Lettre d’Information – n°79 – Mars 2014



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

 

 

9, 16, 23 et 30 / 3

 

Pleins jeux à Rouen

 


DR

 

Les Amis de l'Orgue de St-Clément à Rouen organisent pour la huitième année consécutive une série de quatre concerts d'orgue du 9 au 30 mars 2014. Les œuvres interprétées cette année seront rassemblées sous le thème Poésies. Cette série de concert s'inscrit dans la démarche de mise en valeur du magnifique patrimoine instrumental de la ville de Rouen. A ce titre, l'association, membre de la Fédération des Associations pour la Valorisation des Orgues de Rouen, accueille chaque année des musiciens de tous horizons pour les concerts, mais aussi une dizaine de classes d'écoles primaires (environ 250 élèves) pour des séances de découverte pédagogique de l'orgue, en partenariat avec le Printemps de Rouen. Se produiront successivement les organistes Vincent Fouré (Rouen), Yannick Marlin (Paris), Marie-Agnès Grall-Menet (Paris) et Gunnar Peterson-Øverleir (Oslo).

 

Église Saint-Clément (rive sud), Place Saint-Clément, 76100 Rouen, les 9, 16, 23 et 30 mars 2014, à 16 H. Entrée libre. orguesrouen76@gmail.com

 

11 au 21 / 3

 

Les tempéraments à La Cité ou le clavecin dans tous ses états

 

 

Une prestigieuse série de concerts sera organisée à La Cité de la musique, autour de l'intégrale de l'œuvre pour clavecin de Jean Sébastien Bach. À l'initiative d'Olivier Baumont, codirecteur artistique, et en majeure partie sur les instruments de la collection du Musée de la musique, elle réunira les meilleurs spécialistes de l'instrument. Se succéderont ainsi Ton Koopman, Céline Frisch, Andreas Staier (Variations Goldberg, sur un clavecin de Hemsch de 1761), Béatrice Martin (Suites anglaises), Olivier Baumont, Aurélien Delage, Benjamin Allard, Blandine Rannou  (Suites françaises), Kenneth Weiss (Clavier bien tempéré, livre II), Violaine Cochard, Pierre Hantaï, Davitt Moroney, Christine Schornsheim, Rinaldo Alessandrini, Christophe Rousset, Jean Rondeau. Les élèves du Conservatoire de Paris interpréteront le premier livre du Clavier bien tempéré, le 15 mars, à 18H30 et le concert final, le 21 mars, à 21H, sera l'occasion, le jour anniversaire de la naissance du Cantor, de rendre un hommage au grand Gustav Leonhart : Bob van Asperen et Olivier Baumont joueront l'Art de la fugue. 

 

Cité de la musique, amphithéâtre, du 11 au 21 mars 2014, à 19 et 21 H, sauf le 17 mars.

Renseignements et location : Cité de la musique, 221, Bd Jean Jaurès, 75019 Paris ; par tel : 01 44 84 44 84 ; en ligne : www.citedelamusique.fr

 

 

14, 15, 17, 18 / 3

 

Un opéra multimedia !

 


Roland Auzet © Didier Goudal

 

Le Théâtre de la Renaissance à Oullins présente la création mondiale de l’opéra multimédia Steve Five (King Different), en coproduction avec l’Opéra de Lyon, dans le cadre de la Biennale Musiques en scène 2014. Opéra de chambre dont Roland Auzet a imaginé le sujet, conçu la musique et réalisé la mise en scène, en coopération avec Fabrice Melquiot, qui signe l’écriture du livret, Steve Five aborde l’aventure numérique au XXe siècle, librement inspirée de la vie du fondateur d’Apple, Steve Jobs, et du héros du drame de Shakespeare, Henry V, vainqueur de la bataille d’Azincourt. Le livret est composé autour de deux biographies, de deux itinéraires, proches, et pourtant séparés par cinq siècles. Deux paroles, deux manières de se confronter au réel tout en l’inventant : le destin de la Silicon Valley face à la fresque historique d'Henri V ; la stratégie d’entreprise face à la stratégie guerrière. S’appuyant sur la pièce originale de Shakespeare, les auteurs en extraient des fragments qu’ils intègrent à un texte et à une musique d’aujourd’hui, incluant l’artiste rappeur Oxmo Puccino et l’orchestre classique de l’Opéra de Lyon, dirigé par Philippe Forget, pour un opéra parlé (Thibault Vinçon) et chanté (le ténor Michael Slattery, accompagné d’un madrigal de 6 chanteurs du Studio de l'Opéra de Lyon), trivial et lyrique, médical et guerrier, où la technologie se fait poésie, la poésie technologie.

 

Théâtre de la Renaissance, 7, rue Orsel, 69600 Oullins, les 14, 15, 17 et 18 mars 2014, à 20 H.

Location : au théâtre ; par tel. : 04 72 39 74 91; en ligne : theatre.renaissance@theatrelarenaissance.com  www.theatrelarenaissance.com  

 

 

25 / 3 & 8 / 4

 

Musique à Notre Dame : la fête continue

 


©Jean-Baptiste Millot

 

La saison 2014 de Musique à Notre Dame s'enorgueillit en cette fin d'hiver de deux concerts marquants qui mettront encore en évidence les qualités de la maîtrise. Le 25 mars, seront données de œuvres chorales de Heinrich Schütz (1585-1672) et de Hugo Distler (1908-1942). Compositeur allemand, ce dernier s'inspira dans sa musique chorale de cet éminent prédécesseur et des polyphonistes du XVII ème et  XVIII ème siècle. Pour bien montrer la complémentarité de pensée, des motets de chacun des deux compositeurs seront présentés en alternance. Le concert se conclura par la Totentanz de Distler, écrite en 1934, pour chœur à quatre voix. Une scénographie et la projection d'images numériques seront assurées, pendant le concert, par les étudiants de 1ère et 2ème année du DSAADIS design graphique numérique de l'École Estienne. Le 8 avril, on jouera la Messe N°2 de Bruckner et Et Exspecto resurrectionem Mortuorum de Messiaen. La Messe de Bruckner, qui regarde du côté de Palestrina, se singularise par son chœur à huit voix et un accompagnement des seuls vents. Répondant à une commande d'André Malraux, l'œuvre de Messiaen, « est une réponse à un non-croyant placé devant le problème de la mort », dira-t-il. Un hommage aux disparus de la Seconde guerre mondiale, auquel Messiaen répond par un chant de résurrection. L'orchestre du Conservatoire de Paris sera dirigé par Jean-Michel Wurtz et les chœurs par Lionel Sow.

 

Notre Dame de Paris, les 25 mars et 8 avril 2014, à 20H30.

Renseignements et location : accueil de la Cathédrale Notre Dame de Paris ; par tel. : 01 44 41 49 99 ; en ligne : contact@msndp.com ou www.musique-sacree-notredamedeparis.fr  

 

30 / 3

 

Aspects des Musiques d'Aujourd'hui à Caen

 


Thierry Escaich © Guy Vivien

 

Dans le cadre de la Saison 2013-2014 de l'Orchestre de Caen et de son festival Aspects des Musiques d'Aujourd'hui, du 25 au 30 mars 2014, deux concerts seront donnés par Thierry Escaich, le 30 mars. Lors du premier, à 11h00, au Petit auditorium du conservatoire de Caen / auditorium Jean-Pierre Dautel, il interprètera au piano sa composition La Ronde ainsi que des pièces de Gilbert Amy et d'Henri Dutilleux, avec un quatuor à cordes réunissant Stéphanie-Marie Degand et Jasmine Eudeline, violons, Christophe Desjardins, alto, et Raphaël Chrétien au violoncelle. Le même jour, à 17h00, à l'auditorium Jean-Pierre Dautel, sera organisé un "ciné-concert", composé de petits films d'animation sur lesquels Thierry Escaich improvisera au piano. Cette dernière programmation s'adresse à un (très) jeune public. C'est en effet tout le sens de celle-ci : expérimenter la magie du spectacle vivant au cours de représentations qui tiennent compte des capacités d’écoute de l’enfant. Le compositeur du Carnaval des animaux, Camille Saint-Saëns, fut aussi celui de la première musique de film, en 1908. De nos jours, le pianiste de cinéma se doit d’être un musicien chevronné nourri d’une vaste culture : souvent compositeur, et toujours improvisateur expérimenté, sa musique, au-delà de l’illustration sonore du film, apporte une dimension nouvelle au spectacle, qui devient ainsi un véritable « ciné-concert ».

Auditorium Jean-Pierre Dautel, Caen, le 30 mars 2014, à 11H et 17 H.

Renseignements et location : Billetterie, 1, rue du Carel, 14000 Caen ; par tel.: 02 31 30 46 86 ; en ligne :billetterie-orchestre@agglo-caen.fr

 

 

1 / 4

 

L'Ode au Tonnerre de Telemann

 


Gravure du tremblement de terre de Lisbonne de 1755

 

« Cent mille infortunés que la terre dévore, qui sanglans, déchirés, et palpitans encore, enterrés sous leurs toîts, terminent sans secours dans l’horreur des tourmens leurs lamentables jours… ». 

Ces vers de Voltaire, tirés de son Poème sur le désastre de Lisbonne, témoignent du retentissement qu’a eu dans toute l’Europe le tremblement de terre de 1755. Au concert des voix émues de Rousseau, de Goethe ou de Kant, se joint celle de Georg Philipp Telemann : son grand oratorio Die Donnerode (Ode au tonnerre), pour soprano, alto, ténor, deux basses et chœurs, sera joué en 1756, en hommage aux victimes de la tragédie. Dans la série « Tempêtes et tremblements », de la Cité de la musique, il sera donné par Opera Fuoco et le Chœur Arsys de Bourgogne sous la direction de David Stern. Une création vidéo de Daniel Buren a été conçue expressément pour accompagner la partition. Une rare occasion d'entendre cette ode  grandiose. Au programme figurera également la cantate de Jean Sébastien Bach , « Schauet doch und sehet », BWV 46.

 

Cité de la musique, le 1 er avril 2014, à 20 H.

Location : Cité de la musique, 221, Bd Jean Jaurès, 75019 Paris ; par tel : 01 44 84 44 84 ; en ligne : www.citedelamusique.fr

 

 

Du 7 / 4 au 13 / 6

 

Festival Rossini au Théâtre des Champs-Elysées

 


Cecilia Bartoli dans Otello © Hans Jörg Michel/Opernhaus Zurich

 

Le Théâtre des Champs-Elysées fête Gioachino Rossini par pas moins de cinq opéras dont trois productions scéniques ! Bien sûr, l'incontournable Barbier de Séville occupera une place centrale au sein de ce festival, dans la production de l'Atelier lyrique de Tourcoing, mise en scène de Christian Schiaretti et Arnaud Décarsin, et dirigée par Jean-Claude Malgloire à la tête de sa Grande Écurie et la chambre du Roy. Mais deux autres titres en seront les joyaux. A commencer par Otello. Moins connu que l'opéra de Verdi, le drame de Rossini n'en est pas moins tout aussi impressionnant. Par sa dramaturgie d'abord, qui reléguant le personnage de Iago au second plan, focalise sur la dimension de racisme dont est victime Othello : bien que valeureux combattant, il ne trouve pas sa place dans la bonne société vénitienne. La figure de Desdémone est centrale, déchirée par un conflit intérieur car en ayant osé épouser un homme de couleur, elle est allée contre la volonté paternelle. Par son traitement musical ensuite, qui met les ensembles au premier plan, aligne pas moins de trois ténors, en Othello, Rodrigo et Iago, enfin offre au dernier acte une concision dramatique inédite et nouvelle chez Rossini. La production de l'Opernhaus de Zurich, due au tandem Moshe Leiser et Patrice Caurier qui transposent l'action dans l'Italie des années 60, est un remarquable véhicule pour Cecilia Bartoli, dans la partie de Desdémone, et John Osborne, dans le rôle titre. Jean-Christophe Spinozi sera aux commandes de son ensemble Matheus. Un événement assurément !

 

Enfin, et encore moins joué, Tancredi clôturera ces festivités scéniques. Il s'agit du premier opera seria de son auteur, conçu d'après la tragédie éponyme de Voltaire. Ce mélodrame, qui va asseoir la réputation de Rossini, marque un renouveau du genre seria, grâce à ces harmonies subtiles et à cette irrépressible vitalité qui enlumineront tant les chefs d'œuvres à venir, sans oublier l'art infini de la mélodie. La distribution réunira, entre autres, Marie-Nicole Lemieux et Patricia Ciofi, sous la direction de Enrique Mazzola. La mise en scène sera assurée par Jacques Osinski. Deux opéras en version de concert complèteront ce panorama : L'Italienne à Alger, chef d'œuvre de turquerie buffa (avec M-N. Lemieux en Isabella et Lorenzo Ragazzo en Mustafa, direction de Roger Norrington) et la très rare Échelle de soie, qui vaut plus que son entraînante ouverture, dirigée par Enrique Mazzola. Un riche parcours à suivre absolument !   

 

 

Théâtre des Champs-Elysées. Otello, les 7, 9, 11, 15, 17 avril 2014, à 19H30 et le 13 avril à 17H.

Le Barbier de Séville, les 28 et 29 avril 2014, à 19H30.

Tancredi, les 19, 21, 23, 27 mai 2014, à 19H30 et le 25 mai à 17H.

L'Italienne à Alger, le 10 juin 2014, à 20H

La Scala di seta, le 13 juin, à 20H

Location : 15, Avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr  

 

 

Jean-Pierre Robert.

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L'ARTICLE DU MOIS

 

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À  Propos des Voix de Haute-contre et de Contre-tÉnor

 

 

Entretien avec Benjamin Clée, chanteur et pédagogue.

 

 

 

La voix de contre-ténor a traversé les époques et les styles. A la fin de l’époque classique ce type de voix a été un peu enterré. Le grand argument était : « Ce n’est pas une voix d’opéra romantique, ce n’est pas une voix lyrique ». Aujourd’hui on la considère comme une voix à part entière, comme les autres voix, et ceux qui pensent le contraire, à mon sens, se trompent.

(Benjamin Clée)

 

 

Par rapport aux autres voix d’hommes, à ces voix lyriques reconnues par l’histoire romantique, comment pourrait-on définir la voix de contre-ténor ?

 

Par son mécanisme. Comme pour les femmes, c’est une petite bascule au niveau du larynx qui rétrécit la longueur des cordes vocales, ce qui provoque une émission plus haute. C’est pour cela qu’on l’appelle voix de tête ; parce qu’elle résonne plus aigu. C’est cela qui donne une impression d’irréel. Peut-être parce que c’est ma voix, j’ai l’impression que c’est la plus proche de l’âme. On dit que c’est la voix des anges. Dans son histoire elle était attachée aux cours pontificales et les pratiques barbares de la castration étaient une volonté de maintenir chez les adultes la qualité des voix d’enfants.

 

Devient-on ou est-on un chanteur contre-ténor ?

 

Moi, je l’ai vécu comme une transition. Quand j’étais en train de muer, j’étais aphone en voix de poitrine. Du coup, Marie-Luce Lucas, accompagnatrice de Christiane Eda-Pierre, m’avait dit que ce n’était pas grave, que je passerai mes examens de formation musicale en voix de tête. Il se trouve que là il y avait encore du son qui sortait. On m’a dit que c’était chouette, et c’est venu comme ça pour moi.

 

Avec mon expérience d’enseignement, j’ai constaté que ce sont souvent ces résonances-là qui restent en référence chez les garçons. A mon avis en tant que pédagogue il faut continuer à faire chanter cette voix de tête pendant la mue parce que c’est un repère. Beaucoup d’enseignants m’avaient dit : « pendant la mue, il ne faut surtout pas chanter ». Je me rends compte aujourd’hui que ce n’est pas forcément vrai et que justement cette voix de tête, ou de falsetto ou de contre-ténor, peut permettre à des musiciens « en transit » de continuer à s’exprimer avec leur voix.

 

Ces termes de « falsetto », de « contre-ténor », de « voix de tête », veulent-ils dire la même chose ?

 

Le terme « voix de tête » peut être appliqué aussi bien à une soprane, un baryton ou un ténor. Ce n’est pas pour autant que ce sont des contre-ténors ! Falsetto serait le terme italien signifiant voix de tête masculine, en français, contre-ténor.

 


Alfred Deller © Alamy

 

Est-ce que ce serait juste de comparer cette voix de contre-ténor avec le jeu des cordes baroques qui ne vibrent pas ?

 

Non, c’est l’instrument qui change. On n’utilise pas l’accolement des cordes vocales comme les autres. On obtient donc un autre type de timbre. On n’a pas le même instrument. Après, le vibrato apparaît en fonction de l’outil de chacun, de ce qu’on veut en faire en rapport avec le répertoire qu’on doit interpréter. A priori, une soprano peut avoir les mêmes aptitudes à produire des sons filés pour obtenir un effet de transparence qu’un baryton ou un ténor. J’ai eu deux élèves contre-ténors et à chaque fois c’était une voix naturelle. Il a fallu les recadrer comme n’importe quelle autre voix avec les mêmes qualités et les mêmes défauts.

 

En France, j’ai l’impression qu’on a tendance à aimer la voix d’enfant dans l’étirement d’un son droit, de quelque chose de diaphane. Mais je crois que c’est plutôt une affaire de style et de culture quand j’entends les maîtrises anglaises ou allemandes. Ils ont des voix souples et chaudes, charnues. Je crois qu’ils ne cessent pas de chanter, même à la mue, et que ces pays n’ont jamais tout à fait abandonné les voix de contre-ténor.

 

Tu chantes dans un ensemble professionnel avec les alti et pas forcément de la musique baroque.

 

Oui, c’est un choix de couleur de Laurence Equilbey.

 

Comment ressens-tu ta position dans ce pupitre ?

 

Laurence a toujours eu l’oreille pour savoir combiner les voix dans les pupitres. Elle a toujours eu ce chic de complémentarisation des voix de chacun.,En ensemble, on est obligé d’avoir une émission plus canalisée, c’est comme cela que mezzo et contre-ténor peuvent être compatibles au sein d’un même pupitre.

 

Quelle était la proportion de contre-ténor dans le pupitre pour chanter Brahms ?

 

J’étais seul pour 7 mezzos.

 

La proportion s’inverse pour chanter Gluck ?

 

Là, c’est environ 50/ 50. 

 

Quand tu chantes un répertoire non baroque est-ce que cela change quelque chose dans le travail technique ?

 

Non. Cela a surtout changé quelque  chose dans mon engagement artistique. Je me souviens, il y a 15 ans, c’était du militantisme ! Chanter du Brahms ou du Dvořák pour moi était inespéré. Je me disais : voilà la preuve que cette voix de contre-ténor n’est pas cantonnée à la musique renaissance ou baroque… ou à l’extrême inverse à la musique contemporaine. J’y allais avec une certaine fierté, un certain militantisme.

 

Haute-contre et contre-ténor. Deux termes identiques ?

 

Deux choses complètement différentes. Contre-ténor, c’est le terme français pour désigner toutes les voix de falsetto avec un répertoire un peu partout en Europe. Haute-contre, c’est vraiment le répertoire français et c’est un ténor très léger, contrairement à ce qu’on peut penser, qui mixe ses aigus. Il est donc en registre léger dans son passage(1). Ce n’est pas du tout la même tessiture et pas du tout le même répertoire.

 

Techniquement, la haute-contre chante en voix de poitrine dans sa voix de ténor et le chanteur est capable de mixer en voix de tête tous ses aigus. Le contre-ténor peut être un contre-ténor soprano (on l’appellera sopraniste) ou mezzo-soprano ou alto… Je sais qu’on a des voix de haute-contre en Italie (apparentées au ténorino) ou en Russie. Ce sont des voix de tête masculines, très graves. Je m’apparente un peu à ce type de voix. Quand on a travaillé « Les Vêpres » de Serge Rachmaninov, le coach russe qui nous a fait travailler m’avait fait la remarque : « tu fais le ténorino dans le pupitre d’alto ». En gros, tu assures les graves quoi !  

 

Henri Ledroit… ?

 

…est un contre-ténor alto, James Bowman, Alfred Deller aussi. Howard Crook, lui, durant une grande période de sa carrière, a été haute-contre. Ténor tout à fait léger capable de mixer tous ses aigus. Dans un domaine plus « pop », on pourrait citer aussi Jimmy Somerville et sa voix de sopraniste…

 

Pour la voix de haute-contre, quel répertoire peut-on évoquer ?

 

Beaucoup d'œuvres. Par exemple, chez Marc-Antoine Charpentier, Jason dans « Médée », David dans « David et Jonathas ». Les grands héros de Rameau aussi…

 

Les hautes-contre peuvent-ils chanter aussi en voix de ténor ?

 

Souvent, avec l’âge, reprennent-ils leur tessiture pleine. C’est comme un entraînement sportif. Je constate que les voix de haute-contre sont plutôt des voix jeunes. La capacité de mixer les aigus peut s’entretenir mais aussi disparaître si on s’attaque à un répertoire un peu plus lourd comme le répertoire romantique qui va modifier l’instrument. Cependant, je constate qu’autour de moi, les collègues d’ensemble qui ont continué à chanter du baroque continuent 15 ans après.

 

Pour sortir de cette voix, on va essayer de gagner en puissance, d’obtenir un vibrato sur toute l’étendue de la tessiture… Après, ce peut être un atout de savoir faire ses aigus mixés, de savoir faire des aigus piano, tout simplement. Et ce sera le domaine de l’interprétation.

 

Le Baroque s’est imposé sur le marché...

 

Aujourd’hui je vois les grands chefs qui ne prennent plus d’artistes limités au Baroque. Je crois qu’on se rend compte qu’un artiste doit savoir tout faire. Je trouve que cela est une bonne nouvelle. Les chanteurs sont plus performants qu’il y a 20 ans : en santé vocale, en puissance. Les orchestres aussi ont évolué… Un artiste comme Franco Fagioli est aussi génial dans Gluck(2) que dans Rossini. En tant qu’instrumentiste je pense qu’il est inconcevable aujourd’hui de ne jouer que du Tchaïkovski, par exemple. Par rapport à mon expérience d’altiste quand j’étais étudiant, j’étais confronté au monde de la musique baroque  comme si c’était un monde pestiféré ! Si je voulais jouer avec un archet baroque on me disait que c’était parce que j’étais mauvais instrumentiste ! Et c’était il y a 20 ans, pas 150 !

 


Franco Fagioli ©Julian Laidig

 

Le film Farinelli(3) a séduit le grand public avec l’histoire de cette voix. Si on refaisait ce film aujourd’hui, serait-on obligé de mixer plusieurs voix comme cela a été fait pour reproduire la voix d’un castrat ?

 

Je ne pense pas. Ça n’était pas obligatoire. Ils ont fait une performance technique avec une soprane et un contre ténor. Le contre-ténor était Derek Lee Ragin et la soprano Ewa Malas-Godlewska. Ils ont choisi d’avoir des super graves et des super aigus. Aujourd’hui, un Franco Fagioli pourrait aisément le faire !

 

Farinelli a donc beaucoup fait pour la connaissance de cette voix...

 

Certainement.  Elle dérange et touche à la fois... Il y a quelque chose de direct à l’âme pour moi.

 

Et aussi une certaine ambiguïté sexuelle, non ?

 

Cette ambiguïté est une vieille tradition de théâtre. Dans l’opéra chinois, les rôles de femmes étaient chantés par des hommes. On l’a très bien vu dans le merveilleux film Le pavillon des femmes(4) qui décrivait un rituel très ancien qui a su se préserver malgré la révolution culturelle. Hormis le fait que certains rôles d’hommes ont été longtemps tenus par des femmes(5), un rôle comme Tancrède de Rossini a été écrit pour une femme. Si on parle de travestissement prévu dans le livret, on peut penser à Chérubin qui a toujours été chanté par une fille. Il serait peut-être intéressant aujourd’hui, au 21ème siècle, d’ouvrir ces rôles à des garçons qui seraient capables, tout simplement, de le faire.

 

Propos recueillis par Laurence Renault-Lescure.

 

 

(1) Passage : zone de transition entre le registre lourd et le registre léger, qu’on entend plus ou moins en fonction des voix. Passage principal entre la voix de poitrine et la voix de tête. Dans sa tessiture, un chanteur a plusieurs passages. Son travail est justement de gommer toute différence entre les paliers.

(2) Concert sous la direction de Laurence Equilbey le 23 octobre 2013 à la Chapelle Royale de Versailles, retransmis sur France Musique

(3) Film réalisé par Gérard Corbiau, sorti en 1994

(4) Film de Ho Yim, sorti le 23 août 2007 (Chine)

(5) Ainsi de Jules César de Haendel dans les années 1990

 

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L'ENSEIGNEMENT MUSICAL

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Une pédagogie française d'éducation par l'art : la pédagogie Martenot

 

Un peu d’histoire

 

Quand on parle de Maurice Martenot (1898-1980), on pense d’abord à l’instrument de musique électronique qui porte son nom. Les « Ondes Martenot » ont inspiré de nombreux compositeurs, de Darius Milhaud à Henri Dutilleux en passant par André Jolivet et Olivier Messiaen ainsi que des compositeurs contemporains.

 

Mais il est aussi l’un des cinq grands pédagogues qui, avec Émile-Jacques Dalcroze (1865-1950), Edgar Willems (1890-1978), Carl Orff (1895-1982) et Zoltán Kodály (1882-1967), ont marqué le XX ème siècle par leurs recherches en pédagogie musicale. Tous les cinq ont élaboré des méthodes d’enseignement musical destinées à renouveler profondément l’enseignement de ce qu’on appelle habituellement le solfège. Ces recherches s’inscrivent dans tout un mouvement pédagogique plus général marqué par les travaux de Maria Montessori, Célestin Freinet et de tous les autres pédagogues des « méthodes nouvelles ».

 

C’est dans ce courant de l'Éducation Nouvelle que s’inscrit la recherche de la famille Martenot, car cette recherche est celle de toute une famille. Au commencement, il y a Madeleine (1887-1982), la sœur aînée, devenue l’éducatrice de ses deux jeunes frères et sœurs, Maurice et Ginette. Passionnée de pédagogie, Madeleine fonde un cours privé de piano dès 1912. 

 

Mais dès l’après-guerre de 14-18, Maurice, l’inventeur des Ondes Martenot, l’instrument de musique électronique qui porte son nom, sa femme Renée, ainsi que Geneviève (Ginette), la plus jeune sœur, participent activement aux recherches de l’Éducation Nouvelle. Un congrès les marque particulièrement, celui de Villebon-sur-Yvette, du 22 au 27 avril 1924, auquel ils participent tous. Ils y rencontrent le violoncelliste-concertiste Youry Bilstin qui leur fait découvrir des états psychiques différents, en les initiant à la pratique de la relaxation active. L’importance de cette découverte définit l’orientation de leur travail : ils ambitionnent de devenir Éducateurs par l’Art.

 

Maurice Martenot développe donc à la fois une méthode de formation musicale et une méthode de relaxation. Ginette Martenot s’attache à pédagogie pianistique et, après sa rencontre, en 1932, avec le poète indien Rabindranath Tagore qui l’encourage vivement à réaliser en France, comme dans son École de Santiniketan, devenue une Université Internationale au Bengale, un enseignement artistique complet, elle développera également une méthode de dessin, peinture, sculpture, basée essentiellement sur le geste.

 


Maurice Martenot © DR

 

Dans le cadre de cet article pour L'Éducation Musicale, nous nous intéresserons plus particulièrement à la pédagogie pianistique et à celle de la Formation Musicale.

 

Si Maurice publie dès 1922 ses Jeux Musicaux, il est très vite accaparé, ainsi que sa sœur Ginette, par les tournées internationales entreprises après la présentation à l’Opéra de Paris en 1928 de l’instrument d’Ondes. Mais il continue de pratiquer avec ses deux sœurs et de perfectionner la pédagogie de la formation musicale. Après la guerre, il collabore notamment aux programmes de formation musicale des choristes du Mouvement A Cœur Joie avec César Geoffray. Une étape décisive est franchie en 1952, lorsque paraît un premier « Livre du maître » qui, au fil des éditions, deviendra les « Principes Fondamentaux de Formation Musicale et leur Application ». Maurice Martenot ne cessera d’affiner sa méthode jusqu’à une ultime édition rédigée en 1980 et terminée quelques jours avant sa mort accidentelle en octobre 1980. C’est cette édition qui est à l’heure actuelle réimprimée et disponible aux éditions de l’Ile Bleue.

 

Les fondamentaux

 

Pour les Martenot, les arts ne sont pas un élément facultatif de l’éducation mais en sont partie prenante. D’où la définition du professeur comme étant un « éducateur par l’art ».

 

I . La « Méthode » Martenot de Formation Musicale

 

Maurice Martenot se méfiait du mot « méthode », même s’il l’employait constamment et en a fait lui-même une description très détaillée et minutieuse. Mais il a toujours combattu l’idée qu’il suffisait d’appliquer des « trucs », des « recettes » pour être un bon professeur, ou plus exactement, comme il le disait, un bon « éducateur par l’art ». Nous allons donc plutôt détailler ici les « principes fondamentaux » qui sous-tendent toute sa recherche. A propos des exercices qu’il préconisait, Maurice Martenot disait qu’avant de se demander comment les faire, il fallait impérativement se demander pourquoi on allait faire tel ou tel exercice, pour répondre à quel besoin de l’élève.

 

« L’esprit avant la lettre, le cœur avant l’intellect », telle est la maxime qui se trouve en couverture des « Principes fondamentaux ». Pour Maurice Martenot, l’essentiel est que la musique parte d’une « pensée musicale » qui est toujours ce qui conduit les techniques, aussi élaborées puissent-elles être. Il n’y a pas de « musicien » s’il n’y a pas de pensée musicale. C’est donc d’abord par le développement de cette faculté que passe tout apprentissage de la musique. Cette « pensée musicale », qu’on peut aussi appeler « chant intérieur », se développe par la mémorisation de mélodies dès le plus jeune âge. Elle se développe aussi par l’improvisation et la transposition spontanée. Derrière la « pensée musicale », il y a tout simplement la vie. Le but de l’éducateur par l’art est de « Libérer, épanouir, respecter la vie, tout en inculquant les techniques ».

 

1 – Le rythme

 

On pourrait dire : au commencement était le rythme. « Le rythme, dit Martenot, est l’élément vital de la musique, aussi indéfinissable que la vie elle-même. Il ne faut pas confondre rythme et mesure : le rythme est ressenti, la mesure s’analyse. »  C’est ainsi qu’il établit la distinction, aujourd’hui devenue banale, entre le « temps » et la « pulsation » : le travail rythmique se fait par la mise en œuvre de petites cellules vivantes et d’une improvisation qui n’est pas une construction intellectuelle mais est portée par un élan vital qui intègre flux, reflux et accent. De nombreux exercices-jeux permettent de mettre en œuvre cette pédagogie du rythme qui peut être poussée jusqu’à un niveau professionnel.

 

Nous venons de parler d’ « exercices-jeux ». Ce terme mérite d’être expliqué. Laissons la parole à Maurice Martenot : « Le terme « exercice-jeu » ne doit pas laisser supposer que nous voulons amuser les enfants par des jeux. Il ne représente pas non plus le « jeu éducatif » ayant pour objectif d’éduquer en amusant. Il veut dire que les exercices réalisés suivant les indications [du livre du maître] sont tellement empreints d’éveil, de vie, de liberté, d’expression, qu’ils correspondent, pour les élèves, à l’attrait du jeu. » Ceci est fondamental : ce sont les exercices eux-mêmes qui ont l’attrait du jeu. Il ne s’agit pas d’amuser les élèves mais de les passionner pour leur apprentissage.

