Lettre d’Information – n°69 – Avril 2013



 

 

 

 

                               


À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

07/04

 

Jean Guillou fête ses cinquante ans d’activité


© DR

Ancien élève de Marcel Dupré, Maurice Duruflé et Olivier Messiaen, pianiste et organiste, Jean Guillou a été nommé organiste titulaire à l’église Saint-Eustache de Paris en 1963, après avoir exercé à Lisbonne puis à Berlin. Homme de vaste culture, virtuose internationalement admiré, pédagogue recherché, il est aussi et d’abord compositeur, auteur d’une œuvre aussi abondante que variée pour orgue seul, musique de chambre et grandes formations, dont sept concertos pour orgue et orchestre. À Saint-Eustache, il a fait installer une console dans la nef, permettant aux auditeurs de voir le jeu de l’organiste, et à celui-ci de jouer avec orchestre. Il est aussi le promoteur d’un orgue « à structure variable », qui pourrait être transporté et installé partout, échappant ainsi au cadre strictement liturgique où il est généralement confiné. Il a exposé ses idées novatrices en matière de répertoire musical et d’une facture d’orgue résolument tournée vers le XXIème siècle, dans don un ouvrage « L’Orgue, souvenir et avenir » (Symétrie), ainsi que dans « La Musique et le Geste » (Beauchesne). Cet anniversaire sera célébré par un concert en l’église Saint-Eustache, qui offrira d'entendre, entre autres, son Concerto pour orgue et orchestre N° 2, « Héroïque »

Église Saint-Eustache, Paris, dimanche 7 avril à 20h30
Location :Fnac et sur place

Jean-Pierre Robert.

24/04

 

La Vierge de Massenet à Notre-Dame de Paris

 


© DR

 

Dans le cadre des festivités du 850ème anniversaire de Notre-Dame de Paris, un concert rare y proposera La Vierge de Jules Massenet. Crée en 1880, cette « légende sacrée en quatre scènes » devait vite tomber dans l'oubli. Elle est pourtant de belle facture : en quatre tableaux y sont évoqués les principaux épisodes de la vie de la Vierge Marie, à travers les récits bibliques de l'Annonciation, des Noces de Cana, du Vendredi Saint, et de l'Assomption. Il faut redécouvrir cet oratorio grandiose. Il sera servi par un plateau de plus de 250 musiciens réunissant l'Orchestre du Conservatoire de Paris, la soprano Nora Ansellem, et plusieurs formations chorales : la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, dirigée par Lionel Sow, le Chœur de l'Armée française, sous la houlette d'Aurore Tillac, et le Chœur d'Enfants Sotto Voce. Surtout, la direction a été confiée à Patrick Fournillier, le meilleur défenseur de la musique de Massenet, qu'il illustre, entre autres, au festival qu'il a fondé à Saint-Étienne.

 

Notre-Dame de Paris, le 24 avril 2013, à 20H30.

Location : accueil de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, tous les jours de 9H30 à 18H ; par tel : 01 44 41 49 99 ; contact@msndp.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

20 et 21/04

 

Poursuite du cycle Brahms des solistes du Berliner Philharmoniker.  

 


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La troisième série du cycle Brahms des Berliner Philharmoniker sera consacrée, d'une part, à la Sonate n° 1 pour violoncelle, au magnifique Quintette pour clarinette & cordes, et au Quatuor pour piano & cordes n° 3 (20 avril), d'autre part, au Trio pour clarinette, violoncelle & piano, à la Sonate pour violon n° 2 et au Quatuor pour piano & cordes n° 2 (21 avril). Magnifiques programmes s’il en est. La musique de chambre est, chez le compositeur, une seconde nature. Voilà aussi une occasion rêvée d'apprécier une facette moins connue du talent des musiciens berlinois. Leurs deux premiers week end ont enchanté le public. Cette quasi intégrale de la musique de chambre de Brahms se poursuivra les 18 et 19 Juin. Une facette peu connue du talent des Berliner Philharmoniker. A ne pas manquer !

 

Salle Pleyel; les 20 et 21 avril 2013  à 20H.

Location : 252, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris ; par tél : 01 42 56 13 13   www.sallepleyel.fr.

 

Patrice Imbaud.

 

20, 21, 23, 24, 26/04

 

Blanche neige ou l'opéra pour les enfants et toute la famille

 


©Alain Kaiser

 

Marius Félix lange (*1968), compositeur éclectique, en particulier de musique de film, a déjà à son actif plusieurs pièces vocales. Son opéra pour enfants Blanche-neige (Schneewittchen, « ein Familienoper »), 2010, vient d'être créé au studio de l'ONR. Il nous arrive à Paris, en tournée, au théâtre de l'Athénée. Lange dit avoir refusé d'écrire facile, motif pris du jeune public, qui ne dédaigne pas découvrir un monde codifié. Il faut « une complexité facile à comprendre » dit-il. Il use du parler-chanter. Ce qui autorise la fantaisie. Pour défendre et illustrer le beau conte aigre-doux, d'après les Frères Grimm, on a fait appel à une jeune et dynamique équipe : Vincent Monteil à la direction de l'Orchestre Lamoureux, Waut Koeken à la mise en scène, et une douzaine de chanteurs acteurs. A voir en famille donc !

 

Athénée, les 20 (15 H et 20H), 21 (16H), 23 (19H), 24, 25 et 26 avril, à 20H. Séances scolaires, les 23, 25, 26/4, à 14H30.

Location : billetterie, square Louis-Jouvet 7, rue Boudreau 75009 Paris ; par tel: 01 53 05 19 19; Scolaires : 01 53 05 19 39 ; athenee-theatre.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

25, 27, 30/04 et 3, 5, 7/05

 

Un nouveau Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées.  

 

 

 


© DR

 

Pour l'édition 2013 de son Festival Mozart, le TCE propose Don Giovanni.S'annonçant fièrement comme un « dramma giocoso », Don Giovanni précipite le spectateur  au cœur d’un délicieux tourbillon d’ambiguïtés. Rien dans cet ouvrage n’est assuré : le libertinage y est exalté, mais les couples se croisent et se perdent, le destin se joue des masques jusque dans un ultime défi. A l’origine, l’idée de libertinage ne pouvait s’entendre que dans une société où se confondaient les domaines du séculier et du religieux. Les permissions qu’on s’octroyait vis-à-vis des bonnes mœurs – de la sexualité s’entend – n’étaient qu’une conséquence d’un doute philosophique. L’époque qui voit naître Don Giovanni est celle où va s’opérer un glissement de sens du mot « libertinage » jusqu’à perdre ses attributs politiques au profit des uniques connotations « amoureuses ». Mozart rejoint Shakespeare dans la fusion des éléments tragique et comique. Une pareille synthèse demeure inégalée dans l’histoire de l'opéra. La direction de la nouvelle production est confiée à Jérémie Rohrer, qui s'affirme au fil de ses interprétations comme un chef mozartien avec lequel il faut compter, et qui dirigera son orchestre du Cercle de l’Harmonie. La mise en scène est signée de Stéphane Braunschweig. Un tandem qui a fait ses preuves, comme lors d'un récent Idomeneo, et qui devrait apporter à l'« opéra des opéras » toute sa verve interprétative. La distribution, de qualité, réunit  une équipe de jeunes chanteurs, dont Markus Werba dans la rôle-titre, Miah Person, Donna Elvira, Daniele Behle, Don Ottavio, Myrto Papatanasian, Donna Anna. A voir et à revoir.

 

Théâtre des Champs-Elysées  les 25, 27, 30 avril, 3, 7 mai à 19 H 30, et 5 mai à 17 H. Location : TCE, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris. Tel. : 0149525050. www.theatrechampselysees.fr

 

Patrice Imbaud.

 

 

2, 7, 10, 13, 17, 20, 23, 26, 31/05

 

La Gioconda, ou la grande fresque historique

 


© DR

 

Puisant chez Victor Hugo et son « Angelo, tyran de Padoue », Amilcare Ponchielli cherche, dans La Gioconda, à concilier drame historique et grand opéra. Il se situe à une période charnière entre le drame verdien et l'école vériste, une étape postromantique en fait. Il y a là de la flamboyance dramatique, une inspiration aisée dans la manière de brosser le tableau efficace, une action excitante, dans la Venise du XVI ème siècle. On y frôle la véhémence des passions et du chant. La nouvelle production de l'Opéra Bastille est confiée à Pier Puigi Pizzi, dont on sait le goût pour la fresque dramatique, et la direction musicale à Daniel Oren, habitué du grand répertoire italien. Le plateau vocal est très exigeant, alignant les types de voix cardinales, répondant aux caractères fondamentaux, qui du ténor ardent, de la soprano éperdue, du baryton au noir dessein, etc...Il devrait être illustré avec panache par Violeta Urmana, Luciana D'Intino, Marcelo Alvarez, Sergei Murzaev et Orlin Anastassov. 

 

Opéra Bastille, les 2, 7, 10, 13, 17, 20, 23, 31 mai à 19H30, et le 26 mai à 14H30.

Location : Billetterie de l'Opéra Bastille : 130, rue de Lyon 75012 Paris ;  par tel. 08 92 89 90 90 . operadeparis.fr

 

Jean-Pierre Robert.

 

03, 04/05

 

Une rareté : un office funéraire du temps de Bach

 


© Rebecca Young

 

L'ensemble Ludus Modalis, sous la direction de Bruno Boterf, entame une tournée intitulée « Requiem, Un office funéraire du temps de Bach ». Ce projet prend appui sur une absence : Heinrich Schütz et Johann Sebastian Bach, auteurs de génie, n'ont laissé à la postérité aucune œuvre portant le titre de Requiem. En revanche, ils ont composé de nombreuses pièces à vocation "funéraire". Les Musikalische Exequien de Schütz, et plusieurs motets de Bach, en sont les témoignages. Ludus Modalis a souhaité associer ces deux compositeurs, éloignés dans le temps, mais habités par la même foi luthérienne, pour une évocation d'un office funéraire du temps de Bach. Pour ce requiem allemand, les 12 voix solistes seront rejointes par les instruments, un quatuor de vents (cornet, sacqueboutes) et un ensemble de cordes, respectant en cela la tradition du continuo réalisé comme à l'époque de Bach, au grand orgue. Ce projet marque l'envie de Ludus Modalis de s'inscrire dans le jeu de la polyphonie à travers l'histoire. Schütz et Bach utilisent la même source littéraire, "les écritures" au service de la foi luthérienne, et la même source musicale, "le contrepoint", qui conduisent au discours musical le plus humaniste. La culture polyphonique de Ludus Modalis, issue d'une longue pratique des maîtres de la première Renaissance, trouve son prolongement, son aboutissement, dans ce répertoire riche, mais exempt de toute affectation.

 

Représentations :

 

- le 3 mai 2013, à la Cathédrale d'Evreux, à 20h30,

- le 4 mai au Théâtre du Château d'Eu (76), collégiale Notre-Dame, à 20h00,

mais aussi,

- le 7 juin à l'Opéra de Rouen, à 20h00,

- le 19 juillet, à 21h00, lors du festival Musique et mémoire à Lure (dpt 70)

- en août à Courtisols (dpt 51), au festival de L'Epine,

- le 23 août, à 20h30, lors du festival d'Arques-la-Bataille (dpt 76),

- le 19 octobre, lors du festival Toulouse les Orgues (dpt 11).

 

Jean-Pierre Robert.

 

24, 25, 26/05


Le Florilège Vocal de Tours fête sa 42ème édition

 

 

Seul concours international de chant choral organisé en France, cet évènement se déroulera du 24 au 26 mai 2013, à Tours et à La Riche. 17 chœurs de 10 pays (Philippines, Puerto Rico, Norvège, États-Unis, France...) participeront à divers concours. Deux sont obligatoires : le Concours International de chant choral (chœurs mixtes, ensembles vocaux mixtes, chœurs à voix égales), et le Concours National de chant choral (adultes, enfants, jeunes). Deux sont facultatifs : le concours Renaissance, et  le concours Francis Poulenc. Le Florilège Vocal de Tours a en effet, cette année, souhaité rendre un hommage particulier au compositeur Francis Poulenc, « citoyen de Noizay », pour le 50ème anniversaire de sa mort, en proposant une compétition spéciale ouverte à l’ensemble des chœurs participants. Tournée vers la jeunesse, cette nouvelle édition propose, notamment, des représentations gratuites ainsi qu'une grande diversité culturelle et vocale, dont une incitation à la création d’œuvres. Le but poursuivie est d'encourager et de promouvoir l'excellence et la vitalité du chant choral, mais aussi les charmes de la belle Touraine.

 

 

Location a/c du 23 avril : Grand Théâtre de Tours, 34, rue de le Scellerie, 37000 Tours ; par tel : 02 47 60 20 20 (et pour le programme Renaissance : 02 47 05 82 76) ; theatre-billeterie@ville-tours.fr

Jean-Pierre Robert.

 

 

14, 16, 18, 21, 23, 26, 28, 30/05 et 2/06

 

Il Barbiere di Siviglia vu par Jean-Marie Sivadier à Lille

 


© DR

 

Passionné d'opéra italien, comme l'a démontrée sa Traviata aixoise, et par le chef d'œuvre de Beaumarchais, Jean-Marie Sivadier se confronte à l'opus magnum bouffe de Rossini: Il Barbiere di Siviglia. A l'Opéra de Lille, en co-production avec ceux de Caen et de Limoges. Confrontation attendue, lorsqu'on sait l'acuité du regard du français pour la satire sociale, le drame humain. Car les personnages de Rossini ne sont assurément pas des marionnettes, mais des êtres de chair et de sang, et si on les surprend à ne regarder pas au-delà du bout de leur nez, leur psyché investigue bien plus loin. N'assiste-t-on pas à une rare conjugaison de la farce issue de la commedia dell'Arte et de la comédie de mœurs plus moderne ? La direction est confiée à Antonello Allemandi. Une distribution jeune devrait défendre avec panache les pages inspirées de ce qui passe justement comme le roi de l'opéra bouffe.

 

Opéra de Lille, les 14, 16, 18, 21, 23, 28, 30 mai 2013, à 20H et les 26 mai, 2 juin à 16H.

Location : rue Léon Trulin Lille ; par tel : 0820 48 9000 ; mail : billetterie@opera-lille.fr

 

Jean-Pierre Robert.

   

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L’ARTICLE DU MOIS

 

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Introduction au prix de Rome de musique (1803-1968)

 

 

« Ce serait bien le moins que la collection complète des cantates couronnées

fût soigneusement rangée dans un rayon spécial de bibliothèque de temps

en temps épousseté, et que les très-rares curieux qui se présenteraient pour la

visiter pussent au moins satisfaire leur innocente curiosité ». [i]

 

Par son prestige, le prix de Rome fut, entre 1803 et 1968, l’objet de toutes les convoitises et de toutes les cabales. Taxé d’académisme, dénigré voire moqué, il est aujourd’hui devenu le synonyme du mauvais goût d’un « romantisme » jugé décadent. Pourtant, un constat s’impose : au lieu d’être borné à la répétition annuelle d’un processus immuable, le prix de Rome s’adapte en fait souplement à des contingences pédagogiques, politiques et esthétiques remises en question de façon permanente. Et si l’impression première qu’il ne consiste qu’en l’éternelle réécriture d’une cantate sur livret imposée perdure, c’est seulement par complète méconnaissance de l’histoire de cette institution.

 

On fait traditionnellement de la « cantate » un principe dépassé au XIXe siècle. Le genre est perçu comme un objet décalé, hérité des Lumières, absolument en contradiction avec les aspirations du romantisme. « La cantate n’est-elle donc […] qu’un cadre prétentieux et gênant, dans lequel les jeunes musiciens ne se meuvent qu’avec peine et douleur, sous l’étreinte de mille appréhensions ? » [2] Certains répondent tout net par l’affirmative, comme Castil-Blaze qui n’y voit qu’« une pièce de vers disposée d’une manière ridicule et barbare » [3] . Tel est aussi le regard contemporain porté aujourd’hui sur la cantate du prix de Rome, regard surprenant car c’est justement au XIXe siècle que fleurissent les concours « publics » de composition de scènes lyriques : on peut signaler (de manière absolument non exhaustive) un concours de cantate en mémoire de la révolution belge en 1834 [4] , le premier concours de cantate pour une exposition universelle [5] et la création du concours de cantate « Meyerbeer » [6] en 1867, un concours « pour une cantate allégorique » en 1875 [7] , la création du concours de la Société des compositeurs de musique (proposant notamment l’écriture d’une « scène lyrique sur un sujet au choix ») [8] et un concours pour une cantate « sur Don Juan » [9] en 1876, un concours de cantate à Lille [10] ,  la création du concours de cantate Hérold [11] et du concours de cantate Cressent [12] en 1877, celle du concours Rossini – exactement calqué sur le prix de Rome – en 1878 [13] . Par ailleurs, les occasions de jouer des scènes lyriques qui ne soient pas seulement des exercices d’école ou des pages de concours sont légion : chaque anniversaire, chaque inauguration, chaque commémoration offre l’opportunité de pièces aux effectifs variés, mais évidemment plus proches des ambitions orchestrales de la cantate de Rome que de l’ancienne cantate française à voix seule et basse continue. Remarquons aussi que, pendant les trente premières années du XIXe siècle, existe dans les salons parisiens un répertoire parallèle à celui de la romance avec piano qui porte le nom de « scène » et épouse une structure en deux ou trois airs séparés par autant de récitatifs. Genre très en vogue, il ne diffère de la cantate romaine que par un accompagnement plus sommaire – car pianistique – qui révèle pourtant une inspiration souvent orchestrale. Et certaines cantates à une voix, comme Caïn maudit d’Onslow ou Le Dernier Moment du Tasse de Théodore Gouvy, sont indéniablement valables au piano comme à l’orchestre.


La Villa Médicis ( Musica, juin 1912) / DR

 

         Autre idée reçue, la cantate serait un objet purement conjoncturel que les compositeurs renieraient aussitôt le concours de Rome passé. Pourtant, même le plus véhément des candidats – Hector Berlioz – saura se souvenir dans sa Symphonie fantastique (1830) du thème clef de la cantate Herminie (1828), qui devient la fameuse « idée fixe ». Berlioz, à nouveau, étoffe sa cantate Sardanapale (1830) en lui ajoutant « l’incendie » conclusif dont il attend les plus heureux effets. Debussy, l’autre lauréat pourfendeur du concours de Rome, réorchestre de son côté – avec l’aide de Caplet – L’Enfant prodigue de 1884 (en 1906), qui n’est pas un des moindres succès debussystes de cette époque. Ce principe de réorchestration n’est d’ailleurs pas isolé, et il suffit de comparer la version originale d’Alcyone d’Aymé Kunc (1902) avec sa version remaniée pour découvrir un travail minutieux et de longue haleine, qui témoigne d’un intérêt indéniable de l’auteur pour l’œuvre. On pourrait également citer les multiples retouches que Gustave Charpentier apporte à Didon (1887), la nouvelle introduction qu’Ernest Boulanger compose pour Achille (1835) et – découverte récente de Jean-Christophe Branger – la présence du célèbre « Menuet » de Manon (1884) dans la cantate Louise de Mézières de Massenet écrite en… 1862. Moins étudié encore que l’aspect musical, le texte littéraire des cantates n’est pas non plus sans intérêt. Et quelques librettistes ont eux aussi à cœur de valoriser ou de réutiliser tout ou partie des vers qu’ils ont d’abord imaginés pour l’Institut. Ainsi cette Madone de Louis Carmouche, dont le texte « destinée au concours de composition musicale sous la forme de la cantate traditionnelle, […] ambitionna plus tard le théâtre » [14] . Toutes les tentatives ne furent pas heureuses cependant, et en l’occurrence « la Madone de M. Carmouche est bien et dûment restée cantate comme devant, affublée, il est vrai, d’un modeste décor et d’humbles costumes » [15] .

 

Bien entendu, l’importance du prix de Rome pour les jeunes compositeurs – ne serait-ce qu’en termes financiers [16] – les engage à consacrer toutes leurs études à l’objet « cantate », c'est-à-dire à la musique vocale dramatique, et encore au sens le plus restrictif du terme : « musique d’opéra sérieux ». Car il n’est pas question de tourner ses regards vers l’opéra-comique ou la musique religieuse pendant les années d’apprentissage au Conservatoire : « Leur étude ne ferait pas obtenir le grand prix de Rome aux jeunes gens qui s’y livreraient » [17] . Et que dire de la musique instrumentale, dont la connaissance semble moins encore immédiatement utile à l’écriture d’une cantate ? Pierre Lalo déplore amèrement que les exigences du prix de Rome, lors de sa création sous l’Empire, n’aient jamais été actualisées par la suite :

 

On ne soupçonnait pas que le théâtre n’est qu’une petite province du monde de la musique ; que la musique pure est un royaume infiniment plus vaste, plus divers, plus riche et plus puissant ; plus essentiellement musical aussi, et dont la connaissance importe bien davantage aux musiciens. [18]

 

         Et pourtant, en y regardant bien, c’est à nouveau simplifier caricaturalement l’histoire du prix de Rome que de perpétrer cette croyance concernant la musique instrumentale. Dès 1821, le règlement de la villa Médicis suggère, pour les envois de Rome, ce que le texte officiel de 1846 imposera : à savoir l’écriture de pièces purement instrumentales, en particuliers de symphonies, et plus tard d’ouvrages de musique de chambre [19] . Parallèlement, l’épreuve du concours définitif – la cantate – est elle-même reconsidérée sur le plan orchestral : le nouveau règlement de 1839 stipule clairement qu’elle « devra être précédée d’une introduction instrumentale assez développée pour se composer de deux mouvements, un largo ou andante et allegro » [20] . Ce n’est pas là, résolument, passer complètement sous silence cette partie de l’art du compositeur.

 

 


Cliché Adolfo Tomeulci, 1967

 

 

         S’il est aujourd’hui nécessaire de reconsidérer l’histoire du prix de Rome, et – en quelque sorte – de prendre sa défense, c’est aussi parce que la critique s’ingénia à accabler le concours des reproches les plus excessifs et les moins objectifs. Certes, comment voudrait-on qu’un système, par nature élitiste, ne suscite pas la méfiance et la jalousie ? Le dispositif pédagogique lui-même – maillage inextricable confondant professeurs du Conservatoire et jurés de l’Académie – offre d’intarissables sujets de discordes. Et entre les lauréats « trop jeunes » et le jury « trop âgé », les acteurs de cette histoire prêtent facilement le flanc à la critique. Cette critique, justement, prend corps dans d’abondants textes polémiques relayés principalement par la presse. Les journaux musicaux, en premier lieu – qui se doivent de juger de la qualité des candidats et de leur potentiel – mais aussi la presse généraliste. C’est elle qui fit incontestablement le plus de tort au concours, car les journalistes du Gaulois, du Figaro ou de L’Illustration ne sont pas tous spécialisés en musique, loin s’en faut. Autant leur présence à l’événement mondain que constitue la séance publique annuelle de l’Académie des beaux-arts est inévitable, autant les propos musicaux publiés ensuite ne sont pas forcément d’un grand intérêt. Dans le meilleur des cas, une mention rapide du lauréat et les noms de ses professeurs sont complétés par le titre de la cantate et un résumé de l’intrigue. Mais à d’autres occasions, le critique se lance dans des démonstrations polémiques qui ne tiennent pas toujours compte de réalités économiques, matérielles, voire même artistiques, et dont les conclusions sont bien souvent discutables sinon caduques. C’est probablement pour cette raison que les journalistes sont plusieurs fois écartés des séances de jugement du prix (traditionnellement au mois de juin et juillet après 1815), afin de ne pas s’enflammer dans des prises de positions favorisant tel ou tel candidat. La question est alors sur toutes les lèvres : « Pourquoi rendre publics les concours de contrebasse et de trombone, et dissimuler le concours de composition, le plus intéressant de tous ? » [21]

 

         Tandis que s’élabore un discours critique bientôt figé en formules stéréotypées, la notion d’« académisme » – finalement peu employée au XVIIIe siècle – devient l’un des termes favoris pour désigner le style musical des cantates de Rome. Bien qu’il ne soit consacré par l’usage qu’en 1876, le mot est largement utilisé dès le milieu du siècle, mais dans une acception de plus en plus négative. Il se charge bientôt de la connotation péjorative qu’on lui connaît encore. Henri Blanchard donne, dès 1842, une définition de l’académisme associé au concours de Rome, mais sans employer précisément le mot : « Il est une vérité fatale dans l’ordre intellectuel, à savoir que les Académies tuent le génie, l’indépendance, l’originalité ; elles parquent la pensée, la refroidissent, la mesquinisent ; elles disent à l’artiste : tu feras comme nos prédécesseurs, comme tes maîtres » [22] .  Esthétique immuable que l’académisme ? Pas vraiment, ironise Henri Rabaud : « plutôt quelque chose de changeant, quelque chose comme la mode d’avant-hier accommodée au goût d’hier » [23] . Plus sérieusement, Maurice Denis définit le concept comme « un calque fidèle de l’état d’esprit du public » [24] . Et il n’est pas étonnant qu’au moment où l’on prête à la cantate « académique » une saveur réactionnaire (qu’elle aura à certaines époques, il faut en convenir), le prix de Rome devienne un objet de dérision abondamment caricaturé. On pense aux premières scènes du Grand prix ou le voyage à frais commun, opéra-comique d’Auber représenté en juillet 1831 ou encore à l’air cocasse [25] du « Prix de Rome » dans L’Amour africain de Paladilhe (1875). Les Misères d’un prix de Rome d’Albéric Second sont une autre forme – cette fois littéraire – de dérision [26] . Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et jusqu’à la fin de son existence, en 1968, la cantate ne cessera d’être montrée du doigt comme un objet artistique figé, alors que l’histoire même du genre, dans le détail, le montre perméable à toutes les modernités…

 


Cliché Adolfo Tomeulci, 1967

 

         Ce courant esthétique retrouve aujourd’hui son lustre et la musique romantique française semble bien en passe de devenir un « répertoire d’avenir », en terme d’intérêt de la redécouverte. Le « revival » baroque des années 1980 s’étant aujourd’hui tout à la fois imposé et étiolé, il laisse la place à d’autres découvertes, et notamment celle du grand XIXe siècle lequel, entretemps, paraît avoir trouvé son rang dans l’histoire des arts avec une charge négative nettement édulcorée depuis une trentaine d’années. Le Musée d’Orsay ose aujourd’hui exposer ses « pompiers », les théâtres parisiens affichent La Juive, Zampa et Fra Diavolo avec un taux de remplissage comparable à La Bohème et Carmen. Il restait à permettre d’entendre ces œuvres du prix de Rome au disque : c’est chose faite avec la collection « Musique du prix de Rome » initiée en 2009 par le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française. Chacun aujourd’hui – et bien mieux qu’au XIXe siècle – peut juger de l’intérêt de toutes ces partitions.

 

Alexandre Dratwicki *

 

 

 

 

* Alexandre Dratwicki est Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française.



[1]                «  L’Illustration, 8 octobre 1853, p. 235.

[2]               Paul Smith, « Académie des beaux-arts », Revue et gazette musicale, 11 octobre 1857, p. 329.

[3]              Castil-Blaze, « La cantate », Le Ménestrel, 6 avril 1834, p. 1.

[4]               Le Ménestrel, 31 août 1834, p. 4.

[5]               Le Ménestrel, 17 mars 1867, p. 125 et Revue et gazette musicale, 26 mai 1867, p. 170.

[6]               Revue et gazette musicale, 18 août 1867, p. 266.

[7]              Revue et gazette musicale, 2 mai 1875, p. 143.

[8]             Revue et gazette musicale, 18 juin 1876, p. 197. 

[9]               Revue et gazette musicale, 3 décembre 1876, p. 391. 

[10]               Le Ménestrel, 3 juin 1877, p. 215.

[11]               Le Ménestrel, 25 novembre 1877, p. 415. 

[12]              Revue et gazette musicale, 24 février 1878, p. 63. 

[13]             Le Ménestrel, 13 octobre 1878, p. 373 puis 8 décembre, p. 14 et 15 décembre, p. 23.

[14]             Henri Heugel, Le Ménestrel, 20 janvier 1861, p. 59.

[15]              Henri Heugel, Le Ménestrel, 20 janvier 1861, p. 59.

[16]            Berlioz écrit par exemple : « Cet abominable concours est pour moi de la dernière nécessité, puisqu’il donne de l’argent et qu’on ne peut rien faire sans ce vil métal. » (Lettre d’Hector Berlioz à Humbert Ferrand, Paris, 15 juillet 1828, Correspondance générale, I (1803-1832).

[17]             T., « Conservatoire de Musique. Quelques mots sur le système d’enseignement suivi dans les classes de composition idéale », Revue et gazette musicale, 6 juin 1839, p. 182.

[18]          Pierre Lalo, Le Temps, 20 août 1907, p. 3.

[19]            Voir à ce sujet Alexandre Dratwicki, « Les "Envois de Rome" des compositeurs pensionnaires de la villa Médicis (1804-1914) », Revue de Musicologie, 91, n°1, juillet 2005, p. 99-193.

[20]             Jean-Michel Leniaud (éd.), Procès-verbaux de l’Académie des Beaux-Arts, Paris : École des Chartes, 2003, VI, 1835-1839, p. 375 (PV 28 décembre 1839).

[21]            A. Heller, L’Art musical, 30 juin 1888, p. 89-90.

[22]           Et Blanchard de poursuivre : « C’est surtout dans l’art musical que se font sentir ces fâcheuses influences. Nous avons, grâce à l’Institut, de riches architectes, de bons peintres, d’excellents musiciens, des compositeurs corrects, mais pas un homme fort, créateur. L’instrumentation riche et puissante, les hardiesses de l’harmonie moderne nous viennent de Beethoven et Meyerbeer, comme les formes mélodiques ont été renouvelées par Rossini ; Paganini et Thalberg ont découvert des voies inconnues dans l’exécution instrumentale : ces hommes éminents ont-ils obtenu ces brillants résultats parce qu’ils ne sont pas de l’Institut ? Parce qu’ils n’ont point procédé dans les formes académiques ? On serait  tenté de le croire. Il est bien certain que depuis dix ou douze ans, au moins, aucun des jeunes musiciens qui ont remporté le grand prix de composition musicale à l’Institut, n’a prouvé des facultés éminentes dans son art. » (Henri Blanchard, « Séance publique de la distribution des grands prix de Rome à l’Institut (Académie des beaux-arts). Composition musicale. », Revue et gazette musicale, 9 octobre 1842, p. 404).

[23]          Henri Rabaud, « La défense du prix de Rome par un ancien pensionnaire », Revue de Paris, 12 juin 1905, p. 377.

[24]           Henri Rabaud, « La défense du prix de Rome par un ancien pensionnaire », Revue de Paris, 12 juin 1905, note 12.

[25]             « Cantate » y rime avec « patate », notamment…

[26]            Albéric Second, Misères d’un prix de Rome, Paris : Dentu, 1868.

 

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LE FESTIVAL PASCAL DE LUCERNE

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© DR

 

Le Festival « Zu Osten » inaugure la saison des manifestations prestigieuses du Festival de Lucerne. Désormais, un orchestre de jeunes y est en résidence, comme l'est, au Festival d'été, le Lucerne Festival Orchestra. Ici, c'est l'Orchestra Mozart. Mais bien d'autres formations de prestige se mesurent devant le public. Celui-ci a bien de la chance de pouvoir entendre Claudio Abbado et ses confrères éminents, John Eliot Gardiner ou Mariss Jansons, et des solistes de haut vol, Martha Argerich, Isabelle Faust. Comme les années passées, un concert était réservé à cette formation originale qu'est le Human Rights Orchestra Ensemble, formé de solistes européens, dont la première hautboïste de notre ONF, Nora Cismondi. Il est dirigé par le magnétique Alessio Allegrini, corniste de son état. Ils étaient entourés des élèves des écoles de musique du canton de Lucerne. Leur concert dominical, en matinée, aura été un moment de joie partagée, triomphe de la jeunesse, passage de témoin à la jeune génération. On y donnait des extraits de pièces de Martinu (premier mouvement du Nonette, pour quatre cordes et cinq vents), les Danses roumaines de Bartók, dans une version pour quatuor à cordes et contrebasse, ou « Après un rève » de Fauré, transcrit pour alto et piano, et Syrinx de Debussy, joué par Paolo Taballione, soliste flûtiste du Bayerische Staatsorchester. Deux créations ponctuaient le concert : de Rolf Stucki-Sabeti, « One voice für Jugend-Chor, Oboe, Streichquintett und klavier »,  et de Paolo Marzocchi, « Hózhó pour chœur de jeunes, ensemble de jeunes, quintette de cordes et de vents ». Une conclusion en fanfare d'une heure et demie de musique sympathique!

 

 

Abbado, Argerich et les jeunes de l'Orchestra Mozart

 


© Priska Keterer/Lucerne Festival

 

Pas moins de deux concerts réuniront Claudio Abbado et l'Orchestra Mozart, et Martha Argerich ! Les programmes nous emmènent dans cette époque classique bénie, de Mozart, Beethoven et Schubert. Deux concertos pour piano de l'auteur des Noces de Figaro, une poignée d'Ouvertures et la Quatrième symphonie de Beethoven, enfin, en guise de bonus, des extraits de la musique de scène pour Rosamunde. Une fête ! Et pourtant, tout autre chose qu'un parcours de facilité. C'est que le maestro Abbado, comme les plus grands, va chercher au-delà des notes. Il transcende l'idée même de musique qui se fait. Loin de tout effet de chef, il se dégage un sentiment de sérénité dans chaque morceau joué, de paix intérieure, qui emplissent le cœur et l'esprit, plus qu'ils ne flattent ce qui chez l'auditeur ressortit encore de la surface. La perfection sonore n'est pas un objet en soi, elle est le moyen, qui achève bien autre chose. Ses jeunes musiciens, nullement encombrés par quelque habitude, sont vierges de toute idée préconçue. Aussi ces interprétations sont à part, et le bonheur qui en émane a à voir avec quelque chose de secret. Certes, les diverses Ouvertures beethovéniennes choisies ont de la fougue. Ainsi de Coriolan, dont le «  brio » de l'histoire tragique du général romain, est asservi, pour déboucher sur une dernière phrase des cellos, sublime, une fin pppp, dans un souffle. Celles pour l'opéra Leonore, qu'offre Abbado, les N° 3 et N° 2, sont, à y regarder de près, plus que des introductions festives. Leonore 2, en réalité la première écrite, et qui sera emportée dans le fiasco de la Première de la pièce, est sans doute la plus curieuse des quatre composées pour l'opéra. Sa coupe en quatre sections, lent-vite-lent-vite, établit une sorte de modèle pour un développement héroïque. Mais avant le finale jubilatoire, la digression prend son temps, emplie de silences évocateurs au premier adagio, ou parée de la mélopée de la flûte (merveilleux Jacques Zoon!) à la troisième séquence, également adagio. La récapitulation, qui illuminera Leonore 3, n'existe pas ici. Cette autre mouture, si connue, donnée lors du premier concert, est autrement plus brillante, encore qu'Abbado y installe cet art de l'extrême pianissimo dont il a le secret. Comme l'a écrit Richard Wagner, « cette pièce n'est plus une ouverture mais le plus puissant des drames en soi ». Elle est un concentré de celui qui va suivre : sa lente introduction évoque le donjon dans lequel est retenu le prisonnier, puis la pulsation énergique anticipe le cours des événements, enfin, avec le signal à la trompette dans le lointain, c'est le moment annoncé de la libération. Cette récapitulation, qui créé un effet dramatique si fort, est celle de la liberté même. Abbado ménage cette ascension vers la lumière avec un magnétisme certain, et la manière n'a rien de ce martèlement à la prussienne, qu'affectionnent bien de ses confrères.

 


© Priska Keterer/Lucerne Festival

 

Les morceaux de choix, et attendus par le public, étaient les deux concertos de piano de Mozart. Ils réunissaient les « vieux amis » Martha Argerich et Claudio Abbado. C'est émouvant de les voir arriver se tenant par la main, presque timidement, saluer  un auditoire qui n'a d'yeux que pour deux « monstres sacrés ». Et pourtant, la première mesure levée, la musique sera tout sauf effet démonstratif. Ils rapprochent deux pièces dissemblables, les K 503 et 466. Le premier, ou N° 25, ne passe pas pour le plus aisé. Ultime morceau d'une mirifique série de douze, il est plus une manière de résignation qu'une conclusion radieuse, malgré un discours volontariste. L'écriture presque chambriste ne cherche pas à plaire. L'allegro maestoso semble opposer un orchestre plutôt dramatique, celui de la tonalité d'ut majeur, à un soliste discret, ce  que signale l'entrée presque furtive de ce dernier. Le thème principal, fait de trois notes, répétées à l'envi, les changements fréquents de rythme, l'alternance de clair et de sombre, de majeur et de mineur, confèrent à la conversation un caractère sérieux. L'énergie, on va la trouver dans les échanges entre piano et flûte ; une association qui se développera plus avant. L'andante est une affaire tout aussi grave, de ses thèmes variés et incessantes variations rythmiques. Ce n'est qu'avec le finale, allegretto, que l'atmosphère se déride, et devient passionnée, notamment lors de l'apparition d'un nouveau thème au hautbois, vite relayé par la flûte. Argerich est discrète et le jeu est on ne peut plus fluide, tout sauf maniéré, adhérant à la conception sereine de son partenaire de chef. Dès la péroraison orchestrale achevée, elle bondit de son siège pour aller embrasser Abbado. Elle ne lui lâchera pas la main lors des nombreux saluts. Le second concert présentait le concerto K 466, autrement dit le fameux 20 ème. Ce chef d'œuvre connut une genèse amusante, puisque créé lors d'un concert de souscription, à Vienne, le 11 février 1785, alors que l'encre n'en était pas encore sèche : achevé la veille, il ne sera vérifié chez la copiste que le jour même. Ce qui, pour les spécialistes, explique le caractère négligé de l'écriture de la partie soliste. La tonalité de ré mineur, celle de l'Introïtus du Requiem, est associée au tragique, à la passion profonde, et au désespoir. Ce qui justifie peut-être son succès aux siècles suivants, notamment au romantique XIX ème. Il y a quelque chose de presque inconciliable, à l'allegro initial, entre le motif sombre énoncé aux basses de l'orchestre, et le jeu du piano, presque timide, sur le mode du récitatif. Encore que chez Argerich, celui-ci va rapidement s'affirmer ; et surtout, lors de la cadence, dont elle joue celle écrite par Beethoven, qui surenchérit en ce sens. La « Romance » a la simplicité d'un arioso dans l'énoncé du thème par le soliste. La section centrale, pathétique, est fort bien contrastée par Argerich, avec le concertato des bois plaintifs. Une envolée d'arpèges ouvre, au finale, un élan passionné, « un cri de triomphe », selon les Massin. Abbado presse même le tempo et établit pour sa soliste un écrin d'une étonnante allégresse. Là encore, la pianiste argentine montre une vraie affinité avec l'idiome mozartien. Les applaudissements seront si nourris qu'elle jouera encore en solo, chose rare, quelque feuille d'album de Schumann.

 


©Priska Keterer/ Lucerne Festival

 

Outre de courts extraits de la musique de scène de Rosamunde, qu'il affectionne, dont l'entracte après le III ème acte, et le court ballet, distillé peut-être plus qu'ailleurs, avec des hyper pianissimos, tout simplement magiques, le maestro Abbado donnait deux symphonies, de Mozart et de Beethoven. La symphonie K 319 n'a, certes, rien de particulièrement remarquable, comme la Jupiter ou la Symphonie K 550. Elle marque quelque transition, et démontre sans doute la maturité acquise par Mozart, fruit de son expérience lors de ses voyages européens, celui de Paris en l'occurrence, où il s'était confronté à la manière française du Concert Spirituel. Les cordes dominent et les vents, en nombre restreint, sans la flûte, ne sont là que pour donner quelques touches de couleur. La rythmique est versatile aussi, notamment dans les mouvements extrêmes. Et pourtant, avec Claudio Abbdo et ses merveilleux musiciens, une cohérence s'établit, celle d'un climat paisible, par-delà les notes. Plus que chez son jeune confrère Andris Nelsons, quelques jours auparavant (cf. infra), coïncidence amusante, la manière se veut intériorisée, et de cette intensité naît l'émotion. On se délecte du Menuetto et de son court trio, et d'un allegro final radieux. Une leçon d'orchestre. Il en sera tout autant de l'exécution de la Quatrième symphonie de Beethoven, deux jours après. Une interprétation distinguée par son équilibre souverain, loin de tous excès martiaux ou lénifiants, asservie à une idée : celle du drame qui sous-tend cette pièce. Il y en a, en effet, plus qu'on croit dans cette symphonie, qui sépare l'Héroïque Troisième et la Tragique Cinquième. La force de ce drame procède de la manière dont Beethoven manipule les contrastes en termes de dynamique et de texture. Le début adagio, sur le modèle de Josef Haydn, offre un profond  mystère, un sens du suspense. Il faut ici souligner la force du silence, cet « art du silence » dont parlait Casals. Celui qui sépare les deux tempos s'avère envoûtant. Avec Abbado, l'entrée du premier thème de l'allegro n'aura rien d'abrupt. Le mélodique adagio, avec sa répétition quasi mécanique d'une même cellule rythmique, progresse naturellement, et le chef ne se prive pas de diminuendos d'intensité, en particulier dans les traits de la clarinette, menés jusque dans le pppp, mais sans que la pulsation fondamentale ne s'en trouve modifiée. Le mouvement suivant, en forme de menuet, offre un univers de formes syncopées ; et le trio s'avère, entre ces mains géniales, d'une confondante sobriété. Le finale bondit, les accents restant vivaces. L'hommage au Papa Haydn est de nouveau évident, jeux d'ombre et de lumière, sens de l'humour. Le rendu instrumental est époustouflant : finesse immatérielle des cordes, transparentes à un point rarement atteint, clarté profonde des bois, flûte, hautbois, clarinette et basson, jusque dans la nuance la plus « atmosphérique ».

 

Jean-Pierre Robert.

 

Le beau violon de Bach ou le tour de force d'Isabelle Faust

 


© Georg Anderhub/ Lucerne Festival

 

Jouer en un seul et même concert les Six suites et Partitas pour violon seul de Bach est assurément un challenge. Isabelle Faust se confronte à cette somme avec aisance, et conquiert un auditoire religieusement recueilli. Comme les Suites pour le violoncelle, les « Sei Solo à violino senza Basso accompagnato » découvrent un monde sonore fascinant. Plus que cela : une réflexion esthétique d'envergure, de spiritualité et de cheminement vers la méditation. Bien au-delà d'un pur exercice technique, et partant, de virtuosité instrumentale. Une sorte d'Art de l'universel, où s'effectue une synthèse de l'intellect et du divertissement musical. Un ensemble qui mène l'interprète comme l'auditeur vers quelque sommet. Musique difficile d'accès, entend-t-on dire. Il faut tordre le cou à cette idée fausse d'une musique « objective », froide, uniquement intellectuelle. C'est Casals qui dit « Plus que n'importe qui, Bach est humain ». Il y a, chez le Cantor, du sentiment, du tragique comme du poétique, voire de la passion. Il y a de la couleur dans ces pièces aux mille visages. Et si le dessin mélodique n'est pas toujours aisé à discerner, plus d'un indice nous y conduisent : ces pièces ne sont pas seulement faites d'une juxtaposition de thèmes, mais une façon de traiter, de manière évolutive, une idée exposée au début de chacune. Et puis, il y a cette merveilleuse polyphonie qui les sous-tend. Au fil de cette exécution immaculée, plus encore, complétement habitée d'une force intérieure, on prend conscience de la signification émotionnelle de chaque Sonate ou Partita. Un vaste éventail d'expressions est transmis. Un monde de lumière et d'ombre aussi, car les contrastes dynamiques y sont légion. Les trois Sonates, formatées sur le principe de la Sonata di chiesa (sonate d'église), en quatre mouvements, suivant le schéma lent-vite-lent-vite, peuvent sembler sévères. Point du tout à l'écoute de ce qu'en livre Isabelle Faust. On se prend à s'émerveiller d'une inventivité extrême :  l'adagio de la Sonate BWV 1005 évoque une profonde douleur, le « Grave » initial de la Sonate 1003 découvre un univers de paix, la « Siciliana » de la Sonate 1001 est presque ésotérique ; mais les fugues viendront égayer tout cela, dont cette « fuga alla breve » de la troisième Sonate, une vraie « signature » du Cantor, si vaste, et calée dans le grave du violon. Les Partitas ne peuvent être plus contrastées : c'est là le triomphe de la danse, que l'on retrouve aussi dans les Sonates pour violoncelle seul, ou encore dans les Suites françaises ou anglaises. La danse dans toutes ses parures : du plus lent, l'Allemande ou la Sarabande, au plus rapide, les gigues prestes, presque rageuses, en passant par les Menuets, les Bourrées et autres Gavottes. Casals dit encore qu'il ne doit pas y avoir « de raideur, plutôt de la rusticité ». Les exécutions de d'Isabelle Faust sont immenses, en même temps complétement accessibles, faisant siennes ce mot du violoncelliste catalan « Bach doit être libre ». Il l'est ici, et l'on savoure un son d'une beauté souveraine, un jeu délié à merveille (presto de la Sonate BWV 1001), des pianissimos comme suspendus dans l'air. Et surtout, un sens de l'enchaînement idéalement maîtrisé, nulle part mieux manifesté que lors des mouvements dits « double ». Ils ont fonction de prolonger, comme par exemple dans la Partita BWV 1002, qui de l'Allemande, dans un geste d'une plus grande douceur, qui du Tempo de Bourrée, dans une vraie amplification sonore. « Une bonne exécution doit être diversifiée. Lumière et ombre doivent se confronter continuellement » rappelle Ludwig Quantz. C'est bien de cela qu'il s'agit. Isabelle Faust conclut le cycle par la Partita BWV 1004, et par son immense Chaconne : après plus de deux heures de musique, elle sait encore nous surprendre par ce qui est non seulement une fin, mais un aboutissement. Voilà vraiment une exécution inouïe, dont l'apparente simplicité cèle un immense travail de réflexion, une concentration de tous les instants, qui laisse de temps à autre percer un léger sourire : la satisfaction d'un trait achevé, de l'éclosion d'une idée magique plutôt, émanant d'une musique de l'âme et du cœur.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

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Le prestigieux Orchestre Philharmonique de Berlin en tournée parisienne...

 

 
© Sebastian Hänel/Berliner Philharmoniker

 

Les concerts parisiens des Berliner Phil font incontestablement figure d'événement. Et pas seulement musical, cette fois, puisque le politique s'en est mêlé : ils étaient inscrits dans le cadre des festivités honorant la célébration du Traité de l'Élysée, d'où ambassadeurs et personnalités. Qu'importe, le public était là, fidèle, et très attentif. Pour apprécier ce que l'ambassadrice d'Allemagne décrit comme « un ensemble d'une envergure et d'une virtuosité uniques ». Sir Simon Rattle avait concocté deux programmes exigeants, s'aventurant dans des contrées audacieuses. Et d'abord, un hommage à Henri Dutilleux! Ce compositeur, il le chérit, pour avoir commandé, et ainsi créé, à la Philharmonie, en 2003, Correspondances. C'est précisément cette œuvre qui était au programme du premier concert.  Première pièce écrite pour la voix, « cet instrument si particulier et si intimidant », dira-t-il. Elle est constituée de cinq morceaux, l'idée ayant « consisté à faire un choix de quelques lettres émanant de différents auteurs et susceptibles d'engendrer diverses formes d'expression lyriques illustrées par une voix de soprano et le grand orchestre symphonique ». Et il est vaste cet orchestre, avec bois par deux, cuivres par trois, cors en fa, trompettes en ut, outre une impressionnante lignée de percussions. Comme on l'a remarqué à propos d'une récente interprétation au disque  (cf. NL de 3/2013), le terme de correspondance est pris dans son double sens épistolaire et de corrélation texte-musique. Le titre se réfère au poème éponyme de Baudelaire. L'auteur indique que chaque épisode fait l'objet d'une orchestration particulière, privilégiant telle famille d'instruments, les cordes et les violoncelles naturellement dans celle « A Slava et Galina ». La poétique des séquences fait référence à des termes signifiants de l'univers de Dutilleux, le timbre, le silence, l'espace. L'exécution qu'en donnent les Berliner est prodigieuse de virtuosité timbrique, de l'impalpable pianissimo à l'éclat forte. On est impressionné par les pages agitées par lesquelles s'ouvre la lettre «  de Vincent à Théo ». Barbara Hannigan, qui est aussi la soliste du récent CD, offre une lecture puissante, sans doute différente de celle de la créatrice, Dawn Upshaw. Et si les paroles ne sont pas toujours distinctes, c'est que Dutilleux traite la voix tel un instrument parmi l'orchestre. Métaboles figurait au second concert. Commande de Georges Szell pour l'Orchestre de Cleveland, où elle fut créée en 1965, c'est une des œuvres phares du compositeur. L'idée sous-jacente est celle de métamorphose, où la forme musicale se libère des « modèles préfabriqués ». Un concerto pour orchestre dont chacune des parties favorise, là encore, ou plutôt déjà, une famille particulière d'instruments. Les cinq pièces s'imbriquent les unes dans les autres, la figure initiale de chacune subissant une succession de transformations, voire une déformation engendrant elle-même une nouvelle figure, qui servira d'amorce à la pièce suivante. On remarque la maîtrise de la matière symphonique, et la vraie flamboyance orchestrale. On savoure combien Simon Rattle façonne les forces de son orchestre pour en obtenir un son gallique, d'une transparence vraie. Les violons, en particulier, sont sollicités jusqu'au bout du son. Admirable au passage, la belle flûte de Emmanuel Pahud.

 


© Salle Pleyel/ Julien Mignot

 

Une autre œuvre, peu fréquente, est le concerto pour violoncelle de Witold Lutoslawsi. Dédié à Slva Rostropovitch, qui le créera en 1971 à Londres, il est conçu pour la personnalité de cet artiste « d'une telle puissance, non seulement dans son champ d'action propre, mais en général ». La pièce est étrange, et son auteur y voit quelque « histoire d'un Don Quichotte du XX ème siècle ». Car elle témoigne d'une lutte incessante entre soliste et orchestre. Celui-ci est d'une texture complexe, quoique très malléable en termes d'effectifs. Lutoslawski y utilise la technique, qui lui est propre, de l'« aléatoire contrôlé », laissant à l'interprète une marge de manœuvre non négligeable dans le déroulement rythmique. Le langage, qui mêle ce contrepoint aléatoire à d'autres paramètres, tels que l'organisation de la hauteur des sons, la recherche d'harmonies spécifiques, renforce cette impression d'étrangeté. Le compositeur dit être redevable tout autant aux classiques viennois qu'à des musiciens comme Debussy, Bartók, voire Varèse. Les quatre mouvements sont joués attaca : le premier « Introduction » débute par un solo du violoncelle, interrompu par des accords « furieux » des cuivres. Plus tard, dans « Cantilène », un bourdonnement de l'orchestre assagi, qui se fait aussi bruissement, livre un contrepoint paradoxal au discours du soliste. La lutte avec les forces orchestrales, où le cello est « attaqué » par de petits groupes d'instruments, ne tourne pas toujours à l'avantage de celui-ci. Au « Finale », L'orchestre semble triompher dans un gigantesque climax, sur une lamentation du soliste, mais les clusters disparaissent pour une fin réintroduisant le climat inquiétant des premières pages de l'œuvre. Simon Rattle n'est nullement dépaysé par ce système musical. Il couve son soliste. Le vétéran Miklós Perényi ne cherche pas à s'imposer, et privilégie la finesse plutôt que la bravoure.

 


© Salle Pleyel/Julien Mignot

 

Avec le Troisième Concerto pour piano de Beethoven, qui ouvrait le premier concert, est livrée la quintessence d'une exécution d'un classicisme épuré. Rattle et Mitsuko Uchida adoptent une approche chambriste et encouragent des sonorités souvent apaisées. La passion beethovénienne est mise de côté pour une poétique issue de Mozart. L'introduction orchestrale du premier mouvement a du brio, et semble promettre une certaine fermeté, mais l'orchestre se fait si transparent que l'impression de puissance n'est pas prépondérante. L'entrée du soliste est d'une belle clarté, et le dialogue qui s'instaure et se poursuit avec l'orchestre, montre une suprême alchimie  entre un chef et une pianiste, immenses musiciens. Les trilles ultimes de la cadence, très lents, ouvrent un moment de recueillement, où l'on se sent détaché de toute contingence. Le largo, pris très lent, est empreint de sérénité, colloque lyrique, sans effusion inutile, combien habité, sur un orchestre apaisé, d'où se détache la mélopée de la flûte de Andreas Blau. «  O temps suspends ton vol » ! Le finale, pris preste, est plus qu'aérien : Ushida se fait elfe, comme elle l'est au propre dans sa démarche pour rejoindre le piano ou venir saluer. Il y aura eu beaucoup de ralentissements et de diminuendos au fil de cette exécution. Mais se plaindrait-on d'un jeu nuancé et d'un orchestre non bruyant ? Le jeu est d'un raffinement qui sort de l'ordinaire, nanti de notes pppp, caressées, patte de velours. Pourvu aussi d'attaques énergiques, qui tranchent avec la fragilité, somme toute apparente, de ce bout de femme musicienne d'élite. 

 

Les deux symphonies médianes de Schumann rythmaient ces concerts. Là encore, se vérifiera l'inanité du jugement selon lequel les œuvres symphoniques du compositeur sont ingrates à jouer, voire mal écrites. Ce qu'on avance souvent, pour excuser des interprétations qui ne parviennent pas à se hisser au-delà du texte. « On dit qu'il orchestre gris ; moi, il me parle à l'âme » s'exclamera Willy. Il s'agit là de deux grands morceaux du symphonisme romantique. Et Sir Simon le saisit bien, qui joue les contrastes, mais sans les souligner outre mesure. La Deuxième Symphonie, op 61, créée par Mendelssohn, en 1846, offre un climat qui n'est pas sans rappeler celui de la Grande de Schubert, également en ut. Brigitte François-Sappey y voit une « symphonie-drame ». C'est peut-être aussi la plus classique des quatre, de par sa limpidité. Ce que souligne l'interprétation de Rattle. Si l'adagio en est le centre expressif, au lyrisme maîtrisé, au chromatisme non exacerbé, tout en clair-obscur, le scherzo, qui précède, est digne de Mendelssohn, et le finale vivace d'une belle énergie, mais là encore maîtrisée. La Troisième symphonie, op. 97, dite « Rhénane », de 1851, aux dires de son auteur «  reflète un peu de la vie sur les bords du Rhin ». On y perçoit un enthousiasme communicatif, car « toute bruissante de mélodies populaires et de valses rustiques » (ibid). Ses cinq mouvements et sa variété de climats la placent dans la lignée de la Fantastique de Berlioz : le fameux avant dernier mouvement, « Feierlich », occupe le même endroit singulier que la « Marche au supplice ». Rattle ne nous prive pas de l'exubérance de cette pièce, avec ses cuivres fougueux, ses élans jubilatoires (premier mouvement), ses rythmes dansés au scherzo, marqué « très modéré », son épisode réfléchi central, « nicht schnell » (pas vite), sorte d'intermezzo, remplaçant le traditionnel mouvement lent adagio, où se développe comme une idylle, enchantée par les bois. Le « Feierlich », solennel, de son écriture quasi pianistique, colore l'œuvre, et le finale, vif, conclura de manière festive. Dans l'une et l'autre symphonies, Rattle a recours à un spectre sonore relativement restreint, comme souvent chez lui désormais. Ce qui libère un son d'une étonnante intimité, et d'une immédiateté peu commune. Il divise ses violons, et ne dispose que 5 contrebasses, mais qui réchauffent comme s'il en étaient 9 ! La patine des cuivres ajoutent cette note reconnaissable entre toutes, celle d'une excellence à laquelle peu de formations peuvent se comparer.

 

 

…et chez lui, à la Philharmonie, Karajanplatz.

 


©Marco Borggreve

 

Bien sûr, retrouver l'orchestre dans « sa » salle de la Philharmonie est une autre expérience. Sans être désagréable, force est de reconnaître que l'acoustique de la salle de la rue du faubourg Saint-Honoé ne saurait être comparée à celle de l'auditorium berlinois. L'événement était la présence du chef Andris Nelsons. A en juger par l'accueil et les saluts finaux, le jeune letton est déjà bien auréolé de gloire ici, le public le rappelant, comme pour les grands, même après que les musiciens aient quitté le podium! Son programme débutait par la 33 ème symphonie K 319, de Mozart. Écrite pour Salzbourg, de retour de son second voyage à Paris, c'est une pièce de transition, mais aussi  d'expérimentation, en trois mouvements, auxquels sera ajouté plus tard un menuet, pour le public viennois. Son instrumentum comporte hautbois, basson et cor, par deux, mais pas de flûte. Il y un contraste entre la gestuelle très expressive du chef et une approche faite d'humilité, notamment à l'andante moderato, qui fait figure de mouvement lent. Le finale déploie une fine verve, de son thème pimpant. On savoure les cordes lustrées des Berliner. L'Ouverture de Tannhäuser, dans sa version originale de 1845, est une autre affaire. Dès la première phrase, prise pas trop lent, où les deux cors s'unissent aux deux clarinettes, l'alchimie opère : Nelsons est là chez lui. Son Lohengrin, à Bayreuth, l'a déjà prouvé. Quelle richesse, ici, avec de tels instrumentistes! L'entrée des cellos et des altos est un ravissement, et le cheminement se poursuit jusqu'à un formidable climax rehaussé des percussions. L'apothéose sera glorieuse avec l'entier rang des cuivres, trombones, trompettes et cors, faisant passer une indicible frisson. Nelsons met en évidence le sens de la progression à travers les vagues successives d'un orchestre incandescent. L'art de monter un crescendo, il va le chercher du tréfonds. Cette plénitude sonore, on en redemanderait! De la Sixième symphonie de Chostakovitch, le chef en donne la substantifique moelle.  Cet opus 54, créé par Mrawinski, a été écrit durant une année de crise, 1939, qui vit pourtant éclore des chefs d'œuvres comme Simon Kotko de Prokofiev, ou le Divertimento pour cordes de Bartók. Il se situe entre la classique Cinquième et la Septième pathétique, Leningrad. L'auteur la considérait comme l'une de ses meilleures. Inhabituellement courte, selon les standards de l'auteur, elle offre une conception originale, puisqu'en trois parties, du plus lent au plus rapide, la première durant, à elle seule, autant que les deux suivantes. Le largo progresse telle une calme pastorale. Ses motifs sont en perpétuels changements. Chostakovitch retourne à la consonance et offre ces combinaisons instrumentales dont il a le secret, piccolo et harpe par exemple. On y compte aussi d'inspirés solos de flûte (merveilleux  Andreas Blau!). Nelsons pousse les cordes jusque dans leurs retranchements, et les ultimes pages sont d'une douceur extatique. Le deuxième mouvement est un scherzo vivant, d'une polyphonie étrange, différant du mode grotesque habituel chez l'auteur. L'esprit et l'humour y règnent sans partage. Le troisième est un vif rondo, renchérissant sur le climat du scherzo, mais dans un ton plus rageur. La rythmique de danse s'y poursuit, cédant la place à un galop, parodique cette fois. La coda sera tempétueuse, quoique dans une veine d'une incroyable légèreté. Quelle orchestration! Quelle virtuosité orchestrale, nantie de profondeur, et non de pure surface! Quel chef, en complète symbiose avec ses musiciens plus que d'élite !  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Le Staatsoper de Berlin conclut son Ring

 

Richard WAGNER :  Götterdämmerung (Le Crépuscule de dieux). Troisième journée du Festival scénique « Der Ring des Nibelungen ». Livret du compositeur. Ian Storey, Irène Theorin, Gerd Grochowski, Mikhail Petrenko, Johannes Martin Kränzle, Marina Poplavskaya, Marina Prudenskaja, Margarita Nekrasova, Aga Mikolaj, Maria Gortsevskaya, Anna Lapkovskaja. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. Mise en scène : Guy Cassiers. 

