon, a de la bravade à revendre, et une voix très timbrée, fort large, quoique presque détonante. Toutes les autres figures sont fouillées par le menu, comme le Pope ou le Chef de la police, et chaque entité du chœur livre une étude savamment différenciée. Scellant là encore une totale réussite musico-dramatique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Les trois Sœurs ou la fantaisie visuelle

 

Peter EÖTVÖS : Les trois Sœurs. Opéra en trois séquences d'après Anton Tchekhov. Livret de Claus Henneberg et Peter Eötvös.  Ivana Rusko, Anna Goryachova, Irène Friedli, Rebecca Olvera, Kresimir Stražanac, Cheyne Davidson, Eliot Madore, Erik Anstine, Martin Zysset, Daniel Eggert, Dimitri Pkhaladze, Andreas Winkler, Dmitry Ivanchey. Philharmonia Zürich, dir. Michael Boder et Peter Sommerer. Mise en scène : Herbert Fritsch.                 

 

 

Premier opéra de Peter Eötvös, Les trois Sœurs, créé à l'Opéra de Lyon en 1998, sera suivi de quatre autres, un cinquième étant attendu à Vienne, cette année. A partir de la pièce d'Anton Tchekhov, le compositeur dit avoir voulu écrire « un théâtre en musique ». Parmi ses divers épisodes, Eötvös a choisi trois séquences, structurant l'œuvre autour des personnages d'Irina, d'Andrei et de Mascha. Ce découpage, fidèle à l'esprit de la pièce, offre trois perspectives différentes, illustrant la recherche par chacun d'une autre vie, à la ville, Moscou l'attirante, loin de la province, morne et sans prospective, et la confrontation entre le souvenir du cher passé et le désir d'un avenir attrayant, sur fond des thèmes universels de l'amour et de l'adieu. Chez Irina, la plus jeune, qui n'a jamais aimé, qui doit choisir entre deux partis ; pour André, qui est resté dans la province et est marié à Natascha, femme hystérique, mais doit prendre de la distance ; enfin chez Macha qui, faute de trancher entre deux solutions amoureuse, reste désespérée. Plusieurs éléments fondateurs sous-tendent la pièce, en dehors du chiffre trois, tel le feu, l'incendie, la vie de tous les jours qui s'étiole à force de répétition, mais sait aussi rebondir en fêtes et réjouissances. La chronologie n'a, volontairement, pas été respectée, et dans chaque séquence, la figure centrale est toujours confrontée à deux autres personnages. Musicalement, la scène est pensés dans la musique, répondant à la structuration obsessionnelle par trois, et sont évoqués les bruits de la vie quotidienne, telle cette tasse de thé qu'on brise par accident ou frénétiquement, au point d'en faire un élément rémanent. Deux orchestres se partagent l'univers sonore : un orchestre de fosse, de 18 musiciens, et une formation sur scène, de 50 personnes. Les personnages s'expriment sur le ton de la conversation. Eötvös parle de « madrigal pour treize voix », concept au demeurant emprunté à une œuvre antérieure, les«  Drei Madrigal-komödien » (trois comédies madrigal), de 1963. La version donnée à l'Opernhaus de Zürich confie les rôles des trois sœurs et de la belle-sœur Natascha à des voix de femmes, à la différence de la création lyonnaise, qui les attribuait à quatre contre-ténors. Mais cette substitution n'entraîne pas de changements majeurs dans l'écriture vocale. En fait, cette histoire à succès, due à la célébrité de Tchekov, la différencie de bien des autres opéras contemporains, et se veut à mi chemin entre les classiques et l'opéra du futur. Si le matériau possède les ingrédients du « Grand opéra », et offre des figures hautes en couleurs, la manière dont le sujet est traité s'apparente à ce qu'Eötvös appelle « une esthétique de la réduction ». Ainsi, chaque personnage a son instrument spécifique, Irina le hautbois, Mascha la clarinette, Natascha le saxo soprano, Andrei le basson, la nourrice Anfissa, la contrebasse, Soljony la percussion, les deux officiers les cuivres.

 

 

La nouvelle production zürichoise frôle, la encore, la perfection. Au contraire de celle de Ushio Amagatsu, à Lyon, qui misait sur une esthétique épurée et un hiératisme en phase avec la mélancolie russe, la régie de Herbert Fritsch se veut expressionniste et emplie de fantaisie visuelle. Venant du théâtre parlé, celui-ci pense et agit en homme de théâtre : ce n'est pas tant la psyché des personnages qui l'intéresse que l'art du jeu et tout ce qui appartient à la magie des planches. Pour lui, ces femmes sont comme trois fleurs écloses qui vite vont passer. Celle des couleurs d'abord, dans les éclairages bariolés, les costumes somptueux (Victoria Behr), aux étoffes coloriées et franches, conçues comme des enluminures : Irina le vert, Macha le rouge, Olga le bleu. L'abstraction de l'environnement permet apparition et effacement des personnages par le truchement de parois coulissantes, couleurs bois (clin d'œil à la Russie de toujours et à sa ruralité). Elle souligne cette idée de rotation qui transcende l'inertie paresseuse, bien connue, de l'atmosphère russe. Un amusant parti pris d'humour au premier degré traite les personnages comme des automates, gestes saccadés, proches de l'hyperbole, jeux de mains emphatiques, attitudes agitées. Cette vision irrésistible de verve et de fébrilité, et son substrat de fantaisie, tournent résolument le dos à celle de la création, d'une retenue toute japonaise et d'une légère préciosité, que soulignaient les voix de contre-ténors. La caricature est même poussée loin, et l'obsessionnel contamine le chant, extrêmement scandé, presque saccadé. L'exécution musicale est tout aussi intéressante. Parce que Les trois Soeurssont un opéra d'ensemble, on a fait choix d'en distribuer les rôles exclusivement aux membres de la troupe de l'Opernhaus. Que de ressources ! Car l'interprétation aussi bien vocale que dramatique est un sans faute. On en détachera les trois protagonistes, aussi différentes qu'unies dans un art commun de paraître : Ivana Rusko, Irina, femme de grande allure, frivole, qui saura renoncer à ses illusions, Irène Freidli, Olga, l'aînée, protectrice, mais extravertie, Anna Goryachova, Mascha, hyper féminine, rêveuse et aimante, d'une ferveur vocale à toute épreuve. Il faut saluer encore Rebecca Olvera, désopilante Natascha, fagotée en poupée hystérique, dépassant la vulgarité du personnage, et Eliot Madore, Andrei, l'artiste un peu inconséquent. Tous montrent combien ce florilège de caractères a de ressort. Michael Boder, et Peter Sommerer pour ce qui est de l'orchestre de scène, apportent à l'instrumentation très originale de Eötvös toute son exubérance. Ainsi de la fonction dramaturgique de chacun des instruments en fosse, et de l'effet d'amplification de l'orchestre de scène, créant « un effet merveilleux », pour transmettre ce qui participe de la vie même, et non d'une mélancolie figée.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Hänsel et Gretel entre conte et expressionnisme

 

Engelbert HUMPERDINCK : Hänsel et Gretel. Märchenoper (Conte opéra) en trois actes. Livret d'Adelheid Wette, d'arprès le conte des Frères Grimm. Daniel Sindram, Anne-Catherine Gillet, Jochen Schmeckenbecher, Irmgard Vilsmaier, Anja Silja, Elodie Hache, Olga Seliverstova. Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris. Orchestre de l'Opéra national de Paris, dir. Claus Peter Flor. Mise en scène : Mariame Clément.

 


© ONP/Monika Rittershaus

 

Comment faire vivre un conte sur une scène d'opéra ? Engelbert Humperdinck s'attaque à un genre prisé dans la littérature allemande, plus encore européenne. Les frères Grimm lui en fourniront le prétexte, et sa sœur, Adelheid Wette le matériau adapté, pour ce qui prendra successivement la forme d'un petit spectacle familial, composé de rengaines enfantines de Westphalie, puis d'une sorte de Singspiel, mêlant dialogues parlés et séquences chantées, enfin d'un opéra d'envergure, unissant sujet populaire et traitement musical géant. C'est que le compositeur, ardent admirateur de Richard Wagner, au point de devenir un de ses assistants à Bayreuth pour la création de Parsifal, en 1882, complétement décontenancé par la disparition du maître, ne se défera qu'avec difficulté de l'emprise du symphonisme de celui-ci. On a glosé sur cette inféodation : imitation réelle ou réaction mal assumée ? Le « vieil enchanteur » aurait-il épuisé la musique germanique au point de condamner ses successeurs à l'impuissance créatrice, au modèle servile ? On ironisera, pour voir dans Hänsel et Gretel, « un festival scénique sacré pour chambre d'enfants », plagiant Parsifal. Il est certain que la musique fleure bon son wagnérisme, jusqu'à en livrer des effluves à peines déguisées, qui des Maîtres Chanteurs de Nüremberg, qui de Parsifal précisément. Mais la coulée, pour généreuse qu'elle soit, est personnelle et taquine copieusement la mélodie, grâce au recours à des modes plus anciens de la musique allemande. Qu'en est-il du sujet de cet opéra-conte ? Les auteurs ne conserveront que quelques morceaux du conte original, pour se nourrir aussi de mélodies populaires empruntées au folklore germanique, qui enlumine le Volkslied allemand : Brentano, Lamotte Fouqué, Kleist, etc... Fantasmes et réalité doivent faire bon ménage, comme simplicité et humour. Et cohabiter avec une orchestration rien moins que luxuriante. Le contraste entre les deux aspects en rend sans doute la réalisation délicate, et les opposants de la première heure, tel Eduard Hanslick, ne se feront pas faute de relever la contradiction entre la naïveté du conte et la solennité d'un style grandiose. Qui dit conte, dit aussi ressource de l'imaginaire. La symbolique de la forêt mystérieuse, peuplée d'êtres terrifiant les enfants et de personnages à double profil, la mère-marâtre, la fée plus près de la sorcière carabosse que de la bonne dame protectrice, autorisent les situations ambiguës, comme l'appétence pour le fruit défendu, fussent-elles ces fraises dont on se gave sans voir qu'on est épié par des gens non pavés de bonnes intentions, etc... Mais le sérieux voisine avec l'humoristique, les périls ne sont que mauvais rêves, le marchand de sable étant là pour conjurer le mauvais sort.

 


© ONP/Monika Rittershaus

 

Aussi étonnant que cela soit, cette production de l'Opéra Garnier marque l'entrée de la pièce au répertoire de la Grande Maison parisienne. Sera-ce un spectacle mémorable ? Pas si sûr. Mariame Clément joue à la fois sur une interprétation psychologique non totalement aboutie, et un premier degré dangereux. Le dispositif scénique, fait de plusieurs petites pièces empilées les unes sur les autres, permettant un jeu en miroir et des dédoublements amusants, est séduisant, mais s'avère vite piégeant, car le trait dramaturgique a tendance à se répéter. Le contenant n'offre pas matière à fertiliser l'imagination, comme on aurait pu s'y attendre. Tous les épisodes semblent uniformisés : le premier acte paraît long, sans suspense, malgré un chassé croisé intéressant entre la réalité d'une chambre d'enfants sages et son pendant plus aventureux. Le deuxième est sans surprise, et on ne saisit pas forcément le désarroi des deux gamins, perdus dans le rêve de leur virée sylvestre nocturne. Le dernier est privé de vrai ressort humoristique, à défaut de veine comique. C'est d'autant plus navrant qu'avec une « bête de scène » de la trempe d'Anja Silja, on disposait d'un atout de taille pour faire un malheur de la scène de la sorcière mangeuse d'enfants. Rien de tel ici : la dame, émergeant de l'immense moka à la crème, à plusieurs strates, de notre enfance, va interpeller mollement les intrus, s'afficher en meneuse de revue cancan, peu en situation, ou siroter à sa table de salle à manger... Même les interjections et rires sarcastiques ne dérident ni ne font froid dans le dos. Certes, des mises en scène récentes (Laurent Pelly, à Glyndebourne, Mireille Larroche, à la Péniche Opéra) ont formaté le spectateur, convié à une approche satirique, au second degré. Et sont allées loin dans l'aspect conte cruel. Mais même en acceptant de revenir à une vision plus sage, en adéquation avec le pied de la lettre du texte, on reste sur sa faim devant une réalisation qui, finalement, assume bien peu les ambitions affichées. La direction d'orchestre de Claus Peter Flor joue à fond l'emphase du modèle wagnérien : rarement a-t-on entendu pareille coulée opulente, plus large que vraie. Mais la légèreté des passages lyriques est bien là, les solos superbes, pleins de charme. Et la diversité des climats, caractéristique de la partition, ménagée adroitement, quoique au prix de quelques baisses de tension. Daniela Sindram et Anne-Catherine Gillet forment une paire touchante, la première de sa belle voix de mezzo fort timbrée, la seconde d'un soprano agile et frais. Leur vraie-fausse ingénuité fait plaisir à voir. Les parents, Irmgard Vilsmaier et Jochen Schmeckenbecher, ont du coffre et une diction à toute épreuve. A défaut de la voix qu'elle n'a plus, et n'était la peu de cas fait de ses potentialités dramatiques, Anja Silja, envoûtante Salomé il y a tout juste 50 ans, sur ce même plateau, reste un bon choix pour une sorcière spécialiste de la cuisson du pain d'épice.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

La Gioconda entre au répertoire de l'Opéra Bastille

 

Amilcare PONCHIELLI : La Gioconda. Dramma en quatre actes. Livret d'Arrigo Boito d'après Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Violeta Urmana, Marcelo Alvarez, Luciana D'Intino, Claudio Sgura, Maria José Montiel, Orlin Anastassov, Damien Pass, Julien Joguet, Kevin Amiel, Yves Cochois, Olivier Ayrault, Nicolas Marie, Jian-Hong Zhao. Letizia Giuliano, Angel Corella, danseurs. Orchestre et Chœur de l'Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris, dir. Daniel Oren. Mise  en scène, décors et costumes : Pier Luigi Pizzi.

 


© ONP / Antoni Bofill

 

La Giocondaest un opéra atypique. Créé en 1876, à La Scala, et plusieurs fois remanié, il sera le grand œuvre de son auteur, Amilcare Ponchielli (1834-1886), et sans doute la seule de sa production lyrique à passer à la postérité. Si elle s'inspire de la pièce de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue, la trame en est très librement adaptée par Arrigo Boito. Le fameux librettiste, qui donnera à Verdi ses ultimes fleurons, Othello et Falstaff, conçoit une intrigue plus portée sur des tribulations sentimentales que sur une vision grandiose, et édulcore ce qui chez Hugo ressortit à la sphère politique. Il la déplace temporellement et géographiquement, de Padoue, au XVI ème siècle, à la Venise du XVII ème. Et porte l'attention sur le personnage titre, cette chanteuse de rue, voulue comme incarnation de l'éternel féminin, et qui confrontée au mensonge, sacrifie sa vie pour préserver celles d'une rivale en amour et de l'homme qu'elle aime, le noble banni, déguisé en marin, Enzo Grimaldo. L'idée est, bien sûr, de donner consistance à des figures passionnées, mais également de brosser la grande fresque, comme en fournissait alors l'opéra français de Halevy ou de Meyerbeer, assortie de l'indispensable ballet. Ce sera, ici, celui dit « Danses des Heures », à l'acte III. Ponchielli, qui reconnait avoir éprouvé quelques difficultés à se plier à la prose du librettiste, qui lui-même apprivoisait déjà sa source littéraire, a conçu un « dramma » chaotique, et long : quatre actes, au lieu de trois chez Hugo, un mélange de scènes d'ensemble et de situations intimistes, des méandres dramatiques n'échappant pas au phénomène du « tunnel », et des personnages hauts en couleurs, requérant une extrême endurance vocale. L'inspiration n'est pas toujours au rendez-vous, le deuxième acte, en particulier, ne brillant pas par sa finesse, voire frôlant le trait vulgaire. Mais le musicien sait maîtriser l'art du contraste, ce qui permet de racheter plus d'une occasion, et il se dégage de certaines situations une indéniable poésie. En fait, la pièce ne se conçoit que par le spectaculaire de sa présentation et l'incandescence de sa distribution vocale. Deux paramètres que toute production se doit de réunir.


© ONP / Andrea Messana

 

Celle de la « création » à l'Opéra Bastille réussit plus le second. La mise en scène de Pier Lugi Pizzi asservit le décorum consubstantiel à la pièce à une vision unificatrice et simplifiée : un ensemble de tableaux dont quelques ponts, et degrés pour y accéder, et ballet des gondoles et autre galion, forment les contours. La somptuosité, c'est dans les costumes qu'il faut la chercher, eux-mêmes stylisés, dans les tons rouge et noir des choristes, figurant ce peuple que les auteurs ont tant voulu montrer de manière vraie sur la scène. Mais où est la belle clarté de la cité des Doges ? Car les éclairages sont plutôt blafards. La transition, certes abrupte et partant, délicate à ménager, de la scène de foule au dialogue à deux ou trois personnages, est résolue sans grande imagination dans les entrées et sorties. La régie proprement dite n'échappe pas au convenu. Des personnages, on n'aura que le premier degré : Barnaba, plus vil que vil, ourdissant machination sur menterie, avec même un pointe de grotesque, préfiguration d'un Iago, qui sera autrement plus raffiné dans le registre de la méchanceté. Enzo, certes vaillant héros, mais empêtré dans la palette convenue du primo ténor, plus qu'homme habité par des sentiments contradictoires, Alvis, le Doge, ravalé au rang de mari trompé, peu crédible, Laura, son épouse, rivale véhémente de la Gioconda, le temps d'un duo acharné, qui soudain bascule dans un revirement inattendu de pure bonté d'âme de la part de cette dernière, etc... Le volet musical est heureusement mieux servi, et même si pas irréprochable, reste à l'aune des attentes. Là où Verdi exige, pour son Il Trovatore, quatre voix cardinales, c'est de pas moins de six qu'il faut ici : soprano presque dramatique, ténor spinto soutenu, baryton virtuose de la quinte aiguë, mezzo bien timbrée, contralto renchérissant dans le grave, et basse fort sonore. Du rôle titre, il est vrai peu commode à illustrer, après des phénomènes comme Maria Callas ou Magda Olivero, voire plus près de nous, Montserrat Caballé, Violeta Urmana fait le mieux possible, belle dramatisation et vocalité enviable, même si troublée par quelques « top notes » stridentes. Enzo, un rêve, doublé d'une appréhension, pour tout ténor en vue, Marcelo Alvarez lui apporte sa science du phrasé et une quinte aiguë libérée. Luciana D'Intino possède la haute couleur du mezzo de Laura, Maria José Montiel celle de contralto assuré de la mère aveugle de l'héroïne, et Orlin Anastassov, le caverneux de la basse Alvise. Barnaba, Claudio Sgura le traite avec panache héroïque, même si la caractérisation s'en tient à un vrai faux premier degré de vilénie. L'Orchestre de l'Opéra sonne magnifique sous la conduite de Daniel Oren qui ménage l'extrême nuancier de la palette de Ponchielli, forte glorieux, poétique évanescente, beaux traits des vents. L'exécution du ballet fait un malheur : ce sera, curieusement, le morceau le plus applaudi !

 

Jean-Pierre Robert. 