 

2 – Le chant libre par imitation.

 

L’imitation est la première phase de la transmission de la musique. Pendant des siècles, la musique ne s’est transmise que par imitation. Le chant libre, nécessaire pour tous, permet aussi de compenser pour certains élèves l’absence de chant au sein de la famille. N’oublions pas que neuf fois sur dix un enfant qui chante faux est un enfant qui n’a jamais chanté jusque-là et qui ne maîtrise pas son appareil vocal. Mais le plus important est encore que ce chant contribue à structurer la mémoire musicale par la répétition des mêmes airs et à développer le « chant intérieur » par la transposition spontanée. Bien sûr viendra ensuite le chant conscient qui prépare à l’intonation solfiée.

 

3 – La transposition.

 

C’est un des éléments fondamentaux de la méthode. Comprenons bien : il ne s’agit en aucune façon de la « transposition par les clés » qui n’est qu’une autre manière de lire une partition et ne suppose pas une « pensée musicale » sous-jacente. Pratiquée spontanément dès le début de l’enseignement par la transposition des mélodies utilisées en chant libre, d’abord avec les paroles, puis en gardant simplement l’air, elle se développe ensuite par la mémorisation et la transposition d’oreille de thèmes de plus en plus longs et compliqués. Et ce n’est qu’en dernier ressort, lorsque du son naît le nom des notes, qu’on aborde une transposition chantée avec le nom des notes. Précisons que cette pratique de la transposition est un élément qui se retrouve dans la méthode de piano, également comme élément fondateur permettant de développer la pensée musicale.

 

4 – Le chant conscient.

 

C’est ce qu’on appelle habituellement le « solfège ». Là non plus, il n’y a pas de véritable chant conscient sans une prise de conscience du « chant intérieur » qui précède l’émission vocale. Pour reprendre une formule d’Edgar Willems que Maurice Martenot aimait à citer : « Les mauvais musiciens n'entendent pas ce qu'ils jouent. Les médiocres pourraient entendre, mais ils n'écoutent pas. Les musiciens moyens entendent ce qu'ils ont joué. Seuls les bons musiciens entendent ce qu'ils vont jouer ». Seule cette audition intérieure libère la musicalité de l’interprète et sa faculté d’improvisation. Dans le chant conscient, l’enfant (ou l’adulte) apprend à s’écouter, à entendre ce qu’il lit avant de le chanter.

 

5 – Mémorisation, imitation spontanée, transposition.

 

Nous avons déjà insisté sur ces notions fondamentales de l’apprentissage musical. Il est à remarquer que tous ces éléments sont valables non seulement pour l’apprentissage vocal mais aussi pour l’apprentissage instrumental. La maîtrise de la transposition « à l’oreille » est une condition de la faculté d’improvisation instrumentale. Comme le disait déjà Robert Schumann dans ses « Conseils aux jeunes musiciens » : « Si, en promenant vos doigts sur le clavier, vous rencontrez de petites mélodies qui se suivent et s’enchaînent, c’est déjà un joli résultat, mais si, sans instrument, une de ces mélodies arrive seule à votre esprit, c’est encore mieux, et vous devez être cent fois plus satisfait. C’est qu’alors le sens intérieur du ton s’est éveillé en vous. Les doigts doivent exécuter ce que la tête a conçu, pas le contraire. »

 

Maurice Martenot consacre, dans ses « Principes fondamentaux », un chapitre très important à « l’analyse des divers circuits d’automatismes, de l’expression vocale instinctive au jeu instrumental ». On ne peut le résumer ici, mais il constitue une des clés pour comprendre en profondeur la « méthode Martenot ». Nous en citerons simplement la conclusion : « Dans le dernier schéma [celui qui intègre la pensée musicale à la production de la musique], le circuit logique est respecté. Dès la période exclusivement sensorielle franchie, l’élève prend l’habitude de transformer spontanément les signes de notation en « air mental ». C’est alors celui-ci qui commande l’action vocale ou instrumentale en lui transmettant tous les impondérables de l’expression de la vie à travers le son ; la musique se manifeste ».

 

6 – Le cœur de la méthode : les « exercices associés ».

 

- Les « trois temps Montessori ».

Maurice Martenot, sa femme et ses sœurs ont été profondément marqués par l’ensemble des recherches pédagogiques et pas seulement dans le domaine musical. Maurice Martenot a synthétisé et appliqué à la musique un principe essentiel qu’il a trouvé chez Maria Montessori : l’acquisition d’une nouvelle connaissance se fait toujours par trois étapes qui sont toutes indispensables à la maîtrise de cette connaissance.

 

- La première étape est la présentation : c'est-à-dire l’imitation. Il s’agit de reproduire à l’identique et le plus parfaitement possible un élément donné par le professeur, par exemple une petite mélodie ou une cellule rythmique vivante.

- La deuxième étape est la reconnaissance. En musique, c’est l’étape qui correspondra à la dictée musicale qui sera d’abord orale avant d’être écrite.

- La troisième étape est la production : c’est la faculté de trouver le son de manière autonome. C’est le « solfège ».

 

- Les « exercices associés ».

Chaque phase de l’apprentissage du « solfège » s’effectue selon les trois temps ci-dessus. La phase A correspond à l’association du geste au son. La phase B correspond à la représentation de ce mouvement sonore par un schéma des degrés. Les mouvements sonores sont symbolisés par des « neumes », nomenclature empruntée au chant grégorien pour désigner la représentation graphique du mouvement sonore. La phase C comporte les mêmes phases mais appliquées aux notes sur la portée. Le premier temps est constitué par le chant par imitation du nom des notes, le deuxième par la dictée réalisée sous sa forme traditionnelle, et le troisième par l’intonation d’après les notes lues sur la portée. Dans cette phase est également récupérée la notation et l’expression du rythme. Jamais la « pensée musicale » n’est oubliée : bien au contraire elle est au centre de la démarche.

 

7 – L’improvisation.

 

Bien que ce point soit abordé ici en dernier, il est au cœur de la méthode. Dans ses « Principes fondamentaux », avant de développer les différentes manières d’aborder l’improvisation, Maurice Martenot cite, pour appuyer son propos, Edgard Willems et Maurice Chevais. Et il termine son introduction à l’improvisation par cette remarque un peu désabusée mais, hélas, toujours d’actualité : « N’ayant pas eu le plus souvent l’occasion d’apprécier la valeur de l’improvisation au cours de leurs études, les professeurs sont enclins à considérer cette partie de l’enseignement comme secondaire. Puissent-ils nous faire confiance et oser la mettre franchement en pratique suivant nos conseils. » Cette improvisation commence par l’improvisation rythmique, qui se pratique dès les premiers cours. Mais très vite, l’improvisation mélodique doit être pratiquée même si elle n’est jamais « obligatoire » : pas d’improvisation possible dans la contrainte ou l’anxiété. L’improvisation basée sur le sentiment tonal s’exerce à travers les jeux de « question-réponse » et du « continuo rythmique ». Mais il peut être complexifié à l’infini… L’essentiel est de commencer et de montrer à l’élève que c’est possible et surtout que c’est une source de joie infinie.

 

II. La méthode Martenot de piano.

 

Sans la détailler de la même façon que la méthode de Formation Musicale, on peut en indiquer quelques grandes orientations. Comme nous l’avons dit, cette méthode est le fruit des recherches et de l’enseignement de Madeleine et de Ginette Martenot tout au long de leur vie.

 

1 – L’attention au geste pianistique.

 

Intimement liée à la relaxation active, elle s’attache dès le début des études à ce que chaque son produit par l’instrumentiste soit beau et voulu comme tel. « Par la qualité du geste, améliorer la qualité du son, du phrasé et de l’interprétation » : tel est le programme proposé par Ginette Martenot. Le premier volume de la méthode porte en sous-titre : « Développement progressif des mécanismes et des réflexes naturels, étude du phrasé et de l’harmonie du geste ». Plus profondément, « Au-delà des aptitudes musicales, auditives, visuelles, gestuelles associées à l’étude d’un instrument, au-delà, chez les élèves les plus avancés, de la connaissance des styles de jeu selon les maîtres et les époques, c’est la découverte de sa propre psychologie à laquelle l’élève accède avec un intérêt croissant ». On voit ici la cohérence de la pensée et de la pratique de Madeleine et Ginette Martenot à partir du projet fondateur, conçu au congrès de Villebon, d’être des « éducateurs par l’art ».

 

2 – La transposition spontanée.

 

On retrouve dès le premier contact de l’élève avec le piano les principes de base de la pédagogie de la formation musicale. Invité à jouer sur fa – sol – la la berceuse « Fais dodo.. .», l’élève est invité immédiatement à la transposer sur do – ré – mi et sol – la – si. Bien sûr, cela se fait à partir de la pensée musicale et non par une lecture des notes, celle-ci n’étant bien entendu pas négligée mais venant en second (mais pas de manière secondaire !).

 

3 – L’improvisation.

 

Celle-ci intervient aussi dès les tous débuts de l’enseignement. Cela se fait progressivement et permet d’aborder tous les styles. Ginette Martenot, à partir de 1950 environ, s’est consacrée dans ses concerts essentiellement à la musique contemporaine. Et l’improvisation pianistique qu’elle préconise, permet d’explorer tous les langages, qu’ils soient classiques, romantiques ou contemporains.

 

4 – L’harmonisation au clavier.

 

De même que Maurice Martenot souhaitait que les professeurs de formation musicale sachent harmoniser les différentes mélodies qu’ils font chanter à leurs élèves, afin de former l’oreille harmonique en même temps que l’oreille mélodique, Madeleine et Ginette attachent une particulière importance à ce que les pianistes soient très vite capables d’harmoniser d’oreille des mélodies d’abord simples et de plus en plus complexes. Nous n’en détaillerons pas ici la pratique qui est expliquée abondamment dans les nombreux volumes de la méthode de piano intitulée « L'Étude Vivante du Piano ».

 

III. La Relaxation.

 

On ne peut terminer cet exposé de la Méthode Martenot sans parler de cette discipline que Maurice Martenot a développée et enrichie tout au long de sa vie et qu’il a appelé la « Relaxation active » ou « Kinésophie ». Nous ne résumerons pas ici les soixante-quinze pages du livre « Se relaxer : Pourquoi ? Comment ? » que Maurice Martenot a écrit avec Christine Saïto, dans lesquelles il exprime toute la philosophie qui sous-tend les exercices proposés dans la deuxième partie du livre. Une deuxième édition a été faite par Christine Saïto, la principale disciple et collaboratrice de Maurice Martenot, en 1998, enrichie de l’expérience de l’auteur. Cette « relaxation active » permet, entre autres, de vivre l’instant présent et d’expérimenter des états de conscience qui mènent à l’épanouissement de l’être. A quoi bon parler d’accord ou de désaccord avec qui que ce soit ou quoi que ce soit, sans avoir établi le premier accord indispensable : l’accord avec soi-même. Cette connaissance de soi constitue pour Maurice Martenot la condition « sine qua non » pour être un bon pédagogue et un bon éducateur car elle seule donne la disponibilité nécessaire.

IV. La méthode Martenot aujourd’hui.

 

La méthode de Maurice Martenot a connu un grand développement en France dans les années 70-80. Le ministère de la Culture en organisa même la diffusion à travers des sessions d’information tandis que le ministère de l'Éducation nationale organisait également des sessions d’information pour les enseignants du primaire. La formation des professeurs de sa méthode fut assurée par Maurice Martenot lui-même jusqu’à sa mort accidentelle le 8 octobre 1980. Puis d’autres formateurs prirent la relève jusqu’à aujourd’hui. De nombreuses méthodes de solfège en sont directement inspirées. On notera, par exemple, les travaux de Madame Marguerite Labrousse. Marie-Alice Charritat, formatrice au Centre Martenot Kléber, a écrit et continue d’écrire de nombreux ouvrages de formation musicale allant de l’éveil musical au niveau supérieur des conservatoires.

 

Maurice Martenot avait d’ailleurs contribué juste avant sa mort à la rédaction d’un document pédagogique émanant du ministère de la Culture et destiné à l’ensemble des écoles et conservatoires de Musique. C’est à lui que l’on doit la substitution du terme « Formation Musicale » à celui de « solfège » dans notre enseignement musical actuel. Mais il ne suffit pas, hélas, de changer l’étiquette pour que le contenu soit toujours modifié…

 

Aujourd’hui, deux Centres, le Centre Martenot Kléber, à Paris, et le Centre Martenot Rennes, assurent la formation des futurs professeurs de la méthode en piano et formation musicale ainsi que des cours pour enfants et adultes. La relaxation active fait partie de la formation des professeurs, mais est également enseignée de façon indépendante par des professeurs agréés par l’Association Spirale.

 

La Fédération des Enseignements Artistiques Martenot regroupe en son sein les différentes branches : Formation Musicale, Étude vivante du piano, Relaxation, Arts Plastiques et Ondes Martenot. On peut trouver sur son site (http://federation-martenot.fr/) tous les liens nécessaires pour se mettre en contact avec les différents centres d’enseignement Martenot.

 

Daniel Blackstone*.

 

 

* Formateur Martenot, ancien directeur des écoles de Musique de Boissy-Saint- Léger et Cormeilles-en-Parisis.

 

 

 

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LA SEMAINE MOZART À SALZBURG

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Alfred Brendel, Claire Elisabeth Craig, Quatuor Minetti, Kit Amstrong, Adrian Brendel © ISM / Wolfgang Lienbacher

 

Le festival d'hiver salzbourgeois aura encore été l'occasion de mémorables moments lors de la multitude de manifestations proposées. Pour leur deuxième programmation, Matthias Schultz et Marc Minkowski avaient choisi de mettre en parallèle la musique de Mozart avec celle de ses contemporains, comme CPE Bach ou Muzio Clementi, mais aussi ses admirateurs, Schubert ou Richard Strauss. Dans le domaine de l'opéra, était monté Orfeo ed Euridice de Gluck, une innovation et une exception de taille au monopole exercé par le génie du lieu. Interprètes et formations de renom étaient au rendez vous, dans une atmosphère à la fois détendue et extrêmement concentrée, alors que la ville vit au rythme de la « Gemutlichkeit » (cordialité) autrichienne, loin du flot touristique qui l'envahit en période d'été. La Mozartwoche célèbre, bien sûr, la date anniversaire de la naissance de Mozart, le 27 janvier. Cette année, pour la 258 ème fois, un concert festif était organisé en l'honneur du pianiste Alfred Brendel, auquel devait être remis la médaille d'or Mozart, devant le Gotha des personnalités musicales locales, y compris du Festival d'été, et un parterre d'invités. L'occasion d'un bel hommage, un peu formel, à l'illustre interprète qui a tiré sa révérence du podium depuis quelques années déjà, mais qui a engrangé, comme il le relate dans un court speech, tant de souvenirs émus à Salzbourg. Pendant plus de quarante ans, au service de Mozart, et des autres, de l'école viennoise en particulier, Brendel, le musicien et l'humaniste, aura transporté son public par des interprétations enrichissantes. Clin d'œil à l'humoriste qu'est resté l'immense pianiste, Pierre-Laurent Aimard improvisera une scénette de mime fort divertissante, imitant la manière de son aîné et ami, affairé à son clavier. Une pléiade de jeunes musiciens, dont Adrian Brendel, le fils violoncelliste, le Quatuor Minetti et la soprano Claire Elisabeth Craig, égaillèrent les discours.

 

 

Orphée et Eurydice en sa version viennoise

 

Christoph Willibald GLUCK : Orfeo ed Euridice. Action théâtrale en musique en trois actes. Livret de Ranieri de'Calzabigi. Version de Vienne de 1762. Bejun Metha, Camilla Timing, Ana Quintans. Ulrich Kirsch (acteur). Les Musiciens du Louvre Grenoble et Mozarteum Orchester Salzburg, dir. Marc Minkowski. Mise en scène : Ivan Alexandre. 

 


© Matthias Baus

 

Le choix de la version viennoise, celle de la création, en 1762, s'explique, selon les responsables de la production, par la proximité autrichienne, et surtout par cette proposition, imaginée par Marc Minkowski, du rendez-vous manqué de Mozart et de Gluck : en effet, la famille Mozart arrive à Vienne, en cette année 1762, le 6 octobre, au lendemain de la Première de l'œuvre de Gluck. Que serait-il advenu si Mozart avait assisté à cette représentation et si les deux musiciens s'étaient alors rencontrés ? Pour l'avenir de la musique ? Il se justifie encore du point de vue purement dramaturgique : la version italienne offre, par rapport à celle de Paris, de 1774, un découpage plus concis, ne serait-ce qu'en l'absence de ballet. Pour le metteur en scène Ivan Alexandre, Orfeo ed Euridice est un requiem qui ne dit pas son nom. Aussi sa vision prend-elle l'allure d'une cérémonie funèbre et installe-t-elle un quatrième personnage, muet, la Mort. L'Ouverture, si festive en apparence, et différente du climat morbide qui baigne le reste de la pièce, visualise le faste d'une noce. Mais les dernières mesures en signent le brusque échec. Le couple d'Oprhée et d'Eurydice, fusionnel au point pour eux d'être enserrés dans une même gangue, se défait brusquement, et la jeune femme inanimée, vêtue d'une robe blanche en forme de linceul, sera étendue sur une table que d'aucuns jonchent de roses rouges. Deux autres couples vont rapidement prendre forme : Orphée et l'Amour, et Eurydice et la Mort. Et s'instaure une lutte d'égal à égal entre Eros et Thanatos, qui tourne, semble-t-il, à l'avantage de ce dernier, du moins jusqu'au lieto fine, dont il fallait bien s'accommoder dans ce qu'il comporte d'artificiel. Les deux personnages acquièrent un poids singulier, le second, la Mort, renforçant le premier, l'Amour. Leur combat singulier pour imposer un bonheur qu'on sait trop voué à l'échec, donne lieu à des images fortes. Comme la paire que forme Euridice avec le messager de l'au-delà, dans une attirance étonnante, celle-ci comme mue par la force de quelque aimant : ne le prend-elle pas par la main ou ne se love-t-elle en son sein ? De même, lors de la scène des Champs-Elysées, où par le truchement d'un immense velum à l'avant scène, on voit Eurydice cheminer avec Orfeo, alors que l'ombre gigantesque de la Mort plane au-dessus d'eux. Le personnage d'Eurydice perd de son habituelle innocence au profit d'une vision plus volontariste, presque vindicative, lorsque, par exemple, de retour des enfers, elle reproche à Orphée sa froideur. Disposés de part et d'autre d'une aire centrale, théâtre sur le théâtre, à la façon d'un chœur antique, les choristes auront l'occasion de se mêler à l'action. Évitant le factice de la transposition, cette lecture originale, bourrée de sous-entendus, anime ce qui dans cette trame peut paraitre statique, mais est dicté par sa brièveté.

 


© Matthias Baus

 

le contre-ténor Bejun Metha signe en Orfeo une création saisissante, dominant la représentation par l'intensité phénoménale de son chant et une présence bouleversante. Outre la beauté du timbre, on est conquis par la sincérité des accents. L'assomption de ce chanteur, hier héros haendélien à Bruxelles, ou magnifique amant dans Written on Skin de Georges Benjamin, n'en finit pas d'enthousiasmer. Les deux autres protagonistes n'en ont pas moins de classe : Camilla Timing, radieuse dans le chant et résolue dans son habit scénique, est une Eurydice superbe ; Ana Quintans, déjà remarquée à Aix, en Jonathas dans l'opéra de Charpentier David et Jonathas, propose un Amore vainqueur tant dans son jeu que par un chant assuré, superbement projeté. Dans le rôle muet, mais combien présent, de la Mort, l'acteur Ulrich Kirsch, fait passer plus d'une fois le frisson d'une terreur enveloppante. La direction de Marc Minkowski se pare de contrastes accentués : une Ouverture rapide, presque boulée, mais emplie d'une irrépressible énergie, qu'on retrouvera lors de la scène des enfers, quasi martelée ; mais aussi des tempos relaxés, d'une grande tendresse, par exemple lors des lamentos d'Orfeo. Son Orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble, auxquels se sont joints quelques solistes du Mozarteum Orchester Salzburg, déploient des sonorités envoûtantes. La pari est gagné et l'infidélité faite au génie du lieu, aisément pardonnée.

 

 

Un oratorio méconnu de CPE Bach

 

Carl Philipp Emanuel BACH : Die Auferstehung und Himmelfahrt Jesu (La Résurrection et l'Ascension de Jésus). Oratorio en deux parties. Livret de Karl Wilhelm Ramber. Miah Persson, Maximilian Schmitt, Michael Nagy. RIAS Kammerchor. Freiburger Barockorchester, dir. : René Jacobs.

 


© ISM / Wolfgang Lienbacher

 

Mozart a toujours entretenu les plus cordiales relations avec ses contemporains musiciens. Au nombre de ceux-ci, Carl Philipp Emanuel Bach, qu'il ne rencontrera pourtant jamais, à la différence de Jean-Chrétien, offrait selon lui les mérites d'un compositeur actif et fort habile, notamment dans le répertoire favori du clavier, mais aussi dans le domaine de la musique religieuse. Durant sa deuxième période créatrice, à Hambourg, après qu'il eût quitté le service de Frédéric II à Berlin, et alors qu'il occupait les fonctions de directeur de la musique des diverses églises de la ville, CPE Bach écrira quelques 20 Passions, diverses cantates et pièces religieuses destinées à commémorer des événements particuliers. Il composera aussi trois pièces d'envergure, en vue d'exécution de concert, et partant, utilisant un langage plus accessible : Les Israélites dans le désert, en 1769, la Passion-Cantate, de 1771, et Die Auferstehung und Himmelfahrt Jesu, en 1778. Ce dernier oratorio devait être publié en 1787, grâce aux soins du baron van Swieten, que Mozart côtoiera lui aussi, eu égard à l'action de l'intéressé au sein d'une fort active association, la Société des chevaliers associés, pour la promotion d'œuvres nouvelles, agissant en qualité de ce qu'on qualifierait aujourd'hui de sponsor. L'œuvre offrit aux yeux de Mozart tant d'intérêt qu'il la dirigera en 1788, à Vienne, moyennant quelques modifications, comme il le fera pour certains oratorios de Haendel. Elles restent mineures et concernent la distribution instrumentale entre vents (trompettes) et bois (flûtes et hautbois). L'œuvre n'avait pas été donnée, semble-t-il, depuis lors. C'est dire l'importance de l'exécution que livrait René Jacobs, dans une édition fraîchement mise au point par la Société des Amis de la Musique à Vienne. Dans une conférence d'introduction, le chef belge s'interroge sur le point de savoir s'il s'agit bien là d'un oratorio, à la manière de Haydn, c'est à dire « un opéra sans la scène ». Pour lui, « l'intégration de la musique et du texte est telle qu'il y a quelque chose de nouveau ». Par exemple, au niveau de la dynamique, quelque peu différente, et des grands contrastes harmoniques. Ainsi, souligne-t-il, le deuxième air de la basse comporte des modulations surprenantes, qu'on retrouve chez Mozart précisément, dans Idomeneo en particulier. L'instrumentation demeure originale, avec des airs concertants, notamment pour ce qui est de la partie de baryton-basse, soit avec le basson, soit avec deux trompettes (aria « Ouvrez les portes du ciel »). Introduites par des récitatifs, ici accompagnés par le pianoforte, les arias se développent avec des ruptures de rythme et des contrastes apportant une douceur bienfaisante à un discours par ailleurs véhément, voire haché. Chacune des deux parties s'ouvre par une sinfonia instrumentale, la première sombre, tel un chant funèbre. Le deux autres solistes vocaux sont moins sollicités, mais le ténor se voit offrir une belle aria triomphale. On y trouve encore un duo ténor-soprano. Le chœur intervient trois fois dans chacune des parties. Il se voit confier le morceau final, de proportions monumentales, illustrant l'Ascension. Bardé de trois trompettes, il se conclut en une glorieuse fugue libre. L'interprétation de René Jacobs, à la tête du Freiburger Barockorchester et du RIAS Kammerchor, est enthousiasmante d'engagement et de ferveur. Et l'on doit dresser un couronne de lauriers à la basse Michael Nagy, voix inextinguible et d'un style consommé.

 

 

La fringale créatrice de Mozart en l'année 1784

 

 


© ISM / Wolfgang Lienbacher

 

« Hottest tickets » du festival, en termes de ferveur du public et eu égard à la jauge de la salle choisie, celle du Mozarteum, les concerts de la Cappella Andrea Barca et d'András Schiff promettent toujours le meilleur. Cette fois, on a triplé la mise en programmant une suite de trois concerts différents, permettant d'entendre l'ensemble des œuvres conçues par Mozart pour le piano durant l'année 1784, et présentées dans l'ordre chronologique. Quel millésime en effet, qui donna le jour à quelque 11 compositions confiées au piano, dont pas moins de six concertos et un quintette pour piano et vents ! Mozart a 28 ans, il vit à Vienne, habite sur le Graben la maison des Trattner. Constance et lui attendent un deuxième enfant, qui naîtra le 21 septembre 1784. Il mène une importante activité de concerts, ces séries dites de souscription pour lesquelles les œuvres fraîchement composées sont immédiatement offertes au public. En octobre, il demande à être admis dans la Loge de « La Bienfaisance ». Autre fait marquant : depuis le début de l'année, il a décidé d'ouvrir un cahier où seront répertoriées ses compositions. La première à figurer dans ce « Catalogue de toutes mes œuvres » est le Concerto de piano K 449, volet initial d'une trilogie écrite en février et mars. Il est dédié à son élève Barbara Ployer, et « écrit plutôt pour un petit que pour un grand orchestre » souligne-t-il. De fait, le vents y sont réduits aux seuls hautbois et cors. Le vivace, qui l'ouvre, installe une instabilité rythmique qui perdurera tout au long de l'œuvre, parée encore d'incessantes modulations, comme à l'andantino médian. András Schiff en donne une exécution immaculée, sur le versant dramatique. Il en va de même du Concerto K 450, le 15 ème, nettement plus difficile d'exécution, au point que son auteur dira qu'il est de ceux « qui mettent en nage ». L'orchestre est plus fourni, avec basson, hautbois, flûte et cor par deux. A l'entrain de l'allegro fait suite un intense adagio et un finale enjoué, proprement irrésistible ici, proche de l'opera buffa. Enfin, le Concerto K 451, jumeau du précédent, a de la vaillance à revendre : entrée de l'orchestre en fanfare, comme du soliste, avec au développement une soudaine modulation grave de celui-ci, bien sentie par Schiff, qui joue la cadence de Mozart ; un andante dont se détache un beau dialogue entre piano et flûte ; et un rondo final doté d'une belle ritournelle, là encore traversé d'un changement d'atmosphère à la toute fin. Le fait de jouer et de diriger apporte un indéniable plus : la balance entre piano et orchestre est idéale.

 

Avec le 17 ème concerto, K 453, dans la rare tonalité, chez Mozart, de Sol majeur, on atteint la très grande forme : large introduction orchestrale ouvrant le premier mouvement, accompagnement luxuriant, mélodie mémorable du soliste dans la cadence, rentrée de l'orchestre sotto voce ; sublime ligne des bois à l'andante ; finale sur le schéma du thème et variations, et coda endiablée, pleine d'entrain communicatif. Schiff recherche la dramaturgie de la pièce et cultive l'art de la transition qui est au cœur de la musique concertante de Mozart. Le 18 ème, K 456, dédié à une Demoiselle Paradies, aveugle, offre deux vivace entourant un andante à variations. Celui-ci, d'une grande mélancolie, celle d'un drame contenu, proche de la désespérance, inspirera l'aria de Barberine des Nozze di Figaro. Le finale volubile offre avec les présents interprètes, une coulée incandescente. Enfin, le concerto K 459, achevé en décembre 1784, quelques jours seulement avant que Mozart ne soit admis en Loge, se compose de trois mouvements d'allure rapide : un allegro alla breve, d'une énergie triomphale, montrant une vraie détermination, un allegretto - que Schiff prend cependant nettement plus lent - où les trois ensembles que sont le piano, les vents, et les cordes, sont en étroite interaction, et un finale plein de panache, avec deux épisodes fugato et une cadence qui n'est pas sans évoquer, là encore, le monde des opéras de mode comique.

 


© ISM / Wolfgang Lienbacher

 

L'audace créatrice de l'année 1784 donne lieu à une pièce singulière, le Quintette K 452 pour piano et vents, hautbois, clarinette, cor et basson. Y règne une harmonie suprême, celle d'un bonheur sans faille, si ce n'est un soupçon de mélancolie, habituel chez Mozart. La science des instruments, la manière d'associer leur timbre et de les combiner à celui du piano, dans une synthèse du style concertant, tient là proprement du génie. Schiff, rejoint par quatre des solistes de son orchestre, en livre une exécution magistralement dosée, d'une belle pulsation rythmique, en particulier au larghetto où les quatre vents caracolent par paire avec le clavier, ou à eux seuls, anticipant la sérénade du II ème acte de Cosi fan tutte. La Sonate pour violon et piano K 454, que Schiff joue avec Youko Shiokawa, est proche de l'esprit du récent quintette. La Sonate pour piano K 457, en Ut mineur, dédiée à Theresa von Trattner, se signale par son extrême concision, et sa tension, avec des accents résolus, annonçant Beethoven : un allegro impérieux qui croît jusqu'à l'effervescence, un adagio d'une tendresse presque douloureuse, un finale allègre, haletant, nanti d'effets de surprise, en rafales ; ce que l'exécution de Schiff magnifie. Enfin, et unique incursion de ce parcours dans une pièce non pianistique, on donnera le Quatuor K 458, « La chasse », et quatrième des six « dédiés à Haydn ». L'exécution, par le Panocha Quartett, est mesurée, presque « old fashioned », délaissant la manière énergique qu'on associe souvent à ces pages, pour favoriser des tempos plutôt retenus, voire très lents à l'adagio, mais très pensés. Au fil de ces exécutions, András Schiff aura cultivé un statut de sage, comme naguère son aîné et mentor Sándor Végh. Le jeu est empreint de cette spontanéité qui procure un bonheur immédiat, d'une impétuosité mesurée dans les mouvements rapides, utilisant peu de pédale, d'une noblesse de ton favorisant une sonorité ronde ailleurs, à laquelle l'instrument, un Bechstein de 1921, joué naguère par le grand Wilhelm Backhaus, dépourvu de brillance, apporte une aura particulière. Son orchestre ad hoc, conduit par Erich Höbarth, par ailleurs premier violon du Quatuor Mosaïque, répond avec une rare ferveur. Des moments de musique vraie, sans esbroufe, qui recueillent l'enthousiasme du public. A juste titre.

 

 

Les Viennois en majesté

 


Joshua Bell et Paavo Järvi © ISM / Wolfgang Lienbacher

 

Les Wiener Philharmoniker sont une des formations phares de la Semaine Mozart, et se voient offrir la grande salle du Palais des festivals. Ils étaient dirigés cette année par Daniel Barenboim, Marc Minkowski et Paavo Jarvi. Celui-ci ouvrait le bal : sans doute une première rencontre entre le chef titulaire de l'Orchestre de Paris et les viennois. Une occasion réussie. Le temps d'un programme curieux pour cette occurrence, puisque réunissant Brahms, Richard Strauss et Mozart dont une symphonie ouvrait et fermait le concert. La symphonie K 319 impose immédiatement le respect par sa finesse, son esprit et la fluidité qui marque ses quatre mouvements : joyeux bavardage de l'allegro assai initial, andante contrastant deux thèmes bien taillés, menuetto alerte où les vents se distinguent, et finale opératique avec ses divers traits humoristiques. La symphonie K 385, dite « Haffner », offre pareille maestria, entamée par un allegro con spirito qui porte bien son nom, emporté, tout comme le sera le finale, presto, mené à train d'enfer, répondant à la remarque du maître qui la voulait jouée « aussi vite que possible ». On y trouve une franche réminiscence de l'aria comique d'Osmin, car L'Enlèvement au sérail n'est pas loin. Ce trait satirique faisant référence au personnage de l'archevêque Colloredo avec lequel Mozart semble, en musique, régler des comptes. On mesure la faculté avec laquelle les orchestres actuels peuvent s'adapter aux tempos incroyablement rapides imposés par les chefs. Au milieu de cela, l'andante offre l'apaisement, avec des nuances exquises, et le menuet, quoique un peu carré, créé un contraste intéressant dans sa démarche d'un pas mesuré, mais affirmé, que le trio illumine d'un trait plus joyeux. Le partenariat entre chef et musiciens fonctionne parfaitement, à en juger par les sourires ravis de ces derniers aux saluts, un indice qui ne trompe pas. Les Métamorphoses pour 23  instruments à cordes de Richard Strauss, dont la Mozartwoche tenait à saluer l'anniversaire en cette année 2014, offrent autant de bonheur plastique. Parmi les derniers feux livrés par un compositeur accablé de douleur devant la chute d'un monde, à l'image de la récente destruction de l'Opéra de Vienne, en mars 1945, cette pièce, dédiée à Paul Sacher, évoque la tristesse. La thématique en est traitée savamment avec toute la sûreté d'un maitre de l'harmonie et du contrepoint, évoquant le thème de la marche funèbre de l'Héroïque de Beethoven dans sa partie conclusive. Les glorieuses cordes des viennois, Rainer Küchl, leur premier violon, en tête, s'en font une fête. Le concerto pour violon op. 77 de Brahms paraît, en pareille compagnie, dicté par le souci de programmer un soliste de renom. Qu'importe, car Joshua Bell est de la trempe des grands. Son interprétation de ce célèbre morceau est frappée au coin de l'intelligence et de la plus pure musicalité, comme le conforte la cadence, de son cru, ornant le premier mouvement, très large, et l'habileté à faire sien le style hongrois de la pièce. Comme sa virtuosité, mais dépourvue d'ostentation. La complicité avec le chef est totale, et l'orchestre répond glorieusement, en particulier dans le concertino des bois qui ouvre l'adagio.

 

 

Un éclectique concert des Musiciens du Louvre

 


© ISM / Wolfgang Lienbacher

 

En parallèle aux représentations de Orfeo ed Euridice, Marc Minkowski avait conçu un programme de concert rapprochant Mozart et Gluck, avec pour vedettes le ténor Rolando Villazón et la soprano Sonya Yoncheva. Las, cette dernière annula sa participation, et, encore une fois, cultiva son statut d'arlésienne... La soirée, qui tenait un peu du pot-pourri, réserva quelques bonnes surprises. A commencer par ces extraits d'Armide de Gluck, empruntés à la fin du V ème acte, chantés par le ténor Julien Behr, parfait styliste, et la jeune Chiara Skerath, qui avait en 2013, participé au Jung Singers Project du festival d'été : son soprano solaire, son beau tempérament de tragédienne lui permettent de triompher des difficultés redoutables de la scène finale « Renaud, Ciel ! Ô mortelle peine ». On aura confirmation de son talent, plus avant dans la soirée, avec l'aria de Suzanne du IV ème acte des Nozze di Figaro, dit « des marronniers », distillé avec une vraie sincérité. De Gluck encore, Rolando Villazón, donna l'air de Pylade d'Iphigénie en Tauride, « Unis dès la plus tendre enfance », avec maestria, rappelant combien il est chez lui dans le répertoire français. Le ballet « des ombres heureuses », d'Orphée et Eurydice, version parisienne d'Orfeo ed Euridice, offre une lecture presque hypnotique et démontre les éminentes qualités des Musiciens du Louvre, et au premier chef, de la flûte, magique, de Florian Cousin ; tandis que la « danse des furies » est un parangon de vivacité effrénée. Les pièces consacrées à Mozart proposaient une délicieuse Ouverture de Il Re pastore, pris à un tempo prestissime, bousculé, comme aime à le faire Minkowski, puis le premier entracte tiré de la musique de scène de Thamos en Egypte, où l'on perçoit une curieuse anticipation des harmonies d'Idomeneo. L'interprétation par Rolando Villazón de l'aria « Il mio tesoro » de Don Giovanni, pris à une vitesse effrayante, est sans doute dictée par l'idée d'en découdre avec les exigences stylistiques mozartiennes. L'air K 431, « Misero! Sogno! », est pour lui plus inconfortable, et la question se pose de l'intonation, comme il en est de ses interprétations des airs de concert livrés récemment au disque (cf. infra CDS & DVDS). Enfin, la symphonie K 201 reçoit une exécution immaculée et d'une grande élégance instrumentale. Cette pièce, qui date de 1774 est, il est vrai, de nature à charmer les sens : ses premières pages poétiques, sa profusion de thèmes, le caractère chantant de l'andante, empli de sérénité, son court menuet saccadé et capricieux, son finale allègre. Avec cette interprétation combien attentionnée et si libre, Minkowski justifie son statut de maître des lieux !

 

Jean-Pierre Robert.

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

Haut

 

Il était une fois l'Amérique ou les 20 ans de la Folle journée

 


© Marc Roger

 

La grande manifestation nantaise, que d'aucuns ont qualifié de « Woodstock de la musique classique », a donc atteint ses vingt printemps ! Sans effort, frappé désormais au coin du gigantisme, pour le plus grand bonheur de tous, interprètes et  public. La présente édition aura battu tous les records, avec un taux de remplissage de quelque 97 %, et plus de 144.800 billets vendus, pour près de 300 concerts. Dans la bonne humeur, le plaisir partagé, et un « brassage généreux et énergisant », souligne Anne Queffélec, qui fut de la première heure et se souvient avoir découvert « une nouvelle manière, festive et partagée, d'aller vers la musique ». Certes, les thématiques se sont, au fil des ans, faites de plus en plus globales, sans doute pour attirer un public encore plus nombreux, et la jeune génération. Peut-être pas autant qu'on le croit. Mais on vient à la Cité des congrès souvent en famille et on croise beaucoup de jeunes, autant parmi les interprètes que chez ceux qui les écoutent. Le thème de cette année charnière était « Un siècle de musique américaine », sous la bannière « Des canyons aux étoiles », titre de l'œuvre fameuse qu'Olivier Messiaen composa, de 1971 à 1974, pour le bicentenaire de la fondation des États-Unis. Elle sera d'ailleurs donnée à Nantes à guichets fermés, deux soirs de suite, dans un silence religieux qui s'explique sans doute plus par l'effet de surprise, voire le respect devant l'inconnu, que par l'adhésion. Malgré l'acoustique mate de la salle 800, baptisée Fitzgerald pour l'occasion, laquelle ne favorisait pas les résonances voulues par l'auteur, l'exécution sera mémorable. On n'avait pas lésiné sur les moyens : l'Orchestre Poitou-Charentes sous la direction de Jean-François Heisser, Takénori Némoto, cor solo, et Jean-Frédéric Neuburger assurant la partie de piano. Œuvre de contemplation, des terres rouges du canyon de l'Utah, où Messiean puisa son inspiration, et de louange des bienfaits dispensés par le Créateur ; œuvre de son et de couleur, notamment à travers une utilisation savante des percussions dont le tamis et la machine à vent, du cor solo et du clavier. L'idée originale de cette édition 2014 était de confronter la musique américaine stricto sensu à celle des musiciens européens ayant puisé leur inspiration dans ces terres nouvelles, car on peut parler d'interaction dans un mouvement qui fut loin d'être à sens unique. 

 


Voces8 © Marc Roger

 

Au titre de la partie spécifiquement américaine, on a pu entendre, entre autres, au piano, des pièces de Georges Gershwin, jouées avec aplomb par Frank Braley : un florilège de Songs, hommage au fabuleux improvisateur, de même qu'une vertigineuse exécution au seul clavier de la Rhapsody in Blue, et les Trois Préludes. Ces derniers étaient encore donnés, dans un arrangement pour deux pianos, par Claire Désert et Emmanuel Strosser, qui jouèrent aussi Hallelujah junction de John Adams (*1947), avec cette manière répétitive et le rythme obsédant qui caractérisent le compositeur. Ils avaient débuté leur concert avec Clapping music de Steve Reich, où les deux pianistes se contentent de battre des mains une même cellule rythmique, peu à peu déphasée. La Sonate pour violoncelle et piano op. 6 de Samuel Barber, entendue par le tandem Berezovsky-Demarquette, de même que par la paire Gastinel-Désert, offre une vision très chantante, notamment dans l'adagio médian, entrecoupé de courses-poursuites fantasques. L'allegro appassionato final sera plus endiablé chez ces dames que chez les messieurs. Ces derniers donnaient aussi la Sonate de Eliott Carter, de 1848, où s'affranchissant de la tonalité, le musicien complexifie son écriture, du point de vue rythmique en particulier. Le Trio pour piano, violon et violoncelle, Vitebsk, de Aaron Copland, d'un seul tenant, offre un original vagabondage mené par le piano et une péroraison sereine. Il était joué par le Trio Wanderer dont les trois musiciens montrent combien ils savent se remettre en question. Leur exécution du Trio de Leonard Bernstein est pareillement frappée au coin de l'humour. Côté orchestre, on ne pouvait manquer l'Adagio de Samuel Barber et son puissant lyrisme. L'Orchestre de Picardie, dirigé par Arie van Beek, donnait aussi Appalachian Spring de Aaron Copland, pour treize instruments dont un piano solo : ce ballet, créé en 1944, sur une chorégraphie de Martha Graham, est l'illustration de la ruralité aux USA, leurs grands espaces et leur folklore cow-boy. Et enfin The Unanswered Question de Charles Ives (1908), curieux morceau qui fait appel à trois ensembles, les cordes, une trompette et quatre flûtes, dans une dramaturgie originale : question posée, à sept reprises par le trompettiste, sans réponse des bois, avec un effet spatial saisissant. On aurait pu entendre encore le quatuor Different Trains de Reich ou celui de Barber par les Diotima, un florilège de pièces pour piano réunies sous le thème de la mythique Road 66, par Shani Diluka, ou la Sonate Concord de Ives par Matan Porat, ou encore le Ballet mécanique de Georges Antheil, sans oublier des musiques de Barber shop par le Crossroad Quartet. On préféra aller écouter Barbara Hendricks conter le Blues à sa façon, nostalgique et vibrante, entourée de quatre compères géniaux, et se délecter de quelques Negro spirituals par l'étonnant ensemble Voces8, dont la douceur de l'émission jusque dans l'infini pianissimo est un objet d'admiration.

 


Emmanuel Strosser & Claire Désert : Clapping music ©Marc Roger

 

Parmi la pléiade de musiciens européens qui, à un moment ou un autre, puisèrent leur inspiration dans une Amérique attirante, Ernest Bloch occupe une place singulière, car il y séjourna à deux reprises, de 1916 à 1930, puis à compter de 1940. Il avait acquis la nationalité  américaine en 1924. From jewish Life est une composition pour piano et violoncelle, un instrument fort prisé par le musicien, ici tenu par Henri Demarquette, Boris Berezovsky l'accompagnant  au piano. Les Trois Nocturnes, pour trio avec piano, interprétés par le Trio Wanderer, sont une œuvre attachante dans sa diversité rythmique et son foisonnement mélodique. On l'a entendu aussi par le jeune Trio Les Esprits, sous la houlette du pianiste Adam Laloum et avec le superbe celliste Victor Julien-Laferrière, témoin de la vitalité de l'école française de l'instrument. Ceux-ci joueront aussi, avec une belle complicité, la Suite italienne pour violoncelle et piano, d'après Pulcinella d'Igor Stravinsky, qui lui aussi émigra aux États-Unis et y séjournera jusqu'à sa mort. On a encore entendu, par Frank Braley, la Piano Rag Music, proche du piano mécanique, et où l'auteur du Sacre du printemps est proche d'une vision cubiste. De cet autre exilé outre-atlantique, dans les années 1940/1950, Bohuslav Martinu, la Sonate pour violoncelle et piano N° 2 (1942) offre un paysage moins ésotérique que le première sonate, pas moins exigeante pour chacun des deux partenaires, occupés à un passionnant dialogue dans les mouvements extrêmes et emportés par une réelle élévation au largo central. Là encore, on est subjugué par le jeu éblouissant de Mmes Gastinel et Désert. Un tel panorama ne pouvait pas ne pas s'attarder sur quelques pièces emblématiques d'Anton Dvořák. Délaissant l'inusable Symphonie « du Nouveau monde », et le non moins célèbre Concerto pour violoncelle, on a goûté plutôt, sous les archets avisés et connaisseurs du Quatuor Prazák, le Quatuor op 96 dit « Américain ». L'art de la modulation est y porté à son summum. Une autre interprétation, due aux Modigliani, laissera dubitatif, car à force de favoriser des tempos très lents, l'approche en perdait toute spontanéité. Le Quintette à cordes op. 97, pour deux altos, où les quatre tchèques sont rejoints par Gérard Caussé, appartient à la même veine américaine du compositeur. Il frémissait du vrai bonheur de jouer ensemble. Virage à 180 degré, l'édition 2015 sera consacrée à la musique baroque !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Cecilia Bartoli nous offre Alcina

 

Georg Friedrich HAENDEL : Alcina. Dramma per musica en trois actes. Livret anonyme d'après Antonio Fanzaglia et l'opéra l'Isola di Alcina de Riccardo Broschi. Cecilia Bartoli, Malena Ernman, Julie Fuchs, Vardhui Abrahamyan, Fabio Trümpy, Erik Anstine, Silvia Fenz (actrice ). Orchestra La Scintilla Zürich, dir. Giovanni Antonini. Mise en scène : Christoph Loy.

 


© Monika Rittershaus

 

Alcina est avec Orlando et Ariodante le troisième opera seria que Haendel emprunte au « Roland furieux » de l'Arioste. Son héroïne s'inspire du mythe de Circé, l'enchanteresse conçue par Homère. La passion amoureuse de celle-ci est le centre d'un enchevêtrement de querelles passionnées, chassés-croisés entre caractères hauts en couleurs. A l'exemple de Ruggiero, hésitant à se livrer à Alcina, la femme fatale, ou à Bradamante, la femme guerrière. L'exubérance n'est ici pas le seul monopole du chant, mais frappe les comportements. La nouvelle production de l'Opernhaus de Zürich offrait à Cecilia Bartoli sa première Alcina. Après Semele, sur cette même scène, ou encore Cleopatra (Giulio Cesare), au Festival de Salzbourg, la grande cantatrice dessine un portrait de haute tenue de l'héroïne handélienne. Au fil des six arias, triomphe du modèle da capo, et chacun en traçant une facette différente du caractère, Cecilia Bartoli découvre une personnalité complexe, aux humeurs changeantes, sûre de sa beauté, de son pouvoir sensuel, mais aussi écrasée par la passion : la vaine séduction virera au désespoir amoureux, le badinage laissera place au courroux chez un personnage hors norme, même chez Haendel. La vocalité est souveraine, parée d'un légendaire legato, mis en exergue dans des tempos très lents, au fil de ces longues notes tenues dont elle a le secret. L'art de varier la ligne de chant dans le da capo est pareillement admirable. Elle est magnifiquement entourée. Julie Fuchs, récente lauréate des Victoires de la musique, et désormais attachée à la troupe de l'Opernhaus de Zürich, montre un talent déjà confirmé pour le vocabulaire baroque. Sa Morgana ne manque ni d'allure ni de punch, encore moins de zest vocal, et on admire le naturel avec lequel elle distille récitatifs et arias. Vardhui Abrahamyan est un Bradamante de poids, cette femme intrépide qui pour parvenir à ses fins, n'hésite pas à endosser le costume masculin. La chanteuse arménienne est parfaitement en phase avec ce répertoire qui lui valut déjà le succès, il y a peu, à l'Opéra Garnier, dans la Cornelia de Jules César. Seule, Malena Ernman, Ruggiero, déçoit quelque peu, malgré un physique idéal pour jouer les travestis et ce rôle de jeune premier ensorcelé par l'amour quasi obsessionnel d'Alcina, mais hésitant à lui donner sa flamme. La voix de mezzo-soprano, large pourtant, n'est pas toujours assurée, notamment pour affronter les appogiatures dont Haendel truffe le rôle, créé pour le castrat Carestini. Avec Giovanni Antonini, déjà responsable du Giulio Cesare salzbourgeois (cf. NL de 10/2012), on est assuré d'une direction animée. Et favorisant de larges contrastes : des prestos pas de tout repos, aux arêtes sèches, mais aussi des tempos modérés expressifs d'une extrême lenteur, avec des pppp évanescents. L'intensité du discours laisse à l'Orchestra La Scintilla loisir de déployer des couleurs chatoyantes, notamment au fil des arias concertantes, perles de la partition, proposant des solos du violoncelle, du violon, ou encore de la flûte à bec, dont le chef assure la partie, revenant à son premier métier.

 


© Monika Rittershaus

 

La mise en scène de Christoph Loy, selon sa méthode favorite, décale l'histoire. Elle tourne le dos au merveilleux et aux effets de magie inhérents au sujet. L'opéra est réinterprété à travers le prisme du théâtre baroque et de sa grande illusion. Foin d'île magique ou de jardin enchanté, repaire de la magicienne Alcina, qui transforme les hommes l'approchant en rochers, arbres ou animaux, au gré de sa fantaisie amoureuse inassouvie. Mais les joutes agitant les protagonistes d'un théâtre bien réel, sur sa scène, ses coulisses et ses dessous, voire ses loges. Point de spectaculaire côté machinerie, mais l'envers du décor en quelque sorte, pour explorer les personnages à nu, partagés entre leur rôle dans l'intrigue (ils portent alors leur costume de scène) et leur état d'hommes et de femmes vivant leur passion amoureuse dans le réel de la vie, au-delà de la métaphore qu'est le théâtre, avec tout ce que cela implique de vulnérabilité. La frontière entre réalité et illusion est mince, et le passage de l'un à l'autre plan, sans solution de continuité, réserve bien des surprises. L'intrigue se vit comme un retour en arrière, car peu à peu les individus se défont de leur personnage, pour redevenir eux-mêmes, mais aussi telle une fuite en avant, alors qu'ils se replient dans les dessous du théâtre (au Ier acte) parmi les accessoires et cabestans de la machinerie, ou dans les loges (au II), enfin derrière le décor, au dernier acte. L'illusion est maintenue à travers quelques touches discrètes, un costume accroché au mur, des figurants lassés de tant de vraies-fausse turpitudes, et surtout la présence permanente, pour ne pas dire assidue, du personnage muet de l'Amour (créé pour la ballerine Marie Sallé), qui émergeant d'une vieille malle, assiste impuissant ou désabusé aux marivaudages alentours. Il préfèrera finalement s'en retourner dans son abri accueillant, dégoûté et déconcerté devant tant de valses hésitations, alors qu'ultime concession à la métaphore théâtrale, le grand lustre doré de l'opéra chute des cintres dans un grand fracas... Au demeurant, cette figure de Cupidon n'est pas vraiment jeune et pimpante comme souvent, mais plutôt sur le retour. Au point de figurer, dans une métamorphose saisissante, le miroir vieillissant de l'héroïne, au II ème acte, lorsqu'Alcina prend conscience que son pouvoir séducteur lui échappe et est confrontée à la vanité des ans. Les excès dramaturgiques restent rares, ainsi le dernier air de Ruggiero, avec trompettes obligées, le conduira, lui et ses comparses, à la plus extravagante démonstration dansée, avec pompes gymniques et galipettes désordonnées. La lecture, simple en apparence, n'est pas toujours aisée à suivre et à décrypter par rapport aux didascalies du livret. Mais cela fonctionne plutôt bien et reste toujours agréable à l'œil, recréant l'illusion de la richesse baroque et de ses fantasques effets. Une illusion en remplace une autre, comme bien souvent.

 

Jean-Pierre Robert.

 

La Fanciulla del West investit enfin l'Opéra de Paris

 

Giacomo PUCCINI : La Fanciulla del West. Opéra en trois actes. Livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini, d'après la pièce de David Belasco The Girl of the Golden West. Nina Stemme, Claudio Sgura, Marco Berti, Roman Sadnik, Andrea Mastroni, André Heyboer, Emanuele Giannino, Roberto Accurso, Igor Gnidii, Éric Huchet, Rodolphe Briand, Enrico Marabelli, Wenwei Zhang, Hugo Rabec, Anna Pennisi, Alexandre Duhamel, Matteo Peirone, Olivier Berg, Daejin Bang. Orchestre et Chœur de l'Opéra national de Paris, dir.: Carlo Rizzi. Mise en scène  : Nikolaus Lehnhoff.

 


© Charles Duprat

 

Créé en 1910, au MET de New York, avec Emmy Destinn et Enrico Caruso, sous la direction d'Arturo Toscanini, La Fille du Far West entre enfin au répertoire de l'Opéra de Paris. Septième drame lyrique de Puccini, après Madama Butterflyet avant La Rondine, cet « opéra américain » occupe une place à part dans sa production. Non pas tant quant à la trame dramatique qui n'offre rien de mémorable, que par son contenu musical, marquant l'aube d'une nouvelle manière chez l'auteur de Tosca. Séduit par le sujet, le Far-West des camps de mineurs, chercheurs d'or dans les années 1850, et le destin d'une jeune aventurière, Minnie, la tenancière du Polka-Bar, Puccini installe un étonnant exotisme musical. Quoique  très différent de celui de Madama Butterfly, car est réinventé un folklore local, truffé d'airs empruntés ou de ballades californiennes. A travers un vaste orchestre, Puccini  instaure une texture instrumentale originale. Le langage harmonique est audacieux, jusqu'à la dissonance non résolue, préfigurant celui de Turandot. Un usage habile de motifs récurrents, sorte de leitmotivs, introduit une cohérence, qu'on ne saisit pas forcément à la première écoute. Et que d'aucuns ont refusé de voir, tel Stravinsky qualifiant l'opéra de « western oriental ». La luxuriance orchestrale frappe par sa modernité, avec  force rythmes syncopés, ce qui n'exclut pas un lyrisme diffus. La trame est celle du triangle amoureux, le shérif, Jack Rance, et le bandit, Dick Johnson, courtisant la belle Minnie, la tenancière du bar du camp, qui fait office de mère de substitution pour les mineurs, et leur enseigne le pardon en leur lisant la Bible. Si les caractères sont frustes et dépourvus de psychologie profonde, les situations donnent lieu cependant à des scènes à fort potentiel dramatique. Ainsi en est-il d'une chasse à l'homme, suivie d'une partie de poker au cours de laquelle Minnie offre sa vie et celle de son amant, et la triche aidant, sauve ce dernier. Ou encore d'une fin tout sauf tragique, sur le thème de la rédemption par l'amour, idée jusque là étrangère au vocabulaire dramatique de Puccini : l'arrivée de Minnie, deus ex machina, sauvant son amant de la potence. La production de l'Opéra Bastille, reprise de celle créée au Nerdelandse Opera d'Amsterdam en 2009, fuit le cliché d'une lecture au premier degré, comme naguère la production du Royal Opera de Londres, pourtant à l'origine d'une version discographique de référence de l'œuvre, parue chez DG. Nikolaus Lehnhoff et son équipe transposent l'action dans l'Amérique prospère et clinquante des années 1950. Cela va de l'excitation de Wall street, durant la brève Ouverture, à un saloon à Manhattan, fréquenté par des individus louches à lunettes noires et maniant avec dextérité le pistolet. Ou de l'imagerie à la Walt Disney, pour ce qui est de la cabane de Minnie, transformée en luxueuse roulotte, à l'intérieur capitonné de rose bonbon, sur fond d'aurore boréale et de blizzard menaçant, à ce formidable cimetière de voitures, grandeur nature, du III ème acte, qui sera le théâtre de la vraie-fausse exécution du bandit, avant qu'on assiste au happy end, le retour triomphal de Minnie, en star holywoodienne : la belle s'en ira filer le parfait amour avec son bel amant, tandis que rugit le lion de la Metro-Goldwyn-Mayer et que pleuvent les dollars. Ces visions ne manquent pas d'allure et loin d'affadir le propos, lui confèrent une épaisseur certaine ; même s'il n'est pas toujours aisé de maintenir la tension, au long du premier acte en particulier, et de conserver le sérieux des spectateurs, ébahis par une telle débauche d'images choc.

 


© Charles Duprat

 

A cette vision audacieuse, téméraire de par le décalage qu'elle entretient avec le premier degré du texte, fait écho une interprétation musicale d'éminente qualité. Puccini exige beaucoup de ses chanteurs, sollicités à la démesure à des fins dramatiques. Le vérisme n'est pas loin, mais il reste contenu par la justesse du trait et l'évitement de toute vulgarité. La distribution ne souffre aucune faiblesse. Elle repose sur trois piliers solides. Nina Stemme triomphe de la vaillance du rôle titre et de la dualité d'un personnage de jeune femme simple et pourtant aguerrie au contact de cet univers d'hommes frustes. Son parcours de soprano dramatique, forgé à l'aune des parties wagnériennes tendues, lui donne la clef de cette cousine vocale de Brunnhilde, tout comme le fit naguère sa compatriote Birgit Nilsson. L'agilité est au rendez vous, la ligne assurée et, bien sûr, la quinte aiguë terrifiante dans sa projection, annonciatrice de la vocalité tendue à l'extrême de la princesse Turandot. Marco Berti, s'il n'a pas la distinction vocale d'un Placido Domingo de la grande époque, n'en est pas moins un Dick Johnson de stature : registre aigu brillant et nuances indéniables pour un personnage plus tourné ver l'amant malheureux que mû par les affres d'un destin de bandit douteux. Le Jack Rance de Claudio Sgura, qui a à voir avec un certain Scarpia, arbore une morgue sans excès caricatural, une férocité d'esprit de conquête, qui sait s'effacer devant la défaite. Et une jeunesse rendant crédible cette passion envers la tenancière. L'aisance vocale frappe tout autant. Ils sont entourés par une foule de comprimarii, incarnant les mineurs du camps, aux caractères fort différents, certains l'instant de quelques brèves répliques, quoique unis ici dans une même vindicte belliqueuse. Le chœur, qui occupe une place essentielle, celle de la masse des mineurs, et se voit assumer une partie musicale importante comme bientôt dans Turandot, fait merveille. La direction de Carlo Rizzi est d'abord extrêmement attentive aux chanteurs, alors que la ligne de chant se meut de manière souvent parallèle à la trame orchestrale. Elle instaure cette atmosphère qui caractérise l'œuvre, avec ses brusques accès d'excitation fébrile ou ses moments de langueur, proche d'un lyrisme diaphane, alliance de force et de raffinement. La somptuosité de la palette sonore est à souligner. A cette aune, l'Orchestre de l'Opéra de Paris découvre des sonorités étincelantes.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Accord parfait !

 


Gautier Capuçon & Frank Braley © DR

 

Le récital de Gautier Capuçon et Frank Braley avait attiré foule salle Pleyel. A juste titre ! Car le tandem a réservé à son public des moments de pur bonheur au fil d'un programme éclectique et compréhensif, de Beethoven à Debussy, de Schubert à Britten. La première Sonate pour violoncelle et piano, op. 5 n° 1 de Beethoven, « avec un violoncelle obligé » dit le manuscrit, écrite pour le célèbre Jean-Pierre  Duport, est dédiée à Frédéric-Guillaume II de Prusse. S'il laisse au piano le soin de  mener le discours, en une manière coulante et fluide, le morceau réserve au cello des traits d'une rare subtilité, plus que purement ornementale. Les deux instrumentistes en livrent une fine lecture. La tension monte d'un cran avec la Sonate pour arpeggione et piano de Schubert. Cette pièce, créée pour cet instrument original, hybride de la guitare et du violoncelle, sera vite adaptée pour ce dernier dont il constitue un des morceaux emblématiques. Tout Schubert est là, la fraîcheur mélodique, qui sait se nimber d'une mélancolie abyssale, à la fin de l'allegro moderato initial, sublimée ici par les deux interprètes, l'épanchement en une sorte de lied ou de romance sans paroles à l'heure de l'adagio, légèreté et esprit en un finale alternant refrain et couplets, qui conduisent à une délicieuse péroraison. Avec la brève Sonate N° 1 de Debussy, l'atmosphère change, mais pas la qualité artistique, qui se pare d'autres vertus. Le rôle assigné au violoncelle y est plus central, au point de valoir aux futurs interprètes cet avertissement de l'auteur : « Que le pianiste n'oublie jamais qu'il ne faut pas lutter contre le violoncelle, mais l'accompagner ». Frank Braley saura faire sienne cette recommandation et laisser à son collègue Capuçon tout loisir de briller dans cette pièce joyeusement fantasque, d'une modernité qui distingue la dernière veine créatrice de Debussy. Dans la « Sérénade » centrale, en particulier, avec ses pizzicatos rageurs, et au finale étourdissant, d'une extravagance inouïe. La Sonate op. 65 de Benjamin Britten (1961) clôturait le récital. Formidable challenge que cette pièce, conçue pour l'ami Rostropovitch et destinée à en célébrer les talents hors normes. Une sorte de portrait vivant de l'interprète à travers son instrument, marqué par l'exubérance et une certaine théâtralité. Elle se caractérise par une construction en arche, au fil de cinq mouvements, l'« elegia » centrale en étant le point névralgique. Celle-ci scelle enfin une entente entre les deux partenaires, jusqu'alors en lutte de territoire  au « Dialogo » initial et au « Scherzo », puis après de nouveau en rivalité dans la « Marcia » et au « Moto perpetuo ». On n'y compte pas les traits techniquement diaboliques (pizzicatos des deux mains, jeu sul ponticello, glissandos vertigineux, comme des sifflements, saltando du cello, etc...). Gautier Capuçon en livre une exécution étourdissante d'assurance et Frank Braley ne le cède en rien en fougue pianistique, d'une infernale morgue. La soirée se prolongera plus calmement, par la Sérénade de Schubert, d'une pellucide mélancolie, et, un brin virtuose, avec les Variations sur une seule note de Rossini/Paganini, morceau d'abattage.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Fin de cycle exaltant

 

Valery Gergiev et l'Orchestre du Théâtre Mariinsky concluaient, à la salle Pleyel, leur cycle des symphonies et concertos de Chostakovitch, entamé il y a un an. On a déjà dit ici tout le bien qu'on pensait de ces lectures engagées qui plus que la brillance, visent le fond des choses. On ajoutera que ces derniers concerts, comme les précédents, auront révélé la souveraine entente entre un chef charismatique, et pas seulement du côté du public, et une phalange que la patine sonore, le sens de l'ensemble et la cohésion placent bien près de ses illustres collègues européens. Réunissant beaucoup de jeunes musiciens, hommes et femmes, il y règne, semble-t-il, une discipline de fer, et on les sent prêts à épouser la moindre exigence du maestro et « patron ». Bien sûr, chacun ressent cette musique de l'intérieur, et Gergiev, à ce stade de sa prestigieuse carrière, l'aborde dans sa quintessence comme à travers son message profond. Le public ne s'y trompe pas qui, malgré les aspérités de la démarche, suit sans sourciller - les salles sont pleines - et adhère dans un enthousiasme sincère.

