Les Amis de l'Orgue de
St-Clément à Rouen organisent pour la huitième année consécutive une série de
quatre concerts d'orgue du 9 au 30 mars 2014. Les œuvres interprétées cette année
seront rassemblées sous le thème Poésies. Cette série de concert s'inscrit dans la démarche de mise en valeur du
magnifique patrimoine instrumental de la ville de Rouen. A ce titre,
l'association, membre de la Fédération des Associations pour la Valorisation
des Orgues de Rouen, accueille chaque année des musiciens de tous horizons pour
les concerts, mais aussi une dizaine de classes d'écoles primaires (environ 250
élèves) pour des séances de découverte pédagogique de l'orgue, en partenariat
avec le Printemps de Rouen. Se
produiront successivement les organistes Vincent Fouré (Rouen), Yannick Marlin (Paris), Marie-Agnès Grall-Menet (Paris) et Gunnar Peterson-Øverleir (Oslo).
Église Saint-Clément (rive
sud), Place Saint-Clément, 76100 Rouen, les 9, 16, 23 et 30 mars 2014, à 16 H.
Entrée libre. orguesrouen76@gmail.com
11 au 21 / 3
Les tempéraments à La Cité ou le clavecin dans tous ses états
Une prestigieuse série de
concerts sera organisée à La Cité de la musique, autour de l'intégrale de
l'œuvre pour clavecin de Jean Sébastien Bach. À l'initiative d'Olivier Baumont, codirecteur artistique, et en majeure partie sur
les instruments de la collection du Musée de la musique, elle réunira les
meilleurs spécialistes de l'instrument. Se succéderont ainsi Ton Koopman, Céline Frisch, Andreas Staier (Variations Goldberg, sur un clavecin de Hemsch de
1761), Béatrice Martin (Suites anglaises), Olivier Baumont,
Aurélien Delage, Benjamin Allard, Blandine Rannou(Suites françaises), Kenneth Weiss (Clavier
bien tempéré, livre II), Violaine Cochard, Pierre
Hantaï, DavittMoroney,
Christine Schornsheim, Rinaldo Alessandrini,
Christophe Rousset, Jean Rondeau. Les élèves du Conservatoire de Paris
interpréteront le premier livre du Clavier bien tempéré, le 15 mars, à 18H30 et
le concert final, le 21 mars, à 21H, sera l'occasion, le jour anniversaire de
la naissance du Cantor, de rendre un hommage au grand Gustav Leonhart : Bob van Asperen et
Olivier Baumont joueront l'Art de la fugue.
Cité de la musique,
amphithéâtre, du 11 au 21 mars 2014, à 19 et 21 H, sauf le 17 mars.
Renseignements et location :
Cité de la musique, 221, Bd Jean Jaurès, 75019 Paris ; par tel : 01 44 84 44 84
; en ligne : www.citedelamusique.fr
Le Théâtre de la Renaissance à
Oullins présente la création mondiale de l’opéra multimédia Steve Five (King Different), en coproduction avec l’Opéra de Lyon,
dans le cadre de la Biennale Musiques en scène 2014. Opéra de chambre
dont Roland Auzet a imaginé le sujet, conçu la
musique et réalisé la mise en scène, en coopération avec Fabrice Melquiot, qui signe l’écriture du livret, Steve Five aborde l’aventure numérique
au XXe siècle, librement inspirée de la vie du fondateur d’Apple, Steve Jobs,
et du héros du drame de Shakespeare, Henry V, vainqueur de la bataille d’Azincourt. Le livret est composé autour de deux
biographies, de deux itinéraires, proches, et pourtant séparés par cinq
siècles. Deux paroles, deux manières de se confronter au réel tout en
l’inventant : le destin de la SiliconValley face à la fresque historique d'Henri V ; la
stratégie d’entreprise face à la stratégie guerrière. S’appuyant sur la pièce
originale de Shakespeare, les auteurs en extraient des fragments qu’ils intègrent
à un texte et à une musique d’aujourd’hui, incluant l’artiste rappeur OxmoPuccino et l’orchestre
classique de l’Opéra de Lyon, dirigé par Philippe Forget, pour un opéra parlé
(Thibault Vinçon) et chanté (le ténor Michael Slattery, accompagné d’un madrigal de 6 chanteurs du Studio
de l'Opéra de Lyon), trivial et lyrique, médical et guerrier, où la technologie
se fait poésie, la poésie technologie.
Théâtre de la Renaissance, 7, rue Orsel, 69600 Oullins, les 14, 15, 17 et 18 mars 2014, à 20
H.
La saison 2014 de Musique à
Notre Dame s'enorgueillit en cette fin d'hiver de deux concerts marquants
qui mettront encore en évidence les qualités de la maîtrise. Le 25 mars, seront
données de œuvres chorales de Heinrich Schütz (1585-1672) et de Hugo Distler
(1908-1942). Compositeur allemand, ce dernier s'inspira dans sa musique chorale
de cet éminent prédécesseur et des polyphonistes du XVII ème etXVIII ème siècle. Pour bien montrer la complémentarité de pensée, des motets de chacun
des deux compositeurs seront présentés en alternance. Le concert se conclura
par la Totentanz de Distler, écrite en 1934,
pour chœur à quatre voix. Une scénographie et la projection d'images numériques
seront assurées, pendant le concert, par les étudiants de 1ère et 2ème année du
DSAADIS design graphique numérique de l'École Estienne. Le 8 avril, on jouera
la Messe N°2 de Bruckner etEtExspectoresurrectionemMortuorum de Messiaen. La Messe de Bruckner, qui regarde du côté de Palestrina, se
singularise par son chœur à huit voix et un accompagnement des seuls vents.
Répondant à une commande d'André Malraux, l'œuvre de Messiaen, « est une
réponse à un non-croyant placé devant le problème de la mort », dira-t-il.
Un hommage aux disparus de la Seconde guerre mondiale, auquel Messiaen répond
par un chant de résurrection. L'orchestre du Conservatoire de Paris sera dirigé
par Jean-Michel Wurtz et les chœurs par Lionel Sow.
Notre Dame de Paris, les 25 mars et 8 avril 2014, à 20H30.
Renseignements et location : accueil
de la Cathédrale Notre Dame de Paris ; par tel. : 01 44 41 49 99 ; en ligne : contact@msndp.com ou www.musique-sacree-notredamedeparis.fr
Dans le cadre de la Saison
2013-2014 de l'Orchestre de Caen et de son festival Aspects des Musiques d'Aujourd'hui, du 25 au 30 mars 2014, deux
concerts seront donnés par Thierry Escaich, le 30
mars. Lors du premier,
à 11h00, au Petit auditorium du conservatoire de Caen / auditorium Jean-Pierre
Dautel, il interprètera au piano sa composition La Ronde ainsi
que des pièces de Gilbert Amy et d'Henri Dutilleux, avec un quatuor
à cordes réunissant Stéphanie-Marie Degand et
Jasmine Eudeline, violons, Christophe Desjardins,
alto, et Raphaël Chrétien au violoncelle. Le même jour, à 17h00, à l'auditorium
Jean-Pierre Dautel, sera organisé un "ciné-concert", composé de
petits films d'animation sur lesquels Thierry Escaich improvisera au piano. Cette dernière programmation s'adresse à un (très) jeune
public. C'est en effet tout le sens de celle-ci : expérimenter la
magie du spectacle vivant au cours de représentations qui tiennent compte des
capacités d’écoute de l’enfant. Le compositeur du Carnaval des animaux, CamilleSaint-Saëns, fut aussi celui de la première musique de film, en 1908. De nos jours, le pianiste de cinéma se doitd’êtreunmusicienchevronnénourrid’une vaste culture : souvent compositeur,
et toujoursimprovisateurexpérimenté, sa musique, au-delà de l’illustration sonore
du film, apporteunedimension nouvelle au spectacle, quidevientainsiunvéritable « ciné-concert ».
Auditorium Jean-Pierre Dautel, Caen, le 30 mars 2014, à 11H et
17 H.
Renseignements et location : Billetterie,
1, rue du Carel, 14000 Caen ; par tel.: 02 31 30 46
86 ; en ligne :billetterie-orchestre@agglo-caen.fr
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L'Ode au Tonnerre de Telemann
Gravure du tremblement de terre de
Lisbonne de 1755
« Cent mille infortunés que la terre
dévore, qui sanglans, déchirés, et palpitans encore, enterrés sous leurs toîts,
terminent sans secours dans l’horreur des tourmens leurs lamentables jours… ». Ces vers de
Voltaire, tirés de son Poème sur le désastre de Lisbonne, témoignent du
retentissement qu’a eu dans toute l’Europe le tremblement de terre de 1755. Au
concert des voix émues de Rousseau, de Goethe ou de Kant, se joint celle de
Georg Philipp Telemann : son grand oratorio Die Donnerode (Ode au tonnerre), pour soprano, alto, ténor,
deux basses et chœurs, sera joué en 1756, en hommage aux victimes de la
tragédie. Dans la série
« Tempêtes et tremblements », de la Cité de la musique, il sera donné
par Opera Fuoco et le Chœur Arsys de Bourgogne sous la direction de David Stern. Une création vidéo de Daniel
Buren a été conçue expressément pour accompagner la partition. Une rare
occasion d'entendre cette odegrandiose.
Au programme figurera également la cantate de Jean Sébastien Bach , « Schauetdochundsehet », BWV 46.
Cité
de la musique, le 1 er avril 2014, à 20 H.
Location : Cité
de la musique, 221, Bd Jean Jaurès, 75019 Paris ; par tel : 01 44 84 44 84 ; en
ligne : www.citedelamusique.fr
Le Théâtre des Champs-Elysées
fête Gioachino Rossini par pas moins de cinq opéras
dont trois productions scéniques ! Bien sûr, l'incontournable Barbier de
Séville occupera une place centrale au sein de ce festival, dans la
production de l'Atelier lyrique de Tourcoing, mise en scène de Christian Schiaretti et Arnaud Décarsin, et
dirigée par Jean-Claude Malgloire à la tête de sa
Grande Écurie et la chambre du Roy. Mais deux autres titres en seront les
joyaux. A commencer par Otello. Moins connu
que l'opéra de Verdi, le drame de Rossini n'en est pas moins tout aussi
impressionnant. Par sa dramaturgie d'abord, qui reléguant le personnage de Iago au second plan, focalise sur la dimension de racisme
dont est victime Othello : bien que valeureux combattant, il ne trouve pas sa
place dans la bonne société vénitienne. La figure de Desdémone est centrale, déchirée par un conflit intérieur car en ayant osé épouser un
homme de couleur, elle est allée contre la volonté paternelle. Par son
traitement musical ensuite, qui met les ensembles au
premier plan, aligne pas moins de trois ténors, en Othello, Rodrigo et Iago, enfin offre au dernier acte une concision dramatique
inédite et nouvelle chez Rossini. La production de l'Opernhaus de Zurich, due au tandem Moshe Leiser et Patrice Caurier qui transposent l'action dans l'Italie des années
60, est un remarquable véhicule pour Cecilia Bartoli, dans la partie de Desdémone, et John Osborne, dans le rôle titre.
Jean-Christophe Spinozi sera aux commandes de son
ensemble Matheus. Un événement assurément !
Enfin, et encore moins joué, Tancredi clôturera ces festivités scéniques. Il
s'agit du premier operaseria de son auteur, conçu d'après la tragédie éponyme de Voltaire. Ce mélodrame, qui
va asseoir la réputation de Rossini, marque un renouveau du genre seria, grâce à ces harmonies subtiles et à cette
irrépressible vitalité qui enlumineront tant les chefs d'œuvres à venir, sans
oublier l'art infini de la mélodie. La distribution réunira, entre autres,
Marie-Nicole Lemieux et Patricia Ciofi, sous la
direction de EnriqueMazzola.
La mise en scène sera assurée par Jacques Osinski.
Deux opéras en version de concert complèteront ce panorama : L'Italienne à
Alger, chef d'œuvre de turquerie buffa(avec
M-N. Lemieux en Isabella et Lorenzo Ragazzo en
Mustafa, direction de Roger Norrington) et la très rare Échelle de soie,
qui vaut plus que son entraînante ouverture, dirigée par Enrique Mazzola. Un riche parcours à suivre absolument !
Théâtre des Champs-Elysées. Otello, les 7, 9, 11, 15, 17 avril 2014, à 19H30 et
le 13 avril à 17H.
Le Barbier de Séville, les 28 et 29 avril
2014, à 19H30.
Tancredi, les
19, 21, 23, 27 mai 2014, à 19H30 et le 25 mai à 17H.
L'Italienne à Alger, le 10 juin 2014, à 20H
La Scala di seta, le 13
juin, à 20H
Location : 15, Avenue
Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr
ÀPropos des
Voix de Haute-contre et de Contre-tÉnor
Entretien
avec Benjamin Clée, chanteur et pédagogue.
La voix de contre-ténor a traversé les époques et
les styles. A la fin de l’époque classique ce type de voix a été un peu enterré.
Le grand argument était : « Ce n’est pas une voix d’opéra romantique,
ce n’est pas une voix lyrique ». Aujourd’hui on la considère comme une
voix à part entière, comme les autres voix, et ceux qui pensent le contraire, à
mon sens, se trompent.
(Benjamin Clée)
Par
rapport aux autres voix d’hommes, à ces voix lyriques reconnues par l’histoire
romantique, comment pourrait-on définir la voix de contre-ténor ?
Par son mécanisme. Comme
pour les femmes, c’est une petite bascule au niveau du larynx qui rétrécit la
longueur des cordes vocales, ce qui provoque une émission plus haute. C’est
pour cela qu’on l’appelle voix de tête ; parce qu’elle résonne plus
aigu. C’est cela qui donne une impression d’irréel. Peut-être parce que c’est
ma voix, j’ai l’impression que c’est la plus proche de l’âme. On dit que c’est
la voix des anges. Dans son histoire elle était attachée aux cours pontificales
et les pratiques barbares de la castration étaient une volonté de maintenir
chez les adultes la qualité des voix d’enfants.
Devient-on
ou est-on un chanteur contre-ténor ?
Moi, je l’ai vécu comme
une transition. Quand j’étais en train de muer, j’étais aphone en voix de
poitrine. Du coup, Marie-Luce Lucas, accompagnatrice de Christiane Eda-Pierre, m’avait dit que ce n’était pas grave, que je
passerai mes examens de formation musicale en voix de tête. Il se trouve que là
il y avait encore du son qui sortait. On m’a dit que c’était chouette, et c’est
venu comme ça pour moi.
Avec mon expérience
d’enseignement, j’ai constaté que ce sont souvent ces résonances-là qui restent
en référence chez les garçons. A mon avis en tant que pédagogue il faut
continuer à faire chanter cette voix de tête pendant la mue parce que c’est un
repère. Beaucoup d’enseignants m’avaient dit : « pendant la mue,
il ne faut surtout pas chanter ». Je me rends compte aujourd’hui que ce
n’est pas forcément vrai et que justement cette voix de tête, ou de falsetto ou
de contre-ténor, peut permettre à des musiciens « en transit » de
continuer à s’exprimer avec leur voix.
Ces
termes de « falsetto », de « contre-ténor », de
« voix de tête », veulent-ils dire la même chose ?
Le terme « voix de
tête » peut être appliqué aussi bien à une soprane, un baryton ou un
ténor. Ce n’est pas pour autant que ce sont des contre-ténors ! Falsetto
serait le terme italien signifiant voix de tête masculine, en français,
contre-ténor.
Est-ce
que ce serait juste de comparer cette voix de contre-ténor avec le jeu des
cordes baroques qui ne vibrent pas ?
Non, c’est l’instrument
qui change. On n’utilise pas l’accolement des cordes vocales comme les autres.
On obtient donc un autre type de timbre. On n’a pas le même instrument. Après,
le vibrato apparaît en fonction de l’outil de chacun, de ce qu’on veut en faire
en rapport avec le répertoire qu’on doit interpréter. A priori, une soprano peut avoir
les mêmes aptitudes à produire des sons filés pour obtenir un effet de
transparence qu’un baryton ou un ténor. J’ai eu deux élèves contre-ténors et à
chaque fois c’était une voix naturelle. Il a fallu les recadrer comme n’importe
quelle autre voix avec les mêmes qualités et les mêmes défauts.
En France, j’ai
l’impression qu’on a tendance à aimer la voix d’enfant dans l’étirement d’un
son droit, de quelque chose de diaphane. Mais je crois que c’est plutôt une
affaire de style et de culture quand j’entends les maîtrises anglaises ou
allemandes. Ils ont des voix souples et chaudes, charnues. Je crois qu’ils ne
cessent pas de chanter, même à la mue, et que ces pays n’ont jamais tout à fait
abandonné les voix de contre-ténor.
Tu
chantes dans un ensemble professionnel avec les altiet pas
forcément de la musique baroque.
Oui, c’est un choix de
couleur de Laurence Equilbey.
Comment
ressens-tu ta position dans ce pupitre ?
Laurence a toujours eu
l’oreille pour savoir combiner les voix dans les pupitres. Elle a toujours eu
ce chic de complémentarisation des voix de chacun.,En ensemble, on est obligé d’avoir une émission
plus canalisée, c’est comme cela que mezzo et contre-ténor peuvent être
compatibles au sein d’un même pupitre.
Quelle
était la proportion de contre-ténor dans le pupitre pour chanter Brahms ?
J’étais seul pour 7
mezzos.
La
proportion s’inverse pour chanter Gluck ?
Là, c’est environ 50/
50.
Quand
tu chantes un répertoire non baroque est-ce que cela change quelque chose dans
le travail technique ?
Non. Cela a surtout
changé quelque chose dans mon engagement artistique. Je me souviens, il y
a 15 ans, c’était du militantisme ! Chanter du Brahms ou du Dvořák pour moi était inespéré. Je me disais : voilà la preuve que cette
voix de contre-ténor n’est pas cantonnée à la musique renaissance ou baroque…
ou à l’extrême inverse à la musique contemporaine. J’y allais avec une certaine
fierté, un certain militantisme.
Haute-contre
et contre-ténor. Deux termes identiques ?
Deux choses complètement
différentes. Contre-ténor, c’est le terme français pour désigner toutes les
voix de falsetto avec un répertoire un peu partout en Europe. Haute-contre,
c’est vraiment le répertoire français et c’est un ténor très léger,
contrairement à ce qu’on peut penser, qui mixe ses aigus. Il est donc en
registre léger dans son passage(1). Ce n’est pas du tout la même tessiture et
pas du tout le même répertoire.
Techniquement, la haute-contre
chante en voix de poitrine dans sa voix de ténor et le chanteur est capable de
mixer en voix de tête tous ses aigus. Le contre-ténor peut être un contre-ténor
soprano (on l’appellera sopraniste) ou mezzo-soprano ou alto… Je sais qu’on a
des voix de haute-contre en Italie (apparentées au ténorino) ou en Russie. Ce
sont des voix de tête masculines, très graves. Je m’apparente un peu à ce type
de voix. Quand on a travaillé « Les Vêpres » de Serge Rachmaninov, le
coach russe qui nous a fait travailler m’avait fait la
remarque : « tu fais le ténorino dans le pupitre d’alto ».
En gros, tu assures les graves quoi !
Henri Ledroit… ?
…est un contre-ténor alto, James Bowman, Alfred Deller aussi. Howard Crook, lui, durant une grande période de sa carrière, a été
haute-contre. Ténor tout à fait léger capable de mixer tous ses aigus. Dans un
domaine plus « pop », on pourrait citer aussi Jimmy Somerville et sa
voix de sopraniste…
Pour
la voix de haute-contre, quel répertoire peut-on évoquer ?
Beaucoup d'œuvres. Par
exemple, chez Marc-Antoine Charpentier, Jason dans « Médée », David
dans « David et Jonathas ». Les grands
héros de Rameau aussi…
Les
hautes-contre peuvent-ils chanter aussi en voix de ténor ?
Souvent, avec l’âge,
reprennent-ils leur tessiture pleine. C’est comme un entraînement sportif. Je
constate que les voix de haute-contre sont plutôt des voix jeunes. La capacité
de mixer les aigus peut s’entretenir mais aussi disparaître si on s’attaque à
un répertoire un peu plus lourd comme le répertoire romantique qui va modifier
l’instrument. Cependant, je constate qu’autour de moi, les collègues d’ensemble
qui ont continué à chanter du baroque continuent 15 ans après.
Pour sortir de cette
voix, on va essayer de gagner en puissance, d’obtenir un vibrato sur toute
l’étendue de la tessiture… Après, ce peut être un atout de savoir faire ses
aigus mixés, de savoir faire des aigus piano, tout simplement. Et ce sera le
domaine de l’interprétation.
Le
Baroque s’est imposé sur le marché...
Aujourd’hui je vois les
grands chefs qui ne prennent plus d’artistes limités au Baroque. Je crois qu’on
se rend compte qu’un artiste doit savoir tout faire. Je trouve que cela est une
bonne nouvelle. Les chanteurs sont plus performants qu’il y a 20 ans : en
santé vocale, en puissance. Les orchestres aussi ont évolué… Un artiste comme
Franco Fagioli est aussi génial dans Gluck(2) que
dans Rossini. En tant qu’instrumentiste je pense qu’il est inconcevable
aujourd’hui de ne jouer que du Tchaïkovski, par exemple. Par rapport à mon expérience
d’altiste quand j’étais étudiant, j’étais confronté au monde de la musique
baroquecomme si c’était un monde
pestiféré ! Si je voulais jouer avec un archet baroque on me disait que
c’était parce que j’étais mauvais instrumentiste ! Et c’était il y a 20
ans, pas 150 !
Le
film Farinelli(3) a séduit le grand public avec l’histoire de cette voix. Si on refaisait ce film
aujourd’hui, serait-on obligé de mixer plusieurs voix comme cela a été
fait pour reproduire la voix d’un castrat ?
Je ne pense pas. Ça
n’était pas obligatoire. Ils ont fait une performance technique avec une
soprane et un contre ténor. Le contre-ténor était Derek Lee Ragin et la soprano EwaMalas-Godlewska.
Ils ont choisi d’avoir des super graves et des super aigus. Aujourd’hui, un
Franco Fagioli pourrait aisément le faire !
Farinelli a donc beaucoup fait pour la
connaissance de cette voix...
Certainement.Elle dérange et touche à la fois... Il y a
quelque chose de direct à l’âme pour moi.
Et
aussi une certaine ambiguïté sexuelle, non ?
Cette ambiguïté est une
vieille tradition de théâtre. Dans l’opéra chinois, les rôles de femmes étaient
chantés par des hommes. On l’a très bien vu dans le merveilleux film Le pavillon des femmes(4) qui décrivait un rituel
très ancien qui a su se préserver malgré la révolution culturelle. Hormis le
fait que certains rôles d’hommes ont été longtemps tenus par des femmes(5), un
rôle comme Tancrède de Rossini a été
écrit pour une femme. Si on parle de travestissement prévu dans le livret, on
peut penser à Chérubin qui a toujours
été chanté par une fille. Il serait peut-être intéressant aujourd’hui, au 21ème siècle, d’ouvrir ces rôles à des garçons qui seraient capables, tout
simplement, de le faire.
Propos
recueillis par Laurence Renault-Lescure.
(1) Passage :
zone de transition entre le registre lourd et le registre léger, qu’on entend
plus ou moins en fonction des voix. Passage principal entre la voix de poitrine
et la voix de tête. Dans sa tessiture, un chanteur a plusieurs passages. Son
travail est justement de gommer toute différence entre les paliers.
(2) Concert sous la direction de Laurence Equilbey le 23 octobre 2013 à la Chapelle Royale de
Versailles, retransmis sur France Musique
(3) Film réalisé par Gérard Corbiau,
sorti en 1994
(4) Film de Ho Yim,
sorti le 23 août 2007 (Chine)
(5) Ainsi de Jules César de Haendel dans les années 1990
Une pédagogie française
d'éducation par l'art : la pédagogie Martenot
Un peu
d’histoire
Quand on parle de Maurice Martenot
(1898-1980), on pense d’abord à l’instrument de musique électronique qui porte
son nom. Les « Ondes Martenot » ont inspiré de nombreux compositeurs,
de Darius Milhaud à Henri Dutilleux en passant par André Jolivet et Olivier
Messiaen ainsi que des compositeurs contemporains.
Mais il est aussi l’un des cinq grands
pédagogues qui, avec Émile-Jacques Dalcroze (1865-1950),
Edgar Willems (1890-1978), Carl Orff (1895-1982) et ZoltánKodály (1882-1967), ont marqué le XX ème siècle par leurs recherches en pédagogie musicale. Tous
les cinq ont élaboré des méthodes d’enseignement musical destinées à renouveler
profondément l’enseignement de ce qu’on appelle habituellement le solfège. Ces
recherches s’inscrivent dans tout un mouvement pédagogique plus général marqué
par les travaux de Maria Montessori, Célestin Freinet et de tous les autres
pédagogues des « méthodes nouvelles ».
C’est dans ce courant de l'Éducation
Nouvelle que s’inscrit la recherche de la famille Martenot, car cette recherche
est celle de toute une famille. Au commencement, il y a Madeleine (1887-1982),
la sœur aînée, devenue l’éducatrice de ses deux jeunes frères et sœurs, Maurice
et Ginette. Passionnée de pédagogie, Madeleine fonde un cours privé de piano
dès 1912.
Mais dès l’après-guerre de 14-18, Maurice,
l’inventeur des Ondes Martenot, l’instrument de musique électronique qui porte
son nom, sa femme Renée, ainsi que Geneviève (Ginette), la plus jeune sœur,
participent activement aux recherches de l’Éducation Nouvelle. Un congrès les
marque particulièrement, celui de Villebon-sur-Yvette, du 22 au 27 avril 1924,
auquel ils participent tous. Ils y rencontrent le violoncelliste-concertiste YouryBilstin qui leur fait
découvrir des états psychiques différents, en les initiant à la pratique de la
relaxation active. L’importance de cette découverte définit l’orientation de
leur travail : ils ambitionnent de devenir Éducateurs
par l’Art.
Maurice Martenot développe donc à la fois
une méthode de formation musicale et une méthode de relaxation. Ginette
Martenot s’attache à pédagogie pianistique et, après sa rencontre, en 1932,
avec le poète indien Rabindranath Tagore qui
l’encourage vivement à réaliser en France, comme dans son École de Santiniketan, devenue une Université Internationale au
Bengale, un enseignement artistique complet, elle développera également une
méthode de dessin, peinture, sculpture, basée essentiellement sur le geste.
Dans le cadre de cet article pour
L'Éducation Musicale, nous nous intéresserons plus particulièrement à la
pédagogie pianistique et à celle de la Formation Musicale.
Si Maurice publie dès 1922 ses Jeux
Musicaux, il est très vite accaparé, ainsi que sa sœur Ginette, par les
tournées internationales entreprises après la présentation à l’Opéra de Paris
en 1928 de l’instrument d’Ondes. Mais il continue de pratiquer avec ses deux
sœurs et de perfectionner la pédagogie de la formation musicale. Après la
guerre, il collabore notamment aux programmes de
formation musicale des choristes du Mouvement A Cœur Joie avec César Geoffray. Une étape décisive est franchie en 1952, lorsque
paraît un premier « Livre du maître » qui, au fil des éditions,
deviendra les « Principes Fondamentaux de Formation Musicale et leur
Application ». Maurice Martenot ne cessera d’affiner sa méthode jusqu’à
une ultime édition rédigée en 1980 et terminée quelques jours avant sa mort
accidentelle en octobre 1980. C’est cette édition qui est à l’heure actuelle
réimprimée et disponible aux éditions de l’Ile Bleue.
Les
fondamentaux
Pour les Martenot, les arts ne sont pas un
élément facultatif de l’éducation mais en sont partie prenante. D’où la
définition du professeur comme étant un « éducateur par l’art ».
I
. La « Méthode » Martenot de Formation Musicale
Maurice Martenot se méfiait du mot
« méthode », même s’il l’employait constamment et en a fait lui-même
une description très détaillée et minutieuse. Mais il a toujours combattu
l’idée qu’il suffisait d’appliquer des « trucs », des
« recettes » pour être un bon professeur, ou plus exactement, comme
il le disait, un bon « éducateur par l’art ». Nous allons donc plutôt
détailler ici les « principes fondamentaux » qui sous-tendent toute
sa recherche. A propos des exercices qu’il préconisait, Maurice Martenot disait
qu’avant de se demander comment les faire, il fallait impérativement se
demander pourquoi on allait faire
tel ou tel exercice, pour répondre à quel besoin de l’élève.
« L’esprit avant la lettre, le cœur
avant l’intellect », telle est la maxime qui se trouve en couverture des
« Principes fondamentaux ». Pour Maurice Martenot, l’essentiel est
que la musique parte d’une « pensée musicale » qui est toujours ce
qui conduit les techniques, aussi élaborées puissent-elles être. Il n’y a pas
de « musicien » s’il n’y a pas de pensée musicale. C’est donc d’abord
par le développement de cette faculté que passe tout apprentissage de la
musique. Cette « pensée musicale », qu’on peut aussi appeler
« chant intérieur », se développe par la mémorisation de mélodies dès
le plus jeune âge. Elle se développe aussi par l’improvisation et la
transposition spontanée. Derrière la « pensée musicale », il y a tout
simplement la vie. Le but de l’éducateur par l’art est de « Libérer,
épanouir, respecter la vie, tout en inculquant les techniques ».
1 – Le
rythme
On pourrait dire : au commencement
était le rythme. « Le rythme, dit Martenot, est l’élément vital de la
musique, aussi indéfinissable que la vie elle-même. Il ne faut pas confondre
rythme et mesure : le rythme est ressenti, la mesure
s’analyse. »C’est ainsi qu’il
établit la distinction, aujourd’hui devenue banale, entre le
« temps » et la « pulsation » : le travail rythmique
se fait par la mise en œuvre de petites cellules vivantes et d’une
improvisation qui n’est pas une construction intellectuelle mais est portée par
un élan vital qui intègre flux, reflux et accent. De nombreux exercices-jeux
permettent de mettre en œuvre cette pédagogie du rythme qui peut être poussée
jusqu’à un niveau professionnel.
Nous venons de parler
d’ « exercices-jeux ». Ce terme mérite d’être expliqué. Laissons
la parole à Maurice Martenot : « Le terme « exercice-jeu »
ne doit pas laisser supposer que nous voulons amuser les enfants par des jeux.
Il ne représente pas non plus le « jeu éducatif » ayant pour objectif
d’éduquer en amusant. Il veut dire que les exercices réalisés suivant les
indications [du livre du maître] sont tellement empreints d’éveil, de vie, de
liberté, d’expression, qu’ils correspondent, pour les élèves, à l’attrait du
jeu. » Ceci est fondamental : ce sont les exercices eux-mêmes qui ont
l’attrait du jeu. Il ne s’agit pas d’amuser les élèves mais de les passionner
pour leur apprentissage.
2 – Le
chant libre par imitation.
L’imitation est la première phase de la
transmission de la musique. Pendant des siècles, la musique ne s’est transmise
que par imitation. Le chant libre, nécessaire pour tous, permet aussi de
compenser pour certains élèves l’absence de chant au sein de la famille.
N’oublions pas que neuf fois sur dix un enfant qui chante faux est un enfant
qui n’a jamais chanté jusque-là et qui ne maîtrise pas son appareil vocal. Mais
le plus important est encore que ce chant contribue à structurer la mémoire
musicale par la répétition des mêmes airs et à développer le « chant
intérieur » par la transposition spontanée. Bien sûr viendra ensuite le
chant conscient qui prépare à l’intonation solfiée.
3 – La transposition.
C’est un des éléments fondamentaux de la
méthode. Comprenons bien : il ne s’agit en aucune façon de la
« transposition par les clés » qui n’est qu’une autre manière de lire
une partition et ne suppose pas une « pensée musicale » sous-jacente.