 


©Monika Rittershaus

 

L'aventure débutée à l'automne 2010, avec Das Rheingold (cf. NL 12/2010), poursuivie par Die Walküre (cf. NL 05/2012) et Siegfried (cf. NL 11/2012), s'achève donc avec Le Crépuscule des dieux, entre les mains de Daniel Barenboim et du régisseur belge Guy Cassiers. On a déjà relaté les idées défendues par ce dernier. Là où Wieland Wagner, dans les années 50/60, s'attachait à un minimalisme moderne, où Patrice Chéreau, pour le Ring du centenaire, à Bayreuth, nous confrontait au radicalisme historique, et plus tard, en ce même lieu, Harry Kupfer, déjà avec Barenboim, revisitait le Regietheater, Guy Cassiers illustre la cosmogonie tétralogique au plus près d'un théâtre humain : une métaphore dramatique faisant appel à une lecture très visuelle. Aux figures musicales de Wagner, répétitives, et partant reconnaissables, mais pas toujours stables, du fait des distorsions subies, Cassiers fait correspondre des leitmotivs visuels, autant de rappels que de métamorphoses. Ceux-ci s'imbriquent avec les motifs musicaux, achevant une délicate balance entre action et récit, ces deux pôles de la dramaturgie wagnérienne. Il en résulte une approche tridimensionnelle : d'une part, un élément décoratif fondateur, réplique du bas-relief de Jef Lambeaux, intitulé « Les passions humaines » (1898), montrant une frise aux corps déchiquetés, d'autre part, des projections sans cesse changeantes, enfin le recours à des danseurs formant une sorte gangue autour de certains personnages. La direction d'acteurs se veut simplement évocatrice : pas d'emphase empruntée au Regietheater, ni de transpositions contemporaines ou ancrées dans un passé récent, mais un discours proche du spectateur, à l'appui de la théâtralité, déjà chargée, du célèbre « festival scénique ». Avec Le Crépuscule de dieux, de loin la pièce la moins aisée à monter au sein du Ring, comment fonctionnent ces présupposés ? Nulle part mieux que dans ce quatrième épisode, le récit des passions humaines n'est aussi prégnant. Même si distillé à l'envi par Wagner à longueur de tirades, truffées de leitmotivs ; ce « bottin des dieux », fustigé par les bons esprits français du début du XX ème! La dramaturgie du savoir et de l'inconnu atteint définitivement le monde des hommes, et le dernier épisode de la quête de l'anneau par Wotan bascule dans un univers asservi aux forces du mal. Brünnhilde n'a plus de déesse que l'esprit, et le pauvre Siegfried se perd au jeu des calculs mesquins de Hagen et de ses épigones. Tout se déconstruit, se déforme, se pervertit. Plusieurs strates se télescopent dans une sorte d'« Apocalypse Now » : les Nornes ressassent les images d'un encombrant  passé, les Gibichungen fomentent le pire, Brünnhilde est en proie aux désillusions, et les Filles du Rhin tentent une dernière médiation, sans illusion. Las! tout est usé, les rêves se brisent. La question de « comment finir » taraude tout metteur en scène : Chéreau concluait en forme de question ouverte, de manière plus ou moins positive. Le dessein est-il optimiste ou pessimiste ? La conduite humaine n'est en aucune manière meilleure que celle des dieux. Cassiers opte pour une issue bien sombre : la restauration de l'ex ante, un nouveau départ à zéro, ne sont pas évidents. Aussi l'horizon restera-t-il plombé. Un regard en arrière ? Pas si sûr ! Et cela se ressent dans la péroraison orchestrale, dont Barenboim ne détache pas l'ultime motif ascendant des cordes. En tout cas, tout aura été, durant ces trois longs actes, défense et illustration du fragile et de l'incertain. La scène des Gibichungen, au Ier, une sorte de laboratoire où s'élabore une technologie du mal, la première scène du II réunissant Alberich et Hagen, d'une force concupiscente peu commune, le trio infernal mettant aux prises Brünnhilde, Gunther et Hagen, d'une infernale noirceur, auront sonné des moments de théâtre engagé. Les images sont fortes, même si pas aussi percutantes que dans les trois précédentes Journées. C'est que le temps théâtral est plus vaste ici. Les essaims de danseurs, qui avaient séduit dans L'Or du Rhin, se résument à quelque parabole intéressante : ainsi des sangsues arrachant, pour le compte de Siegfried « Guntherisé », l'anneau à une Brünnhilde qui ne peut s'en défendre. L'œil se satisfait de ces visions mouvantes, aux couleurs chatoyantes, qui rapprochent ou éloignent les perspectives. Dialogues ou confrontations ont une simplicité, à des années-lumière des mises en scène bourrées de clichés. C'est, pour Cassiers, un paramètre essentiel que de faire jouer très proche du public - aux sens propre et figuré. Le gain en termes de projection est énorme, et jamais une syllabe ne se perd. On retrouve cette immédiateté des voix qui marque le son de Bayreuth.

 


© Monika Rittershaus

 

Place à la musique, justement! Le vaste orchestre, fort de six harpes, d'une foultitude de cordes graves, et de ces instruments typiquement wagnériens que sont la clarinette basse, le tuba, le cor, etc... la Staatskapelle Berlin en fait son affaire. Et opère, encore une fois, des miracles pour leur chef. Barenboim est dans son élément, et a bien peu de rivaux pour défendre cette matière en fusion. Les tempos peuvent, certes, fluctuer (un Voyage sur le Rhin mené rondement), mais on ne saurait lui dénier une sûre dramaturgie symphonique. La transition, au I, entre l'échange animé, désespéré, opposant Waltraute et Brünnhilde, et l'effet de solitude qui s'en suit chez cette dernière, suggère un drame annoncé, irrévocable. Le prélude du II libère une force dramatique rare, là où la plasticité de l'orchestre wagnérien marque de son empreinte. La Marche funèbre du III - sur une vision de crémation de corps - découvre un monde d'ombre et de lumière, d'une formidable dynamique : depuis un pianissimo, d'«  un son qui vraiment ne vient de nulle part », selon le chef, au déchaînement massif d'un orchestre à force déployée. Ces contrastes exacerbés, Barenboim les assume quant à leur valeur dramatique. Non que le débit ne soit pas assagi ailleurs : la scène des Nornes est volontairement lente, les échanges au sein du palais des Gibichungen mesurés, presque trop, à la limite du prosaïque. L'appel des vassaux, au II, et leur chant véhément, ne sombreront pas dans un inutile pathos, de bastringue germanique. La scène finale de l'Immolation a grande allure. Elle couronne une interprétation d'une Brünnhilde de grande classe : Irène Theorin, une des grandes interprètes du rôle, n'a sans doute pas l'incandescence d'une Birgit Nilsson, ou d'une Nina Stemme aujourd'hui, mais la présence est certaine et le langage puissant, non sans un large vibrato, ce qui peut ne pas plaire. Il y a plus de force que de nuances chez le Siegfried de Ian Storey, qui « paie » maintenant d'avoir abordé Tristan : la ductilité n'est plus ce qu'elle était, sauf à l'ultime récit précédant la mort du héros. La Gutrune de Marina Poplavskaya découvre un registre grave insoupçonné dans ses incarnations italiennes, et une attitude un peu maniérée ; sans doute une volonté du régisseur. La Waltraute de Marina Prudenskaja est la joie d'une des plus belles scènes de l'opéra. La vraie stamina wagnérienne, on la tient chez Gerd Grochowski, Gunther d'une rare élégance vocale, et d'un sûre pertinence dramatique, Johann Martin Kränzle, Alberich du calibre d'un Gustav Neidlinger, et Mikhail Petrenko, sardonique Hagen, désormais  inséparable du rôle, et dont la voix lisse ajoute au look menaçant, quoique « l'air de ne pas y toucher ». Nornes, Filles du Rhin, distribuées à des voix venues de l'Est, accomplissent fort bien le job, comme les chœurs du Staatsoper. La saga s'achève ainsi grandiose. Il sera fascinant de mesurer l'impact de ce travail, dans la continuité d'un cycle complet : ici, à Berlin, en avril, puis à Milan, en juin. Le chalenge est en tout cas bien haut pour la production parisienne et celle du prochain Festival de Bayreuth.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Barenboim en concert avec sa Staatskapelle Berlin

 

 


© Anja Frers/DG

 

Le lendemain du Wagner, l'infatigable Daniel Barenboim donnait un « concert d'abonnement » à la Philharmonie. Et un programme mixte, comme il en affectionne la manière, avec, en première partie, le Concerto pour violon op. 77 de Brahms. Écrit pour l'ami Joachim, qui ne tarissant pas d'éloges sur son auteur, lui reconnait « un feu complétement intensif, et une énergie fatale toute comme la précision du rythme ». Un compliment venant après bien des incompréhensions de part et d'autre, et bien que le virtuose ait déclaré le concerto injouable ! Les choses ont bien changé depuis. Le soliste et l'orchestre y sont dans un rapport inédit, eu égard au caractère symphonique du morceau. L'interprète en était la jeune géorgienne Lisa Batiashvili : mince comme un fil, élégante, racée, avenante, on ne détecte point de sensiblerie chez elle. L'attaca du premier mouvement est franche, et le discours sera de haute tenue. Même si le chef a tendance à bouger le tempo, elle s'adapte. La violoniste choisit la cadence de Ferruccio Busoni, plus courte que celle de Joachim, plus simple aussi à ses dires, et comportant, au début, un accompagnement de timbales, puis de contrebasses. Le retour de l'orchestre ppp, sur la mélodie de la clarinette, est magique. Voilà une musicienne qui n'a pas froid aux yeux. Et sait maîtriser ses émotions : l'adagio, introduit par le concertato des bois, dont émerge le hautbois (qui lui est cher puisque mariée au hautboïste François Leleux!) est pure cantilène : « une musique si humaine » confie-t-elle. Barenboim lui peaufine le plus évocateur des écrins. Le finale, débuté très brusque par celui-ci, presque véhément, comme bien souvent, alors que marqué « giocoso, ma non troppo vivace », offre à la violoniste de belles occasions de démontrer une maitrise nullement racoleuse. Du grand art. Liszt a imposé cette forme narrative qu'est le poème symphonique. Les Préludes trouvent leur origine dans l'Ode de Lamartine, tirée des Nouvelles Méditations poétiques. Liszt n'a pas cherché à diminuer cette portée narrative, rédigeant même une sorte de précis pour en expliciter les diverses séquences. On sait les tournures, tour à tour épiques et lyriques, qui caractérisent la pièce, et vont jusqu'à une sorte d'appel aux armes, dans l'allegro marziale animato. Les ultimes pages marquent un retour à cette forme grandiose qu'affectionne le compositeur-Abbé. Barenboim se lance dans la plus fantastique des aventures, et son orchestre répond au quart de tour. Lui, qui dans une note de programme étudie le phénomène de l'utilisation abusive de la musique hors de son contexte, et des associations d'images douteuses, par exemple à dessein politique aucunement envisagée par leurs auteurs. Ainsi du recours au thème central desdits Préludes de Liszt par la Wehrmacht, à des fins de propagande nationale socialiste. On reconnaît là une marque de l'engagement du chef. Les Drei Orchesterstücke (trois pièces pour orchestre) op. 6 de Berg ne sont sans doute pas incongrues après les envolées lisztiennes. Cette première grande pièce pour orchestre, où on a affaire à une formation énorme, est pourtant un concentré de musique. À travers ses trois séquences. Mais, quel que soit l'abord difficile, plus d'un parallèle peut être fait avec d'autres musiciens, Mahler notamment, et sa 6 ème Symphonie : la troisième pièce, « Marsch », reprend les fameux coups de marteau du finale de celle-cil. L'affinité de Barenboim avec l'idiome bergien est connu, notamment pour les deux opéras, Wozzeck, et Lulu. Si le son n'est pas aussi dégraissé que celui achevé par un Pierre Boulez, il s'impose par la variété des couleurs et sa cohérence à travers une multiplicité de facettes accidentées, sans parler de la sûreté avec laquelle les musiciens de la Staatskapelle Berlin abordent ce sommet de complexité.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Une bien étrange Walkyrie à l'Opéra Bastille.

 

Richard WAGNER : Die Walküre. Première journée en trois actes du Festival scénique « Der Ring des Nibelungen ». Livret du compositeur. Martina Serafin, Stuart Kelton, Günther Groissböck, Thomas Johannes Mayer, Alwyn Mellor, Sophie Koch, Kelly God, Carola Höhn, Silvia Hablowetz, Wiebke Lehmkuhl, Barabra Morihien, Helene Ranada, Ann-Beth Solvang, Louise Callinan. Orchestre de l'Opéra National de Paris, dir. Philippe Jordan. Mise en scène : Günter Krämer.

 


© Elisa Haberer

 

Pour fêter l'année Wagner, l'opéra Bastille remet sur le métier le Ring durant le présent semestre, pièce par pièce, avec une exécution de l'entièreté de l'affaire en juin. La Walkyrie est sans doute la pièce la plus « détachable » du lot. Cette production, qui globalement ne satisfait pas, comme déjà constaté lors de sa première présentation en 2010, est sauvée par la direction de Philippe Jordan. Rarement a-t-on entendu à Bastille un son d'une telle plasticité, dans les cordes en particulier. L'orchestre possède le galbe wagnérien, mais avec le caractère translucide d'une lecture française. Nul doute que le passage par Bayreuth, pour un mémorable Parsifal, à l'été 2012 ( Cf NL de 09/2012) a ouvert la voie à une telle interprétation. Le chef le constate lui-même. L'immédiateté du son est un élément d'émerveillement continu. Certes, les tempos sont souvent lents, mais tant habités qu'on y adhère sans difficulté. Sauf, peut-être, pour celui qui n'est pas habitué à la prosodie wagnérienne, et dont l'œil n'est pas sollicité de manière adéquate, comme on le verra plus loin. Si l'on devait émettre un minuscule bémol, c'est paradoxalement quant au Ier acte, où la lente, mais inexorable,  progression dramatique n'est pas assez puissante. Le deuxième est pure splendeur, et l'on savoure le ton électrique de l'échange entre Wotan et Fricka, la clarté translucide du monologue de Wotan, le déchirant de ce qui est un adieu pour les deux amants jumeaux. Une Chevauchée, bien sentie, ouvrira un troisième acte, qui laisse l'orchestre conclure en majesté. La distribution est inégale. Elle est dominée par la Sieglinde de Martina Serafin, incandescente, rejoignant en sympathie ses illustres devancières, dont Régine Crespin : même qualité du médium, élan de foi comparable. Sophie Koch, Fricka, possède une voix pour Wagner, et non une « voix wagnérienne» qui serait synonyme de figée. Tout le contraire ici. Le Siegmund de Stuart Kelton a un timbre agréable, capable de belles envolées, mais trop souvent peu naturelle question style. Le Wotan de Thomas Johannes Mayer, artiste vu dans le Wanderer de Siegfried, à Berlin, chez Barenboim, a de l'abattage vocal, mais peu de charisme. Encore que ce ne soit pas de sa faute, mais de celle du régisseur, si les « Adieux » n'exhalent aucune émotion, du fait d'un jeu de scène d'une totale froideur. Alwyn Mellor campe une Brünnhilde jeune et brave fille, pas déesse pour un sou. La voix, passées sans encombre les impossibles interjections liminaires du II, est belle, mais manque cruellement de médium dans une partie où le chant se fait paroles. Bon assortiment de Walkyries, n'était leur prestation scénique insipide. Günther Groissböck est un terrifiant Hunding, violent au point de malmener sa femme. Quoiqu'il trouvera un instant son maître chez un brave Gi's nommé Siegmund ! Un des traits curieux de la mise en scène.

 


© Elisa Haberer

 

Car c'est là que le bât blesse, définitivement, malgré la révision à laquelle son auteur se serait attelé. La direction va du banal (l'épée du frêne, ici fichée dans un morceau de contreplaqué, sur l'ouverture de scène, passant presque inaperçue, et surtout anecdotique), au très sophistiqué (le retour de Hunding au chevet de son hôte, pour le prévenir qu'il le « retrouvera demain »), voire à l'incompréhensible : cette redingote de Wotan, que celui-ci a laissé choir à l'issue de la scène de ménage avec l'intransigeante Fricka, qu'endosse, quelque scène plus tard, Siegmund, durant celle de l'Annonce de la mort, et dont il se défait promptement. On change de décor plus qu'il n'est prévu par le méticuleux Wagner, même si le dénominateur commun semble être une théorie d'escaliers encombrant toute la surface du plateau. Au 1er acte,  l'évocation du printemps intervient sur une image de jardin japonais en fleurs. Les diverses séquences du II ème acte ont pour préliminaire les lettres G E R M A N I A, brandies par de jeunes athlètes en culottes courtes. L'allusion est trop criante pour être encore percutante. Reste balourd du Regietheater. Mais pour celui qui n'a jamais vu la pièce, que cela peut-il inspirer ? La Chevauchée est un sommet de grotesque, pas tant par cette foison d'éphèbes complément nus, que par le pas de l'oie infligé à une foule de figurants, scandant la mesure. Surtout, il n'y a pas une once d'émotion dans ce fatras grandiloquent et inutile. Devrait-on endosser le jugement de Claudel, qui avoue ne pas comprendre pourquoi ses compatriotes « continuent à se régaler, à s'empiffrer, à s'empoisonner le cœur et l'imagination de cette métaphysique hagarde..., de ce sabbat où ne pénètre aucun rayon de joie et de vérité » (in Le Figaro, le 26 mars 1938) ?

 

Jean-Pierre Robert.

 

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L'opéra au cinéma : le Parsifal du MET en HD

 

Contrairement à la sentence du présentateur vedette du JT de 20 H sur France 2, vous n'allez pas au cinéma « pour éviter de payer trop cher le prix du billet d'Opéra »... mais bien pour tenter une expérience singulière qui vous emmènera à l'Opéra ! Mais passons. La foule se pressait au MK2 du Carrefour de l'Odéon, entre autres, pour assister à la retransmission en direct de Parsifal du MET de New-York. Elle n'aura pas été déçue et aura sans doute vu une sorte d'idéal, si tant est que le mot ait encore un sens. Mais tout de même. Cette nouvelle production était présentée par un jovial chanteur maison, qui mêlait une bonne humeur toute américaine à un vrai sens du business : publicité pro domo, appel au dons, outre le jute bagout pour mener des interviews minutes des protagonistes et autres personnages importants, tel que Mr Peter Gelb soi-même, l'entreprenant directeur du MET. De quoi entretenir le suspens au début et occuper les longs entr'actes. On sera même mené par la main dans les coulisses du prestigieux théâtre de Lincoln Center, pour découvrir que l'immensité des lieux du backstage est telle que même l'armée des techniciens occupés à faire et défaire les décors, y paraît presque lilliputienne. Et qu'il semble aisé de déplacer, comme une plume, d'énormes portants de décors, ou de s'affairer à remplir et dégarnir un lac de sang, celui dans lequel vont devoir évoluer les Filles-fleurs, et Parsifal et Kundry eux-mêmes, durant le II ème acte ! Un chalenge tout de même, reconnaît le directeur technique. Tout autant que pour les preneurs de son, qui réalisent un travail plus qu'étonnant, favorisant un peu les voix, sans pour autant que la balance générale orchestre-chant ne soit perturbée. 

 


© Ken Howard

 

La production, déjà vue à l'Opéra de Lyon avec lequel elle est en coproduction, a peu changé, n'était son adaptation au vaste plateau new-yorkais. Elle en ressort magnifiée par une prise de vues fort pertinente, qui en accentue même la lisibilité. Le canadien François Girard dira, dans son interview durant l'entr'acte, qu'il voit là « un voyage au-delà même de l'opéra, qui nous ramène à nos propres souffrances, à nos tentations ». Certes, et c'est bien celui de Parsifal et sa quête de rédemption. Là où à la représentation, le spectateur ne peut qu'appréhender une vision d'ensemble, la caméra scrute le détail. Avec infiniment de tact et d'à propos dans le choix des prises. Les plans sont variés, latéralement, en vue plongeante aussi. Pour ne citer qu'un exemple : le bref regard d'Amfortas, à peine remis de la célébration du Graal, qui l'a aussi réconforté, vers le jeune adolescent, sera poignant. La caméra s'attache à la disposition des personnages, avec acuité, comme lors de la première scène de l'acte III, qui rapproche Kundry de Parsifal, sous le regard ému de Gurnemanz. On ne s'étendra pas en longues louanges sur la distribution : C'est bien le «  dream cast » souligné par le présentateur. Et ils sont tous à leur meilleur : René Pape est un Gurnemanz tout simplement exceptionnel, couronnant la liste impressionnante des figures de basses wagnériennes de cet immense chanteur. Jonas Kaufman, Parsifal, livre la performance de sa vie, vocalement héroïque ou distillant des fils de voix qui bouleversent par leur beauté. Et la mutation de l'innocent vers le sauveur prédestiné est d'une justesse, qui est l'apanage des très grands. La Kundry de Katarina Dalayman est si convaincante dans son incarnation de la femme au double visage, et des traits périlleux du II, qu'on se prend à se dire qu'on n'a rien entendu de tel depuis la jeune Waltraud Meier, à Bayreuth. La révélation, c'est sans doute l'Amfortas de Peter Mattei, superbe de passion torturée, de chant incandescent, car la longue fréquentation de Mozart, et de son Don Giovanni, lui assure une souplesse du chant , qui fuit tout pathos wagnérien. Nul n'en aura d'ailleurs dans cette exécution. Pas même le Klingsor de Evgeny Nikitin, même s'il pâtit des tempos prestes, presque boulés, du chef lors de la première scène du II, et d'une baisse de forme passagère de le régie. Les Filles-fleurs et autres personnages, tenus par les gens de la troupe, sont émérites eux aussi. Daniele Gatti, décidément plus inspiré en cette occasion qu'avec le National, à Paris, livre aussi une « great » performance, unanimement saluée, dit-on,  à New-York. On le comprend à l'écoute des ces volutes de musique « nursées » avec tant de soin. C'est que l'Orchestre du MET est lui aussi formidablement inspiré, comme naguère avec Jimmy Levine. Une expérience étonnante.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Un opéra chinois : Le Pavillon aux pivoines

 

Le pavillon aux pivoines. Opéra classique chinois Kunqu, d'après l'œuvre de Tang Xianzu. Mis en scène et interprété par Tamasaburo Bando et la troupe de l'Opéra-Théâtre de Kunqu de Suzhou-Jangsu.

 


© Marie-Noëlle Robert

 

Faisant une pause dans sa saga américaine, le Châtelet propose...un opéra chinois : Le Pavillon aux Pivoines, ou du moins des extraits. Car l'œuvre originale comporte 55 actes ! Elle est, ici, condensée en trois actes et six tableaux. Elle appartient au théâtre Kunqu et a été écrite en 1598, par Tang Xianzu, écrivain de l'époque Ming. Elle est donc contemporaine de l'Orfeo de Monteverdi. C'est l'un des types les plus importants du théâtre classique chinois, célébré tant par la beauté de sa musique que par le caractère littéraire des textes. Classé au patrimoine mondial par l'UNESCO, comme « chef d'œuvre de la tradition orale et patrimoine immatériel », c'est une pièce quasi fondamentale dans le genre de l'opéra chinois. L'histoire est celle d'une jeune femme, Du Liniang, qui rencontre en rêve un beau jeune homme sous un prunier. Ils s'unissent en songe. À son réveil, elle ne parvient pas à l'oublier. Elle se consumera et périra de solitude et de chagrin. Mais le juge des Enfers autorisera son fantôme à rechercher son aimé, et elle reviendra finalement à la vie. C'est, dans la pensée chinoise, une traduction  de la dissociation, après la mort, de l'âme supérieure et de l'âme inférieure. Le rêve et la réalité se confondent dans un univers fantastique. La musique est d'une écriture très variée, dans laquelle se détache la flûte. Le chant offre cette particularité qu'aucune mélodie ne s'y répète jamais

 


© Marie-Noëlle Robert

 

La production se signale par son esthétisme : décors et lumières de tons pastels, le rose notamment, mais aussi le vert d'eau, contribuent à définir un climat apaisé, mais pas figé, malgré le statisme du sujet. La gestuelle se vit comme au ralenti. Il s'en dégage un parfum de nostalgie à travers des attitudes d'une grande dignité, où la grâce du geste rejoint celle des postures de chacun vis à vis des autres. Le piquant est que cette mise en scène a été confiée à un japonais, spécialiste du théâtre Kabuki : Tamasaburo Bando. Celui-ci est «  trésor national vivant », distinction suprême au pays du Soleil levant. La démarche est originale, car aux dires de l'artiste, Le Pavillon aux Pivoines a inspiré une des œuvres célèbres de Kabuki. Aussi, a-t-il décidé de reprendre la trame et la musique de l'opéra chinois pour le transposer. Il souligne aussi que la musique tient un rôle primordial dans le genre du Kunqu, et s'être attelé à revoir l'aspect chorégraphique. Son interprétation, nul doute une référence, éblouit par son maintien et sa grande rigueur. Elle en impose. La petite musique, souvent très aiguë, presque perçante, de ces chants ornés devient vite ensorcelante. Ses partenaires sont à unir dans la même louange, comme les musiciens du Théâtre Kunqu de Suzhou-Jiangsu. Voici un spectacle inédit, mais de grand intérêt pour découvrir les trésors d'une culture qui ne nous est pas familière.   

 

Jean-Pierre Robert.

 

Une création qui a de la réserve : La Dispute 

 

Benoît MERNIER : La Dispute. Comédie en un acte, en prose et en musique. Livret de Ursel Herrmann et Joël Lauwers, d'après l'Œuvre de Marivaux. Stéphane Degout, Stéphanie d'Oustrac, Julie Mathevet, Albane Carrère, Cyrille Dubois, Guillaume Andrieux, Katelijne Verbeke, Dominique Visse. Orchestre symphonique de la Monnaie, dir. Patrick Davin. Mise en scène : Karl-Ernst & Ursel Herrmann.

 


©Bernd Uhlig la Monnaie

 

Il est agréable et réconfortant de constater qu'on peut encore écrire un opéra doté d'une belle langue française, d'une musique ne sollicitant pas exagérément les percussions, et d'un chant ne flattant pas le registre extrême de la soprano colorature! C'est ce à quoi s'est attelé Benoît Mernier. Pour ce faire, et comme l'avait fait son maître Philippe Boesmans, avec Luc Bondy, il a fait appel à Ursel Herrmann et Joël Lauwers, à partir d'un sujet en or, La Dispute de Marivaux. Une pièce brève, des répliques assez courtes, une trame ramassée sur l'expérience amoureuse, sur ce qu'est l'amour véritable. Une expérience, générant la dispute, menée à trois niveaux : quatre jeunes gens, qui découvrent les premiers émois, sont observés à leur insu par un couple d'âge mûr, qui n'en finit pas de chercher un second souffle à son aventure amoureuse, et lui-même observé par les dieux, Cupidon et l'Amour, qui tirent les ficelles et philosophent sur l'éphémère des choses. En fait, la pièce La Dispute ne traite que des deux jeunes couples amoureux, leurs aînés n'intervenant qu'à la marge. Aussi, dans un souci de meilleure efficacité dramatique, les auteurs ont-ils eu l'idée de renforcer le poids de ces aînés, en s'inspirant de deux autres petites pièce du poète français, « La réunion des Amours » et « L'Amour et la Vérité ». Un subtil équilibre s'instaure, et un chassé-croisé habile, entre les trois stades d'analyse. Car ces quatre adolescents, qui ne sont pas sans rappeler ceux de Cosi fan tutte, sont manipulés et exposés à ce qui s'appelle de la cruauté et du voyeurisme. Amour et désir, telle est la question soulevée par des dieux, eux-même en désaccord sur le but de l'affaire. Car l'amour fidèle est-il possible ? Le texte est traité sur le mode de la légèreté. La musique de Mernier se place dans ce même ordre d'idée. Elle est  foisonnante, traitée par petites touches, comme un tableau de Klimt, essentiellement consonante, fondamentalement lyrique, avec de grandes pédales de grave, rappelant que son auteur est organiste. Il y a même des références au baroque, voire à la musique française du début du XX ème. L'orchestre, d'une trentaine de musiciens, est très raffiné, avec un tapis de cordes relativement restreint, mais des vents ingénieux, la flûte notamment. Elle est généreuse, jusque dans ses passages de silence. L'écriture vocale n'est pas moins originale : mêlant chanter et parler, dans une palette diversifiée, de la parole pure au quasi bel canto. La vocalité favorise les timbres graves, pour les deux personnages d'âge mûr, le Prince et Hermiane, et deux des jeunes amants. Par contre, les dieux sont distribués, l'un à une voix parlée, Cupidon, l'autre à un contre-ténor, mais dont le registre est peu utilisé, l'essentiel étant, là encore, parlé.

 


© Bernd Uhlig La Monnaie

 

L'exécution est passionnante. La mise en scène des Herrmann rencontre, par la souplesse du trait, la légèreté du texte, et plus d'un échange s'y montre aérien. Dans un décor agreste, digne des Fêtes galantes, va s'incruster une sorte de laboratoire, délimité par des néons, où vont évoluer les pauvres jeunes cobayes. La régie est fluide et colle au texte, en en prolongeant la finesse et le caractère cursif : les deux jeunes amants n'en viennent-ils pas se mesurer l'un à l'autre, à propos de leurs conquêtes, comme s'ébrouent deux jeunes chiots tout fous! Le contraste entre les générations est vu de manière à bien les différencier. L'apparente désinvolture des plus âgés, qui ont tout vu, tranche avec l'expérience toute neuve, gauche et naïve, des plus jeunes. Quant aux dieux, il y a chez eux une bonne dose de scepticisme, celui de l'homme Marivaux, voire de sarcasme. Ces dieux qui vont d'ailleurs se muer en chevaliers servants de l'expérimentation. Si quelque longueur se fait jour, cela est dû au débit lent de l'intrigue, comme lors de la scène de crêpage de chignons des deux jeunes dames. Celles-ci, comme leurs beaux hommes, sont défendues avec panache par des artistes tous merveilleux de fraîcheur. Stéphane Degout, nanti d'un sourire carnassier, gratifie le rôle du Prince d'une diction qui se fait pur régal. Et Stéphanie d'Oustrac, dont la partie d'Hermiane n'est pas sans évoquer de manière allusive la Conception de L'Heure espagnole, est toute séduction. Une paire rare que ces deux-là. Dans le rôle de l'Amour et de son factotum, Dominique Visse livre une voix parlée du registre de baryton, ce qui en ajoute au sarcastique des tribulations, « l'air de ne pas y toucher », et à son côté percutant. L'Orchestre de la Monnaie est en verve, ce qui doit beaucoup à la direction de Patrick Davin, un habitué des modernes. Pour cette expérience française, Benoît Marnier a bien de la chance!   

 

Jean-Pierre Robert.

    

 

Le récital dépaysant d'une sympathique québécoise

 


© Denis Rouvre/Naïve

 

Pour son premier récital à l'Opéra Bastille, Marie-Nicole Lemieux a vu juste. D'abord par un programme des plus originaux, loin des sentiers habituels et convenus du genre. Ensuite, par une tenue de chant dont on lui sait gré de garder toute la fraîcheur. On sait qu'une voix sombre, comme la sienne, ne doit pas chercher à l'assombrir encore, au risque de perdre toute ductilité. C'est le choix de la québécoise, qui  cherche à la préserver. Ainsi, le contralto n'apparait que peu souvent, et on est plus proche du registre de mezzo, possédant en outre une quinte aiguë d'une étonnante facilité. Enfin, la spontanéité de la dame est amusante : elle qui n'hésite pas à dire d'entrée de jeu, que si le concert a pris du retard, c'est à cause d'elle, qui a perdu ses chaussures de soirée, et s'excuse de se présenter sur le podium pieds nus, curieux paradoxe eu égard à sa belle robe ! Cela est dit tout de go, et ne sent pas l'apprêté de la diva. Puisse un tel naturel perdurer! Un programme inédit donc. Qu'on en juge : Chausson, certes, mais aussi Alma Mahler, Guillaume Lequeu et Edvard Elgar. Les lieder de Alma Mahler sont peu connus, et restés dans l'ombre de la production de son illustre époux, qui ne se satisfaisait pas d'une gloire, fût-elle à ses côté. Et puis ces diverses pièces ont été composées en hommage à des messieurs avec lesquels la musicienne était en relation amoureuse, l'architecte Gropius, dans la cas des « Funf Lieder », des années 1900-1901, ou le poète Franz Werfel, pour ce qui est de « Der Erkennende ». L'inspiration musicale hésite entre Richard Strauss et Zemlisky. Lemieux en distille les nuances, même si la voix est quelque peu taxée par endroit. Il n'est pas si aisé de domestiquer un instrument d'un tel volume. Ernest Chausson est expert en distributions instrumentales inhabituelle. On connaît son Concert op 21. Sa Chanson perpétuelle requiert un instrumentum aussi original : voix, piano et quatuor à cordes. Lemieux n'a pas de difficulté à s'unir à ces forces, de surcroît utilisées avec doigté par le compositeur. C'est une pièce proche du symbolisme préraphaélite. Guillaume Lequeu, musicien belge, disparu à 24 ans, a à son actif plusieurs pièces chambristes, dont une fameuse Sonate pour violon et piano, mais aussi un mouvement de quatuor « molto adagio », superbe d'inspiration et de raffinement mélancolique. Lemieux chante trois de ses mélodies, sur les propres textes du compositeur. La première, « Sur une tombe », en prose, est recueillement, la seconde, « Ronde », empruntée aux « Fêtes galantes » de Verlaine, est d'une sûre veine gallique. Dans la dernière, « Noctune », le quatuor à cordes rejoint le piano. La chanteuse en déploie toute la finesse. Mais là où notre soliste fend l'armure c'est avec les « Sea Pictures » de Elgar. Certes, pour nos oreilles cartésiennes, la musique de Elgar et sa poétique un peu grandiloquente, peuvent surprendre. Et pourtant, cela est remarquablement conçu pour la voix, et le piano n'est pas en reste. Les cinq pièces alternent force et lyrisme, le pastoral et le dramatisme affirmé. Elles sont taillées pour Maris-Nicole Lemieux, dont l'ambitus de la voix trouve à s'exprimer sans contrainte. Leurs belles harmonies mettent en valeur un timbre riche, sans parler d'une personnalité qu'on sait affirmée. Tout au long de la soirée, le pianiste Daniel Blumenthal fait des merveilles, et la complicité sourd à chaque page. En bis, Lemieux revient un terrain plus sobre : « L'Heure exquise » de Reynaldo Hahn, et « L'invitation au voyage » de Duparc, mettent en évidence une diction immaculée et une ligne de chant souveraine. La salle est conquise.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Chœur de chambre O Trente à Saint-Jacques-du-Haut-Pas

 

 


©Hadrien Lanoote

 

Depuis sa fondation en 2006, le Chœur de chambre O Trente se distingue des autres ensembles par sa moyenne d’âge autour de 35 ans et ses chanteurs qui — bien qu’exerçant une activité professionnelle non musicale — sont en fait vocalement des professionnels. De plus, ils s’imposent par leur solide motivation, leur passion et le souci unanime du travail en profondeur que leur insuffle Raphaël Pichon, à la fois contreténor et chef averti. Le 19 février 2013, leurs fidèles auditeurs ont été introduits à la liturgie orthodoxe avec les Vêpres (op. 37) de Sergueï Rachmaninov (1873-1943), sur un texte provenant d’extraits de Psaumes, d’une méditation sur la Résurrection et du Je vous salue, Marie. Ces Vigiles nocturnes reposent sur des sources mélodiques appartenant au chant znamenny (chant neumatique équivalent russe du grégorien), la tradition de Kiev et les chants grecs. Raphaël Pichon, en parfaite connivence avec ses choristes, fait preuve d’une direction extrêmement suggestive, souple ou énergique lorsque la partition l’exige. Il tire le meilleur parti des voix très prenantes des basses (solistes et chœur) et lumineuses des sopranos. Il manie tous les registres dynamiques, gère bien les volumes et les fins de phrases (cf. Alleluia). Il obtient de son Ensemble vocal si discipliné à la fois relief, cohésion et transparence. Les mêmes qualités se retrouvent dans la célèbre Hymne des Chérubins de Piotr Tchaïkovsky (1840-1893) et dans la Prière acathiste à la Vigilante Mère de Dieu de S. Rachmaninov qui termina ce triptyque orthodoxe sur lequel planaient intériorité, plénitude, mysticisme, mais aussi vigueur : bel exemple de complicité entre chef et choristes.

 

Édith Weber.

 

Musique du XXe siècle au Théâtre des Champs-Elysées.

 

Le TCE, dans le cadre de son centenaire, consacrait une soirée toute entière à la musique du XXe siècle, centrée autour de trois compositeurs incontournables de cette époque : Stravinski, Varèse et Boulez. L’Ensemble intercontemporain avait fait, pour l’occasion, le déplacement avenue Montaigne, dirigé par son nouveau directeur, Matthias Pintscher. Soirée de gala, riche de souvenirs, puisque ces trois compositeurs auront marqué le siècle passé, comme l’histoire du Théâtre des Champs-Elysées : Igor Stravinski par la création du Sacre du Printemps en 1913, Edgard Varèse par celle, non moins mouvementée, de Déserts, en 1954, et Pierre Boulez, qui confirma, ici même dans un programme Stravinski en 1963, à la tête de l’Orchestre National, ses talents de chef d’orchestre, huit ans après la création du Marteau sans maître. Plusieurs œuvres emblématiques étaient au programme. Les Huit miniatures instrumentales (1952), et le Concertino pour douze instruments (1962) d’Igor Stravinski, sont des œuvres de la période néo-classique du compositeur russe, caractérisées par un retour à une ligne mélodique plus fluide, une pulsation rythmique marquée, des influences jazzy, à la fois lyriques et énigmatiques. Le Marteau sans maitre  pour voix d’alto et six instruments, de Pierre Boulez, composé en 1955, en réaction à la musique sérielle, jugée envahissante, se teinte d’orientalisme, autour de trois instruments tremplins : « le xylophone qui transpose le balafon africain, le vibraphone qui se réfère au gamelan balinais, la guitare au koto japonais ». Le texte du cycle de neuf miniatures, conçu à partir de la poésie de René Char, pose le problème de la vocalité, évoluant tantôt bouche fermée, tantôt sous forme de cris, comme une parole qui ne se pourrait dire, négation de la vocalise, condamnée à des départs lyriques sans lendemain, une sorte d’archaïsme du chant, une aphasie verbale. Pascal Dusapin utilisera cette technique, notamment dans son premier Requiem, Granum sinapis (1998), où la voix, devenue bourdonnement, renaît dans la vocalité, renforcée du cri, au lieu de s’ouvrir au néant. Le chant à bouche fermée représente le lieu d’une confrontation radicale entre l’art vocal et ce qui le nie, puisqu’en plus de  priver la voix de son pouvoir de verbalisation, il lui ôte son pouvoir de vocalisation, en lui interdisant toute vocalise. Celle-là même qui était la raison d’être du bel canto. La voix est ainsi réduite à n’être, désormais, qu’un simple bourdonnement, un instrument privé de souffle. Boulez se fera, dans les années cinquante, un des tenants de cette technique, utilisée plusieurs fois, notamment dans Soleil des eaux, désireux d’en finir avec le texte et sa soumission au logos, soucieux de redonner à la musique la primauté qui lui est due. Un procédé également utilisé par Luigi Nono  dans Il canto sospeso, qui réalise la fusion entre texte et musique, touchant ainsi les limites de la voix, conduisant au mutisme, au refus de la parole, au silence verbal devant l’innommable d’Auschwitz. Deux œuvres d’Edgar Varèse (1883-1965) concluaient la soirée, Octandre (1924), pour huit instruments, et Déserts pour orchestre et bande magnétique. Déserts, qui provoqua le scandale lors de sa création, le 2 décembre 1954, est une œuvre en 7 parties, faite de la juxtaposition « d’interpolations » enregistrées sur bande magnétique et «  d’épisodes » confiés, en direct, à l’orchestre. Les interpolations, au nombre de trois, sont faites de bruits divers d’usine, d’enregistrements instrumentaux, ou de mixage des deux, s’intercalant entre les quatre développements orchestraux. Cette structure double évoquerait, selon son auteur, conjointement les déserts extérieurs, la stérilité, l’éloignement, l’existence hors du temps, mais également ce lointain espace intérieur où l’homme est seul dans un monde de mystère et de solitude essentielle. Une musique, parfaitement interprétée par Matthias Pintscher et son EIC. Un chef particulièrement motivé, qui vient de prendre ses fonctions de directeur musical de l’EIC, crée en 1976 par Pierre Boulez. Né en 1971, à la fois compositeur et chef d’orchestre, ayant étudié la composition auprès de Hans Werner Henze et de Manfred Trojahn, ses œuvres sont jouées dans le monde entier, défendues par des chefs aussi prestigieux que Claudio Abbado ou Pierre Boulez. Voilà une soirée musicale d’exception où la musique questionne plus qu’elle n’émeut. Un concert posant, de façon ardue et pertinente, la question des rapports entre musique et silence. Problème récurrent de la musique contemporaine, depuis la création, en 1952, des 4 minutes 33 de John Cage. La musique et le silence, deux entités à la fois contradictoires et complémentaires, à l’origine d’une dialectique qui ne se résoudra que dans l’inéluctable victoire de la musique, dans un éternel retour.

 

 

Patrice Imbaud.

 

Un très bel Opéra de quat’ sous au Théâtre des Champs-Elysées

 

Kurt WEILL : Die Dreigroschenoper (L'Opéra de quat'sous). Pièce de théâtre musicale en trois actes, un prologue et huit tableaux (1928). Livret de Bertolt Brecht, d’après The Beggar’s Opera (1728). Sir John Tomlinson. Dame Felicity Palmer, Mark Padmore, Allison Bell, Nicholas Folwell. Gabriela Istoc, Meow Meow, Max Hopp. London Philharmonic Orchestra & London Philharmonic Choir, dir. Vladimir Jurowski. Version de concert mise en espace par Ted Huffman.

 

 


© DR

 

En composant l’Opéra de quat’ sous, Kurt Weill semblait répondre à l’injonction de Hans Eisler, selon laquelle les œuvres d’art devaient être porteuses de vérité humaine, engageant les compositeurs à ouvrir leurs fenêtres pour écouter la rumeur de la rue qui n’est pas un simple bruit, mais le bruit des hommes… Kurt Weill (1900-1950) fils d’un cantor synagogal de Dessau, rêvait de Vienne, mais se rendit finalement à Berlin en 1918, où faute de Schoenberg, il reçut les leçons de Busoni, s’éloignant de l’atonalité pour revenir à des formes plus « classiques ». Une orientation artistique se résumant à une phrase : ne craignez pas la banalité !! Banalité qui prenait pour lui le visage de la France ou de l’Italie, loin de la seconde école de Vienne. Son esthétique nouvelle se concentra alors sur le « gestus », endroit mystérieux du drame où convergent l’action scénique, la musique et le verbe. Si la rencontre avec Busoni fut marquante, celle avec Bertolt Brecht (1898-1956) fut décisive, donnant au « geste » sa dimension politique, tandis que Lotte Lenya, rencontrée en 1924, lui prêtait sa voix inoubliable si caractéristique. Brecht adorait les personnages de brute et de bandit, au point, par mimétisme, d’en prendre l’allure et l’apparence physique. Walter Benjamin émit l’hypothèse selon laquelle, ces brutes et malfrats qui peuplaient son œuvre, correspondaient à autant de ferments révolutionnaires, constatant avec surprise à quel point la contre moralité des crapules et truands se nourrissait des boniments de la moralité officielle. Sous la  République de Weimar, cette fascination pour les génies du mal et les meurtriers était chose courante (on se souviendra de Franz Biberkopf, héros du roman Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin). Macheath (Mackie le Surineur) en représente l’archétype, symbolisant dans sa personne tout ce que la civilisation urbaine occidentale se refusait à comprendre et même à nommer. La musique de Kurt Weill, à la fois populaire et savante, mêlant des accents de jazz et de danse à des textures musicales avant gardistes, est un habile mélange qui en fait tout le charme, l’ambigüité et l’originalité, renforcée par un orchestre à géométrie variable : certains musiciens jouent successivement de plusieurs instruments, et le chef se met, de temps à autres, au piano, tandis que le pianiste joue de l’harmonium.

 

Force est de reconnaître que la version de concert, proposée par le TCE, fut en tous points remarquable, sachant concrétiser le « geste » par l’association d’une mise en espace attrayante de Ted Huffman, bien plus percutante que nombre de mises en scène coûteuses et absconces, et d’un orchestre parfaitement en phase, gorgé de rythmes et de couleurs. Vladimir Jurowski prend visiblement plaisir à diriger, jouer, voire chanter, se mêlant aux chanteurs-acteurs, dans un registre pourtant inhabituel. Le récitant, si essentiel, Max Hopp le conçoit bien plus qu'un fil conducteur : la formidable dramaturgie en ressort comme aiguisée, et pas un temps mort ne vient la troubler. La distribution est du plus haut niveau, tant vocalement que scéniquement. D'abord, un couple des « vieux parents », John Tomlinson et Felicity Palmer, inénarrables, dont le fabuleux métier ressort à chaque phrase. Chez les autres protagonistes, tous d'un fort engagement, on aura un clin d’œil particulier pour Meow Meow, dans le rôle de Jenny, chantante et chaloupante dans sa robe fourreau, qui n’était pas sans nous rappeler la légendaire Lotte Lenya. Une très belle soirée !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Au-delà des notes…le Gustav Mahler Jugendorchester dirigé par Herbert Blomstedt.

 

   


L’orchestre des Jeunes Gustav Mahler ©Cosimo Filippini2009

 

Il est de ces moments rares où les notes, peu à peu, s’effacent pour laisser place à l’égrégore sublime qui suspend le temps… Le dernier concert du GMJO, de passage à Paris à l’occasion d’une tournée européenne, dans un programme intitulé « Beethoven journey », appareillant le Concerto pour piano n° 4 et la Symphonie n° 7, sous la direction d’Herbert Blomstedt, est assurément de ceux-là. Une affiche d’une rare qualité associait, la jeune et prestigieuse phalange du GMJO, créée par Claudio Abbado à Vienne en 1987, faite des plus talentueux musiciens européens âgés de moins de 26 ans, le mythique chef Herbert Blomstedt, éminent spécialiste de Beethoven, dont il grava l’intégrale des symphonies avec la Staatskapelle de Dresde, et le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes, parmi les plus recherché de sa génération, tous regroupés pour un concert d’exception ! En début de programme, le pianiste norvégien nous gratifia d’une admirable interprétation du Concerto n° 4 (1806), toute en délicatesse et ressenti. Dans cette partition Beethoven semble dire adieu à la vive clarté du classicisme pour explorer, peu à peu, les méandres tourmentés d’un romantisme naissant. Après la pause, Herbert Blomstedt, qui connait son Beethoven sur le bout des doigts, dirigeant sans partition avec une gestique épurée et efficace, sut mener le jeune orchestre sur les sommets : science du phrasé et des articulations, nuances, sonorité magnifique, enthousiasme, plaisir de jouer, virtuosité des différents pupitres, et notamment des vents, hautbois et flûte en particulier, audace, homogénéité, réactivité…rien ne manquait pour une interprétation d’anthologie de la Symphonie n° 7 (1813), dont le climat dionysiaque et jubilatoire était parfaitement rendu. Un concert qui restera dans les mémoires du public, des musiciens et d’Herbert Blomstedt qui fut acclamé pendant de longues minutes pour cette très belle leçon de musique. Merci Messieurs !

 

Patrice Imbaud.

 

Le « Philhar » rend un bel hommage à Elliott Carter.

 

 


© DR

 

Le « Philhar » a su rendre un bien bel hommage au plus grand compositeur américain du XXè siècle, en assurant la création française de sa dernière œuvre, Two Controversies and a Conversation, commande de Radio France : Elliott Carter (1908-2012), dont l’étoile s’est levée, dans les années cinquante, au-dessus du désert de l’Arizona où il s’était retiré, avec la composition de son Premier Quatuor (1950) une œuvre résolument atonale marquant définitivement l’éloignement du musicien du style néo-classique, un peu populiste et bien-pensant, qui avait marqué l’œuvre de Copland. Une œuvre donc résolument moderne et obligatoirement suspecte en ces années de guerre froide, où toute modernité semblait directement inspirée par l’idéologie communiste (ironie de l’histoire !), attirant du même coup le regard suspicieux de la CIA. Une technique de composition particulière faite de juxtapositions, de croisements, de dialogues, d’influences jazzies et de variations rythmiques. Plus de soixante années séparent le premier quatuor de cette dernière composition (2011), conçue comme un concerto pour piano, percussions et orchestre. Les instruments jouent ici une conversation, un jeu réciproque, où le piano suggère quelque chose que les percussions commentent ou contredisent, plutôt de façon amicale dans Conversations, mais de manière plus agressive dans Controversies. Cette pièce est très attachante par ses associations timbriques et par ses correspondances visuelles, évoquant, par leur légèreté et le jeu des miroirs, les mobiles de Calder. Elle était interprétée par le pianiste pierre-Laurent Aimard et Colin Currie aux percussions. Venaient ensuite les Mouvements pour piano & orchestre de Stravinski (1882-1971), une œuvre, là aussi, résolument atonale (1958-1959), probablement une des plus avant-gardistes du compositeur russe, faite de différences de timbre, d’ambiance, de caractère, que le chorégraphe, Georges Balanchine, reprit dans une chorégraphie, en 1963, avec le New York City Ballet. La Suite de Danses de Béla Bartók, composée en 1923, pour le cinquantenaire de l’unification de Budapest, est une partition magnifique pleine de contrastes et d’ironie, tandis que la Sinfonietta de Leos Janacek (1854-1928), datant de la même époque (1926), se vit comme un hymne à la liberté retrouvée des peuples tchèques et slovaques, avec sa fanfare victorieuse. Ce furent autant d’occasions de retrouver l’orchestre au mieux de sa forme, tous pupitres confondus, dirigé de bout en bout, avec sobriété, précision et intelligence, par Jukka-Pekka Sarastre, actuel directeur musical de l’Orchestre de la WDR de Cologne. Parfait !! Tout simplement parfait !

 

Patrice Imbaud.

 

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L’EDITION MUSICALE

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FORMATION MUSICALE

 

Janine DELAHAYE et un collectif d’auteurs : Regards pour approcher un enseignement de l’histoire des arts XXème-XXIème siècle. Arts plastiques – Histoire – Lettres – Musique. Classe de 3ème. Van de Velde : VV403.

Ce volume est un livre pour le professeur. On ne peut que saluer le sérieux de l’entreprise : à Janine Delahaye se sont unis Olivier Deshayes, Frédéric Ducros, Sophie Guillin, Danielle Lecoq et Anne-Marie Pialloux pour essayer de débroussailler pour les professeurs ce qu’un programme ambitieux (irréaliste ?) propose pour la fameuse épreuve d’Histoire des arts du Brevet des collèges. L’ouvrage se lit avec beaucoup d’intérêt. Mais son titre même définit les limites inhérentes à ce travail. Il ne peut à proprement parler y avoir d’ « histoire » contemporaine : tout cela est trop proche de nous. Mais les « Regards pour approcher » cette histoire qui nous sont présentés ici sont clairs, précis, équilibrés (pensons entre autres aux pages consacrées à Carl Orff et à son rapport au nazisme). C’est donc un ouvrage dense et courageux dans ses deux-cent vingt et une pages, et qui répond au mieux à ce qu’il était possible de faire pour une « mission impossible » mais qui pourra intéresser vivement tout lecteur curieux avide de se cultiver.

 

 

OPERA

 

Richard WAGNER : Götterdämmerung ( Le crépuscule des dieux). Partition chant et piano. Schott : ED 20550.

Voici une magnifique édition du Crépuscule des dieux avec un avant-propos en allemand, en anglais et en français qui souligne que cette édition critique est basée essentiellement sur la partition autographe de Wagner. Que dire de plus sinon qu’il va falloir rouvrir son Lavignac pour mieux profiter encore de cette remarquable réalisation.

 

 

 

Richard WAGNER : Tristan und Isolde. Partition chant et piano. Schott ED 20542.

Cette monumentale édition de Tristan et Isolde bénéficie d’un avant-propos dans les mêmes langues et ayant le même intérêt que celui du Crépuscule des dieux. Un intérêt particulier de cette édition est que la réduction de piano a été connue de Wagner et que certains passages sont de sa propre main. Cette édition contient également des variantes de Wagner lui-même ainsi que des coupures introduites ou approuvées par lui. C’est dire tout l’intérêt de ce travail.

 

 

 

OPERA POUR ENFANTS

 

Franck VILLARD : L’Enfant et la Nuit, conte lyrique sur un livret d’Olivier Balazuc pour solistes, chœur d’enfants et piano. Réduction pour voix et piano. Symétrie.

Précisons tout de suite que l’ensemble du matériel de la version complète est disponible chez l’éditeur. Ce conte lyrique demande pour son exécution deux pianos et deux percussionnistes à la tête d’un ensemble de percussions très étoffé. Il faut aussi, outre le chœur d’enfants, deux solistes enfant, une soprano, un ténor, un baryton et un comédien chanteur. Il faudra aussi prévoir ou suggérer quatre lieux. Bref, il s’agit d’une pièce de grande ampleur mais aussi de grand intérêt. Nous sommes dans une ambiance qui rappelle par certains aspects celle de L’enfant et les sortilèges même si les thèmes abordés n’ont pas vraiment de rapport. Le texte est très poétique, et le conte plein de rebondissements. Signalons que cet ouvrage a fait l’objet d’un enregistrement disponible chez Gallimard Jeunesse. Des extraits sont disponibles sur le site de l’éditeur à l’adresse http://symetrie.com/fr/titres/l-enfant-et-la-nuit . Répertorié chez Gallimard dans la catégorie « 7 à 12 ans », il mériterait de l’être plutôt, selon une formule célèbre, dans la catégorie « de 7 à 77 ans » et même au-delà !

 

 

CHANT

 

CESTI, GIACOMELLI, HÄNDEL, HASSE, HAYDN, KEISER, MONTEVERDI, ORLANDINI, PORTA : Drama Queens. 13 selected arias from early baroque to classic, édités par Alan Curtis. Boosey & Hawkes : BB2343.

Cet album est le fruit de la collaboration entre la mezzo-soprano Joyce DiDonato et le célèbre musicien et musicologue Alan Curtis. Ces pièces de style très divers et de différentes époques ont été réunies autour d’un style dominant : des airs mettant en scène les souveraines ou les héroïnes de l’Histoire. Ces airs, selon Alan Curtis, font « exploser les frontières du sentiment ». Ajoutons que certains de ces airs sont publiés pour la première fois. On trouvera l’ensemble de l’album enregistré par Joyce DiDonato et Alan Curtis chez Virgin. La présentation en est faite – en anglais – sur Youtube :

http://www.youtube.com/watch?v=ZYbloo3XNs4  

 

 

 

MUSIQUE CHORALE

 

Claude VERCHER : Simple Messe pour 3 voix égales de femmes a cappella. Delatour : DLT2121.

Cette Simple Messe a été écrite à la demande du trio vocal Francine Cockenpot. Elle est en tous points fidèle à l’esprit de celle qui a inspiré le travail de ce trio, trio qui se consacre en particulier à la mise en valeur des œuvres de cette compositrice de chansons dont certaines sont devenues tellement populaires qu’on les croit issues du folklore comme Colchiques dans les prés… et tant d’autres. Cette œuvre, totalement liturgique, comporte Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus. Souhaitons qu’elle vienne rehausser dans beaucoup d’endroits une messe dominicale. Bien sûr, elle aura sa place également en concert.

 

 

 

Jean-Christophe ROSAZ : Gloriapour chœur d’hommes a cappella. Delatour : DLT2120.

Assez difficile, cette œuvre se révèle profonde en même temps que luxuriante, joyeuse, au gré du texte qu’elle respecte fidèlement. On part d’une intonation quasi grégorienne pour passer par des parties jubilatoires puis par des passages en forme de choral. Bref cette œuvre d’une grande richesse musicale et spirituelle demandera un beau travail de la part du chœur et de son chef.