 


DR

 

Cette ultime série présentait les deux concertos pour violon. Le premier, op 77, achevé en 1948, à l'intention de David Oïstrakh, dut attendre sept ans avant d'être révélé au public, à Leningrad, en octobre 1955, avec le dédicataire et sous la direction de Mavrinski. Ceci après que la partition eût été créée aux USA, à Carnegie Hall, par le grand violoniste et Mitropoulos. L'accueil, enthousiaste outre-atlantique, fut plus mesuré en Europe, au point qu' Oïstrakh se fendit d'un article pour en vanter les mérites. De proportions inhabituellement longues, la pièce comporte quatre mouvements portant chacun un nom. Le « Nocturne » s'ouvre par une pédale sombre de l'orchestre sur laquelle le soliste inscrit une mélodie se développant dans le registre grave, avant de s'élever vers des cimes plus aériennes. Mais le ton restera résolument chambriste. Le « Scherzo », qui s'aventure dans le domaine de l'étrange, voire du grotesque, exige beaucoup du soliste, au fil notamment d'un fugato complexe. La « Passacaille », qui marquait chez Chostakovitch le retour à Bach et à sa rigueur contrapuntique, se solde par une longue cadence. Le finale, « Burlesque », qui s'enchaîne attaca, s'avère hyper virtuose. Mené à train d'enfer par Gergiev, il permet au soliste de briller par des effets proprement ébouriffants. Le mouvement sera bissé devant l'enthousiasme général. Il faut dire que Vadim Repin est plus que valeureux, même s'il manque ici un supplément d'âme. On avait autrement ressenti cette dimension chez sa collègue Alena Baeva, l'avant-veille, dans la Second concerto, op. 129. Cette pièce, plus sage dans sa forme tripartite, et moins extravagante dans le traitement réservé au soliste, date de 1967 et sera encore créée, mais à Moscou cette fois, par Oïstrakh, et Kyrill Kondrachine. A peine moins long que son prédécesseur, le ton général y est plus resserré, voire dépouillé, presque austère dans le premier mouvement, marqué Moderato, recueilli au deuxième, un adagio grave qui réserve au soliste une ligne sobre et sinueuse, et un court mais sensible dialogue avec la flûte solo, outre un émouvant solo de cor. La dernière partie est plus dynamique, emplie de traits sarcastiques. Il se distingue par sa longue cadence, écrite par Oïstrakh. La lecture de la violoniste kasakh est de haute volée.

 


Alena Baeva © DR

 

La Septième symphonie, op. 60, dite « Leningrad », est liée au siège de la ville, en 1941, et appartient aux symphonies de guerre. On a dit que son langage était simplifié à l'extrême, par rapport aux symphonies précédentes, pour la rendre accessible ; ce qui ne signifie pas qu'elle soit d'un abord toujours aisé. Sa démesure ne dispense pas de quelques longueurs. Qu'importe, elle a valu à son auteur une reconnaissance universelle et durable. Gergiev imprime à ce formidable monument, une aura de grandeur ; auquel il fera atteindre près d'une heure vingt ! Parmi les traits marquants de cette exécution, on retiendra, au premier mouvement, le formidable crescendo conçu sur le modèle répétitif entêtant du Boléro de Ravel : les roulements de tambour sur les pizzicatos des violons, débutant dans l'infiniment ténu, s'enflent progressivement, au fil de douze reprises du thème, jusqu'à un embrasement terrifiant qui tient de l'explosion ; comme la longue méditation de l'adagio, censée évoquer Leningrad avant le siège, et son choral des bois dans un discours rien moins qu'insolite ; ou encore les digressions impressionnantes du finale épique qui conduisent la symphonie à une fin plus optimiste que prévue eu égard au message implicite. Qui mieux que Gergiev sait habiter ces immenses développements, où les climats opposés se télescopent pour s'inscrire pourtant dans une absolue logique, succession de phases rugueuses et agressives, de pure frénésie sonore, ou de plages de répit et de félicité, presque de tendresse. Qui mieux que lui peut faire sonner ces instruments chers au compositeur, le mélodieux basson, la petite flûte piccolo stridente, le cor envoûtant, et les percussions dévastatrices en batterie ? Une exécution qui, outre qu'elle laisse pantois devant sa perfection instrumentale, vous secoue sérieusement. 

 


Vadim Repin © DR

 

Cette série se refermait sur la 11 ème Symphonie, « L'année 1905 ». Créée en 1957, elle occupe une place particulière dans la production de l'auteur et dans l'univers symphonique du XX ème siècle. D'un seul tenant, et d'un peu plus d'une heure de musique, ce qui est fort exigeant pour les interprètes et les auditeurs, l'œuvre déploie un propos programmatique : un vaste poème symphonique célébrant les horreurs de la Révolution de 1905, une période de l'histoire russe dont Chostakovitch se sentait proche. Mais elle évoque tout autant le souvenir des convulsions qui agitent tous les pays, et singulièrement les événements de Budapest de 1956. Chostakovitch y introduit nombre de thèmes inspirés de chants révolutionnaires, ce qui explique l'accueil favorable qui fut réservé à l'œuvre en URSS, et valut à son auteur de nombreuses distinctions, dont le Prix  Lénine, en 1958... L'exécution de Gergiev est grandiose et plonge l'auditeur au cœur d'un univers de terreur : atmosphère glacée, cordes plaintives, appels de la trompette, solo de cor tendu au premier mouvement Adagio, « La Place du palais » ; incandescence de l'allegro suivant, « Le 9 janvier », qui parvenu à un climax dantesque, laisse, par rupture, émerger un orchestre complétement assagi, en sourdine. Le chant funèbre de l'adagio, « Mémoire éternelle », est envoûtant, qui s'ouvre par la douce mélodie des altos, murmurée ppp, sur des pizzicatos des violoncelles et des contrebasses, laquelle s'enfle jusqu'à la violence, pour retomber dans la désolation. Le finale, « Le Tocsin », se déploie tel un mouvement perpétuel, heure de colère et de violence non contenue. On ne sait qu'admirer alors : l'envoûtant solo de cor anglais, les prouesses accomplies par le timbalier, la magnificence des cordes, et surtout ce magistral sens de l'ensemble. Il est sans doute symbolique, et en tout ressenti comme tel, que Gergiev achève ce cycle par cette œuvre particulière, apologue de la résistance à l'oppression.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Hommage à Claudio Abbado de l'Orchestre National de France et de Daniele Gatti.

 


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Un concert comme un hommage au grand chef italien décédé récemment, Claudio Abbado. Vibrant et respectueux témoignage rendu par le National et son chef Daniele Gatti, qui dédièrent au chef disparu l’aria de la Suite en ré BVW 1068 de Bach, moment de recueillement et d’émotion partagé entre public et musiciens. Puis ce fut au tour d’Anne Gastinel d’interpréter le célébrissime Concerto pour violoncelle de Dvořák. Un œuvre composée en 1895, une de ses dernières partitions composées aux États-Unis. Légèrement postérieur à la « Symphonie du Nouveau Monde », ce concerto porte également la marque des grands espaces comme un souvenir mélancolique du pays natal et de ses chants populaires. A son habitude, la violoncelliste en donna une lecture d’une virtuose et infaillible froideur, contrastant avec la direction bouillonnante de Gatti, suivi au millimètre par un National au mieux de sa forme. Feu et glace qui ne firent pas forcément bon ménage… Deux très beaux « bis » apportèrent un peu d’émotion et de poésie au public venu nombreux : Le Chant des Oiseaux, chant catalan arrangé par Pablo Casals, et la Sarabande  de la Suite n° 4 de Bach. Après la pause, le meilleur restait à venir avec la Symphonie n° 1 dite « Titan » de Gustav Mahler. Contrairement à d’autres compositeurs, comme Sibelius notamment, où chaque symphonie représente un monde en soi, les symphonies de Gustav Mahler ne prennent tout leur sens qu’intégrées à l’ensemble du corpus symphonique. (Cf « L’ordre et le chaos dans les symphonies de Gustav Mahler », in L'éducation musicale, 2008, n° 553-554). Le titre de cette œuvre ne s’inspire évidemment pas de la mythologie,  mais du héros du poète romantique allemand Jean-Paul (Jean-Paul Richter), bien que la musique n’ait rien à voir avec le roman éponyme.  Elle comportait initialement deux parties. La première correspondant  aux  souvenirs  de jeunesse : « le printemps qui n’en finit pas », «  blumine », musique de scène plus tard supprimée, «  à pleines voiles », en forme de scherzo. La seconde, correspondant à la commedia humana, comprenant la marche funèbre à la manière de Callot (graveur français) sur le thème de « Bruder Martin » (Frère Jacques) dont Mahler a trouvé l’inspiration initiale dans une gravure parodique intitulée « L’enterrement du chasseur », et le finale « dall’inferno al paradiso » comme une douloureuse blessure. Mahler renonça au « programme » initialement prévu et modifia de nombreuses fois la partition, avant sa forme définitive, en quatre mouvements, de 1896. Au plan thématique la première symphonie illustre la continuité,  si caractéristique chez Mahler, entre le  lied et la symphonie, s’inspirant des « Chants du compagnon errant » (Lieder eines fahrenden Gesellen). L’introduction s’ouvre sur les fameux « La » harmoniques évoquant le commencement du monde comme une scène matinale dans la forêt lorsque le soleil de l’été brille et scintille à travers les branches. On est au commencement du monde qui s’éveille au son du coucou, puis le monde se construit alternant « suspension » et « percée » (Th.W.Adorno). Ordre naissant progressivement du chaos caractérisant l’ensemble de cette œuvre symphonique de bâtisseur, dont Titan représente la première pierre. Daniele Gatti, dont on connait les affinités qui le lient à Mahler (intégrale récente au Châtelet) dirigea sans partition cette symphonie monumentale. Une direction précise et inspirée, pour un résultat plus qu’honorable, où l’on regrettera toutefois la lenteur des tempos dans le premier et troisième mouvement, ce qui retira une force certaine et entacha l’unité de cette interprétation, parfois un peu trop analytique. Un bel hommage rendu à Claudio Abbado qui fut, lui aussi, un grand mahlérien.

 

Patrice Imbaud.

 

 

 Gil Shaham ou l’art du violon

 


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Une soirée de concert de l'Orchestre de Pris qui vaut surtout par la magistrale interprétation que le violoniste israélo-américain Gil Shaham donna du Concerto pour violon d’Erich Wolfgang Korngold (1897-1957). Compositeur longtemps méconnu, faisant partie de ces « voix étouffées » condamnées à l’exil par la barbarie nazie, musicien prodige, il fut reconnu dès l’âge de neuf ans par Gustav Mahler qui le confia à Zemlinsky pour approfondir sa formation. Il entama une brillante carrière de compositeur en Europe parallèlement à ses fonctions de professeur à l’Académie musicale de Vienne, avant d’émigrer à Hollywood où il se consacra avec bonheur à la musique de films. Son concerto pour violon (1945), une de ses œuvres maitresses, reprend plusieurs thèmes tirés de ses musiques de film. Gil Shaham, avec son plaisir de jouer habituel, interpréta cette œuvre magnifique avec la délicatesse peu commune qui le caractérise, en symbiose totale avec l’orchestre qui sut faire valoir toute la splendeur de l’orchestration. Une œuvre en trois parties : un premier mouvement dont le thème principal est tiré du film Another dawn, un deuxième mouvement véritablement habité où le chant élégiaque et poétique du violon reprend le leitmotiv d’Anthony Adverse, enfin un finale virtuose où le thème moteur est emprunté à The Prince and the Pauper. Un concerto qui est actuellement devenu une pièce incontournable de répertoire violonistique, et valut à Gil Shaham une ovation prolongée du public. Deux autres œuvres étaient également au programme de ce concert. La Suite pour orchestre à vents d’après l’Opéra de quat’sous de Kurt Weill (1900-1950). Composition ludique qui eut au moins le mérite de réjouir les musiciens. Cette suite composée en 1928, destinée au concert, reprend les principaux thèmes de l’opéra initial, sans en avoir toutefois la saveur. En deuxième partie, Cendrillon, ballet de Prokofiev (1891-1953) composé entre 1940 et 1944. Une exécution qui ne parvint à nous convaincre que partiellement, malgré la richesse de l’orchestration. Un manque dans l’interprétation probablement lié à la structure même de l’œuvre, ainsi qu’à l’absence de continuité dans le phrasé de l’orchestre, défaut majoré encore par les limites inhérentes à cette musique narrative privée de support chorégraphique. Quelques beaux moments cependant à l’acte II, comme la Valse et Minuit.  Une mention, particulière pour Philippe Berrod à la clarinette et Stéphane Labeyrie au tuba, particulièrement sollicités. Un concert qui fut également la première rencontre entre le jeune chef américain James Gaffigan et l’Orchestre de Paris, une histoire à suivre…

Patrice Imbaud.

 

 

Insula orchestra et le magnifique chœur Accentus.

 


© Julien Mignot

 

Laurence Equilbey avait réussi à réunir un public nombreux salle Pleyel pour ce concert présenté comme un évènement car constituant un « tour de chauffe » avant l’enregistrement prochain, en septembre 2014, chez Naïve, d’un disque reprenant le même programme, Mozart et Zelenka. Premier disque de Laurence Equilbey à la tête d’Insula orchestra et première incursion du chœur Accentus dans le répertoire mozartien. L’Insula étant une région du cerveau spécialement dédiée aux expériences émotionnelles, c’est dire si l’Insula orchestra, fondée par Laurence Equilbey en 2012, propose avant tout une recherche stylistique valorisant l’émotion dans un répertoire classique et romantique utilisant des instruments d’époque. Le chœur Accentus, quant à lui, n’est plus à présenter, reconnu comme un des meilleurs du moment. Un programme, donc, débutant par le Miserere de Jan Disma Zelenka (1679-1745), personnage étrange et complexe auquel JS. Bach vouait une grande admiration. Natif de Bohême, contrebassiste de l’orchestre de la cour de Dresde, il va se perfectionner à Vienne et en Italie avant de revenir à Dresde comme compositeur de la cour. Catholique, il laisse une œuvre religieuse importante dont les cinq messes et ce Miserere constituent les pièces maitresses. Cette œuvre de Zelenka, peu connue, fut sans doute le meilleur du concert, moment de recueillement et de crainte où musique et voix s’élèvent unies dans une intensité, un équilibre et une beauté hors du commun, sur la scansion d'un ostinato des cordes plein de ferveur. Le Requiem de Mozart fut, quant à lui, mené de façon stricte, plutôt sombre, sans fioriture, mais également sans ferveur excessive, servi par un orchestre aux sonorités profondes, bien mené par la battue pour le moins originale de Laurence Equibey. Il était transcendé par un quatuor de solistes, Sandrine Piau, soprano, Sara Mingardo, contralto, Werner Güra, ténor, et Christopher Purves, basse, ainsi qu'un chœur Accentus de qualité superlative. Un long moment de recueillement du public prolongea la dernière note… Signe de la qualité et de l’impact émotionnel de l’interprétation.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Tugan Sokhiev assure un triomphe à Boris Godounov

 

Modeste  MOUSSORGSKI : Boris Godounov. Opéra en quatre actes (1869). Livret du compositeur d’après le drame d'Alexandre Pouchkine. Ferruccio Furlanetto, Anastasia Kalagina, Ain Anger, Vasily Efimov, Stanislav Mostovoi, John Graham-Hall, Garry Magee, Pavel Chervinski, Alexander Teliga, Marian Talaba, Svetlana Lifar, Sarah Jouffroy, Hélène Delalande. Chœur Orfeon Donostiarra. Ochestre National du Capitole de Toulouse, dir. Tugan Sokhiev. Version de concert.

 


DR

 

Tugan Sokhiev, récemment nommé directeur musical du Théâtre Bolchoï de Moscou, était de passage à Paris pour cette version de concert de Boris Godounov à la tête de ses troupes du Capitole de Toulouse. Le chef ossète avait choisi pour cette soirée la version initiale de l'opéra de Moussorgski, datant de 1869. Une version en quatre actes, donc plus courte que la version de 1872 (où se rajoute l’acte dit « polonais »), à la dramaturgie plus resserrée, centrée sur le personnage de Boris, mettant l’accent sur le remords quasiment shakespearien du tsar. Et nécessitant aussi une distribution moins nombreuse ! Un choix qui s’avèrera judicieux, compte tenu de la faiblesse vocale relative de Marian Tabala dans le rôle de Grigori/Dimitri, partie nettement plus restreinte ici que dans l'édition de 1872. Une version plus « parlée » que cette dernière, qui nous permet d’apprécier la magnifique prosodie moussorgskienne, véritable récitation en musique, tandis que l’orchestre assure l’unité musicale et la tension dramatique. Superbe opéra, superbe prestation, conclue par un triomphe où il convient de féliciter d’emblée les chœurs, si présents dans cette partition, l’Orfeon Donostiarra, ensemble espagnol de renommée internationale, d’une précision, d’une musicalité et d’une cohésion hors du commun. Tugan Sokhiev justifia une fois de plus l’engouement qu’il suscite de la part des musiciens et du public, confirmant sa stature de grand chef d’opéra. Une direction lumineuse, élégante, incisive, intelligente, faisant varier à tout instant le timbre de l’orchestre par l’importance donnée à chacun des pupitres (quelles cordes graves !), apportant au respect des nuances et aux variations de tempos un soin tout particulier, à l’origine de différents climats (urgence, dramatisme), suivant au plus près la dramaturgie, adaptant continuellement la puissance orchestrale aux chanteurs, menant les chœurs avec précision, dextérité et ferveur, conduisant le discours musical avec souplesse et à propos, tout en sollicitant le meilleur de l’orchestre du Capitole. Concernant la distribution vocale, il serait bien sûr illusoire d’espérer l’unanimité dans l’excellence compte-tenu du nombre important de chanteurs impliqués. Ferruccio Furlanetto se montra tout à fait convaincant dans le rôle de Boris, par sa tessiture adéquate, son aisance, son endurance, sa présence scénique et vocale, ses aigus émouvants et fragiles reflétant, comme un miroir fêlé, le doute de son âme. Ain Anger, Pimène, apporta par sa basse profonde, la sérénité, la stature, la noblesse qui conviennent au personnage, juste pendant de la tourmente intérieure de Boris. Retenons également la très hilarante prestation d’Alexander Teliga, Varlaam, dans la scène de l’auberge, ainsi que celle de Stanislav Mostovoi dans le rôle de l’Innocent, interpellant le tsar devant la cathédrale Saint Basile. Moins probantes furent les interventions de Marian Talaba (Grigori) et de John Graham-Hall, Chouiski, du fait d’une vocalité sans ampleur. Bien que les rôles féminins soient réduits à la portion congrue dans cette version, Anastasia Kalagina put faire valoir toute la beauté de son chant lors de la courte complainte où Xenia déplore la mort de son fiancé, dans les appartements du tsar, prélude aux visions horrifiées de Boris qui conduiront à son agonie tandis que résonnent les chants funèbres…

 

Patrice Imbaud.

 

 

Mikko Franck et le « Philhar » : L’entente cordiale.

 


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Le jeune chef finlandais Mikko Franck était, pour une soirée, à la tête du « Philhar », avant d’en prendre la direction définitive à partir de 2015. On sait que ces rencontres, marquées par une complicité certaine et une sympathie partagée, sont toujours des moments musicaux de choix. Le présent concert en fut encore un bien bel exemple, dans un programme typique du « Philhar ». Il  débutait par le magnifique, complexe et rarement donné, Pierrot lunaire d’Arnold Schönberg. Une œuvre datant de 1912, intitulée mélodrame pour sprechstimme et ensemble instrumental, comprenant piano, violon, violoncelle, clarinette et flûte, sur des poèmes du poète symboliste Albert Giraud. Pierrot, héros décadent, grinçant, mélancolique et désespéré devient, sous les doigts de Schönberg, une œuvre magnifique, atonale, d’une infinie poésie, sorte de grand puzzle instrumental qui vient se construire devant nos oreilles ébahies, dans une remarquable unité où le sprechgesang (parlé-chanté) assure la symbiose parfaite entre voix et instruments. Loin de toute agressivité, les solistes du Philhar et Barbara Sukowa, maîtresse du genre, dirigés par Mikko Franck, en donnèrent une version, non costumée, peut-être plus parlée que chantée, d’une étincelante beauté. Après la pause, Don Juan (1889) et la Danse des sept voiles (1905) de Richard Strauss. Deux partitions du désir et de la mort, ayant en commun une orchestration somptueuse, qui furent l’occasion de retrouver l’orchestre au grand complet dans un déferlement de couleurs où le « Philhar » confirma sa place parmi les phalanges les plus réputées du moment. Magnifique, une soirée au climat très intimiste, conclue par les applaudissements fournis des musiciens pour leur futur chef. Vivement 2015 !

 

Patrice Imbaud.

 

Un grand moment : Vasily Petrenko et dirige le « Philar »

 


© Mark Mc Nulty/EMI classics

 

Décidément, le « Philhar » n’en finit pas de nous surprendre par l’originalité de ses programmations et la qualité de ses chefs invités. Après Mikko Franck, Jukka-Pekka Saraste et autres valeurs montantes de la direction d’orchestre, c’était au tour de Vasily Petrenko, avec  Sergej Krylov au violon, de défendre un programme associant Bartók et Sibelius, deux compositeurs aux orchestrations somptueuses et raffinées, hélas volontiers boudés par le public parisien. L’affluence clairsemée de la salle Pleyel en fut une nouvelle fois la preuve et pourtant… Sergej Krylov donna d’emblée le ton dans une interprétation très engagée et très probante du Concerto pour violon n° 2 de Bartók, dernière œuvre composée en Europe, en 1938, avant le départ du compositeur pour les États-Unis. Une œuvre originale, poétique et violente, expressionniste, où le chant du violon, tantôt élégiaque, tantôt enragé et tendu, dialogue avec l’orchestre dans ce qui est une véritable symphonie avec violon principal, soutenue par une orchestration opulente recrutant harpe, percussions, clarinette basse et cordes graves ; ici, dans un vrombissement digne des « Berliner » ! Une partition lyrique et virtuose, typiquement bartokienne dont le violoniste russe, avec la complicité de Vasily Petrenko, très attentif, sut tirer le meilleur. Deux « bis » copieux et hallucinants de virtuosité (Bach et Paganini) conclurent cette première partie. Après la pause, la Symphonie n° 1 de Sibelius (1900), donna lieu à un grand moment de musique, conduite par la main infaillible du jeune chef russe. Chez Sibelius, chaque symphonie est un monde en soi. Celle-ci prend ses racines dans la tradition austro-allemande, mais fait déjà état de couleurs et de climats inimitables par le biais d’une orchestration très personnelle, de combinaisons de timbres d’une subtile délicatesse et de ruptures de ton, lyrique et dramatique, caractéristiques du compositeur finlandais. Elle est en quatre mouvements, le premier, désolé, mélancolique et orageux, débutant par un long solo de clarinette (Nicolas Baldeyrou), le second, lyrique et nostalgique, le troisième, énergique et rythmé par les pizzicati des cordes, avant le finale, « quasi una fantasia », conclu sur deux pizzicati des cordes, inattendus et interrogatifs, comme suspendus dans le silence… Malheureusement interrompu par des applaudissements intempestifs et précipités !  Une œuvre que le chef russe conduisit, par sa gestuelle élégante, de façon particulièrement enthousiasmante, tendue, claire dans les notes, juste dans le ton, menant le « Philhar » sur les sommets. Un des plus beaux concerts de la saison !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Joyeux anniversaire Monsieur Pressler !

 


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C'est par une tournée mondiale que le pianiste Menahem Pressler devait fêter son 90e anniversaire, lui qui fut leader, jusqu’en 2008, du célèbre Beaux-Arts Trio. Après le Concertgebouw d’Amsterdam, le Mariinsky de Saint Pétersbourg, la Philharmonie de Berlin, c’était au tour de la salle Pleyel et de l’Orchestre de Paris, sous la direction de son directeur musical, Paavo Järvi, de le recevoir, pour deux concerts. Affluence des grands soirs pour rendre hommage à cette légende vivante du piano : plus de 55 ans de règne incontesté sur la musique de chambre et sept décennies de carrière ! La soirée s'ouvrait par la Symphonie « parisienne » n° 82, dite « l’Ours », de Joseph Haydn, une œuvre qui s’intègre dans un projet d’intégrale des symphonies parisiennes entreprise depuis 2011 par l’Orchestre de Paris et son chef. C'est le fruit d'une commande effectuée (1786) au « Frère » Haydn par la Société olympique, émanation de la Loge maçonnique « La Loge olympique de la parfaite estime » (cf. L'Éducation musicale : Musique et franc-maçonnerie, 2010, n° 565). Une partition dont l’éditeur Imbault rendait compte en ces termes : « Six symphonies du plus beau caractère…le nom de Haydn atteste de leurs extraordinaires mérites ». Une symphonie qui, à l’évidence amusa beaucoup le chef estonien qui se plut, à plusieurs reprises, à imiter la démarche pesante du plantigrade, en sautillant lourdement sur son estrade ! Un climat de complicité et d’amusement qui n’empêcha pas une exécution d’une bonne tenue, parfaitement en place, élégante et solennelle, à la fois enlevée et cantabile, où vents et timbales se firent tout particulièrement remarquer. Après une courte pause permettant l’installation du piano sur le devant de la scène, Menahem Pressler apparut, petite silhouette un peu boulotte, se déplaçant difficilement, avançant à petits pas vers le piano, guidé par la main secourable de Paavo Järvi, feuilletant négligemment la partition tandis que le chef faisait retentir les premières notes du Concerto n° 23 K 488 de Mozart. Ce concerto, datant de 1786, contemporain des Noces de Figaro, élégiaque, est un joyau de la grande période viennoise du compositeur. Menahem Pressler en donna une lecture bouleversante, même si quelques notes parurent quelquefois fuyantes… Comme si pour cet interprète d’exception, et à l’instar d’Arthur Rubinstein, à l'été indien, le plus difficile semblait d’atteindre le piano ! Mais ensuite…Quelle magie ! Quelle émotion ! Quelle grâce dans le toucher ! Quel legato et quelle poésie dans le discours musical ! Puis ce fut un long « bis », également mozartien (Rondo K 485), avant de saluer la salle émue et conquise. En deuxième partie, Paavo Järvi avait inscrit les deux dernières symphonies de Sibelius. Des œuvres pourtant bien différentes, que le chef choisit de jouer sans interruption (?). La Symphonie n° 6 (1922), sereine et mélancolique, peut-être en partie inspirée par la mort du frère du compositeur, est ambiguë, nécessitant profondeur et tension sous une apparente fluidité. La Symphonie n° 7 (1924) est à l’inverse plus épique, en un seul mouvement, mettant un point final au corpus symphonique de Sibelius, avant qu'il ne  s’enfonce, définitivement, dans le silence. En exécutant d’un seul tenant les deux œuvres, Paavo Järvi, dont on connaît l’inclination pour le compositeur finlandais, nous vola en quelque sorte la nuance pianissimo, d’une originelle pureté, qui clôt magnifiquement la Sixième sur un silence méditatif… De plus, son interprétation, techniquement impeccable, manquait de tension, perdant par là son ambivalence caractéristique. En revanche, il nous gratifia d’une très belle Septième, tendue et cohérente, développant un constant sentiment d’unité, entretenu par l’omniprésence du thème clamé aux cuivres et plusieurs fois repris par les cordes. Une prestation qui, à l’évidence, fut du goût des musiciens et du public, et du nôtre également. Un succès bien mérité.

 

Patrice Imbaud.

 

Dernier volet d’une audacieuse aventure

 


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La véritable gageure qui consistait pour Valery Gergiev, à la tête de son Orchestre du Théâtre Mariinsky, à aligner de suite, en six concerts, quinze symphonies et six concertos, en était à son dernier volet. A l’heure des bilans, il serait bien sur illusoire d’affirmer l’excellence de bout en bout, mais force est d’avouer qu’il se dégage au terme de cette aventure une impression plutôt favorable, alternant souvent le meilleur, mais parfois aussi le moins bon, Gergiev, malgré l’excellence de son orchestre, n'habitant et ne maintenant pas toujours un phrasé tendu dans les mouvements lents. Le présent concert, associant les Symphonies n° 8 et n° 12 en fournit un assez bon exemple. Deux œuvres bien différentes. La symphonie n° 8, symphonie de guerre (1943), dont Chostakovitch affirma qu’elle constituait, avec la symphonie n° 7, « Leningrad », son véritable requiem. Authentique fresque cosmique, moins descriptive, plus dramatique que la précédente, la huitième est la symphonie de l’angoisse, de la souffrance, mais aussi celle de la joie et du courage. Une symphonie quasiment héroïque et fortement ambiguë dont Gergiev nous livra une interprétation d’un réalisme et d’une violence inouïes, alternant les accents lugubres du cor anglais et le dramatisme des cordes, scandé par le tambour et les cris stridents des bois dans le premier mouvement, auquel succédera la marche grinçante du deuxième, qui trouvera son apogée dans l’hallucinant troisième mouvement d’une précision rythmique oppressante, avant que ne retombe la pression dans le largo, marche funèbre qui, dépourvue de dimension épique, parut étrangement vide confirmant cette difficulté déjà signalée à maintenir la tension dans les mouvements lents, avant de conclure sur un finale faussement serein dont sera rendue avec bonheur toute l’ambigüité. Contexte bien différent pour la symphonie n° 12, « Année 1917 » créée en 1961. Chostakovitch est alors un personnage important du régime, en pleine déstalinisation, et compose une œuvre plus narrative, centrée sur les évènements de la révolution. Une composition qui connut un relatif échec lors de sa création, donnant peut-être raison à Debussy qui affirmait que « la musique n’exprime rien » (en dehors des sentiments bien sûr !). Gergiev tira le meilleur de cette partition, qui ne compte pas parmi les plus réussies du compositeur, majorant les effets sonores (cuivres et percussions) dans une vision très expressionniste, très russe, qui enthousiasma la salle. Un triomphe mérité. Ce cycle complet Chostakovitch, il sera possible, pour les absents, de le retrouver sur la chaîne « Mezzo » dès l’automne prochain.

 

Patrice Imbaud.

 

Un Wagner plein de passion !