 

 

Songe baroque intime à Gaveau

 


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La grande Anne Sofie von Otter s'en est venue à la salle Gaveau pour un récital pas comme les autres, reprenant une large part du programme de son récent disque publié chez Naïve (cf. NL de 10/2012). Une soirée titrée « Sogno Barocco », agrémentée d'une discrète mise en espace, notamment par des lumières tamisées. L'occasion aussi pour la chanteuse de présenter au public une étoile montante du chant suédois, la jeune soprano Elin Rombo, avec laquelle elle fait équipe le temps d'une tournée européenne, qui les conduiront encore, cet été, dans le beau théâtre de Drottningholm, le Glyndebourne suédois. Le duo « dolcissmi baci », tiré de l'opéra La Calisto de Francesco Cavalli, nous vaut des phrases soupirantes et inspirées. Dans les duettos de Monteverdi, les deux voix s'enlacent idéalement, et le style de l'aînée s'étend par un étonnant mimétisme à celui de sa cadette : sens de l'abandon, dans « si docle è 'l tormento », et surtout sorte d'hypnose, lors du duo final du Couronnement de Poppée, où le lyrisme atteint un rare degré de fusion. Les neuf musiciens de la Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón prodiguent le plus suave des accompagnements, de leurs envoûtantes sonorités, concoctées par le chef argentin dont la fascination pour la voix est plaisir à voir. Chacune des deux chanteuses proposera aussi des arias peu connues, combien passionnantes : telle de Cavalli, par la mezzo, telle autre empruntée à L'Egisto du même compositeur, par la soprano. Le pivot du programme était constitué de deux grands lamentos, dont von Otter livre quelques clés de lecture : leur conception en hommage à la reine de Suède Marie Éléonore de Brandebourg, personnage au caractère exalté, dont la douleur à l'annonce de la mort de son royal époux, péri au combat durant la guerre de Trente Ans, est traduite de façon fort différente par les deux compositeurs en vue que sont Provenzale et Rossi. Francesco Provenzale (1624-1704), et son « Squarciata appena havea », mise sur des contrastes ahurissants en pareille circonstances, truffant la déploration hyperbolique de passages traits comico-satiriques. Drôle de lamento, en effet, qui met dans la bouche de l'auteur, cet inattendu et joyeux refrain «  la belle Margurite, fa li la li la, est blanche comme fleur », et autre chanson populaire accompagnée de guitare, sur un rythme enlevé. Luigi Rossi (1598-1653), dans son « Lamento de la Regina du Suezia » se montre plus discret, en phase avec la tristesse de l'émotion, et « classique » dans l'approche de la royale affliction. Ces deux pages, von Otter les jouent aussi bien qu'elle les chante, de ce timbre caressant, aux couleurs intactes. Trois extraits de l'opéra Elena, de Cavalli, formeront l'indispensable intermède instrumental, révélant le style épuré de son auteur, et le belle faconde des musiciens de la Cappella Mediterranea. On pourra l'entendre dans son intégralité lors du prochain Festival d'Aix-en-Provence. Une mention particulière au cornettiste, et à la sonorité curieusement claire de son cornet à bouquin, dotée de riches harmoniques, au titulaire protéiforme des percussions, du théorbe et de la guitare, et au chef, bien sûr, qui profitera de l'occasion d'une «  chauffe » de ses troupes, pour présenter chacun des musiciens. Au chapitre des bis, von Otter, pour qui un concert baroque ne saurait être sans Georg Friedrich Haendel, tourne avec sa complice une gourmande aria en forme de variations sur le mot « addio », puis une berceuse moderne conçue par Kate Busch, écrite pour la même formation instrumentale, et enfin, seule, la ballade de Göttingen, immortalisée par Barbara.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Les Pêcheurs de perles à l'Opéra du Rhin

 

Georges  BIZET : Les Pêcheurs de perles. Opéra en trois actes. Livret de Michel Carré et Eugène Cormon. Annick Massis, Sébastien Guèze, Étienne Dupuis, Jean Teitgen. Chœurs de l'Opéra National du Rhin. Orchestre symphonique de Mulhouse, dir. Patrick Davin.

 


© Alain Kaiser

 

Et si Les Pêcheurs de perles étaient autre chose qu'une simple bluette orientaliste ? Le jeune Bizet, encouragé par son maître Gounod - « Sois très toi... Crois à ton émotion » - fera contre mauvaise fortune bon cœur avec le texte que lui soumettent ses librettistes, préférant le remanier au gré de l'inspiration musicale. Celle-ci le révèle grand mélodiste, et ce premier essai, s'il n'est pas un coup de maître, est déjà pour beaucoup dans une réputation que couronnera Carmen. Dans l'étonnant schéma à quatre personnages, une femme, trois hommes, la voix est bien au centre de ses préoccupations, traitée avec infiniment de tact, nourrie de la transparence française, mais aussi de cette belle flamme qui vient d'Italie, et portée par un orchestre jamais lourd, où l'on a cru aussi entrevoir des influences germanistes, de Weber en particulier, et de son Freischütz. Car l'écriture de Bizet, admirée par Berlioz, brille de coloris subtils, aptes à libérer un lyrisme qui fait mouche à chaque morceau. Si la pièce ressortit à l'opéra à numéros, airs et duos, ceux-ci sont enchâssés dans un continuum symphonique qui dépasse de loin le simple accompagnement. Tout aussi admirable est le traitement du chœur, qui pour n'être pas toujours gratifié de paroles mémorables, brille par les contours de sa mélodie ; un cinquième personnage assurément. La production de l'Opéra National du Rhin, à Strasbourg, se signale d'abord par ses éléments spécifiquement musicaux. Au premier chef, Annick Massis, qui revient à un rôle chéri entre tous, Leila, la vierge inaccessible, dont le regard, enfin dévoilé, réveille chez les deux amis, Zurga et Nadir, la passion du cœur. Là où bien des interprètes s'en tiennent à une approche tiède, de peur de trop charger un personnage étrange, Massis opte pour une consistance dramatique, voire une maturité, qui lui confèrent une bien autre dimension. Le plaisir se double d'une élocution qui donne à la phrase, à la réplique leur vrai poids, d'une ligne de chant transcendant la pure vocalise. Une interprétation comme il en est peu. Le Nadir de Sébastien Guèze éclate de jeunesse, non seulement par une prestance associant drame et fragilité, mais surtout par la juste intonation et le maniement expert de la voix de tête. Là aussi, on est loin du cliché du tenorino convenu, et la belle couleur claire du timbre rend justice à une figure magnifiquement conçue. A l'inverse, le Zurga d'Étienne Dupuis est un parangon de grave et sombre teintes. Là où le personnage est appelé, par la régie, à un parcours encore plus souligné que de coutume, la beauté intrinsèque du baryton Martin fait merveille, et on sent la réserve de puissance. Le Nourabad de Jean Teitgen reste un iota en deçà, mais la basse a de la résonance. Tout comme les chœurs de l'ONR font assaut de panache. Tous sont portés au-delà d'eux-même par la l'énergique direction de Patrick Davin. Le jeune chef belge, dont l'affinité avec l'idiome français n'est pas neuve, transfigure l'Orchestre symphonique de Mulhouse, dont il va prendre les rênes prochainement. On perçoit combien la musique de Bizet a à offrir en partage : l'élégance du phrasé, la joliesse de l'harmonie, qui n'est pas sans évoquer les italiens, et la transparence, qui se nourrit de netteté. On savoure ce que l'orchestration renferme d'originalité : l'alliance de la flûte et de la harpe, bien sûr, fort bien ménagée ici, mais aussi du basson et de la clarinette grave, ou encore du violoncelle et du cor. Cette combinaison inédite des timbres est pour beaucoup dans le coloris général et la mise en valeur des voix.

 


© Alain Kaiser

 

De cette prééminence de la voix, la régie de Vincent Boussard fait sa raison d'être, dans une direction inattendue. Deux lignes de force la sous-tendent : « une lecture biographique », qui dédouble le personnage de Zurga, lequel vit sa propre histoire à travers le regard du compositeur, dans l'environnement d'un théâtre à l'italienne ; cette « scène » tant convoitée par Bizet. Un drame intimiste également, proche de ceux qu'enfantera le milieu du XIX ème siècle, qui plus que de souffrir des péripéties, oppose un parcours initiatique dans la sphère du privé. Autant dire que la composante orientaliste, la vie d'une communauté de pêcheurs sur l'île de Ceylan, est vite ravalée au rang de l'anecdote. Il n'en reste qu'un sol d'eau, jonché de pétales de roses, et une évocation récurrente, par le truchement de la vidéo, d'une mer tour à tour protectrice ou déchaînée. Une phrase de Leila, à l'endroit de Nadir, au II ème acte, « la mort est sur tes pas », pourrait bien être le leitmotiv de la mise en scène : cérémonie funèbre sur laquelle s'ouvre l'opéra, celle d'une société bourgeoise venue jeter une brassée de fleurs blanches sur quelque grève endeuillée ; retrouvailles de deux amis, de noir vêtus, dont l'un Nadir, n'est que de passage, virant à l'interrogation, puis à la confrontation, autour d'un piano à queue, symbole de l'Art musical. Sur celui-ci, Leila apparaîtra drapée d'un immense voile qui peuple l'entier plateau, et y demeurera longtemps immobile, inaccessible icône. C'est encore planté sur l'instrument, que Zurga tentera de régner en maître jusqu'à ce qu'il voit basculer son destin, à l'aune de ce piano flanchant, privé d'un de ses pieds. Encore une fois, la dramaturgie réécrit le texte. Et la lecture ne livre pas toujours l'immédiateté de celle-ci. Elle reste, du moins, cohérente et donne lieu à des images intéressantes, qui font oublier quelques maladresses de réalisation (ces protagonistes pataugeant pieds nus dans une flaque d'eau), ou libertés faciles : un début de troisième acte, où avant que Zurga ne médite sur l'inanité de sa fureur contre « le tendre ami de son jeune âge », Boussard donne à voir une chorégraphie fantasque, digne de La Traviata, entourant l'homme éméché. La manière dont il dessine ses personnage est perspicace : l'irrésistible ascension du jeune et solitaire Nadir, l'imparable et longue chute de Zurga, et surtout la vie intérieure, loin de l'impassibilité, de Leila, qu'un temps, Bizet envisagea de donner pour nom à son opéra.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées : Tout pour la musique !

 

Wolfgang Amadée MOAZRT : Don Giovanni. Dramma giocoso en deux actes. Livret de Lorenzo Da Ponte. Markus Werba, Miah Persson, Daniel Behle, Sophie Marin-Degor, Robert Gleadow, Serena Malfi, Nahuel Di Pierro, Steven Humes.  Chœur du Théâtre des Champs-Elysées. Le Cercle de l’Harmonie, dir. Jérémie Rohrer. Mise en scène : Stéphane Braunschweig.

 

 


Don Giovanni © Vincent Pontet/ Wikispectacle.

 

La mise en scène d’opéra est, sans aucun doute, un exercice bien périlleux, et celle de Don Giovanni plus que toute autre, tant est étendu le domaine des possibles dans la vision que l’on peut avoir du célèbre mythe. Voir Don Giovanni au travers du regard de son valet, Leporello, voilà qui, à défaut d’originalité (vision maintes fois rabâchée), est toutefois défendable, voire intéressant…Encore eût-il fallu que cette vision ne se limitât point à un Leporello fasciné, subjugué ou horrifié devant les méfaits de son maître, cantonné dans un voyeurisme coupable ou une indignation muette. Car ce Don Giovanni, amateur de parties fines et de conquêtes faciles, ne mérite pas tant d’égards et d’attention, figure malheureuse de la post modernité entrainé dans un hédonisme forcené et une addiction sexuelle entretenue à coups d’aphrodisiaques. En bref, une vision simpliste et décevante du célèbre libertin, qui perd, ici, toute dimension sociale, politique ou spirituelle, perdant, par là même, toute substance. Ajoutons à cela, une scénographie épurée, en noir et blanc, dont les éléments essentiels semblent être le lit, le brancard et le crématorium, ce qui n’est pas toujours du meilleur goût... et tout sera dit ! Oublions vite cette mise en scène insipide, toutefois peu dérangeante, qui laisse une large part à la musique. Sublime s’il en est, magistralement dirigée par Jérémie Rohrer dont on connait la profonde affinité pour Mozart. Une direction engagée, fougueuse, parfaitement juste, une musicalité particulièrement expressive, un sens du récit très affûté, qui fait magnifiquement sonner l’orchestre. Celui-ci, le Cercle de l’Harmonie, est au mieux de sa forme et, par le jeu du phrasé et des articulations subtiles, respire avec les chanteurs, nous racontant, par ses nuances, ses couleurs et ses tempi, bien plus que par la mise en scène, cette dernière journée de l’incorrigible séducteur. Tout est annoncé dès  les premières mesures inquiétantes de l’Ouverture : cette journée se terminera mal. Une course à l’abime qui trouvera son terme dans la mort ! Un drame dont Jérémie Rohrer saura maintenir toute la tension aidé, il est vrai, par une distribution de haut niveau tant scéniquement que vocalement. Elle est dominée par le trio féminin : Miah Persson, Donna Elvira, éloquente, entre fureur et pardon, Serena Malfi, Zerlina, espiègle à souhait, Sophie Marin-Degor, Donna Anna, élégante, aux vocalises faciles, mais aux aigus un peu raides. Côté masculin, Daniel Behle, Don Ottavio, n’est pas une bête de scène, mais son timbre est clair et son legato sublime, Nahuel Di Pierro, Masetto, échappe, quant à lui, à la caricature du benêt habituel, et Steven Humes, Le Commandeur, nous fait frémir dans l’avant-dernière scène, tant la symbiose avec l’orchestre est convaincante et spectaculaire. En revanche, le « couple » Don Giovanni, Markus Werba, Leporello, Robert Gleadow, paraît plus discutable. Markus Werba, que l’on avait apprécié en Papageno, accuse un timbre un peu trop suave et une stature par trop étriquée pour le rôle, face à un valet, qui bénéficie, à l’inverse, d’une voix solide et d’un physique plus imposant. Bref, un beau Don Giovanni qu’on aurait aimé plus engagé.

 

 


© Vincent Pontet/ Wikispectacle.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Un Don Carlo furioso !

 

Guiseppe VERDI : Don Carlo. Opéra en quatre actes (1884). Livret de Joseph Méry et Camille de Locle. Version de concert au Théâtre des Champs-Elysées. Stephano Secco, Barbara Frittoli, Ildar Abdrazakov, Ludovic Tézier, Daniela Barcellona, Marco Spotti, Roberto Tagliavini. Orchestre & Chœur du Theatro Regio Torino, dir. Gianandrea Noseda.

 

Cette version de concert faisait suite au Don Carlo donné quelques jours auparavant, en version scénique à Turin, mais avec une distribution vocale bien affaiblie par les sournoises attaques virales printanières… Ramon Vargas remplacé au pied levé par Stephano Secco, habitué du rôle, Barbara Frittoli qui n’avait pu chanter à Turin, revenant le mouchoir à la main et la goutte au nez, Ludovic Tézier, décidément fragile (il était déjà souffrant pour la Favorite de Donizetti, ici même, il y a quelques semaines…) annonçant qu’il ne chantera pas à pleine voix… Ne tirons pas sur l’ambulance et parlons plutôt des bien chantants… Au premier rang desquels, il convient de souligner l’exceptionnelle prestation, noble et émouvante, d’Ildar Abdrazakov dans le rôle de Philippe II, face auquel l’Inquisiteur de Marco Spotti  parut, hélas, bien pâle. Non moins valeureuse, Daniela Barcellona, campa une magnifique Eboli au timbre délicat et à la diction parfaite. Arrivé de dernière minute, Stephano Secco se montra, à son habitude, vaillant et engagé malgré des aigus un peu serrés et un chant légèrement forcé. Notons enfin  une très belle intervention de Roberto Tagliavini dans le rôle du moine. Tout cela, malgré tout, aurait pu être une belle soirée de concert si le chef italien, pourtant spécialiste du répertoire lyrique, n’avait conduit son Orchestre du Regio Torino au bord de l’abime par sa direction furieuse, particulièrement mal venue : tempi effrénés, manque de nuances, dérapages instrumentaux, ensemble vocaux à la limite de la justesse par la nécessité de forcer le chant (notamment le célèbre air de l’amitié), orchestre couvrant bien souvent les voix… Bref, une curieuse frénésie orchestrale en rien justifiée qui, contre toute attente, déclencha l’ovation triomphale du public. Surprenant !

 


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Patrice Imbaud.

 

 

Une œuvre rare, La Vierge de Jules Massenet.

 

Légende sacré en quatre scènes, pour solistes, chœurs & orchestre. Livret de Charles Grandmougin. Norah Amsellem, soprano. Maitrise de Notre-Dame de Paris, Chœur de l’Armée française, Chœur d’Enfants Sotto Voce. Orchestre du Conservatoire de Paris, dir. Patrick Fournillier.

 

Présentée dans le cadre de la célébration du 850 ème anniversaire de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la Vierge, de Jules Massenet (1842-1912) est une œuvre rare, donnée en première audition en 1880, à l’Opéra de Paris, sous la direction du compositeur. Cette œuvre connut, lors de sa création, initialement prévue à Notre-Dame précisément, un succès d’estime, un accueil plutôt froid, dû à la lourdeur du programme qui présentait conjointement des œuvres  de nombreux autres compositeurs. L’illustre soprano Gabrielle Krauss ne put, malgré son talent, sauver cette composition magnifique de l’indifférence d’un public fatigué, désintéressement dont Massenet gardera, sa vie durant, un souvenir pénible. Légende sacrée en quatre tableaux, sur un texte de Charles Grandmougin, évoquant les épisodes principaux de la vie de la Vierge à travers les récits bibliques de l’Annonciation, des Noces de Cana, du Vendredi Saint et de l’Assomption, cet oratorio, aux accents terriblement humains dans l’expression des sentiments, s’émancipe de la liturgie pour devenir une véritable pièce de concert. On y retrouve une des grandes figures féminines de l’imaginaire massenétien, avec ses joies, ses emportements, ses faiblesses, sa douleur ; ce qui ne manquât pas de fournir sujet à critiques, certains reprochant à Massenet d’avoir composé une musique trop théâtrale sur un sujet aussi mystique…Une musique, en effet, pleine d’effets dramatiques, de couleurs, de rythme, de climats différents parfois très surprenants, comme la très profane danse galiléenne. Une œuvre brillante par sa ligne mélodique et la richesse de son orchestration, grandiose et émouvante, servie par un plateau de plus de 250 musiciens, placés sous la direction de Patrick Fournillier, spécialiste incontesté de l’œuvre de Jules Massenet, qui dirigea de main de maitre de bout en bout, avec précision, engagement et délicatesse. Norah Amsellem, trop souvent absente des scènes françaises, alors qu’elle mène depuis plusieurs années une carrière internationale, sut donner à la Vierge toute son humanité, par son chant remarquable, sa parfaite diction et sa présence scénique. Une très belle soirée que Patrick Fournillier dédia à Sir Colin Davis, récemment disparu, autre grand spécialiste de la musique française. Un bien bel hommage !

 


© Norah amsellem/ DR

 

Patrice Imbaud.

 

 

La fin du monde, un oratorio sur la tempête de décembre 1999

 


© DR

Le Centre Culturel de Sarlat, garni d'un public nombreux, a été le théâtre, le 26 avril dernier, d'un événement intéressant : la création mondiale de l'oratorio "La fin du monde" de Bruno Rossignol, redonné à guichet fermé, le lendemain, à Périgueux. Sur un texte occitan de Jean Yves Agard, la musique de Bruno Rossignol, directeur du Conservatoire de Périgueux et chef du "Chœur de Dordogne", s'attache à peindre la tempête du 27 décembre 1999. A l'écoute de l'œuvre, tous ceux qui avaient vécu cet événement se sont retrouvés plongés dans cette journée que nul n'a pu oublier. Si le texte occitan ravive les souvenirs, sans mièvreries ni passéisme, la musique, quant à elle, se trouve complètement en phase avec celui-ci. Elle nous propose en effet des moments de calme et de douceur, avec le jeu, sobre et sensible, des bois et de la harpe. Puis on se laisse envahir, au plus fort de la tempête, par l'intensité des percussions, des cuivres et des cordes. L'écriture utilise les voix de façon judicieusement mélodique, tout en réservant des accords très contemporains à l'instrumentation. On apprécie également la grande mise en valeur des voix d'enfants, soutenues par le chœur d'adultes dans les moments les plus intenses. Quant au superbe mezzo-soprano de la soliste, Mathilde Rossignol, étudiante à l'École normale de Musique, il nous a parfaitement fait ressentir l'incrédulité et l'impuissance humaine face au paroxysme des éléments. Une œuvre toute de sensibilité et de force, remarquable à mes oreilles.

Geneviève Brun Ellis*.

 

* Geneviève Brun Ellis est conseillère pédagogique de Dordogne et chef de l'Ensemble Vocal de Périgueux.

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Rencontre avec le librettiste et le compositeur de l’oratorio « La fin dau monde », créé à Sarlat et à Périgueux les 26 et 27 avril 2013.

 

Michèle Lhopiteau-Dorfeuille: la « fin du monde » dont il est question dans cet oratorio est le récit de la nuit de cauchemar qu’ont vécu les habitants du sud-ouest de la France le 27 décembre 1999. Comment vous est venue l’idée de tirer un conte de cette catastrophe écologique et humaine ?

 

Jean-Yves Agard(librettiste) : j’étais ce soir-là de passage dans la famille de ma filleule Alma, près de Ribérac, en Dordogne. Quand la tempête s’est déchaînée, j’ai fait de mon mieux pour rassurer Alma et ses deux sœurs, tandis que leurs parents, Bernard et Sandrine, tentaient de sécuriser les portes et les fenêtres. Deux ans plus tard, j’ai voulu, comme chaque année, offrir à Alma un cadeau de Noël original : j’ai donc fait de cette nuit d’épouvante un conte poétique. Sociologue-antropologue de formation, je suis depuis toujours fasciné par la poésie de Jean Giono et par sa manière de personnaliser la nature et les éléments. Ce théisme diffus se retrouve, je crois, dans mon texte.

