Lettre d’Information – n°102 Avril 2016

Lettre de Mars 2016. Tirage : 61.172 exemplaires

 

L'AGENDA

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8 / 4

 

Thierry Escaich à Saint-Etienne-du-Mont

 

 

Thierry Escaich se produira avec l'Ensemble Vocal de Paris et l'Ensemble Zoroastre sous la direction de Savitri de Rochefort dans un programme présentant son œuvre Terra desolata, qui sera précédée d'une improvisation à l'orgue. Seront donnés également le Miserere en ré mineur de Johann Adolf Hasse et le Dixit Dominus HWV 232 en sol mineur de Georg Friedrich Haendel. Si on ne présente plus cette dernière pièce de Haendel, le Miserere de Hasse, composé en 1730 pour l'un des Ospedale de Venise, est aux côtés de la Messe en D mineur, l'une de ses pièces religieuses les plus emblématiques. Thierry Escaich a composé Terra desolata, en 2001. La pièce est pour quatre voix, ensemble instrumental et orgue de chambre. Elle a été créée l'année suivante par Hervé Niquet et le Concert Spirituel. Une belle occasion de l'entendre par son auteur à l'orgue de l'église parisienne Saint-Etienne-du-Mont dont il est titulaire de l'instrument de tribune, lointain successeur du grand Maurice Duruflé.

 

Église Saint-Etienne-du-Mont, le 8 avril 2016 à 20H30.

Réservations : http://ensemble-vocal-de-paris.com ou sur place le soir du concert.

 

 

11 / 4

 

Alexandre Kantorow à la Fondation Louis Vuitton

 

 


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Dans le cadre du cycle Piano nouvelle génération, Alexandre Kantorow, 18 ans, pianiste virtuose de sa génération se produira sur la scène de l'Auditorium de la Fondation Louis Vuitton. Dès l'âge de 5 ans il entre au conservatoire, à 16 ans il commence une carrière de concertiste en France mais aussi à l'international. Il se produit avec le Sinfonia Varsovia aux Folles Journées de Nantes et de Varsovie où il se fait remarquer. Boris Berezovsky l'invite pour deux récitals dans son festival Pianoscope à Beauvais. Il joue également avec L'Orchestre de Liège, de Douai, d'Orléans, le Tapiola Sinfonietta de Finlande, l'orchestre de Kaunas en Lituanie pour ne citer que certains d'entre eux, et sans oublier un concert avec l'orchestre Pasdeloup  à la Philharmonie de Paris. En 2015, après avoir enregistré deux CD, il part en tournée avec Augustin Dumay au Japon et en Chine. Une des particularités d'Alexandre Kantorow est de jouer sans partition. Il prend plaisir également à étendre son répertoire au delà de la musique classique en jouant par exemple le Concerto d'Addinsell (musique de film) et la Rapsodie in Blue de Gershwin qu'il donne dans sa version originale avec un jazz band. Au programme de ce récital : le  Scherzo à la russe op.1 n°1, et des extraits de 18 pièces op.72 de Tchaïkovski, la Sonate pour piano n°1 op. 28 de Serge Rachmaninov, puis de  Stravinsky / Guido Agosti, des extraits de L'Oiseau de feu, et de Mily Balakirev , Islamey.

 

Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75016 Paris, le 11 avril 2016  à 20H30.

Réservations : par tel.: 01 40 69 96 00 ; en ligne : contact@fondationlouisvuitton.fr

 

 

13 / 4

 

Concert Royal à Saint Jean Baptiste de Neuilly

 

 

À l'occasion de leur 60ème anniversaire, les Petits Chanteurs de Sainte-Croix de Neuilly proposent un grand Concert Royal avec le Te Deum de Lully et le Requiem de Campra. Les 80 chanteurs qui constituent cette Maîtrise de garçons seront accompagnés pour l'occasion d'un orchestre baroque composé des meilleurs instrumentistes français (membres des Orchestres de Radio France, de l'Opéra de Paris et de Lyon...). Ils recevront également le concours des ténors Hervé Lamy et Jérôme Billy (tous les deux anciens petits chanteurs) et de la basse Florian Westphal. Tous seront placés sous la direction de François Polgár. Cette soirée s'inscrit dans un vaste programme de festivités pour l'anniversaire du chœur, qui a débuté en décembre par un concert à la Salle Gaveau, se prolongera par une représentation à la Chapelle Royale de Versailles avec Jean-Claude Malgoire au mois de juin, une tournée d'un mois en Chine en juillet, et s'achèvera par un grand spectacle le 8 octobre 2016 à l'Olympia à Paris.

 

Église Saint-Jean Baptiste de Neuilly, le 13 avril 2016  à 20H30.

Réservations : par tél. : 01.47.45.18.66 ; en ligne : www.petitschanteurs.com ; sur place, 158 avenue Charles de Gaulle 92200 Neuilly

 

22, 23, 24 / 4

 

Les Siècles donnent festival à Soissons

 


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C'est dans le cadre de leur résidence commencée en 2007 dans le département de l'Aisne que Les Siècles ont été appelés à célébrer l'ouverture de la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons le 7 février 2015, désormais lieu de leur résidence. A la tête de l'Atelier départemental d'orchestre symphonique de l'Aisne depuis 2009, François-Xavier Roth initie une dynamique et des actions transversales, conjuguant pédagogie et diffusion, actions culturelles et pratiques amateurs. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les trois jours de manifestation des 22, 23 & 24 avril prochain. Le vendredi 22 avril, sont organisées à 14h00 des actions culturelles autour de la sérénade  Gran Partita de Mozart, le chef d'œuvre de ses pièces pour instruments à vents. Puis à 20h30, un concert où Les Siècles retrouvent la violoniste Amandine Beyer qui a conçu un programme brillant autour des chefs-d'œuvre préclassiques du XVIIIème siècle, dont les deux concertos de Carl-Philip Emanuel Bach, illustrant bien l'influence du style italien sur la musique germanique. Le samedi 23 avril, ce seront, d'abord à 11h30, des actions culturelles ou un lever de rideau par les élèves. Rassembler les élèves du pôle d'enseignement artistique en avant-concert pour une prestation autour d'un des grands titres de la saison, tel est le concept original de ce « Lever de rideau », des rendez-vous, véritables mises en bouche pour le concert du soir ; puis à 14h00 : d'autres actions autour de l'Oiseau de feu ; enfin à 16h30, actions culturelles encore ou «Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la composition d'un orchestre !». Le dimanche 24 avril, à 15h00 : actions culturelles ou lever de rideau par les élèves. Puis à 16h00, concert par Les Siècles avec, entre autres, de la Sérénade K. 361.

 

Cité de la musique et de la danse de Soissons, 9 allée Claude Debussy, Parc Gouraud, 02200 Soissons, les 22, 23 et 24 avril 2016.

Réservations : par tel au 03 23 59 10 12; en ligne : info@citedelamusique-grandsoissons.com

Lien vers Les Siècles : http://www.lessiecles.com/la-cite-de-la-musique-et-de-la-danse-de-soissons/

 

 

23, 25, 29 / 4 & 2 / 5

 

Insula orchestra joue Lucio Silla

 


Franco Fagioli / DR

 

Laurence Equilbey, son Insula Orchestra et le Jeune Chœur de Paris se lancent dans une bien jolie aventure : monter Lucio Silla en version de concert semi staged. Composé en 1772 pour Milan, Mozart y rafraichit la forme de l'opera seria,  expérimente une nouvelle façon de traiter les arias, munies ici de longues introduction symphoniques, et dont le schéma da capo est libéré, et enfin abandonne le traditionnel recitativo secco au profit du récitatif accompagné. La grande virtuosité vocale est mise désormais au service de l'expression dramatique La version concertante sera accompagnée d'une mise en espace due à l'argentine Rita Cosentino qui indique vouloir recréer une « représentation libérée de ses mécanismes... tout en gardant intacte la nature du concert » : les chanteurs interviennent en dehors de passages où ils sont actifs « en prêtant leurs corps à l'espace, devenant des témoins muets ou participant à la construction du décor ». Intéressant de voir ce qu'il en sera. Quant à Laurence Equilbey et ses forces, on ne doute pas un seul instant de leur engagement au service de cet opéra de jeunesse combien attachant. Le cast est quant à lui fort attractif : Franco Fagioli, Olga Pudova, Paolo Fanale, Chiara Skerath et Ilse Eerens.

 

Cité de la musique, PP2, le 23 avril 2016 à 20H30

Le Volcan, Le Havre, le 25/4 à 19H30

Grand Théâtre de Provence , le 29/4 à 20H30,

Réservations : PP2 Paris Billetterie, 221, av. Jean Jaurès Paris 19 ; par tel 01 44 84 44 44 ; en ligne : www. philharmoniedeparis.fr 

Le Volcan/Le Havre : Place Oscar Niemeyer, 76000 Le Havre ; par tel : 02 35 19 10 10 ; en ligne : www.levolcan.com

Grand Théâtre de Provence : 380, avenue Max Juvénal, 13100 Aix-en-Povence ; par tel.: 04 42 91 69 70 ; en ligne : www.aixenprovence.fr/grand-theatre-de-provence 

 

 

8 / 5 - 5 / 6

 

La Défense d'aimer revit à l'Opéra du Rhin

 

 

Avant de livrer les dix chefs d'œuvres que l'on sait, Richard Wagner a composé quelques opéras certes moins connus et partant, peu joués, mais où perce déjà la patte du dramaturge. Ainsi en est-il de Das Liebesverbot, qui sera créé en 1836 à Magdebourg où le musicien était chef d'orchestre à l'Opéra. Le plus piquant est que le choix se soit porté sur un sujet comique inspiré de la pièce Measure for measure de Shakespeare. Pour ce « Grand opéra-comique », en deux actes, Wagner est déjà son propre librettiste. Mais il va modifier l'intrigue, en transportant le lieu de Venise à Palerme. La sensualité qui émane de la trame n'est pas pour lui déplaire. L'opéra sera un succès plus critique que public. L'un des chroniqueurs allant jusqu'à pointer qu'« on y trouve de la mélodie, ce qu'on cherche vainement chez nos compositeurs allemands ». Grand admirateur de Bellini, Wagner se souvient de ce modèle. Pour sa création française ( ! ), l'œuvre sera montée par l'Opéra du Rhin avec une distribution  intéressante et sous la direction de Constantin Trinks. La mise en scène est confiée à Mariame Clément. 

 

Opéra du Rhin, à Strasbourg Opéra, les 8, 22 mai 2016 à 15H, et les 13, 17, 19 mai à 20H ; puis à Mulhouse La Filature, les 3 (20H) et 5 juin (15H).

Réservations :  Opéra de Strasbourg : 19, Place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel. : 03 68 98 51 80.

La Filature/Mulhouse, 20, Allée Nathan- Katz , 68090 Mulhouse cedex ; par tel.: 03 89 36 28 29 .

En ligne : caisse@onr.fr 

 

14 / 5 – 25 / 6

 

Rencontres Musicales Pro Quartet en Seine-et-Marne

 

 

Pro Quartet organise son festival annuel en Seine-et-Marne de la mi mai à la fin juin. Plusieurs formations attachées à cette institution se produiront dans des lieux prestigieux du patrimoine du sud du département. Les festivités s'ouvriront le 14 mai  par deux concerts donnés à l'église St Amand de Thomery, d'une part, par le Trio Atanassov (18H : Mozart, Tulve, Dvořák) et d'autre part, par le Quatuor van Kuikj (20H30 : Mozart Kurtag Smetana). L'ensemble Hélios jouera le 15 mai (16H) dans l'église St Martin de Fontaine-le-Port des pièces de Vivaldi, Bacri, Boccherini, Solbiati et Rossini. Puis le quatuor Lyskamm donnera, le 28 mai au Musée de la Préhistoire de Nemours, des œuvres de Stravinsky, Beethoven et Casale (19H). Le Belenus Quartet donnera des quatuors de Haydn, Schnyder et Schubert (le 5 juin à 16 H, en l'église St Étienne de Moncourt-Fromonville). Le quatuor Zerkalo jouera Hosokawa et Schubert, le 11 juin à 19 H à l'église St Sévère de Bourron-Marlotte. Les Arod joueront, le 12 juin à l'église St Pierre de Bois-le-roi, Mozart, Webern et Beethoven (16H). Les Aristos, le 18, Haydn, Bacri et Mendelssohn (19H, église de Villiers-sous-Gretz). Le 19 juin, le Dudok Kwartet donnera des pièces de Haydn et Ravel à la Chapelle de Lourps à Longueville (16H). Enfin le 25 juin, se produira le quatuor Tchalik dans Haydn, Mozart et Brahms (église St Corneille de Chartrettes, 19H). 

 

Réservations : par tel.:  01 44 61 83 68 ; en ligne : http://www.proquartet.fr/fr/concerts/rencontres-en-seine-et-marne-1

 

20 / 5 - 1 / 6

 

Un chef d'œuvre du XX eme siècle : Lear de Aribert Reinmann

 


Aribert Reinmann et Dietrich Fischer-Dieskau (à dr.) en 1978 / DR

 

Malgré son éminent potentiel dramatique, Le Roi Lear de Shakespeare n'a pas eu l'heure d'inspirer les compositeurs d'opéras. A moins qu'ils ne se soient sentis tétanisés par l'ampleur de la tâche ou trop impressionnés par le sujet. Ainsi Verdi, qui en caressa longtemps le projet, renonça-t-il. C'est à Dietrich Fischer-Dieskau qu'on doit l'idée de ce qui allait être un des chefs d'œuvre de l'opéra du dernier quart du XX ème siècle. Souhaitant incarner ce personnage hors norme, le grand baryton sollicita d'abord son ami Benjamin Britten qui déclina. Il se tourna alors vers le compositeur allemand Aribert Reinmann (*1936), qui après avoir longtemps hésité, s'attela à la tâche, enhardi par une commande passée en 1975 par l'Opéra de Munich. L'opéra y sera créé en juillet 1978 par le grand DFD dans le rôle titre et son épouse Julia Varady dans celui de Cordelia. Pour y avoir assisté, on en garde un souvenir bouleversé. Peu donné depuis lors, et une seule fois à Paris en 1982, l'opéra va revivre à l'Opéra Garnier dans une nouvelle production confiée à l'iconoclaste Calixto Bieito et dirigée par Fabio Luisi. Bo Skovhus défendra le rôle de Lear, Annette Dasch celui de Cordelia. On voit aussi dans la distribution les noms prestigieux de Riccarda Merbeth, Goneril et de Gidon Saks, Le Roi de France. Il ne faut pas manquer l'occasion de voir cette pièce, qui comme peu, décrit la solitude d'un homme ravagé par le désespoir de voir ses projets (de partition de son royaume) rejetés, puis gagné par la folie. Et d'écouter une musique, certes complexe, mais riche d'effets sonores à l'image du drame qu'elle véhicule, et dont l'écriture s'inscrit dans le sillage de Penderecki.

 

Opéra Garnier, les 20 (avant-première), 23 mai, 1er (20H30), 6, 9, 12 juin 2016 à 19H30, et le 29/5 à 14H30.

Réservations : Billetterie, 130, rue de Lyon, 75012 Paris ou angle rues Scribe et Auber, 75001 Paris ; par tel. : 08 92 89 90 90 ; en ligne : operadeparis.fr 

 

 

25 / 7 – 13 / 8

 

Le Festival de Prades : « DÉSACCORDS PARFAITS »

 

 

Le prochain Festival de Prades, 64 ème du nom, propose de merveilleuses rencontres de musique de chambre. Comme le souligne son directeur Michel Lethiec, « L'histoire de la musique doit beaucoup aux rencontres... amicales, amoureuses... au hasard... à la nécessité... et surtout au génie des compositeurs qui l'ont écrite œuvre après œuvre ». Pau Casals, âme et fondateur de ce festival choisi entre musique,  architecture et montagnes du sud, avait voulu réunir les plus grands noms, des amis. L'aventure a perduré et cette nouvelle édition ne fait pas exception. S'il y a pu y avoir dans la longue histoire de la musique des moments chaotiques, voire des querelles de chapelle, des discussions confinant au demeurant plus à des dialogues de sourds qu'à des échanges constructifs, la plupart du temps ceux-ci se sont révélés vains. Car les chefs d'œuvre ont triomphé et traversé l'Histoire sans encombre. Comme l'an passé, on croisera les musiques : de Bach à Debussy, de Mozart à Stravinsky, de Brahms à Bernstein en passant par bien d'autres, au fil de rapprochements souvent inédits pour ne pas dire osés. On achalandera les interprètes en fonction de celles-ci et des affinités : on entendra les fidèles, comme le quatuor Talich ou l'Artis Quartet, l'altiste Bruno Pasquier, le celliste Arto Noras ou le corniste André Cazalet, mais aussi des nouveaux venus, tels le chevronné Jérôme Pernoo et le jeune prodige Edgar Moreau, violoncellistes, Itmar Golan au piano, ou le Polish Leopoldinum Orkestra ou Opus Ensemble de Séoul. Et bien sûr tous réunis sous la ferme et joviale direction du maitre des lieux Michel Lethiec qui jouera de sa clarinette enchantée.

 


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Durant ces trois semaines de festivités continues, on entendra bien des œuvres des plus grands chambristes. Et cette année, l'orchestre sera bien présent. En voici  quelques temps forts :

 

-         le 25/7, une séance de trios de Mozart, Schubert et Kokai par le Trio Leopoldinum (16H au centre culturel Saint Laurent/Saint Guilhem le Désert, puis une soirée « De Bach à Bernstein », à l'abbaye de Gellone (21H)

-         le 28/7 « Opus ensemble » dans le cadre de l'année France-Corée (Prokofiev, Brahms et Ryu)

-         le 31/7  à l'occasion de l'exposition Maillol au Musée de Céret, un concert in loco « Couleurs et timbres » (18H30) et une soirée « Hommages aux modèles et aux muses (salle de l'union, 21H)

-         le 2/8, les Sept dernières Paroles de Christ en croix de joseph Haydn (Prieuré de Marcevol à 17H), puis une soirée « Madrid-Barcelone » associant  Albeniz, Granados, de Falla et Turina (Abbaye de Cuxa, 21H)

-         le3/8, conférence de Michel Lethiec sur « Grandes et petites histoires de la Musique... » (11H, Prades), puis «  Les révélations classiques de l'ADAMI » (église de Catllar, 17H) et enfin « Grands quintettes », de Schubert et de Dvořák (21H abbaye de Cuxa)

-         le 4/8 « Musiques au sommet », de Schubert et de Penderecki (18H, Abbaye Saint Martin du Cazigou), et « Écoles de Vienne » ( 21H, abbaye de Cuxa)

-         le 7/8, « Ensemble de violoncelles », jeunes solistes de l'Académie réunis autour de François Salque (17H, église de Villefranche de Conflent) et « Mozart et Salieri » ( 21H, église Saint Pierre de Prades)

-         9/8, JOURNEE PABLO CASALS : « A savourer sans modération » (11H, Grand Hôtel de Moligt les Bains), « Pablo Casals et les compositeurs » (15H même lieu),  puis « Hommage à la reine Élisabeth de Belgique » (17H, église de Molitg village) et enfin un concert « Hommage à Pau Casals », croisant Tchaikovski, Dvořák et Brahms (21H, abbaye de Cuxa)

 


L'abbaye Saint Michel de Cuxa

 

L'Académie internationale de musique, du 1er au 14 août, offrira des cours par les interprètes du festival, dont les deux quatuors en résidence. Les étudiants donneront leurs concerts (gratuit) les 10, 11, 12 et 13 août à 11H et 16 H, dans les diverses églises de la région.

 

Réservations : par correspondance : Festival Pablo Casals, BP 50024, 66502 Prades Cedex ; par Fax : 04 68 96 50 95 ; par tel. : 04 68 96 33 07 ; en ligne : www.prades-festival-casals.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Festival Pablo Casals, entre Prades et le Théâtre des Champs-Elysées

Entretien avec Michel Lethiec, clarinettiste et directeur artistique du festival

 


Michel Lethiec © Josep Molina

 

A l'occasion du premier concert de la série « Prades aux Champs-Elysées 2016 »* Michel Lethiec, clarinettiste international et directeur artistique du festival nous livre quelques unes de ses réflexions concernant l'histoire, les partenariats, les perspectives artistiques de ce festival de musique de chambre fondé à Prades par Pablo Casals en 1950.

 

Michel Lethiec, pouvez vous nous rappeler succinctement l'origine de ce festival ?

 

Ce festival fut fondé en 1950 par le violoncelliste catalan Pablo Casals, comme le fruit conjugué d'un renoncement et d'une résurrection. Renoncement d'abord par le refus de Pablo Casals de retourner en Espagne après la victoire du général Franco et la défaite de la République espagnole. Il s'installa alors dans le petit village de Prades (Pyrénées orientales) où il se condamna au silence en signe de protestation devant l'indifférence internationale, silence qui perdura jusqu'après la seconde guerre mondiale malgré les appels répétés de tous les mélomanes et musiciens du monde entier. Ce n'est qu'en 1950 que se produit la résurrection musicale du maître, à l'occasion du bicentenaire de la mort de J. S. Bach. Alexandre Schneider et nombre des plus grands interprètes de son temps (Clara Haskil, Joseph Szigeti, Rudolf Serkin, Isaac Stern…) lui proposèrent alors de venir jouer à Prades. Ainsi naquit le festival, en territoire français, permettant à Casals de ne pas trahir sa promesse de ne pas retourner en Espagne. Pablo Casals (1876-1973) violoncelliste, chef d'orchestre et compositeur, fondateur du mythique trio Casals, Thibaud, Cortot en 1905, fondateur d'un orchestre à Barcelone en 1919, fut sans nul doute une personnalité majeure du paysage musical en ce début de XXe siècle, un des plus grands solistes de son temps, personnalité complexe et universelle au plan des idées, profondément humaniste, à la fois proche de la famille royale espagnole et fermement engagé pour la République, antifasciste dans l'âme, porteur inlassable d'un message de paix qu'il ne cessera de véhiculer jusqu'à sa mort à Porto Rico en 1976.

 

Comment votre collaboration avec le Théâtre des Champs-Elysées a-t-elle débutée, et comment s'est-elle maintenue avec le même succès depuis plus de vingt ans ?

 

C'est paradoxalement lors d'un concert que je donnais à Tokyo, où il y a d'ailleurs une salle portant le nom de Pablo Casals, que la possibilité d'une exportation du festival m'est apparue, faisant suite à une demande des organisateurs de concerts japonais, connaissant mon rôle dans la programmation du festival. Ce fut notre première exportation du festival de Prades à l'étranger, suivie dès lors par de nombreuses tournées dans le monde entier. De retour à Paris, Alain Durel, alors directeur du TCE me proposa de renouveler l'expérience de façon régulière et programmée dans la salle mythique de l'avenue Montaigne. Le festival abandonna pour trois concerts l'Abbaye Saint Michel de Cuxa et son exceptionnelle acoustique pour celle différente mais tout aussi légendaire du TCE. Ainsi débuta le cycle de musique de chambre « Prades aux Champs-Elysées » renouvelé d'années en années depuis 1993. Une forme différente ne comprenant que quelques concerts, un autre public, mais toujours une même fidélité à ce qui fait le cœur de notre festival : un même niveau d'excellence dans la pratique de la musique de chambre sous les doigts des plus grands solistes ou ensembles du moment. Paris ou Prades, finalement deux facettes d'une même médaille, saison d'hiver ou saison d'été, un tout transformant pour quelques jours un petit village du midi ou Paris en capitale de la musique de chambre.

 

Quelles sont actuellement les perspectives artistiques du festival ?

 

En complément de la pratique de la musique de chambre à son plus haut niveau, le festival de Prades sous ma direction s'est imposé deux missions essentielles : une mission pédagogique et une mission de soutien à la création de la musique dite contemporaine que je préfère appeler musique d'aujourd'hui. En effet, le festival est à la fois ancien de par son histoire, mais également moderne de par sa programmation qui prend en compte la création d'œuvres nouvelles par des compositeurs d'aujourd'hui, un souci constant qui implique une mixité entre œuvres anciennes et œuvres contemporaines. Une mixité des programmes, souvent bien accueillie par le public, qui s'appuie sur la fréquentation assidue des compositeurs, comme récemment Penderecki ou Widmann, une collaboration qui s'enrichit mutuellement des éclairages différents apportés par interprètes et auteurs. Les rapports entre compositeurs et musiciens sont primordiaux : sans eux, les musiciens ne seraient rien, mais sans nous leur musique ne serait jamais jouée…Pourquoi d'ailleurs ne pas participer aussi à la composition comme je l'ai fait quelques fois, avec Claude Ballif ou mon gendre Krystof Maratka…Toutefois, il ne faut pas oublier que cet effort vers et pour la musique d'aujourd'hui a un coût financier qu'il faut assumer auquel s'ajoutent les difficultés techniques de réalisation, souvent importantes, et l'instrumentation parfois complexe impliquant un instrumentarium adapté.

 

Quant à la mission pédagogique, elle nous parait également primordiale et depuis quelques années nous recrutons sur dossier  un certain nombre de jeunes musiciens au sein de notre Académie du festival. Ces jeunes musiciens sont pris en charge lors de master classes, de concerts d'étudiants, de concerts mixtes associant élèves et professeurs. Sorte de compagnonnage musical où chaque soliste est également professeur dans le cadre d'un enseignement continu pendant la quinzaine de jours que dure le festival (fin juillet-mi août). Un effectif de solistes-professeurs qui se renouvelle chaque année, qui touche tous les instruments et prépare les plus jeunes à leur vie professionnelle de solistes ou de musiciens d'orchestre. Une belle façon de faire de la musique ensemble et de se perfectionner au sein d'un creuset qui a déjà donné naissance à nombre de grands solistes, comme tout dernièrement le violoncelliste Edgar Moreau, pour ne citer que lui

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Comme vous le signaliez précédemment, il ne semble pas possible de clore ce rapide entretien sans évoquer les contraintes économiques actuelles et le danger de voir disparaitre à plus ou moins longue échéance nombre de festivals. Qu'en est-il concernant le festival de Prades ?

 

Le contexte économique incertain nous a contraints à restreindre quelque peu la voilure concernant notamment les concerts que nous donnions dans les écoles et les hôpitaux, souhaitant en cela rester fidèles à la tradition et à l'esprit de Prades, initiés par Pablo Casals. Une situation difficile qui nous affecte, bien que le festival ne soit pas directement menacé, mais qui nous apparait à long terme comme un mauvais calcul. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille faire fi des difficultés actuelles et qu'il ne faille pas participer à l'effort de solidarité. Mais considérer le budget de la culture comme une variable d'ajustement n'est-ce pas pour l'avenir une menace sérieuse quand on connait la valeur refuge que constituent l'art, la culture et la musique en particulier dans les situations difficiles…D'autant qu'il suffit sans doute de maintenir l'existant (conservatoires, festivals, orchestres) pour sauvegarder  une pratique et un enseignement musical de qualité. Une réflexion à méditer…

 

Propos recueillis par Patrice Imbaud.

 

 

* Le second concert, « Hommage à Pablo Casals », aura lieu le 2 avril prochain, à 20H. Peter Frankl, piano, Kyoko Takezawa, violon, Yuval Gotlibovich, alto, François Salque, violoncelle + Orchestre de violoncelles joueront de Haydn le Trio avec piano n°39 en sol majeur, de Schumann le Quatuor avec piano op .47 en mi bémol majeur, de Mozart le Quatuor avec piano K. 493, enfin des pièces de  J.S. Bach - G. Fauré - P. Casals (dernier concert de Pablo Casals à Paris en 1956).

 

www.theatrechampselysees.fr/saison/recital-instruments-musique-de-chambre/prades-aux-champs-elysees-1?parentTypeSlug=recital-musique-de-chambre

 

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PAROLES D'AUTEUR

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Proposition d'analyse du processus de traduction en art

L'exemple de la Scène première du Rheingold de Fantin-Latour d'après l'opéra de Wagner

 

Seconde partie :

Traduction et Création

 

Fidélité et liberté sont deux aspects indissociables de tout processus de traduction. Dans le précédent numéro de L'Education musicale nous avons vérifié la fidélité de la gravure Scène première du Rheingold de Fantin-Latour à son modèle wagnérien sur trois plans : celui de la narration, de l'expression et de l'idée (1).

Il s'agit maintenant d'évaluer la part de liberté prise par le peintre par rapport à Wagner. Dans quelle mesure Fantin-Latour a-t-il « laissé éclater son sentiment particulier », sachant que « c'est en cela », selon Eugène Delacroix, « que se montre le génie » du traducteur (2) ? En réalité, comme l'écrit encore le grand romantique : « Nous mêlons toujours de nous-mêmes dans ces sentiments qui semblent venir des objets qui nous frappent. Il est probable que ces ouvrages ne me plaisent tant que parce qu'ils répondent à des sentiments qui sont les miens » (3). En quoi le début de L'Or du Rhin a-t-il d'abord répondu à des sentiments qui étaient ceux de Fantin lui-même ?

 

Pour mettre en évidence les convergences entre la gravure et l'œuvre de Wagner, nous avons procédé, dans la première partie de notre article, à une analyse allant de l'extérieur vers l'intérieur, en comparant successivement : le livret de Wagner et le sujet "extérieur" de la gravure, l'expression des formes plastiques et celle de certains motifs musicaux, la structure interne de la gravure et le motif des Filles du Rhin, enfin l'interprétation de cette structure par rapport à l'opéra. Grâce à cette méthode, il a été possible de dévoiler la signification profonde de l'œuvre de Wagner, son essence même, confirmée par la correspondance du compositeur à sa seconde épouse Cosima (4).

Mais quant aux intentions cachées de Fantin-Latour au moment même où il a choisi de mettre en gravure le début de L'Or du Rhin, elles ont été, jusqu'à maintenant, totalement occultées. Pourquoi le peintre a-t-il choisi de traduire cette scène en particulier ? Qu'a-t-il reconnu de lui-même qui ait pu l'inciter à vouloir la traduire à plusieurs reprises ?

 

Au cours de cette seconde partie nous allons donc tenter de percer le dessein secret de Fantin-Latour et, pour cela, suivre son cheminement créateur depuis ses premières réactions au spectacle consignées dans sa lettre écrite de Bayreuth, en passant par ses divers croquis et esquisses, et jusqu'à ses œuvres achevées : la gravure de 1876, le pastel de 1877 et la peinture de 1888, cette dernière représentant, selon nous, l'aboutissement du processus. Il s'agit donc d'une analyse de type poïétique, grâce à laquelle un autre contenu se fera jour, un contenu que Maurice Denis appelle le « sujet intérieur » ou « subjectif », qu'il a défini dans Charmes et Leçons d'Italie en se référant à Delacroix :

Il faut donc s'entendre sur le sens du mot sujet. Il y a le sujet extérieur, le sujet dogmatique qui exige du spectateur des connaissances historiques, allégoriques, religieuses. Mais dans une véritable œuvre d'art, ce sujet est toujours doublé d'un autre sujet qui parle aux yeux de tout homme doué de sensibilité et d'intelligence : appelons-le le sujet intérieur ; le sujet subjectif si vous voulez. "O jeune artiste, disait Delacroix, tu cherches un sujet. Tout est sujet. Ton sujet c'est toi-même, tes impressions, tes émotions devant la nature (5).

 

Quel est donc le « sujet intérieur » de la Scène première du Rheingold de Fantin-Latour qui « double » le sujet wagnérien et qui est capable de « parler aux yeux de tout homme doué de sensibilité et d'intelligence », sans passer nécessairement par la connaissance de l'œuvre wagnérienne ? Les deux sujets (celui du compositeur et du peintre) se rejoignent-ils ou non dans leur signification profonde ? Pour répondre à cette question, nous nous appuierons, entre autres, sur un ouvrage de Didier Anzieu (1923-1999), Le Corps de l'œuvre. Essais psychanalytiques sur le travail créateur (6), qui analyse le processus créatif à travers cinq phases – des phases dont l'ordre de succession et le nombre ne sont toutefois pas immuables (7). Quelles étapes Fantin-Latour a-t-il dû franchir pour parvenir à « laisser éclater son sentiment particulier » dans sa dernière traduction du début de L'Or du Rhin, la peinture Scène première du Rheingold ? Comment ces différentes étapes nous éclairent-elles sur ses intentions profondes ?

 

 

Les étapes du processus créateur de Fantin-Latour

 

1. Première étape du processus créateur : le saisissement créateur 

La première étape du processus créateur est d'une importance capitale. Didier Anzieu la nomme le « saisissement créateur » :  

Le sujet est saisi […] par une impression forte, sensation […], émotion, sentiment, qui envahit l'esprit, et même l'âme, c'est-à-dire le noyau de son être psychique (8).

Grâce aux lettres de Fantin-Latour écrites de Bayreuth, il est possible d'analyser cette étape essentielle sur laquelle repose tout le travail du peintre à venir. Nous avons évoqué, dans la première partie de notre article, le choc émotionnel d'une rare intensité éprouvé par Fantin-Latour au début de l'opéra, un choc retranscrit dans sa lettre à Edmond Maître. Citons de nouveau le fragment concerné :

Oh, c'est très beau, unique. Rien n'est comme cela. C'est une sensation pas éprouvée encore. […] Je n'ai rien dans mes souvenirs féeriques, de plus beau, de plus réalisé. […] Là comme dans tout le reste, c'est de la sensation, pas la musique, pas le décor, pas le sujet, mais un empoignement du spectateur, c'est pas le mot qu'il faut, que spectateur, ni auditeur non plus, c'est tout cela mêlé (9).

Par le terme d'« empoignement », Fantin-Latour ne peut mieux exprimer cet état de « saisissement » que la musique, le décor et le sujet, dans leur totale fusion, ont provoqué en lui. Désirant faire partager son émotion à son ami, il poursuit sa lettre en décrivant le spectacle dans son évolution même, tel qu'il l'a perçu :

Le rideau s'écarte doucement et une chose sans nom, obscure, vague, petit à petit verdâtre, s'éclairant tout doucement, puis on aperçoit des roches, puis tout doucement des formes passent, repassent, les Filles du Rhin dans le haut, dans le bas Alberich, dans le fond des roches. Ces mouvements des Filles qui nagent en chantant, est (sic) parfait, l'Alberich qui grimpe, qui ravit l'or, l'éclairage, la lueur que jette l'or dans l'eau, est ravissante (10).

D'une musicalité évidente, la traduction en mots par Fantin-Latour du début de L'Or du Rhin parvient à nous faire presque ressentir ce que lui-même a éprouvé : à la fois une progression simultanée de tous les éléments et un balancement. La progression (suggérée par les adverbes « doucement », « petit à petit », « puis », « puis tout doucement ») concerne diverses perceptions : la perception des formes – qui vont de l'inconnu (« une chose sans nom ») et de l'informe (« vague ») aux formes minérales (les roches) et aux formes humaines (les Filles du Rhin, Alberich) ; la perception des couleurs – qui vont de l' « obscur » au « verdâtre » et à « la lueur [de] l'or » ; la perception du rythme – d'abord très doux, puis de plus en plus rapide (les « Filles qui nagent », « l'Alberich qui grimpe, qui ravit l'or »).

 

Quant aux oppositions, elles se jouent entre des mouvements (« passent et repassent »), ou entre des espaces (le « haut » pour les Filles du Rhin et « le bas » ou « le fond » réservé à Alberich), ou entre des sentiments (d'un côté la joie s'exprimant par le chant des Filles du Rhin et « la lueur [ravissante] que jette l'or dans l'eau », de l'autre le drame (provoqué par Alberich qui « ravit l'or »). Mais sans doute est-il révélateur que le peintre utilise le même terme, « ravir » et « ravissante », dans deux sens opposés, l'un négatif (le rapt de l'or) et l'autre positif (au sens de magnifique), et surtout, qu'il déplace l'ordre des événements en terminant son évocation par « la lueur ravissante que jette l'or dans l'eau », juste après avoir évoqué le ravissement (ou rapt) de l'or par Alberich qui, en réalité vient après et clôt la première scène de L'Or du Rhin dans l'obscurité totale ; comme si, pour Fantin-Latour, la lumière devait l'emporter sur les ténèbres.

 

Comment ne pas faire le lien avec la lithographie que nous avons analysée dans la première partie de notre article ! Déjà sont en germe, dans cet extrait de lettre, l'idée de balancement entre des directions, des actions ou des sentiments opposées et l'idée de progression de l'obscurité à la lumière, cet aspect étant l'un des plus significatifs de l'ensemble des variantes du peintre sur ce thème (nous allons le voir), mais surtout le plus surprenant, la première scène de l'opéra se concluant par une obscurité tragique.

 

L'inconscient de Fantin affleure donc de manière évidente dans ce texte. Pour le peintre, la lumière est le terme inéluctable d'une progression musicale qui a débuté avec le Prélude. Comme l'écrit Catherine Clément à propos du Prélude de L'Or du Rhin :

Cela commence dans l'eau, eau profonde et noire. Des notes très graves, tenues très longuement, puis un accord en arpège, puis encore un autre, cela monte des profondeurs ; c'est d'en haut que vient la clarté, une clarté indéfinissable (11).

Du Prélude de L'Or du Rhin, Fantin-Latour a transcrit lui-même les sensations qu'il en avait éprouvées, juste après la représentation de L'Or du Rhin :

Le début du Rheingold à l'orchestre, murmure sourd des eaux [...] comme des mugissements, (c'est sonore et voilé) l'orchestre fait l'effet d'une seule voix, Orgue immense ! Oh, c'est très beau, unique. Rien n'est comme cela. C'est une sensation pas éprouvée encore (12).

La progression relevée par le peintre – du « murmure sourd  » et des « mugissements » jusqu'à l'« orgue immense » – traduit sans doute l'expansion progressive des registres, des timbres et des intensités à laquelle est associée l'idée de « genèse, d'un monde en train de se constituer à partir du néant » (13). Et « l'effet d'une seule voix » provient probablement de la trame statique du mi bémol de contrebasse tenu pendant cent trente-huit mesures sur lequel l'accord se constitue progressivement, « les entrées successives des instruments créant un tissu mouvant malgré une apparence de surplace (14) ». C'est donc cette montée irrésistible vers la lumière, commencée au tout début du Prélude de L'Or du Rhin (15), qui serait entrée en résonance avec le « noyau psychique » de Fantin-Latour et qui constituerait la véritable source de l'ensemble de ses œuvres sur ce thème.

 

Une vérification de la justesse de perception du peintre pourrait venir de Jean Dauwen dans son ouvrage La Gamme mystique de Richard Wagner( 16). L'auteur y attire l'attention sur « l'importance symbolique des degrés de la gamme » dans l'œuvre de Wagner, la « note absolue » pouvant, selon lui, l'emporter dans certains cas sur la tonalité. Comme exemple de prééminence de note absolue, il cite, entre autres, le mi bémol du Prélude de L'Or du Rhin et, pour en préciser la signification symbolique, il se réfère à « l'association degrés de la gamme / couleurs / symboles proposée par Guido d'Arezzo » (17). Sachant que, pour le célèbre moine bénédictin (18), le représente « la lumière et la couleur jaune », le mi « le mouvement et l'orangé », le mi bémol étant « une combinaison entre le jaune de et l'orangé de mi (lumière et mouvement) », le symbolisme du début du Ring serait donc « le mouvement vers la lumière. Une prise de conscience dynamique et évolutive » (19).

 

Comment le cheminement créateur de Fantin-Latour, à travers les diverses variantes qu'il a réalisées d'après le début de L'Or du Rhin, corrobore-t-il cette interprétation ?

 

2. L'étape de la conception : Esquisse pour les Trois Filles du Rhin

Après le « saisissement créateur », l'étape que l'on peut observer dans le parcours créateur de Fantin-Latour, grâce à un petit dessin, est celle que l'on nomme communément la conception. C'est, en quelque sorte, « le premier moment de l'inspiration » (20). Pour Paul Klee, la force créatrice est à son apogée. Il en parle encore comme d'un « fulgurant éclair » et du « jaillissement idéel primordial » (21). Quant à Eugène Delacroix, il va plus loin en déclarant que « les premiers linéaments par lesquels un maître habile indique sa pensée contiennent le germe de tout ce que l'ouvrage présentera de saillant. […] Pour des yeux intelligents, la vie est déjà partout, et rien dans le développement de ce thème, en apparence si vague, ne s'écartera de cette conception, à peine éclose au jour et complète déjà » (22). Ce que Didier Anzieu précise encore en observant que ce que saisit le créateur à cette phase, « grâce à l'acuité, la vivacité de l'attention », est « une réalité psychique » (23). En quoi le premier dessin de Fantin-Latour répond-il aux caractéristiques de la conception telle que définie ici [Fig. 1] ?

 

Fig. 1. Rheingold, dessin mis au carreau (24) Fig. 2. Une construction en arabesque

   

Conservé au Louvre (25), ce petit dessin portant l'inscription « Rheingold » est daté du 20 novembre 1876, quatre jours exactement après le mariage de Fantin-Latour avec Victoria Dubourg (peintre et pianiste) – mariage dont la date avait été retardée en raison du départ précipité du peintre à Bayreuth ; nous y reviendrons. Au premier regard, le dessin frappe par une agitation fébrile exprimant le jaillissement de l'inspiration et témoignant de la rapidité avec laquelle le peintre a jeté son idée sur le papier. Le paysage et les figures sont mis en scène essentiellement par le jeu de hachures vigoureuses et multidirectionnelles, les corps étant délimités grossièrement par un trait plus épais. L'ensemble correspond toutefois aux sensations éprouvées par Fantin-Latour à Bayreuth telles qu'il les a transmises dans sa lettre à Edmond Maître. On y observe en effet à la fois le balancement des formes et la progression de l'ombre à la lumière, à travers l'évocation du début de L'Or du Rhin.

Des profondeurs surgit le nain, la tête tournée vers les ondines, une masse informe sombre prolongeant son buste. Plus haut, les trois Filles du Rhin, dont les corps s'entrecroisent, évoluent en tous sens dans un mouvement quasi tourbillonnaire. L'ondine inférieure plonge précipitamment vers le nain un bras en avant, l'autre bras à l'oblique, alors que sa sœur, dans la direction opposée, s'élance vers le sommet dans un mouvement d'une grande fluidité, un bras en avant l'autre en arrière ; enfin la troisième tout en haut, à demi allongée dans le sens inverse de sa sœur, contemple, immobile, « la claire lumière » qui l'illumine.

Dans un format en hauteur qui ne tient pas compte de l'espace scénique – preuve d'une certaine liberté du peintre vis à vis du spectacle –, l'idée de la composition – la superposition de figures opposées et le mouvement vers la lumière – est donc déjà « complète », « et rien dans le développement de ce thème, en apparence si vague, ne s'écartera de cette conception » tout au long des esquisses et œuvres achevées qui suivront.

 

Que Fantin-Latour ait été satisfait de sa représentation, la mise au carreau qu'il effectua de ce dessin en est la preuve [Fig. 1] – la hauteur ainsi que la largeur sont divisées en quatre parties selon le rapport 1,5/1. L'ordonnance des quatre figures ainsi se précise. Peut-être même, une construction serpentine est-elle déjà sous-jacente [Fig. 2] : prenant appui sur une ligne courbe stylisant le mouvement des flots dans la partie inférieure du dessin et reliant le nain à l'ondine qui plonge, elle semble envelopper au sommet l'ondine à demi allongée. De part et d'autre de cette arabesque virtuelle et de la diagonale lui servant d'axe, s'inversent les directions des corps et des têtes en une sorte de balancement rythmique accordé au mouvement ondoyant des vagues que fait entendre la musique au début de la scène première.

 

Ce dessin confirmerait ainsi « la réalité psychique » entrevue dans l'extrait de lettre de Fantin, une réalité qui se cache derrière le sujet de l'opéra, à savoir le mouvement de la vie avec ses élans et retombées et son irrésistible ascension vers la lumière. Cependant, pour comprendre le processus de traduction dans toute sa complexité, l'ensemble des essais et réalisations de Fantin-Latour d'après le début de L'Or du Rhin doit être examiné. C'est à partir des divers ajustements effectués par le peintre dans les versions suivantes que nous pourrons faire la part, en effet, de ce qui relève de la fidélité au drame wagnérien ou de l'expression du propre « moi » de l'artiste traducteur.

 

3. Première étape de la réalisation : du croquis à l'huile et du calque à la lithographie (1876)

Au premier dessin ont succédé un croquis à l'huile (26) [Fig. 3] et un dessin sur papier calque (27) [Fig. 4] – tous deux disposés dans le même sens que le dessin initial (Alberich est situé dans le coin droit inférieur) –, et la première lithographie (28) [Fig. 5] – en contrepartie (Alberich sous son rocher est dans le coin gauche) –, première œuvre achevée sur ce thème. Le calque est daté du « 11 décembre 1876 », quatre semaines exactement après le premier dessin, et il est conservé au musée de Grenoble (29).

 

Fantin-Latour, Scène première du Rheingold
Fig. 3. Croquis à l'huile, 1876 Fig. 4. Calque, 11/12/1876 Fig. 5. Lithographie, 1876

Nous avons regroupé cet ensemble dans la première étape de la réalisation pour deux raisons : les deux dessins sont très proches de la lithographie – en dépit de l'inversion de l'image –, et surtout, la pensée rationnelle, organisatrice, s'y manifeste de manière évidente dans les trois œuvres, à travers un même schéma structurel. Pour Didier Anzieu, au cours de cette troisième phase du travail créateur, se met en route « un dynamisme organisateur » qui s'exprime au moyen d'un « schème » constituant le « noyau générateur » de l'œuvre (30).

 

Une double structure

 

Dans le cas des trois œuvres ici rassemblées, un schéma géométrique et symbolique reliant l'œuvre plastique à son modèle wagnérien s'impose au regard. Il s'agit d'un anneau suggéré par la forme de trois bras : les deux bras de l'ondine qui plonge et le bras arrière de celle qui remonte le Rhin [Fig. 6-7-8] (31). La référence à L'Anneau du Nibelung ne fait ici aucun doute.

 

Une double structure en anneau et en S
Fig. 6 Fig. 7 Fig. 8

                                                                     

Bien que la disposition générale des figures observée dans le premier dessin ait été conservée en grande partie – la superposition de figures opposées et la progression de l'ombre à la lumière –, des changements importants sont donc intervenus dans la composition, notamment en ce qui concerne les deux bras largement ouverts de l'ondine qui plonge – bras dessinant désormais un arc de cercle sur le prolongement duquel se trouve le bras arrière de sa sœur remontant le Rhin – et la nouvelle orientation de l'ondine du sommet qui ne surplombe plus majestueusement la scène en position demi allongée, mais poursuit l'ascension de sa sœur, toute livrée à la lumière dont elle semble s'enivrer, la tête renversée en arrière. 

 

C'est alors que l'anneau de la gravure – à l'image de l'Anneau de l'opéra, moteur de toute l'action dramatique – devient le foyer dynamique autour duquel se constitue une structure ondoyante en forme de S supportant les mouvements « en cercles gracieux (32) » des trois ondines [Fig. 6-7-8], une structure dynamique directement issue de la musique (33) – le motif ondoyant des Filles du Rhin qui, à Bayreuth, dictait les mouvements parfaits des ondines –, et pressentie dans le dessin initial. Cette structure serpentine, inscrite dans un quadrillage parfaitement géométrique – mais sans lien avec la mise au carreau du dessin initial –, emprunte la courbe de la portion d'anneau qui prolonge le bras de l'ondine plongeant et contient le bras arrière de celle remontant le Rhin, puis s'inverse dans la partie supérieure en enveloppant le corps de l'ondine du sommet.

 

Ce qui unit les trois œuvres envisagées ici est donc la forte présence de la structure annulaire (absente du premier dessin) et la structure en S qui en jaillit. Grâce à cette double structure servant de soubassement aux mouvements des trois ondines, le peintre, tout en respectant son intuition première – la progression vers la lumière –, a pu joindre les sensations musicales et visuelles qu'il avait éprouvées lors du spectacle à la signification même de l'œuvre wagnérienne.

 

Le premier niveau de signification : la mise en abyme de L'Anneau du Nibelung

Comment la double structure intervient-elle dans la signification de l'image ? Nous l'avons montré dans la première partie de notre article : d'une part, en attribuant à l'ondine qui plonge avec l'anneau entre ses bras la responsabilité d'avoir livré l'or au nain ; d'autre part, en conférant à l'ondine qui remonte le Rhin, l'un de ses bras lié à l'anneau, le rôle de Flosshilde qui, à la fin du Crépuscule des dieux, récupère l'anneau pour le restituer au Rhin afin que l'or y brille de nouveau. Grâce à la découverte de la structure interne, on comprend alors que la représentation gravée prend en compte la totalité de L'Anneau du Nibelung, et pas seulement la première scène de L'Or du Rhin comme pourrait le laisser entendre le titre attribué à l'œuvre (34).

 

Une confirmation de cette interprétation pourrait venir du choix des motifs musicaux associés à chacune des ondines (35) – le motif de l'Or pour l'ondine en extase, le motif du Rhin pour l'ondine qui remonte le Rhin, le motif de l'Anneau pour celle qui plonge vers le nain –, motifs dont les dénominations sont constitutives du titre même de l'opéra (L'Or du Rhin et le Ring). D'une manière particulièrement subtile, témoignant d'une rare pénétration de l'œuvre wagnérienne, Fantin-Latour désignerait ainsi le contenu synthétique de sa gravure (36).

Mais qu'en est-il du Nibelung dans les deux croquis et la gravure ? A-t-il été affecté, lui aussi, par la mise en place de la structure annulaire ? Dans le premier dessin, l'environnement du nain demeurait imprécis. Dans les deux croquis et la lithographie qui sont examinés maintenant, le nain, toujours ramassé sur lui-même, la tête tournée vers les Filles du Rhin, surgit d'une caverne dont l'ouverture épouse une forme semi-circulaire évoquant un rouleau de vague se retournant. Aussi le nain, tapi à l'entrée voûtée de la « crevasse ténébreuse », son corps enroulé sur lui-même, participe-t-il du tourbillon généralisé de la composition, et même, pourrait-il apparaitre comme celui qui donne l'impulsion première au tournoiement des ondines.

 

En liant structurellement le nain au groupe des ondines – comme cela était déjà suggéré dans le dessin initial par la ligne courbe imitant les flots –, le peintre n'assure pas seulement l'unité formelle de sa composition ; il induit en outre l'idée d'un mouvement ininterrompu qui « peut toujours repartir au commencement, se transformer en son contraire » (37). Cette idée, qui reflète l'essence même du drame wagnérien – comme nous l'avons montré dans la première partie de notre article –, est renforcée par le prolongement virtuel de la structure serpentine en deçà du S jaillissant de l'anneau (jusqu'à l'abri voûté du nain), voire au-delà (la tête renversée en arrière de l'ondine du sommet amorce en effet un mouvement ascendant en sens contraire).

 

Soulignons cependant que la courbe de la caverne n'entre pas dans la perfection géométrique du quadrillage où s'inscrit la structure ondoyante qui, rappelons-le, est liée uniquement au motif des Filles du Rhin. Le monde du nain et celui des ondines sont en effet deux mondes totalement différents, y compris musicalement (38). Un schéma de construction le met en évidence. Il s'agit d'un losange asymétrique [Fig. 9] qui prend appui sur l'horizontale d'or (39) et l'axe vertical principal, l'un des côtés du losange séparant le domaine du nain de celui des ondines, un autre en haut délimitant des mamelons rocheux s'étageant dans le lointain. À l'intérieur du lumineux losange sont réunies les Filles du Rhin dont les principales directions des corps ou des membres s'accordent aux axes et aux côtés du losange ; à l'extérieur du losange, au sein d'un triangle obscur, se trouve le Nibelung difforme dans son antre chaotique.

 

Fig. 9. Une composition en losange

 

Conférant une grande harmonie à la lithographie, la forme en losange n'est pas sans signification. Le losange, en effet, représente symboliquement la vulve (40) (le symbolisme en est connue dès la période magdalénienne) et, en conséquence, la matrice de la vie, une vie qui ne finit jamais – la guirlande d'algues tenue entre les mains de l'ondine remontant le Rhin en est le symbole (41). L'idée de Genèse en tant qu'essence de l'Anneau du Nibelung est donc ici confirmée. La signification de la composition losangée complète ainsi celle de la structure interne – le S jaillissant de l'anneau –, mais « déplace » toutefois la signification sur un autre aspect de l'œuvre wagnérienne dont l'importance est indéniable, la dimension sexuelle (42).

 

La première œuvre achevée : quatrième phase du travail créateur

Si  Fantin-Latour, dans cet ensemble peint, dessiné et gravé, a cherché à être le plus fidèle possible au contenu expressif et sémantique du drame musical wagnérien, il faut cependant différencier l'exécution de lithographie de celle des deux essais qui l'ont précédée : l'un plus abstrait (l'esquisse à l'huile) – les formes traitées par plans schématiques de différentes valeurs préfigurent le cubisme –, l'autre épuré et précis (le dessin sur papier calque), animé d'un grand souffle rythmique le traversant de part en part.

Avec la lithographie, première œuvre achevée d'après le début de L'Or du Rhin, Fantin-Latour conserve les qualités de l'un et l'autre essais, mais s'attache en outre à donner aux formes toute leur plénitude. Nous avons vu aussi qu'un élément nouveau apparaissait, quoique discret : une guirlande d'algues tenue entre les mains de l'ondine intermédiaire.

En exploitant au maximum les ressources de son art, le peintre franchit alors une phase supplémentaire dans son processus créatif, la quatrième, celle de « la composition proprement dite » selon Didier Anzieu, mais que nous considérons dans le cadre de notre analyse comme faisant partie de la première étape de la réalisation (ou encore du premier niveau de signification et d'exécution) – la seconde étape (ou le second niveau d'exécution et de signification), qui est celle de l'aboutissement du projet initial du peintre, étant constituée, selon nous, par la peinture de 1888.

 

D'après le psychologue psychanalyste, cette phase relève plus généralement « des tâches de confection » et concerne notamment « l'agencement interne des parties dans une organisation d'ensemble de l'œuvre achevée » (43). Paul Klee en parle lui-même comme de « la production de la forme », ou encore, de manière imagée, « la charnelle croissance de l'œuf » (44). Pour cet artiste, afin d'éviter un trajet trop uniforme dans le parcours créateur, le chemin doit alors « gagner en complexité, se ramifier de manière excitante » (45).

 

Dans la lithographie, d'une exécution particulièrement aboutie, on relèvera surtout l'intensification du dialogue entre les figures et la nature. On a déjà souligné le lien entre le nain et le rocher qui le surplombe : un même aspect ténébreux et chaotique qui tend à les confondre. À la limite supérieure de la caverne, se glisse l'ondine nue qui plonge vers le nain, son corps au modelé parfait étant partagé entre ombre et lumière et ses bras ouverts en arc faisant écho à la voûte semi-circulaire de la crevasse. Entre l'ondine et le nain, les flots animés des reflets prismatiques du soleil jouant avec les vagues et les remous provoqués par le relief accidenté du fond pourraient faire écho au caractère mouvementé de leurs échanges. Au-dessus de cette même ondine, un autre monde se déploie. Les stries régulières des eaux immobiles invitent à la paix et à la contemplation. Vers ce monde allégé, comme suspendu, s'élance l'ondine remontant le Rhin, qui relie le bas et le haut, tout en déployant une guirlande d'algues. À sa droite, un récif imposant se dresse tout droit vers le sommet avec le même élan que celui qui l'anime. S'orientant dans le sens opposé au récif, elle tend son bras en avant vers un lointain où s'étagent, en plans successifs, d'autres rochers aux formes moins distinctes, auréolés de lumière. Sur le même plan et à l'opposé, l'ondine en extase émerge peu à peu des flots en s'éloignant vers l'infini par une brèche où l'eau et la lumière se confondent.

 

Ainsi, le paysage, en rapport étroit avec les figures – aux niveaux formel, psychologique et spirituel –, contribue-t-il à mettre en valeur la progression qui, du monde des ténèbres, en bas, aboutit au monde de la lumière, en haut, les différents niveaux étant reliés les uns aux autres et s'engendrant mutuellement par les rebonds successifs de la structure spiralée sous-jacente. L'idée première du peintre que nous avons pressentie dans son dessin initial est donc toujours bien présente dans la gravure. Cependant, la volonté du peintre de rendre avant tout « l'esprit » de Wagner domine ici nettement.

En effet, d'une grande force et d'une intense vie intérieure grâce à son exécution, la gravure Scène première du Rheingold de Fantin-Latour, en dehors même de sa structure annulaire directement issue de l'opéra, est traversée par une sorte de "sève" wagnérienne. Bien des amateurs de Wagner ayant admiré les lithographies wagnériennes du peintre l'ont perçue. Si Mallarmé, auquel Fantin-Latour avait offert sa gravure, considérait « avec émerveillement […] la façon dont tout était vu à travers la musique » (46), plus tard, Teodor de Wyzewa (1862-1917) loua sans réserve les lithographies de Fantin-Latour, « d'un métier admirable, si profondément  wagnériennes par l'harmonieuse sensualité de lignes à la fois indécises et pures » (47), qui parviennent à « rendre le sens profond de la scène et du drame en entier », ajoutant que « s'il les eût connues, Richard Wagner […] les eut trouvées un hommage digne de sa grande âme » (48). En réalité, largement diffusées, les gravures de Fantin reçurent un « véritable brevet de wagnérisme » (49) de la part du fils même de Wagner, Siegfried Wagner. Probablement au marchand de Fantin, Tempelaere, il écrivit en effet le 23 janvier 1903 :

Je suppose que vous ne me demandez pas mon avis sur les illustrations des œuvres de mon père par M. Fantin-Latour, car depuis bon nombre d'années, elles occupent un rang parmi les compositions de ce genre les mieux appréciées et les plus renommées (50).

 

4. Seconde étape de la réalisation : du croquis à l'huile et du pastel (1876) à la peinture à l'huile (1888)

Après la mise en place du schème structurel symbolisant l'essence de l'œuvre wagnérienne – le S jaillissant de l'anneau – et la réalisation de la première œuvre achevée dans une technique très élaborée – la lithographie de 1876 –, Fantin-Latour aborde la couleur dans trois autres œuvres : un croquis à l'huile daté de 1876 (51) [Fig. 10], un pastel de la fin de la même année (52) [Fig. 11] – tous deux proches par leurs dimensions de la lithographie –, et une peinture à l'huile datée de 1888, aux dimensions beaucoup plus importantes (53) [Fig. 12], sans doute l'image la plus célèbre du Ring de Fantin, conservée au Hamburger Kunsthalle de Hambourg. Comment cette dernière œuvre constitue-t-elle l'aboutissement du projet initial du peintre né lors de la représentation de la Tétralogie à Bayreuth en 1876 (54) ?

 

Fantin-Latour, Scène première du Rheingold
Fig. 10. Croquis à l'huile, 1876 Fig. 11. Pastel, 1876-1877 Fig. 12. Peinture à l'huile, 1888

 

 

Baignant dans des harmonies colorées très différentes, les œuvres que nous abordons maintenant – toutes dans le même sens que la lithographie –, et l'ensemble que nous avons examiné précédemment, si l'on s'en tient uniquement à l'ordonnance générale des formes, frappent davantage par leurs ressemblances que par leurs différences. C'est à scruter plus attentivement la structure interne des œuvres de ce nouvel ensemble qu'une différence majeure apparaît : la suppression de la structure annulaire. Les deux bras de l'ondine qui plonge et le bras arrière de celle qui remonte le Rhin ne constituent plus un anneau et la main supérieure de l'ondine qui plonge n'est plus dirigée vers l'Or qui brille au sommet mais vers le nain avec lequel elle converse (55).

L'ondine qui plonge est donc libérée du poids dramatique qu'elle recélait dans la lithographie avec son bras levé, lourd de gravité, et elle contribue ainsi largement au changement de caractère, surtout dans le pastel et la peinture. Dans ces deux œuvres, l'ondine vêtue déploie en outre une guirlande d'algues très nettement incurvée qui semble se substituer à l'anneau, comme si l'alliance avec la vie qui ne finit pas – symbolisée par l'algue (56) – avait supplanté à jamais la malédiction de l'anneau. Pleine d'allégresse, cette ondine se retourne vers le nain avec une expression souriante, voire moqueuse, alors que dans le croquis à l'huile, l'ondine qui remonte le Rhin regarde toujours droit devant elle et ne porte pas de guirlande d'algues ; cette esquisse représente donc bien une étape intermédiaire.

 

Une composition musicale

 

En abordant la couleur, très peu de temps après la réalisation de la gravure, Fantin-Latour abandonne donc la structure annulaire, probablement parce que la couleur, langage par excellence de l'affectivité, a poussé le peintre à vouloir exprimer sa propre sensibilité. Il conserve en revanche la structure serpentine mise en place dans la gravure, structure issue du motif ondoyant et gracieux des Filles du Rhin [Ex. 1] (57), et servant de soubassement aux mouvements des ondines [Fig. 13, 14, 15].

 

Une structure serpentine
Fig. 13  Fig. 14 Fig. 15

 

                                                                 

 

Ex. 1. Du motif des Filles du Rhin au schéma en S de la structure plastique

 

S'inscrivant dans un quadrillage rigoureux, le schéma en S entretient cependant avec les figures un rapport différent de celui de la gravure [Fig. 8], d'une aisance et d'une élégance nouvelles, surtout dans la peinture. On observe en effet un nouveau rapport entre les formes, une aération nouvelle entre elles – le rôle de la guirlande est ici primordial (58) –, et un enchaînement beaucoup plus satisfaisant entre les trois ondines – le geste de Flosshilde se retournant et le lien créé par la guirlande sont à cet égard importants –, tout cela contribuant largement à l'harmonie voire à la musicalité de la composition (59).

 

Rappelons que pour le peintre Hogarth, la ligne en S, qualifiée par lui de « ligne serpentine » ou « ligne ondoyante » selon qu'elle se déploie dans un espace à trois dimensions ou qu'elle se dessine sur un plan, est le tracé le plus accompli. Dans The Analysis of Beauty, il qualifie ce tracé de « ligne de grâce » ou de « ligne de beauté » (60). Dans la peinture, plus encore que dans le pastel, l'harmonieux déploiement de la ligne S autour des figures mérite tout à fait l'appellation de « ligne de grâce », et elle est à l'évidence la clé de l'harmonie.

Outre la structure ondoyante, les gestes des ondines concourent, eux aussi, à la musicalité de l'œuvre, Fantin-Latour imitant toujours les effets de motifs musicaux entendus au début de L'Or du Rhin pour donner vie à chacune des ondines. L'une d'entre elles se modèle sur le même extrait musical que dans la lithographie : la Fille du Rhin planant au sommet de l'image et s'enivrant des rayons de l'or qui renvoie au fragment musical débutant le troisième épisode, l'un des fragments les plus "impressionnistes" de l'opéra. Nous avons vu, dans notre précédent article (61), comment Wagner y dépeint le moment où une lumière féerique et dorée irradie progressivement les flots. La progression sonore qui le suggère, Fantin-Latour a cherché à la reproduire dans la partie supérieure de la peinture. Une progression colorée extrêmement subtile conduit en effet le regard, de la pointe du pied de l'ondine posée sur l'eau immobile à sa gorge où le doré s'éclaircit jusqu'au blanc, en passant par les fines irisations colorées de ses draperies dont les plis s'accentuent sur les hanches, à la manière des oscillations des violons qui s'amplifient. Tout en haut, la lumière éclatante de l'astre invisible darde la pluie fine de ses rayons d'or qui éblouissent l'ondine et pénètrent l'espace aquatique, imitant l'effet de ruissellement sonore produit par les oscillations des violons dans l'aigu qui accompagnent la fanfare éclatante de l'Or à la trompette.

Pour les deux autres figures féminines, les gestes et attitudes – qui comportent davantage de modifications – se modèlent sur d'autres fragments musicaux que ceux des mêmes figures dans la gravure. Ainsi le sourire autant que l'allure dansante de Flosshilde entrent-ils en résonance avec la fin du deuxième épisode au cours duquel les trois filles réunies se moquent d'Alberich en chantant en chœur sur des onomatopées : Wallala ! Lalaleia ! Leialaleil ! [Ex. 2]. Leur chant plein d'élan rappelle le motif ascendant et arpégé du Rhin le rythme deux doubles croches-noire pointée donnant un vigoureux élan aux Wallala, et il est accompagné du motif des Filles du Rhin et de celui des Flots ondoyants, comme au début de la scène première (62). À divers moments du quatrième épisode, ce motif varié du Rhin, plein d'allégresse, réapparaît, tel un refrain, toujours avec le même rythme et sur les mêmes onomatopées, ce qui peut justifier que le peintre s'en soit inspiré pour insuffler à l'ondine son dynamisme joyeux.

Ex. 2. Les moqueries des Filles du Rhin

Quant à l'ondine qui plonge, d'une délicatesse extrême dans ses gestes – surtout dans la peinture où elle est particulièrement sensuelle avec sa chevelure frisée abondante et rousse, son court drapé de même couleur ainsi que sa poitrine frémissante –, elle pourrait rappeler Wellgunde dans le deuxième épisode de la scène première lorsqu'elle feint d'être amoureuse du nain [Ex. 3]. S'étant laissée glisser sur un récif profond, elle l'appelle : « Holà ! Doux ami ! / Ne m'entends-tu pas ? ». La nuance pp et les grands sauts intervalliques prêtent à Wellgunde un caractère maniéré qui concorde parfaitement avec la représentation de l'ondine dans la peinture.

Ex. 3. La séduction de Wellgunde

L'imitation des effets de certains motifs ou fragments musicaux n'est cependant pas le seul moyen utilisé par le peintre pour insuffler la vie aux trois ondines et musicaliser l'image. Le « profil vocal et psychologique » de chacune des Filles du Rhin dans l'opéra (63) l'inspire également, non plus pour les gestes, mais pour le choix des couleurs dont les ondines sont parées dans la peinture. Ainsi Flosshilde, à la voix d'alto « profonde et grave », la plus « consciente de sa mission », est-elle revêtue dans le tableau d'une longue robe « violette couleur de crépuscule (64) » où s'entrelacent le bleu et le rouge (65), alors que Wellgunde, « la plus séductrice », dont la voix de mezzo se singularise par une « couleur ambrée et sensuelle », revêt dans la peinture une draperie rousse et une abondante chevelure de même couleur, particulièrement sensuelle. Quant à Woglinde, « la plus insouciante », dont la voix de soprano se caractérise par un « timbre lumineux et cristallin », elle entre en résonance avec l'ondine couleur or qui fusionne avec la lumière au sommet de la peinture et dont les draperies légères et transparentes ont un effet quasi cristallin.

 

Par la couleur, Fantin-Latour harmonise en outre la composition. D'une palette beaucoup plus riche que dans le pastel, la peinture est baignée dans une harmonie générale vert et or, non sans rapport avec le spectacle de Bayreuth décrit par Fantin dans sa lettre à son ami Edmond Maître – « une chose […] petit à petit verdâtre, s'éclairant tout doucement », « la lueur ravissante que jette l'or dans l'eau ». Une technique par petites touches de couleurs essentiellement complémentaires (de primaires et de binaires) qui s'entrelacent les unes avec les autres, permet en outre des modulations très subtiles tout en créant un effet vibratoire généralisé. Dans le paysage autour des ondines, une progression colorée et lumineuse très graduée va du brun sombre en bas, au jaune et blanc lumineux en haut, en passant par des tons intermédiaires mêlant le brun, le vert et le jaune pour le récif, et les mêmes couleurs baissées de tons pour les reliefs du fond. Quant aux quatre figures évoquées précédemment, bien mises en valeur par leur coloris dominants contrastés (brun cuivré, roux, violet, or), elles composent un accord coloré d'une richesse de vibrations exceptionnelle qui concourt, avec le balancement harmonieux des formes, à la musicalité de l'œuvre.

 

La signification dans le contexte wagnérien

 

Mais qu'en est-il de la signification ? En raison de la suppression de la structure annulaire, la signification du pastel et de la peinture n'est plus la même que dans la gravure, le lien avec l'opéra est plus faible et le contenu apparent beaucoup plus mince : il se limite strictement au tout début de la scène première – le jeu de séduction/répulsion entre les ondines et le nain, les moqueries des Filles du Rhin vis à vis du nain, l'adoration de l'or du Rhin –, excluant totalement le quatrième épisode où il est question de l'anneau. Aussi, le sujet du drame wagnérien semble-t-il ici plutôt insignifiant.

En intitulant son pastel « Souvenir de Bayreuth » (66), Fantin-Latour laisse entendre lui-même qu'il ne prétend pas à une restitution fidèle de ce qu'il a vu et entendu. Lorsqu'il reprend douze années plus tard le même sujet dans une peinture à l'huile de grandes dimensions, le souvenir de Bayreuth est encore plus lointain. S'y mêle, à l'évidence, sa propre interprétation.

Pourtant, la musique de la première scène de L'Or du Rhin, Fantin-Latour n'avait probablement pas cessé de l'entendre, que ce soit en concerts (67) ou dans l'intimité, comme l'attestent, dans la peinture, l'effet synesthésique des couleurs revêtues par les ondines en relation avec les timbres de voix de chacune des Filles du Rhin dans l'opéra, ou encore, l'expression des gestes des ondines calquée sur les effets de certains motifs musicaux. Rappelons, en outre, que dans les années 1885-1888, Fantin-Latour fréquentait le Petit Bayreuth et participait à la Revue wagnérienne (68). Sa passion pour Wagner était donc toujours aussi vive et ses connaissances de la musique wagnérienne n'avaient pu que s'accroître.

Il est facile d'imaginer cependant qu'assister au festival de Bayreuth et entendre un extrait d'opéra en concert ou dans l'intimité ne produisent pas le même effet sur l'auditeur. Par ailleurs, le contexte en 1888 n'était plus le même qu'en 1876. Au "wagnérisme militant" des années 1860 et 1870, faisait place, désormais, le "wagnérisme triomphant", qui allait contribuer au développement du mouvement symboliste en France. Dans cette voie, Fantin-Latour s'engage lui aussi. Au Salon de 1888 où il exposait sa peinture, de nombreux critiques estimèrent même qu'il était le seul « symboliste pur » du Salon (69).

Quand l'on compare le traitement du paysage dans le pastel et la peinture, on constate en effet que dans le premier, la représentation de la nature est fidèle à la réalité – Fantin-Latour y traduit notamment les transparences de l'eau et ses reflets dans une manière proche de l'impressionnisme alors en plein essor (70) –, alors que dans la seconde, le rêve et l'imaginaire ont pris nettement le pas sur le réel (71). L'harmonie vert et or observée précédemment acquiert ici une valeur symbolique. Gustave Geffroy, qui admira « la science profonde de coloriste » de Fantin-Latour, évoque notamment « cet or vert triomphal et mélancolique » (72).

 

Aussi la peinture nous met-elle face à un paradoxe. D'une évidente musicalité, qui tient en grande partie à l'imitation des effets de la musique de Wagner, le tableau, contrairement à la gravure, ne fait pas résonner en nous la musique de Wagner. Une autre musique s'y fait entendre, une musique où l'on reconnaît la voix du peintre, ou mieux, son âme. D'une certaine manière, Fantin-Latour détournerait donc la musique de Wagner au profit de l'expression de son propre sentiment (73). Avec la peinture Scène première du Rheingold, il réaliserait alors un rêve qu'il avait confié à son ami Edwards vingt-quatre ans auparavant, en 1864, après l'audition de l'Ouverture du Vaisseau Fantôme : « Oh ! quelle belle chose que de [...] donner sa pensée, son suprême idéal, dire ce que l'on ne peut dire avec la voix ! » (74) Sa satisfaction à l'égard de son tableau pourrait le confirmer. À Madame Edwards, il écrit en effet, le 26 novembre 1891 : « J'ai bien envie de tenter l'exposition des Filles du Rhin, à l'exposition de Glasgow [...]. C'est un milieu bien artistique, et mon tableau est celui que je préfère de tout ce que j'ai fait dans ce genre » (75). Quel est donc le « sujet intérieur » de la peinture qui « double » le sujet wagnérien ? C'est ce que nous allons tenter de décrypter.

 

 

 Le « sujet intérieur » de la peinture 

 

Si la peinture est plus libre par rapport à Wagner et d'une harmonie formelle supérieure à la gravure et au pastel, elle a en outre la capacité de parler « aux yeux de tout homme doué de sensibilité et d'intelligence ». Aucune connaissance wagnérienne n'est requise pour la comprendre. Ici, Fantin-Latour semble revenir à son intuition première née de la musique seule, une intuition que nous avions devinée à travers l'extrait de lettre écrite de Bayreuth par le peintre, confirmée par son premier dessin, et qui a trouvé comme une justification dans le symbolisme du mi bémol au début du Ring qui serait « le mouvement vers la lumière. Une prise de conscience dynamique et évolutive ».

 

En effet, avec la peinture des Filles du Rhin, le « mouvement vers la lumière », particulièrement saisissant, entre immédiatement en résonance, pour quiconque contemple l'œuvre, avec une aspiration inscrite au plus intime de l'être, et les différentes figures s'étageant du bas vers le haut selon des directions opposées apparaissent comme autant d'étapes ou de « prises de conscience » sur le chemin de l'évolution.

 

Bien des auteurs ont tenté de décrire les étapes du cheminement de l'être humain au cours de son existence. C'est le cas de Paul Diel (1893-1972), dont « la grande originalité est d'avoir traduit les récits mythologiques et leurs images symboliques en termes de fonctionnement psychique » (76). L'un de ses ouvrages, Le Symbolisme dans la mythologie grecque (77), peut alors éclairer la peinture Scène première du Rheingold, celle-ci paraissant même illustrer, et de manière troublante, le fonctionnement évolutif de la psyché tel que le psychologue-philosophe l'a analysé trois quarts de siècle plus tard. Essayons de le montrer.

 

Aux quatre figures réunies dans la peinture correspondent en effet les quatre instances psychiques reconnues par Paul Die (78) : l'inconscient étant personnifié par le nain, le subconscient par l'ondine plongeant vers le nain, le conscient par l'ondine qui remonte le Rhin tout en veillant à sa sœur, et le surconscient par l'ondine en extase.

Divers symboles confirment leur identification : l'inconscient et ses dangers sont associés à la figure monstrueuse du nain « noir », qui « surgit de l'abîme […] tout environné d'obscurité » (79), alors que la fonction surconsciente est signifiée par l'éclatante lumière d'or  – reflet de la lumière céleste – se déversant sur l'ondine qui s'enivre de ses rayons.

Au centre, se trouvent les deux ondines personnifiant le conscient et le subconscient. C'est le lieu du « conflit essentiel de l'âme humaine, le combat entre spiritualisation et pervertissement » (80). Flosshilde, la femme-héroïne (81), figure « l'élan évolutif vers la spiritualisation ». Telle une flamme montant vers le ciel, elle est au service de « l'esprit illuminant » incarnée par l'ondine du sommet qui fusionne avec la lumière (résultat de la « sublimation ») et cherche à entrainer dans son élan sa sœur aux seins nus attirée vers le bas par le monstre séduisant, victime qu'elle est de son « imagination erronée et exaltée ». Le conflit intrapsychique est signifié par le double mouvement de chute et d'élévation de ces deux ondines et par l'ondine se retournant.

Chaque changement d'orientation des figures correspond à une transformation de l'énergie psychique : l'exaltation pour l'ondine qui plonge vers le nain, la spiritualisation et la sublimation pour les deux ondines qui s'élèvent. L'harmonisation des pulsions – traduite par l'harmonie de la composition –, « tâche essentielle de tout être humain », apparaît comme le « sens ultime de la vie », et elle « conduit vers la joie la plus intense », ce que manifeste dans la peinture l'ondine du sommet s'enivrant des rayons d'or.

Pour accomplir son mouvement ascensionnel, l'être humain doit donc passer de l'obscurité des instincts et de l'exaltation des désirs, à la lucidité de l'intelligence, et jusqu'à son sommet spirituel qui provoque l'éblouissement. Tel pourrait être « le sujet intérieur » qui « double » le sujet wagnérien dans la peinture des Filles du Rhin.

Mais ce « chemin d'ascension évolutive » que l'être conscient poursuit à travers « les cycles d'élévations et de chutes qui se répètent » (82), Fantin-Latour l'a d'abord expérimenté dans sa propre vie. Ayant dû affronter dans sa jeunesse un dur « débat entre la vie humaine et la vie artistique » (83), il s'est livré, à travers sa correspondance des années 1859-1864 et une série importante d'autoportraits [Fig. 16-17], à une introspection extrêmement lucide et sans concession.

 

Fig. 16. Autoportrait, vers 1860 (84)  Fig. 17. Autoportrait, 1861 (85)

 

 

Un ensemble de dessins sur le thème des Vanités [Fig. 18] et sur celui de la Vérité [Fig. 19] témoignent également du conflit intrapsychique de Fantin-Latour durant ces mêmes années.

 

Fig. 18. Vanités, 1865 (86)  Fig. 19. Le Toast, la Vérité, 1864 (87)

 

 

Fréquentant au même moment avec passion les lieux où l'on jouait de la musique, celle-ci a été pour lui la « force harmonisante » de sa vie, le guidant dans son « combat évolutif » jusqu'à ce qu'il parvienne à une vie de plus en plus harmonieuse, après une période d'apprentissage de la solitude (88) et son mariage en novembre 1876 (à l'âge de 40 ans) avec Victoria Dubourg, peintre et musicienne, peu après son retour de Bayreuth.

Que Fantin-Latour ait choisi de traduire le début de L'Or du Rhin peu de temps après son mariage, cela n'est pas sans signification. Sous ce nouvel éclairage, les trois ondines pourraient alors renvoyer aux trois formes d'amour que les anciens Grecs désignaient par les mots éros, c'est-à-dire le plaisir charnel – symbolisé ici par l'ondine très sensuelle qui cherche à séduire le nain –, philia ou l'amour bienveillant – signifié par l'ondine du centre, attentive à sa sœur  –, agapè ou l'amour divin, incarné par l'ondine en extase au sommet de la peinture (89). Le thème est récurrent dans l'œuvre féerique de Fantin-Latour. D'une certaine manière, on pourrait même voir dans Alberich, l'image du peintre contemplant le ballet des ondines (90), celui-ci représentant la réconciliation de toutes les formes de l'amour, une réconciliation qui devait se réaliser, selon le peintre, grâce au mariage.

Outre la vie psychique et affective de Fantin-Latour, les Filles du Rhin – expression utilisée par le peintre pour désigner son tableau – pourraient refléter son travail créateur. On peut en effet voir en elles les représentations allégoriques des trois niveaux de l'être – corps, esprit, âme – à partir desquels l'artiste crée son œuvre et le récepteur la comprend. L'hypothèse vient d'un entretien avec Camille Mauclair au cours duquel le peintre fait référence aux trois dimensions physique, rationnelle, spirituelle de la création artistique en analysant son processus pour la réalisation des natures mortes et des portraits [Fig. 21]. Selon lui, pour que les fleurs et les figures soient ressemblantes à leur modèle, il faut les « exprimer dans un triple sens » : un sens physique (la « réalité physique » ou « l'extérieur »), un sens rationnel (« l'harmonie » des formes et des couleurs pour la nature morte, et pour le portrait, l'expression de « ce que le modèle pense de soi »), un sens spirituel (« l'intérieur »). À ce dernier stade, les fleurs deviendront, selon Fantin-Latour, de « l'âme assimilée », et le portrait devra faire « entendre » ce que le peintre « devine ou suppose » de l'âme de son modèle, une âme qu'il définit lui-même comme « une musique qui se joue derrière le rideau de chair ».

Fig. 21. Portrait de Charlotte Dubourg, 1882 (91)

 

Le travail créateur de l'artiste suivrait donc un parcours identique à celui de la Vie : « de sa donnée brute et élémentaire jusqu'à cette élaboration transcendante où il peut trouver son suprême accomplissement » (92). Il mobilise aussi toutes les forces du psychisme et s'accomplit par la synthèse des polarités énergétiques antagonistes. René Huyghe évoque ce chemin de l'art dans Les Puissances de l'image :

 On sait maintenant que si le génie monte plus haut que les autres esprits, cette extension repose sur les mêmes bases où survit l'animalité primitive. Sa force n'est pas seulement de les dépasser, elle est parfois tout autant de savoir y descendre pour y puiser la substance initiale afin de la remonter jusqu'au sommet où elle sera élaborée et livrée au regard (93).

Georges Braque le confirme :

Partir de la cendre, de ce qu'il y a de plus bas, de plus inutile, et mener cela vers la lumière et la vie […]. Si l'on veut avoir des chances de s'élever, il faut savoir partir du bas (94).

En définitive, qu'il s'agisse de l'Art ou de la Vie, la tâche est toujours la même : « Conduire un être – l'œuvre d'art ou nous-mêmes – de son minimum à son maximum d'existence, d'une base à son sommet » (95). Pour Fantin-Latour, le sommet est la Musique, que ce soit la musique de quelques grands compositeurs qui l'ont enthousiasmé et qu'il a cherché à traduire en gravure ou en peinture, la « musique » des fleurs et de l'âme humaine, ou la « musique du tableau » (96) capable d'enchanter le spectateur avant même qu'il en ait saisi le sujet. Pour Fantin-Latour la musique est toujours la source et le terme de son art : « J'y songe sans cesse en peignant » (97), déclarait-il.

 

 

Conclusion

Pour analyser le processus de traduction en art, et plus précisément la traduction de la musique par la gravure et la peinture, nous nous sommes référée au xixe siècle qui est la grande époque des "correspondances" entre les arts et de "l'art total". L'un des meilleurs témoins de ce temps est un peintre français, Henri Fantin-Latour (1836-1904), ami des poètes et des musiciens, grand admirateur, entre autres, de Baudelaire (98) et de Wagner, et qui entreprit, selon ses termes, de traduire la poésie et la musique dans son art, notamment celle de Wagner (99).

 

Bien d'autres peintres français du xixe siècle ont été des mélomanes, voire des instrumentistes, et se sont inspirés de la musique dans leurs peintures (Ingres, Delacroix, Corot, Cézanne, Degas, Renoir, Gauguin, Denis, Lautrec…). Mais Fantin-Latour est sans aucun doute l'un de ceux qui a eu le jugement le plus éclairé sur la musique de son temps et qui a réalisé le plus grand nombre de traductions de la musique (100).

 

Parmi les cinq compositeurs dont il a traduit les œuvres – Wagner, Berlioz, Schumann, Brahms, Rossini, et Weber(101) –, si notre choix s'est finalement porté sur la Scène première du Rheingold, c'est essentiellement en raison de deux versions de cette œuvre qui nous donnaient la possibilité de vérifier de la manière la plus convaincante les deux aspects fondamentaux de toute traduction soulignés par Delacroix, à savoir, d'une part, la fidélité à « l'esprit » de l'œuvre source, que nous pouvions observer dans la première œuvre achevée sur ce thème, la gravure de 1876 ; d'autre part, la liberté d'une expression personnelle, exprimée plus particulièrement dans la dernière œuvre achevée sur ce même thème, la peinture de 1888.

 

Deux méthodes d'analyse opposées ont permis cette vérification : la première, « à rebours de la genèse de l'œuvre » et aboutissant au dévoilement de la signification de l'Anneau du Nibelung ; la seconde, dans le sens de la genèse de l'œuvre (102) et révélant ce que Fantin-Latour a voulu exprimer de son propre univers intérieur.

 

Cette seconde analyse, qui seule était capable de démontrer la liberté de l'artiste vis à vis de son modèle, a été rendue possible par les commentaires de Fantin-Latour après le spectacle à Bayreuth en 1876 et par un ensemble d'esquisses (au crayon et à l'huile) et d'œuvres achevées (gravure, pastel et huile) nous offrant la possibilité de suivre les différentes étapes du cheminement créateur, mais aussi par une première analyse nous ayant permis d'entrer progressivement dans la pensée de l'artiste et de découvrir notamment un schème en lequel se reconnaît tout vrai traducteur. Pour Benjamin, en effet, la tâche principale du traducteur est la libération du « germe » ou du « noyau essentiel » de l'œuvre source. Dans la première scène de L'Or du Rhin, nous avons montré que le motif ondoyant des Filles du Rhin ouvrant l'opéra a constitué probablement pour Fantin-Latour ce germe qu'il a géométrisé dans un schéma hautement symbolique en S vertical servant de soubassement à la représentation figurée (103).

 

Traduire est en effet rationaliser. « Toute traduction apparaîtra toujours comme un peu plus claire que l'original », écrit Albert Bensoussan. Brahms lui-même l'avait reconnu en contemplant les dessins de Klinger accompagnant ses propres mélodies (104) : « En les contemplant, écrit-il, il me semble que la musique continue à résonner dans l'infini et exprime ainsi tout ce que j'aurais voulu dire, plus clairement que le pouvait la musique […]. Quelquefois je vous envie de pouvoir être aussi clair avec votre crayon. »

 

Traduire, c'est aussi créer. Étienne Souriau le laisse entendre lorsqu'il évoque le travail du graveur illustrant un poème : « […] il lui faudra inventer certaines choses, en oublier d'autres, donc repenser artistiquement, selon ses normes propres, cet univers » (105). Car, comme le dit Fantin-Latour lui-même : « les arts ont une logique qui leur est propre » (106). Le changement de medium (ou de langue) implique nécessairement une sorte de « trahison » de l'original (107). Au-delà de la fidélité à son modèle, le traducteur a l'obligation d'être fidèle aux lois propres à son art. Selon Benjamin, dans la traduction, il ne demeure alors de l'original qu'un « point infiniment petit de sens » :

De même que la tangente ne touche le cercle que de façon fugitive et en un seul point et que c'est ce contact, non le point, qui lui assigne la loi selon laquelle elle poursuit à l'infini sa trajectoire, ainsi la traduction touche l'original de façon fugitive et seulement dans le point infiniment petit du sens, pour suivre ensuite sa trajectoire la plus propre, selon la loi de la fidélité dans la liberté du mouvement langagier (108).

Ce « point infiniment petit de sens » que la traduction ne fait que toucher pour « suivre ensuite sa trajectoire la plus propre » est donc, selon nous, le « germe » de l'Anneau du Nibelung traduit dans la Scène première du Rheingold de Fantin-Latour par un schème en S, à partir duquel l'œuvre plastique s'est déployée « selon ses normes propres ».

 

Toutefois, pour sa traduction, c'est en deux étapes que le peintre s'est hissé au niveau le plus élevé de sa création personnelle (109). En comparant la gravure et la peinture, on a pu constater en effet que la première – qui associe un anneau à la structure en S –, témoigne avant tout de l'admiration du peintre pour l'œuvre de Wagner, alors que la seconde – libérée de l'anneau – se soutient seule, indépendamment de Wagner, et fait entendre sa propre musique. Ces deux étapes distinctes peuvent trouver leur explication dans ce qu'écrit Fantin à propos de ses « esquisses » d'après les maîtres du passé : « On essaie ainsi ses forces en se mettant dans les idées d'un autre avant d'avoir les siennes (110).  Dans la gravure Scène première du Rheingold, Fantin-Latour aurait donc essayé ses forces en se mettant dans les idées de Wagner, avant de pouvoir, dans la peinture, « laisser éclater son sentiment particulier », tout en se soumettant pleinement aux « lois harmonieuses » de son art.

 

La gravure et la peinture ne sont pourtant pas sans lien l'une avec l'autre. Au schème commun en S, une idée essentielle est associée : celle d'un processus évolutif en tant qu'essence de l'art et de la vie. Mais cette idée, qui s'origine dans la musique du début de l'opéra, c'est dans la peinture qu'elle se manifeste avec le plus d'éclat, de légèreté et d'évidence, débarrassée qu'elle est de tout le poids dramatique de l'opéra, et « assimilée » entièrement par « l'âme » du peintre. Toute traduction véritable, en effet, a la capacité d'être « relevante » selon Jacques Derrida (111). « En elle l'original croît et s'élève dans une atmosphère, pour ainsi dire plus haute et plus pure du langage », confirme Benjamin (112). De son côté, la peinture, en s'associant à la musique, acquiert « comme un surcroît d'être » (113), s'enrichit d'une musicalité nouvelle. C'est ce que l'on peut vérifier chaque fois que l'une des muses – que ce soit la danse, la musique, la poésie, la gravure ou la peinture – « saisit la main » d'une autre muse : « […] séparément [elles] sont bornées à elle-même […] La seule action de saisir la main de l'autre les élève, au-dessus de cette limite » (114).

 

 

(1) La première partie de notre article est intitulée « Traduire le sujet, l'expression et l'idée d'un art dans un autre art ».Voir L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016.

                http://www.leducation-musicale.com/

(2) Eugène Delacroix, « Gravure », Dictionnaire des Beaux-Arts, 25 janvier 1857. Reconstitution et édition par Anne Larue, Paris, Hermann, 1996, p. 107.

(3) Eugène Delacroix, Journal II, 1853-1856, 17 octobre 1853, Paris, Librairie Plon [1932], 1960, p. 97.

(4) Voir « La double structure de la lithographie et l'essence de l'œuvre wagnérienne » dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(5) Voir Maurice Denis, Charmes et Leçons d'Italie [1933], Paris, Armand Colin, 1947, p. 165.

(6) Didier Anzieu, Le Corps de l'œuvre. Essais psychanalytiques sur le travail créateur, Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient », 1981.

(7) Selon Didier Anzieu, les cinq phases du travail créateur sont : « Le saisissement créateur », « la prise de conscience de représentants psychiques inconscients », « instituer un code et lui faire prendre corps », « la composition proprement dite de l'œuvre », « la rencontre avec le public ».

(8) Didier Anzieu, Le Corps de l'œuvre. Essais psychanalytiques sur le travail créateur, op. cit., p. 102.

(9) Lettre de Fantin-Latour à Edmond Maître, 28 août 1876, Bibliothèque municipale de Grenoble.

(10) Ibid.

(11) Catherine Clément, « L'Anneau raconté à… », L'Avant-Scène Opéra : Numéro spécial Wagner. L'Anneau du Nibelung. L'Or du Rhin, nos 6-7, Paris éditions Premières Loges, nov.-décembre 1976, p. 23.

(12) Lettre de Fantin-Latour à Edmond Maître, 28 août 1876, Bibliothèque municipale de Grenoble.

(13) André Bocourechliev, "Commentaire littéraire et musical",  L'Avant-Scène Opéra : L'Anneau du Nibelung. Prolongue L'Or du Rhin nos 6/7, Paris, éditions Premières Loges, nouvelle édition, novembre 1992, p. 62.

(14) Christian Merlin, Wagner mode d'emploi. L'Avant-Scène Opéra, éditions Premières Loges, Paris, 2002, p. 113.

(15) Rappelons que le lever du rideau s'effectue une dizaine de mesures avant la fin du Prélude, sur un crescendo de l'orchestre, et que l'on voit alors l'une des Filles du Rhin qui « nage en tournoyant d'une manière toute gracieuse » avant que ne débute la scène 1.

(16) Jean Dauwen, La Gamme mystique de Richard Wagner : suivi de Couleur et Musique, Rennes, Nouvelles éditions latines, 1963.

(17) « Ut représente la terre et la couleur verte ; , la lumière et la couleur jaune ; mi, le mouvement et l'orangé ;  fa, la richesse-activité et le rouge ; sol, le violet et le sommeil ; la, le bleu outremer et la mort ; si, le bleuâtre et l'au-delà. » Cité par Bruno Lussato, Voyage au cœur du Ring. Wagner – L'Anneau du Nibelung. Encyclopédie, Fayard, 2005, p. 367.

(18) « Il est censé avoir inventé la dénomination latine des sept notes ». Ibid.

(19) Ibid., p. 367-368.

(20) Eugène Delacroix, Journal, op. cit., 23 avril 1854.

(21) Paul Klee, « Philosophie de la création », Théorie de l'art moderne, Bâle, 1920, réed. Genève, Bibliothèque Médiations, Denoël/Gonthier, trad. P.-H. Gonthier, 1982, p. 58 et p. 61.

(22) Eugène Delacroix, « Pensée (première pensée) », Dictionnaire des Beaux-Arts, op. cit., 25 janvier 1857. 

(23) Pour Didier Anzieu cette phase correspond à « la prise de conscience de représentants psychiques inconscients […] de façon à les fixer dans le préconscient comme noyaux d'une activité de symbolisation ». Voir Le Corps de l'œuvre. Essais psychanalytiques sur le travail créateur, op. cit., p. 113-114.

(24) http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/1/26428-Esquisse-pour-les-Trois-filles-du-Rhin-max

(25) Esquisse pour les Trois Filles du Rhin, 1876 ; crayon noir, estompe, mine de plomb ;  21,4 x 29,8 cm ; annoté Rheingold ; RF 12526 recto ; musée du Louvre, département des arts graphiques.

(26) Scène première du Rheingold (L'Or du Rhin), 1876, huile sur toile, 52,5 x 34 cm, Brême/Berlin, Kunsthandel Wolfgang Werner. Reproduit dans Fantin-Latour, De la réalité au rêve, catalogue d'exposition, Fondation de l'Hermitage, 2007, Lausanne, La Bibliothèque des arts, p. 126.

(27) Scène première du Rheingold, crayon noir sur papier calque, non signé, daté, en haut à gauche, « 11 Décembre 1876 », 51 x 33 cm, musée des Beaux-Arts de Grenoble, inv. 63.13.

(28) Scène première du Rheingold, 1876, lithographie (crayon, grattoir et estompe, sur papier vélin brun clair), 51 x33, 7 cm : (comp.), s.d.b.d. : "Fantin 76", inscr. en h. dans la marge : "Rheingold, Richard Wagner" inscr. au bas dans la marge : "A Monsieur A. Lascoux, Souvenir de Bayreuth", Paris, BnF, Cabinet des Estampes.

(29) Ce croquis aurait été probablement utilisé pour la lithographie qui a les mêmes dimensions.

(30) Didier Anzieu intitule cette phase : « instituer un code et lui faire prendre corps ». Voir Le Corps de l'œuvre, op. cit., p. 116.

(31) Voir « Les figures de la lithographie et les thèmes musicaux de L'Or du Rhin » dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(32) Voir la didascalie précédant l'entrée de Woglinde au tout début de la première scène.

(33) Voir « Traduire la structure et l'idée » dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(34) En réalité, comme on peut le lire dans la marge de la lithographie originale (Voir Fig. 1 au début de la première partie de notre article dans L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016), Fantin n'a inscrit que les mots : « Rheingold, Richard Wagner ». Tout en indiquant la source de l'image, « Rheingold » laisse une certaine liberté d'interprétation au spectateur. Par ailleurs, Fantin ayant traduit en 1877 le Finale du Rheingold dans une gravure éponyme, il était nécessaire de préciser « Scène première » pour la gravure de 1876 et ses diverses variantes.

(35) Voir « Les figures de la lithographie et les thèmes musicaux de L'Or du Rhin : l'imitation des effets de l'autre art » dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(36) Voir « De la double structure à la signification des figures féminines de la lithographie » dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(37) Cosima Wagner, Journal I (1869-1872), 23 juillet 1872, Paris, Gallimard, 1977, p. 265. Cité dans Christian Goubault, « Guide d'écoute », L'Avant-Scène Opéra : L'Anneau du Nibelung. Troisième Journée. Le Crépuscule des dieux, n° 230, art. cit., p. 96.

(38) Ces deux mondes sont très caractérisés musicalement : diatonisme et mesure ternaire pour le premier ; chromatisme et rythmes heurtés pour le second.

(39) C'est sur cette horizontale que les deux moitiés de cercle constitutifs du S sont tangents.

(40) Voir Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (dir.), « Losange », dans Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1969, réed. 1982, p. 580.

(41) Ibid., « algue », p. 24 : « Plongée dans l'élément marin, réservoir de vie, l'algue symbolise une vie sans limite et que rien ne peut anéantir, la vie élémentaire, la nourriture primordiale ».

(42) Selon Bruno Lussato, « Wagner a proclamé à maintes reprises que tout émanait de l'instinct sexuel. […] Dans le Ring, la sexualité brute est le point de passage obligé vers des sentiments d'un ordre plus élevé. Aucune œuvre dramatique ne montre mieux les métamorphoses de la libido ». Bruno Lussato, Voyage au cœur du Ring. Encyclopédie, op. cit., p. 158.

(43) Didier Anzieu, Le Corps de l'œuvre, op. cit., p. 125.

(44) Paul Klee, « Philosophie de la création », Théorie de l'art moderne, op. cit., p. 57-58.

(45) Ibid., p. 60-61.

(46) Lettre de Mallarmé à Fantin-Latour, 5 février 1877. Cité dans Douglas Druick et Michel Hoog (dir.), Fantin-Latour, catalogue de l'exposition, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 9 novembre 1982-7 février 1983, RMN, 1982, p. 279.

(47) Teodor de Wyzewa, Beethoven et Wagner. Essais d'histoire et de critique musicales, Paris, Perrin, 1914, p. 196.

(48) Teodor de Wyzewa, « Peinture wagnérienne. Le Salon de 1884 », Revue wagnérienne, tome I 1885-1886, réédition de l'édition de Paris 1885-1888 3 vol., Genève, Slatkine, 1993, p. 155-156.

(49) Douglas Druick et Michel Hoog, Fantin-Latour, op. cit.,  p. 19.

(50) Lettre de Siegfried Wagner, 23 janvier 1903, BN Est. Y b3 3204.

(51) Scène première du Rheingold (L'Or du Rhin), 1876, huile sur toile, 52,5 x 34,3 cm, Monsieur et Madame Françoise Hudry. Reproduit dans Fantin-Latour, De la réalité au rêve, op. cit., p. 128.

(52) Souvenir de Bayreuth, 1876-1877, pastel, 52 x 33,7 cm, Paris, musée d'Orsay. Intitulé aussi Les Filles du Rhin. Scène première du Rheingold. http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/catalogue-des-oeuvres/notice.html?no_cache=1&nnumid=018064&cHash=ff619d3ed7

(53) Scène première du Rheingold (L'Or du Rhin), 1888, huile sur toile, 116, 5 x 79 cm, s.b.g: « Fantin », Hambourg, Kunsthalle (5274).

(54) Nous n'évoquerons pas la seconde lithographie de 1886 destinée au livre d'Adolphe Jullien (Richard Wagner, sa vie et ses poeuvres, Paris, Librairie de l'Art, 1886) et intitulée L'Or du Rhin : Scène 1ère. Les filles du Rhin, (22,9 x 15,1 cm, Paris, BnF, Cabinet des estampes) dont la composition est totalement différente. http://tierradentro.tumblr.com/post/108662191132/artemisdreaming-das-rheingold-scène-première

(55) Dans le pastel, Fantin n'aurait donc pas « repris la lithographie en l'agrandissant et en la rehaussant de pastel » comme cela est écrit dans la notice du musée d'Orsay où le pastel est conservé.

(56) Voir Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (dir.), « Algue », dans Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1969, réed. 1982, p. 24 : « Plongée dans l'élément marin, réservoir de vie, l'algue symbolise une vie sans limite et que rien ne peut anéantir, la vie élémentaire, la nourriture primordiale ».

(57) Voir « Traduire la structure et l'idée » dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(58) En effet, la guirlande que l'ondine tient entre ses mains s'est nettement incurvée au point qu'elle se confond avec une portion du demi-cercle supérieur du S (sa main s'y enroule en tenant compte du quadrillage sous-jacent), laissant un vide important sous son bras gauche. Ajoutons que la main supérieure de l'ondine qui plonge, dirigée vers le bas, n'empiète plus sur le S et que le talon de Flosshilde, bien que toujours posé sur le demi-cercle inférieur, s'est écarté de l'axe vertical (et donc aussi de la main de l'ondine qui plonge). Enfin, le changement de sens des deux courbes du S s'effectue de manière plus équilibrée au niveau de la taille de Flosshilde.

(59) Nous n'évoquerons pas ici la construction en losange, reprise de la gravure, et qui contribue elle aussi à l'harmonie de la composition.

(60) William Hogarth, L'Analyse de la beauté, Nizet, 1963.

(61) Voir « Les figures de la lithographie et les thèmes musicaux de L'Or du Rhin » et [Ex. 2] dans la première partie de notre article (L'Éducation musicale, Lettre d'information, n° 101, mars 2016).

(62) Sont ainsi superposés dans la partition : le bref motif arpégé ascendant (Wallala !) issu du Rhin – qui soutient l'élan de Flosshilde dans la peinture –, et le motif ondoyant des Filles du Rhin – qui a dicté la structure en S supportant les trois figures. L'image et la partition concordent donc parfaitement ici.

(63) Voir Christina Merlin, « Les 35 personnages du Ring. Profils vocaux et psychologiques », L'Avant-Scène Opéra : L'Anneau du Nibelung. Prologue. L'Or du Rhin, n°227, Paris éditions Premières Loges, 2005, p. 109.

(64) Gustave Geffroy, « Salon de 1888 : IX. Avant-dernière promenade », La Justice, 22 juin 1888, p. 2.

(65) D'après le Dictionnaire de symboles, le violet, « fait d'une égale proportion de rouge et de bleu » manifeste une sorte d'équilibre entre la terre et le ciel, les sens et l'esprit ». Voir op. cit., « Violet », p. 1020.

(66) Rappelons toutefois que Fantin-Latour avait déjà inscrit dans la marge de la lithographie Scène première du Rheingold dédiée à « Monsieur A. Lascoux » : « Souvenir de Bayreuth ».

(67) En 1888, la scène I de L'Or du Rhin n'est pas au programme des concerts Colonne et Lamoureux. Elle est donnée en revanche le 16 juin 1888 par l'orchestre du Petit Bayreuth avec Mme Dalmont (Woglinde), Braig (Wellgunde), Balliste (Flosshilde). Toutefois, à cette date, Fantin-Latour avait probablement achevé sa peinture, le Salon ayant lieu au début du printemps.

(68) Pas moins de dix-neuf lithographies de Fantin-Latour furent utilisées pour promouvoir la revue et la cause wagnérienne.

(69) C'est le cas d'Alfred Paulet, « Le Salon de 1888 », Le National, 4 mai 1888, p. 2.

(70) En 1876 a lieu la deuxième exposition du groupe impressionniste chez Durand-Ruel.

(71) Rappelons qu'à partir de 1889, les sujets d'imagination l'emporteront dans l'œuvre de Fantin-Latour sur les sujets réalistes, et que les sujets d'inspiration musicale seront les plus nombreux entre 1876 et 1888.

(72) Gustave Geffroy, « Salon de 1888 : IX. Avant-dernière promenade », La Justice, 22 juin 1888, p. 2.

(73) Soulignons que le pastel ne représente qu'une étape vers l'expression du « sentiment particulier » du peintre, grâce à la suppression de la structure annulaire, mais que Fantin ne l'a pas encore investi de son « suprême idéal ».

(74) Lettre de Fantin-Latour à Edwards, 26 décembre 1864, Bibliothèque municipale de Grenoble.

(75) Lettre de Fantin-Latour à Mme Edwards, 26 novembre 1891, Bibliothèque municipale de Grenoble.

(76) http://www.payot-rivages.net/livre_Ce-que-nous-disent-les-mythes-Paul-Diel_ean13_9782228907286.html

(77) Paul Diel, Le Symbolisme dans la mythologie grecque [1952], Paris, Payot, 1966, p. 23-44.

(78) Conscient, Préconscient et Inconscient sont des concepts freudiens ; Subconscient (littéralement "sous la conscience") est un terme introduit par Joseph Jastrow en 1906. C'est Paul Diel, dont le travail se rattache plus à Jung qu'à Freud, qui a ajouté le Surconscient au début des années 1950.

(79) Voir le livret de l'opéra.

(80) Paul Diel, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, op. cit., p. 23-44. Toutes les citations de cette partie en sont issues.

(81) Flosshilde s'impose par le coloris intense de sa robe et par la vigueur de son élan auquel est associé le mouvement spiralé des plis de son vêtement.

(82) Paul Diel, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, op. cit., p. 250.

(83) Voir par exemple la lettre de Fantin-Latour à Whistler, 10 novembre 1862 (Bibliothèque municipale de Grenoble) : « Je suis dans un tel état de trouble, de chercher moi-même. Penses-tu quelquefois combien il faut du temps pour de certaines natures à sortir des troubles et des folies de ce temps. Moi je me trouve quelquefois perdu dans mes songeries. Je ne sais plus où je suis. J'ai de plus que les autres le débat entre la vie humaine et la vie artistique. »

(84) Henri Fantin-Latour, Autoportrait, crayon noir, estompe, fusain, lavis noir, blanc (rehaut), 14,3 x 12,1 cm, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Fantin-Latour

(85) Henri Fantin-Latour, Autoportrait, huile sur toile, 25,1 x 21,4 cm, Washington, National Gallery of Art.

                https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Fantin-Latour

(86) Henri Fantin-Latour, Vanités, dessin au crayon noir, estompe, fusain, 29,9 x 37,8 cm, 4 juillet 1865, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.

                http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/1/26348-Vanites-max

(87) Henri Fantin-Latour, Le Toast, la Vérité, dessin au crayon noir, estompe, 21,4 x 29,8 cm, 11 octobre 1864, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.

                http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/ignace-henri-jean-theodore-fantin-latour_le-toast-la-verite_crayon-noir_estompe_1864

(88) L'évolution du cheminement humain de Fantin-Latour, depuis son « débat entre la vie humaine et artistique » (première moitié des années 1860) jusqu'à « l'harmonie retrouvée » (janvier 1876-août 1904), en passant par une période d' « apprentissage de la solitude » (août 1865-décembre 1875) a été mise en évidence dans notre thèse de doctorat d'État, Fantin-Latour et la musique, tomes I, II, III, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 1992.

(89) Cette interprétation peut être rapprochée de celle de Bruno Lussato pour le Ring : « Le Ring retrace un lent processus civilisateur au cours duquel, en dépit des apparences, l'amour ne cesse de gagner du terrain contre la barbarie du pouvoir et de l'argent. La notion d'amour ne cesse en effet de s'affiner tout au long des quinze heures du Ring », de la « simple pulsion sexuelle dans L'Or du Rhin » au « sacrifice consenti pour l'amour de l'humanité tout entière, accomplie par Brünnhilde » (Voyage au cœur du Ring. Wagner – L'Anneau du Nibelung. Encyclopédie, p. 101).

(90) On pense à l'une des versions peintes de Fantin-Latour d'après Tannhäuser de Wagner (Tannhaüser, 1886, Cleveland) où le héros, auprès duquel est allongée Vénus, contemple deux femmes dansant l'une avec l'autre, l'une symbolisant l'amour charnel, l'autre l'amour spirituel, une instrumentiste les accompagnant au son de sa flûte double.

(91) Henri Fantin-Latour, Portrait de Charlotte Dubourg, huile sur toile, 118 x 92,5 cm, Musée d'Orsay, Paris.

http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/recherche/commentaire.html?no_cache=1&zoom=1&tx_damzoom_pi1%5BshowUid%5D=109558

(92) René Huyghe, « La lutte et la montée de l'esprit », Les Puissances de l'image. Bilan d'une psychologie de l'art, Flammarion, 1965, p. 134.

(93) Ibid., « L'inconscient et les instincts obscurs », p. 119.

(94) Propos rapportés par Stanislas Fumet dans : Georges Braque, Maeght, 1965, p. 19.

(95) Étienne Souriau, La Correspondance des arts, Paris, Flammarion, 1969, p. 311.

(96) L'expression est de Delacroix : « Il y a un genre d'émotion qui est tout particulier à la peinture […]. Il y a une impression qui résulte de tel arrangement de couleurs, de lumières, d'ombres, etc. C'est ce qu'on appellerait la musique du tableau ». Voir Eugène Delacroix, Écrits, Paris, Plon, 1942, p. 88.

(97) Camille Mauclair, « Un entretien avec Fantin-Latour », Servitude et grandeur littéraire, Paris, Ollendorff, 1922, p. 156.

(98) Voir, par exemple, le grand portrait collectif de Fantin-Latour, Hommage à Delacroix (1864, huile sur toile, 160 x 250 cm, Paris, Musée d'Orsay), dans lequel Baudelaire est représenté assis au premier plan.

(99) Voir « Nos artistes : le peintre Fantin-Latour à son atelier », L'Éclair, 14 mai 1892 : « Les wagnériens qui sont nés en foule depuis la mort de Wagner, me déconcertent tant soit peu, moi qui ai aimé Wagner et ai cherché à le traduire picturalement depuis 1864 ».

(100) Si l'on s'en tient uniquement aux lithographies, Fantin-Latour en a réalisé 43 d'après Wagner, 36 d'après Berlioz, 21 d'après Schumann, 10 d'après Brahms, 4 d'après Rossini, 4 d'après Weber.

(101) Notons que dix lithographies comportent un fragment musical sur portée. Elles illustrent des partitions de Rossini (3), Berlioz (3), Schumann (2), Wagner (1), Brahms (1), et ont été exécutées entre 1892 et 1895, à l'exception du Finale du Rheingold daté de 1877.

(102) Pour Paul Klee, « le principal handicap de celui qui la contemple [l'œuvre d'art] ou la reproduit est qu'il est mis d'emblée devant un aboutissement et qu'il ne peut parcourir qu'à rebours la genèse de l'œuvre » (« Credo du créateur », Théorie de l'art moderne, op. cit., p. 38).

(103) L'hypothèse se vérifie par les lithographies de Fantin-Latour intégrant un motif musical (voir note 100), celui-ci dictant la structure interne de la gravure et lui donnant sens. Voir par exemple notre article « Les relations entre la gravure, la musique et la poésie dans la lithographie Sara la baigneuse de Fantin-Latour », dans Michèle Barbe (éd.), Musique et arts plastiques : interactions, Paris, Observatoire musical français, série « Musique et arts plastiques », n° 8, 2011, p. 89-114.

(104) Il s'agit de la Brahmsphantasie publiée en 1894, ensemble de quarante et une gravures de Max Klinger (1857-1920) inspirées par des partitions de Brahms. Citation sur le site du musée d'Orsay à propos de l'exposition « Klinger / Brahms gravure, musique et fantaisie » (2 octobre 2001-13 janvier 2002) :

                http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-detaillee/article/klinger-brahms-gravure-musique-et-fantaisie-4180.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=649&cHash=883ed7bd83

(105) Étienne Souriau, La Correspondance des arts, op. cit., p. 308-309.

(106) Lettre de Fantin-Latour à Scholderer, 18 septembre 1893, dans Correspondance entre Henri Fantin-Latour et Otto Scholderer 1858-1902, Paris, édition de la Maison des Sciences de l'homme, 2011.

(107) Cette idée provient d'une expression italienne célèbre (une paronomase) : Traduttore, traditore signifiant littéralement : « Traducteur, traître », soit : « Traduire, c'est trahir ».

                https://fr.wikipedia.org/wiki/Traduttore,_traditore

(108) Walter Benjamin, « La tâche du traducteur », dans Œuvres, t. I [1972], Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz, P. Rusch, 2000, p. 257.

(109) Il en est de même pour la plupart des traductions de Fantin-Latour.

(110) Lettre de Fantin-Latour à Edwards, 30 décembre 1871, Bibliothèque municipale de Grenoble.

(111) Pour Jacques Derrida la traduction est « relevante » dans un triple sens : ce qui donne du goût (relève) ; ce qui tire vers le haut, spiritualise ; ce qui élève en remplaçant ce que l'on a détruit. Selon le philosophe, dans toute traduction il y a mise à mort, et en même temps, un dépassement. Voir Jacques Derrida, « Qu'est-ce qu'une traduction "relevante " ? » (inédit), Cahier de l'Herne Derrida, Paris, L'Herne, 2004.

(112) Walter Benjamin, « La tâche du traducteur », op. cit., p. 252.

(113) Mikel Dufrenne, L'œil et l'Oreille, Jean-Michel Place, 1991, p. 195.

(114) Richard Wagner, L'Œuvre d'art de l'avenir [Delagrave, 1910], traduction de J.G. Prod'homme et Dr F. Holl, éditions d'Aujourd'hui, Les Introuvables, 1982, p. 97-98.

Michèle Barbe.

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REPÈRES PÉDAGOGIQUES : FRANÇOIS LAZAREVITCH ET LES MUSICIENS DE SAINT-JULIEN

 

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François Lazarevitch et Les Musiciens de Saint-Julien

Où il est question de musique baroque, de cabrette, de musette
et aussi de flûte irlandaise…

Dans mon enfance, pendant une dizaine d’années j’ai travaillé la flûte à bec puis la trompette avec un professeur qui lui-même était tromboniste ! Même si j’habitais à Paris, c’était un peu comme apprendre la musique à la campagne. Au moment d’entrer au lycée j’ai choisi de faire F 11 et j’ai suivi la filière des horaires aménagés au C N R de Paris dans la classe de Daniel Brebbia pour la flûte à bec. C’est une époque très importante dans ma vie : Daniel Brebbia m’a initié aux « secrets de la musique ancienne » et fait connaître Antoine Geoffroy-Dechaume qui recevait et enseignait chez lui rue Ordener, et de temps en temps Daniel allait le voir. Je me souviens de la première fois, chez Antoine. Nous étions trois flûtistes et nous lui avons joué une Chaconne de Purcell pour trois flûtes à bec et basse continue : cela m’avait vraiment fasciné. Avec lui j’ai eu l’impression d’avoir accès à des choses que personne ne connaissait. C’est à ce moment, vers 15/16 ans, que j’ai commencé à dévorer tous les traités anciens d’interprétation que je pouvais trouver en librairie ou en bibliothèque.

 


François Lazarevitch / DR

 

Chez Geoffroy-Dechaume c’était un endroit particulier, une sorte d’atelier d’artiste : pas de confort, des rayonnages au mur, un clavecin en kit et plein de partitions anciennes. Je n’ai jamais osé lui demander - c’est bête - il me les aurait sans doute montrées. Mais j’étais un peu timide et jeune. Né en 1905, il avait déjà plus de 86 ans et une distinction « d’autrefois » qui me plaisait beaucoup. Je prenais auprès de lui des cours d’interprétation sur la flûte et sur le clavecin.

Il parlait beaucoup de l’articulation d’une note à l’autre liée au mouvement du doigt qui caresse la touche. Il estimait qu’on devait jouer comme si on enlevait des miettes sur la touche. Le centre du travail c’était cette grande attention prêtée à l’articulation, à une grande variété d’articulations. C’était une vision très différente de ce qui se pratiquait ailleurs. Il jouait Bach en notes inégales. Révolutionnaire pour l’époque ! – et aujourd’hui encore… Pour moi, c’était découvrir la musique ancienne avec les pionniers. Dans les années 50, pour défendre les notes inégales il fallait quand même se heurter à tout ce que les gens pensaient être la réalité, et ce n’était pas facile.

Je pense que ces personnes ont une perception au-delà de la norme et du coup elles se sentent vite jugées. Elles sont un peu retirées chez elles, entourées d’un petit groupe d’élèves et d’amis fidèles ce qui fait que certains y ont vu un côté sectaire.

A l’âge que j’avais je n’étais pas conscient de tout cela mais le personnage était passionnant et quand il donnait des exemples au clavier je trouvais ça merveilleusement beau. La musique prenait sous ses doigts un tel relief que j’avais l’impression qu’il y avait là une vérité toute simple et presque inatteignable. C’était d’ailleurs très complémentaire avec ce que j’apprenais chez Daniel Brebbia.

Mais du coup il fallait faire attention à la flûte à bec pour que le jeu ne soit pas trop sec. Couperin explique que ne pouvant ni enfler ni diminuer le son au clavecin, on joue sur la cessation du son et sa retenue. Tout l’art du clavecin est là.  Le silence de l’articulation est ENERGIE.

Je jouais un peu de clavecin en bricolant comme je pouvais entre un clavinova à la maison et le clavecin au conservatoire mais j’avais tellement ce problème d’articulation en tête que je pense que je jouais un peu trop sec. Il y a le squelette et la chair. Il faut avoir conscience qu’une flûte c’est avant tout un SON, le côté sensuel du son.

J’ai rencontré plus tard Bart Kuijken qui était plus dans le son, le bel canto. La vibration du son, qui vient des tripes, et résonne dans les cavités du corps, est une sensation délicieuse à expérimenter et à approfondir. Un peu plus tard j’ai travaillé au CNSM de Paris avec Pierre Séchet qui lui aussi avait travaillé avec Geoffroy-Dechaume. J’étais curieux de voir ce qu’il avait fait de cet enseignement. C’était un homme charmant, très cultivé qui ne polémiquait pas. C’est lui qui a créé la classe au CNSM de Paris. Ça m’a fait beaucoup de bien de le côtoyer. Il est parti à la retraite, Bart aussi… Ce sont des pages qui se tournent…

J’ai été beaucoup marqué par cet état d’esprit de remise en question permanente. Notre rôle en musique ancienne n’est pas de nous contenter d’idées reçues. Aujourd’hui que se passe-t-il ? Il y a des cursus très sérieux. On étudie, et ensuite on fait sa carrière. Il y a quelque chose de tellement institutionnalisé que c’est aux antipodes de ce que c’était au départ.

 


Avec les musiciens de Saint-Julien ©Jean-Baptiste Millot

 

Au lycée, j’avais vendu ma trompette et m’étais mis à la flûte traversière baroque avec Philippe Allain-Dupré avec lequel j’ai beaucoup appris et qui de plus jouait de la musique irlandaise. J’ai joué de la musique irlandaise et cela m’a donné des idées…

Donc, j’avais 20 ans, j’allais voir Antoine Geoffroy-Dechaume, je prenais des cours à Bruxelles et j’ai commencé la flûte irlandaise avec Michel Sikiotakis, musicien français spécialiste de la flûte irlandaise. Un an plus tard je me suis intéressé à la Cabrette auvergnate. Ma famille maternelle est aveyronnaise. La cabrette est une cornemuse à laquelle on a adapté au cours du 19e siècle tous les attributs extérieurs de la musette baroque (soufflet, forme de la poche, boîtier à quatre boules). C’est la plus riche et la plus intéressante des cornemuses françaises populaires. La transmission de bouche à oreille est ininterrompue, fait plutôt rare en France. Aujourd’hui dans la majorité des cas en France, le jeu de cornemuse est du revivalisme, c’est-à-dire qu’on n’a pas vraiment de modèle. Avec la cabrette il y a des modèles, des enregistrements du début du 20e siècle. Les techniques d’ornementation et de variations sont très riches. 

Ensuite je me suis intéressé à la musette baroque. La musette a toujours été jouée par des instrumentistes à vent : Hotetterre, Philidor, Chédeville jouaient de la musette.  Au conservatoire de Toulouse j’ai suivi les cours de Jean-Christophe Maillard dans le cadre des week-ends de musique ancienne. La classe de musette baroque de Jean-Christophe a d’ailleurs été fermée récemment (juin 2015) et il est mort un mois après. À l’époque c’était le seul endroit en France où on pouvait apprendre à jouer de cet instrument. Les tessitures de la musette et de la flûte à bec alto sont très similaires bien que la flûte monte un peu plus haut. Les bourdons de la musette sont en sol ou en do (majeur ou mineur) avec possibilité de petites modulations ; le plus naturel étant de passer de Majeur à mineur sur un ton homonyme ce qui n’empêche pas d’aller aussi vers les tons relatifs, sans y demeurer trop longtemps. De Lully à Rameau la musette est présente dans le répertoire de musique de chambre (suites et sonates avec basse continue, cantates) et orchestral (concerto, opéra).

L’équivalent du silence au clavecin c’est la note fondamentale de la musette qui se mêle au bourdon. C’est la richesse de l’articulation entre chaque note, créée par la proportion de note du bourdon qu’on donne et la proportion de note réellement écrite… C’est là que le jeu de musette me permet de mettre en œuvre ce que j’ai appris en clavecin. Il faut de toutes façons faire sentir la structure harmonique et jouer avec. C’est toujours le même problème.

 


François Lazarevitch & David Greenberg
©Jean-Baptiste Millot

 

Tout ce qui est intéressant avec les musiques traditionnelles c’est qu’on n’est pas en face de gens qui ont des idées mais face à des gens qui incarnent une tradition et un savoir faire,  qui sont passeurs d’une énergie par la musique.

Cette énergie s’appelle la Cadence. La cadence c’est quelque chose de primordial et dont on ne parle pas assez en musique ancienne. Pourtant le terme existe : « Être en cadence », et il est défini par des théoriciens du XVIII e siècle. tels que Rousseau ou Compan. Aujourd’hui, on ne se soucie pas assez de bien comprendre cette notion.

La cadence c’est l’énergie qui se dégage d’un musicien, qui donne envie de danser. Georg Muffat (1653-1704) dit bien qu’une bonne musique de danse  (dans le style de Lully) doit  « comme inspirer même malgré soy l’envie de danser » !

Sentir la cadence c’est bien sentir la relation entre temps fort et temps faible, l’un générant l’autre. Les qualités d’une bonne musique de danse sont universelles. En musique baroque on joue des gigues mais en musique irlandaise aussi. La troisième croche est soulevée, c’est presque « swingué », ce qui n’est pas sans évoquer la façon de jouer les mesures à temps inégaux en musique ancienne. La structure rythmique du reel irlandais demande un accent sur le deuxième et quatrième temps, donc, comme en jazz, dans un groupe de quatre croches c’est la troisième qui est accentuée.

C’est de plus en plus difficile de voir de jolies danses traditionnelles en bal. Ce sont des répertoires liés à un mode de vie, à une culture. Au fur et à mesure que cette culture est remplacée elle perd de sa saveur, elle disparaît.

Qu’il s’agisse de la cabrette ou de la flûte irlandaise, j’ai voulu aller voir les musiciens. C’est une façon d’aller au bout d’une tradition où on travaille d’oreille. Je dois dire que jouer de la flûte irlandaise conforte dans la lecture et la compréhension des traités anciens…

 


©Jean-Baptiste Millot

 

L’ensemble Les Musiciens de Saint-Julien est à géométrie variable à un par partie. Nous développons différents axes : musique française (avec l’air de cour, les suites et sonates pour flûte ou musette baroque, et même « Je voy le bon tens venir » consacré à la musique du XIVe siècle), musique ancienne « celtique » (« For ever Fortune », « The High Road to Kilkenny », et musique « virtuose » (sonates de Bach, concertos de Vivaldi). Nous avons produit un spectacle jeune public intitulé « Rigodon ! » avec musiciens, danseurs et comédien, collaboré avec la compagnie de danse L’Éventail de Marie-Geneviève Massé pour « Métamorphoses », etc… Cela peut paraître un peu disparate que ces programmes si variés, mais la recherche de fond est la même.

L’ensemble m’a amené à réfléchir à des projets de série comme par exemple 1000 ans de cornemuse en France. Cette série a bénéficié du soutien de Mécénat Musical Société Générale qui a permis l’enregistrement de 6 disques actuellement parus sur les 7 prévus. Le concert de répertoire irlandais est donné avec une danseuse de claquettes (step dancing). J’ai tendance à penser que les claquettes des danseurs de Broadway descendent  des anciens gigueux du Québec ! Notre nouveau disque consacré à la musique ancienne d’Irlande, « The High Road to Kilkenny », vient de sortir le jour de la Saint Patrick, le 8 mars dernier [NDLR : cf. la recension, ci-dessous in LE BAC DU DISQUAIRE]

 

Les prochains concerts de l'ensemble auront lieu :

-  le 21 mai 2016, à Pont-Audemer, l'Éclat (programme « For ever Fortune »)

- le 24 mai à Thouars, Hôtel Tyndo (musique ancienne d'Irlande et d'Écosse)

- tous le samedi de juin (à compter du 18), de juillet, d'août et de septembre, (jusqu'au 17), au Château de Versailles (Les sérénades royales, avec la Compagnie l'Éventail)

 

Retrouvez les Musiciens de Saint-Julien sur leur site : http://www.lesmusiciensdesaintjulien.fr

 

Conversation entre François Lazarevitch*

 et Laurence Renault Lescure.

 

 

*François Lazarevitch enseigne au CRR de Versailles la flûte traversière baroque, la musette baroque et l’ornementation.

 

 

***

PROPOS PARTAGÉS

 

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Elzbieta Sikora, une compositrice polonaise engagée

 

 

D'origine polonaise et installée en France depuis 1981, Elzbieta Sikora mène aujourd'hui sa carrière de compositrice dans l'un et l'autre pays. Son premier séjour en France remonte aux années 60. Un diplôme d'ingénieur du son en poche, elle décide de venir travailler dans les studios du GRM (Groupe de Recherche Musicale). La rencontre décisive avec Pierre Schaeffer, personnalité hors norme qui la fascine, scelle son attachement vital à la musique électroacoustique. Pour autant, revenue en Pologne, elle reprend ses études, dans le domaine de la composition instrumentale où elle estime avoir des lacunes. En 1981, elle obtient une bourse d'étude, pour la France toujours. Le séjour était de neuf mois... Les circonstances en décideront autrement. Le coup d'état du 13 décembre réinstaurant le régime totalitaire communiste en Pologne la dissuadera de revenir dans son pays. Elle n'y retournera que sept ans plus tard! Le triple album (« Secret Poems ») qui vient de sortir sous le label polonais Bôłt témoigne du début de carrière de la compositrice, années où elle fonde avec Krzysztof Knittel et Wojciech Michniewski le groupe KEW. La photo de couverture où Elzbieta, cheveux courts à la garçonne, est épaulée par ses deux confrères, en dit long sur la détermination de cette artiste hors norme qui n'a cessé de composer, à sa table comme dans les studios.

 


Photo Wroclaw

 

 

La période héroïque

 

Le groupe KEW, qui va lancer votre carrière de compositrice en Pologne est-elle une étape qui compte dans votre cheminement de compositrice ?

 

C'est pour moi une période héroïque! Je revenais de France où j'avais étudié pendant deux ans la musique électroacoustique avec Pierre Schaeffer au GRM. Et je décide en 1970 de reprendre des cours de composition. Je retrouve des amis polonais qui font ou ont terminé leurs études musicales. Nous décidons alors de constituer un groupe en 1973. Nous voulions faire la révolution, redonner un élan et faire parler de la nouvelle génération de compositeurs après les Penderecki, Lutoslawski ou encore Gorecki, qui, à nos yeux, monopolisaient un peu trop la scène musicale. Former un groupe nous permettait d'affermir nos élans et nous donnait la force de réaliser nos intentions. Nous voulions introduire les multi-médias dans la composition musicale et les nouveaux supports comme la bande électroacoustique. L'usage de la vidéo n'était pas encore très développé mais on se servait de diapositives pour associer la musique à l'image et quelquefois à l'action scénique comme dans les happenings. Un premier concert, où chacun de nous avait écrit une œuvre nouvelle, incluait Pas de cinq de Kagel. Un papier très négatif de la presse locale, loin de nous desservir, nous a aussitôt fait connaître. On était devenu l'image de l'avant-garde. Le groupe KEW a voyagé dans toute la Pologne, du Festival Automne de Varsovie, à Stockholm, Berlin, Vienne... On s'exprimait très librement et on osait beaucoup de choses, à travers des œuvres collectives très engagées. Le groupe s'est dissout au bout de quelques années mais le souvenir de KEW ne s'est pas effacé dans la mémoire collective.

 

L'installation en France

 

1981 est une date capitale, pour vous comme pour l'avenir de la Pologne !

 

A l'issue de mes études de composition polonaises, j'ai demandé une bourse du gouvernement français, que j'ai obtenue. Je reviens donc en France où j'avais gardé des contacts, au GRM notamment. Comme vous le savez, ce séjour qui devait durer neuf mois s'est mué en installation définitive, avec mon mari et mon fils. J'ai heureusement eu très vite l'opportunité de me mettre au travail. J'ai commencé par composer une pièce à l'Ircam, invité par Tod Machover que j'avais rencontré au Festival Automne de Varsovie où était jouée ma pièce électroacoustique La tête d'Orphée. Je ressentais à cette époque l'absolue nécessité de renouveler mes outils et de sortir du monde électroacoustique pur. J'ai donc décidé d'écrire une pièce pour flûte et électronique en gardant le même titre. La tête d'Orphée II a été créée par Pierre-Yves Artaud et a été jouée dans le monde entier. La période de travail dans les studios de l'IRCAM, où j'ai côtoyé des personnalités comme Philippe Manoury, Gérard Grisey, Horatiu Radulescu, fut très enrichissante même si j'y ai beaucoup souffert. Cette obligation de tout contrôler en amont, en programmant chaque séquence sonore, ne convenait guère à ma manière plus intuitive de composer. Sans doute est-ce la raison pour laquelle je n'ai pas toujours été sur la même longueur d'onde avec Pierre Boulez. Je devais très certainement passer pour quelqu'un de suspect, moi qui fréquentais très librement et le GRM et l'IRCAM!

 

J'avais d'ailleurs au même moment une commande de François Bayle pour la saison de concerts du GRM. L'œuvre a été écrite en réaction aux événements polonais du 13 décembre 1981. Je me suis souvenue d'une victime du régime communiste, abattue par l'armée lors d'événements antérieurs, en 1970. Cette pièce engagée s'appelle Janek Wiśnewski, décembre Pologne, du nom de ce héros politique. Une chanson qui avait été écrite en son honneur passe en filigrane dans ma composition.

 

Le plaisir d'écrire pour la voix

 

On note, à côté de votre grand opéra Madame Curie, qui couronne votre carrière (http://www.resmusica.com/2011/11/18/madame-curie-par-elzbieta-sikora/), la présence de trois autres œuvres scéniques. Est-ce un genre que vous affectionnez particulièrement ?

 

Figurez-vous qu'à mes débuts je détestais l'opéra que je trouvais, comme Pierre Boulez,  totalement démodé. Jusqu'à ce que je sois obligée d'en écrire un pour mon diplôme de composition. Ce fut Ariadna sur un très beau texte de Cesare Pavese, traduit en polonais. J'ai opté pour un dispositif léger, un ensemble instrumental et deux voix seulement. J'ai alors découvert le plaisir d'écrire pour la voix et j'ai bien évidemment renouvelé l'expérience. En 1982 d'abord, grâce à Guy Erismann que j'avais connu en Pologne, j'obtiens une commande de France Culture pour un opéra radiophonique, Derrière son double, sur un livret de Jean-Pierre Duprey. Depuis mon expérience avec Pierre Schaeffer, j'étais très attirée par le médium radiophonique. J'ai fait également une œuvre documentaire, Passion selon Kijno, sorte de montage radiophonique sur le peintre, avec de la voix et des musiques d'appartenance diverse.

 

Vos rapports avec le GRM sont-ils toujours au beau fixe ?

 

Je dois avouer que, dans les années 60, j'étais tombée « amoureuse » de Pierre Schaeffer, dont la personnalité m'a toujours fascinée. J'étais aussi très attachée à toute son équipe, François Bayle, Bernard Parmegiani, Ivo Malec, Luc Ferrari, Guy Reibel, qui s'investissaient corps et biens dans l'aventure du son et de l'audio-visuel que Schaeffer appelait de ses vœux. Il n'était plus là en 81 ; les locaux n'avaient plus le même charme mais on y travaillait toujours avec le même élan et François Bayle, qui avait pris la direction du GRM, m'y a accueilli les bras ouverts.

 


©Marta Koehler

 

Avez-vous enseigné la composition ?

 

J'ai commencé à enseigner très tard. Au début de ma carrière en France, j'ai vécu avec des bourses qui m'ont permis de voyager, à Stanford, aux USA, en Allemagne, à Heidelberg, Mannheim... Puis un jour, en 1985, le compositeur Arnaud Petit, que j'avais connu à l'IRCAM lors de mon stage, m'a demandé de le remplacer à Angoulême où il y avait une classe de composition électroacoustique. J'ai immédiatement accepté et comme il n'a jamais repris son poste, j'y ai travaillé pendant 20 ans. J'ai alors fondé une association de musique à l'image, secteur qui m'a toujours passionnée, et un atelier de création sonore à l'école des Beaux-Arts. Il fallait imaginer une pédagogie pour guider l'écoute des plasticiens. Un de mes étudiants est d'ailleurs devenu professeur aux Beaux-Arts d'Angoulême. Lorsque j'ai atteint l'âge de la retraite, c'est mon assistant Edgar Nicouleau, compositeur bordelais, qui m'a succédé.

 

De la partition au studio électroacoustique

 

Comment vous situez-vous dans le paysage musical d'aujourd'hui ?

 

J'ai une position assez singulière, ayant la double formation d'électroacousticienne et de compositrice instrumentale. J'ai également fait 18 ans de piano lorsque j'étais en Pologne. Il est donc naturel pour moi d'aller d'un univers à l'autre. Mais, il y a quelques années encore, je passais pour une traitre dans le milieu électroacoustique lorsque je faisais de l'instrumental. Et lorsque je compose aujourd'hui de la musique acousmatique, on me classe dans « les symphonistes »...

 

Vous n'avez jamais cessé de composer, conciliant vie de famille, voyages, direction de festival. Comment s'organisent vos journées de travail ?

 

C'est très variable. Tout dépend du lieu où je me trouve pour composer. En Pologne, j'ai pris l'habitude de travailler le matin et de réserver mes après-midi à la promenade. En France, depuis 2009, je consacre mes matinées à l'administration relative au festival que je dirige. Je n'ouvre la partition que l'après-midi quand la lumière inonde ma salle de séjour. Je mets sur la table un papier un peu épais où je peux noter mes idées et autres astuces qui stimulent mon écriture ; un papier que je roule quand viennent des invités ; et je fais tout au crayon! Je n'ai jamais aimé travailler la nuit sauf quand je me trouvais dans les studios du GRM où il m'est même arrivé de dormir!

 

Combien d'œuvres sont aujourd'hui inscrites à votre catalogue ?

 

Une soixantaine à ce jour. J'ai écrit en moyenne une pièce et demi par an ; mon sentiment est d'avoir beaucoup travaillé, sans vraiment m'être arrêtée. Et j'estime avoir eu beaucoup de chance car j'ai toujours pu écrire sur commande : d'abord pour l'IRCAM et le GRM, puis pour Radio France, l'Orchestre Poitou Charentes et la Société Chopin qui m'a demandé un concerto pour piano. Il n'y a vraiment que ma pièce de violon, Solo, que j'avais besoin d'écrire pour moi-même, qui échappe à toute commande. J'ai également eu plusieurs contacts en Allemagne où j'ai vécu cinq années, avec mon mari Nicolas. J'ai obtenu des résidences dans les villes d'Heidelberg, Mannheim et Ulm, lieu de naissance d'Einstein, où j'ai pu composer dans de bonnes conditions. Je termine en ce moment pour l'ensemble Court-Circuit, Sonosphère II pour clarinette et quintette à cordes, qui est une commande d'Etat. La Pologne m'a également demandé pour 2018 un concerto pour violon. Et je suis très heureuse de revenir travailler à l'IRCAM en 2016, pour une pièce d'orchestre et électronique commandée par le MEN. Je serai assistée par un RIM (Réalisateur en Informatique Musicale) et me prépare à cette nouvelle aventure avec la technologie de pointe de cet Institut. L'œuvre sera créée à la Philharmonie de Wroclaw durant le festival de 2017, année où je passerai la main à Pierre Jodlowski, qui m'assiste à la programmation depuis 2013 déjà.

 

Quelles sont vos sources d'inspiration ?

 

Pour une pièce comme celle-ci, destinée à la salle de la nouvelle Philharmonie de Wroclaw, qui vient d'être inaugurée, j'aime imaginer l'espace pour lequel j'écris, la manière dont va se propager le son, comment il va pouvoir l'investir pleinement. Il m'arrive aussi de tirer mes idées ou mes titres d'œuvres de la littérature. J'ai travaillé sur L'Arrache-coeur de Boris Vian, sur des textes de Pavese et Jean-Pierre Duprey, comme je vous l'ai dit, pour mes œuvres vocales. Mais la source littéraire peut n'être qu'un prétexte à l'œuvre, qui ne la citera pas mais s'en nourrira, comme cette phrase de Blaise Pascal qui est associée à l'une de mes pièces instrumentales …selon Pascal.  La peinture et l'architecture qui me passionnent et font partie de mon environnement peuvent également susciter l'envie de composer. J'ai écrit une pièce pour chœur sur Guernica, hommage à Pablo Picasso, en 1975, juste après avoir vu la toile à Cleveland. Un simple vol d'oiseau, dans ses allures toujours mouvantes, peut être pour moi un véritable modèle pour la composition.

 

Quels ont été vos maîtres en matière de composition ?

 

J'ai eu deux professeurs, Tadeusz Baird, et Zbigniew Rudzinski qui m'ont fait beaucoup travailler. Et j'ai toujours à cœur de les mettre à l'affiche des concerts quand je le peux. Mais mon véritable maître à penser est Witold Lutoslawski à qui j'ai pu montrer mes partitions. Il représente pour moi la dimension apollinienne de la musique, une certaine clarté et une puissance dans l'écriture. On jouera au prochain festival de Wroclaw son Interlude pour orchestre, une pièce étonnante qui tend vers l'univers électronique par la qualité de sa texture. Krzysztof Penderecki, que je connais bien et que j'admire également beaucoup, incarne pour moi l'autre versant de la musique, plutôt dionysiaque. Je reste très attachée à son Requiem polonais, notamment le Lacrymosa qui est une splendeur, toute comme sa Huitième Symphonie. Il faut également citer Kazimierz Serocki, grande figure de la musique polonaise, qui reste très mal connu en France. Et je n'oublierai jamais mon professeur de piano, une personnalité très éclairée avec qui j'échangeais beaucoup dans tous les domaines et à qui j'ai soumis mes premiers essais de composition. Pour l'anecdote, nous avions trouvé dans la maison de Gdansk où nous étions installés, un piano rescapé de la guerre, à moitié brûlé par les Russes, qui n'avait ni pieds ni couvercle et sur lequel j'ai eu mes premières leçons de musique!

 

Wroclaw, capitale européenne de la culture en 2016

 

Depuis 2009, vous assumez la direction du MEN (Musica Electronica Nova) -http://www.resmusica.com/2015/05/29/musica-electronica-nova-a-wroclaw/-, manifestation biennale accueillie par la ville de Wroclaw qui est en 2016 capitale européenne de la culture. L'enjeu est de taille !

 

Cette manifestation biennale a été lancée en 2007 par l'Union des compositeurs de la ville de Wroclaw qui renouvelait la direction à chaque édition. Depuis ma nomination en 2009, j'assume en continu la responsabilité du Festival. Je ne voulais pas limiter la programmation aux seules œuvres purement électroniques. J'ai donc introduit l'orchestre et prévu l'espace d'une grande salle pour attirer un plus large public. Nous avons aujourd'hui la chance d'être soutenu par la ville de Wroclaw et par la Philharmonie qui nous prend sous son aile. J'essaie également de travailler le plus possible avec les différentes institutions culturelles de la ville et nous collaborons étroitement avec le festival des arts audio-visuels WRO, une autre biennale mondialement connue qui se déroule en parfaite synchronie avec le MEN. En 2017, avec pour thématique l'Identité, nous recevrons le saxophoniste et jazzman américain, d'origine juive, John Zorn. 2016, durant laquelle Wroclaw est capitale européenne de la culture, est une année exceptionnelle. On m'a demandé de prévoir un mini festival de quatre journées, du 19 au 22 mai, au lieu de huit habituellement. Pour cette année européenne, j'ai lancé le thème du portrait de ville, un cinéma sonore autour des capitales: Varsovie, Berlin, Paris, Barcelone, Oslo, Cracovie... une idée qui semble ravir les compositeurs dont le cahier des charges stipule l'obligation d'introduire au moins un son naturel enregistré dans la ville. Il y aura également un concert d'orchestre et la présence de l'Ensemble Intercontemporain. Il a passé commande à une compositrice polonaise et jouera également Germination de Jean-Luc Hervé, une oeuvre-installation très surprenante qui se terminera en plein-air où cinquante petits haut-parleurs sonoriseront un espace vert qui doit pousser devant la Philharmonie...!

 

Propos recueillis par Michèle Tosi*.

 

 

*Michèle Tosi est musicologue et critique musicale.

 

 


Musica Electronica Nova

19–22.05.2016, Wrocław / Special edition for Wroclaw Europeen Capital of Culture

GROWING

Elżbieta Sikora –Artistic Director / Andrzej Kosendiak – General Director

 

 

19.05.2016 Thursday, 11:00 am and 12:00 noon

Wrocław, NFM, Black Hall

SOUND CINEMA Sessions for children

Mariusz Gradowski –host

Sound cityscapes

 

19.05.2016 Thursday, 6:00 pm, 7:00 pm, 8:00 pm, 9:30 pm

Wrocław, NFM, Black Hall

SOUND CINEMA

Cityscapes

6:00–6:55 pm

Wroclaw

Mateusz Ryczek –curator

7:00–7:45 pm

Basque Cities Sound Portrait
Ramon Lazkano
curator

8:00–9:00 pm

Warsaw
Barbara Okoń-Makowska –curator

9:30–10:20 pm,

Cracow

Magdalena Długosz, curator

 

20.05.2016 Friday, 11:00 am and 12:00 noon

Wroclaw /NFM, Black Hall

SOUND CINEMA Sessions for children

 

20.05.2016 Friday, 7:00 pm

Wrocław,  NFM, KGHM Main Hall

CONFRONTATIONS

Symphony concert

Michał Klauza –conductor

Simon Steen-Andersen –electronics

NFM Wrocław Philharmonic

York Höller (1944) Résonance, for orchestra and computer-generated sounds (1981)

Wolfgang Mitterer (1958) Innen drinnen for orchestra and electronics

Simon Steen-Andersen (1976) Double up (2010)

Piotr Roemer (1988), Szymon Stanisław Strzelec (1990) Duet
for symphony orchestra and electronics (2016) **

 

20.05.2016 Friday, 9:30 pm, 10:30 pm

Wrocław, NFM, Black Hall

SOUND CINEMA

Cityscapes

9:30–10:15 pm,

Vilnius

Michał Mendyk, curator

10:30-11:30 pm,

Tallinn

Marianna Liik, curator

 

21.05.2016, Saturday 11:00 am and 12:00 noon

Wrocław, NFM, Black Hall

SOUND CINEMA Sessions for children

 

21.05.2016, Saturday, 6:00 pm, 8:00 pm, 9:30 pm

Wrocław, Wolności square

GERMINATION

Installation

Jean-Luc Hervé –music and installation concept

IRCAM-Centre Pompidou –electronics

landscape Magdalena Subocz

Programme:

Jean-Luc Hervé (1960) Germination concert
landscape architecture and electronics (2013)

Co-organized by:

WRO  Art Centre and the Landscape Architecture Institute of the Wrocław University of Natural Sciences

 

21.05.2016, Saturday, 7:00 pm

Wrocław, NFM, Red Hall

INSIDE OUTSIDE

Guillaume Bourgogne –conductor

IRCAM-Centre Pompidou –designers of computer music

Ensemble Intercontemporain

Agata Zubel (1978) Double Battery for ensemble and electronics, commission by Ensemble Intercontemporain

Yan Maresz (1966) Tutti for ensemble and electronic devices

in the intermission we invite you to the second show of the Germination installation in the square in front of the NFM entrance  

Edgard Varèse (1883–1965) Octandre (1924)

Jean-Luc Hervé (1960) Germination for chamber ensemble and electronics

after the concert we invite you to the third show of the installation in the square in front of the NFM entrance (20')

 

22.05.2016, Sunday, 11:00 am, 12:00 noon

Wrocław, NFM, Black Hall

SOUND CINEMA Sessions for children

 

22.05.2016, Sunday, 1:00 pm

Wrocław, Wolności square

Germination, installation

 

22.05.2016, Sunday, 5:00 pm, 7:00 pm, 8:30 pm, 9:45 pm

Wrocław, Sala Czarna NFM / NFM Black Hall

SOUND CINEMA

Cityscapes

5:00–5:45 pm,

Berlin

7:00–8:00 pm,

Paris

Des Coulam, curator

8:30–9:30 pm, curator

Barcelona

José Manuel Berenguer curator

9:45–10:30 pm,

Oslo

Natasha Barret, curator

 

22.05.2016, Sunday, 6:00 pm

Wrocław, NFM, Cameral Hall

Interactive sounds

Special concert

Tarmo Johannes –flute, concept, software of sound-game

Tammo Sumera –live electronics, sound diffusion

Programme:

Interactive sound-game developed by Tarmo Johannes

Tatjana Kozlova-Johannes (1977) Doors 1 for flute and electronics (2001)

Jüri Reinvere (1971) a.e.g/t.i.m.e for flute, electronics, text and video ad. lib. (2005)

Pierre Jodlowski (1971) Limite circulair for flute and 8-channel tape (2008)

 

Sunday, 8:00 pm

Wrocław, Wolności square

Germination, installation

 

 Haut

 

Jérôme Pernoo, l'homme protée du violoncelle

 

 

La belle quarantaine, Jérôme Pernoo est un violoncelliste comblé. Il a fait le tour du monde avec son instrument pour jouer le répertoire, donner des cours, des master classes, un peu partout, inciter des compositeurs à écrire pour lui. Il a initié des festivals, mais cela ne lui suffisait pas ! Il avait un projet encore plus fou dans ses rêves de jeune violoncelliste de 25 ans ! Il vient de le réaliser ! Et pour parler de musique autrement et de ce projet, il nous a reçu entre deux répétitions dans l'ancien conservatoire du XVIIème arrondissement de Paris, à deux pas de la salle Cortot ! L'enthousiasme et les rires étaient au rendez-vous 

!


Photo prise au cours de l'entretien 

© Kevin Drelon

 

Aux Victoires de la Musique on a entendu pour la première fois une œuvre assez énergique d'un compositeur contemporain. Pouvez-vous m'en parler ?

 

Guillaume Connesson a écrit cette œuvre pour moi. C'est un costume taillé sur mesure. J'ai lu feuillets après feuillets la composition. Je lui ai conseillé de commencer par le final parce que je savais qu'il allait écrire quelque chose de terriblement difficile. Je me préparais au pire, je voulais avoir la partition très tôt pour la travailler car tout cela s'est fait très peu de temps avant la première. Je me souviens d'avoir travaillé la nuit d'avant la première pour connaître par cœur la cadence. Ce qui est formidable avec cet événement des Victoires de la Musique c'est qu'en prime time, il y a eu un million six téléspectateurs qui ont regardé et écouté cette musique bouillonnante, virtuose, joyeuse, avec ce dialogue magnifique avec l'orchestre !

 

https://www.youtube.com/watch?v=KlrOIEDP05Q

 

Excusez-moi, mais en terme de musique on a eu droit à toutes les scies musicales, les tubes rabâchés de chez rabâché…

 

Oui mais cette séquence a été l'une de celles qui a eu le plus de succès ! Parce que c'est une musique - il faut arrêter de dire contemporaine - d'abord d'aujourd'hui, vivante, qui est bien là, en chair et en os. Connesson est un compositeur d'aujourd'hui. Il a la quarantaine, il fait de la musique extraordinaire, c'est cela que les gens ont vu et entendu ! 

 

Mais pour beaucoup de gens la musique d'aujourd'hui c'est Boulez ! 

 

Boulez c'est la musique d'hier ! C'est le dernier de cette génération, Berio, Ligeti, Stockhausen. Ils étaient dans la succession de la Seconde École de Vienne, Schoenberg, Webern, Berg, qui eux étaient dans la succession du post romantisme. Il y avait besoin de cette cassure, de cette coupure, de quelque chose de plus sec, de plus aride, de plus conceptuel, de plus classique en quelque sorte. Et aujourd'hui on voit bien qu'il y a une nouvelle génération de compositeurs qui a besoin de plus de romantisme dans leur musique, d'expressions du sentiment, dont en l'occurrence la joie. Mais Connesson exprime aussi la tristesse dans son concerto.

 

Si on continue dans cette voie on va se retrouver avec la polémique qu'il y a eu au Collège de France avec Ducros et Beffa

 

Oui, je pense que c'est une polémique pour ceux qui sont très conservateurs, qui veulent conserver le style du XXème siècle, qui veulent être les tenants de l'art moderne en disant que c'est ce qui se faisait quand ils étaient jeunes. Mais les choses changent : ces gens-là, qui étaient pour quelque chose de très nouveau dans leur jeunesse, aujourd'hui n'admettent pas qu'il y ait une nouvelle génération d'artistes, pas seulement des musiciens, qui ont envie de s'exprimer autrement.

 

Comment un jeune compositeur vient-il vous chercher pour écrire pour vous ?

 

C'est tout le contraire, c'est moi qui suis allé le chercher. Je l'ai découvert parce que je faisais partie d'un jury de musique de compositeurs d'aujourd'hui, en tant qu'interprète. J'ai lu vingt cinq monographies et je suis tombé sous le choc de sa musique. J'avais là son numéro de téléphone, comme un comédien de cinéma qui rêve de travailler avec un réalisateur et qui a tout d'un coup ses coordonnées.  Jamais je n'avais eu de coup de foudre comme cela. Je l'ai appelé, j'ai commencé à jouer le peu de choses qu'il avait écrites pour violoncelle. Ensuite je lui ai commandé d'autres œuvres : une sonate pour piano et violoncelle, un quatuor à cordes. Et puis on a eu ce projet de concerto qu'on a pu réaliser avec l'aide de l'association Musique Nouvelle en Liberté, l'Opéra de Rouen, d'autres coproductions. Ce qui est extraordinaire c'est que ce concerto a sa propre vie ; je crois que je l'ai joué plus de trente fois en concert. On l'a enregistré chez Deutsche Grammophon, et voilà qu'on passe en prime time avec lui, c'est ahurissant ! Aujourd'hui il y a des élèves du Conservatoire qui travaillent ce concerto.  Il rentre dans le répertoire, ce qui est extrêmement rare pour une œuvre d'aujourd'hui. En général, on fait une première et on range la partition. Je ne me suis jamais battu pour la musique contemporaine, pour la musique d'aujourd'hui ; ce n'est pas ma mission, je n'en ai rien à faire ; la musique qui m'intéresse est celle qui me permet de partager une émotion musicale avec mon public. A partir du moment où je ressens une œuvre au point de l'aimer et de vouloir la transmettre et que je sens que le public la reçoit et s'enthousiasme, alors l'œuvre fait son chemin. Elle n'existe que s'il y a ce cocktail savant entre auteur-interprète-auditeur ; une fois que cette mayonnaise a pris, alors on a envie de jouer cette œuvre, donc elle se joue. Lorsqu'un orchestre m'appelle, je ne lui propose pas le concerto de Dvořák, je ne lui propose pas du rococo - je suis très heureux de jouer le répertoire, j'en joue beaucoup - mais la première chose que je dis à un producteur ou à un chef d'orchestre : Est-ce que vous connaissez le concerto de Connesson ? C'est ainsi que je l'ai joué énormément de fois ! Mais ce n'est pas une mission politique. Il n'y a qu'une manière de partager la musique c'est d'être à côté du musicien qui est en train de jouer. Le problème c'est souvent, quand on est dans une très grande salle, qu'on a du mal à partager de l'émotion très directement avec le musicien. On est loin, et puis il y a quelque chose d'un peu mondain, on est bien habillé, il y a madame machin qui sent le parfum, et finalement on perd la juste relation entre l'auditeur, l'interprète et l'œuvre. Alors il faut que la salle soit adaptée, pas trop grande pour qu'il se passe quelque chose. Dans une grande salle il faut un grand orchestre. Cette émotion musicale, elle va passer dans des salles plus petites. Je crois en l'échelle humaine dans la relation entre le musicien et son public, et aussi dans la proportion de la salle. On ne pense pas assez à cette problématique.

 

Il ne faut pas aller voir Jérôme Pernoo à la Philharmonie de Paris alors !

 

Non, il faut aller le voir à la Salle Cortot ! Parce qu'il a crée le Centre de Musique de Chambre de Paris !

 

Bel enchaînement !

 

(rires) Dans cette salle mythique, exceptionnelle du point de vue acoustique et aussi de la relation scène public. C'est pourquoi les gens s'y sentent bien et y reviennent.

 

Comment fait en une année Jérôme Pernoo pour apprendre des œuvres de musique d'aujourd'hui, jouer un peu partout en Europe ou ailleurs, être Directeur artistique du Centre de Musique de Chambre de Paris, du festival Les Vacances de Monsieur Haydn, à La Roche-Posay, du festival de Deauville, enseigner ?

 

J'avoue que je ne dors pas beaucoup en ce moment ; mais ça arrive à des gens très biens. Lorsque vous avez un enfant c'est pareil, c'est fatigant. La question qu'il faut se poser est quel est le rôle du musicien dans la cité ? Quelle est ma fonction ? Toute ma vie, j'ai vécu avec les plus immenses œuvres d'art, j'ai eu cette chance depuis que je suis tout petit de côtoyer des chefs-d'œuvres, celles qui ont passé les siècles. On ressort certaines œuvres qui avaient été oubliées, par but commercial et par manque d'œuvres d'aujourd'hui. S'il y avait plus de Connesson ou de Ducros on pourrait imaginer que la musique classique soit plus vivante et même plus rentable, comme le cinéma. Il y a des musiciens qui composaient de la musique tonale, qui n'avaient pas le droit de cité et qui se sont dirigés vers la musique de film. On ne va pas refaire l'histoire. Ce que je veux dire c'est qu'à cause de ce phénomène, on passe son temps à réenregistrer toujours la même chose, à provoquer des cercles vicieux dans l'industrie du disque classique. Alors on s'intéresse à quoi ? A l'interprète ? On dit que monsieur untel joue mieux qu'un autre monsieur untel, on est loin de la musique, de l'œuvre elle même ; c'est comme si je vous disais untel a regardé ce tableau de cette manière et un autre d'une autre manière ? C'est cela l'interprétation. Ce qui importe c'est la transmission de l'œuvre. On a créé un déséquilibre à force de jouer de la musique ancienne tout le temps : on a du coup sauté sur l'occasion avec le renouveau dans le baroque ou des œuvres perdues dans le passé qu'on remet à l'ordre du jour. On a sauté sur ces occasions là pour faire du beau. Et si les œuvres d'aujourd'hui étaient belles ?

 

Vous allez me dire que la question de la beauté est une question très subjective… Je n'en suis pas si sûr… Je ne vais pas entrer dans des questions philosophiques qui me dépassent, et je n'ai pas les outils pour cela. Mais dans la beauté, il y a la question de l'harmonie. Si on est tous face à une montagne ou à un coucher de soleil ou encore à une voûte étoilée, on va tous avoir ce sentiment de beauté ; il y a quelque chose d'objectif qui nous concerne. Donc je ne pense pas que la beauté soit si subjective. Figurez-vous, lorsque j'étais étudiant, je disais : ça ce n'est pas beau ; oui mais ce n'est pas fait pour être beau, me répondait-on ! Donc j'ai compris que la préoccupation des artistes du XXème siècle n'était pas dans la beauté, c'est quelque chose qu'il faut comprendre, ce n'était pas la préoccupation des artistes. On était dans une revendication, une déconstruction, et aujourd'hui on aspire à autre chose. Les créateurs, les interprètes, le public semblent avoir besoin d'autre chose. Ma foi, on est dans un virage comme il y en a eu à tous les débuts de siècle. Alors pourquoi j'enregistre de la musique d'aujourd'hui ? Pas pour me draper dans une mission qui consiste à dire : le musicien doit défendre la musique d'aujourd'hui qui n'est jamais écoutée. Non, non, j'enregistre des musiques qui sont nouvelles et qui sont belles. Voilà !

 

Pour revenir au concerto de Guillaume Connesson, c'est une version qui a été entendue par le compositeur. Il y a eu une relation très étroite entre vous deux, c'est donc la version historique…

 

Je suis très fier d'avoir été dans ce moment historique. Connesson était présent à l'enregistrement. Mais je sais qu'il souhaite que l'œuvre vive à travers d'autres interprètes, comme une pièce de théâtre. Justement cet aspect figé de l'interprétation au disque est assez contradictoire avec la liberté qu'on peut trouver dans la manière de jouer une œuvre. Il y a quelque chose d'anti naturel dans l'enregistrement, qui ne me va pas trop.

 

Aujourd'hui on peut tout manipuler dans l'enregistrement d'une œuvre...

 

Cela ne me dérange pas. C'est comme au cinéma, on fait tel plan puis tel plan, on recommence, on peut faire mieux, on profite de la technologie pour faire ce que l'on désire le plus pour jouer une partition. Après, ce qui me dérange, c'est ce qu'on appelle les versions de référence. Il faut les considérer comme des instantanés ou comment la personne l'a pensée à ce moment-là. Pour moi c'est comme de l'encyclopédie…

 

Ce concerto vous l'avez joué une trentaine de fois. Y-a-t-il eu une évolution dans votre jeu ?

 

Bien sûr, cela a évolué au fil du temps. Lorsqu'on joue en public, on sent des questions d'équilibre, d'assise, de tempos, d'expérience ; c'est aussi les cheveux blancs qui font qu'on est moins tout fou…

 

Je pense qu'on a pas mal parlé de ce concerto qui vous tient à cœur. Parlons maintenant de ce mini festival que vous avez créé dans cette salle mythique.

 

Dans cette conversation c'est la musique d'aujourd'hui et la musique du passé, qui sont liées, et le fait de jouer plutôt que d'enregistrer. Pour moi, ce Centre de Musique de Chambre c'est avant tout un lieu dans lequel on se retrouve.

 

Françoise Noël-Marquis avait l'intention de faire revivre cette salle Cortot depuis qu'elle est devenue directrice de l'École Normale de Musique…

 

C'est ce qu'on appelle de la synchronicité ! Cela fait vingt ans que j'ai ce projet de lieu, de troupe et de partage avec le public. C'est cela la place du musicien dans la cité.

 

Et vous aviez déjà en tête la salle Cortot ?

 

Mais, à l'époque la salle Cortot était une vieillerie poussiéreuse qui n'existait pas dans le paysage français et qu'on louait à telle ou telle association. J'avais déjà joué pour une de ces associations, dans le temps, pour des jeunes…J'ai toujours aimé cette salle du point de vue de l'acoustique, de l'architecture...

 


DR

 

… et de ce fameux rapport au public…

 

Oui, et j'avais écrit un dossier il y a vingt ans avec le même président qu'aujourd'hui, Philippe Fanjas, président de l'association des orchestres. J'avais même commencé à travailler avec des musiciens sur des programmes et sur des lieux de résidence qui auraient pu m'accueillir. J'avais toujours l'idée de cette salle. Mais je suis passé à autre chose. C'était compliqué, ce n'était peut-être pas le moment, peut-être fallait-il que je fasse mes preuves. C'était un projet très ambitieux ; on ne pouvait pas le confier à quelqu'un comme moi. Je l'ai mis de côté, j'ai fait ma vie de violoncelliste, je suis devenu enseignant à Londres, à Paris…J'ai écrit un bouquin, « L'Amateur », sur l'enseignement, sur la transmission. J'ai fait des émissions de radio, j'ai vécu ma vie de soliste dans des salles mythiques. J'ai enregistré chez Deutsche Grammophon, chez Decca. Il m'est arrivé des tas de choses extraordinaires. Et régulièrement me revenait en tête ce projet, mais je n'y touchais pas, je le remettais à plus tard…Et un jour, je me suis réveillé et j'ai dit voilà c'est le moment !

 

J'ai ressorti le dossier, j'ai réécrit, cela ressemblait à ce que j'avais imaginé au départ. J'ai appelé Philipe Fanjas pour lui en faire part. Je l'ai intitulé «  Le Centre de Musique de Chambre » parce que c'est large ; pas mon petit truc à moi ; pour que les groupes de musique de chambre y viennent, que les jeunes s'y retrouvent; c'est une assiette. Ce nom est un peu impersonnel, exprès. Il y a des thèmes comme « Bach and Breakfast », « Freshly Composed », « Quintette à Claque »… et comme illustration, j'ai mis la salle Cortot !

 

Peu de temps après, complétement par hasard, je reçois un coup de fil d'une dame que je ne connaissais pas et qui me dit : je viens d'être nommée à la tête de l'École Normale et j'aimerais bien avoir votre avis sur deux ou trois choses ; est-ce que vous voulez bien venir me voir… Je la vois, on discute, et elle me dit que son rôle dans cette école c'est de monter le niveau des cordes, qu'elle pense qu'il faudra passer par la musique de chambre pour y arriver ; et puis elle me parle de la salle Cortot. Mais elle n'a pas de projet concret …Là je lui dis que je suis son homme, une sorte de mentaliste, et je sors mon dossier avec la salle en couverture ! C'est de la synchronicité : c'est arrivé au même moment ! Après on a travaillé…

 

Alors le projet : ce sont des jeunes qui jouent de la musique de chambre ?

 

Il y a deux catégories. Il y a des groupes qui sont déjà formés, des quatuors, des trios que j'invite et qui font un concert à 20h. Le concept est qu'on joue une seule œuvre, et ça marche d'enfer. Je suis très heureux d'avoir inventé cela. On retrouve notre discussion d'avant : le public vient écouter une œuvre, comme il irait au cinéma pour voir un film, ou une pièce de théâtre ; le spectacle c'est une œuvre. Ensuite, à 21h30, il y a un deuxième concert qui lui est plus sous forme de spectacle que de concert. Je le fais avec une troupe de jeunes musiciens : ce n'est pas une formation déjà constituée, c'est moi qui en fonction du programme, choisis tel ou tel jeune. Le programme musical tourne aussi autour d'une œuvre. On a commencé par La Nuit Transfigurée, puis un programme dans lequel on se baignait dans les Nocturnes de Chopin, et on arrivait petit à petit à Ainsi le Nuit de Dutilleux. On avait différents aspects de la nuit pour arriver au poème de Richard Dehmel qui a inspiré Schoenberg. Tout cela avec des jeunes musiciens avec lesquels je travaille comme une troupe de théâtre. On répète, répète, ici dans cette belle salle de l'ancien conservatoire du XVIIème qui a été mise à notre disposition !  Les musiciens jouent par cœur ! On apprend son texte comme un comédien, on doit connaître la partition de l'autre. J'ai le rôle du chef d'orchestre et du metteur en scène ; c'est comme cela qu'on arrive à une interprétation qui a une direction artistique avec des musiciens qui connaissent parfaitement le texte. Comme je ne suis pas là sur scène au moment du concert, ils s'expriment en leur nom propre et avec toute leur énergie et leur sensibilité artistique. Je résultat est absolument inédit ; les gens dans la salle sont émerveillés, ils ne s'y attendent pas, ils reviennent et ils amènent des amis ; ce qui fait que pour un programme qui est donné pendant trois semaines - cela aussi c'est inédit, comme au théâtre - on va faire plus d'un millier d'entrées sur La Nuit Transfigurée, sur Souvenirs de Florence de Tchaikovski ou sur La Truite. Et cela va crescendo de jours en jours.

 

Comment fait-on financièrement ?

 

Nous n'avons aucune subvention. On a commencé avec très peu de moyens. Il y a quelques sponsors, cela fonctionne sur le mécénat privé. On a le Crédit Agricole qui soutient la troupe, l'Adami qui soutient les jeunes du concert de 20h. Puis il y a quelques partenaires média. La Mairie de Paris nous met à disposition ce lieu du conservatoire d'arrondissement pour travailler et une petite subvention de démarrage. L'équipe, c'est le minimum : un administrateur, un chargé de production et un chargé de com.

 

Et Pernoo y met combien de temps ?

 

C'est du 24/24 plus les 24h pour ma classe au Conservatoire, plus les autres 24h pour ma vie de soliste et pour le festival Les Vacances de Monsieur Haydn à La Roche-Posay. Mais j'ai là une équipe plus rodée parce que ce festival existe depuis onze ans. Pour un festival il faut se battre tous les ans, comme pour les premiers jours, pour aller chercher les subventions.

 

Ces jeunes où allez-vous chercher ces jeunes ?

 

Je suis aux premières loges en tant que professeur au Conservatoire. Je fais aussi des auditions à l'École Normale parce que je les connais moins. Je suis prof à la European Music Chamber Academy, une académie itinérante des grandes écoles et j'entends beaucoup de jeunes de très très haut niveau. J'enseigne aussi régulièrement à la Kronberg Academy, la pépinière en Allemagne des jeunes solistes. On est en partenariat avec ces deux institutions mais aussi avec Pro Quartet à Paris, ce qui garantit le niveau. Dans mon festival à La Roche-Posay j'engage aussi des jeunes du in et du off.

 

Et puis vous avez aussi le fameux invité surprise ?

 

(rires) Parfois je ne sais pas moi-même qui va venir, c'est ça la vie ! C'est simple, on n'est pas là à faire une programmation un an à l'avance ! On a fait une Schubertiade fin janvier au dernier moment. J'ai appelé mes potes et c'était plein à craquer. ''Faire le bœuf'', c'est réservé aux jazzmen. J'adore le jazz. Là c'est un peu différent : ce qu'on adore faire, nous musiciens, c'est lire un quatuor de Mozart ou un quintette de Schumann, on les a tous joués dans nos vies. Dans le fait de jouer sans répéter, il y a quelque chose de spontané. Lorsque le Quatuor Hanson, jeune quatuor, va venir prochainement, j'ai demandé à un ami altiste de renom de venir et ce sera un quintette à deux altos !

 

Vous êtes là tous les soirs ?

 

J'y suis quasiment là. Notre saison finit fin mars. En avril, je suis sur les routes et dans les avions.

 

La saison prochaine est-elle déjà prête ?

 

Oui bien sûr. La programmation sera sur le même principe que celle de cette année : le 20h avec des jeunes, les concerts de 21h30 avec la troupe et le programme autour d'une œuvre. Entre les deux concerts, il y a le « Freshly Composed » et là ce sont de très jeunes compositeurs qui jouent, avec des amis, dix minutes d'une œuvre qu'ils viennent d'écrire ou qu'ils sont en train d'écrire. Le public, s'il apprécie, peut participer financièrement sur internet à la composition et commander une œuvre pour l'année prochaine. Du coup le public s'approprie la création. On aura une soirée spéciale avec les œuvres commandées par le public. Il va y avoir des concerts hors série avec nos partenaires Deutsche Grammophon, Deviallet. Et surtout on a un système de carte à cinq ou huit places comme au cinéma : si on a une carte cinq concerts par exemple, on peut venir avec quatre amis ou la donner à un ami car elle n'est pas nominative. Ces cartes nous permettent d'avoir des gens qui amènent d'autres personnes ; c'est ce bouche à oreille qui fait marcher le Centre. Avec la carte c'est six euros l'entrée ! Il y a la carte intégrale qui coûte 100 euros pour tous les concerts de la saison !

 

Qui est le public ?

 

C'est un public familier qui se sent bien, qui vient réécouter une œuvre. On a joué le 15ème Quatuor de Beethoven pendant trois semaines ; on m'a dit : mais tu es complétement fou ! Tu ne vas pas trouver du public ! Et bien si, il y a des gens qui reviennent écouter le 15ème ! On reçoit quelque chose de tellement différent du disque. Proust en parle sur la Sonate de Vinteuil. Il dit que la deuxième fois on a retenu des choses sans le savoir ; sinon c'est comme la première fois, ce ne seraient que des premières fois ! A chaque fois on découvre quelque chose de nouveau. Quand j'écoute cette œuvre monumentale de Beethoven, je me rends compte que c'est un chef-d'œuvre énorme mais je n'arrive pas totalement à la saisir. Si je l'écoute le lendemain ou le surlendemain ou la semaine d'après, alors petit à petit il y a des choses qui deviennent plus évidentes. C'est une très belle expérience pour le public et ça marche.

 

Et qu'est ce que ce ''Bach and Breakfast'' ?

 

Les gens viennent à 10h du matin, le dimanche :  il y a un petit déjeuner, puis on leur apprend un Choral de Bach. J'arrive avec l'orchestre, on joue la cantate, et tout le monde chante ! Les gens sortent avec la banane, et dans le public on entend une voix de basse : c'est Philippe Naouri qui participe !

 

https://www.youtube.com/watch?v=8fZyDxNrw98

 

Et Jérôme Pernoo le musicien dans tout cela ?

 

Il y a un concert à Copenhague avec Jérôme Ducros, autour de Brahms et Piazzolla. J'aime cette jonction musique populaire musique savante. A Bruxelles, le 26 juin, ce sera la Symphonie Concertante de Prokofiev avec l'Orchestre de la Monnaie et Alain Altinoglu. Cet été, beaucoup de concerts. En septembre, du 16 au 18, le festival à La Roche-Posay avec la création d'une magnifique sonate pour violoncelle et piano de Fabien Waksman. Puis à Paris, le 22 septembre, le Concerto de Guillaume Connesson avec l'Orchestre National de France et Stéphane Denève. Ma vie de musicien est aujourd'hui celle que je rêvais qu'elle soit ! Quelque chose de très ouvert sur plein de champs. Que peut-on rêver de mieux pour un musicien : d'avoir son festival, sa salle, d'inviter des musiciens avec qui on a envie de jouer, de jouer quand on a envie et de ne pas le faire quand on n'a pas envie. Le reste du temps être invité ici ou là et avoir des élèves qui sont extraordinaires comme s'ils étaient mes mômes, et avoir des partenaires de musique de chambre formidables !

 

Cher Jérôme que ce rêve s'éternise !

 

             

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

***  

    L'ŒIL ÉCOUTE

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La Johannes-Passion par le Chœur de chambre Les Temperamens Variations

 

 


Concert du  19 mars 2016

Église Évangélique Allemande (Paris) :

au premier plan : les solistes avec, au centre, Thibault Lam Quang.

 

L'église Évangélique Allemande de Paris a renoué avec la tradition luthérienne en relançant d'abord l'audition annuelle de l'Oratorio de Noël, puis celle de la Passion, grâce à Thibault Lam Quang. Loin des modes actuelles, son interprétation historique reste fidèle aux critères de Jean Sébastien Bach : effectifs limités à 25 choristes afin de respecter le caractère liturgique de l'œuvre destinée à faire revivre intensément le déroulement de la Passion du Christ, avec lecture chantée de l'Évangile du haut de la chaire pour instruire les auditeurs ; réponses des protagonistes, récitatifs et airs de caractère méditatif, ainsi que chorals typiques de la musique luthérienne.

 

Thibault Lam Quang s'est assuré le concours de remarquables chanteurs allemands : Jan Hübner (Évangéliste, Ténor), Hans Hermann Jansen (Jésus, Baryton), Daniel Eggert (Pilate, Basse), Philippe Gié/ Rudolf van Heijst (Pierre), Hervé Saint Raymond (un serviteur), et surtout des solistes Tobias Hechler (Alto) et Johanna Knauth, très jeune Soprano promise à une belle carrière. Tous se sont complètement investis dans cette émouvante partition à laquelle ils ont conféré toute la densité spirituelle requise. Il en est de même des instrumentistes : Guillaume Humbrecht (Konzertmeister, violon solo de la Chapelle Rhénane), Stéphane Réty (flûtiste, soliste de l'Orchestre Symphonique de Bâle) et — à l'orgue — Helga Schauerte, l'organiste titulaire toujours si efficace et attentive pour assurer le continuo. Tous ces noms se devaient d'être mentionnés car, sous la baguette si sensible et suggestive du chef qui peut compter sur ses musiciens, lors de ce mémorable Concert, ils ont restitué le caractère voulu par Jean Sébastien Bach, c'est-à-dire liturgique, comme ce fut aussi le cas de la tradition strasbourgeoise du Vendredi Saint lancée en l'Église Saint-Guillaume en 1895 par Ernest Münch et reprise en 1928 par Fritz Münch. Chaque Vendredi Saint, en alternance, une Passion y est programmée (soit la Johannes-Passion soit la Matthäus-Passion (en deux concerts), à une exception près où — l'Église ayant été bombardée à la fin de la Deuxième Guerre mondiale — le Requiem allemand de J. Brahms a été dirigé à la Salle des Fêtes par Fritz Münch.

 

Parmi les temps forts, citons entre autres, pour le CHŒUR : l'introduction Herr, unser Herrscher créant l'atmosphère et gagnant peu à peu en assurance ; l'intériorité émanant des Chorals, apanage et identité de l'hymnologie luthérienne, avec effet d'association d'idées ; la volubilité dans la question posée à Pierre : Bist du nicht (seiner Jünger einer) ?, l'énergie dans les réactions de la foule (turba) s'écriant : [Nicht diesen, sondern] Barrabam ! ou encore l'impératif : Kreuzige ! et la question : Wohin ?... Pour les SOLISTES : la précision d'attaque dans les dialogues ; la réplique de Jésus : Ich bin's. Pour l'alto : l'air si expressif : Von den Stricken meiner Sünden zu verbinden et l'air si poignant : Es ist vollbracht. Pour la Basse : le ton tranché et catégorique de Pilate. Pour la Soprano : l'air si affirmatif : Ich folge dir gleichfalls mit freudigen Schritten ou encore la souplesse des vocalises dans le très bel air (avec flûte) : Zerfliesse, mein Herz. Pour la Basse : l'impressionnant passage Eilt ihr angefochten Seelen. L'ORCHESTRE a largement, par ses timbres diversifiés (violon, flûte entre autres) assuré l'arrière-plan émotionnel voire dramatique et, à l'orgue, Helga Schauerte a vigoureusement soutenu l'œuvre. Une mention spéciale revient à l'ÉVANGÉLISTE (Ténor) qui s'est imposé par sa diction et son élocution si précises, ses diverses intonations en fonction du sens du texte biblique chanté, et descendant de la chaire pour interpréter ses deux airs, car Thibault Lam Quang a aussi largement exploité les possibilités spatiales de l'Église. De plus, à l'attention des non germanophones, les surtitrages français et quelques illustrations ont été projetés, et le programme, comprenant sa remarquable introduction à l'œuvre, reproduisait également les textes allemand  et français (grâce aux traductions revues par Sylvie Le Moël et Élisabeth Rothmund).

 

Thibault Lam Quang suit le texte de très près, en insuffle le sens à ses choristes jusque dans les moindres nuances. Il ne bouscule jamais le déroulement de l'action, exploite le caractère très éloquent et la valeur des silences si bien calculés, afin que l'œuvre respire entre les diverses articulations. Il dirige en souplesse, avec minutie et précision d'attaque (entrées successives). Il met aussi particulièrement en valeur les passages descriptifs (par exemple : le rideau du temple qui se déchire, puis le spectaculaire tremblement de terre). Il spécule avant tout sur l'intériorité et la simplicité, sans recherche d'effet ou de grandiloquence, et respecte l'esprit voulu par le « cinquième évangéliste ». Les auditeurs se souviendront longtemps encore du grand chœur : Ruhet wohl, ihr heiligen Gebeine et de la plénitude du Choral final : Ach Herr, lass dein lieb' Engelein  avec sa conclusion affirmative : Herr Jesu Christ, erhöre mich, ich will dich preisen ewiglich (…Je te louerai éternellement). Quant au Chœur de chambre Les Temperamens Variations, créé en 2005, il a donc aussi le grand mérite d'avoir lancé, à Paris — en l'Église protestante Allemande si accueillante et dont le cadre s'y prête parfaitement —, ces traditions pour le temps liturgique de Noël (reprise : les 3 et 4 décembre 2016 avec le Weihnachtsoratorium/Oratorio de Noël) et, anticipant sur le Vendredi Saint,  avec cette première audition, pour le temps de la Passion.

 

Édith Weber.

 

 

Mendelssohn révélé

 


Yannick Nézet-Séguin et le COE / DR

 

Le second des concerts de l'intégrale des symphonies de Mendelssohn, donnée par Yannick Nézet-Séguin à la tête du Chamber Ochestra of Europe, présentait les symphonies Nos 1, 3 et 5. Devant une grande salle de la Phiharmonie de Paris comble. Un public fort attentif indéniablement sous le charme, et qui n'aura pas perdu son après-midi. La Première Symphonie, op. 11, de 1824, n'est sans doute pas la plus jouée parmi les œuvres que le musicien a laissé au grand orchestre romantique. Celle qui suit immédiatement les douze Symphonies de jeunesse pour cordes - au point qu'on l'avait initialement numérotée comme « treizième » - est loin d'être négligeable. D'abord par sa durée conséquente, pour ses quatre mouvements mais aussi par sa diversité. L'allegro molto, que Nézet-Séguin prend de manière musclée pour faire saillir son thème entraînant, va traverser des épisodes contrastés avec en particulier un traitement des cordes que le chef rend tout intimiste avant que la coda ne reprenne la course soutenue du début. A l'andante, on va musarder dans une atmosphère délicieusement nocturne qui anticipe celle du Songe d'une nuit d'été et de sa fameuse Ouverture et de son « Notturno ». On admire le ramage des bois de l'orchestre, le hautbois et les flûtes. Le menuet, en habit de scherzo, sonne vif entre les mains de Nézet-Séguin, alors que le trio médian va offrir un moment d'apaisement presque léthargique : ce choral des bois sur un accompagnement soft des cordes entraine l'auditeur dans le rêve. Le finale con fuoco a fière allure, en particulier dans son sujet fugué et les diverses interventions de la clarinette. Il se dégage de cette lecture une luminosité étonnante, une transparence de texture qui n'est pas hélas toujours associée au symphonisme romantique. Cette belle manière, on va la retrouver, encore plus rayonnante dans la Symphonie  N°3 « Italienne ». Nézet-Séguin empoigne l'allegro vivace dans une irradiante allégresse et le mouvement découvrira un extrême raffinement, celui-là même de l'orchestration de Mendelssohn, dont se détache la clarinette (Romain Guyot). Comme cela respire ! L'andante con moto exhale un ton bienfaisant, au fil de cette procession qui fait penser à la « Marche des Pèlerins » de Harold en Italie de Berlioz. Avec le con modo moderato suivant, sur un schéma de menuet, on savoure les beautés du paysage. Le finale attaca introduit un cheminement qui va s'avérer éblouissant, pas seulement de lumière, mais aussi de technique orchestrale : cordes translucides, bois en fête dans les deux danses croisées de saltarello et de tarentelle, une des plus originales inspirations de Mendelssohn. Scintillante exécution.

 


Yannick Nézet-Séguin et de dos la Ière violon du COE,

 Lorenza Borrani / DR

 

La Cinquième symphonie dite « Réformation » - « Réforme » serait plus juste -, diffère des précédentes. Un ton plus sérieux pare les deux mouvements extrêmes, eu égard au dessein poursuivi : commémorer le tricentenaire de la Confession d'Augsbourg. En fait, l'anniversaire sera décalé de deux ans car l'œuvre ne sera créée, à Berlin, qu'en 1832, donc à titre posthume. Là encore on admire le travail du chef canadien et de ses merveilleux musiciens. Après une introduction très majestueuse débouchant sur une superbe fanfare, le con fuoco marque un magique temps d'arrêt sur le fameux « Amen de Dresde » que Nézet-Séguin prend dans un extrême pianissimo habité, nous rappelant au passage l'usage que Wagner en fera dans le Prélude de son Parsifal. Il boule légèrement le tempo dans le développement pour tracer toute la dramaturgie de ce vaste mouvement aux diverses inspirations thématiques (grégorien, choral luthérien). Le scherzo vivace semble encore plus démonstratif de cette maestria, se frayant un chemin parmi ses belles inventions mélodiques, comme au trio paré du chant des altos et des violoncelles. Le très court épisode andante conduit au choral « Eine feste Burg ist unser Gott » (Notre Dieu est une solide forteresse) : pris dans un crescendo pianissimo alors qu'introduit par la mélopée de la flûte solo (extraordinaire Clara Andrada) ; dans un silence impressionnant de l'auditoire. Le finale s'enchaine, et là encore, Nézet-Séguin va en réimaginer et ordonner tous les éléments divers. Un souffle habite sa lecture et l'orchestre répond avec un engagement inouï. Même l'austère fugue étale ses vertus, et tout s'achève dans une fanfare comme au début de l'œuvre. Après les dernières notes, un silence retient la salle subjuguée par cette exécution si hautement pensée et magistralement exécutée. On attend avec impatience ce que les micros du label Deutsche Grammophon en auront tiré comme des deux autres symphonies données la veille (cf. NL de 3/2016). Du grand art.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

L'expérience du Concertgebouw

 


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Le Concertgebouw, comme son nom l'indique, est d'abord une salle de concert, en lisière du Quartier des Musées d'Amsterdam, célèbre pour son acoustique, sur le modèle de ''la boîte à chaussure'' (comme Le Muzikverein de Wien ou le Symphony Hall de Boston, quoique ici la largeur de l'auditorium soit plus importante que dans ces deux cas). C'est aussi, lorsqu'on y accole le mot Orkest, l'une des phalanges symphoniques les plus en vue actuellement. Leur concert d'abonnement dans leur salle en cette fin février, devait être dirigé par Franz Welser-Möst, pour se débuts in loco. Une mauvaise chute l'ayant contraint à renoncer, il était remplacé par le jeune Lorenzo Viotti, natif de Lausanne et ayant fait ses études à Lyon dans le domaine de la percussion. Passé  à la direction, il a été assistant de Bernard Haitink à Chicago et de Mariss Jansons au Concertgebouw, dont il prenait pour la première fois les rennes. Voilà un chef qui sait ce qu'il veut. Son interprétation de la Deuxième symphonie D 125 de Schubert est loin d'être neutre : un largo introductif qui fait justement saillir la ligne des bois et un allegro vivace prestissime : mais les cordes de cet orchestre d'élite savent comment articuler à pareil train. L'andante est empreint de sensibilité et les géniales combinaisons imaginées par le jeune Schubert font flores, hautbois, flûte clarinette sont à la fête. Le Menuetto parait plus motorique qu'alerte ; péché de jeunesse. Et au presto final, Viotti boule les accents, quoique sa vision soit d'une débordante vivacité. L'orchestre répond magnifiquement. Viennent ensuite les Lieder eines fahrenden Gesellen, un des grands cycles (1883-1885) de Gustav Mahler. Ces quatre morceaux sonnent idéalement dans l'écrin acoustique si présent du Concertgebouw. Car l'orchestration mahlérienne est un modèle de transparence, claire et détaillée. Au point que le chanteur, Markus Werba, a tendance à ne pas toujours apparaitre distinctement, dans les forte en particulier : problème de taille de la voix plus que d'articulation, car celle-ci est irréprochable. Et paradoxalement, les notes graves viennent mieux de ce timbre de baryton lyrique, lui qui fut un fameux Papageno dans la dernière Flûte enchantée de Nikolaus Harnoncourt à Salzbourg en 2012. Le chef prodigue le lyrisme de ces pièces, notamment de la première « Wenn mein Schatz Hochzeit macht », comme dans la suivante « Ging heut' morgens übers Fefd ». Avec le Lied « Ich hab' ein glühend Messer », le drame s'installe dans l'ouragan qui s'empare de l'orchestre, contraignant le soliste à s'ajuster. La section médiane offre son lyrisme désespéré et la péroraison souffle les grands climax. Le dernier Lied « Die zwei blauen Augen », un sommet de poésie, est prétexte à des sonorités orchestrales somptueuses, ce que le chef magnifie par une battue large. Werba célèbre ces « deux yeux bleus » avec infiniment de tact et de retenue. La seconde partie était consacrée à un bouquet de valses et polkas viennoises. Ou un peu de l'atmosphère du Concert du Nouvel An sur les bords de l'Amstel ! Ce seront tour à tour Leichtes Blut, une polka schnell de Johann Strauss fils, bien enlevée, La Valse du baiser du même compositeur, introduite par un beau duo du hautbois et de la clarinette. Puis La libellule, polka Mazur de Josef Strauss, l'une des pièces les plus exquises de cet immense répertoire, où l'on savoure le frémissement impalpable des cordes, merveilleuses de transparence ici, et cet accord final court et si doux. On mesure la maitrise du chef dans ces pages réclamant tact et élégance. Friedenspalmen du même Josef Strauss raconte une histoire, comme bien des morceaux de musique viennoise, et ses divers épisodes alternent lyrisme expansif et furia détonante. Le concert s'achevait par la Czárdás pour orchestre op. 441 de Johann Strauss fils, tirée de l'opéra-comique Ritter Pásmán (1882) ; un choix judicieux, dû à Welser-Möst, car le morceau est peu connu mais d'une indéniable inspiration, qui fait penser à cette autre Czárdás, de La Chauve-souris. Lorenzo Viotti enflamme l'auditoire, prenant le mouvement à bras le corps, montant sa pâte avec doigté, ménageant avec flair accélérations et ralentissements. Le Concertgebouw Orkest brille de tous ses feux. Et on mesure combien cette musique viennoise est incomparable.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Bruckner selon le maestro Haitink

 


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Dans cette même salle du Concertgebouw, se produisait le lendemain un autre orchestre, le Radio Philharmonisch Orkest, l'Orchestre Philharmonique de la radio néerlandaise, pour un de ses concerts de matinée. Dirigé cette fois par Bernard Haitink, une idole ici. Une salle archi comble l'acclame à son entrée, pour l'écouter interpréter un de ses musiciens favoris, Anton Bruckner. Il donnait d'abord le Te Deum. Composée dans les années 1881-1884, et ''pour Dieu'', c'est une des œuvres les plus inspirées du musicien autrichien et de la musique sacrée. Haitink en livre une interprétation puissante, révélant au-delà de son inspiration grégorienne, sa dimension monumentale. Et ce dès le chœur d'entrée « Te Deum laudamus », sur un unisson des cordes et un rythme persistant, qu'on retrouve a travers les diverses autres séquences. L'éloquence du discours de foi s'exprime fortement, comme à travers l'intervention des solistes, un quatuor vocal d'exception avec le ténor Mark Padmore, les sopranos Sally Matthew et Karen Gargill, et la basse Gerd Grochovski. Haitink transfigure l'austérité de ces pages, en soulignant les pleins et déliés comme les silences entre les divers morceaux, et s'attachant à des fins de phrases claires, non emphatiques. Et l'on perçoit fugitivement quelque thème de la Septième Symphonie, contemporaine. La péroraison, une immense fugue, est grandiose. Au fil de cette magistrale exécution on aura apprécié la prestation du chœur à huit voix, ici les Groot OmroepkoorKoor, et Vlams Radio Koor, en particulier lors de la séquence « In te Domine speravi », comme délivrée a cappella. Et la qualité de l'orchestre galvanisé par pareille baguette : homogénéité des cordes, éloquence des bois et des cuivres. Venait ensuite la Neuvième symphonie, également dédiée « au Bon Dieu ». Ce sommet de la production symphonique de Bruckner, qui la laissa inachevée (1896),  Haitink le joue comme tel, et dans la version de Nowak. Dans une optique quasi liturgique, loin de toute séduction sonore facile, forgée à une ferveur qui porte loin le pur exercice orchestral et dépasse sa monumentale architecture. Il dirige avec la partition, comme pour la pièce précédente, beau signe d'humilité de la part d'un chef qui connait ce langage. Le « Feierlich, misterioso » et son trémolo continu des cordes est pris lent, d'une lenteur combien habitée avec ses pizzicatos évocateurs, et le deuxième thème amené comme affectueusement. Le développement sera puissamment dessiné avec ses effets de masse, pourtant non pesante, ses brèves séquences s'emboitant les unes dans les autres. Et la coda et ses crescendos par paliers successifs croissant en intensité dévoilent une force proprement fervente plus que tellurique. Le « Scherzo, ''animé'' », livre ce martèlement brucknérien typique, mordant mais sans dureté, la scansion respirant naturelle ; et le trio est bien senti avec son deuxième thème large, quoique sans excès, la sobriété se voulant alors l'autre face de la grandeur. De l'adagio et son envoûtante digression mystique, Haitink magnifie la nature de prière, d'hymne à la gloire du Maître des cieux. On admire, entre autres, la reprise des cordes dans le grave. Le nœud gordien de cette page unique est bien là dans ces passages puissants et leurs silences. Lors des grands climax, les cuivres ne seront pas sollicités, comme chez Klemperer par exemple, mais insérés dans la pâte sonore, évoquant presque une idée de douceur. Au développement, et ses longues digressions, qu'on a pu caractériser de méandres de la pensée brucknérienne, Haitink libère ce qui semble un cri de désespoir de l'homme craignant de ne pas être à la hauteur, comme un sentiment d'aspiration à la spiritualité. Mais devant pareille lecture, peut-on encore parler de méandres de l'inspiration ? Des tentatives plutôt pour tenter de s'approcher du but, de s'approcher de ce Dieu que vénère le compositeur : la réitération des thèmes n'est pas répétition mais progression. La coda nous fait quasiment accéder à une sorte de Nirvana, les dernières mesures ppp laissant entrevoir l'éternité. Certes, le chef aura ajouté une bonne dizaine de minutes au timing ''habituel'' - qu'on n'aura pas vu passer - mais nous aura mené par la main dans des contrées rares. Standing ovation, bien sûr.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Khovantskigate à Amsterdam

 

Modest MOUSSORGSKY : Khovantschina. Drame musical en cinq actes. Livret du compositeur. Version de Dimitri Chostakovitch. Dmitry Ivashchenko, Maxim Aksenov, Kurt Streit, Orlin Anastassov, Anita Rachvelishvili, Gabor Bretz, Olga Savova, Endrey Popov, Svetlana Aksenova, Roger Smeets, Vasily Efimov, Morschi Franz, Vitali Rozynko, Sulkhan Jaiani, Richard Prada. Chœur du National Opera. Nieuw Amsterdama Kinderkoor. Nederlands Philarmonisch Orchest, dir. Ingo Metzmacher. Mise en scène : Christof Loy. Nederlandse Opera, Amsterdam.

 


©Nederlandse Opera

 

La trame de Khovantschina est fort complexe. Dans son opéra, Moussorgsky qui a lui-même conçu le livret, traite un grand morceau d'histoire russe des années 1660 et  écrit une musique d'une beauté souvent à couper le souffle, dépassant même en intensité son Boris Godounov. Cette trame mêle en effet trois plans. Une intrigue politique d'abord, sorte de crise de régime : la montée et la défaite du clan Khovantski, du nom du principal opposant au régime de la régente Sofia qui à la mort du tsar Fyodor en 1662, assura la transition, ses deux demi frères Pierre et Ivan, nommés tsar ne pouvant effectivement régner du fait de leur minorité. C'est Pierre, bientôt « le Grand », qui pendra le pouvoir. Des divers partis d'opposition, celui du Prince Ivan Khovantski, aidé de ses affidés, les Streltzy ou gardes du Kremlin, mène la rébellion. Il sera conduit à former des alliances avec d'autres au gré des intérêts du moment. Une crise religieuse ensuite, celle des Vieux Croyants, menés par le moine Dosithée, contestant la légitimité des réformes, ce qui se traduit par un schisme. Et enfin un arrière plan sentimental. Deux femmes jouent dans l'opéra un rôle important, pour ne pas dire déterminant : Emma, une jeune femme d'origine allemande qui est courtisée par Andrei, le fils de Khovantski; et surtout Marfa, ex amante d'Andrei, plus ou moins fortune teller, et possédée par une vision de mort, qui la verrait périr dans les flammes avec celui-ci et les Vieux Croyants, en un suicide collectif. C'est dire que si fragmentée, la trame entrecroise les diverses strates en permanence, au point qu'on a pu dire que chacun des cinq actes raconte une histoire différente. Ce qui parait dominer pourtant c'est la rébellion d'Ivan Khovantski ; d'où le titre de Khovantschina ou « affaire Khovantski » ; ce qui fait dire aussi en poussant à peine le trait : une sorte de Khovantskigate...

 


©Nederlandse Opera

 

Voilà en tout cas un challenge pour un metteur en scène, qui doit tâcher d'unir ce qui n'a pas forcément de lien logique. Christof Loy signe une régie qui bien sûr actualise tout cela dans la Russie moderne. Tout en l'inscrivant dans un cadre d'époque, au sens propre : la seconde partie de la courte Ouverture laisse apparaître un arrêt sur image ou un tableau d'époque saisissant. Mais en une fraction de seconde tout le monde se défait de ses lourds vêtements d'époque pour se retrouver en quidam du moment ; tandis que l'avant dernière image restituera le même tableau moyenâgeux. Entre ces deux extrêmes, place à la théâtralité d'aujourd'hui. Aux échanges durs entre rivaux d'un jour ou alliés du moment, car l'opéra compte beaucoup de ces dialogues à deux ou trois personnages. Aux vastes déploiements, car c'est nul doute le peuple, d'une Russie éternelle, qui tient les cordons de cette histoire tortueuse. Loy inscrit sa mise en scène dans un environnement dépouillé afin de se concentrer sur ces échanges et tableaux de foule : un vaste espace blanc pour tout décor, pourvu de quelques rares accessoires, une table, trois ou quatre chaises, qui feront office de lieu pour l'écrivain public, de bureau, etc. Cet espace immaculé virera un temps au noir, au III ème acte, pour mieux illustrer la douleur des Vieux Croyants. Les scènes s'enchainent sans solution de continuité, à l'intérieur d'un même acte. La direction d'acteurs en un clin d'œil fait et défait une foule, remplit le plateau et le vide en un éclair, contraste les diverses scènes : les Strelzy joyeux drilles, les interventions des femmes éplorées ou tentant de maitriser leurs mâles éméchés, les Vieux Croyants partagés entre béatitude et révolte. Loy instaure des climats de frénésie ou de désolation, de fièvre ou de détresse poignante. La scène du harem de Khovantski, au IV éme acte, est saisissante où l'on danse comme à regret, un majordome femme à queue de pie flanquant les filles dans les bras du seigneur des lieux qui se prend mécaniquement au jeu comme malgré lui ; tandis qu'une enfant, téléguidée par le boyard Shakloviti, va lui planter un couteau mortel dans le dos. Loy détaille l'âme de chaque personnage : Ivan Khovantski, cynique et balourd à la fois, son fils Andrei, vrai faux héros dans ses assiduités envers Emma et son rejet d'un passé amoureux avec Marfa, le Prince Golitsyne, veule mais habile manœuvrier, le boyard Shakloviti, inflexible dans son idée de vengeance, lui qu'on a dépossédé de ses privilèges, Dosithée, moins mystique qu'habité par la stratégie pure et dure, mais dont l'isolement est souligné ; Marfa enfin, dont l'ambiguïté du personnage est mise en exergue, femme fatale, un peu sorcière, illuminée, réconfortant pourtant ses semblables, Emma en particulier, mais aussi blessée dans ses sentiments de femme. Ses derniers échanges avec Andrei ne laissent pas de doute sur la force desdits sentiments. Le personnage en acquiert un relief particulier, une autre dimension, plus humaine que possédée par le fanatisme religieux qu'on a l'habitude de représenter. Ajouté à cela que la faconde vocale et dramatique de l'interprète (Anita Rachvelishvili) frôle souvent l'incandescence  - qui lui vaudra la plus large ovation aux rideaux finaux - et on a une idée du léger déplacement dramaturgique que Loy fait subir à la pièce. L'enchainement des dernières scènes de l'acte V est moins clair et le parti adopté montre sans doute ses limites. Il faut dire que les coups de théâtre se succèdent : la défaite et l'assassinat de Khovantski, donc la fin de la rébellion des Steltzy coïncident avec l'accession au trône du tsar Pierre qui décrète une amnistie,  mais peut-être pas religieuse, en tout cas insuffisante à endiguer la soif de martyre des Vieux Croyants. Dans sa volonté d'unifier tout, Loy manque ici de lisibilité : dans la primauté accordée à la trame politique, le dessein du suicide des Vieux Croyants n'est pas mis en évidence et partant, le sort du moine Dosithée.

 


Anita Rachvelishvili ©Nederlandse Opera

 

Musicalement, le spectacle de l'Opéra d'Amsterdam est une réussite. Les interprètes en majorité russes ou d'Europe centrale défendent leur partie avec la plus grande conviction. Ainsi de Dmitry Ivashchenko, Ivan Khovantski, qui malgré un souci de  santé, défend le rôle avec panache, singulièrement lors de la scène orientalisante des adieux. Question basses, Orlin Anastassov, Dosithée, lui dame le pion de sa voix de stentor et de son émission très sonore, où l'on manque seulement le moelleux d'une  basse chantante ; mais le parti scénique rend cette approche parfaitement crédible. Le baryton basse Gabor Bretz, Shakloviti, est solide comme un roc comme dans sa résolution tranquille à faire vaciller le rebelle. Côté ténors, Maxim Aksenov prête à Andrei de fiers accents tandis que Kurt Streit assure au Prince Golitsyne un bagout tour à tour enflammé et veule. La joute sans merci qui le met aux prises avec Ivan Khovantski et Dosithée, au début du II ème acte, restera d'anthologie. Si l'Emma de Svetlana Aksenova frôle les limites de son soprano, l'engagement fait le reste. Et la Suzanne d'Olga Savova fait de sa scène du III un moment fort, échange véhément avec Marfa dont elle tente d'endiguer, sans y parvenir, le débordement des sentiments amoureux. C'est qu'à cet instant la Marfa d'Anita Rachvelishvili montre la fêlure et avoue sa vraie féminité, qu'on ne soupçonnait pas de la part de cette femme archétype de la possédée. L'ultime phrase de cette confrontation, où elle prédit mourir avec Andrei, caressée dans un triple pianissimo extraordinaire, montre combien cet amour est inassouvi. La prestation vocale est tout simplement fabuleuse grâce à un  timbre de mezzo grave où fleurissent des échappées vers le soprano ou le grave de quasi contralto. Une foultitude d'autres rôles sont parfaitement  distribués. Une palme est à dresser aux chœurs de l'Opéra d'Amsterdam, d'une précision et d'un investissement impressionnants. Les scènes d'ensemble dont cette œuvre regorge ont toujours un impact fort comme les contrastes entre les divers éléments qu'ils représentent, rebelles, Vieux Croyants, femmes, enfants aussi. Et confirment le statut de Khovantschina au rang de meilleur opéra de chœurs du répertoire russe, bien plus que Boris Godounov. À la tête du Nederlands Philharmonisch Orkest, Ingo Metzmacher, naguère directeur musical céans, fait sonner la partition de Moussorgsky d'un éclat particulier. On apprécie cette saveur chambriste qui appert au prélude et parcourt certains passages clés, l'épure musicale à mains endroits, la veine orientalisante même au besoin, le déferlement épique à bien d'autres, en particulier lorsque l'orchestre renforce le chœur, les jaillissements de cuivres. La version utilisée, celle réalisée par Dimitri Chostakovitch en 1959/1960, restitue toute l'aspérité du langage de Moussorgsky, loin de la cure d'adoucissement que lui fit subir l'orchestration de Rimsky-Korsakov. Et Ingo Metzmacher sait distiller âpreté et douceur, mélismes modulants et éclats vaillants. Du très grand travail ! Et un spectacle qu'on aurait avantage à voir par ici.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Prades aux Champs Elysées

 


Le Quatuor Talich, ici au Festival de Prades / DR

 

Deux fois l'an, le Festival de Prades prend ses quartiers parisiens au Théâtre des Champs Elysées pour des concerts de prestige. Ce premier de la saison était consacré à deux chefs d'œuvre de la musique de chambre : le Quintette pour clarinette de Brahms et la Quintette à deux violoncelles de Schubert. Comme entrée en matière le Quatuor Talich donne le Quartettsatz de ce dernier, mouvement d'un quatuor inachevé D. 703 que le musicien écrivit en 1820, au plus profond d'une crise dépressive. Cet allegro montre pourtant une belle énergie avec son entame en forme de chevauchée et son développement lyrique. A son écoute, on a une pensée pour un grand schubertien, Nikolaus  Harnoncourt, dont avait appris la disparition le matin même du concert. Curieuse impression à l'écoute des Talich dont l'exécution semble bien détachée et un peu incolore. Le Quintette pour clarinette, fruit de la passion tardive éprouvée par Johannes Brahms pour cet instrument, est un modèle, à placer à côté de celui de Mozart. L'une des plus fortes inspirations du vieux musicien. Les Talich le jouent là aussi de manière distanciée (développement de l'allegretto initial, adagio pas si doux et rêveur qu'on le voudrait, où on semble presque perdre le fil par endroit). La sonorité de la clarinette de Michel Lethiec est belle, mais un peu elliptique de l'intimité associée à ces pages de tendre mélancolie. L'andantino, scherzo en fait, est bien sage. Le finale con moto ne recherche pas l'éclat mais à force de sobriété verse dans une objectivité sans saveur. Une lecture qui veut à tout prix fuir tout excès de romantisme, certes, mais à l'inverse, n'offre pas suffisamment de couleurs. Le Quintette pour deux cellos op. 163 D 956 de Schubert vient mieux. Un des plus beaux fleurons de la production tardive du musicien, en Ut majeur comme la « Grande » symphonie D 944 contemporaine, et dont l'écriture est quasi symphonique du fait du doublement de la basse. L'allegro ma non troppo impressionne malgré quelques traits trop martelés. L'adagio, un des sommets de la poétique scubertienne, est pris à une allure soutenue, ce qui n'est pas forcément un mauvais parti, et le développement révèle une pensée structurée de la part des Talich et du second celliste Gary Hoffman qui pare ces phrases de beaux pizzicatos et de ces traits justement soulignés enrichissant le discours de ses partenaires. Le développement sera quasi orchestral et la coda habitée. Le scherzo presto est combattif et le trio andante sostenuto bien contrasté : enfin y trouve-t-on le vrai ton d'intimité qui sied à ce moment d'exception. Le finale, marqué allegretto più allegro, est rapide comme souvent, le premier sujet vigoureux et le deuxième très calme. Après le vaste développement qui voit progresser l'association si caractéristique des deux violoncelles, et de superbes pages de lyrisme, les toutes dernières se veulent prestissimes. Intéressante exécution, même si on eût souhaité plus d'intériorité. Volonté là encore de se garder à distance de tout romantisme facile ?

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Anne Queffélec et fils... c'est tout Satie...

 


Anne Queffélec & Gaspard Dehaene / DR

 

Le troisième concert de 12H30 de l'intégrale Satie à l'auditorium du Musée d'Orsay était confié à Anne Queffélec et à son fils Gapard Dehaene. Comme à son habitude, la pianiste prend la parole pour introduire le concert, avec son talent de pédagogue : « Satie, un oxymore humain », original certes, mais si attachant, « une solitude entourée de foule », un musicien qui vit « le goût fou des mots », les titres si cocasses de ses pièces pour piano en offrant un bel exemple, un homme pas si sérieux qu'on le pense, pas si satirique qu'on le croit, cultivant « le ricanement du désespoir ». Il n'y a pas de clé spéciale, souligne-t-elle, pour apprécier sa musique, contrairement peut-être à quelques ''monuments comme'' Beethoven ou Mozart, Debussy ou Ravel. Il faut simplement se laisser à écouter. Le programme proposait des morceaux écrits entre 1888 (la troisième Gymnopédie) et 1920 (La belle excentrique, fantaisie sérieuse, et son « cancan grandmondain »). Tour à tour illustrés par le jeune Dehaene qui propose un joli pianisme  : Enfantillages pittoresques, de 1913, Peccadilles importunes, tirées d'une série de pièces brèves pour les enfants, pour des apprentis pianistes en fait ; puis le cycle des Danses gothiques (1893), où Satie rapporte le pseudo harcèlement et les tourments que lui aurait fait subir Suzanne Valadon, sa compagne éphémère (leur union ne dura pas six mois !). Ce sont des pièces un peu ésotériques, au bord d'une légère monotonie, où l'on a l'impression de quelque chose qui se fait et se défait. Anne Queffélec prend place pour un bouquet de pièces amusantes : Les Préludes flasques pour un chien (1912) qui à eux quatre ne dépassent pas quatre minutes : puis deux des Pièces froides, conçues en souvenir d'un hiver plus que rigoureux à Montmartre passé en 1897 par l'auteur dans une minuscule pièce non chauffée, appelée ''le placard'' ». Queffélec en restitue la flexibilité rythmique. Vient la Sonate bureaucratique (1917), petit chef d'œuvre d'esprit, pièce d'inspiration néoclassique qui raconte l'histoire minable d'un petit fonctionnaire à manches de lustrine (allegro), rêvant d'avancement (andante) et s'enhardissant à l'écoute d'une Sonate de Clementi à penser à son avenir amoureux (vivace). Queffélec avait prévenu : toutes ces pièces aux noms comiques, énigmatiques dans leur rendu sonore, sont aussi difficiles à jouer. Elle les aime et cela se sent. Comme pour ce qui est du cycle Sports et divertissements, de 1914 : 21 courtes pièces, tels des instantanés qui installent un climat ou une émotion parfois d'une rare intensité, des sketchs lilliputiens comme les appelait Cortot. L'originalité le dispute au vrai-faux ami : « Réveil de la mariée » est bien agité comme « Bain de mer » ; « Les courses » n'arrivent pas à l'heure, le « Pique-nique » (sic) est d'une brièveté désarmante, le « Traineau » déraille, mais « Carnaval » détone ! Les deux pianistes seront réunis pour deux morceaux à quatre mains, dont le second des Trois Morceaux en forme de poire, et le susdit « cancan grandmondain », façon music hall. Il est presque deux heures de l'après midi et Queffélec annonce qu'il n'est hélas plus possible de faire des bis : les pièces duettistes sont les bis, lance-t-elle. Une boutade que  n'aurait pas renié Satie !

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Pleins feux de musique espagnole

 


DR

 

Pour son récital parisien à Gaveau, Luis Fernando Perez avait programmé les Goyescas de Granados (1867-1916). En guise de mise en bouche et d'échauffement, il donne quatre pièces de Chopin et un Debussy. Le Nocturne en do dièse mineur op. posthume est une belle entrée en matière, on ne peut plus mélodique, qui ne préjuge pas de ce qui va suivre côté espagnol. Suit la Ballade N°1 op 23, jouée très détaché et percussif, les derniers traits en particulier. Les deux Nocturnes op. 27, n° 1 & n° 2 nous amènent à cette évidence que le mot recouvre une appellation trompeuse, car chaque pièce raconte une petite histoire, pas spécialement ''nocturne'', en particulier pour ce qui est de sa partie médiane, de la seconde notamment, tempétueuse. Perez joue ces deux morceaux avec sagacité. L'isle Joyeuse de Debussy peut paraitre un choix curieux, sauf à anticiper les déferlements sonores qui vont suivre sous la plume de Granados. Car il joue la pièce en pleine lumière, dans la manière moderniste de Pierre-Laurent Aimard c'est à dire aux antipodes d'un impressionnisme vaporeux ; tout au contraire, les contrastes sont exacerbés et à la fin, les phrases tumultueuses sonnent comme une volée de cloches enfiévrées. La seconde partie et le centre névralgique du concert étaient consacrés aux Goyescas, suite pour piano, d'Enrique Granados (1911). Perez prend la parole pour en donner quelques clés de lecture. Excellente chose. Ce n'est, selon lui, pas seulement un des grands cycles de piano du XX ème siècle, à placer aux côtés de ceux de Messiaen par exemple ; ce sont des pièces inspirées directement du Madrid de Francesco Goya et de sa fabuleuse palette de couleurs, et encore ici autant de ses couleurs vives de la maturité que des tons sombres des peintures et croquis de la fin. C'est aussi une ambiance virile, celle du hidalgo espagnol, qui conte une histoire d'amour mettant en scène deux couples dont le mari ou la femme de l'un lorgne sur l'épouse ou le compagnon de l'autre. D'un amour impossible donc. C'est encore l'occasion de se souvenir de la création de l'œuvre, il y a tout juste cent ans, puis de l'opéra du même nom, à New York en 1916, directement inspiré du cycle pianistique, et qui connut le succès au point que le président Wilson en félicita personnellement l'auteur. C'est surtout, souligne Perez, un voyage musical passionnant où la thématique est très élaborée et donne lieu à des ''thèmes mémoire'', qui reviennent en boucle, un peu à la manière du Leitmotiv wagnérien. Les sept parties sont autant de saynètes où s'opposent violence et lyrisme, et surtout s'expriment tour à tour une manière de galanterie typiquement madrilène (N°1 : « Les compliments) », l'intimité d'une amour naissant (N° 2 : « Dialogue à la prison »), l'exaltation de l'aventure amoureuse défendue, au son d'une danse populaire (N° 3 : « Fandango à la chandelle »), un hymne à la beauté de la femme (N° 4 « la jeune fille et le rossignol »), la pièce sans doute la plus connue et la plus jouée, en dehors des exécutions en cycle intégral, le rossignol étant l'image même de la musique. « Intermède » forme une transition avant les deux derniers morceaux : « L'amour et la mort » n'a pas besoin de longues explications tant le prétexte est évident, et « Sérénade au spectre », qui fait figure d'Épilogue, nous transporte dans un entre-deux poétisé tout en offrant un bouquet en réminiscence des divers thèmes précédemment entendus. Muni de ce viatique, le public est  à même de mieux écouter cette musique fabuleuse. Elle le sera à travers l'interprétation de Luis Fernando Perez, on ne peut plus haute en couleurs, triomphant d'un pianisme convoquant les plus grandes difficultés, d'une virtuosité à faire pâlir les meilleurs morceaux de Rachmaninov, symbole d'une Espagne torturée mais si riche de rythme et de soleil. Perez se montre démonstratif, contrastant les passages de jeu secco sans pédale et les moments où l'instrument sonne tel un orgue, ce piano dont toute l'étendue des registres est sollicitée, par des accords saccadés où malgré tout perce de temps à autre un lyrisme intense (« La jeune fille et le rossignol »), par des passages en trilles véhéments, presque mécaniques, où la tragédie se fait sans rémission (« L'amour et la mort »), avec sa noria d'arpèges brusqués, ses soudains changements de rythme, ses croisements de mains. On ne sort pas indemne de pareille lecture. Perez non plus, qui  en est le grand ordonnateur ; l'un des meilleurs représentants de l'école de piano espagnole aujourd'hui. Il en a gravé le disque en 2011 chez Mirare (MIR 138).

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

La dernière année ou le Testament de Mozart

 


©SM/Wolfgang Lienbacher

 

Marc Minkowski a concocté un programme original focalisant sur le Requiem de Mozart qu'il entoure de pièces empruntées à la dernière année du musicien. Le concert débute ainsi par l'Adagio et Rondo pour harmonica de verre, flûte, hautbois, alto et violoncelle K. 617. Mozart l'a écrit à l'occasion du passage à Vienne d'une virtuose du Glassharmonica, Marianne Kirchgässner. Ce quintette, daté du 23 mai 1791, dernière de ses œuvres de musique de chambre, est une curiosité, ne serait-ce que par son achalandage instrumental, mais aussi et surtout par la sonorité éthérée de l'harmonica de verre, qui émaille la pièce de sons séraphiques, même si fluets. Dans le vaste vaisseau de la Philharmonie de Paris, la chose est presque incongrue, une seule toux en salle – et il y en eut bien plus - suffisant à étouffer l'instrument et ses pairs. Minkowski enchaine avec l'air de Pamina «  Ach ich fühl's » de La Flûte enchantée K. 620, chanté par Chiara Skerath, avec finesse, mais sans réserve de puissance. Vient alors le Concerto pour clarinette. Ce K. 622, un des plus beaux fleurons du répertoire de l'instrument, avait pour interprète Nicolas Baldeyrou, ex solo du Mahler Chamber Orchestra d'Abbado comme de l'ONF du temps de Masur, et aujourd'hui 1er solo au Philar : un artiste accompli qui transfigure ce morceau pourtant si rabâché. Il faut dire que l'orchestre de Minkowski, ses Musiciens du Louvre, est la transparence même, prenant l'allegro de manière délicate, laissant au soliste un espace divin ; ce que celui-ci emplit par une sonorité d'une profondeur à couper le souffle, notamment dans les notes graves détachées ou murmurées à la limite de l'impalpable, et par un feeling ému pour ces pages emplies de sérénité et d'un charme indéfinissable. Ces traits sombres, presque voilés, on les retrouve à l'adagio, d'une grande intensité, tout comme l'ensemble de cette exécution. Le deuxième thème en particulier respire une humanité déchirante, presque vocale, le ton chambriste adopté par Baldeyrou se faisant un régal d'un moment tout de tendresse, sans pathos aucun. Cette dernière caractéristique pare le finale, enjoué cette fois, au fil de ce génial babil de la clarinette qu'enjolive un accompagnement discret mais hautement pensé. Une interprétation d'une musicalité rare. En seconde partie – Minkowski ayant dû renoncer à « un concert sans entracte », afin de laisser à ses sponsors assoiffés le plaisir de se rafraichir et de se dégourdir l'esprit – était donné le Requiem, juste précédé de l'Ouverture de La Clémence de Titus K. 621. Celle-ci, le chef la prend presto, rapide, presque boulée, non sans laisser aux inventions thématiques dont Mozart, sur commande pourtant, truffe ce morceau, loisir de s'exprimer. Du Requiem K 626, il livre une lecture qui fait foin de toute routine. Dès les premières mesures de l'« Introïtus », on comprend que Minkowski cherche les intentions, et tel un Nikolaus Harnoncourt - auquel il avait tenu à rendre hommage  en début de soirée et à dédier le concert à sa mémoire - à faire un sort à chaque phrase. L'intervention des chœurs se signale d'emblée aussi par sa qualité d'émission,  d'une clarté remarquable et d'un impact certain ; ce qu'on retrouvera au fil de l'exécution. Lors de la sequentia, le « Dies Irae » tonne, apocalyptique. Le « Tuba mirum » et son solo de trombone est proprement effrayant, la basse Yorck Felix Speer délivrant un texte d'une clarté exemplaire de simplicité. L'exclamation « Rex » est là aussi effrayante, le mot presque crié de douleur. Plus tard, le « Confutatis » oppose le chœur d'hommes sur accompagnement des cordes graves aux voix de femmes toutes de tendresse sur fond de violons assagis ;  un superbe effet. La section « Lacrimosa » est prise à un tempo soutenu, parée d'un magistral crescendo du chœur. Au fil des interventions des solistes, on aura admiré, outre la basse, le ténor un brin héroïque de Yann Beuron, le beau mezzo de Helena Rasker et la soprano Chiara Skerath, mieux à l'aise ici qu'en début de concert. Les morceaux suivants, achevés par le fidèle Süssmayr, sont délivrés avec ferveur : les fugues de l'« Hostias », la puissance chorale du « Sanctus », sont enluminées par les chœurs catalans, et le « Benedictus » d'une douceur infinie. L'« Agnus dei » se pare de nuances exquises. La séquence finale qui mêle les cors de basset et bassons et des coups de timbales bien détachés, sonne comme des appels au repos consolateur. En un mot, une lecture empreinte d'une volonté d'extrême fluidité, bien différente des aspérités et brusques changements de tempos et de perspectives d'un Harnoncourt. Une manière bien gallique de jouer Mozart, ce qui n'omet pas une énergie génératrice de tragique, celle-ci étant enchâssée dans un continuum qui ne connait pas de ruptures trop saillantes. Il en émane une vision apaisée. Curieusement, Minkowski modifie la fin du « Lux Aetena » par une page pour sextuor instrumental et chœur ; pour nul doute boucler la boucle de la calme atmosphère raréfiée du début du concert. Le fruit de sa ''révision'' de la version Robbins-Landon, elle-même complétant celle de Süssmayr ? Une belle soirée à la gloire du génie de Salzbourg.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

La Ville morte : entre Bruges et Hollywood

 

Erich Wolfgang KORNGOLD : Die tote Stadt. Opéra en trois actes. Livret de Paul Schott d'après le roman de Georges Rodenbach Bruges-la-Morte. Camilla Nylund, Klaus Florian Vogt, Markus Eiche. Chœur et Maitrise de Radio France. Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Marzena Diakun. Version de concert.

 


Camilla Nylund, Marzena Diakun & Klaus Florian Vogt / DR

 

Moment très attendu que cette version de concert de l'opéra d'Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) donné par l'Orchestre Philharmonique de Radio France au grand Auditorium avec des solistes de réputation mondiale, habitués des rôles, Klaus Florian Vogt (Paul) et Camilla Nylund (Marietta). A la baguette, remplaçant Mikko Franck souffrant, Marzena Diakun, chef assistante du « Philhar », mise à rude épreuve depuis quelques temps, la conduite de la Ville morte n'étant peut être pas forcément un cadeau… Un opéra rarement donné, aux multiples facettes, post romantique, expressionniste, vériste, composé en 1920 par un jeune compositeur prodige d'origine juive, condamné à l'exil quelques années plus tard, qui terminera sa carrière musicale par l'écriture de musiques de film pour Hollywood. Un opéra tiré du roman de Georges Rodenbach (1855-1898) Bruges-la-Morte, se déroulant dans une atmosphère onirique, sur un livret de Paul Schott (pseudonyme du jeune Erich et de son père Julius, célèbre critique musical viennois) soutenu par une musique éblouissante, vocale et instrumentale, où l'on peut percevoir les influences de Wagner, par le développement d'une mélodie continue, et quelques accents pucciniens dans une étrange fusion de la prosodie germanique et du cantabile italien. Nécessitant un effectif orchestral important avec force de cuivres et percussions, renforcé par un large chœur (Chœur et Maitrise de Radio France) et une partition vocale particulièrement exigeante, on est en droit de se demander si l'Auditorium était vraiment une salle totalement adaptée, capable de rendre à cette musique toute sa somptuosité …La suite nous donna hélas raison…Une œuvre à la ligne mélodique ample et souple, à l'orchestration riche, aux timbres délicats, faisant alterner de vastes tuttis, des confidences dramatiques, des duos éthérés ou encore des scènes de comédies, tout cela impliquant une direction d'orchestre savante et soucieuse des équilibres entre orchestre et chanteurs, ainsi qu'entre les différents pupitres. Dommage car c'est précisément cet équilibre qui manqua notamment dans le premier acte où l'orchestre mené sans nuances effaça les timbres raffinés de l'instrumentation et couvrit les chanteurs les obligeant à forcer la voix, délaissant ainsi, de façon assez inopportune, la brumeuse Bruges pour la rutilante Hollywood ! Les choses iront, heureusement, en s'améliorant aux deux actes suivant nous réservant de magnifiques moments comme la célèbre chanson de Marietta « Glück das mir verlieb », l'air de Fritz (excellent Markus Eiche) « Mein Sehnen, mein Währen » ou encore les nombreux duos entre Paul et Marietta du fait de la complémentarité parfaite des timbres, et enfin le réveil de Paul, comme une sorte de retour  nostalgique à la vie  concluant l'opéra « Die Tote ? Wo ? ». En bref, un opéra magnifique, grand moment de musique, une interprétation vocale irréprochable et un « Philhar » au sommet de son art. Pour prolonger le plaisir, citons la version CD de référence, incontournable, conduite par Erich Leinsdorf avec Carol Neblett et René Kollo, chez RCA (1975).

 

Patrice Imbaud.

 

 

Philip Glass et Dimitri Chostakovitch ou le mariage de la carpe et du lapin !

 


Jaap Van Zweden © Marco Borggreve

 

 

Soirée très contrastée à la Philharmonie de Paris sous la baguette du chef néerlandais Jaap Van Zweden, récemment nommé à la direction musicale du New York Philharmonic,  venu diriger pour deux soirées l'Orchestre de Paris, dans un programme associant des œuvres de Philip Glass et de Dimitri Chostakovitch. En création européenne et ouvrant la soirée, le Concerto pour deux pianos du compositeur américain, interprété par les sœurs Katia et Marielle Labèque. Philip Glass (*1937), chef de file du courant musical minimaliste, ne semble jamais avoir autant mérité ce qualificatif tant nous a semblé indigente cette création… Indigence de la partie de piano, indigence de l'orchestration pour une œuvre typiquement glassienne au point d'en frôler la caricature. Une composition datant de 2014-2015, créée en mai 2015 à Los Angeles sous les doigts des mêmes interprètes et sous la direction de Gustavo Dudamel. Une partition en trois mouvements, sans cadence de soliste, écrite à l'intention des sœurs Labèque spécialistes du genre. Un premier mouvement plein d'allant un peu jazzy, mêlant flux et mélodie, évoluant comme souvent chez ce compositeur vers une mélancolie quelque peu sirupeuse, un second mouvement très marqué rythmiquement par les percussions et un troisième et dernier, adagio, se déroulant dans une atmosphère éthérée, égrenant quelques notes éparses sur un fond orchestral sans grand intérêt, qui réussit finalement à donner corps au pari de Flaubert, à savoir de faire une œuvre sur rien... Bref,  un concerto qu'on oubliera vite, mais qui reçut, il faut l'avouer,  un accueil favorable du public…Ce qui finalement est le plus important. Changement d'ambiance pour la deuxième partie de concert avec la célèbre Symphonie n° 5 de Chostakovitch, composée en pleine période des purges staliniennes en 1937, en remplacement de la Symphonie n° 4 censurée par le compositeur lui-même après les menaces du régime stalinien émises dans la Pravda, et faisant suite à la création de l'opéra Lady Macbeth de Mzensk, jugée par les autorités comme un symbole de l'avant gardisme bourgeois (?)? Dès lors, la Symphonie n° 5 fut interprétée comme une amende honorable du compositeur à une juste critique…Il n'est pas sûr que cette interprétation soit la bonne, bien heureusement, quand on connait le double langage et l'ambigüité qui parcourent en filigrane les œuvres du maitre. Entre la fadeur de l'orchestration glassienne et la richesse de celle de Chostakovitch, le contraste parut rude, la Cinquième Symphonie permettant à la phalange parisienne de briller de tout son lustre sous la baguette ferme et précise de Jaap Van Zweden. Comme à son habitude l'orchestre de Paris fit valoir tous ses pupitres, avec une mention d'excellence pour les vents (petite harmonie et cors) et pour le violon solo de Philippe Aïche. D'un point de vue interprétatif, la lecture choisie par le chef s'inscrivit assurément dans une vision très occidentale de l'œuvre, dans la lignée de Bernard Haitink, utilisant des tempi modérés, voire lents (surtout au premier et troisième mouvement), un phrasé souple et lyrique manquant parfois de corps, alors que certains, dont nous sommes, auraient préféré une interprétation plus anguleuse, plus tendue, plus rapide, plus charnelle, en définitive plus russe à l'image de celle de Kirill Kondrashin (à retrouver, pour les amateurs, chez Mélodia, dans l'intégrale des symphonies de Chostakovitch, qui fait référence). Une soirée donc très contrastée qui se conclut, heureusement par le meilleur !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Un opéra sorti de l'ombre : la Jacquerie de Lalo

 

La Jacquerie. Opéra en quatre actes  d'Edouard Lalo et Arthur Coquard. Livret d'Edouard Blau et Simone Arnaud d'après une pièce de Prosper Mérimée.  Véronique Gens, Nora Gubisch, Edgaras Montvidas, Florian Sempey, Alexander Duhamel, Julien Véronèse, Rémy Mathieu. Orchestre Philharmonique & Chœur de Radio France, dir. Patrick Davin. Grand Auditorium de la Maison de la Radio. Version de concert.

 


© Gallica / BNF

 

Après avoir récemment écouté La Ville morte de Korngold et aujourd'hui La Jacquerie de Lalo et Coquard, deux opéras en version de concert donnés dans le grand Auditorium de Radio France, une constatation apparait comme une évidence : Cette salle n'est pas apte à recevoir de grands effectifs orchestraux, ni des opéras, même en version de concert, du fait d'une acoustique concourant à une mauvaise répartition du son et à une saturation de l'espace sonore. Ce fait étant acté, il faut reconnaitre qu'il était méritoire, sinon héroïque de ressortir des tiroirs cet opéra posthume de Lalo achevé par Coquard. Vénérable rareté, donnée en juillet 2015 au festival de Radio France à Montpellier, coproduite avec le Palazetto Bru Zane, avec une distribution vocale différente de celle d'aujourd'hui, à l'exception des deux rôles principaux féminins (Véronique Gens et Nora Gubisch) et c'est bien là que le bât blesse… Un opéra rare qui connut une gestation difficile. C'est probablement pour sa jeune épouse Julie Bernier de Maligny qu'Edouard Lalo entreprit en 1866 son opéra Fiesque, opéra qui ne fut jamais représenté mais dont certains passages furent réutilisés pour le Roi d'Ys (1888) ou la Jacquerie (1889-1895). Edouard Lalo mourut brutalement en 1892, laissant son opéra inachevé, limité au premier acte. Arthur Coquard, élève de César Franck,  termina l'ouvrage (2e, 3e et 4e actes) pour une création posthume en 1895 à Monte Carlo. Edouard Blau ne fut pas plus constant abandonnant le livret du 4e acte à Simone Arnaud…

 

L'histoire nous conte la révolte des paysans contre leur seigneur, une jacquerie conduite par un bûcheron (Guillaume) et le fils (Robert) de la fermière (Jeanne), rébellion sur laquelle se greffe une relation amoureuse entre la fille du seigneur (Blanche) et Robert. Un livret simple, concis, bien construit et une dramaturgie efficace, se terminant inévitablement par la mort. Au plan musical, la différence est flagrante entre le premier acte et les suivants. Autant l'écriture de Lalo peut sembler vigoureuse, presque abrupte, à grand renfort de tutti et de fanfares de cuivres, expliquant que ce soit cet acte inaugural qui pâtit le plus le l'acoustique discutable et de la direction de Patrick Davin peu soucieuse des équilibres entre les différents pupitres et de la balance avec les chanteurs, autant cet opéra tire assurément tout son charme des actes suivants et notamment des splendides préludes orchestraux s'appuyant sur une orchestration délicate (petite harmonie et cors) et colorée, s'inscrivant dans la grande tradition française par son élégance, matinée de wagnérisme par l'existence de thèmes récurrents et d'une ligne mélodique continu, sans oublier une vocalité empruntant volontiers à Verdi. Au plan de l'interprétation, le « Philhar » étincelant et investi ne mérite aucun reproche, tout comme Véronique Gens, au chant cristallin qui campe une Jeanne alliant réserve et passion, ou Nora Gubisch à la vocalité facile, au timbre chaud qui donne corps à une Jeanne d'une touchante humanité. En revanche les deux rôles principaux masculins, Edgaras Montvidas (Robert) au timbre acide, à l'émission forcée ou Florian Sempey (Guillaume) au chant agressif et limité dans les graves, décevront tous les deux, à l'inverse d'Alexandre Duhamel (le Comte) qui sut donner à son personnage toute l'autorité et le charisme nécessaire par sa belle voix de baryton-basse. On regrettera également l'indigence de la mise en situation, la mauvaise diction des chanteurs masculins, volontiers incompréhensibles, et l'absence de surtitrage, d'autant plus préjudiciable à l'œuvre que les livrets n'étaient pas distribués en nombre suffisant dans la salle, laissant nombre de spectateurs dans une muette et béate interrogation devant cet opéra méconnu de la plupart…Toutefois on retiendra quelques beaux moments d'opéra, surtout, comme nous l'avons vu dans les derniers actes, comme le dialogue entre Jeanne et Robert à l'acte II et tout particulièrement « Vierge, madame et maitresse.. », d'une intense et fervente résignation, ou le dialogue de Blanche avec le Chœur « L'oiselet du joli bocage.. » ou encore celui mené avec le Comte à l'acte III. Notons également le superbe solo de cor anglais de l'acte IV rappelant Tristan, et le magnifique échange amoureux entre Robert et Blanche, dernier aveu avant la mort. En bref, un opéra tout à fait passionnant au plan musical et musicologique, mais une version parisienne qui n'atteint pas à la beauté et à la réussite de la représentation de cet été à Montpellier par la moindre qualité de la distribution vocale masculine.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Bon Anniversaire Monsieur Inbal !

 


Eliahu Inbal © Rikimaru Hotta

 

Le chef d'orchestre israélien Eliahu Inbal, ancien directeur musical de la Fenice de Venise et du Konzerthaus de Berlin, menant actuellement une carrière de chef invité, éminent spécialiste de Bruckner et Mahler, avait choisi de fêter son 80e anniversaire à la Philharmonie de Paris, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Bon choix, s'il en est, d'autant que le programme associait une œuvre de musique contemporaine, musique dont Eliahu Inbal s'est souvent fait le champion et une grande œuvre symphonique requérant une grande expérience de la direction d'orchestre. La création française de la Flûte en suite de Jörg Widmann (*1973) clarinettiste et compositeur allemand, ouvrait donc cette soirée anniversaire interprétée par le flûtiste Emmanuel Pahud. Une œuvre de notre temps qui reçut un bon accueil de la part du public, venu nombreux dans le grand temple parisien de la musique classique. Une composition créée en première mondiale le 26 mai 2011 par Joshua Smith et l'Orchestre de Cleveland dirigé par Franz Welser-Möst. Une partition construite sur le modèle de la suite baroque de danses (quelque peu remaniées dans le cas présent !)  en huit mouvements, suite baroque sur laquelle plane l'ombre tutélaire de J. S. Bach, comme le dernier mouvement pastichant la Badinerie de la Suite orchestrale n° 2 du Cantor de Leipzig en porte témoignage. Chaque mouvement donne à la flûte solo une tonalité et une couleur spécifiques dans un dialogue avec un groupe instrumental particulier de l'orchestre (Flûtes de l'orchestre, cordes, bois, cuivres, percussions et tutti). Une œuvre très virtuose, très rythmée, témoignant d'un important travail sur les timbres (flûte, harpe, célesta) où Emmanuel Pahud, 1ere flûte solo des Berliner Philharmoniker, parvint à obtenir des sonorités inouïes par un exceptionnel travail d'embouchure, simulant parfois le chant diphonique. Une œuvre comme un lien tendu entre tradition et modernité se terminant par un clin d'œil fait au vieux maitre de Leipzig avec un très étonnant pastiche de sa célèbre Badinerie qui fut d'ailleurs bissée à la demande du public conquis. En deuxième partie de concert, le chef israélien avait choisi de diriger la Symphonie n° 9 d'Anton Bruckner (1824-1896). Le compositeur autrichien avait conscience de la malédiction touchant les 9emes symphonies, Beethoven, Schubert et bientôt Mahler en seront victimes…Aussi est-ce dans un climat très particulier que cette symphonie prit naissance, hantée par l'idée de la mort prochaine, elle fut offerte à Dieu par le maitre de Saint Florian. « Mon œuvre dernière, c'est à dieu que je l'offre, s'il l'accepte » écrivit-il. Noir pressentiment, son ultime symphonie demeurera inachevée, se limitant à trois mouvements, se terminant par un adagio, comme plus tard la 9ème de Mahler. Un tel programme et une telle dédicace peuvent laisser songeur expliquant que cette œuvre puisse parfois  être conduite avec une grandiloquence, une emphase et une affectation à mille lieux de la timide, chaste, humble et pieuse personnalité du compositeur. Eliahu Inbal ne tomba pas dans ce piège facile, nous servant, ici, un Bruckner véhément mais sans lourdeur, fervent mais sans prosélytisme, allégé et puissant, clair dans le phrasé, juste dans le ton, tout animé de tension, d'adoration et de dévotion. Une interprétation remarquable d'intelligence et un « Philhar » resplendissant, une prestation qui fit l'unanimité parmi les musiciens et le public. L'inévitable « Happy Birthday », presque décalé, conclut sur une note amicale cette belle soirée musicale !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Florian Noack aux Pianissimes

 


©Agentur

 

Florian Noack est un tout jeune pianiste qui a deux passions. D'abord, les œuvres rares du répertoire romantique et post romantique : il aime inclure dans ses programmes des compositeurs comme Medtner, Lyapunov, Alkan ou Dohnanyi. Son autre passion est de faire des transcriptions. Son programme était forgé à ce genre de mélange. Un peu traqueur, le début de sa transcription du Concerto pour 4 claviers BWV 1065 de Bach flottait un peu, mais il y avait de belles idées et son jeu est assez remarquable. Les 8 Klavierstücke op.76 de Brahms sont des pièces assez ennuyeuses si on ne trouve pas le ressort pour les interpréter. Malgré sa technique irréprochable, Florian Noack n'a pas trouvé le chemin pour nous faire adhérer à sa proposition. Avec Medtner (Deux Contes Op.48), compositeur très à la mode en ce moment, et surtout Lyapunov (2 Études Transcendantes Op.11), Florian Noack était à son affaire. On sent qu'il aime ce genre de musique. Mais c'est avec ses bis qu'il nous a conquis en jouant un Prélude de Lyadov et une étude de  Dohnanyi. C'est par son « tube », une superbe transcription d'un morceau du Lac des Cygnes, qu'il a terminé son récital sous les acclamations du public. Le disque de ses transcriptions et paraphrases de Tchaïkovski (Le lac des cygnes), Rachmaninov (Aleko), Rimsky Korsakov (Shéhérazade) et de Lyadov (Le lac enchanté) est fort beau, original et inventif (Ars Produktion). Un seul bémol, la pochette avec son portrait, est très laide !  Ce jeune pianiste à l'avenir très prometteur (il a été sélectionné pour le Concours  Reine Elisabeth) a plus de charme que ce que nous montre ce mauvais photographe ! Le très courageux et sympathique label Artalinna a aussi édité un CD où Florian Noack interprète Medtner et Brahms. La pochette, elle, est superbe, et le contenu vaut le détour !

 

Stéphane Loison.

 

 

Nicholas Angelich et Laurence Equlibey : Beethoven comme à l'époque ?

 


Nicholas Angelich DR

 

Le Concerto n°4 est peut-être le plus original, le plus déroutant, des cinq concertos de Beethoven. Le piano commence seul. Comment attaquer ces premières notes ? Mystère ? Il y a dans la manière de jouer ce concerto comme une sorte d'imprévu, comme si Beethoven avait sciemment voulu brouiller les cartes. A l'écoute des diverses interprétations on s'aperçoit de la diversité d'approche des pianistes. Nicholas Angelich est arrivé sur scène très décontracté et a attaqué les premières mesures avec assurance. Il est assez rare de l'entendre jouer sur un pianoforte. Toutes les nuances qu'il peut apporter sur un piano d'aujourd'hui sont remplacées par l'énergie, la vélocité. Face aux cordes d'époque et à la direction précise, à l'autorité de Laurence Equilbey, une joyeuse complicité s'est établie entre pianiste et orchestre qui perdura tout au long des trois mouvements. Oubliées les versions piano (conventionnel) / orchestre : ici, nous étions dans une autre dimension. Ce fût le cas également pour l'interprétation de la Troisième Symphonie « Eroica ». Du fait des cordes à l'ancienne, « La marcia funebre » sonnait comme une vraie marche de la Révolution française et dans le scherzo, entendre cette sonorité très particulière du trio des cors « d'époque », faisait découvrir une autre facette de cette œuvre si connue. Pour Carlo Maria Giulini, jouer ainsi les symphonies c'était faire œuvre de musée. Pour d'autres, c'est un plus marketing, commercial. Georg Solti, un jour, déclara qu'il faudrait qu'il joue la Cinquième telle que Beethoven l'écrivit. Peut-être, lors de ce concert à la Philharmonie de Paris, avons-nous approché au plus près des intentions de Beethoven ? En tout cas vécu une belle expérience. Ce concert sera diffusé le 29 avril à 14h sur France Musique.

 

Stéphane Loison.

 

 

Une soirée à la la Salle Cortot et ses divines surprises

 


Raphaël Sévère ©Bertrand Béchard

 

Comme l'a expliqué Jérôme Pernoo dans son interview (cf. supra), à la salle Cortot avec le Centre de Musique de Chambre de Paris, c'est une manière de faire de la musique de chambre différemment et d'être plus près du public. Du 10 au 26 mars, le Quatuor Ardeo, jeune quatuor plein de talent, a interprété le Quintette avec clarinette K. 581 de Mozart. Le soliste était l'exceptionnel jeune musicien Raphaël Sévère. Ce surdoué, qui dès l'âge de 12 ans était lauréat de nombreux concours internationaux, et est aujourd'hui demandé dans le monde entier, a joué ce soir et pendant plus d'une semaine ce quintette. Cela reste la seule pièce de Mozart pour cette formation. Cette partition joyeuse et tendre, ces jeunes gens ont su  nous en transmettre la finesse et la profondeur. De sa large palette de ton, Raphaël Sévère l'interprète avec énergie, douceur, clarté, et des mezza voce ahurissants. Le dialogue avec la première violoniste Mi-sa Yang, dans le larghetto, est plein de jeunesse et donne le ton à cette douce cantilène. Grâce à cette nouvelle façon de programmer, on peut retourner réécouter ou écouter ce quintette, découvrir des traits qu'on a pas entendus la première fois et aussi apprécier une interprétation qui n'est pas figée, comme une pièce de théâtre en direct. C'est bien là ce que propose le Centre de Musique de Chambre de Paris. Après ce quintette, venait un extrait d'une composition pour guitare et clarinette de Raphaël Sévère, interprétée par ce dernier et le guitariste Antoine Morinière. Ces quelques 10 minutes, dans le cadre de la séquence « Freshly Composed », proposaient une œuvre dense et complexe. Encore une bonne initiative ! Le deuxième concert, à 21H30, offrait le duo des sœurs Nemtanu qui ont interprété quelques uns des 44 Duos de Bartók avec beaucoup de décontraction, en s'adressant au public pour en donner des clés de lecture et le nom de chacune des pièce jouées. Puis une jeune femme est venue « faire le bœuf »  avec elles. C'est la jeune et talentueuse pianiste d'origine coréenne Yedam Kim. Avec Deborah, elles ont interprété magistralement les Danses Roumaines de Bartók. Sarah est alors revenue sur scène et toutes les trois ont joué pour cette formation inédite que sont deux violons et un piano. Elles ont découvert que Dimitri Chostakovitch avait écrit pour cette improbable formation. Les Cinq pièces pour deux violons et piano, qui datent vraisemblablement du début de sa production (plusieurs catalogues des œuvres ne la mentionnent d'ailleurs pas) sont, certes, de peu d'intérêt musicologique, mais on se laisse aller à ces pseudo rythmes viennois. Qui ont ravi le public. Lesdites Pièces auraient-elles plu au Camarade Staline ?

 

Stéphane Loison.

 

 

David Kadouch dans Satie : le compte n'y est pas

 


DR

 

Malgré tous ses prix, ses concerts avec des stars, le jeune pianiste David Kadouch n'a pas su nous réveiller de la torpeur dans laquelle il nous a plongé dès le début du concert en interprétant la célèbre Gnossienne n°3. Pendant tout le récital il a joué Satie avec mollesse, affectation, prétention même. Tous les morceaux avaient la même saveur c'est à dire sans ! En bis, il a joué un cake-walk sorte de morceau venu de la musique des afro-américains du sud, ancêtre du ragtime. David Kadouch n'a sûrement jamais écouté cette musique et ne sait pas ce que veut dire le stride. Oublions Satie par Kadouch. Ce pianiste doit bien avoir du talent ailleurs pour être autant invité dans les festivals ! Le public a été poli sans plus à la fin du concert.

 

Stéphane Loison.

 

 

''Dark Concert'' au Centre de Musique de Chambre

 


Le Quatuor Ardeo  ©C. Doutre

 

''Dark concert''....Jérôme Pernoo nous a fait vivre une expérience passionnante. Car tout le concert s'est déroulé pratiquement dans le noir. Cette expérience unique s'est faite sur la base de l'histoire de cette salle à l'acoustique impressionnante, et qui a été « sublimée » par le système son de la firme Devialet, un des partenaires du Centre. Jérôme nous a fait voyager dans le temps dans cette salle qui n'avait pas encore le nom de Cortot, depuis les premières notes que jouèrent des interprètes mythiques jusqu'à celles que la troupe actuelle du Centre de Musique de chambre de Paris a fait résonner depuis cette saison. On a entendu tour à tour des enregistrements du fameux Trio Cortot-Casals-Thibaud (le Trio opus 97 l'Archiduc de Beethoven) somme s'il était présent, tant la HI FI Devialet était superbe. On enchaîna avec l'impressionnante jeune pianiste Yedam Kim, dont seul le clavier était éclairé, et qui a donné la Valse op. 64 n°2 de Chopin et La Campanella de Liszt. Puis le jeune quatuor Ardeo, dans la pénombre, a interprété le Quatuor op.59 n°3 de Beethoven. Le noir revenu, on réécouta le trio dans une pièce de Haydn, le Trio « In the Gypsie Style » n° 25. C'est dans le noir complet, avec une puissance ahurissante, que le trio Alda joua encore un extrait  du Trio N° 2 de Chostakovitch. Dans une semi-pénombre, on assista à la création par le Quatuor Ardeo et Perrnoo au cello, d'un début de quintette, ''Noctune'', d'un jeune violoncelliste compositeur de 15 ans, Emile Sécheret, très influencé par l'atmosphère mahlérienne. Et c'est dans le noir que la soirée s'est terminée avec le fameux Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler (enregistrement de Claudio Abbado et des Berliner Phil). C'est de l'ombre à la lumière que nous avons participé à ce spectacle très original où direct et enregistrement se sont mélangés dans une qualité sonore de très haut niveau. Les jeunes artistes, nous les avions entendus précédemment et nous connaissions déjà leur qualité. Jérôme Pernoo est toujours prêt à nous surprendre avec la qualité essentielle qui est la sienne : la générosité ! Vivement la seconde saison !

 

Stéphane Loison.

 

 

Beethoven et un bœuf de chambre... chez Cortot

 


Le Quatuor Hanson / DR

 

 Au violoniste Radicati qui reprochait à Beethoven que le quatuor op 59 n°1 ne soit    pas de la musique, Beethoven avait répondu : « ce n'est pas pour vous, c'est pour les temps à venir ». Avec l'interprétation de cette œuvre par le Quatuor Hanson, salle Cortot, ces temps là sont venus. Il suffit que l'enthousiasme s'empare de la musique et des musiciens pour que la partie soit gagnée. L'œuvre renaît au centuple, elle revit. La virtuosité est tellement maîtrisée qu'on l'oublie aussi vite qu'on est subjugué par l'émotion et les subtilités du jeu (dans l'adagio par exemple), particulièrement celui du jeune violoniste Anton Hanson qui donne son nom à l'ensemble et lui insuffle une légèreté, presque un humour faisant pardonner à Beethoven certaines redites qui pourraient sembler fastidieuses et hissent l'œuvre au sommet de l'art du quatuor.  Après Beethoven, Mozart et le Quintette pour deux altos K. 516, joué par le même quatuor Hanson et un invité surprise. Selon le principe du "bœuf" cher aux jazzmen, ils n'ont jamais répété ensemble. Ce soir Jérôme Pernoo a invité Michel Michalakakos, professeur d'alto au Conservatoire, et l'ensemble a été bluffant. Comme au cinéma, la première prise est souvent  la meilleure parce que la plus spontanée et… la plus vivante.

 

Jean François Robin.

 

 

Le National Trust réhabilite Leith Hill Place, la demeure du jeune Ralph Vaughan Williams

 


© National Trust

 

Ralph Vaughan Williams (1872-1958) est l'un des plus grands compositeurs du XXe siècle. L'Angleterre lui rend un riche et bel hommage grâce à la belle mission du National Trust, fondé en 1895, qui a réhabilité, dans le beau comté du Surrey, Leith Hill Place, sa maison d'enfance dont l'origine remonte au moins au XVIe siècle. Il y a vécu à partir de l'âge de deux ans jusqu'au moment de partir étudier à Cambridge University où il fréquentera notamment le savant Bertrand Russell (1872-1970) et travaillera le contrepoint avec Charles Wood (1866-1926). Il avait alors vingt ans.

 

David Owen Norris, dont j'espère que le nom est désormais familier à mes lecteurs, a interprété – avec la profondeur et l'intelligence que nous lui connaissons – la musique de ce Maître, empreinte de poésie, marquée par l'étonnant mystère et la beauté apaisante qui émanent des paysages paradisiaques de l'Angleterre du sud, des Surrey Hills : là où « il y avait un champ infini pour les jeux et l'aventure. » David Owen Norris a joué sur le piano droit, un Broadwood de 1903, que Vaughan Williams avait acheté d'occasion en 1905, un an avant la parution de l'impressionnant English Hymnal pour lequel il a donné toute son âme. C'est en effet sur ce piano qu'il a conçu la partition enchanteresse pour violon, The Lark Ascending (1914), d'après la riche poésie (1881) de George Meredith (1828-1909). Cette musique a le don de nous consoler dans les pires épreuves de la vie.


Gabrielle Gale et David Owen Norris © National Trust

 

Vaughan Williams a gardé ce piano qui, telle une source d'inspiration, l'a encore aidé dans la composition d'autres partitions importantes comme son Piano Concerto en Ut Majeur (1926/31), ses extraordinaires Five Tudor Portraits (1935), sur des textes de John Skelton (ca 1463-1529), ou encore An Oxford Elegy (1947/49) avec la poésie (1853/65) de Matthew Arnold (1822-1888). Je ne les cite pas toutes tant elles sont nombreuses. Ce piano historique est désormais restauré et retrouve, ce faisant, les propres sources du compositeur.

 


© National Trust

 

David Owen Norris a présenté l'instrument dans son nouveau cadre au début du mois de mars, avec son enthousiasme légendaire qui fait plaisir à voir et, surtout, à entendre. Je suis très frappé par le contraste complémentaire entre la modestie de l'instrument, la noblesse de la musique et l'immense maîtrise du pianiste.

Leith Hill Place appartenait à la famille de la mère de Ralph, illustre en l'occurrence, les Wedgwood. Josiah Wedgwood III (1795-1880) l'avait acquise en 1847. Sa fille, Margaret Susan (1842-1937), est revenue y habiter, en 1874, après la mort de son mari Arthur Vaughan Williams (1834-1875), le père de Ralph, éminent membre de l'Église anglicane. Un tel environnement sera particulièrement favorable à l'enfant, autant qu'à l'homme et au compositeur. Son amour pour le folk-song doit à cette éducation par la nature et la tolérance religieuse et philosophique de ses proches. N'oublions pas qu'il a fréquenté, au cours de ces jeunes années, son célèbre et parfois contesté grand-oncle Charles Darwin (1809-1882).

Pour ce qui concerne ce dernier, j'aimerais citer cette anecdote à propos de l'influence que le savant a exercé sur le jeune garçon. Margaret lui répondait au sujet de The Origin of Species (1859) : « La Bible dit que Dieu a créé le monde en six jours, Grand-Oncle pense que cela a pris plus de temps, mais il n'est pas la peine de s'inquiéter pour cela, car c'est aussi merveilleux dans chacun des cas. » Ceci en dit long sur l'esprit de tolérance et la capacité imaginative d'une telle éducation. Wonderful !

 

Toute sa vie, Vaughan Williams sera un homme simple et cultivé. Il fuira toutes formes d'intellectualisme, d'abstraction et de snobisme. Cette vie ne sera pas sans connaître des tragédies comme en témoigne la période de la Première Guerre Mondiale au cours de laquelle il a été un soldat qui a eu la chance de revenir au contraire de nombre de ses collègues dont son cher ami George Sainton Kaye Butterworth (1885-1916).

 

Dans une vidéo que je vous invite à regarder sur le site Internet du National Trust, Leith Hill Place, la manager, Gabrielle Gale, nous convie avec chaleur à retrouver cette enfance joyeuse en ce lieu magique, chargé d'histoire [http://www.nationaltrust.org.uk/leith-hill-place]. Je serais heureux qu'à l'occasion de cet événement, la musique de Vaughan Williams soit davantage appréciée en France de même que celle de David Owen Norris, son héritier.

 

James Lyon.

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L'ÉDITION MUSICALE

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Les Éditions Buissonnières. C'est la première fois que nous recensons ici des partitions venues des Éditions Buissonnières, situées sur la presqu'ile de Crozon. Ces éditions offrent un visage assez particulier que nous vous invitons à découvrir sur leur site http://www.editions-buissonnieres.fr/30-musique En effet, leur production est aussi éclectique qu'originale. On pourra en juger par les différents ouvrages recensés dans cet article.

 

FORMATION MUSICALE

 

Jean-Marc DEHAN et Jacques GRINDEL : Voir et entendre : N° 5 W.A. Mozart : Symphonie n° 40 (K550). 1 – Allegro molto – 3 Menuetto. N° 13 : A. Borodine : dans les steppes de l'Asie centrale. N° 17 : H Berlioz : Symphonie fantastique 5° mouvement. N° 19 : J.-S. Bach : Cantate BWV 140 « Wachet auf, ruft uns die Stimme ». Collection L'éducation musicale. Editions Beauchesne : 180 001, 180 002, 180 003, 180 004.

Beaucoup d'élèves de collège, de lycée et de conservatoire se souviennent d'avoir découvert avec ces volumes tout ou partie des grandes œuvres du répertoire. Le principe est simple : une partition d'une œuvre ou de mouvements d'une œuvre est intégralement reproduite mais tout est écrit en clé de sol – clé de fa et, pour les instruments transpositeurs, en notes réelles. Ceci permet à l'élève ou au mélomane possédant un peu ces deux clés de suivre tout simplement sur la partition d'orchestre l'audition des œuvres. Les partitions sont en outre pourvues tout au long d'indications simples concernant les particularités rythmiques, mélodiques, d'orchestration de tel ou tel passage. La structure de l'œuvre est également détaillée au fur et à mesure. Ces remarquables réalisations étaient malheureusement en rupture d'édition. Les voici de nouveau disponibles, au moins pour quatre d'entre elles. Les dix-sept volumes de la collection devraient suivre au fur et à mesure : si l'édition originale a été soigneusement respectée, elle a été légèrement agrandie, ce qui en permet une meilleure lisibilité. Les nouvelles techniques de travail d'image ont permis de rendre plus visibles certaines indications. Enfin, un supplément pédagogique permet de mieux en profiter en donnant des indications d'utilisation pour la lecture, le rythme, la dictée musicale, le chant, la culture musicale des élèves (mise en rapport avec d'autres œuvres…)…

 

 

 

Marie-Ange LEURENT : Les proverbes en musique. 21 chansons pour les enfants. Chanteloup musique : CMP011.

Si nous revenons ce mois-ci sur ce recueil dont nous avons déjà rendu compte dans la lettre n° 89 de février 2015, c'est pour préciser qu'on peut se procurer ces chansons soit en recueil simple, soit avec l'accompagnement de piano, soit avec conducteur et matériel d'orchestre… Nous n'avions pas non plus indiqué le lien YouTube qui permet d'en écouter une partie : https://www.youtube.com/watch?v=9b4DZbHoKxk   Puisse cette écoute donner envie de faire partager ce plaisir à beaucoup d'enfants…

 

 

 

Hélène-Clerc-Murgier – Pauline Warnier : Fables sur de petits airs & des vaudevilles choisis.  Volume 2 – Réalisé avec le concours de L'ensemble les Monts du Reuil. Les Editions Buissonnières : EB -2-260.

Bien que leur modestie les empêche de faire figurer leur nom sur la couverture, nous les avons fait figurer en tête de ce recueil car, avec le concours de la compagnie « Les monts du Reuil », dont la première est la directrice artistique, elles sont manifestement à l'origine de ce projet dont nous découvrons ici le second volume. Selon un procédé qui se prolonge jusqu'à nos jours (les « chansonniers »), on se servait au XVIII° siècle de mélodies existantes et de préférence bien connues pour mettre en musique des textes, souvent d'actualité. Ici, il s'agit d'un Recueil de Fables choisies dans le goût de Monsieur de Lafontaine. Ces réécritures sont portées par des mélodies connues et fort variées. L'édition nous les présente avec une basse en musette ainsi qu'une basse chiffrée permettant différentes réalisations. Ajoutons que la clarté de l'édition, la graphie à la fois d'une parfaite lisibilité et pleine de charme, ainsi que les vignettes qui illustrent chaque fable font de ce recueil un régal pour les yeux.

 

 

 

 

CHANT

 

Jean-Philippe RAMEAU : Airs d'opéra. Haute-contre vol. 2 (Ténor). Coédition Centre de musique baroque de Versailles – Société Jean-Philippe Rameau. Distribution mondiale : Bärenreiter : BA9197.

Voici donc un nouveau volume de cette remarquable publication réalisée par Sylvie Bouissou, Benoît Dratwicki et Julien Dubruque. La réduction au clavier est de François Saint-Yves. Comme pour les précédents volumes, on y trouve en français et en anglais une présentation aussi passionnante qu'exhaustive de ces airs comprenant à la fois l'historique et les indications d'interprétation. Le tout est parfaitement clair et permet une interprétation la plus authentique possible que ce soit par la clarté de la partition que par sa lisibilité. C'est un travail tout à fait remarquable.

 

 

 

Laurent DROUET, Tim GUILLO : Caboulot. Guinguette marine. 1 vol. 1 CD. Editions Buissonnières : EB-2-279.

Une ambiance de bistrot de marins (bretons, mais pas seulement !), voilà ce que nous restitue d'abord le « projet Caboulot ». Il se propose deux objectifs : apporter une matière contemporaine à ce genre musical, et alimenter ainsi le répertoire disponible. Il s'agit en l'occurrence d'entretenir une vieille tradition qui connait aujourd'hui un renouveau certain. On s'en convaincra en allant écouter sur YouTube le groupe dont font partie les auteurs https://www.youtube.com/watch?v=TlhuIbalf18 Toutes ces chansons au caractère bien trempé méritent d'être reprises en chœur. L'ambiance et la qualité sont au rendez-vous. Et on peut toujours chanter avec le CD qui se déguste… sans modération !

 

 

 

MUSIQUE CHORALE

 

Claire VAZART : C.M. 14/18  pour chœur mixte SATB a capella. Assez facile. Delatour : DLT2421.

Cette commande de l'ensemble 20/21 a été créée aux Dialogues en humanité en 2014 à Lyon. Signalons qu'il s'agit plutôt d'une œuvre à cinq voix (Soprane, Mezzo, Alto, Ténor et Basse).

Tandis que les voix de femmes chantent dans un tempo assez lent mais qui en respecte le rythme le Chant du départ harmonisé en choral, les deux voix d'hommes font entendre une sorte de film de la guerre fait d'évènements et de paroles de poilus dont la prosodie se calque sur la langue parlée. L'ensemble a le grand mérite d'être équilibré et d'amener à la réflexion et non à la dénonciation. Cela donne une sorte de méditation prenante dans une atmosphère oppressante. Les voix se réunissent enfin pour une évocation de la sonnerie aux morts. C'est une œuvre de circonstance, certes, mais dont les qualités musicales sont à la hauteur des évènements évoqués.

 

 

 

ORGUE

 

Marta  GLIOZI & Damien SIMON : L'orgue aux mille saveurs. Volume 1. Anthologie de pièces pour les premières années au clavier. Volume 2 : Anthologie de pièces pour claviéristes gourmets. Editions Buissonnières : EB-2-179 et EB-2-244.

La démarche de cet ouvrage est très intéressante et vise à former des musiciens et non des « dactylophones » si on peut nous permettre ce néologisme. Tout est fait pour rendre intelligente l'approche de l'instrument, le tout de façon souvent humoristique, ce qui n'empêche pas la pertinence des remarques, bien au contraire. On ne peut qu'applaudir à ce que le début de l'ouvrage se nomme « De la voix au clavier ». Partant de « petites chansons connues du patrimoine pour enfants », il continue par quelques thèmes fondamentaux de Noëls, de chorals luthériens et de chant grégorien « qui ont si profondément nourri le répertoire pour orgue à travers les siècles. » Il continue par des « mélodies de nos régions et d'ailleurs ». Ajoutons que le pédalier est abordé dès le début. L'ouvrage comporte aussi une section de jeux d'improvisation tout à fait passionnante. On serait tenté de recopier toute l'introduction. On en trouvera la substantifique moelle sur le site de l'éditeur. Le deuxième volume est la suite logique du premier dans le même esprit et dans la même variété de répertoire. L'ensemble est extrêmement copieux et présenté de façon parfaite.

 

 

 

Jean GIROUD : Images pour un chemin de croix. (1944). Sur le texte de Paul Claudel. Illustrations pour orgue. Chanteloup Musique : CMP025.

Voici enfin éditée cette œuvre d'un musicien élève et ami des plus grands. Composée en symbiose avec le texte du poète, ces « illustrations mystiques » ont été réalisées dans une étroite collaboration avec Paul Claudel. Que dire de plus sinon qu'on peut entendre partiellement ces « Images » sur YouTube interprétées par Jean Giroud lui-même https://www.youtube.com/watch?v=JglFyQRcooA&list=PLumjj7sttATxEbdspjeDFFIcbv0UVKVGD et qu'il en existe un CD enregistré par Philippe Brandeis avec Laurent Terzieff en récitant, au studio SM paru en février 1999 mais difficile à se procurer. Il faut lire, pour interpréter et comprendre cette œuvre, le texte de Jean Giroud dont le fac-similé se trouve en tête de la partition.

 

 

 

PIANO

 

Olivier PENARD : Pièces éparses pour piano. Deuxième et troisième cycle. Jobert : JJ2210.

Même si ces pièces sont écrites sans indication de tonalité, on reste cependant dans une atmosphère post-tonale bien agréable. Les ambiances sont variées, les titres évocateurs. Il faudrait pouvoir recopier ici le texte de présentation rédigé par l'auteur et qu'on souhaiterait retrouver dans la partition. L'interprète sentira de lui-même quelle couleur donner à ces pièces dont l'auteur se réclame à la fois de Ravel, Honegger, Stravinsky, Dutilleux, John Adams ou encore John Williams. Bien loin d'etre des pièces pédagogiques, ces courts tableaux méritent le concert !

 

 

 

Gualterio DAZZI : Quatre miniatures simples pour piano. Dhalmann : FD0711.

Cette commande du Studio de Création et de Recherche en Informatique et Musiques Expérimentales est, en fait, écrite dans un langage atonal (ou post tonal) très agréable et qui pourra, sans les effrayer, initier les jeunes ou moins jeunes pianistes à des sonorités pleine de charme. Ces quatre petits tableaux ont chacun leurs couleurs et leur ambiance propre qu'on se fera un plaisir à découvrir. C'est d'abord de la belle et bonne musique.

 

 

 

Chilly GONZALES : Re-Introduction Etudes.  24 pièces thématiques pour piano, faciles, éducatives et récréatives. 1 vol. 1 CD. Co-édition Gentel Threat Ltd. / Editions Bourgès R. : EBR525.

Ces études ont été écrites spécialement à l'intention de tous les « laissés pour compte du piano » mais qui ont envie de « s'y remettre » mais sans reprendre les études fastidieuses de leur jeunesse ou un répertoire trop classique qui leur a parfois laissé un mauvais souvenir… L'auteur, pianiste canadien de formation classique mais connu surtout dans un autre répertoire, nous offre un florilège de pièces ayant chacune leur caractère, aussi agréables pour l'oreille que profitables pour se réapproprier une technique de base et surtout pour former l'oreille et le goût de l'interprète. Chaque pièce est accompagnée d'un commentaire de l'auteur permettant d'en comprendre l'esprit et le but. Le CD, enregistré par l'auteur, offre l'intégralité du recueil dans une interprétation pleine d'intériorité et qui donne envie… Ajoutons enfin que cette édition franco-anglaise est intégralement trilingue (anglais, français, allemand), ce qui constitue un œcuménisme de bon aloi.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

J.S. BACH : Chorals  transcrits pour quatre violoncelles par Odile Bourin. Lemoine : 29257H.L.

Disons tout de suite que ces transcriptions sont d'une totale fidélité (sauf la tonalité) à l'original dont la référence est soigneusement indiquée. On ne peut que se réjouir de ce travail qui permettra aux « violoncellistes de 7 à 77 ans et ayant 2 à 5 ans de pratique » d'aborder ces œuvres qui demeurent le fondement de toute culture musicale. Dans ce but, il n'est pas fourni de « parties séparées ». Chacun des interprètes peut ainsi suivre l'ensemble et mieux s'en imprégner. Cela permet aussi de mieux saisir la polyphonie et notamment de rapprocher, comme le conseille Odile Bourin, les chorals BWV 21 et 270, 67 et 256. Ces transcriptions sont donc à recommander chaudement.

 

 

 

CONTREBASSE

 

Adrien POLITI : Tango Fantasìa 3  pour 3 contrebasses. Lemoine : 29258HL.

Que voilà une bien réjouissante partition ! Ce compositeur argentin mais qui vit en France, où il a découvert… le tango, depuis 1986 écrit à la fois des pièces pédagogiques et de concert tant pour la guitare que pour différents instruments. Ces tangos pour contrebasse ne sont pas très difficiles mais ne se limitent certainement pas à un usage pédagogique. Même si le titre est au singulier, on peut parler de « tangos » au pluriel tant cet unique tango passe par des phases diverses. L'ensemble a été révisé par Emilie Postel-Vinay.

 

 

 

A. Bazzini : La ronde des lutins.  Scherzo fantastique, transcription pour contrebasse et piano d'Emilie Postel-Vinay. Chanteloup musique : CMP 30.

Tous les violonistes connaissent cette œuvre du célèbre violoniste Antonio Bazzini (1818-1897). La transcrire pour contrebasse est une gageure qu'a relevée la contrebassiste et chef d'orchestre Emilie Postel-Vinay… Bien sûr, il y a fallu quelques adaptations ! Mais cela devrait sonner fort agréablement. Inutile cependant de préciser que ce n'est pas une pièce pour débutant…

 

 

 

FLÛTE

 

Gualtiero DAZZI : Trio de flûtes.  Commande du Trio d'Argent. Dhalmann : FD0706.

Ces quatre pièces sont un hommage à quelques personnalités artistiques d'Oaxaca qui rendent dans leurs tableaux « la dimension rituelle héritée du monde précolombien au travers d'une omniprésence de la nature. » Il ne s'agit pas de faire de l'exotisme mais d'évoquer un monde qui est cher au compositeur ainsi qu'au Trio d'Argent. L'ensemble est effectivement plein de charme et de saveurs à la fois étranges et familières. Il n'y a pas d'effets spectaculaires mais une musique pleine d'intériorité y compris dans les passages plus agités. C'est tout simplement beau.

 

 

 

CLARINETTE

 

Douglas WOODFULL-HARRIS : Classic Hits  pour deux clarinettes. Collection Ready to play. Bärenreiter : BA10636.

Ces duos sont destinés à égayer les études du jeune clarinettiste. Les arrangements portent sur des œuvres très connues de Mozart, Haydn, Gluck, Weber, Beethoven, Mendelssohn, Schubert, Schumann et Chopin. L'ensemble est sans grande difficulté. L'accompagnement, prévu plutôt pour le professeur, respecte dans l'ensemble les harmonies d'origine. Ce pourra être également l'occasion de faire découvrir aux élèves les œuvres originales et de contribuer ainsi à leur culture musicale.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Jean-Luc GILLET : Enfoui  pour saxophone alto en mib.  Moyen. Delatour : DLT2569.

Il est difficile de donner un « niveau » à cette pièce. Techniquement assez facile, elle demande d'abord et avant tout un sens profond de la mélodie, du timbre, des nuances, en un mot elle demande un musicien. Cette longue mélopée ponctuée de silences et s'animant seulement pour un court passage est en effet très belle et très méditative. Ce peut être un moment de grâce dans un concert…On a en plus la chance de pouvoir en entendre une très belle interprétation sur le site de l'éditeur (ou YouTube) par Naomi Sato. C'est à ne pas manquer !

 

 

 

Bruno GINER : Tactus Perpetuum  pour saxophone soprano. Difficile. Delatour : DLT2560.

L'auteur a voulu bâtir toute sa pièce sur une pulsation perpétuelle à 168 à la noire. Ainsi, même les passages en valeurs longues sont sous-tendus par l'énergie nécessaire pour garder ce tempo. Cette pièce est d'abord, comme le dit l'auteur, une pièce de concert qui « met le soliste en valeur par la virtuosité de certains modes de jeu et l'engagement physique nécessaire à son exécution ».

 

 

 

Thierry ALLA : Inaugural  pour saxophone sopranino. Difficile. Delatour : DLT2573.

L'auteur considère cette œuvre comme une « ouverture » de son cycle de pièces pour tous les saxophones. Elle fait appel à la respiration circulaire qui permet de garder une tension continuelle tout au long du discours. La difficulté tient également dans le dynamisme qui doit habiter toute l'œuvre, œuvre qui joue un peu le rôle d'annonceur au début d'un spectacle musical.

 

 

 

Jacques LEJEUNE : Fragments gourmands (d'après Brillat-Savarin) pour saxophoniste récitant et bande son. Assez difficile. Delatour : DLT2551.

Avant toute exécution, il sera prudent d'écouter intégralement la deuxième plage du CD joint à la partition, qui est une audition intégrale de l'œuvre. Précisons aussi tout de suite que c'est bien le saxophoniste qui est aussi le récitant. Et après, dégustons ces fragments gourmands qui se terminent par une coda dégustatoire du meilleur effet. Le tout est à consommer sans modération et avec beaucoup d'humour !

 

 

 

Jean-Christophe ROSAZ : Seul dans la steppe  pour saxophone alto solo. Moyen. Delatour : DLT2564.

Le titre suffit à caractériser l'œuvre. On pourra lire au dos de la partition ou sur le site de l'éditeur la description poétique qui a inspiré l'auteur et qui pourra inspirer le musicien « chaman », à la fois « le témoin, le réceptacle, le créateur et le transmetteur de ces impressions fugitives […] ». Le tout se termine par une polyphonie. L'auteur suggère une exécution par cœur permettant un déplacement dans l'espace ce qui fait voyager le son pour l'oreille de l'auditeur. L'ambiance créée est envoutante et suggestive.

 

 

 

Bernard COL : 10R2 Ravel : Dix airs de Ravel  arrangés pour deux saxophones alto. Facile. Delatour : DLT2583.

Nous avons déjà dit dans notre lettre 100 de février 2016 tout le bien que nous pensions de cette collection. Après Schubert, voici Ravel : nous y retrouvons les mêmes qualités de fidélité aux œuvres originales. Le côté « culture musicale » est bien présent grâce à un tableau situé en fin de volume et qui donne avec précision l'origine des différentes transcriptions. C'est donc un travail remarquable à tous points de vue.

 

 

 

Giordano MUTO et Philippe VIAN : Dérives  pour saxophone alto. 1 vol. 1 CD. Deuxième cycle. Delatour : DLT2563.

Il s'agit, pour les créateurs de ce projet de créer une passerelle entre les musiques actuelles et la musique contemporaine grâce au saxophone. Les œuvres sont donc écrite pour saxophone et bande son. Les cinq pièces figurent sur le CD d'abord dans leur réalisation complète puis en « play-back ». Chaque pièce est présentée avec beaucoup de minutie pour en permettre une réalisation parfaite. L'ensemble atteint son objectif.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Jean FESSARD : Ronde.  Timbales. Moyen/difficile. Dhalmann : FD0714.

Prévue pour être interprétée par deux instrumentistes disposant chacun de quatre timbales, cette pièce peut cependant être interprétée avec des toms, mais il est préférable de disposer d'au moins quatre timbales. Le titre se justifie par la structure couplet-refrain tout à fait traditionnelle. Quant au style, c'est « celui d'une danse un peu lourde, lointainement « afro » ». L'ensemble est plein de dynamisme et devrait plaire à ses interprètes.

 

 

 

Gilles MOTET : Jeux de miroirs.  Pièce pour quatuor de percussions et auditeurs-spectateurs. Delatour : DLT2246.

« Quatre percussionnistes sur scène jouant sur des percussions claviers réels : deux vibraphones, deux marimbas. Quatre claviers virtuels imaginaires, irréels, mais présents reliés par les gestes musicaux à l'imaginaire de chaque spectateur-auditeur. Quatre percussionnistes mimant un ballet de quatre percussionnistes jouant sur des percussions claviers réelles mais pourtant virtuelles. ». On ne peut, mieux que l'auteur, décrire cette œuvre dont il est difficile de parler sans l'avoir vécue comme auditeur-spectateur-cocréateur. C'est donc à expérimenter.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Gilles MOTTET : Connexe.  Duo pour flûte traversière et saxophone baryton. Moyen avancé. Delatour : DLT2566.

Voici le commentaire de l'auteur : « La flûte traversière qui est jouée sans son corps, je rêve quelle impertinence ! Le saxophone baryton qui est joué sans son bec, c'est renversant ! Et ce n'est pas tout, je vous le dis. La flûte traversière est aussi jouée sans son embouchure !

Et pourquoi pas !!!!!!?? » Il est, dans ces conditions, difficile d'imaginer le résultat. Raison de plus pour essayer…

 

 

 

Éric FISCHER : Constellations obligatoires  pour deux clarinettes en sib, clarinette basse et quatuor de saxophones. Assez difficile. Delatour : DLT2605.

Il est bien difficile de parler de ces sept courtes pièces sans les avoir entendues. Voici comment l'auteur nous présente leur genèse : « À l'été 2013, je rendais visite au plasticien Peter Lowe, alors en résidence à Lagamas, dans l'Hérault. Il me présentait les ébauches de « Sharp Arp », une série d'étoiles à 7 branches construites en bois, à partir de toutes les permutations possibles d'angle droit. Il m'expliqua également son tableau de calcul ayant servi à son développement.

Je lui proposais alors d'utiliser la même grille mathématique afin de composer une pièce de musique qui se mettrait en résonance avec la série d'étoiles. »

Il ne faudra surtout pas passer les deux premières pages de la partition où figurent les étoiles de Peter Lowe et l'explication détaillée de son œuvre donnée par l'auteur.

 

 

 

Dominique DELAHOCHE-LEFEBVRE : Le Ciel des Carrières  pour clarinette, basson, percussion, trompette en ut, trombone ténor, harpe, violon et contrebasse. Delatour : DLT2646.

Cette commande de Radio-France de mars 2014 a été créée par l'ensemble 2e2m dans l'émission d'Anne Montaron « Alla breve », sur France-Musique. Cette œuvre évoque le ciel des carrières qui courent sous Paris et ont servi à construire la ville au XVII° et XVIII° siècle. L'écriture cherche à créer une atmosphère onirique en jouant sur les timbres et les emplacements des différents instruments. Le conducteur et le matériel d'orchestre sont disponibles. Ajoutons que la pièce intègre un nouvel instrument de percussion, le Vème, Cet instrument, né à la suite d'une collaboration entre diverses personnes et institutions, permet d'obtenir, nous dit l'auteur, « des sonorités métalliques graves et profondes. ». C'est donc, pour bien des raisons, une œuvre à découvrir.

 

 

 

Dominique DELAHOCHE-LEFEBVRE : Mandala sur le sable  pour quintette à vent. Delatour : DLT2647.

Là encore, il s'agit d'explorer des sonorités nouvelles, de créer des ambiances sonores. Le quintette est formé d'une flûte, d'un hautbois, d'une clarinette en si bémol, d'un cor en fa et d'un basson français (version disponible pour basson allemand). C'est avec le quintette à vent « Gustatori », commanditaire de cette pièce, que l'œuvre a été réalisée. Voici comment l'auteur décrit son projet : « Le mot Mandala, forme symbolique universelle, renvoie à une notion forte de permanence, d'intériorité et d'équilibre. Le mot sable désigne un sol par nature instable. Ainsi ai-je imaginé le tracé d'un mandala sur le sable, probablement appelé à être déformé, voire effacé par le vent ou la mer ».

 

 

 

ORATORIO

 

Eric LEBRUN – Pierre GRANDRY : La marche à l'étoile. Oratorio pour Noël. Chœur, soprano solo ou chœur d'enfants, deux violoncelles et contrebasse, un ou deux orgues ad libitum. Chanteloup musique : CMP012.

Les auteurs nous proposent ici une œuvre relativement facile à mettre en œuvre d'après un texte original qui ne manque ni d'humour ni de profondeur. Cette méditation sur la démarche de l'homme vue à travers celle des mages n'engendre donc pas non plus la mélancolie mais est au contraire une démarche de confiance et de joie qui se termine d'ailleurs par un vibrant alléluia. Le tout est écrit dans un langage simple et sur des mélodies inspirées aussi bien du grégorien que du folklore populaire de noël, spécialement anglo-saxon. C'est en tout cas une œuvre exaltante et qui mérite d'être montée.

 

 

Daniel Blackstone.

 

 

PIANO

 

Jean-Pierre LEGUAY : Sonnantes, Paris, Le Chant du Monde (www.lechantdumonde.com ), 2015, Réf. PP4962. 28 p.

Ces quatre pièces pour piano (à 4 mains) — dont les trois premières sont dédiées à Annie Leguay, la quatrième à Miriam Lopez Ramos et Jérémie Leguay —, composées entre 2012 et 2014, nécessitent, pour leur interprétation, d'excellents solfégistes (nombreuses altérations). Le premier pianiste doit être un bon amateur (traits de virtuosité et sextolets en triples croches, accords très disjoints) ; le second peut être moins expérimenté. La coordination entre les deux interprètes est indispensable, de même que le respect des indications du compositeur : première pièce « avec allant » ; deuxième pièce « avec tranquillité » ; troisième pièce « avec vivacité » ; quatrième, « bien sonore, décidé ». En outre, le compositeur insiste sur l'usage précis de la pédale. Pédagogues et pianistes apprécieront cet apport de Jean-Pierre Leguay (né en 1939) au répertoire à quatre mains.

 

 

 

CHANT ET ORGUE

 

André FLEURY : Psaume pour les morts de la guerre (pour voix moyenne et orgue), Paris, Le Chant du Monde (www.lechantdumonde.com ), 1954, Réf. VO 4214. CDM 1995, 4 p.

Composé en 1954 sur les paroles de Cyril Dubus, cette partition existe aussi en version pour voix moyenne et orchestre à cordes, réalisée par Bruno Schweyer. Le texte d'inspiration catholique, très réaliste, exige un débit syllabique  par mouvement de croches ; la mélodie évoluant par mouvements assez conjoints plane sur des accords avec une longue pédale centrale dans l'introduction. Ce Psaume se déroule dans les nuances p et pp avec un seul f sur [accepter] « de mourir » et se termine par l'affirmation « C'est qu'ils croyaient en Vous ». Son interprétation nécessite surtout une voix souple pour le débit des paroles et capable de différencier les nuances p, pp. Cette œuvre d'André Fleury (1903-1995), brillant représentant de l'école d'orgue française, peut convenir pour un service religieux ou une commémoration officielle .

 

 

Édith Weber.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Jean DURON, Florence GÉTREAU (dir.) : L'orchestre à cordes sous Louis XIV. Instruments, répertoires, singularités. Paris, Éditions VRIN (www.vrin.fr ), Collection MusicologieS, 2015, 468 p. – 29 €.

La musique a largement contribué au grand prestige de la Cour de Louis XIV (1638-1715) qui disposait des « Vingt quatre Violons du Roi », des « Petits violons de la Chambre » et de la présence de compositeurs célèbres : Henry Du Mont (1610-1684), Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Michel-Richard De Lalande (1657-1726), entre autres.

Jean Duron (Centre de Musique Baroque de Versailles) et Florence Gétreau (CNRS) ont fait appel à une vingtaine de spécialistes français et étrangers : historiens, organologues, historiens d'art, musicologues et interprètes. Très bien présenté, ce livre comprend également de nombreux exemples musicaux, des représentations (en couleurs) de divers instruments à cordes, des tableaux synoptiques. L'Index, particulièrement copieux, comporte les noms (antérieurs à 1800) et les titres des œuvres musicales citées (p. 451-468), par exemple de M.-A. Charpentier et H. Du Mont… L'ouvrage est structuré en cinq parties : 1. Archives/Théorie (avec des sources de première main) ; 2. Organologie/Iconographie (avec divers aspects spécifiques : ensemble, basse de violon, archet, voix médianes) ; 3. Interprétation (particularismes concernant les divers compositeurs) ; 4. Destinées (évolution ultérieure et esthétique) ; 5. Autres modèles (en dehors de la Cour de Versailles). Les historiens avides de sources judicieusement sélectionnées trouveront aussi des renseignements relatifs aux œuvres interprétées lors de circonstances particulières : Te Deum (Pierre Robert, M.-A. Charpentier, H. Desmarets) ; Canticum pro pace ; In obitum augustissimae nec non piissimae Gallorum Reginae lamentum, lamentation chantée pour les obsèques de la Reine Marie-Thérèse (p. 242). Les interprètes et chefs disposeront d'extraits de partitions annotées par les compositeurs et sauront que la tragédie : David et Jonathas (recopiée par Philidor l'Aîné) a été restituée par Jean Duron ; des indications sur la tenue du manche et de l'archet, sur le jeu da braccio en style déambulatoire… Les théoriciens seront informés des tessitures, des problèmes d'écriture (fausse relation, fa bécarre/ fa dièse), des pratiques orchestrales, de la disparition de la quinte de violon vers 1718 dans le Motet à grand chœur à l'Académie royale de Versailles, de l'évolution des effectifs. Les facteurs et luthiers seront intéressés par les détails concernant la fabrication des archets baroques. Les amateurs de musique religieuse connaîtront mieux le répertoire chanté à la Cour (lors des dévotions quotidiennes de Louis XIV) : Messes, Psaumes, Leçons de Ténèbres, Motets, Cantiques, Hymnes (Pange lingua), Magnificat, la pièce à 8 voix : Coecilia Virgo et martyr (p. 244) de M.-A. Charpentier ou pendant ses Dîners et Soupers. Les amateurs de divertissement lyrique bénéficieront de précisions sur les nombreux opéras et ballets (par exemple de Villeneuve Saint Georges) représentés à l'Opéra et également à l'Académie du Théâtre des Petits appartements de la Marquise de Pompadour (p. 383). Les mélomanes et historiens d'art seront sensibles aux nombreuses illustrations de circonstance : eaux-fortes, dessins à l'encre de Chine, gouaches ; instruments (conservés notamment au Musée instrumental de Bruxelles)… À noter l'eau-forte de Pierre Landry : Bal à la Françoise, avec l'Almanach royal (1682) représentant Louis XIV dansant en 1682 le Menuet de Strasbourg, peu après son retour d'Alsace rendue à la France en 1681 (p. 75) ; la liste des opéras de Lully (de 1677 à 1719)

 

À travers les activités des « Vingt Quatre Violons du Roi » et des « Petits violons de la Chambre », ce maître-livre illustre à merveille l'histoire institutionnelle et musicale, le prestige de Louis XIV et le rayonnement de sa Cour tant enviés dans les Provinces de son Royaume et à l'étranger.

 

 

Édith Weber.

 

REVUES

 

Laurine QUETIN (dir.) : Les querelles musicales dans les écrits esthétiques et littéraires après 1750,  Revue MUSICORUM n°17, (www.revuemusicorum.com ), 2016, 175 p. 29 €.

La Querelle des Bouffons a fait couler beaucoup d'encre et révélé les démêlés entre les tenants de la musique italienne et ceux de la musique française. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), pro italien, n'a-t-il pas, dans sa Lettre sur la musique française (1753), affirmé : « Les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux » ? Rappelons que Christoph Willibald Gluck (1714-1787) a, lui aussi, suscité des polémiques.

Réalisé par Laurine Quetin, préfacé par Suzel Esquier, ce numéro 17 de la Revue Musicorum va droit aux sources, c'est-à-dire aux écrits littéraires et esthétiques après 1750. Huit auteurs français et étrangers abordent des questions ponctuelles, par exemple la définition de la Dissonance selon Rousseau ou encore la discussion relative à ses conceptions du goût et de la mélodie, mais aussi les réactions de ses contemporains Chastellux, Framéry et Momigny. Ces réflexions caractéristiques du Siècle des Lumières ont animé l'Europe et, en particulier, l'art lyrique. Elles ont porté sur les identités nationales, le problème de la langue ; elles ont également animé des querelles : de personnes, des Anciens et des Modernes, des Gluckistes, des Piccinistes…

Les sept études s'imposent par leurs nombreuses interrogations sur la notion de progrès en musique, sur les formes (comédies, opéras), sur les engagements des compositeurs, sans oublier les incidences sur le goût, la société, la notion de représentation, le tout dans une optique comparative avec un sens solide de la discussion et de l'argumentation.

 

Édith Weber.

 

Georges MIGOT, Bulletin n°29. Haguenau, Les Amis de l'œuvre et de la Pensée de Georges Migot,  (www.georges.migo.info  ), février 2016, 52 p.

Ce Bulletin, paru en 2016, à l'initiative d'Odile Charles et d'Emmanuel Honegger, marque les 40 ans de la disparition de Georges Migot. Il fait le point de l'actualité : Fonds de Bibliothèques (BNF, Royaumont) ; projets de l'Association : nouveau CD en préparation avec 4 manuscrits inédits ; publications, recensions, concerts, concours... et, par ailleurs, rappelle le CD : Clairières dans le ciel (Les Musiciens et la Grande Guerre, Vol. 13)  paru en 2015 sous le Label Hortus (cf. rubrique Le bac du disquaire).

L'étude de Jean-Alain Joubert projette un éclairage neuf sur Georges Migot, « l'initiateur de lumière », sur les grands axes de sa pensée esthétique, et met l'accent, entre autres, sur les valeurs éthiques qu'il a défendues : « respect de la liberté de l'autre ; fraternité ; noblesse d'esprit ; engagement sans faille et fidélité ». Pour ces constats, l'auteur s'appuie notamment sur les témoignages du regretté Marc Honegger, mais aussi sur la correspondance. Les lecteurs découvriront des écrits autographes (lettres ou petits billets) avec confidences ou remarques prises sur le vif, définitions, idées, l'état de la gestation de ses œuvres. Parmi les destinataires, figurent Max Pinchard et Jacqueline, ou encore Marc Delau, Directeur des Éditions Ouvrières. À ces témoignages épistolaires, s'ajoutent des reproductions de bois gravé par Georges Migot (Le Hibou), peintures (Dahlias, Saint-Jean d'Angély) et des photos judicieusement sélectionnées.

Outre l'actualité, avec le recul du temps, ce Bulletin met l'accent sur les motivations spirituelles de Georges Migot, surtout sa « spiritualité christique ». Voici donc — quarante ans après la disparition de Georges Migot — un message post mortem profondément humain.

 

Édith Weber.

 

 

Antoine Pecqueur : Les espaces de la musique. 1Vol 24x28 cm, 288 p, 550 illustrations couleurs, 2015, Éditions Parenthèses, collection architectures / Philharmonie de Paris, 36 €.

 

Les éditions Parenthèses/Philharmonie de Paris viennent de publier un superbe ouvrage intitulé « Les espaces de la musique » qui intéressera aussi bien l'architecte que le musicien praticien ou simplement mélomane. Son auteur, Antoine Pecqueur, journaliste à la chaîne de télévision Mezzo est aussi musicien, bassoniste se produisant au sein d'ensembles d'instruments anciens tels que Les Siècles ou la Chambre philharmonique, ou d'ensembles de musique contemporaine tel que Linea.  A première vue l'ouvrage est extrêmement séduisant, grâce à une typographie claire et aérée, une iconographie particulièrement soignée. Quant au style, il est enlevé, précis, et évite le jargon. Mais sa qualité ne s'arrête pas là. En effet c'est son contenu qui en fait un ouvrage irremplaçable pour longtemps, un guide précieux pour qui s'intéresse non seulement aux lieux où se fait la musique, mais aussi à l'évolution des villes où sont implantées salles d'opéras et de concerts. L'ouvrage est d'autant plus précieux et disons le, incontournable, que son auteur s'est rendu sur place « tester » les salles, ce qui explique en partie le temps passé à le concevoir (environ 5 ans). Mais surtout grâce à son parti pris de juger sur pièce, Antoine Pecqueur nous permet d'appréhender chaque lieu sous tous ses aspects, aussi bien esthétiques, acoustiques, de confort, d'insertion dans le contexte urbain.....

 

L'ouvrage se divise en quelque sorte en deux parties. Tout d'abord un ensemble de développements d'ordre général, puis une description détaillée de 30 lieux. Dans un premier temps, donc, Antoine Pecqueur nous donne une vision de l'évolution de l'architecture des opéras puis de salles de concerts symphoniques, soulignant le passage de la salle en « boîte à chaussures » à la salle révolutionnaire dite « en vignoble », telle la Philharmonie de Berlin conçue par Hans Scharoun. Il ne se contente pas de souligner l'esthétique du geste architectural ; il s'attache à exposer le sens qu'il faut donner à tel ou tel parti pris architectural compte tenu de son emplacement dans la cité, de son mode d'accès, de la manière dont le public est traité – confort des espaces d'accueil, qualité de l'acoustique, distance avec la scène. S'agissant de l'implantation dans le tissu urbain, il constate que certains projets ont vu le jour en périphérie, avec de la part du maître d'ouvrage notamment la volonté de rechercher un nouveau public. On citera deux exemples : l'auditorium du Parco della Musica de Renzo Piano, dans le quartier nord de Rome ainsi que la Philharmonie de Jean Nouvel au nord-est de Paris. Il insiste par ailleurs sur la présence incontournable à côté de l'architecte et de l'acousticien, du scénographe. Ce dernier, selon Michel Fayet travaille « à la fois sur l'aspect conceptuel de la salle, c'est à dire sa forme globale et sur l'aspect technique, en décrivant tous les équipements nécessaires au lieu ». L'approche générale des premiers chapitres est donc illustrée par les 30 monographies qui suivent. Non seulement les thèmes précédemment exposés sont développés mais on peut y lire en outre une analyse des conditions de travail des personnels ainsi que des plus ou moins bonnes facilités offertes aux musiciens pour répéter, avec le constat de l'absence trop fréquente d'une salle de répétition.

 

Ces 30 monographies constituent l'essentiel du travail d'Antoine Pecqueur. On peut alors mesurer combien l'investigation sur site par l'auteur permet des remarques pertinentes grâce aux informations de première main qu'il a su glaner aussi bien auprès de musiciens que de maîtres d'œuvre, sans compter que dans certaines salles, il a pu exercer son métier d'instrumentiste. Chaque salle est illustrée par des clichés superbes, complétés par la reproduction de plans, ce qui est un exploit quand on sait combien il est difficile d'obtenir auprès des architectes le droit de les diffuser. Dans ses propos, Antoine Pecqueur ne s'enferme pas dans la langue de bois : à côté d'appréciations enthousiastes – elles sont majoritaires - il n'hésitera pas à avoir la dent dure pour évoquer des échecs, notamment sur le plan acoustique. Ainsi donne-t-il l'exemple du Palais des Arts de Santiago Calatrava à Valence qui par ailleurs a vu ses coûts exploser. Cette dérive d'ordre financier est du reste assez fréquente ; il évoque le problème à propos du  Walt Disney Concert Hall de Frank Gehry à Los Angeles, du Koncerthuset de Jean Nouvel à Copenhague ou, dernière en date, de la Philharmonie de Hambourg de Herzog et de Meuron qui passe de 187 millions d'Euros à 865 millions d'Euros, pour ne donner ici qu'un seul exemple chiffré. Ajoutons que l'intérêt de l'ouvrage est rehaussé par la présence de plusieurs entretiens inédits avec Pierre Boulez, Rudy Ricciotti, Renzo Piano, Santiago Calatrava, Vittorio Gregotti, Paul Andreu, Christian de Portzamparc, Wolf Prix et Jacques Herzog. A la fin de la lecture des « Espaces de la musique », on est convaincu de la vérité de cette phrase de Renzo Piano publiée dans le Monde daté du 22 février 2010 : «  La musique, aussi immatérielle qu'elle soit, peut imposer sa densité et son espace. De tous les arts, c'est ce qu'il y a de plus proche de l'architecture ». Un ouvrage à classer parmi les indispensables.

 


Gilles Ribardière.

 

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

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Josquin DESPREZ : Messes Pange lingua ; de beata Virgine.  Ensembles Métamorphoses & Biscantor, dir. Maurice Bourbon. 1CD AR RE –SE (www.arre-se.com ): AR 2015-1. TT : 66'26.

Le texte d'accompagnement — initiative originale du Label AR RE-SE — convie d'abord les discophiles à un dialogue très imaginatif (daté du 3 janvier 2015) entre le chef Maurice Bourbon et Josquin  : « Sais-tu que j'ai le même âge que le tien quand tu as composé la [Messe] Pange lingua ? C'est peut-être pourquoi j'y suis si sensible et me suis tant régalé à la diriger » : c'est ce qui sera d'ailleurs confirmé à l'audition. Le chef ajoute qu'il « a travaillé avec passion les tempi et les équivalences quasiment pendant un an » et, plus loin, précise que, pour le canon à la quinte du Benedictus, « les chanteurs (y) ont fait preuve d'une stupéfiante maîtrise dans la conduite piano… ». Josquin Desprez — né à Beaurevoir vers 1450 et mort à Condé-sur-l'Escaut, le 27 août  1521 —, musicien franco-flamand, tant admiré par Martin Luther, éminent maître de la Renaissance, est en fait un « européen avant la lettre ». Il a composé de nombreux Motets et des Messes (parodie, sur cantus firmus, en canon), entre autres.

Dans sa tardive Messe Pange lingua — selon Jacques Barbier —, il reprend la mélodie de l'hymne éponyme « utilisée comme un fil conducteur dans toutes les sections de la messe, mais nullement à la manière d'un cantus firmus ». Josquin fait appel au contrepoint note contre note et au traitement syllabique pour une meilleure intelligibilité du texte notamment pour les articles du Credo. Quant à la polyphonie, elle est assez homogène. Bénéficiant d'une remarquable acoustique, les voix des Ensembles vocaux Métamorphoses et Biscantor ! (quatuor) s'imposent par leur plénitude, leur justesse, leurs timbres chaleureux. La Messe de beata Virgine se situant dans la mouvance du culte marial, exploite les tessitures aiguës (évoquant peut-être le ciel) et repose sur des mélodies grégoriennes. Josquin spécule sur le nombre des voix : 2, 4, 5 ; la technique du canon dans le Credo avec, comme le souligne judicieusement J. Barbier, « l'indication humoristique Le premier va devant puis le devant va derrière » (partie finale). Le Sanctus et l'Agnus Dei comportent l'indication « vous jeûnerez les 4 temps ». Excellente paraphrase liturgique.

D'un côté, la Messe Pange lingua — souvent interprétée de nos jours frappe par sa simplicité et son économie de moyens ; de l'autre côté, la Messe de beata Virgine, sans fil conducteur mélodique, est marquée par une logique plus liturgique que musicale. À tous points de vue (livret avec dialogue imaginé, excellente analyse, interprétation hors du commun) : disque à acquérir impérativement.

 

Édith Weber.

 

Johann Sebastian BACH :  L'intégrale de l'Œuvre d'orgue. Vol. 1 : 5 Partitas, 34 Chorals d'Arnstadt. Marie-Ange Leurent, Éric Lebrun, orgue. 2CDs MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com) :CD 250020-1. TT : 77' 09.

Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun, poursuivant leur collaboration avec Monthabor Music, inaugurent « leur » Intégrale de l'œuvre d'orgue de Jean Sébastien Bach, avec deux disques, l'un avec des Partitas enregistrées à l'Orgue Jean-André Silbermann de Soultz (Haut-Rhin) ; l'autre avec les Chorals d'Arnstadt interprétés à l'Orgue du même facteur à l'Abbatiale Saint-Maurice d'Ebersmunster (Bas-Rhin).

Le premier disque concerne des œuvres de jeunesse : 5 Partitas sur les chorals suivants : Sei gegrüsset, Jesu gütig  (BWV 768), O Gott, du frommer Gott (BWV 767), Christ, der du bist der helle Tag (BWV 766), Allein Gott in der Höh sei Ehr (BWV 771) et Ach, was soll ich Sünder machen ? (BWV 770). D'une manière générale, Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun tirent le meilleur parti des instruments de J.-A. Silbermann permettant de différencier les timbres, de bien dégager les thèmes ou cantus firmus et de mettre en valeur les couleurs spécifiquement baroques. Ces Partitas — que Bach qualifie de « partite diverse sopra » sur tel ou tel choral — se présentent comme un genre de divertissement. De leur interprétation de ces œuvres particulièrement personnalisées par Bach se dégagent aussi bien la tension que l'intériorité. Le second disque est consacré aux 34 Chorals d'Arnstadt (où Bach a séjourné entre 1703 et 1707) — ou « Chorals du recueil de Neumeister » — (BWV 714, 742, 719, 957, 1090 à 1119), découverts aux États-Unis en 1985. Les interprètes les ont judicieusement classés en fonction des temps, circonstances et thèmes liturgiques : Noël, Nouvel An, Purification, Sainte Cène, Passion, Pâques ; et de leur finalité théologique : Foi, Confiance en Dieu, Pénitence, Funérailles, Cantique du soir (et non pas selon la succession des numéros du Catalogue BWV).

On attend avec une évidente impatience les deux Volumes : Orgelbüchlein, Clavierübung dritter Teil, à paraître encore en 2016 et, bien sûr, les suivants jusqu'en 2019… Beau projet, tout à l'honneur des deux organistes et du Label MONTHABOR. Incontestablement, il retiendra l'attention.

 

Édith Weber.

 

La Maîtrise de Reims chante sa Cathédrale. Annick Massis, soprano. Ensemble Lyrique Champagne Ardenne et Maîtrise de Reims. Orchestre de l'Opéra de Reims, dir. Sandrine Lebec. 1CD JADE (www.jade-music.net): CD 699 875-2. TT : 61' 50.

Dans la LI de décembre dernier, la Maîtrise de la Basilique Saint-Rémi de Reims a déjà été présentée. Rappelons qu'elle a été fondée en 1285, et qu'elle est dirigée par Sandrine Lebec qui, pour cette réalisation en l'honneur de la célèbre Cathédrale, a sélectionné, entre autres, des œuvres très connues telles que le Laudate Dominum de Wolfgang  Amadé Mozart ou encore le Cantique de Racine de Gabriel Fauré, et a le mérite de lancer deux pièces moins connues : l'Ave Maria de Georges Garvarentz (1932-1993) et le Pie Jesu d'Andrew Loyd Webber (1914-1982) et surtout — après les Christmas Carols de John Rutter (né en 1945), cf. CD : « La Maîtrise de Reims chante Noël » — son Magnificat chanté avec enthousiasme et ferveur par les jeunes choristes alternant avec les voix d'hommes et soutenus par l'orchestre. Tout en reprenant le texte latin liturgique et se terminant traditionnellement sur le Gloria, J. Rutter a inséré le texte anglais : Of A Rose A Lovely Rose, sans doute par allusion à Jessé et à un ancien Christmas Carol (chant de Noël anglais) remontant au XVe siècle. À noter, entre autres, l'éclatant Quia fecit mihi magna, enlevé énergiquement par l'orchestre et les voix, ou encore l'Et misericordia plus intériorisé, le Fecit potentiam, tonitruant et de caractère dansant ; enfin, le Gloria, solennel et affirmatif, pose un vigoureux point d'orgue. Ce parcours de musique sacrée, repris en 2015 par les Éditions JADE, a été enregistré lors du concert public du 23 octobre 2011 avec le concours d'Annick Massis (Soprano), de l'Orchestre de l'Opéra de Reims, de l'Ensemble Lyrique Champagne Ardenne et de la Maîtrise de Reims dont les jeunes élèves, associés à son Chœur d'hommes, manifestent un réel enthousiasme dans l'interprétation d'un programme aussi diversifié. Ils sont tous placés sous la direction autoritaire — comme il ressort aussi de la photo jointe à la plaquette — et si compétente de Sandrine Lebec.

 

Édith Weber.

 

« Dresden Passion ». Cappella Sagittariana de Dresde, dir. Norbert Schuster, 2CDs RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP 612122. TT : 97' 04.

La remarquable Cappella Sagittariana de Dresde, sous la direction de Norbert Schuster, de réputation internationale en raison de ses critères d'interprétation historique, a le mérite de proposer un programme typiquement local, avec la Passion selon Saint Marc de Marco Giuseppe Peranda. Ce dernier, né à Macerata vers 1625, mort à Dresde en 1675, a été actif dans cette ville au riche passé musical, ayant accueilli de nombreux musiciens italiens. Cette compilation comporte des œuvres polyphoniques contemporaines de Heinrich Schütz situées dans le contexte de la Passion et quelques répons grégoriens. La Markus-Passion de Marco Giuseppe Peranda a longtemps été attribuée à Heinrich Schütz, et Norbert Schuster en a réalisé la conception originale avec interpolations, conformément à l'ordonnance liturgique du culte à la Cour de Dresde pour le temps de la Passion et en usage à l'époque du Prince-Électeur de Saxe, Johann Georg II.

Le disque 1 reprend le récit de Marc (chapitre 14, versets 1-72) chanté par l'Évangéliste qui relate les faits. Dès le début, deux Symphoniae (I et II), extraites des Sieben Worte Jesu Christ am Kreuz (SWV 478) de Heinrich Schütz sont entrecoupées par le répons a cappella : Tenebrae factae sunt d'après le Liber Usualis, par d'autres extraits des Petits Concerts spirituels (1639), de Symphonies et de Motets de Sagittarius et du Concert spirituel de Christoph Bernhard (1628-1692) : Salve mi Jesu pour soprano et basse continue. Le disque 2 reprend le récit de Marc, chapitre 15, versets 1-47. Il est entrecoupé par des pièces contemporaines d'Anton Colander (1590-1621), de Johannes Hermann Schein (1586-1630) et de Samuel Seidel (1615-1665). Les sources bibliques restent toujours présentes.

Dès le début, les instrumentistes créent l'atmosphère triste, mélancolique et poignante convenant à la Passion du Christ, et encore renforcée par la monodie grégorienne évoquant les Ténèbres. Après la Sinfonia II provenant des Sept Paroles du Christ en croix (SWV 478), le Chœur annonce la Markus-Passion en ces termes : Das Leiden unsres Herrn Jesu Christi… puis introduit le récit cantillé de l'Évangéliste, faisant preuve d'une remarquable diction très suggestive. Les passages polyphoniques interpolés et intériorisés contribuent à la méditation. Ces mêmes principes sont respectés dans le second disque avec la relation de l'Évangéliste. La conclusion de la Passion (pl. 10) est un chant d'action de grâce et de reconnaissance : Dank sei unserm Herrn Jesu Christo, der uns erlöset hat, durch sein Leiden, von der Hölle, est chantée avec expressivité, conviction et dépouillement. Elle est suivie de la Sinfonia VII (SWV 405, extraite des Sinfoniae Sacrae III) : O süsser Jesu Christ (texte anonyme) de Heinrich Schütz pour deux sopranos, alto, ténor, violons I et II et basse continue qui, après une introduction instrumentale rappelant l'atmosphère du début de l'œuvre, pose un émouvant point d'orgue évoquant l'amour du Christ et s'adressant à ceux qui doivent l'aimer. À écouter passionnément.

 

 

Édith Weber.

 

« Clairières dans le ciel ». Duo Contraste. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com). WW1 Music. HORTUS  713 : TT :  73' 42.

Pour commémorer le Centenaire de la Première Guerre Mondiale (World War 1), le Label HORTUS a, dans sa Collection « Les musiciens et la Grande Guerre », associé au Volume XIII 5 compositeurs français : Pierre Vellones (1889-1939), Guy Ropartz (1864-1955), Georges Migot (1891-1976), Jacques De La Presle (1888-1969) et Lili Boulanger (1893-1918) dont les œuvres reflètent tout particulièrement la mentalité et les réactions des combattants au front et des compositeurs à l'arrière. Le programme a le mérite de présenter des inédits de Georges Migot et de Jacques de La Presle, entre autres. Un dessin anonyme à l'encre de Chine : « On est prié de ne pas chanter » — illustré par un soldat barbu dont la bouche est cadenacée —, à lui seul, traduirait déjà l'état d'esprit des Poilus.

La Lettre du front (1916) (paroles : Marcel Manchez, musique : Pierre Vellones) (pl. 1), adressée au Commandant A. du Boisrouvray, évoque de manière très réaliste l'atmosphère dans les tranchées, les regrets de la vie ancienne du soldat qui veille et écrit, « les pieds dans l'eau ». Ce CD se termine par Aux Gonces qui se débinent (1916), ceux qui, « au sec », ne seront pas blessés : paroles accusactrices et chantées par Cyrille Dubois (ténor) avec hargne en fonction des paroles de Marcel Manchez (pl. 29), accompagné en parfaite entente par le pianiste Tristan Raës.

Guy Ropartz a choisi Quatre Odelettes (1916) de Henri de Régnier, de caractère lyrique et descriptif (pl. 2-5) : Un petit roseau m'a suffi…, avec une introduction au piano qui crée l'atmosphère quelque peu mystérieuse et si bien rendue par le Duo Contraste. Cette pièce est suivie de Si tu disais…, Chante si doucement…, Je n'ai rien que trois feuilles d'or… (magnifique début a cappella), tout à fait dans l'esprit de la mélodie française (équivalent du Lied allemand) et l'esthétique du début du XXe siècle. Les mélomanes découvriront le premier enregistrement discographique des Sept petites images du Japon (pl. 6-12), dédiées à Jane Bathori et composées en 1917 par Georges Migot d'après le Cycle de Heian (IXe siècle), suscitant d'abord en douceur, puis plus énergiquement, la tristesse de la séparation et faisant appel à une grande richesse expressive et un réel pouvoir de suggestion.

Jacques De La Presle (1888-1969) a mis en musique la Chanson de la rose (1917) de M.-A. Robert (pl. 13) empreinte de douceur, d'admiration et de désir, ainsi que le texte de Jean Richepin (pl. 14) : La branche d'acacia (1916) s'adressant à l'Aimée et se terminant par la phrase : Alors depuis que je t'aime, dis toi-même combien de jours il y a, résumant l'atmosphère du poème. Sa mélodie Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle (pl. 15) sur le texte de Charles Péguy et dédiée « à la mémoire de Charles Péguy » (mort en 1914, au tout début de la Guerre), se termine par deux affirmations : Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre. Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés... Lili Boulanger (1893-1918) a retenu le poème Clairières dans le ciel (1914)  extrait du Recueil Tristesses de Francis Jammes (pl. 16-28), concernant l'amie « descendue au bas de la prairie » (pl. 16), « gravement gaie » (pl. 17), puis la tristesse et la joie quand il pense à elle (« Parfois je suis triste », pl. 18) ou encore la nostalgie (« Demain fera un an… », pl. 28).

Sur le front ou à l'arrière, ces poètes et musiciens — par leur musique aux accents très humains et d'un grand raffinement, marquant un aboutissement esthétique — ont livré un intime et émouvant témoignage d'humanité au cœur de la barbarie. Cyrille Dubois (ténor) et Tristan Raës (piano), tous deux formés au CNSM dans la classe de Lied et Mélodie, ont signé une belle illustration historique et psychologique, conformément à leur affirmation : « La musique porte au-délà des mots le spleen et la mélancolie qui prévalaient partout dans le monde au début de ce conflit ».

 

 

Édith Weber.

 

Pièces pour violon de Serge PROKOFIEV, Igor STRAVINSKY, Ernest BLOCH, Eugène YSAYE, Fritz KREISLER, Janine ALLANIC, Bernardo STALMAN. Roberto Sawicki, violon. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD1455. TT : 58'37.

Roberto Sawicki — violoniste et chef d'orchestre argentin contemporain—, né à Buenos Aires, s'est installé en Suisse romande où il a fondé en 1975 l'Orchestre de Lanci-Genève. Il a enregistré en 2014 une sélection originale de compositions du XXe siècle pour violon seul. Voici ce qu'il précise à cet égard : « Lorsque j'ai choisi ces œuvres pour violon seul… mon intention était de proposer aux mélomanes des œuvres reliées par ce qui m'apparaît comme leur caractéristique commune : la recherche de l'essentiel à travers une subtile forme de dépouillement. Ces œuvres exigent de l'interprète une richesse d'expression, une modulation fine du son, une intention particulière aux possibilités polyphoniques du violon. Elles demandent aussi un renoncement aux effets, une quête de vérité pour aller au plus profond de l'âme de chaque partition. » Ces impératifs  sont confirmés par son jeu exceptionnel.

Sept  œuvres figurent à son programme : Intrada et Badinerie de Janine Allanic, interprétées avec fluidité, précision et justesse extrême dans l'aigu. La Sonate op. 115 de Sergueï Prokoviev (1891-1953), composée en 1947, avec humour et lyrisme, exige une grande virtuosité (con brio). La Suite n°2 d'Ernest Bloch (1880-1959), musicien suisse puis citoyen américain, d'abord énergique et quelque peu angoissante, avec une grande difficulté d'intonation, se fait ensuite plus tendre, puis méditative. Igor Stravinsky (1882-1971) a, en 1944, composé une Élégie en sol mineur, en fait « déploration à la mémoire du premier violon du Quatuor Pro Arte » ; le style peut surprendre : l'interprétation est entièrement effectuée avec la sourdine. Ce parcours cosmopolite se poursuit avec la Sonate op. 27 n°5 du musicien belge Eugène Ysaÿe (1858-1931), qui évoque l'éveil de la nature, nécessite des pizzicati énergiques et des notes tenues pianissimo à l'archet. Le Recitativo e scherzo capriccio de Fritz Kreisler (1875-1962) est caractérisé — selon Pierre de Vargas — par son « mouvement grave et noble », par une « danse pétillante, dynamique, rebondissante au jeu très affirmé, [qui] tranche avec la douceur… et le raffinement d'une élégance viennoise ». Enfin, plus proches de nous, Deux tangos de l'Argentin Bernardo Stalman (1910-2004) : Lobo estas ? (Loup, y es-tu ?) et triple Libertad… ? s'inspirant de l'Hymne national de son pays, posent un intéressant point d'orgue sur cette redoutable Anthologie cosmopolite.

 

Édith Weber.

 

 

Julien-François ZBINDEN : Intégrale des œuvres pour quatuor à cordes. Quatuor Sine Nomine. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1451. TT : 48' 19.

Le Quatuor Sine Nomine (Lausanne) réunissant Patrick Genet, François Gottraux, Hans Egidi et Marc Jaermann, a réalisé l'intégrale des quatuors à cordes de Julien-François Zbinden, né le 11 novembre 1917 à Rolle (Canton de Vaud). Ce pianiste, compositeur assez autodidacte, a découvert le jazz à 15 ans, étudié à l'École Normale en 1938, puis débuté une carrière professionnelle de pianiste de dancings et de variétés, et exercé de nombreuses activités radiophoniques jusqu'à sa retraite en 1982. Ses œuvres ont été couronnées par de nombreux Prix. En 1979, il a composé son Quatuor n°1 op. 60 en trois mouvements : 1. Exorde (de caractère oratoire), 2. Berceuse plus intime, dont le thème, comme il le souligne, « est construit sur les lettres du prénom et du nom du dédicataire roumain [naturalisé suédois] Mircea Saulesco » (orthographe roumaine), 3. Rythme matérialisant « un vœu de M. Saulesco : un finale de couleur jazzy, étant donné que le compositeur fut pianiste de jazz professionnel ». Cette œuvre a été créée en 1979 à Stockholm. Le programme se poursuit avec Alligun, op. 69 (1983) pour la même formation, dédié à l'épouse de M. Saulesco, avec des accords violents et dissonants, un fugato à 4 voix reprenant les accords de l'introduction, puis une brève berceuse terminant joyeusement l'œuvre. Enfin, le Quatuor n°2 op. 108 (composé en 2011 et créé en 2012), pour formation particulière (deux violons, alto et violoncelle), très développé, comporte quatre mouvements : 1. Lento mystérieux, puis « joyeusement rythmique » 2. Allegro-Scherzando molto vivo qualifié par le compositeur de « batifolage d'archets » 3. Adagio dramatique et plus intériorisé, 4. Allegrissimo réservant de nombreux traquenards techniques. Cette réalisation est tout à l'honneur du Quatuor Sine Nomine, de réputation internationale et lauréat de nombreux concours.

 

 

Édith Weber.


 

Apolinary SZELUTO : Songs 1.  Aleksandra Kaminska-Rykowska, mezzo-soprano, Laura Sobolewska, piano. 1CD ACTE PRÉALABLE : AP0338. TT : 42' 09.

Apolinary Szeluto (1884-1966), est né à Saint-Petersbourg dans une famille de musiciens ; d'abord pianiste dès l'âge de 9 ans, il a ensuite étudié la composition au Conservatoire de Varsovie auprès de Sygmunt Nokowski (mort en 1905). Il a été notamment l'ami de Karol Szymanowski. Son œuvre a rencontré un grand succès. Il a sélectionné, entre autres, sept poèmes d'Adam Mickiewicz, deux de Julius Slawcki, un de Leon Radziejowski, poètes polonais, et cinq d'après Heinrich Heine et un d'Oscar Wilde (adaptés en polonais). La plaquette ne donne aucune traduction des textes chantés par Aleksandra Kaminska-Rykowska (mezzo-soprano) avec musicalité, tour à tour, avec assurance, finesse et nuances. Formée en chant par le professeur Wojciech Maciekowski, diplômée de l'Académie de Musique  de Poznan en chant solo,  elle a débuté à la scène, notamment avec le role de Lucia dans Cavalleria rusticana. Elle a aussi étudié au Conservatoire Santa Cecilia de Rome et s'est produite comme soliste à la fois en Pologne, en Europe et aux États-Unis. Musicologue, elle est titulaire d'un Doctorat portant sur l'héritage de l'art vocal d'Apolinary Szeluto. Elle est accompagnée et soutenue discrètement au piano par Laura Sobolewska (piano) qui a étudié le piano à Poznan à l'Académie Ignacy Jan Paderewski avec le professeur Waldemar Andrzejewski et obtenu de très nombreuses récompenses internationales. Elle est à la fois concertiste, musicologue et professeur à l'Académie de musique de Poznan. Ces mélodies très brèves sont interrompues, à la plage 11, par le Nocturne en Si b Majeur N°1 (op. 54, n°1) auquel l'excellente pianiste confère toute la nostalgie souhaitée. Ensemble, elles forment équipe bien soudée au service d'une meilleure connaissance de la musique vocale polonaise.

Édith Weber.

 

Frédéric CHOPIN, Mieczyslaw KALOWICZ, Karol SZYMANOWSKI, Roman PALESTER, Witold LUTOSLAWSKI, Andrzej PANUFNIK : SONGS. Bernadeta Sonnleitner, mezzo-soprano, Jakub Tchorzewski, piano. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com): AP0337. TT : 66'41.

Cette Anthologie vocale polonaise, en première mondiale, est réalisée par Bernadeta Sonnleitner (mezzo-soprano) et Jakub Tchorzewski (piano). Elle permettra, grâce à l'initiative de Jan Jarnicki, de promouvoir la musique et les musiciens polonais. Fryderyc Chopin est représenté par quatre mélodies polonaises (op. 74) plutôt destinées au salon qu'à la salle de concerts. Mieczyslaw Karlowicz (1876-1909) a composé ses mélodies (op. 3) à la fin du XIXe siècle. Les mélodies (op. 5) de son contemporain, Karol Szymanowski (1882-1937), sont plus développées ; il préconise une déclamation solennelle et utilise des harmonies archaïques et modales. Chanteuse et pianiste  sont à égalité, évoquant des sentiments très forts émanant des poèmes de Kasprowicz. Les 3 Chants de Roman Palester (1907-1989), datant de 1930, sont une œuvre de jeunesse ; certaines ont été perdues pendant la guerre, mais ces 3 chants ont été retrouvés dans les archives ayant appartenu à l'éminente musicologue, Zofia Helman, spécialiste de Palester. Witold Lutoslawski (1913-1994) est représenté par 5 pièces concernant entre autres la mer, les cloches d'église. Enfin, Andrzej Panufnik (1914-1991), appartenant à la même génération, est l'auteur d'une mélodie très développée : Dreamscape publiée en 1977, créée par la chanteuse Meriel Dickinson, sœur du pianiste et compositeur Peter Dickinson, ami de Pafnuknik. La finalité est originale, car le compositeur a « donné au chanteur la possibilité d'improviser le choix des voyelles et du phrasé ». La partie de piano est très élaborée. Cette œuvre est aussi connue pour sa version pour violoncelle et piano. Bernadeta Sonnleitner, diplômée de l'Académie Chopin de Varsovie et de l'Universté de Berne, a enregistré de nombreux CD en Suisse et en Allemagne. Jakub Tchorzewski a rayonné aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, au Japon, au Brésil et a réalisé de nombreuses émissions pour les Radios tchèque, slovaque, suisse, italienne et polonaise. Ils remplissent admirablement les objectifs d'Acte Préalable.

 

Édith Weber.

 

« Swiss Symphony Composers, vol. 2 » : Aloÿs FORNEROD, Laurent METTRAUX, Jean BALISSAT, Fabio MAFFEI. Orchestre de la Suisse italienne, dir. Emmanuel Siffert. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1234. TT : 75'15.

Olivier Buttex, toujours soucieux de mieux faire connaître la musique suisse, a retenu pour le Volume 2, quatre compositeurs et cinq œuvres interprétées par L'Orchestre de la Suisse italienne (fondé en 1935) sous la direction avisée d'Emmanuel Siffert, formé à la direction à Salzbourg par Sandor Végh, puis en Suisse par Ewald Körner et à Helsinki par Jorma Panula, et qui dirige de très nombreux orchestres.

Aloÿs Fornerod (1890-1965), après ses études au Conservatoire de Lausanne, a bénéficié de l'enseignement de Vincent d'Indy (composition), d'Auguste Sérieyx (contrepoint), puis, à Strasbourg, de Hans Pfitzner (orchestration). Il est à la fois conférencier, violoniste, enseignant. D'abord pour piano, Le voyage de Printemps, op. 28 — orchestré en 1941 et créé par Ernest Ansermet l'année suivante —, est tour à tour impressionniste, empreint de fraîcheur, coloré, rêveur, enlevé, dansant. Il est structuré en 5 mouvements un peu à la manière d'une suite. Son 2e Concert pour orchestre de chambre, composé en 1949 et créé en 1950, également d'esthétique néoclassique, comporte 4 parties : Entrée, Passepied de caractère vivace, Romance intériorisée et Mouvement perpétuel plein d'élan.

Plus proche de nous, Laurent Mettraux (né en 1970) a étudié au Conservatoire de Fribourg et à Genève. Il a entre autres bénéficié des conseils de Klaus Huber, de Luis de Pablo, d'Arvo Pärt et Paul Mefano. Jeune compositeur, il a obtenu des prix prestigieux et a été honoré pour sa « contribution remarquable à la vie musicale en Suisse et à l'étranger » où ses œuvres sont largement diffusées. Sa Symphonie pour orchestre de chambre n°1, tragique et sombre, accumule les passages polyphoniques alternant avec des soli instrumentaux reposant sur des mélodies tourmentées. Elle nécessite une grande maîtrise technique de la part des instrumentistes.

Jean Balissat (1936-2007) a d'abord étudié l'harmonie et le contrepoint à Lausanne, puis l'orchestration et la direction à Genève. Il est à la fois corniste, percussionniste, chef d'orchestre et compositeur (pour orchestre, chœur, brass band, instruments solistes). Il a aussi enseigné la composition, l'orchestration et l'analyse aux Conservatoires de Lausanne et de Genève ; il a été, entre autres, président de l'Association des Compositeurs Suisses. Son Intermezzo pour orchestre de chambre spécule notamment sur l'aigu des violons et s'inspire de Visions de Constantin Regamey.

Enfin, Fabio Maffei (né en 1968), après ses études au Conservatoire de Lausanne et à la Fondation Heinrich Neuhaus, a travaillé en privé à Neuchâtel avec le compositeur René Gerber. Il est également l'élève de Chen Liang-Sheng à Genève ainsi que de Michel Tabachnik (en direction). Premier Prix du concours (1995) pour jeunes compositeurs organisé par l'Orchestre de chambre de Lausanne, son œuvre très développée, reprend 10 épisodes du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry. Elle baigne successivement dans l'inquiétude (plage 12), l'angoisse (pl. 13), la sobriété et le dépouillement (pl. 14). Les plages 15, 16, 17 évoquent le Roi en une marche pompeuse ; le Buveur avec quelques « épanchements de sentimentalité exagérée » ; rapidement l'Allumeur de Réverbères, suivi de la Rencontre avec le Serpent (pl. 18) mettant la clarinette basse en valeur et traduisant une certaine inquiétude, cédant le pas à l'émotion et la mélancolie avec Le Secret du Renard (pl.19), avec le choral à 4 voix interprété par les cordes. Pour conclure, le Départ du Petit Prince (pl. 20) renoue avec l'attente du premier mouvement et avec quelques réminiscences thématiques. Enfin, pour la dernière page du livre, L'étoile (pl. 21), Fabio Maffei  fait appel à un ostinato, à des lignes mélodiques expressives. L'ensemble imprégné de nostalgie se termine dans la lumière. Œuvre originale et particulièrement attachante.

Cette réalisation contribuera largement à une meilleure connaissance de la musique suisse du XXe siècle.

Édith Weber.

 

« Swiss Symphony Composers, vol. 4 »: Aloÿs FORNEROD, Alphonse ROY, Bernard REICHEL, Laurent METTRAUX. Margarita Jeskina, orgue. Orchestre symphonique de Volgograd, dir. Emmanuel Siffert. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1192. TT : 70'23.

Le Volume 4 propose d'autres pages symphoniques d'Aloÿs Fornerod  et de Laurent Mettraux (présentés dans la recension ci-dessus), et permet également de faire connaître deux autres compositeurs.

Alphonse Roy, né en 1906, a étudié la flûte, l'harmonie, le contrepoint, l'histoire de la musique et la pédagogie au Conservatoire de Neuchâtel. Brillant flûtiste, il a été membre de l'Orchestre de Winterthur et de celui du Kursaal à Baden, puis à l'Orchestre de la Suisse Romande et également à Lugano, et c'est à Genève qu'il compose à partir de 1944. Il meurt en 2000. Sa Ballade pour grand orchestre (pl. 2), créée en 1953 par l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest Ansermet et, l'année suivante, à Bâle par Hans Münch à la tête de l'Orchestre symphonique. Dans cette œuvre incisive, spéculant sur les contrastes dynamiques, le compositeur s'inspire des possibilités orchestrales typiquement ravéliennes.

Bernard Reichel, né à Neuchâtel en 1901, est à la fois pianiste, organiste et compositeur ainsi que disciple d'Émile Jaques-Dalcroze. À Paris, il étudie la composition avec Ernst Levy et se familiarise avec les styles de Claude Debussy, Maurice Ravel, Albert Roussel, Arthur Honegger… De retour à Genève, il y enseigne l'harmonie au Conservatoire et occupe plusieurs postes d'organiste. Il meurt en 1992. Musicien assez indépendant, il est influencé par le choral, les modes médiévaux, le chant populaire et mise sur l'élargissement de la tonalité. Ses œuvres religieuses (Chorals, Psaumes, Te Deum, Gloria…) sont largement diffusées. Sa Pièce symphonique pour orchestre avec orgue (pl. 3), composée et créée en 1946, est pleine d'allant, l'orchestre et les percussions occupent une large part. Son esthétique se veut libre et indépendante.

Prométhée enchaîné d'Aloÿs Fornerod (1890-1965) est une pièce symphonique pour grand orchestre. Comme le rappelle Jacques Viret, la première exécution a été enregistrée en 1949 avec le chef Edmond Appia pour un programme radiodiffusé de l'Orchestre de la Suisse Romande. La création publique a eu lieu le 6 février 1952 à Winterthur et, deux ans après, Carl Schuricht réalisera un enregistrement pour la Radio du Stuttgart. Cette œuvre très rythmée, insistante est énergique, puis devient plaintive et lyrique ; ensuite un changement de tempo « animé » et un thème rapide sont suivis d'un passage lyrique poignant mais — au lieu du triomphe de Prométhée — l'accalmie et la résignation s'imposent.

Le disque se termine avec deux œuvres de Laurent Mettraux (né en 1970) : Ombre, composée entre 1995 et 1998, d'après Edgar Allan Poe, traduit la terreur et l'angoisse avec des timbres parfois curieux et des nuances extrêmes (ffff). Enfin, dans sa Vision immanente, composée en 1992 et révisée en 2006, le compositeur fait alterner des passages agités et des moments apaisés.

L'Orchestre symphonique de Volgograd (fondé en 1987) et Margarita Jeskina (orgue), placés sous la direction énergique d'Emmanuel Siffert, défendent ardemment ces œuvres de musiciens suisses à (re)découvrir.

 

 

Édith Weber.

 

 

« The high road to Kilkenny ». Chansons et danses gaéliques des XVII ème et XVIII ème siècles. Robert Getchell, ténor. Les Musiciens de Saint-Julien, dir. François Lazarevitch. 1CD Alpha : Apha 234. TT.: 69'25.

 

Ce disque nous entraine dans les paysages et les traditions d'Irlande : « Amour, bardes et mécènes », nous dit François Lazarevitch (cf. son ITV ci-dessus, à la rubrique PROPOS PARTAGES ). Des chants et danses collectés au fil de l'histoire d'un pays soumis à l'occupation anglaise, et réunis en particulier au XIX ème. Des pages que le chef dit avoir découvertes il y a une vingtaine d'années et qu'il brûlait de faire partager. Les compositeurs ont pour nom : Turlough O'Carolan (1670-1738), le plus célèbre, Thomas Connelan (c.1640/45-1668), ou encore David Murphy (début du XVII ème). Il y a aussi des Anonymes. Leurs pièces véhiculent une rythmique à l'amplification irrésistible, gagnant en intensité sonore à mesure que croît la vitesse, se modifiant aussi au fil du parcours. Les morceaux présentés ici sont d'abord vocaux, chacun précédé ou suivi d'un épisode instrumental. Ils sont significatifs d'un « répertoire de poésie mise en musique extrêmement raffiné et savant » et d'« un répertoire récréatif de chansons et de danses » (François Lazarevitch). Ils font la part belle à la flûte et au violon solo. Ainsi de cette chanson d'amour un brin satirique « Oro mhor a mhoirin » (an.), ou de « Edward Corcoran » de O' Carolan, une mélodie traduisant les affres de l'émigration des meilleurs d'entre les irlandais, qui allait affaiblir la culture gaélique : introduite par la flûte, rejointe par le violon, elle est bien peu joyeuse. La pièce « Tiana Mhaigh eo (Lord mayo) » de Murphy est un exemple d'éloge bardique, offrant un mélodisme délicatement balancé. On y trouve encore des pièces de type berceuse, telle « Do Chuirfinnse Féin Leanbh a Chodlach » /je mettrai mon propre enfant à dormir (an.), qui appartient à la tradition des chants de protection. On savoure ici les sortilèges mirifiques de la harpe celtique. Ces pages vocales sont entrelardées de morceaux instrumentaux qui eux aussi cèlent une verve bondissante. Ainsi de « Cuckold come out the amery » de John Peacock (1756-1817), ou cet enchainement de pièces de O' Carolan où l'on remarque le violon orné de la première « Sir Arthur Shaen ». Ou encore cet autre dans le registre de la complainte («Soggarh Shamus O'Finn » (an.), que transfigure la viole de gambe, ou les « Variations » de James Oswald (1711-1769) et O' Carolan, distinguées par la flûte de Lazarevitch et le violon de David Greenberg.  Dans l'air du ballad opera « O'Neill's riding barrack Hill » (an.), la cornemuse apporte une autre couleur ''locale'' hyper irlandaise. La berceuse « The cunning young Man » (an.), pour réconforter un enfant malade, met en avant la flûte là encore. « The high road to Kilkenny » (an.) est un ''slip jig'', danse à 9/8, pratiquée par les femmes qui, dit-on, étaient chaussées de ''soft shoes'' ou claquettes sans fer. L'un des sommets de cette anthologie. Une bien belle aventure que Lazarevitch et ses musiciens de Saint-Julien nous font partager par une manière entrainante dans ses harmonies claires et ses rythmiques endiablées voire rageuses. Ce petit groupe de six instrumentistes, violon, viole de gambe, théorbe (ou cornemuse), flûte (ou bagppies), harpe et harpe celtique, déploient des sonorités proprement envoûtantes. La belle faconde et le timbre angélique du ténor Robert Getchell illuminent les pièces vocales. A découvrir absolument.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jean Sébastien BACH : Concertos Brandebourgeois, BWV 1046-1051. « Afin que ma joie demeure » d'après la cantate « Hertz und Mund Tat und Leben »  BWV 147. La Simphonie du Marais, flûte et dir. : Hugo Reyne. 2 CDs Musiques à la Chabotterie : 605014. TT: 1H41. 

 

Cette nouvelle version des Concertos Brandebourgeois se veut « à la française », selon son chef Hugo Reyne, avec accent porté sur les vents. Les « Six Concerts avec plusieurs instruments » sont un des points d'aboutissement de la floraison concertante chez Bach. On a longtemps glosé sur leur caractère de ''vrai'' cycle, sur ce qui est une synthèse de la forme du concerto grosso italien et du concerto de solistes. L'interprétation d'Hugo Reyne et de ses forces de la Simphonie du Marais offre un autre éclairage que les versions dites traditionnelles. Encore qu'il serait passionnant de la comparer à la version pionnière de Nikolaus Harnoncourt de 1962. Avec une petite vingtaine de musiciens, le plus souvent réduits à une dizaine, ces lectures apparaissent dégraissées et transparentes. Car l'instrumentation choisie est ''légère'' pour un résultat chambriste. Les tempos sont judicieux, et assez modérés lorsqu'il s'agit du ''tempo giusto'', autrement dit laissé à la discrétion du chef. Surtout Reyne favorise les bois, dont sa propre flûte à bec. Aucune routine donc, et des lectures sages qui sonnent un peu à l'étroit eu égard à l'acoustique ''boxy'' du lieu d'enregistrement live, à Montaigu, non loin du Logis de La Chabotterie, port d'attache de cet ensemble.

 

Pour reprendre l'ordre proposé des deux CD : le concerto N° 5 ou triple concerto pour flûte, clavecin et violon, est en fait pour clavecin tant celui-ci y tient une place essentielle, comme au premier mouvement et sa longue cadence (magnifique Yannick Verlet) ou à l'affetuoso médian confié au seul trio instrumental, lequel est selon Reyne « une déploration en trio d'un père et de ses deux fils musiciens (Wilhelm-Freideman et Carl-Philipp) esseulés après la perte de leur femme et mère ». Le Concerto N° 3 pour trois violons, trois altos et trois cellos se signale ici par son bref adagio, transition confiée aux trois instruments principaux avec « quelques broderies et motifs du 1er mouvement ». Le finale allegro est ici un presto bien trottinant, un tantinet bruyant. Pour deux cors, trois hautbois, basson et violon piccolo, le Premier Concerto est le seul des six à avoir quatre mouvements, car après les trois habituels, Bach a ajouté une suite de danses. C'est aussi le concerto dit de la chasse du fait de ses deux cors. L'interprétation de Reyne est bien chantante à l'adagio tandis qu'à l'allegro le travail sur la dynamique ne parvient pas à ôter un sentiment mécanique. La suite de danses vient mieux par un habile choix de tempos. Avec le Concerto N° 4, de style grosso, on perçoit une émancipation des solistes, dont les deux flûtes. L'allegro est engagé, l'andante profond et le presto bien délié, notamment dans le concertino des trois solistes, flûtes et violon. La couleur qu'apportent les flûtes à bec est intéressante. Le Sixième concerto, pour 2 altos, 2 gambes, cello et basse continue (violone et clavecin) est un vrai concerto de solistes. L'absence des violons introduit une climat sombre. L'interprétation réfléchie de Reyne en fait un des points forts de cette version, par exemple à l'allegro final avec son balancement pas trop appuyé et le tricotage des deux altos créant un climat sévère. Enfin le Concerto N°2, pour trompette, flûte à bec, hautbois et violon, distribution insolite, sur le mode du concerto grosso, voit un habile travail entre le concertino des solistes et le ripieno orchestral. Voilà donc une version renouvelée d'une œuvre archi enregistrée, à laquelle il  manque peu pour figurer dans le peloton de tête.      

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jean-Marie LECLAIR : Scylla et Gaucus. Opéra en un prologue et cinq actes. Livret de Albaret, d'après Les Métamorphoses d'Ovide. Emöke Barah, Anders J. Dahlin, Caroline Mutel, Virginie Pochon, Marie Lenormand, Frédéric Caton, Marie-Frédérique Girod, Marina Venant, Sarah Jouffroy, Vincent Laloy, Pierre-Antoine Chaumien, Jean-Baptiste Dumora. Les Nouveaux Caractères, dir. Sébastien D'Hérin. 3CDs Alpha : 960. TT.: 50'48+49'55+59'05.

 

On connait Jean-Marie Leclair (1697-1764) comme virtuose du violon. Ce « Vivaldi français » a commis quelques 49 sonates pour le violon, une douzaine d'autres pour deux violons, et 12 concertos pour l'instrument. Son unique opéra, Scylla et Glaucus a été créé à l'Académie royale de Musique en 1746 avec un succès d'estime, dû sans doute au voisinage des œuvres de Rameau et de Lully. Il sombrera ensuite dans l'oubli. Une production en sera cependant donnée à l'Opéra de Lyon, sous la direction de John Eliot Gardiner, dans le années 1970. C'est pourtant une œuvre passionnante qui mérite d'être redécouverte. L'orchestration est somptueuse, notamment pour ce qui est de l'écriture pour les cordes, les violons bien sûr, extrêmement imaginative, mais aussi, ce qui était alors nouveau, les altos et les basses. Les bois sont pareillement traités avec soin. L'accompagnement des chœurs est tout aussi remarquable, dépassant la simple écriture en doublure des voix, permettant à la polyphonie vocale de se déployer avec un naturel insoupçonné pour l'époque. Les parties purement symphoniques ne le sont pas moins, comme l'Ouverture, qui fait penser à Haendel, mais avec cette clarté française si caractéristique, les préludes introduisant chaque acte, qui laissent entendre des dissonances et des « accidents harmoniques » (Benoît Dratwicki), ou encore les divertissements toujours raffinés et originaux. Les récitatifs ne souffrent aucun maniérisme et les airs sont ingénieux. Surtout on remarque une justesse de ton dramatique même si le thème subit quelques  longueurs, canon en 5 actes oblige : les amours tragiques de la nymphe Scylla et de Glaucus, « jeune dieu de la cour de Neptune », contrariés par la magicienne Circé qui joue un double jeu et sous prétexte d'aider le jeune homme dans son entreprise amoureuse, s'en éprend, et bien sûr se vengera de voir l'autre femme lui être préférée. Les choses tourneront mal : Scylla sera ravie à son amant après s'être mirée dans le eaux d'une fontaine enchantée tandis que l'Etna crache flammes et cendres, puis engloutie dans les flots du détroit de Sicile pour se trouver transformée en rocher au dessus du gouffre de Charybde. C'est ainsi que ledit rocher devint l'écueil que l'on sait afin que « Pour le malheur de l'univers, Et Charybde et Scylla soient la terreur des mers ».

 

La présente version est d'une beauté musicale à couper le souffle. Grâce d'abord à la direction de Sébastien D'Hérin, autre exemple de ces jeunes talents directement en phase avec cet idiome. L'intuition est là pour trouver le ton juste, forger les contrastes : la tendre inclination amoureuse chez les deux protagonistes, la passion rentrée de Circé. Pour amener les transitions aussi. La manière est vive, voire adroitement boulée (entracte ou finale du II). Faire saillir les détails instrumentaux émaillant la partition semble être un plaisir gourmand : broderies des cordes qui ont un ''ressort'' étonnant, travail sur les percussions, etc... Le continuo est subtilement pensé. L'art de négocier l'effet dramatique aussi, qu'il soit placide (arrivée de Circé, à la scène 4 du III) ou terrible (fusées furieuses de l'orchestre lors du changement de situation à la fin de l'opéra pour décrire les monstres qui entourent Scylla). Les divertissements sont purs joyaux, telle la Loure du III, joliment scandée, et la Gavotte respirant allègrement, ou encore Les Tambourins (V), d'une vivacité communicative. Les instrumentistes des Nouveaux Caractères répondent avec un engagement qui ne se dément pas, les cordes en particulier qui ont une élasticité étonnante : ainsi des divers airs du IV agrémentés de subtiles percussions. Les trois rôles principaux sont tenus avec panache. Anders J. Dahlin, Glaucus, offre un timbre clair de ténor, expressif dans l'articulation, insistant sur le côté lyrique du rôle, avec un passage plus marqué dramatiquement à l'acte IV lors du duo avec Circé. Un bel achèvement. La Scylla de Emöke Barath, beau soprano extrêmement ductile dans les envolées aiguës, livre une diction irréprochable et excelle à restituer les enjolivements de cette partie qu'elle dote d'une épaisseur dramatique bienvenue. La Circé de Caroline Mutel n'est jamais caricaturale. La présence vocale apporte une dimension charnue au personnage, ce qui confère à l'air de vengeance de l'acte V un poids irrésistible lors d'une scène cruciale où tout bascule dans l'infernal. Tous les autres rôles sont parfaitement défendus. Une éclatante réussite. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Haydn concertos ». Joseph HAYDN : concerto pour violon Hob. VIIa:4. Concerto pour cor, Hob. VIId: 3. Concertos pour clavier Hob. XVIII:4 & XVIII:11. Symphonie ''La Poule'' Hob. I:83. Fantasia Hob. XVII:4. XVII:4. Concerto pour violon et clavecin Hob. XVIII:6. Riccardo Minasi, violon, Johannes Hinterholzer, cor, Maxim Emelyanychev, clavecin.  Il Pomo d'Oro, dir.  Riccardo Minasi &  Maxim Emelyanychev. 2CDs Erato : 0825646052042. TT: 56'42+68'55.

 

Les concertos constituent un corpus moins connu au sein de l'immense production de Joseph Haydn. Celui-ci n'y cherche pas la brillance, encore moins la virtuosité. La plupart sont des œuvres écrites pour des commanditaires, notamment la cour d'Esterháza et les solistes de son orchestre. Aussi ces pièces peuvent-elles sembler moins séduisantes que celles de Mozart ou que les symphonies du ''Papa Haydn'' lui-même. Mais elles sont pourvues d'élégance et de la richesse d'invention dont fait toujours montre le musicien. Elles sont  bâties sur le schéma du concerto baroque, en trois mouvements, rapide-lent-rapide. Le concerto de violon Hob. VIIa:4 offre un allegro agréable doté d'une belle cadence, un adagio un peu austère et un finale nerveux, que Riccardo Minasi, qui dirige de son violon, pare de son talent. Écrit en 1762, le concerto pour cor, à l'intention de Joseph Leutgeb (pour qui Mozart composera aussi et aura des mots peu amènes), requiert une technique habile car il visite souvent la tessiture aiguë de l'instrument (1er et 3ème mouvements, ce dernier doté d'une cadence pétaradante) et des notes graves impressionnantes (dans l'adagio de type romance). Les concertos pour clavier sont de la même veine : Le concerto Hob. XVIII:4, joué ici au clavecin, comme à la création en 1770, est de facture très classique mais pourvu de quelques audaces au finale, un rondo presto enlevé, avec  des traits répétés fébrilement dans la partie soliste. L'adagio a une allure rêveuse, où l'on peut admirer le jeu raffiné de Maxim Emelyanychev. L'autre concerto pour clavier qu'il donne, le Hob. XVIII:11, de 1780, est plus exigeant. C'est un des plus connus de Haydn, très prisé des pianistes. On les comprend car son vivace initial déploie cette verve qui séduit d'emblée dans sa rythmique entrainante. Le clavecin apporte une légèreté bienvenue, tricotant dans le développement et la cadence. De sa délicate inspiration, l'adagio exhale un chaud lyrisme. Emelyanychev est royal. Comme au finale exubérant, un rondo all'Ungarese, pour beaucoup dans la réputation de la pièce, peu résistible dans ce qu'en fait le claveciniste russe et à la direction. Le double concerto pour violon et clavecin (1766), le seul qui ait subsisté, est moins inventif peut-être que les autres concertos. Il n'en est pas moins intéressant dans le dialogue des deux instruments tantôt unis tantôt en répons, ou chacun tenant la corde. En particulier à l'adagio qui, entamé comme le prélude instrumental à une aria de concert, va être enluminé de la touche de chacun des deux solistes. Il dégage un lyrisme sans fard et la cadence, attendue, est une sorte de conversation intime. Un presto pimpant conclut. Les deux solistes sont parfaits et la direction de Emelyanychev est là encore des plus adroites.

 

L'exécution de la symphonie N0° 83, dite « La Poule » est de nouveau l'occasion d'apprécier le flair de la direction de celui-ci et le raffinement des musiciens d'Il Pomo d'Oro. Cette deuxième symphonie de la série des six dites « Parisiennes », écrites pour le Concert de la Loge Olympique, offre bien des félicités. Et invite à l'humour en coin comme sait le distiller Haydn. A l'allegro spiritoso – où est imité le le caquètement de la gallinacée au hautbois et soulignement des cordes - le chef  privilégie un tempo tendu et souligne les cors. On admire le piqué des cordes de l'ensemble italien. L'andante libère son originalité : contrastes dynamiques, ici poussés loin, les fameux bouts de phrases joués de plus en plus piano, à la limite du murmure, oppositions de tempo, manière suave de faire chanter l'orchestre. Voilà un chef qui a à dire. Le menuet est autre chose que simplement gracieux et son trio en forme de refrain tranche fort joliment. Un vivace follement allègre conclut la symphonie, presque boulé. Mais cela est irrésistible et magistral de la part des bois.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Wolfgang Amadé MOZART : Marche K. 335. Sérénade  K. 320 « Posthorn». Symphonie K. 385 « Haffner ». Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt. 1CD Sony: 888837220682. TT. :

 

L'annonce de la disparition de Nikolaus Harnoncourt marque cruellement le vide que laisse un penseur de la musique, un fondateur du renouveau du baroque ,« Père spirituel de la première, deuxième puis troisième génération » (Marx Minkowski), et un interprète hors pair et singulier. Le programme de ce CD, l'un de ses derniers, consacré à Mozart, en est un exemple parfait. Le prétexte en est la sérénade dite « du Cor du postillon », K. 320, écrite en 1779. Une de ces «  Finalmuik », destinées à fêter la fin de l'année universitaire à Salzbourg, qui donnait lieu à procession à travers la ville, du Palais Mirabell à la vieille ville en franchisant la Salzach, au son de musiques conçues par conséquent pour le plein air. Précédée de la marche K. 335 qui en est comme l'émanation, le divertimento K. 320 signale une exécution typique du maestro autrichien, extrêmement ''accidentée''. Le maestoso initial est pris très lent et le ''con spirito'' sera très nuancé dans ses diverses séquences : du triomphal au détail pianissimo, du lent hiératique au vivace alerte, le tout agrémenté d'une certaine rudesse rustique, qui cependant n'affecte pas les crescendos pris de très loin pour permettre une très large amplification. Le premier menuetto est pris pompeux avec ses passages en arpèges piano. Le trio, pour flûte et basson, vient en complète rupture, très lent. Du ''concertante'', andante graciozo, pour six bois solistes (deux flûtes, deux hautbois et deux bassons), sur accompagnement des cordes et des cors, Harnoncourt souligne la suavité par une battue plutôt ample. La cadence finale est, dans ces conditions, on ne peut plus éthérée, sorte de conversation choisie. La reprise se fait après un silence marqué. Le rondo s'enchaine dans la même veine concertante, prolongeant les conciliabules. Harnoncourt prend son temps, laissant à chaque instrument ou groupes d'instruments loisir de s'exprimer avec la finesse qu'on connait aux musiciens du Concentus Musicus Wien (les hautbois en particulier, au timbre piquant, typiquement viennois). Ce qui ne va pas sans des effets de surprise où le mouvement soudain s'emballe ou révèle quelque joliesse. L'andantino est lourd de sens, grave, parsemé de cris de désespérance introduits par les appels des cors. Le deuxième menuet fait alors contraste, chacun des deux trios décochant là encore une surprise : le 1er au flautino, pimpant, le second avec le cor de postillon que Harnoncourt détache de l'accompagnement des cordes. Le finale libère les forces. C'est un presto, qui chez le chef est un allegro rapide, bien senti, se concluant par un accord sec. Une interprétation qui nous sort de nos habitudes d'écoute aisées. La Symphonie « Haffner » K. 385 connait une lecture pareillement pensée. L'entame de l'allegro con spirito est fière, introduisant le mouvement « qui doit être joué avec beaucoup de fougue », dit Mozart, avec son thème en forme de marche. Harnoncourt  fait sonner grandiose ses musiciens et contraste en dynamique (grands accords forte, cordes très piano). Le développement déploie une grande énergie. L'andante délicat ne cherche pas quelque vaine séduction dans le traitement des cordes et le discret discours des bois. Il ne se dépare pas d'un sérieux de bon aloi et d'une finesse instrumentale remarquable, culminant dans des crescendos imaginatifs. Nikolaus Harnoncourt aborde le menuet avec une poigne rustique, marquant les accents, soulignant en cela le tempétueux de l'écriture mozartienne. Le trio apporte  l'adoucissement dramaturgique. Débuté dans un murmure, le finale laisse éclater  toute sa verve, que les auto citations de L'Enlèvement au sérail rendent si amusante. Et cela chemine volontariste, en particulier pour ce qui est des timbales. La coda libère une force inouïe. Là encore une vision hors des sentiers connus. Revigorant.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Schola Aeterna. Chants à la Vierge ». Pièces de César FRANCK, Paul LADMIRAULT, Paul BERTHIER, Joseph-Guy ROPARTZ, Jehan ALAIN. Ensemble Vocal de Lausanne, dir. Michel Corboz. 1CD Mirare : MIR262. TT. 77'.

 

Le programme de ce disque original présente trois générations de musiciens influencés de près ou de loin par le mouvement scholiste. La Schola Cantorum, fondée à l'initiative de Charles Bordes, initia un mouvement qui puisant aux sources du plain-chant et des polyphonies du XVI ème siècle, entendait promouvoir le renouveau de la musique liturgique chrétienne aussi bien par l'écriture que par l'enseignement. Il suscita les passions car « ce conservatoire libre » n'était pas au goût de tous, des tenants du ''vrai'' Conservatoire notamment. Michel Corboz a choisi de réunir plusieurs musiciens concernés de près ou de loin par ce mouvement. A commencer par le « père » César Franck dont sont donnés quelques grands Offertoires pour orgue, chœur et petit effectif instrumental. Et bien sûr le « Panis  Angelicus » ( 1872), dans les deux versions, pour soprano et pour ténor, à l'incroyable succès, peut-être en raison de son solo de violoncelle. Plus intéressants sont le « Domine non secundum » (1865), d'une contrition résignée, l'« Ave Maria » (1880), voué lui aussi à la célébrité, ou « Quae est ista », avec ténor solo et surtout accompagnement de harpe aux étonnantes modulations ; ou encore « Dextera  Domini », belle illustration du motet sacré de la période de la Restauration, à la solennelle déclamation. Disciple de Fauré, Paul Ladmirault (1877-1944) est le chantre du renouveau du régionalisme en musique, en l'occurrence de la langue bretonne : Quelques vieux Cantiques Bretons signalent la simplicité de la composition, par exemple en forme de douce prière (« Sainte Anne, bonne mère » ou «  Le Paradis »). L'accompagnement soit de l'orgue soit de l'harmonium montre un suprême dépouillement. Paul Berthier (1884-1953), musicien, juriste et créateur des Petits Chanteurs à la croix de bois, est un des vrais héritiers de la Schola dont il applique les principes en matière d'écriture pour une nouvelle musique religieuse : référence à la polyphonie des XV et XVI èmes, alliée à une belle audace harmonique (sombres harmonies de l'Offertoire de la Toussaint, raffinement de l'écriture de « Ave Maria stella » ou de «  Tantum ergo »). Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) est représenté ici par sa Messe brève en l'honneur de Sainte Anne (1922) : modes cycliques franckistes, mélodisme et transparence s'inscrivent dans la démarche scholiste. Composée de quatre numéros, elle exhale une douce ferveur par une écriture vocale là encore simple, expressive, avec le soutien du seul orgue. Jehan Alain (1911-1940) est un plus lointain héritier. Sa Messe modale (1938) réfère à la modalité grégorienne. L'instrumentation pour flûte et quatuor à cordes offre un archaïsme envoûtant. Inachevée, elle sera complétée (Benedictus) par Olivier et Maris-Claire Alain. Le recueillement imprègne l'interprétation de toutes ces pièces. L'économie des moyens privilégiée par Michel Corboz - un effectif restreint (ou le seul orgue) en soutien - vient à l'appui d'une volonté de traiter le chœur dans la plus grande sobriété et avec de douces couleurs. Un sens visionnaire aussi.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Benjamin GODARD : Mélodies, dont Six Fables de La Fontaine, op. 17 et Nouvelles Chansons du vieux temps, op. 24. Tassis Christoyanis, baryton, Jeff Cohen, piano. 1CD Aparté : AP123. TT.: 72'.

 

Benjamin Godard (1849-1895), qui grâce à l'action du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, sort de son purgatoire, a écrit quelques 162 mélodies durant les 30 années de sa carrière, le plaçant dans les premiers compositeurs de son temps pour ce genre, après Massenet et avant Gounod. Il commet ses premières  pages, un jet de 30, en 1867, et livrera ses ultimes opus en 1893. L'oubli dans lequel est tombée cette production est injuste car comme le soulignait en 1880 un chroniqueur, il y a là des « pages exquises où la pensée circule tantôt profonde, tantôt gracieuse, comme dans toutes les œuvres que signe ce jeune et déjà célèbre compositeur ». Ses mélodies dévoilent des orientations littéraires intéressantes puisque puisées pour beaucoup chez Victor Hugo, mais aussi La Fontaine, Baudelaire ou Théophile Gautier, et bien sûr des poètes de l'époque tels que Velnac ou Claris de Florian. Sauf à la toute fin, Godard restera attaché à la forme strophique de la  romance, au raffinement de la ligne vocale directement calquée sur la prosodie, sollicitant souvent le registre haut du baryton, voire des contrées presque ténorisantes. On remarque l'importance de la partie de piano écrite avec un soin particulier conférant à plus d'une pièce une saveur originale : le discours instrumental complète et élargit le propos littéraire et dépasse le simple accompagnement. Le choix opéré par les présents interprètes est judicieux car significatif des diverses périodes du musicien. Des premiers morceaux, on entend des mélodies attachantes comme « Les adieux du berger » op. 29 N° 5, tiré du recueil Les Pastorales, des années 1869-1876, livrant une passion simple, ou « Elle », op. 7 N° 10, là où le mélodisme épouse le texte de près. Le cycle des Six Fables de La Fontaine op. 17 propose de vrais saynètes théâtrales, suivant là aussi avec doigté le texte du fabuliste. Ces pièces ont été choisies par Godard parmi les sujets animaliers, à l'exception de la première « La Laitière et le Pot au lait ». On savoure dans ce morceau l'amusant clapotis du piano ponctuant de traits comiques la morale de la fable de Perrette, et tout une dramaturgie au fil du déroulement de l'histoire. Dans « La Cigale et la Fourmi », le piano imite l'insecte et le dialogue des deux protagonistes est on ne peut plus sarcastique. Pour « Le Coche et la Mouche », le musicien imagine une marche pesante dont la survenance de la mouche sonne comme la rupture, et les divers épisodes sont négociés avec ironie. Avec « Le Renard et les Raisins », c'est un peu sur le ton de ''l'air de ne pas y toucher'' ; comme pour « Le Renard et le Corbeau » et son style de ballade. L'accompagnement diablement allège de « Le Rat de ville et le Rat des champs » est encore une merveille se style. Les Nouvelles Chansons du vieux temps op. 24 présentent une autre facette où Godard prend prétexte de textes archaïques pour écrire une musique volontiers datée, façon XVIII ème, surfant sur   l'engouement de l'époque pour l'ancien. Les pièces sont strophiques avec refrain. Un choix de mélodies tardives complète le panorama : « Printemps » op 113 de 1889, « L'invitation au voyage » op 114, écrite bien après la célèbre version de Duparc, intéressante dans sa veine mélodique aisée, mais ici de structure ternaire, sur le modèle de Lied. « Message » op 147, Victor Hugo encore, offre cette curiosité d'omettre le refrain  «  Là, tout n'est qu'ordre et beauté... » Tassi Chistoyannis, au fil des albums concoctés avec le Palazetto Bru Zane (après celui consacré à Félicien David et cet autre aux mélodies de Lalo), s'affirme comme le serviteur de choix de ce répertoire. Outre la beauté intrinsèque du timbre de baryton, la clarté exceptionnelle de la diction est un sujet d'émerveillement. Comme l'empathie avec ces pièces crie l'évidence, là où il faut fuir l'emphase. Le piano de Jeff Cohen et délicat et souvent spirituel. Leur plus beau fleuron à ce jour. More please !

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Nikolaï MEDTNER : Sonate en la mineur « Reminiscenza », op. 38 N°1. Sonate en sol mineur op. 22. Sergueï RACHMANINOV : Variations sur un thème de Chopin, op. 22.  Alexander Paley, piano. 1CD La Musica : LMU 005. TT.: 77'39.

 

Belle idée de rapprocher les « deux frères en Art » (Michel Fleury) que sont Nikolaï Medtner (1879-1951) et Sergueï Rachmaninov (1873-1943), pianistes virtuoses qui ont écrit magnifiquement pour leur instrument. Formés tous deux au Conservatoire de Moscou par Sergueï Taneïev, leur destin devait cependant diverger sur le chemin de l'exil : Rachmaninov connut le succès que l'on sait aux États-Unis et mena une brillante carrière internationale. Medtner se fixa en Angleterre où il ne rencontra pas pareil succès et mena une vie laborieuse, aidé par son collègue et compatriote. Ce dernier écrivit 14 sonates pour piano qui chacune raconte une histoire dramatique. Son style narratif très personnel fait une large place à une rythmique très complexe. La conception organique de chaque pièce fait que tout procède d'une cellule unique et se développe dans une stricte cohésion. Ainsi, la sonate op. 38 N°1 « Reminiscenza » comporte trois parties enchainées illustrant, semble-t-il, la Russie d'une Belle époque balayée par la Révolution tandis que se fait jour une lueur d'espoir. L'exposition du thème lyrique conduit à une section emplie de dissonances puis à un développement véhiculant des accents angoissés et un discours austère avant un retour du lyrisme initial. La sonate N° 5 op. 22 (1910) est elle aussi d'un seul tenant. Elle s'ouvre par une introduction tonitruante pour une séquence fortement tendue faite de grands accords en aplats alternant avec des plages de lyrisme discret quoique sévère. On passe ensuite à une section extrêmement syncopée et à une autre de nouveau fortement tendue avec des cascades de notes détachées et des accords plaqués. La coda pousse le paroxysme encore plus loin, chaque main semblant lutter avec l'autre, un trait typique de l'écriture pianistique de Medtner. Les Variations sur un thème de Chopin, op.22 (1903) de Serge Rachmaninov mènent dans un tout autre territoire. Le thème issu du Prélude en ut mineur op. 28 N° 20 de Chopin est suivi de 22 variations. Celles-ci se développent dans un luxe de couleurs inouï, le thème étant tourné dans tous les sens et avec un traitement virtuose dont le compositeur a le secret. Les contrastes abondent et l'interprète les souligne, en particulier les déferlements sonores qui ressemblent aux cloches du Kremlin ou aux Dies Irae. Le moldave Alexander Paley offre un pianisme ne lésinant pas sur un jeu percussif avec force pédale, et la résonance de son Steinway fait penser à un orgue.

Jean-Pierre Robert.

 

« Paris joyeux et triste ». Igor STRAVINSKY: Concerto « Dumbarton Oaks » (transcription pour deux pianos de l'auteur). Concerto pour deux pianos solos. Erik SATIE : Socrate, drame tiré des Dialogues de Platon (transcription pour deux pianos de John Cage). Cinéma. Entracte symphonique du ballet Relâche (transcription pour piano à quatre mains de Darius Milhaud). Alexei Lubimov, Slava Poprugin, pianos. 1CD Alpha : Alpha 230. TT.: 77'30. 

 

Le pourquoi de ce disque ? Illustrer le Paris des années 20/30, un Paris joyeux et triste vu par deux provocateurs, Igor Stravinsky et Erik Satie car « les mêmes qualités et passions réunissent les deux compositeurs dans un même élan, dans lequel  Diaghilev les a mis avec bonheur : le théâtre », remarque Alexei Lubimov. Et l'illustrer au piano, l'instrument riche et polyvalent par excellence. Autre idée force : impossible de jouer ces œuvres autrement que sur des instruments de l'époque, un Pleyel de 1920, un Gaveau de 1906 et un Bechtein de 1909. Alexei Lubimov a conçu un programme original mêlant des pièces de deux musiciens. Le Concerto « Dumbarton Oaks » (1938) est ici donné dans la transcription pour deux pianos de Stravisnky lui-même ; qui est en fait la version d'origine, l'orchestration n'étant venue qu'après sur le modèle et la dimension des concertos Brandebourgeois. Jouée sur un Pleyel de 1920 et un Gaveau de 1906, aux sonorités si différentes, l'œuvre prend une allure résolument moderniste : rythme endiablé percussif du tempo giusto, ragtime volubile de l'allegretto, et rythme déjanté du con moto et de son développement tout en contrastes, annonçant quelques tournures du Rakes' Progress. Socrate de Satie (1919), ''drame symphonique basé sur les Dialogues de Platon'' (1919) est donné ici dans la  transcription pour deux pianos réalisée par John Cage (1944, 1968). Ses trois parties traitent : « Le portrait de Socrate » offrant une « musique », tout le contraire de l'énergie stravinskienne, car la sérénité est imperturbable ; « Les bords de l'Ilissus » ou la conversation de Socrate avec Phèdre, là encore d'un calme sérieux, où l'on décèle un style d'échange ; enfin « La mort de Socrate » libérant un certain hiératisme mais aussi une idée de bonté, celle exprimée par le philosophe à l'heure de la fin. On y perçoit aussi l'écume du discours aux disciples réunis autour du maître, ses beaux moments de douceur, ses accès de joie, la résignation aussi, l'affirmation véhémente ou l'abandon, alors que la fin sonne comme un glas. Musique objective, certes, mais loin d'être détachée, en phase avec son contexte littéraire. Le Concerto pour deux pianos solo de Stravinsky (1935) est de plus vastes dimensions que le concerto précédent, et de style néoclassique. Le con moto est de stricte forme sonate et ses notes répétées introduisent un sentiment de fébrilité. Les traits en fusées laissent place à des répits de brève durée. Les duettistes Lubimov et Poprugin sont d'une folle agilité, maitrisant ces rythmes si changeants. Le « Notturno », adagietto, invente d'autres rythmes avec des trilles rageurs et sa façon de marche, typique chez Stravinsky. Le discours musarde de chaque côté avec moult enjolivements. « Quatro varazioni » forme le sujet du mouvement suivant : clair dialogue des deux protagonistes, empoignades furieuses, guirlande de pirouettes sur des rythmes asymétriques et un crescendo puissant, enfin manière plus sévère dans la dernière séquence. Le finale « Preludio e fuga » démontre l'inventivité d'écriture dont le compositeur russe a le secret, le mouvement se développant en vitesse et en intensité. L'interprétation d'Alexei Lubimov et de Slava Poprugin est époustouflante. Cinéma de Satie, extrait du ballet Relâche (1924) est joué dans la transcription pour piano à quatre mains que Darius Milhaud a réalisée en 1925, en hommage à son ami récemment disparu. La pièce est jouée sur un piano Bechtein de 1909, préparé par Lubimov : quelque chose de mécanique tout à fait intéressant, dégageant une couleur presque orchestrale eu égard au dur martèlement des cordes et autres effets de bruitage. On entend presque fugitivement du Stravinsky dans cette atmosphère débridée de kermesse. Les diverses séquences sont adroitement combinées, tel le roulement de marche funèbre ponctuée de ce qui ressemble à de la percussion. Ou à travers toutes autres inspirations plus ou moins cocasses et leur rythmique affolée. Lubimov et Poprugin nous passionnent et leurs instruments ne le sont pas pour peu. Un must.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johann Caspar Ferdinand  FISCHER : Uranie. Elisabeth Joyé, clavecin & orgue. 1 CD Encelade : ECL 1402. TT :  66'44.

 

Voilà encore un merveilleux opus proposé par le label Encelade, grand défenseur de la musique baroque. Un album d'une rare qualité musicale tant dans le choix des œuvres que dans l'interprétation que nous en donne Elisabeth Joyé,  au clavecin comme à l'orgue. On connait peu de chose sur le compositeur Johann Caspar Ferdinand Fischer, né en Bohême en 1656, il fut nommé maitre de chapelle de la cour de Saxe-Brandebourg et entra au service du margrave de Bade-Bade dont il rejoignit la résidence princière de Rastatt en 1715, il y restera maitre de chapelle jusqu'à sa mort en 1746. Son œuvre apparait considérable, tant en volume (musique profane pour clavier, musique religieuse, œuvres orchestrales et opéras aujourd'hui perdus…) que par les influences musicales françaises et allemandes dont il parvient à faire la synthèse dans le style germanique, enfin par le rôle de précurseur qu'il jouera dans la recherche sur la manière de bien « tempérer »  l'accord des instruments à clavier, précédant en cela J. S. Bach. Les œuvres présentées dans cet enregistrement sont empruntées à quatre volumes. Le Musicalischer Parnassus (Clio, Calliope, Melpomène, Thalia, Erato, Euterpe, Terpsichore, Polymnie et Uranie) dont l'album tire son nom, composé vers 1736, est un recueil pour clavecin regroupant neuf suites de danse dans le goût français, chacune dédiée à une muse du Parnasse.  Également dans la tradition française, composé en 1696 pour la princesse Françoise Sibylle Auguste, épouse du margrave, en est-il du Musicalische Blumen-Büschlein. Composées vers 1700, pour l'orgue,  Blumen Strauss et Ariadne Musica relèvent plus du style germanique proposant plusieurs cycles de Préludes et Fugues, témoignant de la science contrapuntique de Fischer. Un magnifique programme où Elisabeth Joyé nous éblouit par sa manière si chantante et si élégante de toucher le clavecin et l'orgue. Une découverte à ne pas manquer et un véritable coup de cœur !

 

Patrice Imbaud.

 

« Voyage mélodique ». Pièces de Franz SCHUBERT, Felix MENDELSSOHN, Frédéric CHOPIN, robert SCHUMANN. Serge RACHMANINOV, Georges GERSHWIN. Vittorio Forte, piano. 1 CD LYRINX : LYR 2296. TT : 64'53.

 

Un disque qui chante et qui nous enchante que ce dernier enregistrement discographique du pianiste italien Vittorio Forte pour le label Lyrinx. Un pianiste qui se fait rare sur les scènes françaises, que nous avons eu le plaisir d'entendre récemment à l'Institut Goethe de Paris dans le cadre de la série « Classique en Suites » où il présentait dans un court récital son nouvel album intitulé « Voyage mélodique » quatrième CD d'une discographie unanimement reconnue par la critique et le public. Un disque d'une grande humanité, comme un vibrant hommage aux compositeurs, aux poètes et aux transcripteurs de génie que sont Franz Liszt et Earl Wild. Rien à jeter dans cet enregistrement habité de bout en bout d'une intense poésie, une interprétation qui sonne constamment juste, sans maniérisme, que ce soit dans Schubert ( Frühlingsglaube, Auf dem wasser zu singen, Gretchen am Spinnrade, Die Forelle) dans Mendelssohn (Auf Flügeln des Gesanges, Reiselied, Suleika) dans Chopin (Mädchen Wunsch, Meine Freunden). Ou encore dans Schumann (Frühlingsnacht, Widmung), dans des transcriptions de Liszt qui, loin de la paraphrase, reste ici au plus près du texte pour l'enrichir en restant toujours dans l'esprit de l'œuvre pour la magnifier dans la forme comme dans son contenu émotionnel. Earl Wild, quant à lui, transcrit avec une science digne du maitre les œuvres de Rachmaninov (Oh Cease thy Singing, Midsummer Nights, Vocalise) et de Gershwin (Summertime, The Man I Love, Embraceable You). Des œuvres toutes célébrissimes qui jalonnent un voyage intime, une confession où le pianiste se livre avec une sincérité désarmante. Une émotion intense mais sans pathos parcourt ce disque pour un moment de partage avec l'auditeur dans une communion fervente. On se réjouit, en outre, de la belle sonorité du Steinway, bien différente de la sonorité trop mate du Blüthner du Goethe Institut. Un grand moment de piano, du grand art ! Succès assuré ! Un pianiste à ne pas manquer.

 

Patrice Imbaud.

 

Béla BARTÓK. 44 Duos pour deux violons. Sarah & Deborah Nemtanu, violons. 1 CD Decca : 478 8959. TT : 48'11.

 

Ces 44 duos pour deux violons furent composés en 1931 par Béla Bartók, sur la demande d'Erich Dolfein, éminent pédagogue qui préparait alors une méthode de violon se focalisant sur le jeu en duo. Un corpus à visée didactique regroupant en quatre cahiers, quarante quatre miniatures, véritables haïkus musicaux, s'appuyant sur des chants et danses folkloriques empruntés aux différents pays d'Europe orientale, Hongrie, Roumanie, Slovaquie, Serbie, Ruthénie, Ukraine et même lointaine Arabie… Mais qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit là, comme souvent chez Bartók, d'une musique d'une étonnante modernité où se mêlent le document ethnomusicologique et l'invention créatrice comme en témoignent l'éventail des sonorités, la richesse du langage harmonique, les dissonances nombreuses et les rythmes non conventionnels. Un langage donc spécifiquement bartokien conçu pour libérer l'imagination musicale de l'élève et, aujourd'hui, celle de l'auditeur… Bon sang ne saurait mentir, l'interprétation des sœurs Nemtanu, d'origine roumaine, habituées à jouer ensemble ces duos depuis leur petite enfance, ne souffre ici d'aucun reproche, dépassant le cadre pédagogique pour donner à cette musique toute ses capacités d'évocation et de mémoire, sa poésie, ainsi que ses couleurs vives ou diaphanes, cet accent un peu Mitteleuropa, qui participent de leur envoûtement. Superbe !

 

Patrice Imbaud.

 

Philip GLASS. Glassworlds  1, 2 et 3. Nicolas Horvath, piano. 3 CDs Grand Piano : GP 677, GP 690, GP 691. TT : 79' + 83'25 + 77 '04.

 

Une actualité débordante semble concerner le compositeur américain Philip Glass en ce début d'année 2016, la création française de son Concerto pour deux pianos par les sœurs Katia et Marielle Labèque à la Philharmonie de Paris (Voir la recension de ce concert dans la rubrique « l'Oeil Ecoute ») et la sortie sous le label Grand Piano du troisième volume d'un corpus regroupant des œuvres pour piano solo, originales et transcriptions, interprétées par le talentueux pianiste Nicolas Horvath. Reconnu comme un compositeur contemporain majeur chef de file, avec Steve Reich et Terry Riley, du courant musical dit minimaliste, Philip Glass, né en 1937 est un des fondateurs de la musique minimaliste répétitive dont il semble s'être éloigné ces dernières années, depuis Music in Twelve Parts (1974), pour revenir dans une mouvance plus classique inspirée des grands maîtres. Son catalogue très impressionnant comprend nombre d'opéras, symphonies, concertos, musique de films, des œuvres pour solistes et musique de chambre. Compte-tenu des nombreuses et très variées influences, classiques, musique indienne et modern jazz, accumulées au long des années par le compositeur, il est difficile de donner une origine univoque au courant minimaliste. Il semble trouver ses sources chez Schoenberg d'après Glass lui-même, mais s'oppose au dodécaphonisme. En réaction contre l'abstraction sérielle, il constitue plutôt un genre intermédiaire entre les styles savants et les productions de masse qui conduiront plus tard vers la « house music » et  autres supports musicaux servant à l'auto excitation artificielle et frénétique des « ravers ». Le caractère léger du minimalisme, malgré l'habileté du compositeur a souvent été critiqué pour son impossibilité à atteindre le génie de la grande variation romantique ou post romantique, car peut-être la nature même, plus logique, de la musique répétitive ferme t-elle la porte à une certaine altérité intuitive reconnue comme créatrice… Une probable impasse dont l'évolution du compositeur porte témoignage. Le principe compositionnel est celui de « structures répétitives avec des relations de hauteurs très réduites, un ferme battement de croches et un niveau statique-dynamique » aboutissant à une écoute qui n'anticipe ni ne mémorise, mais qui vit dans l'immédiateté. Au-delà de ces considérations musicologiques, sans doute un peu vaines, et de la place qu'il faut accorder à cette musique particulière dans la grande histoire de la Musique, peut être faut-il simplement goûter le plaisir et la beauté ressenties à l'écoute de ces trois albums, un peu comme un « voyage à travers une œuvre qui ne laisse pas indifférent, une impression nocturne de flotter sur des eaux tranquilles d'un lac, sous un ciel étoilé… » (Nicolas Horvath).

 



Philip Glass /  DR

 

Le premier album proposé par Nicolas Horvath, Glassworlds 1, nous donne à entendre des œuvres originales et des transcriptions d'opéras. Opening (1981) exemple de ce qui pourrait être dénommé le style classique de Glass, emblématique du compositeur. La Suite d'Orphée pour piano (2000), dans une transcription de Paul Barnes, est extraite de l'opéra Orphée, premier volet de la trilogie Cocteau du compositeur (Orphée, La Belle et la Bête et Les Enfants terribles) et comprend plusieurs mouvements aux climats différents, rappelant pour certains Satie et le ragtime, mêlés de lyrisme, de douleur menaçante, de visions  cauchemardesques, d'amour impossible, de mélodies éthérées pour d'autres…Dreaming Awake (2003) marie l'atmosphère d'Opening et la virtuosité des Études pour piano qu'on retrouvera en intégralité dans le  deuxième album. Enfin How Now (1968) conclut ce premier disque dans une ambiance hypnotique. Si certains esprits critiques se plairont à souligner la faiblesse compositionnelle de ces pièces, nul ne pourra mettre en doute la magie de l'interprétation de Nicolas Horvath qui nous avait déjà séduit avec son dernier enregistrement lisztien. Rigueur dans la progression rythmique, virtuosité et délicatesse du toucher, poésie de la ligne tout y est pour affirmer haut et fort la profonde affinité existant entre le pianiste et le compositeur américain. Une merveilleuse façon d'entrer dans le monde si particulier de Philip Glass.

 

 

Le deuxième album est consacré en totalité aux Études pour piano, vingt études réparties en deux livres, composées entre 1991 et 2012. Des études témoignant de la singularité de la composition glassienne, mâtinée d'un lyrisme et d'un romantisme parfois un peu sirupeux, mais témoignant de l'évolution musicale du compositeur américain sur une période de vingt ans. Deux livres de dix études chacun aux accents autobiographiques où le piano constitue le médium favori entre Philip Glass et son public, dans une sorte de confession intimiste. Un cycle polymorphe, véritable climax dans les compositions pour piano solo de Glass. Une musique peut-être un peu facilement accrocheuse dont on ne peut, toutefois, nier le charme, la poésie, la capacité de séduction et le plaisir d'écoute où se mêlent intimement mélodie et flux. Nicolas Horvath, éminent spécialiste de Glass, donna la première création mondiale de l'intégrale de ce cycle à Carnegie Hall en janvier 2015, un marathon pianistique, une expérience sans doute unique que l'on retrouve dans cet enregistrement enchainant les vingt études dans un flux continu nous plongeant dans le monde mouvant et tourmenté du compositeur américain. Un cycle reconnu comme une des pages les plus belles et les plus inventives de Glass, « premier corpus où je convie pleinement le monde des pianistes dans le mien » déclare le compositeur….

 

 

Le troisième album de ce début d'intégrale des œuvres pour piano solo de Philip Glass entreprise par le pianiste Nicolas Horvath est intitulé Metamorphosis. Métamorphose, un maître mot dans l'univers compositionnel de Philip Glass, comme dans celui du pianiste puisque s'appliquant à la composition comme à l'interprétation, changement de forme et de structure si important que l'être ou la chose qui en est l'objet n'est plus reconnaissable. Un procédé bien connu en musique utilisé comme  fil directeur dans cet enregistrement. Un programme comme un « melting pot », un retour dans le temps remontant jusqu'aux années de formation du compositeur à la Juilliard School. Metamorphosis (1988) constitue indiscutablement un tout, même si les différentes sections n'ont pas été composées dans le même but. The Olympian (1984), pièce écrite initialement pour fanfare à l'occasion des JO de Los Angeles, est une sorte de chant à la gloire de la fraternité des hommes. La Trilogy Sonata nous propose des transcriptions pour piano de Paul Barnes (2000) de trois opéras de la trilogie des portraits (Einstein, Gandhi et Pharaon Akhenaton) de Glass (Einstein on the Beach, Satyagraha et Akhnaten). Coda (1980), issue de The Late, Greay Johny Ace, s'élève comme une complainte élégiaque à la mémoire du chanteur Johny Ace, de John Kennedy et de John Lennon. Two Pages (1968) et Secret solo (1977) traduisent l'influence de la musique indienne et de Ravi Shankar dans la musique de Philip Glass, tandis  que la Piano Sonatina n° 2 (1959) clôt ce superbe album sur un aperçu  surprenant du « Glass avant Glass ».

 

 

En bref, et quoi qu'on puisse penser de la valeur musicale en soi des compositions de Philip Glass, et au-delà de la musique minimaliste, voilà assurément trois albums admirables, magnifiés par l'éblouissante interprétation de Nicolas Horvath. Un challenge pianistique qui nous ouvre dans des conditions optimales le monde sonore si particulier du compositeur américain. A découvrir absolument !

 

Patrice Imbaud.

 

« Sérénade ». Œuvres de Paul HINDEMITH, Ernst TOCH, Darius MILHAUD, Igor STRAVINSKY, Jacques DE LA  PRESLE. Quatuor Calidore. 1 CD HORTUS 714. Collection « Les Musiciens et la Grande Guerre. Vol XIV ». TT : 66'50.

 

En cette année 2016 célébrant le centenaire de la bataille de Verdun, le label Hortus poursuit son ambitieuse et passionnante collection consacré aux « Musiciens et la Grande Guerre »  avec la parution récente de trois nouveaux volumes. Formidable collection qui nous permettra d'écouter de 2014 à 2018 pas moins de 30 albums portant témoignage musical de ce que fut le vécu de ces musiciens touchés de prés ou de loin par les horreurs de la Grande Guerre. Une anthologie sonore sans précédent d'œuvres composées pendant le conflit, sur le front ou à l'arrière de celui-ci, avant ou après l'Armistice, des œuvres et des musiciens connus, d'autres moins, des compositions parfois inédites, un très beau corpus  comme une base patrimoniale diversifiée et cohérente offrant un panorama représentatif de la création musicale des nations impliquées dans le conflit.

 

Ce volume Sérénade, regroupe des compositions pour quatuor à cordes. Le grandiose et très moderne Quatuor à cordes N ° 4 de Paul Hindemith, violent et sarcastique, expressionniste par sa sauvagerie et ses dissonances, mais aussi lyrique par sa ligne mélodique centrale, une œuvre ambiguë mêlant une âpre désolation à une insouciance parfois enfantine. Les Trois pièces de Stravinsky rompent radicalement le caractère dialogique du quatuor, homophoniques ou totalement indépendantes, leur structure s'appuyant sur la répétitivité des motifs. La Suite en sol pour quatuor de Jacques de la Presles, élégante, simple et émouvante, très française dans sa facture, parait d'autant plus surprenante qu'elle fut écrite sous les bombes. La Sérénade pour 2 violons et alto d'Ernst Toch est une œuvre inconnue d'un compositeur inconnu qui fut plus tard condamné à l'exil par le régime nazi, « le plus radicalement oublié du monde entier ». Aussi faut-il en apprécier, ici, l'enregistrement attestant de sa science compositionnelle très contrastée associant un lyrisme bucolique exalté et une étrange dislocation tonale. Enfin le Quatuor  n° 4 de Darius Milhaud est surtout marqué par la polytonalité de son écriture, la désolation et l'urgence de son climat. Un disque magnifique dans sa conception, une interprétation superbe et habitée du quatuor américain Calidore dans sa réalisation ! Indispensable !

 

 

Patrice Imbaud.

 

« A nos morts ignorés ». Compositions de Georges ANTOINE, Lili & Nadia BOULANGER, André CAPLET, Claude DEBUSSY, Reynaldo HAHN, Fernand HALPHEN, Ivo GURNEY, Albert ROUSSEL, Rudi STEPHAN. Marc Mauillon, baryton, Anne Le Bozec, piano. 1 CD HORTUS 715. Collection « Les Musiciens et la Grande Guerre. Vol  XV ». TT : 76'26.

 

Le label Hortus confie de nouveau, après le Vol IV,  au duo constitué par Marc Mauillon et Anne Le Bozec, la charge de nous interpréter ces douloureuses mélodies de la Grande Guerre.  Ce qui frappe d'emblée, dès la première écoute, est la justesse de ton de cette interprétation, sincère, sans grandiloquence, sans dramatisme excessif, où affleure parfois une certaine solennité respectueuse. Un album qui tire tout son intérêt de la diversité des climats sous tendus par ces mélodies pour l'essentiel françaises, mais aussi anglaises, allemandes ou belges, dans un œcuménisme aujourd'hui plutôt rassurant. La prestation vocale du baryton Marc Mauillon est tout à fait digne d'éloges par la qualité de sa diction, sa projection et sa facilité vocales capables de s'adapter aux différentes prosodies, son timbre clair et l'exactitude de son interprétation, parfaitement soutenue par le piano d'Anne Le Bozec. Des mélodies traitant de l'amour, de la séparation et de la mort, qui seront pour beaucoup une découverte, revêtues ici d'un éclairage particulier fait le plus souvent d'une indicible nostalgie, d'une intense détresse, mais aussi parfois d'une touche d'humour bien venu. Déprimés, s'abstenir !                           

 

Patrice Imbaud.

 

« Verdun, feuillets de guerre ». Chants de Gabriel PIERNÉ, Paul LADMIRAULT. Jacques DE LA PRESLES, Henry FÉVRIER, Reynaldo HAHN, André CAPLET, Pierre VELLONES, Alfred BRUNEAU, Jacques PILLOIS, Vincent SCOTTO, Fernand HALPHEN. Françoise Masset, soprano, Anne Le Bozec, piano. 1 CD HORTUS 716. Collection « Les Musiciens et la Grande Guerre. Vol XVI ». TT : 67'56.

 

Si Anne Le Bozec reste l'indiscutable pianiste de cette très belle collection initiée depuis 2014 par le label Hortus, Françoise Masset, soprano, après avoir récemment chanté Verlaine pour ce même label (Les Donneurs de sérénades. HORTUS 124) prête aujourd'hui sa voix à l'interprétation de ces mélodies françaises tout particulièrement centrées sur la bataille de Verdun dont on célèbre cette année le centenaire. Un florilège de mélodies dont nombre encore inédites au disque, composées le plus souvent sur le front, qui constituent le reflet sonore et affectif de cet épisode crucial de la première guerre mondiale. Là encore différents climats, patriotique, populaire, élégant, savant, humoristique, angoissé, nostalgique ou désolé, en fonction des compositeurs et des poètes, parfaitement rendus par l'admirable interprétation de Françoise Masset. Diction claire et vocalité facile, justesse de ton, accompagnement pianistique superlatif, riche en couleurs, tout concourt à faire de cet album un magnifique hommage aux combattants et aux musiciens de la Grande Guerre, un disque qui complètera, peut-être de façon  plus variée et moins pesante, le précédent opus de Marc Mauillon. Une superbe manière d'entretenir la mémoire…Probablement le plus bel album de cette collection

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Patrice Imbaud.

 

« Amerikas ! » Ensemble Percu Duo. Philippe Limoge, vibraphone & Damien Petitjean, marimba. 1 CD Polymnie : POL 204114. TT : 60'.

Un disque pour le moins insolite, qui mélange les genres, combine  et exalte les sonorités dans un détonant duo entre vibraphone et marimba. Un album non dénué de charme qui déclenchera assurément des réactions et avis partagés…Un programme associant des œuvres célèbres comme West Side Story de Bernstein et Porgy and Bess de Gershwin et d'autres moins connues comme Levante d'Osvaldo Golijov (compositeur argentin, d'origine juive, né en 1960), Gamelocity de David P. Jones (compositeur américain, né en 1958) Vals Venezolano de Paquito D'Rivera (clarinettiste et saxophoniste cubain, né en 1948) spécialiste du Latin jazz. Un enregistrement qui regroupe des transcriptions et une œuvre originale (Gamelocity) dont l'intérêt tient surtout à l'important travail sur les timbres instrumentaux, à la complicité éprouvée des musiciens et au choix judicieux des œuvres nous proposant un voyage aux Amériques aux accents de jazz, de salsa et de grands classiques dont les refrains sont dans toutes les mémoires…Une invitation au voyage, une curiosité, à écouter assurément ! On regrettera toutefois l'absence de livret tant la connaissance peut parfois enrichir l'écoute…

 

 

Patrice Imbaud.

 

« Bel canto amore mio ». Ouvertures de Vincenzo BELLINI, Gaetano DONIZETTI, Giacomo MEYERBEER, Saverio MERCADANTE, Gioachino ROSSINI. Orchestre national d'Île-de -France, dir. Enrique Mazzola. 1CD NoMadMusic :  TT.: 57'.

« Ce que je préfère à l'Opéra, c'est le lustre ». Baudelaire n'omettait jamais dans ses écrits d'adopter la posture iconoclaste, ironique, provocatrice, moderne somme toute, en révolte constante contre la pensée unique du Second Empire autoritaire et bourgeois. De même, qu'on a le droit dans Wagner de préférer l'orchestre aux voix (quand ce n'est pas Margaret Price qui chante Isolde), on peut retrouver le chant dans les trouvailles orchestrales des maîtres du bel canto italien. Le pari réussi de Enrique Mazzola, quant à lui, et de l'Orchestre national d'Île-de-France dont il est directeur musical depuis 2012, est de rendre hommage au bel canto italien à travers un enregistrement symphonique, rassemblant des « tubes » de l'ouverture d'opéra italien (Le Barbier de Séville ou Tancrède de Rossini, Les Capulets et les Montaigus de Bellini, Don Pasquale de Donizetti) et des perles rares (Roberto Devereux de Donizetti, Ugo Comte de Paris de Donizetti, Marguerite d'Anjou de Meyerbeer, compositeur allemand mais qui a toute sa place au cœur du bel canto italien, Emma d'Antiochia de Mercadante).

Pas de voix humaine donc, mais celle, tout aussi chantante, des solistes de l'ONDIF réunis au pays du bel canto, en très grande forme (tempi, équilibres, style), entraînés par le dynamisme et l'enthousiasme qui caractérisent le jeune chef italien. L'ouverture est en quelque sorte le résumé de l'action. Elle donne le ton. Elle ouvre aux grands thèmes de l'opéra. « L'enregistrement est un recueil d'ouvertures car c'est le vrai moment de rencontre entre l'opéra et l'orchestre symphonique ; il n'y a pas de voix. C'est un moment important de l'action, l'instant où le compositeur prépare le public au drame ou à la comédie qui va se dérouler sous ses yeux », écrit le chef dans le livret du CD.

Visuellement, pendant ces quelques minutes d'écoute, de temps ramassé, condensé, contracté, on peut admirer, à l'instar de Baudelaire, le lustre, les cariatides (quand on est dans une salle à l'italienne), le rideau (quand c'est celui de l'Opéra de Paris ou des opéras traditionnels de région, de l'Opéra Comique,  du Châtelet…). C'est souvent préférable pour l'imagination et le rêve, aux quelques bribes de ballet ou de pantomime souvent décevantes ajoutées artificiellement par le metteur en scène. C'est en effet un des rares moments de liberté visuelle pour l'auditeur-spectateur.

On retrouve dans l'interprétation de Mazzola cette liberté retrouvée, au-delà des versions d'anthologie (Abbado pour Rossini notamment) et des enregistrements d'ouvertures un peu trop policées (Karajan). Ici, comme le demande le chef (on salue la dernière plage du CD consacré à quelques minutes de répétition du Barbier de Séville où le « buon umore » de travail et la parfaite entente entre le chef et les musiciens sont palpables), on trouve le juste équilibre, la limite, entre le « style noble » et le caractère de « banda » (fanfare) populaire si typique de ces ouvertures, qui doivent être pour tout public (savant ou populaire) une « captatio benevolenziae » saisissante pour tenir celui-ci en haleine plusieurs heures durant. Le chef n'édulcore pas les batteries qui nous rapprochent de la fosse d'orchestre et transcrit de façon assez magique l'acoustique de la salle à l'italienne où le son se répand du parterre aux galeries et aux loges. On apprécie les passages de franche affirmation des percussions et de l'harmonie, qui nous évoquent le superbe « Fratelli d'Italia », un des plus beaux hymnes nationaux, car le plus opératique.

 

Jérôme Bloch.

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MUSIQUE ET CINEMA

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ENTRETIEN

 

Christophe La Pinta : « J'aime les mélanges électriques »

 

Dans son studio à Montmartre, assis sur un fauteuil de l'ancien et mythique Olympia, entouré des affiches de « La Chance de ma Vie », « Prêt à Tout » de Nicolas Cuche, « Sans Laisser de Trace » de Grégoire Vigneron… j'ai écouté Christophe La Pinta parler de ses rapports entre musique et image d'une manière très décontractée…moteur !

 


DR

 

Alors l'actualité !

 

Beaucoup des séries télé, une série médicale sur F2 qui s'appelle « Nina ». C'est la deuxième saison, c'est une série un peu girly, pour les filles, qui marche plutôt bien. J'avais déjà composé la musique pour la première saison, du générique début à la fin.

 

Pour les séries, avez-vous assez de temps pour écrire ?

 

Non, pas assez. On a vingt jours pour écrire trente minutes de musique ! On a intérêt à être équipé et trouver rapidement un thème, une couleur musicale, une illustration ; c'est une bonne école pour souvent faire le pompier sur un long métrage !

 

Comment êtes-vous arrivé sur cette série ? On vous connaissait déjà à la télé ?

 

Laurence Bachman, la productrice,  me connaissait.

 

Et comment vous-avait-elle connu ?

 

Je l'ai connue quand elle travaillait chez Ellipse, la boîte de canal Plus. J'avais fait une série qui s'appelait « Sauvetage », une série avec des hélicoptères qui sauvaient des gens…

 

Vous avez énormément travaillé pour la télévision !

 

Beaucoup, beaucoup…

 

Est-ce par ce biais que vous êtes entré dans la musique pour l'image ?

 

Oui, par la télévision, par Jacques Malaterre qui m'a repéré et qui m'a donné ma chance sur des petits films pour Marin Karmitz. On avait fait des modules, pour les Droits de l'Homme.

 

Et Jacques Malaterre, comment l'aviez connu ?

 

Par un mixeur. En fait, lorsque je suis arrivé à Paris, j'ai galéré comme tout le monde, je voulais faire principalement de la musique de film, je viens de la musique de théâtre universitaire. Il y avait une émission qui s'appelait Fréquence Star à l'époque et Dieudonné y était interviewé. Il faisait ses sketches avec Semoun, et il disait « j'ai envie de travailler avec des jeunes, je monte une boîte, j'ai envie de faire des tas de trucs ». Je lui ai envoyé une cassette de la musique que j'avais écrite pour une série américaine « New York Police Blues ». J'avais gagné un concours, je suis parti travailler à Los Angeles avec Mike Post, le compositeur de « Magnum », « Agence Tous Risques », etc..etc,  J'ai appris mon métier avec lui. En revenant en France je pensais que cela m'aiderait, mais tout le monde s'en foutait, sauf Dieudonné, et il m'a demandé de faire les covers des musiques pour la vidéo d'un spectacle qu'il avait joué avec Elie, « Élie et Dieudonné en garde à vue ». J'ai fait cela en dix jours, dans un petit studio et c'est là que j'ai rencontré le mixeur Ludovic Maucui qui travaillait avec Jacques Malaterre. Jacques, je l'ai harcelé et on a fait cette série, puis d'autres séries comme « Boulevard du Palais ».

 

Faire de la télé en France n'est-ce pas antinomique avec le cinéma ? 

 

Les gens du cinéma n'aiment effectivement pas les compositeurs de la télé. Mon agent a eu beaucoup de mal à me vendre auprès des producteurs de films ! J'avais une étiquette collée, j'avais les mains sales en quelque sorte ! C'est comme les comédiens. Quand des producteurs de cinéma ont bien voulu écouter ma musique, c'était que de la musique de télé ! Comme si composer de la musique c'était différent ! Il y a plus de moyens au cinéma, mais on écrit de la même manière. Je me suis très vite équipé pour avoir un son assez large pour faire des musiques avec une plus grande ampleur, mais il a fallu se battre pour simplement participer aux appels d'offre ! Encore aujourd'hui on me reproche d'avoir fait beaucoup de téléfilms. Je leur réponds : «  si vous m'appelez, c'est que ma musique vous plaît, non ! Et vous me proposez un tarif qui est celui d'un téléfilm !»

 

Il a toujours autant de problèmes pour la rémunération de la musique ?

 

C'est catastrophique ! C'est la misère totale, il n'y a pas d'argent ! Ce un truc qui ne les intéresse pas. La France ce n'est pas la culture de la musique, ce sont les belles lettres, des bons mots, des auteurs. Le troisième auteur du film, le compositeur, n'est pas considéré, c'est affligeant !

 

Quelle a été la musique qui a déclenché votre carrière ?

 

Le déclencheur a été la série « David Nolande » créée par Joël Houssin, le renouveau du fantastique sur F2, et avec un réalisateur qui s'appelle Nicolas Cuche. Moi, je me suis beaucoup amusé à composer la musique parce que nous étions totalement libres. Il fallait inventer, passer de la musique classique à l'électronique, avec des climats originaux. Il n'y avait pas de place pour ce genre de composition dans les autres téléfilms, ou des séries. Il y avait de longues plages de musiques, elles pouvaient exister. Tout d'un coup les gens se sont mis à écouter ma musique, et j'ai eu beaucoup de propositions. Cela a été un déclencheur émotionnel, la musique était mixée convenablement.

 

Quels sont vos contacts avec les réalisateurs avec qui vous avez travaillé ?

 

Les réalisateurs viennent vous voir parce qu'ils ont entendu des musiques, parce qu'ils ont suivi votre évolution. Un bon réalisateur c'est celui qui va aimer votre style, et qui va oser dire « j'ai entendu ce que tu fais, ce n'est pas ce que je cherche, mais par contre je sais que tu sais composer ». Les réalisateurs qui pensent entendre ce qu'ils veulent dans vos précédentes musiques, çà n'a aucun intérêt. Mieux vaut ne pas travailler avec eux. Faire des covers de ses propres musiques c'est totalement idiot !

 

Vous avez composé dans tous les styles, de la comédie au mélo en passant par le fantastique et le polar : est-ce que vous écrivez-tout ou avez-vous des arrangeurs ?

 

J'écris tout, directement sur l'ordinateur, comme une partition, puis ensuite j'ajoute des sons que j'arrange moi-même. Et selon les budgets on enregistre des vrais instruments. Quand je fais des cordes, des orchestrations, je fais appel à Cyrille Aufort.

 

Avez-vous travaillé avec lui en duo ?

 

Oui, une fois sur un film où c'était très compliqué. J'ai écrit le thème et il a fait l'arrangement et l'orchestration, c'était une co-signature !

 

Êtes -vous du genre ''thème et variations'', puis à assaisonner de nappes électroniques ?

 

J'aime les mélanges électriques, faire entrer les instruments de manière rythmique, les sortir de leur tempérament, pour les mettre dans un milieu urbain, trouver des timbres un peu particulier. Comme Thomas Newman par exemple, qui va mettre une flûte indienne sur la musique de « Revolutionary Road » (Les Noces Rebelles) le film avec di Caprio. Cela fonctionne bien, même si on peut se demander ce que cela vient faire là ! J'aime les mélanges, et l'électronique nous permet de les faire.

 

Vous aimez les musiques de films, alors quand vous étiez môme qu'écoutiez-vous ?

 

On avait le vinyle d' « Il Était une Fois dans l'Ouest », la pochette était intrigante avec cet arc de cercle, la cloche et le pendu. J'étais impressionné et bien sûr je n'avais pas vu le film. J'adorais la musique avec les guitares électriques, les codes et l'harmonica. 

 

Aviez-vous un orchestre lorsque vous étiez jeune homme ?

 

Oui, un orchestre de variétés, j'étais batteur, j'ai fait en même temps mes études au conservatoire en classe de percussion. Pendant longtemps j'ai joué dans des orchestres de rock, de variétés.

 

C'était une bonne école ?

 

Oui, il fallait aller vite, apprendre le morceau de l'été pour faire un cover. On va dans des endroits où les gens vous attendent depuis des mois pour les faire danser...

 

Vous n'êtes pas parisien ?

 

Non, je suis de Toulon où j'ai fait le conservatoire, puis ensuite à Nice.

 

Alors, « L'Affaire SK1 », qui est sorti dernièrement, a été important pour vous? Comment Frédéric Tellier vous a-t-il trouvé ?

 

Par son ex petite amie qui jouait dans « David Nolande ». Il cherchait un compositeur pour une série qui s'appelle « Un flic » et on s'est rencontré, et ça a bien marché. Il vient de la télé et a été le directeur artistique d'Olivier Marchal. Il s'est passionné pour cette histoire parce qu'il a eu une amie qui a été concernée par cette affaire. On a fait les « Hommes de l'Ombre » pour F2 avec Nathalie Baye. Il est musicien et il a fait des propositions concrètes sur un ou deux thèmes, c'est pourquoi on a cosigné la musique.

 

Que vous a-t-il demandé de particulier ?

 

C'est une histoire vraie, avec Guy Georges en prison et les familles des victimes toujours présentes. Je me suis documenté, j'ai lu des livres, vu des documentaires. Frédéric a été très proche des flics qui ont participé à cette affaire ; c'est un univers qu'il connaît bien. A partir de là on est entré dans cette histoire par la porte de l'affectif. Ce sont des gens qui ont été meurtris par cette histoire.

 

Sur le CD qui a été édité chez Crystal Records on peut lire ce qu'a écrit Frédéric Tellier : « Nous souhaitons dédier cette musique aux victimes, Pascale, Cathy, Elsa, Agnès, Hélène, Magali, Estelle, ainsi qu'à leurs familles. Que cette musique les accompagne de la douceur de ses notes et de l'émotion de nos pensées »

 

Oui Frédéric ne voulait pas trahir la mémoire des filles assassinées, ni magnifier les flics qui ont travaillé pendant 7 ans. Les familles lui on fait confiance et il a pu mettre les vraies noms des jeunes filles. Pour moi, quand j'ai vu le premier montage, j'ai été très ému et j'ai dit à Fred : je ne vois pas où tu peux mettre de la musique. Je lui ai demandé de venir pendant deux semaines au studio pour qu'on travaille ensemble, pour ne pas mettre une note de trop, et j'ai fait les arrangements des thèmes qu'il avait joués au piano.

 

Souvent dans ce genre de film on met du jazz. C'est une musique souvent associée au film policier, au film noir. Vous, vous m'avez dit hors enregistrement que vous n'aimez pas cette musique. Pouvez-vous m'en dire un peu plus ?

 

Cela ne m'aurait pas effleuré un instant ! Il y a très peu de réalisateur de quarante ans qui aiment cette musique !  Je ne supporte que le jazz vocal. J'aime Miles Davis parce qu'il y a quelque chose de très moderne. J'aime son évolution électrique jusqu'au rap. Ce n'est pas ma culture, alors que j'étais entouré à Toulon de jazzmen. Je n'ai pas été un batteur de jazz. J'aime Eric Truffaz, Brahim Maalouf, ils font évoluer cette musique qui semblait être morte ! Pierre Adenot, Jean-Michel Bernard, eux sont des compositeurs jazzmen. Je peux tout composer sauf du jazz !

 

Je peux vous dire que c'est à cause de la musique que je suis allé voir le film ! Avez–vous une réflexion sur le fait de mettre en conserve la musique de film ?

 

J'aime bien, ça laisse une trace. Dans ce CD on a remonté, remixé, la musique pour que cela soit ''écoutable'', on a essayé de ne pas mettre des musiques de 40 secondes. On entend la musique telle quelle car souvent on ne l'entend pas totalement dans le film.

 

Le prochain film ?

 

C'est une comédie mais on n'en parlera pas.

 

Est-ce difficile d'écrire pour une comédie ?

 

C'est très complexe : on peut tomber dans la musique sautillante. Il faut trouver des orchestrations un peu nouvelles, Cosma avait trouvé le ton juste. Raymond Lefèvre avec les Gendarmes avait trouvé aussi un style.

 

Bon, alors on vous souhaite une carrière à la Cosma !

 

                                   

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

On les aimés!

 

 

Henri Dutilleux et le cinéma

 

« Voir un très bon film me nourrit, m'exalte comme la lecture d'un grand livre. Aussi, je m'intéresse au mécanisme de la construction, de la forme adoptée »

Henri Dutilleux (1916-2015) a très peu composé pour le cinéma mais pour des grands films classiques : La Fille du diable, Henri Decoin, 1945 ; Le Café du cadran, 1947 ; Le Crime des justes, Jean Gehret, 1950 ; Six heures à perdre, Alex Joffé, 1947 ; L'Amour d'une femme, Jean Grémillon, 1953.

 

Un extrait de la Première Symphonie a été utilisé dans « Sous le soleil de Satan », de Maurice Pialat 1987. Il aurait tant aimé qu'on lui fasse des propositions de composition pour l'image...

 

           

 

Gérard Calvi ou le dernier pied de nez d'un Branquignol

 

« Branquignol », « Ah Les Belles Bacchantes », « La belle Américaine », « Allez France ! », « La Cité de l'Indicible Peur », « Le Petit Baigneur », « Le Viager… », les dessins animés d'Astérix, le générique de Monsieur Cinéma, …il a participé à toutes les comédies déjantées de Dhéry, de Tchernia, de Goscinny, de Mocky, apportant avec son style de composition entraînant une jubilation supplémentaire aux images complétement loufoques de ces grands de la comédie à la française !

 

Son nom : Grégoire Élie Krettly ! Mais c'est sous son pseudonyme qu'il est plus connu : Gérard Calvi ! Il a écrit de la musique sérieuse – en 1945 il est grand prix de Rome de composition - , des opérettes, de la variété, des chansons (plus de 300 pour Sinatra, Piaf, Minnelli…), pour le théâtre, le cinéma, la télévision. Il arrivait à écrire une musique burlesque d'une manière très étudiée, instillant un humour incroyable, des gags musicaux à « effets ». Son style était inimitable, on le reconnaissait entre tous.  C'est au conservatoire, rue de Madrid, qu'il a fait la connaissance de Robert Dhéry, car musique et « déclamation » étaient mélangées, enfin presque, car, à la cantine, chaque «  corps de métier », ne se mélangeait pas. Dhéry un jour a créé la table de la mixité où musiciens, compositeurs, comédiens, se sont mélangés. C'est ainsi qu'il a annoncé à Calvi qu'il écrirait la musique pour tous ses spectacles et ses films ! Il ajouta qu'il mettrait au point un style que l'on ne connaissait pas en France. C'est sept ans plus tard, en 1941, que naissait le premier spectacle Branquignol, influencé par le non sens américain, la poésie de l'absurde ! C'étaient les précurseurs du Café de la Gare ! Hélas on ne trouve pas sa musique en CD, à part quelques Astérix. Il y a 20 ans, Auvidis avait sorti une compile des films Dhéry/Calvi qu'on peut encore trouver à des prix prohibitifs sur Amazon ou Priceminister. Le 20 février 2015, Gérard Calvi est allé rejoindre les Branquignols (Dhéry, Brosset, Carette, de Funès, Lefebvre, Carnet, Maillan, Serrault, Dax, Duvaleix, Legras, Rollis, Caccia, Tornade, Poivre, Olaf, Gabriello).

 

                  

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=tjdtvwO9o50

 

Stéphane Loison.

 

BO en CDs

 

LES VOLETS CLOS. Réalisateur : Jean-Claude Brialy. Compositeur : Paul Misraki. 1Cd MusicBoxRecords /MBR-087

 

Les Volets clos est le deuxième film réalisé par Jean-Claude Brialy et relate la vie d'une maison close bretonne dans les années 30. Pour ce long métrage qui est une sorte d'hommage à Jean Renoir, Brialy s'entoure d'une troupe de comédiennes au charisme indéniable (Ginette Leclerc, Suzanne Flon…), et d'un compositeur qui fut l'une des figures marquantes de l'entre-deux guerres : Paul Misraki. À 64 ans, Misraki renoue avec le succès grâce à ce film et à son tube Les Volets clos, interprété par Nicoletta, sur des paroles de Remo Forlani. Le reste de la partition est à la fois gaie et nostalgique et comprend de nombreuses – et délicieuses – musiques de source festives et, à l'occasion, exotiques. Cette légèreté trouve son point d'orgue à travers la chanson À deux, interprétée par toute la troupe. Ici Misraki s'auto-pastiche, et se replonge pleinement dans ses années de gloire, en convoquant le fantôme de Ray Ventura et ses collégiens.

 

https://www.youtube.com/watch?v=qTOk0T1Rugc

 

 

LUCKY LUKE; Compositeur : Claude Bolling; &CD MusicBoxRecords : MBR-086

 

À l'occasion du 70ème anniversaire du personnage de Lucky Luke, créé par Morris et René Goscinny, Music Box Records présente dans un luxueux triple album l'intégralité des bandes originales des films d'animation composées et dirigées par Claude Bolling : Daisy Town (1971), La Ballade des Dalton (1978) et Lucky Luke, la 2ème série télévisée diffusée en 1990 sur FR3. Morris trace les contours d'un cowboy qui « tire plus vite que son ombre », peu bavard, redresseur de torts et très agile à manier le revolver. Une galerie de personnages typiques complète les aventures nonchalantes de cet homme de l'Ouest américain. Morris et Goscinny vont faire bénéficier Lucky Luke d'un esprit sans cesse en éveil dans les bandes dessinées, se traduisant par des gags à multiples facettes dont vont se délecter les Dalton et le chien Rantanplan, glorifiant la bêtise sans méchanceté. Goscinny, admirateur de Disney et créateur infatigable d'Astérix, d'Iznogoud ou du Petit Nicolas, rêve de dessin animé. Après avoir travaillé avec les studios Belvision, il crée son propre studio de production (Studios Idéfix) et décide, avec Morris, de donner vie aux personnages de bandes dessinées adulés par les enfants et les plus grands. Pour la réalisation des films d'animation, Morris et Goscinny s'associent avec le journaliste-animateur-producteur Pierre Tchernia. Ambassadeur de Walt Disney pour le petit écran français, Tchernia dirige la troupe de joyeux lurons qui font parler le cowboy flegmatique et tout le petit monde qui l'entoure. La musique n'est pas en reste. Elle est même l'un des éléments fondamentaux sur lequel repose tout le rythme du dessin animé. Claude Bolling intègre l'aventure en offrant d'emblée le fameux « I'm a Poor Lonesome Cowboy », ballade indissociable du maître de Jolly Jumper. Il met en musique les deux films d'animation de Lucky Luke ainsi que la 2ème série télévisée. L'illustration musicale des Lucky Luke est l'occasion pour Claude Bolling d'employer un large éventail de couleurs musicales : clin d'œil au western américain, au western spaghetti, des thèmes jazz, tijuana, blue-grass, des chansons de saloon avec piano bastringue, des thèmes écrits dans l'esprit du Count Basie Orchestra. Une palette musicale riche et variée, indissociable à l'univers de Lucky Luke et menée de main de maître par Claude Bolling !

 

 

 

EAST PUNK MEMORIES. Réalisatrice : Lucile Chaufour. Musique compilation de groupes punk hongrois. 1CD Danger Records : DR 013

 

Constitué d'archives Super 8, d'interviews et de vues de Budapest, le film East Punk Memories s'articule autour de la parole de douze anciens punks.
A la fin des années 80, ils exprimaient leur colère contre le régime et attendaient avec espoir le changement du système. Vingt ans plus tard, que sont-ils devenus ? Résurgence du nationalisme, sauvagerie du capitalisme, confusion des visions politiques de la droite et de la gauche, comment vivent-ils la crise actuelle ? La bande son est faite des musiques de ces groupes punk tels que Eta, QSS, CPG, Kretens, Aurora, Modells. Ce film est un témoignage passionnant sur ces jeunes gens qui osaient par leurs musiques défier le pouvoir communiste en place. Si on aime cette musique, c'est en vinyle qu'on pourra l'entendre. La traduction de ces chansons hongroises est intéressante et il est indispensable de lire les textes qui sont d'une rare violence. Ce disque est un beau témoignage d'un passé révolu !

 

 

 

BATMAN V SUPERMAN Dawn of Justice. Réalisateur :Zack Znider.Compositeur : Hans Zimmer – Junkie XL. 1CD Sony Classical : 88875183652

 

Après les événements dans Man Of Steel, Metropolis a été rasée et Superman est le personnage le plus controversé du monde. Bien que pour certains, il est encore un symbole d'espoir, d'autres le considèrent comme une menace pour l'humanité et réclament justice pour le chaos déchaîné sur Terre. Pour Bruce Wayne/ Batman le justicier de Gotham City est clairement un danger pour la société. Il craint les effets d'un tel pouvoir sans contrôle sur le sort du monde et décide de porter son masque et son costume pour s'opposer à lui, tandis qu'une nouvelle menace met en danger l'humanité. Zack Znider, c'était le réalisateur génial de Dawn of The Dead, 300, Watchmen, Zucker Punch avec les musiques fantastiques de Tyler Bates. Puis vint Superman-Man Of Steel, un mauvais film, avec une mauvaise musique de Hans Zimmer, mais avec un bon acteur, Henri Cavill. Ici Warner, la même production, a pris les deux compositeurs les plus dans le vent : Zimmer, l'homme des Batman et Junkie Xl, l'homme de Mad Max - curieusement le compositeur de la suite peu réussie de 300 et non réalisée par Znider -. Alors Zimmer V Junkie XL ? De temps en temps on retrouve la patte de Zimmer des Batman et des mix électro de Junkie Xl (dont c'est le job) de Mad Max. On ne peut pas dire que cette musique soit originale, c'est du remix de ce qu'on a entendu dans les films précités. A l'écoute, le CD n'a aucun intérêt même pour ceux qui aiment la musique électro acoustique. Dans le film, cette musique est la boursouflure intégrale qui accompagne des effets digitaux, des cascades. Tout n'est qu'effets. En avant les drums comme dans Mad Max ! Rien de bien nouveau dans ce cinéma et dans ces compositions. Il commence à lasser sérieusement. Mais tant qu'il rapportera, il emplira les écrans et cette musique au mètre s'en portera d'autant mieux. Zimmer V Junkie Xl c'est l'auditeur qui est perdant !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=8QLj5bC93OY

 

 

CONCUSSION (Seul Contre Tous). Réalisateur : Peter Landesman.Compositeur : James Newton Howard. 1CD Sony Classical :  88875173802

 

Le Dr Bennet Omalu, un neuropathologiste de médecine légale, a mené un combat digne de David contre Goliath : il fut le premier à découvrir l'encéphalopathie traumatique chronique, une affection cérébrale liée à la pratique du sport chez les joueurs professionnels, et s'est démené pour révéler son existence contre ceux que cela gênait. La croisade d'Omalu l'opposa dangereusement à l'une des institutions les plus puissantes du monde…Voilà un film comme les américains adorent, une histoire vraie mise en scène proprement avec Will Smith très inégal mais avec un rôle taillé sur mesure, pour son retour à l'écran après quelques daubes, et avant Suicide Squad, une aventure de Super héros. La composition de James Newton Howard et elle aussi inégale. Il flirte de temps en temps avec ses années passées chez Zimmer dans le style électro acoustique, et certaines plages nous donnent des affections cérébrales non voulues ! Les plages plus calmes (« The Head as a Weapon – Bennet and PremaMarry Me – Hello Little One »…) sont les bienvenues et montrent que ce compositeur a des ressources. « Concussion End Titles » est un joli thème joué avec une belle présence du violoncelle. Le CD se termine avec « In the Darkness », une jolie mélodie écrite et chantée par Lisbeth Scott qui a participé à de très nombreux films. Un CD agréable à écouter comme il en est de voir le film.

 

https://www.youtube.com/watch?v=mRrY7SVT5e4&index=19&list=PLN7k5mBxvt7ZrwxZohwaIJClclfCNDl2S

 

 

KUNG FU PANDA 3. Réalisateur : Jennifer Yuh et Alessandro Carloni. Compositeur : Hans Zimmer.

 

Troisième volet produit par Dream Works, avec des gags, des aventures épiques comme il se doit dans ce genre de dessin animé. Po avait toujours cru son père panda disparu, mais le voilà qui réapparaît ! Enfin réunis, père et fils vont voyager jusqu'au village secret des pandas. Ils y feront la connaissance de certains de leurs semblables, tous plus déjantés les uns que les autres. Mais lorsque le maléfique Kaï décide de s'attaquer aux plus grands maîtres du kung-fu à travers toute la Chine, Po va devoir réussir l'impossible : transformer une horde de pandas maladroits et rigolards en experts des arts martiaux, les redoutables Kung Fu Pandas ! Hans Zimmer a abandonné pour ce genre de film son style de musique boum badaboum. On est dans le registre du Roi Lion, on pourrait s'y méprendre sur certains morceaux (The Panda Village). Il y a des thèmes harmonieux qui flirtent avec la musique chinoise. Il y a même de la musique sentimentale. Le CD offre deux chansons : « Try » interprété par Patrick Brasca avec Jay Chow, et « Kung Fu Fighting » joué par The Vamps. Des artistes asiatiques de renom sont venus participer à cette musique : le pianiste Lang Lang, le violoncelliste Jiang Wang.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=10601n0Y84w&list=PLeNErtgP0mU8IBTKkb1uMThNMFKnYPKQ8

 

 

SUNSET SONG. Réalisateur : Terence Davis. Compositeur : Gast Waltzing. 1CD Milan 399 783 2

 

Pour ce flamboyant mélo campagnard qui se passe avant et pendant la guerre de 14, Gast Waltzing a écrit une belle partition nostalgique où les instruments en solo tiennent une part importante (violoncelle, violon, hautbois). C'est une musique au parfum écossais. On connaît mal les compositions de Gast Waltzing bien qu'il en ait écrit plus de 150. Milan a eu la bonne idée de l'avoir éditée. Sur le CD il y a peu de musique qui a été entendue dans le film (il y en a peu), mais on peut apprécier ce qu'il avait composé et qui n'a pas été utilisé. On peut réentendre la triste mélodie « Wayfaring Stranger » interprétée par Jennifer John. Voilà une musique délicate très agréable et qui rappelle ce terrible drame qu'est Sunset Song.

 

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

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VIENT DE PARAÎTRE

COLLECTION VOIR ET ENTENDRE

Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.

W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto

Prix: 9 euros

A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale

Prix: 9 euros

H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement

Prix: 12 euros

J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »

Prix: 10,50 euros

Baccalauréat 2016.

Épreuve de musique

LIVRET DU CANDIDAT

 

192 pages

Consulter le sommaire en cliquant ici

Consulter un extrait du Livret du Candidat

 

   

1.STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)



 

2. ANALYSES MUSICALES VIIIè SIECLE - Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

COUPERIN

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

HAENDEL

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

3. LE NOUVEL OPERA

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

4. LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



 

5. LA RECHERCHE HYMNOLOGIQUE

En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France.
Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline.
Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question.
Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.

6. JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

7. LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

8. LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.




9. CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale