À RESERVER SUR L'AGENDA
17 & 24/03
La XXVIII ème Semaine Sainte à Arles
L'association du Méjan organise, les dimanches 17 et 24 mars
2013, dans la belle chapelle du Méjan, trois concerts d'exception, pour fêter
la Semaine Sainte en Arles. Le 17 mars, à 11H, le Concerto Italiano et Rinaldo
Alessandrini joueront, autour du thème « Per la Virgine Maria », des
pièces de Monteverdi, Carissimi, Scarlatti mais aussi des moins connus
Alessandro Melani et Pietro Paolo Benci. Le même jour, à 17H, Rinaldo
Alessandrini donnera un récital de clavecin, « L'Europe du
clavecin », avec des pages de Frescobaldi, Buxtehude, Bach, Haendel, et
François Dagincour. Le 24 mars, à 11H, Hervé Niquet et Le Concert Spirituel
interpréteront la Messe Ad Majorem Dei Gloriam de Campra, et le Gloria et le Magnificat de Vivaldi. Des interprètes de choix dans un lieu
magique ! Ces concerts s'inscrivent dans les manifestations du label Marseille-Provence 2013, capitale
européenne de la culture.
Renseignements et location : Association du Méjan, BP
90038, 13633 Arles ; par tél.: 04 0 49 56 78 ; mejan@actes-sud.fr
Jean-Pierre Robert.
21 au 24/03
Festival de quatuors à Saint-Roch
La 5 ème édition du Festival de quatuors à
Saint-Roch aura lieu du 21 au 24 mars, dans la belle Chapelle du Calvaire.
Restaurée grâce à l'engagement, et la générosité, d'un mécène américain, cette
chapelle bâtie en 1754, est devenue un lieu incontournable pour ce genre
musical. Le présent festival permettra d'entendre, comme les années
précédentes, un florilège de jeunes formations : le Quatuor Asasello (21 mars),
le Quatuor Tercea (le 23), le Quatuor Armida ( le 22), et le Quatuor Hermes (23
et 24), ces deux deniers 1er prix ex-aequo, en 2011, du Concours de Genève. Ces
diverses formations misent sur l'éclectisme, puisque leur programmation s'étend
de Mozart à Schumman, de Bartók à Webern, et même aux compositions de Horatio
Radulescu, Lucien Durosoir ou André Boucourechliev. Des concerts à ne pas
manquer pour qui apprécie l'intimité de la musique de chambre, dans un lieu
choisi.
Église Saint-Roch, Chapelle du Calvaire, 24,
rue Saint-Roch, 75001 Paris. Concerts, les 21, 22, 23 à 20 H, et les 23 et 24 à
16 H.
Location : Fnac, ou par tel au 01 46 32 02 26; contact13@ars-mobilis.com
Jean-Pierre Robert.
21, 24, 27, 29/03
Salomé pour un nouvel auditorium à Bordeaux
Comment mieux apprécier le flambant neuf
auditorium de Bordeaux qu'en allant y savourer Salomé de Richard
Strauss. Cette salle de concert, dont se dote enfin la cité girondine, a été
inaugurée le 14 janvier dernier. Elle permet, enfin, à l'Orchestre National
Bordeaux Aquitaine de trouver sa vraie place au centre-ville, et de délaisser
l'incommode Palais des sports. Et aussi pour cette formation d'aborder, dans le
domaine du lyrique, des compositions qui lui étaient refusées jusqu'alors, en
raison de l'étroitesse de la fosse du Grand Théâtre. Ainsi en est-il du chef
d'œuvre sulfureux de Strauss. Celui-ci verra la prise de rôle de Mireille
Delunsch, artiste associée de la saison 2012-2013. Le pari est osé, mais
l'engagement dont sait faire montre la chanteuse, qui peut aller jusqu'à se
consumer, devrait autoriser un portrait hautement dramatique. La mise en scène
sera assurée par Dominique Pitoiset, et la direction d'orchestre confiée au
directeur musical et artistique Kwamé Ryan.
Auditorium de Bordeaux, Salle Dutilleux, 9-13,
Cours Georges Clemenceau, 33000 Bordeaux, les 21, 27, 29 mars à 20H, et le 24
mars à 15H.
Location : Grand Théâtre, Place de la Comédie, 33000 Bordeaux ;
par tél : 05 56 80 85 95 ; http://www.opera-bordeaux.com/
Jean-Pierre Robert.
23 & 24/03
Gustavo
Dudamel & le Los Angeles Philharmonic à Paris.
Événement que le passage à Paris, salle Pleyel, du jeune,
talentueux et très médiatique chef d’orchestre vénézuélien, Gustavo Dudamel,
dit « Duddy », à la tête du Los Angeles Philharmonic, dont il a pris
la direction en 2009, succédant au finlandais Esa-Pekka Salonen. Gustavo
Dudamel, âgé de 32 ans, est le symbole de la réussite du Sistema, programme vénézuélien d’action sociale par la musique. Nul
doute qu’il saura transmettre toute sa fougue et son enthousiasme à la mythique
phalange américaine, dans deux programmes qui sortent des sentiers battus,
exclusivement consacrés au répertoire du XXème et du XXIème siècle ! The Gospel According to the Other Mary,
le nouvel oratorio de John Adams, raconte la Passion du Christ dans une
perspective inhabituelle : à travers le regard de Lazare et de ses sœurs Marthe
et Marie de Béthanie. Le spectacle sera mis en espace par l'ami Peter Sellars.
Cette création française aura lieu le 23 mars, à 20 H. Un programme célébrant
les couleurs orchestrales, le lendemain, 24 mars, à 16 H, associera Zipangu, pièce pour treize cordes, du canadien Claude Vivier
(1948-1983), La Mer de Claude
Debussy, et L’Oiseau de Feu d'Igor
Stravinski, dans sa version complète.
Location : 252, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris ; par tél : 01 42
56 13 13 ; http://www.sallepleyel.fr/.
Patrice Imbaud.
26, 27, 30/03 & 5, 6/04
L'autre Ring : Siegfried
et l'Anneau maudit
Une ravigotante initiative que la présentation, aux côtés
du Ring de Wagner, d'une évocation modèle réduit, de l'immense
Tétralogie, à destination des plus jeunes, et des autres. Cette version inédite
miniature est centrée autour de la quête de l'anneau par Siegfried, dont est
racontée l'aventure cosmique. En trois volets : la découverte de l'anneau
magique, le voyage de Siegfried à travers le monde, le temps des complots. Ce
spectacle, conçu par Charlotte Nessi, de l'Ensemble Justiniana, est basé sur un
arrangement pour seize instruments, réalisé en collaboration avec la classe
d'arrangement du CSM de Paris. « Pas un mot, pas une note qui ne soit de
Richard Wagner », souligne Christophe Ghristi, directeur de la dramaturgie
à l'Opéra de Paris ! Le merveilleux est privilégié dans cette adaptation, qui
se veut aller au-delà du simple digest. La direction des solistes du Cercle de
l'Harmonie et de l'Ensemble Initium, est confiée à Marius Stieghorst. Il sera
entouré d'une équipe de jeunes chanteurs qui n'en sont pas à leur première
découverte. Une excellente introduction au Grand œuvre wagnérien !
Amphithéâtre de l'Opéra Bastille, les 26, 30 mars, 5, 6
avril 2913, à 2OH, et le 27 mars à 15H. Matinées scolaires réservées les 25, 29
mars, et 4 avril, à 14H30.
Réservation : guichets de l'Opéra Bastille et du Palais
Garnier ; par tel. : 08 92 89 90 90 ; http://www.operadeparis.fr
Une tournée en province est prévue au cours de la saison
2013/2014, à Saint-Etienne, les 6 et 7 décembre 2013, puis à Besançon,
Montbéliard, Nancy, Vichy...
Jean-Pierre Robert.
16 & 17/03
Fer de lance du quatuor à cordes : ProQuartet, Centre Européen de
musique de chambre
L'association ProQuartet organise, les 16 et 17 mars 2013,
un week-end de musique de chambre à l'intention des musiciens amateurs. Il sera
encadré par le Quatuor Voce, et se déroulera au Conservatoire à Rayonnement
départemental de Créteil. Chaque groupe recevra 4 heures de cours durant les
deux jours. Une rencontre collective est prévue le samedi, en fin d'après-midi.
Un concert des ensembles participants, dans l'Auditorium, viendra clore le
stage, le dimanche, à 17H.
Renseignements
et inscriptions : helene.letouze@proquartet.fr
Par ailleurs, dans le cadre des actions de sensibilisation
à l'endroit des musiciens amateurs, et parallèlement à celles menées en
direction des élèves, en partenariat avec des établissements des XI, XVIII, et
XIXème arrondissements de Paris, des cours personnalisés à l'année ont lieu à
la Cité des arts à Paris. Louis Firma et Pascal Moragues offrent à des
ensembles à cordes ou mixtes vents-cordes, des cours dont la fréquence et le
nombre sont définis en fonction des besoins. Louis Firma donne ainsi, depuis
février, des cours à cinq quatuors à cordes.
Renseignements
: bettina.sadoux@proquartet.fr
Enfin, des formations à destination des professionnels ont
lieu à Paris, mais aussi en Provence, sous l'égide de chambristes éminents.
Ainsi, à Paris, par Günther Pichler, de feu Alban Berg Quartet, du 8 au 13
avril 2013, avec une masterclasse publique le 11 avril, Rainer Schmidt, du
Hagen Quartet, du 29 avril au 1er mai, et masterclasse publique le 1er mai, ou
encore Valentin Erben, du 25 au 31 mai et masterclasse le 31 mai.
Renseignements
et inscriptions : mailto:patricia.nydegger@proquartet.fr
Jean-Pierre Robert.
03/04
Un oratorio cataclysmique de Michelangelo Falvetti
Le Chœur de Chambre de Namur et la Capella Mediterranea,
sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón, interpréteront, à l'Opéra
Comique, Il Diluvio Universale de Michelangelo Falvetti, oratorio
italien en trois parties, qui avait été donné en création lors de l'édition
2010 du Festival d'Ambronay. Oubliée depuis trois siècles, cette partition est
d’une originalité sans pareille dans l’histoire de l’oratorio italien. C’est en
1682, à Messine, que le calabrais Falvetti, nommé la même année maître de
chapelle de la cathédrale, joue cette composition, qui s’inspire d’un des
thèmes les plus sacrés de la Bible, le Déluge. L’œuvre
est un vrai catalogue des émotions humaines autant que des genres musicaux,
alors en vogue.
Opéra
Comique, le 3 avril, à 20 H.
Location : 1, Place Boieldieu, 75002 Paris ; par tel :
0825 01 01 23 ; http://:www.opera-comique.com/
Jean-Pierre Robert.
10 au 14/04
Focus jeune public à Nantes
A Nantes, le festival « Petits et
grands » propose un programme vitaminé de spectacles pour enfants, et des
rendez-vous foisonnants. Un montreur de puces savantes, le premier concert de
rock'n roll pour les enfants, des jongleurs de cloches ou d'objets volants non
identifiés....le festival accueillera pas moins de 50 spectacles, au Château
des ducs de Bretagne et dans une vingtaine d'autre lieux, joués par des
compagnies nationales et internationales. Au total plus de 120 représentations.
Le festival veut donner aux plus jeunes, et aux parents, le goût de la culture,
et susciter des vocations de spectateurs dès le plus jeune âge. Une large
partie de la programmation s'adresse ainsi aux tout petits, dès 6 mois ! Tous
les genres de spectacle seront représentés : musique, théâtre, danse,
marionnettes, conte, cirque....Il y en aura pour tous les goûts, à des prix
très, très doux.
Nantes,
du 10 au 14 avril 2013.
Programme
détaillé et réservations : petitsetgrands.net
Jean-Pierre Robert.
13 &
14/04
Le Quatuor
Hagen entame son intégrale des Quatuors
à cordes de Beethoven.
C'est un des sommets de la musique de chambre occidentale
que franchiront, avec le talent que l’on sait, les membres du mythique Hagen
Quartet : l'intégrale des Quatuors de Beethoven. Une sorte de nouveau défi pour
cet ensemble. Cohésion, immense musicalité, profondeur de l’interprétation, les
Hagen font figure de légende vivante du quatuor à cordes. Dans ses quatuors,
Beethoven trace l'itinéraire de toute une vie de composition, du classicisme,
parfaitement assimilé, à une modernité avant-gardiste et innovante, qui ne
s’est, jusqu’à ce jour, encore jamais démentie. L'intégrale des seize opus sera
répartie sur six concerts et deux week ends, dont le premier aura lieu en mars,
et le second en décembre 2013. Les Hagen ont choisi de rapprocher, à
chaque concert, les trois périodes, ou « époques » du compositeur.
Des exécutions indispensables pour qui veut pénétrer au plus près de cette
somme beethovénienne, de musique pure tout simplement.
Salle Pleyel : samedi 13 mars à 16 H & 20H, et dimanche 14 mars à 11H.
Location : 252, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris ; par tél : 01 42
56 13 13 ; http://www.sallepleyel.fr/.
Patrice Imbaud.
***
L’ARTICLE DU MOIS
Rencontre
avec Annick Massis : au nom du beau chant français
La soprano Annick Massis est depuis longtemps considérée comme une ambassadrice du beau chant français, synonyme d'exigence et de rigueur. Discrète, au point de peu se préoccuper de l'emphase médiatique. Est-ce pour cela qu'on ne la distribue que parcimonieusement dans nos maisons d'opéra, alors que les scènes étrangères la réclament, d'Amsterdam à Milan, de Vienne à Berlin. Notre rencontre parisienne, mi-janvier dernier, découvre une personne affable, combien enthousiaste pour son art.
Une série de concerts, à Lyon et Paris, de L'Enfant et
les sortilèges, Les Pêcheurs de perles à Strasbourg : est-ce
le signal d'un retour à l'opéra français ?
On peut dire cela. J'aime l'opéra français, et défendre ce
répertoire, qui est le mien, me tient particulièrement à cœur. L'Enfant et
les sortilèges de Ravel, je l'ai interprété en concert, avec Simon Rattle.
Ce fut l'occasion d'un travail fantastique avec ce chef, dans la salle mythique
de la Philharmonie de Berlin, avec des collègues exceptionnels. L'évènement a
été préservé par le disque, capté live, par EMI. Avec l'Orchestre de Lyon, et
Leonard Slatkin, un chef que je ne connais pas encore, c'est une nouvelle
expérience, sûrement enrichissante. Je l'ai aussi interprété sur scène, à Monte
Carlo, l'année dernière, dans une mise en scène signée de son directeur,
Jean-Louis Grinda. Cette production présentait l'originalité de réunir les trois rôles confiés au soprano
aigu, en un seul et même personnage, celui d'une gouvernante, qui, tour à tour,
incarnait le Feu, la Princesse, et le Rossignol. Cela donnait de la vie à la
pièce, et le texte de Colette prenait un étonnant relief. Quant au personnage
de Leila, des Pêcheur de perles, il m'est cher aussi, et j'attends avec
joie la production de l'Opéra du Rhin, en mai prochain.
Et le
grand opéra français du XIXème ?
J'ai joué La Juive [ la Princesse Eudoxie ], et Les
Huguenots [ Marguerite de Valois ]. Je vais aborder le rôle d'Isabelle, de Robert
le diable, en concert, à Barcelone. Ce dernier rôle est intéressant.
Il est situé, tout comme les parties des deux autres opéras cités, de Halévy et
de Meyerbeer, dans la tessiture aiguë du soprano. Et il contraste parfaitement
avec l'autre rôle féminin de la pièce. J'aimerais aussi incarner d'autres
reines, ces personnages dont foisonne le répertoire du grand opéra. Il faut
développer le répertoire français. Il est immense et varié. Le XIXème recèle
des trésors, encore cachés, ou insuffisamment mis en valeur. II y a, bien sûr,
les trois rôles de femmes des Contes d'Hoffmann. Les incarner
durant la même représentation ne me pose pas de problème. On les a, certes,
souvent distribués à des voix plus légères, en pensant d'abord à Olympia. Ce
fut le cas, par exemple de Joan Sutherland. Mais il faut autre chose,
qu'appellent les deux autres rôles : un médium développé, corsé, est
indispensable. Le personnage d'Antonia est assurément le plus intéressant, et
le mieux caractérisé vocalement par Offenbach. J'ai beaucoup de joie aussi à
camper Giulietta, une partie vocale grave, là aussi ; mais cela ne présente pas
pour moi de difficulté. Ce qui est intéressant dans le fait de jouer les trois
rôles, au cours de la même représentation, c'est la nécessité de se confronter
à trois psychologies différentes. Il faut, bien sûr, une grande expérience,
pour gérer la chose. Une confidence : lors de ma première audition à l'Opéra de
Vienne, j'avais chanté plusieurs airs, dont celui de Philine de Mignon, rôle
dans lequel j'ai débuté, et qui fait écho à Maria Callas. Le directeur, Ioan
Holender, me dit alors : « Que voulez-vous ? Olympia ? » J'ai eu
l'audace de dire non ! Il est certain qu'on peut faire de ce rôle plus qu'une
pure démonstration virtuose.
Et certains metteurs en scène, tel Robert Carsen, à
l'Opéra Bastille, qui, justement, s'attachent à une approche globale, à une mise
en perspective, incluant Stella, la cantatrice - « quatre femmes en une
femme -, ont su tirer de chacune, d'Olympia en particulier, des ressources
insoupçonnées.
C'est vrai. Et cela, on peut même le faire passer dans une
exécution de concert. Avec Michel Plasson, l'année dernière, à Amsterdam, j'ai
eu beaucoup de plaisir à chanter ces quatre personnages, car je me sentais en
confiance avec lui. A propos des autres rôles, gratifiants, du répertoire
français, je vais reprendre Juliette, de Gounod [Roméo et Juliette].
J'aimerais aussi tant faire Thaïs, de Massenet : le rôle correspond
parfaitement à l'état actuel de ma voix. Le faire avec Michel Plasson, ce
serait le rêve !
Comment voyez-vous la situation de l'art lyrique, en
France, du point de vue vocal ?
Ma position est nuancée. Il y a des voix. La relève semble
assurée. Il n'est que de voir l'ascension de la jeune Julie Fuchs, dont
l'énergie et l'appétit font plaisir à voir. Mais y a-t-il beaucoup de collègues
qui peuvent se produire dans les grandes maisons, celles qui comptent dans la
carrière, en France ou à l'étranger ? Par ailleurs, on constate un gros déficit
de productions dans les maisons d'opéra. Les productions nouvelles se font
rares. Encore qu'on soit peut-être enfin sorti d'une sorte d'enfermement, ces
derniers temps. Quelques signes rendent optimiste. On vous associe des
étiquettes aussi, ce qui ne facilite pas les choses : par exemple, celle de
chanteur affidé au baroque, ou spécialisé dans le contemporain, au motif que
vous avez chanté quelques œuvres de ces
répertoires. Pour prendre mon propre cas, j'ai commencé par l'opéra français du
XIXeme. Mais diverses incursions dans le baroque font qu'on a, pendant
longtemps, pensé à moi pour ce dernier répertoire.
Que
pensez-vous de l'enseignement du chant, en France, actuellement ?
Transmettre me passionne. Il y a beaucoup de choses que je
voudrais faire partager. Mais il y faut du temps. Et ménager carrière et
enseignement est délicat. Le travail est différent : la position vocale est différente,
du point de vue psychique. On éteint quelque chose en soi, même en donnant
beaucoup d'exemples. Cela éveille, certes. Puis juste après, il faut reprendre
son égo. Mais la chose est enrichissante, car c'est un travail sur la matière
humaine, avec toutes ses subtilités, émotionnelles en particulier. La
perception physique d'un rôle, d'un air même, est quelque chose qu'il est
passionnant de travailler avec les étudiants, car elle est essentielle pour le
métier. Et puis cela me plaît foncièrement d'entendre une voix qui cherche à
s'exprimer. L'essentiel est de s'attacher à la qualité.
Il me revient une expérience singulière, intitulée
« Open opera ». La chaîne de télévision franco-allemande Arte
organisait, à Berlin, un casting sur Carmen, pour distribuer les quatre
rôles principaux à des jeunes chanteurs. J'étais dans le jury qui devait
sélectionner les candidats. Mais mon rôle ne s'est pas arrêté là : je l'ai
conçu comme une aide qui pouvait être apportée aux étudiants, un soutien
technique aussi bien que moral. Cette expérience m'a enthousiasmée. Car il
n'est rien de tel que la mise en situation quasi réelle. Ceux des compétiteurs
qui ont finalement été retenus, et désignés comme vainqueurs de cette épreuve,
ont ensuite été appelés à travailler pour des théâtres.
Et puis le fait de « passer à la télé » est de
nature à les lancer. Car cela flashe! C'est aussi tout bénéfice pour tout le
monde. Cela montre au grand public ce qu'il y a derrière, l'envers du décor en
quelque sorte : la dose de travail exigée, souvent impressionnante, la façon de
se comporter scéniquement, du fait de la mise en situation, en dépassant ses
peurs et ses inhibitions, sans pour autant « en faire trop » , la
manière de ménager la voix, d'aborder le rôle. Certains le faisaient avec des
idées préconçues, d'autres au contraire restaient ouverts à la critique.
Le répertoire italien est loin d'être chez vous, délaissé.
A l'avenir, Verdi ou le bel canto, ou les deux ?
À Vienne, l'année dernière, au Staatsoper, j'ai chanté Lucia
di Lammermoor. Je ferai La Sonnambula (Amina) bientôt, à Monte
Carlo, en concert. Je suis très attachée à ce répertoire bel cantiste. Et il y
a tant à faire : les trois reines de Donizetti [ Anna Bolena, Maria
Stuarda, Roberto Devereux ], et bien d'autres encore. Le jeune Verdi
m'intéresse également. Un opéra comme I Masnadieri, par exemple, me
tente. Sans oublier Rossini. Il occupe tant. Il ne permet jamais de se poser.
Cela va partout, et dévore votre énergie. Je me souviens d'un Comte Ory [Adèle]
à Glyndebourne, une expérience fastueuse. Il faut encore tirer des titres de
l'oubli. Je l'ai souvent fait : La Dame blanche, par exemple. Ou encore
les rôles enregistrés pour le label Opera Rara, « du bel canto
inédit », comme ils l'appellent. Argument de marketing, certes, mais qui
correspond bien à la réalité. Ainsi de Francesca de Foix, et d'Elvida,
de Donizetti, de Pavento Insano de Mercadante, ou encore de Marguerite
d'Anjou de Meyerbeer.
Il n'est pas toujours aisé de faire cohabiter les divers
répertoires, et de ménager un équilibre entre les divers rôles au cours d'une
même saison. Plusieurs facteurs entrent en jeu, avec lesquels il vous faut
jongler. Ainsi, en va-t-il des aléas de la programmation. Il y a beaucoup de
changements dans les maisons d'opéra, ces dernières années, une moins grande
visibilité, en terme de prévision de programmes, en Italie par exemple, hormis
La Scala. Même si les maisons françaises, et allemandes d'ailleurs, sont plus
« correctes » en la matière. On programme de plus en plus tard,
partout. A huit mois, par exemple, alors qu'hier, il n'était pas rare d'être
demandée plus de trois ans à l'avance.
Les exigences de la mise en scène ne sont-elles pas
également une composante avec laquelle il faut compter, sinon accepter, au risque
de rater une occasion d'engagement ? C'est William Christie qui dans une
récente interview, dit « j'essaie toujours de façonner mon interprétation
musicale sur les partis pris de la mise en scène, seule façon de faire vivre le
théâtre lyrique ». Déclaration éclairante de la part d'un éminent
interprète, qui sait ce que collaboration chef-régisseur veut dire. Ce
paramètre ne devient-il pas essentiel ?
Les demandes des metteurs en scène sont effectivement un
autre facteur qu'il vous faut gérer soigneusement. Sans entrer dans la vaste
discussion quant à la pertinence des transpositions et autres ré
interprétations, auxquels aiment se livrer les régisseurs, et les phénomènes de
mode, un point préoccupant demeure l'engagement physique qu'ils exigent de leurs
interprètes. Un trait commun à tous ou presque aujourd'hui. Ce qui peut
s'avérer problématique pour la voix. On demande parfois au chanteur
d'aller jusqu'au point de rupture d'un
équilibre conciliant chant et prestation scénique. Jouer sur une scène de théâtre
requiert déjà un certain investissement. Autre chose est de devoir se livrer à
une « gestique » ressortissant souvent à un périlleux exercice
physique, tenant parfois de la prouesse. Comment chanter normalement, ménager
la voix, confronté à de telles exigences ?
Pour en revenir à l'opéra français : vous avez
magnifiquement interprété le rôle de Blanche de la Force des Dialogues des
Carmélites de Francis Poulenc. Que vous inspire ce personnage, qui vit une
vraie tragédie intérieure ?
C'est pour moi un grand bonheur de le jouer. Je n'ai pas
de doute sur le personnage. La tessiture en est grave, mais me convient...
Que voulez-vous dire par là ? On connaît ce mot de
Poulenc, dans sa Correspondance, à propos de l'écriture pour la voix, de
cette pièce : « C'est follement vocal ».
C'est un opéra à résonance spirituelle. Cela a un grand
écho en moi. Il met en valeur des questionnements ou des thèmes que je côtoie
où ai côtoyé, où côtoierai sans doute de près : la peur, la foi, la mort,
l'incertitude, la peur de la mort, la joie, l'amour, être présent dans ses
actes, même dans sa peur, la peur de la peur, mais aussi le dépassement de soi,
la pureté, la naïveté, l'empathie jusqu'à l'extrême... Faut-il croire en
quelque chose qui aide à vivre et à mourir ? Faut-il contourner cette peur
ultime de la mort ? Est-ce que Blanche n'a pas raison ? Elle a peur, mais
provoque, et se provoque elle-même, tant elle semble fascinée et happée
par cette recherche sans fin. Au
demeurant, n'est-elle pas la plus honnêtement consciente, et la plus
consciemment honnête ?
La musique immense de Poulenc offre un véhicule
extraordinaire. Avec cet opéra, Poulenc
est proche de la musique italienne. Et cela se chante comme du Puccini ! Il
souhaitait que le rôle de Blanche soit dévolu à une Thaïs... Le chant est très
lyrique et plein, très précis, dans des tonalités surprenantes. Il emporte une
exigence de clarté syllabique très honnête. Le texte de Bernanos est poignant.
Son alliage avec la musique n'a pas été sans me donner de très puissantes
émotions, pas toujours faciles à surmonter, à certains moments sur la scène.
J'avoue que c'est parmi les rares fois où cela m'est arrivé à ce point-là
d'être émue aux larmes sur la scène, ou d'être obligée de me « cramponner »
à mon texte pour ne pas être trop déstabilisée. Il m'a fallu rester extrêmement
concentrée, car chacun des personnages a des paroles et un texte très fort.
Cela peut déstabiliser un acteur, ou un chanteur, alors qu'il est là " seulement " en tant
qu'interprète. C'est aussi ce qui fait la beauté de ce rôle, sa
« porosité ». Blanche est un personnage égaré, faible, désarmé. En
apparence seulement. Blanche a peur de la mort et aussi sans doute de la vie.
Sensible ou pas au sacré, ou à la religion, on ne peut
rester indifférent devant cet opéra, ni en tant qu'auditeur ni en tant
qu'interprète. La musique de Poulenc et le texte de Bernanos abolissent toute
distance, quelle qu'elle soit, entre soi et soi, soi et l'autre, entre soi et
l'actrice, entre soi et la chanteuse. Et cela m'a aussi fascinée. Je ne suis
pas ressortie la même. Dialogues des Carmélites est une partition sans
concession. C'est une gifle que l'on reçoit, un miroir placé de façon crue
devant ses propres questionnements, devant sa propre raison de vivre et de
mourir, devant son interprétation.
Je l'ai fait, récemment en Corée, dans la mise en scène de
Stanislas Nordey, d'une grande sobriété, minimaliste même, mais parfaitement
efficace. En homme de théâtre, il a saisi l'essence de la dramaturgie essentielle
de l'œuvre de Poulenc. Je le referai volontiers demain. En cette année
anniversaire, dites-vous ? Pourquoi pas !
Propos recueillis par Jean-Pierre
Robert.
***
LES FESTIVALS SE FONT AUSSI L’HIVER
La
Semaine Mozart à Salzbourg
La Mozart Woche de Salzbourg se donne un vent de
jeunesse, avec une nouvelle direction artistique, confiée à Marc Minkowski, qui
fait équipe avec un jeune et dynamique directeur, Matthias Schulz. Leur projet
: jouer Mozart, bien sûr, sous toutes ses facettes, en particulier le jeune
compositeur prodige, et dans ses divers styles d'interprétation, sans entrer
dans le carcan de la notion d'authenticité, sans doute vétilleuse. Mais aussi
Mozart mis en perspective : par rapport à ses contemporains, Jean-Chrétien
Bach, en particulier, à ses admirateurs aussi, dont Richard Wagner. Beau clin
d'œil à un musicien fêté en cette année anniversaire ! On veut s'attacher à
créer des associations, rechercher des correspondances insoupçonnées, parfois
étranges. On met également un point d'honneur à distinguer la création
contemporaine, avec l'instauration d'un compositeur en résidence. Ce sera
Johannes Maria Staud, cette fois. Mais, au fond, on veut être innovant, sans
paraître révolutionnaire. A l'image de Minkowski, qui aime se placer dans le
sillage de ses illustres prédécesseurs, Nicolaus Harnoncourt ou René Jacobs. Autre initiative réconfortante que
la création d'un Orchestre de jeunes, attaché au festival, le Kinderorchester.
Des tous jeunes, puisque ses membres ont entre 7 et 12 ans ! La formation
devait se lancer sous la houlette du maestro Minkowski, et de Christoph Koncz,
jeune violoniste des Wiener Phil. La solide participation française reste un
autre trait original de ce millésime. Car, outre ses Musiciens du Louvre
Grenoble, Minkowski a fait appel, entre autres, au Quatuor Diotima, à des
chanteurs passés par des écoles de chant françaises, et des instrumentistes,
dont le fameux hautboïste François Leleux, aux côtés d'un « habitué »
comme Pierre Laurent Aimard. Une exposition consacrée aux Portraits de Mozart,
juxtaposés de manière exhaustive, dans sa « maison », sur la
Makartplatz, complète le plaisir d'un public chanceux. Il est attentif,
attentionné même, et participe de l'atmosphère paisible d'un festival, où la
musique est reine, dans une cité enveloppée de son manteau de neige, livrée à
sa vraie nature. Un festival qui appartient à la constellation des grands,
indiscutablement.
Lucio Silla ou le bonheur partagé
WA.MOZART: Lucio Silla.
Dramma per musica en trois actes K 135. Livret de Giovanni Gamerra. Rolando
Villazón, Olga Peretyatko, Marianne Crebassa, Inga Kalna, Eva Liebau.
Salzburger Bachchor. Les Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc Minkowski.
Mise en scène : Marshall Pynkoski.
On a longtemps considéré Lucio Silla comme une
pièce mineure dans l'œuvre de Mozart pour la scène. Mais pas à Salzbourg, où
des productions ont de temps à autres été montées, comme celle, remarquable,
due à Peter Mussbach, durant l'ère Mortier au festival d'été. Venant après Mitridate,
ce dramma per musica, créé à Milan, l'hiver 1772, révèle un réel talent pour la
veine sérieuse. Écrire pour Milan signifiait pour le jeune musicien faire usage
d'une imposante veine vocale. Et Mozart n'en fera pas misère pour défendre et
illustrer cette histoire romaine du dictateur Silla, épris de Giunia, la fille
de son ennemi Marius, secrètement fiancée à Cecilio, partisan de celui-ci, et
habilement proscrit par le despote. Pour avoir conspiré à la ruine du dictateur,
ledit Cecilio sera condamné à mort, mais Giunia dénoncera les agissements de
Silla. Un providentiel lieto fine permettra de louer la clémence du potentat.
Le génie de cette pièce est de rafraîchir la forme de l'opera seria, en reliant
les scènes d'une étonnante manière. Mozart expérimente une nouvelle façon de
traiter les arias, munies ici de longues introductions symphoniques, et
abandonne le traditionnel schéma de l'air précédé du récitatif secco, au profit
de récitatifs accompagnés. Surtout, là où d'aucuns voient un hommage appuyé à
l'aria da capo, Mozart qui s'en accommode mal, le fait voler en éclat, en
l'agrémentant de manière innovante, ou en abandonnant même la reprise dans
certains cas. Il y a là un pas franchi : la virtuosité vocale se fait chantre
de l'expression dramatique. La fantaisie sonore, la dynamique offrent des
nuances insoupçonnées, et confèrent à la pièce une vie peu commune. « Il y
a encore des échos du baroque, mais toutes sortes de portes sont ici
ouvertes », remarque Minkowski. Et de signaler que modernité ne s'oppose
pas à approche historiciste. C'est pourquoi, il dit avoir fait appel au
régisseur canadien Marshall Pynkoski, dont le dessein est une vision
« historiquement informée ». De fait, la mise en scène est d'une rare
élégance : décoration, due à Antoine Fontaine, à la Watteau, où les délicats
bosquets cèdent la place à la solennité de colonnades corinthiennes, et
costumes fastueux. Les changements de tableaux sont ingénieux. Il en est même
des climats au cours d'une même aria, détachée soudain de son environnement
contingent, pour en souligner la force expressive. Pynkoski conjugue le geste
emphatique d'hier, où règne l'hyperbole, avec l'outrance des réactions libérées
d'aujourd'hui, claques sur la joue, tapes sur l'épaule... Cela instaure une
indéniable vie, peu ordinaire sur une scène d'opéra de cette époque. Il
n'hésite pas à placer tel ou tel à l'avant-scène, comme prenant à témoin le
public.
Ses interprètes s'y plient volontiers, avec un naturel
incroyable. Une équipe de jeunes chanteurs bâtissent une interprétation
vraiment libérée, ce qui est, là encore, peu coutumier. Olga Peretyatko,
Giunia, femme fière préfigurant Donna Anna, offre une prestation d'une richesse
inextinguible. L'assurance scénique et la qualité souveraine du spectre vocal,
jusqu'aux vocalises les plus aventureuses, contribuent à un portrait achevé.
Dans le rôle travesti de Cecilio, Marianne Crebassa, qui fit ses classes à
l'Atelier lyrique de l'Opéra Bastille, est tout bonnement prodigieuse : soprano
sombre avec des reflets de bronze, force d'expression empreinte d'une verve
intarissable, nuances infinies dans la cadence où l'extrême aigu jongle avec le
grave. Fiordiligi n'est pas loin. L'autre couple, mais non secondaire, Inga
Kalna, Lucio Cinna, et Eva Liebau, Celia, forme un habile contrepoint aux prime
uomo et dama, tout aussi libérés dans l'art de la vocalise. Il faut dire que
Minkowski fait chanter toutes les ornementations, souvent longues et
détaillées. Loin d'être improvisées, elles sont totalement écrites de la main
de Mozart. Rolando Villazón couronne le tout. Si la stamina du ténor italien
n'est jamais loin, force est de reconnaître que la ligne de chant est
admirable. Le ténor assoluto, qui semble recentrer sa carrière, et placer
Mozart au centre de ses préoccupations stylistiques, ne détonne pas, loin de là
; n'était une frénésie constante dans la manière de jouer. Formidable acteur,
Villazón porte un regard aigu sur un rôle vocalement moins gratifié que ceux de
Cecilio ou de Giunia, quoique impressionnant dans la contribution aux ensembles
concertants finaux. Au point que Minkowski a l'idée de lui confier un air
intercalaire, écrit par Jean-Chrétien Bach, où la voix dialogue avec un trio
concertant de vents, flûte, basson et cor. L'aria, de vaste dimension, s'achève
en une volée interminable de vocalises étourdissantes. Le ténor est alors assis
parmi les musiciens. Joli clin d'œil. En tout cas, voilà un grand ténor qui
chante au milieu de ses pairs, et non une vedette entourée de collègues. La
réussite musicale revient encore, et peut-être surtout, à la direction de
Minkowski et à la verve des Musiciens du Louvre Grenoble. Comparés à d'autres
formations jouant sur instruments anciens, ceux-ci occupent désormais une place
enviable : une sonorité cultivée et intense, mise en valeur par la manière
chambriste du chef français, comme par sa volonté de préserver l'ambivalence de
cette partition, entre respect de la tradition et modernité, à l'aune des
effets harmoniques inhabituels dont Mozart l'émaille. Une accélération
imperceptible du tempo, qui libère le mouvement intérieur, le soin apporté à la
ligne des vents, la manière de sertir le chant n'en sont que des exemples.
Qu'on mesure à la passion de ses musiciens, ressentie à chaque phrase.
Sir Simon Rattle dirige les trois dernières symphonies
C'est à la tête, non de ses Berliner Philharmoniker, mais
de L'Orchestra of the Age of Enlightenment, que Simon Rattle joue les trois
dernières symphonies de Mozart. Une fête de l'esprit ! Composés en un laps de
temps étonnamment bref, en quelques six semaines, à l'été 1788, ces trois opus
offrent autant de ressemblances que de différences. Mozart a-t-il pensé à une
sorte de cycle, comme on voudrait le faire croire, qui ouvert par
l'introduction adagio du K 543, s'achèverait dans la coda fiévreuse de la
Jupiter ? Nul ne le sait. Il est certain qu'il n'avait pas à l'esprit une
exécution consécutive des trois pièces durant un même concert. Des contingences
matérielles l'ont conduit à ces productions. Le génie a fait le reste. Chez
Rattle, ces pièces sont le fruit d'une profonde réflexion, d'une analyse
spectrale, dont le message vous entraîne loin des exécutions seulement bien en
place, et pour tout dire banales à force de recherche de beau son. Chez lui,
celui-ci est transcendé par quelque chose qui relève de l'intérieur.
D'ailleurs, le spectre sonore n'est, justement, pas trop large, laissant aux
vents une douceur de ton qui se fond idéalement dans l'écrin des cordes. La 39
ème, K. 543, est débutée très lent, et progresse sans hâte. Une même atmosphère
sereine caractérise l'andante con moto, illuminé de mille nuances, comme Rattle
se plaît à parer ses exécutions du répertoire classique. La fin du trio du menuet
est habilement enchaîné avec la reprise. Son finale offre un dynamisme
parfaitement contrôlé, magnifiant de bout en bout un thème principal quasi
omniprésent. L'audace harmonique du développement du premier mouvement de la
Quarantième, K. 550, contrastant avec le doux ronronnement de ses premières
pages, est mise en exergue par l'exécution sur instruments anciens. Le paisible
cantabile de l'andante, pris quasi adagio par le chef, se poursuit dans le
menuetto, où il pacifie son orchestre avec des ralentissements étonnants, mais
combien sublimes lorsque la ligne des vents s'intègre en douceur, et non en
opposition avec les cordes. On savoure la qualité hors pair des
instrumentistes, dont les deux clarinettes. Rattle a en effet, fait le choix de
jouer la seconde version, avec l'ajout des clarinettes. Le finale est on ne
peut plus entraînant, alternant ombre et lumière. Avec la Symphonie Jupiter,
grandeur et subtilité se conjuguent à un rare degré d'achèvement. La tonalité d'Ut majeur est celle
« héroïque de la victoire » et « la couleur de la
limpidité » (J.& B.Massin). On a dit que cette symphonie réunissait en
une parfaite synthèse l'esprit de l'opera-buffa et celui de la fugue (Albert
Einstein). Il souffle, ici, un vent de liberté, une croyance en la vie, une
affirmation d'un chant de joie. Les quatre épisodes contrastent un andante
cantabile expansif avec un allegro vivace initial fort actif, puis un menuetto
fermement articulé, presque victorieux, entrecoupé d'un trio cadencé avec
esprit, avec un finale impérieux, vigoureusement affirmé. Là encore,
l'exécution sur instruments anciens sonne idiomatique, et apporte un plus de
douceur, une finesse du trait tout à fait en situation. Rattle et ses
merveilleux musiciens (et musiciennes, pour quasi la moitié de l'effectif, dont
trois ladies à la contrebasse !), souligne toute la singularité de ces trois
pièces uniques.
Deux Quatuors, entre anciens et modernes
La musique de chambre occupe une place de choix durant la
Semaine Mozart. Le Quatuor Emerson offrait un programme entièrement dédié à
l'enfant du pays. Le résultat est mitigé, car ces musiciens, qui fêtent leurs
quelques 35 ans de vie commune, semblent désormais animés d'un souci de
distanciation, pour ne pas dire de froideur. Leur exécution du quatuor K 499
est lénifiante et n'ouvre guère de plage de félicité. Écrite en août 1786, pour
Hoffmeister, son éditeur, cette pièce, en ré majeur, est pourtant emplie
d'accents forts, impérieux et altiers. Las ! La tension qui l'anime de bout en
bout est gâtée par une exécution au ras du texte, en particulier l'adagio,
pourtant partagé entre angoisse et émotion, ou le finale, dont les ritournelles
inquiétantes font peu de place au sentiment de désolation. L'adagio et fugue, K
546 est pareillement joué, bien en place, certes, mais court d''inspiration.
Les deux quatuors avec piano sont une toute autre affaire. Le vétéran Manahem
Pressler est là, pour notre bonheur. Lui qui, des décennies durant, fut l'âme
du Beaux-Arts Trio, développe un prolifique été indien, comme constaté encore,
cet hiver, à Paris. Il va les inspirer. Ces deux pièces, parties d'un cycle de
trois, promis à Hoffmeister, mais demeuré inachevé, appartiennent à un genre
nouveau chez Mozart : le quatuor avec piano, sorte de synthèse de ceux du
quatuor à cordes et du concerto. Le K 493, que les Emerson jouent en premier,
affirme la richesse de la thématique de son premier mouvement, et livre une
profondeur insoupçonnée dans son larghetto, qui pose les interrogations de
l'homme Mozart. La délicatesse du jeu de Pressler emporte littéralement ses
trois partenaires. Le finale est empli de toute la fantaisie dont Mozart sait
illustrer son propos, triomphe d'un combat entre ombre et lumière, ici encore.
Le quatuor K 478, est lui aussi une grande méditation sur la vie et ses
événements heureux et tristes. Le doigté d'elfe du pianiste illumine l'allegro
introductif, si ardent dans son développement. Le délié de ces mains, comme
collées au clavier, distille toute la tendresse de l'andante médian, paré d'une
mélodie simple en apparence. Le rondo final est le beau chant suprême, le joie
intérieure, sereine. Voilà des exécutions marquées du sceau de la simple
grandeur, justement saluées par un public de connaisseurs.
Le lendemain après-midi, le Quatuor Diotima, pour ses
débuts salzbourgeois, juxtaposait Schubert, Ravel, et une pièce du compositeur
en résidence Johannes Maria Staud. Dans l'acoustique, bien présente, de la
salle moderne de l'Université de musique, en bordure du jardin Mirabell, leur
quatuor D 173 de Schubert sonne étonnement engagé. Contemporain de la 2 ème
symphonie, ce quatuor en sol mineur, tonalité chère à Mozart, s'ouvre par un
thème vigoureux, maniant une succession d'accords âpres. L'andantino, les Diotima
le prennent allègre, au fil des échanges entre 1er violon et violoncelle. Les
deux mouvements suivants affirment leur caractère proche de la danse : le
menuet, qui s'inspire de celui de la symphonie K 550 de Mozart, fait place à un
trio, faisant la part belle au 1er violon, et à sa ligne sinueuse. Quant au
finale, il est ici robuste, sans paraître heurté. Contraste total que «
Dichotomie » (1998) de JM. Staud. Comme il l'explique, celui-ci puise son
inspiration, non dans la littérature, qu'il chérit pourtant, mais, cette fois,
dans la botanique (le processus de transformation des plantes). Ce morceau se
mesure aux extrêmes, sauvage, âpre dans sa dynamique intense. D'une durée d'une
bonne demi-heure, il est structuré en deux mouvements. Le premier s'ouvre par
un fort éclat, qui fait place à de longues phrases en faux unissons, et à des
pizzicatos rageurs, ou encore des frôlements pppp des divers
instruments. Une longue tenue du cello, pianissimo, débouche sur une animation
de plus en plus paroxystique avec frappement de pieds. La deuxième partie
recourt à un processus inverse, du forte au piano, avec des
effets éthérés, comme sidéraux. Le discours finira par se dissoudre dans un
souffle. Les Diotima, qui se font une spécialité de déchiffreurs de pièces nouvelles,
lui donnent tout son souffle, et montrent combien on peut encore et toujours
jongler avec toutes les possibilités des quatre instruments fondateurs. Retour
à la tonalité avec le Quatuor de Ravel, dans une conception très mesurée,
techniquement irréprochable. Le moderato allegro est abordé confortable. Le
« Assez vif » contraste, mais une tendance à la lenteur se fait jour
dans le deuxième thème. Le « Très lent » l'est, bien sûr, quoique
laissant percer une légère sollicitation. Le finale, joué au vrai tempo, ce
« Vif et agité » si ardent, paraît paradoxalement un peu vite,
mimétisme avec ce qui précède obligeant, et comparé à l'approche générale. Mais
la sonorité est constamment belle et l'entente plus que parfaite.
Le phénomène Andras Schiff et son orchestre ad hoc
Les concerts d'András Schiff et de son orchestre Cappella
Andrea Barca sont le « hottest tickets » de la Semaine Mozart. Le
pianiste hongrois jouit ici d'une popularité dont on n'a pas idée chez nous,
qui ne lui offrons qu'un succès d'estime lors de ses rares apparitions. La
réputation n'est pas usurpée, loin de là. Il a joué avec Sandor Vegh une
intégrale des concertos de Mozart, restée légendaire. Il ira même jusqu'à
fonder son propre orchestre pour les remettre sur le métier, en tant que chef
et soliste. C'est, en effet, en 1999, qu'il réunit quelques amis musiciens, non
des moindres, tels Erich Hobarth, Ier violon du Quatuor Mosaïque, un des
flûtistes des Wiener Phil, ou encore Louise Pélerin au hautbois. Au fil des
ans, la formation demeure plus ou moins inchangée, avec le noyau dur des
proches, et se réunit de nouveau pour la Mozartwoche et quelques concerts en
tournée. Le concert s'ouvrait par le Quatrième concerto pour piano de
Beethoven. D'emblée, Schiff impose un discours simple, à la fois nimbé de
grandeur, après la belle phrase d'introduction du piano : à son jeu délié
répond une coulée orchestrale très liée. Il faut dire que la disposition
instrumentale est originale, puisque divisant non seulement les violons, mais
aussi les contrebasses, et réunissant les vents en groupes distincts. Le
cantabile du second mouvement est d'une profondeur abyssale. Il émane de cette
exécution sérénité et paix intérieure. Le son cristallin dans l'aigu, du
Bechstein, est un ravissement lors des traits de la main droite. La Quatrième
symphonie de Schubert, apporte un contraste intéressant. Quoique on ait compris
que Schiff veuille chérir cette école viennoise classique dont il s'abreuve
depuis toujours, aux côtés de JS. Bach, au seul clavier. Le sous-titre de
« tragique », de la main de Schubert, ne laisse pas d'étonner, car
d'autres de ses pièces porteraient cet épithète avec plus d'évidence. La
tonalité d'Ut mineur, celle de la 5ème de Beethoven, y est pour quelque chose
cependant. Le premier mouvement est sombre, solennel, ce que Schiff ne cherche
pas à amoindrir, renforçant même les traits rageurs de l'allegro vivace.
L'andante, il lui confère un caractère paisible, intime, intensément lyrique.
Le scherzo, vivace, est solide, mais sans perdre de sa finesse viennoise,
tandis que le trio offre une halte bienfaisante. Le finale est partagé entre
tragique et atmosphère de danse. Et Schiff abandonne son flegme pour se montrer
d'une ardente juvénilité. Avec le concerto K 595, son 27ème et dernier, Mozart
s'éloigne de la virtuosité pianistique, pour le dépouillement stylistique, qui
sera commun à d'autres pièces de cette époque. La tonalité générale est
paisible, non sans une trace de mélancolie. Schiff le ressent du tréfonds, et
l'allegro initial est joué avec sérénité, tandis que le larghetto est empreint
d'une grande douceur, seulement traversée de ces traits de détresse qui ne
quittent jamais le compositeur. Au finale, où affleure le thème d'une des arias
de Dorabella de Cosi fan tutte, tout est harmonieux à travers le jeu
extrêmement raffiné, nullement maniéré du pianiste. Celui-ci se laisse à
lui-même, en tant que chef, le soin d'assurer une balance idéale entre soliste
et orchestre, en particulier dans le dialogue avec les bois. En bis, et pour
fêter l'anniversaire de Mozart, le 257ème, en ce 27 janvier 2013, il donnera le
dernier mouvement d'un autre concerto, empli de joie communicative, devant un
public plus qu'enthousiaste, conquis.
Le concert des Viennois : un mariage inachevé avec Gustavo Dudamel
Il est pénible de le dire, mais le concert des Wiener
Philharmoniker n'aura pas été le plus intéressant de la série ! Le jeune, et
déjà fort en vue, chef vénézuélien Gustavo Dudamel, faisait équipe avec un
orchestre exigeant. Si tout semble, en apparence, fonctionner, car bon
technicien, le chef connaît son affaire, et comment s'y prendre côté charme, il
n'en reste pas moins que l'esprit était souvent absent de ses interprétations,
un peu au ras des notes. Siegfried Idyll ouvrait le bal, joué avec une
formation quelque peu nombreuse, celle sans doute de cet arrangement pour grand
orchestre, projeté par Wagner pour Cosima. Même si les premiers violons sonnent
comme un seul homme, le premier d'entre eux en l'occurrence, et si tout est
parfaitement huilé, le geste manque d'impact, et la pièce ne dégage pas
beaucoup d'atmosphère. Malgré l'attention extrême qu'y portent les musiciens.
Rainer Kuchl, le leader, a l'œil sombre, et ne lâche pas du regard le chef.
Dommage, car cette pièce est loin d'être une bluette. Avec Mozart les choses
allaient-elles s'enflammer ? Dans le concerto pour piano K 466, que Maria João
Pires aime à donner (comme elle le fit encore récemment à Paris, avec Haitink),
tout est corseté d'une mâle énergie au premier mouvement. Mais est-ce là
suffisant ? Le charme du second affleure tout juste, grâce au jeu de Pires,
souverain. Et le finale offre brio et fière allure, dans sa manière preste.
Reste que de cette pièce, qui doit ménager grandeur et intimité, n'émane pas ce
sentiment d'achèvement qu'on attend d'une exécution à ce niveau. A noter que
Pires joue les cadences de Beethoven, qui vont bien au-delà de la pensée
virtuose de l'auteur. La Sérénade K 320, dite « Cor du Postillon »,
là encore donnée avec une distribution instrumentale presque démesurée, dégage
un indéniable parfum mozartien. C'est la dernière laissée au genre par Mozart,
dans ses ultimes années passées à Salzbourg, marquées par ses démêlées avec
l'archevêque Colloredo. Elle se signale par une fertile utilisation des vents,
en particulier au 3 ème mouvement, où une vraie symphonie concertante pour
vents, marquée andante grazioso, remplace le traditionnel concerto intercalaire
pour violon. L'interprétation de Dudamel débute de manière carrée, un peu trop
martiale, manquant de grâce et de suprême finesse. Mais le chef va se détendre
peu à peu, en particulier à partir du Rondeau, qui déploie un ininterrompu
dialogue entre les vents, et entre ceux-ci et les cordes. L'andantino voit aussi ce caquetage à son apogée,
le hautbois pétillant, ou l'échange entre petite flûte et violon. Bien sûr, le
solo du cor, qui orne le second trio du 2 ème menuet, sera un moment de vrai
bonheur. Et tout s'emballe prestement dans un finale joyeux, dont la fièvre
annonce celle de L'Enlèvement au sérail.
Curiosités au concert de Minkowski et des Musiciens du Louvre
Il n'est pas de meilleure occasion d'illustrer le credo,
rappelé ci-dessus, que le programme du concert donné, le 27 janvier au soir,
dans la grande salle du Mozarteum. Minkowski insiste sur le regard en miroir
qu'il est nécessaire de porter sur Gluck. Dont il donnera d'ailleurs l'opéra Orféo
et Eurydice, l'année prochaine. Le concert débutait ainsi par l'Ouverture
d'Iphigénie en Aulide, avec le final de concert dû à... Richard Wagner,
qui vouait une égale admiration vis à vis de ces deux génies de la musique.
Minkowski, prenant la parole, à la manière de Nicolaus Harnoncourt, indique, en
préambule, sa volonté de « célébrer Mozart dans l'esprit de Wagner ».
Le morceau ne manque pas d'allure. Un florilège de pages de Don Giovanni suivra
: l'Ouverture et quelques arias fameux. D'emblée, on sent l'empathie du chef
pour le chef d'œuvre de Mozart, qu'il s'apprête à diriger à Aix cet été. Son
Ouverture est grandiose, éclatant presque dans le cadre restreint de la salle
du Mozarteum, avec un second thème vraiment giocoso, et prestissime. Il
enchaîne directement avec l'air du catalogue de Leporello : le jeune Christian
Helmer, qui a débuté ses études musicales en France, possède un bagout vocal
inextinguible. Ce qu'il va encore démontrer dans le rôle-titre, et « un
air du champagne » enlevé haut la main. Quelle prestance ! Entre temps, le
ravissant duettino « Là ci darem la mano » l'aura réuni à la belle
Olga Peretyatko, toute fraîche sortie de son triomphe dans Lucio Silla.
On admire la sûre ligne de chant, un métal de vraie couleur mozartienne. Elle
le confirme, et l'amplifie, dans les deux arias de Donna Anna, avec une quinte
aiguë aisée et une sûreté du trait étonnante pour une si jeune artiste. Voilà
encore un festival vocal de jeunesse et de belle assurance, et un indice
certain de réalité de la relève. En seconde partie, Minkowski donnait la
symphonie en Ut majeur de Wagner, unique, ou presque, incursion de l'auteur de Tristan dans l'univers symphonique pur. Couchée sur le papier en 1832, par un musicien
de 19 ans, voilà bien une œuvre étrange, qui ne laisse que peu présager du
talent d'auteur lyrique qu'il deviendra. Créée à Prague, en janvier 1833, lors
d'un concert où débutait une jeune pianiste du nom de Clara Wieck, qui en dira
tout le bien, la symphonie sera ensuite perdue. Retrouvée en 1877, moins les
parties de trombone, elle sera de nouveau jouée, à Venise, le jour de Noël
1882, Wagner en ayant réécrit les parties manquantes. D'une durée de quelques
35 minutes, elle comprend quatre mouvements contrastés, nullement en reste en
termes de fécondité. Elle s'ouvre par un « sostenuto e maestoso », en
fait, une succession d'accords massifs, qui débouchent sur un sujet fiévreux,
inspiré de Beethoven. Une foule d'idées jaillissent, quoique tournant un peu
court. Un cantabile tourmenté parcourt l'andante, qui verra se succéder moult
changements de climats, non sans emphase, ce que nourrissent les trombones. On
y distingue, toutefois, la chaude sonorité de la clarinette. Le scherzo, très
scandé, presque saccadé, voit un répit dans son trio lent. Le finale débute
comme du Rossini, avec un thème rengaine qui reviendra en boucle. Mais Basta !
Cela prend un autre chemin, voire plusieurs, et tortueux, aux bois notamment.
Outre une fugue bien maîtrisée, on croit déceler l'apparition, fugace, d'un
thème du dernier mouvement de la IXème du Maître de Bonn. Quoique se réclamant
de ses deux idoles, Mozart et Beethoven, la pièce reste très ancrée dans un
XIXème qui cherche sa voix. Minkowski la défend bec et ongle, et ses Musiciens
du Louvre Grenoble, soumis à rude épreuve, font des prouesses. Même si une
instrumentation aussi nourrie sonne presque congestionnée dans le faible
gabarit de la salle du Mozarteum. Mais l'expérience valait d'être tentée, et le
directeur artistique de la Mozartwoche peut être fier de son coup !
Où souffle le chic français
Un fort original concert clôturait notre série
salzbourgoise : « Les vents français » sont un ensemble ad hoc
réunissant pas moins que Emmanuel Pahud, Ier flûtiste des Berliner Phil, Paul
Meyer, Ier clarinettiste des mêmes, François Leleux, récemment primé aux Victoires
de la musique, Gilbert Audin, basson et Radovan Vlatkovic, solistes émérites,
Eric Le Sage, enfin, pianiste, dont on connaît l'amour pour la musique de
chambre. Quel feu d'artifice ! On pense au « Coq et l'Arlequin »,
immortalisé par Cocteau. Poulenc et Ravel encadraient deux compositions de
Mozart. L'étonnante composition du Trio pour hautbois, basson et piano, de
Poulenc, a de quoi émerveiller un auditoire de connaisseurs, dont une belle
part de jeune public : ironie et lyrisme au second degré, vrai-faux académisme
et franc humour, baignent cette pièce au charme irrésistible. François Leleux
enflamme le second mouvement d'une ligne étonnamment fluide. La Sonate K 296,
pour violon et piano, transcrite pour flûte, trouve en Emmanuel Pahud un serviteur
zélé, qui joue affectueux l'adagio médian, et apporte au finale enjoué un zest
délicat. Que dire du Tombeau de Couperin de Ravel, dans l'arrangement
imaginé par Mason Jones, pour ensemble de vents ? Si ce n'est qu'il a en a
compris l'esprit et la finesse de l'orchestration. C'est pur régal que de voir
comme le hautbois mène les débats, dans « Prélude », bientôt relayé
par la flûte, alors que le cor joue la basse. Mais partout la distribution
instrumentale s'avère fascinante. La « Toccata » finale, jouée ici
très décidé, est pur chic gallique. Le Quintette K 452 pour piano, hautbois,
clarinette, cor et basson, dont Mozart était si satisfait, est une œuvre
rayonnante d'harmonie. L'écriture pour les vents est d'une rare richesse, et le
dosage entre ceux-ci et le piano un miracle d'équilibre. Abandon et densité se
partagent ses trois séquences, dont le larghetto est le joyau : une mélodie
ample et expressive, emplie d'effusion, où les quatre vents chantent ensemble,
dialoguent entre eux, ou avec le clavier, dans une douce joie. Ce que poursuit
le finale, allegretto, empli de finesse. Les interprètes illuminent ce beau
langage, et Le Sage sait laisser la primeur à ses partenaires, sans pour autant
s'effacer. Le Sextuor pour piano et quintette à vents de Poulenc réunit
l'entière formation des « Vents français », en une conclusion dont on
se délectera sans remords. Là éclate la modernité de l'auteur des Dialogues
des Carmélites. Entre faux abandon et vraie illusion, Poulenc sait rebondir
: par exemple, avec au premier
mouvement, un mini solo du basson, annonçant une plage relaxée, avant que cela
ne reparte de plus belle. La cantilène du hautbois distingue le second, qui
offre ruptures et traits ironiques, sans oublier la note nostalgique. Le
dernier débute en une sorte de « Que la fête commence », offrant une
plénitude sonore irrépressible, tandis que la piano galope allégrement. Cela
ira, au détour d'une phrase, jusqu'à singer Stravinsky. Tout finira, comme
souvent chez Poulenc, dans une mélancolie résignée, mais si douce qu'on ne la
prend pas au sérieux. En bis, le Divertissement de Roussel ajoute encore
au bonheur de la fête. Bravo, Archibravo messieurs !
Jean-Pierre Robert.
Une
exquise Folle Journée !
L'édition 2013 de la grande fête musicale nantaise se
conjuguait à « L'heure exquise ». Le projet de ce parcours de musique
française, longtemps chéri par René Martin, a été soigneusement mis au point,
en y mêlant une guirlande de pièces espagnoles. Tant ces deux nations se sont
influencées mutuellement à partir de la fin du XIX ème. Encore une fois, la
fréquentation aura été nombreuse, même si plusieurs concerts n'affichaient pas
salle pleine : crise oblige, ou abondance de propositions ? En tout cas, la
qualité d'écoute était au rendez-vous, et même des titres quasi inconnus auront
su capter l'auditoire. Souvent, l'interprète livrait quelques clés de
compréhension sur telle œuvre, ou la manière de la jouer, rendant ainsi
l'assistance partie prenante d'une aventure, qui est tout sauf quelque chose de
passif.
Le programme, concocté par le signataire de ces lignes,
s'est d'abord abreuvé de piano, de celui des piliers que sont Debussy, Ravel et
Fauré. La jeune Claire Désert jouait une poignée de pièces tirées des Préludes de Debussy, dont une souveraine « Cathédrale engloutie », ou une
volatile « Ondine ». La manière de cette artiste fait plaisir à voir,
faite d'humilité et d'immense musicalité. « Debussy, Best-of », tel
était le titre d'un des récitals conçus par Philippe Cassard, qui, l'espace de
trois quart d'heures de pure fantasmagorie sonore, rapprochait des pièces aussi
contrastées que la « Première arabesque » ou « Golliwogg's
cake-walk », bien charpentées, « Clair de lune » ou
« Rêverie », où la poésie à l'état pur, ou encore « Jardins sous
la pluie », modèle de drame miniature, avec son refrain « Nous
n'irons plus au bois ». Le jeu, bien détaché, n'a rien de vaporeux, alors
que le spectre sonore est très ample. De Ravel, Jean-Frédéric Neuburger jouait Le
tombeau de Couperin avec une maestria parée de nuances infinies :
« Rigaudon », a déjà des sonorités orchestrales, « Menuet » est d'un doux abandon,
la « Toccata » finale réveil virtuose. Cette empathie pour l'art
ravélien, on la retrouve dans Gaspard de la nuit : le grand crescendo de
« Ondine », le sentiment palpable de désolation de « Le
Gibet », et son lancinant écho de cloche triste, ou l'énergie de
« Scarbo ». La maîtrise des climats, comme des aspérités techniques,
n'est décidément pas un problème pour cet interprète. Du grand piano ! Autre
manière, plus centrale, dirons-nous, chez Jean-Claude Pennetier, qui offrait la
2ème partie des Nocturnes de Fauré, dont il explique qu'ils ne forment
pas un cycle, et seront joués selon un enchaînement apte à respecter quelque
logique sonore. La poétique de ces pièces secrètes, qui explorent l'âme,
Pennetier la transmet avec la simplicité de celui que l'expérience a enrichi.
Les trois derniers morceaux se vivent comme des épures, les traits véloces de
l'ultime, op. 119, ne parvenant pas à dérider, chez Fauré, un climat qui
s'enfonce dans la réflexion métaphysique. Une merveilleux concert restera celui
de Anne Queffélec, titré « Satie et compagnie ». La pianiste, dont on
connaît les talents de pédagogue, détaille, d'entrée de jeu, le fil rouge de
son programme : réunir autour du musicien non conformiste, vrai « oxymore
humain », quelques contemporains non moins imaginatifs, Poulenc, Koechlin,
Déodat de Séverac, Reynaldo Hahn, Florent Schmitt, et même des inconnus, tel
Pierre-Octave Ferroud (1900-1936). Ses « coups de cœur », en somme.
Pour montrer comme « la locomotive Satie » rendit service à ses
collègues en les faisant connaître. Et combien aussi la musique française est
plus que charme apparent : souvent sombre, comme si « le vide est
plein ». Le récital fera alterner quelques pièces de Satie avec Debussy,
et le délicieux « Petit nègre », et plus loin, son magique
« Clair de lune ». On se délectera du charme acide de « La
Pastourelle » de Poulenc, de l'insondable tristesse de
« Hivernale », de Hahn, tandis que « Un après-midi de
dimanche », de Gabriel Dupont (1878-1914), donne à entendre une joyeuse
volée de cloches, et que « Le glas » de Schmitt recèle une modernité
inouïe dans ses traits shuntés de la main droite. Immense Queffélec !
Celle-ci était rejointe par Régis Pasquier pour
l'exécution des premières Sonates pour violon et piano de Fauré et de
Saint-Saëns. L'op. 13 du premier offre cette veine inépuisable de modulations,
avec un andante « sur le mode mineur », et un scherzo où le thème se
déploie tel un ludion espiègle. Une interprétation d'une parfaite transparence
gallique. Ce que l'on savoure autant au fil de la Sonate de Saint-Saëns, qui se
signale par son primesautier allegretto moderato et son finale, enchaîné, en
forme de mouvement perpétuel. Le genre du trio avec piano, si prisé des
musiciens au tournant du siècle, était fort représenté durant ces concerts. Par
celui de Fauré, op 120, en particulier, entendu deux fois, l'une par le Trio
Pennetier/Pasquier/Pidoux (père), distillant l'inspiration la plus secrète du
compositeur, et ce langage serré qui est celui de sa dernière période, l'autre
par le Trio Wanderer, musiciens idéaux dans ces longues phrases typiques
fauréennes. Ces derniers donnaient aussi les Quatre petites pièces pour cor,
violon et piano, op 32, de Koechlin, aux sonorités envoûtantes. Une première
exécution au concert, aux dires du violoniste, l'œuvre n'étant pas même encore
éditée. L'autre formation donnait le Trio de Ravel, dans une interprétation
miraculeuse d'équilibre, en particulier durant l'illustre
« Passacaille ». Question quatuors, il y avait embarras de richesses.
On avait sélectionné celui de D'Indy, rarissime, joué par un jeune quatuor
multinational, le Cuarteto Arriga. Cet élève de Franck sera lui-même chef de
file de toute une génération : un fin mélodiste, qui sait varier les climats et
la forme. Le « thème varié », sorte de scherzo, est très libre, les
variations traitant magistralement le thème dans ses diverses métamorphoses.
Bien sûr, il ne fallait pas manquer ce formidable morceau chambriste qu'est le Concert
pour piano, violon et quatuor à cordes op 21 de Chausson, ou l'élégance
française à son zénith. Régis Pasquier, Emmanuel Strosser et le Quatuor Prazák
l'abordent d'un geste ample et resserré à la fois, libérant la clarté des
structures ; tandis que l'ensemble réunissant Renaud Capuçon, Nicholas Angelich
et le Quatuor Modigliani le voit bandé comme un arc, sonnant quasi orchestral,
extrêmement contrasté. Fascinante comparaison, entre deux façon d'interpréter,
entre deux générations.
Autre sujet de fascination : la foultitude d'œuvres à peu
près inconnues présentées lors de ces journées. On a déjà parlé de Koechlin. On
pouvait aussi entendre Charles- Valentin Alkan (1813-1888), et son
« Scherzo diabolico » pour piano (Claire Désert), grand morceau de
virtuosité, tendu à l'extrême, un des exemples de ce que peut produire le
« Berlioz du piano ». Le nantais Paul Ladmirault (1877-1944), élève
de Fauré, dévoile dans sa courte Fantaisie pour piano et violon, un beau
lyrisme, où pointe quelque trait fantasque. De Jean Cras (1879-1932), les
Wanderer donnaient le Largo pour violoncelle et piano : grand mélodiste, cet
officier de marine, qui mena de font ses deux carrières, a des élans qui font
penser à ceux de la voix humaine. Là aussi, une quasi redécouverte, car la
pièce n'est pas encore publiée. Mais les Wanderer sont d'infatigables
déchiffreurs. Ils ont joué aussi le Trio pour violon violoncelle et piano de
Gabriel Pierné, op 45 : émule de Frank, la forme cyclique se ressent dans cette
composition, lors d'un immense premier mouvement, combinant thème haletant et
plages plus paisibles, « planant », aux dires du violoniste. Dans
l'allegretto scherzando pointe un rythme de valse mâtinée de samba ! La
découverte la plus étonnante restera Louis-Théodore Gouvy (1819-1898), musicien
franco-allemand, tout comme Offenbach, qui doit sa redécouverte aux efforts de
la Fondation pour la musique romantique française, Palazzetto Bru Zane. Claire
Désert jouait deux de ses « Sérénades » pour piano, qui ne manquent
pas d'intérêt : dans l'esprit de Chopin, auquel il manquerait l'ultime esprit
mélodiste, mais recelant une indéniable fantaisie.
René Martin avait tenu à inclure de la musique espagnole :
rendant hommage aux amitiés qui ont marqué une époque bénie. On a ainsi entendu
des pièces là encore peu connues. Ainsi du Quatuor de Turina (par les Arriaga),
de veine impressionniste, hyper mélodieux, quoique moderne. La pièce titrée La
Prière du torero, pour quatuor à cordes, déploie une veine ibérique
évocatrice. Écrite à l'origine pour quatuor de guitares, elle sera transcrite
par l'auteur : on passe de l'invocation, à la fièvre précédent l'arène, pour
terminer dans un trait extatique. La Sérénade du même compositeur, est
séduisante de ses traits sul ponticello, et alterne pages de mystère ou
éclatantes de lumière. Le Quintette pour piano de Enrique Granados assimile le
style de César Franck, et offre une belle atmosphère nocturne, et ces traits
tristes souvent tracés par la musique espagnole. Isaac Albeniz était fêté par
son chef d'œuvre Iberia, dont Luis Fernando Pérez donnait l'intégrale.
Quelle musique ! Ces « douze impressions pour piano » (1905-1908)
sont un vibrant hommage à sa chère terre natale. Nullement descriptives, malgré
les titres des pièces, elles traduisent l'âme espagnole. Forgées à la
virtuosité de Liszt, elles sont aussi imprégnées d'influence française. Quelle
interprétation ! Luis Fernando Pérez, qu'on a vu mûrir au fil des récentes
Folles Journées, atteint aujourd'hui la pleine maturité. Digne successeur de
Alicia de Larrocha, il dévoile tout la modernité de ces pages, dans un spectre
sonore très vaste, du pppp évanescent au ffff rageur, et soigne
les appogiatures qui en font le sel. Un grand moment de piano !
Jean-Pierre Robert.
***
SPECTACLES ET CONCERTS
Radamisto au Theater an
der Wien
Georg Friedrich HAENDEL : Radamisto. Opera seria en trois actes. Livret de
Nicola Francesco Haym. David Daniels, Florian Boesch, Sophie Karthäuser, Patricia
Bardon, Jeremy Owenden, Fulvio Bettini. Freiburger Barockorchester, dir. René Jacobs. Mise en scène : Vincent
Boussard.
Radamisto, tiré des Annnales de Tacite, est le premier opéra anglais de
Haendel. Il sera créé en 1720, au King's Theater de Londres. Pour René Jacobs,
« c'est l'opéra des superlatifs », garni de grandioses arias da capo,
qui, ici, dominent plus encore que dans d'autres compositions. Elles contrastent
aussi avec des formes vocales différentes, dont plusieurs cavatines, sans
parler d'un quatuor à la scène finale. L'histoire est familiale, et politique,
où l'on voit l'arménien Tridate convoiter la belle Zénobie, épouse de
Radamisto, enfant de Thrace, son ennemi juré. La sœur de ce dernier, Polissena,
est pourtant l'épouse de Tridate... On imagine les chassés croisés vengeurs,
parce qu'amoureux. Un lieto fine remettra tout en ordre, et les deux couples se
reformeront. Cette trame avait déjà été mise en musique, dix ans auparavant,
par un certain Domenico Lalli, sous le titre de « L'amor tirannico o
Zenobia ». Mais Haendel se fait plus concis et plus dramatique, aidé de
son librettiste Haym, lui-même fin musicien. Comme souvent, l'opéra connaîtra
plusieurs versions, celle d'origine ayant été remaniée dès 1721, puis encore en
1728, dans le souci de raccourcir les récitatifs. Pour cette production du
Theater an der Wien, René Jacobs indique avoir cherché à concentrer la pièce,
pour bien faire émerger les vertus qui sous-tendent les personnages, le
courage, l'affirmation de soi, mais également la fantaisie. C'est ce qui
transparait de sa direction, très inspirée. Elle paraît uniforme dans sa
gestuelle symétrique des deux bras. Et pourtant, il s'en dégage une volonté de
souligner mille nuances. La battue est énergique, les tempos décidés, et les
passages de calme lyrisme suggestifs. Jacobs favorise à l'envi vocalises et
appogiatures. Ainsi de l'aria de Radamisto, « Ombra cara »,
assurément le summum de l'opéra, délivrée par un orchestre assagi, sur une
envoûtante pédale de grave, qui va s'éteindre peu à peu. Le Freiburger
Barockorchester est tout simplement l'instrument idéal. Son équipe de chanteurs
est elle aussi superlative. Florian Boech apporte une autorité naturelle au
tyran Tridate, et un abattage phénoménal, dont un air de bravoure avec
accompagnement de trompettes et de cor ! Sa Polissena, épouse rejetée, en proie
au malheur des grandes héroïnes, Sophie Karthäuser en livre la belle jeunesse
gâchée, et le chant immaculé. Cette immense artiste fait de l'or avec sa voix
de soprano clair. Patricia Bardon, de son timbre de bronze, campe une Zénobie
résolue et grandiose, au chant inextinguible. On admire le style assuré et les
ornements imaginatifs du ténor Jeremy Owenden, Tigrane. Quant à David Daniels,
Radamisto, il n'est, certes, plus à son apogée pour négocier ces trilles
d'enfer, confiées à la création, au castrat Senesino, et surtout mis en
concurrence avec ses actuels challengers contre-ténors. Mais il faut lui
reconnaître une ligne de chant élégamment menée, qui sait encore briller dans
l'air « Ombra cara ».
La mise en scène du français
Vincent Boussard a fait tousser le public viennois. Il voit là une histoire
d'initiation, celle d'une jeune prince, déjà à la fin de son règne, qui cherche
à se dégager de l'autorité paternelle, celle de l'ancêtre Farasmane. Il
est question aussi du thème de la
cruauté des puissants pour assouvir leurs passions intimes. Boussard se réfère
au bon Dr Freud : ce sera un voyage dans la psyché et l'âme de Radamisto. Sans
pour autant négliger d'autres perspectives : la douceur des sentiments, la
clémence, si présents dans la précision des récitatifs. Dont acte. Mais le
résultat ne laisse pas d'interroger : à force de vouloir animer coûte que coûte
ce qui est manifestement statique (un brelan de femmes, façon béguines, par
exemple, entrent et s'en vont, souvent en procession réglée), on n'évite pas
l'effet gratuit. Voire même l'opposition avec la musique : tel ce beau solo de
Zénobie, gâté par le bruit intempestif du lâcher d'une poignée de couverts en
argent... L'action se déroule dans un huis clos, une pièce banale, percée de
trois portes qui ouvrent sur des horizons plus lointains. La symbolique,
empruntée à l'auteur de « L'interprétation des rêves », s'encombre
de traits au énième degré : ainsi de la chaise, celle du pouvoir, que Tridate
brandit en tous sens, ou d'une immense table à manger, symbole du
rapprochement, et aussi d'équilibre ; mais qui barre la scène, et que d'aucuns
doivent enjamber, tant elle est infranchissable, pour se rapprocher, et
simplement mieux se faire entendre. La symbolique du poisson dans l'aquarium,
signifiant du processus d'individualisation, est plus absconse. Le choix des costumes
participe du même parti d'attirer l'attention. Christian Lacroix, qui plaide,
justement, pour leur fonction dramaturgique, a conçu un mélange de styles,
souvent extravagants, dans les tons sombres, sur lesquels tranchent quelques
touches de blanc. Tout cela créé une atmosphère souvent surréaliste, certes
agréable à l'œil, qui n'apporte pas cependant beaucoup à l'impact dramatique,
si ce n'est la volonté de chercher à animer à tout prix des conflits secrets.
Jean-Pierre Robert.
La Dame de Pique au Staatsoper
de Vienne
Peter Ilych TCHAIKOVSKI : La Dame de Pique. Opéra en trois actes. Livret de
Modest I.Tchaikovski, d'après la nouvelle d'Alexandre Pouchkine. .Neil Shicoff, Hasmik Papian, Grace
Bumbry, Tómas Tómasson, Eijiro Kai, Sorin Coliban, Nadia Krasteva, Juliette
Mars, Herwing Pecoraro, Benedikt Kobel. Chor und Orchester der Wiener Staatsoper, dir. Marko Letonja. Mise en
scène : Vera Nemirova.
Le chef d'œuvre de Tchaikovski
qu'est La Dame de Pique renferme un fort potentiel dramatique, puisant à
des grands thèmes, dans lesquels le compositeur frôle le génie théâtral. Il
existe bien des façons de le représenter. Parmi les mises en scènes récentes,
celle de Lev Dodin, à l'Opéra Bastille est proche de l'envoûtement. Vera
Nemirova, au Staatsoper de Vienne, se montre moins ambitieuse, et même par
rapport à sa régie pour un Eugène Onéguine, produit naguère au Festival
de Salzbourg. Là où Dodin place l'action dans un asile, dans lequel le pauvre
Hermann vit un calvaire programmé, sa collègue russe imagine un pensionnat de
jeunes gens. L'enfance est, en effet, un paramètre essentiel de la pièce, dans
ses premières scènes du moins. La deuxième, qui voit éclore le poétique duo
entre Lisa et sa sœur Polina, n'est nullement affectée par ce traitement. Au
contraire, la remarque de la Gouvernante, « Quel genre, Mesdames »
prend tout son sens. Reste que le décor, unique, va devoir se plier à d'autres
situations, et servir de cadre, par exemple, à une gigantesque « party »,
traitée dans le ton de la débauche et le clinquant, qu'on sent inspiré des
manières de la nomenklatura de l'ère Poutine. Il en ira de même au tripot
final. Ce grotesque, Nemirova le souligne à satiété, pour faire comprendre que
deux mondes s'opposent, celui des gens fortunés, qui se vouent au jeu, celui
des pauvres miséreux ; à l'image de Saint-Pétersbourg, la ville des
dissimilitudes sociales. La pièce est pessimiste, plus encore, « une forme
d'avertissement » souligne-t-elle. Il y a quelque chose d'extrême dans le
texte, et son expression musicale d'ailleurs. L'hyper activité des tableaux
d'ensemble contraste avec le caractère réservé, discret, des scènes intimistes.
Lorsque, par exemple, Hermann tente d'arracher à la Comtesse le secret des
trois cartes gagnantes. Un bel effet dramatique verra alors le visage de
celui-ci, tapi au fond de la pièce, taquiné par le reflet du miroir du poudrier
de la vieille femme. Rare effet, car la direction d'acteurs reste peu
imaginative ailleurs. Mais sans doute, l'impact de la régie s'est-il émoussé,
lors de cette reprise d'une production inaugurée en 2007. Ainsi en va-t-il du
système de la « stagione », favorisé dans cette maison. Mauvaise idée
encore que la coupure intempestive intervenant après cette scène. Le fait
d'introduire la suivante par la lecture, par une voix de femme enregistrée,
Lisa sans doute, d'une lettre en russe, apporte peu à la dramaturgie, qui se
ressent décidément de cette interruption. Un exemple des ruptures de rythme,
comme de style au demeurant, émaillant cette mise en scène.
Musicalement, les choses sont plus
nuancées. Pour ses débuts in loco, Marko Letonja, qui officie à l'Opéra
National du Rhin, livre une direction pensée, et bénéficiant de musiciens hors
pair, peaufine des détails intéressants. Même si ne sont pas évités quelques
décalages entre fosse et plateau, dans les chœurs. La distribution devrait être
dominée par Neil Shicoff, dont Hermann passe pour un des meilleurs rôles, Las,
et une menace de défection, dont le suspens a duré jusqu'au dernier jour, le
démontre, la performance n'est plus celle d'antan : aigus forcés et fatigués,
même si la présence est encore assurée,
métier aidant. Sa Lisa est par contre, de classe : Hasmik Papian, vue déjà à
l'Opéra de Lyon, possède le timbre et le gabarit exact de cette partie
merveilleusement écrite, et un engagement de tous les instants. Grace Bumbry
fait un comeback remarqué dans le personnage phare de la Comtesse,
dramatiquement juste, vocalement encore suffisant. Sa grande scène est un
modèle de drame assimilé : d'abord étonnée de la présence de l'officier, puis
incrédule, et peu à peu reprenant la situation en mains. Dommage que les choses
sombrent après dans le mélodrame. Les autres protagonistes sont plus ou moins
bien servis : de l'excellent, la Polina
assurée de Nadia Krasteva, le Surin sonore de la basse Sorin Coliban, à
l'acceptable, le Tomski beuglé de Tómas Tómasson. Une représentation qui
n'évite pas le sentiment de routine.
Jean-Pierre Robert.
Solistes russes à la
manœuvre
Vadim Repin et quelques amis se
retrouvaient l'instant d'une soirée de musique de chambre au programme peu
ordinaire. Le Trio de Chostakovitch, le Quintette de Bartók, et le Trio
élégiaque de Rachmaninov ne figurent pas au nombre des « morceaux de
culture » habituels des salles de concerts. L'assistance était très
fournie pourtant. Signe réconfortant de la maturité du public, qui veut
désormais s'attarder dans des sentiers nouveaux. De Rachmaninov, le Trio
élégiaque N°1, pour piano, violon et violoncelle, encore moins connu que son
petit frère, dit «A la mémoire d'un grand artiste », date de 1892, et dans
son seul mouvement, laisse au clavier le rôle de primus inter pares. Et de
quelle manière, puisqu'il se verra même confier, en son beau milieu, une longue
plage solo. Avec la pièce de Chostakovitch, le climat est bien différent : cet
op 67, créé avec le compositeur au piano, en novembre 1944, à
Saint-Pétersbourg, tout juste libérée, a été écrit à la mémoire d'un ami cher,
Ivan Ivanovitch. Elle exhale un sentiment tragique irrépressible, et forme un
pendant à la Huitième Symphonie. Son premier mouvement est âpre, ce que la
persistance des notes aiguës du cello souligne. Le suivant, allegro con brio,
est motorique, et ne laisse pas de place au répit. Celui-ci viendra avec le
largo, une sombre passacaille, profonde, déchirante. La conclusion, proche
d'une danse macabre, est étourdissante de difficultés, pour les deux cordes,
notamment dans le registre supérieur. On ne sort pas indemne d'une telle pièce,
dont Vadim Repin, Alexander Kniazev et Denis Matsuev jouent à fond les
contrastes. Au point que le pianiste, une force de la nature, a tendance à
quelque peu écraser l'ensemble dans le forte. Bartók a, très tôt dans sa
production, abordé la musique de chambre. Son Quintette pour piano et quatuor à
cordes, de 1904, est une œuvre monumentale, quelques 40 minutes, encore marquée
par l'influence des romantiques, Liszt tout particulièrement, dont il reprend
le système cyclique de la métamorphose thématique. La pièce fourmille d'idées
et de rythmes, à l'aune de la fougue qui caractérise le jeune musicien, épris
de liberté. Il y développe ainsi une métrique complexe dès le premier
mouvement, en forme d'arche. Le deuxième, marqué « vivace
scherzando », modifie constamment la rythmique. Il est aussi traversé de
brèves sections expressives, tributaires de Brahms. L'adagio, qui fait penser à
Richard Strauss, dont il « anticipe » certaines harmonies, est une
vraie étude sur le timbre, et les alliances cordes-clavier. Le finale, qui s'y
enchaîne directement, au point qu'il est difficile de distinguer les deux
séquences, est parcouru de thèmes populaires hongrois, et de rythmes très
accentués, annonçant les œuvres futures. Repin et Matsuev, qui se sont adjoints
le violoniste Valeriy Sokolov, l'altiste Julia Deyneka et le celliste Alexander
Buzlov en donnent une exécution passionnée, d'un formidable jaillissement. Il
faut saluer leur audace d'avoir sorti de l'ombre une pièce que Bartók lui-même
avait mise de côté, en 1921. Tombée ensuite dans l'oubli, pour n'être
redécouverte qu'en 1963, elle demeure depuis lors peu jouée et enregistrée.
Jean-Pierre Robert.
Reprise de La
Khovantchina à l'Opéra Bastille
Modest MOUSSORGSKY : La Khovantchina.
Drame musical en cinq actes. Livret du compositeur et de Vladimir Stassov.
Orchestration de Dimitri Chostakovitch. Orlin Anastassov, Larissa Diadkova,
Gleb Nikolsky, Vladimir Galouzine, Vsevolod Grivnov, Sergey Murzaev, Marina
Lapina, Nataliya Tymchenko, Vadim Zaplechny, Yuri Kissin, Vasily Efimov,
Vladimir Kapshuk. Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur d'enfants de l'Opéra
National de Paris. Orchestre et Chœur de l'Opéra National de Paris, dir.
Michail Jurowski. Mise en scène : Andrei Serban.
Plus encore que Boris
Godounov, La Khovantchina est la grande œuvre lyrique de
Moussorgsky. Elle scrute l'âme du peuple russe en ce qu'elle a de plus profond.
Son austérité, sa manière quelque peu patchwork, peuvent dérouter, tout comme
l'ascétisme du sujet. Mais il y a là un flot musical puissant, qui s'abreuve
aussi bien de mélodies grandioses que de traits volontairement plus abrupts,
sans parler des thématiques orientalisantes, au IV ème acte. Surtout, le chœur
est traité dans ce qu'il a de plus original, les diverses factions en lice
permettant d'en différencier le chant à volonté. La déclamation vocale y est
calquée sur la parole en une fusion expressive rare. On est subjugué par le
rythme, tout comme par ces ruptures qui surgissent où on ne les attend pas, et
plus d'une fois on reste saisi devant l'extrême concision de la pensée. Il
n'est que de citer les deux interventions réunissant Dosifei et Marfa, pour
constater que la mélodie peut être aussi brève que profonde. L'orchestration de
Chostakovitch, d'une pièce demeurée inachevée, est pourtant loin d'assécher la
veine de son auteur. Aussi, la direction d'orchestre en est-elle délicate. On a
fait appel, pour cette reprise, à l'Opéra Bastille, au vétéran Michail
Jurowski, père des deux jeunes chefs en vue que sont Juri et Vladimir. Après un
Prélude, banal, qui passe à côté de sa belle poésie, et un premier acte, un peu
court côté émotion, les choses s'améliorent, et peu à peu émerge un discours
affermi, rendant justice au « symphonisme » de la pièce, que souligne
Rotilslav Hofmann. Le chef a enfoncé son orchestre au maximum de la fosse, sans
doute pour ne pas gêner le chant, et sûrement obtenir un son fondu et
synthétique. De fait, on perçoit plus les nuances d'une musique souvent
étonnamment lyrique, qu'on est frappé par son impact, grands coups de boutoir
mis à part. Tout cela n'est, sans doute, pas aisé à savourer par un public, ce
soir-là, difficile à « accrocher », et empli de
« tousseurs » invétérés. Dommage de passer à côté de l'essentiel. L'Orchestre
de l'Opéra se donne au mieux dès le départ, et les chœurs font des prouesses.
Les solistes sont, pour la plupart, au plus près de l'idiome singulier de
Moussorgsky. Au premier rang, on citera le formidable Dosifei de Orlin
Anastassov, voix d'airain, presque un peu trop lisse, mais ne boudons pas le
plaisir d'entendre une basse de cette ampleur. Et quelle solennité dans la
prise de parole ! Tout comme Larissa Diadkova, Marfa d'une grave présence, et
dont le timbre impressionnant de mezzo-contralto épouse de si près la ligne de
chant. Il y a là un des plus beaux rôle du répertoire russe, quasi idéalement
servi par cette artiste d'exception. Les autres voix sombres sont bien
défendues, dont Sergey Murzaev. Quoique Gleb Nikolsky, en Ivan Khovantski sollicite
le trait facile, et ne parvienne pas toujours à maintenir un chant maîtrisé.
Pareillement, les ténors sont excellents dans le cas de Vladimir Galouzine,
mais trop discret pour ce qui est de Vsevolod Grivnov.
La mise en scène de
Andrei Serban conserve son pouvoir de suggestion, même si peu imaginative. On peut pénétrer plus à
fond le drame de ce peuple balloté entre idéaux et suivisme. Il y a là des
déploiements de force quelque peu stéréotypés, et une régie souvent très
policée dans la différenciation entre tableaux de foule animés, et passages de
dialogues resserrés. Ces derniers, qui interviennent souvent sans solution de continuité, sont, ici, trop
dispersés sur le vaste plateau pour donner force aux oppositions ou communauté d'idées. Mais, là encore, les choses
connaissent une intéressante progression au fil des actes. Et les deux derniers
percent les arcanes de cette œuvre gigantesque. Ainsi du tableau de la danse
des esclaves persanes enchaînées, chez le Prince Ivan Khovanski, qui verra là
sa soudaine et tragique fin. La scène finale, dans un no man's land aride, des
Vieux Croyants se dépouillant de leurs vêtements noirs pour arborer une
chasuble blanche immaculée, ne manque pas son effet émotionnel : c'est pour
atteindre la rédemption, plus encore qu'assurer l'avènement de leurs idées,
qu'ils offrent le sacrifice de leurs vies.
Jean-Pierre Robert.
Street Scene au Châtelet
ou l'occasion manquée
Kurt WEILL : Street Scene. Opéra américain en deux actes. Livret de Elmer Rice, d'après la pièce
éponyme. Lyrics de Langston Hugues et Elmer Rice. Geof Dolton, Sarah Redwick,
Susanna Hurrell, Pablo Cano Carfioca, Paul Featherstone, Kate Nelson, Paul
Curievici, Robert Burt, Simone Sauphanor. Chœur du Châtelet. Orchestre Pasdeloup,
dir. : Tim Murray. Mise en scène : John Fulljames.
Enfin une version scénique de Street
Scene à Paris ! Kurt Weill portait en haute estime cette œuvre, qui sera
créé en 1947, à New-York. En tout cas, c'est celle dans laquelle il a le mieux
assimilé le style de Broadway, en l'adaptant à la manière de l'opéra européen.
Si la trame ne recèle pas d'action dramatique haletante, du moins
autorise-t-elle des développements musicaux évocateurs d'une torride journée
dans le East Side new-yorkais, que vivent des communautés d'immigrants, qui
subissent là un quotidien ordinaire : les heurs et malheurs d'une existence
banale, à défaut d'être héroïque. On voit bien vite que dans cet espace
finalement rétréci qu'est la rue, les commérages des uns accréditeront le
voyeurisme des autres, et qu'un bon père de famille, un peu trop rigide, finira
par un geste tragique, qui dépasse peut-être sa volonté. Un mini drame social
en somme. Weill a habillé cette vie de tous les jours d'une musique attachante,
fourmillante d'inventions. Dire que la production du Châtelet lui rend justice
revient à poser la question des intentions de ses auteurs, et du ressenti sur
le vif. Le metteur en scène John Fulljames relève que Street Scene « est un spectacle melting pot sur le creuset new-yorkais », la rue,
cadre de l'action, étant « un espace vide défini par les gens qui le
remplissent », où « des vies privées se jouent en public ».
C'est exactement cela. Mais pourquoi l'orchestre tient-il une place si
particulière qu'il doive déserter la fosse pour être placé sur le plateau même
? Ce qui a pour effet de limiter singulièrement l'espace scénique, confinant
les protagonistes sur une aire de jeu restreinte, et conduisant à des
mouvements quelque peu stéréotypés. La rue est scène, certes, mais il est un
peu facile de la réduire ainsi à un lieu introuvable, où seuls deux escaliers,
façon « stairs » en ferraille, disposés de part et d'autre du
dispositif orchestral, lui-même situé sur deux niveaux, les cordes en bas, les
vents en-dessus, viennent en rompre la monotonie. On est là dans une
présentation proche du « semi staged » en costumes. De plus, on a
vite fait le tour d'une régie d'acteurs simpliste, où les numéros musicaux se
succèdent sans grande fantaisie. Il y aura peu de surprises, tant les
évènements paraissent attendus. Seuls, les éclairages permettent de
différencier les tableaux. Certes, il n'est pas aisé d'habiter cet
« espace vide ». Mais l'idée, a priori originale, de placer les
musiciens à même le plateau, corsète la mise en scène plus qu'elle ne lui offre
d'espace. Le show est sauvé par des prestations vocales et dramatiques
intéressantes, notamment les personnages de Rose Maurrant, attachante Susanna
Hurrel, ou du papa Frank Maurrant, impressionnant Geof Dolton, belle voix de
baryton clair, menaçant, puis pitoyable devant son forfait, ou encore le jeune
Sam Kaplan, Paul Curievici, fin ténor, bel acteur. Quelques individualités
ressortent aussi, qui font le sel de la pièce, et l'émaillent d'habiles
diversions : le bagout de Paul Featherstone, le doux illuminé Abraham Kaplan,
qui voit tout en révolution prolétarienne, ou Robert Burt, excentrique Lippo, à
la faconde italienne plus vraie que nature. La sonorisation, façon revue
américaine, se veut discrète, mais se
rappelle constamment à l'attention. L'Orchestre Pasdeloup se tire fort bien
d'affaire, sous la conduite de Tim Murray qui montre combien Weill marie
astucieusement les divers styles et genres musicaux, agrégeant ce qui revient
au jazz, à l'opérette européenne, au blues, à l'opéra vériste même.
Jean-Pierre
Robert.
René Jacobs porte au
triomple « Il Trionfo » de Haendel
Georg Friedrich HAENDEL : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. Oratorio en deux parties. Livret de Benedetto Pamphili.
Sunhae Im, Julia Lezhneva, Christophe Dumaux, Jeremy Ovenden. Freiburger
Barockorchester, dir. René Jacobs.
Décidément, Il Trionfo del
Tempo e del Disinganno a la faveur des salles ( cf NL de 3/2012, au sujet
d'une exécution scénique à Berlin). Tant mieux ! L'oratorio, commandé par le
cardinal Benedetto Pamphili, au compositeur fraîchement installé à Rome, sur
l'allégorie de la vanité de la beauté, est un parfait exemple de l'adaptation
que Haendel peut réussir d'un sujet moral : un « oratorio volgare », une
forme à peine déguisée d'opéra. Quatre personnages pour un jeu qui soumet la
Beauté à rudes interrogations, et la conduira au renoncement des fastes de la
vie d'ici-bas, malgré les assauts de séduction du Plaisir. Et ce grâce aux
efforts assidus et conjugués du Temps et surtout de la Désillusion. Haendel a
commis là une de ses musiques les plus fascinantes. Les arias da capo
virtuoses, de pur lyrisme comme de fureur passionnée, se parent souvent d'un
accompagnement instrumental concertant. On distingue aussi des duos, et même
deux quatuors vocaux. René Jacobs fait sienne cette partition avec une force
peu commune. Son exécution sera résolument chambriste, avec quelques 25
musiciens, répartis spatialement de manière symétrique, la harpe baroque
trônant au centre, devant le chef. Grâce à son passé de chanteur, René Jacobs
sent tout par et à travers le chant : les appogiatures de la ligne vocale
migrent dans le discours symphonique. De même, les tempos modulent-ils
constamment, au sein d'un air, pour souligner tel passage signifiant. Cela
semble couler de soi, tant la manière du chef est simple. En apparence. Car il
scrute patiemment chaque morceau, chaque phrase. Et il émane de ses mains des
nuances inouïes. Il a tenu expressément à ce que toute interruption pour
applaudissements soit bannie. On le comprend, tant les enchaînements entre
numéros sont, ici, essentiels : toute coupure serait maladroite. Tel air, qui
semble devoir conclure naturellement, peut se trouver contrecarré par
l'intervention subite d'un autre protagoniste. Cela confère au déroulement une
vie extraordinaire, qui n'est pas loin du théâtre. La ponctuation est aussi
soignée : plus d'une fois on est saisi par ces fins de phrases douces ou
abruptes, comme cette fabuleuse note de l'orgue, tenue durant plusieurs
secondes, à la fin de l'ultime aria de Bellezza. Le Freiburger Barockorchester
fait des merveilles : chaque musicien est un soliste, même si l'on distingue,
de par l'originalité du texte, le premier violon et ses envoûtants solos, tout
comme ceux du violoncelle, de l'orgue ou du clavecin. Ils sont chaleureusement
et longuement ovationnés. Comme le quatuor de chanteurs, de haut vol. Ils sont,
eux aussi, savamment disposés, les deux femmes au premier plan, les deux hommes
au fond, pour ce qui se rapproche d'une exécution semi-staged. Sunhae Im, Bellezza, est une radieuse soprano,
sobre au début, puis s'épanouissant à mesure que la voix se chauffe. Le ténor
Jeremy Ovenden, que s'arrachent les chefs baroques, s'accomplit en une ligne de
chant assurée et des vocalises d'une absolue sûreté. Christophe Dumaux,
Disinganno, qui figure en bonne place dans l'avantageuse liste de nos
contre-ténors vedettes, signe une exécution fouillée, donnant même du piquant à
ce qui est « théâtre de la vérité ». Julia Lezhneva, Piacere, offre
quelque chose que l'on devine souverain dès ses premières interventions, une
vraie présence, simple, pas affectée, un chant mû par la chaleur du timbre
comme par sa ductilité, des cascades de vocalises pianissimos étourdissantes,
au fils d'arias superbes, dont la fameuse « Lascia la spinna », une
des plus belles inspirations mélodique du « caro Sassone ». Une voix
à suivre de très près. Un concert miraculeux en tout cas.
Jean-Pierre
Robert.
Une ravigotante
Ciboulette à l'Opéra Comique
Reynaldo HAHN : Ciboulette.
Opérette en trois actes. Livret de Robert de Flers et Francis de Croisset. Julie Fuchs, Jean-François Lapointe, Julien
Behr, Eva Ganizate, Romain Debois, Cécile Achille, Jean-Claude Saragosse,
Guillemette Laurens, Patrick Kabongo Mubenga, François Rougier, Safir Behloul.
Bernadette Lafont, Michel Fau, Jérôme Deschamps. Chœur Accentus. Orchestre
symphonique de l'Opéra de Toulon, dir. Laurence Equilbey. Mise en scène :
Michel Fau.
Reynaldo Hahn est venu à
l'opérette sur le tard. Avec une sûre expérience de la scène.
Après une première partie de
carrière consacrée plutôt à l'opéra, le compositeur d'origine espagnole, né à
Caracas, se tourne vers le genre léger. Ciboulette voit le jour, en 1923,
grâce à la proposition de livret de l'ami de Flers, avec d'éminents chanteurs,
Edmée Favart et Jean Périer, le créateur de Pelléas ! Le succès, immédiat, ne
se démentira pas. C'est que Hahn, pour qui littérature et musique sont à placer
sur le même plan, retrouve la veine lyrique de l'opérette du XIX ème siècle,
d'un Lecoq, d'un Offenbach ; un genre qui s'est délité et est alors éclipsé par
la vogue de l'opérette viennoise. Il
reprend à son compte tous les codes d'un genre bien français, et manie un art du
chant qui sait allier la rigueur opératique et la liberté du caf' conc'.
Bernard Gavoty dit que sa musique « simple en apparence, est toujours le
fruit d'une ardente méditation » (« Reynaldo Hahn », Buchet
& Chastel). Elle est avant tout sincère : « Je n'ai jamais écrit une
seule note insincère », dira son auteur. Et c'est ce qui en fait
tout le prix : des tournures légères pour des airs, certes, sans prétention,
mais si bien troussés, des échanges vifs et aguichants, des ensembles bien
ficelés, des finales entraînants. Et surtout, un mélange du parler chanter,
cette épine dorsale du genre, parfaitement maîtrisé. Tout ce qui est
parfaitement assimilé dans la présente production, salle Favart, dont l'unité
stylistique s'impose très vite. Là où, souvent, le convenu est la règle, et
laisse un sentiment de daté, tout est ici naturel, en particulier le passage de
la parole au chant, sans hiatus. Michel Fau, qui dit vouloir enlever toute
mièvrerie, et être confiant dans une nécessaire audace, réussit le pari de ne
pas brider le cocasse, voire l'absurde, des situations. Un jeune homme de la
ville, enfourné dans la charrette de la belle maraîchère, qui se retrouve sur
la place du village d'Aubervilliers, à la campagne donc, à la surprise de tous
: « c'est pas Paris, c'est sa banlieue...c'est pas l'amour, c'est sa
banlieue ». Plus que littéraire, le trait se pare de sous-entendu. Point
d'actualisation hasardeuse, non plus que de reconstitution vénale. Car
« il faut faire voyager le public plutôt que de ramener l'opéra à l'actualité télévisée ». Enfin, un régisseur
courageux de ses opinions ! Le ton restera sobre, juste surtout. Avec cette
pointe de nostalgie constamment sous-jacente chez Hahn. Il faut savoir déceler
dans une longue tirade, d'apparence futile, la phrase qui, soudain, ouvre des
perspectives autrement plus parlantes que ce qui se lit au premier degré. Il
faut déceler l'émotion vraie. En sont truffées les tirades du sympathique
Duparquet, le poète Rodolphe de La vie de Bohème, devenu philosophe et
fonctionnaire, se remémorant les derniers instants de sa chère Mimi : c'est à
vous tirer les larmes. Les tableaux se succèdent habilement dans un charme
rétro, joliment imagé, du carreau des Halles au salon d'un grand café, de la
scénette champêtre au finale triomphal de Ciboulette, dont le rêve d'ascension
sociale est enfin devenu réalité.
Michel Fau a magnifiquement
utilisé sa distribution. D'abord les « vieux de la vieille »,
vraiment savoureux : Mr le directeur Deschamps jouant son propre rôle de patron
un peu dépassé, Mr Fau lui-même, grimé en Castafiore désopilante, singeant
l'espace d'un mini récital, nos grandes cantatrices adulées, Bernadette Lafont,
une des actrices favorites de Truffaut et de Chabrol, péripatéticienne, qui poissarde,
s'invente un opportuniste destin de mère-poule. Les protagonistes sont jeunes,
tendres, et en phase. Julie Fuchs, joli minois, saura manier la corde sensible
de ses soupirants, et des spectateurs. Sa Ciboulette a de l'épaisseur, et émeut
par une facilité innée à passer du registre décontracté à celui des
interrogations existentielles. Jean- François Lapointe, épate pas un chant
d'une fière assurance, à deux doigts de l'opéra. Et quelle prestance à l'humour
finement dévastateur ! Du falot Antonin, amoureux malgré lui, basculant dans le
transi, Julien Behr évite le benêt qu'on croit, par la justesse de ton, qui
relègue loin les habituels ténors d'opérette. On mesure le travail du metteur en scène pour
déniaiser l'affaire. Et puis il y a les jeunes « académiciens » de
l'Opéra Comique, qui jouent et chantent leurs premières leçons in situ : et
déjà des talents en devenir, tant ils s'insèrent sans barguigner dans la troupe
; car c'est de cela qu'il s'agit ! Un bravo à leurs maîtres ! Accentus apporte
aux chœurs nombreux et variés, une contribution fort vivante, et c'est bonheur
de les voir ainsi grimés, qui en gens des halles, qui en villageois. Les huit
'autres' prétendants au cœur incertain de l'héroïne, empanachés façon naïfs,
sont d'une drôlerie inénarrable. Ajoutant à sa couronne de chef de chœur
(attribué ici à Christophe Grapperon, de chez Les Brigands), celle de chef
d'orchestre, Laurence Equilbey donne du lustre à la musique de Hahn : finesse,
transparence d'une orchestration souvent lumineuse, toujours profonde, énergie
et vivacité. La tendresse pour les personnages affleure à chaque morceau, et
leurs tribulations, que parsèment d'adorables airs, tel « Moi, j'
m'appelle Ciboulette », ou duos, comme « Nous avons fait un beau
voyage ». Les couplets de la valse « Amour qui meurt!...amour qui
passe !», ou le refrain « du muguet » sont entonnés par la
salle, dûment avertie, et même chauffée à cet effet, retrouvant la connivence
avec le public, favorisée à la Belle Époque.
Jean-Pierre
Robert.
Une monumentale Turangalîla-Symphonie au Théâtre des Champs-Elysées
Œuvre monumentale que cette Turangalîla-Symphonie d’Olivier
Messiaen, commande de Serge Koussevitsky pour l’Orchestre Symphonique de
Boston. Composée entre 1946 et 1948, la partition, forte de 429 pages et 2683
mesures, d'une durée de quelques 80 minutes, écrite pour un orchestre de 103
musiciens, se compose de pas moins de 10 mouvements. Créée en 1949, par le
jeune Leonard Bernstein, à Boston, elle verra sa création française, l'année
suivante, à Aix-en-Provence, avant sa reprise, en 1954, à Paris, dans ce même
Théâtre des Champs-Elysées, avec Yvonne Loriod au piano, et sa sœur Jeanne aux
ondes Martenot. Le titre lui-même en confirme la dimension titanesque, puisque
signifiant, en sanscrit, d'une part, le jeu de la création, de la vie et de la
mort, d'autre part, le temps qui court, le mouvement. La pièce est ainsi, selon
l'auteur, « chant d'amour, hymne à la joie, temps, mouvement, rythme, vie
et mort ». L'orchestre, de très vastes proportions, comprend un
instrumentarium des plus variés, incluant force cuivres et percussions, ainsi
que trois claviers (célesta, jeu de timbres et vibraphone), que renforcent les
interventions du piano solo et des ondes Martenot. Cette œuvre gigantesque est
parcourue par quatre thèmes récurrents : un « thème-statue », brutal
et terrifiant, entonné fortissimo par les trombones, un autre, pianissimo,
« l’image de la fleur », joué par les clarinettes, puis l'ample
mélodie d’Amour, inspirée de la légende de Tristan & Iseult, et
enfin un quatrième thème, tout en accords, qui « réalise la formule
doctrinale des alchimistes : dissocier et coaguler ». Le découpage des 10
mouvements alterne tension, lyrisme, chants d’oiseaux, passion, danse
frénétique, drame, violence et poésie. Symphonie hors norme, unique, elle peut
donner lieu à plusieurs niveaux d’interprétation, se résolvant dans une sorte
d’épiphanie... La partie de piano est d’une extrême difficulté, toute en
virtuosité, quant au toucher et aux ruptures rythmiques. Jean-Yves Thibaudet en
donna une magistrale interprétation, d'une souveraine clarté, usant d’une
sonorité limpide et cristalline, face aux tutti de l’orchestre. Cynthia Millar,
qui exécuta plus de cent fois cette œuvre, sut donner aux parties confiées aux
ondes Martenot (instrument électro acoustique, associant un clavier, un ruban
permettant les glissandos, et une touche d’intensité réglant l’importance du
son et la netteté des attaques) tout leur pouvoir expressif et poétique. Mariss
Jansons, chef emblématique s’il en est, à la tête de l'Orchestre Symphonique de
la Radio Bavaroise, dont il est directeur, livra de cette partition délicate,
une vision juste et équilibrée, insistant sur la précision rythmique et le
travail des timbres. Cette œuvre d'exception, dont l'exécution constitue
toujours un événement, a donné lieu là à un concert exceptionnel ! Et à une
ovation triomphale, bien méritée !
Patrice Imbaud.
Le « Philhar » et Lisa Batiashvili : lumineux!
Une salle Pleyel comble pour ce
concert du « Philhar » sous la direction du chef allemand Markus
Stenz, et l’étoile montante du violon, Lisa Batiashvili. Le programme
regroupait le Concerto pour violon &
orchestre de Brahms, et la Symphonie n° 5 de Mahler. Dédié à
Joaquim, créé par lui et le compositeur au pupitre, le concerto pour violon de
Brahms, réputé alors injouable, du fait de ses difficultés techniques, est
devenu un des monuments incontournables du répertoire violonistique. Lisa
Batiashvili en donne une vision lumineuse, loin de la virtuosité vaine, toute
en délicatesse du toucher : un premier mouvement clair, juste de ton, et
engagé, alliant agilité digitale et superbe legato, soulignant des pianissimos
d’une sublime langueur ; un deuxième mouvement, introduit par un très beau solo
de hautbois (Hélène Devilleneuve), avant que ne s’élève la voix du violon dans
une mélodie d’un lyrisme poignant. Un finale virtuose aux accents tziganes,
joué tout en retenue avec une élégance et une netteté du trait remarquables. En
« bis », pour répondre aux applaudissements nourris de la salle, la
violoniste joue une chanson géorgienne, adaptée pour violon et cordes, chargée
de douceur, et d’une indicible mélancolie. En seconde partie, Markus Stenz
donnait la Symphonie n° 5 de Gustav
Mahler. Choix judicieux, car le chef allemand possède déjà, dans sa
discographie, une intégrale des symphonies de Mahler, enregistrée sous le label
OehmsClassics, avec l’Orchestre du Gürzenich de Cologne, dont il est le
directeur musical. La ville où fut
créée en 1904, cette Cinquième symphonie, sous la direction de Mahler lui-même.
Premier volet des trois symphonies médianes,
dites « instrumentales », composées dans le climat d’amour du mariage récent du musicien avec Alma,
mais aussi dans la douleur et l’angoisse faisant suite à une hémorragie
intestinale grave, la Cinquième symphonie est dominée par un sentiment
d’ambigüité, d’autant que parfois les forces créatrices semblent submerger le
compositeur lui-même : « C’est une œuvre maudite, personne ne la
comprend » dira-t-il. Elle est constituée de trois parties, et de cinq
mouvements. La première partie comprend les deux premiers mouvements :
marche funèbre et allegro se terminent dans un sentiment d’angoisse, malgré une
vaine tentative optimiste, représentée par un hymne triomphal des cuivres. Vient ensuite le scherzo, qui représente, à
lui seul, la deuxième partie : explosion de joie sans transition avec le
mouvement précédent, sur un rythme de danse, où l’inquiétude n’est pas
totalement absente. Enfin, la troisième partie, avec l’adagietto, sorte
d'intermezzo, lied sans paroles, où l’heure est au recueillement, comme dans le
lied « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du
monde), puis le rondo final, victoire définitive des forces de vie et de création.
Mais là encore, la victoire n’est pas dénuée d’ambigüité et d’interrogations.
« Ciel, quelle figure fera le public devant ce chaos qui engendre toujours
un monde prêt, au dernier moment, à retourner au néant ? »,
s'interrogera encore son auteur. Markus Stenz en donne une interprétation
convaincante, d’une lisibilité absolue, limpide et pertinente, peut-être un peu
outrancière dans l’usage des nuances. Il s'agit là d'une vision de Mahler très
extravertie, qui sait rendre compte cependant de la richesse de
l’orchestration. On décèle l'influence de Leonard Bernstein. Stenz fut
d’ailleurs son élève, à Tanglewood. L'orchestre est attentif et, une fois de
plus, impressionne par sa qualité, tous pupitres confondus, avec une mention
spéciale pour les trompettes, cors et hautbois.
Patrice Imbaud.
Mariss Jansons dirige Royal Concertgebouw Orchestra
Mariss Jansons est
décidément omniprésent sur les scènes parisiennes ! Après avoir donné, quelques jours auparavant, une remarquable
Turangalila Symphonie de Messiaen, au Théâtre des Champ-Elysées, à la tête de
son Orchestre de la Radio Bavaroise, le revoici, Salle Pleyel. Cette fois à la
tête de l'Orchestre du Royal du Concertgebouw d’Amsterdam, dont il est
également, depuis 2004, le directeur musical. Ce passage à Paris intervenait à
l’occasion d’une tournée internationale, fêtant le 125 ème anniversaire de
cette glorieuse phalange, qui a connu à sa direction des chefs aussi
prestigieux que Wilem Mengelberg, et plus récemment, Bernard Haitink ou Riccado
Chailly. La salle était comble, et conquise d’entrée de jeu, pour ce concert de
gala, associant Johan Wagenaar, Richard Strauss et Tchaïkovski. La première
partie sera toutefois un peu décevante, avec l’Ouverture de « De getemde feeks », de Johan Wagennar : une œuvre sans
grand relief, si ce n’est de faire connaître au grand public ce compositeur, né
à Utrecht en 1862, où il fit carrière d’organiste, d’enseignant, et de chef
d’orchestre. Ses compositions, à son image, sont chargées d’humour et d’ironie,
comme en témoigne cette ouverture quasi bouffonne, inspirée de la Mégère apprivoisée, mais dont la
découverte, pour beaucoup, ne restera pas gravée dans les mémoires. Lui faisait
suite Mort et Transfiguration de
Richard Strauss, où Mariss Jansons parut, par instant, mal à l’aise. La vision
est un peu confuse, voire approximative, notamment au niveau des cuivres et de
la petite harmonie. Mais le meilleur restait à venir, avec une exécution
d'anthologie de Symphonie n° 5 de
Tchaïkovski ! Cette œuvre fait partie du dernier triptyque symphonique de
Tchaïkovski. Composée en 1888, elle use du thème récurrent et évolutif du
destin, qui revient de façon cyclique dans les quatre mouvements. Voilà une
œuvre versatile, ambiguë, tour à tour, lugubre, enjouée, pathétique, radieuse,
lyrique, dansante, populaire et savante, que l’orchestre et son chef
interprètent de façon particulièrement claire et pertinente, déployant la
somptueuse orchestration de l'auteur, et retrouvant, du même coup, toute la
rutilance des bois, la douceur des cordes, et la véhémence des cuivres. Une
magnifique exécution, digne du grand Evgeni Mvravinski, qui a gravé les trois
dernières symphonies dans une version de référence unanimement reconnue, aux
côtés des celles, plus intériorisée de Karajan, ou plus extravertie de
Bernstein. Le chef letton Mariss Jansons, qui fut l’assistant de Mvravinski à
Saint-Pétersbourg, qui conduisait alors l'Orchestre Philharmonique de
Leningrad, sut en retenir les précieuses leçons. Une mention spéciale pour le
hautboïste Alexei Ogrintchouk, et le jeune corniste Laurens Woudenberg.
Patrice Imbaud.
Yuja Wang, époustouflante, enflamme l'Orchestre de
Paris
Ce concert particulièrement
intéressant de l'Orchestre de Paris, vaut, à la fois, par la qualité de
l’interprétation et par le choix des œuvres, rarement jouées : les Danses de Galanta de Zoltan Kodaly, le Concerto pour piano n° 2 de Prokofiev,
et La Petite Sirène d’Alexandre von
Zemlinski. Les Danses de Galanta furent composées en 1933, par Zoltan Kodaly (1882-1967), en vue de commémorer
le 80 ème anniversaire de l’Orchestre de la Société Philharmonique de Budapest.
C'est une partition haute en couleur, aux sonorités tourbillonnantes,
majoritairement tziganes, au climat tour à tour nostalgique ou endiablé, tirée
d’un recueil de danses hongroises. Juraj Valcuha, d’origine slovaque, en donne
une vision très attrayante et très engagée. Rappelons que Galanta est une
petite cité marchande sur la route reliant Budapest à Vienne, située, aujourd’hui,
en territoire slovaque. Ceci expliquant peut être cela ! Le Concerto
pour piano n° 2 de Prokofiev a une histoire un peu compliquée,
puisqu’il fut composé initialement en 1912, en Russie, avant d’être oublié par
le compositeur, et reconstitué de mémoire à Paris en 1923. La partition, qui
restera dans l’ombre du Concerto n° 3,
est rarement donnée. Elle se caractérise par une stupéfiante cadence au premier
mouvement, un mouvement perpétuel au second, un intermezzo au rythme barbare
hérité du machinisme ensuite, et un finale déchaîné. La jeune prodige chinoise
Yuja Wang sait déjouer toutes les difficultés d'une œuvre complexe et virtuose,
s’il en est, grâce à une agilité digitale hors du commun, un toucher d’une
stupéfiante musicalité, où le piano se fait successivement confident ou
orchestral, en parfaite symbiose avec l’orchestre. Cette prestation
exceptionnelle déchaîna une standing ovation ! La Petite Sirène est une œuvre magnifique d’Alexandre von Zemlinski
(1871-1942), remarquable compositeur, contemporain de Franz Schmidt, Erich
Korngold ou Franz Schreker, dont les carrières furent mises à mal par les
purges nazies, les condamnant à l’exil, et leur collant l'étiquette de
« musique dégénérée » ; pour ne pas dire quelque peu éclipsées, jusqu’aux
années récentes, par le succès envahissant de la Seconde École de Vienne.
Alexandre von Zemlinski, beau-frère de Schönberg, fiancé malheureux d’Alma, et
ami de Mahler, laisse une œuvre considérable, à la fois symphonique et lyrique,
dont l’opéra Le Nain, la Symphonie Lyrique et La Petite
sirène sont des pièces maîtresses. Cette dernière, composée en 1903,
d’après le conte d’Andersen, créée à Vienne en 1905, est une fantaisie
orchestrale, aux confins de la tonalité, sans en franchir le pas. Une œuvre à
programme aussi, usant des leitmotivs, où le compositeur se met lui-même en
scène dans le personnage malheureux de la petite héroïne vouée à la mort. Il
offre un langage complexe, avec une orchestration très riche, une
stratification des timbres au service d’une expressivité accrue. L’Orchestre de
Paris, au mieux de sa forme, sut rendre compte, sous la baguette précise de
Juraj Valcuha, de la richesse et du charme vénéneux de cette partition. Une
mention spéciale pour Philippe Berrod, à la clarinette, et Benoit de Barsony,
au cor, particulièrement sollicités pendant cette remarquable soirée.
Patrice Imbaud.
Pourtant attendue, La Favorite déçoit.
Gaetano DONIZETTI : La Favorite (version originale en français). Opéra en quatre actes. Livret d’Alphonse Royer
et de Gustave Vaëz. Alice Coote, Marc Laho, Ludovic Tézier, Carlo Colombara,
Loïc Félix, Judith Gauthier. Chœur de Radio France. Orchestre National de
France, dir. Paolo Arrivabeni. Mise en scène : Valérie Nègre. Scénographie:
Andrea Blum.
La reprise de La Favorite, de Donizetti (1797-1848), tant attendue, car absente
des scènes parisiennes depuis si longtemps, devait constituer un des évènement
phares de l'année du centenaire du Théâtre des Champs-Elysées. Or, cette
nouvelle production a été marquée, dès le début, par des aléas dans la
programmation (remplacement de Rita de Letteriis, metteur en scène initialement
prévu, comme de Celso Albelo dans le rôle de Fernand, sans parler des viroses
hivernales n’épargnant pas plus les chanteurs que le commun des mortels…).
Bref, cela commençait mal. Mais, notre espoir ne faiblissait pas !
L'œuvre, créée à Paris en 1840, en
français, lors du séjour parisien du compositeur, connaîtra près de 700
représentations à l’Opéra, jusqu’en 1918, avant de disparaitre des scènes
parisiennes jusqu’en 1991, où elle fut reprise à l’Opéra Comique. L'œuvre est
originale, mêlant, adroitement, bel canto par sa ligne de chant magnifique, mais
sans les ornementations habituelles du genre, et grand opéra français, dans la
lignée d’Halévy ou de Meyerbeer, par la langue d’abord, mais également par la
dimension historique, l’effectif orchestral et la structure en 4 actes avec
ballet (absent dans cette représentation). Un opéra de Donizetti de la
maturité, s’inscrivant dans la lignée de Rossini. Malheureusement, la
déception fut à la hauteur de
l'attente, la faute en incombant, surtout, à l’indigence de la mise en scène.
Si Valérie Nègre a travaillé avec les plus grands, en particulier Patrice
Chéreau, elle n’a, à l’évidence, pas su en retenir les leçons ! Sa mise en
scène est d’une platitude affligeante, n’exploitant aucune des facettes
politico-religieuses fournies par le livret, qui font toute la particularité de
cette version française de 1840, par rapport à la version italienne de 1842,
expurgée pour cause de censure. Une direction d'acteurs réduite, où ceux-ci
errent sans but apparent, et parfois surjouent sur l’immense plateau vide. Une
incapacité à animer les masses chorales. Ce que n'arrange pas une scénographie
indigente, elle aussi réduite à quelques décors hideux (rochers en plastique,
mobilier de pacotille…), censés reproduire l’Ile de Leon ou les jardins de
l’Alcazar. Dans ce qui est proche d'une « version de concert en
costumes », les chanteurs font ce qu’ils peuvent. Mais force est de
reconnaître, là encore, que malgré de beaux moments de musique, comme le duo
d’amour « Oui, ta voix m’inspire »,
l’air d’Alphonse « Leonor, viens »,
l’air de Leonor « Oh ! mon
Fernand », celui de Fernand « Ange
si pur », et un final dramatique bien mené, la distribution est peu
adaptée aux rôles. C’est finalement Marc Laho, le dernier arrivé, qui s’en tire
le mieux, même s’il n’a pas le charisme nécessaire, et si son Fernand manque de
crédibilité. La voix est claire, la diction impeccable, mais le jeu est
étriqué, comme les aigus d’ailleurs, parfois amputés des redoutables contre ut
! Alice Coote, qui avait séduit, en février 2012, sur cette même scène, dans le
rôle de Sextus (La Clémence de Titus),
offrant un air « Parto, Parto »
d’anthologie, n’arrive pas, aujourd’hui, à convaincre : voix trop lourde pour
le rôle de Leonor, puissance agressive, mal adaptée au bel canto, ligne de
chant hachée, sans legato. La tessiture est étendue, certes, mais le passage de
la voix de tête à la voix de poitrine s'avère parfois houleux, et les graves
sont présents, mais mal tenus. Ludovic Tézier, Alphonse, déçoit également, trop
rigide dans le jeu, comme dans l'émission, manquant de nuances. Carlo
Colombara, seul, tire son épingle du jeu, quoique avec une diction parfois
approximative. Dans cette production, assez médiocre, retenons l’excellente
prestation de Judith Gauthier (Inès), au timbre cristallin, et la bonne tenue
de l’Orchestre National et des Chœurs de Radio France, parfaitement dirigés par
Paolo Arriabeni. Celui-ci rend à la partition de Donizetti toute sa richesse et
sa grâce. Bref, un spectacle qui ne restera pas dans les mémoires. Dommage.
Espérons qu’il ne faille pas attendre encore vingt ans avant de la
revoir !
Patrice
Imbaud.
Un concert d’exception : La Damnation de Faust.
Hector BERLIOZ : La Damnation de
Faust, op. 24. Légende dramatique en quatre parties. Livret du compositeur,
d'après la traduction française, de Gérard de Nerval, de la pièce éponyme de
Goethe. Olga Borodina, Bryan Hymel, Alastair Miles, René Schirrer. Chœur Orfeon
Donostiarra. Orchestre National du Capitole de Toulouse, dir. Tugan Sokhiev.
La Damnation de Faust peut, indifféremment, être donnée en version de
concert ou scéniquement. Cette légende dramatique, ou opéra-concert, en 4
actes, composée en 1845-1846, sur un texte de Berlioz lui-même, d’après Goethe,
a été créée en décembre 1846, à l’Opéra Comique, sous la direction du
compositeur. On sait le rôle important de la littérature dans l’inspiration et
l’imaginaire de Berlioz, L’Enéide de
Virgile, pour les Troyens,
Shakespeare pour Roméo & Juliette,
enfin Goethe pour cette Damnation de
Faust dont la composition, itinérante lors d’un voyage en Europe, fut
favorisée par Liszt. En retour, celui-ci idédiera à l’auteur de la Symphonie Fantastique, sa Faust-Symphonie. Opéra de l’esprit,
quelque peu éloigné du texte de Goethe, retraçant le destin tragique de Faust,
qui damné, finira en Enfer, il s’agit
d’une œuvre centrée sur la solitude et la désillusion, alliant force dramatique
et orchestration brillante, prétexte à une errance onirique qui suspend le
temps, source d’émotion et d’émerveillement. De cette partition, donnée en
version de concert, salle Pleyel, Tugan Sokhiev, à la tête de son Orchestre du
Capitole de Toulouse, sut rendre toute la poésie : une direction à la fois
sobre dans sa gestuelle, inspirée dans son interprétation, particulièrement
efficace, maniant avec précision et clarté l’articulation des différents plans
sonores du chœur et de l’orchestre. Une musique toute entière au service de
l’émotion. La distribution vocale ne dénotera pas. Si Bryan Hymel, Faust, a la sagesse d’esquiver quelques contre Ut
particulièrement périlleux, et de rompre intelligemment la joute vocale face à
la redoutable voix d’Olga Borodina, il parvient à conserver au personnage tout
son charme, par la beauté de son timbre et la souplesse de sa ligne de chant. Il offrira un « Nature immense » d’une stupéfiante
beauté. Olga Borodina est égale à elle-même, magnifique, dans le rôle de
Marguerite, usant d’une projection vocale hors du commun, et d’un registre
exceptionnellement étendu, gratifiant d’un air du Roi de Thulé, avec
alto solo et cordes graves, d'anthologie, tout comme il en fut d’une romance
« D’amour, l’ardente flamme »,
avec accompagnement de cor anglais ! Alastair Miles, Méphistophélès, sembla
légèrement en deçà, non pas tant par un jeu diabolique, d’une parfaite
crédibilité, que par une diction parfois approximative, entachant l’air de la
Puce et celui des Feux follets. Un très beau moment de musique.
Patrice Imbaud.
Un
Orchestre National euphorique !
Il est vrai que les raisons d’être
euphorique doivent être rares à l’Orchestre National, lorsque dirigé par
Daniele Gatti ou Kurt Masur ! L’occasion était belle de retrouver sourire
et entrain sous la baguette de Vassily Sinaisky, élève de Kondrachine, et
directeur musical du Bolchoï de Moscou, dans un programme regroupant l’Ouverture Carnaval de Dvořák, le Concerto pour violon &
orchestre de Mendelssohn et la Symphonie
n° 1 de Sibelius. Les visages étaient donc souriants, les coups d’archet
vifs, l’orchestre plein d’allant, et la complicité grande avec le chef, dès la
pièce de Dvořák, qui
ouvrait la soirée. Une œuvre composée en 1891, avant le départ du musicien pour
l’Amérique, et faisant partie d’un triptyque avec les Ouvertures Dans la nature et Othello. Mais chacune d'elles peut être jouée de façon
indépendante, dans la tradition des ouvertures de concert inventées en
1826-1827 par Mendelssohn et Berlioz. Une façon pour le moins entraînante de
débuter le concert dans une ambiance de luxuriance orchestrale, pleine aussi de
poésie à l'andante central, où dialoguent cor anglais, flûte, clarinette et violon
solo, et de rythmes slaves encore. Le Concerto
pour violon de Mendelssohn, partition incontournable du répertoire
violonistique, créé en 1845 au Gewandhaus de Leipzig, était l’occasion d’une
interprétation remarquable de la part de Julian Rachlin, claire dans le jeu,
juste dans le ton, virtuose et profondément musicale, parfaitement en phase
avec l’orchestre. Une prestation qui ravit l’orchestre et la salle. Ils
bénéficièrent, en « bis », de la Sarabande de Bach, comme un clin d’œil à Mendelssohn qui fit tant pour la redécouverte du
Cantor de Leipzig, à qui il vouait un véritable culte. La Symphonie n° 1 de Sibelius concluait en beauté la soirée. Une œuvre
charnière, sans doute, où l’on peut sentir les différentes influences de ses
prédécesseurs, mais surtout contenant en germes toutes les facettes du Sibelius
de la maturité : un premier mouvement plein de mystère, un andante nostalgique
et méditatif, un scherzo énergique et rythmé, un finale, quasi una fantasia,
très libre, se concluqnt sur un rappel de la mélodie de la clarinette, qui
ouvrait la symphonie. A la différence de Mahler, chez Sibelius chaque symphonie
est un monde en soi. Cette très belle soirée permit au National de retrouver sa
joie, son plaisir de jouer et tout son
talent.
Patrice
Imbaud.
***
L’EDITION MUSICALE
REPERTOIRE PEDAGOGIQUE
La Médiathèque de la cité de la
Musique nous indique l’accès
en ligne des volumes épuisés de la collection 10 ans avec sur le
portail de la Médiathèque de la Cité de la musique :
http://mediatheque.cite-musique.fr/catalogue/partitions
Edités depuis les années 1990 par l’Institut de Pédagogie
Musicale et Chorégraphique, ces volumes présentent chacun le répertoire d’un
instrument, classé par niveau d’étude avec de courts commentaires. Aujourd’hui,
les volumes épuisés sont numérisés par la Cité de la musique avec l’accord de
leurs auteurs et accessibles en ligne gratuitement. La version numérique est
enrichie de liens vers des extraits de partitions.
Sont déjà disponibles en ligne :
c)
10 ans avec l’alto
ci)
10 ans avec l’orgue
Seront prochainement mis en ligne :
cii)
Opéras pour enfants,
ciii)
Répertoires pour le chant,
civ)
10 ans avec la percussion…
On ne peut que se réjouir de cette initiative aussi
intéressante qu’utile.
Daniel Blackstone.
FORMATION MUSICALE
Henri SAUGUET,
Maurice DRUON, Jean-Luc TARDIEU : Tistou
les pouces verts. Conte lyrique en un acte. Billaudot : G 9298 B. 1
vol. 1 CD. Partition chant piano G 8026 B, matériel orchestre et
conducteur en location.
Ce délicieux conte merveilleusement mis en musique par
Henri Sauguet demande, certes, un effort pour trouver les chanteurs solistes,
mais est parfaitement abordable par les enfants, même dans le cadre des cours
de Formation Musicale. L’histoire est jolie, avec des rebondissements et une
fin à la fois heureuse et un peu mélancolique… mais n’en disons pas plus !
L’ensemble dure un petit peu plus d’une heure mais c’est un vrai régal. Le CD a
été réalisé avec l’orchestre philharmonique et la maîtrise de Radio France.
Catherine
MÉCHAIN : Itinéraire musical pour
adultes. Vol. 2. 1
vol. 1 CD. Billaudot : G8843B.
Ce deuxième volume qui fait suite à celui dont nous avons
rendu compte dans notre lettre de mars 2012, en a toutes les qualités. Il n’est
pas facile à un adulte de commencer ou de reprendre l’étude du solfège, et cet itinéraire musical porte bien son nom,
lui qui permet de développer grâce à un CD remarquablement réalisé, tous les
aspects de la formation musicale, de l’apprentissage de la lecture et des
rythmes à une véritable culture musicale tout en formant l’oreille à tous les
paramètres du son. En effet, le travail se fait à partir d’œuvres très
judicieusement choisies. Bref, il s’agit d’un ouvrage indispensable pour tout
professeur qui s’occupe d’adultes ou de grands adolescents.
CHANT
Daniel ROTH : Ave Maria pour soprano et orgue.
Compositeurs Alsaciens volume 30. Delatour : DLT2126.
Transcription de l’Ave Maria pour quatre voix égales a
cappella publié aux mêmes éditions, c’est cependant une œuvre originale :
les harmonies célestes de l’accompagnement servent de soubassement à la mélodie
quasi grégorienne de la soprane. La photographie du Sacré Cœur qui figure sur
la couverture rappelle l’origine de l’œuvre. Et le fait qu’elle ait été achevée
le jour anniversaire de la mort de Maurice Duruflé indique dans quelle sphère
d’influence elle a été écrite.
GUITARE
Nicolas GUAY : Trois préludes pour guitare. Niveau 3ème cycle. Sempre più : SP 0041.
Ces trois préludes se caractérisent autant par leurs
tonalités que par leur caractère. A un premier prélude en la mineur où le thème
se trouve à la basse avec les traditionnels arpèges succède un prélude en sol
dièse mineur, de style plus grave, s’épanouissant peu à peu pour terminer par
un prélude en fa dièse mineur développant un thème obstiné plein de mélancolie.
Jean-Marc
FRÉZIGNAC : A toi de jouer ! La
guitare en liberté pour les débutants. Lafitan : P.L.2569.
Il est indispensable de citer le titre au complet :
« Méthode pour développer le sens créatif par le jeu de l’écriture, de
l’imitation et de l’improvisation ». Vaste programme, certes, mais
développé avec beaucoup d’efficacité par un guitariste qui est manifestement un
pédagogue amoureux de son instrument et soucieux de faire partager sa passion.
Pour plus de détails, il ne faut pas hésiter à se reporter à la page du site de
l’éditeur consacrée à cet ouvrage à découvrir absolument.
ORGUE
Franck
VILLARD : Quasi una fantasia. Symétrie.
30, rue Jean-Baptiste Say
69001 LYON. http://symetrie.com/fr
Saluons d’abord cette maison d’édition et de diffusion
dont on aura tout intérêt à consulter le catalogue riche et varié.
Voici un titre qui ne manque pas de résonnances… mais sans
rapport avec une certaine sonate sinon la liberté de ton, de couleur. L’auteur
nous précise que la pièce doit être exécutée « avec fougue, emportement et
parfois avec un certain sens dramatique ». La pièce est dédiée à Denis
Comtet, titulaire des grandes orgues de Saint François Xavier (Paris) qui en a
assuré la création. Riche autant par ses rythmes que par ses harmonies, cette
pièce essentiellement modale foisonne de trouvailles qu’il faut découvrir.
PIANO
The Boosey & Hawkes Piano Sonata Collection : Six sonates by Bartók, Bernstein,
Copland, Ginastera, Prokofiev and Stravinsky. Boosey & Hawkes
– Hal.Leonard : HL48021178.
Bien sûr, ces six sonates ne sont pas des nouveautés, mais
il est très intéressant de les retrouver groupées dans ce recueil. Pour
Ginastera, il s’agit de la sonate n°1 op. 22 et pour Prokofiev, de la sonate n°
3 op. 28. Les élèves avancés y trouveront ainsi un florilège qui leur permettra
d’élargir leur culture musicale. C’est tout un panorama d’une certaine musique
pour piano du XX° siècle qu’ils auront ainsi à leur disposition.
VIOLONCELLE
Leonello
CAPODAGLIO : Trois petites
pages : Sicilienne, Chanson, Toccata pour deux violoncelles.
Fortin-Armiane : EAL 522.
Assez faciles, ces trois pièces au langage clair et
agréable feront le bonheur des jeunes violoncellistes. Ce pourrait être
également l’occasion de présenter aux jeunes interprètes trois formes musicales
caractéristiques de bien agréable façon.
Max MÉREAUX : Mandala pour violoncelle seul. Fin de 3ème cycle. Sempre più : SP0049.
Quelle que soit la doctrine spirituelle à laquelle ce
titre fait référence, on comprendra tout de suite que cette pièce est destinée
à créer une certaine ambiance méditative à travers un langage très personnel.
Il s’agit d’une œuvre spirituelle qui demande à l’interprète une grande
intériorité.
CONTREBASSE
Frédéric
BORSARELLO : Tagada tsoin tsoin pour
contrebasse (ou violoncelle) et piano. Premier cycle. Sempre più : SP
0043.
Il est inutile de préciser que cette pièce ne manque pas
d’humour mais elle a aussi beaucoup de charme. Une première partie tonitruante
conduit à une deuxième partie plus mélancolique, le tout se terminant par une
cadence qui conduit à six mesures triomphantes. Le jeune interprète devrait
trouver beaucoup de bonheur à jouer cette pièce qui, sans en avoir l’air,
l’amènera à dévoiler toutes les faces de son talent.
TROMPETTE
Jean-Michel
TROTOUX : Le chant de la terre pour
trompette ou cornet ou bugle et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2401.
L’auteur nous offre ici une jolie pièce lyrique pleine
d’enthousiasme qui devrait ravir les jeunes interprètes. L’accompagnement de
piano, souple et chantant, contribue beaucoup à l’atmosphère à la fois paisible
et joyeuse du morceau.
TROMBONE
Alexandre
CARLIN : Nuages d’été pour
trombone et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2434.
Un vrai dialogue s’instaure entre les deux
partenaires : le piano n’est nullement cantonné à un rôle d’accompagnateur
mais prend une part active à ces nuages. C’est une excellente manière de
préparer les interprètes à la sonate et de leur apprendre à s’écouter
mutuellement. Le tout est nuageux et mélancolique à souhait.
Rémi MAUPETIT : Le marchand de glace en Mongolie pour
trombone et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2254.
A l’heure de la mondialisation, on ne s’étonnera pas qu’un
marchand de glace vende ses cornets en Mongolie sur un rythme de bossa nova.
Quoi qu’il en soit, tout cela est fort entrainant et fort agréable à entendre,
et certainement aussi à jouer ! Il faudra, bien évidemment, que les
interprètes et spécialement le pianiste aient un bon sens du rythme… ou
profitent précisément de cette pièce pour l’affermir !
COR
Olivier
DEVIENNE : Nuit d’été pour cor
en fa ou mib et piano. Débutant.
Lafitan : P.L.2433.
Il est toujours difficile d’écrire de jolies musiques pour
les débutants. Cette page, simple autant pour le cor que pour le piano, devrait
faire le bonheur des interprètes par son charme et sa grâce.
SAXHORN/EUPHONIUM/TUBA
Rémi MAUPETIT : Méli-Mélodie pour saxhorn basse /
euphonium / tuba et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2463.
Une jolie mélodie déroule en ré mineur ses variantes tout
au long d’un morceau un peu mélancolique et plein de charme. Le piano
intervient avec des chromatismes qui accentuent encore le caractère un peu
nostalgique de l’œuvre. C’est une manière de s’assurer que le jeune interprète
débutant est déjà un vrai musicien.
PERCUSSIONS
Denis DIONNE : La méthode Pygmalion. Découvrez,
apprenez, créez ! Dhalmann : FD0394.
A partir d’études simples à jouer d’abord sur la caisse
claire, l’auteur propose toute une série de « jeux » dans tous les
sens du terme permettant à l’élève de découvrir et de maîtriser l’ensemble des
instruments mis peu à peu à sa disposition. Si l’idée est simple, disons qu’il
fallait quand même y penser ! Et n’est-ce pas mettre tout de suite l’élève
« en situation » ? Amateur ou professionnel, peu importe :
un batteur inventif est une bénédiction.
Thomas
Vandevenne : Les claviers de
percussion de deux à quatre. Volume
1. Dhalmann : FD0375.
Il s’agit d’une méthode très complète mettant non
seulement en jeu la technique des baguettes (de deux à quatre) mais toutes les
notions solfégiques, mélodiques, dynamiques et harmoniques qui en découlent. On
lira avec beaucoup d’intérêt la « Note aux élèves » que tout musicien
peut lire avec profit et transposer pour son propre instrument. Interprétation
et création s’interpénètrent tout au long des pages. Bref, il s’agit d’un ouvrage
d’une grande richesse et pleinement pédagogique.
Olivier
DEVIENNE : Au bord du soir pour
caisse claire et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2491
Tandis que le piano égrène une fort jolie mélodie, la
caisse claire ponctue le discours par un rythme tantôt parallèle à celui de la
mélodie, tantôt en introduisant ses propres ponctuations. Le tout constitue un
ensemble bien agréable et qui exercera nos jeunes interprètes à l’écoute
mutuelle.
Max MÉREAUX : Jogging pour caisse claire et piano.
Elémentaire. Lafitan : P.L.2453.
Tandis que le piano se lance dans une course ininterrompue
en ternaire, la caisse claire l’encourage par des rythmes entrainants rappelant
à certains moments ceux de l’Apprenti
sorcier. Il faudra à nos interprètes beaucoup de régularité et de constance
pour mener à bien cette course qui culmine sur un fortissimo.
MUSIQUE DE CHAMBRE
Daniele CORSI : Amor che vien per le più dolci porte pour
violoncelle et contralto. Fortin-Armiane : EAL 473.
Tiré d’un sonnet de Cino da Pistoia (1270-1336), le très
poétique texte est porté délicatement par une musique à la fois discrète et
lyrique, toute au service du texte. Le violoncelle clôt la pièce par un
discours solitaire. Daniele Corsi, compositeur italien, nous offre là une pièce
courte mais d’une grande densité musicale et poétique. Bien sûr, ce n’est pas
très facile… mais c’est bien beau !
Georges ONSLOW : Quatuor op. 50. 1833. Préface d’Alexandre Dratwicki. Conducteur. Symétrie.
Disons tout de suite qu’outre la partition de poche ici
présentée, il existe également le matériel aux mêmes éditions. On ne peut que
se réjouir de voir enfin disponible ce quatuor d’un compositeur français du
début du XIX° siècle et encore trop peu joué malgré les efforts d’un certain
nombre de musiciens. On consultera avec profit les différents sites qui lui
sont consacrés et notamment http://george.onslow.online.fr/accueil.html . Alexandre Dratwicki présente à la fois l’auteur et l’œuvre. Cette musique est
à découvrir et à jouer ou faire jouer absolument !
Marie JAËLL : Sonate en la mineur pour violoncelle et
piano. Delatour : DLT1043.
Dans leur collection « Musique &
Patrimoine », les éditions Delatour nous font découvrir cette sonate
inédite (comme la plus grande partie de son œuvre de compositrice) de Marie
Jaëll. Et l’éditeur nous propose d’en écouter deux copieux extraits sur son
site. On pourra ainsi se faire une idée de l’importance de cette musique que
nous présente une fort intéressante préface de Florence Doe de Maindreville.
Doit-on y chercher des influences ? Il y en a, certes, mais c’est d’abord
et avant tout une œuvre originale qu’on souhaite très vite entendre dans les
concerts.
André AMELLÉR : Adagio pour violon et piano.
Delatour : DLT0704.
Voici une œuvre très attachante de ce compositeur français
né en 1912 et mort en 1990, et encore trop peu connu. Commençant dans un style
quasi choral avec un violon constamment en doubles cordes, elle se continue par
un chant soutenu du violon qui s’épanouit dans l’aigu tout en gardant son
charme intense et mélancolique. C’est tout simplement beau.
Louis-Noël
BELAUBRE : Le Tombeau de Louisa
Paulin pour voix d’alto, clarinette, violoncelle et piano. Delatour :
DLT0599.
Cinq parties constituent ce recueil. Après un prélude
instrumental, un premier chant, Pour
l’âme, s’élève doucement. Puis Le
ramier constitue une partie plus animée. On trouve ensuite Pleureuse, Chant pour le vent du sud et
enfin La colombe qui avait déjà
inspiré au compositeur une mélodie pour voix et piano en 1962. Les poèmes sont
donc de Louisa Paulin, institutrice et poétesse albigeoise (1888-1944).
L’ensemble est d’une grande beauté.
Gérard
HILPIPRE : Trio pour violon
violoncelle et piano. Delatour : DLT0957.
Développée en trois mouvements, cette œuvre dense se
caractérise par ses recherches de sonorités et sa force expressive. A un adagio
sostenuto plutôt contemplatif succède un Vivacissimo impalpabile (très fluide,
comme un songe). Le troisième mouvement laisse éclater toute l’énergie contenue
jusque-là dans un « Impetuoso. Con fuoco » qui, après un bref retour
à l’ambiance du deuxième mouvement se termine par un vertigineux
« prestissimo stringendo ».
ENSEMBLE DE CUIVRE
Georges BIZET : Carmen (ouverture). Transcription
pour deux trompettes, cor et trombone. Arrangement de Jean-Louis Petit.
Fortin-Armiane : EAL 534.
Ecrit, comme les suivants, à l’occasion du concours
international de quatuors de cuivres de Paris/Ville d’Avray du 23-24 mars 2013,
cet arrangement est réalisé avec tout le soin et la compétence musicale qu’on
connait à Jean-Louis Petit. Nul doute que les quatuors de cuivre ne bouderont
pas leur plaisir ! Notons qu’un deuxième trombone peut remplacer le cor en
fa : la transcription nécessaire est fournie.
Nicolaï
RIMSKY-KORSAKOV : Le vol du bourdon. Transcription pour deux trompettes, cor et trombone. Arrangement de
Jean-Louis Petit. Fortin-Armiane : EAL 534.
Le bourdon se promène agréablement dans trois parties sur
quatre… et ne leur rend pas la vie facile ! Cette transcription bénéficie
des mêmes qualités que la précédente et devrait connaître un grand succès. Le
cor peut également être remplacé par un trombone.
Jean-Sébastien
BACH : Art de la fugue.
Contrapunctus I. Transcription pour deux trompettes, cor et trombone.
Réalisation de Jean-Louis Petit. Fortin-Armiane : EAL 458.
Remarquons tout de suite que Jean-Louis Petit a bien
précisé en tête de la partition « réalisation » et non
« transcription ». C’est bien en effet de cela dont il s’agit et l’on
ne peut que se réjouir qu’un tel monument puisse figurer au répertoire d’un
quatuor de cuivres. Rappelons qu’on peut remplacer le cor en fa par un deuxième
trombone.
Domenico
GABRIELLI : Canzone. Arrangement
pour deux trompettes, cor et trombone. Réalisation de Jean-Louis Petit.
Fortin-Armiane : EAL 532.
Voici une œuvre jubilatoire qui convient tout à fait à un
quatuor de cuivres (rappelons que le cor en fa peut être remplacé par un
trombone). Le thème passe d’un instrument à l’autre dans un joyeux contrepoint.
Les interprètes devraient y trouver beaucoup de plaisir.
Georges GERSHWIN : Bess you is my woman. Transcription pour
deux trompettes, cor et trombone. Arrangement de Jean-Louis Petit.
Fortin-Armiane : EAL 532.
Voici un bien joli et bien fidèle arrangement de la
célèbre mélodie de Gershwin tirée de Porgy
and Bess. Jean Louis Petit, comme à son habitude, montre dans cette
adaptation une grande délicatesse. Comme toujours dans cette collection, le cor
en fa peut être remplacé par un deuxième trombone.
MUSIQUE CHORALE
Franck
VILLARD : Christus factus est, motet
pour la Passion. Chœur mixte. Editions Symétrie.
Cette pièce, qui demande un chœur solide, est d’une grande
expressivité et d’une profonde intériorité. Elle est construite sur un « cantus
firmus » exposé tour à tour par chacune des voix et qui n’est « autre
que la scala enigmatica utilisée par
Verdi dans son Ave Maria des Quattro pezzi sacri, échelle ascendante
et descendante aux degrés accidentés symbolisant pour moi [Franck Villard] la
montée douloureuse du Christ au calvaire suivie de sa mort et de sa descente au
tombeau ». L’auteur commente son œuvre dans une préface indispensable à
lire et à méditer. Est-il utile de rappeler que ce texte de Saint Paul est un
sommet de la messe du Jeudi Saint, et de toute la liturgie catholique ?
Giacomo
PUCCINI : Messa di gloria. Version
pour deux pianos. Arrangement Ludovic Thirvaudey. 2 vol. Symétrie.
Précisons immédiatement qu’il s’agit d’un arrangement
permettant à un chœur de donner la Messa
di Gloria pour chœur et orchestre avec simplement deux pianos. Chacun des
volumes contient les parties des deux pianos. Cet arrangement, fort bien fait,
a été commandé par l’ODAC 74 (Office
Départemental d’Action Culturelle de Haute Savoie) pour le Chœur de Haute
Savoie. Nul doute qu’il sera très apprécié de beaucoup de chorales de qualité
mais qui ne peuvent se payer les services d’un grand orchestre… Cette version
est compatible par les numéros de mesure avec l’édition Carus et par les
lettres-repères avec l’édition Ricordi.
Charles
BALAYER : Un ti bout de Fwance pour
chœur mixte SATB et piano (ou section rythmique). Delatour : DLT1440.
Comment mieux rendre compte de cette délicieuse biguine
créole qu’en conseillant, toute affaire cessante, d’aller l’écouter dans son
intégralité grâce à la vidéo disponible sur le site de l’éditeur à l’adresse http://www.editions-delatour.com/fr/jazz-vocal/1882-un-ti-bout-de-fwance-pour-choeur-mixte-et-piano-9792321007547.html L’adresse est un peu longue... Mais il
suffit de cliquer et ça vaut vraiment le détour. On ne peut que saluer une fois
de plus la polyvalence d’un auteur aussi à l’aise dans l’orgue classique que
dans le jazz et les musiques du monde. Reste la question de savoir si le chœur
qui doit interpréter cette pièce doit boire le punch avant ou après…
Davide
PERRONE : Vieni con noi pour
chœur mixte SATB et piano. Delatour : DLT2123.
Cette pièce de jazz devrait plaire à beaucoup de chœurs.
Une « walking bass » du piano anime l’ensemble qui est constitué
d’imitations et de tutti à la manière d’une comédie musicale. Le texte italien
est une incitation à partir en vacances à la mer… Bref, il s’agit d’une pièce
très agréable de moyenne difficulté.
Daniel Blackstone.
Vissarion CHEBALINE
: Sonate pour
violoncelle et piano, op. 51, n° 3. Les Éditions du Chant du Monde (www.chantdumonde.com ), VC4665, 51 p. (+ partie séparée pour
violoncelle, 16 p.).
Le Chant du Monde, spécialisé dans
la musique russe, vient de publier, pour le cinquantenaire de la mort de
Vissarion Chébaline (né à Omsk en 1902, mort à Moscou en 1963), sa Sonate pour violoncelle et piano, op.
51, n° 3, composée en 1960 et créée, l’année suivante, à Moscou par le
dédicataire Mstislav Rostropovitch et Alexeï Zybtsev (piano). Elle comprend 4
mouvements contrastés. 1. Allegro assai (p.
3-20) : l’accompagnement est marqué par un ostinato rythmique auquel succèdent
des accords plaqués ; la ligne mélodique du violoncelle, légèrement
chromatique, s’appuie sur un rythme de trochée s’animant peu à peu avec des
croches et un trait de doubles-croches. 2. Vivace (p. 21-30) : le violoncelle assure d’abord un mouvement perpétuel de
croches assez conjointes, des pizzicati très disjoints, puis les croches alternent entre violoncelle et piano ;
l’ensemble se termine sur de vives oppositions de nuances (p, sff). 3. L’Andante (p. 31-36), de caractère plus
chantant, fait dialoguer les deux instruments, avec retour des mouvements de
croches, changement de tempi, et se termine pp. Enfin, 4. l’Allegro (p. 37-51),
avec un rappel du mouvement de croches au violoncelle, des changements de
mouvements, se termine sur des doubles cordes au violoncelle et de riches
accords au piano. Partition très bien gravée et de difficulté moyenne.
Edith Weber.
***
CDs et DVDs
William BYRD. : Messe à 5 voix &
autres pièces. Vienna Vocal Consort. 1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de) : KL1401. Diffusion : RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ). TT : 55’16.
William Byrd (v.
1543-1623), Gentleman de la Chapelle Royale, peut-être l’élève de Thomas
Tallis, détenait avec celui-ci le monopole de l’impression musicale en
Angleterre. Ce compositeur, typiquement de la Renaissance et de la Réforme,
s’est illustré dans la musique chorale religieuse associée à sa fonction
liturgique ; il maîtrise particulièrement le contrepoint, tout en mettant
l’accent sur l’intimité et l’émotion religieuses, bien que ses Motets soient esthétiquement assez
proches des Madrigaux profanes. Et
c’est le mérite d’un des Ensembles vocaux les plus célèbres d’Autriche, le
Vienna Vocal Consort (fondé en 2001) dont le titre est significatif, de
restituer fidèlement, avec une émission vocale très soutenue et une belle ligne
mélodique (y compris des basses prenantes), d’une part sa Messe à 5 voix (Kyrie,
Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei) bénéficiant d’un remarquable
paysage vocal et, d’autre part, une dizaine d’autres pièces brèves, dont Alleluia, Ave Maria-Virga Jesse ; Laetentur Coeli ; Miserere mei Deus très prenant, Ne irascaris, Domine ; O Lord, my God et Lord, make me to know, sommets d’expressivité. Bel hommage au
« Father of Musick » : à écouter et réécouter.
Édith Weber.
« Italian Journey ». Quartetto di Cremona. 1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de) : KL1400.
Diffusion : RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ).
TT : 70’49.
Cette production est née d’une
rencontre de musiciens italiens et de producteurs allemands qui se sont
intéressés au Quartetto di Cremona fondé dans cette ville en 2000 et
réunissant C. Gualco, P. Andreoli, S. Gramaglia et G. Scaglione. Ils précisent
leurs réactions dans le texte d’accompagnement : pour un quatuor, il est
généralement difficile de jouer de la musique de chambre italienne, car aucun
traité n’en décrit les critères d’interprétation et, d’ailleurs, les traditions
manquent… ; il s’agit d’un événement tout particulier que de jouer des Quatuors à cordes de compositeurs
italiens, avec des passages très exigeants ; en fait, ils portent en eux les
parfums, ainsi que les couleurs et les beautés… spécifiquement italiennes. Ce
« voyage » musical commence avec Luigi Boccherini (1743-1805). Son Quatuor
op. 2, n°6 en Do Majeur, en 3 mouvements bien contrastés : Allegretto spirituoso, Largo, Menuet. Trio, est interprété avec extrêmement de finesse et de
transparence. Ces mêmes qualités se retrouvent dans le Quatuor en mi mineur de G. Verdi (1858-1924) en 4 mouvements :
l’Allegro est enlevé avec élan ;
l’Andantino, tout en finesse et
élégance ; le Prestissimo, plus
bref, frappe par sa virtuosité technique et débouche sur le Scherzo Fuga très structuré. Après le romantique et dramatique Crisantemi (Andante mesto) de Giacomo Puccini (1858-1924), le Quatuor en Ré Majeur d’Ottorino Respighi
(1879-1936), édité à Vienne en 1907, en 4 mouvements traditionnels : Allegro moderato de caractère
grave, avec des sonorités chaudes ; Tema
con variazioni s’impose par son caractère intériorisé ; l’Intermezzo avec ses pizzicati est
animé ; le Finale, pétillant et
énergique, avec des harmonies délibérément du début du XXe siècle. Ce disque —
dont la succession des pièces n’est pas chronologique — brosse un tableau
intéressant de l’évolution de la forme du Quatuor italien entre Boccherini,
l’un de ses premiers fondateurs, et Respighi dont le rôle historique est
indéniable.
Édith Weber.
« Jesu, meine Freude ». Un siècle de motets
baroques allemands. Chœur de Chambre Les Temperamens. 1CD Variations (http://lestemperamens.free.fr ). TT : 52’ 19.
Thibault Lam Quang, fondateur et
directeur du Chœur de Chambre Les Temperamens Variations, propose un programme
historique illustrant l’évolution du motet baroque, traité par trois musiciens
représentant trois générations différentes. Cinq Motets de Heinrich Schütz (1585-1672) sont extraits de sa Geistliche Chormusik, d’inspiration
luthérienne, véritables petits sermons en musique. Composés pendant les affres
de la Guerre de Trente Ans (1618-1648), ils prennent tout leur sens, notamment
avec leur aspiration à la paix (Verleih
uns Frieden genädiglich, SWV 372) et sont interprétés avec musicalité et
sensibilité. Le Motet Jesu, meine Freude de Jean Sebastien Bach (1685-1750) bénéficie, comme il se doit, de relief,
d’intériorité et de nuances précises : beau point d’orgue à cette
réalisation introduite par quatre Motets a cappella de Gottfried August
Homilius (1714-1785) marqués par l’influence de l’Empfindsamkeit. L’intérêt historique de ce triple parcours, qui a
bénéficié du concours d’instruments (positif, théorbe, violoncelle, violone et
contrebasse) et également de l’excellente prononciation allemande des
choristes, est indéniable.
Édith Weber.
« Wie mit vollen
Chören ». Musique du centre historique de Berlin. Marienvokalconsort et Marienensemble 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP 6071.
TT : 75’ 06.
Ce disque transporte les
discophiles au centre historique de Berlin ; dès les premières mesures,
ils seront subjugués par la justesse extrême, la plénitude vocale, la précision
des entrées successives et le paysage vocal lumineux dont le Marienvokalconsort
et le Marienensemble placés sous la direction si sensible de Marie-Louise
Schneider détiennent le secret. Ils révèlent des pages très attachantes, par
exemple le Magnificat IV, à 5 voix,
en Fa, et quatre textes dont deux
chants de mariage avec basse continue et les Chorals : Fröhlich soll mein Herze springen (encore chanté de nos jours) et Jesu,
meine Freude de Johann Crüger (1598-1662), éditeur de l’Anthologie Praxis pietatis melica, recueil de
Chorals, professeur au Gymnase et Cantor à l’Église St-Nicolas de Berlin. Son
successeur, Johann Georg Ebeling (1637-1676), est l’auteur, entre autres, de la
Cantate Der Herr erhöre dich in der Not à
5 voix, cordes et basse continue, et du Motet à 6 voix : Ein Tag in deinen Vorhöfen interprétés
avec infiniment de musicalité. À découvrir également deux Cantates de Magnus Peter Henningsen
(1655-1702). Ces œuvres ont résonné à Berlin, dans les Église St-Nicolas,
St-Pierre et Ste-Marie. Programme irrésistible à écouter et réécouter.
Édith Weber.
« Verklingend und ewig. Raritäten aus der Herzog August Bibliotehk
Wolfenbüttel ». Chœurs de Hanovre.
Capella Augusta Guelferbytana. 1 CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP 6054.
TT : 78’ 22.
La Bibliothèque du Duc August, à
Wolfenbüttel, contient des riches inestimables, dont, par exemple, des
manuscrits de l’École Notre-Dame de Paris. Le présent disque propose une
sélection d’œuvres allemandes du XVIIe siècle, entre autres d’Andreas
Hammerschmidt (†1675), représenté par la version allemande des chorals Verleih uns Frieden gnädiglich (Dona nobis pacem) et le Notre Père si typiques de l’esthétique
luthérienne, comme d’ailleurs les versets bibliques : Ich weiss dass mein Erlöser lebt (Je sais que mon rédempteur est vivant) mis en musique par Johann
Schelle (†1701) et Ich habe einen guten
Kampf gekämpft (J’ai combattu le bon
combat) de Johann Erasmus Kindermann (†1655)… Ce volet allemand est
complété par des œuvres italiennes sorties de l’oubli et à découvrir : Madrigaux à 4 voix du Second Livre de Maddalena Casulana (†v.1590), plus développés ; Premier Livre pour le Jubilé de Saint-Bernard de Jacobus Peetrinus (†v. 1591), ou encore le Psaume 134 : Ecce nunc benedicite… de Giovanni
Battista Chinelli (†1677), se terminant par la Doxologie. Ces pages étaient
entendues à la Cour de Wolfenbüttel. Grâce aux inégalables Chœurs de Hanovre
souvent présentés à nos lecteurs : le Chœur de filles (sous la direction
de Gudrun Schröfel), le Chœur de garçons (sous la direction de Jörg
Breiding), ainsi que la Capella Augusta Guelferbytana, ce répertoire enfoui
dans les fonds de la célèbre Bibliothèque reprend vie et « résonne »
à nouveau « et pour longtemps » : verklingend und ewig...
Édith Weber.
Jean-Sébastien BACH : Cantates d’anniversaire. Ensemble Mitteldeutsche Hofmusik. 1 CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP 6058.
TT : 65’ 21.
Sous le titre : Gloire et bonheur, l’Ensemble
Mitteldeutsche Hofmusik (Musique de Cour d’Allemagne moyenne) — se produisant
sur instruments anciens — a reconstitué deux Cantates d’anniversaire de Jean Sébastien Bach, avec le concours,
en solistes, de Gudrun Sidonie Otto (Soprano), Wiebke Lehmkuhl (Alto), Hans
Jörg Mammel (Ténor), Varsten Krüger (Basse), tous placés sous la direction
d’Alexander Grychtolik. Ces deux Cantates,
datant respectivement de 1725 et 1718, destinée à la Cour ducale de Köthen pour
laquelle son ancien Maître de chapelle — déjà nommé à Leipzig — devait encore
composer pour des occasions particulières. La Cantate : Steigt freudig in die Luft (BWV 36a)
était destinée à l’anniversaire de la Princesse Charlotte Friederike Amalie de
Nassau-Siegen, alors que, encore à Köthen, Bach avait composé en 1718 sa
Sérénade : Der Himmel dacht’ auf
Anhals Ruhm und Glück (BWV66a) pour l’anniversaire du Duc Leopold, lui
souhaitant bonheur, santé et longue vie. Ces œuvres, interprétées, en 2012,
dans le cadre du Festival Bach à Köthen (Köthener
Bachfesttage), s’imposent par leurs atmosphères tour à tour : festive
et énergique, méditative et solennelle, limpide et dépouillée, expressive et
grave… Décidément, presque trois siècles après leur composition, ces premiers
enregistrements n’ont rien perdu de leur pertinence.
Édith Weber.
« Ein Hofer Königspaar. Die Orgeln in St Marien und St
Michaelis ». Pièces d'orgue et
instrumentales. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP 6072.
TT : 75’ 06.
La Ville de Hof, en Bavière
(Haute-Franconie) possède deux Orgues célèbres : d’une part, l’Orgue
Heidenreich en l’Église
Saint-Michel ; d’autre part, l’Orgue Steinmeyer en l’Église Sainte Marie, particulièrement
mis en valeur par leur titulaire respectif : G. Stanek et L. Stühlmeyer.
Ils proposent un programme cosmopolite, avec le Praeambulum en Sol majeur de V. Lübeck ; le Prélude de
choral : Schmücke dich, o liebe
Seele (BWV 654) de J. S. Bach (plage 8) — à confronter avec celui de J.
Brahms (pl. 9) — ; le Prélude et Fugue en Sol Majeur de F. Mendelssohn, ainsi que des extraits de sa Deuxième Sonate d’orgue en Do mineur ; et, plus proches de
nous, Joseph Gabriel Rheinberger (mort en 1901), avec son Chant du soir (Abendlied),
pour alto et soutien instrumental ; Sigfrid Karg-Elert (mort en 1933),
avec son Choral : Nun danket alle
Gott. À ce volet allemand, s’ajoute notamment la Sonate en Ré Majeur de H. Purcell, ou encore le Largo extrait de la Symphonie n°9, op. 95 d’A. Dvorak. Ces organistes, auxquels sont
associés Z. Kruzikaite (Alto), W. Mehling (Flûte traversière), C. Kelber
(Trompette), J. Wilkens (violon) ont signé un bel hommage à ces deux Orgues des
Églises St. Marien et St. Michaelis, à Hof. Ce programme si varié et éclectique
mérite les plus vifs éloges. À ne pas manquer.
Édith Weber.
RUNDUMADUM. Mit den Grassauern durch den Winter. 1CD
KLANGLOGO (www.klanglogo.de) : KL1402. Diffusion : RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ). TT : 59’ 58.
Ce disque contient une sélection
de 26 pièces en tous genres, interprétées par l’Ensemble de Cuivres de Grassau
(Bavière), créé en 1980. Dirigé par Wolfgang Diem, il propose un
« parcours autour de l’hiver » et de Noël, à travers l’Allemagne (E.
Humperdinck, Hänsel et Gretel, ou
encore Schlittenfahrt), la Bavière
(Munich), la Russie (D. Bortnianski), la Suède (Staffan och Herodes), la France (arrangement du Gloria in excelsis Deo), l’Italie
(d’après la Pastorale de Corelli) et
l’Espagne (Riu Riu Chiu). L’époque
romantique est évoquée notamment par le Psaume
91 : Denn er hat seinen Engeln
befohlen… adapté du double-quatuor de l’Oratorio Elias de F. Mendelssohn. Le titre : Münchner Weihnacht regroupe des Noëls contenus dans un manuscrit provenant du Couvent de Weyarn (XVIIe siècle) et des
mélodies munichoises. Dans l’ensemble, ces pièces, habilement arrangées par
Hans Kröll, conviennent parfaitement aux sonorités des cuivres ; elles
reflètent le sérieux et la joie ressentis par les Grassauer Blechbläser dans
l’interprétation de ce répertoire à la fois populaire et classique.
Édith Weber.
« Chant
grégorien ». Ensemble En chemin. 1CD Éditions JADE (www.jade-music.net ) : 699774-2.
TT : 44’ 59.
L’Ensemble En chemin regroupe des
Pères norbertins en activité à Saint-Michel (en Californie) où des prêtres
hongrois s’étaient installés en 1950 ; en 1984, le lieu a été élevé au
rang d’Abbaye. En fait, le modèle canonique de la vie religieuse, d’abord
envisagé par Saint Augustin d’Hippone (354-430), a inspiré quelques siècles
après, Saint Norbert de Xanten (1080-1134) qui, en 1121, fonda l’Ordre des
Prémontrés. Si leur objectif principal est d’ordre pédagogique, cette
communauté pratique quotidiennement l’observance du chant à l’office et à la
messe. Ses membres s’adonnent aussi à la prédication et à la traduction
d’ouvrages spirituels. La qualité de leur chant s’est imposée au « Renée
et Henry Segerstrom Concert Hall », comme le rappelle le chef, Carl St.
Clair, directeur musical de l’Orchestre Symphonique du Pacifique sous la
direction duquel ces Pères ont interprété, entre autres, des œuvres religieuses
d’A. Bruckner. La genèse du disque a ainsi été résumée par le Père Chrysostom
Baer : « Comme aucun de ces concerts ne fut enregistré, nous décidâmes de
revivre l’expérience de la seule manière possible, et de produire cet album
avec les mêmes morceaux, mais chantés cette fois-ci dans le studio très
douillet de notre propre Église abbatiale… ». Ce CD comprend 9 chants
interprétés à Segerstrom Hall : pour l’arrivée du public, puis de la
procession dans la salle de concert et enfin lors de la messe. Les chants 10 à 13 ont été interprétés dans
la Salle de concerts Sutherland Hall à l’Université Biola, lors d’un Symposium
concernant l’espace d’art sacré. Le programme représente une synthèse des
formes grégoriennes traditionnelles avec non seulement des graduels,
répons, introït, antienne, litanie, mais encore des hymnes, et une prière pour
le Saint Père : Oremus pro Pontifice.
L’Ensemble En Chemin s’impose par le paysage vocal, la justesse, la pureté, la
diction précise et par sa haute spiritualité de ces pièces d’une part destinées
aux temps liturgiques (Avent, Vendredi Saint, Pâques) et d’autre part consacrées à l’honneur du Saint Sacrement
ainsi que de la Vierge Marie. Un exemple d’émission vocale et d’intériorité. À
suivre.
Édith Weber.
Guillaume COSTELEY : Mignonne, allons voir si la rose. Ludus modalis.
1CD Ramée (www.outhere-music.com ). RAM 1301. TT : 71’ 42.
L’Ensemble bien connu, Ludus
modalis, dirigé avec tant de compétences par Bruno Boterf — chanteur,
musicologue, spécialiste aussi bien de la musique médiévale que de la musique
contemporaine, en passant par Cl. Monteverdi ou encore les Cantates et Oratorios de
J. S. Bach —, rend un vibrant hommage
à Guillaume Costeley (v. 1530-1606). Dans un sonnet, Jean-Antoine de Baïf
l’apostrophe ainsi : « […] toy Costeley, qui entre les meilleurs /Exerces le doux art d’une musique
eluë, /Qui sçais par beaux accors acoiser l’ame emuë,/ L’exciter assoupie,
exprimer ses douleurs. » (Préface au volume de Musique, 1570). Cette réalisation sous-titrée : Mignonne allons voir si la rose »
se veut implicitement aussi un hommage à Pierre de Ronsard (1524-1585), le
« prince des poètes ». Il contient 27 chansons spirituelles et amoureuses,
typiques de la Renaissance en France, y compris une Fantasie sur orgue ou espinette très ornementée à la manière des
luthistes, interprétée avec clarté et virtuosité par Freddy Eichelberger. Ces
diverses chansons expriment l’ennui, le chagrin, les tourments amoureux, le
destin cruel… mais aussi la consolation de l’âme et l’amour de Dieu à la
manière des Psaumes (J’ayme mon Dieu et
sa saincte Parolle ; Seigneur
Dieu, ta pitié s’estende dessus moy/car O Seigneur je suys en un terrible esmoy).
Elles relatent également des événements historiques (la prise du Havre) et
contiennent des allusions lyriques (rose, vert bocage, le mois de mai ; à
noter le chant homosyllabique si impressionnant : La terre les eaux va buvant (2 quatrains) n’étant pas sans rappeler
l’atmosphère des Octonaires mis en
musique par Paschal de l’Estocart et Claude Le Jeune). D’autres allusions
concernent des personnages : berger(s), damoiselle ; Noé,
Satan ; Robin, Marion, Margot ; des instruments : fleageollet,
fifre, cornet, clairon, y compris de nombreuses allusions grivoises. Un modèle
d’interprétation.
Édith Weber.
Jan Dismas ZELENKA : Gaude laetare, Missa Sanctissimae Trinitatis. Ensemble Inégal & Prague Baroque
Soloists. 1 CD NIRIBU : 01572231. Distribution : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ). TT : 66’ 10 .
Depuis plusieurs décennies,
l’œuvre de Jan Dismas Zelenka a retenu l’attention des discophiles, alors que,
vers la fin de sa vie, sa réputation s’était détériorée ; toutefois la
Bibliothèque du Land de Saxe possède un important fonds. Il est né à Lounovice
(près de Prague) en 1679 et mort à Dresde en 1745 où il a été membre de
l’orchestre à la Cour d’Auguste le Fort, Roi de Pologne et Électeur de
Saxe. Bach (né six ans après lui) l’a même rencontré dans cette ville. Il a
peut-être été initié à la musique au Collège jésuite de Prague. En 1715, à
Vienne, il a été l’élève en contrepoint de Johann Fux, puis, à Venise,
d’Antonio Lotti. Dès 1735, il a été nommé Kirchen-Compositeur à la Cour d’Auguste le Fort.
Le Label NIBIRU — avec le concours
de l’Ensemble Inégal et Les Prague Baroque Soloists, sous la direction d’Adam
Viktora — propose l’imposante messe enregistrée à Prague en 2012 (La 415) : la Missa Sanctissimae Trinitatis (ZWV 17) composée en 1736, période à
laquelle il est affecté par un manque de reconnaissance et des problèmes de
santé qui ne transparaissent guère dans l’œuvre. Cette messe tardive exige une
orchestration réduite (sans cuivres). Contrairement aux usages, les invocations
du Kyrie sont bien enlevées et
entraînées par l’orchestre. On pourrait y déceler une facture mélodique
annonçant le style galant, une structure solide proche de J. S. Bach (par
exemple dans le Kyrie II et le Dona nobis pacem). Zelenka spécule sur
les contrastes de tessitures, de nuances, les oppositions entre des Airs de solistes et l’ensemble des
chanteurs. Ardeur et élan sont constants ; le Credo est affirmatif et vigoureux comme il se doit, contrastant
avec l’intériorité de l’Incarnatus est.
Destiné à la Fête de la Sainte Trinité, le motet Gaude laetare (ZWV 168), daté du 17 mai 1731 (suivant le dimanche
de Pentecôte), tripartite (air-récitatif-Alleluia) est particulièrement
lumineux, gai et exubérant. En signant cette belle « Défense et
illustration », ces interprètes tchèques ont remarquablement réhabilité
leur compatriote Zelenka.
Édith Weber.
Jean-Sébastien BACH : ‘Sei Solo’. Sonatas & Partitas for Violin.
Christine Busch. 2CD PHI (www.outhere-music.com ): LPH 008. TT : 145’ 48.
Christine Busch est une violoniste
baroque, chambriste et soliste de réputation internationale, formée notamment à
Winterthur et Vienne, qui s'est produite en soliste avec les plus grands
Ensembles : Deutsche Bachsolisten, Concentus Musicus de Vienne (sous la
direction de Nikolaus Harnoncourt), ou encore l'Orchestre de chambre d'Europe,
sous la baguette de Claudio Abbado, Sir Colin Davis et Sandor Vegh. Elle a
réalisé un coffret de 2 CD faisant alterner Sonates et Partitas (BWV 1001-1006), pièces
redoutables de Jean Sébastien Bach exigeant une technique à toute épreuve
(doubles cordes, notamment). Les Sonates sont
constituées de 4 mouvements, et les Partitas,
d’une suite de danses brèves, par exemple : Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, Gavotte, Sicilienne, Menuet… nécessitant une grande diversité de tempi et d’atmosphères.
Dès les premières mesures, elle entraîne les auditeurs dans un flot de notes et
des sonorités recherchées, dominé par une musicalité exceptionnelle et une
grande densité émotionnelle qu’exige « la musique pure ». Elle a le
sens de la construction précise et de la transparence des lignes mélodiques
(dans les Fugues, deuxième mouvement
des 3 Sonates). Un vrai chef-d’œuvre d’interprétation et d’intériorité,
en conformité avec le titre donné à son commentaire par l’excellente
soliste : « musique pour le cœur, l’âme et l’esprit ».
Édith Weber.
« BACH in
Brandenburg ». Orchestre d’État de
Brandebourg, dir. : Howard Griffith. 1CD Klanglogo (www.klanglogo.de ) : KL1502
.TT : 49’ 46.
Le titre : Bach à Brandebourg (ville, région)
implique non seulement Jean Sébastien, mais encore Carl Philipp Emanuel, et
retentit sur le programme comportant notamment deux Concertos Brandebourgeois (BWV 1050 et 1047) interprétés par
l’Orchestre d’État de Brandebourg dirigé par Howard Griffiths. Dans le cinquième en Ré Majeur, l’Allegro bien
enlevé, laisse la part belle à la flûte qui, compte tenu du tempo plus rapide,
perd quelque peu en intensité expressive dans l’Affettuoso ; l’Allegro conclusif est particulièrement volubile. Dans le deuxième en Fa Majeur, l’Andante bénéficie d’un tempo plus adapté
et l’Allegro assai particulièrement
brillant et virtuose avec Thilo Hoppe (trompette) se présente comme une joyeuse
marche en avant. Ce disque est introduit par le Concerto n°3 pour clavecin en Sol Majeur (Wq 3) de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) — deuxième fils musicien
de Jean Sébastien et de Maria Barbara, surnommé « Bach de Berlin » ou
« Bach de Hambourg » —, incisif, annonçant déjà l’époque de l’Empfindsamkeit, comprend un Andante quelque peu théâtral, encadré
d’un Allegro di molto et d’un Allegro assai tous deux d’un seul
tenant. Sebastian Wienand (clavecin) y déploie sa haute technique. Orchestre et soliste dialoguent avec
ténacité et précision encore renforcée par la gestique de H. Griffiths.
Incontournable festival brandebourgeois.
Édith Weber.
Johannes BRAHMS : Un Requiem allemand. Elisabeth Grümmer, Dietrich
Fischer-Dieskau. Chœur de la Cathédrale Sainte Edwige de Berlin. Orchestre
Philharmonique de Berlin, dir. : Rudolf Kempe. 1CD JADE : 699 780-2 (www.jade-music.net ). TT : 76’ 01.
Avec le recul du temps, il est
intéressant de réécouter d’anciens enregistrement illustrant les conceptions
esthétiques partagées par des chefs réputés et de retrouver des voix célèbres
du passé : tel est le cas de la version avec orchestre du Requiem de J. Brahms intitulé : Un Requiem allemand, dirigée par Rudolf
Kempe à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Berlin et du Chœur de la Cathédrale
Sainte Edwige de Berlin. Cet enregistrement, datant de 1955, a été remastérisé
par Igor Kirkwood pour le label Jade, comme déjà pour le Requiem de Mozart (cf. NL n°66). Il s’agit d’un Requiem selon l’optique luthérienne, en
effet Brahms, lecteur assidu de la Bible, en a sélectionné des textes
significatifs et lourds de sens. La partie de baryton est interprétée par le
regretté Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012), alors âgé de 30 ans, donc au
début de sa carrière, faisant déjà preuve de son grand talent ; dans le
solo de baryton : Herr, lehre doch
mich (Seigneur, enseigne-moi que ma
vie a un terme…), tour à tour à découvert ou renforcé par l’orchestre, il
s’impose par son ton grave et moralisant. Elisabeth Grümmer (1911-1986),
soprano, réussit à conférer toute l’émotion requise à la cinquième
partie si poignante et rassurante : Ihr
habt nur Traurigkeit (Vous êtes dans
la tristesse, mais je vous reverrai…). Dans la première Béatitude : Heureux ceux qui souffrent, car ils seront
consolés (Selig sind…), le chœur
donne le ton, non pas terrifiant d’un Requiem mais rempli de certitude : ceux qui
sèment dans les larmes moissonneront dans la joie et, dans la dernière, il
affirme que ceux qui meurent dans le
Seigneur sont heureux, car ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les
suivent. Après le constat implacable de la chair qui, comme l’herbe, sèche
(Denn alles Fleisch, es ist wie Grass),
le texte invite à la patience et à la certitude que la douleur devra
disparaître. Le chœur rappelle qu’ici-bas, nous n’avons pas de cité permanente
(Denn wir haben hie keine bleibende
Stadt…). Certes, pour des auditeurs du XXIe siècle, cette version porte la
marque du temps, notamment dans les tempi et les mouvements lents, mais elle
représente un authentique témoignage concernant l’histoire des critères
d’interprétation.
Édith Weber.
« Les douze degrés
du silence ». 1CD Éditions HORTUS (www.éditionshortus.com )
: 096. TT : 67’ 52.
Ce premier enregistrement mondial,
malgré son titre, ouvrira les « oreilles » des mélomanes avides
d’innovation. Il est réalisé par Christophe d’Alessandro (né en 1961),
mathématicien et informaticien, Directeur de recherches au CNRS où il est responsable du Groupe Audio &
Acoustique. Sa formation est d’abord classique (clavecin, musique ancienne,
orgue, improvisation, composition), mais il s’intéresse aussi au rock et au
free jazz. Ses recherches portent sur l’analyse et la synthèse de la voix, la
parole, l’organologie, l’informatique musicale. Il est associé à Markus Noisternig
(né en 1974), qui « s’intéresse aux aspects artistiques et scientifiques
de la musique et du son », à l’acoustique et à la musique électronique,
depuis 2008, chercheur à l’Équipe Espaces Acoustiques et Cognitifs de l’IRCAM.
Il est aussi spécialiste des « environnement électroniques temps
réel » dans le cadre de Festivals internationaux… Sous le
titre : Orgue et réalité augmentée,
les deux auteurs évoquent les instruments de synthèse reproduisant les voix, la
capture du son interne de l’orgue et la restitution de l’espace acoustique en
temps réel. Ils constatent que « l’orgue absorbe l’héritage des musiques
électroacoustiques et électroniques, tout en gardant son identité
instrumentale. » « Dans cette esthétique de l’augmentation, les sons
transformés par les effets numériques et les sons naturels se mêlent en créant
une musique faite de micro-variations, nuances dynamiques, tuilages,
imitations, superpositions, intonations fluctuantes, formants mobiles, jeux de
mutations artificiels, échos, bruits de souffle et de vent. » Après une
introduction précisant l’objectif : « Parler peu aux créatures et
beaucoup à Dieu… », le « silence » est abordé (plages 2-12)
: dans le travail…, les mouvements…, dans l’imagination… ; il s’agit
ensuite du silence de la mémoire…, aux créatures…, du cœur…, de la nature…, de
l’amour propre…, de l’esprit du jugement…, de la volonté…, avec soi-même…,
jusqu’au silence avec Dieu… La première
version a été créée en 2008 lors du Festival Science en Seine de la Ville de
Paris ; la version enregistrée date de 2008/9, ces 12 brefs épisodes
s’inspirent des Douze degrés du silence de D. Quoniam (sœur Marie-Aimée de Jésus)
qui avait « écouté le silence ». La démarche mérite d’être retenue.
Ce disque est complété par la Symphonie
de l’Empereur jaune (plages 13-27) d’après une improvisation créée en 2010
et recréée en 2011 dans le cadre du festival « Le Paris des Orgues »
pour l’Orgue de Sainte-Élisabeth, sur des idéogrammes relatant l’initiation par
Huangdi, l’Empereur jaune, de son ministre Beimen Cheng. Elle évoque aussi bien
le vertige que l’exaltation et la prostration. Félicitations à Chr.
d’Alessandro pour sa capacité d’invention et de recréation d’atmosphères aussi
variées qu’insolites. À chacun de se faire une idée en fonction de ses oreilles
et de son parti pris esthétique.
Édith Weber.
Martial CAILLEBOTTE : Messe
Solennelle de Pâques. Mathilde Vérolles, Patrick Garayt, Éric
Martin-Bonnet. Matthias Lecomte, orgue. Chœur Régional Vittoria d'Ile-de
France. Orchestre Pasdeloup, dir. Michel Piquemal. I CD Sisyphe : 020.
TT.:62'41.
Michel Piquemal, lauréat de deux Victoires de la Musique
Classique, n’en est pas à son coup d’essai dans la redécouverte du répertoire
sacré de la fin du XIXème et du début du XXème siècle : il fut en effet le
premier à enregistrer le « Requiem » de Tomasi, celui de Guy Ropartz
et le «Stabat Mater » de Cornelius. Mais avec la
« Messe Solennelle de Pâques » de Martial Caillebotte, qui voit son
premier enregistrement mondial, le chef d’orchestre parisien dut faire face à
un challenge original : utiliser le conducteur manuscrit, proposant en
parallèle deux orchestrations différentes d’une œuvre que personne n’avait
jamais entendue, pour unique document de travail ! Cette messe que Martial
Caillebotte (1835-1910), frère du célèbre peintre impressionniste, écrivit à
l’age de 43 ans, ne fut vraisemblablement jouée qu’une seule fois, le dimanche
5 avril 1896 à Notre-Dame de Lorette. Jamais éditée, alors que Caillebotte
était issu d’une famille richissime, l'œuvre allait reposer chez un des
descendants du compositeur jusqu’au début des années 2000. Une analyse sérieuse
de cette « Messe solennelle de Pâques », qui dure plus d’une heure,
et compte trois numéros purement instrumentaux, demanderait d'amples développements.
Qu'il suffise de dire qu'on en retire, dès la première écoute, et surtout après
lecture de la partition, une impression de très grand foisonnement. Un
énergique accord parfait majeur descendant, qui reviendra à plusieurs reprises
et dans diverses tonalités, plante le décor de cette fête de Pâques, qui est
celle de la Résurrection. Avec pourtant, en filigrane, de nombreux accords de
neuvième traités comme des appogiatures tombant sur les premiers temps.
Exactement comme dans la « Mort d’Isolde ». Nous voilà donc bien dans
l’ « après Wagner », et la « Joie » de Pâques s’en
retrouve nettement assombrie. L’ « Ouverture » orchestrale
enchaîne directement avec un « Kyrie » quasi modal et tout en
douceur. Saluons la couleur des pupitres d’hommes du Chœur Vittoria
d’Ile-de-France, très peu soutenu par endroit par un orchestre que Caillebotte
a délibérément choisi de mettre en valeur dans des mouvements qui lui sont
exclusivement consacrés. Ainsi de l’ « Offertoire », ou de la somptueuse péroraison qui
clôt l’« Agnus Dei ». Du trio de solistes se détache, sans peine, le
ténor Patrick Garayt, dont le timbre généreux est très bien servi par la
partition. La musique de Caillebotte épouse parfaitement les intentions du
texte latin, y compris dans ce qu’il peut avoir de tragique. Elle est aussi,
sans conteste, l'œuvre d’un coloriste, et il convient de signaler, à ce propos,
la parfaite homogénéité des cuivres et le moelleux des cordes de l’Orchestre
Pasdeloup. Quant au chromatisme quasi constant de l’œuvre, fréquent en Europe à
la fin du XIXème siècle et, comme toujours, générateur de tensions, il doit
être ressenti ici comme une immense houle. Les nuances exacerbées et le tempo fluctuant adoptés par Michel
Piquemal pour diriger cette « Messe Solennelle de Pâques », sont donc
pour beaucoup dans le charme et l’intérêt qu’offre cette partition.
Michèle Lhopiteau Dorfeuille.
« Amore Contraffatto ». Gianvincenzo CRESTA : Répons des
Ténèbres pour la Semaine Sainte. Carlo GESUALDO : Devequt II.. Ensemble Solistes XXI, dir. Rachid Safir. 1CD
Digressione music : DCTT 23. TT : 50’34.
Un pari ambitieux et original que d’associer, sur le même
disque, deux compositeurs nés à quatre
siècles d’intervalle. Carlo Gesualdo
(1566-1613), Prince de Venosa, compositeur de la Renaissance italienne, ayant mené une vie excessive et mouvementée,
faite de meurtres et de repentance, parfois perverse, est l'auteur d’une œuvre
importante, sacrée et profane, à la fois visionnaire et innovante par l’usage
de chromatismes et de dissonances quelquefois hardies. Gianvincenzo Cresta est
compositeur italien contemporain, né en 1968. Une mise en miroir de deux
œuvres, les Répons des Ténèbres pour la Semaine Sainte, à six voix,
datant de 1611, et Devequt II, pour
alto solo et sept voix. Rapprochement passionnant, où, selon le commentaire du
livret, l’œuvre de Cresta se voudrait une réponse sereine au questionnement
tourmenté de Gesualdo (vice versa et réciproquement…). Une musique chargée
d’une forte spiritualité (Laudes du franciscain Jacopone di Todi pour la
première, attachement à Yahvé pour la seconde), de l’indicible, de l’ineffable,
du silence, d’où s’élèvent, dans une prière, l’alto et la voix. L’alto de
Christophe Desjardins n’est pas sans rappeler étrangement les propos
de Thomas Mann dans son Docteur Faustus :
«les instruments se taisaient les uns après les autres… l’alto reste seul, il
ne lui est pas permis de mourir, il doit jouer éternellement, mais nous ne
pouvons plus l’entendre. Le son, qui a cessé d’exister, que l’âme seule perçoit
et qui exprimait le deuil n’est plus le même, il a changé de sens, et à
présent, il luit comme une clarté dans la nuit ». La musique de Cresta
est, à l’évidence, une musique où le
silence et la voix prennent une importance considérable. Penser le silence, c’est
tenter d’envisager, d’entendre, la part d’inconnu du langage, lui donner dans
une partition musicale une valeur signifiante, au même titre que les notes. Le
silence devient alors une forme de musique, une autre musique, à la fois le
même et l’autre. Dans cette dialectique, le silence porte en lui le germe de
l’espoir. Il devient l’image des tourments de la conscience, questionnement
métaphysique débouchant sur une autre naissance, une renaissance. Un disque, on
l’aura compris, qui porte à la méditation, où la musique, magistralement
interprétée, nourrie d’une force incantatoire certaine, s’élève comme une
prière. Remarquable, pari audacieux, certes, mais totalement réussi.
Patrice Imbaud.
Igor STRAVINSKY :
L'Histoire du soldat (version pour trio pour piano). Galina USTVOLSKAYA : Trio
pour clarinette, violon et piano. Nicolas BACRI : A Smiling Suite. Bela BARTÓK :
Contrasts . Zodiac trio. 1CD Blue Griffin
recording : BRG257. TT : 58 ’19.
Ce disque présente le grand mérite d’associer des œuvres
très connues, comme l’Histoire du Soldat de Stravinsky, ou Contrasts de
Bartók, à des œuvres plus contemporaines, comme le Trio pour clarinette, violon et piano de Galina Ustvolskaya
(1919-2006), et A Smiling Suite de
Nicolas Bacri (°1961). Une sélection de compositions particulièrement
judicieuse, permettant de mettre en avant le jeu des timbres instrumentaux, en
même temps que d’apprécier l’étonnant
pouvoir expressif du Trio Zodiac, composé de Kliment Krylowskyi à la clarinette,
Vanessa Mollard au violon, et Riko Higuma au piano. Cette formation chambriste
constituée en 2006, à la Manhattan School of Music de New York, est venue se
perfectionner à Paris, auprès du Quatuor Ysaÿe ; ce qui rend particulièrement
coupable l’absence de notice en français ! Rappelons que le ballet-opéra
de chambre l’Histoire du Soldat fut
composée en 1918, pour un effectif instrumental comprenant 7 instruments
(violon, contrebasse, clarinette, basson, cornet à pistons, trombone et
percussions), associé à un ensemble d’acteurs et de danseurs. La réduction pour
trio pour piano et cordes date de 1919. Contrasts, composé en 1938, est la seule composition chambriste de Bartók faisant appel à
la clarinette. Elle fut créée en 1939 par Benny Goodman, Josef Szigeti et Endre
Petri, avant d’être remodelée, en 1940, dans sa forme actuelle, en trois
mouvements. Cette œuvre, comme son nom l’indique, est toute en contrastes,
virtuosité, improvisation, à la fois folklorique et jazzy. En revanche,
véritable révélation de cet enregistrement, le Trio pour clarinette, violon et piano de la compositrice russe
Galina Ustvolskaya, élève de Chostakovitch, est une œuvre peu connue. Composée
en 1949, est elle méditative, empreinte de désolation et d’angoisse. Le maître
russe utilisera un de ses thèmes dans son Quatuor
à cordes n° 5, en un ultime hommage. En premier enregistrement mondial, A Smiling Suite, de Nicolas Bacri, est
une œuvre d’inspiration néo-classique, composée en 2007, comme un hommage
chargé d’humour et de nostalgie à différents styles musicaux, de Bach à
Prokofiev. Une magnifique composition pleine de rythme et d’émotion, où
l’auditeur éclairé essaiera de démêler l’écheveau des multiples influences
musicales…Ce disque est à la fois parfaitement conçu et superbement interprété.
Patrice Imbaud.
Serge PROKOFIEV. Le bûcher d’hiver. Orchestre Symphonique de la Saison Russe, dir. Andreï Tchistiakov. Vincent
Figuri, récitant. 1CD Salamandre 600. www.salamandre-productions.com. TT :
59’22.
Voilà un disque, à la fois charmant, original et rare, qui
présente un conte musical de Prokofiev (1891-1953), composé en 1949, sur un
texte de Samuel Marchak. Rare, car Le
bûcher d’hiver est une œuvre radieuse, de la maturité, où Prokofiev livre
une musique chargée d’expressivité, de poésie et d’images, contant l’histoire
d’un groupe d’enfants quittant Moscou pour un court séjour à la neige. Dans
cette œuvre, d’une vingtaine de minutes, Prokofiev se souvient de tout son
savoir- faire dans le domaine de l’évocation musicale, de la ligne mélodique,
de l’orchestration, de la musique de ballet et du chant choral. Original aussi,
car moins connu que le célébrissime Pierre
et le Loup, cette pièce existe en deux versions, une version originale
datant de 1950, toute imprégnée de l’idéologie communiste, et une version
révisée, datant de 1957, témoignant du dégel post-stalinien, plus naïve et
apolitique. C’est évidemment cette deuxième version qui fait l’objet du présent
enregistrement, où Vincent Figuri mêle sa voix, avec bonheur, à une bande
sonore, réalisée en 1995, par l’Orchestre
Symphonique de la Saison Russe, sous la direction d’Andreï Tchistiakov. Rare
enfin, par sa qualité artistique et le support pédagogique qu’il représente. La
qualité artistique est attestée par la symbiose tout à fait réussie entre voix
et musique, même si on peut regretter une théâtralité un peu grandiloquente
dans la déclamation du texte, comme par la belle facture du livret, enrichi des
illustrations originales d’Adrien Calle. Le support pédagogique, enfin, est
intéressant, car ce disque associe trois versions, en français, en anglais
(première mondiale), et une version purement instrumentale, permettant de
favoriser l’apprentissage de la déclamation ou de laisser libre cours aux
errances indicibles de l’imaginaire enfantin. Un disque coup de cœur à ne pas
manquer !
Patrice Imbaud.
Henri TOMASI : Concertos pour
trompette & trombone. Noces de cendres .Suite pour trois trompettes.
Éric Aubier, trompette. Fabrice Millischer, trombone. Orchestre d’Harmonie de
la Garde Républicaine, dir. François Boulanger & Sébastien Billard.
1CDIndésens : INDE050. TT : 56’31.
Le label Indésens poursuit l’exploration de l’œuvre
d’Henri Tomasi (1901-1971) avec cet enregistrement du Concerto pour trompette et du Concerto
pour trombone, associés aux Noces de
cendres, et à la Suite pour 3
trompettes, en « première mondiale » dans ces orchestrations pour
grande formation d’instruments à vent. Un disque particulièrement intéressant
par le choix du compositeur et celui des œuvres, faisant appel à des
instruments rarement utilisés en solistes. Henri Tomasi, d’origine corse,
compositeur et chef d’orchestre, Prix de Rome de composition en 1927, ne
cessera d’être inspiré par la lumière méditerranéenne, tout en restant un
citoyen du monde, humaniste, indépendant de tout mouvement esthétique, attaché
à promouvoir la portée poétique de son œuvre et la capacité à communiquer un
affect. Il laisse une œuvre considérable comprenant opéras, ballets, musique
symphonique, musique de chambre, musique vocale, et de nombreux concertos, dont
les deux présentés ici constituent des pièces maîtresses. Le Concerto pour trompette et orchestre,
composé en 1948, est une œuvre techniquement difficile, à la fois virtuose et
lyrique, originale par les associations timbriques, devenues désormais
incontournables dans le répertoire de la trompette. Le Concerto pour trombone et orchestre, composé en 1956, est une pièce
de concours poussant au maximum les possibilités techniques et expressives de
l’instrument, tantôt lascives et
mystérieuses, tantôt jazzy ou agitées. Noces
de cendre est une œuvre bien différente. Musique de ballet, composée en
1952, dénonçant l’absurdité de la guerre, c'est une danse d’amour et de mort,
au rythme lancinant, chargée d’un dramatisme poignant, parfaitement rendu par
la réorchestration de Désiré Dondeyne. La Suite
pour trois trompettes, composée en 1964, conclut ce disque sur une note plus optimiste, rendant compte de la
richesse de la personnalité et de la musique de Tomasi. A écouter
absolument !
Patrice Imbaud.
Jean-Sébastien BACH : Transcriptions des chorals pour
orgue BWV 659 & 639, de la Cantate BWV 12, du Motet BWV 225, du Prélude et
fugue N °9, BWV 854, du Ricercare BWV 1079, de la Partita BWV 826, de l'Aria « Erbarme dich » BWV
244, de la Passacaille et fugue BWV 582, et de « Bist du bei
mir » BWV 508. Karol Beffa, piano. Ensemble Contraste. 1CD La Dolce Volta
: LDV04. TT.: 53'45.
Le genre de la transcription des œuvres de Bach a connu
des fortunes diverses. On pense à celles du chef Leopold Stokowki. Mais il a
été porté à son zénith par Busoni, Kempff ou Kurtág. Deux des membres de
l'Ensemble Contraste, Johan Farjot et Arnaud Thorette, s'y attaquent sans
complexe, avec flair et goût, se
proposant d'en offrir un nouveau visage, au-delà de la comparaison entre
approches baroque et moderne. Ils veulent « éclairer le souterrain
harmonique ou contrapuntique de cette musique ». Il s'agit de
transcriptions pour quatuor à cordes avec piano, ou pour trio à cordes. Ils
s'appuient sur le fait que Bach était souvent, dans ses compositions,
indifférent au choix de l'instrument. De la à dire que la voie a été ouverte
par le Cantor lui-même, il n'y a qu'un pas. Le résultat est fort intéressant,
le choix opéré parmi les œuvres judicieux, la manière de transcrire en adéquation avec la rigueur de la
construction, comme la polyphonie foisonnante des divers morceaux. Cela tend à
prouver que « le contenu musical prime sur le moyen ». Ainsi du
Choral pour orgue BWV 639, transcrit pour trio à cordes, où la première voix,
celle du violon, trace la ligne. Cette même formation permet, dans la Cantate
BWV 12, « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen », de retrouver la pureté de
l'inspiration, sa spiritualité. Comme dans le motet BWV 225, « Singet Dem
Herrn ». Le Ricercare à 6 voix, de l'Offrande musicale, BWV
1079, prend une ampleur insoupçonnée, le piano assurant la basse, comme
l'orgue. Dans la Passacaille et fugue en ut mineur, BWV 582, les quatre
instruments donnent à entendre mieux les différentes voix que Bach a voulu
faire s'exprimer par le seul orgue. Dans la Partita pour clavier, BWV 826, on
perçoit plus que ce que permet de révéler l'instrument. Une rareté aussi, que
la transcription pour piano seul, due au compositeur Karol Beffa, de l'aria
« Erbarme dich », tirée de la Passion selon Saint Mathieu :
outre qu'elle est réalisée avec tact, la main droite énonçant la ligne
mélodique, elle porte sur l'aria un regard différent, une tonalité certainement
plus claire. L'enregistrement, très présent, apporte une agréable couleur
chambriste à ces pages mémorables. Loin d'être l'« Ovni musical »,
dont parlent les interprètes, ces transcriptions, qui ne trahissent nullement
l'esprit du musicien, et sont magnifiquement jouées, donnent aux pièces
d'origine une vie nouvelle.
Jean-Pierre Robert.
« Felix & Fanny ».
Félix MENDELSSOHN : quatuors à cordes N° 2 op. 13, en la mineur, et N° 6, op.
80, en fa mineur. Fanny MENDELSSOHN-HENSEL : quatuor en mi bémol majeur.
Quatuor Ebène. 1 CD Virgin Classics : 50999 464546 2 1. TT.: 76'50.
Fière idée que de réunir le frère et la sœur en une
commune pensée musicale. Celui que ses contemporains ont appelé « le Mozart du
XIX ème », a beaucoup mis de lui-même dans ses quatuors à cordes. Les
Ebène juxtaposent le premier et l'ultime. Un lien indissociable les unissait, transcendé
par la musique : Fanny, pourtant musicienne accomplie, et première
Kapellmeisterin d'Allemagne, saura s'effacer devant la prodigieuse carrière de
Félix. Elle composera pourtant un quatuor, qui montre une similitude
d'inspiration avec celle de son cadet. Écrit entre 1827 et 1832, le
Quatuor op. 13 de Mendelssohn se place
dans le sillage de Haydn, de Mozart, et bien sûr, de Beethoven. La facture
contrapuntique du 1er mouvement allegro vivace, passé l'introduction adagio,
déploie une belle énergie. L'adagio « non lento », sera fugué dans
une progression jubilatoire, mêlée de résignation. Le trio, au sein du fin
intermezzo, enluminé par le superbe 1 er violon de Gabriel Le Magadure, annonce
déjà les pages nocturnes qui feront flores dans plus d'une œuvre ultérieure. Et
le grand presto final, hommage appuyé à Beethoven, démontre la formidable
maîtrise du jeune compositeur, tout comme celle du juvénile Quator Ebène.
L'opus 80, de 1847, « Requiem pour Fanny », car composé peu après la
disparition de la sœur tant chérie, et créé après la mort de Félix, est une
mémorial vibrant à une âme disparue. L'allegro est traversé de traits
farouches, d'images déchirantes, de frissons de douleur. Les interprètes y
apportent une tension palpable. L'allegro assai, syncopé, se vit tel un
scherzo, tendu comme un arc, qui semble tout emporter. Le trio, sombre,
n'apporte que faible apaisement. L'exécution est chauffée à blanc. Le long
adagio a peine à contenir le désespoir devant l'absence. Et pourtant, quelle
tendresse y perçoit-on ! Le finale est un cri de douleur, que tempèrent des
réminiscences des moments heureux. Fanny écrira son quatuor en 1834. La
symbiose de pensée musicale est étonnante : en guise d'introduction, un
discours retenu, empreint de réflexion, un scherzo qui n'est pas loin de ceux
de Félix, avec des traits vifs et joyeux, une « romance » faisant
montre d'un épanchement, certes romantique, mais suprêmement maîtrisé, et
empreint de quelque pensée tragique ; un allegro vivace affirmé,
presqu'enflammé, sollicitant particulièrement le 1er violon. Les Ebène sont,
ici encore, à leur meilleur : un art des nuances, une générosité sans faille,
pour des exécutions mémorables.
Jean-Pierre Robert.
Carl Maria von WEBER : 6 Sonates progressives « pour
le Piano-Forté avec Violon obligé », op. 10. Quatuor pour violon, alto,
violoncelle et pianoforte, op.8, en Si bémol majeur. Isabelle Faust, violon,
Alexander Melnikov, pianoforte, Boris Faust, alto, Wolfgang Emanuel Schmidt,
violoncelle. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902108. TT .70'11.
Weber ne saurait être réduit à son opus magnum opératique, Der Freischütz. Il a laissé bien
d'autres musiques, dont quelques pièces de chambre. Les 6 Sonates « pour
le Piano-Forté avec Violon obligé, composées et dédiées aux amateurs », de
1810, sont de courtes pièces, en deux ou trois mouvements. Elles ne
s'adressent, bien sûr, pas qu'aux « amateurs », car si pas de grande
difficulté, elles requièrent un flair interprétatif certain, pour mettre en
valeur les singularités qu'elles renferment et les divers styles qu'elles
véhiculent ; sans parler des traits inattendus dont elles pullulent, proches du
bel canto ou de la danse. Ceux-ci annoncent plus d'un thème du futur opéra
rupestre. Un minuscule larghetto, donnant dans le déclamatoire, est au centre de
la première. Un mouvement bien senti de bolero, titré « Carratere
Espagnolo », ouvre la 2 ème, dont l'adagio offre une mélopée du violon ppp, sur un accompagnement du pianoforte non moins discret. L'« Air
Russe », qui débute la 3 ème, entremêle des pizzicatos du violon et
les cordes pincées du clavier, d'originale façon. Le rondo vivace scandé de la
n°4 anticipe ce qui sera le thème du chœur des Chasseurs de l'opéra. Placé sous
le signe de l'agile cantabile de son premier mouvement, « Tema dell'Opera
Silvana », qui sera décliné en variations, la 5 ème se termine par une
Sicilienne gracile. La dernière offre cet humour dont Weber n'est pas avare,
clin d'œil au chant. Isabelle Faust et Alexander Menlikov sont irrésistibles
d'esprit. Le Quatuor op 8, pour pianoforte et trio à cordes, ne manque pas
d'allure : un allegro con fuoco d'une belle facture, très classique, mais
traversé d'éclats fulgurants, un adagio intense, mêlant paradoxalement divers
rythmes, ce qui confère vie au discours, avec des phrases solistes (cello,
violon ) qui semblent vouloir faire un sort à ce qui est normalement un moment
de répit, alors que l'hétérogénéité règne en maître, un menuetto pas moins
placé sous le signe de l'idée éphémère, de ses thèmes de danse aussi vite
abandonnés qu'ils ont surgi, un finale aisé, presto sans histoire, que mène le
pianoforte, jusqu'à une petite fugue enjouée. On apprécie la sonorité pleine
des cordes auxquelles le clavier apporte un indéniable piquant. Le jeu délié de
Menlikov y est pour quelque chose.
Jean-Pierre Robert.
Edvard GRIEG : Pièces lyriques op. 12, op. 38, op. 43 et op. 47. Ziad Kreidy, piano. 1 CD LdN : . TT.: 58'35.
Au sein de la production d'Edvard Grieg, pour le piano en
particulier, les Pièces lyriques occupent une place de choix :
plus de 60, écrites entre 1867 et 1901, réparties en dix recueils. La vogue de
la petite pièce était grande à cette époque d'après romantisme, où le public
d'amateurs était friand de choses simples, aisées à jouer. La manière d'épicer
harmoniquement ce qui pourrait n'être qu'une banale pièce de salon, exerce un
indéniable pouvoir d'attraction sur le pianiste, mais aussi sur l'auditeur.
Ziad Kreidy a choisi de jouer les quatre premiers recueils. Les atmosphères
sont souvent à peu près les mêmes d'un recueil à l'autre, chacun composé de six
à huit morceaux. Leur délicieux charme rétro (« Papillon », op.43 N°
1), naît d'une sorte d'intimité sonore. Car ces pièces étaient conçues plus à
l'usage domestique, où l'on fait de la musique, chez soi, entre amis, qu'à
l'exécution de concert. Leur caractère confidentiel se prête peu au faste de
l'estrade. Elles évoquent la poésie nostalgique, typique des contrées danoises
(« Voyageur solitaire », op.43, N°2), mais aussi la veine de la
danse, la mélancolie de l'élégie, la beauté de la nature, bien sûr, surtout au
printemps. Elles sont très chantantes. Ainsi de ces « Feuillet
d'album », op 47 N° 2, dont le climat se poursuit dans
« Mélodie ». L'autre intérêt de ce disque réside dans l'instrument joué
: un Érard droit des années 1867, conservé dans son état d'origine. Pour nos
oreilles formatées au « grand », à queue, de concert, bien sonore, la
surprise est de taille. Encore que la démarche interprétative s'inscrive dans
l'interrogation actuelle sur les instruments et leur manière de restituer le
son : qu'il s'agisse des Steinway,
Yahama, Bechtein, Fagioli, Steingraeber, ou encore Shigeru Kawai (cf. le récent
disque Stravinsky, de Lydia Jardon, NL de 2/2013), les interprètes repensent
leur manière de jouer. Ce questionnement, partagé par un András Schiff, pour ne
citer que lui, est au centre des réflexions de Ziad Kreidy, dans son récent
ouvrage, « Les avatars du piano », publié par les Éditions
Beauchesne. On est agréablement saisi par le médium, naturel de cet Érard (« Valse »
op 12, N02 ), et sa fine résonance (« Berceuse » op.38, N° 1). Si les
aigus semblent voilés, car comme le signale le pianiste, le timbre n'est pas
uniforme, on s'habitue aisément à la leur sonorité cristalline, impression qu'explique
un diapason plus bas. La richesse de l'exécution démontre combien Kreidy est un
ardent avocat de cet instrument. Seul regret de cette production discographique
: l'absence de toute note sur les œuvres.
Jean-Pierre Robert.
« L'enfance ».
Gabriel FAURE : Dolly op. 56.
Georges BIZET : Jeux d'enfants op. 62. Claude DEBUSSY : Petite suite. Maurice RAVEL : Ma mère l'Oye.
Claire Désert, Emmanuel Strosser, piano à quatre mains. 1 CD Mirare : MIR 190.
TT.: 66'.
Le genre du piano à quatre mains fleurit au tournant du XIX
ème et du XX ème. Le thème de l'enfance
semble lui être attaché. Gabriel Fauré compose Dolly en 1893. La pièce
sera créée deux ans plus tard par Cortot et Risler. La séduction de ces six
courtes pièces est immédiate dès la première, « Berceuse », et ne se
démentira pas au fil des suivantes. On citera l'esprit de «
Mi-a-ou », la modulation typique fauréenne de « Jardin de
Dolly » ou la rythmique du « Pas espagnol », une manière
annonçant Chabrier. Georges Bizet avait déjà écrit pour cette combinaison
« quadriforme », en 1871, les douze morceaux de Jeux d'enfants. Lui-même
excellent pianiste, il n'a pas son pareil pour varier les modes, et on est
étourdi de bonheur devant la fluidité des arpèges de
« L'escarpolette », le rythme vraiment giratoire de « La toupie »,
l'expression des sentiments de tendresse (« La Poupée »), de
fantaisie aérienne (« Les bulles de savon »), ou encore d'esprit bien
de chez nous, telle la marche de soldats de plomb de « Trompettes et
tambour ». Debussy, en 1889, livre sa Petite suite, « qui ne
cherche humblement qu'à faire plaisir », dira-t-il. C'est peut-être la
composition la plus éloignée du thème de l'enfance, encore que la profondeur de
la poésie n'en soit sans doute pas si éloignée. Au fil de quatre tableaux
enchanteurs, évoquant tour à tour le balancement de la barque au fil de l'eau
(« En bateau »), le rythme délicat de « Cortège », la douce
mélancolie d'un « Menuet » gracile, et le mode de valse désarticulée
de « Ballet ». Qui dit enfance, dit bien sûr Ma mère l'Oye.
Ravel y a épousé la poésie des Contes de Perrault, et aussi de « La Belle
et la Bête », de Mme Leprince de Beaumont (1757). Là, comme dans les
autres pièces, Claire Désert et Emmanuel Strosser, un tandem bien connu dans ce
genre élitiste, nous prennent par la main pour le plus beau rêve enfantin. Ils
font des prodiges de finesse et de délicatesse, sans aucune mièvrerie. Une
rigueur, essentielle chez Ravel, une souplesse chez Fauré ou Debussy les
inspirent, et ils savent garder la tête froide, et ne pas se laisser emporter
par une émotion à fleur de peau. Un bien beau disque !
Jean-Pierre Robert.
André CAPLET : Le Miroir de Jésus.
Triptyque sur le Mystère du Rosaire. Écrit par Henri Ghéon pour voix principale, chœur à trois voix, harpe et
quatuor à cordes. Marie-Claude Chappuis. Ensemble vocal de Lausanne. Anne
Bassand, harpe, Marc-Antoine Bonanomi, contrebasse. Quatuor Sine Nomine, dir.
Jean-Claude Fasel. 1CD Mirare : MIR 140. TT.: 67'04.
Situé dans la lignée des œuvres françaises honorant le
fait religieux, notamment chez les impressionnistes, mais aussi annonçant Jehan
Alain, voire même Messiaen, Le Miroir de Jésus d'André Caplet
(1878-1925) offre bien des singularités. De par sa structure, en trois volets,
« le Miroir de Joie », « le Miroir de Peine », « le
Miroir de Gloire », sertissant chacune cinq séquences. Autrement dit, les
quinze dizaines de chapelets, au cours desquelles « le chrétien médite sur
les 'mystères' vécus par la Vierge Marie face aux événements de la vie de son
Fils, comme dans un 'miroir' d'elle-même » (Jean- Yves Bras). Par l'ascèse
du traitement musical ensuite : instrumental, quatuor à cordes et harpe, et
vocal, une voix soliste et un chœur de femmes, en trois groupes de 9 voix. Si
la déclamation de la soliste emprunte à Mélisande, elle peut aussi s'avérer
proche de Schoenberg. Les chœurs de femmes annoncent chaque partie, puis chaque
morceau, à la manière d'une enluminure médiévale. Un prélude instrumental ouvre
chaque mystère. La quintessence de la composition frappe à chaque instant, et
son étonnante modernité, particulièrement dans la deuxième partie. De par sa
portée enfin, et surtout : la belle langue d'Henri Ghéon est emplie de poésie
simple et émouvante, au plus près de l'émotion spirituelle. Cette nouvelle
interprétation est bienvenue, et rappelle les beautés de cette pièce, tout
comme l'avait fait un concert à l'Opéra Bastille, la saison dernière, avec
d'autres interprètes. On est saisi par l'intensité du cheminement, que libèrent
les notes graves de la ligne instrumentale, dans « Agonie au
jardin », et le poignant de cette phrase « N'y a-t-il donc que Jésus
qui veille Dans la prison d'une nuit sans fin ? ». Ou par l'affirmation
d'une joie céleste dans « le Miroir de Gloire », où l'utilisation du
mode répétitif simple décrit un jaillissement de bonheur, qui s'animant peu à
peu, aboutit à une sorte d'apothéose sonore. Messiaen reprendra à son compte le
procédé. Le dialogue de la Vierge s'adressant à son fils, dans «
Ascension », « Mon fils, me quittez-vous encore ? » transcende
l'émotion humaine. L'exécution, qui donne à entendre la version originale,
telle que créée à Paris, en 1924, au Vieux Colombier, exprime dans sa
simplicité toute intérieure, l'exceptionnelle portée de ce triptyque mystique.
Le dernier morceau, « Couronnement au ciel », qui mêle voix parlée
et chantée, rappelle combien Caplet, directeur d'opéra à Boston, puis chef
d'orchestre à l'Opéra de Paris, connaissait bien la voix, et savait l'utiliser
jusqu'à la vibrante prière.
Jean-Pierre Robert.
Carl NIELSEN : Symphonies N°2, « Les quatre
tempéraments », op. 16, et N° 3, « Sinfonia expansiva », op. 27. Lucy Hall, Marcus Farnsworth. London Symphony
Orchestra, dir. Sir Colin Davis. 1 CD LSOLive : LSO0722. TT.: 66'35.
Avec ce CD, Colin Davis achève son intégrale des
symphonies de Nielsen. La musique du compositeur danois (1865-1931) allie
simplicité rustique et sophistication intellectuelle. Sa symphonie N°2, écrite
en 1901, le démontre : elle s'inspire de la notion grecque des « quatre
tempéraments », où le caractère de l'homme est classé en colérique,
flegmatique, mélancolique, et sanguin. Le premier mouvement, « allegro
collerico », déploie, selon l'auteur « une énergie furibonde »,
et son matériau est sauvage et impétueux, rehaussé de cuivres bien sonores.
« Mouvements violents et secousses rythmiques » conduisent à une fin
péremptoire. Le deuxième, « allegro comodo e flemmatico » contraste :
presque dansant, où rien ne semble devoir rompre un climat paisible. Le 3 ème,
« andante melincolico », est plus secret et un peu ésotérique, telle
une réflexion désabusée (aux bois) ou plus affirmée (aux cuivres). On pense à
la Sinfonia Domestica de Richard Strauss. Le finale, « allegro
sanguino », ou l'idée d'« un homme qui fonce sans réfléchir »,
est décidé. La Troisième Symphonie (1910-1911) est fort différente, et plus en
phase avec la célébration de la terre danoise. Après un début affirmé, avec un
chapelet d'accords, et une première séquence presque motorique, quoique dans une acception différente du
mode favorisé par Chostakovitch, le premier mouvement se développe de manière
plus lyrique. Le suivant déroule comme un rêve pastoral, donnant à imaginer les
paysages de Fionie, où tout est un peu plat (cordes) ou paré de détails (bois),
impression renforcée par l'intervention des solistes vocaux gambadant dans des
vocalises évocatrices de quelque lointain. L'allegretto poursuit cet atmosphère
dégagée, mais cette fois, en introduisant un thématique populaire, dont une
curieuse mélodie initiée par le hautbois, qui revient en boucle. Le finale est,
selon Nielsen, « un discours sans détour », mais propose moult
changements de rythmes. Il se conclut en une apothéose optimiste. On sait les
affinités de Sir Colin avec la musique nordique, et les atomes crochus des musiciens
du LSO avec leur « Président ». Cela donne un disque
passionnant.
Jean-Pierre Robert.
Edward ELGAR : Concerto pour violoncelle en mi mineur op.
85. Elliott CARTER : Concerto pour violoncelle. Max BRUCH : Kol Nidrei, op. 47. Alisa Weilerstein, violoncelle. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. 1 CD Universal Decca : 478
2735. TT.: 62'14.
Le concerto pour violoncelle d'Elgar, écrit en 1919, est
un des grands morceaux du répertoire de l'instrument. Alisa Weilerstein dit
avoir eu du mal à se départir de sa fascination pour l'interprétation,
légendaire, de Jacqueline du Pré. Elle voit dans cette pièce « un adieu
intimiste et tragique à toute une époque ». Après une introduction ample,
élégiaque, envoûtante, libérant la simple, mais si efficace mélopée du
violoncelle, une seconde séquence instaure un ton différent, très fluide. Une
courte cadence fait office de transition avec le 2 ème mouvement, en forme de
mouvement perpétuel, bondissant, de climat plus optimiste. L'adagio, point
névralgique du morceau, livre une confession où le cello s'épanche avec une
réelle distinction, sur un orchestre calme. Le vaste finale est fait de
séquences variées, réflexive, agitée, de nouveau expansive, puis affirmée, mais
toujours dans le souci de privilégier le chant lyrique du soliste. Fille de
musiciens, Alisa Weilerstein, qui dit avoir grandement été aidée par les
conseils de Barenboim, offre une interprétation puissante, à la chaude
sonorité, parée de mille nuances, dont la douceur des pianissimos. Le concerto
d'Elliott Carter (1908-2012) nous entraîne sur une autre planète ! Sept
sections, extrêmement contrastées, le compose. Il est techniquement ardu, mais
écrit avec sympathie pour le soliste, car selon Alisa Weilerstein, « le
potentiel de l'instrument le galvanisait ». Dès la première section, on
perçoit un orchestre facilitateur, laissant au soliste toute sa place, même
lorsque les percussions se distinguent, dans des passages syncopés.
L'interprète y voit là quelque chose de spirituel ! Dans le lento, méditatif,
« la fibre expressive et lyrique du violoncelle a la possibilité de
briller ». L'antagonisme entre celui-ci et un orchestre irisé aux cordes,
mais, là encore, ponctué de force percussions, n'est qu'apparent. Plus tard, le
« tranquillo », se fait étrange, le soliste poussé jusqu'à l'extrême
aigu, sur une trame sombre, d'où émerge la clarinette basse. Le
« fantastico » final ne ménage pas l'interprète. Mais Alisa
Weilerstein y est à l'aise, autant que dans la pièce d'Elgar. Sa manière est
impressionnante. Comme dans le Kol Nidrei, de Max Bruch (1881) : cette
belle prière juive, où le cello psalmodie, réintroduit l'élégiaque.
L'expressivité y est maîtrisée dans un jeu d'une parfaite délicatesse.
Jean-Pierre
Robert.
Benjamin
BRITTEN : The Rape of Lucretia. Opéra en deux actes. Livret de
Ronald Duncan, d'après la pièce « Le Viol de Lucrèce » de André Obey. Ian Bostridge, Susan Gritton, Angelika Kirchschlager,
Peter Coleman-Wright, Chrisopher
Purves, Benjamin Russell, Hilary Summers, Claire Booth. Aldeburgh Festival
Ensemble, dir. Oliver Knussen. 2CDs Virgin Classics : 50999 6026722. TT.:
46'35+59'11.
The Rape of Lucretia a été créé à Glyndebourne, à l'été 1946. Après Peter Grimes, Britten décide de rompre avec le genre du grand opéra, et se
tourne vers celui de l'opéra de chambre. Le nouvel opéra connaîtra une
organisation particulière : à la manière du chœur antique, deux chanteurs,
« Male Chorus », et « Female Chorus », encadrent et
commentent l'action, au point même d'intervenir, simultanément, en
surimpression, avec tel ou tel protagoniste. Le sujet appelle à un tel schéma,
car l'histoire est aussi bien vécue qu'expliquée, voir appréciée au moment même
où elle se fait. Pour tester la constance des femmes, et la jalousie de
Tarquinius, dit le superbe, Prince étrusque ayant ravi le pouvoir sur Rome, le
général romain Junius le met au défi de vaincre Lucrèce, la pure épouse du
général Collatinus, pourtant son ami. Le thème, rémanent chez Britten, de
l'innocence perdue, trouve ici, quoique à un degré moindre que dans certains
autres de ses drames lyriques, manière à s'exprimer. Lucrèce succombera malgré
elle, et se suicidera, faute de pouvoir surmonter la honte d'avoir souillé un
amour exclusif avec Collatinus : « Aimer comme nous nous aimions, c'était
vivre au bord de la tragédie », diront-ils, à l'unisson d'un ultime
dialogue. Le traitement musical est singulier : un orchestre de 13 instruments,
regroupant ceux, fétiches, de l'auteur, la flûte, dont l'interprète est poussé
dans ses retranchements, l'évocatrice harpe, jouée souvent dans le pianissimo,
et le piano, bien sûr. On y décèle les plus subtiles combinaisons vents-cordes.
L'orchestre au complet n'est que peu sollicité, réservé qu'il est aux moments
vraiment paroxystiques. Ainsi de la confrontation entre un Tarquinius pressant
et une Lucrèce farouche, dialogue haché, peu à peu relayé par les deux
« chœurs » en un irrépressible crescendo orchestral, « où chaque
instrument, soumis à un rythme particulier, entre en lutte avec la masse
sonore » (Xavier de Gaulle : « Benjamin Britten ou l'impossible
quiétude », Actes Sud). La dynamique sonore connaît les extrêmes, d'un tel
déchaînement à l'étiolement sonore, comme celui qui consacre les pages finales.
Le traitement vocal n'est pas moins orignal : de par la distribution des rôles,
les deux hommes, l'époux et le félon, confiés à un baryton, les deux
« chœurs », respectivement, à un ténor et à une soprano. De par la
manière de s'exprimer encore, extraordinairement diversifiée, de la plus extrême
violence à la phrase impalpable. Il y a même un trio de femmes, Lucrèce et ses
suivantes, d'une faconde qui n'a rien à envier au célèbre morceau du III ème
acte de Der Rosenkavalier, de Strauss ! La pièce comporte plus d'un
trait purement magique. Pour n'en citer qu'un : la longue intervention du cor
anglais plaintif, sur une sombre pédale des cordes, marquant le moment où
Lucrèce, au comble du désespoir, retrouve Collatinus. La présente
interprétation a été captée live au Festival d'Aldeburgh 2011, haut lieu de célébration
de l'œuvre de Britten. Elle est dirigée par Oliver Knussen, lui-même
compositeur, avec goût, et un immense respect de toutes les particularités de
cette partition unique. Le cast aligne les grands noms du chant britannique :
Ian Bostridge, Male Chorus, dont l'engagement trouve ici partie à sa hauteur,
Susan Gritton, Female Chours, mezzo-soprano toute aussi bouleversante, Peter
Coleman-Wright, Tarquinius impérieux, et Christopher Purves, Collatinus
sympathique. Parmi ces éminences anglaises, Angelika Kirchschlager, la
viennoise, se taille un franc succès : dans le rôle créé par une Kathleen
Ferrier, qui débutait alors à la scène, elle est, elle aussi,
« great », assumant ce que celui-ci a d'extrême diversité dans son
langage. Une réussite et un ajout au catalogue de Ben Britten, plutôt disert
quant à cette œuvre.
Jean-Pierre Robert.
Henri DUTILEUX : Correspondances,
pour soprano et orchestre. Tout un monde lointain...,
pour violoncelle et orchestre. The shadows of Time,
cinq épisodes pour orchestre (version pour trois voix d'enfants). Barbara
Hannigan, soprano. Anssi Karttunen, violoncelle. Basile Buffin, Alexandre
Selvestrel, Armand Sztykgold, de la Maîtrise de Radio France. Orchestre
Philharmonique de Radio France, dir. Esa-Pekka Salonen. 1CD Universal DG : 479
1180. TT. 67 12.
« Tout ce que Dutilleux a écrit ces dernières décennies
relève du chef-d'œuvre ». Ainsi s'exprime Esa-Pekka Salonen, qui en
hommage au musicien français, a réuni trois de ses plus récentes compositions. Correspondances,
une première au disque, qui a été créée en 2003, à la Philharmonie de Berlin,
par Simon Rattle, est un recueil de cinq pièces vocales, sur des textes de
Rilke, Mukherjee, Soljénitsyne, et van Gogh. Le terme doit être entendu dans
son double sens, de rapport entre musique et texte, et épistolaire. Deux des
morceaux affirment cette seconde acception : le troisième « A Slava et
Galina » est le texte d'une lettre adressée par Soljénitsyne à
Rostropovitch et Vichnevskaya. Une immense émotion s'en dégage : « Sans
votre protection et votre soutien, jamais je n'aurais pu supporter ces
années-là », leur écrit-il. Dans le dernier, « de Vincent à
Théo », le peintre s'attache à décrire, entre autres, la fièvre, pas
seulement picturale qui se dégage du tableau « Café de nuit ».
L'orchestration de ces pièces est souvent énergique, très spatiale, et on
remarque le recours à l'accordéon. L'écriture pour la voix, « le plus bel
instrument de tous » (Dutilleux), trace une mélodie sinueuse, avec un
usage modéré du registre aigu, dans un sens éthéré. Barbara Hannigan reprend le
flambeau de la créatrice Dawn Upshaw, avec délicatesse. Tout un monde
lointain..., en cinq parties là encore, a été créé à Aix, en 1970, par son
dédicataire, Mstislav Rostropovitch. Baudelaire, et Les Fleurs du mal, en fournissent la poésie sous-jacente. Cette pièce a « une nature tout à
fait insaisissable, mais engageante » dit Salonen. Rhapsodie pour
violoncelle, plus que concerto, les titres des parties en disent long sur leur
contenu. La musique en est fascinante. Ainsi de la mélodie du violoncelle sur
un accompagnement de cordes extatiques, dans « Regard »,
l'instrument étant poussé jusqu'au registre suraigu. Accords en progression
d'intensité, dans «Houles », où le soliste progresse sur les clusters orchestraux,
réflexion intense de « Miroirs », où il évolue parmi un orchestre
frémissant, agrémenté d'effets de symétrie. La dernière, « Hymne »,
conduit de l'exubérance au silence. Anssi Karttunen, qui appartient à la
nouvelle génération des interprètes de cette œuvre, en livre une vibrante
exécution. On mesure combien Dutilleux, pensant au formidable talent de Slava,
a truffé la pièce de traits techniquement les plus audacieux. The Shadows of
Time, créé en 1997, à Boston, par Seiji Osawa, est une œuvre « obsédante
et, malgré certains passages enjoués, traversée par une tristesse
sous-jacente » (Salonen). Le thème du temps qui s'écoule, et de son
« ombre », taraude Dutilleux depuis toujours. Cinq sections,
enchaînées, très contrastées, offrent une tapisserie sonore et des effets de
dilatation de l'espace, notamment dans la pièce centrale « Mémoire des
ombres », interprétée ici par trois voix de garçon. « Vagues de
lumière » associe, comme l'avait fait Messiaen, musique et couleurs. Esa-Pekka
Salonen défend ces trois pièces avec la sympathique compréhension qu'un chef,
lui-même compositeur, peut porter à cette grande figure tutélaire de la musique
du siècle présent. Le Philar, lui aussi en empathie avec ces pages imprégnées
d'atmosphères, est superlatif, en particulier cuivres et percussions.
Jean-Pierre Robert.
***
MUSIQUE ET CINEMA
POINT DE VUE : Philippe ROMBI, compositeur
A ses débuts, pour bien composer, interpréter ses compositions, il
était prêt à faire des sacrifices. Il garda longtemps sa place de prof de piano
pour obtenir des producteurs les moyens pour les jouer idéalement. Depuis 15
ans qu’il en compose, il y a toujours cette flamme qui l’anime lorsqu’il parle
de sa musique. C’est en elle qu’il s’exprime le mieux, même si elle est
composée pour faire vivre l’idée d’un réalisateur. Philippe Rombi est un grand
généreux romantique. C’est ce qu’on découvre lorsqu'on analyse ce qui l’a écrit
pour le cinéma.
Il effectue la première partie de ses études musicales au
Conservatoire National de Région de Marseille, en particulier auprès de Pierre
Barbizet, Léa Roussel, pour le piano, et Pol MULE pour la direction. Il a
étudié le piano, l'harmonie, le contrepoint, la direction d'orchestre, la
musique de chambre. Il obtient un Premier Prix de direction, une Médaille d'or
en piano et en musique de chambre, ainsi que le Grand Prix de la Ville de Marseille.
Pendant ses années d’études il étudie les compositions de Michel Legrand, et
les interprète au piano, au Conservatoire. Au grand dam des professeurs !
Après ses études à Marseille, il intègre, l'École Normale Supérieure
de Musique, pour se spécialiser dans la composition. Il passe deux ans dans la
classe d'Antoine Duhamel (compositeur de Godard, Truffaut, Tavernier,
Leconte…). Il en ressort avec un Diplôme Supérieur de Composition. A l'époque,
en 1990, il n'y avait pas de cours de musique à l'École Nationale de cinéma
(FEMIS). Un échange entre le conservatoire et l’école a été proposé par
Duhamel, ce qui a permis à de jeunes réalisateurs d'entendre les épreuves de
concours de fin d'année de Rombi. Son Premier Prix de composition a été
enregistré à la FEMIS, et sa première musique de film a été écrite pour un
élève de l'école, Jean-Yves Philippe, sur un court-métrage intitulé La virée. Lorsqu’il écrit la musique de Chocolat amer, un court métrage
d'Isabelle Broué, François Kraus, tout jeune producteur sorti de La FEMIS,
demande à Rombi de travailler sur deux courts-métrages qu’il produisait : Presse-citron d'Isabelle Broué et Ombres magiques de Patrice Spadoni.
Olivier Delbosc, lui aussi élève de la FEMIS, est à l'origine de la
rencontre du compositeur avec François Ozon. Philippe Rombi composera son
premier long-métrage : Les Amants
Criminels (1999). Suivront Sous le
Sable (2000), Swimming Pool (2003), 5x2 (2004), Angel (2007), Ricky (2009), Potiche (2010), Dans la Maison (2012). Il a
composé les musiques de deux films de Christian Carion : Une hirondelle a fait le printemps (2001), et son premier succès public, Joyeux Noël (2005), pour lequel il
obtient sa première nomination aux Césars. Après quelques musiques remarquées,
comme Jeux d’Enfants (2003), de Yan
Samuel, Le coût de la vie (2003), de
Philippe Le Gay, Dany Boom fait appel à son talent pour mettre en musique
l’immense succès Bienvenue Chez les
Ch’tis (2008)
Philippe Rombi compose, arrange en autodidacte, et dirige lui-même l’orchestre
lors des enregistrements, voire interprète régulièrement les parties de piano
solo. Il a eu le plaisir de diriger le London Symphony Orchestra pour Joyeux Noël, un des plus beaux cadeaux
qu’on a pu lui faire, et le plus souvent il dirige l’Orchestre Symphonique Bel
Arte. Pour les jeux Olympiques de Pékin, il a écrit un poème symphonique,
« Symphonic Hymn for Harmony »
Ses rapports avec les réalisateurs sont les mêmes que ceux qu’ont de
nombreux compositeurs. Le réalisateur n’a pas souvent d’idée pour sa musique,
c’est un élément qu’il maîtrise moins. Il cache son complexe quelquefois en
prenant un consultant. Donc, c’est souvent compliqué à travailler ainsi. Il y a
des réalisateurs qui sont des musiciens frustrés, et donnent des indications
sur la forme, comme le choix d’un instrument pour une séquence. Ils vont même
jusqu'à mettre des musiques témoins sur le montage, comme on le fait aux
États-Unis, pour illustrer musicalement tout le film avec des musiques
existantes. Ce qui peut être utile, mais s'avère aussi parfois catastrophique,
car on s'habitue à ces musiques. Ce fut le cas de Kubrick avec Alex North, le
compositeur de Spartacus, qui a écrit
aussi une musique pour 2001, Odyssée de l'espace, et que celui-ci a
rejeté, tellement il était habitué à la musique qu’il avait mise pour le
montage.
Si un réalisateur lui dit qu'il faut du doux-amer, de l'ambigu ou du
sensuel, Rombi reconnaît que cela lui parle plus qu'une phrase du type
« je pense que des glissandos de violon avec un solo de basson à ce
moment-là, ce serait parfait... ». Pour lui c’est insupportable. C'est son
métier de mettre ce qu'il faut pour traduire leurs envies. Et puis, les termes
trop techniques peuvent les induire en erreur. Certains réalisateurs ont peur
de se faire avoir, et que le compositeur tire la couverture à soi, impose son
style à tout prix. Pour Rombi, le but est, quand même, de composer ce qui
marche pour le film, et non la musique que le réalisateur écoute à la maison.
C'est un cas de figure qu’il rencontre parfois avec les réalisateurs. Ils
mélangent les deux. Il a déjà refusé un film pour cette raison. Pour certains
films, il a lu le scénario, il connaît le casting. Parfois il n’a rien, ne voit
rien, et c’est à la fin du film monté qu’il découvre sur quoi il doit écrire la
musique. Souvent, le manque de temps est le premier handicap pour composer.
D’une manière générale, la musique de Philippe Rombi est de facture
classique, souvent romantique, avec de grandes envolées lyriques. Il aime les
grands orchestres qui donnent une largeur, une belle texture à ses musiques.
Souvent symphoniques, elles ont un thème mémorisable, car comme il le dit, il
aime composer « des musiques savantes abordables par tous ». Elles
doivent pouvoir être écoutées sans le support de l’image, même si, au départ,
elles ne sont pas écrites dans ce sens. C’est pourquoi elles sont toujours
agréables à écouter en CD. Il lui arrive de les retravailler, de les arranger,
de les adapter pour le report.
Le tandem Ozon / Rombi a évolué au fur et à mesure des années. Du film Les Amants Criminels à la Dans La Maison, ce seront 13 ans de
musique et de recherche pour servir au plus près l’histoire, sans être pour
autant redondant. Ozon, au départ, avait une culture musicale très générale, et
Philippe Rombi, lui, avait déjà fait plus de 20 courts-métrages. Leur travail
en commun n’a jamais été identique : tâtonnements, essais pendant le montage,
entretiens avant tournage, lectures de scénario, toutes les formes de
collaboration ont été employées. La première composition avec Ozon est Les Amants criminels. C’est une musique
dissonante, ostinato, qu’il a écrite pour la séquence de la poursuite dans les
bois. Il y avait, au départ, un adagio pour cordes de Dvořák, pour la fin du film. Il a proposé un adagio original,
qui après de nombreuses écoutes, a été monté pour la fin et le générique. Dans Swiming Pool, il s’est amusé à
proposer des « doublets » musicaux, comme le duo confié à
Rampling/Sagnier. Sorte de musique en miroir. « Du symphonisme
intimiste », telle est l’analyse de Cécile Carayol*. C’est grâce à ce
film, et à la corrélation parfaite musique / image, que Philippe Legay, non
satisfait du musicien qu’il avait pris, demanda à Rombi de refaire la bande sonore
de Le Coût de la Vie. Rombi lui
proposa une sorte de danse de l’argent à base de cordes, bois et clavecin.
Legay était ravi.
Dans Angel, Rombi va écrire une grande composition
symphonique romantique, à l’aune de cette histoire pleine de passion. Une
musique assumée sans complexe, dans la tradition de Max Steiner, et des
musiques Hollywoodiennes d’antan. Après une musique totalement atonale pour Ricky, Rombi s’est accordé avec Potiche, une friandise, une musique
comme le faisait Françis Lai, et comme il en existait pour les comédies des
années 70. Le thème, au début du film, est totalement sifflé ! Pour
Deneuve et Depardieu de sera un thème sentimental, une valse. Pour Dans la maison, ce sont des cellules rythmiques, à la manière de Philippe Glass ou de John Adams : une
musique symphonique minimaliste avec présence de piano, et violoncelle mis en
second plan.
Son travail sur Une Hirondelle a
fait le Printemps a été un concours de circonstances de production, comme
il en arrive de temps en temps. Christian Carion, de culture pop, écouta de
nombreux compositeurs, mais rien ne lui plaisait. Rombi, venu pour un autre
film, qu’il n’a pas fait finalement, avait laissé un CD avec quelques musiques.
En 2001, son travail était encore bien maigre. Il y avait celui de Sous le Sable, film qu’avait apprécié
Carion. Mais c'est avec Une Hirondelle a
fait le Printemps que Rombi fait une musique de film qui sera son premier
succès public. En 2005, Carion lui confiera la musique de Joyeux Noël. Il commença à écrire le thème pour la fanfare, et
proposa un Ave Maria original pour ne pas tomber dans les sempiternels
« Ave Maria » de Gounod ou de Schubert. Il a eu une bonne idée, car
Nathalie Dessay l’a chanté pour le film, puis en concert, et l’a reprise sur l'un
de ses disques. Le thème de la fanfare est devenu celui du film. Dany Boom, qui
joue dans le film, apprécia son travail. Mais, pour lui, Philippe Rombi était
un compositeur de films sérieux, et non de comédies.
Lorsqu’il réalisa son premier film, La Maison du Bonheur, Boon, amateur de jazz, bonne oreille
musicale, perfectionniste, raffiné, pas satisfait de la musique qu’il avait,
demanda à Rombi, après avoir entendu celle de Mensonges et Trahison, comédie de Laurent Thirard, de lui sauver le
coup. Il lui écrivit une musique symphonique de comédie, que Boon accepta. Le
temps manqua, c’était la panique générale. Mais finalement une composition,
comme celle des comédies américaines, put être enregistrée à temps. Rombi
composera trois films pour Dany Boom, dont celle de Bienvenue chez les ch’tis. A la lecture du scénario, Philippe Rombi
le trouva si drôle qu’il proposa une musique tendre, populaire, comme pour une
fable, afin qu'elle ne soit pas redondante : les situations étaient déjà assez
comiques, il ne fallait pas en rajouter. C’est ainsi qu’est née la fameuse
« valse des ch’tis». Il réalisa une musique originale pour les carillons.
Le traveling musical des carillons, à la musique symphonique, est un grand
moment de musique de Philippe Rombi, qui avec ce film, enregistrera son plus
gros succès. Rien à déclarer marquera
sa troisième collaboration avec Dany Boon.
Avec La Nouvelle Guerre des
Boutons, de Christophe Baratier, et Hollywoo, de Frédéric Berthe et Pascal Serieis, Rombi continue, en 2011, dans la musique
de comédie. Pour Jeux d’Enfants (2003), film sensible et drôle de Yan Samuel, il
composera une musique symphonique très rythmée qui fut remarquée et appréciée.
Les musiques de Rombi, souvent émouvantes, aux thèmes reconnaissables
et aux orchestrations riches et subtiles, sont aujourd’hui appréciées du public
et des musiciens, et sont jouées régulièrement par des orchestres dans le monde
entier. Rombi passe du drame à la comédie, du thriller à la romance, avec
facilité, et on sent que son enthousiasme d’enfant n’a pas été altéré, malgré
les difficultés d’être un compositeur sincère de musique de films. Hollywood
lui fait les yeux doux. Souhaitons-lui la même carrière que ses aînés. Jeune et Jolie, le prochain film d’Ozon,
est déjà habillé de sa musique !
Stéphane Loison.
* Cécile Carayol : « Une Musique Pour L’image, vers un
symphonisme intimiste dans le cinéma français ». Presse Universitaire de
Rennes, 2012.
Quelques musiques de Phlippe Rombi
1999 : Les Amants Criminels de François
Ozon
2000 :
Sous le sable de François Ozon
2001 : Oui, mais... de Yves Lavandier
2001 : Une hirondelle a fait le printemps de Christian Carion
2003 : Swimming pool de François Ozon
2003 : Le coût de la vie de Philippe le Guay
2003 : Jeux d'enfants de Yann Samuell
2004 : Le rôle de sa vie de François Favrat
2004 : Comme une image de Agnès Jaoui
2004 : Mensonges et trahisons et plus si affinités de Laurent Tirard
2005 : Joyeux Noël de Christian
Carion
2006 : La maison du bonheur de Dany Boon
2007 : Angel de François
Ozon
2007 : Du jour au lendemain de Philippe le Guay
2008 : Bienvenue chez les Ch'tis de Dany Boon
2008 : La Fille de Monaco de Anne Fontaine
2008 : Un homme et son chien de Francis Huster
2009 : Ricky de François
Ozon
2010 : Potiche de François
Ozon
2011 : Rien à déclarer de Dany Boon
2011 : La nouvelle guerre des boutons de Christophe Barratier
2011 : Hollywoo de Frédéric Berthe et Pascal
Serieis
2012 : Dans la maison de François Ozon
2013 : Jeune et Jolie de François Ozon
BO en CD's
Dans La Maison. Film de François Ozon. Musique
de Philippe Rombi. BOriginal. 1CD Cristal RECORDS, distribué par Sony Music.
Les premières œuvres de Philippe Rombi intéressent le
jeune réalisateur François Ozon. Il compose pour lui la musique pour Les
Amants Criminels, son premier long-métrage. Ils auront d’autres
collaborations, jusqu’à ce film qui a eu de nombreuses nominations au César
2013. Ce n’est pas la première fois que Rombi est nommé pour sa musique. C’est
avec « Joyeux Noël », de Christian Carion, en 2005, qu’il est remarqué par la profession. Dany Boon
fait appel à lui pour « Bienvenue chez les Ch’tis » (2008). Pour
« Dans la Maison », Rombi part d’un thème très mélodique, entêtant,
très rythmé. Une musique répétitive, qui rend accro. Philippe Rombi est
lui-même au piano, et Anthony Pleeth au violoncelle. Les orchestrations sont
variées, de très classique à une déstructuration par des sons
« sales ». Ces variations perpétuelles,
« feuilletonnantes », au fur et à mesure de la narration, donnent
envie de connaître la suite des rédactions du héros. Petit à petit, dans le
film, la musique contamine le récit. Et ajoute au trouble du scénario d’Ozon.
Avec le thème « Claude et Esther », ainsi que « Claude et Jane »,
Rombi écrit de manière jazzy, datée, très « hollywoodien », dans le
style de Mancini. A l’écoute du CD, et pour ceux qui ont vu le film, les images
reviennent en mémoire. L'amateur de musique, quant à lui, sera agréablement
surpris par la couleur, la sensation musicale envoûtante que procure ce disque.
A l’instar de sa place dans le film, c’est une musique à suspens. Le pari est
réussi : elle existe par elle-même, et les césars ne se sont pas trompés.
Lawrence d’Arabie. Film de David Lean. Musique de Maurice Jarre. 1CD Les
éditions Milan. Distribué par Universal.
Il y a cinquante ans, David Lean a fait découvrir au grand
public Peter O’Toole, Omar Sharif et Maurice Jarre dans « Lawrence
d’Arabie », le film au sept oscars, dont celui de la meilleure musique.
Les éditions Milan, pour l’occasion, sortent un CD qui outre la bande originale
du film, propose aussi une suite de la musique de « Docteur Jivago »,
de « La Fille de Ryan », et de « La Route des Indes ».
C’est aussi avec Lean que Jarre obtint ses deux autres oscars. Cette relation
durera jusqu’à la mort du réalisateur, en 1991. Maurice Jarre, élève de Louis
Aubert, s’est fait une solide
réputation à ses débuts de compositeur dans le domaine radiophonique et
théâtral. Ses sonneries pour le TNP sont un modèle du genre, et on peut encore
les entendre à Avignon. Il est considéré comme un compositeur de la tradition
de la musique de film « à la française ». Les anglo-saxons
l’apprécient, et il sera victime du succès, par l’adaptation de ses thèmes en
chansons (La chanson de Lara, Paris Brûle-t-il..), qui lui vaudront le mépris
de ses collègues, et de la critique. Sa musique se reconnaît par l’utilisation
d’instruments pittoresques, dont Lean est l’initiateur (« Docteur
Jivago »). Peter Weir fera appel à ses services sur plusieurs films. Il
obtiendra le British Academy Award, pour « Le Cercle des Poètes
Disparus », en 1989. C’est dans ces années là qu’il s’intéressera à la
musique électronique (« L’échelle de Jacob », « Ghost »).
Hitchcock, Visconti, Zeffirelli, Huston, Fleischer, Frankenheimer, Wyler…ont
fait appel à son talent. Il sera catalogué quand même comme musicien du
renouveau du « cinéma spectacle » au même titre que John Williams. Si
« Lawrence d’Arabie », et « Docteur Jivago » sont
extrêmement connus, il est intéressant de redécouvrir, par le biais de ce
disque, la musique de « La Route des Indes », qui, moins écoutée, est
sensible, magnifique. Maurice Jarre dirige lui-même ses compositions à la tête
du Royal Philharmonic Orchestra. Un disque obligatoire pour tous ceux qui
aiment la musique sans distinction de classification.
Arbitrage. Film de Nicholas Jarecki. Musique de Cliff
Martinez. 1CD : Les Editions Milan, distribué par Universal
Pour son premier film en tant que réalisateur, le jeune
trentenaire Nicholas Jarecki a fait appel au musicien de Steven Soderberg,
Cliff Martinez, dont la musique de « Drive » (2011) est un des plus
gros succès de musique de films. Ce
musicien, un des plus prisés d’Hollywood, fut le premier batteur du groupe de
hard rock, le mythique RHCP, Red Hot Chili Peppers. Il débuta dans la BO avec
le premier film de Soderberg, Palme d’or à Cannes en 1989, « Sex, Lies,
and Videotape ». Pendant dix ans, il enchaînera de nombreux films du
réalisateur : du angoissant « Traffic » (2000), jusqu’au
terrifiant « Contagion » (2011). Jarecki n’avait aucune idée de
musique pour son film, une histoire tragique, un thriller psychologique, dans
le milieu de la haute finance, et dont le rôle principal est interprété par
Richard Gere. La bande sonore de Martinez est, dans le film et sur cet album,
propose une musique évoquant l’ambiance noire, mystérieuse, de Manhattan. Elle
enveloppe le spectateur et l’auditeur de ces nappes caractéristiques du
compositeur, cristallines, évanescentes, et par des sonorités subtiles des
polars des années 80, dont il est friand. Il utilise les percussions
métalliques, cristal Baschet et une guitare électrique, comme instruments
réels, et tout le reste est constitué de musiques échantillonnées. Martinez
prolonge ce climat de mélancolie par des chansons de Björk, Billie Holiday,
Joäo Gilberto. Les musiques de Cliff Martinez servent les films, ne les
phagocytent pas. A-t-on envie de les écouter souvent ? Telle est la question ?
Avoir plusieurs CD de ce compositeur ne paraît pas indispensable.
« Arbitrage » est le plus abouti, peut- être parce qu’il est le plus
récent. Le travail de Cliff Martinez est passionnant, et mériterait d’être
écouté par les amateurs de musiques contemporaines, et par les compositeurs de
l’IRCAM !
Killer
Joe. Film de William Friedkin. Musique de Tyler Bates. 1CD Les
éditions Milan, distribué par Universal.
Avec « Killer Joe », c’est le grand retour de
William Friedkin, le réalisateur de « French Connexion », et de
« l’Exorciste ». Pour cette adaptation théâtrale, il s’est offert une
musique, ou plutôt une ambiance sonore, de Tyler Bates, compositeur atypique
qui avait signé ce film si original qu’est « 300 ». Deux
personnalités iconoclastes ne pouvaient que concocter des moments inoubliables,
tant pour la mise en scène que sur la bande sonore. A l'origine, Tyler Bates a
une grande culture musicale, allant du rock au classique. Puis, il a formé un
groupe rock, s’est fait la main sur des
films underground. C’est grâce à un concert que son groupe enregistrera chez
Atlantic, et qu’il composera, en 1996, sa première musique pour le film
« Crow : City of Angels ». Manipulateur de sons, il enchaîne
musique de films d’horreur, et de science-fiction. Avec « Dawn of the
Dead », de Zack Snyder, sa carrière prend un tournant décisif.
« 300 », du même réalisateur, lui offre le BMI award, et la même
année, il compose la musique de la série à succès Californication. Sa carrière
est lancée, et Snyder le prend sur tous ses films. La musique de « Killer
Joe » est un mixte d’ambiances, de musiques très trash-rock, de rock, de
country, avec des sons de Marxophone,
de Melodica, de guitares électriques réverbérées, et de voix de baryton. Elle
correspond parfaitement à l’atmosphère glauque, grinçante, provinciale, non
conventionnelle, désespérante de bêtises qu’est « Killer Joe ». On
est loin des musiques de films traditionnelles. Le terme bande sonore originale
serait plus approprié. Le principal d’une BO est d’être en phase avec un film,
et de lui apporter une couleur, sans pour autant être pléonastique. Le travail
de Tyler Bates est aussi marquant que celui de Tubular Bells, en son temps,
pour « L’exorciste ». William Friedkin a toujours su initier des
œuvres musicales originales à la hauteur de ses films.
Les Adieux à la Reine. Film de Benoît Jacquot. Musique
de Bruno Coulais. 1 CD Quartet Records.
Il s'agit de la troisième collaboration de Benoît Jacquot
avec Bruno Coulais. La musique des « Adieux à la reine » offre
l’originalité d’avoir été enregistrée avant le tournage, sous forme de
maquettes. « Elles ont parfois influencé les montages image et son,
lesquels ont ensuite influencé la musique », explique Coulais, dans ce bel
album présenté par le grand spécialiste de la BO qu’est Stéphane Lerouge.
Celui-ci a initié une très passionnante collection de plus d’une quarantaine
d’albums et de compilations. Benoît Jacquot n’était pas un adepte des musiques
originales. Avec Coulais, il « rattrape » le temps perdu. Bruno
Coulais a une formation classique, et se destinait à écrire de la musique
contemporaine. Peu à peu il s’est dirigé vers la composition pour l’image. Au
départ pour des documentaires, puis beaucoup pour la télévision. C’est en 1996,
pour le film « Microcosmos » (César et Victoire de la musique) qu’il
se fait connaître du grand public, et remarquer par les réalisateurs de cinéma.
Il obtient un deuxième César avec « Himalaya » (1999). Il est appelé
sur tous les « blockbuster » à la française. Avec « Les
Choristes » (2004), il obtient un troisième César. Le succès public sera
aussi important avec le CD de sa musique que pour le film. La musique des
« Adieux » est une musique funèbre. « Une musique, non de chaos,
mais de naufrage », explique le compositeur. Loin de faire une musique
d’époque, il emploie le piano, la harpe, les vents, pour envelopper les
personnages de sonorités funestes, annonçant à la cour de Versailles,
incrédule, le glas d’un monde qui s’écroule . « Une musique pour film
de vampires » ose-t-il dire. On peut
écouter également sur le CD les deux musiques que Bruno Coulais a écrites
précédemment pour Jacquot, « Au Fond des Bois », et « Villa
Amalia ». Cette dernière est interprétée par la pianiste Claire Désert.
Quant au concerto d’ « Au fond des bois », d’un lyrisme tendu,
il est joué par le violoniste Régis Pasquier, l’orchestre de Hongrie étant
dirigé, comme pour les autres musiques, par Laurent Petitgirard. D’une
conception totalement moderne, cette musique prouve que Bruno Coulais peut écrire des musiques plus puissantes que
celles, assez « descriptives », plus facile d’accès, du film
« Les Adieux à la Reine ». le CD permet d’apprécier la palette assez
large de ce compositeur, qui peut être très créatif quand il travaille avec des
réalisateurs qui ont une culture musicale ; ce qui, hélas, est rarement le cas
chez les français.
Alfred Hitchcock et la musqiue. Film de Sacha Gervasi. 2CD : Les
musiques des films des Editions Milan. Distribué par Universal.
Pour la sortie du « biopic » sur le plus célèbre
des réalisateurs, les éditions Milan offrent, en deux CD, une compilation des
musiques de films qui accompagnent des films aussi célèbres que
« Vertigo », « Psycho » ou « La Mort aux
Trousses », au total sept films de la collaboration entre Herrmann et
Hitchcock. Le second CD est dédié aux
autres compositeurs « hollywoodiens », dont la collaboration ne fut
pas moins talentueuse : Dimitri Tiomkin (« L’inconnu du Nord
Express », « Le Crime était Presque Parfait », « l’Ombre
d’un Doute, » « La Loi du Silence », ou Miklos Rozsa (« La
Maison du Dr.Edwardes », ou encore Franz Waxman (« Le Procès
Paradine »). Voilà un album d’initiation pour tous ceux qui veulent mieux
connaître la musique de films, et pour ceux qui sont intéressés par les
compositions moins divulguées qu’on trouve sur le second CD. Ces musiques n’ont
rien à envier aux compositions dites du répertoire classique. Pour les musiques
d’Herrmann, on peut se procurer des CD avec les compositions complètes
originales, ou réinterprétées. Le Los Angeles Philharmonic, sous la direction
de Esa-Pekka Salonen, a interprété des suites de composition de Bernard
Herrmann, dont les magnifiques musiques de « Marnie », la moins
connue, et de « Torn Curtain », deux films de Hitchcock, mais aussi
celles de « Fahrenheit451 », pour Truffaut, ou encore de « Taxi
Driver », pour Scorcese.
Ernest et Célestine. Film de Benjamin Renner,Vincent
Patar,Stéphane Aubier. Musique de Vincent Courtois. Chansons écrites par Thomas
Fersen. 1CD Les éditions Milan. Universal
Vincent Courtois est violoncelliste de
formation. Il étudie avec Roland Pidoux, du Trio Wanderer, et Frédéric Lodéon,
puis s’oriente vers le jazz. Il joue dans plusieurs formations (Solal, Lourau,
Escoudé, Sclavis, Pifarely). Il a de nombreux disques à son actif. Il travaille
aussi avec les Rita Mitsouko. En 2007, il signe la musique du film « Ma
vie n’est pas une comédie romantique ». Pour la nouvelle bande sonore de
« Ernest et Célestine », il a fait appel à ses amis jazzmen, comme
Louis Sclavis, à la clarinette, François Couturier, au piano, Dominique Pifarély,
au violon, et Michel Godard. Il a élaboré une construction subtile pour le
film, où chaque personnage a son thème et son instrument, à la manière de
« Pierre et le Loup » : piano et clarinette pour Célestine, dont la
musique sautillante désigne la naïveté du personnage, violon pour Ernest. Au
fur et à mesure de la narration filmique, les thèmes vont se mélanger,
percussions, cordes, piano pour les moments d’action. Chaque pupitre est
attaché à un personnage ou à une symbolique précise. Le basson, par exemple,
incarne La Grise, l’autorité, la police. Le film d’animation demande une
extraordinaire précision de la part des animateurs, et aussi du compositeur.
Tout doit être créé à partir des images sans son. Le compositeur doit s’adapter
avec le design, les bruitages. Cela demande des réajustages très complexes. A
l’écoute du disque, on retrouve les personnages, les moments du film, et
surtout les trois belles chansons de Thomas Fersen, dont une chantée par
Lambert Wilson. Un disque pour continuer le conte, le film, ou simplement pour
le plaisir de l’écoute.
DJANGO enchaîné. Réalisation Quentin Tarantino.
Musiques de divers compositeurs. 1 CD Républic UMG Universal / Mercury
:602537270286.
Quentin Tarantino, le roi du mashup! En s’inspirant du
Django, de Sergio Corbucci, un des grands réalisateurs de Western Spaghetti, il
fait des morceaux de bravoures cinématographiques soutenus par des musiques
grandioses de Morricone, Bacalov, Ortolani, compositeurs cultes de ces
westerns, et un morceau d’Under
Fire (réalisateur Roger Spottiswoode), du
célèbre compositeur Jerry Goldsmith. Tarantino ajoute quelques chansons
inédites, 100 black Coffins, de Rick Ross, co-écrite et
produite par Jamie Foxx, Who Did That To You?, De John Legend, Ancora Qui, d’Ennio Morricone et Elisa
Tiffoli, célèbre chanteuse italienne, et Freedom, d'Anthony Hamilton et
Elayna Boyton. On retrouve dans le film, un mashup de Untouchable, de Tupac, et The Payback, de
James Brown. Il manque sur le CD quelques musiques, dont le magnifique Freedom, de Richie Havens , un grand
moment de Woodstock. Ce qui est amusant dans cette BO, c’est que le réalisateur
s’est servi de ses propres vinyles avec toutes les scories qu’ont ces disques,
à la manière des rappeurs. Cette bande de musique de films, non tout à fait
originale, est déjà un hit comme les précédentes (Kill Bill, Pulp Fiction,
Resevoir Dog..). Peu de gens, à part les happy few ou cinéphiles, savent que la
musique du générique du film est celle du « Django », de Sergio
Corbucci composée par Luis Bacalov. Ce compositeur prolifique, mal connu par le
grand public, est d’origine argentine. Il a été récompensé par un Oscar en
1994, pour la mélancolique musique de « Il Postino » (le facteur), de Michael Radford. Il a pris la
place de Rota, chez Fellini, quand ce dernier s’en est trouvé orphelin, son
compositeur fétiche. Le thème de Django est chanté par Rocky Roberts. Franco
Nero. Le vrai Django apparaît dans le film, mais ce « private joke »,
seuls les italiens et les malades de westerns l’auront apprécié. Bacalov a
aussi écrit une touchante Missa Tango,
interprétée par Domingo, Martinez, Chung et l’Orchestre Sainte Cécilia de Rome. Il faut voir ou
revoir le film de Corbucci, et écouter la musique de Bacalov, qui est aussi
inspirée qu’une BO de Morricone.
Blanca Nieves. Réalisateur Pablo Berger.
Musiques de Alfonso de Vilallonga. 1CD Milan : 399 455 2. Universal Music
« Blanca Nieves » est un film en noir et blanc,
muet, avec des intertitres. L’histoire se passe dans les années 20. Les films
étaient à l’époque muet et accompagnés par un orchestre symphonique dans les
grandes salles. Ici, le réalisateur, dont c’est le troisième film, joue sur
tous les codes de ce cinéma avec un certain humour noir hispanique. L’histoire
est celle, bien sûr, de Blanche Neige, mise à la sauce espagnole, dans le monde
de la tauromachie. Blanche Neige va s’enfuir de l’hacienda où commande une
belle-mère acariâtre, et sera recueillie par sept toreros nains ! C’est un
film totalement morbide. La musique est pendant tout le film le support à
l’image. Elle est descriptive, un genre difficile à composer. Elle apportera de
la gaité, de l’ironie, de la mélancolie, de l’émotion, comme on faisait à
l’époque, et comme Hollywood, au début du parlant, a continué à le faire.
Alfonso de Vilallonga, et surtout son arrangeur et orchestrateur Roman
Gottwald, ont fait un travail important et très réussi. Cette musique vient de
recevoir le Goya (Les Césars espagnol) de la meilleure musique.
Alfonso de Vilallonga est né à Barcelone, en 1960, dans
une famille noble. Il a commencé à étudier la musique à Barcelone, puis au
Berklee College de Musique, à Boston. En 1990, il fait sa première BO pour le
film Inquisiteur de Rachel Schaaf, et
enchaînera jusqu’à aujourd’hui avec Blanca
Nieves. Parallèlement, il monte des spectacles de variétés à base de
chansons françaises et américaines, et fait quelques albums de variétés.Il
chante dans des comédies musicales (Candide de Bernstein) et compose
pour le théâtre. S’il est apprécié et connu dans le monde hispanique, il n'est
pratiquement pas connu en France. Le film, qui est une petite merveille
d’inventivité picturale, aurait mérité une meilleure distribution. Il vaut
largement le succès qu’a eu un autre film muet, The Artist. Mais ne polémiquons pas. Écouter la musique de ce
CD pour ce qu’elle est, est un vrai
plaisir musical, où se mêlent chansons, interprétées par Silvia Pérez Cruz,
morceaux de guitare flamenco, par Juan Gomömez, « Chicuello », un
trio piano/ukulélé/ violoncelle, un duo violon/piano, et des morceaux
symphoniques avec le grand orchestre Philharmonique de Bruxelles, dirigé par
Robert Groslot. Cette bande sonore couvre une palette de couleurs, de styles
assez vastes : de la musique dramatique de genre classique et orchestrale, des
pièces plus folkloriques et gaies, avec instruments à vent, d’un genre très
espagnol, et des pièces jazzy évoquant l’époque, les années 20. Cette
diversité raconte en musique le conte
des frères Grimm. En 2008, il avait fait une belle composition pour le film de
Brad Anderson : Transsiberien .
Stéphane Loison.
ANNONCES FILMIQUES
Parallèlement à l’exposition « Musique et cinéma / Le mariage du
siècle ? », qui est organisée du 19 mars au
18 août 2013, au Musée de la Cité la musique à Paris, une série de concerts y
est donné tout au long du mois de mars, à l’amphithéâtre ou dans la grande
salle de concert.
Mercredi 20 mars à 20h : Hollywood, mon amour
Rocky, Footloose, Mad Max... par Marc Collin aux claviers.
Rencontre avec Marc Collin à 19h, dans la Rue Musicale,
animée par le réalisateur Thierry Jousse
Jeudi 21 mars à 20:00 :Film noir
Stéphan Oliva au piano,
Philippe Truffault, vidéo.
Relecture des musiques et images des films de Alfred
Hitchcock, Stanley Kubrick, Otto Preminger, Orson Welles, Billy Wilder, Robert
Wise... Rencontre avec Stéphan Oliva et Philippe Truffault, à 19h, dans la Rue
Musicale, animée par N.T. Binh (commissaire de l'exposition "Musique et
cinéma, le mariage du siècle?")
Vendredi 22 mars à 20:00 : Ciné concert Le Cuirassé Potemkine
Musique de Michael Nyman
Le Cuirassé Potemkine / Film muet de Sergueï
Eisenstein, URSS, 1925, 70 minutes Michael Nyman Band
Michael
Nyman piano
Rencontre avec Michael Nyman, à 19h dans la Rue Musicale, animée par N.T. Binh, commissaire de
l’exposition "Musique et cinéma, le mariage du siècle ? "
Du 23/03/2013 au 24/03/2013 : French Touch (création)
Fred Pallem & Le Sacre du tympan jouent les musiques
de François de Roubaix, Michel Magne, Francis Lai, Jean-Claude Vannier,
Philippe Sarde, Michel Legrand, Raymond Lefebvre, Vladimir Cosma...
Samedi 23 mars : Rencontre avec Fred Pallem et
Francis Lai, à 19h dans la Rue Musicale, animée par Stéphane
Lerouge, concepteur de la collection discographique « Écoutez le cinéma
! » (Universal Classics & Jazz France).
Dimanche 24 mars : Rencontre avec Fred Pallem, à
19h dans la Rue Musicale, animée par Stéphane Lerouge, concepteur de
la collection discographique « Écoutez le cinéma ! »(Universal
Classics & Jazz France)
Dimanche 24 mars 2013 / 16:30 :
Quai de scènes (création)
Alexandre Desplat et Traffic Quintet
Dominique Lemonnier conception et réalisation, création
vidéo
Alexandre
Desplat musiques
Ange
Leccia création vidéo
Stéphane
Vérité scénographe
Rencontre avec Dominique Lemonnier et Alexandre
Desplat à 15h30 dans la Rue Musicale, animée par N.T. Binh (commissaire de
l'exposition "Musique et cinéma, le mariage du siècle?")
Mardi 26 mars 2013 / 20:00 : Un air de déjà vu, Chansons du cinéma français
(création)
Alex
Beaupain chant
Camélia
Jordana chant
Fanny
Ardant comédienne
Rencontre avec Alex Beaupain à 19h dans la Rue Musicale,
animée par N.T. Binh, commissaire de l’exposition "Musique et cinéma, le
mariage du siècle ?"
Vendredi 29 mars 2013 / 20:00 :
De Nino Rota à Ennio Morricone
Giovanni Mirabassi Trio
Giovanni
Mirabassi piano, Gianluca Renzi contrebasse, Lukmil
Perez batterie
Rencontre avec Giovanni Mirabassi, à 19 h dans la Rue Musicale, animée par Benoit Basirico, journaliste,
spécialiste de la musique de film, fondateur de Cinezik.fr
Stéphane Loison.
***
LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE
A découvrir :
YAMAHA : l’innovation Silent
Vingt ans après la création de
son premier piano Silent™, Yamaha récidive et innove avec son
nouveau piano équipé du système Silent
SH : jouer en silence sur un piano, enregistrer ses créations et les
partager en quelques clics.
Yamaha connu
pour être le leader mondial de la technologie dédiée aux instruments de musique créé la surprise avec deux
nouveaux systèmes : Silent™ SH et Silent™SG2 (tous deux disponibles sur 24
modèles : pianos droits et à queue).
Le système Silent™ SH est le
premier système à employer l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFX. Il permet d’enregistrer en
différents formats (MIDI, ou audio) et de partager ses compositions sur les
réseaux sociaux en quelques clics. Le pianiste devient un musicien qui
s’exprime à travers le monde en temps réel.
Il bénéficie de
nombreux avantages comme un échantillonnage numérique binaural procurant un
effet 3D, une polyphonie multipliée par 8 soit 256 notes, 19 sonorités
proposées, un casque hifi Yamaha HPH-200, prise USB en façade …
Le système Silent™ SG2 utilise,
lui, l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFIIIS. Est doté de belles particularités comme un
échantillonnage AWM, une polyphonie de 64 notes, 10 sons pour créer ses
compositions et reproduire ses interprétations avec possibilité de modifier le
niveau de réverbération, enregistrement en mode MIDI …
Information: fr.yamaha.com/silentpiano
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d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53
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Laëtitia Girard.
Projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com
Livres et CDs sont à envoyer à la rédaction de l’Education
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musicale
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musicale
Dépositaires des
Dossiers de l’éducation musicale
Librairie de l’Opéra
Bastille
***
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Où trouver le numéro du Bac
Liste des
dépositaires Baccalauréat 2013 :
Cliquez ici pour voir la liste
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