 

 


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Un concert tout Wagner, salle Pleyel, intitulé « Autour de Tristan », dans le cadre de la saison des « Grandes Voix », réunissait deux chanteurs wagnériens confirmés, Anja Kampe et Robert Dean Smith, accompagnés pour l’occasion par l’Orchestre National de Lille, conduit par son chef historique, Jean-Claude Casadesus. Un concert magnifique, plein de passion, qui tint toutes ses promesses tant orchestralement que vocalement. Une première partie consacrée à la Walkyrie et tout particulièrement au duo Sigmund/Sieglinde du premier acte, précédé du fameux prélude qui ouvre l’opéra sur  un orage que Jean-Claude Casadesus mena de façon très réaliste, tendue, haletante et empreinte d’un constant sentiment d’urgence, avant que Sigmund n’entame son « Ein Schwert verhieβ mir der Vater », en souvenir du père, bien articulé, bien projeté par Robert Dean Smith, avec une assurance vocale dont témoigneront de longs « Wälse », qui sans atteindre la durée et l’émotion dégagée par un Lauritz Melchior en son temps, ou plus récemment Jonas Kaufman, n’en furent pas moins d’une belle tenue. Anja Kampe, Sieglinde, usant d’une diction très claire, d’une vocalité facile, toute en souplesse, lui répondra en narrant alors son histoire, « Der Männer Sippe », et celle de l’épée plantée dans le tronc du frêne que seul un brave parviendra à dégager. Puis vint le célèbre duo d’amour « Winterstürme wichen dem Wonnemond » et « Du bist der Lentz », tous deux bouleversants, magnifiquement menés, chargés d’une intensité à donner des frissons, valorisés encore par une présence scénique, à mettre au crédit des chanteurs dans cette version de concert. Seul Robert Dean Smith donnera quelques signes de fatigue, avec des aigus parfois un peu serrés dans le « Sigmund heiβ ich ». Après la pause, Sigmund requinqué laissa la place à Tristan, évidemment réduit pour l’occasion. Un prélude de l’acte I comme une patiente et douloureuse attente, évoluant par vagues, au son des cordes dont le chromatisme témoigne de l’incomplétude d’un désir inassouvi. Un duo d’amour et un hymne à la nuit, implicite référence à Novalis, pleins de flamme, d’ardeur et d’empressement qui ne parviendra jamais à masquer totalement un sinistre pressentiment,  celui de la certitude que le jour naissant marquera la fin de la vie et  la fin de l’amour, stigmate du pessimisme schopenhauerien marquant Wagner à cette époque. Assurément un des plus enivrants duos jamais composés, évoluant entre extase et lassitude « O sink hernieder Nacht der liebeLausch, Geliebter ! » excellemment interprété de façon très équilibrée par des chanteurs très motivés, même si la voix de Robert Dean Smith ne correspond pas tout à fait à celle d’un ténor héroïque. Le prélude de l’acte III sera moment de désolation pure où le cor anglais fait entendre son chant lugubre et dépressif. Enfin, la Mort d’Isolde, « Mild und leise wie er lächelt », moment unique, d’anéantissement et d’amour, où Isolde extatique s’allonge auprès de Tristan pour mourir à ses cotés. Dans ce concert de louanges, il serait profondément injuste de ne pas rendre grâce à la superbe phalange lilloise dont Jean-Claude Casadesus sut, une fois de plus, tirer le meilleur en termes de cohésion, de phrasé et de sonorité. Un concert qui enthousiasma la salle. Un triomphe bien mérité devant tant de splendeurs !

 


Robert Dean Smith & Anja Kampe / DR

 

Patrice Imbaud.

 

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L'EDITION MUSICALE

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FORMATION MUSICALE

 

Melody EASTER-CLUTTER & Anna WENTLENT : Ready, set, rhythm ! Sequential lessons to develop rhythmic reading. Alfred : 40029.

Bien qu’intégralement en anglais, ce volume devrait pouvoir rendre de grands services tant en classe de formation musicale qu’en classe de percussion. Il ne sera pas difficile au professeur de traduire les consignes ; quant aux rythmes, ils sont, heureusement, universels !

 

 

CHŒURS D’ENFANT

 

Mark CABANISS et Alan BILLINGSLEY : Gilbert and Sullivan ROCK ! A « Poperetta » for Unison and two part voices.1 vol. 1 CD. Alfred : 39989.

W.S. Gilbert et Arthur Sullivan sont des auteurs d’opérette de la fin du XIX° siècle dont les œuvres ont été très connues dans les pays anglo-saxons. La savoureuse réécriture qu’en font les auteurs pourraient faire la joie des élèves français si le tout n’était en anglais… Et c’est bien dommage car tout cela ne manque pas de fraicheur et de dynamisme. Peut-être cette recension suscitera-t-elle des vocations françaises pour une nouvelle réécriture ? Ajoutons que le CD contient l’œuvre en intégralité et le play-back ainsi que les fichiers PDF de la couverture et des parties séparées.

 

 

 

Sally K. Albrecht et Jay ALTHOUSE : Crazy Christmas. A Jolly Holiday Songbook or Program for Unison Voices.1 vol. 1 CD. Alfred : 39940.

Que voilà de la jolie musique, bien écrite, sans prétention, et qui pourrait faire le bonheur de bien des chorales d’écoles. Bien sûr, c’est tout en anglais. Mais avec le disque, rien n’est impossible ! Là encore, on trouvera sur le CD non seulement l’enregistrement intégral (avec les textes de liaison) et le play-back, mais aussi les fichiers PDF nécessaires pour imprimer la couverture et surtout la partie séparée de chant. L’orchestration de Tim Hayden qui se trouve sur le CD est particulièrement fraiche et pleine de charme.

 

 

CHANT

 

Richard Wagner/ Alain BONARDI : Wesendonck Traüme. Une nouvelle version des Wesendonck Lieder de Wagner pour soprano, piano clarinette et violoncelle. Arrangements et intermèdes d’Alain Bonardi. Fortin-Armiane.

C’est une entreprise peu banale que celle d’Alain Bonardi dans la mesure où, comme il le dit lui-même, « il ne s’agit pas d’une transcription simple, mais d’une « composition » mettant en valeur la structure de la composition de Wagner comme le texte inspiré par le bouddhisme et l’orient de Mathilde Wesendonck. […] Des intermèdes instrumentaux, incluant également des percussions orientales résonnantes ont été composés et placés entre les lieder ». Espérons que des instrumentistes vont s’emparer de cette « recréation » pour que nous puissions juger sur pièce.

 

 

Jean-Jacques WERNER : Le reniement de Pierre pour voix et orgue ou piano. Compositeurs alsaciens vol. 31. Delatour : DLT2175.

Suivant pas à pas le texte de l’évangile de Luc dans la Bible de Louis Segond, Jean-Jacques Werner écrit une musique figuraliste qui nous fait vivre et méditer la scène. Orgue ou piano ? Nous aurions tendance à pencher pour une interprétation au piano. Mais ce n’est qu’une simple opinion. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une œuvre belle et pleine de sens.

 

 

PIANO

 

Jan SANBORN : Piano Solos of Choral Favorites. 10 arrangements pour Préludes, offertoires et postludes. Alfred : 36335.

Ne nous laissons pas abuser par l’aspect liturgique de cette édition. S’il semble qu’aux Amériques, le piano ait remplacé l’orgue dans beaucoup de cultes, ces pièces peuvent aussi être jouées avantageusement hors de ce contexte. On y trouve en effet aussi bien des pièces de Haendel, et pas forcément des chorals, que des extraits du Requiem de Fauré ou son Cantique de Racine, l’inévitable – mais toujours beau – Jésus que ma joie demeure ou l’Ave verumde Mozart sans compter des œuvres d’auteurs d’outre atlantique. Bref, ce recueil est loin de manquer d’intérêt, d’autant que les transcriptions sont très fidèles et faites avec autant de soin que de goût. Alors, ne boudons pas notre plaisir.

 

 

Alain BONARDI : Après une lecture de Liszt. Trois pièces pour piano en commentaire d’œuvres de Liszt. Armiane-Fortin : EAL 455.

La première pièce porte en sous-titre : « En lisant Liszt, en écoutant Senancour » Il s’agit d’une sorte de variation sur La Vallée d’Oberman de Liszt. La deuxième pièce fait référence au Sonnet 104, quant à la troisième, intitulée Tombeau de nuages, elle prolonge Nuages gris. Réécriture, méditation, ces pièces sont à découvrir après avoir lu la présentation qu’en fait l’auteur et avoir joué ou écouté les pièces originales.

 

 

ORGUE

 

Wolfgang LINDNER : Quatre siècles de musique d’orgue rare ou inconnue. 2 vol. Schola Cantorum : SC 8750 et 87553. http://www.schola-editions.com/schola/index.asp

De Kunhau et Buxtehude jusqu’à Jean Giroud et lui-même, l’auteur de ce florilège nous offre effectivement tout un lot d’œuvres peu ou pas connues et assez facilement abordables. On découvrira donc ce double recueil avec beaucoup d’intérêt.

 

 

Didier MATRY : 14 méditations pour orgue. Armiane-Fortin : EAL 438.

Ces quatorze courtes pièces trouveront facilement leur place dans l’office. Deux claviers pédalier leur suffiront : un instrument moyen fera l’affaire. Ecrites dans un langage délicat et simple, elles méritent d’être connues et jouées…

 

 

Patrick CHOQUET : Trois études pour orgue. Delatour : DLT2325.

Ces trois études s’inscrivent dans la démarche des œuvres pour orgue de Patrick Choquet. Certes, l’orgue sur lequel elles ont été créées offre de nombreuses possibilités puisque, construit par Robert Chauvin en 1980 dans un beau buffet classé, il compte 47 jeux répartis sur 3 claviers et un pédalier de trente notes. Ces études peuvent néanmoins s’exécuter sur un instrument moins important. Les indications de registration sont données par Henry Paget, organiste titulaire de Sainte Jeanne de Chantal, qui a créé ces œuvres le 12 juin 2005, dans le commentaire qu’il fait de chacune des études. Ces pièces sont à découvrir absolument.

 

 

CARILLON

 

Jean-Luc PERROT : 6 pièces pour carillon. Delatour : DLT1780.

Ces pièces ont été écrites pour le carillon de l’Eglise Notre Dame à Saint Etienne, redécouvert et restauré il y a peu. Elles sont l’œuvre de l’organiste de l’église, pour mettre en valeur ce patrimoine trop longtemps délaissé. L’instrument est petit, puisqu’il ne comporte que dix cloches. Mais cela a donné envie à l’auteur d’écrire pour ce carillon des pièces faciles pour débutant. Il y a pleinement réussi et on découvrira avec grand plaisir ces pages pleines de fraicheurs et de souvenirs.

 

 

GUITARE

 

Didier RENOUVIN : Hommage à Scott Joplin pour guitare. Moyen. Delatour : DLT2292.

Cet hommage comporte en fait deux pièces : d’une part une transcription du célèbre Mapple leaf ragde Scott Joplin, d’autre part une œuvre originale dans l’esprit de Scott Joplin intitulée Newport, reprise d’une pièce du même nom extraite de la suite « Ports d’attache » pour flûte et guitare. Destinées à un guitariste aguerri, ces deux pièces donneront à son interprète beaucoup de plaisir.

 

 

ALTO

 

Bruno GINER : Salt and Pepper. Deux duos pour alto. Facile. Dhalmann : FD0429.

Nous ne sommes pas sûr que « facile » soit tout à fait approprié pour ces deux duos qui nécessitent une maîtrise des rythmes et des jeux d’archet de l’instrument, car si la deuxième pièce est intégralement en pizzicati, la première fait appel à des techniques d’archet certes maintenant classiques mais en général peu maîtrisées par les altistes en herbe. Ceci dit, ils prendront certainement beaucoup de plaisir à mettre au point ces deux pièces pour le moins… épicées !

 

 

FLÛTE TRAVERSIERE

 

Christine MARTY-LEJON : Douce rivière pour flûte en ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2634.

Dédiée à la Dordogne, cette très jolie pièce est construite en trois parties : un la mineur un peu nostalgique, puis un la majeur aussi poétique mais plus lumineux pour revenir au la mineur initial. Piano et flûte dialoguent à égalité ce qui fait que le pianiste aura autant de plaisir à travailler sa partition que le flûtiste.

 

 

Max MÉREAUX : Rêverie pour flûte et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2618.

Une très jolie mélodie doucement modulante se déroule poétiquement au-dessus des arpèges délicats du piano, le tout dans un 12/8 berceur. Il est toujours difficile d’écrire des pièces intéressantes musicalement pour les débutants et Max Méreaux y excelle.

 

 

Jérôme NAULAIS : Polka et Menuet pour flûte et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2560.

A une polka bien « dans le style » et qui aurait sûrement ravi ma grand-mère succède un menuet plein de charme en fa Majeur. Le da capo est indispensable si on veut terminer par le retour de la polka en do Majeur. Cette pièce pleine de gaieté devrait faire le bonheur de ses interprètes.

 

 

André TELMAN : Dans la forêt de Sherwood pour flûte en ut et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2604.

La forêt de Sherwood, fief de Robin des Bois, possède bien des mystères, et l’ambiance de cette pièce en est pénétrée. Après un début plutôt paisible, nous pénétrons dans une forêt de plus en plus sombre et tourmentée qui revient peu à peu à plus de calme mais dans une ambiance tonale flottante jusqu’à une fin en mi Majeur qui constitue comme une suspension sur la dominante… Nous pouvons faire les mêmes compliments à André Telman qu’un peu plus haut à Max Méreaux : cette pièce pour « débutant » est de la belle et bonne musique !

 

 

FLÛTE A BEC

 

Antonio VIVALDI : Six sonates pour flûte à bec. D’après les originaux conservés à Cambridge, Upsala, Stockholm, Leipzig, Venise et Berlin. Edition établie et présentée par Patrick Blanc. Dhalmann : FD0402.

On lira avec beaucoup d’intérêt la présentation que l’éditeur fait de son travail qui est autant un travail de reconstitution que d’édition. Le résultat est tout à fait convainquant. Signalons que ces sonates sont écrites pour la flûte alto et que les basses, la plupart du temps chiffrées, ne sont pas réalisées. Mais c’est maintenant un exercice auquel sont rompus les clavecinistes et même… quelques pianistes !

 

 

SAXOPHONE

 

Max MÉREAUX : Image pour saxophone alto et piano. Elémentaire. Lafitan. P.L.2623.

Voici une bien fluide image qui évoque des reflets dans l’eau… mais qui pourra aussi évoquer bien d’autres choses pour les jeunes interprètes. Le piano se tient le plus souvent dans une tessiture élevée, ce qui contribue à maintenir l’ambiance dans une sorte de rêve. Tout cela est bien joli, et ce n’est pas une critique !

 

 

Pierre MISIKOWSKI : Brighella pour saxophone alto et piano. Cette pièce existe en version saxophone solo et orchestre à cordes. Préparatoire. Lafitan : P.L.2554.

Issue de sa « Suite carnavalesque », cette pièce de Pierre Misikowski évoque un valet de la commedia dell’arte, dont on lira le portrait en quatrième de couverture et qui fait tout à fait penser au Scapin des Fourberies. Pleine d’entrain et d’humour, comme de fantaisie et de légèreté, cette pièce devrait beaucoup plaire. Ajoutons que la version avec orchestre à cordes a obtenu en 2011 le premier prix de’ composition de l’orchestre symphonique du Loiret.

 

 

Jérôme NAULAIS : Allée et venue pour saxophone alto et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2564.

Allée et venue : sans doute à cause du moderato assez solennel qui enchâsse les deux valses lentes, qui ont chacune leur personnalité, créant ainsi une structure de rondo. Quoi qu’il en soit, le tout est bien séduisant et poétique et permettra aux instrumentistes de montrer leur sensibilité et leur musicalité.

 

TROMPETTE

 

Claude-Henry JOUBERT : Concert « Les moustiques » pour trompette sib ou ut ou cornet ou bugle, avec accompagnement de piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L.2549.

On retrouve dans ce concerto toute la verve bien connue de C.-H. Joubert. A partir d’une « situation initiale » paisible (bien au chaud sous la couette), un bataillon d’éléments perturbateurs viennent troubler le repos du dormeur potentiel. La chasse commence, puis survient un repos trompeur avant que la chasse ne reprenne de plus belle pour se terminer par la victoire totale sur l’ennemi dans un « couac » final du plus bel effet. Inutile de dire que l’ensemble possède, par ailleurs, toutes les qualités musicales bien connues de leur auteur !

 

 

Jérôme NAULAIS : A l’heure d’automne pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2565.

Voilà une heure qui ne nous obligera pas à modifier celle de nos montres mais qui a, en revanche, beaucoup de charme. Parfois un peu nostalgique et en demi-teinte, automne oblige, elle est parfois éclairées de rayons de soleil qui finissent par l’emporter. Bref, l’auteur nous fait partager un bien joli moment de musique.

 

 

TROMBONE

 

Régis CARROUGE : Le Boudeur pour trombone et piano. Débutant. Delatour : DLT2286.

Voici une pièce sans prétention mais bien agréable et qui illustre bien son titre. Le jeune tromboniste pourra « jouer » cette pièce en tous les sens du terme… et avec beaucoup de plaisir.

 

 

Régis CARROUGE : Indifférence pour trombone et piano. Cycle 1. Delatour : DLT2286.

Voici une jolie indifférence instable dans sa tonalité, mais qui s’avance quand même avec une certaine assurance. Le pianiste chatouille avec bonheur l’indifférence du tromboniste…

 

 

Régis CARROUGE : Le Rêveur pour trombone et piano. Premier cycle.. Delatour : DLT2285.

Ce rêveur pourrait fort bien constituer, avec les deux pièces précédentes, une trilogie qui aurait beaucoup de succès pour une audition. Trois parties dans ce rêve : un moderato, marqué par le rythme obstiné du piano, une longue phrase andante sur des accords tenus, puis un retour au tempo primo. Il y a beaucoup de poésie dans toutes ces pièces.

 

 

PERCUSSIONS

 

Ludwig ALBERT : Double concerto for two marimbas & orchestra : The Universe. Réduction pour piano. Difficile. Dhalmann : FD0405.

On ne serait assez conseiller d’aller écouter sur YouTube cette œuvre dans sa version avec orchestre. Le langage est à la fois classique par l’harmonie et moderne par le rythme. L’ensemble est vraiment très beau avec un deuxième mouvement particulièrement poétique. C’est une musique envoutante qui vaut vraiment d’être connue.

 

 

MUSIQUE D’ENSEMBLE

 

Claude-Henry JOUBERT : Une grande année d’orchestre (à cordes) à l’école. Onze morceaux progressifs et une symphonie ! Fertile-plaine : FP 1729.

Voici un joyeux programme de musique d’ensemble qui mettra – mais c’est normal – aussi à contribution le professeur ! Les contrebasses sont ad libitum. L’ensemble est fourni en « kit », ce qui veut dire qu’il peut être adapté. La mise en œuvre est détaillée et ne devrait pas faire de difficulté. Des éléments d’analyse permettent de faire comprendre aux élèves ce qu’ils jouent, ce qui n’est pas du luxe ! Bref, il s’agit d’une œuvre à la fois musicale et pédagogique…

 

 

Jean-Marie MACHADO : L’écureuil volant. Suite n° 2 pour quintette à vent. Dhalmann : FD0406.

Cette partition difficile en deux parties évoque bien l’écureuil courant et sautant de branche en branche. Elle séduira par son brillant et son caractère virtuose qui ne nuisent en rien à ses qualités expressives.

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Félix MENDELSSOHN : Les Hébrides. Transcription pour clarinette en la, basson, quatuor à cordes et piano à quatre mains. Delatour : DLT2256.

Cette transcription de Sophie Lacaze est tout à fait séduisante. Très fidèle à l’original, elle n’est pas d’une difficulté insurmontable et intéressera tant les ensembles professionnels que les ensembles de grands élèves de nos conservatoires ou d’amateurs avertis.

 

 

MUSIQUE CHORALE

 

MENDELSSOHN BARTHOLDY : Der 42. Psalm « Wie der Hirsh schreit » op. 42. Bärenreiter : conducteur BA 9074, voix et réduction de piano BA 9074-90.

La nouvelle édition de ce Psaume, réalisée par le grand spécialiste de Mendelssohn John Michael Cooper est en tout point remarquable. On lira avec beaucoup d’attention la copieuse préface qui présente l’œuvre ainsi que les principes éditoriaux et les raisons des choix de l’éditeur. La réduction de piano a été faite par Mendelssohn lui-même. C’est en dire tout l’intérêt.

 

 

Jean-Christophe ROSAZ : Salve Regina – Montserrat pour chœur de femmes a cappella. Delatour : DLT2347.

Cette très belle pièce a été inspirée à l’auteur par un vitrail de Montserrat dont il s’est efforcé de retrouver « toute la sensation de chaleur et de paix qui s’en dégageait ». « Les quatre voix, quant à elles, sont une allégorie des quatre directions : est, ouest, nord et sud. ». La pièce s’adresse à un chœur très exercé.

 

 

Jean-Jacques WERNER : Eclats de Prière sur un poème de Sylvia Undata, pour chœur de femmes à cappella. Delatour : DLT2327.

Jean-Jacques Werner a été séduit par le poème quasi mystique de Sylvia Undata et s’est efforcé d’en traduire le caractère cristallin et mystérieux. L’œuvre n’est évidemment pas facile. Elle divise assez souvent les voix. Mais le résultat vaut la peine qu’on se donnera à la mettre au point.

 

 

Daniel Blackstone.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Isabelle WERCK : Edvard Grieg, Paris, Bleu nuit éditeur, Collection « Horizons », 2014, 176 p. 20 €. 

Poursuivant sa série de monographies dont la valeur pédagogique est indéniable — car il s’agit d’une divulgation bénéficiant d’une remarquable clarté tout en étant très bien documentée —, Isabelle Werck a élargi ses « horizons » aux Pays nordiques dans la mouvance de la Norvège, avec son musicien national traditionnel : Edvard Grieg (1843-1907) qu’elle présente successivement par tranche de vie, avec les analyses d’œuvres correspondantes. Très attaché à sa patrie et à ses traditions, il est surtout connu par Peer Gynt .  Ses autres œuvres (vocales, piano et musique de chambre) semblent avoir été quelque peu sousestimées. La Norvège est située dans ses divers contextes, marquée au XIXe siècle par une certaine influence germanique. L’auteur évoque l’ambiance familiale (quatrième enfant sur cinq), son environnement : maison, Bergen, École Tank… À 15 ans, Grieg quitte sa famille, s’installe à Leipzig. Après avoir obtenu son diplôme, il se rend compte de sa vocation de musicien nordique et, de 1862 à 1866, s’ouvre à un idéalisme national, rencontre à Copenhague, entre autres, Niels Gade et, à Rome, le dramaturge Henryk Ibsen. Alors « il ne pressent pas qu’un Peer Gynt ultra célèbre va les unir plus tard. » Les Analyses I concernent les œuvres de la période 1862-1866 : piano, mélodies, musique de chambre, orchestre. Le chapitre suivant aborde La décennie de Christiania (1866-1877) où il s’installe. Professeur de solfège, composition et piano à l’Académie, il dirige aussi la Société Philharmonique. À partir de Noël l867, il collabore notamment avec l’écrivain B. Bjornson. L’année 1874 est décisive avec la commande du chef d’œuvre Peer Gynt. Il s’installe à Bergen. Les Analyses II concernent les œuvres de la période 1867-1876 : pièces lyriques pour piano, chants et danses norvégiennes, mélodies (textes de B. Bjornson et H. Ibsen), musiques de chambre, orchestre, chœur, Peer Gynt. Le Chapitre : De vacances en itinérances (1877-1892) le situe « au vert, dans un lieu tranquille » où il s’attache aux grandes formes. Il se rend à Cologne pour la création de son Quatuor, puis donne des concerts à Copenhague. Réinstallé à Bergen en 1880, où il dirige l’Orchestre Harmonien, il connaît un « retour de créativité ». Comme il ressort des Analyses III, il compose notamment de nombreuses pages pour piano, des recueils de mélodies, un Quatuor à cordes, des œuvres pour orchestre et chœur. Le dernier chapitre : Les rayons du soir (1893-1907) souligne ses difficultés à créer, car sa santé est « en decrescendo ». Il continue à donner quelques concerts, s’engage sur le plan politique et social en 1899, poursuit ses voyages, mais sa mort approche. Les Analyses IV évoquent les œuvres de la dernière période (1894-1907), avec des pièces lyriques pour piano, des mélodies et sa Danse symphonique qui est un peu sa véritable « symphonie », les quatre Psaumes (1906) — en fait : Hymnes, et non Psaumes bibliques —d’après d’anciennes mélodies norvégiennes. En conclusion, Isabelle Werck insiste judicieusement sur l’authenticité de la démarche de Grieg, la « vérité du ressenti » et rappelle que « la valeur dont Grieg reste conscient est celle de son appartenance à un univers enchanté, mais en porte-à-faux avec son temps ». L’intérêt de cette monographie est encore rehaussé par une abondante iconographie, un Catalogue détaillé des œuvres par genre ; un remarquable Tableau synoptique (vie, événements) ; une Bibliographie et une Discographie sélectives. À lire et à relire. Voici un indéniable apport à la musique norvégienne et à Edvard Grieg en particulier, musicien et poète intimiste.

Édith Weber.

 

Élisabeth BRISSON. FAUST. Biographie d’un mythe. 1 vol. Ellipses, 2013, 360 p.  www.editions-ellipses.fr.

Jeune homme insouciant ou vieil alchimiste à la recherche de la pierre philosophale, Faust a pour caractéristique essentielle sa proximité avec le diable. Ses origines remontent au XVIe siècle, où il apparaît pour la première fois dans un ouvrage anonyme racontant l’histoire du Docteur Faustus. Entre mythe et personnage historique, la figure de Faust tient, à la fois de Servet, Paracelse, Érasme ou encore, paradoxalement, du Christ ! A la fois bon et mauvais ange, Faust a fini, grâce à Goethe, par incarner un mythe moderne. Figure  éminemment plastique, il a été convoqué dans des contextes bien différents, religieux, dramatique, fantastique, philosophique, opératique et poétique…. Faust donne une image polymorphe de la condition humaine et de ses questionnements, de ses limites, de ses rapports à la mort, au travers de l’histoire des nombreuses références esthétiques qui en émanent. En même temps qu’il symbolise une altérité intemporelle, il devient le support de diverses créations artistiques. Élisabeth Brisson évoque, dans ce livre remarquable, d’abord les aspects historiques de la figure faustienne, reflet du siècle de l’Humanisme et de la Renaissance, avant d’aborder son rôle dans l’émergence d’une culture allemande spécifique, signalant également l’importance de Goethe dans la métamorphose de Faust en véritable mythe. Dans la dernière partie de l’ouvrage, l’auteure étudie le rôle de l’aiguillon faustien dans la création artistique, et notamment dans le domaine musical, avant de conclure sur des aspects plus esthétiques et sociologico-politiques. Concernant plus spécifiquement la musique, Faust fut à l’origine de l’émergence de l’opéra allemand et de la musique fantastique dont le Faust de Spohr, en 1813, marque la date fondatrice. Nouveau genre, seul  capable de dépasser l’opposition entre Singspiel et opéra italien, l’opéra romantique allemand trouvera sa forme la plus aboutie dans le Freischütz (1821) de Carl Maria von Weber. Le relai sera pris, à son tour, par Félix Mendelssohn avec sa ballade dramatique pour solistes, chœur et orchestre, la Nuit de Walpurgis (1832) d’après le premier Faust de Goethe. Toujours à l’origine de genres musicaux nouveaux, Faust a présidé à la naissance du lied romantique dont Marguerite au rouet de Schubert est peut-être le plus saisissant exemple, et à celle de l’oratorio profane, comme les Scènes de Faust de Schumann d’après le second Faust de Goethe, se donnant ainsi pour but d’affirmer une sorte de spiritualité non religieuse, en même temps que d’exprimer ce qui se joue au plus profond de l'Être, faisant, alors, de la musique le vecteur d’une révélation. Un second Faust dont Mahler saura, à juste titre, se souvenir dans sa monumentale Huitième symphonie, l’associant au Veni Creator, témoignant d’une part, de l’élévation spirituelle apportée par la musique dans le cadre de la religion de l’art, et d’autre part, de l’élaboration d’un nouveau langage, conférant à la musique son indispensable autonomie. Liszt (Faust symphonie et Méphisto valses) et Berlioz (Huit scènes de Faust) par leurs compositions, participeront de cette autonomie et de cet éclatement de la forme qui conduira à l’atonalité et au bouleversement de l’univers opératique, ce dont atteste la Damnation de Faust (1846) qui voit se succéder les scènes sans continuité dramatique, répondant à la seule et imprévisible logique du rêve. Le Faust de Gounod (1859) et le Mefistofele de Boïto (1868) confirmeront cette évolution favorisant la popularisation de l’opéra, et en modifiant le statut, le faisant sortir de la narration continue pour l’orienter vers un questionnement plus métaphysique, plus éloigné des conflits passionnels. Voici un livre en tout point passionnant, qui va bien au-delà des simples rapports entre la figure faustienne et la musique, pour envisager les différentes facettes du personnage, comme autant de tiroirs que le lecteur curieux aura à cœur d’entrouvrir et d’étudier selon ses aspirations propres du moment. Un ouvrage érudit, bien écrit, bien documenté, à lire et à relire.

Patrice Imbaud.

 

Constantin FLOROS. Alban Berg et Hanna Fuchs. Suite lyrique pour deux amants. 1 vol. Actes Sud, 2014, 232 p, 20 €.

Voici un livre qui mêle histoire d’amour et musicologie, ce qui n’est pas si fréquent. L'ouvrage de Constantin Floros rapporte, pour la première fois en français, la correspondance, officielle et surtout secrète, adressée par Alban Berg à Hanna Fuchs, pendant les dix années que dura leur liaison épistolaire, témoignage d’un amour malheureux et platonique qui inspira notamment la Suite lyrique ; une œuvre musicale importante, qui répond à la Symphonie Lyrique de Zemlinsky, et conçue en 1925-1926, initialement pour quatuor à cordes, puis transcrite pour orchestre à cordes en 1929, que cette correspondance récemment retrouvée, éclaire d’un jour nouveau, plus ésotérique. C’est en mai 1925, lors d’un séjour à Prague, qu’Alban Berg, venu assister aux répétitions de « Trois fragments de Wozzeck », invité par le couple Fuchs-Robettin, passionné de musique, tomba éperdument amoureux de la femme de son hôte, Hanna. Témoignage de cet amour, une série de 26 lettres, dont 14 secrètes découvertes dans les années 1970, et la Suite lyrique que Berg adressa à Hanna comme un message codé à sa « bien aimée lointaine ». Une correspondance qui en dit long sur l’état psychique du compositeur (exaltation, résignation, dépression) ainsi que sur le retentissement de cette liaison sur ses facultés créatrices. La Suite Lyrique était initialement prévue en quatre mouvements, avant qu’Alban Berg ne la structure en six (allegretto giovale, andante amoroso, allegro misterioso, adagio affetuoso, presto delirando et largo desolato), dont on peut suivre le programme complet dans une lettre datée du 23 octobre 1926. Il confia secrètement un exemplaire de cette œuvre à Hanna en 1928. Cet exemplaire, annoté des mains du compositeur, permet une lecture décryptée où apparait l’attrait de Berg pour la numérologie, les anagrammes, les citations et les séries secondaires. Pas moins de trois citations de Zemlinsky, tirées de sa Symphonie Lyrique, apparaissent en vingt endroits différents dans la Suite Lyrique, sur les phrases : « Tu es à moi…Toi qui hantes mes rêves infinis…Fais que l’amour devienne souvenir et la douleur un chant ». Il en va de même pour le Tristan und Isolde de Wagner, cité à plusieurs reprises dans le largo desolato. Berg envisagea également nombre de combinaisons bâties sur les quatre notes B, A, F, H (si, la, fa, si bécarre) correspondant aux initiales de deux amants, et donna une importance toute particulière aux chiffres 23 et 10, en référence à lui-même et à Hanna. Enfin, la Suite Lyrique est écrite pour moitié de façon librement atonale, tandis que l’autre moitié répond à la technique dodécaphonique et même sérielle, voire sérielle totale, pour les esquisses qui ne furent pas utilisées dans la composition finale, les manipulations sérielles répondant bien évidemment à un projet très original, poétique et amoureux de rapprochement, d’union et de séparation des deux amants. Un livre qui nous conte une histoire d’amour, mais surtout sa transcription musicale, comme une énigme, unique en son genre, dont le lecteur curieux ne manquera pas de rechercher les solutions à l’écoute de l’œuvre musicale dédiée. Signalons à ce propos la sortie récente du disque de Jean-Guihen Queyras et de l’ensemble Resonanz consacré à cette œuvre, parue sous label Harmonia Mundi (Cf. infra rubrique CDS & DVDS). Un livre qui, au-delà du factuel, interroge également les rapports entre biographie et création. A lire et à écouter attentivement.

 

Patrice Imbaud.

 

Nicolas Southon : « Les symphonies du Nouveau Monde. La musique aux États-Unis ». 1 vol. 12 x 18 cm, Fayard/Mirare, 2014, 180 p, 15 €.

Cet ouvrage, paru à l'occasion de la Folle journée de Nantes, constitue une intéressante et compréhensive introduction à la musique américaine. Le propos de son auteur est de porter un regard sur le rôle joué par les États-Unis dans la constitution d'une nouveauté en musique. Cette Amérique, qu'Edgard Varèse décrit comme « symbole de découvertes – de nouveaux mondes sur terre, dans le ciel, ou dans l'esprit des hommes », a enfanté d'innombrables musiciens. Elle en a attiré bien d'autres venus d'Europe. Les liens entre le nouveau et le vieux continent sont indissolubles : les européens, qui rêvent de liberté, s'en vont courtiser des terres inconnues ou protectrices des droits bafoués en-deçà de l'Atlantique, les américains n'ont de cesse de se rendre en Europe pour s'imprégner des courants germaniques ou français, ou y étudier auprès de cette personnalité incontournable qu'est Nadia Boulanger, «  la pédagogue la plus respectée de la planète », et dont la classe a vu passer tant de musiciens américains, à commencer par Aaron Copland. La musique dite américaine trouve ses origines dans les missions espagnoles, au milieu de XVI ème siècle. On assiste vite à l'éveil d'une vraie conscience musicale, et dès le XIX ème, à l'apparition des premières infrastructures, les grandes salles de concerts, creuset d'une vie musicale débordante. La démarche de Nicolas Southon est chronologique et thématique à la fois, permettant de repérer toutes les grandes figures, et les moins connues aussi, qui ont fait et continuent à faire de cette musique ce qu'elle est. Très vite vont-elles se libérer de tout carcan, et allégrement mêler les influences les plus diverses. C'est la rencontre du jazz et de la musique savante, ou du folklore et du « musical », voire plus près de nous, du folk ou du rock. Le XX ème siècle voit l'explosion des talents : Outre les fondateurs, Gershwin, Porter, Copland et autre Bernstein, c'est l'avènement des minimalistes (Steve Reich, Philipp Glass, John Adams), des éclectiques (Morton Gould, Ned Rorem), des « expérimentateurs » (Varèse, Henry Cowell), ou des néoclassiques (Lukas Foss, Eliott Carter). Il faut bien catégoriser ce qui, en fait, se veut pluralité et refuse de se voir enserrer dans un style. Les plus divers cohabitent et tous les genres sont investigués, même l'opéra dont la veine US ne se réduit pas au seul Porgy and Bess. « Cette musique est américaine, parce qu'elle est faite par des Américains » écrivait en 1963 Virgil Thomson. Au-delà de son aspect tautologique, la formule veut bien dire ce qu'elle sous entend : il existe une école américaine. Si le propos est nécessairement cursif, eu égard au caractère même  d'un ouvrage de vulgarisation, il n'est pas pour autant superficiel, et le lecteur saura faire son profit de cette approche des multiples aspects de la vie musicale nord américaine. Sa lecture lui donnera sans doute l'envie de chercher à en savoir plus sur tel ou tel. Ce n'est pas le moindre mérite de ce livre.

Jean-Pierre Robert.

 

Makis Solomos : De la musique au son – L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles. 1 vol. Presses universitaires de Rennes,  collection Æstetica, 2013, 545 p. 24 €

Une première approche de l’ouvrage du Professeur Makis Solomos(1), publié par les Presses universitaires de Rennes, donne l’impression que le propos est conçu dans l’esprit de la musica speculativa médiévale. Une lecture plus attentive confirme que ce travail est essentiellement réservé à des étudiants ainsi qu’à un public averti, convaincu par la thèse de cette étude selon laquelle le son est principalement pure matière. Après une introduction, à la fin de laquelle l’auteur prend bien soin de préciser que « ce livre est écrit par un musicologue » (p. 19), six chapitres offrent une explication du matériau musical tel que nous pourrions, désormais, le considérer : Du timbreDu bruitÉcouter (les sons)Immersion sonoreComposer le sonL’espace-son. La conclusion tente de convaincre « que l’émergence du son dans la musique ne constitue pas le symptôme d’un matérialisme triomphant débouchant sur des pratiques de consommation fétichistes » (p. 494). Une fort copieuse bibliographie (p. 499-522) suit précédant un index (p. 523-542), fort intéressant, qui permet de circonscrire les courants et les concepts qui constituent la charpente de cette recherche.

Je me suis posé beaucoup de questions à cette lecture et c’est probablement en cela que réside le mérite de ce livre. Ainsi, la « vie intérieure du son » (p. 235-246) me semblait-elle, de prime abord, un thème passionnant lorsque l’objet-son est susceptible de devenir sujet. Toutefois, il ne saurait exister, en soi, une « vie intérieure des sons », la vie intérieure étant essentiellement d’ordre psychologique. Le son-objet est entendu, analysé, valorisé, expliqué, composé, travaillé par un sujet-personne responsable de ses choix. La relation sujet-objet relève, une fois de plus, de l’excitabilité-réactivité, phénomène de base qui caractérise toute forme de vie.

La quatrième de couverture précise que « le son est devenu l’un des enjeux majeurs de la musique ». Ceci semble assez étonnant comme présupposé car la relation entre le ton et le son, en tant que dualité complémentaire, a toujours existé. Il semble bien, en l’occurrence, que l’option positiviste et la valorisation évolutionniste correspondent à la réflexion de M. Solomos. Cela peut se discuter car, selon la psychologie des motifs, « l’évolution consiste dans l’interpénétration de deux principes du monde apparent : Matière et Esprit »(2). Autrement dit, l’évolution n’est pas relative au progrès même si les deux termes ont été synonymes au cours du XIXe siècle.

Dans ses Fondements de la musique dans la conscience humaine (1961), le chef d’orchestre et mathématicien suisse Ernest Ansermet (1883-1969) – cité par M. Solomos comme « adversaire historique de l’atonalité » (p. 280) – parlait du phénomène sonore et de la « nécessité de se libérer du point de vue scientifique [….] insuffisant ». En d’autres termes, il lui importait avant tout de comprendre ce qui vient de soi-même « en tant qu’homme, et dans la conscience qu’il en a, ce qui vient des choses. […] La musique est tout entière, timbre et intensité compris, une donnée de conscience ».

Je ne retrouve pas cet esprit dans le livre de Makis Solomos qui, au contraire, suggère un surprenant parcours « qui mène de la musique au son ». Tout de même, la musique des XXe-XXIe siècles n’est pas sortie d’un chapeau. Par conséquent, il est assez révélateur que cet ouvrage fort savant m’ait donné l’envie de relire certaines considérations d’autres auteurs sur le sujet. Ainsi, le critique musical et philosophe autrichien Friedrich Johann Thomas von Hausegger (1837-1899) – judicieusement cité par la musicologue allemande Helga de la Motte-Haber(3) – « interprète-t-il cette mystérieuse capacité à produire des sons, où Darwin n’avait pas vu d’utilité, comme une expression primaire de l’émotion et comme source de la musique ».

L’éminent compositeur et théoricien de la musique Leoš Janáček (1854-1928) – que je pensais pouvoir trouver dans l’index de M. Solomos – écrivait, le 2 août 1924, dans une lettre adressée à l’écrivain tchèque Max Brod (1884-1968) : « Et moi je dis qu’un son pur ne signifie rien tant qu’il n’est pas enfoncé dans la vie, dans le sang, dans le milieu. Sinon, il n’est qu’un jouet sans valeur. » Que cela est bien dit, avec toute la connaissance et l’immense expérience de l’auteur de Jenůfa. Plus près de nous, le regretté et immense chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache (1912-1996) nous a légué une très pertinente réflexion sur le son en sachant bien le différencier à partir de l’allemand : « Que savons-nous du son [Klang] et finalement du son [Ton] musical ? Pas beaucoup plus que l’homme préhistorique qui, obéissant à une impulsion intérieure vers la liberté, l’a découvert par une recherche inspirée et, sans le savoir, l’a emprunté à l’univers(4). » J’ajouterais volontiers l’univers intérieur (microcosme) aussi bien que l’extérieur (macrocosme). Par sa réflexion féconde, Celibidache mettait bien en évidence les limites de la phénoménologie selon le philosophe et mathématicien allemand Edmund Husserl (1859-1938).

Il est certain que, pour d’aucuns, « émerge », en effet, une nouvelle conception, une approche radicalement différente du son en tant que phénomène physique, uniquement. Dans d’autres domaines, la mise en question de ce qui précède agit sans coup férir. Néanmoins, « penser la musique » implique un mouvement psychique, c’est-à-dire une « émotion ». Celle-ci ne saurait être de nature purement intellectuelle ou acoustique. Les recherches de Makis Solomos me semblent, en cela, assez proches des travaux du Dr John A. Sloboda qui a, entre autres, publié en 1985, The Musical Mind: The Cognitive Psychology of Music (Oxford University Press), un livre d’une extraordinaire sécheresse.

La conclusion de M. Solomos (p. 491-497) souligne la difficulté de définir clairement le mot « musique ». Les ethnomusicologues en refusent sa dimension universelle tout comme celle du son. Ils oublient, ce faisant, la loi d’intégration-différenciation et la relation du simple au complexe tout en faisant de la phylogenèse du langage musical un pur épiphénomène. À cet égard, il serait fort intéressant de consulter attentivement l’excellente et très pertinente entrée « Music » (as a universal phenomenon) de la dernière édition du New Grove(5) signée par le musicologue et ethnomusicologue Bruno Nettl. Ce dernier explique, d’une façon convaincante, comment surmonter le problème en l’abordant avec tous les outils indispensables qui, pour la plupart, n’abandonnent pas des dualités fondamentales telles que Esprit-Matière, Symbole-Concept, par exemple. Qu’il en soit remercié.

James Lyon.

 

(1) Professeur de musicologie à l’université Paris 8.

(2) Paul DIEL, Le symbolisme dans la mythologie grecque, Paris, Payot, 1952, p. 119-120.

(3) Helga de la MOTTE-HABER, « Principales théories scientifiques en psychologie de la musique : les paradigmes », in : Psychologie de la musique, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 41.

(4) Sergiu CELIBIDACHE, La musique n’est rien. Textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique, Arles, Actes Sud, 2012, p. 37.

(5) Bruno NETTL, « Music », in : NGroveD, London, Macmillan Publishers Limited, 22001, t. 17, p. 425-437.

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CDs et DVDs

 

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« O Maria, dulcis rosa ». Regula Konrad, soprano. Il desiderio. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1420. TT : 51’ 04.

Ce disque se présente comme une anthologie de chants mariaux et de musique instrumentale à l’époque prébaroque. Il est réalisé par Regula Konrad (soprano), concertiste internationale, et l’Ensemble de musique ancienne Il desiderio, fondé en 1998 par Hans Jakob Bollinger.  Rappelons que la dévotion mariale, influencée par le Christianisme oriental, s’est développée en Occident à partir de la fin du premier millénaire. Parmi les chants traditionnels, figurent l’antienne Salve Regina traitée par Claudio Monteverdi en 1641 dans son recueil monumental Selva morale… et en forme de motet par Alessandro Grandi (Venise, 1621) ; le chant : Maria, dolce Maria, de Francesca Caccini (Florence, 1618). D’autres thèmes bibliques sont abordés : Surge propera amica mea…, d’après le Cantique des cantiques (Concerti ecclesiasticide Giovanni Paolo Cima, Milan, 1599), ou encore la louange par le chant : Jubilent omnes, filii Dei, canite cantoresLe volet profane, interprété par l’Ensemble Il desiderio, comprend, entre autres, une Sonate à 4 parties extraite des Concerti ecclesiastici (G. P. Cima, 1599), la 9e Canzone « la Federica » de Pietro Lappi (v. 1575-1630), la chaconne (Naples, 1650) d’Andrea Falconiero, ou encore la Sonate sopra la Bergamasca (Venise, 1642) de Salomone Rossi (v.1570-1630). Toutes ces pièces sont très représentatives de l’esthétique italienne prébaroque. Elles sont interprétées vocalement et instrumentalement avec lyrisme, virtuosité et « exigence » : Il desiderio signifiant précisément exigence.

 

Édith Weber.

 

Johann Sebastian BACH : Ich elender Mensch - Leipzig Cantatas. Collegium Vocale de Gand, dir. Philippe Herreweghe. 1CD PHI (www.outhere-music.com) : LPH 012. TT : 78’ 15.

À côté des enregistrements déjà anciens de Helmuth Rilling, ceux de Philippe Herreweghe à la tête du Collegium Vocale de Gand — qu’il a créé en 1970 — tiennent compte des récents critères d’interprétation de la musique baroque élaborés il y a quelques décennies. Ses mérites sont reconnus depuis longtemps et, comme on le sait, l’excellent chef qui privilégie le texte authentique et la rhétorique, obtient une « palette sonore transparente » contribuant largement à sa réputation. Il a d’ailleurs lancé son propre Label (PHI). Sous-titré « Cantates de Leipzig », cette réalisation en comprend quatre : Ich elender Mensch, wer wird mich erlösen (BWV 48, prévue pour le 19e dimanche après la Trinité 1723) ;  Herr, wie du willt, so schick’s mit mir (BWV 73, pour le 3e dimanche après l’Épiphanie 1724 (exceptionnellement donnée en l’Église St-Nicolas) ; Sie werden euch in den Bann tun(BWV 44, qui termine le cycle de Cantates composées à Leipzig) ; Ich glaube, lieber Herr, hilf meinem Unglauben ! (BWV 109, pour le 21e Dimanche après la Trinité).  Dès les premières mesures de la Cantate 48, l’orchestre introduit la plainte et les soupirs du Chœur, exprimant la souffrance et la détresse, puis la confiance, car « la main de notre Sauveur accomplit ses miracles aussi parmi les morts » jusqu’au Choral harmonisé traduisant le réconfort face à l’affliction. La Cantate 73 traduit la soumission à la volonté du Seigneur, consolation et refuge pour le chrétien ; le Choral conclusif s’impose par l’homogénéité des voix et la remarquable diction. La Cantate 44 : Ils vous excluront… commence par une Aria de Ténor et Basse énonçant l’incipit, suivie d’un chœur annonçant que « l’heure vient » et d’une Aria d’Alto rappelant que les chrétiens n’échapperont pas aux tourments. Ensuite, le Choral et le Ténor reprennent le texte bien connu : Ach Gott, wie manches Herzeleid, allusion au chagrin et aux tribulations, et la Basse s’en prend à l’Anté-Christ. Le soprano annonce le réconfort, et le Choral conclusif : In allen meinen Taten reprend la 7e strophe du Choral O Welt, ich muss dich lassen (d’après la mélodie de la chanson Innsbruck, ich muss dich lassen). Philippe Herreweghe, avec ses choristes et instrumentistes, recrée fidèlement l’atmosphère voulue par J. S. Bach. Il en sera de même de la Cantate 109 avec une introduction plus allante  mettant les timbres instrumentaux en valeur et se terminant sur le Choral Wer hofft in Gott und dem vertraut… (Celui qui espère en Dieu), 7e strophe du Choral Durch Adams Fall is ganz verderbt. L’excellent chef réserve un sort royal à cette cantate de caractère concertant. Le disque est complété par l’aria à 5 voix :  Komm, Jesu, komm de Johann Schelle (1648-1701) — à ne pas confondre avec le Motet éponyme de J. S. Bach pour double chœur. Selon Chr. Wolff, auteur de l’excellente présentation quadrilingue, il s’agit d’un texte funèbre de Paul Thymisch, destiné, en 1684, aux funérailles du Professeur J. Thomasius, Recteur de l’École Saint-Thomas. Rappelons que J. Schelle a été Cantor après Sebastian Knüpfe, et également le directeur Chori musici à Leipzig. Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale de Gand ont signé une merveilleuse illustration de la pratique musicale à Leipzig en l’Église Saint-Thomas, au temps de J. S.  Bach.

Édith Weber.

 

Jean Sébastien BACH : Sonatas for Viola da gamba & Harpsichord (BWV 1027-1029). Marianne Muller, viole de gambe, Françoise Lengellé, clavecin. 1 CD ZIG ZAG TERRITOIRES  (www.outhere-music.com) : ZZT 340. TT : 71’ 09.

Marianne Muller — gambiste, élève de W. Kuijken (Conservatoire de La Haye), concertiste internationale — a fondé en 2005 l’Ensemble « Spirale » avec la basse de viole en soliste. Elle s’est associée à Françoise Lengellé — claveciniste, Premiers Prix (CNSMD, Paris) en clavecin  et en musique de chambre, dans les sillages de Kenneth Gilbert, Ton Koopman et Gustav Leonhardt —, soucieuse « de restituer une réalité musicale du XVIIe et du XVIIIe siècles ». Toutes les deux forment une équipe très expérimentée et en parfaite connivence artistique. Les instruments utilisés sont : deux violes à 6 cordes de Pierre Jaquier, modèle viola bastarda (2004) et l’autre, modèle anglo-allemand (1993), archet de Craig Ryder (2005) ; un clavecin allemand de David Ley (2005), fidèle copie d’un instrument de Heinrich Gräber (Dresde, 1739). Elles proposent une remarquable version des Sonates pour viole de gambe et clavecin (respectivement : BWV 1029-1027-1028) : n°3 (Sol mineur), avec un Vivace bien appuyé contrastant avec un Adagio plus méditatif, débouchant sur un Allegro percutant ; n°1 (Sol majeur), dans laquelle le clavier se taille la part du lion ; n°2 (Majeur), en 4 mouvements, après un bref Adagio, un Allegro débouche sur un Andante plus intériorisé. La Sonate n°6 (Sol majeur, BWV 1019) — prévue pour violon et clavecin —, bénéficie d’une transcription pour viole de gambe ; plus développée, elle est structurée en 5 mouvements contrastés (vif, lent, en alternance). Les deux éminentes interprètes s’imposent par leur parfait équilibre, leur intelligence des partitions du Director musices à la Cour de Coethen, leur restitution exceptionnelle dans l’esprit de J. S. Bach. Cette belle réalisation du Label Zig Zag Territioires se doit de figurer impérativement dans toute discothèque d’amateur éclairé.

 

Édith Weber.

 

Caroline BOISSIER-BUTINI : Sonates pour piano. Caprice sur l’air d’une ballade écossaise. Deux airs languedociens. Edoardo Torbianelli, pianoforte. 1 CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1418. TT : 68’ 05.

Toujours à l’affût de thèmes originaux, Olivier Buttex (VDE-GALLO) avait relancé, en 2009,  un CD portrait de Caroline Boissier-Butini (née à Genève le 2 mai 1786 et morte dans cette même ville, le 17 mars 1836). Elle a épousé Auguste Boissier (violoniste amateur) qui a soutenu ses activités de pianiste et de compositeur. Les partitions ont été découverts en 2002 à la Bibliothèque de Genève et — selon l’état actuel des recherches —, elle est « l’une des personnalités musicales les plus polyvalentes de sa génération en Suisse ». Excellente concertiste, elle s’est produite à Genève et à Paris où elle se considère comme étant « meilleure que les clavecinistes de Paris ». Elle a composé des pièces de virtuosité destinées à plaire et à impressionner, exploité des motifs populaires de divers pays. Edoardo Torbianelli a retenu un pianoforte Broadwood (avec mécanique anglaise à poussoirs, pédalier (lyre) et touches diatoniques en ivoire, touches chromatiques en ébène) pour ses récitals aussi bien en Europe qu’en Colombie. Il est professeur de fortepiano, de musique de chambre, préconise des critères historiques d’interprétation. Il a regroupé  six œuvres : deux Sonates pour piano, bien que ce genre ne soit, à l’époque, représenté en France que par des musiciens allemands. Dans son Caprice sur l’air d’une ballade écossaise [Roy’s Wife of Aldivalloch] sur une des chansons les plus connues en Écosse, peut-être dans le sillage du retour à la nature (cf. J.-J. Rousseau), le Prélude : Maestoso, de facture assez classique  est suivi de variations avec des « envolées virtuoses » qui traduiraient peut-être sa vision de « l’Écosse balayée par des éléments déchaînés ». Ce Caprice se termine sur un Presto de caractère brillant. Sa Sonatine 1ère (composée en 1817 et 1820) est dédiée à sa fille ; sa finalité pédagogique est indéniable. Deux airs languedociens : Le beau Tirciset Pastourelletta Presto ayant inspiré ses Variations semblent souligner ses liens avec la culture occitane, alors que, vers 1818, elle s’est inspirée d’airs bohémiens très à la mode pour ses Caprice et variations, peu conventionnels, destinés à un vaste public. Le pianoforte, daté de 1816 — de facture proche de celui dont disposait Caroline Boissier-Butini — avec ses sonorités quelque peu aigrelettes, convient parfaitement à ce répertoire à découvrir. Edoardo Torbianelli, par sa solide technique, son jeu transparent, sa virtuosité, contribue largement à la redécouverte de cette compositrice suisse. Musique agréable à entendre.

 

Édith Weber.

 

Hector BERLIOZ : Symphonie Fantastique. Transcription pour orgue, de et par Yves Rechsteiner, orgue. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1416. TT : 54’ 43.

La transcription — art de l’adaptation d’une œuvre musicale, à un autre (ou plusieurs) instrument(s) pour le(s)quel(s) elle n’était pas pensée à l’origine — est une pratique courante. Entre autres, Ferruccio Busoni (1866-1924) est célèbre par ses transcriptions d’œuvres d’orgue de J. S. Bach pour des formations instrumentales. Dans le cas inverse, il peut s’agir d’une réduction à un seul instrument : c’est le cas de la Symphonie Fantastique, Op. 14 (1830) d’Hector Berlioz (1803-1869), réduite pour orgue par Yves Rechsteiner, et interprétée à l’Orgue Puget de La Dalbade (Toulouse). Rappelons que cette symphonie « à programme » comprend 5 mouvements : Rêveries. Passions ; Un bal ; Scène aux champs ; Marche au supplice et Songe d’une nuit de Sabbat. Sous-titrée : « Épisode de la vie d’un artiste », elle baigne dans la passion romantique. Par ses sonorités, l’orgue a l’avantage de mettre en valeur certaines lignes mélodiques, d’attirer l’attention sur des détails échappant à un orchestre et ainsi de faire découvrir un autre paysage sonore, traduisant des effets parfois plus authentiques que dans l’œuvre originale. Yves Rechsteiner — né en 1969, élève du Conservatoire de Genève (Orgue et Clavecin) et de la Schola Cantorum de Bâle (Fortepiano et Basse continue) — a le mérite d’avoir réalisé cette transcription. Il recrée à l’orgue le climat romantique du premier mouvement ; l’ambiance entraînante du Bal ; le caractère pastoral (avec le ranz des vaches) dans la Scène aux champs ; le caractère sombre, puis solennel (avec retour de l’idée fixe) dans la Marche au supplice et, enfin, dans le Songe d’une nuit de Sabbat, il traduit aussi bien des bruits étranges que des gémissements et des éclats de rire débouchant sur une expression grotesque qui fait entendre conjointement la Ronde du Sabbat et le thème du Dies irae dont le caractère rude ressort très bien à la pédale. Cette réalisation impressionnante doit être écoutée et réécoutée avec autant de curiosité que de conviction.

Édith Weber.

 

Gabriel FAURÉ. Maurice DURUFLÉ : REQUIEMS français. 1CD JADE (www.jade-music.net) : 699  802-2. TT : 77’ 28.

Les Éditions JADE ont réalisé en 2013 un disque historique comprenant le Requiem de G. Fauré sous la baguette du regretté Jean Fournet et celui de M. Duruflé qu’il dirige, accompagné à l’orgue par Marie-Madeleine Duruflé-Chevalier (1921-1991), co-titulaire de la tribune de St-Étienne-du-Mont (Paris). Les discophiles réécouteront aussi avec plaisir, entre autres, Pierrette Alarie (Soprano), Camille Maurane (Baryton) et les Chœurs Élisabeth Brasseur avec le compositeur à l’orgue et l’Orchestre des Concerts Lamoureux pour le premier Requiem enregistré en 1953 ; et, pour le second : Hélène Bouvier (Mezzo-soprano), Xavier Depraz (Basse), les Chorales Philippe Caillard et Stéphane Caillard, à l’orgue : M.-M. Duruflé-Chevalier, sous la direction du compositeur (enregistrement : 1958). Cette confrontation de deux Requiems de compositeurs français est particulièrement instructive. D’après G. Fauré : « On a dit que mon Requiem n’exprimait pas l’effroi de la mort. Quelqu’un l’a appelé une « berceuse de la mort ». Mais c’est ainsi que je sens la mort. Une délivrance heureuse plutôt qu’un passage douloureux. » C’est bien ce que ressentiront les mélomanes, car tout est en douceur et se vit de l’intérieur. Quant à M. Duruflé, il a repris des thèmes grégoriens de la Messe des morts, s’est « efforcé de concilier, dans la mesure du possible, la rythmique grégorienne [Solesmes…] avec les exigences de la musique moderne ». Dans son Requiem (terminé en 1947), il exprime « l’idée de l’apaisement, de la foi et de l’espérance ». Voici un disque historique d’une haute spiritualité.

Édith Weber.

 

Richard FLURY : Suite für Streichorchester. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : 1423. TT : 64’ 10

Richard Flury, né en 1896 à Biberist (Suisse) et mort en 1967 dans cette ville, est à la fois compositeur et chef d’orchestre. Outre ses études musicales, il a suivi des cours de musicologie, d’histoire de l’art et de philosophie aux Universités de Berne, Bâle et Genève, étudié le violon au Conservatoire avec Fr. Hirt, A. Brun, P. Miche ; la composition avec H. Huber ; le contrepoint avec E. Kurt ; l’instrumentation avec G. Auber ; la direction avec F. Weingartner, entre autres. Il a été professeur de violon, a dirigé divers orchestres, et collaboré aux Radios de Zurich et Lugano où il devait privilégier ses propres œuvres qui s’inscrivent dans la tradition postromantique. Il est aussi l’auteur, en 1950, de ses Lebenserrinnerungen (Souvenirs de sa vie). Son Catalogue totalise quelque 80 pages. Le présent disque comprend sa Suite pour orchestre à cordes (1959, enregistrée à Radio Lugano, en 1963), de caractère enjoué (Entrata), puis particulièrement intériorisé (Andantino) contrastant avec la Valse (plus décidée) ; le Finale (Allegro vivace), énigmatique, fait la part belle aux cordes. L’interprétation est évidemment authentique, car l’Orchestre de la Suisse italienne est dirigé par le compositeur lui-même. Son Quatuor à cordes n°6 en ré mineur (1958), conçu en 4 mouvements traditionnels, est réalisé par le Nouveau Quatuor à Cordes de Vienne qui y fait preuve d’équilibre et de cohésion. Enfin, l’autre Quatuor, n°7, en ré mineur, date de 1964, commence par un Allegro molto assez espiègle, se poursuivant avec un Andantino méditatif ; au Vivace (Allegro molto) succède une Fugue transparente dans laquelle les solistes : U. J. Flury et J.-P. Moeckli (violons), W. Kägi (alto) et J. Meier (violoncelle) font preuve d’indépendance et de maîtrise. Excellent regroupement d’enregistrements historiques paru en 2014 sous le Label GALLO toujours soucieux de diffuser la musique suisse.

Édith Weber.

 

Naji HAKIM : Piano Works. Œuvres pour piano. Nicolas Chevereau, piano. 1CD REJOYCE CLASSIQUE (www.rejoyce.fr ) : JOYCLASSIC 15. TT : 74’ 44.

Naji Hakim, né à Beyrouth, le 31 octobre 1955, Libanais naturalisé français, a fait ses études au CNSMP avec R. Boutry, J.-Cl. Henry, M. Bitsch, Rolande Falcinelli, Jacques Castérède et Serge Nigg. Titulaire de nombreux Prix internationaux, il est à la fois organiste, compositeur et professeur (Royal Academy de Londres, CRR de Boulogne-Billancourt). Il a signé des œuvres symphoniques et vocales (Les Noces de l’Agneau, Hymne de l’Univers, Ouverture Libanaise, Symphonie d’Augsbourg ; Saul de Tarse (Oratorio), Phèdre (Cantate), Magnificat, 4 Messes…) et des pages instrumentales. Ce CD se présente comme une Anthologie d’œuvres pour piano assimilées avec maîtrise par Nicolas Chevereau — diplômé, entre autres, de la Schola Cantorum (Paris), de l’Université Paris-Sorbonne et du CNSM. Au printemps 2013, à Paris, il a interprété, en concert, le programme de ce disque dédié à son maître, Aldo Ciccolini. Comme il se doit, cet enregistrement s’ouvre avec l’Ouverture Libanaise (2001), commande de la Ville d’Ingolstadt. Selon le compositeur, il s’agit d’une pièce rhapsodique reposant sur plusieurs thèmes folkloriques libanais utilisant plusieurs rythmes et échelles du Moyen-Orient, citant l’Hymne national libanais à la fin de l’œuvre. Sa Glenalmond Suite (2009) est bâtie sur le carillon éponyme et, comme N. Hakim le rappelle : « commente des citations bibliques se référant au Bon Pasteur ». Elle est structurée en 4 mouvements : Ruisselant (mélodie chantante du carillon), Embrassant (thème en formules obstinées avec harmonies sombres), Souriant (de caractère plus léger) et Jubilant (Rondeau-Sonate et forme variations). Dumia— « Poupée » — (2001) s’inspire d’une berceuse libanaise avec accents déplacés et une échelle caractéristique de la musique folklorique moyen-orientale. Shasta (1986), comme un « ballet imaginaire, est structuré en cinq mouvements : Rondo, Aria, Capriccio, Recitativo et Toccata, mettant en jeu des formules rythmiques énergiques, des effets percussifs et des formules harmoniques caractéristiques autour d’une cellule rythmique obsessionnelle (longue-longue-brève-longue-longue). La Toccata rappelle, dans sa coda, le refrain du rondeau initial. » Le compositeur signale que : « Ces Esquisses Persanes (2012) résultent  d’une commande de mon ami, le Professeur Marc Robert… comportent deux mouvements : Niya Yesh(gnose) et Raqs (danse) bâtis exclusivement sur l’échelle persane DO RÉb MI FA SOLb LAb SI et ses douze transpositions. Les mélismes à deux voix de Niya Yesh figurent la révélation de la connaissance divine à travers la connaissance de soi. Les périodes mélodiques se développent selon un principe de variation. Raqs est un rondo-toccata jubilatoire avec un épisode ornemental inspiré du negro-spiritual Nobody knows the trouble I’ve seen. » Ces Esquisses se terminent en tourbillons, exigeant une grande virtuosité pianistique, tout comme la Valse (2012), variation sur une mélodie populaire de Hanne Kurup. Revenant à ses attaches libanaises, l’œuvre : Aalaiki’ssalaam  (2009) est une succession de variations sur un thème libanais traduisant l’aspiration à la paix à partir d’une mélodie mariale maronite : La paix soit avec toi, en liaison avec les événements tragiques de 2006 au Liban. Les variations débouchent sur une « coda brillante qui éclate de joie ». Ses affinités avec la France sont illustrées par ses Variations sur ‘Auprès de ma blonde’, marche militaire, chanson populaire d’après une mélodie traditionnelle du XVIe siècle sur un rythme de marche donnant lieu à 7 variations et à une conclusion très brillante. Cette Anthologie réalisée par un pianiste chevronné et particulièrement attentif aux intentions du compositeur, démontre la capacité d’invention, notamment dans l’art consommé de la variation. Toutefois, il ne s’agit pas de simples prouesses compositionnelles ou techniques : le message passe à travers des réminiscences folkloriques (libanaises, françaises et afroaméricaines) et une démarche spirituelle évidente.

Édith Weber.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Arias de concert pour ténor. Rolando Villazón, ténor. London Symphony Orchestra, dir. Antonio Pappano. 1 CD Universal DG : 479 1054. TT.: 69'06.

On savait Rolando Villazón désormais résolument tourné vers Mozart. Ses récentes interprétations, à la scène et au disque, de Don Ottavio (Don Giovanni) et Ferrando (Cosi fan tutte), comme encore du rôle titre de Lucio Silla durant la Semaine Mozart 2013 (cf. NL de 3/2013), l'ont démontré. Il dit vouloir aborder tous les rôles de ténor des sept grands opéras. Ce CD n'est donc peut-être pas une surprise. L'originalité vient plutôt de son contenu. Il couvre en effet l'ensemble des airs pour ténor écrits par Mozart soit à l'intention d'artistes particuliers, soit destinés à être insérés dans des opéras d'autres compositeurs, comme il se pratiquait couramment à l'époque, soit encore pour des projets d'opéras, demeurés inachevés. A la première catégorie appartiennent une pièce de jeunesse, l'aria « Va', dal furor porlata », K 21, pour le dramma Ezio, sur un texte de Métastase, ou encore deux airs pour l'opéra bouffe de Niccolò Piccinni, L'astratto, ovvero il giocator fortunato, donné à Salzbourg en 1772. A la deuxième appartient l'aria « Se al labbro », K 295, écrit à l'intention du ténor Anton Raaff, qui allait peu après créer le rôle titre d'Idomeneo : un morceau plein d'éclat et nanti même d'une courte cadence. A la dernière ressortit l'aria « Müsst ich auch», K 435, de 1783, que Mozart aurait projeté d'inclure dans une adaptation allemande de la pièce de Goldoni, « Arlequin, serviteur de deux maîtres », laquelle ne verra jamais le jour. On y trouve encore le récitatif et l'aria K 36, de 1766, destinés à dresser l'éloge de l'archevêque de Salzbourg, Sigismond von Schrattenbach. Tous ces morceaux sont de coupe bipartite, la seconde partie étant généralement plus animée, en contraste ou en miroir. Tout cela est fort intéressant du point de vue musicologique et éclaire un facette peu connue de Mozart. Qu'en est-il de l'interprétation ? La manière du ténor mexicain laisse pour le moins dubitatif. La sincérité n'est pas en cause, comme la santé vocale. Les vocalises sont, certes, irréprochables mais la ligne de chant n'est pas toujours idiomatique dans sa vraie-fausse simplicité. La voix claironnante, boustée dans les aigus, détone presque en pareil territoire. Et on est surpris par des intonations curieuses, plus proches de l'opéra italien du XIXe que de la ligne rigoureuse et immaculée qu'appelle Mozart. Du moins, les talents de comédien de l'artiste ne sont-ils pas en reste, qu'il s'agisse du domaine bouffe ou des accents plus dramatiques. L'accompagnement prodigué par Antonio Pappano et le LSO n'est pas en cause, car on ne peut plus racé. Malgré l'intérêt musical, ce CD s'adresse d'abord aux inconditionnels du ténor.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Symphonies KV 550 & KV 543. Wiener Philharmoniker, dir Sándor Végh. 1 CD Belvedere-edition (belvedere-edition.com) : 10147. : TT.:  61'.

La Fondation du Mozarteum lançait, à l'occasion de la Semaine Mozart 2014, une collection de CD, ouvrant ainsi ses archives ; autant de témoignages précieux des heures prestigieuses des éditions passées de cette manifestation, créée en 1956. Les présentes exécutions des 39 ème et 40 ème symphonies sont issues d'un concert donné le 31 janvier 1992, une des trop rares occasions ayant vu Sándor Végh diriger les Wiener Philharmoniker. Le musicien hongrois, violoniste, ne vint que sur le tard à la direction d'orchestre. Mozart devait rester son compositeur de prédilection, notamment lorsqu'il dirigeait la Camerata Salzburg, de 1974 à 1997. L'exécution de la Quarantième, donnée ici sans les clarinettes, est spacieuse, dès le premier mouvement dont le tempo est confortable, affirmant de façon bien distincte le contrepoint des cordes graves en accompagnement du thème. Il progressera sans hâte, mû par une intense vie intérieure qui adoucit ce que le rythme peut avoir d'implacable. L'impression se confirme à l'andante, avec un deuxième sujet plus sombre. Le menuetto est large lui aussi, et dramatique, le trio offrant un répit plus pastoral. Mais le finale, bien articulé, ne manque pas de punch, n'était l'angoisse sous-jacente qui débouche sur une lutte. Une vision empreinte de classicisme, intensément musicale, avec une formation qu'on sent ne pas être trop nombreuse. La 39 ème symphonie se voit dotée d'une respiration allante. Passé ses premières mesures adagio, solennelles, dans un climat qui fait penser à la scène finale de Don Giovanni, l'allegro progresse de manière volontariste. L'andante, prodigue de thèmes, offre une souveraine richesse qui naît de leur alternance. Après un menuet gentiment bucolique, le finale développe une franche énergie opposant gaité et sérieux, avec des bois très présents. Voilà des interprétations frappées au coin de la grandeur et magnifiquement illustrées par les Viennois.

 

Cette intéressante série propose encore la même Symphonie K 543, mais dans l'exécution de Bernhard Paumgartner, père fondateur de la Mozartwoche, saisie avec sa répétition, en 1966 (CD 10146) ; un florilège de Sonates pour piano (K 283, 330, 333 et 457), le Rondo K 511 et la Fantaisie K 475, captées en 1956 et 1967 par l'admirable Willhelm Backhaus (CD 10148) ; et enfin une rareté, le violon de Mozart, dit « Costa-Violine », de 1764, joué par Esther Hoppe, accompagnée par Florian Bisark, jouant un Hammerklavier, dit « Graf-Flügel » de 1839 (œuvres de Mozart, dont les Sonates K 454 et 526, et de Schubert, avec les Sonates D 384 et D 385 (enregistrements de 2013 ; CD 10145).

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Franz SCHUBERT : Wanderer-Fantaisie D 760. Zwölf Ländler D 790. Drei Klavierstücke op. posth. D 946. Allegretto D 915. Ländler D 366. Kupelwieser Walzer(arrangement de Richard Strauss). Au demWasser zu singer, Der Müller und der Bach, Litanei (transcriptions de Franz Liszt). Bertrand Chamayou, piano. 1 CD Erato : 0825646335831. TT.: 70'24.

Le programme de ce disque, dit Bertrand Chamayou « est une sorte de récital imaginaire, né d'une vision, purement fantasmée, de ce pouvait être une Schubertiade ». Il s'ordonne, plus ou moins chronologiquement, autour des deux pôles que sont la Wanderer-Fantaisie D 760 et les Trois Klavierstücke D 946, que le pianiste entoure de pièces plus courtes pour créer des oppositions ou des effets de complémentarité. A commencer par ces transcriptions, effectuées par Liszt, de trois Lieder réputés pour leur mélodie, inspirée par le thème de l'écoulement aquatique (« Auf dem Wasser su singen » et « Der Müller und der Bach »), ou marquée par l'inspiration religieuse (« Litanei »). Si la patte du maître de Weimar est indéniable, l'esprit schubertien est préservé. La vaste Wanderer-Fantaisie, de 1822, est « la partition la plus brillante, la plus tellurique, et tout simplement la plus noire de notes de son auteur » selon Chamayou. Proche d'une sonate, de par ses quatre mouvements, mais combien différente cependant dans son enchaînement ininterrompu et sa composition dont le disparate des diverses tonalités n'est pas la moindre originalité. Chamayou la porte à une sorte d'incandescence dans ses mouvements extrêmes, emplis d'un mâle vitalité, se déjouant de sa complexité presque orchestrale, et d'une belle élévation de pensée à l'adagio. Les Drei Klavierstücke D 946, de 1828, mais édités quarante ans plus tard, grâce aux bons soins de Brahms, sont proches des Impromptus, dont ils enrichissent singulièrement la forme. De type allegro, ce sont des morceaux denses : sourde énergie en une sorte de course-poursuite, entrecoupée d'une phase plus méditative, pour le premier ; allegretto serein, et charmeur sous les doigts de l'interprète, traversé soudain d'une inquiétante séquence, pour le suivant ; enfin allegro plus insouciant, tricotant divers climats, du troisième. Au milieu de ces morceaux, les 12 Danses allemandes D 790 sont autant de moments de paix, le seul ensemble compréhensif de danses de Schubert, conçu en un déroulement logique, alternant séquences vives et rêveuses. La Schubertiade chimérique se conclut, curieusement, par une courte valse, Kupelwieser Waltzer, arrangée par Richard Strauss en 1943, toute empreinte de nostalgie. Chamayou porte un regard neuf et sans a priori sur ces pièces et offre une liberté de ton dans les changements d'atmosphère. Refus du classicisme pur et dur aussi, au profit d'un pianisme délié, éminemment séduisant, qui n'hésite pas à accentuer le contraste entre forte et panissimo, et d'une élégance sans préciosité.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Anton DVOŘÁK : Quintette avec piano N° 2, op. 81. Joseph SUK : Quintette avec piano op. 8. Ensemble Syntonia (Stéphanie Moraly, Thibault Noally, violons, Anne-aurore Anstett, alto, Patrick Langot, violoncelle, Romain David, piano). 1CD Syntonia : 001 (distribution Abeille Musique). TT.: 72'13.

Voici un fort judicieux couplage, parfaitement logique, permettant d'entendre deux pièces quasi contemporaines du maître Dvořák et de l'élève Suk. Dvořák écrivit son deuxième Quintette pour piano et cordes en 1887, qui affirme un lyrisme indéfectible, avec ses thèmes limpides immédiatement reconnaissables du terroir tchèque, et son jaillissement mélodique. Le deuxième mouvement, sorte d'andante fluide, est intitulé « Dumka », savoir une danse ukrainienne offrant une alternance de séquences méditatives et emportées, à partir de la mélodie égrainée par le piano, et reprise par l'alto. Une douce nostalgie y domine. Le scherzo est un « furiant » tchèque, joué ici avec esprit, pris très incisif et follement entraînant. Un allegro souriant, bâti sur un rythme de polka, cette fois, conclut en apothéose cette apologie du bonheur en musique. Le flair pour le juste tempo, la complicité des protagonistes de l'ensemble Syntonia (du grec ancien « suntonos » : résonner en accord) sont une enchantement. Et il faut louer le pianisme de Romain David, d'une suprême finesse dans le trait. Mais la découverte reste le Quintette avec piano op. 8 de Joseph Suk (1874-1935), disciple de l'auteur de la « Pathétique ». Dédiée à Brahms, cette pièce, de 1893, offre un langage tonal, mais déjà tourné vers la modernité. L'allegro energico, qui l'ouvre, se plait à folâtrer dans des contrées poétiques et à marier rythmes folkloriques asservis au couple tension-relâchement. L'adagio religioso est empreint d'un lyrisme chaud, d'une inspiration sensible et recueillie, aux sonorités pleines dans la ligne de basse. Le scherzo est léger et enjoué, entraîné par le piano, haletant presque, un 2ème thème, introduit par des pizzicatos des cordes, offrant un contraste intéressant. Le finale, con fuoco, renoue avec la fougue du premier mouvement, dans le ton bohémien, cette fois. La comparaison avec la pièce de Dvořák ne saurait être plus édifiante des voies suivies par le compositeur le plus jeune, qui s'affranchit des contraintes auxquelles le premier restera toujours attaché. L'interprétation de Syntonia est enthousiasmante de goût  et d'entrain.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Piotr Ilyich TCHAIKOVSKI : Concertos pour piano et orchestre N° 1, op. 23 &  N° 2, op. 44.  Denis Matsuev, piano. Orchestra of the Mariinsky Theatre, dir. Valery Gergiev.1CD Mariinsky : MAR0548. TT.: 78'32.

L'intérêt de ce CD réside plus dans le Deuxième concerto que dans le Premier. Complété en 1880, et dédié à Nikolaï Rubinstein, qui l'appréciera plus que le premier, le concerto op. 44 sera finalement créé par Serge Taneïv, sous la direction d'Anton Rubinstein. Le premier mouvement, allegro brillante, qui occupe la moitié de la durée totale de l'œuvre, déploie un univers tour à tour simple et complexe, renfermant quelques gemmes, tel le court dialogue du clavier avec la flûte, et surtout la vaste et imposante cadence du soliste, les digressions martelées de celui-ci se succédant comme des vagues déferlantes. Mais on y trouve aussi une atmosphère poétique proche d'Eugène Onéguine, ou encore une certaine solennité. L'andante offre ceci de particulier qu'il propose un triple concerto, le piano étant rejoint dans le rôle de soliste, et à part pratiquement égale, par le violon et le violoncelle. Le lyrisme se fait débordant dans un mouvement de valse lente, et sur le ton de l'improvisation. Le finale, con fuoco, se déroule comme un poème chorégraphié. Il est installé par le piano, qui a retrouvé son rôle prééminent. L'impulsion dynamique restera forte, et cela pétille comme un feu d'artifice, avec ce sens de l'urgence qui caractérise les mouvements rapides chez Tchaikovski. Denis Matsuev en livre une lecture grandiose et éminemment virtuose, aidée par la fougue que Gergiev insuffle à ses musiciens du Théâtre Mariinsky. Son interprétation du Premier concerto n'est pas moins engagée, et déborde de puissance. Le maestoso introductif est massif, on ne peut plus imposant, ce que l'on retrouve lors de la récapitulation du mouvement. Entre temps, on aura pu apprécier la vélocité phénoménale du pianiste russe et sa patte de velours pour des pianissimos immatériels. Comme une agilité quasi infaillible et un sens de la rythmique implacable, presque mécanique dans la trille. L'impression perdure dans l'« andante simplice », que Gergiev déroule avec une absolue sincérité, follement dansant, et au finale con fuoco, pris à un train d'enfer, comme se jouant des sauts d'humeurs, avec les cavalcades effrénées du soliste. Voilà de la manière virtuose à revendre. Mais, à tout prendre, et si l'on fait choix d'un pianiste russe de la jeune génération, on préfère la vision plus raffinée de Daniil Trifonov, parue sous le même label.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Road 66 ». Pièces pour piano de John ADAMS, Keith JARRETT, Percy GRANGER, Samuel BARBER, Amy BEACH, Bill EVANS, Philipp GLASS, Leonard BERNSTEN, John CAGE, George GERSHWIN, Hyung-Ki JOO, Alberto GINASTERA, Aaron COPLAND, Cole PORTER. Shani Diluka, piano. Avec Natalie Dessay, soprano. 1CD Mirare : MIR 239. TT.: 69'59.

Une des vedettes de la Folle journée 2014, Shani Diluka a concocté un programme pianistique passionnant, en hommage à « une Amérique entre fantasmes et réalités ». Le cheminement, qui fait fi de la pure chronologie, est à l'image d'une longue route, la fameuse Road 66, qui traversait les USA, de Chicago à Los Angeles, sur quelques 4000 km, entre les années 1926 et 1985. Le panorama musical est intelligemment construit, où l'on passe allégrement des minimalistes (Cage, Glass, Adams) aux pères fondateurs (Gershwin, Porter, Copland, Bernstein), aux modernes proches du Jazz (Keith Jarrett, Bill Evans), pour aborder les plus contemporains : Amy Beach, Hyung-Kink Joo. On savoure les inspirations les plus diverses, à l'image de cette Amérique si variée, et cette impression d'espaces infinis qui l'a longtemps caractérisée. C'est l'avant garde répétitive d'un John Cage (« In a landscape ») ou d'un Philipp Glass (« Études 9 »), dont la petite musique monotone, mais fort agréable, ne semble pas devoir s'achever), ou encore de John Adams (« China Gates »), où Shani Diluka voit des « méditations hypnotiques ». La mélancolie de « I love Porgy » de Gershwin est aussi attachante que la sinuosité des pièces de Bernstein, ou le balancement du « Pas de deux » de Samuel Barber. Ce sont aussi les tunes jazzy, proches de l'improvisation, voire du blues, imaginés par Copland («Piano  Blues N°1 »). Une mention particulière à « Chandelier », composé par Hyung-Ki Joo au lendemain du 11 septembre 2001, courte pièce commémorative dont la seconde partie semble comme portée par l'espoir. Toutes ces musiques offrent un attrait indéniable avec leur doigt de mélancolie. L'interprétation de Shani Diluka, qui joue un Bechstein, est claire et spontanée. Une excellente introduction à la musique américaine.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« French Romantic Cantatas ». Cantates françaises de Luigi CHERUBINI, Xavier BOISSELOT, Louis Ferdinand HEROLD. Charles Simon CATEL : Ouverture de Sémiramis. Karine Deshayes, mezzo-soprano. Opera Fuoco, dir. David Stern. 1CD Zig-Zag Territoires : ZZT337. TT : 77’15.

Un très beau disque qui surprend, dès les premières notes, par son étonnante présence. Un enregistrement, produit par la Fondation Bru-Zane et édité par le label Zig-Zag Territoires, qui est une invitation à la découverte : celle de cantates romantiques françaises de Cherubini, Hérold et Boisselot, superbement interprétées par la mezzo-soprano Karine Deshayes, avec la complicité attentive d’Opera Fuoco et de son chef, David Stern. Composées entre 1789 et 1836, ces œuvres témoignent d’un genre, la cantate française, fort présente à la période baroque et réhabilitée au XIXème siècle comme une sorte d’alternative à la scena italienne, généralement perçue en France comme trop exubérante. Remaniée via la cantate du Prix de Rome, la cantate française laisse une large place aux récitatifs qui explicitent et introduisent les airs. L’exubérance vocale y est exclue au profit de la prosodie. Le plus souvent destinées  à une voix seule et l'orchestre, elles développent une situation donnée extraite d’un cadre dramatique plus large mythologique, religieux ou profane. La cantate Circé, l'air de Néris (Ah nos peines seront connues »), tiré de l’opéra Médée de Luigi Cherubini (1760-1842), Ariane de Louis Ferdinand Hérold (1791-1833), Velléda de Xavier Boisselot (1811-1893), qui valut à son auteur le Prix de Rome, dernière cantate de l’histoire du concours a ne faire appel qu’à une voix, saluée par Berlioz comme un ouvrage remarquable dans la Revue et Gazette musicale du 16 octobre 1836, constituent le programme très original de ce CD, auquel est ajoutée l’Ouverture de Séminaris de Charles Simon Catel. On aura compris l’importance de la voix qui doit être claire, bien disante, puissante et dramatique, gageure parfaitement réussie par Karine Deshayes qui brille sans conteste possible dans l’écrin très coloré et taillé sur mesures que lui tissent David Stern et son Opera Fuoco, spécialistes du genre. Un disque qui sort des sentiers battus. À ne pas manquer !

 

Patrice Imbaud.

 

 

« Bolero ». Maurice RAVEL, Gabriel PIERNÉ, Thierry ESCAICH, Jean FRANÇAIX : Pièces pour quatuor de saxophones. Ellipsos Quartet. 1CD GENUIN : GEN 14543. TT : 75’58.

Un disque original du jeune Quatuor Ellipsos, quatuor de saxophone français, qui défend avec talent et hardiesse un répertoire constitué d’œuvres spécifiquement écrites pour cet instrumentarium, mais également  d'arrangements d’œuvres du répertoire classique ou contemporain. Un enregistrement centré sur la danse et la musique française associant Maurice Ravel (Pavane pour une infante défunte, Le Tombeau de Couperin et le Boléro) Gabriel Pierné (Introduction et Variations sur une ronde populaire), Thierry Escaich (le Bal et Tango Virtuoso) et Jean Françaix (Petit Quatuor pour Saxophones). Un programme éclectique qui permet d’apprécier l’exceptionnelle virtuosité de Paul-Fathi Lacombe (Saxophone soprano), Julien Bréchet (Saxophone alto), Sylvain Jarry (Saxophone ténor) et Nicolas Herrouët (Saxophone baryton) ainsi que la surprenante palette de timbres qui caractérise cette formation que l’on a rarement l’occasion d’écouter au disque ou sur scène. Un pari audacieux totalement réussi pour les compositions de Gabriel Pierné, Jean Françaix et Thierry Escaich, spécifiquement destinées au quatuor de saxophones. Un résultat peut-être un peu moins convaincant en ce qui concerne les œuvres de Maurice Ravel, dont cette formation réduite peine à rendre toute la richesse et la luxuriance de l’orchestration ; encore que le résultat, ici, soit tout à fait surprenant. Un beau disque, comme un hommage rendu au fameux Quatuor de Saxophones de Paris du début du XXe siècle, superbe, étonnant, détonnant, et à découvrir absolument !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Albert ROUSSEL : Piano Music. 1. Sonatine, The Sandman, Trois Pièces. Jean-Pierre Armengaud, piano. 1CD Naxos : 8.573093. TT : 64’15.

Voici, avec ce disque, une magnifique occasion de se familiariser avec la musique pour piano solo d’Albert Roussel. Un enregistrement qui constitue le premier volet d’une intégrale en 3 disques que le pianiste français a décidé de consacrer à ce corpus peu connu du compositeur, dont on connait plus les œuvres symphoniques, dont le Festin de l’araignée, au demeurant publiées également par le même label. Un disque particulièrement intéressant qui donne à entendre une musique s’inscrivant entre tradition et modernité, et une intégrale qui, permettra d’apprécier toute l’évolution compositionnelle d’Albert Roussel, d’un romantisme teinté de wagnérisme et d’impressionnisme, à un néo modernisme, peut-être plus soucieux de la forme. Des compositions variées comme La Sonatine, Op. 16 (1912), Le Marchand de sable qui passe, inédit dans cette version pour piano solo, datant de 1908, musique de scène, empreinte d’espérance et de nostalgie, composée pour un conte symboliste de Georges Jean Aubry, Trois Pièces, Op. 49 (1933), plus tardives, aux accents jazzy, Prélude et Fugue, Op. 46 (1934 et 1932), dernière œuvre de Roussel dédiée au piano, Doute (1919), Petit Canon Perpétuel (1912), l’Accueil des Muses (1920), Segovia (1925) et Conte à la poupée (1904). Une interprétation qui ne souffre aucune critique, témoignant de la grande affinité de Jean-Pierre Armengaud pour la musique française ; ce qu'on avait apprécié dans ses enregistrements précédents de Debussy, Satie, Poulenc entre autres…Un disque à ne pas manquer. Suite de l’intégrale  Roussel, courant 2014 !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Alban BERG : Lyrische Suite (Suite lyrique). Arnold SCHOENBERG : Verklärte Nacht. (La Nuit transfigurée). Ensemble Resonanz dir. Jean-Guihen Queyras. 1CD Harmonia mundi : HMC 902150. TT : 58’21.

Un disque qui présente et associe avec beaucoup d’à propos deux œuvres majeures, fondatrices de la musique du XXe siècle, deux compositions séparées par le traumatisme de la première guerre mondiale, La Nuit transfigurée (1899) et la Suite Lyrique (1925), émanant de compositeurs appartenant à la Seconde école de Vienne, le maître, Arnold Schoenberg (1874-1951), et l'élève, Alban Berg (1885-1950). Des œuvres toutefois bien différentes, sous-tendues toutes deux par des amours adultères, mais relevant de deux processus compositionnels divergents : tonal pour La Nuit transfigurée de Schoenberg, atonal et dodécaphonique dans le cas de la Suite Lyrique de Berg. Concernant la Suite Lyrique, on sait, depuis les études de Constantin Floros, qu’il convient de l’écouter à la lumière de la correspondance échangée pendant près de 10 ans par Alban Berg et Hanna Fuchs, un ensemble de 14 lettres secrètes, témoins d’un amour malheureux et platonique, qui en livrent le sens caché… Sachant que la connaissance enrichit l’écoute, on ne saurait trop recommander la lecture de l’ouvrage récent de Constantin Floros, publié chez Actes Sud, « Alban Berg et Hanna Fuchs, suite lyrique pour deux amants » (Cf. supra : Le coin bibliographique). L'œuvre, conçue pour quatuor à cordes (1927), a été arrangée pour orchestre à cordes par Berg, en 1929, pour ce qui est des mouvements 2, 3 et 4 ; les trois autres l'ont été par Théo Verbey, en 2006. C'est cette version d'orchestre complétée qui est donnée ici, créée par Jean-Ghihen Queyras en 2010. On trouve la même altérité créatrice, dont on peut discuter des rapports avec la biographie et la proximité avec la littérature (Richard Dehmel pour Schoenberg, comme Charles Baudelaire s'agissant de Berg) dans La Nuit  transfigurée, œuvre secrètement offerte par Arnold Schoenberg à Mathilde von Zemlinsky, que le compositeur épousera plus tard. Écrite initialement (1899) pour septuor à cordes, Schoenberg en orchestra 2 versions pour orchestre à cordes, en 1917 et 1943. Inspirée d’un poème de Richard Dehmel, c’est une musique pure au lyrisme débordant qui conte l’histoire d’une promenade nocturne où la femme avoue à son mari que l’enfant qu’elle porte n’est pas de lui… L’interprétation véritablement envoûtante, donnée ici, de ces deux œuvres par l’ensemble Resonanz et Jean Guihen Queyras est tout à fait remarquable. Un régal, à consommer sans modération, mais aussi les prémisses d’une réflexion sur la création artistique…Un disque coup de cœur.

 

Patrice Imbaud.

 

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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HOMMAGE

 

Le compositeur Riz Ortolani

 

Riz Ortolani, 87 ans, est décédé jeudi 23 janvier 2014 à Rome des suites d'une maladie. Ce célèbre compositeur italien s’est fait connaître mondialement en 1962 avec Nino Oliviero pour la musique d’un pseudo documentaire, trash avant la lettre, « Mondo Cane » de Paolo Cavara, Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi. La chanson du film « Ti guardeo’nel cuore » (More en anglais) a fait le tour du monde, s’est vendue à des milliers d’exemplaires et a été chantée dans toutes les langues par des artistes aussi célèbres que Marvin Gaye, Shirley Bassey ou Frank Sinatra. Elle fut nommée aux Oscar en 1963 et reçut un Golden Globe. Ortolani a aussi écrit d’autres musiques célèbres comme « O Cangaceiro » ou celle du fameux et effrayant « Cannibal Holocaust » de Deodato. Parmi ses centaines de BO on peut citer « Le Fanfaron » de Dino Risi, des westerns pour Tonino Valerii, des thrillers de Lucio Fulci, des drames pour Tinto Brass ou Pupi Avati. Quentin Tarantino a repris certains de ses thèmes dans « Kill Bill » et « Django Unchained ». Nicolas Winding Refn a utilisé une de ses musiques pour son film « Drive ». Riz Ortolani a reçu quatre David di Donatello (l'équivalent des César français). Certaines de ses BO se trouvent en CD.

 

 

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=EuOesjmmiRk

 

 

ENTRETIEN

 

Rencontre avec Jean-Michel Bernard

 


DR

 

Jean-Michel Bernard obtient ses premiers prix de musique classique au Conservatoire de Paris à 14 ans et interprète parallèlement du jazz. Sa carrière de compositeur commence à 16 ans avec le dessin animé, puis il travaille avec Claude Villers à France Inter pendant 10 ans. Il collabore, entre autres, avec des réalisateurs tels que Claude Chabrol (« Jours Tranquilles à Clichy », « Madame Bovary »), Roland Joffé (« Vatel »), François Dupeyron (« La Chambre des Officiers »). Sa collaboration avec le cinéma prend de l’ampleur avec le réalisateur Michel Gondry. En 2007, il est nommé pour « La Science des Rêves » au World Soundtrack Awards et remporte le prix France Musique / UCMF au Festival de Cannes. Les compositions s’enchaînent avec des réalisateurs comme Éric Besnard, Éric Lavaine, Anne Giafferi, Martin Scorsese, Fanny Ardant… Fin mars 2014  il sera l'invité du Festival international de la musique de film d'Aubagne où il animera une Master Classe. « Love Punch » de Joël Hopkins, avec Pierce Brosnan et Emma Thompson, et une musique de Jean-Michel Bernard, sort prochainement sur les écrans français.

 

Quelle est l’importance du jazz dans votre vie ?

C’est primordial. J’ai découvert le jazz pratiquement à la naissance. A deux ans je pianotais, je transcrivais ce que j’entendais avec mes petites mains. Comme mon père était pianiste amateur et jouait du jazz, et que mon frère jouait également du piano et du jazz, c’est une musique qui m’a attiré l’oreille. J’ai commencé tout de suite par les basiques, les racines du jazz, Fats Waller, Errol Garner, James P. Johnson, Willie Smith… J’étais interpelé par son rythme, sa richesse harmonique. C’est une musique qui a toujours vécu avec moi, même au conservatoire. J’ai eu des profs qui acceptaient que la veille de venir aux cours je fasse le bœuf dans un club de jazz. Heureusement que j’ai eu des profs comme çà. Même si j’ai fait des études classiques le jazz est ma priorité.

Est-ce qu’il vous sert dans vos compositions ?

Non, à par dans les comédies où on retrouve une connotation un peu jazzy ; mais la plupart du temps il faut que je me fasse violence pour ne pas faire quelquefois des accords compliqués.

Pourtant, il y a une coloration jazzy dans votre collaboration pour « The Love Punch », le film de Joel Hopkins ?

Oui, Jazz funky dirait-on, qui s’approche plus du score de « Cash » par exemple. C’est une musique plus à l’ancienne, dans l’esprit de Mancini, en plus funky, avec un mélange d’orchestre plus traditionnel.

Comment avez-vous pu approcher ces réalisateurs étrangers ?

J’ai un agent à Los Angeles, et pour Hopkins je l’avais rencontré pour son film précédent qui ne s’est pas fait, et là on s’est retrouvé. Le réalisateur a voulu une musique qui soit basée sur l’orgue Hammond, et que cet instrument soit très présent. Il ne pensait pas que j’étais la bonne personne car il avait vu « La Science des Rêves » dont la musique n’avait rien à voir avec celle qu’il désirait. Je lui ai dit que j’avais accompagné Ray Charles et que j’étais à même de lui proposer quelques musiques qui se tiennent. Alors on a travaillé ensemble.

Quelle fut votre collaboration avec Ray Charles ?

Je l’ai accompagné au festival de San Rémo, j’ai dirigé l’orchestre de la RAI. J’ai fait des orchestrations, puis ensuite j’ai joué avec lui en petite formation et j’ai fait son dernier enregistrement en direct, en Australie, au festival de Melbourne en 2003, lequel n’est toujours pas sorti. Ray était en très grande forme, c’est un album magnifique.

Comment avez-vous pu travailler avec Scorsese ?

Toujours par les États-Unis, par mon agent et par un music supervisor avec qui j’avais travaillé par le passé. Sur « Hugo Cabret » je ne suis que musicien complémentaire, c’est Howard Shore qui a fait le score. J’ai fait toutes les musiques additionnelles. Comme il y avait une grande partie française, toute une musique devait être dans un esprit français.  Mais même une petite participation dans un film comme celui-ci vaut plus qu’un film complet ailleurs. Scorsese avait des demandes extrêmement précises. Notamment, il fallait réenregistrer une chanson très connue « Si tu veux Marguerite », et on l’a enregistrée dans les conditions de l’époque. Il m’avait demandé de regarder un vieux film où l’on chantait pour que je retrouve la même couleur.

Parlez-moi de votre collaboration avec Fanny Ardant ?

Je l’ai rencontrée parce que nous étions tous les deux dans la même agence chez VMA. Elle cherchait un compositeur pour son court-métrage « Chimères Absentes ». On s’est très bien entendu, puis naturellement elle m’a appelé pour son long-métrage qui vient de sortir : « Cadences Obstinées ». Elle a une grande culture classique et comme la plupart des réalisateurs, elle avait certaines idées… Au départ elle voulait plus du sound design, des bruits de chantiers, puisqu’une grande partie du film se passe sur un chantier. Finalement, je lui ai proposée quelque chose qui est extrêmement éloigné : une aria non chantée. Cela peut paraître paradoxal pour une aria. Il y a des orchestrations qui évoluent au cours du film, des musiques avec des pianos préparés, des cymbalums mélangés et du doudouk. Il y a une vraie partition écrite pour cet instrument, comme si c’était une flûte traversière. On a utilisé plusieurs doudouks car chacun a une tonalité particulière. Cet instrument ne peut pas faire toutes les notes, donc il y a eu un gros travail pour pouvoir jouer la partition. On n’a pas utilisé le doudouk comme un instrument ethnique.

Faites-vous tous vos arrangements ?

Oui, totalement, je joue les claviers, je dirige, je fais tout à la main, à l’ancienne comme on dit. Je pense qu’il y a une grande partie créative dans l’orchestration au même titre que la création mélodique. De toute façon, comme mon ami Bruno Coulais, ou Philippe Rombi, nous avons tous la même vision : l’orchestration est aussi importante que  la mélodie. Dans l’absolu ce serait bien que chaque compositeur soit capable de le faire, mais ce n’est pas le cas. Bon, chacun fait ce qu’il peut. Vous avez des gens comme Francis Lai qui est un mélodiste incroyable et qui travaille avec un orchestrateur tel que Christian Gaubert, mais qui ne cherche pas à être un autre et qui n’essaye pas de faire croire qu’il fait les arrangements.

Vous avez travaillé aussi avec Anne Giafferi ?

Oui, j’aime beaucoup son univers. J’ai fait son premier film « Qui a Envie d’être Aimé ». Son dernier film, « Des Frères et des Sœurs », a obtenu le premier prix au festival de La Rochelle. C’est un téléfilm qui va bientôt être diffusé. Elle est la créatrice de « Fais pas-ci Fais pas ça ».

Est-ce qu’il y a un style Bernard ?

Il paraît ! Ce qui me représenterait le mieux à ce jour, et ce qui a décidé ma direction définitive pour l’image, c’est « La Science Des Rêves » évidemment. « Cadences Obstinées » est plus dans ma veine que « Cash » qui est un peu du savoir faire. Quand vous avez des metteurs en scène créatifs vous pouvez vous permettre d’aller plus loin. Michel Gondry est parfait pour ça.

Avec Gondry c’est  étonnant je suppose ?

Oui, c’est le mot juste. Gondry est quelqu’un qui n’a pas de barrière artistique, au contraire. Il a cette phrase : apprendre à désapprendre ! Il vous demande quelque chose, vous pensez que ce n’est pas faisable, il va vous demander pourquoi, il va vous mettre un doute, vous allez y réfléchir, puis vous vous dite : peut-être que cela va être possible, et finalement vous le faites. Il peut très bien vous demander de jouer votre mélodie à l’envers par exemple.

Comment travaille–t-on avec lui. Vous écrivez en amont ?

Tout dépend. Sur « La Science des Rêves » tous les thèmes étaient écrits avant le début du film, Pour « Soyez Sympas Rembobinez » c’était après, à part le thème principal. A chaque film on remet le compteur à zéro. Dans « Soyez Sympas Rembobinez » il y avait trois scores en un. Il y avait toute la partie pianistique avec des standards que j’ai enregistrés, il y avait une partie plus rythm and blues enregistrée en petite formation à New York et puis il y avait le score traditionnel avec orchestre pour accompagner certaines parties du film. Il y a de l’humour et de la tendresse dans cette musique par rapport à l’histoire et par rapport aux personnages.

Vous allez faire une Master Classe à la fin du mois à Aubagne. En quoi cela consiste ?

Une Master Classe, c’est une classe pour des gens qui ont un certain niveau musical dans la composition et qui aimeraient se diriger vers la filière audiovisuelle. On leur explique notre expérience, comment on conçoit la musique de film. Par exemple, à Aubagne, il y aura un travail pendant une dizaine de jour pour mettre en musique des extraits de film. Ils seront joués en concert le dernier jour du festival. La grande différence cette année c’est qu’on va faire la première de l’album que j’ai conçu « Jazz for Dogs », qui va sortir au mois de mai. Les musiciens qui ont participé à cet album, et qui ne sont pas des moindres, vont jouer à ce concert et aussi interpréter la musique de ces jeunes compositeurs. Il y aura un plateau exceptionnel avec Laurent Korcia,  Bruno Coulais et d’autres.

Parlez-moi de cet album.

« Jazz For Dogs » est un album concept que j’avais commencé à travailler avec ma femme Kimiko Ono, céramiste et chanteuse ; mais chanteuse seulement dans les films que j’ai fait, « La Science Des Rêves », où elle a écrit les paroles, « Cash », « Qui a envie d’être aimé », «The Love Punch ». Les textes expriment l’état d’âme des chiens par rapport à la vie de tous les jours ; ça s’approche beaucoup des humains d’ailleurs. Au début on expliquait que c'était un disque que vous mettez à votre chien quand vous le laissez au lieu de mettre la radio avec des programmes généralistes. C’est un disque qui leur est adapté. C’est de l’humour bien sûr. Vous avez un titre qui s’appelle « The Leash », la laisse, donc ça parle de ses sentiments lorsqu’on sort le promener. Il y a aussi un texte sur les chiens noirs euthanasiés. On a tendance à euthanasier les grands chiens noirs ! La musique de ce morceau a été écrite par Bruno Coulais. Il y a énormément de gens qui ont participé : Fanny Ardant a écrit « Ode to a Dog », Francis Lai, Laurent Korcia ont aussi participé, Michel Gondry a conçu la pochette et joue de la batterie. C’est un album de style pop anglaise, dans la mouvance des Beatles, proche de la musique de cinéma.

Pour revenir au jazz, vous aimeriez faire une composition de jazz pour un film ?

J’aimerais bien, mais c’est assez rare qu’on vous le propose. Dans la mentalité générale, dès que vous avez du jazz ça fait automatiquement musique d’ascenseur ou polar. Tous les films des années cinquante ou  soixante, en France, étaient inspirés du jazz. Le jazz fait peur parce que les réalisateurs ont tendance à penser que c’est une musique pour musicien.

Dans le panorama des compositeurs français de musique de film, oseriez-vous dire celui qui, selon vous, a le plus de talent ?

Sans hésiter c’est Bruno Coulais. Il est toujours là où on ne l’attend pas. Il n’y a qu’à écouter ce qu’il a fait récemment pour Benoît Jacquot dans « Au fond des Bois » et « Les Adieux à la Reine ».

Je me permets pour terminer cet entretien de citer ce qu’avait dit de vous Ray Charles en 2003 :

"Ray Charles : « I love him because he is better than me ! I told you the same thing about Oscar Peterson, I love true talent, this guy is a genius, in my mind…He’s incredible, he really is incredible, I enjoy just being around him, and you know, what I do when I have him on the show with me, I totally focus when he’s playing, on him, you know…"

http://www.youtube.com/watch?v=nBayfo2JNrY

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

BO en CDS

 

ATTILA MARCEL. Réalisateur Sylvain Chomet. Compositeurs Sylvain Chomet et Franck Monbaylet. 1CD BOriginal  Cristal Records / Sony Music BO-010

 

Paul a la trentaine, il vit dans un appartement parisien avec ses tantes, deux vieilles aristocrates qui l’ont élevé depuis ses deux ans et rêvent de le voir devenir pianiste virtuose. Sa vie se résume à une routine quotidienne entre le grand piano du salon et le cours de danse de ses tantes où il travaille en tant qu’accompagnateur. Isolé du monde extérieur, Paul a vieilli sans jamais avoir vécu... Jusqu’au jour où il rencontre Madame Proust, sa voisine du quatrième étage. Cette femme excentrique possède la recette d’une tisane aux herbes capable, grâce à la musique, de faire ressurgir les souvenirs les plus profondément enfouis. Avec elle, Paul va découvrir son histoire et trouver la clé pour vivre enfin sa vie...

 

Venu du cinéma d’animation (« Les Triplettes de Belleville », « L’Illusionniste »), Sylvain Chomet nous régale avec son premier long-métrage plein de charme et d’inventivité. Le titre du film « Attila Marcel » est la chanson essentielle du film. On l’avait déjà entendue dans les « Triplettes de Belleville ». C’est une sorte de pastiche d'Édith Piaf. La musique a un rôle très important dans ce film. « Attila Marcel » est un film en-chanté à tout point de vue, pour paraphraser Jacques Demy, mais ce n’est pas une comédie musicale. Le piano joue un rôle primordial. C’est un instrument de torture et explique à la fin du film un des traumatismes de Paul. C’est Franck Monbaylet qui a écrit toutes les pièces de piano. C’est un musicien de jazz, compositeur et arrangeur complet. C’est sa première musique de film. Chaque personnage a son propre thème. Sylvain Chomet a voulu que toutes les musiques soient à trois temps, des musiques à danser. Les tantes de Paul sont professeurs de danse. Le ukulélé a aussi une part importante dans l’histoire. Autant le piano est encombrant et un cauchemar, autant le petit ukulélé est l’instrument refuge du bonheur pour Paul. Comme le dit Sylvain Chomet, « on devrait l’enseigner aux enfants plutôt que cette p…de flûte à bec ». C’est très émouvant d’entendre et de voir Bernadette Lafont, dans son dernier rôle à l’écran, pousser la chansonnette avec Hélène Vincent. Cette comédie douce-amère sur l’enfance perdue n’a pas eu le succès qu’elle aurait dû avoir et c’est vraiment dommage. A l’écoute du disque on retrouve à travers les musiques toutes les scènes du film qui nous ont fait rire ou nous ont ému, mais l’écoute seule est aussi un vrai régal d’inventivité musicale. Le concerto de Paul, qui est une drôlerie musicale dans le film, l’est aussi à la simple écoute du CD. Il y a du Grieg dans ce concerto. Vivement que le DVD sorte, pour permettre de voir ou revoir cette merveille de comédie qu’on ne sait guère faire en France. Si vous avez aimé les Triplettes et la musique de M, vous aimerez « Attila Marcel » et sa BO.

 

En septembre 2014, Sylvain Chomet et Franck Monbaylet réaliseront une comédie musicale sur scène à partir des « Triplettes de Belleville ».

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=dUuLX4lMeo0

 

 

CADENCES OBSTINEES. Réalisateur Fanny Ardant. Compositeur Jean-Michel Bernard. 1CD BOriginal  Cristal Records / Sony Music BO O12

 

Une femme a abandonné sa brillante carrière de violoncelliste pour l’amour d’un homme. Mais cet homme a un contrat à remplir, lequel ne peut pas s’encombrer d’amour…On n’aime jamais de la même façon et en même temps. « Cadences Obstinées » est une mosaïque baroque autour de l’art et de la passion, où la forme très esthétisante prime hélas sur le fond. Mais on ne peut pas dire que Fanny Ardant manque d’univers. La musique de Jean-Michel Bernard y apporte beaucoup. Le thème du film est une sorte d’aria qui paradoxalement n’est pas chantée. On y trouve du Purcell dans ce morceau pseudo baroque. Bernard, par ses arrangements et l’emploi de différents instruments, lui donne des aspects très contemporains et brouille la ligne mélodique, les cadences, comme l’ambiance même du scénario. Bien sûr, il y a du violoncelle, l’héroïne, Asia Argento, étant  violoncelliste. Mais il n’est jamais joué seul. On l’entend avec du piano préparé, du cymbalum, du clavecin, du piano électrique et du doudouk. Ce dernier instrument est joué comme un instrument classique, mélodique et non ethnique. Cet Aria évolue au fur et à mesure du film et de la dramaturgie. « Aria for Asia » est de toute beauté et c’est un vrai plaisir musical que de l’écouter sur le CD. On peut en dire autant de tous les morceaux. On y trouve aussi de la guitare désaccordée, des ambiances sonores avec doudouk, du violoncelle avec voix à consonance flamenco. Jean-Michel Bernard a été sûrement touché par ce film et nous propose une musique inspirée. Même si on n’a pas vu « Cadences Obstinées » on  peut se faire son cinéma avec cet album.

En bonus, le CD propose la musique du court-métrage de Fanny Ardant, leur première collaboration : « Chimères Absentes ». Il y a le thème « A vous dirais-je maman », une mélodie populaire qu’on attribue à tort à Mozart. Il s’était amusé à en faire des variations. Bernard sur « Chimères » aussi !

 

DALLAS BUYERS CLUB. Réalisateur Jean-Marc Valléé. Compilation. 1CD Sony Classical 88843005652.

1986, Dallas, Texas, une histoire vraie. Ron Woodroof a 35 ans, des bottes, un Stetson. C’est un cow-boy, un vrai. Sa vie : sexe, drogue et rodéo. Tout bascule quand, diagnostiqué séropositif, il lui reste 30 jours à vivre. Révolté par l’impuissance du corps médical, il a recours à des traitements alternatifs non officiels. Au fil du temps, il rassemble d’autres malades en quête de guérison : le Dallas Buyers Club est né. Mais son succès gêne, Ron doit s’engager dans une bataille contre les laboratoires et les autorités fédérales. C’est son combat pour une nouvelle cause… et pour sa propre vie. Ce CD est une compilation des chansons que l’on entend dans le film ou qui en sont inspirées : on passe de Shuggie Otis à T Rex, en passant par le Manchester Orchestra. On trouve une version de « Stayin’Alive » par le duo indie pop américain Capital Cites. On entend aussi le groupe Thirty Seconds to Mars de Jared Leto, le partenaire de Matthew McConaughey, interpréter « City of Angels ». Il n’existe pas de BO du film, écrite par Danny Elfman. Peut-être sera-t-elle éditée plus tard ? La pièce pour piano d’Alexandra Stréliski, pianiste et compositrice montréalaise, « Prélude », qui se trouve à la fin du film, figure sur un autre album de celle-ci, « Pianoscope », et ne se trouve pas sur cette compilation. Un album souvenir du film.

 

 

 

EN SOLITAIRE. Réalisateur Christophe Offenstein. Compositeurs Victor Reyes, Patrice Renson. 1CD BOriginal/ Cristal RECORDS /Sony Music BO 011

 

Yan Kermadec voit son rêve se réaliser quand il remplace au pied levé son ami Franck Devil au départ du Vendée Globe, le tour du monde à la voile en solitaire. Habité par une farouche envie de gagner, alors qu’il est en pleine course, la découverte à son bord d’un jeune passager va tout remettre en cause. Voilà un film qui sent bon l’écume, la houle, le vent, avec que des bons sentiments et un Cluzet qui tient bon la barre. Sur ces images magnifiques on aurait aimé une musique moins lisse, plus ample, qui exprime cette nature imprévisible, cette solitude du marin face à l’immensité de la mer et ce combat que se livre Kermadec face à lui-même. On a l’impression que Christophe Offenstein a employé de la musique pour l’image, du type musique passe-partout. A l’écoute du disque c’est encore plus frappant. Ces thèmes simples guitare - piano, easy-listening, sont d’une grande platitude. Pourtant, Victor Reyes, compositeur espagnol, a écrit des musiques pour « Buried », « Red light », « Grand Piano », très inventives. La mer ne l’inspire peut-être pas ? Un film à voir et une musique à oublier.

 

 

 

OUT OF FURNACE (Les Brasiers de la Colère). Réalisateur Scott Cooper. Compositeur Dickon Hinchliffe. 1CD Sony Classical 88843005672

 

À Braddock, une banlieue ouvrière américaine, la seule chose dont on hérite de ses parents, c’est la misère. Comme son père, Russell Baze travaille à l’usine, mais son jeune frère Rodney a préféré s’engager dans l’armée, en espérant s’en sortir mieux. Pourtant, après quatre missions difficiles en Irak, Rodney revient brisé émotionnellement et physiquement. Lorsqu’un sale coup envoie Russell en prison, son frère cadet tente de survivre en pariant aux courses et en se vendant dans des combats de boxe. Endetté jusqu’au cou, Rodney se retrouve mêlé aux activités douteuses d’Harlan DeGroat, un caïd local sociopathe et vicieux. Peu après la libération de Russell, Rodney disparaît. Pour tenter de le sauver, Russell va devoir affronter DeGroat et sa bande. Il n’a pas peur. Il sait quoi faire. Et il va le faire, par amour pour son frère, pour sa famille, parce que c’est juste. Et tant pis si cela peut lui coûter la vie.

 

Membre fondateur du groupe Tindersticks, Scott Cooper a participé à la composition des musiques de films de Claire Denis (« Nénette et Boni », « Trouble Every Day »). Son premier film en solo fut « Vendredi Soir », puis il composa la musique du film d’Ira Sachs « Forty Shades Of Blue », récompensé à Sundance en 2005. Il composa une belle partition pour le film de Niall Johnson « Keeping Mum », une comédie teintée d’humour noir. Avec  « Out of Furnace » on est dans un drame social d’une noirceur, d’une violence absolue. On retrouve le climat de « Deer Hunter», le film de Cimino. Braddock, la ville sinistrée avec ses hauts-fourneaux éteints, détruits, ses maisons vides. C’est de là que partaient les aciers pour les voies de chemin de fer qui ont fait la fortune de Carnegie. C’est là aujourd’hui que le rêve américain s’est éteint. La musique de ce film ne peut qu’être nostalgique, d’une tristesse infinie. Avec une grande économie de moyens, Cooper sur de nappes de cordes fait entendre soit une guitare électrique aux accords grinçants, soit un ukulélé. Une musique minimaliste qui décrit bien l’état des personnages. De temps en temps quelques notes de piano. Une musique qui vous met le moral à zéro. Si l’on connaît le groupe Tindersticks, on ne peut pas être étonné de ce qu’a composé Scott Cooper. La violence dégagée par le scénario ne se retrouve pas dans la musique et c’est tant mieux. Cooper nous raconte autre chose en plus. C’est cela une bonne musique de film. Le disque, avec ces morceaux simples, est agréable à l’écoute. Bien sûr, il rappelle le film, mais ces morceaux s’écoutent aussi comme une bonne musique planante. Gardez le moral quand même à l’écoute de « Out of Furnace ». C’est Scott Cooper qui interprète tous les morceaux.

 

 

 

Il faut voir le documentaire Braddock America de Jean-Loïc Portron & Gabriella Kessler, qui sort sur les écrans le 12 mars. Ce film raconte l’histoire des hommes et des femmes aujourd’hui qui résistent dans cette ville dévastée, naufragée, dont les aciéries étaient la fierté du pays.

 

 

THE SECRET LIFE OF WALTER MITTY. Réalisateur Ben Stiller. Compositeur Theodore Shapiro. 1 CD Sony Classical n°88843022532

 

Walter Mitty est un homme ordinaire, enfermé dans son quotidien, qui n’ose s’évader qu’à travers des rêves à la fois drôles et extravagants. Mais confronté à une difficulté dans sa vie professionnelle, Walter doit trouver le courage de passer à l'action dans le monde réel. Il s’embarque alors dans un périple incroyable pour vivre une aventure bien plus riche que tout ce qu'il aurait pu imaginer jusqu’ici. Et qui devrait changer sa vie à jamais. Coïncidence ? Ce film est sorti exactement le même jour que la première version de 1947 produite par le père des producteurs actuels, Samuel Goldwyn. C’était Danny Kaye qui interprétait le rôle de Walter Mitty et Norman Z.McLeod qui le réalisait. Les deux scénarii adaptées d’une nouvelle de James Thurber sont assez éloignés l’un de l’autre. Dans la première version, c’était David Raskin qui était le compositeur (« Laura », « Ambre », « Les Ensorcelés »…). Pour ce film Ben Stiller a repris Theodore Shapiro avec qui il avait travaillé sur « L’Enfer des Tropiques ». Shapiro s’est fait connaître par le film « Le Diable s’Habille en Prada ». Le film fonctionne bien car aujourd’hui on se permet tous les trucages qu'on veut, et l’imagination débordante de Mitty peut être visible sur l’écran. La musique est à l’image de ce film sympathique. Les morceaux évoluent au rythme des scènes et des pays que traverse Mitty à la recherche de cette image manquante qui doit faire la dernière « Une » de Life. Avec José Gonzàlez à la guitare et qui chante, on a de jolis thèmes mais un peu courts à l’écoute du CD. Comme il y a urgence pour Mitty, on a souvent cette musique « horloge » au xylophone, qui intervient dans plusieurs morceaux. Lorsque Shapiro fait des musiques plus amples ou très rapides, on se surprend à entendre du Zimmer. C’est la musique normative aujourd’hui à Hollywood. Dommage que tous ces musiciens se fondent dans ce creuset musical sans aucune personnalité. Le disque s’écoute avec plaisir, c’est une musique sans grande originalité, pleine de bons sentiments comme le film. On est loin de Raskin et des chansons de Kaye, mais c’était hier… Musique agréable peut-être, pas celle dont on aurait rêvé…

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=c7-4IZyNUtA&list=PLX10jRw5Y73HqKTchMZm15YZEj00q619h

http://www.youtube.com/watch?v=ntATWJl6Yl0

 

OGGY et les CAFARDS. Réalisateur Jean-Marie Olivier. Compositeur Vincent Artaud et Hugues Le Bars. 1CD BOriginal /  Cristal RECORDS BO 007

 

Oggy et les Cafards” est l'adaptation pour le cinéma de la série  télévisée. Les personnages ont été créés par Jean-Yves Raimbaud qui a toujours voulu faire du dessin animé pour tout public. Il disparait en 1998. Nous retrouvons dans le film le chat bleu à travers quatre époques différentes : la  Préhistoire, le Moyen Age, l'Angleterre victorienne à la Sherlock Holmes, et le futur à la Star Wars. Oggy retrouve Jack et Bob, et trouve même l’âme sœur. Mais les cafards ne vont pas lui laisser le grand amour. Le film n'a pas eu le succès espéré et c'est bien dommage, car les gags foisonnent, les scénarii sont bien écrits. C'est un vrai plaisir, quel que soit l'âge du spectateur. Est-ce une bonne idée de passer de la télé au grand écran en proposant quatre sketches ? Mais c'est un autre débat. Le film est construit au niveau sonore seulement avec des bruitages et de la musique. Le résultat est assez impressionant. Le générique du film est celui de la série télévisée. Il a été composé par Hugues Le Bars et a un petit air à la Rota. Les compositions de Vincent Artaud collent aux images avec une précision diabolique et ajoutent de l'humour, du rythme, aux scènes. Vincent Artaud a une formation de musicien de jazz, il est contrebassiste. Il apprendra la composition auprès du compositeur Laurent Couson (A l'Aveugle – Ces Amours-là). Il travaillera pour le théâtre et grâce au batteur André Ceccarelli, il découvrira l'univers des studios et participera à des albums de chanteurs tels que Salvador, Bruel ou Brillant. Il a fait des arrangements pour l'ONJ et pour Ludovic Bource sur “The Artist”. En 2011, il collabore avec le studio Xilam Animation et compose les musiques des séries pour la jeunesse comme “Flapacha” et “Hubert & Takato”. L'écoute du CD nous permet de mieux découvrir l'inventivité des compositions d'Artaud, On y trouve des clins d'oeil à des oeuvres du répertoire classique ainsi qu'à des musiques de films (Oggy Wan !!!! Il fallait oser). Les arrangements sont subtilement amusants. Le film est à voir pour mieux apprécier cette musique qui supporte seule les images. Un bel exercice réussi.

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=grf_QfXBZVQ

Stéphane Loison.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

CINEMA ET MUSIQUE : ACCORDS PARFAITS. Dialogues avec des compositeurs et des cinéastes, coordonné par N. T. Binh, José Moure et Frédéric Sojcher. Entretiens coll. Caméras subjectives. Édition : Les Impressions Nouvelles, 1 vol. 14,5 x 21 cm, 208 pages.

 

Ce livre propose des dialogues avec les réalisateurs Jean-Paul Rappeneau, Benoît Jacquot, Atom Egoyan, Claire Denis et Stephen Frears, ainsi qu’avec les compositeurs Ennio Morricone, Vladimir Cosma, Carter Burwell, Alberto Iglesias, Jean-Claude Petit, Bruno Coulais et Mychael Danna. A la lecture de ces entretiens les questions que l’on se pose ne sont pas résolues. Les cinéastes et compositeurs ont bien du mal à y répondre : la musique et le cinéma sont des arts autonomes, alors comment et quand peuvent-ils être en conjonction ? Quels liens les unissent ? Quand la musique est-elle juste pour un film, et n’est-elle pas juste en tant que  musique ? On ne trouvera pas les réponses dans ce livre intéressant. Il manque un point d’interrogation au titre.

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

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Le CASCA

Comité d'Aide et de Soutien aux Chœurs Amateurs

Qui sommes-nous ?

 

Le CASCA est un Fonds de Dotation créé, en 2010, par une chef de chœur, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, elle-même à la tête de trois chœurs amateurs. Il est géré par un Conseil d’Administration actuellement formé de quatre membres, eux-mêmes choristes et chanteurs, auxquels d’autres chefs ou présidents de chœurs sont conviés à se joindre. Jean-Claude Casadesus en est le Président d’honneur. Le CASCA souhaite apporter un soutien financier à des chœurs amateurs, en privilégiant les chœurs de jeunes et d’enfants.

 

Qu’entendons-nous par « chant choral amateur ? » : il s’agit d’une pratique artistique de groupe exercée par des personnes qui ne sont pas rémunérés et qui chantent donc pour leur plaisir. Les chœurs amateurs sont tous régis par la loi de 1901, et les CA qui les dirigent toujours formés de bénévoles.

 

Pourquoi aider cette activité (qui semble autosuffisante) ? Parce que ces chœurs sont aujourd’hui de plus en plus souvent encadrés (chef de chœur et pianiste durant les répétitions) et accompagnés (instrumentistes et chanteurs solistes pendant les concerts) par des professionnels compétents, eux-même rémunérés. Le chant choral amateur est devenu, depuis quelques années, un véritable gisement d’emplois non délocalisables, qui permet de vivre à de jeunes chefs, de jeunes instrumentistes et de jeunes chanteurs professionnels, pour la plupart intermittents du spectacle. L'aspect « humaniste » du chant choral amateur se double donc d’un intérêt économique certain.

 

Le CASCA est convaincu que le chant choral amateur fait partie du panorama musical de notre pays et qu’il est un vecteur essentiel d’intégration et de citoyenneté. Il anime le territoire, en proposant des concerts de qualité, et à des prix abordables, à une population qui, sans cela, n’aurait jamais accès à la culture  -  particulièrement en milieu rural. C’est grâce au chant choral amateur, et à lui seul, que le public peut, en effet, entendre un vaste et riche répertoire chœur/orchestre, que les chœurs professionnels en activité ne mettent que peu à leur programme, pour cause d’effectifs insuffisants. Le CASCA agit donc dans une démarche culturelle d'intérêt général.

 

L'action du CASCA participera au maintien sur le long terme de ce chant choral amateur à qui la conjoncture économique actuelle n'est pas favorable et qui concerne pourtant des centaines de milliers de personnes dans notre pays : des réductions drastiques de subventions publiques sont, en effet, programmées, alors que jamais le niveau musical de ces chœurs n’a jamais été aussi élevé.

De surcroit, la pratique régulière et sérieuse du chant choral est, pour les jeunes, la meilleure école qui soit et la meilleure formation à la citoyenneté : elle exige en effet un engagement réel sur le long terme, la faculté d’écouter les autres et de suivre des consignes extrêmement précises, le tout dans une atmosphère conviviale et chaleureuse dont toute compétition est bannie, puisque ce sont les progrès de l’ensemble des participants qui importent.

 

Modalités de fonctionnement du CASCA

 

Montant de l’aide apportée par le CASCA : l’aide ponctuelle pour chaque dossier déposé ne pourra dépasser un montant plafond qui sera fixé chaque année par le Conseil d’Administration, en fonction des rentrées d’argent dans le Fonds de Dotation. L’aide ne sera attribuée qu’après délibération du Conseil d’Administration et sera conditionnée à la transparence comptable des groupes demandeurs.

 

Origine des fonds : Le CASCA ne peut pas demander de subventions publiques car il ne pourrait pas, légalement, les redistribuer. Les financements ne pourront donc provenir que du mécénat privé - sachant que les dons, qu'ils proviennent d'une société ou d'une personne, seront partiellement déductibles des impôts, le CASCA étant un Fonds de Dotation d’intérêt général et à visées culturelles.

Les actions du CASCA seront menées avec discernement et les fonds attribués à la suite d’un vote, après évaluation des chorales demanderesses selon une grille  précise et suivant les mêmes critères que les évaluations faites pour les demandes d'agrément (défiscalisation). Tous les Fonds de Dotation sont par ailleurs sous la tutelle du CNCC (Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes), organisme officiel, national et indépendant.

 

Le CASCA accompagnera de son mieux les chœurs de jeunes et d’enfants, seuls capables de faire vivre sur le long terme le chant choral amateur : en leur permettant de louer un local, de payer une assurance, d’acheter des partitions, d’affréter un autobus pour se rendre à telle ou telle semaine chantante,  voire d’offrir une formation vocale à ses membres. Des jeunes qui, répétons-le, ne pourront que tirer le plus grand profit du sérieux, de l’engagement et de la rigueur que requiert la pratique du chant choral de qualité.

 

Les DONS sont reçus sous forme de chèques libellés à l’ordre du CASCA et envoyés à l’adresse suivante :

CASCA,

S/C de Michèle Lhopiteau

Le Bourg

24140 Maurens

Passer une publicité. Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

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Les projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com

 

Les livres et les CDs sont à envoyer à la rédaction de l’Education musicale : 7 cité du Cardinal Lemoine 75005 Paris

 

 

 

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·       La librairie de L’éducation musicale

   

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.
Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

 

En préparation

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus   Gérard Denizeau

Toccata ré mineur                      Jean Maillard

Cantate BWV 4                          Isabelle Rouard

Passacaille et fugue                    Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu                Janine Delahaye

Phœbus et Pan                          Marianne Massin

Concerto 4 clavecins                  Jean-Marie Thil

La Grand Messe                         Philippe A. Autexier

Les Magnificat                           Jean Sichler

Variations Goldberg                    Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale                Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses         Gérard Denizeau

Apothéose Corelli                        Francine Maillard

Apothéose de Lully                      Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus                             Sabine Bérard
Water Music                              Pierrette Mari

Israël en Egypte                         Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile                     Jacques Michon

L’alleluia du Messie                      René Kopff

Musique feu d’artifice                  Jean-Marie Thill

 

 
 

 

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Paru en juillet

 

 

·       Où trouver le numéro du Bac ?

 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale