PAROLES D'AUTEUR : GEORGES MIGOT, L'ESTHÉTIQUE ET LE STYLE REPERES PÉDAGOGIQUES : À PROPOS DE LA PSYCHOPHONIE FESTIVALS ! LA SEMAINE MOZART À SALZBURG
L'AGENDA
2 / 3 au 17 / 6
Jean-Bernard Pommier joue l'intégrale des Sonates de Beethoven
S'il est un marathon dans le répertoire pianistique, c'est bien l'intégrale des Sonates de Beethoven. Jean-Bernard Pommier relève le défi de les jouer en huit séances dans le cadre intimiste de la salle Gaveau. Cette somme l'accompagne depuis ses débuts. Et l'exercice de l'intégrale, Jean-Bernard Pommier s'y livre régulièrement, comme il en fut pour les Sonates de Mozart ou les pièces de Mendelssohn, de Schumann et de Chopin. Il a choisi d'aborder les Sonates du maître de Bonn non pas à travers le prisme de la chronologie, mais en associant à chaque fois une pièce de la période dite de jeunesse, une pièce appartenant à celle de la maturité et une œuvre de la dernière phase créatrice, permettant ainsi de mettre en relief les évolutions et les subtilités harmoniques d'une sonate à l'autre. Par exemple, le programme du concert du 11 avril rapprochera-t-il les sonates op. 13, « Pathétique », op. 26, « Marche funèbre », op. 79, « alla Tedesca », et op. 101. Ces concerts seront donnés par paire, en mars, avril, mai et juin. Il faut aller écouter cet autre grand Monsieur du piano français que les salles parisiennes n'honorent pas toujours à sa juste valeur.
Salle Gaveau, les 2, 4 mars, 11, 13 avril, 27 mai, 4 juin, 15 et 17 juin 2015, à 20H30. Réservations : Billetterie Salle Gaveau, 45-47, rue La Boétie, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 53 05 07; en ligne : www.sallegaveau.com
8, 10, 13, 15, 17 / 3 & 21, 24, 26, 28, 30 / 4
La Ville morte et ses effluves musicaux inouïs
Inspiré de « Bruges-la-Morte », un roman, porté à la scène, du poète et dramaturge belge Georges Rodenbach, La Ville morte est une œuvre majeure de Erich Wolfgang Korngold (1897-1957). Entre rêve et réalité, atmosphère décadente et aspiration à la vie, quelques personnages y sont hautement burinés : le peintre Paul, l'actrice Marietta, en laquelle il voit sa femme Marie réincarnée. La musique est d'une veine imaginative intarissable, favorisée par une orchestration scintillante et des effluves mélodiques empruntant autant aux derniers romantiques, comme Richard Strauss, qu'aux musiciens de la modernité viennoise du début du XX ème siècle, dont Korngold sera un des champions, aux côtés de Schreker ou de Zemlinsky. Elle maintient l'illusion, ménage l'allégorie et la fantasmagorie. Ses multiples thèmes récurrents, tel celui de la ville de Bruges, étant, à la différence des Leitmotive wagnériens, destinés à instaurer des climats plus qu'à véhiculer les sentiments des personnages. La ligne vocale est flamboyante, digne de Puccini. La présente production, dans la régie de Philipp Himmelmann, initiée par l'Opéra de Nancy en 2010, y sera reprise, comme à l'Opéra de Nantes. La direction sera assurée dans les deux cas par Thomas Rösner, à la tête de la même distribution.
Opéra de Nantes, le 8 mars 2015 à 14H30, et les 10, 13, 15, 17/3 à 20H. Opéra de Nancy, les 21, 24, 28, 30 avril 2015, à 20H et le 26/4 à 15H Réservations : A Nantes : Théâtre Graslin, Place Graslin, 44000 Nantes ; par tel. : 02 40 69 77 18 ; en ligne : www.angers-nantes-opera.com A Nancy : Billetterie, 1 rue Sainte-Catherine, 54000 Nancy ; par tel. : 03 83 85 33 11 ; en ligne : opera@opera-national-lorraine.fr ou www.opera-national-lorraine.fr
11 / 3
A la découverte de JS. Bach au CRR 93
Dans le cadre de la thématique « Mémoire et Création » de sa présente saison, le Conservatoire à Rayonnement Régional du 93, Aubervilliers La Courneuve, donnera un concert autour d'œuvres de JS. Bach. Coordonné par Béatrice Garcia-Presle, professeure de piano, il proposera au public de découvrir le Cantor sous ses diverses facettes : Bach « pédagogue » avec les petites pièces pour clavier destinées aux apprentis pianistes, Bach « Inspirateur » à travers des pièces de compositeurs des périodes suivantes, jusqu'à Chopin, Bach « religieux » à travers ses chorals, Bach « précurseur », ou encore Bach « indémodable » lorsque le jazz réinvente ses œuvres. A cet effet seront réunies les classes de piano, de musique de chambre, de polyphonies vocales et de chant, mais aussi l'orchestre à cordes Sérénade du CRR.
Auditorium du CRR 93, 5 rue Édouard Poisson, 93300 Aubervillers, le 11 mars 2015, à 19H. Entrée libre. Réservations conseillées par tel. : 01 48 11 04 60 ou 01 43 11 21 10 ; en ligne reservations@crr93.fr
17 & 18 / 3
Jos van Immerseel en terres tchèques
L'orchestre Anima Eterna Brugge, dirigé par son fondateur et mentor Jos van Immerseel, s'en revient à Aix-en-Provence et à Dijon au milieu de leur tournée franco-belge de printemps. Ils ont mis au point un programme tchèque : La Moldau, extraite de « Ma Patrie », de Smetana, la Symphonie N° 9, « du Nouveau Monde » de Dvořák, et la Sinfonietta de Janacek. Nul doute que les rythmes slaves et les tonalités exubérantes de ces pages seront portées à l'incandescence par un chef qui aime faire table rase des traditions. Ces concerts seront au demeurant l'occasion de fêter les 70 ans du maestro belge, infatigable chercheur, animé d'une exigence quasi scientifique et d'un immense souci de virtuosité instrumentale. Au fil des ans, il a conduit son orchestre sur des sommets interprétatifs que beaucoup lui envient. A noter que ce programme sera capté pour le disque par le label Outhere, qui sort en ce moment un autre album consacré à la musique française, autour de la clarinette de Debussy, Pierné, Milhaud et Poulenc.
Grand Théâtre de Provence, le 17 mars 2105, à 20H30. Auditorium de Dijon, le 18 mars 2015, à 20H. Réservations : A Aix : 380, avenue Max Juvénal, 13100 Aix-en-Provence ; par tel.: 04 42 91 69 70 ; en ligne : lestheatres.net A Dijon : Billetterie, 11 Boulevard de Verdun, 21000 Dijon ; par tel.: 03 80 48 82 32 ; en ligne : opera-dijon.fr
18 / 3
Ivo Pogolerich : un récital attendu
Le pianiste Ivo Pogorelich se fait très rare. Raison de plus pour courir à la salle Gaveau écouter son prochain récital. De la race des anticonformistes, tenaillé par le souci de perfection au point de ne se concentrer que sur quelques pièces mûrement rodées, le pianiste croate a toujours soulevé les passions. Dès son apparition au Concours Chopin de Varsovie, où il déchaînera l'ire de Martha Argerich qui reconnaîtra son génie, puis « découvert » par Karajan, à Salzbourg, lors d'un concert en matinée de son Festival de Pâques, durant les années 1980, où il donnera une exécution mémorable de Gaspard de la nuit de Ravel, il rejoindra vite l'écurie du label Deutsche Grammophon pour quelques disques hors du commun. Puis ce fut brusquement le silence. Il ne le rompra que bien des années plus tard. Une sorte de renaissance. Il se produira à Paris, ce printemps, dans quatre pièces emblématiques chez lui : la Fantaisie en Ut majeur de Schumann, Après une lecture de Dante de Liszt, les Variations Paganini de Brahms et Petrouchka de Stravinsky.
Salle Gaveau, le 18 mars 2015, à 20H30. Réservations : Billetterie Salle Gaveau, 45-47, rue La Boétie, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 53 05 07; en ligne : www.sallegaveau.com
21 / 3
Journée européenne de la Musique Ancienne à Royaumont
Le 21 mars, jour anniversaire de la naissance de JS. Bach, a été choisi pour illustrer la Journée Européenne de la Musique Ancienne. La Fondation Royaumont organise une suite de trois concerts aussi originaux que passionnants. A 15 H, « Fenêtres sur cour(s) » présentera l'organettiste Guillermo Pérez et son ensemble Tasto Solo dans une expérimentation instrumentale autour du corpus de tablatures des chansons conservées dans le Coadex de Buxheimer (ca. 1640) avec la reconstruction d'une pratique privilégiant claviers et harpes. A 17H30, la claveciniste Jean Luc Ho, Premier Prix du CNSMDP et soliste et continuiste dans de nombreux ensembles, comme le Concert Spirituel, interprétera sur deux instruments différents les Partitas I et V de JS. Bach, au programme de son CD à paraître sous le label Nomade. Enfin, à 20H 45 l'ensemble belge Graindelavoix, en résidence à Royaumont, dirigé par Björn Schmelzer, abordera des chants sacrés de la Chapelle Palatine de Palerme au XIIe siècle. Un programme totalement original qui fera dialoguer les traditions catholique (italo normande), orthodoxe (Grèce byzantine) et musulmane (dynasties chiites, populations sunnites et pratiques soufies). Graindelavoix propose une révolution esthétique hors norme basée sur l'assimilation de nouvelles vocalités et d'approches inédites au cœur même de la tradition.
Abbaye de Royaumont, le 21 mars 2015 de 15H à 20H 45. Réservations : par tel. : 01 34 68 05 50 ; en ligne : www.royaumont.com
27 - 31 / 3
La XXX ème Semaine sainte en Arles
C'est à un programme exceptionnel que nous invite la Semaine sainte en Arles pour fêter son jubilé de perle. A la chapelle du Méjan, le 27 mars, l'ensemble Les Paladins dirigé par Jérôme Corréas donnera les Leçons de ténèbres de François Couperin. Écrites pour les religieuses de Longchamps, pour des voix de soprano, le compositeur disait que « toutes espèces de voix peuvent les chanter ». L'ensemble Coro Gabriel s'illustrera dans une soirée de « Polyphonie de Sardaigne », leur terre natale, avec des pièces accompagnées, entre autres, de la cetera, guitare sardo-corse à 16 cordes. Le Concert Spirituel conduit par son mentor Hervé Niquet s'attachera à faire revive la « Spiritualité du Grand Siècle », autour de Jean-Baptiste Lully, Louis Le Prince et Marc-Antoine Charpentier, dans le cadre des commémorations du 300ème anniversaire de la mort de Louis XIV, et ce avec uniquement des voix féminines (29/3). Pour le concert de clôture, le 31 mars, l'ensemble Costello, formé de musiciens des « Siècles », et la soprano Julia Doyle fêteront « L'Europe musicale à la fin du XVII ème siècle », sur des musiques de Tarquinio Meruja, Dario Costello, Alessandro Scarlatti, Johann Pachelbel, Dietrich Buxtehude, John Blow et Henry Purcell.
Chapelle du Méjan, Place Massillon, Arles, les 27, 28 et 31 mars 2015, à 20H30 et le 29/3 à 11H. Réservations : Association Le Méjan, BP 90038, 13633 Arles cedex ; par tel.: 04 90 49 56 78 : en ligne : mejan@actes-sud.fr
18, 20, 22, 24, 26 / 4
Dardanus à l'Opéra de Bordeaux
Des tragédies lyriques de Rameau, Dardanus (1739) pâtit sans doute d'une intrigue mythologique quelque peu naïve et factice, quoique bien construite et introduisant une large part de merveilleux. Mais elle ne leur cède en rien musicalement : elle contient une musique de choix, de la plus grande variété, et à bien des égards affirme une modernité qui la place devant des œuvres comme Hippolyte et Aricie ou Castor et Pollux. En particulier dans les interludes spécifiquement symphoniques, beaux prétextes à l'imagination chorégraphique. La nouvelle production bordelaise sera mise en scène par Michel Fau. Raphaël Pichon, à la tête de son ensemble Pygmalion, en assurera le volet musical : une étape importante dans le développement de cette formation, et point d'orgue de leur résidence à Bordeaux. C'est aussi un challenge essentiel pour ce jeune chef hyper talentueux en terres baroques. Enfin, la distribution est plus qu'attractive.
Opéra national de Bordeaux, les 18, 20, 22, 24 avril 2015, à 20H, et le 26/4 à 15H Réservations :Grand Théâtre, Place de la comédie, 33000 Bordeaux ; par tel. : 05 56 00 85 95 ; en ligne : www.opera-bordeaux.com
La saison 2015/2016 de l'OnP : Oser le bonheur
Pour la première saison entièrement concoctée de sa main, Stéphane Lissner fait fort. Le projet artistique réalise un subtil équilibre entre nouvelles productions et reprises. L'appel à des metteurs en scène qui comptent sur la scène internationale : les Klaus Guth, Stefan Herheim, Calixto Bieito, Alex Ollé, Romeo Castellucci, Alvis Hermanis, Katie Mitchell. La confirmation que la porte reste ouverte à des régisseurs consacrés tels que Krysztof Warlikowski, Dmitri Tcherniakov, Damiano Michieletto Laurent Pelly, Olivier Py, Robert Wilson, Robert Carsen, Benoit Jacquot. Côté chefs d'orchestre, outre le directeur musical Philippe Jordan, pour seulement quatre spectacles d'opéra, on verra à la manœuvre Marc Minkowki, Patrick Lang, Alain Altinoglu et Daniel Oren, et le retour de Alain Lombard et surtout de Esa-Pekka Salonen, et de nouveaux venus comme Ingo Metzmacher. Chez ceux appelés à diriger l'opéra italien, si des noms connus apparaissent comme Fabio Luisi et Daniele Callegari, des talents émergents se verront confier les rênes, tels Daniele Rustioni ou Giacomo Sagripanti ; encore qu'on espère l'implication en ce domaine de personnalités marquantes telles que Minkowski précisément qui a montré une belle empathie avec l'opéra ultramontin. Et que dire, pour enrichir le panel, de chefs, chéris à Aix ou à Milan, comme Daniel Barenboim et Simon Rattle, et pourquoi pas le retour de l'incontournable Valery Gergiev. Car cette saison 2015/2016 est nul doute le premier jalon, fort brillant, d'une tenure s'inscrivant dans le durée : on parle d'une intégrale des opéras de Berlioz, qui serait couronnée par Les Troyens, et une focale grande ouverte sur Wagner par exemple. On murmure déjà la possibilité d'un nouveau Ring ! L'ambition est de faire de l'OnP plus qu'une scène qui compte au niveau international, la première, estime son ardent directeur. Pourquoi pas. L'idée du « festival permanent », naguère choyée par Lissner, alors en charge du Châtelet, retrouve toute sa vigueur. Peu de directeurs de maison d'opéra ont la chance de disposer de deux scènes comme le sont Bastille et Garnier pour oser leurs projets.
L'opéra italien se tire la part du lion. Il est symptomatique que les festivités s'ouvrent, en septembre, par Madama Butterfly, un beau clin d'œil à la continuité, la régie légendaire de Bob Wilson n'étant plus à louanger. On verra donner la « Trilogie » de Verdi, avec de nouvelles productions de Il Trovatore et de Rigoletto, et la reprise de La Traviata ; mais aussi d'Aïda, vue par un Olivier Py pas toujours très inspiré, comme de Il Barbiere di Siviglia, et de l'Elisir d'amore, décortiqué par un Pelly diablement en verve, que le couple Alagna-Kurzak portera encore à l'incandescence. Enfin, le Don Giovanni conçu par Michael Haneke, pour la dernière fois à Bastille, Lissner lui-même pensant que ce spectacle est plus à l'aise à Garnier, pour lequel il a été conçu. L'opéra français est représenté par la reprise de Platée dans le fameuse et irrésistible pochade imaginée par Pelly, et celle de Werther tel que suprêmement peint par Benoit Jacquot, puis de La Damnation de Faust due à Alvis Hermanis et dirigée par Philippe Jordan, et de La Voix humaine de Poulenc, couplée avec Le château de Barbe-Bleu de Bartok, un rapprochement inédit, pas si hasardeux pourtant. Enfin, le secteur germanique verra les reprises de Der Rosenkavalier et de Capriccio de Strauss, et trois premières : Die Meistersinger von Nürnberg, enfin de retour scéniquement à l'Opéra de Paris, dans la production créée par Stefan Herheim pour le Festival de Salzbourg 2012, et sous la baguette de Philippe Jordan ; une prestation attendue, avant qu'il ne la réédite à Bayreuth en 2017. Puis de Moïse et Aaron, là encore un formidable challenge (Castellucci-Jordan), et la création parisienne, sinon française de Lear de Aribert Reimann, Bo Skhovus assurant le rôle titre créé par Dietrich Fischer Dieskau à Munich.
Deux spectacles méritent encore une attention particulière: une soirée reconstituant la création en 1892, au Théâtre Mariinki de l'opéra Iolanta de Tchaikovski et de son ballet Casse Noisette. Pour l'occasion, outre l'équipe Tcherniakov-Altinoglu, on convoquera plusieurs chorégraphes et les forces combinées du lyrique et du ballet de l'OnP. Et la création française de Vol retour de Joanna Lee, à l'Amphithéâtre Bastille. La programmation des concerts n'est pas moins singulière, destinée qu'elle est à mettre en miroir le Moïse et Aaron de Schoenberg avec d'autres de ses compositions, telles que les Gurrelieder qui seront dirigés par Jordan, à la Philharmonie de Paris, les Variations pour orchestre op. 31, Pierrot lunaire et le Quatuor à cordes op 10. Enfin, les récitals à Garnier présenteront la fine fleur : Natalie Dessay, Elina Garanča, Diana Damrau, Renée Fleming et René Pape. Osons donc sans complexe une immersion à l'Opéra de Paris !
Jean-Pierre Robert.
***
PAROLES D'AUTEUR
Georges MIGOT: l'esthétique et le
style Cet
article propose une étude des caractères esthétiques et stylistiques du
compositeur français Georges Migot, un artiste méconnu du XXe siècle, à
l'instar de maints créateurs parmi ses contemporains qui se sont tenus pour
beaucoup en marge des mouvements dits d'avant-garde, et que l'on redécouvre
progressivement au fil des ans. Quelques éléments biographiques ainsi que les
étapes déterminantes de sa formation intellectuelle et artistique seront
exposés au préalable, permettant de situer une riche personnalité à l'œuvre
prolifique qui, à l'écart aussi des débats de son époque, s'est forgée un
langage tout à fait original. Éléments
biographiques - formation Né le 27 février 1891 à Paris, Georges
Migot est mort le 5 janvier 1976 à Levallois. Il a été très tôt attiré par la
musique, et notamment la musique religieuse. Sa mère rapporte qu'à l'âge de 2
ans, à l'écoute d'une pièce religieuse, son fils avait eu cette
réflexion : « la Musique pleure ». Son père était pasteur et
médecin, ceci expliquant indéniablement la profonde foi du compositeur ainsi
que le nombre de pièces religieuses dans son œuvre. C'est aussi de son père
qu'il héritera du goût de la peinture qu'il pratiqua. Celui-ci était en effet
féru de cet art et s'y adonna également. Pour sa formation de musicien, Céleste
Marchal, une proche de la famille Migot, jouera un grand rôle et marquera toute
sa vie. Son décès en 1944 affectera profondément et durablement Migot. Elle fut
son premier professeur de piano et décela rapidement les dons exceptionnels de
son élève. Elle s'avèrera aussi un véritable guide culturel et intellectuel.
Son protégé dira d'ailleurs d'elle : « Elle a fait ce que je
suis ». Georges Migot entra au Conservatoire National
Supérieur de Musique de Paris dès 1909. Il fut autorisé par le directeur
d'alors, Gabriel Fauré, à assister comme auditeur à toutes les classes
instrumentales. Il prenait parallèlement des cours privés d'harmonie avec Jules
Bouval et de contrepoint avec Jean-Baptiste Ganaye. En 1913, il intégra les classes de composition de
Charles-Marie Widor, de contrepoint et fugue d'André Gédalge, d'histoire de la
musique de Maurice Emmanuel. Mais il interrompra ses études à la fin de cette
même année, pour effectuer sa formation militaire puis en raison de la guerre.
Il travailla donc d'une manière autonome durant cette période. Il reprendra son
cursus au Conservatoire après la guerre, mais pour une année incomplète, en
1920-21. La célèbre pianiste et pédagogue Nadia Boulanger suivit attentivement
le début de sa carrière, supervisant notamment sa préparation du Prix de Rome.
Ses tentatives pour obtenir de concourir se soldèrent toutefois par des échecs,
à l'instar d'autres grands noms. Il sera en revanche récompensé à plusieurs
reprises pour ses œuvres, recevant en l'espace de trois années le Prix Lépaulle pour son Trio
pour violon, alto et piano en 1919, le Prix Halphen pour le Quintette ''Les Agrestides''
en 1920, enfin en 1921 le Prix de la Fondation Blumenthal pour la pensée et
l'art français. En 1958, comme un couronnement de sa carrière bien qu'il ait
encore dix-huit années de création devant lui, la SACEM lui attribuera le Grand
Prix de la musique française pour l'ensemble de son œuvre.
Deux personnalités marqueront son
orientation esthétique. Henry Expert, son condisciple au conservatoire,
spécialiste de la Renaissance qui aura une part active dans l'édition de la
musique de cette période, le confortera dans sa conviction d'une musique
linéaire(1), Maurice Emmanuel l'influencera
dans l'utilisation de la modalité. Migot, ne souscrivant guère aux modèles
dominants d'alors, et surtout ne voulant pas se soumettre à un dictat
artistique, avait toutefois très tôt posé les fondements de son langage. Dès
les années 1920, un critique américain, Irwin Schwerke,
affirmait ainsi l'originalité et la singularité de Migot, parlant à son sujet
de « Groupe du Un ». Un
artiste multiforme Immense musicien, Georges Migot se montra
également talentueux dans d'autres domaines, s'érigeant aussi
philosophe-esthéticien, poète et peintre. Une très grande érudition
(entre autre une connaissance approfondie du monde antique) ainsi qu'un ardent
amour de l'homme, de la nature humaine, le situent d'ailleurs à l'égal des plus grands humanistes de la Renaissance.
Un tempérament en outre tourné vers la spiritualité voire le mysticisme faisait
dire au musicologue Marcel Beaufils
qu'il était « un homme de son temps accordé aux dimensions mystiques du
Moyen Âge »(2). Migot est ainsi l'auteur de plusieurs
ouvrages se rapportant à la musique, à l'architecture, ainsi que de quelques
écrits d'orientation philosophique. Dès 1920 parurent ses Essais pour une esthétique générale, réflexion d'esthéticien
portant principalement sur l'architecture et la sculpture qui témoigne déjà de
la singularité de sa démarche. Trois recueils consacrés exclusivement à la
musique, les Appoggiatures résolues et
non résolues, verront le jour dans la décennie suivante, respectivement en
1922, 1923 et 1931. Trois des quatre volumes des Écrits de Georges Migot suivront en 1932. Le quatrième, qui établit
une seconde mouture augmentée des Essais…
de 1920, sera édité en 1937. Même si elles se rapportent davantage à sa
première période de production, ces deux séries d'ouvrages posent déjà bien les assises d'un langage que la maturité
confirmera et approfondira dans ses orientations essentielles. Six ans avant la
mort du musicien, en 1970, sera publié un opuscule d'ordre philosophique
intitulé Kaléidoscope et Miroirs -
Matériaux et inscriptions, présentant une succession de pensées
aphoristiques(3) relevant de la
métaphysique et de la psychologie(4). Hormis ces
ouvrages, de très nombreux articles ont jalonné la carrière du compositeur,
destinés à des revues ou supports des conférences et cours qu'il a donnés à
différentes occasions. Également peintre, Migot se consacra
d'ailleurs jusqu'en 1918 davantage à cet art qu'à la musique. Si cette dernière
fut dans toute la suite de sa carrière son expression prééminente, il n'en
délaissa pas pour autant la palette, s'adonnant aussi à la gravure sur bois.
Attestant donc aussi de dons de versificateur, il fera imprimer deux recueils
de poèmes dont l'un, La retraite ardente,
sera mis en musique. Esthéticien et théoricien, Migot l'était
donc foncièrement, tant vis à vis de l'art en général que de sa propre œuvre de
compositeur. Il avait en effet incontestablement besoin d'expliquer sa position
de créateur et sa propre musique, sans pour autant que celle-ci apparaisse
comme un système. Bien au contraire est mis en évidence dans ses écrits un art
épris de liberté tout en témoignant d'orientations esthétiques et stylistiques
parfaitement conscientes et définies. Mais au-delà de sa production
personnelle, Migot a cherché à travers son argumentaire théorique à expliquer
ce qu'il considérait comme la véritable musique, le chemin à suivre dans
l'évolution de la composition, en une perspective assez inaccoutumée. Sans
doute aussi, quelque peu hors des sentiers battus, craignait-il que sa musique
soit mal comprise (alors qu'il fut beaucoup joué durant les deux premières
décennies de sa carrière), tout en étant intimement persuadé que ses positions
esthétiques étaient les seules voies envisageables pour la musique du futur,
vision que l'on peut certes considérer comme intransigeante, mais vision d'un
créateur authentique et sincère. Sa production musicale est considérable,
résultat de quelques soixante-dix années de labeur, mais aussi fruit d'un homme
doté d'une immense capacité de travail. Tous les genres sont représentés à
travers des œuvres faisant appel aux effectifs les plus variés : pièces
instrumentales de chambre, allant de l'œuvre pour un instrument seul au dixtuor, pièces symphoniques, œuvres incluant la voix, de
la monodie (un des apports très originaux de Migot) à l'œuvre chorale, a cappella ou non. Et chez ce musicien
intensément croyant, une partie des œuvres appartient au domaine religieux,
liturgique et paraliturgique, dont le cycle des oratorios dits
« christiques » constitue un élément essentiel, à l'instar de sa Passion qui offre avec ses autres
oratorios un renouvèlement fondamental du genre au XXe siècle. Le
fondement esthétique Georges Migot est donc apparu dès ses
débuts comme un solitaire, réfutant les idéaux en vogue, même si quelques-unes
de ses conceptions peuvent l'y rattacher. Si ses premières œuvres portent
l'empreinte fauréenne, transparaissant surtout dans le caractère fluide et
mouvant de l'écriture, il affirmera rapidement un style très personnel s'affranchissant
des tendances d'alors. Un double point fonde son langage :
nationalisme esthétique et ancrage dans le passé. Migot se pose en effet en héritier d'une tradition spécifiquement
française qu'il a très tôt revendiquée, en cela reflet d'une époque aux
aspirations nationales croissantes (je ne parle, bien sûr, que de ce qui
concerne les traditions musicales), cela dans de nombreux pays européens.
Portant son regard jusqu'aux temps reculés du Moyen Âge, il unifie en un geste
la période allant de l'ère médiévale jusqu'à l'orée du classicisme. « Voici d'où je viens : de
nos trouvères et troubadours, de nos luthistes, de notre XVIe s., de Titelouze,
Grigny et J-M. Leclair, de J-Ph. Rameau, et de tous ceux qui depuis près de
1000 ans représentent le génie français de la musique »(5), écrivait-il en 1932, précisant quelques années plus
tard : « par-delà le classicisme du XVIIIe s., allons à la
Renaissance, au plain-chant, à la chanson populaire, à la mélopée antique pour
prendre l'état d'esprit, la Grâce nécessaire, si nous voulons trouver dans
l'infini de la sensibilité humaine une forme nouvelle qui nous
corresponde »(6) . Les quatre compositeurs cités ne sont pas
mentionnés au hasard car chacun d'eux, à des degrés divers, affiche une
prédilection pour l'écriture horizontale. Les deux premiers surtout
dont les œuvres révèlent beaucoup d'affinités avec le langage polyphonique
renaissant, mais aussi l'harmoniste Rameau. Si son art procède en effet d'une technique
verticale, il n'en dénie pas pour autant l'importance de la mélodie et est
réputé pour ses lignes de basse recherchées. Migot se réclame ainsi
d'esthétiques fondées sur la mélodie : « Une conception linéaire de
la musique, telle semble devoir être l'esthétique musicale future. De la sorte,
nous irions vers la complète indépendance
des lignes superposées sans le style fugué, sans la vérification verticale
fournie par l'harmonie », consigne-t-il dans le premier Cahier de ses Appogiatures(7). Il veut ainsi rejoindre l'esprit
de la libre polyphonie renaissante. Mais les superpositions de notes ne sont
pas fortuites, comme en argue le musicologue Jacques Viret : « Migot
contrôle conjointement les deux composantes du discours et recherche avant tout
un mode de relation en quelque sorte ''oblique'' entre elles, se refusant
absolument à sacrifier l'une au profit de l'autre. »(8)
Georges Migot affirme donc un profond désir
d'ancrage dans la tradition française, ne montrant aucune volonté de rupture
avec ce qui le précède même s'il regarde au-delà du romantisme et du
classicisme, convaincu que l'histoire musicale ne peut s'écrire que dans la
continuité, dans le respect des œuvres du passé. Ne dit-il pas
que « le Futur est visible par la lumière du passé auréolant le
Présent »(9), alléguant
également qu'« une œuvre est nouvelle non parce qu'elle supprime toute
continuité d'avec les œuvres qui la précédèrent mais parce que se dégage d'elle
une communion qui renouvelle le sens de ces œuvres précédentes »(10). Sa démarche ne fut cependant pas celle d'un ''retour
à'', faisant du néo-médiéval ou du néo-renaissant. Il s'est agi pour lui de
saisir l'esprit qui gouverna à ces différentes esthétiques, intégrant leurs
composantes pour forger un langage totalement original et ressortissant
parfaitement de son époque, le XXe siècle. « Une tradition n'est pas un
''pastiche'' mais un aspect nouveau d'une éternité », peut-on d'ailleurs
lire dans l'un de ses écrits(11). Cet ancrage dans
le passé est pour lui une nécessité absolue et une condition de son geste
créateur. La
clé de son langage : l'intervalle Langage d'essence linéaire donc, il faut en
voir la clé dans le concept d'intervalle : « J'affirme que la ligne,
même dans sa plus petite fragmentation que constitue l'intervalle compris dans
le passage d'une note à l'autre, demeure le moyen le plus expressif de la
musique », c'est ce qu'il note dans le 2e cahier des Appogiatures....(12). Migot rallie de fait une certaine pensée
''primitive'', tout autant antique et médiévale que renaissante, en ce sens que
c'est le rapport mélodique qui l'intéresse avant tout, et non pas la note en
tant qu'objet autonome, esthétique que l'autrichien Anton von
Webern sera le premier à radicaliser, mais dont d'autres seront également à sa
suite les tenants, tels les acteurs de la musique concrète, ou plus près de
nous ceux de la musique spectrale. Il ne faut néanmoins pas imaginer que Migot
n'accorde pas d'importance au timbre, donc aux propriétés du son considéré
isolément. Il s'est en effet montré dès ses débuts un coloriste tout à fait
original, un découvreur de sonorités inédites, mais ceci toujours subordonné à
une vision linéaire, ou plus précisément intervallique,
de son art. La ligne musicale n'est donc pas pour lui
une succession de notes, mais un assemblage d'intervalles, objets
« virtuels » d'une certaine manière, qui sont la matrice de son
invention mélodique, générant chacun le travail du timbre et des durées. Il
faut bien comprendre l'art de Georges Migot dans ce sens. On peut avancer aussi
que sa vision harmonique est dépendante, non pas de la note qu'elle souligne,
mais de l'intervalle qu'elle sous-tend. Elle s'affranchit ainsi de toute
fonctionnalité. Sa musique ne peut pour ces raisons s'écouter d'une manière
''globale''. Il faut en discerner toutes les lignes internes pour la
comprendre, pour en saisir le sens, tout comme pour la polyphonie renaissante.
Il faut appréhender sa musique en profondeur, en une perception intervallique tant dans le sens horizontal que vertical, et
non comme un effet de masse, une résultante sonore. Sur cette notion
d'intervalle, le musicien insistera d'ailleurs davantage encore dans son
dernier ouvrage d'esthétique paru en 1970, quelques années avant sa mort,
montrant par là même que son évolution n'avait fait que le fortifier dans cette
conviction : « La musique réalise sa gloire lorsque, par delà
l'audience des sons, elle apparaît dans les intervalles qui les séparent »(13). Son ultime oratorio De Christo initiatique,
composé en 1971, sorte d'idéal absolu, en est un parangon. Migot rejoint bien
ainsi les conceptions ''harmoniques'' de la polyphonie de ses origines à la
Renaissance qui relèvent d'un entendement intervallique
et non pas ''accordique''. Le mélos migotien La musique n'est ainsi pas représentée chez
Georges Migot par les sons pris en eux-mêmes, mais par l'espace entre chacun
d'eux. Migot accole en outre volontiers à son art le qualificatif de
''spatial'' plutôt que celui de ''plastique'', signifiant que celui-ci est pour
lui espace et non temps, mais aussi qu'il est avant tout attaché à son
évolution spatiale et non temporelle, dont attestent ses conceptions du rythme
exposées plus loin. C'est donc la ligne sonore dans sa plasticité qui intéresse
avant tout le musicien, obéissant en cela à des préoccupations d'ordre
pictural, ce qui n'est guère étonnant chez un artiste également peintre. Cela conduit à examiner un trait
stylistique essentiel, l'allure bien particulière de ce que l'on peut désigner
comme le mélos migotien. Pour en comprendre l'essence, il faut
remonter vers une source, la ligne grégorienne, dont Migot veut s'approprier la
vocalité et surtout la liberté, tout à la fois d'ordre mélodique et rythmique,
et pourrait-on ajouter aussi d'ordre harmonique, puisque nul sentiment ''accordique'' ne sous-tend l'arabesque plain-chantesque. L'absence de tout centre tonal, ou plutôt
modal, affirmé, en renforce la souplesse, la mélodie migotienne
ne semblant montrer aucun point d'ancrage défini, évoluant dans un espace en
quelque sorte sans lois, au contraire de son ancêtre grégorienne restant
soumise à ses pôles modaux. Ce mélos n'obéit ainsi à
aucune contrainte, à la recherche de la seule expression intervallique.
Se mouvant dans un large espace, il est extrêmement mobile et fluctuant, de
contour souvent inattendu. Jacques Viret écrit d'ailleurs que « Migot substitue un
ordre de succession à l'ordre usuel
de rapports : pour lui les
relations qui unissent les notes d'une échelle ne sont pas établies une fois
pour toutes par le mode mais elles se modifient sans cesse au gré des
inflexions de la ligne »(14). La ductilité et l'originalité de ce mélos
sont dues également à l'utilisation du mélisme, figure totalement intégrée dans
le déroulement mélodique et dont on peut trouver l'origine dans la ligne
grégorienne tout autant que dans l'art ornemental improvisé des luthistes de la
Renaissance. Migot situe encore ici parfaitement son approche : « la
broderie, l'appogiature, l'ornement, descendants du mélisme, doivent être plus
que des accents rythmiques ou harmoniques : ils sont le lyrisme
amplificateur de la mélodie »(15). Migot revendique
d'ailleurs le lyrisme, dans son acception typiquement française, comme la
condition d'une musique expressive : « Chacune de mes lignes sonores
obéit au lyrisme et à la plastique. Je nomme lyrisme, l'émotion créatrice qui
détermine l'élan et le tempo. Je nomme plastique, la
transcription de ce lyrisme dans la matière sonore »(16). Sur le plan de l'élaboration polyphonique,
Migot peut user des différentes techniques inhérentes à l'écriture fuguée que
sont l'imitation, le canon, le fugato, mais en conservant toujours une grande
liberté. À la technique horizontale, il applique d'ailleurs le néologisme ''polynéaire'', indiquant par ce terme la superposition de lignes
indépendantes les unes des autres, dans un contrepoint dit ''libéré''.
Il préfère aussi le terme de ''contre-ligne'' à celui de ''contrepoint'' car il
correspond mieux à l'esprit de la technique contrapuntique et surtout à sa
propre écriture, ligne contre ligne et non note contre note, et désigne la
''vraie polyphonie contrapuntique''. Bien sûr le sens premier du mot avait
depuis longtemps évolué, l'expression de ''contrepoint'' déterminant dorénavant
l'écriture d'essence linéaire, l'œuvre musicale s'appréhendant alors comme une
superposition de lignes mélodiques. Mais Migot montre ici son attachement à la
justesse étymologique de la terminologie employée.
Concert à la Cathédrale de Strasbourg dirigé
par Marc Honegger (dédicataire) en 1969 / DR De
l'harmonie à l'harmonique Ancré dans son idéal linéaire, Migot ne
veut appréhender son art que dans ce sens, affirmant dans son Lexique : « Toute note d'une
polyphonie doit être envisagée comme un des points du tracé d'une ligne sonore,
c'est sa seule position musicale, et non pas sous l'angle de sa position dans
un accord. L'harmonie est donc la science qui permet de vérifier la position
d'une note dans une polyphonie en vue de son meilleur rendement sonore dans
celle-ci. Ce rendement sonore varie suivant une volonté musicale
''horizontale'' et non ''verticale''. »(17) Il refuse donc
toute préséance d'une pensée accordique dans son
écriture. Mais ses œuvres montrent cependant bien que celle-ci existe. Les
superpositions de notes ne sont pas le fruit du hasard, parfaitement entendues
et maîtrisées par l'oreille du créateur, même si elles ne sont pas premières
dans le processus compositionnel. En outre, l'emploi de certains agrégats,
d'accords parfaits, ou autres consonances de base, a parfois un évident sens
expressif ou architectural. Finalement, comme le constate Jacques Viret, « Migot contrôle
conjointement les deux composantes du discours et recherche avant tout un mode
de relation en quelque sorte ''oblique'' entre elles, se refusant absolument à
sacrifier l'une au profit de l'autre. »(18) Cela se révèle
effectivement dans les deux sens : si Migot ne veut pas conditionner le
déroulement mélodique à une recherche purement harmonique ou plutôt
primordialement harmonique, il n'est pas non plus question qu'une résultante
harmonique aléatoire nuise à la beauté de la ligne mélodique. Mais peut-être
pourrait-on dire que la rencontre harmonique sert de renforcement mélodique, ou
plutôt de renforcement de l'intervalle. En outre, la superposition des
différentes ''plastiques mélodiques'' génère une forme globale dont tous les
composants élémentaires doivent s'appréhender en termes d'intervalle, tant dans
le sens horizontal que vertical, comme on l'a précédemment souligné. Migot se montre parallèlement préoccupé de
l'harmonique dans le sens où la simultanéité de lignes mélodiques ne doit pas
occulter la libre résonance des harmoniques. Chaque son doit bénéficier de sa
plénitude physique, acoustique. Il conçoit les étagements mélodiques dans ce
souci de l'harmonique, donc de la libre résonance verticale de chacune. La
disposition des différents timbres dans son écriture orchestrale et de musique
de chambre relève ainsi de cette préoccupation, conditionnée par ce qu'il nomme
la ''loi d'aération''. Il notifie par cela que les instruments doivent être
combinés de manière à « laisser naturellement résonner et sonner les
harmoniques naturelles des notes écrites »(19).
