Lettre d’Information – n°81 – Mai 2014



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

14, 16, 17 / 5 et du 2 au 13 / 6

 

Un opéra de Nicolas Bacri, prélude à Cosi fan tutte : Cosi Fanciulli

 


Nicolas Bacri / © Éric Manas

 

A l’occasion de son dixième anniversaire, l'ensemble Opera Fuoco s’entoure d’artistes de grand talent, l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, le compositeur Nicolas Bacri et le metteur en scène Jean-Yves Ruf, pour un projet audacieux et jubilatoire : un opéra-prologue à Cosi fan tutte ! L’ultime opéra de Mozart et Da Ponte est riche de questions, jamais résolues, sur la psychologie des personnages et sur leurs motivations. Quoi de plus naturel alors que de vouloir remonter le temps, de retrouver le quatuor de jeunes amoureux et de comprendre ce qui anime leurs troubles et leurs amours ? Et surtout de tenter de saisir pourquoi Don Alfonso et Despina sont devenus si méfiants envers l’amour... Ce sont ces énigmes qu'Éric-Emmanuel Schmitt se propose de questionner dans Cosi Fanciulli. Les thèmes de l’opéra de Mozart sont tous présents sous la plume du dramaturge : l’ambiguïté des sentiments, l’ivresse sensuelle généralisée, la naïveté trompée, la ruse effrénée. Nicolas Bacri signe une partition qui nous replonge dans le contexte musical de la création de Cosi fan tutte, tout en faisant résonner un héritage plus contemporain. Pour déployer ce théâtre du désir, Jean-Yves Ruf choisit un espace sensuel et sensible fait de toiles et de transparences. Sous la baguette de David Stern, les chanteurs et musiciens d’Opera Fuoco, associés à un chœur composé de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et d’enfants amateurs, éclairent d’un jour nouveau l’un des chefs-d’œuvre les plus riches et les plus complexes de la culture musicale occidentale. Cette production est liée aux actions pédagogiques menées au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines sur l'année scolaire 2013/2014.

 

La pièce sera également donnée au Théâtre des Champs-Elysées, dans le cadre du temps scolaire, à destination des élèves des cours moyens et des collégiens.

 

Saint Quentin-en-Yvelines, Grand théâtre, les 14, 16 et 17 mai 2014, à 20H30.

Location : Place Georges Pompidou, 78054 Saint-Quentin -en Yvelines cedex ; par tel : 01 30 96 99 00 ; en ligne : administration@tsqy.org

 

Théâtre des Champs-Elysées, les 2, 4, 5, 6, 10, 13 juin 2014, à 10 H et à 14H30. Contact : Isabelle Antoine, au 01 49 52 50 55 ; scolaires@theatrechampselysees.fr

 

 

14 & 27 / 5

 

Deux voix incandescentes à Gaveau

 


Natalie Dessay & Philippe Cassard / DR

 

Le joli mois de mai verra se produire salle Gaveau deux illustres sopranos. Simone Kermes, qui vient de débuter à Paris dans Platée, à l'Opéra Comique, y donnera son premier récital. La chanteuse, adulée outre-Rhin, au point de faire exploser le box office, devrait offrir toute sa mesure et conquérir le public parisien dans un programme sur mesure d'airs de bravoure de Vivaldi. Réunis sous le thème «  Tempête sur la lagune », des extraits des opéras La verità in cimento, Griselda, Farnace, Orlando furioso, La fida ninfa côtoieront des pièces instrumentales tout aussi démonstratives. La belle cantatrice à la chevelure de feu sera entourée des musiciens de la Magnifica Communità, dirigés par son premier violon Enrico Casazza. De la pyrotechnie vocale en perspective ! Quelques jours plus tard, Natalie Dessay, qui pour avoir délaissé la scène lyrique, n'en poursuit pas moins sa carrière de récitaliste, se produira avec le pianiste Philippe Cassard. Pour ce retour attendu, elle a décidé d'associer des Lieder, de Schumann, Brahms et Richard Strauss, et des mélodies françaises, de Poulenc (Les Fiançailles pour rire sur des textes de Louise de Vilmorin), Duparc, Fauré et Debussy. Son souci du mot et de l'atmosphère, comme l'extrême finesse de l'accompagnement pianistique devraient distinguer une soirée de haute tenue, à n'en pas douter.

 


Simone Kermes / DR

 

Salle Gaveau, les 14 et 27 mai 2014, à 20H30.

Location : 45-47, rue La Boétie, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 53 05 07 ; en ligne : www.sallegaveau.com  

 

 

24, 25, 26, 27 / 5

 

Domaine privé Henri Dutilleux à la Cité de la musique

 


DR

 

Le compositeur Henri Dutilleux (1916-2013) a laissé un héritage impressionnant. La Cité de la musique lui rend hommage le temps de quatre concerts et d'une table ronde sur le thème « Henri Dutilleux et ses modèles ». Un concert de chambre associera la Chanson de la déportée, La Geôle et les Préludes pour piano à des pièces de Berlioz (La Mort d'Ophélie), Fauré (Claire de lune), Debussy (Chansons de Bilitis) et Ravel (Gibet), avec en solistes la mezzo-soprano Isabelle Druet et la pianiste Vanessa Wagner (24/5). David Grimal et son ensemble Les Dissonances donneront Ainsi la nuit et Mystère de l'instant aux côtés de la Première symphonie de Brahms (25/5). François-Xavier Roth et Les Siècles joueront les Métaboles et le Concerto pour violoncelle Tout un monde lointain. Gautier Capuçon reprendra le flambeau de Mtislav Rostropovitch, son créateur. On pourra entendre encore une pièce rare, en création française d'ailleurs, Muss es sein ?, inspirée du dernier Quatuor de Beethoven. En miroir : la Symphonie N° 5 de Beethoven et L'Apprenti sorcier de Dukas (26/5). Enfin, Emmanuel Krivine et la Chambre Philharmonique joueront Slava's Fanfare (1997), hommage à l'ami Rostropovitch, précédant trois pièces de Berlioz, dont Dutilleux aimait la démesure : l'Ouverture de Béatrice et Bénédict, Les Nuits d'été, chantées par Michèle Losier, et la Symphonie Fantastique (27/5). 

Cité de la musique, les 24 mai 2014 (Amphithéâtre, table ronde à 15H, concert à 17H30), 25, 26 et 27 Mai 2014 (Salle de concerts, resp. à 16H30/ 25,  et 20H/26 & 27).  

Location : sur place, 221, avenue Jean- Jaurès, 75019 Paris ; par tel.: 01 44 84 44 84 : en ligne : www.citedelamusique.fr

 

25, 27 / 5 et 5/ 6

 

Le Consul de Gian-Carlo Menotti à Herblay

 


DR

Après Vanessa de Samuel Barber, en 2012, Zanetto de Pietro Mascagni et Abu Hassan de Carl Maria von Weber, en 2013, le Théâtre Roger Barat présente une nouvelle création scénique : Le Consul de Gian-Carlo Menotti. Il y a du Kafka, du Dostoïevski, du Ionesco dans cette histoire aux résonances poignantes ; du néo-réalisme, de l’opéra bouffe, de l’humour grinçant aussi. C'est là un chef-d’œuvre de l’opéra moderne américain. Dans un pays totalitaire, une femme se bat pour sauver son mari, un opposant au régime traqué par la police politique. Confrontée à une bureaucratie kafkaïenne, hantée par ses propres démons, elle lutte pour préserver son humanité dans un monde sans âme ni chair – jusqu’à y perdre la raison. Créé en 1950, cet opéra en trois actes se signale par la richesse de ses ambiances dramatiques. Cette Production Théâtre Roger Barat - Ville d’Herblay reçoit l’aide à la production et à la diffusion d’Arcadi Île-de-France, le soutien du Conseil général du Val d’Oise, de la communauté d’agglomération Le Parisis et de l'Éducation nationale. Elle est en coréalisation avec l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet où l’œuvre sera reprise en octobre 2014.

 

Théâtre Roger Barat, Place de la Halle, 95220 Herblay, les 25, 27 mai et 6 juin 2014  à  20H (16H le 25/5).

Location : sur place ; par tel. : 01 39 97 79 73 ou 01 30 26 19 15 : en ligne : billetterieculture@herblay.fr  

 

26 / 5

 

Le Paris Mozart Orchestra donne concert au Théâtre des Champs-Elysées

 


DR

 

Fondé en 2011, par Claire Gibault, sur le modèle de l'Orchestra Mozart initié par Claudio Abbado, dont elle fut l'assistante, le Paris Mozart Orchestra se proclame engagé et solidaire. Structuré selon le modèle appelé formation Mozart, il est constitué de musiciens réputés, et comprend même en son sein des formations de chambre, tel que le Quatuor Psophos. Il s'assigne un but pédagogique : porter la musique auprès de publics qui ne la fréquentent pas ou peu, et au premier chef des jeunes des collèges et lycées de l'éducation prioritaire. Les interventions en milieu scolaire, dans les académies de Versailles, Créteil, Aix-Marseille, suivent un schéma en quatre étapes : rencontre préliminaire du chef d'orchestre avec les enseignants, rencontre préparatoire au concert avec les élèves, qui préparent en outre une pièce chorale, concert au sein de l'établissement, précédé d'une séance de répétition, enfin invitation au « vrai » concert donné dans une salle extérieure. Celui de l'année 2014 aura lieu au Théâtre des Champs-Elysées. Au programme : Mozart (symphonie N° 31 et airs de concert) et Schubert  (« Le pâtre sur le rocher » et la symphonie N° 5). La soprano Julie Fuchs sera de la partie.

 

Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mai à 20H

Location : 15, Avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50  ; en ligne : www.theatredeschampselysees.fr

 

 

15, 19, 22, 25, 29 /6

 

Une rareté : Daphné au Capitole

 


Richard Strauss / DR

 

Le Théâtre du Capitole fête l'année Richard Strauss en montant un opéra rarement joué. Créé en 1938, à Dresde, sous la direction de son dédicataire Karl Böhm, Daphné reprend la légende grecque de la jeune nymphe métamorphosée en laurier, à l'initiative d'Apollon. Sur le texte de Josef Gregor, Strauss a écrit une musique sereine et lumineuse pour épouser le caractère olympien de l'œuvre. Celle-ci marque une évolution stylistique importante, conduisant le musicien à un plus grand souci de transparence, qui allait dominer ses dernières années créatrices, à la recherche de l'œuvre d'art idéale. L'ultime scène, en particulier, où l'héroïne est seule face à son destin, comme le sera la comtesse Madeleine dans Capriccio, conduit la pièce à une mirifique péroraison vocale d'un flot mélodique inextinguible. Une superbe distribution devrait en défendre les prestiges, tout comme la direction de Harmut Haenchen, un chef spécialiste de la musique allemande. Un événement à ne pas manquer.

 

Théâtre du Capitole, Toulouse, les 15, 22, 29 juin 2014 à 15H et les 22 et 25 juin à 20H.

Location : BP 41408, 31014 Toulouse Cedex 6 ; par tel : 05 61 63 13 13 ; en ligne : service.location@capitole.toulouse.fr  ou www.theatreducapitole.fr

 

 

20 -25 / 5

 

Le festival de violoncelle de Beauvais

 

 

La 6ème édition du Festival de violoncelle de Beauvais, organisé par l'Association pour le rayonnement du violoncelle, sera selon sa présidente, la celliste Emmanuelle Bertrand, « l'expression du violoncelle dans toutes ses dimensions. Ainsi, de la musique de chambre à l'orchestre symphonique, du récital à l'immense ensemble de violoncelles, du duo avec saxophone à la chanson française, en passant par le concert-lecture ou théâtral, le festival sera multiple, renouvelé et comme à son habitude lieu de partage et de convivialité ». Alors que l'Europe commémore le centenaire de la Grande Guerre, c'est la Paix qui sera célébrée cette année à Beauvais. La programmation 2014 réunit des grands noms du violoncelle tels que Raphael Wallfisch, Emmanuelle Bertrand, Lluis Claret, Xavier Philips et Gautier Capuçon, mais également des musiciens de chambre comme le duo formé par Matthieu Leujeune et Emmanuelle Le Cann, sans oublier le grand comédien Didier Sandre. Le concert d'ouverture célébrera les « Pablo de la Paix », savoir Pablo Casals, Picasso et Neruda, sur des textes de Neruda, Conte et Aragon et des musiques de Casals, Satie, Casado et Turina (20/5). Sous le titre « Revolt'(s) », sera offerte une combinaison originale du violoncelle et du saxophone, avec le Quatuor de saxos Inédits qui, entre autres, créera un pièce d'Olivier Calmel, « Suite et Liesse » (22/5). Une soirée musicale et littéraire, intitulée « Les notes de l'espoir », mise en scène par Jean Piat, réunira Emmanuelle Bertrand et le pianiste Pierre Amoyel pour célébrer deux musiciens, Anita Lesker-Wallfisch et Simon Laks, dont la vie, lors de la dernière guerre, fut sauvée par la musique, et ainsi montrer que confrontée aux affres de l'Histoire, celle-ci peut dans certaines situations extrêmes devenir une raison même d'exister (24/5). On pourra encore savourer un concert cabaret (21/5) ou le violoncelle dans la chanson française, et des programmes dédiés à la musique d'aujourd'hui (25/5) ou à la musique de chambre (23/5). Gautier Capuçon et l'orchestre Les Siècles, sous la direction de Fançois-Xavier Roth, joueront, lors du concert de clôture, Bizet, Beethoven et Saint-Saëns (25/5). Le festival comprend également un volet pédagogique avec des ateliers pédagogiques de sensibilisation à destination du jeune public.

 

Du 20 au 25 mai 2014, à la Maladrerie Saint-Lazare, au Théâtre du Beveausis, à l'auditorium Rostropovitch ou à l'Hôtel de de ville de Beauvais.  

Programme détaillé et location : au bureau du festival, par tel. : 03 44 15 66 88, ou à l'Office de tourisme de Beauvais, au 03 44 15 30 30 ; en ligne : www.festivalvioloncellebeauvais.fr

 

 

27 / 5 - 27 / 6

 

Le Festival de Saint-Denis 2014

 

 

La prestigieuse manifestation s'ouvrira le 27 mai, avec en avant première, la création française de La Passion de Simone de Kaija Saariaho, sur un texte d'Amin Maalouf. Cet oratorio nous convie à un voyage musical et littéraire autour de la vie et de l'œuvre de Simone Weill. S'enchaîneront une série de concerts associant grand répertoire, inspiré par le cadre grandiose de la basilique, et jeunes talents. Parmi les divers événements, on remarquera la Symphonie N° 2, « Résurrection », de Gustav Mahler, dirigée par le jeune chef James Gaffigan, avec en solistes Genia Kühmeier et Nathalie Stutzmann (5 & 6 juin), une soirée Bach Schoenberg durant laquelle Nathalie Stutzmann dirigera son orchestre Orfeo 55 dans les concertos pour violon N° 1 et N° 2 du Cantor, dont le soliste sera Renaud Capuçon, et La Nuit transfigurée, et chantera des arias de cantates (10/6). Un concert associera les Vêpres solennelles d'un Confesseur de Mozart et le rare Requiem de Michael Haydn, dirigés par Raphaël Pichon avec son ensemble Pygmalion (11/6). Autre belle partition chorale, Le Stabat Mater de Dvořák sera interprété par le Philar de Radio France sous la conduite du jeune chef Jakub Hrůša, avec le Chœur philharmonique de Prague et des solistes prestigieux, dont Angela Denoke (13/6). Leonardo García Alarcón donnera une pièce emblématique du compositeur Michelangelo Falvetti, Il Diluvio universale (le déluge universel), à la tête du Chœur de chambre de Namur et de sa Cappella Mediterranea (20/6). De Rossini, la Petite Messe solennelle sera donnée par Ottavio Dantone conduisant l'orchestre de chambre de Paris et le chœur Accentus, avec là encore une brochette de solistes émérites puisque réunissant Julia Lehzneva, Franco Fagioli, Michael Spyres, et Marco Vinco. Le fastueux oratorio Elias de Mendelssohn clôturera les festivités, dirigé par Danielle Gatti à la tête du National (26 & 27/6).

 

Les concerts de musique de chambre au Musée de la Légion d'Honneur ne le cèdent en rien question attrait. Qu'on en juge : la violoniste Julia Fischer et ses amis dans trois quatuors, l'op. 18 N° 4 de Beethoven, l'op. 41 N° 3 de Schumann et le Huitième de Chostakovitch (7/6) ; deux pianos et quatre mains avec la volcanique Khatia Buniatishvili et sa sœur Gvantsa, pour interpréter des pièces de Schubert, Rachmaninov, Ravel et Gershwin (14/6) ; ou des trios de Mozart, dont le fameux Divertimento K 563, et de Schubert, par Renaud Capuçon, Gérard Caussé et Edgar Moreau (15/6). Là encore des soirées phares.

 

Location : Billetterie, 16, rue de la Légion d'Honneur, 92300 Saint-Denis ; par tel : 01 48 13 06 07 ; par fax : 01 48 20 19 36 ; en ligne : reservations@festival-saint-denis.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

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L'ARTICLE DU MOIS

 

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Les phénomènes onomatopéiques du jazz vocal

La naissance officielle du scat-singing, attribuée à un instrumentiste à vent (Louis Armstrong, 1926), permet de rendre lisible l’interaction qui unit dès l’origine les sonorités instrumentales et vocales. Ce lien se retrouve dans le style même des chanteurs les plus importants :

 

« Ella [Fitzgerald(1)] a probablement été influencée par son environnement instrumental constitué de cuivres et de saxophones. L’emploi qu’elle fit des consonnes occlusives bilabiales lui permit d’utiliser sa voix à la manière d’un instrument à vent(2) ».

 

Dans la conclusion de cet article, consacré à l’étude des styles de scat-singing usités par Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald, Milton Stewart écrit :

 

« Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan introduisirent avec succès les styles instrumentaux de leur époque dans leurs scats. La perfection avec laquelle elles les glissèrent dans leurs chants dénote l’effort qu’elles ont dû accomplir pour y parvenir. Ella Fitzgerald incarne à la fois la section à vents d’un big band et le solo be-bop d’un cuivre. Sarah Vaughan, quant à elle, personnifie à la fois un cuivre soliste et un percussionniste de l’école « cool ». Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan semblent démontrer aux instrumentistes et aux auditeurs que les chanteurs de jazz peuvent interpréter les mêmes airs que ceux joués par leurs partenaires instrumentistes. Par conséquent, l’un des moyens les plus efficaces pour étudier le style instrumental d’une période est peut-être d’étudier ses chanteurs de scat(3) ».

 

Partant de ce postulat [une évolution parallèle des styles vocaux et des phrasés instrumentaux] nous apporterons un éclairage sur les différents scats et sur le vocalese(4) en tant que phénomènes onomatopéiques.

 


Ella Fitzgerald / DR

 

1.    Le cadre des phénomènes onomatopéiques

 

En jazz, les phénomènes onomatopéiques apparaissent généralement comme une connotation instrumentale de la vocalité. La liaison avec un référent sonore préexistant est continuellement présente dans les musiques vocales « scattées », faisant émerger leur « caractère positif commun » : être imitatives. Les onomatopées servent à exprimer un au-delà de l’objet signifié, dans une tentative d’incarnation de cet objet même. Cette « instrumentalisation » se présente sous deux formes : soit la voix s'affranchit des contraintes du texte narratif (scat-singing et scat-syllabe(5)), soit elle s’appuie sur le texte et met en exergue sa valeur sonore. Cette configuration est présente dans le vocalese, cadre particulier de la transcription pour voix en jazz.

 

L’onomatopée est une illustration sonore. Elle renvoie à un son qui est fréquemment, dans notre étude, un timbre instrumental. Lorsque la voix énonce une onomatopée, l’auditeur sait qu’il s’agit d’un second degré musical où l’image sonore matérialise un objet absent. Le groupe des Swingle Singers (version anglaise) dévoile dans son répertoire des onomatopées utilisées comme imitations de sonorités et de bruitages, configuration déjà courante au sein de la musique savante de la Renaissance. La transcription de Pastime With Good Company, avec ses évocations de cromorne, ou l’interprétation du Waltzing Mathilda(6), sont des exemples de ces imitations instrumentales. Dès 1968, un morceau des Swingle n’appartenant pas au répertoire baroque utilise une onomatopée imitant la sonorité des balalaïkas (« Tchin »), dans l’ultime plage de l’album Noëls sans passeport, Stchedrivka.

 

Ces exemples, où la voix évoque une sonorité instrumentale à partir de l’utilisation traditionnelle de l’onomatopée phonétique, demeurent cependant rares. Les différentes partitions sont des transcriptions musicales qui conservent l’esthétique de leur style original sans devenir pour autant de la musique de jazz. Ce n’est pas le cas des morceaux enregistrés durant la première période des Swingle Singers qui rapprochent le répertoire baroque du jazz. Différentes déclinaisons d’imitations vocales peuvent y être repérées. Citons l’onomatopée-vocalise, présente dans le scat-syllabe, qui assure un rôle d’évocation instrumentale. Au début du XXe siècle, dans la musique savante, elle identifie le moment où la voix conquiert son autonomie et sa légitimité comme « instrument ». En incarnant un texte absent, en apparaissant « instrumentée », la voix devient un générateur de son au même titre que tout instrument. Ce rôle lui permet de faire apparaître sa fonction d’évocation, opposée à la posture d’imitation : lorsque la soprano des Swingle Singers interprète avec des « onomatopées-vocalises » l’Adagio de J. S. Bach(7), nous savons qu’il s’agit d’une voix chantant un air sans parole. L’intention de la chanteuse n’est pas de tendre à une imitation instrumentale.

 

 

2.    Scats et vocalese

 

Le scat-singing est un terme générique identifiant cette improvisation jazz qui utilise des onomatopées. Le scat-singing vise à la similitude auditive entre une sonorité instrumentale et un timbre de bouche. L’onomatopée y devient un « bruit » vocal incarnant la représentation la plus exacte du référent instrumental, le chanteur faisant vivre une réplique sonore. Le scat-fusion, grâce aux progrès techniques de la voix et de l’informatique, est le rapprochement le plus abouti entre voix et instrument (beat-box, mouth-drumming, vocal play). Le chanteur désire imiter un signifié ; le son émis s’affiche comme étant la copie d’une sonorité instrumentale. Le scat-fusion est un second exemple d’onomatopée phonétique, après celui repéré chez les Swingle Singers.

 

Si aujourd’hui l’auditeur ne distingue plus le son vocal d’un son instrumental (Take6, All Blues, 2000), ce phénomène était déjà présent à l’époque des Mills Brothers. En 1932, un des premiers morceaux du groupe arrivant en Angleterre fut ainsi commenté dans le journal Melody Maker : « Tout le monde jure que le tuba est joué par Adrian Rollini ». « Pendant une dizaine d’années, l’imitation vocale d’instruments de jazz leur [les Mills Brothers] valut un succès considérable. John, la voix de basse, imitait le tuba et jouait de la guitare. Herbert, premier ténor, tenait le rôle du saxophone ; Harry, baryton, celui de la trompette(8) ». L’emploi de ces « contrefaçons sonores » peut ainsi être considéré comme un fil conducteur du jazz vocal ; malgré les différences de sonorité constatées entre les Mills Brothers et les Take6, cette proximité recherchée avec une sonorité instrumentale préexistante demeure perceptible.

 

Le deuxième phénomène onomatopéique du jazz vocal est le vocalese ; cette technique d’écriture en jazz ne doit pas être confondue avec la vocalise. A l’origine, le terme décrit la réinterprétation vocale d’un solo enregistré sur lequel sont ajoutées des paroles évoquant les sonorités de la musique transcrite. L’onomatopée y est qualifiée de syntaxique, le jeu des onomatopées rythmiques sur les allitérations suggérant les impressions sonores grâce aux associations synesthétiques(9). Lorsque cette technique est reprise par les ensembles vocaux, la similitude entre les inflexions de la version originale et la version chantée est conservée. Ainsi les transcriptions des Double Six, s’appuyant sur l’emploi d’un vocabulaire aux caractéristiques spécifiques, visent expressément cette concordance sonore avec l’enregistrement instrumental qui lui sert de modèle, tant dans le phrasé, l’attaque que dans la texture sonore.

 

 

3.    Conclusion

 

Au début du XXe siècle, en disposant de l’onomatopée comme support linguistique, la voix s’affranchit des paroles et découvre une légitimité comme instrument-voix. En jazz, dégagée de ses contraintes culturelles, sa plasticité lui permet de remplacer toute sonorité instrumentale. L’émission de bruits de bouche et de coups de glotte qui se retrouvent dans les techniques vocales récentes (beat-boxing, mouth-drumming, vocal play…), lui permettent de devenir percussion, cordes, cuivre ou instrument électrifié et d’en reproduire l’enveloppe sonore. Cette onomatopée émise n’étant plus arbitraire, sa motivation linguistique est complète puisque ne passant plus par la langue écrite. Elle atteint un « universel », chacun associant mentalement le son produit à l’instrument imité, qu’il soit batterie, guitare électrique ou tout autre instrument.

 

Contrairement au vocalese, le scat-fusion, comme pure oralité qui n’a plus à passer par la motivation du signe, abolit l’arbitraire entre le son émis et le son entendu. Il devient une production imitative qui concerne à la fois les sonorités et les fonctions instrumentales (harmonique, rythmique, soliste). Dans cette mise en abyme, ce type de scat n’est plus, pour reprendre le mot de Karceski, « une image de la réalité perçue par l’oreille(10) » mais un double de cette réalité.

 

 

Annexe

 

 

         Les tableaux ci-dessous fournissent une vision de différentes situations onomatopéiques en jazz.

 

 

Onomatopée phonétique

Onomatopée syntaxique

Scat-fusion

Scat-syllabe

Onomatopée imitative écrite (« Tchin »)

Onomatopée-vocalise

Beat-box…

Vocalese

Figure 1 Principaux phénomènes onomatopéiques en jazz

 

Une autre approche du vocalese et des différents scats, s’appuyant sur deux aspects de leurs utilisations, l’improvisation et l’écriture, peut s’illustrer comme suit :

 

Expression

Support

Style

Exemples

Écrite

(technique d’écriture)

Texte(11)

Vocalese

Lambert-Hendricks & Ross

Every Day

Onomatopée

Scat-syllabe (variante du style vocalese)

NOVI Singers

Brownie

Improvisée

(technique vocale)

Onomatopée

Scat-singing

Just 4 Kicks

Flat Foot Floogie

Scat-fusion

Bara Vox

Fragile

Figure 2 Formes particulières écrites et orales de l’onomatopée en jazz

 

Écrite sous d’autres formes centrées autour du texte et de l’onomatopée, l’analyse peut être la suivante :

 

Texte(12) discursif

Onomatopée

Écrit

Écrite

Improvisée

Texte

Texte écrit sur une transcription (vocalese)

Scat-syllabe (onomatopées sur une transcription : une des variantes du style vocalese)

Scat-singing

Scat-fusion

Figure 3 Texte et onomatopée

 

Support utilisé

Oralité

Écriture

Genre

Scat-singing

Vocalese

Technique employée

Scat-fusion

Bop scat

Scat-syllabe

Vocalese

Beat box

/

/

/

/

Figure 4 Oralité et écriture

 

Éric Fardet.

 

 

(1) Ajouté par l’auteur.

(2) Stewart (Milton L.), “Stylistic Environment and The Scat Singing Styles of Ella Fitzgerald and Sarah Vaughan”, Jazzforschung-Jazz Research n° 19, 1987, p. 67.

            [“Ella was probably influenced by her brass and saxophone environment. Her use of bilabial plosives assisted her in using her voice in a wind instrument style”.]

(3) Ibid. p. 76.

            [“Ella Fitzgerald and Sarah Vaughan successfully incorporate the instrumental styles of their eras into their scat-singing. The Thoroughness with which they incorporate instrumental styles indicates that they may be making a conscious effort to include them. Ella Fitzgerald is at once a be-bop horn soloist and wind sections of a big band. Sarah Vaughan is at once a horn soloist and a cool school drummer. Ella Fitzgerald and Sarah Vaughan seem to be demonstrating to instrumentalists and listeners that singers can do sings that the other band members can do and more. One of the most effective ways to study the instrumental style of an era, therefore, may be to study its scat singers”.]