 

 

 

Thierry Pallesco : Hymne à Sainte Radegonde pour chœur de femmes à 3 voix et orgue. Delatour : DLT2146.

Voici une œuvre qui ira droit au cœur des poitevins. Souhaitons qu’elle soit chantée également ailleurs et connaisse une véritable diffusion. Le texte raconte la vie de la sainte et se termine par une supplication. L’ensemble n’est pas sans difficultés et demande un chœur et un organiste aguerris, mais le résultat sera à la hauteur de l’effort fourni.

 

 

 

Annie LABUSSIÈRE : Deux chœurs sur des poèmes de Charles d’Orléans pour voix d’enfants. Delatour : DLT1297.

Comme voilà une musique qui fait du bien ! Espérons que les chefs de chœurs d’enfant vont se ruer sur cette partition sans grande difficulté mais très belle et qui ouvrira aux enfants les portes de deux petits chefs d’œuvre de la poésie française. Le printemps (Le temps a laissé son manteau…) a beaucoup de charme tandis que L’hiver (Yver, vous n’êtes qu’un vilain...) est espiègle à souhait. Merci aux éditions Delatour de nous révéler ces deux petits bijoux.

 

 

 

Annie LABUSSIÈRE : Deux chœurs à trois voix égales. Delatour : DLT1298.

Auteur des paroles, Annie Labussière évoque dans ces deux chœurs son enfance. Le premier s’intitule Ma chanson, le second, Le Rondeau du petit chat. Qu’en dire, sinon que, peu difficiles, ces deux pièces ont un charme et une fraicheur qui devrait séduire beaucoup de chefs de chœurs. Souhaitons que ces pièces soient abondamment chantées pour le plaisir de tous.

 

 

 

ORGUE

 

Michel CORRETTE : XII Offertoires. Édités par Yves Jaffrès. Symétrie. Lyon.

Il semble bien que ce recueil inédit et retrouvé par hasard dans des circonstances qu’on lira dans la préface soit le dernier ouvrage de Corrette qui nous manquait. Rien qu’à ce titre, c’est déjà un évènement. On découvrira donc avec beaucoup de plaisir ces pièces d’un genre spécifique et qui se veut en lien avec la liturgie du jour. Toutes les explications en sont données de façon très précise dans la très copieuse introduction d’Yves Jaffrès qui ouvre ce recueil. Ce sera un grand plaisir pour les organistes et leurs auditeurs de découvrir ces pièces de Corrette qu’on croyait perdues.

 

 

 

WAGNER : Pilgerchor – Chœur des Pélerinspour orgue par Frantz Liszt. Schott : ED 21321.

Il est vrai que Liszt apporta au jeu de l’orgue des éléments spécifiques qui en font un véritable instrument de concert et un orchestre à lui tout seul. C’est bien sûr ce qui ressort de cette transcription que les organistes auront beaucoup de plaisir à jouer même si, à certains moments elle est tout sauf facile ! Bien sûr, il y faudra un instrument riche en couleurs et en timbres.

 

 

 

Pierre-Richard DESHAYS : Petite suite française pour orgue. Elémentaire. Lafitan : P.L.2596.

Rien de plus français que cette Petite Suite où on est prié d’inégaliser les croches, au moins dans les pièces où cela s’impose comme l’Ouverture et le Rigaudon. Suivent Gigue, Sicilienne et Fermeture, aussi pimpants que non dénués d’une pointe d’humour. Ce sera l’occasion de faire découvrir aux jeunes organistes le style français classique pour ceux qui ne l’aurait pas encore abordé. Chaque petit tableau peut être l’occasion de beaucoup de découvertes.

 

 

 

PIANO

 

LISZT : O du mein holder Abendstern. Récitatif et Romance de Tannhäuser de Richard Wagner. Edité par Wilhelm Ohmen. Schott : ED 21300.

C’est en lien avec la publication des opéras de Wagner que les éditions Schott nous proposent ces célèbres et virtuoses transcriptions et adaptations de Liszt. On lira avec beaucoup d’intérêt la préface – traduite en français – de l’éditeur qui présente cette célèbre « Romance à l’étoile ».

 

 

 

Alexander ROSENBLATT : Wagneriana.Concert fantaisie pour piano. Schott : ED 21639.

Ni transcription ni paraphrase, cette œuvre du pianiste et compositeur russe Alexander Rosenblatt se veut une œuvre originale, même si elle utilise en cours de route un ensemble de thèmes tirés de l’œuvre de Wagner. Ces thèmes sont d’ailleurs volontairement respectés dans leurs harmonies et leurs rythmes. L’auteur, dans sa préface, nous indique les thèmes utilisés. Il ne cache pas qu’il s’agit d’une pièce extrêmement virtuose destinée à charmer et impressionner l’auditoire.

 

*

 

 

Christine MARTY-LEJON : La sarabande des elfes pour piano. Lafitan : P.L.2594.

De niveau élémentaire, cette pièce endiablée varie de couleurs et de mouvement, passant du majeur au mineur mais en gardant toute sa légèreté. C’est une pièce qui demande les touchés les plus variés pour mettre en valeur ses différentes facettes. Mais un interprète musicien (souhaitons que ce soit un pléonasme) devrait trouver beaucoup d’intérêt à ces recherches de timbres.

 

 

 

Max MÉREAUX : Zingara pour piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2598.

Cette bohémienne connait évidemment bien les gammes à deux secondes augmentées… Ce sera une occasion de faire découvrir aux élèves un mode peut-être nouveau pour eux et de les ouvrir à des sonorités moins classiques que celles auxquelles ils sont le plus souvent habitués. Il y a là également un bon travail de gamme pour une pièce pleine d’un entrain un peu mélancolique.

 

 

 

GUITARE

 

Patrick BOURNET : 15 pièces pour guitare. Lemoine : 29037 H.L.

Destinées à des élèves un peu avancés, ces pièces très variées vont du rock au folk en passant par des pages plus classiques. Elles permettent d’aborder tous les styles tout en se faisant vraiment plaisir.

 

 

VIOLON

 

Robert WAECHTER : 24 études pour violon. Vol. 1 pour violon seul ou avec accompagnement. Dhalmann : FD0383.

Précisons d’abord que l’accompagnement dont il est question n’est pas un accompagnement de piano. Il s’agit de développer une deuxième voix qui peut être rythmique ou mélodique et qui peut être interprétée par un second violon ou un vibraphone par exemple. Chaque étude possède un titre plein de poésie et d’humour. De niveau difficile, ces études peuvent être écoutées dans leur intégralité sur le site de l’éditeur où la partition peut également être consultée.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Méthode de Violon. 12 études à écrire soi-même en 1ère et 3ème position. Volume 3. Niveau 1er cycle. Combre : CO6758.

Ne nous y trompons pas : les études existent bel et bien. Mais elles sont accompagnées d’un véritable cours d’analyse et de composition à la fois tout à fait compréhensible pour des premiers cycles et opératoire pour eux. Il y a dans cet exposé la dose d’humour habituelle de l’auteur, mais jamais de façon gratuite. Ce volume 3 s’inscrit en complément indispensable des deux premiers volumes : 32 leçons pour les débutants et 32 leçons en 1ère et 3ème position. C’est, pédagogiquement et musicalement, du plus grand intérêt.

 

 

 

Michel NIERENBERGER : Spleen et badinage pour violon et piano. Supérieur. Lafitan : P.L.2374.

D’une durée de dix minutes, cette pièce est pleine de surprises et de rebondissements, y compris les dernières pages où la « corde de sol » devient la « corde de fa ». L’œuvre demande certes beaucoup de travail, mais présente un grand intérêt musical car elle allie charme, lyrisme et virtuosité. 

 

 

 

ALTO

 

Davide PRRONE : Modern Bluespour alto et piano. Delatour : DLT2122.

Assez facile, ce Modern Blues possède un charme certain. Ses deux thèmes contrastés en assurent la variété : des moments plus « virtuoses » alternent avec des parties mélancoliques. Il y a un véritable dialogue entre l’alto et le piano qui a ainsi un rôle à part entière.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Christine MARTY-LEJON : Aquarelle pour violoncelle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2633.

L’auteur met en exergue cette phrase : « Il y a dans la peinture et dans la musique quelque chose de plus, qui ne s’explique pas ». C’est sans doute une invitation pour les jeunes interprètes à rechercher les couleurs variées qui leur sont proposées dans cette charmante pièce pleine de poésie.

 

 

 

HAUTBOIS

 

Ayser VANCIN : Les plaintes d’un Icare (inspiré du poème de Charles Baudelaire) pour hautbois solo. Sempre più : SP0042.

Voici l’occasion rêvée de rendre certains de nos élèves un peu moins incultes… Cette très belle pièce de niveau 3ème cycle est lyrique à souhait, méditative et expressive comme le demande l’auteur. Plus qu’une pièce d’étude, elle est avant tout de la fort belle musique.

 

 

 

Francis COITEUX : Rendez-vous au bois. Deux duos pour hautbois. Facile. Delatour : DLT2118.

Bien que présentées dans l’ordre inverse, c’est bien, semble-t-il l’Idylle au bois qui est la première des deux pièces. Cette idylle pleine de charme et dans un langage simple permet un dialogue soutenu entre les deux interprètes. Au bois magique, la deuxième pièce, est beaucoup plus surprenante tant par ses harmonies que par ses rythmes, créant une atmosphère étrange pleine d’elfes, de fées et de lutins. Ces deux duos forment un ensemble tout à fait délicat.

 

 

 

Max MÉREAUX : Historiette pour hautbois et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2622.

Max Méreaux aime bien conter des historiettes. Celle-ci est bien agréable, faisant la part belle au dialogue entre le hautbois et le piano. Le hautbois, quant à lui, bénéficie d’une petite cadence. Rien n’empêche d’imaginer le petit chaperon rouge sautillant dans le grand bois, la bobinette, la chevillette… Il s’agit d’une pièce heureuse et pleine de charme.

 

 

 

BASSON

 

Max MÉREAUX : Cappricio pour basson et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2619.

Cette pièce est pleine de vie et de jovialité. La partie de piano n’est pas très difficile. Ce sera ainsi une occasion de faire jouer ensemble deux jeunes interprètes. Il s’agit en fait de sympathiques variations sur une grille de deux fois quatre mesures. Peut-être le jeune bassoniste pourrait-il être invité à trouver d’autres variations sur la même grille ?

 

 

 

SAXOPHONE

 

Pascal PROUST : Sax colorspour ensemble de saxophones (7 ou multiple). Sempre più : SP0040.

Il s’agit d’une commande de Nicolas Prost pour le Festival Saxiana de mai 2013. Cette pièce courte et sans grande difficulté déroule un joyeux discours plein d’entrain qui peut donc être joué par un ensemble conséquent… Signalons simplement qu’il faut, pour le jouer, l’ensemble de la famille du soprano au baryton même s’il y a quand même quatre parties d’alto.

 

 

TROMBONE

 

Jérôme NAULAIS : Assemblage pour trombone solo. Sempre più : SP0044.

De niveau 3ème cycle, cet Assemblage est composé de trois parties enchaînées de caractère très différent. A un « bien rythmé » à la fois chantant et un peu fantasque succède un « modéré » en ternaire, lyrique à souhait. Un « rapide » termine le tout, marqué par des notes répétées avec des accents rythmiques décalés, coupées par des envolées… On pourrait penser à un « rapide » d’autrefois tiré par une locomotive haletante. A chacun ses fantasmes. Mais cette pièce est pleine d’intérêt rythmique et mélodique, en un mot, musical.

 

 

PERCUSSIONS

 

Régis FAMELART : Puissance 2. Ensemble de tambours à quatre voix. Niveau moyen-difficile. Dhalmann : FD0367.

Cette pièce peut aussi âtre jouée sur caisse claire ou tom basses. Il s’agit d’une pièce « tambourinaire » bien vivante et bien réjouissante qui peut servir d’introduction à une audition ou à un spectacle et permet de faire jouer ensemble toute une classe de percussion.

 

 

Nicolas LEFEBVRE : G.T. Pièce visuelle pour 6 tambours et grosse caisse. Niveau moyen-difficile. Dhalmann : FD0267.

L’auteur fait de sa pièce, dont le titre s’explique par les initiales du dédicataire, sinon une chorégraphie, du moins une scénographie. Une nomenclature gestuelle très détaillée fait partie intégrante de la partition. L’ensemble devrait être aussi plaisant à regarder qu’à écouter.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Jean-Marie MOREL : Pastel pour violon, clarinette, violoncelle et piano. Symétrie.

L’auteur présente lui-même son œuvre. Ecrite à la mémoire de René Leibowitz dont il fut l’élève, elle comporte trois parties enchaînées. « La première, assez linéaire, joue sur les rapports d’intervalles et les mélanges de timbres; la seconde s’attache à la recherche de sonorités plus rares, faisant parfois appel aux nouvelles techniques de jeu; la dernière développe imperturbablement une articulation rythmique sur cinq temps. » Ajoutons simplement qu’il s’agit d’une musique délicate qu’on espère promise à une grande diffusion.

 

 

 

Davide PERRONE : Ailes pour quintette à vent (Flûte, hautbois, clarinette sib, cor en fa et basson). Delatour : DLT 1579.

Née, nous dit l’auteur, « d’une idée inspirée par un battement d’aile fugace », l’œuvre comporte deux thèmes. Le premier sort directement du « battement » et le deuxième fait entendre comme un choral à l’aspect méditatif. Cette deuxième partie, lente et expressive, donne par ses amples intervalles une grande luminosité au discours.

 

 

Daniel Blackstone.

 

 

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

Haut

Marc-Olivier DUPIN : Écoutez, c’est très simple… Pour une autre éducation musicale, Tsipka Dripka. Diffusion : Symétrie (symetrie.com ), 2007, 157 p. -18 €.

Nul n’était mieux qualifié que Marc-Olivier Dupin pour aborder des problèmes pédagogiques et didactiques. Le fondateur de la maison d’édition Tsipka Dripka a été à la fois directeur du CNSMDP pendant 7 ans, conseiller musique à la Mission de l’Éducation artistique, ancien directeur de France-Musique et pendant 6 ans directeur général de l’Orchestre National d’Île-de-France. Grâce à sa vaste expérience, ce remarquable enseignant, éditeur et compositeur tente d’élaborer une « autre éducation musicale », afin de faire aimer la pratique musicale à l’école et d’augmenter le nombre de mélomanes français. Après avoir évoqué les splendeurs et misères de l’éducation musicale, la perte de la tradition chorale, il s’intéresse aux enjeux de l’éducation musicale, rappelle que « tout passe par la voix », dénonce « les meilleurs moyens de dégoûter les adolescents de la musique… ». Il part en guerre contre « l’analyse desséchée » ou encore les « cacophonies instrumentales », fait découvrir le travail de l’artiste, donne un aperçu détaillé (état en 2007) des Conservatoires et Écoles de musique : « lieux d’apprentissage ou de loisir ? ». Ce livre fourmillant d’idées pose, par exemple, le problème du solfège « à la française » ou du chant choral… Un chapitre important est consacré au futur musicien professionnel (formation, emploi, concours, stages, risques du métier…). Il préconise « un grand courant d’air dans les institutions et « un nouvel élan des politiques culturelles » et se prononce en faveur d’une « pédagogie à tous les étages », selon l’expression de Laurence Équilbey. Ces orientations audacieuses auront le mérite de faire réfléchir élèves, étudiants, professeurs et amateurs.

 

 

Édith Weber.

 

Marc-Olivier DUPIN : Petits secrets de musiciens, pour réussir examens et concours. Tsipka Dripka. Diffusion : Symétrie (www.symetrie.com ), 2009, 206 p. -19 €.

Dans l’enseignement, le processus d’évaluation est monnaie courante. Pour tous, le problème de la préparation aux examens se pose évidemment. Ce livre, d’ordre artistique, pédagogique et psychologique, fait le point de la question. Tout d’abord : le problème des examens et concours, lié à leurs fréquences et aux institutions. Marc-Olivier Dupin a le don de poser directement et fermement les questions, associé à un réel souci d’information. Il constate, entre autres, la difficulté de former un jury et de désigner un président, donne un aperçu de la nature des concours d’entrée, des examens et épreuves, voir Annexes avec textes officiels (p. 189-206). Sa grande expérience et son sens psychologique aigu lui permettent de mieux comprendre la mentalité des élèves passant un examen et leur « course d’obstacles » ; il leur prodigue de judicieux conseils (y compris l’habillement contribuant largement à la présentation et aux conditions du geste instrumental). Ses observations concernent les concours, les concours internationaux et examens, y compris le contrôle continu ; le concours pour devenir musicien d’orchestre ou encore les épreuves du futur enseignant. L’auteur sait se placer des deux côtés de la barrière. À ce titre, ce livre rendant de multiples services aussi bien aux musiciens, enfants ou adultes, qu’aux professionnels et membres de jurys, est appelé à devenir un incontournable vademecum.

 

 

 

 

Édith Weber.

 

Ernesto NAPOLITANO : MOZART Vers le Requiem. Les récits du bonheur et de la mort, Sampzon, Delatour France (www.editions-delatour.com), 2013,  DLT 2073, 411 p. – 28 €.

Actuellement, les préoccupations musicologiques se tournent également vers l’histoire et les critères de l’interprétation. C’est précisément le cas de la Collection Musique Interprétation qui propose des présentations, traductions et analyses d’œuvres marquantes. Ce titre implique à la fois des réflexions sur le bonheur et la mort et évidemment les problèmes d’attribution (douteuse ou non) de certaines parties du Requiem de Mozart. E. Napolitano, Professeur d’histoire de la musique à l’Université de Turin, a bénéficié d’un fac-similé du manuscrit du Requiem. Pour éclairer son propos, il évoque d’abord quelques problèmes : de la dramaturgie du bonheur ; du sacré, du sublime et de la mort qu’il situe dans divers contextes, notamment maçonnique. Il rappelle ensuite quelques circonstances de la vie de Mozart et, au chapitre 4, aborde le Requiem sous divers angles d’attaques : conscience du passé, dramaturgie, effroi face à la mort : Dies irae, Tuba mirum, Rex tremendae, Lacrimosa… La conclusion, assez neuve, concerne Mozart et les réactions de théologiens : Hans Urs von Balthassar, Karl Barth ou encore celle de Wolfgang Hildesheimer dans sa Biographie de Mozart (1977). L’Annexe rappelle l’histoire si controversée du Requiem après la mort de Mozart avec des textes d’époque à l’appui, des références très instructives au papier du manuscrit. Après les tentatives infructueuses de Josef Eybler, Franz Xaver Süssmayr a contribué à l’orchestration, révisé celle d’Eybler, terminé le Lacrimosa, composé les Sanctus, Benedictus, Agnus Dei et adapté la Communio et le Lux aeterna d’après la musique de l’Introitus et du Kyrie, comme il ressort du Schéma n°6 (p. 391). Cet ouvrage, très dense et très fouillé, oscillant entre le bonheur et la mort, ne peut être résumé, toutefois « le Requiem est observé ici comme un projet parallèle à celui de La Flûte enchantée : la dernière fable illuminée par le bonheur et la rencontre avec la nuit de la mort, les deux réflexions avec lesquelles Mozart prend congé de son siècle. » : c’est là que réside l’originalité de la démarche d’E. Napolitano.  

 

Édith Weber.

 

Richard WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg. Musicorum, n°12, Tours, Université François-Rabelais de Tours, 2012, 201 p. – 35 €.

Émanant de l’Équipe d’accueil « Histoire des Représentations » (Université de Tours), sous la direction de Laurine Quétin et en liaison avec l’Université de Bamberg (Allemagne), consacrée aux Maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner (1813-1883), cette Revue projette un regard neuf sur cette « comédie »-opéra national. L’arrière-plan historique avec le chant des Maîtres chanteurs (Meistergesang) dans l’entourage du célèbre Hans Sachs (1494-1576) est évoqué ; en fait, Wagner considère la Ville de Nuremberg à l’époque de Hans Sachs comme « le lieu d’une utopie », l’œuvre pouvant donner lieu à des interprétations convergentes ou divergentes. Les sources se réfèrent notamment à la philosophie d’Arthur Schopenhauer (1788-1860) dans son ouvrage : Wille zum Leben (Le vouloir vivre). Sont abordés tour  à tour : la genèse particulièrement longue de l’œuvre ; les théories esthétiques de Wagner proches des conventions de la comédie traditionnelle, avec l’humour, le rire, l’ambivalence du comique ; les connotations religieuses ; les personnages féminins ; l’attitude du compositeur vis-à-vis du Roi catholique de Bavière et de Bismarck ; l’apogée de la musique luthérienne, de la Réforme à J. S. Bach ; des Opéras inconnus se référant aux Maîtres chanteurs ; la réception de cette œuvre en France et dans les Pays Baltes ; les traductions (suédois, hollandais, danois) plus ou moins soignées. Cette vaste rétrospective est due à dix auteurs et à l’étroite collaboration entre les Universités de Tours et de Bamberg, sous la responsabilité du Professeur Albert Gier. Un seul regret : les communications en langue allemande ne sont suivies que d’un Abstract anglais (un résumé en français eût été indispensable pour les lecteurs non germanistes). Quoi qu’il en soit, l’apport de ce beau volume est indéniable et, à plus d’un titre, intéressera les historiens de l’Allemagne, de la littérature, de la musique et de la philosophie.

 

Édith Weber.

 

Dialogisme culturel  européen au sièce des Lumières. Relations épistolaires de P. M. Hennin avec M. P. G. de Chabanon, J. B. de La Borde et F. Tronchin. Musicorum, n°13, Tours, Université François-Rabelais de Tours, 2012, 201 p. – 35 €.

L’exploration des Correspondances est toujours très révélatrice des personnes, des mentalités et de l’esprit du temps pris sur le vif. La Bibliothèque de l’Institut de France contient, à cet égard, de très précieuses lettres provenant du Fonds Hennin. En revanche, celles de François Tronchin sont conservées à la Bibliothèque de Genève (BGE, fonds Tronchin 186). Pierre-Michel Hennin (1728-1807), diplomate français, a résidé à Genève entre décembre 1765 et mars 1778. Ces lettres — émanant d’un homme sensible et intelligent — brossent un tableau critique de la vie quotidienne, du statut social des habitants et de l’histoire institutionnelle dans la petite République réformée. Foyer du Calvinisme francophone depuis la Réforme, Genève appartient à « l’Europe protestante » ; vers 1780, elle connaîtra des troubles politiques, avec une crise de l’« aristodémocratie » et les revendications de la bourgeoisie. Ces documents traduisent un attachement « à une conception élitiste de la République des Lettres », révèlent la sociabilité aristocratique et constituent également une histoire du goût pour la littérature, les arts et la musique ; ils dégagent les caractéristiques de la vie sociale, politique et culturelle, tout en contenant également des récits de voyages et de fêtes, des pages plus intimes qui proposent un aperçu des mœurs et des pratiques sociales de l’époque. Ces relations épistolaires concernent Michel Paul Guy de Chabanon (1730-1792), théoricien de la musique et homme de lettres, Jean-Benjamin de La Borde (1734-1794), éditeur de chansons, historien de la musique et compositeur, et François Tronchin (1704-1798), avocat, écrivain et mécène suisse. Signalons que Laurine Quétin a judicieusement établi un nouvel ordre chronologique des lettres du fonds Hennin (ms. 1256). La première partie de ce volume évoque le dialogisme culturel européen au siècle des lumières ; la seconde présente, avec tout l’apparat critique souhaitable, la correspondance échangée par ces personnalités. La généalogie de la famille Tronchin, un utile Répertoire biographique des principaux protagonistes et un copieux Index révèlent l’ampleur de cette publication qui s’impose par son excellente présentation et son sérieux.

 

 

Édith Weber

 

Michèle LHOPITEAU-DORFEUILLE : Brèves histoires de Chœurs. Lormont, Éditions Le Bord de l’Eau (www.editionsbdl.com ), 2013, 180 p. – 18 €.

L’auteur, grande voyageuse, ayant dirigé et entendu les Chœurs les plus variés et, de ce fait, vécu des « chocs de culture », présente des histoires et anecdotes relatant ses expériences lors d’un vrai marathon musical. Son objectif vise la relance et la promotion du chant choral parmi les amateurs venant d’horizons et de sensibilités divers. Son périple, de Dallas et Abidjan, à Salzbourg, passe par l’Afrique, l’Irak, la France (Bordeaux), en compagnie de Bach, Haendel, Mozart, Brahms, Verdi jusqu’à Britten et Kodaly. Elle aborde, à côté des problèmes organisationnels, la confluence des religions (catholique, musulmane…), des langues (français, anglais, espagnol), les événements politiques (World Trade Center, Union européenne, soirée œcuménique à Houston…). Tous ces récits, en un style enlevé, de lecture agréable, sont marqués par un dénominateur commun : le bonheur de chanter associé au bienfait de l’interactivité de groupes avec des rencontres de handicapés, d’autistes, de lépreux, mais aussi de chorales internationales dont les choristes sont avides de « chanter pour leur plaisir et celui des autres ».

 

 

 

Édith Weber.

 

« Pelléas et Mélisande Cent ans après. Études et documents ». Ouvrage coordonné par Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin. Éditions Symétrie, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française. 1Vol 17 x 24 cm, 609 p., 64 €.

 

Cet ouvrage compréhensif rassemble les contributions d'un colloque organisé en 2002, cent ans tout juste après la fameuse Première de Pelléas et Mélisande. Il est peu d'œuvre lyrique ayant suscité autant de commentaires et de réactions enthousiastes comme défavorables. L'unique opéra de Debussy -  si l'on met à part l'essai Rodrigue et Chimène, et l'inachevée Chute de la maison Usher - ne s'est jamais aussi naturellement porté dans la paysage lyrique. Même s'il n'est pas populaire pour « les amateurs d'opéras », commente Pierre Boulez, dans sa préface, car il est dénué de cette performance vocale dont ils font le parangon de leur plaisir. Un siècle après, il continue à interroger exégètes et commentateurs. Les contributions réunies ici questionnent ce que furent la genèse de l'œuvre, son Urtext, le « manuscrit Koch », comme sa première mise en scène, due au directeur de l'Opéra Comique, Albert Carré, plus visionnaire qu'on croit. La réception immédiate de l'œuvre est décryptée au fil des premières études : d'abord, ce qui fut une vraie « bataille pour la musique française », et bien sûr Debussy versus Wagner, jusqu'au consensus plus ou moins partagé. Le livre se propose encore d'éclairer sous un jour nouveau le geste compositionnel de Debussy, et le sens de la mélodie dramatique dans l'œuvre. Enfin est définie la place que celle-ci occupe dans le répertoire et la pensée des musiciens contemporains : de l'admiration militante vers un « debussyste malgré lui » d'un Charles Koechlin, plus converti que « pelléastre » ; la vraie fausse influence de Debussy sur Schoenberg, dont le Pelleas und Melisande a peu à voir avec celui de Claude de France, alors qu'il existe « des parallèles significatifs entre Erwartung et Pelléas et Mélisande, sur la plan de la dramaturgie et de la mise en scène narrative ». Un chapitre essentiel s'attache à la première étude monographique consacrée par Maurice Emmanuel en 1926. On y croise l'horreur pour les leitmotivs wagnériens d'un Debusssy se plaignant « qu'on chante trop » : une de ses impertinences vis à vis de l'auteur de Tristan, tout comme sa haine « des héros casqués ». On mesure surtout l'influence des littérateurs sur Debussy, qui a su écrire une « poésie nouvelle » sur celle de Maeterlinck. Et surtout, on perçoit ce langage novateur, cette « collusion du majeur et du mineur », là où Debussy « n'a fait que débrider la musique ». 

 

Le livre se complète, dans ses annexes, d'un « dossier de presse » fascinant : non seulement quant au luxe de détail qu'on y trouve, et à la belle qualité de la langue, mais plus encore quant au soin infini avec lequel chacun défend son point de vue. On peut, grosso  modo, classer en trois groupes les quelques 111 réactions répertoriées, écrites à chaud, au lendemain de la Première, ou au contraire peaufinées avec quelques semaines de recul : les mitigés, qui avouent leur incompréhension devant l'audace, voire l'insolite : « la musique vous pénètre, par la force d'un art que j'admire plus que je ne le comprends » avancera l'un. Selon le persifleur Catulle Mendès, « Claude Debussy ne s'est pas montré, ce soir, le très exquis musicien que tout le monde admire en lui ». Les opposants se montrent véhéments : « une impression de grisaille orchestrale et de psalmodie, sans forme et sans couleur », l'auteur n'ayant-il pas « tenté cette curieuse aventure d'écrire un grand drame lyrique, sans mélodie, sans développement symphonique », et « des sons harmonisés se succédant de façon ininterrompue, sans une seule phrase,.. sans un seul contour ». Le mot d'anthologie revient à un certain Camille Bellaigue, pour qui c'est une musique qui «  nous dissout parce qu'elle est elle-même dissolution » ! Bien sûr, les enthousiastes portent haut les couleurs : Louis Schneider y voit «  la manière de Puvis de Chavannes », et lyrique, ajoute, dans une seconde analyse, que la musique « a des papillotements d'aurore ». Paul Ladmirault souligne l'adéquation avec la parole, ses inflexions et ses modulations. Bien sûr, la comparaison avec Wagner est sur toutes les lèvres:  « cet art nouveau paraît exsangue à qui revient de Bayreuth » lit-on. C'est sans doute Pierre Lalo qui résume le mieux la problématique, et fustige comment le puissant et souple développement symphonique de Wagner sera maltraité pars ses épigones français. Alors qu'« il n'est pas besoin de l'encombrant appareil des thèmes conducteurs et de la symphonie wagnérienne pour révéler les âmes de Mélisande, de Golaud ou du vieil Arkel ». On laissera le dernier mot à Dukas, pour qui c'est « une musique si rapprochée de la musique incluse sous les mots que, dans l'impression totale produite par cette sorte de transfusion sonore, il devient impossible de la dissocier du texte qu'elle pénètre ». On l'a compris : plus qu'une défense et illustration, l'ouvrage fait le point de l'attrait d'une œuvre à nulle autre pareille. Il est indispensable, de par sa rigueur scientifique et son caractère informatif complet.  

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

David Blum : « Casals ou l'art de l'interprétation ». Buchet & Chastel, 1 vol. 262 p. 20 €

 

Pablo Casals ne fut pas seulement le fabuleux violoncelliste que l'on sait. Il consacra les trente dernières années de sa vie à une passion : enseigner les principes essentiels de son art, comme celliste, tout comme chef d'orchestre. Comme le souligne Paul Tortelier, dans son avant propos, cet art « si fouillé qu'il paraisse à l'analyse, ne s'est jamais coupé des élans de l'âme et du cœur et garda toujours le caractère spontané de l'improvisation ». Cela, l'ouvrage de Léon Blum nous le conte par le menu. En préservant la tradition orale de l'enseignement de Casals, par exemple dans le script, effectué par l'auteur, d'une répétition de la Symphonie Pastorale de Beethoven. Autrement dit la mise en pratique de ses principes d'interprétation. Le premier paraît simple : « de la technique, un son merveilleux... mais ce n'est pas assez », car il y faut de la joie, et du risque. La recherche du dessin mélodique n'est pas moins essentielle, pour « donner à une mélodie sa vie naturelle », proche de l'art vocal, disait-il. Il existe une « diction de l'instrumentiste » : l'art du diminuendo y est central, car il est la vie de la musique, l'uniformité engendrant la monotonie ; le naturel de l'accent l'est tout autant, et on ne doit pas oublier la relativité de celui de piano. Casals ne refusait pas la fantaisie : « l'art de l'interprétation consiste à ne pas jouer ce qui est écrit » allait-il jusqu'à dire! Mais si fantaisie il doit y avoir, ce ne saurait être que « dans l'ordre ». Sont encore abordées la question sempiternelle des tempos, plus exactement « la manière dont Casals comprenait l'unité de la pulsation qui exprimait le mieux le contenu de la musique », la portée déterminante des silences, la réprobation d'habitudes infondées, telle la vitesse systématique avec laquelle d'aucuns jouent Mozart, ou encore le caractère insaisissable du tempo rubato, qui ressortit plus à l'intuition qu'à une définition précise, comme il en va d'ailleurs du rythme en général. Des leçons de direction du maître catalan, Léon Blum livre quelques éléments fondateurs, dont l'intonation, la justesse expressive, l'évanouissement d'une note... Le chapitre consacré à l'art de Casals dans Bach est rien moins qu'illuminateur, et découvre plus d'un secret. Le plus profond n'est-il pas ce « Jouez franchement. N'ayez pas peur. » L'ouvrage est truffé d'exemples musicaux permettant de suivre au plus près la démonstration. Une mine!

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

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CDs et DVDs

 

Haut

 

Passion. KLANGLOGO KL1402. Diffusion : RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de).vivald TT : 54’ 23.

Sous le titre allemand : Passion, le Vienna Vocal Consort, ensemble autrichien, a regroupé des œuvres sur ce thème mis en musique par Joachim von Burck (1546-1610), Hieronymus Praetorius (1560-1629), Caspar Othmayr (1515-1553) et Wolfgang Figulus (1525-1589). Il propose une sélection de textes très poignants : O vos omnes qui transitis per viam attendite et videte : si est dolor similis dolor meus ou encore : Mein himmlischer Vater - In manus tuas, Pater, commendo spiritum meum et, surtout : la Deutsche Passion selon saint Jean (1567) de Joachim von Burck. En fait, elle avait déjà été enregistrée chez Erato en 1990 par l’Ensemble vocal Sagittarius sous la direction de Michel Laplénie. En revanche, seule la Passio Jesu Christi (Ps. 22) est une Ersteinspielung (première). Joachim von Burck (ou a Burck) — Joachim Moller —, musicien à redécouvrir, a été Cantor et Organiste à l’école latine de Mühlhausen, il pratique à la fois le style franco-flamand, puis le style homophonique et homorythmique. Les 5 chanteurs du Vienna Vocal Consort s’investissent complètement, avec un relief et un timbre extraordinaires, dans ces pages particulièrement méditatives et intériorisées. Avec la même plénitude vocale, ils interprètent le Magnificat allemand : Meine Seele erhebt den Herrnde W. Figulus. Ce disque, réussite du genre, permet de revivre intensément le récit de la Passion du Christ ; il est aussi de nature à susciter la passion des discophiles…  

 

Édith Weber.

 

English Royal Funeral Music. RICERCAR (www.outhere-music.com ). RIC 332. TT : 62’ 30.

Avec la participation de l’Ensemble Vox Luminis (direction : Lionel Meunier), des Ensembles Trompettes des Plaisirs, Lingua Franca, et de Guy Penson (virginal), cette réalisation illustre les musiques funèbres interprétées lors des Obsèques de la Reine Mary, épouse de William III, décédée le 28 décembre 1694 (mais aussi de celles d’Elizabeth I, en 1603). Les Funérailles officielles n’eurent lieu que le 27 février 1695 à l’Abbaye de Westminster. Lors de l’imposant cortège, la foule a pu entendre des œuvres de circonstance chantées en anglais. Ce CD commémoratif propose deux versions de The Queen’s Farewell (James Paisible (v. 1656-1721) et Thomas Tollett (1630-1696)), se poursuit avec : March, Anthem, Canzona, et les Funeral Sentences — qui toutefois n’auraient pas été composées pour la Reine Mary — de Henry Purcell (1659-1695), Compositeur de la Chapelle Royale, ainsi que 5 Anthems de Thomas Morley et les Burial Sentences de Thomas Tomkins (1572-1656). Par leur marche, les instruments, tambours et trompettes (à la manière versaillaise) créent d’entrée de jeu l’atmosphère solennelle et dramatique. Comme le rappelle Jérôme Lejeune, les Funeral Sentences doivent être chantées en procession depuis l’entrée dans l’Église, puis devant le tombeau et « après que la terre ait été jetée sur le corps ». Cet enregistrement s’impose par son caractère grave et profond, bien rendu par les voix si prenantes de l’Ensemble Vox Luminis, notamment dans la Lamentation Death hath deprived me de Thomas Weelkes (bapt. 1576-1623) et Remember not Lord our offencesde H. Purcell. En fait, chacune de ces 23 pièces représente un joyau de la littérature musicale pour des obsèques royales. Disque sortant des sentiers battus : à retenir.

 

Édith Weber.

 

 

 Nicolas TULLIEZ : Harpe. SKARBO (www.skarbo.fr ). DSK 1124. TT : 55’ 34.

Après avoir étudié la harpe à Paris, Nicolas Tulliez (Harpe) passe quatre ans à la Julliard School de New York, puis étudie au Conservatoire Royal de Toronto. Il est également Master of Music de l’Université de Yale et Première Harpe solo de nombreux orchestres. Le Label Skarbo propose un répertoire éclectique avec des œuvres de Ginastera, Bach, Scarlatti, Spohr et Fauré. Tout d’abord, le Concerto pour harpe et orchestre, op. 25, d’Alberto Ginastera (1916-1983), compositeur argentin très en vue qui, victime de la dictature de la Révolution argentine, s’installe en Suisse en 1941, s’intéresse surtout aux grandes formes et cultive particulièrement le rythme, les percussions, les grands traits de harpe. Le premier mouvement Allegro giusto déploie tout le charme impressionniste de l’instrument, contraste avec le deuxième, Molto moderato, plus expressif. Dans le troisième, le harpiste se distingue par une très longue cadence. Avec l’Orchestre Symphonique de Bâle, sous la direction de Marko Letonja, ils font preuve d’une virtuosité à toute épreuve et réservent un sort royal à cette partition des plus connues. En soliste, N. Tulliez propose la transcription de F. Busoni du Choral Nun komm der Heiden Heiland de J. S. Bach, version transparente certes éloignée du timbre de l’orgue et plus proche du clavecin. Deux Sonates de Domenico Scarlatti (1685-1757), primitivement composées pour clavecin, sont agréables à entendre à la harpe, aux sonorités moins métalliques. La Fantaisie op. 35 de Louis Spohr (1784-1859) est destinée à la harpe. Gabriel Fauré (1845-1924) appréciait la variété des timbres de cet instrument, comme il ressort de l’Impromptu op. 86 donnant libre cours au lyrisme et d’Une Châtelaine en sa tour op. 110, de caractère plus méditatif. Belle « Défense et illustration » de la harpe.

 

Édith Weber.

 

 

Chrystel MARCHAND : Sonate « Vie et Destin » - Œuvres pour piano. SKARBO (www.skarbo.fr ). DSK 1123. TT : 63’ 50.

Chrystel Marchand, Directrice du Conservatoire Darius Milhaud (Paris, XIVe), Docteur en Musicologie (Paris-Sorbonne), compositrice, s’intéresse à la didactique de l’art. Selon S. Falcinelli : « Chrystel Marchand se définit comme en marge. De fait, son œuvre pour piano nous emmène sur des voies en apparence divergentes qui, à l’arrivée, nous laissent l’impression d’une voix personnelle… ». Le livret précise ses sources d’inspiration : par exemple, sa Sonate « Vie et Destin » pour piano (Seconde Sonate) est redevable au « best-seller de l’écrivain ukrainien Vassili Grossmann, dans lequel celui-ci dénonce les grands totalitarismes européens. » ; d’autres œuvres sont marquées par des événements douloureux  du XXe siècle, expériences des camps de la mort, barbarie… En revanche, La valleuse aux fées (4 mains, 1997) s’inspire d’une légende normande autour de l’« histoire d’un marin retrouvant l’assemblée des fées réunies près de la mer, une nuit de la Saint-Jean et succombant aux charmes de leur reine… ». La première des deux Pièces narratives (2006-7) cite le premier vers d’Absence de Théophile Gauthier : Reviens, reviens ma bien-aimée… et la Marcia funebrede la Sonate en si b mineur de Frédéric Chopin. Dans sa Première Sonate pour piano In memoriam Nadia Boulanger, composée en 1980, après son décès (octobre 1979), en 3 mouvements : Gravement, Très modéré, Mouvement de barcarolle, Chr. Marchand se souvient, en effet, des exercices de contrepoint en canon effectués sous la direction de N. Boulanger et, dans le 3e mouvement, de la Barcarolle de Chopin également travaillée avec elle. Digressions pour piano (1983-4) sont influencées par les Valses nobles et sentimentales de M. Ravel ; Allégories, par l’émotion ressentie devant les toiles de Jan Bruegel l’Ancien. Aurélien Richard, compositeur, chorégraphe et concertiste international, a sélectionné un Piano Bechstein en raison de ses sonorités exceptionnelles. Pour La valleuse aux fées (4 mains, 1997), avec Jean-Pierre Ferey, ils forment un duo équilibré en parfaite connivence. A. Richard met sa virtuosité pianistique au service de ces œuvres parfois inattendues, avec superpositions de petits motifs mélodiques triturés et rythmiques. Il s’impose par la précision de l’attaque et son style fluide. Son intelligence musicale a bien saisi les diverses intentions esthétiques de Chr. Marchand : style allégé, dépouillé, assez proche du classicisme, et pourtant original — notamment dans les sources d’inspiration —, style personnel, entre tradition (réminiscences de Chopin, Debussy, Ravel…) et modernité. Le caractère peut être réaliste, narratif, décoratif, allusif, comminatoire. À offrir à tout amateur de musique pour piano.

 

 

Édith Weber.

 

VALAAM. L’Archipel des Moines. JADE 699 782-2 (www.jade-music.net ). (www.valaam-film.com ). 1DVD. 2012. TT : 52’.

Ce DVD s’inscrit en complément des CD : Valaam. Foi et amour (JADE 699 723-2), Valaam. Ecclesia(699 734-2) et Valaam. Foi et espérance (699 727-2) (cf. Lettres d’information, avril et sept. 2011, avril 2012). Il permettra de mieux comprendre la spiritualité et le chant orthodoxes. Le réalisateur, François Lespés, autodidacte passionné de cinéma, brosse un tableau très présent de l’Archipel des Moines, illustrant les paysages exceptionnels (hiver, printemps), les offices liturgiques et les scènes de la vie quotidienne. Il a retrouvé le Père français Séraphim, et, dans sa cellule, a passé avec lui une « heure spirituellement très intense » et filmé également des offices liturgiques.  Cette communauté pratique à nouveau le chant znamenny, équivalent orthodoxe du grégorien. Les Moines ne se laissent pas aisément aborder, mais, comme le précise Fr. Lespés, ils « éclairent et réchauffent tous ceux qui les approchent ». C’est le cas des nombreux pèlerins qui peuvent ainsi renouer avec la tradition de la prière monastique de Valaam remontant au XIe siècle et interrompue par près d’un demi-siècle de communisme. Malgré des conditions de tournage difficiles, cette réalisation des Éditions JADE est un modèle de beauté (nature et édifices religieux), d’humilité, de joie et de douceur (expressions et attitudes des Moines) et d’intériorité (liturgie et chant). Elle témoigne de la renaissance actuelle de la spiritualité orthodoxe. À visionner et à écouter impérativement.

 

 

Édith Weber.

 

 

Joseph HAYDN : Dans la bibliothèque des Esterhazy. HORTUS 098 (www.éditionshortus.com ). Distribution : CODAEX/Disques Office/Lavial. TT : 57’ 04.

Depuis peu, pour leur sous-titre accrocheur, des éditeurs de disques se réfèrent aux fonds de Bibliothèques connues : c’est le cas de celle des Esterhazy. Joseph Haydn (1732-1809) était à leur service, et y disposait d’un pianoforte et d’automates (Flötenuhren) fabriqués par Pr. Niemecz, bibliothécaire des Esterhazy. La pianiste franco-japonaise, Yasuko Uyama Bouvard, a été à bonne école avec Édouard Souberbielle, Michel Chapuis et Huguette Dreyfus. Elle possède un pianoforte de Christopher Clarke (2003, copie d’après Anton Walter, Vienne, v. 1785) permettant de réaliser des oppositions de couleurs et de nuances. Titulaire de l’Orgue Delaunay-Micot restauré par G. Grenzing, instrument d’esthétique baroque française, à l’Église St-Pierre-des-Chartreux à Toulouse, elle y interprète des œuvres de J. Haydn pensées pour Flötenuhr (c’est-à-dire horloge musicale à cylindres contenus précisément dans une horloge, datant de 1793 et 1796). Ces Pièces — curiosités musicales — sont rendues à l’orgue  avec, tour à tour, finesse, virtuosité et précision rythmique. Les extraits de Cinq Pièces (horloge de 1792, avec 16 ou 17 sons) bénéficient — pour l’Andante en Ut Majeur — d’une excellente registration à l’aigu se rapprochant le plus des sonorités de la Flötenuhr. Le programme comprend en outre deux Sonates pour pianoforte en Mi b Majeur, de facture classique, en 3 mouvements : Allegro-Adagio e cantabile-Finale (Tempo di Minuet) (Hob. XVI, 49) et en Ut Majeur (Hob. XVI, 48) à peu près contemporaines, ainsi que des Variations en fa mineur bien connues et faisant entendre les sonorités spécifiques du pianoforte. Yasuko Uyama Bouvard procède à un retour aux sources, aux haut-lieux de la musique pour les Princes, et fait ainsi découvrir et revivre un patrimoine oublié.

 

Édith Weber.

 

Wojciech KILAR : Requiem pour le Père Kolbe. JADE (www.jade-music.net ). 699 778-2. TT : 77’ 38.

Wojciech Kilar (né en 1932 à Lwow) a étudié à l’Académie de musique de Katowice, puis avec Nadia Boulanger. Son répertoire comporte des musiques de films, de chambre, des œuvres symphoniques et pour instruments solistes. Son émouvant Requiem pour le Père Kolbe, frère franciscain polonais mort en 1941 au camp de concentration d’Auschwitz, ayant offert sa vie à la place d’un père de famille condamné. Il a été canonisé par le Pape Jean-Paul II. À l’origine, ce Requiem a accompagné le film éponyme de Kr. Zannussi. Son thème a aussi été utilisé pour le dénouement de celui de Peter Weir : The Truman Show. L’excellent texte d’accompagnement reproduit deux entretiens significatifs. W. Kilar résume ainsi ses intentions : « Plutôt que d’illustrer les camps — chose impossible —, j’ai songé à une forme de prière fondée sur un vieil air polonais, qui passe en finesse par les stades dramatiques et tragiques avant de conclure sur l’ascension de Saint Maximilien Kolbe. » Dès les premières mesures, l’auditeur sera envahi par les accents dramatiques introduisant un passage méditatif, puis un genre de lamento duquel se dégage une tristesse lancinante, suivie d’une envolée mélodique impressionnante, puis d’un épisode rythmique implacable, aboutissant à une évocation massive de son ascension. Ce Requiem est interprété avec infiniment de sensibilité par l’Orchestre Philharmonique National de Pologne que dirige K. Kord. L’Orchestre de la Radio et Télévision Polonaise de Katowice, dirigé par Antoni Wit a enregistré les œuvres suivantes. Son Choralvorspiel (1988) est « une pièce théâtrale postmoderniste aux styles variés » reposant sur une mélodie modale antique, avec une allusion au Noël allemand Stille Nacht (Douce nuit). Le mot : Orawa se réfère à un « pré en pente fauché à la fin de la saison de pâture » et où les bergers « célèbrent la fin de leur travail avec musique et danse ». W. Kilar en fait une œuvre descriptive (1986), quelque peu folklorique. Le poème symphonique Koscielek (1909) est, selon l’auteur : « l’histoire de l’homme et de la montagne, de leur attrait mutuel et de leur rapport dramatique. C’est une apothéose et une épitaphe. C’est le chant sur l’amour et la mort. » Krzesany, autre poème symphonique, reposant sur 3 thèmes : Koscielek-Appel de l’abîme-Destin, est dominé par la puissance et l’énergie. Les Éditions JADE rendent un vibrant hommage au Père Kolbe et à Wojciech Kilar, célèbre compositeur polonais contemporain.

Édith Weber.

 

 

Antonio VIVALDI : 6 Concertos pour flûte. La Simphonie du Marais, flûte à bec & dir. Hugo Reyne. 1CD Label  Musiques à la Chabotterie : 605012. TT : 60’.

Un remarquable disque qui ne surprendra pas par l’originalité de son programme, mais bien par la qualité de sa réalisation musicale. Hugo Reyne, comme d’autres pour une certaine madeleine, choisit d’interpréter ces Concerti pour flûte à bec de Vivaldi, réminiscence d’une enfance musicale marquée par l’ombre de Frans Brüggen. Un jeu époustouflant de virtuosité et de clarté, une sonorité ronde et profonde, une justesse jamais prise en défaut, voilà ce qui rend cet enregistrement indispensable à tous les amateurs de musique baroque et à bien d’autres d’ailleurs…

   

 

Patrice Imbaud.

 

Guillaume COSTELEY : Mignonne, allons voir si la Rose. Freddy Eichelberger, clavecin. Ludus Modalis, dir. Bruno Boterf. 1CD Ramée éditions : RAM1301. TT : 71’54.

Un disque qui permettra aux mélomanes curieux de découvrir le compositeur Guillaume Costeley (1530-1606) qui écrivit, en 1570, un volume de chansons intitulé Musique, adressé aux chanteurs de Charles IX, dont le compositeur était « l’organiste ordinaire et le vallet de chambre ». Un recueil qui offre une étonnante diversité musicale et poétique, regroupant « chantz martiaux, graves, honnestes, poliz & gaillardz ». L’ensemble Ludus Modalis, à géométrie variable, regroupant cinq à douze chanteurs, spécialiste du répertoire polyphonique de la Renaissance, donne à ces chansons tout leur charme, sous la direction experte de Bruno Boterf, bien soutenu par le clavecin de Freddy Eichelberger. Un album qui trouvera son public parmi les amateurs de musique ancienne, et peut être quelques autres…

 

 

 

 

                                                   

Patrice Imbaud.

 

 

Le Jazz et la Pavane. Les Sacqueboutiers. 1CD Flora productions : FLORA 2812. TT : 71’26.

Le Jazz et la Pavane, une juxtaposition étrange qui sonne un peu comme le mariage de la carpe et du lapin… Et pourtant, ce pari audacieux d’apparier des musiques de la Renaissance  et le Jazz, autour d’improvisations, est totalement réussi grâce aux talents conjoints des Sacqueboutiers (Ensemble de cuivres anciens de Toulouse) et  du Quintette de jazz de Philippe Léogé. Chaque pièce interprétée naît ainsi d’un original, joué par les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et clavecin, et Florent Tisseyre, percussions, tous experts en matière de musique ancienne, et en particulier en ornementation dans le style Renaissance. Le relai est alors pris par Philippe Léogé au piano et ses compères, tous virtuoses impressionnants dans leur domaine : Claude Egéa, trompette, Denis Leloup, trombone, Jean-Pierre Barreda, contrebasse et Fabien Tournier, batterie et percussions. Il en résulte une musique pleine de charme et de fraicheur, qui saura séduire les amateurs de musique ancienne et les « acros » du jazz ! Original et festif, à écouter absolument !

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Franz LISZT : Christus. Nicolas Horvath, piano. 1CD Editions Hortus : HORTUS 100. TT : 70’15.

Christus est  œuvre de la maturité, empreinte de douleur et de spiritualité, puisque c’est à cette époque (1862-1868) que Liszt se retirera, pour quelques années, dans le monastère Madonna del Rosario à Rome, où il recevra les ordres mineurs. Initialement composé pour chœur, orgue et grand orchestre, cet oratorio sera réécrit pour chœur et piano seul, dont sont extraites huit parties pour piano solo, présentées sur ce disque. Superbe interprétation de Nicolas Horvath qui sait laisser place à la musique, ne sombrant jamais dans une vaine et quelconque virtuosité, exaltant par son jeu toutes les facettes de cette partition complexe, véritable parcours initiatique. Tour à tour orchestral ou confident, son piano, toujours juste et expressif, sait respecter les silences et les articulations pour donner à cette œuvre toute sa beauté, parfois aride, et sa transcendance. Un disque rare et indispensable à tous les amoureux de Franz Liszt.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Carlo TESSARINI : Sonates pour violon & clavecin. Marco Montanelli, clavecin. Ensemble Guidantus, violon et dir. : Marco Pedrona. 1CD Calliope Records : CAL1208. TT : 64’11.

Après l’intégrale des Concerti pour violon Op.1, publié l’an passé, le label Calliope poursuit l’exploration de l’œuvre de Carlo Tessarini (1690-1766) avec, cette fois, les Sonates pour violon & clavecin. Un disque qui a le mérite de nous permettre d’écouter ce compositeur vénitien peu connu, qui aurait été l’élève de Vivaldi et Corelli, avant de parcourir l’Europe, sans que ses compositions n’atteignent au niveau de celles de ses maîtres. Une musique claire, parfaitement interprétée par Marco Pedrona et Marco Montanelli, qui manque trop, toutefois, d’âme, d’allant et de génie pour emporter notre totale adhésion et éveiller notre intérêt. Pour amateurs aventureux de musique baroque ! Une curiosité, sans plus !

 

 

 

Patrice Imbaud.

         

Ludwig van BEETHOVEN : Con intimissimo sentimento. Quatuors à cordes op. 18,  n° 6, et op. 132. Quatuor Terpsycordes. 1CD Ambronay Editions. AMY037. TT : 60’07.

c'est un choix particulièrement judicieux que d’associer, sur ce disque, le Quatuor à cordes  n° 6 de l’opus 18 et le Quatuor opus 132, de Beethoven. Deux compositions séparées par vingt cinq années dans le temps, mais unies par une fascinante parenté, faite à la fois d’exaltation intense et de mélancolie profonde. Beethoven n’a abordé le genre du quatuor à cordes que tardivement. Peut-être craignait-il l’ombre encore envahissante de Haydn ou de Mozart ? Aussi, écrit-il en 1801, dans une lettre adressée à Karl Amenda : « Maintenant, seulement, je sais écrire des quatuors corrects ! ». Une longue maturation pour le résultat extraordinaire que l’on sait, puisque Beethoven révolutionnera l’histoire du genre, traçant, dans ses compositions, le chemin d’un classicisme parfaitement assimilé à une vision avant gardiste d’une étonnante modernité. Le Quatuor n° 6 est le plus original des quatuors dédiés au prince Lobkowitz, composant l’opus 18 (1798-1801), par la présence singulière d’un quatrième mouvement intitulé Malincolia, chargé d’émotion, d’accablement et de dissonances. Celui-ci fait le lien avec le Quatuor de l’opus 132, plus tardif (1825), où Beethoven abandonnera toutes références au passé, affirmant délibérément une liberté compositionnelle qui lui est toute personnelle, faite de souffrance et d’espoir, « con intimissimo sentimento ». Le jeune quatuor suisse Terpsycordes joue pour cet enregistrement quatre instruments des luthiers français du XIXe siècle, Jean-Baptiste et Nicolas-François Vuillaume, montés sur cordes en boyau, d’une magnifique sonorité. Leur interprétation ne souffre aucun reproche : elle est brillante, sensible, homogène, équilibrée. Un régal !

 

 

 

 

Patrice Imbaud.

 

Giovanni Battista PERGOLESI : Septem verba a Christo in cruce moriente prolata (Les Sept paroles du Christ expirant sur la croix). Sophie Karthäuser, soprano, Christophe Dumaux, contre-ténor/ alto, Julien Behr, ténor, Konstantin Wolff, basse. Akademie für Alte Musik Berlin, dir. René Jacobs. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902155. TT.: 80'33.

 

Non, Pergolèse n'a pas écrit que le seul Stabat Mater! On vient de redécouvrir, ou plus exactement d'attribuer avec certitude à l'auteur, une pièce majeure vocale, que Hermann Scherchen, dans les années 50, considérait déjà comme un chef d'œuvre. La découverte d'un nouveau manuscrit, en 2009, dans l'abbaye de Kremsmünster, en  Autriche, a parachevé des années de recherches. Ce disque en livre la primeur. Les sept paroles du Christ expirant sur la croix est un œuvre puissante : un « oratorio méditatif et didactique » souligne René Jacobs. Le cycle de sept cantates, de deux arias chacune, le cas échéant précédées d'un court récitatif : celui de Jésus sur la croix, confié à la basse (et dans un cas, au  ténor), et de l'Anima, l'âme pieuse qui écoute avec ferveur, distribuée ici à la soprano, à l'alto ou ténor. Il s'agit d'un « dialogue rhétorique », dit encore Jacobs, qui discerne dans cet ensemble une structure symétrique, en forme d'arche. L'orchestration est riche, et offre des combinaisons inhabituelles chez Pergolèse : cor solo, trompette en sourdine, accompagnement de violoncelle. Les arias sont bâties sur la forme da capo, mais enrichie, dans certains cas, lors de la reprise, de diverses sections ornées. Le « verbum II », « En vérité je te le dis : aujourd'hui tu seras avec mois dans le Paradis », distribue le Christ à la voix de ténor, avec un accompagnement de harpe, et l'aria suivante d'Anima, s'accompagne de la viole de gambe. Le « verbum III », «  Femme, voici ton fils, voilà ta mère » offre quatre numéros, deux récitatifs et deux arias. Celle de la soprano, avec cor solo, est puissamment charpentée à l'orchestre et exigeante pour la voix : les première et dernière sections sont exaltées. Au « verbum VI », « Tout est accompli », l'aria d'Anima fait penser au Stabat Mater. On ne saurait imaginer direction plus inspirée que celle de René Jacobs, dont on perçoit l'empathie avec ce texte, et sonorité plus souveraine que celle de l'Akademie für Alte Musik Berlin, dont on sait l'affinité avec le répertoire baroque. Et cette incursion, nouvelle pour eux, dans la musique napolitaine, est tout aussi révélatrice : la qualité des inflexions, le phrasé, y sont magnifiques. Les solistes portent haut la partie vocale. Konstantin Wolff nimbe la figure du Christ d'une douce émotion, que son timbre de basse noble rend encore plus poignante. Sophie Karthäuser, de sa voix de soprano éthérée, mais aussi vaillante, apporte le sentiment de piété qui parcourt le discours d'Anima, comme le font aussi le ténor ductile de Julien Behr, et le brillant contre-ténor Christophe Dumaux, deux superbes voix. Une découverte majeure !  

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Giovan Battista VIOTTI : Concertos pour violon et orchestre Nos 22 & 24. Meditazione in preghiera. Camerata Ducale, Guido Rimonda, violon et direction. 1CD Universal Decca : 476 5048. TT.: 62'29.

Viotti (1755-1824), virtuose et compositeur, ouvrit la voie à la technique violonistique moderne. Sa vie fut emplie d'événements hors du commun. Après des études à Turin, où il devient maître à la chapelle ducale, il parcourt l'Europe dans les années 1780, il s'arrête à Paris en 1782, où il joue au Concert spirituel, et sera en relation artistique avec la pianiste Hélène de Montgeroult. Il rejoint la cour à Versailles, en 1789, et deviendra, grâce à la protection de Marie-Antoinette, l'impresario du Théâtre de Monsieur. Pour des raisons plus ou moins politiques, il quittera la France, en 1792,  pour rejoindre Londres, où il entamera une carrière de directeur de théâtre, dont le fameux King's Theater, et rencontrera Solomon. Exilé quelques temps après, en Allemagne, il revient à Londres, en 1801, puis de nouveau à Paris, en 1818, où il sera le protégé de Louis XVIII, qui en fera la directeur de l'Opéra. Sa carrière d'impresario, et de soliste, ne l'empêchera pas de composer : on lui doit, pour son instrument, une trentaine de concertos et quelques 70 sonates de violon, outre des duos. Le présent disque, le premier d'une série compréhensive des œuvres du maître italien, se concentre sur deux concertos, dont le célèbre 22 ème. Dédié à Cherubini, daté de 1803, quoique achevé bien avant la fin du siècle, il sera porté au succès par Joachim, et à travers celui-ci, sera connu de Brahms, qui en appréciera la qualité. Le vaste moderato initial, longuement introduit par l'orchestre, livre une belle inventivité et un cantabile opératrique du soliste. Sa cadence est typique du style lyrique de l'auteur. L'adagio renchérit sur cette veine, et développe une ample mélodie, tandis que l'agitato final contraste : bien marqué et brillant, avec de forts écarts de rythmes à l'orchestre, favorisant des ritournelles enlevées, et chez le soliste, habité d'un brio certain, déjà tourné vers la sensibilité romantique. On y admire une des spécificités de Viotti : la technique d'archet dite « alla Viotti », associée aux rythmes pointés. Le Concerto n°24 a été composé à Londres, en 1795. Là encore, le maestoso dure, à lui seul, autant que les deux autres mouvements. Il débute de manière solennelle et libère un grand dramatisme. Mais le soliste est gratifié d'une large mélodie. Le discours alterne épisodes chantants et passages de bravoure, jusqu'à une cadence brillante emplie d’innovations techniques et de traits inattendus, trilles arrachés, moulinets, sollicitation du registre suraigu. En forme de romance sans paroles, l'adagio livre un chant intense du violon, quelque peu théâtral, et l'allegretto se fait presque humoristique, proche du dire rossinnien. On admire les échanges entre le violon et la flûte. Guido Rimonda possède une sûre technique et avec sa Camerata Ducale, se fait l'ardent défenseur de ce langage brillamment expressif, non exempt de bagout. L'enregistrement saisit de très près le violon, pas toujours confortable à l'oreille, lorsque sous tension extrême.    

 

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

 

Franz SCHUBERT : Sonates pour piano N°16, D 845, en la mineur & N° 21 D 960, en si bémol majeur. Maria João Pires, piano. 1CD Universal DG : 477 8107. TT .: 83'24.

Maria João Pires revient aux classiques viennois, et à son cher Schubert. Elle unit deux sonates d'envergure. La Sonate D 845, de 1825, est dédié à l'Archiduc Rodolphe, pour qui Beethoven écrira plus d'une pièce, et entre autres, son fameux trio, ou la Sonate pour piano « Hammerklavier ». Ses deux premiers mouvements sont vastes : un moderato d'une fantaisie proche de l'improvisation, où on perçoit comme une obsession rythmique, ponctuée de mâles affirmations ; puis un andante, en forme de thème et variations, le seul mouvement de ce type chez Schubert, pour ce qui est des sonates de piano. Pires le prend très lent et délié, ménageant habilement l'alternance des passages lents et plus animés. Il s'en dégage une profondeur abyssale. La pianiste confère au scherzo, malgré son âpreté, une fluidité et un rien d'aérien, qui contrastent avec le trio élégiaque. Le finale est fiévreux et allègre. La Sonate D 960, dernière de la trilogie ultime, défie les canons habituels, même chez Schubert. La sonorité orchestrale du piano n'a jamais été poussée à un tel point d'évidence, et le recours aux motifs répétitifs confère au discours un dramatisme extrême, que renforce l'usage des silences. La pensée schubertienne se fait ambivalente à plus d'un endroit, partagée entre sérénité et drame, joie et tristesse. Le molto moderato, de plus de 20 minutes, est un monde, que Maria João Pires aborde avec sagesse : il y a là une immense sérénité à travers cette vaste architecture. Le mouvement lent, qui se place dans l'orbite du Winterreise, dévoile un drame plus que sous-jacent, malgré le dépouillement de l'écriture. Le scherzo, « con delicatezza », est on ne peut plus aérien, là encore, sous les doigts de Pires. Le finale se partage entre allégresse et drame. Pour citer Schumann, à propos des dernières sonates « le flot musical et mélodieux coule page après page, interrompu de place en place par quelque remous plus violent, vite calmé ». On est séduit par la palette de couleurs qu'apporte à ces deux sommets la pianiste portugaise, dans des interprétations suprêmement pensées, certes différentes du classicisme d'un Alfred Brendel, pas moins passionnantes. 

 

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Charles-Valentin ALKAN : Œuvres pour piano. Nocturne op.22, en si majeur. Barcarolle op. 65, n°6. « Chanson de la folle au bord de la mer », op.31, N°8. Grande Sonate op. 33 « les quatre âges ». Esquisses op. 63 N°4 « Les Cloches », N° 1, «  Vision »,  N° 11, « Soupirs ». Pascal Amoyel, piano. 1CD La Dolce volta : LDV11. TT.: 67'29.

Alkan, « le Berlioz du piano », selon Hans de Bülow, écrit une musique exigeante, qui demande un fort investissement physique et intellectuel. Elle paraît proche de la manière de Liszt. Et pourtant, ce musicien demeure inclassable, et d'une étonnante modernité. La sélection de pièces, effectuée par Pascal Amoyel, est révélatrice de ses multiples facettes. La Grande Sonate op. 33, de dimension colossale, près de trois quart d'heure, est sous-titrée « les quatre âges de la vie ». Chacun de ses mouvements déroule un parcours singulier qui, telles les phases de la vie, vont du plus vite au plus lent. « 20 ans » débute par un thème galopant, en forme de gammes agitées, pour s'achever, après moult épisodes, victorieusement. « 30 ans » décline le mythe de Faust en une pléiade de séquences, telles que « sataniquement » ou « impitoyable », ou encore « avec délices ». L'inspiration est résolument lisztienne, quasi symphonique aussi. Le morceau, lui-même divisé en quatre parties, est une vaste digression sur les personnages de la saga faustienne. Le gigantisme de la coulée projette au-delà des envolées de Liszt, le grave du piano sonnant comme l'orgue. Cela restera  extrêmement nuancé toutefois, du fait de notations méticuleuses. « 40 ans », ou « Un heureux ménage », livre la pastorale de la vie. Le discours respire un naturel agréable, dans l'aigu du spectre sonore, à l'aune d'indications, là encore  évocatrices, « avec tendresse et quiétude », ou « gentiment ». Il se fait élégiaque, la félicité des jours heureux. Avec « 40 ans », marqué extrêmement lent, c'est la somme de toute une existence. Et sans doute plus que cela : pour Amoyel, le morceau « propose une véritable lecture musicale de la mort ». Le mysticisme d'Alkan s'y étale, au fil de grandes interjection en accords dominateurs dans le registre grave du clavier. Les autres pièces, courtes, forment un saisissant contraste. Le Nocturne op. 22 est proche de Chopin et de son opus 32. La Barcarolle op 65/6 renferme une audace harmonique, préfigurant Satie, et le sens de l'immobilisme en musique qui le caractérise. La quête de l'étrange, autre composante de l'univers d'Alkan, est illustrée par la Chanson de la folle au bord de la mer, et sa pédale de grave lancinante, qui rend les traits de la main droite presque effrayants. Avec les Esquisses op 63, Alkan saisit l'instantané, le moment poétique, dans « La Vision », le trait quasi impressionniste, avec « Les Soupirs ». Pascal Amoyel, enthousiaste ambassadeur du compositeur, est en empathie évidente avec un langage fascinant. Bel enregistrement, clair et et présent, capté à l'Arsenal de Metz. A découvrir absolument !

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

'Anniversaire Verdi!'

« Viva Verdi ». Giuseppe VERDI : Ouvertures et Préludes de I Vespri siciliani, Alzira, La traviata, Il corsaro, Nabucco, Jérusalem, Giovanna d'Arco, Aida, Macbeth, La forza del destino. Airs de ballet tiré de Jérusalem. Filarmonica della Scala, dir. Riccado Chailly. ICD Universal Decca : 478 3559. TT.: 73'55.

Il est fascinant d'étudier le schéma du morceau introductif qu'est, chez Verdi, l'Ouverture, auquel on ne prête peut-être pas toujours une grande attention lors de la représentation. Riccardo Chailly, année Verdi oblige, en a réuni une poignée, des plus connus aux moins fréquentés. Selon Gilles de Van (« Verdi, un théâtre en musique », Fayard), on distingue en la matière deux formes : le Prélude, court, de construction libre, souvent un pot-pourri des thèmes de l'œuvre, et directement relié à l'opéra ; et la Sinfonia, morceau symphonique plus long, plus structuré, nettement séparé de l'acte qui suit. Quoi qu'il en soit, cette pièce introductive n'est, pour l'auteur Falstaff, nullement quelque chose de rajouté, encore moins de gratuit, mais bien une « occasion théâtrale » (ibid.). Au titre des Sinfonia : celle de Nabucco introduit le thème fameux de la fresque chorale « Va pensiero », celle de Giovanna d'Arco, agitée dans son tutti, hésite entre anxiété et pastorale, à l'aune du dialogue flûte, hautbois et clarinette qui la traverse. Dans La forza del destino, elle établit le climat romanesque qui baignera tout l'opéra, et dans I Vespri siciliani, bâtie sur le modèle rossinien, sont dévoilées les diverses étapes du drame. D'autres pièces, ou préludes, ont pour fonction d'établir un climat expressif : Il Corsaro, la tempête physique et morale, Macbeth, les deux pôles du mal et de la soumission, La traviata, le cheminement, en sens inverse d'ailleurs, de Violetta. Riccardo Chailly ne lésine pas sur la qualité de ces pièces, dont il joue tour à tour le glorieux panache ou l'atmosphère suggestive. La clarté de la texture est soulignée, comme l'impact dramatique, telle la scansion tranchée rigoureuse de la sinfonia de Nabucco. Celle de La forza del destino est un exemple topique du drame dévastateur qui va suivre : passé les trois accords, rapides, s'instaure un tempo soutenu, s'emballant jusqu'à un étourdissant prestissimo final. À l'inverse, les cordes extatiques du Prélude d'Aida introduisent un vrai climat oriental, et les tutti sont annonciateurs des pompes à venir. A cette collection, Chailly a ajouté le ballet de Jérusalem, sorte de pot pourri dans se diverses entrées, plus convenu que celui de Macbeth par exemple. Bien que ne figurant pas au nombre des pages mémorables de Verdi, on y trouve de belles formules : la flûte du « Pas de deux », la harpe et le concertato des bois dans le « Pas solo ». Est-il orchestre plus désigné pour jouer ces pièces que la Filarmonica della Scala ! À la couleur des vents, bois savoureux,  cuivres resplendissants, fait écho la « plastique » des cordes.  

 

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Vincent d'Indy : L'Etranger. Opéra en deux actes. Livret du compositeur. Cassandre Berthon, Ludovic Tézier, Marius Brenciu, Nona Javakhidze, Bénédicte Roussenq, Franck Bard, Fabienne Werquin, Pietro Palazy, Florent Mbia. Chœur de Radio France, Chœur d'Enfants Opera Junior. Orchestre National de Montpellier Languedoc-Rousillon, dir. Lawrence Foster.

Créé en 1903, à La Monnaie, le troisième opéra de Vincent d'Indy, L'Etranger, a vite sombré dans l'oubli, à cause de la faiblesse de son livret, assure-t-on. Ne serait-ce pas plutôt en raison d'un sujet ambivalent, imaginé par d'Indy lui-même : une tranche de vie, sans action palpitante, qui bascule dans le drame sacrificiel, à connotation mystique. Les symbolistes ne sont pas loin. Wagner non plus. Car il y a du Hollandais volant, voire du Parsifal, chez cet Étranger, dont le splendide isolement est revendiqué, pour s'exclure lui-même de l'amour impossible d'une jeune beauté, de loin sa cadette. Et il y a quelque Senta dans celle-ci, qui se jette dans ses bras, obnubilée, tel le papillon par la flamme. Il n'a pas de nom, il est « celui qui rêve », être à la « destinée étrange », qui lâchera « j'ai démérité », avant de s'éloigner. Elle lui demande de se nommer, mais elle sait qu'il est celui qu'elle attend. Ils périront tous deux engloutis par les flots d'une mer qu'elle aura tant su invoquer. L'homme d'Indy est sans doute proche de cette thématique, lui dont Romain Rolland souligne le « caractère gothique », fruit de la Scola cantorum, mystique lui-même. Le langage musical, qu'on reconnaît vite, comme celui de Franck, est résolument symphonique. Il décrit la tempête qui s'empare des âmes, plus que celle surgissant des éléments, fort hauts en couleurs toutefois. Il y a là des accents wagnériens discernables. Et une riche harmonie qui n'appartient qu'à la veine française. On pense à Koechin. L'écriture vocale est exigeante, tendue souvent à l'extrême. La présente exécution, captée live, en juillet 2010, au Festival de Radio France Montpellier, est une première au disque. Elle est valeureuse. Elle est dominée par Ludovic Tézier dans le rôle-titre, qui appartient à cette ligne des grands barytons du répertoire français flattant une émission claire et une coulée sombre à la fois. La diction éloquente et la justesse de ton du chanteur apportent à cette figure tutélaire une aura de grandeur. Cassandre Berthon se mesure avec aisance au personnage de Vita, qui subit en si peu de temps théâtral, une mutation singulière : la jeune amoureuse promise à la révélation, ce que mettent en exergue ses deux invocations à la mer consolatrice, peu aisées à mettre en perspective. Le dialogue qui les réunit, au second acte, est névralgique. Marius Benciu, desservi par une intonation quelque peu étriquée, ne parvient pas à animer la partie, il est vrai délicate, du jeune amoureux délaissé. Les chœurs et l'Orchestre  de Radio France Montpellier font de prouesses pour donner vie à une partition à certains égards fascinante. Ils sont portés à blanc par Lawrence Foster, un chef qui sait ce que musique française veut dire, si l'on en juge par ses interprétations de la musique de Georges Enesco. 

 

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Fauré & Saint-Saëns : œuvres pour violon et orchestre ». Camille SAINT-SAËNS : Introduction et Rondo capriccioso en la mineur op 28. Concerto pour violon et orchestre N°1, en la majeur op 20. Romance pour violon et orchestre en do majeur, op 48. Gabriel FAURE : Pelléas et Mélisande, suite op 80. Berceuse op 16. Deborah Nemtanu, violon. Orchestre de chambre de Paris, dir. Thomas Zehetmair. 1 CD Mirare : MIR 193. TT.: 50'.

Ce CD est le premier enregistrement effectué par Thomas Zehetmair à la tête de l'Orchestre de chambre de Paris, dont il préside désormais aux destinées. S'y ajoute  le rôle de soliste confié à Deborah Memtanu, violon solo super soliste. Il marque aussi un rencontre artistique essentielle entre le maître, Saint-Saëns, et l'élève, Fauré. Du premier, l'auteur de Pénélope dira « ce fut Saint-Saëns qui, par ses encouragements continus, m'empêcha de m'engourdir ». Une solide amitié artistique unira les deux hommes. On admire dans Introduction et Rondo capriccioso, la maîtrise formelle et la suprême écriture pour le violon. Le Concerto pour violon N°1, offre la spontanéité d'une œuvre de jeunesse. En un seul mouvement, il focalise d'emblée sur le soliste. La partie violonistique est franche, avec juste ce qu'il faut de brillance. La section médiane est réfléchie, dégageant une veine mélodique simple, coulante. Les pages finales ne se départiront pas de ce calme qui affleure tout au long d'une œuvre dont Deborah Nemtanu souligne « le caractère très touchant, à la fraîcheur inépuisable ». On n'y trouvera pas de conclusion grandiose. Enfin, la Romance pour violon op 48 offre équanimité et une dose de naïveté dans les traits orchestraux sous-tendant l'envolée du soliste. La délicatesse du jeu de Deborah Nemtanu y fait merveille. C'est tout autant le cas dans la Berceuse de Fauré. Cet opus 16 livre une de ces mélodies dont le doux balancement ravit l'auditeur, et que Fauré distille avec un secret plaisir, en l'enjolivant de subtiles métamorphoses. Il écrira son Pelléas et Mélisande, en 1898, donc avant que Debussy ne s'attèle à la composition de son opéra. Ce fut, à l'origine une musique de scène pour la représentation de la pièce de Maeterlinck au Prince of Wales Theater de Londres. Thomas Zehetmair l'aborde de manière très retenue. Le mystère poétique de « Prélude » dégage un son plein. « Fileuse » a une fluidité mettant en valeur le génial contrepoint imaginé par l'auteur. La délicate « Sicilienne », parée de la cantilène de la flûte, est un oasis de clarté, avant que « La mort de Mélisande » n'installe une cérémonie funèbre, quelque peu soulignée ici dans la construction des climax.      

Jean-Pierre Robert.

 

« Poème mystique » Ernest BLOCH : Sonates pour violon et piano N °1,  « Poème mystique »  & N° 2. Nigun, tiré de Baal Shem. Arvo PÄRT : Fratres (version pour violon et piano). Elsa Grether, violon, Ferenc Vizi, piano. ICD Fuga libera : FUG711. TT.: 64'50.

Ernest Bloch (1880-1959) a composé plusieurs œuvres pour violon et piano. Ses deux sonates appartiennent à sa période dite américaine, alors qu'il était directeur du Conservatoire de Cleveland, puis de celui de San Francisco. Elles forment un diptyque complémentaire, d'ailleurs contrasté : deux visions d'un monde, d'une part, tel qu'il est, d'autre part idéalisé. La première, datant de 1920, est audacieuse pour son époque, et fut incomprise, malgré le talent de ses créateurs Pavel Kochanski et Arthur Rubinstein. Bloch avouera qu'elle est « tourmentée ». C'est en réalité peu dire.  L'« agitato » initial est agressif, traits hachés du violon, dans le grave, accords plaqués du piano dans le médium. Diverses tentatives d'apaisement demeureront vaines, tant la course reprend inexorablement, telle l'affirmation d'un climat fiévreux. Le « molto quieto », qui se veut d'un calme « tibétain », évoque un monde lointain, le discours du violon se faisant plus amène, presque confident, quoique s'orientant vers un sommet passionné d'intensité. Le finale, « moderato », l'est par euphémisme, car il débute par une marche bien soutenue, d'un geste ample : le violon parcourt les extrêmes, et son interprète soumis à rude épreuve tant la lutte est intense. Un épilogue « lento assai » ramène enfin à la paix. Le climat qui baigne la seconde Sonate (1924), est plus détendu. Elle possède une dimension spirituelle, qu'annonce son sous-titre de « Poème mystique ». D'un seul tenant, de facture rhapsodique, elle alterne en ses quatre parties, animato et andante moderato. Le mélodisme juif de Bloch y est en évidence, comme d'ailleurs, l'utilisation du plain-chant grégorien. La coulée du violon restera toujours ardente, souvent cantonnée dans l'aigu de l'instrument. Cette veine « juive », caractéristique du compositeur, qui pour autant n'utilise pas les mélodies traditionnelles hébraïques, on la trouve de manière plus évidente dans la pièce Nigun  (improvisation), deuxième volet du cycle « Baal Shem, trois images de la vie chassidique », de 1923. Le langage y est volontairement plus accessible que dans le cas des sonates, pas moins tendu cependant. Cette pièce a assuré à son auteur un succès immédiat, presque encombrant. Elsa Grether, qui dit être tombée sous le charme de ces musiques, en assimile le style avec aplomb. La sonorité est chaude et le trait net. Et si le registre aigu paraît de temps à autre inconfortable, la faute en revient à l'enregistrement, et non au jeu de la violoniste. Son partenaire, Ferenc Vizi, a tout autant d'envergure, et de tact. Ils ont juxtaposé Fratres de Arvo Pärt (*1935), dans la version pour violon et piano de 1980, dont l'atmosphère méditative n'est pas éloignée de la ferveur de la seconde Sonate de Bloch. Le procédé répétitif et les harmonies de cloches d'église sont pour beaucoup dans ce qu'on appelle, chez ce musicien, un style de « tintinnabulation ».

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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POINT DE VUE : Dominique Lemonnier, une trafiqueuse de musiques et d’images !

 

Un entretien à bâton rompu, déstructuré, décontracté, incomplet, fait au Sélect, Boulevard Montparnasse à Paris, le 12 mars 2013 à 19h30, autour d’une bière blanche !

Pour les feignants : Dominique Lemonnier est une femme de caractère, déterminée, volontaire, qui partage sa vie, sa passion, pour la musique de film depuis plus de vingt ans avec le compositeur Alexandre Desplat. Ils travaillent ensemble et ont créé en 1996 un quintette de cordes assez original, le Traffic  Quintet, (un quatuor classique avec une contrebasse en plus), pour interpréter de la  musique de film, celle du compositeur, mais aussi celles écrites par d’autres artistes.

Regarde les femmes monter !

« Je suis née en Normandie, ma mère qui jouait bien du piano, m’a mise au piano très tôt, mais à six ans j’ai voulu faire du violon et cet instrument ne m’a plus quitté. J’étais une enfant douée… J’ai une passion pour les cordes… J’aimais jouer dans des formations de musique de chambre. C’est toujours un grand plaisir …Aujourd’hui  j’adore mon Lupot, un violon de 1821. Il a un son d’une telle légèreté, je ne pourrais pas m’en passer. J’ai travaillé avec Christophe Coin, qui est aussi un normand. On est de la même génération. J’ai participé au début de son ensemble Mosaïque. Près de chez moi, il y avait un cinéma d’Art et Essai et je pouvais voir tout le cinéma international, j’ai eu ainsi très tôt une culture cinématographique ».

« J’ai étudié très jeune au Conservatoire, mais n’ai pas terminé mes études. Je voulais prospecter tous les univers de la musique, du baroque au jazz en passant par le tango. Je suis une aventurière, inclassable.  J’ai pas mal voyagé dans ma jeunesse, suivi l’enseignement de grands artistes comme Felix Galimir, célèbre violoniste qui avait son propre quatuor et qui enseignait à la Julliard à New York, et aussi Henri Temianka à Los Angeles  J’ai joué avec beaucoup de formations différentes aussi… Mais j’ai toujours refusé d’être cantonnée dans un seul style, et lorsque j’ai commencé à faire des séances d’enregistrement pour la musique de films, je devais avoir dix-huit ans, j’ai aimé cette diversité. Avec des orchestres à géométrie variable, j’ai enregistré pour Cosma, Legrand, Senia … J’étais assez mercenaire en fait. C’était une bonne école : il fallait déchiffrer très vite, jouer avec dextérité car on ne pouvait pas se permettre de faire beaucoup de prises. Le temps dans  les studios est précieux. J’ai même joué de la variété…violon et voix dans le tube de Morena, musique de Desplat, « Oh Mon Bateau ! ». Je me suis bien amusé à participer à ce genre d’exercice, même s’il n’y avait pas beaucoup d’argent. J’ai joué avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France très régulièrement, et pendant des années,  mais comme je n’étais pas titulaire, ça me laissait le choix de refuser et de jouer ailleurs. C’est là que j’ai connu certains des musiciens du Traffic, le violoncelliste Raphaël Perraud , la violoniste Anne Villette, avec qui j’ai joué du tango et du Jazz , l’altiste, Estelle Villotte, pendant des séances d’enregistrement de variétés et de musiques de films, ainsi que le très prolifique  contrebassiste Philippe Noharet ».

« Ma rencontre avec Alexandre s’est faite un dimanche d’Août chez Coluche, qui très généreux, avait prêté son propre studio d’enregistrement. C’était pour la deuxième musique de film d’Alexandre, Le Souffleur de Franck Le Witta.  Alexandre a apprécié ma sonorité, mon énergie, ma vitesse d’adaptation, comment je pouvais changer de timbre, de vibrato. A l’époque, il était assez craintif du romantisme excessif parfois des cordes, et les connaissait mal. Il est flûtiste de formation , a suivi  la classe d’ analyse musicale de Claude Ballif. Les vents, il adore. A 17 ans il était flûtiste à la Fanfare des Beaux-Arts ! Il adore les spectacles des clowns, la musique burlesque, les fanfares… » 

« Cette rencontre a été essentielle pour nous et nos conceptions  musicales. J’ai eu avec lui un rôle d’éclaireur pour écrire sur les cordes, comment les traiter, leur  tordre le cou, les déplacer de  leurs  fonctions initiales. On s’est beaucoup amusé à chercher, à passer des nuits à trouver le son qui allait correspondre, lui au clavier, moi au violon. Il y avait des budgets si petits que je faisais parfois dix-huit pistes de violon par exemple, et si un copain violoncelliste passait, il nous faisait une piste. La musique était écrite évidemment, mais tout cela était très expérimental, un laboratoire d’idées sonores avec lequel on a pu progresser »

« Il a composé la musique des sketches de Karl Zéro pendant des années. Il en écrivait de dix à trente par semaine, une école formidable, incroyable. On allait dans des petits studios à un, à deux, à trois, musiciens, et on y passait la nuit. On travaillait en permanence »

« Aux États-Unis, le statut de compositeur de film est un statut de star. En France, on n’a pas cette veine musicale qu’il y a dans les pays anglo-saxons. La rencontre avec Jacques Audiard est assez exceptionnelle car il aime la musique, ses films sont des films musicaux. Pour la musique d’Un Héros Très Discret, Jacques a demandé à filmer les musiciens du quintette »

« 1996, c’est la naissance du Traffic Quintet. Le nom de Traffic c’est pour tout trafiquer, ne pas garder la structure des compositions pour quatuor, transformer les rôles de chacun : le violon peut faire la basse, pas de second violon en retrait, la basse va jouer le thème… On se permet tout, trouver des sonorités nouvelles, aborder les thèmes sans à priori. J’avais entendu le Kronos quartet bien avant qu’il arrive sur le marché français. J’ai eu tout de suite beaucoup d’admiration pour ce quatuor qui a cassé les codes, je m’en suis inspirée » 

« C’est seulement en 2005 que nous avons fait notre premier spectacle.  Alexandre aimait tous ces compositeurs de la nouvelle vague, donc notre premier spectacle s’est appelé Nouvelles Vagues avec la musique de  Delerue, Duhamel et des compositeurs qui ont marqué cette époque, comme Morricone, Gato Barbieri, avec Le dernier Tango, Jarre et aussi Desplat, les deux films d’Audiard. Alexandre a fait les transcriptions. Celles de Barbieri ont été faites par Frédéric Verrières »


© Traffic Quintet / DR

« Pour le spectacle, je voulais mettre des images, faire un spectacle total, innovant. J’ai rencontré le vidéaste Ange Leccia, qui n’avait jamais travaillé avec un musicien. On a regardé ses bandes, j’ai choisi des images. J’étais très timide face à son travail, un peu retenu. Je ne voulais pas de référence cinématographique, j’ai juste mis un peu Bardot en boucle. On a travaillé des heures pour retravailler ses images, les caler sur la musique, une sorte d’élucubration d’images nouvelles souvent abstraites. Je voulais que le spectacle de Traffic quintet soit un échange entre musique et art contemporain. Certains spectateurs étaient complètement perdus, ne comprenaient rien : Pourquoi mets-tu des images ? La musique est tellement belle, elle se suffit à elle-même. Sur ces musiques connues, ils voulaient voir Belmondo, Bardot, Moreau. On n’aimait pas, et moi je répondais : c’est le principe du Traffic quintet, 'vous ne les aimez pas, désolée !' On a présenté le spectacle un peu partout… »

« Le deuxième projet ce fut Divine Féminin, spectacle des femmes sacrificielles, moins accessible au niveau de sa conception, autour de Médée, quatre tableaux, chacun s’ouvrant sur un fragment de « Medea Material » issue de l’opéra de Pascal Dusapin. Des portraits de femmes Sharon Stones, Janet Leight, Marylin Monroe, Virginia Woolf-Nicole Kidman et la musique de Goldsmith, Glass, Herrmann, Virgin Suicides et Air, et puis la Callas, la Médée silencieuse de Pasolini. C’est cette figure musicale qui constitue le fil rouge de Divine Féminin, drame en quatre tableaux.  Femmes assassines, profondes, perdues… Alexandre voue une grande admiration pour Alex North et nous a fait une superbe transcription des Misfits. J’avais envie de décliner les toiles de Jacques Monory. Alors avec Ange on est allé les filmer dans son atelier, puis les transformer. J’étais là, à l’image et au son, une trafiqueuse de sons et d’images. Les musiciens ensuite ont vu la bande image, puis on a appris à se synchroniser à l’image seconde, ce qui parfois donne un coté magique au spectacle, car je n’ai pas de clic ni de time code » 

 


© Alexandre Desplat et Dominique Lemonnier / DR

« Le suivant, Eldorado, est aussi une commande de la Cité de la musique. C’était autour du rêve américain. Là, à cause de petits ennuis de santé, j’ai pris un film qui existait de mon ami vidéaste, Gold, sur l’ouest américain, et on a interprété des compositeurs américains, Greenwood, Goldsmith, Duke Ellington, Philipp Glass, Herrmann, Miles Davis, et un extrait de L’étrange Histoire de Benjamin Button de Desplat… »

« Le spectacle suivant, le prochain, toujours pour la Cité de La Musique, devait être autour du cinéma français. Mais comme nous avions déjà joué et transcrit les grands compositeurs français, j’ai proposé une monographie autour d’Alexandre Desplat. Le cinéma français, c’est Paris, et Paris c’est incontournable, c’est la Seine. Avec Ange on a donc filmé en HD des heures et des heures les quais de la Seine. Puis on a passé beaucoup de temps à monter, retravailler l’image pour présenter une heure quinze de film. Le spectacle du 24 mars 2013, à la Cité, se nomme Quai de scènes. C’est une ballade romanesque sur les quais de Paris, sur les musiques les plus emblématiques d’Alexandre. Il ne voulait pas faire les arrangements, il était très gêné de retravailler ses œuvres, ce qui est normal. C’est Nicolas Charron, bassiste à l’Opéra de Paris, qui a fait les orchestrations, Alexandre y a mis sa patte…il a supervisé.  Il y a trois références fugitives sur le cinéma dans ce spectacle : « Les Amants du Pont Neuf » de Leos Carax, « Césarée » de Marguerite Duras, et « L’Eloge de L’Amour » de Jean-Luc Godard… »

Violoniste exigeante Dominique Lemonnier n’est surtout pas la femme dans l’ombre de son mari et compositeur Alexandre Desplat.  Elle est le violon solo de la plupart de ses compositions, et sur les projets enregistrés à l’étranger elle se transforme en booth producer.

« Avec Alexandre nous sommes des Etats associés et non colonisés. On a des espaces proches et différents ! »

Avec Traffic Quintet, elle donne à la musique de film une autre dimension en l’associant à des projets artistiques inattendus, une autre manière de la faire exister et connaître.

Le téléphone sonne…Que fais-tu ? J’arrive…Alexandre s’inquiète que sa collaboratrice ne soit pas encore à la maison? Il est près de 21heures…

« Vous allez en faire quinze lignes de tout ça » me dit-elle en partant…en souriant…

Pour finir en musique, on peut toujours écouter les deux disques qui ont été enregistrés, hélas sans les images trafiquées :

TRAFFIC QUINTET « Nouvelles Vagues » Naïve V 5093

TRAFIC QUINTET « Divine Féminin » Galilea Music / Universal n° 476419-9

 

Ainsi qu’une compilation DESPLAT /AUDIARD Play Time/ FGL Productions n°Pl 0605102

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

EXPO

 

Exposition Musique & Cinéma « Le mariage du siècle ? » à la Cité de la musique, à Paris.

 

 

Je ne suis peut-être pas très objectif pour parler de cette exposition. Allez-y, c’est sûr qu’elle est passionnante ! Maintenant est-ce qu’elle peut intéresser un public lambda oui et non ? Je m’explique : savoir que Rota et Fellini, Desplat et Audiard, Herrmann et Hitchcock, Horner et Cameron, Elfman et Burton… sont des couples compositeur/réalisateur qui ont toujours travaillé ensemble, est-ce essentiel ? Je ne le pense pas. Voir une partition et une feuille de mixage pas plus, sauf pour les amoureux du cinéma, et surtout ceux qui apprécient vraiment la musique de film. Savoir comment celle-ci est composée, mixée, on peut très bien ne pas être intéressé, et on peut le comprendre. Bref, je veux dire que le côté pédagogique et historique, qui est l’axe de cette exposition, peut être rébarbatif, même vieillot et nostalgique ; une expo pour les happy few.  On sent trop le spécialiste. Par contre, ce qui est novateur, et qui plaira, c’est le côté interactif. Voir et entendre une scène avec une musique connue (« 2001 Odysée de l’Espace » par exemple), puis voir cette même séquence avec la musique originale écrite pour le film, et que le réalisateur a refusée, là c’est passionnant. On voit comment le climat d’une séquence peut changer grâce à l’apport d’une musique (Herrmann et le Rideau Déchiré : Hitchcock ne voulait plus de Herrmann, et la séquence choisie est muette dans le film). On peut, sur une séquence de « Sur mes Lèvres » d’Audiard, jouer au mixeur et faire entrer tels ou tels sons ou musique à sa guise. La scénographie est sympathique, les séquences vidéo intéressantes. Mais ce qu’on entend et qui retient l’attention, c’est le montage de génériques avec leurs musiques devenues célèbres, ou peut-être inconnues par les visiteurs, mais qui interpellent. On va de « Breakfast at Tiffani » à « Vertigo », en passant par « Do the Right Thing », avec un réel bonheur. La musique envahit l’espace. Il y a beaucoup de vidéos ainsi que des interviews. Mais le clou de l’exposition, et qui attirera du monde, se trouve au sous-sol, là où des extraits de films et leur tube musical sont projetés sur trois immenses écrans avec explication vidéo sur le titre du film, le compositeur, le réalisateur et l’année. Films français, américains, japonais, chinois, argentins, russes, coréens, italiens… une heure de musiques originales ou classiques magnifiques ! C’est par là qu'il faut commencer l’exposition. Puis si on a envie de comprendre comment se réalise cette magie images /sons, il faut  entrer dans l’expo elle-même. Quand au mariage du siècle, il faut aller voir Blancanieves, toujours à l’affiche, pour comprendre le rôle important de la musique dans l’histoire du cinéma dès ses débuts.

 

Renseignements : Cité de la musique,  Boulevard Jean-Jaurès, 75019 Paris. Jusqu'au 18 août 2013.

 

Stéphane Loison.

 

CONCERTS

 

Concerts à la Cité de la musique, dans le cadre de l'Exposition Musique et cinéma.

 

Film Noir  : Stéphan Oliva, piano, Philippe Truffault, vidéaste

 

Stephan Oliva s’est distingué comme pianiste de jazz dans les années 90. Il a joué en solo et en trio avec des musiciens comme Paul Motian, Marc Ducret, Bruno Chevillon. Il a apprécié improviser sur des thèmes de musiques de film connus, et jouer ses propres compositions. C’est en l’écoutant que Jacques Maillot lui a proposé de composer la musique de ses films « Froid Comme l’Eté » et « Frères de Sang ». En 2010, avec son album Film Noir il a revisité les musiques du cinéma dit « noir » américain comme « Laura », « La Soif du Mal », « Vertigo », « Le Baiser du Tueur », « Assurance sur la Mort », « The Asphalt Jungle »… Lors du concert du 21 mars, il a repris tous ces thèmes au piano et a improvisé face à des séquences choisies de ces films. Philippe Truffault a manipulé, déstructuré ces images en direct. Procédé répétitif, doublage de l’image, floutage, ralentissement, grossissement, recadrage, toute une palette visuelle nous est proposée par ce vidéaste-réalisateur-directeur artistique qui s’est occupé en son temps de l’habillage de La Sept, avant que cette chaîne devienne Arte. Les premières quinze minutes furent lénifiantes au niveau musical, malgré les superbes thèmes de John Lewis, Raksin, Rozsa, Tiomkin, Waxman, du « lourd » hollywoodien. Les improvisations d’Oliva n’étaient pas très inventives, et mes voisins somnolaient silencieusement. Avec le portrait de Robert Ryan et les images de « La Nuit du Chasseur », le pianiste s’est révélé plus inventif, peut-être lui fallait-il un moment pour être dans le noir ? Avec le magnifique thème de « Vertigo », de Herrmann, et le travail sur l’image de Truffault sur la scène du pseudo suicide face au Golden Gate Bridge, le spectacle prenait la bonne direction, celle de nous entrainer dans un espace onirique. Les images allant jusqu’à l’abstrait nous plongeaient dans un univers fantasmagorique, un mash-up réussi. Le pianiste, inspiré, avait des accents à la Bill Evans. Le mariage de la musique et de l’image fut réussi avec la dernière séquence, un peu courte, un hommage à Gene Tierney, l’inoubliable Laura sur une composition de Stéphan Oliva.  A la sortie, certains auditeurs n’appréciaient pas ce genre d’exercice : « Spectacle pour des connaisseurs ! », « Trop élitiste ! » « Pourquoi trafiquer l’image ? » «  On ne savait pas quelle musique on écoutait et quel film on regardait ! On était perdu, ça ne nous a pas plu », « La Cité de la Musique n’est pas faite pour nous ». Tout n’est pas à rejeter dans ces avis. Pour regarder ce genre de spectacle, et pour l'apprécier pleinement, il faut effectivement une certaine éducation musicale et cinématographique, ou alors pouvoir se laisser aller dans cet univers, cette mise en abîme poétique. On accepte qu’en musique on puisse faire des improvisations. On a encore du mal à accepter ce principe avec l’image. Et sur l’écrit n’en parlons pas !

On peut écouter les deux disques qu’a enregistrés Stephan Oliva, bien qu’ils furent édités en série limitée :

En 2007, Ghosts of Bernard Herrmann - Illusion ILL 313002

En 2010, Film Noir  - Illusion ILL313005.

Stéphane Loison.

 

Hollywood Mon Amour, de Marc Collin, en concert, dans le cadre du cycle « Musique et Cinéma », A la Cité de la Musique à Paris

 

Marc Collin, direction artistique, claviers, Olivier Smith, basse, Sébastien Brun, guitare, Liset Alea et Elogie Frégé, chant.

 

 

Marc Collin est un électron libre, touche à tout dans la musique : il est compositeur de pop de tous styles, de musique de film, arrangeur et producteur. En 2008, il enregistre un album « Hollywood Mon Amour » où il reprend les chansons les plus célèbres des années 80, et en fait des arrangements pop-rock-cool wave. On peut y entendre Rocky, Flashdance, Footloose, Mad Max, For your Eyes Only, Purple rain, American Gigolo, A View to a Kill… Pour l’ouverture des concerts de musiques de films, la Cité de la musique a choisi de demander à Marc Collin de jouer sur scène l’album ainsi que d’autres thèmes. Pendant une heure son groupe propose ces thèmes bien connus dans des arrangements originaux très éloignés de ceux de l’époque. Le son est d’aujourd’hui, avec guitare saturée à la manière de Neil Young, basse au son énorme, batterie très présente, et deux chanteuses bien en place, vocalement et scéniquement. Le spectacle lumière est efficace, violent, monochrome, variant à chaque morceau. Il n'y a pas de temps mort entre les chansons et les intros guitare-clavier nous laissent pas loisir de reconnaître les thèmes, car souvent ils ne sont pas pris dans le tempo original. « Flasdance  » ou le tube « cultissime » de « Rocky, », « Eye of the Tigger » pris avec un tempo lent, sont vraiment méconnaissables de prime abord mais superbement exécutés. Le spectacle se termine avec un arrangement délirant de « Gostbusters », où la guitare ne fait que suggérer le morceau en jouant quelques notes accompagnées par des accords stridents. Les deux chanteuses masquées disent les paroles et se roulent par terre. Un moment digne d’un concert punk. Le public est ravi et en redemande. On pourra retrouver le groupe de Marc Collin au mois d’octobre, au Louxor, ce futur grand complexe cinématographique restauré, à Barbés Rochechouart dans le 18eme arrondissement de Paris. Marc Collin aime le cinéma, cela se sent, et dans sa musique et dans la mise en scène de ce spectacle. Une belle découverte pour les amateurs de BO.

 

Le disque correspondant au  spectacle est sorti en 2008 : « Hollywood Mon amour », Marc Collin. Production The Perfect Kiss. 1 CD Distribution Pias, n°135.

 

Stéphane Loison.

 

 

BO en CD's

 

 

Pour l’Oscar de la meilleure composition musicale 201, ont été nommés ANNA KARENINE de Dario Marianelli, ARGO d’Alexandre Desplat, LINCOLN de John Williams, L’ODYSEE DE PI de Mychael Danna, SKYFALL de Thomas Newman. Est-ce la meilleure qui a gagné? Y’a-t-il des absents ? Tout est affaire d’écoute et de succès du film. Les compositeurs de ces films sont tous les cinq très connus, ont déjà reçu des prix, donc pas de grande surprise en général par rapport à leur travail.  Un trait commun : il y a de l’exotisme dans toutes ces BO. Ces films sont faits pour l’international. Un zest de folklore russe pour Anna Karenine, Moyen Oriental pour Argo , Franco- Indo-Moyen Oriental pour L’Odyssée, Chino-Oriental pour Skyfall et du sud des E.U. pour Lincoln.  Le problème de ces musiques c’est qu’on a l’impression de déjà entendu.

 

 

ANNA KARENINE. Réalisation de Joe Wright. Musique de Dario Marianelli. 1CD Decca Records / Universal

Dario Marianelli est né à Pise le 21 juin 1663. Il est connu pour ses belles musiques romantiques, il en a écrites plus d’une cinquantaine dont  Les Frères Grimm de Therry Gillian, Orgueil et Préjugés (jouée au piano par Jean-Yves Thibaudet) et Reviens Moi de Joe Wright. Cette dernière a reçu un Oscar bien mérité. En partant d’une valse à la manière de celle de la suite « jazz » de Chostakovitch, Marianellei fait une suite « thème et variations », comme souvent, selon les humeurs des protagonistes et le déroulement de l’histoire : Variations avec grand orchestre, petite formation, au piano, à l’accordéon, au violon en solo… Elles passent du bonheur, aux accents tragiques, aux larmes. Le thème est beau, mais trop ressemblant à celui du compositeur russe, ce qui gâche l’écoute du CD. Il nous offre en plus quelques morceaux « folkloriques » chantés. Si dans le film, la musique colle à la beauté des images et des costumes, sur un disque le côté répétitif peut lasser. Le compositeur classique Rodion Chtchedrine, contestable politiquement, avait fait une musique beaucoup plus inventive dans le superbe film sur le même sujet, avec la magnifique Tatiana Samoilova en Anna.

 

 

ARGO. Réalisation Ben Affleck Musique d’Alexandre Desplat. 1CD

Watertower Music n°WTM39382.

Alexandre Desplat est un des compositeurs les plus demandés aujourd’hui. Il est le préféré de Jacques Audiard avec qui il a fait pratiquement tous ses films. La musique de ce film est conforme à la réalisation : efficace. On est en Iran, donc on commence avec une musique « exotique », et comme c’est un thriller dramatique, une orchestration suggère ce qui va se passer dans la suite du film. Le générique est parfait. « Argo » a eu un Oscar pour le film : on peut se demander pourquoi, une affaire politique ? La musique de Desplat, nommée, n’est pas sa plus originale. Il a eu plusieurs orchestrateurs à son service. Elle ne restera pas comme une grande BO. Desplat était à la cérémonie des Oscars, pensant peut–être qu’il avait une chance face aux autres. Le jury a fait le bon choix avec celle de l’Odysée de Pi. Quand au César 2013 de la musique, pour de Rouille et d’Os, il n’y croyait pas vraiment. Elle est tellement discrète qu’on peut se demander comment votent les membres des Césars. Le générique du film est cependant magnifique, pas exploité ensuite, dommage. Le moment musical avec l’orque, et Marion Cotillard, est du grand Desplat. Il est, n’en doutons pas, un très grand compositeur, dans la lignée des autres Français qui ont été reconnus, avant lui, à Hollywood.

 

 

LINCOLN. Réalisation de Steven Spielberg. Musique de John Williams.1CD Sony Classical n° 88725446852

Avec ce genre de film à la gloire des Etats-Unis, John Williams, le plus grand compositeur vivant de musique de film, écrit une musique dans la tradition des studios hollywoodiens d’antan. Rien ne nous épargné dans la redondance, dans l’explication de texte musical, surjouant la lenteur de la mise en scène, le jeu des acteurs. John Williams, pour ceux qui connaissent sa musique, se plagie sans cesse, nous offre une musique boursouflée, sans imagination, et ajoute à l’ennui que procure le film. On est à l’écoute d'un mauvais Copland ! A oublier très vite. Qu’il refasse du Tintin, où la richesse orchestrale et thématique servait parfaitement le film. Peut-être que Lincoln ne l’inspirait pas ?

 

 

L’ODYSSEE DE PI. Réalisation d’Ang Lee. Musique de Mychael Danna.1CD Sony Classical n°88725477252.

Mychael Danna est un compositeur canadien. Il obtient, en 1985, le prix de composition universitaire Glenn Gould. Il compose pour le canadien d’origine arménienne, Atom Egoyan (magnifique musique d’Exotica 1994). En 1997, il a déjà travaillé avec Ang Lee sur Ice Storm,  et a composé la musique de cette superbe comédie Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valérie Faris, et ce petit bijou de comédie douce-amère, 500 jours ensemble de  Marc Webb. La musique qu’il a faite pour le film The Imaginarium of Dr. Parnassus de Terry Gilliam est d’une grande originalité. Celle pour l’Odysée de Pi a été plusieurs fois récompensée. Elle est intéressante à plusieurs niveaux. Par le choix des instruments et par la conception harmonique des morceaux. On y trouve des thèmes « exotiques » bien sûr, en premier lieu indien avec emploi de la bansuri, cette flûte traversière caractéristique qui représente Pi, la sitar et les percussions. Selon l’évolution du scénario, on retrouve des instruments balinais tels que les gamelans, ou français avec l’accordéon, et pour le Moyen-Orient, la flûte persane. Pour le côté « religieux », on entend des chœurs, dont ceux d’enfants. Tous ces instruments sont employés avec beaucoup d’astuce et de précision pour décrire les caractères représentés à l’image, le déroulement des scènes et l’état d’esprit dans lequel le héros se trouve au cours de son odyssée. Sans l’image, la puissance de la musique, les leitmotivs représentant les personnages perdent de leur force. Le mélange musical des thèmes « religions » est d’une grande beauté.  Ce qui est attachant dans le travail de Danna, est sa manière de mixer tous ces instruments et voix, qui procurent un vrai plaisir auditif, même si les morceaux sont très courts. Il y aurait du Maurice Jarre (inconsciemment) quelque part que cela n’étonnerait pas. Ensuite, les intentions philosophiques, religieuses, sont-elles présentes à la seule écoute du disque, on n’y crois pas. Mais le disque est très agréable à entendre. Sur les cinq nommés, assurément la musique de Mychael Danna méritait l’Oscar.

 

 

SKYFALL. Réalisation de Sam Mendes. Musique de Thomas Newman.1CD MGM/Columbia Pictures / Sony Classical n°88725446852.

Fils du célèbre compositeur Alfred Newman, Thomas fait partie de la grande dynastie Newman, musiciens d’Hollywood, avec le frère, la sœur, les cousins…La liste des films auxquels il a participé est longue, depuis son premier film Reckless. Il a été très souvent nommé (il est un des plus nommés), mais n’a toujours pas reçu la récompense suprême. Il a déjà travaillé avec Sam Mendes pour American Beauty. Faire une musique pour un James Bond est toujours un exercice de style. John Barry y a mis son empreinte avec onze films à son actif – L'origine du fameux thème est une chanson nommée Bad Sign, Good Sign composée par Monty Norman pour une comédie musicale qui n’a jamais vu le jour. Lorsque les producteurs Albert R.Broccoli et Harry Saltzman lui proposèrent d'écrire la musique du premier film Dr.No, Monty Norman utilisa la mélodie de base de cette chanson. John Barry était l'orchestrateur du film. Il modifia la mélodie pour en faire le thème connu. A la suite de Barry, David Arnold est le second compositeur le plus important de la série. Il a composé la musique de cinq James Bond, de Demain ne meurt jamais à Quantum of Solace. Ses orchestrations combinant des éléments rythmiques électroniques ont donné l'identité musicale des James Bond avec Pierre Brosnan. Les autres compositeurs de la saga sont George Martin, Bill Conti, Michael Kamen, Marvin Hamlisch, Eric Serra. Bref, du meilleur au pire. La chanson d’Adèle a gagné l’Oscar, et le jury a eu bien raison. D’ailleurs elle sera la chanteuse du prochain James Bond. Le travail de Newman (il n’a pas participé à la chanson) est quelques fois intéressant, mais les thèmes dramatiques d’actions sont peu originaux  : les cordes répétitives en crescendo, comme sait nous les infliger Zimmer. Heureusement, le thème vient au secours de l’inspiration du compositeur. On est loin d’une musique de James Bond. Il nous fait regretter Arnold ! Espérons que si Nolan est le prochain réalisateur, il ne nous infligera pas Hans Zimmer, qui devient, hélas, la référence en terme de films d’action.

 

LES MISERABLES. Réalisation de Tom Hooper. Musique de Boublil et Schönberg.1CD Universal / Polydor Music n°3724585

L’aventure de cette comédie musicale est assez impressionnante : écrite par deux Français et boudée chez nous, elle fait un tabac Outre-Manche et Outre Atlantique. Aujourd’hui le film bat tous les records au box-office! Quel casting ! Deux australiens exceptionnels : Hugh Jackman, qui vient de la comédie musicale, et Russell Crowe, pour le couple Valjean/Javert,  Anne Hathaway, poignante Fantine (un oscar pour le rôle). Le réalisateur Tom Hooper n’est pas plus inspiré que dans le Discours d’un Roi.  C’est un film à écouter. Pour Hugh Jackman, connu par toute une génération pour être Wolverine de la série Xmen, et pour le tube « I dreamed a dream », bouleversant, on aura du plaisir à écouter ce disque. A noter qu’ Anne Dudley et Stephen Metcalfe, deux des plus talentueux arrangeurs anglais pour la pop musique et les comédies musicales, ont fait les nouvelles orchestrations.

 

 

BEAUTIFUL CREATURES. Réalisation de Richard LaGravenese. Musique de Thenew. 1CD Sony Classical n°88765477152

Même si le film n’a pas eu le succès attendu, la musique, à elle seule, vaut l’écoute, car ce groupe a du talent. Efficace, c’est un album concept avec des ambiances électro, rock alternatif, qui rappelle le sound anglais des années 90. Ce groupe existe depuis 2006 et a sorti déjà deux albums. La musique et les trucages fous du film s’accordent vraiment bien. On peut considérer cet album comme leur troisième. Le bluesman Ben Harper est présent dans un morceau « Run To Me ». A beautiful record !

 

 

A GOOD DAY TO DIE HARD. Réalisation de John Moore. Musique de Mario Beltrami1 CD Sony Classical n°88765437122A GOOD DAY TO DIE HARD

Marco Beltrami a étudié la musique sous la direction de Jerry Goldsmith à l’Université de Los Angeles. C’est en 1996 qu’il s’est fait connaître en devenant le compositeur de Scream, réalisé par Wes Craven, et se spécialise dans les films d’horreur et policier. Depuis la mort de Michael Kamen il compose la musique de la série « Die Hard », dont ce dernier opus. Sa musique est très reconnaissable par son coté percussif, excessif. Pour ce genre de film où bastons et courses poursuites sont l’essentiel du scénario, ce matraquage musical à base de percussions, de cuivres, renforce et aide le montage image sans essayer d’en donner un autre sens. De l’action, de l’action ! Le film de John Moore est assez indigent et ce n’est pas le travail redondant de Beltrami qui va le sauver. Le thème lent « father & son » est de belle facture, mais il ne dure qu’une minute vingt-quatre ! Les dernières plages du disque sont audibles et ces quelques morceaux donnent un peu de relief aux scènes dont la mise en scène est approximative.

 

 

LE MAGICIEN D’OZ. Réalisation de Victor Fleming. Musique d’Harold Arlen.1 CD Milan / Universal n°399468-2

Avec la sortie du film de Sam Raimi « Le Monde Fantastique d’Oz » (musique de Danny Elfman), les éditions Milan offrent un album avec la musique « oscarisée » du film de Victor Fleming de 1938. La fameuse chanson chantée par Judy Garland, « Somewhere Over the Rainbow », a fait le succès de cette immense interprète. Judy Garland est aussi dans l’autre bande originale que propose ce CD, celle de Star in Born, un des plus beaux mélos, chef d’œuvre du cinéma réalisé par George Cukor. Les chansons de Arlen, comme le tube « The Man that Got Away » sont inoubliables. Ce « torch song », Garland l’a chanté toute sa vie. Elle a raté l’oscar pour le rôle. Il fut attribué à Grace Kelly pour un film oublié aujourd’hui, « The country Girl ». Ce fut un vrai scandale à l’époque (1954), « Le plus grand vol jamais effectué »,  avait déclaré Groucho Marx ! Harold Arlen a écrit près de 500 chansons et certaines sont très célèbres. Il y a quelques succès de cet auteur en bonus, chantés par Sinatra, Nat King Cole, Garland…Un CD « collector » à se procurer très vite.

 

 

CLOUD ATLAS. Réalisateur Tom Tykwer, avec Lola & Andy Wachowski. Musique de Tom Tykwer, Johnny Klimek, Reinhold Heil. 1CD Sony Classical  n° 88765411202

Tom Tykwer est un réalisateur et compositeur allemand, connu pour des films tels que « Run Lola Run » (1998) et Le Parfum (2006). Les Wachowski sont devenus célèbres pour leur série Matrix. Pour la musique Tykwer est accompagné par son équipe composée de Johnny Klimek et Reinhold. Pour la partie orchestrale,c’est l’orchestre symphonique de la radio de Leipzig qui joue la partition, sous la direction du talentueux Kristjan Järvi, fils de Neeme, et frère de Paavo, le directeur musical de l’Orchestre de Paris. Cloud Atlas raconte six histoires différentes qui se déroulent sur six périodes du XIXème siècle jusqu'à un avenir très éloigné. La musique a un rôle essentiel dans le film. Il y a une pièce, composée par un des héros, et qui s’appelle Cloud Atlas, un concerto romantique pour piano et orchestre. C’est cette musique qui sert de base mélodique pour toutes les époques, et qui donne une cohérence. Il n’y a pas de style selon les époques. Musiques synthétisés sur base de cordes, instruments électroniques, voix, variations sur le thème au piano, sont à la base des orchestrations, qui permettent à l’image de passer d’une histoire à une autre. C’est ce que l’on entend dans « All boudaries are conventions » par exemple. L’orchestre sonne magnifiquement sous la baguette de  Järvi. « Chasing Luisa Rey » est une succession rapide entre les années 1936, 2144, 2346. Percussions, cors, séquenceurs se mélangent au fur et à mesure de l’action avec une pulsation apportée par les cordes, sans rupture. Les séquences « Death is only a door  » ou «  Cloud Atlas Finale » sont d’un romantisme allemand à émouvoir. C’est le but après tout de ces séquences. Ce film fleuve a la musique qu’il mérite, et on ne va pas s’en plaindre. Elle aurait pu être un peu plus inventive, mais le disque est quand même agréable à écouter, et permet de retrouver les moments forts de ce film, plus étrange que la BO.

 

 

Stéphane Loison.

 

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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A découvrir :

 

 

YAMAHA : l’innovation Silent

 

 

 

Vingt ans après la création de son premier piano Silent™, Yamaha récidive et innove avec son nouveau piano équipé du système Silent SH : jouer en silence sur un piano, enregistrer ses créations et les partager en quelques clics.

Yamaha connu pour être le leader mondial de la technologie dédiée aux instruments  de musique créé la surprise avec deux nouveaux systèmes : Silent™ SH et Silent™SG2 (tous deux disponibles sur 24 modèles : pianos droits et à queue).

 

 

 

Le système Silent™ SH est le premier système à employer l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFX. Il permet d’enregistrer en différents formats (MIDI, ou audio) et de partager ses compositions sur les réseaux sociaux en quelques clics. Le pianiste devient un musicien qui s’exprime à travers le monde en temps réel.

Il bénéficie de nombreux avantages comme un échantillonnage numérique binaural procurant un effet 3D, une polyphonie multipliée par 8 soit 256 notes, 19 sonorités proposées, un casque hifi Yamaha HPH-200, prise USB en façade …

 

   

     

Le système Silent™ SG2 utilise, lui, l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFIIIS. Est doté de belles particularités comme un échantillonnage AWM, une polyphonie de 64 notes, 10 sons pour créer ses compositions et reproduire ses interprétations avec possibilité de modifier le niveau de réverbération, enregistrement en mode MIDI …

 

 

Information: fr.yamaha.com/silentpiano

 

 

 

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Passer une publicité. Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

Laëtitia Girard.
l.girard@editions-beauchesne.com

 

 

 

 

Projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com

 

Livres et CDs sont à envoyer à la rédaction de l’Education musicale : 7 cité du Cardinal Lemoine 75005 Paris

 

 

 

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