L'ARTICLE DU MOIS : L'ENIGME SIBELIUS L'ENSEIGNEMENT MUSICAL : ET BIEN, CHANTEZ MAINTENANT !
À RESERVER SUR L'AGENDA
15 / 2 Quatre pianistes français en Arles C'est un programme fort
original qu'offrira ce concert en matinée à la Chapelle du Méjan.
Quatre pianistes français vont s'y rencontrer : Vanessa Wagner, Marie Vermeulin, Cédric Tiberghien et Wilhem
Latchoumia. Ils interpréteront des œuvres hors des sentiers battus, pour le moins, dans
ce répertoire. Qu'on en juge ! Amériques de Varèse, Le Sacre du
printemps de Stravinsky, dans sa transcription originale pour piano à
quatre mains, des Préludes et Interlude des Gurrelieder
de Schoenberg et La Valse de Ravel. Chapelle du Méjan, Place Nina Berberova,
13200 Arles, le 15 février 2015, à 11H. Réservations : Association du Méjan, BP 90038, 16633 Arles cedex ; par tel.:
04 90 49 56 78 ; en ligne : mejan@actes-sud.fr 17, 19 / 2 Leif Ove Andsnes joue les concertos de
Beethoven On ne compte plus les
exécutions des concertos de piano de Beethoven. Pourtant celle-ci devrait
retenir l'attention. D'abord parce qu'il s'agit de l'interprétation de
l'ensemble de ces pièces, en deux concerts, le premier réunissant les concertos
Nos 2, 3 et 4, le second rapprochant les concertos Nos 1 et 5. Ensuite et
surtout parce que l'interprète en est le norvégien Leif Ove Andsnes
(*1970) qui les jouera et dirigera du piano le Mahler Chamber
Orchestra. « La musique de Beethoven est la plus humaine et la plus
profondément spirituelle qui soit » estime-t-il. Le pianiste s'est
embarqué depuis 2011 dans un vaste projet, intitulé « The Beethoven Journey », d'abord au disque, l'intégrale venant
d'être publiée pour le label Sony, recueillant des suffrages enthousiastes pour
son élégance et son inspiration, puis au concert. Une vaste tournée, débutée à
l'automne dernier, va se poursuivre tout au long du premier semestre de 2015,
dans quelques 20 pays. Elle s'arrêtera par chance à Paris. A noter que le projet comprend un volet
éducatif « Feel the Music », à destination des
jeunes, avec workshops et possibilité offerte aux aspirants mélomanes
d'assister aux concerts. Une entreprise à ne pas manquer, d'abord au concert
puis au disque. Théâtre des Champs-Elysées, les 17 et 19 février à 20H Réservations : 15 avenue
Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr 22, 24, 26, 27 / 2 Au Monde, création à l'Opéra Comique Philippe Boesmans
(*1936) est l'un des compositeurs d'opéra les plus prolifiques du moment,
révélé par Gérard Mortier à La Monnaie. La force de ses œuvres lyriques vient
d'abord de leur inspiration littéraire, Arthur Schnitzler pour Reigen (La Ronde), Shakespeare dans le cas de
Wintermärchen (Le conte d'hiver),
August Strinberg, s'agissant de Julie, ou encore Witold
Grombowicz pour Yvonne, princesse de Bourgogne.
Son sixième opus, Au Monde, s'inspire directement de la pièce éponyme de
l'auteur français Joël Pommerat. Créé en mars 2004 à La Monnaie de Bruxelles, le voilà
à l'Opéra Comique, co producteur. Ce
huis clos familial autour de la succession du Paterfamilias, riche industriel,
amenant ses enfants et proches à se découvrir,
révèle tensions et non dits, dans un style proche de Maeterlinck mais
aussi de Duras. Boesmans qui revendique n'appartenir
à aucun mouvement, créé une musique inventive, accessible, d'une large palette,
essentiellement consonante, mêlant les repères classiques, ne renonçant pas à
quelque héritage debussyste dans la prosodie chantée, mais aussi straussien, et
des incursions dans le monde de la chanson. La production bruxelloise est mise
en scène par Pommerat lui-même, et dirigée par
Patrick Davin, un connaisseur de l'univers de Boesmans. La distribution réunit une fine équipe de
chanteurs dont Frode Olsen, Yann Beuron,
Patricia Petibon et Charlotte Hellekant.
A découvrir ! Opéra Comique, les 22 février 2015 à 15H, 24, 26 et 27/2 à
20H. Réservations : Billetterie, 1
place Boieldieu, 75002 Paris ; par tel. : 0825 01 01
23 ; en ligne : www.opera-comique.com 24, 27, 28 / 2 & 3 / 3 Création mondiale à l'Orchestre des Pays de Savoie Dans le cadre de son trentième
anniversaire, l'Orchestre des Pays de Savoie créé l'événement avec un concert
intitulé « Enfants prodiges », où s'entrecroisent différentes
cultures, différentes époques et bien sûr, différents talents. En mai dernier,
le compositeur Tôn-Thât Tiêt découvrait l'Orchestre des Pays de Savoie lors d'un
concert à la salle Gaveau à Paris, dirigé par Nicolas Chalvin. Ce fut le coup de foudre ! A l'issue de celui-ci, Tôn-Thât Tiêt
souhaita rencontrer le directeur musical de l'orchestre, pour lui proposer une
création. Celle-ci, Aurore de Savoie, sera interprétée, en Première,
lors d'une tournée de concerts en Isère et en Pays de Savoie, en février et
mars prochains. Pour ces soirées, l'Orchestre des Pays de Savoie, dirigé par
Nicolas Chalvin, sera également accompagné par le
jeune et talentueux violoniste Michael Barenboim. La
création de Tôn-Thât-Tiêt sera en effet entourée du Concerto pour violon n°2, op 6 de Felix
Mendelssohn et de la Symphonie n° 41
"Jupiter" K 551, de Mozart.
Mozart, Mendelssohn, Michael Barenboim.... trois
enfants prodiges sous le regard bienveillant du compositeur Tôn-Thât Tiêt, voilà qui promet une
réunion des plus intéressantes ! MC2 de Grenoble, le 24 février 2015, à 20H30 Espace Malraux de Chambéry, le 27 février 2015, à 20H30 La Grande au Lac, Évian, le 28 février 2015, à 20H Bonlieu Scène,
Annecy, le 3 mars à 20H30 Réservations : A Grenoble, MC2,
4 rue Paul Claudel, 38000 Grenoble ; par tel : 04 76 00 79 00 ; en ligne :
billetterie@mc2grenoble.fr A Chambéry, par tel : 04
79 85 55 43 ; en ligne : www.espacemalraux-chambery.fr A Évian, par tel : 04 50
71 39 47; en ligne : mal-thonon.org A Annecy, par tel : 04
50 33 44 11 ; en ligne : www.bonlieu-annecy.com. 26, 27, 28 / 2 & 1/ 3 Opéra Junior monte L'Enfant et les Sortilèges à Montpellier Faire de l'opéra dès la prime
jeunesse, c'est l'aventure unique proposée par Opéra Junior aux jeunes de
Montpellier et de sa région depuis plus de 20 ans. Fondé en 1990 par
Vladimir Kojoukharov, Opéra Junior, dirigé par Jérôme
Pillement depuis 2009, travaille en étroite
collaboration avec l'Opéra Orchestre national de Montpellier Languedoc
Roussillon dont il est devenu un département le 1er octobre 2013. Opéra Junior
présente chaque année une nouvelle production dans la saison de l'Opéra,
accompagnée par l'orchestre maison. Le concept vise un triple objectif :
social - la découverte par les jeunes d'un univers artistique diversifié,
musical et théâtral -, pédagogique – les placer dans une situation concrète et
active - et enfin artistique : favoriser la collaboration entre le travail de
l'équipe pédagogique et celui de professionnels du spectacle. Cette fois sera
monté L'Enfant et les Sortilèges de Ravel. La mise en scène de la
nouvelle production est confiée à Sandra Pocceschi,
metteur en scène au parcours particulièrement intéressant, remarquée et
récompensée par la critique en Europe. Pour elle, cette « fantaisie
lyrique » doit échapper à une lecture psychanalytique qui pour être
inspirante, peut se révéler sclérosante. Il faut aller plus loin dans
l'« imaginaire » de l'œuvre. Jérôme Pillement
dirigera les solistes d'Opéra Junior. Opéra Comédie, les 26 et 27 février 2015 à
14H30 (scolaires) et 28/2 et 1er mars à 15H (tous publics) Réservations : Billetterie, Le Corum, CS
89024, 34967 Montpellier cedex2 ; par tel. : 04 67 60 19 99 ; en ligne : www.opera-orchestre-montpellier.fr 13, 17, 20, 22, 26, 28 / 3 Les Stigmatisés, opéra de Franz Schreker La dernière production
marquante de l'opéra de Franz Schreker (1878-1934) Die
Gezeichneten (Les stigmatisés) remonte à 2005, au
Festival de Salzbourg dont il constitua un des événements majeurs. L'Opéra de
Lyon relève maintenant le défi. Il faut dire que cette œuvre dont le
compositeur est aussi l'auteur du livret, ne passe pas pour aisée à monter.
C'est pourtant un de ses opéras les plus importants et en même temps un des
jalons de l'histoire opératique du XX ème siècle.
Créé en 1918, il traite du thème du drame de l'artiste en quête de beauté, en
l'occurrence un noble gênois du XVI ème, Alviano, qui pour compenser
son apparence physique disgracieuse, crée Elysium,
une île paradisiaque. Celle-ci est pourtant pervertie par un autre jeune homme,
sûr de sa propre beauté, Tamare, qui la dédie aux
plaisirs des sens. La pièce qui requiert des effectifs orchestraux et vocaux
hors normes, est selon la remarque de Theodor W.
Adorno un « mélange de luxuriance et d'audace sans retenue, allié à une image
touffue et débridée de la modernité ». On est happé par une orchestration
luxuriante et par la sonorité typique de Schreker, ce
« son lointain » (titre d'un autre de ses opéras), flux irrésistible
d'où émergent de grands élans lyriques. On est enveloppé par la fantasmagorie de
timbres à la fois diffus et étranges, à l'image de la torture physique et
mentale éprouvée par le héros Alviano qui a renoncé
du fait de sa difformité à tout commerce de l'amour, et par celle qu'il
courtise secrètement, Carlotta, qui se refuse par volonté propre à ces
plaisirs. Allégorie narcissique de personnages qui se condamnent à se détruire
à partir du moment où la sublimation fait place à la concrétisation de leurs
actes. La sensualité qui les fait se rejoindre les conduit à la tragédie.
Gageons que la production lyonnaise saura se dépêtrer des excès naturalistes et
décadents du livret et de son refus du romantisme, et que l'exécution musicale
rendra justice à cet opéra aussi singulier que fascinant. Opéra de Lyon, les 13, 17, 20, 26, 28 mars 2015, à 20H et le 22/3 à 16H Réservations : Billetterie,
Place de la Comédie, 69000 Lyon ; par tel.: 04 69 85
54 54 ; en ligne :
www.opera-lyon.com 15 / 3 Un célèbre orchestre universitaire japonais à Paris Le Waseda
University Symphony
Orchestra conclura sa tournée européenne des grandes salles de concert
d'Allemagne et d'Autriche, le 15 mars à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées.
Fondé en 1913, cet orchestre de la prestigieuse université WASEDA de Tokyo
compte environ 300 musiciens qui étudient la littérature, la philosophie, le
droit ou les sciences naturelles. Ces grands amateurs érudits, qui ne se
destinent pas à une carrière de musiciens professionnels, sont recrutés après
une sélection très sévère. Les tournées en Asie, aux États-Unis et en Europe
que l'orchestre entreprend en général sur des cycles de 3 ans, et auxquelles un
étudiant ne peut être associé qu'une fois durant tout son cursus, représentent
un aboutissement essentiel, venant en quelque sorte couronner l'excellence d'un
parcours. L'Orchestre qui s'est vu décerner en 1978 la médaille d'or Herbert von Karajan du concours international des orchestres de
jeunesse, a été dirigé par de nombreux chefs de
renommée mondiale comme Seiji Ozawa, Leonard Slatkin ou Sir Simon Rattle. Le
programme sera consacré à Richard Strauss (Also
sprach Zarathustra, Don
Juan, et la danse des sept voiles de Salomé) ainsi qu'à une œuvre du
compositeur japonais Maki Ishii (1936-2003), Mono-Prism (1976) pour tambours japonais et orchestre. Il
sera dirigé par Kazufumi Yamashita. Théâtre des Champs-Elysées, le 15 mars 2015, à 20H. Réservations : 15 avenue
Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr Le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence Pour la troisième édition du
Festival de Pâques aixois, Renaud Capuçon, son
directeur artistique, a concocté un programme de haut vol, dont Beethoven et la
musique sacrée sont les deux axes majeurs. Des grands de la direction
d'orchestre et des solistes renommés ont répondu présents. On jouera aussi bien
au Grand Théâtre de Provence que dans l'écrin du Théâtre du Jeu de Paume, dans
les églises aixoises et dans le bel auditorium du Conservatoire Darius Milhaud.
Les festivités s'ouvriront par un « joint recital »
de Martha Argerich et de Gidon
Kremer qui interpréteront la Sonate N° 8 pour violon
et piano de Beethoven, la Sonate de Richard Strauss et deux Sonates de Mieczyslav Weinberg (30/3, 20H30). La musique de chambre
sera à l'honneur avec l'immense Menahem Pressler,
dans Mozart Debussy et Schubert (1er/4, 18H), le Quatuor Modigliani et Michel Dalberto qui donneront, entre autres, le Quintette de
Franck (2/4, 20H30), Hélène Mercier et Louis Lortie,
pour une soirée Schubert, Ravel et Rachmaninov (4/4, 12H), Maxim
Vengerov et Itamar Golan,
pour des Sonates de Elgar et de Prokofiev et des lillipops
de Brahms, Kreisler, Ysaÿe, etc.. (5/4, 20H30), Lise Berthaud, Andreas Otensamer et
Adam Laloum qui proposeront le Trio « des Quilles » de Mozart et des
pièces de Bruch et de Schumann pour alto, clarinette et piano (8/4, 18H),
Augustin Dumay et Maria Joao Pires pour trois Sonates
de Beethoven (8/4, 20H30), Philippe Jaroussky, Jérôme
Ducros et le Quatuor Ebène pour un florilège de mélodies et de chansons de
Fauré à Ferré (9/4, 18H), enfin le rare Krystian Zimerman (10/4, 20H30). Sir John Eliot Gardiner donnera la Messe
en Si de Bach avec ses English Baroque Soloists
et son Monteverdi Choir (1er/4, 20H30), Paul Maccreech
la Passion selon Saint Matthieu avec son Gabrielli
Consort (3/4, 20H30), Christophe Rousset et ses Talens
Lyriques Les Leçons de Ténèbres de Charpentier et de Couperin (7/4,
18H), et Café Zimmermann et Sophie Karthäuser des
cantates de Bach (9/4, 20H30). Côté grands morceaux orchestraux, on pourra
entendre la Symphonie dite « La Grande » de Schubert par le
jeune Robin Tacciati et le Scottish Chamber Orchestra, qui donneront aussi le Concerto de
violon de Beethoven avec Renaud Capuçon (31/3,
20H30), la 4ème de Tchaikovski par l'Orchestre du
Capitole et Tugan Sokhiev
(4/4, 20H30), la « Résurrection » de Mahler par Jonathan Nott et le Gustav Mahler Jugend
Orchestra (6/4, 20H30), l'« Italienne » de Mendelssohn dirigée par
Vladimir Ashkenazy et le Youth
Union Orchestra, qui accompagneront encore le talentueux Francesco Piemontesi dans le Concert N°4 de Beethoven (7/4, 20H30),
enfin Scheherazade de Rimski
Korsakov par Gianandrea Noseda
et l'Orchestre du Teatro Regio
di Torino, seconde mitan d'un concert donnant à entendre également le Concerto
N° 2 de Rachmaninov par l'effervescente Khatia Buniatishvili.
D'autres manifestations
originales, véritables signatures de ce festival pascal, verront se produire :
les jeunes de « Génération @ Aix » , dont le celliste Bruno Philippe
et l'altiste Léa Hennino, en compagnie de Capuçon et de Pressler (3/4,
18H), la bande de « Frères et Sœurs », savoir les Capuçon,
les Chilemme, les La Marca et les Moreau, réunis pour
le Quintette à deux violoncelles de Schubert et l'Octuor de Mendelssohn (6/4,
18H), et une pléiade de chambristes éminents pour un « Portrait Dusapin » (11/4, 12H). Le festival s'achèvera par la
désormais traditionnelle « Carte blanche à Renaud Capuçon » pour
Le Carnaval des animaux et La
Truite. Car un esprit de fraternité plane sur ce festival qui aime à mêler
les générations et à laisser s'épanouir les talents de demain. Tant de moments
de cette trempe ne se laissent pas passer : il faut y courir, car tous ces
merveilleux musiciens valent le voyage, comme la cité aixoise au seuil du
printemps. Du
30 mars au 12 avril 2015. Réservations : Grand Théâtre de Provence,
380, avenue Max Juvenal, 13100 Aix-en- Provence ; par
tel.: 08 20 13 20 13 ; en ligne :
www.festivalpaques.com Jean-Pierre
Robert.
***
L'ARTICLE DU MOIS
L'ÉNIGME SIBELIUS « Musicien
national (au même titre qu'un Béla Bartók ou qu'un Leos
Janacek), Sibelius
parvint à façonner son langage à distance des héritages germanique et debussyste, employant la
modalité sans donner dans le folklorisme, sachant s'éloigner de la tonalité sans verser dans l'expérience gratuite, se rapprochant de l'universel et se gardant d'adopter le
provincialisme tout autant que le cosmopolitisme, très en vogue entre les deux
guerres mondiales. La musique de Sibelius,
d'une beauté et d'une profondeur parfois troublantes, conserve tous ses pouvoirs
envoûtants, et, au-delà des classifications simplistes et des oppositions
sectaires,
garde sa miraculeuse capacité de nous proposer
cet énigmatique voyage musical vers le meilleur de
nous-mêmes. » C'est par cette longue, sensible et pénétrante analyse que
Jean-Luc Caron clôt la remarquable monographie qu'en grand spécialiste des
musiques scandinaves(1) il a consacrée à Jean Sibelius. Quelques lignes plus haut, l'émérite exégète
du grand compositeur ramassait quelques jugements contradictoires recueillis au
hasard des années et des lieux : - « Le plus grand symphoniste depuis
Beethoven » (Cecil Gray, 1931) -
« Le plus grand représentant, avec Schoenberg, de la musique européenne,
depuis la mort de Debussy » (Constant Lambert, 1934) -
« L'éternel vieillard, le plus mauvais compositeur du monde » (René
Leibowitz, 1955) Équivoques et polémiques L'ancienneté
de jugements aussi abrupts ne doit pas abuser. Plus d'un demi-siècle après sa
mort, Jean Sibelius (1865-1957) reste au cœur de presque toutes les grandes polémiques musicales de son
temps, comme l'ont superlativement démontré les divers colloques
organisés au hasard des dernières décennies, à Helsinki (1990, 1995, 2000) comme à
Denton (Texas, 2005) ou Paris
(novembre 2007). Au gré de ces conférences destinées à faire le point sur les
positions les plus avancées de la musicologie, il est ainsi apparu que rien
n'est plus malaisé à définir ce que, faute de mieux, nous appellerions un
"style Sibelius". Style qui permettrait enfin aux historiens de classer cet
inclassable créateur ! Car tout pose problème chez Sibelius, jusque dans
ses choix formels ou syntaxiques, quand ce n'est l'homme lui-même qui est
soumis au tribunal de l'histoire… et pas seulement celle de la musique !
Ainsi, par exemple, de sa sympathie non dissimulée pour l'Allemagne au temps du
nazisme ; certains y voient les signes d'une adhésion tacite, d'autres
soutiennent la thèse d'un opportunisme financier… au demeurant guère plus
glorieux ! Plus sûrement, on y découvrira l'admiration légitime d'un
compositeur pour la patrie de Bach et de Beethoven ! Ainsi également du
traitement, dans ses symphonies particulièrement, de la modalité, en marge de
toutes les modes de son siècle. Ou de son archaïsme supposé, de son
nationalisme présumé, de son scandinavisme rêvé… voire de son attachement mal
compris à une tonalité prétendument déguisée ! Pour ne rien dire de son
traitement si peu orthodoxe de la modulation ! Puis, quelles sources pour
ce musicien hors normes ? Berlioz, Liszt, Wagner, Tchaïkovski,
Debussy ? En réalité, tout ce fatras semble reposer sur un
malentendu aussi durable que profond. À l'instar de Grieg pour la Norvège, de
Smetana pour la Bohême, de Nielsen pour la Suède, voire de Purcell pour
l'Angleterre, Jean Sibelius ferait certes figure – au prix d'un raccourci
navrant – de "musicien nationaliste", mais si l'effet d'annonce reste
indiscutable, le résultat le plus consternant en demeure la quasi impossibilité
de penser sa somptueuse musique hors le cadre d'un nationalisme qui, dans son
acception la plus sottement étroite, ne fut jamais son fait. Par ailleurs,
l'exceptionnelle durée d'une existence lui ayant permis de naître avant Satie
et de mourir après Honegger obscurcit encore la situation, le grand musicien
ayant, de surcroît, renoncé à la composition au beau milieu des année vingt (l'époque de Turandot et de Wozzeck !), lors même qu'il lui
restait plus de trente ans à vivre.
Une vocation incertaine mais impérieuse Né le 8 décembre 1865 à Tavastehus
(nom suédois de l'actuel Hämeenlinna), dans ce qui n'est alors que le
grand-duché de Finlande soumis à l'autorité des tsars, Johan Christian Julius
Sibelius grandit dans un foyer suédophone. Dès l'âge de cinq ans, il reçoit ses premières leçons
de piano dispensées par sa propre tante, Julia. Capitale, la découverte du violon, intervient un peu plus tard ; c'est à cet
instrument, associé au violoncelle, qu'il destine sa toute première pièce Gouttes
d'eau, peu après ses dix ans. À partir de 1876, c'est en langue finnoise
qu'il poursuit sa scolarité. Bien que pratiquant régulièrement la musique de
chambre avec sa sœur Linda, au piano, et son frère Christian, au violoncelle,
il ne fait preuve d'aucune réelle précocité, pas même de ces dispositions qui,
d'ordinaire, signalent les aspirants compositeurs à l'âge adolescent. Parvenu
à l'âge de vingt ans, étudiant
en droit, il interrompt pourtant ses études pour se livrer à une étude
intensive du violon et de la composition au conservatoire d'Helsingfors
(1886-1889) sous la direction de Martin Wegelius
(1846-1906), qui lui fait découvrir Wagner. Progressivement, les dons du jeune
homme s'affirment, faisant l'admiration de ses maîtres, au rang desquels
l'illustre Ferruccio Busoni, pourtant peu facile à
étonner ! L'évidence croissante de sa vocation
et la manifestation de capacités rares incitent le jeune homme à partir
compléter sa formation à Berlin et à Vienne, de 1889 à 1891. Occasion pour lui
de découvrir l'immense richesse de la musique symphonique, de Berlioz à
Bruckner, de Beethoven à Tchaïkovski. C'est aussi le temps où il s'essaie à la
composition pour formation de chambre, notamment avec le quatuor à cordes op. 4
et un quintette pour cordes et piano. La capitale autrichienne lui réserve
pourtant une déception cruelle ; ayant échoué à obtenir un pupitre de
violoniste au sein de l'Orchestre Philharmonique de
Vienne, il est contraint au retour à Helsingfors
en 1892. Le chantre d'une nouvelle nation musicale C'est donc revenu au pays (un pays que
l'éloignement lui a rendu particulièrement cher) qu'il complète l'écriture de
sa première œuvre majeure, la pièce symphonique Kullervo, pour orchestre,
mezzo-soprano, baryton et chœur d'hommes ; créée le 28 avril 1892 à
Helsinki, cette réalisation ne marque pas seulement le début d'une carrière
glorieuse. Pour beaucoup d'observateurs, elle signifie également l'entrée de la
Finlande dans le concert des grandes nations musicales. Quatre mouvements
animent cette vaste fresque. Allegro
moderato, l'introduction offre à l'auditoire un saisissant portrait musical
du héros Kullervo ; certains commentateurs y
décèlent encore une influence wagnérienne, pourtant bien difficile à justifier,
hors l'ampleur, par instants solennelle, de la trame orchestrale. Le plus
intéressant est évidemment ailleurs, dans l'originalité saisissante d'une
atmosphère sonore dont rien n'avait jusque-là donné idée dans la sphère
européenne. Le second volet chante « La jeunesse de Kullervo »,
dans un mouvement grave qui accentue
la mélancolie tourmentée d'un épisode chargé de trouble mémoire. Vient ensuite
la partie assurément la plus séduisante de l'ensemble, le tableau « Kullervo et sa sœur » qui, dans un vigoureux allegro vivace, sollicite la totalité de
l'effectif. Peu à peu, la joie dionysiaque fait place à une sorte de délire
sonore, dans le même temps que le héros découvre l'identité de la femme aimée –
qui n'est autre que sa propre sœur – et, par voie de conséquence, l'horreur de
l'inceste. Pour le tableau suivant, « Kullervo
part en guerre », c'est la forme d'une rude marche militaire que choisit
le musicien, une marche mêlée de fanfares, d'accents populaires, de rythmes de
danse ; c'est enfin au chœur qu'il revient de chanter, au prix de
dissonances d'une étonnante rudesse, le dramatique suicide du héros.
Le
10 juin de la même année, Sibelius épouse Aino Järnefelt, écrit ses premiers Lieder et engage la
composition de son premier poème symphonique En saga (« Une
légende ») dont il assure lui-même, sans grand succès, la création en
février 1893. En
cette heureuse période, le jeune compositeur multiplie les grandes pages,
poèmes symphoniques, suites orchestrales, symphonies, production dominée par le
très célèbre Finlandia
de 1899, hymne à une indépendance refusée par les tsars et qui sera l'une des
conséquences de la Révolution de 1917. Ainsi se succèdent le poème symphonique Karelia en 1893, la Suite de Leminnkäinen en 1896, la musique
de scène Le Roi Christian II en 1898.
Tout souci matériel étant écarté dès 1897 grâce à l'obtention d'une pension d'état annuelle de 3000 marks (ce qui ne le
dissuadera pas de solliciter prêt sur prêt tout au long de sa carrière !),
il profite de cet état de grâce pour beaucoup voyager, notamment en Italie et
en Allemagne. On observera avec un certain intérêt que, comme le jeune Claude
Debussy (qui est son aîné de trois ans), il est dans un premier temps enthousiasmé
par la découverte de Wagner, avant de se retourner, parfois violemment, contre
le maître de Bayreuth. Faut-il ici faire allusion au douloureux échec de La Jeune Fille dans la tour, seul opéra de son
catalogue, qui ne fut donné que trois fois à Helsinki, en 1986 ? Le temps des symphonies On en arrive ainsi, en 1899, à la création
triomphale de la Première symphonie, en mi mineur, op. 39, de notre
compositeur. S'y dévoile le caractère
primordial de l'esthétique de Jean Sibelius : une évidente inclination
pour le pathos postromantique liée à une volonté farouche de ne rien céder de
sa pureté sauvage. Survient alors l'exposition universelle de 1900 (événement
dont on peine, aujourd'hui, à mesurer l'importance). Contre la volonté de la
Russie tsariste, le pavillon finlandais organise un grand concert aux
magnifiques accents patriotiques. La Première symphonie et Finlandia (devenue depuis un
véritable hymne national, cette partition est restée étonnamment populaire dans
son pays) y sont notamment à l'honneur. Le succès est grand et la qualité des
partitions soulignée par le maître de la critique musicale du temps, Alfred Bruneau. Alors âgé de 35 ans, le
compositeur s'honore ainsi de la reconnaissance et de l'amitié de la plupart de
ses pairs à travers l'Europe. Situation enviable, certes, mais qui ne fait pas
oublier la part sombre de son existence : une addiction naissante à
l'alcool et la perte de sa fille cadette, victime du typhus. De retour d'Italie
et d'Europe centrale, le compositeur assure lui-même la création de sa Deuxième symphonie à Helsinki, le 8 mars 1902. Le triomphe est éclatant, mais
l'échec de sa cantate, L'origine du feu,
un mois plus tard, instille le doute dans l'esprit d'un artiste qui mesure
mieux que quiconque le caractère relativement marginal de sa démarche. D'où sa
décision de repartir pour Berlin, où il a la joie de se voir proposer, par Ferruccio Busoni, la direction d'En Saga à la tête de l'orchestre philharmonique. Le 2 décembre 1902, est créée sa musique de
scène, Kuolema
("La mort"), dont le public acclame aussitôt le volet intitulé Valse triste. Bien que satisfait de cet
accueil, le compositeur mesure alors le caractère grandissant du malentendu qui
le sépare de son public (on songe ici à la mélancolique satisfaction de Berlioz
au soir de la création glorieuse de L'Enfance
du Christ). Car, dans le même temps, il médite la composition, beaucoup
plus ambitieuse, d'un concerto destiné à son instrument de prédilection, le
violon. La genèse en est douloureuse et complexe ; d'une part, le compositeur
sait qu'il engage une grande partie de sa destinée artistique dans cette page
majeure, d'autre part il commence à prendre
conscience et à s'effrayer des
« racines très profondes et très dangereuses » (selon ses propres
mots, dans une lettre à son frère) de sa dépendance à l'alcool. Sans doute, ce
facteur joue-t-il de façon capitale dans sa décision de se faire construire une belle villa
plantée en plein décor sylvestre, à Järvenpää, commune située à quelque trente
kilomètres au nord d'Helsinki. Dans ce refuge, qu'il baptise Ainola, d'après
le prénom de son épouse, il pourra
s'adonner exclusivement à la composition ; c'est en septembre 1904 qu'il
s'y installe, avec sa famille. Le concerto pour violon, op. 47, est donc le
premier fruit de cette époque bénie. Composé dans un état d'exaltation que
Sibelius ne retrouvera jamais, il s'impose immédiatement au grand répertoire,
voisinant sans déparer au panthéon des grandes réussites passées de Beethoven,
Mendelssohn ou Brahms, s'affirmant, aux côtés de celui de Berg, comme la plus
haute réussite concertante du XXe siècle. Allegro moderato, le premier mouvement surprend par la richesse de
son vivier thématique, mais aussi par ses traits formels, d'essence presque
rhapsodique. Une fois encore, le commentateur ne peut que marquer sa perplexité
face à une partition d'apparence aussi décousue et d'unité aussi
organique ! Rien de plus déroutant, mais aussi de plus séduisant, que ces
ruptures structurelles, que ces pauses cadentielles, que ces divertissements elliptiques !
Changement complet de climat avec le mouvement central, sorte d'adagio voluptueux et sensuel, faisant
fréquemment appel aux bois pour mettre en valeur le timbre du soliste. De cette
veine tout à la fois poétique et légère, il semble difficile de trouver
l'équivalent au XXe siècle, sauf peut-être dans certaines pages
spirituellement lyriques de Chostakovitch. Dans le finale, le compositeur
sacrifie quelque peu aux nécessités de la virtuosité, mais avec une telle
jubilation et une telle constance dans l'invention que l'exigence musicale y
reste sommitale. Pourtant, Sibelius se montre insatisfait de sa première
version (dont le succès est d'ailleurs mitigé, en Finlande comme à l'étranger)
et il remanie sa partition en 1905, année également destinée à marquer le grand
succès de sa Deuxième symphonie dans plusieurs pays européens. La consécration internationale Dès 1904, le compositeur vit donc dans un
cadre de rêve, sans réel souci matériel. Mais rien ne serait plus erroné que
l'idée d'un homme coupé de ses contemporains, du monde moderne. Innombrables
seront les voyages destinés à le mener à travers presque tous les pays
d'Europe, aux États-Unis où, comme presque partout, il sera reçu comme l'un des
compositeurs les plus importants de son temps. C'est à cette époque de relatif
apaisement qu'il découvre vraiment Debussy (la partition des Nocturnes semble l'émerveiller), mais
aussi Arnold Schoenberg dont la réputation, discrète bien que grandissante, est
encore très sulfureuse. La création de sa musique de scène, Pelléas et Mélisande, atteste, par ailleurs, une plus grande attention
portée aux combinaisons des timbres. Pour cet esprit inquiet, les nouveautés
musicales venues de France ou d'Allemagne ne peuvent que stimuler l'activité du
créateur, mais également, dans le même temps, aviver les angoisses de l'homme.
Pour mesurer l'ampleur de ces nouveautés, il n'est que se souvenir que La Mer de Debussy et Salomé de Richard Strauss sont
exactement contemporaines (1905) du Pelléas de notre compositeur !
dédicacé par Sibelius Acclamé en Angleterre, applaudi en France,
encensé en Allemagne, c'est cependant dans sa patrie que Sibelius reste l'objet
d'une vénération dont rien ne semble pouvoir donner la mesure, même pas, au
siècle précédent, l'engouement de l'Italie pour Verdi ou de l'Allemagne pour
Wagner. Pour la seule saison printanière de 1906, Jean-Luc Caron n'a pas
recensé moins de trente concerts consacrés à son œuvre, pour la seule ville d'Helsinki !
Distinction flatteuse, certes, mais de nature à encore approfondir le
malentendu avec d'autres publics qui, en divers pays européens, commencent à
placer la production du grand musicien sous le sceau d'un nationalisme
inclinant dangereusement vers le folklorisme ! Peut-être faut-il trouver
là l'une des clefs de l'esthétique de la Troisième
symphonie de Sibelius, l'une des partitions les plus déroutantes du
maître finlandais, par son refus équitable du terreau populaire, du pathos
postromantique et des subtilités impressionnistes. Créée le 25 septembre 1907,
l'œuvre ne rencontre, pour une fois, qu'un accueil poli, réserve qui évoluera
vers la froideur dans les salles de Stockholm, de Moscou, de Londres, de New
York ou de Berlin, à l'occasion des exécutions suivantes. L'humeur du musicien
s'en ressent d'autant plus que ce relatif échec coïncide avec l'irruption d'une
maladie, dont il peut alors juger l'issue inéluctablement fatale. Opéré d'une
tumeur à la gorge en 1908, il se voit soudain interdire formellement tout usage
de tabac et toute consommation d'alcool ! Bienheureuse occurrence qui nous
vaudra quelques-unes des plus admirables pages de toute sa production,
notamment le célèbre quatuor à cordes Voces
intimae,
op.
56, aux accents douloureusement
agités,
les Quatrième et Cinquième
symphonies ainsi que Luonnotar, Chevauchée nocturne et
Lever de soleil, Le Barde et Les Océanides, poèmes symphoniques aux
échos d'une insolite et singulière saveur. L'œuvre, miroir des tourments intimes Il vaut sans doute d'être noté que le
quatuor Voces intimae
(intitulé tiré d'une mention manuscrite du compositeur sous les portées du 3e
mouvement) a été écrit au lendemain de la rencontre de Sibelius avec Claude
Debussy. Assistant à un concert londonien consacré, le 27 février 1909, aux Nocturnes et au Prélude à l'après-midi d'un faune, Sibelius marque son enthousiasme
pour le maître français, mais aussi sa détermination à poursuivre sur la voie
qu'il a choisie et que l'esthétique debussyste semble légitimer. Le 15 avril
suivant, le quatuor Voces intimae est
terminé. L'unité des cinq mouvements en est magistralement agencée, ce qui
apparaît avec bien plus de clarté à la lecture de la partition qu'à la simple
audition. Particulièrement exigeante, l'œuvre reçoit un bon accueil critique
mais reste impuissante à soulever l'enthousiasme du public. Aussi le
compositeur en revient-il tout naturellement à la symphonie, jetant dès
décembre 1909 les premières ébauches de sa quatrième symphonie. Rien de plus
révélateur quant à la complexité de cette nouvelle entreprise que le journal
tenu par l'auteur ; les périodes d'euphorie et de détresse s'y dévoilent,
dans une succession dont le rythme peut inquiéter ! Partagée entre le
désir de solitude et les obligations mondaines, consacrée à la méditation
recluse comme à la direction publique de vastes manifestations musicales, toute
l'année 1910 est ainsi placée sous le signe de la grande partition à venir. La création de la Quatrième symphonie, op. 63, reste probablement le moment le plus
significatif de cette vaste énigme que constituent la musique et la vie de
Sibelius. Aujourd'hui encore, cette œuvre magnifique sonne comme nulle autre
partition du XXe siècle, à l'exception peut-être, une fois encore,
de certaines pages orchestrales de Chostakovitch. Lors de sa création, le
public, dérouté, ne peut que marquer sa perplexité et la critique son animosité.
D'autant plus que le compositeur ouvre son ouvrage par son volet le plus
rugueux, ce bouleversant molto moderato, quasi adagio, qui évolue dans un climat de
profonde douleur, parfois traversé de lumières pénétrantes lorsque la tension
des intervalles se résout accidentellement sur des rencontres consonantes, bien
qu'en rupture avec tous les principes harmoniques d'école. De cette tension intervallique, surtout décelable (comme chez Scriabine) par
l'usage de la quarte augmentée, le second mouvement, allegro molto vivace,
rend compte sur un mode bien plus vigoureux, mais pour mieux revenir, après
quelques instants d'illusoire mystification, aux troubles malsains d'une
funeste mélancolie. Mélancolie encore approfondie par le troisième mouvement,
un largo d'une noirceur délibérée. Même l'allegro terminal ne
réussit pas, en dépit de sa saisissante beauté, à instiller la moindre lueur
d'espérance, l'œuvre s'achevant dans une atmosphère de recueillement farouche,
de pessimisme aussi désinvolte que fervent !
Convaincu que la modernité de sa partition
n'échappera pas à la postérité, le compositeur se remet aussitôt au travail,
refusant même un poste de professeur à l'Académie de musique de Vienne pour
mieux se consacrer à la seule création. Deux nouvelles symphonies sont mises en
chantier ainsi que les poèmes symphoniques évoqués plus haut, et diverses pages
instrumentales, notamment pour piano. Au printemps 1914, une tournée américaine
tourne au plébiscite ; docteur honoris
causa de l'université de Yale, Sibelius prend conscience de la dimension
mondiale de sa réputation, à la veille, hélas, du plus grand cataclysme ayant
jamais frappé l'Europe. Son cinquantième anniversaire, le 8 décembre 1915, est
solennellement marqué, à Helsinki, par la création de sa Cinquième
symphonie. Les quatre années de guerre sont
marquées par divers troubles, intimes et publics. La révolution bolchevique du
7 novembre 1917 ouvre la voie à l'indépendance de la Finlande, officialisée le
6 décembre suivant. Une amorce de guerre civile ayant surgi entre partisans et
adversaires de la révolution, le parti "allemand" l'emporte et Sibelius peut
reprendre complètement sa Cinquième symphonie pour lui offrir, le 24
novembre 1919, la forme sous laquelle elle passera à la postérité. Mais, dans
le même temps, la malédiction de l'alcool provoque de nouveaux et graves
troubles dans son ménage, au point de le conduire aux frontières du divorce. Ce
qui ne l'empêche nullement de rédiger une sixième symphonie, créée sous sa
propre direction le 19 février 1923, à Helsinki. Encore un grand voyage
italien, puis une nouvelle symphonie (la septième et dernière), créée le 24
mars 1924. Le soixantième anniversaire enfin, plus fastueusement fêté encore
que le cinquantième ! Cependant, l'homme a changé ; angoisse, dépression
et alcoolisme rongeront ses dernières décennies, marquées par un silence quasi
définitif après 1926, date du poème symphonique Tapiola, expressément commandé
par l'Orchestre Philharmonique de New York. Significativement, le grand
musicien détruira la partition d'une huitième et dernière symphonie, écrite
vers 1933, avant le très long hiver précédant sa disparition, à la veille de
ses quatre-vingt-douze ans, le 20 septembre 1957. De la solitude à l'universalité Nous l'avons vu plus haut, rien ne serait
plus malaisé à définir (beaucoup s'y sont pourtant essayé) qu'un « style
Sibelius » ! L'œuvre est si riche de traits contradictoires,
modernité contre tradition, panthéisme contre humanisme, profusion contre
ascèse, immuabilité contre essor… que toutes les hypothèses restent fondées
quant aux déterminations esthétiques de son langage. Peut-être la meilleure
preuve en est-elle donnée par la singulière fortune de sa musique pure dans son
emploi, à peine maquillé, pour le cinéma ou la publicité. En quantité, le
corpus n'est ni des plus minces ni des plus pléthoriques avec ses 118 œuvres
ayant reçu un numéro opus et sa vingtaine de pièces qui en est privée. L'index
des œuvres magistralement commentées par Jean-Luc Caron dans son ouvrage (op. cit. p.
121-124) en fournit l'essentiel. La part la plus importante est réservée à
l'orchestre : sept symphonies de 1902 à 1924, nombreux poèmes ou suites
symphoniques de 1892 à 1926 (En saga,
Finlandia, Karelia, Kullervo, Les Océanides, Suite Lemminkäinen avec le Cygne de Tuonela,
Chevauchée nocturne et lever de soleil,
Luonnotar, Kuolema avec la Valse Triste, La Tempête, Tapiola),
le célèbre concerto pour violon en ré mineur, deux sérénades et six humoresques pour violon et orchestre. Quelques pages
instrumentales sont encore à signaler (sonatines pour piano, musique de
chambre, suites concertantes, impromptu pour cordes), la voix étant plus
rarement sollicitée, en dépit des Lieder, des cantates et des essais d'opéra (La Jeune Fille dans la tour). C'est
souvent la forme qui pose problème chez le grand compositeur, le principe
d'accumulation des strates sonores y étant dynamisé par une sorte d'enlacement
en tresse qui n'est pas sans évoquer la mystérieuse genèse de Jeux de Debussy (la découverte des Nocturnes, en 1909, a provoqué, nous
l'avons vu, un choc durable chez Sibelius, extrêmement attentif à toutes les
innovations de l'art de son temps). Le choix même des artistes de prédilection
au début de sa carrière (Berlioz, Liszt, Wagner) dit assez l'absence de tout
principe réactionnaire chez un musicien qui, pas plus que Richard Strauss, son
contemporain exact, ne jugea utile de se détourner de la tonalité pour œuvrer.
Caractère ultime ajoutant beaucoup au mystère de sa rayonnante solitude dans
l'immensité mondiale du concert de son siècle. Gérard Denizeau. (1)
Du même auteur, Carl
Nielsen (Paris, L'Âge d'homme, 1988),
Edvard Grieg (Paris, L'Âge d'homme, 2003) ; à paraître un nouvel
ouvrage consacré à Carl Nielsen (Paris,
Bleu Nuit éditions).
***
L'ENSEIGNEMENT MUSICAL
Et bien, chantez maintenant ! « La voix reste le vecteur le
plus immédiat et le plus utilisé dans le monde pour faire de la musique. Pour
ces raisons, elle est particulièrement appropriée aux travaux d'interprétation
et de création dans un cadre collectif en milieu scolaire, y compris durant la
mue qu'il faut accompagner » : voilà ce
que déclarait l'Éducation Nationale dans un bulletin officiel du 19
juillet 2008. Il aura pourtant fallu
attendre la rentrée 2014 pour que la flûte à bec disparaisse officiellement de
la liste des fournitures demandées aux collégiens de notre pays et pour que les
cours d'Éducation musicale soient désormais axés
sur le chant et sur la voix. Il était temps car les jeunes Français ne
chantent pas assez.
J'en veux pour preuve le festival « Europa Cantat »
qui s'est tenu à Turin en juillet 2012 et dont le thème était, cette année-là,
« Les chœurs de jeunes et d'enfants ». J'y ai entendu des enfants et
des adolescents de tous les pays, italiens bien sûr, mais également américains,
allemands, anglais, russes, chinois, brésiliens, vénézuéliens et même
camerounais. Seuls manquaient à l'appel les petites Françaises et les petits
Français : ni la pourtant remarquable « Cigale de Lyon » ni la
superbe « Maîtrise de Radio-France », ni la si prometteuse
« Jeune Académie Vocale d'Aquitaine », ni le formidable « Chœur
des jeunes A Cœur joie » n'avaient répondu présents. A
cela deux raisons : aucune subvention n'avait été accordée à aucun de ces
groupes pour se rendre en Italie du Nord et s'y loger une semaine. Mais il y a
plus rageant encore : les choristes français de moins de 18 ans sont
depuis 2008 soumis au code du travail des adultes et doivent donc être
rémunérés et déclarés en concert à hauteur de 80 % du SMIC - même si ni eux ni
leurs parents n'en expriment le désir et même si les concerts en question sont
à entrée libre. Dans
l'intention louable de ne pas voir des adultes sans scrupules faire fortune sur
le dos des enfants - je songe à ces
petits choristes lyonnais dont les voix et le travail ont permis aux
producteurs du film « Les choristes » d'engranger de formidables
bénéfices sans aucune retombée pour eux – on empêche désormais tous les mineurs
de se produire bénévolement en concert dès qu'un seul adulte est rémunéré - et même si cet adulte travaille à la régie
du spectacle. Un règlement absurde lorsqu'il est (comme à Bordeaux) appliqué à
la lettre par des inspecteurs du travail zélés et qui a été à deux doigts de
faire disparaitre (entre autres) les « Petits Chanteurs à la Croix de
Bois », désormais considérés comme une entreprise commerciale ; alors
qu'il s'agit d'une institution de renommée mondiale, à visées hautement
éducatives - puisque les garçons, en internat, bénéficient d'horaires aménagés
pour travailler la musique plusieurs heures par jour - et surtout à but non
lucratif. Une loi qui, si j'en crois ce que j'ai vu à Turin, ne concerne que
les jeunes Français : impossible cette fois-ci de rejeter la faute sur
Bruxelles !
Les bâtons que l'État
français met dans les roues des chœurs d'enfants et d'adolescents de notre pays
sont d'autant plus inexplicables et absurdes que si le chant choral amateur
adulte se porte très bien dans l'hexagone,
l'âge moyen des choristes est de plus en plus élevé : il faut donc
impérativement former une relève. Et une relève qui se produise en concert, en
se mesurant à un public ! Car c'est bel et bien le
chant choral amateur qui, aujourd'hui pléthorique (mais pour combien de
temps ?), anime l'ensemble de notre
territoire en proposant des concerts souvent de qualité - et à des prix abordables - à une population
qui, sans lui, n'aurait jamais accès à la culture, particulièrement en milieu
rural. C'est grâce au chant choral amateur, et à lui seul, que le public peut
en outre entendre un vaste et riche répertoire classique et romantique
chœur/orchestre que les (rares) chœurs professionnels en activité ne mettent
jamais à leur programme, pour cause d'effectifs insuffisants. Il faut savoir,
par exemple, que les magnifiques Chœurs de l'Orchestre de Paris sont eux-aussi
formés de choristes amateurs - qui n'ont quant à eux aucun problème pour
rémunérer leurs musiciens, puisque c'est l'orchestre qui fait appel à
eux !
Et il n'y a pas que la musique
classique : les chœurs voués au gospel, au jazz vocal, à la bonne variété
harmonisée, à la musique latino-américaine, contemporaine, baroque, basque,
corse ou orthodoxe russe ne se comptent plus - dans nos grandes métropoles
comme dans nos régions les plus reculées. Le chant choral amateur concerne en
réalité des centaines de milliers de personnes et chacun sait que les choristes
et les musiciens amateurs forment l'écrasante majorité de ceux qui s'abonnent
aux concerts et à l'opéra - achetant disques et DVDs
classiques ou modernes et faisant par là-même vivre les professionnels. En
charge du calendrier et du planning des chœurs amateurs de ma région –
l'Aquitaine – je suis bien placée pour témoigner du nombre incroyable de
concerts qui y sont donnés - à toutes les époques de l'année (beaucoup
d'églises étant désormais chauffées) mais plus particulièrement entre début
mars et fin décembre.
Qu'en
est-il à l'étranger ? Au titre de chef du « Chœur International de
Houston » où je vivais alors, j'ai été invitée par un collègue texan à
participer au Symposium des Chefs de Chœurs du Continent Américain. Une
Convention qui a rassemblé à New York, du 11 au 15 février 2003, plus de 6.000
participants en provenance des quatre coins des USA mais aussi d'Hawaï, des Caraïbes
et du Chili. Du
matin au soir et pendant cinq jours, j'ai donc eu la chance d'écouter une
sélection des meilleurs chœurs amateurs des États-Unis (plus quelques groupes
invités de Suède, d'Estonie et de Chine, tous remarquables). Ni la température
polaire qui régnait alors sur Big Apple, ni les
menaces (bidon) d'attentats qui avaient pourtant réussi à vider le vol
Houston/New York ne sont parvenues à refroidir mon enthousiasme - parfois
mâtiné, je l'avoue, d'incrédulité et même d'un zeste de frustration devant le
niveau de tous ces groupes. Je
pense en particulier à un chœur de cinquante blondinettes de quinze ans – des
lycéennes venues du fin fond de la Louisiane – qui, sous la direction d'un chef
noir, chantèrent nettement mieux et beaucoup plus juste que bien des
professionnelles de l'opéra. Et à cette chorale (120 enfants) d'un obscur
collège de Caroline du Nord qui nous offrit une prestation éblouissante. Et que
dire du niveau inouï (pour ne pas dire vexant) de déchiffrage avec paroles des
adultes présents, chefs et choristes mélangés, dont j'ai pu prendre la mesure
au cours des reading sessions – séances de lecture à vue -
qui nous furent proposées, et nous permirent d'engranger du répertoire.
Quand
on a, comme moi, parfois contre vents et marées et pendant tant d'années,
dirigé en France des chorales scolaires - bénévolement lorsque mon emploi du
temps n'incluait pas cette activité à mes yeux essentielle -, on enrage de voir
ce qu'il serait possible de faire chez nous également, si seulement les cours
s'arrêtaient à 13h 30 et si la charge de travail à la maison était plus légère
qu'aujourd'hui.
Les
collégiens et les lycéens américains disposent en effet d'une bonne partie de
leur après-midi pour se consacrer aux matières vraiment sérieuses, c'est-à-dire
au chant choral (deux heures par jour pour ceux qui en font le choix), à la
pratique instrumentale de groupe, au dessin, à la photographie, à l'art
dramatique et bien sûr aux diverses disciplines sportives. Les universités les
plus chères et les plus prestigieuses ne sont pas en reste et deviennent, via
un système de bourses très efficace qui corrige finalement assez bien
l'iniquité fondamentale du système éducatif nord-américain, quasiment gratuites
pour ceux qui ont un vrai talent, même si les études choisies n'ont aucun
rapport avec lui : une belle voix, par exemple, et une participation
assidue à la chorale universitaire permet à certains étudiants de réduire
considérablement leurs frais de scolarité, et même de gagner des credits
(unités de valeur) pour leurs études de Sciences, de Lettres ou d'Économie - ce
qui permet à des jeunes gens de milieu très modeste d'entrer à Harvard ou à
Yale.
Cette
prise en compte globale des diverses facettes et talents des étudiants n'a pas
été, je l'avoue, facile à admettre de prime abord, le système éducatif français
dont je suis issue répugnant à mélanger les genres, cloisonnant les matières et
étiquetant volontiers les gens. Mais la constatation au quotidien du niveau
musical exceptionnel des instrumentistes et des choristes amateurs
nord-américains a eu très vite raison de mes a priori.
Ce
qui nous ramène à nos collèges français : si, pour une fois, au lieu
d'importer allègrement la sous-culture
et les tares US – Mc Do, Coca-Cola, drogue, alcoolisation galopante des
mineurs, émissions de télévision dévoreuses de cerveau, jeux vidéo
pousse-au-crime et films ultra-violents – notre pays s'inspirait de ce que les
États-Unis ont de meilleur à nous offrir ? Et si notre Éducation Nationale
commençait vraiment la révolution culturelle dont elle parle depuis si
longtemps sans que, comme sœur Anne, nous n'ayons jamais rien vu venir ?
Nous
savons tous que la fréquentation - et surtout la pratique régulière et sérieuse
- des arts reste l'ultime rempart entre nous et la « bêtise au front de
taureau » (pour citer Romain Gary) qui nous cerne de toute part. Et comme
c'est à l'école que se forment les citoyens et les citoyennes de demain, il est
urgent que notre système scolaire français accorde à la pratique régulière et
sérieuse du chant choral l'espace qu'il mérite et le propose enfin pour de bon,
c'est-à-dire plusieurs heures par jour, à tous les jeunes de notre pays qui en
font la demande.
Car
le chant choral serait pour eux la meilleure école qui soit, sans parler d'un vecteur essentiel d'intégration et de citoyenneté : il
exige en effet un engagement réel sur le long terme, la faculté d'écouter les
autres et de suivre des consignes extrêmement précises, le tout dans une
atmosphère conviviale et chaleureuse.
Car
quelle autre activité collective a évacué la notion même de compétition entre
ceux qui la pratiquent, et pousse ses membres plus compétents à se mettre
spontanément au service des moins
aguerris ? Pour l'objectif que tous se sont fixés :
donner les plus beaux concerts possible. Laissons le mot de la fin
à César Geoffray, fondateur - dans l'immédiate
après-guerre - d'un mouvement « A Cœur Joie », plus vivace que jamais
: « Autour d'un diapason, on ne discute pas, on s'accorde ». Michèle Lhopiteau.
***
Saison
musicale 2015 : Musique au Val-de-Grâce
Organisée avec tant d'enthousiasme par
Hervé Désarbre, son organiste titulaire, la
dix-septième Saison : « Musique au Val-de-Grâce » — sous le Haut
Patronage du Ministre de la Défense — a été inaugurée le samedi 3 janvier 2015
par un brillant hommage à Albert Schweitzer (1875-1965), intitulé : Il est minuit, Docteur Schweitzer, tout
en y associant, à l'occasion de ses 80 ans, le compositeur Jean-Jacques Werner,
né à Strasbourg en 1935, et le Frère Roger Schutz, tragiquement disparu à Taizé
en 2005. Hervé Désarbre a souhaité la bienvenue aux
très nombreux auditeurs, situé la manifestation « entre modernité et
tradition » et rappelé la présence de l'Alsace (Strasbourg) et de
l'Afrique (Lambaréné). Comme de juste, une
œuvre de J. S. Bach, musicien favori du Docteur : le Motet Singet dem Herrn ein neues Lied (BWV 225) a introduit le Concert, avec le
concours de la Chapelle-Musique du Val-de-Grâce et des Musiciens de la Chambre
de la Reine, placés sous la direction d'Étienne Ferchaud.
Quant à Hervé Désarbre, par une registration
lumineuse, il a conféré au Prélude-Choral sur Erbarm dich mein, o Herre Gott de Jean-Jacques
Werner — influencé, entre autres, par le fonds hymnologique luthérien — toute
l'intériorité souhaitée par le compositeur qui spécule sur les dissonances et
les contrastes de tessitures. Bach était encore évoqué avec l'œuvre de Knut Nystedt (1915-2014) : Immortal Bach pour chœur spatialisé, qui marqua l'un des points culminants
de la soirée, avec de judicieux déplacements des chanteurs, un usage modéré de
la dissonance, des effets de résonance, l'utilisation de tous les volumes, un
paysage vocal très expressif assurant à cette démarche particulièrement
intéressante à la fois plénitude vocale et sérénité de circonstance. Le Psaume CXXX Aus tiefer Not de Philippe Hersant (né en 1948) s'éleva des
profondeurs, créant une tension extrême, tourmentée,
lancinante mais aussi apaisante, délibérément dans le langage compositionnel de
la fin du XXe siècle. Avec Hervé Désarbre :
retour à Bach, en écho avec Jean-Jacques Werner : le Prélude de choral Erbarm dich mein, o Herre
Gott (BWV 721) est une intense prière, avec
cantus firmus énoncé à la partie supérieure et bien scandé à la pédale ;
elle s'imposa par son caractère dépouillé et bienfaisant. La musique
contemporaine était aussi représentée par l'Evening Hymn en Xhosa (langue officielle
d'Afrique du Sud) de Grant McLachlan (né en 1956),
s'inspirant de l'Hymne Te lucis ante terminum, pour
chœur a cappella. En guise de point d'orgue, les chanteurs intrépides menés
énergiquement par Étienne Ferchaud se sont aventurés
dans la version (pour chœur a cappella) par Robert John de la célèbre chanson The Lion Sleeps Tonight (Solomon Linda
(1909-1962)), avec une rare précision rythmique, une excellente articulation
des onomatopées et une grande minutie dans le détail. Pour ce premier
Concert de la Saison 2015, Hervé Désarbre a lancé un
programme éclectique, extrêmement varié, voire inattendu, tout en rendant
hommage à Albert Schweitzer, Jean-Jacques Werner et au Frère Roger Schutz, sans
oublier l'Orgue Cavaillé-Coll classé Monument historique. Le 31 janvier, sous
le titre : Lou Grihoun
(allusion au grillon provençal), les Solistes de la Chapelle-Musique du
Val-de-Grâce commémoreront la mémoire de l'entomologiste et naturaliste
Jean-Henri Fabre, également « avec le rappel des 11 millions d'équidés,
100 000 chiens, 200 000 pigeons ayant participé au conflit de 14/18 ».
Cette Saison évoquera encore Dom Pérignon, « père du Champagne »
(mort en 1715) ; les 500 ans de la naissance de Sainte Thérèse
d'Avila ; 2015, Année de la Lumière en France ; le Mariage de Louis
XIII et d'Anne d'Autriche, soulignant, une fois de plus, l'originalité et la
diversité des commémorations musicales prévues au Val-de-Grâce. Édith
Weber. Rusalka
déconstruite Anton Dvořák
: Rusalka. Conte
Lyrique en trois actes. Livret de Jaroslav Kvapil. Camilla Nylund, Dmytro Popov, Károly Szemerédy, Janina Baechle, Annalena Persson, Michaela Kusteková, Veronika Holbová, Yete Queiroz, Roman Hoza, Brian Bruce, Yannick Berne. Orchestre, Chœurs et
Studio de l'Opéra de Lyon, dir. : Konstantin Chudosky. Mise en
scène : Stefan Herheim.
Le Conte Lyrique Rusalka (1901) que Dvořák
compose sur le livet de Jaroslav Kvapil,
s'inspire du mythe de l'Ondine, sujet traité par bien des auteurs comme La
Motte Fouqué (« Undine », 1811) ou Andersen
(« La petite sirène », 1837). Le récit en est simple dans son
tragique accomplissement : l'ondine Rusalka aspire à
devenir femme, après avoir vu un beau jeune homme, le Prince. Le prix de sa
nouvelle condition sera d'être privée de l'usage de la
parole. Le baiser donné finalement sera mortel pour l'homme aimé. Quoique il ait écrit une musique empreinte de merveilleux,
Anton Dvořák n'a sans doute pas voulu se
satisfaire d'un premier degré d'illustration. L'histoire de cet opéra, resté
populaire, est jalonnée de tentatives plus ou moins réussies d'interprétation,
les metteurs en scène s'attachant soit à moderniser, soit à transposer. Stefan Herheim franchit un pas supplémentaire dans sa production
conçue pour La Monnaie (2008), et maintenant donnée à l'Opéra de Lyon. Surfant
sur les effets de symétrie de l'œuvre, de miroir entre deux mondes, de
confrontations d'éléments opposés, et bien évidemment sur le substrat
psychanalytique d'une telle trame, il la réécrit tout bonnement. Dans une ville
du nord de l'Europe, une prostituée du nom de Rusalka
cherche le vrai amour. Celui-ci lui viendra d'un étranger, un marin passant par
là. Leur idylle tourne court car le matelot s'entiche d'une femme plus
sensuelle et moins énigmatique. Malgré le baiser donné au garçon revenu à de
vrais sentiments, Rusalka sera condamnée à retrouver
sa condition initiale sur le pavé de la ville et partant, sa marginalité. Le
sens est inversé : la perte d'innocence de la sirène pour la condition de femme
devient ici la tentative d'une égérie du sexe de s'assurer une liaison convenable.
L'échec de l'ouverture à quelque chose de différent la replonge dans son
errance éternelle, la condamnant à une irrémédiable vie impure. Broche
là-dessus une autre trame dont Vodnik, le maître des eaux, est le centre. Ce
« père » des nixes, que Rusalka supplie de
lui trouver apparence humaine, poursuit lui-même un destin amoureux. Au final
il en sera pour ses frais, puisqu'arrêté par la police pour meurtre de celle
dont on sort de son domicile le corps ensanglanté, sosie de Rusalka...
La « vraie » Rusalka réapparait alors,
soulevant nonchalamment le drap blanc avant de retourner à des occupations plus
prosaïques. Comme toujours avec Stefan Herheim, on
est confronté à un trop plein de significations qui se superposent à l'envi,
dans un foisonnement symbolique flashant à jet continu des images extrêmement
peaufinées. Sa vision de Parsifal à Bayreuth
en est le meilleur exemple, quoique nettement plus convaincante que dans le cas
présent. On ne sait plus trop ou se situe le centre de gravité. La perte de
repères survient très vite. Dès le lever du rideau, on assiste à une longue
scène muette, sorte de mise en condition : les allers et venues de citadins
déboulant d'une bouche de métro sous une pluie battante... A en juger par cette
entrée en matière, et par l'image finale, on aura assisté à un fait divers
trivial. Peu d'éléments échappent à une déconstruction en règle du livret, aidé
au besoin de quelques coupes sombre textuelles. Tout est asservi à la quête
effrénée de sexe, dont aucun détail n'est épargné au spectateur : du bar à
filles, proche du bordel, à une procession de nonnes possédées, telles les
diablesses de Loudun dépoitraillées, de la vitrine de sex
toys et autres dames aguicheuses, qui laisse place à
l'enseigne Pronuptia dévoilant de blanches
robes de mariées, aux femmes de la ville affublées de difformités du côté de la
chose. Il fallait oser une telle
apologie de la laideur dans une pièce si porteuse de merveilleux.
La réalisation technique, même
si pas aussi huilée que l'exigerait ce type de spectacle, basé sur une pléthore
de détails, de changements à vue, de perspectives constamment renouvelées, et
sur une direction d'acteurs millimétrée, est fort honorable, même si on est
loin de la perfection inouïe qui présidait à Bayreuth à la représentation de
l'œuvre citée. On se lasse vite de quelques clichés revenant en boucle, comme
cette façon de colonne Morris surgissant du sol à intervalles réguliers, qui
pour donner à voir un contenu aquatique, qui pour mettre en exergue telle
passage crucial. C'est juchée au sommet de cet édicule
que Rusalka délivrera la belle invocation à la lune.
C'est peu dire que le morceau en perd son aura poétique. Les interprètes se
plient pourtant avec talent, sinon bonheur, à ces excentricités. Camilla Nylund, qui tenait déjà le rôle titre dans la production du
Festival de Salzbourg de 2008, offre une prestation vocale de grande classe. La
froideur imposée par la régie n'arrive pas à éteindre les prestiges d'une voix
ductile et inextinguible, ni à entraver un investissement plausible dans ses
présupposés. De même, le Prince de Dmytro Popov a de
la vaillance à revendre et sa composition est crédible. Comme celle de Janina Baechle, Jezibaba la sorcière, dont l'aspect version SDF n'empêche
pas une formidable présence. Le Vodnik de Károly Szemerédy est paradoxalement moins intéressant, car le
timbre de basse est presque trop clair et le jeu trop éparpillé à force d'être
sollicité, l'accoutrement en pyjama rayé bleu ne facilitant pas les choses. De
la Princesse étrangère, Annalena Persson,
campe bien la raideur, mais non la faconde vocale, car le chant est passé en
force. Le chœurs de l'Opéra de Lyon se tirent avec
panache d'une régie exigeante. Leurs nombreux équivalents figurants aussi, y
compris lors de leur incursion dans la salle durant les festivités de l'acte
II. La direction de Konstantin Chudovsky assure plus
qu'elle présente sous le meilleur jour la belle musique de Dvořák.
Elle manque de subtilité et de nuances, influencée peut-être par la prégnance
naturaliste de ce qui se vit sur le plateau. Heureusement que les belles
mélodies et les habiles Leitmotive sont là pour nous faire toucher du doigt la
suprême poétique d'une partition enchanteresse.
Une Chauve-Souris parisienne qui lorgne
vers Vienne Johann STRAUSS : La Chauve-Souris. Opérette en trois actes.
Livret de Karl Haffner et Richard Genée,
d'après la pièce Le Réveillon de Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Nouvelle version française de Pascal Paul-Harang.
Stéphane Degout, Chiara Skerath, Sabine Devieilhe,
Philippe Talbot, Florian Sempey, Franck Leguérinel, Kangmin Justin Kim,
Christophe Mortagne, Jodie Devos, Atmen
Kelif, Jacques Gomez. Orchestre et Chœur des
Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc Minkowski.
Mise en scène : Ivan Alexandre.
Le chef d'œuvre de l'opérette
viennoise, Die Fledermaus, est né sous des
auspices français, puisque sa trame est tirée de la pièce, « Le
Réveillon », de la paire fameuse Meilhac et Halévy. Johann Strauss qui
connaissait le succès de notre Offenbach, ne vint que sur le tard à ce genre
délicat. Si le succès de cette opérette s'imposa vite à l'échelle européenne,
il fut plus lent à gagner l'hexagone. Une traduction en 1904, due à Paul Ferrier, permit enfin de l'installer durablement au
répertoire, grâce à une transposition de l'action en banlieue parisienne... Le
temps était nul doute venu d'un rajeunissement. C'est ce à quoi s'est attelé
Pascal Paul-Harang. Avec le souci d'une immédiate
compréhension du texte, d'où des phrases courtes, et d'authenticité par rapport
à la musique, par une recherche prosodique en adéquation avec la respiration
musicale. Si le texte est modernisé, il fuit la phraséologie franchouillarde
par une volonté revendiquée, selon l'auteur, « d'élégance dans la
simplicité ». La mise en scène d'Ivan Alexandre résout à peu près tous les
problèmes inhérents à l'exiguïté du plateau de la Salle Favart. Grâce à des
changements de décor à vue entre les trois actes, rappelant que La Chauve-Souris est bâtie sur une rigoureuse unité
d'action puisque l'histoire se déroule en une seule nuit. Partant du principe
que l'opérette est avant tout un jeu miroir où la société parle d'elle-même, il
place l'intrigue à notre époque : avec ce que cela comporte de vaine
excitation, de tics (l'usage du téléphone portable) et de ramage bling bling. Loin d'être des
marionnettes, les personnages acquièrent une épaisseur qu'on leur croyait
interdite. Le moteur de l'intrigue, une vengeance ourdie par le notaire Falke à l'endroit de son ami Eisenstein, vaut bien quelques
vrai-faux semblants sérieux. Amusante idée aussi d'avoir fait d'Alfred, amant
transi de la belle Rosalinde, un ténor de charme à la
faconde impénitente, ce qui nous vaut un florilège de débuts d'airs du
répertoire maison, tel « Salut! Demeure chaste et pure » à son entrée
au Ier acte. Pour le 2eme, et son bal des dupes,
exigeant le grand spectacle difficilement réalisable céans, la régie s'offre
une idée inédite : le coup de la panne de courant survenant au moment de la
berceuse « Soyons frères, soyons sœurs ». Si la ficelle est grosse,
du moins permet-elle de rendre plausible l'intermède ouvert, en usage dans
toute représentation viennoise, des surprises concoctées pour les invités. Dans
une pénombre propice et à la lumière de quelques bougies, place à
l'improvisation! Sur le fond sonore de la « Pizzicato Polka », Jérôme
Deschamps se lance dans une imitation désopilante du Général de Gaulle, dont la
désarmante banalité du contenu déchaîne l'hilarité : la bévue de la chef de
plateau qui en branchant une misérable bouilloire, aurait fait sauter les
plombs ; et d'en conclure à l'impérieuse nécessité d'un entracte... Au retour
de celui-ci, le Prince Orlofsky mitonne une
inénarrable parodie de Cecilia Bartoli chantant une aria de Vivaldi avec force
borborygmes, incongrue mais diablement enlevée. Une danseuse étoile lui succède
pour un pas étudié sur la Polka Schnell « Sous
le tonnerre et l'éclair ». Dans une prison high tech, le numéro du gardien Frosch,
qui ouvre le dernier acte, sera modernisé sans être banal ni vulgaire. Au fil
de la soirée, le divertissement s'avère plus retenu que franchement débridé,
les allusions discrètes à l'actualité le cédant à quelques opportunités
finement évocatrices ; parti finalement plus pertinent que celui revendiquant
de délivrer un prétendu message.
L'exécution musicale est un
succès sans nuage. Marc Minkowski, qui connaît son affaire pour avoir dirigé
Die Fledermaus naguère à Salzbourg avec les
Viennois, nous plonge avec délice et jusqu'à l'ivresse dans l'exubérance
straussienne, de ses valses, polkas et autres marches. Il s'est attaché le
concours de deux artistes invités, Peter Wächter,
naguère violon au sein des Wiener Philharmoniker, et
Martine Bailly, violoncelle solo de l'Orchestre de l'Opéra de Paris. Son
orchestre a du mordant et en même temps cette élégance qui confère au discours
son allure vitale, partageant souplesse viennoise et raffinement français. Les
solistes se dépensent sans compter. Avec Stéphane Degout,
qu'on a plaisir à découvrir dans un rôle léger, Eisenstein a de l'abattage, du
naturel aussi, et même de l'esprit : quelque fugace citation du Golaud de Pelléas et
Mélisande, ou allusion mimétique au « Contessa
perdono!» lancé, dans le Figaro de Mozart, par
un Comte aussi empêtré dans son inconséquence que notre rentier viennois. Il ne
fera qu'une bouchée de ce rôle tendu à l'extrême. Sa Rosalinde,
Chiara Skerath, s'affirme
au fil de la soirée, et la Czardas du II ème acte a grande allure. La femme cherchant aventure se meut en
redoutable séductrice, prenant un malin plaisir à berner son volage d'époux.
L'Adèle de Sabine Devieilhe offre un portrait
savoureux, hors du cadre convenu de la soubrette maniérée : une fille qui a du
tempérament et du prestige vocal à revendre. L'Alfred de Philippe Talbot
déploie bagout et ductilité vocale. La froideur calculée de Florian Sempey apporte à Falke, l'outragé
notaire qui cherche sa revanche, une vraie dimension, là aussi loin des poncifs
habituels du pantin d'opérette, et Franck Leguérinel
nantit le directeur de prison Frank d'un comique non appuyé. Fière idée d'avoir
distribué Orlofsky à un contre-ténor. Kangmin Justin Kim est proprement impayable, et pas
seulement dans la caricature de Cecilia Bartoli : le timbre acidulé vient à
l'appui d'une composition excentrique de sale gosse capricieux qui s'amuse à
endosser plusieurs costumes. Enfin le comédien Atmen Kélif joue d'un désarmant naturel le maton Frosch et sa vraie-fausse tournure niaise. Au cœur de la trilogie viennoise : Alexandre Tharaud
aux Champs-Elysées
Voilà un programme que n'aurait
pas renié Alfred Brendel puisque réunissant les trois musiciens chers à son
cœur, les viennois Mozart, Schubert et Beethoven! Voilà aussi un récital qui
sort de l'ordinaire, devant une salle comble : de l'atypique au familier, de
l'aride au plus facile, d'écoute s'entend. Au fil d'une première partie
marathon, Alexandre Tharaud enchaîne des pièces de
Mozart durant plus de 35 minutes d'affilée, imperturbablement, contraignant les
tousseurs à vite faire silence. La rare Suite en Ut majeur K 399 d'abord.
Datant de 1782, elle est un des fruits de la « découverte » par
Mozart de JS. Bach, qui selon Jean et Brigitte Massin,
plonge alors le musicien dans le désarroi au point de « frapper
d'inhibition le processus de l'émulation créatrice ». En trois volets,
cette suite, Ouverture Allemande et Courante, reste quelque peu aride. Tharaud poursuit avec la Gigue K 574 (1789), d'une
audacieuse facture dont ses notes lourées et piquées, puis avec une autre
rareté, le « Modulierendes Präludium »,
K 624, une des toutes dernières compostions mozartiennes, d'une étonnante
liberté de ton, proche de l'improvisation. La Sonate K 331, dite « Alla Turca », nous est plus aisée, très familière sans
doute. Elle a été écrite à Paris, en juillet 1778. De sa manière patricienne, Tharaud l'aborde avec égard et humilité. Soulignant combien
sont imaginatives les six variations de l'Andante initial, brodant sur le thème
d'un Lied folklorique allemand, piquant çà et là des traits facétieux qui ôtent
à ce mouvement qualifié de « grazioso » tout caractère galant. Le Menuetto coule de source avec une note plus sérieuse au
Trio médian. Le pianiste distille le finale « allegrino »
avec esprit, se faisant un régal de ce rondeau bouffon, de cette
« turquerie » qui anticipe la « musique des Janissaires »
de l'Enlèvement au Sérail. Tharaud ouvre la
seconde partie du concert avec les Danses allemandes D 783 de Schubert.
Il n'est pas aisé de s'y retrouver dans la profusion de danses composées par le
maître viennois. Pour ce qui est de celles-ci, elles ont été écrites à des
périodes diverses durant les années 1823 et 1824. Le pianiste fait choix de les
donner dans un ordre personnel, affirmant là encore une démarche inventive aux
fins de contraster les divers affects
véhiculés, malgré leur apparente simplicité, où l'allègre côtoie le triste,
l'éclat la douceur, la tendresse la gravité, la naïveté touchante la note
dramatique qu'on n'attend pas. Les enchaînements sont aussi originaux
qu'imprévus. Vient ensuite la Sonate opus 110 de Beethoven (1821). Tharaud la conçoit dans une pure filiation avec les deux
autres musiciens et en livre une exécution tout sauf spectaculaire, usant d'un
spectre sonore non excessivement large, aidé par la sonorité feutrée de son Bösendorfer. Il aborde le « Moderato cantabile molto
espressivo » de façon paisible, où se profilent quelques ombres
menaçantes. Et même le deuxième thème, si instable dans sa mélodie syncopée,
reste du domaine de la demi teinte. L'« Allegro
molto », en forme de scherzo, où s'affirment les « interrogations
intérieures » (J.& B. Massin)
offre une urgence contenue. L'Adagio final ne se pâmera pas dans un inutile
épanchement, son chant énigmatique atteignant le plus pur dépouillement et la
fugue ultime, dans ses deux séquences successives, progressant puissamment avec
un superbe contrepoint fff de la main
gauche. Une autre démonstration de la manière d'un pianiste qui entend assumer
sa différence. Le public est conquis. Il le gratifiera de pas moins de cinq bis
: une pièce de Bach, d'une douceur contemplative, jouée dans une quasi
obscurité, alors que deux cercles de bougies disposées sur le sol près du piano
depuis le début du concert, illuminent seules maintenant le podium ; hommage à
n'en pas douter aux tragiques événements récents et intense moment de
recueillement. Puis des morceaux de Scarlatti, d'une amusante facétie, de
Chopin, une valse plutôt rare, de Rameau, un « tube » tiré des Indes
Galantes, et de … Gershwin, swinguant à l'envi. On sort du théâtre à la
fois ému et revigoré par le vrai pouvoir de la musique. La Médée de Charpentier fait ses débuts en Suisse Marc-Antoine CHARPENTIER : Médée.
Tragédie en musique en un Prologue et cinq actes. Livret de Thomas Corneille.
Magdalena Kožená, Anders J. Dahlin,
Luca Tittoto, Meike
Hartmann, Robin Adams, Silke Gäng,
Alice Borciani, Jenny Högström,
Yukie Sato, Tiago Pinheiro de
Oliveira, Dan Dunkelblum, Ismael
Arróniz. La Cetra Vocalensemble Basel. La Cetra Barockorchester Basel, dir.
Andrea Marcon. Mise en scène : Nicolas Brieger.
Cette nouvelle production du
Theater Basel constituait la « Première suisse » de la Médée
de Charpentier. Dans son introduction, le chef d'orchestre Andrea Marcon voit dans la rareté de présentation de cette
tragédie lyrique le fait que là où chez Haendel ou Vivaldi la partie musicale
peut s'accommoder d'un orchestre moderne, la musique de Charpentier requiert
impérativement un orchestre d'instruments anciens, pour en fait ressortir les
couleurs spécifiques, en particulier dans les bois. La résidence à Bâle de son
ensemble baroque La Cetra permettait cette audacieuse
aventure, désormais enrichie par le Choeur La Cetra, récemment fondé par le musicien. L'unique tragédie
lyrique de Charpentier a été créée en 1693 à Paris, sur une pièce de Thomas
Corneille qui s'est emparé du mythe de Médée, immortalisé par Euripide.
L'histoire de la vengeance de Médée qui après que Jason l'eût délaissée et
trahie pour la belle Créuse, laisse périr cette
dernière rongée par le feu fatal de la Toison d'or qu'elle a pris soin
d'empoisonner, puis tue les deux enfants qu'elle a eu de Jason, a été souvent
reprise depuis en musique, aussi bien par Cavalli (Il Giasone),
Lully (Thésée) que par Cherubini ou Milhaud. L'originalité de
Charpentier est de suivre intimement la versification du livret-pièce de Thomas
Corneille d'une grande qualité littéraire. D'où la caractérisation des
récitatifs qui sont l'épine dorsale de la construction musico-dramatique. Il
n'existe pas au fil des dialogues de nette séparation entre récitatifs et arias
ou même ensembles. Les courtes arias ou duos sont intégrés dans les dialogues
ou procèdent de ceux-ci. De même, la différence, comme il en est dans l'opéra
italien ou dans Haendel, entre recitativo secco,
récitatif accompagné, arioso et même aria s'estompe ici, au profit d'une
déclamation vocale très flexible. Ce qui rétroagit sur le continuum orchestral
qui en acquiert une certaine élasticité. Cette exigence de flexibilité conduit
à adopter une certaine liberté dans la conduite musicale, estime encore Andrea Marcon. De fait, sa direction est extrêmement vivante, la
rythmique calée sur la déclamation de la tragédie française chantée, avec ici
ou là quelques accélérations porteuses de tension. Car comme le remarque le
metteur en scène Nicolas Brieger, le texte doit
rester primordial, la musique le protégeant, le construisant et élucidant son
geste et son cheminement. Jouant un des deux clavecins, Marcon
laisse s'épancher les suprêmes effluves de la musique de Charpentier avec une
conviction de tous les instants. Ses musiciens d'élite (en habit blanc XVII ème et jabot de dentelle) la nantissent d'un son d'une
souveraine plénitude, avec une mention particulière au continuo et aux flûtes
baroques.
Mêlant les époques, la régie de
Nicolas Brieger actualise sans pour autant trop
s'écarter de la trame. Omettant le Prologue, il enchaîne les actes, assurant
une vraie continuité tragique, manageant savamment les coups de théâtre
parsemant l'intrigue. A l'instar de la vision de Corneille, son approche de la
femme infanticide dégage une certaine humanité : Médée humiliée par Jason,
bannie de la cité par le roi Créon, trahie par Créuse,
apparaît plus victime que criminelle. Les horreurs de son infernale
machination, ses appels aux hydres démoniaques du Styx, sa soif d'une vengeance
implacable sont légitimés par son statut de femme bafouée, acculée à ne plus
avoir d'autres possibilités que la vengeance et la mort de ses propres enfants.
Les personnages qui l'entourent évoluent dans un environnement qui souligne
cette conception : Jason est plus lâche et inconséquent que calculateur, Créon
un roi d'un autoritarisme de façade, un brin pervers, et Créuse
une égérie ambitieuse, avide de la sensation que doit lui procurer la
possession de la toison. La direction d'acteurs finement pensée évolue dans
l'environnement froid, mais esthétiquement agréable, d'un intérieur moderne
avec ascenseur de rigueur, qui dégage divers plans, dont un
sorte de sous-sol en lieu et place de la fosse d'orchestre ; celui-ci étant
placé à même le plateau, à droite de l'aire de jeu, ce qui nécessite de la part
de l'auditeur quelque moment d'acclimatation pour s'adapter à la source sonore.
La composante du « merveilleux » est bien ménagée, dans les
divertissements de fin d'actes, qui convoquent forces militaires casquées,
égéries déjantées téléguidées par des marionnettistes, démons exagérément
effrayants, ou foule d'invités sablant le champagne avant de sombrer plus avant
dans la décomposition sanguinaire. La scène finale offre une vision de
dévastation, avec force hémoglobine et décharge de boules de feu. Le plateau
vocal est de classe et fait sien un idiome vocal virtuose, pourtant éloigné de
la brillance. Magdalena Kožená offre de Médée une
composition accomplie, partagée entre amour maternel et haine, raison et fureur
irraisonnée, atteignant la grandeur de la tragédie classique française. La
diction est satisfaisante et la voix s'échauffant, déploie ses vertus dans la
longue et délicate scène finale du III ème acte,
bardée de trois parties : un poignant lamento, « Quel prix de mon amour,
Quels fruits de mon forfait », puis un air guerrier, et enfin la soif de
vengeance alors que la magicienne en appelle à l'exorcisme des démons des
enfers. Les confrontations tant avec Jason qu'avec sa désormais rivale sont
d'un impact inouï. De Jason, Anders J. Dahlin offre
les prestiges d'une vraie voix de haute contre à la française, une tessiture
aussi rare qu'exigeante, et la stature du héros fatigué mais portant beau se
détache à travers un physique de jeune premier. Luca Tittoto
campe un roi Créon presque histrion et atteint, lors de la scène de folie, une
dimension grandiose dans sa démesure. La voix de basse est d'un métal certain
comme il en fut à Aix dans Ariodante l'été
dernier. Seule la Créuse de Meike
Hartmann paraît moins à l'aise, même si la voix là aussi se détend peu à peu. Une
indéniable réussite ! La Philharmonie s'ouvre enfin à Paris
Avec bien du retard la
Philharmonie de Paris ouvre ses portes, du moins celles de son auditorium. Car
pour le reste, il faudra encore patienter pour voir et apprécier ce que son
architecte Jean Nouvel a réellement entendu faire des extérieurs et de tous ces
espaces encore clos et sans vie qu'on devine à l'intérieur. Et même à
l'occasion de ces soirées inaugurales, rarement la boutade « essuyer les
plâtres » aura-t-elle été aussi juste : escalators défaillants, batteries
de toilettes pas toutes en eau, poignées de portes manquantes, ascenseurs
désespérément discrets, etc... Mais entrons dans le saint du saint, dans
cette salle flambant neuve. On est frappé par la vastitude du lieu, qui
pourtant ne verse pas dans le démesuré, et séduit par les lignes courbes
agréables à l'œil, sans parler de ces balcons suspendus qui semblent n'être
accrochés nulle part. Si le mélange des tons est flatteur, on est moins
agréablement surpris par la dominante de couleur noire sévissant dans toute la
partie inférieure de la salle, singulièrement celle qui jouxte le podium.
Curieuse impression qui ne dégage pas de plaisir immédiat et ne procure pas la
sensation de pénétrer dans un lieu magique. Jean Nouvel qui a conçu le
magnifique KKL de Lucerne où dominent le blanc et le bois clair, se serait-il
plutôt souvenu de l'auditorium tout de noir vêtu qu'il imagina pour l'Opéra de
Lyon ; nous rappelant l'irrémédiable sentiment d'enfermement qu'on ressent dans
la salle rhodanienne ? L'impression est encore renforcée par l'éclairage
indirect diffusant une atmosphère plus blafarde qu'éclatante. Le confort est,
par contre, au rendez-vous côté ergonomie des sièges et surtout quant à
l'ampleur du plateau qui offre aux musiciens un indéniable espace.
Pour son troisième
« concert d'ouverture », l'Orchestre de Paris, une des formations
en résidence céans, donnait un programme
entièrement russe. Simple coïncidence ou signe des temps que l'attrait pour la
culture russe qui, au théâtre, nous vaut en ce moment Platonov, Ivanov
et autres Estivants, et côté symphonique la trame du prochain concert de
l'Orchestre avec Tchaikovski et Chostakovitch. Ce
soir, Paavo Järvi avait
convoqué Borodine, Tchaikovski et Stravinsky. Trois
maîtres qui savent faire sonner un orchestre. De fait, dès les premières notes
des « Danses polovtsiennes » du Prince
Igor, on est immergé dans un univers sonore chatoyant. Le son enveloppe
l'oreille fastueusement. Ce morceau de concert tiré du deuxième acte de
l'opéra, lors que le tartare Kontchak offre à son
prisonnier Igor une fête dansée, plus pour lui montrer ses forces que pour le
distraire, est rien moins qu'un beau faire-valoir d'orchestre. Dans son
orchestration somptueuse comme dans l'agencement de ses quatre morceaux, autant
de mouvements endiablés où fleurit l'exotisme. Järvi qui ne mégote pas sur le rythme et la couleur, avec
force coups de boutoirs des timbales et fluorescence des cuivres, nous fait
toucher du doigt les vertus acoustiques de la nouvelle salle : absence de tout
écrasement dans les plus extrêmes forte, excellente définition spatiale
des solistes et des masses, et surtout une diffusion du son claire et aérée. Le
concerto N° I de Tchaikovski va confirmer
pratiquement ces premières impressions. Lang Lang
aime l'Orchestre de Paris avec lequel il se produit régulièrement depuis 2004.
Il affectionne les grandes machines et les pièces populaires. On sait que l'op.
23 de l'auteur d'Eugène Onéguine est virtuose
en diable. Lang Lang ne fait pas mystère de ses dons.
L'introduction du premier mouvement sera spectaculaire avec ses déferlements
d'arpèges, la section « con spirito »
haletante quoique plus intériorisée à travers son thème populaire ukrainien, le
développement on ne peut plus dramatisé, la cadence fort adroitement maitrisée,
nimbée de son solo de flûte, tandis que la péroraison déborde de puissance. On
a là un parfait échantillon de la manière du pianiste chinois : la véhémence
des courses arpégées, le furieux des martèlements d'accords, au-delà même du
mot de virtuosité ; mais aussi des contrastes extrêmes dans le registre ppp et
un toucher qui sait se faire de velours. Cela se vérifie dans le deuxième
mouvement, très inspiré dans son début, d'un lyrisme féérique, grâce à la
baguette de Järvi qui veille au grain et tire de la
petite harmonie de suprêmes effluves. La partie médiane sera joliment
fantasque. Du finale, on dira que Lang Lang s'en
empare comme d'un maelström aux traits farouchement assénés ou distillés à la
limite de l'audible, exagérant là encore les contrastes. Un développement archi
brillant mène à l'apothéose finale, d'une folle alacrité. On peut aimer cette
manière plus que flatteuse, on peut aussi ne pas l'apprécier du fait de son
outrance. C'est affaire de goût. Le bémol acoustique est ici un sentiment
d'insuffisante présence du piano dans les tutti, qui ne surnage pas toujours
distinctement de la gangue orchestrale. Question de réglage à venir, dira-t-on.
Le Sacre du printemps allait
conclure avec prestige cette soirée inaugurale. Le grand Œuvre de Stravinsky
est d'un pur point de vue sonore une pièce de démonstration autant qu'elle
constitue un véritable « showpiece » pour
orchestre en termes de standard de qualité. Cette exécution aura permis de
vérifier les deux aspects. On tient là sans doute la vraie restitution sonore
qu'on attendait depuis longtemps d'une salle parisienne digne de ce nom : une
musique qui respire grâce à un réel temps d'écho et qui ne frôle pas la
saturation dans les passages les plus chargés, à la différence d'une autre
salle récemment ouverte à Paris, et comme on le déplorait tant à la Salle
Pleyel. La Philharmonie de Paris est-elle en passe de rejoindre le peloton des
grandes maisons comme la Philharmonie de Berlin, le KKL de Lucerne ou les
salles mythiques de Vienne, Amsterdam ou Boston ! Paavo
Järvi livre du Sacre une incandescente
interprétation grâce à un orchestre qu'on a plaisir à trouver au mieux de sa
forme : générosité et finesse des bois, sûreté des cuivres, impact des
percussions, homogénéité et chaleur des cordes. L'approche mise sur l'aspect
tellurique et le déchaînement de fff – qui ne
saturent pas au demeurant, les différents plans gardant toujours une clarté
exemplaire. Järvi joue fort, très fort, par exemple
dans l'Introduction de l'« Adoration de la Terre », où la petite
harmonie sonne avec une extrême présence, ou plus avant, tirant un maximum
d'impact des batteries de percussions dans la « Danse sacrale » :
les coups violemment assénés à la grosse caisse tonnent telles les
déflagrations blanches d'un feu d'artifice. Le débit est magistral, d'un
orchestre enfiévré dans tous ses pupitres, comme est consommé l'art de ménager
les fabuleuses ruptures émaillant les diverses séquences de cette géniale saga
symphonique. Une interprétation qui soulèvera l'enthousiasme de l'auditoire. A
juste titre. Jean-Pierre
Robert. Les premiers pas du Concert de la Loge Olympique
Alors que Monsieur Hollande inaugurait, en
grande pompe la Philharmonie de Paris entouré de nombreuses personnalités
médiatiques, le public, plus modeste, était venu cependant en nombre, salle
Gaveau, pour assister à ce magnifique concert donné par la soprano canadienne
Karina Gauvin, accompagnée par le tout nouveau Concert de la Loge Olympique,
dirigé par son chef fondateur, le violoniste Julien Chauvin. Un double
événement donc, puisqu'il s'agissait de retrouver Karina Gauvin dans son
répertoire baroque de prédilection, après son incursion très remarquée et
unanimement applaudie dans la Clémence de
Titus de Mozart au Théâtre des Champs-Elysées, tout dernièrement, mais
également l'occasion d'entendre pour la première fois à Paris ce nouvel
ensemble instrumental, le Concert de la Loge Olympique. Un ensemble
nouvellement constitué, émanation de Cercle de l'Harmonie de Jérémie Rohrer, jouant sur instruments anciens, dont le nom
rappelle la Société Olympique issue de la loge L'Olympique de la Parfaite Estime qui participa avec le Concert
Spirituel et le Concert des Amateurs à la diffusion de la musique instrumentale
et vocale pendant les dernières années de l'Ancien Régime sous la houlette de
nombreux musiciens francs maçons. Sa commande la plus fameuse fut celle des six
Symphonies parisiennes composées par
Joseph Haydn. Marie-Antoinette assistait, semble t-il, souvent à ces concerts
dans la salle de garde des Tuileries où l'on jouait en habit brodé, les
auditeurs portant une lyre d'argent à la boutonnière en signe d'appartenance à
la Société. Autre lieu, autre façon ce soir, point de lyre d'argent mais un
très beau programme entièrement consacré à Georg Friedrich Haendel. Un superbe
concert alternant airs d'opéra célèbres et pièces instrumentales pour rappeler
que le compositeur allemand avait beaucoup voyagé en Italie avant de se fixer à
Londres où il fonda la Royal Academy of Music et le King's Theater, permettant au public anglais de découvrir
et de partager sa passion pour l'opéra italien avant de développer le genre de
l'oratorio de langue anglaise, le concerto pour orgue, instrument où il
excellait, ou le concerto grosso à la manière de Corelli. Force est de
reconnaitre que le cadre douillet, élégant et intimiste de la salle Gaveau fournissait
un très bel écrin à la voix admirable de Karina Gauvin. Des extraits de Rinaldo, Giulio Cesare, Rodelinda,
Salomon, Lotario, Alcina,
entrecoupés de Water Music HWV 348 &
350, du Concerto pour orgue op. 4 n°
2, et du Concerto grosso op. 6 n°
1. Une prestation vocale et
instrumentale ne souffrant aucun reproche, associant à la pyrotechnie vocale et
à l'interprétation véritablement habitée de la soprano canadienne un
accompagnement instrumental toujours
juste, en parfait équilibre avec la voix. Un concert conclu par un triomphe et une standing ovation de la salle. Bravo à tous, et tous nos
vœux de réussite au Concert de la Loge Olympique de Julien Chauvin, ensemble
instrumental à géométrie variable qui devrait se produire en formation de
chambre ou en formation symphonique, sur scène ou dans la fosse, dans un
répertoire s'étendant de l'époque baroque à la musique du XXI e siècle. A
suivre… Patrice Imbaud. … Les mêmes sous d'autres cieux
grenoblois
Souhaitons au tout nouvel orchestre créé
par Julien Chauvin une vie dont la durée dépasse celle de son modèle, Le Concert de la Loge Olympique !
La formation que le violoniste a choisie comme référence, et dont il a repris
le nom, n'a en effet donné que trois années et demi de concert à Paris: de
1786 à 1789… et la république sait pourquoi ! Eu égard à la prestation que
les musiciens nous ont offert le 13 janvier dernier, à la MC2 de Grenoble, la
nouvelle formation mérite en tout cas d'avoir une longue et brillante carrière.
Il faut dire que la qualité de l'interprétation de Karina Gauvin y était pour
beaucoup. On sait combien le timbre et
l'intelligence musicale de cette soprano sont particulièrement adaptés à Georg
Friedrich Haendel. Que ce soit dans Giulio Cesare, Rodelinda,
Solomon, Lotario,
Alcina, ou encore Rinaldo, Karina
Gauvin sait mettre en valeur l'expression sans que la technique, pourtant
indispensable dans de telles pièces, ne prenne le pas sur celle-là. Qu'elle me
permette cependant une toute petite remarque : j'aurais aimé que
l'intensité un peu insuffisante de ses notes basses ne crée pas ce petit
déséquilibre dans la mélodie, lorsque, à l'instar de Jean-Sébastien Bach,
Haendel confie au registre grave de cette mélodie un rôle également harmonique.
Le concerto pour orgue que nous a donné Frédéric Rivoal
était fort intéressant, même si on suppose que l'instrument dont disposait
Haendel avait un « coffre » plus conséquent. A propos de
disproportion dans l'intensité, il faut remercier Shizuko
Noiri pour la beauté et la souplesse de ses gestes au
théorbe ; car il faut bien l'avouer : la plus part du temps, on
n'entendait guère l'instrument (seul le continuo du clavecin perçait
l'orchestre). La sonorité et la précision des instruments à vent baroques était
vraiment digne d'éloge : merci à Antine Torunczyk et Lidewei De Sterck pour leur hautbois si vivant, et surtout à Tami Krausz pour ce son de flûte
particulièrement chaud. En conclusion, le seul reproche que j'oserai faire à l'ensemble, pour ce concert dont le programme était
très équilibré (bravo pour la variété dans la succession des pièces), tient à
sa jeunesse : comme je l'aurais signalé à un jeune soliste, j'ai trouvé
que le tempo trahissait, surtout dans la première partie, une légère fuite en
avant. Énergie sans précipitation, Julien comprendra, s'il entend
l'enregistrement, ce que je veux dire. Merci enfin pour le « Lascia ch'io pianga »
donné en bis en hommage à Charlie. Bravo à tous et à bientôt dans Haydn ! Philippe Morant. Gaspard Dehaene joue Bach et Schumann au Musée d'Orsay
Voilà un programme original : ne jouer que
des Fantaisies, en partant de Bach (Fantaisie Chromatique et Fugue BWV
903) pour arriver à Schumann (Fantaisie pour piano en Do majeur, op.
17), en passant par Mozart (Fantaisie en Ré mineur K 397) et Haydn (Fantaisie
pour Clavier en Do majeur Hob XVII 4). Mise à
part la Fantaisie de Haydn et celle de Mozart, le jeune Gaspard Dehaene, pour
son premier concert à l'auditorium du Musée d'Orsay, s'attaque à deux œuvres
complexes que sont la Fantaisie BWV 903 de Bach et celle op.17 de Schumann. Né
en 1987, Gaspard Dehaene obtient son master en 2012 au CNSM de Paris. Lauréat
de plusieurs concours internationaux, il s'est produit à maintes reprises dans
différents festivals en France et à l'étranger. Passionné de musique de
chambre, il a enregistré un CD avec l'excellent altiste Adrien Boisseau
consacré aux sonates piano-violon de Schumann et un autre de Roussel avec
Anne-Lise Durantel. Gaspard Dehaene est un très jeune
pianiste avec beaucoup de qualités techniques. Il l'a prouvé dans la Fugue de
Bach et à maintes reprises dans la pièce de Schumann. Mais comment interpréter
des œuvres si complexes ? De très grands musiciens ne se sont mis à les
jouer en concert et à les enregistrer que très tardivement dans leur carrière.
Dès l'attaque de la Fantaisie de Bach on a senti que Dehaene partait dans une
interprétation un peu appliquée et avec des accents romantiques. La Fugue
demande du doigté et à être jouée sans affect, ce qu'il a réussi à faire. Pour
la Fantaisie de Schumann, œuvre d'une puissance romantique immense – c'est un
cri d'amour déchirant du musicien à Clara, espérant qu'elle deviendra sa femme,
le père étant totalement opposé à cette union – le compositeur demandait à ce
qu'elle soit jouée de manière fantasque et passionnée. Pas évident à faire
sentir ! Il faut peut-être avoir plus de vécu pour l'interpréter : le grand
adolescent timide qu'il paraît, est peut-être trop jeune pour ressentir toutes
les nuances qu'il y a dans cette œuvre, pas si « fantaisie » que veut
bien dire le titre. Dans cette composition on entend beaucoup de compositeurs
présents ou à venir : Beethoven avec un hommage à ses Sonates. Mais aussi
Liszt, Wagner, Moussorgski l'ont sûrement entendue. Gaspard Dehaene est un
pianiste plein d'avenir, assez courageux pour jouer un tel programme. C'est
tout à son honneur. Il a tout le temps devant lui pour trouver le sens profond
de ces œuvres. Il est toujours sympathique de découvrir un artiste en « work in progress » Stéphane Loison. ***
L'EDITION MUSICALE
Nouvelles : Les
éditions Sempre più déménagent. Voici
leurs nouvelles coordonnées : Sempre
più Editions, Résidence Rey, 87 avenue Secrétan 75019 Paris Tél. +33 (0) 954 63 44 78
Fax +33 (0) 959 63 44 78 http://www.semprepiu-editions.com FORMATION
MUSICALE Marie-Ange
LEURENT : Les proverbes en musique. 21
chansons pour les enfants (collection les mots font des chants). Chanteloup-musique : CMP011. Que voici une production
rafraichissante. Ces chansons sont pleines de fraicheur, et surtout d'une
grande qualité musicale. Simples, mais pas simplistes, elles se retiennent
facilement sans être « faciles ». On appréciera la qualité de
l'enregistrement dont on pourra écouter des extraits sur You Tube. Partition et
CD sont disponibles séparément ou conjointement. José SCHMEITZ – Ombeline CHALLÉAT : Le joueur de flûte de Hamelin. Conte musical pour chœur, narrateur et
piano. Delatour : DLT1263. Issue d'une commande de
l'ADDIM de la Drôme, cette œuvre, grâce à la musique originale de José Schmeitz, permet de balayer divers styles et diverses
époques de la musique. La version pour piano présentée ici est une réduction de
la version avec orchestre. Mais il n'est pas interdit de rajouter quelques
instruments si on en a la possibilité, notamment… une flûte ! L'argument est tiré de la
célèbre légende transcrite par les frères Grimm, actualisée, certes, mais
gardant toute sa saveur et sa cruauté. La musique, de style très varié, comme
nous l'avons dit, est fort intéressante et sans grande difficulté d'exécution.
Souhaitons de nombreuses représentations à cette remarquable réalisation.
CHANT Gualtiero DAZZI : Sette corte melodie da
Michelangelo per voce sola (voix seule). Dhalmann :
FD0455. Les textes de ces courtes
mélodies sont extraits de différents sonnets de Michel-Ange. On trouvera le
texte et la traduction de ces sonnets au début de la partition. La musique est
au service du texte, sans effets redondants. Le tout est vraiment très beau, lyrique
dans la sobriété. C'est une remarquable réussite. Davide
PERRONE : For now pour mezzo-soprano ou soprano et piano.
Niveau moyen. Delatour : DLT2409. Le poème, qui tourne
autour de thèmes amoureux est également de David Perrone.
Après une introduction au piano, la mélodie se déroule dans un climat parfois
un peu inquiétant. Deux versions : une pour mezzo, l'autre pour soprano,
dans le même recueil.
Nicolas
CHEVEREAU : Deux mélodies
saturniennes sur des poèmes de Paul
Verlaine pour chant et piano. Delatour ;
DLT2490. Ces mélodies ont été
écrites pour l'Académie Francis Poulenc-Tours qui a célébré en 2014 les 170 ans
de la naissance de Verlaine. De ces deux poèmes, le premier ne fait pas à
proprement parler partie des Poèmes
saturniens mais peu importe. Les mélodies de Nicolas Chevereau
sont d'une grande fidélité à l'esprit de ces poèmes et en expriment notamment
toute l'ambiguïté et toute l'angoisse, toute la violence aussi, spécialement
pour Cauchemar. MUSIQUE
CHORALE Jean
CRAS : Messe à quatre voix (1908). Chœur SATB. Edition Isabelle Bretaudeau. Version avec réduction. Symétrie : ISMN
979-0-2318-0773-8. Ne craignons pas les
mots : les éditions Symétrie nous offrent un chef-d'œuvre. Et il est
heureux que Jean Cras sorte, grâce à ces publications,
de l'oubli. On verra sur le site de l'éditeur le commentaire si pertinent
d'Isabelle Bretaudeau. Cette messe « a
cappella », qui renoue avec les messes « a cappella » de la
Renaissance est tout à fait nouvelle au moment où il la compose. Nous serions
tenté d'y voir l'influence de son maître Alexandre Guilmant et, à travers lui,
de la Schola Cantorum. Toujours est-il que cette
œuvre inédite fut exécutée et enregistrée pour la première fois en 2007 sous la
direction de Pierre Calmelet pour le label Timpani. On peut écouter des extraits de cet
enregistrement sur le site de l'éditeur. L'édition proposée comporte également
une notice détaillée par I. Bertraudeau. Précisons
que la partie de piano, simple réduction des voix, qui figure dans la partition
ne doit en aucun cas, selon la volonté expresse de l'auteur, servir pour une
audition publique de l'œuvre. ORGUE Gustav
MALHEER – Paul STERNE : Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) pour orgue. Delatour :
DLT2497. Précisons tout de suite
qu'il ne s'agit pas, au sens strict du terme, de transcriptions. Pensé à la
manière d'un prélude de choral, chacun des quatre lieder est remodelé,
réinterprété pour un instrument symphonique à trois claviers pédalier. La
registration est donnée à titre indicatif mais l'auteur-adaptateur précise bien
qu'il faut « éviter de se rapprocher à tout prix de la version originale
mais plutôt […] rester dans le caractère propre à la littérature de
l'orgue ». Max
MÉREAUX : Adagio pour orgue. Moyen. Lafitan :
P.L.2837. Cette pièce méditative
demande un instrument conséquent puisqu'il y faut trois claviers et pédalier.
La régistration montre cependant qu'on pourra ruser pour une interprétation sur
deux claviers… L'ensemble, atonal, se meut par chromatismes dans une ambiance
de recueillement qui sera encore accentuée par l'emploi exclusif des 8 pieds,
de la gambe et du salicional. PIANO Jean KLEEB :
Jazzy piano. Bärenreiter : BA 10627. Œuvres originales écrites
sur des schémas baroques, thèmes connus retravaillés ou variations jazzy sur un
thème de Brahms : on trouvera beaucoup de variété dans ces différentes
pièces. Il y faudra, bien sûr une connaissance de ces styles ou un professeur
capable de guider efficacement l'élève dans ces pièces de caractère varié,
certaines, comme Beathina, étant très poétiques…
Bref, il s'agit d'un recueil aussi original qu'intéressant. Michael TÖPEL :
From Handel to Ravel. 39
pièces originales faciles pour piano. Bärenreiter :
BA 8771. Très connues pour certaines
mais surtout peu connues, ces pièces faciles de compositeurs célèbres
permettront de renouveler le répertoire des jeunes pianistes avec des œuvres de
qualité. Le choix est fort judicieux, l'édition et les doigtés soignés. Il
s'agit donc d'un recueil qui apportera une contribution intéressante à
l'enseignement du piano.
Dominique
PATTEYN : Auprès de mon arbre pour piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2844. Il n'y a pas de rapport
direct avec Brassens… mais la pièce est fort agréable, fort bien écrite avec
une deuxième partie fuguée de la meilleure venue. Voici un arbre bien
séduisant… Thierry
DELERUYELLE : La légende de Baba-Yaga pour piano.
Elémentaire. Lafitan : P.L.2882. Il ne sera pas inutile de
faire entendre la pièce tirée des Tableaux d'une exposition pour mettre l'élève
dans, l'ambiance… Après une sorte de prélude « Mystérieux », cette oeuvre débouche sur un 6/8 haletant rappelant peut-être la
course de la petite fille de la légende et sa fruite devant la sorcière, à
moins que ce ne soit la course de la sorcière elle-même. Quoi qu'il en soit,
l'ensemble est plein d'intérêt à la fois poétique et musical. André
TELMAN : Vers le bout du tunnel pour piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2826. Quatre notes obsédantes,
déclinées dans tous les tons et qui ne sont pas sans rappeler celles du nom de
Bach, à quelques variantes près, forment comme un leitmotiv obsédant, soutenu
par des rythmes divers. Est-ce cela le bout du tunnel ? L'ensemble génère
une atmosphère un peu inquiétante mais qui n'est pas sans charme et sans
surprises. Cette pièce ne pourra pas laisser indifférent nos jeunes
interprètes. GUITARE Jean-Max
FRÉZIGNAC : Le Naufragé. Pièce pour guitare. Préparatoire. Lafitan : P.L.2943. Ce naufragé parait bien
mélancolique. Manifestement, il se pose beaucoup de questions sur son sort, si
on en croit les points d'orgue suspensifs. Mais cela ne nuit pas au charme de
cette pièce à l'ambiance nostalgique.
VIOLON Pietro
LOCATELLI : Caprice en ut
mineur pour violon seul. Arrangement
de César Thomson. Moyen-avancé. Delatour :
DLT1683. C'est un plaisir de
découvrir ces partitions inédites et pleines d'intérêt. L'arrangement du
quatrième Caprice réalisé par César
Thomson nous est parvenu par une élève de ce dernier, Sacha Bluhm-Bonnet, qui avait recopié et révisé la partition qui
n'existait qu'à l'état de manuscrit. Paul
STERNE : Mélodie pour violon et piano. Assez facile. Delatour : DLT2481. Cette très belle Mélodie se déroule comme un long fleuve coulant du
début à la fin sans que rien ne puisse entraver son cours. Son appel récurent
au mode de Fa lui donne une couleur bien particulière, mêlant au discours un
brin d'étrangeté qui ne nuit pas, loin de là, à la chaleur de la phrase. C'est
une belle œuvre, techniquement assez facile mais qui demande une grande
maturité musicale de la part de ses interprètes. On peut l'écouter
intégralement sur le site de l'éditeur.
Claude-Henry
JOUBERT : Qui a volé la
colophane ? Une enquête du
commissaire Léonard pour violon (niveau fin de 1er cycle) avec
accompagnement du professeur de violon. Lafitan :
P.L.2801. « La musique du XXIème
siècle ne sera pas celle des siècles précédents. Il semble important que tous
les musiciens, amateurs, professionnels, étudiants, et déjà les élèves, puissent
tenter d'écrire leur propre musique. » Claude-Henry Joubert, dans
l'ensemble de ses œuvres pédagogiques et tout spécialement dans cette
« série » des Enquêtes du professeur Léonard, s'emploie à susciter
cette envie, ce besoin, chez les élèves et, espérons-le, chez les professeurs.
C'est dire l'intérêt de ces pièces où règnent également humour et bonne humeur,
sans oublier la musique, bien sûr ! ALTO Paul
STERNE : Poème d'hiver pour alto et piano. Assez facile. Delatour : DLT2480. Calme et expressif, c'est
le caractère indiqué par l'auteur, et qui caractérise au mieux cette pièce où
l'alto et le piano dialoguent tendrement. L'alto est exploité dans l'ensemble
de ses ressources et spécialement dans ce registre grave qui lui est propre.
Cette très jolie pièce pour un instrument trop négligé devrait séduire beaucoup
d'interprètes.
Nicolas
CHEVEREAU : Sonate pour alto solo. Delatour :
DLT2492. Deux mouvements pour cette
sonate : Prélude et Danse. Le Prélude comporte quatre parties :
Recueilli, Très mystérieux et lointain, Tempo de valse modéré et Tempo I. On
aura compris que l'auteur joue beaucoup sur les couleurs, les contrastes les
atmosphères. Il en est de même dans la Danse, à la fois mouvementée haletante.
Mais là encore, l'auteur indique : « Mystérieux ». Une œuvre
assez difficile qui mérite d'être découverte. VIOLONCELLE Éric
LEBRUN : …Souvenirs de la rue Olga, op.
30. Pour violoncelle et piano. Chanteloup-musique :
CMP014. Cette rue Olga se trouve à
Fontainebleau, et la pièce est écrite à la mémoire de la violoncelliste et
pianiste Jeannine Lhemery qui a formé des générations de musiciens à l'école de
musique de Fontainebleau. Sorte de nocturne souple, elle comporte une partie en
forme de valse un peu nostalgique avant de se terminer par un decrescendo
aboutissant à un pianissimo qui permet à ces souvenirs de s'évanouir dans un
silence méditatif. FLÛTE Pascal
PROUST : Sheratan pour
flûte et piano. Fin 1er cycle. Sempre
più : SP0110. Cette pièce, qui porte le
nom d'une étoile, est en forme de rondo, avec un deuxième refrain orné, une
cadence, le tout se déroulant dans une jolie ambiance un peu mélancolique. Les
interprètes devraient y trouver beaucoup de charme. La partie de piano peut
être confiée sans problème à un élève. Paul
STERNE : Intermezzo pour 3 flûtes. Assez facile. Delatour : DLT2495. Il s'agit d'un très
agréable et poétique entrelacement des trois flûtes qui font penser à un vol de
papillons ou de libellules. C'est plein de fraicheur et de charme. Et si ce
n'est pas techniquement très difficile, l'ensemble demandera une grande écoute
de la part des jeunes interprètes. Alexandre
CARLIN : Azur pour flûte en ut et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2924. Sur un rythme obstiné du
piano, la flûte déroule une jolie mélodie qui évolue peu à peu vers une
modulation un peu inattendue qui termine le morceau. C'est une pièce très
agréable et qui devrait plaire à ses jeunes interprètes. HAUTBOIS Frédéric
BOESARELLO : Tamata (du tahitien « pourquoi
pas ») pour hautbois solo. 2ème
cycle. Sempre più : SP0081. Pourquoi pas, en
effet ? Le jeune interprète aura certainement beaucoup de plaisir à jouer
cette pièce écrite dans un langage très poétique en même temps qu'un peu
taquin. Elle réserve en effet, dans son introduction et son développement de bien jolies surprises.
Leonello CAPODAGLIO : Deux intermèdes pour hautbois et piano. Premier cycle. Sempre più : SP0132. Ces deux intermèdes, l'un
« avec sérénité », l'autre « élégiaque », déroulent de
délicates et sensibles mélodies soutenues par un accompagnement aux harmonies
changeantes et doucement colorées d'un peu de nostalgie. C'est une bien jolie
musique qui devrait plaire à ses interprètes. On peut en écouter un extrait sur
le site de l'éditeur. COR
ANGLAIS Leonello CAPODAGLIO : Cantabile
pour cor anglais et piano. Deuxième cycle. Sempre
più : SP0131. Dans un langage qui
pourrait faire penser à Fauré, ce « cantabile » porte bien son nom,
lui qui fait chanter l'instrument tout au long de la pièce tandis que le piano égrène
une nappe de triolets. Tout cela est plein de délicatesse, de charme et de
grâce.
CLARINETTE André
TELMAN : La légende du spectre
sous-marin pour clarinette en sib et piano. Fin du 1er cycle
(musique de chambre). Lafitan : P.L.2827. L'atmosphère est
inquiétante à souhait, la variété des différentes parties permet d'exprimer les
divers sentiments suggérés par la partition. La mention « musique de
chambre » signifie que partie de clarinette et partie de piano sont
destinées à des élèves et qu'elles ont le même intérêt. Nicolas
CHEVEREAU : Divertissement pour clarinette en sib et piano. Delatour : DLT2489. Se déclinant en trois
parties : Ouverture, Cantilène et Rondo, ce Divertissement est construit
le plus souvent sur des variations autour des thèmes. Festif et joyeux, il peut
être qualifié d'assez difficile. Mais il est, dans l'ensemble, et même dans la
Cantilène, assez jubilatoire. L'ensemble est d'inspiration folklorique. SAXOPHONE
– HAUTBOIS Gilles
MARTIN : 3 bagatelles pour
saxophone en si bémol ou hautbois et piano. Troisième cycle. Sempre più : SP0134. Ces trois pièces pleines
de charme sont de caractère bien différent. La première va droit au but dans un
rythme obsédant. Le deuxième, commençant par un « Très calme »
lyrique, gagne peu à peu en dynamisme pour se terminer par un
« jazzy » plein de fougue. Enfin, la troisième, en forme de valse,
mettra à l'épreuve la vélocité de l'instrumentiste. Le langage est tonal mais
plein d'originalité. André
TELMAN : Le tourbillon infernal pour hautbois et piano (musique de
chambre). Troisième cycle. Lafitan : P.L.2945. Il est vraiment infernal,
ce tourbillon, tant pour le hautboïste que pour le pianiste. Mais une fois la
difficulté vaincue, il devrait aussi procurer beaucoup de plaisir. Ajoutons que
la fin cesse de tourbillonner pour se transformer en une jolie sicilienne qui
donne une note lyrique à cette pièce, finalement pas si diabolique qu'elle en a
l'air…
BASSON Pascal
CHARTON, Pascal SAINT-LÉGER : Pensée
à Monandre pour basson et piano.
Elémentaire. Lafitan : P.L.2960. Pensée à une seule
étamine ? Le titre peut paraître énigmatique. Peu importe : la pièce
est belle, variée, poétique. Trois parties s'enchainent. Dans la première, le
basson est nettement le soliste, même si le piano possède quand même sa part.
Une deuxième partie, plus modulante est également plus mouvementée. Dans une
troisième partie intervient le retour du thème primitif ainsi qu'un retour au
calme qui culmine sur un f. Tout cela fait de l'excellente et
bien agréable musique. SAXHORN
– EUPHONIUM – TUBA Olivier
KASPAR : Le prophète. Rhapsodie
pour tuba (ou saxhorn) et piano. Chanteloup-musique :
CMP008. L'auteur nous offre une
version avec accompagnement de piano d'une partie soliste extraite d'une commande
du diocèse de Créteil. Il s'agit d'un oratorio composé sur le récit biblique de
Jonas dans lequel se trouve une importante partie de tuba solo. C'est cette
partie que l'auteur a extraite pour tuba et orchestre puis tuba et piano.
L'ensemble, lyrique et contrasté, illustre parfaitement les combats intérieurs
et extérieurs menés par le prophète. PERCUSSIONS Thomas
Vandevenne : Les
claviers de percussion de deux à quatre. Volume 2. Dhalmann :
ISMN 9790560244457. Ce volume constitue la
deuxième partie de la méthode de l'auteur pour passer de deux à quatre
baguettes sur les claviers de percussion. Nous avons recensé le premier volume
dans notre lettre 68 de mars 2013. Nous avions écrit : « Il s'agit
d'une méthode très complète mettant non seulement en jeu la technique des
baguettes (de deux à quatre) mais toutes les notions solfègiques,
mélodiques, dynamiques et harmoniques qui en découlent. » La méthode est
maintenant complète. L'avant-propos et la « note aux élèves » n'ont
rien perdu de leur pertinence et la note aux élèves mérite d'être méditée par
tout apprenti musicien… ou musicien chevronné ! MUSIQUE
DE CHAMBRE Jean-Christophe
ROSAZ : Walking in the forest pour 2 hautbois et marimba. Delatour : DLT2209. De difficulté moyenne,
cette pièce est une commande du Conservatoire de Villejuif. Le caractère
agreste tient bien entendu non seulement au style de l'œuvre mais aux timbres
spécifiques des instruments utilisés. Joyeusement atonale, cette marche en
forêt devrait faire de nombreux adeptes. Paul
STERNE : Rêves sélènes pour violoncelle et contrebasse. Delatour : DLT2496. Trois rêves au clair de
lune nous sont proposés : « Brumes », « Feux
follets », « Cortège au clair de lune ». On sait combien il est
difficile d'écrire pour les « basses » seules. L'auteur y réussit
parfaitement, créant des ambiances changeantes et poétiques. De moyenne
difficulté, l'ensemble est plein d'un charme qui demandera, pour s'épanouir,
une grande maîtrise par les instrumentistes des modes de jeux divers mis en
œuvre pour créer cette atmosphère. Daniel
Blackstone.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Hugues DUFOURT : La musique spectrale. Une révolution
épistémologique. Sampzon, DELATOUR FRANCE
(www.editions-delatour.com), 2014, DLT2348, 485 p. - 17 €. Depuis la fin du
XIXe siècle, la musicologie — au départ, science historique, musicale et
littéraire — s'est rapidement orientée au siècle suivant vers l'esthétique,
l'ethnologie, la sociologie, la politique, puis la théorie de la réception, les
recherches sur la perception ; au gré des progrès technologiques et grâce
à l'informatique : elle est devenue pluridisciplinaire. La pensée musicale
a évolué vers l'interdisciplinarité enrichie des apports sémantiques,
sémiologiques et épistémologiques. Progressivement, le clivage entre Sciences
humaines et Sciences exactes s'est estompé. Vers 1970, la psychologie
cognitive, la physiologie sensorielle et la psychophysique ont convergé — d'un
avant-gardisme à un autre — vers de nouvelles conceptions philosophiques
auxquelles s'ajoute la miniaturisation des approches techniques du domaine
sonore. Hugues Dufourt,
pianiste et compositeur, également Agrégé de Philosophie, chercheur au CNRS,
est l'un des responsables de l'Ensemble Itinéraire. Auteur de nombreux écrits
théoriques sur la musique, il s'affirme comme le meilleur représentant français
du courant spectral traduisant la révolution épistémologique. Pour la Musique spectrale : « Le temps
musical n'est pas une progression cumulative ni le milieu vide d'une succession
de péripéties, le temps est la forme d'un processus. Ainsi la musique spectrale
est-elle l'art d'un devenir nécessaire, novateur, tendu vers l'accomplissement
d'une fin » (dernière de couverture). Refusant l'esthétique néo-sérielle
trop restrictive, le spectralisme s'intéresse à la microtonalité pratiquée dans les années 1980, entre autres,
par Tristan Murail, Gérard Grisey, Michaël Lévinas et, bien entendu, Hugues Dufourt. Dans son projet
esthétique, cette réflexion collective privilégie l'ambivalence et la
coexistence des contrastes ; préconise une « musique de catégories
mitoyennes et d'objets hybrides », la modélisation acoustique favorisant
l'exploitation de sons réels et de sons inouïs ; elle associe
« harmonicité » et « inharmonicité »,
hauteur et bruit. L'ordinateur, outil d'aide à la composition, permet de
modéliser les structures musicales. Comme le précise
Hugues Dufourt dans sa Préface, la
musique spectrale « représente essentiellement un changement dans nos
modes de penser la musique… ». Elle est « l'exploration des transitions
continues entre des domaines traditionnellement hétérogènes ; elle crée
des mixtes et s'emploie à franchir des seuils de la perception… » (cf. p. 15-16). Résultat de vingt ans
d'expérience et de recherche, cet ouvrage, engendrant un changement dans notre
mode de penser la musique et son écriture, élargit la coopération
interdisciplinaire allant jusqu'à la neurophysiologie, à la psychophysique, la
psychologie expérimentale et la simulation informatique qui, selon l'auteur, «
forment le socle épistémologique de la musique de la seconde moitié du XXe
siècle » (p. 49). Édith Weber. Hugues DUFOURT : Musique, Pouvoir, Écriture. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2014, DLT2336, 417 p. - 25 €. Hugues Dufourt,
philosophe et compositeur, pose, dans ce second livre, la question
fondamentale : « Faut-il, pour expliquer la musique de notre siècle,
suivre le pessimisme apocalyptique d'Adorno pour qui le formalisme n'est qu'une
réaction autodestructive devant les diktats de la société de masse ?
Faut-il, à l'inverse, s'en tenir aux seules nécessités internes de la modernité
musicale ? ». Il « refuse de s'enfermer dans ce dilemme et tente
de montrer que, se greffant sur les données sociales intellectuelles
scientifiques et techniques du monde moderne, la création musicale au XXe
siècle agit comme le révélateur permanent des équilibres et des contradictions
qui définissent l'unité et les buts d'une civilisation » (cf. dernière de couverture). Compte tenu des
changements méthodologiques et des progrès de la technologie informatique, le
dénominateur commun concerne les rapports de la recherche et de la création.
L'auteur affirme qu'il « reste convaincu qu'une création authentique ne
peut plus être aujourd'hui une aventure solitaire et qu'elle présuppose le
soutien institutionnel de la recherche musicale » et il « revendique pour
tous les créateurs le droit à l'innovation qui, à mes [ses] yeux, fait partie
intégrante de la lutte sans fin — mais non sans issue — pour la démocratie
politique ». Après avoir fait allusion à « l'esprit du
nihilisme », Hugues Dufourt propose une histoire sociale de la musique à
travers Schönberg, Varèse… Il offre une « autopsie de l'Avant-Garde Art et société : la fin d'un clivage »
(chapitre 4) et présente Boulez en tant que « musicien de l'ère
industrielle ». La deuxième partie aborde la recherche et la création dans
la musique occidentale sous l'angle de l'artifice et de l'écriture. Enfin, la
troisième partie traite la logique du matériau (hauteur, timbre, espace,
musique spectrale, dialectique du « son usiné », rationalité et
contrainte de la production sonore). L'ouvrage contient
de nombreuses références bibliographiques (françaises et anglaises) entre
autres à Friedrich Nietzsche, Henri Bergson, Paul Valéry, Theodor
W. Adorno, T. S. Eliot, Erwin Panovsky, Jean-Claude Risset, avec des précisions sur l'origine des textes réunis
et un imposant Index (p. 405-417)
qui, à lui seul, témoignerait déjà de l'importance de la démarche plaçant ces
réflexions dans les contextes de l'histoire et de la société, à partir de « sa
propre pratique et celle des autres ».
Hugues Dufourt a le mérite de susciter de nombreuses réflexions sur la
musique de la fin du XXe siècle. Cette publication occupera une place de choix
dans la Collection « Musique et Philosophie » confrontant à la fois
les philosophes, les compositeurs et les musicologues. Édith Weber. Philippe Malhaire
(éd. et dir. ) : Émile
GOUE, chaînon manquant de la musique française. 1Vol
L 'Harmattan, collection L'Univers musical, 2014, 267 p, 28 € Destin singulier que celui d'Émile Goué (1904-1946), qui malgré leur caractère restreint, une
cinquantaine, a laissé des compositions aussi intéressantes que le sont ses
écrits théoriques. Formé auprès de Charles Koechlin,
il développe vite une esthétique très personnelle, qui en fait un des
compositeurs les plus prometteurs de sa génération. Mobilisé au seuil de la
Seconde Guerre mondiale, il est fait prisonnier dans un camp du nord de l'Allemagne.
Sa longue captivité, de juillet 1940 à mai 1945, n'entamera pas son élan
créateur, le contraignant à une écriture plus dense. L'ouvrage comporte deux
parties. D'une part, les « Carnets de captivité », renseignés par le
musicien de 1943 à 1945, et inédits. D'autre part, les actes du colloque
« Le chaînon manquant de la musique française », organisé en mai
2013, à la Sorbonne. Ces deux types de textes se complètent et permettent de
comprendre l'esthétique musicale indissociable de l'homme : « avant tout
un sensible, un lyrique... cartésien dont l'art ne s'abandonne pas à la
fantaisie de l'improvisation », dira Koechlin.
Fondée sur l'affirmation de la tonalité, mais dans une conception élargie
jusqu'à la polymodalité, et sur une prédilection pour l'écriture
contrapuntique, elle prône le monothématisme ou l'art
du « thème générateur », qui appelle « le dépouillement, la
nudité, l'austérité » et qu'il ne faut pas confondre avec le caractère
cyclique immortalisé par Franck. Pour Goué, «
l'œuvre d'art doit avoir une signification humaine », répondant à l'idée
fondamentale de musique seulement guidée par la « nécessité
intérieure » car « l'art a pour mission d'aider l'homme à vivre,
c'est à dire à accomplir son destin ». La seconde partie s'ouvre par l'appréciation
d'un fin connaisseur de l'univers de Goué, le
chanteur et théoricien Damien Top qui décrit l'horizon mirifique du compositeur
et rappelle que « les interrogations d'Émile Goué
rejoignent celles de Georges Bataille, Michel Leiris ou Roger Caillois sur la
nature de la société humaine et la notion de sacré » et souligne combien
le compositeur s'intègre dans l'évolution du langage musical du XX ème siècle. Des analyses perspicaces de son œuvre religieux
(Catherine Massip), de sa musique de chambre vocale
(Anthony Girard, qui remarque combien « l'ambivalence entre la tristesse
et la joie » est un aspect essentiel de l'esthétique du musicien), et de
l'œuvre pianistique (Diane Andersen) préludent à une étude détaillée de
certaines de celles-ci, telles que Prélude, Choral et Fugue (1943) et Prélude,
Aria et Final (1944). Fruits d'une immense admiration pour le Cantor, ces
pièces puisent aussi à l'héritage franckiste, même si l'écriture « est
complexe autant qu'inattendue » (Philippe Malhaire).
Il en est aussi des pièces pour clavier intitulées « Purgatoires »,
et du Troisième Quatuor à cordes (analysé par Philippe Gonin), quintessence de
sa pensée. Le livre présente encore dans ses annexes des entretiens, notamment
avec Philippe Gordien, son compagnon de captivité, qui décrit un homme modeste
et note la séduction qui émanait de son regard, ou avec son fils Bernard Goué (*1934), ainsi qu'une liste exhaustive des œuvres d'Émile
Goué, elle aussi inédite. Jean-Pierre Robert. REVUES Raymond LAPIE : Jules Demersseman
(1833-1866). La vie et l'œuvre, Tempo
Flûte. Revue de l'Association d'histoire de la flûte française. Deux
figures du XIXe siècle, Volume I, (www.tempoflute.com ), 2014,
64 p. (Abonnement un an : membre actif France 16 €, étranger 20 €). Le Volume I (n°
spécial) de la Revue Tempo flûte,
organe de l'Association d'Histoire de la Flûte Française (fondée en 2009), rend
hommage à Jules Demersseman (1833-1866) ayant vécu à
l'époque des bouleversements techniques, notamment de Theobald
Böhm (cf. ci-dessous) et du lancement
des saxophones par Adolf Sax (1814-1894), qui ont entraîné de nombreux
changements dans le domaine de l'organologie, de la technique et de la
virtuosité instrumentales. Raymond Lapie retrace la brève
carrière de Jules Demersseman, évoque sa formation
musicale au Conservatoire de Paris : flûte, solfège, harmonie, contrepoint
et fugue. En 1858, il est flûte solo des Concerts du Casino (orchestre fondé et
dirigé par Jean-Baptiste Arban). Il occupera le même
poste aux Concerts des Champs-Élysées. En outre, il pratiquera le piccolo à la
Garde Nationale, et entreprendra de nombreuses tournées. Il est également un
compositeur prolifique, mais sa carrière s'est avérée éphémère. Toutefois,
certaines de ses œuvres ont été programmées aux Concerts Pasdeloup et aux
Concerts des Champs-Élysées. Il a composé pour harmonie ou fanfare et pour les
Concours du Conservatoire. Il s'intéresse aussi à la musique de chambre avec
cuivres ainsi qu'aux œuvres pour voix et vents. Il meurt, le 1er décembre 1866.
Ce cahier traite encore « la transmission de l'héritage musical »,
évoque les interprètes après 1871 et propose un aperçu du répertoire. Il
contient également l'imposant Catalogue
de son œuvre (p. 39-45). Des Annexes
accompagnées de brèves notices signalent ses partenaires instrumentistes, ses
dédicataires ainsi que les œuvres données lors des examens du Conservatoire de
Paris. Étayé d'illustrations (portraits, manuscrits), d'exemples musicaux, ce
numéro spécial représente une introduction inédite à la vie et à l'œuvre de
Jules Demersseman. Édith Weber. Pascal GRESSET : Theobald BÖHM (1794-1881). Les compositions et arrangements, Tempo Flûte. Revue
de l'Association d'histoire de la flûte française. Deux figures du XIXe siècle,
Volume II, (www.tempoflute.com ), 2014, 84 p. (Abonnement un an : membre actif France 16 €,
étranger 20 €). Le second numéro
spécial de la même Revue présente Theobald Böhm
(1794-1881) — généralement plus connu que Jules Demersseman
— car, à la fois flûtiste, compositeur, facteur et acousticien, il a repensé le
principe de la flûte et mis au point un nouveau système facilitant sa justesse.
Pascal Gresset évoque l'interprète, le compositeur, l'adaptateur et surtout le
soliste ; retrace sa vie : naissance à Munich en 1794 ; en
1810 : cours auprès de Johann Nepomuk Kapeller ; de 1830 à 1848 : première flûte à
l'Orchestre de la Cour de Bavière. Il est alors considéré comme l'un des
meilleurs virtuoses de son temps. En 1810, il avait déjà fabriqué son premier
instrument qui sera inauguré en public, le 1er novembre 1832 à Munich et, après
des perfectionnements complémentaires, fera l'objet d'un brevet. Sa carrière
est ensuite située par rapport aux premières décennies du XIXe siècle. Le
« beau son » de l'instrument est remarqué dans les salles de concert
et au théâtre. Comme le souligne l'auteur : « Parmi les flûtistes
compositeurs, Theobald Böhm possède une spécificité.
Il ne s'adresse pas aux autres instruments, privilégiant le sien — la flûte
demeure même, après 1832, le seul instrument équipé du système Böhm auquel il
dédie des compositions ou arrangements… ». Après un relevé des
« arrangements » (de 1827 jusqu'après 1858), la Comparaison très
précise des Études opus 19a et 19b,
la conclusion Jouer Böhm aujourd'hui (au XXIe siècle) sera particulièrement
appréciée des enseignants et des interprètes, de même que l'imposant Catalogue établi par Ludwig Böhm (p. 62-69), le précieux Index thématique des compositions de Böhm (36 opus), ainsi que
l'abondante Discographie et la Bibliographie sélective en plusieurs
langues. Voici donc une indispensable Défense
et illustration de l'apport organologique et compositionnel de Theobald Böhm. Édith Weber. ***
CDs et DVDs
Jean Sébastien BACH : Sinfonie & Concerti. Ensemble
Baroque Atlantique, dir. Guillaume Rebinguet Sudre. 1CD ENCELADE (www.encelade.net): ECL1302. TT : 55' 46. Le Concerto de J. S. Bach pour 2 violons en Sol Majeur,
reconstitué d'après la Sonate pour orgue (BWV 530), en 3 mouvements : Vivace-Lente-Allegro, est interprété par
Guillaume Rebinguet Sudre (violon Christian Rault (2009) d'après Montagnana,
Venise, v. 1720) et Diana Lee (violon appartenant à l'école italienne de la
même époque) ainsi que par Magalie Boyer (violoncelle Marco Salerno (2006)
d'après un Stradivarius, Crémone, v. 1700) : il s'agit donc, d'une part
d'instruments historiques en conformité avec la facture italienne ancienne, et
d'autre part de l'arrangement d'une œuvre initialement prévue pour orgue. Les
cordes font preuve de précision et de virtuosité, mais les auditeurs seront
peut-être surpris par ces sonorités ; il en sera de même pour le Concerto pour 3 violons en Do Majeur d'après le Concerto pour 3 clavecins (BWV 1064), en 3 mouvements : Allegro-Adagio-Allegro, interprété par
Guillaume Rebinguet Sudre, Alix Boisvert (violon de
Jean Nicolas Lambert, Paris, 1760) et Simon Pierre (violon Antoine Nicolas Mircourt, même époque). Les mouvements rapides sont bien
enlevés, et le mouvement lent respecte le caractère méditatif voulu par le
compositeur. Cet enregistrement comporte également la Sarabande extraite de la
Suite pour clavier en mi mineur (BWV 996) interprétée par Jean-Luc Ho (clavecin
de facture allemande, v. 1730), l'Adagio
assai de la Sinfonie (introduisant les Cantates BWV 4 et 12) et l'Andante
de la Sinfonia (BWV 196), proches des intentions de J.
S. Bach. L'Ensemble Baroque Atlantique, dirigé par Guillaume Rebinguet Sudre, interprète, en outre, avec son chef en
soliste le Concerto bien connu pour violon (BWV 1041), de structure classique en 3
mouvements. Ici : les discophiles se retrouveront en pays de connaissance.
Quoi qu'il en soit, la qualité de l'interprétation, vivante et spontanée, est
indéniable et, comme le précise Guillaume Rebinguet
Sudre : « Se glisser dans la peau du compositeur
interprète permet d'entrer dans l'intimité de l'œuvre… et l'on renoue ainsi
avec l'essence créative d'une musique du passé ». L'objectif valait la
peine d'être lancé : réalisation originale au service d'une autre expérience d'écoute. Édith Weber. « Les plus belles œuvres pour orgue ». Marie-Ange Leurent,
Éric Lebrun, orgue. 2CDs MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com). TT : 66'16+ 67'34. Ces deux CD sont
interprétés en alternance par Marie-Ange Leurent
(élève de Gaston Litaize, Premier Prix d'Orgue dans
la classe de Michel Chapuis, titulaire du Grand Orgue de Notre-Dame de Lorette
à Paris et Professeur formation musicale au CNSM de Paris) et par Éric Lebrun
(élève de Gaston Litaize, Michel Chapuis et Daniel
Roth, entre autres, et, depuis 1990, titulaire du Grand Orgue Cavaillé-Coll de
l'Église Saint-Antoine des Quinze-Vingts). Bien connu
de nos lecteurs, le duo, qui a enregistré (sous le même label) l'œuvre d'orgue
de W. A. Mozart, vient de sélectionner une remarquable Anthologie totalisant
près de 2 h. 15' de musique, avec 33 œuvres allant du XVIe au XXIe siècle, en
passant par des chansons anglaises, italiennes
et françaises de la Renaissance ; des pages de Francisco Correa de Arauxo (Tiento de septimo), Girolamo
Frescobaldi, Jan Pieterszoon Sweelinck, Dietrich
Buxtehude (Fugue), Claude Balbastre (Noël) ;
et, plus proches de nous, Eugène Gigout (Toccata), Gabriel Pierné (Prélude), Louis Vierne (Carillon de Westminster), Jehan
Alain (Litanies), Maurice Duruflé (Choral
varié sur le Veni
Creator), Jean Langlais (Chant de paix), Olivier Messiaen (Apparition de l'Église éternelle), entre autres, et également :
L'Annonciation (extraite des Cinq Mystères joyeux) composée par Éric
Lebrun en 2006. Des Préludes de choral
luthérien pour orgue de J. S. Bach (mais aussi de Johann Pachelbel, Georg
Böhm, Johannes Brahms) tiennent aussi une place importante, ainsi que sa Toccata et Fugue en ré mineur. L'exceptionnelle sélection de cette
Anthologie est incontestablement de nature à combler de nombreux discophiles et
les amateurs d'orgue. Édith Weber. Félix MENDELSSOHN : « Des
Préludes et Fugues… romantiques ! ».
Isabelle Sebah,
orgue. 1CD CHANTELOUP-MUSIQUE (www.chanteloup-musique.org ): CMCD003. TT : 50' 42. Isabelle Sebah, l'organiste bien connue du Temple Réformé de Pentemont (à Paris) — diplômée, entre autres, des
Conservatoires de Marseille et du CNSM de Paris, soliste et conférencière
internationale — a, autour du titre exclamatif, regroupé sept œuvres de Félix
Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) qu'elle interprète en connaissance de cause,
à « son » orgue Aristide Cavaillé-Coll (1836, reconstruit en 2014 par
la Manufacture d'orgue Yves Fossaert et l'Atelier
Pellerin & Fils) et comprenant 3 claviers : Grand Orgue, Grand
Chœur, Récit expressif et pédale. En vraie pédagogue et musicologue, elle
rappelle qu'« une fugue est une forme d'écriture musicale qui permet une
grande inventivité au compositeur au sein d'un cadre très contraint. Plusieurs
mélodies (des « voix ») seront entendues simultanément en
permanence » et qu'« une seule mélodie initiale (le sujet), jouée seule
au départ, va engendrer toutes les voix, par superposition, décalage ou…
entrelacement de contre-sujets » ; elle compare la fugue à une
« grande tautologie ». Elle justifie son choix de Mendelssohn et de
l'adjectif « romantiques » parce que « le romantisme en musique, d'écriture davantage harmonique donc verticale, apparaît justement au
tournant du XIXe siècle, notamment avec Mendelssohn, abandonnant le contrepoint
pur et dur ». Cette remarquable réalisation intervient juste après la
restauration du nouvel Orgue de Pentemont,
particulièrement propice à la registration d'œuvres romantiques, permettant
aussi de recréer l'émotion dans le sillage de Jean Sébastien Bach. Elle
interprète deux Prélude et Fugue
respectivement en mi mineur et Ré Majeur (op. 35, nos 1 et 2) composés
pour piano, alors que les trois de l'opus 37, en do mineur, Sol Majeur et ré mineur ont été pensés pour orgue.
Depuis 2014, l'instrument a gagné en couleurs, et sa titulaire exploite
largement et à bon escient ses nouvelles possibilités de registration. Isabelle
Sebah met toute sa virtuosité et sa belle musicalité
au service de Mendelssohn. Enfin, — pour démontrer combien, par rapport à
l'ancien, l'instrument restauré a gagné en caractère orchestral — l'excellente
organiste rejoue sur le tutti la Fugue
op. 37 n°3 et en propose une version
de référence, massive, avec une puissante pédale, un solide sens de la
construction et une grande sûreté d'attaque aux claviers. Cette sélection
mendelssohnienne, certes romantique mais non sans rappeler l'influence du
Cantor de Leipzig, est conforme au titre : Des préludes et Fugues romantiques. Édith Weber. « Jeu d'orgues à
Nice ». Olivier Salandini, orgue. 1CD CHANTELOUP-MUSIQUE (www.chanteloup-musique.org ): CMCD004. TT : 59' 40. La démarche de
cette réalisation discographique du Label CHANTELOUP-MUSIQUE, toujours à
l'affût de projets inédits, est particulièrement originale. En effet, en
fonction de son programme si varié, Olivier Salandini
exploite les cinq orgues de l'Église Saint-Paul de Pessicart
à Nice : 1. l'orgue de tribune K. Schwenkedel (1964),
X. Silbermann (1988) Fr. Delangue
(2012) ; 2. l'orgue positif Förster
& Nicolaus ; 3. l'orgue
(facteur inconnu) de style napolitain (1840) ; 4. l'orgue
de chœur K. Schwenkedel (1964) ; 5. l'Orgue Mutin-Cavaillé-Coll (1904). Élève de René Saorgin (Nice), Bob van Asperen
(Amsterdam) et Reizte Smits
(Utrecht), Olivier Salandini est soliste et « continuiste » lors de nombreux concerts en France et à
l'étranger. Professeur de clavecin, de basse continue et d'orgue, il est
également l'organiste titulaire des Grandes Orgues de la Cathédrale de Bourges.
Son programme, particulièrement éclectique, comprend notamment un Fredon sur la Romanesque, l'Almande (sic) de La nonette et Almande (sic) de Brun Smeedelyn,
extraits du Manuscrit de Suzanne van Soldt (avec,
entre autres, des arrangements de chansons profanes et de danses se rattachant
à la tradition musicale hollandaise), conservé à la British Library. Ces pages
sont rarement interprétées, alors que la Toccata
per l'Elevazione de Girolamo Frescobaldi, le Prélude en sol mineur de Dietrich
Buxtehude ou encore la Toccata en si mineur d'Eugène Gigout figurent généralement au
répertoire de nombreux organistes. Des œuvres de Louis Vierne, Théodore Dubois
et Gabriel Pierné sont plus ou moins à découvrir. L'école d'orgue allemande est
représentée par J. S. Bach, avec son Prélude
et Fugue en Sol Majeur (BWV 541) et le célèbre Choral pour la
communion : Schmücke dich, o liebe Seele, interprété à
l'orgue de tribune du facteur strasbourgeois Kurt Schwenkedel,
convenant parfaitement à l'atmosphère méditative requise. Ce récital se termine
en force, au Grand Orgue de tribune, avec le Prélude op. 7 et la Fugue op.
35 en mineur de Felix Mendelssohn, œuvre
particulièrement développée, nécessitant un solide sens de la structure et une
registration de caractère assez romantique. Cette réalisation est tout à
l'honneur du jeune Label familial CHANTELOUP-MUSIQUE, lancé
en 2013. Édith Weber. « Flûte
de Pan et Orgue. Trésors de la musique ancienne et baroque ». Philippe Emmanuel Haas, flûte de pan,
Dominique Aubert, orgue. 1CD MONTHABOR.
MUSIC (www.monthabor.com). TT : 62' 49. Nos lecteurs connaissent
bien le duo formé par Philippe Husser, flûte de
pan, et Pierre Cambourian, orgue (cf. NL
d'octobre 2014 et de janvier 2015). Également en 2014, le Label MONTHABOR
présente un autre duo français : Philippe Emmanuel Haas (flûte de Pan) et
Dominique Aubert (Orgue), accompagnateur et soliste. Comme le précise le texte
d'accompagnement : Le Duo
« Flûte de Pan et Orgue » fut constitué en 2009 à la suite de
la rencontre entre Philippe Emmanuel Haas
et Dominique Aubert, lors d'un concert organisé par l'association
des Amis des Orgues de Saint-Pierre de Chennevières.
Enregistré en l'Église Saint-Sulpice de Pierrefonds
(Oise), ce CD propose un programme éclectique, avec des arrangements de
compositeurs provenant d'Allemagne, d'Italie, d'Angleterre et de France.
D'Outre-Rhin : Suite de Danses
de Michael Praetorius (1571-1621) et Marches,
Danses, Airs de Georg Friedrich
Haendel ; de l'autre côté des Alpes : une Sonate de Benedetto Marcello (1686-1739) ; d'Outre-Manche : Airs
de John Dowland (1562-1626), Sonate en Ré
Majeur de Henry Purcell (1659-1695), Trumpet Voluntary de Jeremiah Clarke
(1686-1707). La France est largement représentée par le Premier Caprice de Villers-Cotterets de
Michel Richard Delalande (1657-1726), la Première
Suite de Fanfares de Jean Joseph Mouret (1682-1738) et des extraits des Six Duos galants d'Esprit Philippe Chédeville (1696-1762). La diversité des formes (fanfare,
danse, marche, sonate, air d'Opéra), des styles et des provenances des
compositeurs ayant vécu entre le XVIe et le XVIIIe siècle, retiendra
l'attention des discophiles. À la plage 30 (extrait de Judas Maccabeus de Haendel), les
mélomanes reconnaîtront facilement la mélodie véhiculant le cantique œcuménique
bien connu : A toi la gloire, ô
Ressuscité (Thine be the Glory). Ce remarquable duo s'impose par ses attaques
franches et énergiques, les effets d'échos, les tempi justes, son souci de l'expressivité et son sens du coloris
particulièrement mis en valeur. Ils ont signé un programme baroque
particulièrement intéressant. Édith Weber. « Eclectic
and Singing Oboe ». Guido Toschi Misiani, hautbois. Claudia Bracco,
piano. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1443. TT : 61' 19. Ce disque met en
valeur les nombreuses possibilités des timbres chantants du hautbois. Il
s'ouvre aux accents de la Sonate en sol
mineur attribuée à J. S. Bach (BWV 1020) mais, en fait, composée pour flûte
par son fils, Carl Philipp Emanuel (1714-1788).
Dans le premier mouvement très allant, pour hautbois, violoncelle et clavecin,
le sujet initial est énoncé par le clavecin, puis repris par le hautbois ;
le deuxième mouvement Adagio est plus
méditatif, avec une mélodie légèrement ornée. Dans l'Allegro conclusif bien enlevé, la mélodie plane sur un accompagnement
discret, et Guido Toschi Misiani
(hautbois) se joue de toutes les difficultés techniques ; son phrasé
s'impose par sa précision. Il fait preuve des mêmes qualités dans son
interprétation de la Sonate KV13 en Fa Majeur de Wolfgang Amadé Mozart pour hautbois et clavecin. Enrichie de
quelques ornements ajoutés, elle est structurée en trois mouvements : Allegro, Andante plus développé et Menuetto. Pour les Variations
en Do Majeur de Gioachino Rossini (1792-1868), en
parfaite adéquation avec le registre du hautbois, l'interprète a aussi ajouté
quelques ornements et une cadence. Michael Balfe
(1808-1870), compositeur irlandais, également violoniste, chanteur et chef, a
dédicacé cet Air à la chanteuse Maria
Felicia Garcia, alias « la Malibran »
(1808-1836), qui avait fait ses débuts à Londres. Comme le rappelle Guido Toschi Misiani, la tessiture du
hautbois correspond à celle de la voix de soprano ; cet arrangement est
tout à fait conforme à l'esprit d'un air vocal très bien rendu au hautbois qui
plane au-dessus de l'accompagnement rythmique du piano. Après cette œuvre de
facture classique, figurent deux Fantaisies
arrangées par Luigi Bassi (1833-1871) pour hautbois et clarinette en do, extraites de Robert le Diable et d'Un bal
masqué, enfin, pour conclure, hautbois
et piano (Claudia Bracco) interprètent Mosaïque, page extraite de La Traviata de Giuseppe Verdi. Voici un
programme peut-être inattendu pour hautbois, mais en tout cas révélateur de la
riche palette expressive de cet instrument aux sonorités rondes et chaudes et
au charme irrésistible. Édith Weber. Jean Sébastien BACH : « Comme un air de Passions ». Bogdan Nesterenko, accordéon. Juliette de Massy, soprano. 1CD AR RE-SE (www.arre-se.com ) : AR2013-3. TT : 66' 35. Voici une
réalisation discographique qui, en raison du choix de l'accordéon (instrument
du XIXe siècle), pourrait surprendre certains, et même Jean Sébastien Bach.
L'ukrainien Bogdan Nesterenko a été formé notamment
au Conservatoire Supérieur de Musique de Kharkov (Ukraine) dans les disciplines
suivantes : accordéon, direction d'orchestre, analyse, écriture, musique
de chambre ; depuis 2001, il est soliste à la Philharmonie Régionale de
cette ville. En 2006, installé à Lille, il se produit lors de récitals en
France et à l'étranger. Cet accordéoniste de concert « pas comme les
autres » s'intéresse surtout à la musique baroque, mais aussi à la musique
contemporaine. Il sait mettre en valeur la richesse des timbres et exploite les
larges possibilités expressives de l'instrument. Avec la Soprano Juliette de
Massy — diplômée du CRR de Lille et de la Guildhall School
of Music de Londres, entre autres spécialisée dans le répertoire baroque —, ils
partagent la même passion pour l'œuvre de J. S. Bach. Les sonorités de
l'accordéon, quelque peu apparentées à celles de l'orgue, ne choquent pas
vraiment au premier abord. En parfaite connivence et avec un grand
enthousiasme, ils restituent dix Airs extraits
de Cantates et de Passions, par exemple : Komm, komm, mein Herz steht
dir offen (Cantate BWV 74), Ich folge dir gleichfalls (Passion
selon Saint Jean, n°9) et Aus Liebe will mein
Heiland sterben (Passion selon Saint Matthieu, n°49), si
émouvant. En raison du paysage sonore apparenté, les puristes pourraient accepter
la version pour accordéon de la Toccata
et Fugue en ré mineur (BWV 565). Il en est de même du Prélude et Fugue en la mineur (BWV 543).
Une tentative : Bach à l'accordéon, pourquoi pas ? Édith Weber. « Proverbes en
musique ». Petits Chanteurs
de Notre-Dame de Lorette. 1CD CHANTELOUP-MUSIQUE
(www.chanteloup-musique.org ). TT : 38' 33. Ce disque
pédagogique pour enfants résulte de la collaboration entre orthophonistes et
musiciens professionnels. Marie-Christine Sanlaville
et Hélène Salinc en justifient ainsi la démarche :
« Les enfants connaissent de moins en moins les proverbes, qui
appartiennent pourtant à notre patrimoine
culturel. Rien de tel que le chant pour découvrir ces proverbes et mémoriser
des expressions imagées. » Le livret est téléchargeable et les partitions
sont disponibles sur le site du Label. Il regroupe 21 proverbes, dont : Tous les goûts sont dans la nature ;
Tous les chemins mènent à Rome ;
Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais
pas qu'on te fît ; L'union fait
la force… Cette initiative, placée sous l'adage « Les mots font des
chants », favorise la lecture, la connaissance littéraire et sollicite la
mémoire auditive, grâce à ces chansons sur des mélodies et des rythmes simples,
faciles à retenir. Les voix fraîches et spontanées des enfants (de 5 à 12 ans,
en soliste ou à l'unisson) sont accompagnées, tour à tour, par des cordes —
dont la justesse laisse parfois à désirer —, des percussions (triangle,
tambour…), mais aussi, occasionnellement, par le piano, la clarinette, la flûte
à bec, la flûte traversière… Tout le mérite en revient non seulement aux Petits
Chanteurs de Notre-Dame de Lorette et aux instrumentistes, mais encore à la
musique et aux arrangements de Marie-Ange Leurent,
ainsi qu'à l'orchestration d'Éric Lebrun. Intéressante réalisation didactique à
l'actif du Label Chanteloup-Musique. Édith Weber. Franz LISZT : Études
d'exécution transcendante, S. 139. Mariangela Vacatello, piano. 1CD
Brillant Classics : 94250. TT.: L'impression
foudroyante produite sur le public parisien par les trois récents concerts de
la jeune pianiste Mariangela Vacatello, à l'Institut Culturel Italien de
Paris - qui
sous l'impulsion de Marina Valensise, pratique une
politique culturelle d'une richesse, d'une étendue et d'une diversité
actuellement sans équivalents dans la capitale - ne
fait qu'entériner la réputation internationale de cette artiste accomplie, dont
la virtuosité technique sert avec la même efficacité l'éloquence expressive et l'effusion
lyrique. C'est à Castellammare di Stabia,
dans la belle région de Campanie, qu'a vu le jour cette fille de musiciens
accomplis, si bien initiée à l'instrument dès l'âge de quatre ans qu'elle sera
en mesure de jouer, dix ans plus tard, le premier concerto de Liszt en
concert ! De l'évidence de ses dons et du caractère brillant de sa
formation, innombrables sont les prestigieuses récompenses qui portent
témoignage. Qu'il suffise ici de citer ses deuxièmes prix aux concours
internationaux Franz Liszt d'Utrecht (1999) et Ferruccio
Busoni de Bolzano (2005), ses triomphes au Premio Venezia (2000) et au Concours Top of the World de Tromso
(2009) ou encore sa glorieuse distinction au Concours Reine Elisabeth de
Bruxelles (2007). Encore ne s'agit-il ici que d'une liste sélective dont
l'unique intérêt est la mise en exergue de la diversité des jurys – et des
publics – séduits par un si beau talent, à Milan comme à Paris, à Berlin comme
à Bruxelles, à Londres comme à New York, à Vancouver comme à Shanghai… Aussi à
l'aise dans la solitude de l'estrade de concert qu'affrontée aux plus grands
orchestres de notre temps, Mariangela Vacatello excelle également dans le domaine si particulier
de la musique de chambre, manifestant enfin une curiosité musicale qui, attestée
par la variété et l'éclectisme de ses programmes, la conduit à préparer
actuellement l'enregistrement de l'œuvre pianistique du grand compositeur
argentin, Alberto Ginastera (1916-1983).
Pour ceux qui
n'ont pas eu l'heur de l'entendre en concert (encore qu'en la matière Youtube forme un substitut non négligeable), deux
enregistrements récents sont impérativement à signaler, consacrés respectivement à Liszt et à Debussy. Dans le premier, qui réunit les
12 redoutables Études d'exécution
transcendante du génie hongrois, la
première – et heureuse – surprise vient de la dramatisation délibérée du
discours musical. Aux antipodes de ces simagrées de saltimbanque que Liszt
abhorrait avec raison, c'est tout un univers, chaotique mais supérieurement
ordonné, souvent obscur mais traversé de prodigieuses lumières, qui se fait
jour. Rarement la rigoureuse modernité de Liszt aura si bien été mise en
valeur ; peut-être d'ailleurs pour cette raison que Mariangela
Vacatello habite de façon quasiment physique les
partitions placées sur le pupitre de son piano. Liszt eût aimé une telle
attitude ! En un temps où la virtuosité n'étonne
plus personne (même si, ici, elle pourrait encore éblouir !), c'est avant
tout la transcription des joies et des tourments de l'artiste que guette le
mélomane. Et pour qui se rappelle la dévotion du grand compositeur pour "la
brune Italie", il n'est finalement guère étonnant
qu'il revienne à une artiste napolitaine de faire chanter comme personne ces Études
d'exécution transcendantes, dont la latitude expressive est antinomique des
acrobaties auxquelles trop d'interprètes ont, trop longtemps, sacrifié. Gérard Denizeau. Claude DEBUSSY
: Études. Estampes. Deux Arabesques. L'Isle
joyeuse. Mariangela Vacatello,
piano. 1CD Brillant Classics : 94371. TT.: Le second
enregistrement de Mariangela Vacatello
est consacré à Claude Debussy : les 12 Études,
Estampes, Deux Arabesques et L'Isle
joyeuse y sont interprétées avec une liberté et une inventivité confondantes. Les (trop) rares enregistrements de Claude Debussy qui
nous sont parvenus attestent que, chez lui, le pianiste fut loin de se hisser
au niveau du compositeur, ce qui, d'ailleurs, eût été singulier au regard de la
profondeur de son génie purement musical. Une fois ce point admis, il faut bien
convenir que ses enregistrements sonnent moins comme une leçon à méditer que
comme un appel à la postérité, seule habilitée à recevoir et à transmettre son
message prophétique. Or jamais, pas même chez Pludermacher
ou Chaplin, ne m'avait tant frappé la certitude que le miracle de la
transmission s'était enfin produit. Sous les doigts de Mariangela
Vacatello, c'est de la première à la dernière note
que le paradoxe debussyste de la délicatesse vigoureuse nuance tout l'émouvant
récit de « l'histoire du monde racontée par le vent ». Au gré de cet
envoûtant exercice, la magie joue si bien que l'auditeur en oublie, y compris
lorsqu'il s'est lui-même appliqué à (si mal) la domestiquer, la pure virtuosité
de ces pages d'une incroyable jeunesse. Le regretté Christian Goubault parlait souvent de son "Dieubussy"
dont il souhaitait que le génie fût servi par des vestales ayant su se hisser
au-dessus de toute contingence. Que n'a-t-il assez vécu pour assister à
l'exaucement de son rêve ! Foi aveugle ? Écoutez, vous croirez… Gérard Denizeau. Jean Sébastien BACH : Le
Clavier bien tempéré. Livre I, BWV 846-869. Pierre-Laurent Aimard, piano. 2CDs Universal DG
: 479 2784. TT : 55'21+57'14. C'est en 1722, à la fin de son
séjour à Cöthen que J S. Bach achève le Premier
cahier du « Clavecin bien tempéré, ou Préludes et Fugues dans tous les
tons et demi-tons... écrit et composé à l'usage et l'emploi de la jeunesse
désireuse d'apprendre la musique, aussi bien que comme passe-temps pour celle
qui est déjà experte en cet art ». C'est dire que ce monument de la
musique de clavier - de la Musique tout court - avait dans l'esprit de son
auteur une vertu didactique. Avec la postérité, il acquerra, bien sûr, le
statut de grand morceau de concert, offrant à ses interprètes un exceptionnel
et redoutable challenge. On ne réalise peut-être plus aujourd'hui combien
l'œuvre fut novatrice : parvenir avec un instrument de clavier « bien
tempéré », c'est à dire accordé à tempérament égal, à jouer dans les 24
tonalités. En fait rien n'est moins sûr que Bach ait adopté le tempérament
égal. De même, le choix de l'instrument joué reste une question ouverte :
clavecin, clavicorde, voire orgue, ou encore Hammerklavier
ou pianoforte. Ce n'est que bien plus tard, au XX ème
siècle, que s'est imposée la tradition de jouer ces pièces sur un piano
moderne. Quoi qu'il en soit, leur diversité ne laisse pas d'étonner : à
l'extrême diversité des combinaisons explorées répond
une variété inépuisable dans la construction et les modes utilisés. D'abord
dans les Préludes, en termes de rythmes, de figures mélodiques, de liberté de
style, de cadences différentes. Les Fugues ne sont pas en reste qui à trois ou
quatre voix, voire exceptionnellement à cinq voix, défient les lois du genre
dans la modulation. Elles seront des modèles pour les successeurs de Bach, par
leur inventivité et leur dessin toujours expressif. Le Prélude peut annoncer la
Fugue ou s'y opposer, mais il règne dans cet ensemble unique un essentiel
sentiment d'unité. Il y a là autre chose qu'un cahier d'exercices fastidieux.
L'interprétation de Pierre-Laurent Aimard le
démontre, qui évite toute aridité. Son approche a quelque chose de cartésien :
une objectivité dénuée de sécheresse, toute de clarté dans l'expression du
thème comme dans le contrepoint, empreinte d'un souci d'équilibre comme d'une
volonté de contraster. Elle fait montre de sensibilité aussi dans le toucher,
déployant une palette infinie de coloris. On admire la vélocité qui n'est pas
volubilité, encore moins brillance, la réflexion profonde au fil des
tranquilles digressions, contemplatives, interrogatives, le sentiment de joie
ou de mélancolie, la douceur du geste ou l'impérieuse déclamation. La sonorité
opulente du Steinway Grand, capté dans une acoustique aérée de salle de
concert, ajoute à notre bonheur. Jean-Pierre
Robert. « Piano
duos ». Wolfgang Amadé MOZART : Sonate
pour deux pianos en Ré majeur, K 448 (375a). Franz SCHUBERT : Variations sur un
thème original en La bémol majeur, D 813. Igor STRAVINSKY : Le Sacre
du printemps, réduction pour piano à quatre mains. Martha Argerich,
Daniel Barenboim, piano.
1CD Universal DG : 479 3922. TT.:75'25. Capté live en concert à
Salzbourg, ce récital de deux stars du piano n'est pas un long fleuve tranquille,
mais communique un indéniable plaisir artistique. La Sonate pour deux pianos en
Ré majeur de Mozart a été jouée pour la première fois en novembre 1781, par son
auteur et Josepha Aurnhammer,
la fille de ses logeurs d'alors. Avec la causticité qu'on lui connaît, Mozart
glosera sur la laideur de la jeune femme, car « il est vrai que rien que
le fait de la voir est suffisant pour souhaiter devenir aveugle » ! La
sonate ne sera publiée qu'en 1784. Mozart la jouera alors avec Babette Ployer.
D'où la numérotation tardive au catalogue Köchel. Ce
type de pièce restera sans lendemain dans la production mozartienne. Elle est
extrêmement brillante tout au long de ses trois mouvements. Le « con spirito » initial s'engage fièrement et ne ménage pas
les traits fulgurants. Le thème ample de l'andante, agrémenté d'appogiature
dans le meilleur style galant, est largement développé et l'épanchement reste
serein, ne visant pas à une expressivité appuyée. Le molto allegro final
s'ouvre par un thème joyeux qui n'est pas sans rappeler quelque aria de l'opéra
contemporain L'Enlèvement au Sérail. Il s'assombrit par une brève note
de mélancolie, avant de conclure dans un bel élan. De ce morceau de bravoure, Argerich et Barenboim se font une
démonstration d'éclat, belle mise en doigts pour ce qui va suivre en fin de
concert. Avant cela, les Variations D 813 de Schubert auront constitué un
moment de grâce. Composée à l'été 1824, alors que Schubert avait rejoint en
Hongrie la famille Esterhazy, cette série de neuf morceaux - le thème suivi de
huit variations - marque le retour du musicien à la tonalité majeure. Le thème
est celui d'une marche plus fragile que résolue, dans un climat clair et
dansant qui rappelle Rosamunde. Il est brodé
au fil de diverses métamorphoses habiles, que les deux interprètes habitent de
fantaisie rythmique et de rêverie. Le programme s'achève par Le Sacre du
printemps dans sa réduction pour piano à quatre mains écrite par Stravinsky
en même temps qu'il œuvrait à la partition d'orchestre. C'est d'ailleurs sur
cette partition de piano que le compositeur surveillera le travail
chorégraphique de Nijinsky lors des répétitions pour
la création parisienne. Passé l'effet de surprise, on est vite conquis par
l'adéquation rare avec la pièce orchestrale que l'on connaît : on retrouve les
sonorités d'orchestre et leurs aspérités, leurs scansions véhémentes, comme les
ruptures de rythmes et les formidables écarts de dynamique. Le large spectre
sonore du piano, joué par les quatre mains, épouse les plus audacieux recoins
de la partition. Son modernisme en ressort tout aussi éclatant. Martha Argerich et Daniel Barenboim ne
mégotent pas sur les déluges dynamiques et l'effet percussif d'accords assénés
rageusement. Leur vision, techniquement incandescente, contraste au maximum.
L'impact est inouï, en particulier dans la résonance grave (« Jeux des
cités rivales », « Évocation des ancêtres »). La « Danse
sacrale » finale est martelée quasi sauvagement, avec ses déhanchements de
rythmes. La poétique et la recherche d'atmosphère (« Introduction »
de la seconde partie) ne sont pas moins exemplaires. Jean-Pierre
Robert. Richard STRAUSS : Vier Letzte Lieder. Ein Heldenleben, op. 40. Anna Netrebko, soprano. Staatskapelle
Berlin, dir. Daniel Barenboim.
1CD Universal DG : 479 3964. TT.: 68'19. Ce CD clôt en beauté l'année
Strauss. Il réunit deux œuvres emblématiques que sépare le temps d'une une vie
créatrice. Une vie de héros (1898), poème symphonique, digne de par ses
imposantes proportions d'une symphonie, est un morceau faire valoir d'orchestre
comme il en est peu, décrivant les épisodes d'une vie, non pas d'un artiste,
comme il en est de la Symphonie Fantastique de Berlioz, mais d'un homme
face à ses contemporains : Strauss lui-même, en butte aux critiques de ses
pairs et détracteurs, et confronté au caractère d'une épouse fantasque, Pauline
de Ana, dont les traits sont illustrés dans la troisième séquence, « La
compagne du héros », illuminé par le solo du premier violon. Comme dans
celle donnée à Paris, l'été dernier, avant l'enregistrement (cf. NL de 9/2014),
l'interprétation de Daniel Barenboim est d'une
extrême majesté sonore, tout à tour ample et confidente, entre climax
impressionnants (scène de la bataille, emportée dans un élan passionné qui lui
ôte son aspect ampoulé) et abîmes de lyrisme (grandes vagues expressives avec ralentendos dans la description domestique citée plus haut,
qui s'il le frôle, ne sombre pas dans le sentimentalisme ; épisode des
« Œuvres de paix du héros » et son catalogue d'auto citations, en
particulier de Don Quichotte). La dernière partie est sans doute la plus
achevée, munie de son thème au basson, relayé par la petite harmonie et les
cordes solistes, péroraison grandiose dans sa lenteur expressive et son climat
peu à peu décanté. Le solo de cor mène à un profond apaisement, mémorial dressé
à la grandeur du héros qui entre déjà dans l'Histoire... La Staatskapelle
Berlin fait merveille et le compliment n'est pas mince compte tenu de la
concurrence berlinoise Les Quatre derniers Lieder,
qui forment l'ultime opus du musicien, ont été écrits durant l'année 1948, sur
des poèmes de Hermann Hesse et s'agissant de la
dernière pièce, de Wolfram von Eschendorf.
Elles reflètent l'état d'esprit d'un musicien adulé qui, au soir de sa vie, se
remémore ses succès passés et se bâtit une sorte de « tombeau », au
sens des pièces d'hommage du XVII ème siècle, paré
d'une vêture orchestrale somptueuse et d'une ligne vocale majestueuse, digne de
celle dont il dota ses grandes héroïnes à l'opéra. L'atmosphère est sombre et
mélancolique, même dans le premier Lied censé célébrer le printemps. Anna Netrebko n'est peut-être pas la voix la plus désignée pour
tracer les volutes élastiques imaginées par Strauss, et le timbre russe, un peu
dur dans le medium et souligné dans le grave, n'offre ni le crémeux d'une Renée
Fleming, ni la suprême grâce d'une Elisabeth Schwarzkopf. Qu'on autorise un
souvenir personnel : c'est avec cette prodigieuse interprète, dans cette même
œuvre, qu'il nous fut donné d'entendre notre
premier concert au Festival de Salzbourg, à l'été 1964, sous la
direction de Herbert von Karajan avec ses Berliner, qui enchaina ensuite Ein
Heldenleben. Bien sûr, la quinte aiguë d'Anna Netrebko est rayonnante et la ligne hautement pensée, comme
l'accompagnement prodigué par Barenboim, intense,
presque intimiste et des plus attentionnés. L'enregistrement, live à la
Philharmonie de Berlin, restitue toute l'opulence orchestrale et développe un
formidable impact. Jean-Pierre
Robert. Jacques LENOT « Le ciel retrouvé » .
Intégrale des sept Quatuors à cordes. Quatuor Tana. 3CDs Intrada
: INTRA057. TT.: 66'55+66'09+43'20. Ces CDs constituent un événement en même
temps qu'un tour de force : l'enregistrement de l'ensemble des quatuors écrits
par Jacques Lenot par un même ensemble, effectué en
quinze jours sous l'œil de l'auteur. Figure atypique de la musique actuelle,
Jacques Lenot (*1945) n'appartient à aucun mouvement.
Il refusa ainsi d'enter dans la classe d'Olivier Messiaen en 1967, comme de
rejoindre l'IRCAM en 1980, à
l'invitation de Pierre Boulez. Sa production, immense et éclectique, fait une
large part au piano et même à l'orgue (déjà illustrés par le label INTRADA).
Elle s'est enrichie, entre 1998 et 2008, de six quatuors à cordes. La
rencontre, en 2012, du Quatuor Tana s'est avérée si prometteuse que le
compositeur s'est attelé à composer pour eux son septième opus. Le langage de
Jacques Lenot est tendu à l'extrême, héritier du sérialisme,
proche de Karlheinz Stockhausen mais aussi de Sylvano
Bussotti (*1931). L'ascèse caractérise cet ensemble qui frôle
l'impénétrabilité. « Je suis un solitaire qui aime bâtir des secrets en
cryptant ses partitions », dit-il. Les traits sont souvent tortueux,
acérés jusqu'à la stridence, et le lyrisme plus qu'épisodique, bribes, lambeaux
de musique, entrecoupés de silences essentiels. Plusieurs de ses œuvres sont en
un seul mouvement, les 3ème, 4ème, 5ème et 6ème. Ainsi le Quatuor N°3, commande
de l'association de musique de chambre de Colmar, offre une succession de micro
structures: « ces cellules minuscules, ni minimalistes, ni répétitives,
sont telles des métastases », explique-t-il. Le 4ème, « A Françoise Thinat », créé au Festival Musica
de Strasbourg, en 2008, se développe comme une longue vague, où l'alto se voit
offrir un rôle prééminent, avec des sonorités peut-être plus pleines
qu'ailleurs, plus consonantes. Il s'achève dans un souffle. Le 5 ème (2005, révisé 2009) cisèle le silence, et chemine vers
l'épure, traits du 1er violon, pizzicatos du second, sur une pédale des cordes
graves, et vice versa. Le matériau est traité magistralement dans ses
différentes manifestations. Le 6ème (2008), également créé à Musica, en 2014 à Strasbourg, est de l'ordre de la
métaphore : long frémissement alternant vif/rapide et lent, de ppp à pppp, rythmé par le soliloque du violoncelle et
ponctué d'éclats rageurs, pizzicatos arrachés d'une seule corde. Les autres
pièces en deux séquences, ne sont pas moins elliptiques : chuchotements du Mouvement 1 du
Premier Quatuor (1998, révisé 1999), allure plus agitée au second ; longues
digressions du Septième Quatuor, le plus développé, avec près de 44', mise en
musique des 42 dernières lettres de l'écrivain fabuliste suisse Robert Walser
(1878-1956) et leur « solitude effroyable et lucide » (Isabelle Françaix).
Seul, le Quatuor N°2 (2001) compte quatre mouvements. Écrit au moment même des
attentats du World Trade Center de New York et sous le choc émotionnel de l'événement,
il est, selon Lenot, « déchiqueté, jeté à
vif », dans ses diverses parties, « Retenu »,
« Furtif », « Voilé » et « Ardent », succession
de plaintes, de vagues coupantes, telles d'insupportables éraillures. Le
Quatuor Tana, sélectionné par l'Académie d'Aix-en-Provence en 2011, s'est déjà
taillé une solide réputation dans le répertoire contemporain. Signant là son
premier disque, il démontre une extraordinaire capacité à s'identifier à cet
univers exigeant, au-delà même d'une perfection instrumentale assez étourdissante. Jean-Pierre Robert. Philippe HERSANT: Vêpres
de la Vierge Marie. Maîtrise Notre-Dame de Paris. Alain Buet,
baryton, Robert Getchell, ténor. Les Sacqueboutiers. David Joignaux,
cloches. Olivier Latry, grand orgue, Yves Castagnet, orgue de chœur,
Dir.: Lionel Sow.
1CD Maîtrise N-D de Paris : 004 (distribution Socadisc).TT.: 76'45. Captation de la création à Notre-Dame de
Paris, le 12 novembre 2013, des Vêpres de la Vierge Marie, ce CD en
offre un reflet fidèle, voire même avantageux, eu égard à la précision de la
prise de son. Pour honorer la commande de « Musique sacrée à
Notre-Dame », d'une œuvre pour clore les festivités des 850 ans de la
cathédrale, Philippe Hersant (*1948) a conçu une pièce aussi grandiose
qu'intense, utilisant au mieux les caractéristiques acoustiques particulières
du lieu. Ainsi s'est-il attaché à accommoder entre eux ses divers matériaux :
les deux orgues et les divers chœurs de la Maîtrise, auxquels sont joints deux
solistes vocaux, des cloches et des cornets et sacqueboutes. La présence de ces
derniers est un hommage à Monteverdi et à ses Vêpres. La vastitude des
effectifs n'entraine pas pour autant de sentiment de monumentalité, habilement
utilisés qu'ils sont au fil des diverses séquences. L'œuvre est
constituée de trois parties, chacune introduite par une toccata instrumentale.
La première s'ouvre ainsi par une Toccata I, distribuée aux deux orgues, grand
orgue et orgue de chœur, et un invitatoire livrant
d'emblée l'impression de jubilation. Elle est suivie de l'« Ave Maris
Stella » où les divers forces interviennent de
manière distincte dans l'espace acoustique : chœur d'enfants et sacqueboutes
dans le lointain de l'abside, chœur mixte et cornets au premier plan du
transept, introduisant l'effet de différenciation du champ sonore qui traverse
toute l'œuvre, à l'aune de la géométrie de l'édifice. Puis vient le Psaume 121,
intense moment de réflexion. La Toccata II, qui
prélude à la deuxième partie, est illustrée sur trois plans (grand
orgue, orgue de chœur, cornets dans l'abside), enveloppant l'auditeur. Elle se
compose du Psaume 126, dont se détache la vibrante invocation (baryton solo)
sur les mots « Lorsqu'il m'a accordé le repos », puis du Cantique
aux Éphésiens, avec ses appels de cloches et les accords de sacqueboutes,
partie sans doute la plus originale de toute la pièce. La troisième partie est
initiée par une Toccata III, faisant appel au registre aigu de l'orgue de
chœur, et proposant dans ses pages conclusives, des répétitions d'accords des
cloches, digne de la manière de Messiaen. Le Magnificat est le centre de
cette ultime partie, ses divers versets ponctués de traits des sacqueboutes au
premier plan. La section finale « Gloria Patri et Filio»,
introduite sur une pédale grave du grand orgue, progresse lentement vers un
« Amen » d'apothéose répété à l'envi, là encore dans un effet
hypnotique faisant penser à Messiaen. L'interprétation est en tous points excellente. On saluera particulièrement la
prestation de la Maîtrise Notre-Dame de Paris. Jean-Pierre Robert. Jean Sébastien BACH. Thierry ESCAICH :
« Lux aeterna. Visions of
Bach ». Beatrice Berrut, piano. 1 CD
Aparté : AP 100. TT : 73'. Est-ce la magie de la musique de Bach, le
mystère et la véhémence de celle de Thierry Escaich,
ou la merveilleuse interprétation de Beatrice Berrut
qui font de ce disque un immédiat coup de cœur. Charme, poésie, rigueur,
dynamisme, souplesse, virtuosité et mystère, voici quelques substantifs qui
confèrent à cet enregistrement tout son intérêt. Beatrice Berrut
a choisi d'associer quatre compositions célèbres de JS. Bach (Sicilienne extraite de la Sonate pour flûte et clavecin n° 2, Aria de
la Suite pour orchestre n° 3, Chaconne de la
Partita n° 2 pour violon solo et 10
Préludes chorals) dans des transcriptions de Kempff, Siloti
et Busoni, aux compositions contemporaines du compositeur français (Trois études baroques et Jeux doubles). Une mise en miroir comme
un pont entre hier et aujourd'hui, tendu entre le recueillement, la sobriété et
la modestie de la musique de Bach et la fougue colorée, endiablée et extatique
de celle de Escaich. Un véritable enchantement de
bout en bout ! Patrice Imbaud. « Caprice ». Tatiana
Samouil, violon, Irina lankova,
piano. 1 CD Indésens. INDE065. TT : 66'09. Un disque qui annonce d'emblée la couleur
par son simple titre, « Caprice », en référence au Caprice Viennois de Fritz Kreisler qui
ouvre cet album. Une musique comme un hommage au violoniste-compositeur Fritz
Kreisler (1875-1962) immense musicien, enfant prodige qui lisait la musique à
l'âge de trois ans, entra au conservatoire de Vienne à sept ans, obtint un
premier prix de violon au conservatoire de Paris à dix ans, puis ne reçut plus
aucun enseignement musical avant d'entamer la fabuleuse carrière musicale que
l'on sait. Interprète extraordinaire réputé pour son vibrato, son rubato, son
aisance, sa spontanéité, son charme, sa sonorité, sa virtuosité et son phrasé
caractéristiques, rendant son jeu immédiatement reconnaissable. Compositeur
également, dernier maillon d'une tradition remontant à Corelli et Vivaldi, en
passant par Paganini, Joachim ou Sarasate, il a laissé plusieurs centaines
d'œuvres dont les fameuses petites pièces de salon dans le style viennois
faisant le bonheur de tous les violonistes depuis des dizaines d'années. Une
musique donc immédiatement accessible, un plaisir d'écoute dont le seul but est
de charmer, de mettre en avant violon et interprète. Un programme construit
autour de ce seul but associant Kreisler, Saint-Saëns, Sarasate, Paganini et
Tchaïkovski. Un pur ravissement où les deux interprètes, parfaitement
complices, ne se ménagent pas, pour notre plus grand bonheur. Un disque comme
une friandise, à consommer sans modération ! Patrice Imbaud. « Célébrations ».
Philippe Brandeis, orgue. Cuivres de la Garde Républicaine,
dir. Sébastien Billard. 1CD Hortus.
Collection « Les Musiciens et la Grande Guerre. Vol VIII ». HORTUS
708. TT : 85'38. Un minutage particulièrement copieux pour
ce disque un peu solennel qui nous propose d'écouter différentes œuvres peu ou pas connues,
parfois inédites, pour orgue, de différents compositeurs impliqués de près ou
de loin dans la Grande Guerre. Certains morts au front (André Devaere, Georges Kriéger,
Frederik Septimus Kelly) ou survivant au conflit
(Paul Hindemith) ou encore portant témoignage de leur solidarité ou compassion
(Harvey B. Paul, Charles Villiers Standford, Herbert
Howells, Nadia Boulanger). Enfin d'autres encore comme Charles Marie Widor ou
Marcel Dupré, qui ont composé pour les célébrations officielles, associant orgue
et cuivres, apportant grandeur et solennité à leur compositions. Encore un très
beau disque de cette superbe collection qui nous fait découvrir des œuvres et
des compositeurs parfois méconnus, en associant plaisir d'écoute, découverte,
et devoir de mémoire. Une interprétation remarquable à la fois grave, virtuose
et recueillie de Philippe Brandeis sur le grand orgue
de la Cathédrale Saint Louis des Invalides. Instrument inauguré en 1957 par
Marcel Dupré qui y joua, fort à propos, son Poème
Héroïque, en hommage aux combattants de la Grande Guerre. Patrice Imbaud. Alexandre
SCRIABINE : Complete
Mazurkas. François Chaplin, piano. 1CD Evidence Classics/
Little Tribeca :
EVCD006. TT : 79'44. Un merveilleux moment musical que nous
offre, ici, le pianiste français François Chaplin, avec cette intégrale des Mazurkas d'Alexandre Scriabine, dont on
célèbre, en 2015, le centenaire de la disparition. Un ensemble de 21 pièces qui
permettent de suivre l'évolution compositionnelle du compositeur russe depuis
ses œuvres de jeunesse (Op. 3) très chopiniennes et
romantiques d'inspiration, jusqu'aux œuvres plus tardives, plus personnelles et
oniriques (Op. 25 & Op. 40) qui conduiront au seuil du Poème de l'Extase. Des œuvres toutes empreintes d'une richesse
mélodique, d'une fluidité qui n'exclut pas l'innovation, superbement
interprétées par François Chaplin. Le ton est ici constamment juste, le phrasé
pertinent et le toucher d'une merveilleuse souplesse. Un disque véritablement
habité qui sort des sentiers battus. A ne pas manquer ! Patrice Imbaud. Karol
SZYMANOWSKI : Trois Poèmes. Trois Caprices. Igor STRAVINSKY : Divertimento. Suite Italienne.
Solenne Païdassi, violon. Frédéric Vaysse-Knitter, piano. 1CD
Aparté : AP095. TT : 72'26. Après un premier CD consacré à la musique
française, voici le deuxième enregistrement de la jeune violoniste Solenne Païdassi, associée cette fois au pianiste Frédéric Vaysse-Knitter. Un programme
centré sur l'âme slave, avec Stravinsky (1882-1971) et Szymanowski (1882-1937).
Des arrangements pour violon et piano, Divertimento
et Suite Italienne, effectués par
Stravinski en collaboration avec le violoniste Samuel Dushkin,
tirés des ballets « Le Baiser de la
fée » et « Pulcinella » et appartenant à la période dite
néoclassique du compositeur russe. Des pièces moins connues de Karol
Szymanowski, Trois poèmes tirés des Mythes et Trois Caprices d'après Paganini. Un disque dont le thème central
s'articule autour des métamorphoses et des illusions, excellente occasion pour
ce talentueux duo de faire montre de toute son expressivité, de son talent et
de sa cohésion. Des climats bien différents chez les deux compositeurs, mais
une même qualité d'interprétation. Une lecture riche, envoûtante, haute en
couleur, empreinte de dynamisme et de poésie. Un disque dont on ne se lasse
pas ! Magnifique et original. Patrice Imbaud. « The
art of the Horn ». David
Alonso, cor. Hélène Tysman, piano. 1CD Indésens : INDE064.
TT : 57'28. Un disque rare et original que cet
enregistrement de duos pour cor et piano. Quand on connait les grandes
difficultés techniques de la pratique du cor, cor naturel ou à pistons, en
matière de justesse notamment, on ne peut qu'être admiratif devant les
prouesses virtuoses répétées de David Alonso dans ces pièces redoutables connues
pour tous les cornistes. La Sonate
op. 17 de Beethoven, l'Adante et Allegro de Schumann, l'Andante op. posthume de Richard Strauss, Villanelle de Paul Dukas, Sur les cimes de Bozza,
Romance de Scriabine et la Sonate de Paul Hindemith (1939). Autant
d'œuvres où l'on peut juger de la douceur et de la rondeur du timbre, de la
justesse de l'émission, de la qualité de phrasé, de la franchise et de
l'expressivité de l'interprétation du jeune corniste, parfaitement soutenu par
le piano sans faille d'Hélène Tysman. Un très beau
disque. Indispensable à tous les amateurs d'instruments à vent ! Patrice Imbaud. « The
Art of the Saxophone ». Nicolas Prost, saxophone. Jean-Yves Fourneau, Anne Lecaplain. Ensemble de saxophones de Paris, dir. Éric Aubier. Misaki Baba, Laurent
Wagschal, piano. 1CD Indésens :
INDE063. TT : 71'. Un formidable florilège de courtes
compositions, le saxophone dans tous ses états sous les doigts diaboliquement
experts de Nicolas Prost, entouré de Jean Yves Fourneau, Anne Lecapelain, l'Ensemble de saxophones de Paris, Misaki Baba et Laurent Wagschal
au piano, Éric Aubier à la direction. Des compositions inclassables de Connesson, Fitkin, Kagel, Nagao, Geiss, Horovitz,
Bolling, Escaich, Tchesnokov, Yoshimatsu, Françaix,
Debussy et Charlie Parker, puisant leur inspiration dans les racines des
musiques du monde, du jazz et de la musique dite contemporaine. Un résultat
vivifiant, d'une virtuosité et d'une précision rythmique inimaginables. Un très
beau disque qui s'adresse à un large public, se situant bien au-delà des
simples amateurs de musique classique. Du plaisir pur et du swing garanti
survenant bien à propos en cette année où l'on fête le bicentenaire d'Adolphe
Sax, inventeur de l'instrument. Patrice Imbaud. ***
MUSIQUE ET CINEMA
ENTRETIEN Le pianiste et compositeur Karol Beffa
Acteur
dans son enfance, Karol Beffa entre à 14 ans au
CNSMDP, il y reçoit huit premiers prix. Licencié en philosophie, en histoire,
titulaire d'une maîtrise d'anglais, il est normalien, maître de conférence à
l'ENS en musicologie, et a été titulaire de la chaire de création artistique au
Collège de France (2012-2013). Pianiste, compositeur, il est, en 2013,
récompensé aux Victoires de la musique classique. Il nous a reçu
dans son bureau à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm. Au regard de votre
parcours extrêmement large et riche, comment vous définissez-vous en
définitive? Je
suis compositeur. Je pourrais dire aussi musicien, qui est un terme d'acception
plus large. Je me produis comme pianiste et je compose. Pour vous, toutes ces études avaient-elles
comme aboutissement de devenir musicien ? Il
n'est pas nécessaire de faire toutes ces études extra-musicales pour être
musicien. Si je ne les avais pas faites, je composerais sans doute de la même
façon. On va dire que c'était pour me cultiver. C'est se cultiver de manière impressionnante quand
même ! Peut-être, mais je
soutiens que le rapport avec la musique est faible. A quel âge avez-vous commencé à composer ? A
peu près dès que j'ai su poser mes mains sur le clavier, vers six ans. J'ai le
souvenir d'une petite pièce pour piano dans un style vaguement bartokien que
j'ai appelée Danse des cartes, avec un petit « c » (il y avait
un petit clin d'œil à l'intervalle de quarte qui était très présent dans la
pièce). J'ai été formé en harmonie très tôt, vers neuf ans, avec mon premier
professeur de piano, Marthe Nalet, élève de Nadia
Boulanger, et ce jusqu'à 14 ans, à mon entrée au Conservatoire de Paris.
J'écrivais souvent des petites pièces qui étaient en général des pastiches. D'où vous est venu ce goût de faire à la manière de
Bartók ? Lorsque
j'ai joué, à huit ans, dans le téléfilm Mozart,
mis en scène par Marcel Bluwal, une partie du
tournage avait lieu à Budapest. C'était une coproduction Autriche - Hongrie -
Italie - France. La Hongrie était encore derrière le rideau de fer, un pays pas
cher… Nous avons pu y acheter, ma famille et moi, une grande quantité de
partitions, notamment de Bartók, que j'ai commencé à déchiffrer à mon retour en
France. Cela a pu m'inspirer. Mis à part Bartók, quels sont les compositeurs qui vous
ont marqué ? Stravinsky,
celui de la période russe. Berg, sans doute. Ravel, certainement. Dutilleux,
Ligeti… Vu vos origines, avez-vous une affinité
avec les compositeurs polonais modernes ou contemporains? J'adore
la musique de Karol Szymanowski mort en 1937. Je pense que c'est un compositeur
parfait, le Ravel polonais. J'ai beaucoup écouté Penderecki et Górecki. Après des débuts avant-gardistes, tous les deux
ont progressivement réintroduit du matériel tonal dans leur musique. J'aime
aussi énormément la musique de Lutoslawski, peut-être le plus fidèle à l'esprit
de Szymanowski. Votre musique est une musique très tonale? Cela
dépend des pièces. Mais on peut dire que oui, globalement, c'est une musique
tonale au sens large, et parfois même au sens restreint. Que veut dire, aujourd'hui, être
compositeur de 41 ans ? Les querelles esthétiques sont derrière vous,
non ? Détrompez-vous,
elles sont toujours là. Ce n'est d'ailleurs pas très surprenant :
contrairement à la politique, par exemple, l'esthétique, jalouse de son
autonomie, ne suit que très partiellement l'actualité, les vogues. Les
querelles esthétiques ne dépendent pas des modes, elles reposent sur des enjeux
plus profonds. Par ailleurs, quand la politique se mêle d'esthétique, les
décideurs n'étant pas le plus souvent des experts artistiques, ils donnent le
monopole à une faction qui a pu être à la mode à une époque et qui s'approprie
dès lors l'ensemble des moyens, devenant la seule à bénéficier de la faveur
étatique. Ainsi, l'école boulézienne est toujours bien en place, le partage des
subventions n'est pas à l'ordre du jour. L'IRCAM est là, c'est une institution
qui coûte cher aux contribuables, pour une musique que personne n'écoute. Pour
revenir à ma musique, elle est beaucoup jouée en France, mais je n'ai jamais
bénéficié d'une seule commande d'État. Ma musique n'a pas l'air de plaire aux
« experts » des commissions qui attribuent les aides… Cette interview est faite dans le cadre des
relations entre musique et cinéma. Si je vous pose ces questions sur votre
parcours de compositeur de musique de répertoire, c'est qu'aujourd'hui, il n'y
a pratiquement pas de collaboration entre ce type de compositeurs et les
réalisateurs. Quel est votre avis sur ce sujet ? D'abord,
je voudrais faire remarquer que l'on a tendance à fétichiser la notion de
musique originale. Or, je pense qu'on peut faire un excellent film avec des
musiques préexistantes, comme Kubrick l'a montré. On peut, en piochant dans le
répertoire et avec un bon montage et un bon mixage, avoir une excellente bande
son. Ensuite, il faut se demander pourquoi il y a un tel hiatus entre
compositeurs de musique de concert et compositeurs de musique de film. Je pense
que c'est lié, pour paraphraser Marx, à une « baisse tendancielle »
de l'intensité expressive des musiques de film. Les musiques de film me
semblent globalement plus mauvaises aujourd'hui qu'il y a quarante ans. C'est le
résultat d'un cercle vicieux. Les réalisateurs — et parfois, pire, les
producteurs — pensent que les attentes du public sont pour des musiques
très easy listening.
Donc ils proposent effectivement des musiques très faciles d'accès. D'où ce
cercle vicieux : offrir ce que l'on suppose être la musique que veut
entendre le public, au point que celui-ci n'imagine plus autre chose que la
musique qu'on lui offre. La généralisation des techniques informatiques et
électroniques fait que, désormais, les réalisateurs demandent presque
systématiquement une maquette aux compositeurs
et ne veulent plus prendre le risque de découvrir une musique le jour de
l'enregistrement. La musique va avoir tendance à être une parfaite paraphrase
des images, et l'on va chercher à obtenir une synchronisation au plus près
entre musique et image, selon des critères qui sont parfois hasardeux. Or, la
magie d'une adéquation entre musique et image tient bien souvent à des choses
extrêmement ténues, voire quasi arbitraires. Il ne faut pas chercher nécessairement
une synchronisation à la mickey mousing illusoire. Il est très rare aujourd'hui qu'un
compositeur anticipe, par la musique, le passage d'une scène à une autre. Ou,
au contraire, fasse déborder la fin de sa musique sur une scène à venir. On
s'imagine que la musique doit commencer quand la scène commence et se terminer
quand la scène se termine. Absence de risque, utilisation des machines - tout
cela contribue à une forte baisse de la qualité des musiques de films. Si l'on
ajoute que de nombreux compositeurs de cette musique ont un artisanat
extrêmement faible, on comprend que le monde de la musique pour le concert et
le monde de la musique pour le cinéma soient à ce point
séparés l'un de l'autre. J'ajouterais
que cet artisanat faible, on le trouve chez les compositeurs de musiques de
film mais aussi chez certains compositeurs de musiques contemporaines. Ces
compositeurs n'ont souvent aucun métier et ne s'aventurent pas à écrire pour
l'image. Ils font parfois illusion quand ils écrivent pour le concert, le
public restreint qui les écoute étant un public acquis, habitué des cénacles de
musique contemporaine spécialisée… A mon avis, le milieu de la musique de film
n'est plus à présent un milieu où c'est le talent qui est récompensé :
mieux vaut, semble-t-il, être à l'aise dans les cocktails que posséder un
métier solide… Des compositeurs contemporains de musique
de concert comme Phil Glass, Michael Nyman, John Corigliano, Terry Riley, ont écrit pour le cinéma des
œuvres intéressantes… Michael
Nyman, bien que personnage modérément sympathique, a
écrit des œuvres fort estimables. J'ai eu l'occasion de l'interviewer en
1998 : il m'avait dit que, depuis qu'il n'utilisait plus ses musiques,
Greenaway était devenu un mauvais réalisateur… Je crois que c'était en effet
une belle trouvaille que de pasticher Purcell pour « Meurtre dans un jardin anglais ». Mais souvent, les recettes
de Nyman sont un peu éculées. Son Concerto pour
piano, dans le film de Jane Campion, est franchement laid. N'importe quel bon
élève de conservatoire ferait mieux. « La
Leçon de Piano » est un excellent film malgré la musique (et non pas
grâce à la musique). Cependant, la musique de « Gattaca » n'est pas trop mal et celle des premiers Greenaway me
semble intéressante. Phil
Glass fait partie de ces compositeurs de musique qui sont connus bien au-delà
du cercle des amateurs de musique contemporaine. Beaucoup de gens n'écoutent
jamais Mozart ou Beethoven mais connaissent Glass. Motorique,
sa musique a un effet stimulant quand elle rythme l'image. C'est le cas pour la
Trilogie des « Qatsi » de Godfrey
Reggio. Dans un autre genre et de façon plus
inattendue, je trouve que sa musique fonctionne très bien avec ce chef d'œuvre
qu'est » The Hours »
de Steven Daldry. Pour
revenir à la question de la fétichisation de la musique originale, je vais vous
citer un exemple où l'utilisation d'une musique préexistante peut être
particulièrement réussie. J'ai eu à l'ENS un élève qui, dans le cadre de mon
cours sur les « tubes » en musique classique, a fait un exposé sur le
mouvement lent d'un des trios de Schubert qu'utilise à foison Kubrick dans
« Barry Lyndon ». J'ai pris
le risque de prendre une autre œuvre, l'Elégie
de Fauré, en version orchestrale, et de la passer au moment où le trio est mis
à l'image : l'épisode du jeu de cartes, des premiers émois amoureux. Cette
œuvre marche très bien avec l'image, alors que je l'avais choisie un peu au
hasard… Y a-t-il, à l'inverse, des compositeurs de
musique de films qui se sont essayés à la musique de concert ? Oui,
assurément. Mais au préalable, je voudrais préciser quelque chose. S'il y a des
compositeurs de musique de concert pour jalouser la notoriété, et parfois le
succès matériel, des compositeurs de musique de film, symétriquement - et c'est plus étonnant -, il
y a des compositeurs de musique de film qui, eux, jalousent le prestige des
compositeurs qui écrivent pour le concert. Ainsi, parmi les compositeurs de
musique de films les plus reconnus, beaucoup se sont essayé à composer des
œuvres pour le concert. Herrmann, génial compositeur
de musique de film, a un peu écrit pour le concert. Il a composé un Quintette
pour clarinette qui est en train d'entrer au répertoire. Les concertos pour
piano de Nino Rota, dans un style post-Rachmaninov, sont de belles œuvres, mais
pas aussi inspirées ou originales que ses compositions pour Fellini. Les œuvres
pour le concert de Morricone sont très médiocres, alors que c'est un génie de
la musique de film. Même John Williams, immense compositeur, a composé un
Concerto pour violon post-Berg, bien fait, mais à mon sens beaucoup moins
inspiré que La Liste de Schindler,
musique peut-être plus easy listening. Et
pourtant, je suis persuadé qu'écrire ce concerto pour violon lui a donné
beaucoup de mal et qu'il rêverait qu'on l'apprécie davantage que son concerto
pour La Liste de Schindler. Revenons à vous. Vous avez écrit des
musiques de film pour quelques fictions et surtout pour des documentaires.
Quand on travaille sur ce genre de film, on a peut-être plus de liberté en terme de composition ? Probablement. Dans un documentaire, la
musique est souvent là pour donner davantage de rythme, de liant. Il est
dommage que les réalisateurs fassent parfois fausse route en achetant de la
musique au mètre, passe-partout. Vous avez travaillé sur un documentaire sur
John Waters réalisé par Éric Dahan ! Là on est
dans le domaine du collector ! C'est
un bon documentaire (je crois que je n'ai pas déposé la musique à la SACEM,
c'est un tort…). Éric Dahan a voulu une musique au
deuxième degré par rapport au personnage iconoclaste qu'est John Waters :
totalement « Saint Sulpicienne », une musique à caractère sacré, un
commentaire ironique… Je précise que j'ai écrit ces musiques parce que cela
m'amusait et non pas dans un but alimentaire. Vous faites énormément de musiques
improvisées à l'image, vous avez improvisé, entre autres, une musique pour ce
chef d'œuvre de Griffith « Le Lys
Brisé ». Comment aborde-t-on ce genre de film ? On a
tout le loisir de faire ce que l'on veut, puisque plus personne de cette époque
n'existe encore… Plus de réalisateur pour vous dire ce que vous avez le droit
et ce que vous n'avez pas le droit de
faire. En outre, la parole est réduite aux intertitres, donc la présence
musicale est d'autant plus importante qu'elle est tout à la fois ambiance,
parole et musique proprement dite. Lorsque je fais ce genre d'exercice,
j'essaie de faire une musique continue, pour donner du liant à un montage qui,
sinon, risquerait de paraître un peu abrupt. Êtes-vous obligé de voir plusieurs fois le film ? Je
connais en général très bien le film. Pour autant, je ne sais pas ce que je
vais faire au moment où je pose les mains sur le clavier : je veux me
laisser porter par le flux des images. Quand les conditions techniques le
permettent, j'improvise dans le noir total. Et ne risque-t-on pas, alors, de faire une musique pléonasmique ? Ni
plus ni moins que quand on écrit. A vrai dire, peut-être moins, car quand on
improvise en direct, on n'est pas contraint par le time code : ce qui importe, c'est que la musique soit
« efficace » et il y a quantité de moyens pour arriver à cet
objectif. Vous êtes toujours seul pour ce genre d'exercice ? Il
m'arrive d'accompagner des films muets avec le pianiste et chef d'orchestre
Johan Farjot, lui au Fender
Rhodes et moi au piano (nous l'avons fait pour « Au Bonheur des Dames » de Julien Duvivier). Ou avec le
saxophoniste Raphaël Imbert (pour « Monte là-dessus », avec Harold Lloyd, réalisé par de Fred C. Newmeyer et Sam Taylor). Mais
en général je suis seul. Pour moi, improviser, c'est composer dans l'instant.
Pour cela, je peux m'inspirer du jazz comme de toute la musique classique. Vous avez dernièrement accompagné en
musique « Les Misérables » d'Henri
Fescourt, une œuvre restaurée grâce à la cinémathèque
de Toulouse et la fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Le film dure six heures et a
été projeté au Grand Théâtre de Toulouse. Comment se prépare-t-on à une
composition, dans l'instant, d'une telle ampleur tant au niveau physique
qu'intellectuel ? J'ai
vu le film une fois intégralement et une fois en accéléré. L'histoire des Misérables, je la connaissais
parfaitement pour avoir lu et relu le roman depuis l'enfance. Mais d'une
certaine façon, la préparation, c'est les trente ans d'improvisation musicale
que j'ai derrière moi ! Faites-vous des concerts d'improvisation ? Oui,
mais en général le public me fait improviser sur des thèmes qu'il choisit
lui-même. Ces thèmes peuvent être littéraires, musicaux, picturaux. Par
exemple, pour vous citer les plus stimulants : « Tristan »,
« Don Juan et Carmen », « 30% de touches blanches »,
« Une rencontre entre Bach et Ravel », etc.. Vous écrivez beaucoup pour le concert mais
assez peu pour le cinéma… J'ai
écrit la musique de quelques long-métrages. Par exemple, j'ai composé pour Mehdi
Ben Attia « Le
Fil », en 2009, et dernièrement « Je ne suis pas mort ». On s'est très bien entendu, car on a la
même conception du rôle de la musique. Mehdi Ben Attia
n'est pas dogmatique, à l'inverse de certains réalisateurs. Why
Not productions vient de me contacter de la part de Bruno Podalydes
qui aimerait utiliser un peu de ma musique pour son prochain film, qui doit
s'appeler « Comme un avion »
et sortir au mois de juin. Et pour le théâtre ? J'ai
fait deux musiques de scène : un intermède pour violon baroque, Supplique, souvent d'ailleurs repris en
concert, et une musique pour une adaptation par Jean-Pierre Nortel de Léon Morin Prêtre de Béatrice Beck,
pièce qui a été jouée à l'Espace Bernanos. https://www.youtube.com/watch?v=Mm5z7ONPZ9c Que pensez-vous de la musique que l'on
extrait du contexte du film et que l'on écoute sur un support numérique ou
vinyle ? Je
ne suis pas contre a priori. Lorsqu'elle est composée pour l'image, la musique
est souvent d'une densité expressive légèrement moindre que la musique pour le
concert, tout simplement parce que si elle avait la même densité expressive,
elle courrait le risque d'être trop envahissante par rapport à l'image. Il y a
bien sûr de nombreuses exceptions à cette règle. Souvent, sur CD, une musique
ne s'écoute pas avec la même attention que si elle est jouée live pour le concert. J'avoue ne pas
écouter les BO des films. Je l'ai pourtant fait une fois, récemment, parce que
j'avais un élève qui devait faire un exposé sur « Shutter Island », de Scorcese, et je
voulais m'en remettre la musique à l'oreille - il y a dans ce film une
utilisation très réussie de musiques préexistantes, presque exclusivement
contemporaines, du Adams, du Ligeti, du Penderecki… Et votre avis sur les critiques de musique de
film ? Rares
sont les bons critiques de musique de film. Souvent, ils ne rendent pas compte
de la part d'arbitraire, de magie qui fait qu'une musique et des images
marchent de concert. Ils ont tendance à intellectualiser un processus qui est
le plus naturel et spontané du monde. Souvent, ce sont des gens qui viennent du
cinéma et ne sont parfois pas très armés pour parler de musique. J'ai travaillé
avec un réalisateur, dont je ne citerai pas le nom, qui voulait à tout prix une
musique pour piano parce que, me disait-il, en écoutant une pièce pour cordes,
il trouvait le violon trop romantique… J'avais beau lui dire que lorsque Bartók
écrit pour cordes ce n'est pas toujours très « romantique » et que,
réciproquement, quand Chopin ou Rachmaninov écrivent pour le piano, le résultat
est assez romantique ! La question de savoir si une musique sera motorique ou romantique ne tient pas tant au support
instrumental (piano, cordes…) mais au tempo, au langage harmonique, et à bien
d'autres choses encore. Que trouvez-vous plus normal : faire
de la critique de musique de film dans un journal de musique ou bien dans des
revues de cinéma (il est vrai que celles-ci n'en font pas souvent) ? Dans
Positif, il y a eu plusieurs bons
dossiers consacrés à la musique de film. Je voudrais rendre hommage à quelqu'un
qui écrit très bien sur la musique de film et qui est lui-même
compositeur : Michel Chion. Il met le doigt sur
des réalités parfois extrêmement complexes, et toujours d'une manière limpide.
Sur la question des rapports entre musique et image, il a un point de vue très
pragmatique. C'est salutaire. Propos
recueillis par Stéphane Loison. LES OSCARS Les musiques
sélectionnées sont : THE GRAND BUDAPEST HOTEL d'Alexandre
Desplat THE IMITATION GAME d'Alexandre
Desplat INTERSTELLAR d'Hans Zimmer Mr TURNER de
Gary Yershon THE THEORY OF EVERYTHING de Jóhann Jóhannsson
"EVERYTHING IS AWESOME" « The Lego
Movie » - Music and Lyric by Shawn Patterson Le
niveau ici est plus élevé que pour les musiques. Elles ont toute leur chance.
La chanson de Glen Campbell est, à mon avis, favorite du fait du chanteur et
qu'il est atteint d'Alzheimer. Un hommage à cette légende vivante américaine.
La chanson « Glory » est à la mode et par
le thème grave du film - mais filmé de manière larmoyante comme sait le faire
Hollywood - et par son chanteur John Legend. « Lost Stars »
de « Begin Again » est déjà un tube
sympathique de Marron 5 mais ne risque pas de l'emporter bien que musicalement
c'est celle qui est la mieux écrite de toutes. https://www.youtube.com/watch?v=_wfITSWXjpU Golden Globe 2015: Meilleure bande originale de film
Cette
biographie du cosmologiste Stephen Hawkins réalisée par James Marsh,
réalisateur de documentaire, est auréolée de prix dont un pour la musique. Jóhann Jóhannsson est
un musicien, producteur et compositeur islandais. Il a peu composé pour le
cinéma dont deux films pour Denis Villeneuve (« Prisoners »
et « Sicario »). Son style de musique est
influencé par le minimalisme. C'est une musique agréable à écouter. Et de par
la manière dont elle est composée, elle peut tout à fait être placée où l'on
veut dans les séquences filmées. On ne peut pas dire qu'elle est d'une grande
originalité, c'est de la musique easy-listening : un piano donne le thème et un orchestre de
cordes joue les variations. C'est joliment et naïvement composé mais on aurait
pu, face à ce génie qu'est Stephen Hawkins, obtenir, avec un compositeur de
plus d'envergure, une musique plus consistante ! Le thème « the Origins of Time » est d'une platitude
désarmante ! Bref pas d'un grand intérêt. https://www.youtube.com/watch?v=aKuwyGJ7mas BO en CDs KINGSMAN : The Secret Service. Réalisateur Matthew
Vaughn, avec Colin Firth, Samuel L. Jackson, Taron Egerton, Michael Caine. Compositeur : Henry Jackman.
1CD La-La Land Records. « Kingsman » est une sorte de film à la James Bond avec
un humour ravageur. Il est adapté de la BD de Dave Gibbons et Mark Millar. Un agent des services secrets britanniques recrute
et forme un jeune garçon pour en faire son protégé. Cet agent est Colin
Firth ! Il apporte son élégance très british et son humour dans ce rôle de
gentleman espion. Après "Kick-Ass" 1&2
et "X-Men: Le commencement" Henry Jackman
retrouve Matthew Vaughn. Henry Jackman
propose une musique efficace sans beaucoup de nuances, contrairement au jeu des
acteurs. Il faut dire qu'il compose pour l'usine Remote
Control Productions de l'écurie de Hans Zimmer ;
donc inutile de chercher une quelconque originalité dans la composition ni un
vrai regard face à cette comédie, un peu longue, mais fort divertissante.
L'écoute de la musique en voyant le film où certains pastiches sont assez
réussis, passe mieux que sur le CD. https://www.youtube.com/watch?v=_yDBfACPfFg UNE NUIT AU MUSEE N°3. Réalisateur : Shawn Levy, avec Ben Stiller, Robin Williams, Owen Wilson. Compositeur :
Alan Silvestri. 1CD Varese
Sarabande 302 067 320 8 / VSD-7320 Alan
Silvestri retrouve pour une troisième fois cette saga. Il a toujours autant
d'imagination, d'originalité dans ses compositions. C'est du pur jus Silvestri.
En grand habitué des films d'animation, sa musique sonne comme dans un dessin
animé. Le film n'est qu'une suite de loufoqueries qui grâce à la 3D devient une
sorte de comics animé. On peut préférer une de ses dernières compositions
telles que « The Croods ». On attend sa
prochaine collaboration avec son alter ego, le réalisateur Zemeckis,
depuis 1984 (« A La Poursuite du Diamant Vert », « Retour vers le Futur »,
« Forrest Gump », « Contact »)
sur la traversée entre les deux tours en 1974 du funambule Philippe Petit. Ce
CD est vraiment pour les fans de Silvestri.
Compositeur : Ilan Henri Eshkeri.
1CD Netwerk.
Ilan Eshkeri est
un compositeur anglais qui avait été nommé meilleur nouveau compositeur en 2007
par l'International Film Music Critics Association
pour la BO de « Stardust » réalisé par Matthew Vaughn.
Dans ce film il a surtout fait des arrangements d'œuvres classiques (Bach, Dvořák, Offenbach…). Il a participé avec ce même
réalisateur à la composition de « Kick Ass ».
En 2010 il a obtenu le prix Ivor Novello
de la Meilleure bande originale de film pour la BO « Victoria : les
jeunes années d'une Reine » réalisé par Jean-Marc Valée. Il a écrit une
musique très élégante pour le feuilleton télévisé « Fleming, l'homme qui
voulait être James Bond ». C'est sa première collaboration avec Richard Glatzer et Wash Westmoreland.
C'est bien sûr une musique dramatique, de facture classique pour quatuor,
piano, violon, violoncelle. Le piano annonce le thème central (belle mélodie)
d'une grande tristesse, une sorte de paradis perdu, avec des variations pour
les cordes qui perdent souvent leur sens (running, phil
video) avec des suites de distorsions correspondant à
l'image de l'héroïne atteinte d'Alzheimer. Une musique un peu trop pléonasmique mais qui mérite d'être écoutée.
https://soundcloud.com/ilan-eshkeri/sets/still-alice-select-music-cues/s-svmqR TAKEN 3. Réalisateur : Oliver Megaton, avec Liam Neeson.
Compositeur : Nathaniel Méchaly. Téléchargement
numérique. Mechaly à composé pour
« Revolver », « La Boite Noir », « Taken
1-2-3 », « Colombiana », « Le
Transporter » (la série), « Taxi » (la série) », des
produits Luc Besson, mais aussi pour les films réalisés par Ariel Zeitoun dont
le nanar « Angélique ». Bref on ne peut pas dire que le choix des ses
films soit d'une grande portée intellectuelle, on frôle même l'indigence…il
faut bien vivre ! Mais dans chacun de ses films on peut trouver pour ce
qui est de la composition des moments passionnants. Dans « Taken 3 » Brian Mills est accusé du meurtre de son
ex-femme, il échappe à la police et il n'a pas d'autre choix que de chercher le
criminel ! Courses poursuites, bing bang, coups de flingue, explosions,
cascades, Brian Mills a toujours un coup d'avance, comme dans les deux
précédents films, et il fait jubiler le public qui se précipite à ses exploits.
Alors la musique ? Elle n'essaie pas de coller trop à l'image, ce qui est
une bonne idée. Il y a de très bons moments lyriques, dramatiques ( Bryan's Grief) et lorsqu'elle
repart avec un train d'enfer, l'orchestration est simple mais efficace. Méchaly a le sens du lyrisme et apporte une atmosphère différente dans ce genre de
film. Il a composé une belle musique pour « The Grands Master »
d'Wong Kar Wai, mais c'est l'indigent « Stabat Mater » de Stefano
Lentini qui a raflé tous les suffrages ! Méchaly
a composé une belle musique pour « Angélique » mais on n'a vu que
l'affiche du film. Espérons qu'il trouvera un film à la mesure de son talent.
Même si cette fois ce film casse le box Office ce n'est pas de la musique hélas
dont on se souviendra. https://www.youtube.com/watch?v=CO0LUIenNFc&index=16&list=PL-RQPLpFUf8fLFID0DHS3cchANUXyIQYR LE TEMOIN. Réalisateur : Jean-Pierre
Mocky, avec Philippe Noiret, Alberto Sordi.
Compositeur : Piero Piccioni. 1CD Music Box Record n°MBR-052 Robert
Maurisson (Philippe Noiret), industriel et banquier
de Reims, fait venir son ami Antonio (Alberto Sordi),
afin de restaurer les tableaux de la cathédrale. Le modèle d'Antonio est une
fillette que l'on retrouvera étranglée. L'auteur du crime est Maurisson, mais les soupçons se portent petit à petit sur
Antonio, qui finira par être condamné à mort. Dans ce film de 1978, Jean-Pierre
Mocky traite de la question de l'abolition de la peine de mort, alors que la
société française est en plein débat sur le sujet. Le thème est grave, mais le
ton est équivoque, du fait de la présence de Sordi,
figure marquante de la comédie italienne. Il y incarne un petit-bourgeois
romain, geignard et libidineux, emporté malgré lui par l'engrenage tragique de
l'erreur judiciaire. Pour la musique, Mocky fait appel à un autre italien,
Piero Piccioni. Piccioni
c'est le compositeur de Rosi, de Bolognini, de Corbucci. Pour le film il compose une partition
particulièrement légère qui renforce l'ambiguïté du film. Music Box fait une
réédition avec plus de musiques que ce qui était sorti à l'époque, car un seul
45 tours avait été édité. Le présent album propose les
deux thèmes principaux et leurs variations, qui s'accordent parfaitement aux
scènes de comédie, et engendrent un certain malaise dans les scènes plus
sombres. Dans le film, le premier thème (Le témoin) apparait
principalement sous la forme d'un Gloria qu'interprète une chorale d'enfants,
accompagnée d'un orgue d'église. Dans certaines variations, Piccioni
mélange parfois rythmique disco/pop et chorale religieuse, faisant une musique
blasphématoire. Le second thème du film (Le faux pas), personnifie
Antonio/Alberto Sordi, de par sa mélodie très
italienne et sa bonhommie naïve. Piccioni montre ici
son talent d'orchestrateur. Une belle réédition à posséder. https://www.youtube.com/watch?v=IRTrzAeq2GE RICKY. Réalisateur : François Ozon, avec Alexandra Lamy. Compositeur : Philippe
ROMBI. 1 CD Music Box Records
n°MBR-059 Quand
Katie (Alexandra Lamy), une femme ordinaire, rencontre Paco (Sergi Lopez), un
homme ordinaire, quelque chose de magique et de miraculeux se produit : une
histoire d'amour. De cette union naîtra un bébé extraordinaire : Ricky. Entre
« Angel » (2007) et « Potiche » (2010),
François Ozon retrouvait son compositeur fétiche
Philippe Rombi pour la sixième fois sur le film
« Ricky »
(2008). Librement adapté de Moth, une
nouvelle de la romancière anglaise Rose Tremain, le
film se situe entre réalisme social et fable fantastique en abordant le thème
de la maternité. Philippe Rombi axe sa partition
intimiste et mélancolique autour d'un thème principal, une délicate valse, en
lui donnant d'élégantes variations. D'abord au piano seul, il le décline aux
cordes, au xylophone, sur fond de bois et de cordes plus ou moins inquiets puis
avec des accords dissonants faisant planer l'angoisse et la peur. Avec « Ricky », Philippe Rombi confirme une nouvelle fois son talent de mélodiste et
d'orchestrateur pour les films de François Ozon. THE LAST STARFIGHTER. Réalisateur : Nick Castle, avec Lance Guest, Dan O'Herlihy, Robert Preston, Catherine Mary Stewart. Compositeur :
Craig Safan. 1CD Intrada INT-MAF7139 Voici
enfin la complète réédition de la superbe musique de Craig Safan
de cet excellent film de science fiction de 1984. Alex Rogan
est un jeune homme qui vit avec sa mère et son petit frère dans un parc de mobiles home. Lorsqu'il a un peu de temps, il joue à Starfighter, un jeu vidéo sur
borne d'arcade dont le slogan est : « Salut Starfighter,
vous avez été recruté par la ligue stellaire pour défendre la frontière contre Xur et l'armada Ko-Dan ». Un soir, Alex bat le
record du jeu sous les yeux admiratifs de tous les habitants du caravaning. Peu
après, un étrange véhicule arrive. À son bord, Centauri,
un homme qui lui annonce qu'il est le créateur du jeu Starfighter. Il va lui apprendre que le jeu est en
réalité un simulateur pour découvrir ceux qui ont la capacité de piloter un
vaisseau de combat stellaire et que la menace de Xur
et de l'armada Ko-Dan est bien réelle. Craig Safan a
écrit une musique brillante qui a du corps, de la dynamique. Dès le générique,
trombones, trompettes, annoncent en fanfare que la bataille stellaire va
arriver. Rarement depuis « Star Wars »
de John Williams, une musique a-t-elle
eu autant de clinquant, de lyrisme flamboyant, de rythme héroïque, donnant
encore plus de mordant à cette aventure galactique que va vivre Alex. L'écoute
du CD est enthousiasmante. https://www.youtube.com/watch?v=BSf5tx4e_PA L'ASSASSINO HA RISERVATO NOVE POLTRONE. Réalisateur :
Giuseppe Bennati. Compositeur : Carlo Savina.
1CD Quartet Records QR-171 C'est
une première ! Jamais la musique de ce film n'avait été mise sur un support.
La présentation de l'album avec un huit pages illustré et commenté par Gergely Hubai en fait un collector. Ce film
date de 1974. C'est l'adaptation des Dix petits indiens d'Agatha
Christie. Le compositeur Carlo Savina est un brillant musicien, arrangeur
et chef d'orchestre. Il a conduit,
arrangé des centaines de musique de films (« Amarcord »,
« Fellini Roma », « Le Jardin des Finzi
Contini », « Pizza Connection
»...). Le film se situe entre film policier et film d'horreur, et la musique a le style des arrangements des années soixante dix. https://www.youtube.com/watch?v=ScKCZ2BLsFA
LE COMPLOT (To Kill a Priest). Réalisateur : Agnieszka Holland, avec Christophe Lambert,
Ed Harris, Joss Ackland, Tim Roth, Pete Postlethwaite Timothy Spall et Joanne Whalley.
Compositeur :
Georges Delerue. 1CD Music Box Records MBR-057 Music
Box Records réédite dans une version augmentée et remastérisée,
la bande originale du film réalisé en 1988. Le film s'inspire de la vie du
prêtre Jerzy Popieluszko, membre de Solidarność, arrêté, torturé et assassiné par la
police secrète communiste, la Służba Bezpieczeństwa (Sécurité intérieure), le 19 octobre
1984. La musique de Georges Delerue, à la fois sombre et lumineuse, est axée
autour du motif de la fameuse chanson titre "The Crimes of Caïn"
interprétée par la chanteuse folk Joan Baez. La tension et le suspens ne sont
pas oubliés dans le reste de la partition. Les morceaux dramatiques, soulignés
par les cordes solennelles, mettent en valeur de magnifiques solos de
violoncelle, hautbois, flûte et guitare. Cette nouvelle édition propose 6
morceaux inédits, dont un enregistrement du thème principal fredonné par le
compositeur. Les notes du livret sont signées par Gergely
Hubai. https://www.youtube.com/watch?v=rOe43t18wAI TENUE
DE SOIREE. Réalisateur :
Bertrand Blier, avec Gérard Depardieu, Miou Miou, Michel Blanc. Compositeur : Serge Gainsbourg.
1CD Music Box Records n°MBR-054 Sorti
en 1986, « Tenue de soirée »
réunit sur une même affiche Serge Gainsbourg et Bertrand Blier, deux icônes de
la culture française des années 70/80, deux provocateurs brillants qui, en leur
temps, ont apporté un sang neuf à la chanson pour l'un, et au cinéma pour
l'autre. Sorte de décalque des « Valseuses », sorti douze ans plus tôt, le film
raconte l'histoire d'un trio libre et déjanté, incarné par Gérard Depardieu,
Miou-Miou et Michel Blanc. C'est un marivaudage à la fois mélo et burlesque, où
il est beaucoup question de sodomie et de travestissement, mais aussi d'amour.
Comme le reconnaît Blier lui-même - interviewé spécialement pour la réédition
de cette BO - il y a eu ici une rencontre évidente entre un sujet et un compositeur.
« Nous avions de toute évidence une culture commune, celle de
l'homosexualité de voyous, à la Jean Genet », remarque le cinéaste de
« Buffet Froid ». Gainsbourg venait de sortir « Love on the Beat », un album où « il y
avait cette fameuse pochette réalisée par William Klein, avec Serge en
travesti. Cette pochette - et de façon générale toute la thématique
homosexuelle de l'album - m'a sans doute inconsciemment influencé sur mon choix
de faire appel à lui », poursuit-il. Remplie de thèmes intimistes interprétés
par le compositeur lui-même sur un clavier Yamaha, la musique de « Tenue
de soirée » étonne souvent par sa douceur, en contraste avec la violence
ou la crudité de certaines scènes du film. Elle exprime ce que Blier, au fond,
a tendance à camoufler sous des dialogues drolatiques : la douleur
profonde des personnages, leur mal-être, leurs hésitations. Cette BO contient
également des morceaux plus incisifs ou dansants, notamment pour les scènes de
bal. Il faut également noter que certaines mélodies figurant dans cette musique
de film ont été par la suite réutilisées par Gainsbourg pour l'album qu'il a
réalisé pour sa fille Charlotte. La présente édition contient par ailleurs six
thèmes inédits qui ne figuraient pas dans le 33 tours
original. https://www.youtube.com/watch?v=qkpQlF3Xo8U COLD IN JULY. Réalisateur : Jim Mickle, avec Michael C.Hall,
Sam Sheppard, Don Johnson. Compositeur : Jeff Grace. 1CD Milan Music Universal n° 399
577-2 1989.
Texas. Par une douce nuit, Richard Dane abat un homme
qui vient de pénétrer dans sa maison. Alors qu'il est considéré comme un héros
par les habitants de sa petite ville, il est malgré lui entraîné dans un monde
de corruption et de violence. Très noir, ce western moderne est un mélange
d'humour trash, de gore, comme dans les super séries B des années 80, les
débuts des frères Coen. La musique inspirée de Jeff
Grace amène du liant à ce film déjanté à petit budget mais avec de grosses
qualités. Ce compositeur avait déjà travaillé sur les deux précédents films de Mickle : « Stake land » et « We are What We are ». La
musique rappelle celle de Pino Donaggio
avec des sons de synthés caractéristiques des années 80. L'album propose deux
chansons « Wait de White Lion et back of My Smile » de Kasey Lansdae et « Cosmo
Black » de Dynatron. On album qu'on aime écouter. https://www.youtube.com/watch?v=GuD1csy3u8k&index=5&list=PLyEowSbCtndD3c3rCR1dkf0jtKNkVuAq_ Stéphane
Loison. ***
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