Pratiquée spontanément dès le début de l’enseignement par la transposition des
mélodies utilisées en chant libre, d’abord avec les paroles, puis en gardant
simplement l’air, elle se développe ensuite par la mémorisation et la
transposition d’oreille de thèmes de plus en plus longs et compliqués. Et ce
n’est qu’en dernier ressort, lorsque du son naît le nom des notes, qu’on aborde
une transposition chantée avec le nom des notes. Précisons que cette pratique
de la transposition est un élément qui se retrouve dans la méthode de piano,
également comme élément fondateur permettant de développer la pensée musicale.
4 – Le
chant conscient.
C’est ce qu’on appelle habituellement le
« solfège ». Là non plus, il n’y a pas de véritable chant conscient
sans une prise de conscience du « chant intérieur » qui précède
l’émission vocale. Pour reprendre une formule d’Edgar Willems que Maurice
Martenot aimait à citer : « Les mauvais musiciens n'entendent pas ce
qu'ils jouent. Les médiocres pourraient entendre, mais ils n'écoutent pas. Les
musiciens moyens entendent ce qu'ils ont joué. Seuls les bons musiciens
entendent ce qu'ils vont jouer ».
Seule cette audition intérieure libère la musicalité de l’interprète et sa
faculté d’improvisation. Dans le chant conscient, l’enfant (ou l’adulte)
apprend à s’écouter, à entendre ce qu’il
lit avant de le chanter.
Nous avons déjà insisté sur ces notions
fondamentales de l’apprentissage musical. Il est à remarquer que tous ces
éléments sont valables non seulement pour l’apprentissage vocal mais aussi pour
l’apprentissage instrumental. La maîtrise de la transposition « à
l’oreille » est une condition de la faculté d’improvisation instrumentale.
Comme le disait déjà Robert Schumann dans ses « Conseils aux jeunes
musiciens » : « Si, en promenant vos doigts sur le clavier, vous
rencontrez de petites mélodies qui se suivent et s’enchaînent, c’est déjà un
joli résultat, mais si, sans instrument, une de ces mélodies arrive seule à
votre esprit, c’est encore mieux, et vous devez être cent fois plus satisfait.
C’est qu’alors le sens intérieur du ton s’est éveillé en vous. Les doigts doivent exécuter ce que la tête
a conçu, pas le contraire. »
Maurice Martenot consacre, dans ses
« Principes fondamentaux », un chapitre très important à
« l’analyse des divers circuits d’automatismes, de l’expression vocale
instinctive au jeu instrumental ». On ne peut le résumer ici, mais il
constitue une des clés pour comprendre en profondeur la « méthode Martenot ».
Nous en citerons simplement la conclusion : « Dans le dernier schéma
[celui qui intègre la pensée musicale à la production de la musique], le
circuit logique est respecté. Dès la période exclusivement sensorielle
franchie, l’élève prend l’habitude de transformer spontanément les signes de
notation en « air mental ». C’est alors celui-ci qui commande
l’action vocale ou instrumentale en lui transmettant tous les impondérables de
l’expression de la vie à travers le son ; la musique se manifeste ».
6 – Le cœur
de la méthode : les « exercices associés ».
- Les « trois
temps Montessori ».
Maurice Martenot, sa femme et ses sœurs ont
été profondément marqués par l’ensemble des recherches pédagogiques et pas
seulement dans le domaine musical. Maurice Martenot a synthétisé et appliqué à
la musique un principe essentiel qu’il a trouvé chez Maria Montessori :
l’acquisition d’une nouvelle connaissance se fait toujours par trois étapes qui
sont toutes indispensables à la maîtrise de cette connaissance.
- La première étape
est la présentation :
c'est-à-dire l’imitation. Il s’agit
de reproduire à l’identique et le plus parfaitement possible un élément donné
par le professeur, par exemple une petite mélodie ou une cellule rythmique
vivante.
- La deuxième étape
est la reconnaissance. En musique,
c’est l’étape qui correspondra à la dictée musicale qui sera d’abord orale
avant d’être écrite.
- La troisième
étape est la production : c’est
la faculté de trouver le son de manière
autonome. C’est le « solfège ».
- Les
« exercices associés ».
Chaque phase de l’apprentissage du
« solfège » s’effectue selon les trois temps ci-dessus. La phase A
correspond à l’association du geste au son. La phase B correspond à la
représentation de ce mouvement sonore par un schéma des degrés. Les mouvements
sonores sont symbolisés par des « neumes », nomenclature empruntée au
chant grégorien pour désigner la représentation graphique du mouvement sonore.
La phase C comporte les mêmes phases mais appliquées aux notes sur la portée.
Le premier temps est constitué par le chant par imitation du nom des notes, le
deuxième par la dictée réalisée sous sa forme traditionnelle, et le troisième
par l’intonation d’après les notes lues sur la portée. Dans cette phase est
également récupérée la notation et l’expression du rythme. Jamais la
« pensée musicale » n’est oubliée : bien au contraire elle est
au centre de la démarche.
7 – L’improvisation.
Bien que ce point soit abordé ici en
dernier, il est au cœur de la méthode. Dans ses « Principes
fondamentaux », avant de développer les différentes manières d’aborder
l’improvisation, Maurice Martenot cite, pour appuyer son propos, Edgard Willems
et Maurice Chevais. Et il termine son introduction à l’improvisation par cette remarque
un peu désabusée mais, hélas, toujours d’actualité : « N’ayant pas eu
le plus souvent l’occasion d’apprécier la valeur de l’improvisation au cours de
leurs études, les professeurs sont enclins à considérer cette partie de
l’enseignement comme secondaire. Puissent-ils nous faire confiance et oser la
mettre franchement en pratique suivant nos conseils. » Cette improvisation
commence par l’improvisation rythmique, qui se pratique dès les premiers cours.
Mais très vite, l’improvisation mélodique doit être pratiquée même si elle
n’est jamais « obligatoire » : pas d’improvisation possible dans
la contrainte ou l’anxiété. L’improvisation basée sur le sentiment tonal
s’exerce à travers les jeux de « question-réponse » et du « continuo
rythmique ». Mais il peut être complexifié à l’infini… L’essentiel est de
commencer et de montrer à l’élève que c’est possible et surtout que c’est une
source de joie infinie.
II. La
méthode Martenot de piano.
Sans la détailler de la même façon que la
méthode de Formation Musicale, on peut en indiquer quelques grandes
orientations. Comme nous l’avons dit, cette méthode est le fruit des recherches
et de l’enseignement de Madeleine et de Ginette Martenot tout au long de leur
vie.
1 –
L’attention au geste pianistique.
Intimement liée à la relaxation active,
elle s’attache dès le début des études à ce que chaque son produit par
l’instrumentiste soit beau et voulu comme tel. « Par la qualité du geste,
améliorer la qualité du son, du phrasé et de l’interprétation » : tel
est le programme proposé par Ginette Martenot. Le premier volume de la méthode
porte en sous-titre : « Développement progressif des mécanismes et
des réflexes naturels, étude du phrasé et de l’harmonie du geste ». Plus
profondément, « Au-delà des aptitudes musicales, auditives, visuelles,
gestuelles associées à l’étude d’un instrument, au-delà, chez les élèves les
plus avancés, de la connaissance des styles de jeu selon les maîtres et les
époques, c’est la découverte de sa
propre psychologie à laquelle l’élève accède avec un intérêt
croissant ». On voit ici la cohérence de la pensée et de la pratique de
Madeleine et Ginette Martenot à partir du projet fondateur, conçu au congrès de Villebon, d’être des « éducateurs par
l’art ».
2 – La
transposition spontanée.
On retrouve dès le premier contact de
l’élève avec le piano les principes de base de la pédagogie de la formation
musicale. Invité à jouer sur fa – sol – la la berceuse « Fais dodo.. .», l’élève est invité immédiatement à la
transposer sur do – ré – mi et sol – la – si. Bien sûr, cela se fait à partir
de la pensée musicale et non par une lecture des notes, celle-ci n’étant bien
entendu pas négligée mais venant en second (mais pas de manière
secondaire !).
3 –
L’improvisation.
Celle-ci intervient aussi dès les tous
débuts de l’enseignement. Cela se fait progressivement et permet d’aborder tous
les styles. Ginette Martenot, à partir de 1950 environ, s’est consacrée dans
ses concerts essentiellement à la musique contemporaine. Et l’improvisation
pianistique qu’elle préconise, permet d’explorer tous les langages, qu’ils
soient classiques, romantiques ou contemporains.
4 –
L’harmonisation au clavier.
De même que Maurice Martenot souhaitait que
les professeurs de formation musicale sachent harmoniser les différentes
mélodies qu’ils font chanter à leurs élèves, afin de former l’oreille
harmonique en même temps que l’oreille mélodique, Madeleine et Ginette
attachent une particulière importance à ce que les pianistes soient très vite
capables d’harmoniser d’oreille des mélodies d’abord simples et de plus en plus
complexes. Nous n’en détaillerons pas ici la pratique qui est expliquée
abondamment dans les nombreux volumes de la méthode de piano intitulée
« L'Étude Vivante du Piano ».
III. La
Relaxation.
On ne peut terminer cet exposé de la
Méthode Martenot sans parler de cette discipline que Maurice Martenot a
développée et enrichie tout au long de sa vie et qu’il a appelé la
« Relaxation active » ou « Kinésophie ».
Nous ne résumerons pas ici les soixante-quinze pages du livre « Se
relaxer : Pourquoi ? Comment ? » que Maurice Martenot a écrit avec Christine Saïto, dans
lesquelles il exprime toute la philosophie qui sous-tend les exercices proposés
dans la deuxième partie du livre. Une deuxième édition a été faite par Christine Saïto, la principale disciple et collaboratrice de
Maurice Martenot, en 1998, enrichie de l’expérience de l’auteur. Cette
« relaxation active » permet, entre autres, de vivre l’instant
présent et d’expérimenter des états de conscience qui mènent à l’épanouissement
de l’être. A quoi bon parler d’accord ou de désaccord avec qui que ce soit ou
quoi que ce soit, sans avoir établi le premier accord indispensable :
l’accord avec soi-même. Cette connaissance de soi constitue pour Maurice
Martenot la condition « sine qua non » pour être un bon pédagogue et
un bon éducateur car elle seule donne la disponibilité nécessaire.
IV. La
méthode Martenot aujourd’hui.
La méthode de Maurice Martenot a connu un
grand développement en France dans les années 70-80. Le ministère de la Culture
en organisa même la diffusion à travers des sessions d’information tandis que
le ministère de l'Éducation nationale organisait également des sessions
d’information pour les enseignants du primaire. La formation des professeurs de
sa méthode fut assurée par Maurice Martenot lui-même jusqu’à sa mort
accidentelle le 8 octobre 1980. Puis d’autres formateurs prirent la relève
jusqu’à aujourd’hui. De nombreuses méthodes de solfège en sont directement
inspirées. On notera, par exemple, les travaux de Madame Marguerite Labrousse.
Marie-Alice Charritat, formatrice au Centre Martenot
Kléber, a écrit et continue d’écrire de nombreux ouvrages de formation musicale
allant de l’éveil musical au niveau supérieur des conservatoires.
Maurice Martenot avait d’ailleurs contribué
juste avant sa mort à la rédaction d’un document pédagogique émanant du
ministère de la Culture et destiné à l’ensemble des écoles et conservatoires de
Musique. C’est à lui que l’on doit la substitution du terme « Formation Musicale »
à celui de « solfège » dans notre enseignement musical actuel. Mais
il ne suffit pas, hélas, de changer l’étiquette pour que le contenu soit
toujours modifié…
Aujourd’hui, deux Centres, le Centre
Martenot Kléber, à Paris, et le Centre Martenot Rennes, assurent la formation
des futurs professeurs de la méthode en piano et formation musicale ainsi que
des cours pour enfants et adultes. La relaxation active fait partie de la
formation des professeurs, mais est également enseignée de façon indépendante par
des professeurs agréés par l’Association Spirale.
La Fédération des Enseignements Artistiques
Martenot regroupe en son sein les différentes branches : Formation
Musicale, Étude vivante du piano, Relaxation, Arts Plastiques et Ondes
Martenot. On peut trouver sur son site (http://federation-martenot.fr/) tous les liens nécessaires pour se mettre en
contact avec les différents centres d’enseignement Martenot.
Daniel Blackstone*.
* Formateur
Martenot, ancien directeur des écoles de Musique de Boissy-Saint-
Léger et Cormeilles-en-Parisis.
Le festival d'hiver salzbourgeois aura
encore été l'occasion de mémorables moments lors de la multitude de manifestations
proposées. Pour leur deuxième programmation, Matthias Schultz et Marc Minkowski avaient choisi de mettre en parallèle la musique de Mozart
avec celle de ses contemporains, comme CPE Bach ou MuzioClementi, mais aussi ses admirateurs, Schubert ou
Richard Strauss. Dans le domaine de l'opéra, était monté OrfeoedEuridice de Gluck,
une innovation et une exception de taille au monopole exercé par le génie du
lieu. Interprètes et formations de renom étaient au rendez vous, dans une
atmosphère à la fois détendue et extrêmement concentrée, alors que la ville vit
au rythme de la « Gemutlichkeit »
(cordialité) autrichienne, loin du flot touristique qui l'envahit en période
d'été. La Mozartwoche célèbre, bien sûr, la date
anniversaire de la naissance de Mozart, le 27 janvier. Cette année, pour la 258 ème fois, un concert festif était organisé en
l'honneur du pianiste Alfred Brendel, auquel devait être remis la médaille d'or
Mozart, devant le Gotha des personnalités musicales locales, y compris du
Festival d'été, et un parterre d'invités. L'occasion d'un bel hommage, un peu
formel, à l'illustre interprète qui a tiré sa révérence du podium depuis
quelques années déjà, mais qui a engrangé, comme il le relate dans un court
speech, tant de souvenirs émus à Salzbourg. Pendant plus de quarante ans, au
service de Mozart, et des autres, de l'école viennoise en particulier, Brendel,
le musicien et l'humaniste, aura transporté son public par des interprétations
enrichissantes. Clin d'œil à l'humoriste qu'est resté l'immense pianiste,
Pierre-Laurent Aimard improvisera une scénette de
mime fort divertissante, imitant la manière de son aîné et ami, affairé à son
clavier. Une pléiade de jeunes musiciens, dont Adrian Brendel, le fils
violoncelliste, le Quatuor Minetti et la soprano
Claire Elisabeth Craig, égaillèrent les discours.
Orphée et Eurydice en sa version viennoise
Christoph Willibald GLUCK :OrfeoedEuridice. Action théâtrale en
musique en trois actes. Livret de Ranieride'Calzabigi. Version de Vienne de 1762. BejunMetha, Camilla Timing, Ana Quintans. Ulrich Kirsch (acteur). Les Musiciens du Louvre
Grenoble et MozarteumOrchester Salzburg, dir. Marc Minkowski. Mise en scène : Ivan
Alexandre.
Le choix de la version viennoise, celle de
la création, en 1762, s'explique, selon les responsables de la production, par
la proximité autrichienne, et surtout par cette proposition, imaginée par Marc
Minkowski, du rendez-vous manqué de Mozart et de Gluck : en effet, la famille
Mozart arrive à Vienne, en cette année 1762, le 6 octobre, au lendemain de la
Première de l'œuvre de Gluck. Que serait-il advenu si Mozart avait assisté à
cette représentation et si les deux musiciens s'étaient alors rencontrés ? Pour
l'avenir de la musique ? Il se justifie encore du point de vue purement
dramaturgique : la version italienne offre, par rapport à celle de Paris, de
1774, un découpage plus concis, ne serait-ce qu'en l'absence de ballet. Pour le
metteur en scène Ivan Alexandre, OrfeoedEuridice est un requiem
qui ne dit pas son nom. Aussi sa vision prend-elle l'allure d'une cérémonie
funèbre et installe-t-elle un quatrième personnage, muet, la Mort. L'Ouverture,
si festive en apparence, et différente du climat morbide qui baigne le reste de
la pièce, visualise le faste d'une noce. Mais les dernières mesures en signent
le brusque échec. Le couple d'Oprhée et d'Eurydice,
fusionnel au point pour eux d'être enserrés dans une même gangue, se défait
brusquement, et la jeune femme inanimée, vêtue d'une robe blanche en forme de
linceul, sera étendue sur une table que d'aucuns jonchent de roses rouges. Deux
autres couples vont rapidement prendre forme : Orphée et l'Amour, et Eurydice
et la Mort. Et s'instaure une lutte d'égal à égal entre Eros et Thanatos, qui
tourne, semble-t-il, à l'avantage de ce dernier, du moins jusqu'au lieto fine, dont il fallait bien s'accommoder dans ce qu'il
comporte d'artificiel. Les deux personnages acquièrent un poids singulier, le
second, la Mort, renforçant le premier, l'Amour. Leur combat singulier pour
imposer un bonheur qu'on sait trop voué à l'échec, donne lieu à des images
fortes. Comme la paire que forme Euridice avec le
messager de l'au-delà, dans une attirance étonnante, celle-ci comme mue par la
force de quelque aimant : ne le prend-elle pas par la main ou ne se love-t-elle
en son sein ? De même, lors de la scène des Champs-Elysées, où par le
truchement d'un immense velum à l'avant scène, on voit Eurydice cheminer avec Orfeo, alors que l'ombre gigantesque de la Mort plane
au-dessus d'eux. Le personnage d'Eurydice perd de son habituelle innocence au
profit d'une vision plus volontariste, presque vindicative, lorsque, par
exemple, de retour des enfers, elle reproche à Orphée sa froideur. Disposés de
part et d'autre d'une aire centrale, théâtre sur le théâtre, à la façon d'un
chœur antique, les choristes auront l'occasion de se mêler à l'action. Évitant
le factice de la transposition, cette lecture originale, bourrée de
sous-entendus, anime ce qui dans cette trame peut paraitre statique, mais est
dicté par sa brièveté.
le contre-ténor BejunMetha signe en Orfeo une création saisissante, dominant la représentation
par l'intensité phénoménale de son chant et une présence bouleversante. Outre
la beauté du timbre, on est conquis par la sincérité des accents. L'assomption
de ce chanteur, hier héros haendélien à Bruxelles, ou magnifique amant dans Written on Skin de Georges Benjamin, n'en
finit pas d'enthousiasmer. Les deux autres protagonistes n'en ont pas moins de
classe : Camilla Timing, radieuse dans le chant et résolue dans son habit
scénique, est une Eurydice superbe ; Ana Quintans,
déjà remarquée à Aix, en Jonathas dans l'opéra de
Charpentier David et Jonathas, propose un Amore vainqueur tant dans son jeu que par un chant assuré,
superbement projeté. Dans le rôle muet, mais combien présent, de la Mort,
l'acteur Ulrich Kirsch, fait passer plus d'une fois le frisson d'une terreur
enveloppante. La direction de Marc Minkowski se pare de contrastes accentués :
une Ouverture rapide, presque boulée, mais emplie d'une irrépressible énergie,
qu'on retrouvera lors de la scène des enfers, quasi martelée ; mais aussi des
tempos relaxés, d'une grande tendresse, par exemple lors des lamentos d'Orfeo. Son Orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble,
auxquels se sont joints quelques solistes du MozarteumOrchester Salzburg, déploient des sonorités
envoûtantes. La pari est gagné et l'infidélité faite
au génie du lieu, aisément pardonnée.
Un oratorio méconnu de CPE Bach
Carl Philipp Emanuel BACH : Die AuferstehungundHimmelfahrtJesu (La
Résurrection et l'Ascension de Jésus). Oratorio en deux parties. Livret de Karl
Wilhelm Ramber. MiahPersson, Maximilian Schmitt, Michael Nagy. RIAS Kammerchor. FreiburgerBarockorchester, dir. : René Jacobs.
Mozart a toujours entretenu les
plus cordiales relations avec ses contemporains musiciens. Au nombre de
ceux-ci, Carl Philipp Emanuel Bach, qu'il ne
rencontrera pourtant jamais, à la différence de Jean-Chrétien, offrait selon
lui les mérites d'un compositeur actif et fort habile, notamment dans le
répertoire favori du clavier, mais aussi dans le domaine de la musique
religieuse. Durant sa deuxième période créatrice, à Hambourg, après qu'il eût
quitté le service de Frédéric II à Berlin, et alors qu'il occupait les
fonctions de directeur de la musique des diverses églises de la ville, CPE Bach
écrira quelques 20 Passions, diverses cantates et pièces religieuses destinées
à commémorer des événements particuliers. Il composera aussi trois pièces
d'envergure, en vue d'exécution de concert, et partant, utilisant un langage
plus accessible : Les Israélites dans le désert, en 1769, la Passion-Cantate,
de 1771, et Die AuferstehungundHimmelfahrtJesu, en
1778. Ce dernier oratorio devait être publié en 1787, grâce aux soins du baron
van Swieten, que Mozart côtoiera lui aussi, eu égard
à l'action de l'intéressé au sein d'une fort active association, la Société des
chevaliers associés, pour la promotion d'œuvres nouvelles, agissant en qualité
de ce qu'on qualifierait aujourd'hui de sponsor. L'œuvre offrit aux yeux de
Mozart tant d'intérêt qu'il la dirigera en 1788, à Vienne, moyennant quelques
modifications, comme il le fera pour certains oratorios de Haendel. Elles
restent mineures et concernent la distribution instrumentale entre vents
(trompettes) et bois (flûtes et hautbois). L'œuvre n'avait pas été donnée,
semble-t-il, depuis lors. C'est dire l'importance de l'exécution que livrait
René Jacobs, dans une édition fraîchement mise au point par la Société des Amis
de la Musique à Vienne. Dans une conférence d'introduction, le chef belge
s'interroge sur le point de savoir s'il s'agit bien là d'un oratorio, à la
manière de Haydn, c'est à dire « un opéra sans la scène ». Pour lui,
« l'intégration de la musique et du texte est telle qu'il y a quelque
chose de nouveau ». Par exemple, au niveau de la dynamique, quelque peu
différente, et des grands contrastes harmoniques. Ainsi, souligne-t-il, le
deuxième air de la basse comporte des modulations surprenantes, qu'on retrouve
chez Mozart précisément, dans Idomeneoen
particulier. L'instrumentation demeure originale, avec des airs concertants,
notamment pour ce qui est de la partie de baryton-basse, soit avec le basson,
soit avec deux trompettes (aria « Ouvrez les portes du ciel »).
Introduites par des récitatifs, ici accompagnés par le pianoforte, les arias se
développent avec des ruptures de rythme et des contrastes apportant une douceur
bienfaisante à un discours par ailleurs véhément, voire haché. Chacune des deux
parties s'ouvre par une sinfonia instrumentale, la
première sombre, tel un chant funèbre. Le deux autres
solistes vocaux sont moins sollicités, mais le ténor se voit offrir une belle
aria triomphale. On y trouve encore un duo ténor-soprano. Le chœur intervient
trois fois dans chacune des parties. Il se voit confier le morceau final, de
proportions monumentales, illustrant l'Ascension. Bardé de trois trompettes, il
se conclut en une glorieuse fugue libre. L'interprétation de René Jacobs, à la
tête du FreiburgerBarockorchester et du RIAS Kammerchor, est enthousiasmante
d'engagement et de ferveur. Et l'on doit dresser un couronne de lauriers à la basse Michael Nagy, voix inextinguible et d'un style
consommé.
« Hottest tickets » du festival, en termes de ferveur du public et eu égard à la
jauge de la salle choisie, celle du Mozarteum, les
concerts de la Cappella Andrea Barca et d'AndrásSchiff promettent toujours le meilleur. Cette fois, on a
triplé la mise en programmant une suite de trois concerts différents,
permettant d'entendre l'ensemble des œuvres conçues par Mozart pour le piano
durant l'année 1784, et présentées dans l'ordre chronologique. Quel millésime
en effet, qui donna le jour à quelque 11 compositions confiées au piano, dont
pas moins de six concertos et un quintette pour piano et vents ! Mozart a 28 ans, il vit à Vienne, habite sur le Graben la maison
des Trattner. Constance et lui attendent un deuxième
enfant, qui naîtra le 21 septembre 1784. Il mène une importante activité de
concerts, ces séries dites de souscription pour lesquelles les œuvres
fraîchement composées sont immédiatement offertes au public. En octobre, il
demande à être admis dans la Loge de « La Bienfaisance ». Autre fait
marquant : depuis le début de l'année, il a décidé d'ouvrir un cahier où seront
répertoriées ses compositions. La première à figurer dans ce « Catalogue
de toutes mes œuvres » est le Concerto de piano K 449, volet initial d'une
trilogie écrite en février et mars. Il est dédié à son élève Barbara Ployer, et
« écrit plutôt pour un petit que pour un grand orchestre » souligne-t-il.
De fait, le vents y sont réduits aux seuls hautbois et
cors. Le vivace, qui l'ouvre, installe une instabilité rythmique qui perdurera
tout au long de l'œuvre, parée encore d'incessantes modulations, comme à
l'andantino médian. AndrásSchiff en donne une exécution immaculée, sur le versant dramatique. Il en va de même
du Concerto K 450, le 15 ème, nettement plus
difficile d'exécution, au point que son auteur dira qu'il est de ceux
« qui mettent en nage ». L'orchestre est plus fourni, avec basson,
hautbois, flûte et cor par deux. A l'entrain de l'allegro fait suite un intense
adagio et un finale enjoué, proprement irrésistible ici, proche de l'operabuffa. Enfin, le Concerto K
451, jumeau du précédent, a de la vaillance à revendre : entrée de l'orchestre
en fanfare, comme du soliste, avec au développement une soudaine modulation grave
de celui-ci, bien sentie par Schiff, qui joue la
cadence de Mozart ; un andante dont se détache un beau dialogue entre piano et
flûte ; et un rondo final doté d'une belle ritournelle, là encore traversé d'un
changement d'atmosphère à la toute fin. Le fait de jouer et de diriger apporte
un indéniable plus : la balance entre piano et orchestre est idéale.
Avec le 17 ème concerto, K 453, dans la rare tonalité, chez Mozart, de Sol majeur, on atteint
la très grande forme : large introduction orchestrale ouvrant le premier
mouvement, accompagnement luxuriant, mélodie mémorable du soliste dans la
cadence, rentrée de l'orchestre sotto voce ; sublime
ligne des bois à l'andante ; finale sur le schéma du thème et variations, et
coda endiablée, pleine d'entrain communicatif. Schiff recherche la dramaturgie de la pièce et cultive l'art de la transition qui est
au cœur de la musique concertante de Mozart. Le 18 ème,
K 456, dédié à une Demoiselle Paradies, aveugle, offre deux vivace entourant un
andante à variations. Celui-ci, d'une grande mélancolie, celle d'un drame
contenu, proche de la désespérance, inspirera l'aria de Barberine des Nozze di Figaro. Le finale volubile offre
avec les présents interprètes, une coulée incandescente. Enfin, le concerto K
459, achevé en décembre 1784, quelques jours seulement avant que Mozart ne soit
admis en Loge, se compose de trois mouvements d'allure rapide : un allegro alla breve, d'une énergie triomphale, montrant une vraie
détermination, un allegretto - que Schiff prend cependant
nettement plus lent - où les trois ensembles que sont le piano, les vents, et
les cordes, sont en étroite interaction, et un finale plein de panache, avec
deux épisodes fugato et une cadence qui n'est pas sans évoquer, là encore, le
monde des opéras de mode comique.
L'audace créatrice de l'année
1784 donne lieu à une pièce singulière, le Quintette K 452 pour piano et vents,
hautbois, clarinette, cor et basson. Y règne une harmonie suprême, celle d'un
bonheur sans faille, si ce n'est un soupçon de mélancolie, habituel chez
Mozart. La science des instruments, la manière d'associer leur timbre et de les
combiner à celui du piano, dans une synthèse du style concertant, tient là
proprement du génie. Schiff, rejoint par quatre des
solistes de son orchestre, en livre une exécution magistralement dosée, d'une
belle pulsation rythmique, en particulier au larghetto où les quatre vents
caracolent par paire avec le clavier, ou à eux seuls, anticipant la sérénade du
II ème acte deCosi fan
tutte. La Sonate pour violon et piano K 454, que Schiff joue avec YoukoShiokawa,
est proche de l'esprit du récent quintette. La Sonate pour piano K 457, en Ut
mineur, dédiée à Theresa vonTrattner,
se signale par son extrême concision, et sa tension, avec des accents résolus,
annonçant Beethoven : un allegro impérieux qui croît jusqu'à l'effervescence,
un adagio d'une tendresse presque douloureuse, un finale allègre, haletant,
nanti d'effets de surprise, en rafales ; ce que l'exécution de Schiff magnifie. Enfin, et unique incursion de ce parcours
dans une pièce non pianistique, on donnera le Quatuor K 458, « La
chasse », et quatrième des six « dédiés à Haydn ». L'exécution,
par le PanochaQuartett,
est mesurée, presque « oldfashioned »,
délaissant la manière énergique qu'on associe souvent à ces pages, pour
favoriser des tempos plutôt retenus, voire très lents à l'adagio, mais très
pensés. Au fil de ces exécutions, AndrásSchiff aura cultivé un statut de sage, comme naguère son
aîné et mentor SándorVégh.
Le jeu est empreint de cette spontanéité qui procure un bonheur immédiat, d'une
impétuosité mesurée dans les mouvements rapides, utilisant peu de pédale, d'une
noblesse de ton favorisant une sonorité ronde ailleurs, à laquelle
l'instrument, un Bechstein de 1921, joué naguère par
le grand Wilhelm Backhaus, dépourvu de brillance,
apporte une aura particulière. Son orchestre ad hoc, conduit par Erich Höbarth, par ailleurs premier violon du Quatuor Mosaïque,
répond avec une rare ferveur. Des moments de musique vraie, sans esbroufe, qui
recueillent l'enthousiasme du public. A juste titre.
Les Wiener Philharmoniker sont une des formations phares de la Semaine Mozart, et se voient offrir la
grande salle du Palais des festivals. Ils étaient dirigés cette année par
Daniel Barenboim, Marc Minkowski et PaavoJarvi. Celui-ci ouvrait le
bal : sans doute une première rencontre entre le chef titulaire de l'Orchestre
de Paris et les viennois. Une occasion réussie. Le temps d'un programme curieux
pour cette occurrence, puisque réunissant Brahms, Richard Strauss et Mozart
dont une symphonie ouvrait et fermait le concert. La symphonie K 319 impose
immédiatement le respect par sa finesse, son esprit et la fluidité qui marque
ses quatre mouvements : joyeux bavardage de l'allegro assai initial, andante
contrastant deux thèmes bien taillés, menuetto alerte
où les vents se distinguent, et finale opératique avec ses divers traits humoristiques.
La symphonie K 385, dite « Haffner », offre
pareille maestria, entamée par un allegro con spirito qui porte bien son nom, emporté, tout comme le sera le finale, presto, mené à
train d'enfer, répondant à la remarque du maître qui la voulait jouée « aussi
vite que possible ». On y trouve une franche réminiscence de l'aria
comique d'Osmin, car L'Enlèvement au sérail n'est pas loin. Ce trait satirique faisant référence au personnage de
l'archevêque Colloredo avec lequel Mozart semble, en
musique, régler des comptes. On mesure la faculté avec laquelle les orchestres
actuels peuvent s'adapter aux tempos incroyablement rapides imposés par les
chefs. Au milieu de cela, l'andante offre l'apaisement, avec des nuances
exquises, et le menuet, quoique un peu carré, créé un contraste intéressant
dans sa démarche d'un pas mesuré, mais affirmé, que le trio illumine d'un trait
plus joyeux. Le partenariat entre chef et musiciens fonctionne parfaitement, à
en juger par les sourires ravis de ces derniers aux saluts, un indice qui ne
trompe pas. Les Métamorphoses pour 23instruments à cordes de Richard Strauss, dont la Mozartwoche tenait à saluer l'anniversaire en cette année 2014, offrent autant de bonheur
plastique. Parmi les derniers feux livrés par un compositeur accablé de douleur
devant la chute d'un monde, à l'image de la récente destruction de l'Opéra de
Vienne, en mars 1945, cette pièce, dédiée à Paul Sacher, évoque la tristesse.
La thématique en est traitée savamment avec toute la sûreté d'un maitre de
l'harmonie et du contrepoint, évoquant le thème de la marche funèbre de
l'Héroïque de Beethoven dans sa partie conclusive. Les glorieuses cordes des
viennois, Rainer Küchl, leur premier violon, en tête,
s'en font une fête. Le concerto pour violon op. 77 de Brahms paraît, en
pareille compagnie, dicté par le souci de programmer un soliste de renom.
Qu'importe, car Joshua Bell est de la trempe des grands. Son interprétation de
ce célèbre morceau est frappée au coin de l'intelligence et de la plus pure
musicalité, comme le conforte la cadence, de son cru, ornant le premier
mouvement, très large, et l'habileté à faire sien le style hongrois de la
pièce. Comme sa virtuosité, mais dépourvue d'ostentation. La complicité avec le
chef est totale, et l'orchestre répond glorieusement, en particulier dans le
concertino des bois qui ouvre l'adagio.
En parallèle aux
représentations de OrfeoedEuridice, Marc Minkowski
avait conçu un programme de concert rapprochant Mozart et Gluck, avec pour
vedettes le ténor Rolando Villazón et la soprano SonyaYoncheva. Las, cette dernière annula sa
participation, et, encore une fois, cultiva son statut d'arlésienne... La
soirée, qui tenait un peu du pot-pourri, réserva quelques bonnes surprises. A
commencer par ces extraits d'Armide de Gluck,
empruntés à la fin du V ème acte, chantés par le
ténor Julien Behr, parfait styliste, et la jeune ChiaraSkerath, qui avait en
2013, participé au Jung Singers Project du festival
d'été : son soprano solaire, son beau tempérament de tragédienne lui permettent
de triompher des difficultés redoutables de la scène finale « Renaud, Ciel
! Ô mortelle peine ». On aura confirmation de son talent, plus avant dans
la soirée, avec l'aria de Suzanne du IV ème acte des Nozze di Figaro, dit « des
marronniers », distillé avec une vraie sincérité. De Gluck encore, Rolando
Villazón, donna l'air de Pylade d'Iphigénie en Tauride, « Unis dès
la plus tendre enfance », avec maestria, rappelant combien il est chez lui
dans le répertoire français. Le ballet « des ombres heureuses », d'Orphée
et Eurydice, version parisienne d'OrfeoedEuridice, offre une
lecture presque hypnotique et démontre les éminentes qualités des Musiciens du
Louvre, et au premier chef, de la flûte, magique, de Florian Cousin ; tandis
que la « danse des furies » est un parangon de vivacité effrénée. Les
pièces consacrées à Mozart proposaient une délicieuse Ouverture de Il Repastore, pris à un tempo prestissime, bousculé, comme aime à le faire Minkowski,
puis le premier entracte tiré de la musique de scène de Thamos en Egypte, où l'on perçoit une curieuse anticipation des harmonies d'Idomeneo. L'interprétation par Rolando Villazón de
l'aria « Il miotesoro »
de Don Giovanni, pris à une vitesse effrayante, est sans doute dictée
par l'idée d'en découdre avec les exigences stylistiques mozartiennes. L'air K
431, « Misero! Sogno! », est pour lui plus inconfortable, et la question se
pose de l'intonation, comme il en est de ses interprétations des airs de
concert livrés récemment au disque (cf. infra CDS & DVDS). Enfin, la
symphonie K 201 reçoit une exécution immaculée et d'une grande élégance
instrumentale. Cette pièce, qui date de 1774 est, il est vrai, de nature à
charmer les sens : ses premières pages poétiques, sa profusion de thèmes, le
caractère chantant de l'andante, empli de sérénité, son court menuet saccadé et
capricieux, son finale allègre. Avec cette interprétation combien attentionnée
et si libre, Minkowski justifie son statut de maître des lieux !
La grande manifestation
nantaise, que d'aucuns ont qualifié de « Woodstock de la musique
classique », a donc atteint ses vingt printemps ! Sans effort, frappé
désormais au coin du gigantisme, pour le plus grand bonheur de tous,
interprètes etpublic. La présente
édition aura battu tous les records, avec un taux de remplissage de quelque 97
%, et plus de 144.800 billets vendus, pour près de 300 concerts. Dans la bonne
humeur, le plaisir partagé, et un « brassage généreux et
énergisant », souligne Anne Queffélec, qui fut
de la première heure et se souvient avoir découvert « une nouvelle manière,
festive et partagée, d'aller vers la musique ». Certes, les thématiques se
sont, au fil des ans, faites de plus en plus globales, sans doute pour attirer
un public encore plus nombreux, et la jeune génération. Peut-être pas autant
qu'on le croit. Mais on vient à la Cité des congrès souvent en famille et on
croise beaucoup de jeunes, autant parmi les interprètes que chez ceux qui les
écoutent. Le thème de cette année charnière était « Un siècle de musique
américaine », sous la bannière « Des canyons aux étoiles »,
titre de l'œuvre fameuse qu'Olivier Messiaen composa, de 1971 à 1974, pour le
bicentenaire de la fondation des États-Unis. Elle sera d'ailleurs donnée à
Nantes à guichets fermés, deux soirs de suite, dans un silence religieux qui
s'explique sans doute plus par l'effet de surprise, voire le respect devant l'inconnu,
que par l'adhésion. Malgré l'acoustique mate de la salle 800, baptisée
Fitzgerald pour l'occasion, laquelle ne favorisait pas les résonances voulues
par l'auteur, l'exécution sera mémorable. On n'avait pas lésiné sur les moyens
: l'Orchestre Poitou-Charentes sous la direction de Jean-François Heisser, TakénoriNémoto, cor solo, et Jean-Frédéric Neuburger assurant la partie de piano. Œuvre de contemplation, des terres rouges du
canyon de l'Utah, où Messiean puisa son inspiration,
et de louange des bienfaits dispensés par le Créateur ; œuvre de son et de
couleur, notamment à travers une utilisation savante des percussions dont le
tamis et la machine à vent, du cor solo et du clavier. L'idée originale de
cette édition 2014 était de confronter la musique américaine stricto sensu à
celle des musiciens européens ayant puisé leur inspiration dans ces terres
nouvelles, car on peut parler d'interaction dans un mouvement qui fut loin
d'être à sens unique.
Au titre de la partie spécifiquement
américaine, on a pu entendre, entre autres, au piano, des pièces de Georges
Gershwin, jouées avec aplomb par Frank Braley : un
florilège de Songs, hommage au fabuleux
improvisateur, de même qu'une vertigineuse exécution au seul clavier de la Rhapsody in Blue, et les Trois Préludes.
Ces derniers étaient encore donnés, dans un arrangement pour deux pianos, par
Claire Désert et Emmanuel Strosser, qui jouèrent
aussiHallelujahjunction de John Adams (*1947), avec cette manière répétitive et le rythme obsédant qui
caractérisent le compositeur. Ils avaient débuté leur concert avec Clapping music de Steve Reich, où les deux
pianistes se contentent de battre des mains une même cellule rythmique, peu à
peu déphasée. La Sonate pour violoncelle et piano op. 6 de Samuel Barber,
entendue par le tandem Berezovsky-Demarquette,
de même que par la paire Gastinel-Désert, offre une
vision très chantante, notamment dans l'adagio médian, entrecoupé de
courses-poursuites fantasques. L'allegro appassionato final sera plus endiablé
chez ces dames que chez les messieurs. Ces derniers donnaient aussi la Sonate
de Eliott Carter, de 1848, où s'affranchissant de la tonalité, le musicien
complexifie son écriture, du point de vue rythmique en particulier. Le Trio
pour piano, violon et violoncelle, Vitebsk, de Aaron Copland, d'un seul
tenant, offre un original vagabondage mené par le piano et une péroraison
sereine. Il était joué par le Trio Wanderer dont les
trois musiciens montrent combien ils savent se remettre en question. Leur exécution
du Trio de Leonard Bernstein est pareillement frappée au coin de l'humour. Côté
orchestre, on ne pouvait manquer l'Adagio de Samuel Barber et son
puissant lyrisme. L'Orchestre de Picardie, dirigé par Arie van Beek, donnait aussi AppalachianSpring de Aaron Copland, pour treize instruments
dont un piano solo : ce ballet, créé en 1944, sur une chorégraphie de Martha
Graham, est l'illustration de la ruralité aux USA, leurs grands espaces et leur
folklore cow-boy. Et enfin The Unanswered Question de Charles Ives (1908), curieux morceau qui fait appel à trois ensembles, les
cordes, une trompette et quatre flûtes, dans une dramaturgie originale :
question posée, à sept reprises par le trompettiste, sans réponse des bois,
avec un effet spatial saisissant. On aurait pu entendre encore le quatuor Different Trains de Reich ou celui de Barber
par les Diotima, un florilège de pièces pour piano
réunies sous le thème de la mythique Road 66, par Shani Diluka, ou la Sonate Concord de Ives par MatanPorat, ou encore le Ballet
mécanique de Georges Antheil, sans oublier des
musiques de Barber shop par le Crossroad Quartet. On
préféra aller écouter Barbara Hendricks conter le Blues à sa façon, nostalgique
et vibrante, entourée de quatre compères géniaux, et se délecter de quelques
Negro spirituals par l'étonnant ensemble Voces8, dont la douceur de l'émission
jusque dans l'infini pianissimo est un objet d'admiration.
Parmi la pléiade de musiciens
européens qui, à un moment ou un autre, puisèrent leur inspiration dans une
Amérique attirante, Ernest Bloch occupe une place singulière, car il y séjourna
à deux reprises, de 1916 à 1930, puis à compter de 1940. Il avait acquis la
nationalitéaméricaine en 1924. Fromjewish Life est
une composition pour piano et violoncelle, un instrument fort prisé par le
musicien, ici tenu par Henri Demarquette, Boris Berezovsky l'accompagnantau piano. Les Trois Nocturnes, pour trio avec piano, interprétés
par le Trio Wanderer, sont une œuvre attachante dans
sa diversité rythmique et son foisonnement mélodique. On l'a entendu aussi par
le jeune Trio Les Esprits, sous la houlette du pianiste Adam Laloum et avec le
superbe celliste Victor Julien-Laferrière, témoin de
la vitalité de l'école française de l'instrument. Ceux-ci joueront aussi, avec
une belle complicité, la Suite italienne pour violoncelle et piano,
d'après Pulcinellad'Igor Stravinsky,
qui lui aussi émigra aux États-Unis et y séjournera jusqu'à sa mort. On a
encore entendu, par Frank Braley, la Piano Rag Music, proche du piano mécanique, et où l'auteur du Sacre du printemps est proche d'une vision cubiste. De cet autre exilé outre-atlantique, dans les années 1940/1950, Bohuslav Martinu, la Sonate pour violoncelle et piano N° 2
(1942) offre un paysage moins ésotérique que le première sonate, pas moins
exigeante pour chacun des deux partenaires, occupés à un passionnant dialogue
dans les mouvements extrêmes et emportés par une réelle élévation au largo
central. Là encore, on est subjugué par le jeu éblouissant de Mmes Gastinel et Désert. Un tel panorama ne pouvait pas ne pas
s'attarder sur quelques pièces emblématiques d'Anton Dvořák.
Délaissant l'inusable Symphonie « du Nouveau monde », et le non moins
célèbre Concerto pour violoncelle, on a goûté plutôt, sous les archets avisés
et connaisseurs du Quatuor Prazák, le Quatuor op
96 dit « Américain ». L'art de la modulation est y porté à
son summum. Une autre interprétation, due aux Modigliani, laissera dubitatif,
car à force de favoriser des tempos très lents, l'approche en perdait toute
spontanéité. Le Quintette à cordes op. 97, pour deux altos, où les quatre
tchèques sont rejoints par Gérard Caussé, appartient
à la même veine américaine du compositeur. Il frémissait du vrai bonheur de
jouer ensemble. Virage à 180 degré, l'édition 2015 sera consacrée à la musique
baroque !
Jean-Pierre
Robert.
Cecilia Bartoli nous offre Alcina
Georg Friedrich HAENDEL : Alcina. Dramma per musica en troisactes. Livret anonyme d'après Antonio Fanzaglia et l'opéra l'Isola di Alcinade Riccardo Broschi. Cecilia Bartoli, MalenaErnman, Julie Fuchs, VardhuiAbrahamyan, Fabio Trümpy, Erik Anstine, Silvia Fenz (actrice ). Orchestra La Scintilla Zürich, dir. Giovanni Antonini. Mise en
scène : Christoph Loy.
Alcina est avec Orlando et Ariodante le troisième operaseria que Haendel emprunte au « Roland
furieux » de l'Arioste. Son héroïne s'inspire du mythe de Circé,
l'enchanteresse conçue par Homère. La passion amoureuse de celle-ci est le
centre d'un enchevêtrement de querelles passionnées, chassés-croisés entre
caractères hauts en couleurs. A l'exemple de Ruggiero, hésitant à se livrer à Alcina, la femme fatale, ou à Bradamante,
la femme guerrière. L'exubérance n'est ici pas le seul monopole du chant, mais
frappe les comportements. La nouvelle production de l'Opernhaus de Zürich offrait à Cecilia Bartoli sa première Alcina.
Après Semele, sur cette même scène, ou encore Cleopatra (Giulio Cesare), au Festival de Salzbourg,
la grande cantatrice dessine un portrait de haute tenue de l'héroïne handélienne. Au fil des six arias, triomphe du modèle da
capo, et chacun en traçant une facette différente du caractère, Cecilia Bartoli
découvre une personnalité complexe, aux humeurs changeantes, sûre de sa beauté,
de son pouvoir sensuel, mais aussi écrasée par la passion : la vaine séduction
virera au désespoir amoureux, le badinage laissera place au courroux chez un
personnage hors norme, même chez Haendel. La vocalité est souveraine, parée
d'un légendaire legato, mis en exergue dans des tempos très lents, au fil de
ces longues notes tenues dont elle a le secret. L'art de varier la ligne de
chant dans le da capo est pareillement admirable. Elle est magnifiquement
entourée. Julie Fuchs, récente lauréate des Victoires de la musique, et
désormais attachée à la troupe de l'Opernhaus de
Zürich, montre un talent déjà confirmé pour le vocabulaire baroque. Sa Morgana
ne manque ni d'allure ni de punch, encore moins de zest vocal, et on admire le
naturel avec lequel elle distille récitatifs et arias. VardhuiAbrahamyan est un Bradamante de poids, cette femme intrépide qui pour parvenir à ses fins, n'hésite pas à
endosser le costume masculin. La chanteuse arménienne est parfaitement en phase
avec ce répertoire qui lui valut déjà le succès, il y a peu, à l'Opéra Garnier,
dans la Cornelia de Jules César. Seule, MalenaErnman, Ruggiero, déçoit quelque peu, malgré un
physique idéal pour jouer les travestis et ce rôle de jeune premier ensorcelé
par l'amour quasi obsessionnel d'Alcina, mais
hésitant à lui donner sa flamme. La voix de mezzo-soprano, large pourtant,
n'est pas toujours assurée, notamment pour affronter les appogiatures dont
Haendel truffe le rôle, créé pour le castrat Carestini.
Avec Giovanni Antonini, déjà responsable du Giulio
Cesare salzbourgeois (cf. NL de 10/2012), on est assuré d'une direction
animée. Et favorisant de larges contrastes : des prestos pas de tout repos, aux
arêtes sèches, mais aussi des tempos modérés expressifs d'une extrême lenteur,
avec despppp évanescents. L'intensité du
discours laisse à l'Orchestra La Scintilla loisir de déployer des couleurs
chatoyantes, notamment au fil des arias concertantes, perles de la partition,
proposant des solos du violoncelle, du violon, ou encore de la flûte à bec,
dont le chef assure la partie, revenant à son premier métier.
La mise en scène de Christoph Loy, selon sa méthode favorite, décale l'histoire. Elle
tourne le dos au merveilleux et aux effets de magie inhérents au sujet. L'opéra
est réinterprété à travers le prisme du théâtre baroque et de sa grande
illusion. Foin d'île magique ou de jardin enchanté, repaire de la magicienne Alcina, qui transforme les hommes l'approchant en rochers,
arbres ou animaux, au gré de sa fantaisie amoureuse inassouvie. Mais les joutes
agitant les protagonistes d'un théâtre bien réel, sur sa scène, ses coulisses
et ses dessous, voire ses loges. Point de spectaculaire côté machinerie, mais
l'envers du décor en quelque sorte, pour explorer les personnages à nu,
partagés entre leur rôle dans l'intrigue (ils portent alors leur costume de
scène) et leur état d'hommes et de femmes vivant leur passion amoureuse dans le
réel de la vie, au-delà de la métaphore qu'est le théâtre, avec tout ce que
cela implique de vulnérabilité. La frontière entre réalité et illusion est
mince, et le passage de l'un à l'autre plan, sans solution de continuité,
réserve bien des surprises. L'intrigue se vit comme un retour en arrière, car
peu à peu les individus se défont de leur personnage, pour redevenir eux-mêmes,
mais aussi telle une fuite en avant, alors qu'ils se replient dans les dessous
du théâtre (au Ier acte) parmi les accessoires et cabestans de la machinerie,
ou dans les loges (au II), enfin derrière le décor, au dernier acte. L'illusion
est maintenue à travers quelques touches discrètes, un costume accroché au mur,
des figurants lassés de tant de vraies-fausse turpitudes, et surtout la
présence permanente, pour ne pas dire assidue, du personnage muet de l'Amour
(créé pour la ballerine Marie Sallé), qui émergeant d'une vieille malle,
assiste impuissant ou désabusé aux marivaudages alentours. Il préfèrera
finalement s'en retourner dans son abri accueillant, dégoûté et déconcerté
devant tant de valses hésitations, alors qu'ultime concession à la métaphore
théâtrale, le grand lustre doré de l'opéra chute des cintres dans un grand
fracas... Au demeurant, cette figure de Cupidon n'est pas vraiment jeune et
pimpante comme souvent, mais plutôt sur le retour. Au point de figurer, dans
une métamorphose saisissante, le miroir vieillissant de l'héroïne, au II ème acte, lorsqu'Alcina prend
conscience que son pouvoir séducteur lui échappe et est confrontée à la vanité
des ans. Les excès dramaturgiques restent rares, ainsi le dernier air de
Ruggiero, avec trompettes obligées, le conduira, lui et ses comparses, à la
plus extravagante démonstration dansée, avec pompes gymniques et galipettes
désordonnées. La lecture, simple en apparence, n'est pas toujours aisée à
suivre et à décrypter par rapport aux didascalies du livret. Mais cela
fonctionne plutôt bien et reste toujours agréable à l'œil, recréant l'illusion
de la richesse baroque et de ses fantasques effets. Une illusion en remplace
une autre, comme bien souvent.
Jean-Pierre Robert.
La Fanciulladel West investit enfin l'Opéra de Paris
Giacomo PUCCINI : La Fanciulladel West. Opéra
en trois actes. Livret de GuelfoCivinini et Carlo Zangarini, d'après la pièce de David BelascoThe Girl of the Golden West. Nina Stemme, Claudio Sgura, Marco
Berti, Roman Sadnik, Andrea Mastroni,
André Heyboer, EmanueleGiannino, Roberto Accurso, Igor Gnidii, Éric Huchet, Rodolphe Briand, Enrico Marabelli, Wenwei Zhang, Hugo Rabec, Anna Pennisi, Alexandre
Duhamel, Matteo Peirone, Olivier Berg, Daejin Bang. Orchestre et Chœur de l'Opéra national de
Paris, dir.: Carlo Rizzi.
Mise en scène: NikolausLehnhoff.
Créé en 1910, au MET de New
York, avec Emmy Destinn et Enrico Caruso, sous la
direction d'Arturo Toscanini, La Fille du Far West entre enfin au
répertoire de l'Opéra de Paris. Septième drame lyrique de Puccini, après MadamaButterflyet
avant La Rondine, cet « opéra
américain » occupe une place à part dans sa production. Non pas tant quant
à la trame dramatique qui n'offre rien de mémorable, que par son contenu
musical, marquant l'aube d'une nouvelle manière chez l'auteur de Tosca.
Séduit par le sujet, le Far-West des camps de mineurs, chercheurs d'or dans les
années 1850, et le destin d'une jeune aventurière, Minnie,
la tenancière du Polka-Bar, Puccini installe un étonnant exotisme musical.
Quoiquetrès différent de celui de MadamaButterfly, car
est réinventé un folklore local, truffé d'airs empruntés ou de ballades
californiennes. A travers un vaste orchestre, Pucciniinstaure une texture instrumentale originale.
Le langage harmonique est audacieux, jusqu'à la dissonance non résolue,
préfigurant celui deTurandot. Un usage habile
de motifs récurrents, sorte de leitmotivs, introduit une cohérence, qu'on ne
saisit pas forcément à la première écoute. Et que d'aucuns ont refusé de voir,
tel Stravinsky qualifiant l'opéra de « western oriental ». La
luxuriance orchestrale frappe par sa modernité, avecforce rythmes syncopés, ce qui n'exclut pas
un lyrisme diffus. La trame est celle du triangle amoureux, le shérif, Jack
Rance, et le bandit, Dick Johnson, courtisant la belle Minnie,
la tenancière du bar du camp, qui fait office de mère de substitution pour les
mineurs, et leur enseigne le pardon en leur lisant la Bible. Si les caractères
sont frustes et dépourvus de psychologie profonde, les situations donnent lieu
cependant à des scènes à fort potentiel dramatique. Ainsi en est-il d'une
chasse à l'homme, suivie d'une partie de poker au cours de laquelle Minnie offre sa vie et celle de son amant, et la triche
aidant, sauve ce dernier. Ou encore d'une fin tout sauf tragique, sur le thème
de la rédemption par l'amour, idée jusque là étrangère au vocabulaire
dramatique de Puccini : l'arrivée de Minnie, deus ex
machina, sauvant son amant de la potence. La production de l'Opéra Bastille,
reprise de celle créée au NerdelandseOpera d'Amsterdam en 2009, fuit le cliché d'une lecture au
premier degré, comme naguère la production du Royal Opera de Londres, pourtant à l'origine d'une version discographique de référence de
l'œuvre, parue chez DG. NikolausLehnhoff et son équipe transposent l'action dans l'Amérique prospère et clinquante des
années 1950. Cela va de l'excitation de Wall street,
durant la brève Ouverture, à un saloon à Manhattan, fréquenté par des individus
louches à lunettes noires et maniant avec dextérité le pistolet. Ou de
l'imagerie à la Walt Disney, pour ce qui est de la cabane de Minnie, transformée en luxueuse roulotte, à l'intérieur
capitonné de rose bonbon, sur fond d'aurore boréale et de blizzard menaçant, à
ce formidable cimetière de voitures, grandeur nature, du III ème acte, qui sera le théâtre de la vraie-fausse exécution
du bandit, avant qu'on assiste au happy end, le retour triomphal de Minnie, en star holywoodienne :
la belle s'en ira filer le parfait amour avec son bel amant, tandis que rugit
le lion de la Metro-Goldwyn-Mayer et que pleuvent les dollars. Ces visions ne
manquent pas d'allure et loin d'affadir le propos, lui confèrent une épaisseur
certaine ; même s'il n'est pas toujours aisé de maintenir la tension, au long
du premier acte en particulier, et de conserver le sérieux des spectateurs,
ébahis par une telle débauche d'images choc.
A cette vision audacieuse,
téméraire de par le décalage qu'elle entretient avec le premier degré du texte,
fait écho une interprétation musicale d'éminente qualité. Puccini exige
beaucoup de ses chanteurs, sollicités à la démesure à des fins dramatiques. Le
vérisme n'est pas loin, mais il reste contenu par la justesse du trait et
l'évitement de toute vulgarité. La distribution ne souffre aucune faiblesse.
Elle repose sur trois piliers solides. Nina Stemme triomphe de la vaillance du rôle titre et de la dualité d'un personnage de
jeune femme simple et pourtant aguerrie au contact de cet univers d'hommes
frustes. Son parcours de soprano dramatique, forgé à l'aune des parties
wagnériennes tendues, lui donne la clef de cette cousine vocale de Brunnhilde, tout comme le fit naguère sa compatriote Birgit
Nilsson. L'agilité est au rendez vous, la ligne assurée et, bien sûr, la quinte
aiguë terrifiante dans sa projection, annonciatrice de la vocalité tendue à
l'extrême de la princesse Turandot. Marco Berti, s'il
n'a pas la distinction vocale d'un Placido Domingo de
la grande époque, n'en est pas moins un Dick Johnson de stature : registre aigu
brillant et nuances indéniables pour un personnage plus tourné ver l'amant
malheureux que mû par les affres d'un destin de bandit douteux. Le Jack Rance
de Claudio Sgura, qui a à voir avec un certain Scarpia, arbore une morgue sans excès caricatural, une
férocité d'esprit de conquête, qui sait s'effacer devant la défaite. Et une
jeunesse rendant crédible cette passion envers la tenancière. L'aisance vocale
frappe tout autant. Ils sont entourés par une foule de comprimarii,
incarnant les mineurs du camps, aux caractères fort différents, certains
l'instant de quelques brèves répliques, quoique unis ici dans une même vindicte
belliqueuse. Le chœur, qui occupe une place essentielle, celle de la masse des
mineurs, et se voit assumer une partie musicale importante comme bientôt dans Turandot, fait merveille. La direction de Carlo Rizzi est d'abord extrêmement attentive aux chanteurs,
alors que la ligne de chant se meut de manière souvent parallèle à la trame
orchestrale. Elle instaure cette atmosphère qui caractérise l'œuvre, avec ses
brusques accès d'excitation fébrile ou ses moments de langueur, proche d'un
lyrisme diaphane, alliance de force et de raffinement. La somptuosité de la
palette sonore est à souligner. A cette aune, l'Orchestre de l'Opéra de Paris
découvre des sonorités étincelantes.
Le récital de Gautier Capuçon et Frank Braley avait
attiré foule salle Pleyel. A juste titre ! Car le tandem a réservé à son public
des moments de pur bonheur au fil d'un programme éclectique et compréhensif, de
Beethoven à Debussy, de Schubert à Britten. La première Sonate pour violoncelle
et piano, op. 5 n° 1 de Beethoven, « avec un violoncelle obligé » dit
le manuscrit, écrite pour le célèbre Jean-PierreDuport, est dédiée à Frédéric-Guillaume II de
Prusse. S'il laisse au piano le soin demener le discours, en une manière coulante et fluide, le morceau réserve
au cello des traits d'une rare subtilité, plus que
purement ornementale. Les deux instrumentistes en livrent une fine lecture. La
tension monte d'un cran avec la Sonate pour arpeggione et piano de
Schubert. Cette pièce, créée pour cet instrument original, hybride de la
guitare et du violoncelle, sera vite adaptée pour ce dernier dont il constitue
un des morceaux emblématiques. Tout Schubert est là, la fraîcheur mélodique,
qui sait se nimber d'une mélancolie abyssale, à la fin de l'allegro moderato
initial, sublimée ici par les deux interprètes, l'épanchement en une sorte de
lied ou de romance sans paroles à l'heure de l'adagio, légèreté et esprit en un
finale alternant refrain et couplets, qui conduisent à une délicieuse
péroraison. Avec la brève Sonate N° 1 de Debussy, l'atmosphère change,
mais pas la qualité artistique, qui se pare d'autres vertus. Le rôle assigné au
violoncelle y est plus central, au point de valoir aux futurs interprètes cet
avertissement de l'auteur : « Que le pianiste n'oublie jamais qu'il ne
faut pas lutter contre le violoncelle, mais l'accompagner ». Frank Braley saura faire sienne cette recommandation et laisser à
son collègue Capuçon tout loisir de briller dans
cette pièce joyeusement fantasque, d'une modernité qui distingue la dernière
veine créatrice de Debussy. Dans la « Sérénade » centrale, en
particulier, avec ses pizzicatos rageurs, et au finale étourdissant, d'une
extravagance inouïe. La Sonate op. 65 de Benjamin Britten (1961) clôturait le
récital. Formidable challenge que cette pièce, conçue pour l'ami Rostropovitch
et destinée à en célébrer les talents hors normes. Une sorte de portrait vivant
de l'interprète à travers son instrument, marqué par l'exubérance et une
certaine théâtralité. Elle se caractérise par une construction en arche, au fil
de cinq mouvements, l'« elegia » centrale
en étant le point névralgique. Celle-ci scelle enfin une entente entre les deux
partenaires, jusqu'alors en lutte de territoireau « Dialogo » initial et au
« Scherzo », puis après de nouveau en rivalité dans la
« Marcia » et au « Moto perpetuo ».
On n'y compte pas les traits techniquement diaboliques (pizzicatos des deux
mains, jeu sulponticello,
glissandos vertigineux, comme des sifflements, saltando du cello, etc...). Gautier Capuçon en livre une exécution étourdissante d'assurance et
Frank Braley ne le cède en rien en fougue
pianistique, d'une infernale morgue. La soirée se prolongera plus calmement,
par la Sérénade de Schubert, d'une pellucide mélancolie, et, un brin
virtuose, avec les Variations sur une seule note de Rossini/Paganini,
morceau d'abattage.
Jean-Pierre
Robert.
Fin de cycle exaltant
Valery Gergiev et l'Orchestre du Théâtre Mariinsky concluaient, à la
salle Pleyel, leur cycle des symphonies et concertos de Chostakovitch, entamé
il y a un an. On a déjà dit ici tout le bien qu'on pensait de ces lectures
engagées qui plus que la brillance, visent le fond des choses. On ajoutera que
ces derniers concerts, comme les précédents, auront révélé la souveraine
entente entre un chef charismatique, et pas seulement du côté du public, et une
phalange que la patine sonore, le sens de l'ensemble et la cohésion placent
bien près de ses illustres collègues européens. Réunissant beaucoup de jeunes
musiciens, hommes et femmes, il y règne, semble-t-il, une discipline de fer, et
on les sent prêts à épouser la moindre exigence du maestro et
« patron ». Bien sûr, chacun ressent cette musique de l'intérieur, et Gergiev, à ce stade de sa prestigieuse carrière,
l'aborde dans sa quintessence comme à travers son message profond. Le public ne
s'y trompe pas qui, malgré les aspérités de la démarche, suit sans sourciller -
les salles sont pleines - et adhère dans un enthousiasme sincère.
DR
Cette ultime série présentait
les deux concertos pour violon. Le premier, op 77, achevé en 1948, à
l'intention de David Oïstrakh, dut attendre sept ans avant d'être révélé au
public, à Leningrad, en octobre 1955, avec le dédicataire et sous la direction
de Mavrinski. Ceci après que la partition eût été
créée aux USA, à Carnegie Hall, par le grand violoniste et Mitropoulos.
