HOMMAGE : PIERRE BOULEZ 1925-2016 PAROLES D'AUTEUR : MAURICE DURUFLÉ, UN GRAND ORGANISTE-COMPOSITEUR REPÈRES PÉDAGOGIQUES : L'ONDE MARTENOT, UN INSTRUMENT MÉCONNU
HOMMAGE
Pierre Boulez –
1925-2016 « Il faut
aussi rêver sa révolution, pas seulement la construire » (Pierre Boulez) Le souvenir que je garde de Pierre Boulez,
entre autres rencontres, restera surtout les quelques jours qu'il a passés à
Florence, lorsque je l'avais invité pour fêter ses 80 ans, il y a dix ans. Je
dirigeais alors l'Institut français de Florence et étais consul de France en
Toscane. Le Maggio
Musicale Fiorentino avait retenu avec joie l'idée d'un hommage pour
son anniversaire. Pierre avait immédiatement accepté de
diriger l'Ensemble InterContemporain en Italie. Il
avait insisté pour interpréter, à côté de ses œuvres, celle de ses amis
compositeurs italiens (Berio, Nono…). La création mondiale de
Ali di
Cantor d'Ivan Fedele avait été donnée à
cette occasion, en présence du compositeur. Bruno Mantovani,
alors également jeune compositeur à la Villa Médicis, à Rome, avait fait le
déplacement. La grande salle du Teatro Comunale de Florence avait été comble trois
soirs de suite. Le public avait réservé à Pierre et Ivan un triomphe. Je revois encore, entre les répétitions,
l'émerveillement de Pierre au Musée des Offices, à San Marco, à Pitti,
au Carmine… Il était curieux de tout. Il avait tenu à saluer les jeunes
(et moins jeunes) musiciens du Conservatoire Cherubini et de la prestigieuse Scuola di Musica
de Fiesole. Étudiants et professeurs lui avaient fait fête. Piero Farulli, altiste du Quartetto Italiano, et directeur de
l'école de musique, était encore de ce monde. On peut souligner avec cet exemple parmi
d'autres, le rayonnement du compositeur et chef d'orchestre dans le monde. En
Italie bien sûr où son ami Luciano Berio, avec Tempo Reale
avait construit – à Florence - également un centre de création musicale, sur le
modèle de l'IRCAM, mais bien sûr aussi en Allemagne, en Autriche, au
Royaume-Uni, aux États-Unis et dans tous les pays où Boulez était venu
composer, diriger ou enseigner. Comme le dit son ami et, entre autres, l'un des
interprètes de son œuvre au piano ou à l'orchestre, Daniel Barenboim,
« Pierre
Boulez est avec nous,
non seulement parce que sa musique continue d'être jouée,
mais parce qu'il avait un rayonnement unique. » (discours en l'Eglise Saint-Sulpice,
le 14 janvier 2016, lors de la cérémonie d'hommage à Pierre Boulez). « Panacher liberté et contrainte, voilà l'enjeu qui me
mobilise » (Pierre Boulez). L'homme orchestre
en quatre mouvements Le
théoricien « Agissez !
Ne reproduisez pas ! » (Pierre Boulez) Dès ses premières années de formation au
Conservatoire National de Paris (auprès de Messiaen pour l'harmonie, d' Andrée Vaurabourg pour le
contrepoint, et de Leibowitz pour l'initiation à la musique sérielle), Pierre
Boulez conteste l'enseignement qu'il reçoit : la découverte de la seconde
École de Vienne n'est vécue que comme un point de départ et le cours d'analyse
d'Olivier Messiaen comme une « plate-forme de lancement des fusées à
venir » (Michel Fano). Boulez montre sa volonté d'innover dans les
cours d'été de Darmstadt (1954-1967) où il enseigne l'analyse musicale et la
direction d'orchestre à l'occasion du festival, à la Musik-Akademie de Bâle (1960-1963) puis à l'Université de
Harvard (1963). Il cherche alors à « déclencher l'inquiétude ». Dans Penser
la musique aujourd'hui (1963), Boulez résume ses conceptions de la création
(« donner à penser » et non expliquer les résultats). D'autres textes développent sa pensée
théorique, entre autres : Relevés d'apprenti en 1966, Points de
repère en 1981 ou Regards sur autrui - Points de repère II en 2005. Durant
près de vingt ans (1976-1995), Boulez enseigne au Collège de France (chaire
Invention, technique et langage, créée pour lui). L'ouvrage Leçons de
musique - Points de repère III (2005) rassemble ses leçons. C'est en
quelque sorte son traité de composition le plus complet. Le
compositeur « Héritier le plus rigoureux et le
plus créatif de l'école de Vienne et remarquable représentant de ce grand
courant formaliste qui a traversé et renouvelé tout l'art du XXe siècle (et pas
seulement en musique) » (Michel Foucault, L'imagination du XIXe
siècle). Comme pour Picasso dans l'histoire de la
peinture et les « périodes » du maître (« bleue »,
« rose »...), les historiens de la musique (on attend l'ouvrage de
Laurent Bayle, en cours de rédaction, consacré à Pierre Boulez) distingueront
des séquences dans l'œuvre de Pierre Boulez. On peut esquisser diverses
évolutions et inflexions au cours des six décennies de création : la « table
rase », la période « sérielle », la période
« électronique » ou « IRCAM », la période
« ouverte », la période « organique ». Certaines
s'enchevêtrent parfois et connaissent des résurgences. Quelques œuvres emblématiques : L'écriture et la réécriture de l'œuvre (à
la manière d'un Jean-Sébastien Bach ou d'un Gustav Mahler) s'étendent sur
soixante ans, de 1946 à 2006. Certaines œuvres sont des « works in progress » qui demeurent sur la table de composition
durant de nombreuses années et même des décennies : Le Visage nuptial,
Le Soleil des eaux, Le Marteau sans maître, Improvisation III sur Mallarmé, Pli
selon pli, Cummings ist der Dichter... D'autres œuvres croissent au fil des
années : Répons, Incises, Anthèmes,
Dérives... L'écriture devient organique et s'étire selon le déroulement du
temps. L'œuvre reste, en partie ici, « ouverte » et évolue comme un
organisme vivant en constante évolution. Un entretien avec Gilles Macassar résume bien la technique de travail du
compositeur : «Le champion de l'inachèvement que je
suis profite aussi de cette souplesse : explorer le labyrinthe devient si
fascinant qu'on n'éprouve plus le besoin d'en sortir... Je procède comme Proust
rédigeant A la Recherche du temps perdu : jusqu'au dernier moment, je
rajoute des paperolles. Sinon, ça reste comme une
insatisfaction, bloquée dans un coin de la tête.» (dans
Télérama, 2005, à l'occasion des quatre-ving-ans
de Boulez). On soulignera seulement ici, de façon un
peu subjective, quelques œuvres marquantes. Pour plus d'éléments, on pourra se
référer à la chronologie plus complète ci-dessous. La première Sonate pour piano date
de 1946, la seconde de 1948. Proche de la poésie de René Char, Boulez compose Le
Visage nuptial (1946-1951-1989) pour soprano, contralto, chœur de femmes et
grand orchestre, Le Soleil des Eaux (1948-1958-1965) pour
soprano, chœur mixte et orchestre, ainsi que Le Marteau sans maître
(1953-1957) pour contralto et six instruments, d'après des textes du poète. On
peut citer Boulez qui déclare au journal Le Monde en 1990 (12
juillet) : « Comment, au-delà de l'égoïste merci, ne garderais-je
pas une absolue gratitude à René Char de m'avoir alors révélé ce que je devais
être ? ». Il écrit sa troisième Sonate pour piano en
1956-57. Pli selon pli (1957-1962-1984-1989), inspiré par
Mallarmé, est composé en 1958 (version définitive dans les années quatre-vingt-dix). Improvisations
III sur Mallarmé datent des années 1959-1984. Les Notations I à IV
sont réalisées en 1980 (VII en 1998) pour orchestre. Il écrit Cummings ist der Dichter entre 1970 et
1986. Entre 1981 et 1984, il écrit Répons pour six solistes, ensemble et
ordinateurs (version finale au festival d'Avignon de 1988). De 1985 date le Dialogue de l'ombre
double pour clarinette, bande et dispositif de spatialisation. Les Incises
pour piano sont écrites en 1994-2001. Sur Incises pour trois pianos,
trois harpes et trois percussions-claviers (1996-1998) est créée au festival
d'Edimbourg. Dérives 2 est créée en 2006 au festival d'Aix-en-Provence. Le
chef d'orchestre « Il
était le seul chef d'orchestre réellement compositeur depuis Mahler ou Strauss
qui parvenait à relier ces deux pratiques » (Philippe Manoury, Libération, 7 janvier 2016). « Il
faut avoir vis-à-vis de l'œuvre que l'on interprète ou que l'on compose, un
respect profond devant l'existence même. Comme si c'était une question de vie
ou de mort »
(Pierre Boulez). Pierre Boulez commence une carrière de chef
d'orchestre grâce à sa rencontre avec Jean-Louis Barrault. Il est directeur de
la musique de scène de la compagnie Renaud-Barrault de 1946 à 1956. C'est à
cette occasion qu'il commence à diriger. Ainsi en 1953 il est amené à prendre
la direction des « Concerts du Petit Marigny », transformés dès 1954
en « Domaine Musical » qui se spécialise dans la musique de son temps
(il donne ainsi les œuvres des jeunes compositeurs d'alors comme Luciano Berio,
Luigi Nono ou Jean Barraqué, et les siennes). Boulez en est le directeur
jusqu'en 1967. Il dirige les orchestres les plus
prestigieux : Orchestre Philharmonique de New York, Orchestre de
Cleveland, Orchestre Symphonique de Chicago, Orchestre Symphonique de la BBC,
Orchestre Symphonique de Londres, Orchestre Philharmonique de Vienne, Orchestre
Philharmonique de Berlin, Orchestre de Paris. Avec ces formations, il réalise
des interprétations et enregistrements de référence d'œuvres de Mahler,
Bruckner, Berg, Schoenberg, Webern, Stravinski, Bartók, Janacek,Wagner, Debussy ou Ravel. Il fait jouer et grave au disque nombre
d'œuvres contemporaines : Benjamin, Berio, Birtwistle,
Carter, Crumb, Luis De Pablo, Ligeti, Messiaen, Manoury,
Donatoni, Maderna, Nono, Pousseur, Stockhausen,
Szymanowski, Varèse, Xenakis, Zappa... Il réalise en 1963 la première française
de Wozzeck de Berg à l'Opéra de Paris, trente-huit après sa création à
Berlin. Il dirige la monumentale Tétralogie de Wagner dans une mise en
scène de Patrice Chéreau (1976). La production sera donnée cinq années de
suite. Il est à l'origine de la première mondiale de l'intégralité de l'opéra Lulu
d'Alban Berg à l'Opéra de Paris (mise en scène de Patrice Chéreau). Il dirige
aussi De la maison des morts de Janacek au festival d'Aix-en-Provence en
2007 (mise en scène de Chéreau). Le
bâtisseur « Ce qu'il faut, c'est mettre la
subversion à l'intérieur des organismes, y compris musicaux, au lieu de la
garder pour soi et d'être fier de garder les mains propres » (Pierre Boulez, Le Monde, 1974). C'est en 1969 qu'à l'initiative de Georges
Pompidou, Président de la République, Pierre Boulez est invité à concevoir le
futur IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) qui sera
créé en 1974. Ses portes ouvrent en 1977 et Boulez le dirige jusqu'en 1998. En,
1975, sous l'égide du ministre de la culture, Michel Guy, il crée et préside
l'Ensemble InterContemporain. Dans les années
quatre-vingt, il participe au projet de nouvel Opéra place de la Bastille et de
la Cité de la Musique dans le quartier de la Villette. Enfin la nouvelle Philharmonie de Paris lui
doit beaucoup. C'est Pierre Boulez qui depuis des décennies demandait aux
pouvoirs publics la réalisation d'une grande salle de concerts symphoniques à
Paris, à même de rivaliser avec celle de Berlin, le Parco
della Musica de Rome,
le Palais des Arts de Budapest ou d'autres ensembles de cette envergure
internationale, en Europe, outre-Atlantique et ailleurs. Il n'est pas dit que
la grande salle de la Philharmonie (actuelle dite « grande salle -
Philharmonie 1 »), qu'il n'aura pu inaugurer, pour des raisons de santé,
et dont il n'aura pas eu le temps de fêter le premier anniversaire, ne porte un
jour son nom. C'est en Allemagne que Daniel Barenboim ouvrira à Berlin en 2017 une grande salle de
concert portant le nom de Pierre Boulez. Pierre Boulez – Pierrot, comme l'appelaient
affectueusement et familièrement ceux qui le connaissaient bien –, va manquer
au monde musical et artistique en général ainsi qu'au public, mais son œuvre
immense, ses interprétations magistrales heureusement gravées pour toujours,
mais aussi ses « ateliers », ses conférences, ses cours, ses nombreux
écrits, son enseignement en somme
resteront à jamais vivants pour les générations futures. En guise de conclusion, pour le futur,
citons encore Pierre Boulez : « La
politique doit servir l'art, et non l'inverse ». Chronologie sommaire et principales œuvres (les dates peuvent
varier selon les chronologies, selon que l'on évoque l'écriture de l'œuvre –
échelonnée du reste sur plusieurs années voire des décennies - sa création, sa re-création ou bien sa publication) : 1925 26 mars : naissance à Montbrison en
Haute-Loire 1942 : entrée au Conservatoire National de
Musique de Paris 1945 : 12 Notations pour piano, Trois
psalmodies pour piano, Variations pour piano (main gauche) Quatuor pour quatre ondes Martenot 1946 : directeur musicale de la compagnie
Renaud-Barrault – Première Sonate pour piano, Sonatine pour flûte et piano,
Le visage nuptial 1947 : Symphonie concertante (perdue) 1948 : Deuxième Sonate pour piano,
Sonate pour deux pianos 1949 : Livre pour quatuor à cordes
(révisé en 2011-2012) 1950 : Le Soleil des eaux 1951 : Structures 1 pour deux
pianos, premier livre, Polyphonies pour orchestre, Deux études,
pour bande magnétique, Oubli signal lapidé pour douze voix 1954 : le « Domaine Musical » – Le
Marteau sans Maître 1955 : La Symphonie mécanique, musique
pour le film de Jean Mitry, pour bande magnétique, L'Orestie, musique de scène pour la trilogie d'Eschyle,
pour voix et ensemble instrumental 1956-1957 : Troisième sonate pour piano,
Pli selon pli, Figures-Doubles-Prismes pour orchestre, Structures 2, pour
deux pianos, deuxième livre 1957 : Don, pour soprano et
orchestre, Improvisation II sur Mallarmé, « Une dentelle
s'abolit », pour soprano et neuf instruments, Le Crépuscule de Yang Koueï-Fei, musique pour la pièce radiophonique de
Louise Fauré, Strophes pour flûte 1958 : Installation en Allemagne, Poésie
pour pouvoir, d'après Henri Michaux, pour récitant, orchestre (en trois
groupes) et bande magnétique, Improvisation I sur Mallarmé, « Le
vierge, le vivace et le bel aujourd'hui », pour soprano et orchestre 1959 : Improvisation III sur Mallarmé, « A
la nue accablante tu », pour soprano et orchestre 1959-1960 : Tombeau, pour soprano et
orchestre 1962 : publication de Pli selon pli,
portrait de Mallarmé pour soprano et orchestre 1963 : écrit Penser la musique
aujourd'hui (écrits théoriques) 1964 : Éclat pour orchestre 1965 : Éclat/Multiples 1966 : texte de Pierre Boulez dans Le Nouvel Observateur,
et rupture avec la politique du ministre de la culture de De
Gaulle : « Pourquoi je dis non à Malraux. » Boulez y exprime son point de vue concernant la réorganisation de la vie
musicale française proposée par Malraux. Boulez dénonce la nomination du
compositeur Marcel Landowski à la direction de la musique au ministère des
affaires culturelles et la volonté de séparer la musique de l'action culturelle
générale. Selon lui, l'organisation de la vie musicale ne peut s'épanouir dans
ses cloisonnements d'alors et sans un renouvellement complet de son
administration 1967 : chef permanent de l'Orchestre de
Cleveland 1968 : Domaines, pour clarinette
solo et six groupes instrumentaux, … Explosante/Fixe
…, œuvre « ouverte » à la mémoire d'Igor Stravinski, pour
ensemble et électronique en direct (version 1972 éditée en 1974), Livre pour cordes 1969 : Pour le Dr. Calmus,
pour ensemble, Über das,
über ein verschwindelaren 1970 : Cummings ist
des Dichter, pour chœur et orchestre, sur des
textes de E. E. Cummings 1971 : Pierre Boulez devient chef permanent
de l'Orchestre de la BBC, du London London Symphony Orchestra de Londres et de l'Orchestre
Philharmonique de New York 1972 : création de l'IRCAM - Institut de
Recherche et Coordination Acoustique/Musique 1974 : Rituel in memoriam Bruno Maderna pour
orchestre en huit groupes 1975 : création de l'EIC – Ensemble InterContemporain 1976 : Messagesquisse
pour violoncelle et six violoncelles, dédié à Paul
Sacher 1976-1995 : professeur au Collège de France 1976-1979 : dirige le Ring de
Richard Wagner à Bayreuth (mise en scène de Patrice Chéreau). « Le Ring du centenaire, qui a
été dirigé par P. Boulez et mis en scène par P. Chéreau, vient d'achever sa
cinquième et dernière année d'existence. Une heure et demie d'applaudissements
après que le Walhalla, une fois encore, se soit écroulé dans les flammes, et
cent-un rappels. Oubliés, les huées de la première année, le départ de
plusieurs musiciens, les mauvaises humeurs de l'orchestre et de certains
chanteurs ; oubliés, aussi, le comité d'action pour la sauvegarde de l'œuvre de
Wagner, les tracts distribués et les lettres anonymes qui réclamaient la mise à
mort du chef d'orchestre et du metteur en scène. » (Michel Foucault,
L'imagination du XIXe siècle). 1977 : ouverture de l'IRCAM au Centre
Pompidou à Paris 1979 : dirige la première mondiale de Lulu
de Berg à l'Opéra de Paris 1980 : Notations pour orchestre (I à IV
; VII en 1998) 1981 : Répons pour six solistes et
orchestre et dispositif électronique (version finale au festival d'Avignon de
1988) 1984 : Dérive pour 6 instruments, Notations
V-XII pour orchestre 1985 : Dialogue de l'ombre double
pour clarinette et dispositif électronique, Mémoriale
pour ensemble 1987 : Initiale, pour septuor de
cuivres 1988-2002 : Dérive 2 pour onze
instruments 1990 : Dérive 2, deuxième version
pour onze instruments 1991 : Anthèmes
pour violon seul 1994-2001 : Incises pour piano 1996-1998 : Sur Incises pour trois
pianos, trois harpes et trois percussions-claviers 1997-2008 : Anthèmes
2 pour violon et dispositif électronique 2003 : Pierre Boulez est compositeur en
résidence au Festival de Lucerne 2004 : dirige Parsifal
à Bayreuth dans la mise en scène de Christoph Schlingensief 2005 : Une page d'éphéméride pour
piano 2006 : création de Dérives 2 au
festival d'Aix-en-Provence 2011 : Dernier concert à Paris, à la tête
de l'Orchestre de Paris 2015 : le 14 janvier : ouverture de la
Philharmonie de Paris dans le Parc de
Villette, près de la Porte de Pantin ; de mars à juin, monumentale
exposition d'hommage à Pierre Boulez pour ses 90 ans (Philharmonie de
Paris) ; en juin : les 33 œuvres complètes de Pierre Boulez se
retrouvent dans un coffret édité par Deutsche Grammophon,
cette intégrale discographique est présentée par Boulez. 2016, le 5 janvier : mort de Pierre
Boulez, à 90 ans, à Baden-Baden. Le 14 janvier : premier anniversaire de la
Philharmonie de Paris ; le même jour : cérémonie d'hommage à Pierre Boulez
en l'église Saint-Sulpice à Paris (discours de Daniel
Barenboim, de Renzo Piano et de Laurent Bayle). Deux propos de Pierre Boulez Boulez visionnaire : la Cité de la
Musique et la future la Philharmonie de Paris « Étendre l'activité de la Cité de
la Musique à une grande salle correspond à une nécessité urgente. Elle exigera
un orchestre en résidence : l'Orchestre de Paris est exactement à même de
remplir ce rôle. Il conviendra d'inventer une sorte de couloir de communication
qui représenterait pour le présent, avec des techniques performantes, ce qu'est
le musée pour le patrimoine. Une médiathèque-banque de données serait la
contrepartie idéale de ce musée dans le couple statique-dynamique. S'ajoutant à
cet ensemble, la Grande Halle serait un lieu d'accueil sur le modèle si
populaire des « Proms » à Londres. Au mois
d'août, Paris n'a rien à offrir, pas plus aux visiteurs qu'aux Parisiens. Le succès
du festival Paris Quartier d'Été prouve que le public est potentiellement là.
Ne serait-il pas envisageable en outre, d'établir une relation permanente entre
le Musée de la musique et le Musée des sciences ? Ce dernier prendrait en
charge tout ce qui concerne les rapports entre le son et la musique... »
(Le Monde, 25 mars 1999). Sur la relation poème/musique à travers la
rencontre avec l'œuvre de René Char : la trilogie Le Visage nuptial, Le
Soleil des eaux, Le Marteau sans maître « Pourquoi le musicien cherche-t-il
cette ressource extérieure, pourquoi choisit-il ce qui est infiniment plus
qu'un tremplin pour son imagination, ce qui va devenir sa propre
substance ? Pourquoi ce poème, ce poète ? La réponse simple autant
qu'énigmatique pourrait se résumer en la parole évangélique : ''Tu ne me
chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé...''. Par trois fois, l'œuvre de
René Char m'a lancé une objurgation ; par trois fois j'ai répondu à cette
incitation comminatoire, de trois façons bien différentes, car le poème
instinctivement choisi correspondait à la nécessité et au moment de la
rencontre. Le Visage nuptial explicite la narration du poème, se modèle
entièrement sur la forme, s'articule littéralement selon lui. La musique
s'invente en parallèle au texte, le suit dans ses méandres, de la rencontre au
renoncement. Le Soleil des eaux est bien davantage un texte de liaison qui va
rassembler des idées musicales déjà constituées, mais éparses, et leur donner
l'indispensable cohésion. Le Marteau sans maître s'attache à une relation plus
complexe où la présence du poème n'est pas le seul facteur d'alliance. Il
irrigue toute l'invention musicale, même lorsqu'il a cessé d'être là. »
(Le Monde, 12 juillet 1990). Jérôme Bloch. Agrégé de l'Université **** Pierre Boulez nous a quittés par Michael Haefliger, directeur
du Festival de Lucerne «Je suis un
compositeur, chef d'orchestre et musicographe français.» C'est très
probablement ainsi que Pierre Boulez (26 mars 1925 – 5 janvier 2016) aurait
répondu si on l'avait questionné sur lui-même – simplement, sobrement, sans se
mettre en scène le moins du monde. C'est ainsi que la plupart de ses
«disciples», dont je fais partie, l'ont connu, perçu et vu. C'est ainsi qu'il
est devenu pour nous un grand modèle, presque un demi-dieu. Nous avons admiré
ses faits et gestes, sa façon implacable de poursuivre ses objectifs quels
qu'ils soient, petites avancées ou grandes révolutions. Sa disparition, la nuit dernière, nous plonge dans une profonde tristesse.
Grand homme et grand artiste, il a imprimé sa marque sur notre festival et l'a
immensément enrichi. Ma première
impression de Pierre Boulez remonte aux années 1971–1977, années où il était à
la tête du Philharmonique de New York et mettait sur pied des programmes et des
concerts d'un genre radicalement nouveau, juxtaposant Bach, Schubert, Liszt,
Webern, Berg, Stravinsky et ses propres œuvres comme si c'était la chose la
plus naturelle du monde. Ce cosmopolitisme avait un sens: il révélait des
rapports d'une partition à l'autre et incitait à faire de nouvelles expériences
auditives, par exemple à la faveur d'un Rug Concert où
l'on écoutait la musique confortablement installé sur un tapis. On chercherait
encore aujourd'hui en vain ce genre de concerts qui, par sa manière inédite de
présenter la musique au public, regardait déjà loin vers l'avenir. Le fait est qu'il y
avait du révolutionnaire en Boulez, et il n'avait pas d'état d'âme lorsqu'il
s'agissait de défendre ses idéaux et l'avenir de l'art et de la culture. Il
n'hésita pas, par exemple, à écrire Schönberg
est mort, un article aussi impitoyable que pertinent sur l'inventeur du
dodécaphonisme. Par ailleurs, considérant le monde de l'opéra comme figé et la
gestion des théâtres lyriques dépassée, il alla jusqu'à suggérer de «faire
sauter les maisons d'opéra». Ce qui ne l'empêcha pas de monter avec Patrice
Chéreau, en 1976, à Bayreuth, une Tétralogie
de Wagner aujourd'hui entrée dans la légende. Avec Chéreau encore, il conçut en
1989 un projet de «salle modulable» pour l'Opéra Bastille: une architecture
d'un genre nouveau qui devait permettre de mieux mettre en relation la scène et
l'espace destiné au public grâce à des éléments à géométrie variable. À
l'époque, ce projet ne put être réalisé pour des raisons financières. Je n'oublierai
jamais ce moment, en janvier 2006, où Pierre Boulez me remit ce projet de
« salle modulable» (une étude de plusieurs pages) dans sa maison de
Baden-Baden et m'encouragea à le mettre en œuvre à Lucerne. La volonté de le
mener à bien ne m'a toujours pas quitté! Mais c'est Paris
qui était le principal lieu d'activité de Boulez, lequel avait été chargé en
1969 par le président Georges Pompidou en personne de créer un institut de
recherche et de création musicale associé au Centre Beaubourg. Ainsi naquit l'Ircam (Institut de recherche et coordination
acoustique/musique) qui devint avec l'Ensemble intercontemporain
et plus tard la Cité de la musique le centre de l'activité de Pierre Boulez. C'est
dans un petit bureau de l'Ircam aménagé on ne peut
plus sobrement que nous eûmes en décembre 2000 notre premier entretien sur un
projet qui allait déboucher sur la LUCERNE FESTIVAL ACADEMY. Sa réaction à mon
idée fut simple et directe comme d'habitude: «J'ai toujours rêvé de mettre sur
pied quelque chose de ce genre, venez me voir en janvier à Baden-Baden.» Et le
projet prit forme à la vitesse éclair. Dès l'été 2003 eut lieu à Lucerne une
sorte d'«avant-première» et un an plus tard, la LUCERNE FESTIVAL ACADEMY, avec
ses cent vingt stagiaires du monde entier, était
devenue réalité. Pour Pierre Boulez,
comme cela avait été le cas pour son professeur Olivier Messiaen, rien ne
semblait désormais plus important que de transmettre à de jeunes gens
ambitieux, dans le cadre de cette Académie, son énorme savoir, son expérience,
ses grands idéaux. C'est ainsi que des légions de jeunes passionnés firent le
pèlerinage de Lucerne et se nourrirent de l'esprit du maître avec enthousiasme.
Le festival, qui avait été jusque-là centré sur l'organisation de concerts
exceptionnels, abritait désormais une institution remarquable destinée aux
apprentis musiciens d'orchestre, chambristes, chefs d'orchestre et
compositeurs. On n'a pas oublié
les innombrables répétitions et concerts de Boulez avec le LUCERNE FESTIVAL
ACADEMY Orchestra et les formations de chambre de l'Académie ; ses cours
avec de jeunes chefs et compositeurs prometteurs ; ses programmes
originaux où figuraient ses propres œuvres – Répons, Le Marteau sans
maître, éclat/multiples, Notations –, Gruppen de Stockhausen et de
nombreuses créations ; ses interprétations exemplaires de la Sixième
Symphonie de Mahler, des Trois Pièces
pour orchestre de Berg, du Mandarin
merveilleux de Bartók et du Sacre du
printemps de Stravinsky. Le 2 octobre 2011,
j'ai vécu un moment particulièrement intense au Royal Festival Hall de Londres
où Pierre Boulez dirigeait ce soir-là sa partition Pli selon pli, inspirée par des poèmes de Mallarmé, avec Barbara Hannigan en soliste et un orchestre formé de musiciens de
l'Ensemble intercontemporain et de la LUCERNE
FESTIVAL ACADEMY. À ce concert, l'osmose entre le grand compositeur et le
brillant chef d'orchestre s'est manifestée de manière impressionnante. Les liens d'amitié
et la loyauté qui unissaient Pierre Boulez à de nombreuses institutions étaient
remarquables. Là aussi, il ne connaissait pas les compromis, l'opportunisme lui
était étranger. À Bayreuth, il continua de se tenir fermement aux côtés de
Wolfgang Wagner après que celui-ci eut été lâché par les médias et les
politiques. À l'été 2004, il joua les médiateurs pour défendre le Parsifal controversé mis en scène par Christoph Schlingensief et permit ainsi la réalisation d'une des
productions les plus intéressantes de Bayreuth ces dernières années. En 2007,
lorsque Claudio Abbado dut renoncer pour des raisons de santé à diriger les
concerts du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA au Carnegie Hall, Boulez le remplaça au
pied levé et donna une interprétation éblouissante de la Troisième Symphonie de
Mahler. Tout ceci en dit long sur l'un des artistes et l'un des hommes les plus
remarquables de notre époque, qui mettait toujours sa personne au service de
l'intérêt supérieur, et avec la plus grande évidence. C'est à l'origine
grâce à Paul Sacher, grand ami et mécène de Boulez, que celui-ci fut introduit
au Festival de Lucerne. Sacher, qui faisait partie à l'époque de la commission
des programmes, recommanda Boulez comme chef d'orchestre dès les années 1960.
En 1975, Boulez fut invité avec le Philharmonique de New York à diriger deux
concerts, et en 1983 Sacher présenta le compositeur au public de Lucerne dans
un concert commenté. Le LUCERNE
FESTIVAL, qui considère comme essentiel de s'engager en faveur de la musique de
notre temps et des musiciens de demain, et qui continuera de le faire avec
passion, remercie Pierre Boulez pour la contribution inestimable qu'il a
apportée à son développement. Boulez nous a
laissé de nombreux rêves et de nombreuses traces, pourrait-on dire en
paraphrasant son ami poète René Char, qu'il admirait tellement. Il faut
maintenant continuer de rêver ces rêves, et les réaliser. «Un poète doit laisser des traces de son
passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.» (René Char) *** L'AGENDA
7 / 2 Ciné concert : le Fantôme de l'Opéra Thierry Escaich
figure parmi les personnalités invitées au ''Week-End
Orgues'' d'inauguration de l'orgue de la Grande Salle de la Philharmonie
de Paris les 6 & 7 février prochain, aux côtés de Benjamin Allard, Bernard Foccroulle, Olivier Latry,
Philippe Lefebvre et Wayne Marshall. Dans la
grande tradition des orgues de cinéma, Thierry Escaich
improvisera, dans le cadre des Ciné-concerts en Famille, pour accompagner le film Le Fantôme de l'Opéra, chef-d'œuvre du muet, de
Rupert Julian, inspiré du roman de Gaston Leroux. « Au commencement était
l'improvisation ». Cette phrase de Bernard Desgraupes
à propos de Thierry Escaich résume bien les logiques
à l'œuvre chez le compositeur et organiste, qui pratique cet art de l'instant
depuis sa tendre enfance. Dans la lignée des organistes-improvisateurs, il se
plaît à mêler dans ses récitals musique d'hier et d'aujourd'hui, musique écrite
et musique improvisée. Le voir accompagner ce sommet du cinéma muet qu'est le Fantôme
de l'opéra a donc des allures
d'évidence. Il l'a fait à de multiples reprises à
Paris et en province ces dix ou quinze dernières années, au piano comme à
l'orgue. Nul doute que sa musique manifestant une vraie sensibilité à l'image,
sera un contrepoint plus que bienvenu à cette histoire d'amour désespéré d'un
être hideux pour une cantatrice sur fond d'Opéra Garnier. Grande
Salle de la Philharmonie de Paris, le 7 février à 14H30. Réservations
: par tel .: 01 44 84 44 84 ; en ligne : philharmoniedeparis.fr 11, 14, 16, 18, 20, 26, 28 / 2 et 1 / 3 Mithridate au Théâtre des Champs-Elysées et à l'Opéra de Dijon Poursuivant son exploration des opéras de
Mozart, le Théâtre des Champs-Elysées
programme Mitridate. Re
di Ponto. Cet opera seria
créé à Milan en 1770 marque un des premiers grands triomphes du compositeur sur
la scène opératique. D'un musicien de 14 ans ! Le livret s'inspire moyennant
quelques adaptations de la tragédie Mithridate de Racine (1673) où les
deux fils du roi de Pont, Sifare et Farnace courtisent la belle Aspasie qui est pourtant
promise au monarque. Œuvre de commande, elle sera composée en fonction d'une
distribution prestigieuse. Si la musique est encore ancrée dans le genre du
« dramma per musica »
italien, dont Mozart s'approprie les codes, on sent déjà une maîtrise
indéniable de l'écriture pour les voix. Et une intéressante étude de
caractères. La nouvelle production a été confiée à Clément Hervieu-Léger pour
la mise en scène et à Emmanuelle Haïm qui dirigera
son Concert d'Astrée. Une distribution de haut vol complète cette intéressante
proposition puisque réunissant Patricia Petibon,
Sabine Devieilhe, Christophe Dumaux,
Michael Spyres et Myrtò Papatanasiu. L'opéra sera donné quelques jours après pour
trois représentations à l'Opéra de Dijon. Théâtre des Champs-Elysées, les 11, 16, 18,
20 février 2016 à 19H30, et le 14/2 à 17H. Réservations : 15, avenue Montaigne, 75008
Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr Opéra
de Dijon /Auditorium, les 26/2, 1er/3 à 20H, et le 28/2 à 15H Réservations : Grand Théâtre, place du théâtre,
21000 Dijon ; par tel.: 03 80 48 82 82 ; en ligne :
www.opera-dijon.fr 13, 18 / 2 Orchestres baroques à Gaveau Deux formations d'importance jouant sur
instruments anciens se produiront à la salle Gaveau en février. Il Pomo d'Oro donnera un programme inédit puisque réunissant Francesco Cavalli (Pompeo Magno),
Nicolas Porpora (Venere e Adone), Antonio Sartorio (Euridice e Orfeo),
et Francesco Sacrati (La finta
pazza), pour des duos d'amour interprétés par la
soprano Emöke Barath et le
contre ténor Valer Sabadus.
Ils seront dirigés par Maxim Emelyanychev,
remplaçant Riccardo Minasi. Quelques jours plus tard,
l'Orchestre du XVIII ème siècle rendra un vibrant
hommage à celui qui en fut le créateur en 1981 et l'âme durant des décennies,
Franz Brüggen (1934 -2014), un des plus grands
tenants de l'interprétation historique. La violoniste Isabelle Faust qui fut la
soliste du dernier concert parisien du maitre néerlandais en 2012, interprétera
et dirigera le Concerto pour violon de Beethoven qu'elle avait alors donné sous
la baguette de celui-ci. Au programme également Mozart avec l'Ouverture de Don
Giovanni et de Cosí fan tutte et la
38 ème Symphonie « Prague ». Salle Gaveau, les 13 (Il Pomo d'Oro) et 18 février 2016
(Orchestre du XVIII ème siècle) à 20H30. Réservations : Billetterie, 41-47, rue La Boétie, 75008 Paris ; par tel. : 01 49 53 05 07 ; en ligne : www.sallegaveau.com 14 / 2 Concert à l'Orangerie de Rochemontès Pour son deuxième concert de la
saison 2015/2016, l'Orangerie de Rochemontès verra se
produire la pianiste Muza Rubackyté. Le programme intitulé « double jeu »,
mettra en perspective Robert Schumann (Arabesques op. 18 et Carnaval
op. 9), Serge Prokofiev (Sonate N° 6 ) et Mikalojus
Konstantinas Čiurlionis
(1875-1911). De ce compatriote lituanien, contemporain de Ravel, et par
ailleurs excellent peintre, elle donnera quelques pièces pour piano. L'occasion
d'un concert dans un lieu attachant et prestigieux. A noter que ce même récital
sera donné à la salle Gaveau le 11 mars. Orangerie du château de Rochemontès, route de Grenade, 31840 Seilh
(près de Toulouse Blagnac), le 14 février 2016 à 16H30. Réservations : sur place et en ligne : http://concertarochemontes.festik.net 21 / 2 L'Opéra Comique concocte un web opéra policier Pour la première fois, l'Opéra
Comique créé un opéra pour le web. Profitant de sa fermeture pour travaux, il
donne rendez-vous au public sur son site internet dimanche 21 février 2016 à
18h pour la découverte en direct d'une web-création
sous forme de thriller lyrique en sept tableaux, Le mystère de l'écureuil bleu, enquête à l'Opéra Comique. Cet
opéra-événement gratuit et exclusivement conçu pour le web sera donné en direct
d'un lieu tenu secret. Marc-Olivier Dupin (*1954), compositeur et chef
d'orchestre, et Ivan Grinberg, librettiste et metteur
en scène, ont imaginé ce web-opéra policier comme une enquête musicale qui
compilera clins d'œil au répertoire, évocations des métiers et des lieux du
théâtre : un gala de réouverture perturbé par des événements aussi improbables
qu'extraordinaires. Conduisant le public dans les méandres de l'Opéra Comique,
il s'adresse principalement aux familles et est accessible dès l'âge de 8 ans.
Conçu et filmé pour le web, avec la complicité des caméras de FraProd et Associés et d'Arte Concert pour la diffusion, Le mystère de l'écureuil bleu, enquête à
l'Opéra Comique a vocation à être réutilisé pour
la conception d'un support pédagogique mis à la disposition du public scolaire
en octobre 2016, grâce à un partenariat avec Sodexo.
La plupart des interprètes sont issus des rangs de l'Académie de l'Opéra
Comique et l'orchestre est celui des Frivolités Parisiennes. 4, 6, 8 / 3 Le Roi d'Ys à Saint-Étienne Pour son deuxième opéra, composé en
1875-1878 et créé en 1888 au Palais Garnier, Édouard Lalo fait allégeance à une
légende moyenâgeuse, celle de la ville engloutie d'Ys au large des côtes
bretonnes. Un triangle amoureux unit trois personnages dont l'un, Margared, femme fatale, est mu par une haine tenace et
provoque la catastrophe. Cherchant à s'écarter du drame wagnérien que pourtant
pouvait appeler un sujet aussi grandiose, Lalo a écrit une musique colorée qui
fait la part belle aux voix : grands airs et duos brillants, mais aussi
contribution chorale essentielle. Trop rarement joué (Toulouse en 2007,
Marseille en 2014), Le Roi d'Ys sera donné à l'Opéra de Saint-Étienne
dans une coproduction avec l'Opéra Royal de Wallonie à Liège, et mis en scène
par Jean-Louis Pichon. La direction musicale est confiée à José-Luis Dominguez. Grand
Théâtre Massenet, Saint-Étienne, les 4, 8 mars 2016 à 20H et le 6/3 à 15H. Réservations : billetterie, Opéra de Saint-Étienne,
Jardin des Plantes BP237, 42103 Saint-Étienne cedex 2 ; par tel.: 04 77 47
83 40 ; en ligne : www.opera.saint-etienne.fr 7 / 3 au 1 / 4 Double bill Tchaikovskien à Garnier : Iolanta & Casse-Noisette C'est à un événement original que nous convie
l'Opéra de Paris : réimaginer la création conjointe,
en décembre 1892 au Théâtre Mariinski de
Saint-Pétersbourg, de l'opéra Iolanta de
Tchaikovski et de son ballet Casse-Noisette.
Si le second est passé à la postérité comme l'un des morceaux phares du
répertoire, le premier s'est plus difficilement frayé son chemin. Encore qu'il
soit revenu en grâce ces dernières années (on pense à la production du Festival
d'Aix-en-Provence 2015). Peu de choses unissent les deux pièces : un opéra qui tire
son livret de la pièce « La fille du Roi René », et son mirifique
destin, un ballet festif, façon conte de Noël. Mais l'idée de les réunir à
nouveau aura nul doute fertilisé l'imagination du régisseur russe Dmitri Tcherniakov pour concevoir
comme un miroir à deux faces. A cette occasion, on a fait appel aussi à un trio
de chorégraphes (Sidi Larbi Cherkaoui,
Edouard Lock et Arthur Pita). Et réuni les deux
troupes d'opéra et de ballet de l'ONP, ce qui n'est pas si commun. Alain Altinoglu dirigera l'Orchestre maison. Une production à ne
pas manquer dans les ors du Palais Garnier ! Palais Garnier ,
les 7 (avant-première), 9, 11, 14, 17,
19, 21, 23, 25, 26, 28, 30 mars & 1er avril 2016 à 19H. Réservations : Billetterie, 130, rue de
Lyon, 75012 Paris ou angle rues Scribe et Auber, 75001 Paris ; par tel. : 08 92
89 90 90 ; en ligne :
operadeparis.fr 10, 11, 12 / 3 Deux programmes attractifs à l'auditorium de Lyon L'orchestre de Lyon donnera en mars, dans
sa série de concerts d'abonnement, un programme fort attractif puisque
réunissant Sibelius et Brahms. Du premier, deux œuvres bien différentes :
l'ouverture La tempête op. 109 (1925), gigantesque déferlement sonore, sera
suivie de la Symphonie N° 2 op. 43 mêlant amples élans romantiques et
premières audaces compositionnelles. Le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste qui connait cet
idiome sur le bout des doigts, devrait parer ces pièces de toute leur magie
nordique. Le fameux Concerto pour violon de Brahms aura ensuite pour
interprète Leonidas Kavakos, un des princes actuels
de l'archet. Au même moment, le pianiste Till Fellner donnera un récital tout
aussi intéressant : de Schumann, il jouera Papillons op. 2 et la
Fantaisie op.17, et de Beethoven la Sonate N°13 op. 27 « quasi una fantasia ». Les rares Cinque Variationi per pianoforte de Luciano Berio feront plus
que compléter le programme. Composées en 1952/1953 et révisées en 1966, ces
pièces sont dédiées à Luigi Dallapiccola. Formé auprès d'Alfred Brendel, le
pianiste autrichien dont on connait la rigueur et l'intelligence, devrait y
briller. Auditorium de Lyon, les 10 (20H), et 12
(18H) mars 2016, et le 11 /3 à 20H (Récital Till Fellner) Réservations : 149, rue Garibaldi, 69003
Lyon ; par tel: 04 78 95 95 95
; en ligne : www.auditorium-lyon.com 26 / 2 – 6 / 3 Festival lillois « L'air de rien... les jeunes ont du
talent ! » Le Conservatoire à Rayonnement Régional de
Lille et l'ESMD - École Supérieure Musique et Danse Nord de France -
s'associent une nouvelle fois pour organiser la 6e édition du
festival « L'air de rien… les jeunes ont du talent ! ». En
novembre dernier, les deux établissements
organisaient une session d'orchestre dirigée par Maxime Pascal autour de Brahms
et Janáček. Ils proposent aujourd'hui un
véritable festival de 29 représentations. Autant d'occasions pour les étudiants
et élèves de partager leur passion pour la musique, le théâtre et la danse, et
de perfectionner leur approche de la scène face au public. Le festival aura
lieu entre ici – le conservatoire –
et ailleurs – les établissements
partenaires de la métropole lilloise. Quelques exemples : ·
Vendredi
26 février à 20h00 – Le Grand Sud, Lille – « Le Junior Ballet présente… »
création et répertoire sur le thème de la renaissance. ·
Mardi 1er mars à 20h00 – Conservatoire
de Lille - « Musiques françaises, pour piano à 4 mains »,
restitution de la classe de maître et récital, avec les artistes invitées Lidija et Sanja Bizjak ·
Mercredi
2 mars à 20h00 – Conservatoire de Lille – « La guitare
contemporaine : une fabrique des sons », restitution de la classe de
maître et récital en collaboration avec les écoles de musique de la Ville de
Lille, avec l'artiste invité Christelle Séry. ·
Jeudi
3 mars à 20h00 – Le Grand Bleu, Lille – « Forme courtes au Grand
Bleu » par des élèves du Département Théâtre. ·
Dimanche
6 mars à 16h00 – Conservatoire de Lille - « Retrouvailles » entre les
élèves et les étudiants des classes de cuivres et la Fanfare de l'école
Cornette, avec le chef et compositeur invité Marc LYS. On
peut suivre l'événement Facebook du festival : https://www.facebook.com/events/1702731383337062/ et retrouvez le
détail des événements sur : www.conservatoire-lille.fr Jean-Pierre
Robert. ***
PAROLES D'AUTEUR
Maurice Duruflé, un grand organiste-compositeur
« J'applaudis sans réserve aux œuvres de Duruflé(1), (2) » (Francis Poulenc). « Duruflé créateur, représente
le type du compositeur sciemment non–révolutionnaire,
dont les œuvres sont assez substantielles et achevées pour s'imposer comme des
œuvres classiques, ce qu'elles sont effectivement. (3) » (Olivier
Alain). Né le 11 janvier 1902 à Louviers (Eure), Maurice Duruflé fut un musicien
extrêmement complet qui mit son art principalement au service de la musique
d'église catholique (orgue et chœur), mais aussi de la musique symphonique et
de la musique de chambre. La vocation musicale et le chant
grégorien Son père, architecte à Louviers, ayant reconnu les talents musicaux de son
jeune fils, décida de le placer à la Maîtrise Ste-Evode
de la Cathédrale de Rouen où Duruflé a passé la plus grande partie de son
enfance. Il y découvrit la beauté du chant grégorien auquel il resta
profondément attaché toute sa vie et là naquit sa vocation de musicien. Duruflé parla de son arrivée à Rouen en 1912 comme d'une grande chance
sur le plan musical ; ce fut aussi une épreuve sur le plan psychologique(4) : « Ils [ses parents] avaient
entendu parler d'une école de musique, réputée dans la région, et qui était la
maîtrise de la cathédrale de Rouen, appelée maîtrise Saint-Evode.
On y faisait l'enseignement général dans lequel celui de la musique avait
naturellement une large place. … J'avais alors 10 ans. Mon père n'ignorait pas
que mon « internement » dans cette maison, à mon âge, serait un
événement dramatique pour moi, ayant toujours vécu dans la douceur et
l'intimité familiales. De plus, j'étais d'une extrême timidité, ce qui
n'arrangerait pas les choses. (5) »… « Une grande page s'ouvrait devant moi, ou plutôt un
véritable livre dont la première page fut particulièrement amère. En effet, si
j'avais trouvé dès mon arrivée dans cette prison un ange gardien, je fis la
connaissance du bourreau le lendemain. Je dis bien « le bourreau ».
C'était précisément le directeur. Par charité pour sa mémoire, je tairai son
nom. Alors commença pour moi cette vie réglée et monotone du pensionnat, très
dure quand on a dix ans, et que l'on sait que l'on ne reverra ses parents dans
le doux foyer familial que tous les trois mois, aux vacances scolaires. Régime
de vie qui prépare sans doute merveilleusement à celui qui vous attend un jour à la caserne, mais il
venait un peu tôt. » et : « …
Les cérémonies de la grand'messe [à la cathédrale de Rouen], précédée et suivie
des petites heures, puis celles des vêpres, précédées également des petites
heures et suivies du Salut du Très Saint Sacrement m'envoûtèrent absolument…
Cette magnificence apportée au déroulement de la liturgie me marquèrent
profondément. C'était, je puis le dire, le meilleur moment de ma vie de maîtrisien. » Le grégorien le marqua si fortement et
si irréversiblement au plus profond de son être qu'il écrivit en
1969 : « L'art grégorien a
porté à un tel point de perfection le chant liturgique que ce serait dans
l'ordre de la culture chrétienne, une véritable catastrophe s'il disparaissait. (6) » Duruflé suivit pendant six ans en plus des cours de latin, grec, les cours
de solfège, d'harmonie, de piano puis apprit l'orgue auprès de Jules Haelling, élève de Guilmant, organiste de la cathédrale de
Rouen. Il put rapidement jouer au grand orgue
des œuvres de Bach, Franck, Widor, Guilmant, Vierne. L'arrivée à Paris Dès 1918, Duruflé continua ses études musicales à Paris, tout d'abord auprès de l'organiste Charles
Tournemire (1870-1939). C'est grâce à Maurice Emmanuel qu'il rencontra le
génial improvisateur et fervent admirateur de chant grégorien. Duruflé devint
son assistant à la tribune de Sainte-Clotilde qui possédait un des plus beaux
orgues d'Aristide Cavaillé-Coll dont le premier titulaire avait été César
Franck. « Dans sa profession
d'architecte, il [mon père] fut appelé à travailler dans un manoir des environs
de Louviers appartenant à Maurice Emmanuel, alors professeur d'histoire de la
musique au Conservatoire de Paris. L'occasion était belle d'aborder la question
musicale. Maurice Emmanuel demanda à m'entendre à l'orgue. ...Il me mit dans
les mains de son ami Charles Tournemire, organiste de Sainte-Clotilde, élève et
successeur de César Franck. » Duruflé consacra ses premières années d'étude à Paris à la préparation du
concours d'entrée au Conservatoire : « Cet homme [Tournemire] plein d'esprit, à l'humeur joviale, était d'un
tempérament très exubérant, très nerveux, passant sans transition de la douceur
à la furie, ce qui m'intimidait affreusement. Cependant, les premières leçons
se terminèrent toujours dans une atmosphère de confiance et de gaieté. Comme
l'objectif immédiat était l'admission à la classe d'orgue du Conservatoire, le
programme de travail était celui de la classe : accompagnement d'une antienne
grégorienne suivie d'une courte improvisation libre sur le même thème, une
fugue d'école, et une improvisation libre en forme de premier mouvement de
sonate à un seul thème, puis un morceau d'exécution. La partie exécution se
passait généralement sans histoire, mais quand nous abordions l'improvisation,
l'orage éclatait souvent entre Tournemire et moi, ou plus exactement, c'est moi
qui le recevais. Sa nature débordante, peu portée à la patience, son génie
extraordinaire d'improvisateur, peut-être aussi un certain manque de sens
pédagogique, tout cela aboutissait à ce résultat : après quelques mesures
improvisées par le mauvais élève que j'étais, il me donnait une poussée et
prenait ma place. Pendant une vingtaine de minutes, sur le thème charmant qu'il
m'avait donné, il partait dans une de ces improvisations inspirées et
personnelles dont il avait le secret. Peu importait la forme, la musique
coulait de source. C'était prodigieux.
J'étais fasciné. Quand il avait terminé, il me disait : « Cher ami,
reprenez votre place et recommencez. » Inutile de dire le résultat. Cependant, au cours de ces vingt minutes d'émerveillement, j'avais été tellement
envoûté par ce que j'avais entendu que cette musique me poursuivait longtemps
après la leçon et c'est ainsi que malgré moi, malgré les horribles maladresses,
je fus influencé par cette nature exceptionnelle, par ce langage musical à nul
autre pareil." [….] « En 1920, Tournemire, très
absorbé par ses travaux de composition, me dit un jour : « Cher ami, je
vous fais travailler depuis un an, vous êtes mûr pour l'examen d'entrée au
Conservatoire. Vous pouvez maintenant voler de vos propres ailes. » Ces
paroles me jetèrent dans une véritable consternation. En effet, je m'étais
attaché par une grande affection à cet homme généreux, enthousiaste, à ce
musicien fascinant. D'autre part, je ne me sentais pas du tout mûr pour
l'examen d'entrée au Conservatoire. Aussi je me fis présenter à Louis Vierne
pour lequel j'avais une grande admiration, sachant également avec quel succès
il avait préparé de nombreux élèves à cet examen." Duruflé poursuivit donc ses leçons chez le maître Louis Vierne (1870-1937),
organiste de Notre-Dame de Paris, qui le prit en affection(7). « L'enseignement de Vierne était tout différent de celui de Tournemire,
le tempérament aussi. Autant on se sentait sur un volcan prêt à entrer en
éruption chez Tournemire, autant on se sentait en sécurité auprès de Vierne. On
le retrouvait toujours le lendemain comme on l'avait quitté la veille, ce qui
était appréciable. Bien qu'étant ancien élève de Franck, comme Tournemire, il
avait un esprit beaucoup plus classique, plus rationnel : aussi le travail de
la fugue prenait-il avec lui une forme rigoureuse. Le contre-sujet devait être
pensé et réalisé comme s'il était écrit. Les divertissements devaient avoir
aussi un style essentiellement polyphonique, la construction tonale devait être
logique. En un mot, on avait tous les éléments qu'il fallait pour travailler chez
soi. L'improvisation libre devait être également disciplinée dans l'exposition
des thèmes, dans la conduite et la durée des développements. Quant à
l'exécution, on trouvait chez Vierne le technicien parfait, l'élève de Widor,
fondateur de l'école d'orgue française. Malgré la différence fondamentale de
ces deux natures d'homme et de musicien, je ne pus jamais oublier tout ce que
m'avait apporté mon maître vénéré Charles Tournemire. En octobre 1920, je me
présentai à l'examen d'entrée à la classe d'orgue et j'eus la chance d'être
reçu. » Le Conservatoire En 1920 Duruflé entra au Conservatoire avant d'en sortir en 1928 avec cinq
premiers prix : orgue (Classe d'Eugène Gigout,
1922), harmonie (Noël Gallon, 1924), accompagnement au piano (Esthyle, 1926), fugue (Caussade, 1928), composition (Paul
Dukas, 1928). Tout au long de ce parcours, Maurice Emmanuel ne cessa de le
conseiller musicalement. Durant toutes ces longues et dures années d'étude, Duruflé continua
d'officier comme organiste liturgique, comme titulaire à Louviers, et suppléant
à Ste-Clotilde puis à Notre-Dame de Paris, aux claviers de l'immense
Cavaillé-Coll. « En 1927, mon maître Louis
Vierne me demanda de le suppléer de temps en temps à Notre-Dame aux offices du
dimanche, en raison de son état de santé qui l'obligeait souvent à se reposer.
Je fus amené à me décharger de ma suppléance à Sainte-Clotilde, d'autant plus
facilement que ma succession était assurée par mon ami Daniel-Lesur, également élève de Tournemire. Cependant, je pus
conserver la tribune de Louviers qui ne me prenait que les jours de grandes
fêtes liturgiques. Comme je passais mes vacances à Louviers chez mes parents,
cet excellent instrument m'était très précieux pour mon travail de composition
pour orgue. Les joies que je ressentis en
jouant l'orgue de Notre-Dame furent différentes de celles de Sainte-Clotilde,
mais aussi profondes. La première fois que je pris contact avec ce monumental
instrument, j'éprouvai un sentiment voisin de la frayeur à cause de sa
puissance exceptionnelle. La console étant très dégagée du buffet, l'organiste
bénéficie d'une écoute extraordinaire, sans comparaison avec celle des autres
instruments. … Comme le capitaine de navire sur sa passerelle, il respire le
grand large. La sensation est absolument grisante. Il a l'illusion que c'est un
autre que lui qui joue, car il se sent à la fois exécutant et auditeur. " Vierne s'était tellement identifié
à ce cadre grandiose, il s'y était tellement incorporé, qu'il était devenu
l'âme de sa cathédrale. J'ai eu le triste privilège d'assister à sa mort le 2
juin 1937. » A l'instar de ses amis organistes, Messiaen, Alain, Grunenwald, Daniel-Lesur, Langlais, Litaize,
formidablement doués, qui incarnèrent la renaissance de l'orgue français dans
les années 1930 servant un instrument néo-classique plus souple, plus coloré,
au service de la liturgie et plus apte à traduire leur inspiration que l'orgue
symphonique, Duruflé fut attiré naturellement par la composition. En 1926, Duruflé intègre la classe de
composition de Widor à qui rapidement succède Paul Dukas. « Mais attention! Maurice
Emmanuel veillait toujours dans la coulisse. Il me dit : « Vous devez vous
présenter maintenant à la classe de composition de Paul Dukas. » En cette
nouvelle matière, j'étais non seulement un débutant mais un ignorant. Jamais je
n'avais été tenté par la composition. Maurice Emmanuel, qui avait été au
courant de mes relations momentanément rompues avec Tournemire, me conseilla
vivement d'aller le revoir. Je le retrouvai avec joie et c'est sous sa direction
que j'entrepris la composition d'un Scherzo pour orgue(9)... Je la lui dédiai en reconnaissance de tout ce que je
lui devais. C'est avec ce Scherzo que je fus admis à l'examen
d'entrée en classe de composition en 1926, tout en continuant la fugue chez
Caussade, deux classes qui se complétaient parfaitement. J'obtins un premier
prix dans ces deux disciplines en 1928, avec un Trio(8) pour flûte, alto et piano au concours de composition. Je dois dire que
j'avais trouvé en Georges Caussade, un remarquable professeur de fugue, aux
idées larges, à la musicalité sans défaut et d'un esprit analytique de
l'écriture qui était miraculeux. Avec un tel maître qui possédait à l'extrême
le sens pédagogique, le travail de la fugue écrite était passionnant. Quant à Paul Dukas, qui venait
d'être nommé professeur de composition à la suite de la démission de Widor, il
fit grande impression auprès de ses élèves, d'abord par sa personnalité de
compositeur, puis par une sévérité, une froideur au premier contact qui cachaient
en vérité un homme qui se révéla par la suite plein de bienveillance et de
sollicitude. Je retrouvai dans cette classe d'excellents camarades et amis que
j'avais connus chez Jean Gallon : Messiaen, Hugon, Daniel-Lesur,
Pierre Revel. Messiaen nous étonnait déjà par les travaux qu'il apportait et
qu'il présentait lui-même au piano. … Personnellement,
j'apportais à la classe des fragments de mes Trois Danses pour orchestre. Paul Dukas me donnait des encouragements et des conseils
particulièrement précieux en ce qui concerne l'orchestration. L'enseignement de la composition ?
Aucune comparaison avec celui des classes d'écriture où les élèves et le
professeur travaillent sur un texte imposé qui relève autant de la science et
de l'habilité que de l'art. En composition, il faut tout créer. » La vie professionnelle Après avoir remporté les premiers Prix des Amis de l'Orgue tout récemment
créés (exécution et improvisation en 1929, et composition en 1930 pour le Prélude, Adagio et Choral varié sur le Veni Creator, futur op. 4),
Duruflé a déjà à son actif une solide et complète formation musicale et un
certain nombre d'œuvres d'inspiration sensible et raffinée au langage très
personnel comme le Scherzo ou le Triptyque sur le Veni
Creator écrits tous deux pour l'orgue de
Louviers. Il fut nommé organiste de Saint-Etienne-du-Mont à Paris en 1930. Il y resta
jusqu'à sa mort et sa femme, Marie-Madeleine Chevalier-Duruflé, l'assista dès
1947 et lui succéda de 1986 à 1997. Malheureusement le grand orgue était en
mauvais état et nécessitait une restauration qui devait durer jusqu'en
1957 ! Le résultat des travaux confiés à la maison Beuchet
ne convenant pas à Duruflé, de gros travaux complémentaires furent effectués
par la société Danion-Gonzalez de 1972 à 1975. « Depuis 1938, le grand orgue
est demeuré muet pendant une vingtaine d'années durant lesquelles je dus
assurer le service du grand orgue sur le petit orgue, un pauvre biniou de 14
jeux, tubulaire, du facteur Puget. Très découragé par ces longues années
d'attente, je détournai mon activité d'organiste vers l'orchestre auquel je
m'intéressais passionnément depuis mes études au Conservatoire avec Paul Dukas. (10) " En 1942, en pleine guerre, à la quarantaine, Duruflé se vit proposer un
poste de suppléant à la classe d'orgue tenue par le maître Marcel Dupré au
Conservatoire de Paris. « Un jour, en 1942, je crois, il [Dupré] me fit une proposition
inattendue… Je fus à la fois stupéfait et très flatté. En effet, je n'étais pas
son élève(11). Je
ne me sentais pas digne d'accepter cet honneur. Devant son insistance, je dus
m'incliner. Cet enseignement m'intéressa au plus haut point, d'autant plus que
les élèves y sont toujours d'un niveau très élevé… Je mesurais la
responsabilité qu'était la mienne en prenant la place de Marcel Dupré. C'est
ainsi que je repris contact avec le Conservatoire que j'avais quitté en 1928.
C'est dans cette classe, en 1947, en suppléant Marcel Dupré, que je fis la
connaissance de la délicieuse Marie-Madeleine Chevalier qui y était élève et
qui devint ma femme en 1953. » Puis en 1943, le poste de professeur à la classe d'harmonie du même
Conservatoire de Paris lui fut offert.
Il y enseigna jusqu'à sa retraite en 1970, formant des dizaines de premiers
prix dont certains furent de célèbres musiciens cités plus bas par Duruflé,
auxquels il faut notamment ajouter Odile Pierre, Francis Chapelet, Philippe
Lefebvre… Signalons que de nombreux élèves français et étrangers suivirent des
cours d'orgue ou d'harmonie en privé chez
Maurice puis Marie-Madeleine Duruflé. "…En effet, enseigner l'harmonie
m'a toujours passionné. Cet enseignement est avant tout une science, science au
service de la musique, cela va de soi, mais s'appuyant sur des réalités,
c'est-à-dire sur des principes d'écriture qui ont été portés à leur perfection
par J. S. Bach. Cela explique, je pense, pourquoi l'enseignement de l'harmonie
est possible alors que celui de la composition ne l'est pas. … Le chant donné m'a toujours
particulièrement attiré. La recherche du style, la couleur de l'harmonie, la
densité de l'écriture, la discipline de la réalisation, tous ces problèmes qui
se posent à chacun des textes qui sont tous différents, donnent à cet
enseignement une variété toujours renouvelée. Le travail de réalisation de la
basse, qui doit développer chez l'élève le sens de la construction thématique,
l'observation, plus stricte que dans le chant, des règles d'écriture, et enfin
un certain don d'invention mélodique qui doit se manifester et que le chant
exige beaucoup moins, tout cela fait apparaître chez l'élève une prédisposition
plus ou moins grande à la composition… Cet enseignement m'a donné, pendant mes
27 années de présence à cette classe, des joies profondes. J'ai eu le bonheur
d'avoir parmi « mes » premiers prix
des noms aujourd'hui célèbres comme ceux de Pierre Cochereau, Jean Guillou,
Marie-Claire Alain, Xavier Darasse, Daniel Roth,
Laurence Boulay. A tous mes élèves de ma classe
d'harmonie, je dis un merci du fond du coeur pour les
joies qu'ils m'ont données." Marie-Madeleine Chevalier (1921-1999) La rencontre avec la jeune Marie-Madeleine
Chevalier, pleine de jovialité
et de vitalité, fraîchement arrivée du sud de la France, fut vraisemblablement
le moment le plus heureux de la vie de Duruflé à la
fin de années 1940 qui furent pour lui très difficiles sur le plan personnel.
C'était le choc des contraires ! Ils se rencontrèrent lors de la
suppléance de Duruflé à la classe d'orgue de Marcel Dupré, et Marie-Madeleine, qui
avait une foi chrétienne aussi forte que celle de Maurice, devint rapidement
son assistante à la tribune de St-Étienne-du-Mont en 1947. Il l'épousa en 195(12). La brillante carrière de concertiste de Marie-Madeleine Duruflé a été
étroitement liée à celle de son mari et dès l'automne 1953 ils partirent
ensemble en tournée de concerts dont ils se partageaient les programmes. Ce fut un nouveau départ dans la vie personnelle et professionnelle de
Maurice Duruflé qui grâce à l'énergie et le talent de sa jeune épouse commença
une carrière internationale, américaine (tournées de 1964, 1966, 1967,1969,
1971) et soviétique (tournées de 1965 et 1970) (13). Ainsi ils œuvrèrent au grand
rayonnement de l'œuvre du musicien. Et une véritable vénération pour le Requiem vit le jour dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Angleterre). La fin brutale Malheureusement, un terrible accident de la route dont furent victimes Marie-Madeleine Duruflé et
Maurice en 1975 mit un terme à la carrière musicale de Duruflé.
Marie-Madeleine, gravement blessée aussi, s'en remit, s'occupa de son mari
jusqu'à sa mort, à Louveciennes le 16 juin 1986, tout en mettant de côté sa
carrière qu'elle reprit peu à peu en effectuant encore plusieurs tournées aux
États-Unis (1989, 1990, 1992, 1993) où
ses amis et ses élèves l'acclamèrent. A la lecture de cette rapide rétrospective certains penseront que la vie de
Duruflé fut bien remplie, mais « réglée » comme du papier à musique,
hors du temps et du monde, entièrement dédiée aux activités traditionnelles d'un
musicien d'église : la liturgie, la composition, l'enseignement et les
concerts. Mais pour lui rendre justice, notons qu'il sut être de son temps
lorsqu'il joua régulièrement, de 1932 à 1934, l'orgue à ondes de la
Radio du Poste parisien qui fut l'ancêtre de l'orgue électronique (même
s'il lutta plus tard contre ce dernier), lorsqu'il accompagna lors des fameux
concerts au Palais de Chaillot (dans les années 1940 et 1950) la danseuse
Janine Solane chorégraphiant des œuvres de Bach, de
Liszt et de bien d'autres, lorsqu'il laissa libre cours à son talent pour la
photographie et pour le dessin. L'œuvre musicale Le raffinement, l'équilibre, la perfection, ce sont les qualités que
rechercha toujours Maurice Duruflé. Écrivant peu et lentement, il combina très
habilement l'écriture polyphonique et symphonique. A son attrait irréductible
pour le grégorien il mêla l'influence impressionniste qui imprégnait alors la
musique de ses aînés. L'influence de Debussy, Ravel, Schmitt, Fauré et de son
maître Dukas se perçoit dans ses œuvres orchestrales. Mais son langage
développa un style modal personnel, extrêmement raffiné, souple, coloré,
reconnaissable des les premières mesures. Homme sensible et homme de foi,
Duruflé trouva « une synthèse originale entre un message qui relève du
monde chrétien, par conséquent spirituel, et un modèle d'écriture qui émane
d'un univers baigné d'hédonisme à l'antique(14). » Perfectionniste et critique envers lui-même, à la hauteur de son idéal, Duruflé
n'était jamais totalement satisfait de son travail, comme Dukas, et laissa une
œuvre de 14 opus à laquelle la perfection de son art confère une valeur de
premier plan ; ils peuvent être considérés désormais comme des œuvres
« classiques » hors des modes et du temps. Sa modestie légendaire
n'empêcha pas ce compositeur d'être fort estimé de ses pairs et de faire jouer
toutes ses œuvres orchestrales et chorales, sitôt composées, par les plus
grandes formations de son époque. Duruflé concevait la création musicale comme un acte de travail lent :
« Je ne crois pas beaucoup à ce
qu'on appelle « l'inspiration », cette sorte d'état de grâce que l'on
s'imagine par moments ressentir, sans aucun effort personnel. Je crois plutôt
au travail par élimination, travail lent, difficile et souvent décourageant,
mais qui peut à la longue provoquer une sorte de dédoublement de soi-même,
d'état second pendant lequel la pensée peut réussir à se dégager du corps, un
corps dont on ne sent plus alors la présence. Il peut arriver ainsi qu'à ce
moment on ait la sensation d'écrire comme si la solution était dictée. Cette
sensation étrange, fugitive, qui est du domaine du subconscient, ne peut être
provoquée précisément que par un effort constant d'élimination de tout ce qui
semble inacceptable. C'est du moins ce que je crois. » Dans son œuvre d'orgue, constituée de six opus, Duruflé a illustré les
grandes formes traditionnelles : le prélude, la fugue, la toccata, le
choral et les variations, le scherzo ; à chaque fois il transcenda ces
formes en livrant une œuvre achevée, ciselée, aussi parfaite que possible. Mais
l'élève de Paul Dukas se laissa séduire par les coloris des instruments de
l'orchestre qui inspirèrent l'écriture des Trois
Danses op. 6 et de l'Andante et
Scherzo op. 8. Malheureusement, ces œuvres régulièrement programmées
jusqu'au années 1970, ont disparu du répertoire des orchestres symphoniques,
alors qu'elles s'attireraient un grand succès grâce à leur somptuosité. Le musicien d'église reprit le dessus avec les œuvres chorales qui prirent
corps dans la seconde partie de sa vie créative. Ce fut son admirable Requiem, puis les Quatre Motets a cappella op. 10, la Messe Cum Jubilo op. 11 et enfin le Notre-Père op. 14. A travers son œuvre
religieuse il nous dit aussi sa foi profonde. Le catalogue Opus 1. Triptyque
pour piano (1927, révision en 1943). Cette pièce qui est restée inédite jusqu'à
aujourd'hui, est une fantaisie construite sur des thèmes grégoriens. C'est la
seule pièce originale pour piano de Duruflé. Opus 2. Scherzo pour
orgue, dédié à Charles Tournemire (1926, éd.1929). Cette œuvre de jeunesse
connut de nombreuses modifications donnant lieu à plusieurs versions entre 1929
et 1971, qui révélèrent chez Duruflé une évolution parallèle à celle de l'orgue
néo-classique en France dans les années 1930 à 1970. Ce scherzo, écrit dans la
forme classique à trois refrains et deux couplets, avec les différents éléments
de ces périodes se mélangeant au troisième refrain, se situe « bien dans
l'esprit primesautier ou badin du genre à deux épisodes qui ralentissent
l'action et l'orientent vers des moments plus poétiques et suspendus(15). » Opus 3. Trio
(Prélude, Récitatif et Variations) pour flûte, alto et piano, dédié à Jacques
Durand (1928, éd.1929). Il s'agit de la seule pièce de musique de chambre
composée par Duruflé qui se situe dans la lignée impressionniste des œuvres de
Debussy, Ravel et Dukas. Opus 4. Prélude, Adagio
et Choral varié sur le Veni Creator
dédié à Louis Vierne (1926-30, ed.1930). Primé lors
du premier concours de composition des Amis de l'orgue en 1930, ce triptyque
utilise les quatre périodes de l'hymne de la Pentecôte dans les trois parties,
mais seule la dernière fait entendre la mélodie grégorienne dans son
intégralité. Après un prélude d'esprit très impressionniste en mouvement
perpétuel comme des arabesques, un adagio, qui fut en très grande partie
réécrit ultérieurement, commence sur la première période modifiée du grégorien
sur la douceur des fonds avant de déchaîner un immense et superbe crescendo
théâtral, qui va s'éteindre tout aussi vite. Arrive enfin le choral citant
l'hymne complète harmonisée somptueusement, suivi de quatre courtes variations
finissant par une brillante toccata. Opus 5. Suite pour
orgue (Prélude, Sicilienne, Toccata) dédiée à Paul Dukas (1932, éd.1934). Ce
triptyque surprend par sa variété harmonique et sa splendeur sonore. Le Prélude en mi bémol mineur figure parmi
les pages les plus sombres et émouvantes mais aussi les plus parfaites de
Duruflé. La Sicilienne en sol mineur
utilise tout d'abord une mélodie champêtre jouée avec grâce par le hautbois.
Puis dans la partie centrale une série d'accords nous conduit dans un autre
univers coloré par la voix humaine et d'étranges chromatismes tout en citant le
thème de la Péri (entendu à l'entrée de l'héroïne dans l'œuvre La Péri de Dukas), que Duruflé développe
ensuite en trois variations. Ainsi la dédicace à son maitre Dukas est-elle
éclairée. Enfin une brillante Toccata en
si mineur, très virtuose, présentant un climat de nervosité voire de violence,
conclut la pièce. Plus tard Duruflé écrivit : « Je considère maintenant cette Toccata comme présentant
peu d'intérêt à cause de la pauvreté de ses thèmes », ne la joua plus
et interdit même à sa femme de la jouer. Opus 6. Trois Danses
pour grand orchestre (Divertissement, Danse lente, Tambourin), dédiées à Paul
Paray (1932, éd. 1939). « 1936 fut
l'année au cours de laquelle je m'entendis pour la première fois à l'orchestre,
ce qui est toujours un grand événement dans une vie de musicien. En 1927,
j'avais été mis en relation par mon maître Paul Dukas avec un auteur dramatique
nommé Dujardin. Celui-ci désirait une musique de scène pour une pièce de
théâtre qu'il venait d'écrire et qui devait être jouée à Paris. Il vint me voir
et me mit au courant de son projet. Il voulait une musique de fond, très
sommaire, relativement courte, qui consisterait à évoquer une danse sauvage.