Inversement, il tient compte de l'influence du timbre sur les accords qui ne
doivent pas être considérés d'après les seuls critères de l'harmonie. Les
œuvres de ce musicien ont ainsi une coloration originale, singulière, qui
n'appartient qu'à lui. Migot raisonne de fait en digne héritier de
Rameau(20) ou des anciens luthistes dont il se réclame, comme on
l'a déjà relevé : « Avec cette polyphonie, je ne pense pas harmonie
mais harmoniques, et celles-ci contrôlent la qualité de la matière sonore »(21). Il se situe d'autre part également dans la
descendance de Debussy – musicien qu'il vénérait – chez qui toute
règle d'enchaînement d'accords a disparu. Mais autant chez son aîné, sonorité accordique et timbre constituent l'essence de la pensée
compositionnelle, autant ceux-ci ne sont pour Migot que la résultante d'une
élaboration avant tout mélodique. Le
rythme La rythmique migotienne
est tout à fait particulière chez un artiste revendiquant la primauté de la
ligne et son attachement à l'intervalle, et ne voulant pas pour cela d'une
musique où le rythme vienne occulter l'entendement de cette matière première.
Élément secondaire de la musique, il n'est, maintient Migot, que « la
déduction, la synthèse »(22) de tous les
éléments musicaux, jouant un « rôle
de ponctuation et non de mensuration »(23) de la phrase. Il précisait aussi dès 1922 :
« N'étant pas enclavées dans le grillage d'une carrure rythmique, les
lignes se développent, souples et variées à l'infini. C'est avec elles que, le temps
n'étant plus contrôlé par des périodicités rythmiques, il est possible au
musicien d'atteindre la notion d'espace,
apanage des arts plastiques »(24). Le rythme chez Migot apparaît donc comme
négation d'un temps périodique, d'un temps pulsé, le compositeur souhaitant que
l'oreille reçoive la beauté issue du seul développement spatial du mélos, et non qu'un attrait rythmique vienne se
subordonner entièrement ou en partie à la perception de sa trajectoire, tout
comme l'audition verticale ne doit pas masquer les déroulements horizontaux
simultanés. Le rythme ne doit pas faire perdre la signification spatiale ou intervallique mais au contraire la souligner. Le rythme
doit aussi faire oublier l'inexorable avancée temporelle, d'où cette plénitude
qu'offre souvent l'écoute des œuvres de Migot. Il est rare qu'il s'en dégage un
réel sentiment de temps pulsé, ou alors est-ce de manière ponctuelle. Tout
comme le mélos migotien est
affranchi de pôles modaux, il est affranchi de pôles rythmiques. On peut ici
évoquer la liberté rythmique de la ligne grégorienne, où le rythme naît de la
courbe mélodique naissant elle-même du mot qui la sous-tend.
La rythmique migotienne
se caractérise ainsi par sa fluidité, avec la dissolution de la carrure, la
fréquente alternance binaire-ternaire, la présence de nombreuses liaisons, et
l'usage courant de l'anacrouse. Cela rejoint tout à fait l'esprit de Debussy,
dont la musique est d'une extrême mouvance sur ce plan, tout en s'appuyant sur
des modalités d'écriture différentes. L'architecture
musicale : de l'idée à la forme eurythmique Si Migot se veut profondément ancré dans une tradition française – mais on a vu de quelle
façon, tout en perpétuant un certain esprit, des caractères esthétiques, il la
renouvelait – il ne veut en aucune façon encarter son art dans des moules
anciens. Se situant encore une fois en héritier de Debussy, comme d'autres compositeurs du XXe
siècle à l'instar du hongrois Béla Bartok, il asserte
que « toute idée musicale, en elle, en ses possibilités de développement,
contient sa forme ».(25) De fait, la forme n'est pas pour Migot une
finalité, valeur qu'elle a pu avoir aux XVIIIe ou XIXe siècles, mais un moyen
« qui concourt avec les autres ressources de la composition à l'expression
de la sensibilité »(26), et qui doit être
en même temps une source de jouissance au moins égale à celle que procure le
rythme, l'harmonie ou la mélodie. La forme a une
signification, et une œuvre ne peut se concevoir arbitrairement à partir d'un
schéma déjà établi. Migot a parfois utilisé des structures préexistantes, comme
l'estampie, à l'exemple d'un épisode de son oratorio La Passion, mais de manière très libre, et dans un étroit rapport
avec l'idée. Il est, quoi qu'il en soit, en opposition radicale avec les
acteurs du mouvement néo-classique récupérant les formes léguées par les XVIIe
et XVIIIe siècles. Ainsi notifie-t-il dans son Lexique(27) : « La forme
est aussi nécessaire à l'idée pour s'exprimer, pour se formuler, que l'idée est nécessaire à une forme pour que celle-ci,
qui est une œuvre, soit vivante. Si la pensée musicale doit trouver sa forme
pour vivre et survivre, il faut ajouter que toute pensée, utilisant une forme
qui lui est préconçue, disparaît, ne laissant survivre que la forme qui la
contenait. On le peut constater avec tous les ''néo'', néo-gothique,
néo-classicisme, néo-romantique, etc. ». Mais en
même temps, l'idée ne dirige pas totalement l'œuvre en création. Il existe un
''ordre'' esthétique, qui la précède, auquel elle reste assujettie. En d'autres
termes, l'idée n'organise pas le chaos mais un monde sonore régi par les canons
de la ''beauté'' et s'appuyant sur les lois artistiques forgées au fil des
siècles, l'idée engendrant un nouvel objet non par une révolution mais par une
évolution. Migot définit sa démarche créatrice en comparant les notions de
''développement'' et de ''composition'' :
Obéissant à un ordre ou un canon esthétique,
la composition organise donc le développement qui est la conséquence de la
seule idée. Mais la relation est aussi transitive puisque l'idée naît elle-même
sous l'égide d'un ordre esthétique. Ce concept ''d'ordre'' contient celui
d'unité, auquel Migot est fondamentalement attaché, et qu'il juge indispensable
à toute invention artistique, qui ne vient « ni de l'unité de la ligne, ni
de la répétition d'un rythme unique, mais de l'impression de convergence que
peuvent donner plusieurs unités linéaires, rythmiques ou harmoniques »(28). C'est de fait le principe d'eurythmie qui
gouverne son acte créateur, tel qu'il le définit en 1920(29) : « L'eurythmie c'est la volonté esthétique
supérieure par laquelle s'établit la concordance entre la sensation et
l'exécution. S'il y a eurythmie, c'est que tous les rythmes qui composent cette
eurythmie ont un foyer commun, point de départ et de retour de ces
rythmes : centre de gravitation esthétique », qu'il appelle
« centre eurythmique », le rythme désignant « la
réalisation d'un rapport perçu entre deux moyens concourant à la création d'une
œuvre »(30). Migot rejoint
assurément le sens d'un terme référant à la combinaison harmonieuse des
différents paramètres mis en jeu dans un art donné. Les
périodes esthétiques Si Georges Migot a établi très tôt sa
directive esthétique, déterminé dans ses convictions et idéaux, on peut
néanmoins diviser en trois phases sa vie créatrice. La première est en quelque
sorte période de jeunesse, allant de 1905 à 1928. L'originalité stylistique est
déjà là, mais les empreintes de Fauré et de Debussy aisément perceptibles.
L'écriture n'est pas exempte d'un certain maniérisme qui disparaîtra par la
suite. On dénote l'importance du thème de la nature et une influence bien
discernable de l'Extrême-Orient, à l'exemple du Quatuor pour 2 violons, alto et piano intitulé le Paravent de laque aux cinq images de
1909, ou du cycle de mélodies titré 7
petites images du Japon, de 1917(31). À cette période,
des parallèles s'imposent avec évidence dans son évolution stylistique entre sa
peinture et sa musique. La deuxième période est celle de la
maturité et s'étend de 1929 à 1950. Migot montre alors un art se détournant de
l'anecdote et pénétré d'un profond lyrisme. Le thème de l'amour prédomine, à
l'instar des Poèmes du Brugnon pour
voix et piano (1933) sur des textes de Tristan Klingsor, amour-passion qui
souvent atteint à la ferveur mystique. C'est aussi l'époque où seront conçus le
monument pianistique du Zodiaque
(1932-32) et la majorité des oratorios, à l'exemple de La Passion de 1942. La troisième période, qui s'ouvre à partir
des années 50, ne constitue pas un retour en arrière, sorte de néo-classicisme,
mais une période de « dépassement » selon le terme employé par le
musicologue Marc Honegger. Elle est placée sous le signe d'un extrême
dépouillement, d'une épuration d'un langage pénétré d'une spiritualité de plus
en plus marquante. Elle est sans doute la plus difficile à appréhender, tant du
point de vue de l'interprète que de l'auditeur. Elle est pourtant celle qui
révèle l'art de Migot en son essence, comme peuvent en témoigner les 5 Monodies (sur des poèmes de Pierre Moussarié, 1968), le dernier oratorio De Christo initiatique (1972), ou encore le cycle de mélodies
précédemment mentionné de La Retraite
ardente (1973), sur des poèmes du musicien. L'esthétique de Migot, en ses points
essentiels pourrait se résumer de la sorte : un art d'essence mélodique où
l'intervalle constitue le moyen expressif premier, un art où la forme est
conditionnée par l'idée et la volonté eurythmique. Il faut aussi souligner un
art où le symbole est récurrent, car « la musique ne peut être sans la
lyre symbolique »(32), et un art
révélateur du Divin car, pour Migot, « la musique est en Dieu »(33), se situant ainsi en digne descendant de Saint Augustin
dont il fut un fervent lecteur, et même, en regardant plus loin dans le temps,
de Platon. Odile Charles*. * Odile Charles est professeure agrégée et
docteure en musicologie. Elle a suivi l'essentiel de son cursus spécialisé au
Conservatoire de Montpellier où elle a obtenu diplômes et Prix en flûte
traversière, chant, formation musicale, analyse, musique de chambre. Elle a
fait ses études de musicologie dans plusieurs universités, successivement Lyon,
Montpellier puis Paris IV, soutenant dans cette dernière institution en 2005
une thèse de doctorat sur les oratorios de Georges Migot. Un ouvrage issu de ce
travail a été publié récemment aux éditions l'Harmattan (Les Oratorios de Georges Migot, des œuvres « Christiques »
qui renouvellent fondamentalement l'oratorio). Elle est par ailleurs
secrétaire générale de l'Association des Amis de l'œuvre et de la Pensée de
Georges Migot, participant à la rédaction du Bulletin annuel où paraissent
articles et documents divers autour du compositeur. (1)
Soit une musique fondée sur la mélodie, l'écriture à plusieurs parties se
concevant alors comme une superposition de lignes mélodiques engendrant bien
sûr le verticalisme, cela par opposition à une
mélodie harmonisée. (2)
Cité par Jean Roy in « Georges Migot », Présences contemporaines – Musique française, 1962, p. 147. (3)
Courtes et riches sentences dont un but est de susciter la réflexion. (4)
Une partie d'entre elles concernent la musique. Parmi
celles-ci : « La Musique comme la Poésie, a pour origine la
voix. Si la Poésie a le Miroir, la Musique a le kaléidoscope ; par la voix
qui y chante, les mots dissociés deviennent polyphonie sonore, exprimant le
sens des mots sans les formuler. » (p. 58) ; « L'œuvre esthétiquement
et éthiquement mauvaise peut séduire et enchanter. L'œuvre belle accorde le
temps de réflexion. » « La Musique se continue dans le silence, la
Matière sonore y meurt. » (p. 141). (5)
Les Écrits de Georges Migot recueillis
par Jean Delaye, Paris, Les Presses modernes, Vol. I,
1932, p. 172. (6)
Appogiatures résolues et non résolues,
Paris, Douce France, Cahier n° 1, p. 49. (7)
Appogiatures..., op. cit., Cahier n° 1,
1922, p. 15-16. (8)
J. Viret, « mélodie et polymélodie dans l'œuvre de G. Migot », Chant choral, n° 9, 1976, p. 5. (9)
Cité dans l'article de J. Viret, « Mélodie et polymélodie dans l'œuvre de
G. Migot », op. cit.,
p. 8. (10)
Cité dans l'article de J. Roy, « Georges Migot », Présences contemporaines – Musique Française,
Paris, Nouvelles éditions Debresse, 1962, p. 148. (11)
Lexique de quelques termes utilisés en musique,
Paris, Leduc, 1935, p. 225. (12)
Appoggiatures..., op. cit., 2e Cahier,
1923, p. 48. (13)
Kaléidoscope et Miroirs, Toulouse,
CANF, 1970, p. 112. (14) Jacques
Viret,« Mélodie et polymélodie dans l'œuvre de G. Migot », op. cit., p. 7. (15)
Lexique..., op. cit., p. 131. (16)
Appoggiatures…, op. cit., 3e Cahier,
1931, p. XI. (17)
Lexique…, op. cit., p. 100. (18)
J. Viret ,« Mélodie et polymélodie dans l'œuvre
de G. Migot », op. cit., p. 5. (19)
Appoggiatures..., op. cit., 3e Cahier, p. 48. (20)
Migot vénérait ce musicien auquel il a consacré un ouvrage. (21)
Écrits…, op. cit., Vol. I, p.
180. (22)
Appoggiatures..., op. Cit., 3e
Cahier, p. XI. (23)
Appoggiatures..., op. Cit., 2e
Cahier, p. 22. (24)
Appoggiatures..., op. Cit., 1er
Cahier, p. 18. (25)
Lexique…, op. cit., p. 78. (26)
Appoggiatures…, op. cit., 1er Cahier, p.
56. (27)
Lexique…, op. cit., p. 94. (28)
Appogiatures…, op. cit., 1er Cahier, p.
52. (29)
Essais pour une esthétique générale,
Paris, Figuière, 1920, p. 80. (30)
Essais pour une esthétique générale, op. cit., p. 79. (31)
Ces mélodies ont été composées au plus tard en 1917, mais les sources ne
permettent pas de les dater avec plus de précision. (32) Articles et Conférences, « Musique
et spiritualité », fév. 1953, 17e fasc., p. 12. (33)
Kaléidoscope…, op. cit., p. 140.
***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
A PROPOS DE LA PSYCHOPHONIE Brigitte Delzenne, psychophoniste et chef de chœur « Pour moi, la psychophonie c'est savoir
écouter, savoir observer, prendre en compte la globalité de l'être pour ensuite
avoir un regard plus fin. Mes moyens d'action sont la voix chantée, le travail
du souffle et de la posture, la voix parlée. J'étais musicienne :
apprentissage de la trompette puis du
piano au conservatoire de Lille, bac musical. Je ne savais où aller ensuite. Je
me suis inscrite en psychologie à la
faculté. Juste en face se trouvait le C F M I (Centre de formation aux
intervenants en milieu scolaire). Comme j'avais l'habitude d'animer des
colonies de vacances, que j'aimais les enfants et que j'avais le niveau requis,
je suis entrée au C F M I . Durant ces deux
années on a travaillé l'histoire de la musique, la culture musicale, l'analyse,
l'instrument, l'improvisation, toutes
sortes de répertoires et le chant. C'est
là que j'ai découvert la psychophonie. » (Brigitte Delzenne) Laurence Renault Lescure : C'était inscrit au programme des études ? Brigitte
Delzenne :
Non, mais il se trouve que le professeur de chant était aussi psychophoniste. Là j'ai découvert un monde à la fois de
peurs et de bien être. La musique était présente dans notre vie de famille, le
chant était présent dans ma vie depuis ma naissance. A la maison, on chantait.
On chantait parce que mes parents chantaient : ma mère jouait du piano, les
enfants jouaient du violon, de la guitare et du piano. Tout le monde chantait,
c'était un rituel aux repas de famille du dimanche. Je crois que le fait de
chanter fait partie de nos cellules. L R L : La créatrice de la psychophonie, Marie-Louise Aucher, définissait sa méthode comme une « prise de conscience unifiée » B
D : Oui. C'est bien sur un travail sur
notre façon de respirer, notre posture etc… Mais
c'est une prise de conscience de soi avec tout un travail sur notre émotionnel,
nos deuils nécessaires.Durant les stages de chant,
pendant mes études, je ne parvenais pas à mettre des mots sur mes émotions. A
mon sens les études de psychophonie nécessitent une thérapie personnelle. Pour
moi, cela m'a aidé à prendre ma place réelle dans ma famille et dans ma vie.
C'est un long chemin, un long parcours qui n'est pas terminé. Les outils que la
psychophonie m'a donnés je les donne aux autres pour qu'ils découvrent qui ils
sont. L R L : Parlons de ces outils. B
D : Ce sont avant tout des vocalises qui
touchent certaines parties du corps, selon les recherches effectuées par
Marie-Louise Aucher. Ses recherches en tant que
professeur de chant l'avaient amenée à obtenir une sorte de cartographie sonore
du corps de ses élèves chanteurs aussi bien comme récepteurs qu'émetteurs. Le psychophoniste en séance peut vérifier la qualité de
réception des sons qu'il envoie dans le dos de son élève sur une échelle de
quatre octaves.
L R L : Comment cela s'opère t il ? B
D : C'est tout un dispositif qui permet
d'obtenir ce qu'on nomme le « cliché des sons ». L'élève laissant son
corps totalement détendu appuie ses bras et ses mains sur le piano qui sert
d'amplificateur des résonances. C'est à l'écoute des harmoniques qui se
dégagent après l'émission des sons, que je chante, que je peux déceler les
zones fragiles ou abimées sur lesquelles on pourra travailler. L R L : Marie-Louise Aucher décrit cela avec beaucoup de détails dans son ouvrage « L' Homme Sonore »*. Cela semble quand même un peu mystérieux, non ? B
D : C'est tellement précis qu'il vaut
mieux le vivre pour le comprendre réellement. L R L : Ayant montré les premiers résultats de ses recherches à un ami médecin, le professeur Martiny, celui ci n'avait pu s'empêcher de faire le rapprochement avec les descriptions des méridiens d'acupuncture qu'on trouve dans l'ouvrage de Soulié de Morant. Il avait cependant dit à Marie-Louise Aucher de continuer à chercher par elle-même. Elle disait lui être très reconnaissante de l'avoir ainsi obligée à poursuivre ses recherches sans modèle. Plus tard elle a publié les croquis de ses recherches comparés aux planches d'acupuncture et c'est passionnant. Cala date des années 1960 et c'était assez révolutionnaire pour l'époque. B D :
Certes. Ce travail va en effet beaucoup plus loin qu'un travail corporel, et
touche le corps énergétique. L R L : Dans la méthode on parle de « cocon énergétique »… B
D : Ce terme recouvre une liaison de tout
le corps comprenant sa base, son tronc, sa tête… Il faut que tout cela soit
relié. Il y a des personnes qui sont bloquées tout en haut. Elles vivent comme
si elles n'avaient pas de pieds, pas d'ancrage au sol. Il faudra reprendre cet
ancrage pour remonter peu à peu. Le « Cocon » est une enveloppe sans
aspérité ni faille. Corps et âme sont reliés. C'est complexe, on peut en parler
pendant des heures. La vocalise « laÏeau »,
par exemple, va relier le vaisseau gouverneur et le vaisseau conception (les
deux vaisseaux extraordinaires de la médecine chinoise) réalisant ce qu'on
nomme « la petite circulation énergétique ». L R L : La vocalise se définit d'ordinaire comme une formule mélodique chantée sur des voyelles. Les vocalises de Marie-Louise Aucher sont souvent construites sur des mots images. B
D : Oui. « La belle eau »,
« Miam…», « Il fait beau /chaud » sont des paroles
évocatrices, parfois même à double sens. « Miam…» peut être l'évocation de
quelque chose de bon à manger (quelque chose qui fait saliver) mais si je pense
à quelque chose que je n'aime pas du tout, ma bouche va se déformer, mon niveau
salivaire va être perturbé, la couleur de ma voix va être modifiée. L R L : Il y a une relation entre l'image mentale et le timbre vocal. B D
: Bien sûr ! Je le sais pour l'avoir vécu. L R L : Dans le travail avec les chorales j'ai remarqué que les vocalises proposées sont toujours transposées en montant vers l'aigu pour reprendre dans le grave pour toutes les voix. B
D : En effet le grave aide à construire
les aigus. Beaucoup de gens arrivent avec des a priori du genre : « je ne peux pas monter plus haut ».
Moi, je me suis rendue compte durant mes études que j'avais pu élargir mon
potentiel. Je ne fais que suivre les chanteurs dans leur ascension. Il faut que
chaque personne se rende compte par elle même qu'elle est capable d'aller plus
loin dans les graves comme dans les aigus. En ce qui concerne le rôle des
graves je m'appuie sur mon expérience personnelle d'instrumentiste à vent où on
travaille les graves pour faire sortir les aigus. Comme j'avais cette
expérience cette façon de faire m'a tout de suite intéressées.
Bien sûr tous les psychophonistes n'utilisent pas
cette façon de travailler. Au début de mes études de chant je n'avais pas de
registre grave, mais je n'avais pas ouvert la région du bassin. Chaque étendue
de la tessiture correspond à une zone du corps. C'est une des particularité de ce travail : chaque note correspond à une
zone corporelle. Il faut noter que les hommes étant directement dans leur
bassin, il faut transposer une octave en dessous. Sauf pour les contre ténors.
Marie-Louise Aucher a réalisé des planches
anatomiques extrêmement précises et on se sert de ces planches. L R L : Cette rencontre vibratoire se fait sur la base du LA 440 ? B
D : Ne serait-ce que parce que je me sers
d'un piano ! Mais j'ai un élève chanteur baroque qui transpose très
naturellement la technique quand il travaille ses textes. Quand je travaille,
j'observe beaucoup, j'écoute. J'écoute la façon qu'a la personne de se tenir,
de respirer, de regarder. Rien qu'à sa façon d'entrer dans la salle j'ai déjà
une cartographie de son état général et je me dis qu'il va me falloir proposer
un travail sur telle ou telle zone : les lombaires, le cou, les épaules… L R L : Un peu à la manière d'un ostéopathe ? B
D : Je crois que je suis plus une « clairaudiante ». Pendant les vocalises j'entends
autant que je vois. La vocalise terminée je sais ce que je dois faire et sur
quelle zone. Il n'est d'ailleurs pas rare que la personne elle-même m'indique
par geste ou en la nommant la zone en question. L R L : A quoi servent tous ces rouleaux et ces ballons que je vois là ? B
D : Avec ces ballons on fait beaucoup de
choses. Par exemple, on prend conscience de la respiration abdominale lorsque
le ballon qu'on tient devant soi pousse sur le ventre et que le jeu est
justement de repousser le ballon avec le ventre. C'est très important de
retrouver cette respiration où le ventre se bombe à l'inspire. Même chose avec
les lombaires ou les dorsales, suivant la position que l'on donne au ballon. Le
ballon peut aussi servir à travailler sur son équilibre. On peut s'allonger sur
le ballon… Marie-Louise Aucher faisait souvent appel
aux animaux. Je peux m'étirer comme un
chat et chanter ainsi. On se sert aussi de bâtons tenus à chaque bout
pour travailler l'ancrage. L R L : Toute une technique très kinesthésique en somme. B
D : Oui, mais on laisse toujours un temps
d'écoute intérieure. Par exemple si on travaille sur les pieds et qu'on débute,
disons, par le droit ; après le travail de massage avec les rouleaux on
restera un petit moment à l'écoute des sensations de ce pied avant de passer au
pied gauche. On peut guider cette écoute. Certaines personnes disent ne rien
sentir, d'autres remarquent des sensations : plus lourd, plus chaud, plus
gros, plus large…en comparaison avec l'autre pied. Je n'oriente jamais les
sensations. La personne peut nommer ou non ce qu'on a ciblé, parfois même autre
chose. L R L : Cette « conscience du corps », comme la nommait Mosche Feldenkrais*, n'est pas une chose évidente de prime abord. Cela peut prendre un certain temps. B
D : C'est très variable d'une personne à
l'autre. Bien sûr un professeur de yoga rentrera très vite dans son ressenti,
mais ce n'est pas évident pour tout le monde. Ce n'est d'ailleurs pas la
verbalisation qui est importante, c'est être à l'écoute de soi qui est
important. D'ailleurs on ne sait pas toujours nommer ce que l'on ressent. On
avance de façon très individuelle car tout cela est très intime. Il ne peut y avoir
de programme dans un travail sensoriel. Il ne peut y avoir d'échéance désignée,
il faut juste accueillir. On avance avec ce que l'on voit. Le praticien est
dans l'écoute, dans l'attention, la
patience. L R L : Il en faut de la patience. Quel a été le record ? B D
: Pour moi, 4 ou 5 ans! L R L : Tous ces exercices peuvent- ils trouver leur place dans le travail avec des choristes ? B
D : J'avoue que je suis frustrée de ne
pouvoir le faire réellement à mon goût par manque de temps et de local. J'aimerais
tant proposer une heure de véritable travail vocal aux choristes. L R L : Il y a quand même le travail sur les vocalises qui sont répétées de nombreuses fois. Ce n'est pas seulement pour les mémoriser toutes ces répétitions ? B
D : Les vocalises nourrissent le
sensoriel. Plus on les répète plus on a de ressenti. C'est une perpétuelle
source de découverte. Au fur et à mesure elles permettent d'aller plus haut,
plus bas, plus fort. La répétition nous apprend à découvrir nos sensations, nos
émotions, nos corps, nos voix. Il y a une phrase des chinois qui dit qu'il faut
faire 1000 fois une posture pour la comprendre. Je dirais qu'il faut faire 1000
fois une vocalise pour l'intégrer tout simplement. L R L : De même qu'il y aurait beaucoup à dire encore sur le cliché des sons et les relations avec la médecine chinoise, il y a encore beaucoup à dire sur la description du travail respiratoire. Marie-Louise Aucher décrit avec extrême précision toutes ces respirations différentes : cérébrale, abdominale, costale, claviculaire… La respiration olfactive a particulièrement retenu mon attention. B
D : Cette respiration est très profonde.
Dans un premier temps elle va réveiller le diaphragme. L'air en entrant dans
les narines va mettre en vibration les cils olfactifs. Marie-Louise Aucher faisait humer à ses élèves des Huiles Essentielles
qu'elle fabriquait elle-même. Cela peut réveiller des souvenirs. Dans le chant
cela peut donner un son plus riche. L'olfactif est un sens teinté de souvenirs,
une sorte de banque de données qui se constitue peu à peu. L R L : On pense à ce merveilleux film sorti il y a peu : « Marie Heurtin », dans lequel l'enfant sourde muette et aveugle se sert de son sens olfactif pour se relier au monde qui l'entoure*. Ce sens olfactif n'est-il pas un peu occulté dans notre éducation, dans notre société ? B
D : Oui, mais quand on dit « je ne
peux pas le sentir » c'est bien de l'olfactif, non ? L R L : A propos de sens, Marie-Louise Aucher insistait aussi sur le tact dont elle prétend que nous ne l'utilisons que grossièrement par « manque d'entrainement musical sonore ». Là aussi on peut faire référence au film sorti en salle en décembre : « La famille Bélier »* et à cette très jolie séquence où le père, sourd de naissance, pose ses doigts sur le cou de sa fille pour entendre la chanson qu'elle interprète. C'est bien là un mode de connaissance sympathique qui nous change un peu des apprentissages par concepts intellectuels. B
D : Cela rappelle le travail avec les
sourds où on se sert du toucher sur le piano ou les tambours et où le tact
nourrit la réception des sons. Souvent quand je reçois deux personnes je les
fais travailler dos à dos. C'est très enrichissant de sentir la vibration de
l'autre. Là, on est complètement dans l'exercice « émetteur
récepteur ». L R L : Qui vient travailler en psychophonie ? B
D : Parfois c'est une forte motivation
pour chanter qui pousse les gens à venir me voir. Ce ne sont pas forcément des
chanteurs. La voix est aussi un outil de la vie. Ce peut être des problèmes
vocaux : une corde vocale abimée, un débit trop saccadé qui nuit à la
communication dans le travail, une voix mal placée qui se fatigue, des « j'aime
chanter mais je n'ose pas », « je veux chanter mais je chante
faux », et puis des gens envoyés par des thérapeutes que je ne connais
pas. L R L : C'est vrai que pour Marie-Louise Aucher l'homme ne pouvait se réaliser totalement qu'en posant sa voix parlée et sa voix chantée. B
D :
Parlant de sa méthode, elle disait : « les sons sont notre moyen
et notre but ». Propos recueillis par Laurence Renault Lescure. * Marie-Louise Aucher,
« L'homme Sonore », Epi
éditeur, 1988 Mosche Feldenkrais, « L'évidence en
question » (traduit de l'anglais), Editions L'Inhabituel, 1997 « Marie
Heurtin », film de Jean Pierre Améris, avec Isabelle Carré et Ariana
Rivoire, distribué par Diaphana France. Sorti le 12
novembre 2014. « La famille Bélier », film de Éric Lartigau, sorti en
décembre 2014 x x x Quelques éléments complémentaires
Brigitte Delzenne intervient aussi
en milieu scolaire du CP au CM 2, pour des ateliers d'éveil vocal et musical.
Chaque année des projets de spectacles sont montés en aboutissement de ce
travail. Brigitte en profite pour mêler enfants, ados et adultes dans ces
projets musicaux comme, par exemple, un conte de Noël musicalisé. Car pour elle
quel que soit l'âge de la personne, l'objectif reste le bien être individuel et
la communication avec l'autre à travers la musique. Comment se former à la psychophonie ? Il y a trois degrés initiaux : - Découverte des vibrations en relation avec le corps - Les richesses qui nous habitent - Synthèse de l'être dans sa globalité Entre chaque niveau un temps d'arrêt permet l'intégration
des informations. Ce temps, à l'origine fixé à 9 mois, maintenant peut être
raccourci à 6 mois. On peut à partir de ces trois niveaux devenir soit
animateur soit praticien. Les animateurs n'interviennent que dans des groupes,
les praticiens travaillent aussi en individuel. Seul l'IFREP (Institut de Formation, de Recherche et
d'Évaluation des Pratiques médico-sociales) est reconnu habilité
à délivrer la marque Marie-Louise Aucher. Et en particulier l'IFREPmla,
Institut de Formation et de Recherche Européen en Psychophonie Marie-Louise Aucher (www.ifrepmla.eu).Toute une biographie peut être consultée sur internet.
Citons, pour mémoire, l'excellent ouvrage de Marie Jo Cardinal et Annie Durieux
« Bien dans ma voix Bien dans ma vie. La psychophonie une thérapie vocale »,
paru en 2004 au Courrier du Livre.
Il existe aussi des enregistrements de chansons « à la
découverte du corps vivant » pour une belle approche sensorielle avec les
petits. Une importante partie des applications de la psychophonie sur le chant
prénatal et le travail avec les petits n'a pas été traitée dans cet entretien. LRL
***
Mozart d'abord, mais pas
seulement Mozart, tel est le fil rouge de la Mozartwoche
ainsi que la conçoivent ses actuels responsables, Marc Minkowski et Matthias
Schulz. Pour sa troisième année de programmation, la marque imprimée par le
chef français est indéniable et la manifestation salzbourgeoise, fondée en
1956, offre des couleurs éclatantes, souvent inédites. Son credo artistique
commence à porter ses plus beaux fruits dans le domaine scénique. Après Lucio
Silla en 2013, Orfeo ed Euridice, l'an passé,
voici avec Davide penitente un pas
supplémentaire franchi dans l'innovation, aussi bien qu'un habile hommage à la
tradition équestre de la ville. Rien ne saurait être figé, estime-t-il. Déranger
quelque peu la tradition ne messied pas ! Le public ne se fait pas prier
puisque le taux de remplissage des salles avoisine 90%. Pour le 259 ème anniversaire de la naissance du génie salzbourgeois, on
pouvait entendre l'intégrale des quatuors de la maturité et des concertos de
violon, comme un florilège de sonates pour piano, de concertos et de
symphonies. Aux côtés de Mozart, on honorait, ce mois de janvier, Franz
Schubert dont étaient joués l'ensemble des symphonies et son opéra Alfonso und Estrella ; mais aussi le
compositeur Eliot Carter. Les meilleurs interprètes sont là, Nikolaus Harnoncourt, András Schiff, Louis Langrée, Piotr Anderszewski, le Quatuor Hagen, Mitsuko
Uchida, Fazil Say, ou la
chanteuse Diana Damrau. On note une solide présence
française, Laurence Equilbey, Pierre-Laurent Aimard, Gautier Capuçon, Julie
Fuchs ou le ténor Stanislas de Barbeyrac ; mouvement
qui devrait s'amplifier l'an prochain avec la venue de Renaud Capuçon, des sœurs Labèque, des
Ebène et des Vents français. Un étonnant spectacle lirico-équestre Wolfgang Amadé
MOZART : Davide Penitente. Cant ate KV 429. Précédée
de Adagio et fugue KV 546 et de Maurerische Trauermusik, KV
477. Christiane Karg, soprano, Marianne Crebassa, mezzo soprano, Stanislas de Barbeyrac,
ténor. Salzburger Bachchor.
Les Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc
Minkowski. Chevaux & Cavaliers de l'Académie équestre de Versailles, régie
: Bartabas.
Le pari était audacieux. L'idée
somme toute logique : donner à entendre la musique de Mozart sur un spectacle
équestre, dans un lieu dédié à cet art, la Felsenreischule,
le Manège des rochers, où depuis le XVII ème siècle
se perpétue une tradition inhérente à la ville de Salzbourg, et immortalisée,
entre autres, dans la célèbre gravure représentant « l'école équestre
d'été » de August Franz Heinrich Naumann.
L'évidence de la présence du cheval, on la trouve partout à Salzbourg, ses
fontaines, dont la plus fameuse, celle de la Place de la Résidence munie de ses
quatre demi chevaux ailés, l'abreuvoir aux chevaux, au bas du Monschberg, et bien sûr cet endroit dédié qui servait de
salle d'exercices, la Felsenreitschule, aménagée au
flanc même de la montagne. C'est le prince archevêque Wolf Dietrich qui, dès
1607, imagina cette monumentale construction. Ses successeurs, tous aussi férus
d'équitation, n'eurent de cesse de magnifier cet art. Et dans les temps plus
récents, depuis la création du Festival de Salzbourg, ce lieu unique donnera
naissance à des spectacles théâtraux et opératiques mémorables : Les deux
Faust de Goethe, La Flûte enchantée due à Jean-Pierre Ponnelle, le Saint François d'Assise de Messiaen réimaginé par Peter Sellars,
La Damnation de Faust vue par la Furia dels Baus, L'amour de loin de Kaija
Saarihao, jusqu'à ces Soldats de Zimmermann où
Alvis Hermanis introduisit
des chevaux en fond de scène. Marc Minkowski dont on sait la passion pour les
équidés, et son complice Bartabas, les placent au
cœur même du spectacle. Pourquoi ? Parce que selon le chef d'orchestre,
« les chevaux sont une part de l'histoire culturelle, de l'art et de
l'éducation musicale depuis des temps immémoriaux ». Et de remarquer que
les lieux de spectacles équestres sont dès le XVIII ème
également des endroits de création opératique et musicale, comme à Versailles
ou dans la salle du Cirque Olympique (1793-1862), voire du Cirque d'Hiver à
Paris qui vit naguère se produire l'Orchestre Pasdeloup. Un retour aux sources
à Salzbourg donc. Le cheval entend-t-il la musique ? Assurément, répond Bartabas, à travers le filtre que constitue le cavalier,
alors que « le cheval est un être qui possède le rythme et dispose d'une
mémoire aiguisée tant visuelle qu'auditive ». Marc Minkowski a choisi
d'illustrer ainsi la cantate Davide penitente,
KV 469, adaptation de la Messe en C, KV 427, conçue par Mozart pour un concert
de la « Société viennoise des veuves et orphelins ». Pour l'occasion
il y adjoindra des textes de l'italien Saverio
Mattei. On sait peu de choses de cette composition. Elle n'est mentionnée dans
la Correspondance que dans une seule lettre de Leopold
Mozart à sa fille Nannerl du 12 mars 1785. Dans la mesure où la pièce ne dure
que 45', on a décidé d'y adjoindre d'autres morceaux : l'Adagio et fugue
KV 546, et La Musique funèbre maçonnique, KV 477, outre deux courtes
pièces, en tant qu'intermèdes (la marche des Prêtres de La Flûte enchantée,
et l'andante de la symphonie KV 96). La tonalité du spectacle est solennelle,
donnée d'emblée par l'Adagio et Fugue, qui au demeurant sert de moment
d'échauffement des chevaux, et restera sombre et et
recueillie du fait du contexte musical religieux.
