Lettre d'information - no 125 mars avril 2019
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1
Aix Marseille Univ., PRISM UMR 7061 « Perception, Représentations, Image, Son, Musique »,
Marseille, France
Tous mes remerciements pour leur accueil et leur disponibilité à Roland Hayrabédian et Cati Delolme
ainsi qu’à l’ensemble de la classe de direction de choeur du CNR de Marseille.
Captation vidéo : David Béchu.
Introduction
Commandée par Radio France pour le 31e festival d’Avignon, la Messe d’Ohana est la seule oeuvre
« officiellement » religieuse du compositeur. Elle est pensée comme le support sonore d’une
cérémonie1 et est écrite pour voix de femmes solistes, choeurs mixtes et ensemble instrumental2.
Maurice Ohana n’était pas croyant mais il avait un sens du rituel et du sacré qui traverse toute sa
musique3. Un « sacré païen » qu’il définissait comme étant en lien avec la nature, la terre, les racines et
les origines du monde. Maurice Ohana s’était forgé une mythologie personnelle entre Orient et
Occident4 dans laquelle il mélangeait les écritures contemporaines avec des références au gospel, aux
rythmes africains, au flamenco espagnol mais aussi aux parques romaines et aux temples grecs.
L’enjeu de notre contribution est d’observer comment les interactions entre « fixité, variabilité et
créativité » sont mises en forme dans la Messe, à la fois dans la partition (trace du processus
compositionnel) mais aussi et surtout comment elles sont mises en action dans le geste interprétatif
(prolongement et enrichissement de cette trace). Pour cela, nous nous appuierons (1) sur un numéro
spécial de La Revue Musicale « Maurice Ohana. Miroirs de l’oeuvre » dirigé par Christine Prost en
1986, l’une des rares sources musicologiques existant sur l’oeuvre du compositeur5, (2) sur les propos
de Roland Hayrabédian, chef de choeur et directeur artistique de l’ensemble Musicatreize, l’un des
principaux interprètes de la musique de Maurice Ohana6, mais aussi (3) sur des captations vidéo
réalisées dans la classe de direction d’orchestre que dirige Roland Hayrabédian au Conservatoire de
Marseille depuis de nombreuses années. Ces captations participent pleinement de notre analyse en ce
qu’elles nous permettent d’approcher la transmission et l’incarnation du son par le geste. Dans le cas
présent, il s’agira d’étudier la possible incarnation de la poétique de Maurice Ohana dans le geste de
direction de choeur.
1. Points de repère.
La Messe existe en deux versions assez proches l’une de l’autre : une version de concert et une version
pour la célébration liturgique (Prost, 1986, p. 216) :
1. Organisation | |
---|---|
Concert version | Liturgical celebration |
I Entrance (on ne chante pas de 1 à 2) |
I Entrance (accueil) |
II Prelude (on ne chante pas 4) |
II Prelude |
III Kyrie | III Kyrie |
IV Gloria | IV Gloria |
V Épître | |
VI Alleluia | VI Alleluia |
VII Psaume | |
VIII Trope | |
IX Santus | IX Sanctus |
X Agnus Dei (jusqu’à la 2e fin) On peut supprimer l’Alleluia |
X Agnus Dei (jusqu’à la 1ère fin)/td> |
VIII Trope (after communion) | |
XI Repetition of Agnus Dei (vocalized) (jusqu’à la 2e fin) |
|
L’exécution au concert se donne sans le choeur 2. On peut l’adjoindre si l’on dispose des voix nécessaires. |
Le choeur 2 peut être supprimé |
Durée : 28 à 32 minutes | Durée : 35 à 40 minutes |
2. Instrumentation |
|
Soprano solo | Soprano solo |
Mezzo soprano (grave)solo | Mezzo soprano (grave) solo |
Orgue (ou positif) | Orgue (ou positif) |
Hautbois, Clarinette en sib, Basson | Hautbois |
Trompette, Trombone | Trompette |
Percussion (à 1 ou 2 exécutants) | Percussion (à 1 ou 2 exécutants) |
Choeurs I et II (facultatifs pour les deux versions, mais le choeur II est recommandé pour la version liturgique — chanteurs recrutés avant l’office). Le choeur 1 (5 sopr. 5 mezzos. 4 ténors. 4 basses - minimum / 6-6-6-6 maximum). + instruments de percussion légers. |
Tableau 1 : version de concert et version liturgique
La problématique de cette pièce pose la question de la participation du public face à une musique
religieuse contemporaine — ce qui prolonge la dimension « sociale » du rituel religieux. Comme le
souligne le compositeur Félix Ibarrondo (1986, p. 25), la musique d’Ohana est profondément
enracinée dans le passé et c’est grâce à cet enracinement que « Ohana a pu épouser pleinement le
présent » (ibid.). En effet, l’une des préoccupations du compositeur est d’exprimer son univers sacré et
mystique dans un langage correspondant à son époque tout en demeurant accessible au public.
Maurice Ohana est l’un des premiers compositeurs contemporains qui intègre dans ses oeuvres aux
côtés de choeurs et de solistes confirmés des choristes amateurs. Par exemple, lors de la création de la
Messe en Avignon en 1977, le compositeur avait demandé à ce que le public puisse participer en
accompagnant les choeurs avec des intonations approximatives. Pour la célébration liturgique de la
Messe7, le compositeur adjoint en effet un choeur « amateur » représentant l’assemblée des fidèles
ainsi que le spécifie la notice introductive :
Choeur II
N’interviendra que dans la célébration liturgique en principe. Il sera composé de fidèles ou d’assistants qui
pourront répéter brièvement leurs interventions avant l’office. Un chef placé près de l’autel pourra les diriger,
ou des chefs dispersés dans l’assistance8.
Comme le souligne Roland Hayrabédian, lors de l’entretien que nous avons eu ensemble en janvier
dernier, le monde pensé et mis en musique par Maurice Ohana est un « monde rond », un « monde
global ». Selon Roland Hayrabédian, Maurice Ohana travaillait selon :
[…] la technique de l’oiseleur, il n’allait jamais chercher les choses, il les laissait venir. L’idée venait, il la
posait mais il ne savait pas ce qu’elle allait devenir. Il travaillait sa composition comme une mosaïque, un
vitrail. Il juxtaposait des choses qui auraient pu se présenter dans un ordre différent. Il n’écrivait jamais sur le
texte, mais le texte venait après. Depuis les Cantigas (1953-1954), il pensait avant tout la superposition des
notes, le texte n’est pas la linéarité de l’oeuvre.9
Le processus créateur décrit par Roland Hayrabédian n’est pas propre à la Messe. Il irrigue toute
l’oeuvre de Maurice Ohana et caractérise son style qui semble faire corps avec les formes anciennes de
la messe. Comme le souligne Christine Prost : « La composition n’est plus pensée en termes de
construction à partir de notes, mais comme l’organisation de complexes sonores dont, tout comme
Debussy, Ohana trouve des modèles essentiellement dans les phénomènes naturels » (1986, p. 108).
Ce processus de composition procède par juxtaposition d’éléments dissociés et tenus ensemble par un
liant qui élabore leur unité, tout en faisant apparaître la segmentation de la forme. Celle-ci répond aux
différentes traditions qui ont été syncrétisées dans la messe, depuis ses premières expressions du début
du Christianisme jusqu’à sa fixation lors du Concile de Trente. À ses débuts, La Messe accueille en
effet plusieurs rites orientaux (arménien, copte, syriaque, byzantin ou mozarabe) qui se mélangent
avec ceux venus de la tradition latine et gréco-romaine (comme le rite ambrosien ou le rite mozarabe).
Dans le cadre de cette contribution, nous nous réfèrerons plus particulièrement au Sanctus (9e pièce de
la Messe qui est commune aux deux versions) pour prolonger nos constats. Le Santus est un moment
final de célébration, d’affirmation du peuple et de témoignage de leur adhésion à la foi et au rituel. Le
Sanctus réfère au Cantique de la liturgie céleste et est présent dans toutes les liturgies orientales et
latines. Introduite dans la célébration vers le IIe siècle (ap JC), sa forme n’a pratiquement pas évolué
au fil des siècles. Le seigneur nommé Sabaoth, mot d’origine hébraïque, célèbre le Dieu des armées
célestes et signifie littéralement « armées » mais aussi, selon certaines sources, « multitudes
organisées ».
Sanctus, Sanctus, Sanctus Dóminus Deus Sábaoth. Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur, Dieu de l'univers ! Pleni sunt caeli et terra glória tua. Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire. Hosánna in excélsis. Hosanna au plus haut des cieux ! Benedíctus qui venit in nómine Dómini. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosánna in excélsis Hosanna au plus haut des cieux !
Tableau 2 : Sanctus / texte et traduction
Cette seconde acception (multitudes organisées) répond à la quête musicale de Maurice Ohana :
parvenir à faire résonner l’unité à partir du multiple. Le Sanctus est alors une des pièces les plus
exemplaires pour tenter d’approcher la musique de Maurice Ohana. Rappelons que celle-ci est
traversée par un sens du sacré peu fréquent dans le dernier quart du XXe siècle chez les compositeurs
contemporains. Une musique rituelle, syncrétique, composée comme une mosaïque de sons et de
couleurs, d’accords et de résonance.
Écoute : Sanctus.
2. Entre mobilité et immobilité.
Pour Christine Prost, la poétique musicale de Maurice Ohana présente dans l’ensemble de son oeuvre,
indépendamment de sa destination se caractérise par une façon particulière d’osciller entre mobilité et
immobilité, soit entre statisme et variation (Prost, 1986). Chez Ohana coexistent « deux exigences
contradictoires : par le transitoire, représenter le permanent ; par le fragmentaire, l’unité, par le
contingent, l’universel, par le mobile, l’immuable » (ibid., p. 108). Pour résoudre cet apparent
paradoxe, l’écriture d’Ohana procède par « archétypes » ou « schèmes » (Prost, 1986, p. 107). Cette
permanence archétypale qui fragmente le discours en de petites unités discursives ou figures procède
comme le plomb qui lie les pièces de verre d’un vitrail ou comme l’enduit qui relie les fragments de
pierre d’une mosaïque. Plusieurs figures archétypales existent dans la musique de Maurice Ohana.
Elles sont répertoriées par Christine Prost (1986, p. 125) : paquets de sons irradiés créateurs de
rayonnement, combinaison de trames de résonances et de percussions ponctuelles, matières
suspendues et projections violentes, contrepoints de masses, entrelacs et simultanéités complexes.
Le compositeur utilise, par exemple, très fréquemment la figure « Élan-Déclenchement-Retombée »
(Arsis Thesis Katelexis) provenant de la métrique poétique antique ou certains timbres vocaux ou
instrumentaux : finales « arrachées, con fuoco » venant du style des cadences flamenca. Cette figure
est présente dans le Sanctus. Elle est un cri qui symbolise tout à la fois joie, ardeur, élévation et
mysticisme. Elle est en quelque sorte un lieu intermédiaire entre célébration et violence qui représente
sensiblement le sacré païen que cherche à mettre en sons Maurice Ohana.
Exemple musical 1 : Sanctus, mes 43-44
Maurice Ohana nomme également « neumes » d’autres types de figures, conçues également comme des unités de base de son écriture compositionnelle dont la formalisation ainsi conçue s’apparente tout à fait à un système grammatical. Les « figures-neumes » rappellent la fluidité des mélodies grégoriennes et possèdent un caractère incantatoire qui maintient l’univers du compositeur « sous le signe du rite et du sacré » (1986, p. 119). Dans le Sanctus, ces « figures-neumes » précèdent ou succèdent souvent l’unité lexicale et sémantique décrite précédemment. Elles sont comme des vibrations liées, de façon sous-jacente, aux fulgurances (qu’elles anticipent ou qu’elles rappellent) qui sculptent la verticalité du discours de Maurice Ohana.
Exemple musical 2 : Sanctus, mes 42-43
Ces neumes sont souvent associés à d’autres archétypes, comme les « finales arrachées » et viennent apporter au statisme apparemment hiératique leur plasticité grâce à leurs oscillations et leurs mobilités discursives.
Exemple musical 3 : Sanctus, statisme et mobilité
Cette oscillation entre mobilité et statisme ne peut, selon Christine Prost, être pleinement comprise et
ressentie que connectée à l’interprétation en acte. Si le procédé de composition de Maurice Ohana
semble fonctionner comme une « langue » au sens linguistique du terme, soit de façon systémique
dans la mesure où la forme est conçue comme un discours formé à partir d’unités « lexicales » de base,
il ne prend vie que dans l’énonciation en acte, soit dans la « parole » au sens linguistique du terme. Le
terme de « parole » que nous utilisons ici de façon quasi métaphorique réfère à la dualité saussurienne
entre « langue et parole ». La parole est l’activation de la langue dans l’acte de langage. Prolongement
singulier de la langue, la parole permet à la langue de vivre, de se transformer et de se transmettre de
façon orale mais aussi d’unifier ses différents composants. Comme Christine Prost le souligne « La
graphie est plus indicative que comminatoire, elle invite l’exécutant à compléter la proposition
musicale dans le sens de ce qui ne pouvant être noté, n’est que suggéré. (…) [elle] manifeste en
quelque sorte une tentative utopique : transférer à la musique écrite les qualités de celle qui ne l’est
pas… » (1986, p. 123).
La musique de Maurice Ohana demande à ses interprètes d’outrepasser l’écrit et la notation pour
mettre en mouvement le son de façon sensible et ainsi faire apparaître, à l’écoute, cette dichotomie
entre mobilité et variabilité. Sa musique doit sonner comme une musique improvisée et la
discontinuité de la notation doit être unifiée par l’énergie vocale mais aussi le geste qui transmet et
joue le rôle d’un passage de relais. Ainsi que l’écrit Christine Prost :
[…] faute d’avoir compris et ressenti en profondeur l’essence de cette musique, aucun interprète, aussi
parfaitement qu’il joue les notes écrites, ne saurait lui rendre justice pleinement. Il lui faut à la fois savoir
écouter le son qu’il produit pour en contrôler la qualité et en régler la juste durée, le juste poids, recréer
par son propre geste le geste libre de l’improvisation, et s’engager dans le même moment dans l’aventure
du sonore en l’habitant totalement. » (1986, p. 124)
3. Transmettre la résonance.
Ces constats nous enjoignent à nous orienter différemment pour tenter d’étudier les interactions entre
fixité, variabilité et créativité en allant à la rencontre de la réalité musicale elle-même, c’est-à-dire la
musique en train de se faire. Il s’agit ici pour le musicologue d’observer et de prêter attention à
l’expérience musicale, et d’envisager son entreprise en prélevant directement sur le territoire de la
pratique des événements signifiants qui sont autant de traces sensibles de l’expérience « en train de se
faire ».
Parmi toutes les figures archétypales (unités signifiantes) utilisées par Maurice Ohana, il en est une -
particulière - qui représente parfaitement cette oscillation entre variabilité et fixité. Il s’agit de ce que
Roland Hayrabédian nomme la « percussion résonance » qui est l’une des préoccupations les plus
constantes du compositeur. Roland Hayrabédian raconte qu’enfant, le compositeur se cachait sous le
piano familial et s’imprégnait durant de longues heures de la résonance de l’instrument. Maurice
Ohana incruste le texte à l’intérieur de la résonance, un peu comme un joyau, presque comme un insert
(R. H., op. cit.). Ohana composait toujours la musique avant la mise en texte, et sans toutefois
déstructurer le texte (comme l’ont fait nombre de compositeurs contemporains), il le fait porter par ce
« quelque chose » qui est de l’ordre de la résonance qui imprègne l’ensemble de son oeuvre.
Extrait 1 / La percussion résonance.
Ce premier extrait vidéo montre de façon très simple combien le geste de direction doit être pensé en
fonction de la restitution vocale mais aussi en fonction de l’écriture du compositeur. La « percussion
résonance » irrigue toute l’écriture vocale de Maurice Ohana. S’il est nécessaire que le texte puisse la
porter, il est tout aussi nécessaire que le geste de direction puisse l’induire corporellement de façon à
ce qu’elle soit restituée par les corps des chanteurs. Le « ça sonne bien mieux » prononcé à la toute fin
de l’extrait par Roland Hayrabédian révèle l’un des enjeux de la direction de choeur : celle de son
efficacité mais aussi celle de son rapport précis avec l’écriture compositionnelle. C’est l’écoute qui
évalue leur écart et qui est, seule, en mesure de corriger et de réajuster. Cette écoute mise en action par
le geste, soit dans l’acte partagé d’énonciation, est attentive au son – et non uniquement à la musique.
Le son révèle à la fois la fragilité de l’écoute mais aussi son acuité extrême. Il est, en effet, immatériel
et puissant. Il est une trace fugace, flottante, diffractée entre un ou plusieurs points d’écoute : les corps
en action du chef et des choristes. Eux-mêmes en interaction avec une situation singulière : l’espace et
le lieu où a lieu l’avènement du musical.
Si le son demeure au centre de ce partage du sensible, son expérience est en interaction constante avec
d’autres modalités de l’agir : le faire et le penser évoqués par Roland Hayrabédian tout au long de
l’extrait. Le faire renvoie au geste du chef, à sa technique. Si cela ne sonne pas comme cela le devrait,
c’est que « tu ne le fais pas » dit Roland Hayrabédian à l’apprentie-cheffe. Le processus pour parvenir
ensuite à ce « ça sonne bien mieux » est, à son tour, une oscillation entre imitation, conceptualisation,
et écoute réciproque. « Pensez avec moi » demande Roland Hayrabéian aux choristes. Sollicitation qui
montre combien la projection du son est incarnée certes par le geste mais aussi par une sorte de
« pensée commune » qui doit se mettre en mouvement de façon sensible tout en restant directement
connectée avec un « avant-geste » qui, lui, est de l’ordre de l’anticipation. Ce penser ne doit rien au
concept tant il est déjà teinté de sonore, de sa plasticité comme de son immatérialité. Les mots
prononcés en guise d’explication sont les vecteurs de l’incarnation musicale. Ils sont des « lieux » que
l’imagination de chacune et chacun traverse de façon singulière pour mieux contribuer au rendu
collectif. Pourtant, leur fonction symbolique ne suffit pas. Le corps du chef vient alors s’intercaler
entre l’apprentie-cheffe et les choristes, proposant un autre « schème » d’action. Le geste que montre
Roland Hayrabédian à Cati Delolme comme une possible matrice pour incarner le style ohanien peut
surprendre tant il semble « rétréci » spatialement. À l’ampleur pratiquée par la jeune cheffe, Roland
Hayrabédian propose quant à lui un geste minutieux, presque antinomique avec l’idée de ce que
pourrait être une « percussion résonance » dans l’imaginaire collectif. Se joue ici la complémentarité
entre l’espace du dehors (le geste du chef qui se projette pour transmettre) et l’espace du dedans (celui
vécu intérieurement par chacune et chacun des choristes qui métabolisent, à leur tour, le geste du chef
via la symbolique des mots et l’analogie des images). Cette intériorité est toute entière emplie de
l’intériorité des autres – chef comme choristes. Chacun des acteurs partage, désormais, un même
régime d’audibilité. Pour François J. Bonnet, un régime d’audibilité est un régime d’écoute ou plus
précisément un « mode d’usage du son (que cet usage soit relatif à la génération du son, à sa
transmission ou à sa réception), mode qui dépend directement de la manière dont le son fait trace. »
(Bonnet, 2012, p. 18)
L’oscillation entre variabilité et permanence dans la Messe de Maurice Ohana prend corps dans une
trace « qui modifie (…) le son formellement, en tant qu’il fait trace en lui, c’est-à-dire qu’il
conditionne son existence en lui assignant un « lieu » (précisément celui où [l’oscillation] apparaît) et
un régime d’audibilité, c’est-à-dire une façon d’être écouté. » (Bonnet, 2012, p. 19)
Le second extrait – toujours issu de l’interprétation du Sanctus – montre plus précisément ce lieu de
l’apparaître de même que cette façon d’être écouté.
Extrait 2 / « Différents états ».
Le choix de cet extrait pourrait surprendre. Il n’est constitué que de mots, de gestes et d’intonations,
d’onomatopées rythmiques mis en acte par Roland Hayrabédian. L’objectif est, clairement, de
« sentir » comment pourrait s’incarner vocalement le geste de percussionniste auquel fait référence le
chef de choeur. Ohana donne, en effet, à ses interprètes une grande liberté : celle de retrouver l’oralité
dont sa musique procède. Ici, celle d’une musique pulsée, d’une impulsion rythmique venue d’un fond
d’improvisation. La précision de la métrique demande d’être teintée de fluidité, de « laisser aller » ou,
dans le cas de la musique, de « laisser passer ». Il s’agit alors d’accepter de passer par « différents
états ». Ces états nécessitent, pour être écoutés (incarnés, transmis et interprétés), de traverser
différents modes de communication : du sentir au conceptuel et vice versa. La « parole » en acte
portée par Roland Hayrabédian se détache de l’écrit qui ne semble plus suffire pour induire cette
incarnation. « En plus, c’est écrit, alors si c’est écrit… » relève Roland Hayrabédian avec humour et à
l’attention de l’un des choristes. La validation de la justesse du geste en adéquation avec la façon dont
le son doit être écouté (autant dans sa restitution que dans sa projection) nécessite une révision ferme
du statut de la partition, soit de la notation comme le suggère Roland Hayrabédian. Ceci pourrait
également sembler bien paradoxal dans la mesure où la notation a précisément joué dans notre
tradition occidentale un rôle de conservation du sonore. La partition est, elle aussi, une trace. Pourtant,
cette trace-là ne révèle en rien le régime d’audibilité qui permettra d’induire la façon dont doit être
musicalement écoutée la Messe d’Ohana.
Il est difficile de mettre en mots ces images. L’énonciation de la pensée en acte demande de réviser
nos façons de comprendre et d’expliquer. De ces quelques lignes, émerge une circularité entre le faire,
le penser, le sentir — l’un imprégnant l’autre soit de façon récursive, soit de façon anticipatrice. C’est
pourtant, dans cette circularité, dans cette superposition de couches réticulaires, que s’incarne le
régime d’audibilité de la Messe. Pour Bonnet,
[…] c’est la forme, à travers l’écoute, qui emporte le sonore vers l’audible, mais ne le dissout pas. La
forme, en tant que « puissance de langage » articule le sensible, le conditionne. L’audible […] est le son
qu’on écoute, qu’on lit, qu’on communique. L’écoute, en ce sens, est une écriture de l’audible sur le son,
en sorte de palimpseste. (Bonnet, 2012, p. 217)
Le palimpseste évoqué par Bonnet à la toute fin de cette citation permet, de façon métaphorique, de
mettre en mots (de façon imparfaite) cette boucle récursive que nous avons tenté d’approcher, bien
plus que de la cerner. De ces quelques extraits de la musique de Maurice Ohana en train d’être faite et
transmise, retenons une seule chose très simple. L’interaction entre fixité, mobilité et créativité se
trouve dans le geste : point de jonction du son et de la pensée. Pour Roland Hayrabédian, le geste est le
vecteur de la pensée, de même que la pensée prédispose la teneur du geste mais aussi sa forme en
adéquation étroite avec celle de la composition qui offre, dans ses interstices, ses souffles, ses blancs,
ses silences, le régime d’audibilité de l’oeuvre, c’est-à-dire la façon dont elle doit être écoutée mais
aussi reconstituée. La musique de Maurice Ohana, traversée par une poétique particulière, demande à
être pensée de manière plastique, comme un devenir et une projection qui sont portés par les corps et
les gestes en action, passages de frontières entre la musique et le public. Aux classifications
habituelles entre partition, compositeur et interprète est proposée une nouvelle forme de
« communication » qui n’a aucunement comme objectif la révélation d’une signification unique et
d’un mode unidirectionnel d’échange, basé sur un code préétabli. Tout se joue dans l’expérience vécue
et partagée du sonore dont l’enjeu n’est la simple communication, ni même le seul échange
intersubjectif. Pour Claude Levi-Strauss (Le Cru et le cuit, 1964), la musique est un langage à la fois
intelligible et intraduisible. Le sonore résiste et ce sont ces passages entre mobile et immobile, sons et
gestes qui nous permettent de l’approcher, même imparfaitement – de façon incertaine et vague, pour
le nommer, le jouer, l’interprèter. Pour le partager.
Tout un monde existe qui assume le son dans son évanescence, dans sa précarité, la révélant et la
travaillant au gré des expérimentations, desserrant le lien des discours. Finalement, c’est bien l’histoire de
la domination des discours sur le son et sur l’écoute qui est elle-même dominée par la peur et le refus du
précaire, de l’incertain et du vague. (Bonnet, 2012, p. 217)
Conclusion
La Messe de Maurice Ohana est créée en 1977 à Avignon en l’église St Agricol. De façon plus
académique, elle pose la question du rapport entre musique contemporaine et musique liturgique et sa
liberté d’écriture pourrait surprendre. Elle prend en effet quelques libertés, et propose un rituel
oecuménique, métissant les cultures du monde qu’elles soient profanes comme sacrées. Nous
conclurons simplement en rappelant qu’elle pourrait - elle-même - être un symbole d’une résonance
entre fixité, variabilité et créativité, soit une résonance de l’ouverture à la diversité des cultures que
l’unification de la messe avait oubliée. Rappelons que de 1962 (sous Jean XXIII) à 1965 (sous Paul
VI) a eu lieu le Vatican II (IIe Concile OEcuménique du Vatican) qui prône une ouverture au monde
moderne et à la culture contemporaine en défendant comme essentielle la place de l’homme dans le
monde, en réaction contre l’immobilisme de la tradition. Vatican II permet de se réapproprier un office
sans citation grégorienne. Cette oeuvre postconcilaire ose la confrontation entre parole sacrée et geste
musical. Elle est également façonnée par l’inspiration d’une oralité méditerranéenne, source originelle
des premiers chants chrétiens.
La Messe de Maurice Ohana est, elle-même, un point de jonction qui interroge la question de
l’innovation musicale, au point nodal où les gestes individuels et singuliers du compositeur, de
l’artiste, de l’interprète et du musicologue, en se superposant, peuvent débuter un dialogue des plus
féconds, souvent aux limites de l’intelligible, au plus près du sensible.
Références documentaires
OHANA, Maurice ; Hayrabédian, Roland (dir.), Choeur Contemporain et Musicatreize, Offices des
Oracles, Messa, Avoaha, Lys de Madrigaux, Montaigne/Naïve, 2003 (2cd).
—Messe (conducteur) pour soprano et mezzo, solistes, 2 choeurs et orchestre, versions pour
célébration liturgique et pour exécution concert, Paris, Jobert, 1977.
PROST Christine (1986). Maurice Ohana. Miroirs de l’oeuvre, Christine Prost (dir.), Paris, La Revue
Musicale.
BONNET François J. (2012). Les mots et les sons. Un archipel sonore, Paris, Éditions de l’Éclat.
1 Sauf information contraire, l’ensemble des sources est issu de l’ouvrage collectif consacré à Maurice Ohana sous la
direction de Christine Prost : (1986). Maurice Ohana. Miroirs de l’oeuvre, Christine Prost (dir.), Paris, La Revue Musicale.
Cet ouvrage constitue l’une des rares sources secondaires disponibles sur l’oeuvre du compositeur.
2 Orgue, Hautbois, trompette (ut), percussion (1 ou 2 exécutants ad lib.)
3 Entretien avec Roland Hayrabédian, 31/01/2018, Musicatreize, Marseille.
4 Il est né à Casablanca en 1913 et décédé à Paris en 1992.
5 Op. cit.
6 https://www.musicatreize.org/fr/mozaiques-roland-hayrabedian.html
7 Le choeur II [amateur] peut également être présent dans la version de concert. Il est facultatif dans les deux versions. Messe,
ÉD
8 Messe, Maurice Ohana, Paris : Éditions Jobert, 1977.
9 Retranscription, Entretien avec R. Hayrabédian, op. cit.
Pour citer cet article :
Esclapez, Christine, « La Messe (1977) de Maurice Ohana (1913-1992) Du mobile et de l’immobile : du son au geste (et vice versa) », in Bell, J. (dir.), L’Education Musicale, Lettre d’information n°125, Mars-Avril 2019.
(extract from AES Conference on Immersive and Interactive Audio, York, UK, 2019 March 27 – 29)
ABSTRACT MuX is a modular synthesizer audio-visual environment made for Virtual Reality (VR). In this paper, after describing MuX and its components, we present new elements developed for the environment, focusing on lumped and distributed physically-inspired models for sound synthesis. A simple interface was developed to control the physical models with gestures, expanding the interaction possibilities within MuX. Preliminary evaluation of MuX shows that as the number and complexity of the components increase, it becomes important to provide to the users ready-made machines instead of allowing them to build everything from scratch.
1 Introduction
The rapid development and low-cost solutions for Virtual Reality (VR) head-mounted displays have expanded the possibilities for new ways of creating interactive sonic experiences. In a VR experience, sound can direct the users’ attention, enhance the sense of presence and create time-varying sonic experiences by monitoring the location of the user [1]. Virtual Reality Musical Instruments (VRMIs) are a new category of digital instruments that can be played in a virtual space. These instruments afford new techniques and ways of interacting, since the instruments can be played with different kinds of controllers and mappings. Several suggestions and guidelines for creating VRMIs are described in [2], and [3]. One type of VRMI that recently appeared on the market is MuX. MuX is a modular synthesis and programming environment where the user builds instruments in the VR space. The user is immersed in a vast abstract space and can explore, tweak and alter the sound processing structure that floats in the virtual space around the user.Other popular digital synthesis environments such as Pure Data, Max/MSP and VCVRack allow for advanced patching and sonic explorations where the user is merely interacting using a keyboard and a mouse, unless an alternative controller is used. In MuX, one can build similar sound processing algorithms, but the experience is completely different because of the immersive nature of VR. In this experience, patches take the form of "machines" that are distributed throughout the 3D VR space where the user can navigate through and interact with. Here lies the novelty of MuX, because the software can be seen as an immersive audio programming environment, where both the interaction and the synthesis can be designed from scratch. MuX is currently available for purchase on the Steam VR platform with basic DSP components such as classical waveforms, a one-pole filter, and a one-sample delay. This paper expands MuX’s sound processing components with physics based models. The new components include strings, plates and bars implemented as alternative sound generators [4], [5]. Furthermore a nonlinear virtual analog (VA) model of the voltage-controlled Moog filter and the Serge Middle Wave Multiplier were implemented in the environment to modify and alter the sound [6], [7]. The models were created using MATLAB and the open-source C++ frameworks JUCE and VCVRack for prototyping and experimenting with the algorithms. Afterwards, the models were ported to MuX and Unity using Decochon’s C++ audio framework. The structure of the paper is as follows. Section 2 provides background on existing MuX blocks and creating simple music machines. Section 3 is devoted to the implementation of new components in general. We then conclude the paper, indicating further work in section 6.
Fig. 1: MuX blocks of different types. Only the cycle- logic is shown as an event component.
2 Background
In MuX it is possible to create "machines", that symbolize instruments or a sound processing structure, made from simple building blocks. By combining components into a signal processing chain, the user can form their own creations in real-time. The blocks can be defined into three categories (see Fig. 1):
• Stream components (components that deal with sound),
• Event components (components that deal with triggering events),
• I/O components (Components for altering param- eter values with motion).
The stream components consist of ordinary signal processing blocks such as oscillators, envelopes and filters. Basic arithmetics such as multiply, add and subtract fall under this category as well. These components are linked together by placing the output of one component into the input of the next. To obtain sound output, there is a speaker component, that feeds the output of the sound chain to the digital audio converter (DAC). Figure 2 depicts a simple machine that adds two oscillators, multiplies the add-block output with 0.5 and feeds it to the DAC.
The event components can trigger and alter the values of the stream components. The event compo- nents are connected together through small red wires that transmit the event or information carried by the components. By linking together these components one can create sequences and trigger-based variations as well as if-statements and for-loops.
The I/O components consist of buttons, knobs and sliders that require an input action from the user. When the slider component is moved, the new value is sent to the attached stream component.
Other interesting components in the MuX environment include marble generators and actuators that can trigger and move components around in space.
Fig. 2: Simple additive synthesis machine with two oscillators, an add, a multiply and a speaker (DAC).
3 Interaction with physical models
To interact with the physical models in a more intuitive way, a drum pad interface was created. This serves as the first prototype for motion based interaction in MuX. The user can play the drum pad by using the VR controllers to hit the virtual object, currently represented by a grey square. When hitting the drum pad, the events containing the velocity and strike position are triggered and can update the parameters for a physics based model. Figure 6 shows the drum pad interface being excited marbles, which can also be used as in- put. The figure also shows the event outputs, located underneath the drum pad, that send the information.
The position is normalized in the range [0,1] and mapped internally to a fixed grid point in the physical model component. However, the velocity is mapped directly and the user needs to perform the mapping. The goal of developing the drum pad interface is to extend this to others types of interaction, investigating the possibilities for VRMIs described in [2]. Further- more, there are several ways to improve upon this de- sign. Expanding the drum pad with haptic feedback and visualizing the user’s motion are possible exten- sions. Developing new interfaces and using "magical" interactions that would not be achievable outside of VR are of interest in MuX. Designing and developing the physical model and the interface simultaneously, would allow for for interesting customization.
However, the implementation and design considera- tions are left as further development.
Fig. 6: Prototype drum pad being excited with a rotating marble generator.
Fig. 7: Simple machine with two drum pads controlling two plates with wave-folding.
Figure 7 shows a simple performance setup with two drum pads controlling two plates. Each plate is connected to three Serge VCM and a simple reverb. The velocity is mapped to the input gain into the Serge VCM and the position is used to control pitch, impact position and reverb parameters.
4 Evaluation
This section describes a preliminary evaluation based on the experience from working with MuX. The evaluation is formed by informal user testing and exploration of the MuX environment. The goal of this evaluation was to obtain observations that can assist the development of a formal test. The informal testers can roughly be divided into three groups: musicians with no DSP experience, engineers with DSP and musical experi- ence and users with no musical experience. All of these had no prior experience with MuX.
5 Observations
It was observed that most new users enjoyed the experience of playing in MuX, however, understanding how to build machines from scratch is difficult. One strategy used to introduce new users were to have a pre-made machine and show how to alter values and sequence beats. By preparing the sounds and the sequencer logic, the new user only needs to connect wires to trigger the sounds at certain steps. These actions are nontrivial without guidance. However, after repeating the motion a couple of times, the user could interact without external help. For making simple tweaks and connections, MuX worked well for all of the groups, since understanding the controls and interacting with machines, is easy to learn for most, even for people with no previous VR experience. Here, MuX provides a platform for quick experimentation and performance with a ready-made machine.
Creating machines from scratch is a more demanding task for the user in terms of time and understanding the logic behind MuX. Experience with DSP and programming eases the learning process, however, mainly because of the many different component types, it takes time to learn.
6 Conclusion and further development
MuX has the potential to be used for performances, learning and artistic VR experiences. Furthermore, it is an excellent tool for sonic exploration and prototyping. In this paper we have outlined how we extended the MuX library with lumped or distributed components, and how these extensions shaped the learning experience of MuX in informal settings. We have observed that as the number and complexity of the components increase, it becomes important to onboard the users with ready-made (but sometimes incomplete) machines instead of building everything from scratch.
There are still many open areas to explore such as us- ability and interaction models for audio programming in VR. Further research might go in the direction of ex- tending the physical models and allow for connections in between models such as described in [4]. Allowing panning and spatial audio is a future direction for the project as well. Using location, distance and movement to alter the perceived sound opens up new directions for use and interaction inside of MuX. As of now, MuX is still under development, however a beta version can be bought through the Steam VR store.
@AES Conference on Immersive and Interactive Audio, York, UK, 2019 March 27 – 29
References
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PRISM – AMU/CNRS
Présentation réalisée dans le cadre du Séminaire du CLeMM 2019 :
« Musique(s) : pratiques sonores interinter-artistiques »
Aix-Marseille Université
« Ainsi le monde est mon oreille » (Margel, 2000, 259)
Dans cette brève présentation, nous nous attelons à formaliser une (re)présentation du sonore comme figure du sensible, en empruntant aux travaux physicalistes, sémiotiques ou encore phénoménologiques certaines orientations spécifiques. S’il n’est pas ici ouvertement question de musique, nous porterons néanmoins sur celle-ci un regard singulier, en considérant ce qui constitue ses qualités existentielles et ses valeurs expérientielles, à savoir ses dispositions sonnantes.
Nous débuterons par la proposition suivante : le sonore révèle le monde.
I. Sonore. Sensible
Réalité matérielle, figuration existentielle du réel ou encore modalité de l’expérience subjective, le sonore présente diverses facettes qui singularisent la place fondamentale qu’il occupe au sein du monde en tant qu’événement sensible. Comme dimension du réel, il se laisse saisir sous plusieurs aspects qui déterminent les postures et engagements de l’être qui le vit, pouvant restituer diversement un objet sonnant, un événement dont il détermine les contours, un processus sémiotique dont il anime la ré-sonance dans l’espace, ou encore un sujet sensible, fondamentalement ouvert au monde par l’intermédiaire de l’audible dans toute sa complexité – aurale et corporelle.
Animateur de l’expérience mondaine, le sonore figure le sensible, ou plus précisément, il s’entend ici comme figure du sensible, comme modalité expressive du monde. Car le sensible dit autant qu’il se dit ou qu’il donne à dire ; il s’adresse à l’individu pour le conduire à donner forme au monde, en lui conférant un sens. Et comme l’écrit Mikel Dufrenne, « tout commence avec le sensible » (Dufrenne, 1987, 70). En dévoilant tant le vivant que le vécu lui-même, le sensible se pose comme la dimension partagée par l’être et le monde : pour le premier, il désigne cette modalité incarnée de saisie de l’extériorité, à savoir de tout ce qui n’est pas lui et qui s’offre à ses sens ; pour le second, il figure sa fonction expressive, sa disposition essentielle de donner à-vivre au sujet un extérieur sensible, porteur de sens.
Le sensible désigne donc cette passerelle nécessaire entre l’individu et le monde sur laquelle repose la Vie, en tant qu’elle représente l’unité de l’être et du connaître et qu’elle révèle d’une part la connaissance de la réalité du monde et, d’autre part, la réalité de la connaissance dans le monde. Car comme l’explicite à nouveau Dufrenne, « à évoquer le sensible, c'est-à-dire ce qui est à sentir, la réflexion se situe d’emblée dans le monde, elle s’épargne d’avoir à le retrouver ou d’imposer au sujet de le retrouver. Le sensible se donne (à sentir), il est toujours déjà donné » (Dufrenne, 1987,35).
Ainsi, expression sensible, le sonore révèle le monde. En tant que donné mondain, il dévoile une expression singulière de l’existence des êtres et des choses, entendu que « l’existence se trame dans la permanence du son » (Le Breton, 2006, 118). Le sonore se présente alors comme un événement spatio-temporel révélateur d’une facette du monde, qui s’inscrit dans l’être, lui révèle son propre espace et son propre temps et lui offre la possibilité d’accorder du sens aux réalités qui animent la mouvance mondaine.
II. L’événement sonore
Dans une visée strictement acoustique, le terme sonore désigne la disposition physique propre à l’espace naturel de contenir des donné(e)s sensibles, dont l’essence repose sur une manifestation matérielle, temporelle et temporaire.
Parlant du son et de ses modalités d’existence, Jacques Fontanille et Jean Fisette précisent que « le son n’existe que sous la forme d’ondes qui se propagent en rebondissant d’une paroi à une autre et se reproduisent ainsi jusqu’à l’épuisement de l’impulsion initiale. Le son c’est donc essentiellement de l’énergie, des mouvements de propagation d’ondes, des rebondissements et, de là, un effet d’occupation de l’espace. » (Fontanille et Fisette, 2000, 82)
Les paramètres qui composent le sonore sont ainsi définis matériellement, dans une perspective physicaliste traditionnelle, comme des éléments mécaniques produits par une mise en mouvement de l’air conduisant à une déformation de l’espace, déformation limitée par la sphère de l’audible.
En effet, dans une perspective fidèle aux observations propres à ce que Roberto Casati et Jérôme Dokic qualifient de Théorie Classique, « les sons sont des oscillations ou des vibrations dans le spectre des fréquences comprises entre 16Hz et 20kHz, c'est-à-dire, celles auxquelles l'oreille humaine est sensible » (Casati et Dokic, 1994, 40).
Selon le physicalisme, le son se présente dans un premier temps comme une qualité donnée de l’espace qui se rapporte nécessairement à un objet déterminé. Pour la Théorie Classique, « les sons sont conçus en première instance comme des perturbations du milieu qui sépare le sujet de l'objet résonnant » (Casati et Dokic, 1994, 7).
L’existence du sonore révèle alors la présence d’un objet développant nécessairement une certaine activité dans l’espace, car la spécificité du son comme qualité repose fondamentalement sur la nature dynamique du sonore, sur sa capacité à occuper, à prendre possession du milieu qu’il investit, qu’il concrétise et qui sert sa propre réalisation. De ce fait, « la présence d'un son est un témoignage de quelque chose qui se passe, d'un événement, dont l'origine se trouve dans l'objet qui en est, en un sens, l'acteur ou la victime » (Casati et Dokic, 1994, 37).
Le son se dévoile ainsi être plus qu’une simple qualité de l’objet, mais plus précisément un mode d’être de la chose dans le monde. En rejoignant ici la Théorie Événementielle de Casati et Dokic, nous pouvons envisager le son non plus simplement comme un donné dans l’espace, signal externe de l’existence d’un objet, mais comme un dévoilement de la présence du monde, vision interne de la chose sonnante : « les sons sont à la fois des entités physiques et des intermédiaires perceptifs » (Casati et Dokic, 1994, 46).
À la différence de la Théorie Classique qui assimile le son à l’onde physique qui le caractérise matériellement dans l’espace en tant qu’objet traversant un milieu, la Théorie Événementielle envisage le son comme une disposition dynamique immanente à la chose qui occupe l’espace et qui participe ainsi à révéler un milieu.
En ce sens, le sonore dévoile « l'aspect dynamique du monde [qui] fait ainsi son apparition dans la perception auditive » (Casati et Dokic, 1994, 38), le son délaissant sa fonction de qualité objectale pour dévoiler sa nature de quale objectif, révélation subjective du caractère de l’objet ; car, « ce qui caractérise de façon unique, en tant que quale, une donnée sensorielle, […], est tout entier contenu dans le vécu, dans la donnée immédiate de cette réception sensorielle » (Delacour, 2001, 105).
III. Qualia sonores
Les qualia caractérisent les qualités propres à une chose établies à partir de son vécu sensible par un individu et « les qualia sont des propriétés "irrévocables", [et] non facultatives, de l’expérience sensorielle » (Delacour, 2001, 104).
Ils désignent ainsi la nature de l’objet en tant qu’il se révèle nécessairement comme une expérience subjective qualitative unique, entendu que « les qualia sont l’objet d’une connaissance "privée" : ils ne sont accessibles directement qu’au sujet de l’expérience » (Delacour, 2001, 104).
Ainsi, penser le son non pas comme qualité mais plus spécifiquement comme quale conduit à rejoindre à nouveau la Théorie Événementielle, en considérant que « les sons ne sont pas des qualités des objets, mais des événements qui intéressent des entités résonnantes » (Casati et Dokic, 1994, 7), entités qui trouvent un sens dans la concrétisation de leur sonnance à l’oreille de l’individu. Car le son sonne, et cette sonnance comme émergence première du son, comme pré-réalité, attend d’être captée par l’individu pour ré-sonner et s’accomplir dans l’acte subjectif qualitatif.
Que ce soit selon les perspectives de la Théorie Classique ou selon celles de la Théorie Événementielle, tout son révèle une activité inhérente à l’espace, et s’inscrit fondamentalement en cela dans une temporalité existentielle circonscrivante, car « si ce qui caractérise de façon unique les qualia, […], est tout entier contenu dans le vécu, […], les qualia sont étroitement liés au présent, et le plus souvent, à un ici. » (Delacour, 2001, 105).
Le sonore n’existe en effet au sein de l’espace que dans-le-temps de son émancipation matérielle, et « le son s’efface en même temps qu’il se donne à entendre, il existe dans l’éphémère » (Le Breton, 2006, 116).
Cette dimension temporelle du sonore restitue tant une exploitation du temps commun et partagé par l’être et le monde, qu’une représentation concrète de sa propre existence.
Car à la fois, il provient du temps, en découle et existe à partir de lui ; mais d’une autre façon, il en est une présentation matérielle, se proposant alors comme une figuration de la temporalité même, un donné-à-entendre du temps.
IV. Espace et temps
La matérialité sonore se présente ainsi ancrée dans deux dimensions, l’espace et le temps, dimensions qui dévoilent ses modalités d’apparition au monde.
Fondamentalement inscrit au cœur de l’expérience individuelle, le sonore suggère un nécessaire partage du temps et de l’espace avec un sujet, source de réalisation des apparitions sonnantes du monde : car « un son que personne n’entend, que personne ne perçoit, ou que personne ne parvient à appréhender n’est pas tout à fait un son » (Bonnet, 2012, 30).
Le sonore engage alors, pour et par sa concrétisation existentielle, un partage temporel de l’espace avec un individu qui, à travers son expérience, se trouve naturellement en-contact avec les vibrations spatiales, dimensions matérielles des sons, et leurs accorde valeur de qualia. De fait, « ce qui nous apparaît comme des qualités de l’expérience sont en réalité des propriétés présentées dans l’expérience » (Dokic, 2000, 78), et l’espace et le temps, supports existentiels du sonore, restituent les dimensions fondamentales sur lesquelles repose toute rencontre entre un objet-sonnant et un sujet résonant. L’individu s’inscrit dans la matière sonore autant qu’il l’inscrit dans le monde : « le son est en nous de la même façon que nous sommes dans le son » (Fisette, 2000, 86).
De même, la temporalité sonore s’accorde au temps vécu de l’être en-présence de l’événement sonore, qui concrétise l’existence spatiale des sons et leur appartenance à une réalité objectale, et rend réelle l’expression sonnante du monde.
Cette nécessaire présence subjective au cœur de l’événement sonore conduit à distinguer sa matérialité physique de sa réalité existentielle, en participant à concrétiser le monde pour et par un sujet qui en fait l’expérience. Car comme le souligne, Jacques Fontanille, « l’existence ne trouve son sens que dans la disjonction, dans la distension et les différentes manières de les réduire ou de les compenser. L’expérience, en revanche, ne trouve son sens que dans l’immersion dans le monde. […] on peut définir l’expérience comme production et acquisition de valeurs grâce à l’immédiateté de la relation au monde. » (Fontanille, 2007, 8-9).
V. Trace sonore
Cet accomplissement subjectif du son lui permet de devenir une réalité qui, bien que temporaire, n’en reste pas moins persistante, trouvant dans l’expérience individuelle sa révélation de donné mondain, potentiellement objectal et signifiant. Comme le précise François Bonnet,
« Avant de prendre corps ou de devenir signal, le sonore – le son, pour être, doit faire trace. Tel un parasite, il a besoin avant toute chose d’un hôte pour exister. […]. Comme le son disparait au moment même où il apparaît, ou plus exactement dans le moment de son apparition, la trace est pour lui le biais primordial d’intégration à un régime de permanence […]. » (Bonnet, 2012, 11).
De fait, il semble que le caractère temporel du sonore ne le réduise pas simplement à une réalité évanescente et éphémère et assimiler le son à la trace, c’est en un sens s’attacher à souligner son caractère de dépendance à un individu en-présence, en tant que le sonore s’inscrit dans l’être et y laisse sa marque. Et c'est ainsi que « le son fonde une relation au monde » (Fisette, 2000, 94).
Le sonore s’offre alors à penser tel un continuum qui participe à inscrire l’individu dans-le-monde, trace perpétuelle de l’existence de l’être et des choses, puisque « le son, […], prend possession de moi en un moment unique. Il est présent et détermine la singularité actuelle de mon Maintenant » (Straus, 1935, 445).
Dans l’espace qu’il occupe, le sonore prend place et offre à l’individu, son après son, instant après instant, des jalons constituant autant de repères pour l’expérience subjective et son inscription dans le monde ; car « la trace est avant tout le lien fragile vers l’endroit certain où le sonore a été et vers l’endroit certain d’où il pourra être convoqué de nouveau » (Bonnet, 2012, 11).
VI. Mouvance sonore
À la fois matière vibrante et temps vécu, le sonore manifeste la mouvance existentielle de l’être et du monde qu’il occupe. Car ces derniers se trouvent engagés dans une transformation continuelle de leurs propres réalités, en s’inscrivant dans des "temporalités-matérielles" spécifiques qui participent à caractériser leurs existences et leur co-existence. Le sonore figure la mouvance de l’être et des choses, le mouvement se proposant ici comme ce qui fonde le ce-qui-est, étant admis avec Henri Bergson que « le mouvement est la réalité même » (Bergson, 1938, 159), et désigne en ce sens la mobilité permanente de l’existence et la dimension nécessairement fluctuante de tout vécu subjectif.
« Le mouvement est ainsi ce qui fonde l’identité de l’être et de l’apparaître » (Patočka, 1980, 132) et penser la mouvance du son, c’est en ce sens envisager le continuum de la trace sonore qui singularise une facette de la manifestation du monde. Car, en rejoignant une nouvelle fois Jan Patočka, « nous ne regarderons donc pas le mouvement comme quelque chose qui présuppose toujours déjà un étant constitué, mais bien comme ce qui constitue l'étant, ce qui rend manifeste tel ou tel étant en faisant qu'il s'exprime d'une manière qui lui est originellement propre. Le mouvement est ce qui fait apparaître qu'il y a, pour un temps déterminé, une place dans le monde pour une réalité singulière déterminée parmi d'autres réalités singulières. » (Patočka, 1980, 103).
On constate alors la profondeur des relations que l’être entretient avec les éléments sonores qui l’entourent et la réciprocité qui les définissent, « comme si, tout d’un coup, le monde trouvait sa couleur ou sa profondeur, sans laquelle rien ne saurait apparaître, des objets ou des événements qui tissent le cours des choses » (Boissière, 2014, 11).
Le sonore nous donne en somme à sentir un « visage du monde » (Dufrenne, 1987, 32) ou plus précisément donne un visage au monde ; et se présente ainsi à nous le 'sentir' comme disposition humaine fondamentale conduisant à la réalisation de toutes apparitions, entendu avec Renaud Barbaras que « le sentir est mouvement vivant » (Barbaras, 1994, 62).
VII. Sentir le sonore
Pour Mikel Dufrenne, le 'sentir' comme modalité expérientielle ne se confond pas avec le 'percevoir' ; le premier « désigne une modalité de la relation qui lie le moi au monde » (Dufrenne, 1987, 32-33), alors que le second détermine sa considération, son interprétation et sa mise à distance.
Le 'sentir' marque en effet la disposition subjective d’entretenir une relation intime et continue avec le monde et signifie la « coexistence ou communion » (Dufrenne, 1987, 32) de l’être et du monde, en soulignant sa nécessaire disposition à faire émerger un possible-monde de par sa seule présence en son sein.
« Sentir ne concerne donc pas un sens déterminé, dont il y aurait à enregistrer l’impression qu’il reçoit, sentir désigne une modalité de relation qui lie le moi au monde. Ce qui est senti n’est pas une qualité vue, c’est un visage du monde, une certaine atmosphère qui s’exprime et se donne non pas à lire, encore moins à déchiffrer, mais à éprouver immédiatement. » (Dufrenne, 1987, 31-32)
Le 'sentir' se présente ainsi comme le support d’auto-révélation de l’être, puisque « l’individu ne prend conscience de soi qu’à travers le sentir, il éprouve son existence par les résonances sensorielles et perceptives qui ne cessent de le traverser » (Le Breton, 2006, 13).
Figure du sensible, le sonore se présente alors comme une modalité d’expression du monde qui, de par son événementialité, se donne à sentir. En ce sens, « nous entendons le monde sensible » (Fontanille et Fisette, 2000, 101), ce monde qui s’exprime, qui s’adresse à nous en concernant les sens, puisque « nous nous dirigeons vers le monde dans la communication sensible et le monde s’offre à nous » (Straus, 1935, 242).
Ainsi le monde se donne-t-il à-entendre pour se donner à-vivre dans l’oralité de sa présence – expression existentielle, pour l’auralité de l’être en-présence – concrétisation expérientielle.
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Pour citer cet article : Brétéché, Sylvain, « Où sonne le monde, résonne la musique. Qualia sonores de l’expérience sensible », in Bell, J., Brétéché, S., Marcel, B. et Mébarki, T. (dir.), « Musique(s) : pratiques sonores inter-artistiques » Séminaire du CLeMM 2019, L’Education Musicale, Lettre d’information n°125, Mars-Avril 2019.
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
PRISM – AMU/CNRS
conférence réalisée dans le cadre des séminaires du CLeMM
Dans les années 1990, apparait une pratique musicale qui consiste à enregistrer les sons et les images puis à les monter, avec pour finalité une production artistique que le compositeur Jean Piché définit comme « alliant musique et image en mouvement dans une expression sensorielle unifiée » et qu’à sa suite nous appelons vidéomusique. Comment faut-il comprendre cette « expression sensorielle unifiée » ? Pourrait-on décrire cette relation - entre ce que je vois et ce que j’entends – qui a pour résultat d’unifier cette expression sensorielle ? Pour tenter de répondre à la question de savoir ce qui unit, ici l’audio et le visuel, nous commencerons par évoquer l’histoire de la pratique du montage, qui est une caractéristique que la vidéomusique partage avec d’autres arts, notamment le cinéma et la musique concrète, deux arts dont à première vue la vidéomusique semble comme émerger. Dans la deuxième partie de cet article, je ferai une proposition concernant ce qui est « à l’œuvre » dans cette relation inter-artistique particulière.
I Les arts du montage
I.1 Expérimentations – collage, montage
Le terme montage trouve son origine dans la pratique cinématographique, du métier de monteur dont, premiers d’entre eux, Dziga Vertov et Lev Koulechov, pionniers du film expérimental soviétique des années 1920. Cette pratique consiste, dans un premier temps à enregistrer les images puis, dans un second temps, à les monter, c’est-à-dire à organiser de façon concrète leur rencontre ainsi que leur succession. Si cette opération, qui consiste à assembler des fragments, nous est maintenant devenu tellement évidente qu’on la croirait constitutive du cinéma, il n’en est cependant rien. Au tout début du cinématographe, à la fin du 19e siècle, le premier film des Frères Lumières, La sortie de l’usine Lumière (1895), ainsi que les films qu’ils tournent dans ces années-là ne sont pas encore « montés », avec des plans différents se succédant, mais se présentent comme des ensembles de plan très courts, au cadre fixe. La ville donne alors à voir un foisonnement d’activités hétérogènes qui semble proposer un espace privilégié aux artistes en quête d’expériences nouvelles, et les expérimentateurs de cet art nouveau s’essaient à le traduire : moyens de transport, humains et marchandises, lieux et voies des différentes activités humaines, atmosphère industrielle…
C’est un expérimentateur de talent, Georges Méliès, prestidigitateur et metteur en scène de théâtre de profession, qui va s’emparer de ce nouveau médium et lui inventer un premier vocabulaire poétique. À partir des procédés techniques appropriés que sont le fondu enchaîné, le gros plan, le ralenti, l’accéléré, l’usage de caches et de maquettes, l’arrêt sur image, il aboutit la fabrication de plans successifs susceptibles d’être montés entre eux. En 1902 il tourne son film Le voyage dans la lune qui connaît auprès du public un succès considérable.
Dès les années 1910, ce mouvement s’étend, aux arts plastiques dans leur ensemble, par la pratique du « collage ». Cette action consiste à extraire des éléments d’objets déjà existants, pour les réassembler, les monter sur un même support : découpes de photos, fragments de tapisserie, tous matériaux possibles à réemployer, dans un détournement qui nie la création ex nihilo. Ici coexistent le « même », l’identité, et le « différent » 1, l’altérité, « à l’intérieur d’un événement qui les réunit sans les confondre », esthétique que Jean-Marc Lachaud2 décrit ainsi :
« Dans un premier temps, l’artiste puise et sélectionne au cœur de la réalité un ensemble de morceaux hétéroclites. […] Dans un second temps, il assemble […] et met en rapport (de manière conflictuelle) les pièces de ce puzzle. Il les juxtapose, les superpose, les mixe. »3
Cette action qui consiste à couper et à coller, pour « monter » de l’hétéroclite par prélèvement sur de l’usuel, marque ainsi une pratique que l’on pourrait rapprocher d’un « geste type », propre à l’époque, en opposition aux procédés industriels qui enferment le prolétaire, ses gestes sur les chaines de montage, son quartier, dans la répétition du même, à l’identique : rationnel, mesuré, homogène, précis4.
Après la première guerre mondiale, le cinéma va devenir l’art de prédilection de toutes les théories et de toutes les expérimentations, en lien avec la ville industrieuse et ses masses prolétariennes. Partout, en Europe et dans le monde, des mouvements révolutionnaires prolétariens se font connaître et les artistes s’organisent en comités divers afin de contribuer à la révolution. Ainsi en Allemagne, Hans Richter, « Peintre, cinéaste, militant politique, théoricien de l’art, professeur de cinéma et historien du mouvement Dada […] »5, dirige en avril 1919 le comité d’action des artistes révolutionnaires, durant « l’éphémère phase communiste de la République des conseils de Munich »6. Dès le début des années 1920, il peint des rouleaux aux titres de Fugue et de Prélude et travaille avec Viking Eggeling à la réalisation de films abstraits, montrant « la vie des formes et des lignes dans le temps »7. Ces films abstraits vont porter des titres également empruntés au domaine musical : Rythmes 21 et Rythmes 23 pour Richter ; Symphonie diagonale pour Eggeling, marquant ainsi leurs intérêts respectifs pour la temporalité musicale et le rythme.
I.2 Le montage au cinéma – Dziga Vertov, Lev Koulechov
En Russie, après l’insurrection révolutionnaire bolchevique qui aboutit, en octobre 17, à la prise du pouvoir politique par les conseils ouvriers (Soviets), apparaissent nombre d’institutions nouvelles dont l’organisation LEF, Front gauche des Arts (Levyi Front Iskusstv), revue soviétique d’avant-garde, constructiviste, fondée notamment par le poète et dramaturge Vladimir Maïakovski, à laquelle participent les cinéastes Sergueï Eisenstein, Lev Koulechov et Dziga Vertov. Dans son article « Abstraction et cinéma en Russie »
« [Il] rêve d’un cinéma qui soit un “art d’imaginer les mouvements des choses dans l’espace”, “une géométrie dynamique, des courses de points, de lignes, de surfaces, de volumes10”. Le montage doit “être un extrait géométrique du mouvement au moyen d’une alternance captivante des images” ; le scénario notera “les signes graphiques du mouvement”. »11
Nous sommes très loin de la « fixation du fait » telle que l’envisageait originellement le LEF, et on voit combien le mouvement est le résultat de la transcription qu’en opère le montage, dans une construction et non dans une restitution naturaliste.
I.3 Le montage en musique : la musique concrète
En 1948, le polytechnicien Pierre Schaeffer fonde le studio d’Essai de la radio française, organisme destiné à la formation et à l’expérimentation radiophonique. Lors de l’écoute d’un disque dont le sillon a été accidentellement rayé, créant ainsi une boucle emprisonnant et répétant un peu moins d’une seconde de son, il fait une expérience d’écoute fortuite, réalisant que le son, ainsi décontextualisé, devient alors un « objet sonore », utilisable dans un autre contexte musical, s’il est monté avec d’autres sons. Il nomme la musique obtenue par ce moyen musique concrète, parce qu’issue directement du son travaillé concrètement sur la matière-son, défini comme objet sonore entier12, qu’il situe ainsi comme à l’opposé de l’abstraction qu’est la musique décrite sur partition13. La bande magnétique, sur laquelle sont enregistrés ces sons choisis, devient alors un instrument, un moyen de création, et il compose en 1948 Étude aux chemins de fer à partir de sons enregistrés de locomotives à vapeur dont les variations de vitesse, les sons inversés, montés dans une même œuvre, donnent à entendre non pas le caractère anecdotique des sons, mais l’idée abstraite, musicale, de variation produite par les moyens du studio.
La pratique de cet art s’inscrit ainsi, comme avant elle celle du cinéma, hors de la graphosphère, médiasphère de l’écrit14, dans laquelle la pratique musicale antérieure, dite savante, s’inscrivait précédemment de façon exclusive et les pratiques analytiques liées à la lecture de partitions musicales se trouvent ici sans objet. Or si la musique concrète, non plus décrite ou représentée sur partition mais inscrite sur support, pose ainsi à nouveaux frais la problématique de l’analyse musicale que dire alors de la vidéomusique, « alliant musique et image en mouvement dans une expression sensorielle unifiée » qui propose à l’œil et à l’oreille du spectateur le travail d’un déchiffrement de cette coprésence.
II La vidéomusique
II.1 Un art du temps
Le renouvellement des pratiques artistiques – développées en parallèle aux techniques de production et de reproduction apparues depuis la fin du XIXe siècle - a frappé d’obsolescence une grande part des savoirs faire artistiques antérieurs, et lorsque nous tentons de saisir une œuvre faisant intervenir tout à la fois de l’image et du son, nous nous trouvons dépourvus des moyens permettant d’échanger de l’information à son propos et, bien plus encore, pour en proposer une analyse. La première des difficultés de l’analyse de l’œuvre fixée sur support électronique, qu’est l’œuvre vidéomusicale, comme avant elle l’œuvre musicale concrète, c’est qu’elle n’est possible qu’in vivo, en temps réel puisque - n’ayant pas de système de représentation - nous ne pouvons faire le récit de ce qui devient au moment du visionnage de l’œuvre. Il semble alors opportun d’orienter l’examen de cette question de l’analyse de l’œuvre vidéomusicale en partant du point de vue de la perception temporelle qu’en a l’audio-spectateur, perception qui résulte de la relation de cet audio-spectateur à l’œuvre. Mais non seulement les pratiques analytiques antérieures, qui s’appliquaient aux œuvres transcriptibles sur papier, se trouvent sans objet pour ce qui concerne les œuvres fixées sur support électronique, mais notre embarras est également inhérent à la difficulté lexicale liée à notre héritage de la langue grecque, nominaliste et, par conséquent, substantialiste :
« […] la question platonicienne de l’esprit coïncide avec celle du nom et c’est précisément à cause de ce privilège reconnu au nom sur le verbe que la philosophie va être amenée dès le départ à s’orienter vers la recherche de formes séparées »15
écrit Françoise Dastur16, ainsi notre vocabulaire, héritage de l’indo-européen, semble-t-il mieux adapté à exprimer l’être que le devenir et, de ce rapport au monde – plus aisément pensé comme un objet statique et réductible à une somme d’objets « simples » que comme un système complexe en devenir - naissent les difficultés à décrire les relations que nous établissons, dans le temps, avec lui. L’aspect aporétique du Temps tient ainsi pour une grande part à la difficulté que nous connaissons à décrire l’action dans sa continuité, du fait de notre tendance à considérer cette action comme la somme des instantanés qui la compose, comme si la totalité (l’action) était la somme de ses parties (les instantanés). De plus, cette relation à l’œuvre est le résultat de l’action de l’audio-spectateur qui consiste à percevoir une multiplicité qu’il unifit dans la durée, qu’il s’agit par conséquent d’un principe dynamique qui trouve à s’accomplir dans la conscience de l’audio-spectateur, générant ce que nous appelons « Le discours » de l’œuvre.
II.2 Un art de la relation
C’est une relation double comprenant, d’une part, la relation établie au sein de la dyade audio-visuelle entre les deux médias qui coexistent et, d’autre part, celle établie entre cette dyade et l’audio-spectateur qui l’interprète en métaphorisant dans le temps. Cette méta-relation réunit ainsi en un seul système relationnel l’audio-spectateur informant dans sa temporalité la relation qu’il établit au sein de la dyade audio-visuelle17, ce que l’on peut résumer en disant que : (1) l’audio-spectateur entretient une relation dialogique à l’œuvre. Ce dialogue qu’il mène avec l’œuvre - l’interrogeant et trouvant, ou pas, de quoi nourrir ses questionnements - il le mène dans le temps, au fil d’une œuvre qui se parcourt et se dévoile progressivement suivant un mode que nous appelons discursif. Ce mode discursif de dévoilement de l’œuvre est la résultante d’une modulation de l’énergie dans le temps que perçoit l’audio-spectateur, et (2) cette modulation de l’énergie se fait pour chacun des deux médias, qui sont alors perçus par l’audio-spectateur sur un mode qui combine dans une relation interdiscursive ces deux énergies de façon à pouvoir s’orienter dans le flux temporel résultant. Ce type d’œuvre se trouve ainsi décrit comme étant le résultat d’une action dialogique interprétative de la dyade audiovisuelle dans le flux temporel de l’audio-spectateur, cette action interprétative permettant à l’œuvre de faire discours grâce au concours actif de l’audio-spectateur. C’est ainsi l'écart entre les deux médias qui est le lieu du dialogue que, dans la durée, nous faisons mener entre les deux médias.
II.3 Vers une herméneutique du discours intermédiatique
Nous sommes ainsi en possibilité de poser la question d’une pratique analytique de cette Relation : existe-t-il, ou peut-on créer, des repères permettant de s’orienter au cours de cette action de perception ? Est-il possible de discerner, dans ces « profilés d’écoulement d’énergie dans le temps » tels qu’ils sont perçus par l’audio-spectateur, des invariants qui nous permettraient d’établir une catégorisation nous rapprochant ainsi d’une herméneutique du discours intermédiatique tel que perçus par l’audio-spectateur ? A partir de ces hypothèses, j’ai proposé d’expérimenter au laboratoire Musique et Informatique de Marseille, le MIM, une méthode, un ensemble de conduites visant à établir un corpus lexical adéquat à l’analyse de ce type d’œuvre ainsi décrit, méthode dont les éléments ont été validé ou invalidé à la suite d’une série d’expérimentations conduite de 2011 à 2018, mettant cet ensemble de conduites et ce corpus lexical à l’épreuve de l’analyse d’œuvres vidéomusiques18 . Bien plus qu’à un problème de matières – sonore versus visuelle - c’est par l’écoute attentive de cela qui fait discours, c’est-à-dire des manières, que j’ai été conduit à proposer un ensemble de solutions. Suivant en cela les indications du musicologue Bernard Vecchione, pour qui, je le cite « la conduite d’écoute n’est pas nécessairement toujours un phénomène " auriculaire ", [et pour lequel] il ne s’agit pas, toujours et en tout, pour l’écoute que d’entendre, par l’oreille, du son »19, j’ai fait le constat que cette écoute - cette attention à la manière qu’a la vidéomusique de s’inscrire dans le monde - est de l’ordre du musical. Ainsi la complexité du déchiffrement ne tenant alors ni au nombre ni à la qualité des médias opérant dans l’œuvre, il s’avérait nécessaire de questionner le mode opératoire de l’œuvre, ses régimes discursifs, sa manière de devenir et d’être perçue comme devenant.
Bibliographie
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1 Lesage, Marie-Christine, Théâtre et interdisciplinarité, Revue d’études théâtrales, Registre 13, Presse Nouvelles Sorbonne, Printemps 2008, p. 22.
2 Docteur en philosophie et théoricien de l’art à l’université Paris 1- Panthéon-Sorbonne
3 Lachaud, Jean-Marc, « De l’usage du collage en art au XXe siècle », Socio-anthropologie [En ligne], 8 | 2000, mis en ligne le 15 janvier 2003, consulté le 23 mars 2018. URL : http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/120 ; DOI : 10.4000/socio-anthropologie.120
4 Voir par exemple le modèle d’Organisation Scientifique du Travail (OST), que prône le Taylorisme à partir des années 1880, et que met en œuvre dès 1908 Henry Ford, industriel Nord-Américain fondateur de l’entreprise du même nom.
5 Genton, François, « L’image libérée ou le cinéma selon Hans Richter », Ligeia 2010/1 (N° 97-100), p. 49-61. p. 49. Disponible via https://www.cairn.info/revue-ligeia-2010-1-page-49.htm [Consulté le 29 mars 2018].
6 Ibidem.
7 Idem, p.50
8 Pozner, Valérie, « Abstraction et cinéma en Russie », Ligeia 2009/1 (N° 89-92), p. 170-183. Disponible via https://www.cairn.info/revue-ligeia-2009-1-page-170.htm [Consulté le 29 mars 2018].
9 Valérie Pozner est chargée de recherche au CNRS, historienne du cinéma, spécialiste du cinéma russe et soviétique.
10 “My. Variant manifesta” (Nous, variante du manifeste), Kinofot, 1922, n° 1, p. 11-12. Cité par Valérie Pozner.
11 Pozner, Valérie, « Abstraction et cinéma en Russie », Ligeia 2009/1 (N° 89-92), Op. cité.
12 « Entier » au sens de suffisant pour se définir, identifiable comme un tout fini.
13 Dans l’esprit de Schaeffer, il s’agit de travailler concrètement la matière sonore en direction de l’abstraction que représente l’œuvre musical, contrairement à la démarche traditionnelle, que pratiquent un Boulez ou un Stockhausen par exemple, qui va de l’idée musicale, abstraite, vers le concret du sonore musical réalisé. Devant l’incompréhension générée par cette appellation il préfèrera bientôt le qualificatif « expérimentale » à celui de « concrète ». Cf. Chion, Michel, Guide des objets sonores, Pierre Schaeffer et la recherche musicale, Buchet/Chastel, 1983, p. 40.
14 Debray, Régis, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, 1991.
15 Dastur, Françoise, Dire le temps, esquisse d’une chrono-logie phénoménologique, La Versanne, encre marine, 2e édition revue et corrigée 2002 (1ère édition 1994), p. 18.
16 Les travaux de Françoise Dastur (1942) portent plus particulièrement sur la phénoménologie allemande et française. Universitaire, elle a publié de nombreux ouvrages et articles sur Edmund Husserl, Martin Heidegger, Hans Georg Gadamer, Maurice Merleau-Ponty, Jacques Derrida, et Paul Ricœur.
17 J’ai déjà développé ces idées dans un article intitulé La vidéomusique et son destinataire – Un exemple de coopération interprétative in « Des interprétations en musique », Ontologies de la Création en Musique – vol. 4 (à paraître), je ne fais donc ici que les reformuler « pour mémoire ».
18 Moreau, Jean-Pierre, De la perception à la représentation : vers une épistémologie de l’œuvre interdiscursive - Pour une analyse de l’œuvre vidéomusicale, mémoire de thèse, Faculté des Arts, Lettres, Langues et Sciences humaines, Ecole doctorale 354 – Langues, Lettres et Arts, AMU ; laboratoire PRISM, Perception, Représentations, Image, Son, Musique AMU-CNRS, UMR 7061, 2018.
19 Vecchione, Bernard, « Entre herméneutique et poétique : énonciateurs fictifs, polymorphes, signes condensés, écoute multivoque » in L’ascolta musicale : condotte, pratiche, grammatiche, LIM, 2008, p. 269
Pour citer cet article : Moreau, Jean-Pierre, « La vidéomusique, l’art du devenir en relation », in Bell, J., Brétéché, S., Marcel, B. et Mébarki, T. (dir.), «Musique(s) : pratiques sonores inter-artistiques » Séminaire du CLeMM 2019 - #1, L’éducation musicale, n° , Avril 2019.
“It’s a piece full of contrasts” says the 30-year-old from England who currently lives and works as a composer in Stuttgart, Germany. Mond(schatten) [Moon(shadow)] commissioned for flute and bass flute, composed in September 2017, was premiered on September 9, 2018 as part of the concert series “Orgel plus” in Kornwestheim near Stuttgart.
Impuls 11th International Ensemble and Composers Academy for Contemporary Music 2019 s’est tenu du 10 au 2 février dans la ville de Graz en Autriche. À cadence biennale, depuis 1998, et notamment dès la dernière décennie, Impuls représente l’un des moments de rencontre les plus importants en Europe pour les jeunes compositrices/compositeurs et les jeunes interprètes ou performers de musique expérimentale.
Impuls est caractérisé par une grande ouverture à l’avantage de la génération émergente. On peut compter quelques centaines de participants provenant de 50 pays : environ 150 jeunes interprètes participants à Impuls Academy et 125 jeunes créateurs inscrits aux cours de composition ou aux nombreux Special Programs de création. L’ouverture est déterminée par une sélection parmi les profils, des musiciens et des compositeurs participants, basée sur les projets novateurs ; il n’y a pas de limite d’âge et toutes les esthétiques ou les « zones » d’influence stylistique sont acceptées par le festival et par l’académie.
Dans l’édition 2019 du festival parmi les activités les plus remarquables dédiées aux jeunes interprètes professionnels on peut rappeler le concert d’ouverture tenu le 10 février par l’Ensemble Schallfeld à la Helmut List Halle, concert dirigé par Lars Mlekusch comprenant quelques œuvres des tutors de composition de l’académie (musiques de Alberto Posadas, Agata Zubel, Simon Steen-Andersen, Jorge Sánchez-Chiong et, pour clôturer la soirée, on a écouté Professor Bad Trip : Lesson 1 de Fausto Romitelli). L’Ensemble Schallfeld, fondé en 2013 par des alumni du Klangforum Wien et de l’Université KUG de Graz, aujourd’hui l’un des ensembles les plus importants sur la scène expérimentale internationale, s’engage notamment dans la promotion de musique de compositeurs émergents et dans la production d’œuvres du répertoire du 21ème siècle.
Le 12 février au Mumuth (György-Ligeti-Saal), l’attention s’est centrée sur la performance audiovisuelle. L’Ensemble Nikel a proposé la soirée intitulée CinemaScope Music, trois court-métrages de la CinemaScope Trilogie du cinéaste autrichien Peter Tscherkassky, L’arrivée (1998), Outer Space (1999) et Dream Work (2001), ont été utilisés comme point de départ pour la composition expérimentale. Six commandes ont été passées par des institutions faisant partie de l’EU-Ulysses Network à six compositrices/compositeurs : Simon Løffler, Joan Gómez Alemany, Clara Iannotta, Mirela Ivičević, Yoan Levy et Julian Malaussena.
La soirée du 13 février a vu des interprètes émergents prendre possession de la scène du Mumuth, les alumni du IEMA-Ensemble édition 2018/19 dirigé par Musashi Baba ont joué la musique de Witold Lutosławski (Slides, 1988), Rebecca Saunders (Into the Blue, 1996), George Benjamin (Octet, 1978), Bernhard Gander (Schlechtecharakterstücke, 2009), Francesco Filidei (I funerali dell'anarchico Serantini, 2005-2006) et John Zorn (Cobra, du 1984). Le soir du 14 toujours au Mumuth, l’ensemble Zone Expérimentale Basel dirigé par Mike Svoboda a interprété des œuvres de compositrices/compositeurs émergents : Misha Cvijovic, Stylianos Dimou, Rakhat-Bi Abdyssagin, Alyssa Aska, Martin Ritter et Martin Loridan. Tandis que, le 15 au soir le Klangforum Wien dirigé par Ilan Volkov a donné un concert à la Helmut List Halle incluant six nouvelles pièces commissionnées par Impuls Festival à compositrices et compositeurs alumni de l’ancienne édition Impuls 2017. On a écouté les créations de Jung-Eun Park, Hakan Ulus, Timothy McCormack, Chris Swithinbank et Nuno Costa.
La journée du 16 février a été dédiée à Impuls MinuteConcerts, Walk through Galleries with Music, une série de huit concerts de musique de chambre tenus par les interprètes de la Impuls académie dans des différents endroits de la ville liés à des actions artistiques. En parallèle le même jour, le Klangforum Wien dirigé par Ilan Volkov a tenu une Reading-session à l’Université de Graz (au Mumuth) proposant une lecture/répétition des nouvelles pièces de Simone Cardini, Matteo Gualandi, Alessandro Milia, Giulia Monducci, Idin Samimi Mofakham et Marcio Steuernage. Egalement dans la journée du 17, entre 10h et 23h, A Day on Campus and in the City (au KUG, au Forum Stadtpark, au musée MUWA et dans d’autres endroits stratégiques dans la ville de Graz), des solistes et des formations de chambre participants ont réalisé douze concerts. Le 19 et le 20 ont été aussi complètement dédiés à la vie dans le campus où se sont produits tous les participants dans la MarathonConcert I et II. Deux jours de musique de 17h jusqu’à environ 1h/2h du matin avec un répertoire allant du solo à la musique pour grand ensemble et avec des dizaines d’œuvres de compositeurs et compositrices participants et également de pièces de répertoire du 20ème e 21ème siècle. Une grande fête de l’interprétation et de la performance réalisée par les participants de Impuls à chaque édition. Grande Finale le 21 avec les Ensembles Impuls Academy 2019 dirigés par Ernst Kovacic, Lars Mlekusch et Peter Rundel, proposant musique de Salvatore Sciarrino (... da un Divertimento, 1968-1970), Luca Francesconi (A fuoco, 1995), Bernhard Gander (Beine und Strümpfe, 2007), Agata Zubel (Aphorisms on Milosz, 2011), Simon Steen-Andersen (On an Off and To and Fro, 2008), Francesco Filidei (Ballata Nr. 2, 2011) et Jorge Sánchez-Chiong (Final Girl, 2009).
L’offre d’activités liées à la création a été impressionnante même pour cette édition. Voici un catalogue des Special Academy programs pour jeunes compositrices et compositeurs : 1) Music Extended avec Simon Løffler, 2) Another Stage avec Jorge Sánchez-Chiong, 3) Extended Percussion Composition avec Michael Maierhof et Christian Dierstein, 4) Algorithms that Matter (ALMAT) avec David Pirrò, Hanns Holger Rutz et Robin Minard, 5) Composers meet Accordionists avec Bernhard Gander et Krassimir Sterev, 6) Micro-Music Lab avec Dmitri Kourliandski et Mats Scheidegger, 7) Reading sessions avec Klangforum Wien et Ilan Volkov, 8) Call for Scores: Voice_Noise_Toys avec Andreas Fischer et Agata Zubel, 9) Call for Scores: Piano ++ and Workshop-Forum avec Anna D´Errico, 10) Call for Scores : Viola Combined avec Geneviève Strosser et Dimitrios Polisoidis, 11) Call for Scores : Harp solo or chamber music with harp and oboe or clarinet, 12) Call for Scores : Writing for and playing avec Japanese Koto, 13) Call for Scores : IEMA-Ensemble 2018/19, 14) Call for Scores : zone expérimentale basel, 15) Oboe. Lecture, Sketches, Try-out & Feedback avec Ernest Rombout, 16) Notation seminar avec Clemens Merkel, 17) On Percussion. Masterclass for Composers avec Christian Dierstein, 18) Piano Preparation Workshop for Composers and Instrumentalists avec Andreas Orasch, 19) Commedia dell'ascolto avec Dmitri Kourliandski et Mats Scheidegger et 20) Yoga for Musicians avec Eva Furrer.
Pour visionner le programme complet des activités de Impuls 2019 visiter le site-web http://www.impuls.cc/home.html.
Thierry Pécou était cette année le compositeur invité du Festival Aspects des musiques d’Aujourd’hui de Caen. Pendant cet événement, près de trente pièces du compositeur ont été jouées, dont Outre-Mémoire, l’une des oeuvres maîtresses du compositeur. Brillamment interprétée par Marie-Pascale Talbot (piano), Yvon Quénéa (flûte), Julien Desgrange (clarinette) et Christophe Béguin (violoncelle), l’oeuvre fait référence à la difficile question de la traite des noirs. Ce quatuor dure près d’une heure, et parvient jusqu’à la fin à maintenir une grande tension musicale, non sans rappeler le quatuor pour la fin du temps de Messiaen. L’oeuvre s’ouvre sur des sons de grelots, faisant référence à la culture Bantoue, mais ce sont également les chaînes des esclaves qui résonnent dans cette ouverture… Il nous faut danser dans les chaînes, nous dit Nietzsche...
La Traite, commerce d'êtres humains "biens meubles" selon le Code Noir1, arrachés à l'Afrique par la puissance économique sans scrupule de l'Europe durant près de trois siècles, constitue un fait d'histoire d'une ampleur tragiquement colossale, dont certaines problématiques afférentes restent singulièrement contemporaines : néocolonialisme, violence, massification, marchandisation, libre-échange…
Arrêt sur mémoire, cérémonial de recueillement dépourvu de tout pathos, non pas recueillement de prière, mais une retraite de l'esprit pour donner à ressentir et à réfléchir, tel serait pour moi le sens de cette pièce d'environ 60 minutes, pour piano conçu comme un centre de gravité entouré de ses satellites : la flûte, la clarinette et le violoncelle.
Introduite par une référence au polo monte, culte afrocubain d'ascendance bantoue2, la partition se déroule comme une grande arche où s'imbriquent trois typologies musicales : quatre mouvements que je surnomme Mambù [mouvements 3, 7, 10 et 12], en référence aux chants liturgiques du polo monte qui portent la trace d'un discours des esclaves sur leurs ancêtres ; quatre mouvements nommés Traces-mémoires/effacement [mouvements 5, 7, 9 et 11] qui sont une façon de représenter musicalement l'absence, la disparition, l'effacement, la convergence vers le silence ; et enfin, trois mouvements dits Mulongas [mouvements 4, 6 et 8] du nom des formes d'expressions verbales et gestuelles pratiquées par les africains comme méthode de persuasion et que les esclaves retrouveront en Amérique comme moyen de défense dans les tribunaux. Ces mulongas suggèrent aux instrumentistes des déplacements, des mouvements corporels et font appel à l'improvisation.
Les références au palo monte sont d'ordre strictement conceptuel et n'interviennent jamais comme un matériau musical. La forêt et la mer sont deux espaces naturels dont la très forte symbolique est, dès le départ, contenue dans le son du grelot, instrument de la culture bantoue qui a traversé l'océan ("ce grelot-là vient de la mer, il a parcouru le monde, il a parcouru la mer", dit un chant afro-brésilien) devenant une petite clochette accrochée à la cheville des esclaves pour signaler leur fuite. Presque toujours, fuir (ou « maronner ») signifiait pour l'esclave chercher la protection de la forêt.
La ramification progressive de la vibration du grelot mouvement],qui est aussi le bruissement continu des insectes nocturnes de la forêt vierge*, amène au premier acte d'une cérémonie de polo monte : le marquage de quatre points de l'espace où l'on "attache le blanc" [mouvement 2], manière de protéger l'espace de tout ce qui pourrait déranger la cérémonie3.
La Décharge s'inspire d'un récit de Patrick Chamoiseau4 où l'écrivain martiniquais décrit la violente éruption intérieure du désir de liberté que tout esclave connaissait un jour. Ceux qui passaient à l'acte maronnaient vers la forêt, refuge en même temps que demeure des esprits des ancêtres.
Kalunga et Grands fonds rappellent le double sens du mot kikongo kalunga : La mer et le pays des morts. La mer évoque le moment de séparation, la traversée et la Traite, autant que le lieu de délestage de tous ceux qui n'ont pas survécu à la traversée.
Au long d'Outre-mémoire, je voulais que résonne l'inconcevable, " l'incomprenable " dirait Chamoiseau, mais cela dans la concentration la plus grande, sans effet et sans dramatisation, tel " un silencieux tocsin ".
*La forêt, et les énergies qu'elle abrite, appelle, attire ou entraîne les pratiquants du polo monte. L'espace protégé du rite [...] devient nfinga ou "afrique". Signalons que l'espace matériel dans lequel se déroulent les activités rituelles recrée un milieu "forestier" ou contient, tout au moins, une série d'éléments caractéristiques de la forêt tropicale. Martin LIENHARD, Le discours des esclaves de l'Afrique à l'Amérique Latine.
(1) Ordonnance royale ou Édit royal de mars 1685 touchant la police des îles de l'Amérique française, article XLIV : « Déclarons les Esclaves être meubles, & comme tels entrer en la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, et se partager également entre les cohéritiers sans préciput, ni droit d'aînesse ; n'être sujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal et Lignager, aux Droits Féodaux et Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni au retranchement des quatre Quints, en cas de disposition à cause de mort, ou testamentaire”
(2) Bantou : locuteur des langues bantoues, famille de langues africaines qui regroupe environ 400 langues parlées dans une vingtaine de pays de l'Afrique subéquatoriale. Le nombre total de bantous est évalué à 310 millions
(3) La partition comporte les coordonnées géographiques de 4 endroits (en Centrafrique et en Somalie, ainsi que deux points en pleine mer, l'un dans l'Océan Atlantique, l’autre dans l’Océan Indien) correspondant à des lieux particulièrement marqués par la traite et à des points aléatoires pris sur les routes maritimes de l'esclavage (tant occidental qu'oriental) où les corps des Africains - qui mouraient nombreux dans les cales des bateaux - étaient jetés à la mer. Ce sont des symboles, non utilisés musicalement.
(4)Patrick CHAMOISEAU, écrivain martiniquais né en 1953. Il reçut en 1992 le Prix Goncourt pour son roman Texaco et fut nommé Commandeur des Arts et des Lettres en 2010.
Une application minutieuse inspirée par un répertoire organistique allant de Frescobaldi jusqu'aux œuvres de l'auteur lui-même est le mot d'ordre de cet ouvrage qui veut faire suite à celui de La Musique et le Geste, aussi confié aux éditions Beauchesne.
Remarques porteuses d'expériences pratiques, libres présentations esthétiques accompagnant des lustres de concerts et d'enregistrements et qui permettent d'aller d'emblée à l'essentiel, de toucher ce noyau central qui libère les forces devant présider à l'interprétation. Rencontre entre l'esprit et le monde, comme la rencontre entre La Musique et le Geste, dans ce désir de céder dans l'aura musical au pouvoir de l'écriture.
Bref, un fil conducteur stratégique et fonctionnel, menant organistes et amateurs d'orgue, au gré de 142 œuvres abordées, à la source d'une écoute et d'un acte musical efficients et lumineux.
Bref répertoire des œuvres présentées
Parmi les 142 entrées se trouvent les auteurs suivants :
Frescobaldi, Michelangelo Rossi, Nicolas de Grigny, J. Stanly, Frei Jacinto, José Carlos Seixas, Vivaldi, Gesualdo, Haendel, D. Scarlatti, J.S. Bach (18 entrées), Mozart, F. Liszt, J. Reubke, C. Franck, F. Mendelshonn, R. Schumann, J. Brahms, Ch.M. Widor, Moussorgsky, Vierne, Rachmaninov, Tchaïkovski, Stravinski, Honegger, Dupré, Bacewicz, Max Bauman et... Jean Guillou (64 entrées)
LA MUSIQUE ET LE GESTE
Cet ouvrage illustre l’activité protéiforme de Jean Guillou et célèbre l’indissociable alliance de sa musique avec la littérature et les autres formes d’art qui s’y trouvent comme entretissées. À l’encontre de tout académisme, ces écrits, attachés à diverses circonstances, manifestent une inlassable projection dans l’avenir. De même nature prospective que ses œuvres musicales – plus de quatre-vingts opus aujourd’hui – qui font de lui l’un des compositeurs majeurs de notre temps, ces textes sont vifs et variés comme ses improvisations fulgurantes. Théoricien novateur, Jean Guillou est l’auteur de L’Orgue, Souvenir et Avenir (quatrième édition chez Symétrie) et on lui doit, dans la facture d’orgues, la conception de nombreux instruments construits à Zurich, Rome, Naples, Bruxelles, Tenerife, León et en France.
« Vitalisme », telle est cette source dans laquelle puisent l’interprète et le compositeur qu’il est, dans laquelle se définit l’essence de son art et se cristallise son geste créateur.
Jean Guillou, titulaire depuis 1963 des Grandes Orgues de Saint-Eustache à Paris, grand concertiste, est reconnu comme l’interprète exceptionnel de Liszt, Mozart, Schumann, Moussorgski ou Franck et, bien sûr, de Jean-Sébastien Bach dont il a enregistré une remarquable intégrale chez Philips. Il a également consacré plusieurs décennies de sa carrière à des cours de haute interprétation aux Master Classes de Zurich où il a formé plus de trois cents organistes. Le Visiteur est le titre de son œuvre en tant que poète.
Quel rapport entre les fifres de François Ier, les violons du Grand
Condé et le saxophone ? Entre Lully et Philidor qui composent
des marches pour les régiments de Louis xiv et la Marche tactique
du chevalier de Lirou en 1767 ? Entre les aubades dans les jardins
des Tuileries et les kiosques à musique de la Belle Époque ?
Entre la Musique des Guides et celle de la Garde républicaine ?
Entre Philidor et Berlioz ? Lully et d’Indy ? Saint-Saëns et Melchior ?
Au pays de la musique, l’orchestre militaire s’est fait sa place.
De grands noms comme des anonymes ont contribué à bâtir ses
répertoires adaptés au plein air, pour des effectifs fort variables,
des huit musiciens de 1766 aux orchestres monstres du xixe siècle
avec leur millier d’exécutants. Certes, la musique a toujours
été présente au sein des armées, mais quelle musique ? Celle du
tambour qui transmet les ordres ? Du concert dominical dans une
ville de garnison ? Celle du défilé ou celle de l’Opéra ? Rythmer
le pas, divertir le soldat au repos, fédérer les troupes et rassembler
le peuple, garder le souvenir, suivre la mode, autant de facettes,
autant de tâches qu’assume l’orchestre militaire. Toute une histoire.
Deux cahiers sont pour l’instant disponibles
dans cette remarquable collection qui a pour
but de présenter « les possibilités actuelles
d’emploi des techniques instrumentales
nouvelles à l’orchestre en réfléchissant à ce
qu’elles pourraient être à moyen terme.
Proposée par Dominique Delahoche à un
groupe de musiciens de haut niveau, elle est
destinée aux compositeurs mais également
aux interprètes, aux musiciens et aux
mélomanes. L’objectif de cette collection est
de susciter de nouvelles idées
d’orchestration. » Il ne s’git donc pas d’un traité d’orchestration, mais de permettre aux
compositeurs de découvrir les nouveaux « effets », les nouveaux emplois des instruments qu’ils
connaissent mais dont ils vont découvrir des possibilités nouvelles et insoupçonnées. Chaque
volume contient un CD qui illustre les sons nouveaux obtenus. Il contient aussi des illustrations
destinées à faciliter la mise en oeuvre des effets proposés.
Un premier volume intitulé Cahier d’instrumentation des tubas basses et contrebasses,
cimbasso et tubas ténors a été réalisé avec la collaboration de Florian Coutet. DLT2765.
Le lecteur y trouvera tous les éléments pour utiliser ces instruments au mieux de leurs
possibilités.
Le deuxième volume intitulé Cahier d’instrumentation de la Harpe a été réalisé avec la
collaboration de Manon Louis. DLT2766.
D’autres volumes sont annoncés consacrés aux clarinettes et aux flûtes. Bien sûr, les autres
instruments suivront. Cette édition remarquable est faite avec le soutien du Centre Culturel
André Malraux, Scène nationale / Vandoeuvre-lès-Nancy.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Nous avions rendu compte du premier
volume dans la lettre 113 d’avril 2017 et en
avions souligné toutes les qualités. Et nous
terminions par « Attendons la suite… ». La
voici donc, avec les mêmes qualités. « Les
chemins qui mènent à l’interprétation
musicale sont multiples et ont cependant
tous comme unique origine : l’oral. » C’est
sur cette intuition fondamentale qu’est bâti
ce cours de Formation Musicale. Chaque
exercice de chant comporte un
accompagnement « dans le style de… » qui le rend musicalement intéressant et pédagogiquement formateur. Exercices de rythme et de
lecture complètent l’ensemble, ainsi, bien sûr, que les exercices d’audition. Les professeurs qui
ont adopté le premier volume peuvent se réjouir d’avoir un cours complet si intéressant pour le
premier cycle.
D. Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Le volume 9 de la nouvelle édition Urtext des lieder de Schubert
contient ceux composés au printemps et à l'été de 1816, dont certains
font suite à des séries commencées en 1815. Disponible pour voix
haute, moyenne et basse, ce volume a pu être achevé par l’éminent
spécialiste de Schubert, Walter Dürr, malheureusement disparu au
début de l’année dernière.
Pour le contenu détaillé de ce volume, on pourra se reporter au site
de l’éditeur
https://www.baerenreiter.com/en/shop/product/details/BA9129/ car
il serait trop long d’en énumérer ici tout le contenu. La préface est
également passionnante autant que détaillée.
D. Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Chacun des préludes porte un titre : Saisissement, Elévation
immatérielle, L'empyrée, Rémission des fautes, des offenses.
L’auteur présente ainsi son oeuvre : « Envisagée dans une
perspective liturgique chrétienne, cette suite de quatre pièces
pourrait être jouée après l’eucharistie (nous pensons que l’auteur
veut dire : après la consécration) et pendant la communion.
Cependant avec le premier prélude, Saisissement, la musique
apparait comme une interrogation inquiète, et non comme une
adhésion recueillie au Credo de l’Église. Le deuxième prélude,
Élévation immatérielle, installe un climat d’intériorité, en suivant la
progression d’une arabesque se déployant de manière symétrique.
Le troisième prélude, L’Empyrée, suggère ce que serait la musique
du Paradis… Le titre, en faisant référence à d’anciennes croyances,
marque une distance avec l’imagerie chrétienne sans pour autant renoncer au désir d’élaborer
une musique d’essence spirituelle. Le dernier prélude, Rémission des fautes, des offenses, est
de nature énergique et développe de manière obsessionnelle les deux motifs symboliques
associés, pendant les quatre préludes, au sang du Christ. » Ajoutons que l’écriture vise
essentiellement à installer une ambiance. L’auteur ne donne aucune indication de registration
et l’oeuvre peut être jouée sur des instruments même modestes mais possédant, bien sûr, un
pédalier complet.
D. Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Pensé comme un hommage à l’orgue allemand et à ses plus grands
compositeurs, ce recueil est inspiré par les grands chorals de la
liturgie protestante mais comporte aussi des emprunts par l’auteur à
ses propres oeuvres. L’ensemble est de difficulté très variable et
possède donc un réel intérêt pédagogique. L’utilisation liturgique,
aussi bien protestante que catholique, est également évidente. Et bien
sûr, ces pièces peuvent être données en concert sur des orgues assez
différents : l’écriture ne demande pas un instrument trop typé…
Comme le dit l’auteur lui-même : « En conclusion, fidèle à ses
convictions de toujours, le compositeur n’aspire qu’à un but : allier le
plaisir de l’oreille à celui de l’esprit en communion avec l’interprète
et l’auditeur ».
D. Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Renouant avec une tradition qui eut ses heures de gloire mais fut
ensuite fort décriée, les transcriptions pour orgue de partitions
symphoniques sont aujourd’hui très prisées. Cette transcription de
Louis Robillard d’Orpheus, le 4e poème symphonique composé par
Franz Liszt n’est pas la première : Jean Guillou, entre autres, en a fait
une également. Celle que nous propose aujourd’hui Louis Robillard
est à la hauteur de ce grand organiste si fin connaisseur de son
instrument. L’orgue sonne effectivement comme un véritable
orchestre, et la régistration de ce poème symphonique en fait une
véritable recréation de l’oeuvre.
D. Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
L’auteur était Maître de chapelle de Sainte-Clotilde à Paris de 1904
à 1907, Tournemire étant titulaire du grand orgue. Contrairement à
l’usage, cette messe n’est pas destinée à un jour précis du calendrier
liturgique. La liturgie romaine a donné une importance particulière
au grand orgue, puisqu’il devient soliste et ne se contente plus
d’alterner ses interventions avec l’orgue de choeur. Avec cette Messe
pour grand orgue, Maurice Emmanuel ouvre la voix à Vierne,
Tournemire, Messiaen, Langlais, Litaize… Quatre parties seulement
composent cette pièce :
Entrée (sous forme de Récit),
Offertoire (en triptyque),
Communion (en variations),
Sortie (Prélude et fugue).
Cette nouvelle édition, révisée, annotée et registrée comporte des commentaires. La registration
proposée est celle qu’utilisait César Franck à Sainte-Clotilde. Si la lecture est claire, on
déplorera malheureusement les nombreuses mauvaises tournes.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Il s’agit de la version pour piano à quatre mains de l’oeuvre que nous
avons recensée dans la lettre n° 32 de juin 2014 où nous écrivions
ceci : « De difficulté moyenne, cette oeuvre autobiographique relève
de l’atmosphère du dessin animé. Encadrés par une musique qui sert
à la fois de générique de début et de fin, des portraits ou des scènes
vécues se succèdent, évoquant le château de la Grand-Front
d’Angoulême qui abrita la jeunesse de Francis Coiteux. Cette
musique bien réjouissante est abordable par des élèves de niveau
moyen. » Qu’en dire de plus sinon que des grands élèves… ou leurs
professeurs auront certainement bien du plaisir à interpréter ces
pièces si évocatrices et qui remontent le moral en ces temps un peu
troublés…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Nous avons déjà recensé un premier Nocturne dans la lettre n° 123 de
Novembre – Décembre 2018. Ce deuxième nocturne est dans la même
veine. La main droite déroule une série continue de croches quasiment
conjointes qui constituent une très jolie mélodie. C’est à peine si
quelques triolets viennent troubler le cours du discours dans les
dernières mesures. Les harmonies sont délicates et modulent
insensiblement, créant des atmosphères diverses, pleines de
délicatesse et de charme. L’accompagnement de main gauche
comporte deux plans sonores qu’il faudra mettre en valeur.
L’ensemble fera ressortir les qualités expressives de l’interprète, mais
qui devront être servies par une technique sans faille.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette très courte pièce (une minute) ne manquera pas de séduire les
inconditionnels du Marsupilami. Quant aux ignares, ils pourront aller
consulter Wikipédia… Bref, le sympathique animal fait des siennes
pendant la brève apparition qu’il fait à nos yeux et surtout à nos
oreilles. Musique descriptive ? Certes. Et le texte qui l’accompagne
ne nous démentira pas. Mais qui n’est pas pour cela sans poésie. Et
pas si facile ! Ce sera en tout cas un délicieux moment pour
l’interprète… et pour ses auditeurs !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Nous avions écrit à propos du premier volume : « En complément
des méthodes, et en alternative aux recueils de classiques, les
professeurs seront heureux de trouver ces pièces originales destinées
aux deux premières années de piano. Les mérites de l’auteur ne sont
plus à démontrer. Ces pièces mettront en place les structures
fondamentales de l’harmonie et de la mélodie tout en étant pleines
de charme et d’originalité, même les plus simples. Les formes
musicales se trouvent également représentées, du menuet au blues et
au rock en passant par la tarentelle, assurant une belle variété
stylistique. Bref, malgré sa simplicité, ce recueil offre aux débutants
un excellent répertoire qui sera agréable tant pour les élèves que pour
leurs auditeurs. » Ces 25 nouvelles pièces se situent tout à fait dans
la lignée des premières. Le niveau s’élève doucement mais le propos reste le même Du classique
au jazz et au blues en passant par le folklore, ces pièces originales, aussi variées que bien écrites,
contribueront à former le goût et l’oreille des jeunes pianistes.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Même si elle peut être utilisée comme « oeuvre pédagogique », cette
pièce est d’abord et avant tout une oeuvre musicale que bien des
pianistes pourraient mettre à leur répertoire. Le langage original de
cette grande pianiste et pédagogue, mais aussi compositrice
s’expriment dans cette pièce originale. On pourra trouver sur le site
des éditions Delatour un commentaire détaillé et surtout le lien vers
la vidéo pour entendre cette pièce https://www.youtube.com/watch?v=BGefZS82yv0 Mais l’essentiel est d’en sentir toute
l’expressivité, toute la densité musicale qui exprime si bien
« l’atmosphère « frissonnante » de « créatures » nocturnes
apparaissant peu à peu pour entamer une danse endiablée
interrompue dans l’affolement par les premières lueurs de l’aube, et
disparaissant comme elles étaient venues. »
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Il fut un temps – heureusement révolu – où ce recueil aurait été
considéré comme un sacrilège… Reprenant le fait que Beethoven
lui-même était passé maître dans les variations sur des thèmes
connus, et que les musiciens de jazz utilisent constamment la même
technique pour composer et improviser, l’auteur a repris un certain
nombre de thèmes ou même d’oeuvres de Beethoven pour en faire
d’authentique pièces de jazz. Les pièces de ce volume ont été
composées en vue du 250ème anniversaire de la naissance de
Beethoven, en 2020. Les titres annoncent, si j’ose dire, la couleur.
Ces sept pièces sont à la fois pleines d’humour et pleines de musique.
Une présentation tout à fait intéressante en est faite en fin de volume
et pourra ainsi guider les interprètes.
L’auteur termine par cette note que nous traduisons de notre mieux : « En vous souhaitant de
joyeux moments de musique ! » Il sera certainement exaucé !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Nous trouvons bien optimiste la réflexion de l’auteur sur le fait que
« les très jeunes enfants accèdent à la musique généralement par le
biais des comptines populaires. » Les institutions officielles n’ont que
trop souvent essayé de rompre cette tradition… Accueillons donc ce
volume avec joie et reconnaissance pour un compositeur qui nous
offre pas moins de trente cinq comptines (on pourrait plutôt, d’ailleurs,
parler ici de chansons) harmonisées sans déformation, mais avec une
délicatesse à la fois savante et simple du meilleur aloi. Espérons que
grâce à ce recueil les jeunes pianistes français retrouveront le chemin
de ces chansons qu’on pourra aussi leur faire chanter avant de les leur
faire jouer. Nous avions dit le mois dernier tout le bien que nous
pensions du disque d’Eric Lebrun Sur l’air de… On retrouve ici le
même esprit de sublimation par l’harmonie et de respect que nous avions salué dans ce disque.
On souhaiterait que ce recueil soit une base pour la formation culturelle et musicale des jeunes
pianistes… La liste des 35 morceaux se trouve sur le site de l’éditeur. Citons seulement Frère
Jacques, Compère Guilleri, A la claire fontaine… et tant d’autres ! Signalons aussi les
délicieuses illustrations d’Alexandre Flenghi.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
1. Bilboquet est un joyeux caprice à la formule rythmique
répétitive.
2. Marionnette est bâti, telle une passacaille, sur un thème de
basse chromatique en valeurs longues.
3. Théâtre d’ombres glisse en croches chromatiques.
4. Yo-yo au tempo rapide s’articule sur un « jeu de poignet
» grazioso.
5. Chasse aux papillons est écrite en motifs ternaires sur une
basse pédale en octave.
Le large ambitus utilisé représente une difficulté certaine. Ces
pièces comportent de nombreux doigtés qui obligent à l’utilisation
de la main gauche seule. (On se souvient d’un illustre concerto !)
Elles sont jouables en second cycle.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Eclats de cristal est une petite pièce d’une durée de 2’30 pour fin de premier cycle, début de
deuxième cycle. Elle commence en la mineur et se termine en la majeur dans un mode lumineux
et rêveur tout du long. On y trouve des doubles sons aux deux mains mais pas au même moment.
Pendant que la main gauche fait son rôle de basse, la main droite
chante, puis on a des arpèges à la main gauche accompagnant des
doubles sons à la main droite, rendant le chant plus passionné.
Quelques envolées à la main droite donnent un peu d’élan à
l’ensemble. On passe ensuite à un meno mosso court, donnant
l’impression de mélancolie passagère avant d’accélérer en arpège aux
deux mains vers la coda finale, rappelant l’éclat du début. Cette pièce
amènera un peu de lumière aux musiciens qui voudront bien
l’apprivoiser.
Marie Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Attention, le titre est trompeur, je parlerais plutôt de « sérénades
difficiles » ! A travers une écriture typiquement classique, Antoine
de Lhoyer, guitariste et compositeur français (1768 – 1852) utilise
un discours plein de finesse et de virtuosité.
Il faudra manier les gammes et les arpèges avec délicatesse afin de
faire ressortir le charme de cette musique.
Le déchiffrage de cet opus 36 est abordable pour des élèves à partir
du milieu du deuxième cycle. Néanmoins une maturité musicale et
technique propre au 3ème cycle en facilitera le sens et l’intérêt, surtout
dans l’optique de raviver sur la scène cette musique. Ces Six
Sérénades en duo respectent un équilibre en symbiose entre les deux
parties de guitare et constituent une étape incontournable pour
aborder ou se perfectionner dans le grand répertoire de la guitare en duo. L’élève trouvera une
structure harmonique évidente et de très belles modulations. La complicité très affirmée entre
les deux parties de guitare impose un véritable travail d’écoute réciproque.
Joué à l’origine dans des salons bourgeois, cette musique intimiste se caractérise par son
élégance et son caractère raffiné et chantant. Il serait dommage de laisser tomber en désuétude
ce répertoire !
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Voici une très belle pièce en mi mineur composée de deux parties. La
première est plutôt méditative, fondée sur une basse obstinée
entremêlée de mélismes et la deuxième à partir de la mesure 19, est
pleine de passion et expressive. Cette dernière partie est constituée
d’un arpège circulaire utilisant des campanelles et assoit un caractère
tourmenté et plaintif.
Cette pièce conviendra en fin de premier cycle. C’est une belle pièce
de concert qui étoffera le répertoire de la guitare pour les petits et…
pour les grands !
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Voici une magnifique valse en mi mineur abordable à partir du milieu
du 1er Cycle.
Cette petite pièce est valorisée par la guitare qui met en avant
l’atmosphère nostalgique et poétique véhiculée par cette musique.
Cette pièce agrémentera parfaitement les programmes d’auditions
d’élèves ou sera jouée simplement pour le plaisir, comme une
sucrerie ! On y trouvera des arpèges et gammes utilisant entre autres
des campanelles. L’auteur Hughes Chaffardon utilise des broderies
pour donner une impression de tourmente à travers un discours
mélismatique. Il s’agit d’une musique pleine de vie et mélodieuse qui
saura en motiver plus d’un !
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Vous trouverez dans cette suite de cinq études pour la guitare un
parfum très prononcé de flamenco. On rencontrera dans cette musique
inspirée, l’emploi de gammes et arpèges. L’utilisation du jeu en
campanelles dans ce contexte donne un caractère brave et mystérieux.
Il sera possible d’aborder cette suite Andalucía dés la fin du 1er Cycle.
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Il s’agit à la fois d’un concerto et d’une sorte de poème symphonique.
C’est une musique à programme, d’où le titre… L’auteur ne précise
pas quoi faire du texte qui commente ou même fait partie intégrante
du morceau. On peut supposer que, comme à l’habitude, il laisse toute
latitude aux interprètes, y compris celle de faire de ce concerto un mini
opéra… comique ! L’ensemble est, bien entendu, de grande qualité
musicale et n’engendre pas la mélancolie. On remarquera en
particulier le « Cours de mathématique » où l’on a retenu l’air mais
pas les paroles… Bref, comme souvent, l’auteur montre qu’humour et
musique peuvent faire bon ménage. Pour la culture des interprètes et
des auditeurs, il sera bon de leur rafraichir la mémoire à propos
d’Adam de la Halle et du Jeu de Robin et Marion…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
« Cette oeuvre très brève est une douce méditation où l’on peut
déceler des influences non intentionnelles de G. Fauré et R. Strauss
».
Les compositions de ce pianiste renommé ne cherchent pas la
nouveauté ; simplicité formelle, tonalité et modalité font partie de
son langage.
« La plupart de mes pièces sont une mise en forme de quelques
improvisations, inspirées par la vie et sorties du coeur ; musique sans
apprêts, parfois simple comme une chanson. Le style voyage entre
le Proche-Orient qui m’a donné le jour, l’Espagne, et un doux
romantisme redevable à Schumann ».
Ce Nocturne s’adresse à des élèves de second cycle (pour la partie
de violon).
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Introduction et danse est une courte pièce d’environ 2’50’’. De tempo
assez lent : 66 à la noire environ, l’introduction chante au violon,
pendant que le pianiste joue toujours les mêmes deux croches au
premier temps et arpège des accords à la main droite sur les
deuxièmes temps. Au violon on trouve quelques pizziccati dans
l’introduction et dans la partie Vif dans un tempo de valse à 160 à la
noire. Également quelques trilles donnent de l’excitation à ce passage
se terminant en tournoyant autour des mêmes notes : la, sol et ré avant
de revenir au tempo primo dans le premier thème. Puisse cette oeuvre
faire la joie des seconds cycles qui veulent danser !
Marie Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette petite pièce de 2’30 de niveau milieu de deuxième cycle pour
violon est dédiée à Laure Baran. On y retrouve la même envie de
ballade dans Paris que dans l’oeuvre pour clarinette recensée cidessous.
Mais bien qu’il y ait toujours une forme Sonate, cette fois le
thème est en do Majeur, donnant un air plus gai à la promenade. Cette
pièce, assez simple pour la main gauche, monte jusqu’en neuvième
position. On entend une valse mélodieusement accompagnée,
rappelant le vieux Paris des bals musette d’avant-guerre. Dans la
seconde partie se trouvent des techniques de main droite pas
évidentes : des liaisons décalées terminant piquées, mélangées à du
spiccato. La mélodie du début revient, amenant cette fois-ci une coda
toujours en do majeur avec une longue tenue sur un do deux octaves
au-dessus de la portée. Espérons que ce morceau donne envie aux jeunes interprètes de valser
un peu !
Marie Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Les pièces romantiques de Dvořák font partie du répertoire favori des
violonistes. Bella et Semjon Kalinowsky ont eu l’excellente idée de
transcrire ces pièces pour alto. Faisant remarquer que l’auteur avait
un particulier attachement à cet instrument qu’il a lui-même pratiqué,
ils justifient ainsi leur travail extrêmement respectueux de l’original.
La partie de piano est intégralement celle d’origine. Quant à la partie
d’alto, elle a été « soigneusement ajustée aux caractéristiques de
l’alto ». Seuls ont été ajoutés quelques doigtés et coups d’archet. Ce
sera une excellente occasion pour les altistes d’enrichir leur
répertoire.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette oeuvre pour alto avec accompagnement de piano est dédiée à
Valérie Girbal. Elle est d’une durée de 4 minutes environ et de niveau
fin de 1er cycle, abordant les 1ère et 3ème positions. Dans un tempo «
Paisible » à 92 à la noire, l’alto se « promène tranquillement dans une
rue charmante ». Il gambade, saute, en bon vivant qu’il est. « Le ciel
est bleu, les oiseaux chantent », l’alto dépeint alors les envolées et les
gazouillis en doubles croches. La ballade continue car « je sifflote » !
Suit un passage en doubles qui ramène le motif rythmique du début
toujours aussi gai. On entend ensuite les sirènes au piano. L’alto parle
en jouant «Koi ki gna ? …, Je suis effrayé ! Je suis terrifié ! », Le
pianiste lui répond : « La rue que vous empruntez ne figure pas sur la
carte ! ». L’alto : « Excusez-moi ! ». On entre alors dans un passage
inquiétant avec des notes piquées au piano qui évoquent le côté glaçant de l’endroit lugubre. «
Allez en prison ! » dit le pianiste, « désespéré », l’alto pleure. « Ah si la fée VIOLA pouvait me
venir en aide… ». En effet la fée amie des altistes ne tarde pas à lui ouvrir la porte de la prison
laissant l’altiste libre se s’enfuir en gambadant sur des coups d’archets faisant travailler tous les
muscles du bras droit : grand palmaire, petit palmaire, fléchisseur commun superficiel, les
biceps, les triceps et j’en passe tellement il y en a ! Voilà une oeuvre qui remonte le moral en
ces temps moroses…
Marie Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Pour les
violonistes, on
ne présente pas
ce violoniste et
compositeur
tchèque de la
fin du 19°
siècle. Il n’est
pas sûr qu’il
soit bien connu
des autres
instrumentistes
à part les violoncellistes pour qui cette méthode avait déjà été très partiellement adaptée jadis
par Louis Feuillard. Cet ouvrage est un grand classique pour les problèmes élémentaires de la
technique de la main droite au violon. Il était légitime de l’adapter au violoncelle mais cette fois
dans son intégralité et avec une adaptation spécifique à la technique d’archet du violoncelle.
C’est donc en trois volumes que paraissent les six sections de ces études. On connait le soin
particulier qu’apportent les éditions Bärenreiter à ce genre de publication. Celle-ci est donc
trilingue, tchèque, allemand et anglais. Elle comporte bien sûr une préface très intéressante de
l’auteur de l’adaptation.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Voici la bien joyeuse histoire d’un homard appelé Zig et d’une
améouicaine (admirez son accent…). Ce brave Zig..homard (peutêtre
les élèves ne savent-ils plus ce qu’est un « zigomar » : ce sera
l’occasion d’enrichir leur culture) est amoureux fou de son
améouicaine. Après bien des péripéties dont l’une donnera au
professeur l’occasion de faire connaître les sonneries militaires, tout
cela se termine par un mariage… avec carottes, oignons, échalotes,
ail, tomates, huile d’olive, fines herbes et cognac ! Ajoutons que
l’auteur nous fait passer par la grille du blues et différentes danses
aux rythmes caractéristiques. Bref, comme à l’habitude avec Claude-
Henry Joubert, on ne s’ennuie pas. Il s’agit, bien sûr, de musique à
programme. Chacun verra comment utiliser le texte : déclamé,
proclamé, mis en scène… tout est possible !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Partition d’accès difficile : préparation de l’instrument, lecture
en notation contemporaine, doigtés, interprétation.
S’adresse aux élèves de troisième cycle et de cycle spécialisé.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Voici, d’après le célèbre conte d’Andersen, racontées en musique, les
aventures du « vilain petit canard » qui est en fait un « noble cygne ».
Ce recueil de six pièces va nous raconter les diverses tribulations du
héros : 1-L'éclosion (1'10), 2-La mare aux canards (2'50), 3-La fuite
(1'35), 4-La chasse aux canards (2'20), 5-A la merci de l'hiver (2'40)
6-Renaissance (2'00).
Un texte se déroule tout au long de la partition, qui raconte l’histoire
de façon continue. Le discours musical est empreint de tendresse mais
aussi d’espièglerie… Il faudra aux interprètes une grande complicité
et un grand sens musical pour rendre les différentes nuances de la
partition. L’illustration de couverture, réalisée par le compositeur,
révèle bien l’esprit de la pièce.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
L’auteur aurait presque pu ajouter « orientale » à son titre : la tonalité
mineure, les rythmes, les mélismes font penser à l’orient lointain,
celui, fantasmé, des caravanes dans le désert. Une grande nostalgie se
dégage de cette jolie pièce. Après un andante molto moderato se
déroule un adagio espressivo dans la même veine. Au début comme
en certains autres endroits l’enchevêtrement en clé de sol des mains
du (ou de la…) pianiste crée une ambiance cristalline tandis qu’après
un moment plus agité l’ensemble se termine par un andante molto
moderato très expressif. Les deux instrumentistes interprètent ainsi
un véritable morceau de musique de chambre qui leur demandera
souplesse et écoute réciproque.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette pièce d’une durée de deux minutes trente et de niveau milieu de
2ème cycle, est dédiée en toute amitié à Fabienne Taillandier. On
plonge dans la valse typique du vieux Paris, utilisant une mélodie à la
clarinette, accompagnée par des arpèges au piano en sib majeur pour
illustrer cette image.
Ce premier thème est mélodieux, dansant et mélancolique. Ensuite
survient un deuxième thème plus enjoué et piqué, employant des
contres-temps accentués pour y ajouter un côté comique. On y aborde
les clés à la main gauche, des détachés dans les aigus dans différentes
nuances, mélangés à des liaisons décalées et des accents. Pour
terminer on revient sur le thème initial légèrement modifié, avant de
conclure par une coda dans la tonalité d’origine.
Marie Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Quelle joyeuse escapade ! Basson et piano s’entendent pour nous faire
faire une jolie promenade. On imagine facilement un joli paysage
dans lequel basson et piano viendraient s’ébattre de concert… Chacun
y trouve son compte et fait entendre sa voix à son tour. Après exposé
et développement vient une cadence en tempo libre qui met en valeur
les qualités techniques et musicales du bassoniste. Après quoi, c’est
au piano de réexposer joliment le thème avant que piano et basson ne
se retrouvent pour une joyeuse conclusion. L’ensemble devrait
procurer beaucoup de plaisir aux jeunes interprètes.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette très agréable Soirée Cubaine permettra aux interprètes de se
familiariser avec les rythmes et le langage de différentes danses
cubaines d’une façon bien agréable. On pourrait imaginer un
couplage avec le cours de danse… s’il existe dans le conservatoire.
Tout cela est fort bien écrit et plein d’entrain. Comme toujours dans
cette collection, la partie de piano peut être tenue par un élève : il
s’agit d’une initiation à la musique de chambre. La difficulté ne
tiendra pas tant à chacune des parties qu’à la synchronisation de
l’ensemble, mais le plaisir que l’on prendra à jouer cette charmante
pièce permettra de vaincre toutes les difficultés.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
L’auteur ne précise pas si, pour interpréter cette pièce il faut aussi être
bon nageur… Toujours est-il qu’il faudra faire toutes les preuves de
sa vélocité et de sa musicalité pour interpréter les différentes nages
proposées par la partition. Après un coup de sifflet annonçant le
départ, l’artiste commence par un plongeon et une longue coulée : le
papillon s’envole. Un commentaire présente chaque nage, qui pourra
être lu discrètement par un récitant… Vient ensuite le dos, puis la
brasse. Une cadence marque une tentative d’échappée et débouche
sur le crawl qui mène à la victoire et bien sûr le podium !
Musicalement, on se doute que cette pièce très agréable ne manque
pas de variété ! C’est à la fois une musique à programme et d’abord
de la très agréable et très jolie musique. Saluons cette pièce originale
et pleine de musique et d’humour.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Pourquoi onirique ? C’est que cette promenade se déroule dans une
atmosphère un peu troublante. Si la première partie est animée, son
côté joyeux est tempéré par des accords sinon dissonants du moins
parfois déstabilisants. La deuxième partie déroule « andante » une
délicate mélodie sur les accords lentement arpégés du piano dans une
ambiance effectivement rêveuse. La dernière partie reprend le début
puis module pour se terminer par un sol mineur inattendu.
L’ensemble ne manque ni de charme, ni de variété, ni de rêve…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Voici un tapis qui vole avec beaucoup d’élégance. La partie de
trompette nous déroule un thème fort sympathique et planant. La
pièce comporte trois parties : une exposition, un développement et
une réexposition. Pendant le développement, la partie de piano
s’envole en gammes successives qui peuvent suggérer le souffle du
vent qui se lève. C’est en tout cas, sans en avoir l’air, un excellent
exercice pour le jeune pianiste ! L’ensemble est de toute façon fort
plaisant.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
La dédicace n’est pas sans importance ici, ne serait-ce que pour
éclairer le titre qui ne parlera qu’à ceux du sérail… Cette pièce est
donc « Amicalement dédiée à M. Pierre Barbier (Inspecteur
Pédagogique Régional) de physique et désormais jeune tubiste. »
L’oeuvre est pleine de bonhommie… et de clins d’oeil ! Nous
commençons par un allegretto qui ressemble à une promenade dans
les couloirs. Puis nous entrons dans le vif du sujet avec une partie
qu’on verrait plus dédiée aux mathématiques qu’à la physique. Les
élèves semblent égrener sagement la table de multiplication. Suit
alors une aimable valse où piano et saxhorn s’échangent la mélodie. La table de multiplication
s’emballe alors pour une cadence qui débouche sur une fin… triomphale. L’inspection s’est
bien passée !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Le titre s’explique facilement par le nom du dédicataire… Le blues
est bien présent d’un bout à l’autre par sa gamme caractéristique, son
rythme ponctué parfois par un slap. La partition exige aussi une courte
improvisation sur la gamme Blues de do (entre 15 s et 30 s.) Ce
morceau de concours oblige, certes, l’interprète à faire preuve de
toutes ses qualités rythmique, mélodiques et d’improvisation, mais
c’est avant tout de l’excellente musique qui met remarquablement en
valeur l’instrument.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Nous avons rendu compte dans la lettre précédente de janvier-février
2019 de la parution de ces deux quatuors. Ajoutons simplement ici qu’ils
sont disponibles également sous cette référence en édition de poche, aussi
soignée que les partitions et contenant également la remarquable
introduction de Fabien Guilloux. Et comme il s’agit d’un compositeur
français, nous avons le plaisir d’avoir cette introduction en français…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Ce trio, d’écriture résolument contemporaine, est publié sous forme
de manuscrit. La première page donne les explications d’exécution
des différents signes et symboles utilisés dans la partition. L’oeuvre
comprend cinq parties : Après une première partie plutôt adagio
survient un interlude I, très court, largo. Suit alors un allegro molto
suivi d’un Interlude II également largo qui débouche sur une
cinquième partie qui commence Adagio pour continuer dans des
mouvements plus rapides. Ne nous y trompons pas : écriture
contemporaine ne signifie pas ici absence de mélodie, d’expression,
d’émotion, bien au contraire. On peut ici parler de lyrisme. C’est donc
une belle oeuvre à découvrir, mais par des ensembles de niveau
professionnel.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Mais oui, le « cor au fond des bois » est de retour, et il n’est pas de
Flégier ! Le beau poème de Vigny, tantôt chanté, tantôt récité, est
accompagné par un cor nostalgique à souhait, qui ne néglige pas les
effets d’une écriture contemporaine et un piano qui créée, lui aussi,
une ambiance sombre et un peu angoissante. On pourra écouter la
pièce sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=tnNsvXYhX-I avec, en première
partie, Bal des lueurs nocturnes (2007-2009). L’ensemble n’est
évidemment pas à la portée d’amateurs, mais mérite d’être découvert
et apprécié.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette composition date de 2015. Deux jours après les attentats
parisiens du 13 novembre, le glas de Notre-Dame sonne. Le
compositeur écrit : « Je suis sur le parvis… J’entends ce glas et
presque en même temps, j’entends aussi cet impossible hommage
musical qui résonne dans ma tête… ». « Recueillement, sobriété…
Peu d’instruments. Seulement un piano aux harmoniques
inharmoniques, quelques aigus diaphanes, une mélopée de
clarinette juste avant un ostinato de multiphoniques, bientôt relayé
par un hautbois… Un ostinato pour obstinément résister à la haine ».
Remarques d’écriture : l’armure de la partie de piano 2 comporte
trois bémols (mi, ré, do) ; la quatrième main ne sert qu’à exécuter des « glissés dans les cordes
avec le plat de l’ongle ».
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette nouvelle version est une commande du 15e Concours
international de musique de chambre de Lyon, qui se tiendra au
mois d’avril 2019, à l’occasion du 150e anniversaire de la
disparition d’Hector Berlioz.
La formation (flûte, clarinette en Sib, violon, violoncelle, piano et
voix) peut être intéressante pour produire cette oeuvre avec un petit
effectif dans une idée orchestrale. Il existe une version pour voix
aigüe et une pour voix grave. La gravure est soignée, la lecture
aisée.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cette pièce est écrite en quarts de tons. Très linéaire, elle utilise
des valeurs longues avec de longs trilles continus très lents, des
imitations ; quelques passages en homorythmie à l’unisson
dessinent une verticalité, toujours sur un accompagnement de
clusters liés, en syncopes de valeurs longues.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
L’oeuvre se découpe en trois parties :
« Promenade sentimentale » qui illustre les deux premiers vers du
poème,
« Effet de nuit », plus longue évocation,
« La mort », le premier poème de Verlaine.
Créée en 2013, cette pièce, d’une durée d’une dizaine de minutes,
représente un réel intérêt musical. L’écriture précise et variée
s’attache autant à la mélodie qu’à la rythmique, qu’aux effets, qu’aux
dynamiques, qu’aux indications d’interprétations.
L’instrumentation est la suivante : flûte, hautbois, clarinette en sib,
basson, cor en fa, harpe et quintette à cordes.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
On ne peut que
saluer la
publication de
cette oeuvre peu
connue, achevée
alors que le
compositeur n’a
que vingt et un
ans. C’est malgré
cela une oeuvre
pleinement
achevée, pleinement maîtrisée qui mérite d’être redécouverte et d’entrer au « répertoire ». Constituée de
quatre mouvements : Rome (Andante maestoso – Allegro ma non troppo), Florence (Allegro
vivace), Venise (Andante, sans lenteur) et Naples (Saltarelle : Allegro ma non troppo), elle est
à la fois pleine de fougue et de poésie. On en trouvera une présentation détaillée sur le site de
l’éditeur (https://symetrie.com/fr/titres/symphonie-en-la-mineur) par Cyril Bongers qui a
réalisé cette édition. Il en existe un excellent enregistrement par l’Orchestre de Bretagne dirigé
par Lionel Bringuier. http://www.timpani-records.com/1c1125.php L’oeuvre est couplée avec
un enregistrement du Concert pour piano, flûte, violoncelle et cordes par Brigitte Engerer,
piano, Magali Mosnier, flûte et Marc Coppey, violoncelle, toujours avec le même orchestre. Un
autre enregistrement est par ailleurs disponible sur YouTube
https://www.youtube.com/watch?time_continue=12&v=vH76tSMARCs
Remercions les éditions Symétrie pour ce remarquable travail d’édition.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Ce deuxième volume des écrits de Jean-Claude Risset (après le premier volume, Composer le son. Repères d’une exploration du monde sonore numérique, publié en 2014 dans la même collection) approfondit la présentation d’un univers musical novateur, fondé sur une nouvelle lutherie et une « nouvelle acoustique », résultant d’une meilleure connaissance physique du phénomène musical. Le numérique change la manière de composer. L’analyse et la synthèse numériques du son exercent un impact sur la perception musicale : les illusions auditives et la psycho-acoustique nourrissent également le travail du créateur, qui dispose de nouveaux outils (contrôle en temps réel, contrôle gestuel, le catalogue des sons synthétisés par l’ordinateur, les sons paradoxaux, etc.). Un grand chapitre est consacré aux textes de J.- C. Risset sur ses propres œuvres.
Jonathan Bell
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Musicologue et productrice à France-Musique, Corinne Schneider part du constat que « Les voyages sont inscrits au cœur même de la vie musicale » et que Mendelssohn, Liszt, Saint-Saëns, Rimski-Korsakow… se sont « confrontés à la réalité des cinq Continents ». Elle démontre que les compositeurs y découvriront de nouveaux rythmes, d’autres formes et enrichiront leur paysage sonore.
Les voyages sont utiles pour se former, trouver un poste, répondre à une commande, mais aussi pour pratiquer le tourisme et le thermalisme (H. Berlioz à Plombières en 1856… ; Ch. Gounod à Spa en 1872) ou simplement par curiosité. Une remarquable Bibliographie concerne des écrits des compositeurs (journaux, carnets, mémoires, correspondances, p. 221-226). L’Index très imposant démontrerait à lui seul l’impact des voyages (allant de H. Schütz et de la famille Bach jusqu’aux musiciens contemporains).
Cette apologie des voyages apporte une mine de renseignements sur ce corpus géant. Elle ne pouvait être réalisée qu’avec une très vaste culture générale (histoire, littérature, philosophie, histoire des mentalités et sensibilités, statut juridique des musiciens…) et un rare don pour structurer une matière débordante. Pour certains, la « contemplation d’un site se transforme en forme musicale » ; d’autres voyageront pour rencontrer et étudier auprès de maîtres prestigieux. Les Festivals se développant d’abord en Angleterre facilitent les rencontres internationales : Festival Beethoven (1845) et, surtout, de Bayreuth s’imposant comme un « lieu de pèlerinage ». Les Expositions universelles permettent aux pays organisateurs comme aux pays invités de promouvoir leurs artistes (Londres, 1851…). L’ethnomusicologie est aussi l’occasion de déplacements pour enregistrer sur le terrain : Z. Kodaly, B. Bartok…, Jean-Louis Florentz.
Les moyens de transport sont multiples : « voiturin », bateau à vapeur, diligence, chemin de fer… pour aller d’Italie à Vienne. En train, la structure et l’intrigue de sa Rhapsody in Blue sont apparues à G. Gershwin. En avion, vers 1958, K. Stockhausen entend le bruit qui a influencé son œuvre Carré et la forme de cette partition, en écoutant les partiels de spectre. En bateau, R. Wagner, en 1839, traverse la Mer Baltique, subit ouragan et tempête, et commence à écrire le livret du Vaisseau fantôme (1840) puis termine Der fliegende Holländer. D’autres musiciens ont été marins et compositeurs : A. Roussel, Jean Cras…, formés à la rude école de la mer. Les voyages sont donc sources d’émotions et de sensations.
Pour le chapitre IV : « Le tour du monde en 80 œuvres » (cf. J. Verne), l’auteure a opté pour un classement géographique. Elles découlent des enseignements des voyages, de découvertes et d’aventures personnelles. Si la traçabilité n’est pas toujours décelable, les récits et témoignages sont fiables. L’EUROPE a inspiré F. Mendelssohn (Les Hébrides), Glazounov (Fantaisie finlandaise), Liszt (Rhapsodie hongroise), Berlioz (Harold en Italie), Glinka (Souvenir d’une nuit d’été à Madrid). L’AFRIQUE et le PROCHE ORIENT sont évoqués, par exemple, par F. David (Mélodies orientales pour piano, Le Désert), Saint-Saëns (Africa), J.-L. Florentz (Les Marches du Soleil), H. Cowell (Persian Set). L’INDE, où Maurice Delage a séjourné, a suscité ses Quatre Poèmes hindous et Ragamalika (d’après un chant tamoul) ; Kamalaka de Jean-Claude Éloy fait appel aux structures du râga et aux vocalises nasalisées. L’INDONÉSIE a marqué Alexandre Tansman (Tour de la Forêt de Baldoeng, Le Gamelang de Bali) sans oublier Le Prince des Pagodes, ballet de Benjamin Britten. L’EXTRÊME ORIENT, avec la forme poétique du haïku japonais, a retenu l’attention de M. Delage (Sept Haï-kaïs) et d’O. Messiaen (avec ses Esquisses éponymes). Les AMÉRIQUES ont fait l’objet d’un mémorable répertoire, par exemple A. Dvorak (Symphonie du Nouveau Monde), D. Milhaud (Saudades do Brazil), A. Copland (A Frenchman in New York, El Salon Mexico), O. Messiaen (Des Canyons aux Étoiles)…
De lecture agréable et très instructif, avec une démarche originale et astucieuse mettant en œuvre les connaissances musicologiques et les talents journalistiques, ce livre fait l’apologie des voyages et des expériences de nombreux compositeurs. Corinne Schneider affirme à juste titre que « l’expérience intime et spirituelle du voyage s’inscrit en profondeur dans leur imagination et dans la musique qu’ils inventent » (p. 220).
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Jean-Luc Caron, médecin, musicologue et critique musical, s’est hautement spécialisé dans la musique nord-européenne et ses divers contextes historique, artistique et sociologique. Après s’être fait remarquer par ses livres sur Jean Sibelius et Edvard Grieg et La musique danoise et l’esprit du XIXe siècle, dans son nouvel ouvrage préfacé par le Professeur David Fanning (Université de Manchester), il situe Carl Nielsen « entre tradition et modernité ».
Carl Nielsen — le plus célèbre des compositeurs danois — est né le 9 juin 1865 en Fionie près d’Odense et mort le 3 octobre 1931 à Copenhague. En 1897, il est cornettiste à l’Orchestre militaire d’Odense et, quatre ans après, bénéficiera d’une formation musicale à Copenhague. Son œuvre assez hermétique comporte notamment 6 symphonies, 3 opéras, un Concerto pour violon (1911) très remarqué par Yehudi Menuhin, un Concerto pour flûte (1926), un Concerto pour clarinette (1928) et deux Fantaisies pour hautbois... Sa musique chorale comprend, entre autres : Hymnus amoris (1897), Trois Motets (1929), Hymne til Kunsten (Hymne à l’Art, 1929) et diverses Cantates parmi lesquelles celle pour le 50e anniversaire de l’Union danoise (1931) ; pour voix solistes : Quarante chants danois, Vingt mélodies populaires, Dix petits chants danois et, en musique de chambre : 5 Quatuors à cordes (entre 1897 et 1899), 3 Sonates pour violon… Il se situe dans le sillage du classicisme et de Johannes Brahms à la rigueur duquel il se réfère tout en se détachant du sentimentalisme.
Cet imposant livre, complété par un vaste Index des noms (p. 379-390) propose une utile Chronologie du compositeur, évoque deux personnalités marquantes de son entourage : Balduin Dahl (qui l’a découvert) et Johann Svendsen (qui l’a défendu). À partir du chapitre 5, l’auteur analyse et passe en revue de nombreuses œuvres. Le chapitre 22, particulièrement important, aborde son « positionnement esthétique général ». À noter le chapitre 24 : « Chauffeur ou chauffard ? ». Les lecteurs seront intéressés par les débuts de la Radio danoise (chapitre 25) ou encore son concept de danité (ch. 26). Jean-Luc Caron évoque aussi « les Nielsen, une famille danoise reflet de son époque » (ch. 27) ou encore « Carl nielsen intime » (ch. 28), rappelle les relations entre le compositeur et Paris. Sur le plan esthétique, il constate que les percussions représentent des éléments du modernisme nielsénien, relève son retour à Palestrina mais aussi sa position « aux confins de la tonalité » et répond ainsi à la question percutante : « Carl Nielsen : une tentative de dé-germanisation de la musique danoise ? » : il a voulu conférer à son pays une « foncière originalité » et atténuer la suprématie de la musique germanique. Il conclut cette monumentale étude en ces termes : « Dans une lente marche vers l’universalité qu’il eut probablement conscience de n’avoir pas pleinement atteinte, Nielsen rejeta avec force la soumission au puissant monde musical germanique, monde dont il savait reconnaître la valeur séculaire mais dont il savait devoir s’affranchir — un peu comme Jean Sibelius en Finlande — pour conquérir son propre langage. » (p. 375). Figure humaniste, créateur singulier à (re)découvrir.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Cet ouvrage s’étale dans la longue durée, de la Renaissance à la fin du XXe siècle. Il a pour objet de relater les événements, de définir les mouvements, les idéologies qui, depuis l’Europe, ont façonné le monde contemporain. La modernité européenne est étudiée sur les plans philosophique, politique, sociologique et artistique. L’auteur s’interroge : « La modernité a-t-elle (ou non) nourri le monstre du totalitarisme par le biais de sa définition abstraite de l’État ? » « Le modernisme en Art contenait-il (ou non) des éléments du fascisme via l’instauration d’une dictatures des médiocres et des sans-talent ? » (dernière de couverture). La modernité s’est efforcée d’émanciper l’homme et de proposer un discours de raison. Nicolas Papadimitriou — Professeur de Civilisation européenne moderne à l’Université Ionienne — considère la modernité « comme une expérience de vie pour atteindre la création artistique… » ou encore « comme espérance, déception, acte engagé, interprétation » et observe qu’il s’est attaché « à la décrire pour la retrouver. » (p. 7). Il définit donc la modernité européenne « comme position philosophique, bouleversement politique, point de vue social et perspective artistique ».
Dans la Première Partie (non intitulée), le premier chapitre est consacré à des définitions et questions relatives au modernisme, à la culture, à la civilisation en Europe (elle-même questionnée sur sa constitution). Le deuxième, historique, concerne un survol chronologique –avec les principaux événements (prise de Constantinople, invention de l’imprimerie, découverte du Nouveau Monde, le rôle des encyclopédistes…). Le troisième chapitre est d’ordre sociologique et ausculte la libération de l’individu, l’égalité, la justice, la bourgeoisie, les sociétés autogérée et laïque… (p. 23). Le quatrième, économique, aborde le capitalisme, la révolution industrielle, le libéralisme, mais aussi les marginaux… Le suivant, de caractère politique et juridique, revient sur la présomption d’innocence. Le sixième chapitre : « Philosophie » traite la désacralisation, la laïcisation et également la théologie. Le 7e s’attache à l’Art : figuratif/non figuratif ; personne/hermétique ;… la fin de l’art et le dernier art… avec des exemples précis (littérature, musique, poésie surréaliste). Les chapitres suivants abordent la morale, la condition postmoderne après les Lumières… (p. 49) et concluent sur « la revanche de la métaphysique ». Enfin, Post-scriptum (ch. 10) relève la perte du sens invalidant toute recherche de compréhension du monde. L’auto-accomplissement est la réponse de la modernité. La barbarie pétrie de certitude s’oppose à l’héritage européen en proie au doute. La Deuxième Partie : « Du bouleversement moderne à la condition postmoderne », avec des brefs textes épars, réexamine et exemplifie la problématique de la première partie en 6 chapitres. La Postface de Jean-Michel Bardez, directeur de la Collection, décentre sur la musique le questionnement de la modernité. Assertion conclusive et réponse à la problématique : « En proposant l’universel en face du globalisé, l’esprit européen moderne peut demeurer lucide, actuel et nécessaire ».
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
« La musique des peuples éloignés par l’espace n’a-t-elle pas les mêmes droits que celle des peuples éloignés par le temps ? »
Julien Tiersot, Notes d’ethnographie musicale, 1905
Dans son dernier ouvrage, Corinne Schneider, musicologue et productrice à France-Musique, nous invite à un voyage dans le temps et les grands espaces, à la recherche des « transferts culturels » musicaux dus à l’itinérance des compositeurs occidentaux. La période qu’elle couvre s’étend, grosso modo du XVe siècle (Jacob Obrecht invité à Ferrare en 1487 par la puissante dynastie d’Este), à nos jours (Voyage par-delà les fleuves et les monts de Hugues Dufourt, 2010), de la musique de la Renaissance à la création la plus contemporaine. Les sources de cette étude, érudite mais parfaitement accessible au grand public cultivé, consistent principalement en écrits intimes, mémoires et journaux de voyage, correspondances, entretiens et articles de presse. La bibliographie (p. 221), rassemble une cinquantaine d’auteurs, de Berlioz à Stockhausen, de Mozart à Ravel, en passant par Chabrier, Wagner, Bartók, Gottschalk, Liszt, Debussy, Steve Reich, Claude Vivier, etc. L’ouvrage aborde tout d’abord les raisons qui poussèrent compositeurs et interprètes à voyager, puis s’intéresse aux moyens de transports utilisés et s’achève sur l’évocation de l’appel de la mer et du grand large. Il nous propose, pour finir, un riche « Tour du monde en 80 œuvres », sélection répartie sur les différents continents et sous-continents, de l’Europe aux Amériques, de l’Afrique aux mondes indiens et orientaux.
Pourquoi voyager ? Aucun amoureux de Bach n’ignore le périple du jeune Jean-Sébastien, allant à pied jusqu’à Lübeck, en 1704, pour écouter à l’orgue Buxtehude. Souvent, la quête d’une formation jeta les jeunes artistes sur les routes menant plutôt en Italie, aux XVIIe et XVIIIe siècles (Schütz quitte la Thuringe pour venir étudier auprès de Gabrieli, Haendel rencontre Corelli à Rome). Au XIXe siècle, les conservatoires de Paris ou de Leipzig drainaient les jeunes prodiges de l’Europe entière, Russie comprise. Le XXe siècle enfin, vit arriver les jeunes artistes d’outre Atlantique, venus suivre à Paris les cours de Nadia Boulanger ou ceux de Messiaen. La recherche d’une formation donc, mais aussi celle d’un poste, d’une protection princière, amenaient les musiciens à voyager à travers l’Europe : Caldara travailla successivement en Espagne puis en Autriche, Scarlatti au Portugal et en Espagne; à partir de 1750, le toscan Vincenzo Manfredini fit carrière à Saint-Pétersbourg; en 1776, Piccinni quitta l’Italie pour la cour de Versailles afin d’enseigner le chant à Marie-Antoinette et Mozart, chacun le sait, eut une enfance internationale. Au XIXe siècle, la condition sociale des musiciens se transformant, il leur fut désormais possible de vivre de leur art sans dépendre d’un mécène. L’Autrichien Ignace Pleyel, par exemple, ouvrit à Paris une maison d’édition, puis fonda, en 1809, la fameuse manufacture de piano éponyme ; le Tchèque Antoine Reicha enseigna à Berlioz, Franck et Gounod fugue et contrepoint au Conservatoire de Paris; Dvořák lui, professait à New-York; Philippe Leroux, depuis 2011, enseigne au Québec. La commande d’une œuvre justifiait également que l’on se déplaçât vers les capitales culturelles Vienne, Paris, Londres et plus tard New-York : Cavalli vint à Paris à l’appel de Mazarin, Carl Maria von Weber se rendit à Londres, où il mourut, pour y créer Oberon sur les planches de Covent-Garden, Puccini vogua vers les États-Unis afin de superviser le festival qui lui était consacré et trouva, lors de ce séjour outre atlantique, le sujet de La Fanciulla del West. Les interprètes ne voyageaient pas moins que les compositeurs et quelques-uns passèrent leur vie sur les routes, à l’instar de Clementi, infatigable voyageur et de John Field, l’un de ses meilleurs élèves, qui sillonna l’Europe pour faire connaître les pianos de la marque créée par son maître. Mais le virtuose Sigismund Thalberg bat tous les records : Viennois, il arrive à Paris en 1835 et commence une tournée de concerts qui l’emmène absolument partout en Europe puis, à partir de 1855, jusqu’au Brésil et en Argentine. Liszt ne le lui cède en rien et la liste des concerts donnés entre 1836 et 1847 est époustouflante ; s’il ne se rend jamais en Amérique, il pousse tout de même jusqu’en Ukraine et en Turquie (il est à Constantinople en 1847). Ces périples n’allaient pas sans contraintes : dans ses Mémoires (Premier voyage en Allemagne), Berlioz se plaint du poids des partitions et du matériel d’orchestre qu’il lui faut faire transporter dans les fourgons de la poste. À partir du XXe siècle, les tournées deviennent mondiales. Le pianiste Alexandre Tansman, polonais naturalisé français fait le tour du monde entre 1932 et 1933; il en tire une partition pour piano, évocation musicale des lieux les plus exotiques qu’il visita, de Honolulu à Java, du Japon à Naples. Les festivals sont également d’inévitables rendez-vous pour les artistes; Aix-la-Chapelle, Bonn, les Proms de Londres, fondés en 1895, Bayreuth et son Bühnenfestpiel wagnérien à partir de 1876, lequel n’attire pas que des mélomanes : Guy Ropartz note, dans ses carnets de voyage qu’il y vit en vente chez un mercier, des « Pantoufles-Parsifal. » (C. Schneider, p. 47) ! Les expositions universelles favorisèrent les échanges culturels, à Paris par exemple, où l’on découvrit la musique russe, celle de Rimski-Korsakov ou de Glazounov, avec enthousiasme, ainsi que les traditions musicales des colonies. Parallèlement, nous y reviendrons, les sciences ethnographiques prenaient leur essor (le premier Musée de l’Ethnographie ouvrit à Paris en 1878). Précisément, la fin du XIXe siècle, siècle scientifique s’il en fut, vit se développer l’ethnomusicologie, pratique favorisée par l’évolution des mentalités bien sûr et les nouvelles techniques d’enregistrement des sons. John Lomax, mort en 1948, collectionnait les chants de cow-boys, Ralph Vaughan Williams les chants religieux d’Écosse ou d’Irlande, le père Komitas les chants arméniens, avant le génocide de 1915 ; Bartók enfin, recueillit des milliers de chansons qui furent éditées sous la direction de Kodály. Corinne Schneider, identifiant une autre cause de déplacement pour les compositeurs et les interprètes, la villégiature, les thermes et le tourisme, observe l’attrait tout particulier des montagnes; les Alpes, la Suisse, où se réfugient Wagner, Rachmaninov, Stravinsky. Wagner, Malher préfèrent Marienbad; Berlioz, Bade ou Plombières dans les Vosges, cité thermale mise à la mode par Napoléon III; Camille Saint-Saëns passait l’hiver à Alger !
S’intéressant aux rapports des musiciens avec les moyens de transport, rapports souvent enthousiastes, parfois douloureux, Corinne Schneider cite Gershwin : « J’étais dans le train, avec son rythme d’acier, son bruit cliquetant si stimulant pour le compositeur (j’entends souvent de la musique au cœur même du bruit), lorsque j’entendis soudain, je la vis même sur le papier, toute la structure de la Rhapsody du début jusqu’à la fin. » (p. 75). Stockhausen attribuait à ses voyages fréquents en avion dans les années 1950, la transformation de sa conception du temps musical : « J’adore l’avion […] Un physicien dirait que le bruit du moteur ne changeait pas, mais moi, je dis qu’il changeait sans arrêt, parce que j’écoutais tous les partiels du spectre. » (p. 77) Assurément, les artistes ont apprécié le progrès des transports, si l’on en croit leurs descriptions de l’inconfort des moyens disponibles encore au XIXe siècle, tels que le « voiturin » tiré par deux chevaux que prit Gounod pour se rendre à la Villa Medicis, carriole brinquebalante. Gotschalk préférait encore voyager à cheval, à Cuba par exemple ! Berlioz narre son périple en Russie, en traineau de fer, balloté pendant quatre jours et autant de nuits : « De là force contusions à la tête et aux membres, causés par les chocs qu’on reçoit à chaque instant des parois du traineau. De plus on y est pris d’envie de vomir et d’un malaise que je crois pouvoir appeler le mal de neige à cause de sa ressemblance avec le mal de mer. » (p. 88) L’amélioration du confort des sleeping-cars, suscita une incroyable floraison d’œuvres dédiées au chemin de fer et à la locomotive. Pacific 231, d’Honegger, composé en 1923 pour accompagner La Roue, film muet d’Abel Gance, est bien connue. Mais il est un grand nombre d’autres partitions vantant la fascinante machine à vapeur. Ravel appelait de ses vœux une symphonie qui lui fût consacrée : « Les sons ordinaires et quotidiens de nos chemins de fer pourraient devenir des œuvres qui nous raconteraient nos progrès ». Berlioz fit en 1846 une cantate de circonstance pour ténor : Le chant des chemins de fer. Charles-Valentin Alkan, Charles Ives, Jacques Ibert, Villa-Lobos, Pierre Schaeffer, Django Reinhardt, Steve Reich, tous ces compositeurs consacrèrent une œuvre au train, symbole du progrès industriel. Permettons-nous, modestement, d’ajouter à la très exhaustive liste proposée par Corinne Schneider, Arrival Platform Humlet, partition pour piano due à l’Australien Percy Aldridge Grainger (1882-1961), composée à Victoria Railway Station en février 1908. Notons pour conclure que les instruments eux aussi voyageant, les facteurs rivalisèrent d’ingéniosité pour les rendre transportables, démontables, et presque télescopiques.
L’avant dernier chapitre de cette belle étude est placé sous le parrainage de Baudelaire : « La musique souvent me prend comme une mer. » Mendelssohn, Chabrier, Glazounov, Elgar, Vaughan Williams, Debussy bien sûr, Jacques Ibert et bien d’autres célébrèrent cette sublime inspiratrice des poètes et des compositeurs. Le profane ajoutera timidement Charles Trenet… Berlioz enfant rêvait de prendre le large : « Je passais de longues heures devant des mappemondes […] » Son fils Louis fut d’ailleurs capitaine au long cours. Très opportunément, Corinne Schneider s’appesantit sur le cas de compositeurs qui furent d’abord marins avant d’écrire de la musique; Rimski-Korsakov, Albert Roussel, Antoine Mariotte et Jean Cras. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier, parce que, à la différence des autres, il ne démissionna jamais de la marine, ce qui lui valut d’ailleurs le surnom de Pierre Loti de la musique. Excellent marin, inventeur d’une règle rapporteur qui porte son nom, ce breton originaire de Brest atteint le grade de contre-amiral en 1931, âgé de 52 ans seulement; il rencontra Duparc en 1900; l’auteur de la musique de « l’Invitation au voyage » devint son mentor. On doit notamment à ce marin, héros de la bataille de l’Adriatique pendant la Première Guerre mondiale, un opéra que Ravel admirait, Polyphème, créé en 1922 et un Journal de bord pour orchestre, composé à bord de La Provence en 1927.
Le livre de Corinne Schneider, et c’est heureux, ne manque pas d’aborder le problème de l’acculturation en musique. La question des « emprunts musicaux » rejoint l’histoire générale; celle du développement des échanges au sein de l’Europe grâce aux progrès techniques, des circumnavigations, de la colonisation et de la décolonisation. Entrant en contact avec un patrimoine musical auparavant considéré comme mineur ou folklorique, éventuellement méprisé à cause de ses liens avec des « civilisations inférieures », les compositeurs/voyageurs ont éduqué et transformé l’oreille occidentale, favorisant progressivement le métissage culturel et le respect de traditions et de normes esthétiques éloignées. Soulignons, quant à nous, qu’à l’époque ou John Lomax collecte les mélodies des grandes plaines américaines, Franz Boas (1858-1942), anthropologue fondateur de l’école diffusionniste américaine, contestait les fondements racialistes des théories précédentes, qui postulaient la supériorité au moins technique de la civilisation occidentale. Selon lui, l’évolution des sociétés se fait par acculturation, lorsque les groupes entrent en contact et s’imitent, procèdent à des emprunts interculturels.
Les ethnomusicologues eurent à s’interroger sur l’usage qu’ils feraient des éléments musicaux rapportés de leurs voyages. S’agirait-il d’en conserver la mémoire dans un but patrimonial, comme le pratiquèrent Bartók, Vaughan Williams constituant The English Hymnal, ou encore Abraham Zvi Idelsohn qui, né en Lettonie en 1882, recueillit les chants des synagogues d’Europe et d’Afrique du nord et publia un Thesaurus of Hebrew Oriental Melodies gros de dix volumes et d’un millier d’enregistrements. D’autres compositeurs, plus proches peut-être des peintres orientalistes, préféraient restituer, par des citations musicales, l’exotisme, l’étrange beauté des mondes lointains, au risque de tomber, comme Puccini au sujet de Madame Butterfly, sous le coup des sarcasmes des critiques d’art : « L’Orient vu par ceux… qui n’y sont jamais allés » (p. 60); Bartok dénonçait quant à lui le « Folklore imaginaire » (page 137). D’autres encore remettent leur propre méthode d’écriture en question par la confrontation avec d’autres formes d’écriture, comme dans le Chant de Nyandarua op. 6 de Jean-Louis Florentz (1985), écrit en rompant intentionnellement avec l’héritage du quatuor instrumental occidental.
Les itinérances finalement, pourraient bien n’être qu’imaginaires ? Cette question rejoint l’opinion de Baudelaire, pour qui le voyage est avant tout intérieur, la quête d’un idéal, conception entretenue par Henri Dutilleux, dans son œuvre pour violoncelle intitulée : Tout un monde lointain (1970). Aussi préférerions-nous laisser à Debussy (et à Corinne Schneider), le soin de conclure. Il s’agit de La Mer, mais ce pourrait être étendu à toute rencontre avec des mondes lointains et différents de nous. Ayant « tâché de noter la voix de l’Océan », indique-t-il dans une note d’un programme de concert de 1908, il précise toutefois ne chercher ni à imiter, ni à reproduire le réel, mais à explorer les « concordances mystérieuses entre la nature et l’imagination. » (C. Schneider, p. 114).
Bernard Patary
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
C’est à partir d’un livre passionnant du père Michel Steinmetz
intitulé La fonction ministérielle de la musique sacrée – L’approche
originale de la Tradition par Vatican II que se développeront ces
quelques réflexions. Disons tout de suite que la « quatrième de
couverture » de l’ouvrage est bien discrète sur l’auteur.1 Précisons donc
son parcours.
Né en 1977, à Strasbourg, docteur en Sorbonne ès anthropologie
religieuse et histoire des religions, docteur en théologie de l'Institut
Catholique de Paris, titulaire d'une maîtrise (Arts Sacrés), il a soutenu
une thèse sur la « fonction ministérielle de la musique sacrée » (Vatican
II, SC 112). Michel Steinmetz est prêtre du diocèse de Strasbourg. Il est
actuellement curé de la communauté de paroisses Saint-Maurice et Saint-Bernard à Strasbourg.
Il est aussi directeur du Service diocésain de Pastorale liturgique et sacramentelle, Musique
sacrée et Art sacré, et cérémoniaire pontifical de l'archevêque de Strasbourg. Organiste, ancien
directeur des Petits-Chanteurs de la Sainte-Famille, il est président de l'Union Sainte-Cécile,
fédération de 750 chorales, rédacteur en chef de la revue "Caecilia"2. Chargé d'enseignement à
la Faculté de théologie catholique de Strasbourg (maître de conférences qualifié), il a publié
plusieurs ouvrages proposant une approche originale de la liturgie (éditions Mame, Parole &
Silence et Cerf).
Mais revenons à l’ouvrage lui-même. La collection dans laquelle il paraît est en effet
une collection emblématique des éditions du Cerf dans laquelle sont parus des ouvrages aussi
fondamentaux que Le mystère pascal de Louis Bouyer en 1945. Mais on n’en finirait pas de
citer tous les ouvrages de cette collection qui sont encore aujourd’hui des monuments
incontournables…
Ce ne sont donc pas moins de 328 pages denses et serrées que l’auteur consacre au rôle
de la musique dans la liturgie catholique depuis les origines, pour en venir à cette « fonction
ministérielle » issue du concile Vatican II.
L’originalité du travail consiste d’abord dans le sérieux de l’analyse historique. Cette
dimension est revendiquée à juste titre dès l’introduction. Celle-ci, se présente comme un
exposé de la méthode, de la manière la plus scholastique du terme (« Sic proceditur… », « Sed
contra », « Respondeo quod » « In fine ») ce qui est, de ma part un compliment. Nous avons un
exposé clair, méthodique et déjà argumenté du contenu de l’ouvrage.
La première partie, intitulée « « L’Église et la musique : un rapport au monde
spécifique », commence par une citation d’un livre intitulé : Les Pères de l’Église et la musique
de Théodore Gérold que je me permets de citer à mon tour : « Il faut bien se rendre compte que
l’Église n’a, à aucune époque, inventé des formes mélodiques nouvelles, pas plus en Orient
qu’en occident. Elle a emprunté des formes déjà en usage, dans lesquelles elle a coulé un
contenu d’idées nouveau et auxquelles elle a ainsi imprimé un caractère spécial ». Suit ensuite
une démonstration qui va du Nouveau Testament aux Pères de l’Église.
Ceci s’explique par le fait que la doctrine nouvelle, la jeune Église, s’inscrit dans un
monde qui a ses cultures propres, qui sont les cultures des nouveaux « chrétiens », qui viennent
de différents paganismes et que les dirigeants de l’Église des premiers âges vont « inculturer ».
La première question traitée est celle de la musique instrumentale. Celle-ci est liée d’une
part au culte païen chez les pagano-chrétiens, d’autre part au culte du Temple chez les judéochrétiens.
La rupture avec le culte païen va amener la plus grande méfiance vis-à-vis de la
musique instrumentale. Quant à la liturgie juive, elle est liée au culte synagogal et non pas au
culte du Temple, temple qui a été détruit en 70 après J.C. C’est dire que la musique
instrumentale n’est pas en odeur de sainteté. Certains pères la considèrent même comme une
séduction du démon. Si elle est parfois tolérée, c’est toujours avec méfiance et parcimonie,
comme une concession.
La musique vocale, en revanche, jouit d’une vraie considération, même si une égale
méfiance se manifeste vis-à-vis d’un chant qui serait purement esthétique. Nous ne
commenterons pas ici en détail l’étude exhaustive qui occupe les cinquante premières pages de
l’ouvrage. La conclusion en est que l’inculturation reste, dans ce domaine d’une grande
prudence : il y a toujours la crainte que la musique, au lieu de faire pénétrer plus profondément
le sens des écritures, cache ce sens à son propre profit et devienne comme une idole nouvelle.
Cette partie se termine sur la constatation suivante : « La musique, loin d’être une
question subalterne, […] apparaît vraisemblablement comme un lieu théologique. Dans ce
discours patristique sur la question, on peut dégager plusieurs axes majeurs de cette unique
visée. Le chant comporte une dimension pneumatologique : il est autant un fruit de l’Esprit qu’il
en procède directement comme capacité de l’homme à chanter son Dieu en prenant part à la
louange unique et matricielle du Christ. C’est par Jésus, et en lui, que le croyant rend grâce au
Père dans le souffle et le dynamisme de l’Esprit. Prenant modèle sur les relations intratrinitaires,
et y conduisant, le chant chrétien se doit d’être désintéressé et gratuit. Pure louange,
il est un acte d’offrande : c’est à cette condition qu’il peut prétendre au chant du Christ. Parce
que venant de l’Esprit et habitant l’unique médiation du Fils, il aide à conduire au Père dans
une perspective toute eschatologique. Il fait alors goûter aux joies de l’éternité dans la tension
d’un monde nouveau, promis et espéré mais déjà en devenir hic et nunc. Le chant chrétien se
fait préfiguration de la liturgie céleste : les Pères ne cessent de rappeler combien il relie l’Église
du ciel à celle de la terre, le choeur des anges à celui des hommes. Fort de ce poids théologique
et véritablement théologal, le chant chrétien, tel qu’il est présenté par les Pères, est
porteur d’une lourde responsabilité : il n’est pas un élément secondaire de la vie
chrétienne, il est un lieu, au moins, de l’expérience du salut dans la liturgie et de la
vérification de notre consonance au projet de Dieu. »3
D’une certaine manière, tout est déjà dit dans cette conclusion. Et en lisant cela, il est
permis de repenser à ce que déclarait en 1957 Joseph Samson, ce maître de chapelle qui a tant
marqué la vie musicale de la cathédrale de Dijon : « Dieu est sourd ! Si Dieu n'était pas sourd,
comment s'expliquerait-on, comment s'expliquerait-on que Lui, Dieu, puisse assister à une
grand-messe chez nous chaque dimanche ? (rires et applaudissements)... » Et surtout : « Si le
choeur quel qu'il soit, si le choeur n'apporte pas à l'office plus de vie spirituelle, que le choeur se taise. Si
le chant du choeur n'est pas pour les fidèles une nourriture, du pain, que le choeur sorte. Si le chant des
fidèles n'apporte pas à l’office plus de vie spirituelle, que les fidèles se taisent. Tout chant dont la valeur
expressive n'égale pas celle du silence est à proscrire. »4
La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule : « La musique sacrée comme « partie
intégrante » de la liturgie. » et est sous-titrée : « Une réponse pastorale de Pie X à la
modernité. ».
On pourrait s’étonner de passer ainsi des Pères de l’Eglise à saint Pie X, mais il ne
faudrait pas croire que l’auteur va négliger pour autant les étapes intermédiaires. Il reprend en
effet en amont tout ce qui a amené au fameux texte de Pie X sur la musique sacrée, le motu
proprio « Tra le sollecitudini » sur la musique sacrée du 22 novembre 1903.
Reprenant la situation à partir de la décrétale de Jean XXII, l’auteur montre que celle-ci
est insérée dans une série de textes disciplinaire et correspond bien à la critique fondamentale :
« les évolutions de la musique rendent le texte chanté incompréhensible, alors que le Verbe doit
être au coeur de l’acte liturgique »5. Cette décrétale s’inscrit également dans un contexte de
« dispute », c’est-à-dire de discussion théologique sur l’autonomie ou non de l’art musical par
rapport à la théologie.
Une place importante est ensuite consacrée au Concile de Trente, même si celui-ci n’a
pas explicitement légiféré en matière de musique. En revanche, la question a été sous-jacente à
beaucoup de textes. Edith Weber insiste sur le fait que « le concile de Trente se situe […] à une
époque de grands changements (esthétiques, psychologiques, sociologiques, institutionnels et à
l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance ainsi que dans la perspective de la Réforme et
de ses prolongements. »6 On ne pourra que se reporter à cet ouvrage fondamental d’Edith Weber
pour avoir une idée complète du sujet. En bref, le concile contient essentiellement deux
exigences : la musique doit « convenir » au lieu et à l’action liturgique, et elle doit faire « que
les paroles puissent être perçues de tous, en sorte que les fidèles soient amenés au désir de
l’harmonie céleste et de la béatitude des saints ».
Après l’examen de l’apport du Concile de Trente, l’auteur s’attache à une encyclique de
Benoit XIV, l’encyclique Annus qui hunc du 19 février 1749. Il s’agit d’une encyclique de
« recadrage » comme on dirait aujourd’hui, face aux dérives de plus en plus massives. L’auteur
étudie notamment ces dérives à partir de « la situation de la musique religieuse en France au
XVII° - XVIII° siècles. », paragraphe qui illustre bien ce contre quoi s’élève Benoit XIV.
Benoit XIV n’innove pas mais rappelle les grands principes : il est à craindre que « cette société
baignée de l’esprit des Lumières investisse la liturgie au risque de la transformer en prétexte à
une pure recherche sensorielle de plaisir esthétique ».7
Cela nous amène alors à étudier un document qui fera tellement date dans les querelles
autour de la musique sacrée dans la liturgie qu’il est encore aujourd’hui l’objet de discussions
sans fin : le célèbre Motu proprio de Saint Pie X : Tra le sollecitudini du 22 novembre 1903.
Qu’on nous permette d’en reproduire ici l’un des paragraphes introductoires. Dénonçant
différents abus, le pape poursuit : « Aujourd’hui, Notre attention se porte sur l’un des plus
communs, des plus difficiles à déraciner et qu’il y a lieu de déplorer parfois là même où tout le
reste mérite les plus grands éloges : beauté et somptuosité du temple, splendeur et ordre
rigoureux des cérémonies, concours du clergé, gravité et piété des ministres à l’autel. C’est
l’abus dans tout ce qui concerne le chant et la musique sacrée. Nous le constatons : soit par la
nature de cet art, par lui-même flottant et variable, soit par suite de l’altération successive du
goût et des habitudes dans le cours des temps, soit par la funeste influence qu’exerce sur l’art
sacré l’art profane et théâtral, soit par le plaisir que la musique produit directement, et qu’on ne
parvient pas toujours à contenir dans de justes limites, soit enfin par suite de nombreux préjugés
qui s’insinuent facilement en pareille matière et se maintiennent ensuite avec ténacité, même
chez des personnes autorisées et pieuses, il existe une continuelle tendance à dévier de la droite
règle, fixée d’après la fin pour laquelle l’art est admis au service du culte et très clairement
indiquée dans les Canons ecclésiastiques, dans les ordonnances des Conciles généraux et
provinciaux, dans les prescriptions émanées à plusieurs reprises des Sacrées Congrégations
romaines et des Souverains Pontifes, Nos prédécesseurs. »8
On remarquera combien ce texte, loin d’innover, entend se situer dans l’ensemble de la
tradition. Les principes généraux en sont simples : « La musique sacrée, en tant que partie
intégrante de la liturgie solennelle, participe à sa fin générale : la gloire de Dieu, la
sanctification et l’édification des fidèles. Elle concourt à accroître la dignité et l’éclat des
cérémonies ecclésiastiques ; et de même que son rôle principal est de revêtir de mélodies
appropriées le texte liturgique proposé à l’intelligence des fidèles, sa fin propre est
d’ajouter une efficacité plus grande au texte lui-même, et, par ce moyen, d’exciter plus
facilement les fidèles à la dévotion et de les mieux disposer à recueillir les fruits de grâces
que procure la célébration des saints Mystères. »
Et le Pape poursuit : « La musique sacrée doit donc posséder au plus haut point les
qualités propres à la liturgie : la sainteté, l’excellence des formes, d’où naît spontanément
son autre caractère : l’universalité. »
Il est important d’expliquer ce que le Pepe entend par universalité. Il s’en explique
d’ailleurs immédiatement : « Mais elle doit aussi être universelle, en ce sens que s’il est permis
à chaque pays d’adopter dans les compositions ecclésiastiques les formes particulières qui
constituent d’une certaine façon le caractère propre de sa musique, ces formes seront néanmoins
subordonnées aux caractères généraux de la musique sacrée, de manière que personne d’une
autre nation ne puisse, à leur audition, éprouver une impression fâcheuse. » Il va sans dire que
ce dernier paragraphe peut être sujet à de nombreuses interprétations et discussions…
Ces longues citations permettent de resituer la problématique générale du texte.
- La dialectique « sacré/profane » : elle traverse l’ensemble du Motu proprio.
Il est à remarquer que la « sainteté » de la musique doit se manifester non seulement
en elle-même mais encore « de la façon dont les exécutants la présentent ».
- La « musique sacrée » comme partie intégrante de la liturgie solennelle.
- Sainteté, bonté des formes et universalité : une vision de la musique sacrée et ses
incidences ecclésiologiques.
L’auteur a de nombreuses pages théologiquement très éclairantes sur ces différents
sujets, et conclut que « sans mésestimer la portée purement musicale et/ou musicologique du
Motu proprio : Tra le sollecitudini, dont la réception du texte et sa mise en oeuvre pourraient
abondamment témoigner, il nous a paru particulièrement éclairant d’envisager la musique dans
le culte chrétien comme un lieu théologique avant tout. »9
Il est en effet important d’étudier comment ce texte s’insère dans la vision générale que
le Pape a de l’évolution du monde. Si l’on considère la date du texte, il se situe, en France en
pleine lutte entre « laïcs » et « cléricaux », lutte qui va aboutir à la séparation de l’Église et de
l’État… Parler de musique sacrée dans ces conditions est loin d’être neutre. Et l’Histoire a
parfois de curieuses évolutions.
Nous en prendrons pour exemple le statut « politique » du chant « Minuit chrétien ».
Lorsque parait ce chant (nous ne nous étendrons pas ici sur les controverses au sujet de l’histoire
de ses origines), les « cantiques » écrits sur des airs profanes ont envahi les églises, les
adaptations ont d’ailleurs souvent été faites par les membres du clergé. Ce n’est pas une pratique
nouvelle : les missions du Père de Montfort au début du XVIIIé siècle en sont un témoignage.
Le « Noël d’Adam » (il s’agit du compositeur Adolphe Adam, bien entendu) devient un tube
que toute soprane ou tout ténor doit avoir à son répertoire (de Caruso à Barbara Hendricks et
Pavarotti en passant par Tino Rossi et Armand Mestral sans oublier… les choeurs de l’Armée
Rouge https://www.youtube.com/watch?v=KHLeHw6NG9M ) , mais qui doit également
figurer comme chant d’entrée à la Messe de Minuit… Malgré le motu proprio de Pie X, l’usage
s’en gardera encore longtemps, mais il est combattu entre les deux guerres par tous ceux qui
essaient d’être fidèles à l’esprit de Pie X et notamment se battent pour restaurer le chant
grégorien en se basant sur les travaux publiés par les moines de l’abbaye de Solesmes. En 1933,
les moines de Solesmes enregistrent sous la direction de Dom Jean Gajard o.s.b. une série de
disques qui, à une époque où les disques sont encore chers, seront soigneusement gardés et
écoutés par tous ceux qui oeuvrent à la réintroduction du propre Grégorien dans les messes
solennelles de paroisses. J’ai encore le souvenir d’une réunion vers 1945 autour d’un
électrophone (cela aussi était rare et cher…) avec la chef de choeur de la petite manécanterie
dont je faisais partie, mon père qui dirigeait la chorale paroissiale et le maître de chapelle de la
paroisse de l’Assomption de Paris, réunion consacrée à l’écoute « religieuse » (c’est le cas de
le dire), de ces enregistrements. Mon père n’avait pas de mots assez durs pour qualifier le
« Minuit chrétien », « ce chant de caf’conc’ (café-concert) pour les fêtards du 24 décembre… ».
Bref, jusque dans les années 60, le « Minuit chrétien » est combattu par tous ceux qui,
considérés comme « progressistes » se battent pour des célébrations dépouillées des chants
profanes du passé. C’est l’époque de la création du Centre de Pastorale Liturgique (1943), des
premiers chants écrits pour renouveler le répertoire paroissial… Le « Minuit chrétien » devient
le repoussoir par excellence.
Mais vient le Concile… On aurait pu croire que la messe était dite... mais ce ne fut pas
du tout le cas. L’abandon de la liturgie de Saint Pie V, l’arrivée du français dans la célébration
et l’abandon systématique (en France : comme toujours, les français font tout à l’extrême…) du
grégorien même pour l’ordinaire de la Messe (ce qui est l’inverse de ce qui est écrit dans les
textes conciliaires…), tout cela « au nom du Concile », va changer la donne. Et le « Minuit
chrétien » va être récupéré par ceux qu’on appelle les traditionnalistes. Les vieilles critiques
sont oubliées. On reprochait à ce chant d’être révolutionnaire, « de gauche », car on peut lire
dans le dernier couplet : « Peuple debout, chante ta délivrance » alors que les premiers couplets
disaient humblement : « Peuple à genoux… ». Il est récupéré, passant ainsi de la gauche à la
droite, par les tenants de la « tradition » et de la « messe en latin », ce qui est paradoxal. Il
devient un marqueur. Un curé de mes amis en fit l’expérience dans une paroisse de la petite
couronne où s’affrontaient progressistes et traditionnalistes. La question qui soulevait la
paroisse, en cette nuit de Noël 1974, était de savoir si on chanterait ou non le « Minuit chrétien »
à la Messe de Minuit. Trouvant cela plutôt comique, le curé en question l’introduisit dans la
veillée qui précédait la messe sous forme d’un disque. Et, passant dans la nef, il entendit un
couple de paroissiens qui murmuraient. L’épouse disait à son mari : « Tu entends, il a mis le
Minuit chrétien », mais le mari répondit : « Oui, mais chanté par Joan Baez… ». Il est inutile,
pensons-nous, de rappeler que Joan Baez était l’égérie des soixante-huitards et que mon ami
riait sous cape du tour joué à ses paroissiens !
Ces remarques visent simplement à montrer combien la notion de musique religieuse,
musique sacrée peut être fluctuante dans la mentalité ecclésiastique, surtout en France, même
si le magistère s’essaie, parfois maladroitement, à mettre des garde-fous…
Si nous revenons maintenant à notre livre, notre auteur va s’efforcer de montrer, toujours
avec la même rigueur, comment, après bien des péripéties, l’expression « munus ministeriale »
va finalement s’imposer dans la rédaction finale de la Constitution Sacrosanctum Concilium
sur la liturgie, dans son titre 6 consacré à la Musique sacrée (De musica sacra).
Citons ici le texte même, d’abord en latin puis en français.
« Chapitre VI
Musica traditio Ecclesiae universae thesaurum constituit pretii inaestimabilis, inter
ceteras artis expressiones excellentem, eo praesertim quod ut cantus sacer qui verbis inhaeret
necessariam vel integralem liturgiae sollemnis partem efficit.
Profecto sacros concentus laudibus extulerunt cum Sacra Scriptura, tum sancti Patres
atque Romani Pontifices, qui recentiore aetate, praeeunte sancto Pio X, munus Musicae sacrae
ministeriale in dominico servitio pressius illustrarunt. »
« La tradition musicale de l’Église universelle constitue un trésor d’une valeur
inestimable qui l’emporte sur les autres arts, du fait surtout que, chant sacré lié aux paroles, il
fait partie nécessaire ou intégrante de la liturgie solennelle.
Certes, le chant sacré a été exalté tant par la Sainte Écriture que par les Pères et par les
Pontifes romains ; ceux-ci, à une époque récente, à la suite de saint Pie X, ont mis en lumière
de façon plus précise la fonction ministérielle de la musique sacrée dans le service divin. »
On se reportera au livre du père Michel Steinmetz pour voir comment, de Pie X à
Vatican II, les différents papes et le mouvement liturgique ont préparé plus ou moins
consciemment cette définition conciliaire. Mais nous aimerions nous demander si tous ceux
qui, aujourd’hui, se réclament du Concile ont bien lu ce paragraphe et ceux qui suivent. Et nous
ferons de nouveau un détour par le texte de Joseph Samson antérieurement cité.
« Si le choeur, quel qu'il soit, si le choeur n'introduit pas à l'office plus de vie spirituelle,
que le choeur se taise.
Si le chant du choeur n'est pas pour les fidèles une nourriture, du pain... que le choeur
sorte.
Si le chant des fidèles n'apporte pas à l'office plus de vie spirituelle, que les fidèles se
taisent.
Tout chant dont la valeur expressive n'égale pas celle du silence est à proscrire.
L'Art, dans la célébration cultuelle n'est jamais nécessaire. Une messe dite dans une
cabane en planches a autant d'efficacité rédemptrice que célébrée dans la cathédrale de Chartres.
Mais si l'art intervient, ce ne peut être que pour introduire dans la cérémonie un principe de
qualité par où s'exprime l'Amour. Point essentiel qu'on ne soulignera jamais assez : La qualité
dans l'oeuvre d'art est l'expression de la Caritas. »
Sous une autre forme, Joseph Samson ne fait que dire à l’avance ce que dit le Concile.
Celui-ci précise d’ailleurs que cette « qualité » peut revêtir des formes très diverses selon les
mentalités et les cultures. Un beau « spiritual » bien interprété, dans la mesure où ce genre
musical fait en quelque sorte désormais partie de notre culture, n’est pas déplacé dans une
célébration. Sommes-nous pour autant capables nous-mêmes de le chanter avec la qualité
requise ? Pour certains groupes, c’est évident. Mais pour l’ensemble des fidèles de nos églises,
ça l’est moins… Un orfèvre en la matière, Jo Akepsimas, n’hésite pas, dans un livre dont nous
avons parlé récemment, à écrire qu’après avoir été bouleversé par l’écoute de la Misa criola
d’Ariel Ramirez, il « cherche comment marier les chants liturgiques avec les musiques « du
temps ». Et il ajoute : « Pendant cinq ans, j’ai poussé loin cette recherche d’inculturation, faisant
appel au gratin des musiciens de jazz pour mes disques. Mais, progressivement, je me suis rendu
compte que certes cette musique changeait le style des célébrations et rendait les célébrants
moins guindés. Par contre, peu d’assemblées réussissaient à entrer dans le swing syncopé, et à
chanter correctement ces musiques. Je faisais fausse route ! Je me faisais plaisir, mais je ne
rendais pas service aux assemblées. »10
On peut évidemment se demander aussi si le but de la musique sacrée est de rendre les
célébrants moins guindés… Mais Jo Akepsimas poursuit : « Dès lors, j’ai changé de cap, tout
en suivant mon intuition qui restera ma ligne directrice : écrire des musiques « populaires »
chantables par les assemblées, des musiques ouvertes aux airs du temps, en les métissant avec
le choral classique et la musique modale. Faire simple sans tomber dans le simpliste. Un chemin
de crête ! Dès le début, j’ai eu le souci quasi maniaque de la qualité des textes que je mettais en
musique. La Providence a mis sur ma route deux merveilleux poètes : Michel Scouarnec et
Didier Rimaud. » Voilà un programme tout à fait respectable, mais on peut se demander si,
malgré tout, le ver n’est pas dans le fruit : « des musiques ouvertes aux airs du temps », écrit Jo
Akepsimas. Mais n’est-ce pas faire de ces « cantiques » une denrée périssable, dans la mesure
où il n’y a rien qui évolue plus vite que les « airs du temps » … Et on en arrive à la pratique
d’aujourd’hui du « cantique jetable » et de l’inflation des productions, en ajoutant à cela que
chaque « communauté nouvelle » veut avoir ses chants, ses répertoires… Ne soyons pas
méchants et n’y voyons pas une préoccupation mercantile. Mais la situation est bien
inconfortable pour les assemblées.
Et il reste une autre question : le concile était une chance, il était attendu, souhaité…
Pourquoi, en musique, en France, a-t-il donné lieu à un tel désastre ? Bien des raisons peuvent
expliquer cette situation. Mais nous en voyons une peu souvent citée. Et nous ferons encore une
fois un détour par la conférence de Joseph Samson.
« … nous voulons des chants de qualité, des chants qui EXCELLENT. Et quand nous lisons
l'éloge et la proposition de chants simples, vous m’entendez, quand nous lisons l'éloge et la
proposition de chants simples qui seront exécutés presque sans répétitions (il y a de quoi hausser
les épaules !), qui, on le reconnaît, ne sont pas des chefs-d’oeuvre, mais offrent cet avantage et
cette supériorité que l'on dit incontestable : « la facilité » ... Que voulez-vous... NON ! Nous ne
pouvons pas prendre de telles propositions au sérieux ! Et alors se lève devant nous, s'impose à
nous un modèle qui nous vient de loin, un modèle que nous ne pouvons pas récuser...
Oui, il faut avouer. Il faut avouer que Luther et Calvin nous restent, à cet égard,
exemplaires...
Luther, grand poète, dont le lyrisme est tel que sa chaleur transperce les traditions.
Traducteur des Psaumes, traducteur-recréateur, chez qui aucune fissure ne laisse fuir la vie.
Grand poète, ai-je dit, et bon juge de musique, intime collaborateur de son ami Walther, un des
maître musicien du temps ; tous les deux, Luther et Walther, poursuivis par l'idée de faire de
chaque psaume-choral un chef d'oeuvre... et qui y réussissent !
Calvin : il suffit de nommer les collaborateurs dont il est entouré : Théodore de Bèze et
Marot, Goudimel et Claude le Jeune. Luther et Calvin, ce ne sont pas là des hommes qui auraient
tendance à minimiser le goût et la puissance de l'expression populaire. Ces hommes-là on
confiance en ce qu'ils visent : estime pour ceux qu'ils veulent faire chanter, pour ceux qu'ils
veulent entendre chanter : les habitants de la nef, ceux que nous appelons le peuple.
Les hommes dont je parle, ils pensent grand. Ils veulent magnifique. Il faut le dire en
ces jours que nous vivons, il faut le dire bien haut : c'est leur passion de l'action pastorale qui
les pousse en cette direction. Et je répète que cette direction est « GRAND », « MAGNIFIQUE
».
Il suffit d'entendre presque au hasard tel ou tel des chorals qu'ils nous ont légués pour
se rendre compte que leur passion de magnificence a exigé ET TROUVÉ satisfaction. Or, que
voyons-nous AUTOUR DE NOUS ? Autour de nous, qu’est-ce que nous voyons ? Nous voyons
certains des nôtres s'appliquer à minimiser l'objectif poursuivi. Je le disais à l'instant : la grande
vertu d'un chant pour eux EST D'ETRE SIMPLE. Il sera exécuté sans être appris. SONGEZ
DONC ! Plus de répétitions le soir à huit heures et demie ! Et qu'il y ait par-ci par-là quelques
bavures, que l'on crie un peu, ce n'est pas, nous dit-on, un motif suffisant pour les exclure.
Comment ne pas songer aux avantages du nylon sur la laine et la soie ! Il se lave vite, il sèche
dans la nuit, il n'a pas besoin de se repasser ! ... (rires et applaudissements) ... »11
La chance de Luther et Calvin, c’est de ne pas avoir mésestimé le peuple. Mais c’est
surtout d’avoir fait leur Réforme à un moment où la musique et la langue allemande, la musique
et la langue française étaient en plein essor. Certes, pour la langue, il a fallu faire parfois des
adaptations aux siècles suivants, en fonction de son évolution. Mais ce furent des modifications
à la marge. Et paradoxalement, on peut dire que la musique de la Réforme correspond à l’avance
à la définition du Concile : dans un culte, la musique est bien un « munus ministeriale », une
fonction ministérielle. La musique est actrice de la prière. Elle l’est non seulement par les
psaumes-choral mais aussi dans la participation instrumentale. L’intervention de l’orgue n’est
pas un bruit de fond pendant qu’on prépare les offrandes ou qu’on fait la vaisselle, nous voulons
dire pendant l’offertoire ou après la communion. Pendant l’intervention de l’organiste, il ne se
passe rien d’autre que la méditation à l’écoute active d’une oeuvre, normalement choisie par
l’organiste en fonction du texte qui précède, du cantique qui va suivre ou du thème du culte du
jour. Pour les psaumes et cantiques, c’est la même chose. Ils font partie intégrante du culte.
Pendant qu’on chante, rien d’autre ne se passe. Est-ce à dire que la situation est idéale
aujourd’hui chez nos amis protestants ? Certainement pas. Et l’adoption de plus en plus
fréquente d’un répertoire catholique dans les cultes n’est pas un très bon signe… Nous en
parlions il y a deux ans avec un pasteur à qui j’étais venu donner un coup de main comme
organiste. Et il m’a proposé de revenir un dimanche pour faire un « culte à l’ancienne » : il n’y
avait que des cantiques de Luther (dans leur version Réformée) et bien sûr les préludes de
Choral de Bach correspondants…
Parfois, les catholiques français se sont essayés à « emprunter » des timbres aux « frères
réformés ». On peut citer en exemple au XVIIIé siècle « Grand Dieu, nous te bénissons », dont
le texte original est en allemand, la mélodie sans doute d’un prêtre catholique, et qui fait partie
des « classiques » protestants. Quelles sont les paroles du cantique catholique chanté en France
sur le même timbre : « Vive Jésus, vive sa croix ! » avec des paroles dégoulinantes de bons
sentiments alors que le texte protestant est tout simplement l’adaptation du « Te Deum
laudamus » de la liturgie catholique. Au XXé siècle, il existe d’autres essais, mieux réussis…
Mais on s’interroge lorsque plusieurs cantiques souvent chantés ont été écrits (par ignorance ou
en connaissance de cause ?) sur le « timbre » de l’hymne national israélien…
Il est vrai que le passage à la liturgie en français s’est fait au plus mauvais moment. La
langue française ne cesse d’évoluer. Est-ce vers une plus grande richesse ? On peut en douter.
Et les hésitations et versions successives des traductions des textes liturgiques en sont un
signe… Quant à la musique, l’Église de France n’a pas su collaborer avec les meilleurs
compositeurs du moment et a souffert, après 1968, d’un « jeunisme » affligeant. Les torts sont
partagés, mais le résultat est là. Cela tient sans doute aussi à un vieillissement sur pied du clergé,
et à bien d’autres facteurs. Bref, et c’était la conclusion du colloque « Chanter en Église » dont
nous avons rendu compte précédemment, il est urgent de réparer les dégâts. En aurons-nous le
courage et les moyens ? Dans ce contexte, il est non moins urgent de lire et de méditer le livre
de Michel Steinmetz : pas plus qu’on ne fait de bonne littérature avec de bons sentiments, on
ne fait de bonne liturgie sans une spiritualité jouissant d’un soubassement théologique solide.
Pour rester dans les adages, rappelons également que l’enfer, comme beaucoup de nos actuels
cantiques, est pavé de bonnes intentions…
On ne peut que rappeler en passant la célèbre apostrophe de Nietzsche dans Ainsi parla
Zarathoustra : « Il faudrait qu’ils me chantent de meilleurs chants, pour que j’apprenne à croire
en leur Sauveur : il faudrait que ses disciples aient un air plus sauvé ! », qu’on peut mettre en
écho avec celle de Pie X : « Je veux que mon peuple prie sur de la Beauté », prononcée, semblet-
il, peu de temps avant le Motu proprio.
Et c’est le moment de rappeler le vieil adage : Lex orandi, lex credendi : le Catéchisme
de l’Église catholique, après bien des Papes, s’en fait l’écho lorsqu’il déclare :
« La foi de l’Église est antérieure à la foi du fidèle, qui est invité à y adhérer. Quand
l’Église célèbre les sacrements, elle confesse la foi reçue des Apôtres. De là, l’adage ancien :
"Lex orandi, lex credendi " (ou : " Legem credendi lex statuat supplicandi ", selon Prosper
d’Aquitaine, ep. 217 : PL 45, 1031) [Ve siècle]). La loi de la prière est la loi de la foi, l’Église
croit comme elle prie. La Liturgie est un élément constituant de la sainte et vivante Tradition
(cf. DV 8).
C’est pourquoi aucun rite sacramentel ne peut être modifié ou manipulé au gré du
ministre ou de la communauté. Même l’autorité suprême dans l’Église ne peut changer la
liturgie à son gré, mais seulement dans l’obéissance de la foi et dans le respect religieux du
mystère de la liturgie. »
Cet adage figure d’ailleurs en bonne place dans beaucoup de textes officiels de l’Église
concernant la liturgie en générale et la musique sacrée en particulier et est souvent cité dans
l’ouvrage.
Bien des prêtres, bien des laïcs n’ont que trop oublié ces sages directives…
Et puisque nous sommes dans les adages, et même si la situation est critique, n’oublions
pas que, comme disait Guillaume d’Orange, « il n’est pas nécessaire d’espérer pour
entreprendre, ni de réussir pour persévérer !!! »
1 Michel Steinmetz : La fonction ministérielle de la musique sacrée. L’approche originale de Vatican II. Le Cerf,
Paris – 2018. ISBN978-2-204-12929-9
2 http://www.union-sainte-cecile.org/index.php/fr/caecilia
3 Joseph Steinmetz p.69 -70.
4 CONFERENCE DE JOSEPH SAMSON 1888-1957 Maître de Chapelle de la Cathédrale de Dijon, prononcée
une semaine avant sa mort le 2 juillet 1957, à l'occasion du Congrès International de Musique Sacrée à Versailles
5 Michel Steinmetz : La fonction ministérielle de la musique sacrée Le Cerf. Paris, 2018 p. 97.
6 Édith WEBER, Le concile de Trente et la musique. Paris, Honoré Champion, 1982, p. 19 cité par Michel
Steinmetz, op.cit. p. 103.
7 Op.cit. p. 122.
8 Tra le sollecitudini Prologue.
9 Op.cit. p.191.
10Daniel Moulinet : Chanter en Église, Beauchesne. Paris. 2018 p. 72.
11La conférence de Joseph Samson peut être écoutée intégralement sur le site
https://www.deezer.com/fr/album/13262135
Les mélomanes écouteront avec une indicible émotion le dernier récital de Dinu Lipatti (1917-1950) au Festival de Besançon, le 16 septembre 1950 dans la salle du Parlement. Cet enregistrement historique et intégral à l’initiative du Label Solstice et de sa directrice Yvette Carbou qui, grâce à l’INA, ont retrouvé la bande originale de la Radiodiffusion Française (1950), puis retravaillé la bande son alors à ses débuts (7 bandes magnétiques) : une réelle prouesse technique.
Les discophiles imagineront à peine l’état de santé de Dinu Lipatti, terrassé juste avant le récital par une crise (maladie d’Hodgkins). Né en 1917 à Bucarest, ce pianiste roumain exceptionnel, filleul de Georges Enesco, a étudié à Vienne, puis avec Alfred Cortot. Il a été professeur au Conservatoire de Genève où il est mort le 2 décembre 1950.
La conception du livret est du plus haut intérêt : illustrations variées, évocation de la situation et de l’atmosphère pathétique de ce dernier récital, lettres autographes, critiques, programme… : une qualité rarement atteinte. Quant à l’authenticité du déroulement du concert, elle est indéniable et révèle les habitudes du pianiste : avec une brève présentation en arpèges précédant chaque œuvre. J. S. BACH est représenté par sa Partita n°1 en Si b Majeur (BWV 825) ; W. A. MOZART par sa Sonate n°8 en la mineur (K 310) ; Fr. SCHUBERT, par 2 Impromptus (D 899) : en Sol b majeur n°3 et en Mi b majeur n°2 ; enfin, Fr. CHOPIN, avec 13 Valses permettant à Dinu Lipatti de donner toute sa mesure expressive.
Les applaudissements attestent le grand enthousiasme du public remplissant la Salle du Parlement. À écouter en hommage à Dinu LIPATTI, avec admiration, respect et émotion.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
Daniel Propper, pianiste suédois, élève de Gunnar Hallhagen, s’est ensuite perfectionné à la Julliard School (NewYork), au Conservatoire Royal de Stockholm, au CNSMDP. En 1990, il avait obtenu la plus importante bourse jamais octroyée par l’Académie Royale de Musique de Suède. Il se produit comme concertiste aussi bien à Pékin qu’à Londres, Abu Dabi, Paris, Porto ou Montréal.
Il a entrepris l’enregistrement intégral de l’œuvre pour piano d’Edvard GRIEG (né à Bergen en 1843 et mort dans cette ville en 1907). Sa musique se situe dans le courant romantique, son écriture harmonique fait preuve d’une certaine audace ; il puise son inspiration dans l’histoire et le folklore nordiques.
Ce Volume 5 propose la Suite n°1 (op. 46, 1888) de Peer Gynt. L’argument est tiré du drame de Henrik Ibsen (1828-1906) décrivant un jeune farfelu qui, au lieu du sérieux, privilégie le « bagout » et — après de nombreuses aventures en Scandinavie — s’installe en Afrique comme marchand d’esclaves, puis reviendra vers le Nord. L’œuvre créée à Oslo fera l’objet de 2 Suites (d’abord pour orchestre, ensuite pour piano) traduisant l’atmosphère nationale, le lever du soleil au Maroc, les chants d’oiseaux, le son du cor. GRIEG exploite habilement les divers registres du piano au profit d’un élargissement du paysage sonore et Daniel Propper se joue de tous les traquenards techniques.
La Suite n°2 (1891) s’inspire de L’enlèvement de la mariée (au lendemain de son mariage) par Peer Gynt et évoque la plainte d’Ingrid ; l’atmosphère est au désespoir et contraste avec la Danse arabe de facture modale dans l’ambiance arabisante rendue par des allusions à la gamme arabe. Après la célèbre Chansons de Solveig, la tempête et le retour de Peer Gynt au pays, il mourra dans les bras de Solveig.
D’une autre veine sont les 25 Mélodies et Danses populaires norvégiennes (op. 17, 1869), miniatures narratives et lyriques, et danses acrobatiques aux accents folkloriques du Nord. Ce panorama est complété par des Pièces pour piano d’après ses Mélodies (Livre I, op. 41). À retenir la splendide transcription de Jeg elsker Dig (Je t’aime). Daniel Propper a judicieusement retenu le Piano Steinway (B) ; il tire le meilleur parti des sonorités si chaudes et prenantes des belles basses (notamment dans Un jour, Ole en colère) ou des accords dans le grave (cf. La danse sautée (Spring laat) avec un galop bien enlevé). Ce remarquable pianiste, passionné par les œuvres d’E. GRIEG — outre ses prouesses techniques reconnues de longue date — fait preuve de sa totale adéquation avec la pensée et les intentions du grand maître norvégien. Volumes VI et suivants attendus avec impatience.
Édith Weber
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Le dénominateur commun entre le hongrois Franz LISZT (1811-1886) et le russe Modeste MOUSSORGSKI (1839-1881), contemporains, est évidemment leur atavisme slave, leur esthétique romantique, leur expression dramatique, bien qu’appartenant à deux écoles nationales différentes et — sur le plan pianistique — leur virtuosité. La jeune japonaise Yuki Kondo (née en 1984) ayant reçu en cadeau un mini piano, s’intéresse à ce jouet d’enfant et sera formée, dès l’âge de 4 ans, par Junko Nakane, ainsi qu’en improvisation et en composition, puis elle se perfectionnera à l’Université Nationale des Beaux-Arts et de la Musique de Tokyo, puis au CNR de Paris et à la Schola Cantorum.
Son programme, placé sous le double signe de la haute technicité pianistique et de la transcendance, est redoutable. Les œuvres (20 plages) sont présentées et analysées avec citations musicales par Lionel Pons qui met aussi l’accent sur le renouveau de l’écriture pianistique au XIXe siècle : c’est ce qui ressort de La Campanella et de la Danse des Morts (Totentanz) avec la citation martelée du thème du Dies irae, encore suivie par 2 Rhapsodies (espagnole avec des traits perlés, hongroise faisant appel à la virtuosité) de Fr. LISZT.
Dans la version intégrale des Tableaux d’une Exposition de M. Moussorgski, Yuki Kondo réussit à merveille à dépeindre les atmosphères si variées au fil du « trajet » d’un tableau à l’autre, notamment Le Marché de Limoges (pl. 16), très volubile et joyeux, traduisant le cri des marchands ; Catacombae, Sepulchrum romanum (pl. 17), assez proche des harmonies lisztiennes ; Baba-Yaga (pl. 19), affreuse sorcière des Contes russes, vivant dans sa cabane sur des pattes de poules, baignant dans l’angoisse et l’hallucination. La Grande Porte de Kiev marque le point culminant, avec douceur, ferveur populaire et allégresse des cloches reliés par le thème de la promenade.
Projet artistique, démonstration et objectifs remplis par cette inégalable pianiste japonaise : confrontation convaincante.
Édith Weber
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La version historique (1984) de référence de cet important Recueil de Motets interprétés par le Chœur de garçons de Hanovre, sous la direction de son fondateur Heinz Hennig (1927-2002), vient de reparaître remasterisée en 2018, sous le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION, soit 34 ans après. L’œuvre a aussi fait l’objet, dans le cadre de l’Intégrale Schütz (28 vol.), du Volume 1, aux Éditions Carus (2009), avec le Dresdner Kammerchor sous la direction de son fondateur (en 1985), Hans Christoph Rademann (né en 1965). La comparaison des conceptions et parti-pris esthétiques des deux chefs, du Knabenchor Hannover (avec notamment le jeune soprano Sebastian Hennig) et du Dresdner Kammerchor est donc désormais possible.
Rappelons que H. Schütz (1585-1672), né un siècle avant J. S. Bach, est mort un siècle après Claude Goudimel. Il a été considéré comme le « père de la musique allemande » et musicus poeticus. Écrits respectivement à 5, 6 et 7 voix, ses 29 Motets (1648) marquent la fin de l’interminable Guerre de Trente Ans (1618-1648) avec toutes ses conséquences. Ils traduisent la grâce de Dieu, la Paix, la confiance, les larmes, l’amour divin, la consolation, la Nativité. Heinz Hennig avait fait appel à des solistes triés sur le volet, son Chœur de garçons très appliqués s’investissant pleinement dans le sens des paroles : la version de référence à réécouter de ce monument de la musique luthérienne.
Édith Weber
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En 2018, Jean de Spengler — premier violoncelliste solo à l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy — a enregistré une version très personnelle des redoutables Suites pour violoncelle (BWV 1007-12) de J. S. Bach, lors de concerts dans la Chapelle du Château de Lunéville contemporain de ces œuvres et en public, ce qu’il considère comme « une partie intégrante du processus d’interprétation » (idée à retenir). Entendues dans sa jeunesse, il les avait ensuite étudiées avec André Navarra. S’imposant par sa grande rigueur, il ne fait aucune concession à la facilité et réussit merveilleusement à faire passer l’émotion (bien entendu, sans legato ou vibrations romantiques). L’enregistrement en concert a été légèrement remanié à la suite d’un orage. J. de Spengler joue un piccolo à 5 cordes de Wilbert de Roo (copie d’un Stradivarius). Sa réalisation, sous le Label FORGOTTEN RECORDS faisant honneur à l’école française de violoncelle, ne sera certes pas oubliée.
Édith Weber
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Grâce à cette nouvelle réalisation originale, voici un concert Bach comme jadis, à Leipzig, au célèbre Café Zimmermann, le vendredi soir, dès 1738. L’Ensemble Café Miry a repris cette tradition à Gand « pour la récréation [Ergötzung] des amateurs ».
Ce disque illustre les nombreuses possibilités du Traverso (flûte traversière) avec le concours de Patrick Beuckels (flûtiste belge), d’Élisabeth Joyé (claveciniste française), de Romina Lischka (gambiste autrichienne), de Dirk Vandaele (violoniste belge) et de Toshiyuki Shibata (flûtiste japonais) : bref, un plateau international. Ils jouent des instruments historiques (vers 1730) — donc contemporains de J. S. Bach — ou reconstitués. Le clavecin franco-allemand et la basse de viole (d’après un modèle français à 7 cordes) datent de 2001.
Deux types d’émotion coexistent : celle ressentie par les interprètes et celle ressentie par les auditeurs en écoutant ce programme exceptionnel. Il comprend une sélection de Sonates bien connues en 4 mouvements pour flûte et basse continue (BWV 1034), pour 2 flûtes et basse continue (BWV 1039), pour flûte, violon et basse continue (BWV 1038) et — conformément à la tradition — une œuvre interprétée par le Cantor de Leipzig, en l’occurrence la Toccata de la Partita n°6 pour clavecin en mi mineur (BWV 830). Moment historique, tradition du XVIIIe siècle — à l’opposé du Caf’conc’— à revivre intensément.
Édith Weber
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Le « charme de la virtuosité » — dans le choix des œuvres de Luigi BOCCHERINI (1743-1805), compositeur et violoncelliste apprécié par W. Chr. Gluck, dans celui du violoncelle de Francesco Goffriller (1737) et dans le programme redoutable — résumerait déjà à lui seul l’apport exceptionnel de ces deux disques (enregistrés respectivement à Paris en l’Église luthérienne St-Pierre et à l’Hôtel de l’Industrie). La violoncelliste Ophélie Gaillard et le Pulcinella Orchestra qu’elle dirige interprètent, entre autres, 2 Concertos, la 6e Symphonie en ré mineur et le Quintette à cordes en ré mineur. Avec Sandrine Piau (soprano), elles donnent une émouvante version du Stabat Mater vivement ressenti. Accompagnée au pianoforte, la Sonate pour violoncelle et pianoforte en ut mineur brille par la clarté de sa structure. Cette synthèse esthétique entre style galant et classique souligne l’originalité, l’élégance et l’inspiration de L. Boccherini. En 2019, les discophiles l’apprécieront à sa juste valeur. Réalisation hors pair.
Édith Weber
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Le Trio Artus est formé de Esti Rofé (flûte), Krzysztof Kaczka (flûte) et Perry Schack (guitare) accompagné pour certaines pièces par Tatiana Chernichka (piano), en fait appartenant à 3 nationalités : Israélienne, Polonaise et Allemande. Les camarades d’études ont été formés à Munich. Ce premier enregistrement mondial a pour arrière-plan la Deuxième Guerre mondiale. Le CD s’ouvre sur Wiegala d’Ilse Weber (1903-1944), arrangé par Tomer Kling pour flûte et guitare. Cette poétesse juive, transportée au camp de Theresienstadt, puis à Auschwitz, y sera gazée avec son fils. Le disque se termine avec Ade, Kamerad (d’où son titre : Au revoir, camarade) aussi d’Ilse Weber. Il comprend également Kaddisch composé en 1914 par Maurice Ravel, prière associée à la mort, au deuil et au rite juif, Esti Rofé l’interprète avec émotion, en pensant à la sœur de sa grand-mère disparue. La douce Méditation de Lukasz Wos fait s’entrelacer les mélodies aux deux flûtes. Il comporte des œuvres classiques : Sonate en trio en Fa majeur de G. Fr. Haendel et Sonate d’église d’A. Corelli. Émouvant document historique partagé entre Pologne, Allemagne et Israël.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2019
René GERBER (1908-2006) et quelques unes de ses œuvres pour piano ont déjà été présentés dans la Lettre d’information n°123 (« Autour du piano »). Il est considéré comme le « plus français des compositeurs suisses ». Un critique américain souligne que « la musique de René Gerber est celle d’un homme qui sait ce qu’il veut dire, et le dit sans hésitation dans une musique attractive et tonifiante. »
Ses sources d’inspiration sont multiples : titres descriptifs, par exemple : Trois Paysages de Brueghel : Der dürste Tag (La sombre journée) ; Die Kornernte (La récolte du blé) ; Die Jäger im Schnee (Les chasseurs dans la neige). Il cultive également les formes classiques : Concertos pour deux pianos et orchestre (1977) ou pour basson et orchestre ; Concertinos (en 3 mouvements) notamment pour piano et orchestre à cordes (Allegretto-Andante-Presto) ou encore pour flûte, clarinette, trombone et piano ; Petit Concert (où le premier mouvement Choral est curieusement suivi de Musique à boire, Musique à danser) ; Sonates pour trompette et piano, pour saxophone et piano ; Suites françaises, Symphonietta n°2 pour cordes (Allegro-Andante-Vivo), ou encore les danses (espagnoles) : Habanera, Seguidilla, Fandango… Il rend hommage à Ronsard (Prélude, Les homicides sagettes, À Cassandre, L’Amour mouillé), se souvient d’Aucassin et Nicolette, chante-fable du XIIe siècle.
Le Label GALLO réserve un soin tout particulier à poursuivre l’intégralité de son œuvre prolifique. Parmi les interprètes de ces 4 CD figurent : Marie-Louis de Marval (piano), La Société d’Orchestre de Bienne, le Kammerensemble de Berne, dirigés par Théo Loosli ; Mihai Ungueranu et Sorin Tetrescu (pianos), l’Orchestre Philharmonique de Craiova dirigés par Modest Cichirdan ; Kim Walker (basson) ; et, pour le 4e CD : les solistes Philippe Demanget (piano), René Michon (saxophone), Éric Gallon (trompette), Philippe Krüttli (trombone), Claude Delley (clarinette), Christian Mermet (flûte). Tous conjuguent leurs talents pour rendre hommage à ce « Van Gogh de la musique ».
Édith Weber
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Enregistré non pas dans un studio classique mais au « Studio des forces motrices » par Benjamin Vicq et mixé par ce dernier au Studio Holophonik, ce disque pour le moins insolite voire inattendu comprend 10 pièces parmi lesquelles : Déjeuner sur l’herbe (mélopée de saxophone (Joël Musy) sur un délicat fond de marimba joué par Aïda Diop), The Tambourine Man (même instrumentarium, mais avec un rythme plus affirmé et quelque peu lancinant), Barge 3.6.11. 17 h., plus développé (s’animant progressivement), Le dos du Do, 4 des 6 pièces de Joël Musy ; ou encore Rain Forest (légèrement mélancolique) de Kai Stengaard, Nature Boy d’Eden Ahbez (où la trame mélodique plus présente se développe au gré du traitement improvisé). Source de délassement : à écouter avec curiosité.
Édith Weber
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La pratique musicale scolaire, en France, connaît actuellement un regain d’intérêt pour le chant choral, alors qu’en Suisse, la poésie est encouragée dans les écoles publiques. Ce disque paraît à l’occasion des Soixante ans (1958-2018) de la Fondation du Gruppo Vocale di Ispirazione popolare (Torre Pellici). Ce « Concert des 60 ans » réalisé par le Chœur d’hommes Valpellice (Vallée du Piémont) présente donc des chants d’inspiration populaire (poésies, histoires de toujours) dirigées avec ardeur par Ugo Cismondi.
Le programme des Fables et Récits respecte l’ordre chronologique de leur mise au répertoire ; il démontre l’évolution du groupe et sa capacité d’adaptation. Les thèmes sont : la guerre, la paix, l’amour, la foi, les souvenirs… La première partie (1958-1982) : « l’enfance, l’adolescence, la jeunesse » concerne des chants connus : À la claire fontaine, Chevaliers de la Table Ronde, Mon père avait 500 moutons… La deuxième (1982-2008) se tourne « vers de nouveaux horizons », par exemple : Les plaisirs sont doux, Aprite le porte, Io vagabondo, Filastrocca della sera (comptine du soir). La troisième (2008-2018) : La curiosita del domani contient des pièces inattendues : Mani di Luna, Prende la vela… et surtout Tres cantos nativo dos indios Krao. Au total : 27 chœurs.
Ce disque commémoratif, avec des compositeurs, arrangeurs et chanteurs très motivés au service de la poésie, illustre l’évolution d’un Ensemble vocal dynamique soucieux de diffuser des œuvres poétiques et musicales d’inspiration populaire : exemple à suivre.
Édith Weber
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À VOS TABLETTES !
Mars 2019 : version EPUB disponible.