 

M. L D : mais pourquoi avoir fait traduire ce texte en occitan par Patrick Ratineau ? Et de quelle langue s’agit-il exactement ?

 

Jean-Yves Agard : « La fin dau monde » est chanté en occitan limousin, celui que parlaient mes grands-parents. J’ai voulu cette traduction car je milite pour l’identité des territoires, qui fut  mise à mal par l’école de la III ème république : une école qui a eu, certes, le mérite de fournir à tous nos compatriotes un idiome commun, mais au prix, hélas, de la destruction de cultures très fortes. Comme c’est déjà le cas au pays basque ou en Bretagne, l’avenir de l’Occitanie, en termes de développement touristique, artisanal et donc d’emplois, pourrait en partie venir d’une renaissance de sa langue. Car toute langue perdue est une vision du monde perdue, un appauvrissement irrémédiable. De cette tempête de 1999 qui a, chez nous, détruit des forêts entières, j’ai en outre voulu faire une sorte de métaphore de la destruction d’un mode de vie et de pensée que personne n’avait vu venir - à l’image de cet ouragan destructeur, annoncé par météo France comme un simple « coup de vent ». Il fallait donc que cet oratorio contemporain, pas le moins du monde passéiste ni folklorisant, soit chanté en occitan.

 


Jean-Yves Agard /© DR

 

M. L D  : Bruno Rossignol, vous êtes depuis 2011 directeur du Conservatoire à rayonnement départemental de la Dordogne, après avoir dirigé plusieurs conservatoires parisiens - dont celui du X ème arrondissement de la capitale - et assisté, de 1981 à 1983, Arthur Oldham aux Chœurs de l’Orchestre de Paris. Cet oratorio est loin d’être votre première composition puisque vous avez déjà écrit, entre autres, un Stabat Mater, un opéra, un Concerto pour violon,  un Concerto pour Harpe, et de nombreuses pièces pour piano. Vous êtes également l’auteur de la seule transcription existante des « Tableaux d’une exposition » de Moussorgski pour piano à quatre mains. Pourquoi cette « Fin du monde » ?

 

Bruno Rossignol : la perspective d’écrire une œuvre de 45 minutes pour chœur, récitant, soliste et orchestre, à la fois contemporaine, universelle et ancrée dans un territoire précis, mais aussi la beauté et la force du texte de Jean-Yves Agard, m’ont poussé à tenter l’aventure ; un travail qui a duré deux ans. J’ai renforcé l’orchestre symphonique d’un certain nombre de percussions, gong, cloches tubulaires, fouet, et rajouté une vielle à roue. Non pour son côté archaïsant - les phrases qui lui sont confiées n’ont rien de folklorique ! - mais pour sa symbolique : au Moyen Age en effet, la vielle, dont le son était incontrôlable, pas assez « politically correct »,  était vue par l’Eglise comme le suppôt du malin. Or les forces du mal sont bel et bien en filigrane dans cette tempête de 1999.

 

M. L D  : quelles ont été vos influences sur le plan de l’écriture ?

 

Bruno Rossignol : j’ai été marqué, en tant que compositeur, par des œuvres que j’ai particulièrement étudiées ou que j’ai dirigées, comme la Symphonie des psaumes de Stravinsky, la Symphonie du printemps de Britten, les oratorios d’Honegger, qui mettent en jeu un ou plusieurs récitants. Dans les parties réservées aux voix d’enfants, je me suis souvenu d’Arvo Pärt et de son « tintinnabulum » (petits motifs simples qui reviennent en écho comme des carillons).

 

M. L D  : pourquoi ces voix d’enfants ?

 

Bruno Rossignol : notre Conservatoire pilote le « Jeune Chœur de Dordogne », dirigé par Christine et Philippe Courmont ; une entité décentralisée entre Bergerac, Périgueux et Sarlat, avec des enfants venant des quatre coins du département qui, tous, travaillent un instrument. Il était indispensable qu’ils participent à cet oratorio, soutenus par trois chœurs d’adultes dans les moments de forte intensité, comme le chœur final où les voix déplorent la mort du plus vieil arbre du jardin : « il avait 120 ans, plus qu’un bail de notaire, ça faisait un bail du diable, oui, c’est le mot, un bail du diable et ce soir le diable venait récupérer sa terre. 120 ans, 120 ans, il avait 120 ans ».

 


Bruno Rossignol /© DR

 

M. L D  : Comment voyez-vous la diffusion de cet oratorio ?

 

Bruno Rossignol : une édition est prévue chez Delatour, avec la transcription phonétique du texte occitan. Si la partition d’orchestre et celle de la mezzo soprano solo exigent des professionnels aguerris, les parties destinées au chœur restent abordables pour des choristes amateurs de bon niveau. Les œuvres aujourd’hui les plus universelles et les plus chantées sont souvent en latin, une langue que plus personne ne parle. Alors pourquoi pas une œuvre universelle en occitan ?

 

 

 

***


L’EDITION MUSICALE

Haut

 

CHANT

 

Gérard HILPIPRE : Pays du soir. Cinq chants pour voix et piano sur des textes de Pär Lagervist. Delatour : DLT2163.

Ecrit pour baryton ou mezzo-soprano, ce cycle vocal sur des poèmes du grand écrivain suédois Pär Lagerkvist (1891-1974) se déroule comme un voyage initiatique à travers les mystères de l’Univers. Gérard Hilpipre nous livre ici une œuvre particulièrement dense et profonde, toujours étroitement au service du texte. La traduction des poèmes est de Gunilla de Ribaucourt.

 

 

 

MUSIQUE CHORALE

 

Pascal JUGY : Tu me grondes pour chœur d’enfants à deux voix accompagné. Poème de Joël SADELER. Collection Atout Chœurs. Lafitan : P.L.2567.

La pièce n’est pas très difficile, très chantante, et dans un langage qui, pour être classique, n’en est pas moins original. Le texte est délicat, tendre. C’est un appel à l’amitié. L’accompagnement est pianistique. La guitare, facultative, ajoutera encore un peu de poésie à l’ensemble.

 

 

 

Charles BALAYER : Entre Jazz et Salsa pour chœur mixte SATB et piano (ou section rythmique). Delatour : DLT2148.

Composée en 1998 pour le « chœur Artie Shaw », cette partition qui ne dure pas moins de six minutes peut constituer le final d’un spectacle ou d’un concert car elle est aussi en forme de remerciement au public. C’est vraiment une pièce enthousiasmante, mais plutôt que de faire de longs discours, nous ne pouvons que vous conseiller d’aller l’écouter dans son intégralité sur le site des éditions Delatour. Il suffit de cliquer sur la partition puis sur vidéo… Au fait, si on peut avoir pour l’accompagner piano et section rythmique, c’est encore mieux !

 

 

 

Joseph-Ermend BONNAL : 3 Tantum ergo pour chœur mixte (SATB) et orgue. Delatour : DLT1227.

Rappelons que l’auteur (1880 – 1944) est un organiste élève de Gabriel Fauré, d'Alexandre Guilmant et de Charles Tournemire. Il a composé un nombre important de pièces religieuses… et quelques ragtimes (sous un pseudonyme !).

Il a su évoluer dans son langage au fil des années : les trois Tantum ergo ici proposés en sont un bon exemple. Si les deux premiers demeurent dans un style assez classique, le troisième, a capella, « dans le style populaire basque », avec des inflexions en mode dorien, est tout à fait original.

 

 

 

Joseph-Ermend BONNAL : Laudate Dominumpour chœur mixte (SATB) et orgue. Delatour : DLT1232.

Sans grande difficulté, cette mise en musique du psaume 116 (117) qui est le plus court du psautier suit fidèlement le texte dans toutes ses nuances. Reprenant l’intonation du cinquième ton, elle se développe ensuite en jubilation pour moduler au gré des versets. C’est une musique exaltante qu’il est urgent de redécouvrir.

 

 

 

Frédéric LEDROIT : Requiem op. 50 pour chœur, solistes, piano et orgue. Delatour : DLT2143.

Voici une œuvre monumentale puisqu’elle ne compte pas moins de quatorze numéros. L’auteur a fait œuvre à la fois de musicien et de croyant dans une réalisation à la fois grandiose et intime, imprégnée des textes liturgiques. Il sera facile de s’en faire une idée en allant voir et écouter les extraits qui figurent sur le site de l’éditeur ou l’intégralité de l’œuvre sur You tube. L’auteur présente lui-même son œuvre dans une copieuse introduction. Nous ne résistons pas au plaisir d’en citer un extrait : « Quand on me reproche mon goût artistique pour le grand art, soit disant élitiste, et que l’on me demande d’expliquer en quoi la grande musique sacrée est incomparable à la chansonnette d’église, je reste souvent décontenancé ! Il me semble alors que le bon sens et le bon goût devraient se rejoindre naturellement et sans explication. Comment peut-on expliquer la différence entre une affreuse croûte et un chef-d’œuvre, entre un parfum subtil et une odeur nauséabonde, entre un bon plat et des œufs pourris ? » Joseph Samson, maître de chapelle de Dijon ne proclamait-il pas non moins abruptement à Versailles le 12 juillet 1957 au 3ème congrès international de Musique Sacrée : « Pas besoin de se poser la question ou de s’inquiéter, Dieu est sourd. Si Dieu n'était pas sourd comment s'expliquerait-on, comment s’expliquerait-on que lui, Dieu, puisse assister à une grand-messe chez nous, chaque dimanche ? »

 

 

 

ORGUE

 

Mel BONIS : L’œuvre pour orgue, volumes 1 et 2. Edition de Georges Lartigau. Armiane : EAL 443.

Il faut remercier les éditions Armiane de participer à la renaissance éditoriale des œuvres de Mélanie Bonis (1858 – 1937).  Nous ne pouvons que conseiller de découvrir cette compositrice remarquable, élève entre autres de César Franck et condisciple de Debussy et Pierné, sur le site de l’Association qui lui est consacrée http://www.mel-bonis.com/  Sa vocation fut maintes fois contrariée. Elle n’en laisse pas moins une œuvre importante et encore trop peu connue. L’intégrale de l’œuvre pour orgue nous est ici présentée par Georges Lartigot et Christine Géliot, arrière-petite-fille de Mel Bonis. Il faut absolument faire connaître ce répertoire plein de fort belles pages.

 

 

 

Frédéric LEDROIT : Possession Op. 49. Pour piano et grand orgue. Delatour : DLT2127.

Voici un assemblage inhabituel mais qui pourtant se développe. L’auteur, organiste, collabore depuis plusieurs années avec le pianiste Jean-Pierre Ferey pour promouvoir ce répertoire jusqu’à présent assez limité. Possession est sa troisième œuvre pour cette formation. Sous forme de dyptique, elle commence par un mouvement « Plaintif, libre et inspiré » et se termine par un mouvement « implacable ». L’ensemble dure 11 minutes. L’auteur joue bien entendu à la fois sur les oppositions et les complémentarités de timbre entre les deux instruments. Il n’y a plus qu’à guetter les concerts de ces deux interprètes…

 

 

 

PIANO

 

Francis COITEUX : Variations sur l’hymne italien « Il canto degli Italiani » pour piano. Niveau troisième cycle. Sempre più : SP0061.

Voici une œuvre qui fait penser aux nombreuses variations sur des hymnes nationaux écrites au début du siècle. Ce qui n’est pas une critique ! Le thème est tout simplement l’hymne exprimé dans son harmonisation d’origine et dans son intégralité. Les variations sont également des classiques du genre et permettent au jeune (ou moins jeune) pianiste de montrer à la fois toute sa technique et tout son sens musical. Il s’agit d’un morceau de « bravoure » fort bien venu.

 

 

 

SCHUBERT : Œuvres pour piano à quatre mains. Edité par Walburga Litschauer et Werner Aderhold. Vol. III. Bärenreiter : BA 9645.

Cinq pièces figurent dans ce volume : Variationen über ein Thema aus der Oper « Marie » von L.J. Ferdinand Hérold op. 82/1 – D 908, Fantasie in f op. 103 – D 940, Allegro in a op. post. 144 – D 947, Rondo in A, op. post. 107 – D 951 et Fuge in e op. post. 152 – D 952. Il n’est pas besoin de souligner l’importance des œuvres publiées dans cette monumentale édition. Chaque pièce est présentée de façon tout à fait pertinente par son éditeur. De plus, les notes pour l’exécution de ces pièces concernant toucher, articulation, ornements, rythme et tempo par Mario Auschauer sont tout à fait intéressantes et bien utiles. On appréciera également la présence de fac-similés des manuscrits. Bref, il s’agit d’une excellente édition par ailleurs bien agréable à lire.

 

 

 

VIOLON

 

Claude-Henry JOUBERT : Pipolet pour violon avec accompagnement de piano. Premier cycle. Sempre più : SP0056.

Ce titre cache-t-il un personnage de jeu vidéo ? On peut en douter. L’auteur nous renvoie sans doute plutôt à l’œillet des rochers, appelé également de ce joli nom, et qu’on rencontre dans les Hautes-Alpes. Quoi qu’il en soit, on pourra y voir des échos de farandole ou des sauts de chamois… La pièce est alerte, variée et bien plaisante.

 

 

 

Friedrich SEITZ : Schülerkonzert in G – moll op. 12. Bärenreiter : BA 8985.

Il sera bien agréable aux professeurs de violon – et à leurs élèves – de retrouver les concertos faciles de ce violoniste et compositeur allemand né en 1848 et mort en 1918 dans une édition de travail aussi soignée. A un Allegro risoluto s’enchaine un Adagio plein de charme. Le tout se termine par un Allegro vivace. Il est nécessaire, pour aborder cette pièce, que le jeune violoniste maîtrise les cinq premières positions.

 

 

 

Vladimir BODUNOV : Beautiful Adagios. 9 pièces pour deux violons. Bärenreiter : BA 10615.

De Vivaldi à Brahms et Tchaïkovsky en passant par Bach, Chopin et d’autres, il n’était pas facile de réaliser des adaptations à la fois fidèles et pas trop difficile. L’adaptateur y réussit à merveille. Il est toujours bon pour les élèves d’avoir « bricolé » dans des pièces célèbres avant d’écouter et de goûter les originaux…

 

 

 

George A. SPECKET : Tango classicspour violon et piano. Bärenreiter : BA 10614.

Gageons que ces arrangements de six tangos célèbres, d’Astor Piazzolla à Carlos Gardel, connaîtront un franc succès auprès des jeunes violonistes. Qu’en dire sinon que ces adaptations sont pleinement réussies et fidèles aux originaux ? Ce n’est pas si facile, mais le jeu en vaut la chandelle !

 

 

 

Arcangelo CORELLI : Sonates pour violon et basse continue. Op. 5, I-VI volume 1, VII-XII volume 2. Edité par Christopher Hogwood et Ryan Mark. Bärenreiter : BA 9455 et 9456.

Certes, les éditions des sonates de Corelli ont été fort nombreuses depuis l’origine, et publiées avec des réalisations de la basse très variées. Mais c’est d’une véritable édition critique qu’il s’agit ici et qui apporte beaucoup de nouveautés. Outre la publication soigneusement revue de la partie de violon et de la basse, cette édition nous offre une réalisation de l’époque de Corelli par Antonio Tonelli, publiée pour la première fois dans une édition moderne. Figurent aussi dans cette édition de nombreux ornements trouvés dans des manuscrits de Tartini, Geminiani et d’autres. Bien sûr, ces parties ornementées sont publiés dans un fascicule séparé. En effet, chaque volume est divisé en deux livraisons, la première contenant les copieuses préfaces, présentations et explications concernant l’édition ainsi que la publication du texte avec la basse continue et, sous celle-ci, la réalisation de Tonelli. La deuxième contient trois fascicules : l’un contient la partie de violon, le deuxième les versions ornées, le troisième la partie de violon avec la basse chiffrée. On voit combien cette édition est complète et permettra un véritable travail personnel aux interprètes.

 

 

 

Christophe FRIONNET : La Question perpétuelle pour violon et piano. Delatour : DLT2131.

Nous sommes prévenus : « cette courte pièce s’adresse à des musiciens expérimentés »… Piano et violon échangent et entremêlent leurs questions « à la vie et au monde ». Le discours est dense et se termine, nous dit toujours l’auteur, « en impasse ». Quoi qu’il en soit, cette œuvre est intéressante à découvrir.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : En chemin pour violon et piano. Delatour : DLT2172.

Que voilà un chemin bien agréable, quoique un peu chaloupé… En effet, cette courte pièce de forme rondeau emprunte beaucoup de son rythme au tango. Le clavier joue un rôle rythmique de premier plan. Cette pièce existe en plusieurs versions : cor anglais et piano et cor anglais et clavecin. La version pour violon est jouée avec beaucoup de panache dans une vidéo visible sur le site de l’éditeur. La pièce est écrite pour un niveau fin de deuxième cycle.

 

 

 

ALTO

 

Friedrich SEITZ : Schülerkonzert in D – Dur op. 22 arrangé pour alto. Bärenreiter : BA 8986. L’original pour violon est édité sous le n° BA 8979.

Nous renvoyons à ce que nous avons dit dans la rubrique « violon » à propos des concertos de Friedrich Seitz. Celui-ci demande seulement une très bonne maîtrise de la première position. Il n’en est pas si facile pour autant. A un Allegro moderato succède un Andante cantabile suivi d’un Rondo allegretto. Ces pièces pédagogiques offrent un intérêt musical certain et sont une excellente préparation à la fréquentation des grands concertos.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Friedrich SEITZ : Schülerkonzert in D - dur op. 22 arrangé pour violoncelle. Bärenreiter : BA 8987.

Il s’agit de la version pour violoncelle du concerto recensé dans la rubrique « alto ». Au violoncelle, la seconde position est également requise.

 

 

 

HAUTBOIS

 

Claude PASCAL : Volte-face pour hautbois et piano. Sempre più : SP0053.

De niveau fin de premier cycle, cette charmante pièce comporte deux volets très contrastés : un premier mouvement modéré et calme s’enchaîne avec un tempo di Marcia on ne peut plus martial. Beaucoup d’humour, donc dans ce Volte-face qui permet aux interprètes de montrer leurs sens musical et leur tempérament.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Les exploits de Mademoiselle Juliette pour hautbois avec accompagnement de piano. Deuxième cycle. Sempre più : SP0059.

Il s’agit d’une sorte de suite au fil des différentes aventures de Mlle Juliette qui se déguise, qui danse, qui fait la tête, qui a oublié de fermer le robinet puis qui court très vite pour échapper à la fessée… Bref, il s’agit d’une suite aux multiples facettes et, comme toujours avec C.H. Joubert, pleine de bonne musique.

 

 

 

CLARINETTE

 

Claude-Henry JOUBERT : Variations pâtissières pour clarinette avec accompagnement de piano. Premier cycle. Sempre più : SP0057.

Espérons que les élèves apprécieront les commentaires et la musique toujours pleins d’humour de l’auteur. Le thème, dans un « tempo de moule à tarte » se déploie ensuite en variations plus amusantes les unes que les autres. A déguster sans modération…

 

 

 

Régis CARROUGE : 6 duos pour trombones. Delatour : DLT2106.

Ces six courtes pièces, puisque la plus longue n’excède pas 1 minute 20 et la plus courte (qui peut servir de « jingle » pour une audition) 16 secondes, sont d’un niveau de deuxième cycle. Agréables et sans prétention, elles trouveront facilement leur place dans un concert d’élèves.

 

 

 

TUBA

 

André TELMAN : En plein songe pour saxhorn basse/euphonium/tuba et piano. Premier cycle. Lafitan : P.L.2605.

Voici un songe bien agréable à entendre mais pas si facile à interpréter : il comporte de nombreuses facettes qui mettent en jeu toutes les capacités musicales et techniques de l’instrumentiste. Mais c’est pour un plaisir à la hauteur des difficultés…

 

 

 

Rémi MAUPETIT : Pakina. Pièce en trois mouvements pour tuba ut et piano. Niveau élémentaire. Lafitan : P.L.2613.

A priori, il semble que ce titre nous invite à une « causerie », puisque c’est le sens de ce mot en finnois. Quoi qu’il en soit, cette causerie en trois mouvements divers s’avère fort agréable et pleine d’entrain et de musicalité.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Bernard ZIELINKY, Arletta ELSAYARY : Trois anges passent… pour batterie et piano. Préparatoire. P.L.2571.

Ce titre sibyllin cache en réalité une très jolie pièce très… angélique. L’indication de caractère qui figure au début est « Con Affetto Affettuoso. » On voit ainsi à quelle délicatesse de jeu sont appelés les deux interprètes. Il leur faudra beaucoup d’écoute mutuelle pour jouer avec les timbres de leurs instruments et laisser passer les anges !

 

 

 

Yves CARLIN – Claudy MAHIEU : Tuning pour caisse claire et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2656.

Voici une pièce pleine d’entrain et de vie qui demande une bonne entente, un bon synchronisme, un bon « tuning » entre les deux interprètes. A ce prix, le résultat devrait être bien agréable à écouter.

 

 

 

Max MÉREAUX : Fitness pour caisse claire et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L. 2597.

Le titre est tout un programme ! Si après cela les deux interprètes ne sont pas dans une forme éblouissante, c’est qu’ils n’auront pas donné toute l’énergie et toute la vélocité que requiert ce morceau par ailleurs bien plaisant.

 

 

 

Wieslaw JANECZEK : Aubia. Pièce en trois mouvements pour percussions et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2578.

Les percussions mises en œuvre dans cette pièce sont trois timbales pour le premier mouvement, un xylophone dans le deuxième et, dans le troisième, des percussions diverses. Les timbales s’expriment dans un adagio puis un moderato où le piano entre en résonnance avec les fondamentales données par les timbales. Le deuxième mouvement est plein de grâce et de vélocité quant au troisième, il permet au percussionniste de s’exprimer en dialogue avec le pianiste. Le tout constitue un ensemble varié très intéressant.

 

 

 

Pascal SAINT-LÉGER – Yvette-Line AUGUSTINE : La romance de Pascaline pour vibraphone et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2528.

Ce délicieux pastiche des romances un peu sentimentales du début du siècle (le XX°, bien entendu…) est particulièrement agréable et réussi. Il suffira d’interpréter « dans le style » pour que l’ensemble soit à la fois charmant et en même temps fasse éclore un léger sourire de la part de l’auditeur. Souhaitons donc beaucoup de plaisir tant aux interprètes qu’à leur public.

 

 

 

MUSIQUE D’ENSEMBLE

 

Didier MATRY ; Labyrinthes pour Hautbois, Trompette et piano. Fortin-Armiane : EAL 437.

Ce labyrinthe se déroule en deux phases, l’une lente et méditative, l’autre dans un mouvement rythmique énergique. L’auteur conseille de faire de ce parcours un cheminement intérieur.  Le tout est écrit dans un langage accessible qui met en valeur le dialogue entre la trompette et le hautbois.

 

 

 

Kathryn POTTER : Songes d’un cœur épris. Quintette à vent pour Flûte, Hautbois, Clarinette, Cor et Basson. Fortin-Armiane : EAL 545.

Il s’agit d’un hommage au Roi René d’Anjou. Le Cœur d’amour épris, histoire d’amour chevaleresque est écrite autour de 1460 par le « bon roi René ». Célèbre également par ses enluminures, dont l’éditeur nous gratifie fort judicieusement sur la couverture, l’œuvre donne lieu non à une illustration mais plutôt à un commentaire, agréable à jouer et de difficulté moyenne, dans un langage original.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : Dyade pour bande de hautbois. Collection « Les bandes de hautbois » dirigée par Claude Villevieille. Delatour : DLT2138.

Cette pièce est écrite pour 2 hautbois, 2 cors anglais, 1 hautbois baryton et 2 bassons. Comme son nom l’indique, elle se veut la réunion de « deux éléments solidaires, complémentaires et opposés ». Les instruments vont souvent par deux, ternaire et binaire se complètent et s’opposent… Mais il ne s’agit pas d’une construction intellectuelle : la musique est fluide, belle, et les interprètes trouveront beaucoup de plaisir à jouer cette œuvre. 

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : Capricello pour bande de hautbois et violoncelle. Collection « Les bandes de hautbois » dirigée par Claude Villevieille. Delatour : DLT2139.

Pièce concertante pour bande de hautbois (2 hautbois, 2 cors anglais, 1 hautbois baryton et 2 bassons) et violoncelle soliste, cette œuvre comporte quatre mouvements. Les deux premiers constituent une ouverture à la française ce qui n’infère pas une écriture baroquisante. On appréciera la variété des styles et des modes qui ne nuisent en rien à l’harmonie de l’ensemble.

 

 

Daniel Blackstone.

 

ORGUE

Orgelmusik zu Lob und Dank. Praise and Thanks for Organ, volume II. Kassel, Baerenreiter (www.baerenreiter.com ), BA 8497, 2013, 85 p.

Éditée par Andreas Rockstroh, cette sélection d’œuvres est regroupée autour du titre : Louange et Reconnaissance. Elle met à la disposition des interprètes vingt pièces correspondant aux formes traditionnelles : Prélude, Prélude ou Postlude, Prélude de choral,  Fantaisie… Composées par des organistes, cantors et professeurs généralement inconnus du grand public : J. G. Schneider (1789-1864), Gustav Rebling (1821-1902), Robert Radecke (1830-1911), Christian Fink (1831-1911), Heinrich Wettstein (1868-1934), entre autres, ces œuvres se situent dans la mouvance romantique et postromantique. Destinées aux cultes, offices et concerts, elles s’adressent à des interprètes chevronnés (rythmes complexes, traits de virtuosité en triples croches à la pédale, double pédale, opposition de claviers…). Les Préludes et Préludes de chorals ont une finalité liturgique et œcuménique. Certaines mélodies se trouvent dans les recueils actuellement en usage dans les paroisses allemandes : Evangelisches Gesangbuch (protestant) et Gotteslob (catholique). Quelques Préludes de chorals reposent sur un cantus firmus très connu, par exemple : Es ist das Heil uns kommen her, énoncé à la basse, repris à l’alto, puis au soprano et enfin à la pédale, ou encore Jesu, meine Freude, au soprano... À noter l’intéressant traitement de la Fantaisie de H. Wettstein sur le Choral : Sei Lob und Ehr dem höchsten Gut, dont la mélodie est combinée avec des motifs du Chœur : Die Himmel erzählen die Ehre Gottes (J. Haydn, La Création). Cette Anthologie, très bien gravée, contient, pour chacune des 20 pièces, des indications de registrations et de tempi, ainsi que des notices biographiques pour les 17 compositeurs représentés, facilitant l’interprétation et l’élaboration des programmes variés et inédits, et le renouvellement du répertoire organistique.

 

 

MUSIQUE VOCALE ET RELIGIEUSE

Oh ! quelle joie aujourd’hui. Vingt chants pour assemblée et chorale. Lyon, Olivétan, 2013, 36 p. – 15 €.

Ce titre ne se justifie que replacé dans son vrai contexte historique : « aujourd’hui » se rapportant à l’événement qui s’est produit fin mai 2013 : la naissance de l’ « Église Protestante Unie de France ». C’est à cette occasion que la Fédération Musique & Chant de la Réforme a élaboré un recueil de 20 chants dont l’usage n’est pas restrictif, car ils peuvent figurer au répertoire de toute chorale. Comme de juste, le premier chant s’inspire de l’injonction : Cantate Domino canticum novum : Chantez au Seigneur un chant nouveau (d’après le Psaume 149) sur le texte et la musique de Claude Fraysse, avec 3 strophes, se terminant par un vibrant Alléluia très développé à 4 voix. Les chefs trouveront des harmonisations à 4 ou 3 voix mixtes, ainsi que des harmonisations instrumentales avec chiffrages des accords. À côté de cantiques provenant de recueils existants, cette nouvelle publication comprend des créations. Le deuxième chant reprend le titre du recueil : Oh ! quelle joie aujourd’hui, et le dernier est un chant de bénédiction à 4 voix, avec contrechant instrumental (Didier Trautwein, K. H. Saretzki), traitement homosyllabique et homorythmique et quelques notes de passage. Parmi les mélodies connues, figurent : Que ton Église fasse honneur (texte d’Edmond Pidoux, mélodie attribuée à M. Luther, harmonisation (3 voix) de Michael Praetorius, typique de l’esthétique luthérienne) ; L’Église universelle fondée en Jésus-Christ sur la mélodie de Samuel Wesley (1766-1837) et les textes de Richard Paquier et Edmond Pidoux. À noter, avec harmonisation instrumentale, le n° 13 : Au nom de nos détresses (texte et musique : Jean Langlais (1907-1991), en contrepoint note contre note. Parmi les paroliers contemporains, sont notamment représentés : Michel Leplay, Henri Capieu, Noël Colombier… ; parmi les musiciens contemporains : Roger Trunk, Frédéric Humbert… Cette réalisation, très bien gravée par les Éditions Olivétan, par son caractère fonctionnel, sa diversité stylistique et formelle, permettra d’augmenter le répertoire du chant d’assemblée et des chorales.

 

 

 Édith Weber.

 

 

 

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Christoph WOLFF, Markus ZEPF : Les Orgues de Bach, traduit par Marie-Paule Fribourg et Philippe Gautrot, Paris, L’Autre Monde (www.lautremondeparis.com ), 2013, 280 p. - 32 €.

Extraits cf.: http://boutique.lautremondeparis.com/produits/fiche/wolff-zepf-orgues+de+bach+les-9791090700000-v.html

Christophe Wolff, Directeur des Archives Bach de Leipzig, et Markus Zepf, organiste et musicologue, ont publié leur ouvrage d’abord en allemand, à l’initiative des Archives Bach de Leipzig. Grâce aux traducteurs, Marie-Paule Fribourg et Philippe Gautrot, et à l’Académie Bach d’Arques-la-Bataille, les organistes et concertistes francophones peuvent dorénavant poursuivre un itinéraire organistique Outre-Rhin (32 lieux fréquentés par le Cantor et 14 Orgues dus aux facteurs Silbermann, Trost, Wender, Scherrer, Schnitger…, appartenant aux Églises célèbres de Leipzig, Hambourg, Erfurt, Eisenach, Kassel, Lubeck, Dresde…, où l’Orgue, au service de la liturgie luthérienne, est aussi investi d’un rôle concertant. Ce Handbuch (manuel) s’adresse aux interprètes qui, avant de préparer leurs programmes de concert, bénéficieront de très utiles renseignements sur les compositions des instruments : claviers, jeux, particularités, tempéraments, ambitus, pression, accouplement, alliage des métaux (même fer blanc) — toutefois selon la terminologie locale — et d’indications d’ordre historique et bibliographique, mais aussi sur les registres et accessoires rares : soleils tournants, Sternglocken, sonnette pour le souffleur et, bien entendu, sur les noms des facteurs successifs. Illustrations judicieuses (architecture et style des Églises, orgues, buffets…) et cartes de géographie (Thuringe, Saxe, Brandebourg) accompagnent ce périple concernant d’une part la registration des œuvres de Bach, et d’autres part ses projets, ses réceptions, ses examens d’Orgues rénovés. Les lecteurs suivront le maître sur ses divers terrains d’expérimentation : Arnstadt, Mühlhausen, Weimar…, puis Leipzig ; lors de ses voyages, séjours, concerts. Ce dernier état de la question à partir de solides recherches d’archives concernant Les Orgues de Bach, ses différentes fonctions allant de l’organiste municipal au Thomaskantor et Musikdirektor à Leipzig, force l’admiration, et rendra de précieux services aux organistes liturgiques et aux concertistes soucieux de respecter les critères d’interprétation de la musique d’orgue baroque allemande.

 

 

Édith Weber.

 

 

Claire Delamarche : Béla Bartók. Préface de Vincent Warnier. Postface de Thierry Escaich. Fayard. 1 vol 15,50 x 22 cm, 1034 p, 39,-€.

 

Ce généreux volume vient combler une lacune, car rares sont les ouvrages en langue française consacrés à Béla Bartók. La musicologue Claire Delamarche effectue un gigantesque et exhaustif travail d'analyse de la production de l'auteur du Château de Barbe-Bleue. Il «  fait partie de ces compositeurs qui ont si bien connu et intégré la musique qui les a précédés qu'ils ont pu, sans posture, en inventer une nouvelle » dit joliment Thierry Escaich dans sa postface. C'est, en effet, tout sauf de la posture qui caractérise le musicien hongrois. L'adage « nul n'est prophète dans son pays » s'applique à lui de manière cinglante. Il lui faudra un beau sens de l'abnégation pour constater combien ses compatriotes, à quelques notables exceptions près, Zoltan Kodály en particulier, ne le comprennent pas. En Hongrie, les louanges resteront toujours discrètes. Heureusement, la reconnaissance internationale viendra très tôt, et plus sûrement. Des français en particulier, dont les membres du Groupe des Six. Fidèle à l'esprit de la collection musicale bibliographique de l'éditeur, l'analyse, fort détaillée, des œuvres est replacée dans leur contexte à la fois personnel, social et politique. On découvre que Bartók, qui, dans l'immédiat après Première Guerre, vivra l'effondrement d'un monde, et affrontera ensuite les prémisses de la grande convulsion de la Seconde, est viscéralement attaché à sa vie familiale, au point que ses deux épouses successives forment, chacune, le centre de gravité des deux premiers pans de sa production : Márta, la première muse, lui inspire, de 1909 à 1922, des pièces où se conjuguent amour et chant populaire. A partir du mariage avec Ditta, la jeune élève, sa production prend un visage plus objectif, de plus en plus abstrait, et le piano acquiert un rang enviable, chez le compositeur et l'interprète. Les années 30 voient éclore les chefs d'œuvre que sont la Cantate profane, le 2 ème concerto pour piano, le Cinquième Quatuor, la Musique pour cordes, percussions et célesta, la Sonate pour deux pianos et percussions.... Claire Delamarche nous fait saisir combien le chant choral reste constamment au cœur des préoccupations du musicien, ces chants populaires qui sont « plus qu'une passion, une raison de vivre », collectés méticuleusement auprès des paysans de Hongrie, de Transylvanie et surtout de Roumanie, soigneusement compilés ensuite, défendus bel et ongle contre ceux qui préfèrent les réinventer. La troisième et dernière partie de son existence, Bartók la concevra à travers la préparation d'un exil inéluctable, hors de sa patrie, au-delà même de cette Europe qu'il aura tant fréquentée, et l'assumera à New York, où atteint d'un mal incurable, il livrera les derniers feux d'un immense jaillissement créateur.

 

Ce qui fait le prix de cet travail de synthèse, c'est le large choix des textes qui l'assortit, l'enrichissant de témoignages aussi directs que précieux. Tout comme son chapitre dédié à la manière d'« analyser Bartók », livrant des clés pour pénétrer l'univers spécifique du musicien : les gammes et modes bartókiens, le chromatisme polymodal, « issu directement de la musique populaire », ce sens troublant des proportions, l'usage de l'accord majeur/mineur, la préférence pour la forme en arche, et une « harmonie demeurant tonale dans les circonstances les plus dissonantes » ; en un mot, ce qui fait le terreau d'un idiome, fusion d'éléments de langage proches de ses prédécesseurs et contemporains, et de la musique populaire. Et distingue un langage envoûtant, souvent secret, mais nullement aride, qui toujours reflète l'âme populaire. Toute aussi fascinante est la comparaison avec Schoenberg, à propos duquel le hongrois dira que tonalité et atonalité ne sont, pour lui, pas inconciliables. Comme avec la musique « objective » de Stravinsky, dont il se démarquera aussi. L'ouvrage comporte une  bibliographie sélective, en fait fort nombreuse. Un indispensable pour qui aime ce compositeur si attachant, et pour qui s'intéresse à un jalon essentiel de la musique du XX ème siècle.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Gérard DENIZEAU : Richard Wagner. Bleu nuit éditeur, collection «  horizons ». 1 vol 14 x 20 cm, 176 p, 20 €.

 

La littérature commise sur Richard Wagner est incommensurable. Certes. Il y a pourtant encore place pour un ouvrage, qui comme celui-ci, va à l'essentiel, et en mois de 200 pages, retrace qu'il est indispensable de savoir sur le maître de Bayreuth. Gérard Denizeau n'est, en effet, pas de ceux qui, tel son inestimable musicien, se berce de longue tirades. Non, au fil de onze chapitres concis et riches, il nous livre la chronologie des œuvres, rythmée par les faits et gestes d'une existence où se mêlent grandeurs et servitudes, des premiers doutes aux certitudes qu'une solide assurance envers sa propre étoile ne pourra détourner de son but. Une volonté d'acier le verra vite s'affranchir de toutes entraves. L'homme Wagner saura faire pactole des virtualités de l'histoire : « Le Ring eût-il existé sans le ' printemps des peuples ' qu'il crut discerner à l'époque même où il donnait corps, par les premières ébauches du livret, à l'aventure de la Tétralogie? ». Mais aussi de toutes les occasions, fussent-elles les plus troubles : en guise de remerciement à son hôte Otto Wesendonck, dont il courtise sans vergogne l'épouse, il écrira les merveilleux Wesendonck Lieder, et surtout Tristan und Isolde, qui « devient ainsi la solution de l'insoluble, une sorte de réponse par évitement au dilemme brutalement rencontré ». Tout autant que des rencontres : l'amitié de Louis II, le compositeur la courtisera, elle aussi, à un degré d'obséquiosité peu imaginable aujourd'hui. Le théâtre de Bayreuth, « un théâtre rituel », dans une petite ville suffisamment transparente et à l'écart de tout, pour qu'on y vienne que pour sa musique, il l'imaginera jusqu'au dernier détail, même dans son aspect anti mondain, car comme le disait le bon Lavignac, c'est quasi en pèlerinage qu'on y gravit la colline, et qu'on s'assoit dans le saint de saints, sans considération de classe sociale. Le concept architectural, qui revient à « l'ancien schéma en rangs curvilignes des théâtres grecs » est là pour le prouver. Avec le sens de la formule qui lui est coutumier, l'auteur brosse ce parcours artistique peu ordinaire, enjolivé d'écrits théoriques, qui vivra son apogée avec Parsifal, « l'image ultime d'une impossible pureté ». Une nouvelle pierre à l'édifice, qui ne frôle pas un instant le « wagnerolâtre ».

 

 

Jean-Pierre Robert.

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CDs et DVDs

 

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Carlo GESUALDO-Ascanio MAIONE : Tribulationem. Motetti, Madrigali et Capricci. Maria Christina Kiehr, soprano, Maria Galassi, harpe. Conceto Soave, clavecin, orgue et dir. : Jean-Marc  Aymes.  2 CDs ZIG ZAG TERRITOIRES (www.outhere-music.com ) : ZZT 319. TT : 51’ 20+67’ 43. Cette intéressante production associe des œuvres vocales de Carlo Gesualdo (1566-1613), « Principe di Venosa », célèbre notamment par ses Sacrae Cantiones et Motets, et des pages instrumentales d’Ascanio Maione (v. 1565-1627), compositeur et harpiste napolitain. Le premier CD concerne la musique religieuse ; le second, la musique profane. Parmi les pièces marquantes de Gesualdo, figurent notamment ses motets : Tribulationem et dolorem, le texte si poignant, extrait de ses Répons des Ténèbres : O vos omnes qui transitis per viam, attendite et videte : Si est dolor similis sicut dolor meus… (CD 1), ou encore : Gia piansi nel dolore(CD 2), mettant en valeur les chromatismes à finalité expressive. Les interprètes s’investissent parfaitement dans cette atmosphère à la fois douloureuse et calme, profonde, tendue et lourde d’émotion, ils réussissent aussi à recréer le caractère primesautier et dansant (Mille volte il di) et la transparence de certains Madrigaux. Les œuvres d’Ascanio Maione comprennent un choix de Toccatas pour clavecin et clavecin chromatique et de Recercare (ricercare) joués en connaissance de cause et selon les critères de l’interprétation historique par Jean-Marc Aymes, claveciniste et organiste, spécialiste de la musique italienne du commencement du Seicento. Ce disque est réalisé par des musiciens de tout premier plan : Le Concerto Soave, Maria Christina Kiehr (soprano), Maria Galassi (harpiste) et J.-M. Aymes. Une réussite du genre permettant de mieux connaître des œuvres de deux compositeurs nés à un an d’intervalle et situées à la charnière entre les XVIe et le XVIIe siècles.

 

Édith Weber.

 

« CARMINA LATINA ». Chœur de chambre de Namur. Ensemble instrumental Clematis, Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón.1 CD RICERCAR (www.outhere-music.com) : RIC 334. TT : 62’ 31.

En fait, ce titre générique implique le répertoire musical exporté en Amérique latine par des musiciens espagnols et portugais après la découverte des Amériques par Christophe Colomb, en 1492. Il est révélé par la Cappella Mediterranea, le Chœur de chambre de Namur et l’Ensemble instrumental Clematis, dirigés par Leonardo García Alarcón. La musique religieuse comprend la Missa de Batalla à 12 voix (c’est-à-dire 3 chœurs avec basse continue) : Kyrie bien rythmé et ponctué par les percussions, Gloria avec intonation grégorienne préparant l’entrée des voix, Credo très affirmatif, Sanctus avec entrées successives, Agnus Dei particulièrement expressif et calme, marqué par la transparence des voix. Dans sa Messe, Joan Cererols (1618-1676), musicien catalan, s’inspire de la polyphonie vénitienne dans le sillage de la Renaissance. Le Psaume Dixit Dominus de Juan de Araujo (v.1648-1712), avec sa lumineuse mélodie introductive, est influencé par Claudio Monteverdi. Son Salve Regina mise sur l’émotion, un peu à la manière de Tomas Luis da Victoria, comme il ressort de l’excellent livret quadrilingue de Jérôme Le Jeune. Les textes d’inspiration profane évoquent les plaisanteries (Vaya de gira, avec mention des instruments de musique) et plaisirs, ou encore le « soleil pèlerin » (A este Sol peregrino), le « taureau exécrable » et la fête à la Cour de La Plata (Salga el torillo hosquillo). L’ensemble se termine avec Hanacpachap cussicuinin, évoquant la joie du ciel, aboutissant à un genre de doxologie trinitaire. Ce programme si révélateur, exportant la tradition polyphonique espagnole et portugaise notamment au Pérou, en Argentine et au Mexique, est interprété avec un enthousiasme communicatif. Un disque historique irrésistible.

Édith Weber.

 

« Face-à-face ». Florentine MULSANT (* 1962) : Symphonie N° 1, op. 32. 24 Préludes pour piano, op. 38.  Orchestre de chambre d'Arménie, piano et dir. Vahan Mardirossian. 1CD MAESTRIA RECORDS : EMVI4. Distribution : CODAEX. TT : 64’ 21.

Avec ce disque enregistré en 2012 à Erevan, Vahan Mardirossian, à la tête de l’Orchestre de chambre d’Arménie, rend un vibrant hommage à Florentine Mulsant (née en 1962). Après ses études traditionnelles au CNSMP et à la Schola Cantorum (Premier Prix de Composition), elle s’est perfectionnée à l’Academia Chigiana (Sienne) et auprès d’Alain Bancquart. Elle est titulaire de nombreux Concours internationaux de composition et du Prix Nadia et Lily Boulanger de l’Académie des Beaux-Arts. De 1991 à 1998, elle a enseigné l’écriture musicale à l’UFR de Musicologie (Université Paris-Sorbonne) et depuis, elle s’adonne à la composition. Ses œuvres, dans le prolongement de Debussy, Ravel, Messiaen et Dutilleux, sont largement diffusées au plan international. Ce CD commence par sa Symphonie n°1 pour orchestre à cordes, op. 32 (2005), commande de Radio-France, en 5 mouvements de longueur égale et, comme le souligne l’analyse jointe au disque : « l’unité de l’œuvre a été mûrement réfléchie et on peut ainsi dégager des correspondances entre le 1er et le 5e mouvements, le 2e et le 4e mouvements. Le 3e mouvement, point central de l’œuvre, répond quant à lui à une écriture différente. » Dans le 1er mouvement, elle privilégie une « atmosphère pleine d’énergie et très harmonique » ; dans le 2e, l’expressivité, puis la vivacité. Le 3e est « un hommage à Henri Dutilleux  et notamment à son quatuor Ainsi la nuit. Altos et violoncelles sont particulièrement sollicités avec des pizzicati ; ce mouvement central repose sur un double canon, modèle d’écriture contrapuntique. Dans le 4e mouvement, Florentine Mulsant mise sur le « raffinement des timbres » et l’expressivité des cordes avec un thème triste. Le 5e fait appel à une virtuosité à toute épreuve. L’interprétation minutieuse est à la mesure des exigences du compositeur, et mérite les plus vifs éloges. Ses 24 Préludes pour piano, op. 38 (2011) sont dédiés au poète Paul Gagnaire, son fils disparu, la même année, à l’âge de 20 ans, qui a assisté à leur élaboration et écrit le poème : « Tes Préludes ». Ils ont été créés en 2012 par Vahan Mardirossian, également remarquable pianiste. Florentine Mulsant qui admirait cette forme romantique et les Préludes de Scriabine, Debussy et Messiaen, insiste sur son « souci historique de continuité musicale » et en définit quatre types : « mélodiques, harmoniques, rythmiques et résonnants ». Elle spécule en outre sur l’utilisation de la troisième pédale et les effets de « résonance dégagée par les harmoniques artificiels et naturels du piano » : un modèle d’inventivité mélodique et expressive, de clarté dans l’écriture, d’intériorité (n°15), de virtuosité (n°16), d’attaques précises (n°21), de dynamisme (n°26)… En effet : « Les fins oiseaux des mers dont l’abysse est dans l’œil / volent dans ta [sa] musique, éperdus et sauvages… » (P. Gagnaire). Grâce à la parfaite connivence entre Florentine Mulsant et Vahan Mardirossian, chef et pianiste, ces œuvres font honneur à la musique française contemporaine.

 

Édith Weber.

 

Le chant de l’âme. Dialogues avec le Ciel. 1CD (lechantdelame@gmail.com ) ou (biancafavez@gmail.com ). TT : 62’ 34.

Bianca Favez, née en Roumanie et installée en Suisse, a commencé le violon à 5 ans, suivi les cours de Gérard Poulet au CNSMP (Premier Prix de violon et de musique de chambre), puis au Conservatoire de Genève (virtuosité). Soliste internationale, elle a joué notamment avec l’Orchestre de la Suisse Romande (M. Corboz), l’Orchestre de Chambre de Genève et l’Orchestre des Collèges. Elle fait partie du groupe Klezmer. Cette Anthologie de musiques juives est entrecoupée par des Improvisations diversifiées de Vincent Thévenaz, Professeur au Conservatoire, à la Haute École de Musique de Genève et organiste titulaire à Chêne ; il y met en valeur toutes les possibilités de l’Orgue du Temple de Château-d’Oex. Le programme commence avec l’une des prières les plus importantes de la liturgie juive, Kaddisch, dans la version (1914) de Maurice Ravel, que Bianca Favez, efficacement soutenue à l’orgue, interprète avec une grande sensibilité musicale et une chaude sonorité en lui conférant à la fois intériorité et relief. La Mélodie hébraïque, op. 33 (1911) de Joseph Achron (1886-1943) reposant sur un thème hassidique bénéficie d’une interprétation vibrante et saisissante. Marc Lavry, né en 1903 à Riga et mort en 1967 à Haifa, a mis notamment en musique des Prières juives, des chants populaires israéliens et des Danses hassidiques. Ses Trois Danses Juives, op.192 (1945) : Jewish wedding Dance « Sher », Yemenite wedding dance, Hora hautes en couleurs, sont bien enlevées et brillamment rendues par les deux musiciens en parfaite connivence. Ce CD permet également de découvrir la Sonate en Sol Majeur, op. 44 (1951) de Paul Ben-Haïm, né à Munich en 1897, décédé à Tel-Aviv en 1984, chef assistant de Bruno Walter, puis Kapellmeister à l’Opéra d’Augsbourg ; en 1933, fuyant le nazisme, il se réfugie en Palestine où il s’intéresse aussi à la tradition juive et au folklore moyen-oriental. Selon le texte de présentation, dans sa Sonate (1951), « son mouvement lent Lento e sotto voce, joué avec la sourdine, est richement ornementé, évoquant les Psaumes et le chant des Bédouins ; le Molto Allegro est basé sur le rythme de la hora, danse nationale israélienne ». Elle est interprétée avec une belle virtuosité. La Suite Baal Shem(Three Pictures of Chassidic Life,1923) d’Ernest Bloch — musicien bien connu, né à Genève en 1880, mort à Portland (États-Unis) en 1959 — a été composée et créée à la Synagogue de Cleveland, en hommage à Baal Shem Tov, fondateur du hassidisme. Elle déborde de vie, de sonorités généreuses et d’enthousiasme. Grâce à B. Favez, les discophiles découvriront des œuvres peu connues et pénétreront dans l’univers juif allant de l’intériorité la plus profonde à l’expansion la plus débordante : un vrai « chant de l’âme ».

 

Édith Weber.

 

Voyage musical en Terroirs de France. 1CD SPIRIADE (spiriade.com ). Distribution : DOM. TT : 64’ 24.

Bel exemple de régionalisme en musique, grâce au « voyage » en Cerdagne, Auvergne, Bretagne et Paris, auquel nous convie le pianiste Stéphane Spira — élève, entre autres, de Pierre Petit à l’École Normale de Musique de Paris et de Brigitte Engerer — qui a gagné la notoriété par ses interprétations de Beethoven, Chopin, Liszt…  Le périple commence en Cerdagne avec M.-J.-A. Déodat de Séverac (né en 1872 à St-Félix-Lauragais et mort en 1921 à Céret) et ses trois pièces si chatoyantes : En Tartane, Les muletiers devant le Christ de Livia et Le retour des muletiers. Il se poursuit en Auvergne par l’espiègle Ballabile et la célèbre Bourrée fantasque (au rythme caractéristique, percutant et envoûtant) d’Emmanuel Chabrier (né à Ambert (Puy-de-Dôme) en 1841-mort à Paris en 1894). L’itinéraire passe par la Bretagne aux accents du très évocateur Avril et de Par Landes (plus rêveur) de Paul Le Flem, né en 1881 à Radon et mort à Tréguier en 1984. Il atteint ensuite la Capitale avec la très carrée Sicilienne (de la Suite française), Intermezzo (tout en élégance et finesse) et Caprice en Ut (bien enlevé et dynamique) de Francis Poulenc (1899-1963), né et mort à Paris. Enfin, Claude Debussy (1862-1918) permet à l’excellent pianiste d’illustrer magistralement …Brouillards (diffus), …Des pas sur la neige (hésitant), …Le vent dans la plaine (plus agité). Le terminus du voyage est atteint, comme il se doit, avec un vrai feu d’artifice émanant de la pièce éponyme de Claude de France. Magistrale évocation des beaux terroirs musicaux de France par Stéphane Spira, « héroïque » pianiste dont les doigts survolent le clavier avec une aisance et une dextérité hors du commun.

 

Édith Weber.

 

Gustav MAHLER : Symphonie n°4. Arrangement pour orchestre de chambre Erwin Stein, 1920. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr): DSK 3127. TT : 52’ 32.

Gustav Mahler  a composé 10 Symphonies exigeant généralement un grand déploiement orchestral. Son compatriote et contemporain Erwin Stein (1885-1958), élève de Schoenberg, fuyant l’Allemagne nazie, s’est installé à Londres où il a collaboré avec les Éditions Boosey & Hawkes. C’est ainsi que, dans le souci de rendre la musique de Mahler accessible aux petites formations, il a réalisé un arrangement pour orchestre de chambre de sa 4e Symphonie en Sol majeur, terminée en 1900 et créée l’année suivante. Elle est interprétée par l’Orchestre Régional de Basse-Normandie placé sous la direction précise de Jean Deroyer avec, en soliste, la Soprano Zoe Nicolaidou. Cette version plus transparente a évidemment le mérite d’alléger la pâte sonore. Les titres des mouvements comportent déjà en eux-mêmes des indications relatives à l’interprétation, aux tempi à respecter et aux diverses atmosphères à recréer selon la volonté du compositeur. Le premier mouvement Bedächtig-Nicht eilen(Méditatif- sans presser) établit le climat général. Le second : In Gemächlicher Bewegung-ohne Hast (En un mouvement modéré –sans hâte) baigne dans une atmosphère proche de la danse, de caractère débonnaire. Le troisième : Ruhevoll-Poco Adagio (Tranquille-Poco Adagio) marque le point culminant de l’œuvre, et le quatrième : Sehr behaglich(très confortablement), comprend le lied Das himmlische Leben (La vie céleste) interprété par la voix noble, radieuse et fraîche de Zoe Nicolaidou, et se termine dans la paix. La version de Jean Deroyer valide la démarche d’Erwin Stein.

 

Édith Weber.

 

Wolfgang Amadeus MOZART : Requiem. K 626. Concerto pour clarinette K 622.  Benjamin Dieltjens, clarinette de basset. Lucy Hall, Angélique Noldus, Hui Jin, Josef Wagner. Chœur de Chambre de Namur, New Century Baroque, dir. Leonardo García Alarcón. 1CD Ambronay Editions : AMY038. TT : 65’40.

Des œuvres célébrissimes, déjà maintes fois enregistrées, composées toutes deux en 1791, année de la mort de Mozart, mais une lecture très originale de Leonardo García Alarcón. Le chef argentin et le clarinettiste Benjamin Dieltjens ont choisi de revenir à l’instrument original, la clarinette de basset, pour l’interprétation du célèbre concerto. Il existe, dans le corpus mozartien, deux types d’œuvres maçonniques, celles composées directement pour la loge, jouées par la Colonne d’Harmonie lors de l’ouverture ou la fermeture des travaux comme, par exemple, les nombreux divertimenti pour cor de basset ou autres œuvres rituelles (cf. L'Éducation musicale N° 565 Avril 2010 : Musique et Franc-maçonnerie), et les œuvres d’inspiration maçonnique, comme le Concerto pour clarinette K.622 dont la composition résulte de l’amitié entre Anton Stadler, clarinettiste virtuose, Theodore Lotz, luthier, et Mozart, tous trois frères dans la même loge viennoise de « La Bienfaisance ». Cela expliquant que ce concerto, chargé d’humanité et de fraternité, soit souvent considéré comme le véritable testament musical de Mozart. La genèse de l'œuvre est quelque peu mystérieuse puisqu’il n’existe pas de partition autographe retrouvée, laissant par là-même une certaine liberté d’interprétation au soliste. Sa composition date de septembre-octobre 1791, mais on a pu en retrouver quelques esquisses composées quelques années auparavant (1789), pour cor de basset, qui seront reprises par Mozart dans l’Allegro. La clarinette de basset est formée d'une extension à la clarinette en la, qui permettait de rapprocher cette dernière d'un cor de basset et donc de jouer dans un registre plus grave (ut grave au lieu du mi). Cet instrument n’est plus guère utilisé que dans ce concerto, encore qu’il soit le plus souvent joué, de nos jours, sur une clarinette en la standard.

 


Clarinette en la de basset.

 

L’utilisation de cet instrument curieux donne à l’interprétation, en tous points remarquable, de Benjamin Dieltjens, une rondeur et une douceur inhabituelles, comme une confidence nostalgique, qui perdrait en rutilance ce qu’elle gagne en émotion et en profondeur. La deuxième œuvre présentée sur ce disque est le Requiem K.626 dont García Alarcón donne, encore une fois, une vision toute personnelle, choisissant de ne pas jouer le Sanctus, le Benedictus et l’Agnus Dei, qui, composés par Süssmayr, relèvent, pour lui, d’une esthétique post mozartienne, pour ne conserver que les parties ou ébauches du Requiem élaborées par la main même de Mozart. Un Requiem qui, on l’aura compris, s’éloigne de la liturgie pour retrouver une liberté, une théâtralité, une énergie et une puissance dramatique sans égale. Il est parfaitement servi par l’Ensemble New Century Baroque et le Chœur de Chambre de Namur. Du très beau travail. Et une belle prise de son, ce qui ajoute au plaisir! Un disque indispensable.

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

« The Art of the violin ». César FRANCK : Sonate en la majeur. Camille SAINT-SAËNS : Sonate N°1 en ré mineur, op. 75. Gabriel PIERNÉ : Sonate en ré mineur op 36. Jules MASSENET : Méditation de Thaïs. Solenne Païdassi, violon, Laurent Wagschal, piano. 1CD INDESENS : INDE051. TT : 76’39.

Solenne Païdassi et Laurent Wagschal sont assurément des instrumentistes talentueux, comme en témoignent l’obtention du Premier Grand Prix du Concours Long-Thibaud, qui a récompensé, en 2010, la jeune violoniste prodige, et la belle carrière du pianiste, qui s'est déjà grandement illustré dans la musique française. Mais plus que cela, ils ont tous deux le sens du récit, attesté par ces exécutions de la remarquable de la Sonate n° 1, op. 75 de Camille Saint-Saëns, de la Sonate op. 36 de Gabriel Pierné (1863-1937), et de la célébrissime Sonate de César Franck, avec en bonus, la Méditation de Thaïs de Jules Massenet. Un magnifique programme pour une magnifique interprétation, qui réussit à maintenir l’auditeur en haleine tout au long d'un CD passionnant, au minutage généreux. La première sonate de Saint-Saëns, contemporaine de la Symphonie avec orgue (1885), est brillante, sensuelle et tourmentée, lyrique, mélancolique, d’une vertigineuse virtuosité culminant dans le finale. La Sonate de Franck (1886), œuvre incontournable du répertoire chambriste pour violon, dédiée à Eugène Ysaÿe, est mystérieuse, élégiaque, passionnée, au long de ses quatre mouvements d'une égale inspiration. Peu connue, la Sonate de Gabriel Pierné, dédiée à Jacques Thibaud, recourt au système cyclique, hérité de Franck, et combine charme et délicatesse, voire passion intérieure. La rêveuse Méditation de Thaïs forme une merveilleuse conclusion. Au fil de ces pièces, on apprécie une vision très engagée, un dialogue parfaitement équilibré où virtuosité et justesse ne sont jamais prises en défaut, riche en couleurs, toujours au service de la musique, et qui, à aucun moment ne déçoit. Un disque absolument indispensable, qui s’annonce déjà comme une référence.

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Musiques Nouvelles : 50 ans, 25 compositeurs ». 6CDs Label cypres : CYP4650. TT : 6 H38'.

Lorsqu’Adrian Leverkühn, le héros faustien de Thomas Mann, après avoir écouté l’Hymne à la joie de la Neuvième symphonie de Beethoven s’écrie : « cela ne doit pas être ! Il faut que cela soit effacé ! », il comprend que le projet humaniste de Schiller a désormais cessé d’être, disparu à tout jamais… dans les fumées d’Auschwitz, les camps du Goulag et l’explosion d’Hiroshima ; une rupture qui esquisse, en même temps, le projet esthétique d’une post modernité dans laquelle l’avant-garde de la deuxième moitié du XXe siècle s’engouffrera avec bonheur, préférant fragmentation, pluralité, hédonisme et déconstruction à une tradition jugée surannée. C’est dans ce courant, loin de toute vaine séduction, que s’inscrit la musique d’Henri Pousseur (1929-2009), chef de file de l’école belge de musique contemporaine, d’où naîtra le groupe Musiques Nouvelles dont ce coffret fête le cinquantième anniversaire (2012). Henri Pousseur, qui fut enseignant à Darmstadt entre 1957 et 1967, est riche d’un corpus de plus de 200 œuvres, dont sont présentées ici quatre compositions majeures, un peu comme un hommage : la Seconde Apothéose de Rameau, Madrigal III, Quintette à la mémoire d’Anton Webern, et Stèle à la mémoire de Pierre Froidebise. Choix judicieux, bien qu’obligatoirement limité, qui montre les distances prises par Pousseur avec le sérialisme, choisissant une égale acceptation du consonant et du dissonant, du diatonique et du chromatisme, par sa théorie des réseaux. Une évolution que l’on pourrait schématiser chronologiquement en quatre périodes : moment webernien, moment des œuvres mobiles et du travail en studio, moment de transition correspondant à la composition de Votre Faust (fantaisie variable genre opéra, en collaboration avec Michel Butor, leader du Nouveau Roman, pour le livret), enfin moment de la mémoire obstinée, qui amènera Pousseur à croire à l’universalité des cultures, comme à un rêve tout éveillé ! Viennent ensuite cinq disques sur lesquels sont gravées les œuvres de 25 compositeurs contemporains appartenant au groupe Musiques Nouvelles, comme autant de témoignages, étalés dans le temps, de la pluralité esthétique de l'École belge, des mondes musicaux irréductibles les uns aux autres, reliés par une même exigence de liberté et de qualité. Pour n’en citer que quelques uns : Pierre Bartholomée, fondateur du groupe, en 1962, est l'auteur d’une très belle composition,  sauvage et lyrique, Le Rêve de Diotime (1999) pour soprano & orchestre. Philippe Boesmans, dont l’œuvre inclassable fait une large place à l’opéra, propose, ici, une pièce intitulée Chambre d’à coté (2010), image musicale d’un ailleurs qui nous trouble. Puis encore : Denis Bosse, qui s’efforce de faire naître les « champs de l’inaudible » avec la très subjective Obstinatissimo (2006), comme une lointaine réminiscence des cloches qui sonnent ; Stéphane Collin pour L’Ame et la Danse (2005) d’après Paul Valéry ; Jean-Pierre Deleuze, avec …Et les sonances montent du temple qui fut (2012), autour du tam-tam et du gong ; Renaud De Putter dans une évocation d’allure straussienne, Addio a Te (2006), de la cantatrice Marie Toulinquet, chantée ici par la soprano Elise Gäbele ; Jean-Paul Dessy, auteur d’un mystérieux et hypnotique Retour du Refoulé (2005), entre minimalisme et rock ; Bernard Foccroulle (Gestes), Jacqueline Fontyn (Méandres), Michel Fourgon (Micro concerto), Jacques Leduc (Echanges)… et d’autres encore. Voici un coffret de musique vivante d’un éclectisme passionnant, une musique qui sait faire la part belle au silence, qui suspend le temps, qui spatialise les sons, qui rend sensible l’inaudible et éloquent l’indicible. Une musique aussi comme une ascèse, qui sait faire fi de toute illusoire et facile séduction, qu’il serait bien vain de vouloir classer ou théoriser, et dont les œuvres s’enrichissent mutuellement de leurs différences, qu’il faut savoir écouter et réécouter pour en saisir toutes les nuances et la beauté. Un formidable témoignage, indispensable à tous ceux qui s’intéressent à la création musicale contemporaine.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Evaristo Felice et Joseph Marie Clément DALL'ABBACO : Capricci & Altri Canzoni. Bruno Cocset, violoncelle, alto, ténor de violon, Emmanuel Jacques, ténor de violon, Esmé de Vries, violoncelle, Bertrand Cuiller, clavecin. Les Basses Réunies. 1 CD AgOgique : AGO011. TT.: 62'.

Une pépite que ce CD consacré à la famille Dall'Abbaco! « Un voyage associant découverte et abandon », dit Bruno Cocset. Evaristo Felice Dall'Abbaco (1675 -1742) violoncelliste, fit ses classes à Vérone, auprès de Gasparini et de Torelli. Il sera un compositeur actif à Modène, puis à la cour de Bavière, aux Pays-Bas, à Bruxelles, en France, au Luxembourg, et enfin à Munich. Son fils, Joseph Marie Clément (1709/10-1805) hérite de la même passion pour l'instrument de gambe, et fera une carrière d'interprète. On le trouve à Venise, Bonn, Londres et Vérone. L'Europe de la musique ne date décidément pas d'aujourd'hui. Ces deux messieurs vont composer pour leur instrument des pièces fort originales. Les 11 Capriccidu fiston « surprennent par leur style varié, libre, parfois intrépide, parfois mélancolique », dit encore Cocset. Morceaux courts, entre une et moins de cinq minutes, ils renferment des prouesses techniques, sauts d'octaves, ostinatos, traits arrachés, et des trouvailles inédites : points d'orgue inattendus, la phrase s'interrompant soudain, comme suspendue, ou encore facétieux fugatos. Certains de ces « caprices », forgés sur le mode de la danse, sont très entraînants, bardés de pizzicatos ; d'autres adoptent une forme quasi hymnique. On peut les situer dans la continuité des Suites pour violoncelle seul de Bach. Les autres pièces jouées sur le disque, ou « canzoni », y sont placées de manière à alterner des climats différents. Elles sont empruntées à la production du père, Evaristo Dall'Abbaco, et ont été transposées par Bruno Cocset pour son consort de violons. Elles ne sont pas moins intéressantes. Ce sont des mouvements de sonates d'église, choisis de préférence parmi les séquences lentes, pour duo, trio et même une formation en quatuor (deux ténors de violon, violoncelle et clavecin). L'influence française y est marquée. L'enchaînement des pièces entre « padre e figlo » est habile. Les interprétations de Bruno Cocset et consorts sont plus que scrupuleuses, habitées du vent de l'improvisation, du bonheur de jouer ensemble.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Jean-Sébastien BACH : Concertos pour violon BWV 1041-1043. Concerto pour trois violons BWV 1064R. Petra Müllejans, Gottfried von der Goltz, Anna Katharina Schreiber, violons. Freiburger Barockorchester. 1 CD Harmonia Mundi : HMC 902145. TT.: 61'33.

Le genre du concerto occupe une place privilégiée dans la production de Bach, quoique seuls deux concertos de violon et une pièce pour deux violons aient été laissés à la postérité. Datant sans doute de la période de Cothen, ils sont d'une grande richesse aussi bien formelle que stylistique, ce que souligne la présente interprétation. Bâties sur le mode du concerto italien, selon le schéma tripartite vif-lent-vif, mais débarrassées de tout aspect massif et par trop symétrique, ces pièces allègent la forme vivaldienne et l'enrichissent d'idées nouvelles, mettant en valeur les solos de l'instrument, recourant à la forme de l'aria da capo italienne, et y introduisant des passages fugués. Le Concerto BWV 1041 offre une trilogie quasi parfaite : un dense et sérieux allegro et un finale plein d'élan encadrent un andante qui, de sa basse obstinée, laisse au violon solo matière à une belle expressivité. Il en va de même du concerto BWV 1042, dont l'adagio est le centre de gravité, exhalant la belle plainte du violon, d'une sinueuse mélodie. Le motif scandé, mais pas saccadé, du premier mouvement n'est pas pesant, les divers sujets s'y articulant naturellement, tandis que l'allegro assai est très lié, avec les traits arpégés du soliste. La vivacité, l'ouverture d'esprit, qui président à l'exécution du Freiburger Barockorchester, dans le droit fil de leur interprétation des Ouvertures (cf. NL de 02/2012) renouvellent presque la manière d'entendre ces pièces, si rabâchées, dont la dramaturgie n'en ressort que plus fraiche : les tempos alertes tiennent en haleine, jamais mécaniques, rendant justice à la transparence de l'écriture du Cantor. On retrouve pareilles qualités dans l'exécution du Concerto BWV 1043, pour deux violons, décidé au vivace introductif, bien proportionné au largo, qui renferme une des cantilènes les plus intimes de Bach,  bardé de joie au finale. Celui-ci, de manière originale, inverse le rapport traditionnel entre solistes et orchestre, les deux violons se voyant confier de larges accords, tandis que l'orchestre brode la mélodie. Les solistes, les deux premiers violons de l'Orchestre de Fribourg, Petra Műllejans et Gottfried von der Goltz, combinent vitalité et souplesse. On a ajouté le Concerto BWV 1064R, pour trois violons, reconstruit à partir du Concerto pour trois claviers, et dont les recherches récentes conduisent à penser que c'est là peut-être la forme originale. On sait que Bach  transcrivait ses propres pièces pour divers instruments, les concertos de clavier provenant d'œuvres écrites primitivement pour le violon. L'inverse est donc plausible. En tout cas, ledit concerto ne comporte pas de différence stylistique majeure avec les autres pièces concertantes dévolues au violon. Les diverses séquences sont traitées avec une virtuosité témoignant de la qualité instrumentale des musiciens de l'époque. L'adagio, en particulier, progresse sur une mélodie séduisante, comme coulant de source, dans un équilibre souverain des trois solistes. Le finale affirme la même atmosphère joyeuse que celle des trois autres pièces.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Enchanted Forest ». Extraits vocaux et orchestraux tirés d'Antonio Vivaldi : La fida ninfa. Georg Friedrich Haendel : Giove in Argo, Appolo e Dafne, Rinaldo, Alcina. Henry Purcell : The Fairy Queen, Ode « raise, raise the voice », Timon of Athens. Francesco Cavalli : Calisto, Gli amori d'Apollo e di Dafne. Claudio Monteverdi : lamento della ninfa. Anna Prohaska, soprano. Avec Thomas Walker, Samuel Boden, ténors, Ashley Riches, basse. Arcangelo, dir. Jonathan Cohen. 1 CD Universal Archiv : 479 0077. TT.: 70'17.

La soprano Anna Prohaska consacre ce CD à l'univers onirique de la « forêt enchantée », chère à l'époque baroque, et au mythe d'Apollon et Daphné. Le programme se décline autour de cantates et d'arias d'opéras. De Vivaldi (La fida ninfa, avec une aria d'une éblouissante virtuosité, pour décrire une nymphe furieuse), puis de Cavalli, et son œuvre phare La Calisto, dont le lamento de la nymphe de Diane, qui sera transformée en ours pour avoir succombé à l'amour d'un mortel. Un air d'amour passion, tiré d'Apollo e Dafne, montre que l'engagement sait ne pas tourner le dos au caractère gracieux qui nimbe toujours l'inspiration du vénitien, là où il est question de la vanité de la richesse, et où se profilent des traits musicaux originaux : effet d'écho, ou accompagnement de la flûte traverso. Chez Haendel, la moisson est riche aussi, qui emprunte souvent à cette thématique, notamment dans Rinaldo (aria « furie terribili » de la magicienne Armida), ou Alcina (air plus séducteur de la fée Morgana). De Purcell encore, et dans sa Fairy Queen, la forêt magique du Songe d'une nuit d'été propage la belle plainte d'une nuit sans fin, comme une préparation au sommeil, si paisible. La chanteuse termine le tour d'horizon par un des madrigaux de Monteverdi, le « lamento della ninfa », profonde déploration, sur un contrepoint de trois voix d'hommes. La forte personnalité d'Anna Prohaska, une des voix émergentes de ces dernières années, est là à son meilleur : les ressources d'un beau soprano léger sont mises au service d'une vraie expression ; ce qu'on a déjà pu apprécier à la scène. L'appropriation du texte, la mise en situation, vont de pair avec la distinction de la déploration (Purcell), une caractérisation sensible des personnages abordés (Haendel). Et la chanteuse n'hésite pas à déborder de son registre naturel pour développer un médium tout aussi bien timbré, dans les pièces de Cavalli ou de Monteverdi. Les accompagnements sensibles de l'ensemble Arcangelo, dirigé avec doigté par Jonathan Cohen, apportent une couleur agréable à ce parcours original, complété d'extraits purement orchestraux empruntés à Purcell.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Jean Sébastien BACH - Wolfgang Amadée MOZART : Préludes et fugues K 404a.  JS. BACH : Lento et allegro de la Sonate en trio en mi mineur N°6  (arrangement de Guy Bovet). 1CD VDE Gallo (distribué par DOM, 14, rue Jules Vanzuppe, 94200 Ivry-sur-Seine ; contact@domdisques.com) : CD-1399. TT.: 52'51.

C'est un Mozart de 26 ans qui, en 1782, découvre Bach, tout comme Haendel d'ailleurs. Grâce à l'ami et protecteur, le baron van Swieten, dont la bibliothèque renferme les précieuses partitions. Le choc est énorme, et Mozart fait vite sienne cette musique qu'il va défendre vis à vis du public, qui l'ignorait, ou des musiciens, qui la considéraient comme peu au goût du jour : une telle densité, pour ne pas dire une telle rigueur, était, en effet, peu en adéquation avec la manière galante qui sévissait à l'époque. Les Six Préludes et fugues K 404a sont l'exemple d'un vrai processus d'assimilation, transcriptions pour trio à cordes, de pièces du Cantor. En fait, les préludes, de forme adagio, sont de véritables recréations, où l'auteur imprime un style plus souple que celui de son modèle, et instille une émotion chère au courant « Sturm und Drang » ; tandis que les fugues sont des transcriptions de pièces de Jean-Sébastien Bach tirées du Clavier bien tempéré et de l'Art de la Fugue, voire, pour la quatrième, de Wilhelm-Friedmann Bach, fils aîné et élève de celui-ci. Pour ce qui est est des deux dernières fugues, K 404a, 5 & 6, il s'agit de transcriptions des deuxième et troisième Sonates en trio pour orgue du Cantor. Il est fascinant de voir comment Mozart revisite le style de son illustre prédécesseur, en l'assouplissant de modulations et d'un cantabile qui n'appartient qu'à lui. L'austérité de ces pièces est déridée par l'interprétation toute de clarté du Trio Lenitas, juste déséquilibrée par la sonorité un peu acide du violon de Serge Charlet.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Wolfgang Amadée MOZART : sonates pour clavecin et accompagnement de violon, N° 1, en do majeur K 6, N° 2, en ré majeur, K 7, N° 3, en si bémol majeur, K 8, et N° 4, en si bémol majeur, K 9. Jacques DUPHLY : pièces pour clavecin et accompagnement de violon. Violaine Cochard, clavecin, Stéphanie-Marie Degand, violon. 1 CD AgOgique: AGO009. TT : 64'. 

Curieux rapprochement, mais finalement logique, puisqu'autour du genre de la pièce pour clavecin avec accompagnement de violon, qui faisait flores dans la France de Louis XV. C'est en fin 1763 que Mozart fait son premier voyage à Paris, et à Versailles. Il est reçu par le couple royal, et la reine l'apprécie, mais pas Madame de Pompadour, semble-t-il. Qu'importe puisque Leopold peut dire « Presque tout le monde raffole de mes enfants » (lettre à Haguenauer). Il rencontre aussi Madame Victoire, la seconde fille du roi. Excellente musicienne, elle organise des soirées musicales, et fait bon accueil au jeune prodige de 8 ans. Pour la remercier de sa bienveillance, Mozart lui dédicacera ses deux premières sonates, K 6 et 7. Celles-ci, et les deux sonates suivantes, K 8 et 9, ont donc été écrites à Paris, en 1764. Elles subissent l'influence de musiciens en vogue alors, tel Schobert, qui s'essaient à une synthèse, parée du goût français, des grands modèles existants, de la sonate italienne, assez libre dans l'agencement des morceaux, et de la sonate allemande, favorisant le sévère schéma en trois mouvements, rapide-lent-rapide. En tout cas Mozart fait montre d'« un 'savoir-plaire' déconcertant », relèvent les présentes interprètes, «  si on les aborde plus sous l'angle d'une appropriation de cette mode parisienne du clavier coloré que sous celui de sa jeunesse et de l'apparente naïveté de certains mouvements ». Selon une coupe en trois parties (quatre pour la première), ces sonates révèlent une main, certes pas des plus originales, mais dispensant déjà cet équilibre qui charme tant une oreille cartésienne, et des tournures gracieuses (menuets francs, finales bien allant), voire de traits fleurant une note de mélancolie, que souligne l'accompagnement de violon (Sonate K. 8). Jacques Duphly (1715-1789) était passé maître dans l'art de croquer des portraits en musique, de personnalités mondaines ou de quidam qu'il rencontrait. Ces pièces, pour la même formation, visent aussi à séduire. C'est le triomphe du style baroque rococo à la française, quoique, là encore, de temps à autre, pointe quelque mélancolie (la « Du Tailly »). Violaine Cochard, qui joue un beau clavecin de Christian Kroll, de 1776, et Stéphanie-Marie Degand, un violon de Joseph et Antoine Gagliano de 1770, sont superbes de plasticité. Elle sont  fort agréablement saisies dans une ambiance flatteuse, qui laisse souvent au violon la primauté acoustique. A noter aussi, comme toujours chez cet éditeur, la richesse de l'iconographie de la plaquette du CD.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Johannes BRAHMS : Sonates pour violoncelle et piano N° 1, en mi mineur, op. 38, et N° 2, en fa majeur, op. 99. Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur, op. 114. Ophélie Gaillard, violoncelle, Louis Schwizgebel-Wang, piano, Fabio Di Càsola, clarinette. 1 CD Aparte : AP53. TT. : 75,25.

Au sein de la production chambriste de Brahms, les deux sonates pour violoncelle et piano occupent une place singulière, que leur datation différente rend encore plus intéressante. La première, op 38 (1865), offre un climat pastoral, s'affirmant dès le vaste allegro initial, qui déploie un premier sujet très chantant, jouant sur les divers registres de l'instrument à corde. Il évoluera sous une forme variée, d'abord calme, puis emportée. Même en l'absence d'un mouvement lent, l'allegro quasi minuetto  forme un contraste intéressant, dans l'esprit romantique ; et le finale fugué est décidé, basé sur un des motifs de l'Art de la fugue de Bach, tandis que la coda libère une course à l'abîme. La seconde sonate, op. 99, de 1886, est tout autre : au vivace, le violoncelle vibre de la véhémence du thème introductif ; l'adagio affetuoso déploie une intense cantilène, ponctuée de pizzicatos secs, et offre d'expressives arabesques du cello ; l'allegro passionato est un scherzo empli de fougue, de proportions quasi symphoniques, habité d'un sens de l'urgence, souligné par la présente exécution. Le court trio tranche par sa suavité, ici toute intériorisée. De style ballade, le finale est gai et franc, alternant scansion marquée et belle fluidité. Formée au baroque, Ophélie Gaillard a migré depuis longtemps vers le grand répertoire de son instrument, avec un égal bonheur. Ses qualités de chambriste sont exceptionnelles : geste ample et souple, son jamais emphatique. Son pianiste, Louis Schwizgebel-Wang offre un toucher délicat mais assuré. Dans la seconde pièce, la paire est irrésistible d'entrain. L'idée est excellente d'avoir ajouté le Trio op 144, de 1891, premier morceau d'une poignée dévolue par Brahms à la clarinette, découverte sur le tard. Moins souverainement inspiré que le quintette op 115, pour clarinette et cordes, le trio pour cet instrument, violoncelle et piano n'est pas moins intéressant. C'est une curieuse combinaison que de rapprocher les deux instruments, a priori si dissemblables, que sont le cello et la clarinette, et de les unir par le piano. Si la seconde semble se détacher par son timbre plus aigu, le premier ne fait nullement figure de parent pauvre. L'allegro alla breve rapproche déclamation et réflexion, élégie et passion, comme souvent chez Brahms, et le climat nostalgique, qui appert vite, est porté par une veine lyrique qui semble intarissable. La simplicité mélodique distingue l'adagio, sur le ton de la confidence. L'andantino grazioso renchérit dans la séduction. Et l'entraînant allegro final mène l'auditeur par la min au fil d'un parcours agrémenté de pauses sévères et d'explosions de bonheur. Fabio Di Càsola se fond habilement parmi ses deux partenaires. L'exécution est tout aussi magistrale que celle des sonates. Un bien beau CD.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Robert SCHUMANN : concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54. Anton DVOŘÁK : concerto pour piano et orchestre en sol mineur, op. 33. Francesco Piemontesi, piano. BBC Symphony Orchestra, dir. Jiři Bĕlohlávec. 1CD Naïve : V 5327. TT. : 74'.

Le jeune Francesco Piemontesi, proche d'Alfred Brendel, livre, pour son premier CD sous label Naïve, un couplage original. Du concerto pour piano de Schumann, op. 54, de 1845, on sait la séduction immédiate de ses trois mouvements, puisés au tréfonds d'un romantisme sincère. Le pianiste suisse le joue empreint d'un grand naturel, sans étalage virtuose, ce que la direction de Jiři Bĕlohlávec démontre tout autant. L'allegro effetuoso initial livre un premier thème mélodique mesuré et réfléchi, et on constate une intégration suprême piano-orchestre. L'intermezzo grazioso ne sera pas exagérément expressif, et la coda reflète une belle fluidité, vision « middle of the road », plus qu'excentrique. Ce qui se confirme au finale, fuyant le brio. Mais l'intérêt du CD est ailleurs : dans l'exécution du rare concerto pour piano de Dvořák. Une œuvre atypique dans la production du musicien tchèque. Sa genèse remonte à 1876, et une première version sera créée deux ans plus tard. Mais il lui faudra attendre 1883 pour être publié, non sans que l'œuvre ait subie de profonds remaniements. Elle sera encore « enrichie » par des mains plus ou moins bien intentionnées, au XX ème siècle, notamment par un certain Vilem Kurz, professeur de piano au Conservatoire de Prague. Cette version, mâtinée de recours à l'original de 1878, sera adoptée par des interprètes de la trempe de Rudolf Firkusny ou Sviatoslav Richter. Ce concerto, étrange parmi ses pairs du grand répertoire, et comparé aux autres pièces concertantes de l'auteur, présente un caractère symphonique marqué, comme il en est des deux concertos de Brahms. Il révèle une volonté de se démarquer de l'effet, pour se concentrer sur une vision objective de l'art pianistique, aussi secrète que discrète, d'une « émotion oscillant ente la confession intime, la vivacité tendre et échevelée des chants et danses de Bohème et une sorte de sortilège proche de l'impressionnisme », selon Guy Erismann (Antonín Dvořák, Fayard), lequel ne dit pas mot des remaniements de l'auteur, postérieures à la création de 1878. Un long allegro agitato, passée une introduction orchestrale développée, laisse au piano le soin d'alterner écriture dense et traits classiques inattendus, avant de conclure sur une cadence d'ampleur presqu'héroïque. Un lyrisme généreux pare l'andante sostenuto, où enfin affleurent les mélismes bohémiens, jusqu'alors plutôt diserts, qui s'affirment d'abord subrepticement, puis franchement dans le discours soliste. Le con fuoco final sollicite fort le clavier, et offre une thématique populaire désormais libérée. Francesco Piemontesi est le serviteur aussi sincère qu'expert d'une œuvre qui mérite l'écoute, et bien sûr, Bĕlohlávec est en territoire connu. 

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Anniversaire Wagner

Richard WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg. Opéra en trois actes. Livret du compositeur. Gerald Finley, Marco Jentzch, Johannes Martin-Kräznzle, Alastair Miles, Anna Gabler, Topi Lehtipuu, Michaela Selinger, Colin Judson, Andrew Slater, Henry Waddington, Robert Poulton, Alastair Eliott, Daniel Norman, Adrian Thompson, Graeme Broadbent, Maxim Mikhailov, Mats Almgren. The Glyndebourne Chorus. London Philharmonic Orchestra, dir. Vladimir Jurowski. Mise en scène : David McVicar. 2DVDs Opus Arte : 0A 1085 D. TT.: 4 H 40'.

Voilà donc la captation de la production du Festival de Glyndebourne 2011 du grand opus wagnérien. Un premier constat s'impose : magistralement filmée par l'équipe de François Rousillon, la mise en scène de David McVicar, d'un réalisme assumé, y prend tout son relief. On est d'emblée captivé par une décoration qui choisit de placer l'action dans le style Biedermeir de costumes aux étoffes chatoyantes, et l'environnement agréable de quelque XIX ème allemand, le tout saisi dans une subtile unité de lieu, symbolisée par les ogives gothiques d'une église germanique. Des dimensions, plus que raisonnables du plateau, la régie fait un atout, à des fins d'intimité. Une sympathique bonne humeur émaille les trois actes, où l'on se divertit pas seulement l'esprit, mais tout autant le corps : on y mange et boit de la plus simple façon. Car McVicar peaufine une direction d'un solide naturel, dont la prise de vues restitue tous les détails suggestifs : ces jeunes femmes, Eva et Magdalena, comme deux complices, David, tout sauf empêtré dans sa longuette leçon de musique, ces Maîtres dont la prestance, voire les tics de chacun, sont dessinés avec gourmandise, ces jeux de scène qui percent au plus juste, tel le baiser donné par Eva à un Walther au comble de l'excitation du souvenir cuisant de l'incompréhension qu'a suscitée son chant chez ses censeurs, etc... Tout est d'une justesse de ton rare. Les dialogues, si prolixes, empoignent le spectateur par leur à propos, le trait juste souligné lorsqu'il faut : les chicanes entre Hans Sachs et Beckmesser resteront des morceaux de choix, notamment au III ème acte. Plus d'un moment, imaginés magiques par le « vieil enchanteur » en ressortent parfaitement révélés. Ainsi de l'apparition de l'éclatant chevalier Walther, alors que le cordonnier s'affaire à lacer le soulier d'une Eva qui n'a d'yeux que pour ce bel amoureux tombé du ciel, ou du sextuor où tous, disposés avec soin par le maître des lieux, se retrouvent assis côte à côte sur un long banc, et se prennent la main à l'invite de celui-ci. La caméra scrute chaque personnage, non pas dans un premier degré banal, mais avec infiniment de tact, pour en dévoiler la véracité de l'attitude, l'éloquence du geste : une Eva radieuse, frémissante de bonheur, un Walther, grand gars sans problème, non plus que vocaux au demeurant, un David, d'une franchise désarmante, tous trois, comme la piquante Magdalena d'ailleurs, pétillants d'une jeunesse qui saute aux yeux, un Pogner, côté très british, pas vieillard câlinant. Le Beckmesser est un ridicule, drôle mais jamais pitre, car ses mimiques sonnent vraies, pitoyable mais toujours digne, jusque dans la douleur de l'échec. Le poète Sachs est immensément humain, combien attachant par sa proximité des êtres et des choses, avec ce je ne sais quoi de ruse lucide, sans arrière pensée ; doué, de plus, d'une habileté désarmante au maniement du marteau de cordonnier. Partout, et pas seulement au fastueux tableau de la fête de la Saint-Jean, éclatent la couleur et la vie par une animation volontairement resserrée, dont la compacité fait mouche. On a déjà dit (cf. NL de 09/2011) combien ce spectacle se distinguait aussi par sa haute tenue vocale et l'homogénéité de son cast, comme par la direction alerte de Vladimir Jurowski, conférant à cette vaste fresque son galbe irrésistible, là encore par une  approche tout sauf grandiloquente. Sans doute, la version filmée la plus aboutie sur le marché.     

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Cécile CHAMINADE : Trio N°2 op 34 en la mineur. Claude DEBUSSY : Trio en sol majeur. René LENORMAND : Trio op. 30 en sol mineur. Trio Chausson. 1CD Mirare : MIR 163. TT.: 72'.

Le genre du trio à cordes avec piano a fleuri en France à la fin du XIX ème siècle. On pense à la pièce d'Ernest Chausson, qui a marqué un jalon essentiel. Le Trio Chausson, fondé en hommage à ce compositeur, a choisi de jouer trois œuvres rares, de Debussy, Chaminade et Lenormand. Un fil rouge les unit : leur même époque de composition. Cécile Chaminade (1857-1944) faisait l'admiration de Bizet, qui l'appelait affectueusement « Mon petit Mozart ». Son deuxième Trio, op. 34, de 1887,   est frappé au coin de la belle inspiration. Malgré son titre « moderato », l'allegro, qui l'ouvre, est d'une énergie surprenante, alternant crescendos fiévreux et plages plus résignées. Le lento, qui n'est pas sans évoquer le Trio de Chausson, propose une réflexion lyrique intense, menée par le violon, qui à la section centrale cède la place au cello. L'energico final renoue avec la fièvre du premier mouvement, dans un esprit tout à fait libéré. Sa structure entrecoupée de points d'orgue, lui confère un zest de mystère. Le Trio de Debussy (1880) est plus tourné vers Massenet et Franck qu'annonciateur du style de la maturité. Mais déjà s'impose cette transparence qui la distinguera. L'andantino se plaît à folâtrer dans un paysage choisi, peuplé d'harmonies séduisantes, exposées par les deux cordes, jouant souvent à l'unisson, et auxquelles le piano apporte une note délicatement déclamatoire. Suit un intermezzo, structuré en répons des cordes, le piano jouant le rôle de « go between ». Le violoncelle ouvre l'andante espressivo de son ample mélodie, reprise par le violon, dans un climat serein. Le finale « appassionato », ne le devient que progressivement, tel un feu qui couve, alors que le discours prospère en mille circonvolutions. Publié en Allemagne, en 1893, le Trio de René Lenormand (1846-1932), sera pour beaucoup une découverte. Là encore, ses quatre mouvements témoignent d'un grand souci de l'équilibre entre les trois instruments. L'allegro contient d'intéressantes audaces harmoniques, et le discours est ample. L'andante livre une sombre méditation, dans le registre ppp, qui débouche sur une expression passionnée. En forme de course-poursuite, le scherzo prestissimo se signale par ses notes piquées du piano, tandis que les deux cordes se font plus mystérieuses. Le rythme soudain retombe dans un doux lyrisme, avant de reprendre son élan. Un allegro décidé parachève la fête, de sa fougue presque bouillonnante. Le Trio Chausson fait montre ici, comme dans les deux autres pièces, d'un solide savoir instrumental, d'un sens du dosage enviable, et d'un sûr flair musical. Plaçant cette jeune formation tout près de leurs aînés.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Igor STRAVINSKY : Le Sacre du printemps. Symphonies pour instruments à vent. Apollon musagète. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 1 CD EMI Classics : 7 23611 2. TT.: 75'36.

Fruits d'exécutions en concert, ces interprétations des trois pièces de Stravinsky sont donc le nec plus ultra de la vision de Simon Rattle. « Le grand rite sacral païen » qu'est, pour son auteur, Le Sacre du printemps, prend ici une tournure flamboyante grâce à un orchestre dont la plastique n'est plus à louer, saisi par une prise de son superlative, aérée, d'un formidable impact (résonance des contrebasses, grosse caisse, retentissante, pour ne citer que deux exemples ). Il est loin le temps où la technique de compression ne laissait, au disque, que peu imaginer la puissance réelle de cette musique. Ce que beaucoup considèrent comme le triomphe de la complexité, l'interprétation de Rattle le rend, bien sûr, limpide - le Sacre n'est-il pas devenu un « classique » ? - mais avec des idées très personnelles. Rien, ici, d'une analyse d'ordre chirurgicale : certaines angles sont arrondis, d'autres acérés, de sensibles ralentissements côtoient des prestissimos d'enfer (Danse de la terre qui conclut la I ère Partie, et son ultime phrase, comme suspendue), le lyrisme est souligné, telle l'Introduction de la Seconde Partie, ou à l'inverse, le déferlement rythmique accentué. La discontinuité consubstantielle à la pièce est, là, évidente. La Danse sacrale qui parachève « Le Sacrifice » se vit, justement, objective, et Rattle fait attendre d'un silence d'une bonne seconde l'accord couperet final. Il n'y a pas pourtant de différence significative de timing avec l'interprétation de Pierre Boulez, dans sa dernière prestation au disque (DG, 1992) : 34'03, pour l'anglais, contre 33'29 chez le maître français. Les contrastes internes sont seulement différents. Le fabuleux Berliner Philharmoniker resplendit de tous ses feux. Et cela est irrésistible, quasi incontournable. Apollon musagète (1928), donné ici dans la version révisée de 1947, est une des manifestations du fameux néoclassicisme, dont se réclamait Stravinsky. Un retour vers le passé et le ballet académique, quoique mâtiné de manières modernistes dans la conduite des idées : un jeu subtil avec quelque modèle du XVIII ème, voire du XVII ème, français peut-être surtout. Pas d'action, pas plus d'ailleurs que dans le Sacre, mais un enchaînement de dix séquences uniquement travaillées sur les cordes, dans une architecture originale, où plusieurs allegros sont mis à la file, et où un adagio renchérit sur un lento. Rattle joue à fond le jeu, non sans un certain humour, et l'apothéose finale, « Largo e tranquilo », a même quelque chose de mélancolique ; au premier degré ? On savoure la beauté souveraine de l'ensemble des cordes et des solos, violon, alto, cello, qui émaillent le ballet. Les Symphonies d'instruments à vents (1920) offrent une manière bien différente de celle du Sacre, même si elles l'évoquent par leur complexité. André Boucourechliev n'hésite pas à considérer que la construction « selon un système d'ancrages, d'amorces, de développements, de rappels, ne trouve d'équivalent dans la musique moderne que dans le Marteau sas maître de Boulez ». Admirable est l'économie de moyens d'une formation de modestes dimensions, les bois puis les cuivres. L'immense maîtrise des Berliner en fait encore un morceau de choix.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Anniversaire Britten

Benjamin BRITTEN : Songs. Winter Words, Op. 52. Michelangelo Sonnets, op. 22, Six Hölderlin Fragments, op. 61.  Who are these Children ?op. 84. Songs from the Chinese, op. 58. Ian Bostridge, ténor, Sir Antonio Pappano, piano, Yuefei Yang, guitare. 1 CD EMI Classics : 4 33430 2. TT.: 70'15.

Les divers cycles vocaux chambristes, qui émaillent la production de Britten, sont des chants de paix et de fureur. Écrits essentiellement pour la voix de ténor, celle de Peter Pears, ils abordent les thèmes de l'enfance, de la désespérance de la vie, de la violence, et apparaissent souvent tels des hymnes d'amour pour le compagnon  chanteur. Le compositeur cherche à restituer à la langue anglaise sa vitalité, libérée de toute étiquette romantique. Les sept Michelangelo Sonnets, op 22, achevés en 1940, durant l'exil que le musicien s'était imposé aux USA, et premières pièces dédiées à Pears, seront créées par lui et le compositeur en 1942, à Wigmore Hall. Elles sont destinées à mettre en évidence cette voix particulière, à travers des incursions tendues dans le haut du registre et un style presque bel cantiste, célébrant la clarté du timbre. Le choix des poèmes est loin d'être fortuit, là où le grand italien, de plus de 80 ans, y célèbre sa flamme pour le jeune Tommaso dei Cavalieri, tout comme Britten clame une passion tout aussi ardente pour le ténor dédicataire. Dans les huit mélodies de Winter Words, op 52, de 1953, composés simultanément avec l'opéra The turn of the Screw, Britten s'empare de la poésie fantastique de Thomas Hardy et de la thématique de l'innocence de l'enfance, dans ce qu'elle a d'énigmatique, voire de dangereuse, qu'il traitera si magistralement dans l'opéra : un lyrisme sombre, empreint d'une fausse quiétude, établissant un climat doucement angoissant. Les Six Hölderlin Fragments, op 61, la seule pièce vocale de l'anglais à avoir été écrite dans la langue de Goethe, à l'instigation de son ami, le prince Ludwig de Hesse, livrent, là encore, un concentré de la pensée de l'auteur, épousant celle tourmentée du poète allemand. Avec les quatre chants tirés de Who are the Children ?, op 84 (1969), cycle de douze mélodies sur des textes de William Soutar, on croise le thème des horreurs de la guerre, mêlé à celui de l'enfance. En l'occurrence l'intrusion de la guerre dans l'univers insouciant de ce qui semble être une nurserie ou une école. Les tournures y sont poignants, et la violence non dissimulée, notamment dans « Nightmare » (cauchemar), vision du danger extrême, ou « Slaughter » (massacre), figurant la course infernale d'un animal horrible semant la désolation sur son passage. Les Songs from the Chinese, op 58, de 1957, ont ceci d'original d'être écrits pour accompagnement de guitare, en hommage à Julian Bream, avec lequel Britten aimait à se produire. C'est une réflexion sur l'existence, déjà entrevue dans les Höderlin songs, ce milieu de la vie où se fait jour la dépression, et malgré tout reste l'espérance de jours meilleurs. L'alliance voix de ténor et guitare est des plus séduisantes, surtout lors des passages riches en onomatopées. S'il est un interprète désigné pour donner tout leur lustre à ces songs, c'est bien Ian Bostridge, dont la manière s'inscrit parfaitement, presque par mimétisme, dans celle de Peter Pears : luminosité du timbre, typiquement british, fluidité de l'émission, qui perce l'intimité de la phrase comme peu, un Dietrich Fischer-Dieskau par exemple. De la déclamation véhémente à la caresse apportée au mot, voilà bien un festin de poésie anglaise. Il fait équipe, comme déjà dans le répertoire allemand, avec Antonio Pappano dont le talent de pianiste n'a rien à envier à l'allant du chef lyrique, et qui sait faire merveille de l'économie de moyens dans l'accompagnement imaginé par Britten, et manier l'excentricité là où il le faut.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Dimitri CHOSTAKOVITCH : Concerto pour violoncelle et orchestre N°1 op. 107. Sonate pour violoncelle et piano op. 40. Moderato pour violoncelle et piano. Emmanuelle Bertrand, violoncelle, Pascal Amoyel, piano. BBC Symphony Orchestra of Wales, dir. Pascal Rophé. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902142. TT.: 63'05.

L'intérêt de ce disque est de rapprocher des compositions pour le violoncelle, écrites par Chostakovitch à deux époques bien distinctes de son processus créateur. La Sonate op. 40, de 1934, contemporaine de l'opéra Lady Macbeth of Mzensk, ne manque pas de surprendre par son ambiguïté. L'allegro non troppo cultive le déroutant, l'impénétrable même : une apparence classique et lyrique cache à peine un traitement du matériau se révélant vite inquiétant, où toute forme de séduction semble se déliter. De type scherzo, l'allegro suivant propose une valse parodique, aux sonorités dissonantes, grinçantes au violoncelle, percussives au piano. En total contraste, le largo introduit un climat apaisé, d'un lyrisme éperdu, où la courbe mélodique dévolue au cello s'élève généreusement, parée d'un thème rappelant de manière fugace un de ceux de l'opéra ; tandis que le clavier se maintient dans le registre grave. La profondeur abyssale va de pair avec l'extrême dépouillement. Au finale revient le soin de laisser l'auditeur sur une impression interrogative : des pseudo variations aussi gratuites, mais seulement en apparence là encore, qu'emplies de sarcasme. Le jeu du piano est insolent, celui de l'instrument à corde pas moins crissant. Le morceau intitulé Moderato pour violoncelle et piano, sans doute de la même époque, véhicule en tout cas un esprit similaire, de lyrisme affirmé. Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel sont parfaits d'humilité et de tact. Tout autre est le Concerto N°1 pour violoncelle, de 1959, écrit pour Mtislav Rostropovitch. L'heure est à la réflexion désabusée sur une carrière tant entravée, et bardée de faux semblants. la versatilité stylistique de la pièce chambriste précédente fait place à l'homogénéité : la parodie est délibérément affichée. L'allegretto, « dans un style de marche joyeuse », est sans doute tout sauf ce que cette appellation veut dire. L'humour est à prendre au second degré. Le fameux thème bâti sur les quatre notes du monogramme de l'auteur « D S C H », en sera le motif conducteur. Le vaste moderato délivre un chant somptueux, suprêmement apaisé, qui monte graduellement en puissance. Bien que, là encore, il existe des signes qui ne trompent pas, d'une amère douleur. Intervient alors une formidable Cadenza, nul doute, composée pour mettre en avant la fabuleuse virtuosité et l'exceptionnelle maîtrise du dédicataire. Le finale est un des exemples du vrai-faux burlesque qu'affectionne Chostakovitch, où vont se télescoper des éléments divers : cheminement chaotique du cello, traits criards des bois, cordes ostinato, percussions détonantes, et surtout allure de course haletante, qui reprend, pour le déformer, le thème d'origine. Emmanuelle Bertrand est stupéfiante d'autorité, asservissant, par la souplesse du phrasé, un dramatisme affirmé. Pascal Rophé métamorphose une orchestre sans doute pas de top niveau, mais terriblement efficace dans ses interventions.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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ENTRETIEN

 

Emmanuel Chamboredon, directeur de Milan Music

 

Après avoir travaillé pour les autres (United Artist, Pathé, CBS, Pickwick, Arcade…), Emmanuel Chamboredon décide, en 1978, de monter sa propre société d’édition de musique. Après avoir édité des compilations pour la télévision, il s’est dirigé vers la musique de films. Dès ses débuts, grâce à son parcours, ses compétences, les opportunités qui se sont présentées et la dimension internationale qu’il a su donner, avec l’aide de son fils, le label Milan Music est devenu un des plus créatifs et importants dans le domaine de la BO.

 

« Un jour j’ai eu un camarade allemand, cinéaste, qui a débarqué dans mon bureau. Il m’a dit qu’il venait de réaliser un film musical et qu’il aimerait sortir la BO du film. On était avant Pâques et le film sortait après.  J’accepte. Le réalisateur, c’était Fasbinder, et le film « Lili Marlène » avec Anna Shygulla et la musique de Peer Raben. On a travaillé sur le projet, et je le l’ai distribué moi- même. Je n’avais peur de rien en 1978. Au bout de trois mois, je me suis aperçu qu’on avait vendu 20 000 exemplaires sans faire grand chose !...Y’a des moments comme ça, très agréables…Un jour, la FNAC nous réclame un air d’opéra qui était dans un film. C’était la Wally de Catalani, dans « Diva » de  Beneix, musique originale de Cosma. Il avait fait la « Boom » l’année précédente pour Barclay. Il était allé les voir pour leur dire qu’il venait de faire un petit film français, qu’il y avait une air d’opéra et qu’il aimerait bien faire un 45 tours. Pour une fois les gens de Barclay ont voulu faire les businessmen, et dans notre métier il ne faut jamais jouer au businessman. Ils lui ont dit non, on ne touche pas à ce petit film, ça ne marchera pas, on n’en veut pas. Nous et Cosma, on prend alors contact avec Madame Silberman, qui était la productrice. Elle accepte. Le problème, c’est qu’il n’y avait pas assez de musique pour faire un trente trois tours, et que moi je voulais faire un 33 tours. Alors, on a envoyé Cosma à Londres parce qu’il y avait enregistré sa musique, et il a composé dix minutes à la manière de ce qu’il avait fait. Je crois que personne n’a remarqué qu’il y avait de la musique qui n’était pas du film ! Elle a fait le tour du monde, et eu un César. Cela a été un très grand succès, et c’était ma deuxième musique de film. On a vendu près de 2 millions de disques. Du coup, je me suis intéressé plus à la musique de film qu’aux compil’  pour la télévision.

 

Si vous attendez, vous ne faites rien. Il faut être imaginatif et curieux. Ma chance c’est que je suis tout de suite sorti de l’hexagone et que je me suis intéressé à ce qui se faisait en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Italie. En Turquie, la musique de la Palme d’Or « Yol », de Sébastien Argol, a été un succès. Ce sont aussi les États-Unis, bien sûr, mais aussi l’Amérique du sud, le Japon, la Chine, avec la musique de Zhao Jiping d’« Epouses et Concubines » de Zhang Yimou. D’autre part, on cherchait aussi des outsiders.

 

En général, quand on a tenu une génération dans ce métier, on voyage moins, on passe à autre chose, on vend sa boîte à une major et puis on va jouer au golf et on promène son chien sur la croisette habillé en amiral. Mais moi j’ai eu beaucoup de chance car j’ai un fils, Jean-Christophe,  qui a terminé ses études de cinéma à l’USC aux États-Unis, et qui est venu travailler comme stagiaire en France. C’était au moment où le disque allait mal. Il s’est intéressé à l’entreprise et l’a sauvée.

 

Maintenant il est à Los Angeles. et il la dirige depuis 12 ans. Avec Jean- Christophe, on entre dans la deuxième génération. Moi, je ne suis que son agent en France. C’est lui le boss ! J’ai beaucoup de chance.

J’avais crée mon affaire aux USA il y a plus de 25 ans. On s’était fait voler sur « Diva », et  quand Anatole Dauman m’avait demandé de sortir la musique de « Les Ailes du Désir » de Wim Wenders aux États-Unis, j’avais dit OK, à la condition de faire un deal avec une major. Et donc j’ai dû créer une société d’édition de musique, sur place, à New York. Elle était petite, puis a grossi et a sauvé la française.  Le premier disque a été le « Cercle des Poètes Disparus », sur une musique de Maurice Jarre. Puis nous avons sorti « Ghost » de Maurice aussi. J’avais un contrat de première option avec RCA. Je leur ai proposé de faire « Ghost ». Ils m’ont dit que ça ne les intéressait pas. Kuchler de Varèse, notre concurrent, avait sorti quelques disques sous licence chez nous et m’a dit d'accord. Il n’a jamais eu autant de succès. Le premier relevé était un chèque d’un million de dollars ! Au bout de trois ans, nous avons repris nos droits aux États-Unis. Depuis, Kuchler a pris sa retraite et il a vendu Varèse à une boîte anglaise qui annonce sortir 100 disques par an de musique de film. On va voir.

 

Ma rencontre avec Maurice a changé ma vie. Je l’ai rencontré à la SACEM, lors d'une cérémonie en son honneur. On a sympathisé. Nous sommes restés très ami jusqu'à la fin de sa vie. Ma grande satisfaction c’était aussi ma relation avec Astor Piazzolla. Je gère encore les intérêts de la famille dans le monde. Astor était très mal organisé. On vient de gagner un procès de 15 ans en Italie ! C’est un peu grâce à Serge Silberman que je l’ai connu. Il produisait à l’époque « Ran » de Kurosawa. J’étais allé voir le film avec l’attaché de presse, Simon Mezrahi.  Laurence Granet, son assistante, me parle d’un petit truc «  Tango l’Exil de Gardel » de Solanas. Je vais voir les rushes, il y avait plein de gens déjantés Léotard, Marie Laforêt…. Il leur manquait de l’argent pour terminer la musique. Je les ai aidé et c’est ainsi que j’ai rencontré Astor et qu’on a démarré notre collaboration et notre amitié. Lorsqu’il venait en France, il déposait ses œuvres à la SACEM, et j’avais un coup de fil d’un gars qui me prévenait que monsieur Piazzolla était passé, qu’il avait déposé des partitions et, comme il leur avait dit que j’étais l’éditeur, il fallait que je passe pour signer les documents… Astor trouvait bizarre que mes taux ne soient pas élevés, mais pour moi travailler avec lui c’était un cadeau du ciel. C’est ainsi que je suis entré dans le cinéma argentin.

 

Avec Cosma on a aujourd’hui des relations plus pacifiées. Il m’avait reproché, à l’époque,  de ne pas lui avoir offert un disque d’or. Je le regrette beaucoup, car c’est un homme très subtil, un très bon mélodiste. On est passé à côte d’une amitié. Il y a un autre compositeur qui m’a marqué, c’est Michel Magne. J’ai un très grand regret de l’avoir connu qu’à la fin de sa vie.  Il a été acculé au suicide, et je pèse mes mots, par un producteur. Il avait fait la musique d’un film qui s’appelle « Mon Réveillon chez Bob » de Denys Granier-Deferre. Le type ne le payait pas. Il s’était mis dans des galères parce que l’argent lui coulait des mains, et pour finir il s’est suicidé au Novotel de Cergy. Moi j’étais plus jeune et 15 jours avant sa disparition, il m’appelait tous les jours, et je n’avais pas les moyens de l’aider. J’aurai dû aller le voir, le conforter. En fait, les gens qui attentent à leur vie, ils ne l’annoncent pas, ils le font c’est tout. C’est un très grand regret de ne pas avoir travaillé avec lui. Le dernier avec qui j’ai une vraie relation c’est Hans Zimmer. Il était l’assistant de Stanley Myers. Sakamoto n’arrivait pas à terminer la musique du « Dernier Empereur », Jeremy Thomas, le producteur, appelle Myers au secours. Myers lui dit que la musique électronique ça ne l’intéresse pas, mais que son assistant en est dingue. Et c’est comme ça que Hans est entré dans le cinéma en terminant la musique du « Dernier Empereur ». A partir de là il a commencé à faire des films d’indépendants anglais pour Working Title. Moi, je sortais leur musique. Je ne sais pas comment, mais le réalisateur de « Rain Man » a eu entre les mains notre disque de la musique de « A World Apart » composée par Hans. Il y a eu un déclic. Le réalisateur voit les producteurs et leur dit qu’il lui faut ce jeune homme qui habite en Angleterre. Le deal était qu’il vienne à Los Angeles.  On lui louerait un appartement et il repartirait lorsque la musique serait faite. Avant de partir, Hans m’invita à déjeuner : pour lui, sa musique on ne l’entendra pas. Il y a un morceau qui est tout le temps là, c’est Iko Iko. Il veut que je sorte le disque. J’appelle EMI qui nous trouve bien gentil, mais nous prévient que si on veut sortir la musique ce sera sans Iko Iko. On connaît la suite : succès du film, succès du disque, Hans était lancé aux USA… Nous avions sorti une belle composition de lui, celle de « Backdraft », film de Ron Howard. Nous avons des projets ensemble.

Aujourd’hui ce sont des gens qui viennent du rock, comme Cliff Martinez et Clint Mansell, qui marchent fort. Nous avons sorti de superbes compositions de ces musiciens. Je crois beaucoup aussi à un compositeur  et cinéaste japonais Masakatsu Takagi qui a fait la musique d’un très beau film d’animation : « Les Enfants Loups » de Mamoru Hosoda. On peut conclure qu’aujourd’hui la musique de films se vend mieux que la musique classique. C’est une musique qui est en même temps de la musique classique, du jazz, et de la variété. Mais c’est surtout parce que nous nous sommes diversifiés sur le plan international que nous avons des résultats. »

 

Pour illustrer cet entretien, nous conseillons, chez Milan Music, entre autres, l’album de Maurice Jarre avec ses compositions pour David Lean. Il les a réenregistrées. Un DVD de l’enregistrement fait partie de l’album. « Ghost », bien sûr, un des plus gros succès de BO, « Killer Joe » de  Tyler Bates, « Backdraft » de Hans Zimmer, « Les Enfants Loups » de Masakatsu Takagi, « Last Night » de Clint Mansell, et un français très demandé outre atlantique, Alexandre Desplat avec « The Queen »

     

 

   

 

Stéphane Loison.

 

BO en CDs

 

BORIS VIAN & SON ORCHESTRE AVEC CLAUDE LUTER

« Ah ! si j'avais un franc cinquante... »

1CD Milan Music/ Universal : 399 472-2.

La sortie de ce disque coïncide avec celle du film de Michel Gondry, "L'Ecume des Jours", adapté du roman culte de Boris Vian. Dans le film, c’est Duke Ellington qui est à l’honneur, comme dans le livre . « Sans le jazz la vie serait une erreur », disait Boris Vian. Le disque permet de redécouvrir les seuls enregistrements mythiques de Boris Vian avec Claude Luter, de 1944 et 1947, dont le fameux titre "Ah ! Si J'avais Un Franc Cinquante", adaptation « viannesque » du standard "Whispering". Un livre à lire ou relire, un film à voir, même si c’est du Gondry pur jus, un musicien à écouter. Trois plaisirs dont il ne faut pas se priver.

 

STOKER. Réalisateur Park Chan-Wook. Musique de Clint Mansell

1CD Milan Music / Universal N°399 456-2.

Clint Mansell, né à Conventry en 1963, est le compositeur de Darren Aronofsky. C’est à lui qu’on doit la musique de  « ∏ », la BO culte de « Requiem for a Dream », qui a lancé sa carrière. Elle est interprétée par l’exceptionnel Kronos Quartet, avec le fameux thème Lux Aeterna, devenu extrêmement populaire, « The Foutain » (meilleur musique de film au 64ème Golden Globe), puis « The Wrestler », et « Black Swan ».  Mansell est considéré comme un des meilleurs compositeurs actuels. Il est loin le temps où il n’était qu’un chanteur de rock. « Stoker », thriller maniériste, sulfureux, flirtant avec les ambiances à la De Palma, est envoûtant, dérangeant, parfois même agaçant dans sa mise en scène hyper sophistiquée. La musique y joue un rôle très important. Un parallèle existe entre Le Trouvère de Verdi et l’histoire des frères Stoker : « Stride la Vampa » est interprété par la mezzo et harpiste Eloise Irving. L’oncle Charlie et sa nièce India jouent au piano une scène des plus ambigües sur une composition magistrale de Philip Glass. Clint Mansell nous offre une musique tour à tour puissante, complexe, qui exprime des émotions à peine suggérées par l’image, au fil de scènes souvent muettes. Faire sentir en musique l’éclosion d’une jeune fille vers l’âge adulte et ses perturbations psychologiques est un vrai challenge, et Mansell y parvient C’est en voyant « The Foutain », et impressionné par la qualité de la musique de Mansell, que Park Chan-Wook lui proposa de travailler avec lui, six ans après ! Avec ce CD, on retrouve toute l’ambiance du film et c’est avec un pur plaisir qu’on écoute les compositions de ce brillant compositeur, et l’œuvre de Glass. La belle présentation du disque, en digipack, offre une interview de Park Chan-Wook, dans lequel celui-ci raconte la genèse de la musique de son film et ses choix par rapport à Philip Glass et Clint Mansell. C’est aussi un disque qui s’écoute sans avoir vu le film. Clint Mansell devrait venir en concert au mois de novembre. Espérons que cela se confirmera.

 

 

 

F.SCOTT FITZGERALD et la MUSIQUE / THE GREAT GATSBY Compilation. 1 CD Milan Music/ Universal n°399 475-2

Compilation, 1 CD Interscope Records

Profitant de la sortie du film « Gatsby le Magnifique » de Baz Luhrmann, le réalisateur de « Roméo+Juliette », « Moulin Rouge », les éditions Milan Music offrent une compilation jazz de 1925 à 1936 avec des musiciens tels que Fats Waller, Louis Armstrong, Fletcher Henderson, Duke Ellington, Bessie Smith, Art Tatum, Bix Beiderbecke… C’est un disque superbe, mais sûrement pas la musique qu’écoutaient Fitzgerald et encore moins Gatsby. A cette époque, dans ce milieu, on écoutait du jazz passé à la moulinette blanche, comme celle de Paul Whiteman (nom prédestiné) et son orchestre, aux arrangements surannés, naïfs, donnant au jazz une forme de respectabilité. Il ne faut pas oublier que cette musique de « négres »  venait des bouges de la Nouvelle Orléans et était inventée par des musiciens géniaux, comme Jelly Roll Morton, Fats Waller ou Louis Armstrong. Bessie Smith, cette grosse « négresse », morte dans un accident de voiture, à qui on a refusé des secours du fait de sa couleur de peau, n’aurait jamais chanté au Waldorf Astoria, où la bourgeoisie New Yorkaise, à laquelle appartenait Fitzgerald, se trémoussait en dansant le fox trot au rythme du roi du jazz qu’osait se faire nommer Paul Whiteman.  Alors oui, cette compilation remet les pendules à l’heure sur le vrai jazz. Reconnaissons que Whiteman avait engagé un trompettiste blanc, Bix Beiderbecke, grand interprète, dont le film « Coton Club » de Coppola, retrace la vie dans le club du même nom. Ellington y faisait danser un public de couleur et des blancs qui venaient s’encanailler. Duke et Bix sont dans cette compilation.

 

Le CD «  The Great Gatsby » est une compilation des chansons du film, à la manière de Moulin Rouge, mais elle n’est pas aussi flamboyante. Beyoncé, Lana Del Rey, Will I Am, Jay-Z, Fergie, Bryan Ferry... c’est un mélange de jazz rétro d’accents électros, bluesies, RNB. Cette compilation cartonne ! Pas de présence de jazz 1920, seulement dans les intros. La BO de Nelson Riddle, pour la nullissime précédente adaptation, avait un peu plus l’air d’époque ; mais cela n’intéresse pas Baz Luhrmann de faire de la reconstitution. Quant aux musiques originales de Craig Armstrong, pour trois longs-métrages de ce réalisateur, on n'a jamais eu le plaisir de les entendre en CD. Dommage!

 

Pour ceux qui aiment le jazz classique, la compilation de Milan est très intéressante et offre des morceaux dont certains ne sont pas souvent édités.

 

 

 

SONG FOR MARION. Réalisateur Paul Andrew Williams. Musique Laura Rossi. 1CD Sony Classical : 88765468352.

Ce mélodrame doux amer sur fond musical est inspiré de la démarche des "Heaton Voices" - une chorale improvisée par la ville d'Heaton, en Angleterre, composée uniquement d'amateurs, et qui se produit localement dans de petits spectacles - pour créer la chorale du film. Le réalisateur a voulu y insuffler le même esprit ludique et bon enfant ; ce qui explique pourquoi le superviseur musical du film, Richard Scott, y a transposé des inspirations et des arrangements venant de tous côtés (Afrique, Europe de l'Est, gospel, jazz). La chorale, et donc la musique, sont au centre du scénario, et les chansons chantées sont en fonction des moments du déroulement de l’histoire. Terence Stamp et Vanessa Redgrave sont prodigieux de justesse dans leur jeu et chantent avec leurs moyens vocaux, qui ne sont pas exceptionnels, mais avec un tel engagement par rapport au texte qu’ils nous bouleversent. Préparez vos mouchoirs ! La musique colle tellement au film qu’il est difficile d’écouter seulement ce disque d’une chorale d’amateurs. C’est là un CD pour se souvenir des scènes et avoir de nouveau la larme à l’œil. On ne peut pas dire que juste l’écoute vaille, sauf pour les admirateurs de Stamp et de Redgrave. Cette dernière avait déjà chanté dans la comédie musicale « Camelot », musique de Frederick Loewe, réalisée par Joshua Logan, où elle interprétait la Reine Guenièvre aux côtés de Richard Harris. Elle avait obtenu un Golden Globe en 1967 pour sa prestation.

 

 

SOUS SURVEILLANCE. Réalisateur Robert Redford. Musique Cliff Martinez. 1CD Milan / Universal : 399 470-2

En 1969, un groupe de militants radicaux, appelés Weather Underground, revendique une vague d’attentats aux États-Unis pour protester contre la guerre du Vietnam. La plupart de ses membres furent emprisonnés, mais quelques-uns disparurent sans laisser de trace. L’arrestation de Sharon Solarz, l’une des activistes, remet cette affaire sur le devant de la scène, au point d’intéresser  un ambitieux reporter, Ben Schulberg. Jouant de ses relations au FBI, il rassemble petit à petit les pièces du puzzle, le menant jusqu’à Jim Grant, un avocat apparemment sans histoire… Lorsque celui-ci disparait brusquement, le journaliste se lance sur sa piste, déterminé à le retrouver, avant le FBI. Pour la musique de son film, Redford s’est adressé à Cliff Martinez, le compositeur de Steven Soderberg et de la musique « tube » de l’année « Drive ». Le film, qui ne manque pas d’intérêt, n’est pas très abouti. C’est un thriller politique qui nous touche peu. La musique « électronique » de Martinez apporte une touche supplémentaire au « suspens » : musique oppressante, mais qui manque de surprise. Cela sent un peu le réchauffé. A l’écoute du disque, c’est encore plus flagrant. Le procédé des nappes avec samples d’instruments est le principe de Martinez. Ce n’est pas désagréable à l’écoute. Il y a de belles envolées « planantes », mais cette musique pourrait être plaquée sur n’importe quel film et elle marcherait. C’est peut-être le drame des musiques de films made US aujourd’hui. Le phénomène Zimmer fait des petits, tout devient normatif. Si on aime Martinez, cela fera un CD de plus pour la collection. Sinon, même pour ceux qui ont vu le film, on ne pense pas que cette musique leur fera se souvenir de ses moments. « I can’t say I’m happy to hear you », pour paraphraser le dernier morceau du CD.

 

 

 

MUD. Réalisateur Jeff Nichols. Musique de David Wingo et Lucero.

1CD Lakeshore Records;

Mud et l’histoire d'une amitié entre un fugitif, appelé Mud, et un garçon de quatorze ans, Ellis. Ce dernier va aider son nouvel ami à échapper aux tueurs qui le recherchent, et lui permettre de rejoindre la femme de sa vie, Juniper. C’est un film qui se passe sur les rives du Mississipi au milieu d’une nature magiquement filmée, comme chez Terrence Malick, et qui peut être d’une grande beauté, mais  aussi source de danger. C’est un film sur la fin de l’enfance, de l’innocence. David Wingo signe une musique qui colle parfaitement aux images, une musique folk-rock, avec des accents cajun, où guitare, accordéon, violon parfois seul ou avec une guitare et une caisse claire, se mélangent à des plages électroniques. Lucero - groupe de rock sudiste, de punk rock et d'alternative country basé à Memphis  - chante des chansons du cru, qui ajoutent de la couleur locale à ce drame. David Wingo a écrit des musiques pour des films qui ne sont pas très connus. En 2000 « Georges Washington », puis  « Manic »  de Jordan Melamed, « The Guatemalan Handshake » de Todd Rohal, « Great World of Sound » de Graig Zobel, « Gentlemenan Broncos » de Jared Hess, et surtout le premier film prometteur de Jeff Nichols : « Take Shelter  . Ce musicien est une agréable découverte, et on espère que ce film lui permettra de se faire connaître. L’écoute des musiques seules est un réel plaisir et permet de continuer le voyage sur ce Mississipi étrangement mystérieux et grandiose. Il manque la chanson du générique de fin des Beach Boys, un problème sûrement de droit. Un film à voir et une musique à écouter.

 

 

 

ORFEU NEGRO. Bande Originale du Film et la musique des grands films brésiliens. O Cangaceiro  - Central Do Brasil. 1 CD Milan Music / Universal : 399 464-2

Ce CD nous offre la musique du film de Marcel Camus, Palme d’or 1959, « Orfeu Negro » avec les superbes chansons de Antonio Carlos Jobin et Vincius de Moraes, auteurs inconnus à l’époque, inventeurs, entre autres, de la « bossa nova ». On y trouve aussi la BO de « O Cangaceiro » de Lima Barreto, de 1953, ainsi que celle de « Central Do Brasil », touchant film de Walter Salles, de 1998, musique de Antonio Pinto et Jacques Morelebaum. Trois bandes originales, trois étapes essentielles dans l’évolution de la musique brésilienne. Un CD à posséder, et surtout des films à revoir.

 

 

Stéphane Loison.

 

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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A découvrir :

 

 

YAMAHA : l’innovation Silent

 

 

 

Vingt ans après la création de son premier piano Silent™, Yamaha récidive et innove avec son nouveau piano équipé du système Silent SH : jouer en silence sur un piano, enregistrer ses créations et les partager en quelques clics.

Yamaha connu pour être le leader mondial de la technologie dédiée aux instruments  de musique créé la surprise avec deux nouveaux systèmes : Silent™ SH et Silent™SG2 (tous deux disponibles sur 24 modèles : pianos droits et à queue).

 

 

 

Le système Silent™ SH est le premier système à employer l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFX. Il permet d’enregistrer en différents formats (MIDI, ou audio) et de partager ses compositions sur les réseaux sociaux en quelques clics. Le pianiste devient un musicien qui s’exprime à travers le monde en temps réel.

Il bénéficie de nombreux avantages comme un échantillonnage numérique binaural procurant un effet 3D, une polyphonie multipliée par 8 soit 256 notes, 19 sonorités proposées, un casque hifi Yamaha HPH-200, prise USB en façade …

 

   

     

Le système Silent™ SG2 utilise, lui, l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFIIIS. Est doté de belles particularités comme un échantillonnage AWM, une polyphonie de 64 notes, 10 sons pour créer ses compositions et reproduire ses interprétations avec possibilité de modifier le niveau de réverbération, enregistrement en mode MIDI …

 

 

Information: fr.yamaha.com/silentpiano

 

 

 

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