L'aspect visuel apporte à cela
une nuance importante. En effet, afin de disposer d'une plus grande profondeur
de champ que ne le permet habituellement la plateau
qui se signale surtout par sa largeur, et ainsi de permettre aux chevaux et à
leurs cavaliers de disposer d'un espace significatif, on a recouvert la fosse
d'orchestre. Ce qui a eu pour conséquence d'affecter les forces musicales
ailleurs : dans les innombrables loges creusées à même le rocher. Idée là
encore plus qu'audacieuse, mais finalement géniale. Sur les trois rangées des
loggias en arcades, et blottis deux par deux, les Musiciens du Louvre Grenoble
ainsi que les chœurs et les trois solistes vocaux forment un tapis musicale
concluant l'horizon. Du point de vue acoustique la réussite est nette : un telle disposition ne souffre pour l'auditeur aucune
difficulté. La seule est sans doute pour les musiciens eux-mêmes qui ont du fil
à retordre pour s'entendre entre eux, et pour le chef qui juché sur un podium,
décentré à gauche, dirige à distance cette armée d'anges. Le risque que
l'attention soit trop concentrée sur les chevaux, au détriment de l'écoute de
la partition, est largement tempéré par la beauté esthétique présidant à cet
agencement des forces musicales. On a autant de plaisir à savourer la
chorégraphie équestre qu'à admirer ce mur sonore, tout aussi magistralement
enveloppés que sont musiciens, chœurs et solistes par les éclairages envoûtants,
variant les atmosphères, bleutées ou rougeâtres, imaginés par Bertrand Couderc.
Sans doute les contraintes du lieu ont-elles construit le spectacle. Elles
l'ont en tout cas inspiré. Car la régie de Bartabas
créé une chorégraphie fluide, aérienne, extrêmement variée, où se succèdent
cavalcades d'ensembles et évolutions en nombre plus restreint. Elle propose un
concept dramaturgique ouvert : ne cherchant pas à raconter une histoire, elle
offre la magie d'une abstraction et en appelle à l'émotion esthétique. On n'est
pas prêt d'oublier le solo du cavalier montant un destrier blanc immaculé en
contrepoint à l'aria de la mezzo-soprano « Lungi
le cure ingrate », ou encore ce vrai duetto voix/cavalier durant l'aria de
la soprano « Tra l'oscure
ombre funeste », traduite par une étonnante cadence calée sur la
colorature. L'élégance caractérise toutes ces figures souples qui mêlent
habilement mouvements d'allégresse et instants de spiritualité. Le véritable
Pas de deux de Bartabas et de sa monture « Le
Caravage », sur la Musique funèbre maçonnique, restera un instant
d'intense réflexion. Les 10 cavalières, leurs deux collègues masculins et les
superbes Lusitanos et autres Criollos
enchantent les yeux et l'esprit. Le Bachchor Salzburg
aussi, comme les solistes dont le distingué ténor Stanislas de Barbeyrac, déjà merveilleux Tamino
au Festival d'Aix en 2014. Marc Minkowski tire de ses Musiciens du Louvre
Grenoble les plus expressives sonorités mordorées, en particulier dans les
solos des vents, la flûte de Florian Cousin, les hautbois de Claire Sirjacobs, la clarinette de Francesco Spendolini,
et le basson de Marije Van der Ende.
Une autre rareté opératique de Schubert Franz SCHUBERT : Alfonso und Estrella, D
732. Opéra en trois actes. Livret de Franz von Schober. Mojca Erdmann, Toby Spence,
Markus Werba, Michael Nagy, Alastair Miles, Benjamin Hulett, Mayumi Sawada. Salzburger Bachchor. Mozarteumorchester
Salzburg, dir. Antonello Manacorda.
Version concertante.
Le premier grand opéra que
Schubert mit sur le métier, en 1822, Alfonso und Estrella, dépasse le simple singspiel, par ses
proportions imposantes, et le pur mélodrame en l'absence de dialogues parlés.
Il est conçu dans la veine héroïco romantique qui sera également celle de sa
dernière tentative pour la scène, Fierrabras,
deux ans plus tard. Tiré d'un livret de Franz von Schober, il traite, dans l'Espagne du VIII ème siècle, des amours contrariés de deux jouvenceaux dont
les pères sont ennemis : Alfonso, rejeton du roi de Leon,
Froila, et Estrella, fille
de l'usurpateur Mauregato. Un vilain, nommé Adolfo,
pimente les choses puisque courtisant aussi la belle avant de se voir
éconduire. Après de longues digressions, tout finit bien par une union méritée,
la réconciliation des ennemis d'hier et l'accession d'Alfonso sur le trône.
L'opéra ne sera pas donné du vivant de Schubert, sa création n'intervenant
qu'en 1858, à Weimar, grâce aux efforts de Liszt qui dirigera l'orchestre. Il
ne s'imposera pas plus après, laissant à l'œuvre une unique carrière au
concert. C'est que l'intrigue imaginée par Schober,
l'ami trop attentionné, est assez peu théâtrale - encore moins que celle de Fierrabras - et ne s'encombre pas de substrat
psychologique. Mais on suit sans trop de mal le fil des ces amours contrariés,
un peu dans le style du « Comme il vous plaira » de Shakespeare, et de ces
rivalités chevaleresques usant des paramètres obligés de l'opéra romantique,
avec ses chœurs de chasseurs, ses imprécations de vengeance et d'impétueux
déchaînements militaires. L'action progresse non en courtes scènes, mais sous
forme de vastes tableaux enchaînant airs, précédés de courts récitatifs, duos
et ensembles. Les finale des actes sont suffisamment différenciés et
abondamment développés pour donner du grain à moudre aux interprètes. Le sel de
cette œuvre on le doit à la musique de Schubert. La veine mélodique est souvent
suave, comme il en va de de l'air d'Alfonso, au II ème acte, conçu comme un Lied orchestré, ou au contraire
marquée par de significatifs écarts d'amplitude, tels que le montrent les arias
confiées aux deux pères. Le discours se distingue aussi par les subtiles
couleurs qu'apporte l'écriture pour les bois, la plupart du temps doublés, et
utilisés pour des effets dramatiques certains. Ainsi de la flûte piccolo lors
de l'intermède ouvrant le dernier acte. Les cuivres et les percussions ne sont
pas moins fort sollicités. Malgré de sévères
coupes-sombre, la présente exécution donne une idée exacte de cette partition
rare. Antonello Manacorda, naguère Ier violon du MCO,
puis responsable du département musique de chambre de l'Académie Européenne de
Musique d'Aix, et qui a travaillé avec Claudio Abbado, drive l'orchestre du Mozarteum Salzburg et en obtient une belle fluidité, en
particulier dans la section des bois et les solos instrumentaux agrémentant les
airs. Maintenant une tension palpable de bout en bout, il sait pointer les
moments spécifiques, par exemple le prélude qui ouvre le III ème, proprement cataclysmique dans ses sonorités
tranchantes. Le Bachchor de Salzbourg montre, encore
une fois au lendemain du spectacle Mozart, un souci de fine articulation,
notamment dans les passages véhéments. La distribution est, à une exception
près, de qualité. Un brelan de voix grave domine les débats : Markus Werba, hier turbulent Papagno
dans La Flûte enchantée d'Harnoncourt, campe un Froila
à la faconde intarissable. Son ennemi Mauregato est,
avec Michael Nagy, doté d'une formidable pointure, là aussi excellemment
projetée, en particulier dans la grande scène précédant le dénouement, aux
harmonies grandioses, et enluminé par un magnifique solo de violoncelle. Enfin
Alastair Miles campe un Adolfo noir et effrayant. Le ténor clair et fort bien
conduit de Toby Spence
offre à Alfonso une aura superbe, alliant douceur et héroïsme. Las, la
composition d'Estrella que présente Mojca Erdmann, reste en-deçà :
voix de petit gabarit, à la sonorité perçante, dépourvue de charisme. On a peine
à imaginer que le rôle fut créé par la soprano qui incarnait la Léonore de
Beethoven. Mozart en quatuors : la quintessence Ils ont tout juste pris
quelques cheveux blancs et un peu d'embonpoint, sauf la belle Veronika, mais ils sont au faîte de leur art. Le Quatuor
Hagen donnait en deux séances les Six Quatuors dédiés à Haydn. Que du
bonheur, ajouté au plaisir de les entendre dans le cadre historique de la
Grande salle du Mozarteum. Après un silence de
quelque neuf ans, Mozart revient au genre du quatuor à cordes en 1782, juste
après le succès de L'Enlèvement au Sérail, mais aussi une crise morale
importante. La publication des « Six quatuors russes » de Josef
Haydn, la même année, a-t-elle joué un rôle ? Admiratif de son aîné, Mozart va
s'investir dans une série de six œuvres, où bénéficiant de l'expérience de
celui-ci, il s'affirme, et « y infuse son propre cœur » (J. & B. Massin). Mozart parle de ses « six fils »,
fruits d'« un un long et laborieux effort ». Le premier, KV 387,
semble le plus ardu. Les Hagen abordent l'allegro vivace de manière retenue,
car sous la joie de vivre perce vite l'assombrissement. Le Menuetto
lui aussi se colore singulièrement d'un Trio d'un tragique déclamatoire. Dans
l'andante s'affirme le méditatif au travers de la belle cantilène du premier
violon de Lukas Hagen. Le jeu d'une pureté solaire de cet interprète nimbera
toutes ces exécutions. A commencer par celle du Quatuor suivant KV 421 (1783),
en Ré mineur, dont l'intensité tragique s'impose dès les premières mesures de
l'andante moderato. Les cordes exploitées dans le grave en soulignent le
pathétique. Si l'andante apporte un espace de répit optimiste, le Menuetto s'affirme plus farouche dans l'interprétation
hautement pensée des salzbourgeois qui ne cherchent nullement la facilité. Leur
souveraine plasticité distingue encore l'allegretto final, bâti sur le schéma
de variations à partir d'un thème de sicilienne, dont une magistrale à l'alto.
Il en émane un gaité communicative. Le Quatuor KV 428
(1784) affirme ici toute sa rigueur et cette alternance, si innée chez Mozart,
de l'enjoué et du grave, que ce soit dans l'allegro initial, opposant un thème
mystérieux et un second d'une allégresse décidée, ou au finale que les Hagen enluminent de ppp
envoûtants et d'une finesse du trait proprement inouïe. A l'andante, le premier
violon tresse une romance d'une intime gravité. La scansion si particulière du menuetto encadre un Trio affirmant une infinie tendresse.
La deuxième séance rapprochait
les quatuors KV 458, 464 et 465, composés en l'espace de trois mois, de
novembre 1784 à janvier 1785. Mozart sera admis officiellement dans la Franc-Maçonnerie en décembre 1784, et le ton de ces œuvres
s'en ressent. Quoique qualifiés par Leopold de
« plus faciles » que les précédents, leur apparente simplicité ne
doit pas faire conclure à un manque d'intériorité. Bien au contraire. Le
quatuor KV 458, en Si bémol majeur, qui traduit le « sentiment de
bienfaisance morale » (Girdlestone), ne se
résout pas à son début enjoué, qui lui fit donner, un peu hâtivement, le
sous-titre de « La chasse ». Car la note sombre arrive dès le
troisième thème d'une profondeur abyssale, entonné par le Ier violon, là encore
lumineux de Lukas Hagen. La belle rythmique du menuet, agrémentée d'un Trio
fort dansant, contient cependant l'ardeur de la pièce jusque là perçue.
L'adagio perce l'âme avec ses silences évocateurs et surtout la sonorité grave
du cello de Clemens Hagen. Le finale sera décidé,
empli de rythmes de danse auxquels l'auditeur n'offre nulle résistance. Les
Hagen décryptent toute l'impénétrabilité du Quatuor KV 464, dont les allusions
franc-maçonnes sont plus qu'évidentes. Ainsi en est-il, à l'allegro initial, du
thème lancé piano par le Ier violon, auquel répond un unisson forte des quatre instruments. Les choses seront
inversées au Menuet suivant, la réponse, ici piano, du Ier violon piano
ouvrant une nouvelle phase du dialogue de l'initiation. Le Trio médian a cette
étrange allure de l'aspiration vers un horizon nouveau. L'andante, sur le
schéma du thème et variations, se signale par son cantabile et le traitement
innovant réservé à chacun des quatre protagonistes, en particulier le
violoncelle dont le bourdonnement sera repris par chacun, l'alto, puis le
second violon, et enfin le 1er violon. Le Quatuor KV 465 fait figure de
récapitulation des six opus, de synthèse d'un formidable parcours, où tout
semble se libérer du génie mozartien. Il signale aussi l'aboutissement atteint
par les quatre présents interprètes, qui va bien au-delà de la pure perfection
du jeu et même de la finesse instrumentale de chacun. C'est d'intériorité qu'il
faut parler, comme du Praeludium adagio, à la limite
de l'atonal, qui ouvre le premier mouvement - d'où le surnom de « Quatuor
des dissonances » - ; de limpidité et de dépouillement du discours, comme
à la section allegro qui coule de source ; d'intensité - qui ne cherche pas à
être trop aisément abordable et va de pair avec le refus de toute facilité - à
l'andante cantabile, qui touche le pathétique ; d'extrême souci de la
dynamique, comme dans l'intimité d'un menuetto tout
de candeur, que le Trio parsème de cris allègres ; enfin de flair absolu pour
traduire les oppositions entre joie et douleur au finale, et d'esprit telle
cette joyeuse coda d'opéra bouffe qui clôt cette somme. Une rare expérience que
ces deux concerts ! Nikolaus
Harnoncourt et les Viennois pensent Schubert
Les concerts des Wiener Philharmoniker sont des temps forts de la Semaine Mozart.
Même si le public n'est pas, dans ce cas, le même que celui des autres
manifestations, plus remuant, moins concentré. Le premier concert d'une série
de trois était dirigé par Nikolaus Harnoncourt. Une
sorte d'événement alors surtout que le programme était constitué uniquement de partitions de Schubert. A la
tête d'une formation restreinte, type « Mozart », placée devant le
rideau de fer, pour une meilleure proximité avec l'auditoire, et disposée de
manière originale, avec contrebasses à l'extrême gauche, cellos
devant, violons divisés, et cuivre et timbales sur le côté droit, Harnoncourt
débute par l'Ouverture pour le Mélodrame Die Zauberharfe
(La Harpe enchantée), D 644. Cette pièce - qui servira aussi d'Ouverture à la
Musique de scène de Rosamunde - est abordée de
manière dramatique et très lente. Le chef s'en explique dans son récent
ouvrage, « La parole musicale » (cf. NL de 11/2014)
) : « faire éclore la magie de cette musique naissant d'idées
musicales radicalement différentes au gré de très forts contrastes »,
influencée qu'elle est par « une vision très picturale, liée aux histoires
de fantômes de E.T.A. Hoffmann ». De fait, le rendu mêle l'effrayant et le
mystérieux. Le maître prend ensuite la parole, comme il aime à le faire pour
donner deux ou trois clés de compréhension, maniant le paradoxe, à la
satisfaction de la salle : il s'explique sur les indications de dynamique et le
distinguo chez Schubert entre « crescendo »,
« decrescendo » et « diminuendo », sans doute peu
saisissable par l'auditeur lambda. Puis annonce quelques éléments concernant le
6 ème symphonie qui va suivre : sa date de
composition, 1817/1818, contemporaine de l'arrivée de Rossini à Vienne, et le
fait que Schubert se dit alors qu'il pouvait composer de la musique selon la
même manière ironique... La Sixième Symphonie, D 589, vérifie le credo
d'Harnoncourt en matière d'« écriture riche de dynamiques » (op.
cité), ce qui ne veut pas dire de précipitation ; au contraire, les tempos
restent très mesurés au premier mouvement et pas seulement dans la première
séquence adagio, solennelle, comme à l'andante suivant, pris de nouveau très
lent au fil de ses variations. Mais le scherzo, fort scandé, montre soudain son
exubérance, incisif, laissant place à un vaste trio, marqué « Piú lento », sonnant comme une volée de cloches
atténuée. L'allegro moderato final manie l'ironie du vrai-faux pastiche d'un
opéra de Rossini, dans sa profusion de thèmes et ses effets de surprise, outre
ses innombrables combinaisons instrumentales. Le concert se concluait par la
Symphonie N° 7, D 759, dite « Inachevée », dont le début de
composition, 1822, est contemporain de l'opéra Alfonso und
Estrella. Une affaire très grave entre les mains
du chef autrichien, hautement pensée, sur le thème de la vie et la mort.
Harnoncourt professe le retour à l'original, idée parfaitement distincte, selon
lui, de celle d'une soi disant fidélité à l'œuvre. Il
est essentiel, plutôt, de se dégager de modes d'interprétation dont les strates
se sont accumulées, notamment à la suite et du fait de Brahms qui a réorchestré
des passages entiers des symphonies de son aîné, puis au fil des
interprétations « modernes » dont au passage il égratigne les
représentants : « Parmi les chefs qui dirigeaient l'Inachevée, je ne pourrais
en citer aucun qui ait eu un message personnel à délivrer dans cette
musique » (op. cité) Les deux volets de cette symphonie, seuls mouvements
restant d'un vaste projet non mené à terme, Harnoncourt les joue avec la foi du
croyant et l'expérience d'une vie. L'ambitus est très large, étirant le tempo à
l'extrême dans l'Allegro moderato, au fil des reprises du thème-épigraphe, dit
« d'ensevelissement », et d'un développement solennel. Ralentissant
encore le timing à l'Andante suivant. La composante rythmique, très travaillée,
n'est pas pour autant négligée. Les Viennois jouent comme des anges. Le
caractère peu nombreux de la phalange préserve de tout effet massif, qui
ressort de la gravité du propos et rend les contrastes dynamiques d'autant plus
frappants. Cette exécution, pour astreignante qu'elle soit dans son intériorité
- l'auditoire est devenu on ne peut plus discret -, laisse un sentiment
d'élévation et d'immensité, celui d'une alchimie singulière qui scelle une
expérience unique. Car c'est le privilège des très grands que de côtoyer l'Éden. Trilogie viennoise par András Schiff et son orchestre
La traditionnelle matinée offerte, dans la
grande salle du Mozarteum, par András
Schiff et sa Cappella Andrea Barca était consacrée à
la trilogie Beethoven, Schubert, Mozart. Dans cet ordre. Le Premier Concerto de
piano, op. 15 de Beethoven, achevé en
1801, doit beaucoup à Mozart et à ses grandes partitions confiées au genre
concertant. Mais le compositeur de 31 ans y affirme déjà une patte toute
personnelle, ne serait-ce que dans un traitement solide de la dynamique et une
écriture non moins robuste pour l'instrument soliste. L'aspect quasi martial de
la ritournelle qui ouvre l'allegro con brio manifeste un entrain non dissimulé,
dont András Schiff ne
mégote pas la flamboyance. Tout comme dans la partie pianistique, fort
percussive, découvrant un monde de fantaisie qu'enlumine la sonorité claire et
nette du Bechstein joué – un instrument de 1921 sur
lequel le grand Wilhelm Backaus donna d'innombrables
concerts. La cadence, celle de Beethoven, sera presque assénée. Le largo et son
premier thème mémorable, Schiff le
nurse avec attention, sans exagérer son poids expressif, et la péroraison du
clavier sera chambriste. Le finale allegro scherzando oscille entre vision
fantasque et manière de grand classicisme. Le mouvement progresse là encore
avec une belle vigueur et s'emballe même. L'orchestre, conduit par le Konzertmeister Erich Höbarth,
déploie de savantes sonorités, en particulier aux bois. Il sera le héros de la
pièce suivante, la Cinquième symphonie
de Schubert, D 485. Une des plus populaires des symphonies dites de jeunesse
(1816), de par sa simplicité formelle et son effusion lyrique. András Schiff mise sur son
immédiat « appeal » : ce charme si
irrésistiblement viennois qui procède d'une solide articulation mâtinée d'un
art des transitions tout en douceur entre phrases, et d'élégance. Celle-ci va
distinguer tout aussi bien l'Andante dont le deuxième thème est pris large mais
sans excès de lenteur. Le développement s'achemine sans heurt, le chef laissant
même un instant ses musiciens aller seuls leur chemin. Le Menuet est décidé, qui n'est pas sans
rappeler la Symphonie KV 550 de Mozart.
Il s'offre un Trio presque paresseux ici, réellement dans le style paysan.
L'allegro conclusif est fort vif, grâce aux sonorités chaudes et colorées d'une
phalange décidément de classe ! Une interprétation dans la manière d'un Karl
Böhm, loin des interrogations métaphysiques d'un Harnoncourt la veille. Le
concert s'achevait par le Concerto de piano K 482 de Mozart. Ce 22 ème, qui date de 1785, reprend la coupe exacte d'une pièce
précédente, déjà marquante, celle du Concerto N° 9, K 271, dit « Jeunehomme ». András Schiff en livrera une exécution mémorable, jamais autant en
affinité qu'avec ce compositeur. L'allegro initial est affirmé, au long de sa
myriade de thèmes grandioses, au sein desquels s'insinue une note plus sombre,
à la clarinette notamment. La cadence, due au pianiste lui-même, est ornementée
à partir du premier thème et progresse dans l'esprit de la floraison citée.
L'andante découvre un univers de tension émue que le chef laisse, là encore, à
son orchestre le soin d'exprimer. L'entrée du piano, si douce, fait place à des
variations du soliste qu'agrémente un concertino des bois où perce l'étincelle
du génie. Le finale a cette insouciance du trait qui s'assombrit soudain lors
d'une brève séquence d'extrême gravité ; et dans la cadence, de son cru, Schiff mêle adroitement les deux types de sentiments. Sous
l'œil de deux collègues dans la loge d'avant-scène, Mitsuko
Uchida et Markus Hinterhäuser,
le pianiste hongrois aura livré la quintessence de son art. De Mozart aussi, le
vrai. Jean-Pierre
Robert.
***
La Folle journée : Passion Musiques
La XXI ème
édition de La Folle journée de Nantes aura affirmé son succès public et
artistique. Le concept avait pourtant quelque peu changé avec un thème plus large
et fédérateur, dédié à « Passions de l'âme et du cœur ». Qui se
voulait très rassembleur et visant autant à intéresser un plus large auditoire
qu'à introduire des œuvres plus difficiles d'accès ou délicates à insérer dans
un programme de thématique concentrée.
Le taux de fréquentation, de l'ordre de 90 %, pour 154 000 billets vendus sur
les 170 000 proposés, des 350 concerts payants, 31 gratuits, outre les 47
conférences, toutes à guichet fermé, autorise l'optimisme. Aussi les prochaines
saisons seront-elles bâties sur le même mode : « la Nature » en 2016,
« la Danse » en 2017 et « l'Exil » en 2018. Le thème de
cette année permettait de couvrir le plus large spectre, de la Renaissance à la
période moderne ! Pourquoi, quant à notre propre aventure
musicale, ne pas remonter le temps ! En commençant par Olivier Messiaen. Son Quatuor
pour la fin du temps en appelle au fond à une certaine passion, celle de la
vie spirituelle. Les circonstances de sa composition et de sa première
exécution, en 1941, dans l'enfer d'un camp de prisonniers, sur des instruments
de fortune, fournissent une clé de lecture essentielle. Inspiré de l'Apocalypse
et de la « figure de l'ange qui annonce la fin du temps », il propose
une sorte de repos de l'âme à travers ses huit mouvements, alternant solos, de
violoncelle (« Vocalise pour l'ange qui annonce la fin du temps »,
divinement joué par Raphaël Pidoux), de clarinette
(« Abîme des oiseaux » dont Philippe Berrod
va chercher le son au tréfonds de l'instrument) ou de violon (« Louange à
l'immortalité des Jésus », sous l'archet inspiré de Marina Chiche), ou
séquences d'ensemble des quatre protagonistes. Devant une salle comble, cette
exécution aura constitué un pur moment de grâce, là où jaillit l'étincelle de
la perfection. Gidon Kremer
et sa Kremerata Baltica, réunissant de jeunes musiciens de Lettonie,
de Lituanie et d'Estonie, ici dirigés
par Andris Poga, se
produisaient pour la première fois à Nantes et devant de nombreux collègues
musiciens, dans trois pièces peu connues ici. Fratres
de Arvo Pärt (*1935), est
une méditation violonistique à travers des cadences singulières et un discours
incantatoire découvrant une perspective rare de l'espace sonore. La
« Chaconne à la mémoire de Jean-Paul II », extraite du Requiem
polonais pour cordes de Krzysztof Penderecki (*1933), allie douceur et
charisme, à l'image de la personnalité de son dédicataire, mais aussi profonde
souffrance. Enfin, la symphonie de chambre N° 1 op. 145 de Mieszyslaw
Weinberg (1919-1996), dont le langage est à mi chemin entre l'idiome de
Prokofiev et celui de Chostakovitch, mérite d'être découverte. Connaissant ses
classiques (allegro, andante), il fait la part belle au rythme (allegretto,
sorte d'intermède dansé), et à l'humour (presto final) alignant des traits tranchants
et grinçants que n'aurait pas renié l'auteur de Lady Macbeth de Msensk ! Pour savourer tout
autre chose, et de fort contemporain, on aura fait un saut dans une concert de
fado. Mais un fado revu et corrigé par Antonio Zambujo
& friends. S'il se réfère au monde d'émotion
imaginé par la grande Amalia Rodrigues, Zambujo s'en
éloigne par sa volonté de modernité, que traduit avant
tout un jeu amplifié et des arrangements pour guitare, guitare portugaise,
clarinette, contrebasse et trompette. La
guitare portugaise en prend une sonorité stratosphérique, bien éloignée de la
séduction intime qui en émane dans les soirées des boîtes spécialisées de
Lisbonne. Après quelques morceaux, on se fait à cette manière qui ne manque pas
d'appeal, et plait au public.
La passion vue à la période romantique, on
la devait d'abord à Brahms. Son Troisième Quatuor pour piano et cordes op. 60
ne passe pas pour le plus abordable. A 9H15 du matin, on salue l'endurance du
public, sage comme une image. Entre élans vite réfrénés et sombres accents, il
n'est pas toujours aisé de suivre les méandres de la pensée brahmsienne. Mais
Marie-Catherine Girod et le Quatuor Prazak dénouent
avantageusement les longues digressions de l'andante et savent faire bondir le
scherzo. Avant ils auront donné le Quartettsatz
de Mahler, là encore bien peu connu, et atypique dans la production du
compositeur. Car on y perçoit la dette de celui-ci envers les romantiques de
par un thème très ample, mélancolique, sans cesse travaillé. De Brahms encore,
le Trio Wanderer donnait le Trio N° 1 op. 8, dans sa
version originale : une vision que caractérisent les digressions d'un fougueux
jeune musicien, et qu'il remaniera à la fin de sa vie, pour une plus grande
concision, « sans se renier », remarque dan sa courte présentation
Jean-Marc Phillips-Varjabédian. « Un cri d'amour
à Clara (Schumann) » dit-il encore. Tout est ici enfiévré dans les quatre
mouvements dont seul le scherzo semble avoir la même configuration que dans la
version définitive. Ailleurs, les développements sont intenses, comme il en est
de la longue cantilène de l'adagio ou du finale avec ses moult redites. Les Wanderer jouaient aussi le Trio pour piano No 6 de
Beethoven, op 70 n°2 : une pièce un peu à part, dédiée à Marie Erdödy, l'amour unique du compositeur. De fait, le premier
mouvement prend la forme d'une conversation amoureuse, comme le finale est une
déclaration enflammée. Hasard ou coïncidence le Tio
N° 5 op . 70 N°1 de Beethoven dit « Les
Esprits » était joué par le jeune Trio Les Esprits. Là encore un pur
moment de bonheur, devant tant de joie à jouer ensemble et de cheminer avec la
musique de Beethoven, en particulier au largo d'une profondeur inouïe, nanti de
pianissimos éthérés. Le pianiste Adam Laloum est un chambriste accompli, dans
la lignée de Menahem Pressler. Il interprétait les Études
symphoniques op. 13 de Schumann, avec beaucoup de pédale et de sforzendos retentissants. Cette pièce ardue avait du brio,
mais pas tout à fait sa vraie intensité. Il n'importe, un grand du piano est
devant nous. Pour finir avec Beethoven, Luis Fernando Pérez, délaissant un
moment sa chère musique espagnole, proposait la Sonate op. 31 n° 2, « La
Tempête », formidablement articulée et bien pensée, quoique le demi queue dans la modeste salle de 80 places sonnait
bien trop à l'étroit. Comme dans « La mort d'Isolde » de Wagner,
transcrite par Liszt, dont les enjolivements dans les grands climax saturaient
en pareille occurrence, de même que l'Étude n° 12 de Scriabine, on ne peut plus
tempétueuse.
De la période dite classique on a entendu
des pièces de CPE Bach par l'Akademie für Alte Musik
Berlin : le concerto pour flûte Wq 22, sorte de
concerto grosso que les merveilleux instruments anciens de cet ensemble mettent
vraiment en valeur. Puis deux Sinfonia fort enlevées,
à la grande joie d'un auditoire conquis. Zhu Xiao-Mei jouait une sélection de Préludes et fugues du
Clavier bien tempéré de JS. Bach. Un toucher tout en rondeur, peu de
pédale, une confidence ; et quelques notes accrochées. Un choix de Contrapunctus extraits de L'Art de la Fugue complétait ce concert,
réfléchi et ému. Passion Bach, certainement! L'immense Michel Corboz était là pour défendre la Messe en sol mineur BWV
235 de Bach. Appelée « missa brevis », car
ne comportant qu'un Kyrie et un Gloria, ses textes proviennent de cantates
antérieures. Avec ses 14 instrumentistes et le chœur réduit de son Ensemble
Vocal Instrumental de Lausanne, Michel Corboz
distille la quintessence, faisant intervenir en solistes, trois des membres du
chœur. La voix du contre ténor Jean-Michel Fumas n'a pas la ductilité de ses
illustres confrères. Le Dixit Dominus de Haendel est à travers les mains du chef suisse, une
expérience unique entre toutes, douceur des interventions chorales, bien
détachées, sûreté des solos vocaux et instrumentaux, geste clair et ému. La
passion du cœur et de l'âme, qui mieux que Claudio Monteverdi l'a traduite en
musique ! L'ensemble La Venexiana donnait un
florilège de pièces vocales dont le poignant Lamento Della
Ninfa. Ces interprètes, chanteurs et
instrumentistes, leur donnent des couleurs infinies, les voix d'hommes surtout,
et le « stile concitato »
en ressort magnifié. Avec ce que cela comporte d'excès dans la prosodie, jusqu'à
une certaine parodie dans la restitution des affects dont la déclaration de
flamme dissimulée par le truchement de sous-entendus narquois ou libidineux. On
terminera ce voyage musical nantais par des Sonates de Scarlatti interprétées
par Anne Queffélec, une icône céans. La grande dame
du piano prend d'abord la parole, si simplement, pour lancer quelques pistes de
réflexion. Auteur de 555 sonates pour clavier, Domenico voit sa veine créative
littéralement exploser à la mort de son maître. Ces « exercices »,
dédiés à Barbara d'Espagne, véhiculent « ombre et lumière » à travers
une incroyable inventivité rythmique. Au piano moderne, s'opère « un
changement de caractère, et elles acquièrent des couleurs nouvelles ». Il
faut admirer ici la liberté de la forme et pas y voir « seulement de l'électricité »!
Et surtout s'imprégner de la devise du musicien « Montres-toi plus humain
que critique ». Le choix opéré par Queffélec ne
conduit pas vers les sonates les plus « mécanicistes », comme naguère
Horowitz, mais autour d'une succession de pièces, certes rapides, mais
chantantes aussi comme la bien nommée sonate K. 32, dite « Aria ». La
manière de la pianiste est dépouillée et raffinée, un brin plus sérieuse que celle de son jeune collègue Alexandre Tharaud. Pourquoi cette artiste n'est-elle pas appelée à se
produire dans les salles parisiennes ? Jean-Pierre Robert. La Belle au bois dormant qu'on n'attendait pas Ottorino RESPIGHI : La Belle au bois dormant. Conte musical en trois
actes. Livret de Gian Bistolfi, d'après le Conte de Charles Perrault. Gaëlle
Alix, Lamia Beuque Marie Cubaynes,
Peter Kirk, Jaroslaw Kitala, Sunggoo
Lee, David Oller, Rocio
Pérez, Nathanaël Berga. Le
Balcon, dir. Vincent Monteil. Mise en scène :
Valentina Carrasco. Théâtre de l'Athénée.
Il n'est sans doute pas étonnant que
Respighi ait été séduit par le conte de Perrault pour en tirer un opéra. En
fait, il se servit de cette trame d'abord pour un spectacle destiné à un
théâtre de marionnettes, et en vint à composer bien plus tard un
« vrai » opéra, créé en 1922. Celui-ci sombrera vite dans l'oubli
comme la Princesse dans les vapeurs du sommeil. Mais l'Opéra National du Rhin
l'en tira opportunément il y a peu, dans une production confiée à son Opéra Studio.
C'est celle-ci qui vient d'être présentée au Théâtre de l'Athénée, dont le
directeur est toujours prêt à dénicher la perle. Fort attrayante, elle focalise
sur le côté onirique du conte. La mise en scène de Valentina Carrasco joue à la fois le fantastique et le décalé, dans
une approche toute de finesse, aidée par une décoration qui mise sur la
fantaisie. Des toiles ventées sur un plateau nu, quelques accessoires
essentiels, des personnages-animaux en apesanteur, des projections vidéo en
fond de scène et au devant, pour installer un décor sylvestre, enchantent
l'œil. Guidée par l'exiguïté du plateau, la régisseuse déploie sans peine des
trésors d'imagination pour constamment animer les scènettes
qui se succèdent dans une réelle fluidité. Au final, des images fantastiques
qui ne séduisent pas que les enfants, fort nombreux lors de la soirée à
l'Athénée. Même si fonctionnant avec un effectif réduit de quelques cordes,
bois et et cuivres, la petite musique de Respighi
sonne avantageusement sous les doigts des musiciens de l'ensemble Le Balcon,
dirigé par Vincent Monteil. Elle installe vite cet univers chatoyant
qu'affectionne l'auteur des Pins de Rome. La distribution est
valeureuse. Même si çà et là la justesse d'intonation n'est pas toujours au
rendez-vous, la jeunesse et l'engagement font plaisir à voir. Comme
l'allégresse admirative d'une salle comble.
Jean-Pierre Robert. La Salle Gaveau commémore la création du Trio de Ravel Fière idée d'avoir convié à la Salle Gaveau
le public mélomane qui fit une salle comble à un concert commémorant la
création du Trio de Maurice Ravel. C'est en effet en ce même lieu, un siècle,
plus tôt, le 28 janvier 1915, que la pièce fut dévoilée sous les doigts d'Alfreo Casella, Gabriel Willaume
et Louis Feuillard. Un sommet de complexité dira-t-on, qui il est vrai donna du
fil à retordre à son auteur, « une longue période de gestation
consciente », en cette période de conflit. Œuvre de pure beauté plastique
surtout, à travers ses quatre mouvements : un « modéré », singulière
entrée en matière, d'un ton presque déchirant ; l'énigmatique
« Pantoum » ; .puis la « Passacaille », séquence lente,
obsessionnelle dans sa répétition de la même courte phrase, parangon de
virtuosité d'écriture, enfin un « Final » qui sonne quasi orchestral.
Denis Pascal, piano, son fils Aurélien Pascal, cello,
et Svetlin Roussev, violon,
en livrent une exécution intense. Elle avait été introduite par des extraits de
la Correspondance, lus par Marie-Christine Barrault ; tout comme pour les
autres morceaux inscrits au programme. D'abord les Valses nobles et
sentimentales, créées en 1911 également à Gaveau, dont les sonorités âpres
déchainèrent à l'époque la réprobation de l'auditoire. Ravel, dans cette
« chaine de valses », affirme son credo d'alors : « créer un
milieu libre », celui de la Société musicale indépendante qu'il
promouvait. L'exécution de François Dumont est immaculée, mais presque trop
sage. Des extraits de « Sillages » de Louis Aubert séparaient les deux
pièces de Ravel. Ce musicien et ami en Pays basque (1877-1968)), livre ici une
composition très arpégée, sorte de ruissellement sonore qui comporte aussi sa
touche de mystère. En seconde partie, la Sonata a tre, op. 62 d'Alfrdo Casella
(1883-1947), sa dernière pièce chambriste (1938), révèle un compositeur
sensible et inspiré. Délaissant la voix, si privilégiée par ses contemporains
ultramontains, il affirme un style se rapprochant des romantiques allemands.
Dans une lettre à Madame Dreyfus, sa marraine de guerre, Ravel dit son
admiration pour une œuvre dont le final, « tempo di giga », empli
d'allégresse, s'en réfère aux baroques italiens, Vivaldi en particulier. Les
« Pagine di Guerra » op. 25 du même Casella, écrites en 1915, pour
piano à quatre mains, traduisent l'effroi ressenti par celui-ci devant de les
horreurs de la Grande guerre. Dans une rythmique digne de Prokofiev ou de Bartok. C'est aussi, selon Ravel, alors une occasion de
brandir un manifeste contre « la
coterie nationale » des biens pensants de la musique ! Du Tombeau de
Couperin (créé par Marguerite Long, toujours à Gaveau, le 11 avril 1919, et
à propos duquel Ravel explique dans une de ses lettres que « l'artiste se
chamaille avec l'homme de guerre »), François Dumont donne une exécution
d'une grande délicatesse au fil des quatre morceaux joués, dans cet ordre :
Forlane, Prélude, Menuet, Rigaudon. Marie-Josèphe Jude et Michel Beroff, interprètes affairés de la dernière pièce de
Casella, le seront également d'une exécution transcendante de La Valse qui
clôt le concert, fantasque, rageuse et emportée. Une soirée riche d'émotions
artistiques, grâce aux talents conjugués de musiciens experts et du beau récit
de Marie-Christine Barrault. Jean-Pierre Robert. Les Fêtes vénitiennes : un feu d'artifice André CAMPRA : Les
Fêtes vénitiennes. Opéra ballet en un Prologue et trois Entrées. Livret
d'Antoine Danchet. Emmanuelle Negri, Élodie Fonnard, Rachel Redmond, Émilie Renard, Cyri
Auvity, Reinoud van Mechelen, Sean Clayton, Marc Beekman, Marc Mauillon, François
Lis, Geoffroy Buffière. Scapino
Ballet Rotterdam. Orchestre et Chœurs des Arts Florissants, dir.
William Christie. Mise en scène: Robert Carsen.
Théâtre de l'Opéra Comique.
André Campra (1660-1744), surtout célébré
pour sa musique sacrée, a donné au théâtre quelques perles sous forme d'opéra
ballets, dans la ferme intention de réveiller une production qui avait tendance
à s'endormir sur ses lauriers tragiques et pompeux, et l'audacieuse ambition de
concilier les styles italien et français. La comédie
lui ouvrant de nouveaux horizons, il allait donner ses lettres de noblesse au
genre de l'opéra-ballet. Après l'Europe galante (1697) et Le Carnaval
de Venise (1699), Les Fêtes vénitiennes installent définitivement,
en 1710, un type de spectacle attrayant, mêlant la danse à la déclamation
lyrique et constitué de diverses actions
indépendantes, dites « entrées », accolées les unes aux
autres, dans la manière du pur divertissement. Le succès est foudroyant, au
point que Campra et son astucieux et prolixe librettiste Danchet
inventent des combinaisons aussi variées que la soif de nouveauté du public l'exige. On reprendra sous des formes diverses ces Fêtes
vénitiennes pendant quelque cinquante ans. Dans le cas présent, les trois
entrées n'ont en commun que le prétexte de se dérouler à Venise, pendant le
carnaval. « Le Bal », d'abord, où un Prince se travestit dans les
habits de son valet afin de séduire une belle ; « La Sérénade et les
Joueurs » ensuite, qui voit un Don Juan se berner lui-même à force de
multiplier les conquêtes à la manière bêta d'un Falstaff, qui trop embrasse mal
étreint ; enfin, « L'Opéra », une parodie du genre où les artistes
jouent leur propre débat amoureux aidé par un spectateur zélé. Un Prologue
allégorique ouvre le fil de ces historiettes où la Folie triomphe de la Raison,
dans ce qui va être la recherche débridée des plaisirs. Un tel canevas ne peut
que fertiliser l'imagination d'un metteur en scène. Robert Carsen
en a à revendre. Il va enluminer cette production créée à l'Opéra Comique. Un
groupe de touristes débarque sur la Place Saint Marc, un jour du carnaval.
Surgit un géant, l'âme de la fête. Dans ses flancs on déniche moult costumes
d'époque que vont endosser nos banaux contemporains. Et les voilà parés pour
jouer les Entrées à venir. La Raison, une bonne sœur en cornette, voit
triompher La Folie et ses appels aux plaisirs. Chacune des trois entrées sera
prétexte à une débauche de clins d'œil : le Prince du « Bal » campé
en Doge, les deux maîtres de musique et à danser se disputant comme chiffonniers
la primauté de leur art ; Léandre-Don Juan faisant son entrée sur une gondole,
des dames aguicheuses dévoilant de leurs robes à panier des tables de jeu,
déchaînant des joutes douteuses rythmées par la Fortune, ceinte d'une roulette
de casino, ou encore une armée de moutons bêlant, faisant tapisserie lors du
tableau bucolique de « L'Opéra », interrompu par le dieu Borée
descendant des cintres pour déchaîner les vents de la tempête ... La régie ne
cesse de libérer l'inventivité, parodique, irrévérencieuse, voire crûment
érotique, dans la meilleurs veine fluide du metteur en scène canadien. Et ce
n'est pas le moindre de ses mérites que d'unifier ce qui a priori est
composite. Tout cela s'inscrit dans des décors en trompe l'œil évoquant la
Sérénissime et des costumes chatoyants et éclairages suggestifs où domine la
couleur rouge vif, celle de la passion et des fêtes les plus endiablées. Créant
un ravissement esthétique qui ne connaît pas de cesse.
La force du spectacle doit tout autant à
son achèvement musical. William Christie, c'est un vrai gage d'authenticité, à
qui l'on doit naguère la redécouverte du compositeur aixois. Celui qui fait le
lien entre Lully et Rameau, a commis une musique moins placide que celle du
premier et moins rigide que ne l'écrit le second. En émane une verve qui ne se
limite pas aux passages confiés à la danse, mais éclate dans de courts airs qui
suivent des récitatifs raffinés. Elle est vive, truffée de percussions les plus
diverses, jusqu'aux castagnettes, avec des cordes abondantes, et sollicitant
les bois. Elle exhale souvent un lyrisme hypnotique. Christie obtient de ses
Arts Florissants des sonorités irisées, une rythmique enlevée ou retenue. Il
favorise chez ses choristes et chanteurs une déclamation naturelle, remarquant
combien « le chant dans Les Fêtes est parfaitement calqué sur les
paroles » chez « un amoureux de la langue... qui évite les vocalises
excessives d'un style italien mal assimilé ». Il n'empêche, plusieurs
protagonistes n'hésitent pas à entonner la langue de Dante, et d'autres, à
l'occasion, manieront l'hyperbole aux limites de la préciosité ; dramaturgie
oblige ! La distribution puise dans « Le Jardin des Voix » : ils sont
jeunes et radieux, maîtrisant à merveille les accents particuliers de ces pages
par une diction toujours intelligible. Comme le fait d'endosser les habits de
personnages différents au fil du Prologue et des diverses Entrées. On en
détachera les sopranos Emmanelle de Negri, Émilie
Renard et Rachel Redmond, les ténors Reinoud van Mechelen et Cyril Auvity, la basse François Lis. Marcel Beekman,
hier Platée vu par le même Carsen, force le trait en
maître de musique, et plus tard de chant, à la limite de l'histrion. Quant à la
chorégraphie de Ed Wubbe,
elle combine subtilement modernité et académisme dans un élan irrésistible,
entrainant les danseurs du Scapino Ballet de
Rotterdam dans des excès contrôlés d'une franche drôlerie. Les intermèdes
dansés qui émaillent les trois Entrées ne sont pas si substantiels qu'on
pourrait le penser, car de courte durée. Laissons le denier mot à Bill Christie
: « les auditeurs doivent quitter le théâtre avec la sensation d'avoir
vécu un moment de grâce ». Rien de plus juste ce soir !
Jean-Pierre
Robert. Quand Esa-Pekka Salonen
fait scintiller la musique de Ravel Maurice Ravel n'a jamais été aussi à l'aise
que lorsqu'il pense à l'enfance, sa fraicheur, son innocence mais aussi ses
peurs. Ma Mére l'Oye, « Pièces enfantines
pour piano à quatre mains », de 1908, a été orchestrée en 1911, et créée à
Paris l'année suivante. Sous forme d'un ballet commandé par Jacques Rouché. Il
a la simplicité de l'épure, mais le travail d'orchestre est extraordinairement
recherché, car comme le relève Roland-Manuel, « on n'atteint bien au
simple que par le moyen du complexe ». L'ordre des tableaux a été modifié
pour l'occasion, reliés par de subtiles transitions, et Ravel les fait précéder
d'un Prélude et y ajoute la séquence de « La Danse du rouet » . Esa-Pekka Salonen,
à la tête d'un Orchestre de Paris galvanisé par le lieu et la joie d'être ainsi
dirigé, communique ce sentiment d'abandon qui parcourt chacune des pièces. Le
tempo est mesuré, comodo, créant une atmosphère tour
à tour ensoleillée (« Pavane de la Belle au bois dormant », et son
délicat contrepoint), et délicieusement théâtrale (« Les Entretiens de la
Belle et de la Bête »). Les miracles de l'orchestration ravélienne n'ont
pas de secret pour ce fin musicien qui modèle la pâte sonore de ses deux bras,
enveloppant d'un geste aérien ses musiciens. Le crescendo final qui conclut
l'Apothéose du « Jardin féérique » est pris de très loin, ppp
et lent, s'enflant doucement dans un
mouvement irrésistible. On aura admiré les solistes, Vincens
Prats à la
flûte, le hautbois de Michel Benet, sans parler du
contrebasson de Armei
Liebold dans les « Entretiens ». Tout est ici lumineux, proprement
féérique. Ces mêmes qualificatifs s'appliquent à l'exécution de L'Enfant et
les sortilèges. Cette « Fantaisie lyrique en deux parties »,
créée à Monte Carlo en 1924 sous la baguette de Victor de Sabata,
s'inspire lointainement d'Andersen. La collaboration entre Colette et le
musicien ne sera pas des plus des aisées, Ravel se montrant distant, aux dires
de la poétesse dans son « Journal à rebours » (1941). De
« l'enchanteresse » et de « l'illusionniste »
(Roland-Manuel), c'est la première qui s'effacera. Mais au final quel génial
résultat ! Pour habiter des scènes au contenu si ténu, qui s'enfilent à la
vitesse de la pensée, Ravel a conçu une musique scintillante de couleurs, mais
où affleure très vite une note grave. L'enfant sage de Ma Mère l'Oye est
devenu démon. Il y a bien du menaçant dans ces objets qui parlent, la pendule
affolée, l'arithmétique vengeresse, et même ces deux tasses de Wedgwood devisant
en vrai-faux anglais, et ces chats miaulant leur sérénade ; de quoi effrayer le
gamin « Tu parles aussi, sans doute ? » lâche-t-il au Chat. Et
soudain tout bascule dans un mouvement salvateur : les objets se font un devoir
de venir en aide à l'Enfant qui les a pourtant martyrisés. Esa-Pekka Salonen déploie une palette
de coloris inouïe et la souplesse qui distingue chacun de ses gestes, confère
au débit une vraie élasticité. Ses chanteurs sont parfaitement achalandés :
Hélène Hebrard donne à l'Enfant sa belle résolution,
ses angoisses aussi. Sabine Devieilhe émerveille :
tour à tour Le Feu (les acrobaties de ce rôle enfin asservies), La Princesse et
Le Rossignol. La poignante tirade de La Princesse qu'enlace la flûte de Vincens Prats restera un moment de
pur bonheur. Elodie Méchain, de son beau timbre grave, distingue les parties de
La Mère, de La Tasse chinoise et de La Libellule. François Piolino
joue spirituellement l'Arithmétique, Le Petit vieillard ou la Théière, et
Jean-François Lapointe campe une désopilante Horloge comtoise ou un Chat
altier. Une fois encore, les solistes de l'Orchestre de Paris font montre de
leurs qualités, dont la petite flûte de Anaïs Benoit ou l'alto de Ana Bela Chaves.
Le seul bémol viendra des conditions acoustiques en salle : les voix sont complétement réverbérées, les paroles, souvent peu
intelligibles, ressortissant d'un magma sonore. Une désagréable situation qu'il
faudrait corriger au plus vite. Jean-Pierre Robert. Tamerlano
esthétique et stylisé Georg Friedrich HAENDEL : Tamerlano. Opéra en trois
actes. Livret : Nicola Francesco Haym.
Christophe Dumaux, Jeremy Owenden, Sophie Karhäuser, Delphine Galou, Ann Hallenberg, Nathan Berg, Caroline D'Haese.
Les
Talens
Lyriques, dir. Christophe Rousset. Mise en
scène : Pierre Audi. Théâtre de La Monnaie.
Suivant de peu Giulio Cesare, Tamerlano n'en a peut-être pas la somptuosité, mais
possède une vis dramatica qui l'égale, voire le
dépasse. Le fidèle librettiste Nicola Francesco Haym s'inspire non pas du Bajazet de Racine, mais de
celui d'Agostino Piovene. Quoique le plus piquant
soit que ce dernier ait adapté une tragédie française, « Tamerlano ou la mort de Bajazet », commise en 1675 par
un épigone du grand Racine, un certain Jacques Pradon.
Christophe Rousset voit dans Tamerlano
« un chef d'œuvre incontestable du divin saxon... par l'audace d'une trame
très serrée, un orchestre réduit, élevé au rang de moteur dramatique, des
formes et des structures innovantes ». De fait, les récitatifs y sont
particulièrement soignés, préludant à des arias da capo d'une inventivité qui
n'a pas de cesse. Mais il y a là encore bien d'autres spécificités, tels un
étonnant trio au II ème acte, au cours duquel Bajazet
et sa fille offrent vaillamment leur vie à un Tamerlano
assoiffé « de massacres et de sang ». Et surtout le finale de l'opéra,
suite de récitatifs accompagnés et d'ariosos qui accélèrent le continuum
dramatique et élèvent cette scène du suicide de Bajazet au rang d'une des plus
grandes réussites du musicien ; laquelle est suivie d'une déploration des
autres personnages, pour satisfaire aux canons du lieto
fine, quoique ici inscrit dans un cadre résolument tragique. Le spectacle de La
Monnaie saisit d'emblée par l'interprétation musicale. Christophe Rousset y
nurse une sonorité intimiste, que rend palpable le jeu perlé de ses Talens Lyriques. Il favorise un discours fluide qui n'est pas sans
contrastes, car se voulant au plus près des affeti
des personnages ; ainsi des traits rageurs des cordes bardant l'aria de colère
de Bajazet. La souveraine mélodie haendélienne se savoure, les bois prolongeant
un corpus de cordes substantiel. La sonorité du théorbe enlumine maintes pages
et le continuo est sensible. Surtout Rousset ménage un accompagnement plus
raffiné que démonstratif pour mieux laisser s'épanouir les voix, où la plus
fine inflexion reste perceptible jusqu'aux arêtes les plus tranchées. Sa
distribution, exceptionnelle, n'a pas de mal à déverser les belles volutes
vocales haendéliennes. Le contre ténor Christophe Dumaux,
hier en deuxième ligne dans le fameux plateau vocal du Giulio Cesare de Glyndebourne, aujourd'hui au faîte de son art, offre la
froide passion qui anime ce tyrannique seigneur tartare façon XVIII ème, et un chant immaculé. Le beau timbre de ténor,
justement pas trop héroïque, de Jeremy Owenden fait
son miel des tortures que s'inflige Bajazet, qui met en scène un suicide
annoncé, à l'idée savamment entretenue. Les arias torturées de ce monarque altier
et père inflexible laissent passer le frisson de la déraison. Asteria est avec la cantatrice belge Sophie Karthäuser un parangon de force de caractère comme de
vocalité accomplie : finesse de la ligne de chant, justesse des intonations,
réserve de puissance font de cette artiste un choix naturel ici. Sophie Galou, Andronico, allie la beauté
d'un timbre clair de mezzo-soprano à une prestance de jeune premier : le vrai
savoir faire rigoureux qu'exige ce type de rôle travesti, cher au Saxon. Une
autre grande incarnation. Ann Hallenberg, altière
Irène, et Nathan Berg, sympathique Leone, complètent un cast
frôlant l'idéal.
Dans ce qui est une reprise, adaptée aux
dimensions du plateau de la Monnaie, initiée en 2002 au Théâtre baroque de Drottningohlm, Pierre Audi a cherché l'épure. Loin des
transpositions et autres relectures auxquelles aiment à s'adonner bien de ses
collègues pour sembler donner à Haendel un goût de modernité, Audi joue à fond
la carte d'un retour assumé à l'original. Ainsi, outre le fait qu'il était
impératif à Drottningholm d'utiliser le décor XVIII ème de son fameux théâtre en bois, avec ses perspectives et
ses enfilades, inscrit-il sa mise en scène dans un espace entièrement nu, peuplé
d'un unique accessoire, une chaise en guise de trône, et dont seuls des
réchauffements de lumière modifient l'aridité. Il mise sur la spatialité, la
géométrie presque : chaque position d'un personnage ou d'un échange entre
plusieurs d'entre eux permet de saisir les sentiments qui les animent.
Récitatifs et arias dévoilent les affeti, voire le
tréfonds des âmes, jusqu'à leurs limites extrêmes, de tendresse bien sûr, de
dureté aussi ; voire de brutalité parfois, chez un Bajazet vieillissant entêté
dans sa logique de mort, doté d'un singulier esprit d'implacabilité, de rudesse
vis à vis de sa propre fille, ou un Tamerlano, jeune
tyran pervers, d'apparence insensible, mais habité de sentiments ambivalents.
En tout cas de résolution chez tous. Ainsi encore d'Andronico,
partagé entre devoir et amour. La gestique de chacun, extrêmement précise, est
étudiée à un rare degré de signification. Là aussi le mot de fluidité vient à
l'esprit, mais pour un théâtre buriné du dedans, donnant à ce huis clos à six
personnages une formidable intensité. Souvent pendant une aria, voit-on une
action muette se dérouler en fond, donnant à comprendre ce qui se trame.
L'ultime tableau tire sa force de n'être pas spectaculaire, dans la manière
dont Bajazet met en scène son suicide et, ultime provocation, en rend coupable
son ennemi Tamerlano : se dépouillant pour apparaître
torse nu, il va peu à peu investir ce trône qui lui est dû, alors que la
dernière aria déchaîne fureur, tourments et désespoir. Si l'on ajoute que l'art
du maintien et la grâce des figures XVIII ème pare
cette lecture d'élégance, on a une idée de la puissance d'une régie qui n'a pas
besoin d'artifice pour livrer le sens caché des choses. Jean-Pierre
Robert. La piété discrète de Dvořák Antonín DVOŘÁK : Stabat Mater. Texte de Jacopone
da Todi. Ilse Eerens, Renata Prokupić, Magnus Staveland, Florian Boesch. Collegium Vocale Gent.
Orchestre des Champs-Elysées, dir. Philippe
Herreweghe. Théâtre des Champs-Elysées.
Frappé d'un triple deuil, la disparition
coup sur coup de ses enfants, Anton Dvořák se
met à composer en 1877 un Stabat Mater dont il avait le projet depuis
quelques temps. Achevé en peu de mois, il ne sera créé qu'en 1880.
Contrairement au Requiem, achevé dix ans plus tard, le Stabat Mater
exprime non pas tant le sentiment religieux qu'un mysticisme hérité de la
tradition tchèque, voire une vision panthéiste. De l'ombre vers la lumière, de
la douleur à l'espérance. Quelque élément fantastique y affleure même et on est
loin de la pompe religieuse empruntée aux baroques. Ce chant de douleur de la
Vierge, dont Dvořák suit fidèlement le texte
latin de Jacopone da Todi,
exhale ici une humanité proche de l'imagerie populaire, à l'opposé de la
conception baroque démonstrative, même tchèque comme chez Zelenka
par exemple. La musique offre les mélismes du premier Dvořák,
et il ne faut pas s'attendre aux couleurs si séduisantes des œuvres
ultérieures. Non que celles-ci ne soient pas présentes. L'orchestre est large,
avec quatre cors, trois trombones et les bois par deux, mais il est utilisé
avec parcimonie, en rapport avec l'intériorité du propos, et une simplicité
touchante. On discerne deux parties parmi les dix mouvements. Les deux premiers
sont les plus développés, installant un climat sombre que scande le martèlement
des timbales, non sans une certaine emphase parfois dans les oppositions entre
séquences, et entre passages purement symphoniques, peu nombreux, et
interventions du chœur et des solistes. Puis sur le verset « Eja, Mater », le chœur
entonne une façon de marche funèbre obstinée. Viennent ensuite des
morceaux confiés aux solistes, plus courts : ainsi de la basse (« Fac ut ardeat ») sur l'accompagnement des trombones, qui se
fera moins véhémente lorsque le chœur pianissimo dialogue avec elle. Peu à peu
un chemin de lumière émerge, au fil des autres chœurs et de passages de solos,
comme l'air du ténor (« Fac me vere tecum fiere ») sur un
mouvement de passacaille, et là encore original quant au contrepoint des voix
féminines, ou le duo soprano-ténor qu'illumine la petite harmonie, ou encore le
solo de l'alto (« Inflammatus »), section
andante, seule concession peut-être à la manière grandiose baroque et ses
vocalises. Le final « Quando corpus morietur » révèle une grande complexité d'écriture,
dont une fugue savante. Il conclut de manière jubilatoire cette déploration
mariale, le dernier mot revenant à un orchestre apaisé. La douleur est
acceptée, le deuil transcendé. Philippe Herreweghe aime les défis et se tenir à
distance du grand répertoire. Sa vision est grande sans être emphatique,
fervente et recueillie, superbement nuancée dans l'organisation des éléments
sonores, des chœurs en particulier. Il faut dire qu'il fait de son Collegium Vocale de Gand un instrument d'une extrême finesse
dans l'émission, d'une vraie rigueur dans l'intonation. Ces voix pacifiées,
privilégiant souvent le mode de la confidence, apportent une aura de
recueillement. Des quatre solistes émérites, on détachera la mezzo Renata Prokupić, d'une intensité vraie. Jean-Pierre
Robert. Un revigorant Voyage Beethoven
Le « Beethoven Journey »
du pianiste Leif Ove Andsnes a donc fait escale à
Paris, une des dernières étapes de ce singulier marathon entamé il y a quatre
ans, consistant à donner l'ensemble des concertos pour piano. Un programme
peaufiné au fil de nombreux concerts à travers le monde et de séances
d'enregistrement des disques, parus récemment chez Sony. La première de deux
soirées donnait à entendre les concertos Nos 2, 3 et 4. Le piano est disposé de
front, couvercle enlevé, au milieu d'une phalange d'une quarantaine de
musiciens. Le ton chambriste s'impose dès les premières mesures du Deuxième
concerto, favorisé par l'acoustique feutrée du Théâtre des Champs-Elysées. Il
est clair qu'on a affaire à un Beethoven différent des exécutions habituelles,
dégraissé des strates d'une certaine tradition symphonique grandiose. La
surprise viendra tout autant de la conception de la partie de piano elle aussi
dégagée de bien des habitudes interprétatives rigoristes. Ce concerto, de 1801,
en réalité le premier composé, dont son auteur dira à l'éditeur Hofmeister « je ne le considère pas pour un de mes
meilleurs », affirme déjà un style très personnel. A l'allegro con brio,
énergiquement rythmé, le soliste va se frayer un chemin résolu. En particulier
lors de la cadence déjà amplement développée. L'adagio « con gran espressione » découvre des pages d'émotion,
auxquelles Andsnes imprime une extrême sérénité et le
Mahler Chamber Orchestra une chaude sonorité. L'allegro final
s'avèrera bondissant. On tient déjà là les caractéristiques de la conception du
pianiste-chef : une sonorité intimiste, qui n'est pas sans manier des
contrastes fort marqués en termes de dynamique, un jeu
pellucide. Elles se confirment et s'amplifient même dans le Concerto N° 3, op. 37 (1804). Ici l'orchestre
sera légèrement plus fourni, puisque deux clarinettes font leur apparition, un seconde flûte, deux trompettes et surtout les timballes. Andsnes met ces
dernières en exergue dès la ritournelle introductive du « con brio »
liminaire, de même que lors de la récapitulation orchestrale précédant la
cadence, donnant une grandeur insoupçonnée à cette entrée en matière, comme
durant le dialogue avec le soliste qui se poursuit jusqu'à la fin du mouvement.
La cadence, Andsnes la joue avec une simplicité
déconcertante tout en assemblant ses divers éléments à priori disparates. C'est
que depuis le début de cette pièce, le piano a acquis une position plus
prééminente qu'elle ne l'était dans l'œuvre précédente. Le largo nous fait
atteindre les cimes grâce au jeu éthéré du pianiste norvégien. Il nimbera le
rondo final de traits alertes enluminés par un accompagnement non moins joyeux,
et le conclut d'une cavalcade presto d'un communicatif entrain. Le Quatrième Concerto
op. 58, en sol majeur, de 1806, démontrera encore s'il en était besoin cette
vision libérée. On a parlé des frontières de l'abstraction de la pensée bethovénienne à propos de cette pièce, très construite, aux
climats étranges, sans cesse changeants. On perçoit durant cette exécution le
souci de naturel dans l'assemblage des divers fragments et thèmes et une
volonté de se démarquer d'une manière trop formatée de jouer comme de concevoir
la vêture symphonique. Le court andante est bien ici la page sublime qu'elle
doit être, sur le schéma de question-réponse, entre un orchestre affirmatif
dans ses traits si tranchés et un piano qui progresse à patte de velours
jusqu'à ce que les deux protagonistes se rejoignent dans une conclusion d'une
impalpable douceur. Le vicace final profuse une joie
sans mélange, qu'agrémente une cadence hautement pensée (du pianiste lui-même
?) et une péroraison rien moins que glorieuse. Leif Ove Andsnes
montre qu'il sait faire la part des choses entre la retenue du Deuxième concerto
et les fanfares du Quatrième, même si les paramètres fondamentaux restent les
mêmes. Le MCO, qui n'alignait pourtant pas ce soir-là ses premiers couteaux,
lui procure un écrin de choix. Jean-Pierre Robert. Un dialogue solitaire avec Beethoven d'une rare intelligence
Deuxième épisode de cette Intégrale des
concertos pour piano de Beethoven, ce marathon pianistique entrepris par le
pianiste norvégien Leif Ove Andsnes, au Théâtre des
Champs Elysées, accompagné par le Mahler Chamber
Orchestra, dirigé du piano, avec ce soir les Concertos n° 1 & n° 5.
Une mise en miroir d'une grande pertinence puisqu'elle permet
d'apprécier, au-delà des différences notables, toute la parenté de ces deux
œuvres, les accents spécifiquement beethovéniens discernables dans le premier
concerto, ne faisant que se confirmer, s'amplifier et se magnifier dans le
cinquième. Une parenté que l'interprétation du pianiste scandinave ne cessera
de mettre en avant, insistant sur a liberté du ton, sur une vision plus
romantique que classique, rendant évidente la filiation entre les deux œuvres.
Des œuvres composées pourtant à dix ans d'intervalle (1800 & 1809), dans
des climats bien différents, avec des effectifs instrumentaux également
différents et des influences différentes. Le Premier concerto, créé par le
compositeur à Vienne en 1800, où l'on sent l'influence de Mozart et de Haydn,
le Cinquième et dernier concerto, composé dans un climat de guerre en 1809,
créé en 1811, plus abouti, plus spécifiquement beethovenien par sa liberté et
sa modernité annonçant le Romantisme. Si le Premier fait encore appel à un
effectif typiquement mozartien, le Cinquième étoffe l'instrumentarium,
le piano s'y fait plus orchestral, le dialogue avec l'orchestre se resserre, le
ton se libère et laisse apparaitre l'improvisation dès la cadence initiale,
tandis que l'ampleur symphonique du discours s'affirme. Une unité retrouvée
directement imputable à l'interprétation du pianiste scandinave, originale,
libérée, d'une rare intelligence qui ne manquera pas d'en surprendre d'aucuns…
Un jeu pianistique virtuose, vif, aéré, limpide et souple, dynamique mais sans
dureté, un accompagnement parfaitement équilibré, en phase avec l'instrument
soliste malgré une direction quelque peu rudimentaire ! Un grand moment de
piano ! Patrice Imbaud. Beau travail d'orchestre
Le Chamber
Orchestra of Europe a été créé il y a une trentaine d'années (1981) à partir de
l'Orchestre des Jeunes de l'Union Européenne, et est constitué de jeunes
musiciens dont la valeur, à l'évidence, n'attend pas le nombre des années. Un
orchestre jeune et vivant, reconnu pour la qualité de ses pupitres comme de ses
interprétations qui lui valurent une reconnaissance internationale. Devant être
dirigé initialement par Symon Bychkov,
indisponible, c'est finalement à Emmanuel Krivine
qu'échut la baguette pour cette soirée romantique et quasi familiale associant
Brahms et Schumann. Le Concerto pour
violon (1878-1879) de Brahms, œuvre majeure et incontournable du répertoire
violonistique, dont le violoniste américain, Joshua Bell, donna une
interprétation un peu maniérée mais efficace, mariant avec le plus grand
bonheur une virtuosité sans faille et la sonorité magnifique de son
Stradivarius « Huberman » de 1713. Un
premier mouvement tout en nuances, riche en couleurs, agrémenté d'une cadence
personnelle, un deuxième comme un lied sans parole initié par la cantilène du
hautbois, un final plein d'allant, de tension et de virtuosité. Une œuvre,
réputée injouable du fait des difficultés techniques lors de sa création, dont
Joshua Bell donna une interprétation apollinienne, magistralement accompagné
par l'orchestre sous la direction précise, attentive et complice d'Emmanuel Krivine, constamment à l'écoute. Une lecture parfaite au
plan de la forme mais un peu plate, sans ce petit quelque chose
d'indéfinissable, de dionysiaque, qui fait le propre des grandes
interprétations. En bis une transcription empruntée à Schumann comme un pont
tendu vers la Symphonie n° 2 de ce
compositeur qui concluait la soirée. Une symphonie composée en 1845 au sortir
d'une crise dépressive, créée en 1846 par Mendelssohn à Leipzig. Une
composition au caractère ambigu alternant dynamisme et douleur, chef d'œuvre
romantique qui parle à l'âme. Une œuvre cyclique faisant la part belle aux
vents, qu'Emmanuel Krivine dirigea de manière
totalement limpide, à la fois fluide et tendue, grave sans effusion, très
intériorisée, avant de conclure sur un finale triomphant, élégant et solennel
témoignant du bien être retrouvé. Une belle soirée. Patrice Imbaud. L'Orchestre Philharmonique de Vienne et Rafael Payare :
Une bien étonnante rencontre
Traditionnel passage des Wiener Philharmoniker au Théâtre des Champs-Elysées, ce concert
était initialement prévu sous la direction prestigieuse de Lorin Maazel, malheureusement
disparu en juillet dernier. L'Orchestre Philharmonique de Vienne a donc, et ce,
de manière assez étonnante, choisi de remplacer le chef américain par une
nouvelle étoile montante de la direction d'orchestre, inconnue de beaucoup, le
jeune chef vénézuélien, Rafael Payare. Agé de 34 ans,
Rafael Payare étudia la direction d'orchestre avec
José Antonio Abreu, fondateur du dispositif « El
Sistema ». Ancien corniste du l'Orchestre Simon
Bolivar, lauréat du concours Malko en 2012, il a
depuis quelques années dirigé quelques une des plus glorieuses phalanges dont
le Philharmonique de Vienne qu'il conduit, ce soir, pour la troisième fois, et
collaboré avec de célèbres maestros dont Gustavo Dudamel,
Claudio Abbado ou Daniel Barenboïm. Un choix audacieux cependant pour la
mythique phalange viennoise qui incarne, depuis plus de 170 ans, la grande
tradition musicale comme l'atteste le programme très classique de ce soir, Symphonie n° 8, dite « Inachevée » de Schubert et Symphonie n° 4 de Tchaïkovski. Une rencontre
qui semblait pour beaucoup, à tord ou à raison, relever du mariage de la carpe
et du lapin… L'entrée sur scène fut d'emblée surprenante, silhouette fluette,
légèrement voûtée, chevelure abondante, démarche décidée, avec dans l'allure
une énergie palpable et un petit quelque chose faisant penser aux caricatures
de Gustav Mahler. Une gestique qui confirma cette impression, claire mais assez
agitée et extravertie, énergique voire électrique, pour une lecture des œuvres,
avouons-le, originale mais assez caricaturale, efficace et hardie, certes, mais
tout sauf élégante ! Une Symphonie
inachevée de Schubert d'une cohérence incontestable dans l'interprétation,
avec le dessein délibéré de mettre en avant la douleur plus que l'amour…Le
phrasé est ici lourd, angoissant et dramatique, mêlant vrombissement des cordes
graves aux appels plaintifs de la petite harmonie et aux cris des trombones.
Schubert ne disait-il pas qu'il y avait dans cette œuvre composée en 1822 comme
une impossibilité à chanter l'amour, ce dernier se changeant immédiatement en
douleur. Plus discutable, la vision de la Symphonie
n° 4 de Tchaïkovski, premier épisode de la trilogie de fatum, une
prestation qui touchera aux limites du supportable pour nos oreilles…Un premier
mouvement caricatural, outrancier dans ses nuances, un deuxième à l'inverse
beaucoup trop sage, un troisième assez fade où manque tout envoûtement, et un
finale barbare, aux allures de barnum, mené de façon assourdissante poussant
l'orchestre dans ses derniers retranchements, ce qui nous valut de nombreux
dérapages des cuivres, bien indignes pour une phalange de cette notoriété…Une
rencontre donc assez contestable qui, à défaut de souvenir impérissable, nous
laissera cependant quelques acouphènes ! Un jeune chef fougueux à suivre
avec des protections auditives… Et des Wiener Philharmoniker
à retrouver en ce même lieu en avril prochain… Patrice Imbaud. Gustavo Dudamel : El Magnifico !
Après l'élève, il y a quelques jours au
Théâtre des Champs-Elysées, voici le maitre, Gustavo Dudamel
dans la grande salle de la toute nouvelle Philharmonie de Paris. Autre lieu,
autre maestro, pour une toute autre prestation, car s'il faut bien avouer que
notre impression avait été assez mitigée pour le concert de l'Orchestre
Philharmonique de Vienne sous la direction de Rafael Payare,
ce soir, l'adhésion fut totale et le ravissement sans réserve pour ce concert
de l'Orchestra Sinfonica Simon Bolivar, sous la
baguette de son directeur musical Gustavo Dudamel. Un
programme là encore assez classique, la Symphonie
n° 5 de Beethoven et des extraits symphoniques tirés du Ring de Wagner. Un enchantement donc, où
interviennent sans aucun doute la qualité superlative de l'orchestre, bien
meilleur ce soir que les viennois, la direction inspirée de Dudamel
et la superbe acoustique de la Philharmonie. Une acoustique à la fois nette qui
ne permet pas le moindre faux pas, et enveloppante comme souhaitée par son
architecte. Reste à prévoir encore quelques réglages concernant la diffusion du
son, pour un résultat optimal qui devrait séduire le public parisien. Une
direction inspirée, assagie, sans partition, témoignant de l'important travail
de répétition. Un orchestre splendide, engagé, répondant à la moindre
sollicitation de son chef, une sonorité à la fois ample faisant valoir la
cohésion de l'ensemble et analytique rendant justice à la virtuosité des différents
pupitres et à la richesse de l'orchestration. Une Symphonie n° 5 dynamique, toute en nuances, parfaitement en place,
au phrasé chargé d'expressivité, suivie en deuxième partie d'extraits
symphoniques tirés de l'Anneau du
Nibelung. Si l'Entrée des dieux au
Walhalla manquait un peu de solennité, le Voyage de Siegfried sur le Rhin fut une merveille de lyrisme et de
fluidité, la Mort de Siegfried, un
effrayant moment de tension et de désolation sur fond de cordes graves, de
tubas wagnériens et de martèlement de timbales. Les Murmures de la foret mirent en avant
l'excellence de la petite harmonie, avant de conclure sur la célébrissime Chevauchée des Walkyries où pas un
cuivre, pourtant chauffé à blanc, ne dérailla. En bis, une poignante Mort d'Isolde, animée d'un sentiment
d'urgence avant que le ciel ne s'ouvre, libérant les deux amants, et le public
ravi ! Magnifique, une soirée qui restera assurément dans les
mémoires ! Patrice Imbaud. Duel de divas au Théâtre des Champs Elysées.
Un concert original construit autour de la
rivalité bien connue entre deux des plus grandes divas du XVIIIe siècle,
Francesca Cuzzoni et Faustina
Bordoni. Un duel réactualisé, ce soir, pour les
besoins de la mise en situation, par deux stars du chant baroque d'aujourd'hui,
la soprano allemande Simone Kermes et la mezzo
américaine Vivica Genaux.
Un duel, ou plutôt une association scénique, qui prend tout son sens à
l'occasion de la sortie prochaine de leur dernier disque chez Sony Classical, intitulé « Rival Queens ». Francesca Cuzzoni, la soprano, naquit à Parme en 1696, Faustina Bordoni, la mezzo, à
Venise, un an plus tard. Leurs débuts furent identiques, se produisant ensemble
dans l'Ariodante
de Pollarolo en 1718. Ces deux divas furent des
interprètes privilégiées de Haendel à Londres où
l'opéra italien faisait fureur. Cette rivalité entre les deux chanteuses
culmina au soir du 6 juin 1727, où à l'occasion de l'Astianatte de Bononcini,
l'ambiance monta dans la salle comme sur la scène, majorés par l'opposition
entre tories, partisans du Roi, et whigs, soutenant le Prince de Galles, jusqu'au
moment malheureux où les deux divas en arrivèrent à un sévère et féroce crêpage
de chignon ! Puis le théâtre de Haendel périclita pour être finalement dissous, laissant
place à son rival, l'Opera of the Nobility.
La Cuzzoni finit sa carrière dans la misère en
fabriquant des boutons pour survivre… Autre destin pour Faustina
Bordoni, fortement estimée par Haendel, elle épousa
le compositeur Johann Adolf Hasse en 1730 et regagna avec son époux la cour de
Dresde où Hasse était Kapellmeister. Elle reçut Bach,
chanta avec Frederic II à Postdam, puis retourna
définitivement à Venise en 1763. Pour le concert de ce soir les deux chanteuses
avaient choisi un large florilège d'airs baroques, particulièrement virtuoses,
capables de servir au mieux la différence des timbres, la technique vocale et
la complémentarité des tessitures. Des œuvres de Haendel, Hasse, Ariosti, Porpora, Giacomelli, Torri et Pollarolo,
particulièrement bien servies par la Capella Gabetta,
sur instruments anciens. Pour Simone Kermes, le
timbre cristallin, la souplesse de la ligne de chant et le legato. Pour Vivica Genaux, la technique
vocale sans faille, la qualité des ornementations, mais un vibrato omniprésent
qui finit à la longue par lasser. On retiendra également une belle
complémentarité des timbres et l'entrain de la mise en situation, accrocheuse,
parfois un peu lourde frôlant le mauvais goût ! Un récital qui ne se fixe
pas d'autre but que de divertir. Pari totalement réussi. Et une surprise de taille au moment des
« bis » généreusement offerts par les deux chanteuses : Ambiance
rock et disco dans la salle de l'avenue Montaigne, avec des standards de Queen « We will
rock you » et Abba
« Gimme, gimme, gimme », accompagnés par un orchestre baroque dans
tous ses états, des chanteuses dansantes et gesticulantes et une salle debout
pour une standing ovation prolongée, tapant des mains et des pieds Un triomphe
et une belle soirée. Un moment musical à prolonger au disque. Patrice Imbaud. Elena Rozanova : Charme et Élegance
Un cadre idéal que la salle Gaveau pour ce
concert de musique de chambre donné par la pianiste russe Elena Rozanova, à la tête de l'Orchestre de chambre de
Novossibirsk. Un orchestre célèbre pour son école de cordes dont sont issus les
plus grands violonistes actuels comme Vadim Repin ou Maxim Vengerov, associé pour
l'occasion à une pianiste talentueuse appartenant à la légendaire école russe
de piano, ancienne élève de l'école Gnessine et du
Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, lauréate de la fondation Cziffra et du
Concours Long-Thibaud… Voila qui promettait une belle soirée. En première
partie la Caprice-Valse, Wedding cake de Camille Saint Saëns, brillante valse pour piano et cordes, écrite en 1885
par le compositeur français en guise de cadeau de mariage pour son amie
Caroline de Serres, suivie de Souvenir de
Florence de Tchaïkovski, pour ensemble à cordes, datant de 1890 dans sa
version initiale. En deuxième partie, le Concerto
pour piano n° 1 de Chopin, dans un arrangement pour orchestre à cordes. Un
choix de programme particulièrement judicieux quand on sait le peu d'affinité
que le pianiste franco polonais avait pour les grandes prestations publiques,
lui préférant volontiers l'ambiance chaleureuse et intime des salons ou des petites
salles, comme celle de ce soir. Un concerto célèbre, écrit en 1830, une œuvre
de jeunesse, créé à Varsovie comme un
adieu à la Pologne que Chopin ne reverra plus. Toutes occasions d'apprécier le
jeu brillant chargé d'émotion d'Elena Rozanova, la
souplesse de son toucher, la délicatesse et l'élégance de son phrasé. En bref,
une très belle interprétation qui tint toutes ses promesses, parfaitement
soutenue par les cordes sibériennes, d'une voluptueuse sonorité. Une pianiste
et un orchestre qu'on aimerait voir plus souvent sur les scènes parisiennes… A
défaut, signalons trois enregistrements récents d'Elena Rozanova,
en duo avec le violoniste Svetlin Roussev,
ou en solo dans deux disques consacrés à Rachmaninov et aux ballets russes. Patrice Imbaud. Un Requiem de Verdi sans
émotion Guiseppe
VERDI : Messa da Requiem. Maija Kovalevska,
Ildiko Komlosi, Dmytro Popov, Nikolay Didenko. Orfeon Pamplones. London Philharmonic
Orchestra, dir. : Vladmir Jurowski.
Une œuvre célèbre mais délicate
d'interprétation que cette messe de Requiem de Verdi. Une composition effectuée
en deux temps, une première partie en 1869 (Libera
me) pour célébrer la mémoire de Rossini, et une seconde plus tardive,
datant de 1874, écrite pour le premier anniversaire de la mort d'Alessandro
Manzoni, grande figure de l'unification italienne, poète et ami de Verdi. Une
œuvre délicate se situant au carrefour de la musique sacrée et de la musique
profane. Hans von Büllow y
voyait, avec pertinence, un « opéra en habit ecclésiastique »
soulignant ce nécessaire syncrétisme, cette double facette expliquant toute la
subtilité indispensable à l'interprétation, qui se doit, idéalement, d'associer
ferveur religieuse et théâtralité opératique. Une œuvre monumentale, traversée
par la fureur divine, associant l'éclat des cuivres, la force apocalyptique de
son Dies Irae (Jour de colère) mais également des moments d'introspection, de
lyrisme, de prière d'une humanité implorante face à la mort. Une supplication
et une foi qui s'expriment par la voix des solistes face au déchainement
orchestral. De la réussite de cet amalgame délicat, entre voix et orchestre,
entre sacré et profane, dépend le succès de cette immense tragédie opératique…
Hélas, ni égrégore, ni émotion dans cette prestation au Théâtre des
Champs-Elysées. Un manque de tension et d'intérêt qui bien vite lassa
l'auditeur. Une œuvre qui parut sans cesse fragmentée, voire caricaturale dans
ses excès orchestraux. Une fureur instrumentale à laquelle ne résista pas le
quatuor vocal dont les voix parurent constamment forcées : Maija Kovalevska au timbre criard, Ildiko
Komlosi au vibrato gênant, Dmytro
Popov sans grâce dans l'Ingemisco. Seule la basse de Nicolay
Didenko sembla plus convaincante dans le Confutatis. Le
chœur espagnol Orfeon Pamplones,
en revanche, fut excellent de bout en bout, de l'Introït jusqu'au Libera me final. On a connu Vladimir Jurowski et le Philharmonique de Londres sous de meilleurs
jours. Patrice Imbaud. Angelika Kirschslager sans
voix face aux Rückertlieder !
La foule était venue nombreuse dans le
grand auditorium de la Maison de la Radio pour écouter la mezzo soprano
autrichienne dans des lieder mahlériens rarement donnés en concert. Les Rückertlieder constituent, sans contexte, un des
sommets dans la production mahlérienne du lied. Entre 1901 et 1904 Gustav
Mahler mettra dix poèmes de Friedrich Rückert en musique dont cet ensemble de
cinq lieder qui ne forment pas véritablement un cycle contrairement aux Kindertotenlieder
du même auteur. Il s'agit en effet de pièces bien distinctes à la fois par leur
thème, comme par leur orchestration, le dernier « Liebst du um Schönheit »
étant dédié à Alma. Les Rückertlieder
illustrent un moment de bonheur et de sérénité dans la vie du compositeur, tout
en restant teintés d'une certaine mélancolie, comme en témoigne « Ich bin der Welt abhanden gekommen »
(Je me suis retiré du monde) auquel Mahler s'identifiera. Un concert comprenant
également l'ouverture de Ruy Blas de Felix Mendelssohn et Ma
Patrie de Bedrich Smetana. Un programme copieux,
intéressant, original défendu par un « National » au mieux de sa
forme sous la baguette expérimentée de Pinchas
Steinberg. Hélas notre déception fut grande devant la prestation d'Angelika Kirschlager. Certes le
timbre est beau, mais la ligne de chant maniérée, l'émission et la projection
insuffisantes et les graves inexistants… Faute de voix on se plut à apprécier
la belle performance du National qui sut faire sonner admirablement les
différents timbres de la riche orchestration mahlérienne. Le Ruy Blas de Mendelssohn
et Ma Patrie de Smetana, avec sa
célèbre Moldau, bénéficièrent du même
élan favorable, tous pupitres confondus, laissant la salle conquise. Patrice Imbaud. Les Berliner Philharmoniker
à la Philharmonie de Paris : L'excellence, tout simplement !
Il est de ces réputations qui jamais ne se
ternissent au fil des ans. L'Orchestre Philharmonique de Berlin fait, à
l'évidence, partie de ces phalanges mythiques qui ont su rester fidèles à cette
réputation depuis plus de cent ans (fondation de l'orchestre en 1882) sous des
baguettes aussi prestigieuses que Hans von Büllow, Arthur Nikisch, Wilhem Furtwängler, Herbert von
Karajan, Claudio Abbado et aujourd'hui Simon Rattle.
C'est dire que chacun des passages à Paris des Berliner
Philharmonikers est un véritable évènement médiatique
et musical expliquant la foule des grands soirs à la Philharmonie de Paris qui
les recevait pour la première fois dans sa nouvelle et magnifique salle ouverte
tout récemment. Un programme taillé sur mesure, centré sur la Symphonie n° 2 de Gustave Mahler
précédée d'une pièce contemporaine, Tableau,
d'Helmut Lachenmann (*1935) pour faire bonne figure
et replacer l'orchestre dans la modernité musicale. Tableau, une pièce d'une dizaine de minutes du compositeur
allemand, composée en 1988, savant amalgame entre musique et silence, entre
connu et inconnu, entre tradition et modernité, entre sons, bribes de gamme,
accords, sons atones soufflés, frottés ou frappés, vibrations ou puissants
clusters, définissant un nouvel espace musical, une nouvelle écoute où la
virtuosité langagière reconnait son impossibilité à parler, comme un premier
pas dans la recherche de formes de communication dépourvues d'illusions…Un
constat assez pessimiste, qu'on retrouvera d'ailleurs chez Mahler, mais qui ne
sembla pas, entamer le moral de la salle. La Symphonie n° 2 de Gustav Mahler,
dite « Résurrection » pour soprano, alto, chœur mixte et orchestre faisait
donc suite, avec une certaine logique, à cette pièce contemporaine. Cette symphonie s'inscrit dans la
continuité de la Première symphonie puisqu'il s'agit du héros de Titan qu'on
enterre pour assister ensuite à sa résurrection, mais elle s'en distingue par
une recherche du monumental marquée par l'introduction du chœur et de voix
solistes. Composée très rapidement sous l'emprise d'une force «
venue d'ailleurs » qui le soulève, Mahler se compare à un instrument de
musique dont joueraient « l'esprit du monde, la source de toute
existence ». Elle se compose de cinq mouvements : la « cérémonie
funèbre » (Totenfeier), un andante moderato, un scherzo tiré du lied
« Des Antonias
von Padua Fischpredigt » appartenant au « Wunderhorn », « Urlicht » (la lumière originelle) pour voix d'alto, Lied tiré
également du « Wunderhorn », et d'un finale pour voix
solistes, chœur et orchestre, inspiré d'un texte de Klopstock et dont Mahler
eut la révélation lors des funérailles de Hans von Büllow. Pour Mahler composer une symphonie
c'est « créer un univers avec tous les moyens à sa
disposition ». Dans le premier mouvement le héros est porté en terre après
un combat contre la vie et le destin alternant épisodes austères et sereines
éclaircies dans une épopée chaotique. Le deuxième mouvement correspond à un
intermezzo d'une grande fraicheur traduisant un moment de bonheur avant le
tourbillon burlesque et chaotique du scherzo, la fanfare étant ici explosion
dissonante, vision de jugement dernier. Dans le quatrième mouvement,
s'élève la voix touchante de la foi naïve laissant sourdre la lumière
originelle. Enfin le Finale avec le « Grand Appel » des cuivres en
coulisses, le chant du rossignol qui gazouille sur les tombes, puis l'entrée
pianissimo et retardée au maximum du chœur sur l' « Auferstehen »
de Klopstock, conclut cette œuvre magistrale. Expression finale de sa confiance
dans la capacité de l'homme à modeler son propre destin : « Avec des ailes que je me suis moi-même conquises,
dans un brûlant élan d'amour, je m'envolerai vers la lumière invisible à tout
œil, je meurs afin de revivre ». Unies dans une même ferveur les voix
clament le mot « Auferstehen » (tu ressusciteras) avant de
laisser la parole à l'orchestre dans un éclat sauvage et explosif inoubliable.
La Deuxième symphonie est probablement celle qui porte la spiritualité
mahlérienne à son niveau le plus élevé. De cette monumentale symphonie, on
retiendra l'interprétation très extravertie, très contrastée, dynamique et
tendue, voire effrayante de Simon Rattle, dirigeant
sans partition, mais surtout l'excellence de l'orchestre tous pupitres
confondus. Une véritable leçon de musique rendant grâce à la complexité et à la
beauté de l'orchestration mahlérienne. Sans insister sur la qualité
exceptionnelle des cordes graves et des cuivres qui sont une véritable marque
de fabrique, on signalera les très belles prestations du Chœur de la Radio
Néerlandaise et de Magdelena Kožená
qui nous gratifia d'un « Urlicht »
incontestablement céleste ! Une soirée d'exception pour un orchestre
d'exception ! Bravo ! Patrice Imbaud. Céline Frisch, clavecin à Orsay
Pablo Valeti
étant souffrant, le programme de l'ensemble Café Zimmermann a été changé au
dernier moment et on lui a substitué un récital de Céline Frisch, cofondatrice
de cet ensemble. Ce fût un ravissement d'écouter cette claveciniste dans un
programme aussi classique avec les Préludes et Fugues BWV 846, 847, 848, 849,
858, 859, 860, et les Toccata BWV 912 & 914, si souvent joués. On connaît
les affinités qu'a cette musicienne avec la musique et Bach en particulier, qui
lui a valu de nombreux éloges. Depuis 1999 elle a fondé l'ensemble Café
Zimmermann qui enthousiasme à chaque apparition. Là nous avons eu le plaisir de
l'avoir seule et c'était un vrai grand moment de pur
musicalité. Précision, force, intelligence étaient au
rendez-vous. Mise à part sa tenue un peu étrange tout était bien en place. Pour
une fois dans l'auditorium, il régnait un silence impressionnant ; les
auditeurs étaient très attentifs et personne ne s'est assoupi ! Le charme
du clavecin sous les doigts de cette interprète opérait. Les concerts au Musée d'Orsay reprennent à
partir du 19 mars jusqu'au mois de juin pour une série de cinq concerts intitulée
« Drôles de Dames ». Ce sont des portraits de quelques grandes
figures féminines qui ont marqué la scène musicale du XIXème et du début du
XXème siècle. Qui se souvient de Maris Vasnier,
Claire Croiza, Georgette Leblanc ou de Marya Freund !
Elles ont donné leurs lettres de noblesse à la mélodie ou au lied. Christine
Schäfer, Suzanne Graham, Véronique Gens, Hermine Haselböck,
Julie Fuchs rendront hommage à leurs aînées. Stéphane Loison. Anastasya Terenkova à Orsay : éblouissant !
Depuis près de dix ans, Anastasya
Terenkova se produit sur les scènes du monde entier
et chaque fois c'est une pluie de louanges pour cette jeune pianiste de 34 ans.
Il faut dire que sa formation est assez exceptionnelle : à Moscou dans la
fameuse classe « Gnessim » d'où sont sortis
Kissin, Berezovsky…puis au
CNSMDP chez Pludermacher, et Rouvier…Elle est
lauréate de nombreux concours internationaux. Dans la série « Back to
Bach », cette magnifique idée pour illustrer comment Bach a été arrangé par de grands
artistes tels que Kempff, Rachmaninov, Busoni, cette jeune femme, fluette,
longiligne a interprété les arrangements de ces pianistes, avec sûreté,
fermeté, intelligence et élégance. Elle est impressionnante à voir jouer. La
légèreté de son toucher, qui rappelle celui de Berezovsky,
entraîne une force, une subtilité dans l'interprétation de ces œuvres. A
l'époque romantique, la transcription était un genre favori des pianistes. Elle
permettait de redécouvrir des œuvres méconnues ou délaissées. Rachmaninov a
fait la transcription de la Partita pour violon n°3 BWV 1006. Anastasya Terenkova l'a si bien
interprétée que lorsque le Prélude s'est terminé, le public, conquis, a
applaudi à tout rompre, moment assez impromptu dès lors qu'une pièce n'est pas
complètement exécutée. La douceur du jeu du Prélude en si mineur BWV 855A
arrangé par Siloti, contrairement à l'interprétation
baroque d'Alexandre Tharaud, était d'un grand
romantisme. La pianiste enchaîna avec l'arrangement par Bach du célèbre
concerto pour hautbois d'Alessandro Marcello, arrangé en concert pour clavier
BWV 974 par JS. Bach :
là son interprétation était totalement baroque. Il en fût de même avec la Suite
anglaise en sol mineur BWV 808, n° 3,où précision,
clarté, sens du détail, du rythme, étaient assez impressionnants. Avec la
Toccata BWV 564 c'est un déluge de sons qui termina ce concert éblouissant. Stéphane
Loison. Récital Romain David au Recollets
Voilà dix ans que l'association « Les Pianissimes » existe avec pour objectifs :
dynamiser le concert classique, diversifier son public, soutenir les jeunes
talents. Les concerts se déroulent à Paris dans la magnifique salle du Couvent
des Récollets, et en région lyonnaise. Son point d'orgue est le Festival à
Saint Germain au Mont d'Or. Ce lundi, le pianiste Romain David a offert un
programme très original. Brillant pianiste, passionné de musique de chambre il
a participé à la création de l'ensemble Syntonia en
1998. Les disques de cet ensemble ont été salués par la critique. Il est assez
rare de pouvoir l'entendre seul et ce fût un vrai grand plaisir que ce récital.
Offrir du Granados après Scarlatti, c'était un enchaînement judicieux et aux
auditeurs il en a donné les raisons. Expliquer ce qu'il va jouer est une très
bonne idée et le public a apprécié. Même si Scarlatti est né à Naples, la même
année que Haendel ou Bach, il a fait toute sa carrière
en Espagne. Il peut être considéré comme un musicien espagnol. Granados, un
siècle plus tard, fait partie du renouveau de la musique espagnole. Il y a quelque
part une filiation. L'interprétation de ces œuvres était magistrale, légèreté
chez Scarlatti (sonates K162, K1, K474 et K141), tout en profondeur dans les
« Goyescas » de Granados écrites en hommage
à Goya et ses dessins. Romain David osa interpréter des œuvres très mineures
mais sympathiques de Jules Massenet (Valse folle, Valse très lente, Toccata),
une curiosité. En final d'apothéose il joua deux œuvres de Franz Liszt et deux
œuvres de Frédéric Chopin. Avec Liszt c'était la brillance pianistique dans les
difficultés résolues, avec Chopin, dans la belle 3ème Ballade, il en fit
entendre tout le caractère chantant, poétique, et comme souvent chez ce compositeur, des
relents d'angoisse. Romain David est un pianiste trop rare en récital et c'est
bien dommage. A noter que le prochain concert des « Pianissimes », au Couvent des Récollets à
Paris, aura lieu le mercredi18 mars à 20h : Anne Le Bozec,
piano, et Marc Mauillon,
baryton, s'y produiront Autour de la mélodie française à l'époque de
1914-18. Stéphane Loison. « Les
Passions de Haendel » par l 'orchestre « Le
Palais Royal »
Pendant 1h30, dans la superbe salle de
l'ancien Conservatoire, l'orchestre sur
instruments anciens « Le Palais Royal », sous la direction de Jean-Phlippe Sarcos, la mezzo
Charlotte Mercier et le baryton Clément Dionet ont
interprété des extraits d'opéras de Haëndel : de
Rinaldo, Serse, Esther, Ariodante,
Teseo, Orlando, Salomon, Apollo e Dafne,
Giulio Cesare, Amadigi di Gaula. Chaque morceau
s'enchaînait avec justesse et précision, comme une grande œuvre de Haëndel. Le largo et la gavotte du Concerto Grosso op.3 n°2
étaient intégrés à cette « œuvre », superbement
« composée » par Jean-Philipp Sarcos. L'ensemble « Le Palais Royal » se produit
régulièrement dans les plus grands festivals. Il s'attache à mettre la musique
classique au cœur de la cité. Il a créé et animé différents programmes
pédagogiques et solidaires. Il joue pour la transmission de la musique aux
étudiants des grandes écoles et universités et offre des concerts caritatifs
pour les plus démunis. Les musiciens du « Palais Royal » se
mobilisent tout au long de l'année aux côtés d'adolescents issus de territoires
culturellement défavorisés lors de concerts pédagogiques innovants : les
concerts « coup de foudre ». On a pu apprécier à la fin de la
première partie du concert le chœur de ces jeunes venus de tous les horizons.
Que dire de l'interprétation de cette « œuvre ». L'orchestre sonne
bien, le chef d'orchestre y met toute la fougue nécessaire pour le diriger,
peut-être un peu trop, certains musiciens étant un peu décontenancé par la
battue. On a pu apprécier la qualité des hautbois (Yanina
Takubson, Nathalie Petibon),
la belle prestation du basson d'Antoine Pecqueur dans le concerto grosso, du violoncelle
de Jennifer Hardy. Le clavecin, trop éloigné, était difficilement audible. Tami Troman, le premier violon,
avait du mal au début du concert à être dans la dynamique, avec des attaques
imprécises. Les deux chanteurs étaient peut-être un peu « légers »
pour de tels airs. Mais tous ces petits détails ne privaient pas du vrai
plaisir de l'écoute, et l'idée de Jean-Philippe Sarcos
d'avoir ainsi fait une suite avec des morceaux et airs de Haëndel
donnait envie de connaître les œuvres dans leur entier. C'était le but
recherché et c'est réussi. Un « dièse » avec le programme,
magnifiquement bien conçu ! Les
prochains concerts de « Les passions de Haëndel »
sont : Le
15 avril, à 16H, Concert « coup de foudre » à Rouen Le
16 avril, à 16h et 20h30, Concert public et « coup de foudre », Le
Bouscat Le
30 mai, à 16h et 20h30, Concert public et « coup de foudre », au
Festival Baroque de Froville Pour
tous renseignements sur cet orchestre : www.le-palaisroyal.com Stéphane
Loison. Un concert Mozart étonnant à plus d'un titre
Le quatuor Cambini © Palazzetto Bru Zane Il est assez rare d'entendre en concert une
transcription d'un concerto pour piano, ici le n°12 en la majeur K 414,
interprété sur instruments anciens. Le piano forte sur lequel joue Kristian Bezuidenhout provient d'une collection particulière et a
été restauré par Olivier Fadini. Osons faire un peu
d'histoire. Il date de 1790, est signé du facteur Franz Baumbach
à Vienne. Son étendue est de cinq octaves et il est muni de deux grenouillères.
Le diapason est à 430 Hz. La caisse est en noyer teinté façon acajou. De
mécanique viennoise, l'instrument est équipé de marteaux reconstitués à
l'identique des originaux. Ils sont garnis de deux couches de peau de chèvre
naturelle, appliquée à la main sans tension pour favoriser un timbre chaleureux
et des sonorités délicates. Comme il était d'usage tout au long du XVIIIème
siècle, les cordes sont en fer phosphoreux. De fabrication Stephen Birkett (Canada), elles favorisent, là encore, chaleur du
timbre et des sonorités harmonieuses. Ce type de piano forte
était couramment joué par Mozart, Haydn, Beethoven… La petite histoire du
présent instrument est mêlée à la grande Histoire. Il aurait appartenu à l'abbé
Bremond qui a accompagné Louis XVI à l'échafaud ! La famille des héritiers
de l'abbé aurait gardé un bouton, arraché au vêtement du roi avant sa
décollation … L'abbé Brémond fût, semble-t-il, en
relation étroite avec la famille royale, et l'hypothèse de l'achat du piano par
Marie-Antoinette n'est pas à exclure. C'est en jouant la sonate n°14 en ut mineur
K.457 que Kristian Bezuidenhout nous a fait découvrir
les sonorités étranges et chaleureuses de ce piano forte. Âgé de 36 ans, ce
pianiste, né en Afrique du Sud, a étudié en Australie et aux États-Unis. Il
s'intéressa très tôt aux claviers anciens, clavecins et pianos forte. Il a
accompagné de nombreuses productions d'opéras baroques et joue régulièrement
avec des orchestres qui interprètent la musique du XVIIIème siècle. L'écoute de
cette sonate au piano forte perturbe totalement notre mode d'écoute et notre
jugement. La finesse, la légèreté, la subtilité de cette interprétation nous
entraîne loin des versions pour piano que nous connaissons. C'est une vraie
découverte que nous avons fait ici, tellement différente de l'écoute des
sonates enregistrées par cet artiste. Car l'enregistrement d'un CD ne donne pas
cette impression que nous avons eue dans cette salle où l'acoustique est
étonnante. La puissance du piano forte est souvent décuplée dans les
enregistrements. Le quatuor Cambini - Paris a
interprété, toujours sur instruments anciens, le Quatuor « Les
dissonances », N°19 en ut mineur, K465. Cet ensemble s'est fait connaître
dans les années 2007. Chacun des musiciens qui le composent a joué dans des
orchestres « baroqueux ». On doit à ce quatuor d'avoir fait revivre
des œuvres de Hyacinthe Jadin
(1776-18OO) et de Félicien David (1810-1876) injustement oubliées. Il vient
d'enregistrer les Quatuors de Mozart dédié à Haydn, dont ils jouent ici le
Sixième. L'introduction lente, seul exemple dans les quatuors de Mozart, a
donné son titre à l'œuvre. Bien sûr, les « dissonances » de ce
quatuor, les audaces harmoniques, ont été très largement utilisées depuis par
tous les compositeurs romantiques et combien dépassées depuis lors. Moins
tendues en raison d'un diapason bas, les cordes en boyau qui sont montées sur
leurs instruments sonnent mystérieusement, avec ce début tension-atténuation.
Julien Chauvin, le premier violon, avec une belle énergie s'est joué des
difficultés que pose ce quatuor et a mené ce chef d'œuvre brillamment avec ce
petit plus qu'on remarque, annonciateur des compositions romantiques qui vont
éclore quelques années plus tard. Kristian Bezuidenhout, au piano forte et le Quatuor Cambini-Paris se sont retrouvés, pour la première fois pour
interpréter ce que Mozart appelait un « concerto de poche » : la
transcription pour quatuor à corde du concerto N° 12 en la majeur K 414. Mozart
a fait ce genre de transcription à but commercial. Il pouvait vendre ainsi la
partition moins chère. Sachant le faible niveau des arrangements pour les
instruments à vent, il pouvait être parfait pour une petite formation. Là
encore ce « quintette » était tout à fait nouveau pour nos oreilles
habituées au concerto avec grand orchestre et soliste au premier plan. Voilà
une magnifique découverte et une interprétation de belle qualité. On ne
remerciera jamais assez le travail que fait Les Pianissimes
pour mettre un coup de jeune dans le classique ! Stéphane Loison. ***
L'ÉDITION MUSICALE
FORMATION
MUSICALE Elsa
et Latif CHAARANI : Abdou et le joueur de flûte. Conte
musical pour voix d'enfants, flûte, orchestre à cordes et percussion. Partition
chant et piano. Dhalmann : FD0386. Conçue pour des voix
d'enfants de 7 à 9 ans (CE1), cette œuvre a été créée au Conservatoire de
Strasbourg le 9 juin 2011 et a été nommée aux Prix de l'Enseignement Musical
2014, catégorie "Spectacle Jeunes Elèves". On notera toute la finesse
et la variété des procédés mis en œuvre : tonal, modal, rythmes divers,
mais le tout avec un souci pédagogique et une connaissance de l'écriture pour
voix d'enfants tout à fait remarquable. Quant au thème du conte, nous ne le
déflorerons pas ici, mais il séduira également certainement les jeunes
interprètes et leurs professeurs. Anthony
GIRARD : Le langage musical de
Beethoven dans la Grande fugue. Billaudot : G9433B. On est heureux de
retrouver un cahier d'analyse musicale d'Anthony Girard : on en connait la
qualité et la pertinence. Mais il est normal que les publications soient
espacées quand on sait la somme de travail et de réflexion que demande un tel
ouvrage. A. Girard s'est attaqué cette fois-ci à la fameuse « Grande
fugue ». Ce travail est passionnant de bout en bout, à commencer par
l'analyse de la « cellule génératrice » qui ouvre cette étude. Cinq
parties se succèdent : analyse des idées musicales, les fugue rigoureuses,
la forme de la grande fugue, le rythme, le langage harmonique ; le tout
replacé, bien évidemment, dans le langage de Beethoven. Outre le plaisir qu'on
aura à réécouter la Grande Fugue avec une oreille neuve, on ne pourra qu'être
conquis et passionné par la redécouverte que nous en aura procuré Anthony
Girard. MUSIQUE
CHORALE Max
d'OLLONE : Sous-Bois sur
un poème de Philippe Gille pour chœur (SATB) et orchestre. Conducteur.
Symétrie : ISMN 979-0-2318-0636-6. Max d'Ollone
(1875-1959) est un compositeur français trop peu connu dont l'œuvre mérite
pourtant d'être tirée de l'oubli. Sous-bois
est le quatrième des chœurs écrits dans le contexte particulier du concours
pour le Prix de Rome. Sous-bois est
une œuvre de jeunesse écrite en 1897, certes contrainte par les règles du
concours mais cependant très intéressante par sa fraicheur et la qualité de son
écriture. Souhaitons vraiment que les œuvres de Max d'Ollone
soient de nouveau disponibles et surtout exécutées. Un enregistrement sur
disque compact de Sous-bois est disponible sous le label Ediciones
singulares. On peut en écouter un extrait sur le site
de l'éditeur. Christian
GUINGUENÉ : Cantate sur des noëls
anciens. Version chœur, soliste ad
libitum et orgue. Chanteloup-musique : CMP010. Cette œuvre en deux
parties devrait être adoptée avec enthousiasme par des chœurs n'ayant pas
forcément de grands moyens techniques : l'ensemble sonne fort bien et ne
présente pas de grande difficulté. Doit-on dire facile ? Oui, mais sans
« facilité ». L'auteur connait manifestement à la fois son public et
son métier ! La partie d'orgue ne demande pas non plus ni un gros
instrument ni un interprète virtuose. Et pourtant, elle aussi
« sonne » très bien et suscite la joie nécessaire en la circonstance.
Bref, il s'agit d'une œuvre destinée aux nombreux « concerts de
Noëls » de beaucoup de chorales et qui devrait leur procurer un succès
bien mérité. Bruno
ROSSIGNOL : Exsurgens autem Maria pour chœur mixte SATB a cappella. Delatour : DLT 2382. Créée à l'abbaye de
Pontigny pour la fête de la Visitation, cette œuvre est bâtie entièrement sur
les versets 39 à 45 de l'évangile selon Saint Luc, narrant cet épisode de la
visite faite par Marie à sa cousine Elisabeth. L'ensemble n'offre pas de
difficulté spéciale. L'écriture est d'une grande clarté, privilégiant la
compréhension du texte latin. C'est une œuvre à la fois simple et lumineuse qui
devrait séduire beaucoup de chorales. OPERA GLUCK :
Orphée et Eyrydice.
Version Paris1774. Partition chant
et piano. Bärenreiter : BA2282-90. Cette publication est
dotée d'une traduction allemande par Hans Swarowsky.
La réduction pour piano, d'après le Urtext
des éditions complètes de Gluck, est de Jürgen Sommer. La partition de
direction est également disponible mais le matériel d'orchestre est en
location. La préface de Yuliya Shein,
traduite par Genevève Geffray,
donne toutes les indications nécessaires pour comprendre l'histoire mouvementée
de cette partition qui représente une étape fondamentale dans l'évolution de
l'opéra français en cette fin du XVIII° siècle. L'ensemble est publié avec le
soin habituel apporté par l'éditeur à ce type d'édition. CHANT Davide PERRONE : For
now. Versions
soprano ou mezzo-soprano et 4 instruments (Flûte, violon, percussions et
piano). Delatour : DLT2367. Il s'agit d'une version
avec instrument de l'œuvre dont nous avons rendu compte dans la Lettre de
février dernier. ORGUE Éric
LEBRUN : Petit livre d'orgue pour
Mesnil-Saint-Loup. 12 courts préludes sur des mélodies grégoriennes. Chanteloup-musique : CMP013. Ces douze courts préludes
ne sont nullement inabordables. Construits sur des « tubes » du
répertoire grégorien, mélodies trop oubliées en France aujourd'hui en raison
d'une application pour le moins abusive de la réforme liturgique, ils
constituent en fait de courtes méditations pour introduire à la prière. Éric
Lebrun a également le mérite d'avoir mis en regard de quatre de ces préludes le
texte luthérien illustré par J.S. Bach. Si un petit nombre de ces pièces
demandent un instrument à trois claviers, la plupart peuvent être interprétés
sur deux et même un seul clavier. Il n'est pas besoin de souligner la qualité
des œuvres de l'auteur. Les lecteurs de L'Education
Musicale seront sensibles à la dédicace du Salve Regina : « A ma
très chère amie Francine Maillard, à l'occasion de son anniversaire, dans le
souvenir de Jean Maillard » . Nicolas
CHEVEREAU : Fantaisie de Noël pour orgue. Difficile. Delatour : DLT2487. Entièrement bâtie sur des
chants de Noël étrangers (il nous semble abusif d'attribuer au XVI° siècle
français le Veni Emmanuel, paraphrase des antiennes
« O » de l'Avent), l'ensemble comporte une introduction et quatre
parties ayant chacune une couleur spécifique. Il y faudra un instrument
brillant, même si la partition est dépourvue de toute indication de
registration. Mais faut-il s'en plaindre ? L'ensemble est séduisant et
assez virtuose. Davide
PERRONE : For after pour orgue. Assez difficile. Delatour : DLT2369. Prévue manifestement pour
un instrument à trois claviers pédalier, l'œuvre se déroule selon un schéma
ABCB'AD. L'auteur le précise dans une introduction qui décrit bien l'ensemble
de la pièce et qu'on pourra lire sur le site de l'éditeur.
Nicolas
CHEVEREAU : Toccata pour orgue. Difficile. Delatour : DLT2491. Cette toccata demande un
instrument (deux ou trois claviers) qui ait du coffre ! Trois moments dans
cette toccata : une partie tout à fait « toccata » dans la plus
pure tradition de cette forme, puis un 6/8 plus méditatif qui déroule une jolie
mélodie pour revenir à une dernière partie allegro qui termine « con bravura » cette œuvre séduisante qu'on pourra écouter
dans son intégralité sur le site de l'éditeur ou sur You tube interprétée en
première audition par Thomas Gonder à l'orgue de la Cathédrale St James de
Toronto. Johannès BRAHMS – Paul STERNE : Finale from Symphony n° 1 pour
orgue. Delatour : DLT2370. Difficile techniquement et
demandant un instrument important, cette œuvre, comme les autres du même
auteur, n'est pas une simple transcription mais une véritable réécriture de
l'œuvre originale. On pourra juger du résultat en écoutant intégralement ce
Final sur le site de l'éditeur ou sur You tube, ce qui permettra à l'interprète
d'affiner les indications de registration données par l'auteur.
PIANO Bruno
ROSSIGNOL : Mouvements
perpétuels pour piano. Delatour : DLT2383. Ces six pièces comportent
chacune un titre évocateur qui les apparente davantage à des préludes. La
difficulté d'exécution est variable, de facile à difficile. La cinquième pièce,
Chronophagie, dont le nom est tout un programme, est vraiment difficile à deux
mains. C'est pourquoi l'auteur en présente une version à quatre mains qui la rend plus facilement exécutable. L'ensemble est tout
simplement de la bonne musique qu'il faut se hâter de découvrir. FLÛTE
TRAVERSIERE Claude-Henry
JOUBERT : Touloulou pour
flûte avec accompagnement de piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2884. Il ne s'agit point, cette
fois, d'une pièce en « kit », même si la fantaisie est ici bien
présente. L'œuvre raconte en effet une histoire, qui permet aux interprètes de
mettre en valeur leurs différentes qualités rythmiques et mélodiques, en un
mot : musicales. Rythmes syncopés et tendres mélodies se succèdent au gré
des rebondissements de l'intrigue. Le tout est écrit avec tout le talent qu'on
connait à l'auteur ! CLARINETTE André
DELCAMBRE : Plaisanterie pour clarinette et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2838. Cette très agréable pièce
en forme ABA avec une coda se déroule avec une désinvolture un peu narquoise
qu'il faudra bien faire ressortir dans l'interprétation… On peut penser, par
moment, à certaines pièces de Poulenc… Bref, voici une bien plaisante
plaisanterie ! Olivier
DARTEVELLE : Le petit poucet pour clarinette et piano. 1er
cycle. Sempre più : SP0133. Cette pièce décrit le
début du conte : le père bucheron qui coupe les arbres et conduit ses
enfants dans la forêt. L'ensemble est intéressant. L'ambiance est inquiétante à
souhait. Piano et clarinette concourent à créer cette atmosphère à la fois un
peu brutale et oppressante. Le tout devrait beaucoup plaire. Octave
JUSTE : Insecta Trois
brèves sonatines pour clarinette seule ou clarinette et piano. I –
Dictyoptères. 2ème cycle. Sempre più :SP0121. En fait, il s'agit de
trois fois trois pièces, chaque « sonatine » comportant trois
mouvements dédiés chacun à un insecte. Pour ceux qui l'ignoreraient, la famille
des Dictyoptères contient le Termite (pressé et affamé), la Mante religieuse
(lente et inquiétante) et la Blatte (rapide et perfide). Si l'ensemble peut être interprété par une
clarinette seule, il gagnera beaucoup à ne pas se priver de l'accompagnement de
piano, qui est loin d'être anodin. Il y a, dans tout cela beaucoup de caractère
et de diversité qui devrait beaucoup plaire. Au fait : Octave Juste est le
pseudonyme fort bien trouvé de Pierre-Yves Rognin. Octave
JUSTE : Insecta Trois
brèves sonatines pour clarinette seule ou clarinette et piano. II –
Coléoptères. 2ème cycle. Sempre più :
SP0122. III – Hyménoptères. 2ème cycle. SP0123. Voici donc les deux autres
« sonatines » : dans le même esprit, la première nous entraine
au royaume du Bousier (laborieux et méticuleux), de la Coccinelle (gracile et
fragile) et du Lucane cerf-volant (crépusculaire et spectaculaire). La dernière
est consacrée à la Guêpe (virevoltante et piquante), à la Fourmi (précise et
concise) et à l'Abeille (indispensable et vulnérable). Chaque pièce tient
scrupuleusement compte du caractère indiqué et excite à la fois la sensibilité
et l'imagination. L'ensemble est très réussi et mérite de séduire professeurs
et élèves. Pascal
PROUST : Le petit Kopprasch du clarinettiste.
25 études pour clarinette de moyenne difficulté. Sempre
più : SP0145. Pour les lecteurs non
avertis, signalons que le « Kopprash » est
un recueil d'études bien connu des cornistes… Pascal Proust s'inscrit donc dans
cette succession avec des études qui ciblent chacune une difficulté précise,
mais elles n'en sont pas moins de la vraie musique. Il faut bien travailler la
technique… et l'auteur rend ce travail plutôt agréable. Philippe
RIO : Romance et Espièglerie pour clarinette et piano. Fin de premier
cycle. Lafitan : P.L.2751. Précisons bien qu'il
s'agit d'une seule et unique pièce, mais comportant alternativement romance et
espièglerie. L'ensemble est très frais, aussi agréable que varié, et devrait
combler à la fois le clarinettiste mais aussi le pianiste qui n'est pas un
simple accompagnateur mais un vrai partenaire. SAXOPHONE Alain
FLAMME : Le marché d'Ali Baba pour saxophone alto et piano.