(4) Nous utiliserons pour ce terme la définition suivante : œuvre de style jazz transcrite pour voix (Fardet Eric., Les groupes vocaux de jazz, ANRT, 2006).

(5) Le terme de scat-syllabe sera utilisé pour désigner ces onomatopées-vocalises utilisées lors d’une transcription (exemple : Swingle Singers). Il permet de distinguer en jazz vocal les pratiques d’improvisations (scat ou scat-singing) des autres phénomènes onomatopéiques.

(6) Swingle Singers, Around the World Folk Music, 1991.

(7) Swingle Singers, Jazz Sebastian Bach, volume II, extrait de la sonate n° 3 pour violon et clavier, BWV 1016.

(8) Daubresse (Jean Pierre), « Les Mills Brothers , Jazz Hot n° 325, mars 1976, p. 29.

(9) (Éric), Approche des phénomènes onomatopéiques dans leurs aspects phono-stylistiques et leurs utilisations poético-musicales, mémoire de maîtrise, Nice, 1987, p. 14.

(10) Velmezova (Ekaterina), « L’étude des interjections : avant et après Saussure », Genève-colloque Révolutions saussuriennes 07, Université de Lausanne, page consultée le 17 janvier 2009 via http://www.saussure.ch/preprints/Velmezova.pdf

(11) Le terme de « texte » est ici employé comme antonyme d’onomatopée.

(12) Pour des raisons de commodité nous conserverons le terme de texte comme antonyme à celui d’onomatopée.

 

 

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FOCUS SUR LA MUSIQUE NOUVELLE

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Wojciech Kilar, compositeur de l'esprit

 

 

Depuis plus d’un demi-siècle déjà, la musique polonaise vit son Âge d’Or. Mais les grands s’en vont les uns après les autres, telle est l’implacable loi de la nature… D’abord Witold Lutosławski, puis Henryk Mikołaj Górecki, et dernièrement, le 29 décembre 2013, Wojciech Kilar. Né le 17 juillet 1932 à Lwów (aujourd'hui Lviv en Ukraine), élève de Artur Malawski et de Bolesław Woytowicz, puis de Nadia Boulanger à Paris, cet excellent compositeur a créé son propre univers musical, tout à fait à part et non moins fascinant. Comment le qualifier en peu de mots ? La ferveur. Celle-ci apparaît également chez Penderecki et chez Górecki, mais on pourrait dire que chez Kilar elle se manifeste à l’état „pur”, de la plus intense des manières. Des œuvres telles qu’Exodus, Choralvorspiel, Kościelec 1909, Angelus s’avèrent être exceptionnelles dans la musique du XXème siècle. Chaque son, chaque note, chaque accord y sont réduits à leur forme préétablie, primitive et comme purifiée de tous les apports et influences des époques et des styles ; ils sont amenés à une tension suprême, une densité maximale pour revêtir une dimension sacrée, métaphysique et devenir une seule, grande prière musicale. Sûrement pas par hasard car ce compositeur était un homme très religieux, auteur de plusieurs œuvres imprégnées d’une grande spiritualité : Missa pro pace, Requiem pour le père Kolbe, Te Deum, Magnificat, Lamentation... Il est en même temps très polonais (comme Szymanowski et Malawski, il puise dans la musique des montagnards) quant à la température et au tempérament de sa musique. N’étaient-ils pas déjà caractéristiques de la musique de Chopin ?

 

Mais il existe aussi un autre aspect dans cette musique. Elle appartient, on le sait, au courant minimaliste dans la musique contemporaine : c’est l’exemple de la musique cyclique, répétitive introduite à l’époque par des compositeurs américains, Steve Reich, Philip Glass et d’autres influencés par le raga indien et la philosophie hindouiste. On pourrait dire que la musique de Kilar se situe dans le prolongement du raga qui, justement, par la suspension du temps, son caractère cyclique et répétitif exprime l’infini du Créateur.

 


Wojciech Kilar en 2007 © Aga Luczokowska/Atlas Press/Max PPP

 

L’œuvre de Kilar a connu une évolution intéressante. Sa première période, néoclassique, a duré jusqu’en 1957. Elle est clôturée par la belle Ode à Bela Bartok in memoriam. Elle se caractérise par de grands contrastes dynamiques, de fréquents changements de mesure et l’introduction d’éléments issus du folklore. La période suivante, où Kilar rejoint l’avant-garde, appartient au constructivisme sonoristique. Elle se distingue par la simplification de la conception, le dynamisme, l’expression et la crudité du son ; tout comme chez Górecki. Y apparaissent des éléments venus du jazz. Le matériel sonore est enrichi (clusters, effets quasi-stéréophoniques, emploi d’instruments non conventionnels, richesse d’articulation et de phonie etc.). Les œuvres les plus connues de cette période : Riff 62, Générique, Upstairs downstairs, Diphtongos, Springfield Sonnet. La troisième période, assez surprenante dans son œuvre, est sans nul doute née de l’influence des grands événements socio-politico-religieux qui ont secoué la Pologne dans les années 1970 - 1980 du XXème siècle : la crise du communisme rejeté en bloc par le peuple, la création du premier syndicat indépendant « Solidarność » qui rassemblait 10 millions de membres, et enfin l’incroyable, pour ne pas dire miraculeuse élection d’un pape polonais… On pourrait avancer que face à tout cela Kilar se retrouva lui-même : profondément religieux, l’artiste est revenu au système tonal et à la mélodie, renoua avec le folklore montagnard de ses Tatras bien-aimés (Krzesany, Kościelec 1909, Siwa mgła, Orawa) et avant tout rendit un bouleversant témoignage de sa foi et de son attitude de chrétien. De belles œuvres inspirées sont nées alors : Requiem pour le père Kolbe, Choralvorspiel, Angelus, Bogurodzica, Victoria, Magnificat, Te Deum, Missa pro pace... Il composa également deux concertos pour piano et cinq symphonies. La Symphonie de septembre évoque de façon bouleversante la tragédie qui toucha New York le 11 septembre 2001…

 

Exodus restera pour toujours un témoignage musical extraordinaire de ce phénomène insolite et sans précédent que fut le mouvement de Solidarność. Monumental, construit comme un temple antique d’à peine quelques éléments sonores que répète obstinément le chœur (Ecce venit populus tuus Domine – Voici que vient ton peuple, Seigneur), il s’élève sur le principe d’un incessant crescendo jusqu’au cri... Exécuté le 19 septembre 1981, pendant le XXIVème Festival d’Automne de Varsovie par le célèbre Grand Orchestre Symphonique de la Radio Télévision Polonaise de Katowice, sous la direction du grand chef d’orchestre Jacek Kaspszyk, à peine trois mois avant la loi martiale, il suscita une impression foudroyante sur le public... Ce n’était plus de la musique, plutôt l’évident message divin, l’afflux d’une énergie invincible (on le sait, Dieu se manifeste le mieux à travers la grande musique), l’appel au courage et à la résistance à la tyrannie et aussi un message d’espoir… Entre temps, à Rome, veillait le grand pape polonais… Il y eut peu d’œuvres semblables dans l’histoire de la musique…

 

La musique de Kilar m’évoque un souvenir inoubliable : un des concerts les plus magiques qu’il m’a été donné d’entendre dans ma vie. C’était fin août 1980, pendant les négociations de Gdańsk alors que la tension en Pologne touchait au zénith. Au Théâtre des Champs-Elysées, rempli jusqu’aux bords, s’était produit l’orchestre sous la direction du grand chef Jacek Kaspszyk, avec la participation de l’excellent pianiste Piotr Paleczny. Au programme figurait Kościelec 1909 de Kilar, le Concerto pour piano de Paderewski et la Ve Symphonie de Beethoven. Il est difficile de décrire l’ambiance de ce concert mémorable. C’était un rare cas de communion collective spirituelle parfaite qui s’est nouée entre les musiciens et le public. La tension dans la salle était telle qu’on pouvait presque sentir la température monter à chaque instant.... Dans cette atmosphère, la musique de Kilar retentit dans tout l’éclat de sa spiritualité avec la pureté d’un diamant et la ferveur des plus hautes envolées de l’esprit humain… Cette musique ne coulait pas, INCANDESCENTE, elle BRASILLAIT... Le génie de Kilar rendait ainsi hommage à un autre génie de la musique polonaise – Mieczysław Karłowicz qui, en février 1909, périt emporté par une avalanche sur les versants du mont Kościelec dans les Tatras. Mais il y avait aussi dans ces œuvres comme un pressentiment des événements qui devaient bientôt arriver et changer le destin de la Pologne, de l’Europe et sans doute du monde entier… La grande musique depuis Beethoven n’avait-elle pas parfois ce caractère prophétique ? Wagner, Mahler, Scriabine, Rachmaninov, Stravinsky…

 


Avec Roman Polański en 1999 / DR

 

Un autre domaine où le génie de Kilar s’est révélé dans toute son ampleur fut la musique de cinéma et ceci à l’échelle mondiale. Il a composé la musique pour plus de 130 films des meilleurs cinéastes polonais comme Andrzej Wajda, Kazmierz Kutz, Krzysztof Zanussi, Janusz Majewski, Krzysztof Kieślowski, Wojciech J. Has, Stanisław Różewicz et internationaux comme Francis Ford Coppola, Paul Grimault, Jane Campion, James Gray, Roman Polański. Sa musique est devenue la partie intégrale de nombre de chefs-d'œuvre cinématographiques en intensifiant leur ambiance et en accompagnant leurs sujets et leurs idées, bref, un admirable commentaire émotionnel et intellectuel. Impossible de les énumérer, citons les plus célèbres : tous les films de Krzysztof Zanussi, La terre de la grande promesse, La ligne d’ombre, Chronique des événements amoureux, Korczak et Pan Tadeusz de Andrzej Wajda, Le sel de la terre noire, La Perle de la couronne, Les grains du chapelet de Kazimierz Kutz, Le hasard de Krzysztof Kieślowski, Westerplatte de Stanisław Różewicz, La jeune fille et la mort, La neuvième porte et Le Pianiste de Roman Polański, Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault, Dracula de Francis Ford Coppola, Portrait de femme de Jane Campion. Plusieurs fois  récompensé  pour  sa  musique,  il  obtint  en 1979  le  Prix  Louis  Delluc  pour  Le Roi et l’oiseau, de Grimault, le Prix de l’Association des Compositeurs Américains en 1993 pour Dracula de Coppola et enfin, le César de la meilleure musique en 2002 pour Le Pianiste de Polański.

 

Compte tenu de sa profonde originalité et de son message idéologique et spirituel, chose hélas rare dans la musique contemporaine, la musique de Wojciech Kilar, comme celle de Messiaen, Pärt, Górecki et Penderecki, s’élève telle une cime solitaire sur la musique du XXème siècle.

 

Christophe Jezewski*.

 

 

 

* Né en 1939, Christophe Jezewski est poète, traducteur, essayiste et musicographe.

 

 

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HOMMAGE

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Le Professeur Serge GUT

(25 juin 1927-31 mars 2014)

 


Serge GUT

(Photo : Dieter Hempel)

 

Une émouvante célébration

Le lundi 7 avril 2014, à Chaville, en l’Église Notre-Dame de Lourdes, un émouvant et vibrant hommage a été rendu à Serge Gut, lors d’une cérémonie religieuse, en présence de ses proches, d’un groupe de collègues et amis parmi lesquels figuraient des membres de l’Institut de musicologie et de la Sorbonne  et quelques anciens thésards — dont Vincent Arlettaz venu de Suisse pour la circonstance — ainsi que de nombreux voisins, amis et connaissances du monde des Arts et des Lettres.

La célébration des funérailles a été conduite par une laïque déléguée pour ce service par son curé, selon l’usage catholique. Deux autres membres de l’équipe ont participé aux chants et à la prière universelle ; et les deux nièces de Serge Gut, avec deux lectures bibliques. L’Évangile a été lu et commenté par une laïque déléguée placée devant un pupitre d’animateurs (et non pas depuis l’autel) afin de témoigner de l’espérance chrétienne auprès de la famille en deuil.

Des œuvres de circonstance ont été interprétées à l’orgue : en entrée, le prélude de choral Liebster Jesu, wir sind hier de J. S. Bach ; après le commentaire de la Parole, le Benedictus (extrait du Requiem) de Fr. Liszt, musicien tant apprécié par le défunt ; pendant l’encensement et le défilé, l’organiste a improvisé sur la Prière à la Sainte Vierge composée (pour chant et piano) par Serge Gut et, pour la sortie, sur l’Ave Maria d'Arcadelt de Fr. Liszt.

Tous ont ressenti une vive émotion et tant de regrets, car la disparition de leur collègue de longue date, tant estimé, qui a laissé un souvenir si durable dans les milieux universitaires, affectera non seulement ses proches, ses amis, ses collègues, ses anciens étudiants, mais aussi toute la communauté scientifique internationale.

 

Une vie au service de la musique

Le Professeur Jean-Pierre Bartoli que je remercie beaucoup m’a autorisée à citer le texte de son mail (du 1er avril 2014 — soit le lendemain du décès de Serge Gut) adressé par MusiSorbonne à de nombreux abonnés en France comme à l’étranger :

« Né à Bâle, élève de Simone Plé-Caussade, Tony Aubin et Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, de Solange Corbin et de Jacques Chailley à la Sorbonne, Professeur émérite à Paris-Sorbonne et compositeur, membre actif de la SFAM et de la SFM, Serge Gut était comme chacun sait l'un des meilleurs spécialistes au monde de Franz Liszt, il était également un grand spécialiste de la musique germanique et française du XIXe et du début du XXe siècle, de la théorie du langage musical et de son évolution. 

Tous ceux qui ont eu la chance de suivre ses cours n'oublieront jamais l'enthousiasme et la passion communicative qui l'animaient tout comme la profondeur de ses analyses de Liszt, Wagner, Mahler, Wolf, Debussy et bien d'autres compositeurs. On n'oubliera pas non plus sa gentillesse, son éternelle bonne humeur, sa vivacité et son dynamisme. Très ouvert, il a toujours encouragé les jeunes chercheurs et les a très souvent aidés au début de leurs carrières.

Parmi ses publications, on doit lire son Franz Liszt (Fallois, l'Âge d'homme, 1989, traduit et augmenté en allemand en 2006), son Franz Liszt : les éléments du langage musical (Klinsksieck, 1975, récemment réédité), sa Correspondance Liszt-d'Agoult (Fayard, 1993), son Aspect du Lied romantique allemand (Actes-Sud, 1994) ou son recueil d'articles Musicologie au fil des siècles (PUPS, 1998), qui est l'hommage de l'Université Paris-Sorbonne à celui qui a dirigé l'UFR de musique et musicologie de 1983 à 1990. »                         (J.-P. Bartoli)

 

L’essentiel est dit dans ces lignes, mais, depuis les Mélanges  Musicologie au fil des siècles  qui lui ont été offerts en 1998 comportant une grande sélection de ses articles les plus significatifs, et depuis sa retraite, Serge Gut a inlassablement poursuivi ses recherches lisztiennes et actualisé l’état de ses investigations portant également sur la théorie et l’évolution du langage musical. Il laisse d’ailleurs encore deux ouvrages, fruits de l’expérience de toute sa vie de théoricien et de chercheur (à publier en principe aux Éditions Fayard et Beauchesne, Paris).

Pendant son mandat de Directeur de l’UFR de Musique et Musicologie, Serge Gut a également encouragé le rayonnement du Chœur et de l’Orchestre de l’Université Paris-Sorbonne — le COUPS dirigé par Jacques Grimbert et administré par Jean-Marie Houdayer — en validant la pratique vocale et instrumentale sous la forme d’une unité de valeur qui, tout en tentant de nombreux étudiants, a eu pour effet d’augmenter le recrutement, permettant aussi l’organisation de Festivals en France et à l’étranger et la réalisation de CD.

 

Une vaste production littéraire et musicale

Parfaitement bilingue, Serge Gut a, par ses analyses très fouillées et ses articles percutants, collaboré à de nombreuses Revues françaises (Revue de Musicologie, L’Éducation musicale, Ostinato rigore…) et étrangères (allemandes, hongroises et autrichiennes).

Dès 1949, sa vaste connaissance de la poésie française et allemande lui a permis de composer 24 mélodies pour chant et piano  sur des textes de Théophile Gautier, Paul Verlaine, Paul Fort, Victor Hugo…, W. A. Goethe… En 1960, il a lui même écrit et mis en musique son poème Prière à la Sainte Vierge pour voix et piano. Dans les années 1990, il a composé pour piano seul : Scènes villageoises, In memoriam Franz Liszt, Hommage à Antoine Tisné, Fleuve nonchalant, La complainte de l’Ile Saint-Louis (avec Hughes Labrusse), Le pharmacien de Tombouctou… Vers la fin de sa vie, il a moins consacré de temps à la composition musicale, mais a déployé toute son énergie pour ses préoccupations lisztiennes et pour le langage musical (avec même une nouvelle édition de sa première Thèse sur La tierce harmonique).

 

En guise de point d’orgue après une vie si bien remplie au service de la musique : deux résonances musicales familières à Serge Gut, associant larmes et lamentations… (Franz Liszt : Cantate Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen) à une note d’espérance (Johannes Brahms : Requiem allemand) : Heureux les morts… ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent. Et « son œuvre le suivra » : devoir de mémoire pour ses nombreux amis, collègues et disciples.

 

Édith Weber.

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

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Amis, amours & amants à la Renaissance.

 


 Photo : Valérie Lanciaux

 

Chanter l’amour dans tous ses états au XVIe siècle : tel était l’objectif fort réussi de Henri Pompidor, qui vient de prendre la direction du CHŒUR CHARLES MUNCH (Conservatoire du 11e Arrondissement). Le concert du 6 avril 2014, en l’Église Notre-Dame du Perpétuel Secours (Paris), a bénéficié du concours d’Audrey Saad et Virginie Le Bris (Sopranos), Arthur Baldensperger (baryton) — élèves de la classe de chant (Professeur : Julie Hassler) — et de Florent Marie et Rémi Cassaigne (luths et guitares Renaissance). Depuis le Moyen-Âge, le thème l’AMOUR a été largement cultivé par les « musiciens-poètes » : Troubadours, Trouvères, Minnesänger, Goliards ou Vagantes et Minstrels (jusqu’à la fin du XVe siècle). La chanson française (fin XVe et XVIe siècles) est liée à une typologie gravitant autour d’une diversification de la notion d’AMOUR, associant lyrisme, description de situations variées, sentiments, émotions, mais aussi réalisme, humour et pittoresque. En fin connaisseur, Henri Pompidor a regroupé des chansons galantes de cour, évoquant le sentiment amoureux, la séparation et réconciliation, mais aussi la douleur, sans oublier les thèmes rustiques ou la saison des amours. Avec ses choristes bénéficiant d’une formation vocale exceptionnelle, par sa remarquable technique vocale, le CHŒUR CHARLES MUNCH a réussi à s’imposer et à séduire un public enthousiaste. Ils ont recréé les atmosphères si spécifiques de chaque chanson mise en musique, entre autres, par Claude Goudimel, Roland de Lassus, Claudin de Sermisy, Pierre Passereau, Clément Janequin, mais aussi Josquin des Prés, John Dowland et John Wilbye… projetant ainsi un éclairage varié sur la production littéraire et musicale, mais aussi instrumentale (luths, guitares) du XVIe siècle, allant de la Pavane : Belle qui tiens ma vie (Jean Taboureau : Orchésographie) au texte cocasse : Quand mon mari vient du dehors (R. Lassus) ou à la volubilité : Il est bel et bon, compère mon mari...

L’auditoire galvanisé a été frappé par la direction précise et suggestive du chef obtenant des plans sonores très diversifiés et des entrées successives bien marquées grâce à la concentration des chanteurs. Henri Pompidor a su conférer à ce répertoire si attachant équilibre, justesse, fondu des voix, toute la plénitude et la densité expressive souhaitables. Un sommet d’émotion et d’expressivité a été atteint avec l’interprétation de Adieu sweet Amaryllis de Wilbye. Les nombreux auditeurs ont aussi été ravis d’entendre des chansons célèbres : Bonjour mon cœur, Mon cœur se recommande à vous, Tant que vivray en âge florissant, Ce mois de mai… Bref, un concert très réussi tant par ses qualités vocales et instrumentales que par son programme si diversifié pour chanter l’AMOUR.

 

Édith Weber.

 

 

Platée, miroir des vanités contemporaines

 

Jean-Philippe RAMEAU : Platée. Comédie lyrique en un prologue et trois actes. Livret d'Adrien-Joseph Le Valois d'Orville, d'après la comédie de Jacques Autreau Platée ou Junon jalouse. Marcel Beekman, Simone Kermes, Joao  Fernandes, Cyril Auvity, Virginie Thomas, Marc Mauillon, Emmanuelle de Negri, Edwin Crossley-Mercer, Émilie Renard. Chœur et Orchestre des Arts Florissants, dir. Paul Agnew. Mise en scène : Robert Carsen.

 


© Elisabeth Carecchio

 

Platée occupe une place à part parmi les œuvres lyriques de Rameau. Parce que c'est son unique comédie. Et parce qu'il se livre à une satire de son temps. Elle est « très singulière, unique par l'impertinence du miroir qu'elle tend à la société et à l'époque de sa création », souligne William Christie. Qui est Platée ? Une nymphe vaniteuse, aveugle à son aspect comique, qui croit à la démesure de sa passion amoureuse pour un dieu, Jupiter soi-même. Et semble avoir cure de la machination ourdie pour celui qui pour endormir les soupçons de jalousie conçus par son ombrageuse épouse Junon, met en scène cette improbable union. Pour Robert Carsen un telle trame parodique n'a rien perdu de son actualité et peut être lue selon notre système de références. C'est ce qui le conduit à transposer la pièce dans l'époque actuelle. Aux antipodes de la vision caustique de Laurent Pelly dans sa mise en scène à l'Opéra Garnier, Carsen met en avant une satire insinuante, celle de la vanité, éprouvée dans le milieu de la mode, éminemment infatué de lui-même, nourri de sa propre brillance, maniant l'hyperbole au plus haut degré et ne craignant pas le caricatural. Après un Prologue style revue, dans un monde de paillettes aux éclairages fluos, l'opéra nous plonge dans le cadre ultra chic de la haute couture parisienne. D'abord au milieu du grand salon bar d'un hôtel particulier luxueux, où se presse la gente bobo, dames aux atours extravagants, messieurs à la démarche précieuse, tous rivés à leur portable ou autre tablette. Cithéron est le chef de rang des serveurs empressés à satisfaire les commandes de toute une société impatiente, caracolant dans une remarquable superficialité. Le deuxième acte nous entraîne dans un salon de la maison Cardin, le jour fébrile du défilé annuel, présidé par le maître de céans, Jupiter, sosie de Karl Lagerfeld. Celui-ci descend, grandiose, les marches de l'escalier majestueux qui va ensuite dévoiler les trésors de la collection, avec force clins d'œil aux diverses apparences qu'il va prendre pour surprendre, et conquérir Platée. L'immanquable mariée couronne le défilé. Platée est tellement séduite par le modèle qu'on s'empresse de l'en vêtir. L'acte III découvre, dans l'hôtel particulier, l'immense chambre nuptiale où Jupiter va devoir s'exécuter, et dévoiler le stratagème. L'hilarité est générale et Junon apparemment rassurée sur les intentions de son auguste époux. Ce regard décalé apporte-t-il quelque chose à la comédie ? On n'échappe pas au soulignement du trait, versant dans l'excentrique  plus que dans la peinture douce-amère. Et on reste perplexe sur la conclusion de cette bien cruelle histoire, qui voit la pauvre nymphe humiliée délaissée dans une vacuité banale. Le soudain basculement dans le tragique est alors peu perceptible. Les intermèdes dansés, mis au goût du jour et déjantés, achèvent une impression de vision imposée plus que facilitatrice. Reste que la figure de Platée, partagée entre infatuation et naïveté, ne manque pas d'allure.

 


© Elisabeth Carecchio

 

Il faut dire que Marcel Beekman en est l'interprète inspiré. De cette femme interprétée par un homme, ce qui est foncièrement différent du modèle du travesti, il dresse un portrait d'une vibrante vérité et d'un étonnant naturel, pensé jusque dans le dernier détail. Le ténor, dont le timbre est sans doute plus corsé que celui d'un Michel Sénéchal, évite l'écueil du maniérisme susurrant. Il est bien entouré. Le Mercure de Cyril Auvity est racé et finement cocasse. Le Cithéron de Marc Mauillon bien sonore. Le Jupiter d'Edwin Crossley-Mercer l'est moins, mais endosse avec aplomb le look vestimentaire et capillaire de l'illustre couturier et vedette du showbiz. Emmanuelle de Negri, tour à tour Amour et Clarine, défend avec panache la déclamation ramiste. Dans la partie de la Folie, Simone Kermes, qui fait enfin ses débuts parisiens et aborde son premier Rameau, donne à voir une performance un brin étudiée. Le personnage qui, selon Carsen, intervient comme invité surprise, façon Madonna, pour rehausser le défilé maison, lance ses airs façon rock star, micro à la main et postures avantageuses. La pyrotechnique vocale est exubérante, avec des sauts fulgurants dans l'aigu. Et tant pis si la rigueur du chant en prend un coup : après tout, le vieux musicien a sans doute voulu que cette Folie soit tout sauf contrôlable. Remplaçant William Christie, Paul Agnew, lui-même naguère une formidable Platée, donne une lecture fluide et bien sonnante, un peu carrée parfois et pas aussi subtile qu'on l'eût souhaité avec le « patron ». Curieusement, les excentricités vocales et autres onomatopées ne sont pas outre mesure mises en exergue, comme si l'on cherchait à gommer ce que la prosodie a d'excessif.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Sont-ils bien fous sur leur île, et dans une péniche ?

 

Egidio Romualdo DUNI : L'Ile des fous. Comédie en deux actes. Livret de Louis Anseaume, et paroles de Marcouville et de Bertin d'Antilly. Françoise Masset, Aurélia Legay, Anouchka Larza Christophe Crapez, Jean-Loup Pagesy, Franck T'Hézan.  Les Paladins, dir. Jérôme Correas. Mise en espace : Mireille Larroche.


© Thierry Beauvir

 

Dans le cadre de sa saison centrée sur le thème de la folie, la Péniche Opéra exhume un opéra-comique du compositeur italien Egidio Romualdo Duni (1709-1775). Arrivé à Paris en 1757, alors que sévit la querelle des bouffons, il prend parti pour les encyclopédistes et épouse la thèse selon laquelle la langue française a toutes les capacités à se prêter au chant. L'Île des fous (1760) est une comédie burlesque où s'expérimente un schéma éprouvé : dans une île au milieu de nulle part, les amours d'un jeune homme, qui se trouve être le gouverneur de céans, pour une belle, distraite par son avare de père à tout contact, de la gente masculine en particulier. Il se trouve que sur cet îlot on a isolé des fous, histoire de les enfermer loin de tout... L'intrigue, très relâchée, est prétexte à peinture de caractères brossés à grands traits, mais pas moins intéressants : outre Sordide, le vieil avare, aussi proche de sa cassette qu'un certain Harpagon, deux fanfarons de circonstances, Brisefer et Spendrif, et deux dames infatuées, l'une laide et rusée, l'autre belle, mais sotte. Il sont fous, dit-on, mais partagent avec gens de raison, avarice, prodigalité, mégalomanie et amour de soi, et s'avèrent fins raisonneurs lorsqu'il s'agit de laisser triompher les lois de la nature : la recherche du petit trésor que l'avare a imprudemment caché au pied d'un arbre, l'assaut conjugué d'efforts pour assurer le bonheur de la jeune fille aspirant à un hymen bien naturel ! Dans une discrète, mais efficace mise en espace de Mireille Larroche, le microcosme évolue de manière agréable, les costumes XVIII ème apportant une touche d'élégance et les dessins évolutifs et suggestifs en fond de scène, peints sur sable par Christian Pochet, une impression d'évasion. Cinq musiciens défendent la musique descriptive et brillante de Duni, Jérôme Correas dirigeant de son clavecin avec un bonheur évident, et se prêtant même à quelques répliques. On a apporté un soin particulier au mélange de parlé-chanté qui fait le sel de la pièce et son style d'improvisation, au confluent du bouffe napolitain et de la veine légère française. Du sextuor vocal, se détache la Follette de Françoise Masset. Voilà un éloge bien policé de la folie en regard des démonstrations exacerbées que lui réserveront à l'opéra les romantiques, et qui donne à réfléchir sur la subtile frontière qui sépare le normal du pathologique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Une méditation sur la vie et la mort : La Flûte enchantée à l'Opéra Bastille

 

Wolfgang Amadé MOZART  : Die Zauberflöte. Singspiel en deux actes. Livret d'Emanuel Schikaneder. Pavol Breslik, Julia Kleiter, Sabine Devieihle, Daniel Schmutzhard, Regula Mühleman, Franz-Josef Selig, François Piolino, Eleonore Marguerre, Louise Callinan, Wiebke Lehmkhul, Terje Stensvold, Michael Havlicek, Dietmar Kerschbaum, Eric Huchet, Wenwei Zhang. Solistes d'Aurelius Sängerknaben Calw. Orchestre et Chœur de l'Opéra National de Paris, dir. Philippe Jordan. Mise en scène : Robert Carsen.