L'accueil, enthousiaste outre-atlantique, fut plus
mesuré en Europe, au point qu' Oïstrakh se fendit d'un article pour en vanter
les mérites. De proportions inhabituellement longues, la pièce comporte quatre
mouvements portant chacun un nom. Le « Nocturne » s'ouvre par une
pédale sombre de l'orchestre sur laquelle le soliste inscrit une mélodie se
développant dans le registre grave, avant de s'élever vers des cimes plus
aériennes. Mais le ton restera résolument chambriste. Le « Scherzo »,
qui s'aventure dans le domaine de l'étrange, voire du grotesque, exige beaucoup
du soliste, au fil notamment d'un fugato complexe. La
« Passacaille », qui marquait chez Chostakovitch le retour à Bach et
à sa rigueur contrapuntique, se solde par une longue cadence. Le finale,
« Burlesque », qui s'enchaîne attaca,
s'avère hyper virtuose. Mené à train d'enfer par Gergiev,
il permet au soliste de briller par des effets proprement ébouriffants. Le
mouvement sera bissé devant l'enthousiasme général. Il faut dire que Vadim Repin est plus que valeureux, même s'il manque ici un
supplément d'âme. On avait autrement ressenti cette dimension chez sa collègue
Alena Baeva, l'avant-veille, dans la Second concerto,
op. 129. Cette pièce, plus sage dans sa forme tripartite, et moins extravagante
dans le traitement réservé au soliste, date de 1967 et sera encore créée, mais
à Moscou cette fois, par Oïstrakh, et KyrillKondrachine. A peine moins long que son prédécesseur, le
ton général y est plus resserré, voire dépouillé, presque austère dans le
premier mouvement, marqué Moderato, recueilli au deuxième, un adagio grave qui
réserve au soliste une ligne sobre et sinueuse, et un court mais sensible
dialogue avec la flûte solo, outre un émouvant solo de cor. La dernière partie
est plus dynamique, emplie de traits sarcastiques. Il se distingue par sa
longue cadence, écrite par Oïstrakh. La lecture de la violoniste kasakh est de haute volée.
La Septième symphonie, op. 60,
dite « Leningrad », est liée au siège de la ville, en 1941, et
appartient aux symphonies de guerre. On a dit que son langage était simplifié à
l'extrême, par rapport aux symphonies précédentes, pour la rendre accessible ;
ce qui ne signifie pas qu'elle soit d'un abord toujours aisé. Sa démesure ne
dispense pas de quelques longueurs. Qu'importe, elle a valu à son auteur une
reconnaissance universelle et durable. Gergiev imprime à ce formidable monument, une aura de grandeur ; auquel il fera
atteindre près d'une heure vingt ! Parmi les traits marquants de cette
exécution, on retiendra, au premier mouvement, le formidable crescendo conçu
sur le modèle répétitif entêtant du Boléro de Ravel : les roulements de tambour
sur les pizzicatos des violons, débutant dans l'infiniment ténu, s'enflent
progressivement, au fil de douze reprises du thème, jusqu'à un embrasement
terrifiant qui tient de l'explosion ; comme la longue méditation de l'adagio,
censée évoquer Leningrad avant le siège, et son choral des bois dans un
discours rien moins qu'insolite ; ou encore les digressions impressionnantes du
finale épique qui conduisent la symphonie à une fin plus optimiste que prévue
eu égard au message implicite. Qui mieux que Gergiev sait habiter ces immenses développements, où les climats opposés se télescopent
pour s'inscrire pourtant dans une absolue logique, succession de phases
rugueuses et agressives, de pure frénésie sonore, ou de plages de répit et de
félicité, presque de tendresse. Qui mieux que lui peut faire sonner ces
instruments chers au compositeur, le mélodieux basson, la petite flûte piccolo
stridente, le cor envoûtant, et les percussions dévastatrices en batterie ? Une
exécution qui, outre qu'elle laisse pantois devant sa perfection instrumentale,
vous secoue sérieusement.
Cette série se refermait sur la
11 ème Symphonie, « L'année 1905 ». Créée en
1957, elle occupe une place particulière dans la production de l'auteur et dans
l'univers symphonique du XX ème siècle. D'un seul
tenant, et d'un peu plus d'une heure de musique, ce qui est fort exigeant pour
les interprètes et les auditeurs, l'œuvre déploie un propos programmatique : un
vaste poème symphonique célébrant les horreurs de la Révolution de 1905, une
période de l'histoire russe dont Chostakovitch se sentait proche. Mais elle
évoque tout autant le souvenir des convulsions qui agitent tous les pays, et
singulièrement les événements de Budapest de 1956. Chostakovitch y introduit
nombre de thèmes inspirés de chants révolutionnaires, ce qui explique l'accueil
favorable qui fut réservé à l'œuvre en URSS, et valut à son auteur de nombreuses
distinctions, dont le PrixLénine, en
1958... L'exécution de Gergiev est grandiose et
plonge l'auditeur au cœur d'un univers de terreur : atmosphère glacée, cordes
plaintives, appels de la trompette, solo de cor tendu au premier mouvement
Adagio, « La Place du palais » ; incandescence de l'allegro suivant,
« Le 9 janvier », qui parvenu à un climax dantesque, laisse, par
rupture, émerger un orchestre complétement assagi, en
sourdine. Le chant funèbre de l'adagio, « Mémoire éternelle », est
envoûtant, qui s'ouvre par la douce mélodie des altos, murmurée ppp, sur des
pizzicatos des violoncelles et des contrebasses, laquelle s'enfle jusqu'à la
violence, pour retomber dans la désolation. Le finale, « Le Tocsin »,
se déploie tel un mouvement perpétuel, heure de colère et de violence non
contenue. On ne sait qu'admirer alors : l'envoûtant solo de cor anglais, les
prouesses accomplies par le timbalier, la magnificence des cordes, et surtout
ce magistral sens de l'ensemble. Il est sans doute symbolique, et en tout
ressenti comme tel, que Gergiev achève ce cycle par
cette œuvre particulière, apologue de la résistance à l'oppression.
Jean-Pierre
Robert.
Hommage à Claudio Abbado de l'Orchestre National de France et de Daniele Gatti.
DR
Un concert comme un hommage au grand chef
italien décédé récemment, Claudio Abbado. Vibrant et respectueux témoignage
rendu par le National et son chef Daniele Gatti, qui
dédièrent au chef disparu l’aria de la Suite
en ré BVW 1068 de Bach, moment de recueillement et d’émotion partagé entre
public et musiciens. Puis ce fut au tour d’Anne Gastinel d’interpréter le célébrissime Concerto
pour violoncelle de Dvořák. Un œuvre composée
en 1895, une de ses dernières partitions composées aux États-Unis. Légèrement
postérieur à la « Symphonie du
Nouveau Monde », ce concerto porte également la marque des grands
espaces comme un souvenir mélancolique du pays natal et de ses chants
populaires. A son habitude, la violoncelliste en donna une lecture d’une
virtuose et infaillible froideur, contrastant avec la direction bouillonnante
de Gatti, suivi au millimètre par un National au mieux de sa forme. Feu et
glace qui ne firent pas forcément bon ménage… Deux très beaux « bis »
apportèrent un peu d’émotion et de poésie au public venu nombreux : Le Chant des Oiseaux, chant catalan arrangé
par Pablo Casals, et la Sarabandede la Suite
n° 4 de Bach. Après la pause, le meilleur restait à venir avec la Symphonie n° 1 dite « Titan » de Gustav Mahler. Contrairement à d’autres
compositeurs, comme Sibelius notamment, où chaque symphonie représente un monde
en soi, les symphonies de Gustav Mahler ne prennent tout leur sens qu’intégrées
à l’ensemble du corpus symphonique. (Cf « L’ordre et le chaos dans les symphonies de
Gustav Mahler », in L'éducation musicale, 2008, n° 553-554). Le titre de cette œuvre ne s’inspire évidemment
pas de la mythologie,mais du héros du
poète romantique allemand Jean-Paul (Jean-Paul Richter), bien que la musique
n’ait rien à voir avec le roman éponyme.Elle comportait initialement deux parties. La première
correspondantauxsouvenirsde jeunesse : « le
printemps qui n’en finit pas », « blumine», musique de scène plus tard supprimée, « à pleines voiles », en forme de
scherzo. La seconde, correspondant à la commedia humana,
comprenant la marche funèbre à la manière de Callot (graveur français) sur le
thème de « Bruder Martin » (Frère Jacques) dont
Mahler a trouvé l’inspiration initiale dans une gravure parodique
intitulée « L’enterrement du
chasseur », et le finale « dall’inferno al paradiso » comme une douloureuse
blessure. Mahler renonça au « programme » initialement prévu et
modifia de nombreuses fois la partition, avant sa forme définitive, en quatre
mouvements, de 1896. Au plan thématique la première symphonie illustre la
continuité,si caractéristique chez
Mahler, entre lelied et la symphonie,
s’inspirant des « Chants du
compagnon errant » (Lieder einesfahrendenGesellen). L’introduction s’ouvre sur les fameux
« La » harmoniques évoquant le commencement du monde comme une scène
matinale dans la forêt lorsque le soleil de l’été brille et scintille à travers
les branches. On est au commencement du monde qui s’éveille au son du coucou,
puis le monde se construit alternant « suspension »
et « percée » (Th.W.Adorno). Ordre
naissant progressivement du chaos caractérisant l’ensemble de cette œuvre
symphonique de bâtisseur, dont Titan représente la première pierre. Daniele Gatti, dont on
connait les affinités qui le lient à Mahler (intégrale récente au Châtelet)
dirigea sans partition cette symphonie monumentale. Une direction précise et
inspirée, pour un résultat plus qu’honorable, où l’on regrettera toutefois la
lenteur des tempos dans le premier et troisième mouvement, ce qui retira une
force certaine et entacha l’unité de cette interprétation, parfois un peu trop
analytique. Un bel hommage rendu à Claudio Abbado qui fut, lui aussi, un grand
mahlérien.
Patrice Imbaud.
Gil Shaham ou l’art du violon
DR
Une soirée de concert de l'Orchestre de
Pris qui vaut surtout par la magistrale interprétation que le violoniste
israélo-américain Gil Shaham donna du Concerto pour violon d’Erich Wolfgang Korngold (1897-1957). Compositeur longtemps méconnu,
faisant partie de ces « voix étouffées » condamnées à l’exil par la
barbarie nazie, musicien prodige, il fut reconnu dès l’âge de neuf ans par
Gustav Mahler qui le confia à Zemlinsky pour approfondir sa formation. Il
entama une brillante carrière de compositeur en Europe parallèlement à ses
fonctions de professeur à l’Académie musicale de Vienne, avant d’émigrer à
Hollywood où il se consacra avec bonheur à la musique de films. Son concerto pour violon (1945), une de ses
œuvres maitresses, reprend plusieurs thèmes tirés de ses musiques de film. Gil Shaham, avec son plaisir de jouer habituel, interpréta
cette œuvre magnifique avec la délicatesse peu commune qui le caractérise, en
symbiose totale avec l’orchestre qui sut faire valoir toute la splendeur de
l’orchestration. Une œuvre en trois parties : un premier mouvement dont le
thème principal est tiré du film Anotherdawn, un deuxième mouvement véritablement habité où le
chant élégiaque et poétique du violon reprend le leitmotiv d’Anthony Adverse, enfin un finale
virtuose où le thème moteur est emprunté à The
Prince and the Pauper. Un concerto qui est
actuellement devenu une pièce incontournable de répertoire violonistique, et
valut à Gil Shaham une ovation prolongée du public.
Deux autres œuvres étaient également au programme de ce concert. La Suite pour orchestre à vents d’après l’Opéra
de quat’sous de Kurt Weill (1900-1950).
Composition ludique qui eut au moins le mérite de réjouir les musiciens. Cette
suite composée en 1928, destinée au concert, reprend les principaux thèmes de
l’opéra initial, sans en avoir toutefois la saveur. En deuxième partie, Cendrillon, ballet de Prokofiev
(1891-1953) composé entre 1940 et 1944. Une exécution qui ne parvint à nous
convaincre que partiellement, malgré la richesse de l’orchestration. Un manque
dans l’interprétation probablement lié à la structure même de l’œuvre, ainsi
qu’à l’absence de continuité dans le phrasé de l’orchestre, défaut majoré encore
par les limites inhérentes à cette musique narrative privée de support
chorégraphique. Quelques beaux moments cependant à l’acte II, comme la Valse et Minuit.Une mention,
particulière pour Philippe Berrod à la clarinette et
Stéphane Labeyrie au tuba, particulièrement
sollicités. Un concert qui fut également la première rencontre entre le jeune
chef américain James Gaffigan et l’Orchestre de
Paris, une histoire à suivre…
Laurence Equilbey avait réussi à réunir un public nombreux salle Pleyel pour ce concert présenté
comme un évènement car constituant un « tour de chauffe » avant
l’enregistrement prochain, en septembre 2014, chez Naïve, d’un disque reprenant
le même programme, Mozart et Zelenka. Premier disque
de Laurence Equilbey à la tête d’Insula orchestra et
première incursion du chœur Accentus dans le
répertoire mozartien. L’Insula étant une région du cerveau spécialement dédiée
aux expériences émotionnelles, c’est dire si l’Insula orchestra, fondée par
Laurence Equilbey en 2012, propose avant tout une
recherche stylistique valorisant l’émotion dans un répertoire classique et
romantique utilisant des instruments d’époque. Le chœur Accentus,
quant à lui, n’est plus à présenter, reconnu comme un des meilleurs du moment.
Un programme, donc, débutant par le Miserere de Jan DismaZelenka (1679-1745), personnage étrange et complexe auquel JS. Bach vouait une grande
admiration. Natif de Bohême, contrebassiste de l’orchestre de la cour de
Dresde, il va se perfectionner à Vienne et en Italie avant de revenir à Dresde
comme compositeur de la cour. Catholique, il laisse une œuvre religieuse
importante dont les cinq messes et ce Miserere constituent les pièces maitresses. Cette œuvre de Zelenka,
peu connue, fut sans doute le meilleur du concert, moment de recueillement et
de crainte où musique et voix s’élèvent unies dans une intensité, un équilibre
et une beauté hors du commun, sur la scansion d'un ostinato des cordes plein de
ferveur. Le Requiem de Mozart fut,
quant à lui, mené de façon stricte, plutôt sombre, sans fioriture, mais
également sans ferveur excessive, servi par un orchestre aux sonorités
profondes, bien mené par la battue pour le moins originale de Laurence Equibey. Il était transcendé par un quatuor de solistes, Sandrine Piau, soprano, Sara Mingardo,
contralto, Werner Güra, ténor, et Christopher Purves, basse, ainsi qu'un chœur Accentus de qualité superlative. Un long moment de recueillement du public prolongea la
dernière note… Signe de la qualité et de l’impact émotionnel de
l’interprétation.
Patrice Imbaud.
TuganSokhiev assure un triompheà Boris Godounov
ModesteMOUSSORGSKI : Boris
Godounov. Opéra en quatre actes (1869). Livret du compositeur d’après le
drame d'Alexandre Pouchkine. FerruccioFurlanetto, Anastasia Kalagina,
Ain Anger, VasilyEfimov,
Stanislav Mostovoi, John Graham-Hall, Garry Magee,
Pavel Chervinski, Alexander Teliga,
Marian Talaba, Svetlana Lifar, Sarah Jouffroy, Hélène
Delalande. Chœur OrfeonDonostiarra. Ochestre National du Capitole de Toulouse, dir. TuganSokhiev.
Version de concert.
DR
TuganSokhiev, récemment nommé directeur musical du Théâtre
Bolchoï de Moscou, était de passage à Paris pour cette version de concert de Boris Godounov à la tête de ses troupes
du Capitole de Toulouse. Le chef ossète avait choisi pour cette soirée la
version initiale de l'opéra de Moussorgski, datant de 1869. Une version en
quatre actes, donc plus courte que la version de 1872 (où se rajoute l’acte dit
« polonais »), à la dramaturgie plus resserrée, centrée sur le
personnage de Boris, mettant l’accent sur le remords quasiment shakespearien du
tsar. Et nécessitant aussi une distribution moins nombreuse ! Un choix qui
s’avèrera judicieux, compte tenu de la faiblesse vocale relative de Marian Tabala dans le rôle de Grigori/Dimitri, partie nettement
plus restreinte ici que dans l'édition de 1872. Une version plus
« parlée » que cette dernière, qui nous permet d’apprécier la
magnifique prosodie moussorgskienne, véritable
récitation en musique, tandis que l’orchestre assure l’unité musicale et la
tension dramatique. Superbe opéra, superbe prestation, conclue par un triomphe
où il convient de féliciter d’emblée les chœurs, si présents dans cette
partition, l’OrfeonDonostiarra,
ensemble espagnol de renommée internationale, d’une précision, d’une musicalité
et d’une cohésion hors du commun. TuganSokhiev justifia une fois de plus l’engouement qu’il
suscite de la part des musiciens et du public, confirmant sa stature de grand
chef d’opéra. Une direction lumineuse, élégante, incisive, intelligente,
faisant varier à tout instant le timbre de l’orchestre par l’importance donnée
à chacun des pupitres (quelles cordes graves !), apportant au respect des
nuances et aux variations de tempos un soin tout particulier, à l’origine de
différents climats (urgence, dramatisme), suivant au plus près la dramaturgie,
adaptant continuellement la puissance orchestrale aux chanteurs, menant les
chœurs avec précision, dextérité et ferveur, conduisant le discours musical
avec souplesse et à propos, tout en sollicitant le meilleur de l’orchestre du
Capitole. Concernant la distribution vocale, il serait bien sûr illusoire
d’espérer l’unanimité dans l’excellence compte-tenu du nombre important de
chanteurs impliqués. FerruccioFurlanetto se montra tout à fait convaincant dans le rôle de Boris, par sa tessiture
adéquate, son aisance, son endurance, sa présence scénique et vocale, ses aigus
émouvants et fragiles reflétant, comme un miroir fêlé, le doute de son âme. Ain
Anger, Pimène, apporta par sa basse profonde, la
sérénité, la stature, la noblesse qui conviennent au personnage, juste pendant
de la tourmente intérieure de Boris. Retenons également la très hilarante
prestation d’Alexander Teliga, Varlaam,
dans la scène de l’auberge, ainsi que celle de Stanislav Mostovoi dans le rôle de l’Innocent, interpellant le tsar devant la cathédrale Saint
Basile. Moins probantes furent les interventions de Marian Talaba (Grigori) et de John Graham-Hall, Chouiski, du fait
d’une vocalité sans ampleur. Bien que les rôles féminins soient réduits à la
portion congrue dans cette version, Anastasia Kalagina put faire valoir toute la beauté de son chant lors de la courte complainte où Xenia déplore la mort de son fiancé, dans les appartements
du tsar, prélude aux visions horrifiées de Boris qui conduiront à son agonie
tandis que résonnent les chants funèbres…
Patrice Imbaud.
Mikko Franck et le « Philhar » :
L’entente cordiale.
DR
Le jeune chef finlandais Mikko Franck
était, pour une soirée, à la tête du « Philhar »,
avant d’en prendre la direction définitive à partir de 2015. On sait que ces
rencontres, marquées par une complicité certaine et une sympathie partagée,
sont toujours des moments musicaux de choix. Le présent concert en fut encore
un bien bel exemple, dans un programme typique du « Philhar ».
Ildébutait par le magnifique, complexe
et rarement donné, Pierrot lunaire d’Arnold
Schönberg. Une œuvre datant de 1912, intitulée mélodrame pour sprechstimme et ensemble instrumental, comprenant piano,
violon, violoncelle, clarinette et flûte, sur des poèmes du poète symboliste
Albert Giraud. Pierrot, héros
décadent, grinçant, mélancolique et désespéré devient, sous les doigts de
Schönberg, une œuvre magnifique, atonale, d’une infinie poésie, sorte de grand
puzzle instrumental qui vient se construire devant nos oreilles ébahies, dans
une remarquable unité où le sprechgesang (parlé-chanté) assure la symbiose
parfaite entre voix et instruments. Loin de toute agressivité, les solistes du Philhar et Barbara Sukowa,
maîtresse du genre, dirigés par Mikko Franck, en donnèrent une version, non
costumée, peut-être plus parlée que chantée, d’une étincelante beauté. Après la
pause, Don Juan (1889) et la Danse des sept voiles (1905) de Richard
Strauss. Deux partitions du désir et de la mort, ayant en commun une
orchestration somptueuse, qui furent l’occasion de retrouver l’orchestre au
grand complet dans un déferlement de couleurs où le « Philhar »
confirma sa place parmi les phalanges les plus réputées du moment. Magnifique,
une soirée au climat très intimiste, conclue par les applaudissements fournis
des musiciens pour leur futur chef. Vivement 2015 !
Patrice Imbaud.
Un grand
moment : VasilyPetrenko et
dirige le « Philar »
Décidément, le « Philhar »
n’en finit pas de nous surprendre par l’originalité de ses programmations et la
qualité de ses chefs invités. Après Mikko Franck, Jukka-PekkaSaraste et autres valeurs
montantes de la direction d’orchestre, c’était au tour de VasilyPetrenko, avecSergej Krylov au violon, de défendre un
programme associant Bartók et Sibelius, deux
compositeurs aux orchestrations somptueuses et raffinées, hélas volontiers
boudés par le public parisien. L’affluence clairsemée de la salle Pleyel en fut
une nouvelle fois la preuve et pourtant… Sergej Krylov donna d’emblée le ton dans une interprétation très engagée et très
probante du Concerto pour violon n° 2 de Bartók, dernière œuvre
composée en Europe, en 1938, avant le départ du compositeur pour les
États-Unis. Une œuvre originale, poétique et violente, expressionniste, où le
chant du violon, tantôt élégiaque, tantôt enragé et tendu, dialogue avec
l’orchestre dans ce qui est une véritable symphonie avec violon principal,
soutenue par une orchestration opulente recrutant harpe, percussions, clarinette
basse et cordes graves ; ici, dans un vrombissement digne des « Berliner » ! Une partition lyrique et virtuose,
typiquement bartokienne dont le violoniste russe, avec la complicité de VasilyPetrenko, très attentif,
sut tirer le meilleur. Deux « bis » copieux et hallucinants de
virtuosité (Bach et Paganini) conclurent cette première partie. Après la pause,
la Symphonie n° 1 de Sibelius (1900),
donna lieu à un grand moment de musique, conduite par la main infaillible du
jeune chef russe. Chez Sibelius, chaque symphonie est un monde en soi. Celle-ci
prend ses racines dans la tradition austro-allemande, mais fait déjà état de
couleurs et de climats inimitables par le biais d’une orchestration très
personnelle, de combinaisons de timbres d’une subtile délicatesse et de
ruptures de ton, lyrique et dramatique, caractéristiques du compositeur
finlandais. Elle est en quatre mouvements, le premier, désolé, mélancolique et
orageux, débutant par un long solo de clarinette (Nicolas Baldeyrou),
le second, lyrique et nostalgique, le troisième, énergique et rythmé par les
pizzicati des cordes, avant le finale, « quasi una fantasia », conclu sur deux pizzicati des cordes, inattendus et
interrogatifs, comme suspendus dans le silence… Malheureusement interrompu par
des applaudissements intempestifs et précipités !Une œuvre que le chef russe conduisit, par sa
gestuelle élégante, de façon particulièrement enthousiasmante, tendue, claire
dans les notes, juste dans le ton, menant le « Philhar »
sur les sommets. Un des plus beaux concerts de la saison !
Patrice Imbaud.
Joyeux anniversaire Monsieur Pressler !
DR
C'est par une tournée mondiale que le pianiste
Menahem Pressler devait fêter son 90e anniversaire, lui qui fut leader, jusqu’en 2008, du célèbre Beaux-Arts Trio. Après le Concertgebouw d’Amsterdam, le Mariinsky de Saint Pétersbourg,
la Philharmonie de Berlin, c’était au tour de la salle Pleyel et de l’Orchestre
de Paris, sous la direction de son directeur musical, PaavoJärvi, de le recevoir, pour deux concerts. Affluence
des grands soirs pour rendre hommage à cette légende vivante du piano :
plus de 55 ans de règne incontesté sur la musique de chambre et sept décennies
de carrière ! La soirée s'ouvrait par la Symphonie « parisienne » n° 82, dite « l’Ours », de Joseph Haydn, une œuvre qui s’intègre dans
un projet d’intégrale des symphonies parisiennes entreprise depuis 2011 par
l’Orchestre de Paris et son chef. C'est le fruit d'une commande effectuée
(1786) au « Frère » Haydn par la Société olympique, émanation de la
Loge maçonnique « La Loge olympique de la parfaite estime » (cf.
L'Éducation musicale : Musique et
franc-maçonnerie, 2010, n° 565). Une partition dont l’éditeur Imbault rendait compte en ces termes : « Six
symphonies du plus beau caractère…le nom de Haydn atteste de leurs
extraordinaires mérites ». Une symphonie qui, à l’évidence amusa beaucoup
le chef estonien qui se plut, à plusieurs reprises, à imiter la démarche
pesante du plantigrade, en sautillant lourdement sur son estrade ! Un
climat de complicité et d’amusement qui n’empêcha pas une exécution d’une bonne
tenue, parfaitement en place, élégante et solennelle, à la fois enlevée et cantabile,
où vents et timbales se firent tout particulièrement remarquer. Après une
courte pause permettant l’installation du piano sur le devant de la scène,
Menahem Pressler apparut, petite silhouette un peu
boulotte, se déplaçant difficilement, avançant à petits pas vers le piano,
guidé par la main secourable de PaavoJärvi, feuilletant négligemment la partition tandis que le
chef faisait retentir les premières notes du Concerto n° 23 K 488 de Mozart. Ce concerto, datant de 1786,
contemporain des Noces de Figaro,
élégiaque, est un joyau de la grande période viennoise du compositeur. Menahem Pressler en donna une lecture bouleversante, même si
quelques notes parurent quelquefois fuyantes… Comme si pour cet interprète
d’exception, et à l’instar d’Arthur Rubinstein, à l'été indien, le plus
difficile semblait d’atteindre le piano ! Mais ensuite…Quelle magie !
Quelle émotion ! Quelle grâce dans le toucher ! Quel legato et quelle
poésie dans le discours musical ! Puis ce fut un long « bis »,
également mozartien (Rondo K 485),
avant de saluer la salle émue et conquise. En deuxième partie, PaavoJärvi avait inscrit les
deux dernières symphonies de Sibelius. Des œuvres pourtant bien différentes,
que le chef choisit de jouer sans interruption (?). La Symphonie n° 6 (1922), sereine et mélancolique, peut-être en partie
inspirée par la mort du frère du compositeur, est ambiguë, nécessitant
profondeur et tension sous une apparente fluidité. La Symphonie n° 7 (1924) est à l’inverse plus épique, en un seul
mouvement, mettant un point final au corpus symphonique de Sibelius, avant
qu'il nes’enfonce, définitivement, dans
le silence. En exécutant d’un seul tenant les deux œuvres, PaavoJärvi, dont on connaît l’inclination pour le
compositeur finlandais, nous vola en quelque sorte la nuance pianissimo, d’une
originelle pureté, qui clôt magnifiquement la Sixième sur un silence méditatif…
De plus, son interprétation, techniquement impeccable, manquait de tension,
perdant par là son ambivalence caractéristique. En revanche, il nous gratifia
d’une très belle Septième, tendue et cohérente, développant un constant
sentiment d’unité, entretenu par l’omniprésence du thème clamé aux cuivres et
plusieurs fois repris par les cordes. Une prestation qui, à l’évidence, fut du
goût des musiciens et du public, et du nôtre également. Un succès bien mérité.
Patrice Imbaud.
Dernier volet d’une audacieuse aventure
DR
La véritable gageure qui consistait pour
Valery Gergiev, à la tête de son Orchestre du Théâtre Mariinsky, à aligner de suite, en six concerts,
quinze symphonies et six concertos, en était à son dernier volet. A l’heure des
bilans, il serait bien sur illusoire d’affirmer l’excellence de bout en bout,
mais force est d’avouer qu’il se dégage au terme de cette aventure une
impression plutôt favorable, alternant souvent le meilleur, mais parfois aussi
le moins bon, Gergiev, malgré l’excellence de son
orchestre, n'habitant et ne maintenant pas toujours un phrasé tendu dans les
mouvements lents. Le présent concert, associant les Symphonies n° 8 et n° 12 en fournit un assez bon exemple. Deux
œuvres bien différentes. La symphonie n°
8, symphonie de guerre (1943), dont Chostakovitch affirma qu’elle
constituait, avec la symphonie n° 7,
« Leningrad », son véritable requiem. Authentique fresque
cosmique, moins descriptive, plus dramatique que la précédente, la huitième est
la symphonie de l’angoisse, de la souffrance, mais aussi celle de la joie et du
courage. Une symphonie quasiment héroïque et fortement ambiguë dont Gergiev nous livra une interprétation d’un réalisme et
d’une violence inouïes, alternant les accents lugubres du cor anglais et le dramatisme
des cordes, scandé par le tambour et les cris stridents des bois dans le
premier mouvement, auquel succédera la marche grinçante du deuxième, qui
trouvera son apogée dans l’hallucinant troisième mouvement d’une précision
rythmique oppressante, avant que ne retombe la pression dans le largo, marche
funèbre qui, dépourvue de dimension épique, parut étrangement vide confirmant
cette difficulté déjà signalée à maintenir la tension dans les mouvements
lents, avant de conclure sur un finale faussement serein dont sera rendue avec
bonheur toute l’ambigüité. Contexte bien différent pour la symphonie n° 12, « Année 1917 » créée en 1961.
Chostakovitch est alors un personnage important du régime, en pleine
déstalinisation, et compose une œuvre plus narrative, centrée sur les
évènements de la révolution. Une composition qui connut un relatif échec lors
de sa création, donnant peut-être raison à Debussy qui affirmait que « la
musique n’exprime rien » (en dehors des sentiments bien sûr !). Gergiev tira le meilleur de cette partition, qui ne compte
pas parmi les plus réussies du compositeur, majorant les effets sonores
(cuivres et percussions) dans une vision très expressionniste, très russe, qui
enthousiasma la salle. Un triomphe mérité. Ce cycle complet Chostakovitch, il
sera possible, pour les absents, de le retrouver sur la chaîne
« Mezzo » dès l’automne prochain.
Patrice Imbaud.
Un Wagner plein de passion !
DR
Un concert tout Wagner, salle Pleyel,
intitulé « Autour de Tristan », dans le cadre de la saison des
« Grandes Voix », réunissait deux chanteurs wagnériens confirmés,
Anja Kampe et Robert Dean Smith, accompagnés pour
l’occasion par l’Orchestre National de Lille, conduit par son chef historique,
Jean-Claude Casadesus. Un concert magnifique, plein de passion, qui tint toutes
ses promesses tant orchestralement que vocalement. Une première partie consacrée
à la Walkyrie et tout
particulièrement au duo Sigmund/Sieglinde du premier
acte, précédé du fameux prélude qui ouvre l’opéra surun orage que Jean-Claude Casadesus mena de
façon très réaliste, tendue, haletante et empreinte d’un constant sentiment
d’urgence, avant que Sigmund n’entame son « EinSchwertverhieβ mir der Vater », en souvenir du père, bien articulé, bien projeté par
Robert Dean Smith, avec une assurance vocale dont témoigneront de longs « Wälse », qui sans atteindre la durée et l’émotion dégagée par un Lauritz Melchior en son temps, ou plus récemment Jonas Kaufman, n’en furent pas moins
d’une belle tenue. Anja Kampe, Sieglinde,
usant d’une diction très claire, d’une vocalité facile, toute en souplesse, lui
répondra en narrant alors son histoire, « Der MännerSippe », et
celle de l’épée plantée dans le tronc du frêne que seul un brave parviendra à
dégager. Puis vint le célèbre duo d’amour « WinterstürmewichendemWonnemond » et « Du bist der Lentz », tous deux bouleversants,magnifiquement menés, chargés d’une
intensité à donner des frissons, valorisés encore par une présence scénique, à
mettre au crédit des chanteurs dans cette version de concert. Seul Robert Dean
Smith donnera quelques signes de fatigue, avec des aigus parfois un peu serrés dans
le « Sigmund heiβich ». Après la pause, Sigmund requinqué
laissa la place à Tristan, évidemment réduit pour l’occasion. Un prélude de
l’acte I comme une patiente et douloureuse attente, évoluant par vagues, au son
des cordes dont le chromatisme témoigne de l’incomplétude d’un désir inassouvi.
Un duo d’amour et un hymne à la nuit, implicite référence à Novalis, pleins de
flamme, d’ardeur et d’empressement qui ne parviendra jamais à masquer
totalement un sinistre pressentiment,celui de la certitude que le jour naissant marquera la fin de la vie
etla fin de l’amour, stigmate du
pessimisme schopenhauerien marquant Wagner à cette époque. Assurément un des
plus enivrants duos jamais composés, évoluant entre extase et lassitude « O sinkherniederNacht der liebe…Lausch, Geliebter ! »
excellemment interprété de façon très équilibrée par des chanteurs très
motivés, même si la voix de Robert Dean Smith ne correspond pas tout à fait à
celle d’un ténor héroïque. Le prélude de l’acte III sera moment de désolation pure
où le cor anglais fait entendre son chant lugubre et dépressif. Enfin, la Mort
d’Isolde, « Mildundleisewie er lächelt », moment
unique, d’anéantissement et d’amour, où Isolde extatique s’allonge auprès de
Tristan pour mourir à ses cotés. Dans ce concert de louanges, il serait
profondément injuste de ne pas rendre grâce à la superbe phalange lilloise dont
Jean-Claude Casadesus sut, une fois de plus, tirer le meilleur en termes de
cohésion, de phrasé et de sonorité. Un concert qui enthousiasma la salle. Un
triomphe bien mérité devant tant de splendeurs !
Melody EASTER-CLUTTER &
Anna WENTLENT :Ready, set, rhythm ! Sequential lessons to develop rhythmic
reading. Alfred :
40029.
Bien qu’intégralement en
anglais, ce volume devrait pouvoir rendre de grands services tant en classe de
formation musicale qu’en classe de percussion. Il ne sera pas difficile au
professeur de traduire les consignes ; quant aux rythmes, ils sont,
heureusement, universels !
CHŒURS D’ENFANT
Mark CABANISS et Alan BILLINGSLEY :Gilbert
and Sullivan ROCK ! A « Poperetta »
for Unison and two part voices.1
vol. 1 CD. Alfred : 39989.
W.S. Gilbert et Arthur
Sullivan sont des auteurs d’opérette de la fin du XIX° siècle dont les œuvres
ont été très connues dans les pays anglo-saxons. La savoureuse réécriture qu’en
font les auteurs pourraient faire la joie des élèves
français si le tout n’était en anglais… Et c’est bien dommage car tout cela ne
manque pas de fraicheur et de dynamisme. Peut-être cette recension
suscitera-t-elle des vocations françaises pour une nouvelle réécriture ?
Ajoutons que le CD contient l’œuvre en intégralité et le play-back ainsi que
les fichiers PDF de la couverture et des parties séparées.
Sally K. Albrecht et Jay ALTHOUSE :Crazy
Christmas. A Jolly Holiday Songbook or Program for Unison
Voices.1
vol. 1 CD. Alfred : 39940.
Que voilà de la jolie
musique, bien écrite, sans prétention, et qui pourrait faire le bonheur de bien
des chorales d’écoles. Bien sûr, c’est tout en anglais. Mais avec le disque,
rien n’est impossible ! Là encore, on trouvera sur le CD non seulement
l’enregistrement intégral (avec les textes de liaison) et le play-back, mais
aussi les fichiers PDF nécessaires pour imprimer la couverture et surtout la
partie séparée de chant. L’orchestration de Tim Hayden qui se trouve sur le CD
est particulièrement fraiche et pleine de charme.
CHANT
Richard Wagner/ Alain BONARDI :WesendonckTraüme. Une
nouvelle version des Wesendonck Lieder de Wagner pour soprano, piano
clarinette et violoncelle. Arrangements et intermèdes d’Alain Bonardi. Fortin-Armiane.
C’est une entreprise peu
banale que celle d’Alain Bonardi dans la mesure où,
comme il le dit lui-même, « il ne s’agit pas d’une transcription simple,
mais d’une « composition » mettant en valeur la structure de la composition
de Wagner comme le texte inspiré par le bouddhisme et l’orient de Mathilde Wesendonck. […] Des intermèdes instrumentaux, incluant
également des percussions orientales résonnantes ont été composés et placés
entre les lieder ». Espérons que des instrumentistes vont s’emparer de
cette « recréation » pour que nous puissions juger sur pièce.
Jean-Jacques
WERNER : Le reniement de Pierre pour
voix et orgue ou piano. Compositeurs alsaciens vol. 31. Delatour :
DLT2175.
Suivant pas à pas le texte
de l’évangile de Luc dans la Bible de Louis Segond,
Jean-Jacques Werner écrit une musique figuraliste qui
nous fait vivre et méditer la scène. Orgue ou piano ? Nous aurions
tendance à pencher pour une interprétation au piano. Mais ce n’est qu’une
simple opinion. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une œuvre belle et pleine de
sens.
PIANO
Jan SANBORN :Piano Solos of Choral Favorites. 10 arrangements pour Préludes,
offertoires et postludes. Alfred : 36335.
Ne nous laissons pas
abuser par l’aspect liturgique de cette édition. S’il semble qu’aux Amériques,
le piano ait remplacé l’orgue dans beaucoup de cultes, ces pièces peuvent aussi
être jouées avantageusement hors de ce contexte. On y trouve en effet aussi
bien des pièces de Haendel, et pas forcément des chorals, que des extraits du Requiem de Fauré ou son Cantique de Racine, l’inévitable – mais
toujours beau – Jésus que ma joie demeure ou l’Ave verumde
Mozart sans compter des œuvres d’auteurs d’outre atlantique. Bref, ce recueil
est loin de manquer d’intérêt, d’autant que les transcriptions sont très
fidèles et faites avec autant de soin que de goût. Alors, ne boudons pas notre
plaisir.
Alain
BONARDI : Après une lecture de
Liszt. Trois pièces pour piano en commentaire d’œuvres de Liszt. Armiane-Fortin : EAL 455.
La première pièce porte en
sous-titre : « En lisant Liszt, en écoutant Senancour » Il
s’agit d’une sorte de variation sur La
Vallée d’Oberman de Liszt. La deuxième pièce fait référence au Sonnet 104, quant à la troisième,
intitulée Tombeau de nuages, elle
prolonge Nuages gris. Réécriture,
méditation, ces pièces sont à découvrir après avoir lu la présentation qu’en
fait l’auteur et avoir joué ou écouté les pièces originales.
De Kunhau et Buxtehude jusqu’à Jean Giroud et lui-même, l’auteur de ce florilège nous
offre effectivement tout un lot d’œuvres peu ou pas connues et assez facilement
abordables. On découvrira donc ce double recueil avec beaucoup d’intérêt.
Ces quatorze courtes
pièces trouveront facilement leur place dans l’office. Deux claviers pédalier
leur suffiront : un instrument moyen fera l’affaire. Ecrites dans un
langage délicat et simple, elles méritent d’être connues et jouées…
Patrick
CHOQUET : Trois études pour
orgue. Delatour : DLT2325.
Ces trois études
s’inscrivent dans la démarche des œuvres pour orgue de Patrick Choquet. Certes,
l’orgue sur lequel elles ont été créées offre de nombreuses possibilités
puisque, construit par Robert Chauvin en 1980 dans un beau buffet classé, il compte
47 jeux répartis sur 3 claviers et un pédalier de trente notes. Ces études
peuvent néanmoins s’exécuter sur un instrument moins important. Les indications
de registration sont données par Henry Paget, organiste titulaire de Sainte
Jeanne de Chantal, qui a créé ces œuvres le 12 juin 2005, dans le commentaire
qu’il fait de chacune des études. Ces pièces sont à découvrir absolument.
CARILLON
Jean-Luc
PERROT : 6 pièces pour carillon. Delatour : DLT1780.
Ces pièces ont été écrites
pour le carillon de l’Eglise Notre Dame à Saint Etienne, redécouvert et
restauré il y a peu. Elles sont l’œuvre de l’organiste de l’église, pour mettre
en valeur ce patrimoine trop longtemps délaissé. L’instrument est petit,
puisqu’il ne comporte que dix cloches. Mais cela a donné envie à l’auteur
d’écrire pour ce carillon des pièces faciles pour débutant. Il y a pleinement
réussi et on découvrira avec grand plaisir ces pages pleines de fraicheurs et
de souvenirs.
GUITARE
Didier
RENOUVIN : Hommage à Scott Joplin pour
guitare. Moyen. Delatour : DLT2292.
Cet hommage comporte en
fait deux pièces : d’une part une transcription du célèbre Mappleleafragde Scott Joplin, d’autre part une œuvre originale
dans l’esprit de Scott Joplin intitulée Newport, reprise d’une pièce du même nom extraite de la suite « Ports
d’attache » pour flûte et guitare. Destinées à un guitariste aguerri, ces
deux pièces donneront à son interprète beaucoup de plaisir.
ALTO
Bruno GINER :Salt and Pepper. Deux duos pour alto. Facile. Dhalmann : FD0429.
Nous ne sommes pas sûr que
« facile » soit tout à fait approprié pour ces deux duos qui
nécessitent une maîtrise des rythmes et des jeux d’archet de l’instrument, car
si la deuxième pièce est intégralement en pizzicati, la première fait appel à
des techniques d’archet certes maintenant classiques mais en général peu
maîtrisées par les altistes en herbe. Ceci dit, ils prendront certainement
beaucoup de plaisir à mettre au point ces deux pièces pour le moins…
épicées !
FLÛTE
TRAVERSIERE
Christine
MARTY-LEJON : Douce rivière pour
flûte en ut et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2634.
Dédiée à la Dordogne,
cette très jolie pièce est construite en trois parties : un la mineur un
peu nostalgique, puis un la majeur aussi poétique mais plus lumineux pour revenir
au la mineur initial. Piano et flûte dialoguent à égalité ce qui fait que le
pianiste aura autant de plaisir à travailler sa partition que le flûtiste.
Max
MÉREAUX : Rêverie pour flûte et
piano. Débutant. Lafitan : P.L.2618.
Une très jolie mélodie doucement
modulante se déroule poétiquement au-dessus des arpèges délicats du piano, le
tout dans un 12/8 berceur. Il est toujours difficile d’écrire des pièces
intéressantes musicalement pour les débutants et Max Méreaux y excelle.
Jérôme
NAULAIS : Polka et Menuet pour
flûte et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2560.
A une polka bien
« dans le style » et qui aurait sûrement ravi ma grand-mère succède
un menuet plein de charme en fa Majeur. Le da capo est indispensable si on veut
terminer par le retour de la polka en do Majeur. Cette pièce pleine de gaieté
devrait faire le bonheur de ses interprètes.
André
TELMAN : Dans la forêt de Sherwood pour
flûte en ut et piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2604.
La forêt de Sherwood, fief
de Robin des Bois, possède bien des mystères, et l’ambiance de cette pièce en
est pénétrée. Après un début plutôt paisible, nous pénétrons dans une forêt de
plus en plus sombre et tourmentée qui revient peu à peu à plus de calme mais
dans une ambiance tonale flottante jusqu’à une fin en mi Majeur qui constitue
comme une suspension sur la dominante… Nous pouvons faire les mêmes compliments
à André Telman qu’un peu plus haut à Max Méreaux : cette pièce pour « débutant » est
de la belle et bonne musique !
FLÛTE
A BEC
Antonio
VIVALDI : Six sonates pour flûte à
bec. D’après les originaux conservés à Cambridge, Upsala,
Stockholm, Leipzig, Venise et Berlin. Edition établie et présentée par Patrick
Blanc. Dhalmann : FD0402.
On lira avec beaucoup
d’intérêt la présentation que l’éditeur fait de son travail qui est autant un
travail de reconstitution que d’édition. Le résultat est tout à fait
convainquant. Signalons que ces sonates sont écrites pour la flûte alto et que
les basses, la plupart du temps chiffrées, ne sont pas réalisées. Mais c’est
maintenant un exercice auquel sont rompus les clavecinistes et même… quelques
pianistes !
SAXOPHONE
Max
MÉREAUX : Image pour saxophone
alto et piano. Elémentaire. Lafitan. P.L.2623.
Voici une bien fluide image qui évoque des reflets dans l’eau… mais qui pourra aussi
évoquer bien d’autres choses pour les jeunes interprètes. Le piano se tient le
plus souvent dans une tessiture élevée, ce qui contribue à maintenir l’ambiance
dans une sorte de rêve. Tout cela est bien joli, et ce n’est pas une critique !
Pierre
MISIKOWSKI : Brighellapour saxophone alto et piano. Cette
pièce existe en version saxophone solo et orchestre à cordes. Préparatoire. Lafitan : P.L.2554.
Issue de sa « Suite
carnavalesque », cette pièce de Pierre Misikowski évoque un valet de la commediadell’arte, dont on lira le portrait en
quatrième de couverture et qui fait tout à fait penser au Scapin des Fourberies. Pleine d’entrain et
d’humour, comme de fantaisie et de légèreté, cette pièce devrait beaucoup
plaire. Ajoutons que la version avec orchestre à cordes a obtenu en 2011 le
premier prix de’ composition de l’orchestre symphonique du Loiret.
Jérôme
NAULAIS : Allée et venue pour
saxophone alto et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2564.
Allée et venue : sans
doute à cause du moderato assez solennel qui enchâsse les deux valses lentes,
qui ont chacune leur personnalité, créant ainsi une structure de rondo. Quoi
qu’il en soit, le tout est bien séduisant et poétique et permettra aux
instrumentistes de montrer leur sensibilité et leur musicalité.
TROMPETTE
Claude-Henry
JOUBERT : Concert « Les
moustiques » pour trompette sib ou
ut ou cornet ou bugle, avec accompagnement de piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L.2549.
On retrouve dans ce
concerto toute la verve bien connue de C.-H. Joubert. A partir d’une
« situation initiale » paisible (bien au chaud sous la couette), un
bataillon d’éléments perturbateurs viennent troubler le repos du dormeur
potentiel. La chasse commence, puis survient un repos trompeur avant que la
chasse ne reprenne de plus belle pour se terminer par la victoire totale sur
l’ennemi dans un « couac » final du plus bel effet. Inutile de dire
que l’ensemble possède, par ailleurs, toutes les qualités musicales bien
connues de leur auteur !
Jérôme
NAULAIS : A l’heure d’automne pour
trompette ou cornet ou bugle et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2565.
Voilà une heure qui ne
nous obligera pas à modifier celle de nos montres mais qui a, en revanche,
beaucoup de charme. Parfois un peu nostalgique et en demi-teinte, automne
oblige, elle est parfois éclairées de rayons de soleil qui finissent par
l’emporter. Bref, l’auteur nous fait partager un bien joli moment de musique.
TROMBONE
Régis
CARROUGE : Le Boudeur pour
trombone et piano. Débutant. Delatour : DLT2286.
Voici une pièce sans
prétention mais bien agréable et qui illustre bien son titre. Le jeune
tromboniste pourra « jouer » cette pièce en tous les sens du terme…
et avec beaucoup de plaisir.
Régis
CARROUGE : Indifférence pour trombone et piano. Cycle 1. Delatour : DLT2286.
Voici une jolie
indifférence instable dans sa tonalité, mais qui s’avance quand même avec une
certaine assurance. Le pianiste chatouille avec bonheur l’indifférence du
tromboniste…
Régis
CARROUGE : Le Rêveur pour
trombone et piano. Premier cycle..Delatour :
DLT2285.
Ce rêveur pourrait fort
bien constituer, avec les deux pièces précédentes, une trilogie qui aurait
beaucoup de succès pour une audition. Trois parties dans ce rêve : un
moderato, marqué par le rythme obstiné du piano, une longue phrase andante sur
des accords tenus, puis un retour au tempo primo. Il y a beaucoup de poésie
dans toutes ces pièces.
PERCUSSIONS
Ludwig ALBERT :Double concerto for two marimbas &
orchestra : The Universe. Réduction
pour piano. Difficile. Dhalmann : FD0405.
On ne serait assez
conseiller d’aller écouter sur YouTube cette œuvre
dans sa version avec orchestre. Le langage est à la fois classique par
l’harmonie et moderne par le rythme. L’ensemble est vraiment très beau avec un
deuxième mouvement particulièrement poétique. C’est une musique envoutante qui
vaut vraiment d’être connue.
MUSIQUE
D’ENSEMBLE
Claude-Henry
JOUBERT : Une grande année
d’orchestre (à cordes) à l’école. Onze morceaux progressifs et une
symphonie ! Fertile-plaine : FP 1729.
Voici un joyeux programme
de musique d’ensemble qui mettra – mais c’est normal – aussi à contribution le
professeur ! Les contrebasses sont ad
libitum. L’ensemble est fourni en « kit », ce qui veut dire qu’il
peut être adapté. La mise en œuvre est détaillée et ne devrait pas faire de
difficulté. Des éléments d’analyse permettent de faire comprendre aux élèves ce
qu’ils jouent, ce qui n’est pas du luxe ! Bref, il s’agit d’une œuvre à la
fois musicale et pédagogique…
Jean-Marie
MACHADO : L’écureuil volant. Suite
n° 2 pour quintette à vent. Dhalmann : FD0406.
Cette partition difficile
en deux parties évoque bien l’écureuil courant et sautant de branche en
branche. Elle séduira par son brillant et son caractère virtuose qui ne nuisent
en rien à ses qualités expressives.
MUSIQUE
DE CHAMBRE
Félix
MENDELSSOHN : Les Hébrides. Transcription
pour clarinette en la, basson, quatuor à cordes et piano à quatre mains. Delatour : DLT2256.
Cette transcription de
Sophie Lacaze est tout à fait séduisante. Très fidèle
à l’original, elle n’est pas d’une difficulté insurmontable et intéressera tant
les ensembles professionnels que les ensembles de grands élèves de nos
conservatoires ou d’amateurs avertis.
MUSIQUE
CHORALE
MENDELSSOHN
BARTHOLDY : Der 42. Psalm « Wieder Hirsh schreit » op.
42. Bärenreiter : conducteur BA 9074, voix et
réduction de piano BA 9074-90.
La nouvelle édition de ce
Psaume, réalisée par le grand spécialiste de Mendelssohn John Michael Cooper
est en tout point remarquable. On lira avec beaucoup d’attention la copieuse
préface qui présente l’œuvre ainsi que les principes éditoriaux et les raisons
des choix de l’éditeur. La réduction de piano a été faite par Mendelssohn
lui-même. C’est en dire tout l’intérêt.
Jean-Christophe
ROSAZ : Salve Regina – Montserrat pour
chœur de femmes a cappella. Delatour : DLT2347.
Cette très belle pièce a
été inspirée à l’auteur par un vitrail de Montserrat dont il s’est efforcé de
retrouver « toute la sensation de chaleur et de paix qui s’en
dégageait ». « Les quatre voix, quant à elles, sont une allégorie des
quatre directions : est, ouest, nord et sud. ». La pièce s’adresse à
un chœur très exercé.
Jean-Jacques
WERNER : Eclats de Prière sur un
poème de Sylvia Undata, pour chœur de femmes à
cappella. Delatour : DLT2327.
Jean-Jacques Werner a été
séduit par le poème quasi mystique de Sylvia Undata et s’est efforcé d’en traduire le caractère cristallin et mystérieux. L’œuvre
n’est évidemment pas facile. Elle divise assez souvent les voix. Mais le
résultat vaut la peine qu’on se donnera à la mettre au point.
Isabelle WERCK : Edvard Grieg, Paris, Bleu nuit
éditeur, Collection « Horizons », 2014, 176 p. 20 €.
Poursuivant sa série de
monographies dont la valeur pédagogique est indéniable — car il s’agit d’une
divulgation bénéficiant d’une remarquable clarté tout en étant très bien
documentée —, Isabelle Werck a élargi ses
« horizons » aux Pays nordiques dans la mouvance de la Norvège, avec
son musicien national traditionnel : Edvard Grieg (1843-1907) qu’elle
présente successivement par tranche de vie, avec les analyses d’œuvres
correspondantes. Très attaché à sa patrie et à ses traditions, il est surtout
connu par Peer Gynt .Ses autres œuvres (vocales, piano et musique
de chambre) semblent avoir été quelque peu sousestimées.
La Norvège est située dans ses divers contextes, marquée au XIXe siècle par une
certaine influence germanique. L’auteur évoque l’ambiance familiale (quatrième
enfant sur cinq), son environnement : maison, Bergen, École Tank… À 15
ans, Grieg quitte sa famille, s’installe à Leipzig. Après avoir obtenu son
diplôme, il se rend compte de sa vocation de musicien nordique et, de 1862 à
1866, s’ouvre à un idéalisme national, rencontre à Copenhague, entre autres,
Niels Gade et, à Rome, le dramaturge Henryk Ibsen.
Alors « il ne pressent pas qu’un Peer Gynt ultra célèbre va les unir plus tard. »
Les Analyses I concernent les œuvres
de la période 1862-1866 : piano, mélodies, musique de chambre, orchestre.
Le chapitre suivant aborde La décennie de
Christiania (1866-1877) où il s’installe. Professeur de solfège,
composition et piano à l’Académie, il dirige aussi la
Société Philharmonique. À partir de Noël l867, il collabore notamment avec
l’écrivain B. Bjornson. L’année 1874 est décisive avec la commande du chef
d’œuvre Peer Gynt.
Il s’installe à Bergen. Les Analyses II concernent les œuvres de la période 1867-1876 : pièces lyriques pour
piano, chants et danses norvégiennes, mélodies (textes de B. Bjornson et H.
Ibsen), musiques de chambre, orchestre, chœur, Peer Gynt. Le Chapitre : De vacances en itinérances (1877-1892) le situe « au vert, dans un lieu tranquille » où il s’attache aux
grandes formes. Il se rend à Cologne pour la création de son Quatuor, puis donne des concerts à
Copenhague. Réinstallé à Bergen en 1880, où il dirige l’Orchestre Harmonien, il
connaît un « retour de créativité ». Comme il ressort des Analyses III, il compose notamment de
nombreuses pages pour piano, des recueils de mélodies, un Quatuor à cordes, des œuvres pour orchestre et chœur. Le dernier
chapitre : Les rayons du soir
(1893-1907) souligne ses difficultés à créer, car sa santé est « en
decrescendo ». Il continue à donner quelques concerts, s’engage sur le
plan politique et social en 1899, poursuit ses voyages, mais sa mort approche.
Les Analyses IV évoquent les œuvres
de la dernière période (1894-1907), avec des pièces lyriques pour piano, des
mélodies et sa Danse symphonique qui
est un peu sa véritable « symphonie », les quatre Psaumes (1906) — en fait : Hymnes, et non Psaumes bibliques —d’après d’anciennes mélodies norvégiennes. En
conclusion, Isabelle Werck insiste judicieusement sur
l’authenticité de la démarche de
Grieg, la « vérité du ressenti » et rappelle que « la valeur
dont Grieg reste conscient est celle de son appartenance à un univers enchanté,
mais en porte-à-faux avec son temps ». L’intérêt de cette monographie est
encore rehaussé par une abondante iconographie, un Catalogue détaillé des
œuvres par genre ; un remarquable Tableau synoptique (vie,
événements) ; une Bibliographie et une Discographie sélectives. À lire et
à relire. Voici un indéniable apport à la musique norvégienne et à Edvard Grieg
en particulier, musicien et poète intimiste.
Jeune
homme insouciant ou vieil alchimiste à la recherche de la pierre philosophale,
Faust a pour caractéristique essentielle sa proximité avec le diable. Ses
origines remontent au XVIe siècle, où il apparaît pour la première fois dans un
ouvrage anonyme racontant l’histoire du Docteur Faustus.
Entre mythe et personnage historique, la figure de Faust tient, à la fois de
Servet, Paracelse, Érasme ou encore, paradoxalement, du Christ ! A la fois
bon et mauvais ange, Faust a fini, grâce à Goethe, par incarner un mythe
moderne. Figureéminemment plastique, il
a été convoqué dans des contextes bien différents, religieux, dramatique,
fantastique, philosophique, opératique et poétique…. Faust donne une image
polymorphe de la condition humaine et de ses questionnements, de ses limites,
de ses rapports à la mort, au travers de l’histoire des nombreuses références
esthétiques qui en émanent. En même temps qu’il symbolise une altérité
intemporelle, il devient le support de diverses créations artistiques.
Élisabeth Brisson évoque, dans ce livre remarquable, d’abord les aspects
historiques de la figure faustienne, reflet du siècle de l’Humanisme et de la
Renaissance, avant d’aborder son rôle dans l’émergence d’une culture allemande
spécifique, signalant également l’importance de Goethe dans la métamorphose de
Faust en véritable mythe. Dans la dernière partie de l’ouvrage, l’auteure
étudie le rôle de l’aiguillon faustien dans la création artistique, et notamment
dans le domaine musical, avant de conclure sur des aspects plus esthétiques et sociologico-politiques. Concernant plus spécifiquement la
musique, Faust fut à l’origine de l’émergence de l’opéra allemand et de la
musique fantastique dont le Faust de
Spohr, en 1813, marque la date fondatrice. Nouveau genre, seulcapable de dépasser l’opposition entre
Singspiel et opéra italien, l’opéra romantique allemand trouvera sa forme la
plus aboutie dans le Freischütz (1821) de Carl Maria von Weber. Le relai sera pris, à
son tour, par Félix Mendelssohn avec sa ballade dramatique pour solistes, chœur
et orchestre, la Nuit de Walpurgis (1832) d’après le premier Faust de Goethe. Toujours à l’origine de genres
musicaux nouveaux, Faust a présidé à la naissance du lied romantique dont Marguerite au rouet de Schubert est
peut-être le plus saisissant exemple, et à celle de l’oratorio profane, comme
les Scènes de Faust de Schumann
d’après le second Faust de Goethe, se donnant ainsi pour but d’affirmer une
sorte de spiritualité non religieuse, en même temps que d’exprimer ce qui se
joue au plus profond de l'Être, faisant, alors, de la musique le vecteur d’une
révélation. Un second Faust dont Mahler saura, à juste titre, se souvenir dans
sa monumentale Huitième symphonie, l’associant
au VeniCreator, témoignant d’une part, de l’élévation spirituelle apportée par la musique dans
le cadre de la religion de l’art, et d’autre part, de l’élaboration d’un
nouveau langage, conférant à la musique son indispensable autonomie. Liszt (Faust symphonie et Méphisto valses) et Berlioz (Huit
scènes de Faust) par leurs compositions, participeront de cette autonomie
et de cet éclatement de la forme qui conduira à l’atonalité et au
bouleversement de l’univers opératique, ce dont atteste la Damnation de Faust (1846) qui voit se succéder les scènes sans
continuité dramatique, répondant à la seule et imprévisible logique du rêve. Le Faust de Gounod (1859) et le Mefistofele de Boïto (1868) confirmeront cette évolution favorisant la
popularisation de l’opéra, et en modifiant le statut, le faisant sortir de la
narration continue pour l’orienter vers un questionnement plus métaphysique,
plus éloigné des conflits passionnels. Voici un livre en tout point
passionnant, qui va bien au-delà des simples rapports entre la figure
faustienne et la musique, pour envisager les différentes facettes du
personnage, comme autant de tiroirs que le lecteur curieux aura à cœur
d’entrouvrir et d’étudier selon ses aspirations propres du moment. Un ouvrage
érudit, bien écrit, bien documenté, à lire et à relire.
Patrice Imbaud.
Constantin FLOROS. Alban Berg et Hanna Fuchs. Suite lyrique pour deux amants. 1 vol. Actes Sud, 2014, 232 p, 20 €.
Voici
un livre qui mêle histoire d’amour et musicologie, ce qui n’est pas si fréquent.
L'ouvrage de Constantin Floros rapporte, pour la
première fois en français, la correspondance, officielle et surtout secrète,
adressée par Alban Berg à Hanna Fuchs, pendant les dix années que dura leur
liaison épistolaire, témoignage d’un amour malheureux et platonique qui inspira
notamment la Suite lyrique ; une
œuvre musicale importante, qui répond à la Symphonie
Lyrique de Zemlinsky, et conçue en 1925-1926, initialement pour quatuor à
cordes, puis transcrite pour orchestre à cordes en 1929, que cette correspondance
récemment retrouvée, éclaire d’un jour nouveau, plus ésotérique. C’est en mai
1925, lors d’un séjour à Prague, qu’Alban Berg, venu assister aux répétitions
de « Trois fragments de Wozzeck »,
invité par le couple Fuchs-Robettin, passionné de musique,
tomba éperdument amoureux de la femme de son hôte, Hanna. Témoignage de cet
amour, une série de 26 lettres, dont 14 secrètes découvertes dans les années
1970, et la Suite lyrique que Berg
adressa à Hanna comme un message codé à sa « bien aimée lointaine ».
Une correspondance qui en dit long sur l’état psychique du compositeur
(exaltation, résignation, dépression) ainsi que sur le retentissement de cette
liaison sur ses facultés créatrices. La Suite
Lyrique était initialement prévue en quatre mouvements, avant qu’Alban Berg
ne la structure en six (allegretto giovale, andante amoroso, allegro misterioso,
adagio affetuoso, presto delirando et largo desolato), dont on peut suivre le programme complet
dans une lettre datée du 23 octobre 1926. Il confia secrètement un exemplaire
de cette œuvre à Hanna en 1928. Cet exemplaire, annoté des mains du
compositeur, permet une lecture décryptée où apparait l’attrait de Berg pour la
numérologie, les anagrammes, les citations et les séries secondaires. Pas moins
de trois citations de Zemlinsky, tirées de sa Symphonie Lyrique, apparaissent en vingt endroits différents dans
la Suite Lyrique, sur les
phrases : « Tu es à moi…Toi qui
hantes mes rêves infinis…Fais que l’amour devienne souvenir et la douleur un
chant ». Il en va de même pour le Tristanund Isolde de Wagner, cité à plusieurs reprises dans le largo desolato. Berg envisagea également
nombre de combinaisons bâties sur les quatre notes B, A, F, H (si, la, fa, si
bécarre) correspondant aux initiales de deux amants, et donna une importance
toute particulière aux chiffres 23 et 10, en référence à lui-même et à Hanna.
Enfin, la Suite Lyrique est écrite
pour moitié de façon librement atonale, tandis que l’autre moitié répond à la
technique dodécaphonique et même sérielle, voire sérielle totale, pour les
esquisses qui ne furent pas utilisées dans la composition finale, les
manipulations sérielles répondant bien évidemment à un projet très original,
poétique et amoureux de rapprochement, d’union et de séparation des deux amants.
Un livre qui nous conte une histoire d’amour, mais surtout sa transcription
musicale, comme une énigme, unique en son genre, dont le lecteur curieux ne
manquera pas de rechercher les solutions à l’écoute de l’œuvre musicale dédiée.
Signalons à ce propos la sortie récente du disque de Jean-Guihen Queyras et de l’ensemble Resonanz consacré à cette
œuvre, parue sous label Harmonia Mundi (Cf. infra
rubrique CDS & DVDS). Un livre qui, au-delà du factuel, interroge également
les rapports entre biographie et création. A lire et à écouter attentivement.
Patrice Imbaud.
Nicolas Southon : « Les
symphonies du Nouveau Monde. La musique aux États-Unis ». 1 vol. 12 x 18 cm, Fayard/Mirare,
2014, 180 p, 15 €.
Cet ouvrage,
paru à l'occasion de la Folle journée de Nantes, constitue une intéressante et
compréhensive introduction à la musique américaine. Le propos de son auteur est
de porter un regard sur le rôle joué par les États-Unis dans la constitution
d'une nouveauté en musique. Cette Amérique, qu'Edgard Varèse décrit comme
« symbole de découvertes – de nouveaux mondes sur terre, dans le ciel, ou
dans l'esprit des hommes », a enfanté d'innombrables musiciens. Elle en a
attiré bien d'autres venus d'Europe. Les liens entre le nouveau et le vieux
continent sont indissolubles : les européens, qui rêvent de liberté, s'en vont
courtiser des terres inconnues ou protectrices des droits bafoués en-deçà de
l'Atlantique, les américains n'ont de cesse de se rendre en Europe pour
s'imprégner des courants germaniques ou français, ou y étudier auprès de cette
personnalité incontournable qu'est Nadia Boulanger, « la pédagogue la
plus respectée de la planète », et dont la classe a vu passer tant de
musiciens américains, à commencer par Aaron Copland. La musique dite américaine
trouve ses origines dans les missions espagnoles, au milieu de XVI ème siècle. On assiste vite à l'éveil d'une vraie
conscience musicale, et dès le XIX ème, à
l'apparition des premières infrastructures, les grandes salles de concerts,
creuset d'une vie musicale débordante. La démarche de Nicolas Southon est chronologique et thématique à la fois,
permettant de repérer toutes les grandes figures, et les moins connues aussi,
qui ont fait et continuent à faire de cette musique ce qu'elle est. Très vite
vont-elles se libérer de tout carcan, et allégrement mêler les influences les
plus diverses. C'est la rencontre du jazz et de la musique savante, ou du
folklore et du « musical », voire plus près de nous, du folk ou du
rock. Le XX ème siècle voit l'explosion des talents :
Outre les fondateurs, Gershwin, Porter, Copland et autre Bernstein, c'est
l'avènement des minimalistes (Steve Reich, Philipp Glass,
John Adams), des éclectiques (Morton Gould, Ned Rorem),
des « expérimentateurs » (Varèse, Henry Cowell),
ou des néoclassiques (Lukas Foss, Eliott Carter). Il faut bien catégoriser ce
qui, en fait, se veut pluralité et refuse de se voir enserrer dans un style.
Les plus divers cohabitent et tous les genres sont investigués, même l'opéra
dont la veine US ne se réduit pas au seul Porgy and Bess. « Cette musique est américaine,
parce qu'elle est faite par des Américains » écrivait en 1963 Virgil
Thomson. Au-delà de son aspect tautologique, la formule veut bien dire ce
qu'elle sous entend : il existe une école américaine. Si le propos est
nécessairement cursif, eu égard au caractère mêmed'un ouvrage de vulgarisation, il n'est pas
pour autant superficiel, et le lecteur saura faire son profit de cette approche
des multiples aspects de la vie musicale nord américaine. Sa lecture lui
donnera sans doute l'envie de chercher à en savoir plus sur tel ou tel. Ce
n'est pas le moindre mérite de ce livre.
Jean-Pierre Robert.
Makis
Solomos : De la musique au son – L’émergence du son
dans la musique des XXe-XXIe siècles. 1 vol.
Presses universitaires de Rennes,collection Æstetica,
2013, 545 p. 24 €
Une première approche de
l’ouvrage du Professeur Makis Solomos(1), publié par les Presses universitaires
de Rennes, donne l’impression que le propos est conçu dans l’esprit de la musicaspeculativa médiévale. Une lecture plus attentive confirme que ce travail est
essentiellement réservé à des étudiants ainsi qu’à un public averti, convaincu
par la thèse de cette étude selon laquelle le son est principalement pure
matière. Après une introduction, à la fin de laquelle l’auteur prend bien soin
de préciser que « ce livre est écrit par un musicologue » (p. 19),
six chapitres offrent une explication du matériau musical tel que nous
pourrions, désormais, le considérer : Du timbre – Du bruit – Écouter (les sons) – Immersion sonore – Composer le son – L’espace-son.
La conclusion tente de convaincre « que l’émergence du son dans la musique
ne constitue pas le symptôme d’un matérialisme triomphant débouchant sur des
pratiques de consommation fétichistes » (p. 494). Une fort copieuse
bibliographie (p. 499-522) suit précédant un index (p. 523-542), fort
intéressant, qui permet de circonscrire les courants et les concepts qui
constituent la charpente de cette recherche.
Je me suis posé beaucoup
de questions à cette lecture et c’est probablement en cela que réside le mérite
de ce livre. Ainsi, la « vie intérieure du son » (p. 235-246) me semblait-elle,
de prime abord, un thème passionnant lorsque l’objet-son est susceptible de
devenir sujet. Toutefois, il ne saurait exister, en soi, une « vie
intérieure des sons », la vie intérieure étant essentiellement d’ordre
psychologique. Le son-objet est entendu, analysé, valorisé, expliqué, composé,
travaillé par un sujet-personne responsable de ses choix. La relation
sujet-objet relève, une fois de plus, de l’excitabilité-réactivité, phénomène
de base qui caractérise toute forme de vie.
La quatrième de couverture
précise que « le son est devenu l’un des enjeux majeurs de la
musique ». Ceci semble assez étonnant comme présupposé car la relation
entre le ton et le son, en tant que dualité complémentaire, a toujours existé.
Il semble bien, en l’occurrence, que l’option positiviste et la valorisation
évolutionniste correspondent à la réflexion de M. Solomos. Cela peut se
discuter car, selon la psychologie des motifs, « l’évolution consiste dans
l’interpénétration de deux principes du monde apparent : Matière et Esprit »(2).
Autrement dit, l’évolution n’est pas relative au progrès même si les deux
termes ont été synonymes au cours du XIXe siècle.
Dans ses Fondements de
la musique dans la conscience humaine (1961), le chef d’orchestre et
mathématicien suisse Ernest Ansermet (1883-1969) – cité par M. Solomos comme
« adversaire historique de l’atonalité » (p. 280) – parlait du
phénomène sonore et de la « nécessité de se libérer du point de vue
scientifique [….] insuffisant ». En d’autres termes, il lui importait avant
tout de comprendre ce qui vient de soi-même « en tant qu’homme, et dans la
conscience qu’il en a, ce qui vient des choses. […] La musique est tout
entière, timbre et intensité compris, une donnée de conscience ».
Je ne retrouve pas cet
esprit dans le livre de Makis Solomos qui, au contraire, suggère un surprenant
parcours « qui mène de la musique au son ». Tout de même, la musique
des XXe-XXIe siècles n’est pas sortie d’un chapeau. Par
conséquent, il est assez révélateur que cet ouvrage fort savant m’ait donné
l’envie de relire certaines considérations d’autres auteurs sur le sujet.
Ainsi, le critique musical et philosophe autrichien Friedrich Johann Thomas vonHausegger (1837-1899) –
judicieusement cité par la musicologue allemande Helga de la Motte-Haber(3) –
« interprète-t-il cette mystérieuse capacité à produire des sons,
où Darwin n’avait pas vu d’utilité, comme une expression primaire de l’émotion
et comme source de la musique ».
L’éminent compositeur et
théoricien de la musique LeošJanáček (1854-1928) – que je pensais pouvoir trouver dans l’index de M. Solomos –
écrivait, le 2 août 1924, dans une lettre adressée à l’écrivain tchèque Max Brod (1884-1968) : « Et moi je dis qu’un son pur
ne signifie rien tant qu’il n’est pas enfoncé dans la vie, dans le sang, dans
le milieu. Sinon, il n’est qu’un jouet sans valeur. » Que cela est bien
dit, avec toute la connaissance et l’immense expérience de l’auteur de Jenůfa. Plus près de nous, le regretté et
immense chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache (1912-1996) nous a légué une très pertinente réflexion sur le son en sachant
bien le différencier à partir de l’allemand : « Que savons-nous du
son [Klang] et finalement du son [Ton] musical ? Pas beaucoup plus que l’homme préhistorique qui, obéissant à une
impulsion intérieure vers la liberté, l’a découvert par une recherche inspirée
et, sans le savoir, l’a emprunté à l’univers(4). » J’ajouterais volontiers
l’univers intérieur (microcosme) aussi bien que l’extérieur (macrocosme). Par
sa réflexion féconde, Celibidache mettait bien en
évidence les limites de la phénoménologie selon le philosophe et mathématicien
allemand Edmund Husserl (1859-1938).
Il est certain que, pour
d’aucuns, « émerge », en effet, une nouvelle conception, une approche
radicalement différente du son en tant que phénomène physique, uniquement. Dans
d’autres domaines, la mise en question de ce qui précède agit sans coup férir.
Néanmoins, « penser la musique » implique un mouvement psychique,
c’est-à-dire une « émotion ». Celle-ci ne saurait être de nature
purement intellectuelle ou acoustique. Les recherches de Makis Solomos me
semblent, en cela, assez proches des travaux du Dr John A. Sloboda qui a, entre
autres, publié en 1985, The Musical Mind: The
Cognitive Psychology of Music (Oxford UniversityPress), un livre d’une extraordinaire sécheresse.
La
conclusion de M. Solomos (p. 491-497) souligne la difficulté de définir
clairement le mot « musique ». Les ethnomusicologues en refusent sa
dimension universelle tout comme celle du son. Ils oublient, ce faisant, la loi
d’intégration-différenciation et la relation du simple au complexe tout en
faisant de la phylogenèse du langage musical un pur épiphénomène. À cet égard,
il serait fort intéressant de consulter attentivement l’excellente et très
pertinente entrée « Music » (as auniversalphenomenon) de la
dernière édition du New Grove(5) signée par le musicologue et
ethnomusicologue Bruno Nettl. Ce dernier explique,
d’une façon convaincante, comment surmonter le problème en l’abordant avec tous
les outils indispensables qui, pour la plupart, n’abandonnent pas des dualités
fondamentales telles que Esprit-Matière,
Symbole-Concept, par exemple. Qu’il en soit remercié.
James Lyon.
(1) Professeur de musicologie à l’université Paris 8.
(2) Paul DIEL, Le
symbolisme dans la mythologie grecque, Paris, Payot, 1952, p. 119-120.
(3) Helga de la MOTTE-HABER, « Principales théories
scientifiques en psychologie de la musique : les paradigmes »,
in : Psychologie de la musique,
Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 41.
(4) Sergiu CELIBIDACHE, La
musique n’est rien. Textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique,
Arles, Actes Sud, 2012, p. 37.
(5) Bruno NETTL, « Music », in :NGroveD, London,
Macmillan Publishers Limited, 22001, t. 17, p. 425-437.
« O
Maria, dulcis rosa ». RegulaKonrad, soprano.Ildesiderio.1CDVDE-GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1420. TT : 51’ 04.
Ce disque se présente comme une anthologie
de chants mariaux et de musique instrumentale à l’époque prébaroque. Il est
réalisé par Regula Konrad (soprano), concertiste
internationale, et l’Ensemble de musique ancienne Il desiderio,
fondé en 1998 par Hans Jakob Bollinger. Rappelons que la dévotion mariale, influencée
par le Christianisme oriental, s’est développée en Occident à partir de la fin
du premier millénaire. Parmi les chants traditionnels, figurent l’antienne Salve Regina traitée par Claudio
Monteverdi en 1641 dans son recueil monumental Selva morale… et en forme de motet par Alessandro Grandi (Venise,
1621) ; le chant : Maria, dolce
Maria, de Francesca Caccini (Florence, 1618). D’autres thèmes bibliques
sont abordés : Surgeproperaamica mea…, d’après le Cantique des cantiques (Concerti ecclesiasticide Giovanni Paolo Cima, Milan,
1599), ou encore la louange par le chant : Jubilent omnes, filii Dei, canitecantores… Le
volet profane, interprété par l’Ensemble Il desiderio,
comprend, entre autres, une Sonate à 4
parties extraite des Concerti ecclesiastici (G. P. Cima, 1599), la 9e Canzone
« la Federica » de Pietro Lappi (v. 1575-1630), la chaconne (Naples, 1650) d’Andrea Falconiero, ou encore la Sonate sopra la Bergamasca (Venise, 1642) de Salomone Rossi (v.1570-1630).
Toutes ces pièces sont très représentatives de l’esthétique italienne
prébaroque. Elles sont interprétées vocalement et instrumentalement avec
lyrisme, virtuosité et « exigence » : Il desiderio signifiant précisément
exigence.
Édith Weber.
Johann Sebastian BACH :IchelenderMensch - Leipzig Cantatas.Collegium Vocale
de Gand, dir. Philippe Herreweghe.
1CDPHI (www.outhere-music.com) : LPH 012. TT : 78’ 15.
À côté
des enregistrements déjà anciens de HelmuthRilling, ceux de Philippe Herreweghe à la tête du Collegium Vocale de Gand — qu’il a créé en 1970 — tiennent
compte des récents critères d’interprétation de la musique baroque élaborés il
y a quelques décennies. Ses mérites sont reconnus depuis longtemps et, comme on
le sait, l’excellent chef qui privilégie le texte authentique et la rhétorique,
obtient une « palette sonore transparente » contribuant largement à
sa réputation. Il a d’ailleurs lancé son propre Label (PHI). Sous-titré
« Cantates de Leipzig », cette réalisation en comprend quatre : IchelenderMensch, werwirdmicherlösen (BWV 48,
prévue pour le 19e dimanche après la Trinité 1723) ;Herr, wie du willt, soschick’s mit mir (BWV 73, pour le 3e dimanche
après l’Épiphanie 1724 (exceptionnellement donnée en l’Église
St-Nicolas) ; Siewerdeneuch in den Banntun(BWV 44, qui termine le cycle de Cantates composées
à Leipzig) ; Ichglaube, lieberHerr, hilfmeinemUnglauben ! (BWV
109, pour le 21e Dimanche après la Trinité). Dès les premières mesures de la Cantate 48, l’orchestre introduit la
plainte et les soupirs du Chœur, exprimant la souffrance et la détresse, puis
la confiance, car « la main de notre Sauveur accomplit ses miracles aussi
parmi les morts » jusqu’au Choral harmonisé traduisant le réconfort face à
l’affliction. La Cantate 73 traduit
la soumission à la volonté du Seigneur, consolation et refuge pour le
chrétien ; le Choral conclusif s’impose par l’homogénéité des voix et
la remarquable diction. La Cantate 44 : Ils vous excluront… commence par une Aria de Ténor et Basse énonçant l’incipit,
suivie d’un chœur annonçant que « l’heure vient » et d’une Aria d’Alto rappelant que les chrétiens
n’échapperont pas aux tourments. Ensuite, le Choral et le Ténor reprennent le
texte bien connu : AchGott, wie manches Herzeleid,
allusion au chagrin et aux tribulations, et la Basse s’en prend à l’Anté-Christ. Le soprano annonce le réconfort, et le Choral
conclusif : In allenmeinenTaten reprend la
7e strophe du Choral O Welt, ichmussdichlassen (d’après la
mélodie de la chanson Innsbruck, ichmussdichlassen). Philippe Herreweghe, avec ses choristes
et instrumentistes, recrée fidèlement l’atmosphère voulue par J. S. Bach. Il en
sera de même de la Cantate 109 avec
une introduction plus allantemettant
les timbres instrumentaux en valeur et se terminant sur le Choral Werhofft in Gottunddemvertraut… (Celui
qui espère en Dieu), 7e strophe du Choral Durch Adams Fallisganzverderbt. L’excellent
chef réserve un sort royal à cette cantate de caractère concertant. Le disque
est complété par l’aria à 5 voix :Komm, Jesu, komm de Johann Schelle
(1648-1701) — à ne pas confondre avec le Motet éponyme de J. S. Bach pour double chœur. Selon Chr. Wolff, auteur de
l’excellente présentation quadrilingue, il s’agit d’un texte funèbre de Paul Thymisch, destiné, en 1684, aux funérailles du Professeur
J. Thomasius, Recteur de l’École Saint-Thomas. Rappelons que J. Schelle a été
Cantor après SebastianKnüpfe,
et également le directeur Chorimusici à
Leipzig. Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale
de Gand ont signé une merveilleuse illustration de la pratique musicale à
Leipzig en l’Église Saint-Thomas, au temps de J. S.Bach.
Édith Weber.
Jean SébastienBACH : Sonatas for Viola dagamba & Harpsichord (BWV
1027-1029). Marianne Muller,
viole de gambe, Françoise Lengellé, clavecin. 1 CDZIG ZAG
TERRITOIRES(www.outhere-music.com) : ZZT 340.
TT : 71’ 09.
Marianne Muller —
gambiste, élève de W. Kuijken (Conservatoire de La
Haye), concertiste internationale — a fondé en 2005 l’Ensemble
« Spirale » avec la basse de viole en soliste. Elle s’est associée à
Françoise Lengellé — claveciniste, Premiers Prix
(CNSMD, Paris) en clavecinet en musique
de chambre, dans les sillages de Kenneth Gilbert, Ton Koopman et Gustav Leonhardt —, soucieuse « de restituer une réalité musicale du
XVIIe et du XVIIIe siècles ». Toutes les deux forment une équipe très
expérimentée et en parfaite connivence artistique. Les instruments utilisés
sont : deux violes à 6 cordes de Pierre Jaquier, modèle viola bastarda (2004) et l’autre, modèle anglo-allemand (1993),
archet de Craig Ryder (2005) ; un clavecin
allemand de David Ley (2005), fidèle copie d’un
instrument de Heinrich Gräber (Dresde, 1739). Elles
proposent une remarquable version des Sonates
pour viole de gambe et clavecin (respectivement : BWV
1029-1027-1028) : n°3 (Sol mineur),
avec un Vivace bien appuyé
contrastant avec un Adagio plus
méditatif, débouchant sur un Allegro percutant ;n°1 (Sol majeur), dans laquelle le clavier se taille la part du
lion ; n°2 (Ré Majeur), en 4
mouvements, après un bref Adagio, un Allegro débouche sur un Andante plus intériorisé. La Sonate n°6 (Sol majeur, BWV 1019) — prévue pour violon et clavecin —, bénéficie
d’une transcription pour viole de gambe ; plus développée, elle est
structurée en 5 mouvements contrastés (vif, lent, en alternance). Les deux
éminentes interprètes s’imposent par leur parfait équilibre, leur intelligence
des partitions du Directormusices à la
Cour de Coethen, leur restitution exceptionnelle dans
l’esprit de J. S. Bach. Cette belle réalisation du Label Zig ZagTerritioires se doit de
figurer impérativement dans toute discothèque d’amateur éclairé.
Édith
Weber.
Caroline BOISSIER-BUTINI : Sonates pour piano.Caprice sur l’air d’une
ballade écossaise. Deux airs languedociens. EdoardoTorbianelli,
pianoforte. 1 CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1418. TT : 68’ 05.
Toujours à l’affût
de thèmes originaux, Olivier Buttex (VDE-GALLO) avait
relancé, en 2009,un CD portrait de
Caroline Boissier-Butini (née à Genève le 2 mai 1786 et morte dans cette même ville, le 17 mars 1836).
Elle a épousé Auguste Boissier (violoniste amateur)
qui a soutenu ses activités de pianiste et de compositeur. Les partitions ont
été découverts en 2002 à la Bibliothèque de Genève et — selon l’état actuel des
recherches —, elle est « l’une des personnalités musicales les plus
polyvalentes de sa génération en Suisse ». Excellente concertiste, elle
s’est produite à Genève et à Paris où elle se considère comme étant
« meilleure que les clavecinistes de Paris ». Elle a composé des
pièces de virtuosité destinées à plaire et à impressionner, exploité des motifs
populaires de divers pays. EdoardoTorbianelli a retenu un pianoforte Broadwood (avec mécanique anglaise à poussoirs, pédalier (lyre) et touches diatoniques en
ivoire, touches chromatiques en ébène) pour ses récitals aussi bien en Europe
qu’en Colombie. Il est professeur de fortepiano, de
musique de chambre, préconise des critères historiques d’interprétation. Il a
regroupésix œuvres : deux Sonates pour piano, bien que ce genrene soit, à l’époque, représenté en
France que par des musiciens allemands. Dans son Caprice sur l’air d’une ballade écossaise [Roy’sWife of Aldivalloch]
sur une des chansons les plus connues en Écosse, peut-être dans le sillage du
retour à la nature (cf. J.-J.
Rousseau), le Prélude : Maestoso,
de facture assez classique est suivi de variations avec des
« envolées virtuoses » qui traduiraient peut-être sa vision de
« l’Écosse balayée par des éléments déchaînés ». Ce Caprice se termine sur un Presto de caractère brillant. Sa Sonatine 1ère (composée en 1817 et 1820)
est dédiée à sa fille ; sa finalité pédagogique est indéniable. Deux airs
languedociens : Le beau TircisetPastourelletta Presto ayant inspiré ses Variations
semblent souligner ses liens avec la culture occitane, alors que, vers 1818,
elle s’est inspirée d’airs bohémiens très à la mode pour ses Caprice et variations, peu
conventionnels, destinés à un vaste public. Le pianoforte, daté de 1816 — de
facture proche de celui dont disposait Caroline Boissier-Butini — avec ses sonorités quelque peu aigrelettes,
convient parfaitement à ce répertoire à découvrir. EdoardoTorbianelli, par sa solide technique, son jeu
transparent, sa virtuosité, contribue largement à la redécouverte de cette
compositrice suisse. Musique agréable à entendre.
Édith
Weber.
Hector BERLIOZ :Symphonie
Fantastique. Transcription pour orgue, de
et par Yves Rechsteiner, orgue. 1CDVDE-GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1416. TT : 54’ 43.
La transcription —
art de l’adaptation d’une œuvre musicale, à un autre (ou plusieurs)
instrument(s) pour le(s)quel(s) elle n’était pas pensée à l’origine — est une
pratique courante. Entre autres, Ferruccio Busoni
(1866-1924) est célèbre par ses transcriptions d’œuvres d’orgue de J. S. Bach
pour des formations instrumentales. Dans le cas inverse, il peut s’agir d’une
réduction à un seul instrument : c’est le cas de la Symphonie Fantastique, Op. 14 (1830) d’Hector Berlioz (1803-1869),
réduite pour orgue par Yves Rechsteiner, et
interprétée à l’Orgue Puget de La Dalbade (Toulouse).
Rappelons que cette symphonie « à programme » comprend 5 mouvements : Rêveries. Passions ; Un bal ; Scène aux champs ; Marche au supplice et Songe d’une nuit de Sabbat.
Sous-titrée : « Épisode de la vie d’un artiste », elle baigne
dans la passion romantique. Par ses sonorités, l’orgue a l’avantage de mettre
en valeur certaines lignes mélodiques, d’attirer l’attention sur des détails
échappant à un orchestre et ainsi de faire découvrir un autre paysage sonore,
traduisant des effets parfois plus authentiques que dans l’œuvre originale.
Yves Rechsteiner — né en 1969, élève du Conservatoire
de Genève (Orgue et Clavecin) et de la Schola Cantorum de Bâle (Fortepiano et Basse continue) — a le mérite
d’avoir réalisé cette transcription. Il recrée à l’orgue le climat romantique
du premier mouvement ; l’ambiance entraînante du Bal ; le caractère pastoral (avec le ranz des vaches) dans la Scène aux champs ; le caractère
sombre, puis solennel (avec retour de l’idée fixe) dans la Marche au supplice et, enfin, dans le Songe d’une nuit de Sabbat, il traduit aussi bien des bruits
étranges que des gémissements et des éclats de rire débouchant sur une
expression grotesque qui fait entendre conjointement la Ronde du Sabbat et le thème du Dies
irae dont le caractère rude ressort très bien à la pédale. Cette
réalisation impressionnante doit être écoutée et réécoutée avec autant de
curiosité que de conviction.
Édith
Weber.
Gabriel FAURÉ. Maurice DURUFLÉ :REQUIEMS français. 1CD JADE (www.jade-music.net) : 699802-2. TT : 77’
28.
Les Éditions JADE
ont réalisé en 2013 un disque historique comprenant le Requiem de G. Fauré sous la baguette du regretté Jean Fournet et celui de M. Duruflé qu’il dirige, accompagné à
l’orgue par Marie-Madeleine Duruflé-Chevalier (1921-1991), co-titulaire
de la tribune de St-Étienne-du-Mont (Paris). Les discophiles réécouteront aussi
avec plaisir, entre autres, Pierrette Alarie (Soprano), Camille Maurane (Baryton) et les Chœurs Élisabeth Brasseur avec le
compositeur à l’orgue et l’Orchestre des Concerts Lamoureux pour le premier Requiem enregistré en 1953 ; et,
pour le second : Hélène Bouvier (Mezzo-soprano), Xavier Depraz (Basse), les Chorales Philippe Caillard et Stéphane Caillard, à l’orgue : M.-M.
Duruflé-Chevalier, sous la direction du compositeur (enregistrement :
1958). Cette confrontation de deux Requiems de compositeurs français est particulièrement
instructive. D’après G. Fauré : « On a dit que mon Requiem n’exprimait pas l’effroi de la
mort. Quelqu’un l’a appelé une « berceuse de la mort ». Mais c’est
ainsi que je sens la mort. Une délivrance heureuse plutôt qu’un passage
douloureux. » C’est bien ce que ressentiront les mélomanes, car tout est
en douceur et se vit de l’intérieur. Quant à M. Duruflé, il a repris des thèmes
grégoriens de la Messe des morts,
s’est « efforcé de concilier, dans la mesure du possible, la rythmique
grégorienne [Solesmes…] avec les exigences de la musique moderne ». Dans
son Requiem (terminé en 1947), il
exprime « l’idée de l’apaisement, de la foi et de l’espérance ».
Voici un disque historique d’une haute spiritualité.
Richard Flury, né
en 1896 à Biberist (Suisse) et mort en 1967 dans cette ville, est à la fois
compositeur et chef d’orchestre. Outre ses études musicales, il a suivi des
cours de musicologie, d’histoire de l’art et de philosophie aux Universités de
Berne, Bâle et Genève, étudié le violon au Conservatoire avec Fr. Hirt, A.
Brun, P. Miche ; la composition avec H. Huber ; le contrepoint avec
E. Kurt ; l’instrumentation avec G. Auber ; la direction avec F.
Weingartner, entre autres. Il a été professeur de violon, a dirigé divers
orchestres, et collaboré aux Radios de Zurich et Lugano où il devait
privilégier ses propres œuvres qui s’inscrivent dans la tradition
postromantique. Il est aussi l’auteur, en 1950, de ses Lebenserrinnerungen (Souvenirs de sa vie). Son Catalogue
totalise quelque 80 pages. Le présent disque comprend sa Suite pour orchestre à cordes (1959, enregistrée à Radio Lugano, en
1963), de caractère enjoué (Entrata), puis particulièrement intériorisé (Andantino) contrastant avec la Valse (plus décidée) ; le Finale (Allegro vivace), énigmatique,
fait la part belle aux cordes. L’interprétation est évidemment authentique, car
l’Orchestre de la Suisse italienne est dirigé par le compositeur lui-même. SonQuatuor à cordes n°6 en ré mineur
(1958), conçu en 4 mouvements traditionnels, est réalisé par le Nouveau Quatuor
à Cordes de Vienne qui y fait preuve d’équilibre et de cohésion. Enfin, l’autre Quatuor, n°7, en ré mineur, date de
1964, commence par un Allegro molto assez espiègle, se poursuivant avec un Andantino méditatif ; au Vivace (Allegro
molto) succède une Fugue transparente
dans laquelle les solistes : U. J. Flury et J.-P. Moeckli (violons), W. Kägi (alto) et J. Meier (violoncelle)
font preuve d’indépendance et de maîtrise. Excellent regroupement
d’enregistrements historiques paru en 2014 sous le Label GALLO toujours
soucieux de diffuser la musique suisse.
Édith Weber.
NajiHAKIM : Piano Works. Œuvres
pour piano.
Nicolas Chevereau, piano. 1CDREJOYCE CLASSIQUE (www.rejoyce.fr ) : JOYCLASSIC
15. TT : 74’ 44.
Naji Hakim, né à
Beyrouth, le 31 octobre 1955, Libanais naturalisé français, a fait ses études
au CNSMP avec R. Boutry, J.-Cl. Henry, M. Bitsch, Rolande Falcinelli,
Jacques Castérède et Serge Nigg. Titulaire de
nombreux Prix internationaux, il est à la fois organiste, compositeur et
professeur (Royal Academy de Londres, CRR de
Boulogne-Billancourt). Il a signé des œuvres symphoniques et vocales (Les Noces de l’Agneau, Hymne de l’Univers, Ouverture Libanaise, Symphonie d’Augsbourg ; Saul de
Tarse (Oratorio), Phèdre (Cantate), Magnificat, 4 Messes…) et des pages instrumentales. Ce CD se présente comme une
Anthologie d’œuvres pour piano assimilées avec maîtrise par Nicolas Chevereau — diplômé, entre autres, de la Schola Cantorum (Paris), de l’Université Paris-Sorbonne et du CNSM.
Au printemps 2013, à Paris, il a interprété, en concert, le programme de ce
disque dédié à son maître, Aldo Ciccolini. Comme il
se doit, cet enregistrement s’ouvre avec l’Ouverture
Libanaise (2001), commande de la Ville d’Ingolstadt. Selon le compositeur,
il s’agit d’une pièce rhapsodique reposant sur plusieurs thèmes folkloriques
libanais utilisant plusieurs rythmes et échelles du Moyen-Orient, citant
l’Hymne national libanais à la fin de l’œuvre. Sa Glenalmond Suite (2009) est bâtie sur le carillon éponyme et, comme N. Hakim
le rappelle : « commente des citations bibliques se référant au Bon
Pasteur ». Elle est structurée en 4 mouvements : Ruisselant (mélodie chantante du carillon), Embrassant (thème en formules obstinées avec harmonies sombres), Souriant (de caractère plus léger) et Jubilant (Rondeau-Sonate et forme
variations). Dumia—
« Poupée »— (2001) s’inspire d’une berceuse
libanaise avec accents déplacés et une échelle caractéristique de la musique
folklorique moyen-orientale. Shasta(1986), comme
un « ballet imaginaire, est structuré en cinq mouvements : Rondo, Aria, Capriccio, Recitativo et Toccata, mettant en jeu des formules
rythmiques énergiques, des effets percussifs et des formules harmoniques
caractéristiques autour d’une cellule rythmique obsessionnelle
(longue-longue-brève-longue-longue). La Toccata rappelle, dans sa coda, le refrain du rondeau initial. » Le
compositeur signale que : « Ces Esquisses
Persanes (2012) résultentd’une
commande de mon ami, le Professeur Marc Robert… comportent deux
mouvements : NiyaYesh(gnose)
et Raqs (danse) bâtis exclusivement sur l’échelle persane DO RÉb MI FA SOLbLAb SI et ses
douze transpositions. Les mélismes à deux voix de NiyaYesh figurent la révélation de la
connaissance divine à travers la connaissance de soi. Les périodes mélodiques
se développent selon un principe de variation. Raqs est un rondo-toccata
jubilatoire avec un épisode ornemental inspiré du negro-spiritual Nobodyknows the trouble I’veseen. » Ces Esquisses se terminent en tourbillons,
exigeant une grande virtuosité pianistique, tout comme la Valse (2012), variation sur une mélodie populaire de HanneKurup. Revenant à ses
attaches libanaises, l’œuvre : Aalaiki’ssalaam(2009) est une succession de variations
sur un thème libanais traduisant l’aspiration à la paix à partir d’une mélodie
mariale maronite : La paix soit avec
toi, en liaison avec les événements tragiques de 2006 au Liban. Les
variations débouchent sur une « coda brillante qui éclate de joie ». Ses
affinités avec la France sont illustrées par ses Variations sur ‘Auprès de ma blonde’, marche militaire, chanson
populaire d’après une mélodie traditionnelle du XVIe siècle sur un rythme de
marche donnant lieu à 7 variations et à une conclusion très brillante. Cette
Anthologie réalisée par un pianiste chevronné et particulièrement attentif aux
intentions du compositeur, démontre la capacité d’invention, notamment dans
l’art consommé de la variation. Toutefois, il ne s’agit pas de simples
prouesses compositionnelles ou techniques : le message passe à travers des
réminiscences folkloriques (libanaises, françaises et afroaméricaines)
et une démarche spirituelle évidente.
Édith
Weber.
Wolfgang Amadé MOZART : Arias de concert pour ténor. Rolando Villazón,
ténor. London Symphony Orchestra, dir.
Antonio Pappano. 1 CD Universal DG : 479 1054. TT.: 69'06.
On savait Rolando Villazón
désormais résolument tourné vers Mozart. Ses récentes interprétations, à la
scène et au disque, de Don Ottavio (Don Giovanni) et Ferrando (Cosi fan tutte), comme encore du rôle
titre de Lucio Silla durant la Semaine Mozart 2013 (cf. NL de 3/2013),
l'ont démontré. Il dit vouloir aborder tous les rôles de ténor des sept grands
opéras. Ce CD n'est donc peut-être pas une surprise. L'originalité vient plutôt
de son contenu. Il couvre en effet l'ensemble des airs pour ténor écrits par
Mozart soit à l'intention d'artistes particuliers, soit destinés à être insérés
dans des opéras d'autres compositeurs, comme il se pratiquait couramment à
l'époque, soit encore pour des projets d'opéras, demeurés inachevés. A la
première catégorie appartiennent une pièce de jeunesse, l'aria « Va', dal furorporlata », K 21, pour
le drammaEzio, sur
un texte de Métastase, ou encore deux airs pour l'opéra bouffe de Niccolò Piccinni, L'astratto, ovvero il giocatorfortunato, donné à Salzbourg en 1772. A la deuxième
appartient l'aria « Se al labbro », K 295,
écrit à l'intention du ténor Anton Raaff, qui allait
peu après créer le rôle titre d'Idomeneo : un morceau
plein d'éclat et nanti même d'une courte cadence. A la dernière ressortit
l'aria « Müsstichauch», K 435, de 1783, que Mozart aurait projeté d'inclure
dans une adaptation allemande de la pièce de Goldoni, « Arlequin,
serviteur de deux maîtres », laquelle ne verra jamais le jour. On y trouve
encore le récitatif et l'aria K 36, de 1766, destinés à dresser l'éloge de
l'archevêque de Salzbourg, Sigismond vonSchrattenbach. Tous ces morceaux sont de coupe bipartite,
la seconde partie étant généralement plus animée, en contraste ou en miroir.
Tout cela est fort intéressant du point de vue musicologique et éclaire un facette peu connue de Mozart. Qu'en est-il de
l'interprétation ? La manière du ténor mexicain laisse pour le moins dubitatif.
La sincérité n'est pas en cause, comme la santé vocale. Les vocalises sont,
certes, irréprochables mais la ligne de chant n'est pas toujours idiomatique
dans sa vraie-fausse simplicité. La voix claironnante, boustée dans les aigus, détone presque en pareil territoire. Et on est surpris par des
intonations curieuses, plus proches de l'opéra italien du XIXe que de la ligne
rigoureuse et immaculée qu'appelle Mozart. Du moins, les talents de comédien de
l'artiste ne sont-ils pas en reste, qu'il s'agisse du domaine bouffe ou des
accents plus dramatiques. L'accompagnement prodigué par Antonio Pappano et le LSO n'est pas en cause, car on ne peut plus
racé. Malgré l'intérêt musical, ce CD s'adresse d'abord aux inconditionnels du
ténor.
Jean-Pierre
Robert.
Wolfgang Amadé MOZART : Symphonies KV 550 & KV 543. Wiener Philharmoniker, dir SándorVégh. 1 CD
Belvedere-edition (belvedere-edition.com) : 10147. :
TT.:61'.
La Fondation du Mozarteum lançait, à l'occasion de la Semaine Mozart 2014,
une collection de CD, ouvrant ainsi ses archives ; autant de témoignages
précieux des heures prestigieuses des éditions passées de cette manifestation,
créée en 1956. Les présentes exécutions des 39 ème et
40 ème symphonies sont issues d'un concert donné le
31 janvier 1992, une des trop rares occasions ayant vu SándorVégh diriger les Wiener Philharmoniker.
Le musicien hongrois, violoniste, ne vint que sur le tard à la direction
d'orchestre. Mozart devait rester son compositeur de prédilection, notamment
lorsqu'il dirigeait la Camerata Salzburg, de 1974 à
1997. L'exécution de la Quarantième, donnée ici sans les clarinettes, est
spacieuse, dès le premier mouvement dont le tempo est confortable, affirmant de
façon bien distincte le contrepoint des cordes graves en accompagnement du
thème. Il progressera sans hâte, mû par une intense vie intérieure qui adoucit
ce que le rythme peut avoir d'implacable. L'impression se confirme à l'andante,
avec un deuxième sujet plus sombre. Le menuetto est
large lui aussi, et dramatique, le trio offrant un répit plus pastoral. Mais le
finale, bien articulé, ne manque pas de punch, n'était l'angoisse sous-jacente
qui débouche sur une lutte. Une vision empreinte de classicisme, intensément
musicale, avec une formation qu'on sent ne pas être trop nombreuse. La 39 ème symphonie se voit dotée d'une respiration allante.
Passé ses premières mesures adagio, solennelles, dans un climat qui fait penser
à la scène finale de Don Giovanni, l'allegro progresse de manière
volontariste. L'andante, prodigue de thèmes, offre une souveraine richesse qui
naît de leur alternance. Après un menuet gentiment bucolique, le finale
développe une franche énergie opposant gaité et sérieux, avec des bois très
présents. Voilà des interprétations frappées au coin de la grandeur et
magnifiquement illustrées par les Viennois.
Cette intéressante série
propose encore la même Symphonie K 543, mais dans l'exécution de Bernhard Paumgartner, père fondateur de la Mozartwoche,
saisie avec sa répétition, en 1966 (CD 10146) ; un florilège de Sonates pour
piano (K 283, 330, 333 et 457), le Rondo K 511 et la Fantaisie K 475, captées
en 1956 et 1967 par l'admirable WillhelmBackhaus (CD 10148) ; et enfin une rareté, le violon de
Mozart, dit « Costa-Violine », de 1764, joué par Esther Hoppe, accompagnée par Florian Bisark,
jouant un Hammerklavier, dit « Graf-Flügel » de 1839 (œuvres de Mozart, dont les Sonates K
454 et 526, et de Schubert, avec les Sonates D 384 et D 385 (enregistrements de
2013 ; CD 10145).
Jean-Pierre
Robert.
Franz SCHUBERT : Wanderer-Fantaisie D 760. ZwölfLändler D 790.DreiKlavierstückeop. posth.D 946. Allegretto D 915. Ländler D 366. KupelwieserWalzer(arrangement de Richard
Strauss). Au demWasserzu singer, Der Müller und der Bach, Litanei (transcriptions de Franz
Liszt). Bertrand Chamayou, piano. 1 CD Erato : 0825646335831.
TT.: 70'24.
Le programme de ce disque, dit
Bertrand Chamayou « est une sorte de récital
imaginaire, né d'une vision, purement fantasmée, de ce pouvait être une Schubertiade ». Il s'ordonne, plus ou moins
chronologiquement, autour des deux pôles que sont laWanderer-Fantaisie D 760 et les Trois Klavierstücke D 946, que le
pianiste entoure de pièces plus courtes pour créer des oppositions ou des
effets de complémentarité. A commencer par ces transcriptions, effectuées par
Liszt, de trois Lieder réputés pour leur mélodie, inspirée par le thème de
l'écoulement aquatique (« AufdemWasser su singen »
et « Der Müller und der Bach »), ou marquée
par l'inspiration religieuse (« Litanei »).
Si la patte du maître de Weimar est indéniable, l'esprit schubertien est
préservé. La vaste Wanderer-Fantaisie,
de 1822, est « la partition la plus brillante, la plus tellurique, et tout
simplement la plus noire de notes de son auteur » selon Chamayou. Proche d'une sonate, de par ses quatre
mouvements, mais combien différente cependant dans son enchaînement
ininterrompu et sa composition dont le disparate des diverses tonalités n'est
pas la moindre originalité. Chamayou la porte à une
sorte d'incandescence dans ses mouvements extrêmes, emplis d'un mâle vitalité,
se déjouant de sa complexité presque orchestrale, et d'une belle élévation de
pensée à l'adagio. LesDreiKlavierstückeD 946, de 1828, mais édités
quarante ans plus tard, grâce aux bons soins de Brahms, sont proches des
Impromptus, dont ils enrichissent singulièrement la forme. De type allegro, ce
sont des morceaux denses : sourde énergie en une sorte de course-poursuite,
entrecoupée d'une phase plus méditative, pour le premier ; allegretto serein,
et charmeur sous les doigts de l'interprète, traversé soudain d'une inquiétante
séquence, pour le suivant ; enfin allegro plus insouciant, tricotant divers
climats, du troisième. Au milieu de ces morceaux, les 12 Danses allemandes D
790 sont autant de moments de paix, le seul ensemble compréhensif de danses de
Schubert, conçu en un déroulement logique, alternant séquences vives et
rêveuses. La Schubertiade chimérique se conclut,
curieusement, par une courte valse, KupelwieserWaltzer,
arrangée par Richard Strauss en 1943, toute empreinte de nostalgie. Chamayou porte un regard neuf et sans a priori sur ces
pièces et offre une liberté de ton dans les changements d'atmosphère. Refus du
classicisme pur et dur aussi, au profit d'un pianisme délié, éminemment séduisant, qui n'hésite pas à accentuer le contraste entre
forte et panissimo, et d'une élégance sans
préciosité.
Jean-Pierre
Robert.
Anton DVOŘÁK : Quintette
avec piano N° 2, op. 81. Joseph SUK : Quintette avec piano op. 8.
Ensemble Syntonia (Stéphanie Moraly,
Thibault Noally, violons, Anne-aurore Anstett, alto, Patrick Langot,
violoncelle, Romain David, piano). 1CD Syntonia : 001
(distribution Abeille Musique). TT.: 72'13.
Voici un fort judicieux
couplage, parfaitement logique, permettant d'entendre deux pièces quasi
contemporaines du maître Dvořák et de l'élève
Suk. Dvořák écrivit son deuxième Quintette pour
piano et cordes en 1887, qui affirme un lyrisme
indéfectible, avec ses thèmes limpides immédiatement reconnaissables du terroir
tchèque, et son jaillissement mélodique. Le deuxième mouvement, sorte d'andante
fluide, est intitulé « Dumka », savoir une
danse ukrainienne offrant une alternance de séquences méditatives et emportées,
à partir de la mélodie égrainée par le piano, et reprise par l'alto. Une douce
nostalgie y domine. Le scherzo est un « furiant »
tchèque, joué ici avec esprit, pris très incisif et follement entraînant. Un
allegro souriant, bâti sur un rythme de polka, cette fois, conclut en apothéose
cette apologie du bonheur en musique. Le flair pour le juste tempo, la
complicité des protagonistes de l'ensemble Syntonia (du grec ancien « suntonos » : résonner en
accord) sont une enchantement. Et il faut louer le pianisme de Romain David, d'une suprême finesse dans le
trait. Mais la découverte reste le Quintette avec piano op. 8 de Joseph Suk
(1874-1935), disciple de l'auteur de la « Pathétique ». Dédiée à
Brahms, cette pièce, de 1893, offre un langage tonal, mais déjà tourné vers la
modernité. L'allegro energico, qui l'ouvre, se plait
à folâtrer dans des contrées poétiques et à marier rythmes folkloriques asservis
au couple tension-relâchement. L'adagio religioso est
empreint d'un lyrisme chaud, d'une inspiration sensible et recueillie, aux
sonorités pleines dans la ligne de basse. Le scherzo est léger et enjoué,
entraîné par le piano, haletant presque, un 2ème thème, introduit par des
pizzicatos des cordes, offrant un contraste intéressant. Le finale, con fuoco, renoue avec la fougue du premier mouvement, dans le
ton bohémien, cette fois. La comparaison avec la pièce de Dvořák ne saurait être plus édifiante des voies suivies par le compositeur le plus
jeune, qui s'affranchit des contraintes auxquelles le premier restera toujours
attaché. L'interprétation de Syntonia est enthousiasmante
de goûtet d'entrain.
Jean-Pierre
Robert.
Piotr Ilyich TCHAIKOVSKI : Concertos pour piano et orchestre N° 1, op. 23 &N° 2, op. 44.Denis Matsuev,
piano. Orchestra of the Mariinsky Theatre, dir. Valery Gergiev.1CD Mariinsky : MAR0548. TT.: 78'32.
L'intérêt de ce CD réside plus
dans le Deuxième concerto que dans le Premier. Complété en 1880, et dédié à
Nikolaï Rubinstein, qui l'appréciera plus que le premier, le concerto op. 44
sera finalement créé par Serge Taneïv, sous la
direction d'Anton Rubinstein. Le premier mouvement, allegro brillante, qui
occupe la moitié de la durée totale de l'œuvre, déploie un univers tour à tour
simple et complexe, renfermant quelques gemmes, tel le court dialogue du
clavier avec la flûte, et surtout la vaste et imposante cadence du soliste, les
digressions martelées de celui-ci se succédant comme des vagues déferlantes.
Mais on y trouve aussi une atmosphère poétique proche d'Eugène Onéguine, ou encore une certaine solennité. L'andante
offre ceci de particulier qu'il propose un triple concerto, le piano étant
rejoint dans le rôle de soliste, et à part pratiquement égale, par le violon et
le violoncelle. Le lyrisme se fait débordant dans un mouvement de valse lente,
et sur le ton de l'improvisation. Le finale, con fuoco,
se déroule comme un poème chorégraphié. Il est installé par le piano, qui a
retrouvé son rôle prééminent. L'impulsion dynamique restera forte, et cela
pétille comme un feu d'artifice, avec ce sens de l'urgence qui caractérise les
mouvements rapides chez Tchaikovski. Denis Matsuev en livre une lecture grandiose et éminemment virtuose,
aidée par la fougue que Gergiev insuffle à ses
musiciens du Théâtre Mariinsky. Son interprétation du
Premier concerto n'est pas moins engagée, et déborde de puissance. Le maestoso
introductif est massif, on ne peut plus imposant, ce que l'on retrouve lors de
la récapitulation du mouvement. Entre temps, on aura pu apprécier la vélocité
phénoménale du pianiste russe et sa patte de velours pour des pianissimos
immatériels. Comme une agilité quasi infaillible et un sens de la rythmique
implacable, presque mécanique dans la trille.
L'impression perdure dans l'« andante simplice »,
que Gergiev déroule avec une absolue sincérité,
follement dansant, et au finale con fuoco, pris à un
train d'enfer, comme se jouant des sauts d'humeurs, avec les cavalcades effrénées
du soliste. Voilà de la manière virtuose à revendre. Mais, à tout prendre, et
si l'on fait choix d'un pianiste russe de la jeune génération, on préfère la
vision plus raffinée de DaniilTrifonov,
parue sous le même label.
Jean-Pierre Robert.
« Road
66 ». Pièces pour piano de John ADAMS, Keith JARRETT, Percy
GRANGER, Samuel BARBER, Amy BEACH, Bill EVANS, Philipp GLASS, Leonard BERNSTEN,
John CAGE, George GERSHWIN, Hyung-Ki JOO, Alberto
GINASTERA, Aaron COPLAND, Cole PORTER. Shani Diluka, piano. Avec Natalie Dessay,
soprano. 1CD Mirare : MIR 239. TT.: 69'59.
Une des vedettes de la Folle
journée 2014, Shani Diluka a concocté un programme
pianistique passionnant, en hommage à « une Amérique entre fantasmes et
réalités ». Le cheminement, qui fait fi de la pure chronologie, est à
l'image d'une longue route, la fameuse Road 66, qui traversait les USA, de
Chicago à Los Angeles, sur quelques 4000 km, entre les années 1926 et 1985. Le
panorama musical est intelligemment construit, où l'on passe allégrement des
minimalistes (Cage, Glass, Adams) aux pères fondateurs (Gershwin, Porter,
Copland, Bernstein), aux modernes proches du Jazz (Keith Jarrett,
Bill Evans), pour aborder les plus contemporains : Amy Beach, Hyung-KinkJoo.
On savoure les inspirations les plus diverses, à l'image de cette Amérique si
variée, et cette impression d'espaces infinis qui l'a longtemps caractérisée.
C'est l'avant garde répétitive d'un John Cage (« In a landscape »)
ou d'un Philipp Glass (« Études 9 »), dont
la petite musique monotone, mais fort agréable, ne semble pas devoir
s'achever), ou encore de John Adams (« China Gates »), où Shani Diluka voit des « méditations hypnotiques ». La
mélancolie de « I love Porgy » de Gershwin
est aussi attachante que la sinuosité des pièces de Bernstein, ou le
balancement du « Pas de deux » de Samuel Barber. Ce sont aussi les
tunes jazzy, proches de l'improvisation, voire du blues, imaginés par Copland
(«PianoBlues N°1 »). Une mention
particulière à « Chandelier », composé par Hyung-KiJoo au lendemain du 11
septembre 2001, courte pièce commémorative dont la seconde partie semble comme
portée par l'espoir. Toutes ces musiques offrent un attrait indéniable avec
leur doigt de mélancolie. L'interprétation de Shani Diluka,
qui joue un Bechstein, est claire et spontanée. Une
excellente introduction à la musique américaine.
Jean-Pierre
Robert.
« French RomanticCantatas».Cantates
françaises de Luigi CHERUBINI, Xavier BOISSELOT, Louis Ferdinand HEROLD.
Charles Simon CATEL : Ouverture de Sémiramis. Karine Deshayes,
mezzo-soprano. Opera Fuoco, dir. David
Stern. 1CD Zig-ZagTerritoires : ZZT337. TT : 77’15.
Un très beau disque
qui surprend, dès les premières notes, par son étonnante présence. Un
enregistrement, produit par la Fondation Bru-Zane et édité par le label Zig-Zag Territoires, qui est une invitation à la découverte
: celle de cantates romantiques
françaises de Cherubini, Hérold et Boisselot,
superbement interprétées par la mezzo-soprano Karine Deshayes,
avec la complicité attentive d’Opera Fuoco et de son
chef, David Stern. Composées entre 1789 et 1836, ces œuvres témoignent d’un
genre, la cantate française, fort présente à la période baroque et réhabilitée
au XIXème siècle comme une sorte d’alternative à la scena italienne, généralement perçue en France comme trop exubérante. Remaniée via la
cantate du Prix de Rome, la cantate française laisse une large place aux
récitatifs qui explicitent et introduisent les airs. L’exubérance vocale y est
exclue au profit de la prosodie. Le plus souvent destinéesà une voix seule et l'orchestre, elles
développent une situation donnée extraite d’un cadre dramatique plus large
mythologique, religieux ou profane. La cantate Circé, l'air de Néris (Ah nos peines
seront connues »), tiré de l’opéra Médée de Luigi Cherubini (1760-1842), Ariane de Louis Ferdinand Hérold (1791-1833), Velléda de Xavier Boisselot (1811-1893), qui valut à son
auteur le Prix de Rome, dernière cantate de l’histoire du concours a ne faire
appel qu’à une voix, saluée par Berlioz comme un ouvrage remarquable dans la Revue et Gazette musicale du 16 octobre
1836, constituent le programme très original de ce CD, auquel est ajoutée
l’Ouverture de Séminarisde Charles Simon Catel.
On aura compris l’importance de la voix qui doit être claire, bien disante, puissante et dramatique, gageure parfaitement
réussie par Karine Deshayes qui brille sans conteste
possible dans l’écrin très coloré et taillé sur mesures que lui tissent David
Stern et son Opera Fuoco, spécialistes du genre. Un
disque qui sort des sentiers battus. À ne pas manquer !
Patrice Imbaud.
« Bolero». Maurice RAVEL,
Gabriel PIERNÉ, Thierry ESCAICH, Jean FRANÇAIX : Pièces pour quatuor de
saxophones. Ellipsos Quartet. 1CD GENUIN : GEN 14543. TT : 75’58.
Un disque original du jeune Quatuor
Ellipsos, quatuor de saxophone français, qui défend avec talent et hardiesse un
répertoire constitué d’œuvres spécifiquement écrites pour cet instrumentarium, mais égalementd'arrangements d’œuvres du répertoire
classique ou contemporain. Un enregistrement centré sur la danse et la musique
française associant Maurice Ravel (Pavane
pour une infante défunte, Le Tombeau de Couperin et le Boléro) Gabriel Pierné (Introduction
et Variations sur une ronde populaire), Thierry Escaich (le Bal et Tango Virtuoso)
et Jean Françaix (Petit Quatuor pour
Saxophones). Un programme éclectique qui permet d’apprécier
l’exceptionnelle virtuosité de Paul-Fathi Lacombe (Saxophone soprano), Julien
Bréchet (Saxophone alto), Sylvain Jarry (Saxophone ténor) et Nicolas Herrouët (Saxophone baryton) ainsi que la surprenante
palette de timbres qui caractérise cette formation que l’on a rarement
l’occasion d’écouter au disque ou sur scène. Un pari audacieux totalement
réussi pour les compositions de Gabriel Pierné, Jean Françaix et Thierry Escaich, spécifiquement destinées au quatuor de saxophones.
Un résultat peut-être un peu moins convaincant en ce qui concerne les œuvres de
Maurice Ravel, dont cette formation réduite peine à rendre toute la richesse et
la luxuriance de l’orchestration ; encore que le résultat, ici, soit tout à
fait surprenant. Un beau disque, comme un hommage rendu au fameux Quatuor de
Saxophones de Paris du début du XXe siècle, superbe, étonnant, détonnant, et à
découvrir absolument !
Patrice Imbaud.
Albert ROUSSEL :Piano Music. 1. Sonatine, The Sandman, Trois Pièces. Jean-Pierre Armengaud,
piano. 1CD Naxos : 8.573093. TT : 64’15.
Voici, avec ce disque, une magnifique
occasion de se familiariser avec la musique pour piano solo d’Albert Roussel.
Un enregistrement qui constitue le premier volet d’une intégrale en 3 disques
que le pianiste français a décidé de consacrer à ce corpus peu connu du
compositeur, dont on connait plus les œuvres symphoniques, dont le Festin de l’araignée, au demeurant
publiées également par le même label. Un disque particulièrement intéressant
qui donne à entendre une musique s’inscrivant entre tradition et modernité, et
une intégrale qui, permettra d’apprécier toute l’évolution compositionnelle
d’Albert Roussel, d’un romantisme teinté de wagnérisme et d’impressionnisme, à
un néo modernisme, peut-être plus soucieux de la forme. Des compositions
variées comme La Sonatine, Op. 16 (1912), Le Marchand de sable qui passe,
inédit dans cette version pour piano solo, datant de 1908, musique de scène,
empreinte d’espérance et de nostalgie, composée pour un conte symboliste de
Georges Jean Aubry, Trois Pièces, Op. 49 (1933), plus tardives, aux accents jazzy, Prélude
et Fugue, Op. 46 (1934 et 1932), dernière œuvre de Roussel dédiée au piano, Doute (1919), Petit Canon Perpétuel (1912), l’Accueil
des Muses (1920), Segovia (1925)
et Conte à la poupée (1904). Une
interprétation qui ne souffre aucune critique, témoignant de la grande affinité
de Jean-Pierre Armengaud pour la musique française ;
ce qu'on avait apprécié dans ses enregistrements précédents de Debussy, Satie,
Poulenc entre autres…Un disque à ne pas manquer. Suite de l’intégraleRoussel, courant 2014 !
Patrice Imbaud.
Alban
BERG : Lyrische Suite (Suite lyrique).
Arnold SCHOENBERG : VerklärteNacht. (La Nuit transfigurée). Ensemble Resonanzdir. Jean-Guihen Queyras. 1CD
Harmonia mundi : HMC 902150. TT : 58’21.
Un disque qui présente et associe avec
beaucoup d’à propos deux œuvres majeures, fondatrices de la musique du XXe
siècle, deux compositions séparées par le traumatisme de la première guerre
mondiale, La Nuit transfigurée (1899)
et la Suite Lyrique (1925), émanant
de compositeurs appartenant à la Seconde école de Vienne, le maître, Arnold
Schoenberg (1874-1951), et l'élève, Alban Berg (1885-1950). Des œuvres
toutefois bien différentes, sous-tendues toutes deux par des amours adultères,
mais relevant de deux processus compositionnels divergents : tonal pour La Nuit transfigurée de Schoenberg, atonal
et dodécaphonique dans le cas de la Suite
Lyrique de Berg. Concernant la Suite
Lyrique, on sait, depuis les études de Constantin Floros,
qu’il convient de l’écouter à la lumière de la correspondance échangée pendant
près de 10 ans par Alban Berg et Hanna Fuchs, un ensemble de 14 lettres
secrètes, témoins d’un amour malheureux et platonique, qui en livrent le sens
caché… Sachant que la connaissance enrichit l’écoute, on ne saurait trop
recommander la lecture de l’ouvrage récent de Constantin Floros,
publié chez Actes Sud, « Alban Berg
et Hanna Fuchs, suite lyrique pour deux amants » (Cf. supra : Le coin
bibliographique). L'œuvre, conçue pour quatuor à cordes (1927), a été arrangée
pour orchestre à cordes par Berg, en 1929, pour ce qui est des mouvements 2, 3
et 4 ; les trois autres l'ont été par Théo Verbey, en
2006. C'est cette version d'orchestre complétée qui est donnée ici, créée par
Jean-Ghihen Queyras en 2010. On trouve la même
altérité créatrice, dont on peut discuter des rapports avec la biographie et la
proximité avec la littérature (Richard Dehmel pour Schoenberg, comme Charles
Baudelaire s'agissant de Berg) dans La
Nuittransfigurée, œuvre secrètement
offerte par Arnold Schoenberg à Mathilde von Zemlinsky, que le compositeur épousera plus tard. Écrite initialement (1899)
pour septuor à cordes, Schoenberg en orchestra 2 versions pour orchestre à
cordes, en 1917 et 1943. Inspirée d’un poème de Richard Dehmel, c’est une
musique pure au lyrisme débordant qui conte l’histoire d’une promenade nocturne
où la femme avoue à son mari que l’enfant qu’elle porte n’est pas de lui…
L’interprétation véritablement envoûtante, donnée ici, de ces deux œuvres par
l’ensemble Resonanz et Jean Guihen Queyras est tout à fait remarquable. Un régal, à consommer sans modération,
mais aussi les prémisses d’une réflexion sur la création artistique…Un disque
coup de cœur.
Riz Ortolani, 87 ans, est
décédé jeudi 23 janvier 2014 à Rome des suites d'une maladie. Ce célèbre
compositeur italien s’est fait connaître mondialement en 1962 avec Nino
Oliviero pour la musique d’un pseudo documentaire, trash avant la lettre,
« Mondo Cane » de Paolo Cavara, GualtieroJacopetti et
Franco Prosperi. La chanson du film « Ti guardeo’nelcuore » (More en
anglais) a fait le tour du monde, s’est vendue à des milliers d’exemplaires et
a été chantée dans toutes les langues par des artistes aussi célèbres que
Marvin Gaye, Shirley Bassey ou Frank Sinatra. Elle
fut nommée aux Oscar en 1963 et reçut un Golden Globe. Ortolani a aussi écrit d’autres musiques célèbres comme « O Cangaceiro »
ou celle du fameux et effrayant « CannibalHolocaust » de Deodato.
Parmi ses centaines de BO on peut citer « Le Fanfaron » de Dino Risi,
des westerns pour Tonino Valerii, des thrillers de
Lucio Fulci, des drames pour Tinto Brass ou PupiAvati.
Quentin Tarantino a repris certains de ses thèmes
dans « Kill Bill » et « Django Unchained ». Nicolas WindingRefn a utilisé une de ses musiques pour son film
« Drive ». Riz Ortolani a reçu quatre David
di Donatello (l'équivalent des César français). Certaines de ses BO se trouvent
en CD.
Jean-Michel Bernard obtient ses premiers prix de
musique classique au Conservatoire de Paris à 14 ans et interprète
parallèlement du jazz. Sa carrière de compositeur commence à 16 ans avec le
dessin animé, puis il travaille avec Claude Villers à France Inter pendant 10
ans. Il collabore, entre autres, avec des réalisateurs tels que Claude Chabrol
(« Jours Tranquilles à Clichy », « Madame Bovary »), Roland Joffé (« Vatel »), François Dupeyron (« La Chambre des Officiers »). Sa
collaboration avec le cinéma prend de l’ampleur avec le réalisateur Michel Gondry. En 2007, il est nommé pour « La Science des
Rêves » au World SoundtrackAwards et remporte le prix France Musique / UCMF au Festival de Cannes. Les
compositions s’enchaînent avec des réalisateurs comme Éric Besnard, Éric Lavaine, Anne Giafferi, Martin
Scorsese, Fanny Ardant… Fin mars 2014il
sera l'invité du Festival international de la musique de film d'Aubagne où il
animera une Master Classe. « Love Punch » de Joël Hopkins, avec
Pierce Brosnan et Emma Thompson, et une musique de
Jean-Michel Bernard, sort prochainement sur les écrans français.
Quelle est
l’importance du jazz dans votre vie ?
C’est primordial. J’ai découvert le jazz pratiquement à
la naissance. A deux ans je pianotais, je transcrivais ce que j’entendais avec
mes petites mains. Comme mon père était pianiste amateur et jouait du jazz, et
que mon frère jouait également du piano et du jazz, c’est une musique qui m’a
attiré l’oreille. J’ai commencé tout de suite par les basiques, les racines du
jazz, Fats Waller, Errol Garner, James P. Johnson, Willie Smith… J’étais
interpelé par son rythme, sa richesse harmonique. C’est une musique qui a
toujours vécu avec moi, même au conservatoire. J’ai eu des profs qui
acceptaient que la veille de venir aux cours je fasse le bœuf dans un club de
jazz. Heureusement que j’ai eu des profs comme çà. Même si j’ai fait des études
classiques le jazz est ma priorité.
Est-ce qu’il vous
sert dans vos compositions ?
Non,
à par dans les comédies où on retrouve une connotation un peu jazzy ; mais la
plupart du temps il faut que je me fasse violence pour ne pas faire quelquefois
des accords compliqués.
Pourtant,
il y a une coloration jazzy dans votre collaboration pour « The Love
Punch », le film de Joel Hopkins ?
Oui,
Jazz funky dirait-on, qui s’approche plus du score de « Cash » par
exemple. C’est une musique plus à l’ancienne, dans l’esprit de Mancini, en plus
funky, avec un mélange d’orchestre plus traditionnel.
Comment avez-vous
pu approcher ces réalisateurs étrangers ?
J’ai
un agent à Los Angeles, et pour Hopkins je l’avais rencontré pour son film
précédent qui ne s’est pas fait, et là on s’est retrouvé. Le réalisateur a
voulu une musique qui soit basée sur l’orgue Hammond, et que cet instrument
soit très présent. Il ne pensait pas que j’étais la bonne personne car il avait
vu « La Science des Rêves » dont la musique n’avait rien à voir avec
celle qu’il désirait. Je lui ai dit que j’avais accompagné Ray Charles et que
j’étais à même de lui proposer quelques musiques qui se tiennent. Alors on a
travaillé ensemble.
Quelle fut votre
collaboration avec Ray Charles ?
Je
l’ai accompagné au festival de San Rémo, j’ai dirigé
l’orchestre de la RAI. J’ai fait des orchestrations, puis ensuite j’ai joué
avec lui en petite formation et j’ai fait son dernier enregistrement en direct,
en Australie, au festival de Melbourne en 2003, lequel n’est toujours pas
sorti. Ray était en très grande forme, c’est un album magnifique.
Comment avez-vous
pu travailler avec Scorsese ?
Toujours
par les États-Unis, par mon agent et par un music supervisor avec qui j’avais travaillé par le passé. Sur « Hugo Cabret »
je ne suis que musicien complémentaire, c’est Howard Shore qui a fait le score.
J’ai fait toutes les musiques additionnelles. Comme il y avait une grande
partie française, toute une musique devait être dans un esprit français.Mais même une petite participation dans un
film comme celui-ci vaut plus qu’un film complet ailleurs. Scorsese avait des
demandes extrêmement précises. Notamment, il fallait réenregistrer une chanson
très connue « Si tu veux Marguerite », et on l’a enregistrée dans les
conditions de l’époque. Il m’avait demandé de regarder un vieux film où l’on
chantait pour que je retrouve la même couleur.
Parlez-moi de votre
collaboration avec Fanny Ardant ?
Je
l’ai rencontrée parce que nous étions tous les deux dans la même agence chez
VMA. Elle cherchait un compositeur pour son court-métrage « Chimères
Absentes ». On s’est très bien entendu, puis naturellement elle m’a appelé
pour son long-métrage qui vient de sortir : « Cadences Obstinées ».
Elle a une grande culture classique et comme la plupart des réalisateurs, elle
avait certaines idées… Au départ elle voulait plus du sound design, des bruits de chantiers, puisqu’une grande partie du film se passe sur
un chantier. Finalement, je lui ai proposée quelque chose qui est extrêmement
éloigné : une aria non chantée. Cela peut paraître paradoxal pour une
aria. Il y a des orchestrations qui évoluent au cours du film, des musiques
avec des pianos préparés, des cymbalums mélangés et du doudouk.
Il y a une vraie partition écrite pour cet instrument, comme si c’était une
flûte traversière. On a utilisé plusieurs doudouks car chacun a une tonalité particulière. Cet instrument ne peut pas faire toutes
les notes, donc il y a eu un gros travail pour pouvoir jouer la partition. On
n’a pas utilisé le doudouk comme un instrument
ethnique.
Faites-vous tous
vos arrangements ?
Oui,
totalement, je joue les claviers, je dirige, je fais tout à la main, à
l’ancienne comme on dit. Je pense qu’il y a une grande partie créative dans
l’orchestration au même titre que la création mélodique. De toute façon, comme
mon ami Bruno Coulais, ou Philippe Rombi, nous avons
tous la même vision : l’orchestration est aussi importante quela mélodie. Dans l’absolu ce serait bien que
chaque compositeur soit capable de le faire, mais ce n’est pas le cas. Bon,
chacun fait ce qu’il peut. Vous avez des gens comme Francis Lai qui est un
mélodiste incroyable et qui travaille avec un orchestrateur tel que Christian
Gaubert, mais qui ne cherche pas à être un autre et qui n’essaye pas de faire
croire qu’il fait les arrangements.
Vous avez travaillé
aussi avec Anne Giafferi ?
Oui,
j’aime beaucoup son univers. J’ai fait son premier film « Qui a Envie
d’être Aimé ». Son dernier film, « Des Frères et des Sœurs », a
obtenu le premier prix au festival de La Rochelle. C’est un téléfilm qui va
bientôt être diffusé. Elle est la créatrice de « Fais pas-ci Fais pas ça ».
Est-ce qu’il y a un
style Bernard ?
Il
paraît ! Ce qui me représenterait le mieux à ce jour, et ce qui a décidé
ma direction définitive pour l’image, c’est « La Science Des Rêves »
évidemment. « Cadences Obstinées » est plus dans ma veine que
« Cash » qui est un peu du savoir faire. Quand vous avez des metteurs
en scène créatifs vous pouvez vous permettre d’aller plus loin. Michel Gondry est parfait pour ça.
Avec Gondry c’estétonnant je suppose ?
Oui,
c’est le mot juste. Gondry est quelqu’un qui n’a pas
de barrière artistique, au contraire. Il a cette phrase : apprendre à
désapprendre ! Il vous demande quelque chose, vous pensez que ce n’est pas
faisable, il va vous demander pourquoi, il va vous mettre un doute, vous allez
y réfléchir, puis vous vous dite : peut-être que cela va être possible, et
finalement vous le faites. Il peut très bien vous demander de jouer votre
mélodie à l’envers par exemple.
Comment travaille–t-on avec lui. Vous écrivez en amont ?
Tout
dépend. Sur « La Science des Rêves » tous les thèmes étaient écrits
avant le début du film, Pour « Soyez Sympas Rembobinez » c’était
après, à part le thème principal. A chaque film on remet le compteur à zéro.
Dans « Soyez Sympas Rembobinez » il y avait trois scores en un. Il y
avait toute la partie pianistique avec des standards que j’ai enregistrés, il y
avait une partie plus rythm and blues enregistrée en
petite formation à New York et puis il y avait le score traditionnel avec
orchestre pour accompagner certaines parties du film. Il y a de l’humour et de
la tendresse dans cette musique par rapport à l’histoire et par rapport aux
personnages.
Vous
allez faire une Master Classe à la fin du mois à Aubagne. En quoi cela
consiste ?
Une
Master Classe, c’est une classe pour des gens qui ont un certain niveau musical
dans la composition et qui aimeraient se diriger vers la filière audiovisuelle.
On leur explique notre expérience, comment on conçoit la musique de film. Par
exemple, à Aubagne, il y aura un travail pendant une dizaine de jour pour
mettre en musique des extraits de film. Ils seront joués en concert le dernier
jour du festival. La grande différence cette année c’est qu’on va faire la
première de l’album que j’ai conçu « Jazz for Dogs »,
qui va sortir au mois de mai. Les musiciens qui ont participé à cet album, et
qui ne sont pas des moindres, vont jouer à ce concert et aussi interpréter la
musique de ces jeunes compositeurs. Il y aura un plateau exceptionnel avec
Laurent Korcia,Bruno Coulais et d’autres.
Parlez-moi de cet
album.
« Jazz
For Dogs » est un album concept que j’avais
commencé à travailler avec ma femme Kimiko Ono, céramiste et chanteuse ;
mais chanteuse seulement dans les films que j’ai fait, « La Science Des
Rêves », où elle a écrit les paroles, « Cash », « Qui a
envie d’être aimé », «The Love Punch ». Les textes expriment
l’état d’âme des chiens par rapport à la vie de tous les jours ; ça s’approche
beaucoup des humains d’ailleurs. Au début on expliquait que c'était un disque
que vous mettez à votre chien quand vous le laissez au lieu de mettre la radio
avec des programmes généralistes. C’est un disque qui leur est adapté. C’est de
l’humour bien sûr. Vous avez un titre qui s’appelle « The Leash », la laisse, donc ça parle de ses sentiments
lorsqu’on sort le promener. Il y a aussi un texte sur les chiens noirs
euthanasiés. On a tendance à euthanasier les grands chiens noirs ! La musique
de ce morceau a été écrite par Bruno Coulais. Il y a énormément de gens qui ont
participé : Fanny Ardant a écrit « Ode to a Dog », Francis Lai,
Laurent Korcia ont aussi participé, Michel Gondry a conçu la pochette et joue de la batterie. C’est un
album de style pop anglaise, dans la mouvance des Beatles, proche de la musique
de cinéma.
Pour
revenir au jazz, vous aimeriez faire une composition de jazz pour un film ?
J’aimerais
bien, mais c’est assez rare qu’on vous le propose. Dans la mentalité générale,
dès que vous avez du jazz ça fait automatiquement musique d’ascenseur ou polar.
Tous les films des années cinquante ousoixante, en France, étaient inspirés du jazz. Le jazz fait peur parce
que les réalisateurs ont tendance à penser que c’est une musique pour musicien.
Dans
le panorama des compositeurs français de musique de film, oseriez-vous dire
celui qui, selon vous, a le plus de talent ?
Sans
hésiter c’est Bruno Coulais. Il est toujours là où on ne l’attend pas. Il n’y a
qu’à écouter ce qu’il a fait récemment pour Benoît Jacquot dans « Au fond
des Bois » et « Les Adieux à la Reine ».
Je me permets pour terminer cet entretien
de citer ce qu’avait dit de vous Ray Charles en 2003 :
"Ray Charles : « I love him because he is better than me ! I told you the same thing about
Oscar Peterson, I love true talent, this guy is a genius, in my mind…He’s
incredible, he really is incredible, I enjoy just being around him, and you
know, what I do when I have him on the show with me, I totally focus when he’s
playing, on him, you know…"
ATTILA MARCEL. Réalisateur Sylvain Chomet. Compositeurs Sylvain Chomet et Franck Monbaylet. 1CD BOriginalCristal Records / Sony Music BO-010
Paul
a la trentaine, il vit dans un appartement parisien avec ses tantes, deux
vieilles aristocrates qui l’ont élevé depuis ses deux ans et rêvent de le voir
devenir pianiste virtuose. Sa vie se résume à une routine quotidienne entre le
grand piano du salon et le cours de danse de ses tantes où il travaille en tant
qu’accompagnateur. Isolé du monde extérieur, Paul a vieilli sans jamais avoir
vécu... Jusqu’au jour où il rencontre Madame Proust, sa voisine du quatrième
étage. Cette femme excentrique possède la recette d’une tisane aux herbes
capable, grâce à la musique, de faire ressurgir les souvenirs les plus
profondément enfouis. Avec elle, Paul va découvrir son histoire et trouver la
clé pour vivre enfin sa vie...
Venu
du cinéma d’animation (« Les Triplettes de Belleville »,
« L’Illusionniste »), Sylvain Chomet nous
régale avec son premier long-métrage plein de charme et d’inventivité. Le titre
du film « Attila Marcel » est la chanson essentielle du film. On
l’avait déjà entendue dans les « Triplettes de Belleville ». C’est
une sorte de pastiche d'Édith Piaf. La musique a un rôle très important dans ce
film. « Attila Marcel » est un film en-chanté à tout point de vue, pour paraphraser Jacques Demy, mais ce n’est pas une
comédie musicale. Le piano joue un rôle primordial. C’est un instrument de
torture et explique à la fin du film un des traumatismes de Paul. C’est Franck Monbaylet qui a écrit toutes les pièces de piano. C’est un
musicien de jazz, compositeur et arrangeur complet. C’est sa première musique
de film. Chaque personnage a son propre thème. Sylvain Chomet a voulu que toutes les musiques soient à trois temps, des musiques à danser.
Les tantes de Paul sont professeurs de danse. Le ukulélé a aussi une part importante dans l’histoire. Autant le piano est encombrant et
un cauchemar, autant le petit ukulélé est l’instrument refuge du bonheur pour
Paul. Comme le dit Sylvain Chomet, « on devrait
l’enseigner aux enfants plutôt que cette p…de flûte à bec ». C’est très
émouvant d’entendre et de voir Bernadette Lafont,
dans son dernier rôle à l’écran, pousser la chansonnette avec Hélène Vincent.
Cette comédie douce-amère sur l’enfance perdue n’a pas eu le succès qu’elle
aurait dû avoir et c’est vraiment dommage. A l’écoute du disque on retrouve à
travers les musiques toutes les scènes du film qui nous ont fait rire ou nous
ont ému, mais l’écoute seule est aussi un vrai régal d’inventivité musicale. Le
concerto de Paul, qui est une drôlerie musicale dans le film, l’est aussi à la
simple écoute du CD. Il y a du Grieg dans ce concerto. Vivement que le DVD
sorte, pour permettre de voir ou revoir cette merveille de comédie qu’on ne
sait guère faire en France. Si vous avez aimé les Triplettes et la musique de
M, vous aimerez « Attila Marcel » et sa BO.
En
septembre 2014, Sylvain Chomet et Franck Monbaylet réaliseront une comédie musicale sur scène à
partir des « Triplettes de Belleville ».
CADENCES OBSTINEES. Réalisateur Fanny
Ardant. Compositeur Jean-Michel Bernard. 1CD BOriginalCristal Records / Sony Music BO O12
Une femme a abandonné sa brillante carrière
de violoncelliste pour l’amour d’un homme. Mais cet homme a un contrat à
remplir, lequel ne peut pas s’encombrer d’amour…On n’aime jamais de la même
façon et en même temps. « Cadences Obstinées » est une mosaïque
baroque autour de l’art et de la passion, où la forme très esthétisante prime
hélas sur le fond. Mais on ne peut pas dire que Fanny Ardant manque d’univers.
La musique de Jean-Michel Bernard y apporte beaucoup. Le thème du film est une
sorte d’aria qui paradoxalement n’est pas chantée. On y trouve du Purcell dans
ce morceau pseudo baroque. Bernard, par ses arrangements et l’emploi de
différents instruments, lui donne des aspects très contemporains et brouille la
ligne mélodique, les cadences, comme l’ambiance même du scénario. Bien sûr, il
y a du violoncelle, l’héroïne, AsiaArgento, étant violoncelliste. Mais il n’est jamais joué
seul. On l’entend avec du piano préparé, du cymbalum, du clavecin, du piano
électrique et du doudouk. Ce dernier instrument est
joué comme un instrument classique, mélodique et non ethnique. Cet Aria évolue
au fur et à mesure du film et de la dramaturgie. « Aria for Asia » est de toute beauté et c’est un vrai plaisir
musical que de l’écouter sur le CD. On peut en dire autant de tous les
morceaux. On y trouve aussi de la guitare désaccordée, des ambiances sonores avec doudouk, du violoncelle avec voix à consonance
flamenco. Jean-Michel Bernard a été sûrement touché par ce film et nous propose
une musique inspirée. Même si on n’a pas vu « Cadences Obstinées »
onpeut se faire son cinéma avec cet
album.
En bonus, le CD propose la musique du
court-métrage de Fanny Ardant, leur première collaboration :
« Chimères Absentes ». Il y a le thème « A vous dirais-je
maman », une mélodie populaire qu’on attribue à tort à Mozart. Il s’était
amusé à en faire des variations. Bernard sur « Chimères »
aussi !
1986,
Dallas, Texas, une histoire vraie. Ron Woodroof a 35
ans, des bottes, un Stetson. C’est un cow-boy, un vrai. Sa vie : sexe, drogue
et rodéo. Tout bascule quand, diagnostiqué
séropositif, il lui reste 30 jours à vivre. Révolté par l’impuissance du corps
médical, il a recours à des traitements alternatifs non officiels. Au fil du
temps, il rassemble d’autres malades en quête de guérison : le Dallas Buyers Club est né. Mais son succès gêne, Ron doit
s’engager dans une bataille contre les laboratoires et les autorités fédérales.
C’est son combat pour une nouvelle cause… et pour sa propre vie. Ce CD est une
compilation des chansons que l’on entend dans le film ou qui en sont inspirées
: on passe de ShuggieOtis à T Rex, en passant par le Manchester Orchestra. On trouve une version de
« Stayin’Alive » par le duo indie pop américain Capital Cites. On entend aussi le
groupe Thirty Seconds to Mars de Jared Leto, le partenaire de Matthew McConaughey,
interpréter « City of Angels ». Il n’existe
pas de BO du film, écrite par Danny Elfman. Peut-être
sera-t-elle éditée plus tard ? La pièce pour piano d’Alexandra Stréliski, pianiste et compositrice montréalaise,
« Prélude », qui se trouve à la fin du film, figure sur un autre
album de celle-ci, « Pianoscope », et ne se
trouve pas sur cette compilation. Un album souvenir du film.
EN SOLITAIRE. RéalisateurChristophe Offenstein.
CompositeursVictor Reyes, Patrice Renson. 1CD BOriginal/ Cristal
RECORDS /Sony Music BO 011
Yan Kermadec voit son rêve se réaliser quand il remplace au
pied levé son ami Franck Devil au départ du Vendée
Globe, le tour du monde à la voile en solitaire. Habité par une farouche envie
de gagner, alors qu’il est en pleine course, la découverte à son bord d’un
jeune passager va tout remettre en cause. Voilà un film qui sent bon l’écume,
la houle, le vent, avec que des bons sentiments et un Cluzet qui tient bon la barre. Sur ces images magnifiques on aurait aimé une musique
moins lisse, plus ample, qui exprime cette nature imprévisible, cette solitude
du marin face à l’immensité de la mer et ce combat que se livre Kermadec face à lui-même. On a l’impression que Christophe Offenstein a employé de la musique pour l’image, du type
musique passe-partout. A l’écoute du disque c’est encore plus frappant. Ces
thèmes simples guitare - piano, easy-listening, sont d’une grande platitude. Pourtant, Victor
Reyes, compositeur espagnol, a écrit des musiques pour « Buried », « Red light », « Grand Piano », très inventives. La mer ne l’inspire
peut-être pas ? Un film à voir et une musique à oublier.
OUT OF FURNACE (Les Brasiers de la Colère). Réalisateur
Scott Cooper. Compositeur DickonHinchliffe.
1CD Sony Classical 88843005672
À Braddock, une banlieue ouvrière américaine, la seule chose
dont on hérite de ses parents, c’est la misère. Comme son père, Russell Baze travaille à l’usine, mais son jeune frère Rodney a
préféré s’engager dans l’armée, en espérant s’en sortir mieux. Pourtant, après
quatre missions difficiles en Irak, Rodney revient brisé émotionnellement et
physiquement. Lorsqu’un sale coup envoie Russell en prison, son frère cadet
tente de survivre en pariant aux courses et en se vendant dans des combats de
boxe. Endetté jusqu’au cou, Rodney se retrouve mêlé aux activités douteuses
d’Harlan DeGroat, un caïd local sociopathe et
vicieux. Peu après la libération de Russell, Rodney disparaît. Pour tenter de
le sauver, Russell va devoir affronter DeGroat et sa
bande. Il n’a pas peur. Il sait quoi faire. Et il va le faire, par amour pour
son frère, pour sa famille, parce que c’est juste. Et tant pis si cela peut lui
coûter la vie.
Membre
fondateur du groupe Tindersticks, Scott Cooper a
participé à la composition des musiques de films de Claire Denis
(« Nénette et Boni », « Trouble Every Day »). Son premier film en solo fut « Vendredi Soir », puis il
composa la musique du film d’Ira Sachs « FortyShades Of Blue », récompensé à Sundance en 2005. Il
composa une belle partition pour le film de Niall Johnson « KeepingMum »,
une comédie teintée d’humour noir. Avec« Out of Furnace » on est dans un
drame social d’une noirceur, d’une violence absolue. On retrouve le climat de
« Deer Hunter», le film de Cimino. Braddock, la ville sinistrée avec ses hauts-fourneaux
éteints, détruits, ses maisons vides. C’est de là que partaient les aciers pour
les voies de chemin de fer qui ont fait la fortune de Carnegie. C’est là
aujourd’hui que le rêve américain s’est éteint. La musique de ce film ne peut
qu’être nostalgique, d’une tristesse infinie. Avec une grande économie de
moyens, Cooper sur de nappes de cordes fait entendre soit une guitare
électrique aux accords grinçants, soit un ukulélé. Une musique minimaliste qui
décrit bien l’état des personnages. De temps en temps quelques notes de piano.
Une musique qui vous met le moral à zéro. Si l’on connaît le groupe Tindersticks, on ne peut pas être étonné de ce qu’a composé
Scott Cooper. La violence dégagée par le scénario ne se retrouve pas dans la
musique et c’est tant mieux. Cooper nous raconte autre chose en plus. C’est
cela une bonne musique de film. Le disque, avec ces morceaux simples, est
agréable à l’écoute. Bien sûr, il rappelle le film, mais ces morceaux s’écoutent
aussi comme une bonne musique planante. Gardez le moral quand même à l’écoute
de « Out of Furnace ». C’est Scott Cooper
qui interprète tous les morceaux.
Il
faut voir le documentaire BraddockAmerica de Jean-Loïc Portron & Gabriella Kessler, qui sort sur les écrans le
12 mars. Ce film raconte l’histoire des hommes et des femmes aujourd’hui qui
résistent dans cette ville dévastée, naufragée, dont les aciéries étaient la
fierté du pays.
THE SECRET LIFE OF WALTER MITTY.Réalisateur Ben
Stiller. Compositeur Theodore Shapiro. 1 CD Sony Classical n°88843022532
Walter Mitty est un homme ordinaire, enfermé dans son
quotidien, qui n’ose s’évader qu’à travers des rêves à la fois drôles et
extravagants. Mais confronté à une difficulté dans sa vie professionnelle,
Walter doit trouver le courage de passer à l'action dans le monde réel. Il
s’embarque alors dans un périple incroyable pour vivre une aventure bien plus
riche que tout ce qu'il aurait pu imaginer jusqu’ici. Et qui devrait changer sa
vie à jamais. Coïncidence ? Ce film est sorti exactement le même jour que la
première version de 1947 produite par le père des producteurs actuels, Samuel
Goldwyn. C’était Danny Kaye qui interprétait le rôle
de Walter Mitty et Norman Z.McLeod qui le réalisait. Les deux scénarii adaptées d’une
nouvelle de James Thurber sont assez éloignés l’un de l’autre. Dans la première
version, c’était David Raskin qui était le
compositeur (« Laura », « Ambre », « Les
Ensorcelés »…). Pour ce film Ben Stiller a repris Theodore Shapiro avec
qui il avait travaillé sur « L’Enfer des Tropiques ». Shapiro s’est
fait connaître par le film « Le Diable s’Habille en Prada ».
Le film fonctionne bien car aujourd’hui on se permet tous les trucages qu'on
veut, et l’imagination débordante de Mitty peut être
visible sur l’écran. La musique est à l’image de ce film sympathique. Les
morceaux évoluent au rythme des scènes et des pays que traverse Mitty à la recherche de cette image manquante qui doit
faire la dernière « Une » de Life. Avec José Gonzàlez à la guitare et qui chante, on a de jolis thèmes mais un peu courts à l’écoute
du CD. Comme il y a urgence pour Mitty, on a souvent
cette musique « horloge » au xylophone, qui intervient dans plusieurs
morceaux. Lorsque Shapiro fait des musiques plus amples ou très rapides, on se
surprend à entendre du Zimmer. C’est la musique
normative aujourd’hui à Hollywood. Dommage que tous ces musiciens se fondent
dans ce creuset musical sans aucune personnalité. Le disque s’écoute avec
plaisir, c’est une musique sans grande originalité, pleine de bons sentiments
comme le film. On est loin de Raskin et des chansons
de Kaye, mais c’était hier… Musique agréable
peut-être, pas celle dont on aurait rêvé…
OGGY et les CAFARDS. Réalisateur Jean-Marie
Olivier. Compositeur Vincent Artaud et Hugues Le Bars. 1CD BOriginal /Cristal RECORDS BO 007
“Oggy et les
Cafards” est l'adaptation pour le cinéma de la sérietélévisée. Les personnages ont été créés par
Jean-Yves Raimbaud qui a toujours voulu faire du
dessin animé pour tout public. Il disparait en 1998. Nous retrouvons dans le
film le chat bleu à travers quatre époques différentes : laPréhistoire, le Moyen Age, l'Angleterre
victorienne à la Sherlock Holmes, et le futur à la Star Wars. Oggy retrouve Jack et Bob, et trouve même l’âme sœur.
Mais les cafards ne vont pas lui laisser le grand amour. Le film n'a pas eu le
succès espéré et c'est bien dommage, car les gags foisonnent, les scénarii sont
bien écrits. C'est un vrai plaisir, quel que soit l'âge du spectateur. Est-ce
une bonne idée de passer de la télé au grand écran en proposant quatre sketches
? Mais c'est un autre débat. Le film est construit au niveau sonore seulement
avec des bruitages et de la musique. Le résultat est assez impressionant.
Le générique du film est celui de la série télévisée. Il a été composé par
Hugues Le Bars et a un petit air à la Rota. Les compositions de Vincent Artaud
collent aux images avec une précision diabolique et ajoutent de l'humour, du
rythme, aux scènes. Vincent Artaud a une formation de musicien de jazz, il est
contrebassiste. Il apprendra la composition auprès du compositeur Laurent Couson (A l'Aveugle – Ces Amours-là). Il travaillera pour
le théâtre et grâce au batteur André Ceccarelli, il
découvrira l'univers des studios et participera à des albums de chanteurs tels
que Salvador, Bruel ou Brillant. Il a fait des arrangements pour l'ONJ et pour
Ludovic Bource sur “The Artist”. En 2011, il
collabore avec le studio Xilam Animation et compose
les musiques des séries pour la jeunesse comme “Flapacha”
et “Hubert & Takato”. L'écoute du CD nous permet
de mieux découvrir l'inventivité des compositions d'Artaud, On y trouve des
clins d'oeil à des oeuvres du répertoire classique ainsi qu'à des musiques de films (Oggy Wan !!!! Il fallait oser). Les arrangements sont subtilement amusants. Le film
est à voir pour mieux apprécier cette musique qui supporte seule les images. Un
bel exercice réussi.
CINEMA
ET MUSIQUE : ACCORDS PARFAITS. Dialogues avec des compositeurs et des
cinéastes, coordonné par N. T. Binh,
José Moure et Frédéric Sojcher.
Entretiens coll. Caméras subjectives. Édition : Les Impressions Nouvelles, 1 vol. 14,5 x 21 cm, 208 pages.
Ce livre
propose des dialogues avec les réalisateurs Jean-Paul Rappeneau,
Benoît Jacquot, AtomEgoyan,
Claire Denis et Stephen Frears, ainsi qu’avec les
compositeurs Ennio Morricone, Vladimir Cosma, Carter
Burwell, Alberto Iglesias, Jean-Claude Petit, Bruno
Coulais et MychaelDanna. A
la lecture de ces entretiens les questions que l’on se pose ne sont pas
résolues. Les cinéastes et compositeurs ont bien du mal à y répondre : la
musique et le cinéma sont des arts autonomes, alors comment et quand
peuvent-ils être en conjonction ? Quels liens les unissent ? Quand la
musique est-elle juste pour un film, et n’est-elle pas juste en tant quemusique ? On ne trouvera pas les
réponses dans ce livre intéressant. Il manque un point d’interrogation au
titre.
Le CASCA est un Fonds de Dotation créé,
en 2010, par une chef de chœur, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, elle-même à la tête de trois chœurs amateurs.
Il est géré par un Conseil d’Administration actuellement formé de quatre
membres, eux-mêmes choristes et chanteurs, auxquels d’autres chefs ou
présidents de chœurs sont conviés à se joindre. Jean-Claude Casadesus en est le
Président d’honneur. Le
CASCA souhaite apporter un soutien financier à des chœurs amateurs, en
privilégiant les chœurs de jeunes et d’enfants.
Qu’entendons-nous
par « chant choral amateur ? » : il s’agit d’une
pratique artistique de groupe exercée par des personnes qui ne sont pas
rémunérés et qui chantent donc pour leur plaisir. Les chœurs amateurs sont
tous régis par la loi de 1901, et les CA qui les dirigent toujours formés de
bénévoles.
Pourquoi
aider cette activité (qui semble autosuffisante) ? Parce que ces
chœurs sont aujourd’hui de plus en plus souvent encadrés (chef de chœur et
pianiste durant les répétitions) et accompagnés (instrumentistes et chanteurs
solistes pendant les concerts) par des professionnels compétents, eux-même rémunérés. Le chant choral amateur est devenu,
depuis quelques années, un véritable gisement d’emplois non délocalisables,
qui permet de vivre à de jeunes chefs, de jeunes instrumentistes et de jeunes
chanteurs professionnels, pour la plupart intermittents du spectacle. L'aspect
« humaniste » du chant choral amateur se double donc d’un intérêt
économique certain.
Le
CASCA est convaincu que le chant choral amateur fait partie du panorama musicalde notre pays et qu’il est un vecteur
essentiel d’intégration et de citoyenneté. Il anime le territoire, en
proposant des concerts de qualité, et à des prix abordables, à une population
qui, sans cela, n’aurait jamais accès à la culture-particulièrement en milieu rural. C’est grâce au chant choral amateur,
et à lui seul, que le public peut, en effet, entendre un vaste et riche
répertoire chœur/orchestre, que les chœurs professionnels en activité ne
mettent que peu à leur programme, pour cause d’effectifs insuffisants. Le CASCA
agit donc dans une démarche culturelle d'intérêt général.
L'action du CASCA
participera au maintien sur le long terme de ce chant choral amateur à qui la
conjoncture économique actuelle n'est pas favorable et qui concerne pourtant
des centaines de milliers de personnes dans notre pays : des réductions
drastiques de subventions publiques sont, en effet, programmées, alors que
jamais le niveau musical de ces chœurs n’a jamais été aussi élevé.
De surcroit,la pratique régulière et sérieuse du
chant choral est, pour les jeunes, la meilleure école qui soit et la meilleure
formation à la citoyenneté : elle exige en effet un engagement réel sur le long
terme, la faculté d’écouter les autres et de suivre des consignes extrêmement
précises, le tout dans une atmosphère conviviale et chaleureuse dont toute
compétition est bannie, puisque ce sont les progrès de l’ensemble des participants
qui importent.
Modalités
de fonctionnement du CASCA
Montant
de l’aide apportée par le CASCA : l’aide ponctuelle pour chaque
dossier déposé ne pourra dépasser un montant plafond qui sera fixé chaque année
par le Conseil d’Administration, en fonction des rentrées d’argent dans le
Fonds de Dotation. L’aide ne sera attribuée qu’après délibération du Conseil
d’Administration et sera conditionnée à la transparence comptable des groupes
demandeurs.
Origine des fonds : Le CASCA ne peut
pas demander de subventions publiques car il ne pourrait pas,
légalement, les redistribuer. Les financements ne pourront donc provenir
que du mécénat privé - sachant que
les dons, qu'ils proviennent d'une société ou d'une personne, seront
partiellement déductibles des impôts, le CASCA étant un Fonds de Dotation
d’intérêt général et à visées culturelles.
Les actions du
CASCA seront menées avec discernement et les fonds attribués à la suite d’un
vote, après évaluation des chorales demanderesses selon une grilleprécise et suivant les
mêmes critères que les évaluations faites pour les demandes d'agrément
(défiscalisation). Tous les Fonds de Dotation sont par ailleurs sous la tutelle
du CNCC (Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes), organisme officiel,
national et indépendant.
Le CASCA accompagnera de son mieux les chœurs de jeunes
et d’enfants, seuls capables de faire vivre sur le
long terme le chant choral amateur : en leur permettant de louer
un local, de payer une assurance, d’acheter des partitions, d’affréter un autobus
pour se rendre à telle ou telle semaine chantante,voire d’offrir une formation vocale à ses
membres. Des jeunes qui, répétons-le, ne pourront que tirer le plus grand
profit du sérieux, de l’engagement et de la rigueur que requiert la pratique du
chant choral de qualité.
Les DONS sont reçus sous forme de chèques libellés à l’ordre du CASCA et envoyés à
l’adresse suivante :
CASCA,
S/C de Michèle Lhopiteau
Le Bourg
24140 Maurens
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d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53
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Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.
Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).
Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)
Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)
Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ?
Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ?
Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui.
Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ?
Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.
En préparation
Analyses
musicales
XVIIIe siècle – Tome 1
L’imbroglio
baroque de Gérard Denizeau
BACH
Cantate
BWV 104 Actus tragicusGérard Denizeau
Toccata
ré mineurJean Maillard
Cantate
BWV 4Isabelle Rouard
Passacaille
et fugueJean-Jacques
Prévost
Passion
saint Matthieu Janine Delahaye
Phœbus et PanMarianne Massin
Concerto
4 clavecinsJean-Marie Thil
La
Grand MessePhilippe
A. Autexier
Les
MagnificatJean Sichler
Variations
GoldbergLaetitia
Trouvé
Plan
Offrande MusicaleJacques
Chailley
COUPERIN
Les
barricades mystérieusesGérard Denizeau
Apothéose
CorelliFrancine
Maillard
Apothéose
de LullyFrancine
Maillard
HAENDEL
Dixit Dominus Sabine Bérard
Water
MusicPierrette
Mari