Préparatoire. Lafitan : P.L.2816. On pouvait craindre que ce
marché ne devînt un bazar orientalisant : il n'en est rien. La pièce fait
preuve d'une fantaisie de bon aloi qui permettra au jeune saxophoniste de
développer tous ses talents rythmiques et mélodiques. La partie de piano reste
très accessible même lorsqu'elle prend sa part mélodique : il s'agit bien
de musique d'ensemble et non d'accompagnement. L'ensemble devrait être bien
agréable à interpréter. René
POTRAT : Au fil des temps pour saxophone alto et piano.
Elémentaire. Lafitan : P.L.2854. Voici une pièce joliment
atonale qui déroule « au fil des temps » un discours à la fois
rythmique et mélodique très séduisant. Il faudra que pianiste et saxophoniste
s'écoutent mutuellement pour en tirer tous les bienfaits. Mais n'est-ce pas
cela la musique d'ensemble ?
Davide
PERRONE : Ailes pour quintette de saxophones. Niveau
moyen. Delatour : DLT2437. Il s'agit de la version
pour quintette de saxophones de l'œuvre dont le compte-rendu figure dans la
lettre n° 69 d'avril 2013. TROMPETTE Marc-Antoine
DELATTRE : La danse du roi Léon pour trompette ou cornet ou bugle et
piano. Débutant. Lafitan : P.L.2936. Avec un minimum de moyens,
cette pièce fait preuve d'une belle originalité. Trompette et piano dialoguent
avec vigueur, le trompettiste tape du pied (en mesure, bien évidemment) :
le roi Léon utilise tous les moyens à sa disposition pour cette danse
endiablée. Il y aura à la fois beaucoup de plaisir et de profit à en tirer pour
les jeunes interprètes.
René
POTRAT : Le vaillant cavalier pour trompette ou cornet ou bugle et
piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2852. Les pianistes ne pourront
pas ne pas penser à un certain « Cavalier sauvage » de R. Schumann,
également écrit à 6/8… Mais notre vaillant cavalier ne manque pas d'originalité
et il est vrai que la séquence noire/croche évoque bien le galop du
cheval ! Vaillant, le trompettiste devra l'être jusqu'au bout. Quant au
pianiste, il lui faudra galoper de concert, même si sa partition n'est pas très
difficile dans un sol mineur (avec escapade en ré mineur dans le passage médian)
sans équivoque. Bref, les deux interprètes devraient prendre beaucoup de
plaisir à cette chevauchée même si la partition ne dit pas qui est le cheval et
qui est le cavalier… TROMBONE Alain
GUIGOU : Romantica pour
trombone et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2869. Voici une pièce qui mérite
bien son nom : le trombone devra faire preuve d'un romantisme de bon aloi
pour interpréter cette œuvre qui lui permettra, vers la fin, de terminer sinon
en fanfare, du moins dans une veine assez triomphale. COR Rémi
MAUPETIT : Johan pour cor fa ou mib et piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2874. L'écriture rappelle ces
petites pièces que Schumann intitulait « mélodie ». Ce titre
conviendrait bien ici : le cor déroule une grande mélodie de style choral
que le piano accompagne en monnayant l'harmonie. Tout ceci est par ailleurs
fort agréable et devrait faire le bonheur des jeunes interprètes : la
partie de piano est vraiment très abordable. PERCUSSIONS Laurent
VIEUBLE : Timbre Poste. Recueil de courtes pièces faciles, pour
claviers de percussion, seul ou à deux. Facile. Dhalmann :
FD0443. Cet ensemble de pièces
pourra se distiller tout au long du cycle 1. Chacune explore en priorité un demaine de difficulté. Professeur et élève peuvent
avantageusement dialoguer. Sylvie
REYNAERT : Footing Rock. Percussions corporelles à deux voix.
Assez facile. Dhalmann : FD0460. Cette œuvre originale fait
donc appel au corps ou à des accessoires divers comme des casseroles. Cette
économie de moyen permet de se centrer uniquement sur la précision rythmique
mais n'empêche pas, bien au contraire, la recherche de timbres spécifiques. Il
s'agit d'un travail tout à fait intéressant. Jean-Luc
RIMEY-MEILLE : La dialectique
volatile. Timbales. Difficile. Dhalmann : FD0468. Ecrite pour cinq ou six
timbales, cette histoire pleine d'humour suppose aussi l'intervention parlée de
l'instrumentiste. Une certaine liberté de timbre est laissée à l'interprète, ce
qui permettra des recherches fort intéressantes. La préface de l'auteur donne
toutes les indications nécessaires à la bonne interprétation de l'œuvre.
Thierry
DELERUYELLE : Chat perché. Pièce en deux mouvements pour percussions
et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2862. Cette pièce se présente en
deux mouvements : le premier pour caisse claire, le deuxième pour
xylophone. La partie de piano n'est certes pas pour débutant mais n'est pas
très difficile : elle est très importante par le caractère, le rythme et
les couleurs qu'elle communique à l'ensemble. Michel
NIERENBERGER – Bernard ZIELINSKI : La
belle aventure pour caisse
claire/cymbale et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2916. Il ne faudra pas négliger
la partie de piano dans cette « belle aventure ». L'ensemble est
plein de vie, de rythme, de surprises. Il s'agit donc d'une pièce bien
séduisante qui demandera une bonne connivence entre les deux interprètes.
ORCHESTRE Gabriel
FAURÉ : Pavane pour orchestre op. 50, édité par Robin
Tait. Urtext. Bärenreiter :
BA 7887. On est heureux de
découvrir cette très belle édition de la version pour orchestre seul de la
célèbre Pavane de Gabriel Fauré. On lira avec beaucoup d'intérêt la préface de
Robin Tait, traduite par Nicolas Southon, qui retrace
tout l'historique des deux versions de la Pavane.
Même si la version orchestrale est la première, celle avec chœurs sur un
texte de Robert de Montesquiou
ne la suit que de quelques semaines. Signalons que le matériel d'orchestre est
également disponible à la vente. David
LAMPEL : 5 pièces pour orchestre. Moyen. Delatour : DLT2439. Transcription des cinq pièces pour piano à quatre mains
recensées dans la lettre n° 70 de mai 2013, cette version orchestrale fait
appel à un ensemble symphonique important (au moins cinquante musiciens) mais
de niveau moyen. Elles sont écrites dans un style néo-classique et mettent en
valeur pupitres et solistes.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Irina KIRCHBERG, Alexandre ROBERT (dir.)
: Faire l'art.
Analyser les processus de création artistique, 1 vol L'HARMATTAN
(www.harmattan.fr), 2014, 206 p. - 21 €. Ce livre regroupe 9
communications présentées le 17 mai 2013, lors d'une journée d'études à
l'Université Paris-Sorbonne organisée par l'École doctorale « Concepts et
Langages » et l'Observatoire Musical Français, à l'initiative de Danièle Pistone. Elles sont présentées grâce aux soins attentifs
d'Irina Kirchberg et d'Alexandre Robert. À partir d'enquêtes sur le terrain,
d'observation, d'interviews, mais aussi de fonds d'archives conservés à la BNF
(Paris) et dans une discothèque (Bruxelles) et de l'examen des matériaux, des
chercheurs en Sciences Sociales et en « sociomusicologie »
abordent le problème de la création artistique ou de la genèse de chaque
travail créateur. Les disciplines concernées sont : les Arts plastiques
avec les artisans d'art à l'œuvre, et la musique contemporaine sous l'influence
des commanditaires. Elles permettent de retracer le parcours de la création de
l'œuvre jusqu'à son interprétation actuelle, avec l'exemple d'une pièce de
clavecin de Jacques Champion de Chambonnières présentée dans la longue durée…
jusqu'au Rock and Roll. Le dénominateur commun concerne la « dimension
processuelle des actes créatifs », le passage du « stade
profane » au « stade professionnel », mais aussi le rôle de
l'historicisation pour la compréhension de l'œuvre. Parmi les questions posées,
figurent : « L'artiste est-il saisissable ? »
« Y a-t-il au départ une inspiration
fulgurante ? » « Comment pénétrer au cœur du processus
de création ? » Il s'agit, en effet, de dépasser les limites de
l'esthétique en général, musicale en particulier. Cette publication a le grand
mérite de tenir compte du tout dernier état de la question. Au-delà de Theodor W. Adorno, de la culturologie de Ferdinand de
Saussure, elle prend en considération le « nouveau faire musical »
dans les années 1960 ; les recherches d'Antoine Hennion
au sujet de l'amateur aujourd'hui (2000), d'Umberto Eco à
propos de l'œuvre ouverte (1965) et,
plus récemment, de P. E. Menger relatives au travail créateur (2009) et surtout l'artiste en action (sociologie de la pratique artistique) selon
Eric Villagordo (2012). Ce dernier estime que :
« Ce quadrillage thématique permet de dégager quatre grands pôles entre
lesquels peuvent naviguer les différentes approches des processus de création
et des formes du faire — socialisations, interactions, temporalité, historicité
— et n'a pas, bien sûr, l'ambition de constituer un système interprétatif globalisant. » Les actes créatifs sont
donc envisagés dans la double perspective :
musicologique et sociohistorique, relationnelle et dynamique. Édith Weber. Gilles CANTAGREL : Passion baroque. Cent cinquante ans de
musique en France. 1 Vol FAYARD (www.fayard.fr), 2015, 245 p. - 15
€. De lecture
agréable, d'une plume alerte, ce livre destiné au grand public cultivé ne
décevra pas les spécialistes. Gilles Cantagrel,
lui-même passionné de musique « baroque » et fin connaisseur, la
divise en trois périodes esthétiques bien délimitées : Premier baroque-naissance d'un art nouveau
(1600-1650) ; Le baroque médian
(1650-1700) ; Baroque tardif et apothéose (1700-1750). Cette étude couvrant un
siècle et demi commence avec la création à Rome (1600) du premier Oratorio La représentation de l'âme et du corps
d'Emilio de Cavalieri, avec le lancement de la basse continue, et s'arrête avec
la disparition de cette technique et à la mort de J. S. Bach (1750). Le
répertoire concerne les formes vocales : oratorio, air, madrigal, cantate,
passion, puis concert spirituel, musique grégorienne latine, choral allemand,
psaume français, musique anglicane. L'auteur aborde donc la musique vocale
allant de la Réforme au siècle des Lumières (Aufklärung) en passant par la Contre-Réforme et le Rationalisme, sans oublier les formes
instrumentales cultivées en Italie, Allemagne, France, Espagne : luth,
clavecin, orgue, chaconne, passacaille, suite de danses, variations, prélude et
fugue, toccata faisant appel à la virtuosité et bénéficiant des progrès de la
facture instrumentale (orgue, tempéraments divers, violon). Les hauts-lieux de
la musique baroque : cours princières, théâtres, « maisons
d'opéra », églises sont évoqués par rapport à la vie quotidienne et
illustrent l'histoire événementielle. L'histoire des sensibilités et mentalités
religieuses est reflétée par les goûts aussi bien dans
les cours princières ou royales selon les circonstances que dans les églises
selon le déroulement de l'année liturgique. Le grand mérite de Gilles Cantagrel est d'avoir situé un si vaste répertoire couvrant
l'espace « européen » dans la longue durée, et surtout — en tenant
compte des particularismes nationaux et locaux — d'avoir replacé les
compositeurs et leurs œuvres dans les contextes historiques et
confessionnels : Catholicisme (France, Italie, Espagne), Luthéranisme et
Réforme (Allemagne, France, Pays-Bas), Anglicanisme (Angleterre), suivis de la Contre-Réforme (catholique) associée aux influences du
Concile de Trente (1545-1563) et aux effets de la Guerre de Trente Ans
(1618-1648). L'auteur signale également le rôle des humanistes dans la
perspective du retour à l'Antiquité, la prima
et la seconda prattica,
le stile concitato
(Claudio Monteverdi), le parlar cantando, le bel canto... Il traite ensuite
l'esthétique du « Baroque médian » autour de Henry Purcell
(1659-1695), Nikolaus Bruhns
(1665-1697), Nicolas Lebègue (1631-1702), Nicolas de
Grigny (1672-1703) et Georges Muffat (1653-1704), entre autres, et les divers
tempéraments d'Andreas Werckmeister (1645-1706).
Toutefois, comme il le rappelle, le terme « classicisme » convient
mieux pour la musique française que l'expression « baroque médian »
valable pour la musique allemande. Pour qualifier les manifestations de
l'esthétique baroque, il insiste sur les affects, mouvements de l'âme,
expression individuelle (y compris la poésie à la première personne dans la
mouvance du Piétisme), recherche du pathétique et surtout de l'émotion, ainsi que
la traduction musicale figuraliste de la douleur
(plaintes, larmes). Elles sont en conformité avec les idées de Marin Mersenne
(1588-1648), René Descartes (1596-1650), John Dryden (1631-1700), Francesco
Geminiani (1687-1762), Johann Joachim Quantz (1697-1773), Jean-Jacques Rousseau
(1712-1768). Ses considérations sont étayées de judicieuses citations de ces
derniers et d'analyses musicales concernant la situation des œuvres et
l'expression des passions baroques. Elles portent également sur « le mouvement
et la danse », l'art de bien dire (rhétorique et éloquence) et même les
proportions numériques et la numérologie... Gilles Cantagrel
a résumé ainsi le rôle de la musique baroque : « En l'absence de toute
narration et de tout argument, la musique fait plus qu'imiter, plus que
décrire. Elle exprime l'homme, elle explore les tréfonds de son âme et le
traduit, à son insu parfois. » (p. 63). La Chronologie par villes, année après
année, est un modèle du genre. Elle rend compte des événements :
publications (traités, œuvres musicales, créations), fondation
d'Institutions ; théoriciens, compositeurs, professions (organistes,
chefs, cantors, postes officiels dans ces hauts-lieux artistiques), formations
instrumentales. Si la date de naissance de Wolfgang Amadé
Mozart (1756) est bien signalée, en revanche, pour l'année 1685, celles de JS.
Bach (à Eisenach), de Georg Friedrich Haendel (à Halle), Domenico Scarlatti (à
Naples), peut-être évidentes, sont toutefois absentes, de même que, dans la Bibliographie sélective, certains
ouvrages de référence : par exemple, sur Schütz (première monographie
française d'André Pirro), ou encore sur la Réforme,
le Concile de Trente. Cette imposante chronologie (p. 171-225) est d'un intérêt
capital : autant de faits, de noms, de créations, de tendances esthétiques
replacés dans leurs contextes historiques justifiant pleinement le titre
générique : Passion baroque et
étant de nature à passionner les
mélomanes pour Cent cinquante ans de
musique en Europe. Édith Weber. Élisabeth-Marie GANNE : Louis GANNE et le sang des Arvernes,
1 vol. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2014, BDT0010, 290 p. - 35 €. Le sous-titre, qui
pourrait intriguer les lecteurs, rappelle que « vingt siècles sépareront
les guerriers de l'Arverne gauloise déferlant furieusement sur le Romain, de la
création de la Marche Lorraine par le
petit père Ganne, comme on surnomme affectueusement l'homme si peu militaire
d'aspect ou de disposition. » (4e page de couverture). Pour présenter
Louis Ganne (1862-1923) — dont le nom en gaulois de la région signifie Chef —, Élisabeth-Marie Ganne, qui n'a
pas connu son grand-père, a judicieusement puisé dans les sources
d'archives : correspondances, témoignages d'époque, souvenirs relatés par
son père et manuscrits conservés à la Bibliothèque de l'Opéra. En 12 chapitres
allant de son Entrée dans la vie
jusqu'à La dernière Aubade,
accompagnés d'une Généalogie, d'un
imposant Catalogue Louis Ganne, et
d'une iconographie significative (photos, acteurs, programmes, pages de titre,
affiches), l'auteur fait revivre ce personnage hors du commun dans le cadre de
ses multiples activités ; elle brosse un vivant tableau psychologique et
le rend très présent. Elle évoque la vie du jeune orphelin dans le bocage
bourbonnais, la Guerre de 1870, son entrée au Conservatoire où il suit
notamment les cours d'harmonie de Théodore Dubois, de composition de Jules
Massenet, sera l'élève de César Franck et commencera à diriger la Société
France Fanfare, à composer, à enseigner l'orgue et à donner des « concerts
de brasserie ». La chanson Père la
Victoire, marquant un tournant dans sa carrière, aboutira en 1892 à la Marche lorraine (En passant par la Lorraine avec mes sabots…) qui connaîtra une
immense popularité : preuves de son engagement patriotique. Il dirigera
également le Nouveau Théâtre, rue Blanche, composera des œuvres lyriques, par
exemple: Phryné, La Princesse au Sabbat (1899), Les
Saltimbanques, Hans le Joueur de
flûte (1905/6)… De 1902 à 1904, il est Président de la SACEM où, ardent
défenseur de la musique française, il rencontre de nombreux compositeurs et
éditeurs ; en 1905, il fonde l'Orchestre Ganne à Monte-Carlo. Il meurt à Paris, le 13 juillet
1923. Écrite en un style enlevé et d'une plume alerte, cette monographie situe
le lecteur dans le monde artistique du dernier quart du XIXe et du premier
quart du XXe siècle. Élisabeth-Marie Ganne a le mérite d'avoir rectifié de
nombreuses erreurs et fausses légendes, de poser des questions si pertinentes
que le lecteur voudra immédiatement en savoir davantage, et de présenter de
façon si vivante ce « petit monsieur français vif-argent tout droit sorti
du monde agité du spectacle ». À lire d'un seul tenant. Édith Weber. Paolo CRIVELLARO : Die Norddeutsche Orgelschule. Aufführungspraxis nach historischen
Zitaten. Repertoire, Instrumente, Stuttgart, CARUS Verlag (www.carus-verlag.com ), 2015, CV 60.010, 208 p. – 68 €. Cet ouvrage
concerne l'école d'orgue nord-allemande et, en particulier, les critères
d'interprétation, le répertoire et les instruments. Les judicieuses remarques
de Paolo Crivellaro s'appuient sur des citations
historiques (traités, types de notations…), donc authentiques. Un survol esthétique
donne lieu à un rappel du Stylus Antiquus, du Stylus
modernus et des influences italienne et
française. L'auteur traite ensuite la pratique dominicale aux cultes et aux
offices où l'organiste interprète des pièces d'orgue en soliste,
accompagne le chant d'assemblée, réalise la basse continue. Puis il aborde les
genres spécifiques : œuvres reposant sur un cantus firmus (mélodie de
choral bien connue des fidèles), œuvres avec ostinato, tablatures, préludes de
chorals, fantaisies, fugues, formes liturgiques diverses, sans oublier les
sources profanes. Pour préparer un
récital en Allemagne du Nord et prévoir un programme adapté, les organistes
français, trouveront de précieux renseignements sur la facture d'orgue
(claviers, pédaliers, accouplements) et les principaux facteurs :
Friedrich Stellwagen, Arp Schnitger… ;
sur les différents tempéraments en usage ; sur les tempi à retenir dans le
cadre du Stylus phantasticus
selon Athanasius Kircher (1601 ou 1602-1680),
philosophe, physicien, théoricien et prêtre et Johann Mattheson
(1681-1764), compositeur, théoricien et érudit ; ou encore sur l'emploi de
la pédale et le choix de l'instrument (orgue, régal, clavecin). Les interprètes
bénéficient également de solides conseils sur l'articulation, les particularités
des jeux et les diverses possibilités de registration historiques, ainsi que
sur les diminutions, les accents, l'ornementation en général (trilles,
mordants, arpèges) et l'ornementation improvisée (non notée). Quant au
répertoire, il concerne les compositeurs célèbres appartenant de l'école
d'orgue nord-allemande, de Samuel Scheidt (1587-1654) jusqu'à Nicolaus Bruhns
(1665-1697) et, parmi les moins connus : Melchior Schildt (1592-1667)
et Johann Adam Reincken (baptisé en 1643-1722), avec,
pour chacun, mention de leurs compositions et des orgues contemporains pour
lesquels elles ont été conçues. L'importante nomenclature permet donc de
préparer d'intéressants programmes de concert et, en connaissance de cause, de
les interpréter sur des instruments de grande valeur. Ce volume — à la fois
historique, technique, pratique, esthétique et organologique — est encore
complété par différents Index : Noms propres, Matières, Lieux, et constitue donc un remarquable outil
pour les professeurs, organistes et concertistes et spécialistes de musique
baroque. Édith Weber. Jon LAUKVIK (éd.) : Orgelschule zur
historischen Aufführungspraxis
. Teil 3 : Die Moderne, Stuttgart, CARUS Verlag (www.carus-verlag.com ), 2014, CV 60.006, 351 p. – 80, 50
€. Chez le même
éditeur, ce deuxième volume concerne les critères d'interprétation de la
musique d'orgue allemande et française à l'époque « moderne ». Sept
chapitres réalisés par sept auteurs proposent un parcours chronologique
commençant avec l'esthétique néoclassique représentée en Allemagne par Paul
Hindemith (1895-1963), Hugo Distler (1908-1942), Johann Nepomuk
David (1895-1977) et Kurt Hessenberg (1908-1994). Ces
compositeurs sont introduits par Armin Schoof,
professeur et concertiste international. Après quelques précisions
biographiques, les interprètes et concertistes trouveront de précieux
renseignements sur la composition des instruments pour lesquels les œuvres ont
été pensées, un aperçu du répertoire avec indications des registrations
d'époque, des citations de quelques incipit, et toutes les précisions
indispensables (tempo, dynamique, indications métronomiques, phrasés), parfois,
source hymnologique des mélodies de chorals et quelques portraits (compositeurs
aux claviers). La musique
française du XXe siècle est abordée avec des œuvres de Marcel Dupré
(1886-1971), Maurice Duruflé (1911-1986), Jehan Alain (1911-1940), Olivier
Messiaen (1908-1992) et même Darius Milhaud (1892-1974). À noter : l'œuvre
d'Olivier Messiaen faisant l'objet d'un important chapitre rédigé par trois
auteurs qui évoquent sa « catholicité », ses particularismes
esthétiques (tempo, durée, rythme, polyrythmie, demi-valeur ajoutée, métrique
antique, articulation, modes à transposition limitée) et introduisent de
nombreuses œuvres (p. 110 à 209), y compris les chants d'oiseaux, les sources
grégoriennes ou encore les œuvres posthumes. Hans-Ola Erichson,
Anders Ekenberg et Markus Rupprecht
ont signé cette remarquable introduction au grand maître français. La contribution
de Jeremy Fisell concerne Marcel Dupré ; celle
de Hans Fagius, Maurice Duruflé. Guy Bovet introduit
les éditions de Jehan Alain révisées par sa sœur, la regrettée Marie-Claire
Alain (1926-2013), dotées d'un important appareil critique et la comparaison si
instructive avec ses manuscrits ; il met l'accent sur la facture plutôt
« romantique » des instruments (première moitié du XXe siècle) par
leur intonation et leur idéal sonore (cf.
l'orgue de J. Alain à Romainmôtier, Suisse), et
propose des analyses succinctes. Arnold Schönberg (Variations, op. 40) et Zoltan Kodaly (Épigramme) font aussi l'objet d'analyses descriptives. Le répertoire des
60 dernières années (chapitre VII) aborde les œuvres pour orgue classées par
difficulté progressive et concerne des compositeurs moins connus : Jean-Pierre Leguay (né en 1939), Giorgy Kurtag (né en 1926), Ernst Krenek (1900-1991), Gilbert Amy
(né en 1936), Mauricio Kagel (1931-2008)… : 27 au total (p. 245-332),
présentés avec des commentaires ponctuels. En conclusion, les exigences de la
musique « contemporaine » vis-à-vis de l'orgue sont abordées :
elles varient d'une époque à l'autre et d'une région à l'autre, et peuvent
marquer une rupture dans la tradition. Aux XXe et XXIe siècles, il n'y a pas de
normalisation de la facture, chaque compositeur a sa conception personnelle du
son : tempérament mésotonique (ou non), couleurs
spécifiques, sons aliquots, flexibilité dynamique,
tuyaux en chamade… Les professeurs, organistes et concertistes sauront tirer
bénéfice de la liste alphabétique par compositeurs et des nombreuses
suggestions d'œuvres publiées (p. 343-348) à découvrir et à interpréter. Un Index (Noms et Matières) illustre
l'ampleur insoupçonnée du répertoire et de la pratique organistiques
« modernes » selon l'intitulé mais, en fait, largement ouverts sur la
musique de « notre temps ». L'utilité de cet ouvrage didactique si
révélateur du répertoire organistique « moderne » n'est pas à
démontrer. Édith Weber. Brice GÉRARD : Histoire de l'ethnomusicologie en France
(1929-1961). Paris,
L'Harmattan (www.harmattan.fr ), 2014, 363 p. 37, 50 €. En France,
l'Ethnomusicologie a été lancée dès 1926 par André Schaeffner.
Cette future discipline concerne d'une part la tradition orale et sa réception,
d'autre part l'exploitation des fonds organologiques groupant des instruments
de diverses provenances géographiques. Elle mise sur l'identité culturelle, les
patrimoines, les langages musicaux en fonction des spécificités nationales. Elle
fait appel, entre autres, au comparatisme, à l'ethnographie, aux monographies.
Toutefois, les recherches ont commencé avec l'exploitation des « notes de
terrain », des résultats d'enquêtes suivis, grâce aux progrès techniques,
de la constitution d'archives sonores (Musée de l'Homme, Musée ethnographique
du Trocadéro) et des films ethnographiques. Sa « disciplinarisation »
s'est effectuée dans des institutions parisiennes telles que l'EPHE, le CNRS,
l'ORSTOM et l'Institut de Musicologie de la Sorbonne où, vers 1958, son
directeur, le Professeur Jacques Chailley organisait une réunion mensuelle (le
vendredi) à laquelle participaient, selon leur présence à Paris, Constantin Brailoiu (Roumanie), Alain Daniélou (Inde), Tran Van Khê (Viet Nam) et des
musicologues parisiens, suivis de Nelly Caron et des membres du CEMO (Centre
d'études de musique orientale). Ces séminaires en Sorbonne et à l'École
Pratique des Hautes Études étaient complétées par des rencontres, les Colloques
de Wégimont (Belgique) dès 1954 et des échanges de
correspondances. Parmi les
principaux « acteurs » figuraient alors des muséologues et les
spécialistes tels que Claudie Marcel-Dubois et Maguy
Andral (folklore, ethnomusicologie de la France) ; Mireille Helfer (Tibet, Népal…), Gilbert Rouget (Congo), Bernard Lortat Jacob et Jacques Cheyronnaud
(France), Simha Arom
(Afrique Centrale), entre autres… Ils s'inspiraient notamment des idées de
Marcel Maus (anthropologue), Marcel Griaule
(ethnologue), Paul Rivet (médecin et ethnologue), Georges Balandier (ethnologue
et sociologue), Claude Lévi-Strauss (fondateur du structuralisme), Georges
Henri Rivière (muséologue), Jean-Jacques Nattiez (littéraire et sémiologue)… Le parcours
chronologique illustre l'évolution de la discipline, allant de l'ethnographie
et de l'ethnologie musicale (1929-1949) vers l'ethnomusicologie (1950-1961, cf. titre du livre). Ce
très large état de la question jusqu'en 1961 — avec documents révélateurs,
bibliographie circonstanciée et actualisée (2015), une remarquable Liste de liens vers les archives sonores
(p. 343-345) et un Index des personnes
citées particulièrement révélateur — donnera incontestablement « accès
à la connaissance des musiques découvertes à travers le monde ». Édith Weber. Xavier HASCHER, Mondher AYARI
et Jean-Michel BARDEZ (dir.) : L'analyse musicale aujourd'hui. Music Analysis Today, Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2015, BDT0005, 478 p. - 35 €. Depuis plusieurs
décennies, les critères de l'analyse musicale ont évolué considérablement et
« aujourd'hui », « Today » (c'est-à-dire vers 2014-15), la Collection
« Pensée musicale » propose un bilan des tendances représentées par
23 auteurs. Les débats (en français et en anglais) présentent les différentes
étapes de la recherche depuis la set theorie de Célestin Deliège et le premier Congrès d'analyse musicale (Colmar)
en 1989, à travers l'analyse formalisée,
l'analyse modélisée, l'analyse des musiques contemporaines, des
musiques populaires modernes jusqu'à
l'analyse post-schenkérienne. Les recherches
interdisciplinaires, plus en plus croisées, associent de nombreuses
préoccupations : historiques, sociologiques, esthétiques, philosophiques,
cognitivistes, herméneutiques, heuristiques, ethnologiques et anthropologiques
(cf. p. 8). Ce vaste constat, à lui
seul, illustrait, d'un côté, l'ampleur de la démarche et des réflexions
toujours en mutation et, de l'autre côté, des « signes de
transition » de la tradition vers des paradigmes (cf. texte
anglais, p. 18sq) faisant de
l'analyse une authentique discipline universitaire. Les 23 communications de
spécialistes internationaux (anglais, américains, estonien, canadien) et de
nombreux universitaires français sont regroupées autour de quatre pôles : L'analyse en question (analyse
cognitive) ; Perspectives et
rétrospectives théoriques (modélisation du timbre, représentation
graphique…) ; Nouveaux chemins,
nouveaux territoires (modélisation cognitive des musiques de tradition
orale, voix chantée rock… et même les « compositrices ») ; L'analyse en action (à partir d'œuvres
allant de Beethoven et Debussy… jusqu'à G. Kurtag et
H. Pousseur). Pas de synthèse à la fin de l'ouvrage, mais l'Avant-Propos… « Des mutations de la pensée analytique (J.-M. Bardez) et la
Préface « Between Yesterday and Today »…
en tiennent lieu. Publié avec le
soutien de l'Équipe d'accueil : Approches
Contemporaines de la Création et de la Réflexion Artistiques, à la fois
rétrospectives et perspectives, bilan et reflet des spéculations de nombreuses
écoles (américaine, anglaise, française), cet imposant volume (avec tableaux,
exemples musicaux, indications bibliographiques, copieux Index) fera repenser l'analyse musicale la plus récente qui, en
fait, — depuis le siècle de Rameau jusqu'au XXIe siècle — n'a pas encore dit
son dernier mot. Édith Weber. Joseph Colomb : Janacek
en France. De l'indifférence à la reconnaissance. 1 Vol Les éditions de
l'ïle bleue, 2014, 564 p, 35 €. Cet imposant ouvrage est celui d'un
mélomane, non d'un musicologue. D'un amoureux de la musique de Janacek. Un
amoureux qui emporté par sa passion pour son sujet, ne ménage pas la
critique...des critiques musicaux, trop frileux à son goût, trop lents à
déclarer leur intérêt, sinon leur enthousiasme, pour un musicien essentiel du
XX ème siècle. Ce livre qui n'a pas pour titre
« Janacek et la France », mais « Janacek en France », se
propose de décortiquer les étapes de la réception française de la musique de ce
compositeur. L'étrange destin « français » de Leos
Janacek est retracé à travers un parcours qui voit alterner espoirs et
déceptions quant à la perception de l'œuvre du morave chez nous. Joseph Colomb
s'est livré à un travail titanesque de recherches qui lui aura coûté une
dizaine d'années de labeur. Un vrai flair de détective lui a permis d'accéder à
des archives nombreuses, ici comme en Tchéquie. Son jugement est souvent
impitoyable envers les pionniers qui avec les moyens alors à leur disposition,
ont pourtant donné une première image du musicien. Comme Guy Erismann dans son livre « Janacek ou la passion de la
vérité » (Seuil, 1980). Il est certain que rétrospectivement, son ouvrage
parait daté, ne serait-ce que parce que l'auteur n'a pas eu accès à la
Correspondance du musicien, source aujourd'hui considérée comme essentielle. Si
le ton exagérément sentencieux agace parfois, on reste admiratif devant
l'ampleur du travail, à l'appui d'une thèse inscrite dans un cheminement très
séquencé, au point que l'aboutissement, la reconnaissance enfin acquise, semble
ne plus délivrer l'aura qu'une longue attente lui aura disputée. L'intérêt du
livre est de disséquer les étapes de la conquête de la musique de Janacek dans
l'hexagone : des premiers contacts (1908-1918), salués par exemple par Romain
Rolland, puis d'une période de désillusion, « sans lendemain »
(1928-1940), malgré de notables avancées, grâce à l'action, par exemple, de la
Chorale des Institutrices de Prague, de Pierre Monteux ou d'Alfred Cortot qui
fit jouer le Concertino pour piano en 1931, et grâce aux premières
retransmissions radio de concerts. Après les années d'oubli, durant la période
de la seconde guerre mondiale, ce seront les premières découvertes lyriques
(1945-1969), grâce à l'action de Rafael Kubelik ou du musicologue Antoine Goléa, et ces « cinq opéras pour la première fois en
France », Jenufa à Strasbourg en 1962, De
la maison des morts, en 1966 à Nice, La petite renarde rusée, L'Affaire Makropoulos, en 1966, et Katia Kabanova
à L'Opéra de Paris en 1968. Les frémissements distinguent la période 1970-1987,
comme à Nancy, ces années qui voient aussi la « conversion de
Boulez » à la cause janacekienne. La
reconnaissance est définitivement acquise à partir de 1988, durant ces années
qui voient la grande explosion discographique. L'adoption est scellée avec, en
2005, un festival Janacek à l'Opéra national de Paris et le renouveau de
l'édition. Ce long et chaotique cheminement interroge : Pourquoi Janacek est-il
resté tant méconnu ? « Est-ce parce qu'il allia nationalisme populaire et
modernité au sein d'une ''petite-nation'' », comme le suggère Milan
Kundera ? La difficulté de la langue tchèque n'y est-elle pas pour beaucoup,
sans parler du manque de curiosité ? Ce voyage aura permis de saluer l'action
de quelques figures engagées, venant d'Europe centrale, puis peu à peu de
musiciens français (comme Jean Périsson qui assura la
création de Katia Kabonova à Paris). Une autre
originalité de la démarche est de l'avoir inscrite dans son contexte,
l'environnement historique, musical notamment – de manière presque trop
documentée, à la limite de l'éparpillement -, ou les circonstances socio-politiques, et de l'avoir analysée à travers le
prisme d'institutions témoins, à Lyon et à Paris. Reste que ce que l'auteur
fustige de rendez-vous manqués, ne l'était sans doute pas pour tous et ne
manifestait pas toujours nécessairement de l'indifférence. Le livre se referme
sur plusieurs annexes d'une importance capitale car inédites, telles que
quelques appréciations livrées par des interprètes comme la chanteuse Hélène Garetti ou la pianiste Sarah Lavaud
; un historique des créations françaises des musiques de Janacek et une
discographie française. Jean-Pierre Robert. Philippe Entremont : Piano ma non troppo.
Souvenirs. 1 Vol. Editions de Fallois, Paris,
2015. 140 p., 16€. Philippe Entremont est un homme qui
s'épanche peu et un pianiste discret à l'aune du battage médiatique ambiant. A
l'automne d'un carrière remarquable, il se livre
pourtant. De bonne grâce et avec une forme d'absence d'ego qui fait plaisir à
lire. Né d'une mère pianiste et d'un père chef d'orchestre, il deviendra l'un
puis l'autre. Témoin des grands, telle Marguerite Long, qui lui « fichait
le trac », on savoure quelques portraits de musiciens, qui ont le mérite
de la concision : de chefs, comme Eugène Ormandy qui
« conçoit le concerto comme une conversation », Leonard Bernstein qui
« a montré au monde qu'on pouvait être magnifique sans être précis »,
Pierre Boulez, Igor Stravinsky encore, qu'il a connu sur le tard de la carrière
du maître. On dévore des instants précieux consacrés aux musiciens qu'il aime :
Ravel, « au premier rang », dont la musique n'est pas toujours bien
restituée. Comme il en est plus généralement de la musique française, celle de
Ravel est mal enseignée. « Parce qu'il est interprété plutôt que
lu », alors qu'en suivant attentivement les recommandations du
compositeur, « il est possible de surmonter tous les obstacles que recèle
sa musique ». Haydn, ensuite, si difficile à jouer, Brahms, « un ami
qui m'encourage au dépassement », Mozart bien sûr, ou encore
Villa-Lobos. Son amour du piano l'amène
à quelques réflexions personnelles sur sa manière au clavier, avant tout
intuitive (« Je joue large ») et les pièges de l'usage immodéré de la
pédale, « une facilité qui n'apporte rien ». Devenu aussi chef
d'orchestre, « un métier de plaisir autant que de passion », formé
« par imprégnation » en côtoyant les grands, c'est plus l'orchestre
que la direction d'orchestre qui l'intéresse. Car avec les musiciens on élargit
la couleur. Si la gestique est fondamentale, le rôle du regard ne l'est pas
moins, et « il vaut mieux faire entendre que donner à voir »! On
fera son profit de vérités essentielles. Comme celle-ci encore : « le bon
goût réside avant tout dans la vérité de l'intention, la sincérité du geste et
la bonne tenue des paramètres techniques ». Il n'y a rien de nostalgique
dans ces « Souvenirs », parce qu'ils sont vrais et s'inscrivent dans
le cours d'une vie chargée de sens. Les « trois aventures
essentielles » que conte Philippe Entremont, à New York, puis à Vienne et
en Israël, ont été des points cardinaux d'une vie dévouée à son art. Car
« jouer du piano, c'est d'abord ouvrir son cœur à la surprise ». Jean-Pierre Robert. Jean-Yves
Clément. Alexandre Scriabine. 1 Vol Actes Sud.
Collection Classica, 2015, 208 p, 18,50€. A l'occasion du centenaire de sa mort,
Jean-Yves Clément nous propose cette courte et agréable biographie d'Alexandre
Scriabine (1872-1915) comme une première approche de ce pianiste et compositeur
russe, encore mal connu du grand public, personnalité atypique, volontiers
mystique, véritable passeur, assurant la charnière entre les mondes du XIXe et
du XXe siècle, repoussant résolument toutes les limites expressives et
formelles entre romantisme total et modernisme radical. Un œuvre conçue comme
un véritable parcours initiatique, comme un long cheminement de l'Autre à Soi,
où on se plait à reconnaitre, dans les compositions de jeunesse, les influences
de Chopin, Liszt, Schumann, avant d'aborder aux rives de la maturité avec des
œuvres plus originales, denses, d'une qualité extrême comme les dernières Sonates, le Poème de l'Extase, Prométhée
ou le Poème du feu. Une musique qui à partir de la Sonate n° 5 consumera la forme, l'espace, l'harmonie, le rythme,
pour tendre vers le cosmos musical, vers le silence, l'inaudible, l'ineffable
et le rêve. Artiste-dieu créant un nouveau monde, influencé par Schopenhauer,
Nietzsche, il est Prométhée et Dionysos, sa vie se confond avec la création
pure jusqu'au point ultime où musique et silence se consument, unis dans la
mort. Un itinéraire artistique passionnant que l'auteur nous invite à retrouver
en suivant le fil conducteur des dix sonates pour pianos du compositeur russe.
Issu d'une famille aristocratique dont la noblesse remonte au Moyen Age,
Scriabine fait son apprentissage musical auprès de sa mère qui reconnait
rapidement ses dons exceptionnels. Suivant la tradition familiale, il entre à
l'école militaire de Moscou, puis au Conservatoire de musique de Moscou où il a
pour condisciple Rachmaninov. Un accident neurologique, entraînant une
paralysie partielle du poignet droit, mettra rapidement fin à ses espoirs de
pianistes virtuose. Il sera compositeur, le piano restant son instrument
privilégié. Il épouse, en 1897, la pianiste Vera Ivanovna Issakovitch,
compose son Concerto pour piano et
devient à 26 ans le plus jeune professeur du Conservatoire de Moscou. En 1901,
Scriabine quitte Moscou, démissionne du Conservatoire et amorce une période de
surabondance créatrice. En 1905, il quitte
sa femme pour vivre avec sa maitresse Tatiana de Schloezer.
Son œuvre, étalée sur une trentaine d'années, le guide, au travers de la danse,
du rêve, de l'ivresse, vers l'extase finale. Elle comprend des œuvres pour
pianos (Mazurkas, Préludes, Études,
Poèmes et Sonates) et des compositions orchestrales d'une stupéfiante
modernité (Divin Poème, Poème de l'extase
et Prométhée) qui lui apporteront la gloire. A partir de 1911, l'œuvre du
compositeur russe se recentre sur le piano avec le monument musical que
constituent ses dernières sonates. Sa musique devient un appel vers un autre
monde, une musique vers un au-delà de toute musique, vers Le Mystère et Vers la flamme.
Prophète d'une nouvelle musique pour un nouveau monde, Scriabine meurt le 27
avril 1915 à Moscou, laissant une œuvre parmi les plus originales de toute la
musique. Une biographie facile de lecture, centrée
sur les œuvres du compositeur russe plus que sur sa vie, agrémentée d'un index,
d'une bibliographie et d'une discographie pour ceux qui souhaitent approfondir
leur connaissance de ce compositeur hors normes. Un livre passionnant,
didactique, indispensable en cette année anniversaire de la mort de Scriabine.
Une occasion pertinente de s'attarder sur les autres volumes de la Collection Classica/Actes Sud qui fête ses dix ans d'existence. Patrice Imbaud. REVUE Tempo
Flûte. Revue de
l'Association d'histoire de la flûte française, n°11 (www.tempoflute.com ), 1er Semestre 2015, 64 p. (Abonnement un an : membre actif
France 16 €, étranger 20 €), 8 €. Outre l'information
concernant les parutions récentes (disques, partitions et livres), ainsi que
des offres discographiques, les amateurs comme les spécialistes de la flûte
trouveront de précieux renseignements techniques et organologiques sur
« Les flûtes Abell et les étapes de leur fabrication » ;
« la clé de Sol # fermée » (selon Th. Böhm) ; sur les
répertoires (Charles-Marie Widor, Joseph Hartmann Stuntz),
sur la pratique du répertoire baroque, grâce à la vaste expérience de
Jean-François Alizon exposée dans son livre de 2014
(éd. L'Harmattan – cf. Lettre
d'information, Janvier 2015) ou encore sur l'actualité : Philippe Bernold nouveau professeur au CNSMD depuis 2014 et
l'inégalable Maxence Larrieu — élève de Jean-Pierre
Rampal, à l'occasion de ses 80 ans et qui a formé des générations de flûtistes
français et suisses — ayant fait l'objet de nombreuses célébrations
(États-Unis, Japon…, Nice, le 24 octobre 2014). Cette Revue s'impose par sa remarqauble conception, par la solidité et la diversité des
contributions, la qualité exceptionnelle des illustrations (étapes de
fabrication, 8 documents sur la clé de Sol #, des flûtistes, affiches,
programmes…). Elle s'adresse aux instrumentistes comme aux mélomanes. Édith Weber. ***
LE BAC DU DISQUAIRE
À l'occasion du
cinquième Centenaire de la naissance de Sainte Thérèse d'Avila (1515-1582), les
Éditions JADE poursuivent leur série consacrée à ses pensées. Les pages —
retenues par le Père Carme Didier-Marie Golay O. C.
D., dites par Marie-Christine Barrault qui s'investit totalement dans son rôle
— sont ponctuées d'intermèdes musicaux extraits, entre autres, du CD Sancta Mater Teresia
(par les Carmélites de Pécs), avec également la participation du Chœur des
Moines de Silos et du Chœur Exaudi de Cuba. Les
auditeurs trouveront les extraits du Livre
du Château intérieur, du Livre de la
vie, du Chemin de perfection,
ainsi que trois Exclamations. Quant
aux destinataires des lettres, il s'agit de son frère Lorenzo et du Père Jérôme
Gratien. La lectrice révèle les conditions de sa « préparation » en
ces termes : « Je m'imprègne du
texte. J'ai essayé de saisir en profondeur ce que disait Sainte Thérèse
d'Avila » et elle précise que « le texte ici est une traduction… c'est toujours difficile… une
traduction ». Elle prépare les citations avec crayon, stabilo et signes divers, marque les pauses et les
arrêts pour rendre les textes « au plus près de la pensée de
Thérèse » : ce n'est pas le moindre mérite. Édith Weber. Lycourgos ANGELOPOULOS et le Chœur Byzantin de Grèce. COLLECTOR. 1CD JADE (www.jade-music.net ) :
CD 699 844-2. TT : 61' 07. La Série Collector se
poursuit avec un hommage à Lycourgos Angelopoulos, né en 1941 à Pyrgos,
dans le Péloponnèse et décédé à Athènes, le 18 mai 2014. Bien connu en tant que
fondateur (1977) et directeur du célèbre Chœur Byzantin de Grèce, il a réalisé
pour les Éditions JADE quatre enregistrements marqués par un grand souci
d'authenticité historique et esthétique. Au cours de sa carrière, il a été protopsalte de l'Église Sainte Irène (Athènes) et a
enseigné la musique byzantine dans plusieurs Conservatoires. En 1994, le
Patriarche œcuménique Barthélémy Ier lui a confié l'Office de Protopsalte de l'Archevêché de Constantinople. Son Chœur
Byzantin de Grèce, de rayonnement international, a participé à plus de mille
concerts, liturgies et autres manifestations. Le programme de ce disque est
très représentatif des grandes formes de la musique byzantine : Stichère (de sticheron, stichos : verset ;
hymne monostrophique chantée entre les versets d'un
Psaume), Tropaire (de troparion : mode, ton ;
brève prière), Kondakion (ce qui est placé avant), Exapostilaire (hymne)… Certaines pièces sont de
Romanos le Mélode (mort peu après 555) et de Petros Lampadarios
(1730-1778). Par la rigueur et la fidélité à la tradition byzantine, cette
remarquable compilation des Éditions JADE retiendra l'attention. Édith Weber. Complies
cisterciennes à l'Abbaye de Fontfroide. Livre de Job. 1CD JADE (www.jade-music.net ) :CD 699 845-2. TT : 69' 32. Les Complies (du latin completorium signifiant :
achever, terminer) correspondent à la dernière prière à la fin du jour,
c'est-à-dire après le coucher du soleil. Placé sous la direction de Jaan-Eik Tulve,
cet enregistrement (1995) du Chœur Grégorien de Paris comprend les
Complies (Ad completorium),
d'après l'Office retranscrit « tel qu'il fut chanté autrefois à l'Abbaye
de Fontfroide », avec des extraits de Psaumes,
l'hymne bien connue Te lucis ante terminum et le
grand Salve Regina « chanté sur
le ton cistercien ». La deuxième partie concerne de brèves lectures cantillées provenant du Livre
de Job, avec antiennes, répons en alternance avec les versets, puis, selon
la tradition : introït, graduel, Alleluia, offertoire et communion (avec
tintements de cloches). Comme le souligne le texte de présentation, les répons Si bona suscepimus et Paucitas dierum meorum
« enregistrés pour la première fois à notre connaissance, ont été
restitués d'après les manuscrits anciens ». À noter, entre autres, dans ce
parcours méditatif et très prenant, les ornements et mélismes traduisant
musicalement le désespoir de Job. Le programme très intériorisé bénéficie de
beaux effets de résonance grâce à l'acoustique très réverbérante
de l'Abbaye de Fontfroide. Édith Weber. Othmar SCHOECK : Sommernacht… Sonate pour clarinette basse et orchestre. Penthesilea-Suite. Besuch in Urach. Rachel Harnisch, soprano.
Bernhard Röthlisberger, clarinette.
Orchestre Symphonique de Berne,
dir. Mario Venzago. 1CD MUSIQUES SUISSES (www.musiques-suisses.ch) : MGB CD 6281. TT : 61' 58. Poursuivant sa
série consacrée aux musiciens suisses, le Label de la Migros
met à l'honneur Othmar Schoeck
(1886-1957) qui, en 2013, avait d'ailleurs fait l'objet d'une excellente
biographie par le musicologue suisse Beat Föllmi (cf. Lettre d'information, octobre 2013).
Chef d'orchestre et compositeur, il est né à Brunnen en 1886 et mort à Zurich,
le 8 mars 1957. Ce disque commence aux accents d'un intermède pastoral de
caractère descriptif (dirigé par Luc Balmer) : Sommernacht (Nuit d'été), d'après
la poésie de Gottfried Keller (1819-1890), créé en 1945 à Berne, dans une
esthétique à la fois tournée vers le passé et le présent (1945). Plus ancienne,
sa Sonate pour clarinette basse et
orchestre, en trois mouvements : Gemessen (mesuré), Bewegt (animé) et
encore Bewegt,
date de 1928. Interprétée par Bernhard Röthlisberger
(clarinette basse), elle est dédiée à Werner Reinhart,
clarinettiste amateur, industriel et célèbre mécène. Composée entre 1923 et
1925, la Penthesilea-Suite s'inspire de l'œuvre éponyme du
dramaturge allemand Heinrich von Kleist (1777-1811).
Selon le texte de présentation, Schoeck n'était pas
satisfait « de son choix du piano comme instrument d'accompagnement, mais
ne s'est jamais décidé à effectuer le moindre changement dans la
partition. » Willy Burkhard l'a arrangée pour
orchestre de chambre, puis Andreas Delfs en a réalisé
un arrangement pour orchestre. La Suite
porte délibérément l'empreinte du langage musical autour des années 1925 :
ragtime, dissonances voulues... Pour sa Visite
à Urach (Besuch in Urach) datant de 1948, faisant l'objet du premier
enregistrement CD en sa version orchestrale de 1951, Othmar
Schoeck s'inspire du texte d'Eduard Mörike
(1804-1875) lui rappelant ses promenades de jeunesse. Cette mélodie avec piano,
dans le sillage de Richard Wagner et Richard. Strauss, a été orchestrée
par le compositeur. La voix de Rachel Harnisch (Soprano) déclame le texte
poétique de caractère romantique planant au-dessus d'un accompagnement
orchestral particulièrement évocateur. Ce disque enregistré en 2014 par
l'Orchestre Symphonique de Berne, avec en solistes Rachel Harnisch et Bernhard Röthlisberger, placés sous la direction de Mario Venzago, rend un vibrant hommage à Othmar
Schoeck. Édith Weber. Johann Sebastian BACH : Une PASSION Et ils me cloueront sur le bois. Ensemble Akadêmia
dir. Françoise Lasserre. 2CDs ADF-BAYARD MUSIQUE (www.adf-bayardmusique.com
) : 308435.2.
TT.: 50'43+54'56. Depuis un certain
temps, les éditions discographiques associent volontiers textes littéraires lus
(récits ou poésies) et œuvres musicales. En effet, poème et musique peuvent
largement contribuer à décrire ou renforcer des atmosphères diverses et
également à traduire de nombreux sentiments. C'est le cas de l'œuvre : Une Passion (J. S. Bach) Et ils
me cloueront sur le bois (poème dramatique de Jean-Pierre Siméon), dirigée
par Françoise Lasserre, à la tête de l'excellent Ensemble Akadêmia.
Le poème est dit par la comédienne Clotilde Mollet bien connue par son
imposante carrière cinématographique. Les principaux épisodes de la Passion du
Christ sont évoqués en deux CDs représentant en quelque sorte « la trace
sonore du spectacle » (Festival de musique de La Chaise-Dieu). Pour les
non-germanistes, le texte allemand de Picander (alias
Christian Friedrich Henrici) est sous-tendu et
éclairé par les commentaires français. Le premier CD concerne le
pressentiment : « Il va mourir », depuis le complot jusqu'à
l'arrestation de Jésus. La voix de Clotilde Mollet, à la fois mystérieuse,
calme et si suggestive, plonge immédiatement l'auditeur dans le drame de la
Passion encore renforcé émotionnellement par les accents de l'introduction et
du Chœur si expressif, puis énergique de la Passion
selon saint Jean : « Herr, unser Herrscher », suivi
du complot et du récit recréant la fraîcheur nocturne à Béthanie. Au Choral si
interrogatif : Bien-aimé Seigneur
Jésus, qu'as-tu commis, quel est ton crime ? (Saint Matthieu) succèdent les accents du Choral de la Passion selon saint Jean, O grosse Lieb
(O grand amour). Après le lavement
des pieds s'enchaînent la trahison, la Cène et l'annonce du reniement de
Pierre, l'arrivée au Mont des Oliviers et l'arrestation. Le second CD évoque la
comparution devant Caïphe, le reniement de Pierre, le suicide de Judas, la
condamnation de Jésus, son supplice et son chemin de croix, sa crucifixion et
sa mort aboutissant à la mise au tombeau. L'enregistrement — coproduction Akadêmia et Festival de La Chaise-Dieu — a eu lieu en
l'Église Saint-Genès-les-Carmes (Clermont-Ferrand) en août 2014. Cette
confrontation poético-musicale résulte d'un « Dialogue fructueux entre la
musique baroque et la littérature contemporaine » ; elle permet de
saisir la « bouleversante humanité du Fils de l'homme » et de mieux revivre
le récit de la Passion. Édith Weber. Agostino STEFFANI : Niobe Regina di Tebe. Opéra en trois
actes. Livret de Luigi Orlandi, d'après Les
Métamorphoses d'Ovide. Musique additionnelle de ballet de Melchior d'Ardespin. Philippe Jaroussky,
Karina Gauvin, Amanda Forsythe, Christian Immler, Aaron sheehan, Terry Wey, Jesse Bblumberg, Colin Balzer, José Lemos. Boston Early Music Festival Orchestra, dir. : Paul O'Dette & Stephen
Stubbs. 3CDs Warner classics : 0825646343546 .TT.:
79'03+68'17+75'44. On doit à Cecilia Bartoli, dans son album
« MissIon », d'avoir tiré de l'oubli
Agostino Steffani (1653-1728). Ce curieux personnage,
autant musicien que diplomate, fut très tôt appelé dans les cours allemandes
dont celle de Munich. C'est durant son séjour dans la capitale bavaroise qu'il
écrit son opéra Niobe Regina di Tebe, qui y fut créé en 1688. La trame est tirée du
Livre VI des « Métamorphoses » d'Ovide et la morale en est que
l'orgueil précède la chute. Elle narre les destinées tragiques des deux souverains
de Thèbes, Niobe, fille de Tantale, et Anfione, engendré par Jupiter soi-même. Pour avoir bravé
les dieux, la puissante Niobe, pourtant dotée d'un
grand sens politique, voit ses enfants emportés par la Parque. Anfione se tuera de désespoir. Diverses incidentes
dramatiques corsent le récit. Le pouvoir de la musique dont est épris Anfione, n'en est pas la moindre. Le style de Steffani dans cette œuvre aux proportions gigantesques, est
à mi chemin entre Francesco Cavalli, dont il possède une vivacité toute
italienne, et Georg Friedrich Haendel pour sa rigueur germanique. La musique en
est extrêmement riche dans l'instrumentation et l'harmonie, faisant la part
belle à un attirail orchestral brillant dont des trompettes et une panoplie de
percussions baroques. Elle est aussi d'un extrême raffinement dans le
traitement de la basse continue et des cordes. Elle est truffée de passages de
divertissements dont l'écriture est calquée sur la danse française : les
« ritornello » entre scènes ou concluant
les actes. Les arias, relativement courtes, sur le schéma da capo, suivant des
récitatifs concis eux aussi, sont souvent agrémentées de parties instrumentales
solistes, dont la flûte à bec, et d'accompagnement chambriste avant que le
ripieno assure la conclusion. Ainsi rarement l'orchestre dans son entièreté
intervient-il tout au long de l'air. Les parties vocales sont ardues, dans
l'aigu en particulier. Surtout, Steffani ménage de
saisissants contrastes dans la conduite de l'action musicale. Et on ne compte
pas les morceaux originaux telle que la Sinfonia
introductive avec sa batterie de trompettes engageantes, ou celle qui ouvre
l'acte II et son basson concertant. Outre une « tempête » aussi
incisive que violente. La présente exécution, saisie dans la
foulée de concerts du Bremen Festival en 2013, qui
eux-mêmes faisaient suite à des exécutions scéniques lors du Festival de
musique ancienne de Boston en 2011, est enthousiasmante. Dans le rôle
particulièrement exigeant d'Anfione, créé par le castrat Clementin
Hader, Philippe Jaroussky
ajoute un diamant brut à sa couronne. Le chant est tout sauf désincarné, d'un
suprême velouté dans le medium, si intense dans la douceur élégiaque
(« Cher asile de paix », quasi hypnotique dans ses inflexions, au
legato ineffable pour décrire l'harmonie des sphères à l'étude de laquelle
s'adonne ce roi éclairé), dans la poésie lyrique (« Come padre », dont les épanchements procèdent
d'ornementations sans fins) ; ou dans la bravoure (« Je m'élève jusqu'au
étoiles »), engagé, au souffle inépuisable. Le dernier air, d'une étonnante
modernité au demeurant, voit le chanteur faire expirer son personnage au fil de
bribes de texte, de volutes de musiques d'une étonnante réalité. Karina Gauvin,
Niobe, dote toutes ses arias d'une prestance assurée
(« L'aveugle Fortune », furieusement ornementée de vocalises), d'une
sonorité pleine et attrayante (« Je serre un dieu aimant »), ou d'une
séduction proprement irrésistible (« Amami).
L'ultime air de désespoir de la reine devant la perte d'Anfione
est poignant autant que grandiose dans la force de la déploration. Une équipe
de chanteurs plus habiles les uns que les autres les entourent, montrant quel
degré d'accomplissement préside aux interprétations du Boston Early Music Festival. Christian Immler,
Tiresia, offre un timbre de basse claire et s'avère
glorieux. Le contre ténor Terry Wey, Creonte, déploie une belle agilitá,
et une voix aux couleurs mordorées. Celle ensoleillée et ductile de Amanda Forsythe, Manto, ou du ténor
Colin Balzer, Tiberino font
flores de la jeunesse de ces amoureux. Pas une seule faille ne dépare un cast qu'on sent assemblé avec grand soin. L'interprétation
orchestrale n'est pas moins réussie. Les co
directeurs musicaux du Boston Early Music Festival
Orchestra, Paul O'Dette et Stephen Stubbs déploient
un discours d'un grande sensibilité et d'une rare
rigueur dans le détail. Le souci d'authenticité les a conduits à revenir aux
sources, nombreuses, pour présenter une exécution historiquement informée. L'un
et l'autre tiennent les parties de théorbe et de guitare baroque. La manière
est toujours vivante, souvent même d'une contagieuse folie dans ces envolées
orchestrales bardées de percussions, ou dans l'accompagnement des arias,
adossées à une rythmique de danse. Si on ajoute une prise de son fort soignée
côté clarté et finesse de restitution, on n'a nulle peine à comprendre
l'importance de cette parution. Jean-Pierre Robert. Domenico SCARLATTI : « Ombre et lumière ». 18 Sonates pour piano. Anne Queffélec, piano. 1CD Mirare :
MIR 265. TT.: 77'. Pour son premier disque, en 1970, Anne Queffélec se lançait dans les Sonates de Scarlatti. Pari
audacieux, et gagné ! Elle revient aujourd'hui à ses premières amours. Et parmi
les 555 sonates de clavier du maître napolitain, qui n'a jamais si bien chanté
l'Espagne, elle nous offre un nouveau bouquet de 18 pièces, entre « Ombre
et lumière ». La réussite n'est pas moins éclatante ! Elle confie que son approche « est celle
d'une amoureuse, pas d'une spécialiste ». C'est vrai qu'on sent l'empathie
autant que la technique dans ces morceaux qu'on a trop souvent catalogués
d'exercices mécaniques. Elle leur rend leur vraie nature. Au delà même du
divertissement, les sonates ouvrent des perspectives insoupçonnées pour peu qu'on y regarde de
près : le charme de la peinture des goûts espagnols, des climats plus solaires
que rébarbatifs, des ornementations
d'une originalité incroyable, et une singulière facilité d'écoute pourtant.
Dans son choix, Anne Queffélec a cherché à ne pas
lasser par une enfilade de pièces brillantes. Certes elles sont là, où se livre
un éclat scintillant (les sonates K 103 ou K 425), voire le sautillement de la
sonate K 145 et ses grupettos interrogateurs, ou
encore la sémillante sonate K 551 donnant à entendre comme une volée de cloches.
Elle a intercalé celles qui ouvrent une part de rêve : le beau cantabile de la
sonate K 144, à l'appeal chopinien,
la poignante sonate K 109, distillant une mélancolie plus grave que triste au
fil de ses phrases répétées et travaillées à l'envi ; ou encore la nostalgique
K 481, et enfin cette sonate K 32, dite « Aria », qui exhale un chant
méditatif. La sonate K 27, la pièce fétiche qui l'accompagne depuis les
origines clôt cet album de sa résolution optimiste, et qui « s'en va sur la
pointe ds pieds » disait-elle à son public
nantais, en janvier dernier. Un jeu merveilleusement limpide montre combien il
y a là de fluidité, toute différente de la mécanique glaciale, fût-elle souple
et huilée, qu'y apportait Horowitz. Car la façon de répétition, pas fastidieuse,
qui enrichit le flux musical par ses fines digressions, entre autres
caractéristiques, installe ces pièces au rang de miniatures essentielles de la
littérature pianistique. Ce que la riche sonorité du Steinway D, pas seulement
dans le registre grave, restitue idéalement. Laissons la parole à l'avisée
pédagogue et inspirée pianiste. « Elle est contagieuse, la liberté de
Scarlatti, dans son inventivité rythmique et mélodique étourdissante qui
grésille, fourmille, gambade, puis tout à coup bondit, descend des tréteaux, se
pose, confidence à soi-même, imploration, pure désolation, ô solitude, automne,
hiver, les quatre saisons de Scarlatti dont dans ses sonates ». Un disque
indispensable. Jean-Pierre Robert.
Johann Sebastian
BACH : Matthäus-Passion BWV
244. Version
de 1736. Mark Padmore, Camilla Tilling, Magdalena Kožená,
Topi Lehtipuu, Thomas Quasthoff, Christian Gerhaher. Mitglieder des Rundfunkchor Berlin. Rundfunkchor Berlin. Knaben des Staats-und Domchors Berlin.
Berliner Philharmoniker, dir. Simon Rattle. Régie :
Peter Sellars. 2DVDs + 1 Blu
Ray : BPHR 140021 (disponible
sur la Online Shop du Berliner Phlhamonioer
: https:// shop.berliner-philharmoniker.de) ;
TT.: 1:19:00+1:56:00. C'est à une expérience rare que nous
convient Sir Simon Rattle et son complice Peter Sellars : une version « théâtralisée » de la Passion
selon Saint Matthieu de JS. Bach, captée live à la Philharmonie de Berlin
en avril 2010. La régie de Peter Sellars va bien
au-delà d'une simple mise en espace : Elle est une « ritualisation »,
pour reprendre ses propres termes. La disposition particulière de la salle
berlinoise, plaçant le public autour des exécutants, forme opportunément un
environnent vivant, la foule des anonymes. On retrouve nul doute le vrai sens
de l'évocation du mystère de la Passion du Christ. Sellars
mêle intimement musiciens et chanteurs, le double orchestre, les deux chœurs et
les solistes vocaux et instrumentaux. Il insuffle le mouvement fluidifiant la
narration. Il raconte une histoire qui se vit intensément, presque au présent,
au fil des récitatifs et même des arias qui plus que des instants de réflexion,
en enrichissent le cours, tant sont unis consubstantiellement texte et musique.
Comme on le constatait de visu, lors d'une reprise au Festival de Lucerne en
septembre 2014 (cf. NL de 10/2014), par delà la
couleur instrumentale et la plastique vocale, s'impose une nouvelle forme
d'expressivité. Ainsi du deuxième aria de la soprano, joyeuse, qui
dialogue au sens propre avec les deux hautbois ; ou encore de la célèbre aria
« Erbarme dich mein Gott », de la mezzo
soprano, délivrée à genoux aux pieds du violoniste. On est là bien plus loin
que dans une posture de dialogue voix/solo instrumental. La captation par les
ingénieurs et techniciens du « Digital Concert Hall » est à la
hauteur de l'événement, et le magnifie : caméras balayant le chœur et ses
évolutions parmi les musiciens d'orchestre, sur l'aire de jeu au centre du
podium, ou focalisant sur certaines gestiques ou attitudes des solistes. A cet égard
une mention particulière va au rôle de l'Évangéliste, ce « passeur »,
qui dans la conception de Peter Sellars, enrichit
encore ce statut pour devenir le pivot de l'œuvre : tout s'explique à travers
lui et tous s'expriment, pensent, vis à vis de lui. Un exemple : durant l'aria
de la basse (« Gerne will ich ») qui suit l'épisode de Jésus « Mon Père
détourne cette coupe », si surpris, alors que le chanteur esquisse un
sourire consolateur sur le mot « Gerne » ;
ou encore le passage du « baiser de Judas », une image inouïe lors
que l'Évangéliste prend la tête du pauvre bougre, dan un geste presque d'amour,
et semble lui parler doucement.
L'interprétation est un sans faute, qui
fait dire au chef Rattle que c'est « la chose la
plus importante que nous n'ayons jamais faite ici ». Mark Padmore, un Évangéliste proche de l'idéal, semble inscrire
dans le marbre une vision singulièrement enrichie par la patte de Sellars. Il en va de même des prestations des autres
solistes : Camilla Tilling, soprano, Topi Lehtipuu, ténor, Christian Gerhaher, Jésus, et surtout de Magdalena Kožená, mezzo/Marie-Madeleine, proprement bouleversante, et
dont les diverses interventions dépassent la pure émotion ressortant d'un chant
épanoui. Quant aux arias de la basse, ils diffusent à travers la voix de Thomas
Quasthoff une bonté innée et une lumière intérieure.
Les Chœurs (de la radio de Berlin et les Enfants du Dom de Berlin) ne font pas
que s'acquitter d'une partie chorale exigeante, ils la transfigurent, Sellars s'en tenant à des gestes plutôt discrets ici,
privilégiant des attitudes hautement significatives, et même des interventions
parmi le public. A la tête de ses Berliner, en fait
d'une double phalange de solistes, Sir Simon Rattle
conçoit ce Grand Œuvre avec une force de conviction qu'on a plaisir à voir,
poussant les contrastes, en particulier dans les parties de chœurs ménagées
rapides, voire tranchées à l'occasion. Ses solistes, les premiers violons de Daishin Kashimoto et de Daniel Strabawa, la flûte de Emmanuel Pahud,
la Querflute de Florian Aichinger, le hautbois
d'Albrecht Meyer, le hautbois d'amour de Christoph Hartmann, et de caccia de Dominik Wollenweber et d'Andreas Wittmann
brillent des plus belles sonorités ; sans oublier l'orgue d'Andrea Marcon, rien moins, et la gambiste Hille
Perl. Une interprétation assurément hors du commun. Jean-Pierre Robert. Geog Philipp TELEMANN : « Quatuors
Parisiens ». Extraits des « Six quatuors à violon, flûte,
viole et basse continue » : Sonate en la majeur, Sonata seconda en sol mineur, concerto en sol majeur.
Extrait des « Nouveaux Quatuors en six Suites » : Quatuor n°6 en mi
mineur. Les Ombres. 1CD Mirare : MIR 255. TT. 56'. Gerog Philipp Telemann s'en vint à Paris à l'automne de 1737,
dans l'intention de découvrir la richesse de la vie musicale et d'y rencontrer
ses collègues français, notamment officiant au Concert Spirituel. Il y restera
huit mois et écrira à cette occasion six quatuors pour une formation originale,
de flûte, violon, viole de gambe et basse continue. Il en profitera pour
revisiter six autres quatuors écrits à Hambourg en 1730. Ils seront publiés en
1740 dans la capitale française, avec les Six nouveaux quatuors, en un corpus
appelé les « 12 Quatuors parisiens ». Dans son texte introductif,
Gilles Cantagrel remarque que ces pièces sont
« sans prétention à se plier à quelque manière française », mais
composées dans les goûts réunis, tel que prôné par Couperin. Les six Quadri de
1730 épousent le schéma de la sonate d'église, en quatre mouvements alternés,
lent-vif-lent-vif. Trois de ces pièces sont ici interprétées : la Sonate en la
majeur et la « Sonata seconda » en sol
mineur qui découvrent une ambiance tour à tour apaisée (« soave » de la première, « largo » de l'autre) ou
souplement rythmée (vivace final des deux) ; outre le plus atypique
« Concerto » en sol majeur qui en trois parties, mêle encore plus
étroitement séquences rapides et lentes, avec une pointe de dramatisme. Les
musiciens des Ombres, la flûte en particulier, enluminent ces musiques de
belles inflexions. Tout comme dans le sixième des Nouveaux Quatuors, bien
parisiens ceux-ci : il offre pas moins de six
mouvements et toujours la flûte concertante. Le Prélude « A
Discrétion » est une sorte d'Ouverture à la française dans la manière de
Lully, richement dotée dans ses divers rythmes variant l'atmosphère, pimentés
de traits de violon dans le goût italien. Les autres mouvements empruntent à la
danse et font leur miel de la liberté française que Telemann n'a pas de mal à
faire sienne, fort de l'inventivité qu'on lui sait coutumière déjà sous d'autres cieux. On
savoure ces séquences «Gai », « Gracieusement », ou encore
« Distrait » pas spécialement indolent mais plutôt espiègle. Ces
exécutions valent par la qualité instrumentale de tous et pas seulement de la
flûte de Sylvain Sartre, comme par la sensibilité du phrasé et l'intelligence
des contrastes. Un enchantement! Jean-Pierre Robert. Frédéric CHOPIN : Concerto pour piano N° 2
en fa mineur, op. 21. Impromptu N° 3 en sol bémol majeur, op. 51. Ballade N° 4
en fa majeur, op. 52. Berceuse en ré bémol majeur, op. 57. Trois Mazurkas, op.
50. Polonaise héroïque en la bémol majeur, op. 53. Nelson Freire, piano. Gürzenich Orchester Köln, dir.
Lionel Bringuier. 1CD Universal Decca
: 478 5332. TT. : 64'36. Le prétexte de ce disque Chopin est
assurément l'exécution du Deuxième concerto pour piano. On sait que le
compositeur s'y montre meilleur pianiste qu'orchestrateur ; encore que cette
remarque soit bien exagérée. Car si la coulée orchestrale, au demeurant mieux
travaillée que dans le Premier concerto, fait son miel de mélodies belliniennes, Chopin y installe un charme aussi rêveur que
brillant qui n'appartient qu'à lui, et enchâsse le piano, en prolongeant les
modulations. C'est vrai dès le maestoso, amené avec vivacité ici par Lionel Bringuier, pour une entrée éclatante du soliste. La partie
de celui-ci va révéler ensuite des hardiesses harmoniques fort nouvelles pour
l'époque. La vision de Nelson Freire déconcerte quelque peu, en particulier
dans le développement qui s'attarde malgré de subtils échanges piano/petite
harmonie. Du chant d'opéra que constitue le Larghetto, Freire distille la
souple mélodie sans sentimentalité, grâce à un jeu extrêmement fluide, usant de
contrastes dynamiques comme d'un révélateur. La section déclamatoire introduit
une once de tragique, non pesant toutefois. La reprise se fait aisée, avec sa mélopée du basson. Le finale vivace, sur
un rythme de Mazurka et des traits de cordes sul ponticello, offre au pianiste chilien l'occasion de faire
montre d'un manière qui ne cherche pas à solliciter le texte ; alors que la
coda, un brin nostalgique, récapitule un cheminement enchanteur. Une exécution
grande manière que, mis à part le mouvement lent, distance cependant celle
souverainement pensée de Krisztian Zimerman, dans son fameux « Voyage » (DG).
Un mini récital centré sur les opus 50 et 60, complète le CD. On y entend l'Impromptu
N°3, op.51, frémissant, la Ballade N°4, op 52, alliant rêve et
passion dévorante, que Freire rend palpable jusqu'à la violence dans les
passages agitato et la conclusion enflammée. La Berceuse op 57, ensemble
de variations parsemées d'innombrables digressions, liquide comme un eau claire, de la main droite, sur la douce scansion de
la main gauche. Les Trois Mazurkas op. 50, Freire en dévoile la
subtilité du langage harmonique (N°1), l'aristocratie féminine dans son léger
alanguissement ( N°2), et le côté divertissement
improvisé de la 3 ème où un motif éclatant apporte
une note chevaleresque. Enfin la Polonaise Héroïque op 53, de 1836, que
Freire se refuse à prendre à une vitesse d'enfer, au début du moins, déploie
ses appâts : crescendos puissants, mais sans excès, 2ème thème bien détaché et
faisant résonner le grave du piano, section héroïque centrale montant la
pression alors qu'il la relâche opportunément lorsque la main droite va tresser
la cantilène. La coda sera néanmoins dévastatrice. Jean-Pierre Robert. Piotr Ilyich
TCHAIKOVSKY : Iolanta.
Opéra lyrique en un acte. Livret de Modest Tchaikovsky,
d'après la pièce de Henrik Hertz, « La fille du Roi René ». Anna Netrebko, Serguey Skorokhodov, Alexey Markov, Vitalij
Kowaljow, Luka Debevec
Mayer, Lucas Meachem, Junho
You, Monika Bohinec, Theresa Plut, Nuska Rojko. Slovenian
chamber Choir. Slovenian Philharmonic Orchestra, dir.
Emmanuel Villaume. 2CD Universal DG : 479 3969. TT.:
68'25+24'41. Ultime œuvre scénique de Tchaikovski, précédant de peu la Sixième Symphonie
« Pathétique », Iolanta reste
atypique. De par sa durée, un seul acte, réparti en neuf scènes. Sa création
eut lieu en une même soirée, en 1892, au théâtre Mariinski,
laquelle comptait aussi celle du ballet Casse-noisette. Son sujet ensuite et la
façon dont il est traité : un drame intimiste de la reconnaissance, celui de la
fille aveugle du roi René de Provence, au XV ème
siècle, ignorante de sa cécité parce que celui-ci la lui a cachée. Retrouvant
la vue, elle devient « voyante » des beautés de la création et des
félicités de l'amour du beau chevalier de Vaudémont, qu'elle avait depuis
longtemps reconnu à sa voix, c'est à dire avec le cœur. Il y a dans cet opéra
une portée symbolique. À l'aune de cet
échange « Que signifie voir ? » demande Iolanta
; « Concevoir la lumière divine » répond Vaudemont.
Dernière originalité : la musique, qui comporte pas ou si peu de Leitmotive,
contrairement à Eugène Onéguine ou à La
Dame de pique, est d'une vraie luminosité mélodique. Si y transparait le
ton mélancolique inhérent à la manière de Tchaikovski
(en particulier lors du duo d'amour, morceau central de l'opéra
), elle sait s'avérer fiévreuse dans ses climax, presque enflammés.
« Une musique qui rend heureux » déclare Anna Netrebko
qui s'est prise de passion pour cet opéra. Elle l'a déjà joué à Baden-Baden
avec Valery Gergiev, puis donné en concert lors d'une
tournée européenne en 2012, durant laquelle a été effectuée cette captation
live. Elle est la star de cette exécution. Si la voix est désormais très large
et donne par endroit le sentiment d'une vision un brin mature pour incarner la
toute jeune fille émerveillée, quelle intensité et quel sens de la couleur !
Elle est entourée d'une distribution en majeure partie russophone. La quinte
aiguë tendue du ténor Serguey Skoro,
Vaudemont, libère une passion à fleur de peau qui
rachète un timbre pas toujours flatteur. Le duo entre les deux protagonistes
constitue un moment choisi de beau chant russe. Le baryton mâle de Alexey Markov, Robert, et la basse fort chantante de Vitalij Kowaljow, René, montrent
ce que ces artistes développent d'empathie pour les glorieuses inflexions tchaikovskiennes. Le chœur de chambre de Slovénie, peu
sollicité par la partition, la défend avec sûreté. Comme Emmanuel Villaume à la
tête de l'Orchestre Philharmonique de Slovénie. Sans doute moins idiomatique que
celle de Valery Gergiev, dans un CD gravé naguère
avec ses forces du théâtre Mariinski (Philips), sa
lecture n'en est pas moins ardente et habile à faire scintiller la riche
expressivité mélodique d'un opéra décidément inclassable. Jean-Pierre Robert. Alexandre SCRIABINE : Complete Etudes. Étude op.2 N° 1. Douze Études op. 8.
Huit Études op. 42. Étude op. 49 n°1. Étude op. 56 n° 4. Études op. 65. Sonate
N° 7 « Messe Blanche ». Andrei Korobeinikov,
piano. 1CD Mirare : MIR 218. TT. 71'. Musicien atypique, Alexandre Scriabine a
confié une partie importante de sa production au piano, qui au fur et à mesure
de ses compositions, voit son langage se modifier, de la manière post
romantique à l'atonalité, le menant bien en avance sur son temps. Le présent
disque d'Andrei Korobeinikov (*1986) fait suite à un
premier album Scriabine, consacré aux Sonates n° 4, 5, 8 et 9, paru en 2008, et
présente l'ensemble des Études. Les 12 Études op. 8 (1894) montrent déjà une
recherche pianistique hors norme, au fil
d'une collection de pièces aux indications évocatrices : la n°2 « A cappricio, con forza », la
n°4 « Tempetuoso », manifestes emphatiques
de la manière polyrythmique de l'auteur. La 5 ème
« Brioso » comme la suivante « Con
Grazia » rappellent Chopin, cette dernière avec une immédiate séduction.
La virtuosité téméraire apparaît dans la N° 7, « Presto tenebroso », que distinguent les arpèges agités de la
main gauche, ou à la 9 ème « Alla ballata »
et ses cascades d'octaves et d'accords, vrai déchaînement d'énergie. Si la 8 ème et la 10 ème apportent des
moments de répit plus lyriques, l'ultime, « Patetico »,
est si rageuse qu'on a pu la comparer à l'Étude Révolutionnaire de
Chopin. Dans les huit Études op. 42, de 1903, on note une sérieuse évolution du
langage et un abandon de la tonalité. La première fournit un parfait exemple
d'une des marques de Scriabine, la superposition de rythmes. La 5 ème, « Affanato » est
obsessionnelle, avec ses grondements dans la basse. Ce qui se poursuit dans la
N° 6, « Esaltata », course à l'abîme. La 8 ème, curieusement, alterne lyrisme et hiératisme. Les deux
brèves Études op 49 n°1 (1905) et op. 56 n° 4 (1908) préfigurent les Visions
fugitives de Prokofiev, et pour la seconde, les tonalités du Poème de
l'extase que l'auteur compose au même moment. Les trois Études op 65, de
1912, après le poème pour orchestre Prométhée, forment comme les
mouvements d'une sonate. Elles sont très exigeantes pour l'interprète, eu égard
à l'irrégularité du discours qui a totalement abandonné toute référence tonale,
et à une frénésie dans le troisième morceau, comparable aux débordements
orchestraux du Poème de l'extase ou du Poème du feu. Le disque
s'achève par la Sonate n°7 op 64 dite « Messe Blanche », de 1912.
D'un seul tenant, elle trace des transes de mysticisme, annonçant le fameux
« Mystère » que Scriabine concoctait, aboutissement de ses recherches
sur le son et la couleur, et qui ne verra pas le jour. On distingue à peine la
ligne directrice, si ce n'est une alternance de furie et d'apaisement. Les
paquets de notes assénées, les carillonnements d'accords dans l'aigu mènent au sonorisme. Andrei Korobeinikov
sent cette musique et nous fait toucher du doigt que l'essentiel ici n'est pas
l'aridité de la technique, même si la force digitale est bien là. Plus encore
on est frappé par la clarté des plans et l'équilibre qu'il maintient entre ces
déchaînements pianistiques. Son Steinway est idéalement capté. Jean-Pierre Robert. Paul HINDEMITH : Sonates pour Cor &
piano, violoncelle & piano, trombone & piano, violon & piano,
trompette & piano. Alexander Melnikov, piano,
Isabelle Faust, violon, Teunis van der Zwart, cor, Alexander Rudin,
violoncelle, Gérard Costes, trombone, Jeroen Berwaerts,
trompette. 1CD Harmonia Mundi :HMC
905271. TT.: 71'. Paul Hindemith a écrit quelques 30 sonates
pour les instruments les plus divers. Les cinq réunies sur ce disque
appartiennent à sa seconde période créatrice qui s'ouvre en 1935 par la Sonate
pour violon. C'est aussi l'époque durant laquelle le compositeur est en butte à
la critique de l'establishment politique qui cataloguera sa production de
« musique dégénérée ». A ce même moment, Hindemith se lance dans la
rédaction d'ouvrages théoriques, comme « Unterweisung
im Tonsatz »/
Initiation à l'écriture musicale. Chacune de ces sonates constitue un portrait
de l'instrument joué. La Sonate pour violon offre une coupe en deux mouvements
et un climat intime : le « Ruhig bewegt » a une écriture tonale quoique la thématique
donne une impression déconcertante ; ce qui valut à l'auteur de vives attaques.
L' introduction amplement lyrique du « Langsam » prélude à une section dansante, très
vivante, avant que le discours revienne à la manière première. La Sonate pour
trompette (1939) est un savant faire-valoir de cet instrument au son glorieux,
en particulier dans le « Mit Kraft » (avec force) expressif, dans
l'extrême tessiture élevée du registre. La partie centrale, sorte d'intermède,
est plus calme, exploitant la flexibilité de la trompette et la douceur
d'émission de celui qui la joue. Enfin la « Trauermusk »,
lente et inspirée, sonne comme un cri , alors que le
choral « Alle Menschen
müssen sterben » (Tous
les hommes doivent mourir) se déploie grandiose ; en écho aux préoccupations de
Paul Hindemith devant la montée de l'intolérance nazie. La Sonate pour trombone
(1941) est une fière étude des possibilités relativement restreintes de
l'instrument. A travers ses quatre mouvements enchaînés, dont les deux médians,
« allegretto grazioso » et « Allegro pesante », sont au
deuxième degré de l'ironie, ce dernier intitulé « La chanson du
querelleur » s'achevant sur un lourd point d'orge sonnant comme un KO. La
sonate pour cor, de 1943, n'est pas moins descriptive des sautes d'humeur que
peut procurer cet instrument. Enfin la Sonate pour violoncelle (1948) dédiée à
Gregor Piatigorsky, brillante, est de style
concertant. La « Pastorale » est complexe dans l'usage de la forme
sonate. Au scherzo, chacun des deux protagonistes trace un thème différent. La
« Passacaglia », introduite par les arpèges
du piano, est on ne peut plus virtuose pour un dialogue comme forcené, exigeant
beaucoup du celliste. Les cinq interprètes sont éblouissants et le pianiste
Alexander Melnikov est la cheville ouvrière de cette
anthologie. Une entreprise des plus originales et enrichissantes, à porter au
crédit de la politique éditoriale audacieuse du label Harmonia Mundi. Jean-Pierre Robert. Gabriel DUPONT : Poème
pour piano et quatuor à cordes. Journée de
printemps pour violon et piano. Les Heures
dolentes, La Maison dans les dunes (extraits). Marie-Catherine Girod, piano.
Quatuor Pražák. 1CD Mirare
: MIR 238. TT.: 78'. Gabriel Dupont (1878-1914) est peu à peu
tiré de l'oubli. Comme Nicolas Stavy, la pianiste
Marie-Catherine Girod en est fervente avocate. Le quintette intitulé
« Poème » (1911), l'une de ses dernières partitions, réunit piano et
quatuor à cordes dans une composition monumentale, un peu sur le mode du Concert
de Chausson. Son premier mouvement « Sombre et douloureux » est
tourmenté, écrit dans une texture serrée, emporté dans un tourbillon de
quelques quinze minutes. Là se vérifie la remarque de Vladimir Jankélévitch qui
voit dans la musique de Gabriel Dupont le « dialogue de l'homme seul avec
la mer seule » (''La Musique de l'ineffable''). Une lueur d'espoir se fait
jour au détour d'une phrase, mais le drame, vite, revient et emporte tout.
Cette lueur réapparait et s'installe dans le « Clair et calme »
suivant, correspondant à un mouvement lent, pour ce qui est du chant des cordes
sur des accords malgré tout inquiétants du piano. Tant de joie réfrénée éclate
enfin au « Joyeux et ensoleillé » final, à travers le chant radieux
du clavier et une scansion des cinq instruments sautillant comme dans une
danse. C'est l'affirmation d'une certaine idée mélancolique du bonheur dans une
progression vive entrecoupée de moments d'apaisement. Une singulière pièce,
magnifiquement jouée par Marie-Catherine Girod et les Pražák,
ceux-là même qui l'avaient révélée au public lors de de
La Folle journée de 2013. Vient ensuite un choix de pièces pour piano extraites
des deux cycles, « Les Heures dolentes » (1903-1905) et « La
Maison dans les dunes » (1907-1909), assemblées adroitement. Ce sont des
pages de quelque journal intime, d'une grande introspection (« La maison
du souvenir »), ou habitée d'une joie pudique(
« Du soleil au jardin », « Coquetteries »), d'une liquidité
toute debussyste, ou d'un calme nonchalant (« Après-midi de
dimanche »). On y trouve aussi l'art de la mélodie délicatement arpégée
(« Une amie est venue avec des fleurs »), du chant sobre et serein
(« Mélodie du bonheur ») ou de la tendre effusion (« Des enfants
jouent dans le jardin » où perce au fil du discours les notes de
« Nous n'irons plus au bois »). Le disque se referme sur
« Journée de printemps » pour violon et piano, une suite en deux
parties (1901) : « Au matin », d'un lyrisme généreux et d'une belle
faconde dans la partie de piano sur un geste ample du violon ; et « Au
soir », plus mélancolique, description d'un paysage apaisé où Gabriel
Dupont s'affirme comme un maitre de la couleur. Une
bien beau disque et une interprétation totalement accomplie. Jean-Pierre Robert. Henri DUTILLEUX : Métaboles.
« Sur le même accord ». Symphonie N° 1. Christian Tetzlaff,
violon. Orchestre de Paris, dir. Paavo
Järvi. 1CD Erato : 0825646242443. TT. : 56'55. L'inclassable classique de la musique
moderne française, Henri Dutilleux, bénéficie d'une solide tradition
interprétative à l'Orchestre de Paris. Depuis Charles Munch et Serge Baudo, en passant par Daniel Barenboim,
jusqu'à Paavo Järvi, il est
peu de saisons où on ne l'ait pas honoré. Les œuvres gravées sur ce CD sont des
exécutions de concert captées à la salle Pleyel en 2012 et 2013. Elles offrent
un intéressant parcours pédagogique à travers l'art de compositeur. La
Première symphonie, de 1951, ouvre un monde de rêve, de saveurs nocturnes,
par le truchement d'une orchestration pourtant fournie. La
« Passacaille » et son ostinato de cordes montre une dette envers
Serge Prokofiev, mais la tapisserie irisée desdites cordes ppp dans les
dernières pages signale déjà un style bien personnel. Le Scherzo chemine sur le
mode du perpetuum mobile aux cordes graves dont
l'idée s'étend aux autres groupes d'instruments, vivement, pour atteindre des
sortes de zébrures débouchant sur un accord grandiose. On admire ici la clarté
rythmique favorisée par Paavo Järvi.
Le chef ne jouera pas trop lentement
l'« Intermezzo », pourtant marqué « lent », longue
digression des cordes aiguës, introduisant des visions stratosphériques, qu'on
retrouvera dans les œuvres postérieures du maître. Le finale complète la
réflexion. De nouveau les références à Prokofiev et à Bartok s'imposent,
dans les changements de rythmes, outre les effets d'irisation sonore. L'énergie
se dissout dans un calme serein s'enfonçant peu à peu dans le silence. Järvi drive son orchestre en tirant des couleurs mirifiques
et par une articulation superbement maitrisée de la part de tous les pupitres.
Commande de l'Orchestre de Cleveland, Métaboles, de 1965, est une sorte
de concerto pour orchestre en 5 patries s'emboitant les unes dans les autres,
telle l'idée de la métamorphose d'un sujet sans cesse modifié. Particulièrement
saisissants, le kaléidoscope de « Obsessionnel », scintillant de
mille feux, ou les irisations de « Flamboyant », faramineuse
récapitulation d'une somme où perce l'hommage à Messiaen, voire même à Alban
Berg. Là encore l'interprétation de Paavo Järvi et de ses forces parisiennes est immaculée. Enfin, « sur
le même accord », « Nocturne pour violon et orchestre », de
2001 et révisé en 2002, a été écrit pour Anne Sophie Mutter,
qui l'a créé à Londres en 2002. D'un seul tenant, et court, moins de 10', le
morceau alterne passages vifs et lents, associant l'énergique au lyrique. Le
thème initial de six notes est soumis à de multiples variations. Le soliste est
on ne peut plus sollicité, dans le registre grave du violon en particulier.
Christian Tetzlaff en offre une exécution intense. Jean-Pierre Robert. « Du bist die Welt für
mich ». Franz LEHAR : extrais de Paganini,
Frasquita, Das
Land des Lächelns, Guidita.
Emerich KALMAN : extraits de Gräfin
Maritza. Robert STOLZ : extraits de Liebeskommndo, Das
Lied ist aus. Extraits d'opérettes de Werner Richard HEYMANN,
Richard TAUBER, Hans MAY, Paul ABRAHAM, Ralph BENATZKY, Mischa
SPOLIANSKY, Eduard KÜNNEKE. Erich Wolfgang
KORNGOLD : extrait de Die tote Stadt.
Jonas Kaufmann, ténor. Avec Juila Kleiter,
soprano. Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, dir. Jochen Rieder. 1CDSony classical :
8888375412 ; TT. : 61'23. Sur les traces de Richard Tauber, de Hubert Marischka, Joseph Schmidt, ou de Jean Kiepura,
Jonas Kaufmann revisite les territoires de l'opérette, ces machines à rêves du
Berlin des années 1925-1935, mais aussi de Vienne d'où ce genre a gagné ses
titres de noblesse. Il n'est pas le seul aujourd'hui parmi ses collègues à se
lancer dans cette aventure. Il faut dire que ce domaine est énormément
gratifiant. Franz Lehar offrit au genre ses plus
beaux fleurons, avec des titres comme Paganini, Frasquita,
et surtout Le Pays du soutire. Comment résister à cet air « Dein ist mein
ganzes Hertz » (traduit communément par
« Je t'ai donné mon cœur ». Le ténor l'inonde de volutes
enchanteresses. Dans Gräfin Maritza, Emerich Kalman est aussi irrésistible lorsqu'il confie au chanteur
« Gruss mir Wien », véritable déclaration
d'amour à la ville reine de l'opérette. Robert Stolz
renouvellera le genre. Puis viendront des musiciens comme Ralph Benatzky (1884-1957) et sa fameuse Auberge du cheval
blanc, un succès qui fera date et les beaux soirs de Broadway et des salles
de cinéma, par sa simplicité non fabriquée, même si la coulée musicale n'est
pas toujours du plus haut niveau. Du moins met-elle en valeur la voix qu'on
aime et attend, celle du ténor. D'autres perpétueront le charme, à défaut de
rester au mieux de l'inspiration : Paul Abraham (1892-1960), Werner Richard
Heymann (1896-1961), Eduard Künneke (1885-1953), ou Mischa Spoliansky (1898-1985), et
même Richard Tauber lui-même qui s'y essayera, dans Der
singende Traum. Le
présent disque trace cette fabuleuse histoire comme il est un hommage de son
interprète à ces devanciers dont l'illustre
Tauber précisément. Le « Wundertenor » munichois se régale et nous régale. On a
parlé de l'emprise du chant du ténor américain Tauber
; on peut en dire tout autant de celui de Jonas Kaufmann. D'abord le soleil
dans la voix, tel jadis un Fritz Wunderlich qui
s'adonna aussi à ces gemmes de la musique, avec ici sans doute plus d'héroïsme
et une pointe de sophistication, absente de la manière de son confrère. Le
charme ensuite, tour à tour confident, séducteur on ne peut plus, qui sait
manier la quinte héroïque (comme dans cette pièce de Künneke,
« Das Lied vom Leben
des Shrenk » d'une véhémence d'accents digne du
chant de la forge de Siegfried). Kaufmann est à l'aise dans ces changements
d'ambiance survenant brusquement à l'intérieur d'une courte pièce, recréant
leur côté irrésistible. Car ces mélodies faciles se prêtent aux pianissimos
éthérés, qui lui sont chers, ménageant d'impalpables falsettos, comme aux
débordements d'énergie dans le haut du registre, de tête ou de poitrine, qu'on
sait être si naturels chez lui. On admire, s'il était encore besoin, une
diction gourmande de la langue allemande. Le récital est pimenté de quelques
duos, avec l'excellente soprano Julia Kleiter, dont
le Duett de La Ville morte de
Erich Wolfgang Korngold, qui clôt le disque. A
priori curieusement, mais parfaitement en situation car Korngold
insuffle ici une atmosphère étrange de par des harmonies vaporeuses et le chant
extatique de la partie de ténor, pas si éloignée de celle des autres titres
précédents. L'Orchestre de la radio de Berlin, saisi dans un lieu mythique de
la capitale allemande, le Rundfunk-Zentrum, procure, sous la houlette de Jochen Rieder, l'écrin choisi pour ces musiques où fleurent bon
les rythmes de valse. Chapeau bas ! Jean-Pierre Robert. « Laborde Rameau ». Jean-Benjamin LABORDE : Trois
Recueils de Chansons (extraits). Jean-Philippe RAMEAU : Deuxième concert.
Pièces de Francesco PETRINI et de Jean-Baptiste FORQUERAY. Maïlys
de Villoutreys, Trio Dauphine. 1CD Evidence :
EVCD008. TT : 72'. Jean-Benjamin Laborde (1734-1794) et
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), le maître et l'élève, associés sur le même
enregistrement. Rameau dont on connait le génie et la hardiesse
compositionnelle, Laborde, un de ces petits maîtres de l'ancien régime,
compositeur reconnu en son temps, courtisan et fermier général, qui périra sur
l'échafaud. Un programme centré autour des Trois
Recueils de Chanson de Laborde, avec accompagnement de harpe, violon et
clavecin, complété par la Sonate III pour harpe seule de Francesco
Petrini (1744-1819) et les portraits en musique de
Jean-Baptiste Fourqueray (Première Suite) et Jean-Philippe Rameau (Deuxième Concert). Un disque de musique galante qui permet de
souligner l'importance de la chanson sous l'ancien régime, à la cour, comme au
sein du peuple. La chanson, genre musical très développé au XVIIIe siècle,
galante bien sûr chantant naïvement l'amour, mais également formidable outil
politique par la satire qu'elle véhicule dans les guinguettes parisiennes. Le
Trio Dauphine constitué de Claire Izambert (harpe)
Marie Van Rhijn (clavecin) Maud Giguet
(violon) assisté de la soprano Maïlys de Villoutreys nous livre, de ce répertoire galant, une
lecture pertinente, tout à fait aboutie, où le timbre un peu acidulé,
l'élégance et la souplesse de la ligne de chant se marient subtilement au trio
instrumental d'une qualité superlative. Un très beau disque charmant et délicat
et une belle prise de son. Patrice Imbaud. Wolfgang
Amadé MOZART. Six Quatuors à cordes dédiés à Haydn. Quatuor Cambini-Paris. 3 CDs Ambroisie-Naïve : AM 213. TT.:
3H32. Il est peu fréquent d'avoir la chance
d'enregistrer d'un seul tenant l'intégrale des six Quatuors à cordes que Mozart
dédia à son ami Joseph Haydn. Une chance méritée et parfaitement assumée par le
jeune Quatuor Cambini-Paris qui nous régale de ce
très beau coffret de trois CDs. Un ensemble de six quatuors à cordes, composés
entre 1782 et 1785, fruit d'un long et laborieux effort, ambitieux par ses
audaces harmoniques et sa complexité contrapuntique. Des œuvres qui
portent en elles tout ce qui touche
Mozart au plus profond de lui, comme le Quatuor
des Dissonances composé au lendemain de son initiation maçonnique en 1784
ou le Quatuor n° 15, composé pendant
la première grossesse de sa femme Constance. Écrits également comme un gage
d'amitié, comme une reconnaissance de Mozart à l'égard de Joseph Haydn, maître
reconnu de ce genre musical. Différents climats et sentiments mêlés sont
développés dans ce cycle, tour à tour joyeux, solaire, méditatif, initiatique,
mystérieux ou optimiste. Les Cambini-Paris (Julien
Chauvin et Karine Crocquenoy, violons, Pierre-Eric Nimylowycz, alto et Atsushi Sakaï, violoncelle) nous en livrent une magnifique
interprétation, sur instruments d'époque, d'une grande clarté, faisant valoir
une sonorité ronde et chaude. La lecture est, ici, particulièrement
intelligente et convaincante, lumineuse, fluide, juste dans l'esprit comme dans
la note, témoignant de l'important travail d'amont et de la cohésion de
l'ensemble. Un enregistrement de référence ! Patrice
Imbaud. Wolfgang
Amadé MOZART : Quatuor à cordes n° 15, K 421. Felix MENDELSSOHN : Quatuor à
cordes n° 2, op13. Chiaroscuro Quartet. 1CD APARTE : AP092. TT :
57'06. Après le succès de leur deux premiers CDs
consacrés à Mozart /Schubert (AP022) et Beethoven /Mozart (AP051), le
Quatuor Chiaroscuro (clair obscur) poursuit, dans ce
troisième opus, son exploration des quatuors à cordes que Mozart dédia à son
ami Joseph Haydn, avec le Quatuor n° 15, cette fois associé au Quatuor n° 2 de Felix Mendelssohn. Le Quatuor n° 15, K 421, est probablement
le plus dense fonctionnellement des six quatuors à cordes dédiés à Joseph
Haydn. Écrit dans une tonalité mineure, il fut composé pendant la première
grossesse de sa femme Constance, en 1783. A la fois introspectif, douloureux,
parfois déchirant, cantabile, dissonant, calme et serein, il explore toute une
palette de sentiments très contrastés, allant de l'effroi le plus abrupte à la
douce berceuse consolatrice. L'interprétation des Chiaroscuro
est une fois de plus très originale, tendue, sans complaisance, bien loin de la
musique de salon. Une lecture sombre, fragmentée animée d'un sentiment
d'urgence, avec des attaques très marquées et une sonorité âpre dans le premier
mouvement, immédiatement suivie, dans le deuxième, d'une longue cantilène qui
ne parvient pas à faire disparaitre totalement l'inquiétude latente, atténuée cependant par le menuet faussement gaillard
du troisième, avant que l'Allegro final ne parvienne à nous rassurer
définitivement par sa succession de variations d'une lumineuse clarté. Le Quatuor N° 2 de Mendelssohn est une
œuvre de jeunesse, composée à l'âge de 18 ans, comme un hommage à Beethoven qui
venait de disparaitre (1827). Il s'agit d'une œuvre grave, solennelle,
mélodieuse, délicate, mais également véhémente et dramatique. Là encore tout un
florilège de sentiments que les Chiaroscuro
parviennent à rendre parfaitement. Une interprétation véritablement habitée qui
rend compte au plus près de toute la richesse expressive de ces deux quatuors,
dans une mise en miroir pertinente. Un troisième disque très réussi. Patrice
Imbaud. « Fin de siècle ». Ernest CHAUSSON : Concert pour violon, piano et quatuor à cordes. César
FRANCK : Sonate pour violon et piano. Rachel Kolly d'Alba, violon. Christian Chamorel, piano. Spektral Quartet Chicago. 1CD APARTE :
AP102. TT : 68'51. Fin de siècle, une expression commune définissant
une période de l'histoire européenne (1880-1890) mais surtout un état d'esprit,
mélange de sentiments mêlés, que nul mieux que Schopenhauer ne parvint à
définir, un sentiment unissant mélancolie et espoir, dépression, puissance
perdue, mysticisme, désillusion de grandeur, originalité voire excentricité. Le
présent enregistrement nous donne à entendre deux œuvres majeures de musique de
chambre appartenant à cette époque et évoquant cet esprit de mélancolie
désabusée, mêlant beauté et déliquescence, douleur et apaisement. La Sonate pour violon et piano (1886) de
César Franck, probable modèle de la Sonate de Vinteuil
dont la petite phrase de cinq notes parcourt la Recherche du temps perdu (Un
amour de Swann) de Marcel Proust. Une sonate qui représente un idéal
esthétique qui libère les différentes sortes de mémoire, évoquant un amour
tumultueux, un lien avec le passé, une prise de conscience d'une réalité
oubliée, un univers éternel échappant au temps, inaccessible à l'intelligence,
où la musique permet d'exprimer ce que le langage ne peut dire, l'indicible. Un
vaste programme, complexe, nécessitant une interprétation parfois véhémente,
ailleurs voilée, faite de nuances, de couleurs, de ressenti, de non dit, que le
jeu conjoint de Rachel Kolly d'Alba et Christian Chamorel parvient tout à fait à rendre. Le Concert pour violon, piano & quatuor à
cordes (1889-1891) ainsi que l'Interlude,
extrait du Poème de l'Amour et de la Mer
d'Ernest Chausson poursuivent dans cette optique. Là encore, amour, tourment,
fièvre et extase, tous sentiments s'exprimant dans une conversation en musique
d'une merveilleuse fluidité. Une interprétation digne d'éloges, sensuelle,
délicate et raffinée. Un disque coup de cœur ! Patrice Imbaud. Benjamin BRITTEN, Erich Wolfgang KORNOLD. Concertos
pour la main gauche. Nicolas Stavy, piano. Orchestre National de Lille, dir. Paul Polivnick. 1CD HORTUS
710. Collection « Les musiciens et la Grande Guerre ». Vol n° 10.
TT : 57'07. Paul Wittgenstein était déjà un pianiste
reconnu à Vienne lorsqu'il perdit son bras droit au début de la Grande Guerre,
lors d'une offensive menée en Pologne. Blessé et capturé par la Russie, il
décide lors de sa convalescence de poursuivre, à la fin de la guerre, sa
carrière de pianiste, en utilisant son seul bras gauche. Il commande ainsi
plusieurs concertos pour piano à différents compositeurs comme Benjamin
Britten, Paul Hindemith, Erich Wolfgang Korngold,
Serge Prokofiev, Richard Strauss ou
encore Maurice Ravel. Le Concerto pour la
main gauche de Korngold (1924) est une œuvre
évoluant d'un seul tenant, d'une tonalité fluctuante et d'une étonnante
modernité. Luxuriante, héroïque, elle s'apparente à un poème symphonique où le
piano est singulièrement orchestral, expliquant ainsi les difficultés
d'exécution, dialogue et lutte avec l'orchestre. Les Diversions pour la main gauche de Britten (1940) sont une pièce
comprenant un thème et 11 variations pleines de vie et de lyrisme, très
contrastées tantôt sereines et méditatives, tantôt impétueuses et frénétiques.
Pour un pianiste jouer de la seule main gauche n'est pas une simple
fanfaronnade, puisque cela implique que cette seule main assure le jeu, à la
fois sur les graves et sur les aigus, d'où les déplacements périlleux de
l'interprète sur le clavier. Par ailleurs pour les pianistes la morphologie de
chaque main est séparée en deux, au niveau non pas du médius, mais de l'index
pour des raisons quasiment géométriques et physiologiques. Pour la main gauche,
le pouce se trouve en position d'équilibre, jouant le chant aigu accompagné par
les autres doigts assurant une basse mouvante plus chargée. Cela expliquant
qu'à l'inverse de la main gauche, il existe peu d'œuvres composées pour la
seule main droite ! Nicolas Stavy et l'Orchestre
national de Lille nous donnent de ces deux œuvres magnifiques, peu connues du
grand public, une vision rayonnante où l'oreille oublie le handicap et la
virtuosité pour se concentrer sur la seule émotion. Superbe ! Patrice Imbaud. Carlos GRÄTZER. Martin MATALON. Karol BEFFA. Nicolas
BACRI. Modern Trumpet Concertos. Eric Aubier, trompette. 1CD Indésens :
INDE071. TT : 69'25. Un disque particulièrement intéressant et
didactique qui présente quatre concertos pour trompette et orchestre,
enregistrés ici en première mondiale, de quatre compositeurs contemporains,
Karol Beffa (*1973), Martin Matalon
(*1958), Nicolas Bacri (*1961) et Carlos Grätzer (*1956). Quatre compositions bien différentes qu'on
pourrait toutefois classer suivant deux esthétiques bien distinctes,
« tonale » pour Beffa et Bacri, « avant gardistes »
pour Matalon et Grätzer.
Une classification, avouons le, quelque peu artificielle. Des œuvres toutes
composée entre 1996 et 2005. Le Concerto
pour trompette de Karol Beffa repose sur un thème
initial très lent d'où émergent progressivement les ponctuations violentes de
la trompette, évoluant jusqu'à l'explosion, avant de retourner au premier thème
et à l'extinction finale. Trame V de
Martin Matalon s'intéresse au timbre de la trompette
qui peu à peu se dévoile, intimiste, ludique, fragile, tranchant, dramatique,
enfin puissant et naturel, avant de s'éteindre au lointain. Le Concerto pour trompette de Nicolas Bacri établit un dialogue fort entre la trompette et
l'orchestre, dans un mélange de violence et de paix. Aura « Par delà les résonances » de Carlos Grätzer conclut ce beau disque sur un jeu de miroir, de
correspondances divergentes ou convergentes entre la trompette et l'orchestre,
poussées jusqu'à l'extrême limite de l'instrument. La virtuosité d'Éric Aubier
parait, ici, également sans limites ouvrant aux différents compositeurs une
palette infinie de possibles. Un disque original qui sort des sentiers battus,
à écouter absolument ! Patrice Imbaud. « In
the mood for tuba ». Thomas Leleu, tuba. Orchestre Sinfonica
de Lara, dir. Tarcisio Barreto Ceballos. 1CD
FONDAMENTA : FON-1402015. TT : 71'31. Une curiosité à ne pas manquer que ce
disque totalement consacré au tuba, joué par la jeune star mondiale de cet
instrument, Thomas Leleu. Une façon particulièrement
pertinente de faire mieux connaitre cet instrument un peu grotesque, volontiers
considéré comme un gros pachyderme relégué au fond de l'orchestre… Et pourtant…
Il suffit d'écouter cet enregistrement pour comprendre tout le potentiel
expressif, toute l'émotion et toutes les couleurs que peut dispenser cet
attachant instrument, sous des doigts experts comme ceux de Thomas Leleu. Instrument original pour un programme qui ne l'est
pas moins. Des œuvres encore inédites au disque comme Convergences de Jean-Philippe Vanbeselaere,
composée pour tuba, trio de jazz et orchestre symphonique, Fables of tuba et Tango pour
Claude de Richard Galliano, auxquelles s'ajoutent le Concerto pour tuba de Vaughan Williams,
une transcription de « Mon cœur
s'ouvre à ta voix » extrait de Samson
et Dalila de Saint-Saëns, l'Intermezzo
extrait de la Cavalleria Rusticana de
Mascagni, ou encore Romance de Mendez, Tristorosa de Villa Lobos, Czardas de Monti et Les Valseuses de Grappelli. Un programme éclectique qui fait
éclater les frontières et les genres. Une interprétation hors du commun par sa
virtuosité, par la palette infinie de ses couleurs, parfaitement servie par
l'Orchestre Sinfonica de Lara dirigé par Tarcisio Barreto Ceballos, tous deux issus du Sistema
vénézuélien, et par une prise de son d'une rare présence. Bref, un
« must » indispensable qui vous fera considérer le tuba autrement. Patrice Imbaud. Philippe
HERSANT. Vêpres de la Vierge Marie. Maitrise
Notre Dame de Paris. Alain Buet, Robert Getchell. Les Sacqueboutiers.
Olivier Latry, Yves Castagnet,
orgue, dir. Lionel Sow. 1CD
Label Maitrise Notre Dame de Paris 004. TT : 76'45. Un disque enregistré en « Live »
lors du concert de clôture du cycle de musique sacrée célébrant le 850e
anniversaire de la cathédrale Notre Dame de Paris, en 2013. Commande de
« Musique Sacrée à Notre Dame de Paris » au compositeur contemporain Philippe Hersant (*1948). Cette
création contemporaine répond, en miroir, aux Vêpres de Monteverdi, qui avaient ouvert cette saison anniversaire.
Deux œuvres incontournables, celle de Monteverdi, indiscutable tournant de
l'histoire de la musique, et celle de Philippe Hersant, comme un point d'orgue
de cette saison 2013, ancrant la cathédrale dans le XXIe siècle. Une œuvre
sacrée contemporaine comprenant trois grandes parties, introduite chacune par
une toccata instrumentale. La première partie correspondant à l'Invitatoire, l'Ave Maris Stella et au Psaume 121, la seconde partie au Psaume 126 et au Cantique de
Saint Paul aux Éphésiens, la troisième au Magnificat. Une composition nécessitant un grand effectif vocal
avec chœur d'enfants auquel s'associent cloches, cuivres anciens, deux solistes
et deux orgues, dans une architecture mouvante capable de spatialiser le son,
donnant par cela un rôle important à l'espace, favorisant comme le souhaitait
Saint Bernardin de Sienne « la venue de l'Éternité dans le temps,
l'Impalpable dans le tangible, l'Immensité dans la mesure… ». On
regrettera toutefois que la prise de son ne soit pas à la hauteur de l'enjeu et
ne puisse rendre compte efficacement de cette spatialisation du son voulue par
le compositeur. Une belle œuvre toutefois, en demi-teinte, correspondant à
l'office du soir d'où peut-être cette coloration crépusculaire, en clair
obscur, témoignant d'une ferveur toute intériorisée, se concluant sur l'Amen du Magnificat où resplendit enfin toute la lumière de la foi et du
culte marial, auréolant l'image de la Vierge Marie. Une belle hymne à la mère
de Dieu qui s'élève comme une prière…qu'on aurait souhaité peu être plus
véhémente ! Patrice Imbaud. ***
MUSIQUE ET CINEMA
BAFTA 2015 En
compétition pour la meilleure musique de film :
Les
British Academy Film Awards
2015 avaient sélectionné cinq compositions, sensiblement les mêmes que pour les
Oscar. Disons le tout net : la plus originale est celle d'Under Skin. Le film n'ayant pas eu un grand succès. C'est celle de
l'excellent réalisateur Wes Anderson qui a été
récompensée. Quand un film marche auprès du public et de la critique, en
principe, il a des chances d'avoir plusieurs prix. Que dire du travail de
composition d'Alexandre Desplat ? Un petit thème
très simple (Desplat n'est pas un mélodiste) et un succession de variations, avec bien sûr la présence du
cymbalum pour faire folklorique (on est en Hongrie !) On est loin de
Maurice Jarre qui aimait cet instrument dont on ressent parfois l'influence
dans les arrangements. Un Bafta pour un thème d'à
peine une minute, c'est une belle récompense. Mais peut-être les
thème folkloriques « S'Rothe-Zäuerli »,
« Linden Tree », « Kamarinskaya »
ou « Moonshine » lui ont-ils été attribués.
Il est vrai que cette répétition fonctionne correctement avec le film. La
musique ne phagocyte pas le film, c'est ce qu'a dû demander le réalisateur.
Allez voir The Grand Budapest Hotel et
n'écoutez pas la BO sur CD mais celle de Under
Skin de Mica Levi (Chez Milan) ! CESAR 2015 En compétition pour
la meilleure musique de film : Bande de Filles - Para One Bird
People - Béatrice
Thiriet Les Combattants - Hit' N' Run Yves Saint Laurent - Ibrahim Maalouf
Timbuktu - Amine Bouhafa Le
choix des musiques est pour une fois de qualité et très divers : Pour Bande de Filles Céline Sciamma s'est adressée de nouveau à Para One. Il a écrit
une musique techno hip hop, sur le mode répétitif, avec balafon ; musique
intéressante. Para One, de son vrai nom Jean-Baptiste Laubier,
est DJ mais aussi réalisateur. Il avait déjà composé pour Céline Sciamma la musique de Naissance
des Pieuvres. La
BO de Bird People est une belle musique, originale
par sa conception et écrite par une compositrice de grand talent et pour le
cinéma et pour le concert. Thiriet est la
compositrice attitrée de Pascale Ferran (Lady Chatterley,
Petits Arrangements avec les Morts, L'Age
des Possibles). La
musique pêche dans Les Combattants,
film qu'on a beaucoup apprécié à tout point de vue. C'est une musique pseudo
techno-rock de peu d'originalité et qui n'apporte pas grand chose à cette
histoire. Un style pas loin de cette musique pour
l'image qu'on appelait avant « la musique au mètre ». Celle
de Yves Saint Laurent, malgré tout le talent de
ce trompettiste-compositeur, est faible par rapport au film. Ibrahim Maalouf ne
trouve pas la couleur pour ce biopic d'une
réalisation terriblement académique. Elle ne fait que plomber l'ambiance, elle
est très easy listening,
même assez anachronique. Disons qu'elle ne dérange pas. Notre
préférence va pour la musique de Timbuktu d'Amine Bouhafa, en
totale adéquation avec le film et qui apporte plus encore que ce que l'image
montre. N'est-ce pas ce qu'on doit demander à la musique d'un film ?
Et
le César de la musique a été attribué à : Timbuktu d'Amine Bouhafa (cf. NL de janvier 2015). La realisation
n'a rien d'exeptionnel, le montage n'est pas très
bon, le scénario bien mince, mais avec une photo et des cadrages magnifiques et
une superbe musique, le film est touchant, émeut et devient un bon film. ENTRETIENS Franck Sforza, compositeur
Compositeur
autodidacte, atypique, la quarantaine, passionné de musiques en tout genre (il
a écrit, entre autres, pour le tour de chant de Jean Claude Dreyfus), de jazz
en particulier, Frank Sforza est, à force de conviction, un compositeur reconnu
dans le monde du court-métrage. Souvent récompensé il est aujourd'hui dans
plusieurs commissions pour l'aide aux courts-métrages. Il nous a reçu dans son studio. Comment devient-on compositeur de musique de
film ? Dans mon cas c'est plutôt comment on devient musicien, car j'ai commencé très tard à faire de la musique, à dix neuf ans. J'avais écouté Jean Jacques Goldman qui avait un super saxophoniste, Philippe Delacroix Herpin, dit Pinpin. Sur « Petite fille » il a fait une impro qui m'avait impressionné. Comme j'ai raté mon bac, mes parents m |