Sabine Devieihle & Pavol Breslik © ONP / Agathe Poupeney

 

Cette production, initiée au Festival de Pâques de Baden-Baden en 2013 (Cf. NL de 5/2013) offre de l'ultime opéra de Mozart une vision inhabituelle, mais extrêmement accomplie. Quoique retravaillée dans le détail, elle conserve les idées force que Robert Carsen promeut dans une lecture sous tendue par une réflexion argumentée : l'omniprésence du thème de la mort, l'insistance sur la structuration des oppositions, véhiculées par le livret, ombre et lumière, noir et blanc, endroit et envers, autorisant ces constructions en miroir qu'affectionne le metteur en scène. Il se permet même un audacieux postulat : la Reine de la nuit et Sarastro, loin de camper sur leur antagonisme, semblent poursuivre un chemin commun, celui que leur fait endosser le rôle de « figures parentales pour Tamino et Pamina ». Au-delà du Bien et du Mal, dont Carsen souligne que l'incarnation par ces deux figures tutélaires n'est pas aussi limpide qu'il n'y paraît, le Singspiel de Mozart voit le triomphe de l'Homme, parvenu à la connaissance, à la compréhension du sens de la vie, par un cheminement vers la lumière déchirant les ténèbres, et donc l'affirmation de la vie sur la mort. Le dernier mot est celui d'amour, de réconciliation sur les oppositions manichéennes que véhicule le livret. Certes, on pourra regretter que la composante maçonnique soit discrète, voire même qu'on banalise les amusants clichés « Handwurst » de Papageno. Encore que le cérémonial de la préparation aux épreuves, où les prêtres de Sarastro sont rejoints par les affidées de la Reine de la nuit, tous visage masqué par un crêpe noir, soit une allusion précise à la première, et que le personnage de l'oiseleur, traité façon boy scout, soit bien sympathique et se voit conférer une épaisseur touchante. La dramaturgie insiste sur l'humanité des caractères : Pamina, dont le portrait vivant s'incruste en fond de scène durant l'air où Tamino en détaille la beauté, ne subit pas, mais souffre ; la Reine de la nuit, débarrassée de son côté de mégère vengeresse, est l'incarnation de la mère terrible dont parle le philosophe Carl Gustav Jung, et Sarastro, comme descendu de son piédestal, fuit toute superbe. Même Monostatos, figure du noir charbonnier, acquiert un poids humain dans ses pensées libidineuses. Un autre aspect frappe dans cette mise en scène : le sentiment de nature. Celle des âges de la vie, à l'aune de cette forêt qui vire de l'été rieur à l'automne réconfortant, puis au neigeux hiver ; pour rétrograder de manière spectaculaire vers le printemps éternel à la dernière scène. C'est qu'à l'idée de mort se substitue alors celle de rédemption : au finale, choristes et solistes, tous vêtus de blanc, brandissent la flûte, décidément enchantée, pour entonner le chœur « Les rayons du soleil chassent la nuit », avant de se précipiter autour de la fosse d'orchestre. Une approche qui outre son esthétisme, se révèle totalement cohérente. Et ajoute une pierre à l'édifice interprétatif d'un chef d'œuvre qui n'en finit pas de questionner.

 


Scène finale © ONP / Agathe Poupeney

 

L'exécution musicale décuple notre bonheur. Philippe Jordan obtient de l'Orchestre de l'Opéra une finesse sonore d'exception, qui ne pâlit devant aucune comparaison. Certes, les tempos sont plutôt lents, mais Simon Rattle avait affiché le même parti pris avec ses Berliner à Baden-Baden. Des ralentissements prononcés ne rompent nullement le charme, comme le duo entre Pamina et Papageno, au Ier acte, détaillé à l'envi. La distribution brille par son homogénéité et un vent de jeunesse, portant haut l'art du chant mozartien. Julia Kleiter, une des interprètes vantée de Pamina, irradie une voix solaire et émue, et une présence d'une grande sensibilité. Le Tamino de Pavol Breslik brille par sa classe et une ligne de chant accomplie. De la Reine de la nuit Sabine Devieihle offre un portrait débarrassé de tout spectaculaire, les deux arias intégrées à la dramaturgie et non érigées en diamants isolés. Non que le chant ne soit pas immaculé : la virtuosité est comme dépassée, en une expression d'un confondant naturel. La voix dévoile un médium intéressant assurant au personnage un tragique parfaitement assumé. De même le Sarastro de Franz Josef Selig est-il d'une grandeur très humaine, ses interventions, bien sonores, évitant toute componction. Le Papageno de Daniel Schmutzhard, déjà choisi par René Jacobs, est d'une simplicité réconfortante, assurant au personnage toute son authenticité qu'enjolive une émotion vraie. De ce rôle gratifiant entre tous, le chanteur autrichien se fait une véritable fête. Une mention particulière au Monostatos de François Piolino, d'une justesse de ton peu ordinaire, loin du cliché de l'histrion de pacotille si souvent représenté, et aux Drei Knaben des Petits chanteurs de Calw, d'une rectitude vocale et scénique parfaite. Dans leurs interventions parlées, heureusement non réduites à la portion congrue, tous délaissent l'anecdotique et le convenu, assurant au texte toute sa force. On associera à ce concert de louanges les chœurs qui brillent par la précision des attaques et la beauté vocale.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Concertgebouworkest ou l'excellence

 


Mariss Jansons / DR

 

Si l'on mesure l'aura d'un orchestre à la profondeur du son, au ton général, assurément le Royal Concertgebouw Orchestra est l'une des phalanges phares du moment. Un court séjour parisien l'aura encore démontré, péremptoirement. Le troisième et dernier concert, sous la direction de son chef titulaire, Mariss Jansons, réunissait une symphonie de Bruckner et un concerto de la période classique viennoise. Le Troisième concerto pour violon de Mozart, K 216, qu'on a souvent dédaigné pour son style galant, peut s'avérer un petit bijou lorsqu'interprété avec verve. Ce fut le cas de l'exécution immaculée de Frank Peter Zimmermann, dont la fine sonorité et la superbe projection parent le premier mouvement d'une joie irradiante, comme il en est du rondo final et son pot pourri de séquences articulées autour d'un bref refrain. Au milieu, l'adagio se révèle un instant de pur bonheur, mis en valeur par le suprême legato du soliste. Avec une formation d'une trentaine de musiciens, Jansons tisse un accompagnement racé. La somptuosité de l'orchestre néerlandais va s'affirmer dans la Septième symphonie de Bruckner. Ce grand œuvre, écrit entre 1881 et 1893, dédié à Louis II de Bavière, et en hommage vibrant à Wagner, est un faire valoir peu commun. Depuis la longue phrase liminaire des violoncelles jusqu'au vaste crescendo final d'apothéose, combien de moments saisissants ! Ce qui frappe dans la lecture de Jansons, c'est l'art de ménager des enchaînements naturels, sans accentuer les silences entre les divers morceaux d'un puzzle qui peut surprendre une oreille cartésienne. Le discours est fluidifié et acquiert une absolue lisibilité. D'autres caractéristiques distinguent cette exécution : le refus de toute sollicitation, comme de brusquerie dans les attaques forte, l'art de monter un crescendo serré, dégagé de toute emphase, comme celui marquant la fin du 1er mouvement, le souci de dégager de ces vastes architectures une grande sérénité. Et combien cela chante aux cordes, d'une tenue gracile, et reflète une grande souplesse chez les cuivres qui en prolongent souvent les longues tenues dans un ample geste de lyrisme. On en mesure le plus parfait accomplissement à l'adagio, et pas seulement dans le premier thème maestoso, plus mélancolique que lugubre, mais tout autant dans le second, plus avenant, où les cordes sont comme caressées. Même le grand climax qui en est le point crucial, évite tout effet grandiloquent. La coda dépouillée, qu'on a dit constituer un requiem pour le maître de Bayreuth - dont Bruckner venait d'apprendre la disparition alors qu'il composait cet adagio - sonne d'une vraie limpidité. Le scherzo, pris sur un ton allant, sans raideur aucune dans ses répétitions abruptes, laisse place à un trio très expansif, dont le contraste ne nuit pas à l'équilibre d'ensemble. Le finale défie la critique, là encore par l'unité profonde entre ses diverses composantes et l'exécution flamboyante d'un orchestre d'une plasticité sonore envoûtante.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Valery Gergiev rapproche Messiaen et Scriabine

 


DR

 

Il est intéressant sans doute de rapprocher Scriabine et Messiaen, un mystique et un profond croyant, deux adeptes de la couleur en musique. Mais la comparaison s'arrête là, car la solide foi catholique du second n'a que peu à voir avec la spiritualité ésotérique du premier. Les Offrandes oubliées, première pièce orchestrale d'Olivier Messiaen (1930), propose une « méditation symphonique » conçue en un bref triptyque enchaîné. On y trouve déjà en germe ce qui fera le style de l'auteur de la Turangalîla-Symphonie. Gergiev dont il semble que ce soit la première rencontre avec le musicien français, aborde la pièce avec respect, contrastant des attaques assez rudes et un flot mélodique empreint d'une intense lenteur. La Troisième symphonie de Scriabine, « Le divin poème » (1903-1904), est frappée de gigantisme, avec un orchestre comptant pas moins de 8 cors, 5 trompettes, 3 trombones, un tuba, et bois par trois. Pièce à programme, elle s'inspire de la philosophie nietzschéenne, « l'Homme dieu », qu'elle célèbre, étant une métaphore du « Surhomme » de Nietzsche, qui impose sa volonté de puissance aux choses et aux êtres. D'un seul tenant, de plus de 45 minutes, elle annonce le modèle de poème symphonique auxquels appartiendront les deux œuvres suivantes, Le Poème de l'extase et Prométhée ou le Poème du feu. Un thème, pas si mémorable que cela, en est le fil conducteur, revenant sans cesse, concession à la forme cyclique. Trois parties se dessinent cependant : « Luttes », en forme de défi, mêlant crescendos haletants et passages plus assagis, témoins des interrogations, des doutes, voire des angoisses. « Voluptés » livre une séquence plus placide, à l'aune de l'homme grisé par les délices du monde, symbolisé, entre autres, par le chant des oiseaux et un climat lumineux, presque langoureux par endroit. « Jeu divin »  conduit à une ascension jubilatoire, parsemée des modes les plus diversifiés et soigneusement notés par Scriabine qui multiplie les indications, telles « avec ravissement et transport » ou « avec une joie sublime, extatique », « monstrueux » ou encore « terrifiant ». La griserie musicale atteint le paroxysme. Gergiev en livre une vision très cohérente, ménageant les effets de flux et reflux, de tension et relâchement caractéristiques, sans pour autant donner l'impression de dispersion. Et le LSO fait montre de ses exceptionnelles capacités.

 


Daniil Trifonov / DR

 

Séparant ces deux morceaux symphoniques, le choix du Concerto N° 2 de Chopin, relevait, nul doute, de la volonté de présenter un soliste émérite de la jeune génération russe. Il va révéler une curieuse interprétation, qui cherchant à tourner le dos à la virtuosité de façade, en vient à solliciter le texte à un point souvent extrême. Le maestoso, dans lequel Gergiev cherche à donner quelque poids à la matière orchestrale, est grave et le soliste va musarder dans une manière d'improvisation. La merveilleuse mélodie du larghetto, prise très lente, montre pareille disposition à la ciselure. Le finale retrouve un ton plus habituel, encore qu'affecté çà et là de ralentissements marqués. Le jeu du jeune prodige Daniil Trifonov est aérien et installe une incontestable aura sonore, une fois accepté le parti pris interprétatif. En bis, deux Préludes de Debussy montrent de façon encore plus péremptoire un pianisme d'une rare intelligence.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Les secrets de Jordi Savall

 


DR

 

Le maître catalan Jordi Savall n'a pas son pareil pour concocter un programme à la fois ambitieux et accessible. Sous le titre générique « Tempêtes, Orages et Fêtes marines », il conviait, salle Pleyel, un public fort nombreux à écouter son merveilleux Concert des Nations dispenser ces musiques françaises et italiennes si hautement descriptives des éléments. C'est d'hypotypose qu'il s'agit ou figure de style consistant à décrire une scène de manière animée et frappante. Les XVII ème et XVIII ème siècles, très imprégnés d'opéra, raffolaient de ces pages imitatives, évocatrices d'orages, de tempêtes et autres cataclysmes. Leurs musiciens en useront tant et plus, au point  de provoquer un mouvement en réaction, qui professera, en particulier sous la plume de Pascal Boyé, en 1779, qu'« une avalanche de notes ne fait pas le vent ou la tempête ». Il n'empêche : elle peut en donner une sérieuse illusion. Ainsi de la « symphonie de danse » de Jean-Féry Rebel (1666-1747), Les Éléments. Elle s'ouvre par un « Chaos » musical d'une hardiesse inouïe par ses dissonances affirmées, et va distiller des climats évocateurs au fil de diverses danses faisant apparaître tour à tour les quatre éléments que sont l'Eau, l'Air, la Terre et le Feu. Au beau milieu de ce parcours, un « Air pour l'Amour » introduit la plus habile des diversions. Jean-Philippe Rameau fut sans conteste le maître de ces figures à programme, que ce soit dans Les Indes Galantes et son fameux « Orage », ou dans Hippolyte et Aricie et son non moins caractéristique « Tonnerre ». Mais surtout dans Les Boréades, son ultime opus lyrique qui ne verra pas le jour de son vivant : c'est le sujet même de l'opéra, le dieu Borée lançant les vents emportés à l'assaut de la terre en une suite de morceaux d'une suggestion inouïe. Matthew Locke, à la même époque, en Angleterre, ne fait pas autre chose. Dans sa « Music for The Tempest », de 1674, il convoque en des expressions sans doute plus policées, les éléments naturels. De ces déchaînements de la nature peuvent être rapprochées les fêtes marines. Marin Marais (1656-1728), dans l'opéra Alcione (1706), propose, outre une tempête effrayante avec machine à vent et évocation d'alizés déchaînés, des «  Airs pour les Matelots et les Tritons », évocation à travers un travail instrumental fouillé, du parcours cauchemardesque de marins en perdition. Cet art de peindre en musique, Vivaldi le reprendra à son compte, que ce soit dans ses Concertos des « Quattro Stagione », en particulier le quatrième, « l'Hiver », nanti de scansions terribles, comme arrachées, mais aussi dans le Concerto pour flûte dit « La Tempesta di mare », associant tremblements des cordes et traits fulgurants de la flûte. Jordi Savall montre son empathie pour un idiome français qui lui est cher : l'élégance de sa battue, son sens des sonorités choisies portent haut le message. Il laisse, pour les morceaux de Vivaldi, son orchestre accompagner seul les solistes, Pierre Hamon, flûte à bec, et Manfredo Kraemer, premier violon. Chaque musicien de cet ensemble glorieux mérite ce titre, maniant avec bonheur des instruments mirifiques. Une contredanse des Boréades, avec participation du public, appelé à battre des mains en cadence, clôt une soirée placée sous le signe de la plus haute tenue.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Rencontre au sommet autour des sonates piano violon de Brahms

 


Leonidas Kavakos / DR

 

Les trois sonates pour piano et violon sont assurément des références au cœur de la production de Brahms, et de la musique de chambre tout court. L'exécution magistrale qu'en ont donné, salle Pleyel, Yuja Wang et Leonidas Kavakos est frappée au coin de l'intelligence et de la probité musicale. On apprécie chez l'un et l'autre une grande simplicité, un refus de l'effet, et surtout le souci de différencier les trois pièces dont effectivement l'atmosphère de chacune porte sa propre caractéristique. La première Sonate op. 78 (1879), offre une émouvante sérénité, débordant de lyrisme à travers l'abondante thématique de son premier mouvement. L'approche, imprimée par le violoniste, est retenue. Il en va de même à l'adagio, intense, d'une douce mélancolie, qui conduit à une coda extatique. Le finale, très libre, fuit toute velléité extravertie. L'impression d'extrême pondération, de distance peut-être, peut déconcerter ; mais combien est riche la sonorité dispensée par le violoniste et aérien le pianisme de sa partenaire ! La deuxième Sonate, op. 100 (1886), offre ici l'ardeur d'un bonheur sans mélange : atmosphère printanière de l'allegro amabile, empli de traits joyeusement affirmés ; esprit au mouvement central, habile combinaison d'andante et de scherzo, alternant le « tranquillo » et le « vivace », de manière fantasque au fil des ses divers épisodes. Wang survole le clavier et Kavakos dispense un son d'une solaire plénitude. Le finale grazioso prolonge l'impression de tendre bonheur partagé. Changement radical avec la Troisième Sonate op. 108, d'une assise plus extravertie, quoique pas moins hautement pensée. Dès l'attaque du premier mouvement, longue tenue du violon, jeu syncopé du piano, s'affirme quelque climat dramatique, même si le deuxième thème offre un profil aérien. L'adagio, pris très lent, est habité d'une pureté magique. C'est là une des plus ardentes inspirations de Brahms dans sa simplicité mélodique. Le « poco presto e con sentimento », sorte d'intermède sur le mode scherzo, est fantasque, très rythmé au piano, volubile au violon. Le finale, presto agitato, laisse la fouge se lâcher, dans un jaillissement continu, piano robuste, violon poussé dans ses retranchements, et la conclusion sera brillante. On aura remarqué au long de ce parcours choisi, la fine harmonie entre les deux interprètes : la patte indiscutable d'un violoniste s'affirmant comme l'un des grands du moment, le jeu perlé d'une pianiste hors du commun, de moins en moins affectée par l'étiquette de virtuose. Si la musique de chambre est l'aune à laquelle on mesure la vraie valeur, assurément ces deux- là sont de l'eau la plus pure. En bis, ils donneront le mouvement de la Sonate dite FAE, prolongeant le geste tourmenté qui entourait les ultimes pages de la troisième sonate.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Schubertiade à Pleyel

 


Quatuor Artemis / DR

 

Pour le deuxième concert d'une série de « Schubertiades », le Quatuor Artemis avait convié ses collègues des Ebène pour jouer l'Octuor op. 20 de Mendelssohn. Chef d'œuvre d'un musicien de 16 ans, cette pièce ouvrait, en 1825, des horizons inédits, puisque confiée aux seules cordes, et non à un ensemble formé de cordes et de vents comme il en est de l'Octuor de Schubert. C'est en outre plus qu'un double quatuor, car les huit cordes se comportent comme autant de solistes. Enfin parce que Mendelssohn vise les accents orchestraux : « Cet octuor doit être joué par tous les instruments dans le style d'une symphonie », précisera-t-il. L'interprétation des Artemis et Ebène réunis s'avère enthousiasmante car elle procure à la fois plénitude et élégance. Emmenée par la faconde de Vineta Sareika, nouveau premier violon des Artemis, la pièce respire un vent de bonheur communicatif dès les premières pages de l'allegro con fuoco, extrêmement entraînant, d'un élan fervent dans le tourbillon de son premier thème, bien contrebalancé par un passage médian plus mesuré. L'andante, aux effluves schubertiennes, séduit tout autant par sa profondeur. L'adrénaline monte encore avec le scherzo, vraiment « leggierissimo ». Dans ces pages annonçant Le Songe d'une nuit d'été et son évocation nocturne, jouées ici prestissime, apparaissent des traits scintillants et de brèves visions fantastiques. Cette course aérienne et palpitante s'achève dans un souffle, pppp. Le finale presto, surenchérissant dans un tempo rapide, d'une infinie finesse, est proprement irrésistible. Le concert avait auparavant réservé une surprise : Le quatuor N° 13, « Rosamunde » de Schubert, interprété non par les Artemis, mais par les Ebène. Ces derniers en donnent une exécution de ton élégiaque, modérée, presque léthargique par endroit : une affaire sérieuse, à la poursuite d'une sonorité de la plus extrême douceur, très épurée, ne désertant que peu souvent le mezzo forte dans les trois premiers mouvements, notamment à l'allegretto menuetto, très retenu. Affirmation sans doute de la mélancolie qui baigne une œuvre si proche de l'écriture du lied. Ils se lâcheront enfin au finale, plus guilleret et optimiste.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Festival  Rossini au Théâtre des Champs-Elysées : Otello ou le triomphe de Cecilia Bartoli.

 

Gioacchino ROSSINI : Otello. Opéra en trois actes. Livret de Francesco Berio di  Salsa, d’après la tragédie éponyme de  Shakespeare. Cecilia Bartoli, John Osborn, Edgardo Rocha, Barry Banks, Peter Kalman, Liliana Nikiteanu, Nicola Pamio, Enguerrand de Hys. Chœur du Théâtre des Champs-Elysées. Ensemble Matheus, dir. Jean-Christophe Spinosi. Mise en scène : Moshe Leiser et Patrice Caurier.

 


© Vincent-Pontet –WikiSpectacle

 

Une affiche attrayante et un festival Rossini très attendu, puisque présentant en ouverture le très rarement donné Otello, avec dans le rôle de Desdemona la très médiatique et talentueuse diva italienne Cecilia Bartoli. Un retour inespéré de la célèbre mezzo-soprano sur la scène parisienne, à l’exception de récitals réguliers, survenant vingt ans  après sa dernière apparition en Chérubin dans une mythique reprise des Noces de Figaro montées par Giorgio Strehler à l’Opéra de Paris. Quant à Otello de Rossini, c’est à Jean-Pierre Ponnelle que l’on doit la première mise en scène parisienne, en ce même Théâtre des Champs-Elysées en 1986, avec June Anderson en Desdemona. Un Festival qui permettra d’entendre d’ici la fin de saison également Le Barbier de Séville, Tancredi, L’Italienne à Alger et La Scala di Seta. Dix neuvième opéra de Rossini sur la quarantaine qu’il composa, Otello fut créé en 1816 à Naples, avec Isabel Colbran, future épouse du compositeur. Si l’on excepte une version de concert donnée, ici même en 2010, avec John Osborn déjà en Otello, Anna Caterina Antonacci en Desdemona et Evelino Pido à la tête des forces de l’Opéra de Lyon, il faut bien avouer que cet opera seria a, de nos jours, quasiment disparu des scènes lyriques, éclipsé, à juste titre d’ailleurs, par l’Otello de Verdi (1887), incomparablement plus fort dramatiquement et musicalement. Si le propos verdien reste centré sur le drame de la jalousie, la problématique rossinienne est plus d’ordre social, focalisée sur le racisme. Rossini y prend en compte la négritude du héros pour expliquer son rejet de la société, mais il fait surtout de Desdemona le personnage principal du drame : à la fois amoureuse, indépendante, courageuse et rebelle, elle devient ainsi le pilier de la dramaturgie et l’archétype de la femme moderne. Moshe Leiser et Patrice Caurier, reprenant leur production de l’Opernhaus Zürich de 2012, ont choisi de placer l’action dans l’Italie des années 1960, à Venise, cela entraînant bien sûr quelques anachronismes plutôt drôles. Mais pour le reste le propos reste cohérent bien qu’assez plat, et la scénographie agréable. Une mise en scène « dans l’air du temps » qui n’illumine pas le sujet mais qui ne le dessert pas non plus, laissant une large place aux chanteurs et à la musique. Ce qui n’est pas si mal !


© Vincent Pontet - WikiSpectacle

 

Une distribution vocale dominée de la tête et des épaules par Cecilia Bartoli qui retrouve, par son chant, l’illustre descendance des Desdemona de Colbran, de la Malibran ou de Giulia Grisi… Tout y est, la souplesse de la ligne de chant, la virtuosité avec des roulades d’une rare clarté, la puissance, la tessiture étendue jamais prise en défaut, la diction parfaite, la présence scénique et l’émotion qui atteindra son comble dans la « Chanson du saule ». Toutes qualités faisant un peu d’ombre au reste de la distribution, à commencer par le trio de ténors.

 


© Vincent Pontet – WikiSpectacle

 

Si les timbres sont bien caractérisés, Otello guerrier, Rodrigo amoureux et Iago perfide, la qualité vocale n’est pas exempte de faiblesses chez ceux qui les incarnent, à commencer par John Osborn, Otello, et Barry Banks, Iago, dont les aigus manquent d’assurance, souvent étriqués. Seul, Edgardo Rocha, en Rodrigo, sort du lot, révélation de la soirée par sa facilité vocale, son legato et son timbre magnifique. Reste encore à signaler les très belles prestations de Liliana Nikiteanu, Emilia émouvante, et de Peter Kalman, Elmiro, père de Desdemona, et seul baryton de la troupe. Mais la déception, en définitive vint de la fosse… Non pas tant de la direction de Jean-Christophe Spinosi, comme souvent, nerveuse, voire violente, avec des tempi parfois surprenants, mais plutôt de la sonorité assez terne de l’Ensemble Matheus et de ses dérapages instrumentaux nombreux (surtout les vents !) qui nous valurent une Ouverture particulièrement calamiteuse ! En dehors de ce « détail » fâcheux, ce fut une belle soirée d’opéra, un triomphe pour Cecilia Bartoli et quelques sifflets pour Jean-Christophe Spinosi. Le meilleur reste à suivre… Le Barbier de Séville (28 et 29 avril) Tancredi (du 19 au 27 mai), L’Italienne à Alger (10 juin) et La Scala di Seta (13 juin). A vos agendas !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Mariss Jansons, maître du clair obscur

 


Krystian Zimerman / © Anna Kaczmarz

 

Il est de ces chefs d’orchestre qui « transpirent » la musique… Ne dit-on pas que la seule présence de Wilhelm Fürtwangler dans la salle de concert suffisait à modifier le timbre du Philharmonique de Berlin ! Mariss Jansons est assurément de ces chefs d’exception au charisme reconnu, expliquant l’affluence du public salle Pleyel, pour ces concerts donnés à la tête de ses troupes du Royal Concertgebouw Orchestra dont il est le chef en titre. Orchestre de renommée mondiale, comme en témoigne la liste de ses directeurs les plus récents comme Bernard Haitink ou Riccardo Chailly, ou de ses chefs invités privilégiés tel que Nikolaus Harnoncourt. Le chef letton, aux commandes de l’orchestre depuis 2004, est assurément expert, par son sens musical et sa direction claire, à recréer des climats musicaux complexes comme cet étrange mélange de lumière et de ténèbres, ce clair obscur qui caractérise les deux œuvres présentées à ce concert. A soirée d’exception, soliste d’exception en la personne de Krystian Zimerman, pianiste assez rare sur scène puisqu’il ne donne pas plus de cinquante concerts par an, emportant avec lui son piano personnel, choisissant avec soin son répertoire. Délaissant son cher Chopin, c’est ce soir Brahms qui était à l’honneur…  Le Concerto n° 1 pour piano et orchestre (1859) de Johannes Brahms, véritable « symphonie avec piano obligé » associe en effet violence et langueur, rêverie et ironie, danse et méditation, image du double kleislérien auquel Brahms s’identifiait dans sa jeunesse. Un concerto comme un hommage à Robert et Clara, dont le pianiste Krystian Zimerman donna une interprétation particulièrement aboutie, déployant une étonnante palette sonore, en parfaite symbiose avec l’orchestre. La Symphonie n° 9 d’Anton Bruckner, inachevée, (1894) dédiée à Dieu, s’inscrivit dans le même climat ambigu, oscillant entre démesure et intimité, lumière et univers cauchemardesque, sérénité et visions fantastiques, grand crescendo orchestral puis retombée dans le silence, dont Mariss Jansons  sut mettre en évidence toute la beauté formelle par la fluidité et la souplesse du phrasé, par l’équilibre constant des masses sonores, par la qualité exemplaire des différents pupitres et notamment celle des cors particulièrement sollicités dans ce programme…Mais on regrettera qu’il n’ait pas réussi à rendre cet élan spirituel, cette ferveur, cette transcendance, élément pourtant essentiel qui caractérise les compositions du ménestrel de dieu, nous laissant en définitive sur notre faim, condamnés à l’immanence par l’absence de cette petite étincelle magique qui seule peut transformer les beaux concerts en soirée inoubliable ! Un très beau discours quand on aurait préféré une immense prière !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Poursuite du cycle Mahler de l'Orchestre de Paris

 


Paavo Järvi / DR

 

Poursuite du cycle Mahler entrepris l’an dernier, par l’Orchestre de Paris dirigé par son directeur musical, le chef estonien Paavo Järvi, avec au programme ce soir la Symphonie n° 4 de Gustav Mahler, à laquelle s’associaient  Langsammer Satz de Webern et le Concerto pour piano n° 1 de Beethoven. Beau programme et très belle prestation musicale de l’Orchestre de Paris, devant une salle bien garnie. En amuse bouche, donné pour la première fois par l’Orchestre de Paris, le Mouvement lent (Langsammer Satz) d’Anton Webern, dans une transcription pour orchestre à cordes de Gerard Schwartz datant de 1982. Il s’agit en fait d’une œuvre de jeunesse de Webern composée en 1905, éminemment romantique et tonale, encore toute imbibée de l’emblématique Nuit Transfigurée de son maitre Schoenberg. Une partition, avouons-le, sans grand intérêt, inspirée d’une promenade en forêt en compagnie de Wilhelmine Mörtl, que le compositeur épousera plus tard. Un mouvement tout en demi teinte qui permit d’apprécier la qualité des cordes graves, mais, hélas également la sonorité un peu étriquée et grinçante des violons. Un début de concert peu convaincant vite occulté par la magnifique interprétation que le pianiste roumain, Radu Lupu, donna du Concerto n°1 de Beethoven. Un concerto de jeunesse (1800) composé par un musicien virtuose du piano, encore épargné par la surdité qui apparaitra quelques années plus tard, et fortement influencé par Mozart et Haydn. Radu Lupu en donna une lecture  parfaitement dans l’esprit de l’œuvre, classique et non outrageusement romantique, associant un toucher d’une exceptionnelle souplesse et une sonorité cristalline, joyeuse et cantabile. A signaler la très belle intervention de Pascal Moragues à la clarinette, dans le sublime dialogue du Largo central. Après la pause, Paavo Järvi poursuivit donc son exploration des territoires mahlériens avec la Symphonie n° 4 (1900). Dernière symphonie du premier corpus symphonique de Mahler inspiré du lied, elle fait suite directement à la Symphonie n° 3 dont elle reprend en conclusion le lied la Vie Céleste, empruntée au Cor Merveilleux de l’enfant. La quatrième se démarque des symphonies précédentes par la réduction de l’effectif orchestral (disparition des trombones), l’absence de chœur, l’absence de programme explicite, en dehors peut-être de l’enfance idéalisée. Elle comprend quatre mouvements,  le premier réfléchi, à l’aise, innocent mais ambigu, interprété à l’époque comme un retour à Haydn, le deuxième plus inquiétant, comme si la mort conduisait le bal dans une danse satanique au son du violon accordé un ton trop haut, aux allures de crincrin, puis l’adagio à la fois divinement gai et infiniment triste confirmant la figure de Janus de cette quatrième symphonie : « une paix sacrée, solennelle, une gaité sérieuse et tendre, mais aussi une tristesse profonde, comme des « réminiscences de la vie terrestre » . Enfin en conclusion, la « Vie céleste » comme l’aboutissement de l’œuvre entreprise dans la troisième symphonie,  nous rappelant à la fois  la vie céleste et le monde de l’enfance : « lorsque l’homme émerveillé mais dérouté demande ce que tout cela signifie, l’enfant répond : telle est la vie céleste ». Mahler confirme par ce lied que l’accès au royaume du ciel est possible même s’il existe plusieurs chemins pour la maison du Père ; les joies du Paradis sont ici d’essence bien terrestre mais « aucune musique sur terre ne peut se comparer à celle des hautes sphères ». La quatrième symphonie a posé bien des problèmes d’interprétation lors de sa création, car elle correspond à la fin d’une  première étape dans la construction mahlérienne. Comme l’affirme Max Graf, cette symphonie doit être lue à l’envers : son programme caché se révèle, un voyage dont le but est l’innocence. Une magnifique interprétation de l’Orchestre de Paris, parfaitement en place, ambiguë et bien conduite, valorisant l’orchestration mahlérienne par le travail approfondi des timbres, notamment petite harmonie et cors, sans oublier le violon solo. En revanche, le lied terminal, la Vie Céleste, pâtit un peu du manque de puissance et du manque de graves de Katija Drogojevic, malgré la beauté incontestable du timbre. Une belle soirée. On attend la suite…

 

Patrice Imbaud.

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L'EDITION MUSICALE

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ORATORIO

 

Paolo LONGO : Le songe d’un habitant du Mogol. Scènes modulaires sur des fables de Jean de La Fontaine pour Récitant, voix d’enfants et ensemble instrumental. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0226-9.

Modulaires, ces scènes le sont dans la mesure où seules deux fables, sur les six qui composent cette œuvre, entourées d’un Prologue et d’un Epilogue, ont une place stricte dans le déroulement. L’ensemble instrumental est aussi fourni que divers : on y relève notamment un clavecin  français à deux claviers avec jeu de luth et de nombreuses percussions. L’ensemble est difficile mais très intéressant, destiné plus à des professionnels qu’à des élèves. Disons qu’un CRR pourra s’y essayer. Comme le dit la présentatio, « cette partition exploite l’ensemble des ressources techniques, mélodiques et rythmiques des instrumentistes et chanteurs qui l’interprètent ». Mais le plaisir et l’intérêt seront au rendez-vous !

 

 

 

MUSIQUE CHORALE

 

Gérard HILPIPRE : Veni Creator Spiritus pour chœur mixte a cappella. Delatour : DLT2160.

Bien qu’utilisant quelques strophes de l’hymne Veni Creator, invocation à l’Esprit Saint écrite par Raban Maur au IX° siècle, l’œuvre est éminemment moderne par son écriture même si celle-ci est avant tout au service du texte. La pièce demande un chœur aguerri mais n’offre cependant pas de difficultés insurmontables. Sopranes et ténors sont divisés. L’ensemble fait preuve d’une incontestable dimension spirituelle.

 

 

 

Frank MARTIN : Messe pour double chœur a cappella. Urtext. Bärenreiter : BA7594.

Cette œuvre fut composée entre 1922 et 1926 mais ne fut vraiment créée qu’en 1963. Elle a connu depuis beaucoup de succès auprès de chœurs confirmés. Principalement syllabique et pentatonique, ses quelques mélismes sont d’autant plus remarqués qu’ils sont rares. On lira avec beaucoup de profit et d’intérêt la préface  d’Antje Wissemann. L’édition, basée sur le manuscrit autographe, est d’une remarquable lisibilité.

 

 

 

PIANO

 

Serge DELAITE : Around about Jazz. Exercices journaliers. Book 1. Delatour : DLT1646.

Quatre parties, pour ces exercices journaliers : Exercices des cinq doigts, accords, gammes et enfin « A vous de jouer ». On se prend à rêver que nos pianistes dits « classiques » soient capables de se livrer à ce genre d’exercices et soient capables d’entendre spontanément ces gammes et ces accords dont ils n’ont souvent qu’une connaissance livresque et improductive… et au final, soient capables de jouer, tout simplement, les deux pièces qui constituent la quatrième partie, mélodies chiffrées à « réaliser », pour employer le langage traditionnel.

 

 

 

Jean-Sébastien BACH : Variations Goldberg. BWV 988. Editées par Christoph Wolff et doigtées par Ragna Shirmer. Urtext. Bärenreiter : BA10848.

Cette nouvelle édition des Variations Goldberg a été établie à partir de la Neuen Bach-Ausgabe. Les doigtés sont établis pour le piano moderne. Cela représente une véritable gageure dans la mesure où l’œuvre est explicitement écrite pour un clavecin à deux claviers et comporte par le fait même sur un piano de nombreux croisements de main. Il fallait donc respecter à la fois la commodité d’exécution et l’expression musicale. Aux pianistes de juger si Ragna Shirmer y a réussi : on peut supposer que ce sont les doigtés qu’elle-même utilise dans son enregistrement qu’on peut écouter sur You Tube.

 

 

 

CLAVECIN

 

Jean-Sébastien BACH : Concerto n° 1 en ré mineur pour clavecin et orchestre à cordes. BWV 1052. Urtext. Bärenreiter : BA5224.

Editée par Werner Breig, cette nouvelle édition réalisée d’après la Neuen Bach-Ausgabe est d’une grande clarté et d’une grande lisibilité.

 

 

 

ORGUE

 

Christophe MARCHAND : Dactylopraxie. Trois petites suites pour toucher l’orgue. Delatour : DLT2318.

Ces trois petites suites qu’on pourrait qualifier d’études si ce vocable n’était trop souvent synonyme d’ennui, sont destinées à explorer le clavier de l’orgue et ses timbres de façon tout à fait atonale, rien que pour le plaisir des sons et des rythmes, et des images qu’ils évoquent. Comme le dit fort bien Eric Lebrun, qui préface ce recueil, « écrire pour un musicien débutant, c’est se fixer a priori un véritable cortège d’exigences, en premier lieu celle de la qualité… ». Christophe Marchand y réussit pleinement. On pourra, pour s’en convaincre, aller écouter sur le site de l’éditeur – ou sur You Tube – l’intégralité de ces pages enregistrées par Pacale Rouet sur l’orgue Koenig de la basilique Notre-Dame d'Espérance de Charleville-Mézières.

 

 

 

HARPE

 

Jean-Louis COUTURIER : «L’air de rien ». Divertissement pour deux harpes. 1er cycle. Sempre più. SP0082.

Précisons tout de suite que l’élève joue sur une harpe celtique et le professeur sur une grande harpe. Nous voici plongé dès le début dans une atmosphère « british » avec quelque chose qui ressemble fort à un Carillon Westminster quatre quarts. Suivent des variations sur ce thème évocateur qui aboutissent à un cantabile puis à un retour au tempo primo et à ses évocations londoniennes.  Tout cela, précisons-le, ne manque pas d’agrément !

 

 

GUITARE

 

Jean-Christophe ROSAZ : Passage I. Pour guitare. Delatour : DLT2177.

Cette pièce fait partie d’une série pour divers instruments composée d’après une série de tableaux de Philippos Vazakas. L’auteur nous explique que « chacune de ces pièces est écrite pour un instrument ou un alliage particulier comme autant de variations sur ce thème éternel [celui du passage] ». Il poursuit : « je les ai imaginées dans le prolongement des musiques traditionnelles en écho aux toiles qui représentent de vieilles portes en bois où le temps ne cesse de passer. ». L’auteur nous envoute par l’ambiance qu’il crée, utilisant pour cela différentes sortes de jeux et transformant la guitare en un orchestre populaire. Que dire sinon que cela est d’une grande beauté et qu’il faut aller l’écouter sur le site de l’éditeur ?

 

 

 

BOUZOUKI IRLANDAIS

 

Jean-Christophe ROSAZ : Passage II. Pour bouzouki irlandais. Delatour : DLT2178.

On se rapportera à la recension faite sous la rubrique « guitare » pour le commentaire de cette pièce. Disons seulement qu’elle comporte les mêmes qualités que le Passage I tout en étant, bien évidemment, différente par la couleur et par le timbre. On pourra également l’écouter intégralement sur le site de l’éditeur.

 

 

 

VIOLON

 

Jean-Claude AMIOT : Chanson pour Lara pour violon et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2821.

Cette charmante ballade a le mérite de la simplicité, tant pour la partie de violon que pour celle de piano. Mais elle est aussi bien agréable et devrait procurer aux jeunes interprètes le sens de la jolie phrase, ce qui n’est pas rien !

 

 

 

Christine MARTY-LEJON : Atlantic windpour violon et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2744.

Après une longue introduction de piano, le violon prend la relève pour se lancer au gré du vent dans des mélodies parfois animées où le piano intervient en contrepoint. C’est une pièce intéressante et originale.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Claude-Henry JOUBERT : Une aventure de Guignol pour violoncelle solo. Niveau 2ème année. Fertile Plaine : FP 1563.

Guignol, sa fiancée la belle Madelon, le gendarme, tous les ingrédients sont réunis pour de palpitantes aventures que le jeune interprète se devra de nous faire vivre avec tous ses talents expressifs… et techniques, bien entendu. Tout se termine bien, évidemment ! L’auteur consacre toute une page qu’on se gardera surtout de négliger à la manière de jouer cette aventure et à la possibilité de composer sur le même moule d’autres aventures de Guignol. Ce n’est pas le moindre intérêt de cette pièce !

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Valse des mésanges pour violoncelle et piano. Niveau 1er cycle. Fertile Plaine : FP 1563.

Se déroulant sous une forme de thème et variations, cette charmante valse possède un charme « rétro » incontestable. Le pianiste, comme le violoncelliste, ne manquera pas de jouer sa partie de façon humoristique pour évoquer les fameuses mésanges du titre. Et, comme d’habitude, C.-H. Joubert fournit à la fin le mode d’emploi pour composer d’autres valses sur le même modèle. Souhaitons que les professeurs aident les jeunes instrumentistes à se livrer à cette opération aussi passionnante que formatrice…

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Qui a mangé la cancoillotte ? Une enquête du commissaire Léonard pour violoncelle avec accompagnement du professeur de violoncelle. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2800.

Voici encore une œuvre en « kit », puisqu’il faudra composer la cadence… et la conclusion : le coupable est ad libitum ! Peut-être faudra-t-il commencer par expliquer ce qu’est la cancoillotte. On peut aussi imaginer une dégustation pour le public… Bref, il y a beaucoup à tirer de cette remarquable aventure, ne serait-ce que la complicité obligée entre le professeur et son élève. L’auteur ne laisse pas les interprètes sans munitions : deux pages d’explications permettent de se lancer sans risque dans les délices de la composition. N’est-ce pas d’ailleurs ce que tout musicien digne de ce nom devrait savoir faire ? Dans les précisions de bas de page, on trouve : « - mesure  8 : c’est l’élève qui hurle, d’une façon épouvantable ; s’il joue cette pièce à un examen, il sera naturellement évalué sur la qualité de son hurlement ». Humour de l’auteur ou expérience vécue ? Nous ne nous prononcerons pas…

 

 

 

FLÛTE TRAVERSIERE

 

Camille GEORGE : Au fil de la vie pour flûte en ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2818.

Trois parties pour ce joli morceau : entre deux parties un peu nostalgiques développant un rythme de sicilienne, une partie médiane, construite sur la même base thématique, introduit, en binaire, une phase plus énergique. Le tout se termine par une coda non mesurée pleine de charme.

 

 

 

Christine MARTY-LEJON : Dans les airs pour flûte et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2754.

Deux parties à quatre temps entourent une curieuse partie à trois temps qui, la plupart du temps, en font deux… Dans les airs justifie bien son titre, avec ses envolées espiègles qui peuvent évoquer le trapèze volant. Quoi qu’il en soit, la musique est fort agréable et mettra un peu à l’épreuve, surtout dans la partie médiane, le sens rythmique des interprètes.

 

 

 

Rémi MAUPETIT : Marchand de sable pour flûte en ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2755.

L’accompagnement en triolets du piano fait ressortir le côté berceur de cette jolie pièce où la ou le flûtiste devra faire preuve de souffle et d’expressivité pour faire vivre ses longues tenues. De jolies modulations émaillent le discours. Bref, cela devrait donner beaucoup de plaisir tant aux interprètes qu’aux auditeurs.

 

 

 

CLARINETTE

 

Éric FISCHER : Trois minutes parvenues à leur terme. Hommage à André du Bouchet. Clarinette en sib. Difficile. Dhalmann : FD0350.

Cet hommage au grand poète André du Bouchet se déroule en trois « minutes », comme le titre l’indique, c'est-à-dire en trois parties très caractérisées. L’ensemble est à la fois très expressif et écrit dans un langage contemporain jouant sur les rythmes et les sonorités. Ce sont en fait trois court poèmes que nous propose l’auteur, qui demanderont à l’interprète à la fois beaucoup de technique et de sensibilité.

 

 

 

Bettina OSTERMEIER – Günter VOIT : Klezmer pour clarinette et piano. Bärenreiter : BA10616.

Les clarinettiste, dont l’instrument possède un timbre si proche de la voix humaine, seront heureux de retrouver ou de découvrir ces pièces de la musique populaire juive ashkénaze fidèlement retranscrites. Ainsi en sont conservées les saveurs particulières. L’ensemble ne présente pas de grande difficulté.

 

 

 

René POTRAT : Humeur badine pour clarinette et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2748.

Tandis que l’accompagnement de piano se fait souvent joliment répétitif, la clarinette badine à souhait de façon bien agréable. Un 2/4 un peu chaloupé truffe avec avantage deux 3/4 plus nonchalants. L’ensemble est bien agréable autant à jouer qu’à entendre.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Jean-Jacques FLAMENT : Incantations pour saxophone alto et piano. Élémentaire. Lafitan : P.L.2691.

Ces Incantations sont fort agréablement variées de couleurs et de caractères. Une cadence assez longue permet au saxophoniste de développer ses qualités expressives et techniques. Le tout se clôt par une coda en sextolets d’une grande fluidité mais qui donnera sans doute un peu de fil à retordre à l’interprète. Qu’importe si c’est pour faire de la très bonne musique ?

 

 

 

Anne-Virginie MARCHIOL : Swing à Saint-Tropez pour saxophone alto et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2682.

La pièce est composée d’une danse coupée d’un entracte appelé « repos des danseurs ». L’ensemble correspond bien à son titre et est plein d’allant et de fantaisie. Le swing est là, qu’il faudra faire ressortir avec naturel : en mesure, mais pas métronomique ! Vivant, autrement dit…

 

 

 

BASSON

 

Michel CHEBROU : Dumka pour basson et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2812.

Ce titre, qui se réfère à la musique populaire ukrainienne, est délicatement illustré par une jolie mélodie prenant à certains moments un caractère dansant. Piano et basson dialoguent et se soutiennent mutuellement. Cette œuvre très agréable devrait plaire à ses interprètes.

 

 

 

TROMPETTE

 

Pascal PROUST : Sonate à trois pour trois trompettes. 2ème cycle. Sempre più : SP0095.

Le premier mouvement, après l’introduction « Maestoso » puis « Allegro moderato » se déroule sur un rythme de habanera. Un deuxième mouvement « adagio » lui succède, déployant ses charmes mélodiques. Enfin, « un allegro rytmico » clôt le tout de façon tout à fait tonique. Il s’agit d’une œuvre variée et très plaisante qui met en valeur toutes les qualités des trois instrumentistes.

 

 

 

TROMBONE

 

Pascal PROUST : Garden party pour quatre trombones. 3ème cycle. Sempre più : SP0100.

Cette charmante pièce en trois courts mouvements dans la pure tradition : le premier, après une introduction lento se déployant dans un allegretto syncopé, un mouvement lent rappelant une habanera et un troisième mouvement qui a tout du cake-walk. Cette œuvre devrait faire le bonheur des trombonistes et de leurs auditeurs ! Un court extrait musical est disponible sur le site de l’éditeur.

 

 

 

Patrick BURGAN : Lucifer. Trombone solo. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0725-7.

Emanation du concerto pour trombone et orchestre La Chute de Lucifer, cette pièce de huit minutes reprend l’essentiel du matériel thématique mais n’en est pas un extrait. Elle en a cependant toute la poésie et toute la fougue.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Chin-Cheng LIN : The Ocean. Marimba solo. Assez difficile. Dhalmann : FD0280.

L’atmosphère de cette pièce correspond bien à son titre. Un grand choral est enchâssé entre deux parties expressives et d’une grande fluidité. Le tout est écrit dans un langage qu’on pourrait qualifier de classique, à la fois tonal et modal. L’ensemble est bien agréable et un peu envoutant.

 

 

 

Carlos SANTANA, Chester THOMPSON et Sterling CREW. Arrangement : Frank KUMOR : Bella pour « Mallet Ensemble » avec percussions optionnelles. Moyenne difficulté. Alfred : 41031.

Cette pièce pour quatuor d’instruments à « maillets » : vibraphone, xylophone et deux marimbas, auxquels peuvent s’ajouter d’autres percussions est empreinte d’une grande poésie et d’une certaine mélancolie. L’arrangement, pas très difficile, devrait faire le bonheur des classes de percussions.

 

 

 

Glenn KOTCHE : Cave Dance (Snare Drum Solo with Foot Pedal Instrument). Moyenne difficulté. Alfred : 40961.

L’auteur s’est inspiré de spectacles de danse flamenco vus dans les grottes de Sacromonte investies par les gitans, d’où le titre. Il faudra avoir en tête, dans l’interprétation de cette pièce, le flamboiement des danses qui lui ont donné naissance.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Henry FOURÉS : Lob der Ferne (Éloge du lointain). Duo pour alto et pédale charleston. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0746-2.

Cette œuvre attachante a été inspirée par le poème du même nom de Paul Celan. La musique n’illustre pas le poème ni ne le commente. Il s’agit plutôt d’une évocation éveillée par lui. Toutes les indications pour une exécution fidèle de l’œuvre sont données de façon détaillée en préalable et au cours de la partition.

 

 

 

Isabelle ABOULKER : Les arbres. En balade avec Jules Renard, pour voix grave et quatuor à cordes. Delatour : DLT2237.

Ces textes très brefs au nombre de dix, dont un Prélude et un Postlude sont extraits de pensées et réflexions sur les arbres contenues dans le Journal de Jules Renard. Isabelle Aboulker met en musique ces textes, chantés ou parlés, avec toute l’habileté et le sens poétique qu’on lui connait. C’est une œuvre attachante et assez facilement abordable techniquement, ce qui ne gâche rien.

 

 

 

André RIOTTE : Origami. 6 pièces pour quatuor à cordes. Delatour : DLT1300.

Ces six pièces portent des titres évocateurs : Le bonze, la flèche, le cygne, l’iris, le voilier et le dragon. L’ensemble, assez difficile, est à la fois lyrique et poétique, bien dans la veine de ce compositeur trop tôt disparu, élève, entre autres, de Jolivet et de Messiaen, scientifique et chercheur à l’Ircam, qui n’a jamais sacrifié la musicalité et l’expressivité à ses recherches mathématiques.

 

 

 

Daniel Blackstone.

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Jean-Pierre BARTOLI, Jeanne ROUDET : L’essor du Romantisme : la Fantaisie pour clavier de Carl Philipp Emanuel Bach à Franz Liszt, 1 Vol. Paris, VRIN, Collection « Musicologies», 2013, 387 p. -32 €.

Deux auteurs se penchent sur l’essor du Romantisme en étudiant la Fantaisie pendant presque deux siècles. Ils révèlent l’importance insoupçonnée de la pratique de l’improvisation faisant appel à la virtuosité et proposent une véritable typologie de la Fantaisie à partir du stylus fantasticus dans la musique baroque nord-allemande, reposant sur le contrepoint mais faisant aussi appel à « l’imagination spontanée ». Ils étudient l’acception du terme fantaisie d’après les traités théoriques, en soulignent l’évolution sémantique avec les formes : Fantasia simplex (c’est-à-dire fantaisie) et Fantasia variata (fugue). Le problème de l’interprétation se pose aussi, car il s’agit de conférer à ces œuvres l’allure d’une improvisation et de mettre l’accent sur la notion de performance.

La théorie moderne de la sémiotique procure aux auteurs des outils d’analyse et leur permettra de montrer l’évolution du genre, la transition de la notation de l’improvisation vers « l’écriture improvisatrice », insistant sur l’invention et la disposition. Les deux auteurs ont ainsi défini leur objectif « en braquant nos projecteurs sur ce genre [la fantaisie libre], notre projet est de combattre l’idée reçue — surtout en France — selon laquelle la musique connaîtrait une évolution stylistique en marge des autres arts. » (p. 21). L’apport de ce livre si dense ne peut être résumé dans ce cadre. Les lecteurs y découvriront différentes catégories esthétiques : fantaisie comme « objet élu » ; « paradigme dans la musique purement instrumentale » avec ses règles et techniques (basse figurée) ; imprévisibilité ; « fantaisie sur un thème » exploitant la rhétorique de la variation de caractère et du travail thématique, puis « fantaisie sur plusieurs thèmes » avec pot-pourri, souci de l’intrigue ou encore Volksgeist pour aboutir à l’« écriture improvisatrice ». Jean-Pierre Bartoli et Jeanne Roudet ont le grand mérite d’avoir sélectionné des œuvres typiques pour illustrer de façon pertinente les innovations formelles (Fantaisie K 575 de Mozart, Fantaisie libre sans titre de Schumann, Liszt et Chopin). Ils abordent ensuite la Sonata quasi una Fantasia de Haydn et C.P.E. Bach jusqu’à Beethoven, qui permettra à la fantaisie d’assurer la relève de la sonate. La forme débouche sur la Fantasia quasi sonata dans la mouvance de Hummel, Liszt et Schumann.

En conclusion, les auteurs cernent « le genre du Romantisme », puis la notion esthétique : « Fantaisie et Romantisme ». À l’appui de nombreux exemples musicaux et en s’appuyant également sur les auteurs et philosophes allemands contemporains, ils ont ainsi dégagé une véritable « typologie des tendances formelles choisies par les compositeurs de Fantaisies », sans conférer « à chacune de ces catégories un titre réducteur ». Ils concluent que « lorsque l’esprit de fantaisie se dilue dans les autres genres, c’est aussi le Romantisme qui arrive à son zénith. » (p. 347). Cette magistrale étude est complétée par des Annexes avec les indispensables repères chronologiques des œuvres, une abondante Bibliographie pluridisciplinaire et un Index des noms et des œuvres qui, à lui seul, rendrait déjà compte de l’importance du sujet traité avec tant de rigueur. À lire et relire par les musicologues intéressés par l’histoire de la musique, l’esthétique, les récents critères d’analyse musicale et l’évolution des formes associées à « L’essor du Romantisme ».

 


Édith Weber.

 

 

Odile CHARLES : Les Oratorios de Georges Migot. Paris, L’Harmattan (www.librairieharmattan.com ), 2014,  389 p.  38, 50  €.

L’auteur est spécialiste de l’œuvre et de la pensée de Georges Migot, secrétaire générale de l’Association éponyme et rédactrice du Bulletin annuel. Elle a obtenu son Doctorat avec une thèse consacrée aux Oratorios du maître. Avec le recul du temps, elle livre le résultat de ses investigations approfondies. Georges Migot (1891-1976) est un compositeur indépendant, multiforme, un grand penseur d’une haute spiritualité défendant un idéal tout à fait original. Pour lui, « si la musique religieuse rassemble en elle les auditeurs pour une communion collective, on pourrait dire, pour « Musique Christique », que c’est à chaque auditeur de recevoir en lui le message qu’elle contient. La Musique religieuse est comme l’aller, c’est la venue de Dieu en chaque fidèle. » (Introduction, p. 11). Cette citation à elle seule justifierait tout la démarche intellectuelle, compositionnelle de Georges Migot et l’impact de cette remarquable étude si circonstanciée.

Odile Charles, après avoir situé Georges Migot dans son cadre familial et son milieu professionnel, le définit comme humaniste profondément croyant. Sa démarche concerne la vie du Christ, notamment le Sermon sur la Montagne (1936) ; la Passion (1941-43), en 12 épisodes ; l’Annonciation (1945-1946) ; Mise au tombeau (1949) ; la Résurrection (1953) ; la Nativité de Notre Seigneur (1954) s’apparentant à un Mystère lyrique (préoccupation catéchétique); Le Petit Évangéliaire (1954) ; Cantate de Pâques (1955) ; De Christo initiatique (1971-1972). La forme Oratorio a largement évolué depuis sa création à l’instigation du fondateur de la Congrégation de l’Oratoire, saint Philippe Neri (mort en 1595), lançant le stile recitativo. À l’époque baroque, Schütz, Haendel et J. S. Bach prendront la relève ; la forme aboutira aux chœurs de masse avec Mendelssohn et Berlioz. Georges Migot renouvellera fondamentalement le genre avec ses œuvres “christiques“, comme il ressort de l’exégèse très fine d’Odile Charles mettant d’abord l’accent sur le sens des livrets. Elle aborde tous les plans : architecture, conception thématique, protagonistes, théologie, esthétique et analytique, y compris stylistique « migotique » (cf. Chapitre X : Écriture et spiritualité). Cette étude quasi exhaustive est encore complétée par 6 Annexes (textes des Oratorios, extraits de manuscrits et d’une lettre… et par un index chronologique révélateur des Oratorios français, de 1900 à 1972) permettant de situer la production de Georges Migot et de mieux comprendre en quoi il a fondamentalement renouvelé le genre. Toutefois : « La problématique de l’oratorio christique, si elle s’exprime largement en des termes conceptuels concrets, passe aussi par la nature de l’appréhension, de la réception, et de la compréhension personnelle de ces œuvres. »

 

Édith Weber.

 

 

Mélisande CHAUVEAU : Moi, NIJINSKI. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), Collection Raconte-moi…, 2014, 89 p. – 8 €.

Mélisande Chauveau poursuit avec bonheur sa formule de « Journal imaginaire » qui, à l’aide de souvenirs authentiques, lui permet de présenter des artistes, de retracer leur vie et carrière et de les situer dans les contextes sociaux et économiques de leur temps. Avec Vaslav Nijinski, c’est le monde de la danse au début du XXe siècle qui émerge. Le célèbre chorégraphe et futur danseur étoile est né à Kiev en 1889 dans une famille de danseurs et mort à Londres en 1950. L’auteur relate sa vie, évoque ses dons « stupéfiants » et sa vocation. Le danseur étoile des Ballets Russes a suivi Serge Diaghilev à Paris, vécu la Seconde Guerre mondiale, rencontre de nombreuses personnalités du milieu des Arts et Lettres, créé sa propre compagnie. Ses chorégraphies sont célèbres. Voici une vivante contribution à l’histoire du ballet de celui qui, dans son Journal, s’est exprimé ainsi : « S’ils me comprennent, c’est mon salut. Mais s’ils ne découvrent pas ce qu’il y a en moi, je serai le plus pauvre, le plus misérable des hommes ». (p. 86). En peu de pages, étayées de documents bien sélectionnés, Mélisande Chauveau a réussi à souligner combien ce grand artiste a, par la danse, su exprimer la beauté, la douleur ou la joie.

 

Édith Weber.

 

 

Lin-Ni LIAO, Marc BATTIER (dir.) : Fusion du temps. Passé-Présent  Extrême Orient -Extrême Occident. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), Collection Pensée Musicale, 2014, 156 p. – 25 €.

Cette publication réunit des textes prononcés lors de la Conférence organisée en 2012 à la Maison de la Recherche (Université Paris-Sorbonne) et regroupés par Lin-Ni Liao (Taiwan) et Marc Battier (Professeur à l’université Paris-Sorbonne) portant sur la « Modernité du Nanguan [ou encore Nanyin, genre musical chinois provenant du district éponyme], spiritualité de la musique contemporaine », sous des angles très variés allant des considérations philosophiques, multiculturelles, transculturelles, compositionnelles et organologiques jusqu’à l’exotisme le plus caricatural. L’enjeu consiste également à conserver les Arts traditionnels et leur identité que la modernisation risque de mettre en péril, l’ensemble pouvant aboutir à une « créativité qui va à la rencontre de l’Occident ». Neuf auteurs, compositeurs : Marc Battier (musique électroacoustique), Allain Gaussin, Betsy Jolas, Lin-Ni Liao, Leilei Tian…, organologues, ethnomusicologues (François Picard…), sinologues (Jacques Pimpaneau), tous spécialistes confirmés, soulèvent de nombreux problèmes en liaison avec la notion de « musicologie multiple et ouverte » selon les normes de la Collection Pensée Musicale que dirige Jean-Michel Bardez. Ils tentent ainsi de dégager une véritable anthropologie et insistent sur les regards plus conceptuels des compositeurs occidentaux, alors que les compositeurs asiatiques misent davantage sur l’identité.

 

 

Édith Weber.

 

 

Yvette CARBOU : Pierre COCHEREAU – Un art d’illusionniste. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2014, 393 p. – 39 €.

En 1989, la Revue L’Orgue avait consacré un numéro spécial à Pierre Cochereau. Dix ans après, Yvette Carbou, productrice et animatrice des Disques SOLSTICE, avait édité des Témoignages chez Zurfluh. Elle vient d’en réaliser une nouvelle édition dans laquelle elle exploite en connaissance de cause quelques 80 documents et jugements portés sur le célèbre organiste, improvisateur, compositeur, pédagogue (directeur des Conservatoires du Mans, puis de Nice jusqu’en 1979) et, dès 1955, titulaire des Grandes Orgues de Notre-Dame (Paris). Rappelons qu’il est né à Saint-Mandé en 1924 et mort à Lyon en 1984. Cet ouvrage ne se veut pas à proprement dit une biographie. Il évoque un aspect particulièrement inattendu, voire insoupçonné de Pierre Cochereau : son « art d’illusionniste ». À partir d’une abondante collecte de souvenirs émanant de plusieurs générations de mélomanes, replacés en principe dans l’ordre chronologique, l’auteur, en évitant la flatterie excessive, rend de façon percutante hommage à Pierre Cochereau :  un « phénomène de la plus belle école d’orgue qui soit au monde », selon Marcel Dupré (p. 7). Yvette Carbou, proche du compositeur, a été fascinée par sa forte personnalité et tant d’activités au cours d’une brève existence. Elle a peut-être trouvé le sous-titre du livre grâce à la définition de Pierre Cochereau : « L’improvisation est peut-être un art d’illusionniste, mais que vaudrait la vie si l’on venait à perdre l’entier de ses illusions ? ». Au fil des pages, elle renouvelle son profil psychologique à la fois « interlocuteur attentif à autrui », « être plein de sollicitude », « bâtisseur infatigable », « musicien hors du commun », mais aussi personnage complexe, « déroutant parfois »… Grâce à une documentation très solide et avec une rare pénétration psychologique, elle évoque sa vie depuis ses études au Conservatoire et son poste à Saint-Roch. Deux interviews très éclairantes avec son fils, Jean-Marc Cochereau, ont permis de dégager ses ascendances familiales, son héritage et surtout sa sensibilisation à l’éducation des jeunes ; de qualifier les « trucs » et le vrai « métier de son père » qui disait que « les improvisateurs ne savaient pas faire court ». « Lui, bien sûr, ça lui arrivait de faire long ; mais pour une forme brève comme les variations, il savait faire court aussi. » (p. 51). Dans ce cadre, il est impossible d’évoquer toutes les sources : témoignages de sa famille (Jean-Marc et Marie-Pierre), souvenirs d’enfance, ainsi que les appréciations de nombreux interlocuteurs, notamment Claude Noisette de Crozat ; Élisabeth Hermann ; Dominique Merlet (rencontre à Bordeaux), l’Inspecteur Jacques Charpentier, alors Directeur de la Musique ; Jacques Médecin (Maire de Nice) ; Henri Gagnebin ; Bernard Gavoty ; Jean Langlais ; les réactions des critiques (genevois, entre autres), et les souvenirs de professeurs et d’élèves et des échos de son rayonnement à l’étranger. À retenir le Chapitre XIII : « L’improvisateur à Notre-Dame », d’une importance capitale, ainsi que l’analyse très minutieuse de sa Symphonie pour Grand Orgue réalisée par Jeanne Joulain pour les amis et admirateurs de Pierre Cochereau.

Ce maître-livre, étayé de nombreuses illustrations très évocatrices : photos de R. Château, Médiathèque Pierre Cochereau à Sigean…, comprend également la liste chronologique des enregistrements d’improvisations à Notre-Dame et de ceux réalisés pendant les offices (édités post mortem). Cette contribution, qui renouvelle le sujet, a sa place tout attitrée dans la Collection « Organ Prestige » que dirige Frédéric Denis. Grâce à Yvette Carbou, à la lecture de cette magistrale étude, les mélomanes, organistes, compositeurs, musicologues et discophiles redécouvriront sous un angle original et avec une grande émotion Pierre Cochereau et son œuvre.

 

Édith Weber.

 

 

Riccardo MUTI. Prima la musica !Mémoires. 1 vol. Editions de l’Archipel. 2014, 240 p, 21€. www.editionsarchipel.com.

 

Une biographie du grand maestro italien qui ravira tous ses nombreux admirateurs. Musicien et chef d’orchestre hors normes, né en 1941 à Naples, violoniste à huit ans, pianiste émérite, successivement chef du Mai musical florentin, du Philharmonia Orchestra, de l’Orchestre Symphonique de Philadelphie, de la Scala de Milan pendant presque vingt ans, et depuis 2010 de l’Orchestre de Chicago. Une carrière brillante et exemplaire. Force est pourtant de reconnaitre que le maestro italien dirige mieux qu’il n’écrit…Le propos, ici, est assez décevant au plan musical, réduit à une série d’anecdotes d’un monde désormais révolu, constamment sous-tendue par une suffisance qui finit par lasser…Lorsque vous sentirez pointer l’ennui, reportez vous au chapitre « Discographie sélective » collationnant un ensemble d’enregistrements dirigés par Riccardo Muti à la tête des plus grandes phalanges de la planète dont nombre d’entre eux sont considérés, aujourd’hui, comme des enregistrements de référence ! Domaine musical exclusif, symphonique ou lyrique, où pour le coup, le maestro est incontestable ! Prima la musica e poi le parole !

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Jean-Nicolas de Surmont (dir.) et Serge Gauthier : M’amie, faites-moi un bouquet. Mélanges posthumes autour de l'œuvre de Conrad Laforte. Presses de l’Université Laval / Éditions Charlevoix, coll. « Les Archives de folklore 30 », 2011, 339 p.

 

Rien de plus charmant que ce titre, « M’amie, faites-moi un bouquet… », fleurant bon le double exotisme d’un temps – en l’occurrence, médiéval – et d’un espace – celui qui défie les frontières continentales. Nulle surprise en cela si l’on considère que ce pénétrant recueil de témoignages et d’analyses constitue l’hommage posthume d’une large communauté musicale et universitaire à Conrad Laforte (1921-2008), fondateur des Archives de folklore en 1944, auteur du premier catalogue international de la chanson de tradition orale et dont les deux ouvrages majeurs restent les Poétiques de la chanson traditionnelle française (1976) et le Catalogue de la chanson folklorique française en six volumes (1977-1987), un chercheur et archiviste fasciné, notamment, par le symbolisme des fleurs dans la chanson médiévale. Sur le terrain incertain qui sépare la tradition orale de la littérature, une vingtaine de spécialistes européens et nord-américains s’applique à découvrir, ou à restituer, les clefs du passage du verbal à l’écrit, soupesant scrupuleusement les rapports historiques ayant déterminé ces deux grandes catégories. Le rôle capital de la tradition est supérieurement mis en lumière dans la genèse complexe renvoyant constamment des écrivains-conteurs aux auteurs de chansons. Une telle démarche épistémologique demandait un contrôle de tous les paramètres de la recherche, d’où la mise en place d’une trame méthodologique fondée sur la recherche de terrain, la mise en forme des résultats et l’exploitation scientifique des archives. En terre française, canadienne ou belge, les répertoires chantés et contés forment ainsi autant de sujets d’analyse comparée aboutissant à la mise en exergue de schémas archétypaux. Je ne saurais, à ce sujet, trop recommander la brillante présentation de Jean-Nicolas de Surmont qui jette de puissantes lumières sur tous les chapitres de ce recueil dont il assure la direction et la cohésion. Aussi est-ce tout naturellement à lui que reviennent les derniers mots : « L’œuvre [de Conrad Laforte] constitue sans aucun doute un joyau d’une incontestable qualité pour l’étude de notre patrimoine traditionnel, de la richesse des variétés du français en Europe et en Amérique française, une entreprise qui surgit au moment de la renaissance du néo-folklore, et des mouvements nationalistes ou indépendantistes que connurent certains territoires (Wallonie, Bretagne, Québec, etc.) ».

 

 

Gérard Denizeau.

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CDs et DVDs

 

Haut

Anniversaire Rameau

Jean-Philippe RAMEAU : L’Œuvre pour clavier. Thérèse Dussaut, piano. 3 CDs DISQUES FY & DU SOLSTICE (www.solstice-music.com) : SOCD 297/9. TT : 3h 56’ 28’’.

L’année 2014 commémore le 250e Anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) et, à cette occasion, les Disques FY & DU SOLSTICE reprennent l’Intégrale de ses Pièces pour clavier, ainsi que des transcriptions réalisées par la pianiste Thérèse Dussaut et gravées sur disque vinyle (pour le Label FY). Il s’agit d’une réédition sur CD d’après les bandes originales. Ce fait mérite d’être souligné, de même que les intentions des éditeurs : « prouver la justesse de la recommandation maintes fois répétée par C. Girdlestone : … la musique pour clavecin de Rameau gagne à être transférée au piano (…) mais je crois qu’il entendait sa musique moins exclusivement avec le timbre du clavecin dans l’oreille. Il l’entendait certes comme musique de clavier, mais il devait la percevoir plus abstraitement que Couperin. » Dans ce cadre, il n’est pas possible de détailler le contenu de ces trois disques interprétés sur plusieurs Pianos Steinway et Bösendorfer. Le coffret comprend, d’une part, des Suites et Nouvelles Suites aux titres particulièrement évocateurs et descriptifs, de même que pour les Pièces en concert et, d’autre part, des arrangements des Fêtes d’Hébé et des Indes galantes réalisés par la pianiste. Il faut savoir gré à François Carbou (prise de son et montage) et au Studio Art et Son (re-mastering) et, évidemment, à Thérèse Dussaut, née en 1939 à Versailles, — disciple de Marguerite Long et de Pierre Sancan —, pianiste et pédagogue avisée, lauréate de nombreux Prix, concertiste de réputation internationale et incomparable interprète de Jean-Philippe Rameau. Ils font ainsi honneur à ce remarquable théoricien et compositeur français : mémoire oblige.

 

Édith Weber.

 

Jean Sébastien BACH :  Toccatas BWV 910-916. Amandine Savary, piano.1CD MUSO (Diffusion : HARMONIA MUNDI www.harmoniamundi.com): MU-007. TT : 68’ 52.

Amandine Savary, la pianiste du célèbre Trio Dali — actuellement en résidence à la Fondation Singer-Polignac à Paris —, vient de réaliser son premier enregistrement avec sept Toccatas pour clavier (BWV 910-916) de J. S. Bach, œuvres isolées, dont 6 étaient restées inédites jusqu’au XIXe siècle ; seule, la Toccata BWV 911 avait été éditée en 1739. Le frère ainé de Jean Sébastien, Johann Christoph, les avait recopiées à l’attention de son fils Johann Andreas. Moins didactiques que celles du Clavier bien tempéré, plus proches des improvisations avec des fragments libres, quelques réminiscences thématiques, elles ont été composées en 1705 — Bach était alors âgé de 20 ans —, et oscillent entre archaïsme et modernisme. À l’exception de deux, elles sont composées en mineur : c’est le cas de la première de cet enregistrement, la Toccata en ut mineur (BWV 911), dans laquelle Amandine Savary brille par son jeu perlé assez legato, sa sobriété, son sens de la construction et de la conduite dynamique. Cette Toccata contraste avec celle en Sol majeur (BWV 916), dynamique, enlevée et tout en mouvement. Dans celle en sol mineur (BWV 915), la conduite de la basse est bien menée. À noter : celle en fa # mineur (BWV 910), tonalité rare, car peu praticable au début du XVIIIe siècle, néanmoins plus développée que les autres. La Toccata en mi mineur (BWV 914) bénéficie d’un jeu égal. Celle en ré mineur  (BWV 913), plus animée puis plus lente, s’impose par son expressivité, ses belles envolées et ses nuances contrastées. Enfin, la Toccata en Ré majeur (BWV 912) n’est pas sans rappeler les attaques du Concerto italien. Presque 69 minutes de découverte d’une œuvre de jeunesse de Bach et d’Amandine Savary, pianiste d’une extraordinaire maturité et d’une remarquable intelligence musicales. À ne pas manquer.

 

Édith Weber.

 

Naji HAKIM :  Violin Works.Agnieszka Marucha, violon, Zenon Brzewski Varsaw String Orchestra. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com) : AP0322. TT : 68’ 49.

Le Label polonais Acte Préalable a eu raison d’éditer — avec le concours de la remarquable violoniste polonaise Agnieszka Marucha et en premier enregistrement mondial — des œuvres pour violon du compositeur Naji Hakim, né à Beyrouth en 1955. L’ancien organiste de la Trinité accompagne, à l’orgue, son Capriccio (2005) ainsi que son Salve Regina (2004) dédié à la violoniste ; et au piano, sa Sonate (2000) pour ces deux instruments. Cette belle réalisation se termine par son Concerto pour violon et orchestre à cordes (2002) en trrois mouvements traditionnels. Le compositeur maronite se souvient de l’antienne Salve Regina ; il la paraphrase en respectant la ligne grégorienne exposée au violon sur un fond d’orgue. Les interprètes confèrent à cette pièce l’indispensable caractère recueilli et calme. Cultivant les formes traditionnelles, Naji Hakim a réalisé un Capriccio pour ces deux instruments : un premier thème vigoureux contraste avec un second reposant sur un accompagnement percussif à l’orgue, puis la réexposition des deux aboutit à une conclusion éclatante faisant appel à la virtuosité violonistique. Sa Fantaisie pour violon s’inspire d’un tableau d’Edvard Munch : « Jeunes sur la plage » baignant dans le calme de la mer ayant suggéré à Naji Hakim une « fantaisie nostalgique » pour le violon, à partir de mélodies danoise et norvégienne. Enfin, selon ses intentions : « les dernières mesures font une citation du motif en ostinato du Prélude à la nuit de Maurice Ravel », hommage au pays d’accueil du musicien libanais. Autre hommage à la France : sa Sonate pour violon et piano dont l’Allegro vivace est construit sur le Branle de l’official de Thoinot Arbeau. L’œuvre repose sur des variations thématiques de forme lied avec coda. « Le mouvement central Andante sostenuto développe un chant tendre et mélancolique accompagné au piano par des grappes harmoniques denses articulées en rythme amphibraque. » Au centre, il paraphrase le Noël bien connu : Mon beau sapin (O Tannenbaum) servant de motif allant du grave à l’aigu, « à la recherche d’une ouverture vers l’éternel, annonçant le dernier vers du thème principal du Finale : Ich bin im Himmel schon » (Je suis déjà au ciel). L’œuvre se termine aux accents d’un rondeau-sonate à variations évoquant à nouveau le caractère rythmique et joyeux du premier mouvement ; le thème principal provient d’une chanson alsacienne Uff em Berjel, bin ich g’sässe (Je suis assis sur une montagne). Une danse campagnarde de Claude Gervaise est également citée dans cette Sonate particulièrement originale. Son Concerto pour violon et orchestre à cordes, plus développé, à partir d’une structure classique : Allegro vivace – Moderato – Allegro con moto, est « conçu comme un ballet imaginaire en trois actes : Joie rayonnante, Béatitude et Feu flamboyant » : atmosphères que le Zenon Brzewski Warsaw String Orchestra rend à merveille. Voici une forte intéressante illustration de l’apport de Naji Hakim au répertoire violonistique, de ses attaches avec la musique catholique, la musique française et des chansons d’origine alsacienne, émanant d’un organiste et compositeur de renom international. À retenir.

 

 

Édith Weber.

 

Wolfgang Amadé MOZART : L’Œuvre d’orgue. Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun, orgue. 1CD MONTHABOR : S 542886. TT : 66’ 43.

W. A. Mozart a composé peu d’œuvres pour orgue, sinon pour orgue mécanique, mais il s’est intéressé à l’instrument, par exemple à ceux de la Chapelle Royale de Versailles, du Temple Neuf et de Saint-Thomas, à Strasbourg. Toutefois, Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun se sont associés à l’Orgue Yves Fossaert de l’Église Saint-Sévère de Bourron-Marlotte, pour jouer sa Sonate en Ut majeur (K 19d) à quatre mains pour piano, composée en 1765 à l’âge de 9 ans, à Londres. Dans cette œuvre de jeunesse annonçant déjà ses talents mélodiques, structurée en 3 mouvements : Allegro-Menuetto-Rondo (Allegretto), les deux musiciens font preuve d’équilibre. Sa Sonate en Ré majeur (K 123a) comporte également 3 mouvements : Allegro-Andante-Allegro molto interprétés par les deux organistes faisant alterner énergie, style bien enlevé et décidé, par exemple dans le dernier mouvement de celle en Ré majeur. Ils interprètent également la Fugue en sol mineur (K 375) et deux Fantaisies en fa mineur. Pour sa part, Marie-Ange Leurent a retenu l’Adagio en Ut majeur (K 356), (initialement prévu pour harmonica de verre), avec une registration éthérée, notamment des sons flûtés ; Éric Lebrun, l’Andante en Fa majeur (K 616), tout en transparence, avec une envolée mélodique typiquement mozartienne. À noter également, deux arrangements extraits de La Flûte enchantée (K 620) : Choral et Ouverture, un peu surprenants.Ce disque « de curiosité mozartienne » permettra d’apprécier les possibilités d’un Orgue rarement enregistré.

 

Édith Weber.

 

« Récital à la Cathédrale Saint-Étienne de Toul ». Pascal Vigneron, orgue. 1CD AEMC2/QUANTUM (62, rue Dulong, 75017 PARIS) : QM7063. TT : 54’ 56.

Pascal Vigneron, né en 1963 — à la fois trompettiste, organiste, chef d’orchestre, musicologue et excellent pédagogue — maîtrise aussi parfaitement les techniques numériques audio et vidéo. Aux Grandes Orgues (1963) de la Cathédrale St-Étienne de Toul, instrument à 4 claviers du facteur strasbourgeois Curt Schwenkedel, il propose un programme éclectique à travers les siècles, allant d’Eustache du Caurroy (1549-1609) à Jean Giroud (1910-1997), en passant par les incontournables J. S. Bach, J. Brahms et Ch. Tournemire. Il fait également découvrir le Livre du 3e Ton de Jean-Baptiste Nôtre (1732-1807), né à Toul, ville au riche passé musical, accueillant de nombreux musiciens de passage ; son Livre d’orgue est « le seul témoignage permettant de restituer précisément la musique qui résonnait alors [XVIIIe siècle] sous les voûtes de la Cathédrale », mettant en valeur les différents registres, par exemple : Plein jeu, Cornet, Grand jeu... Parmi les grandes formes traitées, figurent la Fantaisie d’E. Du Caurroy sur l’hymne grégorienne Conditor alme siderum ; le Grand Dialogue en Ut majeur de Louis Marchand (1669-1732) à la charnière entre les XVIIe et XVIIIe siècles, page de virtuosité aux accents majestueux ; le Prélude et Fugue en mi mineur (BWV 533) de J. S. Bach, bien enlevé ; l’Introduction et Menuet gothique de Léon (et non Louis…) Boëllmann (1862-1897), rondement menés ; la Toccata pour l’Élévation (1951) s’élevant des profondeurs, de Jean Giroud. La technique du cantus firmus est pratiquée notamment par Samuel Scheidt (1587-1654) et J. S. Bach, puis, dans la mouvance luthérienne et romantique, par J. Brahms : Herzliebster Jesu,was hast du verbrochen ? (op. 122, extrait des 11 Préludes de choral), sur la mélodie de J. Crüger, de caractère douloureux. Dans la mouvance du Cécilianisme, le Choral alléluiatique n°2 du XVIIe Dimanche composé par Charles Tournemire (1870-1939) pose un lumineux point d’orgue sur ce beau Récital donné par Pascal Vigneron à la Cathédrale de Toul, en hommage au facteur strasbourgeois Curt Schwenkedel.

Édith Weber.

 

Mel BONIS :  « Soir et matin ».  Fabienne Sulser, flûte, Matthias Walpen, violoncelle,  Anne-Marie Aellen, piano. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1417. TT : 63’ 56

Mel (Mélanie) Bonis (1858-1937) a été une excellente élève en piano ; en 1876, César Franck l’a admise au Conservatoire, à côté de Gabriel Pierné. Elle a suivi des cours d’harmonie, d’accompagnement au piano, de composition et de chant jusqu’à la fin de 1881. Malgré les événements dramatiques dans sa vie, elle a composé quelques 60 pièces de piano, des recueils didactiques, des œuvres pour chant, pour orgue et musique de chambre. Le présent enregistrement, sous-titré : « Musique impressionniste romantique », propose, en fait, l’Intégrale de son œuvre pour flûte et piano et quelques Trios pour flûte, violoncelle et piano, avec le concours de Fabienne Sulser (flûte), Matthias Walpen (violoncelle) et Anne-Marie Aellen (piano). Dans son œuvre posthume : Air vaudois (op. 108), aux accents lumineux sur un thème léger, page pour flûte et piano toute en transparence, elle rend hommage à la Suisse. Sa Suite orientale pour flûte, violoncelle et piano (op.48), en  3 mouvements : Prélude langoureux, s’élevant des profondeurs du violoncelle – Danse d’Almées, légère et bien enlevée en virtuosité – Ronde de Nuit, plus développée, avec des effets impressionnistes alla Debussy. Sa Sonate en do dièse mineur (op. 64), en 4 parties : Andante con moto, quelque peu rêveur à la flûte soutenue par des traits au piano ; Vivace (scherzo) faisant appel à la virtuosité ; Adagio (plus développé), de caractère chantant et élégiaque ; enfin, Moderato, un tantinet nostalgique. Cet excellent trio interprète encore une pièce évocatrice : Soir et Matin (op. 76), mélange de romantisme et d’impressionnisme. Une compositrice à découvrir.

Édith Weber.

 

« RÉSURRECTION » : Chants liturgiques orthodoxes. Chœur Saint-Siméon, dir. Nana Peradze. 1CD JADE (www.jade-music.net) : 699 819-2. TT : 37’ 53.

Nana Peradze, soprano, protopsalte, chef de chœur et spécialiste de musique orthodoxe, née en Géorgie, après avoir suivi des cours de piano, de chant et de théologie, a enseigné dans plusieurs écoles religieuses et été chef de chœur dans son pays. En 1999, au CNSMP, elle a étudié la direction chorale ; depuis 2001, elle dirige le Chœur Saint-Siméon à la Cathédrale Orthodoxe Serbe Saint-Sava de Paris et également l’Ensemble Harmonie Géorgienne. À juste titre et à de nombreuses reprises, elle a retenu l’attention des Éditions JADE. Pour son nouveau CD consacré au chant liturgique orthodoxe, elle a regroupé 19 pièces variées à 4 voix (Soprano, Alto, Ténor, Basse) chantées a cappella et qui, d’entrée de jeu, s’imposent par leur caractère sobre, mesuré et équilibré, évitant tout épanchement excessif. Son programme illustre plusieurs traditions : la tradition byzantine, rappelant les liens étroits avec l’Église grecque et le Mont Athos, c’est le cas de la mélodie Terirem — refrain de Psaume chanté au commencement des Vêpres — ; les tons serbes, avec une facture mélodique typique (secondes augmentées) ; le style obikhod russe (avec parallélisme de tierce entre deux voix porteuses de la mélodie), notamment dans l’Hymne des Chérubins… sans oublier les compositions de S. Mokranjac (dont le Trisagion — c’est-à-dire chant « trois fois saint » en l’honneur de la Trinité, avec la Doxologie) et de K. Stankovic (Venez, adorons et prosternons-nous, Tropaire pascal et Procession pascale). Plusieurs langues sont présentes : slavone, serbe, française (pratiquée, à Paris, par le clergé et les membres du chœur). Conformément à la tradition orthodoxe : « la mélodie doit être au service du texte, et non l’inverse », l’excellent chef et ses choristes motivés, tout en respectant les diverses traditions, invitent à la prière, au calme et à la plénitude.

Édith Weber.

 

JÉRUSALEM. Les Lamentations de Jérémie. Hervé Lamy, ténor. 1CD JADE (www.jade-music.net ) : CD 699 800-2. TT : 66’ 49.

Le texte biblique des Lamentations de Jérémie bien connu a souvent été mis en musique. Cette réalisation du ténor Hervé Lamy concerne donc les 3 Lamentations pour chacun des 3 jours du Triduum pascal : Jeudi, Vendredi et Samedi Saints. Le regretté Jean-Yves Hameline rappelle « sa beauté tragique, son caractère dramatique [qui] en font un corpus musical dont l’universalité est impressionnante… En chœur ou en solo, le ténor Hervé Lamy contribue depuis plusieurs années à une évolution significative de la conception esthétique associée au grégorien, en rompant avec le style monotone des XIXe et XXe siècles, pour s’engager dans une interprétation plus timbrée, ornée, virile… ». C’est aussi le cas de son remarquable disque : Le Livre d’Heures de Charlemagne. Le texte des Lamentations provient du Deuxième Livre des Chroniques (chapitre 35, verset 25) et concerne une tradition bimillénaire, d’abord juive, puis chrétienne ; leurs chants sont très dramatiques, voire pathétiques, car ils évoquent les malheurs de la Ville de Jérusalem. Les Lamentations suivent les lettres de l’alphabet hébraïque et se terminent par l’injonction : Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum. Dans celles pour le Jeudi Saint, le peuple juif se lamente sur le sort de Jérusalem qui se trouve soumise, qui pleure, dont les portes sont en ruine, dont les enfants ont été emmenés en captivité. L’Offertoire reprend les paroles du Psaume 136, Super flumina Babylonis, et la première Lamentation se termine sur la question mélancolique : Comment chanterions-nous un cantique du Seigneur sur une terre étrangère ? Les autres, pour les Vendredi et Samedi Saints, évoquent plus particulièrement : Jerusalem quae aedificatur(Communion) ; Jerusalem surge(Communion). Après les pleurs : la joie, dans l’Introït Laetare Jerusalem(Jérusalem, réjouis-toi) et l’hymne conclusive Urbs Jerusalem avec sa vision de paix. L’ensemble se termine sur la Doxologie dans une atmosphère de louange. Grâce à sa diction et à sa prononciation latines remarquables, sa musicalité et sa grande sensibilité, Hervé Lamy a le mérite d’avoir sorti le répertoire grégorien de sa monotonie typique du XIXe siècle et de le rendre ainsi accessible et si vivant.

 

Édith Weber.

 

« Le Livre d’heures de Charlemagne ». Chant grégorien. Hervé Lamy, ténor. Chœur Grégorien de Paris et des Petits Chanteurs de Sainte-Croix de Neuilly. 1CD JADE (www.jade-music.net ) : CD 699 820-2. TT : 58’ 29.

Cette réalisation commémorant le 1200e Anniversaire de la mort de Charlemagne propose un programme exceptionnel avec, entre autres, les célèbres Acclamations carolingiennes chantées lors des sacres des Rois, selon l’ancienne tradition franque. Il est réalisé par le Ténor Hervé Lamy, Diapason d’Or, pour son CD Christus Rex, avec quelques interventions du Chœur Grégorien de Paris et des Petits Chanteurs de Sainte-Croix de Neuilly. L’apport de Charlemagne à l’éducation dans son vaste Empire est considérable. Il a bénéficié notamment du soutien d’Alcuin, son conseiller qui a largement contribué à la renaissance carolingienne (VIIIe-IXe siècles) et au rayonnement de l’Académie palatine. Son action en faveur de la musique et son intérêt pour le chant grégorien sont bien connus : ne s’est-il pas, dans une admonitio, écrié : « Revertimini vos ad fontem sancti Greogrii quia manifeste corrupisti cantum » (Revenez à la source de Saint Grégoire, car vous avez manifestement corrompu le chant [grégorien]). Il y voyait une possibilité d’unifier par le chant les peuples de son vaste Empire. Les 22 numéros de ce CD illustrent différents aspects de Carolus Magnus (Karl der Grosse) : conquérant, bâtisseur, éducateur, roi, oint du Seigneur et prêtre. En fin connaisseur, Hervé Lamy introduit le disque par l’Introïtus Ecce advenit (Voici, le Seigneur souverain vient, il tient dans sa main la royauté, la puissance et l’empire). Cette pièce est suivie de la Lamentation du Prophète Jérémie commençant par les différentes lettres de l’alphabet hébraïque, chantée tout en souplesse. L’Alleluia (Laetatus sum) comporte de nombreuses vocalises. Le chanteur illustre différentes formes grégoriennes : graduale (Laetatus sum, Unam petii, Ecce quam bonum…) ; antiphona (Ubi caritas, Juravit Dominus avec le Psaume 109 Dixit Dominus) ; communio (Posuisti, Dilexisti) ; tractus (Desiderium). Parmi les pièces plus longues figurent la Lamentatio Jeremiae  Prophetae et, pour le sacre, les Laudes Regiae connues sous le titre Acclamations carolingiennes : Christus vincit ! Christus regnat ! Christus imperat !... de caractère insistant, affirmatif, avec une allusion au Pape Léon III, Pape de 795 à 816, qui a rassemblé les peuples par son enseignement et sa charité ; des invocations adressées à Saint Pierre, Saint Paul et au Christ, sans oublier l’Archevêque Hincmar, Saint Charles, ou encore les magistrats. L’ensemble se termine par l’acclamation : Christus vincit !... et avec un souhait de paix et de prospérité. La conception du disque est un modèle du genre, tant par le contenu que par le texte d’accompagnement (Hervé Lamy) et la remarquable recherche iconographique, rendant ainsi hommage à Charlemagne et à son rayonnement. Cette réalisation s’impose par son mysticisme, sa discrétion et ses effets de voix appropriés au répertoire. Enfin : une interprétation du chant grégorien « revenant à la source » : ad fontem, très présente et digne de ce nom ; Charlemagne ne l’aurait sans doute pas désavouée.

Édith Weber.

 

Maurice EMMANUEL : Salamine. Tragédie lyrique en trois actes. Livret de Théodore Reinach. Flore Wend, Bernard Demigny, Jean Giraudeau, Joseph Peyron, André Veissières, Lucien  Lovano. Orchestre et Chœurs de la RTF, dir. Tony Aubin. 1CD Disque FY & du SOLSTICE (www.solstice-music.com) : SOCD 301. Enregistrement : 3/1958. TT : 71’ 49.

Maurice Emmanuel (1862-1938) et Théodore Reinach (1860-1928) étaient très férus de tragédie et de musique grecques. Pendant l’Entre-deux-guerres, ce dernier a réalisé une nouvelle traduction (française et versifiée) de Salamine d’après Les Perses d’Eschyle. Ce disque en Première mondiale (2014) évoque les épisodes tragiques de la bataille entre Perses et Grecs. Les DISQUES FY & DU SOLSTICE ont repris une archive INA (enregistrement réalisé à Paris, le 22 mars 1958, mise en ondes musicales : Lucien Duchemin) ; les discophiles seront ravis de retrouver les sonorités de l’Orchestre et des Chœurs de la RTF (chef des chœurs : René Alix) ainsi que les voix si familières de Flore Wend (soprano, la Reine Atossa), Bernard Demigny (baryton-basse, le Messager), Jean Giraudeau (ténor, Xerxès), Joseph Peyron (ténor, un Dignitaire de la Cour), André Vessières (basse, l’Ombre de Darius), Lucien Lovano (baryton, le Coryphée), tous placés sous la direction de Tony Aubin. Comme le rappelle Yvette Carbou (direction de la production) : « 85 ans après sa création à l’Opéra de Paris (1929), cette œuvre est pour la première fois portée au disque ». La Tragédie lyrique Salamine est structurée en 3 Actes : le premier se situe devant le Palais, le deuxième devant le tombeau de Darius et le troisième sur « Une place entourée de cyprès. À l’horizon : des montagnes neigeuses ; éclairage crépusculaire ». Les récits sont complétés par le Chœur (avec interventions de solistes). Les protagonistes sont l’indispensable Coryphée, la Reine Atossa, le Messager, un Dignitaire de la Cour, l’ombre de Darius, Xerxès (qui, désespéré, évoque sa mort et se lamente sur son sort funeste : ...Las, hélas ! Hélas ! et, pour conclure : deux voix féminines ajoutent : Ah !)… En fin théoricien de la musique grecque, Maurice Emmanuel fait appel, entre autres, aux modes grecs anciens. La présentation très circonstanciée de Christophe Corbier rappelle qu’il s’agit d’« une œuvre lyrique importante de l’entre-deux-guerres que ressuscite aujourd’hui le disque, une œuvre dans laquelle Emmanuel, de son propre aveu, a voulu exprimer sous une forme moderne “la pensée toujours jeune du viel Eschyle“. »  L’ensemble s’impose à la fois par son énergie, son rythme, sa couleur locale, son modernisme relatif pour l’époque, les intonations spécifiques du Coryphée, la diction précise des chanteurs et des interventions percutantes de l’orchestre, sans nuire au caractère lyrique et à l’émotion. Double devoir de mémoire (sujet grec, critères d’interprétation en 1958) oblige : cette première discographique — avec cette remarquable Défense et illustration de la Tragédie grecque telle qu’elle était perçue au début du XXe siècle — a rempli son contrat.

Édith Weber.

 

« Trame d’Opéra ». Extraits de Thaïs, Werther, Roméo et Juliette, Samson et Dalila, Marouf, savetier du Caire, Monsieur de Balzac fait son théâtre, Rodolphe. Pierrette Germain, récitante. Isabelle Aboulker, Nicolas Galperine, piano, Alexis Galperine, violon, Roger Boutry, piano et transcriptions. 1CD MARCAL CLASSICS (marc.lipka@free.fr ) : MA 131201. TT : 67’ 53.

Faisant également appel à un Récitant, à l’instar de la Tragédie grecque, sous le titre : Trame d’Opéra, Pierrette Germain a assumé la direction artistique de ce disque. Elle a conçu un programme comportant des extraits des drames lyriques Thaïs et de Werther (J. Massenet) ; des opéras Roméo et Juliette (Ch. Gounod) Samson et Dalila (C. Saint-Saëns) ; de l’opéra comique Marouf, savetier du Caire (H. Rabaud) ; de la fantaisie lyrique Monsieur de Balzac fait son théâtre d’Isabelle Aboulker, Professeur au CNSM, et du poème lyrique Rodolphe d’André David, Docteur en Médecine et compositeur. Pierrette Germain, historienne de la musique, en tant que Récitante, est associée à un plateau d’interprètes bien connus : Roger Boutry, compositeur, pianiste, chef d’orchestre (piano et transcription) ; Isabelle Aboulker, pianiste ; Alexis Galpérine, violoniste, concertiste, professeur au CNSM et Nicolas Galpérine, pianiste, réalisateur de documentaires musicaux intervenant entre les narrations. La Récitante  introduit les œuvres entrecoupées de passages transcrits pour violon et piano. Pour Thaïs, elle situe ce qui se passait « en ce temps-là », c’est-à-dire au IVe siècle, et suggère le cadre que les auditeurs pourront aisément imaginer. Pour Werther, elle brosse la situation psychologique. Pour Roméo et Juliette, elle résume l’action. Pour Samson et Dalila, elle mentionne la source biblique. Pour Marouf, elle rappelle qu’il doit subir la « colère éternelle » de sa femme… et s’enfuit vers la Cité des Mille et une Nuits. Enfin, pour la fantaisie lyrique Monsieur de Balzac fait son théâtre d’I. Aboulker, elle relate l’action, agrémentée d’interventions instrumentales qui créent l’atmosphère ; et pour Rodolphe, poème lyrique du Docteur en Médecine et compositeur André David (1922-2007) sur le livret de Jacques Grasswill (créé au Festival Coréales Niort 2002), Pierrette Germain-David résume l’argument historique à propos du mariage d’Isabelle (âgée de 15 ans, fille d’Aymar de Tailleferre, Comte d’Angoulême) avec Hugues Lenoir, Comte de Lusignan. Une belle envolée lyrique au violon (Alexis Galpérine) est soutenue discrètement au piano. À cause de l’intervention du Roi, la situation devient dramatique pour Isabelle et Rodolphe de Moléon, épris d’elle, qui y perdra la vue. Finalement, les deux amants seront unis. André David a le don de mettre en valeur les possibilités techniques du violon et les qualités évocatrices du piano. Le sujet médiéval rejoint l’esthétique du XXe siècle, entre classicisme et modernisme. Une réalisation intéressante et originale.

Édith Weber.

 

Georg Friedrich HAENDEL : Tamerlano. Opéra en trois actes. Livret de Francesco Haym. Xavier Sabata, Max Emanuel Cencic, John Mark Ainsley, Karina Gauvin, Ruxandra Donose, Pavel Kudinov. Il Pomo d'Oro, dir. Riccardo Minasi. 3CDS Naïve : V 5373. TT.: 62'49+61'48+68'35.

Créé à Londres, en 1724, peu après Giulio Cesare, l'opéra Tamerlano met en scène la rivalité entre les deux ennemis jurés que sont le chef de guerre ouzbek Tamerlan et le sultan ottoman Bajazet, fait prisonnier par le premier. Les joutes sont avivées par des déboires amoureux qui amènent leur lot d'amères déceptions, d'ambitions contrariées et de ruses diaboliques. L'opéra s'achève par le pardon improbable de Tamerlan après le suicide de Bajazet. Le livret de Francesco Haym est emprunté à la tragédie d'un auteur dramatique français Jacques Bardon, « Tamerlan, ou la mort de Bajazet ».  A noter que ce dernier n'a rien à voir avec la figure peinte par Racine dans sa tragédie éponyme. Le drame est serré, peignant des individualités fortes. La construction en récitatifs et arias laisse place aussi à des ariettas, à un duo et un trio vocal. On y trouve une des scène les plus originales de la dramaturgie heandélienne, la mort de Bajazet, bâtie sur une suite de récitatifs et d'arias enchaînés, exprimant toutes les nuances de la passion. La musique est d'un raffinement extrême, nourrissant une inventivité mélodique qui semble inépuisable, et partageant un ton mélancolique coutumier chez Haendel. La présente interprétation aligne deux contre-ténors de grande classe, au timbre bien différencié, comme l'avaient sans doute été les fameux castrats de la création londonienne, Senesino et Pacini, aux côtés du ténor Borosoni qui tenait le rôle de Bajazet. Xavier Sabata, timbre de haute contre plutôt grave, est un Tamerlano véhément, n'hésitant pas à souligner le trait rageur. Max Emanuel Cencic, plus soprano, distille la virtuosité associée au personnage d'Andronico, amant passionné. Le ténor John Mark Ainsley, dont on sait l'engagement qu'il apporte à ses interprétations, pas seulement baroque - comme dans La Maison des morts de Janacek, sous la direction de Boulez - campe un Bajazet grandiose, la voix étant immédiatement plus sombre comparée aux deux autres. Déjouant les difficultés du rôle d'Astérie, Karian Gauvin en restitue la formidable intensité. Cette version doit beaucoup à la direction de Riccardo Minasi de par sa grande musicalité, son sens de l'équilibre et sa faconde sonore, loin de tout excès de brusquerie, même dans les passages « di furore ». Attentif à l'expressivité du chant, Minasi favorise des récitatifs vivants, voire expansifs, ou d'un tragique soutenu (les échanges volontiers aigres doux entre Tamerlan et Bajazet au II ème acte). Le geste est ample et les accentuations savamment dosées. La progression dramatique suit une courbe ascendante pour culminer au dernier acte. L'ensemble Il Pomo d'Oro, dont les interprétations de concertos pour violon de Vivaldi chez le même éditeur ont montré à quelle classe d'instrumentistes on avait affaire, forgent une sonorité ronde et toujours flatteuse. Les cordes, en particulier, sont d'une remarquable expressivité, ce que renforce une prise de son d'une extrême clarté.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Gioacchino ROSSINI : Le Comte Ory. Opéra en deux actes. Livret d'Eugène Scribe et Charles Delestre-Poirson. Cecilia Bartoli, Javier Camarena, Rebeca Olvera, Liliana Nikiteanu, Ugo Guagliardo, Oliver Widmer, Teresa Sedlmair, Jan Rusko, Patrick Vogel. Zürich Opera Chorus. Orchestra La Scintilla, dir. Muhai Tang. Mise en scène : Moshe Leiser & Patrice Caurier. Production de l'Opernhaus Zürich/2012. 1DVD Universal Decca. : 074 3467. TT.: 142'.

Cette captation de la production de l'Opernhaus de Zürich en restitue les atouts et les excès. Au titre des premiers, il faut louer un volet musical de haut niveau. Plus inspirée pour cette reprise de 2012 que lors des premières représentations de 2011, la direction de Muhai Tang livre de la partition hybride de Rossini une vision enjouée, piquante, d'une indéniable vitalité. Le recours aux instruments anciens ajoute une saveur supplémentaire, un vrai degré de raffinement et une couleur intéressante. Emmenée par Cecilia Bartoli, en belle forme, même si contrainte de minauder par la régie, le cast offre un vrai « tenore di grazia », Javier Camarena, comte Ory à l'abattage certain, et un amusant Rimbaud, Oliver Widmer. Dommage que le page Isolier soit en retrait vocalement et même scéniquement. Il faut dire que la mise en scène du tandem Moshe Leiser & Patrice Caurier joue la carte du débridé gaulois et souligne le trait à l'envi, l'agrémentant d'allusions historiques (portrait du jeune de Gaulle) et de références religieuses (croix latine) plus ou moins arbitraires. Le premier degré de la décoration, un village « bien de chez nous », dont le terrain vague au premier plan permet d'accueillir la caravane de l'ermite, est un faire valoir pour un empilement des gags. Il en va de même du vaste salon du château de la comtesse Adèle, où rien ne manque des accessoires d'un luxe ostentatoire. Une prise de vues tout sauf discrète détaille tout cela sans vergogne. Les pitreries lubriques dudit ermite, revu façon mi-mage mi-curé plus que débonnaire en font un obsédé sexuel. Métamorphosé en nonne à l'acte suivant, le comte Ory sera plus désopilant. Mais le risque de caricature n'est pas toujours contourné, et dans le flot burlesque, plus d'une page intéressante en perd de sa substance. Ainsi du trio nocturne qui vire à la franche pantalonnade et donne même un goût d'inachevé. Reste que le traitement des ensembles chorals est souvent réussi, villageois entourant le mage au Ier acte, rassemblement effrayé des dames apeurées par l'orage au second. Au final, une parodie du charme français, dont pourtant l'œuvre peut se réclamer, et un humour plus grivois que pétillant. Décidément, comme constaté récemment dans une autre production lyonnaise, cette pièce n'est pas si aisée qu'on le pense à porter à la scène, et un cast de prestige n'y suffit pas.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Franz SCHUBERT : « Wanderers Nachtlied ». Lieder vol 8. Matthias Goerne, baryton. Helmut Deutsch, Eric Schneider, piano.2CDs Harmonia Mundi : HMC 902109.10. TT. : 68'34+61'34.

Pour ce nouveau volume de ce qui semble prendre les contours d'une intégrale des Lieder de Schubert, Matthias Goerne a choisi une thématique centrée sur le voyage, empruntée à l'un des Lieder chantés, « Le chant nocturne du voyageur », D 768, et  combien au cœur même de l'univers schubertien. L'assemblage des pièces, connues ou plus rarement jouées, est judicieux, achevant une parfaite symbiose de la poésie et du chant. Cette poésie qui a pour nom Goethe, mais aussi Klopstock, Ruckert, Mayrhofer, Seidl ou Matthisson. Cette musique de piano, qui loin de s'en tenir à un simple accompagnement, vit sa propre voie. Sous la plus suave des inspirations, se cachent tant de climats : la douleur, la désespérance abyssale, qui souvent n'est pas loin du renoncement et même de l'apaisement, les épanchements de l'âme, évoqués dans des paysages choisis. L'errance rejoint d'autres thèmes associés dans la psyché romantique, le bonheur passé, la fuite du temps, l'interrogation sur l'existence. Au fil de ces mélodies, Goerne n'a pas son pareil pour distiller des états d'une ineffable douceur ou d'une inquiétante veine mortifère. De plus en plus s'impose un constat, en forme d'évidence : la manière souveraine du chanteur en fait le digne successeur de Dietrich Fischer-Dieskau, par l'intériorité de la manière et cette empathie avec le texte. L'épanchement est mesuré, adossé à une extrême sensibilité. La simplicité du verbe, qui refuse la théâtralité, nous emmène au tréfonds, loin de la surface des mots. Il en est aussi de l'art de dessiner un portrait, celui de l'aimée par exemple, et de la manière discrète mais vraie de faire jaillir l'émotion. Tout cela dans une élocution extrêmement contrastée, puisqu'aussi bien comme l'a relevé Fischer-Dieskau, le chant schubertien implique d'user en même temps de la dureté et de la douceur de la voix. Celle-ci se fait proche du murmure pour décrire l'élégiaque, ou affirmative dans le pathétique, ou encore véhémente dans l'extrême tragique. Même lorsqu'elle est lancée à pleine puissance, pour évoquer par exemple la vigueur ou le sentiment de révolte, le ton n'est jamais théâtral. Et surtout, Goerne nous parle une langue dont la consonance ne heurte pas. Au zénith, le timbre a pris des moirures plus sombres, élargissant une palette expressive impressionnante dans sa diversité, du reflet ténorisant au martèlement de la basse. Il s'est entouré de deux pianistes, Eric Schneider et Helmut Deutsch. Compagnons de route, l'un et l'autre dispensent un pianisme pénétrant, en totale affinité avec le chant. La prise de son, dans une perspective de concert, aérée autour du piano, très présente pour ce qui est de la voix, même saisie dans le murmure, comblera les plus exigeants.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johannes BRAHMS : Concerto pour piano et orchestre N° 2, op. 83, en si bémol majeur. Maurizio Pollini, piano. Staatskapelle Dresden, dir. Christian Thielemann. 1CD Universal DG : 479 2384. TT.: 46'58.

Comme il en fut de l'exécution du Premier concerto op. 45 de Brahms (cf. NL de 5/2012), Maurizio Pollini et Christian Thielemann misent pour ce qui est du second op. 83 sur une approche imposante, opulente dans son assise orchestrale, ce que souligne la captation live, d'un formidable impact dans l'entier spectre sonore, basses ronflantes, aigus percutants du clavier. Dans ce morceau plus proche de la symphonie concertante que du concerto virtuose, où le soliste est intimement mêlé à l'orchestre, le latin et l'allemand s'accordent sur les canons imposés par le second, ancrant leur vision dans la grande tradition germanique alliant puissance et chaude sonorité, ponctuée en fin de mouvements d'accords massifs. Ainsi l'allegro initial est-il pris ample illustrant une thématique empreinte de grandeur. La partie de piano s'y inscrit avec une virtuosité presque refrénée, comme prenant son temps. Mais la récapitulation sera grandiose. L'allegro appassionato suivant réserve quelque aspect tumultueux : l'attaque fière du soliste introduit une fluidité bienvenue qui avec Pollini ne cherche point à enjoliver comme chez certains de ses collègues, entraînant l'orchestre avec lui, cette fois, dans une course haletante. Le passage trio, au milieu de ce qui appartient à la forme du scherzo, se déploie sur un motif bien rythmé. L'andante, immortalisé par son solo de violoncelle, fait montre de simplicité expressive. L'entrée du piano, sur la pointe des pieds, ne préjuge pas de la force dramatique de ce qui va suivre : un soliloque profondément pensé du soliste, le contour mélodique des clarinettes magiques de la Staatskapelle de Dresde décuplant le retentissement poétique de cette séquence. Le finale grazioso retrouve la grande manière, sans pour autant mésestimer l'esprit raffiné, le piano caracolant joyeusement, tandis qu'une pointe de mélancolie surgit soudain. La péroraison, en fanfare, preste et engagée, est flamboyante. Cette approche diffère sensiblement de celle précédemment adoptée dans l'enregistrement que Pollini réalisa naguère avec Claudio Abbado. Encore qu'à plus de 70 ans, le virtuose italien n'ait rien perdu de son acuité dans les traits fulgurants et la formidable précision des trilles.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Antonin DVOŘÁK : Concerto pour violon et orchestre en la mineur op. 53. Romance pour violon et orchestre en fa mineur op. 11. Mazurek pour violon et orchestre en mi mineur, op. 49. Humoresque en sol bémol majeur op. 101 n°7 (arr. Fritz Kreisler). Anne-Sophie Mutter, violon, Ayami Ikeba, piano. Berliner Philharmoniker, dir. Manfred Honeck. 1CD Universal DG : 479 1060. TT.: 55'45.

Il n'est pas si loin le temps où le Concerto de violon de Dvořák restait confidentiel au concert comme au disque. Il n'offre, certes, pas le panache du son alter ego écrit pour le violoncelle, mais affirme une veine populaire savamment dosée. Conçu en 1879/1880 pour le grand virtuose Joachim, qui ne le créera pas, malgré les modifications apportées à sa demande par le compositeur, il offre une partie violonistique ardue. Anne-Sophie Mutter dit avoir longtemps attendu pour l'enregistrer. Ce le sera en juin 2013, à Berlin, quelques temps après des exécutions en concert. On n'étonnera pas en disant que sa conception est on ne peut plus personnelle, fruit d'intenses réflexions quant au phrasé, aux doigtés, au coloris des timbres. La violoniste cherche le maximum d'expressivité dans l'accentuation des contrastes de dynamique et de tempos. L'écart d'échelle entre forte et pianissimo s'avère étonnamment large et les ralentissements conduisent parfois à presque rompre le continuum mélodique. Ainsi en est-il, au premier mouvement, de la séquence faisant suite à la phrase d'introduction tendue du violon : elle est jouée sotto voce, pour soi pourrait-on dire, comme souvent dans les interprétations récentes de Mutter. Le lyrisme inhérent à la thématique populaire tchèque en acquiert un ton chambriste. L'adagio, enchaîné, prolonge ces caractéristiques, alors que la soliste, dialoguant avec les bois, caresse la phrase dans la plus pure tradition romantique. Muter souligne encore le jeu pianissimo expansif, le violon caracolant doucement. Il se pare d'aigus filés extatiques et des trilles délicatement exécutés. Le finale, bâti sur un furiant, est volubile. La perspective est désormais joyeuse, même si çà et là un épisode de langueur affleure dans le développement, tel le moment magique d'un fugace échange du violon avec la flûte. La soliste bénéficie de l'accompagnement très attentif de Manfred Honeck et les Berliner produisent la plus suave des sonorités. Une interprétation qui peut surprendre, voire déconcerter, mais qui ne saurait laisser indifférent, car au-delà de sa perfection technique, s'en dégage une indéniable ferveur. Fort judicieusement, le concerto est suivi de deux pièces appartenant à la même veine. La Romance op.11 offre un andante sensible, au cours duquel le violon tresse une délicate mélodie sur un thème généreux. Mazurek, op. 49, dans le droit fil des Danses slaves op. 46, est une danse souplement rythmée, là encore d'inspiration populaire.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Anton BRUCKNER : Symphonie N° 9, en ré mineur. Edition Nowak (1951). London Symphony Orchestra, dir. Bernard Haitink. 1 CD LSOlive : LSO0746. TT.: 67'10. 

Voici encore une grande version de la symphonie inachevée d'Anton Bruckner. Celle d'un chef qui fait désormais figure de sage. A l'automne d'une immense carrière, Bernard Haitink repense quelques chefs d'œuvre du répertoire. En l'occurrence les ultimes réflexions confiées à l'orchestre par le compositeur autrichien, vers lequel il n'a jamais cessé de se tourner, et ce depuis les années passées à la tête du  Concertgebouw d'Amsterdam. Conduisant ici le London Symphony Orchestra, sa vision s'est décantée, dépouillée de tout ce qui est finalement superflu, pour offrir une interprétation spacieuse, quoique délaissant tout l'aspect massif que la monumentalité de l'œuvre peut recéler, plus noble que grandiose, assumant le solennel de cette symphonie dédiée au Bon dieu. Elle est habitée d'une égalité d'humeur qui n'est pas froideur, et pourvue d'un sens de l'architecture sonore apte à unir ce qui a priori peut paraître disparate, assemblant en un même jet les divers volets de cette fresque mystique. Le vaste misterioso sonne comme une quête angoissée, offrant des visions effrayantes, presque douloureuses, traversées de moments de calme olympien, car les transitions sont ménagées avec soin. Le martèlement carré, mais pas dur, du célèbre thème du scherzo laisse au contre sujet une certaine légèreté de ton, ce qui en renforce le mordant. Le trio bondit dans ses traits initiaux et Haitink marque un subtil ralentissement pour introduire l'ample coulée mélodique suivante. L'adagio final, spacieux, progresse telle une lame de fond, dégageant une vraie grandeur : l'ampleur de la courbe mélodique est magistrale et le grande climax amené avec une autorité souple, laissant la dissonance comme suspendue. Ce sommet d'intensité où tout l'orchestre hurle une douleur à peine contenue, cuivres à pleine puissance, cordes insistantes, fait penser au tourment des ténèbres, sans doute préexistant à l'apaisement que procure la lumière. Restera à la coda le soin de parachever cet hymne au créateur, dans une atmosphère rassérénée, sinon sereine. Le LSO, en glorieuse forme, démontre sa capacité à dominer ce répertoire, comme d'illustres phalanges germaniques, en beauté sonore et en flexibilité instrumentale. L'enregistrement live, d'une clarté exemplaire, offre une perspective totalement satisfaisante et une belle intégration des divers plans, même dans les passages les plus complexes.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

César FRANCK : Sonate pour violon et piano en la majeur. Louis VIERNE  : Sonate pour violon et piano en sol mineur op. 23. Vadim Tchijik, violon, Pascal Mantin, piano. 1 CD Polymnie : . TT.: 59'54.

Ce disque met en parallèle deux pièces représentatives du lyrisme français en musique de chambre au tournant des XIX ème et XX ème siècles. On connait les sortilèges envoûtants de la Sonate de Franck (1886), sa forme cyclique, sa profusion thématique, son écriture favorisant un dialogue à parité entre les deux partenaires. La Sonate de Louis Vierne (1870-1937) sera une découverte. Dédiée à Eugène Ysaÿe, comme l'avait été celle de son illustre maître, elle a été composée entre 1905 et 1907, alors que le musicien traversait une des rares périodes heureuses d'une existence grandement marquée par les aléas de la vie. Pour Bernard Gavoty, un de ses principaux biographes, sa musique est la jonction entre celles de Franck et de Fauré, « moins extatique que le premier, moins pure que le second, plus lyrique que l'un et l'autre ». L'héritage franckiste, on le trouve dans la forme cyclique, l'abondance des thèmes et le souci de l'architecture. Structurée en quatre mouvements, elle débute par un « allegretto risoluto » haletant, presque cravaché, un fugace deuxième thème lyrique ne parvenant pas à dévier le cours d'une trajectoire tendue. Le piano introduit solo l'« andante sostenuto », dans lequel le violon va inscrire sa démarche d'un lyrisme plein, où l'on retrouve cette alliance de « charme et force » que soulignait Ysaÿe. Un bref « quasi vivace» forme un intermède enjoué, mais insistant, débouchant sur une péroraison aisée. Le finale, de vastes proportions, fera se succéder un « largamente » (largement) déclamatoire, frôlant les contrées ascétiques du dernier Fauré, et un « allegro agitato » où réapparait l'élan du premier mouvement. La dette franckiste est ici on ne peut plus revendiquée avec un accompagnement fourni au piano sur une ligne dégagée du violon. Une montée graduelle fébrile, en vagues successives de plus en plus pressantes, conduit à une fin en apothéose. Les deux œuvres bénéficient d'une interprétation inspirée, équilibrée et élégante, quoique peu flattée par une prise de son très sèche, saisissant le violon de trop près.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Gabriel FAURE : Mélodies pour voix et piano. La Bonne chanson op. 61, pour voix, quatuor à cordes et piano. Maurice RAVEL : Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, pour voix, deux flûtes, deux clarinettes, quatuor à cordes et piano. Chansons madécasses op. 78 pour voix, flûte, violoncelle et piano. Barbara Hendricks, soprano. Swedish chamber ensemble. Love Dervinger, piano. 1 CD Arte Verum : ARV-012. TT.: 66'57.

Barbara Hendricks se consacre depuis quelques années au récital sous ses diverses formes, lied, chanson espagnole, spiritual, et maintenant mélodie française. Ces enregistrements, qui datent pour l'essentiel de 2009, et s'agissant du bouquet de pièces isolées de Fauré, de 2013, montrent l'état d'une voix qui a passé ses glorieuses années, la contraignant à user d'un peu trop de puissance dans certaines pièces (« Clair de lune », « En sourdine »). Et à être confrontée à des problèmes d'intonation, comme dans « Spleen ». Elle n'est pas aidée par l'accompagnement froid et sans grandes nuances de Love Dervinger. La diction est pourtant d'une indéniable facture. Elle lui a été enseignée dans ses jeunes années, nous dit-elle, par Madeleine Milhaud, l'épouse du grand compositeur. C'est la cantatrice Jennie Tourel qui l'avait initiée à ce répertoire, avec lequel elle dit se sentir en intimité. Le cycle de La Bonne chanson sur les poèmes de Verlaine (1894) la trouve mieux à l'aise, alors que l'accompagnement du quatuor à cordes à l'appui du piano procure un écrin plus sensible. La facture de mélodie infinie, qui épouse de si près la délicate poésie de Verlaine, comme dans « N'est-ce pas ? », elle la maîtrise avec bonheur. Des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, de Ravel, Barbara Hendricks livre l'intense poésie (« Soupir »), la langueur (« Placet futile »), et le délicieux ésotérisme (« Surgi de la croupe et du bond »). Mais c'est dans les Chansons madécasses, que la chanteuse est à son meilleur : récit voluptueux et calme évocateur de « Nahandove », aux parfums orientalistes, force intérieure de « Aoua ! », les exclamations liminaires introduisant ce qui est un vrai petit drame, enfin langueur de « Il est doux », bercée par la mélopée de la flûte, qui n'est pas sans rappeler celle de Daphnis et Chloé. La simplicité de l'approche est ici un modèle de goût.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Serge RACHMANINOV : Les Cloches, Poème russe op. 35, sur un texte de Konstantin Balmont, d'après « The Bells » d'Edgar Allan Poe. Danses symphoniques, op 45. Luba Orgonášová, soprano, Dmytro Popov, ténor, Mikhail Petrenko, basse. Rundfunkchor Berlin. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon  Rattle. 1CD Warner classics : 9 84518 2. TT.: 71'37.

La symphonie chorale pour trois solistes et chœur mixte, Les Cloches, op. 35, marque la rencontre de Rachmaninov avec l'univers poétique d'Edgar Poe, et illustre la fascination du musicien pour le tintement des cloches. Ses quatre parties dévoilent les âges de la vie : les clochettes d'argent de traineau associées à la naissance et à la jeunesse, les cloches d'or du mariage qui racontent un monde de bonheur, les lourdes cloches d'alarme dont le bronze clame aussi bien le tocsin de l'incendie que les difficultés de la vie adulte, les cloches d'airain qui sonnent l'amère douleur et le glas de la mort. Encore que les ultimes pages se veulent rassurantes, une lueur d'espoir dans un univers plombé, offrant une résolution optimiste. Cette fresque épique, qui convoque un immense orchestre, fait passer du clair obscur à une vision cauchemardesque broyant tout sur son passage, de la bacchanale infernale à un lento lugubre et dépouillé dont émerge la mélopée du cor anglais, reprise par la flûte. Les interventions solistes et chorales ajoutent à la majesté sonore. Les Danses symphoniques op 45, créées en 1941, à Philadelphie, par Eugène Ormandy, offrent le dernier Rachmaninov, moins fidèle à la tonalité. Le « Non allegro » est mécanique, à le manière de Prokofiev, même si un deuxième thème, plus bucolique avec son concertino des bois, rappelle la veine mélodique chère au musicien. L'âme russe est là bien présente, et au-delà du vénéré Tchaïkovski, on pense à Moussorgsky. Un solo de saxophone ne renie pas quelque influence américaine. Le « tempo di valse » rend encore un hommage appuyé à l'auteur de La Dame de pique, sur le mode insinuant, tout de nostalgie, débuté très lent pour ensuite s'emballer. Le finale, avec des relents de cloches, synthétise toute l'expérience créatrice de Rachmaninov, livrant une mosaïque de thèmes et de rythme contrastés, alternant passages nostalgiques et moments d'espoir, la méditation et le sursaut d'énergie, comme dans l'allegro vivace conclusif. Simon Rattle et ses Berliner apportent à ces musiques les atouts de la splendeur sonore et d'une affection qu'on n'attendait pas nécessairement d'eux pour ce répertoire.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Serge RACHMANINOV : Concerto pour piano et orchestre N° 3, op. 30 en ré mineur. Serge PROKOFIEV : Concerto pour piano N° 2, op. 16, en sol mineur. Yuja Wang, piano. Simon Bolívar Symphony Orchestra of Venezuela, dir. Gustavo Dudamel. 1CD Universal DG : 479 1304. TT.: 71'46.

Voici réunis les deux jeunes loups de l'écurie Deutsche Grammophon, la pianiste chinoise Yuja Wang et le chef vénézuélien Gustavo Dudamel. Le CD est aussi le premier enregistrement de concertos effectué par l'Orchestre symphonique Simon Bolivar, phalange de jeunes musiciens issus du fameux Sistema. Dire qu'un vent fougueux souffle sur l'interprétation de ces œuvres emblématiques de la littérature concertante est un euphémisme. Il en émane un enthousiasme difficilement résistible fondé sur des contrastes accentués, car nos deux musiciens savent aussi être sages. Le principal challenge du Troisième Concerto pour piano de Rachmaninov (1909) est de maintenir le cap d'une ligne narrative pas toujours aisée à discerner. C'est la cas en particulier au long premier mouvement. La chose n'est pas pour effrayer Yuja Wang qui en offre une maîtrise complète du débit, d'abord large et presque retenu, pour vite se colorer d'excitation avec des vagues rageuses, notamment lors de la cadence, vraiment imaginative. L'intermezzo adagio est introduit ample et non appuyé par Dudamel et le piano s'y inscrit avec autorité, défendant une manière proche de l'improvisation. La pianiste n'est nullement gênée par le large ambitus imposé, et sa manière s'avère presque aérienne. Le finale alla breve offre une force audacieuse, sans doute décuplée par l'adrénaline du direct, dans un tempo mené à train d'enfer. On admire le jeu pellucide de Wang, un toucher sans dureté. Pareilles qualités distinguent le Deuxième concerto de Prokofiev, écrit en 1912/1913, mais créé en 1924, d'une redoutable complexité. L'atmosphère sombre de l'andantino introduit un thème magistral pour se poursuivre en un allegretto, typique chez Prokofiev d'une  rythmique motoriste. Les « idées abstraites » (Yuja Wang) de la cadence seront ménagées par une main gauche grandiose et une main droite formidablement agile dans le déroulé d'une saisissante guirlande de notes. Au bref scherzo, le piano gambade prestissimo, avec humour, en une sorte de perpetuum mobile. Fait suite un intermezzo aux couleurs plus austères, introduisant un  jeu incisif de la soliste, et très tranché à l'orchestre. L'allegro impetuoso final sera joué à tombeau ouvert, le piano décochant comme des flèches étincelantes. Il y a là une grande machine à broyer, mais qui sait se faire d'une vraie douceur, lors d'un deuxième thème plus urbain. La conclusion est enthousiasmante, vécue comme à grandes enjambées. Plus qu'un « coup », ce CD est une aubaine.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jean-Marie LECLAIR : Six Sonates en trio, œuvre IV. Ensemble Rosasolis. 1CD Musica Ficta : MF8018. TT : 71’32.

Si les sonates en trio nous viennent d’Italie, portées au plus haut par Corelli, l’Ensemble Rosasolis nous donne à entendre dans ce disque celles, non moins fameuses de Jean-Marie Leclair, musicien français à la personnalité contestable mais au talent certain, à la fois danseur et musicien, qui devint symphoniste à la Chapelle Royale en 1733, date à laquelle il composa les Six sonates en trio pour deux violons et basse continue gravées ici. Des sonates qui révèlent les traits les plus saillants du compositeur dans une fusion des styles français et italiens, comme une brillante technique du contrepoint, une intéressante recherche sur les timbres, « des fleurs françaises d’un coloris nouveau dans le jardin classique de Corelli…». Un disque qui ravira tous les amateurs de musique baroque, mêlant plaisir et découverte.

 

Patrice Imbaud.

 

Henry PURCELL : « A Purcell Collection ». Voces 8. Les Inventions, dir. Patrick Ayrton. 1CD Signum Classics : SIGCD375. TT : 70’18.

L’ensemble vocal « Voce 8 » et l’ensemble instrumental « Les Inventions » réunis pour notre plus grand plaisir dans cette invitation au voyage au travers des œuvres du compositeur le plus emblématique d’Angleterre. Une très belle interprétation, de superbes voix, pour un résultat digne d’éloges où tout n’est qu’« ordre et beauté, luxe, calme et volupté »…Avec en prime une belle prise de son, ce qui ne gâche rien ! Un « must » !

 

Patrice Imbaud.

 

BEETHOVEN. String Trio Op. 3 & Serenade Op. 8. Trio Zimmermann. 1 CD BIS-2087. TT : 67’55.

Qualité musicale superlative des interprètes, interprétation magnifique dans l’esprit comme dans les notes, plaisir de jouer ensemble et cohésion parfaite, voici quelques raisons qui feront de ce disque un enregistrement de référence. Frank Peter Zimmermann (violon), Antoine Tamestit (alto) et Christian Poltéra (violoncelle), tous solistes reconnus et aguerris sont regroupés ici autour de deux œuvres de jeunesse, peu connues, de Beethoven, le Trio à cordes  opus 3 (1793) et la Serenade pour trio à cordes opus 8 (1796). L’opus 3, probablement composé à Bonn et refondu à Vienne en 1796, fait allusion au Divertimento K. 563 de Mozart, dont il tire sa tonalité de mi bémol majeur. L’opus 8 affirme, dès son titre, son appartenance à la musique de divertissement. Deux œuvres d’apprentissage fortement influencées par la période classique et notamment par Mozart, mais deux œuvres qui portent en elles, au niveau des rythmes, les ferments qui feront le Beethoven futur. Le Trio Zimmermann parvient à rendre parfaitement cette union de deux mondes, en associant dans son jeu des attaques fermes et volontaires et un cantabile rêveur et intime. Superbe !       .

 

Patrice Imbaud.

 

Johannes BRAHMS. « The Progressive ». Matteo Fossi, piano. 1 CD Hortus : HORTUS 108. TT : 71’47.

Il existe une évidente affinité entre Brahms et le pianiste italien Matteo Fossi. Cela s’entend dès les premières notes de cet enregistrement, par la qualité du jeu pianistique, tout en souplesse, qui parvient à rendre admirablement le clair-obscur brahmsien imprégnant l’ensemble des œuvres présentées ici. Des œuvres qui traversent toute la vie du compositeur. Les Variations sur un thème de Schumann, composées à l’âge de 20 ans, comme un hommage à Clara Schumann, encore toutes imprégnées de la tristesse faisant suite à la tentative de suicide de Robert Schumann, dédiées à « Elle et à Lui », image très romantique du double rappelant le Kreisler de Hoffmann, si cher à Robert. Les Rhapsodies Op. 79, écrites à 46 ans, période centrale de sa vie, où Brahms laisse s’exprimer une certaine inquiétude de l’âme mêlée d’impétuosité, toute en nuances et en contrastes. Les Fantaisies Op. 116 et les Klavierstücke Op. 119 qui concluent ce disque, datent de la même année, 1892, crépuscule de la vie, adieu au piano, toutes entières empreintes d’une assurance tranquille, d’une sérénité, d’une sagesse à l’image de l’aspect physique du compositeur. Elles marquent la maitrise totale de « Brahms le Progressiste » à l’instar de Chopin et de Liszt, dans l’art et la technique du piano. Une expertise, reconnue par Schoenberg, qui ouvrira la voie à ses successeurs, servie ici par une très belle interprétation de Matteo Fossi où le piano sait se faire tantôt confident, baigné de nostalgie, tantôt véhément, capable d’une violence toute orchestrale. Un bel hommage à Brahms rendu par le pianiste italien.

 

Patrice Imbaud.

 

Gustav MAHLER. Symphonies n° 1, n° 2, « Résurrection » et n° 3.Sally Matthews, soprano, Michelle De Yong, Sarah Connoly, mezzo-soprano.  Philharmonia Voices. BBC Chorus. Tiffin Boys' Choir. Philharmonia Orchestra, dir. Lorin Maazel. 5 CDs Signum Classics : SIGCD 351-352-353. TT : 56’57 + 25’23 + 66’30 + 37’46 + 68’28.

Voici le premier coffret d’une série d’enregistrements « live » que Lorin Maazel et le Philharmonia Orchestra ont décidé de consacrer à Gustav Mahler. Un coffret de 5 CDs correspondant aux trois premières symphonies de Mahler, captées en 2011 au London’s Royal Festival Hall. Toute l’œuvre de Gustav Mahler se présente comme un gigantesque patchwork, fait d’éléments juxtaposés dont il n’aura de cesse d’établir le lien en les intégrant dans ses compositions. A partir de deux genres musicaux, aussi diamétralement opposés que le lied et la symphonie, il parviendra à faire un amalgame, notamment dans ses quatre premières symphonies, synthèse qui trouvera son aboutissement dans le « Chant de la Terre », véritable symphonie de lieder. Ces deux genres seront intimement liés dans les compositions de Mahler, malgré leur apparente contradiction. Il en réalisera une fusion novatrice jusqu’alors inconnue. Les lieder seront utilisés comme des réservoirs d’idées poétiques, développés dans les différentes symphonies. Les principales sources d’inspiration  concernant les quatre premières symphonies sont « Les Chants du Compagnon errant » (1ere symphonie) et « Le Cor merveilleux de l’enfant » (2ième, 3ième et 4ième symphonies). Le lied traduit, d’une manière générale, une impression intérieure, qui sera utilisé comme un moment de détente ou de méditation. Les trois premières symphonies, auxquelles on a coutume d’ajouter la quatrième, appartiennent donc à un corpus particulier (Première Trilogie) du compositeur car faisant toutes expressément référence au lied et se construisant autour d’un programme. Elles regroupent les forces de vie pour bâtir un nouveau monde, et sont liées entre elles.  Mais plus que le programme de telle ou telle symphonie, que Mahler supprimera d’ailleurs par la suite, il faut garder en mémoire le programme implicite qui sous-tend toute l’œuvre mahlérienne : « le terme symphonie signifie pour moi : avec tous les moyens techniques à ma disposition, bâtir un nouveau monde ». Retrouver l’ordre à partir du chaos, « ordonner les différents thèmes en un tout cohérent ». Mahler, démiurge, a conscience de l’importance de sa quête, de son rôle dans l’histoire de la musique : « ma deuxième, pourrait-elle cesser d’exister sans perte irréparable pour l’art et pour l’humanité ? ». Réflexion au demeurant surprenante par son assurance, certes, dont il faut bien reconnaitre toutefois la part de vérité, Gustav Mahler ayant une conscience aiguë de son rôle de pionnier dans le domaine symphonique.

 

La Symphonie n° 1, dite « Titan » (1885-1888), purement instrumentale, tire son nom du héros du poète romantique Jean-Paul Richter dont les écrits inspirèrent Mahler, tout comme des éléments autobiographiques et notamment la passion l’unissant à Marion von Weber. Il s’agit d’une composition en quatre mouvements retraçant la vie d’un héros luttant dans un monde pernicieux, faisant preuve d’une grande force intérieure faite d’exaltation, d’imagination et de rêves ; d’où le climat de l’œuvre, à la fois dramatique, ironique et fantastique.  La Symphonie n° 2, dite « Résurrection » (1888-1894) introduit pour la première fois les voix, chœur (BBC Chorus), soprano (Sally Matthews) et mezzo-soprano (Michelle De Young). Elle s’inscrit dans la continuité de la première symphonie puisqu’il s’agit du héros de Titan qu’on enterre pour assister ensuite à sa résurrection. En cinq mouvements, elle débute par la « Totenfeier » contemporaine de la première symphonie, cérémonie funèbre où le héros est porté en terre, se poursuit par un andante idyllique, un scherzo aux accents bohémiens, puis la lumineuse « Urlicht » avant le vaste finale célébrant la Résurrection scandée par le chœur dans le « Grand Appel » concluant majestueusement cet itinéraire de la mort à la vie retrouvée. La Symphonie n° 3 (1895-1896), symphonie de la joie, prolonge la deuxième et annonce la quatrième. Il s’agit d’une œuvre gigantesque, monstrueuse où Mahler nous propose plus qu’un monde mais un univers, voire une nouvelle cosmogonie ! Cette immense partition n’est pas née du souhait délibéré de faire grand, mais d’une formidable poussée créatrice telle qu’un compositeur n’en ressent pas souvent dans son existence. « Ma symphonie sera quelque chose que le monde n’a pas encore entendu…toute la nature y prend voix et raconte des secrets si profonds que l’on ne les pressent peut-être que dans un rêve ! »  Toute  inspirée par la Nature, la Nature consolatrice, chargée d’amour, elle répond à un plan d’ensemble, qui est sans doute le plus ambitieux jamais conçu par un symphoniste : partant de la matière, des rochers, il entrevoit déjà une immense épopée qui gravira une à une les différentes étapes de la Création pour parvenir jusqu’à l’Homme, avant de s’élever jusqu’à l’Amour universel conçu comme transcendance suprême. L’œuvre comprend six mouvements se répartissant en deux parties. Le premier mouvement est le plus long jamais composé par Mahler, le second et le troisième font office de scherzo, le quatrième et le cinquième font appel aux voix, l’un pour contralto (Sarah Connoly) à partir du Zarathoustra de Nietzsche, l’autre pour chœur (Philharmonia Voices et Tiffin Boy’s Choir), le sixième est un immense adagio bouleversant glorifiant toute créature vivante. Cette pénétration ambitieuse de la musique dans la matière, qui met en branle le chaos, chargée d’un message d’amour, nous ramène aux mythes homériques et orphiques de la création du monde.

 

Lorin Maazel nous livre tout au long de ce long voyage symphonique une interprétation « magistrale », solennelle et grandiose, peut-être un peu théâtrale, où il cultive abondamment les contrastes, majore les effets musicaux parfois saisissants, allonge abusivement les tempi, parfois jusqu’à la rupture, dans une vision un peu hollywoodienne qui perd peut-être en émotion ce qu’elle gagne en clarté, rendant ainsi justice à la richesse de l’orchestration mahlérienne en même temps qu’à la somptueuse sonorité du Philharmonia Orchestra, tous pupitres confondus. En revanche, malgré la profondeur du timbre, on regrettera l’important vibrato de Michelle De Young qui entache le poignant « Urlicht » de la deuxième symphonie. Sarah Connoly, quant à elle, nous offre un « O Mensch ! » plein de ferveur, de dignité et de transcendance dans la troisième symphonie. Les chœurs sont excellents de bout en bout. En bref, un Maazel imposant, à l’opposé de versions plus intimistes comme celle d’Ivan Fischer par exemple. Un Maazel comme on l’attendait, mahlérien indiscutable, sans surprise, mais sans déception, qui sait se faire de plus en plus convaincant entre la première et la troisième symphonie…On attend la suite avec impatience.

 

Patrice Imbaud.

 

Maurice RAVEL. Miroirs. Sonatine. Jeux d’eau. Pavane pour une infante défunte. Aurèle Marthan, piano. 1 CD Polymnie : POL 152 397. TT : 51’.

Un disque du jeune pianiste Aurèle Marthan comme un voyage à travers des œuvres de jeunesse de Maurice Ravel (1875-1937). La célébrissime Pavane pour une infante défunte (1899) imprégnée d’une Espagne légendaire, partition mal aimée du compositeur car trop empreinte des influences de Chabrier. Jeux d’eaux (1901) dédiés à Fauré, tenus à l’inverse en grande estime par son auteur, où l’influence de Liszt et Debussy apparait évidente. La Sonatine (1903-1905), qui appartient aux premiers authentiques chefs d’œuvre, plus spécifiquement ravéliens, associant sonorité hispaniques, raffinement mélodique et virtuosité pianistique, tout comme Miroirs (1904-1906) participant du style impressionniste de Ravel. Une belle interprétation d’Aurèle Marthan qui parvient à rendre, pour l’essentiel, ce climat ravélien caractéristique délicat et précieux, tout en retenue. Dommage qu’aucun livret explicatif des œuvres n’accompagne ce beau récital. A suivre…

 

Patrice Imbaud.

 

Franz LISZT : «  Transcendence ». Jean Muller, piano. 1 CD JCH-Productions : JCH 2014/01. TT : 76’19.

Nouvelle incursion du pianiste luxembourgeois dans le répertoire lisztien. Après son « Liszt Récital » de 2010, unanimement plébiscité par la critique, voici un nouvel opus comprenant la Méphisto-Valse n° 1, dans un arrangement de Busoni/Horowitz, et les Études d’exécution transcendante. Toute sa vie, Liszt a été fasciné par le mythe faustien, la Méphisto-Valse n° 1 fait référence au Faust de Lenau et, plus particulièrement à la danse à  l’auberge du village. La version, ici présentée, correspond à celle que Vladimir Horowitz jouait dans les années 1970, alliant virtuosité, sensualité, effervescence diabolique, drame, passion et modernité. Dédiée à Carl Tausig, elle se construit par transformation thématique et constitue un exemple caractéristique de musique à programme : Passant devant une auberge villageoise où se déroule un mariage, Méphistophélès et Faust s’invitent à la noce, Faust dansant et le diable jouant du violon, s’en suit une danse effrénée entrainant Faust et sa belle jusque dans la forêt… Jean Muller se souvient de la version initiale pour orchestre (1859-1862), son piano virtuose en a la force et les contrastes, sans peut-être atteindre à l’expressivité et à la poésie dont seul Horowitz était capable. Les Études d’exécution transcendante, quant à elles, explorent toutes les possibilités d’expression du piano. De difficulté extrême, technique et physique, elles sont considérées, encore aujourd’hui, comme un sommet des plus redoutables dans l’art du piano. Annonciatrices de l’impressionnisme, elles influenceront nombre de musiciens comme Debussy, Rachmaninov, Bartók, Ligeti ou encore Ravel. Elles forment un cycle de 12 pièces servant de base à la technique pianistique, composées entre 1826 et 1852 et dédiées à Czerny dont Liszt fut l’élève. Jean Muller fait preuve, une fois de plus dans cet opus, de son endurance, de sa virtuosité, de son pianisme abouti, ainsi que de la finesse de son interprétation dans laquelle piano et interprète sont poussés à leur limites extrêmes. La confirmation d’un grand pianiste et d’un authentique lisztien !

 

Patrice Imbaud.

 

Leos JANACEK : « Dans les Brumes ». Sarah Lavaud, piano. 1CD Hortus : HORTUS 109. TT : 63’56.

Si les opéras de Leos Janacek sont bien connus, il n’en va pas de même de son œuvre pour piano, et ce n’est pas le moindre mérite de Sarah Lavaud  que de nous en donner à entendre quelques très beaux exemples, à l’occasion de son premier disque soliste. Trois œuvres maîtresses de la production du compositeur tchèque sont présentées ici, Dans les Brumes (1912), la Sonate I.X (1905), et le cycle Sur un Sentier recouvert, réduit à son premier cahier (1901-1911), auxquelles s’ajoutent des extraits d’Esquisses intimes (1927) et Un Souvenir (1928). Un programme qui déploie une importante palette expressive comme autant de miroirs de l’âme, ce qui semble convenir parfaitement au jeu de la jeune pianiste française dont Jean-Claude Pennetier affirmait qu’elle faisait partie de ces interprètes ressentant « chaque idée musicale comme un enjeu vital ». Avouons que l’interprétation très expressive et très intériorisée de Sarah Lavaud donne à ces compositions peu connues, souvent des miniatures lyriques et intimistes, un relief hors du commun particulièrement convaincant, loin de toute vaine virtuosité. Une découverte à ne pas manquer !

 

Patrice Imbaud.

 

Hanns EISLER. Paul HINDEMITH. August KLUGHARDT. Karkheinz STOCKHAUSEN. German Wind Quintets. Quintette Aquilon. 1CD Crystal Classics : N67094. TT : 59’20.

Deux faits surprennent d’emblée à l’écoute de ce disque, l’extraordinaire qualité d’interprétation, d’une part, alliant cohésion, précision et expressivité, et d’autre part, l’extrême richesse de timbres que peut produire une formation instrumentale telle que le quintette à vents. Composé de Marion Ralincourt à la flûte, Claire Sirjacobs au hautbois, Stéphanie Corre à la clarinette, Marianne Tilquin au cor et Gaëlle Habert au basson, le Quintette Aquilon nous donne à entendre, dans cet enregistrement, quatre œuvres spécifiquement écrites pour cette formation originale. Le Quintette Op. 95 (1901) d’August Klughardt (1847-1902) d’allure romantique, la Petite Musique pour vents Op. 24 n° 2 (1922) de Paul Hindemith (1895-1963) ludique, obsédante, aux sonorités parfois inquiétantes, le Divertimento Op. 4 (1923) de Hanns Eisler (1898-1962) qui marque une certaine distance avec la tonalité, enfin Adieu (1966) de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) qui objective le passage avéré du ton au son, itinéraire tout à fait emblématique de la musique du XXIe siècle. Un disque original qui nous conduit de manière admirable et convaincante sur le chemin  menant  de la musique tonale à la musique « sonale » ! Une bien belle façon de faire sonner la musique !

 

Patrice Imbaud.

 

Oscar STRASNOY. An Island Far. Ann-Beth Solvang, mezzo-soprano.Ensemble 2e2m, dir. Pierre Roullier. 1CD Le Chant du Monde : LDC 278 1156. TT : 61’33.

Un disque qui trouvera sans doute son public parmi les amateurs de musique contemporaine. Un disque exigeant de l’auditeur une complète disponibilité, seule capable de le conduire du « monde du ton » au « monde du son ». Un enregistrement, en effet, tout à fait emblématique des préoccupations actuelles de la musique contemporaine centrée sur le travail du son, nous amenant vers un ailleurs,  An Island Far, situé bien loin de notre écoute habituelle. Oscar Strasnoy (*1970) est un jeune compositeur franco-argentin qui fut en résidence à l’Ensemble 2e2m pour la saison 2005-2006, invité du Festival Présences de Radio France en 2012. Trois  de ses compositions sont présentées ici, de façon assez disparate. Six Songs for the Unquiet Traveller (2004) pour ensemble instrumental et mezzo-soprano, sur des textes d’Alberto Manguel, frappe d’emblée par sa surprenante et violente présence musicale où instruments et voix sont en parfaite adéquation, véritable synergie intégrant musique et prosodie pour un résultat particulièrement saisissant. Naipes (1995) est une œuvre de jeunesse constituée de petites pièces, des miniatures comme autant de cartes à jouer flirtant entre jeu  et musique. Eccos (2009) répond aux Sequenze de Berio, comme vues à travers un miroir déformant, réduites à un accord, un son, une séquence où voix parlée, conte et musique s’entremêlent dans un mélange, avouons-le, assez indigeste, malgré la beauté incontestable de la musique égrenée successivement par 14 instruments. Un disque qui fait réfléchir plus qu’il ne séduit !

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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BO en CDS

 

 

LE DERNIER DIAMANT. Réalisateur : Renaud Barbier. Compositeur : Éric Barbier. BOriginal /CristalRECORDS n°BO 015.

 

Le film de casse est un genre cinématographique. Il s'agit d’une histoire complexe autour d'un groupe « d’associés » pour une opération qui consiste à voler quelque chose. Un meneur choisit son équipe, élabore le plan, et selon les scénarii cela se passe bien ou mal et le partage du butin entraîne souvent des surprises. Une des histoires de casse souvent mise en scène est le « dernier gros coup ». On y trouve des criminels qui se rassemblent pour un ultime « holdup » qui fera leur fortune et leur permettra de se mettre au vert. C’est un film à suspense qui souvent met le spectateur du côté des cambrioleurs. La linéarité de la narration est rarement de mise et les rebondissements sont souvent inattendus. Dès le début du cinéma, ce genre a été pratiqué. La période du « film noir » des années 40-50 a été l’âge d’or de ce cinéma. De grands réalisateurs s’y sont essayés tel que John Huston avec « Asphalt Jungle », Jules Dassin avec « Du Rififi chez les hommes », Robert Wise et « Le Coup de l’Escalier » (Odds Against Tomorrow), Michael Mann et « Heat », Henri Verneuil avec « Le Clan des Siciliens », « Mélodie en Sous-sol » ou « Le Casse », Jean-Pierre Melville et « Le Cercle Rouge » ou  « Bob Le Flambeur », Jacques Becker et « Touchez pas au Grisbi » Stanley Kubrick avec « L’Ultime Razzia », Steven Soderberg et « Ocean’s Eleven », remake de « l’Inconnu de Las Vegas » de Lewis Milestone, Peter Collinson avec « Italian Job » et son remake « Braquage à L’Italienne » de F.Gary Gray, ou encore avec une intrigue assez originale Quentin Tarantino  et son fameux « Reservoir Dog ».

 

La musique composée pour ce genre, comme pour le film noir, est soit du Jazz soit quelque chose de très influencé par ce style. Certaines compositions sont devenues très célèbres comme la ritournelle entêtante écrite par Jean Wiener dans « Touchez Pas au Grisbi », sorte de blues inséparable de Max-le-Menteur. Le thème du « Clan des Siciliens » écrit par Ennio Morricone, ou celui de « Mélodie en Sous-sol » de Michel Magne sont restés dans toutes les mémoires des spectateurs très friands de ce genre de cinéma. La musique qui accompagne « Heat », écrite par Eliott Goldenthal, a eu un énorme succès, et plus encore celle de « Réservoir Dog » de Tarantino qui, comme à son habitude, recycle des morceaux de la pop américaine et les fait siens. « Little Green Bag », écrite en 1969 par George Baker, est devenue un must grâce au film et s’est retrouvée très vite en tête des hit-parades. John Lewis, le très élégant pianiste du Modern Jazz Quartet, a conçu une remarquable composition pour le film «  Le Coup de l’Escalier ». Quincy Jones, trompettiste,  grand arrangeur et compositeur de Jazz a écrit deux très impressionnantes compositions de musique de film des années 70 : une pour le casse de « The Italian Job », et l’autre qui fait partie des 100 plus grandes partitions de musique pour film, « Dollars » de Richard Brooks. Quincy Jones sut mélanger le soul, le blues, le funk et le jazz y ajoutant beaucoup de dérision dans certains arrangements. Plus récemment, le travail de John Powell sur le remake de « The Italian Job » est intéressant dans le sens où il emploie de nombreuses rythmiques jazzy et incorpore des nappes orchestrales d’où s’échappent de temps en temps des cuivres créant ainsi une musique à suspens. Ces BO sont accessibles en CD et téléchargeable sur internet.

 

Avec « Le Dernier Diamant », Renaud Barbier renoue avec un genre qui en France ne se faisait plus beaucoup : Simon, un cambrioleur en liberté surveillée, accepte de monter le plus gros coup de sa vie, le vol du "Florentin", un diamant mythique mis en vente aux enchères par ses propriétaires. Pour réussir, il devra approcher Julia, l'experte diamantaire, pour qui la vente constitue un enjeu personnel et familial considérable. Au-delà d'un casse particulièrement osé, Simon entrainera Julia vers un destin qu'elle n'aurait pas pu imaginer. Les acteurs sont épatants et on se laisse porter par l’intrigue. La musique est tout à fait en accord avec la mise en image du réalisateur Éric Barbier, frère de Renaud. La musique, comme celle du « Serpent », autre film où ils ont collaboré, a été conçue très en amont. L’interaction musique-image permet ainsi de structurer le récit et le montage s’est organisé à partir de ces musiques préexistantes. Renaud a envisagé une formation jazz orchestrale où la section des cuivres est principalement composée d’instruments graves : saxo baryton, cors, trombones, tuba. Grâce à la richesse de ce registre sonore, il a pu renforcer et approfondir les tensions en rapport avec les braqueurs et en particulier Simon Carrera (Yvan Attal). Le résultat donne un son brut, saturé avec du grain. Barbier a enregistré avec des bandes analogiques alors qu’aujourd’hui on privilégie le numérique. Pour passer d’un univers à un autre il propose l’orchestre à cordes comme un instrument à part entière. Le personnage de Julia Neuville (Bérénice Bejo) et le monde des diamantaires ont une musique plus harmonieuse, romantique. Ce mélange des univers est à l’écoute du CD très marquant et offre un véritable plaisir auditif.

 

Le saxophoniste Gilles Grivolla, soliste dans cette BO, avait fondé un groupe de Latino Jazz avec Renaud Barbier, pianiste de son état. Ils sont accompagnés par Renaud-Gabriel Pion à la clarinette basse, Lilian Bencini à la basse et Bijan Chemirani aux percussions. Un beau quintette en perspective. Renaud Barbier, grâce à cette musique, va sûrement mieux se faire connaître dans le monde de la musique de film.

 

 


Sony music AK 47487

 

https://www.youtube.com/watch?v=sRzo1wAwdn0

 

 

 

WB 9362 47879-2     varèse sarabande VSD6482

 

https://www.youtube.com/watch?v=YfhDbTY19AE

https://www.youtube.com/watch?v=PYsUDA9VOvE&list=PL6C30FCC56AEA1FAB

 

 

LE WEEK END Réalisateur : Roger Michell. Compositeur : Jeremy Sams. 1CD Milan/Universal n°399 532-2.

 

Nick et Meg décident de visiter une nouvelle fois Paris, bien des années après leur lune de miel, afin de donner un second souffle à leur mariage. « LE WEEK END » est la nouvelle comédie de Roger Michell après « Coup de Foudre à Nothing Hill » et « Morning Glory ». Deux acteurs exceptionnels tiennent à bout de bras cette drôle, touchante, charmante, amère comédie. Lui, c’est le fabuleux acteur de « Moulin Rouge », Jim Broadbent, elle, c'est Lindsay Duncan, grande actrice de théâtre, de séries télévisées et que l’on a vue dans « Alice au Pays des Merveilles » de Burton. « LE WEEK END » est la quatrième collaboration entre Roger Michell et Jeremy Sams à qui l’ont doit les BO de « The Mother », « Enduring Love » et « Hyde Park on Hudson ». La musique, comme l’a voulu le compositeur, est inspirée de Michel Legrand, celui des films de Jacques Demy, de « Bande à Part » de Godard, d’« Ascenseur Pour L'Échafaud » de Louis Malle. Il voulait faire une bande son comme pour un film français. C’est, il faut l’avouer, bien réussi. Avec un trio jazz, ou un piano seul, ou piano/ trompette à la Miles Davis, avec des accords à la Satie ou à la Poulenc, Sams offre une musique des plus charmantes et très française. Un joli thème qui se répète tout le long du film, avec de temps en temps un zeste d’accordéon pour faire couleur locale, accompagne des plans « cartes postales » de Paris. L’écoute du disque est très agréable. Cette musique ne révolutionnera pas l’écriture de la musique de film, mais correspond parfaitement à l’histoire qui nous est racontée : de la nostalgie, des scènes de ménage et des fous rires. Cette BO de « LE WEEK END » est une belle déclaration d’amour à Paris en musique. L’album contient la chanson du générique « Pink Moon » chantée par Nick Drake ainsi que quatre morceaux en bonus qui sont absents du film.

 

 

GRACE KELLY et la musique. 1CD Milan / Universal n°399531-2

 

A l’occasion de la sortie du biopic fait sur Grace de Monaco par Olivier Dahan avec Nicole Kidman, présenté il y a un an à Cannes, et qui n’a pas été bien accueilli, Milan propose des extraits de BO et une entière des grands succès de la star Kelly. En 1952, Kelly est la nunuche de « High Noon » (Le train sifflera trois fois) avec le tube « Do not forsake me » chanté par Tex Ritter sur la musique du grand Dimitri Tiomkin. C’est la version de Frankie Laine qui en a fait un succès. Le compositeur dirige lui-même sa musique. Pour la petite histoire c’est à cause de ce film qu’il détesta qu’Howard Hawks réalise son chef d’œuvre « Rio Bravo » avec le même compositeur ! Qu’importent les problèmes d’ego et de productions, la musique écrite par Tiomkin à partir du thème est magnifique. Sur cet album on trouve des extraits intéressants tels que « Le Crime était Presque Parfait » d’Hitchcock, musique du même Tiomkin, deux autres films de Hitchcock avec sa muse Kelly, « Fenêtre sur Cour » musique de Franz Waxman aux accents jazzy, et « La Main au Collet » de Lyn Murray, auteur aussi du célèbre générique d’Alfred Hitchcock. C’est Bronislau Kaper qui a signé la musique de « Le Cygne » de Charles Vidor. Kaper, d’origine d’Europe centrale, a écrit de nombreuses compositions dont celles de « Les Mutinés du Bounty », « Lord Jim », « Marqué par la Haine ». La sortie, en 1956, du film « Le Cygne »  coïncida avec le mariage de Grace avec Rainier de Monaco. On trouve aussi un extrait de la comédie musicale « High Society» de Charles Walters, musique de Cole Porter. On peut entendre les fameux duos Bing Crosby/Louis Armstrong (Now you have jazz), Bing Crosby/ Grace Kelly et le mythique « True Love », sans oublier le « Who Wants to be a Millionnaire » chanté par Sinatra. Sur ce CD, qui ravira tous les amateurs de musiques de films, on offre deux inédits phonographiques : le peu de musique originale de « Mogambo » de John Ford, qui ne voulait pas de musique pour son film, mais rien que des rythmes africains. Le générique dû à Robert Burns et la chanson interprétée par Ava Gardner « Comin Through the Rye » sont assez rares à écouter sur un CD. L’autre inédit est l’ouverture écrite par Lyn Murray du film de Mark Robson  « Les Ponts de Toko-Ri ». Avec ce disque voilà un bel hommage en musique à la star Grace Kelly. Le livret qui accompagne le CD est très instructif.

 

 

RIO 2. Réalisateur : Carlos Saldanha. Compositeur : John Powell. 1CD Sony Classical n°88843048452

 

Encore plus fou que le « Rio 1 », ce film d’animation est accompagné de nouveau par la musique de John Powell. Tout est samba dans cette musique : normal on est à Rio ! Même la fameuse fanfare de la 20th Century Fox est devenu une samba ! Les percussionnistes du groupe UAKTI sont souvent présents ainsi que Milton Nascimento, Carlinhos Brown et Sergio Mendes pour donner la touche brésilienne. Powell, compositeur anglais qui a su s’éloigner de l’écurie Zimmer, a une longue histoire avec les dessins animés (« L’âge de glace n°2 et 4, Robots, Fourmiz, Rio 1, Chicken Run, Le Lorax, Shrek…. » ). Pour un dessin animé il faut être inventif car comme le dessin, la musique est très importante. Elle amène le rythme, et l’humour nécessaire. De plus, elle doit être écrite avec un synchronisme parfait pour que les effets fonctionnent. L’emploi des instruments est très important pour donner des ambiances différentes. Là, elle doit appuyer les effets dramatiques, de pure comédie, de courses poursuites, les grandes scènes lyriques (Escorted to the Clan). John Powell a ce talent. L’écoute du CD est réjouissante. Un thème revient souvent en filigrane qui rappelle curieusement celui de Dune. Sûrement involontaire. On appréciera les deux derniers morceaux qui sont magnifiquement écrits.

 

https://www.youtube.com/watch?v=ApRro-SUer0

 

 

 

JIMMY P. psychotherapy of plains indian. Réalisateur : Arnaud Desplechin. Compositeur : Howard Shore. 1CD Howe records n°HWR-1010

 

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Jimmy Picard, un Indien Blackfoot ayant combattu en France, est admis à l’hôpital militaire de Topeka, au Kansas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau. Jimmy Picard souffre de nombreux troubles : vertiges, cécité temporaire, perte d’audition... En l’absence de causes physiologiques, le diagnostic qui s’impose est la schizophrénie. La direction de l’hôpital décide toutefois de prendre l’avis d’un ethnologue et psychanalyste français, spécialiste des cultures amérindiennes, Georges Devereux. JIMMY P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines) est le récit de la rencontre et de l’amitié entre ces deux hommes qui n’auraient jamais dû se rencontrer, et qui n’ont apparemment rien en commun. L’exploration des souvenirs et des rêves de Jimmy est une expérience qu’ils mènent ensemble, avec une complicité grandissante, à la manière d’un couple d’enquêteurs. Cette histoire vraie, mise en scène superbement par Arnaud Desplechin, d’après le livre de Georges Devereux, est soutenue par une musique discrète, intense, tout le long du film. Le thème est comme une petite musique à l’intérieur de la tête de Jimmy Picard. Interprétée par un orchestre de chambre et par le Dover Quartet avec Anna Polonsky au piano, cette musique, sans être pléonastique, renforce le désarroi de cet indien dont les troubles qui l’affectent sont distillés au fur et à mesure de l’aventure psychologique que mène, comme une enquête, Jimmy Picard (Benicio Del Toro) et Georges Devereux (Mathieu Amalric). Howard Shore est habitué à ce genre d’exercice et il n'est pas fortuit qu'Arnaud Desplechin lui ait demandé de participer à l’écriture de la musique de son film. Howard Shore est le compositeur attitré du réalisateur David Cronenberg. Il a débuté avec lui et depuis a composé toutes ses musiques, sauf celle de « Dead Zone » (James Horner). Sa musique colle parfaitement à l’univers glauque, viscéral de ce réalisateur. Howard Shore, compositeur canadien (comme Cronenberg) sera souvent attaché à des films où l’atmosphère est lourde, oppressante, comme le « Silence des Agneaux » ou « Seven ». On peut être étonné que Peter Jackson lui ait demandé de réaliser ces musiques impressionnantes pour la trilogie du « Seigneur des Anneaux » (Oscar en 2002 et 2004) et celle de « Bilbo le Hobbit ». Martin Scorsese, depuis « Aviator », travaille lui aussi avec lui, même si leur première collaboration remonte à « After Hours » en 1985. Sa musique est toujours teintée d’atmosphère inquiétante même si elle est moins atonale qu’à l’origine pour les films « heroic fantasy ». Son travail avec Cronenberg est peut-être le plus intéressant et sa composition pour « Jimmy P. »  mérite qu’on s’y attarde : une ouverture au piano seul qui égrène une petite musique romantique, le thème de Jimmy P., plus mélancolique et qui reprend celui du début à peine dessiné au piano The barn » a cette atmosphère lourde de la scène et le trauma qu’elle induit. Le thème de l’ouverture est souvent repris et arrangé différemment avec ce climat angoissant que sait si bien construire Shore (Dead Drunk, Psychoyherapy, Puppet Show par exemple). C’est un album de belle musique et qui prolonge l’atmosphère du film.

 

 

 

BEN-HUR et Les Épopées d'Hollywood. 2CDs  Milanrecords /Universal n°399 560-2

 

« Moi, Auguste empereur de Rome » ! Pour commémorer le bimillénaire de la mort de ce premier empereur, le Grand Palais et le Musée du Louvre font revivre dans une exposition ouverte jusqu'au 13 juillet prochain, les grandes heures d’Auguste et l’effervescence artistique de son règne. Son image est alors omniprésente à Rome et dans les provinces. Il avait tout compris sur l’importance de la communication ! Une sélection de statues, reliefs sculptés, fresques, pièces de mobilier ou d’argenterie, mais aussi la reconstitution d’une villa des pentes du Vésuve ou de tombes découvertes en Gaule révèlent les transformations du cadre de vie des Romains. Caius Octavius est né en 63 avant Jésus Christ, reçoit alors le titre d'Auguste (consacré, vénérable) en 27 av. J.-C. et le 19 août 14 ap. J.-C., meurt à l'âge de 75 ans sans héritier direct. C’est la magnifique série télévisuelle d’HBO « ROME» qui raconte les débuts de Caius Octavius jusqu’à la bataille navale d’Actium, en 31 av. J.-C. et le suicide de Marc Antoine et de Cléopâtre. La musique de Jeff Beal accompagne les deux saisons de cette série qui s’arrêta en pleine gloire car elle coûtait trop cher. Dommage car elle devait aller jusqu’à la naissance d’un prophète du nom de Jésus…la musique a eu un très gros succès.

 

A l’occasion de cette exposition, Milanrecords propose la musique de péplum cultes qui racontent des histoires plus anciennes telles que « L’Egyptien » (13ème siècle av. J.-C.), Spartacus (73 av. J.-C.) ou plus récentes telles que « Ben Hur », « Barabbas », « King of Kings » (1er siècle), Quo Vadis (sous Néron en 64). Ces musiques ont été écrites par les grands compositeurs hollywoodiens de la fin des années 50. Ils ont pour nom Miklós Rózsa, Alfred Newman, Alex North, Bernard Herrmann. L’extrait de la BO de « Barabbas », film de Richard Fleisher, a été écrite par Mario Nascimbene, compositeur italien à qui l’on doit la superbe BO de « Les Vikings », d’ « Alexandre le Grand » (avec Richard Burton) ou de « la Comtesse au Pieds Nus » de Mankiewicz. Ces musiques sont tour à tour grandioses, épiques, romantiques et mêmes intimistes. Sur le premier CD des épopées on trouve la BO de « Ben Hur » composée par Miklós Rózsa, oscarisée en 1960, et sur le second les extraits des musiques des films cités précédemment. Cet album est un must et une bonne introduction à ces musiques classiques. Les amateurs passionnés trouveront sur internet la totalité de ces BO. Pour les autres ce double CD est amplement suffisant.

 

 

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=dApIMjrn2Vg

https://www.youtube.com/watch?v=zuniVlOVUtc

 

 

NOAH (Noé). Réalisateur : Darren Aronofsky. Compositeur : Clint  Mansell. 1CD Nonesuch

 

C’est grâce à son ami Darren Aronofsky que Clint Mansell a débuté dans la musique de film avec le premier film, très étrange, de ce réalisateur talentueux « Pi » en 1998. Depuis, il a composé pour tous ses films, dont la musique culte « Requiem for a Dream ». Plus que le film, la musique de « Noah » (Noè) nous transporte au centre du conflit de cet homme avec Dieu. Dès le début, le thème basse/cimbasso nous saisît, comme en son temps le thème « Des Dents de la Mer » de John Williams. Mansell utilise toutes sortes d’instruments peu employés pour créer cette symphonie funèbre, apocalyptique. Noé, un père de famille, reçoit un message de Dieu au cours d'un rêve : la Terre s'apprête à subir un déluge abominable, car l'homme a corrompu le monde à force de violence et d'avidité. Il part alors avec sa femme et ses enfants sur le mont Ararat et entreprend la construction d'une arche monumentale pour mettre à l'abri toutes les espèces existantes de l'humanité, sauver les innocents et préserver la vie sur Terre. Il va ainsi accomplir son destin hors du commun. Mais il va se heurter à un seigneur de la guerre qui cherche à régner sur ce monde dévasté, et qui lance une armée entière contre lui. On ne s’attendait pas à voir le couple Aronofsky/Mansell travailler sur un péplum-blockbuster. Cette histoire fascinait le réalisateur depuis qu’il a treize ans, c’est donc un rêve de gosse qui se réalise. Il y avait longtemps qu’on n’avait pas entendu une musique aussi épique, gigantesque comme Hollywood savait la faire. Le CD nous offre 78 minutes de musique impressionnante. Comme pour « Requiem for a Dream », on a le plaisir d’entendre le Kronos Quartet et Patty Smith. Cette musique est terrifiante, majestueuse, écrite pour une histoire pleine de courage et d’espoir. L’orchestre et les chœurs sont dirigés par Matt Dunkley qui est aussi l’orchestrateur et l’arrangeur. Mansell lui doit sûrement beaucoup. Cet arrangeur d’origine anglaise, trompettiste de formation, a travaillé avec énormément de groupes pop et surtout avec Graig Armstrong. Depuis quelques années il arrange les BO de A. Rahman. Il a participé à de nombreuses musiques de films de compositeurs célèbres d’Hollywood, de Zimmer à Ramin Djawadi (« GOT ») en passant par James Newton Howard ou Henry Jackman. Avec Mansell il avait travaillé sur « Black Swan ». « Noah » est une magnifique BO et un film discutable.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=haFKGgXAXdo

 

STATES OF GRACE (SHORT TERM 12). Réalisateur : Destin Cretton. Compositeur : Joel P West. 1CD Milan/Universal n°399 513-2.

 

Sensible et déterminée, Grace est à la tête d'un foyer pour adolescents en difficulté. Parmi les jeunes membres de son équipe, diversement expérimentés, la solidarité et le bon esprit sont de mise. Jusqu’à l’arrivée soudaine d’une fille tourmentée qui ignore les règles du centre et renvoie Grace à sa propre adolescence… pas si lointaine. Grace c’est Brie Larson qui avec ce rôle a obtenu de nombreux prix. Bien accueilli aux États-Unis, ce film a obtenu de nombreuses nominations et c’est à Austin qu’il a été récompensé. Le sujet est dur, souvent sombre, mais il y a de l’humour… parfois. Joel P West est un tout jeune compositeur de chansons de San Diego. Il a écrit quelques musiques de films  (« About Alex » de Jesse Zwick). Sur « States of Grace » il a composé de la musique très simple. Avec un piano, un ukulélé et une guitare à peine effleurée il crée un climat éthéré. De temps en temps quelques cordes viennent se mélanger à ces mélodies minimalistes. C’est une musique très en retrait qu’il propose et qui ne phagocyte pas le sujet. Quelques chansons du film sont offertes sur le CD. Le groupe The Tree Ring dont Joel P West est le leader, un groupe Canines lui aussi de San Diego, et puis Keith Stanfield (nommé aux Oscars pour ce film) rappent avec talent sur trois morceaux. Cet album est sympathique mais mérite d’être écouté après voir vu ce premier film très attachant.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=yJRRfbtLrbw

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

 

En préparation

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus   Gérard Denizeau

Toccata ré mineur                      Jean Maillard

Cantate BWV 4                          Isabelle Rouard

Passacaille et fugue                    Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu                Janine Delahaye

Phœbus et Pan                          Marianne Massin

Concerto 4 clavecins                  Jean-Marie Thil

La Grand Messe                         Philippe A. Autexier

Les Magnificat                           Jean Sichler

Variations Goldberg                    Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale                Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses         Gérard Denizeau

Apothéose Corelli                        Francine Maillard

Apothéose de Lully                      Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus                             Sabine Bérard
Water Music                              Pierrette Mari

Israël en Egypte                         Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile                     Jacques Michon

L’alleluia du Messie                      René Kopff

Musique feu d’artifice                  Jean-Marie Thill

 

 
 

 

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Paru en juillet

 

 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale