Jean-Philippe RAMEAU. Nouvelles
Suites de Pièces pour clavecin Troisième Livre : Suite en la - Suite en sol.
Alexandre Paley, clavecin. 1CD LAMUSICA(www.lamusica.fr), Distribution
Harmonia Mundi : LMU002. TT : 79’ 18.
Le pianiste
Alexander Paley, fanatique de l’œuvre de Rameau, est
né à Kishniev, en Moldavie ; il a commencé le piano à
l’âge de six ans, donné son premier récital à treize ans, et effectué ses
études au Conservatoire de Moscou. En 1988, il émigre aux États-Unis, vit entre
New York et Paris, et voyage beaucoup pour ses tournées de récitals et de
concerts avec orchestre. Comme il le précise : « lors de ma première
rencontre avec Rameau, j’avais sept ans » et il ajoute : « Grâce
à lui, je suis à mon tour tombé amoureux de la France, et de Rameau en
particulier, Rameau qui ne m’a plus jamais quitté par la suite. » Dans le
cadre du 250e anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau, Alexander Paley a
enregistré deux Suites extraites du Nouvelles Suites de Pièces pour Clavecin,
1728 (Troisième Livre) comprenant, d’une part, des Danses et d’autre part,
des œuvres aux titres particulièrement évocateurs. Influencé par Glenn Gould,
il recherche dans son interprétation les couleurs compatibles avec Rameau,
soigne particulièrement le tempo qui « doit être la vitesse d’exécution
qui permet à l’interprète de tout énoncer musicalement ». Il se réclame
aussi de Wanda Landowska à propos des ornements qui, à ses yeux, sont
« comme un vaste champ qui permet d’introduire ce qui existait autour de
Rameau en son temps ». Dans sa Suite
en la, le pianiste applique les
principes de tempi différenciés, par exemple pour les danses
traditionnelles : Allemande, Courante, Sarabande, Gavotte, avec
ses six doubles. Le titre : Les trois mains concerne leur croisement
et les sauts de la main gauche par-dessus la main droite, innovation technique
lancée notamment par Rameau. Dans la Suite
en sol, il restitue l’aspect descriptif, voire pittoresque des pièces
intitulées Les Tricotets (dans
laquelle Rameau superpose des rythmes à 3/4 et 6/8), La Poule (page descriptive entre toutes, avec ses 5 croches
répétées pour figurer le cri de la poule : Co co co co codaï avec, pour finir, de
puissants accords et des arpèges déchaînés), Les Sauvages ou encore L’Égyptienne
(qui n’est pas sans rappeler l’écriture de Scarlatti et conclut dans
l’agitation et avec des traits de virtuosité cette Suite). Alexander Paley, par sa
remarquable technique pianistique, son toucher délicat, son sens de la construction,
ses recherches concernant les tempi, les couleurs et l’exploitation des
ornements, a signé une authentique Défense
et illustration de la musique de clavecin de Jean-Philippe Rameau. Selon
ses propres termes, il tente « simplement de partager cette immense beauté
qui naît devant moi et devant l’auditeur ». Objectif atteint.
Édith Weber.
« La
boutique fantasque ».
Maria Graf, harpe. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6093. TT : 60’ 22.
Maria Graf a
entrepris des études de harpe à Munich, sa ville natale, puis a été l’élève de
Pierre Jamet, entre autres. Elle a acquis son expérience de l’orchestre avec
les Münchner Philharmoniker
dirigés par Sergiu Celibidache, puis comme harpe solo
à la Philharmonie de Berlin sous la baguette de Herbert
von Karajan. Elle fréquente les salles de concert du
monde entier. Son vaste programme souligne la diversité de son répertoire pour
la harpe, l’un des plus anciens instruments dans l’histoire, à la fois
instrument, mais aussi orchestre permettant de combiner la mélodie et
l’harmonie, de rendre des sons doux et mystérieux au grave, et cristallins et
fulgurants à l’aigu. Le titre de ce disque n’est autre que celui du Ballet d’Ottorino Respighi (1879-1936), dont il permet d’entendre
des Valses. Il comprend, en outre, la
Fantaisie en do mineur pour harpe seule (op.
35) de Louis Spohr (1784-1859), des Variations
en Mi b Majeur sur un thème de La
flûte enchantée de W. A. Mozart, par Michail Glinka (1804-1857), ainsi que de
nombreux arrangements : Introduction
et Variations sur des thèmes extraits de l’Opéra Norma de V. Bellini composées
par Elias Parish Alvars (1808-1849) ;
la Fantaisie sur un thème extrait de
l’Opéra Eugène Onéguine
(Piotr Tchaikovski) réalisée par Ekaterina Adolfovna Walter-Kühne
(1870-1931) ; la Sérénade du Ballet Roméo et Juliette de Sergei Prokoviev (1890-1953). Parmi les thèmes plus connus,
figurent, entre autres, des adaptations de la Danse espagnole n°1 extraite de La
vida breve de Manuel de Falla (1876-1946) ; Vltava (La Moldau) — extrait du Cycle Ma
Vlast (Ma Patrie) — de Bedrich
Smetana (1824-1884) et, plus proche de nous, la Pavane pour une Infante défunte de Maurice Ravel (arrangement de
Maria Graf. Au cours des 9 œuvres
enregistrées, l’excellente harpiste fait preuve d’une grande finesse, d’une
adaptabilité à des musiques et esthétiques si variées, nécessitant des
sonorités spécifiques et une parfaite maîtrise des possibilités de
l’instrument. Son interprétation est fidèle aux intentions des compositeurs
venant d’horizons divers : Allemagne, Russie, Italie, Angleterre,
République tchèque et France. Elle s’impose par sons sens dans les réparties
aux deux mains, par sa précision dans le maniement des pédales. Elle brille par
son tempérament, mais aussi son calme. Elle a signé une belle démonstration de
la polyvalence expressive de la harpe.
Édith Weber.
« Vocalise
Ave Maria ».
Ellen Giacone, soprano, Pierre Quéval,
orgue, Daphné Lallemand de Driesen, harpe, Fabien
Roussel, violon, Paul Ben soussan , violoncelle. 1CD MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com) : S552276. TT : 46’ 48.
La soprano
italo-néerlandaise Ellen Giacone a commencé le chant
lyrique à l’âge de 17 ans. Elle est spécialiste du répertoire baroque, du Lied,
mais aussi de la musique du XXe siècle. Depuis 2012, elle est membre du
Monteverdi Choir placé sous la direction de Sir John Eliott Gardiner et
entreprend de nombreuses tournées en Europe. Sa première production
discographique gravite autour de l’exploitation du thème de l’Ave Maria et est réalisée avec le
concours de Pierre Quéval (à l’orgue), Daphné
Lallemand de Driesen (à la harpe), Fabien Roussel (au
violon) et Paul Ben soussan (au violoncelle). Le
titre générique « Vocalise Ave Maria » regroupe
judicieusement 13 versions reposant sur la mélodie de l’hymne bien connue Ave Maria ; 2 versions du Pie Jesu (selon
les derniers vers de la prose du XIIIe siècle, souvent intégrés à la Messe de
Requiem). L’audition sera particulièrement instructive pour la comparaison des
versions de Franz Schubert, César Franck, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet,
et, plus proches de nous, Pietro Mascagni (1863-1945), Jehan Alain (1911-1940),
Henri Potiron (1882-1972), Vladimir Vavilov
(1925-1973) — avec son pastiche « Ave
Maria de Caccini » (publié
en 1972) — et Éric Lebrun (né en 1967). Cette réalisation thématique et
mélodique commence par la Vocalise
op. 34 n°14 Ave Maria de Sergeï Rachmaninov (1873-1943). À noter, sortant des
sentiers battus : la découverte de l’Ave
Maria de Henri Potiron (publié en 1947), discrètement soutenu à
l’orgue ; le motet éponyme d’Éric Lebrun, extrait des Quatre motets à la Vierge (parus aux Éditions Delatour
France en 2009), véritable prière mariale. Ellen Giacone
—tout en étant titulaire d’un Master en Biologie et d’un Master of Business Administration, absolument polyglotte — se
consacre à la musique. Elle s’impose d’ores et déjà par sa voix claire et
cristalline, son extrême justesse dans l’aigu, convenant parfaitement à ce
répertoire qu’avec le concours des quatre instrumentistes, elle restitue à
merveille.
Édith
Weber.
« 28 Juillet 2014 à
Saint Thomas ».Daniel Leininger, orgue, Leandro Marziotte, conte-ténor, Clémence Schaming, violon. www.saint-thomas-strasbourg.fr. 1CD
VOC 5315.
TT : 53’ 08.
Comme le démontre
ce disque, enregistré les 27, 28 (live) et 29 juillet 2014, la tradition lancée
par Albert Schweitzer, le 28 juillet 1909, à Strasbourg, en l’Église
luthérienne Saint Thomas, pour commémorer la mort de Jean Sébastien Bach à
Leipzig, 28 juillet 1750, vers 21 h., véritable institution locale, est
toujours cultivée avec ferveur. Pour le concert du 28 juillet 2014, Daniel Leininger — organiste titulaire de l’Orgue historique Jean
André Silbermann (1741) —, a fait appel au concours
de Leandro Marziotte
(contre-ténor) et de Clémence Schaming (violon
baroque). Comme il nous l’a écrit : il avait « envie de graver et de
publier ce moment unique », et c’est pour cette raison que trois Chorals
soulignent l’atmosphère réelle de ce récital (enregistrement live). Le programme de circonstance
commence par la confession de foi : Wir glauben all… (Nous croyons tous en un seul Dieu) et se termine par une invocation
à la grâce divine et une préparation à l’au-delà (Vor deinem Thron tret’ ich hiermit).
En parfait connaisseur, Daniel Leininger exploite les
nombreuses possibilités de registration de cet instrument prestigieux (1741),
dont il détient tous les secrets. L’Orgue a été restauré en l’état d’origine
par Alfred Kern en 1979, et relevé par la
Manufacture d’orgues Quentin Blumenroeder de
Haguenau, en 2008/9. Il comprend 3 claviers : Positif de dos (49 notes),
Grand Orgue (49 notes), Écho (49 notes + 24 ajoutées par A. Kern
en 1979) et Pédale (27 notes + 2), et est accordé en tempérament égal.
Pour le Prélude de
choral in Organo
con pedale (BWV 680) : Wir glauben all an einen Gott (Leipzig, 1739), page massive et affirmative,
l’excellent organiste a retenu un tempo tenant bien compte des possibilités
acoustiques de l’Église. Il est suivi du Choral Herr Jesu Christ, dich zu uns wend (BWV 709, Weimar,
autour de 1710), assez lumineux, avec des commentaires décoratifs. Il
interprète la célèbre Toccata et Fugue en
Fa majeur (BWV 540, Cöthen, autour de 1720) avec
notamment une grande maîtrise de la pédale (en solo) et un solide sens de la
structure, avec une exposition précise du thème de la double fugue comprenant
un premier sujet grave, puis un second vigoureux, symbolisant la mort puis la
résurrection. Le Choral Von Gott will ich
nicht lassen est
d’abord chanté par le contre-ténor Leandro Marziotte qui, avec une grande sensibilité, en restitue le
caractère mystérieux ; il est suivi par le Prélude de choral éponyme pour
orgue (BWV 658), avec cantus firmus à la pédale, de caractère plus sombre, mais
éclairé par le rythme dactylique d’habitude utilisé par J. S. Bach pour
exprimer la joie. Pour conclure, Leandro Marziotte, avec une diction et une musicalité parfaites,
expose la mélodie si prenante du choral traduisant l’attitude de l’homme face à
son Créateur : Vor deinem Thron tret’
ich hiermit (BWV 668)
précédant le Prélude de Choral pour orgue, très intériorisé et méditatif, avec
des entrées successives ; comme le précise judicieusement Daniel Leininger, il s’agit d’un « Chant du matin de l’éternité,
danse mystique, où chaque partenaire est parfaitement complémentaire de
l’autre, comme la nuit et le jour, la terre et le ciel… », et de son œuvre ultime dictée à son gendre, Johann Christoph
Altnickol. Ce concert a été encore rehaussé par un
arrangement de l’Air Agnus Dei,
extrait de la Messe en si mineur (BWV
242), dont Leandro Marziotte,
soutenu à l’orgue par la basse continue et accompagné par Clémence Schaming au violon baroque, traduit l’atmosphère si
prenante. Ce disque propose encore le Concerto
en ré mineur (BWV 596), transcrit à l’époque de Weimar (vers 1715) — où
Bach découvre la musique italienne dont il apprécie la construction claire,
l’élégance des lignes mélodiques et l’harmonie simple — d’après L’Estro armonico d’Antonio Vivaldi, op. 3/11 (Venise 1711), en
cinq mouvements très contrastés : Allegro
initial brillant ; Grave
introduisant la Fuga à 4 voix, influencée par le style
italien ; Largo e spiccato de
caractère plus poétique, à 12/8 ; Allegro
conclusif baignant dans la jubilation. Ce chef d’œuvre est magistralement servi
par Daniel Leininger avec un enthousiasme
communicatif. Bref : un programme autour du Cantor de Saint Thomas (à
Leipzig), remplissant parfaitement les objectifs d’un Concert commémoratif en
l’Église Saint Thomas (à Strasbourg) qui, depuis plus d’un siècle, pérennise la
tradition instaurée en 1909. Réalisation discographique exceptionnelle.
Édith Weber.
« Christmas at Downton
Abbey ». 2CDs WARNER MUSIC TV (www.warnermusic.fr) : CAT NO. WMTV241
LC14666. TT : 74’10+ 64’ 48.
À partir de la
série télévisuelle Downton Abbey,
accompagnée d’un livret illustré par une vue de l’Abbaye de Downton
sous la neige et l’ensemble des protagonistes, le Label WARNER MUSIC TV a
réalisé un florilège de 45 pièces représentant la tradition de Noël en
Angleterre, où la fête est célébrée avec tant de ferveur. L’atmosphère festive
est créée d’emblée par la Downton Christmas
Suite (première partie) interprétée par le Budapest City Orchestra et
l’ensemble Budapest Choral Voices. Parmi des arrangement de Christmas
Carols très connus, figurent : O
Holy Night (J. Ovenden,
Ch. Blake), Silent Night (J. Ovenden),
In dulci jubilo bilingue — latin/anglais— (chanté par le Chœur
de Kings College Cambridge), le Kyrie eleison de la Messe de Minuit pour Noël de Marc-Antoine Charpentier (dir. W. Christie)… sans oublier le 1er mouvement du Concerto de Noël d’Antonio Vivaldi, tout
à fait de circonstance. Le second CD commence par la seconde partie de la Downton Christmas
Suite, et contient, entre autres, évidemment le célèbre Hallelujah extrait du Messie de G. Fr. Haendel (Nikolaus Harnoncourt) et le Gospel song : Go, Tell It On The Mountain (Thomas Hampson) annonçant
la Bonne Nouvelle ; Tannenbaum
évoquant le traditionnel sapin de Noël. Il se termine avec le 3e mouvement du Concerto de Noël d’Arcangelo
Corelli. L’ensemble contient encore de nombreux Noëls, interprétés, entre autres, par le remarquable Chœur de Kings
College de Cambridge, par exemple : le Carol O Come, All Ye Faithful arrangé vers 1700 par John Reading d’après
l’hymne pour le temps de Noël Adeste fideles,
attribuée à Saint Bonaventure ; While Shepherds Watched ; Angels, From The Realms Of Glory (Noël
français : Les anges dans nos
campagnes), avec de souples vocalises sur Gloria in excelsis Deo. À noter
également, parmi d’autres, The Three Kings, intéressante composition dans laquelle le
baryton solo relate l’événement, tandis que le chœur énonce en
contrepoint la mélodie de Philipp Nicolaï (1599)
Wie schön leuchtet der Morgenstern (Brillante étoile du matin). Cette remarquable compilation
discographique s’impose comme une authentique Anthologie de Christmas Carols, avec un clin d’œil
mélodique international. Elle illustre à la fois la célébration de la fête de
Noël Outre-Manche, tout en formulant (CD 1, plage 8)
le souhait traditionnel : We Wish
You A Merry Christmas.
Édith Weber.
« ADVENT ». Junger Kammerchor Rhein-Neckar, dir. Mathias Rickert. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6098. TT : 62’ 32.
Mathias Rickert,
chef du Junger Kammerchor Rhein-Neckar (Jeune Chœur de Chambre), a placé son disque
pour le temps de l’Avent sous le signe : Une lumière dans l’obscurité. Cette réalisation regroupe au total
19 antiennes, chorals, chants et motets allant du XVIe siècle à notre époque.
Parmi les mélodies bien connues, figurent : l’antienne latine Alma Redemptoris
Mater dans la version de Tomas Luis de Victoria (1548-1611) ; Rorate Caeli de
William Byrd (1543-1623), le choral
allemand Es kommt
ein Schiff geladen — sur le texte (v. 1626) de Daniel Sudermann,
d’après un chant marial strasbourgeois du XVe siècle et publié à Cologne en
1608 — interprété dans la version de Jan Wilke (né en
1980), de même que Macht hoch die Tür, die Tor’ macht weit d’après Georg Weissel
(1590-1635), annonçant la venue du Sauveur. Plus proches de nous, le choral Der du die Zeit in
Händen hast d’Erhard Mauersberger
(1903-1982) — quatorzième Cantor de Saint Thomas (à Leipzig) après J. S. Bach —
sur le texte de Jochen Klepper ; O
Rex gentium (chanté la semaine avant Noël, lors
des Vêpres), dans l’arrangement de Bob Chilcott (né
en 1955), invocation au Roi des nations et Pierre d’angle, afin qu’il libère
les hommes qu’il a formés ; O
Emmanuel, Rex et legifer noster (B. Chilcott), invocation à Emmanuel
(« Dieu avec nous ») afin qu’il nous sauve ; ou encore O Heiland reiss die Himmel auf (Cologne, 1623) dans l’arrangement d’Ole Schützler (né en 1976),
invocation au Sauveur, « Étoile du matin » et chant de
reconnaissance. Les voix jeunes, claires et lumineuses du Chœur de chambre
chantent a cappella avec une remarquable justesse d’intonation et un fondu
exceptionnel. Elles sont dirigées avec autorité et musicalité par Mathias
Rickert, professeur au Sankt Raphael Gymnasium et
professeur de direction chorale à la Staatliche Hochschule für Musik de Mannheim. Grâce à l’heureuse initiative de Ruprecht Langer, ce disque, enregistré en avril 2014 sous
le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION, est très
représentatif des liturgies célébrées en Allemagne pendant les quatre Dimanches
de l’Avent et — loin de l’agitation de nos villes — de leur atmosphère
bienfaisante et si lumineuse.
Édith Weber.
« Flûte de
Pan et Orgue. Airs. Grandes œuvres classiques ». Philipe Husser,
flûte de Pan, Pierre Cambourian, orgue. 1CD (http//philippehusser.weebly.com ) : PH&PC1.
TT : 71’ 02.
Comme le précise Philippe Husser à propos de la sortie de son nouvel album : il
« est né suite à la demande insistante de bon nombre d’auditeurs, témoins
de nos concerts flûte de pan et orgue ces dernières années, toujours déçus de
ne pouvoir rentrer chez eux, après un concert en notre compagnie, avec un
souvenir sonore correspondant au programme. » Voilà chose faite… Philipe Husser (Flûte de Pan) et Pierre Cambourian (Orgue
Cavaillé-Coll de l’Église Saint-Vincent-de-Paul, Paris) ont prévu un programme
adapté aux deux instruments dont les sonorités se marient à merveille. Il comprend un arrangement du Concerto pour hautbois en la mineur
d’Alessandro Marcello (1673-1747), composé vers 1708 ; le Concerto pour orgue en ré mineur (J. S.
Bach/A. Vivaldi). Les deux interprètes proposent également deux Airs de J. S. Bach (de Phoebus et de
Pan), ainsi que l’Air de Papageno de
La Flûte enchantée de Wolfgang Amadé Mozart. La
deuxième partie de cette réalisation concerne particulièrement des œuvres
d’Edward Elgar (1857-1934) dont Chanson
du matin, Chanson de nuit et Pump and Circumstance.
La Roumanie — où la flûte de Pan, très prisée, est enseignée de longue date —
est représentée par une Suite. Plus
proche de nous, le thème du film The
Mission (Roland Joffé, 1986) sur la musique
d’Ennio Morricone : Gabriel’s Oboe sert de
conclusion. Ce parcours historique interprété en parfaite connivence — avec les
qualités d’équilibre, de sonorités spécifiques, déjà soulignées dans nos deux
dernières recensions (cf. L’EM, 10/2014) — constitue une convaincante réponse à
la demande non seulement des auditeurs de leurs concerts, mais aussi des
discophiles : tous seront ravis.
Édith Weber.
Hans Leo HASSLER : Geistliche Chormusik
aus dem Hohen
Dom zu Mainz. Mainzer Domchor, Domkantorei
St. Martin, dir. Karsten Storck.
1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6097. TT : 58’ 32.
Le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION a voulu commémorer en 2014 le
450e anniversaire de la naissance de Hans Leo Hassler (1564-1612). À la
charnière entre la polyphonie de la Renaissance tardive et le début du baroque
vénitien, Hassler (né à Nuremberg en 1564 et mort à Francfort-sur-le-Main en
1612) s’est rendu pour ses études à Venise auprès d’Andrea Gabrieli. Vers 1586,
il est organiste de la Chambre d’Octavian II Fugger
puis, en 1600, directeur de la musique municipale d’Augsbourg. Puis il
s’installe à Ulm et, après 1608, il est organiste de la Chambre du
Prince-Électeur Christian II de Saxe, à Dresde. Si Hassler est surtout connu
par ses Madrigaux, il a aussi composé
des Messes, Psaumes et Chorals
généralement à 4 voix sur des mélodies traitées en fugue, ainsi que des Chansons spirituelles sur des mélodies
traditionnelles « simpliciter gesetzet »,
c’est-à-dire en contrepoint simple à 4 voix et homorythmiques pour faciliter
l’intelligibilité du texte. Après une Intrada interprétée par les Mainzer
Dombläser (cuivres), page
solennelle avec des effets d’échos selon l’usage italien, le Mainzer Domchor (Chœur de la
Cathédrale de Mayence) interprète le bref choral pour le temps de Pâques :
Christ ist erstanden von der Marter alle affirmant la
Résurrection ; les remarquables chanteurs sont bien soutenus par les
cuivres. Quatre Messes sont
interprétées : la Missa Ecce quam bonum, la Missa Octo vocum, la Missa
super Dixit Maria, chacune avec Kyrie, Gloria, Agnus Dei ; la Missa Come Fuggir, plus développée, comprenant Kyrie, Gloria, Sanctus, Benedictus et Agnus Dei. Les interprètes en sont le Mainzer
Domchor, la Domkantorei St.
Martin, tous placés sous la direction avisée de Karsten Storck.
Ils donnent un aperçu de la pratique musicale dans cette Cathédrale millénaire
avec alternance d’un chœur de garçons, d’un ensemble vocal mixte et des
cuivres. Dans l’ensemble, la musique de Hassler revêt un caractère énergique,
festif, assez proche du madrigal et soucieux de la compréhension des paroles.
Au centre de cette production discographique, figure une Suite pour Cuivres en 5 parties, privilégiant les mouvements lents,
proche de l’esprit madrigalesque, transcrite par K. Storck
et B. Fitzgerald d’après le recueil Neüe teütsche Gesäng nach Art der welschen Madrigalien und Canzonetten (Nouveaux chants allemands à la manière des
madrigaux et canzonettes italiens, 1596) ; elle est interprétée avec élan
par les Mainzer Dombläser.
Ce disque comprend également le Motet Dixit
Maria ad Angelum
et le Choral œcuménique, intense invocation à la paix : Verleih uns Frieden gnädiglich (sur
le texte allemand et la mélodie de Martin Luther, 1529, d’après
l’antienne Da pacem,
Domine, in diebus nostris).
Comme de juste, ce bel hommage à Hans Leo Hassler, retentissant à la Cathédrale
de Mayence, se termine aux accents jubilatoires du Psaume 100/99 : Jubilate Deo omnis terra
interprété par les Cuivres de la Cathédrale de Mayence. Il projette un
éclairage neuf sur sa musique religieuse. Voici encore une remarquable
réalisation qui, plus de quatre siècles après la mort du compositeur, rend sa
musique vivante et si présente.
Édith Weber.
« Sound in Search of a Past ». Ambra &
Fiona Albek. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1415. TT : 66’
54.
Les jumelles :
Ambra (violon et alto) et Fiona Albek (piano),
« à la recherche du passé », rendent hommage à la musique
norvégienne, tchèque, hongroise, suisse et anglaise. Elles se produisent en duo
ou en solistes, non seulement en Suisse, mais également en Europe, aux
États-Unis, en Amérique du Sud, en Australie et en Chine. À part la forme
classique de la sonate, les autres œuvres se réclament, entre autres, du folkore d’Europe de l’Est, de la musique suisse
d’inspiration juive... Edvard Grieg (1843-1907) a composé sa Sonate pour violon n°2 en Sol Majeur, op. 13, en 1867, alors âgé de 24 ans. Il puise
son inspiration dans le patrimoine national ; son esthétique est placée
sous le signe des grands maîtres du XIXe siècle, Schubert en particulier. Fiona
s’impose d’emblée par son accompagnement précis créant l’atmosphère douloureuse
(Lento doloroso)
et ses accords énergiques, et Ambra, par ses coups d’archets précis, puis
son envolée mélodique dans l’Allegro vivace. Le deuxième
mouvement : Allegretto tranquillo est suivi d’un Allegro animato conclusif bien enlevé. Bedrich
Smetana (1824-1884) est représenté par From my Homeland (Ma
Patrie) (1874-79) , aux accents lyriques ; Leos Janacek (1854-1884), par sa Sonate pour violon et piano
composée entre 1921 et 1931 ; Bela Bartok (1881-1945), par ses Danses populaires roumaines dans l’arrangement pour alto et piano
d’Alan Arnold. Ces œuvres sont solidement marquées par le folklore, alors
qu’Ernest Bloch (1880-1959), Suisse naturalisé américain, de formation
française, s’est particulièrement intéressé au répertoire juif : c’est le
cas de la prière Abodah pour la grande Fête de Yom Kippur (fête
de la repentance). Le programme se termine par une œuvre composée en 2010 — à
l’attention de l’Albek Duo — par William Perry (né en
1930) : The Nightingale in the Park,
évoquant le chant d’un rossignol dans un parc, en présence d’un vieux couple,
d’un poète plongé dans ses pensées, alors que des enfants jouent et que des amoureux
s’y promènent. Comme le souligne Stefano Bazzi, cette
page descriptive, exempte de religiosité
ou de résonance patriotique, est un hommage discret au style pastoral de Ralph
Vaughan Williams, précurseur de l’école nationale anglaise. L’Albek Duo, sensible à tant de nuances et de styles si
divers, propose ainsi un éloquent panorama du répertoire pour violon
(respectivement alto) et piano à la fois cosmopolite, attachant et très
original.
Édith
Weber.
Hermann SUTER : Sämtliche Streichquartette
(intégrale de quatuors à cordes).
Beethoven Quartett. 1 CD MUSIQUES SUISSES (www.musiques-suisses.ch ) : MGB
CD 6279. TT : 77’ 05.
Hermann Suter est
né à Kaiserstuhl (Allemagne) en 1870 et mort en 1926
à Bâle. Issu d’une famille de musiciens, il a étudié, entre autres, avec Hans
Huber et Carl Reinecke. Installé à Zurich en 1892, il
a été organiste et chef de chœur ; puis en 1902, professeur à la Schola Cantorum de Bâle. À
la fois interprète et compositeur d’œuvres vocales (Oratorio, Cantates, Chorlieder…) et de musique de chambre (3 Quatuors
et 2 Sextuors), son esthétique se rattache dans l’ensemble au postromantisme.
Comme le rappelle Georg-Albrecht Eckle dans son
judicieux texte de présentation, Hermann Suter s’est imposé sur la scène
internationale avec son Premier
Quatuor à cordes en Ré Majeur, op. 1 (1901), structuré en « quatre
mouvements très différents les uns des autres : deux mouvements rapides et
expansifs… [qui] encadrent deux morceaux qui pourraient
être décrits comme des pièces de caractère. » Il commence par l’Allegro brioso permettant
immédiatement à l’excellent Beethoven Quartett de s’imposer à la fois par la précision de son
jeu et sa sonorité si prenante. Hermann Suter a intitulé le deuxième mouvement Moderato con svogliatezza,
quelque peu « morose », les interprètes en recréent l’atmosphère
voulue. Il est suivi d’un Larghetto
cantabile particulièrement expressif, avec un Fugato très décidé. L’Allegro
conclusif se veut très agité. On y sent la proximité de Wagner et de Brahms.
Dans son Quatuor à cordes n°2 en Do# mineur, op.
10 (1910), Hermann Suter s’est inspiré de Beethoven. Ce deuxième Quatuor commence par un Moderato malinconico
servant quelque peu de fil conducteur et contrastant avec l’Allegro impetuoso
et le Molto moderato ma con grazia avec Variations.
Les interprètes y privilégient absolument le facteur émotionnel, les sonorités
chantantes et, comme le fait observer Georg-Albrecht Eckle, la
polyphonie qui accorde une « indépendance maximale aux voix
individuelles ». Le Quatuor à cordes
n°3 en Sol Majeur « Amselrufe », op.
20, a été composé en 1918, vers la fin de sa vie. Merian
fait allusion à un « style décontracté auquel Hermann Suter s’était déjà
essayé en 1916… Le compositeur se détourne ici de toute expérimentation
formelle à grande échelle pour retourner à la joyeuse liberté des formes
classiques… » La démarche est intéressante, car le premier thème n’est
autre que le chant d’un merle (Amselrufe), faisant l’objet d’un travail thématique solide.
Suter spécule sur les oppositions de mouvements : Comodo – Allegro ; Allegretto
vivace e grazioso (Reigen
— c’est-à-dire : Ronde) ;
Adagio-Presto. Matyas
Bartha et Laurentius Bonitz (violons), Vahagn Aristakesyan (alto) et Carlos Conrad (violoncelle)
traduisent excellemment les nombreuses intentions du compositeur. Cette
remarquable formation se distingue par son équilibre et sa cohésion. Elle a
signé une belle Défense et illustration de l’intégrale des Quatuors de Hermann Suter : c’est tout à l’honneur de la
Collection « Musiques Suisses ».
Édith Weber.
« Jewish Songs ». Pierre-Luc Bensoussan, batterie, Pierre Diaz, saxophones,
Patrice Soletti, guitare électrique et objets
sonores. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques
Juives (www.iemj.org ) : IEMJ CDD 001. TT : 49’ 26.
L’Institut Européen
des Musiques Juives (IEMJ), créé en 2006 par la Fondation du Judaïsme Français,
en partenariat avec l’Association Yuval, a pour mission de recenser, préserver
et diffuser le patrimoine musical juif en France par des enregistrements audio
et vidéo, des partitions, monographies… La Collection « Découvertes »
invite les discophiles à un « Voyage instrumental et poétique sur les
traces des musiques juives ». Hervé Roten,
Docteur en Musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, Directeur de l’IEMJ, a
regroupé 7 pièces de Chants juifs
typiques, évoquant l’histoire et les vicissitudes du Peuple d’Israël, par le
biais de la musique et du chant qui, grâce à la mélodie, suscitent
« l’émotion de l’exil, mais aussi celle des jours heureux ». Cette
réalisation est accompagnée d’un bref commentaire français et anglais. La
première pièce : Bith Aneth plonge immédiatement l’auditeur
dans l’atmosphère nostalgique et langoureuse si caractéristique de l’âme juive.
La célèbre chanson : Dona Dona, selon le texte d’accompagnement écrite en yiddish
par Aaron Zeitlin sur la musique de Sholom Secunda, décrit la
condition d’un petit veau ligoté mené à l’abattoir, parallèle avec la situation
des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La Fête de Hannouka
commémore la réinauguration de l'autel des offrandes
dans le second
Temple de Jérusalem, lors de son retour au culte judaïque, après son
interdiction, elle est associée à l’allumage des chandeliers à neuf branches,
et le chant Ochos kandelikas
fait allusion aux huit bougies ; malgré son atmosphère judéo-espagnole,
cette composition moderne (1983) est due à Flory Jagoda. La poésie religieuse Tsur Michelo est chantée avant la bénédiction
de la fin du repas ; d’origine vraisemblablement française, remontant à la
seconde moitié du XIVe siècle, elle s’est répandue dans la diaspora. Cet
enregistrement reprend aussi une chanson d’amour du folklore judéo-espagnol. Il
en sera de même du traditionnel : Dos
Amantes. Le folklore ashkénaze russe est représenté par Tumbalalaïka (habituellement
chanté en yiddish). Le chant traditionnel
judéo-espagnol : Cuando el rey Nimrod évoque l’histoire de la naissance d’Abraham. Ce
CD — entièrement instrumental,
interprété par Pierre-Luc Bensoussan (batterie), Pierre Diaz (saxophones) et
Patrice Soletti (guitare électrique, objets sonores)
— réussit à rendre sensible et à recréer
l’atmosphère mélancolique typique des chants juifs. Il contribue à la diffusion
et à la mémoire du patrimoine musical juif
Édith
Weber.
« AZAFEA.
Une odyssée espagnole ». Lev-Yulzari Duo. Frank London, trompette, John Hadfield,
percussions. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Découvertes : CDD-0002. TT :
63’ 45.
Le Lev-Yulzari Duo se compose du contrebassiste Rémy Yulzari (diplômé du Conservatoire de Lyon et du CNSM de
Paris, spécialiste d'improvisation et de créativité) et du guitariste Nadav Lev (né au kibboutz Nachshon,
titulaire de nombreux Prix de Concours internationaux, compositeur à mi-chemin
entre classique, rock, jazz et improvisation). Ils se sont assuré la
participation de Frank London, trompette, John Hadfield, percussions.Cette réalisation intitulée : Une odyssée espagnole comprend 14
pièces, dont des œuvres de musiciens connus, tels que Manuel de Falla (1876-1946) avec
Jota ; Homenaje ; Nana et Polo (des Siete canciones populares espanolas) ;
d’Érik Satie (1866-1925) : arrangement de Gnossienne « à la sauce marocaine mâtinée de klezmer et de jazz ». Comme le relève Hervé Roten, producteur
exécutif, la musique séfarade s’est enrichie au contact des différents pays
dans lesquels les Juifs d’Espagne se sont installés. Elle est illustrée par 4 Canciones sefardies Joaquin Rodrigo (1901-1999) : Respondemos ;
Una Pastora Yo Ami ; Nani, Nani et Morena me
llaman. Elle a aussi emprunté à la Turquie des
modes et thèmes musicaux pour Avinu Malkenu/Terk in Amerika, plus développé. La pièce : Besame Mucho de
Consuelo Velazquez (1924-2005), pianiste et
compositrice mexicaine, est de caractère langoureux. La dernière œuvre : Ma Omrot Einayich de Mordechai Zeira (1905-1968), compositeur israélien d’origine
ukrainienne, servant de conclusion, est très connue en Israël. Au fil des
plages, ces interprètes — qui s’investissent parfaitement dans l’âme de la
musique juive, à la fois énigmatique, mélancolique, envoûtante, secrète,
nécessitant une grande maîtrise vocale — convient les discophiles à un périple
dans le temps et dans l’espace. Grâce à l’initiative de Hervé Roten : dépaysement garanti.
Édith
Weber.
« Yiddishe Fantazye ». Amit Weisberger,
violon, chant, Gaëlle-Sara Branthomme, violoncelle et
chant, Mihaï Trestian,
cymbalum et cymbal, Simon Nicolas, percussions. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Découvertes : CDD-0003. TT :
54’ 19.
Sous le
titre : Yiddishe Fantazye,
l’Institut Européen des Musiques Juives a regroupé 17 pièces chantées en
yiddish : langue dérivée du haut-allemand (parlée entre autres par les
Juifs alsaciens) avec un apport de vocabulaire hébreu et slave. Les interprètes
sont Amit Weisberger
(violon, chant) — également comédien et danseur israélien installé en France —,
Gaëlle-Sara Branthomme (violoncelle et chant) —
auteur et compositrice, spécialiste de musique khmer et de chanson française —
et Mihaï Trestian (cymbalum
et cymbal, petit cymbalum) — Prix de Concours
internationaux, en France depuis quelques années —, associés pour la percussion au musicien
invité Simon Nicolas (pour les 3 morceaux Sholem Aleikhem/Karahod ;
Lemish sher ; Fun der Khupe).
Le Prologue extrait d’archives historiques propose, chantée par Roza-Leya Kiselgof
à Leningrad en 1920, une ronde intitulée : Redele sur laquelle se superpose
la mélodie d’une prière turque (Terkish gebet) d’influence orientale (quarts de ton), comme le
précise le texte joint au CD. La deuxième pièce provient du Recueil Yiddishe folks-lieder de Moyshe
Beregovski, ethnomusicologue russe, avec les paroles
émouvantes invitant « mes bien-aimés petits musiciens, si gentils et si
doux, jouez pour moi encore un peu avant que je ne meure ». La Romanian Fantaisie n°2 évoque les Carpates et le
« violon d’un trait fin dessine les silhouettes délicates des sommets. Les
sons du cymbal (petit cymbalum) sont comme des
clochettes au cou des brebis alors que le violoncelle évoque les profondeurs de
la forêt. » Vers 1970, le revival
de la musique klezmer se manifeste aux
États-Unis : c’est le cas de Sirba de Leon Schwartz. Parmi
d’autres pièces, figurent la Prière pour
Mendel Beilis, Juif ukrainien ; une autre Fantaisie roumaine, au rythme très
précis ; la chanson Sholem Aleikhem et deux danses biélorusses Karahod ;
une berceuse : Der bobes mayse reposant sur
l’histoire truculente d’une grand-mère ; un Taksim (longue introduction
instrumentale), ainsi qu’une danse de mariage du XIXe siècle (quadrille où les
couples se croisent et s’entrecroisent), intitulée : Sher (ciseaux), se rattachant à
la musique klezmer de tradition orale. Une mélodie
hassidique (Khsidishe Hopke) est
suivie d’une valse Der Farzorgter Yid… (Le Juif
anxieux). L’ensemble se termine par la berceuse chantée : Shlof Mayn Sheyne Feygale (Dors, mon bel oiseau) extraite des
Archives de M. Beregovski, enregistrée en 1938. Ces Yiddishe Fantazye
illustrent la variété des thèmes traités, les diverses influences, entre autres
turque et klezmer, ainsi que la fantaisie et la
diversité des atmosphère si typiques de la musique
juive cultivée en Israël et restituée grâce à des interprétations d’époque.
Documents sonores authentiques.
Édith
Weber.
« Juifs et Trouvères.
Chansons juives du XIIIe siècle en ancien français et hébreu ». Ensemble Alla Francesca, dir.
Brigitte Lesne, Pierre Hamon. Éditions de
l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Patrimoines musicaux des
Juifs de France. 1CD BUDA MUSIQUE (www.budamusique.com ) : CD 860261. TT :
60’ 12.
Coproduit par le
Centre de Musique Médiévale de Paris et l’Institut Européen des Musiques
Juives, ce disque permet de découvrir des chansons juives pour diverses
circonstances (liturgie, Nouvel An, Pâque, mariage), ainsi qu’une complainte et
une chanson de Jacob, chantées en ancien français et en hébreu. Brigitte Lesne résume ainsi son « projet
passionnant » : « restituer un corpus de huit chansons relevées
par la paléographe Colette Sirat dans des manuscrits
hébraïques, copiés à la fin du XIIIe dans le nord de la France. Le défi :
pas d’écriture musicale dans ces manuscrits… ». « Spécificité
exceptionnelle de ces chansons : elles ont toutes été copiées en
caractères héraïques ; cependant quatre d’entre
elles sont une transcription phonétique de la langue d’oïl…, et deux autres
présentent une alternance de l’hébreu et de la langue d’oïl, parfaite
illustration de l’intégration de cette communauté ». En guise
d’introduction : un poème liturgique anonyme noté sur les marges droite et
inférieure d’un folio d’un manuscrit hébraïque (conservé à la British
Library) copié à Troyes vers 1280, « le copiste a ajouté à la fin du
poème une note indiquant que l’on doit chanter le texte sur la mélodie d’une vadurie — chanson
d’amour… identifiée avec un poème du trouvère Moniot
de Paris (actif en Île-de-France probablement après 1250) Lonc tens ai mon tens
usé : il s’agit donc de compilations de versets évoquant l’oppression
des Juifs par Louis IX (1214-1270) et leur appel à la vengeance divine — : Shalfu tzarim. » Belle prouesse de restitution d’une
pièce liturgique juive avec refrain.
Brigitte Lesne signale son objectif : « pour élargir
l’évocation du répertoire musical de cette communauté à la fois imprégnée des
chants de la synagogue et de ceux qu’elle pouvait entendre — et partager — en
côtoyant au quotidien ses voisins chrétiens, j’ai choisi de compléter le
programme de ce disque avec quatre autres chansons de trouvères, et de le
ponctuer de pièces instrumentales », c’est-à-dire les deux motets polytextuels : L’autrier par un matinet/Au nouveau
tens et A
une ajornee/Quant je oie chanter l’aloete, ainsi que le Lai des Puceles. La fête de Roch hachana (Nouvel An) est représentée par Roi de poer —
roi puissant qui reçoit ma louange au son du shofar — de Joseph Tov Elem (XIIe siècle), consigné
dans un livre de prières de rite français copié au XIVe siècle, et par Les anfanz des avot. La chanson de mariage anonyme : El-givat ha-levona (À la
colline d’encens, notre hattan est arrivé…)
provient d’un des plus anciens recueil de prières
juives connus : le Mahzor Vitry (XIe siècle) concernant des
règles de pratique religieuse. L’emploi de l’hébreu et de la langue vulgaire
est pratiqué par les Juifs dans de nombreux pays. Deux pièces sont consacrées à
une complainte et à une chanson de Jacob : Las, las, las, que ferai et Ne
puis ma grant joie celer. Le chabbat
fait l’objet de la chanson Deror yiqra, page à succès. Enfin, la fête de Pesah (Pâque) conclut cette Anthologie avec La nuit de Pesah (Leil Shimurim), d’un auteur
inconnu. Selon les commentaires joints au disque, elle commémore en hébreu la
sortie d’Égypte, se trouve dans les livres de prières en ashkénaze dans le Nord
de la France ; elle est lue en hébreu, puis transcrite en langue d’oïl,
enfin chantée en hébreu sur le contrafactum : En mai la rousee. L’Ensemble
Alla Francesca comprend les pupitres suivants : chant, harpes, flûtes,
vielle et luths, et est dirigé soit par Brigitte Lesne,
soit par Pierre Hamon. Spécialistes de la lyrique médiévale, tous se sont
surpassés pour révéler également ces pièces typiques du répertoire vocal juif.
La réception et l’originalité de ce programme en ancien français et en hébreu
sont incontestables.
Édith
Weber.
Carl Philipp
Emanuel BACH : Concertos pour violoncelle et cordes Wq
170, 171 & 172. Konstantin Manaev, violoncelle. Camerata Berlin, Dir. Olga Pak. 1CD CLASSICClips : CLCL 129.
TT.: 74'48.
Le celliste Konstantin Manaev (*1983), formé à la fois dans sa Russie natale, en
Allemagne et en Suisse, compte déjà à son actif un palmarès enviable côté
concours et apparitions publiques à travers le monde. Mais sa carrière de
soliste ne l'empêche pas de se livrer à sa vraie passion, la musique de
chambre. Il s'attaque dans ce CD aux concertos pour violoncelle et cordes de
CPE Bach (1714-1788) ), avec cette double
particularité de les jouer au sein d'un ensemble de six musiciens, et d'enrichir
les cadences de compositions modernistes. Composés entre 1750 et 1753, alors
que CPE Bach est à Berlin au service de Frédéric le Grand, grand amateur de
musique et excellent flûtiste, les trois concertos pour violoncelle
s'inscrivent dans la grande tradition du concerto italien, de Vivaldi et des
ses contemporains, mais affirment un style tout personnel au musicien. Ils
ouvrent la voie au renouveau, annonçant les compostions de Joseph Haydn. Ainsi
en est-il de l'exubérance des mouvements extrêmes, empreints d'un dynamisme
qu'on ne sent pas bridé, comme au finale du concerto Wq
170, entraînant, presque piquant, ou à celui du concerto Wq
172, très enjoué. Les séquences lentes médianes livrent des trésors
d'expressivité, tel le largo du concerto Wq172, vérifiant ce mot du compositeur
selon lequel « la musique doit avant tout toucher le cœur » : d'un profonde émotion, le soliste déployant sa douce
cantilène sur un accompagnement de cordes jouant en sourdine. Les exécutions de
Konstantin Manaev sont profondément pensées et ses
six partenaires, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et clavecin,
apportent cette touche d'intimité qui confère à cette vision toute sa
signification. On est moins enthousiaste quant à la manière d'élargir les
cadences de traits modernistes, fort dissonants par moment, comme celle du
deuxième mouvement du concerto Wq 172, où la
variation en perd de sa cohérence, malgré les efforts de l'auteure, la
compositrice ouzbèque Aziza Salikova.
Ailleurs, comme dans le concerto Wq 171, les choses
sont moins perturbantes et s'inscrivent mieux dans la continuité du morceau, et
dans l'esprit de CPE Bach. Quoi qu'il en soit, voilà d'excellentes lectures
solistes, et fort bien managées par les musiciens émérites de la Camerata Berlin.
Jean-Pierre
Robert.
Antonio VIVALDI : « Pietà ».
Pièces sacrées pour voix d'alto, dont Stabat Mater, RV
621, Gloria, RV 589, Salve Regina, RV
618. Concerto pour cordes et continuo, RV 120. Philippe Jaroussky,
contre-ténor. Ensemble Artaserse. 1CD Erato :
0825646257508. TT.: 78'30.
Philippe Jaroussky
revient à la musique sacrée de Vivaldi. Pour des motets écrits pour la voix
d'alto. L'une des premières compositions de ce type conçues par le Prêtre roux
est le Stabat Mater, écrit en 1812 pour
la congrégation des Oratoriens de Brescia. Pour sa seconde
interprétation au disque, Philippe Jaroussky, qui
dirige son propre orchestre, Artaserse, en livre une
exécution recueillie, méditation bouleversante et intimiste, comme dans le
verset « cuius animam
gementem » où le temps semble s'arrêter, ou le
« Eia Mater », lors qu'après une courte
mais sensible introduction instrumentale, la voix du falsettiste
semble émerger du néant, le chant progressant ensuite dans une atmosphère
raréfiée. Partout la voix et l'orchestre s'enlacent délicatement car outre la
maîtrise suprême de la ligne de chant, Jaroussky mise
sur des tempos habités dans le lent et le ppp, et d'une ampleur mesurée
dans le plus allant, tel l'Amen final radieux qui après cette belle
déploration, ouvre les portes du ciel. Le CD présente encore des pièces
écrites alors que Vivaldi s'était vu proposer les fonctions, outre de maestro
di violini, de maestro di coro,
à partir de 1713 à l'Ospedale della
Pietà de Venise : le Gloria, dont est donné ici le « Domine deus »,
moment de douce réflexion, où Jaroussky déploie son
angélique timbre sur un simple accompagnement du hautbois et de la basse
continue. Puis deux motets, bâtis sur un même schéma de deux airs séparés par
un récitatif, couronnés par un Alleluia brillant, ces
morceaux développant une virtuosité vocale qui n'a rien à envier à celle d'une
aria d'opéra. Ainsi de « Clarae stellae, scintillate »
(1715), d'une lumineuse beauté, s'achevant dans un tempo digne des morceaux les
plus vifs des Quatre saisons ; ou du fascinant « Longe mala, umbrae, terrores »,
de 1720, enchaînant des vocalises qui ne laissent pas d'étonner dans un tel
contexte religieux. Enfin, le motet « Filiae maestea Jerusalem », conçu
comme une introduction au Miserere, d'une inspiration puissante,
contraste une section centrale développée sur un rythme pointé des cordes
pianissimo, avec deux mouvements extrêmes plus expansifs. Le programme se
conclut par le Salve Regina, pièce plus tardive (après 1720), d'une
étonnante richesse mélodique, construite sur un orchestre « a due cori », savoir deux petites formations jouant en
répons. Ses six versets alternent le contemplatif et le déclamatoire, pour
finir dans un souffle. Philippe Jaroussky dont le
timbre a pris des teintes mordorées , insuffle à toutes
ces pages une foi ardente.
Jean-Pierre Robert.
Georg Friedrich HAENDEL. « Music for Queen Caroline » :
« The King rejoice », HWV 260. Te Deum, HWV 280. « The
ways of Zion do mourn », HWV 264. Tim
Mead, contre-ténor, Sean Clayton, ténor, Lisandro
Abadie, baryton-basse. Les Arts Florissants, dir.
William Christie. 1CD Arts Florissants Editions : AF.004. TT.: 72'17.
Caroline von
Brandenburg-Ansbach (1683-1737) épouse en 1705 le
prince Georg August de Hanovre, puis devient princesse de Galles lors de
l'accession de son beau-père, Georges Ier, au trône d'Angleterre, et enfin
reine de Grande Bretagne à celle de son époux, le roi Georges II, en 1727.
Grande intellectuelle, lectrice de Voltaire, amie de Newton, elle a toujours
favorisé les arts et les lettres. Rencontrant Georg Friedrich Haendel, elle en
deviendra rapidement la protectrice. Celui-ci lui dédiera, entre autres, son Giulio
Cesare, et composera plusieurs pièces chorales à son intention dont les
trois pièces réunies sur ce disque, qui ponctuèrent son règne. Le Te Deum
est écrit en 1714 pour marquer l'arrivée en Angleterre de celui qui devient le
roi Georges Ier. Mais il sera aussitôt rejoué pour celle de Caroline quelques
jours plus tard, d'où son nom de « Te Deum pour la reine Caroline ».
Il est distribué à un chœur mixte et à trois voix solistes, contre-ténor, ténor
et basse. On y admire le climat intimiste dans les solos du contre-ténor, en
particulier au cours du verset « Quand tu as pris sur toi de sauver
l'homme ». L'hymne « The King shall rejoice » a été créé pour le couronnement de George
II. Son ouverture flamboyante donne le ton, qui ne se démentit pas au cours des
diverses séquences, dont un passage fugué, et jusqu'à l'Alleluia final
non moins grandiose, illustrant la maîtrise contrapuntique du musicien. Enfin,
pour les funérailles de la reine, en 1737, à l'abbaye de Westminster, Haendel
présente avec l'antienne « The ways of Zion do mourn » un vibrant
mémorial à la défunte souveraine. Loin de la tristesse d'un requiem, la pièce
évoque plutôt la reconnaissance des traits de caractère de la souveraine
combien aimée et honorée. La présence de chorals luthériens n'est pas sans
évoquer les origines germaniques aussi bien de la reine que du musicien. Une
courte Ouverture symphonique introduit un ton recueilli. Puis s'enchaînent
divers morceaux choraux évoquant tour à tour la déploration du décès et
l'évocation des récompenses accordées aux âmes vertueuses, et partant, les
nombreuses vertus de la reine Caroline, sa bonté, sa mansuétude, sa générosité.
Les chœurs sont, là aussi, traités dans une grandiose ampleur, quoique de
manière différenciée. Mais l'œuvre se conclut dans l'apaisement. William
Christie et ses forces, chœurs et orchestre, livrent de ces trois pièces des
exécutions d'une absolue beauté plastique et d'une grande profondeur de ton.
Ses solistes dans le Te Deum sont de classe. Un disque qui par son
ingénieux programme enrichit la discographie haendélienne.
Jean-Pierre
Robert.
Franz SCHUBERT : Winterreise, D. 911. Poèmes de Wilhelm
Müller. Matthias Goerne, baryton, Christoph Eschenbach, piano. 1CD Harmonia Mundi
: HMC 902107. TT.: 74'54 .
Les versions du Voyage
d'hiver se font nombreuses au disque ces temps. Mais celle-ci, nul doute, est au dessus du lot. Est-il poétique plus prégnante que
celle que Schubert a portée dans ce cycle sur les poèmes de Wilhelm Müller ?
Cette délectation du pessimisme, à travers la solitude et l'errance, cette
glorification de la désespérance, par le truchement de métaphores simples mais
si parlantes, cette succession de paysages désolés, que rien ne semble chercher
à embellir ! Est-il actuellement interprète plus inspiré pour le chanter que le
baryton Matthias Goerne ? Depuis Dietrich Fischer Dieskau on n'avait plus été empoigné par pareille épure,
pareille force. Lied après Lied, au fil de cette double série de douze, de
« Gute Nacht » à
« Der Leiermann », et avec la complicité du
pianisme incandescent de
Christoph Eschenbach, le chanteur va nous guider dans
un voyage envoûtant. Celui d'un héros au cœur meurtri, se racontant son
désespoir, qui ne renonce à aucune voie pour forger son mal, sans répit, et
sceller ce destin : un cheminement inéluctable vers la mort. Qu'admirer le plus
? La science du mot, comme chez l'illustre aîné, mais aussi une simplicité
toute naturelle qui place le texte à notre portée, sans abandonner la moindre
parcelle de profondeur, comme naguère aussi il en fut de l'approche de cet
autre géant qu'était Hans Hotter. Un timbre envoûtant, tour à tour caressant le
mot ou projetant de véhéments accents, effrayants (« Auf
dem Flusse/ Sur la
rivière » et son rythme de marche) ou haletants (« Rückblick/Regard en arrière »). C'est que Goerne recourt à un spectre très large, du murmure à
l'éclat, de la touche ténorisante à la faconde du registre de basse. Qu'il
ménage dans de formidables crescendos. Dès lors, la poésie schubertienne est
restituée à vif : déchirante (« Einsamkeit/Solitude »),
vibrante (« Der greise Kopf/La
tête blanche »), d'une insondable nostalgie (« Der Wegweiser/Le Poteau indicateur»), ou d'une tristesse
résignée (« DasWirtshaus/L'auberge » et ses
sinistres lieux, puisque le voyageur visite un cimetière). Même les pages de
climats pittoresques prennent une tonalité sinistre. Comme « Die Wetterfahne/La girouette » et son ironique message, ou « Die Krähe/ La corneille » et ses étranges pressentiments.
Le piano de Christoph Eschenbach est à l'unisson : un
jeu lié et perlé, comme il en est du balancement de « Sur le
fleuve » ou du flux faussement gambadant de « Die Post/La
poste ». Les contrastes et les ruptures de rythmes sont ménagés avec
flair. Ainsi des passages syncopés inquiétants de « Im Dorfe/Au
village ». Avec les quatre dernières pièces, on atteint une émotion d'une
force indicible, s'achevant par un « Der Leiermann/Le
Joueur de vielle » d'un bouleversant statisme, comme si les mots et les
notes s'envolaient vers l'infini. Les deux interprètes sont captés dans une
acoustique de concert, apportant au dialogue voix-piano toute sa substance et
une admirable présence. Un rare achèvement qui semble conclure en apothéose une
série schubertienne d'exception commise par Matthias Goerne
au fil d'une douzaine de disques mémorables.
Jean-Pierre
Robert.
Felix
MENDELSSOHN : Ouverture « les Hébrides ».
Symphonie N° 3, « Écossaise » op.
56. Robert SCHUMANN : Concerto pour piano et orchestre op. 54. Maria João Pires, piano. LSO, dir. John Eliot
Gardiner. 1CD LSOlive : LSO0765. TT.: 79'17.
Ce généreux CD présente un vrai
programme de concert, en l'occurrence celui donné à Paris en janvier dernier
(cf. NL de 2/2014), puis au Barbican de Londres, où
l'évènement fut capté à la fois en version audio et pour la vidéo (le présent
CD s'accompagne d'un DVD Blu-ray). Ce programme a du
sens car il rapproche deux compositeurs amis et chantres de l'imagination
musicale, Mendelssohn et Schumann. Les paysages écossais, Felix
Mendelsshon les découvrit lors de son séjour de 1842
et les idéalisa en deux compositions remarquables, l'Ouverture « Les
Hébrides » et sa troisième symphonie. De la première John Eliot Gardier propose une interprétation forte de contrastes,
dans ses diverses phases, ondoiement marin, tempête déchainée, retour au calme,
nouvelle bourrasque. Cette même approche caractérise la symphonie dite
« écossaise », partagée entre vivacité et relâchement, agitation
fébrile et apaisement bienfaisant. A l'exemple du premier mouvement : une
longue introduction plantant le décor à la fois visuel, les landes des
Highlands, et figuré, la poétique romantique d'Ossian, puis le déploiement
d'épisodes tempétueux que le chef ne cherche pas à amoindrir, mais au contraire
truffe de rythmes martelés. Le vivace suivant, sorte de scherzo nocturne, si
typique de la manière de Mendelssohn, est abordé dans un tempo d'une
ébouriffante vitesse, presque boulé, ce qui dans les passages ppp lui
confère un aspect fantastique. On retrouve pareille vivacité au finale,
tourbillon haletant débouchant sur une péroraison majestueuse, dépourvue de
grandiloquence. Malgré l'allure endiablée et la pression mise par le chef sur
ses musiciens, le discours ne perd pas une once d'articulation. Peu avant,
l'adagio aura distillé une cantilène mélancolique des violons dont un deuxième
thème solennel ne sera pas parvenu à interrompre le cours. Une exécution
débordante de vie, qui renouvelle notre vision de ce petit chef d'œuvre. Le
Concerto pour piano op. 54 de Schumann, créé par Clara Wieck,
en 1845, après une longue maturation, occupe une place particulière parmi les
grands concertos romantiques par ses audaces d'écritures et son caractère
novateur. Il est, sous les doigts de Maria João Pires, un modèle d'équilibre :
un pianisme ni maniéré ni ostentatoire, d'une belle
alacrité, sans ce trop plein de vigueur que lui confèrent certains de ses
confrères ou consœurs. Comme ce fut le cas lors du concert parisien, on se
laisse bercer par la fine adéquation de l'interprétation à la poétique de la
pièce : délicatesse et intériorité de l'« affetuoso » initial, ton
chambriste dont est exécuté l'intermezzo central, comme un chant intime,
sérénité transparaissant dans le finale enjoué, jubilatoire, sans brillance
superfétatoire.
Jean-Pierre Robert
« A 90 th Birthday celebration ». Anton DVOŘÀK : Quintette pour piano et
cordes en la majeur, op. 81. Franz SCHUBERT :
Quintette pour piano et cordes « La Truite », D 667. Menahem Pressler, piano, Benjamin Berlioz, contrebasse, Quatuor
Ebène. 1CD Erato : 46259649. TT.: 75'39. 1DVD (TT.: 116'30) contenant
l'intégralité du concert, dont en outre : 4 Lieder extraits du Winterreise et « Die Forelle »,
D 560, de Schubert, l'Andantino du Quatuor à cordes de Debussy et le Nocturne
en ut dièse mineur, op. posthume de Chopin.
Ce CD est la captation du concert du 7
novembre 2013, salle Pleyel, durant lequel fut fêté le 90 ème
anniversaire de ce géant du piano, de la musique tout court, qu'est Menahem Pressler. Ce fut une fête en effet. Qu'on salua bien bas
(cf. NL de 12/2013). Et sans doute des exécutions hors concours, qu'il ne faut
pas tenter de comparer à d'autres. La Quintette op. 81 pour piano et cordes de Dvořàk montre peut-être des ralentissements qui, à
l'écoute aveugle, peuvent surprendre, par exemple au fil du premier mouvement.
Mais quel engagement de tous les instants, quel jaillissement mélodique à
travers ses climats tour à tour élégiaques et prestes ! Après tout,
l'indication de tempo est « allegro ma non tanto ».
Il y a là un sentiment d'urgence qui aux dernières phrases, emporte tout, au
point de déchaîner les applaudissements de l'auditoire ! L'andante suivant est
pareillement distillé avec amour sur le rythme un soupçon mélancolique d'une
danse de Dumka, et s'il vire à l'adagio
quelquefois, sa profondeur abyssale est bouleversante par le jeu perlé du
pianiste et le répondant tout en finesse des Ebène. Ils vont se déchaîner au Furiant, d'une vivacité aérienne, alors que le trio
médian explore les contrées de l'âme. Un allegro enjoué conclut cette exécution
magistrale. Il en va de même du Quintette « La Truite » de Schubert
qui respire le bonheur de jouer ensemble, nimbé de la douceur miraculeuse du
jeu de Menahem Pressler, et cultive un art consommé
de la transition. Le vivace initial, certes modéré, notamment en son deuxième
thème contenu dans un pianissimo bienfaisant, est d'un suprême naturel. Ce
nuancier on le retrouve à l'andante qui chante comme jamais et, sans jeu de
mot, coule de source, tout en côtoyant les tréfonds. Le scherzo introduit un
joli presto d'une vigueur tempérée dans sa scansion tournoyante, qu'entrecoupe
un trio empreint d'un sentiment d'apaisement. Le merveilleux thème de
l'Andantino, calqué sur celui du Lied « Die Forelle »,
est pris aux cordes avec infiniment de douceur, avant que le piano ne donne le
signal des variations. Celles-ci seront subtilement différenciées, en
particulier celle mettant en scène le violoncelle, d'une lenteur habitée. La
joie sans ombre du finale Allegro giusto,
merveilleusement balancé, conclut une exécution là encore mémorable. La prise
de son ménage un équilibre très satisfaisant entre piano et cordes.
Le DVD nous plonge au cœur même de cette
leçon de musique, grâce à de superbes images, en particulier du héros de la
fête dont les doigts collent au clavier comme pour mieux modeler la musique.
Son attention de tous les instants vis à vis de ses
jeunes confrères est un régal, comme ce sourire furtif échappé au vol. Il
permet aussi de savourer encore quelques moments magiques : un bouquet de
Lieder de Schubert, chantés par le ténor Christoph Prégardien,
et tirés du Voyage d'hiver, outre celui de « La Truite »,
annonçant judicieusement le Quintette du même nom, ainsi que les bis : le
mouvement lent du Quatuor de Debussy, présent fait par les Ebène à celui qui
remporta naguère le Concours du même nom et voue depuis lors une passion pour
le compositeur, et un Nocturne de Chopin, joué comme en apesanteur par Menahem Pressler. Hors concours décidément !
Jean-Pierre Robert.
Johannes BRAHMS : Sonates pour
violon et piano, N° 1, op. 78, N° 2, op. 100, N° 3, op. 108. Scherzo en ut
mineur (Sonate « F-A-E »). Augustin Dumay,
violon, Louis Lortie, piano. 1CD Onyx : ONYX 4133.
TT. : 77'01.
Augustin Dumay
n'en est pas à sa première exécution des trois Sonates pour violon de Brahms,
même au disque. La plus récente le fut avec Maria João Pires, pour Universal DG. Cette nouvelle version surprend par sa
tonalité automnale, son austérité, sa sévérité même. Elle est le fruit
d'intenses réflexions, de recherches, de remises en question sans doute. La
Sonate op.78 tourne le dos au caractère lumineux qu'on lui attribue
généralement, en raison de tempos retenus, voire lents, dans le vivace initial,
empreint de mélancolie, que soulignent des ralentissements constants. Ils
affectent tout autant l'adagio, qui s'enfonce dans l'immobilité, et l'allegro
moderato final manque de ce charme immédiat associé à cette première pièce. Une
approche très personnelle, à mille lieux des bretteurs d'estrade. La Sonate op.
100, « plus classique et plus heureuse », selon le violoniste, est de
même marquée par un débit retenu : l'allegro amabile qui l'ouvre est nanti, là
encore, de ralentissements extrêmes qui confèrent à ce qu'il est convenu de
considérer comme une romance sans parole, une sérénité refusant tout
épanchement romantique. Le lyrisme ne se libère pas aisément aux deux autres
mouvements, et le souffle brahmsien est fermement contenu dans des limites
objectives. L'opus 108 s'avère plus proche des interprétations « centrales
» et fait montre d'une jeunesse d'esprit communicative, vérifiant ce bon mot de
Picasso de qui aurait « mis du temps à devenir jeune ». Les tempos,
quoique là encore plus lents que ceux adoptés, par exemple, par Leonidas Kavakos et Yuja Wang dans leur
récente version (Decca ; cf NL de 6/2014), sont
justement passionnés, voire fiévreux au finale, et d'une poignante expression à
l'adagio. Dumay joue le superbe Guarneri del Jesù ayant appartenu à Leonid
Kogan, et un archet de Pierre Putigny
qu'utilisait Arthur Grumiaux, son maître vénéré. La
sonorité chaude et sombre, comme confidente, accentue l'austérité de la vision,
comme y contribue une prise de son intimiste.
Jean-Pierre Robert.
Georges BIZET : Carmen.
Opéra en quatre actes. Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Maria Callas,
Nicolai Gedda, Andrea Guiot, Robert Massard, Nadine
Sautereau, Jane Berbié, Claude Cales, Jacques Mars,
Jean-Paul Vauquelin, Jacques Pruvost. Chœurs René
Duclos. Chœurs d'enfants Jean Pesneaud. Orchestre du
Théâtre National de l'Opéra de Paris, dir. Georges
Prêtre (enregistrement : juillet 1964 ; remastered :
2014). 2 CD Warner Classics : 0825646341108.
Cent fois sur le métier... L'héritage
Callas semble être voué à une réactivation permanente, aubaine pour le label.
Pour les collectionneurs et les amoureux de l'art de la Diva assoluta aussi, le bénéfice étant pour eux avant tout
artistique. Entre autres parutions, son interprétation légendaire de Carmen
revient dans un nouveau transfert. La remastérisation
a été effectuée, dans les fameux studios londoniens d'Abbey
road, à partir, cette fois, des bandes-mères originales. Le gain sonore est
indéniable, la dynamique enfin restituée dans sa quasi entièreté, et non plus
affectée de l'effet de compression qui en limitait le spectre, dans les tuttis
notamment. Car la salle Wagram, où eut lieu l'enregistrement en juillet 1964,
pour ce qui devait être l'avant-dernière intégrale d'opéra léguée par Callas,
offrait une acoustique ouverte et idéalement aérée, ce dont le producteur
(Michel Glotz) et l'ingénieur du son (Paul Vavasseur)
usèrent avec leur habileté coutumière. La présence est étonnante, des voix
comme de l'orchestre, avec une naturelle spacialisation
des diverses sections, cordes, bois, cuivres, et l'accent porté sur les graves,
aux percussions en particulier. La clarté des plans est tout aussi saisissante,
comme la discrète mais efficace mise en espace (chœurs d'enfants au Ier acte,
placement des voix lors de la scène des cartes au III). Seuls, les chœurs ne
profitent pas toujours de cette cure de rajeunissement, captés souvent trop en
arrière plan, en particulier lors de la Habanera, où la voix de Callas
est fortement privilégiée. C'est que cette radiographie sonore ne passe rien.
Les fêlures de la voix de la diva, bien sûr, et cette tendance à privilégier le
registre de poitrine. Mais combien d'avantages en comparaison ! Car
l'interprétation est grandiose, envoûtante, avec ces traits fulgurants, cette
manière de jouer de la morgue (Séguedille, échange avec José lors du retour de
celui-ci), de la fatalité (scène des cartes), d'une inflexibilité totalement
assumée (scène finale, jusqu'à ce « tiens » détimbré, instillant
le froid dans le dos). Le sens du texte, la diction admirable rendent ce
portrait captivant, où sont illustrés tous les registres de la séduction.
Chante-t-on encore aujourd'hui avec l'intelligence suprême qu'apporte Nicolai Gedda à Don José ? Une
élégance dans la passion, une vraie clarté de l'émission, un art du phrasé, là
aussi devenus légendaires, pour une incarnation ardente, vaillante, avec le
soleil dans le timbre. De même, Robert Massard est un
Escamillo doté d'une distinction dont peu de ses
successeurs, van Dam excepté, surent user. Et Andrea Guiot
offre une Micaela de calibre, prouvant que ce rôle
est plus proche des héroïnes italiennes que d'une soubrette souffreteuse.
L'impact dramatique de l'interprétation doit beaucoup à la direction enflammée
de Georges Prêtre, et à ses excès : une certaine sécheresse du trait, des
accélérations incroyables (bagarre des cigarières, Entracte du II ), et un discours pas toujours des plus subtils, mais
diablement efficace. Peut-être pas la version idéale du chef d'œuvre de Bizet.
Une interprétation électrisante certainement, encore embellie. Seule ombre dans
cette captivante entreprise : aucun texte de présentation sur l'opéra, fût-il le plus joué au monde, comme l'absence du livret. N'y
a-t-il pas encore un public à conquérir
?
Jean-Pierre
Robert.
Émile GOUE : « Musique
de chambre vol. 3 » Sextuor à cordes, op. 33. Duo pour violon et violoncelle,
op. 34. Trio pour violon, alto et violoncelle, op. 32. Fleurs
mortes pour violon et piano. Trois Mélodies pour voix et quatuor à cordes,op. 36. L'Amitié.
Elmira Darvarova, Kristi Helberg, violons. Ronald Carbone, David Cerutti, altos. Samuel Magill, Wendy Sutter, violoncelles. Damien Top, ténor. Linda Hall, piano. 1CD Azur classical. : AZC120. TT.: 73'03.
Émile Goué
(1904-1946) mena de front sa carrière d'enseignant et une intense activité de
composition. Dans le domaine de la musique de chambre en particulier. Formé sur
le tas, il sera encouragé par Albert Roussel et Charles Koechlin.
L'association du Festival international Albert-Roussel et les éditions Azur classical tirent peu à peu de l'ombre sa riche production.
Après la Sonate pour violon et piano, les quatuors, le quintette (Cf. NL de
1/2014) voici, pour ce troisième volume, d'autres pièces non moins
passionnantes. A propos desquelles s'applique si bien le mot de Koechlin « c'est infiniment sérieux, âpre souvent,
étrange même, parfois assez austère, tragique aussi ». Car l'écriture de Goué, si elle reste ancrée dans la tonalité, l'élargit en
des harmonies denses et complexes. Le Trio à cordes op. 22, de 1939, déploie
une belle veine mélodique et une sûre architecture. Débutant par un presto, à
la verve digne du style de Roussel, il offre un adagio dont le parcours
mélodieux s'inscrit dans une rythmique assurée, ce qui lui confère une
étonnante résonance grave, mais nullement triste. L'allegro final, sur un
rythme de tarentelle, distille une joie sans mélange, celle d'un air populaire.
Le Sextuor à cordes op. 33, écrit en 1942, durant la longue période de
captivité du musicien au nord de l'Allemagne, s'avère plus charnu et laisse
percevoir les sentiments partagés du musicien durant cette période difficile.
Une introduction lente prélude à un mouvement vivement rythmé. Une profonde
cantilène rompt ce climat enjoué pour des accents presque lugubres. Ce climat
semble perdurer dans le deuxième mouvement « très animé ». Le sens de
l'urgence ne laisse pas beaucoup d'espoir quant à la désolation qui parcourt
ces pages. Le thème du « Lent » est tiré du Poème symphonique de
1933 : la thématique est là encore résolument sombre, aux altos notamment, mais
empreinte d'une vraie délicatesse. Le finale, « vif », est comme un
manifeste d'espoir. Le Duo pour violon et piano op. 34, de 1943, qui s'inscrit
dans un genre déjà expérimenté par Ravel et Honegger, se signale par une vraie
osmose entre les deux instruments, au fil de ses trois mouvements,
« animé », « très lent », belle médiation, et « très
vif », dégageant quelque optimisme en l'existence. Le CD présente une autre
composition pour violon et piano, inédite : « Fleurs mortes », de
1934, évoquant comme la nostalgie des souvenirs d'enfance dans ses deux
séquences, la première au balancement typiquement gallique, la seconde au
parfum de comptine populaire. Enfin, les « Trois Mélodies pour voix et
quatuor à cordes » op. 36, de 1943, de tonalité
automnales, sont écrites sur des textes de Jean de La Ville de Mirmont et de Rainer Maria Rilke. La mélodie isolée
« L'Amitié », sur un texte de Christiane Delmas (1935) offre pareil
climat austère. Les solistes de l'Orchestre du MET de New-York et le ténor
Damien Top apportent leur talent pour nous faire découvrir ces compositions.
Jean-Pierre
Robert.
« L'Heure
romantique ». Mélodies et Lieder de Purcell, Mahler, Schumann, Bizet,
Caplet, Ravel, Canteloube, Paul Ben Haim, Alexander Boskovitch. Airs d'opéras de Mozart et de Meyerbeer. Varda Kotler,
soprano, Israel Kastoriano, piano. 1CD Forlane : FOR 16878. TT.:73'12.
La soprano Varda Kolter, native de Tel Aviv,
poursuit une belle carrière aussi bien à la scène qu'en récital. Pour son
nouveau CD elle réunit un programme fort éclectique aussi bien anglais
qu'allemand, français ou yiddich, du plus connu à
quelques raretés. Pour « un voyage musical révélant la grande humanité
enfouie dans ces courtes pièces », souligne-t-elle. De la mélodie
« Music for a while » de Purcell, à
quelques Rückert-Lieder de Mahler, dont « Ich atmet einen Linden Duft », si empli d'atmosphère, ou encore à Schumann et
son délicat « Der Nussbaum », la pudeur de
la manière de la chanteuse fait merveille, comme la simplicité avec laquelle
elle aborde « Erstes Grün » de ce dernier. Elle
est à l'aise dans le répertoire français, même si çà et là quelques intonations
s'avèrent délicates, dues à la difficulté de prononciation d'une langue
terriblement exigeante. Le « Sonnet » de Bizet, sur un poème de
Ronsard, révèle sa fine mélancolie, et « Tarentelle » est enjouée et
virtuose dans ses insouciantes vocalises, enfin « Guitare » déploie
une belle énergie, sur un rythme espagnol qui confère au texte de Victor Hugo
une saveur insoupçonnée. Quelques pièces des Chants d'Auvergne de Joseph
Canteloube lui conviennent encore mieux car elle en distille l'esprit et
l'originalité. La Vocalise-Étude de Ravel, donnée avec ce zest d'abandon
indispensable, prélude à deux chansons sans paroles du compositeur israélien
Paul Ben-Haim (1897-1984). Au chapitre des raretés,
une pièce de Alexander Uriah Boskovitch
(1907-1964), « Que tu es belle, ma bien-aimée », tirée du Cantique
des Cantiques, nous immerge dans la poétique du chant juif. Comme Ben-Haim, ce musicien né en Europe, se rendra en Israël.
D'André Caplet (1878-1925), Varda Kotler donne
« Le corbeau et le renard », mise en musique de la célèbre fable de
Jean de La Fontaine, pleine de mystère et d'esprit, d'inspiration plutôt
moderniste, qui fait penser à Schoenberg. En guise de bis, viennent deux airs
d'opéra de Mozart et de Meyerbeer. De La Clemenza
di Tito, le « Parto, ma tu ben mio » du jeune Sesto est
finement ménagé dans le récitatif comme dans l'aria. Et « Nobles
Seigneurs, Salut! », tiré des Huguenots, fait montre de
panache.
Jean-Pierre
Robert.
« Chansons
perpétuelles ». Guillaume LEQUEUX : Trois poèmes. Hugo WOLF : quatre
Lieder extraits de l'Italienisches Liederbuch. Gabriel FAURE : 5 mélodies « de
Venise ». Serge RACHMANINOV : mélodies extraites de Chest
Romansov op. 4 et de Dvenadtsat
Romansov. Charles KOECHLIN : extraits de « Cinq
mélodies » op. 5 et de « Sept Rondels » op. 8. Ernest CHAUSSON :
Chanson perpétuelle, op. posthume 37.
Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano. Roger Vignoles, piano. Quatuor Psophos. 1CD Naïve : V 5355. TT.: 63'17.
Pour son nouveau récital,
Marie-Nicole Lemieux reste dans la sphère mélancolique. Le disque emprunte son
titre à La Chanson perpétuelle d'Ernest Chausson, que la chanteuse avait
inscrite au programme de son concert à l'Amphithéâtre Bastille en 2013, et
propose un voyage à travers l'Europe de la fin du XIX ème
siècle qui, souligne-t-elle, marque « l'apogée de la mélodie française ».
Elle est entourée dans cette pièce d'un quintette instrumental et la voix
s'épanouit admirablement, s'enroulant dans leurs volutes, et la diction
impressionne. Les Trois Poèmes de Guillaume Lequeu
(1870-1894) exhalent pareille veine mélancolique, même dans « Ronde »
malgré une apparente nonchalance de ton, tandis que « Nocturne »,
avec le renfort du quatuor à cordes, révèle mystère et langueur. Les
« Mélodies de Venise » de Gabriel Fauré (1891) découvrent une manière
tout sauf aseptisée. La fine poésie de Verlaine y palpite de sensualité. A
l'inverse de beaucoup d'interprètes, Marie-Nicole Lemieux privilégie une
approche plus dessinée, gourmande du mot, et « Mandoline » ou
« Green » en acquièrent une densité nouvelle, alors que « C'est
l'extase » n'a rien de vaporeux. Le pianisme de
Roger Vignoles est à l'unisson. Marie-Nicole Lemieux offre aussi quelques
pièces de Charles Koechlin, tirées des « Cinq
mélodies » op. 5, et des « Sept rondels » op. 8. Des premières,
« Si tu le veux » est un régal, la voix évoluant sur l'ondoiement du
piano, tandis que « Menuet » est tout de nostalgie. Des Sept rondels,
sur des poèmes de Théodore de Banville, elle propose, entre autres, « La
lune », seul vrai trait d'esprit du récital. Hugo Wolf la montre à l'aise
en territoire germanique. Les pièces de Serge Rachmaninov lui conviennent
encore mieux car le timbre grave y trouve matière à s'épanouir naturellement,
proche de l'effusion opératique. Ainsi en est-il du très célèbre « Ma
belle, ne chante pas devant moi ». La déclamation est expressive et le
legato superbe, tout comme l'accompagnement démonstratif. Sa grande voix,
Marie-Nicole Lemieux sait la dompter pour la mettre au diapason de la
confidente récitaliste, tout comme elle canalise son
tempérament expansif pour se faire patte de velours. Roger Vignoles est un sûr
partenaire pour installer à chaque instant le juste climat et donner vie à ces
belles miniatures.
Jean-Pierre
Robert.
« Les Ombres Heureuses ». Les
organistes français de la fin de l’Ancien Régime. Olivier Baumont,
orgue & piano. 1CD Éditions Radio France, Collection Tempéraments :
TEM 316053. TT : 63’31.
C’est probablement au XVIIIe siècle que la
musique pour orgue s’anoblit, s’embellit et s’enrichit, période où compositeurs
et facteurs d’instruments se réunissent dans une symbiose étroite tout au
service de la musique, au service de la sonorité, miracle de la musique qui
naît d’une altérité chaque fois renouvelée et partagée qui produira ces pièces
peu connues que nous propose Olivier Baumont dans cet
enregistrement. Des compositeurs de l’Ancien Régime, Claude Balbastre
(1724-11799), Michel Corrette (1707-1795)h Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier
(1734-1794), Armand-Louis Couperin (1727-1789), Josse-François-Joseph Benaut (1741-1794) et Guillaume Lasceux
(1740-1831). Des maîtres aujourd’hui oubliés et des œuvres qu’Olivier Baumont a judicieusement choisies comme un journal d’orgue
qu’on feuillette avec plaisir et nostalgie. Des instruments exceptionnels comme
l’orgue Dom Bedos-Quoirin (1748) de l’église
Sainte-Croix de Bordeaux et le pianoforte-orgue, insolite piano organisé
Erard-Frères (1791) conservé au musée de la Cité de la Musique à Paris. Un
disque, on l’aura compris, tout à fait exceptionnel par le choix de œuvres, par
la nature de l’instrumentarium et par la qualité de
l’interprétation d’Olivier Baumont. On regrettera
toutefois une prise de son qui parait parfois un peu plate. Un disque original
et didactique.
Patrice Imbaud.
Carl
Maria von WEBER. Johann Nepomuk HUMMEL. Early
Romantic Concertos for Clarinet & Trumpet. Philippe Cuper, clarinette.
Éric Aubier, Trompette. Orchestre Symphonique de Bretagne, dir.
Claude Schnitzler & Vincent Barthe. 1 CD Indésens :
INDE067. TT : 73’45.
Réédition par le label Indésens
de quatre œuvres emblématiques du répertoire pour clarinette et trompette, les Concertos n° 1 & n° 2 et le Concertino pour clarinette de Carl Maria
von Weber (1786-1826) et le Concerto pour trompette de Johann Nepomuk
Hummel (1778-1837). Des concertos incontournables, joués, ici, par des figures
reconnues des vents français, le clarinettiste Philippe Cuper
et le trompettiste Éric Aubier. Weber composa en 1811, à l’intention de son ami
le clarinettiste virtuose Heinrich Baermann,
l’aimable concertino et les deux concertos, des œuvres qui exploitent au mieux
toutes les possibilités expressives et techniques de la clarinette. Hummel
reste encore inscrit dans les mémoires par ce concerto pour trompette datant de
1803, dédié au trompettiste Weidinger. Des œuvres
maîtresses où l’on peut juger de la proximité des instruments à vents avec la
voix, de la complainte de la clarinette aux accents plus soutenus de la
trompette. Des compositions qui font la transition entre classicisme et
romantisme, qu’il est bon d’écouter et de réécouter surtout quand
l’interprétation est d’une telle qualité.
Patrice
Imbaud.
« Romance oubliée ».
Hermine Horiot, violoncelle. Ferenc Vizi, piano. 1 CD Collection 1001 Notes :
1001notes 05. TT : 64’16.
Un premier disque pour la jeune
violoncelliste Hermine Horiot, mais un coup de
maître. Associée au pianiste Ferenc Vizi dans un
programme éminemment romantique, Dvořák, Schumann, Chopin
et Liszt. Un bel enregistrement qui ravira tous les amateurs de musique de
chambre. Une sélection de pièces connues, jouées par les plus grands, des
ambiances différentes, mais une même poésie portée par la sonorité superbe du
violoncelle, Waldesruhe
et Sonatine de Dvořák,
Trois Romances de Robert Schumann, la
grande Sonate de Chopin et Romance oubliée de Liszt. Une très belle
interprétation toute en ressenti, en nuances, construite avec intelligence
autour de la sonate de Chopin qui explore à elle seule tous les méandres de
l’âme romantique, de sa part d’ombre, de sa romance oubliée comme une mélodie
perdue qu’on a de cesse de retrouver. Bravo ! Un pari audacieux totalement
maîtrisé. Une violoncelliste à suivre…
Patrice Imbaud.
Gabriel
FAURÉ. Quatuor
avec piano n° 1, Op. 15. Mel BONIS.
Quatuor avec
piano n° 1, Op. 69.
Quatuor Giardini. 1 CD Evidence :
EVCD004. TT : 56’45.
Le Quatuor Giardini
(du nom d’un des premiers compositeurs du genre quatuor avec clavier) nous
présente ici un enregistrement d’un grand intérêt musical, par le choix des
œuvres et par la qualité de leur réalisation. Le genre quatuor avec clavier
remonte au milieu du XVIIIe siècle, époque ou le clavecin s’émancipe, devient
instrument soliste et où se développe parallèlement le genre concertant,
faisant d’abord appel aux cordes exclusives, avant de s’enrichir de l’effectif
des vents. Mozart lui donna ses lettres de noblesse, bientôt secondé par les
compositeurs romantiques et post romantiques. Il serait vain de présenter
Gabriel Fauré (1845-1924), sans nul doute un des plus fameux musiciens
français, maitre reconnu en matière d’harmonie et de mélodie. Son Quatuor avec piano n° 1 appartient à sa
première période compositionnelle puisqu’écrit entre 1876 et 1879. En revanche,
Mélanie Bonis (1858-1937) est probablement moins connue du grand public.
Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, son œuvre, souvent entravée
par sa vie personnelle et le conservatisme ambiant, comprend environ trois
cents pièces, tous genres confondus, musique de chambre, musique pour piano,
musique vocale et orchestrale. Son Quatuor
avec piano n° 1 fut composé entre 1900 et 1905. Deux œuvres bien
différentes. Si le Quatuor de Fauré
révèle immédiatement toute sa plénitude musicale, chargée de lumière, de
tumulte et de drame, celui de Mel Bonis parait plutôt en demie teinte, empreint
de nostalgie, d’une certaine pudeur dans l’expression qui en fait tout le
charme. Un disque remarquable qui frappe d’emblée par la cohésion du Quatuor Giardini, par la sensibilité musicale de chacun de ses
membres et par la qualité de la prise de son. Un disque qui fera référence !
Un Quatuor original et talentueux à suivre…
Patrice Imbaud.
Ralph VAUGHAN WILLIAMS. Paul HINDEMITH. Florent SCHMITT. Charles KOECHLIN : Les altistes engagés. Vincent Roth, alto. Sébastien
Beck, piano Erard. 1 CD Editions Hortus.
Collection « Les musiciens et la Grande Guerre. Vol VII ».
HORTUS 707. TT : 60’53.
Septième volume de cette magnifique
collection que le label Hortus consacre aux
« Musiciens et la Grande Guerre ». Comme pour les précédents opus, un
choix pertinent d’œuvres originales et des interprètes de qualité qui feront, à
n’en pas douter, le succès de ce disque. Loin d’entraver la progression de
l’avant-garde musicale, initiée notamment par Stravinski et son Sacre du Printemps datant de 1913, la
Grande Guerre semble avoir toutefois modifié la donne, par l’enrôlement et
l’expérience du front que connaitront nombre de jeunes compositeurs français,
allemands ou anglais. Ralph Vaughan Williams (1872-1958) s’engage comme
brancardier, sa Romance pour alto et
piano, aux accents tragiques, date de 1914. Paul Hindemith (1895-1963) porte
dès l’âge de 19 ans le deuil de son père tué dès le début du conflit dans les
Flandres. Altiste hors pair, sa Sonate
Op. 11 n° 4, de 1919, post romantique, s’inscrit dans la tradition
allemande, à la fois lyrique et expressionniste. Florent Schmitt (1870-1958)
compose sa Légende en 1918, malgré sa
profonde tendresse, elle reste chargée d’angoisse. Charles Koechlin
(1867-1950) s’engage comme infirmier et continue de défendre l’avant-garde
cosmopolite par le biais de la Société Indépendante de Musique face à la très
nationaliste Société Nationale de Musique, émanant de la Schola Cantorum. Sa Sonate
Op. 53, écrite en 1915, est une partition déchirante empreinte de
désolation. Un disque marqué par le sceau de la guerre, par ses atrocités, par
ses drames, où la complainte de l’alto est ici résignée et désolée, ailleurs
agitée et vindicative, mais toujours magnifiquement expressive et émouvante
comme la voix venue d’ailleurs d’une humanité souffrante qui n’aspire qu’au
repos. Beau et émouvant !
Patrice Imbaud.
Jean-Louis
FLORENTZ : De Cire et Or. Thomas Monnet, orgue.
1 CD Editions Hortus : HORTUS 114. TT :
86’20.
Un disque comme un hommage au compositeur
Jean-Louis Florentz disparu il y a dix ans.
Compositeur et organiste, musicien atypique, avide de découvertes sonores,
ancien élève d’Olivier Messiaen, Jean-Louis Florentz
(1947-2004) fut un homme de foi dont la musique encore trop méconnue s’adresse
à l’orgue, à la voix ou au violoncelle. Une œuvre ayant réussi le difficile
syncrétisme entre musique africaine, proche orientale et tradition debussyste,
une œuvre toute imprégnée de spiritualité et de symbolique religieuse. Une
musique puissante, parfois dérangeante qui ne laisse pas indifférent,
apocalyptique, onirique, véhémente quasi militante, évoluant par grands plans
sonores, par clusters et répétitions. Une musique qui invite à découvrir la
face cachée de la vraie médaille, une musique au service de la foi, une musique
qui vous transporte dans un autre monde, celui de la méditation et de la
prière. Thomas Monnet, sur l’orgue de Roquevaire, nous propose dans cet
enregistrement un véritable parcours initiatique à travers quatre compositions
emblématiques, constituant l’intégrale de la musique pour orgue de Florentz, Les Laudes comme
des icônes de la Vierge Marie pleurant la persécution de l'Éthiopie, l’Enfant noir, conte symphonique
inachevé d’après le roman éponyme de Camara Laye, Debout sur le soleil, chant de résurrection ouvrant la voie des
ténèbres vers la lumière, et la Croix du
Sud, poème symphonique inspiré d’un poème touareg célébrant la rencontre
avec Dieu. Un disque de musique sacrée contemporaine, un document rare, servi
magnifiquement par Thomas Monnet. Une découverte à ne pas manquer ! Pour
ceux qui voudraient en savoir plus sur Jean-Louis Florentz,
signalons la sortie prochaine du livre que lui consacre l’organiste Michel
Bourcier. A suivre….
Patrice Imbaud.
Laurent
LEFRANÇOIS. Balnéaire.
Chamber Music. 1 CD Evidence Classics/ Little tribeca : EVCD005. TT : 49’30.
Ramage et plumage font ici bon ménage. A la
qualité des compositions répond la qualité superlative des interprètes, pour
cet enregistrement de musique de chambre contemporaine regroupant dix ans de
composition de Laurent Lefrançois utilisant des
effectifs chambristes à géométrie variable. Sextuor
mixte pour fluûte, clarinette, violon, alto,
violoncelle et piano, Padouk Phantasticus
pour marimba et clarinette, Toccata sesta pour quatuor à cordes, Approaching a city pour hautbois, clarinette et basson, Erinnerung pour quatuor à cordes
et Le Nouveau Balnéaire pour piano à
quatre mains. Des interprètes de renommée internationale comme Paul Meyer à la
clarinette, Magali Mosnier à la flûte, le quatuor Parisii, François Meyer au hautbois, Gilbert Audin au basson, Ria Ideta au
marimba, Nima Sarkechik et Cyril Guillotin au piano.
Des œuvres superbement construites, centrées sur le rythme, la mélodie,
l’alchimie des timbres et le plaisir de l’écoute où Laurent Lefrançois
affirme clairement sa différence, son attachement à l’héritage du passé, son
lyrisme et son talent de compositeur. Un disque coup de cœur .
Patrice
Imbaud.
« La
trompette de Noël ». Eric
Aubier, trompette. 2 CDs Indésens : INDE072. TT :
78’20 + 56’51.
Georges Gershwin, Michel Legrand, Claude Bolling, Guy-Claude Luypaerts,
Spiritual, Georges Bizet, César Franck, Bach, Gounod, Mozart, Jeremiah Clarke
et Tomaso Albinoni, tous ces compositeurs réunis dans
un large florilège de différentes pièces pour trompette. Musique classique,
comédie musicale, musique de film, jazz et variétés qui raviront petits et
grands. Des œuvres profanes et religieuses que le trompettiste Eric Aubier
conduit avec sa maitrise habituelle, avec la complicité du compositeur et
organiste Thierry Escaich pour les arrangements. Un
disque comme un hommage rendu à Maurice André. A savourer comme une friandise
en ces fêtes de fin d’année.
Patrice Imbaud.