.... Je me mis au travail et commençai une sorte de tambourin. Mais, avant d'aller plus loin, je pris la précaution
de lui jouer ce début. « Ce n'est pas du tout ça que je vous ai demandé, me dit-il. C'est trop
compliqué. » Bref, l'affaire fut ratée, et nous ne nous sommes plus jamais
revus. .. Je le continuai et une fois achevé, je le montrai à Paul Dukas
qui m'encouragea à l'orchestrer, ce qui me donna l'occasion d'un travail
profitable… Je pus enfin soumettre mon travail à mon Maître qui me fit
naturellement de très intéressantes critiques et me conseilla d'écrire une Suite de trois danses. C'est ainsi que je fus amené à
écrire les deux autres. La première, intitulée Divertissement, est un
scherzo de plan classique à trois refrains et deux couplets. La deuxième, Danse lente, est d'une forme libre, assez mal définie, dans laquelle je me suis
efforcé de développer chaque période suivant les possibilités que m'offraient
les thèmes au fur et à mesure qu'ils se présentaient. Je pense qu'il n'est pas
toujours indispensable d'établir au départ un cadre rigide, un plan thématique,
un plan tonal et qu'il est quelquefois préférable de garder une liberté totale
comme si l'on se laissait aller au hasard des rencontres. Le troisième
mouvement, Tambourin est une danse rustique construite
dans la forme traditionnelle ABA. …La date de la première audition
fut fixée au 18 janvier 1936. … J'eus des surprises et des déceptions sur mon
orchestration. Surprises agréables du côté des cordes. Ces instruments ont
l'avantage par rapport aux bois, d'être beaucoup plus homogènes du grave à
l'aigu. L'équilibre sonore se fait facilement. Quant aux bois, il y a le
problème des trois registres différents, pour les cuivres également. Enfin tous
les musiciens furent extrêmement gentils pour moi. Je sentais qu'ils étaient
mes amis. Quant à Paray, je ne savais comment le remercier. A la deuxième
répétition, ce fut une vraie répétition de travail, les choses prirent forme
peu à peu, mouvement, nuances, interprétation. La troisième, la générale, fut
une récompense pour moi et l'exécution du concert fut brillante grâce au talent
de Paray. La critique dans la presse fut favorable… Je dédicaçai ma première
œuvre d'orchestre à Paray à qui je devais tout. » Duruflé a transcrit ses Trois Danses pour piano solo, piano à quatre mains et deux
pianos. Opus 7. Prélude et fugue
sur le nom d'Alain pour orgue, dédié
à la mémoire de Jehan Alain (1911-1940), mort pour la France (1942, éd.1943). "En 1942, en pleine guerre, j'entrepris la
composition de mon Prélude et
Fugue sur le nom d'Alain dédié à
la mémoire de mon ami Jehan Alain, mort héroïquement pour la France. J'en
donnai la première audition en [26] décembre 1942 sur le bel orgue du palais de
Chaillot, ancien orgue du Trocadéro, restauré et électrifié par Victor Gonzalez." Dans sa dernière grande œuvre pour orgue, Duruflé utilise les lettres du
patronyme ALAIN, qui d'après la correspondance chère aux Anglo-saxons
équivalent aux notes La, Ré, La, La Fa. Ce motif va parcourir tout le prélude
sur une rythmique ternaire en mouvement perpétuel très volubile jusqu'à
l'apparition du second thème inspiré des Litanies
de Jehan Alain. Ensuite le fameux thème des Litanies
est cité, mais transformé, apportant alors une couleur funèbre. Après la
dissolution de cette citation, le prélude se termine sereinement sur une
interrogation de dominante. La fugue, en réponse, reprend le thème ALAIN dans
une écriture modale de style polyphonie vocale, avant l'exposition d'un second
sujet au récit. Ensuite les deux sujets se superposent rapidement, donnant lieu
à un long développement d'intensité et de motricité
croissantes, suivi de quatre strettes. Après une accélération de plus en
plus oppressante, l'œuvre se termine dans un crescendo fracassant et tragique. Opus 8. Andante et
Scherzo pour orchestre, dédié à
Henri Tomasi (1940, 1952, éd.1947 et 1955). « Mon Scherzo pour orgue,
écrit en 1926, étant en grande partie de caractère orchestral il me vint à
l'idée de l'orchestrer. Je dus cependant modifier le milieu et refaire
complètement la fin qui ne pouvait vraiment pas être transcrite en raison de
son écriture exclusivement organistique. Je fis précéder ce Scherzo d'un Andante construit sur un thème central. » L'Andante reprend en le développant le
thème central du Scherzo et vers la
conclusion en commente l'idée initiale, qui lui sert en quelque sorte de
prélude. D'atmosphère toute poétique, l'instrumentation toute en souplesse en
est ravissante. Cette œuvre mériterait de retrouver la faveur de nos grands
orchestres… Opus 9. Requiem pour soli, chœur, orchestre et
orgue, dédié « à mon père » (1947, éd. 1948 version orgue, 1950
version orchestrale, 1961 version orchestre réduit). Duruflé faisant « œuvre de science autant que de foi, [ …] ici médite avec son art et son cœur les images et
les pensées qui sont celles de la communauté chrétienne assemblée pour la
célébration funèbre. …(16) » Terminé en juillet 1947, le Requiem
pour soli, chœur, orchestre et orgue est l'œuvre la plus connue de Maurice
Duruflé. Il avait alors 45 ans et était au faîte de sa carrière d'organiste et
de compositeur. En effet, il avait composé la majorité de son opus pour orgue,
mais le Requiem est sa première œuvre
vocale. Le Requiem comme plus tard la
Messe cum Jubilo
sont composés dans trois versions : une première version pour grand
orchestre et chœur, une réduction pour orgue et chœur, et une autre pour petit
orchestre, orgue et chœur. Ainsi, Duruflé propose l'exécution de ses
magnifiques œuvres aussi bien au concert en version symphonique, qu'à l'église
en version réduite. Le Requiem op. 9 se compose de neuf parties. Il ne cite pas
toutes les parties de la messe des Morts comme le Graduel, le Trait et la
séquence. En revanche, Duruflé a ajouté des parties de la liturgie des défunts
comme les Pie Jesu (comme Fauré), Libera me, et In Paradisum « ultime
réponse de la foi à toutes les questions, par l'envoi de l'âme vers le Paradis ». Introït Kyrie Offertoire : Domine Jesu Christe* Sanctus [Benedictus] Pie Jesu (motet) ** Agnus Dei Communion : Lux aeterna Libera me (texte de la messe des morts)* In Paradisum (texte de la messe des morts) * Intervention du baryton ** Intervention de la Mezzo-soprano Cette œuvre se place dans la continuité des requiem destinés à l'église
(Fauré, Saint-Saëns, Dubois), mais s'en démarque dans l'utilisation du chant
grégorien et surtout dans un accompagnement orchestral très élaboré,
impressionniste : Debussy et Ravel inspirent l'harmonie, Dukas l'orchestration.
Contrairement à Fauré, Duruflé sépare le Kyrie
de l'Introït, mais tous deux omettent
le Dies Irae. Duruflé parle de
la genèse du requiem et de son objectif en écrivant cette œuvre : « Depuis longtemps j'étais
envoûté par la beauté des thèmes grégoriens de la messe des morts. Est-ce ma
fonction d'organiste qui m'y prédisposait ? C'est probable. Toujours
est-il que vers 1945, je fus tenté d'écrire une Suite pour orgue dont chaque pièce serait inspirée par ces
thèmes grégoriens. Je commençai par le Sanctus, puis je passai à la communion (Lux aeterna).
Après avoir terminé ces deux pièces, je ne pus m'empêcher d'entendre les
paroles latines qui étaient intimement liées à ces thèmes. Cette fusion de la
parole et du son me paraissait indissociable. Finalement, mon projet se
transforma et je me décidai à entreprendre la
réalisation d'une messe de
requiem pour solo, chœur, orchestre et orgue. Le projet était beaucoup plus
vaste, mais je me sentais soutenu d'abord par la richesse thématique qui
s'offrait à moi, et aussi par le texte latin qui l'accompagnait. De gros problèmes se posèrent
alors, celui de la rythmique grégorienne dont la souplesse était visiblement
incompatible avec la rigueur de notre mesure moderne. […] Dans cette interprétation de la
rythmique grégorienne [des Bénédictins de Solesmes], il n'y a plus, pour ainsi
dire, que des temps faibles. La merveilleuse ligne grégorienne et le texte
latin prennent une souplesse et une légèreté d'expression, une retenue et une
douceur immatérielle qui la libèrent du cloisonnement de nos barres de mesures.
De plus, l'alternance irrégulière des groupes binaires et ternaires, basés sur
une unité de valeur invariable, donne au rythme musical une vie, une densité et
un renouvellement constants. […] Cette œuvre est dans sa plus
grande partie écrite sur les thèmes grégoriens de la messe des morts. Tantôt
j'ai respecté intégralement le texte, la partie orchestrale n'intervenant que
pour le soutenir ou le commenter, tantôt je m'en suis simplement inspiré ou
même complètement éloigné. […] Dans plusieurs fragments de cette
Messe, la ligne grégorienne a été très peu ornée afin de ne pas en altérer la
beauté. Parfois elle ne l'a même pas été du tout, mais simplement rythmée et
harmonisée (début de l'Introït,
début de l'Agnus, milieu de la Communion, début de l'In Paradisum).
Par contre, certains développements sont construits sur des éléments
complètement étrangers au grégorien, mais qui en respectent autant que possible
le caractère modal (milieu de l'Offertoire, milieu du Sanctus, Libera me). » Ici écoutons le
musicien Stéphane Caillat qui avec son ensemble vocal
les créa et les enregistra pour Erato : « Le plus important pour les Motets est de créer la bonne ambiance,
pensez à Ubi caritas, à
son côté très intérieur, calme et sans lenteur ; Tota pulchra es rapide, léger,
jubilatoire ; Tu es Petrus
solennel, sans lourdeur, souple ; Tantum ergo
recueilli, expressif. J'entends parfois ces pièces interprétées de façon ou
désinvolte ou trop solennelle, alors qu'il y a un texte (des mots et des notes)
à respecter et à faire vivre. Duruflé était imprégné de ce grégorien de
Solesmes avec son accentuation spécifique, l'allégement de certaines notes
aiguës qui ne porte pas de syllabe pour créer l'impulsion, le rebond. On ne
connaît plus guère cette façon de chanter ce grégorien-là, on a donc perdu
quelque chose de l'esprit de cette musique. Cette ambiance, on la trouve dans
les passages de grégorien « pur », si l'on peut dire, du Requiem. Ces passages aériens,
angéliques, pour Duruflé ne l'étaient jamais assez, ni assez lointains. Il y a
ce petit chœur de femmes, en retrait, dans l'enregistrement, qu'il adorait, et
trouvait admirable. Et il avait raison ! Il suffit d'écouter pour s'en
convaincre le début de l'In Paradisum. (17)» « Toujours attiré par le chant
grégorien, j'entrepris d'écrire une messe inspirée par les thèmes de la Messe
IX (Cum Jubilo)
pour baryton solo, chœur de barytons, orchestre et orgue. Je me trouvai aux
prises avec les mêmes problèmes que pour mon Requiem. L'ensemble est
beaucoup plus court. Cette messe est dédiée à ma chère épouse Marie-Madeleine." Cette messe « brève » dédiée à la Vierge fut écrite en latin,
juste après le concile Vatican II qui avait mis à mal l'utilisation de cette
langue dans la nouvelle liturgie et pour laquelle Duruflé s'était fortement
mobilisé. Alors quand on lui demanda pourquoi une messe en latin, Duruflé
répondit : « Mais tout
simplement parce que je préfère le latin au français, et pas du tout dans un
but ou une intention de polémique. Cette messe brève… n'est, du reste, pas
conçue pour être éventuellement chantée par les fidèles. Elle est une œuvre
musicale et d'esprit liturgique, mais pensée et écrite pour des chanteurs
professionnels. » Cinq parties la constitue : Kyrie, Gloria, Sanctus, Benedictus et Agnus Dei. Ici point de polyphonie comme dans
le Requiem puisque cette messe est
conçue pour barytons solos et un chœur de barytons à l'unisson. « Les
motifs initiaux de chaque section, issus de la messe IX Cum Jubilo,
sont utilisés de façon à engendrer des mélodies s'apparentant fortement au
plain chant. Duruflé ne craint pas de répéter de vastes paragraphes de la
substance musicale, généralement retravaillés. Ces répétitions, les incessants
remous de la masse orchestrale et l'émouvante atmosphère que la ligne vocale ne cherche pas à
dissimuler, donnent à l'œuvre une force immense. (18) » En évitant la polyphonie vocale pour retrouver la pure monodie confiée aux
barytons et en n'insérant aucun élément étranger à la messe Cum jubilo, Duruflé rend un hommage à la fois savant et humain
au chant grégorien qui fut le fil conducteur de toute sa vie de musicien. Cette
évolution sur le plan compositionnel depuis le Requiem n'est-elle pas un enfermement dans le grégorien qu'il
aimait tant ? D'ailleurs, il ne composa plus rien d'important par la suite. Opus 12. Fugue sur le
thème du carillon des heures de la
cathédrale de Soissons pour orgue
(1962). Écrite pour la revue L'Organiste
dirigée par le chanoine Henri Doyen organiste de la cathédrale de Soissons, à
l'occasion d'un hommage à Louis Vierne, elle utilise le motif du carillon
menant par un soigneux crescendo à la péroraison. Opus 13. Prélude sur
l'introït de l'Epiphanie pour orgue (1961). Cette pièce est le fruit d'une
commande de Norbert Dufourcq pour la collection Orgue & Liturgie (n°48). Opus 14. Notre-Père pour 4 voix mixtes, dédié à Marie-Madeleine
Duruflé (éd.1977). Une dizaine d'années après la Messe Cum Jubilo, Duruflé prend une
dernière fois la plume pour un court Notre-Père,
fidèle au texte catholique romain français et destiné à la liturgie. Comme la Messe, il est dédié à son épouse
Marie-Madeleine Duruflé-Chevalier grâce à laquelle il put faire face aux suites
du grave accident de la route survenu en mai 1975. En reconnaissance, il
compose une dernière prière, intime, de couleur romantique tardive. Opus posthume. Méditation
pour orgue (éd.2001). Cette courte pièce que les Duruflé jouaient souvent à
l'office est construite sur l'Agnus Dei de la Messe cum Jubilo de Duruflé. Finissons en évoquant les reconstitutions d'improvisations de Tournemire et
Vierne, les transcriptions de chorals de Bach, l'orchestration des Soirs étrangers et de La ballade du désespéré de Vierne ou son
implication dans la création du célèbre concerto pour orgue de Poulenc. *** Au terme de ce bref catalogue, on peut évidemment
regretter que Duruflé n'ait pas composé davantage ou conservé certaines de ses
compositions. Mais l'évolution d'une
certaine musique contemporaine d'après guerre le révoltait, comme le sérialisme
par exemple. Il a d'ailleurs décrit sa déception et son indignement face à la
disparition d'un certain univers qu'il affectionnait tant : « Allons-nous
vers une destruction totale de notre civilisation musicale ? Depuis trente
ans on ne parle que de musique concrète, électronique, aléatoire, répétitive,
expérimentale, électro-acoustique, musique de notre temps, nouveau langage,
recherches, etc… Si cette musique dite contemporaine
doit être celle de demain, pourquoi alors maintenir dans nos conservatoires les
classes d'écriture, harmonie, contrepoint, fugue et composition, qui ont établi
solidement leur enseignement sur l'écriture classique, sur l'écriture
traditionnelle ? (19)» Duruflé décrit un
monde aux antipodes de l'évolution naturelle
dans le respect des traditions qu'il évoque en parlant de la musique de
Debussy ou de Ravel qu'il découvrit à Paris à la fin des années 1920 : « 1928. Époque exaltante
pour la musique française. Ravel, Roussel, Dukas, Schmitt, puis
Honegger, Poulenc. Le pôle attractif était centré sur Ravel… Ravel étonnait
parfois par ses audaces harmoniques. Mais la forme classique qu'il adoptait
témoignait du respect qu'il avait de la tradition. On le sentait maître de sa
pensée. L'évolution était naturelle. Debussy, que certains avant-gardistes ont
qualifié de révolutionnaire pour les besoins de leur cause, était le contraire
d'un révolutionnaire. Il n'a rien rejeté. Il a simplement élargi les règles. Il
n'a pas cassé les vitres, il a simplement ouvert les fenêtres. Paul Dukas a
écrit en 1902, au sujet de la première audition de Pelléas
: « L'harmonie de Debussy, à propos de laquelle on a crié à la
violation perpétuelle des règles, n'est que la géniale extension des
principes. » (Écrits de Paul Dukas sur la musique, éd. Sefi)…
Je suis heureux d'avoir vécu cette époque exaltante." Nous pourrions encore évoquer d'autres facettes de l'activité de Maurice
Duruflé : la facture d'orgue et son évolution, les restaurations des
orgues dont il s'occupa, en tant qu'ardent défenseur d'une esthétique néo-classique,
la place du chant grégorien dans la liturgie et les « réformes » du
Concile Vatican II. Sur tous ces points il a laissé de nombreux écrits dans
divers journaux et revues. A l'occasion de la célébration du 30e anniversaire de la
disparition d'un des derniers musiciens impressionnistes nous comptons sur nos
amis interprètes pour que son œuvre
rayonne partout dans le monde, que soit mise à l'honneur sa musique d'orchestre
dont deux nouveaux opus vont voir le jour. En effet, Durand va publier
l'instrumentation pour petit orchestre que Duruflé fit lui-même de sa Sicilienne op. 5 et l'orchestration pour
grand orchestre de la Suite op. 5
réalisée par Pieter-Jelle de Boer. Alain Cartayrade*. *Alain Cartayrade
est secrétaire général de l'Association Maurice et Marie-Madeleine Duruflé
depuis sa création en 2001. Pour plus d'information sur la biographie de
ces deux musiciens, nous vous conseillons de consulter le site www.durufle.org
et de lire les bulletins annuels de l'Association. (1) Francis Poulenc, J'écris ce qui me chante, textes réunis
par Nicolas Southon, Fayard, 2011, p. 793. (2) C'est ce que Francis
Poulenc disait à Claude Rostand en 1954 ; c'est d'ailleurs à Duruflé que
Poulenc fit appel, par l'intermédiaire de Nadia Boulanger, pour créer le fameux
Concerto pour orgue, timbales et orchestre à cordes et pour
l'aider à en travailler la registration (1938, 1939). Cela se passait peu après
la composition des Litanies à la Vierge
Noire (1936). (3) Olivier Alain, Maurice Duruflé, Grand prix de ma ville de
Paris, Le Figaro, déc. 1956. (4) Cette première épreuve
cruelle dans la vie du jeune Duruflé forgea son caractère sombre, renfermé.
D'autres suivront comme son éviction de la succession de Louis Vierne à la
tribune de Notre-Dame de Paris en 1937, la mort de son père, le divorce avec sa
première épouse, l'évolution de la musique contemporaine d'après guerre qu'il
ne comprenait pas et qui remettait en question son enseignement et son idéal
musical, l'application de la réforme
Vatican II en 1962 et finalement l'accident de voiture en 1975 qui mit fin à sa
carrière. (5) Toutes les citations de
Duruflé sont extraites des mémoires qu'il écrivit en 1976 à Granville, et qui
sont publiées par F. Blanc sous le titre « Maurice Duruflé, souvenirs et autres écrits », Ed. Séguier,
2005. (6) Maurice Duruflé, Une table ronde sur la musique religieuse,
L'Orgue, n° 130, 2e trimestre 1969. (7) Vierne souhaitait que
Duruflé lui succédât à la célèbre tribune de Notre-Dame de Paris. La vie en
décida autrement … (8) Cette pièce a été
publiée en 1929 par Durand avec le
numéro d'opus 2 ; elle donna lieu à plusieurs modifications. Voir plus
loin dans le texte. (9) Il s'agit de l'op. 3 publié
en 1929 par Durand. (10) En effet une seule œuvre majeure pour orgue a été composée
après 1938, à savoir le Prélude et Fugue
sur le nom d'Alain op. 7. (11) En effet, Marcel Dupré fut
nommé professeur d'orgue au Conservatoire de Paris en 1926. (12) Duruflé s'était marié une première fois en 1932, le divorce civil fort
douloureux fut prononcé en 1947 et la déclaration de nullité du mariage par le
Vatican en 23 juin 1953. (13) Maurice Duruflé avait donné
des concerts à l'étranger dès 1937, mais
n'avait encore jamais traversé l'océan. Voir la liste des concerts sur le
site : https://www.france-orgue.fr/durufle/index.php?zpg=drf.mmm.bio (14) Guide la musique d'orgue, éd. Fayard 2012, p. 398,
rubrique Maurice Duruflé par François Sabatier. (15) Guide la musique d'orgue, éd. Fayard 2012, p. 399,
rubrique Maurice Duruflé par François Sabatier. (16) Olivier Alain, Le
Requiem, Le Conservatoire n°14, janvier 1951, p. 62-64. (17) Rencontre avec Stéphane Caillat, Bulletin de l'Association M. & M-M Duruflé,
n°10, 2010, p.244. (18) Bill Tamblyn,
Messe Cum Jubilo à
une voix de Maurice Duruflé, Church Music, August 1968, vol. 2 n°26, p.9-10 (19) Maurice Duruflé, Réflexions sur la musique liturgique, L'Orgue, n° 174, 2e trimestre 1980.
***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
L'onde Martenot, un instrument méconnu… Cet article doit beaucoup au livre de
Jean Laurendeau : « Maurice Martenot,
luthier de l'électronique », paru au Canada, aujourd'hui épuisé, mais qui
sera prochainement réédité réactualisé aux éditions Beauchesne.
Ce livre est indispensable à la connaissance de l'instrument et de son
inventeur. Pour ceux qui veulent en savoir plus et surtout entendre
l'instrument, nous ne saurions trop recommander le documentaire long métrage
« Le chant des ondes », de Caroline Martel, http://artifactproductions.ca/lechantdesondes/
désormais disponible en DVD sur les sites habituels. Un
peu d'histoire
Lorsque, mobilisé en 1917, le jeune Maurice
Martenot se retrouve à dix-neuf ans dans les transmissions, il ne se doute
certainement pas que cette affectation va changer profondément son existence.
Contrairement à ce qui est affirmé ici ou là, Maurice Martenot n'est pas
ingénieur. C'est d'abord un musicien, violoncelliste et pianiste formé
essentiellement par sa sœur aînée, Madeleine et par des professeurs de premier
plan. Pour des raisons familiales, Maurice et sa sœur cadette Ginette, bien
qu'adolescents, deviennent très vite de véritables musiciens professionnels.
Maurice est, de plus, un bricoleur impénitent et invente autant qu'il peut les
machines les plus diverses. Il est déjà passionné par tout ce qui touche à
l'électricité et à la radio. Ayant appris le morse et étant devenu radio-amateur, il se fait affecter tout naturellement aux
transmissions. C'est pendant cette période que font leur apparition dans
l'armée les lampes « triodes » et leurs oscillations : entre
deux télégrammes à transmettre ou à recevoir, il joue avec ces sons sortis d'un
autre monde, qui vont de l'extrême grave à l'extrême aigu et sont d'une pureté
inouïe. Pendant la période 1917-1918, les progrès de la radio dans l'armée sont
galopants et Maurice Martenot est donc à la pointe de cette technique. Il y
restera toute sa vie… Rentré de guerre, il poursuit ses
recherches et, après bien des essais, arrive enfin à mettre au point un
instrument de musique qui soit suffisamment au point pour faire l'objet d'une
démonstration publique. Maurice Martenot n'est pas le seul à avoir eu cette
idée. De façon tout à fait indépendante, un russe nommé Lev Sergueïevitch
Termen (en français : Thérémin
ou Thérémine) va concevoir également un instrument.
En 1919, il avait déjà réalisé l'éthérophone ou thérémine, premier instrument de musique électronique. Cet
appareil a comme particularité qu'on en joue sans le toucher, en déplaçant les
mains dans un champ électromagnétique émis par deux antennes. Léon Thérémine est un violoncelliste amateur mais un ingénieur
de profession. Son instrument connait son heure de gloire aux États-Unis.
L'inventeur le présente même à l'Opéra de Paris le 8 décembre 1927. Pendant ce temps, Maurice Martenot
travaille d'arrache-pied au perfectionnement de son propre instrument. Et c'est
ainsi qu'il réalise le premier modèle susceptible d'être présenté au public.
Comme dans le Thérémine, le son provient bien des
interférences entre deux fréquences pour produire par battements une onde se
situant dans le spectre des fréquences audibles. Cette onde est amplifiée et
transmise à un haut-parleur, cet élément indispensable pour que le son puisse
se répandre dans une salle entière. Ce n'est pas un hasard si c'est entre 1927
et1930 qu'apparaissent ces instruments et… le cinéma sonore. A quoi ressemble ce premier instrument ? On peut s'en faire une idée avec cette photographie du premier concert à
l'Opéra du 3 mai 1928. En effet, après bien des hésitations, Maurice Martenot
s'est décidé à présenter à son tour son instrument à l'Opéra. Au piano
d'accompagnement se trouve la jeune sœur de Maurice, Ginette, âgée alors de
vingt-six ans. Maurice tient dans la main droite l'extrémité d'un fil qui
aboutit à un parallélépipède qui ressemble beaucoup aux postes de radio de
l'époque. C'est là où se fait la production du son. Jusque-là, il n'y a rien de
nouveau par rapport au Thérémine. Mais de sa main
gauche, Maurice appuie sur ce qui va devenir, dans le langage des ondistes, la « touche », c'est-à-dire ce qui
permet de varier l'intensité et l'attaque du son. Ces deux paramètres varient
en fonction de la vitesse et de la profondeur de l'enfoncement. Maurice a
utilisé, pour cette sorte de « potentiomètre » un système à mercure
qui va lui donner bien du souci lorsque le pupitre qui le contient va être
renversé par mégarde par Ginette ! Derrière Maurice, on voit, bien
entendu, le haut-parleur. Très vite après la démonstration à
l'Opéra, Maurice va mettre au point ce qui deviendra l'un des
« secrets » de l'instrument : la fameuse poudre contenue dans un
sac de peau que la « touche » comprime plus ou moins. Comme avec le
système à mercure, l'élasticité de la touche est assurée par un ressort. Si
nous insistons autant sur la touche, c'est que c'est dans ce domaine que
l'instrument de Martenot diverge le plus du Thérémine
qui ne connaîtra, au cours de son développement que des améliorations de
détail. Maurice sera toujours à la recherche de la plus grande variété possible
dans la maîtrise des différents paramètres du son. Tant par des circuits
électroniques (filtres divers) que par la mise au point de nouveaux diffuseurs,
il va permettre à son instrument une variété de timbres, d'attaques, de
résonnances qui le différencient absolument, désormais du Thérémine.
C'est aussi ce qui fera que l'Onde Martenot va connaître très vite un
développement qui culminera, en ce qui concerne la période d'entre deux guerres
avec la place de l'instrument dans l'Exposition Universelle de 1937 à Paris.
Mais nous en reparlerons plus loin. La démonstration, disons mieux, le
concert à l'Opéra est un véritable triomphe, malgré des émotions de dernière
minute. Le centre de Paris, dont l'Opéra, est en train de passer du courant
continu au courant alternatif, avec tous ses avantages, mais aussi ses
rayonnements auquel l'instrument de Maurice est évidemment sensible ! Une
intervention de dernière minute de l'électricien de l'Opéra, qui fait repasser
le « jeu d'orgue » (éclairage de scène) de l'alternatif au continu,
permet in extremis que tout se passe bien… Dès l'entracte, la maison Gaveau lui
fait des offres de fabrication en série de son instrument. Maurice Martenot
refuse : ce n'est encore qu'un instrument en gestation. Les critiques ne
tarissent pas d'éloges. L'un d'eux fait même allusion à la supériorité de
l'instrument sur le Thérémine. Un deuxième concert a lieu
le 18 mai, qui suscite un enthousiasme international. Martenot est invité
partout, Bruxelles, Utrecht, Londres, Zurich, Berlin… Mais c'est un journal
allemand qui pointe le mieux l'aspect spécifique de l'instrument de
Maurice : le Deutche Allgemeine Zeitung écrit : « Thérémine est un physicien-musicien,
Martenot est un musicien-physicien. » (1) L'instrument
se perfectionne : philosophie de l'instrument
En 1929, les tournées continuent, ce
qui n'empêche pas Maurice de poursuivre le perfectionnement de son instrument.
Maurice Martenot, qui avait une oreille extrêmement fine, ne supportait pas
qu'on jouât faux… Il avait bien raison ! Après avoir doté son instrument
d'un clavier fictif, simplement dessiné, il le munit très vite d'un clavier
réel muet, mais servant seulement de point de repère : le fil ténu qui
servait à régler la hauteur du son est désormais remplacé par un
« ruban » métallisé muni d'une bague et qu'on positionne devant le
clavier fictif ce qui contribue à la justesse du jeu. Enfin, Maurice, en
1931-32, dote son instrument d'un véritable clavier. Mais ce clavier possède
une particularité tout à fait spécifique : les touches, comme dans un
piano ou un orgue, s'enfoncent, certes, verticalement, mais l'ensemble du
clavier se déplace également latéralement. Le doigt posé sur une touche va
pouvoir opérer un véritable vibrato, non pas d'intensité, mais de hauteur (de
fréquence), comme sur un violon ou… un violoncelle ! On retrouve sur le
clavier à la fois la justesse du son et une expressivité qui est semblable à
celle que peut obtenir l'instrumentiste à cordes avec sa main gauche. A l'onde,
c'est la main droite qui sera à l'œuvre avec le ruban ou sur le clavier
expressif tandis que la main gauche jouera le rôle de l'archet : attaque,
puissance, crescendo et decrescendo progressifs feront de l'onde un instrument
expressif par excellence. La main
gauche, grâce aux différents commutateurs présents dans le
« tiroir » où se trouve la « touche », modifie à volonté
les timbres et plus tard les différents diffuseurs accouplés à l'instrument. On voit que le clavier de l'onde est
bien loin du clavier du piano et encore bien plus du clavier de l'orgue. Le fil
conducteur de la conception de l'onde Martenot se trouve dans la conception
même de la musique que Maurice présente en particulier dans ses
« Principes Fondamentaux d'Education Musicale » (2) à la page 83 : « Le son que
la musique comporte ne représente par lui-même qu'un support qu'on a trop
tendance à confondre avec le message qu'il véhicule. Pour nous, le « son
musical » n'est pas forcément « musique », il n'est qu'un
matériau de plus ou moins belle qualité qui devient seulement musique lorsque
l'interprétation lui insuffle une multitude d'impondérables issus d'une poussée créatrice, d'un « influx vital »
représentant l'essentiel du message. C'est cela qui constitue finalement cette
nourriture énergétique du psychisme que l'enfant recherche d'instinct. […] Ce
que nous entendons par la manifestation d'un « influx vital » dans le
jeu ne doit pas être confondu avec les nuances. Pour celles-ci, qu'il s'agisse
du volume sonore, de variations de tempo, d'accélérando ou de ritenuto, l'interprète les exprime par une ACTION
VOLONTAIRE directe sur l'élément sonore, le plus souvent d'ailleurs en accord
avec les indications expressives notées par l'auteur. Tout autre, mais nullement
inconciliable avec les nuances, est l'interprétation résultant d'une audition intérieure « colorée »
par des variations d'état affectif. En précédant le jeu instrumental, elle met
les gestes sous l'influence d'un « influx vital » qui en transforme
subtilement les caractéristiques et par conséquent le son, SANS AUCUNE ACTION
VOLONTAIRE DE L'INTERPRÈTE. On peut même dire à son insu. […] On éprouve un
instant de ravissement, parce qu'à travers une multitude d'impondérables, le
jeu acquiert tout à coup une qualité expressive inhabituelle comme si l'esprit
s'exprimait de lui-même, sans passer par toutes les entraves de la
matière. » C'est cette philosophie de la musique
qui a toujours guidé Maurice Martenot dans les modifications, les
perfectionnements qu'il a pu apporter à son instrument jusqu'à son dernier
jour. Maurice Martenot aspirait à construire un instrument qui pourrait
traduire intimement et directement, le plus directement possible, la pensée
intérieure de l'interprète. Il ne faut jamais oublier ce fil conducteur quand
on passe en revue les modifications que, tout au long de sa vie, il a apportées
à son instrument. Quand je l'ai connu, il n'y avait que peu de temps qu'il
avait transistorisé son instrument dont l'accord était devenu d'une stabilité
totale, ce qui n'était pas le cas des ondes à lampes qu'il fallait constamment
réaccorder même parfois en cours de morceau… Et je l'entends encore me dire
qu'avec les lampes, il avait été obligé de se battre avec le manque de
stabilité des oscillateurs, mais qu'avec les transistors, la difficulté était
exactement inverse ! Ce qui n'ôtait rien au progrès très réel apporté à la
facilité et à la justesse du jeu. On ne peut séparer non plus la facture
de l'instrument de l'ensemble de la personnalité de son inventeur. N'oublions
pas que, concurremment à la mise au point de son instrument, Maurice Martenot
pratique la pédagogie. Certes, ce ne sera pas l'axe principal de son travail
jusque dans les années quarante. Mais il participe très activement à l'école
fondée par sa sœur ainée Madeleine. Certains « jeux » de la pédagogie
Martenot, créés par Maurice, sont développés dès les années vingt. Sur cet
aspect de sa vie, on pourra se reporter à notre article paru ici-même en Mars
2014 (http://www.leducation-musicale.com/newsletters/breves0314.htm#_lien3) Son instrument devra donc être
« facile à jouer », non pas en en faisant un instrument au rabais,
mais au contraire un instrument permettant une expression pleine de la
sensibilité de chacun en supprimant tout effort inutile. Si on prend l'exemple
du clavier, celui de l'onde comporte des touches légèrement moins large que
celles du piano pour permettre une plus grande vélocité notamment aux petites
mains. L'un de ses soucis était de pouvoir réaliser un instrument d'étude qui
ne renierait rien des qualités musicales de l'instrument « de
concert » tout en étant abordable pour les petits budgets. Au moment de sa
mort, il venait de mettre au point un tel instrument… qui restait cependant
trop onéreux pour remplir la fonction qu'il avait souhaitée. Un autre élément fondateur de la
facture de l'instrument était la faculté à être en quelque sorte le
prolongement du corps de l'instrumentiste. N'oublions pas non plus qu'il avait
été profondément influencé par sa rencontre du violoncelliste russe Youri Bilstine à la « Semaine de Villebon »,
du 22 au 27 avril 1924. Ce congrès de « L'Education Nouvelle »
n'était pas du tout orienté vers la musique mais vers l'éducation de l'enfant.
Il y avait là un petit noyau d'éducateurs et d'éducatrices, de médecins et de
psychologues auquel se joignirent des musiciens. Parmi eux se trouvaient les
Martenot, mais celui qui marqua le congrès et surtout Maurice Martenot fut ce
violoncelliste qui développait une méthode de relaxation et de maîtrise du
corps à la fois physique et mentale qui fut à l'origine de la méthode de
Relaxation Active que développa toute sa vie Maurice Martenot et qui faisait
partie intégrante de la formation de ses enseignants et instrumentistes. L'instrument de musique conçu et
réalisé par Maurice Martenot est donc en quelque sorte la quintessence de tous
ces éléments fondateurs de la personnalité de son inventeur. De 1928 à 1937
Revenons maintenant à l'histoire de
l'instrument et de son inventeur. Entre 1928 et 1931, ce sont donc quatre
modèles, disons plutôt quatre étapes qui se déroulent. En effet, l'onde Martenot
est un véritable instrument de musique. On pourrait penser que l'électronique a
amené une certaine standardisation. Or, c'est exactement le contraire de la
réalité. Jamais Maurice Martenot n'a réalisé deux instruments parfaitement
semblables. Chaque instrument comporte une modification, une amélioration par
rapport au précédent. Et cela n'est pas seulement dû aux progrès techniques de
l'électronique : lampes de plus en plus performantes, circuits
oscillateurs qui se perfectionnent, puis passage au transistor. Non. De même
qu'il n'y a pas deux violons semblables, ou même deux pianos, malgré la
standardisation, il n'y a pas deux « Martenot » semblables. Maurice
harmonisait chaque instrument individuellement, modifiait tel circuit, tel
réglage… Chaque instrument possède un numéro unique et son schéma propre. Il
arrivait même que lorsqu'un instrument était en panne et qu'on le portait à
l'atelier pour réparation, lorsque son propriétaire le reprenait, l'instrument
avait été non seulement réparé mais modifié sur tel ou tel point. Disons le
mot, pour Maurice Martenot, chacun de ses instruments avait une âme. 1931 marque une étape importante dans
le développement de l'instrument. La maison Gaveau doit entreprendre la
fabrication de l'instrument. En réalité, cela ne se fera pas. Mais, pour cette
collaboration, Maurice écrit une « Méthode pour l'enseignement des ondes
musicales: instrument radio-électrique Martenot fait
par Gaveau » qui parait donc en 1931. Mais entre-temps, l'instrument a
encore été doté de nouvelles possibilités. Le clavier mobile, dont nous avons
déjà parlé, a fait son apparition. Lorsque l'on dit « clavier »,
on pense immédiatement « polyphonie ». Or l'instrument de Maurice
Martenot reste très volontairement « monodique » : il ne produit
qu'un seul son à la fois. Non par impossibilité technique : à la même
époque apparaissent les premiers orgues électroniques : c'est précisément
le 7 décembre 1931 que Charles Tournemire inaugure en l'église Saint Louis de
Villemomble l'orgue électronique Coupleux-Givelet. Quel que soit l'amour qu'on porte dans la famille
Martenot au piano : Madeleine, Ginette sont avant tout des pianistes en
même temps que des pédagogues, Maurice, lui, pense d'abord à l'expressivité. Il
pense que l'on a déjà fort à faire à modeler un seul son à la fois. A la fois
remarquable pianiste et violoncelliste, c'est son expérience de violoncelliste
qui l'emporte dans sa conception de l'instrument idéal. Certes, certains
artifices permettent de donner l'illusion d'une certaine polyphonie, mais c'est
de volonté délibérée que l'instrument reste avant tout monodique. C'est donc un instrument monodique déjà proche de celui que nous connaissons qui
va participer à la tournée mondiale de 1931. Si l'instrument a désormais une
renommée internationale, il lui reste à conquérir l'Amérique… et c'est ce qui
va se faire cette année-là. Le chef d'orchestre Léopold Stokowski,
lors de séjours à Paris, avait rencontré Maurice Martenot et découvert son
instrument. Il connaissait déjà le Thérémine, ses qualités
et ses limites. Il fut conquis par la démonstration du clavier à touches
mobiles et proposa à Maurice de venir jouer avec l'orchestre de Philadelphie
dont il fut le chef permanent de 1912 à 1938. De fil en aiguille, et grâce à
l'imprésario de Maurice, le voyage va se transformer en tournée mondiale.
Partis de Paris le 26 novembre 1930 à bord du paquebot Paris, un luxueux
transatlantique, il donne les 12 et 13 décembre deux concerts avec l'orchestre
de Philadelphie. Le répertoire de l'instrument est fait essentiellement à cette
époque de transcriptions : même si les compositeurs contemporains ont
immédiatement montré leur enthousiasme pour le nouvel instrument, ils n'ont pas
encore écrit pour lui. Seul un compositeur grec, qui connaissait Martenot et avait
assisté à la genèse de l'instrument, Dimitri Lévidis,
avait composé dès 1928 un Poème
symphonique pour onde musicale et orchestre. C'est donc cette œuvre qui fut
jouée avec, entre autres, une transcription du quintette en la avec clarinette
de Mozart. La tournée se poursuit par le Japon, puis Shanghai, Manille, Saigon,
Singapour, Java. La musique locale frappe beaucoup Ginette et Maurice : le
gamelan et surtout le gong leur font une vive impression. Maurice s'en
souviendra pour un des diffuseurs de son instrument. C'est en juin qu'ils
regagnent la France. Nous ne décrirons pas toutes les étapes
du développement de l'instrument jusqu'à la guerre, mais seulement les moments
saillants. Le répertoire se crée et s'enrichit. Maurice Martenot rencontre
Pierre Vellones, médecin renommé et compositeur trop
peu connu, mort à cinquante ans (1939). Il se passionne pour l'instrument et
écrit la deuxième pièce originale pour l'instrument, après celle de Lévidis, une Fantaisie
pour onde et piano (1930). Mais c'est avec Split et Vitamines,
pièces écrites en 1934 et enregistrées chez Columbia, sur un 78 tours, 25 cm qui obtient le Prix du Disque 1935, que le
succès vient. Après Vellones, c'est Joseph Canteloube
qui écrit en 1932, Vercingétorix, une
œuvre pour chœur et orchestre dans
laquelle il inscrit le Martenot. Puis un compositeur très connu s'empare à son
tour du Martenot : il s'agit de Darius Milhaud. Celui-ci écrit en 1932 une
Suite qui fait toujours partie du
répertoire et a été souvent enregistrée. Dès ce moment, le martenot
séduit le cinéma, plus pour ses possibilités de sons inouïs que comme
instrument de musique, au moins au départ. Après Abel Gance, Fritz Lang, André Cayate, Julien Duvivier, Marcel Carné, Laurence Olivier
utiliseront l'instrument dans leurs films. En 1933, c'est Ravel qui s'intéresse à
l'instrument. La rencontre eut lieu rue Saint Pierre à Neuilly, dans les locaux
de l'école Martenot. Ginette avait transcrit un certain nombre de pièces de
Ravel. Et elle venait de transcrire le Quatuor…
Laissons Ginette raconter la scène : « Nous nous détendons d'abord bien
tous les quatre. Je nous revois dans la grande salle… Ravel était là ! Et
nous jouons, pour commencer, la Pavane de
la Belle au bois dormant. Nous terminons. Moment de silence. Puis
il nous dit : « Mes enfants, c'est comme ça que j'entends cette pièce
dans mon rêve intérieur. » Vous pensez notre émotion ! Vous
imaginez ? Moi, j'étais tellement heureuse pour mon frère ! parce que vraiment c'était une consécration merveilleuse
qu'un homme comme lui nous dise
ça. » (3) Suivent alors d'autres transcriptions
pour onde et piano et enfin, ils osent, à quatre ondes, jouer le premier
mouvement du Quatuor. Et Ravel leur
dit : « Bon ! Très bien ! Vous pouvez mettre ça dans vos
programmes. » Hélas, c'est cette année même que Ravel cessa d'écrire en
raison de ses troubles neurologiques. Il ne put donc pas donner à l'instrument
quelque composition originale. En 1935, c'est André Jolivet qui écrit Trois poèmes pour onde et piano. Mais il
faut surtout signaler les trois œuvres d'Arthur Honegger : Sémiramis en 1933, Jeanne au bûcher en 1935 et Le
Cantique des cantiques en 1937. L'Exposition Universelle de 1937, dont
le titre exact est « Exposition internationale des Arts et des Techniques
appliqués à la Vie moderne », est un moment extrêmement important dans la vie
et le développement de l'instrument, essor qui fut malheureusement stoppé net
par la guerre. Outre le fait que toute l'équipe
Martenot (Madeleine, Maurice Ginette) remporte une médaille d'or pour sa
« méthode d'enseignement artistique », les ondes Martenot et leur
inventeur remportent un Grand Prix de l'Exposition Internationale. Un
« concert permanent » se produisit. Passons sur les difficultés pour
former en très peu de temps les ondistes nécessaires :
l'ensemble, commencé à seize ondes, se réduisit très vite à huit, avec un
pianiste et un percussionniste. Ginette Martenot dirigeait cet ensemble pour
lequel elle n'avait pas hésité à transcrire, du Debussy, du Franck… Une pièce
originale de Pierre Vellones, Karakoram, écrite pour un film de Marcel Ichac
sur la conquête de l'Himalaya faisait également partie du programme. Mais surtout, les ondes figurèrent dans
la musique d'accompagnement des Fêtes de Nuit sur la Seine. Y collaborèrent,
outre Vellones, Honegger, Kœchlin, Barraud, Le Flem,
Schmitt, Loucheur et Rivier. Mais la seule œuvre qui survécut fut celle de
Messiaen qui, même si elle ne figure pas parmi ses chefs-d'œuvre, comporte des
pages inoubliables. Intitulée La
fête des belles eaux et écrite pour un sextuor d'Ondes Martenot, elle
contient une page appelée « eau » ou « oraison » que
Messiaen reprendra dans son Quatuor pour
la fin du temps sous le titre « Louange à l'Eternité de Jésus ».
Une version de cette œuvre, enregistrée en 1962
par Jeanne Loriod et cinq autres ondistes figure sur YouTube :
https://www.youtube.com/watch?v=nrYgm5MML58 l' « eau » se trouve à
8' 06 et à 17' 06 : L'après-guerre
La dispersion et les aléas de l'occupation
empêchent Martenot de se consacrer davantage à son instrument. Relevons
seulement une tournée en France de Ginette et Hubert d'Auriol, avec un
orchestre et des chœurs réunis pour la circonstance, pour donner, pas moins de
quatre-vingt-quatorze fois, Jeanne au
bûcher de Claudel et Honegger. Mais
pour toute cette période, qui n'apporte rien au développement des ondes, on
consultera l'ouvrage de Jean Laurendeau. En 1947 se produit un évènement très
important pour la vie et la pérennité de l'instrument. A la demande de Claude
Delvincourt qui en est le directeur, le Conservatoire National de Musique de
Paris (actuel CNSM) ouvre une classe d'ondes et cette classe est confiée tout
naturellement à Maurice Martenot, qui occupera ce poste jusqu'en 1972. C'est
alors Jeanne Loriod, la sœur d'Yvonne Loriod et belle-sœur d'Olivier Messiaen qui va lui succéder
jusqu'en 1993 ou le poste est repris par Valérie Hartmann-Claverie, à la fois
élève de Maurice et de Jeanne Loriod. Atteinte par la
limite d'âge, elle a quitté son poste qui reste ouvert et fait en ce moment
même l'objet d'un concours de recrutement. L'enseignement de l'instrument au
plus haut niveau est donc toujours maintenu au sein du conservatoire. Revenons un peu en arrière. De novembre
1943 à mars 1944, Messiaen écrit les Trois
petites liturgies de la présence divine. La première audition a lieu le 21
avril 1945 sous la direction de Roger Désormières
avec Yvonne Loriod au piano et Ginette Martenot aux
ondes, et la Société des Concerts du Conservatoire. C'est un immense succès. En
1956, on en est à la centième exécution. Les plus grands chefs les dirigent
dans de nombreux pays, notamment en Argentine et aux États-Unis. Suit peu de temps après la monumentale Turangalîla-Symphonie, œuvre pour orchestre et deux
solistes : piano et ondes Martenot, composée par Olivier Messiaen entre
1946 et 1948, qui avait été commandée en 1945 par Serge Koussevitzky. La
création mondiale a lieu le 2 décembre 1949, par l'Orchestre symphonique de
Boston, dirigé par Leonard Bernstein, avec Yvonne Loriod
au piano et Ginette Martenot aux ondes Martenot. La création française a lieu à
Aix-en-Provence sous la conduite de Roger Desormière, dirigeant l'Orchestre
National de France, le 25 juillet 1950 avec les mêmes solistes. Cette première
audition est disponible en CD sur le site de l'INA dans un coffret consacré au
Festival d'Aix. Entre temps est créé le 23 Avril 1948,
à Paris par Ginette Martenot le Concerto
pour ondes Martenot d'André Jolivet. Ce n'était pas la première fois
qu'André Jolivet composait pour les ondes. Dès 1935, il avait écrit Trois poèmes
pour ondes Martenot et piano, créés par Maurice Martenot à la radio
nationale. Il utilise également les ondes dans sa Suite Delphique de 1943 et
continuera de les utiliser dans d'autres œuvres. On remarquera qu'après la guerre,
Maurice Martenot est en retrait comme interprète : c'est Ginette qui est
devenue l'ondiste de référence et la créatrice des
nouvelles œuvres. Maurice joue toujours, et ne cessera jamais de jouer. Mais il
n'est plus au premier plan. Il se consacre toujours à la construction et au
perfectionnement de son instrument mais donne le meilleur de son temps à son
travail pédagogique, commencé depuis très longtemps mais qui a pris une
dimension plus générale depuis les demandes de Cortot et de César Geoffray et sa participation à la pédagogie de la formation
musicale des choristes A Cœur Joie et des élèves de l'école de Neuilly. Un peu
plus tard, il donnera beaucoup de son temps à la formation des futurs professeurs
de sa méthode de Formation Musicale en organisant des sessions d'information à
Paris et dans toute la France. Presque en même temps, (1944-1945),
Maurice Martenot met au point le « métallique ». Il s'agit de
prolonger le son par des résonnances aléatoires fournies par un
« gong », ce gong qui l'avait tant frappé lors du passage à Java.
C'est un moteur de haut-parleur qui fera entrer ce gong en vibration, au gré
des sons fournis par l'instrument. Un autre « diffuseur » est
mis au point peu après : la palme. Cette palme est née dans
l'esprit de Maurice en expérimentant de faire entrer en résonnance un piano à
la pédale forte enfoncée et la musique diffusée par un haut-parleur. Cette
expérience l'avait frappée dès avant la guerre. Maurice eut alors l'idée de
relier un moteur de haut-parleur à une série de cordes accordées entre elles.
Il s'en suivait un halo de résonnance tout à fait particulier, assez éloigné,
disons-le, des réverbérations à ressort que Maurice utilisera aussi beaucoup
plus tard sans cesser d'utiliser la palme. La palme est d'abord présentée par
Louis Leprince-Ringuet à l'académie des sciences le 5 juin 1950 puis par
Maurice Martenot au public le 20 juin à la salle Pleyel. Palme et « métallique »
ajoutés aux différents timbres dont Martenot ne cesse d'enrichir son instrument
font de celui-ci une source de possibilités expressives qui séduit de plus en
plus les compositeurs. En
1953 voit le jour le « Martenot de concert », instrument de six
octaves apparentes et de huit octaves réelles. Le voici tel qu'il figurait sur
l'un des panneaux de présentation de son instrument réalisé par Maurice
Martenot lui-même. On voit très distinctement les trois diffuseurs : le
haut-parleur classique, dessus la palme et à gauche le « métallique ». En 1952, Ginette Martenot a décidé,
malgré l'opposition première de son imprésario, de se consacrer uniquement à la
musique contemporaine. De nombreux compositeurs vont écrire pour l'instrument.
Parmi les plus connus, citons Jacques Charpentier, Antoine Tisné,
Tristan Murail, Henri Tomasi, Guy Reibel,
Luc-André Marcel, Jacques Bondon, Francis Bayer… Jeanne Loriod,
sœur d'Yvonne Loriod et belle-sœur de Messiaen,
commence en 1950 une longue et brillante carrière. Successeur de Maurice au
CNSM, elle constitue avec ses élèves des ensembles d'ondes et enregistre de
nombreux disques. Un peu plus tard (1968), Françoise Deslogères
fonde un trio ondes piano et percussion qui suscite la composition de
nombreuses œuvres. Concurremment à ce développement dans
la musique contemporaine, les ondes poursuivent leur carrière dans les musiques
de film et les musiques de scène. Commencée avec la musique de Pierre Vellones pour le film Karakoram de Marcel Ichac
en 1936, leur utilisation se poursuit jusqu'à nos jours dans ce domaine.
Citons, parmi les dernières, Le fabuleux
destin d'Amélie Poulain ou La marche
de l'empereur en passant par Le
docteur Jivago de Maurice Jarre. Par ailleurs, les ondes sont utilisées
dans les orchestrations de certains grands chanteurs français. On peut nommer
Edith Piaf, Catherine Sauvage, Boby Lapointe et Jean
Ferrat, mais surtout Léo Ferré et Jacques Brel. Les ondes Martenot font partie
à part entière des orchestrations que François Rauber
écrit pour Brel. Il a son ondiste attitrée, Sylvette Allart, élève de Maurice Martenot. De façon occasionnelle,
bien d'autres chanteurs utilisèrent également les ondes. L'ondiste
Pura Pénichet a joué avec
le célèbre chanteur Antoine. On en trouvera la liste, non exhaustive, dans le
livre de Jean Laurendeau. Enfin, elles sont également
bien présentes dans les « musiques actuelles » : on les retrouve
chez Les têtes raides, Radiohead avec Jonny Greenwood et dans bien d'autres formations. Les ondes font également carrière en
dehors de France. Des élèves de différents pays sont venus se former au CNSM,
notamment des canadiens et des japonais. Ils n'étaient pas forcément venus pour
cela mais ont été conquis par l'instrument. C'est le cas notamment de Jean Laurendeau, auteur du livre dont nous avons parlé, de
Suzanne Audet-Binet et d'autres. De retour dans leur pays, ils feront école. La
compositrice québécoise Marie Bernard, elle-même ondiste,
compose pour l'instrument. Celui-ci est enseigné au Conservatoire de Montréal
par Jean Laurendeau qui a ouvert la classe. Après une
période d'arrêt, cette classe vient d'être réouverte
cet automne avec Estelle Lemire comme titulaire. Le Japon fait également très bon
accueil à l'instrument. Citons tout particulièrement Takashi
Harada, pianiste, ondiste
et compositeur, formé par Jeanne Loriod, qui a
beaucoup composé dans tous les styles, a participé comme ondiste
et compositeur à de nombreux films et concerts. Il faudrait mentionner
également les ondistes Wakana
Ichihashi et Motoko Oya… Quant à l'Amérique du sud, elle
retrouve les ondes Martenot dès 1981 grâce à la présence dans ces pays de Pura Pénichet, ancienne élève de
Maurice Martenot et de Sylvette Allart. Elle sera par
la suite l'interprète des œuvres d'Olivier Messiaen, Arthur Honegger et de bien
d'autres compositeurs données en premières auditions dans plusieurs pays
latino-américains. Citons les villes de Caracas, Bogota, Buenos-Aires, Medellin
et sa participation, dans ces pays, à plusieurs festivals de musique
contemporaine. L'avenir des ondes Martenot
En 1975, Maurice Martenot a
transistorisé son instrument, non sans difficulté, car il avait du mal à
retrouver dans les nouveaux instruments toute la souplesse des anciens. Mais il
continue de perfectionner son instrument, ajoutant de nouvelles possibilités.
Entre les cours de relaxation, les cours auprès des enfants et la formation
hebdomadaire des futurs professeurs de Formation Musicale, il grimpe toujours
allègrement dans son atelier. Mais ce mercredi 8 octobre 1980 au matin, alors
qu'il est parti en Solex porter des tracts à son imprimeur à Levallois, il est
victime d'un accident mortel. Monsieur Marcel Manière, son fidèle
collaborateur, continue d'assurer l'entretien, la réparation et la fabrication
de l'instrument. Cependant, un évènement vivement souhaité
par Maurice Martenot mais dont il n'a pas pu voir la réalisation se produit en
1983 : la création du Saint François
d'Assise d'Olivier Messiaen, opéra
en trois actes, créé à l'Opéra de Paris le 28 novembre 1983 sous la direction
de Seiji Osawa en présence
de l'auteur qui avait commencé à réaliser son projet dès 1975 et qui suivit pas
à pas les répétitions. La partition comporte trois ondes Martenot qui furent
jouées par Jeanne Loriod, Valérie Hartmann-Claverie
et Dominique Kim. Un très bel exemple de l'utilisation
des ondes se trouve notamment à la fin d'une intervention de l'ange
musicien : http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes01083/l-ange-musicien-de-saint-francois-d-assise-d-olivier-messiaen.html
La fabrication des ondes s'interrompt
peu après 1984 au moment du départ en retraite de Marcel Manière. Jean-Louis
Martenot, le second fils de Maurice, qui a travaillé avec lui jusqu'à l'arrivée
de Monsieur Marcel Manière, s'attelle alors à la réalisation d'un instrument
numérique pour continuer la mise à jour technologique de l'instrument, mais il
était peut-être encore un peu tôt pour qu'un tel instrument puisse voir le jour
même si un prototype fut réalisé. En 1995, l'ingénieur Ambro
Oliva, à la demande des ondistes du CIOM (Cercle
Inter Ondes Martenot) réunis autour de Jeanne Loriod,
crée un instrument analogue au « martenot »
et compatible avec lui : certains perfectionnement ont été apportés dans
l'aisance du jeu. Malheureusement, cet instrument connaîtra lui aussi des
problèmes « économiques ». Aujourd'hui, la fabrication de l'Ondéa a été reprise. Celle des ondes l'a été également grâce
à Jean-Loup Dierstein, spécialiste des instruments de
musique électroniques. On peut s'adresser à lui pour acquérir un instrument
d'ondes. D'autres projets sont en cours. Arnaud Millan, compositeur et musicien trentenaire venant des
musiques actuelles, s'est passionné pour les ondes autour de plusieurs
aspects : la composition, pour le projet musical Tetsuo
sur disque (Nathalie Forget) et la version de concert (Bruno Perrault et
Nathalie Forget), la technique scientifique avec l'expérimentation de modules
numériques inspirés des ondes (résonances à cordes numériques, ruban tactile…),
et le travail musicologique avec l'obtention d'un master recherche ayant pour
sujet « Les Ondes Martenot au tournant des années 60 ». Il poursuit activement
son travail sur ces trois points et doit collaborer au projet d'instrument du
facteur d'ondes Claude Jaccard. Les compositeurs contemporains continuent de
s'intéresser à l'instrument et écrivent pour lui, tandis que les œuvres
anciennes sont régulièrement jouées. On notera le 15 mars prochain un concert
ondes et orgue à la cathédrale Notre-Dame de Paris, avec à la fois un œuvre de
Michèle Foison, Gemme d'étoiles pour
sextuor d'ondes Martenot, orgue à quatre mains et tam-tam et La Fête des belles eaux, pour sextuor d'ondes
Martenot d'Olivier Messiaen. A l'automne prochain, on pourra entendre en
différents lieux les Petites liturgies de
la présence divine. De nombreux compositeurs contemporains s'intéressent
aux ondes. Grâce à certains d'entre eux, un programme original se met en place.
Le projet « Ondes courtes » en réunit un certain nombre autour d'une
thématique proposée par l'association Ousonmupo (par
référence à l'Oulipo de Raymond Queneau). Voici la
liste des pièces et le nom des compositeurs : - Petite
Etude pour Ondes Martenot (solo) de
J.P. Toulier (2014) - «
…ainsi qu'aux plus beaux jours »
trio pour Ondes Martenot, Accordéon et percussions de Laurent Melin (2015) - Pour
une flopée d'embrassades – Miniature n° 3
pour 3 ondes de Damien Charron
(2015) - Ondas cortadas pour Ondes Martenot (solo) de Nicolas Vérin
(2015) - Monodies
pour Ondes Martenot (solo) Olivier Touchard et Bruno Perrault (2015) - La
Boîte à 5 cases pour ondes Martenot et piano de Jean-François Demoulins (2015) - Petit
extrême pour vibraphone et ondes Martenot de Martial Robert (2015) - Action
! pour voix, ondes Martenot et son fixe de
Marie-Hélène Bernard (2015) Ces pièces, et d'autres, seront données
à Paris le 4 décembre 2016. Pour plus de détails, on peut se rendre sur le site de l'association http://ousonmupo.net/ On voit que l'onde martenot,
pour méconnue qu'elle soit, non seulement est d'actualité, mais a devant elle un
véritable avenir : la Turangalila Symphonie
va être créée prochainement au Pérou et bien d'autres projets sont en cours de
réalisation. (4)
Et les ondes ont un développement prometteur dans les musiques actuelles… Daniel Blackstone. (1) Cité dans Jean Laurendeau, Maurice
Martenot, luthier de l'électronique. Louise Courteau p. 73. (2) Principes fondamentaux de
formation musicale et leur application – Maurice Martenot. Editions de l'Ile
Bleue. (3) Jean Laurendeau,
op. cit.
p. 103. (4) Pour suivre les évènements
concernant les Ondes Martenot, on peut consulter le site de la Fédération des
Enseignements Artistiques Martenot (FEAM) : http://federation-martenot.fr/ ***
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***
Le Roi Carotte : un blockbuster à l'opéra Jacques OFFENBACH : Le Roi Carotte. Opéra-bouffe féérie en trois actes. Livret de
Victorien Sardou d'après un conte d'Hoffmann. Yann Beuron,
Julie Boulianne, Christophe Mortagne,
Boris Grappe, Jean-Sébastien Bou, Chloé Briot,
Antoinette Dennefeld, Lydie Pruvot,
Thibault De Damas, Brenton Spiteri,
Jean-Christophe Fillol, Romain Bockler.
Orchestre, Chœurs et Studio de l'Opéra de Lyon, dir.
Victor Aviat. Mise en scène : Laurent Pelly.
Parmi les innombrables pièces écrites par
Offenbach, il en est une qui méritait d'être tirée de l'oubli : Le Roi
Carotte. Si elle y sombra peu après sa création en 1872, ce n'est pourtant
pas faute de bonnes fées : un livret dû à Victorien Sardou, l'auteur de Tosca,
tiré d'un des contes d'Hoffmann, « L'histoire héroïque du célèbre ministre
Kleinzach » dont il est question dans le prologue de
l'opéra éponyme d'Offenbach précisément. Le projet, lancé en 1869, mit quelques
temps à devenir réalité eu égard aux bruits de bottes de la guerre de 70. Mais
les deux auteurs qui se vouaient une estime réciproque, étaient résolus à faire
grand. Leur rejeton est en effet d'imposantes dimensions, requérant des moyens
considérables : pas moins de six heures de spectacle, trois décorateurs, une
quarantaine de personnages, etc. Les quatre actes d'origine sont rapidement
réduits à trois et c'est le succès. Moyennant réécriture et coupes sombres, on
en arrive, pour la présente production de l'Opéra de Lyon, à trois heures.
Difficile de résumer une action invraisemblable aux multiples rebondissements :
un monarque farfelu, Fridolin XXIV, destitué par un personnage à l'allure du
légume éponyme qui s'approprie le pouvoir aussi bien que la belle princesse
Cunégonde, convoitée par le premier ; un enchanteur, Robin-Luron, qui fait jeu
à parts égales avec une sorcière démoniaque, Coloquinte ; un cheminement
chaotique qui mène de la cour peu orthodoxe dudit Fridolin au jardin potager où
éclosent carottes et autres radis, puis aux ruines de Pompéi où la troupe des
fidèles de Fridolin se rend pour tenter de récupérer l'anneau magique de...
Salomon, et remontant le temps, revivent la vie des autochtones avant la fatale
éruption, non sans leur avoir appris les joies des voyages en chemin de fer –
un thème récurrent chez Offenbach - ; du ballet des fourmis et autres insectes
à la déchéance annoncée de Carotte, et enfin au happy end : la reprise en main
du pouvoir par Fridolin. Tout cela est bien sûr extravagant,
abracadabrantesque. Rien de tel pour émoustiller un metteur en scène de la
trempe de Laurent Pelly qui avoue nourrir de longue
date le projet de monter cette « féérie insensée... construction
impossible... comme un blockbuster commercial et déjanté de l'ancien
temps », souligne-t-il. Avec sa fidèle complice Agathe Mélinand,
ils ont réécrit les dialogues et cherché à donner à tout cela un air de
cohérence, bravant le mélange de styles et l'absurde pour mieux les asservir.
Cela engendre une belle pochade qui tire souvent sur l'« hénaurme » ! C'est que Pelly
n'y a va pas de main morte question sens de la démesure et empilement de gags.
On se délecte de la manière totalement
libérée d'aborder les situations les plus improbables. On savoure, comme
toujours, la direction d'acteurs millimétrée qui n'est pas sans donner
l'impression d'improvisation en particulier dans l'agencement des foules. Les
tableaux rivalisent de richesse visuelle. Telle la scène à Pompéi, où d'arrêts
sur images en clins d'œil complices à la salle, les habitants en toge immaculée
de guingois rivalisent avec les godelureaux de Fridolin qui pour masquer
l'intérêt de leur recherche, vantent les bienfaits du chemin de fer, alors que
la musique siffle et crachote. Le tableau des insectes n'est pas moins
réjouissant : un ballet sage de fourmis qui peu à peu dégénère en défilé de
scarabées, libellules et autres papillons, pour célébrer l'avènement de la
Reine des abeilles ! Ou encore la réhabilitation de Fridolin au prix d'une
lutte sur des barricades de casiers de bois empruntés au marché du coin... Tout
cela s'encanaille à l'envi. On retrouve, certes, les tics et les trucs du
régisseur, aptes à asseoir sa vision décalée : plateau encombré d'objets
insolites et loufoques, comme cette théorie de tableaux de maitres, ces
armoires plus larges que nature dont s'échappent quelques personnages
embusqués, ces rayonnages de bibliothèques s'étirant à l'infini, où sont
enfouis tant d'histoires à conter, et cet énorme volume relié que traîne la
sorcière ; mais aussi ustensiles de la vie quotidienne : gigantesque panier à
salade de nos grands mères, emprisonnant la douce Rosée-du-Soir, ou le pas
moins impressionnant moulin à légumes qui broiera in fine Carotte en
dégoulinante purée... Pelly assume sans barguigner : le gros trait voisine avec
le plus petit grâce à « un collage de signes surréalistes et totalement
absurdes ». Par exemple un mini Vésuve posé sur quelque console, tout
droit sorti d'un musée archéologique, et dont s'échappe un léger panache blanc,
alors que tous alentours ouvrent leur parapluie... L'effet se veut hilarant. Il
l'est pour le plus grand plaisir de l'auditoire ! Il n'est pas sans esthétisme
car Pelly dessine des costumes hauts en couleurs où
la fantaisie transcende le grotesque. Au final, la féérie voulue par Offenbach
vire plutôt au doux-amère, ironique dans son second
degré, un brin cruelle à l'occasion ; comme l'implique finalement tout conte de
fées. En pareille occurrence, la troupe se dépense sans compter, diablement
débridée. Si le chant n'est pas toujours immaculé, du moins l'engagement de
tout un chacun ne fait pas défaut. A commencer par les solistes : Yann Beuron, impayable Fridolin, Julie Boulianne,
Robin-Lurin jovial, ou Chloé Briot,
délicieuse Rosée-du-Soir. Les « méchants » ne leur cèdent en rien :
Christophe Mortagne, Roi Carotte pas si sympathique,
Lydie Pruvot, Coloquinte de carton-pâte, plus
désopilante qu'effrayante. Les chœurs se taillent la part du lion, épousant l'exigeante
gestique imposée par Pelly. Ils font montre d'une
exubérance qui ne connait pas le répit. Et assurent au spectacle son épine
dorsale. Le jeune Victor Aviat, ex hautboïste solo du
Lucerne Festival Orchestra et de l'Orchestra Mozart sous Abbado ou à l'Opernhaus de Zürich, lauréat du Nestlé and Salzburg
Festival Young Conductors Award
2014, mène son monde au doigt et à l'œil. Avec un entrain qui fait plaisir à
voir, il démêle l'écheveau musical qui tient souvent du pot-pourri. Car
Offenbach assaisonne sa partition de toutes sortes de touches bigarrées. Les
rythmes sont là, entraînants, galops, quadrilles, marches et autres polkas. Des
tirades boutades « Je suis, je suis le roi Carotte, Sapristi ! Malheur à
qui, à qui s'y frotte! », à l'air de charme, telle
la Romance des fleurs de Rosée-du-soir. C'est qu'il y a céans aussi de bien
lyriques passages. Revigorant en ces périodes difficiles. Jean-Pierre
Robert. « Mon Rossini », selon Olga Peretyatko
La belle Olga Peretyatko
avait convié le public au Théâtre des Champs-Elysées, dans le cadre du cycle
''Les grandes voix '', à un voyage en terres rossiniennes, son Rossini,
dit-elle en un mot d'introduction. Un bouquet d'arias connues et moins connues.
Elle ouvre le bal par le délicat « Partir, o ciel! Desio...
(Hélas je dois partir), du Voyage à Reims où la comtesse de Folville exprime son chagrin de la perte de ses beaux
atours lors du renversement de la calèche empruntée pour se rendre au sacre de
Charles X... L'abattage frappe d'emblée d'une voix magnifiquement conduite,
dotée d'un beau medium et qui ''monte'' avec aisance dans les fioritures aiguës
qui parsèment cet air. Elle donne ensuite l'air de Corinne du même Viaggio, écrit pour un soprano plus corsé, lequel à
la fin de l'acte II, évoque la fidélité de la belle à la royauté et une paix
retrouvée après les déboires et péripéties de la joyeuse compagnie réunie
malgré elle à l'auberge du Lys d'or. Si le premier air affirme le raffinement
et l'aisance, celui-ci souligne la maitrise du legato, alors que la chanteuse
est accompagnée par le seul pianoforte. La sûreté de la ligne de chant, on la
savoure dans le récitatif et l'air de Fiorilla du Turc
en Italie, « I vostri cenci
vi mando » (Je vous réexpédie vos chiffons). Ce dramma buffo la vit triompher il
y a deux ans au Festival d'Aix. La seconde partie du concert la voit aborder l'opera seria rossinien. Avec
d'abord Semiramide (1823) où plane le souvenir de Montserrat Caballé, aussi à Aix. La
métamorphose est saisissante : style accompli, port altier, élocution posée,
fins de phrases sans limites font de l'aria « Bel raggio
lusinghier » (Un beau rayon prometteur) un
moment intense. Que poursuit la scena extraite de Tancredi (1813) : un récitatif richement expressif
sur l'accompagnement du hautbois, puis après un joli concertino des vents, une
aria profondément émue. Voilà une vraie voix de soprano lyrique qui ne demande
qu'à évoluer vers le spinto comme son illustre
devancière, et un investissement dans le texte qui est la marque d'une
interprète possédant déjà tous les ressorts du maniement de la scène.
L'impression se confirmera dans l'aria finale du rôle titre du rare melodramma giocoso Matilde di Shabran
(1821) : un grand morceau virtuose paré d'acrobaties pyrotechniques mais aussi
d'une ligne très liée. Una poco fa » du Barbier de Séville
enfonce définitivement le clou, dans la version assortie d'enjolivements bel cantistes invraisemblables - qui n'étaient pas cautionnés
par l'auteur! Qu'importe : on rend les armes devant pareille maitrise et si
généreuse faconde. L'accompagnement prodigué par Ottavio Dantone,
à l'orchestre et au pianoforte, est pour beaucoup dans cette réussite : une
battue sobre dispensant crescendos et effeuillant les surprises, efficace dans
le soutien de la voix, une palette de couleurs diaphanes que distillent à ravir
les musiciens de l'Accademia Bizantina
qu'il a fondée à Ravenne en 1983, « pour faire de la musique à la manière d'un
grand quatuor à cordes ». Cette approche chambriste est somme toute idéale
pour sertir ces morceaux qui demandent assurément plus transparence que
surcharge d'effets. On le remarque autant dans les pièces purement
instrumentales entrecoupant les airs (Sinfonia de Il
signor Bruchino et de Tancredi, ''Temporale'' du Barbier ou Grand'Overtura « obligata a contrabasso » écrite dans les années 1809/1810 qui
pour une pièce de jeunesse, n'en est pas moins digne d'intérêt avec ses effets
de martèlement, ici des cordes sull ponticello, annonçant ceux imaginés dans l'ouverture d'Il
signor Bruschino où les
seconds violons frappent leur pupitre de leur archet, une manière de traitement
musical ad absurdum. Jean-Pierre Robert. Partenope ou le
beau chant haendélien Goerg Friedrich HAEANDEL : Partenope. Opéra en trois
actes. Livret anonyme d'après un livret de Silvio Stampiglia.
Karina Gauvin, Lawrence Zazzo, John Mark Ainsley, Emöke Barath, Kate Aldrich,
Victor Sicard. Il Pomo d'Oro, dir. Maxim
Emelyanychev. Version en concert. Théâtre des
Champs-Elysées.
Sur les talons de la publication du CD chez
Warner (cf. NL de 1/2016), Partenope de Haendel vient d'être donné en version de concert au
Théâtre des Champs-Elysées qui se fait une spécialité de ce type de
représentation. Ce concert est la première étape d'une tournée européenne qui doit mener
l'ensemble en Hollande, Espagne et Allemagne. Par rapport au disque, plusieurs
changements de distribution marquent cette exécution : le remplacement du chef
Riccardo Minasi, fondateur à Venise en 2012 de
l'ensemble Il Pomo d'Oro,
lequel a désormais cédé la baguette à son coadjuteur Maxim
Emelyanychev, celui de Philippe Jaroussky
qui a dû renoncer pour des raisons de deuil d'un de ses proches, par
l'américain Lawrence Zazzo, dépêché à la onzième
heure, et enfin des rôles de Rosmira et de Ormonte, tenus respectivement par Kate Aldrich et Victor
Sicard. Modifications qui n'auront pas empêché que le concert soit une fière
réussite. Peu connu, Partenope (Londres,
1730), est sans doute une des plus séduisantes partitions d'opéra de Haendel,
qui malgré le peu de théâtralité de l'intrigue, réussit à dessiner des
portraits passionnants adornés autour de celui de la reine Partenope.
Car cette trame tout sauf héroïque, à la différence de bien de celles du Saxon,
offre la particularité d'être une comédie des sentiments douce-amère sur la
confusion d'identités (Rosmira, qui se fait passer
pour un homme Eurimène, et se démasquera elle-même
pour répondre aux sentiments d'Arsace qu'elle avait
jusqu'alors malmené), et la difficulté pour la reine de départager ses trois
soupirants, à la vérité forts différents, dont même son pire ennemi. La
tristesse voisine avec l'humour, la pitié avec les vraies émotions amoureuses.
Si l'exécution de concert offre cette particularité de ne pas imposer de régie captant
l'attention, comme souvent, elle permet du moins de clarifier des situations
qu'on imagine peut-être autrement à l'écoute d'un disque. Par exemple, le
chassé croisé ''je t'aime, moi non plus'' entre les deux protagonistes que tout
devrait rapprocher, Rosmira/ Eurimène
et Arsace, est d'allure plus crédible du fait d'une
discrète mise en espace permettant aux deux interprètes de mimer leurs scènes.
C'est bien sûr la succession d'arias qui capte l'attention. Et comment résister
à pareil feu d'artifice vocal ? La soirée aura dispensé à l'envi ces prouesses
dont Haendel a le secret. A commencer par celles qui distinguent le rôle titre.
Voix tout à fait naturelle pour ce répertoire, Karina Gauvin en possède
l'intensité et la parfaite fluidité. Plus assurée qu'au disque, elle apporte
souveraineté et abattage à ces moments qui fixent une figure d'une glorieuse
assurance et d'un charme presque espiègle. La jeune Emöke
Barath paraît un instant lui ravir la vedette tant
elle se meut avec aisance et émotion dans cet univers fécond par un soprano
clair magnifiquement conduit. Sur la réserve en début de concert, Kate Aldrich
s'enhardit au fil de celui-ci et de sa voix chaude de mezzo-soprano pare le
rôle de Rosmira de belles saveurs. Aux antipodes de
la manière séraphique de Philippe Jaroussky, Lawrence
Zazzo offre un contre ténor nettement plus corsé.
Passé un début où la voix peu domestiquée sonne presque trop fort, la ligne
s'adoucit et s'arrondit pour atteindre la plénitude dans les vocalises qui
distinguent la partie d'Arsace. Le ténor de John Mark
Ainsley se fait une fête des ornementations tout
aussi brillantes de celle d'Emilio. Il est amusant de penser que ce chanteur
fut de l'équipe de De la maison des morts de
Janacek, sous la direction de Boulez, naguère à Vienne et à Aix ! La battue
souple et d'une précision d'orfèvre de Maxim Emelyanychev est infiniment nuancée, assez différente de
celle de Riccardo Minasi dans le CD. Aux accents
moins tranchés répond un souci d'onctuosité de la ligne. Et une tension maintenue
de bout en bout. Il obtient des musiciens d'Il Pomo
d'Oro une sonorité souvent envoûtante, que leur
faible nombre rend encore plus raffinée. Jean-Pierre Robert.
L'émotion musicale à l'état pur : Julia Fischer & Igor Levit
La musique de chambre est sans doute le
domaine le plus secret de la musique et la sonate en duo une de ses formes les
plus abouties. Julia Fischer (*1983) et Igor Levit
(*1987) l'ont démontré sans ambages l'autre soir au Théâtre des Champs-Elysées,
lors de la séance médiane de leur trilogie beethovénienne dont on rapporte que
la première fut tout aussi passionnante. Beethoven a composé ses premières
sonates pour violon et piano au seuil des années 1800, dans un fécond élan
créateur qu'avivait la passion amoureuse pour « l'immortelle Bien aimée »,
Joséphine de Brunswick. Le présent concert était dévolu aux trois sonates de
l'op. 30 et à l'op. 24. On n'en compte plus les interprétations, dont certaines
légendaires, en concert et au disque. Celle-ci ne pâlit pas loin s'en faut.
Sonates pour ''violon et piano'' ou ''pour piano et violon'' ? L'édition
originale mentionne, pour ce qui est des trois premières de l'op. 12, « Sonaten für pianoforte und violine ». La remarque n'est pas sans importance
car si la partie de violon capte bien sûr l'attention, celle de piano est tout
aussi remarquable : un dialogue entre
les deux voix où jamais l'un ne se cantonne dans le rôle d'accompagnateur de
l'autre. Le premier mouvement de la Sonate op. 24, dite « Le
printemps » - appellation au demeurant apocryphe -, dans l'interprétation de Fischer et de Levit, le montre d'évidence. S'affirme d'emblée une
exécution intimiste, qui n'est pas sans une certaine ascèse. Mais quel parler
vrai dans l'échange ! Lui : lové sur le clavier, toucher d'une infinie douceur,
usant plus que modérément de la pédale forte. Elle : exhalant une
sonorité lumineuse, d'une droiture fuyant toute brillance, toujours s'imposant
le plus simplement du monde. Avec ce ''con brio'' la mélodie passe de l'un à l'autre tout naturellement,
comme au rondo final ''tema con variazioni'',
calé sur l'air de Vitellia « Non piu du fiori » de La Clemenza di
Tito de Mozart. La beauté intérieure de l'adagio molto espressivo se
déroulera tel un Lied. Il en va de même des trois sonates de l'op. 30, de 1802,
dédiées au tsar Alexandre Ier de Russie. La Sixième sonate, peut-être moins
célébrée que ses sœurs, renferme pourtant bien des trésors, alliant noblesse et
fantaisie. A l'image de ses deux mouvements extrêmes, tandis que que la douce mélodie de l'adagio médian tutoie ici le
sublime. Comme bien des instants de cette soirée. Entamée con brio, la Septième
sonate, avec ses bribes de marche, déploie ce qu'on nomme la passion de la
jeunesse. Introduit par le piano, l'adagio porte bien son indication de
''cantabile'', puis l'archet de Fischer caracole finement alors que les notes
lourées du piano révèlent vite un drame sous-jacent. Le finale est un feu
d'artifice et les rares accents forte de ces
exécutions s'épanouissent alors avec majesté. La Huitième sonate op. 30 N°3 va
clore en beauté ce mémorable concert : la fièvre, hors de tout pathos, de
l'allegro initial, la manière gracieusement dansée de l'andante con variazioni ponctué de quelques notes piquées dans le grave
du piano, que Levit détache malicieusement, la
fantaisie débridée du vivace, magistralement sous contrôle sous les doigts de
ces deux artistes d'exception. C'est plus que de la fusion : une rare entente
aisée, un parangon d'élégance. Le bonheur de faire de la musique en somme.
L'auditoire est sous le charme de ce partage, captivé. Un concert à marquer
d'une pierre blanche. Jean-Pierre Robert. Tout Ravel par Bertrand Chamayou : un
moment de bonheur
Il est rare qu'on commente à la fois un
concert et un disque du même programme. L'actualité l'impose avec l'intégrale
pour piano de Ravel donnée simultanément au Théâtre des Champs-Elysées et au
disque, par Bertrand Chamayou. Voilà un musicien de
l'eau la plus pure et un homme que le chalenge n'est pas de nature à effrayer !
On se souvient de son intégrale des Années de pèlerinage de Lizst (CD Naive) qui fusa comme
un coup de tonnerre. Interpréter Ravel ? C'est « trouver un ton personnel,
et donc une certaine liberté au sein d'un texte d'une extrême précision »,
remarque-t-il. Ses tempos sont plutôt allants ; et on pense à l'assertion de
Manuel Rosenthal pour qui les indications de tempos
de Ravel sont des garde-fous plus que des exigences strictes. On sait à cet
égard les échanges vifs entre l'auteur et son interprète favorite Marguerite
Long. Chamayou d'ajouter : « on ne peut avoir
prise que sur les détails, il faut peaufiner, ciseler, trouver des changements
d'éclairage, mais ne rien surligner. Tout se joue entre les lignes ».
Belle formule ! Qu'on vérifie au fil de ces exécutions données par cœur, autre
prouesse ! Le concert, comme le disque, débute par Jeux d'eau (1901),
magnifique entrée en matière dans la poétique ravélienne. On admire d'emblée
l'absolue fluidité alors que « Ces pages s'éloignent autant de la
description que de la confidence » (Marguerite Long, in '' Au piano avec
Maurice Ravel'', Julliard) ). Miroirs (1904-5)
affirment la modernité du langage de Ravel, dont le titre « souligne ce
que les Impressionnistes ont simplement démontré, la prééminence du reflet sur
l'image directe dans la sollicitation de notre sensibilité et l'indispensable
édification du rêve » (ibid.). Le raffinement de « Noctuelles »,
le mystère d'« Oiseaux tristes », égrené sur deux notes, comme plus tard
« Le gibet », le balancement d'« Une barque sur l'océan »,
traversé de coups de tabac rageurs, ses
fusées de vent dans le medium du piano, la houle cinglante des trilles de
l'extrême aigu. Chamayou montre une sensibilité
extrême pour cette « écriture très pédalée et fondue » ( ibid.). « Alborada del gracioso » dessine une Espagne plus vraie que
nature, dans ses rythmes, ses couleurs, sa théâtralité (''gracioso'' fait
référence à quelque bouffon), son animation débordante (les notes en chapelet
sauvagement répétées) et sa grâce pas trop appuyée, que Chamayou
ne souligne justement pas. « Vallées des cloches » verra son thème
central joué dans un tempo rigoureusement égal (comme il doit en être de
l'introduction du deuxième mouvement du Concerto en Sol) pour en
traduire le lyrisme serein et contemplatif. Avec les Valses nobles et
sentimentales, Chamayou nous fait toucher la
magie des sortilèges ravéliens : vigueur assénée (1ère), charme mélancolique de
la deuxième, légèreté, celant quelque chant plus ample (3 ème),
joyeuse animation (4 ème), distillant des harmonies
recherchées (5ème, marquée ''presque lent'', avec ses syncopes éthérées,
caressées par le pianiste), vivacité de la 6ème, temps de valse tourbillonnante
de la suivante. A l'« Epilogue », sorte de récapitulation, c'est
comme un thème apaisé qui se souvient de lui-même.
Gaspard de la nuit (1908), la pierre
angulaire, Chamayou la domestique avec maestria,
asservissant la difficulté. « Ondine » et son clapotis de notes
aiguës est d'une grande pureté, fluide dans ses changements de rythmes
incessants. Le mouvement fluctuant des ondes comme la
tourbillonnement de la sirène, tout cela est pure magie. A l'heure de « Le
gibet », « esquisse sonore et lumineuse que le lointain
estompe » (ibid.), le glas immuable et lancinant d'une cloche lugubre,
l'extrême clarté du jeu de Chamayou le magnifie. Car
rien ne lui échappe, définition des plans, maitrise de l'intensité, nuances
infinitésimales, comme du pp au ppp, legato parfait, uniformité
voulue du discours, et aussi toute sa simplicité. Avec « Scarbo », c'est le fantastique, là encore avec ses
brusques changements de rythmique, ses traits empoignés transcendant le volume
sonore (des aigus éthérés, des graves résonnants), sa virtuosité diabolique
(des cascades de notes répétées, dignes de Scarlatti), ses dissonances
audacieuses fièrement assumées. Et cette fin au-delà du rêve cauchemardesque.
Là encore une grande interprétation. La Sonatine (1903-5) est sans doute
plus que ce que son nom suggère. Un petit bijou de finesse. Ses trois épisodes
sont autant de perles. Chamayou prend le
« Modéré » assez rapide, à la différence des préconisations de
Marguerite Long. « Mouvement de menuet » et ses indications de rallentendos sont bien respectées où « l'effet de
ralenti doit venir de la nuance et de la sonorité plus que d'un véritable
changement de mouvement » (ibid.). L'« Animé » final est nerveux et
d'une agitation follement contagieuse. La salle répond avec enthousiasme. Et on
bondit sur son fauteuil en écoutant le disque. Après quelques autres pièces
plus courtes comme la Sérénade grotesque, première œuvre majeure
annonçant « Alborada », ou encore les A
la manière de...Chabrier » ou….de Borodine, Chamayou
conclut le concert par Le tombeau de Couperin (1914-1917). Cette suite
de six pièces est un vraie carte de visite de l'art du
maitre de Ciboure et de tout pianiste se mesurant à Ravel. Le
« Prélude » est liquide, joué très vite avec une inexorable énergie.
Suit « Fugue », pièce la plus secrète et un peu austère, dont les
accents « nécessitent une grande
indépendance des mains » (ibid.) - elle n'a d'ailleurs pas été orchestrée.
Vient « Forlane », danse balancée et qui doit être gaie : Chamayou la prend justement pas lentement, rencontrant ce
« jeu métronomique dont on a si souvent parlé à propos de Ravel. Le
« Rigaudon » trottine allégrement car joué bien soutenu et l'épisode
central est pris confortable, à la différence de Long qui recommande un tempo
plus lent ici. Le charme de « Menuet » est distillé tout comme
surgissent des accents dramatiques insoupçonnés dans le crescendo final et ses
formidables notes graves. Enfin « Toccata » est un feu d'artifice,
l'occasion « de faire toutes les notes » disait Ravel ! Chamayou en fait son miel avec une précision d'horloger
suisse pour notre bonheur. L'auditoire conquis lui fait fête et en bis Chamayou donne, en hommage à Jeanine Roze, Kaddisch, transcription d'une des Mélodies
hébraïques par Alexander Siloti. Au long de cette
immense soirée, le pianiste aura montré une objectivité pas obsédante,
instillant cette dose de liberté qui procure un sentiment d'improvisation au
détour de la phrase, un élégance charmeuse, un refus
de la joliesse et de l'effet, un jeu tour à tour robuste sans qu'il soit
percussif et chuchoté prodigieusement poétique ; un « mélange de rigueur
et d'hédonisme » pour le citer. Chapeau bas ! Il faut se procurer le disque
paru chez Erato (2CDs : 08256 460268. TT.: 70'51+66'10). Jean-Pierre Robert. Valery Gergiev : Docteur Jekyll et Mister Hyde !
Un concert bien étonnant que celui donné à
la Philharmonie de Paris par l'emblématique chef russe, Valery Gergiev, à la tête de l'Orchestre de Paris. Une soirée
musicale qui nous conduisit de l'apathie la plus morne et la plus ennuyeuse d'un
Double Concerto pour violon et
violoncelle de Brahms, réduit à une suite de notes sans intérêt, jusque sur
les sommets rarement atteints d'une exceptionnelle et magistrale interprétation
de la Symphonie fantastique de
Berlioz. On savait le chef russe lunatique, capable du meilleur comme du pire,
mais jamais la double facette de sa personnalité musicale ne fut mise à jour
avec autant d'acuité ! Une salle comble, un violoniste, Sergey Khachatryan de plus en
plus introverti associé au violoncelliste Narek Hakhnazaryan, lui totalement extraverti, un orchestre terne
qui ne sonne pas, en parvenant malgré tout à couvrir les solistes et un chef se
désintéressant totalement de la partition…Un Brahms sans tension aucune,
squelettique et confus qu'on oubliera bien vite. En revanche c'est un Valery Gergiev, bien différent, comme métamorphosé qui prit
possession du podium pour une Symphonie
fantastique (1830) qui restera assurément dans les mémoires. Une œuvre
considéré en France comme fondatrice de la musique à programme. 1830, année de
tous les possibles, fin de la seconde Restauration, le souffle de liberté qui
envahit le pays fait écho au coup de foudre de Berlioz pour l'actrice Hariett Smithson qui constituera
le modèle féminin de cette symphonie, en nourrissant les cinq mouvements :
Rêveries et Passion, Un Bal, Scène aux
champs, Marche au supplice et Songe
d'une nuit de Sabbat. A l'inverse de l'œuvre précédente, la direction
attentive et appliquée de Gergiev fut ici animée par
un constant souci de tension et de clarté, magnifiant la richesse et la
subtilité de l'orchestration, sans oublier l'expressivité du discours,
l'effusion des passions et les brumes opiacées d'un romantisme exacerbé. Une
œuvre menée tambour battant, faisant intervenir avec bonheur tous les pupitres
excellents et très réactifs de l'Orchestre de Paris, tout animé de passion dans
le premier mouvement, suivi d'un bal célébrissime empreint d'une
impression d'irréalité, portant en lui comme une inquiétude, une ambigüité qui
cèdera le pas au ton pastoral et bucolique du troisième mouvement souligné par
le lointain duo de chalumeaux (hautbois et cor anglais) et interrompu par la
menace d'un orage préludant à une marche au supplice quasi apocalyptique,
saisissante d'effroi, scandée par les
cuivres et les percussions et conduisant au sabbat peuplé d'effets caricaturaux
à grand renfort de cloches, de glapissements de cuivres, mêlés aux
hallucinations opiacées au milieu desquelles s'élève le Dies Irae dans une parodie burlesque… Une œuvre audacieuse, incontournable
pièce maitresse du répertoire romantique
dont Gergiev et l'Orchestre de Paris donnèrent
ce soir une interprétation d'anthologie. Le triomphe fut bien mérité ! Patrice Imbaud. Orchestre Français des Jeunes, David Zinman,
Nelson Freire : que de talents réunis !
Que de talents réunis pour ce concert de
l'Orchestre Français de Jeunes, dirigé par David Zinman
avec Nelson Freire en soliste, dans un programme varié associant Berlioz,
Rachmaninov et Brahms. Un orchestre créé en 1982 par le Ministère de la Culture
visant à assurer aux jeunes musiciens d'orchestre une formation de haut niveau,
dirigé par un chef de renommée internationale, comme aujourd'hui David Zinman qui en est le directeur musical depuis cette année. L'Ouverture
du Carnaval romain (1844) fut une
magistrale réussite, à la fois lyrique et cantabile dans la ligne, enlevée et
dynamique dans sa progression, précise dans la mise en place rendant grâce à
l'orchestration berliozienne à la fois subtile et
éclatante, équilibrée entre les différents pupitres avec un magnifique solo de
cor anglais, le tout sous tendu par une irrésistible envie de jouer, une
tension prégnante et une euphorie flamboyante. Les Danses symphoniques (1940) de Rachmaninov furent de la même veine dans la qualité de
l'interprétation, encore que d'aucuns auraient, peut-être, préféré qu'on y
développât de façon plus marquée les
accents russes, insistant de façon plus appuyée sur la sensualité de la
partition et les tourments de l'âme… Une des dernières partitions écrites par
le compositeur russe, conçue comme une suite de danses, danses fantastiques en
trois mouvements (Midi, Crépuscule et
Minuit) mêlant des thèmes originaux et des réminiscences de partitions plus
anciennes. La première pièce rythmée et très mélodique fait la part belle aux
vents, ici d'une remarquable clarté, et au saxophone dont la cantilène évoque
la nostalgie du pays natal. La seconde pièce est une sorte de valse bancale et
dissonante rappelant Ravel dans un climat crépusculaire entretenu par le chant
du violon solo et le dialogue lointain entre hautbois et cor anglais. Le
dernier mouvement se déroule dans une atmosphère fantastique suspendue entre
rêve et cauchemar, ponctuée par des cloches et des sonorités hispanisantes d'où émergera le
thème récurrent chez Rachmaninov du Dies
Irae. Après la pause, le Concerto pour piano n° 2 (1881) de Brahms, une partition éminemment
romantique dont le pianiste brésilien, Nelson Freire, donna, là encore, une
magnifique interprétation puissante mais sans brutalité dans le premier
mouvement, sombre dans le deuxième, élégiaque dans le troisième soutenu par
l'émouvante cantilène du violoncelle solo, dynamique, libre et joyeuse dans le
rondo final. Un concerto qui eut d'emblée un immense succès dès sa création à
Budapest sous les doigts du compositeur, une œuvre qui évoque les différents
facettes de la personnalité de Brahms, son amour de la nature, sa bravoure et
sa virtuosité pianistique, mais aussi son caractère insondable, joyeux,
nostalgique, enthousiaste, passionné, parfois amer ou mélancolique. Un ensemble
de qualificatifs expliquant la complexité de l'œuvre, ses difficultés d'interprétation
que sut résoudre avec brio Nelson Freire (il est vrai habitué de cette
partition qu'il enregistra avec Riccardo Chailly chez
Decca), magistralement accompagné par la main sûre, experte et élégante de
David Zinman. En bref, un très beau concert et un
magnifique orchestre ! Patrice Imbaud. Naissance d'un grand chef !
Pour leur passage à Paris dans le cadre
d'une tournée européenne, les Wiener Symphoniker
n'étaient pas dirigés par leur chef titulaire, Philippe Jordan, actuellement
souffrant, mais par le jeune chef prodige israélien âgé de 26 ans, Lahav Shani. Également pianiste et contrebassiste, élève de
Daniel Barenboïm, il fit vivre à la Philharmonie de Paris, en ce glacial soir
de janvier, un de ses plus beaux moments par sa direction époustouflante et
totalement décomplexée qui souleva le public ! Il n'est pas rare que de
grandes carrières commencent ainsi par un replacement au pied levé… Acceptons
en l'augure… Un programme qui voyait se succéder l'Ouverture « Carnaval » de Dvořák.
Une sorte de tourbillon joyeux, très dansant,
inspiré par la Nature, composé en 1891 que Lahav
Shani empoigna à bras le corps, de façon dynamique et colorée, rendant en cela
hommage à la belle orchestration du compositeur tchèque, même si d'aucuns
auraient aimé peut être plus de tendresse et de « slavitude »
dans le trait. Venait ensuite le Concerto
pour violon de Dvořák toujours, datant
de 1880, dédié au violoniste Joseph Joachim qui ne le joua jamais, où l'on
retrouve aisément l'influence brahmsienne et tout ce que doit Dvořák à la musique germanique. Influence d'autant
plus marquante que la célèbre soliste américaine, Hillary Hahn, l'interpréta
comme s'il s'agissait du concerto de Brahms sans cette langueur « Mittel Europa » qui donne à cette musique tout son
charme, sa beauté et sa force de persuasion. Comme à son habitude, Hillary Hahn
resta de glace, enfermée dans une technique violonistique parfaite, nous
donnant de cette œuvre une vision assez plate où manquèrent cruellement poésie
et émotion. La violoniste paraissant à l'évidence plus à l'aise dans les
passages virtuoses ou dans la musique plus abstraite comme celle des deux bis
qu'elle accorda au public, extraits des partitas de Bach. Mais le moment
mémorable de cette soirée fut indiscutablement la Symphonie n° 4 de Brahms.
Dernière des symphonies du compositeur, écrite en 1885, une œuvre qui
prend valeur de testament symphonique mêlant perfection formelle et profondeur
des sentiments, toute imprégnée de sagesse et de gravité ; une « triste
symphonie » disait le compositeur, nimbée de la lumière crépusculaire du
soleil couchant…Un message éminemment complexe, à la fois tourmenté, fougueux,
rude et mélancolique, que Lahav Shani sut faire sien,
conduisant d'une main sure et experte la phalange viennoise dans une
interprétation d'une totale justesse, ne relâchant jamais la tension dans un
phrasé d'une somptueuse beauté qui captiva de bout en bout le public et les
musiciens ! Devant l'enthousiasme de la salle, l'orchestre interpréta pour
conclure dignement cette soirée une Danse
Slave et une valse viennoise permettant de goûter encore quelques instants
l'élégance de la direction et la belle sonorité de l'orchestre. Une belle
soirée et un chef à suivre… Patrice Imbaud. Jakub Hrusa et le « Philhar » : Une soirée « fantastique »!
Un programme rare et particulièrement
alléchant, réunissant Joseph Suk, Bohuslav Martinu et
Igor Stravinski, pour ce concert de l'Orchestre Philharmonique de Radio France,
au Grand Auditorium, dirigé par le jeune chef tchèque Jakub Hrusa,
spécialiste de ce répertoire. Né en 1981, il fut, il y a une dizaine d'années,
chef assistant du « Philhar » et devrait
tout prochainement prendre la direction de l'Orchestre symphonique de Bamberg.
Une soirée se déroulant autour du
fantastique… Scherzo fantastique de
Joseph Suk (1874-1935) en ouverture. Un poème symphonique composé en 1903
porteur de tout l'imaginaire fantastique de Bohême où l'on peut sentir
l'influence de Dvořák, beau-père de Suk. Une
partition à la fois lyrique, dansante et contrastée aux accents slaves, à
l'orchestration brillante mettant tout particulièrement en avant l'excellent
pupitre de violoncelles et la petite harmonie. Venaient ensuite deux pièces de Bohuslav Martinu (1890-1959). Le concerto pour violoncelle n° 1 interprété par le celliste
germano-canadien Johannes Moser, une œuvre virtuose, composée en 1930, révisée
et créée dans sa version définitive par Pierre Fournier en 1955. Trois
mouvements s'y succèdent, le premier assez abrupt et conflictuel usant d'une
étonnante force rythmique faite de ruptures et de syncopes, le second plus
serein introduit par un superbe solo de trompette qui s'efface pour laisser
place à une cantilène élégiaque du violoncelle, le troisième passionné. Une
interprétation marquée par le dynamisme, peut-être un peu aride, la clarté du
jeu et l'engagement du soliste qui déchaîna l'enthousiasme du public. Après la
pause, Martinu toujours, avec la Symphonie
n° 6 que le compositeur avait envisagé d'appeler Nouvelle Symphonie Fantastique, en référence à Berlioz, pour
finalement retenir le titre de Fantaisies
symphoniques justifié par la liberté formelle et le caractère fantasque et
inquiétant de la partition. Une œuvre datant de 1955, dédiée à Charles Munch,
qui aligne trois fantaisies très complexes, nécessitant une direction tirée au
cordeau, dont Jakub Hrusa donna une lecture à la fois
passionnante et tendue menant le Philhar sur des
sommets rarement atteints. Enfin pour en terminer avec le fantastique, le Scherzo fantastique de Stravinski
(1882-1971) une œuvre de jeunesse composée en 1908, vaguement inspirée par la Vie des abeilles de Maeterlinck mais que
le compositeur considéra toujours comme de la musique pure témoignant déjà d'un
sens du rythme, des timbres et de l'orchestration hors du commun qui se
confirmeront plus tard…. En bref une soirée formidable, au sens étymologique du
mot. Bravo à tous ! Patrice Imbaud. Robert Trevino & le
« National » : Une première rencontre en demi teinte…
Le jeune chef américain, Robert Trevino, lauréat du concours Svetlanov
2010, remplaçait au pied levé Daniele Gatti,
souffrant, à la tête de l'Orchestre National de France dans un programme
viennois, on ne peut plus romantique, associant Schubert et Bruckner. Lourde tache,
difficile entrée en matière dans le grand Auditorium de Radio France, même si
la colossale Huitième de Bruckner avait été remplacée, pour l'occasion, par la
non moins célèbre Quatrième symphonie dite « romantique » du maître
de Saint Florian. Un concert un peu décevant
du fait du manque probable de préparation où chacun peinera à trouver
ses marques… En première partie, la Symphonie
n° 8 « Inachevée » de Schubert. Une symphonie composée en 1822, à
titre de remerciement à Joseph Hüttenbrenner qui
reçut Schubert à la Société musicale de Styrie, mais une œuvre laissée
inachevée comme souvent chez Schubert qui composa semble-t-il, suivant les
données récentes, une quinzaine d'esquisses symphoniques. Une œuvre comportant
deux mouvements assez semblables, Allegro
et Andante, qui ne sera créée
qu'en 1865, longtemps après la mort du compositeur, où le propos n'est pas tant d'éblouir que de captiver, d'enchanter
l'auditeur par ce mélange de sérénité et d'angoisse où cordes et vents se répondent.
Robert Trevino en donna une interprétation très
contrastée dans un climat plutôt chambriste, entachée par un discours un peu
haché avec une accentuation exagérée des rythmes et un tempo trop lent dans le
second mouvement. On retiendra toutefois un très beau solo de clarinette (Bruno Bonansea) et
un « National » vaillant et engagé. Après la pause, la Symphonie n° 4 dite « Romantique » de
Bruckner constituait le moment très
attendu de cette soirée. Une œuvre composée en 1874, maintes fois remaniée,
difficile d'interprétation où solennité n'est pas synonyme de grandiloquence,
nécessitant un grand effectif orchestral très cuivré, assez emblématique de
Bruckner, abstraite dans son contenu, traditionnelle dans sa forme en quatre
mouvements. Une partition qui commence dans le mystère puis se développe dans
une affirmation péremptoire des cuivres. Un second mouvement qui rappelle
Schubert par son caractère funèbre. Un Scherzo aux allures de chasse et un
Finale comme une révélation par son caractère grandiose. Force est de reconnaitre
que la lecture du chef américain ne put jamais nous convaincre tout à fait. Si
la gestique est claire, voire parfois brutale, si les équilibres sont
respectés, le discours manque, ici encore, de continuité et de tension
notamment par l'installation de longs silences dans le phrasé et par des tempi
trop lents. Une lecture assez contestable et quelques dérapages des cuivres
(cors notamment) qui gâcheront quelque peu cette première rencontre. On attend
un prochain rendez-vous programmé cette
fois…. Patrice Imbaud. Martha Argerich illumine le concert pour
la paix
Par son charisme et son magnétisme
pianistique, chacune des apparitions de Martha Argerich
sur scène est déjà un événement en soi, aussi ne s'étonnera-t- on pas de
retrouver la Philharmonie de Paris archi comble pour ce concert de gala se
déroulant devant nombre de personnalités médiatiques et politiques. Il faut
bien avouer que ce concert pour la paix, donné par l'Alma Chamber
Orchestra, dirigé par le surdoué français de la direction d'orchestre Lionel Bringuier avait de quoi attirer le chaland par la notoriété
de la soliste et le programme romantique proposé associant Mendelssohn,
Beethoven et Schumann. L'Alma Chamber Orchestra est
une jeune formation orchestrale créée en 2013 à l'initiative de l'Alma Nostra Foundation qui a pour vocation de diffuser un message de
paix sur toutes les scènes du monde. Sa directrice artistique et violon solo
n'étant pas moins qu'Anne Gravoin, madame Valls à la
ville, ceci expliquant probablement la présence dans la salle de nombreux
membres du gouvernement dont Manuel Valls. Les musiciens composant cette phalange venant des plus
grands orchestres français avec une proportion notable de titulaires de
l'Orchestre de Paris, notamment dans la petite harmonie. En ouverture de
concert, Les Hébrides de Felix Mendelssohn, une pièce magnifique, rarement donnée,
créée en 1832 à Londres. Sous-titrée la
Grotte de Fingal, ce court poème symphonique, de tendance plus
impressionniste que descriptive, est le premier grand tableau marin de la
musique romantique, nourri de fantastique. Fort à propos, la direction et la
ligne orchestrale firent, ici, preuve d'une grande souplesse et d'une grande
fluidité, exprimant déferlement, sac et ressac, pour se conclure sur le murmure
de la mer se retirant, du plus bel effet. On retiendra de cette courte pièce le superbe solo de clarinette de Jessica Bessac.
Ce fut ensuite à la grande Martha d'occuper la scène pour une très belle
interprétation du Concerto pour piano n°
2 (1801) de Beethoven, une partition encore profondément empreinte de
classicisme, contestée par son auteur lui-même, associant vitalité et
intériorité où le piano est encore largement prédominant sur l'orchestre. Après
quelques attaques un peu imprécises dans les premières mesures de l'Allegro
initial, la magie du jeu pianistique de Martha Argerich
s'installa laissant la salle comme subjuguée par la plasticité, la subtilité et
la virtuosité de son toucher avec une superbe cadence dans le premier
mouvement, un lyrisme évanescent sans
pathos dans le deuxième et une extraordinaire symbiose avec l'orchestre dans
l'intrépide mouvement final. Après une telle prestation, saluée comme il se
doit par le public, la vision de la Symphonie
n° 3 de Schumann dite « Rhénane »
(1850) donnée par Lionel Bringuier parut un peu
superficielle, grandiloquence y remplaçant volontiers tension et profondeur
surtout dans le premier mouvement, le deuxième paraissant un peu brut de
décoffrage avec toutefois un superbe pupitre de cors conduit par Benoit de Barsony, le troisième lyrique mais sans émotion, le
quatrième très réussi, solennel aux allures de marche funèbre avant de conclure
sur un finale très vivant comme souhaité par le compositeur. En bref, une
interprétation de bonne facture à laquelle manqua assurément le noir
pressentiment des partitions schumanniennes, cette sombre clarté éclairant
d'une lueur crépusculaire le mythique fleuve dans lequel Robert se jettera
quatre années plus tard…Une belle soirée et un grand message, à méditer… Patrice Imbaud. Le « National » rend
hommage à Henri Dutilleux
Ce concert de début d'année était le
premier d'une série que l'Orchestre National de France a choisi de consacrer,
comme un hommage, au compositeur français Henri Dutilleux (1916-2013) dont on
célèbre, en cette année 2016, le centenaire de la naissance. En effet, au fil
de six décennies, l'ONF et Henri Dutilleux ont tissé une longue histoire
émaillée de nombre de créations marquantes, commencée en 1951 par la création
mondiale de la Symphonie n° 1.
Suivront Timbres, Espace, Mouvement en 1978, le Concerto pour violon « l'arbre des songes » en 1985, « Sur le même accord »,
nocturne pour violon et orchestre, en 2003, Correspondances
en 2004, « Le temps de l'horloge » en 2009. Au pupitre, ce
soir, un jeune chef à la carrière internationale déjà fournie, issu du Sistema colombien, Andres Orozco-Estrada
dont nous avions pu apprécier toute la pertinence de la direction lors d'un
concert en Novembre 2014 avec le même orchestre (cf. NL de 12/2014 ; www.leducation-musicale.com). Un
programme centré sur le Concerto pour
violoncelle et orchestre « Tout un monde lointain… » du compositeur français, avec Gautier Capuçon
en soliste, précédé du rare Phaëton de Camille
Saint-Saëns et suivi de l'incontournable Symphonie
n° 1 de Brahms. Phaëton
(1875), un des quatre poèmes symphoniques de Camille Saint-Saëns, une œuvre
courte sans l'envergure ni la richesse des
partitions lisztiennes ou
straussiennes, est une composition en revanche assez expressive et fort
contrastée, à l'orchestration assez simple reposant sur l'opposition entre
cuivres et percussions, dont le chef colombien donna une lecture dynamique,
claire et bien en place rythmiquement. Tout
un monde lointain…constituait le grand moment de la soirée, s'opposant
point par point à la partition précédente. Loin des fureurs et des chevauchées
cuivrées et percussives, c'est ici à un écho, à l'exploration d'un monde
lointain que nous invite Henri Dutilleux, sur un souvenir évanescent des Fleurs du mal de Baudelaire. L'œuvre se
construit sur cinq mouvements enchainés comme autant d'atmosphères,
énigmatique, extatique, mystérieuse, maritime, qui savent laisser place au
silence. Andres Orozco-Estrada et Gautier Capuçon, complices, nous en livrèrent une vision très
épurée faite de ruptures rythmiques où la complexité de la métrique est telle
qu'elle semble se dissoudre dans le chant ou les pleurs du violoncelle avec un
important travail de mise en avant des timbres de l'orchestre, magnifié par la
superbe sonorité du Matteo Goffriler 1701 du celliste
français. Un grand moment de musique qui nous enchanta…Peut-être moins
intéressante, la Symphonie n° 1 de
Brahms qui concluait la soirée, car sans doute trop entendue…Le chef colombien
la dirigea de façon parfaitement limpide, usant d'une gestique élégante et précise
pour une lecture propre et sans emphase, sans bavures et équilibrée dans le
premier mouvement, lyrique et cantabile dans le deuxième où brillèrent tout
particulièrement le violon solo d'Elisabeth Glab et
la petite harmonie, très enlevée dans le troisième où la clarinette de Patrick Messina fit des merveilles, plus crépusculaire dans le
quatrième avant de conclure sur une coda d'une lumineuse et superficielle
clarté. Une interprétation somme toute bien menée, classique, à laquelle manqua
un peu de cette rugosité brahmsienne en demi-teinte héritée des brumes du Nord.
Une belle soirée qui en augure d'autres à venir…. Prochain rendez vous avec
Henri Dutilleux le 21 janvier au grand auditorium de la maison ronde.
Patience ! Profitez de votre passage au grand auditorium pour jeter un
coup d'œil à l'exposition consacrée à Dutilleux au premier étage… Patrice
Imbaud. Le « National » au mieux de sa forme avant sa tournée
américaine
Pour un des ses derniers concerts avant son
départ en tournée en Amérique du Nord, l'Orchestre National nous est apparu au
mieux de sa forme, dirigé par le chef américain James Conlon,
ancien premier chef de l'Opéra de Paris entre 1995 et 2004. Des retrouvailles
au sein du Grand Auditorium de Radio France expliquant la présence de
nombreuses personnalités ayant appartenu un temps à la grande Maison durant la
période particulièrement troublée du mandat de Huges
Gall…Un programme Varèse, Prokofiev et Dvořák,
avec en soliste, le jeune surdoué du piano, Daniil Trifonov, titulaire de nombreux prix internationaux, élève
de la célèbre pédagogue, Tatiana Zelikman à
l'Institut Gnessine de Moscou. Intégrales d'Edgar Varèse (1883-1965) débutait ce concert. Une
pièce datant de 1924, pour ensemble à vents et percussions où Varèse continue
son expérimentation musicale à la recherche de concepts totalement nouveaux
comme l'analogie entre musique et peinture, la spatialisation du son ou encore
l'association son et électronique ou bande magnétique qui trouvera son
aboutissement dans Déserts quelques
trente ans plus tard… Pour l'heure Intégrales
s'inscrit dans une superposition de sons formant des agrégats sonores
évoluant sur des ruptures rythmiques scandant une fusion sonore éruptive,
inouïe et obsédante dont la mise en place fut éclatante. Prokofiev ensuite avec
le Concerto pour piano n° 2, une
œuvre puissante, de grande envergure, créée en 1913, remaniée en 1923, en
pleine période d'euphorie artistique avant gardiste.
Il comprend quatre mouvements dont Daniil Trifonov nous donna une lecture éblouissante, encore
soulignée par l'accompagnement très poétique du « National » suivant
parfaitement le jeu félin du soliste russe avant qu'il n'entame la
cataclysmique et subjuguante cadence du premier
mouvement. Le deuxième mouvement se développa sur un mode très dynamique et
motoriste, sans rudesse aucune, avant que le troisième parfaitement équilibré
ne souligne la symbiose totale avec l'orchestre dans une marche ironique et
burlesque précédant le tempétueux Finale, encore marqué par une cadence
envoûtante. Une interprétation magnifique qui fera date ! C'est peut-être
dans la Symphonie n° 8 de Dvořák que le chef américain nous déçut quelque peu,
ne parvenant à aucun moment à insuffler à cette partition ce souffle dvorakien caractéristique,
la privant de ce fait d'une partie de son charme, ne parvenant à en
faire autre chose qu'un beau divertissement mélodique. Si l'interprétation
parut contestable, sa réalisation instrumentale ne souffrit aucun reproche,
confirmant la bonne forme du « National » avant son départ pour
les États-Unis sous la direction de Daniele Gatti,
son directeur musical. Patrice Imbaud. A la mémoire de Kurt Mazur
L'Orchestre National de France souhaitait
rendre un vibrant hommage au grand chef d'orchestre allemand récemment disparu
qui fut son directeur musical entre 2002 et 2008. Ce concert lui était donc
tout particulièrement dédié comme un témoignage de respect et de reconnaissance
envers ce musicien hors du commun, sur la scène comme à la ville. A sa mémoire,
L'Aria de la Suite n° 3 de Bach
ouvrait donc ce concert devant un public et des musiciens recueillis… Le
programme de ce dernier concert au grand auditorium avant le départ pour la
tournée américaine reprenait exactement un des programmes qui seront donnés
outre atlantique et notamment au Carnegie Hall de New York, un des points forts
de cette tournée. Une occasion de juger de la préparation de l'orchestre et de
goûter en avant première pour les malchanceux qui resteront en France au
plaisir de cette musique empruntée à Debussy, Chostakovitch et Tchaïkovski. Un
concert bien préparé dont témoignaient la magnifique prestation de l'ensemble
des musiciens et la direction sans partition de Daniele
Gatti. Debussy d'abord, avec le fameux Prélude
à l'après-midi d'un faune, une œuvre phare du musicien français, crée en
1894, destinée à accompagner une récitation des vers mallarméens éponymes,
emblématique du courant symboliste. Une
partition tour à tour évanescente et
transparente, sensuelle et voluptueuse, véritable miroir de la poésie de
Stéphane Mallarmé. Une églogue musicale permettant de mettre en avant tous les
timbres de l'orchestre, sa cohésion et sa sonorité lumineuse. Chostakovitch
ensuite, avec le Concerto pour violon n°
1, composé en 1948, créé en 1955 par David Oïstrakh, son dédicataire. Là
encore une interprétation sans faille de Julian Rachlin,
très lyrique et inquiétante dans le Nocturne initial, sautillante dans le
Scherzo sur des échanges très vifs entre soliste et orchestre (violon et bois)
quasiment motoriste, avec des attaques parfaitement en place, gage d'une
évidente complicité entre chef et soliste, grave et solennelle (cor et
violoncelle) dans la Passacaille avant que ne s'élève la complainte poignante du
violon accompagnée du basson, du cor anglais et du tuba qui se résoudra dans
une cadence virtuose reprenant les différents thèmes, burlesque enfin dans la
mouvement final qui se terminera sur un embrasement orchestral. Bref, une
interprétation d'exception, habitée en permanence de cette ambigüité grinçante
propre au musicien soviétique poursuivi par la censure stalinienne. Après la
pause, Tchaïkovski avec la Symphonie n°
5, page centrale de la trilogie du fatum. Une œuvre (1888) là encore
marquée par l'ambigüité et l'ambivalence du propos hésitant entre joie et
désolation, liberté et destin…Un premier mouvement lyrique et douloureux mené
sur un tempo assez lent où Daniele Gatti laisse
respirer l'orchestre, sans lui imprimer l'urgence d'un Mvravinski,
tout en sachant y préserver la tension nécessaire à la continuité et à la
progression du discours, un deuxième mouvement introduit par un superbe solo de
cor comme une lamentation accablée se développant sur un tapis de cordes et un
contrechant de la clarinette qui cèdera sa place à une rêverie mélancolique des
cordes rapidement interrompue une fois encore par le thème inquiétant du destin
clamé par les cuivres, un troisième mouvement sur un rythme de valse élégante,
avant un final grandiose ne parvenant à sceller de façon définitive, dans cette
débauche orchestrale, la victoire de dieu ou du destin…Une magnifique
interprétation qui ne manquera pas de triompher au Carnegie Hall. Patrice Imbaud. Henri
Dutilleux aurait eu 100 ans !
L'orchestre Philharmonique de Radio France,
avant de débuter son festival annuel « Présences » consacré à la
musique contemporaine, donnait au public parisien un concert d'exception
consacré au compositeur français Henri Dutilleux. Disparu à l'âge de 97 ans en 2013,
il aurait eu 100 ans aujourd'hui. Un programme totalement centré sur ses
œuvres, musique symphonique et musique de chambre, permettant d'apprécier, sur
ce court échantillon, la qualité et
l'originalité de sa musique reconnue dans le monde entier. Entre cristal et
nuée, entre ordre et chaos, une œuvre, comme une dialectique du temps entre
humain et cosmique, entre forme et matière. Ni d'avant garde, ni engagée, une
musique de la présence et de l'écoute, une mise en résonance du monde, sorte
d'impressionnisme introspectif, utilisant la technique de la
variation-métamorphose, portée par l'aspiration à une harmonie supérieure.
D'une indépendance qui n'est pas sans rappeler celle de l'écrivain Claude
Simon, refusant de s'attacher à une quelconque école, désireux de rester
toujours fidèle à lui-même, la composition est pour Dutilleux un travail
solitaire, nourrie de l'étude des Anciens (Bach) et des Modernes (Roussel,
Stravinski, Hindemith) empreinte d'académisme (Grand Prix de Rome 1938), plus
tard hantée par l'image du double et du miroir (2ème Symphonie),
habitée par une modernité faite de métaboles, métaphores et métamorphoses. Un
tournant décisif semble se faire, dans son œuvre, au cours des années 60, avec Métaboles et Tout un monde lointain, marqué par l'apparition de dissonances, de
rythmes plus saccadés, de juxtapositions et de synthèse, images de deux mondes
qui s'enlacent, l'humain et le cosmique, dans un prodigieux travail de mémoire,
bien différent des leitmotivs wagnériens, puisqu'émergeant de la dynamique
langagière de la musique, elle-même. Musique pure, riche en correspondances
picturales, poétiques, symboliques, sacrées, mystérieuse et magiques où la nuit
tient une place essentielle, lieu de tous les possibles où l'œil écoute et où
l'oreille voit.
Quatre compositions étaient au programme ce
soir, sous la direction de Kwamé Ryan. Les Citations (1985-1991) pour hautbois,
clavecin, contrebasse et percussions, comportant deux pièces, For Aldeburg 85
et From Janequin to Jehan Alain, parfaites
illustrations des rapports que Dutilleux entretenait avec la mémoire puisque
chacune des Citations fait référence
à un musicien, la première dédiée à Peter Pears à l'occasion de son 75e
anniversaire et la seconde, introduisant la contrebasse, rappelant Jehan Alain,
ami de Dutilleux et Clément Janequin, maitre du chant polyphonique du XVIe
siècle. Dans cette courte pièce Dutilleux donne libre cours à son gout des
couleurs instrumentales dans ce qui pourrait paraitre comme une improvisation
aux accents parfois jazzy. Métaboles
pour grand orchestre, probablement une des œuvres les plus connues et les plus
jouées du compositeur français, composée en 1964, est une sorte de concerto
pour orchestre, emblématique de cette propension à la métamorphose largement
présente dans l'œuvre de Dutilleux où la musique apparait comme un grand rituel
de fascination du son dont les figures se répartissent dans un « temps
circulaire, espèce d'épiphanie sonore de l'éternel mouvement des métamorphoses naturelles ». Chacune des parties donne la parole à un
pupitre particulier (bois, cordes, percussions, cuivres puis tutti) utilisant
différents titres (Incantatoire, Linéaire, Obsessionnel, Torpide et Flamboyant)
qui affirment au grand jour les couleurs de l'orchestre et les fantasmes
émotionnels du compositeur. Préludes pour
piano solo, composé entre 1973 et 1988, est un ensemble de pièces autonomes
regroupées en 1994 sous la forme d'un triptyque. Passage de l'ombre à la
lumière dans « D'ombre et de
silence » dédié à Arthur Rubinstein, « Sur le même accord » nous entraine dans une immobilité
tournoyante tandis que « Le jeu des
contraires » achève ce triptyque sur une écriture en éventail avec
réduction progressive et symétrique des intervalles. La Symphonie
n° 2 « Le Double » concluait le concert. Magnifique fresque
orchestrale, créée en 1959, qui installa définitivement Dutilleux parmi les
grands symphonistes, elle oppose, en miroir, un grand orchestre et un groupe de
douze musiciens où le langage musical devient capable de se dédoubler, de
s'unir ou de résonner faisant apparaitre le double, une dualité qui nous
interroge…Une partition riche en timbres, effets d'écho et résonances, en jeux
dynamiques de rythmes et de tonalités, en séquences sérielles qui en expliquent
la complexité lumineuse se terminant sur une note interrogative…Une belle
soirée à mettre au crédit du « Philhar » et
un bien bel hommage à Henri Dutilleux. Patrice
Imbaud. Deux jeunes talents aux Pianissimes
Olivier Bouley
aime rien tant que nous faire découvrir de jeunes talents. Il a ce désir de
nous faire partager ses coups de cœurs. Lorsqu'il présente ses concerts au Couvent
des Récollets, dans la série Les Pianissimes, il nous
donne envie de le suivre dans ses choix. Ce 11 janvier, pour commencer l'année,
c'est un duo de jeunes artistes qu'il nous a proposé. Le violoniste Aylen Pritchin a eu de grands
professeurs à Moscou (Mintz, Puk,
Sakharov, Gutman..), il a gagné de nombreux prix
internationaux, il a tout pour faire une grande carrière. La pianiste Eloïse
Bella Kohn a fait le CNSMD avec d'excellents
enseignants (Béroff, Aimard,
Désert, Le Sage…), elle assiste à de nombreuses
masterclasses et donne des concerts. Voilà deux
musiciens en devenir. Ils aiment la musique de chambre et commencent à en faire
ensemble. Ils ont ainsi interprété la 5éme sonate, « Le
Printemps » de Beethoven et celle de Franck, deux des pièces les plus
populaires du répertoire. Avec Beethoven, le printemps n'était pas de la fête.
Si le son du violoniste est beau, rond, profond, parfait pour jouer cette
sonate, celui de la pianiste est froid, violent – ah cette pédale qu'on met à
tout va ! – brouillon ! Bref ils n'étaient pas à l'unisson, ils
n'avaient sûrement pas répété suffisamment. Que c'est dur d'arriver à cette
symbiose que demande la musique de chambre. Avec la Sonate en la majeur de Franck tout change : il y avait cet
échange, cette écoute de l'autre. Ils nous ont offert une belle version et ont
terminé en beauté l'Allegretto poco mosso. Pritchin avaot commencé le
concert avec la 3éme partita pour violon BWV 1006 de JS Bach : il n'a
sûrement pas écouté les leçons des baroqueux, la technique était là mais pas
l'esprit. Bella Kohn aime Debussy, cela se sent, et
elle a joué trois extraits du 1er livre des Préludes (« Les sons et
les parfums tournent dans l'air du soir », « Les collines d'Anacapri » et « La fille aux cheveux de
lin ») avec beaucoup de sentiments. Ces deux artistes sont bien sûr à
suivre, le talent est là et leur duo est un « work
in progress ». Ils vont sûrement nous offrir de
belles choses dans un proche avenir. Merci à Olivier Bouley
pour cette découverte aux Pianissimes. Les
prochains concerts Les Pianissimes : 7
février 2016, Église de Neuville, 69250 Neuville-sur-Saône : Quatuor Hanson 8
février, Carreau du Temple à Paris : Louis Schwizgebel 7
mars, Couvent des Récollets : Florian Noack 3
avril, Église de Neuville : Marie-Josèphe Jude & Hugo Philippeau 4
avril, Couvent des Récollets
: Concert coproduit avec le public 16
mai, Café de la Danse : Kotaro Fukuma
& Mathieu Ganio (danseur étoile) Stéphane Loison. Alexander Paley à la rencontre de ses
racines
Le moldave Alexander Paley
est un grand artiste et il l'a prouvé encore à la salle Gaveau dans un
programme original et intelligent. Il est allé à la rencontre de ses racines.
Rachmaninov est considéré comme un moldave. Lorsque les chanteurs de Rock vont
faire un concert, ils font ce qu'on appelle une balance sonore car chaque salle
ne répond pas de la même façon selon l'espace, la structure. Souvent cette
balance est améliorée lorsque le public est là. Pourquoi les pianistes de
concert ne se préoccupent-ils pas de la salle où ils jouent. Il y a une
différence entre le Théâtre des Champs-Elysées, La Philharmonie, la salle
Cortot, la salle Gaveau ou une église. Ce soir, par exemple, l'emploi
outrancier de la pédale dans les forte et fortissimi
rendait des passages inaudibles. Une sorte de bouillie sortait du Steinway tant
le pianiste « matraquait » avec sa main gauche. La sonate en la
mineur « Reminiscenza » Op.38 n°1de Nikolai Medtner (1879-1951) et la
Sonatine concertante op. 28 du compositeur et pianiste bulgare Pantcho Vladigerov (1899-1978) en
firent les frais. Bien sûr les écoles russes adorent faire appuyer sur la
pédale à tout bout de champs, mais quel dommage de casser ainsi des
œuvres ! Les pianissimi de Paley, eux, sont de
toute beauté. Son intelligence et sa sensibilité, c'est dans les Préludes op.
23 de Rachmaninov qu'on a pu les apprécier. La technique que possède ce
pianiste s'est jouée des difficultés diaboliques du prélude n°9 et c'est dans
les pièces largo que toute l'émotivité de Paley s'est
faite le plus sentir. Le prélude n°10 qui termine le cycle de l'op. 23, était
magnifique. La Rhapsodie roumaine op. 11 N° 1 de Georges Enesco, qui est une
transcription de l'œuvre orchestrale faite par le compositeur lui-même, a
conclu en apothéose le récital et nous a permis
d'apprécier toute la palette pianistique de ce musicien. Pas tout à fait car il
a offert au public enthousiaste trois bis dont un Chopin et une variation
magnifique sur un thème de Chopin de Rachmaninov. La salle était au trois
quarts pleine et le public était jeune et enthousiaste, ce qui est réjouissant
pour l'avenir de ce type de concert. Stéphane Loison. ***
L'ÉDITION MUSICALE
ORGUE J.S.
BACH : Troisième partie du Clavier Übung. Œuvres d'orgue vol. 4. Bärenreiter
Urtext : BA5264. Cette nouvelle édition est une mise à jour
du volume correspondant de la « New Bach Edition » présentée par
Manfred Tessmer en 1969. Ce volume contient une
importante préface de Christoph Wolff qui non seulement décrit la genèse de
l'œuvre mais apporte une mise à jour des sources. Une attention particulière a
été apportée aussi aux « tournes » dans cette nouvelle édition. On
notera également la présence, en tête de cette édition, des mélodies utilisées
par Bach (kyrie grégorien ou chorals). PIANO Thierry
DELERUYELLE : A travers le
désert pour piano. Débutant. Lafitan : P.L.2880. Sur un rythme obstiné, la caravane
s'avance. Le mode de mi donne une couleur un peu étrange à la mélodie. Le tout
devrait séduire les jeunes pianistes. On pourrait aussi, sur le rythme de la
main gauche leur faire improviser une suite à ce joli morceau. Pierre-Richard
DESHAYS : Sourire d'été pour piano. Débutant. P.L.2850. Le débutant qui abordera cette page sera
moins débutant que celui du morceau précédent… Ce Sourire d'été comporte de
nombreux échanges entre main droite et main gauche et développera l'écoute
polyphonique du jeune pianiste. L'ensemble est très plaisant et on verrait bien
ce sourire d'été dans le parc du château de Versailles… Arletta
ELSAYARY : Série « Nos amis les oiseaux » - Alban le paon pour piano.
Débutant. P.L.2929. Cette jolie valse aux accents parfois un
peu mélancoliques illustre bien la démarche à la fois gracieuse et nonchalante
de l'animal… Mais il ne se pavane guère, fort heureusement, et danse fort
joliment. On notera qu'un usage délicat mais assez abondant des altérations
familiarisera le jeune pianiste aux chromatismes de bon aloi ! Rose-Marie
JOUGLA : L'ombre-poussière pour piano. Assez difficile. Delatour : DLT2556. Construite autour d'un élément mélodique et
rythmique qui scande tout le discours, cette pièce, de facture classique mais
remplie d'un souffle romantique est écrite « en souvenir des malades
défunts ». On ne pourra en comprendre le sens qu'après avoir lu le long
texte de l'auteur qui, sous la forme d'un poème en prose, exprime
littérairement ce que porte le discours musical. L'ensemble, parfois
angoissant, parfois plus apaisé ne peut pas laisser indifférent. Peter
GRAHAM : Subversive etudes (Jinakosti) pour
piano. Bärenreiter Praha :
BA 9585. Cette méthode de piano en tchèque, allemand
et anglais porte bien son nom. C'est une manière très astucieuse de faire
découvrir l'instrument et d'en explorer toutes les possibilités. L'auteur, dès
le départ, met en place des techniques qui permettent de vaincre des
difficultés qui paraitraient autrement insurmontables. Il fait découvrir au
passage les mondes musicaux de différents pays : Hongrie, Afrique, Bali…
ainsi que de différentes périodes de l'histoire. Les pièces forment la pensée
musicale polyphonique et les doigts qui vont avec. C'est vraiment un recueil à
découvrir ! Stéphane
DELPLACE : Passacaille pour piano. Moyen. Delatour :
DLT1453. On trouvera sur le site de l'éditeur une
présentation exhaustive de l'œuvre. Il s'agit d'une passacaille de forme
canonique : le thème, sombre, faisant penser au Dies irae, exposé à la basse, est non seulement modulant mais
rythmique. L'ensemble comporte cinq parties et trente présentations
(variations) du thème. L'ensemble est lyrique, poignant tourmenté, tout en
restant structurellement tonal. Cette œuvre a été enregistrée par Pierre-Alain Volondat pour l'émission Alla Breve
de France Musique en 2002. CLAVECIN Johann Sebastian BACH : Partita for flute BWV1013. Arrangement pour clavecin : Stéphane Delplace. Moyen. Delatour :
DLT2472. A partir du moment où l'on admet ce genre
de transcription (mais, après tout, Bach n'en a-t-il pas fait autant avec
Vivaldi ?), il faut reconnaître que celle-ci est particulièrement réussie.
Non content d'ajouter un soutien harmonique à cette pièce, le transcripteur, en
y ajoutant également l'élément contrapunctique en a fait une véritable partita
pour clavecin, qui ne déparerait pas dans l'œuvre du Cantor. Bien des
clavecinistes ajouteront certainement cette œuvre à leur répertoire. GUITARE Claude-Henry
JOUBERT : Deux préludes et fugatos pour
deux guitares. Début 2ème cycle. Sempre
più : SP0194. Voici deux charmantes pièces dans un style
faussement classique mais bien agréable. On ne peut s'empêcher de penser, bien
entendu, aux Petits préludes et petites fugues d'un certain Jean-Sébastien…
Plaisir de la musique et exercices pédagogiques ne sont nullement
inconciliables ! Alain
LENGLET : Flânerie en sol. Pièce pour guitare. Elémentaire. Lafitan : P.L.2932. Avant de flâner, ou d'en donner
l'impression, notre jeune guitariste devra surmonter un certain nombre de
difficultés qui tiennent au chatoiement de tonalités qui tournent autour du sol
Majeur dominant. Cela donne à cette flânerie un caractère original en même
temps que plein de délicatesse. Le 3/4 confère au tout un petit air de valse
nonchalante du meilleur aloi. C'est une pièce intéressante et surtout de la
jolie musique. Jean-Maurice
MOURAT : 9 tableaux de vacances pour guitare. Première année. Sempre più : SP0187. Ces neufs charmants petits tableaux allient
la simplicité à la musicalité. Le jeune guitariste, avec le peu de moyens dont
il dispose encore, aura la possibilité d'exprimer sa sensibilité dans les
scénettes aux titres évocateurs qui lui sont proposées. Jean-Charles
GANDRILLE : Sonate Yin et Yang pour violon et piano. Moyen avancé. Delatour : DLT2441. L'opposition ou la complémentarité du côté
masculin et féminin qui existe en chacun de nous structure cette sonate en un
seul mouvement mais en multiples séquences. D'atmosphères lyriques et tendres
en moments de tension paroxystique, le discours se déroule dans un perpétuel
changement. L'ensemble est plein d'intérêt. ALTO Pascal
PROUST : On frappe à la porte pour alto et piano. Première année. Sempre più : SP0195. Cette pièce volontairement descriptive
raconte la déception de celui qui frappe à la porte et à qui personne ne
répond. Bien franchement tonale, elle permettra de soigner la qualité du son et
la justesse du jeune altiste, le tout dans la bonne humeur puisqu'elle se
termine sur une note d'optimisme : « Je reviendrai ! ». Laurent
COULOMB : Amara pour alto et piano. Assez facile. Delatour : DLT2578. Très conforme à son titre, tiré du latin
qui signifie « amertume », cette pièce entend illustrer la phrase de
Khalil Gibran placée en épigraphe : « Ce qu'il y a de plus amer dans
notre peine d'aujourd'hui est le souvenir de notre joie d'hier ». Elle y
parvient pleinement par le lyrisme grave et sombre du timbre de l'alto ainsi
que par les différents paysages mentaux qu'elle nous révèle. L'ensemble est
mélancolique à souhait même si, parfois, un sourire se fait jour à travers les
larmes. Le langage évolue dans un univers de tonalité élargie. C'est une œuvre
attachante à découvrir. CONTREBASSE Alexandre
OUZOUNOFF : Shamal pour
contrebasse et piano. Troisième cycle. Sempre
più : SP0171. « Shamal est le nom d'un vent de nord-ouest soufflant sur l'Irak et le
Golfe Persique. C'est l'après-midi qu'il est le plus violent en été mais il
diminue pendant la nuit ». Cette présentation résume bien l'ambiance un
peu sauvage de cette pièce ainsi que son déroulement. L'extrait qu'on peut
écouter sur le site de l'éditeur ne rend pas compte de la richesse mélodique et
rythmique de cette pièce où le piano joue un rôle très important et donne la
réplique à la contrebasse dans un discours tendu et plein de fougue. SAXOPHONE Thierry
Alla : Ancestral pour saxophone basse jouant du tam et électroacoustique. Difficile. Delatour :
DLT2574. Cette pièce est bien écrite pour un seul
instrumentiste. Toutes les techniques contemporaines sont ici utilisées à
plein, notamment la possibilité des sons multiples obtenus avec une seule main
tandis que l'autre joue le Tam. La bande son (enregistrée sur CD rom) assure
les liens et relaye les deux instruments. L'œuvre a été inspirée par l'art pariétal,
d'où son nom. C'est à découvrir pour ses sonorités inouïes au sens littéral du
terme. Laurent
COULOMB : Fugue sur le Rule Britannia ! pour quatuor de
saxophones. Assez facile. Delatour : DLT2577. Voici une œuvre bien réjouissante,
faussement scolaire, franchement tonale et pleine d'humour. Pour ceux qui ne
connaîtraient pas le Rule Britannia, nous
pouvons conseiller d'aller l'écouter, un peu dans le même esprit, sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=rB5Nbp_gmgQ
Si elle peut facilement être interprétée par des élèves, elle peut également
l'être en concert, comme un bis plein de légèreté. Bernard
COL : Un privé à Brooklyn pour saxophone alto et piano. Assez
facile. Delatour : DLT2579. Quatre pièces successives nous narrent une
histoire policière réjouissante. Le premier mouvement se passe dans un bar où
se rencontrent une serveuse fatiguée qui a perdu toutes ses illusions, un
cambrioleur et un détective privé, qui font un tour de danse. Le deuxième
mouvement décrit un cambriolage, avec la tension et l'angoisse, ainsi que les
péripéties de l'action. Le troisième tableau brosse le portrait du détective
affublé, comme il se doit, d'une secrétaire et d'une antique machine à écrire.
La filature du quatrième mouvement permet une écriture fuguée. Le style musical
oscille entre jazz et musique de film. Bref le tout constitue un ensemble fort
agréable qui pourrait servir à une audition sous forme de scénette, et être
interprété par quatre élèves. Emile
PESSARD (1843-1917) : Andantino pour saxophone alto et piano. Delatour : DLT2593. Ce lauréat du Prix de Rome 1866 nous offre
ici une pièce fort intéressante, et pas si facile qui
montre combien le saxophone, s'il est encore contesté, est en 1888 un
instrument à part entière. L'œuvre, loin d'être facile, demande toutes les
qualités musicales et techniques de l'interprète. Le style est romantique,
passionné et on ne peut que remercier Jean-Louis Couturier qui, dans cette
collection « Musique et patrimoine », nous permet de découvrir des
œuvres oubliées d'un intérêt musicale certain. N'oublions pas qu'Emile Pessard compta Ravel parmi ses élèves… Michel
LYSIGHT : Septentrion pour saxophone en sib ou mib et piano. Moyen. Delatour :
DLT2427. Il s'agit en fait d'un ensemble de sept
petites pièces portant les noms des principales étoiles de la constellation qui
était autrefois ainsi nommée et qu'on appelle aujourd'hui la Petite Ourse.
Chacune de ces pièces déroule une jolie mélodie et la partie de piano est dans
l'ensemble abordable par un grand élève. Le contenu musical est vraiment riche
et intéressant. Antonin SERVIÈRE : Secret Procession for an alone alto
saxophone player… Difficile. Delatour : DLT2585. L'éditeur nous présente ainsi la
pièce : « Une pièce pour saxophone alto seul, en forme d'hommage
humoristique au génial inventeur Adolphe Sax, comportant une part de théâtre
musical. ». Que dire d'autre sinon qu'on comprend mal l'anglomanie du
compositeur qui donne toutes ses indications en anglais… A moins que l'auteur,
niçois, n'ait écrit l'œuvre sur la Promenade des Anglais… Bernard
COL : 10R2 Schubert. Dix airs de Schubert arrangés pour deux
saxophones alto. Facile. Delatour : DLT2582. La collection 10R2 (Dix airs de…) réalisée
par Bernard Col a pour but d'arranger pour deux instruments monodiques, dans
des versions faciles, des airs célèbres de grands compositeurs. Elle favorise
ainsi la pédagogie de groupe. Mais surtout, elle permet d'améliorer la culture
musicale des élèves… et de leurs parents ! Les arrangements sont faits
avec beaucoup de soin et de goût et une grande fidélité aux originaux. Pour la
plupart d'entre eux, on pourrait même envisager de faire jouer par un
instrument grave une partie de basse non moins fidèle à l'original : voilà
un bel exercice d'harmonie pratique ou de « relevé » en
perspective. TROMBONE Régis
CARROUGE : Pauvre Souris pour trombone et piano. Fin de deuxième
cycle. Delatour : DLT2311. Voici une pièce bien réjouissante. Si la
souris (verte) court dans l'herbe quelques instants, elle a vite fait de se
perdre entre les jambes des enfants de la cour de récréation où nous entraine
l'auteur. De la joie aux larmes, de l'excitation à la rêverie en passant par
tous les sentiments possibles, de courts fragments nous font vivre ce
kaléidoscope aux multiples facettes. L'ensemble est bien séduisant. COR
EN FA Claude-Henry
JOUBERT : On a démonté le pont
d'Avignon ! une
enquête du commissaire Léonard pour cor en fa (niveau : fin du 1er
cycle) avec accompagnement du professeur de cor. Lafitan :
P.L.2802. Dans la série de ses romans policiers,
l'auteur nous propose cette œuvre dont les références musicales et littéraires
risquent de passer très au-dessus – ou très à côté – de l'élève moyen. Ce
pourra donc être l'occasion de faire découvrir à l'élève à la fois Alphonse
Daudet, la mule du pape, le French-Cancan… et j'en passe ! Comme toujours,
l'élève est invité à improviser une partie de l'œuvre, mais il est
soigneusement guidé dans ce travail par les indications détaillées de l'auteur.
Encore une occasion pour lui de réviser les notions d'harmonie qu'il est censé
avoir acquises au cours de son premier cycle ! Et bien sûr, tout cela
donne une musique très plaisante, pleine d'imprévus et… remarquablement
écrite ! TUBA Thibaut
VUILLERMET : Ouverture pour 4 tubas. Assez difficile. Sempre più : SP0192. Cette pièce a un côté incantatoire et
inquiétant qui ne manque pas de charme. L'ensemble se complexifie peu à peu
tout en gardant d'un bout à l'autre un rythme obsédant. On pourra écouter
l'ensemble de la pièce sur le site de l'éditeur. MUSIQUE
DE CHAMBRE Jean-Charles
GANDRILLE : Intermezzo pour harpe et orgue. Difficile. Delatour : DLT2562. Cette pièce est construite essentiellement sur
le mariage des timbres des deux instruments et les résonnances délicates et
subtiles qui peuvent naître des battements causés par les petites différences
d'accord entre eux. On retiendra en particulier, dès le début de l'œuvre, les
batteries de croches de la harpe faisant entendre alternativement mi naturel et
fa bémol. L'orgue, de préférence à trois claviers, joue essentiellement avec
les bourdons divers même si une petite mixture intervient également. L'ensemble
ne manque pas de poésie. BRAHMS :
Les œuvres de Brahms pour un instrument et piano. Clive Brown, Neal
Peres Da Costa, Kate Bennet
Wadswort :
Performances Practices in Johannès Brahms' Chamber Music. Bärenreiter : BA9600. Ce volume coiffe l'édition de l'ensemble
des œuvres de Brahms pour un instrument et piano. Il ne compte pas moins de
trente-quatre pages grand format en anglais et autant en allemand et s'efforce,
grâce à ses trois contributeurs, de donner un reflet aussi large que possible
de la question. Ce volume introduit donc : Sonate en sol majeur pour
violon et piano op. 78. BA9431, Sonate en
la majeur pour violon et piano op. 100, BA 9432 Sonate en ré mineur pour violon et piano
op. 108, BA 9433, le Mouvement de sonate
en do mineur extrait de la sonate FAE, BA 10908, Sonate en mi mineur pour violoncelle et piano op. 38, BA 9429 et la
Sonate en fa majeur pour violoncelle
et piano op. 99, Ba 9430. Nous ne détaillerons pas l'ensemble de ce
que l'éditeur n'hésite pas à appeler un « évènement ». C'en est un,
en effet. Car, après le volume introductif, chacun des volumes inclut, outre
l'œuvre annoncée, une préface copieuse et détaillée présentant l'œuvre sous ses
différents aspects, ainsi que toutes les indications de variantes et de
sources. Il s'agit donc d'un travail certes musicologique mais qui donne en
même temps une édition très agréable à lire… et à jouer. Sophie
LACAZE : En Quète pour récitant, voix de mezzo-soprano,
saxophone alto et piano. Difficile. Delatour :
DLT2552. Cette œuvre a été composée pour une exposition
de photographies de Guy Bompais mettant en scène un
personnage solitaire, dont les pensées sont exprimées par des textes de
Jean-Pierre Rosnay, tirés de son recueil Fragments
et reliefs. Sophie Lacaze en a fait ensuite une
version autonome. Le texte est premier, la musique étant là seulement pour
créer autour du texte une atmosphère en harmonie avec lui. La voix elle-même
est la plupart du temps utilisée comme un instrument. L'ensemble est attachant
mais demande évidemment une mise au point extrêmement fine. Daniel
Blackstone. VOIX Stéphan PATIN : 15 Chants de table. Stéphan Patin (stephan.patin@free.fr ), sppvoc4, 2016, III +15 p. -7 €. En remarquable
pédagogue, Stéphan Patin comble une lacune avec ses 15 Chants de table, sujet rarement abordé. Ce petit recueil sera
très apprécié lors de réunions familiales, de jeunes et moins jeunes, de
scouts... En un style parfois truculent, faisant preuve d'une grande
imagination, ses chants concernent notamment le petit-déjeuner (Le jour vient…), le déjeuner (Midi-moi donc) ou encore le dîner (Qu'y a-t-il au dîner ?),
l'injonction : À table !...
D'emblée, le ton est donné avec « Mieux vaut un plat de légumes là où
règne l'amour qu'un bœuf bien gras et assaisonné de haine ». Puis le
compositeur convie avec chaleur et entrain « les amis à table »,
salue « l'eau qui rafraîchit », le « repas frugal ou
plantureux »... De styles très diversifiés, certaines pièces sont à
« géométrie variable » : à interpréter à l'unisson (avec ou sans
accompagnement au piano) ou polyphoniquement ; d'autres peuvent être
chantés (ou repris) en canon. Sous le dénominateur commun : « Bon
appétit ! », Stéphan Patin — auteur et compositeur comme jadis les
troubadours —, apporte une contribution
très originale au répertoire des « chants de table ». À consommer
sans modération ! CHANT
CHORAL Henri
CAROL (1910-1984) : STABAT MATER, pour 4 voix mixtes, soli et orgue. 1er Cahier, version pour Chœur, 8 p. - 2e Cahier, CONDUCTEUR, 12 p. Santilly, Édition
Les Escholiers (17, rue du Bois, 28310 SANTILLY,
<gmiv.esg@wanadoo.fr> ou <edesco@orange.fr>), 2e éd. 2015. Cette restitution
musicale et liturgique, réalisée par Guy Miaille et
François Penalba, est très bien présentée et gravée
par Isabelle Vonck. Elle comprend le texte latin
intégral et la traduction française du texte marial bien connu mis en musique
par Henri Carol, organiste, compositeur
et prêtre (ordonné en 1933). Il est né à Montpellier, le 18 janvier 1910. En
1936, il est professeur de Lettres au Petit Séminaire Saint-Roch et maître de
chapelle à la Cathédrale de Montpellier. Dix ans après, pendant un quart de
siècle, il exercera la même fonction à la Cathédrale Saint-Charles de Monaco.
En 1964, il est nommé Chanoine titulaire et, en 1968, il succède à l'organiste
Émile Bourdon. Ce « prêtre musicien », organiste et compositeur
prolifique meurt accidentellement en 1984. Le 1er Cahier reproduit les versets
chantés en alternance avec la mélodie grégorienne — donc sans coupure. Plusieurs
possibilités sont prévues : soprano ou ténor, chœur ou soliste, alto ou
basse. En conclusion, la strophe n°20 : Quando corpus morietur… (Lorsque mon corps
mourra…) harmonisée pour chœur à 4 voix, en contrepoint simple, nota contra notam,
piano, avec quelques rares notes de
passage expressives, se termine sur un Amen
mezzo forte d'abord en vocalises (sur
A---), puis avec deux accords forte en valeurs longues. Le 2e Cahier : Conducteur propose — pour les 20 strophes traitées par paires — un
accompagnement de soutien des mélodies grégoriennes réalisé par Guy Miaille. L'œuvre exprime avec tant d'intériorité et de
sensibilité la poignante douleur de la
Mère qui pleure son Fils. Cette réédition avec, en plus un accompagnement de
soutien, sera très appréciée par les maîtres de chapelle soucieux de
diversifier leur répertoire liturgique pour le temps de Carême. Édith Weber. ***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
David HENNEBELLE : Les Concerts de la
Reine (1725-1768). Lyon, Symétrie (www.symetrie.com ), Coll. Symétrie Recherche, Série
Histoire du concert, 2015, 345 p. – 30 €.
En 1900, Michel Brenet a lancé l'intérêt
pour « les Concerts en France sous l'Ancien Régime ». Le présent
volume (2015) de la Série « Histoire du concert » traite plus
particulièrement ceux de la Reine et la tranche chronologique allant de 1725 à
1762, depuis la première manifestation à Fontainebleau, le 6 septembre 1725
jusqu'à la dernière, le 23 octobre 1762. Elles ont lieu essentiellement à
Versailles ; occasionnellement, à Fontainebleau ou Marly. Des Actes
d'Opéras sont programmés « indépendamment de la scène publique »,
avec un objectif symbolique et politique dans le respect de la tradition
française et dans l'esprit du Classicisme français naissant. La Reine Marie Leszczynska (1703-1768),
épouse de Louis XV, vise largement à former le goût des courtisans. David Hennebelle réagit contre l'impression d'« ennui ou de
mépris » qui frappait ces œuvres. En historien accompli, il maîtrise et
interprète de nombreux documents d'archives, très diversifiés et minutieusement
collectés afin de conforter son objectif : « pour une réhabilitation »
de ce répertoire. Il exploite avec discernement les comptes-rendus parus dans
les Nouvelles de la Cour ; des
documents conservés aux Archives Nationales concernant la Maison du Roi (pièces
justificatives, inventaires) ; des sources musicales conservées à la
Bibliothèque Municipale de Versailles, au Département de la Musique de la
Bibliothèque Nationale (partitions annotées avec critères
d'interprétation) et également des sources imprimées. À mi-chemin entre histoire de la musique, histoire sociale et
culturelle, histoire institutionnelle, événementielle et politique, cet ouvrage
dépasse la vision réductrice et retiendra l'attention de nombreux lecteurs. Il
fait état de 1746 concerts (p. 91-308) : véritable prouesse scientifique
et éditoriale. L'Index des œuvres témoigne
de la richesse du répertoire ; l'Index
des personnes met l'accent, entre autres, sur le chanteur et compositeur
Pierre de Jélyotte (1713-1797), auteur — parmi
d'autres — de nombreuses notices ; sur de nombreux compositeurs français bien
connus : Michel-Richard Delalande, Jean-Baptiste Lully, Jean-Joseph
Mouret, Jean-Philippe Rameau, Jean-Marie Leclair, Luc Clérambault… et des
personnalités : le Duc de Vallières, les Rois Louis
XIV et Louis XV, le Dauphin Louis-Ferdinand de France… Ce livre si bien documenté et référencé, avec un apparat critique
exemplaire, s'inscrit dans le cadre du programme R. P. C. F. (Répertoire des
Programmes de Concerts en France). À l'appui de documents et de sources très
solides et d'une copieuse Bibliographie,
il atteste le rôle des Concerts de la Reine Marie Leszczynska,
associés à une solide tradition, et démontre que cette institution constitue
une structure permanente en France. Un bel apport à la musicologie historique
et à l'histoire des mentalités. Édith Weber. Cristina DIEGO
PACHECO : Cristobal
de Morales en Espagne. Ses premières œuvres et le manuscrit de Valladolid. Lyon,
Symétrie (www.symetrie.com ), Coll. Symétrie Recherche, Série Anciens
& Modernes, 2015, 271 p. – 36 €. Spécialiste de la musique espagnole ancienne, Cristina Diego Pacheco
présente un état assez neuf de la vie et de la production de Cristobal Moralès, né à Séville vers 1490 ayant bénéficié d'une
formation dans l'entourage de musiciens de la fin du XVe siècle, tels que Pedro Escobar ou Francisco de Penalosa.
Dès 1526, il commence sa carrière à Avilla (sans
doute comme maître de chapelle. Il est mentionné comme chanteur de la Chapelle
Pontificale entre 1535 et 1545 au service du Pape Paul III. Il exercera ses
activités en Espagne à la Cathédrale de Tolède, puis à Malaga entre 1551 et son
décès en 1553. Ses premières œuvres (Messe,
Magnificat), imprimées à Lyon dès
1539, seront très appréciées et rééditées après sa mort. Certaines pièces
vocales bénéficieront d'une réécriture en versions instrumentales. Elles
marquent un jalon important dans l'évolution esthétique de la musique
européenne. Sa musique s'impose par son originalité et sa forte personnalité. À
ces fonds s'ajoute un abondant répertoire manuscrit non daté. Ce livre, malgré son style dense, s'impose par la démarche sérieuse
de l'auteur qui a le sens de l'argumentation, lui permettant de rectifier des
anciennes données bibliographiques dues à l'homonymie et de les confronter aux
hypothèses les plus récentes concernant son arrivé en Italie. Elle s'interroge
d'abord sur la production « pré-romaine »
donc espagnole jusqu'en 1535, comprenant par exemple une Messe avec ténor sur le cantus firmus
d'une chanson espagnole. Elle examine aussi la datation exacte d'après les
privilèges, la licence d'impression, étudie les circonstances de la composition
(occasion : fête, procession, synode…) et se livre à des considérations
compositionnelles. Cristina Diego Pacheco relève même un contresens philologique
(p. 25-27) à propos d'un pseudo « ouvrage de couture » : les
verbes tanger,
teger
signifient « tisser », alors que taner a le sens de jouer de la
musique (et non de « tisser »…). Elle distingue judicieusement les
œuvres espagnoles, c'est-à-dire « pré-romaines »,
romaines, puis les œuvres tardives, et dégage « l'hispanité » du
musicien. À côté de ce remarquable apport historiographique et technique, les
musicologues et interprètes sont fascinés par le Manuscrit de Valladolid (p. 35 sq.)
et sa transcription (p. 147-242) accompagné de son protocole éditorial et
de descriptions codicologiques : 5 Cahiers de
dimensions variables, de provenance « sans doute génoise », graphies,
filigranes, copistes succesifs, le terminus postquem
se situant à la fin du XVe siècle et antequem vers
1600… et mettant en garde contre les fausses attributions. L'œuvre de Cr. Moralès comprend des Messes,
Offices de Vêpres, Offices pour les défunts, Motets pour différentes périodes du
calendrier liturgique à finalité fonctionnelle. Le manuscrit contient deux Messes, trois Motets, deux Magnificat
composés pour les Messes et Vêpres. Il bénéficie d'analyses musicales précises.
Son répertoire donne un aperçu des œuvres polyphoniques pré- et
post-tridentines cultivées dans cette Cathédrale. Cristina Diego Pacheco, s'appuyant notamment sur la consultation de
nombreux documents (inventaire du fonds d'archives musicales de la Cathédrale
de Valladolid par Higinio Anglès
(1948) puis José Lopez-Calo), a consulté des sources précises : livre de
fabrique de la Cathédrale, inventaire, actes du Chapitre (salaires…). Les
mérites de son ouvrage sont considérables : rectification de données
biographiques erronnées et d'attributions
douteuses ; révision et actualisation de la période pré-romaine ;
apport à l'histoire sociale de la musique religieuse ; transcription et
commentaire des œuvres et Bibliographie
raisonnée particulièrement étoffée (p. 247-260). À plus d'un titre : une
belle mise au point. Édith Weber. Pascal GRESSET (éd.) :
Tempo Flûte. Paris, Revue de l'Association d'Histoire de la Flûte
française (www.tempoflute.com ; tempo@live.fr ; 7, rue Louis Pasteur 95777
Saint-Clair-sur-Epte), numéro 13, premier semestre 2016, 7e année, 68 p. – 8 € (+ frais de port). Cette Revue — fondée en 2009, organe de l'Association d'Histoire de
la Flûte française, présentée à plusieurs reprises dans la Newsletter — s'adresse
aux spécialistes. Ils y trouveront une information sur « une flûte qui se
joue à gauche » comportant un entretien avec Jan Grimm et un « petit
panorama » de cet instrument conçu spécialement pour lui, en fonction de
plusieurs paramètres : taille des doigts, position des mains, embouchure,
options particulières aux flûtes Parmenon. En fait,
il ne s'agit pas vraiment d'une « flûte de gaucher ». Plusieurs
contributions concernent le répertoire spécifique et ses compositeurs :
Dominique Lemaître, Christophe Bertrand, la musique espagnole du XXe siècle pour flûte et piano. Les flûtistes trouveront d'utiles
renseignements sur les concours, les Festivals, les parutions (disques, DVD,
partitions et livres). Les facteurs suivront avec intérêt les compléments
III : « L'option de Theobald Böhm sur la
clé de Sol # (fermée) ». Grâce aux efforts inlassables de son directeur,
Patrick Gresset, envers cette Revue si bien documentée et abondamment
illustrée, les flûtistes, interprètes et facteurs curieux trouveront largement
leur compte dans les diverses rubriques. Édith Weber.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
Josef Michal PONIATOWSKI : Mass in F. Solistes. Michal Kaleta, orgue. Académie de Musique de Gdansk, dir. Przemyslaw Stanislawsk 1 CD ACTE PREALABLE. (www.acteprealable.com) : AP0356.
TT : 48' 51.
Jozef Michal
Poniatowski (né à Rome en 1816, mort à Londres en 1873), alias Prince
Poniatowski de Monterotondo à partir de 1847, est à
la fois compositeur, artiste lyrique, diplomate et homme politique sous le
Second Empire. Il est d'abord Ténor au Théâtre de Florence, puis dans
différentes villes italiennes où ses Opéras
rencontrent un grand succès. Ministre plénipotentiaire à Paris en 1848,
naturalisé français, ses obligations l'empêchent pour un temps de composer,
puis il a pu faire jouer quelques œuvres à l'Opéra de Paris. À côté de sa
production destinée à l'opéra, sa Messe
en Fa Majeur, œuvre tardive pour 4 voix solistes, chœur mixte et orgue (ou
piano) qui ne se détache toutefois pas entièrement de l'influence de l'opéra,
terminée en 1867, a été créée à Paris ; elle est dédiée au Roi Luis Ier de
Portugal. Œuvre à découvrir grâce au
concours d'un quatuor de solistes judicieusement sélectionnés, de l'Académie de
Musique de Gdansk, de l'organiste Michal Kaleta, tous
placés sous la direction avisée de Przemyslaw Stanislawski, Le Kyrie, très prenant et intense, fait,
dans un bel élan, appel au chœur et à la Soprano. Le Gloria, très développé, spécule
sur l'aigu des voix, faisant preuve d'une bonne diction, se terminant par Cum Sancto Spiritu particulièrement aérien et léger. Au Credo très élaboré, vigoureusement
soutenu à l'orgue, succède le Sanctus
traditionnel avec sa triple invocation, suivi du O salutaris hostia
comprenant une longue introduction instrumentale et les interventions solistes
du Ténor, de la Basse, puis en duo. L'Agnus
Dei, intense prière avec ses trois invocations, est suivi par un Amen doté de nombreuses vocalises
procédant par entrées successives et spéculant à nouveau sur le registre aigu.
Bloc erratique dans la production d'un compositeur tourné vers l'esthétique de
l'Opéra. Édith Weber. Slawomir Stanislaw CZARNECKI : Choral Works.
Schola Cantorum Thorunensis (Thorun), dir. Pawel Glowinski. 1CD ACTE
PRÉALABLE. (www.acteprealable.com) : AP0344. TT : 51' 12. Slawomir Stanislaw Czarnecki (né en 1949)
a fait ses études d'abord en Pologne avec les professeurs P. Perkowski et Romuald Twardowski et ensuite, à Paris, avec
Olivier Messiaen, en tant que boursier du Gouvernement français. Il a ensuite
été professeur à l'Université Casimir le Grand à Bydgoscz
et également à l'École secondaire de Musique de Varsovie où il a enseigné la
composition. Il est lauréat de nombreux concours en Pologne et à l'étranger et
titulaire de nombreuses distinctions honorifiques. C'est le mérite de Pawel Glowinski, à la tête de la Schola Cantorum
Thorunensis (Thorun)
d'avoir en 2015, pour ce premier enregistrement mondial, regroupé et dirigé
cette petite Anthologie chorale de Slawomir Stanislas
Czarnecki, avec 12 pièces (Antienne, Hymnes et
Proses) en latin ou en polonais. Son écriture se situe à la fois dans la mouvance moderne et
postromantique, toutefois sans oublier la tradition grégorienne et l'héritage
baroque. Certaines œuvres appartiennent à la piété mariale : Antienne Hail Queen of Heaven (op. 47), Hymnus in honorem Beate Mariae
Virginis Vilnae in Acuto
(op. 45, n°2) ou encore …in Sanctuario oppidi Piekary (op. 45, n°4). Il a également composé une Hymne en l'honneur de la Canonisation du
Pape (polonais) Jean-Paul II. Cette
œuvre est dédiée à la Schola Cantorum Thorunensis, fondée en
2010 par son chef actuel. Spécialisée dans l'interprétation non seulement de la
musique ancienne et de la Renaissance, mais encore du répertoire polonais
contemporain, d'emblée elle s'impose à l'audition par la luminosité et le fondu
des voix, son paysage vocal typique de l'Europe de l'Est, par son élan contenu,
son sens sens des oppositions de nuances.
Interprétation particulièrement profonde et intériorisée. Édith Weber. Jan Dismas ZELENKA : Psalmi Vespertini
I. Ensemble Inégal, Prague Baroque Soloists,
dir. Adam Viktora. 1CD
NIBIRU. (www.nibiru-publishers.com ). 01612231. Diffusion : CD DIFFUSION
(www.cddiffusion.fr ).
TT : 79' 56. La Collection
« Music of the Baroque Bohemia » s'attache
à la défense de la musique baroque et, en particulier, à la diffusion de
l'œuvre de Jan Dismas Zelenka
(1679-1745) dont elle propose, en premier enregistrement mondial, un CD avec 6 Psaumes de Vêpres. Né en 1679, il a fait
ses études auprès des Jésuites de Prague, s'est produit dans l'orchestre de la
Cour de Prague, puis à Dresde à la Cour d'Auguste le Fort (August der Starke), Roi de Pologne et
Électeur de Saxe. Il a étudié le contrepoint à Vienne auprès de Johann Fux et,
à Venise, avec Antonio Lotti. Il commence à composer dès 1711, notamment 23 Messes et de nombreux fragments de
messe, Psaumes (plusieurs versions du même Psaume), ainsi que deux Oratorios,
plusieurs Requiem, Magnificat, des Litanies... Il finit sa vie à Dresde où il meurt en 1745. Le Psaume
109 : Dixit Dominus
(ZWV 66) inaugure chacune des 3 séries. En principe prévus pour l'année
entière, les Psaumes ne concernent pas les Vêpres du samedi avant les dimanches
de l'Avent, du samedi avant la Septuagésime et du mercredi de la Semaine
Sainte. L'enregistrement concerne les Psaumes 110 : Confitebor tibi Domine (ZWV 72), 111 : Beatus vir (ZWV 75),
112 : Laudate pueri Dominum (ZWV 82), 113 : In exitu Israel (ZWV
113) et 130 : De profundis (ZWV
97) — composé pour les funérailles de son père, à Dresde, se terminant par la
Doxologie des Vêpres — , ainsi que le Magnificat
latin (ZWV 108), d'après l'Évangile de Luc
(chapitre 1, versets 46-55). Sa musique pour les Vêpres se situe dans le
prolongement de celles de Claudio Monteverdi (1610) et de ses successeurs. Il
fait appel à différentes techniques : motif récurrent, refrain. Pour son Laudate pueri, il
fait appel à une basse soliste qui répète les paroles à l'impératif : Laudate pueri, laudate Dominum, laudate nomen Domini
(Enfants, louez le Seigneur) et à la réponse du Chœur chantant les
versets, la Doxologie étant assurée par le soliste et le chœur. Il exploite
aussi de longs silences, des changements de tempi, le style concitato
ou encore de brefs passages fugués ou des fugues plus développées, notamment
dans le Confitebor et le Magnificat. Musicien très
engagé, il reprend souvent à son compte la devise des Jésuites : Ad majorem Dei Gloriam et révère aussi des membres de la célèbre
famille royale : « Augustissimis Principibus in reverencia ». Ce compositeur d'inspiration
catholique, très estimé par Jean Sébastien Bach, mise sur l'émotion et la
passion : c'est aussi ce que confirme la somptueuse réalisation de
l'Ensemble Inégal, des Prague Baroque Soloists que
dirige avec autorité Adam Viktora. Édith Weber. César FRANCK : Les sept paroles du Christ en Croix. Trois Pièces pour grand
Orgue. Daniel Beckmann, orgue. Chœur (Domchor)
et Orchestre de la Cathédrale (Saint-Martin) de Mayence, dir.
Karsten Storck 1CD RONDEAU PRODUCTION. (www.rondeau.de): ROP6110. TT : 69'19. Le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION diffuse également des œuvres
françaises et a réalisé « sa » version pour Les sept [dernières] paroles du Christ en Croix de César
Franck (1822-1890), interprétées par le Chœur (Domchor)
et l'Orchestre de la Cathédrale (Saint-Martin) de Mayence placés sous la
direction de son maître de chapelle, Karsten Storck.
Ce disque est complété par ses Trois
Pièces pour grand Orgue : Fantaisie-Cantabile-Pièce héroïque du « Pater seraphicus »,
interprétées par Daniel Beckmann à l'Orgue de cet édifice qui possédait déjà un
instrument en 1458 pour accompagner le chant grégorien. En 1547, un deuxième
orgue (en nid d'hirondelle, avec positif et pédalier) a été installé. En 1793,
après un bombardement, la Basilique a été reconstruite, et l'orgue doté en 1799
d'un clavier supplémentaire. Toutefois, en 1920, un nouvel instrument a été
construit par la Manufacture Klais (de Bonn). L'orgue
actuel possède 114 jeux et 7984 tuyaux. L'excellent organiste interprète les Trois Pièces pour grand Orgue composées
en 1878 pour l'inauguration de l'Orgue du Trocadéro. Il recrée avec bonheur
l'aspect assez improvisé de la Fantaisie en
La Majeur, très développée ;
l'émotion et le caractère élégiaque du très bref Cantabile ; enfin, la Pièce
héroïque bien connue, plus élaborée, faisant appel à des accords assez tragiques, des cadences
suspensives, un crescendo à la
pédale, et se terminant par une majestueuse coda. Les sept paroles du Christ en Croix commencent par
l'émouvant Prologue : O vos omnes qui transitis per viam, attendite et videte, si est dolor sicut dolor meus (Ô vous tous
qui passez par le chemin, voyez s'il est une douleur comparable à la mienne),
d'après les Lamentations de Jérémie
et, pour conclure, reprennent la dernière parole : Pater, in manus tuas commendo
spiritum meum (Père,
entre tes mains je remets mon esprit). Toutes les étapes bibliques de la
Passion revivent intensément à travers ces pages interprétées avec sensibilité
et musicalité par les choristes du Mainzer Domchor (créé en 1866) qui se produisent les dimanches et
jours de fête dans la grande Cathédrale et, dignes de la tradition, ils ont
réalisé de nombreux disques et émissions télévisées fort appréciés. Édith Weber. Antonio VIVALDI : Le Quattro Stagioni. Concerti per flauto. Andrea Griminelli, flûte et dir. Solisti filarmonici italiani. 1CD Decca
: 4764670. TT : 73' 43. Le flûtiste Andrea Griminelli, élève de Jean-Pierre Rampal et de James Galway,
propose à son tour, avec les Solisti filarmonici italiani, sa
version des Quatre Saisons d'Antonio
Vivaldi (1678-1741), œuvre populaire entre toutes, très appréciée par Jean
Sébastien Bach. Il a le mérite d'interpréter aussi les Concerti per flauto redécouverts en 2010
par Andrew Wooly (le manuscrit aurait été apporté en
Angleterre, la deuxième partie de violon perdue a été restituée). Ces Concertos portent quatre titres
évocateurs : La Notte,
La Tempesta di
Mare, Il Cardelino
et Il Gran
Mogol. Le texte d'accompagnement reproduit les Sonnets (dans le sillage de John Milton) ayant servi d'inspiration
à Vivaldi. La musique est très suggestive : pour le Printemps : oiseaux, petite brise, annonce des éclairs, danse
des nymphes et bergers ; pour l'Été :
chaleur, langueur, coucou, tourterelle, mouches, tonnerre… ; pour l'Automne : paysans, récoltes,
chasseurs, chants et danses ; pour l'Hiver :
froid mordant, gelée, glace, sommeil, mais aussi joies. Vivaldi excelle dans la
peinture d'atmosphère (douceur, luminosité, éclat, apaisement) et la
description de la nature. Il s'impose par son pouvoir de suggestion et son
esthétique des sensations. C'est aussi le cas de cette belle réalisation
entièrement italienne. Édith Weber. Maurice JOURNEAU : Musique de chambre. Ensemble Opus 41. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr): DSK4151. TT : 72'08. Toujours à l'affût
de programmes sortant des sentiers battus, le Label SKARBO a eu l'excellente
idée de tirer d'un certain oubli le compositeur français Maurice Journeau, né à Biarritz en 1898, mort à Versailles le 9
juin 1999. Comme le rappelle Chantal Virlet-Journeau, à l'École Normale, il a été l'élève de Max d'Ollone et Nadia Boulanger. Selon Jean-Pierre Ferey, ce compositeur indépendant était trop
modeste, car « il ne souhaita jamais en faire sa profession »,
et ce n'est qu'en 1992 — à l'occasion de son 94e anniversaire — que des
musiciens s'enthousiasmèrent pour ses œuvres et les proposèrent en concert. Son Catalogue (70
opus) comporte des œuvres instrumentales, orchestrales, vocales et de musique
de chambre composées entre 1920. Ce disque offre un aperçu éloquent de sa
musique de chambre pour instruments divers : Petite Suite pour cordes et piano (1929), dans laquelle le premier
mouvement : Conte s'impose par
un thème de caractère chantant ; Nuits
basques, op. 9 (1925), page plus descriptive, évoque la mer à Biarritz en
été, et l'automne à Saint Jean de Luz-Ciboure. Un Largo (1936), pour quintette pour
violon, flûte, clarinette en La,
violoncelle et piano, est méditatif et intériorisé, alors que Marine, op. 23 (1936) pour violon et
piano, fait appel à des effets impressionnistes. Son Trio pour piano, violon et violoncelle (1924) — œuvre de
jeunesse — est tripartite : Joyeux,
Gai, Animé. La Deuxième Sonatine pour piano seul, également en
trois parties, composée l'année suivante, comporte un Andante central — spéculant sur les
passages à découvert avec des traits perlés — autour de deux mouvements
rapides. Enfin, plus proches de nous : Trois
Pièces brèves, op. 69 (1984) pour clarinette en Si b et piano dans lesquelles la clarinette, très expressive
et aérienne, évolue au-dessus du piano accompagnateur. Ce programme réalisé en
2015 par des membres de l'Ensemble Opus 41 fera largement découvrir les talents
compositionnels de Maurice Journeau. Il était grand
temps… Édith Weber. Frank MARTIN : Missa.
Matthias GRÜNERT, :
Agnus Dei, Pater Noster.
Percy FLETCHER : pièces pour orgue.
Chœur de chambre de la Frauenkirche de Dresde, dir. Matthias Grünert. 1CD RONDEAU PRODUCTION. (www.rondeau.de): ROP 6111. TT : 54'42. Frank Martin
compositeur suisse protestant, est né à Genève en 1890 et mort à Naarden (Pays-Bas) en 1974. Sensibilisé à la musique dès sa
plus jeune enfance, après ses études classiques, il étudie d'abord les sciences
naturelles et les mathématiques à l'Université de sa ville natale. En 1910, il
décide de se consacrer à la musique et de suivre dans sa ville natale des cours
de composition, d'harmonie et d'orchestration. Il deviendra, avec Arthur
Honegger et Willy Burkhard, un des compositeurs
suisses dominants. Sa Missa pour deux
Chœurs à 4 voix a cappella, composée entre 1922 et 1926, n'a été créée qu'en
1963 et publiée dix ans après. Depuis lors, elle fait l'objet de nombreux
enregistrements discograhiques. Par son inspiration
grégorienne (Kyrie), une influence de
J. S. Bach (Gloria) et des traces
d'impressionnisme, elle est accessible au grand public ; elle brille par
sa très riche couleur harmonique. Le Chœur de chambre
de la Frauenkirche de Dresde est dirigé par son
Cantor bien connu, Matthias Grünert (né en 1973), qui
a associé à la Messe de Frank Martin,
son bref Agnus Dei et son Pater Noster, typiques de l'esthétique
de la musique sacrée de notre temps. Le troisième volet de ce triptyque permet
de découvrir trois œuvres pour orgue de Percy Fletcher (1879-1932), violoniste,
organiste et compositeur anglais polyvalent,
proche du style d'Edward Elgar : Festival Offertorium, particulièrement
vigoureux ; Fountain Reverie et
surtout Festival Toccata, œuvre à
succès. Ce programme inattendu a été enregistré à la Frauenkirche
à Dresde dans le cadre du Jubilé de la reconstruction (2005-2015) de cette
célèbre Église après la Seconde Guerre mondiale. Il est tout à l'honneur de son
Kammerchor. Édith Weber. « Violoncelle à 5 cordes ». Pièces d'Étienne
PECLARD, Gabriel BILLE, Jean-Louis AGOBERT, Maria Luisa MACELLARO LA FRANCA,
Didier LACOMBE, Patrick BURGAN, Didier
LACOMBE, Etienne ROLIN, Sacha CHABAN. Étienne Péclard,
violoncelle. 1CD TRITON (www.disques-triton.com ). Distribution : DistrArt
Musique : TRI 3311203. TT : 48'51. Cette réalisation
relève trois défis : organologique, interprétatif et compositionnel,
résultant d'une triple coopération régionale entre facteur, interprète et
compositeurs. D'une part, elle réhabilite la cinquième corde (de Mi) « oubliée »
du piccolo baroque, grâce au luthier Jean Seyral
qui, à la demande d'Étienne Péclard, a construit
l'instrument joué avec pique, utilisant des cordes modernes de même taille et
accordé par quintes (Do, Sol, Ré,
La, Mi). D'autre part, elle permet à
l'interprète de valoriser son nouvel instrument et, en outre, de faire
connaître des musiciens contemporains liés à la vie artistique du Sud-Ouest ayant, à sa demande, composé
des œuvres spécifiques. Bel exemple de connivence. Étienne Péclard (né en 1943) a été l'élève notamment d'André Navarra, de Joseph Calvet, Jean Hubeau.
Il est titulaire de deux Premiers Prix en Violoncelle et Musique de chambre et
Lauréat de nombreux Concours internationaux. Son rayonnement est
international ; violoncelle solo, il a participé à de nombreux Orchestres
et côtoyé des sommités du monde artistique. Pour ce disque, il interprète, en
connaissance de cause, son Voyage en mi
« In memoriam » qu'il définit ainsi : « Quelques notes
en souvenir d'enfance et variations autour de la corde de mi ». Il a fait
appel à de jeunes compositeurs ayant des rapports avec la Région bordelaise.
Gabriel Bille (né à Libourne en 1990) a fait ses études universitaires et
musicales à Bordeaux ; son Intermezzo,
comme il le rappelle, « se réfère à l'esthétique des Six Suites pour violoncelle seul [J. S. Bach]. Cette œuvre est
également un clin d'œil saluant le travail d'Étienne Péclard
dans son précédent enregistrement des Six
Suites ». Jean-Louis Agobet, formé au CNSM
de Lyon, compositeur en résidence auprès des Orchestres de Montpellier et
Strasbourg, est depuis 2011 professeur de composition au CNR de Bordeaux. Sa
pièce : Spirit of Preludio a été, comme il le signale, conçue dans l'esprit d'un prélude pour une
série de concerts et l'enregistrement d'un CD d'œuvres originales pour cet
instrument. Maria Luisa Macellaro La Franca,
d'origine sicilienne, a étudié la composition, la direction et le piano au
Conservatoire de Palerme. Depuis 2011, elle dirige deux orchestres d'amateurs à
Bordeaux. Sharade est, selon ses propres termes :
« une étude de concert aux influences de tango… Cette petite pièce
est à considérer comme une sharade entre copains musiciens ! ». Patrick Burgan qui a, lui aussi, répondu à la demande d'Étienne Péclard, est le compositeur de Brises, page de caractère expressif et théâtral, se voulant
« un hommage discret à l'auteur d'une certaine VIe Suite… » dans laquelle Bach fait
appel à la 5e corde. Didier Lacombe est professeur d'alto au CNR de Bordeaux,
fondateur de l'Ensemble d'altos « Alto Folie », directeur artistique
de l'Association Opus Lacombe — pour la promotion des instruments à cordes en
Aquitaine — et compositeur. Voici comment il justifie le titre de son œuvre Pour un jeune à l'accordéon :
« J'ai voulu quelque chose de simple et de doux, en partant sur des danses
anciennes » et fait allusion à la générosité d'Étienne et cette 5e corde
du violoncelle qui ne pouvait que « m'emmener vers l'éventail de
l'accordéon de mon fils Théo. » Le flûtiste Étienne Rolin, compositeur
franco-américain, élève de Nadia Boulanger, Olivier Messiaen et Iannis Xenakis, est actuellement professeur d'Analyse,
d'Improvisation et de Sound painting au CNR de Bordeaux. Dans Expressive Puzzle II, il rend hommage à
la sonorité du violoncelle piccolo et au jeu engagé de l'interprète. Enfin,
Sacha Chaban, né à Bordeaux et diplômé du CNR de
cette ville, exerce ses activités à Los Angeles. L'interprétation de sa Toccata, page d'extrême virtuosité,
permet à Étienne Péclard rompu à tous les traquenards
techniques — à la fois demandeur, créateur et dédicataire de toutes ces œuvres
— de poser un brillant point d'orgue sur ce triple défi organologique, interprétatif
et compositionnel. Remarquable hommage à J. S. Bach et au violoncelle à 5
cordes. Édith Weber. Frédéric CHOPIN : Nocturnes.
2CDs LAMUSICA (www.lamusica.fr ): LMU 004. TT : 113'29. Frédéric Chopin et,
en particulier, ses Nocturnes, ont
récemment fait l'objet d'une réédition discographique historique (Arthur
Rubinstein, 2014) et d'une Intégrale (Brigitte Engerer,
2015)… À son tour, Emmanuelle Swiercz — très
sollicitée pour des concerts et festivals en Europe, au Brésil, au Japon, en
Chine et en Australie — en propose une version faite de finesse, de distinction
et de poésie. Sous la direction artistique de François Eckert (prise de son,
montage, mixage et mastering) et avec la coordination
éditoriale de Claire Vachon, ces deux disques ont été enregistrés du 2 au 6
juin 2015, à la Salle Colonne (Paris) sur un Piano Steinway & Sons — dont
la réputation n'est plus à faire, notamment pour la qualité de la sonorité et
des basses en particulier. Dans son introduction, Emmanuelle Swiercz rappelle la densité pianistique des œuvres de
Chopin et signale qu'« à chaque tournant de sa route poétique, un paysage
féérique se découvre au crépuscule, naturel comme l'improvisation,
scrupuleusement élaboré comme la Nature » : c'est aussi l'impression
qui se dégage de ses interprétations raffinées et si chargées de musicalité.
Dans le texte de présentation trilingue, Alain Duault
insiste sur le fait qu'il « faut… un interprète disposé à recevoir
ces confidences subtiles, cette palpitation intime, cette lumière
étouffée », et Michel Fleury rappelle que les Nocturnes permettent à Chopin de donner libre cours à sa fantaisie
et à son imagination : ce que réalise Emmanuelle Swiercz
en deux CD (sources musicales : Wiener
Urtext Edition, comme il se doit). Ces œuvres
sont souvent galvaudées et pêchent par excès de sentimentalité ou de
sensiblerie, ce qui n'est certes pas le cas avec cette remarquable pianiste,
Prix de Piano du CNSMD de Paris, qui s'est perfectionnée auprès de Michel Béroff, Denis Pascal et Marie-Françoise Bucquet ;
elle est lauréate de plusieurs fondations et récompensée lors de Concours
internationaux. Elle réserve un sort royal à ces 21 Nocturnes composés entre 1830 et 1846. Édith Weber. Zygmunt NOSKOWSKI : Piano Works 2.
Anna Mikolon,
piano 1CD ACTE PRÉALABLE. (www.acteprealable.com): AP0355. TT : 81'07. Le Label polonais
Acte Préalable s'attache à la promotion de la musique et des musiciens de son
pays grâce aux nombreux efforts de son producteur et directeur artistique, Jan Jarnicki. Ce
deuxième disque, enregistré en première mondiale, comprend des œuvres pour
piano de Zygmunt
Noskowski, professeur (entre autres de Karol
Szymanowski) et compositeur de talent, malheureusement tombé dans l'oubli. Il
est né le 2 mai 1846 à Varsovie et mort dans cette ville le 23 juillet 1909, où
il a étudié le violon et la composition au Conservatoire, puis à Berlin auprès
de Friedrich Kiel. Ce musicien indépendant, compositeur, violoniste et
pianiste, est une figure marquante de la musique polonaise. Il s'inspire
volontiers du terroir, c'est le cas de son opus 2, intitulé Cracoviennes ou encore de son opus
11 : Polnisches Wiegenlied
(Berceuse polonaise). Son opus 14 : Les
Sentiments traduit musicalement L'inquiétude,
La consolation ou encore La résignation. En revanche, son opus 30 : En pastel cède la place aux états d'âme et à la mélancolie. La
pianiste Anna Mikolon, diplômée de l'Académie
musicale Stanislaw Moniuszko
et l'École musicale d'État F. Chopin, a participé avec grand succès à plus
d'une vingtaine de concours de pianistes et a été très souvent récompensée en
tant qu'enseignante. Elle revit intensément les intentions de Zygmunt Noskowski qui spécule sur
la simplicité, la structure claire (souvent répétitive : A B A', avec
modulation dans les parties centrales) et recherche volontiers les contrastes
mélodiques et dynamiques. Elle contribue très largement à la valorisation de
l'œuvre pianistique de ce grand compositeur qu'elle tire enfin de l'oubli. À
découvrir et apprécier. Édith Weber. « Swiss Piano Works 1890-2008 ». Émile JAQUES-DALCROZE, George TEMPLETON STRONG, Aloÿs FORNEROD, Émile-Robert
BLANCHET, Fabio MAFFEI, Heinrich SUTERMEISTER. Adalberto Maria Riva, piano.
1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1468. TT : 71'57. De leur côté, les
Éditions VDE GALLO s'attachent elles aussi à diffuser largement le patrimoine
musical suisse. C'est dans cette optique que le pianiste Adalberto
Maria Riva a enregistré, en première mondiale, des œuvres pour piano de
compositeurs suisses traitant les formes traditionnelles : ballade, poème,
danse, étude, barcarolle, thème, variations, fugue… Ces musiciens nés dans le
dernier quart du XIXe siècle appartiennent à une nouvelle génération de Suisses
formés surtout en Allemagne. Émile JAQUES-DALCROZE (1865-1950) est célèbre par
son apport pédagogique et son apprentissage de la musique associé à une
dimension corporelle (la Rythmique). Les mélomanes découvriront sa Ballade (op. 46 n°1), en trois parties,
qui se rapproche de la forme sonate. George TEMPLETON STRONG (1856-1948) n'est
pas né en Suisse mais à New York ; avant de s'établir en Suisse en 1892,
en Allemagne, il a été l'élève de Joachim Raff. Dès 1911, il occupe une place
importante dans la vie musicale genevoise. Il est connu par ses Poèmes symphoniques dans le sillage
de Liszt. Ses Four Poems ont été élaborés en Suisse.
D'inspiration romantique, ils recréent l'atmosphère de textes d'Edgar Allan
Poe, William Shakespeare, entre autres… Son langage musical s'impose notamment
par son sens de la mélodie. Aloÿs FORNEROD
(1890-1965), influencé à Paris (Schola Cantorum) par
Vincent d'Indy et Auguste Sérieyx, représente la
mouvance latine et française dans la création musicale de Suisse romande. Son voyage du printemps (op. 27) s'impose
notamment par sa clarté toute latine, son langage harmonique faisant appel à la
modalité ; selon ses propres termes, il y adopte « des cadres
classiques ajustés à la pensée, renouvelés et assouplis ». Émile-Robert
BLANCHET (1877-1943) figure au programme de ce CD, entre autres, avec deux Barcarolles, mais aussi une page
historique : Tocsin, concernant
l'événement du 3 août 1914. Selon Jacques Tchamkerten,
l'œuvre de Fabio MAFFEI (né en 1968) bénéficie de l'héritage suisse ; ses Briciole
(2007-2008) misent sur l'expression et les formes elliptiques. « Ces six
pièces frappent par leur chromatisme et une dimension presque
expressionniste ». Ce disque comprend encore deux œuvres de Heinrich SUTERMEISTER (1910-1995), installé à
Vaux-sur-Morges. Spécialisé dans des œuvres lyriques avec des titres allemands,
son style se réclame de l'influence de Carl Orff et essentiellement Werner Egk.
À l'âge de 20 ans, il a écrit un Thema und zehn Variazionen
(mit Schlussfuge) prouvant sa faculté d'invention
et sa maîtrise contrapuntique. Adalberto Maria Riva,
né à Milan, après ses études générales et musicales dans cette ville, a, en
2001, obtenu un diplôme de Virtuosité au Conservatoire de Lausanne. Il a donné
de nombreux récitals en Europe et en Amérique du Nord et surtout en Italie et
en Suisse romande. Il enseigne depuis 2015 le piano au Conservatoire de Milan.
Il a parfaitement assimilé ces partitions allant de la fin du XIXe siècle à nos
jours. Excellent plaidoyer en faveur de la création musicale en Suisse. Édith Weber. Antonio SOLER : « Sol de mi fortuna ».
Sonates pour clavecin de la collection de la Morgan Library de NewYork. Diego Ares, clavecin. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902232. TT.: 73'08. Antonio Soler
(1729-1783) est un personnage étonnant. Formé à l'école de la Maîtrise de
Montserrat en Catalogne, ses qualités d'organiste le font rapidement appeler au
monastère de l'Escurial où il va embrasser les ordres. C'est là qu'il va composer,
en 1756, de multiples sonates pour le clavecin – on en compte 43. La proximité de Madrid ne le fait
pas renoncer pour autant au monde séculier. L'Espagne connait alors une vie
culturelle foisonnante, notamment dans le domaine de la musique avec, entre
autres, des compositeurs tels que Domenico Scarlatti ou José de Nebra. Les sonates du Frate - ou Padre - Soler ont connu en
matière d'édition des fortunes diverses jusqu'à ce qu'en 2011, on en retrouve
un manuscrit compréhensif à la Morgan Library de New York. Celui-ci montre que
la composition des sonates est curieusement partagée entre Soler
et Scarlatti. Le jeune claveciniste Diego Ares a décidé dans le présent disque
d'offrir une sélection passionnante de celles revenant au moine Soler. Elles sont le plus souvent conçues par paires et sur
le versant vif, de courte durée, constituées d'un seul mouvement. Reflétant des
influences italiennes et espagnoles, ce sont indiscutablement ces dernières qui
sont les plus frappantes : évocation des ''tonadillas'',
chansons populaires typiques, ou des carillons des rues madrilènes que Soler a sans doute expérimentés lors de ses voyages dans la
capitale. L'inventivité est sans limite : répétitions effrénées (Sonate N° 8,
marqué Allegro Sofrible/sautant), écriture en écho
(Sonate N° 14), façon de refrain et cadence (sonate N°42). L'art avec lequel le
musicien fait sonner l'instrument et exceptionnel, digne de Scarlatti ; comme
aussi sont étonnantes les audaces harmoniques ( Nos
11, 26) et l'usage des tonalités les plus diverses. La pièce la plus parfaite
est peut-être la Sonate N° 30 dite « Pastorale », presque vocale avec
des effets de bourdon où l'on entend presque tout un orchestre au fil de mini
variations. Le programme concocté par Diego Ares, riche de 26 items, 20
sonates, deux préludes et trois interludes, dont un de son cru, se conclut sur
un canon à 4 «Viva la fama
de esse Sol de mi fortuna » (Vive la célébrité
de ce Soleil de ma fortune). Celui qui fut appelé « Le diable habillé en
moine », poète aussi à ses heures, et maniant l'énigme et la facétie,
montre, selon Ares, que ses sonates « remplies de lumière et de joie,
paraissent irradier d'un soleil, ce ''Sol de mi fortuna''
(Soleil de ma fortune) ». L'interprétation révèle une souveraine habileté,
une assurance dans le trille, la finesse des appogiature,
un jeu bien détaché, ni sec ni mécanique, et surtout coloré. L'instrument joué,
un clavecin de Joel Katzman,
Amsterdam 2009, d'après un clavecin sévillan attribué à Francisco Pérez Mirabal, de 1734, offre un superbe piqué et une avantageuse
résonance dans le grave. Jean-Pierre Robert. Franz SCHUBERT : Sonate
pour piano N° 19 D. 958. Quatre Impromptus op. posth. D. 935. Nikolai Lugansky, piano. 1CD Naïve Ambroisie : AM214. TT.: 74'. Nikolai Lugansky se fait rare au disque et on ne l'attendait
peut-être pas dans Schubert. Mais cet aristocrate du piano livre ici un
programme d'une rare pertinence. La Sonate D. 958 est la première de la
fameuse série des « Trois grandes sonates » publiées en 1838, dix ans
après leur composition et la mort de leur auteur. Elle offre sous les doigts du pianiste russe
une exécution à la fois volontariste, sans jamais paraître heurtée, et d'un
lyrisme immaculée distillant mystère et fantaisie. A l'aune de l'allegro
initial, d'une énergie toute beethovénienne, dont le développement révèle
autant de climats d'une si étonnante liberté d'invention. L'ample thème profond
et serein de l'adagio sera traversé dans son second épisode d'accords fort
soulignés. Du menuet, Lugansky ménage l'originalité :
accents fantasques, ruptures de rythme, silences évocateurs. Du finale et sa
course effrénée, il enchaîne les diverses idées et les modes tour à tour
nerveux et apaisés, sombres, voire inquiétants, et d'une belle douceur, aussi
instables dans les tonalités que techniquement semés de difficultés. Ces
qualités, on les retrouve dans les Quatre Impromptus op. posthume D. 935.
Cette seconde série, composée en 1827 comme la première D. 899, mais également
publiée après la mort du compositeur, la complémente. Le premier, allegro
moderato, est dramatique et lyrique annonçant les climats instables mais aussi
la tension de la Sonate D.958. Le deuxième offre un Schubert intime et joliment
mélancolique, sous forme de menuet, sa partie centrale apportant un subtil
contraste avec son écriture arpégée, instillant quelque fièvre. Le troisième
est bâti sur le schéma de thème et variations : c'est le triomphe du mélodisme schubertien d'une grâce charmeuse. Le thème est
inspiré de Rosamunde. Au fil des variations
ornées, Lugansky nous régale d'une palette brillante
tour à tour aérée et sombre, toujours raffinée, comme aux dernières mesures, un
crescendo-decrescendo sonnant dans l'aigu du piano telle une volée de
gouttelettes d'eau. Le dernier, allegro scherzando, est construit sur une danse
populaire tchèque. On y trouve des contrastes saisissants dans le rythme et ses
brusques ruptures comme dans le jeu paré de trilles brillants ou au contraire
d'une limpide fluidité. Encore une fois Nikolai Lugansky associe élégance du jeu et maitrise souverainement
contrôlée. Jean-Pierre Robert. Robert SCHUMANN : Liederkreis op. 39. Frauenliebe und Leben, op. 42. Alban BERG : Sieben frühe Lieder. Dorothea Röschmann, soprano. Mitsuko Uchida, piano. 1CD Decca : 478 8439. TT.: 68'34. Enregistré en concert au Wigmore Hall de Londres en mai 2015, ce programme reprend
celui donné par les mêmes interprètes au Festival de Lucerne 2013 (Cf NL de 10/2013).
Schumann y voisine avec Berg. Le Liederkreis op. 39,
de 1842, était considéré par Schumann comme « le plus romantique de ses
cycles ». Au fil de ces douze Lieder sur des poèmes de Joseph von Eichendorff, on croise des climats de légendes (« Mondnacht »/Nuit de lune), et le langage des voix
intérieures (« In der Fremde »/Loin du pays
natal, « Wehmut »/mélancolie) qui
conduisent le musicien à adopter un ton général feutré, dans le registre piano
en majeure partie. La coulée pianistique évolue entre ombre et lumière. La
première partie est assez avenante, un brin nostalgique, évocatrice de la
légende de la Loreley ou hymne à l'amour. Alors que
la seconde est plus sombre. Bien différente des voix de baryton généralement
associées à ces pièces, celle de soprano de Dorothea Röschmann apporte une clarté qui ne messied pas et des différences
d'éclairages subtiles qu'on retrouve dans le piano de Mitsuko
Uchida, discret et d'une belle transparence. La
chanteuse est encore plus à l'aise dans le cycle de L'amour et la vie d'une
femme. Cet opus 42 qui suit de peu le précédent cycle, offre une écriture
pianistique qui ressortit plus d'un commentaire instrumental que d'un simple
accompagnement. Et se distingue par son autonomie par rapport à la ligne de
chant. La poésie, un peu démodée, de Adelbert von Chamisso, sur la psychologie féminine
petite-bourgeoise, n'en exprime pas moins des sentiments authentiques et donne
lieu à un cycle structuré qui, à la différence du Liederkreis,
déroule une action : le destin de la femme aimée, à travers les étapes de la
vie, et qui sur ses vieux jours, en vient à célébrer le bonheur des souvenirs
du passé. Schumann pare cette action d'une unité thématique, comme naguère
Beethoven dans A la bien-aimée lointaine, dont au demeurant une citation
se fait explicitement jour au sixième Lied. Le piano est plus présent, presque
épique. La conclusion restera d'ailleurs au clavier, au fil du postlude du
huitième et dernier Lied, épilogue instrumental bouleversant. Les Sieben frühe Lieder
(Sept lieder de jeunesse) de Berg, placés au milieu du récital, forment un
contraste intéressant et trouvent Dorothea Röschmann à son meilleur. Écrits dans les années 1905-1908,
ils ne seront publiés qu'en 1928, à la fois dans la version avec piano et dans
celle pour orchestre. Puisant dans la poétique d'auteurs contemporains, à
l'exception de Lenau, Berg s'y montre lyrique à travers des tableaux en
majorité vespéraux. Musicalement, le parallèle avec Schumann est évident. Un
large panorama de thèmes montre que Berg se situe bien au-delà de l'exercice
d'apprentissage. Le langage du futur est déjà là, bien présent. L'ensemble
offre ceci de particulier de réunir des manières différentes, voire disparates,
et pourtant de donner le sentiment de continuité : le romanesque, la façon
impressionniste, les reflets d'une lumière fanée annonçant l'univers
particulier de Wozzeck. Mitsuko Uchida, familière de l'idiome du compositeur et de sa
mouvance harmonique incessante, offre à la chanteuse plus qu'un simple
accompagnement, un vrai partenariat. Jean-Pierre Robert. Modeste MOUSSORGSKY : Tableaux d'une exposition (orchestration : Ravel). Chants et danses de la mort (orchestration :
Chostakovitch). Une nuit sur le Mont Chauve. Ferruccio Furlanetto, basse. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 1CD Mariinsky :
MAR0553. TT.: 68'28. Voici un excellent programme Moussorgsky. Tableaux d'une exposition, composé en
1874 pour piano en hommage à l'architecte Viktor Hartmann, est un exemple
parfait de poème à programme, basé sur dix œuvres de son inspirateur.
L'orchestration qu'en fit Ravel en 1922 magnifie le texte, lui apportant un
panel de couleurs exceptionnel. Valery Gergiev en
livre une exécution fouillée, sur le versant lent mais extrêmement habitée. Le
thème initial de la « Promenade », qu'on retrouve dans les divers
interludes, est pris de manière non pondéreuse. Suit une galerie mirifique :
« Il vecchio castello »,
pris très lent, devient une sorte de méditation avec son contre chant lancinant
et sa péroraison émouvante. Les passages sombres (« Bydlo »
et son imposant crescendo ou « Samuel Goldenberg und
Schmuÿle », déclamatoire, ou encore « Catacombae » avec sa péroraison là encore hautement
pensée) font écho aux morceaux plus légers (« Tuileries », ou encore
« Ballet des poussins dans leurs coques », aérien et espiègle).
« La Cabane sur des pattes de Poule » est rageur
et bien sonnant dans son rythme de marche triomphale, alors que les traits des
bois sont nursés avec goût. L'épilogue de « La
grande porte de Kiev » est grandiose, la dernière séquence bien détachée
avec son crescendo de cloches irrésistible bardé de coups de gong. Une
interprétation tout sauf routinière, qui donne du sens à ce poème symphonique
où se croisent des images italiennes, françaises et bien sûr russes. Les
chants et danses de la mort, composés en 1875, pour les trois premiers, et
deux ans plus tard pour le quatrième, pour voix de basse et piano, ont été
orchestrés en 1962 par Chostakovitch. De son beau timbre de basse noble Ferruccio Furlanetto en est
l'interprète fastueux, assimilant le style à la fois savant et populaire des
textes d'Arsène Golenichtchev-Koutouzov. « Lullaby » est une berceuse pas si sereine,
bouleversante plutôt, car le chant de la mort consolatrice qui se joint à celui
de la mère au chevet de son enfant malade, conduit à une fin troublante.
« Serenade », présente la mort sous des
aspects charmeurs mais aussi diaboliques. « Trepak »
dépeint l'atmosphère triste qui entoure un paysan esseulé vivant ses derniers
moments, tandis que la mort l'entraine dans une danse faussement joueuse.
« Le chef d'armée », inspiré d'un chant révolutionnaire polonais, est
truffé de percussions obsédantes pour décrire la tragédie. La patte de
Chostakovitch est là bien présente. L'autorité de Furlanetto
fait merveille. D'Une nuit sur le Mont Chauve (1860), Gergiev donne une vision épique dans son tempo rapide, en
dessinant toute la modernité. Une énergie irrépressible parcourt les divers
épisodes de ce court poème symphonique et l'ensemble est uni par des liens plus
serrés que souvent, libérant un dramatisme fortement marqué. Jean-Pierre Robert. Serge RACHMANINOV : Concerto pour piano N°1 op. 1. Igor STRAVINSKY : Capriccio pour piano et orchestre. Rodion SHCHEDRIN : Concerto pour piano N°2.
Denis Matsuev, piano. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 1 CD Mariinsky : MAR0587. TT.: 66'25. L'intérêt de ce disque est de présenter des
pièces concertantes de compositeurs russes de trois époques successives. Le
Concerto pour piano N°1 de Serge Rachmaninov, écrit en 1890/1891, est son
opus 1er et l'un des derniers des grands concertos romantiques. Il sera remanié
en 1917. Ses trois mouvements convoquent une virtuosité on ne peut plus
démonstrative. Un vivace plein d'élan, de fougue, tant dans la partie soliste
que dans l'accompagnement orchestral, introduit quelque chose d'incantatoire,
voire de martial dans le rythme, traversé par de grands accords assénés, modèle
d'une exceptionnelle difficulté technique jusqu'à la péroraison parée de traits
en fusée du piano. Avec l'andante et sa mélodie simple, le piano distille un
lyrisme discret sur un orchestre intéressant dans son instrumentarium,
cors, bassons. L'allegro vivace final renoue avec l'énergie du début, de son
premier thème extrêmement brodé par le soliste, le développement
renchérissant dans le sentiment
d'urgence et la vivacité. Denis Matsuev fait montre
d'une singulière maestria et d'une ahurissante agilité, secondé par un Gergiev des grands jours. Le Capriccio pour piano et
orchestre d'Igor Stravinsky (1926-29, révisé en 1949), « tient à la
fois du ballet, du caprice et de la narration cinématographique »,
remarque le pianiste. S'il ne s'agit pas d'une des œuvres les plus marquantes
de son auteur, du moins son éclectisme retient l'attention par sa légèreté et
son apparente facilité, à l'exemple du troisième mouvement ''allegro capriccioso'', furieusement entraînant et presque jazzy,
accumulant les traits diaboliquement périlleux au piano et un déferlement de
rythmique hachée. Le presto initial offre cette manière syncopée qu'affectionne
Stravinsky basée sur l'irrégularité du rythme. Le compositeur dit avoir puisé
chez Carl Maria von Weber. L'andante rapsodico médian qui, lui, se réfère à JS Bach, offre des
inflexions typiquement stravinskiennes flattant notamment le registre grave du
piano. Alors que Gergiev déploie la bigarrure de
l'orchestration, le piano de Matsuev est d'une verve
communicative. Nouveau saut dans la chronologie avec Rodion
Shchedrin (*1932). Son Concerto pour piano N°2,
le deuxième des six jusqu'ici composés, date de 1966 et est dédié à Maïa
Plissetskaïa, la célèbre danseuse et épouse du musicien. Une grande liberté de
ton le caractérise au fil de ses trois mouvements. « Dialogues »
montre l'interaction entre un soliste qui se place dans les pas de Stravinsky
plus que de Rachmaninov, magnifiant de grands traits percussifs, et un
orchestre qui lui aussi se repaît d'accords répétés secs. Avec
« Improvisations », la rythmique est reine, le mouvement étant
traversé de mini cadences du soliste sur une écriture orchestrale originale aux
cors et à la flûte. « Contrastes », associe ingénieusement divers
styles dont le jazz. Un telle liberté fait penser à
Prokofiev dont Shchedrin semble être ici le
continuateur. On admire la sauvagerie orchestrale et le martèlement infernal
réservé au soliste, mais aussi quelques séquences apaisées permettant de mieux
rebondir. Là encore Matsuev et Gergiev
en livrent une exécution plus que séduisante, proprement irrésistible. Jean-Pierre Robert. Claude DEBUSSY : Children's
Corner. Préludes (2ème livre). Images (2 ème série) : trois extraits. Michel Dalberto, piano. 1CD Aparté : AP 111. TT.: 68'. Il est bien agréable d'écouter de nouveau
Michel Dalberto (*1955), un des éminents
représentants de l'école française de piano. Surtout au seuil d'un projet tétralogique qui avec ce disque Debussy, en comprendra
trois autres consacrés à Franck, Fauré et Ravel, enregistrés live dans l'écrin
prestigieux et la belle acoustique du Teatro Bibiena
de Mantou, une perle architecturale des années
1767/69. Pour le présent CD le choix s'est porté sur trois cycles emblématiques
de la poétique debussyste, ce « mystère de l'instant » célébré par
Vladimir Jankélévitch. Dans Children 's
Corner les contours se font allusifs
dans « Serenade for the Doll
», le mystère insondable dans « The Little Sheperd » et la fantaisie doucement joyeuse à l'heure
de « Golliwog's cake-walk ». Des Images et
de la 2 ème série, Dalberto
a sélectionné trois pièces : « Cloches à travers les feuilles »,
« Et la lune descend sur le temple qui fut », enfin « Poisson
d'or » ; trois fleurons d'une musique qui comme le relève l'interprète à
propos de sa mouvance, exige « une souplesse perpétuelle, une flexibilité
des rythmes pour mieux en atténuer les contours ». Il enchaine avec les 12
Préludes (2ème livre). Un sommet s'il en est de l'écriture pianistique de
Claude de France. Que ce soit les pièces évocatrices : l'appel désespéré de
« Feuilles mortes », « Bruyères » et son impalpable
nostalgie « doucement exprimée » (Dalberto),
l'envoûtement de « La Terrasse des audiences du clair de lune » ou
« Canope » d'une infinie douceur ici. Les pièces plus vives aussi :
la couleur locale espagnolisante de « La puerta del Vino »
et sa danse lancinante de Habanera, le déhanchement de « ''General Lavine''- eccentric », joué
très retenu dans son mouvement de cake-walk, « Ondine », si
différente de celle de Ravel, qui chez Debussy, « ne garde qu'une idée
d'eau, d'éclaboussure et de jaillissement », « Hommage à S. Pickwick Esq. P.P.M.P.C. » et ses solides accords. Les
plus légères encore telles que « Les fées sont d'exquises danseuses »
ou « Les Tierces alternées » d'un motorisme
effréné. Sans parler de « Feux d'artifice », ses fusées traversant
un halo joyeux et ses gammes d'une fulgurance irrésistible, belle conclusion à
ce merveilleux récital. Durant lequel on aura admiré le pianisme
enchanteur de Michel Dalbero, sa fluidité, la clarté
du trait, la précision souple des trilles ou des notes rapides répétées, la
souplesse de l'articulation qui ne tombe pas dans l'évanescent, les contrastes
forte/piano combinés à un usage judicieux de la pédale. L'instrument joué, un
Grand piano Fazioli est pour beaucoup dans le rendu
sonore : à l'absence de brillance du Steinway s'ajoutent un grave
impressionnant (« Jimbo's Lullaby
» de Children's Corner), un beau piqué
des notes aiguës (« Et la lune descend...»), enfin une formidable résonance
(« Poisson d'or », « La puerta de Vino »). Un grand disque! Jean-Pierre Robert. Maurice EMMANUEL : « Musique de
chambre ». Sonate pour violoncelle et piano op.
2. Sonate en trio pour flûte, clarinette dt piano op. 11. Suite sur
des airs populaires grecs op. 10. Sonate pour
bugle et piano op. 29. Quatuor à cordes
op. 8. Alexis Galpérine, violon, Raphaël Perraud, violoncelle, Laurent Wagschal,
piano, Olivier Sauvage, flûte, Philippe Moinet,
clarinette, Fabrice Wigishoff, bugle. Quatuor
Stanislas. 1CD Timpani : 1C1167. TT.: 69'37. Maurice Emmanuel (1862-1938) laisse un
corpus de musique de chambre peu abondant, car plusieurs partitions ont été
détruites, mais exigeant. La plupart de ces œuvres ont été écrites au cours de
la première partie de sa carrière. Le présent disque les reprend toutes, à
l'exception de la Sonate pour piano et violon op. 6. Selon Harry Halbreich, « certaines dates de composition stupéfient
encore aujourd'hui, tant ces œuvres nous semblent en avance sur leur époque,
d'une génération entière parfois. » La Sonate pour violoncelle et piano
op. 2, de 1887, mais créée en 1921, fit l'admiration de Pau Casals qui en loua
l'aspect précurseur. Elle est d'écriture monothématique. Son allegro montre une
fluidité naturelle insufflée d'abord par le piano, tandis que la mélodie est
vite dessinée par le violoncelle. Le larghetto offre une mélodie doucement
sereine qui dans le développement s'enrichit de tension. Une gigue bondissante
conclut, teintée de ce folklorisme qui marque toute la pièce comme bien des
œuvres du musicien. Le piano tisse de fines arabesques et la coulée du cello est presque virtuose. La concision frappe, comparée
aux pièces contemporaines, de Franck notamment. L'interprétation de Raphaël Perraud et de Laurent Wagschal
apporte un sentiment de bienêtre et les ambiguïtés rythmiques sont transcendées
avec brio. La Sonate pour flûte, clarinette et piano op. 11 date de 1907. Elle offre la même veine apaisante que la
sonate précédente, au fil de ses trois mouvements : un allegro con spirito qui « exprime une joie de vivre
délicieuse » (Harry Halbreich), un adagio d'une
douce quiétude de par la mélopée des deux vents, et un molto allegro et leggerissimo, danse rythmiquement assurée, en particulier
dans sa partie conclusive, aux assauts capricieux. Ce trio à l'instrumentarium original est sans doute l'œuvre la plus
jouée de Maurice Emmanuel. Elle est ici servie par une exécution aussi enlevée
que joyeuse. La Suite sur des airs populaires grecs op. 10 (1907) pour
violon et piano se réfère aux modes à la fois orientaux et grecs antiques de
l'île de Chio. La Sonate pour bugle et piano op. 29, dernière pièce
chambriste du musicien (1936), marque l'intérêt de celui-ci pour les
instruments délaissés, ici le cornet à piston, « le gamin de Paris de
l'orchestre ». Malgré sa très courte durée (six minutes), elle est formée
de quatre parties, suite de danses, laissant au cuivre
matière à déployer une verve qui dépasse le pur exercice ; ce que fait avec
talent Fabrice Wigishoff. Enfin le Quatuor à
cordes op. 8, de 1912, contemporain de celui ce Ravel, est une partition
imposante (27 minutes). Son premier mouvement s'ouvre par un adagio qui se
poursuit par un allegro con brio, d'une verve étourdissante. L'allegro vivace
central, sorte de scherzo, est d'une couleur populaire joliment balancée,
traversé par un épisode adagio intense et presque austère. Le con fuoco final « all' ungherese »
est imprégné d'un thème tzigane que n'auraient pas renié Bartók ou Kodály, avec ses
pizzicatos farouches, sa rythmique hachée, son exubérance et ses effets
de ritournelles endiablées. Toutes caractéristiques que manie avec bonheur le
Quatuor Stanislas. Jean-Pierre Robert. « Divine Karina. The best of Karina Gauvin ». Arias de BACH, PURCELL, HAENDEL, VIVALDI, PORPORA,
BODIN DE BOISMORTIER, MOZART. BRITTEN : « Now
Sleeps the Crimson Petal ». MAHLER : extrait de la IV symphonie. TYLER
WILLIAMS : « You, my sister ».
Karina Gauvin, soprano. Avec Nathalie Gauvin. Divers orchestres, dir. Francis Colpron, Alexander Wetmann, Alan Curtis, Bernard Labadie, Yannick Nézet-Séguin. 1CD Atma Classique
: ACD2 3017. TT. : 73'08. A l'occasion de son passage à Paris pour le
concert de Partenope de
Haendel (cf. supra), est publiée une compilation d'arias tirés
d'enregistrements effectués par Karina Gauvin sous le label canadien Atma classique. Un fort impressionnant bouquet ! Qui nous
mène de Purcell (la fraîcheur de « Fairest isle » de King Arthur), à Bodin de Boismortier
(air extrait de la Cantate l'Hyver des Quatre
Saisons op. 5 où l'on savoure la délicatesse du phrasé en français, comme
remarqué dans sa participation au Dardanus
bordelais, l'an passé.). C'est bien sûr Haendel, un de ses compositeur de
prédilection, qui est le plus représenté ici avec des morceaux tirés du Messie
et de Solomon ou l'hypnotique « Oh sleep » de Semele, ou
«encore « Ombre pallide » d'Alcina, un opéra qu'elle doit interpréter
prochainement. Vivaldi (« Addio caro » de La verita in cimento) voisine avec Porpora (« Nobil onda » d'Adelaïde,
où l'on savoure trilles et vocalises épousant le mouvement des flots). Elle
propose encore de JS Bach l'aria « Ich habe genug » de la cantate
BWV 82 et un extrait du Psaume 51 « Tilge hochster meine sunden », BWV 1083, où le cantor emprunte au premier
verset, celui-là même que Pergolèse utilise ans son Stabat mater. De
Mozart, l'air de Susanna « Deh vieni, non tardar » des Nozze di Figaro montre une vraie émotion et
la pureté de la ligne de chant. Une pièce de Ben Britten « Now Sleeps the Crimson Petal », un nocturne ému dans le ton chambriste, la
trouve tout aussi à l'aise. Comme le solo de soprano du 4 ème
mouvement de la IV ème Symphonie de Mahler,
morceau un peu décalé ici, mais de qualité, Karina Gauvin assimilant le style
du compositeur autrichien, en particulier dans la dernière section, assagie
dans la direction du Yannick Nézet-Séguin qui avait
pourtant débuté de manière plutôt agitée. En bonus, Karina se fait plaisir en
accompagnant sa sœur Nathalie, chanteuse de genre, dans une pièce inédite de
Tyler Williams, « You, mys sister »
au style swinguant. On admire au passage la qualité des ensembles instrumentaux
canadiens que sont Les Boréades, Tempo Rubato et
surtout Les violons du Roy, dirigés par Francis Colpron,
Alexander Wetmann et Bernard Labadie. Qui sertissent
le soprano clair, jaillissant, et le charisme, l'engagement de Karina Gauvin. Jean-Pierre Robert. « Itzhak
Perlman Edition ». Johannes BRAHMS : concerto
pour violon et orchestre op. 77. Ludwig van BEETHOVEN : Trios à cordes op. 3, 8 & 9. Bela
BARTÓK : concerto pour violon N° 2, BB 117. Itzhak Perlman, violon. Pinchas
Zukerman, alto, Lynn Harrell, violoncelle. Chicago Symphony Orchestra, dir. Carlo Maria Giulini (Brahms). London Symphony Orchestra, dir. André Prévin (Bartok). 1CD Warner classics :
0825646130177. TT.: 43'14/Brahms. 2CDs
: 0825646129737. TT.: 69'20+73'40/Beethoven. 1CD 08256446130306.
TT.: 37'51/Bartók. Itzhak Perlman (*1945) est l'un des plus
grands violonistes du XX ème siècle. Après des études
en Israël dont il est natif, puis aux États-Unis où il se fixe dans les années
1960, en particulier à la Julliard School de New
York, il va mener une carrière
internationale de grande ampleur. Débutée en 1963 au Carnegie Hall, elle
le mènera aux quatre coins du monde. On le verra souvent en France, seul ou aux
côtés des plus illustres chefs d'orchestre ou collègues chambristes. On ne
compte pas les distinctions qu'il a obtenues, dont en 2008 le prestigieux Grammy Lifetime Achievment Award, Sur le tard,
Perlman entamera une carrière de chef d'orchestre. Depuis longtemps il se
consacre à l'enseignement : il est actuellement titulaire d'une chaire de
violon à la Julliard School. Grand communicant, il
est très apprécié. Ne dit-il pas « Lorsque j'enseigne aux autres, je
m'enseigne à moi-même ». Vient de paraître une édition complète de ses
enregistrements parus sous label EMI, qui fut sa maison de disques principale,
bien qu'il ait aussi enregistré pour DG, Decca, Sony et Telarc.
Cette édition publiée à l'occasion de son 70 ème
anniversaire, compte 63 CDs. Ceux-ci sont désormais disponibles pour la plupart
en versions séparées. On a sélectionné quelques joyaux. Témoignages de l'art
souverain de ce musicien hors pair qui joue un des plus beaux instruments qui
soit : le Soil, stradivarius de 1714 ayant appartenu
à Yehudi Menuhin. Définir l'art de Perlman ? Une
sonorité solaire, une chaleur du son, une extrême attention aux nuances de
dynamique qui génère une expressivité dans l'extrême aigu piano, une ampleur
phénoménale, une suprême finesse dans le trille. Ainsi du fameux Concerto
pour violon op. 77 de Brahms qu'il enregistrera plusieurs fois. La première
avec Carlo Maria Giulini et l'Orchestre symphonique
de Chicago, captée en 1976, marquait le début de sa collaboration avec le
maestro italien - le Beethoven viendra ensuite. Elle offre une combinaison
fascinante : car Giulini prodigue une fastueuse
entrée en matière dans le mouvement initial et offre à son soliste un
accompagnement d'une lenteur habitée, tout comme à l'adagio, suprêmement
équilibré et tout en contrastes, avant un finale bondissant livrant tout son
caractère épique. Perlman inscrit dans cet écrin une ligne violonistique d'une
autorité magistrale, tour à tour passionnée (cadence de l'allegro initial,
jouée dans la version de Joachim), et profondément réfléchie à l'adagio jusqu'à
la conclusion extatique, virtuose du finale. A propos du Concerto N° 2 de Bartók,
enregistré en 1973, avec cette fois André Prévin au
pupitre, on sera plus enthousiaste encore. Perlman a peu joué le compositeur
hongrois, et encore moins enregistré, à l'exception des 44 Duos, aux
côtés de Pinchas Zukermann,
une rareté, également publiée dans cette intégrale, et on l'espère bientôt
disponible en version séparée. Sa vision du concerto de violon est passionnante
car là encore la paire soliste-chef est frappée au coin d'un parfait équilibre.
Effectuée au Kingsway Hall de Londres, par Suvi Raj Grubb, un éminent
successeur de Walter Legge, la prise de son est immaculée,
offrant une balance soliste-orchestre quasiment idéale et une définition sonore
digne de bien des enregistrements postérieurs. De ce concerto écrit en 1937,
commande de Zoltan Székely qui le créera en 1939, on
a dit qu'il s'agit d'une des œuvres « les plus jaillissantes » du
musicien, d'une « formidable inventivité sonore » (Claire Delamarche, « Béla Bartók, Fayard). De l'allegro non troppo, Perlman ménage les aspects sombres et lumineux et
les divers climats épiques et lyriques. La cadence fantasque est un modèle de
virtuosité bien conçue. L'adagio tranquillo, sous
forme de thème et variations, exhale une mélodie d'allant populaire aux parfums
nocturnes envoûtants, qui se meut en feu d'artifice associant le violon aux
percussions puis aux cordes suraiguës. Avec le finale, retour à la fantaisie du
premier mouvement, dont la thématique est métamorphosée. L'exécution de
Perlman, superlative de clarté, doit beaucoup à la direction idiomatique de Prévin, détachant les percussions comme les cuivres, sans parler
de la harpe dont le rôle est essentiel. Le LSO sonne brillant. Une référence. Artiste complet, Perlman affectionnait tout particulièrement la musique de chambre. Parmi ses enregistrements, les rares Trios pour cordes de Beethoven méritent le détour. Ces œuvres appartiennent à la première période compositionnelle du musicien. L'opus 3, le plus long des cinq trios, est inspiré de la sonate du chiesa, le violoncelle étant cantonné dans le rôle d'accompagnement. Il offre un beau classicisme au fil de ses six mouvements dont deux menuets bien rythmés et un adagio au mélodisme quelque peu archaïque, traversé d'accents plus fiers. Le trio op 8, dit « Sérenade » est sans doute le plus connu de l'ensemble. Là aussi composé de six mouvements, il alte |